EN er it de runs or Ur NL A ge = ti ss A re * Le ÂAtexrAgassiz, Library of the Museum OF COMPARATIVE ZOOLOGY, AT HARYARD COLLEGE, CAUBRIDGE, AASS. HFounded br pribate subscription, {n 1861. DINISNIIISNIN Deposited by ALEX. AGASSIZ. No.I0$ Sr ne tn ANNALES SCIENCES NATURELLES QUATRIÈME SÉRIE LOOLOGIE Eee DC 1m PARIS, — Imprimerie de L, MARTINET, rue Mignon, 2, ANNALES DES SCIENCES NATURELLES COMPRENANT LA ZOOLOGIE, LA BOTANIQUE, L’ANATOMIE ET LA PHYSIOLOGIE COMPARÉE DES DEUX RÈGNES ET L’'HISTOIRE DES CORPS ORGANISÉS FOSSILES RÉDIGÉES POUR LA ZOOLOGIR PAR M. MILNE EDWARDS POUR LA BOTANIQUE PAR MM. AD. BRONGNIART ET J. DECAISNE QUATRIÈME SÉRIE LOOLOGIE TOME VI PARIS LIBRAIRIE DE VICTOR MASSON PLACE DE L’ÉCOLE-DE-MÉDECINE 1856 L Um ego le an1o ‘di ae [12 LT a xt re à (7 MW. a Los we, audsat TE ANNALES DES SCIENCES NATURELLES PARTIE ZOOLOGIQUE REMARQUES SUR LES CARACTÈRES QUE L’ON PEUT TIRER DU STERNUM DES OISEAUX, Par M. Paul GERVAIS. L. Les Oiseaux sont faciles à distinguer de tous les autres animaux vertébrés, mais on éprouve le plus souvent un grand embarras lorsque l’on cherche à caractériser nettement les principaux groupes dont leur elasse est formée ; c’est ce qui a engagé plu- sieurs naturalistes à chercher dans la disposition anatomique des organes internes de ces animaux de nouveaux moyens de les différencier les uns par rapport aux autres. Les intestins des Oiseaux et leur cerveau ont dès lors été examinés avec plus de soin, mais leur squelette, envisagé surtout dans sa partie sternale , a plus particulièrement conduit à des résultats dignes d'intérêt. De Blainville a le premier compris la valeur des dispositions diverses qu’affecte le sternum des Oiseaux et ses annexes, et il a montré quels caractères on pouvait en tirer pour perfectionner la méthode ornithologique. Son mémoire sur ce sujet a été lu, le 6 décembre 1812, devant l’Académie des sciences de Paris (1), (1) Ce travail n'a paru qu’en 1821, et en partie seulement; il est imprimé dans le tome XCIT, pages 185 et suivantes, du Journal de physique. Il à pour titre : Mémoire sur l'emploi de la forme du sternum et de ses annexes pour l'éla- blissement ou la confirmation des familles naturelles parmi les Oiseaux. 6 .P, GERVAIS, et la elassification ornithologique de son Prodrome (1) est fondée sur les observations qu'il y a consignées. De son côté, Merrem s’est également servi de caractères analogues, et, en 18928, M.,Lherminier a publié sur la même question (2) un mémoire spécial, auquel il a, plus récemment, ajouté diverses observations importantes. Comme de Blainville en a fait la remarque , la disposition des pièces scapulaires, le développement du bréchet, et le nombre ainsi que la grandeur des échanerures , ou des foramina , que l’on voit au bord inférieur de l'os sternal , ont, dans chaque grande famille d'Oiseaux, des caractères à peu près constants , et il y a en même temps un rapport entre leur mode de confor- mation et l'étendue du vol. On peut donc reconnaitre assez aisé- ment, du moins dans la plupart des cas, les espèces d’une même famille par la considération de leur appareil sterno-scapulaire. Toutefois il est possible de rencontrer quelques variations secon- daires dans des Oiseaux d’une même série ; et, d'autre part, cer- taines formes appartenant à des groupes très différents sous tous les autres rapports, comme les Strigidés, beaucoup de Zygodactyles, les Échassiers, que nous avons nommés Limicoles, et les Laridés, peuvent se ressembler par quelques particularités de la même portion du squelette. Ilne saurait toutefois en résulter aucune con- fusion dans la systématisation des familles, car le reste de l’appareil osseux de ces différents groupes , et souvent aussi quelques par- ties de la région sternale elle-même, permettent de compléter les premières indications fournies par celle-ci, et il devient alors facile d'attribuer chaque espèce à son véritable groupe. Ainsi les familles que nous venons de citer sont caractérisées les unes et les autres par la présence d’une double paire d’échancrures au bord inférieur de leur sternum ; mais elles présentent dans leurs (1) Bulletin des sciences, par la Société philomatique de Paris, 1816. (2) Recherches sur l’appareil sternal des Oiseaux, considéré sous le double rap- port de l'ostéologie et de la myologie, suivies d’un Essai contenant une distribution nouvelle de ces Vertébrés, basée sur la considération de la forme du sternum et de ses annexes. In-8, Paris, 4823. (Extrait du tomo VE des Actes de la Société s linnéenne de Paris.) DU STERNUM DÉS OISEAUX. Fe pattes , dans leur bee et dans la plupart de leurs autres organes, des dispositions fort diverses, et qui sonten rapport avec les con- ditions dans lesquelles la nature les a appelées à vivre. D'ailleurs ni de Blainville, ni M. Eherminier, n’ont prétendu que les notions tirées du sternum puissent dispenser de celles qu’on emprunte aux autres parties du corps des Oiseaux ; seulement elles ajoutent beaucoup à la valeur de ces autres indications , et, dans bien des cas, elles nous éclairent sur les véritables rapports que cer- taines espèces ont entre elles : on ne saurait donc négliger d'y avoir recours si l’on veut arriver à des résultats exacts. C’est en grande partie pour les avoir méconnues, que plusieurs méthodes ornitho- logiques manquent de base, ear c’est dans l’organisation même des Oiseaux, et non dans quelques particularités du bee ou des pates, qu'il faut chercher les fondements d’une classification rigoureuse de ces animaux. Dans un mémoire (1) qui vient de paraitre dans la partie zoolo- gique du grand ouvrage de M. Francis de Castelnau sur l’Amé- rique du Sud, j'ai traité quelques points relatifs à l’ostéologie des Oiseaux et aux données systématiques qu'il est possible d’en tirer. Je m’étends plus particulièrement dans ce travail sur l’ostéologie de plusieurs genres américains, dont les affinités naturelles ont été diversement interprétées par les naturalistes. L’un de ces genres est celui des Zoazins, que l’on range tantôt parmi les Gal- linacés, tantôt parmi les Passereaux ; les autres sont ceux des Savacous, des Agamis et des Kamichis. À propos de ces der- niers, je donne aussi quelques observations relatives aux Chava- rias et aux Zschirornis. Un paragraphe spécial de mon mémoire est consacré à faire ressortir l’importance des indications que l’on peut tirer de l’exa- men du sternum et de ses annexes, pour asseoir sur des bases plüs solides la elassification des Oiseaux. Dans ce paragraphe, que je reproduirai presque en totalité dans cet extrait, j'ajoute (1) Description ostéologique de l'Hoazin, du Kamichi, du Cariama et du Savacou , suivie de Remarques sur les affinités naturelles des oiseaux, t. I de la Zoologie du Voyage de M. de Castelnau, partie anatomique, p. 66 à 92, pl. 44 à 47,in-4. 8 P, GERVAIS. quelques faits nouveaux à ceux qui ont été publiés jusqu’à ce jour, soit par de Blainville et M. Lherminier, soit par les savants, encore trop peu nombreux, qui sont entrés dans la voie indiquée par eux. II. ” Pour mieux faire comprendre l'importance des caractères ostéologiques dont je m'occupe, et pour montrer tout le parti que l'on peut en tirer, je passerai successivement en revue les six ordres d’Oiseaux admis par Linné ou G. Cuvier, sous les noms d’Acci- pitres, de Passereaux, de Grimpeurs, de Gallinacés, d'Échassiers et de Palmipèdes, etj'mdiquerai la place oceupée dans chacun d’eux par les différentes familles admises dans le savant mémoire de M. Lherminier , sans chercher toutefois à déterminer maintenant la sériation naturelle de ces familles. 1° Les Accrnirres ont leur appareil sternal établi suivant trois dispositions principales : Les Falconidés ont une paire de trous inférieurs, ou bien ils manquent de ces trous , la forme de leur appareil sternal restant d’ailleurs la même. La seconde disposition est surtout fréquente chez les espèces de grande taille. Les Fulturidés s’éloignent peu des Falconidés, mais ils conser- vent presque tous une paire de foramina plus étendus, et quelque- fois ces foramina se transforment en échancrures (Urubu). Le Gypaète à le sternum plein, mais encore de même forme, tandis que celui du Secrétaire (famille des Serpentaires, Lherminier) tient, à certains égards, de celui des Cigognes et du Cariama. Les Strigidés forment un groupe bien distinct de ceux des Oiseaux de proie diurnes par l’ensemble de leurs caractères exté- rieurs , et la considération de leur os sternal justifie, comme on en à fait plusieurs fois la remarque , leur séparation d’avec les autres Accipitres. 2° et 8° Les Grimrurs et les PAsseREAUX, qui sont les uns et les autres des Oiseaux passériformes, constituent une autre subdivision importante de la classe ornithologique. Envisagés d’une manière générale sous le rapport de l'appareil du sternum, ils peuvent être DU STERNUM DES OISEAUX. 9 partagés en plusieurs catégories , comprenant presque toutes un assez bon nombre de familles distinctes; mais la coordination régulière de ces familles est encore impossible. * Une première division répond aux Perroquets ou à l’ordre des Préhenseurs (Blainv.), dont le sternum a en effet une forme particulière. ** Une seconde division renferme différentes familles d'Oiseaux , les unes Zygodactyles, les autres Syndactyles ou même Déodactyles, dont le sternum est pourvu à son bord inférieur de deux paires d’échancrures plus ou moins profondes. Les Pics, les Toucans, les Couroucous, les Touracos, les Barbus, sont les Zygodactyles de cette division; les Todiers, les Martins- Pêcheurs et les Guêpiers, en sont les Syndactyles ; et l’on doit joindre à leur liste les Rolliers, Oiseaux déodactyles, dont le plu- mage a tant d’analogie avec celui des Guêpiers (4), ainsi que l’Hoazin (2), dont les autres caractères sont encore différents , et dont l’appareil sternal est en même temps établi sur un type par- ticulier : l’Hoazin a aussi les doigts entièrement divisés. Comme on le voit, ces différentes familles d’Oiseaux passéri- formes à deux paires d’échancrures sternales différent beaucoup entre elles par l’ensemble de leurs autres caractères , et elles forment réellement plusieurs sous-ordres. *** Dans d’autres Oiseaux passériformes, il n’y a plus qu’une seule paire d’échancrures ; cette disposition est même la plus ordi- naire chez les espèces de cette grande division, et elle est générale chez celles que nous rangeons dans le sous-ordre des Passereaux proprement dits, qui sont pour la plupart des Oiseaux déodactyles. Elle caractérise spécialement ceux des Passereaux qui sont propres à nos contrées, et un grand nombre de ceux que l’on trouve dans (4) L'un de nos plus habiles ornithologistes, M. Gerbe, m'a fait remarquer que les Rolliers se rapprochent aussi des Guépiers par la forme de leurs œufs et par leurs habitudes. (2) Voyez ma Description ostéologique de l'Hoazin , insérée dans le mémoire cité plus haut, page 66, et la planche qui accompagne cette description. J'y montre que cet oiseau doit former un sous-ordre à part, pour lequel on pourrait employer le nom de Dysodes, déjà proposé par Vieillot. 10 P. GERVAIS. les autres régions du globe la présentent aussi(4). Quelques autres Oiseaux, soit Syndactyles, soit Zygodactyles , montrent encore la même conformation du Sterium, mais avee moins de régularité, et dans certaines de leurs espèces seulement : tels sont en particu- lier les Calaos, dont l’échancrure est parfois très peu Sensible , et les Coucous, dont nous n'avons pu observer, sous le rapport ostéologique, qu’un assez petit nombre d’espèces. | F%% Une quatrième catégorie serait celle des Oiseaux passéri- formes dont le sternum est tout à fait plem. Les Oiseaux-Mouches et les Colibris lui appartiennent, ainsi que les Martinets ; maïs, il inporte de le faire remarquer , le caractère qui distingue cette catégorie étant négatif, on doit peut-être y attacher moins d’impor= tance qu’à celui de la présence d’une ou de deux paires d’échan- crüres, telles que nousles observons dans les cas normaux signalés aux deux précédents alinéas. Les Caprimulgidés nous fournissent d’ailleurs un fait qui justifie parfaitement cette réserve, et ils nous montrent qu'on ne doit pas se laisser guider dans la classification des Oiseaux passériformes par la considération exclusive du nombre des échancrures sternales. Ici, comme ailleurs, en zoologie, il faut savoir tenir compte de l’ensemble des particularités anatomiques, en les Subordonnant toutefois conformément à la valeur de leurs indications, au lieu de se fier à un seul caractère, envisagé d’une manière empirique. Voici ce que nous présentent les Caprimulgidés : y a deux paires d’échancrures sternales dans les Podargés , inégales il est vrai, et presque confondues en une seule; au con- traire, l’Engoulevent d'Europe et d’autres espèces de la même tribu ne nous ont montré qu’une seule paire d’échancrures appa- rentes, et il n’y à plus qu'un simple feston rudimentaire dans le Stéatorne où Guacharo. Il est cependant impossible d’éloigner les uns des autres dans la classification les Passereaux fissirostres qui composent les diverses tribus des Podargins, des Caprimulgins et des Stéatornins. : (1) En voici quelques exemples choisis parmi les moins connus : Paradisiers, Brèves, Héorotaires, Soui-Mangas » Eurylaimes, Promérops, Caciques, Pique- Bœufs, Glaucopes et Cogs de A , DU STERNUM DES OISEAUX. 41 le Les Gazrinacés de G. Cuvier répondent aux Gallinacés véri- tables et aux Sponsores de Blainville. Des trois familles principales dans lesquelles AL. Lherminier les partage (Pigeons, Gallinacés et Tinamous), la troisième me parait devoir être reportée parmi les Macrodactyles. | Les Coqs, les Faisans, les Paons, les Pintades, les Perdrix, et tous les Gallinacés polygames à vol lourd, qui sont aussi des Oiseaux précoces, c’est-à-dire dont les petits marchent dès le mo- ment de leur éclosion, possèdent deux paires de très grandes échancrures sternales : l’interne, qui est ogivale, dépasse en lon- gueur l’externe, dont le sommet est habituellement angulaire. Ce dernier caractère est cependant moins évident chez les Hoccos et les Pénélopes où l’échancrure externe a son sommet obtus , et où les deux échancrures sont moins profondes, ee qui établit une tran- sition de ces Oiseaux vers les Mégapodes, autres Gallinacés, dont les échancrures sont encore moindres. Chez les Lagopèdes , les deux paires d’échancrures sont déjà sensiblement moins grandes en proportion que chez les Perdrix et les Tétras , et l’on peut regarder ces Oiseaux comme indiquant un passage assez évident vers les Pigeons , dont le caractère est d’avoir l'échancrure externe plus grande et plus ouverte que l'in- terne, qui se transforme mème dans quelques espèces en un simple foramen, ou qui manque parfois d’une manière plus ou moins complète. Les Gangas (genre Péerocles) sont encore plus évidemment in- termédiaires par la forme de leur sternum aux vrais Gallinacés et aux Pigeons , et, si l’on ne tenait compte de leur mode d’éclosion, on resterait incertain s'ils doivent être rangés avec les premiers de ces Oiseaux où bien avec les seconds. L’échancrure externe du sternum des Gangas représente une portion d’ovale, et l’interne est plus petite ou même nulle, quoique la partie médiane de l’os soit plus large que chez les premiers Gallinacés. 5° Les Écnassiers de G. Cuvier se laissent aisément partager en quatre sous-ordres distincts, si l’on envisage leur appareil sternal : * Les Brévipennes, qui répondent à l'ordre des Coureurs de 19 P, GERVAIS. de Blainville, manquent de bréchet, ce qui les distingue de tous les autres groupes d’Oiseaux. Merrem en faisait aussi un ordre à part sous le nom de Ratitæ. | ** Les Hérodiens, ou les Hérons, les Cigognes et les Grues, n’ont, au bord postérieur du sternum, qu’une seule paire d’échan- crures , et ces échancrures sont larges et assez peu profondes ; elles peuvent même manquer dans quelques espèces. Les Flamants (famille des Phénicoptéridés) ont bien quelques rapports avec les Anatidés; mais leurs principales dispositions ostéologiques doivent les faire rapporter au sous-ordre des Héro- diens. L’Agami (1) rentre dans la famille des Grues ; le Savacou (2) est de celle des Hérons, et le Cariama (3) se rapproche aussi de cette dernière à plusieurs égards ; c’est auprès d'elle qu'il doit être classé , et non, comme on l’a quelquefois supposé, dans la même division que le Secrétaire. L'observation du squelette des Palamédéidés nous à conduit à les associer aussi aux Hérodiens, parmi lesquels ils forment toute- fois une famille bien distincte (4). *** Les Macrodactyles, c’est-à-dire les Poules d’eau et les Foulques, constituent un autre groupe, et nous en faisons un troisième sous-ordre. Nous renverrons pour la définition de leur appareil sternal aux descriplions qui en ont été données par les auteurs, en nous bornant à rappeler l’étroitesse du sternum et le grand développement de la paire unique des échancrures que l’on remarque à son bord ventral. C’est à tort, suivant nous, que plu- sieurs ornithologistes ont admis l’ordre des Pinnatipèdes, proposé par M. Temminck, et qui séparerait des Poules d’eau les Foulques et autres Macrodactyles à doigts garnis d’une membrane lobée, pour les associer aux Grèbes. Cette distribution nous paraît arbi- traire. Quelles que soient les affinités des Foulques avec les Grèbes, (1) Voyez P. Gervais, Mém. cité, p. 80, pl. 47, fig. 1-5. (2) Id., ibid., p. 79, pl. 47, fig. 6-7. (3) Id., ibid, p. 77, pl. 16. (&) Id., ibid., p. 72, pl. 15, du Kamichi et des Oiseaux qui s'en rapprochent le plus. DU STERNUM DES OISEAUX. A3 il est, en effet, impossible d'éloigner les premiers de ces Oiseaux des Poules d’eau, si l’on tient quelque compte de leur ostéologie, etles Jacanas sont encore, comme les Poules d’eau elles-mêmes, de véritables Oiseaux macrodactyles. C'est aussi à ce groupe des Macrodactyles (Fulicoïdes, ete.) que l’on doit rapporter les Râles, et même la famille des Tinamous dont le sternum est si profondément échancré. *** Les Limicoles. Notre quatrième sous-ordre des Échassiers comprend un grand nombre d'espèces vivant pour la plupart dans les marécages, ce qui nous a conduit à leur rendre le nom de Limacoles, sous lequel on les a quelquefois désignées. Ces Oiseaux ont habituellement le bec allongé, et le plus souvent leur sternum a deux paires d’échancrures subégales et de grandeur médiocre. Les Outardes, malgré leurs proportions assez semblables à celles des Grues, appartiennent probablement à ce sous-ordre, ainsi que les Édienèmes , les Ibis, les Courlis , les Spatules , les Chevaliers, les Maubèches , les Bécasseaux, les Avocettes, les Échasses, les Vanneaux, les Pluviers et les Huitriers. Le Drome du Sénégal (Dromas ardeola), dont nous avons vu le squelette, est aussi un Oiseau de cette division, et il en est de même du Chionis qui, suivant la remarque de Blainville, s'éloigne peu des Hui- triers. 6° Les Oiseaux PALMIPÈDES ne sont pas moins faciles à subdivi- ser que les Échassiers ou les Passériformes, et Bibron avait même proposé de les répartir entre les groupes précédents comme en étant les représentants aquatiques. L'ordre des Palmipèdes se trou- verait ainsi supprimé ; cependant il est impossible, dans l’état actuel de la science, d'établir cette répartition : car, si l’on peut trouver quelque ressemblance entre les Laridés ou les Procellaridés (4) et certains Limicoles, ou bien encore entre les Macrodactyles pinna- (1) C'est probablement à la suite des Laridés, et non avec les Pélécanidés, qu'il faut classer les Phaétons ou Paille-en-Queue ; ils ont, en effet , le sternum des Laridés , ainsi que leurs narines; et, s'ils sont totipalmes , comme les Péli- cans, les Cormorans, les Fous, les Anhingas et les Frégates, c’est-à-dire comme les Palmipèdes cryptorrhines de Blainville, ils n'ont aucun des autres caractères de ces derniers Oiseaux, Ah P. GERVAIS. tipèdes et les Grèbes ou les Héliornes, on n’observe d'autre part que des analogies éloignées entre les Anatidés ou les Pélécanidés et les familles des précédents ordres. Enfin les Brachyptères, ou Plongeurs de diverses sortes, sem- blent être encore plus différents du reste des Oiseaux. Ces Bra- chyptères, qui comprennent les Plongeons , les Pingouins et les Manchots, constituent le dernier terme de toute la classe, et il paraît convenable d’en faire un ordre à part. IL. On trouvera dans les écrits de Blainville, de M. Lherminier, de G. Cuvier, de Laurillard, de M. Owen, et de quelques autres anatomistes, des descriptions détaillées du sternum des principales familles d’Oiseaux dont il a été question dans ce mémoire. Notre but n’était point de refaire ces descriptions, mais de montrer quel parti on pourrait en tirer pour le perfectionnement de la classifi- cation ornithologique, si l'on associait les caractères qu'elles mettent en relief avec ceux que fournissent le bec, les narines, les pattes, le plumage, ete. Cependant, pour montrer que, tout en recherchant avec attention les caractères fournis par le sternum, il ne faut pas envisager ces caractères d’une manière exclusive , nous rappellerons, en termi- nant, le nom de quelques Oiseaux qui diffèrent, par certaines parti- cularités de cette portion du squelette, des autres espèces propres à Ja famille à laquelle ils appartiennent. L’Effraie (Stryx flammea) manque de la double paire d’échan- crures sternales qui caractérise les Strigidés, dont elle a néanmoins tous les autres caractères. Le Combattant (Machetes pugnax) et les Bécasses (Scolopax rusticola, Horsfieldi, ete.)n’ont qu’une seule paire d'échanerures, tandis que les autres Oiseaux du même groupe, c’est-à-dire le reste des Échassiers limicoles, en ont deux. Une semblable exception nous est fournie dans la famille des Laridés par le Larus cataractes , qui n’a aussi qu’une seule paire d’échancrures au lieu de deux, ce qui donne à son sternum une certaine ressemblance avec celui des Anatidés. DU STERNUM DES OISEAUX. 45 Je trouve un fait du même genre, mais plus remarquable encore, dans l’Atiagis Gayi, espèce qu’il est difficile de rapporter àun autre groupe qu’à celui des Gallinacés. Cet Oiseau, qui vole encore mieux que les Lagopèdes et les Gangas, n’a aussi qu'une seule paire d’échancrures sternales, la paire externe, qui est en même temps moins grande que chez les Gallinacés de la division des Hoccos ou des Gangas, de forme plus irréguliérement ovalaire, et assez com- parable à celles de certains Corvidés ; l’échancrure mterne manque ici, et la partie du sternum qui la présente dans les autres Galli- nacés est solide et assez élargie. En étudiant d’autres espèces, j'ai également constaté les parti- cularités suivantes : | Dans plusieurs Oiseaux appartenant à des groupes habituelle- ment pourvus d’une ou de deux paires d’échancrures sternales , celles-ci se transforment parlois en simples trous (foramina), ou bien encore les foramina peuvent exceptionnellement se changer en échancrures. Quelques Pigeons nous montrent un exemple de la première de ces dispositions, et l’on voit la seconde chez certains Vulturidés, particulièrement chez l’'Urubu que nous avons déjà cité. L’Alca impennis, ce géant des Alcins, dont la race est presque anéantie, a la même forme sternale que les Pingouins et les Guille- mots, tels que les définissent de Blanville et M. Lherminier, mais sans échancrures ni foramina. Ailleurs les dispositions exceptionnelles portent sur le bréchet, et l’on reconnait que le caractère de cette crête osseuse, si impor- tant qu'il soit, ne suffirait pas à lui seul pour la caractéristique d’un groupe naturel. Aussi peut-on dire qu'il n’est pas encore démontré que l’Aptéryx doive être réuni aux Coureurs, quoiqu’on V'ait mis le plus souvent dans ce groupe, sur cette seule considé- ration que son sternum n’a pas de carène osseuse. On conçoit, en effet, que des Oiseaux appartenant à un autre ordre que celui des Casoars ou des Autruches puissent avoir un sternum aussi simple que le leur, s’ils sont privés comme eux de la possibilité de voler; et le Strigops, dont les habitudes sont essen- tiellement terrestres, est remarquable par la faible saillie de son 16 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE bréchet, encore que cet Oiseau appartienne bien au groupe des Préhenseurs ou Perroquets. Les os furculaires des Oiseaux, qui sont les vraies elavicules de ces Vertébrés, nous fourniront un dernier exemple des variations que l'appareil sternal peut offrir dans les différentes familles de la classe : ils sont rudimentaires , et réduits de chaque côté à une courte pointe styliforme dans plusieurs genres de Perroquets australiens. ÉTUDES SUR L'HISTOLOGIE COMPARÉE DU SYSTÈME NERVEUX CHEZ QUELQUES ANNÉLIDES, Par le D" Ernest FAIVRE, (Suite. — Voyez t. V, p. 374.) SECTION II. Des tissus. Nous avons fait connaître les éléments dont se compose le sys- tème nerveux ; nous allons maintenant en étudier l’arrangement et la disposition relative. Ehrenberg, Valentin, Will et Bruch, ont commencé sur la Sangsue cette longue et difficile étude. Bruch est allé plus loin que ses devanciers, et, par la délicatesse de ses observations, il a contribué plus que tout autre à éclairer la ques- tion ; mais, après lui, il reste encore beaucoup à faire. En effet, l'étude de la texture du système nerveux ne saurait se borner uni- quement à un ganglion; elle doit les comprendre tous , ainsi que les branches qui en émanent : elle suppose l'étude préalable des éléments, et conduit à un parallèle avec le système nerveux des Vertébrés. En commençant son travail, Bruch réclanait déjà la bienveil- lance des savants, en faisant sentir les innombrables difficultés contre lesquelles 1l avait à lutter. Pour nous, qui suivons après lui DU SYSTÈME NERVEUX. | 17 la même voie, qui avons éprouvé les mêmes difficultés, nous espé- rons qu'on ne se montrera pas plus exigeant pour nos patientes et délicates recherches. Nous avons cherché à pénétrer l’arrangement des éléments ner- veux dans les ganglions , les connectifs, les troncs et les filets qui en partent. 1° Ganglions. La description générale, que nous allons présenter, s’appliquera à tous les ganglions de a chaine nerveuse, à l'exception toutefois des trois premiers et des trois derniers. Tous les autres renflements, comme il nous a été donné de le constater , présentent une même structure. Il est très important, pour éviter les erreurs et pour faciliter de nouvelles recherches , d'orienter chaque ganglion. Nous décrirons done , dans un gan- glion, la face supérieure ou dorsale, la face inférieure ou ventrale, l'extrémité antérieure, l'extrémité postérieure et les contours. Will et Bruch ont déjà suivi cette manière de procéder. 1° Face dorsale ou supérieure. — D'une manière générale, elle présente deux zones : l’une plus claire, périphérique, l’autre plus foncée et centrale figurant grossièrement un losange. Les deux angles du grand diamètre répondent aux deux connectifs ; les an- gles tronqués du petit émettent à droite et à gauche les deux paires nerveuses. Très superficiellement à ces deux zones, on distingue, surtout sur les ganglions durcis par le sublimé et traités par la glycérine , les traces de cloisons : l’une de ces cloisons forme une bande qui va d’une extrémité antérieure à l'extrémité postérieure ; les autres sont représentées par des lignes perpendiculaires à la précédente, et peu distantes l’une de l’autre. Sur cette face superficielle, on voit très bien aussi les fibres entrecroisées de lenveloppe gé- nérale. Au-dessous des parties précédentes se dessinent deux masses fusiformes accolées par leur bord interne, divergentes en haut, et plus divergentes en bas, au point d’origine des connectifs posté- rieurs. Ces deux masses , que recouvrent parfois des cellules apo- 4° série, Zoo, T. VI. (Cahier n° 4.) ? 2 18 E. FAIVRE. -— SUR L'HISTOLOGIE laires isolées, constituent essentiellement la zone obscure dont il a déjà été question ; elles commencent à la partie antérieure par deux cordons qui font suite aux connectifs, vont se renflant gra- duellement en baril, et diminuent enfin pour se terminer en arrière par deux autres cordons, auxquels font suite les connectifs postérieurs. Dès que les deux cordons antérieurs entrent dans le ganglion , ils subissent un resserrement , une constriction mani- feste, et leur diamètre transversal diminue. Ce détail n’a pas échappé aux auteurs ; il est si constant, qu'il forme un caractère infaillible pour reconnaitre l'extrémité antérieure d’un ganglion ; au contraire, à l'extrémité postérieure, il y a élargissement et sé- paration des cordons. Quelques chiffres vont fixer nos idées. Le diamètre transversal des connectifs étant, à l’entrée et à la sortie des ganglions, de 0°*,22, on trouve qu’au niveau de la constric- tion antérieure, le diamètre n’est que de 0"*,07, tandis que près de l’écartement postérieur on le trouve de 0"*,15. De la partie moyenne, et la plus évasée des deux renflements ovoïdaux, sortent, sur un plan plus profond, à droite et à gauche, les deux racines des nerfs latéraux. La zone claire, située autour de la zone obscure, forme quatre compartiments ou cadrans séparés par les nerfs latéraux de droite et de gauche. Il y a deux cadrans supérieurs, l’un à droite, l’autre à gauche de la zone obscure , et deux inférieurs disposés de la même manière. A l’aide de l'acide acétique, ou mieux du bichlorure de mercure et de la glycérine, on distingue, dans chaque cadran, plusieurs rangées de cellules unipolaires, disposées de telle façon que leurs prolongements sont dirigés suivant les rayons du ganglion supposé sphérique. Des cellules plus volumineuses oceupent les mtervalles compris entre les cordons d’origine , soit des connectifs, soit des nerfs latéraux. | 90 Face inférieure ou ventrale. — Cette face se reconnait tout de suite par le grand nombre de cellules qui la constituent, et par une figure irrégulièrement polygonale que les lignes de cloisons dessi- nent à sa surface. Les deux grands côtés du pentagone , réunis à angle aigu, aboutissent par leur sommet au point où les deux con- DU SYSTÈME NERVEUX. 19 nectifs pénètrent dans le ganglion ; le troisième côté, très large, regarde les connectifs inférieurs ; quelquefois deux autres, au niveau des quatre angles qui les unissent aux précédents, semblent reposer sur les quatre nerfs latéraux. Une figure peut seule faire com- prendre avec netteté l'aspect que nous nous efforçons de décrire. Quelques réactifs nous aident à comprendre la nature de ce des- sin polygonal; l’acide chromique et la glycérine, l'acide chro- mique, l'acide acétique dilué et le sue gastrique, peuvent être em- ployés dans ce but. On distingue alors que chacune des lignes de la figure est la trace d’une cloison perpendiculaire à la surface du ganglion , cloison qui pénètre dans la masse , et en sépare les cel- lules en plusieurs groupes. Cette cloison est épaisse ; elle se conti- nue avec la membrane fibreuse d’enveloppe du côté ventral seule- ment ; elle ne s’avance que dans le tiers environ de l’intérieur du renflement. Ainsi les éléments qui y sont contenus ne sont séparés par les cloisons que vers la région ventrale (4). Lorsqu'on ne fait agir aucun réactif, on voit qu'au dedans comme en dehors de la figure tracéepar les lignes des cloisons, un très grand nombre de cellules sont incluses. Les cellules inscrites sont apolaires,-plus ou moins sphériques, très volumineuses ; les cellules circonserites sont apolaires ou unipolaires, mais d’un moindre volume. On reconnait facilement que plusieurs séries de cellules superposées occupent toute la face inférieure que nous dé- Crivons. L'action prolongée du suc gastrique partage toutes les cellules en six groupes : le premier occupe l’espace irrégulièrement triangu- laire des eloisons ; le deuxième et le troisième les parties latérales et supérieures ; le quatrième et le cinquième sont compris entre les deux racines de chaque côté; le sixième, le plus considérable, est au dehors de la base du triangle. 8° Faces latérales. — Nous les avons examinées avec d'autant plus d'attention que nous désirions savoir si les deux troncs ner- veux qui en partent ressemblaient en quelque point, à leur origine, aux deux racines médullaires des animaux supérieurs. (1) Nous n'avons pas cru nécessaire de décrire les aspects divers que peuvent présenter les cloisons. 20 E. FAIVRE, — SUR L'HISTOLOGIE Sur des renflements durcis dans le sublimé , les deux troncs nerveux se sont montrés disposés l’un à la suite de l’autre, et non l’un sur l’autre. Le tronc antérieur est un peu plus rapproché de la face inférieure ; le tronc postérieur se montre plus proche de la face supérieure de chaque ganglion. Nous avons décrit exactement l'aspect des deux faces ganglion- naires ; nous avons vu que la face supérieure est essentiellement fibreuse, et la face mférieure tapissée de cellules. Cherchons main- tenant à nous rendre compte de ces aspects, et abordons l’étude de la texture intérieure et du cours des fibres. Cette partie de notre travail était pleine de difficultés ; aussi laisse-t-elle encore à désirer. Pour connaître la direction des fibres, il faudrait les suivre de leur origine à leur terminaison ; il faudrait connaître le sens de l'agent auquelelles donnent passage ; tout cela est absolument impossible. Nous avons dù chercher des réactifs propres à nous montrer les directions les plus générales des faisceaux, et même à nous indi- quer la marche plus précise d’un ensemble de tubes. Après des recherches qui ont duré des mois entiers, nous nous sommes arrêté à deux agents plus actifs que les autres , savoir : l'acide sulfurique monohydraté où au moins très concentré, avec ou sans addition de potasse , et l'acide acétique cristallisable étendu et souvent renouvelé; le suc gastrique nous a aussi permis de distinguer bien des détails. L'acide sulfurique donne une idée d'ensemble très nette, et rend visibles les dispositions suivantes qui sont fondamentales : Chacun des nerfs antérieurs, entré dans le ganglion, présente : Lo des fibres ascendantes dirigées de bas en haut, de dehors en dedans, et qui vont se continuer avec celles da connectif du même côté ; 2° des fibres contournées qui se rendent dans le tronc ner- veux postérieur du même côté ; elles sont très nettes; 3° des fibres transversales qui semblent se rendre vers les nerfs inférieurs des parties opposées des ganglions ; nous avons vu nettement ces fibres dans quelques circonstances , d’autres fois elles ont échappé à nos recherches ; 4° et quelques fibres descendantes profondes qui vont au conneclif inférieur ; nous les marquons d’un point de doute. DU SYSTÈME NERVEUX. 21 Chacun des nerfs inférieurs émet des fibres contournées qui vont au nerf supérieur du même côté, et des fibres descendantes qui se rendent aux connectifs inférieurs ; peut-être y en a-t-il d’ascendantes, mais nous ne les avons pas distinguées. Ajoutons encore que , dans plusieurs de ces préparations , on distingue un entrecroisement médian formé par les fibres trans- verses s’échappant des nerfs supérieurs droit et gauche; qu’enfin on reconnait très manifestement que certaines fibres passent à la face supérieure médiane du ganglion , allant en ligne directe d’un connectif à un autre (nous nous expliquerons plus loin sur les faisceaux intermédiaires ou nerfs respiratoires). Les faits de texture que l’acide sulfurique nous indique sent confirmés et complétés par l'examen direct, les sections, les dé- chirures, l'emploi intelligent de l'acide acétique, du suc gastrique, du phosphate de soude et de la glycérine réunis. Entrons dans les détails : soit encore le trone antérieur droit à son entrée dans le ganglion, on reconnait qu'il se divise en deux groupes de fibres ; nous pouvons avancer, d'accord avec Ch. Bruch, que ces deux groupes renferment des fibres ascendantes, qui vont se con- tinuer avec le connectif supérieur correspondant et des fibres transverses. Comme Bruch, nous avons poursuivi les fibres, et nous avons remarqué qu'elles provenaient de cellules situées dans le côté du ganglion opposé à l'émergence du tronc nerveux ; ainsi le tronc nerveux droit offre l’origine de ces fibres du côté gauche du ganglion et vice versé, de telle sorte qu'il y à manifestement un entrecroisement entre les fibres latérales des deux côtés. Une question s'élève ici : le cadran inférieur droit envoie-t-il aussi des fibres pour constituer le trone nerveux supérieur gauche et réci- proquement ? Bruch l’a représenté : cela est probable, d’après l'orientation des cellules, et se rapporte aux fibres transverses descendantes que l’acide sulfurique permet de voir. Nous avons vu que le trone antérieur droit possède des fibres . ascendantes et des fibres transverses supérieures et inférieures. Possède-t-il également des fibres descendantes ? Bruch n’en dit rien. Nous avons longuement étudié cette question difficile, et nos observations n'ont pas résolu la difficulté. Le trone nerveux supé- 99 E., FAIÏVRE. — SUR L HISTOLOGIE rieur de chaque côté se compose donc de fibres ascendantes qui ne s’entrecroisent pas, de fibres transverses, ascendantes et descen- dantes, qui s'entrecroisent. Dans le tronc nerveux inférieur de chaque côté, on distingue facilement aussi des fibres ascendantes qui se joignent aux connectifs supérieurs des fibres transverses, ascendantes, qui prennent leur origine dans le cadran supérieur opposé (Bruch les à figurées) ; enfin des fibres descendantes, que l'acide sulfurique nous a fait constater. Peut-on déterminer le cours des fibres ascendantes des troncs antérieurs ? Se rendent-elles dans l’encéphale, en traversant, d’arrière en avant, toute la chainette ganglionnaire ? Ou bien s’arrôtent-elles dans le ganglion immédiatement supérieur à celui d'où elles partent ? Nous avons plusieurs raisons de penser qu'il en est ainsi : en effet, l’extrémité antérieure de chaque ganglion offre des cellules dontles prolongements sont dirigés de hauten bas, de manière à venir constituer une portion des connectifs inférieurs. Or ce sont ces connectifs inférieurs qui, à leur entrée dansle gan- glion suivant, se partagent en quatre faisceaux, qui vont constituer les fibres ascendantes des troncs nerveux antérieurs et postérieurs de chaque côté. Nous venons de dire que chaque ganglion présente vers son pôle antérieur des cellules à prolongements, dirigées de haut en bas, que Bruch a vues comme nous. En faisant de nombreuses coupes perpendiculaires au grand axe, nous avons reconnu aussi que, vers le pôle inférieur, on trouve des cellules dirigées de bas en haut, et dont les prolongements, suivis par la pensée, iraient constituer une partie des connectifs supérieurs du ganglion, et peut-être former définitivement les fibres descendantes des troncs nerveux. Nous n’avons pas suivi ces prolongements Jusque dans les connectifs, mais nous les avons vus marcher dans cette direc- tion. Voilà les limites dans lesquelles la vérité nous force à nous circonserire. | Constatons un dernier fait général : chaque nerf, à son entrée dans le ganglion, se sépare en deux faisceaux superposés : du su- périeur émanent surtout les fibres ascendantes et descendantes, qui ont leur point d’origine dans d’autres ganglions, probablement DU SYSTÈME NERVEUX. 93 en grande partie dans le précédent et le suivant; de l’inférieur partent les fibres, dont l’origine est dans le ganglion lui-même, soit du même côté, soit du côté opposé ; nous avons parlé de ces dernières, nous ne pouvons cire si les autres existent. La description précédente, dans laquelle nous avons pris soin de distinguer les faits positifs des faits seulement probables ou même hypothétiques, nous permettra de comprendre les aspects que nous avons décrits plus haut. Nous avons dit que le ganglion présente deux parties : l’une claire , périphérique , spécialement composée de cellules ; l’autre centrale, formée de fibres. Cette dernière résulte de l’ensemble des fibres suivantes disposées sur plusieurs plans : 1° les fibres super- ficielles qui vont d’un connectif à l’autre, et les fibres ascendantes ou descendantes des cordons antérieurs et postérieurs; 2% et les fibres transverses de ces mêmes cordons, qui prennent origine dans les cellules du côté opposé. La région claire est formée par des cellules unipolaires, toutes dirigées suivant l’axe des ganglions , et contribuant à former, soit les racines transverses de chacun des troncs nerveux opposés, soit une partie des fibres des connectifs de l'extrémité inverse du ren- flement. La face supérieure du ganglion est fibreuse , et le cours des fibres n’est pas entravé par les cloisons. Cette face est, en quelque sorte, le lieu de communication des fibres d’un ganglion à un autre. La face inférieure est celluleuse ; les cellules y sont renfermées dans des loges : c'est là la région indépendante du ganglion , le lieu de la puissance spéciale de ce centre nerveux. Une question difficile est celle de savoir quel rapport peut exister entre ces deux régions, ce qui appartient en propre à un renfle- ment, et la nature des communications de celui-ci avec les divers éléments de la chainette. Doit-on admettre que chacun des gan- glions communique par des fibres directes jusqu’à l’encéphale ? Est-il démontré, au contraire, qu’un ganglion n’a de communica- tion qu'avec celui qui le précède ou qui le suit? Voici quelques faits qui peuvent, en attendant des observations plus rigoureuses , fixer notre jugement. DAT E, FAIVRE, — SUR L'HISTOLOGIE 1° Les choses ne se comportent pas comme si chacun des renfle- ments envoyait au cerveau un certain nombre de fibres. Dans ce cas, en ellet, l’ensemble de la chaine médullaire devrait repré- senter une tige d’antant plus large qu'elle se rapprocherait davantage de l’encéphale, puisque à serait la somme des fibres envoyées par chacun des ganglions; ou, si l’on veut, le diamètre des connectifs devrait être d'autant plus grand qu’on les mesurerait plus près du cerveau. Or il n’en est rien : nous avons reconnu que, dans la plus grande partie de la chaine, les connectifs ont le même diamètre à l’entrée et à la sortie d’un ganglion quelconque. Nous nous plaçons ici dans une hypothèse analogue à celle que l’on fai- sait sur la moelle épinière de l’homme avant les remarquables tra- vaux de M. Brown-Séquard. 2° A l'appui de cette opinion, qui nous représente le ganglion comme émettant un nombre considérable de fibres propres , et un nombre restreint de fibres de communication, nous citerons le fait suivant. Si un des ganglions de la chaine devient plus volumi- neux , les connectifs qui y entrent ou qui en sortent n’augmentent pas de volume ; ils peuvent même être plus petits qu’à l’ordinaire, comme cela se voit à l’avant-dernier renflement. Mais l’augmenta- tion de volume ou de nombre porte sur les troncs nerveux qui émanent des renflements : ainsi se comportent le premier, le se- cond, le cinquième et le vingt-troisième ganglion. 9° On à vu, d’après notre description, que les cellules ner- veuses ascendantes et descendantes d’un renflement peuvent suf- fire pour expliquer le volume des connectifs, et qu’alors il paraît vraisemblable qu’un ganglion ne communique guère qu'avec celui qui le précède et celui qui le suit. Nous présentons, sous toute réserve, cette dernière preuve encore douteuse. Si ce n’est pas un fait avéré, c’est un point de recherche à vérifier, et il est utile de l'indiquer ici. Après avoir fait connaitre, aussi bien que possible, la texture d’un des ganglions de la chainette , nous essaierons d’exposer ce que nous savons sur d’autres renflements. Cerveau. —- Le cerveau de la Sangsue, dont nul auteur n’a encore étudié la structure, se compose d’une masse sus-æsopha- DU SYSTÈME NERVEUX. 95 gienne, se liant, à l’aide de deux connectifs {rès courts, à un ren- flement volumineux placé sous l’œsophage, et qui représente le premier ganglion de la moelle abdominale. Ce cerveau a une forme transversalement allongée, il est légère- ment recourbé en are de cercle ; on peut y distinguer une face supérieure divisée en deux parties latérales par un sillon médian antéro-postérieur, une face inférieure reposant sur l’œæsophage, une petite courbure antérieure et concave, une grande courbure postérieure et nettement convexe, enfin deux extrémités se conti- nuant avec les connectifs. Face supérieure. — On distingue transversalement, au-dessous de la membrane d’enveloppe, une zone fibreuse qui traverse toute cette face dans le sens du grand diamètre , comme les connectifs traversent la face supérieure du ganglion. En dehors de cette zone fibreuse, entre elle et les bords convexes et concaves du renfle- ment, on distingue une série de lobes remplis de cellules nerveuses unipolaires. Ces lobes ont absolument l’aspect des parties claires ou des cadrans ganglionnaires ; ils leur ressemblent encore par les prolongements qu’ils émettent, et qui sont dirigés vers l’axe du cerveau. Au pourtour des cellules, sont disséminés comme dans les ganglions, des grains de matière nerveuse amorphe. Face inférieure. — L'aspect de cette face rappelle exactement l’aspect de la face inférieure des ganglions de la chainette. Elle est tapissée, en effet, par un grand nombre de cellules superficielles : les plus volumineuses sont apolaires, centrales, elles mesurent 0®,05 de diamètre ; les plus petites sont unipolaires et périphé- riques. Cette face inférieure est encore remarquable par le grand nombre de lignes qui la partagent en autant d'espaces , lignes qui sont la trace d'autant de cloisons. Dans les ganglions ordinaires, les cloisons étaient disposées d’une manière irrégulière et simple ; dans le cerveau, elles affectent une très grande complication. En effet, d’après plusieurs de nos observations, on distingue, à droite et à gauche de la ligne médiane (trace de la division du cer- veau en deux moitiés }, quatorze compartiments exactement symé- triques. Nous avons pu déterminer la figure de chaque comparti- ment, et la position qu'il occupe par rapport aux autres : de pareils 26 E. FAIVRE, — SUR L'HISTOLOGIE détails sont inutiles à consigner ici. Nous nous bornerons à dire que chaque compartiment est la base d’une loge remplie de cel- lules, et que les cloisons, qui limitent ces loges, ne s’avancent pas très profondément dans l’intérieur du cerveau. Qu'on étudie , en effet, par la face supérieure, un cerveau traité par la glycérine et l'acide acétique, on suivra, au-dessous de la bande libreuse deve- nue suffisamment claire, les contours des cloisons qui s'élèvent de l'enveloppe , et qui n’atteignent que le tiers environ de la cavité du cerveau. C'est avec les plus grandes difficultés que nous sommes parve- nus à reconnaître d’une manière satisfaisante les détails que nous venons d'exposer. Nous aurions voulu aller plus loin; frappé d’une ressemblance d’aspeet qui nous indiquait elairement que le cerveau n’est qu'un ganglion médullaire modifié, nous voulions pénétrer la structure intime : peut-être d’autres analogies se fussent- elles révélées. Nos tentatives ont toujours échoué. Nous avons ce- pendant distingué, à l’aide du phosphate de soude et de la glycérine réunis , le détail suivant : de chaque côté de la ligne médiane du cerveau , les tubes qui prolongent les cellules se dirigent oblique- ment vers l’axe du ganglion du côté des connectifs. Le nombre des cellules nous a aussi paru très restreint dans la zone médiane du cerveau. Premier ganglion ou portion sous-æsophagienne du cerveau.— Le premier ganglion est irrégulièrement triangulaire. De ses deux angles supérieurs partent les deux connectifs cérébraux, qui sont très courts, et de son angle inférieur les connectifs qui rattachent la masse sous-æsophagienne au deuxième ganglion. L'aspect des deux faces est encore celui que nous avons signalé ailleurs : la face supérieure est fibreuse; la face inférieure est cellulaire, et présente un système de cloisons qui n’est ni celui des ganglions, ni celui du cerveau. Nous ajouterons quelques détails de texture vus par la face supérieure. La bande fibreuse, unique vers l’angle inférieur, se divise, en se dirigeant vers les angles supérieurs, en deux bandes secondaires , dont chacune se rend au connectif du même côté. Sur les parties latérales de ces bandes s’étagent de nombreuses cellules, dont les prolongements pour les cellules anté- DU SYSTÈME NERVEUX. 97 rieures et moyennes se dirigent perpendiculairement au grand axe. Les prolongements du côté droit , après s'être entrecroisés avec ceux du côté gauche, vont donner naissance à une partie des fibres qui constituent les nerfs latéraux de ce côté. I existe aussi des cellules dont les prolongements , placés dans l'axe du ganglion, sont ascendants et descendants. Derniers ganglions. — Nous entrerons dans quelques détails sur les trois ganglions qui terminent la moelle ventrale. Le dernier ganglion, le plus volumineux de toute la chaîne, est très difficile- ment isolable, à cause du tissu pigmentaire qui en revêt les deux surfaces ; de là l'extrême difficulté d’en étudier la texture sans le rompre. Ce ganglion est ovoïde, d’une longueur de 0°*,002 envi- ron; il est recouvert d’une épaisse membrane fibreuse. Les bords en sont flexueux et lobés ; il donne naissance à sept ou huit paires de nerfs, dont les postérieures se distribuent au tissu musculaire de la région supérieure de la ventouse , tandis que les antérieures plongent profondément pour se terminer dans le plan musculaire inférieur du disque préhensile. A l’aide de l’acide acétique, d’une pression modérée, d'un grossissement de 200 diamètres , nous avons distingué les détails suivants : Face supérieure. — En avant, on suit la pénétration des deux connectifs très courts de l’antépénultième ganglion. D’avant en arrière, et sur le milieu de la face elliptique, on distingue un sillon médian blanchâtre, qui partage cette face en deux moitiés : l’une droite et l’autre gauche. Chaque moitié est divisée par des eloisons en sept segments parallèles , mais perpendiculaires à l’espace mé- dian, et se correspondant exactement à droite et à gauche de cet espace. Ces espaces, limités par les cloisons, n’ont pas la même forme, et ne se lerminent pas de la même manière sur les contours de la masse ; les uns figurent des pointes ; d’autres dessinent des bords arrondis. On ne trouve l'origine d'aucun nerf à cette face supé- rieure ; les cellules nerveuses y sont rares. Face inférieure. — L'adhérence du pigment la rend bien diffi- cile à examiner ; néanmoins on reconnait que celte face est consti- 28 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE tuée par un système très complexe de loges et de cloisons. Les lobes latéraux sont recouverts par une série de lobes transversaux, à bords arrondis. En ce point d’intersection, les nerfs latéraux prennent naissance avec régularité. Avec un grossissement de 300 diamètres, on parvient à distinguer, à travers la membrane d’enveloppe, de nombreuses cellules nerveuses. La texture intime nous échappe presque complétement; néanmoins les points sui- vants sont certains. Presque tous les tubes qui composent les nerfs naissent du gan- glion lui-même ; très peu de fibres arrivent de l’antépénultième ganglion, et lui sont envoyées. Ces résultats sont déduits de la comparaison facile à faire entre le volume des deux connectifs qui pénètrent dans le dernier renflement et le volume des quatorze à dix-huit paires nerveuses qui en sortent. Il en résulte que ce gan- glion agit très puissamment comme un centre mdépendant. Nous ajouterons qu’à l’aide de l'acide sulfurique concentré, additionné ou non de potasse , nous avons distingué des arcades nerveuses qui se rendent d’un filet au suivant. Connectifs. — Les connectifs joignent les ganglions les uns aux autres ; ils ont à peu près le même volume dans toute la longueur de la chainette ; mais leur distance entre deux ganglions est loin d’être toujours la même. Ainsi entre le cerveau etle premier gan- glion, ils sont très courts : il en est de même entre le second et le troisième. Ils s’allongent insensiblement dans la région ventrale pour redevenir très courts entre les trois derniers renflements. Chaque connectif est composé de deux cordons également volumi- neux, mais inégalement distincts. En effet, dans presque toute l'étendue de la moelle ventrale , la séparation n’est pas visible à l'œil nu ; elle devient, au contraire, très manifeste en arrière dans l'intervalle des derniers ganglions. Il est impossible de méconnaitre dans cette double rangée de connectifs, la trace de la division pri- mitive du système nerveux. Nous avons cherché à comprendre la structure des connectifs , et elle nous a paru différer sur bien des points de la texture des filets. Les filets nerveux se composent de tubes distinets pourvus * d’une membrane d’enveloppe très évidente ; dans les connecüls, 1l DU SYSTÈME NERVEUX. 29 en est autrement. A la sortie des ganglions, les deux cordons con- nectifs s'épanouissent un instant en branches irrégulières , mé- gales, rameuses, offrant l'aspect de racines. Toutes ces branches se réunissent bientôt en une masse unique, composée de matière finement granuleuse , et au sein de laquelle il est bien difficile de distinguer des enveloppes de tubes. Après un certain trajet, cette masse se sépare de nouveau avant de pénétrer dans le ganglion inférieur ; les branches séparées et rameuses se reconstituent de nouveau ; l’eau, l'acide chromique, le suc gastrique, démontrent | cette espèce de texture compacte, et cette absence de tubes à gaine distincte, étendus tout le long du connectif, et en constituant la masse. Le plus intéressant des réactifs est l’acide sulfurique concentré ; il reproduit, sous les aspects les plus variables, les bifurcations dont nous avons parlé, et semble indiquer que la matière granu- leuse, par sa cohérence, peut former des cordons, des branches très irrégulières, qu'une membrane n’entoure jamais. Les connectifs présentent toujours , vers les deux tiers de leur longueur, un renflement manifeste, même à un grossissement très faible. Dans l’un et l’autre cordon du connectif, nous avons re- connu qu'à ce renflement correspond une sphère à contours fon- cés, identique sous tous les rapports avec le noyau des cellules ner- veuses ganglionnaires : même aspect, même forme sphérique, mêmes contours réfractant fortement la lumière ; le diamètre est bien plus considérable : il va jusqu’à 0®",04L. Nous regardions comme très probable l'existence d’une cellule autour de ce noyau; aussi avons-nous cherché longtemps cette cellule. Notre examen nous a toujours porté à croire qu’elle n'existe pas. Ce noyau serait donc isolé ; nous ne pouvons nous empêcher de rapprocher cette existence d’un noyau disséminé au sein d’une masse granuleuse, du fait que nous décrit Leydig dans le Coccus hesperidium, et de la figure qu'il en donne. Jamais les noyaux ne se trouvent en d’autres points des connectifs; jamais aucun filet nerveux ne sort non plus des connecufs. Nerfintermédiaire.— Nous avons découvert, dans toute l’éten- due de la moelle ventrale de la Sangsue, entre les deux cordons 30 E. FAIVRE, — SUR L'HISTOLOCIE conneclifs , un nerf intermédiaire particulier , dont la signification est intéressante, en ce qu’elle se rattache à la découverte analogue déjà faite par Newport chez les Insectes et les Crustacés. Nous avons dü adopter pour la nouvelle dénomination à imposer au cordon nerveux, le nom de nerf intermédiaire, déjà donné par ce savant anatomiste. Le nerf intermédiaire se distingue très facilement à l’aide des acides sulfurique , nitrique , chlorhydrique, et surtout à l’aide du suc gastrique. Il s'étend d’un ganglion à l’autre, sans que sa con- sistance, sa forme, sa coloration, le distinguent des deux cordons connecüls qui l’accompagnent. Sa texture rappelle celle des connectifs ; bien qu'il puisse, sous l'influence de certains agents, se séparer en plusieurs groupes de tubes d’inégal diamètre et d’une disposition variable, rien cepen- dant ne nous autorise à penser que des enveloppes spéciales en- tourent les tubes distincts constitués comme à l'ordinaire. Nous croyons ce nerf constitué essentiellement par une matière granuleuse, en contact partout avec elle-même, sans enveloppes secondaires, sans cellules, sans noyaux. Pour rendre notre description plus claire, nous parlerons du nerf intermédiaire : 1° dans son trajet entre les deux cordons con- nectifs ; 2° dans son trajet à l’intérieur des ganglions. En parcourant l'intervalle laissé par les deux cordons connectifs d’un ganglion à un autre, le nerf intermédiaire ne demeure pas libre dans toute son étendue ; il contracte, au contraire, une fusion manifeste, tantôt avec l’un des cordons, et tantôt avec l’autre. Cette fusion, rendue évidente par le sue gastrique, consiste en une adhérenee de la matière granuleuse du connectif et du nerf mter- médiaire. Cette adhérence , très restreite d’ailleurs, a lieu, tantôt au milieu de l’espace interganglionnaire, tantôt plus bas, soit à droite, soit à gauche. Dans certains cas , les adhérences peuvent être au nombre de deux ou de trois. Que devient le nerf intermédiaire lorsqu'il atteint l’une des extré- mités ganglionnaires ? Pénètre-t-il profondément dans la substance nerveuse, ou traverse-t-il superficiellement l’une des faces ? Il nous a semblé que le nerf intermédiaire n’est pas interrompu par DU SYSTÈME NERVEUX. 31 un ganglion, qu'il passe directement sur la face supérieure, et va se continuer avec le cordon intermédiaire suivant. Il y a done continuité dans toute la longueur de ce cordon spécial. Au moment où il pénètre sur le ganglion , le cordon semble se dissocier, les branches qui en naissent s’étalent irrégulièrement sur la face supé- rieure en forme de veines noueuses, qui se réunissent de nou- veau pour constituer le nerf à sa sortie du renflement entre les connectifs. + La continuité du nerf intermédiaire, même à la face supérieure des ganglions , serait parfaitement conforme à ce que Newport nous représente sur l'Aséacus marinus par exemple. Il ne nous semble donc pas douteux que la Sangsue nous offre un nouvel exemple d’un nerf qu'il serait intéressant de rechercher sur d’au- tes animaux, et dont l’étude anatomique et physiologique est encore à faire. Nerfs latéraux. — Nous avons à faire connaître , en décrivant la texture des nerfs latéraux , plusieurs découvertes de détails que l'esprit certainement n'aurait pas pu prévoir, mais que l'observation nous à clairement révélées. Les ganglions n’émettent pas tous le même nombre de troncs nerveux , et ne leur donnent pas naissance de Ia même manière. D’après nos recherches, quatre paires de nerfs sortent du ganglion cérébral ; trois du premier ganglion; deux paires naissent de tous les autres ganglions : une seule prend naissance dans l’avant-dernier, et sept au moins naissent du dernier renflement de la chaïinette. La disposition histologique des paires nerveuses qui prennent leur origine dans les ganglions compris entre le troisième et le vingtième, fixera spécialement notre attention. Un premier fait, auquel nous attachons de l'importance, consiste dans une singulière communication établie entre les deux racines nerveuses de chaque côté au moment où elles sortent du ganglion. Aucun auteur, que nous sachions, n’a vu cette communication très facile à découvrir à l’aide de l'acide chromique étendu , et mieux encore à l’aide du suc gastrique. Elle est visiblement établie cepen- dant à l’aide d’une cellule bipolaire d'environ 0"",04 de grand diamètre, granuleuse, pourvue d’un noyau. 39 E. FAIVRE. — SUR L’HISTOLOGIE Cette cellule, placée en dehors de l'enveloppe fibreuse des gan- glions, émet deux tubes : l’un, antérieur, va s’accoler au bord interne du faisceau nerveux antérieur, et cesse bientôt de pouvoir être suivi ; l’autre, postérieur, va s’accoler de la même manière au bord interne du faisceau postérieur. Cette singulière cellule bipolaire que nous décrivons est constante à droite comme à gauche dans chacun des ganglions de la chainette. Elle établit une nouvelle communication entre les deux nerfs d’un même côté. Les troncs antérieurs et postérieurs présentent dans leur struc- ture des ressemblances et des différences. Ils se ressemblent par la présence des tubes dans les filets, mais ils différent par l’aceu- mulation de certains éléments spéciaux. Un premier fait qui nous a singulièrement frappé lorsque nous l'avons découvert, consiste dans l’anastomose des tubes nerveux entre eux ; les anastomoses ne sont pas facilement ni partout visi- bles : elles paraissent manquer vers les origines des nerfs, mais au contraire, elles sont communes à une certaine distance du gan- glion. On les observe très aisément sur le tronc postérieur, et plus difficilement sur le tronc antérieur. Nous ne pourrions dire à quoi tient cette différence de disposition ; en tous cas elle est si mar- quée que nous avons songé à la présenter comme un caractère distinctif entre les nerfs ou racines antérieures et les racines postérieures. Les anastomoses dont nous parlons se produisent suivant des modes très variés : tantôt c’est par une commissure transversale que deux tubes sont unis , tantôt ces tubes se confondent sous un angle très aigu ; ailleurs deux tubes perpendiculaires l’un à l’autre se réunissent. Quelquefois la fusion a lieu suivant une portion de la longueur sur deux tubes parallèles : quelque mode d’ailleurs qu’elle emploie, la nature atteint toujours le même résultat, à savoir la communication des tubes les uns avec les autres. Ce fait, que nous signalons ici, nous semble établi pour la première fois, Il est formellement contraire à l'opinion d’après laquelle les fibres sont isolées les unes des autres depuis leur origine jusqu’à leur ter- minaison. Cette opinion, comme on le sait, est généralement admise en ce qui concerne les animaux supérieurs. DU SYSTÈME NERVEUX. 39 Des préparations heureuses nous ont aussi permis de suivre , dans quelques cas, la marche des fibres dans les régions où une branche se divise en rameaux. Ce partage se fait de plusieurs ma- nières : tantôt il y a entrecroisement de fibres, comme dans ce que Valentin à nommé anastomose par déeussation ; tantôt les tubes , qui pénètrent dans le rameau , s'y rendent dans deux directions : les uns centrifuges par rapport aux ganglions, et les autres centri- pètes. Il est rare que les tubes ne forment pas entre eux un plexus inextricable. Nous avons fait représenter dans une de nos planches, avec une rigoureuse exactitude , la connexion de deux nerfs par un rameau transversal. On verra combien la complication est grande dans ce cas, et éloignée de celle qu'on pouvait supposer. A mesure que les nerfs s’éloignent des ganglions ils deviennent de plus en plus petits, et les rameaux qu'ils émettent se divisent à leur tour en ramuscules. Il en résulte que ces derniers sont sim- plement constitués par quatre à cinq, quelquefois deux à trois tubes nerveux, qu'on peut suivre encore assez loin sans en jamais décou- vrir la terminaison. Nous avons eu déjà l’occasion de dire que Ch. Bruch a indiqué une différence essentielle entre les troncs antérieurs et les posté- rieurs. Dans les trones antérieurs , dit-il, on trouve près du gan- glion, et vers les régions où le trone émet des rameaux, des groupes de cellules unipolaires , et quelques cellules bipolaires ; au eon- traire, les cellules bipolaires intereurrentes , ou sur le trajet d’un tube, sont très communes le long du tronc postérieur. Nous con- firmerons en partie les remarques de Ch. Bruch, tout en en res- treignant la généralité. Parlons d’abord des trones antérieurs : il est bien vrai qu’à leur sortie du ganglion, ils présentent une réunion de cellules apolaires nucléées, que plusieurs auteurs se sont hâtés de regarder comme les analogues des ganglions de racines sensitives. Ces cellules ne sont pas seules; plus loin, avant l'émission du troisième rameau latéral, on en peut distinguer huit à dix situées au milieu même des tubes nerveux. La plupart sont apolaires; mais nous en avons vu aussi avec des prolongements dirigés, on ne s'explique trop pour- &° série, Zoov, T, VI. (Cahier n° 4.) 5 3 3 E. FAIVRE, — SUR L'HISTOLOGIE quoi, du côté du ganglion. Ces groupes de cellules peuvent être Situés aussi bien au milieu que sur les bords du tronc nerveux, aussi bien près du centre ganglionnaire qu’à une distance éloignée ; mais ce qui est constant, c’est que toujours on les trouve au niveau d’une bifurcation. Nous avons fait représenter une cellule placée isolément à l’origine d’un rameau. Ch. Bruch nous paraît n’avoir pas suffisamment insisté sur la nature des tubes des troncs et des ramuscules ; il semblerait d’après lui que les cellules bipolaires intereurrentes y sont rares. Cela n’est pas cependant ; les rameaux où ramuscules offrent presque toujours des tubes, portant sur leur trajet un ou plusieurs renfle- ments ganglonnaires : tantôt le renflement consiste en une cellule bipolaire ; tantôt cette cellule est déformée, et se continuant insen- siblement en un tube. L’élongation est quelquefois si considé- rable, que la cellule à présque dégénéré en un tube; un noyau indique toujours dans ce cas l’origine cellulaire. Sur le tronc postérieur, on ne trouve pas les groupes de cellules apolaires dont nous avons parlé précédemment ; les anastomoses entre les tubes nerveux sont assez évidentes ; enfin les cellules in- tercurrentes sont nombreuses et bien marquées. Nous ne répétons pas la description générale donnée plus haut ; nous ajouterons cependant que les cellules se trouvent non-seulement à l’origine des branches, mais fréquemment sur les divers points de leur étendue. 2° Système nerveux de la vie organique (f). Les beaux travaux de Swammerdam, Lyonet, Müller, Trevi- ranus, Strauss, Audouin et Milne Edwards, Nordmann, Newport, Krohn, etc., avaient déjà attiré l'attention des naturalistes sur le système nerveux stomatogastrique des Invertébrés , lorsque Brandt, reprenant habilement les recherches de ses prédécesseurs, vint coordonner et étendre leurs observations. Dans ses intéres- (1) Cette partie de notre travail a déjà formé l'objet d'un mémoire à part, publié dans les Annales des sciences naturelles (4° série, 1855, t. IV, n° 4 et 5). Depuis cette publication, nous avons fait de nouvelles recherches et obtenu de nouveaux résultats : ils seront consignés ici. DU SYSTÈME NERVEUX. 39 sants mémoires , il fit connaitre avec détail, et Sur nn certain nombre d'espèces, l’organisation du stomato-gastrique chez Îles Insectes, les Crustacés, les Myriapodes et les Annélides. À ce der- niér groupe appartient la Sangsue médicinale , chez laquelle on n'avait jamais signalé l'existence d’un système nerveux spécial analogue au système gastrique. Brandt fit connaître trois ganglions cérébroïdes qui partent du cerveau de la Sangsue, et il erut devoir rattacher le médian au sysième pair, et les deux latéraux au système impair. Il découvrit, en outre, un nerf médian situé au milieu de la partie ventrale de l’estomac, et qu’il crut l’analogue du récurrent des Insectes. Il ne vit pas clairement la connexion de ce filet avec le ganglion médian antérieur. Plusieurs observateurs, depuis Brandt, ont continué l'étude du stomato-castrique de la Sangsue; aucun, à notre Connaissance, n’a retrouvé le nerf que Brandt avait décrit; Ch. Bruch n’en fait aucune mention dans son travail ; M. Moquin-Tandon nous dit, dans sa Monographie des Hirudinées, qu'il l’a cherché en vain ; M. de Quatrefages, si habile cependant dans ces sortes de recher- ches, n'a pas été plus heureux. Nous-même, après tant d’autres, nous avions longtemps cher- ché inutilement le nerf de Brandt, et nous ne l'avions pas trouvé ; mais tout récemment , en ayant recours à un moyen très simple, nous sommes arrivé enfin à constater sûrement son existence , et à en reconnaitre la distribution. Dans le cours de nos études, nous avons observé pour la pre- mière fois un système de nerfs entièrement propre à l'estomac, qui, avec les ganglions cérébroïdes, complète l’appareil nerveux orga- nique de la Sangsue. Nous nous proposons de faire connaître sé- parément d’abord les réseaux nerveux gastriques que nous avons découverts, ensuite les ganglions cérébroïdes et les nerfs qui en naissent. Si, par une vaste incision antéro-postérieure de la région dorsale de la Sangsue, on ouvre l’animal et on l’étale sous l’eau , on aura sous les veux la paroi ventrale de l’estomac, membrane très mince, recouvrant, comme un voile, toute l'étendue du cor- don nerveux : c’est dans cette membrane qu'il faut chercher les nerfs dont nous parlons. L] 10) E. FAIVRE, — SUR L'HISTOLOGIE Après avoir complétement vidé les poches latérales du sang qu’elles contiennent, on presse fortement avec la pulpe du doigt, ou mieux encore on racle avec le manche d’un scalpel la face in- terne de la membrane gastrique; on enlève ainsi une sorte de couche pulpeuse, qui paraît, au microscope, constituée par des globules graisseux très petits et très abondants, et qui est un des principaux obstacles à l’observation nette et facile du réseau des nerfs. Cette petite opération effectuée, on détache avec une pince un fragment de la membrane de l'estomac dans le point à examiner, et on la soumet à un grossissement de 300 à 500 diamètres ; on distingue alors les détails suivants : Une membrane anhiste fait le fond de la préparation, et sur cette membrane se dessinent des plexus vasculaires très curieux à étudier. Ces plexus se com- posent de gros troncs vasculaires, inégaux en volume, parallèles, plutôt noueux que régulièrement cylindriques; leur volume est considérable, surtout aux points de leurs renflements; ils donnent des branches d’un très petit diamètre, qui vont s’anastomoser avec d’autres canaux pour former un plexus d’une netteté extrême, et dont on peut, à l’aide de la glycérine, obtenir des préparations très élégantes, surtout lorsque les canaux vasculaires sont remplis de liquide sanguin. Outre ces canaux qui mériteraient une étude spéciale, on ren- contre encore sur la paroi de l’estomac des fibres très fines de tissu conjonctif, quelques faisceaux musculaires , et des groupes abondants de granulations graisseuses. Les réseaux de tubes et de cellules nerveuses se répandent à la surface des lacis vasculaires, avec lesquels ils paraissent avoir des rapports d'une certaine constance, rapports qui ne nous sont pas encore connus. En dernière analyse, la paroi stomacale est essentiellement for- mée par un nombre considérable de canaux, qui jouent, sans doute, le rôle de vaisseaux absorbants. Au milieu de ces canaux , serpentent les réseaux nerveux avec les cellules et les tubes longs et flexueux qui en partent. Nous avons rencontré les réseaux nerveux sur presque toute DU SYSTÈME NERVEUX. 37 l'étendue de l'estomac : la face inférieure où ventrale en paraît surtout richement pourvue dans sa partie moyenne. Nous avons pu un instant douter de l'existence des réseaux sur les poches la- térales ; une observation plus exacte a levé nos doutes. Que l’on détache près d’un ganglion un des muscles qui s'étendent comme une bande transversale jusqu'à la peau, on déchirera en même temps des lambeaux de la poche stomacale sous-jacente , et, au microscope, on verra très aisément des groupes de nerfs organiques s'étaler sur le tissu musculaire. La face supérieure ou dorsale de l'estomac a également ses plexus nerveux moins abondants , mais tout aussi manifestes que ceux de la face ventrale. Nous ne pouvons point encore généraliser et dire que toute la surface de l’estomac est recouverte de nerfs; ils paraissent manquer dans les poches postérieures, et ils manquent certainement sur l'intestin. Existent- ils sur l’œsophage, organe d'élection pour les plexus nerveux chez beaucoup d'Invertébrés? Chez la Sangsue, nous n’en avons jamais vu la moindre trace, ni en avant, ni en arrière de l’œsophage, ni dans la couche épithéliale, ni dans la couche musculaire; et cepen- dant nous avons bien des fois répété et varié nos moyens d’investi- gation. Après les généralités, nous entrons dans les détails. Étudions done, en premier lieu, les éléments du système nerveux organique. Les éléments qui entrent dans les réseaux et dans les cordons sont au nombre de deux : les cellules et les tubes. À. Cellules. Elles ont une forme généralement sphérique ou ovoïdale. Nous en avons représenté cependant qui sont comme fusiformes ; d’au- tres sont tout à fait irrégulières. Les volumes sont extrêmement variables : nous en avons mesuré de très grosses , qui ont en lon- gueur 0°*,06, et en largeur 0"",05 ; d’autres, plus petites, n’ont que 0"*,03, ou même 0"",02. Leur aspect, leur consistance rap- pellent immédiatement les caractères analogues des cellules ner- veuses de la vie animale. Les cellules se composent d'une membrane extérieure et d’un contenu. La membrane extérieure est très mince , sans structure 20 __E. FAIVRE, — SUR L'HISTOLOGIE apparente ; elle a néanmoins une résistance notable. L'acide acé- tique et l'acide nitrique étendus la font pâlir sans la rompre; l'acide chromique en augmente la consistance d’une manière re- marquable. La potasse caustique la fait disparaitre; la glycérine, sans la détruire, la rend d’une transparence extrême , et la rétracte sensiblement. Dans le contenu de la cellule , on distingue facilement un noyau el une matière granulo-graisseuse. Le noyau existe presque toujours; son volume varie un peu avec celui de la cellule : il est en moyenne de 0",007 à 0**,008 ; généralement il est arrondi, avec une ligne de contours d’appa- rence graisseuse. On y trouve quelquefois un nucléole. Nous croyons avoir vu deux noyaux dans certaines cellules. Autour des noyaux on distingue la matière contenue, qui se pré- sente sous deux aspects bien différents : tantôt elle est finement granuleuse comme le contenu des cellules ganglionnaires ; tantôt les grains sont entremêlés de gouttes graisseuses irrégulières aussi variables par leur volume que par leur disposition. Nous ne saurions expliquer la cause de cet état, qui nous parait correspondre à la constitution intime de la matière nerveuse, et représenter la couche médullaire des animaux supérieurs. En tous cas cette constitution établit une différence aisée à saisir entre les cellules de la vie orga- nique et celles de la vie animale. Les acides acétique, chromique, nitrique étendus, donnent au contour une couleur foncée; la potasse paraît dissoudre le contenu, la glycérine le fait pâlir. B. Tubes. fs offrent deux aspects : tantôt régulièrement cylindriques; tan- tôt noueux, moniliformes, rappelant l’apparence si caractéristique des tubes nerveux centraux chez les Mammifères. Ce dernier aspect, qui n’est pas le plus commun, paraît être un résultat de la préparation. La longueur de ces tubes est quelquefois si considé- rable, qu'ils mesurent deux ou trois fois le champ du microscope. Leur coloration, leur consistance sont les mêmes que celles des cellules. Leur volume est très variable : c’est un point sur lequel nous ! DU SYSTÈME NERVEUX, 99 devons particulièrement insister. Les plus larges que nous ayons mesurés ont 0"",010 : ils sont déjà rares; on les trouve dans les parties que nous désignons plus loin sous le nom de cordons. Les tubes de deuxième ordre ont 0"*,007 à 0"",008 : ils for- ment les grandes mailles des réseaux; enfin ceux du troisième ordre ont de 0"*,002 à 0,008 : ils servent de communications secondaires entre les mailles. Nous devons faire observer aussi qu'un même tube peut changer de diamètre dans son trajet. Un tube se compose d’une paroi et d’un contenu. Sa paroi n’est pas différente de celle des cellules; elle a aussi une résistance propre et une grande souplesse, car, dans nos préparations , il nous est arrivé de voir les tubes former artificiellement des ondu- lations et même des nœuds. Rien de spécial à dire sur le contenu qui ressemble à celui des cellules. Après avoir parlé des éléments, nous examinerons avec soin leur mode d’arrangement , et la constitution des tissus nerveux qu'ils forment. Notre description portera done tour à tour sur les plexus et sur les cordons. Les plexus se composent de tubes et de cellules qui, après un trajet irrégulier, vont se terminer les uns dans les autres. Il est manifeste que les tubes se continuent avec les cellules; c’est la même enveloppe et le même contenu : il ne saurait y avoir aucun doute sur ce point. DATE Sous le rapport du nombre des tubes qui partent des cellules, il règne une grande variété : lantôt les cellules sont unipolaires , c'est-à-dire qu’elles n’émettent qu’un tube ; cette forme est com- mune au voisinage et sur les parties latérales des cordons ; tantôt elles sont bi ou multipolaires, émettant deux, quatre et jusqu'à six tubes. Dans une de nos observations , nous avons rencontré une cellule quadripolaire fort intéressante à étudier. Deux des tubes avaient environ 0"",006 de large; deux autres, rapprochés et placés sur un même côté, n’avaient chaeun que 0"",002 de dia- mètre. Cette observation démontre avec bien d’autres qu’on ne sau- rait accorder une importance bien justifiée aux caractères tirés du volume des tubes, du moins en ce qui concerne les animaux inver- 0 K. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE tébrés ; il n'existe dans leur système nerveux ñ1 tubes minces, ni tubes larges, soit de la vie organique, soit de la vie animale. Les tubes qui partent des cellules peuvent naïtre soit dans des points diamétralement opposés, soit d’un même côté. Un point important à noter est relatif à la déformation successive que subit la cellule bipolaire ; il semble qu'étirée en sens inverse par deux tubes, elle s’allonge de plus en plus, perde de sa largeur, et finisse par devenir elle-même un tube. Nous avons observé ces divers états et dans les nerfs de la vie organique et dans ceux de la vie animale; ne devons-nous pas en conclure d’une manière encore plus rigoureuse à l'identité de l’élé- ment nerveux, puisque la cellule peut devenir tube, et que cette transformation semble s’opérer sous nos yeux ? Nous n'avons jamais trouvé de cellules apolaires isolées. Les tubes, émanés des cellules, se comportent de deux façons : tantôt ils aboutissent directement à d’autres cellules, tantôt ils s’anastomosent avec d’autres tubes; nous insisterons sur les anastomoses. Nous affirmonsen premier lieu qu’elles existent, et qu’elles sont même très communes dans le système nerveux dont nous parlons. Nous savons bien qu’on a plus d’une fois signalé de semblables dispositions chez les animaux supérieurs, mais elles y sont excep- tionnelles. Dans le cervelet, les hémisphères, la moelle, on a signalé quelques anastomoses chez l’homme; R. Wagner en a indiqué dans les nerfs des muscles chez certains Amphibiens ; mais , nous le répétons, ce sont des faits particuliers. Les anastomoses que nous avons vues et représentées ont lieu surtout de deux manières : tantôt deux tubes se réunissent à angle aigu pour en former un troisième ; dans un des cas, ces deux tubes, avant leur réunion, avaient chacun 0,006, et le tube commun n'avait que 0,009; il avait donc 0,003 de moins quela somme des diamètres des deux autres tubes. Un deuxième mode d’anasto- mose consiste en ce qu'un petit tube, détaché un peu obliquement d’un long tube, va aboutir transversalement à un troisième de ces éléments ; c’est une sorte de sécante entre deux parallèles. Ce dernier mode est précisément l’analogue de l’anastomose par com- DU SYSTÈME NERVEUX. MA munication transversale des artères, par exemple de la communi- cante antérieure, tandis que le premier mode rappelle exactement l’anastomose artérielle par convergence ; nous n’avons pas vu un seul cas qui se rapporte à l’anastomose par inosculation ou par arcade. Outre les plexus, les éléments anatomiques, et les tubes spécia- lement, s’accolent pour produire plusieurs cordons nerveux. Parmi ces cordons, nous placerons le tronc nerveux décrit par Brandt. Ce trone est visible, à l’aide d’une bonne loupe, sur le milieu de la face ventrale de l’estomac ; nous l'avons suivi du troisième ganglion jusqu'auprès de l’origine intestinale, sans y distinguer de sinuo- sités, ni de différences de volume. Il était intéressant de rechercher le lieu d’origine du nerf de Brandt ; et vraisemblablement si on le compare au récurrent des Insectes, il devait provenir d’un des ganglions cérébroïdes. Nous avons done recherché si, parmi les filets qui naissent de ces ganglions, nous n’en trouverions pas un qui füt l’origine de ce nerf. Nous avons vu que chacun des ganglions cérébroïdes fournit un filet, et que celui-ci se distribue dans un musele de la ventouse ; jamais nous n'avons, le long du conduit œsophagien, distingué un cordon nerveux qui füt l’origine du trone de Brandt. Nous ne pou- vons donc pas admettre maintenant que le tronc de Brandt ait son origine directe au cerveau ou dans les masses cérébroïdes. Quoi qu'il en soit, ce nerf est composé de cinq à sept tubes volumineux libres, irréguliers, sans névrilème, fréquemment anastomosés d’une manière variable ; les éléments tubuleux des réseaux contri- buent directement à la formation de ces tubes, ainsi que les cellules latérales dont nous avons déjà parlé. Dans une des planches annexées à ce lravail , on trouvera une exacte représentation des détails que nous avons observés : on saisira la texture des cordons latéraux d’une manière très nette; aussi nous nous croyons dispensé d'entrer sur ce sujet dans de plus minutieuses descriptions. Deux questions d’un haut intérêt resteraient à résoudre pour bien connaitre le système gastrique que nous décrivons : Lo Quel est le mode de terminaison des tubes nerveux par rapport aux , 12 E. FAIVRE, —— SUR L'HISTOLOGIE tissus? 2 Quelle est la connexion intime qui peut exister entre les nerfs gastriques et les nerfs de la vie animale, soit ganglions, soit connecufs ? La question de la terminaison des nerfs est loin, comme on le sait, d’être résolue; néanmoins elle à fait un pas dans ces der- nières années, depuis que plusieurs observateurs ont constaté très nettement que la terminaison en anses était moins commune qu’on ne l’avait pensé jusqu'alors, et qu’au contraire la terminaison des nerfs, par des extrémités libres, avait lieu avec une certaine fré- quence. Nous avons à ce sujet une observation décisive, mais une seule malheureusement ; nous avons vu, dans un cas, un (ube ner- veux aboutir sur un vaisseau et s’y accoler; cette terminaison est tout à fait en rapport avec celle que M. Doyère indique chez les Tardigrades et celles que Meissner a fait connaitre. L'étude des rapports du système nerveux de la vie organique avec le système de la vie animale n’est pas beaucoup plus facile que l'étude de la terminaison des filets nerveux ; aussi nos efforts sur ce point sont-ils restés presque infructueux. C’est un sujet à étudier de nouveau. Nous avons cru devoir décrire avec le système de la vie orga- nique les ganglions cérébroïdes qui constituent comme un petit ensemble spécial. Chez la Sangsue, en avant du cerveau, la dissection permet de distinguer une série de masses renflées, d’où partent des filets ; ces masses, formant une anse, sont au nombre de einq, savoir, deux plus arrondies reposant sur le bord même du cerveau, et trois plus antérieures séparées entre elles et des précédentes par les connectifs. L’acide sulfurique surtout nous à fait reconnaître les deux premières masses inférieures. Au point de vue histologique, chaque ganglion est formé par des tubes et des cellules. Les cellules sont apolaires ou unipolaires, plus semblables par l’ensemble de leurs caractères aux cellules de la vie animale qu’à celles de la vie organique. Les tubes ont deux dispositions : les uns traversent simplement les renflemenits ; d’autres y prennent naissance, sans qu'il soit facile de distinguer le mode d’origine, DU SYSTÈME NERVEUX. ha On sait qu’il existe autour de l’œsophage trois muscles puissants destinés aux mouvements des plaques dentaires de la Sangsue. Chaque muscle reçoit un filet spécial d’un ganglion cérébroïde ; ainsi les ganglions supérieurs et latéraux donnent un filet aux museles droit et gauche ; le ganglion médian envoie un filet au muscle supérieur. Nous n'avons fait aucune observation histologique sur les filets, ni sur les nerfs qui, partant des masses cérébroïdes, semblent for- mer une anse, comme M. de Quatrefages l’a très bien représenté. CHAPITRE II. LOMBRIC TERRESTRE (1). 40 Système nerveux de la vie animale. SECTION I. Éléments anatomiques. On trouve, chez le Lombric comme chez la Sangsue, deux élé- ments fondamentaux dans le système nerveux : la cellule et le tube ; seulement il y a cette différence que, chez le Lombric, on ren- contre fréquemment toutes les formes intermédiaires entre la cellule et le tube. À. Cellules. Les cellules se trouvent dans toute l'étendue de la moelle abdo- minale, et dans ce riche plexus pharvngien que nous décrirons à part ; les troncs et les filets nerveux n’en renferment aucune. La forme des cellules est généralement elliptique ; on en trouve cependant des sphériques, des rameuses, des polygonales. Autant les formes sont variables, autant, dans une certaine limite, les dimensions le sont aussi. En effet, dans les plus grandes cellules , le diamètre le plus considérable est de 0"",04, avec un noyau de 0®®,01 ; dans les plus petites cellules, le diamètre moyen est de 0®®,02, La consistance et l’élasticité sont marquées comme (1) Nous avons fait presque toutes nos observations sur le Lombric trapé- zoïdal ; répétées sur les autres espèces communes, elles nous ont offert les mêmes résultats généraux. ll E. FAÏVBE. — SUR L'HISTOLOGIE chez la Sangsue , et tiennent spécialement à l’enveloppe de la cel- lule. Quant à la couleur, elle varie avec les réactifs. En général, elle ressemble à la coloration propre de la matière grise des Verté- brés, et elle est due uniquement à la matière granuleuse. Présentons maintenant le résumé des observations faites au point de vue des caractères chimiques. Nous nous sommes placé dans des conditions analogues à celles où nous étions dans nos études sur la Sangsue ; c’est-à-dire qu'après avoir laissé les éléments fraichement préparés en contact pendant deux heures avec chaque réactif, nous les avons examinés entre deux plaques à un grossissement de 300 diamètres. Les résultats obtenus en opérant ainsi sont tout à fait les mêmes que ceux que nous a fournis la Sangsue. 1° Les acides sulfurique, nitrique, chromique, gallique étendus augmentent la consistance de la cellule, en colorent le contenu en jaune, et n’exercent aucune rétraction sensible. L'acide chromique nous a semblé agir plus énergiquement chez le Lombrie que chez la Sangsue. 2% L’acide acétique non cristallisable diminue la consistance de la cellule, la gonfle et la rend plus translucide. 3° Le phosphate de soude et le carbonate de potasse pâlissent, ramollissent , désagrégent le contenu , et l’expulsent de l’enve- loppe. he Le bichlorure de mercure et l’alcool dureissent les cellules, en augmentent la coloration et les réfractent. Le sue gastrique ramollit, désagrége les éléments, en produisant une coloration plus intime. La bile et la salive n’exercent aucune action particulière. En dernière analyse, les réactions produites sur les éléments du Lombric semblent une répétition exacte de celles que nous avons signalées chez la Sangsue. Les réactions indiquées nous conduisent aussi à reconnaître que la matière granuleuse a également dans les Lombries les prmeipales propriétés d'un cylindre d’axe , et que les enveloppes des cellules et des tubes ne se distinguent par aucun caractère important de celles des autres animaux. DU SYSTÈME NERVEUX. h5 En effet, la matière granuleuse est insoluble dans les acides sul- furique, chlorhydrique, nitrique concentrés ; elle est difficilement soluble dans l’acide acétique très pur. La potasse et les autres alealis la pâlissent sans la dissoudre : le sublimé , l'acide chro- nique la rétractent et la dureissent. L'enveloppe n’est pas colorée en violet par l’acide chlorhy- drique, ni en rose par l’acide sulfurique et le sucre , ni en jaune par l’acide azotique. Les caractères chimiques nous permettent donc de nous pro- noncer sur l’analogie de l'enveloppe et du contenu avec l’enve- loppe et le contenu chez les Vertébrés. La couche médullaire , telle du moins qu’on la trouve ordinairement chez les animaux supérieurs, manque complétement. Passons maintenant aux caractères histologiques. Dans la cellule nerveuse du Lombrie, nous distinguerons l’en- veloppe , le contenu, le noyau. L’enveloppe est pâle , translucide , sans structure apparente, résistant à la traction. Le contenu est très finement granuleux ; les granulations sont de volume, de forme, de consistance inégale : elles sont cependant le plus souvent arrondies, peu cohérentes , assez facilement mobiles les unes sur les autres. Quelquefois elles remplissent toute la cellule de manière à tapisser la paroi interne de l'enveloppe ; d’autres fois, distinctes de l'enveloppe , elles en sont séparées par un espace très appré- ciable. Jamais elles ne nous ont paru disposées avec cette admi- rable régularité, et avec cet aspect de tubes que Stlling a si nettement décrit chez les Vertébrés. Dans l’intérieur de la masse grenue se voit le noyau. Il est sphérique, à contours réfractant fortement la lumière et présen- tant parfois au centre de un à trois nucléoles très petits. La position du noyau varie : il est souvent central ; souvent aussi il est dirigé du côté du tube qui fait suite à la cellule. Nous mentionnerons aussi des cellules à double noyau que nous avons distinguées , soit dans le cerveau, soit dans la moelle; Meissner en figure de pareilles chez le Mermis. Envisageons les cellules, non plus en elles-mêmes, mais dans leurs rapports avec les tubes, Nous avons pu distinguer chez le h6 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE Lombrie trois espèces de cellules : les cellules apolaires , les cel- lules unipolaires, les cellules bipolaires et multipolaires. Les cellules apolaires , très irrégulières dans leurs formes , se trouvent dans toute la longueur de la moelle abdominale. Elles y sont assez nombreuses, et en occupent les faces inférieures et les côtés ; la face supérieure en est presque dépourvue. On en trouve dans le cerveau ; nous n’en avons jamais vu de distinctes le long des trones et des filets nerveux. Les cellules unipolaires sont très communes ; le cerveau en renferme de très volumineuses : la moelle en contient aussi sur ses bords, mais elles sont moins développées. Dans toutes les cellules , il est facile de reconnaitre que l’enve- loppe se continue pour former l'enveloppe du tube , et que le con- tenu ne fait qu'un avec celui du tube. Dans de rares circonstances, on peut suivre, dans une certaine longueur, les tubes qui naissent, les cellules : le plus souvent, ils se brisent, et l'extrémité revient sur elle-même. Les cellules bipolaires sont plus rares que les précédentes. Le cerveau et la moelle surtout en renferment. Nous recommandons, pour les distinguer, le procédé suivant qui s'applique d’ailleurs à tous les éléments du Lombric. On laisse macérer un tronçon de l'animal pendant trente heures dans l'acide acétique très étendu ; on dissèque ensuite le système nerveux en ayant le soin de dilacérer le fragment porté sur la plaque : on exerce une compression assez grande, et, à l’aide d’un fort grossissement , on distingue les détails. En opérant de la sorte, nous avons distingué plusieurs variétés de cellules bipolaires. Les deux tubes naissent ordinairement des deux extrémités opposées, et alors la cellule forme un ovoïde plus ou moins étiré. D’autres fois, ces deux tubes naissent près l’un de l’autre du même côté de la cellule, Dans certains cas, nous avons distingué dans la chainette abdominale des cellules multipolaires analogues à celles qu'Owsjannikow a représentées dans la moelle épinière du Petromyzon fluviatilis. Mais ces sortes de cellules sont rares. DU SYSTÈME NERVEUX. 17 B. Tubes. S'il est facile de distinguer chez le Lombric les cellules nerveuses, il faut bien des efforts pour parvenir à séparer et à étudier les tubes. Nous dirons d’abord que les tubes ne sont point du tout analogues à ceux que la Sangsue nous à présentés ; ils n’ont ni la forme, ni la régularité, ni l’isolement de ceux-là. Ces tubes sont de deux ordres : Les uns sont les prolongements.des cellules; on les trouve dans les ganglions de la moelle ventrale et dans le cerveau : nous les avons décrits en parlant des cellules. Les autres tubes, plus nom- breux, constituent les troncs et les filets des nerfs, et ce sont eux surtout dont nous nous occuperons. On peut les distinguer , soit en employant le procédé cité plus haut, soit en faisant usage de l'acide chromique étendu. C’est sur les bords déchirés des troncs nerveux qu'on fait cette distinetion avee la plus grande facilité. Ils sont très petits puisque leur diamètre n’est que de 0"",002; régu- liers dans leur courte étendue, ils sont peu résistants et se rompent avec facilité ; c'est pour ce motif qu’on ne peut en distinguer que de très petits fragments. [ls paraissent composés d’une enveloppe anbiste et d’un contenu granuleux, dont les réactions sont, en général, celles que nous avons indiquées. Ces tubes sont, en quelque sorte, l'extrémité d'éléments très abondants et particuliers au Lombric. Ce sont des fibres renflées dans un ou plusieurs pots de leur étendue, et, par conséquent, d’un aspect moniliforme. Au point où le renflement a lieu , le dia- mètre augmente de 0°",002 à 0"",01 , l'enveloppe des tubes se dilate, et recouvre un corpuscule ovalaire à bords foncés et à con- tenu finement granuleux ; véritable noyau analogue à celui qu’on trouve dans les éléments nerveux des embryons. Les éléments que nous déerivons et que nous avons figurés n’ont pas toujours le même aspect. On peut trouver une série de formes qui indiquent un passage insensible entre la cellule et l'élément propre aux filets nerveux. On découvre ici une cellule bipolaire ; à côté une cellule beaucoup plus allongée à ses deux extrémités , et dont le noyau est granuleux ; ailleurs enfin on arrive à des cel- 8 E. FAIVRE, — SUR L'HISTOLOGIE lules excessivement allongées, renflées seulement à leur partie moyenne, et enfermant un corps ovalaire granulé tel que nous l'avons décrit. On suivra aisément dans les figures jointes à ce travail la succession des formes que nous ne voulons qu’'in- diquer ici. Quelle place précise occupe le noyau granuleux? Est-il disposé dans la paroi elle-même? Est-il, au contraire, placé comme le noyau par rapport à la cellule ? Ce sont là autant de questions déli- cates auxquelles il est difficile de donner une solution satisfaisante. Cependant nos observations nous portent à croire qu'il s’agit d’un noyau placé en dedans des enveloppes, et non d’un noyau incrusté dans l’enveloppe elle-même , comme cela a lieu si manifestement chez l’Écrevisse. Le plus souvent, les éléments fusiformes des tubes semblent isolés , mais cela tient à une séparation artificielle, comme le dé- montrent certaines préparations plus heureuses. A l’état normal, en effet, un tube nerveux est constitué par une série d'éléments fusiformes , unis les uns aux autres dans une très grande longueur, et semblant indiquer que les tubes proviennent d'autant de cellules soudées bout à bout. La réunion de plusieurs tubes moniliformes semblables constitue les filets, les rameaux et les troncs nerveux. En laissant macérer pendant vingt-quatre heures un cerveau de Lombric dans l’acide arsénieux , nous avons distingué, outre les cellules ordinaires, des noyaux granuleux comme ceux des élé- ments fusiformes. Tantôt les noyaux sont libres ; souvent ils oceu- pent le milieu de plaques très larges, terminées, d’un côté, par un ou deux longs prolongements. Nous ne saurions encore comprendre la formation et la signification de ces éléments particuliers. Quelles réactions chimiques présentent les éléments qui entrent dans la composition des filets et des troncs nerveux ? L'expérience nous à prouvé que les réactions , dans des conditions analogues , ne diffèrent pas, en général, de celles que nous donnent les cel- lules , et qu’elles se rapportent également bien à eelles que nous avons obtenues chez la Sangsue. Nous avons établi que le tube nerveux chez la Sangsue se com- pose d’une enveloppe analogue à celle des tubes chez les Verté- DU SYSTÈME NERVEUX. 19 brés, et d’un contenu qui représente à la fois le Cylinder axis et la couche médullaire. Sommes-nous autorisé à admettre que les choses se passent ainsi chez le Lombric? Non, sans doute : nous n'avons pas vu, en effet, que la matière granuleuse offre, dans certaines circonstances, des vésicules graisseuses. Nous n'avons rien obtenu de positif par les réactifs chimiques : notre jugement reste donc en suspens, et nous attendons que de nouvelles expériences viennent nous éclairer. SECTION II. Tissus. Nous aurons à nous occuper successivement de la chaîne ven- trale, du cerveau et des nerfs qui émanent de ces deux parties centrales. À, Chaîne ventrale. Les observations de texture présentent dans la chaine ventrale de nombreuses difficultés; elles tiennent surtout à la nature de l'enveloppe et aux nombreux vaisseaux sanguins qui, par la richesse de leur distribution , empêchent de bien observer le cours des fibres. Pour vaincre ces difficultés, nous avons essayé un grand nombre de réactifs; celui qui nous a le mieux réussi est l’acide acétique employé de la manière suivante : Après avoir disposé sur une plaque la portion du système nerveux à examiner, on ajoute une quantité très minime d’acide acétique ; toutes les cinq à six minutes, on renouvelle l'acide , en ayant soin d'ajouter sept à huit gouttes d’eau pour un quart de goutte d'acide acétique ; en continuant ainsi pendant trente ou quarante-cinq minutes sans exercer aucune compression, on parvient à obtenir une préparation suffisamment claire , et dans laquelle les rapports primitifs des parties n'ont pas été altérés. Nous insisterons sur ce dernier point , Car nous avons reconnu que, dans la plupart des cas, la pression et les réactifs dé- truisent les rapports des parties, et induisent en erreur sur le cours des fibres. Pour l'étude de la texture , nous nous sommes souvent aidé de £° série. Zoo. T. VI. (Cahier n° 4.) # k 50 E. FAÏVRE., —- SUR L'HISTOLOGIE la macération d’un fragment de Lombrie dans les acides nitrique, acétique, oxalique étendus, ou dans l’alcool, l’acide chromique, le bichlorure de mercure. L'emploi de tous ces moyens nous à convaincu que la chainette nerveuse du Lombric est établie sur le même plan que celle de la Sangsue, quelque différente cependant qu’elle paraisse au premier abord. Chez la Sangsue, la chaine ventrale est formée par une suite de renflements et de connectifs ; il en est de même chez le Lombrie. Chaque ganglion présente dans la Sangsue une face supérieure fibreuse, une face inférieure celluleuse. La même constitution est marquée chez le Lombric ; nous poursuivrons les analogies, sans néanmoins méconnaitre des différences assez notables. Les renflements ou ganglions du Lombrie sont ovoïdaux , d’au- tant plus marqués et séparés les uns des autres, qu’on les consi- dère plus en avant. L'origine des nerfs mérite d’être étudiée : elle offre d’ailleurs des différences notables avec ce que nous avons trouvé chez la Sangsue. Du milieu de chaque renflement naissent deux paires nerveuses, et une troisième prend naissance à l'extrémité anté- rieure du renflement, au point d'origine du connectif. En étudiant à la loupe et sous l’eau la chaîne abdominale, on découvre mieux les détails : on voit que les faces supérieure et inférieure de Ja moelle sont parcourues par des sillons médians antéro-postérieurs ; à droite et à gauche , la substance propre des renflements et des connectifs est d'une couleur blane de lait. Les deux paires nerveuses médianes prennent leur origine sur le bord, et un peu sur la face inférieure des ganglions ; la paire antérieure nait un peu plus bas, la paire postérieure un peu plus haut. Quant à la paire unique, elle prend naissance sur la face infé- rieure elle-même, sur les côtés du sillon qui la partage en deux cordons. Un léger renflement blanchâtre se remarque au point d’émer- vence de chaque trone nerveux. L'examen microscopique, répété dans des conditions que nous DU SYSTÈME NERVEUX. 51 avons pris soin de préciser, va maintenant nous conduire à des résultats plus intimes. 1° Face supérieure d'une portion du cordon méduilaire. Cette face présente manifestement deux zones : la plus considé- rable est une zone fibreuse s'étendant sur toute cette face de la moelle, et présentant des contours variés, suivant qu’on l’examine à l’origine des connectifs, à l’origine de la paire antérieure ou des deux paires médianes. La bande fibreuse forme les connectifs. Arrivée à la paire unique, elle S'élargit; elle se rétrécit ensuite pour s’élargir de nouveau, et présenter quatre prolongements qui correspondent aux quatre troncs nerveux médians. On reconnait sans peine dans cette bande fibreuse l’aspect que nous avons décrit à la face supérieure de la chainette de la Sang- sue, ét la disposition signalée par Newport dans les cordons dorsaux. La zone fibreuse est entourée d’une zone plus clare, dont les limites sont les suivantes : elle commence à l’origine des nerfs de la paire unique, va en s’accroissant jusqu’au niveau de l’origine des paires médianes, et décroit ensuite pour se terminer au niveau du connectif mférieur. L’étendue de cette zone mesure l’étendue du renflement gan- olionnaire, dont elle constitue même la partie fondamentale. En effet, on remarque facilement que de très nombreuses cellules uni où mullipolaires étagées remplissent l’espace que nous décri- vons, et que leur prolongement forme une partie des nerfs qui sortent de chaque ganglion. Ne devons-nous pas rapprocher cette disposition de celle qui est si marquée dans les ganglions de la Sangsue ? On ne saurait méconnaitre cette ressemblance qui se con- firme encore par l’absence de cellules nerveuses, où du moms par la présence exceptionnelle de ces cellules sur la face supérieure de la chaïnette du Lombric. 2° Face inférieure. Son aspect général est le même que celui de la face supérieure; seulement, dans les régions correspondantes aux renflements gan- 52 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE olionnaires, on distingue à la surface de la partie fibreuse une couche de cellules. Les plus volumineuses occupent le centre ; les plus petites se rapprochent des contours; toutes sont irrégulières, à contours foncés, à noyaux peu apparents, et dépourvues de pro- longements , ce qui les distingue de celles qui occupent la zone latérale. La couche de cellules cesse au niveau des rétrécissements d’où partent les connectifs. Si l'aspect général que nous venons d'indiquer est encore facile à reconnaître à l’aide de préparations soigneusement faites, il n’en est pas de même du cours des fibres ; sans doute, quelques dispo- sitions sont faciles à observer : mais les difficultés commencent, si l’on veut suivre les fibres d’une manière précise, sans avoir recours à des moyens qui, détériorant la préparation, conduisent à des erreurs. Voici à quels résultats nous sommes parvenu après un nombre considérable d'observations. Si l’on suit les deux nerfs médians au moment de leur entrée dans le ganglion , on voit que les fibres qui en émanent se divisent en trois groupes, des fibres ascendantes, transverses, descendantes. Les fibres ascendantes ou antérieures ne se dirigent pas toutes directement en haut , mais elles se développent à la manière d’un éventail ; elles affectent plusieurs directions : les unes peuvent être suivies en haut et en dehors ; d’autres en haut, et sur la ligne mé- diane ; d’autres, enfin, en haut et en dedans. Bien que ces der- nières paraissent se porter du côté opposé de la moelle pour y prendre naissance, sans doute par des cellules, et s’entrecroiser avec les fibres semblables du côté opposé, nous ne les avons jamais suivies que très rarement jusqu'à leur origine, et nulle part nous n’en avons trouvé manifestement l’entrecroisement. Les fibres descendantes et postérieures s’étalent aussi en éven- tail, s’infléchissant en dedans et en dehors. Deux groupes de ces fibres ont une disposition très précise; nous voulons d’abord parler de celles qui vont d’un nerf au nerf suivant, de la paroi médiane d’un même côté, en décrivant une anse dont la convexité est tour- née vers l'axe de la moelle. Ces fibres ont été vues par divers observateurs ; elles sont très régulièrement disposées. DU SYSTÈME NERVEUX. 53 Il est aussi des fibres descendantes que nous avons trouvées se rendant d’un nerf médian au nerf unique postérieur du même côté. Chacun des nerfs médians possède à la fois les fibres ascendantes et descendantes que nous venons de décrire. Il nous reste à parler du groupe des fibres transversales ; celles- ci mettent en rapport les deux paires nerveuses médianes des côtés opposés ; elles sont donc perpendiculaires au grand axe de la chainette. Dans des préparations qui ont bien réussi, nous avons pu voir qu’au niveau des nerfs médians, il existe deux plans de fibres avec la triple direction que nous avons assignée : l’un des plans est su- périeur, et l’autre inférieur. L'observation démontre aussi que chaque tronc de la paire unique offre également des fibres ascendantes, descendantes et transverses. Nous avons dit que les cellules qui occupent la périphérie des renflements sont unipolaires ou multipolaires. Il était intéressant de chercher la direction de tous ces prolongements et le lieu de leur terminaison; aussi avons-nous multiplié nos recherches dans l'espoir d’attemdre quelques résultats positifs , et d'obtenir des préparations que nous puissions facilement reproduire. Malheu- reusement nos efforts ont échoué jusqu'iei ; cependant nous pou- vons assurer que nous avons vu quelques fibres ascendantes ou descendantes qui se portent de l’autre côté de l’axe nerveux vers les cellules latérales, et en forment les prolongements. Toutes les conjectures que nous pouvons faire à présent sur la marche des fibres dans la moelle du Lombric, sur l’importante question de savoir s’il y a des fibres qui traversent toute la chaîne pour se porter à l’encéphale, semblent favorables à l'opinion que nous avons émise à propos de la Sangsue. En effet, le volume de la chaînette nerveuse n’augmente pas, à mesure que l’on approche du cerveau ; les diamètres des connectifs ne sont pas sensiblement différents dans toute l'étendue de la moelle ventrale , et il règne un remarquable rapport entre l’augmentation de volume des gan- glions et celui des troncs nerveux qui en émanent. Du cerveau. — Le cerveau du Lombrie consiste en deux masses 5! E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE réunies par une commissure échanerée ; son aspect, sa consistance, sa couleur , rappellent les propriétés analogues des autres renfle- ments de la chaîne : on peut y distinguer deux bords, deux faces et deux extrémités. Le bord antérieur décrit une ligne à deux convexités latérales et à concavité médiane. Le bord postérieur présente une semblable disposition ; seulement l’échancrure médiane est plus marquée. Ces faces supérieures et inférieures se composent de deux masses séparées par un sillon médian. Chaque lobe donne naissance en avant à deux paires nerveuses, el en arrière à la commissure. Si l’on regarde le cerveau avec une forte loupe, on reconnait qu'il se divise en deux zones, de coloration et d'aspect différents ; l’une d'elles, occupant la masse du cerveau, est d’un blanc laiteux, et semble constituée par des granulations irrégulières ; l’autre est une bande étroite, pale, se portant, en suivant le bord anté- rieur du cerveau, d’une paire de nerf à celle du eôté opposé. Nous avons signalé dans les ganglions médullaires un aspect analogue. En examinant sans compression, à un faible grossissement et avec le secours de la glycérine et de l'acide acétique étendu, un cerveau convenablement préparé, nous avons reconnu facilement que la bande claire est due à un plan fibreux, et que la zone blanche est formée surtout par un nombre considérable de cellules. Est-il possible de distinguer la marche des fibres dans l’intérieur du cerveau ? Nous pouvons déjà présenter sur ce point des obser- vations très nettes. Face supérieure du cerveau. — Les fibres qui composent les deux troncs nerveux latéraux se comportent de la manière sui- vante, à leur entrée daus le centre cérébral : Les unes suivent transversalement, d’un bout à l’autre, le bord antérieur et les sinuosités qui s’y présentent ; elles se rendent dans les nerfs latéraux du eôté opposé ; elles mettent done en commu- nication directe la paire nerveuse cérébrale droite avec la paire nerveuse gauche. D'autres fibres, moins nombreuses que les précédentes, mais faciles à suivre, se portent des deux nerfs d’un côté au connectif DU SYSTÈME NERVEUX. 55 du même côté, figurant ainsi une anse pareille à celle que nous avons vue exister dans le reste de la chaine nerveuse. Enfin d’autres fibres disposées en éventail se rendent, suivant diversesdirections, jusqu'au sein de la masse intérieure du cerveau où elles prennent sans doute naissance dans des cellules unipo- laires. Nous avons vu, dans quelques préparations, que les fibres qui se rendent au cerveau, du trone nerveux gauche à la partie droite postérieure , s’entrecroisent avec les fibres qui se dirigent du tronc nerveux droit à la partie gauche postérieure. Comparons un moment les dispositions de texture du cerveau avec celles des ganglions. Dans le cerveau comme dans les ganglions, on trouve des fibres transversales allant d’une paire nerveuse droite à une paire ner- veuse gauche; d’autres qui se rendent d’un tronc nerveux au trone nerveux du même côté; d'autres enfin obliquement descendantes, et paraissant entrecroisées d’un côté à l'autre. Voilà des faits de exture qui rapprochent les centres médullaires du centre cérébral ; mais entre ces centres, il y a aussi des différences marquées, que la Sangsue même ne nous avait pas présentées. En effet, le cerveau de la Sangsue avait une face supérieure fibreuse et une face inférieure celluleuse, comme chacun des autres ganglions. Dans le cerveau du Lombrie, la disposition est tout autre : les faces supérieures etinférieures des deux lobes présentent également un nombre considérable de cellules inégales et irrégulièrement accu- mulées. La bande fibreuse, qui suit les contours du bord antérieur, est visible aussi nettement par les deux faces. Nous n'avons jamais vu partir du cerveau aucun nerf pourvu de renflements cérébroïdes. Nerfs. — Nous avons déjà fait connaître le mode d’origine des paires nerveuses soit médianes, soit antérieures. Nousallons main- tenant nous occuper plus spécialement de la texture de chaeun de ces nerfs. La dispositionthistologique est bien différente dansles filets ner- veux de a Sangsue et dans ceux du Lombric. Dans la Sangsue, nous avons déerit des tubes distincts, fréquemment divisés, ana- stomosés les uns avec les autres, offrant-dans leur trajet des cel- 56 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE lules unipolaires ou bipolaires; nous avons parlé des ganglions au niveau de l’origine du tronc antérieur. Chez le Lombric, rien de semblable. Les éléments qui constituent un tronc ou un filet sont tellement serrés les uns contre les autres qu'aucun réactif ne peu les séparer; ils sont tellement fins, qu’il est de la plus extrême difficulté d’en suivre le cours. | Ces éléments consistent en des tubes noueux, renflés de distance en distance, et remplis de matière granuleuse et d’un noyau. En employant un grossissement très fort, on ne distingue dans lout le trajet des branches que de semblables éléments très intimement unis, et que la moindre pression, la moindre réaction chimique, suffit pour désagréger. Jamais de grosses cellules unipolaires , jamais de cellules apolaires accumulées sur la branche anté- rieure À une certaine distance de la moelle , les deux troncs nerveux médians s’anastomosent par une branche transverse qui va de lun à l’autre; nous avons reconnu là quelques détails de texture. On voit trèesbien que certaines fibres suivent la longueur du tronc principal sans dévier; que d’autres, au contraire, se recourbent, passent du nerf inférieur au supérieur par la branche collatérale , et continuent à s'éloigner de l'axe; d’autres fibres forment une anse d’un nerf à l’autre, en revenant près de l'axe. Lorsqu'un des nerfs principaux émet un rameau, celui-ci reçoit à la fois des fibres ascendantes et descendantes de la branche principale d’où il naît. Nous avons suivi aussi loin que possible, soit les ramuseules des nerfs crâniens , soit les branches les plus ténues des renfle- ments médullaires ; jamais nous n'avons vu un arrangement autre que celui dont nous avons déjà parlé , et jamais nousn’avons reconnu de ces groupes de cellules signalées chez la Sangsue par exemple, au niveau de la bifureation des branches du nerf antérieur. Il nous a été impossible de déterminer la terminaison des tubes nerveux à la surface de la peau et dans l’intérieur des muscles. Ce point mé- rite de fixer l'attention des observateurs. Nous ajouterons que nous n’avons point trouvé chez le Lombrie les cellules ovoïdales granuleuses à l’intérieur , que la Sangsue DU SYSTÈME NERVEUX. 57 nous a présentées au niveau de la bifurcation de certains nerfs, et que Meissner a si bien représentées chez le Mermis. 20 Système nerveux de la vie organique. Nous nous expliquerons dans la dernière partie de ce travail sur les expressions de système de la vie organique dont nous nous servons iei. Nous indiquerons le sens précis que nous y attachons, et sa signification générale relativement au système nerveux de la vie animale. Chez le Lombric, nous entendons, par système de la vie orga- nique, le vaste système nerveux qui recouvre le pharynx, et prend en partie naissance par de volumineux cordons dans les connectifs droits et gauches. Plusieurs auteurs ont connu et décrit ce plexus qui n’est pas difficile à distinguer ; mais il n’en est aucun qui, à notre connaissance, ait cherché à en discerner la structure et à en analyser les éléments. Le pharynx du Lombrie se compose de deux couches : lune, intérieure, très mince, épithéliale , en continuité directe par l’ou- verture buccale avec l’épithélium qui revêt extérieurement les anneaux céphaliques ; cette couche est formée par des cellules irrégulières , nucléées , renfermant de nombreuses et fines granu- lations. En dehors se trouve la paroi musculaire et vasculaire du pharynx dont nous n'avons pas à décrire les détails histologiques. Entre les deux couches précédentes, et spécialement dans l’épais- seur de la dernière , s'étale avec toute sa richesse le réseau ner- veux pharyngien. Pour le voir très bien il faut diviser le cerveau en deux moitiés, partager également la face supérieure du pharynx, et retourner celui-ci de manière qu'il présente la face supé- rieure étalée et en haut. On peut reconnaitre alors que le plexus pharyngien se compose de deux cordons principaux : Pun, qui règne parallèlement à la face interne du connectif sur une grande éténdue, c’est pour nous le cordon pharyngien latéral ; l’autre , qui, né vers l’extrémité inférieure du connectif, se porte trans- versalement en dedans : nous le nommons pharyngien posté- rieur. 58 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE Le cordon pharyngien latéral est facile à voir ; il est inégal , noueux , parallèle au connectif de son côté, et S'y rattachant , soit médiatement, soit immédiatement : le rapport médiat est établi par quatre ou cinq branches nerveuses, droites, courtes, partant per- pendieulairement du connectif pour aboutir au cordon. Vers le mi- lieu de son trajet, le cordon parait se renfler et s’accoler lui-même immédiatement au eonnectif. Il est bien difficile, à cause de la ténuité des parties, de leur enchevétrement au sein des autres tissus, de parvenir à démêler la texture du cordon latéral et des branches qui en partent. Cependant plusieurs détails importants ne nous ont pas échappé, lorsque employant le procédé par l'acide acétique, nous avons attendu un temps suffisamment long pour que le cours des fibres put être distingué. Le cordon latéral consiste en une suite de renflements irréguliers disposés en ligne droite, et émettant des filets externes et internes : les filets externes , dont nous avons déjà parlé, se rendent au connecüf, ils conservent la disposition ordinaire ; les branches internes, au contraire, tantôt grêles, tantôt épaisses, se perdent dans un inextricable réseau dont les mailles sont formées par des renflements ‘variés, et dont les interstices laissent voir le tissu même du pharynx. On peut distin- guer plusieurs lignes de renflements plexiformes s'étendant ainsi jusqu’au milieu de la face postérieure du pharynx pour s’anasto- moser avec les mailles du cordon latéral opposé. Aucune deserip- tion exacte ne peut donner une idée de l’enchevêtrement anasto- motique dont nous parlons, et dont la figure qui accompagne ce travail fera comprendre toute la complexité. Certains détails de texture nous ont paru évidents. Ainsi le connectif émet mani- festement, au niveau de chaque rameau qui se rend au cordon, des fibres ascendantes et descendantes qui le pénètrent : il y a aussi des fibres en anses qui vont d’un cordon à l’autre. Autour des mailles on trouve des fibres orbiculaires, et dans les renflements les fibres s’entrecroisent dans les directions les plus variées. Un point de texture qu'il importait d'éclairer, c'était de recher- cher si les divers renflements pharyngiens étaient formés seule- ment de fibres, ou si l’on y trouvait des cellules, en d’autres termes DU SYSTÈME NERVEUX. 59 s'ils étaient de véritables centres nerveux, ou simplement des plexus fibreux. Tout doute s’est dissipé dans notre esprit lorsque nous avons vu des cellules nerveuses, nous ne dirons pas dans tous les renflements, mais dans un certain nombre seulement. Les cellules en occupent rarement le centre; elles se dessinent en nombre variable à la périphérie , elles sont le plus souvent aceu- mulées sur un point. Les cellules sont unipolaires ou apolaires très petites ; cependant leur enveloppe, leur contenu granuleux, par- fois même leur noyau est distinct. Nous avons trouvé souvent les cellules dans le milieu de l’angle de bifureation d’un faisceau ner- veux en deux branches ; nous en avons même vu dans le milieu de quelques rameaux. Nous sommes done autorisé à admettre que ce plexus pharyn- eien paraît composé d’une série de petits centres en rapport les uns avec les autres par l'intermédiaire de nombreux filets. Avant d’ar- river à cette conelusion , nous avons eu à combattre deux causes d'erreur : en premier lieu, nous avons évité la pression, car elle refoule les cellules d’une région dans uné autre, et ne nous indique plus les rapports normaux ; en second lieu, nous avons étudié attentivement les cellules d’épithélium qui, vues par transparence, pouvaient être prises pour des cellules nerveuses ; nous avons même enlevé des lambeaux de la couche épithéliale. Nous avons parlé des cellules. Quant aux fibres qui forment la masse des plexus, elles sont certainement les mêmes que celles qui composent la chaînette nerveuse et les trones qui en sortent. I n’y a de différences appréeiables ni par l’aspect, ni par les réac- tions. Nous pouvons donc penser que le plexus pharyngien du . Lombrie est formé de petits centres ganglionnaires ; mais si l’on considère, d'une part ses connexions intimes et multipliées avec les connectifs cérébraux, de l’autre sa distribution à des fibres musculaires de nature striée , enfin, en troisième lieu , l’analogie parfaite des éléments, où doit regarder le plexus pharyngien du Lombric comme une forme du système nerveux de la vie animale. Il n’y a plus rien de semblable à ce que nous avons distingué chez la Sangsue, et décrit pour la première fois. Nous le répétons, c’est plutôt du pneumogastrique qu'il faut rapprocher le plexus du 60 E. FAIVRE., — SUR L'HISTOLOGIE Lombrie, et c’est aussi plutôt au sympathique proprement dit qu'il faut rapporter celui de la Sangsue. Ce sont là des formes différentes, et dont les naturalistes saisi- ront sans doute ultérieurement la signification. Quelles sont les limites du plexus pharyngien ? Il ne dépasse pas le pharynx lui-même, et s'étend à peine sur l’origine de l’œso- phage. Un moment nous avons pu croire que ce plexus se prolon- geait jusque sur l’estomac et l'intestin. Cette extension nous parais- sait d'autant plus naturelle qu’elle a été très communément observée sur les Insectes et les Crustacés ; d’une autre part, nous pensions retrouver peut-être sur l’estomac quelques vestiges du grand appa- reil nerveux stomacal de la Sangsue. Nous avons donc fait des observations réilérées, variées et persévérantes : toutes ont été vaines ; elles ont démontré que l’æsophage , l'estomac , l'intestin sont dépourvus complétement de nerfs. Dans l'espoir de trouver peut-être dans d'autres appareils des nerfs particuliers qui nous échappaient sur le tube digestif, nous avons interrogé avec le microscope les parois des vaisseaux laté- raux, les enveloppes des vésicules copulatrices, les glandes muci- pares : nous avons bien vu la texture particulière de chaque partie sans jamais observer de nerfs. Il est donc certain, du moins d’après les études qui nous sont propres, que tout le système nerveux du Lombric consiste dans la chaîne ventrale, le cerveau et le plexus pharyngien. TROISIÈME PARTIE. CONSIDÉRATIONS GÉNÉRALES. 1° Quelques remarques sur la structure comparée da système nerveux chez plusieurs Invertébrés. Nous avons fait connaître, avec toute la précision possible, les résultats de nos minutieuses observations. Il nous semble utile d'envisager maintenant, d’une manière générale, les faits que nous avons recueillis et ceux que d’autres ont constatés avant nous. Pour rendre nos considérations plus claires, nous nous occuperons d’abord de la texture intime des divers renflements nerveux. DU SYSTÈME NERVEUX. 61 Une première conséquence de nos études, c’est que les résultats déjà obtenus par Newport sur les Crustacés, les Myriapodes et les Insectes, s'étendent en grande partie à la Sangsue et au Lombric. En effet, Newport a montré que les deux faces de la chaînette ner- veuse présentent deux aspects bien différents. La face supérieure est fibreuse, la face inférieure est celluleuse. Le même aspect se constate parfaitement chez la Sangsue et le Lombric dans tout l’en- semble de la chaine nerveuse. Newport a fait connaître , chez les Insectes et les Crustacés, un nerf qu'il appelle intermédiaire ; nous avons bien retrouvé ce nerf chez la Sangsue , mais jamais chez le Lombric. Enfin plusieurs directions de fibres indiquées par le savant anatomiste anglais nous ont paru évidentes. Voici, en effet, à quoi nous pouvons réduire, de la manière la plus générale, la structure du centre nerveux, soit du Lombric, soit de la Sangsue. Elle consiste : 1° en fibres naissant directement du ganglion lui- même , de cellules unipolaires placées dans toute la périphérie ; 2° en fibres qui vont, comme une anse, d’un nerf latéral au nerf latéral du même côté ; 3° en d’autres fibres ascendantes et descen- dantes qui traversent un ganglion pour se rendre au ganglion sui- vant; 4° en fibres transverses qui vont d’un nerf latéral au nerf correspondant du côté opposé; 5° enfin en fibres qui traversent directement le renflement nerveux, et en cellules apolaires qui se voient à la face inférieure. Tels sont les résultats les plus généraux auxquels nous sommes parvenus, et qui certainement laissent encore beaucoup à désirer. Loin de nous la pensée de ne chercher que les analogies ; nous les constatons , et nous ne les prévoyons pas théoriquement. À côté des analogies, il existe des différences très sensibles que nous mentionnerons. Nous n'avons pas vu, comme Newport , que les fibres de la face postérieure se rendent directement à l’en- céphale, en traversant toute la chaîne nerveuse ; tout nous semble démontrer le contraire, comme nous l'avons déjà dit; nous signa- lons aussi de notables différences entre les nerfs du Lombric et ceux de la Sangsue. On ne voit nulle part chez le Lombric de cloisons qui partagent 62 E, FAÏVRE. — SUR L'HISTOLOGIE en segments la face inférieure des ganglions , nulle part de sys- tème intermédiaire , aucune trace de la cellule qui joint les deux troncs d’un même côté, aucune trace de cellules ganglionnaires sur la racine antérieure et dans les points de bifureation. Ajoutons que le Lombrie emporte beaucoup sur la Sangsue par la quantité des renflements et des nerfs. Nous pouvons apprécier ce fait en disant que , dans un tronçon de Sangsue de 0%,05, nous comptons au plus cinq ganglions et vingt troncs nerveux ; tandis que, dans un fragment de Lombrie de la même étendue, il n'existe pas moins de trente ganglions et environ cent quatre-vingt troncs nerveux : nous rappelons qu'il y a chez le Lombric une paire nerveuse qui n’a point son analogue chez la Sangsue. La richesse vasculaire du cordon médullaire per- met encore de concevoir la multiplicité des centres ganglionnaires du Lombrie. Toute part fuite entre les différences et les rapports , nous con- statons que chaque renflement nerveux, chez le Lombrie et la Sang- sue , se présente à nous avec des caractères analogues, et qu'on retrouve dans chacun des renflements de la chaine. Nous irons plus loin , et nous aborderons la question de savoir si le cerveau n’est pas au fond un ganglion médullaire modifié , ou s’il est construit sur un type diffcrent. Pour procéder avee méthode, nous nous appuierons successive- ment sur les faits d'anatomie comparée, d’histologie, d’embryo- génie et de physiologie expérimentale admis aujourd'hui par tous. Ce fait, que le cerveau n’est que le premier ganglion de lachaine, n'a pas échappé à la sagacité de MM. Audouin et Milne Edwards dans leur mémorable travail sur les nerfs des Crustacés. « Dans le » Talitre, disent ces auteurs, la première paire de ganghons, ou la » céphalique, ne diffère pas essentiellement des ganglions qui suüi- » vent. » Et plus loin, ils parlent des ganglions que l’on a désignés sous le nom de cerveaux. Ces célèbres zoologistes indiquaient dans une note qu'ils appuieraent cette démonstration sur des preuves physiologiques ; mais les circonstances en ont décidé autrement (4). (1) Mémoire de MM. Audoun et Milne Edwards, Ann. des sc. nat., t. XIV, p. 80 (1818). DU SYSTÈME NERVEUX. 63 Quoi qu'il en soit, bien des faits sont venus depuis confirmer l’assertion des auteurs. On a vu que le cerveau se comporte dans ses modifications, dans son développement, comme les autres ganglions ; qu'il peut être composé de deux masses distinctes plus ou moins réunies ou complétement soudées, comme eela a lieu pour les ganglions dans leurs développements successifs. Ce qui semble assigner au cerveau un caractère spécial, c’est qu’on voit naitre des nerfs qui se portent aux organes des sens, et spécialement à l’oœil. Il peut arriver cependant que les divers ganglions médullaires émettent aussi des nerfs optiques. M. de Quatrefages l’a constaté chez le Polyophthalme, smgulier Anuelé, dont chaque anneau porte latéralement des yeux. Ehrenberg à vérifié le même fait chez l’41m- phicora; Grube, Krohn, Will, l'ont tour à tour reconnu sur les Peignes , les Spondyles, les Tellines, les Pimnes, les Arches, les Pétoncles et d’autres Mollusques. À ces faits nous pouvons joindre des expériences physiologiques qui démontrent que chez les animaux inférieurs chaque ganglion de la chaine se comporte à la manière d’un ganglion qui sent, veut, dirige et coordonne. Les Némertes, les Sangsues, certains Insectes, comme la Mante-prie-Dieu sur laquelle Dugès a expérimenté, ne se meuvent-ils pas après l’'ablation du cerveau , ne se dirigent-ils pas, d’une certaine manière, en évilant les obstacles? Tout le monde sait que les mêmes phénomènes se passent chez le Lombric privé de son cerveau, et qui ne l’a pas encore régénéré (1). Aux preuves précédentes, que nous pourrions développer da- vantage , nous ajouterons celles tirées de la texture; nous avons montré comment dans la Sangsue la face supérieure du cerveau est fibreuse comme celle des ganglions, tandis que l’inférieure est celluleuse ; chez le Lombrie, nous avons indiqué-soignensement des directions de fibres tout à fait semblables à celles qu’on peut con- stater dans les renflements. Nous renvoyons aux détails déjà men- lionnés, en nous bornant à faire remarquer l’analogie déjà incon- testable que la structure révèle entre un ganglion et le cerveau. Nous avons cherché à établir que la chaine nerveuse se compose (1) Les considérations que nous présentons ici s'appliquent surtout au sous- embranchement des Vers. 6 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE de ganglions ou centres, offrant entre eux une remarquable ana- logie. Voyons maintenant si, dans cette simplification , nous ne pourrons pas aller plus loin, et s’il ne nous sera pas possible de saisir quelque indication plus générale du plan primitif. En envisa- geant la texture plus intimement, nous émettrons cette opinion que, si les ganglions sont les unités apparentes ou organiques, les cel- lules paraissent être les centres primitifs, auxquels se réduisent les ganglions et les nerfs. Quelques développements sont nécessaires pour l'intelligence de cette proposition. L'état le plus simple, dans lequel se présente à nous un système nerveux chez les Invertébrés, se réduit précisément à l'apparition de quelques cellules nerveuses et de leurs prolongements , les cel- lules se disposant comme centres, les prolongements comme tubes conducteurs. Ces faits sont démontrés par nos propres recherches sur les nerfs organiques de la Sangsue médicinale; par les obser- vations nettes de Leydig sur la Lacmulaire sociale, les Hydatines, les Brachions et les autres Rotateurs; et par des études encore inédites de M. Davaine sur les Helminthes. M. Davaine a trouvé les cellules nerveuses isolées ; Leydig a vu que, chez les Rotateurs , le cerveau et le ganglion caudal, qui seuls existent, sont formés de quatre ou cinq cellules nerveuses seulement, Quant à nous, nous avons mis hors de doute l'existence d’un grand réseau nerveux, uniquement formé de cellules et de tubes. Si nous passons à des types plus parfaits, nous verrons que le nombre des cellules augmente, qu'une partie se cache sous une enveloppe spéciale, tout en restant cependant plus où moins isolée : c’est ce qu’on peut voir chez les Gordius et les Mermis. Enfin, dans des animaux plus élevés, tels que la Sangsue et le Lombric , les cellules semblent s’isoler plus difficilement; elles confondent leur contenu, et s’associent pour constituer les centres à de nom- breuses fibres et à une matière granuleuse. Il suit de ce que nous venons de dire, que les cellules étant des centres primitifs, les ganglions formés par la réunion de cellules doivent être considérés comme un ensemble de petits centres ner- veux , anatomiquement du moins. Les ganglions, que forment les eellules par leur réunion, peuvent être de différentes espèces. DU SYSTÈME NERVEUX. 65 Il y a des ganglions de premier ordre, à arrangement plus ou moins régulier , et dont les nerfs se distribuent aux organes de la vie animale : ce sont ceux du cerveau et de la chaine nerveuse. Il y à d’autres ganglions formés aussi par des cellules, mais très irré- gulièrement disposés , et dont les filets n’aboutissent qu’à des or- ganes de la vie végétative : ce sont ceux dont l’ensemble constitue le système de la vie organique. Enfin on trouve sur le trajet des nerfs de la vie animale des centres plus petits, souvent en grand nombre, et qu’il faut envi- sager comme des ganglions de la vie animale. Il est utile que nous insistions un moment sur les ganglions de ce troisième ordre, leu présence se rattachant à l’étude de la structure intime des nerfs et de leurs filets. Nous avons dit dans l’historique que Leydig avait particulière ment insisté sur les cellules que l’on trouve sur le trajet des nerfs antérieurs, chez le Branchypus stagnalis, la larve du Corethra pulmicorms, la Carinaire, la Lacinulaire sociale, et plusieurs autres Annelés. Nous avons vu, comme Bruch, les mêmes cellules bipolaires sur le trajet des tubes nerveux de la Sangsue, et nous en avons aussi constaté la présence chez le Lombric. Cet ensemble de futs, observés chez des animaux dégradés, ne porte-t-il pas à admettre que primitivement les tubes nerveux eux-mêmes ont été des cellules ultérieurement allongées, et qu’ainsiJes nerfs, comme les centres, ont dù leur origine à des cellules? Plusieurs faits, outre les précédents, semblent donner raison à cette manière de voir : nous avons distingué dans le grand sympathique de la Sangsue toutes les nuances entre la cellule qui s’allonge et le tube; chez le Lombric, nous avons observé également des cel- lules de plus en plus allongées , et constituant les éléments des nerfs. Nous pensons donc, jusqu’à ce que de nouvelles observations viennent renverser notre opinion, que les tubes nerveux résultent de la modification de cellules primitives, lesquelles peuvent per- sister dans certains cas, et offrir les apparences qui ont été sou- vent constatées. En nous appuyant sur les résultats acquis, nous venons de voir 4e série. Zoor. T. VI. (Cahier n° 2.) ! 6] 66 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE que le système nerveux dans son ensemble présente un mode assez simple de composition et de texture. Entrons maintenant dans quelques considérations plus particulières sur cette forme, qu'on est convenu de désigner sous les noms de système de la vie orga- nique, système grand sympathique, stomato-gastrique. Toutes ces dénominations sont loin d’avoir un sens très précis, et de correspondre à des dispositions bien déterminées ; s'il règne encore de l'obscurité sur quelques points de l’histoire des nerfs chez les Invertébrés , c’est certainement sur ces réseaux nerveux que Brandt, Newport, ont signalés spécialement. Cherchons à préciser les termes dont on doit se servir en abor- dant cette difficile étude. Le nom de système nerveux de la vie organique nous parait par- faitement convenir à tous les nerfs qui se distribuent aux organes de la vie intérieure, de la vie de nutrition et de reproduction. Par conséquent, nous dirons que le stomato-gastrique, tel que les auteurs le décrivent, et que le système découvert par nous sur l'estomac de la Sangsue appartiennent à la vie organique. Mais le système de la vie organique est loin d’être simple ; chez les Ver- tébrés, il est représenté par deux appareils bien différents : le grand sympathique proprement dit et le pneumogastrique. Le grand sympathique a des caractères propres, une distribution spé- ciale, et il n’est qu'accessoirement en rapport avee les centres ner- veux de la vie animale; le pneumogastrique , au contraire , parail participer à la fois des deux autres systèmes, par sa texture , par son origine, ses anastomoses et sa distribution. Chez les Inverté- brés, nous croyons que ces deux appareils sont représentés à divers degrés. Les nerfs qui naissent du cerveau ou des centres cérébroïdes, qui se portent au pharynx, à l’œsophage, à estomac, aux organes respiratoires où circulatoires, et dont la texture et l’aspeet rappellentles nerfs de la ehainette, nous paraissent, comme à Newport, être des pneumogastriques plus où moins modifiés. Au contraire, nous sommes plus disposé à rapporter au grand sympathique les réseaux nerveux de l'estomac des Sangsues ; la distribution, la texture différente des éléments, l'aspect, et surtout l'absence de communication directe par de grands troncs nerveux, DU SYSTÈME NERVEUX. 67 avec le cerveau ou la chainelte, nous semblent militer en faveur de cette dernière opinion. Si nous entrons dans les détails, nous constaterons une très erande différence entre les systèmes nerveux organiques de la Sangsue et du Lombric. Ces systèmes se distinguent par leur distribution, leur structure, leurs connexions : 4° par leur distribution ; le système organique du Lombric forme seulement un plexus pharyngien ; il s'associe à la couche musculeuse du pharynx, et cesse avec elle. Chez la Sangsue, il forme un immense réseau, en rapport avee la couche fondamentale de ce viscère, et non avec un tissu musculaire. 2° Par leur structure : chez le Lombrie, le plexus pharyngien rappelle, par ses éléments et sa texture, toute autre portion des nerfs de la vie animale ; tandis que chez la Sangsue, les éléments se distinguent sous plusieurs rapports des éléments nerveux gan- olionnaires, et que leur mode d’arrangement n’est pas moins dif- férent. 3° Connexions avec les nerfs de la vie animale : elles établissent une autre différence bien marquée. Chez le Lombric, les plexus reçoivent des connectifs, au moins dix troncs nerveux ; chez la Sangsue, le sympathique n’a de rapport direct n1 avec le cerveau , ni avec les connectifs ; si des rapports existent, ce dont nous dou- tons, ils n’ont lieu, comme le dit Brandt, qu'avec le ganglion céré- broïde médian. De ce parallèle, il ressort que le système organique de la Sangsue, par ses caractères à part, semble n'avoir de rapports qu'avec le grand sympathique; tandis que le plexus pharyngien du Lombrie , si directement constitué comme les nerfs de la vie ani- male, se rapporte surtout au pneumo-gastrique des Vertébrés. Dans un sujet mal connu, les conjectures sont séduisantes et les erreurs faciles. On ne prendra done pas nos explications pour des thèses absolues ; mais on devra les envisager comme des tentatives destinées à eoordonner les faits acquis à la science. Nous ne saurions terminer les réflexions générales sans parler un moment d’un nerf encore bien énigmatique : le nerf transver- saire ou respiratoire de Newport. Quelques. faits peuvent en éclau- rer l’histoire, Le nerf transverse existe chez le Sphinx ligustres, 68 E. FAIVRE. —— SUR L'HISTOLOGIE l’Astacus marinus et d'autres Annelés ; il émet des filets nerveux qui se distribuent aux organes respiratoires ; 1l semble avoir acquis un très grand développement dans ces êtres. Chez la Sangsue, on le retrouve aussi, mais il offre deux caractères spéciaux : il n’émet jamais de nerfs; il s’accole, ou plutôt il adhère intimement dans une certaine étendue à l’un ou à l’autre connectif. Enfin, chez le Lombrie, il n’en existe pas de traces ; d’après Newport, il n’existe- rait pas non plus chez quelques Myriapodes. Tous ces faits ne rendent-ils pas vraisemblable l'opinion d’après laquelle on regarderait le nerf intermédiaire comme une portion des connectifs et des ganglions pouvant s’isoler acciden- tellement, et devenir même indépendante? Nous n'avons fait qu'indiquer, d’après le petit nombre de résul- tats acquis à la science, quelques traits du parallèle à établir entre les divers systèmes nerveux des Annelés. Nous nous estimerions heureux si les considérations générales que nous avons émises inspiraient des études plus étendues et plus complètes que les nôtres. 2° Résultat de nos études touchant la comparaison à établir au point de vue histologique entre le système nerveux des Vertébrés et des Invertébrés. Les observateurs de la nature suivent souvent dans les méthodes qu’ils emploient, dans les jugements qu'ils portent, deux tendances bien différentes : ils isolent ou ils généralisent ; ils distinguent ou ils réunissent; ils se livrent à une analsye ou à une synthèse exclusive. Au gré de cette double tendance, ils se portent à des excès tou- jours nuisibles à la vraie science, soit qu’une expérimentation sté- rile les entraine, ou que de vagues hypothèses les séduisent. C’est peut-être à Ia domination suecessive de ces deux procédés qu'il faut attribuer l'incertitude de nos connaissances sur le rapport du système nerveux chez les Vertébrés et les Invertébrés. Tantôt on semble oublier que, pour résoudre les problèmes complexes d’ana- tomie et de physiologie, il est logique d'interroger les deux termes simples des embryons et des Invertébrés ; tantôt aveu lément DU SYSTÈME NERVEUX. 69 esclave de l’unité de composition, on repousse systématiquement les différences. En abordant la question qu'il s’agit de traiter, nous nous sommes gardés autant que possible des fautes de méthode que nous blà- mons , et nous avons essayé, en prenant pour base les faits, de bien saisir les analogies. La comparaison des éléments nerveux entre les animaux vertébrés et invertébrés nous occupera d’abord. Présentons, avant d'aller plus loin, un court résumé de l’état actuel de la science sur les éléments nerveux des Vertébrés. D'après les travaux de Swann, Bischoff, Valentin, Hannover, Henle, Wagner, Kælliker, Sülling, Remak, Robin et plusieurs autres savants, nous croyons (levoir distinguer dans les embryons, ou dans les Vertébrés parfaits, quatre formes spéciales de tubes nerveux : 1° Des tubes à noyaux simples sans moelle ; 2° Des tubes à noyaux multiples avec ou sans moelle ; 3° Des tubes sans noyaux et sans moelle; l° Des tubes sans noyaux et avec moelle. Ces quatre espèces forment deux groupes : fibres à noyaux et fibres sans noyaux. 1° Les tubes à noyaux simples sont fusiformes. On les ren- contre chez les très jeunes embryons des animaux supérieurs ; aussi Kœælliker en a figuré chez des embryons humains de deux mois ; nous en avons trouvé de semblables chez un embryon hu- main de sept semaines, et dans la moelle du Cyclopterus Lumpus. Ce qui nous semble un fait digne d'intérêt , c’est que cette forme élémentaire, transitoire du système nerveux des animaux supé- rieurs, ressemble parfaitement à la forme élémentaire définitive que nous avons décrite chez le Lombric terrestre : il suffit, pour s'en convaincre, de jeter les yeux sur les figures que nous avons données. 2 Nous avons donné le nom de fube à noyau multiple à un élément nerveux des Vertébrés plus complexe que le précédent, et résultant de la soudure de plusieurs cellules nerveuses primitives et fusiformes. Les noyaux se voient sur la gaine, dans l’intérieur de laquelle se développent quatre à cinq tubes foncés ; ce mode de 70 E. FAIVRE. —- SUR L'HISTOLOGIE développement , mentionné d’abord par Swann (1), a été observé ensuite par Kœlliker sur les larves des Batraciens (2), par Wagner sur les nerfs de la Torpille (3), par Ecker sur les nerfs du même poisson (4). Nous rattachons à cette forme les tubes cylindriques à gaine nucléée, qu'Hannover a rencontrés chez les embryons de Chat,de Pigeon; et il nous semble naturel d’y ranger les tubes à noyaux du grand sympathique, ainsi que les fibres dites de Remak, qui vraisemblablement ne sont que des formes embryonnaires persistantes. | Si l’on vient à comparer d’une manière générale la forme que nous venons de décrire chez les Vertébrés, avec l’aspeet des tubes nerveux de l'Écrevisse, il sera impossible de méconnaitre une ressemblance singulière. Nous avons déjà signalé une étroite analogie entre la forme des tubes nerveux chez les Lombries, et les tubes nueléés simples des embryons chez les Vertébrés supérieurs. Nous ajoutons que la forme des tubes de lÉcrevisse rappelle les tubes à noyaux multiples communs chez les embryons des Ver- tébrés, et persistant aussi chez les adultes. En passant au groupe des tubes sans noyaux, nous allons recon- naîlre d’autres rapports. Il y a des tubes sans noyaux et dépourvus de moelle, et des tubes sans noyaux et pourvus de moelle. 1e Les tubes dépourvus de moelle et de noyaux , appelés aussi tubes pâles, sont communs chez les embryons des animaux supé- rieurs ; chez les adultes il faut ranger dans ce groupe les tubes qui prolongent les cellules, les fibres nerveuses transparentes et sans noyaux qi'on trouve dans la cornée, les fibres optiques de la rétine, etc. C’est cette forme que nous trouvons surtout développée sur les trones nerveux de la Sangsue; nous en avons longuement parlé, et nous nous sommes efforcé de faire voir que le contenu des tubes DU SYSTÈME NERVEUX. 71 pâles représente à la fois le cylindre d’axe et la matière grasse qui constitue la moelle. 2 Les tubes sans noyaux, et pourvus d’une couche médullaire, sont la forme la plus commune chez les Vertébrés adultes ; il n’en est pas ainsi chez les Invertébrés : aueun de ceux que nous avons examinés ne nous à offert un cylindre d’axe et une couche médul- laire distincte. Il est encore une modification des tubes que nous ne pouvons passer sous silence : c’est celle que M. Robin a si bien décrite, et qui consiste en un cylindre d’axe et une moelle sans enveloppe: Cette forme, qui parait exister spécialement dans le cerveau, semble avoir son analogue chez les Invertébrés : n’avons-nous pas vu, en effet, Leydig et Meissner n’ont-ils pas observé que dans les cen- tres des animaux inférieurs les gaines disparaissent , tandis que la matière granuleuse, mêlée et comme épanchée au milieu des ren- flements, est partout en contact avec elle-même ? Quelle importance physiologique peut avoir cette disposition dans les centres nerveux? Nous lignorons encore compléte- ment. Tous les détails qu’on vient de lire concourent à établir une loi très importante que nous essaierons de formuler , sans vouloir lui accorder une portée qu’elle n’a pas encore. Nous dirons donc : chez certains Invertébrés au moins, les . éléments permanents du système nerveux rappellent les éléments embryonnaires et transitoires du système nerveux des Vertébrés les plus parfaits. L'opinion que nous émettons trouve une confirmation bien inat- tendue dans un autre ordre de faits. Lorsqu'on coupe un nerf chez un animal supérieur il se régé- nère, c'est-à-dire que, dans toute l’acception du mot, il se génère, il se constitue de nouveau, et cet acte s’accomplit par le dévelop- pement successif de chaque fibre nerveuse. C’est une évolution embryonnaire complète, mais locale, bornée à une région circon- serite que l'opérateur détermine selon sa volonté. Si nous suivons ainsi la régénération des tubes nerveux dans une section, nous ver- rons se succéder certaines formes nerveuses embryonnaires qui se 72 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE rapportent encore aux formes nerveuses définitives observées sur nos Invertébrés. M. Waller, qui a fait ces expériences, et M. Robin, qui a exa- miné au microscope les parties régénérées , ont bien voulu nous communiquer quelques-uns de leurs dessins. Nous avons vu que les fibres de nouvelle formation présentent des noyaux sur leur trajet, et qu'elles sont d’abord dépourvues de moelle ; successi- vement la moelle se forme, et elle paraît de plus en plus évidente : les noyaux diminuent de volume. La forme de tube cylindrique , pourvu de noyaux et sans moelle , nous rappelle l’état des nerfs de l’Écrevisse, et, sous plusieurs rapports, des nerfs de la Sangsue. Nous n’allons pas plus loin; nous ne savons pas encore si l’on à observé les tubes fusiformes à un seul noyau. Nous allons essayer maintenant de comparer au point de vue de la texture les centres nerveux des Vertébrés et des Invertébrés. Nous toucherons par cette question à un des problèmes les plus difficiles de la science, et, par conséquent, les plus accessibles aux controverses et aux hypothèses. Il s’agit du parallèle à établir entre le système nerveux des animaux sans vertèbres, et celui des Ver- tébrés. Cette vaste question n’est pour nous qu'incidente ; nous ne pou- vons et devons la juger que d’après nos observations limitées : nous nous bornerons donc à bien établir les faits qui peuvent éclai- rer telle ou telle solution. On a depuis longtemps agité ce pro- blème ; les observateurs n’ont pas manqué, mais les observations probantes ont fait défaut : si bien que la question, souvent traitée, l’a rarement été avec le concours d’une bonne méthode. Ce que nous entendons par bonne méthode, c’est celle qui se fonde à la fois sur l’embryogénie comparée, l'anatomie normale , la physiologie expérimentale. On s’est presque toujours placé an point de vue de l'anatomie descriptive la plus simple, et l’on a émis des opinions que nous ne rapporterons pas parce qu'elles sont partoul. Disons seulement que Scarpa, Blumenbach, Cuvier, Gall, Mül- ler, Stannius et Siebold, Newport, Carpenter et d’autres, considè- rent la chainette nerveuse comme l’analogue de la moelle chez les DU SYSTÈME NERVEUX: 75 Vertébrés : nous nous rangeons aux avis de ces anatomistes célè- bres , et pour mieux établir les faits qui motivent notre jugement, nous examinerons le parallèle au point de vue général et au point de vue de la texture intime. 4° Disposition générale. — Chez les Invertébrés (les Annelés spécialement), le système nerveux est constitué par une succession de renflements et de resserrements : il est primitivement double. La fusion antéro-postérieure et transversale des deux cordons explique les nuances et les dispositions si variées qui sont comme les détails dérivés d’un type général. Chez les Vertébrés , de semblables dispositions existent-elles ? Non, sans doute. Chez les Vertébrés supérieurs la moelle est simple, sans alternative de ganglions et de connectifs; mais il en est autrement si l’on examine des animaux de moins en moins parfaits. On connait les renflements médullaires volumineux de quelques Oiseaux ; Carus a observé chez les Ophidiens de légers renflements à l’origine de chacun des nerfs Spinaux ; enfin, chez Poissons, de Quatrefages, Müller, Retzius ont signalé la moelle noueuse de l’Amphioæus, et nous en avons rencontré une chez le Cyclopterus Lumpus, lrop intéressante pour que nous n’y consa- crions pas quelques lignes. Cette moelle présentait une succession de renflements et une division de la partie postérieure en deux cor- dons. Les renflements , au nombre de vingt-huit, étaient d'autant plus marqués qu’ils s’éloignaient plus de l’encéphale ; du milieu de chacun d’eux naissait une paire nerveuse près du sillon inférieur. Il était impossible de voir une moelle plus semblable par tous ses caractères extérieurs à la chainette du Lombrie, par exemple. De pareilles formes devraient être recherchées , et on les trouverait, sans doute, si on étudiait les moelles des jeunes Reptiles et des jeunes Poissons. 2° Texture intime. — Des recherches physiologiques et histo- logiques récentes ont jeté de vives lumières sur la texture de la moelle épinière de l'Homme et des Mammifères. Les résultats suivants , qui précisent l’état de la question , sont dus aux travaux anatomiques de Volkmann, Kælliker , Robert Wagner, et surtout Stilling et Leuckart Klarke, comme aux résul- 7h €. FAIVRE, — SUR L'HISTOLOGIE tats physiologiques obtenus par M. Brown-Séquard dans ses der- niers et remarquables travaux (1) Toutes les fibres blanches de la moelle ne paraissent pas se rendre directement à l’encéphale ; mais une partie au moins, très considérable, prend origine dans la moelle elle-même. Les fibres des racines postérieures , loin d’être toutes ascen- dantes pour se porter à l’encéphale , offrent trois directions diffé- rentes : les unes sont ascendantes, et se dirigent, soit en dehors dans la substance blanche, soit en dedans dans la substance grise; les autres sont descendantes et se portent surtout vers la substance grise; d’autres enfin sont transversales, marchant vers le côté opposé de la moelle. M. Brown démontre qu’une partie des fibres ascen- dantes des racines postérieures s’entrecroisent dans la moelle, à une distance peu éloignée du point d’origine des racines. Des coupes transversales démontrent que les fibres des racines postérieures peuvent être suivies dans le cordon postérieur du côté correspondant, et dans eelui du côté opposé, dans les cordons laté- raux des côtés correspondant et opposé, dans les racines anté- rieures des côtés correspondant et opposé. Quant aux racines antérieures, une coupe longitudinale fait voir qu’un grand nombre de leurs fibres sont descendantes, d’au- tres ascendantes, d’autres transverses. Une coupe perpendiculaire à la précédente montre aussi des fibres allant d’une racine anté- rieure à une autre ; enfin des fibres d’un côté s’entrecroisant avec celles du côté opposé. Avant d'établir un rapprochement entre ces faits et ceux que nous avons observés , faisons remarquer combien la position des racines est différente dans les êtres que nous comparons. Chez le Lombric et la Sangsue, les racines antérieures et postérieures ne sont pas superposées , mais elles sont, à peu de chose près, sur le même plan, l’une en avant, l’autre en arrière. Ces racines , ou mieux les nerfs latéraux d’un côté, sont éloignées des nerfs latéraux du ganglion suivant. Il faut surtout ajouter que c’est seulement d’une (1) On trouvera l'indication des sources dans Kælliker, Éléments d'histologie, fascicule 11, p. 383 et 384: et aussi dans les Mémoires de la Société de biologie, année 1855, pages 51, 77 et 334. DU SYSTÈME NERVEUX. 75 manière genérale que nous pouvons comparer les racines des Ver - tébrés et des Invertébrés ; car on n’a pas encore rigoureusement démiontré chez les Annelés une racine motrice distincte d’une sensitive. Ces remarques présentées, voici les faits que nous avons obser- vés: 1° Nous avons bien vu que , chez le Lombric comme chez la Sangsue, les nerfs latéraux offrent des fibres ascendantes' nom- breuses, et des fibres descendantes dont on peut suivre le trajet. % Nous avons distingué, chez le Lombrie et la Sangsue, des fibres en anses qui vont d’un tronc nerveux au suivant, établis- sant ainsi une communication entre les deux trones nerveux d’un même côté. 3° Nous avons également constaté la présence de fibres trans- versales, qui uniraient les troncs nerveux d’un côté à ceux du côté opposé. 4° Comme Bruch, nous avons vu, chez la Sangsue, qu'une cer- taine portion des fibres qui constituent les racines prennent nais- sance sur la paroi opposée du ganglion : il existe done un véritable entrecroisement. Tout nous fait supposer qu'il en est ainsi chez le Lombric; mais nous ne saurions encore l’affirmer. 9° Chez la Sangsue comme chez le Lombrie, il est manifeste que la plus grande partie des fibres prend naissance dans chaque gan- glion par des cellules uni où multipoluires. Tels sont les points les plus précis de nos recherches. On ne son- gera pas à contester, nous l’espérons du moins, qu'il n'y ait des ressemblances remarquables entre ces faits et les faits que l’ana- tomie et la physiologie ont révélés dans la moelle des animaux supé- rieurs. On reconnaïtra que les inductions tirées de la texture ( si peu complètes qu'elles soient encore) n’en tendent pas moins à appuyer l’opinion suivant laquelle la chainette des Annelés n’est qu'une moelle , et, par conséquent, la moelle des animaux supé- rieurs qu’une série de ganglions intimement unis. Nous désirions porter l'attention sur un sujet auquel nous espé- rons consacrer encore de longues études. 76 E. FAIVRE, —— SUR L'HISTOLOGIE 3° Application des résultats qui précédent à la physiologie du système nerveux. Nous éerivons sous toute réserve cette dernière partie de notre travail; et en effet, on ne saurait trop apporter de circonspection lorsqu'il s’agit de conclure d’un ordre de faits à un autre ordre de faits. En se hâtant d'établir des déductions prématurées, on oublie qu’une des questions obscures est celle du lien mystérieux de l’ordre anatomique et de l’ordre physiologique, et qu'avant tout il faudrait savoir comment et jusqu'où il est possible de conelure de l’un à l’autre. Les progrès récents de la physiologie et de l’histologie chez les animaux supérieurs jettent pour nous quelques lumières sur la question, en nous indiquant déjà des circonstances dans lesquelles on voit comme une sorte d'indépendance entre la texture des or- ganes et les fonctions qu'ils remplissent. Les glandes salivaires, par exemple, ont des fonctions bien distinctes, comme l’a rigoureusement démontré M. Claude Ber- nard ; elles n’offrent pas histologiquement de différences corres- pondantes. D’après de récentes découvertes de notre célèbre physiologiste, le foie ne produit pas de sucre avant le troisième mois de la vie intra-utérine; depuis cette époque, la fonction glycogénique se manifeste : il était naturel de penser qu'avant le troisième mois et après ce terme la cellule hépatique devait avoir subi des modifica- tions en rapport avec l’état physiologique. Il n’en est rien cepen- dant; nous avons pu examiner quelques foies d'animaux avant et après le troisième mois, et même à une époque très avancée de la vie, et jamais nous n’avons trouvé de différences importantes dans les cellules de cet organe. Les choses paraissent done se passer comme si la constitution intime de l’organe était indiffé- rente à sa fonction. Nous avons voulu rapporter ces faits, afin de bien indiquer les obstacles du sujet que nous abordons. Entrons maintenant dans les détails. Les études histologiques peuvent-elles nous éclairer sur la DU SYSTÈME NERVEUX. 74 distinction des nerfs moteurs et sensitifs des animaux invertébrés ? A la suite de ses recherches, Leydig est arrivé à le croire, et il a formulé son opinion en disant que les nerfs de la sensibilité se terminent au voisinage de la peau par des cellules en continuité avec les tubes ; il n’en est jamais ainsi pour les nerfs moteurs. Beaucoup de faits que nous avons déjà rapportés dans l'historique appuient cette manière de voir ; cependant elle est loin de présenter pour nous une grande certitude. Si nous en jugions par la Sang- sue , nous éfablirions aussi avec Ch. Bruch une distinction du même genre entre le tronc antérieur et le tronc postérieur. Le premier, en effet, contient toujours des groupes de cellules au ni- veau des principales bifurcations ; mais chez le Lombrie, il en est autrement. Toute notre attention à suivre ces deux trones nerveux ne nous à pas fait découvrir une autre texture tant dans l’un que dans l’autre ; nous ne saurions donc admettre ici une distinction que les faits repoussent. Il est juste de dire, malgré cette objection, que chez un certain nombre d’Invertébrés on à trouvé des gan- glions sur les troncs antérieurs , ce qui parait appuyer fortement la comparaison avec les racines sensitives des Vertébrés. En admettant que le tronc nerveux antérieur soit sensitif , il résulte de nos recherches que, du moins, ce tronc n’est pas com- plétement distinct du nerf moteur. Chez la Sangsue et le Lombrie, nous avons parlé des fibres en anses qui vont de l’un à l’autre ; et chez la Sangsue, nous avons noté, en outre, cette singulière cellule bipolaire , dont chaque branche aboutit à un des troncs nerveux. Si nos recherches ne donnent point d'importants résultats sur la question des nerfs moteurs et sensilifs, elles nous fournissent des faits précieux sur la marche des impressions , et nous con- duisent à repousser chez les animaux invertébrés la théorie du clavier nerveux, déjà combattue avec succès chez les animaux su- périeurs (4). D'après la théorie du clavier, l’isolement des sensations et la faculté d'agir sur tel ou tel muscle séparément dépendraient de ce que les tubes nerveux conducteurs , soit des ordres de la volonté, (1) Voyez Brown-Séquard, Comptes rendus de l'Académie des sciences , 1847, 1. XXIV, p. 389. 76 E. FAIVRE. -— SUR L'HISTOLOGIE soit des impressions sensitives , sont isolés l’un de l’autre, dans toute leur longueur, depuis l’encéphale jusqu'aux divers organes de l’économie. Une pareille théorie est madmissible chez la Sangsue ; en effet, nous avons démontré que, dans les troncs nerveux et surtout l’an- térieur, les tubes sont fréquemment anastomosés les uns avec les autres; ainsi une impression ne saurait être rapportée par un tube isolé de la peau à un centre ganglionnaire. Nous allons plus loin : dans les connectifs, dans le nerf intermé- diaire, il n'y a point d'isolement. Nous avons vu que là matière granuleuse est essentiellement mêlée, sans qu'on puisse distinguer d’enveloppes de tube. Comment les impressions sont-elles trans- mises au sein de cette masse, et surtout com'nent sont-elles trans- mises disinetement? Nous ne le savons pas , et nous lignorerons peut-être toujours; mais ce que nous savons, c’est qu'on ne voit pas dans les connectifs de tubes distincts se portant jusqu à l'encé- phale. Il y à dans les tubes une enveloppe et de la matière granuleuse, dans les cellules une enveloppe, de la matière granuleuse et un noyau. De toutes ces parties, quelles sont les plus importantes ? Celles par lesquelles la transmission s'opère, dans lesquelles la forée nerveuse se produit ? Tout ce que nous pouvons dire , c’est que, dans certaines parties du système nerveux, l’enveloppe des tubes disparait (ainsi dans Jes connectüfs et certaines régions des ganglions), que les noyaux ne se trouvent que dans les cellules, tandis que la matière granuleuse subsiste toujours , et partout in- dépendante de la forme des éléments et de la place qu'ils occupent. D'un Invertébré à un autre, du Lombrie à la Sangsue, les éléments diffèrent notablement, mais toujours dans les centres et dans les nerfs de la matière granuleuse. On ne saurait done se refuser à regarder la matière granuleuse comme une partie tout à fait essen- tielle. La matière granuleuse des cellules a-t-elle d’autres propriétés et d’autres usages que celle des tubes? Est-on en droit d'admettre que les cellules soient les véritables centres nerveux et les tubes de simples conducteurs? Voilà des questions que nous pouvons poser, mais que nous ne saurions résoudre. Si l’on regarde les cellules DU SYSTÈME NERVEUX. 79 comme des centres physiologiques, il n’y à pas de raison pour ne pas admettre ces centres non-seulement sur le système de la vie organique où ils sont nombreux et isolés, mais encore sur les nerfs même de la vie animale. Là aussi on trouve des cellules apolaires ou polaires très disünetes. Mais doit-on regarder les cellules comme des centres physiolo- giques ? Ce qu’on peut dire, c’est que le cerveau et les ganglions, qui sont de vrais centres, se caractérisent par le nombre énorme des cellules qu'ils renferment; tandis que dans les tubes, dans les connectifs, les cellules ne sont qu'exceptionnelles. D’après cela, les cellules semblent se présenter comme les éléments centraux , fondamentaux, et jouent incontestablement le principal rôle. L'analyse anatomique a son terme ; nous l'avons attéint suivant la limite de nos forces ; nous nous arrêterons done , attendant que de nouvelles recherches toutes physiologiques viennent confirmer ou infirmer les conséquences que nous avons cru devoir tirer de nos études histologiques. Conclusions. Nous essaierons de résumer nos recherches dans les proposi- tions suivantes : 1° Il existe chez la Sangsue un système nerveux de la vie orga- nique, formé de réseaux qui tapissent toute la surface de l'estomac. 2° On trouve chez la Sangsue un nerf intermédiaire qui traverse toute la chaine sans émettre de branches, et en s’accolant plus ou moins aux connectifs. 5° En dehors des ganglions, entre les deux troncs nerveux d’un même côté, il existe toujours une vaste cellule bipolaire, dont chaque prolongement s’accole à un tronc nerveux. h° Le tronc nerveux antérieur est composé de tubes qui s’ana- stomosent très manifestement entre eux; cette disposition se voit également sur le tronc nerveux postérieur. Beaucoup de tubes, surtout au niveau des divisions, présentent des cellules dans leur trajel. 5° Dans les connectifs, on ne voit plus de tubes proprement dits ; la matière granuleuse est partout en contact avec elle-même, 80 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE 6° Outre les fibres que Bruch a signalées dans chaque ganglion, nous avons reconnu des fibres descendantes, transverses, et allant d’un tronc au tronc nerveux du même côté. 7° Nous avons montré comment le cerveau est conformé d’une manière générale sur le même plan que chaque ganglion; la face inférieure est celluleuse , la face supérieure est fibreuse. 8° Le contenu de chacun des tubes correspond à la fois au cylindre d’axe et à la moelle des Vertébrés. 9° Chez le Lombric terrestre, nous avons décrit les éléments, et montré comment ils se ramènent à la cellule. 10° Nous avons fait voir le rapport entre la texture du cerveau et de chaque ganglion. 41° Nous avons montré les rapports intimes qui rattachent le système nerveux du Lombrie et de la Sangsue. 12° L'étude complète du système nerveux de la vie organique chez le Lombric nous à conduit à reconnaitre qu'il différait essen- tiellement de celui de la Sangsue, et se rapprochait du système ner- veux de la vie animale. 13° Dans nos considérations générales, nous avons fait ressor- tir, d’après les faits connus, la composition très simple du système nerveux étudiée comparativement chez divers Annelés. A4° En comparant le système nerveux de la Sangsue et du Lombrie au système nerveux embryonnaire et définitif des Ver- tébrés, nous avons établi : 4° que les éléments définitifs du système nerveux des êtres simples dont nous avons fait l’étude représen- tent les formes embryonnaires des tubes nerveux chez les Verté- brés ; 2° que la marche des fibres dans le ganglion de la Sangsue et du Lombrie correspond en quelques points fondamentaux à la marche des fibres dans la moelle de l'Homme et de quelques Mammifères. De ces faits résultent de nouvelles preuves en faveur de la nature vraiment médullaire de la chainette nerveuse chez les Annelés soumis à notre examen. 15° La théorie du clavier nerveux ne peut pas être admise chez le Lombrie et la Sangsue; la transmission des impressions s'opère spécialement par la substance granuleuse. DU SYSTÈME NERVEUX. 81 EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE À. Fig. 4. Elle représente un des ganglions de la Sangsue vu par la face supé- rieure. — À, extrémité antérieure; B, extrémité postérieure; C', tronc ner- veux antérieur ; D, tronc nerveux postérieur; AH, cellules de la zone claire; G, zone fibreuse {médiane; Æ, nerf intermédiaire entre les deux con- nectifs. Fig. 2. Le même ganglion vu par la face inférieure. — Æ, cloison dont les lignes d’intersection avec l’enveloppese dessinent sur cette face; FF, cellules àapo- laires souvent volumineuses, qui forment une couche superficielle à la face inférieure ; Z, cellule bipolaire située entre les deux troncs nerveux laté- Taux. Fig. 3. Cette figure schématique représente la marche des fibres dans l'Intériéur d'un ganglion. —SS, nerf intermédiaire; Z, fibres qui se rendent du tronc nerveux antérieur au connectif antérieur du même côté ; O, fibres qui se ren- dent d'un tronc nerveux postérieur au connectif antérieur du même côté ; nous avons vu nettement le cours de ces fibres ; G, anse fibreuse qui va du tronc nerveux antérieur au postérieur du même côté; N\, cellules dont les prolonge- ments vont constituer en partie les nerfs latéraux du côté opposé; dans leur trajet ces prolongements se croisent avec ceux du côté opposé ; Bruch a repré- senté cette disposition, que nous avons distinguée une fois. H, fibres trans- verses; F, cellules dont les prolongements se porteraient vers le connectif pos- térieur ; M, cellules dont les prolongements semblent se diriger vers les connectifs antérieurs; L, fibres descendantes allant du tronc nerveux posté- rieur au connectif postérieur du même côté. Fig. 4. Cerveau vu par sa face supérieure.— À, bord antérieur; B, bord posté- rieur ; À H, zone fibreuse médiane se continuant avec les pédoncules ; 71, cel- lules périphériques cloisons. Fig. 5. Cerveau vu par sa face inférieure. — E E, cloisons avec les couches de cellules superficielles ; Z 7, cellules périphériques. 3 Fig. 6. Tronc nerveux antérieur avec une bifurcation {préparé par le suc gas- trique }. —C, cellules ganglionnaires ; À À, enveloppe ; B, tube nerveux se rendant en formant une anse d'une division à l’autre. Fig. 7. 4, C, tubes nerveux présentant des divisions, des anastomoscs; B, tubes nerveux présentant une cellule dans son trajet {pris dans un tronc nerveux postérieur). Fig. 8. Fragment du système nerveux gastrique de la Sangsue médicinale. — À et B, cordons nerveux; C, cellules dont les tubes concourent à former les cordons ; E , une cellule émettant six tubes; DD, exemples d’anasto- moses. 4e série, Zooz. T. VI. (Cahier n° 2.) 2 6 82 E. FAIVRE. — SUR L'HISTOLOGIE DU SYSTÈME NERVEUX. PLANCHE 9. Fig. 1. Elle représente les deux connectifs et le nerf intermédiaire chez la Sang- sue: préparation faite à l’aide du suc gastrique. — S, nerf intermédiaire ; TT, adhérences de ce nerf avec chaque connectif; BB, connectifs : À A, en- veloppes; CC, cellules sphériques occupant le milieu des connectifs ; X, cor - dons vasculaires. Fig. 2. Portion de la chaînette nerveuse du Lombric vue par la face supérieure ; préparation à l’aide de l'acide acétique. — FF, connectifs ; G, ganglions ; H, zone fibreuse du milieu d’un ganglion entourée d'une masse de cellules ; O, paire nerveuse unique: DD, troncs nerveux antérieurs et postérieurs ; J, fibres allant d'un de ces nerfs au suivant: K, fibres transverses de ces nerfs; /, fibres descendantes ; £, branche anastomotique entre les deux troncs nerveux d'un côté. Fig. 3. Même portion de l'axe nerveux vu par la face inférieure. — À, enve- loppe; G, cellules qui recouvrent toute la face inférieure, et à travers les- quelles on peut distinguer la zone fibreuse. Fig. 4. Portion du plexus nerveux pharyngien du Lombric. — 3, une portion; du connectif latéral ; C, cellules disséminées au milieu des mailles du réseau nerveux. Fig. 5. Éléments du système nerveux chez le Lombric. — £, F, O cellules apo- laires; B,C, N,R, cellules unipolaires du cerveau ou de la moelle: T, U, cel- lules bipolaires de la moelle; H, 4, éléments pris dans les filets nerveux, D, éléments pris dans le cerveau; A7, matière granuleuse contenue dans les cellules, QUELQUES NOUVELLES OBSERVATIONS SUR LES LARVES DES TRÉMATODES, Par M. le Dr PH. DE FILIPPI, Professeur à Turin. Ayant poursuivi cet été mes recherches sur les Trématodes à l'état de larves, j'ai pu trouver des formes nouvelles, et ajouter aux résultats de mes observations précédentes quelques particu- larités sur la vie de ces êtres. La Paludina impura , dont j’ai pêché plusieurs individus dans des localités différentes des environs de Turin, m’a présenté trois nouvelles espèces de ces parasites : 1° Des Rédies provenant des Cereaires de Distome très nette- ment caractérisées par un corps tuberculeux, par la ventouse ven- trale petite, et située au tiers postérieur du corps, mais surtout par l'organe excréteur à deux branches , formant deux gros vais- seaux latéraux repliés, qui remontent jusqu'aux côtés de la ven- touse antérieure. Cette espèce s’enkyste avec la plus grande facilité, même sur le porte-objet du microscope. Elle n'a fait voir qu’à la formation du kyste, après les couches concentriques de mucosité exsudées par le corps de la Cercaire, concourt la peau de celle-ci, qui se détache, et forme la paroi intérieure du kyste lui-même. 2° Une très belle Cercaire de Monostome, pourvue de grands yeux sous forme de deux taches semi-lunaires , d’un bulbe pharyngien assez fort, et d’une queue munie d’une érête membraneuse. Cette espèce provient d’une Rédie très allongée, sans appendices laté- Taux. : 9° Des nourrices toutes particulières, presque identiques, soit par l’organisation et les propriétés vitales, soit par la forme des Cercaires procréées , à celles trouvées par M. Moulinié dans les Limaæ (4). C’est définitivement une troisième espèce de nourrices, res différente des deux connues jusqu'ici, et auxquelles j'ai ré- servé les noms de Sporocyste et de Rédie. Elles se présentent sous (1) Mémoires de l'Institut genevois, t.- III 8! PH. DE FILIPPI, — OBSERVATIONS la forme d’un élui cylindrique à parois assez épaisses, dont le bout antérieur aminci forme un bouton ou une tête. Cet étui est con- tractile; la tête surtout se meut , s’allonge , se raccoureit, sortant d’une sorte de collier, et y rentrant. Malgré cette vitalité dont ils jouissent, ces étuis ne m'ont présenté ni vaisseaux, ni intestin, ni même une bouche. La cavité du corps est remplie par les Cercaires, qui, de même que celles décrites et figurées par M. Moulinié, se distinguent par une queue très courte, par un organe excrétoire assez grand, arrondi, et par un dard buccal conique très petit. Ces Cercaires sont contenues dans un sac ou boyau à parois propres et distinctes. Plus tard, j'ai trouvé dans un Lymnœæus pereger d’autres étuis semblables, seulement moins vivaces dans leurs mouvements, et à tissu plus granulaire. Ils ne contenaient que des germes ; je n’en parlerais done pas, s'ils ne m’avaient fourni une observation inté- ressante qui peut jeter quelque jour sur la nature de ces êtres. Dans ces étuis, en effet, non-seulement le sac intérieur, plein de germes de Cercaires, était à parois bien distinctes, mais dans plusieurs il présentait un étranglement plus ou moins complet, annonçant une scission en train de s'achever, sans aucune participation de l’en- veloppe extérieure formant l’étui proprement dit. Il s’ensuivrait que ces étuis ne sont pas de simples nourrices ou des Sporocystes, mais des pronourrices (Grossammen), des Sporocystophores , le nom de Sporocyste proprement dit devant être réservé au sac inté- rieur plein de Cercaires. Bien qu'il nous manque des observations directes sur le &é- veloppement de ces Sporocystophores, il est rationnel de croire qu’on trouvera aussi de ce côté de bonnes raisons pour les consi- dérer comme une espèce lout à fait particulière. En effet, ces Spo- rocystes résullent de la métamorphose directe d’un embrvon in- fusoriforme; les Rédies sont procréées par un tel embryon , qui bientôt après meurt et se décompose. Probablement les Sporo- cystophores correspondent à l'embryon primitif, qui, après avoir subi une transformation , persisterait avec le Sporocyste qu'il procrée. Le Planorbis carinatus m'a présenté une seconde espèce de SUR LES LARVES DES TRÉMATODES. 89 Rédie provenant directement de véritables Distomes , assez ana- logues à ceux que j'ai déjà fait connaître comme parasites de la Paludina impura (1), mais qui parviennent, dans la Rédie elle- même, à un état encore plus avancé de développement , jusqu’à présenter un rudiment de système génital. L'organe excrétoire , aussi très différent, se présente sous la forme d’une petite vésieule contractile, à laquelle on voit clairement aboutir les vaisseaux très déliés et tortueux de chaque côté du corps. Dans les viscères de ce Planorbe, j'ai aussi trouvé logés en quantité immense des Sporocystes procréant de très grandes Cer- caires armées d’une espèce non décrite jusqu'ici, et qui se distin- gue, à la première vue, par l'organe excrétoire très développé, à double contour , et comme trilobé. La ventouse ventrale est plus grande que l’antérieure ; les deux conduits latéraux qui aboutissent au dard partent d’une très belle grappe de cellules sécrétoires. Cet appareil caractéristique des Cercaires armées n’est aussi bien développé dans aucune autre espèce. Parmi les Cercaires que j'ai déjà fait connaître dans mes travaux précédents, et que j'ai revues fréquemment dans le courant de cette année, je mentionnerai particulièrement la Cercaria virgula, dont j'ai fait remarquer l’analogie avec la C. microcotyla, parasite de la Paludina vivipara (2). Je dois maintenant ajouter que la C. virgula présente, dans la forme et dans les dimensions de ses Sporocystes, les mêmes différences que j'ai trouvées dans l’autre espèce voisine. Dans quelques individus de P. impura, les Sporocystes de C. virgula sont grands, allongés, et contiennent un assez grand nombre de Cercaires ; dans d’autres individus, au contraire, on ne trouve que de petits Sporocystes, ordinairement arrondis, sur les- quels on peut voir une sorte d’ombilic plus ou moins apparent, et qui ne contiennent qu'un très petit nombre de Cercaires (3-4). Ces Cercaires sont tout à fait identiques, quant à la forme et à l’organi- (1) Mémoire pour servir à l'histoire génétique des Trématodes. Turin , 4854, fig. 29-31, et Ann. des sciences naturelles, t. II, p. 255 (1854). (2) Second Mémoire pour servir à l'histoire génétique des Trématodes. Turin, 1855, page 6. 86 PH, DE FILIPPI, -- OBSERVATIONS, ETC. sation, à celles produites par les grands Sporocystes; mais leurs dimensions sont beaucoup moindres, étant réduites à peu près à la moitié. En examinant un grand nombre de ces petits Sporocystes, on arrive bientôt à comprendre qu'ils sont le résultat d'une seis- sion d’autres plus grands, de manière que ee que je viens d’appe- ler ombilic mérite réellement ce nom, parce qu'il correspond à l'endroit où la séparation s’est faite. La même différence entre grands et petits Sporocystles existe dans la €. microcotyla de la Paludine vivipare, ainsi que je Pat fait remarquer ailleurs (4); et cette différence reçoit maintenant son explication. Il n’est pas hors de toute probabilité que ces petits Sporocvstes et ces petites Cer- caires appartiennent à des espèces différentes des grands Sporo- cystes et des grandes Cercaires analogues. J'ai été frappé cette année de la fréquence (quoique toujours en petit nombre d'individus) d’une Cercaire, que M. de la Valette a fait connaître le premier sous le nom de C. cristata (2), et qui n'avait jamais passé sous mes yeux dans mes recherches anté- rieures. Cet être singulier, que j'ai rencontré dans différentes espèces de Mollusques (Valvata piscinalis, Paludina impura, Planorbis submarginatus, Lymnœus stagnahs, L. palustris) , est encore pour moi l’objet d’un problème. S'il est vraiment une Cercaire, il ne pourrait se rapporter qu’à un Monostome. J'ai passé, dans le mois d'août, quelques jours aux bords de la Méditerranée , dans le but de faire quelques recherches sur les parasites des Mollusques marins. La localité battue par les vagues n’était guère favorable ; aussi je n’ai pu trouver qu’une seule fois dans le Conus Mediterraneus une belle Rédie à forme de flacon, à cou long, mais ordinairement rétracté, bulbe pharyngien très gros, intestin court, système vasculaire bien développé. Je dois me bor- ner à cette simple indication, paree que la progéniture qu’elle con- tenait n’était qu’à l’état de germes. (1) Mémoire, etc. (1854), p. 9, fig. 5-6. (2) Symbolæ ad Trematodum evolutionis historiam. Berolini , 1855. RECHERCHES SUR LA FAUNE DES PREMIERS SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. (MAMMIFÈRES PACHYDERMES DU GENRE CORYPHODON.) Par E. HÉBERT, Directeur des Études scientifiques et Professeur de Géologie à l'École Normale supérieure. I. ETAT DU BASSIN DE PARIS A L'ÉPOQUE OU ONT VÉCU LES CORYPHODONS. Les plus anciens sédiments tertiaires du bassin de Paris sont les sables blancs de Rilly et les marnes lacustres à Physa gigantea (1). Ces dépôts se sont effectués dans une vaste dépression, s'étendant de Sézanne à Compiègne, et de Reims à Guiscard, au delà de Noyon. Le bassin de Paris qui avait été antérieurement couvert par la mer, d’abord à l’époque de la craie blanche de Meudon, puis à l'époque du calcaire pisolitique, était alors complétement hors des eaux. Le mouvement qu avait produit cette émersion avait relevé la partie orientale du bassin beaucoup plus que le bord occidental; et, par suite d’une dénudalion très profonde dans la première région, les eaux du lac de Rilly, où se déposaient les marnes calcaires à PAysa gigantea, étaient à 70 ou 80 mètres au-dessous des collines qui l’en- vironnaient, et dont le sommet était formé sur une épaisseur de 20 à 30 mètres par le calcaire pisolitique. À l’ouest, au contraire, les rivages du lac étaient peu élevés, etil y avait peu de différence de niveau entre le calcaire pisolitique et les sédiments lacustres. Nous avons prouvé tous ces faits en détail, aussi bien que ceux dont il nous reste à parler; nous nous conten- terons donc de les rappeler. De l’est à l’ouest, le lac occupait une surface peu différente de (1) Voyez les publications suivantes, où nous avons établi ce fait: Bull, de la Soc. géol. de France, 2° série, t. V, p. 407, 1848, t. VI, p. 720, 4849; t. VIII, p. 338, 4850: t. X, p. 436, 1853; €. XI, p. 647, 1854. 88 E, HÉBERT. — RECHERCHES celle du calcaire pisolitique; sa profondeur allait en augmentant dans la partie moyenne. La limite nord nous est encore peu connue ; au sud-ouest, il n'attesgnait certainement pas Paris. (andis que l’on sait que le calcaire pisolitique allait jusqu’au delà de Montereau. On peut donc assez aisément se représenter notre bassin de Paris à cette époque : le lac placé comme nous l'avons indiqué était bordé à l'est par un sol découpé, offrant des vallées et des collines entiè- rement formées de craie blanche, sauf le sommet des coteaux les plus voisins; au nord-ouest, il présentait des rives plus basses, exclusive- ment crayeuses, le calcaire pisolitique qui s’étendait entre le lac et le pays de Bray ayant été enlevé par voie de dénudation, à l’excep- tion de quelques points peu étendus ; au sud-ouest et à l’ouest, un vaste plateau de calcaire pisolitique était très probablement accidenté par des collines et des vallées, les phénomènes de dénudation que nous avons constatés à l’est, de Sézanne à Reims, entre le caleaire lacustre de Rilly et le calcaire pisolitique, ayant sans doute produit en même temps des ravinements dans le sud-ouest du bassin. Tel était l'état de la dépression parisienne au moment où la mer tertiaire est venue l’occuper. On comprendra, sans qu'il soit besoin de le dire, que le tracé que nous donnons, pour le lac de Rilly et pour le golfe du cal- caire pisolitique, est purement approximatif, et ne représente que l'état actuel de nos connaissances. L'invasion de la mer tertiaire est venue du nord-est; elle a suivi les parties du sol les plus basses, et tout naturellement le lac a été dès l’abord atteint et détruit. Nous avons montré (1) que, lors de cette invasion, les sédiments lacustres n'étaient pas entièrement con- solidés, et que la boue calcaire projetée sur les rives du lac, en même temps que les fragments de craie et des parties déjà durcies, avaient enfoui et conservé une riche flore, dont malheureusement l’étude n’a pas encore été faite. La disparition du lac coïncide donc avec l’ar- rivée de la mer tertiaire ; mais ce changement a pu être produit par un mouvement du sol, très faible en raison du voisinage et du niveau peu différent de cette mer ; tandis que l’origine du lac avait été le résultat d’un exhaussement considérable du bassin, produit, selon toute probabilité, par une oscillation lente et de longue durée, pen- dant laquelle des érosions puissantes avaient raviné le sol jusqu’à une profondeur de 100 mètres, enlevé la plus grande partie du cal- caire pisolitique, el fortement entamé la craie sous-jacente. (1) Bull. de la Soc. géol. de France, 2° série, t. VI, p. 728; 1849. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 89 Tels sont les motifs qui nous font classer les sables blanes et le calcaire lacustre de Rilly dans le terrain tertiaire plutôt que dans le terrain crétacé. Ces deux assises représentent une époque, dont la durée est accusée, et par la différence si grande de leur nature miné- ralogique, qui indique de grands changements dans les conditions physiques qui ont présidé à leur dépôt, et par l'immense quantité de Mollusques terrestres et d’eau douce dont on y trouve les débris (1). Ces Mollusques différent complétement de ceux des assises voisines ; il n’y a pas une seule espèce commune avec les lignites du Soisson- nais, dépôts plus récents, renfermant également des sédiments lacustres, avec lesquels quelques géologues ont confondu les marnes et les calcaires de Rilly. Une circonstance singulière, c’est que pas un débris de Vertébrés n’a encore été signalé avec ces Mollusques, aucun Poisson, aucun débris de Tortues ou de Crocodiles, si abondants dans les lignites du Soissonnais, ou à la base de largile plastique ; à plus forte raison aucune trace ni d'Oiseaux, ni de Mammiféres. Il n’y a donc jusqu’à ce jour (2) aucun fait qui prouve que les animaux, qui peuplaient le bassin de Paris à l’époque où s’est formé le conglomérat de Meudon, existassent non-seulement pendant la durée du lac, mais même au moment où l’invasion de la mer tertiaire a eu lieu au nord-est du bassin ; car, si l’on conçoit que les Oiseaux et les Mammifères aient pu par leur organisation échapper à ce danger, au moins les débris de Tortues et de Crocodiles se retrouveraient dans le conglomérat formé lors de cette invasion, avec les fragments roulés du calcaire à Physa gigantea et de la craie, comme ils se retrouvent à Meudon dans un dépôt formé sous des conditions semblables. Nous arrivons ainsi par une série d'observations et de déductions, d'une part, à déterminer le moment précis de l'apparition, dans le bassin de Paris, des premiers Mammifères, avec leur cortége de Gastornis, de Crocodiles, de Tortues, etc., et de l’autre, à nous rendre compte des phénomènes qui ont causé leur destruction. En effet, à partir du moment où la mer, pénétrant au N.-E. du bassin, laisse déposer dans les larges sillons qu’elle s’est creusés la partie inférieure des"sables du Soissonnais, connue sous le nom de Sables de Bracheux, lesquels sont antérieurs, comme nous l’avons démon- (1) Ces Mollusques ont été décrits et figurés par M. de Boissy dans les Mém. de la Soc. géol. de France, 2° série, t. III, p. 267 ; 1848. (2) Comptes rendus, t. XL, p. 1214, 4 juin 1855. 90 E. MÉBERT. — RECHERCHES tré (1), aux lignites et à l’argile plastique, nous la voyons s’avan- cer progressivement vers le sud, raviner le sol et en rouler les débris qu'elle accumule sur les rivages. On peut encore aujourd’hui voir ces ravinements et ces accumulations de cailloux roulés à Bougival, à Meudon, à Passy, etc. Nous avons essayé de les représenter graphi- quement (2) dans un Mémoire, qui avait pour objet principal l’étude des relations stratigraphiques que présentent entre elles les assises si variables dont se compose la base de notre terrain tertiaire inférieur. Ces accumulations de galets ne se voient que dans les lieux où la nappe solide que formait le calcaire pisolitique a été entamée, On y trouve des blocs de calcaire pisolitique usés sur place, d’un volume considérable, qui atteignent quelquefois un mètre cube, mais jamais d’ossements. Elles ont évidemment été formées sous Paction d'eaux assez fortement agitées. Mais aussitôt qu’on arrive à des parties du sol où le calcaire pisolitique a résisté, et où il forme un banc continu plus ou moins épais, c’est tout autre chose. Là, et c’est le cas de Meudon et du gazomètre de Passy, la surface du calcaire pisolitique est restée horizontale, ravinée seulement par des trous peu profonds, irréguliers, qui n’ont point traversé le banc et auquel ils donnent l'apparence de certaines plages rocheuses de nos côtes. C’est sur cette surface irrégulière que se trouve, formant une couche épaisse de 1 à 3 décimètres environ, le conglomérat ossifere. Plus de gros galets, mais des petits fragments de craie et de calcaire pisolitique, cimentés par l'argile qui recouvre la couche, et une quan- tité prodigieuse de débris d’os roulés et de végétaux. Au-dessus de cette couche, une argile très pyriteuse avec cristaux de gypse ren- ferme encore, sur une épaisseur variable de 1 à 3 mètres, à la base, quelques os entiers (tibia et fémur du Gastornis, fémur du Corypho- don, ete.) empâtés dans du sulfate de chaux en gros cristaux ; et, dans toute la masse, des végétaux brisés, couchés horizontalement et présentant quelquefois l'aspect d’une forêt submergée et déracinée par les eaux. Ce n’est qu'au-dessus de cette couche que commence l'argile plastique pure, quiest elle-même recouverte par les argiles li- gniteuses(/ausses glaises) contemporaines des lignites du Soissonnais, qu’il ne faut pas confondre avec les couches ligniteusés à Gastornis. Celles-ci renferment exactement les mêmes ossements, moins roulés et moins nombreux quela couche mince de conglomérat qui est au- (1) Bull. de la Soc. géol., t. V, VI, VIE, X et XI, loc. cit. (2) Bull. de la Soc. géol., 2° série, t. XI, p. 418, SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. gt dessous. La nature de ces fossiles achévera de nous faire comprendre ce que les observations stratigraphiques peuvent nous apprendre relativement aux circonstances dans lesquelles ce dépôt s’est formé. La stratification de ces couches indique que les argiles se sont déposées immédiatement après le conglomérat et ont enfoui les mêmes animaux. Le conglomérat ossifère est done le commencement de l'époque de l'argile plastique. La faune de ce conglomérat, dont nous pouvons nous représenter la nature, non-seulement par les espèces qui la composent, mais aussi par le grand nombre d'individus réunis que suppose l'incroyable quantité de débris qu’on trouve sur une étendue de terrain de quelques mètres de superficie, renferme : 1° Plusieurs espèces de Carnassiers et de Pachydermes. L'un de ces Pachydermes, dont il sera plus particulièrement question dans ce travail, appartient au genre Coryphodon, Owen ; et par les maté- riaux que nous avons à notre disposition, il est représenté par plus de quatre individus. 2% Plusieurs espèces d’Oiseaux, dont le Gastornis est représenté aujourd’hui dans la collection de l'École Normale par des fragments appartenant au moins à six individus différents. 3° Reptiles: deux espèces de Trionyx, Crocodiles ; ces deux genres représentés par des espèces de très grande taille. 4° Mollusques : Anodontes, Paludines, Gérites (deux espèces). Ces Cérites ne sont pas ceux des lignites ; ils se rapprochent davantage de certaines espèces des sables de Chälons-sur-Vesle, inférieurs aux lignites. Leur forme, très éloignée de celle des Potamides, indique qu'ils ont vécu dans des eaux salées. Indépendamment des fossiles précédents qui, en raison de l’état dans lequel on les rencontre, sont évidemment contemporains du conglomérat, on y trouve encore des dents et des vestiges de pois- sons (Lamna, Sphyrna, Pycnodus, ete.) ; mais ces débris, très usés et paraissant se rapporter à des espèces du calcaire pisolitique, pour- raient bien provenir de cette assise remaniée, comme cela est incon- testable pour des Huîtres el des Échinides qui les accompagnent, et dont la détermination ne peut laisser aucun doute. Ainsi donc, au moment où la mer, s’avançant du Nord au Sud, a atteint Paris et y a amené des coquilles marines, cette région, dont l’orographie et la forme générale étaient encore telles que nous avons essayé de nous le représenter à l’époque du lac de Rilly était couverte de marécages boisés, dont les débris carbonisés subsis- 99 E. HÉBERT, —- RECHERCHES tent aujourd'hui, là où le mouvement violent des eaux ne les a pas enlevés et dispersés. Au milieu de ces marécages, vivaient des Car- nassiers, des Pachydermes plus grands que le Tapir, des Oiseaux gigantesques aux formes massives, etc. Un cours d’eau venant du Sud y apportait des Anodontes et des Paludines, et à l'embouchure se plaisaient les Tortues Trionyx et les Crocodiles. C'est à ce moment que l'observation nous montre l’arrivée des argiles plastiques. Les premières assises, comme on peut le voir à Meudon, en sont irrégulières, fortement ondulées, avec des lits de végétaux carbonisés ; elles indiquent une invasion tumultueuse des eaux, un enfouissement subit des végétaux enlevés au sol. Entre cette irruption venant du Sud et la mer, dont les flots battaient le sol en brèche, les animaux surpris dans leur retraite ont été anéantis. Leurs squelettes, tantôt repris par la mer qui gagnait toujours du terrain, ont été réduits pour la plupart à cet état de fragments roulés où nous les voyons à Meudon, tantôt, comme à Passy, pro- tégés par les arbres renversés autour d’eux, ils nous ont été transmis dans un meilleur état de conservation. Ces faits sont postérieurs au dépôt des premières assises des sables du Soissonnais, contemporains de la fin de ce dépôt, et antérieurs à l'argile plastique. Ils nous don- nent la date précise de l'existence des premiers Mammifères tertiaires que nous connaissions (1). L'étude de ces mammifères a donc, non-seulement pour la géolo- gle de notre contrée, mais aussi pour l'histoire de l'apparition sur le globe des êtres les plus parfaits, une haute importance. Nous aurions désiré pour cette étude une autorité plus compétente que la nôtre; mais désespérant de voir notre attente satisfaite assez tôt, nous avons choisi, parmi ces animaux, le plus remarquable par sa taille, celui dont nous avons réuni le plus de débris, le Coryphodon, qui se rencontre non-seulement à Meudon, mais encore dans les lignites du Soissonnais, et avec tout le soin possible nous avons essayé d’exé- cuter ce travail dont le résultat était nécessaire à nos recherches de géologie pure. Notre résolution prise, nous avons trouvé partout le plus géné- reux concours : au Muséum, M. le professeur Serres a bien voulu mettre à notre disposition une série de pièces très précieuses, recueillies par MM. Graves et de Courval dans les lignites du (1) En exceptant toutefois l'Artocyon primævus Blainv., de La Fère, qui pour- rait appartenir à une couche plus ancienne. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 93 Soissonnais, et décrites et figurées par de Blainville (1); M. de Courval nous à communiqué un grand nombre de fragments d’os recueillis par ses soins dans la cendrière de Guny près de Coucy- le-Château (Aisne); M. de Verneuil nous a confié une belle série de dents et divers fragments trouvés dans la cendrière de Saron, près Pont-Saint-Maxence. Nous avons reconnu que tous ces débris appar- tiennent à la même assise géologique que ceux décrits par de Blain- ville, et sont aussi de la même espèce ; mais cette espèce est très distincte de celle du conglomérat de Meudon, comme nous l’avions annoncé (2) et comme nous le prouverons avec tous les détails né- cessaires ; el il en résulte que le genre Coryphodon se trouve ainsi représenté par deux espèces différentes, à deux niveaux différents, l’un immédiatement inférieur à l'argile plastique, l’autre immédiate- ment supérieur : niveaux d’ailleurs tellement voisins qu’on les con- fond souvent l’un avec l’autre. Les collections du Muséum, de l’École Normale, et de M. de Verneuil nous ont fourni à elles seules 80 dents qui nous ont permis de reconstituer toute la série dentaire. À ces matériaux si importants nous devons ajouter plusieurs frag- ments de radius, de fémur etc., communiqués par M. Paul de Berville, et surtout le magnifique fémur, dont nous avons dejà présenté à l’Aca- démie la moitié inférieure qui nous avait été confiée par M. G. de Lorière. Depuis nous avons pu retrouver la moitié supérieure dans la collection de M. le capitaine Lehon, à Bruxelles. Ces deux moitiés avaient été recueillies le même jour à Meudon, il y a plusieurs années, la première par M. de Lorière, la seconde par une autre personne des mains de laquelle elle est passée dans le cabinet de M. Lehon. MM. de Lorière et Lehon, sachant que nous nous occupions de l’étude du Coryphodon, se sont empressés de faire don à la collection de l'École Normale de ces morceaux précieux. Ce généreux désintéres- sement, inspiré par un dévouement éclairé à la science, permettra aux savants de trouver réunis ces lypes si intéressants, à côté du tibia du Gastornis dont nous sommes redevables à M. Planté, du fémur du même Oiseau et des autres matériaux recueillis par nos soins dans le conglomérat de l'argile plastique. Qu'il nous soit donc permis de témoigner hautement notre recon- (1) Ostéographie, Mammifères Ongulogrades , p. 105 et 117; atlas, G. An- thracotherium , PI. I et III. (2) Comptes rendus de l’Académie des sciences, t. XL, p. 1216, # juin 1855. 9h £. HÉBERT, — RECHERCHES naissance pour {ous ces dons, pour (outes ces communications qu ont rendu nos études plus complètes et plus intéressantes. L'animal auquel appartiennent ces débris, classé par Cuvier dans les Loplnodons, considéré comme un nouveau type générique par M. Owen, relégué parmi les sous-genres par M. Paul Gervais (1), peut dene être aujoud’hui caractérisé beaucoup plus complétement. C'est ce que nous essaierons de faire en examinant l’ensemble des matériaux aujourd'hui connus, pour en tirer, s’il y a lieu, les carac- tères génériques, puis en signalant les distinctions spécifiques que nous avons déjà annoncées. Nous ferons précèder cette étude d’une revue rapide des connais- sances déjà acquises sur cette matière, des matériaux déjà connus, el de ceux dont des recherches plus récentes ont amené la découverte. IL. MATÉRIAUX QUI ONT SERVI DE BASE A CE TRAVAIL. 1° Molaire citée par Cuvier. — Dans les Recherches sur les osse ments fossiles (k° èdit., t. IF, p. 399) se (trouve mentionnée et figu- rée (PI. 77, fig. 6) « une dent trouvée, en 1807, dans une sablon- » nière entre Soissons et la vallée de Vauxbuin, à la profondeur de » quelques pieds. [l y avait, dit-on, ie corps entier de l'animal, » long et gros à peu près comme un Taureau. » Cette dent fut seule conservée. Cuvier la donne comme dernière molaire supérieure. On verra, en la comparant à celles que nous décrivons, qu’elle est l'avant -dernière. De Blainville (Ostéographie, Anthracotherium , PI. HD à d’ailleurs placé dans cette position une dent semblable à celle de Soissons. Cuvier avait trouvé entre cette molaire et celles des grands Lophio- dons beaucoup de ressemblance. 2 Fragment de fémur. — Un peu plus loin, Cuvier (/0c. ct, p. 411, PI. 79, fig. 5, 6, 7) signale un fragment de fémur à trois trochanters, et un fragment d’humérus provenant des terres noires (ligrates) du Laonnais. Le fémur lui paraît sans aucun doute appar- tenir à un animal de la même famille, Quant à l’humérus, bien que, par la forme, il lui paraisse se rap- procher du Daman, Cuvier n’ose le rapporter à la même espèce que le fémur, et, dans sa récapitulation (p. 424), il le laisse parmi les pièces douteuses. Nous verrons, en effet, que l’humérus des Cory- phodons est complètement different. (1) Zool. et Pal. françaises , t. T, p. 53. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 95 3° Arrière-molaire inférieure décrite par M. Owen. — En 1846 M. Owen (1) décrit et figure un fragment de mandibule droite, dragué du fond de la mer sur la côte d’Essex, et contenant la dernière et une partie de l’avant-dernière molaire. Les caractères de cette dent, voisine d’ailleurs de celles des Lophiodons, décrits avec détail et pré- cision par le savant zoologiste, lui paraissentcependant assez distincts pour légitimer une coupe générique. M. Owen eréa donc le genre Coryphodon, et donna à lespèce le nom de Coryphodon eocænus. h° Canine inférieure. — M. Owen a aussi fait connaitre (2} une canine droite inférieure, extraite d’un puits de 160 pieds de pro- fondeur ouvert à travers le plastic clay, qu'il suppose appartenir au Coryphodon plutôt qu’à tout autre genre. Relativement au gisement de ces pièces, on ne peut s'empêcher de faire remarquer qu’il est très peu déterminé, et qu’il est difficile jusqu'ici d’en tirer quelques conséquences géologiques bien précises. Une troisième pièce, une phalange médiane, que figure M. Owen à côté des précédentes, mais sans la rapporter précisément au Corypho- don, ne présente rien, en effet, qui puisse autoriser ou exclure ce rapprochement. Nous nous bornerons à la mentionner. 5° Os incisifs, incisives, canines, molaires supérieures, etc., décrits par de Blainville. — Peu de temps après, de Blainville (3) a discuté le travail de M. Owen; et, tout en ne regardant pas comme suffisantes pour l'établissement d’un genre les différences signalées par M. Owen, il reconnait cependant que le fragment de mandibule indique une forme animale particuhere. Après avoir rappelé (p. 105) les fragments mentionnés par Cuvier comme appartenant au Lophiodon du Soissonnais et du Laonnais, il décrit un peu plus loin (p. 117) un certain nombre de pièces impor- tantes recueillies par MM. Graves et de Courval dans les lignites du Soissonnais. Ces pièces sont : 1° deux os iucisifs du même individu et séparés, portant la deuxieme incisive et l’alvéole des deux autres, el une première incisive séparée ; 2’ une canine supposée supérieure ; 3° cinq molaires supérieures (1**, 4°, 5°, 6° et 7°); 4° cinq molaires inférieures représentées par huit pièces {2° et 3° encore implantées dans un fragment de mâchoire, 4°, 5° et 6°). Il pense que la première (1) Owen, À History of British Fossils, Mammals und Birds, p. 299. (2) Loc. cit. p.306. (3) Ostéographie, Mammifères Ongulogrades, p.107; Anthracotherium, PI, TT, décembre 1846, 96 E. HÉBERT. — RECHERCHES prémolaire pourrait bien avoir eu deux racines, ce qui n’existe dans aucun Palæothérium ; 5° un fragment de mandibule montrant une partie de la branche montante ; 6° deux phalanges d’un doigt médian. Il mentionne seulement le fragment de fémur comme se rappro- chant des Palæothériums, et celui d’humérus comme tout à fait in- certain. Toutes ces pièces ont été figurées (G. Anthracotherium, PI. I et PI. HD) sousle nom de Lophiodon du Laonnais et du Soissonnaïs. En raison de l’analogie que ces pièces lui paraissent avoir avec l'Anthracotheriumvelaunum, nomme le Lophiodon du Soissonnais L. anthracoïdeum , et il rapporte à celte espèce quelques dents re- cueillies à Meudon. 6° Dents recueillies à Meudon par M. Charles d'Orbigny (À). — Nous considérons comme appartenant au genre Coryphodon onze dents rapportées alorsau G. Anthracotherium (grande espèce), et deux dents rapportées au G. Lophiodon. Nous pensons que huit des dents figurées par de Blainville (Anthracotheritum, VI. IT) sous le nom de Lophiodon de Paris, proviennent de Meudon. Nous les reconnaissons comme semblables à celles que nous avons recueillies dans le conglo- mérat (2), el nous avons pu en examiner quelques-unes dans les galeries de géologie du Muséum. M. Gervais a réuni dans le sous - genre Coryphodon , et sous la désignation spécifique de C. anthracoïdeum, toutes les pièces que nous venons de citer, en laissant toutefois du doute sur l'iden- tité du Coryphodon d'Angleterre et de celui du bassin de Paris. Il a alors caractérisé le sous-genre : 1° par l’absence du troisième lobe à la dernière molaire; 2° par les fausses molaires supérieures assez différentes des vraies molaires, plus petites, et formées de deux crêtes curvilignes concentriques. Aux matériaux que nous venons d'indiquer, nous avons pu joindre des pièces nombreuses et importantes. Ce sont d’abord vingt-deux (1) Bull. de la Soc. géol. de France, 1"° série, t. VII, p. 287 ; 1836. (2) Seulement de Blainville donne (p. 193), comme premières molaires supé- rieures, deux dents, dont l’une est une première molaire inférieure, et l'autre une deuxième incisive inférieure, et comme première molaire d'en bas, une canine inférieure. — La canine et l’incisive sont encore dans les vitrines de la galerie de géologie. — La prémolaire est tout à fait semblable à celle que nous figurons PI. IV, fig. 4. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS, 97 dents assez entières , et un certain nombre de fragments de dents, un morceau de mâchoire inférieure montrant la barre, et beaucoup d’autres morceaux moins déterminables : toutes ces pièces provenant des lignites du Soissonnais exploités à Saron, près Pont-Sainte- Maxence, appartiennent à M. de Verneuil. En second lieu, trente- trois dents, des fragments de fémur, plusieurs phalanges recueillies par nos soins dans le conglomérat de Meudon et de Passy, le beau fémur dont nous avons donné l’histoire, et beaucoup d’autres pièces que nous mentionnerons en leur lieu. Nous avons donc pu étudier comparativement le système dentaire aussi bien que le fémur du Coryphodon de Meudon et de celui des lignites, et même quelques autres parties du squelette. Nous avons reconnu que la distinction spécifique que nous avions annoncée était parfaitement exacte. Nous la justifierons dans ce travail. De plus il est à peine possible d’apercevoir de légères différences entre le frag- ment de mandibule qui a servi de type à M. Owen pour l’établisse- ment de son Coryphodon eocænus, et dont M. Lartet a bien voulu nous confier un moule en plâtre, qu'il doit à l’obligeance de M. Wa- terhouse, et les parties correspondantes, inconnues à de Blainville, du Coryphodon des lignites qui lui a servi de type pour son Lo- phiodon anthracoïideum. Nous identifierons donc ces deux espèces, en prévenant toutefois que le système dentaire du C.eocænus n'étant connu que par une seule dent, nous ne pouvons garantir que l’iden- lité se maintiendra dans les autres; c’est cependant extrêmement probable. Dans tous les cas, comme il n’y a aucune raison de türer de ce qui nous est connu la moindre différence spécifique , il est impossible de conserver les deux noms, et nous devons adopter le plus ancien, celui de C. eocænus. En second lieu, l’espèce du con- glomérat de Meudon diffère essentiellement de l’autre, et cette difté- rence est accusée nettement, même par l’arrière-molaire inférieure. Aucun auteur n’a encore étudié cette espèce, bien que quelques pièces aient élé accessoirement figurées par de Blainville. Pour rendre hom- mage au talent et à la sagacité du grand zoologiste anglais, auquel nous devons la création de ce genre, qui offre, comme nous le ver- rons, tant de différences avec les Lophiodons, bien qu’il appartienne à la même famille, nous lui donnerons le nom de Coryphodon Owen. &° série, Zoo. T. VI. (Cahier n° 9.) 5 7 98 E. HMÉBERT, — RECHERCHES LIL. CARAGTÈRES DU GENRE CORYPHODON. DES AFFINITÉS ET DES DIFFÉRENCES QU'IL PRÉSENTE AVEC LES LOPHIODONS ET LES TApirs. Nous commencerons par le système dentaire, en étudiant d’abord les molaires, puis les canines et les incisives. [l nous à paru, en effet, que pour tous les animaux voisins des Tapirs ou des Rhinocéros, c'était là l’ordre d'importance des caractères fournis par les dents ; et comme c’est à une dent de la mâchoire inférieure qu'est dû l’établis- sement du genre, nous débuterons par les molaires inférieures. C'est d’ailleurs par ces molaires que le Coryphodon se rapproche le plus des Lophiodons et des Tapirs, avec lesquels nous avons à le com- parer. MOLAIRES INFÉRIEURES. — ARRIÈRE-MOLAIRES. PI. III, fig. 1-8. Explicution des figures. — Fig. 1*, dernière molaire gauche, vue de face : fig. 2°, autre dernière gauche, vue par le côté interne; fig. 9% la même, vue par e côté postérieur; fig. 3°, autre dernière molaire gauche, vue de face fig. 3°, la même, vue par le côté interne; fig. 4’, moitié postérieure d'une autre dernière gauche, vue par le côté postérieur; fig. 5, avant-dernière molaire droite, vue de face et par le côté externe ; fig. 6”, avant-dernière gauche, vue par le côté externe; fig. 7, antépénultième gauche, vue de face ef par le côté externe ; fig. 8°, antépénultième droite, vue par le côté externe. M. Owen (1) a donné les caractères de la dernière molaire avec une grande exactitude. Nous retrouvons ces caracteres sur cinq der- mères molaires entières, et même sur un certain nombre de frag- ments. Trois de ces dents sont tout àfait identiques avec celles du Coryphodon eocænus , ce sont celles qui proviennent des lignites du Soissonnais; les deux autres présentent des différences que nous signalerons plus tard En outre, quelques-uns de ces caractères sont communs à toutes les arrière-molaires que nous avons pu examiner, au nombre de dix- neuf, ce sont les caractères génériques. Les au- tres varient selon la place occupée par la dent, et aussi d’une espèce à l’autre, Les caractères que présente une arrière-molaire de Coryphodon sont les suivants : deux collines transverses (PI. IT, fig. 5), même dans la dernière (fig. 1 et 3), qui en a trois chez les Lophiodons. A (4) Loc. cit.,p. 299. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 99 chacune de ces collines, dont le sommiet est tranchant et aboutit à deux pointes coniques élevées, l’une interne, l’autre externe, part de la pointe externe une crête qui descend obliquement en avant. La crête postérieure vient se terminer au milieu du sillon qui sépare les deux collines ; elle est moins oblique en dedans chez les Lophiodons. La crête antérieure se prolonge jusqu’à l'angle interne antérieur de la base de la couronne, elle ne se rend qu’à l'angle antérieur externe dans les Lophiodons, ce qui donne à cet angle # une configuration différente dans les deux genres ; il est plus comprimé dans le Cory- phodon. Les collines transverses sont plus concaves que dans les Lophio- dons, les pointes étant plus saillantes. La pointe interne est plus haute que l’externe. La colline postérieure est notablement plus basse que l’antérieure; elles sont presque égales dans le Lophiodon. La dernière molaire (fig. 4, 2, 3) différe des précédentes en ce que la colline transverse postérieure est tricuspide. Le bord tranchant réunissant les pointes externe et iuterne ne s'étend pas à travers la couronne, parallèlement à la colline antérieure, mais forme en arrière un angle dont le sommet constitue une troisième pointe. Malgré cet élargissement en arriere, le diamètre antéro-postérieur de la dernière molaire diffère beaucoup moins de celui de la précé- dente que chez les Lophiodons, ce qui tient à l’absence du troisième lobe. La seconde arrière-molaire, facile à distinguer de la troisième ou dernière, diffère de la première par sa taille beaucoup plus considé- rable, une plus grande inégalité dans la hauteur des collines, et un plus grand angle fait par la crête oblique antérieure avec la colline transverse. Les molaires qui nous ont servi pour cette étude sont au nombre de 19 entières et de À moitiés, parmi lesquelles sont 7 dernières molaires entières , 2 moitiés postérieures et À antérieure; 4 avant- dernières entiéres et À moitié postérieure ; 4 antépénultièmes en- tières et 3 moitiés. Moiaires INFÉRIEURES. — PRÉMOLAIRES. Pl. II, fig. 9 à 42; et PI. IV, fig. 1. Chez les Lophiodons, les prémolaires inférieures sont comme chez les Tapirs, peu différentes des arrière-molaires, à l'exception de la 100 E. HÉBERT, — RECHERCHES première qui est la plus longue dans le Tapir, tandis qu’elle est la plus courte chez les Lophiodons. Mais de plus, la colline postérieure est beaucoup atténuée, et par exemple dans le Lophiodon parisiense, elle ne forme plus qu'un talon dont l’arête saillante ne dépasse pas la base de la couronne de la dent suivante. Dans le Tapir, les deux collines restent égales en hauteur; la première prémolaire s’allonge par une plus grande obliquité de la colline antérieure dont les deux pointes se séparent, et par l’adjonc- tion en avant d’un lobe acuminé au sommet, tranchant au bord antérieur, en sorte que cette dent a cinq pointes. La première prémalaire du Lophiodon parisiense a sa colline postérieure réduite à un talon peu saillant, et sa colline antérieure réduite à une pointe unique et formant un lobe caréné à son bord antérieur. Toutes ces dégradations se font pour ainsi dire par degrés insensibles. Une loi tout à fait semblable unit aux arriére-molaires les prémo- laires inférieures du Coryphodon, et nous permettrait de les recon- naître sans aucune incertitude, quand même on ne pourrait observer aucune de ces dents en place. Mais ici, nous sommes plus heureux : une prémolaire inférieure, figurée par de Blainville (1), se trouve encore implantée dans un fragment de la mandibule. | Indépendamment de ce morceau, nous trouvons quatre autres prémolaires inférieures dans la collection du Muséum, quatre dans celle de M. de Verneuil, et deux dans celle de l'École Normale. On peut aisément constater qu'il y avait quatre prémolaires, car ces onze dents présentent quatre formes distinetes, quoique dérivant du même type et passant de l’une à l’autre par degrés successifs Nous avons fait figurer (PI. HE, fig. 9, 10, 11 et 12) un exemplaire de chacune de ces formes : fig. 9 est la quatrième prémolaire gauche; fig. 10 est la troisième droite, fig. 11 est la deuxième droite, et fig. 12 la première gauche. L'examen de ces pièces nous montre que la colline postérieure, déjà plus basse que l’antérieure dans les arrière-molaires, disparaît dans les prémolaires, mais en laissant subsister la crête oblique qui la rattachait à l’antérieure ; seulement cette crête est portée un peu plus à l'intérieur. La colline antérieure devient plus oblique, et l’es- (1) De Blainville a figuré deux prémolaires sur ce morceau, mais une seule y appartenait. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. ACL pace compris entre le sommet de la colline et la crète qui se rend à l’angle interne antérieur, augmente de largeur. Gette obliquité se prononce de plus en plus à mesure que l’on avance de la dernière à la premiére. En même temps les deux pointes de la colline antérieure, inégales dans les arrière-molaires, l’interne étant la plus salante, deviennent à peu près égales sur la dernière prémolaire, l’externe dépassant un peu l’interne;, mais l’externe devient très prédominante sur l’avant- dernière, la pointe interne devenant obtuse et dépassant peu le sommet de l'angle antérieur interne de la dent, s’en approchant plus encore sur la deuxième, et se réduisant exactement à la même dimension sur la première. Chacune de ces prémolaires est usée par les supérieures au côté antérieur et au côté postérieur, à l'exception de la première qui ne l’est qu’en arrière. Toutes ces prémolaires se suivent el se touchent; cela nous est démontré par le petit fragment de mandibule de la collection du Muséum, qui porte d’après les caracteres assignés ci-dessus, non pas une deuxième et une troisième, mais une deuxième et la racine d'une première. L'hypothèse faite par de Blainville, que la première prémolaire devait être distante des autres et en crochet, n’est donc pas fondée. De Blainville, qui voyait entre l’animal que nous décrivons et l’An- thracotherium une analogie beaucoup trop prononcée, avait égale- ment supposé à ce dernier une barre entre les deux premières mo- laires. M. Bayle (1) a montré que cette barre n'existe pas. Considérées en elles-mêmes, les prémolaires inférieures ont une forme triquètre ; elles se composent d’une pyramide triangulaire présentant une arête obtuse, arrondie à l'extérieur, deux arêtes tranchantes à l’intérieur, comprenant entre elles une surface concave avec deux renflements latéraux à la base. La base de la pyramide s’élargit en arrière et se relève sous forme de talon, du sommet du- quel part une petite crête saillante, qui remonte le long de la face postérieure de la pyramide, et se termine vers le milieu de l’arête postérieure. Les prémolaires inférieures présentent leur face élargie et concave en dedans, c’est l'inverse pour les supérieures. (1) Bulletin de la Sociélé géologique de France, 2° série, t. XIL, p. 942, HÉSSReNiCANIE 1 102 E. HMÉBERT. — RECHERCHES Les prémolaires déterminables que nous avons eues à notre dispo sition se rapportent : 3 à la 1"° (2 gauches et 4 droite). & à la 2° (2 droites et 1 gauche). 2 à la 3° {côté droit). 2 à la 4° (1 gauche et 1 droite). MOLAIRES SUPÉRIEURES. — ARRIÈRE-MOLAIRES. PI. III, fig. 13, 4, B, C: fig. 18, 45, 416 et A7. Il existe à notre connaissance 18 arrière-molaires supérieures de Coryphodon. De Blainville en a figuré et décrit cinq, provenant des lignites du Soissonnals, sur sept qu'il suppose exister chez son Lopluodon anthracoïdeum , savoir : les Are, 4°, 5°, Ge et 7°. Nous avons été assez heureux pour recueillir à Meudon les quatre dernières molaires gauches d’un même individu, isolées 1l est vrai, mais s’adaptant exactement l’une à l’autre; ces molaires sont figurées PI. F, fig. 13 (1). La dernière À est encore implantée dans un fragment de la mâchoire qui porte l'empreinte de l’avant-dernière B, Chacune de ces quatre dents présente aussi, au point où elle touchait sa voisine, une empreinte dont la forme et la grandeur, se répétant sur l’autre dent, nous ont permis de les rapprocher. Ces rapprochements ont pleinement confirmé la succession des quatre dernières molaires, telle que de Blainville l'avait établie par l’analogie.On peut s’en convaincreen examinant les figures 14, 15,16, 17 et 18, qui se rapportent au C. eocænus : fig. 14 est une dernière molaire droite ; fig. 15 et 16 sont des avant-dernières gauches ; fig. 17 est une antépénultième droite ; fig. 18 est une dernière pré- molaire droite. Les trois arrière-molaires de Meudon ont la même forme que celles figurées par de Blainville ; elles présentent seulement, outre leur taille plus petite à peu près dans le même rapport (2), des différences (1) Fig. 13°, les quatre molaires, vues de face; fig. 13°, les mêmes, vues du côté externe; fig. 13°, fragment portant la dernière molaire À, vu par le côté postérieur. (2) La dernière molaire fig. 14, que nous avons fait figurer à cause de son état de conservation, est la plus petite des sept que l’on possède. Les autres ont 3 à 4 millimètres de plus dans le sens transverse. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 105 qui viennent confirmer la distinction spécifique précédemment éta- blie et que nous détaillerons plus tard. Mais elles différent considérablement des molaires des Lophiodons, même des plus anciens, ceux dont on trouve Îles débris à la partie supérieure des sables du Soissonnais , dans le conglomérat à Unios et à Térédines du mont Bernon et de Cuys, près Épernay. Ces der- niers ont exactement les mêmes molaires que ceux du caleaire gros- sier et des autres localités, où les Lophiodons ont été signalés. La forme générale, ou plutôt la forme générique est la même; il n'y a que des différences particulières qui, quoique légères, sont cepen- dant caractéristiques pour les espèces. Pour le Coryphodon, il n’en est plus ainsi, comme nous allons le montrer. Mais, pour comparer les arrière-molaires des Coryphodons à celles des Lophiodons, nous éprouvons un certain embarras, car elles présentent des formes bien autrement différentes que les molaires inférieures ; et bien qu’il soit possible de dériver les unes des autres, en raison de cette grande différence, il y aurait sans doute plusieurs manières de concevoir cette dérivation. Voici celle que nous adop- terons. Le principal caractère des molaires des Tapirs, des Rhino- céros, des Lophiodons, etc., c'est de présenter en haut et en bas deux collines transverses qui viennent s’interposer de façon à hacher les aliments. Chez les Coryphodons, des collines tout à fait semblables à celles des Lophiodons existent aux molaires inférieures ; ces collines viennent se placer dans des sillons ouverts entre d’autres collines saillantes, 46, a! 6, sur les molaires supérieures. Ces collines, à 6, &' 6’ (fig. 13, 14 et 15) jouent donc chez les Coryphodons le même rôle que les collines transverses des molaires supérieures des Tapirs, des Lophiodons, ete. Nous les considérerons done comme les analogues, bien que la colline postérieure, &/ €’, ait, par rapport au bord externe, une disposition tout autre. Cela posé, on sait que, dans le genre Lophiodon, qui diffère des Tapirs par six molaires supérieures au lieu de sept, ses fortes canines et ses incisives égales, les deux collines transverses des arrière-mo- laires supérieures sont, comme dans les Tapirs, parallèles, de même hauteur, reliées au côté externe par un bord tricuspide. La pointe antérieure, très forte, a la forme d’un tubercule conique, isolé à son extrémité supérieure du reste de la dent; la colline antérieure se rattache à la pointe médiane en se courbant fortement en arrière à son extrémité externe; enfin la colline postérieure se lie de la A0! E. HÉBERT. -- RECHERCHES même manière à la troisième pointe. Cette disposition reste con- stante, même sur la dernière molaire, bien que sa forme soit plus oblique. Dans le genre Coryphodon, en prenant comme base de nos compa- raisons les deux collines transverses, nous trouvons que le tubercule conique antérieur n'existe plus, ou plutôt est représenté par une petite pointe rudimentaire » (fig. 13“, 4, B, C'; fig. 144; fig. 159; fig. 15? ; fig. 16°) à l’angle antérieur externe de la dent. La colline antérieure, 46, beaucoup plus droite que dans les Lophiodons, est seulement légèrement convexe en avant et ne se recourbe pas en arrière en se terminant à la pointe médiane, «, qui devient ici la pointe antérieure. La colline postérieure, 4/6, beaucoup plus courte que l’autre et en même temps plus saillante, se porte en avant à son extrémité externe, 4, de manière qu’au lieu d’être exactement parallèle à la première, elle s’en écarte du côté interne, en devenant plus oblique ; le côté postérieur de cette colline se trouve ainsi rejeté en dehors. Les deux collines transverses, toujours séparées au côté interne par un sillon profond, se lient plus ou moins au côté externe par une crête, tantôt élevée, comme cela a lieu dans la dent (fig. 154) en «a, tantôt indiquée seulement au fond du sillon, moins profond de ce côté, qui sépare les deux collines ; c’est le cas des dents, fig. 13%, À et B; fig. 14°. La hauteur de cette crête est variable dans la même espèce et dans les dents de même position. Le sillon qui sépare les deux collines vient, dans les Lophiodons et dans le Tapir, aboutir directement au côté interne, qu’il sépare en deux lobes, lesquels se suivent sur la racine interne, qui renferme un double canal, tandis que dans les Coryphodons il n’y a qu’un canal à la racine (1). Chez les Coryphodons, ce sillon, plus oblique, contourne la pointe interne de la colline postérieure, à la base de laquelle il détermine un collet saillant faisant suite à la colline antérieure, et vient aboutir à l’angle postérieur externe de la dent, en sorte que le côté interne est arrondi au lieu d’être bilobe. Cette différence est considérable, et suflirait à elle seule pour faire des molaires supérieures de Coryphodon un type particulier. Il en (1) M. Lartet nous a cependant montré une dent de véritable Lophiodon dans laquelle il n'y a qu'un seul canal à la racine interne. C’est la seule exception aujourd'hui connue à la différence que nous signalons. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 105 résulte en effet que la pointe interne de la colline postérieure se trouve éloignée du bord interne et la face postérieure de cette col- line rejetée tout à fait en dehors. Cette face postérieure, presque verticale dans la dernière molaire, est couchée en dedans, concave et élargie en arrière dans les deux autres, de manière à faire tout à fait partie de la face externe. Dans la dernière molaire, elle n’est pas, à son extrémité postérieure, séparée de la face antérieure par une arête, et la colline postérieure forme comme l’antérieure, et comme les deux collines du Lophiodon et du Tapir, un angle dièdre; dans les deux autres, au contraire, 1l part du sommet de la pointe interne un bord tranchant qui, se ren- dant directement à l’angle postérieur externe, donne à la colline postérieure la forme d’une pyramide triangulaire ; alors les faces an- térieure el postérieure sont planes, presque verticales, tandis que la troisième , regardant le bord externe, est concave, cordiforme, divisée en son milieu par un sillon qui part du sommet et arrive plus ou moins près de la base de la couronne, selon la position de la dent. D’après la conformation que nous venons de décrire, les arrière- molaires des Coryphodons pourraient encore être considérées comme ayant un bord externe tricuspide, formé sur les deux tiers de sa lon- gueur par la colline postérieure. Mais ce bord externe serait tout à fait transverse, son arête faisant avec la direction générale du côté externe de la mâchoire un angle de 70 degrés. Nous pensons qu'il vaut mieux, conservant les deux collines, dire que le côté externe n'est pas accusé par une arête saillante ; arrondi à la base de la cou- ronne, il se recourbe en arrière vers l’intérieur en se prolongeant jusqu’à la pointe interne de la colline postérieure. Gomme chez les Lophiodons, le côté externe des arrière-molaires est bilobé, et chaque lobe est supporté par l’une des racines externes. Dans les Lophiodons, la racine antérieure porte les deux pointes an- térieures ; mais dans le Coryphodon la première pointe étant rudi- mentaire, et l’angle postérieur prolongé en talon , il en résulte que le lobe antérieur comprend les deux pointes externes des collines transverses ; et le lobe postérieur, au lieu de comprendre, comme dans les Lophiodons, la pointe externe de la colline postérieure, ne ren- ferme que le talon servant de base à la face externe de la pyramide, dont le sommet est la pointe interne de cette colline. La dernière molaire diffère des précédentes par la suppression de ce talon ; la 106 E. HÉBERT. — RECHERCHES racine postérieure, qui est la plus petite des trois, supporte direcle- ment cette pointe interne. Ces comparaisons faites, nous pouvons compléter et résumer, ainsi qu’il suit, les caractères des arrière-molaires : Considérées en elles-mêmes, les arrière-molaires sont caracté- risées par leur forme triangulaire, par trois racines correspondant aux trois angles obtus de la base de la couronne; l’une, la plus grosse, à l’intérieur ; les deux autres à l'extérieur, la plus petite en arriére. Celle-ci augmente de volume de la dernière arrière-molaire à la pre- mière, où elle devient égale à la racine antérieure. La couronne présente deux collines transverses ; l’antérieure, légèrement et régu- lièrement convexe en avant, supportée par des pointes peu saillantes, et presque perpendiculaire à la direction générale de l’arcade den- taire; la seconde, beaucoup plus courte, droite ou concave en avant, à pointes plus saillantes que l’antérieure, oblique en arrière de de- hors en dedans, et faisant avec la direction de l’arcade dentaire un angle d'environ 20 degrés. Ces deux collines sont séparées par un sillon profond, surtout au côté interne. Ge sillon contourne la colline postérieure, en se rendant à l'angle postérieur, où il se termine. Il est limité en arrière par une crête qui descend de la pointe interne de la colline antérieure et se prolonge en arrière, en formant à la base de la couronne une sorte de collerette finement denticulée. Une collerette semblable entoure la couronne en dedans et en avant. Elle fait suite à la premiére, à partir de la base de la crête descendante dont celle-ci est le prolongement, mais elle ne s’y réunit pas; elle en est séparée par la crête elle-même. L’angle postérieur est, sur la dernière molaire, situé tout à fait à la partie médiane du bord postérieur rs (fig. 13) du maxillaire. Ce bord, renflé en son milieu, a une direction beaucoup moins oblique à celle de l’arcade dentaire que cela n’a lieu dans les Tapirs et dans les Lophiodons, où la double racine interne oceupe un espace plus considérable en arrière. Dans les deux autres arrière-molaires, l’angle postérieur se rejette de plus en plus sur le côté externe. La direction du bord externe, indiquée par les deux racines, fait avec l’arcade dentaire un angle de 60 degrés à la dernière molaire ; cet angle devient de 30 degrés à l’avant-dernière, et de 10 degrés seulement à l’antépénultième oupre- mière arrière-molaire. Il est nul à la dernière prémolaire. Il résulte SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 107 de cette disposition que l’angle antérieur externe de chaque arrière- molaire fait une saillie en dehors de l’angle postérieur de celle qui précède ; cette saillie diminue de la dernière à la première. Tous ces caractères peuvent se suivre sur la fig. 130. Il en résulte que le sillon qui sépare les deux collines et qui con- tourne la pointe interne 6! de la colline postérieure, pointe dont la position par rapport à l’arcade dentaire est sensiblement fixe, pour se rendre à l'angle postérieur, se prolonge de plus en plus de la der- mére à la première arrière-molaire. Des l’avant-derniére, fig. 13“ B, et fig. 15°, il sépare par une arête tranchante 64 la face postérieure de la colline en deux parties : l’une, presque verticale, oblique de dedans en dehors, qui reste postérieure; l’autre, «6, en forme d’as de cœur, qui est rejeté sur la face externe, et la colline postérieure se trouve alors avoir la forme d’une pyramide triangulaire. En même temps on voit, en partant toujours de la derniére molaire, les pointes externes a,4', des deux collines se rapprocher de plus en plus, et la colline antérieure 46 diminuer d'importance, tandis qu’une petite pointe 4’ naît sur l’avant-dernière, fig. 134 B et fig. 154, au côlé interne, en face et au bas de la pointe interne de la colline pos- térieure , et devient plus forte sur la première arrière-molaire fig. 14340. Ces modifications graduelles nous conduisent aux prémolaires , qui dérivent, en effet, des arrière-molaires par l'accroissement de cette pointe interne, et la diminution jusqu’à disparition complète de la colline antérieure et de la racine qui en supporte la pointe externe, par la séparation plus prononcée des lobes de la face externe cordiforme % 6 4, et enfin par la division en deux de la racine posté- rieure, dont le volume augmente de la dernière à la première arrière- molaire, et dont chaque hranche supporte, sur la dernière prémo- laire (fig. 184), un des lobes 4/ , du côté externe. Nous pouvons actuellement passer à l'examen des prémolaires. MOLAIRES SUPÉRIEURES. — PRÉMOLAIRES. PI. III, fig. 434 D, 18, 19, 20 et 21. Les prémolaires nous sont connues, indépendamment des deux qui ont été figurées par de Blainville, par deux dents de la collection de M. de Verneuil, une de la collection de géologie du Muséum, et quatre de celle de l'Ecole Normale ; elles ont toutes la forme ‘de la 108 E. HÉBERT., -— RECIHERCHES dent que de Blainville a figurée comme la dernière prémolaire, celle de deux crêtes curvilignes concentriques. La pièce figurée PI. I, fig. 13* et 13°, présente en place la dernière prémolaire. Dans les prémolaires de Meudon, nous en reconnaissons trois et peut- être quatre de grandeurs différentes : chaque dent présente des deux côtés la surface d'usure produite par les dents de la mâchoire inférieure. Comme toutes les molaires inférieures avancent sur les supérieures, c’est-à-dire que la dernière inférieure portait à la fois sur la dernière supérieure et sur l’avant-dernière, ce qui se reconnait encore à la maniere dont les dents sont usées; et, comme il y a sept molaires contiguës à la mâchoire inférieure, il fallait qu'il y en eût sept également contiguës à la supérieure. Sans doute, ces déductions ne valent pas l’observation directe ; néanmoins elles nous paraissent avoir un grand degré de probabilité. Nous admettrons donc quatre prémolaires supérieures, toutes semblables à celles figu- rées PL. LE, fig. 134, 13v. Les prémolaires supérieures différent peu les unes des autres; il est facile de distinguer , d’après leur taille, celles du C. Owen de celles du C. eocænus ; la taille sera encore notre guide pour recon- naître leur position dans la série. D’après cela, fig. 18 sera une deuxième ou une troisième droite du C. eocænus; la dent est vue de face, fig. 18%, et vue du côté postérieur, fig. 182; fig. 19 est une quatrième ou une troisième droite du C. Owem; fig. 20 est une deuxième droite de la même espèce, et fig. 21 une première; celle-ci n’est pas usée en avant. Indépendamment de ces prémolaires à couronne entière, nous avons sous les yeux des fragments de quatre autres de ces dents, savoir : trois moitiés externes paraissant appartenir aux deuxième, troisième et quatrième gauches d’un même individu, et recueillies par M. P. de Berville au gazomètre de Passy; une moitié interne gauche de Meudon, etc. Nous pouvons donc dire, tout en reconnaissant qu’il n’y a pas certitude complète, que la première prémolaire supérieure est de même forme que les autres, et, par suite, que la dent figurée par de Blainville comme premiére prémolaire ne doit pas occuper cette place. Comme nous l'avons montré ci-dessus, la forme des premolaires se déduit aisément de celle des première et deuxième arrière- molaires. Si l’on suppose enlevée dans celles-ci la colline transverse SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 109 antérieure, et le rebord, qui entoure la colline postérieure, plus saillant en pointe au côté interne, on aura exactement la forme des prémolaires. On ne peut pas dire que les prémolaires soient ici des demi-molaires, car la partie enlevée n’a nullement la même forme. Vues par le côté postérieur, les prémolaires sont tout à fait sem- blables aux première et deuxième arrière-molaires. C’est ce dont on peut juger par la comparaison de la figure 174, qui est une première arrière-molaire, avec les figures 18% et 194. Les prémolaires du Coryphodon sont donc composées d’une crête externe , dont les deux bords font entre eux un angle de 50 degrés, et dont le sommet très saillant est situé un peu en dedans du milieu de la dent, et d’une crête interne moins saillante. Ces deux crêtes sont séparées par un sillon, qui se prolonge en arrière jusqu’à l'angle postérieur de la dent ; en avant, il disparaît au pied du sommet de la crête interne, laissant se confondre et former une même surface plane et presque verticale les faces antérieures des deux crêtes. Une petite collerette, peu saillante et continue, entoure la couronne, tandis que sur les arrière-molaires cette collerette est interrompue par la crête qui descend de la pointe interne de la colline antérieure, et remplacée en arrière par le prolongement de cette crête. Toutes les prémolaires supérieures, dans les deux espèces, ont trois racines diposées comme nous l'avons indiqué. Dans les Lophiodons comme dans les Tapirs, les prémolaires sont de même forme que les arrière-molaires, à l'exception de la pre- mière, qui est plus triangulaire, mais qui appartient toujours au même type, c’est-à-dire qui présente toujours les deux collines trans- verses et le bord externe tricuspide. Sous ce rapport, ces deux genres si voisins différent donc encore considérablement du Coryphodon, ce qui est d'autant plus remar- quable que c'est précisément par les prémolaires supérieures que certaines espèces de Lophiodons se rapprochent le plus des Tapirs. Ainsi nous avons sous les yeux des fragments de mâchoires de Lophiodons, appartenant à M. Dutemple, qui a bien voulu nous les confier, et provenant des assises supérieures des lignites du mont Bernon près Epernay (sables du Soissonnais, assises supérieures), qu'il serait impossible de ne pas rapporter à un véritable Tapir, si l’on ne possédait que cette partie du squelette de l’animal fossile, 410 E. HÉBERÉ. —- HRECHERCHES CANINES. PI. IV, fig. 2c. Nous avons pu étudier un assez grand nombre de canines entières ou brisées appartenant au Coryphodon; 6 de ces morceaux sont de la collection de M. de Verneuil, et proviennent de Saron; 2 ont été recueillis par M. de Courval à Guny ; 5 ont été trouvés à Meudon, et appartiennent, un à la collection de géologie du Muséum et 4 à celle de l'École Normale. De Blanville a, en outre, figuré (1) 2 autres canines du Soissonnais el une de Meudon. C’est donc un total de 16 pièces. qui annoncent au moins 15 dents différentes, deux frag- ments pouvant se rapporter à la même. Toutes ces pièces, à l'exception d’une seule, à laquelle toute la couronne manque, peuvent se partager en deux séries. La première série comprend 7 dents plus fortes proportionnellement, plus lon- gues, plus triangulaires : ce sont les canines supérieures. Nous avons fait représenter PI. IV, fig. 2€, la couronne de l’une de ces canines, vue par le côté interne. La seconde série renferme 7 dents qui toutes se rapportent à celle figurée par M. Owen (2) comme une canine infe- rieure droite appartenant plus probablement aux Coryphodons qu'aux Lophiodons. Nos dents sont une pleine confirmation de cette prévi- sion, sauf que, d'après nos pièces, la dent figurée par M. Owen se- rait plutôt une canine gauche. Les observations d’après lesquelles nous avons pu assigner aux canines leur véritable place sont les suivantes. Sur les canines que nous considérons comme supérieures, les stries d'usure sont longi- tudinales ; sur les inférieures, elles sont transversales, et font avec l’axe de la dent un angle d'environ 70 degrés. Cette direction des stries nous à fait penser que les canines à stries longitudinales de- vaient être presque verticales. En raison de la longueur des racines des canines verticales, il était impossible de songer à les placer à la mâchoire inferieure ; leur position était done déterminée par cette seule considération. Cette déduction s’est trouvée confirmée par deux fragments de mâchoire : 1° un intermaxillaire de la collection du Muséum portant en place la deuxième incisive, les alvéoles des deux autres et la su- ture avec le maxillaire. C'est le long de cette suture qu'est située, (1) G. Anthracotherium, pl. HE. (2) Owen, loc. cit. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 111 dans le maxillaire, l’alvéole de la canine, et, dans l’intermaxillaire, l’alvéole de la troisième incisive; or, cette suture est presque ver- ticale et remonte en ligne droite le long du maxillaire, inclinée seu- lement de 12 degrés en arrière, ce qui s'accorde parfaitement avec la forme droite des racines; 2° un fragment de mandibule de la col- lection de M. de Verneuil, portant l’alvéole de la canine. Ce frag- ment, bien qu’appartenant à un individu de petite taille, montre, par la forme et la direction de l’alvéole, que la racine de la canine inférieure présente la partie la plus convexe à l'extérieur, et à l’in- térieur la face la plus aplatie, au milieu de laquelle se trouve un sillon large et peu enfoncé. En outre, on y voit que la canine se courbait à l'extérieur. Ces caracteres se retrouvent en effet sur les pièces que nous avons rapportées à la canine inférieure. Leur racine esttriangulaire, à angles très arrondis ; l’une des faces est plus aplatie, avec un sillon longitudinal au milieu ; la partie opposée plus convexe dans la section, et présentant en longueur une courbure concave, tan- dis que le côté aplati est légèrement convexe dans le sens longitudinal. D’après la forme de l’alvéole, le côté aplati est le côté interne; il correspond à une surface plane sur la couronne, de même que le côté externe de la racine correspond à la face convexe de la couronne. Voilà pourquoi nous nous sommes permis de considérer ces deux faces d’une autre manière que M. Owen. Ce changement met les ca- nines plus en harmonie avec les prémolaires et les incisives, dans lesquelles, à la mâchoire inférieure, le côté interne est toujours le plus aplati et le côté externe le plus convexe. La canine supérieure faisant avec la verticale un angle d'environ 12 degrés, et ayant déterminé parallèlement à son axe, sur la canine inférieure, des stries d'usure faisant un angle de 70 degrés avec l’axe de cette dernière, il en résulte que celle-ci est inclinée de 32 degrés sur la direction horizontale de la mandibule ; et c’est, en effet, à peu près ce qui résulte de la direction de l’alvéole. Cela posé, les caractères des canines peuvent être établis de la manière suivante : CANINE iNFÉRIEURE. -— Couronue de forme sensiblement triangu- laire, arrondie à l'extérieur, courbée de dedans en dehors, racine presque droite , très épaisse, de longueur à peu près double de celle de la couronne; la section est tout à fait en rapport avec celle que M. Gwen en a fracee, La face interne est presque plate, la face ex- terne fortement convexe et limitée de chaque côté par un bord tran- 112 E. HÉBERT. — RECHERCHES chant, le long duquel la face convexe s’infléchit et devient plus ou moins concave. Le bord supérieur est concave et creusé à la base, sur une longueur de 1 centimètre au plus, d’un sillon peu profond, large de quelques millimètres. Cette forme est caractéristique du Coryphodon, elle s'éloigne de celle des canines de Lophiodon, qui sont plus arrondies à l’intérieur. Une couronne non encore usée et tout à fait intacte, appartenant à M. de Courval, porte 0,05 de longueur depuis la base de l'émail jusqu’à la pointe. CANINE SUPÉRIEURE (PI. IV, fig. 2°). — Couronne triangulaire, pointue. Les faces de la couronne sont presque planes ; lune, la plus large, regarde en arrière ; les deux autres regardent obliquement en avant, la deuxième en dehors et la troisième en dedans : c’est cette dernière qui est usée. Les faces sont limitées par des bords tranchants, mais non saillants comme ceux de la face interne de la canine inférieure. D'après les fragments que nous avons sous les yeux, il semble que les canines supérieures étaient courbées tantôt en arrière ou en dedans, tantôt en avant ou en dehors. Celles-ci sont les plus fortes. La différence de courbure, quoique faible, est très sensible. IL est probable que cela tient aux différences de sexe. La couronne des plus fortes canines supérieures avait au moins 0m,100 de longueur, celle des plus petites avait de 0,055 à 0*,060 dans le Coryphodon eocænus. Laracine est très forte, presque droite, plus renflée en son milieu que la couronne, de longueur double environ, dans la variété la plus petite. Les canines du Coryphodon sont d’une force remarquable ; elles ont jusqu'à 32 millimètres de diamètre, et 0",150 à 0,200 de lon- gueur. Elles présentent de larges surfaces d'usure, planes, à bord tranchant, donnant l’idée de véritables cisailles, d’une puissance extraordinaire, surtout dans le Coryphodon eocænus. La couronne des canines est finement striée ; les stries s’anasto- mosent entre elles, de manière à rendre la surface comme chagrinée. Il y a en outre à la canine supérieure des stries transverses larges, mais peu saillantes, parallèles et inégales. Incisives. PI. IV, fig. 3-12. Les incisives de Coryphodon s’éloignent de celles des Tapirs et des SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 113 Palæothériums pour se rapprocher de celles de l’Anoplothérium et surtout des incisives supérieures de l’Anthracothérium. Quant aux incisives de Lophiodon, ce qui*en est connu ne nous permet guère d'établir une comparaison. Le nombre des incisives que nous avons pu examiner est de 20, savoir : 5 figurées dans l'Ostéographe de de Blainville, 1 venant de Meudon et se trouvant à la galerie de géologie du Muséum, 10 de la collection de M. de Verneuil, et provenant des lignites de Saron; enfin 4 de la collection de l’École Normale, recueillies dans le con- glomérat de Meudon. Il s’agissait d’abord de trouver le moyen de distinguer les incisives supérieures des inférieures. En examinant les incisives de l’Anthracotherium magnum qui ressemblent tant aux nôtres, nous avons vu qu’elles portaient toutes, à la base de la couronne, sur la face interne, un rebord en forme de collerette qui n'existe pas sur les incisives inférieures, très diffé- rentes d’ailleurs des supérieures. Toutes celles du Coryphodon sont, il est vrai, de même forme, mais les unes portent cette collerette, les autres ne l’ont pas. Or, les deux incisives qui sont encore fixées, chacune dans son alvéole, aux intermaxillaires de la collection du Muséum, ont cette collerette, qui varie bien un peu de largeur, mais qui est toujours très apparente; de telle sorte qu’on ne peut pas supposer que ce soit un caractère accessoire. Nous avons donc adopté ce caractère comme signe distinctif pour les incisives supérieures. En classant nos dents d’après ce principe, nous avons reconnu, parmi les pièces provenant des lignites de Pont-Sainte-Maxence, qualre supérieures et six inférieures, et nous avons constaté que des trois incisives séparées de la collection du Muséum, que de Blain- ville a considérées comme supérieures, deux, la première et la troisième, sont inférieures, la deuxième seule est supérieure, ce qui fait en tout cinq supérieures et huit inférieures. Parmi les incisives de Meudon, il s’en est trouvé deux inférieures et deux supérieures, la cinquième étant brisée au collet de manière à ne plus laisser voir le bourrelet. La place de ces incisives nous a paru avoir été exactement indi- quée par de Blainville. La grandeur relative des alvéoles montre en effet que ces dents vont en décroissant de la première à la troisième, ce qui est l'inverse de l’Anoplothérium et du Lophiodon. De plus, dans la deuxième, qui est d’ailleurs proportionnellement 4° série. Zooc. T. VI. (Cahier n° 2.) 4 8 All E. HÉBERT, — RECIHERCHES plus épaisse, par suite d’une compression d'avant en arrière, la surface externe, au lieu d’être arrondie uniformément, comme cela a lieu dansla première et la troisième, est divisée par une arête saillante allant de la base de la couronne au sommet, en deux parties iné- gales, l’antérieure plus petite et concave, la postérieure plus grande et convexe. La troisième est plus courte, elle est aussi plus large et plus ailée, mais seulement en bas; en haut, les ailes sont moins prononcées et la surface interne moins convexe. Les dix-neuf incisives à couronne complète se sont alors distri- buées de la manière suivante : Incisives supérieures, 2 premières (lignites). — — 6 deuxièmes (4 des lignites et 2 de Meudon). — — 4 troisièmes (lignites), — inférieures, 3 premières (lignites). — — 4 deuxièmes (3 des lignites et 1 de Meudon). — — 3 troisièmes (2 des lignites et 1 de Meudon). Nous avons représenté : Ao PI. IV, fig. 8, une premiére droite : fig. 34 est la projection horizontale de la couronne, in étant le côte interne, mon le côté externe ; fig. 3° est la dent, vue du côté externe ; fig. 3€ est la dent, vue du côté interne. 20 PI. IV, fig. 4, une deuxième supérieure droite: fig. 4a, projec- tion horizontale de la couronne; fig. 4Ÿ, couronne vue du côté ex- terne ; fig. 4°, couronne vue du côté interne. 3° Fig. 5, une troisième supérieure droite : fig. 52, projection ho- rizontale de la couronne; fig. 5°, la même, vue du côté interne; fig, 5d, la même, vue du côte postérieur. Ces trois dents appartiennent à l'espèce du Soissonnais, C.eocænus. h Fig. 6, une deuxième incisive supérieure droite du C. Owen: fig. Ga est la projection horizontale de la couronne, #nin étant le côté interne, »0n le côté externe; fig. 6c, la dent, vue du côté in- terne ; fig. 6€, la même, vue du côté antérieur. Nous ne connaissons pas encore les première et troisième inci- sives supérieures du €. Owen. à 5 Fig. 7°, premiere incisive inférieure droite, vue du côté externe. 6° Fig. 8°, première incisive inférieure gauche, vue du côté interne. La coupe de la première incisive inférieure ne diffère pas sensi- SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 115 blement de celle de la première supérieure, elle est seulement un peu plus ailée. 7° Fig. 9€, deuxième inférieure droite, très usée, vue du côté interne. 8° Fig. 10b, deuxième incisive inférieure gauche, très usée, vue du côté externe ; fig. 104, projection horizontale de la couronne, min étant le côté interne, mon le côte externe. 9 Fig. 4146, troisième incisive inférieure gauche, vue du côté externe. 400 Fig. 126, autre troisième inférieure gauche, vue du côté in- terne; fig. 122, projection horizontale de la couronne, mn côte interne, #20n côté externe. Ces incisives inférieures appartiennent à l'espèce des lignites, au C. eocænus. Nous connaissons la deuxième et la troisième incisives inférieures du C. Oweni. Nous ne les avons point fait figurer, mais elles ren- trent complètement dans les caractères généraux que nous venons de signaler. FoRMULE DENTAIRE, — La description du système dentaire du Coryphodon repose sur un ensemble de pièces véritablement consi- dérable. Il n’y a pas une seule dent dont nous n’ayons eu à notre disposition plusieurs exemplaires; on peut en juger par le tableau suivant, dans lequel nous récapitulons le nombre et l’origine des ma- tériaux dont nous avons fait usage : L EE : L 2: ARE VTC FRS, COLLECTIONS Fe Te . MUSÉUM s. s = = 8 sa UE . > Anat. Géolog 8 2 6 S L = compar. É Æ = = Arrière-molaires inférieures . . 3 1 3 3 fl 17 Prémolaires id. : 5 » D) » 4 a Arrière-molaires supérieures. . 5 » 5 P) 5 17 Prémolaires id. ; 9 1 k » 2 9 Canines inférieures . . 1 1 2 1 2 7 —- Supérieures 1 » 3 À 2 pl Incisives inférieures. . 9 1 1 » 6 10 — supérieures . 3 » 2 » 5 10 116 E. HÉBERT, —— RECHERCHES C’est donc un nombre total de 88 dents, auquel il faut ajouter une dernière molaire inférieure appartenant à l'École des Mines, qui m'a été communiquée par M. Bayle, une molaire supérieure appar- tenant à M. Naissant, et le moule en plâtre de la dernière molaire inférieure du C. eocænus d'Angleterre. Encore n’avons-nous pas compris dans cette récapitulation un très grand nombre de frag- ments, représentant en général des moiliés de dents, et qui nous ont souvent été aussi utiles que des dents entières, pour nous faire juger du degré d'importance des caractères. Les conclusions que nous avons tirées de cette étude ont done pu être soumises à des vérifications si nombreuses, qu'elles ne nous laissent aucune incertitude. D'après ce qui précède, la formule dentaire du Coryphodon sera : Incisives ?,canines ?, molaires +. On remarquera, en comparant la fig. 142 (PI. IV), qui appartient à une troisième incisive inférieure, et la fig. 4, qui est une prémo- laire, combien ces deux dents sont voisines l’une de l’autre. Le talon les prémolaires, rudiment de la colline postérieure des arrière-mo- laires, si réduit dans la première prémolaire, disparait en même temps que les bords antérieur et postérieur, el, par suite, la couronne entière, prennent une forme plus simple et moins flexueuse. La canine inférieure elle-même, aplatie sur la face interne, bombée sur la face externe, plus ou moins ailée sur les bords, est une dérivation de la première prémolaire. Le Coryphodon nous présente donc ce caractère remarquable d’un type dans lequel toutes les parties du système dentaire sont intime- ment liées les unes aux autres, de sorte qu’on passe de la molaire à la prémolaire, de celle-ci à la canine et à l’incisive par degrés in- sensibles. C’est en vain que nous avons cherché de semblables rapports dans le système dentaire du Tapir ou du Lophiodon. Toutes les molaires sont contiguës ; la canine inférieure, d'apres un fragment de mandibule du C. eocænus appartenant à M. de Ver- neuil, est séparée de la première prémolaire par une barre, dont la longueur est moindre que dans le Tapir. À la mâchoire supérieure, il y à un pelit intervalle entre la troisième incisive et la canine, où la canine inférieure venait se loger lorsque l'animal fermait la mâchoire. La portion de cet intervalle appartenant à los incisif est de 0,01 dans le C. eocænus, à peu nrès comme dans le Tapir. On peut en SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 117 conclure qu’à la mâchoire inférieure la canine devait toucher les in- cisives, ou du moins ne pas s’en écarter beaucoup. FORME DE LA TÊTE, — INTERMAXILLAIRE. La forme des os maxillaires exerce sur celle de la face une in- fluence prédominante. Pour le Coryphodon, nous avons heureuse- ment les deux intermaxillaires du C. eocænus de la collection du Muséum, qui sont de nature à nous donner d'excellentes indications. Comme nous l'avons déjà dit, la suture de l’intermaxillaire avec le maxillaire est presque verticale, et ce fait est confirmé par un frag- ment, assez fruste d’ailleurs, d’intermaxillaire du C. Oweni, de la collection de l’École Normale. La branche montante s'élève presque à angle droit (110°) sur la portion palatime ; cette disposition, jointe à l'épaisseur et à la largeur des intermaxillaires, qui sont en rapport avec les incisives très développées, et à racines longues et épaisses, indique que le museau était gros et court, la face large et bombée, beaucoup plus élevée verticalement que dans le Tapir, dans lequel la branche montante de l’intermaxillaire est couchée en arrière et forme une ligne convexe en avant, au lieu de présenter un angle concave de 110 degrés. L'échancrure nasale était large, peu profonde, probablement très haute; on ne peut la comparer, pour la forme, qu'aux genres Tapir et Palæothérium; mais elle en diffère par plus de hauteur, plus de largeur, et moins de profondeur. La portion horizontale de cette échancrure, et une grande partie, sinon la totalité, de la portion ascendante est formée par l'os intermaxillaire dans le Coryphodon. Dans le Palæotherium et le Tapir, l’intermaxillaire ne forme qu’une partie de la portion horizontale ; le reste appartient au maxillaire, qui présente alors cette courbure concave en avant, qui, dans le Cory- phodon, est sur l’intermaxillaire. Il y a donc beaucoup de différence pour la forme de la tête entre le Coryphodon et ces deux genres ; néanmoins nous n’en voyons pas d’autres où l’on puisse trouver des points de comparaison. La forme des intermaxillaires indique, en effet, que les os du nez étaient très éloignés du bord de la mâchoire, et qu'ils devaient être très courts. Il est donc probable que le Cory- phodon avait aussi une trompe. Les os intermaxillaires, arrondis en dessus, tandis que dans le Tapir les parties supérieures sont minces, anguleuses et rapprochées l’une de l’autre, offrent de larges surfaces 118 E. HÉBERT. — RECHERCHES d'insertion musculaire, qui portent à penser que cette trompe pouvait bien être plus forte et plus mobile que dans le Tapir. L'un des prémaxillaires, dont la partie qui était contigué à l’autre est tout à fait intacte, montre que ces os étaient complétement dis- tincts, non soudés. Peut-être même ne se touchaient-ils pas, comme cela a lieu dans le Rhinocéros unicorne de Java (Cuvier, Oss. foss.. PI. 43, fig. 1). De Blainville paraît avoir admis cette hypothèse dans le dessin qu’il a donné de ces os ( Anthracotherium, PI. HT en les représentant vus par-dessous. Il semble de plus avoir présumé qu'ils s’écartaient plus en avant qu'en arrière; c’est aussi notre opinion, fondée sur ce qu'en mettant les deux bords au contact ou parallèles, on donnerait à la molaire supérieure une largeur évidemment déme- surée. Ce caractère se retrouve dans l’Hippopotame, dont les inter- maxillaires, soudés en arrière, sont séparés en avant par une échan- crure plus ou moins considérable. Le Coryphodon auquel appartenaient les intermaxillaires était jeune; les dents étant peu usées. Peut-être avec l’âge les os se seraient-ils soudés en partie, mais il y aurait toujours eu écartement en avant; ce qui constitue une grande différence avec le Tapir, sur une tête duquel nous remarquons, bien que la dernière molaire ne soit pas encore sortie de l’alvéole, que la suture des intermaxillaires est complétement effacée. MANDIBULE. L'os de la mâchoire inférieure est en arrière à peu près dans les proportions de celui du Tapir. Ainsi le fragment figuré par M. Owen, dont la hauteur sous la dernière molaire est de 0,058, a 0,036 d’é- paisseur en ce point; dans le Tapir d'Amérique les dimensions cor- respondantes sont 0»,043 et 0m,029. La branche montante, d'après des fragments de la collection du Muséum et de celle de M. de Ver- neuil, est aussi large et très mince; mais à la partie antérieure de la mâchoire l’épaisseur augmente, elle est de 0",033 dans le frag- ment qui porte la barre, en arrière du trou mentonnier, et seu- lement de 0,020 dans le Tapir. La partie antérieure de la mâchoire inférieure était donc plus courte, plus épaisse et plus élargie, ce qui répond à la forme de la mâchoire supérieure. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 119 MEMBRES POSTÉRIEURS. Aprés avoir reconstruit en entier le système dentaire du Corypho- don, ce qui reste encore à faire pour les Lophiodons, même les plus anciennement connus, nous avons à nous occuper des autres parties du squelette. Malheureusement les matériaux d'étude dont nous pouvons au- jourd’hui faire usage sont peu nombreux ; ils se réduisent à un fémur complet, un fragment de radius et deux petits fragments d’humérus. Toutefois, si l’on se rappelle que l'on ne possède encore que des fragments extrêmement incomplets de fémur de Lophiodon, la con- naissance de cet os, dans un genre si important de la même famille, devra être considérée comme d’un certain intérêt pour la science. Pour donner une idée satisfaisante du fémur des Coryphodons, le moyen qui nous paraît préférable, en raison de l'absence de frag- ments assez importants du fémur du C. eocænus, pour que de leur comparaison avec celui du C. Oweni nous puissions déduire les caractères génériques, c’est de donner dès maintenant la description complète de cette dernière pièce. Fémur pu CoryPHopon OWENI. PI. IV, fig, 13. Forme allongée, proportionnellement plus grêle que dans le che- val, aplatie d'avant en arrière, anguleuse dans toute l’étendue du côté externe. Longueur depuis la tête jusqu'au bas de la poulie. . . ,. . 0,390 Largeur minimum (entre le troisième trochanter et la demi-poulie NODUHE NE) EE CA Er mets le ee M OUI D Épaisseur d'avant en arrière au même endroit. . . . . . 0,033 PAP EURUENMEXITEMILÉ M SUDETIEUTE 0. 00. DR EN EN RU UE Parseunde extrémité inférieure. … . 7, NM NT NOM OST Paretemarimunr aux deux Condyles. MM MEME NO 009 La tête est plus élevée que le sommet du grand trochanter ; elle le dépasse d'environ 0,012 ; elle forme une demi-sphère remarqua- blement régulière, dont le diamètre est de 0",055, et dont la con- vexité regarde presque entièrement en haut. La fossette où s'attache le ligament rond est arrondie, assez profonde, plus que dans le Rhi- nocéros, mais moins que chez le Tapir et le Daman. Dans une tête 120 E. HÉBERT, — RECHERCHES d'un individu plus petit, car elle n’a que 0®,050 de diamètre, cette fossette a seulement 9 millimètres de largeur ; dans le fémur que nous décrivons, où elle est moims bien conservée, elle en a 46. Dans le cheval, elle constitue une véritable échancrure de dimension consi- dérable. Le grand trochanter est peu saillant ; sa largeur d'avant en arrière est de 0,054. La partie comprise entre le grand trochanter et la tête est très aplatie : son épaisseur n’est que de 0”,018. Le bord externe, élargi en arrière, forme une crête épaisse et saillante de 0,020, qui, partant du grand trochanter, vient se perdre sur la face postérieure, entre le petit trochanter et le troisième. L’enfoncement aplati, que laisse à la face postérieure cette côte saillante, est moins profond et plus large que dans le cheval. Les saillies antérieure et postérieure du grand trochanter sont toutes deux obtuses : l’antérieure est plus prononcée. Le petit trochanter est une petite tubérosité ellipsoïdale, épaisse de 0,011, longue de 0",022, placée tout à fait au bord interne de l'os, sous la tête, à une distance de 0*,095 du sommet de la tête, et peu détachée du corps de l'os. La largeur du fémur au petit tro- chanter est de 0w,067. À partir du petit trochanter, le bord interne forme une crête longue, qui vient se terminer vis-à-vis le troisième trochanter. Dans cette région, le bord interne porte une dépression longitudinale qui paraît correspondre à la ligne pre servant à l’in- serlion du muscle biceps. A la partie supérieure de cette dépression se voit le trou du vaisseau nourricier. Ge trou est descendant, comme chez la plupart des animaux, tandis qu'il est montant dans le Tapir. Il est au niveaa de la partie supérieure du troisième trochanter, tan- dis que, dans le Tapir, il est bien au-dessous, au üers inférieur de l'os. Le troisième trochanter est placé exactement au milieu du fémur. Le bord externe, à partir de la saillie qui descend du grand tro- chanter, s’amincit et devient très anguleux en arrivant au bord du trochanter. Celui-ci est terminé par une tubérosité épaisse de 45 millim., au maximum, longue de 32 millim., et parallèle à l’axe de l'os. La partie comprise entre cette tubérosité et le corps de l'os est très mince (de 5 à 8 millim.); elle est aplatie en arrière et con- cave en avant. Le corps du fémur est sensiblement triangulaire dans sa partie in- térieure, entre la demi-poulie rotulienne et le troisième trochanter, SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS, 121 au lieu d’être arrondi comme dans le Cheval, le Tapir, etc. La face postérieure est aplatie, légèrement convexe dans le sens vertical ; la face antérieure, fortement concave dans le même sens, mais convexe transversalement, est nettement séparée de la postérieure par des arêtes, l’une, externe, se continuant depuis le condyle jusqu’au troi- sième trochanter ; l’autre, interne, très prononcée près du condyle, et disparaissant à la hauteur du troisième trochanter, seule portion où le fémur soit arrondi sur le côté interne. La largeur du fémur au troi- sième trochanter est de 0,073. Dans un fragment provenant de Passy, cette largeur n’est que de 0,054. Ce fragment paraît avoir appartenu à un individu plus jeune, et, dans Lous les cas, de plus petite taille : car l'épaisseur de l'os vis-à-vis le troisième trochanter n’est que de 0,027, au lieu de 0,034 que porte le fémur de Meu- don. Ces nombres sont, en effet, exactement proportionnels. La face antérieure s’aplatit un peu en approchant des condyles. La demi-poulie rotulienne est large, très longue, à bords tranchants dans toute leur étendue et presque égaux, l’interne étant seulement un peu plus élevé. La forme de la demi-poulie se rapproche beau- coup de celle des Tapirs, des Damans et de l’Anoplotherium ; elle est seulement moins excavée. Les condyles interne et externe se continuent avec la poulie ; ils sont cependant limités de ce côté par une légère échancrure. Il en est de même pour le condyle interne de l’Anoplotherium commune, où la séparation est facile à apercevoir. La distance entre les bords de la poulie est de 0",045 ; celle entre les bords des condyles est de 0,080 ; ceux-ci sont nettement limités par une arête mousse au côté externe, anguleuse au côté interne. La distance maximum, entre le bord interne de la poulie rotu- lienne et celui du condyle du même côté, ou le diamètre antéro-pos- térieur du condyle interne, est de 0w,100 ; pour le côté externe, cette distance n’est que de 0m,088. La grande échancrure qui sépare les condyles est proportionnel- lement plus étroite que dans le Tapir et le Daman ; elle est à peu près dans les rapports de celle du Cheval et du Rhinocéros de Sumatra. La cavité, qui est au-dessus du condyle externe, où s’attachent le muscle sublime et une portion des muscles jumeaux, si profonde chez le Cheval, assez faible chez le Rhinocéros et le Tapir des Indes, manque complétement dans le Coryphodon, aussi bien que les em- preintes musculaires qui servent, au côté opposé, d'attache à l’autre 199 E. HÉBERT. — RECHERCHES portion des ?umeaux. Il en est, d’ailleurs, exactement de même chez le Daman. On ne voit pas non plus, ni chez le Coryphodon, n1 chez le Daman, l'autre cavité, si profonde chez le Cheval , située au-dessous du même condyle à sa partie antérieure, el qui sert à l’attache du muscle extenseur antérieur du pied. Cette cavité, très faible dans le Rhino- céros de Sumatra et le Tapir d'Amérique, se réduit à une simple im- pression musculaire chez le Tapir des Indes. Les faces articulaires des deux condyles sont très régulières, peu bombées transversalement; elles différent considerablement sous ce rapport, surtout en ce qui concerne le condyle externe, des Rhino- céros et des Tapirs, pour se rapprocher complétement du Daman. D’après la description que nous venons de donner du fémur du Coryphodon, on peut voir qu'il se rapproche singulièrement de celui des Rhinocéros, et surtout du Rhinocéros bicorne de Sumatra, par sa partie supérieure et le corps tout entier. La tête inférieure seule présente des différences notables. Si nous laissons de côté, pour un instant, cette tête inférieure, nous voyons, dans le Coryphodon, comme dans le Rhinocéros bi- corne : 1° Une forme générale aplatie, triangulaire, fortement concave en avant. 2° Une tête articulaire hémisphérique, dépassant un peu le grand trochanter , dirigée en haut, et la fossette du ligament rond peu profonde. 3° Un grand trochanter obtus , non terminé en pointe saillante. Le Le petit et le troisième trochanter exactement placés de même, et ayant la même forme. Sauf la tête inférieure, le fémur du Coryphodon s'éloigne donc moins du Rhinocéros bicorne de Sumatra que celui-ci des autres espèces de Rhinocéros. La seule différence un peu saillante consiste dans les crêtes qui descendent du grand trochanter. Dans le Rhino- céros, la crête postérieure est moins saillante et moins prolongée, et il en existe une àla face antérieure, qu’on ne retrouve pas dans le Coryphodon. Gette crête, très tranchante, se dirige obliquement en dedans, et vient se perdre sur la face, à la hauteur de la naissance du troisième trochanter. Si l’on compare la même partie de notre fémur avec ceux des Tapirs et des Damans, on verra qu'il y a bien plus de différence. SUR LA FAUNE DES TERRAINS TERTIAIRES PARISIENS. 193 Dans ces genres, le grand trochanter dépasse en hauteur la tête du fémur. La saillie antérieure se rapproche, il est vrai, de celle du Coryphodon ; mais cette saillie est elle-même peu différente chez le Cheval. La saillie postérieure diffère complétement. Le petit trochan- ter est plus fort; le troisième placé plus haut. Le corps de l’os est plus épais d'avant en arrière ; il est arrondi en bas, au lieu d’être aplat, etc., etc. Pour la tête inférieure du fémur, les affinités ne sont plus les mêmes ; cette tête diffère considérablement de celle du Rhinocéros : 4° par la forme de sa poulie rotulienne, dont le bord interne est, chez le Rhinocéros , arrondi, très épais et très élevé; 2° par son condyle externe, à surface articulaire aplatie, tandis que cette sur- face est très bombée dans le Rhinocéros. Elle se rapproche davantage de celle du Tapir, dont les bords de la poulie sont tranchants et presque égaux, mais dont le condyle externe à de l’analogie avec celui du Rhinocéros. Mais c’est surtout avec le Daman, dont la partie supérieure du fémur est si différente, que la ressemblance est frappante pour la tête inférieure. Les bords de la poulie et les surfaces articulaires du condyle ont la plus grande ressemblance. De part et d'autre, absence complète de la cavité où s'insère le muscle sublime ; l'échancrure qui sépare les condyles est seulement plus large chez le Daman, et la poulie rotulienne un peu plus excavée. De part et d'autre aussi, le condyle interne se continue avec la poulie sans échancrure sensible, caractère qui se retrouve dans l’Anoplotherium et le Cochon, dont les fémurs ont, par leur tête inférieure, au moins autant d’analogie avec le Coryphodon que n’en présente le Tapir. En résumé, le fémur du Coryphodon présente la singulière asso- ciation des caractères les plus tranchés des Rhinocéros dans sa partie supérieure et moyenne, et de ceux des Damans et des Tapirs dans sa tête imférieure, pour laquelle aussi il se rapproche des Anoplothe- rium et des Cochons qui appartiennent à la famille des Artiodactyles, ou Pachydermes à système digital pair. I ne nous est pas possible de comparer le fémur du Coryphodon à celui des Lophiodons, dont on ne connait jusqu'ici que des débris très incomplets et peu caractéristiques. Nous dirons cependant que nous avons recueilli à Nanterre, dans le calcaire grossier supérieur, un fragment de fémur de Lophiodon parisiense qui montre la tête presque entière, et le côté interne à peu près jusqu’à l’articulation 19/ E. BÉBERT, — RECHERCHES inférieure. Le petit trochanter est extrèmement développé dans cette pièce, et sous ce rapport les deux genres différent énormément. Le fémur du Lophiodon, par le grand développement et la forme du petit trochanter, se rapproche du Daman plus que de tout autre genre. MEMBRES ANTÉRIEURS, — HumÉrus. Parmi les nombreux fragments d’os brisés que M. de Verneuil a recueillis à Saron, avec les dents du Coryphodon eocænus, se trouve une tête articulaire et un fragment de poulie cubitale d'humérus, qui, par leur taille, la nature de los et des débris au milieu desquels ils ont été rencontrés, appartiennent certaine- ment à la même espèce. Ces pièces n’ont d'importance qu’en ce qu'elles montrent que le fragment d’humérus du Laonnais, cité par Cuvier et de Blainville, mais non déterminé d’une manière precise, doit être complétenient écarté de toute espèce de rapprochement avec notre animal. Le diamètre de la tête articulaire de l’humérus du Laonnais a 0,034 de diamètre. Cette dimension dans le C’. eocænus est environ de 0",069 ; c’est la grandeur de la tête articulaire de l’'humérus d’un grand Anoplotherium. Le diamètre de la poulie cubi- tale est de 0,036 dans le Coryphodon; il est de 0,035 dans l'Anoplotherium, de 0",022 seulement dans un Palæotherium cras- sum adulte. Ranius. Nous rapportons au Coryphodon Owent une tête supérieure de radius (PI. IV, fig. 14 à, b), recueillie dans le conglomérat de Passy par M. P. de Berville. Cette tête, large transversalement de 0",043 et d'avant en arrière de 0",026, provient d’un individu de plus petite taille que le fémur de Meudon. Elle se rapporte- rait probablement au fragment de fémur cité ci-dessus, qui a été recueilli en même temps et au même endroit. Nous avons vu que ce dernier fémur était à celui de Meudon dans le rapport de 27 à 34, c’est-à-dire plus petit de près d’un quart. Dans cette hypothèse, le radius correspondant au grand fémur aurait eu 0",054 de largeur transverse. Cette dimension est celle que présente la tête supérieure du radius de l’Anoplotherium, dont le fémur se rapproche déjà beau- coup par ses dimensions de celui du Coryphodon. Le fragment de Passy a une longueur de 0m,075; la partie brisée, qui est la plus étroite, a 0",022 de section transverse. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS, 195 La face articulaire est plus voisine de celle des Lophiodons que de tout autre genre. La forme générale du contour est à peu près la même. Le milieu de la poulie saillante, qui est très surbaissée, est à 12 millimètres du bord interne, c’est-à-dire à une distance égale à un peu plus du quart de la largeur totale. Dans les Lophiodons, cette poulie est au tiers interne. De plus, au lieu de deux enfoncements, comme dans les Palæothériums et les Lophiodons, iln’y en a en réalité qu'un seul, très grand, à l'extérieur ; la surface correspondant à l’en- foncement interne des Lophiodons, très petite comparativement à l’autre, étant régulièrement déclive et nullement concave. C’est un caractère de plus à ajouter aux traits distinctifs des deux genres. D'ailleurs le bord postérieur de la face articulaire fig. 14 a, s’ap- puie sur le cubitus par une surface plane, nullement échancrée, comme cela a lieu pour les Lophiodons. IV. CARACTÈRES DISTINCTIFS DU CORYPHODON EOCÆNUS ET DU C. OWENI. Nous allons actuellement justifier la distinction spécifique que nous avons établie dans le genre Coryphodon ; nous suivrons pour cela l’ordre que nous avons adopté dans le paragraphe précédent. MOLAIRES INFÉRIEURES. Arrière-molaires. Troisième ou dernière. — Comme nous l’avons dit, le Corypho- don des lignites a sa dernière molaire (PI. IT, fig. 4 et 2) presque identique avec celle du C. eocænus Owen. Les seules différences bien légères que nous puissions signaler sont, dans nos exem- plaires, la concavité plus marquée de la colline transverse anté- rieure et par suite la plus grande saillie des pointes, et l'angle un peu plus considérable qu'elle fait avec la crête oblique.Une diffé- rence un peu plus prononcée se montre à l'angle postérieur externe. Dans le C. cocænus, cet angle présente un talon assez saillant, résultant de ce que la face postérieure de la pointe externe est fortement concave. Cette face est presque plane dans le Coryphodon des lignites, et letalon moins saillant. D’un autre côté, des variations à peu près semblables se montrent dans les dents dece dernier ; ainsi la pointeinterne de lacolline transverse postérieure est peu prononcée dans la dent (fig. 1) et, l’arète qui en descend, avant d'atteindre la 126 E. HÉBERZ. — RECIHERCHES base de la colline antérieure, présente à moitié chemin un autre petit tubereule ; elle est, au contraire, presque aussi forte que la pointe postérieure dans la dent (fig. 2). Ces variations ne pourraient con- tribuer à une distinction spécifique qu'autant que de nouvelles pièces montreraient que des différences constantes se reproduisent dans les autres parties du squelette. En attendant nous croyons devoir réunir au C. eocænus toutes les pièces des lignites du Soissonnais. Il n’enest pas de même pour les dents du conglomérat. Ces dernières différent toutes de leurs correspondantes parmi celles des lignites. La dernière molaire du C. Orweni diffère de celle du C. eocænus par sa forme plus étroite en arrière, les pointes interne et posté- rieure de sa colline postérieure plus rapprochées, la pointe externe plus forte et plus saillante que les autres ; tandis que dansle C. eocænus c’est la pointe postérieure quiest la plus forte. En outre on remarque à l'angle postérieur interne, un peu au-dessus de la base de la cou- ronne, une petite échancrure superficielle « très prononcée dans le C. Owen, etlimitée en dessous par une saillie transversale de l'émail, Cette dépression à peine sensible dans le C. eocænus, mais indiquée quelquefois (fig. 2) par une petite pointe conique, presque rudimen- taire, n’est pas limitée en dessous par un rebord saillant. La crête oblique qui part de la pointe externe postérieure vient s'arrêter dans le C. eocænus à la base de la colline transverse anté- rieure, un peu au delà du milieu. Dans le C. Owen, elle remonte le long de cette colline et est plus fortement rejetée en dedans. Deuxième et première arrière-molaires. —- Nous n'avons, du C Oweni, qu'une deuxième (PI. IT, fig. 6) et une première (fig. 7) arrière-molaires, qui sont toutes deux trop usées pour qu'il nous soit possible de voir si elles présentent des différences notables avec les correspondantes du C. eocænus (fig. 5 et 7). Prémolaires. Les caractères que nous avons donnés ci-dessus des prémolaires du Coryphodon nous ont été fournis presque exclusivement par l'espèce des lignites, C. eocænus, et les dents figurées (PI. EE, fig. 9, 10, 11, 12) appartiennent à cette espèce. Nous possédons du C. Owen, une premiére et une moitié externe de la deuxième. De celle-ci nous n'avons rien à dire en raison de son état incomplet, suffisant cependant pour autoriser jusqu’à un certain point le rappro- chement que nous indiquons, SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 127 La première prémolaire figurée (PL. IV, fig. 1), est très caractéris- tique et diffère essentiellement de sa correspondante dans le C. eocæ- nus. Elle n’a qu'une seule racine au lieu de deux (1). Sa forme est plus aplatie d’avant en arrière, surtout à la partie antérieure dout la carène est très tranchante. Le sommet se dirige en avant beaucoup plus que dans le C. eocænus, el il y a à la base de la carène, du eôté antérieur, un lobe assez fort. La partie correspondante à ce lobe est cassée dans les deux premières prémolaires du C. eocænus, que nous avons eues à notre disposition. MOLAIRES SUPÉRIEURES. Arrière-molaires. Troisième ou dernière. — Cette dent est assez différente dans les deux espèces, elle est plus triangulaire dans le C. Oweni, (PI. KIT, fig. 134 et fig. 13° A), la racine postérieure étant placée exactement au milieu du bord postérieur, tandis qu’elle est plus voisine du bord externe dans le C. eocænus (fig. 14"). Le bord interne est aussi proportionnellement plus large, et la racine plus épaisse dans cette dernière espèce; ces circonstances donnent à la dent une forme pa- rallélogrammique. Deuxième et première arrière-molaires. — Ces dents différent peu dans les deux espèces; fig. 15, 16 et 17, appartiennent au C. eocænus. On remarque cependant que le bourrelet saillant, qui est à la base de la colline antérieure (fig. 13" B), se continue tout en s’atténuant sur le côté interne, tandis qu’il est interrompu dans le C. eocænus (lig. 15° C). Le sillon o (fig. 134 C, fig, 15,, fig. 17“), qui divise en deux lobes la base de la face externe de la colline postérieure, est plus rejeté en arrière et moins profond dans le C. eocænus, et cette espèce présente en avant du premier, un autresillon qui n’existe pas sur le C. Owenr. En général, les collines transverses sont plus saillantes et ont les faces plus près de la verticale dans le C. Oweni que dans le C COCŒRUS. Les dents (fig. 154 et fig. 17,) sembleraient indiquer que lex- (1) De Blainville avait prévu (Ostéographie, Palæothériums, etc., p. 220) que la première prémolaire pouvait bien avoir deux racines. Cela existe, en effet, dans le C. eocænus, mais non dans le C. Oweni Ce caractère n’est donc pas générique, 128 E. HÉBERT, — RECHERCHES trémité externe de la colline postérieure est coudée en avant dans le C. eocænus beaucoup plus que dans le C. Oweni, et en outre que les deux pointes externes «, +’, sont liées entre elles dans la premiére, bien plus que dans la seconde; mais nous avons pu constater que ces caractères sont essentiellement variables et se rencontrent indiffé- remment dans l’une et l’autre espèce. Les matériaux que nous avons eus à notre disposition pour les ar- rière-molaires sont : Pour le C. Oweni, Are arrière-molaire. — 41 droite et 4 gauche. 2e arrière-molaire. — 2 gauches entières et deux fragments de couronne, l'un du côté gauche, l’autre du côté droit (Meudon); une moitié interne gauche (Passy). 3° arrière-molaire. —2 gauches (Meudon), et une moitié interne droite (Passy). Ces pièces ont appartenu à quatre individus différents, au moins. Pour le C. eocænus, Are arrière-molaire. — 1 droite et 2 gauches. 2° arrière-molaire. — 1 droite et 3 gauches. 3° arrière-molaire. — 2 droites et 4 gauches , qui représentent au moins cinq individus différents. PRrÉMOLAIRES. — Ne diffèrent dans les deux epèces que par la taille; nous donnerons plus loin, dans un tableau général, les di- mensions de ces dents. CanINEs. — Indépendamment de la différence de taille qui est con- sidérable, les plus petites canines du C. eocænus étant toujours beaucoup plus fortes que les plus grosses du C. Owent, on peut signa- ler des caractères importants. Canine inférieure. — Plus courbée en dehors dans le C. Oweni, à bords plus tranchants, plus détachés à la base en forme d’ailes ; pré- sente, comme l’a indiqué M. Owen, une couche mince et polie d'émail qui marque, tout autour, la base de la couronne, puis par- dessus une nouvelle couche épaisse d’émail qui ne descend pas aussi bas que la précédente, surtout à la face convexe où son bord se relève fortement en forme de sinus à la partie antérieure. Ce sinus est plus large et plus profond dans le C. eocænus que dans le €. Oweni. Le bord de cette couche épaisse d’émail est finement plissé dans le C. Owemi. Ces plis sont moins visibles sur la face externe dans le SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 129 C. eocænus et un peu au-dessus du bord; maïs dans cette der- nière espèce se trouve, à la base de la face interne, une petite colle- retle plissée, détachée dela surface en forme de bourrelet, qui n'existe pas sur la face externe, et qui paraît manquer même sur la face in- terne du C. Oweni. D’après tous ces caractères la canine décrite et figurée par M. Owen, autant que nous pouvons en juger par la description et les figures, se rapporterait plutôt au C. Owent qu'au C. eocænus. Canine supérieure. — Se distingue facilement dans les deux es- pèces, en ce que l’arête externe, très anguleuse et carénée dans toute son étendue chez le C. Owen, est arrondie à la base dans le C. e0- cænus. L'angle que fait la face postérieure avec la face antérieure externe dans la variété minor, est, dans cette dernière espèce, pres- que droit ; il est d'environ 60" dans le C. Oweni, dans lequel les stries transverses inégales qui sillonnent ces deux faces sont beaucoup moins accusées. Incisives. — Les incisives paraissent peu différer de forme dans les deux espèces. Il est vrai que nous n'avons de cette partie du sys- tème dentaire du C. Owen: que des dents en général roulées et usées. Mais le rapport de leur volume à celui des incisives du C. eocænus est bien moindre que pour les autres dents. Le diamètre antéro-postérieur de la deuxième incisive supérieure du C. Owen est de 0",015, le diamètre transverse est de 0",010 ; dans le C. eo- cænus les dimensions correspondantes sont pour la dent de même position 0",021 et 0",015. La section de celle-ci est plus que double de la première. Des différences de taille dans la même espèce. — L'étude du système dentaire a donc amplement justifié la distinction des deux espèces de Coryphodon. Les caractères spécifiques se sont montrés dans les diverses pièces, sans que nous ayons eu besoin de recourir à la différence de grandeur, qui serait à elle seule suffisante pour légitimer cette distinction, tellement elle est considérable. Toutefois nous avons remarqué que, dans chaque espèce et pour toutes les parties du système dentaire, il y a deux grandeurs diffé- rentes‘ comme ces variations dans la grandeur ne sont accompagnées d'aucun changement dans les caractères spécifiques, nous pen- sons qu'ils tiennent à la différence des sexes. Il est difficile, en “effet, d'expliquer autrement cette proportionnalité si remarquable dans chacune des deux espèces. Nous rappellerons que les canines £° série, Zooc, T. VI, (Cahier n° 3.) ! 9 430 E. HÉBERT, — RECHERCHES supérieures des deux variétés paraissent différentes de forme, l’une étant courbée en dedans et l’autre en dehors. Nous terminerons cette étude du système dentaire par le tableau comparatif des dimensions de chaque dent, non-seulement dans le C. eocænus et dans le C. Oweni, mais aussi dans les déux variétés que nous supposons sexuelles et qui, dans ce tableau, sont désignées l’une par À, l’autre par B. Tableau comparatif des dimensions des dents du GorxpaonoN et du C. Owen: (A var. maj., B var. min.) CORYPHODON EOCÆNUS. CORYPHODON OWENI. DIAMÈTRE DIAMÈTRE > A antéro-postér. ou'longitud.(1). antéro-postér. ir. longitudin. transverse. transverse. MACHOIRÉ INFÉRIEURE. 3° molaire MACHOIRE SUPÉRIEURE. 3° arrière-molaire : . . . (1) Le diamètre longitudinal est pris dans la direction de l’arcade dentaire; le dia- mèêtre transverse est perpendiculaire à cette direction. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TÉRTIAIRES PARISIENS. 5f ‘ INisrmaxiitainé, — Le frâgment d’intermaxillaire du €. Oiven: porte des traces dé là suture avec le maxillaire, les racines en place dé là troisieme et de la deuxième incisive, ét uné portion de l’alvéolé. dé là première. Ce fragment appartient au côté droit de la mâchoire.Il présenté exactement là même forme que la partie corréspondante de l'intermaxillaire du C. eocænus. Mais les dimensions sont.très diffé rentes ; là distance entre la suture inteérmaxillaire et. le bord posté- rieur de l’alvéole de la première incisive est de 0,036 environ dns le Coryphodon Oweni; elle est de 0”,053 dans le C. eocænus. La longueur totale de l'os incisif, dans cette dernière espèce, est de 0,078, prise à la face alvéolaire, L'é épaisseur de l'os. paraît, dans les deux espèces, proportionnelle à la longueur. La hauteur dela branche palatine, prise du pied de la branche montante à l’inter- valle qui sépare les alvéoles des deuxième et troisième incisives, est de Üw,099 dans le C. Owent; elle est de 0,039 dans le C. 60- cœnus. rt Lés fragments qué nous avons sous les yeux nous môütrent encore qüé les première et deuxième incisives étaient plus couchées dans leurs alvéoles chez le C. Owent que chez le C. eocænus. | Fémur. — Nous avons décrit plus haut en détail le fémur du: C. Oivén, il nous reste à signaler en quoi il différe de celui du C. éocænus. Le fragment de fémur provenant des lignites du Laonnais, figuré par Cuvier (PZ. 79, fig. 5), a 0,065 de largeur au troisième trochanter et 0",055 dans la partie la plus étroite, au-dessous du troisième trochanter. Il est épais de 0,035. Celui de Meudon, épais de 0,033, est large de 05,047 au-dessous du troisième trochanter. Le corps de los a donc, dans le fossile des lignites , une section. égale à environ une fois et quart celle du fémur de Meudon. De plus, le fragment des lignites du Laonnais appartient évidemment à un jeune- individu. Le troisième trochanter est peu développé ; il l'était davan- tage dans un échantillon appartenant également au Muséum , mais qui ne consiste que dans le troisième trochanter détaché du corps de los. Pour avoir le rapport des dimensions des fémurs, ce serait donc plutôt au fragment de Passy qu’au fémur de Meudon qu’il faudrait le comparer. Dans ces deux fragments la tubérosité du trochanter peu développée indique que l'animal n’était pas adulte; or le fragment de Passy a 0*,027 d'épaisseur et 0",40 de largeur minimum. La:sec- tion ne serait donc qu’un peu plus de moitié de celle du fémur du Soissonnais, et la longueur d'environ les trois quarts. 132 E. HÉBERT. — RECHERCHES Nous arrivons au même résultat en comparant une tête articulaire du fémur du C. eocænus, que nous trouvons parmi des débris d’os de Saron, à celle de notre fémur de Meudon. Dans la première, la dis- tance du bord supérieur de la fossette du ligament rond à l’extrémité opposée de la tête est de 0",064; dans le C. Owen, cette distance est de 0,048. Le rapport de ces dimensions est de 4 à 3. Un fragment de condyle interne de la cendrière de Guny nous donne les dimensions suivantes : Diamètre antéro-postérieur, à partir de l’échancrure qui sépare le condyig"de Ja PoURE NANTERRE te OL NS POSTER Dans le C. Oweni, cette distance est de. . . . . . . . . (6,062 Diamètre du même condyle à la partie postérieure. . . . . . 0®,038 “'BMipour le CiiOwent out. Ht.08. le di. mix. .ouidalég J0/080 Ainsi, d’après les fémurs comme d’après les diverses parties de la tête, le Coryphodon eocænus serait, pour la taille, bien supérieur au C. Oweni. Ajoutons que, chez le premier, le fémur est plus aplati et que le troisième trochanter est moins saillant dans le jeune aussi bien que dans l'adulte. Sauf ces différences, qui, jointes à celles que l’on observe dans le système dentaire, nous paraissent justifier la dis- tinction des deux espèces, les fragments de fémur du Coryphodon des lignites sont tout à fait semblables aux parties correspondantes des fémurs de Meudon et de Passy. RESUME. CARACTÈRES DU GENRE CORYPHODON. Il résulte des recherches exposées dans ce travail que, parmi les premiers Mammiféres jusqu'ici connus de l'époque tertiaire, ceux qui étaient de plus grande taille, et qui appartenaient au genre de Pachydermes séparé des Lophiodons par M. Owen sous le nom de Coryphodon, comprennent deux espèces et peuvent être carac- térisés de la manière suivante : TÉTE. FORMULE DENTAIRE. — Molaires 3*i, canines !, incisives à, une. barre peu longue. MOLAIRES INFÉRIEURES. — Voisines de celles des Lophiodons, mais à pointes plus saillantes aux extrémités des collines ; la dernière avec. SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 133 deux collines transverses, au lieu de trois, mais la colline postérieure tricuspide et curviligne. Les prémolaires en forme de pyramide triangulaire, à base élargie en arrière en talon. MOLAIRES SUPÉRIEURES à trois racines, constituant un type distinct de tous les autres Pachydermes, dont, sous ce rapport, le Corypho- don s'éloigne plus que les Lophiodons, les Palæothériums, les Tapirs et les Rhinocéros ne différent entre eux, bien que ce soit de ces genres qu'il doive être rapproché, même par les molaires supérieures. Les arrière-molaires, de forme triangulaire, à angles très arrondis ; deux collines transverses, l’antérieure réguliérement dièdre, con- vexe en avant, s'étendant sur la dent entière; la postérieure plus courte, plus oblique, à pointes saillantes, contournée par le sillon qui la sépare de l’antérieure. Les prémolaires formées de deux crètes curvilignes concentriques, la crête externe cordiforme et à sommet très saillant, l’interne moins forte et séparée de la précédente par un sillon qui se prolonge en arrière, mais non en avant; les sommets des crêtes dirigés vers l'interieur, et les bases vers l'extérieur. Cannes triangulaires, très fortes, à racines droites, très longues et très épaisses. La supérieure, trés acuminée, à bords carénés, obtus à la base, tranchants dans le reste de la couronne, implantée presque vertica- lement dans le maxillaire ; l’inférieure arrondie en dehors, à bords tranchants sur les côtés, plate en dedans. Incisives fortes, régulières, ailées, à pointe mousse, tout à fait semblables aux incisives supérieures des Anthracotherium, et aussi très voisines des incisives de l’Anoplotherium ; la face externe con- vexe, la face interne plate, triangulaire et cordiforme; les supérieures avec une collerette en dedans, à la base de la couronne, les infe- rieures sans collerette. INTERMAXILLAIRES, épais, non soudés entre eux, séparés en avant, arrondis el écartés en dessus, formant la portion horizontale et une partie au moins de la portion ascendante de l’échancrure nasale ; suture avec le maxillaire presque verticale. MaxisLaRe INFÉRIEUR. Branche montante, large et mince comme dans les Palæothériums ; partie antérieure courte, épaisse et élargie. MEMBRES POSTÉRIEURS. Féuur allongé, aplati d'avant en arrière, anguleux dans toute AS 2: ‘E#, MÉBERT. -— RECHERCHES l'étendue du côté externe, très voisin du fémur des Rhinocéros, sauf pour l'articulation inférieure. Tête regardant en. haut, un peu plus élevée que es sommet du grand Reese : fossette qe ligament rond, arrondie, peu pro- fonde. | Grand nn peu proéminent, duquel part une crête épaisse etsaillante qui descend le long du bord et vient se perdre sur la face postérieure entre le petit trochanter et le troisième. . Petit trochanter peu saillant, peu détaché du corps de l'os, placé surile bord interne à égale distance entre la tête et le troisième tro- chanter ; se sonpaant sous forme de crête allongée ] jusqu au niveau de ée dernier. : à : Troisième ner: placé au milieu du fémur, très ssl En très aplati, recourbé en avant. Corps de l 08 quetranéulire en bas, concave en avant, aplati en arrière. | : : Demi-poulie TR large, très longue, à bords tranchants. dans toute leur étendue et presque égaux, très analogue à-celle des. Damans, mais moins excavés, el à condyles plus rapprochés. MEMBRES ANTÉRIEURS. - HuméRus. — Connu seulement par un fragment de la tête articu- laire et un fragment de la poulie cubitale; de la taille de l'humérus des plus grands Anoplothériuns. Ranius, — Voisin de celui des Lophiodons ; deux facettes articu- lâires à l'articulation supérieure, la seule connue, L’une concave, très grande, occupant plus des 3/4 de la surface de la tête; la plus petite plutôt convexe et déclive en bas. Bord cubital non échancré. CARACTÈRES DES DEUX ESPÈCES. : Nousrenvoyons à la description détaillée que nous venons de donner des caractères spécifiques : nous nerappelleronsque les plus saillants. 4° CORYPHODON ÉOCÆNUS, Der CS eue PSP considérable d'un tiers environ. D rein se ie Dernière molaire inférieure moins comprimée en arrière, sans échancrure superficielle ; première prémolaire à deux racinés, moins tranchante en avant. VE Arrière-molaires supérieures es à racine ‘interne plus Épaiss, . der- nière à couronne plus allongéé transvérsalement. ; SUR LA FAUNE DES SÉDIMENTS TERTIAIRES PARISIENS. 135 Canine inférieure, à bords moins tranchants. Fémur plus aplati, à troisième trochanter moins saillant, 28 G. Oweni, Heb. — Dents à collines transverses en général plus saillantes. La dernière molaire inférieure plus comprimée en arriére, avec une échancrure latérale à l’angle postérieur interne, limitée en dessous par une saillie plissée de l'émail. Première prémolaire plus tranchante, surtout en avant, et à une seule racine. s Dernière molaire supérieure plus triangulaire. Canines et incisives proportionnellement plus petites que les mo- laires par rapport au C. eocænus. La canine inférieure plus ailée, Un grand nombre de débris de diverses parties du squelette des deux espèces nous ayant donné presque toujours le rapport de 3 : 4 pour les dimensions correspondantes, on pourrait en conclure que les sections étaient dans le rapport de 9 : 16, et les volumes, et par suite les poids des deux espèces, représentés par les nombres 27 et64.Le Coryphodon eocænus devait done être un animal d’un poids considérable, car bien certainement le C. Owen, le plus petit des deux, était d'une taille supérieure au Tapir des Indes. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE III. (Toutes les figures sont de grandeur naturelle, Les lettres a,b,e,d, placées à la droite des chiffres, expriment : a, que la dent est vue de face, la couronne en dessus; b, qu'elle est vue du côté externe; c, du côté interne; d, du côté posté- rieur.) MoLaiREs INFÉRIEURES, fig. 1-12. Fig. 414. Coryphodon eocænus, Owen , dernière molaire gauche. (Coll. de Ver- neuil. Fig. 2°, La . eocænus , autre dernière molaire gauche. (Coll. de Verneuil } Fig. 34, 3c. C. Oweni, Héb., dernière molaire gauche. (Coll. de Verneuil.) Fig. ka. C. Oweni , autre dernière molaire. (Coll. École normale.) Fig. 54, 5%. C. eocænus, deuxième arrière-molaire droite. {Coll. de Vern.) Fig. 66. C. Oweni, deuxième arrière-molaire gauche. (Coll. E. N.) Fig. 74, 76. C. eocænus, première arrière-molaire gauche. (Coll. de Vern..) Fig. 8/. C. Oweni, deuxième arrière-molaire droite. (Coll. E. N.) Fig. 9. C. eocænus, quatrième prémolaire gauche. (Coll. du Muséum.) Fig. 10. C. eocænus, troisième prémolaire droite. (Coll. du Muséum. Fig. 11. C. eocænus, deuxième prémolaire droite. (Coll. du Muséum.) Fig. 12. C. eocænus, première prémolaire gauche. (Coll. de Verneuil.) Fig. 134, 130, 134. C. Oweni, série des quatre dernières molaires gauches, provenant du même individu. (Coll. E. N.) 136 É. HÉBERT, — RECHERCHES, ETC. Fig. A4a, 446, C. eocænus, troisième ou dernière arrière-molaire droite. (Coll. de Vern.) Fig. 454, 15, C, eocænus, deuxième arrière-molaire gauche. (Coll. Mus.) Fig. 466. C. eocænus, autre deuxième arrière-molaire gauche. (Coll. de Vern.) Fig. 47, A7d, C. eocænus, première arrière-molaire droite. (Coll. Mus.) Fig. 484, 484. C. eocænus, troisième prémolaire droite. (Coll. de Vern.) Fig. 494, 494, C. Oweni, troisième prémolaire droite. (Coll. E. N.) Fig. 204, C. Oweni, deuxième prémolaire droite. (Coll. E. N.) Fig. 21. C. Oweni, première prémolaire droite. (Coll. E. N.) PLANCHE IV. (Toutes les figures sont de grandeur naturelle, sauf les figures 134, 43h, 43c<, 434, 13e, qui sont des réductions à moitié grandeur. Pour les figures relatives aux dents, les lettres a, b,c,d, ont la même signification que dans la planche précédente; e, indique que la dent est vue par le côté antérieur.) Fig.44, 46, 1c, Coryphodon Oweni, Héb., première prémolaire inférieure gauche. (Collection de l'École normale.) Fig. 2c, C. eocænus, Owen, canine supérieure droite. (Coll. de Verneuil.) Fig. 3, a,b,c. C. eocænus, première incisive supérieure droite. ( Coll. de Vern.) Fig. 4, a,b,c. C. eocænus, deuxième incisive supérieure droite. (Coll. Muséum.) Fig. 5, a,c,d. C. eocænus, troisième incisive supérieure droite. (Coll. de Vern.) Fig. 6, a,c,e. C. Oweni, deuxième incisive supérieure droite. (Coll. École nor- male. Fig. 7è. C. eocænus, première incisive inférieure droite. (Coll. Mus ) Fig. 8°. C. eocænus, première incisive inférieure gauche. (Coll. de Vern.) Fig. 9c. C. eocænus, deuxième incisive inférieure droite. (Coll. de Vern. Fig. 10, a, b. C. eocænus, deuxième incisive inférieure gauche. (Coll. de Vern.) Fig. 418. C. eocænus, troisième inférieure gauche. (Coll. Mus.) Fig. 12: a,c. C. eocænus, autre troisième incisive inférieure gauche. (Coll. de Vern.) Fig. 43. C. Oweni, fémur gauche réduit de moitié. (Coll. Éc. norm.) 43 a, le fémur, vu par le côté antérieur. 13 b, le même, vu par le côté postérieur. 43 c, l'articulation inférieure, vue en dessous. 43 d, l'extrémité supérieure, vue en dessous. 13 e, coupe par le milieu du troisième trochanter. Fig. 14. C. Oweni, radius, tête supérieure. (Coll. Berv.) 44 a. Vu par le côté postérieur (face cubitale). 14 b. Face articulaire supérieure. ÉTUDE SUR L'INSTINCT ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS, Par M. FABRE, Professeur au Lycée impérial d'Avignon. Lorsque, par une après-midi d’une belle journée de septembre, on s'engage dans l’un de ces étroits défilés que la longue action des pluies a profondément encaissés dans les sables de la Mollasse, dans l’un de ces chemins creux si fréquents dans les environs de l'ancienne capitale du comtat Venaissin, on ne peut s'empêcher d’être frappé de l’activité que d'innombrables Hyménoptères dé- ploïient, dans leurs mille industries, sur le revers méridional du sentier. Partout où les rayons du soleil pénètrent largement, et où le sol présente le degré convenable de cohérence, le talus à pic du chemin est criblé, jusqu’à ressembler parfois à une immense éponge , d'innombrables ouvertures de tout calibre, devant les- quelles s’agitent, dans un va-et-vient étourdissant, les espèces retar- dataires qui profitent des derniers jours de l’été pour se livrer aux travaux qu’exige la conservation de leurs races. C’est là que l’année dernière j'avais, à pareille époque, épié le géant des Cercéris et ses manœuvres de guerre. Je viens de le revoir occupant les mêmes terriers , chassant le même gibier, et le sacrifiant de la même manière. Rien n’est changé : les fils ont fidèlement hérité du talent meurtrier de leurs pères qu’ils n’ont pas connus; car pour l’instinct, cette faculté infaillible, parce qu’elle n’est pas libre, le temps n’existe pas. Donnons un dernier regard à leur mer- veilleuse industrie, car voici à profusion d’autres espèces qui mé- ritent, elles aussi, notre tribut d’admiration. C’est d’abord le Cerceris Ferreri qui pourchasse des Curculio- nites fort divers, et entasse parfois dans ses cellules de vivantes émeraudes, des victimes aussi somptueuses que les Buprestes de l’un de ses congénères, des Rhynchites betuleti : c’est le Cerceris 138 FABRE. —— ÉTUDE SUR L'INSTINCT quadricincta , qui amoncelle dans une seule cellule jusqu’à trente Charancons, appartenant presque tous à l’Apion gravidum Ov. ; c’est le Cerceris arenaria, qui s'attaque indifféremment à tous les Curculionites appropriés à sa taille si variable; c’est enfin cette dé- licate miniature, ce Cerceris, que j'avais l’année dernière pris mal à propos pour le ravisseur des Sphénoptères, et qui se contente en réalité des plus petits Charançons, des Bruchus, des Apion. Pêle- mêle avec ces chasseurs de Coléoptères circulent d’autres espèces du même genre, préférant les Hyménoptères aux Charançons. C’est le Cerceris ornata, dont le type immole des Halictes et des Andrènes, tandis que l’une de ses nombreuses variétés choisit un microscopique gibier consistant en divers Hyménopières téré= brants; c’est enfin le Cerceris quadrifasciata Dahlb. qui saisit, pour nourrir ses larves, d’autres Fouisseurs occupés, comme lui, à chasser une proie. Ici, à l’affût sur le seuil de son terrier, le Palarus flavipes, dont M. L. Dufour a déjà fait connaitre les singulières déprédations (4), attend ses victimes au passage, et se précipite indifféremment sur les divers Hyménoptères que le hasard amène à sa portée, Aux douze genres mentionnés par M. L. Dufour comme lui fournissant leur tribut de victimes, j’ajouterai les trois genres Polistes, Eumenes, Odynerus. Quel audacieux ravisseur que ce Palare, qui, maleré sa modeste taille, paraît ne reculer devant aucun champion. Je l'ai vu plusieurs fois se prendre corps à corps avee un Polistes gallica , se rouler avec lui dans la poussière et s’en rendre maître en un instant, en dépit de son redoutable aiguillon. Quoique plus faiblement armé, l’agresseur a sur son adversaire un avantage qui le fait sortir victorieux d’une lutte en apparence disproportionnée, Son aiguillon est savamment dirigé vers le point le plus vulnérable; celui de la Guêpe reste impuissant, parce qu’il est dardé au hasard, C'est la science domptant la force aveugle. Là, le Bembex vidua, en embuscade sur le sable brülant, guette les Bombyles et autres gros Diplères, pour alimenter, au jour le jour, un nourrisson goulu, tapi au fond d’un terrier, hbre- (4): Ann. des sc. nat., 2° série, &. XV. ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 139 ment ouvert à l'extérieur. Quelques pas plus loin s’est établi le Philanthus triangulum, qui fait la guerre à l'Abeïlle domestique, surprend la pauvrette, au moment où elle emplit de pollen la cor- beille de ses pattes , la blesse mortellement d'un coup d’aiguillon , et, après avoir léché la gouttelette sucrée que l’agonie a fait dégor- ger au cadavre, l'emmagasine dans ses profondes demeures. Par iei, sur ces sables chauffés par un soleil torride, stridulent les Sphex trainant par les antennes des Grillons et des Acridiens, Dans leur voisinage et avee des stridulations pareilles, les Ammo- philes ereusent leurs puits dans le grès , et y enterrent de grosses Chenilles, gigantesque gibier pour de frêles chasseurs. Voici en- core l'Oxybelus latro , qui saisit sur les ombellifères des Sarco- phaga et des Lucilia Cæsar ; l'Oxybelus uniglumis qui, fidèle aux goûts de son congénère, nourrit ses larves avec des Anthomyia, pluvialis ; le Blepharipus pauperatus, qui s'attaque encore aux Diptères, à divers Muscides. Citons enfin, parmi tous ces impla- cables giboyeurs, l’Astata boops, qui va chercher sur l'Osyris alba des larves d’une Punaise azurée ; les Pompiles, qui furettent dans les fissures des rochers à la poursuite des Araignées ; le Tachytes tarsina Lep., qui fond comme un trait sur de jeunes Acridiens er > eore sans ailes ; le Tachytes nigra et le T. obsoleta, qui choisissent pour gibier les mêmes Grillons, les mêmes Acridiens que ehassent les Sphex, et très probablement, lorsque l’occasion s’en présente, s'emparent effrontément des galeries approvisionnées de ces der- niers. | Au milieu de ces tribus âdonnées à la chasse, d’autres plus paci- fiques emplissent de miel leurs cellules façonnées , tantôt avec de la terre pétrie, tantôt avec des pièces ovales découpées sur les feuilles du rosier , du lilas ou du poirier ; ou bien avee une cire grossière pareille à du bitume, ou bien encore avec une bourre blanche, espèce de toison récoltée apparemment sur les Ferbas- cum. À cette énumération bien imparfaite ajoutons les parasites’ qui veillent, écontent aux portes, épiant le départ du légitime possesseur du domicile, pour déposer furtivement dans une cellule étrangère l’œuf qu'ils ne savent pas élever. Ce sont les Mélectes et les Crocises qui furettent témérairement dansles galeries appro- 110 FABRE. —— ÉTUDE SUR L'INSTINCT visionnées de miel; des Mouches, des Tachinaires, qui poursui- vent avec acharnement les Philanthes, les Cercéris, les Sphex et autres chasseurs arrivant avec le gibier entre les pattes, et, avec une incroyable audace, se glissent inaperçus sous le ventre du ra- visseur pour déposer leurs œufs sur la victime, avant qu’elle soit introduite dans le terrier. En un instant, le méfait est commis ; la famille du chasseur périra par famine. Ce sont encore les Chrysis qui, sous leur livrée étincelante de turquoises et de rubis, sont inhabiles au travail, et déposent leurs œufs dans les cellules d’ou- vriers plus modestes, ou même les introduisent lâchement dans le corps sans défense des larves de divers Hyménoptères, comme le font les Ichneumons dans le corps des Chenilles ; ce sont des Chal- cidiens qui, grâce à l’exiguité de leur taille, trouvent à se glisser partout ; des Coléoptères enfin, des Sitaris, des Clerus, et jus- qu'aux lourds et repoussants Meloe. Que de savantes manœuvres, de sublimes prévisions et de ruses infernales sont en jeu dans l'étendue de quelques mètres carrés! L'æœil de l'esprit entrevoit déjà les scènes les plus piquantes , les tactiques les plus adroïtes, les combinaisons les plus merveilleuses de la prescience de l'instinct. On voudrait ne rien laisser échapper de ces mœurs si curieuses ; on voudrait mener de front l'étude de ces diverses peuplades ; mais il faut nécessairementse borner , car tout le temps et toute l'attention sont nécessaires pour suivre jus- qu’au bout, dans sa vie intime, la moindre de ces espèces. Je vais donc consacrer uniquement ces pages à l’histoire de quelques Sphégiens, et en particulier du Sphex flavipennis, CHAPITRE I. L'INSECTE PARFAIT. — SES MŒURS. C’est vers la fin du mois de juillet que le Sphex flavipennis dé- chire le cocon qui l’a protégé jusqu'ici, et s’envole de sa demeure souterraine. Pendant tout le mois d’août, on le voit communément voltiger , à la recherche de quelque gouttelette mielleuse , autour des capitules épineux de l’Eryngium campestre, la plus commune des plantes robustes qui bravent impunément les feux caniculaires ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. Al de ce mois. Mais cette vie insouciante est de courte durée ; la con- servation de sa race exige le sacrifice du petit nombre de jours qu'il a encore à vivre, et, dès les premiers jours de septembre, le Sphex est à sa rude tâche de pionnier et de chasseur. C’est ordi- nairement quelque plateau de peu d’étendue, sur les berges élevées des chemins, qu'il choisit pour l'établissement de son domicile, pourvu qu'il y trouve deux choses indispensables : un sol aréneux facile à creuser et du soleil. Du reste, aucune précaution n’est prise pour abriter le berceau qu'il va peupler contre les pluies de l'automne et les frimas de l'hiver. Un emplacement horizontal sans abri, battu par la pluie et les vents, lui convient à merveille, avec la condition cependant d’être exposé au midi. Aussi, lorsqu'au mi- lieu de ses travaux de mineur, une pluie abondante survient, c'est pitié de voir, le lendemain, les galeries en construction boulever- sées, obstruées de sable, et finalement abandonnées. Le Sphex albisecta et les Ammophiles ne se montrent guère plus difficiles ; cependant le sol qu’ils choisissent est plus compacte, car c’est le plus souvent sur quelque corniche de mollasse, ou sur le sol durei des bords des chemins, qu'ils viennent s'établir. Rarement le Sphex flavipennis se livre sohtairement à son industrie ; c’est par petites peuplades de dix, vingt pionniers ou davantage que l’em- placement élu est exploité. Il faut avoir passé quelques journées en contemplation devant l’une de ces bourgades, par un temps parfaitement calme et par un soleil brülant, pour se faire une idée de l’activité fiévreuse , de la prestesse saccadée , de la brusquerie de mouvements de ces laborieux mineurs. Le sol est rapidement attaqué avec les rateaux des pattes antérieures : canis instar, comme dit Linné. En même temps, chaque ouvrier entonne sa joyeuse chanson, qui se compose d’un bruit strident, aigu, inter- rompu à de très courts intervalles, et modulé par les vibrations du thorax et des ailes. On dirait une troupe de gais compagnons se stimulant au travail par un rhythme monotome, mais cadencé. Cependant le sable vole, retombant en fine poussière sur leurs ailes frémissantes , et le gravier trop volumineux arraché grain à grain roule loin du chantier. Sous les efforts redoublés des tarses et des mandibules, l’antre ne tarde pas à se dessiner ; l’animal peut déjà Ah FABRBE., — ÉTUDE SUR L'INSTINCT y plonger en entier. C’est alors une vive alternative de mouvez ments en avant pour détacher de nouveaux matériaux, ét de mou: vements de recul pour balayer au dehors les déblais. Dans ce va= et-vient précipité, le Sphiex ne marche pas ; il s’élance comme poussé par un ressort; il bondit, l'abdomen palpitant, les antennes vibrantes, tout le corps enfin animé d’une sonore trépidation: Voilà le mineur dérobé aux regards ; on entend encore sous terre son infatigable chanson, tandis qu'on éntrevoit, par intervalles, ses jambes postérieures poussant à reculons une ondée de sable jus= qu’à l’orifice du terrier. De temps à autre, le Sphex interrompt son travail souterrain, soit pour venir s’épousseter au soleil ; se dé- barrasser des grains de poussière qui , en s’introduisant dans ses fines articulations, gènent la liberté de ses mouvements ; soit pour opérer dans les alentours de son établissement une ronde de res connaissance. Malgré ces interruptions , qui d’ailleurs sont de courte durée, dans l'intervalle de quelques heures la galérie ést creusée , et le Sphex vient sur le seuil de sa porte chanter son: triomphe, et donner le dernier poli au travail, en effaçant quelques inégalités, en enlevant quelques parcelles raboteuses, que son coup d'œil clairvoyant peut seul distinguer. Cela fait, la chasse. commence. | Mettons à profit ses courses lointaines, à la recherche du gibier, pour examiner la strueture interne de son terrier, L'emplacement général d’une colonie de Sphex est, ai-je dit, un terrain horizon- tal. Cependant le sol n’y est pas tellement uni, qu'on n’y trouve quelques petits mamelons couronnés d’une toufle de gramen où d’armoise ; quelques plis consolidés par les racines de la maigre végétation qui les recouvré ; c’est sur le flanc de ces insignifiantes rides que s'ouvre la galerie du Sphex. Cette galerie se compose done d’abord d’une portion horizontale de 2 ou 8 pouces de pro: fondeur, et servant d’avenue à la retraite cachée, destinée aux pro- visions et aux larves. C’est dans ce corridor que le Sphex s’abrite pendant le mauvais temps; c’est à qu'ilse retire la nuit, et qu'il se repose le jour quelques instants, montrant seulement au dehors sa face expressive , ses gros yeux effrontés. A la suite de l'avenue survient un coude brusque, plongeant plus où moins obliquement ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 113 à une profondeur de 2 où 3 pouces encore, et terrniné par une céllule ovalaire d’un diamètre un peu plus grand, et dont lé grand axe ést dirigé horizontalement, Les parois de la cellule ne sont revêtues d'aucun ciment particulier ; mais, malgré léur nudité, on Voit qu'elles ont été l’objet d’un travail plus soigné. Le sable ÿ est tassé, égalisé avec soin sur le plancher, sur le plafond et les côtés, pour éviter les éboulements, et pour effacer les aspérités qui pourraient blesser la peau délicate de la larve. Enfin cette cellule communique avec le couloir par une entrée étroite, juste suffisante pour laisser passer le Sphex chargé de sa proié. Quand cette pre: ière cellule est munie d’un œuf et des provisions nécessaires, le Sphex en mure l’éntrée, mais il n’abandonne pas encore son terrier, Une seconde cellule ést creusée à côté de la première et approvi- sionnée de la même manière, puis une troisième, et quelquefois énfin une quatrième. C’est seulement alors que le Sphex rejette dans le terrier tous les déblais amassés devant la porte, et qu’il efface complétement les traces extérieures de son travail. Ainsi, à chaque terrier, il correspond ordinairement trois cellules , rare: ment deux, et plus rarement encore quatre. Or, comme l’apprend le scalpel, on peut évaluer à une trentaine le nombre des œufs pondus par une femelle, ee qui porte à dix le nombre des terriers ñécessaires. D'autre part, lés travaux ne commencent guère avant séptémbre, et sont achevés avant la fin de ce mois. Par conséquent, le Sphiex ne peut consacrer à chaque terrier et à son approvision- flement que deux ou trois jours au plus. On conviendra que l’active béstiôlé n’a pas un moment à perdre, lorsque, en si peu de temps; elle à à creuser le gite, à sé procurer une douzaine de Grillons, à les transporter quelquefois de loin à travers mille difficultés, à les émmagasiner, et à boucher enfin le terrier, surtout si l’on tient coïpte des journées où le vent rend la chasse impossible, et des journées pluvieuses, où même seulement sombres, qui suspendent tout travail. On conçoit d’après cela que le Sphex ne peut donner à ses constructions la solidité séculaire de celles dés Cercéris, dont j'ai déjà raconté l’histoire. Ces derniers se transmettent d'une gé- nération à l’autre ces demeures solides , chaque année plus pro- fondément excavées, qui m'ont mis tout en nage lorsque j'ai voulu + 14h FABRE. —— ÉTUDE SUR L'INSTINCT les visiter, et qui même, le plus souvent, ont impunément résisté aux efforts de mes instruments de fouille. Le Sphex n’hérite pas du travail de ses devanciers ; il a tout à faire, et rapidement. Sa de- meure est la tente d’un jour, qu’on dresse à la hâte pour la lever le lendemain. Mais, Ô ressources infinies de la Providence! les larves, recouvertes seulement d’une mince couche de sable, savent elles- mêmes suppléer à l'abri que leur mère n'a pu leur créer : elles savent se revêtir d’une triple et quadruple enveloppe imperméable, dont la complication n’étonne plus quand on a sous les yeux l’in- croyable luxe de glandes sérifiques dont la nature les a pourvues. Malgré les imperfections que le travail du Sphex peut présenter au premier coup d'œil, un examen plus attentif y découvre cepen- dant des particularités parfaitement rationnelles, calculées dans un but exactement prévu. Ces cellules, dont la plus grande dimen- sion est dans le sens horizontal, ne sont-elles pas disposées de la meilleure manière pour que la larve puisse se mouvoir aisément au milieu de ses victimes, poids inerte qui l'aurait évidemment très embarrassée dans le cas d’une cellule verticale. Cette avenue hori- zontale n'est-elle pas très convenable dans un terrier qui doit rester ouvert plusieurs jours ? Sans elle, des obstructions occasion- nées par le moindre vent ne seraient-elles pas à craindre? Ne faut-il pas d’ailleurs à l’ouvrier un gite sur le chantier même de son travail ? Voyez, en effet, le Spheæx albisecta et les Ammophiles, qui, en une seule séance, creusent et approvisionnent leurs ter- riers. Ils se contentent de pratiquer un puits vertical d’une paire de pouces de profondeur, avec une seule cellule à l’extrémilé, disposée d’ailleurs comme précédemment ; mais l'avenue horizontale man- que toujours. Ne creusant qu’une seule cellule, et n’ayant à saisir qu'une seule victime, ils achèvent leur opération en fort peu de temps ; et alors, toute précaution étant superflue, ils suppriment, comme inutile, cette avenue. J’ajouterai que ces derniers Hymé- noptères, loin de rechercher dans leurs {ravaux la société de leurs pareils, comme le fait le Sphex flavipennis, selivrent solitairement à leur industrie. Cependant les manœuvres sont les mêmes de part et d'autre; c’est la même stridulation joyeuse pendant le travail, les mêmes mouvements prestes et saccadés. Les Sphex toutelois ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 445 mettent dans leurs travaux beaucoup plus d’animation que les Ammophiles. Mais voici venir bruyamment un Sphex flavipennis qui, de re- tour de la chasse, s'arrête sur un buisson voisin et soutient par une antenne , avec ses mandibules , un volumineux Grillon, plu- sieurs fois aussi pesant que lui. Accablé sous le poids de son gibier, il se repose un instant. Puis il reprend sa capture entre ses pattes, et, par un suprême effort, franchit d'un seul trait la largeur du ravin qui le sépare de son domicile, et s’abat lourdement sur le plateau où je suis en observation, au milieu même d’une bourgade de Sphex ; le reste du trajet s'effectue à pied. L'Hyménoptère, que ma présence n'intimide en rien, est à califourchon sur sa victime, et s’avance, la tête haute et fière, tirant par une antenne, à l’aide de ses mandibules, le Grillon qui traine entre ses pattes. Si le sol est nu, ce transport s'effectue sans encombre; mais si quelque touffe de gramen étend, en travers de la route à parcourir , le réseau de ses stolons, il est curieux de voir la stupéfaction du Sphex, lorsqu'une de ces cordelettes vient tout à coup à paralyser ses efforts et à arrêter le véhicule ; il est curieux d’être témoin de ses marches et contre-marches, de ses tentatives réitérées, jusqu’à ce que l’obsiacle soit surmonté, soit par le secours des ailes, soit par un détour habilement calculé. Le Grillon est enfin amené à sa destination, et se trouve placé de manière que ses antennes arri- vent précisément à l’orifice du terrier. Le Sphex abandonne alors sa proie, et descend précipitamment au fond du souterrain. Quel- ques secondes après, on le voit reparaïitre, montrant sa tête au de- hors , et jetant un petit cri allègre. Les antennes du Grillon sont à sa portée; il les saisit, et le gibier est prestement emmagasiné. Je me demande encore, sans pouvoir trouver une solution suffi- samment motivée, pourquoi cette complication de manœuvres au moment d'introduire le Grillon dans le terrier. Au lieu de descendre seul dans son gite pour reparaître ensuite, et reprendre la proie abandonnée quelque temps sur le seuil de la porte, le Sphex n’au- rait-il pas plus tôt fait de continuer à traîner le Grillon dans sa ga- lerie, comme il le fait à l'air libre, puisque la largeur du souterrain le permet, ou bien de l’entrainer à sa suite en pénétrant lui-même 4° série. Zoo. T. VI. (Cahier n° 3.) ? 10 4116 FABRE. — ÉTUDE SUR L'INSTINCT le premier à reculons? Les divers Hyménoptères déprédateurs que j'ai pu observer jusqu'ici entraînent immédiatement, sans aucun préliminaire, au fond de leurs cellules, le gibier retenu sous leur ventre à l’aide des mandibules et des pattes intermédiaires. Le Cerceris de M. L. Dufour commence à compliquer ses manœuvres, puisque , après avoir momentanément déposé son Bupreste à la porte du logis souterrain, il entre tout aussitôt à reculons dans sa galerie pour saisir alors la victime avec les mandibules , et l’en- trainer au fond du clapier. Il y a encore loin de cette tactique à celle qu'adoptent en pareil cas les deux Sphex que j’ai observés. Pourquoi celte visite domiciliaire qui précède inévitablement l’in- troduction du gibier? Ne se peut-il pas qu'avant de descendre avec un fardeau embarrassant, le Sphex ne juge prudent de donner un coup d’œil au fond du logis pour s'assurer que tout y est en ordre, pour chasser au besoin quelque parasite effronté qui aurait pu s’y introduire pendant son absence ? Quel est alors ce parasite ? Les Tachinaires dont j’ai déjà parlé ne paraissent pas se hasarder dans le couloir obscur où le Sphex, s’il venait par malheur à s’y trouver, leur ferait chèrement payer leur audace. Ces Diptères ont d’ailleurs tout le temps nécessaire pour déposer leurs œufs , et, s'ils sont vigilants, ils sauront bien profiter de l'abandon momen- tané de la victime pour lui confier leur postérité. Quelque danger plus grand encore menace done le Sphex, puisque sa descente préalable au fond du terrier est pour lui d’une si impérieuse, d’une si coûteuse nécessité. Voici le seul fait fourni par l’observation qui puisse jeter quelque jour sur cette obscure question : Au milieu d’une bourgade de Sphex en pleine activité, et d’où tout autre Hyménoptère est ordinairement exelu , j'ai surpris un Tachytes nigra transportant un à un, sans se presser , avec le plus grand sang-froid, au milieu de la foule où il n’était qu’un intrus , des grains de sable, des brins de petites tiges sèches et autres maté- riaux, pour boucher un terrier de même forme et de même calibre que les terriers voisins des Sphex. Ce travail était fait trop con- seiencieusement pour qu'il fût permis de douter de la présence de l'œuf de l’ouvrier dans le souterrain. Un Sphex aux démarches in- quiètes, apparemment légitime possesseur du terrier, ne manquait ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 147 pas , chaque fois que l’Hyménoptère étranger pénétrait dans la galerie , de s’élancer à sa poursuite; mais il ressortait brusque- ment comme effrayé, suivi du Tachytes, qui continuait impassi- blement son œuvre. J'ai visité ce terrier, évidemment objet de li- tige entre. les deux Hyménoptères, et j'y ai trouvé une cellule approvisionnée de quatre Grillons. Le soupçon fait presque place à la certitude : ces provisions dépassent les besoins d’une larve du Tachytes, et celui que son impassibilité, ses soins à boucher le terrier feraient d’abord prendre pour le maitre du logis, n’est réellement qu'un usurpateur. Comment le Sphex plus gros, plus vigoureux que son adversaire, se laisse-t-ilimpunément dépouiller, se bornant à des poursuites sans résultat, et fuyant chement, quand l'intrus, qui n’a pas même l'air de s’apercevoir de sa pré- sence, se retourne pour sortir du terrier ? C’est ce que je ne sau- rais m'expliquer. Je dois à l’honneur du parasite présumé d’ajou- ter que je l'ai surpris traînant un Grillon par une antenne. Était-ce un gibier légitimement acquis ? J'aime à le croire; car enfin le T'achytes nigra est organisé pour le travail de mineur et de chas- seur ; au besoin, la peine que je l’ai vu se donner pour boucher le domicile usurpé le prouverait. Il chasse donc, il creuse ses terriers ; mais puisque ses larves se nourrissent de la même proie que celles du Sphex flavipennis, qui nous a dit qu'il ne trouve pas plus commode , lorsque l’occasion s’en présente, de déposer son œuf dans le terrier approvisionné et encore ouvert du Sphex. Ce para- sitisme serait le plus lâche de tous ; car, au lieu d’être imposé par le mode d’organisation , il le serait par la paresse. Mes soupçons planent également sur le T'achytes obsoleta, qui porte la même livrée que le Sphex albisecta, et quinourrit ses larves des mêmes Acridiens adoptés par ce dernier. Je ne l’ai jamais vu creuser ses terriers, mais je l'ai surpris traînant un Acridien que n’aurait pas désavoué le Sphex. Cette identité de l’approvisionnement dans des espèces de genres différents me confirme dans mon opinion, Disons enfin, pour réparer en partie les atteintes que mes soup- çons pourraient porter à la réputation du genre, que j'ai été témoin oculaire de la capture très loyale d’un petit Acridien encore sans ailes par le Tachytes tarsina , que je l'ai vu creuser ses cellules, et 118 FABRE, — ÉTUDE SUR L'INSTINCT les approvisionner avec une proie vaillamment acquise. Je n'ai donc que des soupçons à proposer pour expliquer l’opiniâtreté des Sphex à descendre au fond de leurs souterrains avant d'y eminaga- siner la proie. Auraient-ils un autre but que celui de déloger quel- que parasite survenu en leur absence ? C’est ce que je désespère de savoir , Car qui pourra jamais interpréter les mille manœuvres mystérieuses de l'instinct. Pauvre raison humaine, qui ne sait pas se rendre compte de la sapience d’un Sphex! Quoi qu’il en soit, il est constaté que ces manœuvres sont d’une rigoureuse invariabilité. Je citerai à ce sujet une expérience qui m'a singulièrement intéressé : Au moment où le Sphex opère sa visite domiciliaire , je prends le Grillon , abandonné à l’entrée du logis, et le place quelques pouces plus loin. Le Sphex revient, jette son cri ordinaire, regarde étonné de çà et de là, et voyant son gibier trop loin, 1l sort de son trou pour aller le saisir et le rame- ner dans la position voulne ; cela fait, il redescend encore, mais seul. Même manœuvre de ma part, même désappointement du Sphex à son arrivée. Le gibier est encore rapporté au bord du trou, mais l’Hyménoptère descend toujours seui ; et ainsi de suite, tant que la patience de l’expérimentaleur n’est pas lassée. J'ai répété coup sur coup une quarantaine de fois la même épreuve sur le même individu ; son obstination a triomphé de la mienne, et sa tactique n'a jamais varié. Je croyais d’abord qu'après quelques essais infructueux , le Sphex, mieux avisé, finirait par ne pas se dessaisir de sa capture, et par l'introduire avec lui. Il n’en est rien : la faculté d'acquérir de l'expérience, même à ses dépens, lui est étrangère ; ses actes sont de tout temps invariablement réglés, et rien ne saurait le faire dévier de la voie qui lui csttracée. Mais que devient alors l’explication que j’ai proposée plus haut ? L'Hymé- noptère, après s'être assuré une première fois que l’ordre règne dans ses magasins , a-t-il encore besoin d’y redescendre une se- conde, une quarantième fois? Eh bien, malgré cela, je maintiens mon explication, tant les divers actes instinctifs des Insectes me paraissent fatalement liés l’un à l’autre. Parce que telle chose vient de se faire, telle autre doit inévitablement se faire pour com- pléter la première ou pour préparer les voies à son complément ; ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 449 etles deux actes sont sous une telle dépendance l’un de l’autre , que l'exécution du premier entraine celle du second, lors même que , par des circonstances forluites , le second soit devenu non- seulement inopportun, mais même quelquefois contraire aux inté- rêts de l'animal. J'ai recueilli un second exemple de cette inflexibilité des lois de l'instinct. Le Sphex albisecla montre dans ses chasses des goûts analogues à ceux de son congénère ; il attaque comme lui des Or- thopières, mais d’un autre genre, des Criquets de moyenne taille. Par le relevé des nombreuses captures que j’ai faites à ses dépens, j'ai reconnu qu'il bornait ses déprédations au genre Edipoda, dont les diverses espèces, abondamment répandues dans les envi- rons de son terrier, lui fournissent indistinctement leur tribut de victimes. À cause de l'abondance de ces Acridiens, la chasse se fait sans de lointaines pérégrinations. Lorsque le terrier est préparé, le Sphex se borne à parcourir, dans un rayon de peu d’étendue, le voisinage de son gîte, et il ne tarde pas à trouver à sa portée quelque Criquet pâturant au soleil. Fondre sur lui, le piquer de son aiguillon , tout en maïtrisant ses ruades , c'est pour le Sphex l'affaire d’un instant. Après quelques trémoussements des ailes qui déploient convulsivement leur éventail de pourpre ou d’azur, après quelques pandiculations des pattes, la victime est immobile. Il s’agit maintenant de la voiturer au logis, car, à cause de son poids , 1] lui est impossible de Ja transporter au vol. Pour cette pénible opération, il emploie le même procédé que le Sphex flavi- penms, c'est-à-dire qu'il la traine entre ses pattes, en la tenant par une antenne avec les mandibules. Si quelque fourré de gazon se présente sur son passage, il s’en va sautillant, voletant d’un brin d'herbe à l’autre, esquivant avec adresse les difficultés , sans ja- mais se dessaisir de sa capture. Parvenu enfin à quelques pieds de distance de son domicile, il exécute une manœuvre inconnue du Sphex flavipennis. Le gibier est momentanément abandonné, et le Spbhex , sans qu'aucun danger apparent menace sa demeure, se dirige avec précipitation vers l’orifice de son puits, où il plonge à plusieurs reprises la tête, où il descend même en partie. Ensuite il revient au Criquet, et après lavoir rapproché davantage du tieu de 150 FABRE, — ÉTUDE SUR L'INSTINCT sa destination, il le lâche une seconde fois pour renouveler sa visite au puits, et ainsi de suite à plusieurs reprises, et avec la vélocité la plus empressée. Il faut que ces visites réitérées soient d’une bien grande importance pour le chasseur, puisqu'il n’y manque jamais, malgré les fâcheux accidents qui en sont la suite. En effet, la vic- time, quelquefois abandonnée étourdiment sur un sol en pente, roule jusqu’au pied du talus, et le Sphex, à son retour, ne la retrou- vant pas à la place où il l’a laissée, est obligé de se livrer à de minutieuses recherches , quelquefois infructueuses, S'il la re- trouve, il lui faut recommencer une pénible escalade, ce qui ne l'empêche pas d'abandonner encore sa capture sur la même malen- contreuse déclivité. En dépit de ces retards, ce n’est qu'après toutes ces précautions, dictées par un excès de vigilance, que le gibier est amené au bord du puits, les antennes pendantes dans l’orifice. Alors reparaît, fidèlement imitée, la tactique employée en pareil cas par le Sphex flavipennis. J'ai, pendant que le chasseur de Cri- quets effectuait l'examen de son logis, rejeté plus loin sa capture, et j'ai obtenu ‘des résultats en tout point conformes à ceux que m'a fournis l’autre Sphex. C'est dans les deux espèces la même opinià- treté mvincible à plonger dans leurs souterrains avant d’y entrainer leurs victimes. Mais voici qui est plus étrange, et c’est ce à quoi je voulais fina- lement arriver. Après avoir, à plusieurs reprises, reculé loin de l'entrée du’ souterrain la capture du Sphex albisecta, et obligé celui-ci à venir la ressaisir, je profite de sa descente au fond de sa demeure pour m’emparer de sa proie, et la mettre en lieu sûr où il ne pourra pas la trouver. Le Sphex revient, cherche longtemps, et quand il s’est convaincu que sa proie est bien perdue, il redescend désappointé dans sa demeure. Quelques instants après il reparaît, sans doute pour recommencer la chasse. Mais non, Ô surprise pleine de confusion pour moi ! le Sphex se met à boucher soigneusement son terrier. En peu d’instants toute trace du gîte a disparu. | | Je le disais tout à l'heure : les actes instinctifs sont sous une telle dépendance l’un de l’autre que l’accomplissement de l’un entraîne invinciblement l’accomplissement de l’autre, lors même que ce ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 451 dernier soit devenu fortuitement contraire aux intérêts de l'animal. Quel peut être le but du Sphex en bouchant un terrier laborieuse- ment construit, et devenu inutile faute de provisions, mais qui serait parfaitement utilisé, et aurait épargné le. nouveau travail d’excavation qu’il faudra entreprendre ailleurs, si une seconde expédition avait réparé la perte faite par le chasseur ? Je ne m’ex- plique cet acte inconséquent qu’en le regardant comme le complé- ment fatal des actes qui l’ont précédé. Dans l’ordre normal, le Sphex chasse sa proie, pond un œuf et ferme son terrier. La chasse s’est faite; le gibier, 1l est vrai, n’est pas arrivé à sa destination : n'importe, la chasse s’est faite, l'œuf a peut-être été pondu dans la cellude vide, et maintenant vient le tour de clore la demeure. C’est ce qui se fait très consciencieusement, sans la moindre arrière-pensée, de manière à prouver avec la dernière évidence que l'animal ne soupçonne pas l’inutilité de son travail actuel. = Cet acte est par trop singulier pour que jé n'’aie pas cherché à m'assurer que ce n’est pas là quelque chose de tout à fait excep- tionnel, quelque aberration individuelle, quelque distraction , que sais-je enfin. Eh bien, de tous les Sphex soumis à cette épreuve, le plus grand nombre m'a rendu témoin des mêmes inconsé- quences, d’autres se sont envolés et je ne les ai plus revus, sans doute parce que je n'ai pas assez attendu. J’ajouterai enfin qu'il n’est pas nécessaire de commettre soi-même le larcin du gibier pour voir boucher des cellules non approvisionnées. J'ai surpris souvent des Sphex occupés à clore des terriers où je n’ai pas trouvé de provisions, apparemment parce qu'au milieu des manœuvres compliquées qu’ils emploient pour amener leurs victimes aux cel- lules, ils les avaient perdues d’une manière ou de l’autre. Les Am- mophiles m'ont présenté les mêmes incidents. La cellule unique qui occupe l’extrémité de leurs puits est approvisionnée avec dés Chenilles de divers Lépidoptères nocturnes. Si la Chenille est maigre, fluette comme le sont les Chenilles dites arpenteuses, une seule ne suffit pas à l’appétit de la larve, et alors il y en à quatre ou cinq dans la même cellule. C’est ce qui a lieu pour les cellules de l’mmophila holosericea. Mais l'Ammophila sabulosa el’ 4. ar- gentaia s’attaquent à des espèces beaucoup plus grosses. J'a vu, 152 FABRE., -— ÉTUDE SUR L'INSTINCT par exemple, l’4. sabulosa transporter une Chenille dont le poids égalait quinze fois celui du ravisseur. Ces deux espèces ne donnent àchaque larve qu’une seule pièce de gibier. Si cette pièce vient à être égarée dans le trajet, le terrier, quoique vide, est rebouché avecsoin. Il est à peu près impossible de s'assurer sile Sphex flavipennis, qui bâtit plusieurs cellules dans le même terrier et entasse plusieurs Grillons dans chacune, commet les mêmes erreurs lorsqu'il est accidentellement troublé dans ses manœuvres. Toutefois je ne suis pas éloigné de le croire, et voici sur quoi se base ma conviction. Le nombre de Grillons qu'on trouve dans les cellules, lorsque tout travail est fini, est ordinairement de quatre pour chacune. Il n’est pas rare pourtant de n’en trouver que trois, et même quelquefois que deux. Le nombre quatre me paraît le nombre normal, d’abord parce qu'il est le plus fréquent, et ensuite parce qu’en élevant de jeunes larves exhumées lorsqu'elles en étaient encore à leur premier Grillon, j'ai reconnu que toutes, aussi bien celles qui n'étaient naturellement pourvues que de deux ou de trois pièces de gibier que celles qui en avaient quatre , venaient facilement à bout des divers Grillons que je leur fournissais un à un jusqu’à la quatrième pièce inelusivement, mais que par delà elles refusaient toute nour- riture, ou n’entamaient qu’à peine la cinquième ration. Mais si quatre Grillons sont nécessaires à la larve pour acquérir tout le développement que son organisation comporte, pourquoi ne lui en est-il servi quelquefois que trois, d’autres fois que deux ? Pourquoi celte différence énorme du simple au double dans la quantité de ses provisions de bouche ? Ce n’est pas par suite des différences que peuvent présenter les pièces servies à son appétit, car toutes ont très sensiblement le même poids, le même volume; ce ne peut donc résulter que de la déperdition du gibier en route. On trouve, en effet, au pied du talus dont les gradins supérieurs sont occupés par des Sphex, des Grillons sacrifiés, mais perdus par suite de la pente du sol qui les a laissés glisser lorsque pour un motif quel- conque les chasseurs les ont un instant lâchés. Ces Grillons devien- nent bientôt la proie des Fourmis et des Mouches, et les Sphex qui les rencontrent se gardent bien de les recueillir, ear ils introdui- raient eux-mêmes l'ennemi dans le logis. ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 153 Ces divers exemples me paraissent démontrer que, si l’arithmé- tique de nos Hyménoptères sait supputer exactement le nombre et le poids des victimes à capturer, elle ne peut s'élever jusqu’au recensement de celles qui sont arrivées à heureuse destination ; comme si l'animal n'avait d'autre criterium dans ses calculs que le nombre de fois déterminé d'avance qu'une propulsion irrésis- tible l’entraîne à la recherche du gibier. Une fois qu’il a exécuté le nombre voulu d’expéditions, une fois qu'il a fait tout son pos- sible pour emmagasiner les captures qui en résultent, son œuvre est finie, et la cellule est murée bien approvisionnée ou non. La nature ne l’a doué que des faculiés réclamées dans les circon- stances ordinaires par les intérêts de sa progéniture, et ces facultés aveugles étant suffisantes pour la conservation de sa race , l’ani- mal ne saurait aller plus loin. Après tout, ce point de la psycho- logie de l'instinct demande encore pour s’élucider de nombreuses et bien patientes observations. Laissons donc le Spheæx flavipennis suivre sans entraves sa ligne de conduite, et nous serons témoins d’exploits assez merveilleux pour relever hautement dans notre esprit des talents que les obser- vations précédentes paraitraient devoir rabaisser. C’est, sans doute, au moment d’immoler le Grillon que l’'Hyménoptère déploie ses plus savantes ressources ; il importe donc de constater la manière dont la victime est sacrifiée. Instruit par mes tentatives multipliées de l’année dernière pour observer les manœuvres de guerre des Cercéris, j'ai immédiatement appliqué aux Sphex la tactique qui m'avait réussi pour les premiers, et qui consiste à enlever la proie au chasseur et à la remplacer rapidement par une autre vivante. Cette substitution est d'autant plus facile chez le Sphex flavipennis, que nous l’avons vu lâcher lui-même sa capture , pour descendre un instant seul dans le terrier. Son audacieuse familiarité, qui le porte à venir saisir au bout de vos doigts et jusque sur votre main le Grillon qu’on vient de lui ravir et qu’on lui offre de nouveau , se prête encore à merveille à l’heureuse issue de l'expérience, en permettant d'observer de très près, à la loupe même au besoin, tous les détails du drame. Trouver des Grillons vivants, c’est encore chose facile ; il n’y a qu'à soulever les premières pierres venues 15h FABRE, —— ÉTUDE SUR L'INSTINCT pour en trouver de tapis à l’abri du soleil. Ces Grillons sont des jeunes de l’année, n’ayant encore que des ailes rudimentaires, et qui, dépourvus de l’industrie de l'adulte, ne savent pas encore se creuser ces profondes retraites où ils seraient à l’abri des mvestigations des Sphex et des miennes. En peu d’instants me voilà possesseur d’au- tant de Grillons vivants que je peux en désirer. Une précaution indispensable reste encore à prendré. Ma peuplade de Sphex se trouve sur un gradin élevé, où je ne parviens que par escalade à l'aide d’entailles pratiquées dans le sol à pic. Inévitablement, chaque Grillon, dès que je le cherai, ne manquera pas de faire usage des ressorts de ses jambes postérieures pour s’élancer hors de ma portée et pour retomber au fond du ravin. Je prive alors mes captifs de leurs moyens si efficaces d'évasion ; je leur arrache sans pitié les jambes postérieures en laissant les cuisses intactes. Cette mutilation ne saurait rebuter les Sphex, puisque je les ai vus charrier des invalides encore plus maltraités que les miens. Voilà tous mes préparatifs faits. Jé me hissé au haut de mon observa- toire, je m'établis au centre de la bourgade des Sphex, et j'attends. Un chasseur survient, charrie son Grillor jusqu’à l’entrée du logis, et pénètre dans son terrier. Ce Grillon est rapidement enlevé et remplacé, mais à quelque distance du trou, par un des miens. Le ravisseur revient, regarde et court saisir la proie trop éloignée. Je suis tout yeux, tout attention. Pour rien je ne céderais ma part du dramatique spectacle auquel je vais assister. Le Grillon effrayé s’en- fuit en clopinant, le Sphex le serre de près, l’atteint et se précipite sur lui. C’est alors au milieu de la poussière un pêle-mêle confus où tantôt vainqueur, tantôt vaincu, chaque champion oceupe tour à tour le dessus ou le dessous dans la lutte. Le succès, un instant balancé, couronne enfin les efforts de l’agresseur. Malgré ses vigoureuses ruades rendues, "hélas ! moins effieaces par l’amputa- tion des jambes postérieures, malgré les conps de tenaille de ses mandibules, le Grillon est terrassé, étendu sur le dos. Les disposi- tions du meurtrier sont bientôt prises. Il se met ventre à ventre . avec son adversaire, mais en sens contraire, saisit avec ses man- dibules l’un ou l’autre des deux filets abdominaux du Grillon , et maîtrise avec ses pattes de devant les efforts convulsifs des grosses ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 155 cuisses postérieures. En même temps ses pattes intermédiaires étreignent les flancs pantelants du vaincu, et ses paltes postérieures S'appuyant, comme deux leviers, sur sa face font largement bâiller l'articulation du cou. Le Sphex récourbe alors verticalement l’ab- domen de manière à ne présenter aux mandibules duGrillon qu’une surface insaisissable, et l’on voit, non sans émotion, son stylet em- poisonné plonger une première fois dans le cou de la victime, puis une seconde fois dans l’articulation des deux segments antérieurs du thorax. En bien moins de temps qu’il n’en faut pour le raconter, le meurtre est consommé, et le Sphex, après avoir réparé les désordres de sa toilette, s'apprête à charrier au logis la victime dont les membres sont encore animés des frémissements de l’agonie. Arrêtons-nous un instant sur ce que présente d’admirable la tactique de guerre dont je viens de donner un pâle aperçu. Les Cercéris s’attaquent à un adversaire passif, incapable de fuir, pres- que privé d’armes offensives, et dont toutes les chances de salut sont confiées à une solide cuirasse dont le meurtrier sait toutefois trouver le défaut. Mais ici quelles différences ! La proie à attaquer est armée de mandibules redoutables, capables d’éventrer l’agres- seur si elles parviennent à le saisir; elle est pourvue de deux pattes vigoureuses, véritables massues hérissées d’un double rang d’épines acérées, qui peuvent tour à tour servir au Grillon pour bondir loin de son ennemi, ou pour le culbuter sous leurs brutales ruades. Aussi voyez quelles précautions, de la part du Sphex, avant de faire manœuvrer son aiguillon. La victime , renversée sur lé dos, ne peut, faute de point d'appui , faire usage pour s'évader de ses leviers postérieurs, ce qu’elle ne manquerait pas de faire si elle était attaquée dans la station normale, comme le sont les Cha- rançons par les Cercéris. Ses jambes épineuses, maîtrisées par les pattes antérieures du Sphex, ne peuvent non plus agir comme armes offensives, et ses mandibules, retenues à distance par les pattes postérieures de l’'Hyménoptère , s’entr'ouvrent menaçantes sans pouvoir rien saisir. Mais ce n’est pas assez pour le Sphex de mettre sa victime dans l'impossibilité de lui nuire; il lui faut en- core’ la tenir si étroitement garrottée, qu’elle ne puisse faire le 156 FABRE, — ÉTUDE SUR L'INSTINCT moindre mouvement capable de détourner l’aiguillon du point ma- thématique où doit être instillée la goutte de venin, et c’est proba- blement dans le but de paralyser les mouvements de l’abdomen qu'est saisi l’un des filets qui le terminent. Non, si une imagina- tion féconde s'était donné le champ libre pour inventer à plaisir le plan d'attaque, elle n’aurait pas trouvé mieux; et je doute que les athlètes des antiques palestres eussent, en se prenant corps à corps avec un adversaire, des attitudes calculées avec plus de science. Je viens de dire enfin que l’aiguillon est dardé à deux reprises dans le corps du patient : la première fois sous le cou, la seconde en arrière du prothorax. On pourrait croire même, à en juger par les tâtonnements de la pointe frémissante de l’abdomen, qui semble rechercher , après cette double blessure, un nouveau point vulné- rable, que l’assassin ne trouverait pas superflu un troisième coup de stylet qui m’a échappé s’il est donné en effet. C’est dans cette double et peut-être triple blessure que se montrent dans toute leur magnificence l’infaillibilité, la science infuse de l'instinct. Rappe- lons d’abord rapidement les principales conséquences de mon tra- vail précédent sur un sujet analogue. Les victimes des Hyméno- ptères, dont les larves vivent de proie, ne sont pas de vrais cadavres malgré leur immobilité parfois complète. Chez elles, 1l y a simple paralysie, totale ou partielle, des mouvements, il y a anéantisse- ment plus ou moins complet de la vie animale; mais la vie végé- tative, la vie des organes de la nutrition, se maintient longtemps encore, et préserve de la décomposition la proie que la larve ne doit dévorer qu’à une époque assez reculée. Pour produire cette paralysie , les Hyménoptères déprédateurs emploient précisément les procédés que la science avancée de nos jours pourrait suggérer aux physiologistes, c’est-à-dire la lésion, au moyen de leur dard vénénifère , des centres nerveux qui animent les organes locomo- teurs. On sait, en outre, que les divers centres médullaires de la chaîne nerveuse des animaux articulés sont, dans une certaine limite, indépendants les uns des autres dans leur action; de telle sorte que la lésion de l’un d’entre eux n’entraîne , immédiatement du moins, que la paralysie du segment correspondant; et ceci est d’autant plus exact que les divers ganglions sont plus séparés, plus ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉCIENS. 157 distants l’un de l’autre. S'ils sont, au contraire, soudés, fondus ensemble, la lésion de ce centre commun amène la paralysie de tous les segments où se distribuent ses ramifications. C’est le cas qui se presente chez les Buprestes et les Curculionites, que les Cer- céris paralysent par un seul coup d’aiguillon dirigé vers la masse commune des centres médullaires du thorax. Mais ouvrons un Grillon. Qu’y trouvons-nous pour animer les trois paires de pattes ? On y trouve ce que le Sphex savait fort bien avant tous les anato- mistes, trois centres nerveux largement distants l’un de l’autre. Delà la sublime logique de ses coups d’aiguillon réitérés. Science superbe, humiliez-vous! Les chasses des Ammophiles n’offrent plus le même intérêt , le gibier n'ayant aucun moyen de fuite ou de défense. La Chenille , saisie avec les mandibules par la peau du dos, se tord en tout sens pendant que la pointe de l'abdomen de l’Hyménoptère se promène sous son ventre, et choisit le point favorable à l’inoculation du venin. Dans les rares occasions que j'ai eues d'assister au meurtre de la Chenille, j'ai vu l’aiguillon s'adresser , une fois pour toutes , soit au cinquième , soit au sixième anneau. En combinant ces obser- vations avec les suivantes, on peut admettre, je crois, que le point atteint par le dard est à peu près invariable. C’est à des Chenilles sacritiées et dérobées aux ravisseurs occupés à les emporter dans leurs terriers, que j'ai eu recours pour conslater encore le seg- ment piqué. Mais ce n'est pas à l'optique qu'il faut s’adresser, aucune loupe n'étant capable de faire découvrir sur ces victimes la moindre trace de blessure. Voici le procédé que j'ai suivi. La Che- nille étant parfaitement tranquille, j’explore chaque segment avec la pointe déliée d’une aiguille, et je mesure ainsi sa dose de sensi- bilité par le plus ou moins de signes de douleur que manifeste l’animal. Si c’est le cinquième ou le sixième segment qui est piqué, quelquefois même transpercé de part en part, la Chenille ne bouge pas. Mais si en avant ou en arrière du segment insensible on en pique légèrement un second, l'animal s’agite et d'autant plus vive- ment que le segment exploré est plus éloigné du point de départ. Vers l'extrémité anale surtout, le moindre attouchement provoque les mouvements les plus désordonnés. La Chenille se comporte en 4158 FABRE. — ÉTUDE SUR L'INSTINCT ce moment comme une sorte de pile sensible dont la ligne neutre se trouve vers le sixième segment, et dont la charge de sensibilité va en augmentant de chaque côté, à partir de cette ligne, et acquiert son maximum aux deux extrémités ou aux deux pôles. La conclu- sion est forcée : c’est le cinquième ou le sixième segment qui a reçu le coup d’aiguillon. Que présentent donc de particulier ces deux segments pour être ainsi l’un ou l’autre le point de mire des armes du meurtrier ? Dans leur organisation, rien; mais dans leur position c’est autre chose. En laissant de côté les Chenilles arpenteuses de lAmmo- phila holosericea , j'ai retrouvé , sans exception , dans les victimes de l’Ammophila sabulosa et de l’ 4. argentata, ’organisation sui- vante, en comptant la tête pour premier segment : trois paires de pattes vraies, quatre paires de pattes membraneuses placées sur les segments sept, huit, neuf et dix, et enfin une dernière paire de pattes membraneuse placée sur le dernier segment : en tout huit paires d'organes locomoteurs, dont les sept premiers forment deux groupes puissants, l’un de trois, l’autre de quatre paires. Ces deux groupes sont séparés par deux segments sans pattes, qui sont pré- cisément le cinquième et le sixième. Maintenant, pour enlever à la Chenille ses moyens d'évasion, pour la rendre immobile, l'Hy- ménoptère ira-t-1l darder son aiguillon dans chacun des huit seg- ments pourvus de pattes ? Mais son ampoule à venin pourra-t-elle suffire à cette dépense prodigue du précieux liquide ? La Chenille d’ailleurs n’a pas une vigueur qui exige un tel luxe de précautions. Un seul eoup d’aiguillon suffira done , mais il sera donné en un point central d’où la torpeur qui en résulte puisse s’irradier, dans le plus bref délai, au sein de tous les segments munis de pattes. Le segment à choisir pour l’inoeulation n’est done pas douteux : c’est le cinquième ou le sixième. Toujours la même inconcevable logique dans les inspirations de l'instinct ! Non plus que les Curculionites atteints par le dard des Cercéris, les Grillons sacrifiés par le Sphex flavipennis ne sont réellement morts, malgré des apparences qui peuvent en imposer quelque temps. La flexibilité des téguments des victimes peut ici, en tra- duisant fidèlement les moindres mouvements internes, nous dis: ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 159 penser des moyens artificiels que j'ai employés pour constater la présence d’un reste de vie dans les Charançons des Cercéris. En ellet, si on observe assidüment un Grillon étendu sur le dos , une semaine, quinze jours même et davantage, après le meurtre, on voit, à de longs intervalles, l'abdomen exécuter de profondes pulsations. Ces pulsations sont, en général, les seuls mouvements qu’on puisse observer. Elles se montrent dans toutes les victimes, et sont d’au- tant plus fréquentes que la victime est plus récente, Assez souvent on peut constater encore quelques frémissements dans les palpes etdes mouvements très prononcés exécutés par les antennes, et surtout par les filets abdominaux qui s’écartent en divergeant, puis se rap- prochent tout à coup. D’autres fois enfin, en irritant le prétendu cadavre avec la pointe d’une aiguille , on lui fait exécuter à la fois ces divers mouvements, et même remuer ses pattes , surtout les postérieures. Quel que soit le degré d'irritabilité qui survive en- core , dans toutes les victimes la nutrition parait s'effectuer sans trouble, si l’on en juge d’après la défécation qui a lieu comme à l'ordinaire , et qui ne s'arrête, au bout d’un temps plus ou moins long, que lorsque le contenu du tube digestif est épuisé. Je crois que l’inanition doit jouer le plus grand rôle dans la mort réelle qui survient tôt ou tard. On observe, en effet, que les victimes dont l'abdomen est le plus replet au début de la paralysie se conservent plus longtemps que les autres. En tenant les Grillons sacrifiés dans des iubes de verre que je nettoyais de temps à autre des déjections rejetées , je suis parvenu à les conserver pendant un mois et demi avec toute leur fraicheur ; mais dans des cornets de papier, je les ai vus se dessécher en moins de quinze jours. Une évaporation trop rapide amène donc la mort réelle dans l'intervalle de moins de deux semaines. Dans les cellules souterraines du Sphex, l’évapora- üon doit être très faible; par conséquent les larves qui vivent moins de quinze jours avant de s’enfermer dans leurs cocons, ont jusqu’à la fin de leur banquet de la chair fraîche assurée. Les Acridiens du Spheæ albisecta se comportent en tout comme il vient d’être dit pour les Grillons. Quant aux victimes des Ammo- philes, j'ajouterai que la paralysie du segment piqué gagne insen- siblement les segments voisins, et que tôt ou tard il arrive un mo- 160 FABRE. —— ÉTUDE SUR L'INSTINCT ment où la Chenille est insensible , d’une extrémité à l’autre , au stimulant de l'aiguille. Ceci arrive au bout d'une quinzaine de jours environ. Cependant les viscères se maintiennent encore quelque temps dans leur fraicheur normale, et ce n’est guère qu'au bout d’un mois que le corps se dessèche ou se putréfie. En inoculant une gouttelette d'ammoniaque aux points où se por- terait le dard de l'Hyménoptère, on plonge artificiellement les trois espèces de victimes dans un état pareil à celui que chaque espèce présente respectivement lorsqu'elle est atteinte par l’aiguillon du meurtrier. Je n’aurais qu’à répéter ici ce que j’ai dit dans mon pré- cédent travail. La chasse est terminée. Les quatre Grillons qui forment l’appro- visionnement d’une cellule du Spheæ flavipennis sont méthodique- ment empilés, couchés sur le dos, la tête au fond de la cellule, et les pieds à son entrée. L’unique Criquet d’une cellule du Sphex albisecta est pareillement disposé, mais les Chenilles des Ammo- philes n’ont pas d’arrangement fixe. Il reste encore à clore le ter- rier. Le procédé employé est le même de part et d’autre. Le sable provenant de l’excavation et amassé devant la porte du logis est prestement balayé à reeulons dans le couloir. De tempsen temps des grains de gravier assez volumineux sont choisis un à un, en grattant le tas de déblais avec les pattes de devant, et transportés avec les mandibules pour consolider la masse pulvérulente. S'il n’en trouve pas de convenables à sa portée, l’'Hyménoptère va à leur recherche dans le voisinage, et paraît en faire un choix scrupuleux. Des dé- bris végétaux, des fragments de feuilles sèches, sont également employés. En peu d’instants toute trace extérieure de l'édifice sou- terrain a disparu , et si l’on n’a pas eu soin de marquer d'un signe l'emplacement du domicile , il est impossible à l'œil le plus attentif de le retrouver. Cela fait, un nouveau terrier est creusé, approvi- sionné et muré autant de fois que le demande la richesse des ovaires. La ponte achevée, l'animal recommence sa vie insouciante et vagabonde , jusqu’à ce que les premiers froids viennent mettre fin à une vie si bien remplie. La tâche du Sphex flavipennis est accomplie ; je terminerai ce que jai à dire sur son compte par l'examen de son arme. L’appa- ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 161 reil destiné à l'élaboration du venin se compose de deux glandes élégamment ramifiées dont les conduits sécréteurs aboutissent sé- parément dans un réservoir commun ou ampoule en forme de poire. De cette ampoule part un conduit délié qui plonge dans l’axe du stylet et amène à son extrémité la gouttelette empoisonnée. Le Stylet n’a que des dimensions très exiguës auxquelles on ne s’at- tendrait pas d’après la taille du Sphex, et surtout d’après les effets que sa piqüre produit sur les Grillons. Sa pointe est parfaitement lisse, tout à fait dépourvue de ces dentelures dirigées en arrière, qu’on trouve, par exemple, dans l’aiguillon de l’Abeille domes- tique. La raison en est évidente. L’Abeille ne se sert de son aïguillon que pour venger une injure, même aux dépens de sa vie, la dente- lure du dard s’opposant à son issue de la plaie, et occasionnant ainsi des ruptures mortelles dans les viscères de l’extrémité de l’ahdomen. Qu'aurait fait le Sphex d’une arme qui lui aurait été fatale à sa première expédition? En supposant même qu'avec des dentelures disposées autrement le dard puisse se retirer, je doute encore qu'aucun Hyménoptère, se servant avant tout de son arme pour blesser le gibier destiné à ses larves, soit pourvu d’un aiguil- lon dentelé occasionnant par ses déchirures d’inutiles douleurs. Partout où la mort d’une victime est nécessaire, cette mort est don- née de la manière la plus prompte , et le meurtrier est muni des armes les plus efficaces pour épargner à la victime d’inutiles souf- frances qui répugnent à la nature. J'ai cru devoir m’assurer à mes dépens si la piqüre du Sphex est bien douloureuse, elle qui terrasse avec une effrayante rapidité de robustes victimes. Eh bien! je le confesse avec une haute admiration , cette piqüre est insignifiante et ne peut nullement se comparer, pour l'intensité de la douleur, aux piqûres des Abeilles et des Guêpes vindicatives. Elle est si peu douloureuse, qu’au lieu de faire usage de pinces, je prenais sans scrupule avec les doigts les Sphex vivants dont j'avais besoin. Je peux en dire autant des divers Cercéris, des Philanthes, des Pa- lares et, en général, de tous les Hyménoptères déprédateurs que j'ai pu observer. J'en excepte les Pompiles , et encore leur piqûre est bien inférieure à celle de l’Abeille. Une dernière remarque en- core, On sait avec quelle fureur les Hyménoptères pourvus d’un &* série. Zoou. T. VI. (Cahier n° 3.) 5 44 162 FABRE, — ÉTUDE SUR L'INSTINCT dard uniquement pour leur défense, les Guêpes par exemple , se précipitent sur Paudacieux qui trouble leur asile, et punissent sa témérité, Ceux dont le dard est destiné au gibier se montrent beau- -coup plus pacifiques, comme s’ils avaient conscience de l’impor- tance qu'a, pour leur progéniture, la gouttelette venimeuse de leur ampoule. Cette gouttelette est la sauvegarde de leur race: aussi ne la dépensent-ils qu'avec sobriété, et dans les circonstances solen- nelles de la chasse, sans faire parade d’un courage vindieatif. Établi au milieu des peuplades de Sphiex ou de Cercéris dont je boulever- sais les demeures, dont je ravissais les larves et les provisions, il .ne m'est pas arrivé une seule fois, quoique entouré par l’essaim bourdonnant, d’être puni, par un coup d’aiguillon, de mes indis- -crètes spoliations. I faut saisir l’animal pour le décider à faire usage .de son dard, et encore ne parvient-il pas toujours à transpercer l’épiderme si l’on ne met à sa portée une partie plus délicate que les doigts, le poignet par exemple. CHAPITRE II, LA LARVE ET LA NYMPHE, L'œuf des Sphex, ainsi que celui des Ammophiles , est blane, allongé, cylindrique, un peu eourbé en are, et mesure de 3 à h millimètres en longueur. Au lieu d'être pondu au hasard sur un point quelconque de la victime, il est, au contraire, déposé sur un point privilégié et invariable. Ainsi celui du Sphex flavipennis est placé en travers sur la poitrine du Grillon, entre la première et la seconde paire de pattes ; celui du Sphex albisecta, encore sur la poitrine de l’Acridien, mais un peu par côté, entre la seconde et la troisième paire de pattes; enfin celui des Ammo- philes, dans le voisinage du segment piqué, entre le cinquième et le septième segment. Il faut que le point choisi présente quelque particularité d’une haute importance pour la sécurité de la jeune larve, puisque je ne l’ai jamais vu varier. L’éclosion a lieu au bout de trois ou quatre jours. Une tunique des plus délicates, à peine visible même , se déchire , et on a sous les veux un débile vermis- seau transparent comme du cristal, un peu atténué et comme étran- 1 ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 165 glé en avant, légèrement renflé en arrière, et orné, de chaque côté, d’un étroit filet blanc formé par les principaux troncs trachéens. La faible créature occupe la même position que l'œuf. Sa tête est comme implantée au point où l’extrémité antérieure de l’œuf était attachée , et tout le reste du corps s'appuie simplement sur la vic- time sans y adhérer. On ne tarde pas à distinguer, par transparence, dans l’intérieur du vermisseau, des fluctuations rapides, des ondes qui marchent les unes à la suite des autres avec une merveilleuse régularité, et qui naissant du milieu du corps se propagent, les unes en ayant, les autres en arrière, Ces mouvements ondula- toires sont dus au tube digestif qui s’abreuve à HET traits des sucs puisés dans les flancs de la victime. Arrêtons-nous un instant Sur un spectacle fait pour ns notre attention, et prenons pour exemple ce qui se passe dans une cellule d'Ammophile. Une Chenille est étendue indolente sur le flane, et quoique pleine de vie, puisque au moindre attouchement de la pointe d’une aiguille elle fouette avec vigueur les parois du tube de verre où je l’ai renfermée pour l’observer; quoique.pleme de vie elle se laisse ronger les entrailles, sans faire de résistance , par une chétive créature qu’elle écraserait dans le moindre de ses mouvements. Le vermisseau est perdu s’il vient à être arraché du point où il puise la vie ; tout est fini pour lui s'il se laisse choir, car, dans sa débilité et privé qu'il est des moyens de se mouvoir, comment retrouvera-t-il le point où il doit s’abreuver? Un rien suffit à la Chenille pour se débarrasser du parasite mortel, et la gigantesque victime ne bouge pas. C’est à ne pas en croire ses yeux. [ei se montre encore une fois la haute sagesse de l'instinct. J'ai dit que le cinquième ou le sixième segment de la Chenille est rendu, par la piqûre de l’Hyménoptère, insensible à tel point qu'on peut l’irriter avec une aiguille, le (FAR EpeREEn même sans que le patient manifeste des signes de douleur. C’est sur ce segment que l'œuf a été pondu , c'est ce segment que ronge la larve ; aussi la Chenille reste immobile (4). Plus tard, lorsque le progrès de la (1) D'après les observations de M. Passerini (Lepelletier de Saint-Fargeau, Hist.des Hym., t. HI, p. 544), l'œuf du Scolia horitorum est pondu sous le ventre de la larve de l’Oryctes, entre le cinquième et le sixième anneau, J'ai 16h FABRE, -— ÉTUDE SUR L'INSTINCT plaie aura gagné un point sensible, la Chenille se démènera sans doute ; mais il sera trop tard, sa torpeur sera trop profonde , et d’ailleurs l'ennemi aura pris des forces. Je m'explique maintenant pourquoi l'œuf est déposé en un point invariable, pourquoi c’est toujours sur la blessure faite par l’aiguillon ou dans son voisinage. La ponte s’opère sous terre , dans une complète obscurité , ce qui n'empêche pas la mère de discerner sans erreur sur la victime la place convenable. L'extrémilé de l'abdomen qui sait si bien choisir les points les plus vulnérables, sait aussi retrouver dans l'ombre les mêmes points. L'instinct FSD y voir n’a besoin ni d’yeux ni de lumière. Revenons à la jeune larve. Celle des Ammophiles prend rapide- ment une belle teinte verte, due à la couleur des fluides puisés dans la Chenille. Trois ou quatre jours après l’éclosion , on dis- tingue sous son épiderme de fines ponctuations blanches, qui jette- ront quelque lumière sur un problème physiologique très contro- versé, Bientôt la couleur verte disparaît sous une abondante couche de tissu adipeux, et la larve devient d’un blanc jaunâtre. Je ne pousserai pas plus loin l’histoire de son évolution pour m’attacher uniquement à la larve du Sphex flavipennis. D'ailleurs l’évolution est la même de part et d’autre. J'ai élevé des larves de Sphex dans des tubes de verre, leur donnant l’un après l’autre des Grillons pris dans les cellules, et j'ai pu ainsi suivre jour par jour les progrès rapides de mes nourrissons. Le premier Grillon est attaqué au point où le dard du chasseur s’est porté en second lieu, c’est-à- dire entre la première et la seconde paire de pattes. En peu de jours, la jeune larve a creusé dans le thorax de sa victime un puits suffisant pour y plonger à demi. Il n’est pas rare de voir alors le Grillon mordu au vif agiter inutilement quelques-unes de ses pattes, ses antennes ou ses filets abdominaux, et même entr'ouvrir et fermer à vide ses mandibules. Mais l'ennemi est en süreté et fouille impunément ses entrailles. Quel épouvantable cauchemar pour le Grillon paralysé ! Cette première ration est épuisée dans sous les yeux une jeune larve d'un autre Scolien, apparemment du Tiphia femo- rala, occupant précisément la même place sur sa victime, qui est encore une larve de Lamellicorne. ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 1465 six à sept jours ; il n’en reste que la carcasse tégumentaire , dont toutes les pièces sont à peu près en place. La larve, dont la lon- gueur est alors de 13 millimètres, sort du corps du Grillon par le trou qu’elle a pratiqué au début dans le thorax. Pendant cette opé- ration elle subit une mue, et sa dépouille reste souvent engagée dans l’ouverture par où elle est sortie. Avant la fin de ce premier repas, on voit apparaître sur la larve du Sphex, comme sur celles des Ammophiles , d'innombrables poncluations fines et sous-épi- dermiques dont j'expliquerai plus loin la nature. Après le repos de la mue, une seconde ration est entamée. Fortifiée maintenant, la larve n’a rien à craindre des faibles mouvements du Grillon, dont la torpeur, chaque jour croissante, a eu le temps d’éteindre ses velléités de résistance, depuis plus d’une semaine que le dard l’a atteint. Aussi l’attaque-t-elle sans précautions, et ordinairement par l'abdomen plus succulent et plus tendre. Bientôt vient le tour du troisième Grillon, et enfin celui du quatrième, qui est dévoré dans l'intervalle d’une dizaine d'heures. De ces trois dernières vie- times il ne reste que les téguments coriaces, dont les diverses pièces sont démembrées une à une et soigneusement vidées. Siune cinquième ration lui est offerte, la larve la dédaigne ou y touche à peine, non par tempérance, mais par une impérieuse nécessité. Remarquons, en effet, que jusqu'ici la larve n’a rejeté aucun excrément , et que son intestin, où se sont engouffrés quatre Gril- lons, est tendu jusqu’à crever. Une nouvelle ration ne peut done tenter sa gloutonnerie, et désormais elle songe à tapisser de soie sa demeure. En tout son repas a duré de dix à douze jours, presque sans discontinuer. A cette époque, la longueur de la larve mesure de 25 à 39 milli- mètres, et sa plus grande largeur de 5 à 6. Sa forme générale , un peu élargie en arrière, graduellement rétrécie en avant, est con- “orme au type ordinaire des larves d'Hyménoptères. Ses segments sont au nombre de quatorze , en y comprenant la tête fort petite et armée de faibles mandibules , qu’on croirait incapables du rôle qu'elles viennent de remplir. De ces quatorze segments, les dix intermédiaires sont munis de stigmates. Sa livrée se compose d'un fond blanc jaunâtre, semé d'innombrables ponetuations d’un 466 “FABRE. = ÉTUDE SUR L'INSTINCT blanc crétacé ; mais, au liéu d’être superficielle , cette coloration est occasionnée par le tissu adipeux que la transparence de l’enve- loppe cutanée perrnet d'aper cevoir. Cet examen des parties externes n'ayant rien d’important à nous apprendre, passons sans plus tarder à V’analyse du scalpel. Appareil digestif. —L'œsopliage, étroit et fort court, occupe tout au plus là longueur du premier segment thoracique. Le ventricule chylifique est; volumineux, distendu, irrégulièrement boursoufflé et d’une. nuance cornée. Toute sa surface est pareourue par des sil- lons déliés fort rapprochés, les uns longitudinaux, les autres trans- verses, et dont l’ensemble donne naissance à une fine réticulation qu'on ne peut bien constater qu’à la loupe. Dans l’eau, le ventri- cule chylifique, déjà distendu par la masse alimentaire jusqu'à sa limite d’élasticité, se gonfle encore par l'action de l’endosmose, et ne tarde pas à se fendre suivant sa longueur pour laisser échapper un sac formé d’uné pellicule épithéliaire qui, par sa ténuité , défie presque le regard. Ce sac est rempli, d’un bout à l'autre, d’une pulpe rouge amarante où brillent çà et là quelques parcelles des téguments noirs et luisants des Grillons. Le ventricule chylifique se termine par une petite ampoule diaphane à la partie supérieure de laquelle se rendent les vaisseaux de Malpighi au nombre de quatre. Ces derniers sont assez gros , flexueux, diaphanes comme Vampoule qui les reçoit. Enfin le rectum, qu’ur pédieule relie à la dilatation ampullairé précédente, est très court, ballonné, diaphane et muni de six bandes étroites, d’un blane opaque, disposées en iéridien. Vues au microscope, ces bandes paraissent glanduleuses, et se résolvent en pulviscule opaque très menue. Je n’ai jamais vu le rectum renfermer autre chose qu’un liquide limpide. Peut-être même, dans les circonstances ordinaires , ce liquide manque-t-il , car il peut provenir maintenant de l infiltration de l’eau employée pour la dissection. Cette absence de toute matière solide dans la partie terminale de l'appareil digestif n’a rien de surprenant , puisque jusqu'ici la larve n'a rejeté aucun exerément. Appareil sérifique. —La partie la plus remarquable de l’orga- nisation de la larve se compose des glandes destinées à la sécrétion de la soie. On sait que généralement, chez les larves qui se tissent «à ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 1467 un cocon pour passer à l’état de nymphe, l’appareil qui séerète la soie se compose de deux cæcums tubulaires plus où moins longs et flexueux. Dans la larve du Sphex flavipennis, cette forme élémen- taire est remplacée par une autre de la plus étonnante complica- tion, et dont on doit trouver peu d'exemples dans l’anatomie des Insectes. En effet, chaque glande, formée d’abord d’un tube d'assez gros calibre capricieusement flexueux , se divise et se subdivise bientôt en courts rameaux qui s’anastomosent avec les rameaux voisins pour former des mailles irrégulières d’où s’échappent d'’au- tres subdivisions également anastomosées en mailles , et ainsi de suite dans toute l'étendue de l’appareil glandulaire. Les organes sécréteurs de la soie figurent ainsi chacun une large nappe en forme de filet, une élégante dentelle dont les fils conservent par- tout à peu près le même diamètre, mais dont les jours vont en se resserrant à mesure qu'ils sont plus rapprochés des bords. Les deux nappes sérifiques se rejoignent, sans se relier l’une à l’autre, au-dessus et au-dessous du tube digestif, qu’elles enveloppent de toute part jusqu'à l'extrémité la plus reculée de l'abdomen. Les seements thoraciques occupés par les deux tubes indivis sont les seuls où ces nappes ne pénètrent pas. Le tissu adipeux se moule extérieurement sur cette dentelle vivante , plonge dans toutes ses mailles et les maintient en place. Si l’on évalue approximativement la longueur totale que fourniraient, étant rectifiées, les innombrables mailles du réseau glandulaire dont je donne une bien faible esquisse, on est saisi d’étonnement devant l'étendue dé la surface apte à pro- duire de la soie , et l’on soupconne un cocon d'une structure peu commune. Les glandes sérifiques des Ammophiles ne diffèrent pas de celles des Sphex, et chose digne de remarque, les Bombex, qui n’ont aucune parenté avec les Sphégiens, en présentent encore de pareilles. J'ai retrouvédans la larve du Bombex vidua le réseau sérifique des larves des Sphex. fi Tissu adipeux. — Nous avons vu que, peu de jours après l’éclosion, de fines ponctuations blanches commencent à se mon- rer sous le derme transparent de la larve. Ces macules gagnent rapidement en nombre et en volume, et finissent par envahir tout le corps, les deux ou trois premiers segments exceptés. En ou- 168 FABRE, —— ÉTUDE SUR L'INSTINCT vrant la larve, on reconnaît que ces ponctuations sont une dépen- dance de la nappe adipeuse dont elles forment une bonne partie : car bien loin d’être semées uniquement à sa surface, elles pénè- trent dans toute son épaisseur et en si grand nombre, qu’on ne peut avec des pinces saisir une parcelle du tissu adipeux sans en détacher quelques-unes. On croirait d’abord avoir sous les yeux d'innombrables et microscopiques entozoaires cystiques. Les mêmes apparences se sont probablement présentées à l’œil clair- voyant de Swammerdam , puisqu'il dit dans son Anatomie du Ver du Scarabée monocéros : La graisse de notre Ver, vue à un micro- scope qui grossit un peu les objets, paraît tout environnée comme de petites hydatides (1). Le tissu adipeux de la larve du Sphex n’exige pas le microscope pour étaler aux regards ses myriadesde corpuscules blancs , parfaitement visibles sans les secours de l’op- tique. Ces secours ne deviennent nécessaires que lorsqu'on veut étudier en détail ces macules énigmatiques. On reconnaît alors que le tissu adipeux se compose de deux sortes d’utricules : les uns , eintés de jaune et transparents, sont remplis de gouttelettes hui- leuses circulaires ; les autres, opaques et d’un blanc amylacé, sont remplis d'une pulviscule à grains très fins qui s’étale en trainée nuageuse, lorsque, sur le porte-objet, l’utricule qui la contient vient à être rompu. Les deux sortes d’utricules ont le même vo- lume, et sont groupées pêle-mêle sans aucun ordre apparent. Les premiers appartiennent au tissu adipeux proprement dit, et je ne m'en occuperai pas davantage ; les seconds forment les ponctua- tions blanches, sur la nature desquelles il est utile de s'arrêter. A l'inspection microscopique , on reconnait que la pulviscule contenue dans les utricules blancs se compose de granulations très fines, opaques, insolubles dans l’eau et plus denses que ce liquide. L’essai des réactifs chimiques sur le porte-objet démontre encore que l’acide azotique les dissout avec effervescence et sans le mondre résidu , lors même qu’elles sont encore renfermées dans leur utricule. Les cellules adipeuses proprement dites n’éprouvent, au contraire, aucun changement par l’action de cet acide, si ce n’est (4) Bibliu naturæ, Coll, acud., t. V. ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 169 dans leur coloration, dont la nuance jaune se fonce davantage. J'ai mis à profit cette propriété pour opérer plus en grand. Le tissu adipeux extrait de plusieurs larves a été traité par l’acide azotique. L’effervescence est presque aussi vive que si la réaction s’opérait entre un morceau de craie et l’acide. Quand l’effervescence est apaisée, il flotte des grumeaux jaunes provenant des corps gras du tissu et facilement séparables du liquide. Celui-ci est alors par- faitement limpide et très légèrement coloré en jaune. C’est sur ce liquide renfermant en dissolution les granulations blanches que doivent porter les recherches ultérieures. Sans rapporter ici mes diverses tentatives pour reconnaitre la nature de cette substance, j'arrive immédiatement au trait caractéristique. La dissolution étant évaporée, je promène une goutte d’ammoniaque sur le résidu encore fumant. Il se manifeste aussitôt une superbe couleur car- minée. Le problème est résolu, la couleur qui vient de se former est de la murénide, et la pulviscule blanche est de l’acide urique ou un urate. Et en effet, toutes les réactions caractéristiques de l'acide urique se reproduisent ici parfaitement, savoir : dissolution à froid dans l'acide azotique , avec effervescence et sans résidu ; formation de la murénide par cette dissolution en présence de l’ammoniaque. Un fait physiologique aussi important ne saurait être isolé; examinons done ce qui se passe dans des larves autres que celles des Sphex. Les larves des Ammophiles et du Bombex vidua sont également tigrées de ponctuations blanches dues aux utricules pleins d'acide urique , et disséminés à profusion dans toute la masse du tissu adipeux. Je retrouve ces mêmes ponctuations dans une jeune larve de Scolien citée en note quelques pages plus haut. Ce sont là, jusqu'ici, les seuls exemples à ma connaissance où l'acide urique se manifeste au dehors par des ponctuations blan- ches, peu de jours même après l’éclosion. Mais je n’ai pu obser- ver encore qu'un bien petit nombre de larves à leurs débuts ; aussi ces quelques exemples, puisés dans des familles si différentes, me portent à croire que beaucoup d’autres espèces doivent présenter le même fait. Une fois sur la voie, j'ai recherché l’acide urique dans la masse 170 FABRE. — ÉTUDE SUR L'INSTINCT adipeuse des larves qui, extérieurement, n’offrent pas les ponc- tuations précédentes. Mes épreuves se sont adressées à des genres dont l'alimentation est fort différente : les uns (Cerceris, Ta- chytes) vivant de proie, les autres (Anthophora, Anthidium) se nourrissant de pâtée mielleuse. Mais ces larves n'étaient plus dans leur période active; elles se trouvaient au contraire, depuis un temps plus où moins long, dans cette longue période de repos et d’abstinence absolus qui dure près d’un an, et pendant laquelle s'effectue le travail occulte de la nymphose. Le contenu du sac dermique de la larve consiste alors en une sorte de bouillie oléa- gineuse prenant un peu de consistance à l'air. Cette bouillie est toute parsemée de fines granulations blanches que les réactions de la chimie font reconnaître pour de l’acide urique. On peut alors , comme l'intestin ne renferme plus rien, délayer tout simplement la larve entière dans l'acide avotique, et l’on est témoin d’une effervescence que, dans bien des cas, j'ai pu comparer à celle de là craie. Ces exemples suffisent pour établir que, dans les larves d’Hyménoptères, le tissu adipeux est le siége d’une abondante formation d'acide uriqué, sinon toujours dans la période active, du moins pendant la période de la nymphose. En est-il de même dans les divers ordres de la elasse des In- sectes? J'ai examiné des pupes de Diptère (Tachina larvarum), des nymphes de Coléoptère (Sitaris humeralis), des chrysalides de Lépidoptère (Bombyxæ bucephala), et enfin des Orthoptères ré- cémment parvenus à la forme adulte ( Ephippiger vitium) ; dans tous les cas le corps adipeux, bien que ne contenant pas de gra- nulations distinctes, a fait une vive effervescence et a fourni de la murexide. Je signalerai surtout comme très riches en acide urique la pulpe d'aspect crétacé extraite des nymphes de Siaris , et la bande adipeuse blanche qui revêt la face inférieure de l'abdomen des Ephippiger récemment adultes. Les larves de ces divers ordres, dans leur période d'activité, ne présentent plus rien de pareil, quelle que soit la nature de leur alimentation. J'ai vainement recherché dé l'acide urique dans les larves carnassières de lHydrophilus piceus, et dans les Chenilles herbivores de l’Attacus Pavonia major et du Bombyx bucephala. Dans les Chenilles du Bombyæ, par ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 174 exemple, deux où trois jours avant les premiers symptômes de la nymphose, le tissu adipeux ne fait pas d’effervescence dans l’acide azotique ; mais dès que la peau de la larve commence à se flétrir, l'effervescence devient manifeste. Est-ce à dire que l'acide urique, ce produit inévitable des transformations vitales , né se forme pas, au moins dans les larves carnassières, pendant la période d’acti- vité? Ce n’est suère probable. Considérons deux larves vivant de proie, celle du Sphex et celle de l’Hydrophile. Dans la première, la voie des excrétions solides ne fonctionne pas encore; le tube digestif nié rejette absolument rien, et l’acide uriqué ne pouvant s’écouler À mesure qu'il se forme, faute d’une voie ouverte, s’accumule dans la masse adipeuse qui sert ainsi de réservoir commun aux résidus du travail organique précédent, et aux substances plastiques desti- nées aux transformations futures. Il se passe ici quelque chose d’analogue à ce qui à liéu dañs les animaux supérieurs après l’abla- tion des reins : l’urée , contenue d’abord en quantité insensible dans le sang, s’y accumule et déviént manifesté quand sés voies d'écoulement lui sont enlevées. Dans la larve de l’'Hydrophile, la voie des excrétions étant libre dès l’éclosion , le départ de l’acidé urique doit avoir lieu à mesure que cette substance se forme, et le tissu adipeux n’en recèle plus en dépôt. Mais pendant le travail dé la métamorphose , toute excrétion dévenant impossible de part et d'autre, l'acide urique doit s’amasser également dans le corps adi- peux des diverses larves, ét c'est ce qui arrive en effet. La nature de l’alentation de la larve doit enfin influer, pendant là période active, sur la formation plus ou moins abondante de l’acide urique ; il peut se faire même que, dans les espèces dont le régime est vé- Sétal, cette formation soit nulle. Mais ces différences disparaissent à l’époque de la nymphose, et toutes les larves étant également soumises à une abstinence complète, doivent par cela même sé comporter comme sous l'influence d’un régime animal et produiré de l'acide urique. En résumé, dans les larves carnassières actives, mais qui n’ont pas encore de voie ouverte à l'écoulement des rési- dus du travail vital, les cellules adipeuses recèlent en dépôt l'acide urique formé; et dans toutes , sans distinction d'organisation et d'alimentation primitives , le même fait se reproduit pendant les 172 FABRE. — ÉTUDE SUR L'INSTINCT profonds travaux de remaniement de la métamorphose, ou du pas- sage à la forme adulte. Revenons à la larve du Sphex, et poursuivons l'acide urique jusqu’à son expulsion pour saisir, s’il est possible, la voie suivie dans ce départ. Est-ce par les vaisseaux de Malpighi, est - ce par une autre voie que la nappe adipeuse doit peu à peu se débarrasser des produits oxydés que recèlent ses cellules? Telle est la question qu’il importe de résoudre. Lorsque la larve a fini de tisser sa de- meure , elle rejette, dans le cocon même et une fois pour toutes, la masse des résidus de la digestion. C’est une pulpe d’un noir vio- let, sans traces d'acide urique appréciables à la vue ou à l’aide des réactifs. D’un bout à l’autre, le tube digestif se trouve alors complètement libre; mais le corps adipeux continue à fourmiller de granulations blanches dont le nombre va même en augmentant sous l’action lente et sourde d’une vie qui sommeille. Rien de remarquable n’a lieu jusqu’au passage de la larve à l'état de nymphe. A cette époque, on voit, grâce à la translucidité des téguments, que le tissu adipeux considérablement réduit, mais aussi plus riche en granulations blanches , est relégué en entier dans l’abdomen. Enfin la nymphe déchire sa fragile enveloppe, et apparait l’insecte parfait, l'abdomen toujours rempli des mêmes granulations. Quelques jours s’écoulent pendant lesquels, avant de sortir du cocon, l’Hyménoptère essaye ses forces , achève de revêtir sa livrée, et se débarrasse, sous forme de crottins blancs , de l’acide urique qui encombrait jusqu'ici son organisation (4). A mesure que les déjections se multiplient, on voit l’abdomen perdre graduellement ses ponctuations blanches internes ; et quand elles s'arrêtent, les ponctuations ont pour toujours disparu. L'époque de ces déjections est décisive, si l’on veut prendre la nature sur le fait dans ses opérations. Ouvrons alors l’abdomen d’un Sphex. Le tissu adipeux, tout parsemé de grains blancs d’acide urique, rem- plit à lui seul la majeure partie de la cavité abdominale. Le ventri- (1) Pour abréger, j'ai appelé jusqu'ici acide urique ce qui, en réalité, est un urate ammoniacal , comme on peut s’en convaincre en triturant ses crottins avec de la chaux vive, ce qui produit des émanations am moniacales fort sen- sibles. ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 4173 cule chylifique renferme uniquement et dans toute son étendue une cordelette d’une matière blanche, qu’à l’aide des réactifs on recon- nait de nature identique avec celle des granulations du corps adipeux et des crottins rejetés. Le rectum est tantôt vide et limpide, tantôt rempli de la même pulpe blanche. Par contre, les nombreux vais- seaux de Malpighi sont fous et toujours d’une limpidité parfaite, sans aucune trace de cette matière dont la couleur opaque permet de reconnaître si facilement la moindre parcelle. Voilà donc, d’une part, le tissu adipeux gorgé des produits de l'oxydation vitale; d'autre part, le ventricule chylifique rempli de la même substance en voie d'élimination; voilà enfin les litigieux vaisseaux de Mal- pighi exempts de toute trace de cette substance. Après avoir vu et revu ces faits invariables, le doute ne m'est pas possible. Le ventri- cule chylifique est l'organe éliminateur de l'acide urique; dans l'insecte parfait, il fonctionne comme rein avant de fonctionner comme estomac. Citons enfin un exemple peut-être plus frappant. J’ouvre un Sitaris humeralis , encore renfermé dans la singulière coque que je ferai connaître un jour : l’Insecte est à peine débarrassé de sa dépouille de nymphe. Le ventricule chylifique, qui plus tard doit former un tube presque tout d’une venue, est modelé mainte- nant d’une manière assez bizarre, sa moitié postérieure étant ré- gulièrement cylindrique et sa moitié antérieure figurant un ré- ceptacle pyriforme, gonflé comme un ballon. Cette ampoule temporaire est remplie d’une humeur limpide, jaune, due en grande partie à l’infiltration de l’eau nécessaire à la dissection; en outre, un abondant sédiment blanchâtre est déposé au fond de ce réceptacle. Si le ballon est renversé sens dessus dessous, on voit le liquide se troubler par le mélange du sédiment agité, puis s’éclaircir rapidement quand les particules solides se sont de nou- veau déposées. Ce sédiment, c’est encore de l’acide urique qui abonde dans le tissu adipeux environnant. Mais la moitié inférieure du ventricule chylifique, l'intestin stercoral et les quatre vaisseaux de Malpighi n’en contiennent pas un atome. Encore une fois, le doute n’est pas possible. Si les vaisseaux de Malpighi étaient vrai- ment des organes urinaires, une fois ou l’autre j'aurais dû trouver 174 -FABRE. — ÉTUDE SUR L'INSTINOT quelques traces de ce sédiment soit dans les vaisseaux eux-mêmes, soit dans la partie inférieure du ventricule chylifique, soit enfin dans le rectum ; ce qui ne m'est jamais arrivé, en observant l’ani- mal avant que ses déjeclions aient commencé. A l’époque de ces déjections, il est évident qu’on peut en trouver dans le rectum et dans la partie inférieure du ventricule chylifique; mais alors même on n'en trouve pas dans les prétendus vaisseaux urinaires. Une objection m'est suggérée par un passage du précieux {ra- vail de M. L. Dufour sur l’anatomie des Scorpions (1), Je cite le passage : « L’intestin est le réceptacle d’une pulpe fécale d’un » blane amidonné, tantôt moulée en crottins détachés , tantôt for- » Mmant une masse allongée assez compacte, assez cohérente, pour » s'enlever tout d’une pièce... Il n’est pas sans exemple qu’une » certaine quantité de ces excréments blanes se glisse dans le ven- » tricule chyhfique lui-même. Le nom seul de ce dernier repousse » l'idée d’une formation normale d’excrément dans son intérieur. » C'est donc là une exception, un accident, dont on peut se rendre » raison. Les violences qui précèdent ou accompagnent la mort du » Scorpion peuvent déterminer des contractions brusques de l'in- »tesuin, des mouvements antipéristaltiques , qui font refluer les » excréments en forçant la valvule ventrico-intestinale. Il se passe » alors un phénomène analogue à celui qui, dans l’homme, se pro- » duit ou par un volvulus, ou par l’oblitération partielle du gros » intestin.» Des contractions désordonnées, pareilles à celles qu'in- voque M. L. Dufour, n’auraient-elles pas, dans mes Sphex et mes Sitaris, fait refluer dans le ventricule chylifique l'acide urique con- tenu d’abord dans le rectum et les vaisseaux de Malpighi ? Il est facile de s'en assurer. Sur l'animal parfaitement en repos, je tranche, par un rapide coup de ciseaux, la partie terminale de l'abdomen, de manière à séparer le rectum et la partie insertion- nelle des vaisseaux de Malpighi. J’ouvre alors le patient, et je trouve, comme toujours, le ventricule chylifique du Sphex avec sa cordelette blanche , et le ballon ventriculaire du Sitaris avec son sédiment. Le rectum et les vaisseaux de Malpighi sont d’ailleurs ._ (1) Hist, anat. et phys. des Scorpions, p. 67. ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 475 dans leur état de vacuité ordinaire. L'expérience est décisive : l'acide urique n’est donc pas amené fortuitement dans le ventricule chylifique, à la faveur des contractions désordonnées que les souf- frances de l’agonie provoquent dans l'animal; il s’y trouve, au contraire, d’une manière normale, et bien qu’il répugne aux idées reçues de regarder l’organe qui doit élaborer le chyle comme ser- vant d’abord de réceptacle aux matériaux urinaires extraits du issu adipeux , je me vois contraint par les faits d'accorder au ventricule chylifique le rôle secondaire d’éliminateur de l'acide urique. Avant d'en finir avec ce sujet, je dois à la vérité d’ajouter que, dans quelques Insectes à l'état parfait, dans des Cerambyæ par exemple, j'ai, ainsi que l'ont fait d’autres observateurs avant moi, reconnu quelques traces presque insignifiantes d'acide urique dans les prétendus vaisseaux urinaires. Cependant, toujours est-il dé- montré que la masse énorme d’acide urique, dont l'animal se dé- barrasse après la nymphose, est éliminée par la voie du ventricule chylifique. Cela étant, que signilient ces rares atomes blancs, qu'un œil patient découvre de temps à autre dans les vaisseaux de Malpighi, sinon que ces tubes, tout en ayant à remplir une fonction principale, peuvent secondairement, eomme le fait le ventricule chylifique , servir à l’élimination de l'acide urique , à l’époque où ce même ventricule fonctionne avant tout comme organe digestif. Je suis heureux de voir les résultats de mes observations coïn- cider d’une manière si complète avec les savantes prévisions de M. CI. Bernard, lorsqu'il dit, à propos des appendices tubulaires de l'intestin des Insectes : « Chez les Insectes , il pourrait se faire » que, des appareils urinaires analogues à ceux des Vertébrés » manquant, cette élimination des matériaux de l’urine par le tube » intestinal füt l’état normal, et il n'y aurait rien d'étonnant de »irouver ces matériaux dans les vaisseaux cæcaux , et peut-être » aussi dans d’autres parties du tube intestinal (1). » Quant au rôle prineipal des appendices cæcaux, je n'ai rien vu qui vint in- firmer les idées émises par les Cuvier, les Rhamdhor, les L. Dufour. (1) CI. Bernard, Recherches sur une nouvellz fonction du foie (Ann, des sc. nat., 3° série, t, XIX). | qèt ; L cu 4176 FABRE. — ÉTUDE SUR L'INSTINCT Ainsi l'opinion la plus conforme aux faits observés est l’opinion mixte adoptée par MM. Audouin et Milne Edwards, toutefois avec la distinction établie par M. CI. Bernard dans le mémoire cité; c'est-à-dire que les vaisseaux de Malpighi sont des organes biliaires, dans lesquels peut avoir lieu coïncidemment l’excrétion des matériaux urinaires, excrétion qui s'opère encore, et sur une bien plus grande échelle, parla voie du ventricule chylifique. Après cette digression motivée par l’importance du sujet, je re- prends mon récit interrompu. Le dernier Grillon vient d’être dé- voré , et la larve s'occupe aussitôt du tissage du cocon. En moins de deux fois vingt-quatre heures , l’œuvre est achevée. Désormais J’habile ouvrière peut en sûreté, sous un abri impénétrable, s’aban- donner à cette profonde torpeur qui la gagne invinciblement , à cette manière d’être sans nom, qui n’est ni le sommeil, ni la veille, ni la mort, ni la vie, et d’où elle doit sortir transligurée au bout de dix mois. L'examen précédent des glandes sérifiques a pu faire soupçonner quelque complication dans le cocon qui vient d’être filé. Ce soupçon est fondé, et peu de cocons sont aussi complexes que celui-ci. On y trouve en effet, outre un lacis grossier et exté- rieur, trois couches distinctes figurant comme trois cocons inclus l’un dans l’autre. Examinons en détail ces diverses assises de l'édifice de soie. C’est en premier lieu une trame à claire-voie, grossière , aranéeuse, sur laquelle la larve s’isole d’abord, et se suspend, comme dans un hamac, pour travailler plus aisément au cocon proprement dit. Ce feutre incomplet, tissé à la hâte pour “servir d’échafaudage de construction, est formé de fils jetés au hasard, qui relient des grains de sable, des parcelles terreuses et les reliefs du festin de la larve, les cuisses encore galonnées de rouge des Grillons, leurs pattes, leurs calottes crâniennes, etc. L'enveloppe suivante, qui est la première du cocon proprement dit, se compose d’une tunique feutrée, d’un roux clair, très fine, très souple et irrégulièrement chiffonnée. Quelques fils jetés çà et là la rattachent à l'échafaudage précédent et à l’enveloppe suivante. Elle forme une bourse cylindrique fermée de toute part, et d’une ampleur beaucoup trop grande pour le contenu, ce qui occasionne les plis de sa surface. Vient ensuite un étui élastique de dimensions ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 177 notablement plus petites que celles de la bourse qui le contient, presque cylindrique, arrondi au pôle supérieur , vers lequel est tourné la tête de la larve , et terminé en cône obtus au pôle infé- rieur, Sa couleur est encore d’un roux clair, excepté vers le cône inférieur dont la teinte est plus sombre. Sa consistance est asse ferme ; cependant il cède à une pression modérée, si ce n’est dans sa partie conique qui résiste à la pression des doigts, et parait con- tenir un corps dur. En ouvrant cet étui, on voit qu'il est formé de deux couches étroitement appliquées l’une contre l’autre, mais séparables sans difficulté. La couche externe est un feutre en tout pareil à celui de la bourse précédente; la couche interne ou la troi- sième du cocon est une sorte de laque, un enduit brillant d’un brun violet foncé, cassant, fort doux au toucher, et dont la nature paraît toute différente de celle du reste du cocon. On reconnait, en effet, à la loupe, après avoir préalablement gratté sa face exté- rieure pour enlever les filaments appartenant à la couche externe, qu’au lieu d’être un feutre comme les enveloppes précédentes , c’est un enduit homogène d’un vernis particulier , dont l’origine est assez singulière comme on va le voir. Quant à la résistance du pôle conique du cocon, on reconnait qu’elle est occasionnée par un tampon de matière friable d’un noir violacé où brillent de nom- breuses particules noires. Ce tampon, c’est la masse desséchée des excréments rejetés en une seule fois par la larve dans l’intérieur même du cocon, ainsi que je l’ai déjà dit. C’est encore à ce lest stercoral qu'est due la nuance plus foncée du pôle conique du cocon. En moyenne , la longueur de cette demeure complexe est de 27 millimètres, et sa plus grande largeur de 9. Revenons au verms violacé qui enduit l’intérieur du cocon. J'ai cru d’abord devoir l’attribuer aux glandes sérifiques qui, après avoir servi à tisser la double tunique de soie et son échafaudage, l'auraient sécrété en dernier lieu. Pour me convaincre, j'ai dissé- qué des larves qui venaient de finir leur travail de filandières, et n'avaient pas encore commencé de déposer leur laque. A cette époque, je n'ai vu aucune trace de fluide violet dans l'appareil sérifique. Celte nuance ne se retrouve que dans le tube digestif gonflé d’une pulpe amaranthe ; on la retrouve encore, mais plus 4° série. Zooc. T. VI. (Cahier n° 3.) 2 12 178 FABRE, — ÉTUDE SUR L'INSTINCT tard, dans le tampon fécal relégué à l'extrémité inférieure du cocon; hors de là tout est blanc, ou faiblement teinté de jaane. Loin de moi la pensée de vouloir faire badigeonner son cocon à la larve avec la pulpe stercorale ; cependant je suis convaincu que ce badigeon est un produit du tube digestif, et je soupconne, sans pouvoir l’affirmer, ayant eu la maladresse de manquer à plusieurs reprises l’occasion favorable pour m'en assurer, que la larve dé- gorge, et applique avee la bouche la quintessence de la pulpe amaranthe du ventricule chylifique, pour former son enduit de laque. Ce ne serait qu'après ce dernier travail qu’elle rejetterait en masse les résidus de la digestion, et l'on s’expliquerait ainsi la rebutante nécessité où la larve se trouve de rejeter ses excréments dans l’intérieur même de son habitacle. Cela étant, c’est un admi- rable laboratoire , il faut l'avouer, que ce ventricule chylifique, qui successivement fonetionne comme appareil digestif en fabri- quant du ehyle, sert de complément aux glandes sérifiques en pro- duisant le vernis violet, lune des parties les plus essentielles du cocon, et tient enfin la place d’un rein en éliminant les matériaux urinaires. L’utilité de cette couche de laque n’est pas douteuse ; sa parfaite imperméabilité doit mettre la larve à l’abri de l'humidité, qui la gagnerait évidemment dans l'asile préeaire que la mère lui a creusé. Rappelons-nous, en effet, que la larve est enfouie à qael- ques pouces à peine de profondeur dans un sol sablonneux et dé- couvert. Pour juger jusqu’à quel point les cocons ainsi vernissés peuvent résister à l’aceès de l'humidité, j'en ai tenus d’immergés dans l’eau plusieurs journées entières, sans jamais trouver des vestiges d'humidité dans leur intérieur. Neuf mois s'écoulent pendant lesquels s’effeetue un travail où tout est mystère. Je franchis ce laps de temps rempli par lin- connu, et, pour arriver à la nymphe, je passe, sans transition, de la fin du mois de septembre aux premiers jours du mois de juillet suivant. La larve vient de rejeter sa dépouille fanée; la nymphe, organisation transitoire, où mieux inseete parfait au maillot, attend immobile l'éveil qui doit tarder encore un mois. Ses pattes, ses antennes, les pièces étalées de sa bouche et les moignons de ses ailes, ont l'aspect du cristal le plus limpide, et sont régulièrement ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 179 étendus sous le thorax et l'abdomen. Le reste du corps est d'un blane opaque, très légèrement lavé de jaune. Les quatre segments intermédiaires de l'abdomen portent de chaque eôté un prolonge- ment étroit et obtus d’un millimètre de longueur. Le dernier seg- ment, terminé en dessus par une expansion lamelleuse en forme de secteur de cercle, est armé en dessous de deux mamelons coniques disposés côte à côte; ce qui forme en tout onze appen- dices étoilant le contour de labdomen. Toute la partie antérieure du corps est complétement immobile; mais l’abdomen exécute de vifs mouvements oscillatoires au contact stimulant de la pointe d’une aiguille. Telle est la délicate créature qui, pour devenir un Sphex, doit revêtir une livrée mi-partie noire et rouge , et se dé- pouiller de la fine pellicule qui l’emmaillotte étroitement. J'ai été eurieux de suivre jour par jour l'apparition et les progrès de la coloration des nymphes, et d’expérimenter si la lumière solaire, cette palette féconde où la nature puise ses coulenrs , pourrait in- fluencer ces progrès. Dans ce but, j'ai extrait des nymphes de leurs cocons pour les renfermer dans des tubes de verre, dont les uns, tenus dans une obscurité complète, réalisaient pour les nymphes lés conditions naturelles, et me servaient de termes de comparai- son, et dont les autres, appendus contre un mur blane, recevaient tout le jour une vive lumière diffuse. Dans ces conditions diamé- tralement opposées, l’évolution chromatique s’est maintenue des deux côtés dans une admirable parité ; ou bien, si quelques légères discordances ont eu lieu, c’est au désavantage des nymphes expo- sées à la lumière. Tout au contraire de ce qui se passe dans les plantes, la lumière n’influe done pas sur la coloration des Insectes, ne l’accélère pas même ; et cela doit être, puisque, dans les espèces les plus privilégiées sous le rapport de l'éclat, les merveilleuses splendears qu'on croirait dérobées à un rayon de soleil, sont en réalité élaborées dans les ténèbres des entrailles du sol ou dans les profondeurs du tronc earié d’un arbre séculaire. Les premiers linéaments colorés se montrent sur les yeux, dont la cornée à facettes passe successivement du blanc au fauve , puis à l’ardoisé, et enfin au noir. Les ocelles participent à leur tour à cette coloration , avant que le corps ait encore rien perdu de sa 180 FABRE. —- ÉTUDE SUR L'INSTINCT teinte neutre, le blanc. Plus tard, un trait enfumé se dessine supé- rieurement dans le sillon qui sépare le mésothorax du métathorax, et, vingt-quatre heures après, tout le dos du mésothorax est noir. En même temps, la tranche du prothorax s’obombre, un point noir apparaît dans la partie centrale et supérieure du métathorax, et les mandibules se couvrent d’une leinte ferrugineuse. Une nuance de plus en plus foncée gagne graduellement les deux segments extrêmes du thorax, et finit par atteindre la tête et les hanches. Une journée suffit pour transformer en un noir profond la teinte enfu- mée de la tête et des segments extrêmes du thorax ; c’est alors que l'abdomen prend part à la coloration rapidement croissante. Le bord de ses segments antérieurs se teinte d’aurore, et ses segments postérieurs acquièrent un liseré d’un noir cendré. Enfin les an- tennes et les pattes, après avoir passé par des nuances de plus en plus foncées, deviennent noires ; la base de l’abdomen est entière- ment envahie par le rouge orangé, et son extrémité par le noir. La livrée serait alors complète , si ce n’était les tarses et les pièces de la bouche qui sont d’un roux un peu hyalin, etles moignons des ailes qui sont d'un noir cendré. Vingt-quatre heures après, la nymphe doit rompre ses entraves. Il ne faut que de six à sept jours à la nymphe pour revêtir ses teintes définitives, en ne tenant compte des yeux. dont la coloration précoce devance d’une quin- zaine de jours celle du reste du corps. D’après ce rapide aperçu, la loi de l’évolution chromatique est facile à saisir. On voit qu’en laissant de côté les yeux et les ocelles, dont la perfection hâtive rappelle ce qui a eu lieu dans les animaux vertébrés, le lieu de dé- part de la coloration est un point central, le mésothorax, d’où elle gagne progressivement, par une marche centrifuge, d’abord le reste du thorax, puis la tête et l'abdomen, et enfin les divers appendices, les antennes et les pattes. Les tarses et les pièces de la bouche se colorent encore plus tard, et les ailes ne prennent leur teinte qu'après être sorties de leurs étuis. Voilà maintenant le Sphex paré de sa livrée ; il lui reste à se dépouiller de son enveloppe de nymphe. C’est une tunique très fine, exactement moulée sur les moindres détails de structure , et qui voile à peine la forme et les couleurs de l’insecte parfait. Pour ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 181 préluder au dernier acte de la métamorphose , le Sphex, sorti tout à coup de sa torpeur, commence à s’agiter violemment, comme pour rappeler la vie dans ses membres si longtemps engourdis. L'abdomen est tour à tour allongé ou raccourci par des mouve- ments vermiculaires ; les pattes sont brusquement tendues , puis fléchies, puis tendues encore, et leurs diverses articulations roidies avec effort. L'animal, arc: bouté sur la tête et la pointe de l’abdo- men , sa face ventrale en dessus, distend à plusieurs reprises par d’énergiques secousses l'articulation du cou et celle du pédicule abdominal. Enfin ses efforts sont couronnés de succès, et après un quart d'heure de cette rude gymnastique , le fourreau, tiraillé de loute part, se déchire au cou, autour de l’insertion des pattes et vers le pédicule de l’abdomen , en un mot partout où la mobilité des parties a permis des dislocations assez violentes. De toutes ces ruptures dans le voile à dépouiller, il résulte plusieurs lambeaux irréguliers dont le plus considérable enveloppe l'abdomen et re- monte sur le dos du thorax. C'est à ce Jlambeau qu’appartiennent les fourreaux des ailes. Un second lambeau enveloppe la tête. Enfin chaque patte a son étui particulier plus ou moins maltraité vers la base. Le grand lambeau, qui fait à lui seul la majeure partie de l'enveloppe, est dépouillé par les mouvements vermiculaires de l'abdomen. Par ce mécanisme il est lentement reloulé en arrière, où il finit par former une petite pelotte reliée quelque temps à l’ani- mal par des filaments trachéens. Le Sphex relombe alors dans l'immobilité, et l'opération est finie. Cependant la tête, les an- tennes et les pattes sont encore plus ou moins voilées. Il est évident que le dépouillement des pattes en particulier ne peut se faire tout d’une pièce à cause desnombreusesaspérités ou épines dontellessont armées. Aussi ces divers lambeaux de pellicule se dessèchent sur l'animal, pour être détachés plus tard par le frottement des pattes. Ce n'est que lorsque le Sphex a acquis toute sa vigueur qu'il effec- tue cette desquamation finale en se brossant, lissant, peignant tout le corps avec les pattes. La manière dont les ailes sortent de leurs étuis est ce qu’il v a de plus remarquable dans l’opération que je viens de décrire. A l’état de moignons, elles sont plissées en zigzug dans le sensde leur longueur et très contractées. Peu de temps 182 FABRE. — ÉTUDE SUR L'INSTINCT avant leur dépouillement normal, on peut facilement les sortir de leurs fourreaux ; mais alors elles ne s’étalent pas et restent tou- jours crispées. Âu contraire, quand le grand lambeau dont leurs fourreaux font partie est refoulé en arrière par les mouvements de l'abdomen, on voit les ailes sortir peu à peu de leurs étuis et rpendre immédiatement, à mesure qu’elles deviennent libres, une étendue démesurée relativement à l’étroite prison d’où elles émer- sent. Elles sont alors le siége d’un afflux abondant de liquides vitaux qui ies gonflent, les étalent , et doivent par la turgescence qu'ils occasionnent contribuer beaucoup à leur sortie des étuis. Récemment étalées, les ailes sont lourdes, pleines de sucs et d’un jaune paille très elair. L’afflux des liquides se fait quelquefois d’une manière irrégulière , et on voit alors le bout de l’aile appesanti par une gouttelette jaune enchâssée entre les deux feuillets. Après s'être dépouillé du fourreau de l'abdomen qui entraîne avec lui les étuis des ailes, le Sphex retombe dans l’immobilité. La première journée de ce repos n’a rien de remarquable. Le se- cond jour, il survient une abondante défécation de crottins blanes rejetés à intervalles assez rapprochés. Il est inutile de rappeler que ces déjections sont de l'acide urique. Le troisième jour, cette éli- mination des malériaux urinaires est à peu près terminée, car le tissu adipeux à presque entièrement perdu ses granulations blan- ches. Les ailes ont dans cet intervalle pris leurs nuances nor- males, les tarses se sont colorés, et les pièces de la bouche, d’abord étalées, ont pris la position voulue. Après vingt-quatre jours passés à l'état de nymphe, l’animal a atteint sa perfection; il déchire le cocon qui le retient captif, s'ouvre un passage à travers le sable , et apparaît un beau matin, sans en être ébloui , à la lumière qui lui est encore inconnue. Inondé de soleil, le Sphex brosse ses antennes et ses ailes, passe et repasse ses pattes sur l'abdomen, se lave les yeux avec les tarses antérieurs préalablement humectés avec la bouche, comme le font les Chats; et, sa toilette finie, il s'envole joyeux : il a deux mois à vivre. ET LES MÉTAMORPHOSES DES SPHÉGIENS. 183 EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHES D ET CG. Fig, 1. Organes reproducteurs femelles, et appareil vénénifique du Sphex flavi- pennis. 2 Fig. 2. Appareil digestif du Sphex flavipennis adulte. Le ventriculechylifique, a,b, est occupé par de l'acide urique pendant les premiers jours de l'Hyménoptère à l'état parfait. Fig. 3. La larve du Sphex flavipennis un peu plus grande que nature , avec ses, ponctuations blanches , sous-dermiques, dues aux utricules remplis d'acide urique. Fig. 4. Un lambeau du tissu adipeux de la larve. a, utricules jaunes, pleins de gouttelettes huileuses ; b, utricules d'aspect crétacé remplis d’acide urique. Fig. 5. L'enveloppe externe du cocon, grandeur naturelle. Fig. 6. L’étui interne du cocon, formé en dehors d'un tissu de soie, et en de- dans d’un enduit de laque d'un brun violet. La couleur sombre de sa partie inférieur provient du résidu fécal entassé dans cette partie. Fig. 7. Appareil digestif de la larve. Fig. 8. Une des deux glandes sérifiques de la larve. Fig. 9. Appareil digestif du Sitaris humeralis avant le départ de l’acide urique, qui s'opère après la métamorphose. a, partie supérieure du ventricule chyli- fique, dilatée en forme de poire et remplie d'acide urique à l’état pulvérulent, Fig. 10. Le même appareil, après l'élimination de l'acide urique. NOTES SUR QUELQUES POINTS DE L'HISTOIRE DES CERCERIS, DES BEMBEX, DES SITARIS, ETC. Par M. FABRE. Professeur au Lycée impérial d'Avignon. Je réunis ici sous forme de notes quelques détails étrangers , il est vrai, à mon sujet, mais qui ne seront peut-être pas sans intérêt pour l'étude des mœurs des Hyménoptères. Je dois la détermina tion de la majeure partie des espèces que je mentionne à l’inépui- sable obligeance de M. L. Dufour. C’est pour moi un bien doux devoir de lui en témoigner ici ma profonde reconnaissance, 18/ FABRE. 1° Les cellules du Cerceris Ferreri sont approvisionnées avec des Curculionites d'espèces et de genres fort variés. J’y ai trouvé les espèces suivantes : Phytonomus murinus , Phytonomus punctatus, Sitona lineata, Cneorhinus hispidus, Rhynchites betu- leti. Ordinairement l’approvisionnement consiste en un mélange des quatre premières espèces. A plusieurs reprises, j'ai trouvé cependant dans chaque cellule et sans mélange de six à huit Rhyn- chites beluleti. 2 Le Cerceris arenaria étend aussi loin ses déprédations, comme le constate le relevé suivant de ses victimes : Sitona li- neata, Sitona tibialis, Cneorhinus hispidus, Brachyderes gracilis, Geonemus flabellipes. Le Sitona lineata est l'espèce qui se pré- sente le plus fréquemment. C’est aussi ce qui a lieu pour le Cer- ceris Ferreri. 2° Cerceris quadricincta. Les cellules sont approvisionnées chacune avec une trentaine de Curculionites. Ce nombre prodi- gieux s'explique par la petite taille de l’Æpion gravidum, qui en forme la majeure partie. Avec ces espèces , j'ai observé quelques rares individus des deux suivantes : Phytonomus murinus, Sitona lineata. h° Le Cerceris dont j'ai donné une description ( Ann. sc. nat., 1856, p. 148), chasse au lieu de Sphénoptères, comme je l'ai eru d’abord, de très petits Curculionites : Apion gravidum, Bruchus granarius. D’après mes observations , M. L. Dufour, qui d’abord le rapportait à l’ornata (Ann. se. nat., 1856, t. IV, p. 261), n’est pas éloigné de le regarder comme une espèce distincte, ne se rap- portant à aueun des types décrits par Lepelletier, pas même au C. minula. Ces divers exemples, où l’on voit la même espèce de Charançon servir de victime à des Cerceris d'espèces différentes, où l’on voit un même ravisseur s'attaquer à une proie de forme et de taille si diverses, me paraissent établir que les chasseurs de Cureulionites étendent indifféremment leurs déprédations sur toutes les espèces qu'ils peuvent rencontrer dans le voisinage de leurs terriers, pourvu que le poids n’en soit pas au-dessus de leurs forces. 5 Le Cerceris quadrifasciata Dahlb, chasse de petits Hymé- NOTES SUR LES CERCERIS, LES BEMBEX, ETC. 185 noptères fouisseurs; je l’ai surpris au moment où il immolait un Alysson bimaculatum. 6° Un sixième Cerceris, variété de l’ornata d’après M. L. Du- four, nourrit ses larves avec de très petits Hyménoptères téré- brants. Dans les victimes contenues dans une cellule, et en trop mauvais état pour être spécifiquement déterminées , il s’est trouvé les quatre genres Microgaster, Bracon, Diplolepis, Chirocera. 7° Lepelletier de Saint-Fargeau donne (Hist. des Hym., t. I, p. 599) un aperçu des mœurs du Bembex rostrata. J'ai observé le Bembex vidua, et j'ai reconnu dans cette seconde espèce des mœurs presque identiques avec celles de la première. Cependant 1e Bembex vidua m'a rendu témoin d’une particularité fort rare dans l’histoire des Hyménoptères fouisseurs. En épiant les mères chargées de leur proie, je les ai vues pénétrer dans des terriers peu profonds, au bout de chacun desquels je trouvais, à ma grande surprise, non des cellules plus ou moins complètement approvi- sionnées, mais une grosse larve tapie au fond du eul-de-sac sur un lit de débris de Diptères, et occupée à dévorer une proie fraiche, pareille à celle que je venais de voir saisir par la mère quelques instants avant. Pour mieux me convaincre de ce mode d’approvisionnement au jour le jour, si opposé à celui qu’adoptent en général les Hyménoptères dont les larves vivent de proie, j'ai ravi sa victime à la mère au moment où elle venait de s’en empa- rer, et après l’avoir marquée d’un signe propre à me la faire re- connaitre, en lui enlevant une patte et une aile, je la lui ai rendue. Le Bembex a repris sa proie, et n’a pas tardé à pénétrer dans son terrier. Peu après, j'ai fouillé dans ce domicile , et j'ai retrouvé, entre les mandibules d’une grosse larve, le Diptère que j'avais mutilé. F’ajouterai qu'à plusieurs reprises, j'ai eu l’occasion de vi- siter des terriers où l’œuf venait d’être récemment pondu. Un Diptère de petite taille, par rapport aux grosses espèces que je voyais apporter aux larves, constituait à lui seul tout l'approvi- sionnement de la cellule, et l’œuf était déposé sur son abdomen. Cette première ration, sur laquelle l'œuf doit éclore, est générale- ment un Sphærophoria scripta Macq. Quant aux Diptères que la mère apporte de temps à autre à son nourrisson, ils sont de genres 136 FABRE, fort divers, mais toujours de grosse taille. Les espèces qui appa- raissent le plus fréquemment appartiennent aux genres Bombylius, Eristalis, Helophilus, Syrphius. D’après Lepelletier, les Diptères ravis au Bembeæ rostrata sont encore pleins de vie, et peuvent remuer leurs pattes sans pouvoir cependant marcher, et à plus forte raison voler ; ce reste de vie est évidemment nécessaire pour maintenir fraîches des victimes devant servir de pâture à une larve qui n’est pas encore éclose. Cette paralysie partielle s’obtien , comme toujours, par un coup d’aiguillon, apparemment dirigé vers les centres nerveux. Au contraire, les Diptères immolés par le Bembeæ vidua sont complétement immobiles , rigoureusement morts. J'ai vu le ravisseur saisir au vol de gros Bombyles, les en- lacer entre ses pattes, et s’abattre tout aussitôt sur le premier objet venu pour tordre et retordre la tête au capüf à l’aide des mandi- bules: Vainement, pendant eette opération observée de très près, je me suis attendu à voir jouer l’aiguillon; l’'Hyménoptère s’est borné à l’usage des mandibules pour sacrifier sa capture. Le coup d’aiguillon, s’il est donné, ne peut l'être qu’au vol, ce qui me parait fort difficile, surtout lorsqu'il doit être dirigé vers un point déter- miné. Le Bembex n’aurait-il dans son dard qu’une arme défen- sive? Ienorerait-il le redoutable secret physiologique que les autres ravisseurs connaissent si bien ? C’est assez probable , puisqu'il est obligé d'alimenter ses larves au jour le jour. Cet aiguillon est d’ailleurs incomparablement plus puissant que celui des autres Hyménoptères déprédateurs, que celui des Sphex par exemple, ef cependant le gibier du chasseur , une Mouche , n’exige pas une telle vigueur dans l’appareil de guerre. 8° L'Aslata boops creuse ses terriers dans le sol à un pouce ou deux de profondeur. Chaque terrier ne renferme qu’une seule eel- lule , et celle-ci est approvisionnée avec des larves de Pentaioma albo-marginella. L'Hyménoptère va les chercher sur l’Osyris alba, et bien que la même plante nourrisse à la fois l’Insecte parfait et sa larve , il s'attaque exclusivement à cette dernière, qui, plus jeune, plus tendre, moins abritée par des téguments cornés, paraît être préférée pour un motif purement gastronomique. 90 L'Osmia tricornis profite des couloirs abandonnés de l4n- NOTES SUR LES CERCERIS , LES BEMBEX , ETC. 187 thophora pilipes pour construire ses cellules à peu de frais. Les deux Mellifères se trouvent ainsi établis simultanément dans le même sol, l’'Osmie presque à la surface, l'Anthophore plus pro- fondément. Le Clerus octo-punctatus ravage les cellules de l’un et de l’autre. | 10° Le Sitaris humeralis est parasite de lAnthophora pilipes. Ce parasitisme est connu depuis longtemps ; mais ee qui ne l’est pas, ce sont les nombreuses et singulières morphoses par les- quelles passe cette espèce pour arriver à la forme adulte. Pespère avoir bientôt tous les matériaux nécessaires pour donner avec tous les détails désirables l’histoire de ce Sitaris. En attendant, je vais donner ici un rapide aperçu de ses morphoses encore sans exemple dans la science des Insectes. À. L'œuf produit une larve, qui, par sa forme, sa couleur, la consistance de ses téguments, rappelle assez bien les larves des Silpha. J'ignore encore les premières modifications que subit cette larve, et il me faut attendre la saison favorable pour remplir cette lacune. B. Après ces modifications inconnues, mais consistant proba- blement en une ou plusieurs mues , apparaît une larve molle, à pattes rudimentaires, qu'on trouve établie dans les cellules de l’Anthophore. La peau de cette larve se dessèche, se détache de toute part de son contenu, sans éprouver cependant aucune rupture, et forme ainsi un sac sans issue d’une très grande finesse, et en- veloppant, sans y adhérer, l'organisme suivant. C. C’estune chrysalide ou coque, dont les téguments roux ont la consistance cornée des chrysalides des Lépidoptères ou des Pupes des Diptères. On distingue sur cette chrysalide deux cordons de sugmates, un pôle céphalique, un pôle anal, et six boutons corres- pondant aux pattes rudimentaires de la précédente larve. D. L'enveloppe chrysalidaire rompt à son tour toutes ses adhé- rences avec l'organisme inelus, et forme un second sac sans issue, emboité dans le précédent, et renfermant lui-même une nouvelle larve molle, blanche, dont la forme se rapproche de celle de l’In- secte parfait, auquel on aurait enlevé ses antennes, ses pattes, ses élytres, ses ailes. Le plus souvent, la tête de cette seconde larve 138 FABRE. correspond au pôle céphalique de la chrysalide ; mais il n’est pas rare d’observer üne orientation inverse, c’est-à-dire de voir la tête de la larve tournée vers le pôle anal de la chrysalide. Il est très fréquent encore de trouver la face ventrale de la larve tournée vers la face dorsale de la chrysalide. Ce défaut de correspondance dans les parties du contenant et du contenu n’est pas occasionné par les mouvements de la larve incluse, qui est loin d’avoir l’espace né- cessaire pour se retourner bout à bout, et qui d’ailleurs est inca- pable de se mouvoir. On ne peut non plus expliquer ces disposi- tions étranges , en admettant que la larve actuelle est un parasite inclus dans l'enveloppe chrysalidaire ; car j'ai acquis la certitude que cette larve est bien le produit immédiat de la chrysalide. E. Cette seconde larve se dépouille, dans l’intérieur du double sac qui la renferme, d’une fine pellicule rejetée d'avant en arrière, suivant le mode ordinaire, et apparaît la nymphe qui ne présente rien de remarquable F. La nymphe, toujours incluse dans le double berceau, rejette à son tour l'enveloppe délicate qui l’'emmaillotte, et vient enfin l'Insecte parfait. En résumé, les morphoses du Sitaris humeralis se succèdent commeil süit : première larve, chrysalide ; seconde larve, nymphe, insecte parfait. A partir de la seconde larve, les morphoses se succèdent dans le Sitaris suivant la règle générale; mais la pre- mière larve et la chrysalide ne correspondent à rien de connu encore dans la classe des Insectes. Si je ne me trompe, il y a à un superbe exemple de génération alternante dans les Coléoptères. M. Filippi a fait connaître, à propos d’un Ptéromalien qui pond ses œufs dans ceux du Rhynchites betuleti, un pareil mode de généra- tion, mais moins compliqué cependant que celui du Srtaris. 11° Le Meloe cicatricosa Leach est encore parasite de l4n- thophora pilipes. Il passe par les mêmes morphoses que le Sitaris, savoir : première larve, chrysalide ; seconde larve, nymphe, in- secle parfait. 429 J'ai obtenu des cocons d’un Anthidium voisin del’ 4. inter- ruptum, et qui bâtit ses cellules avec une cire grossière, sous les pierres, un superbe parasite, le Chrysis rutilans. J'ai également NOTES SUR LES CERCERIS, LES BEMBEX, ETC. 189 obtenu des cocons du Tachytes tarsina un très petit Hedychrum. Remarquons que, dans les deux cas, les parasites étaient inclns dans les cocons filés par les larves mêmes des Hyménoptères ; ce qui peut fournir un précieux renseignement sur le mode de para- sitisme des Chrysides. D'après M. Aug. Brullé (Lepel., Hist. des Hym., t. IV, p. 5), les Chrysides pondent leurs œufs dans le nid simplement d’autres Hyménoptères , et non dans le corps même des larves renfermées dans ces nids, il est vrai que, plus tard, la jeune larve de Chryside doit dévorer celle qui est la véritable fille de la maison. Les deux faits que je rapporte démontrent, au con- traire, que les Chrysides pondent leurs œufs dans le corps même des larves de divers Hyménoptères, comme les Ichneumons le font à l'égard des Chenilles ; car il n’est pas possible d'interpréter autrement la présence des Chrysides dans des cocons intacts filés par les larves qui les ont nourris de leur propre substance. SUR LA SÉCRÉTION DE L'URINE, Par le 1° WITTICH, Professeur à Koenisberg. EXTRAIT (1), Ce n’est pas une idée nouvelle que de chercher dans les cellules épi- théliales le principal facteur de la secrétion des glandes. Meckel a déjà été conduit à l’adopter par ses recherches sur les glandes des animaux infé- rieurs, et les études de Reinhardt sur la formation du colostrum ont eu un résultat analogue. Bowman, Hessling, Goodsir ont en particulier ramené la sécrétion de l’urine à une fonction propre aux cellules épithéliales des reins, et Busch a démontré, il n’y a pas longtemps, l’exactitude de cette manière de voir pour les animaux inférieurs. Que les concrétions urinaires soient chez les Gastéropodes pulmonés formées à l’intérieur des cellules de lépi- thélium rénal, c’est aujourd’hui un fait incontestable ; aussi doit-on con- sidérer comme probable qu’un mode de sécrétion analogue a lieu chez les animaux supérieurs. Ne savons-nous pas d’ailleurs que, soit la cholesté- rine, soit le pigment de la bile ( peu importe ici que ce dernier soit de la (4) Ueber Harnsecretion, in Virchow's Archiv für pathologische Anatomie und Phy- siologie, 1856, Bd. X, p. 325. (Extrait de la Bibliothèque universelle de Genève, série 4, t, XXXIV, p. 248.) 490 WITTICH. biline ou un mélange d’acide glycocholique et taurocholique), sont formés dans l’intérieur des cellules hépatiques ? Le fait de l’existence de l’urée et des autres éléments de l’urine dans le sang des animaux supérieurs , n’est point incompatible avec une parti- cipation de l’épithélium à la sécrétion, et n’exige point que celle-ci soit une simple transsudation. Les cellules rénales doivent, en effet, toujours exer- cer une influence particulière, par le fait même que, dans l’état normal, les éléments de l’urine ne sont sécrétés que là où ces cellules se trouvent, et nulle part ailleurs. Du reste, chez les Vertébrés dont l'urine n’est qu’en partie liquide, les éléments solides de cette sécrétion se trouvent ren- fermés dans les cellules épithéliales des reins. C’est ainsi chez les Oiseaux, par exemple. Les canalicules des reins sont, comme l’on sait, revêtus à l’intérieur de cellules épithéliales rondes très “délicates, au point que le plus souvent on n’en retrouve plus que les nucléus, qui résistent mieux aux actions extérieures. Wittich prétend que ces cellules ne possèdent pas de mem- brane propre, de la même manière que les cellules épithéliales de l’intestin doivent en être dépourvues d’après les observations de Brücke. Ce que l’on considère d'ordinaire comme la membrane de la cellule ne serait qu'un produit de Ja coagulation de la couche externe de la substance homogène qui, par son union avec le nucléus, constitue la cellule. Les cellules vont en s’aplatissant à mesure qu’on se rapproche de la dilatation du canalicule, qu'on désigne sous le nom de capsule de Müller , et qui, comme l’on sait, enveloppe le glomérule de Malpighi. Sur les parois mêmes de cette capsule, des cellules se transforment en un véritable épithélium pavimenteux, qui ne tapisse, au dire de Wittich, que les parois de la capsule, sans s’étendre sur le glomérule. À cet égard, Wittich se trouve en contradiction avec la plupart des autres histologistes. La substance intercellulaire que différents observateurs veulent avoir trouvée entre les T'ubuli contorti de la sub- stance corticale du rein, et qui doit rentrer dans la famille du tissu con- jonctif, n'existe pas au yeux de Wittich, qui prétend qu’elle ne se rencontre que dans les pyramides. Lorsqu'on examine un rein d'Oiseau, on y trouve un grand nombre de canalicules dont le calibre est occupé par des urates solides. Dans d’autres canalicules, où la sécrétion n’est pas aussi avancée , on remarque que les petites masses à éclat argentin (c’est du moins là leur couleur à la lumière incidente, vues par transparence elles paraissent brunes), formées par les urates, sont renfermées dans les cellules épithéliales et non dans le calibre même du canalicule. C’est ce qu’on voit surtout fort bien lorsque l’on coupe des tranches très minces d’un rein qu’on a traité à plusieurs reprises par l’éther et l'alcool pour en enlever la graisse, et qu’on a ensuite desséché. D’autres canalicules enfin sont parfaitement clairs, ne renfermant pas trace de sels uriques , leurs cellules épithéliales n’ayant pas encore exercé leur rôle sécréteur. Il est, en effet, certain qu'il n’y à ni égalité, ni simulta- néité dans la participation à la sécrétion des diverses parties du parenchyme. C’est un fait auquel on pouvait s’attendre à priori, car sans cela les cel- lules épithéliales viendraient bientôt à faire défaut , puisqu'elles périssent SUR LA SÉCRÉTION DE L'URINE. 494 sitôt qu'elles sont remplies de la substance sécrétée. Les cellules épithé- liales des capsules de Müller ne renferment jamais d’urates solides ; elles ne participent pas à la sécrétion des éléments de l’urine proprement dits. Quel est le mode d’après lequel a Heu la sécrétion par l'intermédiaire des cellules? C’est là une question difficile, à laquelle Wittich a cherché à répondre de deux manières. Il est d’abord possible que les urates dis- sous dans le sang passent par voie diosmotique dans les cellules épithé- liales des reins. Le contenu de ces cellules (on devrait dire, à proprement ptrler , la masse des cellules, ou la SUBSTANCE si l’on n’admet pas que celles-ci possèdent de membrane propre) étant beaucoup plus dense que le sang, les urates seraient précipités et s’accumuleraient dans les cellules. En outre, on sait que l'acide urique n’a qu’une affinité excessivement faible pour les bases, et qu'il est partiellement chassé de ses sels même par Pacide carbonique. On pourrait donc facilement concevoir que les urates neutres dissous dans le sang, arrivant en contact avec l'acide carbonique produit par les phénomènes de nutrition du rein , subissent une décom- position d’où résulteraient des earbonates et des urates acides. Les urates acides, étant beaucoup moins solubles que les urates neutres, seraient pré- cipités. Nous avouons que cette hypothèse ne nous paraît pas reposer sur des bases bien solides, car les urates neutres dissous dans le sang ren- contrant de acide carbonique dans tous les organes et dans le sang lui- même ; 4} n’y aurait pas de raison pour que les urates acides ne se for- massent pas dans toutes les parties du corps (4). — La seconde solution trouvée par Wittich à la question ci-dessus, repose sur des observations de diosmose, entre de l’albumine, d’une part, et de l’urate de potasse d'autre part. Le résultat de l'échange diosmotique entre les deux liquides est la formation d’une opalescence dans la dissolution du sel, et d’un préeipité d'urate acide de potasse dans Palbumine. (est qu’en effet l’albumine est en état d'enlever à l’urate neutre une partie de son alcali. Lorsqu'on pré- pare , au moyen d’une précipitation par l'acide chlorhydrique l’albumine libre de sels, mais parfaitement insoluble dans l’eau distillée , et qu’on traite cet albumine par une solution étendue d’urate neutre de potasse, il se forme très rapidement un albuminate de potasse, qui d’abord se dé- pose sous forme de gelée sur le fond du vase , puis finit par se dissoudre. D’après Wittich, il se passerait quelque chose de tout semblable dans les reins ; les urates neutres seraient transformés en urates acides, qui se pré- cipiteraient, et l’alcali, qui passerait dans la substance de la cellule, la dis- soudrait peu à peu et préparerait sa perte. Une des fonctions des glomérules de Malpighi est, sans contredit, de retarder le cours du sang, but qui est atteint par l'obstacle qu’opposent au courant les nombreux méandres des vaisseaux. Mais en même temps, sur- (1) À moins loutefois, il est vrai, que l'acide carboniqne ne soit point à l’état libre dans le sang , mais combiné avec l'hématocristalline, comme on a de fortes raisons pour le croire aujourd'hui. Mais l'acide carbonique n'en devrait pas moins être libre un instant dans les organes au moment de sa naissance, et l'on ne voit pas pourquoi il ne précipiterait pas des urates acides dans tous les organes, comme cela doit avoir lieu dans les reins d'après la théorie de Wittich. 192 WITTICH. — SUR LA SÉCRÉTION DE L'URINE. tout chez les animaux qui présentent un élargissement de la voie cireula- toire, c’est-à-dire chez lesquels la somme des sections transversales des ra- meaux sanguins du glomérule est plus grande que la section du vaisseau afférent et du vaisseau efférent, en même temps, disons-nous, la pression latérale, perpendiculaire à la paroi des vaisseaux, se trouve augmentée. Les cellules épithéliales faisant, d’après Wittich , totalement défaut sur la sur- face du glomérule, on ne peut pas admettre de phénomènes endosmotiques, puisque le liquide extérieur est absent. La sécrétion des glomérules se réduirait alors à une simple filtration , filtration favorisée par l’accroisse- ment de la pression qu’exerce le sang dans les parois des vaisseaux dans les glomérules. Il est cependant une difficulté qui s’oppose à cette manière de voir. Dans le cas de la sécrétion sur les parois des canalicules rénaux, il est tout naturel qu'il n’y ait pas d’albumine sécrétée, qu’il n’y ait pas d’albu- minurie, en un mot, puisque le courant endosmotique transporte l’albumine de la cellule au sang ; mais dans le cas du glomérule de Malpighi , il n’en est pas ainsi, puisqu'il n’y a pas d'échange diosmotique, au dire de Wittich. Est-ce que peut-être la filtration au travers d’une membrane animale effectuerait la séparation de substances dissoutes dans un même liquide ? Toutes les expériences faites sur ce sujet conduisent à une réponse néga- tive. Wittich est obligé d'admettre que le liquide, qui est filtré par les glomérules , a bien une composition analogue à celle du sérum du sang, mais que son albumine s’additionne à l’albumine des cellules épithéliales des canalicules rénaux , et qu’elle est résorbée avec cette dernière par les vaisseaux capillaires. —Quelque attrayante que paraisse cette théorie, elle ne nous satisfait pas encore complétement, car la diosmose ne devrait pas ramener l’albumine dans sa totalité dans le sang, et l’urine devrait contenir à l’état normal quelque peu d’albumine. Wittich explique l’albuminurie par une simple augmentation de la pres- sion latérale qu’exerce le sang dans les vaisseaux des reins, augmentation dont l’effet immédiat est une filtration plus abondante de plasma chargé d’albumine au travers des parois vasculaires des glomérules de Malpighi. Wittich suppose, et sans doute avec raison, que la sécrétion de l’urine a lieu chez les Mammifères (chez lesquels l’urine est, comme l’on sait, un liquide) de la même manière que chez les Oiseaux, les Reptiles et les ani- maux inférieurs. L’essence de la sécrétion devra certainement être ramené chez eux aussi à une activité spéciale des cellules épithéliales des canali- cules rénaux. RECHERCHES SUR LA PARTHÉNOGÉNÈSE, PROPREMENT DITE, CHEZ LES LÉPIDOPTÈRES ET LES ABEILLES, Par M. C. Th. E. DE SIEBOLD (1). (ANALYSE) Le mot Parthénogénèse, proposé par M. Owen (2) pour désigner la reproduction par des femelles non fécondées ou vierges , est employé par M. de Siebold dans un sens plus restreint , et appli- qué seulement aux cas de multiplication sans fécondation offerts par des femelles parfaites , c’est-à-dire des femelles dont les or- ganes reproducteurs sont développés de la manière normale , et présentent dans la classe des Insectes une poche copulatrice et un réceptacle séminal. Par conséquent, la Leucina sine concubitu qu'on observe chez les Pucerons ne serait pas, suivant ce phy- siologiste, un exemple de véritable Parthénogénèse, car les in- dividus qui se reproduisent sans accouplement n’ont pas l’appa- reil générateur constitué de la même manière que les Pucerons femelles ovipares. Les premiers sont dépourvus du réceptacle séminal, et l'organe producteur des jeunes, ajoute l’auteur, ne mérite pasle nom d’ovaire ; il n’en offre pas les caractères, et devrait être considéré plutôt comme un organe producteur de germes (keim- kærper, keimstock). À l'exemple de M. V. Carus (3), M. Siebold regarde ces individus vivipares comme des nourrices, et, suivant lui, les phénomènes de la multiplication des Pucerons rentreraient, par conséquent, dans la catégorie des générations alternantes. (1) Wahre Parthenogenesis bei Schmetterlingen und Bienen. Ein Beitrage zur Forlpflanzungsgeschichte der Tiere. In-8. Leipsig, 1856 (analysé par M. Young, préparateur d'entomologie au Muséum d'histoire naturelle de Paris). (2) On Parthenogenesis or the successive production of individuals from a sengle ovum. In-8, 1849. (3) V. Carus, Zur nüheren Kenntniss des generalionswechsels. 1849, p. 20, 4e série, Zoou. T. VI. (Cahier n° 4.) ! 13 494 SIEBOLD. Après avoir exposé ses vues à ce sujet, M. de Siebold passe en revue les cas nombreux dans lesquels divers naturalistes ont cru avoir constaté la ponte d'œufs féconds par des Insectes ou autres animaux articulés qui n’auraient pas reçu le contact du mâle, et il fait voir que les observations sur lesquelles on s'était fondé pour arriver à cette conclusion étaient presque toujours très incomplètes, et souvent même tout à fait insuffisantes. Enfin il énumère diverses circonstances qui auraient pu se réaliser dans les cas en question et induire les entomologistes en erreur; et il cite plusieurs faits ana- logues, tels que l’accouplement d’une femelle de Gastropocha quer- eus, caplive, avec des mâles qui, se trouvant en liberté à des distances très considérables , avaient été attirés auprès d’elle, et l'exemple d'un mâle et d’une femelle sortis d’un seul et même cocon de Ver à soie signalé par M. Lucas. Cet examen avait conduit M. de Siebold à penser que rien dans la science ne pouvait autoriser les physiologistes à considérer la possibilité de la Parthénogénèse proprement dite comme démontrée chez les Animaux articulés; mais ayant été vivement frappé de quelques faits, en apparence très extraordinaires, que lui avaient offerts les Psychées, il se détermina à faire de la reproduction de ces Lépidoptères une étude approfondie. Quelques entomologistes , tels que Degéer, attribuent aux Psychées un mode de mulüplication analogue à celui des Puce- rons : ce qui, dans la manière de voir de l’auteur, impliquerait l'existence de quelques différences essentielles dans la structure de l'appareil reproducteur de ces Insectes comparé à celui des autres Lépidoptères. M. de Siebold se livra donc d’abord à des recherches anatomiques sur les Psychées , et il ne tarda pas à se convaincre que ces animaux (lesquels étaient sans exception du sexe femelle), avaient des organes générateurs constitués pour laccou- plementet la ponte. Il étudia avec beaucoup de soin la structure de Ta Psyche graminella et de la T'alæoporia nitidella, et leur trouva une poche copulatrice, un réceptacle séminal et les autres parties accessoires ordinaires de l'appareil reproducteur. Il en conclut qu'on ne saurait assimiler ces femelles aux Pucerons vivipares ou nourrices , et il chercha à résoudre la question qu’il s'était posée PARTHÉNOGÉNÈSE CHEZ LES INSECTES. 4195 par l'observation des mœurs de ces singuliers Insectes. Enfin, dans ce premier travail, il s'arrêta aux conclusions suivantes: qu'il existe, relativement à la fécondation des Psychées, des faits très extraordinaires ; mais que l’on n’a aucune preuve suffisante pour établir la possibilité du développement spontané des œufs non fécondés chez ces Lépidoptères (L). Ainsi, en 1849, M. de Siebold était disposé à chercher à expli- quer, par des erreurs d'observation , les résultats anormaux que divers naturalistes avaient annoncés relativement à la reproduction des Psychées sans le concours du mâle ; mais peu de temps après la publication du travail dont il vient d’être question , ses convic- tions à cet égard ne tardèrent pas à être fortement ébranlées. S'étant procuré un grand nombre de sacs ou cocons de T'alæo- poria (ou Solenobia) lichenella et de T. triquetrella, il vit, à son erand étonnement, qu'il n’en sortit que des individus femelles , et que ceux-ci, renfermés sous une cloche de verre, ne tardèrent pas à pondre des œufs. La femelle se dirigeait vers l'orifice de son sac, ensortait, puis y ayant introduit son oviscape, leremplissait d'œufs. Mais la surprise de l’auteur fut plus grande encore lorsqu'il vit tous les œufs ainsi pondus éclore, et les jeunes qui en sortirent se mettre activement à la recherche des matériaux nécessaires à la construction de leurs sacs. Dans cette expérience le doute ne lui parut donc plus possible; effectivement il n’avait eu entre les mains que des femelles, et celles-ci étaient restées vierges. Enfin il est aussi à noter qu'il s’était assuré que les Psychées qui pondent ainsi, sans le concours du mâle, n’offrent aucune trace de sperma- tozoïdes dans leur réceptacle séminal. Les Solénobies ou Talæopores ne sont pas les seules Psychides chez lesquels M. de Siebold ait observé des faits du même ordre. Il a obtenu des résultats analogues en étudiant la Psyche heliæ, espèce dont le mâle n’est pas encore connu d’une manière certaine, et dont là femelle habite un étui qui a la forme d’une coquille de Mol- lusque gastéropode. La femelle dépose ses œufs dans l’intérieur de la peau de la nymphe restée dans la cavité de ce sac conchiforme, (1) V. Siebold, Uber die Fortpflangunguer Psyche. (Zeihchreift für wissench. Zool. Bd. I; p. 400.) 496 SIEROLD. puis diminue considérablement de volume, et le plus souvent aban- donne sa demeure pour mourir promptement. Mais les œufs ainsi déposés, sans avoir été fécondés, se développent dans le cours de la même année : de sorte que si, vers la fin de l’automne ou en hiver, on ouvre un de ces sacs dont l'ouverture est bouchée avec des fils, on y trouve constamment de dix à vingt-quatre jeunes Che- nilles d’un gris rougeûtre. Enfin ces Chenilles se transforment sans exception en Psychées femelles, qui ont leurs organes copula- teurs développés d'une manière normale, I] est aussi à noter que les œufs qui en proviennent sont munis de leur micropyle comme ceux des Insectes ordinaires. Après avoir exposé ces faits relatifs à la multiplication parthé- nogénésique des Psychides, et les avoir comparés aux observa- tions consignées dans les écrits des autres entomologistes, M. de Siebold passe à l'examen du mode de génération des ABEILLes. Vers la fin du siècle dernier, par des observations faites avec une sagacité qui tient du merveilleux, on avait jeté une vive lumière sur l’économie de ces Insectes, particulièrement sur leur reproduc- tion, et depuis lors les recueils de la science ne faisaient que ras- sembler de nouveaux faits pour appuyer les résultats déjà constatés, et y donner une force et une autorité incontestables. Cependant en Allemagne, des hommes passionnés pour l’apiculture, et doués parfois d’une haute intelligence, ne pouvaient recevoir, malgré toute leur bonne volonté, comme l'expression des faits, certaines doctrines qui semblaient se déduire naturellement des observa- tions recueillies par les entomologistes. Effectivement, on avait prouvé que la reine ne s’accouple que hors de la ruche et à une hauteur considérable dans l'air; mais on avait reconnu aussi qu'une reine, dont les ailes sont mutilées dès son berceau , peut être féconde. Or, ce faitet d’autres analogues, souvent mal compris ou incomplétement observés, ne manquèrent pas d’amener de longues discussions dans les nombreuses Sociétés d’apiculture de l'Allemagne. Ce fut alors que M. Dzierzon, curé à Carlsmark, en Silésie, homme intelligent et observateur simple mais exact, formula audacieusement des vues qui rendaient compte de toules les bizar- PARTHÉNOGÉNÈSE CHEZ LES INSECTES. 197 reries (car les faits extraordinaires qu'on racontait semblaient mériter ce nom ) observées par les apiculteurs dans la pratique. Les idées de M. Dzierzon , exposées simplement d’abord, mais ensuite sous la forme d’une hypothèse nettement formulée, furent consignées, en 1845, dans les Mémoires de la Société d’apiculture d’Eichstadt. La publication directe qu'elles reçurent fur très bor- née, mais peu à peu la connaissance s'ea étendit par communica- lion verbale, principalement dans les Sociétés d’apiculture; et enfin tous ceux qui, en Allemagne, s'occupent avec intelligence de l’élève des Abeilles, apprirent la nouvelle. Les Sociétés se divi- saient chacune en deux camps : ceux qui défendaient les doctrines de M. Dzierzon , et ceux qui les repoussaient. Voici, du reste, le résumé des opinions de cet observateur. 1. « La jeune reine vierge ne s’accouple jamais dans la ruche, mais toujours au d. hors à une grande hauteur dans les airs. » Cette proposition n’est que le point de départ de la théorie de M. Dzier- zon : elle a été démontrée, dans le siècle dernier, par Huber père ; elle est généralement admise, et elle a été confirmée par de nou- veaux faits constatés conscienciensement par d'autres observa- teurs , tels que M. V.Sicbold et M. Leuckart. Ce dernier zoologiste a reconnu aussi, par la structure anatomique de l'organe mâle, que le Faux-Bourdon ou Abeille mâle est inapte à la copulation, excepté dans l’état du vol. A l'appui de ce qui précède, on peut citer encore l'absence complète d'accouplement dans la ruche et le cas de la chute d’une reine in copulo, fait qui est très rare, mais qui a été constaté (1). » IL. « Tous les œufs des deux ovaires d'une Abeille reine par- venus à la maturité ne sont pas d’une seule espèce ; ceux qui ne viennent pas en contact avec le liquide séminal mâle, étant pon- dus , produisent des Faux-Bourdons ou Abeilles mâles ; ceux, au contraire, qui sont fécondés par la semence du mâle donnent nais- sance à des Abeilles femelles (c'est-à-dire des ouvrières ou des reiues ). » Cetle proposition , en opposition directe avec la loi an- cicune, qu'un œuf, pour devenir un individu mâle ou femelle en (1) Bienen Zeitung, 1845, p."38. — Ibid., 1852, p. 188. — 1853, p. 108 et 174. 198 SIEBOLD. se développant, a besoin d’être fécondé par la semence mâle, ren- ferme la partie essentielle de la théorie Dzierzon. Et il ne faut pas oublier qu’à l'époque où cette théorie était énoncée, elle était oppo- sée À tout ce qui paraissait démontré dans le règne animal entier, sans en excepter les Insectes. IL. Enfin M. Dzierzon affirme, dans une troisième proposition, que « la reine pond, à sa volonté, un œuf femelle ou un œuf mâle, c'est-à-dire qu’elle peut pendant la ponte féconder l’œuf ou le lais- ser non fécondé. » Si ces dernières propositions excitérent une vive opposition , leurs partisans ne les soutenaient pas avec moins de vivacité, ce qui est facile à expliquer : le grand nombre qui entrèrent d’abord dans la lutie avaient moins pour but d'établir d’une manière incon- testable une grande loi nouvelle de la reproduction animale, que de se rendre compte de faits mystérieux dont ils étaient souvent témoins , et qu’ils pouvaient même produire à volonté; et nous verrons qu’en acceptant ces propositions comme des lois, on peut très bien expliquer les phénomènes observés. M. Dzierzon lui-même, pour les faire adopter, s’appuya surtout sur des arguments lels que les suivants : « Chez les animaux supérieurs, le mâle est le plus par- fait et le maître de la communauté ; le Taureau domine le troupeau des Vaches ; le Coq régit les Poules qu'il tient en famille. Chez les Insectes le contraire a lieu : chez les Guêpes, chez les Frelons, chez les Bourdons , chez les Fourmis et surtout chez les Abeilles, c’est la femelle parfaite qui forme le point central et tient l'essaim réuni ; les mâles même lui sont subordonnés, et ces derniers sont ainsi, en général, en eux-mêmes des êtres imparfaits pour la production desquels la nature n’a pas besoin de dépenser au- tant de puissance ni de réunir autant de conditions que pour pro- duire une reine, ou, ce qui est au fond la même chose, des ou- vrières.… Or, ce qui produit le plus peut produire le moins. Toute ruche qui peut produire des ouvrières peut, s'il existe des berceaux convenables, faire naître de Faux-Bourdons ; mais on ne saurait renverser la proposition. Enfin il ajoute : Ceci n’est qu'une hypo- thèse, et restera telle ; mais tout observateur exact y donnera son approbation , car de la sorte tous les phénomènes énigmatiques PARTHÉNOGÉNÈSE CHEZ LES INSECTES. 199 des ruches se trouvent expliqués d’une manière très simple. Il est vrai que, dans un écrit postérieur, Dzierzon affirme que « ce qu'il avance comme une hypothèse vient d’être parfaitement prouvé ; » mais il est facile de voir qu’il veut dire que son hypothèse, étant appliquée à de nouveaux faits, les a parfaitement expliqués. Nous allons énumérer les principaux de ces faits rapportés soit par M. Dzierzon, soit par ses partisans, et en particulier par N. von Berlepsch, apiculteur zélé et éclairé, qui possède à Seebach un magnifique et vaste établissement pour élever des Abeilles, établissement qu'il met, avec une extrême libéralité, à la disposi- tion des savants et de ceux qui s'occupent sérieusement de l’api- culture. M. von Berlepsch a eu, du reste, l'honneur de sauver l'hypothèse de M. Dzierzon, lorsque celui était sur le point de l’abandonner avec une rare candeur , parce que, dans une de ses propres expériences, les résultats lui semblaient contraires à ce qu'il avait du attendre. Quand la reine naît avec quelque vice de conformation des ailes qui l'empêche de voler, on observe les phénomènes suivants : Les ouvrières, guidées par leur instinct, construisent, comme toujours, le nombre normal de cellules des diverses espèces ; mais la reine dépose dans toutes indistinctement des œufs de mâles. Ceux déposés dans les bereeaux des mâles éclosent comme d’ordi- naire ; mais ceux qui sont placés dans des cellules d’ouvrières, en se développant, acquièrent bientôt un volume disproportionné à l’étendue du berceau qui les renferme ; pour y remédier, les ouvrières y apportent de la cire et agrandissent les cellules, ce qui fait prendre aux gâteaux un aspect insolite : ceux-ci sont irrégu- liers, bosselés. Les larves se transforment en nymphes ; enfin elles éclosent, et la population mâle de la rache augmente outre mesure. Ces accidents se voient assez fréquemment pour être désignés en Allemagne par un mot tiré de l’altération de la forme des gâteaux : Buckelige W'aben,, gâteaux bossus, et par extension aux jeunes : Buckel-Brut, couvée bossue. Tout cela s'explique en admettant la loi de M. Dzierzon : La reine ne pouvant voler n’a pu être fécon- dée, mais n'en reste pas moins propre à donner naissance à des jeunes, mais uniquement à des Faux-Bourdons. 200 SIEBOLD. On a observé que des reines devenues vieilles donnent naissance à un nombre proportionnellement plus fort de mâles ; que les in- tervalles, pendant lesquels elle pond des œufs d’ouvrières et de reines , deviennent de plus en plus courts et de plus en plus éloi- gnés ; enfin qu'avant de mourir, elle ne pond plus que des œufs de Faux-Bourdons. Il est facile à concevoir que la reine, après une longue ponte, puisse enfin épuiser la provision de liqueur fécon- dante du mâle introduite dans son appareil reproducteur à sa pre- mière sortie, et mise en réserve dans sa poche copulatrice. Ainsi la loi Dzierzon rend encore parfaitement compte de ce fait. M. Berlepsch a fait une expérience , dans laquelle il obtint une jeune reine à la fin de septembre 1854, à une époque par consé- quent où il n'existait plus d’Abeilles mâles ; il réussit à la faire passer l’hiver, et, le 2 mars de l’année suivante, elle avait rempli quinze cents cellules avec de la couvée uniquement mâle. Elle fut donnée alors à M. Leuckart pour être examinée anatomiquement. Cet observateur l’a trouvée en tout point semblable à la reine vierge décrite par M. von Siebold dans le Journal entomologique de Germar pour l’année 1843, p. 374. Le réceptacle de la semence ne renfermait pas de masse séminale avec ses spermatozoïdes caractéristiques ; il ne s’y trouvait qu’un liquide limpide comme de l'eau, sans cellules ni granules , liquide qui était le produit des glandes accessoires de la poche copulatrice. Ce fait n’a besoin d’au- cun commentaire. On sait depuis longtemps que, dans l'absence d’une reine, quel- ques ouvrières pondent des œufs. Aristote avait connaissance de ce fait (lib. 5, cap. 18). Or, les œufs que les ouvrières pondent dans ces circonstances sont constamment des œufs de mâles. MM. Ber- lepsch et Leuckart ont fait la dissection de deux de ces ouvrières qui avaient pondu de la sorte. Le premier trouva un petit ovaire avec environ huit œufs assez développés , mais aucun réceptacle séminal; M. Leuckart trouva à droite six tubes ovariens , et à gauche cinq de ces tubes contenant chacun un petit nombre d'œufs mûrs; il ajoute que l’oviducte impair n'offrait pas d’organes appendiculaires. Cet auteur, qui n'ignorait pas qu'il existe chez les ouvrières des rudiments des organes appendiculaires , et en PARTHÉNOGÉNÈSE CHEZ LES INSECTES. 201 particulier de la vésicule copulatrice, reconnaissable seulement au microscope et avec beaucoup d'attention, en s'exprimant ainsi, a voulu direseulement aux lecteurs du Bienen Zeitung que ces appen- dices étaient restés rudimentaires, invisibles à l’œil nu, et ne s’é- taient pas développés comme chez les reines, où ils sont de la gros- seur d’une tête d’épingle. L'appareil producteur des œufs avait donc éprouvé un certain développement, tandis que les organes copula- teurs internes étaient restés à l’état de vestige. Donc la fécondation n’avait pu s'effectuer; ce fait encore rentre dans la loi Dzierzon. M. Dzierzon rapporte le cas d’une reine roidie par un froid in- tense et prolongé, qui, étant revenue à la vie, n’a plus pondu que des œufs mâles, bien qu'auparavant elle pondait des œufs de deux sexes. Pour reproduire ce fait, Berlepsch a pris, à la fin des juin 1854, trois reines très fécondes , les a mises dans une cage et les y a soumises à un froid intense pendant trente-six heures ; au bout de ce temps elles étaient tout à fait roides , immobiles et couvertes de givre. Deux étaient mortes ; mais la troisième est revenue à la vie après une immobilité de plusieurs heures ; elle fut remise dans sa ruche, et pondit dans la suite des milliers d'œufs, d’où provenaient exclusivement des Faux-Bourdons. Antérieure- ment elle produisait des femelles, aussi bien que des mâles. Ce fait constaté, on examina le contenu de la vésicule copulatrice , et on le trouva ténu et jaunâtre, c’est-à-dire n'ayant ni l’aspect ni la consistance de l'humeur séminale chez les reines fécondes. Dans cette expérience, M. Berlepsch voulait rendre immobile par le froid les spermatozoïdes renfermés dans la poche copulatrice de ces reines sans tuer celles-ci, lesquelles rentreraient ainsi dans la catégorie de reines non fécondées. Je mentionnerai encore une observation incomplète de M. Ber- lepsch : la partie postérieure de l’abdomen d’une reine avait été contusionnée en fermant le couvercle d’une petite boîte, dans laquelle on l'avait enfermée pour la transporter dans une autre ruche ; l'abdomen était rétracté, et cette reine avait l’appa- rence d’une Abeille piquée ; on la crut d’abord perdue, mais elle est revenue peu à peu de l’état d'engourdissement dans lequel elle se trouvait et on la remit alors dans sa propre ruche. Elle pondit 202 SIEBOLD. dans la suite des œufs en grand nombre , mais tous ces œufs don- naient naissance à des mâles, tandis qu'antérieurement elle avait fourni la proportion ordinaire d'œufs mâles et femelles. Plus tard, on a voulu examiner Îles organes de cette reine; mais ne pouvant plus la retrouver, on a été réduit à des conjectures, re- lativement aux lésions dont les conséquences ont été la ponte d'œufs exclusivement mâles. Enfin il existe plusieurs variétés ou races de l’Apis mellifica ayant au fond les mêmes dessins, mais dont les bandes , plus ou moins.prédominantes, leur donnent à chacune un aspect partieu- lier. Une des plus remarquables de ces races est l'italienne, lApus liqurica de Spinola, reconnaissable à ses belles bandes d’un jaune de rouille sur les trois premiers segments abdominaux ; race an- tique décrite par Aristote et chantée par Virgile comme la meil- leure de toutes, la plus noble, la plus active et la plus douce. Les excellentes qualités de cette race l’ont fait rechercher des Alle- mands, qui, depuis 1848, se sont efflorcés de la naturaliser chez eux. Son aspect roux contraste fortement avec celui des Abeilles indigènes de l’Allemagne, qui sont comparativement noires. Cette ancienne raceestconstante, c’est-à-dire empreinte fortement de ses caractères quand on la mêle à d’autres races, mais elle obéit du reste aux lois du croisement. Effectivement elle a produit déjà une foule de variétés hybrides. Mais dans ces mélanges il se passe un fait étrange : quand une reine italienne s’unit à un Faux-Bourdon alle- mand, les reines et les ouvrières qui en proviennent sont bien hybrides, et plus où moins intermédiaires entre le mâle et la fe- melle ; mais les mâles sont constamment des Abeilles italiennes pures ; quand on réunit une reine allemande à un Faux-Bourdon italien , les reines et les ouvrières sont encore hybrides et inter- médiaires; mais alors les mâles sont des Abeilles allemandes. Le même phénomène a lieu quand on expérimente sur les hybrides seulement, mais les apparences sont moins saillantes. Ce fait rentre parfaitement dans les prévisiens de la loi Dzierzon. Le père ne fournit rien à la progéniture mâle , ou plutôt celle-ci n’a pas de père et provient uniquement de la mère. Pour ce qui regarde la troisième proposition de Dzierzon, M. von PARTHÉNOGÉNÈSE CHEZ LES INSECTES. 203 Siebold s’est assuré que l’oviducte est pourvu de museles volon- taires, et si, ce qui est probable, leurs fonctions se rapportent à la fécondation des œufs, en opérant la compression de la vésicule copulatrice par exemple, la non-compression de ce dernier organe laisserait les œufs non fécondés. Le but de cette proposition est évidemment de rendre compte de faits d’une nature fort extraor- dinaire connus depuis longtemps, mais mieux précisés actuellement par suite de l’emploi de meilleurs moyens d'investigation. En effet, au moyen des ruches inventées par Dzierzon, et construites sur le principe que les pièces de charpente sur lesquelles chaque gâteau s'appuie sont susceptibles d’être extraites verticalement les unes après les autres avec facilité, on peut examiner l’état de tous les travaux d’une ruche en plein jour, et sur leurs deux surfaces, sans déranger les Abeilles, et on est plus à même de faire certaines expériences. Voici, du reste, les faits dont 1l s’agit : La fabrication des berceaux est laissée à l’instinet des ouvrières. Le nombre et la proportion de ces berceaux varient dans chaque ruche ; mais nonobstant, si le nombre de ces berceaux n’est pas trop considérable pour la fécondité de la reine, tous sont remplis, et toujours, dans l’état normal, chaque berceau reçoit un œuf cor- respondant à l'espèce de cellule dans laquelle celui-ci est déposé ; et ce qui paraît plus élonnant encore quand toutes sont pleines , si la reine est encore à l’état de pondre, il esf à la volonté de l’homme de lui faire déposer, soit des œufs mâles, soit des œufs dont naîtront des ouvrières , et pour cela il suffit d'introduire, parmi les autres sâteaux, des gâteaux offrant des cellules de l'espèce désirée. Ce fait, quelque étrange qu'il soit, est, dans de certaines limites, in- contestable, et il est utilisé actuellement en Allemagne, d’une manière pratique, soit pour augmenter la population ouvrière de certaines ruches, soit pour déterminer la multiplication des ruches par des essaims. Ces faits, d’une observation journalière et d’une application sûre, sont ceux qui impressionnent le plus les apieul- teurs en faveur de Ja théorie Dzierzon. Mais il ne faut pas oublier que cette théorie était encore loin d'être démontrée physiquement ; on avait bien, il est vrai, avec une persévérance digne d’éloges, accumulé en sa faveur des argu- 204 SIEBOLD. ments de divers ordres ; la vraisemblance lui était déjà acquise , mais rien de plus, lorsque M. von Siebold vint y porter de nou- velles lumières. Ne voulant pas rester étranger au mouvement qui s'était produit parmi les apiculteurs, depuis longtemps déjà il s'était efforcé de pénétrer les mystères de la reproduction des Abeilles et d’autres Mellifères ; ses nombreux travaux sur ce sujet l’indiquent. Partout où il y avait un fait nouveau important à constater ou des détails intéressants à ajouter à des observations qui laissaient à dé- sirer, on le voyait sur la brèche animé du sentiment de Sénèque, qu'il a pris pour épigraphe à son mémoire (1). Il se mêla done aux discussions des apiculteurs, pour redresser les opinions fausses et pour combattre les préjugés surannés et les doctrines que l’ana- tomie et la physiologie repoussent. Sa tâche était difficile : en effet, on s'étonne, en parcourant les pages de son livre, des opinions soutenues gravement par quelques apiculteurs : on voit, par exemple, la fécondation de l’Abeïlle mère attribuée tour à tour à des secousses, à l’attouchement des parties buccales, à l'aura semi- nalis , ete. Mais l'autorité du savoir de M. Siebold, et la déférence des apiculteurs les plus instruits et les plus influents pour ses opi- nions , ont mis ce physiologiste à même de poser la question et de montrer les difficultés véritables qui en empêchaient la solution. Les instructions du sagace et lucide M. Leuckart ne leur man- quérent pas non plus. Mais les travaux de ces deux savants ne s’arrêtèrent pas là : ils résolurent de faire tout ce qui dépendait d'eux pour fixer ce point intéressant de physiologie. Bientôt, en étudiant les œufs des Abeilles, is s'aperçurent que le sujet était encore plus ardu qu'ils ne s’y attendaient. En effet , ils ont trouvé que, postérieurement à la fécondation, l’œufest revêtu d’une couche d'albumine, mince sur le micropyle, plus épaisse sur l’autre extrémité de l’œuf, couche qui rendrait nulle toute tentative pour féconder artificiellement les œufs mâles, afin de les transfor- (4) Non semel quædam sacra traduntur ? Eleusin servat, quod ostendat revi- sentibus. Rerum natura sacra sua non simul tradit. Initiatos nos credimus : in vestibulo ejus hæremus. Illa arcana non promiscue nec omnibus patent : reducta et ininteriore sacrario clausa sunt. Ex quibus aliud hæc ætas, aliud, quæ post nos subibit, despiciet. (Seneca, Nat. quest. lib. VII, 31.) PARTHÉNOGÉNÈSE CHEZ LES INSECTES. 205 mer en œufs de femelle, et que la fécondation artificielle serait très difficile sur des œufs mürs restés encore dans l'ovaire. Ils furent donc forcés à s’en tenir à la simple observation, et ils se rendirent, chacun de son côté, au grand établissement apicole de Seebach pour s’y addonner entièrement à l'étude de la question importante. M. Leuckart examina avec tout le soin possible le micropyle et les parties voisines d’une cinquantaine d’œufs d’Abeilles, observa- tions longues et pénibles, «les plus difficiles, dit-il, de toutes les observations nombreuses de cette espèce que j'ai faites depuis deux années. » Il résulte de ces recherches qu'il est impossible de con- clure, d’après les caractères extérieurs des œufs, quel est le sexe de l’Abeille future. M. Leuckart espéra reconnaitre, à l’aide du microscope , des spermatozoïdes sur le micropyle des œufs qui seraient fécondés , et leur absence sur ceux qui ne l'avaient pas été ; mais il n’est arrivé qu’à des résultats incomplets. Du reste, les faits qu'il constata furent favorables plutôt que défavorables aux opinions de Dzierzon. En effet, sur cinquante œufs qu'il examina avec un soin extrême, il n’a pu découvrir que deux fois des sper- matozoïdes sur le micropyle : une fois, un seul spermatozoïde ; une autre fois, plusieurs; mais dans ces deux observations 1l s'agissait d'œufs d’ouvrières ; jamais il n’a vu des spermatozoïdes sur le micropyle des œufs mâles. M. von Siebold a eu une idée plus heureuse : au lieu d'examiner les œufs uniquement à l'extérieur pour y reconnaitre la présence ou l'absence des spermatozoïdes , il se laissa guider par les nou- veaux travaux sur la reproduction des animaux (et particulière- ment des insectes), qui font voir que les spermatozoïdes, pour opé- rer la fécondation, pénètrent dans l’œuf intérieur par le micro- pyle. Il examina donc au microscope l’intérieur de l’extrémité de l'œuf des Abeilles où est situé le micropyle, afin de constater S'il S'y trouvait ou non des spermatozoïdes. Il a fallu pour cela que le champ de la vision füt réduit à peu près à un seul et même plan, ce qui a pu être effectué en crevant lentement l’œuf à l'extrémité opposée au micropyle par la compression exercée au moyen d’un verre très mince; le vitellus s’écoulant lentement par 206 SIEBOLD. cette déchirure, il se fait à l’autre extrémité de l’œuf, en rapport avec l’appareil du micropyle, un espace clair et vide entre les mem- branes de l’œuf. L'auteur dirigeait alors le microscope sur cet espace vide qui se formait à mesure que le jaune s’écoulait lente- ment, opération qui nécessite une certaine habitude, ainsi que de l'adresse , et malgré ses efforts il ne pouvait réussir dans tous les cas. Ainsi dans l’examen de cinquante-deux œufs d’Abeilles fe- melles, douze fois l'expérience manqua par suite de quelque défaut dans la manipulation. C'était une opération délicate et difficile ; mais, dans la grande majorité des cas, M. von Siebold est arrivé à mettre aussi à découvert d’une manière très nette la condition de l'œuf à l'extrémité où existe Le micropyle, et voici ce qu’il a trouvé : Des cinquante-deux œufs d’Abeilles femelles, trente ont fourni un résultat positif, car on a pu y constater la présence d’un ou de plusieurs spermatozoïdes, et parmi ces œufs trois ont offert des spermatozoïdes encore mobiles. Des autres vingt-deux œufs, douze, comme nous avons dit plus haut, ont été gâtés par la ma- nipulation. D'autre part, vingt-sept œufs, déposés dans des cellules de males, étant examinés avec le même soin, pas un seul n’a offert de trace de spermatozoïdes. M. von Siebold considère comme tout à fait impossible que les zoospermes aient pu lui échapper dans tous ces cas, s'il y en avait véritablement, et il en a conclu que la théorie Dzierzon est exacte. La troisième partie du Mémoire de M. von Siebold se rapporte aux J’ers à soie. L'auteur commence par rapporter, en les accom- pagnant de quelques remarques, divers cas déjà publiés, où la re- production paraissait s'être effectuée sans le concours du mâle. L'auteur a écrit à M. Filippi pour avoir des renseignements sur ce qui arrive dans les pays séricicoles, et a eu la réponse suivante le 29 mai 1852 : Quant aux œufs de Bombyx Mori éelos sans fé- condation préalable, voilà ce que je pourrais ajouter : C’est en 1850 que j'ai eu occasion d'observer une chose pareille avee des Vers à soie de la variété dite des Trevoltini (c’est-à-dire qui peuvent être élevés trois fois dans l’année). Aussi M. Griseri, qui s'occupe beaucoup de l’éducation des Vers à soie, a trouvé que plusieurs œufs déposés par des femelles vierges se développèrent. Divers PARTHÉNOGÉNÈSE CHEZ LES INSECTES. 9207 cultivateurs de Vers à soie m'ont assuré la même chose. « Ces reuseignements relaüfs au Bombyæ Mori, dit M. von Siebold, s'accordent avee l'observation que Curtis avait faite sur un Bom- byx de l'Amérique, chez lequel il n’y avait pas de méprise possible. Ils s'accordent aussi avec un fait, mentionné par Jolinston, d'œufs retirés du ventre d’un Smerinthus ocellatus, mort deux jours pré- cédemment, et qui cependant ont éclos. II ne peut y avoir d’objec- tions à ce dernier fait si les œufs ont été retirés de l'ovaire ; mais peut-être étaient-ils contenus dans l’oviducte, où ils auraient pu, à la rigueur, être fécondés par le liquide renfermé dans le récep- tacle séminal. » Par la complaisance de M. Steiner de Breslau, possesseur d’un grand établissement séricicole, M. von Siebold a été mis à même de faire des expériences sur les Vers à soie. Dans l’éte de 1852 s'étant procuré un nombre suffisant de cocons mâles et de cocons femelles, il les fit éclore, et il laissa plusieurs paires de Papil- lons s’accoupler , tandis qu'il mit à part et qu'il surveilla sévère- ment d’autres, qu'il reconnaissait déjà comme femelles lorsqu'ils étaient encore dans la chrysalide. Ces dernières , étant écloses au nombre de sept, pondaient comme les autres un grand nombre d'œufs. Ce zoologiste habile étudia alors les œufs fécondés et non fécondés , en notant soigneusement les changements de forme et de couleur qu'ils éprouvent; mais, bien que plusieurs des œufs non fécondés aient présenté les modifications de couleur qui s’ob- servent habituellement dans les œufs fécondés, tous se sont dessé- chés, et, malgré les plus grands soins, pas une seule Chenille n’a été obtenue. Ainsi l'expérience personnelle de M. von Siebold est complétement négative. Plus tard, M. Schmid d’Eichstadt, qui depuis dix-huit ans s'occupe beaucoup de la production de la soie, aenvoyé, en 4854, à lauteur une certaine quantité d'œufs de Bombyces du mûrier d’un gris bleu et pleins, en affirmant qu'ils provenaient de fe- melles vierges. Tous sont éclos, et, contre l'attente de M. von Siebold, les Chenilles qui en provenaient donnaient lieu à des In- sectes parfaits mâles et femelles mêlés. L'année après, M. Schmid a répété ses expériences, mais n’a pas été aussi heureux : de vingt- 208 SIEBOLD. trois femelles vierges, il n’a eu que vingt et un œufs aptes à vivre et qui se sont développés parfaitement, bien que les Chenilles soient mortes avant de quitter leur coque. Enfin M. Schmid continua l’année suivante, et il vient d'envoyer à M. von Siebold environ trois mille six cents œufs provenant, il l’assure, de sept femelles vierges. Or, parmi ces œufs, qui sont pour la plupart évidemment inféconds , il s’en trouve seize d’une teinte grise ardoisée, qui ont l’apparence d'œufs aptes à éclore. M. von Siebold attend le printemps pour voir si ces œufs donneront ou non naissance à des Chenilles. Voici du reste comment M. Schmid s'exprime relative- ment aux œufs pondus par des femelles de Vers à soie non fécon- dés : «Aucune de ces femelles non fécondées ne pond uniquement des œufs aptes à produire de jeunes vivants ; au contraire, une seule et même femelle pond alternativement et d’une manière irrégulière des œufs aptes à éclore et des œufs stériles, et cela de telle sorte qu’après quatre ou dix, ou quinze œufs qui sont bons, autant ou plus ou moins d'œufs clairs sont pondus. Parfois de grands amas d'œufs sont pondus par ces femelles non fécondées, et dans toutes ces masses on ne trouve qu'un, deux, trois ou quatre œufs qui soient aptes à donner naissance à une Chenille. » M. de Siebold termine ce chapitre par la remarque suivante : Bien que ces recherches et ces expériences n’aient pas donné jus- qu'ici de résultats bien décisifs, et n'aient pas été répétées d’une manière assez suivie, il est actuellement démontré que la parthé- nogénèse existe chez le Bombyx Mori. Cependant l'étude de la reproduction des Vers à soie doit être poursuivie encore, car ce phénomène offre un grand nombre de points uliles à élucider, et il se prête très bien aux recherches du physiologiste. La dernière partie de ce mémoire est consacrée aux remarques suivantes : Celte parthénogénèse , dit M. Siebold, dont l'existence a été démontrée par moi dans le Psyche helix, le Solenobia cla- thrella, le S. lichenella, dans le Bombyx Mori et dans l’Apis mel- lifica, est plus répandue dans la classe des Insectes qu'on ne le croirait, d’après le petit nombre d'exemples cités par les auteurs. Effectivement il y a certains indices qui nous mettent sur la voie de la découvrir chez d’autres espèces. Ainsi M. Léon Dufour PARTHÉNOGÉNÈSE CHEZ LES INSECTES. 209 présente comme un fait fort singulier, mais bien positif, que, sur plus de deux cents individus du Daiplolepsis gallæ tinctoriæ , nés dans son laboratoire, et provenant de galles renfermées dans des bocaux , il n’a rencontré que des femelles. Malgré toute son ardeur à rechercher des mâles, dont la dissection l’intéressait au suprême degré, il n’a jamais pu en rencontrer un seul. Ce qui stimulait encore davantage son désir extrème d'étudier ce dernier sexe, c'est que les nombreuses femelles soumises à son scalpel étaient dans un état avancé de fécondation, quoiqu'il eüt procédé à leur vivisection immédiatement après leur sortie de la galle (1). Hartig (2) affirme aussi qu'il y à vingt-huit espèces du genre Cynips qui n’ont pas de mâle, et il ajoute : « J'ai recueilli neuf ou dix mille individus de la Cynips divisa et de trois à quatre mille de laCynips foi, sans avoir jamais trouvé un seul mâle de ces deux espèces. Ce même obser- vateur a recueilli la Cynips fol depuis huit ans, et bien qu'il n’ait jamais pu en avoir un mâle, il a toujours vu que la femelle, immé- diatement après sa sortie de la galle, se mettait à pondre des œufs. » La classe des Crusracés offre aussi des exemples de ce qu'on avait considéré comme des cas de génération alternante ; mais quand on réfléchit sur les circonstances dans lesquelles cette repro- duction se fait, on voit qu'il s’agit de cas de parthénogénèse vraie, C'estainsi que, parmilesPhyllopodes, l'Apus cancriformis setrouve seulement sous la forme femelle: et bien que Zaddach affirme avoir découvert des mâles (3), il faut des observations bien plus positives qu'il n’en a produit pour mettre ce fait hors de doute (4). Jusqu'à présent on n’a point trouvé non plus des mâles de la Limnadia gigas(s),et M Ad. Brongniart nous apprend que, « sur (1) L. Dufour, Rech. anat. et phys. sur les Orth., les Hymén. et les Névropt.; Savants étr., t. VIT, 1841, p. 527. (2) S. Hartig, Zivciter Nachtrag zur Naturgeschichte der Gallwespen, ou Ger- mars Zeilsch. f. die Enlomol. Bd. IV, 1843, p. 397. (3) Zaddach, De Apodis cancriformis anatome, 1841, p. 53. (4) Voy. Siebold, Manuel d'anatomie comparée, 1848, p. 495, note 8. (5) Voy. Brongniart, Mémoire sur la Linnadie, dans les Mémoires du Muséum d'histoire naturelle, t. VI, 1820, p. 89. 4e série. Zooz. T. VI. (Cahier n° 4.) ? 44 210 SIEBOLD. près de mille mdividus qu'ilatrouvés à Fontainebleau, tous portaient des œufs, soit sur le dos, soit dans le corps. » Liéven (4), qui a comparé les femelles de Daphnie provenant de l’accouplement avec d’autres femelles de Daphnie nées sans accouplement préalable, n’a pas trouvé entre elles la moindre différence. Jusqu'à présent on ne connait que des individus femelles du Polyphemus oculus (2). Jurine dit : « Quoique je ne doute pas qu'il n’y ait des mâles dans cette espèce comme dans les précédentes, je dois annoncer que, dans le petit nombre d'individus que j'ai trouvés ou élevés, je n’en al reconnu aucun. » Chez les MozLusques aussi, on à vu des indices d’une reprodue- tion par parthénogénèse : ainsi Vogt affirme (3) que les œufs non fécondés d’une Firole femelle étaient parvenus à un certain degré de développement démontré par le fractionnement du vitellus. Enfin M. Siebold termine son mémoire par les remarques sui- vantes : L'ancienne hypothèse, que les œufs , pour se développer, ont besoin d’être fécondés par la semence du mâle, à reçu des atteintes graves par les faits de la parthénogénèse. On a cherché à tout concilier en disant que, dans certains cas, une seule fécon- dation peut suffire pour imprégner les œufs de plusieurs généra- tions successives ; mais cette hypothèse ne suffit pas pour expliquer divers faits de la parthénogénèse. De l’autre côté, M. Victor Carus a essayé de raltacher eette parthénogénèse aux phénomènes de la génération alternante, à la VNéomélie. Sa thèse parait être la sui- vante : « La forme femelle doit être fécondée par la forme mâle pour produire des femelles , mais les mâles peuvent être produits sans l'influence des mâles, et le germe male se développe alors de la manière d'un bouton ou d’une nourrice. » Mais cette propo- sition ne peut expliquer tousles phénomenes de la parthénogénèse, et strictement elle ne s'applique qu'aux Abeilles. Dans certains autres cas, ee sont les femelles seules qui proviennent de la par- (1) Die Branchiopoden der Danziger Gegend, in den neuesten Schriften der Naturforschenden Gesellschaft in Danzig, Heft 2, 1848, p. 2o. (2) Voy. Farine, Histoire des Monocles qui se trouvent aux environs de Genève 1820, p. 446. (3) Bilder aus dem Thierleben, 1852; p. 217, PARTHÉNOGÉNÈSE CHEZ LES INSECTES. 211 thénogénèse ; dans d’autres, comme chez les Vers à soie, des mâles et des femelles en proportion indéterminée peuvent naître de la sorte. Les Psyche heliæ, la Solenobia chlasterella et liche- nella, contrairement aux Abeilles, né donnent probablement des mâles que quand elles ont été fécondées. C'est pour cette raison probablement qu’on trouve des individus mâles et femelles vivant isolément. La remarque de Zinke (4) est parfaitement en harmonie avec ce fait, quand il dit que ces Lépidoptères, à l'état de chenille et de nymphe, vivent séparément. Dans une localité on ne trouve que des mâles , dans une autre que des femelles. M. Heyden m'a écrit la même sites relativement aux Coccus ; cela se voit jusqu'au moment où ces insectes sont parfaitement de eloppés. Il est probable que les individus mâles du Psyche helix ont des mœurs lout autres que les femelles de cette même espèce. M. Léon Dufour, qui n'avait pu trouver dans une certaine galle que des femelles de Stomoctea, à été très étonné de ne trouver plus tard que des individus mâles de cette même espece dans la nymphe d’un Tenthrède (lieu cité, p. 528). On voit, par ces fragments, qu'il existe là un vaste champ de recherches relatives à des phénomènes intéressants au plus haut degré ; mais l'obscurité qui enveloppe cette portion de l'histoire de la reproduction des animaux ne sera pas dissipée de sitôt. Prenons, par exemple, le Psyche helix. 1 faut que les éntomologistes, qui s'appliquent maintenant avec activité à la recherche des mâles, prennent PEN RE afin d'arriver plus sûrement au but, car il est probable que la parthénogénèse intervient depuis plusieurs géné- rations dans la multiplication de ces animaux. En effet, pendant ces sept dernières années, on a cherché muülement le mâle de ce Lépidoptère. I n'y à qu'une seule génération par an; et proba- blement nous n’avons qu'à attendre quelques années encore pour tomber à la fin sur une génération mâle, dont l'apparition éclair - era le mystère qui, jusqu'à présent, enveloppe le mode de géné- ration de ces insectes. (4) Germar’s Magasin der Entomologie, année 1, 1813, p. 31. SUR LE MÉCANISME PHYSIOLOGIQUE DE LA FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE, Par M, CI. BERNARD. Dans la séance du 24 septembre 1855, j'ai eu l'honneur de lire à l’Académie un premier travail sur le mécanisme physiologique de la formation du sucre dans le foie. Dans celte communication , je signalais des résultats qui me semblaient incompatibles avec les diverses théories chimiques émises jusqu'alors pour expliquer cette singulière production de matière sucrée dans un organisme animal. Ces expériences m'avaient fait envisager le mécanisme de la fonction glycogénique du foie sous un point de vue nouveau, et elles m'avaient conduit à penser, contrairement aux opinions pré- cédemment rappelées, que le sucre ne se forme pas d'emblée dans le tissu hépatique par le dédoublement direct de tel ou tel élément du sang, mais qu'il s'y trouve constamment précédé par la création d’une matière spéciale capable de lui donner ensuite naissance par une sorte de fermentation secondaire. J’ajoutais en terminant que, pour faire faire de nouveaux progrès à la question glycogénique, il fallait absolument parvenir à isoler cette matière hépatique pré- existante au sucre, afin d'étudier ses caractères et de déterminer son rôle physiologico-chimique. Toutes les vues que j'ai émises dans mon premier travail ont été pleinement vérifiées par l'expérience , et ma communication d’au- jourd’hui à pour objet d'annoncer l'existence positive et l’isolement de la matière glycogène qui préexiste au sucre, à laquelle il devien- dra très facile, comme on va le voir, d’assigner son rôle dans le mécanisme physiologique de la formation du sucre dags le foie. Il était évident, d’après les faits contenus dans mon précédent Mémoire, que la matière glycogène créée par le foie à l'état phy- siologique pendant la vie, est susceptible de se changer en sucre, uniquement à laide d’un ferment et indépendamment de l'in- FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 213 fluence vitale. L'expérience du foie lavé, qui se charge de nouveau de matière sucrée, en était la preuve. Toute la difficulté consistait donc à séparer la matière en ques- tion du tissu du foie, et à l'isoler du ferment qui l'accompagne. Je ne rapporterai pas tous les ttonnements par lesquels j'ai suc- cessivement passé pour parvenir à ce résultat, parce que la con- naissance de ces hésitations devient inutile et même désagréable à l'esprit dès que la question a été éclairée et simplifiée. Je dirai sec- lement qu'en voyant la cuisson arrêter la formation d’une nouvelle quantité de sucre dans le foie lavé, j'étais demeuré pendant très longtemps dans cette croyance fausse, que la matière glycogène devait être une substance albuminoïde , altérable par la chaleur, tandis que ce n’était en réalité que le ferment seul qui se trouvait détruit par la coction ; c’est ce dont je me suis assuré ultérieure- ment en faisant fermenter du foie lavé cuit, à l’aide du ferment emprunté à du tissu hépatique frais. Dès lors il me fut prouvé que la matière glycogène hépatique avait la faculté de se dissoudre dans l’eau bouillante, et qu’elle pou- vait être ainsi séparée de son ferment, qui restait coagulé avec les autres matières albuminoïdes du foie ; le procédé d'extraction se trouva ainsi tout tracé (4. On pourrait, sans aucun doute, imaginer pour extraire la ma- tière glyeogène du foie une foule de moyens qui offriraient des avantages variés. Je me bornerai à indiquer le procédé auquel je me suis arrêté. On prend le foie encore chaud et saignant chez l'animal bien nourri et bien portant , aussitôt après qu'il à été sacrifié. On peut employer le foie d’un animal quelconque, soumis aux alimentations les plus diverses. Mais pour simplifier la question sur ce point, je dirai qu'il ne s’agit ici que d'expériences faites avec des foies de Chiens nourris exclusivement avec de la viande. On divise le tissu (1) On pourrait peut-être interpréter les choses autrement en admettant que la matière glycogène, extraite par l'eau bouillante où même froide, ne serait pas la matière primitive elle-même, mais résulterat déjà de sa transformation. Cette nterprétalion , qui me paraît moins probable, ne modiferait d’ailleurs en rien la signification générale de mes expériences au point de vue physiologique. 244 CE. BERNARD. du foie en lanières très minces qu'on jette aussitôt dans de l'eau maintenue constamment bouillante , afin que le tissu de l'organe soit subitement coagulé, et que la matière glyeogène qui se trouve en contact avec son ferment n'ait pas le temps de se changer en sucre, sous l'influence d’une température qui s’élèverait trop len- tement. On broie ensuite les morceaux de foie coagulé dans un mortier, puis on laisse cette espèce de bouillie hépatique cuire pendant environ trois quarts d'heure ou une heure dans une quan- tité d’eau suffisante seulement pour baigner le tissu, afin d'obtenir de cette façon dans la décoction concentrée une plus grande quan- tité de la matière susceptible de se changer en sucre. On exprime ensuite dans un linge ou sous une presse le tissu du foie enit, eton jette sur un filtre le Hiquide de décoction qui passe avec une teinte opaline. Ce liquide est aussitôt additionné de quatre ou cinq fois son volume d’alcoel à 38 ou 40 degrés, et on voit se former sous son influence un précipité abondant floconneux, d’un blane jau- nâtre ou laiteux, qui est conslitué par la matière glycogène elle- même, relenant encore du sucre, de la bile et d'autres produits azotés indéterminés. Tout le précipité, recueilli sur un filtre, est alors lavé plusieurs fois à Palcocl, de manière à le dépouiller le plus possible du suere et des matériaux bihaires solubles: À cet état, ce précipité desséché revêt l'apparence d’une substance gri- sâtre , quelquefois comme gommeuse , à laquelle on pourrait don- ner le nom de matière glycogène brute. Elle possède la propriété de se redissoudre dans l’eau, à laquelle elle communique toujours une teinte fortement opaline , et d’où elle est entièrement précipitable par l'alcool concentré (1). Pour purifier cette matière glycogène et la débarrasser des ma- tières azolées, ainsi que des moindres traces de glycose qu'elle aurait pu encore retenir, on la fait bouillir dans une dissolution de (1) La dissolution aqueuse de cette matière glycogène brute, et avant d'avoir été traitée par la potasse, se colore par l’iode, ne réduit pas les sels de cuivre dis- sous dans la potasse, ne fermente pas avec la levüre de bière. Cependant, aban- donnée pendant longtemps à elle-même, cette substance m'a paru, dans quelques cas, pouvoir se changer partiellement en sucre; c'est, sans doute, Riee elle reste mêlée encore à des matières étrangères. FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. M5 potasse caustique très concentrée pendant un quart d'heure où une demi-heure , opération qui ne l’altère pas et n’en change pas les propriétés fondamentales ; puis on filtre en ajoutant un peu d’eau , et toute la dissolution est précipitée de nouveau par l'addition de quatre où emq fois son volume d’alcool à 38 ou 40 degrés. Agitant alors avee une baguette de verre , la matière préeipitée se divise, avant d’abord une grande tendance à adhérer aux vases. Par des lavages répétés avec de grandes quantités d’alcoo!, on enlève, autant que possible, la potasse, et la matière glycogène se présente alors sous forme d’une substance comme grenue, presque pulvé- rulente. Toutefois cette matière ainsi préparée retient toujours avec elle une certaine quantité de earbonate de potasse , qu'on ne peut pas enlever par les simples lavages à l’alcool; il faut pour cela redissoudre la matière dans l’eau , saturer le carbonate de potasse par l’acide acétique, et traiter de nouveau par l'alcool qui précipite la matière et la sépare de l’acétate de potasse, qui reste soluble dans la liqueur. La matière glycogène perd alors sa forme grenue pour revêtir l'aspect d’une substance blanche très finement tomenteuse lorsqu'elle est en suspension dans l'alcool, pulvérulente et comme farineuse quand elle est desséchée. Ainsi préparée, cette matière hépatique glycogène possède un ensemble de caractères qui la rendent tout à fait analogue à de l’amidon hydraté ayant déjà subi un commencement d’altération. C’est une matière neutre, sans odeur, sans saveur, donnant sur la langue la sensation de l’amidon. Elle se dissout, ou peut-être, plus exactement, se met en suspension dans Peau à laquelle elle eom- munique une teinte fortement opaline. L'examen microscopique n’y montre rien de caractéristique. L'iode y développe une colora- tion qui peut varier en intensité , depuis le bleu violet foncé jus- qu'au rouge marron clair; rarement la coloration est nettement bleue. Quand on chauffe jusqu’au rouge avee de la chaux sodée , cette matière hépatique ne dégage pas d’ammoniaque, ce qui m- dique qu’elle ne renferme pas d’azote (4). La matière glycogène (1) Lorsqu on broie le tissu du foie frais et qu'on coagule à froid la pulpe hépa- tique par une quantité suffisante d'alcool à 38 ou 40 degrés, on précipite la ma - tière glycogène avec son ferment. Après avoir, par des lavages à l'alcool répétés, | 216 CL. BERNARD, brute traitée de Ja même manière dégage très nettement des vapeurs ammoniacales. Elle ne réduit pas les sels de euivre dissous dans la potasse, ne subit pas la fermentation alcoolique sous l'influence de la levüre de bière, est entièrement insoluble dans l’aleool fort et précipitable de sa solution aqueuse par le sous-acétate de plomb , le charbon animal, ete. Mais la propriété de la matière hépatique qui nous intéresse le plus est celle qui est relative à son changement en sucre. C'est à que les analogies physiologiques de cette substance avec l’amidon hydraté se montrent dans tout leur jour. On voit, en effet, que toutes les influences, sans en excepter une, qui transforment l’ami- don végétal en dextrine et en glycose, peuvent également changer la matière glycogène du foie en sucre en passant par un intermé- diaire analogue à celui de la dextrine. C’est ainsi que l’ébullition prolongée avec les acides minéraux étendus d'eau, l’action de la diastase végétale et celle de tous les ferments animaux analogues , tels que le sue ou le tissu pancréatique, la salive, le sang, ele., transforment {rès facilement la matière glycogène en sucre. Au moment où cette transformation graduelle s'opère , la dissolution de la matière glycogène, d’opaline qu’elle était, devient peu à peu transparente, et perd en même temps la faculté d’être colorée par l'iode. Mais bientôt après, et seulement quand le changement défi- nitif en sucre a été effectué , la dissolution acquiert les propriétés de réduire les sels de cuivre dissous dans la potasse , de fermenter sous l'influence de là levüre de bière en donnant de l'alcool et de l'acide carbonique. J’ajouterai que l’action des ferments diastatiques enlevé le sucre et fait sécher la matière qui se réduit à une sorte de poudre de tissu de foie si on la replace dans l’eau froide, on obtient une dissolution opaline qui contient la matière glycogène hépatique et son ferment. Ce qui le prouve, c’est que cette dissolution, abandonnée à elle-même, se charge de sucre très ra- pidement. Quand la transformation en sucre est achevée, on peut précipiter par l'alcool le ferment, qu'on sépare du sucre et qu'onsobtient alors isolé. Mais quand on ajoute de l'alcool à la dissolution avant que le sucre apparaisse , on précipite la matière glycogène avec son ferment. Quand on fait bouillir la matière ainsi obtenue avec de la potasse caustique, il y a un dégagement évident d'ammo- niaque qui provient de la destruction de la matière azotée du ferment mélangé à la matière glycogène. f FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 217 opère cette transformation en sucre en quelques minutes quand on a le soin de maintenir les liquides à une température voisine de celle du corps, entre 35 et 45 degrés. La dissolution aqueuse de la matière glycogène hépatique ne se change pas spontanément en sucre ; elle ne s’altère que très difficilement quand elle est aban- donnée à elle-même, et résiste en partie à la putréfaction du tissu du foie cuit. | La torréfaction, l’action limitée des ferments et des acides miné- raux changent la matière glycogène en un corps qui offre des caractères tout à fait semblables à ceux de la dextrine. Cette substance est insoluble dans l'alcool concentré, se dissout dans l’eau en donnant une dissolution transparente; elle ne se colore plus sensiblement par l’iode, ne réduit pas les sels de cuivre dissous dans la potasse, ne fermente pas avec la levûre de biere, et dévie à droite le plan de polarisation. Sur une dissolution aqueuse très peu chargée de cette matière examinée à l'appareil de M. Biot, au Collége de France, dans un tube de 320 millimètres, on a constaté un pouvoir rotatoire très bien caractérisé vers la droite, avec des développements de teintes : très marqués autour du minimum d'intensité de l’image extraor- dinaire. ÿ D'après toutes les expériences qui ont été précédemment rap- portées , il reste done parfaitement établi que le foie des Chiens nourris exclusivement avec de la viande possède la propriété spé- ciale et exclusive à tout autre organe du corps de créer une matière olycogène tout à fait analogue à l’amidon végétal, et pouvant comme lui se changer ultérieurement en sucre, en passant par un état intermédiaire à celui de la dextrine. Sans aueun doute , l'étude de la matière glycogène du foie ne devra pas se borner là. Il faudra connaitre exactement sa compo- siion élémentaire et sa constitution ; savoir si cette matière se change totalement en sucre, et si, dans cette transformation, 1l n’y a pas d’autres produits qui prennent naissance , et soumettre , en un mot, à une étude plus approfondie le parallélisme si apparent qu'offre la transformation en sucre de cette matière glycogène du foie avec la transformation en sucre de l’amidon végétal. Les soins 9218 CL, BERNARD. de cette étude appartiennent aux chimistes, Il me suffit, quant à présent , d’avoir prouvé l'existence de cette substance spéciale qui précède toujours l’apparition du sucre dans le foie pour avoir établi un fait qui est susceptible d'éclairer puissamment le mécanisme physiologique de la formation du sucre dans les animaux, et de fournir en même temps des conclusions qui intéressent au plus haut degré la physiologie générale. Relativement à la formation physiologique du sucre chez les animaux , elle doit être nécessairement envisagée, ainsi que je le disais, non comme un phénomène de dédoublement chimique direct des éléments sanguins au moment du passage du sang dans le foie, mais comme une fonction constituée par la suceession et l’enchainement de deux actes essentiellement distinets. Le premier acte entièrement vital, ainsi appelé parce que son aecomplissement n’a pas lieu en dehors de l'influence de la vie, consiste dans la création de la matière glyeogène dans le tissu hépatique vivant. Le second acte entièrement chimique, et pouvant s’aecomplir en dehors de l'influence vitale, consiste dans la transformation de la matière glycogène en sucre à l’aide d’un ferment. Pour que le sucre apparaisse dans le foie, il faut donc la réu- nion de ees deux ordres de conditions. Il faut que la matière gly- cogène puisse être créée par l’activité vitale de Porgane ; il faut ensuile que cette matière soit amenée au contact du ferment qui doit la transformer en sucre. La matière glycogène se forme, comme tous les produits de créalion organique, par suite des phénomènes de circulation lente qui accompagnent les actes de nutrition. Quant à décider si, parmi les nombreux vaisseaux sanguins dont est pourvu le foie, il en est qui sont plus spécialement chargés de cette cireulation nutritive , tandis que d’autres seraient plus spécialement en rapport avee les phénomènes de transformation chimique de la matière glycogène, c'est une question physiologique que nous n'avons pas à aborder ici pour le moment. E nous suflira d'indiquer, d’une manière géné- rale, comment le contact entre la matière 2lycogène et son ferment peut s’opérer chez l’animal vivant. FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 219 J'avais d’abord pensé que le ferment était spécial au foie comme la matière elveogène elle-même ; j'étais même parvenu à lobtenir à l’état d'isolement. Mais, voyant ensuite que le liquide sanguin possède la propriété de transformer cette matière glycogène en sucre avec une très grande énergie, il devint impossible de songer à une localisation du ferment, celui qu'on peut extraire du foie venant très probablement du sang lui-même. De sorte que si, en dehors de l'organisme, nous avons plusieurs ferments pour opérer la transformation de la matière glycogène en sucre, chez l'animal vivant il suffit d’en admettre un représenté par le sang, qui du reste possède aussi la propriété de changer rapidement l’amidon végétal hydraté en dextrine et en sucre. Sans entrer dans le mécanisme intime de ce contact et dans l'explication des causes physiologiques qui en font varier l'intensité, ce qui nous entrainerait dans des descriptions d'anatomie microscopique et de phénomènes de cireu- lation capillaires qui trouveront ailleurs leur développement, nous nous borrerons à dire que l'observation des phénomènes physiolo- giques apprend que dans le foie, parallèlement à cette cireulation lente et nutritive, 1l faut encore en considérer une autre, imtermit- tente, variable, et dont la suractivité coïneide avec l'apparition d’une plus grande quantité de sucre dans le tissu de l'organe. Chez les animaux en digestion, la circulation dans la veine porte est surexcitée, et alors la transformation de la substance elveogène est beaucoup plus active, quoique la formation de cette matière ne paraisse pas correspondre à ce moment-là. Cette suractivité cireu- latoire peut aussi être réveillée en dehors de la digestion; et alors le même phénomène de transformation de la matière et de l’appa- riion du sucre a également lieu. Chez les animaux hibernants ou engourdis, comme les Grenouiiles par exemple, le ralentissement de la cireulation, qui est lié à l’abaissement de la température , amène une diminution et quelquefois une disparition à peu près complète du suere dans le foie. Mais la matière glycogène y est toujours, ainsi qu’on le prouve en lextrayant. Il suffit alors de mettre les Grenouilles engourdies à la chaleur pour activer leur circulation et voir bientôt le sucre apparaitre dans leur foie. En plaçant de nouveau les animaux dans une basse température , on 2920 CL. BERNARD. voit le sucre diminuer ou disparaitre pour se montrer de nouveau quand on remet les Grenouilles dans un milieu où la température est plus élevée. F’ajoute qu'on peut reproduire plusieurs fois ces singulières alternatives d'apparition et de disparition du sucre sans que l’animal prenne aucun aliment, et en agissant seulement sur les phénomènes de la cireulation par l'intermédiaire de la tempé- rature. Chez les animaux à sang chaud, on peut agir aussi au moyen du système nerveux sur les phénomènes de la circulation abdomi- nale, et secondairement ensuite sur la transformation de la matière glycogène dans le foie. Jai montré que quand on coupe ou qu’on blesse la moelle épinière dans la région du cou, au-dessous de l'origine des nerfs phréniques, on diminue considérablement l’ac- tivité de la circulation hépatique , au point qu'après quatre ou cinq heures il n’y à plus de traces de sucre dans le foie de l'animal, dont le tissu reste cependant encore chargé de matière glycogène. Il est à remarquer qu’à la suite de cette opération, la température des organes abdominaux s’abaisse beaucoup en même temps qu'il y a d’autres troubles sur lesquels je n’ai pas à m'arrèter iei. J'ai prouvé également qu’en blessant l’axe cérébro-spinal dans la région du quatrième ventricule, on produit des phénomènes exactement opposés ; la circulation abdominale est très accélérée , et conséquemment le renouvellement du contact de la matière gly- cogène avec son ferment considérablement étendu. Aussi la trans- formation de la matière glycogène devient-elle si active, et la quan- lité de sucre emportée par le sang si considérable , que l’animal, comme on le sait, devient diabétique dans ce cas, c’est-à-dire que l'excès de sucre versé dans le sang par le foie surexcité passe dans ses urines. Dans les deux cas précités, le système nerveux agit évidemment sur Ja manifestation purement chimique d’un phénomène physiolo- gique. Mais quand on analyse son mode d'action, on reconnait que ses effels n’ont été que mécaniques, et ont porté primitivement sur les organes moteurs de la circulation capillaire, qui ont eu pour effet, tantôt d'amoindrir ou d'empêcher, tantôt d'étendre ou d’aug- menter le contact de deux substances capables par leurs propriétés FORMATION DU SUCRE DANS LE FOIE. 291 de réagir l’une sur l’autre; elles donnent ainsi naissance à un phénomène chimique que le système nerveux règle indirectement, mais sur lequel il n’a pas d'action directe et primitive. Celte vue n'est pas spéciale pour le foie, et je prouverai plus tard que les influences chimiques que l’on reconnait au système nerveux en général sont le plus ordinairement de cet ordre purement méca- nique. | Quant aux conclusions que nous pouvons actuellement déduire , au point de vue de la physiologie générale, du mécanisme que nous avons indiqué pour la formation du sucre dans le foie, il est impos- sible de ne pas être frappé de la similitude qui existe sous ce rap- port entre la fonction glycogénique du foie et la production du sucre dans certains actes de l'organisme végétal. Dans une graine, par exemple, qui produit du suere pendant la germination, nous avons à considérer également deux séries de phénomènes bien distincts : l’un primitif, entièrement vital, est constitué pour la for- mation de l’amidon sous linfluence de la vie du végétal ; l’autre consécutif, entièrement chimique, pouvant se passer en dehors de l'influence vitale du végétal, est la transformation de l’amidon en dextrine et en sucre par l’action de la diastase. Lorsqu'un foie séparé de l’animal vivant continue encore un certain (emps à pro- duire du sucre, il est de toute évidence que le phénomène vital de création ou de sécrétion de la matière glycogène a cessé ; mais le phénomène chimique continue à se produire si les conditions d’hu- midité et la chaleur nécessaire à son accomplissement se trouvent réalisées. De même, dans la graine séparée de la plante, le phéno- mène vital de la sécrétion de l’amidon a cessé avec la vie végétale ; mais, sous l'influence des conditions physieo-chimiques favorables, sa transformation en dextrine et sucre, à l’aide de la diastase, peut s’opérer, Enfin il est facile de voir, par ces observations paral- lèles, que la formation du sucre dans le foie des animaux passe par trois séries de transformations successives tout à fait analogues à celle de la formation de l’amidon , de la dextrine et du sucre dans la graine des végétaux. En résumé , d’après tous les faits contenus dans ce travail, nous pouvons conclure que Ja question de la formation du sucre dans les 229 PUBLICATIONS NOUVELLES. animaux à réalisé un progrès important par suite de l'isolement de la matière glycogène qui préexisie constamment au sucre dans le tissu du foie. Mais il reste encore à déterminer la forme organique de cette matière glycogène, ainsi que les conditions anatomiques et physio- logiques exactes de sa formation dans ses rapports avec les phé- nomènes de développement et les divers états physiologiques du foie. Des expériences que j'ai déjà entreprises à ce sujet me per- mettent d'espérer qu'il sera possible d'aller plus avant dans la question glycogénique, et de localiser la formation de la matière glycogène dans des éléments spéciaux de l'organe hépatique. PUBLICATIONS NOUVELLES. Leçons sur la physiologie et l'anatomie comparée de l’homme et des animaux, faites à la Faculté des sciences de Paris, par M. MINE Epwarps ; in-8. Chez M. Masson, libraire-éditeur. _ L'auteur se propose de présenter dans cet ouvrage l’état actuel de nos connais- sances relatives à la vie, considérée dans ses manifestations et dans ses instru- ments chez les animaux en général. En traitant successivement de chaque grande fonction physiologique, il expose la série des découvertes dont elles ont été l'ob- jet, et il passe en revue les modifications que l’on y observe lorsqu'on s'élève dans les diverses séries zoologiques, depuis les êtres les plus simples jusqu'à l'homme. Enfin il indique toutes les sources où le lecteur pourra puiser utilement pour approfondir davantage l'étude de chaque question particulière. Le premier volume de ce Traité de biologie zoologique vient de paraître, et contient les con- sidérations générales, l’histoire du sang, et l'étude de la nature des phénomènes de la respiration. Le second volume, qui est sous presse, renfermera l'histoire anatomique des organes de la respiration , l'étude des phénomènes mécaniques qui se lient à cet acte, et l'examen du rendement du travail respiratoire. Le troi- sième volume sera consacré principalement à l'histoire anatomique et physiolo- gique de la circulation. Dans le quatrième, on traitera du renouvellement des fluides nourriciers (digestion, etc.), et dans le cinquième on fera connaître l'em- -ploi physiologique de ces liquides { sécrétions, assimilation, etc.). Les volumes suivants renfermeront l'histoire des phénomènes de reproduction et des fonctions . de relation. La deuxième livraison paraîtra en juin 1857. Leçons de physiologie expérimentale appliquée à la médecine, faites PUBLICATIONS NOUVELLES. 293 au Collége de France en 1855, par M. CI. BerNarn. Deuxième vo- lume , in-8, 1856. Ces leçons portent sur les phénomènes de la digestion, et ont été consacrées principalement à l'exposé des recherches de l’auteur sur la salive , le suc pan- créatique et le suc gastrique. On y trouve, comme dans le volume précédent, un grand nombre de faits nouveaux et intéressants. Faune entomologique française, ou Description des Insectes qui se trouvent en France, par MM. L. FarRmarRE et À. LABOULBÈNE ; in-12. Paris. Un ouvrage de ce genre manque depuis longtemps à l’entomologie, et il est à espérer que celui entrepris par MM. Fairmaire et Laboulbène pourra être achevé prompiement. On y trouve un résumé de la classification des Insectes, et une description succincte de toutes les espèces trouvées en France. Le premier vo- lume, consacré aux Coléoptères, comprend les familles des Cicindélides , des Carabides, des Dytisvides, des Histérides, des Sylphiäes, des Psélaphides et des Staphylénides. De telis quibusdam Astaci fluviatilis, diss. inaug., auetor E. HÆGKEL ; in-8. Berolini, 1857. Dans cette thèse, on trouve des observations intéressantes sur la structure intime des nerfs et sur plusieurs autres points de l’histologie des Crustacés, (Avec 2 planches.) DisTRiIBUTION géologique des animaux vertébrés et des Mollusques ter- restres el fluviatiles fossiles de l’Aquitaine, précédée d’une note sur les diverses faunes de la Gironde, par M. Rauran. (Extrait des Actes de l’Académie impériale de Bordeaux, 1856.) Les animaux vertébrés dont on a trouvé des débris fossiles dans l’Aquitaine appartiennent à 194 espèces, et sont, pour la plupart, des Mammifères ou des Reptiles : ces derniers sont au nombre de 31 espèces. Environ 25 espèces de Poissons fossiles et 164 espèces de Mollusques sont également enregistrées ici par M. Raulin, qui a tenu note aussi des divers étages géologiques dans lesquels ces divers animaux se rencontrent Essai sur l'anatomie de la Naïs sanguinea, par P. DoyÈre. (Extrait des Mémoires de la Société linnéenne de Normandie, t. X. Caen, 1556.) L'auteur de ce Mé noire, habitant une partie très retirée de la Normandie, n'a pas pu consulter les divers travaux publiés depuis quelques années sur la clas- sification et l'anatomie de la famille des Naïs, par MM, Grube, Budge, Levydig, 29, PUBLICATIONS NOUVELLES. Udekem, etc. ; et tout en donnant à l'espèce qu'il a étudiée un nom nouveau, il ne prétend pas qu'elle n'ait pas été déjà décrite par d'autres auteurs. Effective- ment c'est un Tubifex qui ne paraît pas différer du Lumbricus tubifex de Müller ou Sœænuris variegata d'Hoffmeister. L'auteur a observé des phénomènes de respi- ration intestinale s’effectuant par l'anus, et de même que M. Levdig, il consi- dère les tubes à parois ciliées, qui débouchent au dehors par des pores ventraux, comme étant des organes respiratoires , opinion qui à été combatiue précédem- ment par M. Williams et par M. Udekem. L'auteur s'occupe principalement de la structure de l'appareil génital, et il a reconnu que l'organe décrit par Duges comme un testicule est simplement un réservoir séminal. Lethea geognostica. — Description et fiqures des fossiles varactéristi- ques des diverses formations de la croûte solide du globe, par M. BronN, professeur à Heidelberg. La troisième édition de cet ouvrage, qui est connu et estimé de tous les natu- ralistes, vient d'être terminée et a reçu de nombreuses additions. Elle forme 3 volumes in-8 et un atlas très considérable in-4. On y trouve non-seulement un résumé de tous les travaux les plus récents relatifs à la paléontologie, mais aussi des recherches nouvelles sur le mode de distribution des espèces fossiles dans les diverses périodes géologiques. Monographie des Chéloniens de la Mollasse suisse, par MM. Prcrer et Huwgerr ; À vol. in-4. Genève, 1856. La plupart des espèces fossiles décrites et figurées dans cet ouvrage sont nouvelles ; elles ont été étudiées et représentées avec tout le soin et la précision que l'état actuel de la science comporte. M. Pictet rend donc un véritable ser- vice à la paléontologie en poursuivant la publication de la série déjà nombreuse de ses ouvrages sur les fossiles de la Suisse. Dei terre, etc. — Mémoire sur les terrains de sédiment supérieurs de la Vénétie, et des Bryozoaires, Anthozoaires et Spongiaires fos- siles qu'ils renferment, par M. T.-A. CGaruLLo ; 4 vol. in-A. Padoue, 1856. Ce travail est accompagné de 49 belles planches lithographiées représentant les diverses espèces de fossiles qui appartiennent aux trois groupes désignés ci- dessus. L'auteur n’a pas”eu connaissance des travaux publiés depuis dix ans en France sur les Corallaires, par MM. Milne Edwards et Haime; mais, à l’aide des figures qu'il donne, il sera facile d'établir les synonymies de la plupart de ces fossiles. HISTOIRE DE L'ORGANISATION ET DU DÉVELOPPEMENT DU DENTALE, Par le D' H. LACAZE-DUTHIERS , Professeur de zoologie à la Faculté des sciences de Lille. INTRODUCTION. Dans les fréquentes excursions que mes différents voyages m'ont permis de faire sur les côtes de France, j'ai souvent rencon- tré le coquillage auquel les naturalistes donnent le nom de Den- tale; toujours je me suis trouvé embarrassé quand, par l’exa- men seul de cette dépouille solide, j'ai essayé de me former une idée de l'animal qu'elle avait contenu. En cherchant des objets pour mes études, je n'ai jamais rencontré sur les grèves la coquille roulée du Dentale sans avoir le désir de savoir quels pouvaient être la forme , l’organisation et les rapports naturels du petit être enfermé dans cette sorte de cornet. Longtemps j'ai été arrêté par la difficulté où même l’impos- sibilité d’avoir les animaux vivants. Le hasard m'a fait enfin trou- ver une localité sur les côtes de Bretagne, non loin de Saint-Malo, où le Dentale vit et se multiplie beaucoup ; là j'ai pu complétement et à mon gré satisfaire ma curiosité scientifique, et j'ai entrepris des recherches étendues sur tous les points de son histoire. Il est quelquefois des pressentiments qui poussent heureuse- ment vers une chose sans qu'on puisse trop dire pourquoi. Si la chance est heureuse, on à sous la main un fait important, il n’v à qu'à l’exploiter : c’est ce qui m'est arrivé pour le Dentale. Je me disais, en voyant cette forme particulière de coquille. Hdoit y avoir, dans l'intérieur de ce petit cône courbé, un animal dont l’orga- nisme présente des particularités probablement curieuses et singu- lières, et je ne me suis point trompé. Les pressentiments servent quelquefois heureusement ; 1l faut ie série, Zoo. T. VI. (Cahier n° 4.) 5 45 226 H. LACAZE-DUTHIERS. cependant reconnaître que, dans le cas actuel et dans les études d'histoire naturelle en général , il est une règle qui doit toujours guider, quand il s’agit de trouver un sujet de recherches. Toutes les fois qu’un animal est placé et déplacé par les naturalistes, à coup sur il y a quelque chose à faire sur son histoire. Ce n’est pas sans une raison que tel classilicateur a rangé dans telle partie du règne animal, plutôt que dans telle autre , l’objet qu'il étudie , et cette raison est presque toujours l'expression sensible au dehors de quelque disposition organique. Telle expression, visible pour celui-ci, est passée inaperçue pour celui-là; tel naturaliste fait du Dentale un Mollusque, tel autre un Ver. Lister, Rondelet, Linné, Cuvier, de Blainville, Desbayes , Forbes et Hanley, H. Troschel, Loven, le placent et le déplacent successivement. N'y a-t-1l pas là une raison suffisante pour faire naitre le désir d'observer l’organisation de cet être, et de savoir enfin à quelle opinion il faut le ranger ? Le premier Dentale vivant que j'ai pu observer m'a tout de suite convaincu de la valeur du pressentiment et de la règle qui me servaient de guide ; mais 1l m'a montré aussi que, pour arriver à des connaissances exactes, j'aurais besoin d'un nombre consi- dérable d'individus, à cause de la petitesse de la taille et des difficultés nombreuses tenant à la contractilité des tissus. Jai done eu à me préoccuper tout d’abord des moyens propres à m’assu- rer la possession d’un nombre suffisant de Dentales ; pour cela, l'étude des mœurs ou des conditions biologiques se présentait la premiére. L'observation attentive du premier individu que la mer avait roulé sur les plages, loin des parages où il vivait, me fit voir comment je devrais chercher. Bientôt j'arrivai à trou- ver, au milieu des grèves, les endroits habités de préférence par les Dentales , et alors mes recherches furent assurées; il m'est arrivé dans une grande marée, en une seule pêche, de rap- porter une où deux centaines de ces animaux, Dès lors, le nombre ne pouvant plus me faire défaut, il n’y avait qu'à me mettre au travail. Deux étés successifs ont été employés aux recherches que je publie, sans tenir compte de toutes les observations et de tous les ORGANISATION DU DENTALE, 297 travaux anatomiques que j'ai pu exécuter soit à Paris, soit dans mon laboratoire de la Faculté des sciences à Lille. Le Dentale vit longtemps et peut ètre facilement conservé; il se prête par cela mème d’une manière remarquable aux recherches, et il compense ainsi un peu les difficultés sans nombre que son anatomie présente. La facilité avec laquelle on le conserve vivant m'a permis de l’observer aussi complétement que je le désirais; elle m’a fourni surtout l’occasion bien précieuse de pouvoir suivre son dévelop- pement, et de contrôler par des études embryogéniques les résul- tats que me fournissaient les recherches anatomiques. Il n’est pas d'étude plus instructive et plus utile que celle du développement : suivre jour par jour la formation des organes, les voir se compliquer suecessivement et devenir ceux que l’on à déjà étudiés, faire parallèlement l'embryogénie et l'anatomie d’un être, c’est employer le moyen le plus sûr pour éviter les erreurs. [ei c’est un organe dont les rapports sont douteux , là c'est une partie que l’on ne peut interpréter ; allez de l'embryon à l'adulte, de l’animal parfait à l'être qui commence à se former, el souvent les doutes disparaitront. Cet organe complexe, que l’on étudiait si difficilement , a d’abord été une simple vésieule; il à grandi sous les yeux, il s’est ployé, contourné, compliqué et accru de nouvelles couches, de nouveaux éléments ; alors la dis- position anatomique embarrassante devient simple et facile à inter- préter. Quand on à vu par quelles modifications successives a du passer un organe depuis son origine jusqu'à son entier déve- loppement, il est bien rare qu'on ne connaisse pas sa significa- fon anatomique. Le parallèle que j'ai ainsi établi entre l’organisa- tion de l'animal parfait et l'organisation en voie de formation de l'embryon, me permet de présenter avec plus de confiance les résultats de mon travail, car ils ont été confirmés les uns par les autres, ils se sont mutuellement contrôlés. Ces résultats forment une monographie étendue à la fois anato- ique, physiologique et zoologique , que je divise en quatre parties. histoire analomidque et physiologique des organes concocrant i « È te] 2928 H. LACAZE-DUTHIERS. à la conservation de l'individu et aux fonctions de relation, forme la première : c’est l'étude de l’organisation. La seconde comprend l’histoire des organes de la conservation de l’espèce ou de la reproduction et celle du développement : c'est l’embryogénie. Dans la troisième sont réunis les faits relatifs aux mœurs , aux conditions Biologiques. L'examen des rapports zoologiques du Dentale devait natu- rellement terminer ce travail et fornier comme un résumé géné- ral : il se trouve dans la quatrième partie. PREMIÈRE PARTIE. Organisation du Dentale. Anatomie et physiologie des organes de la conservation de l'individu, et des fonctions de relation. IE HISTORIQUE. La coquille du Dentale a été classée différemment par tous les naturalistes qui l'ont étudiée , mdépendamment de son animal. Il est peu de classifications anciennes où on ne la trouve dans une place toute différente, suivant que l’auteur s’est plu à trouver tel ou tel rapport avec telle ou telle espèce. Je m'’abstiendrai pour le moment d’examimer les différentes opinions, ear il y aura lieu de le faire, en cherchant les rapports naturels du Dentale. II faut cependant montrer que les premiers classificateurs, Linné, Lister, Bruguière, Cuvier, de Lamarck, n'avaient basé leur opi- nion sur aucune donnée organologique. Cela est si vrai, que même des tubes cartilagineux produits par les larves aquatiques ,de l’in- secte nommé Frigane avaient été rangés à côté des coquilles de l'animal qui nous oceupe. Savigny, dont les travaux si remarquables ont été malheureuse- ment trop tôt interrompus, avait senti là nécessité de connaitre l'animal ; mais il donne trop peu de détails pour que Pon puisse lui attribuer ane part dans les observations relatives à organisation. GRGARISATION BU DENTALE. 224 Deux {ravaux modernes renferment seuls des détails anato- niques; ils sont dus à un savant conchyliologiste français bien connu par ses nombreuses et savantes recherches, M. Deshayes, et à un malacologiste anglais, M. William Clark, à qui l’on doit aussi de nombreuses publications. Le travail du premier a paru, en 1825, dans les Mémoires de la Société d'histoire naturelle (1) ; celui du second se trouve dans le Magasin d'histoire naturelle d’Angleterre(2) et a unedate bien moins ancienne : il est de 1849. I revient à M. Deshayes d'avoir démontré la nécessité absolue de placer le Dentale dans les Mollusques, en appuyant son opinion sur des faits anatomiques incontestables. La monographie du genre Dentale, telle que l’a publiée son auteur, est certainement fort utile à consulter, surtout au point de vue de la détermination des espèces ; mais la partie anatomique, bien qu'ayant fourni un ré- sultat considérable , en assignant l’embranchement où devait être rangé le Dentale, laisse pourtant à désirer sous bien des rapports. Je n'en présenterai pas ici l'analyse complète ; je préfère ren- voyer au moment où l'étude de chaque organe sera faite : nous verrons alors quelles sont les opinions de M. Deshayes. Je me contente de constater dans ce court exposé historique que beaucoup d'organes sont passés inapereus , que beaucoup ont été pris pour ce qu'ils n'étaient pas : tels sont, par exemple, l'estomac, ou mieux un renflement du tube digestif, qui est décrit comme étant le cœur; l’anus, qui est placé 1à où il n’est pas; les organes de la reproduction, qui sont mal définis , presque inconnus , et sur les- quels il n’y à que des hypothèses fausses; enfin le système ner- veux, sauf deux ganglions, a été méconnu, et Pembryogénie ne sv (trouve pas. Le travail de M. William Clark est beaucoup plus moderne, et les progrès de l'anatomie comparée auraient pu faire espérer des détails plus étendus, plus circonstanciés et souvent plus exacts. L'embryogénie n’a point occupé le malacologiste anglais. Dans la (1) Deshayes, Analomie et monographie du genre Dentale, Mémoires de la Société d'histoire naturelle de Paris, &. I, 1825. (2) William Clark, On the Animal of Dentalium Tarentinum, dans The Annals und Magazine of Natural History, vol. IV, seconde série, 1849. p. 321. 230 H. LACAZE-DUVIIERS. partie anatomique sont relevées quelques-unes des erreurs de M. Deshayes:; mais 1} s'y trouve aussi quelques interprétations qui ne paraissent pas exactes. Je renvoie encore 1c1, pour appré- cier les opinions de M. William Clark, au moment où je traiterai particulièrement de chaque organe. Je ne puis cependant m'empê- cher de dire que l'étude du système nerveux est tout à fait incom- plète ; que l’hermaphrodisme attribué à ces animaux est un fait inexact; enfin que l'organe décrit par M. Deshayes comme étant le foie est bien le foie, el non la branchie, comme le veut M. William Clark. Cette erreur prouve, à elle seule, qu'il ÿ a peu d'accord entre les travaux des deux naturalistes ; on comprend done qu'il y avait à reprendre entièrement l'histoire de Panimal du Dentale. Les con- tradictions trouvées entre ces deux travaux, en s’ajoutant au désir que j'avais de connaitre l’organisation d’un être qui piquait ma curiosité, ont été des raisons suffisantes pour me faire entreprendre des recherches étendues et minutieuses. L'organisation du Dentale est en beaucoup de points exception- nelle; elle présente des particularités qui ne manqueront pas, j'en suis convaincu à l’avance, de soulever des critiques. Cependant, je l'avoue, c’est avec confiance que je présente les résultats que m'ont fournis des dissections attentives, longues, quoique souvent diffi- ciles. Le soin que j'ai mis à vérifier les opinions des auteurs, le doute que je ne me cache point à moi-même, quand je ne puis arriver à une notion exacte, positive et ne pouvant laisser d’incer- titude, me permettent d'espérer qu'avant la critique, les naturalistes voudront bien faire comine j'ai fait moi-mème : ils voudront consta- ter par leurs yeux et par des dissections les choses que j'avance. Dans son Règne animal (1), après avoir parlé des doutes que laisse encore la position assignée aux Dentales, Cuvier dit : « Des » observations ultérieures sur leur anatomie, et principalement sur » leur système nerveux et vasculaire, résoudront ce problème. » Or, dans les deux travaux anatomiques cités, le cœur est placé par lun des auteurs du côté du dos, par Pautre sur le côté opposé du (1) Cuvier, Règne animal, édit. de 1830, t. III, p. 497. ORGANISATION DU DENTALE. 251 corps ; l'appareil de la respiration est tout différent pour les deux, et l'appareil circulatoire a une telle relation avec ce dernier, qu'il est impossible que l’un et l’autre des auteurs soient arrivés à des données exactes. M. Deshayes , qui décrit l'estomac ou l’un des renflements du tube disestif comme le cœur, ne peut être conduit, comme il le pense, en parlant de cet organe, à l'appareil de la respiration ; et de même M. Clark, qui prend le foie pour les bran- chies. Comment la relation que ces deux naturalistes trouvent entre le cœur et l'appareil de la respiration peut-elle être juste? I est done impossible que les deux Mémoires dont je parle répondent à l’un des besoins que fait sentir l’observation de Cuvier. Pour le système nerveux, il y a si peu de chose dans les re- cherches de MM. Deshayes et W. Clark, que je ne crois pas que l'on puisse arriver à établir une comparaison quelconque avec les systèmes nerveux des groupes des divers Mollusques. On le voit , les appréciations des rapports naturels sont, dans les deux travaux dont je viens de donner une idée très sommaire , nécessairement à revoir; et Cuvier avait, comme cela lui arrivait si souvent, pressenti le côté vers lequel devaient être dirigées les recherches. Il avait demandé aux naturalistes de faire, pour un être qui ne lui était pas connu, ce qu’il avait fait lui-même avec tant de succès pour tant d’autres Mollusques. Enfin je dois ajouter qu'il est quelques autres auteurs qui ont incidemment parlé de quelques points de l'organisation du Den- tale; je les ferai connaître quand l’histoire des organes se pré- sentera. IT. IDÉE GÉNÉRALE DE L'ANIMAL. IE est utile de donner d’abord une idée générale du petit être qui va Nous occuper. Cela est d'autant plus nécessaire, que le Dentale ne se rapporte pas à tel ou tel groupe , et que dès lors telle ou telle organisation, prise pour point de départ, ou terme de comparaison, manque complétement. Il faut done faire un cadre général où les détails puissent ensuite venir se placer, il faut enfin assigner le sens de 252 MH. LACAZE-DUNMIEES. quelques expressions, el cela ne peut se faire sans une description générale topographique qui, répondant aux choses que je viens de dire, permette de s'entendre. La coquille est conique et légèrement courbée ; aussi les pre- mières questions à se poser sont celles-ci : Où est le sommet , où est la base? comment reconnaitre les parties antérieures, posté- rieures, dorsales et abdominales, en un mot qu'est-ce qui est en haut, en bas, en avant, en arrière? Sinous posions l’animaltel qu'il se présente dans la nature (1), tel qu'on le rencontre dans le sable, tel enfin qu’on le voit se déplacer, nous dirigerions en haut le sommet de la coquille, en bas la base, en avant la concavité de la courbure , en arrière la convexité ; et alors nous conserverions naturellement les noms de sommets et de base pour désigner l'extrémité rétrécie et l'extrémité plus large ; mais si animal était couché la base serait antérieure, ear elle cor- respond à la bouche. Le sommet serait postérieur, ear il corres- pond, sinon à l'anus , du moins au côté par où s’échappent les matières que rejette l'animal. On peut admettre que la grosse extrémité est antérieure par rapport à l’autre qui est toujours plus en arrière , et, par consé- quent, postérieure; car jamais Panimal n’est lout à fait perpendi- culaire quand il s'ensable. Maintenant, dans cette position oblique semi-couchée ou quel- quefois même horizontale , il y a évidemment un côté dorsal ou supérieur, un côté inférieur ou ventral. La concavité de la cour- bure de la coquille répond au dos de l’animal; la convexité répond, au contraire, au côté abdominal. Dès lors, on le voit, il devient facile de s'entendre ; le côté droit et le côté ganche se définissent tous deux quand on a placé la grosse extrémité en avant, le sommet en arrière et la convexité en bas. I nv’arrivera done à peu près toujours de dire en avant, en dessous, en arrière, en haut, pour parler de la position des parties qui se trouveraient vers les points que j'indique. On peat remarquer que le Dentale se pose exactement comme les A} Voyez L VI, pe, 1, fe. 8. ORGANISATION DU DENTALE,. 235 Acéphales, qui s’ensablent ou s’envasent en plaçant la tête en bas etl’extrémité de la coquille répondant à l'anus en haut. Si un grand nombre de ces Mollusques se placent dans cette position , on en voit d’autres qui sont à peu près horizontaux où inelinés à 45 de- grés : chez ces derniers la position est absolument la même que celle du Dentale. Nous verrons qu'à plus d’un égard le rappro- chement entre les Acéphales et les Dentales peut être soutenu. Je ne puis être de l'avis de M. Deshayes, quand il dit que la con- vexilé est en haut, c'est-à-dire du côté dorsal (4). On verra plus loin les raisons anatomiques qui s'opposent à ee que lon puisse admettre cette manière de voir. Rien n’est difficile comme d’avoir l'animal du Dentale. J’ai long - temps cherché le moyen de le retirer de la coquille, sans réussir. On avait pensé qu'il se logeait dans son tube, comme lesSerpules, sans y adhérer; mais quand on veut le saisir avec une pince par son extrémité antérieure élargie et l’entrainer au dehors, on le voit s’enfoneer de plus en plus, disparaitre vers le sommet du cône, et ne plus occuper en cet endroit qu'un emquième de l'étendue totale, si même encore il présente une longueur pareille. En cassant le test, on peut avoir l'animal ainsi retiré au fond de son habitation par la contraction des muscles puissants qui l'y fixent. Mais il est tout revenu sur lui-même; il forme une petite masse conique lortement durcie par les contractions, et sur laquelle l'anatomie devient tout à fait impossible. Ce qui réussit le mieux et permet d'accomplir les dissections, cest de tuer les animaux avec un poison violent, avee l'acide prus- sique ou cyanhydrique, par exemple, dissous dans Peau, tel qu'on l’obtient en le faisant passer quand il se dégage à l'état gazeux au travers de l’eau distillée. Mais pour employer le poison, il faut en- core quelques précautions, car l'animal meurt dans la posi- tion où il se trouve ; et quand il est touché trop brusquement, il se contracie, comme lorsque l’on veut le tirer avee des pinces, Je plaçais habituellement dans un tube de verre une couche de sable et de l'eau de mer, puis j'y laissais quelque temps trois ou (1) Deshayes, loc. cit, p. 329. 234 H., LACAZE-DUTDIERS. quatre Dentales sans les toucher. Bientôt ceux-ci enfoncçaient leur pied dans le sable. Alors je versais bien lentement quelques gouttes d’acide eyanhydrique, je bouchais tout doucement le tube, et j'atten- dais quelquefois deux ou trois jours pour que l’empoisonnement füt complet. Après ce temps il m'était possible d’avoir l'animal intact, quelquefois pas tout à fait mort , mais assez engourdi pour que les injections les plus délicates fussent possibles. Quand l'acide cyanhydrique me manquait, je cherchais à obte- nir le même résultat par l’asphyxie en plaçant les animaux dans l'eau de mer ordinaire, en les enfermant dans un tube; mais il fallait un temps fort long pour obtenir la mort. L'asphyxie se fai- sait mieux dans l’eau putréfiée où étaient morts d’autres Dentales ; elle était alors un véritable empoisonnement. La grande difficulté dans ce cas est de saisir le momentoù cesse la vie ; car sil’on touche l'animal, ainsi placé dans de mauvaises conditions, pour savoir s’il est mort, il se contracte et ne se dilate plus ; il meurt revenu sur lui-même, el si l’on attend trop, la décomposition peut produire des altérations qui deviennent des sources d'erreurs, surtout quand il s’agit de la circulation. Comme les faits que j'ai à faire connaître sur cette dernière fonction sont assez étranges, je désire pour éviter les objections indiquer que , toutes les fois que des points difficiles devaient être éclaircis, j’observais sur des individus soumis à l’action de l'acide eyanhydrique. Dans bien des eas, les animaux ne paraissaient pas entièrement {tués par le poison; la vie n’était pas complétement éteinte ; elle était suffisamment annihilée, pour que les contractions, qui s'opposent à la marche des liquides colorés que l’on introduit dans l’économie, fussent empêchées. Pour avoir le Dentale sans blessures , il faut casser sa coquille progressivement en frappant doucement sur le sommet en remon- tant vers la base. À 1, 2, 3 millimètres, suivant la taille, on ren- contre l'insertion musculaire. Quand on a enlevé les débris du test qui restent attachés au dos dans un point fort restreint, on n’a plus qu’à saisir le corps de l'animal par la partie dilatée, et on l’enlève en tirant vers la base du cône de la coquille. Le Dentale présente absolument la forme de son test; comme ORGANISATION DU DENTALE. 235 lui, il est conique et courbé; sa grosse extrémité est froncée, et fermée comme une bourse dont on a tiré les cordons, et son som- met est un peu échancré sur le côté inférieur ; son corps est en- fermé dans un tube membraneux, qu'il faut fendre en dessous (c’est-à-dire du côté de la convexité), et sur la ligne médiane pour voir la plupart des organes. Quand on a ouvert le tube membraneux et écarté les deux lam- beaux, on trouve un gros corps libre, saillant, conique, charnu : c’est l'organe de la locomotion, celui qui frappe tout d'abord; c’est le pied (4), dont la base peut servir comme de repère pour fixer la position des principales parües. Le tube membraneux, vers la base du cône, est complet en avant jusqu'à l'union du pied avec le reste du corps. En arrière, il est à demi membraneux, à demi charnu. La portion membraneuse, très mince et transparente, est inférieure ; elle correspond an côté convexe. La ;artie charnue est constituée par le corps même de l'animal ; elle est dorsale. ; Quand on a écarté les lambeaux du tube, nécessairement fendu jusqu’au bout pour apercevoir les autres parties, on trouve la bouche au sommet d’un mamelon (2), placé au dos du pied, dans l'angle que forme l'union de cet organe avec la partie dorsale du tube. Le mamelon de la bouche est entouré de deux houppes de nombreux filaments , extensibles et mobiles à la manière des filaments tentaculaires céphaliques de quelques Annélides (Téré- belles ec) L'anus (3) est placé tout juste en arrière du point d'union de la face inférieure du pied avec la portion charnue ou dorsale du tube; celle qui constitue, on l’a vu, le corps proprement dit. La face inférieure du pied en se reployant forme une petite éminence que j'appellerai volontiers le talon (h\; c’est en arrière de ce talon que l’on aperçoit le tubercule anal. (t) Voyez Ann. des sc. nat., Zoou., 4° série, vol. VIT, les planches relatives à la circulation. (2) Voyez idem, vol. VI, p. 9, fig. 4 (ab). (3) Idem (an). (&) Idem (pp). 256 IH. LACAZE-DUTHEERS. Dans l'épaisseur de la membrane qui forme le tube, vers le mi- lieu de la longueur et vers la partie postérieure du pied, on voit des éléments jaune bistre ou teinteterre de Sienne, formés de petits rayons disposés comme deux sortes d’éventails, qui plongent dans le corps du côté du dos, et qui, sur la face abdominale, n'arrivent pas jusqu’à la ligne médiane : ee sont les deux lobes du foie (A). Ainsi les principaux points de repère qui nous sont fournis par cette description courte et superlicielle se résument à ceux-ci : Le tube ou partie membraneuse que nous nommerons désormais le manteau (2); la partie dorsale et postérieure charnue du tube, qui correspond au corps de l'animal (3); le pied, formé par le gros corps cylindroïde libre dans la partie antérieure du manteau ; la bouche, entourée des filaments tentaculaires et placée à la base du pied du côté du dos; l'anus, ouvert en arrière du talon du pied, et enfin le foie, dont les deux lobes s’insinuent de chaque côté de la ligne médiane dans l'épaisseur du manteau. Il est presque superflu d'ajouter que le manteau a une ouverture antérieure (4) et une ouverture postérieure (5), que l’une correspond à la base et l'autre au sommet de la coquille. C’est à ces parties que nous rapporterons toutes les descriptions ; comme elles sont faciles à voir et à trouver, il ne peut être douteux que l’on arrive à les reconnaitre, et qu’elles ne servent de guide dans les détails secondaires que nous aurons à donner. IE. APPAREIL DIGESTIF. L'appareil de la digestion a été fort mal décrit; cependant de tous les organes 1l estle mieux connu, ear il estle moins difficile à étudier. J’ai déjà indiqué que l’on a considéré l’un de ses renfle- ments comme étant le eœur et que le foie a été pris pour les bran- chies. Ces erreurs seront démontrées dans le courant du travail ; (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoou., 4° série, t. VA, pl. 411, fig. 4, 2 (f, fi. Cd M PAS (QE, ab). BNC SRG Em, ) Id ,Gg.1 (Gp es con ORGANISATION DU DENTALE. 237 elles ne laisseront l'ombre d’un doute. D’après cela, on comprend que l’anatomie des autres organes doit être bien incomplète, quand on voit, pour l'appareil le plus facile à étudier, des erreurs aussi considérables. Il est un point très limité de l'appareil digestif qui est caché , et qui présente une grande difficulté de dissection. Une analyse très sévère est nécessaire pour montrer que les erreurs cominises existent bien, et aussi pour éviter la critique. On ne s’étonnera donc pas des détails un peu minutieux qui vont suivre. La bouche est ouverte au sommet d'un mamelon, et entourée d’une couronne de replis ou franges. Après elle viennent deux cavités creusées dans ce mamelon, puis une grande poche où est logé un appareil masticateur très complexe ; après celui-ei, le tube digestif, dont le diamètre est considérable, décrit une anse sur laquelle s’insèrent les lobes du foie; à cette anse fait suite un paquet de circonvolutions intestinales ; enfin la dernière partie de l'intestin se renfle en un bulbe , puis se dilate et s'ouvre à l’exté- rieur, en formant un petit tubereule placé en arrière du talon du pied. Ces parties recevront désormais les noms de mamelon buccal, de bouche et de franges labiales, d'appareil broyeur, d'anse gastro- hépatique, d’intestin, de bulbe anal et de foie. Étudions-les successivement. ARTICLE I°, Bouche et mamelon buccal. La bouche (1) s’observe avec la plus grande facilité quand on a fendu la partie libre du manteau, soit en dessous, soit en dessus, et rabattu les lambeaux de l'insertion en arrière. Il suffit alors d’écar- ter les nombreux filaments que l’on rencontre pour voir le bulbe buccal, mamelon avoïde, rétréci à sa base, portant à son sommet une couronne d'appendices foliacés qui entoure l’orifice, toujours fermé probablement par les contractions d’un sphincter. Ce mamelon buccal ressemble assez à un prolongement en (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zooz., 4° série, t. VI, pl. 8, fig. 4, et pl. 9, fig. 4 (b). 238 NH. LACAZE-DUTHIERS. forme de trompe, qui détache la bouche du reste du corps et la porte en avant. Les lobes foliacés ou franges labiales (4) qui entourent la bouche et couronnent le mamelon, rappellent à peu près la forme des feuilles du chêne, et par leur réunion donnent naissance à une couronne pleine de délicatesse et d'élégance. La surface supérieure de ces lobules est gaufrée ; les bords sont plus épais que le milieu ; aussi les découpures semblent-elles creusées d’une gouttière qui vient aboutir à la dépression mé- diane, laquelle se rend au centre de la couronne à la bouche. Le nombre de ces appendices est en général de huit, quatre de chaque côté ; mais il est quelquefois difficile à déterminer exacte- ment, en raison de la fusion de quelques-unes des franges sur les côtés. Les appendices foliacés les plus grands sont du côté dorsal ; ils ont plus de deux fois la longueur des moyens placés du côté infé- rieur , et ils arrivent jusqu à la moitié de la hauteur ou de la longueur totale du bulbe buccal. Cette rosette buccale (2) a, on le voit, beaucoup d’analogie avec les appendices labiaux de beaucoup de Mollusques acéphales. On sait combien sont divisés et subdivisés les voiles labiaux dans les coquilles de Saint-Jacques par exemple; et certainement 1e il y a quelque analogie, non pas précisément dans la forme, mais dans la nature des parties. I ne faut pas douter que cette disposition en roseite de tous les appendices labiaux avec les dépressions de la face supérieure, se terminant par une gouttière aboutissant à la bouche, ne soit en rap- port avec la préhension des aliments, surtout si l'on remarque que ces lobes labiaux sont couverts de cils vibratiles très forts . qui déterminent des courants rapides dirigés tous vers le centre, c’est-à-dire vers la bouche; les particules de matière alimentaire qui tombent sur la rosette labiale, doivent être entrainées à son centre et se présenter à la déglutition. (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° sér., t. VI, pl. 8, fig. 4, 23 pl. 9, fig. 1, et les planches et figures qui ont trait à la circulation. (2) Voyez id.; pl. 8, fig. 1 (11). ORGANISATION DU DENTALE. 239 Le mamelon buecal (4), vu en dessus, présente sur la ligne médiane un sillon ou dépression longitudinale, qui, du point d’in- sertion au corps, se dirige en avant, et semble le diviser en deux moiliés latérales. La mème chose s’observe sur la face infé- rieure. Si on le fend en suivant la direction de ces sillons et en partant de la bouche, on trouve un canal tout droit qui, de orifice de la bouche, se rend au pédieule que nous avons vu unir le mamelon au corps; de chaque côté de ce tube existe un orifice conduisant dans une poche latérale, véritable abajoue (2). Ces deux cavités en cul-de-sac, placées sur les côtés du mame- lon, expliquent sa forme renflée et presque en guitare. Quel est leur rôle ? Sont-elles là pour servir pour ainsi dire de magasin à la matière alimentaire, comine les abajoues auxquelles elles viennent d’être comparées? Ou bien peut-on les considérer comme des glandes salivaires fort simples ? Quand on soumet à l'examen microscopique (3), sous un assez fort grossissement, les parois dé l’abajoue, on voit très nettement qu'elles sont de nature cellulaire et couvertes d’un épithélium ci- liaire. Je ne saurai m'empêcher de leur attribuer des fonctions un peu semblables à celles des glandes salivaires ; probablement une sécrétion se passe dans leur épaisseur , et son produit se mêle aux aliments qui restent comme emmagasinés dans sa cavilé, les im- prèene, et commence à leur faire subir une sorte de travail digestif. La substance cellulaire qui tapisse la cavité des abajoues est d’une teinte légèrement jaunâtre ; elle semble formée de petits amas qui, rapprochés les uns des autres, se laissent encore distin- euer par les lignes brunâtres dues aux dépressions irrégulières qui les séparent. L’apparence seule fait tout d’abord suppeser qu'il y a quelque chose de plus qu'une paroi inerte destinée à contenir simplement des matières alimentaires, et il semble peu probable que, dans ) Voyez Ann. des sc. nat., Zoou., 4° série, t. VI, fig. 4 (a, b). [ (: ) Id., pl. 8, fig. a); \ 210 H. LACAZE-DUTHIERS. cette parte, il y ait deux réservoirs aussi considérables, sans que les parois puissent être capables de sécréter un liquide apte à faire éprouver un travail probablement préparateur aux matières qu'elles renferment. On verra cette opinion acquérir encore plus de vraisemblance quand viendra l’histoire de la circulation. L'orifice de ces abajoues a la forme d’une boutonnière; sa lon- gueur est assez considérable; il est dirigé d'avant en arrière, et s'arrête tout près du point où cessent les cavités latérales ; celles- ei sont vastes, et occupent toutes les parties renflées et ventrues de chaque côté du mamelon. W. Clark(1), qui a également décrit la disposition des abajoues, a rencontré dans l’intérieur de ces poches des tests de Foramini- lères; moi-même j'ai ouvert peu de Dentales qui n’eussent dans ces organes de petits corpuscules faciles à reconnaitre pour des Foraminifères ou Rhizopodes. M. Deshayes à donné une figure peu ressemblante de la rosette des tentacules labiaux. Il décrit, du reste, tout le bulbe que nous venons de voir comme une têle « qui n’est composée que d’une bouche (2). » I considère les contours comme étant des lèvres découpées, et il admet une lèvre supérieure et une lèvre infé- rieure; je n'ai point vu de séparation en deux lèvres. Dans la description de M. Deshayes, il y a quelque chose de peu conforme à ce que M. W. Clark et moi-même avons vu. M. Deshayes a vu eu ouvrant, et même par fransparence au travers des parois, deux petits corps brunâtres sphériques «qui sont fixés dans les parois. Ils » sont noirs, cornés, chagrinés à leur surface extérieure, fendus » dans leur milieu, avant assez bien la forme d’une très petite ce- » quille bivalve ; ce sont les mächoires, dont les bords entr'ouverts » et tranchants sont libres dans la cavité buccale, et destinés sans » contredit à contondre et à lacérer les matières nutritives (3). » J'ai disséqué bien des Dentales; j'en ai beaucoup de conservés dans l'alcool, etencore au moment où j'écris ces lignes, je regarde (A4) W. Clark, loc. cit., p.323. (2) Deshayes, loc. cit., p. 332. (3) 14., p. 332 et 332. ORGANISATION DU DENTALE. 211 de nouveau s’il y a bien en effet des mâchoires dans ces cavités, et je ne trouve rien qui y ressemble. Il me parait évident, par la description même que donne M. Deshayes et par les figures qui accompagnent son mémoire, que les prétendues mâchoires ne soit autre chose que des tests de Rhizopodes; j’en ai rencontré souvent, et jamais il ne.m’a été possible de les confondre avec des organes de mastication : c’est donc là une erreur. Nous ver- rons que ces organes, où mieux la langue, sont plus loin, et qu'ils sont armés de dents véritablement redoutables pour les petits êtres qui servent à la nourriture des Dentales. Du reste, M. Deshayes ne parle point des cavités ou abajoues dont j'ai fait mention. Le mamelon a un pédicule dans la base duquel on ne trouve que le tube digestif qui pénètre dans le corps entre le manteau en arrière, le pied en avant, et les deux houppes des filaments ten- taculaires sur les côtés (1). Ce premier tube ne peut guère porter le nom d’æsophage, car il est bien peu considérable : à peine présente-t-il quelques fractions de millimètre (2). D'ailleurs après lui on trouve une large dilatation , où est l'appareil corné très résistant destiné, sans aucun doute, à broyer les petites coquilles des Foraminifères, et que nous devons étudier maintenant. ARTICLE II. Appareil broyeur. Il est impossible de pénétrer dans le corps et de disséquer le tube précédent, qui fait suite au mamelon buccal, sans être frappé par la vue d’une petite masse résistante, d’un appareil corné armé de dents nombreuses très fortes. Les auteurs qui ont fait l’histoire du Dentale n’ont pas manqué de le décrire : M. Deshayes le con- sidère comme un appareil dentaire, placé à l'entrée cardiaqué de l'estomac; M. W. Clark l'appelle le gésier. Cette dernière déno- mination rappelle un peu trop une partie profonde du tube digestif (1) Voyez Ann. des se. nat., 4° série, t. VI, pl. 9, fig. 4 (p). (2) /d., pl. 8 et 9, fig. 1 (p). &° série, Zoo. T, VI. (Cahier n° 4.) 4 16 212 HN, LACAZE-DUTHIERS. des animaux supérieurs ; on l’a, ce me semble, beaucoup trop facilement appliquée à toutes les cavités digestives armées de pièces cornées résistantes. Nous chercherons plus loin l’analosie de cet appareil avec ceux que portent les autres Mollusques, et nous verrons qu'il doit probablement être considéré plutôt comme une langue ; aussi, pour éviler une détermination trop absolue, je lui donne le nom d'appareil broyeur. Après avoir enlevé l'animal de sa coquille et l’avoir placé dans sa position naturelle, on reconnaît, entre le manteau et le corps, une partie du dos un peu bombée, légèrement saillante, corres- pondant exactement à l’appareil broyeur; en déchirant les tégu- ments dans ce point, on arrive immédiatement à la pièce cornée qui s’enlève avec la plus grande facilité. Quand on fend largement en dessous la base du pied, en dé- chirant les membranes minces qui séparent la cavité de celui-ci de la petite masse globuleuse de l'appareil broyeur, on remarque que l'appareil est lui-même enfermé dans une poche, dont nous laisserons pour le moment l'étude de côté. L'appareil est fort complexe ; les parties qui le composent sont nombreuses ; ses rapports sont importants ; il est done nécessaire de diviser sa descripuion. La petite masse globuleuse présente distinctement trois parties : une cornée de couleur de terre de Sienne, c’est la pièce active; une autre supportant celle-ci, c’est le cartilage; une troisième enfin destinée à mouvoir les premières : elle est musculaire (1). Ainsi, pièce cornée, cartilages, muscles, voilà les trois parties qu’il s'agit d'apprendre à connaitre en détail. $S 4%. Pièce cornée. On sait que dans les Oscabrions, les Paielles, etc., et beaucoup d’autres espèces de Mollusques, la bouche est garnie d’une série de pièces cornées , portée sur une bandelelte charnue protractile (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoor., 4° sér., t. VI, les planches 9 et 10, où sont détaillées les parties et les planches relatives à l’innervation et à la circula- tion, où se trouvent aussi des rapports, etc. ORGANISATION DU DENTALE. 213 fort Jongué, qui s’enferme dans un fourreau, et que l'on appelle la langue. Il y a tant d’analogie entre les pièces que nous allons décrire et la langue des Patelles, qu’il me paraît bien difficile de ne pas établir la comparaison. Le nom de langue semble indiquer, il est vrai, ce qui ne peut cependant avoir lieu 101, la protractilité : 1 n’est pas possible, en effet, de supposer que, dans le Dentale, cette partie devienne saillante au dehors et agisse sur les substances extérieures, comme cela doit être dans les Patelles et les Osca- brions, etc.; on ne peut néanmoins s'empêcher de trouver ici une analogie, M. de Quatrefages (1) a donné des dessins et des descriptions des dents de quelques-uns des Mollusques qu’il a nommés Phlében- térés ; mais il n’est pas le seul, et bon nombre d'auteurs ont aussi décrit l'appareil lingual de beaucoup de Mollusques. Il serait trop long de passer en revue toutes les descriptions isolées qui en ont été faites; on les trouvera dans les travaux des natura- listes, Erdle (2), Eschricht (3), Delle Chiaje (4), Alder et Han- cock (5), Embleton (6), Allman (7), Nordmann (8), Quoy et Gai- mard (9), Van Beneden (10), Sander-Rang (11), H. Troschel (12), (1) Voyez Ann. des sc. nat. (2) Erdle, Moritz Wagner Reise in d. Regensch. Algier III. (3) Eschricht, Anatomische Untersuchungen über der Clione Borealis. Copen- hague, 1833. (4) Delle Chiaje, Memorie sulla storia e anotomia degli animali senza vertebre del regno di Napoli, 1843. (5) Alder et Hancock, 4 Monography of the British Nudibranchiate Mollusca, 1855. (6) Embleton, conjointement avec Hancock, On the Anatomy of Eolis. Annals and Magazine of Natural History, vol. XIV (1844) et XV (1845). (7) Allman, On the Anatomy of Acteon (Annals and Magazine of Natural History, vol. XVI. (8) Nordmann, Versuch einer Monographie von Tergipes Edwardsii. (9) Quoy et Gaimard, Voyage de l'Astrolabe. (10) Van Beneden, Exercices sootomiques, 4“ fascicule, Bruxelles, 1839. (11) Sander-Rang, Histoire des Aplysiens. (12) H. Troschel, Ueber die Mundtheile einheimischer Schnecken (Archiv für Naturgeschichte, 1836) ; et dans son nouveau travail, Das Gebiss der Schnecken. Erste Lieferung, Berlin, 4856, 2hh H. LACAZE-DUTBIERS. Edw. Osler (4), Lovën (2), Gegenbaur (3), Moquin-Tandon (4), Lebert (5), Eydoux et Souleyet(6), Valenciennes (7), ete., ete., qui ont fait connaitre les pièces cornées de beaucoup de Gastéropodes ; mais déjà avant eux Poli (8), Savigny (9), Cuvier (10), avaient indiqué la présence de ces pièces dures et résistantes dans un grand nombre d'espèces. Dans une communication à l’Académie des sciences sur l'animal qui nous occupe en ce moment, je disais qu’un travail d'ensemble devait être entrepris pour arriver à déterminer les analogies des diverses pièces cornées de la bouche ou du tube digestif des Mol- lusques. Ce besoin avait déjà été senti par deux savants malacolo- gistes, l’un allemand, l’autre suédois; le premier a entrepris de réunir toutes les observations publiées sur le sujet, en faisant con- naître en même temps les résultats de vingt ans de travaux per- sonnels. Nul mieux que M. le docteur F.-H. Troschel(11), profes- seur de l'Université de Bonn, ne pouvait traiter avec plus d’autorité et de connaissance de cause un pareil sujet. Sa publication ne com- prend encore qu’une partie où sont décrites les dents des Hétéro- podes, des Ptéropodes et d’une portion des Gastéropodes. J'espère que les analogies que je vais chercher à établir entre la langue de (1) Edw. Osler, Observations on the Anatomy and Habits of Marine Testaceous Mollusca (Trans. of the Roy. Soc. of London, 1832). (2) Lovén, Ofversigt of Kongl-Vetenskaps. Akademicus Fôrhandlingar. Stock holm, 14847. (3) Gegenbaur, Untersuchungen über die Pteropoden und Heteropoden. Leipzig, 4855. (£) Moquin-Tandon, Histoire des Mollusques. (5)* Lebert, Beobachtungen über der Mundorgane einiger Gasteropoden (Müller's Archiv, 1846), (6) Eydoux et Souleyet, Voyage autour du monde sur la corvette la Bonite, 1841. (7) Valenciennes, Archives du Muséum, t. V. (8) Poli, Testacea utriusque Sicilie. (9) Savigny, Description de l'Égypte (Hist. nat., t. IT). (10) Cuvier, les divers mémoires sur les Mollusques. (44) Das Gebiss der Schnecken, sur Begründung einer natürlichen Classifica- tion, untersucht von D' T.-H. Troschel, Professor an der Universität zu Bonn, Erste Lieferung, mit vier Kufertafeln. Berlin, 4856, in-4. ORGANISATION DU DENTALE. 245 quelques Gastéropodes et celle du Dentale, ne seront pas trop en désaccord avec les résultats que publiera ultérieurement le savant professeur allemand. Le second, M. Lovën de Stockholm, bien connu par les très importants et remarquables travaux qu’il a pu- bliés sur l’organisation et l'embryogénie des Mollusques , a in- diqué la composition de la langue de quatre-vingt-onze espèces des principaux genres de Mollusques ; son travail est important, car il prend un caractère de généralité par l'emploi d’une termi- nologie particulière pour désigner les pièces. Près de cent figures accompagnent son mémoire, et parmi elles 1l s’en trouve une qui représente une rangée des éléments de la langue du Dentale (4). J'aurai l’occasion de revenir sur ce travail dans les descriplions qui vont suivre. La partie cornée est de toutes la plus complexe : elle est cour- bée fortement en arc de cercle, et sa représentation de face de- vient assez difficile. Sa courbure a lieu du côté opposé à celui qui porte les pièces actives, les dents : celles-ci occupent, par consé- quent, la convexité de l'appareil. Les deux extrémités différent beaucoup dans leurs proportions : tandis que l’une est large , di- latée et presque ovale, l’autre est rétrécie et presque pointue rela- tivement à la première. La première est aussi évidemment celle qui doit être la plus active, celle qui est en rapport direct par sa position avec les matières alimentaires lors de leur arrivée dans le tube digestif. Par un examen des plus superficiels , on voit tout de suite que l'appareil corné est composé de trois ordres de pièces que nous examinerons isolément. Les unes médianes semblent formées de tronçons semi-cylindriques ajoutés à la suite les uns des autres : elles rappellent tout à fait l'apparence d’une colonne ver- tébrale vue en dessous, et la comparaison a déjà faite; les autres sont latérales, symétriques et semblables de chaque côté de la ligne médiane : des lames rapprochéesles unes des autres par leurs bords , et des précédentes par leur extrémité interne, constituent (1) Voyez la figure 44 de la planche 6, page 186, du mémoire cité : Ofversigt of Kongl-Vetenskaps. Akademicus Fürhandlingar, 1847, p. 174. 2h16 M. LACAZE-DUTHIERS. les parties du second ordre. Il faut regarder du côté de la conca- vité pour bien distinguer ces deux espèces de pièces (4). Quand on renverse l’appareil pour le regarder de face par sa convexité, on trouve un élément de plus, le troisième ; on voit, en avant de la série des pièces médianes creusées d’un canal ou gouttière et de chaque côté de laquelle arrivent les lames latérales, deux séries de dents latérales , en nombre égal aux pièces pré- cédentes et couchées dans la sorte de gouttière que je viens d’in- diquer (2). Etudions ces parties isolées , afin d'en connaître la forme et de bien en apprécier les connexions ; mais pour faciliter la description, fixons d’abord le sens de quelques mots. L’extrémité élargie est antérieure, et l’autre est postérieure ; tout ce qui sera tourné vers ces extrémités sera dit antérieur ou postérieur ; la face convexe de l'appareil, celle qui porte les dents, est dorsale (remarquons que si l’on rapporte la pièce à la position générale du corps, les dési- gnations ont le même sens); enfin je désignerai, comme étant internes ou externes, les parties rapprochées ou éloignées de la ligne médiane. On peut appeler, ainsi que l’a fait M. Lovën, la série des pièces médianes le rachis (3) ; ce nom, du reste, avait été employé déjà par M. de Quatrefages et quelques autres auteurs. Les pièces la- térales en forme de lames ont été désignées par le savant suédois par le nom latin de pleuræ ; on peut les nommer les lames laté- rales. Enfin les parties actives, les dents, ne doivent pas recevoir d'autre nom. Dents. — Ces pièces (4) se présentent avec les formes les plus variées el les plus différentes en apparence , suivant qu’elles sont placées de telle ou telle manière, Elles sont irrégulières compara- tivement aux autres parties, et leur description est moins simple. Leur forme n’est pas comparable à un cylindre, à un prisme, etc. Elles sont allongées, et leur surface est parcourue par des (1) Voyez Ann. des sc. naî., 4° série, Zoor., t. VI, pl. 10, fig. 1. (2) Id., fig. 2. (3) 14. fig. 3, 4, 6 (c). (4) Id., fig. 6. ORGANISATION DU DENTALE. 2117 saillies, des arêtes irrégulières constantes dans leur position. Ces arêtes sont dues à des dépressions nombreuses, parmi lesquelles deux seulement méritent d’être signalées. Pour bien étudier les dents, il faut choisir celles qui occupent le milieu de la longueur de l'appareil, et si on les isole les placer sur leur face inférieure, c’est-à-dire sur celle qui repose dans le canal médian. Alors on a toujours la même forme (1); mais pour peu que l’on ineline sur un côté ou sur un autre, on voit immédiatement des saillies, des arêtes nouvelles qui apparaissent, et des angles ou des denticules qui s’effacent (2). Aïnsi placée, la dent, vue de profil, présente une extrémité interne aiguë, acérée, un peu courbée en dedans et en arrière, et occupant le tiers externe environ de la longueur totale. Cette extrémité est, sans aucun doute, la partie active, celle qui déchire et broie les substances alimentaires ; elle est séparée du reste du corps de la dent par deux saillies (3), l’une antérieure , Jautre postérieure, qui, dans certaines inclinaisons, semblent être des denticules secondaires. Du reste , en avant, en arrière et en dessus de cette extrémité conique saillante entre toutes les inéga- lités qui terminent la dent , on trouve une série de petites pointes aiguës, dont l’une paraît dirigée en avant (4), tandis que l’autre se porte en arrière (5); mais quand on fait tourner doucement et lentement, suivant son axe, d’arrière en avant et de bas en haut, toute la dent, on voit une série de petits denticules qui hérissent cette extrémité en dessus. C’est à ces denticules, qui ont assez bien la forme de petits crochets, que M. Lovën a donné le nom de cro- chets (uncini) (haken en allemand). L’axe de la dent vue de profil n’est pas droit ; il éprouve une courbure, et l'angle fort obtus qu'il fait est placé à la réunion du tiers interne avec les deux tiers externes (6). Dans sa partie interne (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, t. VI, pl. 10, fig. 6. (2) ue les figures des dents, pl. 10, fig. 3, 4, 6, dut. VI, (3) Id. (4, j). (£) Id. (e). (8) Id. (°). (6) 6) Id., vers le point où se trouve le crochet (1). 2118 H. LACAZE-DUTHIERS. il est à peu près perpendiculaire à l’axe de l’appareil dentaire tout entier : dans le reste de son étendue il est oblique ; et ceci explique comment, lorsque les pièces ne sont pas désarticulées, l’extrémité libre d’une dent ne correspond pas à son extrémité adhérente (1). L’extrémité externe est arrondie en arrière en une sorte de talon, et elle porte une échancrure destiñée en dehors à l’articulation (2) avec les lames latérales. Les arêtes et les saillies nombreuses des faces supérieures ou inférieures des bords antérieurs ou postérieurs n’offriraient d’in- térèt que dans une étude comparative pour des espèces voisines ; aussi les laisserai-je de côté. Le bord antérieur de la dent , rendu convexe par la courbure de l'axe, vient se loger dans une dépression creusée en partie sur le bord postérieur (3) et la face supérieure de la dent anté- rieure. Chaque dent présente donc dans le milieu de son éten- due, et dans le sens de sa courbure, une dépression destinée à loger la dent qui la suit; mais il y a aussi au talon une semblable dépression qui se trouve sur la face inférieure, et dans laquelle est reçu le talon arrondi de la dent qui précède (4). Il y à quelques différences dans les proportions des parties des dents, suivant qu’elles sont placées en arrière ou en avant de l'appareil ; mais au fond elles se ressemblent toutes, et si elles se présentent avec des formes diverses, lorsqu'on les étu- die en place, cela tient aux inclinaisons différentes sous les- quelles on les voit. Il suffit d’opposer les deux dessins des dents, vues de profil (5) et de face (6), pour voir combien l'aspect change avec la position. Pièces médianes ou rachis. — La série des pièces qui forme comme l’axe de tout l’appareil, et qui rappelle la série des corps (1) Voyez Ann. des sc. nat., t. VI, pl. 40, fig. 2. (2) Id., fig. 3, où la courbure du talon de la dent et celle de la lame se cor- respondent exactement. (3) 1. fig. 6 (f). (4) a. (g). (5) Id., fig. &. (6) Zd., fig. 6. ORGANISATION DU DENTALE. 249 des vertèbres d’un rachis, est étendue d’une extrémité à l’autre de l'appareil ; elle peut se décomposer en éléments distincts, de forme particulière, tous semblables les uns aux autres. Chacun de ces éléments se divise en deux moitiés : l’une anté- rieure, l’autre postérieure (1). La première offre un diamètre transversal plus petit que celui de la seconde, elle est arrondie et joue, par rapport à la pièce qui la suit, le rôle de tête articulaire, d’un véritable condyle. L’extrémité postérieure, au contraire, plus élargie , est creusée d’une excavation qui recoit la tête ou portion antérieure de la pièce suivante postérieure. Ainsi emboîtées les unes aux autres, ces pièces forment une série qui est fort mobile, tout en étant fort résistante, et dont l’agen- cement rappelle, à quelques égards, le mode d’articulation des corps des vertèbres des Serpents. Vues du côté inférieur, et, par conséquent, du côté concave, ces pièces réunies ne montrent que leur partie élargie postérieure qui cachent la partie articulée ; vues au contraire par le côté dorsal, elles laissent voir leur enchaînement , ainsi que la cavité qui reçoit la tête ou le condyle de la pièce suivante. Mais abstraction faite de ce rétrécissement et de cette excavation, les pièces ne sont point des portions, des tronçons de cylindre , comme des corps de vertèbres ; elles sont de véritables croissants dont la concavité est supérieure ou dorsale : aussi quand on peut arriver à les voir par leur bord ou extrémité postérieure , elles ont exactement la forme d’un croissant (2). Voilà pourquoi la série des pièces articulées, le rachis, paraît cylindrique du côté inférieur, et creusée en gouttière du côté dorsal (3). Lames latérales. — Le nom de lame convient très exactement à ces pièces , que l’on distingue avec leur véritable forme sans au- une difficulté (4), quelle que soit la position de l’appareil. Leur épaisseur est un peu plus marquée sur leur extrémité interne : cela (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, t. VI, pl. 10, fig. 5, fig. 3, 4 (cc). (2) Id., fig. 4 {c). (3) Id., fig. 4 et 2. (4) Zd., pl. 40, fig. 4, 2. 950 H. LACAZE-DUTHIERS. se voitnettement quand on arrive à les placer de champ(4). Cette extrémité interne est celle qui s'articule avee le talon de la dent ; pour cela , elle présente une courbure à convexité interne. L’ex- trémité externe , au contraire , est mince, et son bord n’est pas perpendiculaire à la direction des bords antérieur et postérieur. La grandeur de ces lames latérales est à peu près la même dans toute l'étendue de l'appareil ; cependant les antérieures sont sensi- blement plus longues et plus larges que les postérieures. Rapports et mode d’union de ces éléments. —Le nombre de toutes ces parties est le même : il y a autant de dents que de lames latérales d’un côté, et il y a autant de paires de lames et de paires de dents qu'il y a de pièces médianes ; en sorte qu’on pourrait se faire une idée de l’appareil en le considérant comme formé d’une série de segments transversaux placés à la suite les uns des autres , et tous semblables dans leur composition. Aussi M. Lovën s'est-il con- tenté de représenter une seule rangée transversale pour chacune des espèces qu'il a étudiées. J'ai représenté l’un de ces segments vu par le côté postérieur, c’est-à-dire suivant une coupe perpendicu- laire à la surface générale de l'appareil , dans l’une des figures qui accompagnent mon travail (2). Dans un segment ainsi posé, on voit les rapports de ses éléments ; mais quelque soin que j'aie apporté à le disséquer, je n’ai jamais pu arriver à avoir la preuve de l’arti- culation de la dent avec les pièces médianes : 1l est probable que les pièces s'appuient les unes contreles autres ; mais quant à une articu- lation exacte, les facettes manquant, on peut conclure qu’elle n’existe pas. Il n’en estpasde même des dents et des pièces latérales ; l’échan- crure externe du talon de l’une répond au bord convexe de l’extré- mité interne de l’autre, et l'articulation est bien facile à reconnaitre. Dans l’appareil vu par la face dorsale, on distingue nettement les rapports des talons des dents et des extrémités mternes des lames. Des difficultés se présentent dans l'observation des rapports des pièces médianes avec les autres. Quand on examine l’appareil entier, il s'établit sur les faces et les arêtes des pièces cornées des (1) Voyez Ann. des sc. nat., &° série, pl. 10, fig. 4 (b). (2) 1a., fig. 4. ORGANISATION DU DENTALE. 251 jeux de lumière, qui s'opposent à ce que l’on puisse reconnaître exactement le mode d’union de la pièce médiane; et, d’un autre côté, quand on désarticule les éléments, même en partie, pour arriver à un segment isolé, le relâchement des membranes est tel, qu’il empêche bientôt de dire s’il y a réellement articulation. Il me parait probable, comme je lai déjà dit, que l'articulation réciproque des lames et des dents ne peut être douteuse, mais que la double série des parties latérales est simplement rapprochée et appuyée (surtout les dents) sur la série médiane des pièces durachis. Des membranes unissent toutes ces pièces et les maintiennent dans une position constante ; elles sont minces , transparentes, et néanmoins fort résistantes ; elles sont très évidentes sans prépara- tion entre les lames latérales, et elles se réunissent en dehors de celles-ci pour former sur les côtes de la partie dilatée antérieure de l'appareil (1) un segment courbe, régulier, mince, transparent et hyalin. Ces membranes ont évidemment une position déterminée par le jeu même des organes. Elles tapissent la face inférieure de l’ap- pareil, et ne peuvent unir que les parties internes des dents, afin de laisser libres leurs extrémités aiguës. La direction de toutes les pièces les unes par rapport aux autres est facile à déterminer. Le diamètre transversal des médianes est perpendiculaire à l’axe général de l'appareil, supposé dans un plan horizontal. Au contraire, l’axe des lames latérales , c’est-à- dire la ligne parallèle à leurs bords , est incliné sur le diamètre transversal ou sur l’axe général environ de 45 degrés ; en sorte que, tandis que l’extrémité interne d’une lame affronte le côté d’une pièce médiane, son extrémité externe se trouve en face à peu près de la pièce médiane postérieure suivante. De telle sorte qu’une ligne menée perpendiculairement à l’axe général de l’appareil ren- . contrerait le bord externe de la pièce médiane, l'extrémité interne de la lame faisant face à la pièce médiane, puis l'extrémité externe de la lame antérieure à celle-ci. La direction de la dent est également très inclinée à l’axe gé - néral ; aussi son extrémité interne ou libre vient-elle se placer (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, t. VI, pl. 40, fig. 1, 2 (aa). 252 H. LACAZE-DUTHIERS. sur la pièce médiane antérieure. De telle sorte que, pour les dents, il y a quelque chose de semblable à ce que nous venons de voir pour les lames latérales : les unes sont portées en avant, les autres en arrière du diamètre transversal de la pièce médiane, et comme les dents sont courbes, leur extrémité interne se trouve dans l’appa- reil parallèle au diamètre transverse des pièces du rachis, ou per- pendiculaire à l'axe général. Toutes les dents se couchent dans la gouttière supérieure des pièces médianes; leurs extrémités libres, coniques, laissent entre elles des espaces angulaires où viennent se logerles extrémités libres de celles du côté opposé ; en sorte qu’elles se croisent sur la ligne médiane en venant se coucher au-dessus du rachis, et en se recou- vrant les unes les autres dans les points indiqués précédemment sur leur bord postérieur et sur leur talon (1). Elles sont moins rap- prochées dans la partie antérieure et dilatée, où elles laissent voir entre elles les pièces médianes formant gouttière. Cela tient à la position de l’appareil et à ses rapports avec les parties qui le sup- portent et le font mouvoir. Dans la partie antérieure les dents sont peu enfoncées dans la gouttière, elles sont même redressées ; au contraire, dans la partie postérieure, les plans des lamelles s’inclinent de plus en plus les uns vers les autres en dessus, en formant un angle dont le sommet répond au rachis : aussi les dents sont-elles presque ca- chées dans la gouttière (2). Cela tient évidemment aux pressions qu'éprouve cette extrémité, qui est engagée, comme on va le voir, dans un cercle musculo-cartilagineux. Tel est cet appareil corné. Il est très complexe, mais il l’est moins que celui des Patelles et des Oscabrions (Chiton). Il est diffi- cile, comme je le disais, de ne point trouver une grande analogie entre les appareils de ces animaux, car on voit toujours une série de pièces médianes , de chaque côté de laquelle sont des pièces de support et des parties actives. Le nombre des dents, d’une même rangée transversale, est variable. Ieï il est bien moins grand, il est vrai, que dans les animaux avec lesquels je fais la comparaison ; (1) Voyez Ann, des sc. nat., 4° série, t. VI, pl. 9, fig. 4 et 2 (aa). (2) Idem. ORGANISATION DU DENTALE. 953 mais il me semble qu’il y a un plan général tout semblable. Les rapports sont bien plus marqués, quand on compare avec l’appa- reil lingual du Dentale celui des petits Mollusques gastéropodes nus décrits par M. de Quatrefages. On trouve jusque dans la position une grande analogie. Dans les Oscabrions (Chiton) et les Patelles, la langue occupela face inférieure de la partie du tube digestif où elle est placée : ici n’est-ce pas de même ? N'est-ce encore sur le plancher inférieur de la cavité qui la loge qu’on la voit ? Dans les Patelles, les Oscabrions, il y a aussi un organe de nature cartilagineuse , absolument comme celui que nous allons décrire. La protractilité serait seule une difficulté : la plupart des animaux peuvent faire sortir au dehors cet appareil, qu’on a nommé pour cette raison langue, tandis que le Dentale ne peut en aucune manière, cela est évident, agir de la sorte. Le nom semble devenir dès lors impropre, mais cela ne me paraît point une raison suffisante pour éloigner l’analogie. Quand on aura établi, d’une manière positive, les rapports unissant ou éloi- gnant les différents appareils cornés qui arment la bouche des Mollusques , on verra que le même organe peut occuper des po- sitions différentes, suivant que la bouche proprement dite portée plus ou moins en avant , laisse plus ou moins en arrière et plus ou moins profondément l'appareil lingual, qui alors se trouve dans une impossibilité plus ou moins grande aussi de devenir saillant. On comprend maintenant que le mot par lequel quelques au- teurs désignent la cavité renfermant l'appareil lingual ne peut sembler juste. Le nom de gésier qu'emploient MM. Forbes et Han- ley (4) et W. Clark (2) a toujours servi à désigner une dilatation stomacale, qnelquefois armée depiècescornées destinées à produire une division mécanique. Îl n'y aurait ici de ressemblance que dans la présence de pièces cornées, mais nullement dans leur analogie. On voitaussi que le mamelon buccal doit être considéré comme un prolongement proboscidiforme de l’orifice de la bouche en- (1) Voyez À History of British Mollusca and their Shells, by Prof. Edward Forbes and Sylvanus Hanley; vol. II, p. 448 (1840). (2) Loc. cit. 951 H, LACAZE-DUTABIERS. tourée de ses tentacules labiaux, mais que la véritable cavité buc- cale doit être la poche où est logé l’appareil lingual. Le bulbe buccal ne peut donc être une tête comme l'avait dit M. Deshayes. Les descriptions données par les auteurs sont peu étendues, et ne donnent qu'une idée bien suecinete et très insuffisante de l'appareil. La description de M. Deshayes n'indique rien ; elle se borne à ceci : « Cette bouche se rétrécit en un œsophage court, charnu, » qui forme une sorte de col, qui aboutit bientôt à un estomac » pyriforme à parois épaisses, el contenant dans son intérieur » un appareil dentaire assez compliqué placé à son ouverture car- » diaque. » La figure 13 de ce travail ne peut donner aucune idée de la forme de l'appareil lingual (4). $ II. — Cartilage lingual. Le support de l’appareil solide qui vient d’être décrit, n’est pas de nature charnue ou musculaire : il est entièrement passif; resté souvent inaperçu, l’on n’en trouve pas toujours la description pour les différents Mollusques. V. Siebold dit : « Presque tous les Céphalophores sont pour- » vus d’une masse charnue plus ou moins allongée, adhérente » au plancher du pharynx, et creusée quelquefois en gouttière dans » le sens de la longueur; on peut très bien la comparer à une » langue... Elle est constamment armée d’épines et de lamelles » cornées dentelées extrêmement fines, et disposées en rangées » longitudinales et transversales très élégantes (2). » Dans la citation que j’emprunte au Manuel d'anatomie compa- rée, l’auteur indique vaguement le rôle des parties : « La langue, » y est-il dit, qui est rétractile, peut servir d’organe d’ingesüon, et » Ces animaux l’emploient avec beaucoup d'adresse. » Dans cette description on ne trouve pas une analyse assez com- plète ; le Support semble y être confondu avec les dents ou parties cornées ; et, comme on le verra, il n’est pas une des parties actives, (1) Voyez loc. cit., p. 333, pl. 45, fig. 13. (2) Voyez Manuel d'anat. comp. de V. Siebold, traduction française, t, I, p. 316. ORGANISATION DU DENTALE. 255 aussi l'expression charnue, qui semble indiquer une nature muscu- laire, ne lui est pas applicable. Le travail de M. H. Troschel résumera, sans doute, tous les résultats, et en fera connaître le lien général; en attendant que cette publication soit complète, je ferai observer que les pièces cornées, les dents, toutes disposées avec plus ou moins d'élégance, ont surtout attiré l'attention des auteurs, et que les parties basi- laires n’ont pas été pour eux l’objet d’études aussi spéciales. C’est cependant un fait important que l'existence de cette partie, qui semble être l'intermédiaire entre les muscles, ou parties actives, et celles qui doivent être mises en mouvement. Si l’on admet l’analogie entre l'appareil que nous étudions et celui que l’on a désigné chez beaucoup de Gastéropodes par le nom de langue, on comprend que je propose de nommer cartilage hingual la pièce qui supporte l’appareil masticateur. J'ai trouvé, sous la langue des Oscabrions (Chiton), une partie tout à fait semblable dont la disposition était la même; c’est surtout ce qui m'a conduit à établir un rapprochement entre l’ap- pareil du Dentale et tous ces appareils décrits isolément par les nombreux auteurs que j'ai cités. Le cartilage lingual est très facile à reconnaître et à préparer ; mais il est nécessaire de bien le débarrasser des parties qui lenvi- ronnent, afin de pouvoir juger de ses rapports, de ses connexions etde sa forme. Sa nature est bien différente des parties charnues, et sa structure est appréciable au microscope avee la plus grande netteté. Il est résistant, blanchâtre et un peu élastique; sa teinte blanchâtre, peut-être un peu bleuâtre , et sa transparence, font tout de suite reconnaître qu'il n’est point de nature musculaire. Placé sous le microscope (L),son tissu semble formé complétement de cellules, non pas dans le sens vague qu'a souvent ce mot en anatomie des animaux , mais dans le sens où l’organographie végétale nous fait connaitre le parenchyme ou tissu cellulaire. Le tissu de ce cartilage offre une ressemblance extrême avec le tissu végétal. Les cellules sont larges , irrégulières , polyédriques, et leurs parois sont accusées par des lignes obscures ; dans leur (4) Voyez Ann, des sc, nat., 4° série, Zoou., t. VI, pl. 9, Gg. 6. 256 H, LACAZE-DUTHIERS. intérieur est une substance hyaline transparente, et quelques points granuleux qui sont des noyaux ou des nucléoles. Cette structure, qui rappelle à certains égards le cartilage de la corde dorsale des jeunes Poissons, ne parait jamais manquer : je l'ai retrouvée même sur les animaux conservés dans l'alcool, malgré la rétraction des tissus. Les cellules sont loin de présenter toutes la même dimension. Beaucoup semblent plus petites : les unes seraient probablement moins développées que les autres. Le nombre des granulations moléculaires qu’elles renferment est également très variable. Le cartilage , complétement débarrassé des muscles qu'il porte et qui cachent ses contours, présente la forme d’un fer à cheval. Qu'on le regarde par la face supérieure et antérieure (1), ou par la face inférieure et postérieure (2), toujours il paraît formé de deux moitiés latérales, réunies antérieurement par une bande transversale qui n'est point placée tout à fait à l'extrémité anté- rieure, ce qui fait paraître cette extrémité comme divisée sur la ligne médiane. Les deux branches du fer à cheval sont largement séparées en arrière vers l'extrémité qui, dans l’animal vivant, regarde le som- met de la coquille ; mais cette séparation ne devient bien distincte que lorsqu'on a enlevé le musele qui les joignait. Elles sont très développées, larges et arrondies en dehors, et se terminent en pointe, en arrière en se courbant un peu en dedans. La face supérieure et la face inférieure différent par les saillies ou lignes d'insertion qu’elles présentent. La face inférieure est moins irrégulière ; cela tient , sans aucun doute , à ce qu’elle ne donne point insertion aux muscles. La face supérieure offre d’abord une saillie courbe dont la corde est perpendiculaire à l'axe antéro- postérieur du cartilage, et dont le sommet est placé sur le dos de la bandelette unissant les deux moitiés (à). Enfin sur lesbords externes de cette face paraissent deux arêtes, ou mieux deux lignes parallèles à ces bords, servant à l'insertion des muscles moteurs de l’appareil. (1) Voyez Ann. des sc. nut., 4 série, t. VI, pl. 9, fig. 3. (2) d., fig. &. (3) I. Big. &. ORGANISATION DU DENTALE. 957 $ III. — Muscles. Quand on arrache, ce qui se fait avec la plus grande facilite, la pièce cornée de la petite masse formant l’appareil lingual, on voit que le cartilage est: comme un bourrelet eireulaire percé à son centre, et d’un trou qu'oceupe la partie rétrécie de la pièce cornée. Cela tient à ce qu'un musele (1) dont toutes les fibres sont pa- rallèles entre elles, s’insère aux deux extrémités du fer à cheval, et le transforme ainsi en un cercle en unissant ses deux branches. Ce musele est perpendiculaire dans sa direction aux parties sur lesquelles il s’insère , et qu'il doit naturellement mouvoir. Il ne peut et ne doit agir que sur les branches du cartilage en tendant à les rapprocher , et par, conséquent en diminuant l’espace libre laissé au milieu du cercle. Il est facile à étudier, et rien n’est simple comme de l’enlever quand on connaît la direction de ses fibres et leur mode et point d'insertion. Quand on renverse l'appareil tout entier, de manière à placer l'extrémité antérieure en bas et la base des branches en haut, on voit alors qu'il forme une large bandelette, et que son action doit être puissante, en raison même de la direction perpendiculaire de ses fibres sur la pièce cartilagineuse. Il y à un autre muscle composé de deux moitiés, dont il est très difficile de se faire une idée juste. II m'a donné beaucoup de peine et de travail pour arriver à en présenter à la fois et la description exacte et un dessin ressemblant. Supposons complétement enlevés le muscle impair transversal dont il vient d’être question et l’appareil dentaire corné, il ne restera que le cartilage qui vient d'être décrit et le muscle dont il reste à parler. Celui-ci s’enroule sur le cartilage, de telle manière que son point d'origine ou de départ, et son point de terminaison ou d'arrivée, se trouvent placés sur la même face, sur la face dorsale (2). Nées sur les lignes latérales du bord ex- (1) Voyez Ann. des sc. nat., pl. # t. VI, fig. 40 et 11 (n, n). (2) Id., pl. 9, fig. 6, le muscle tout seul ; fig. 7, le muscle (c) et le cartilage (m), vus par la face inferieure ; fig. 8, le muscle {m) et le cartilage (c), vus par la face dorsale, 4° série, Zoo1. T. VI. (Cahier n° 6.) 1 17 2538 H. LACAZE-DUTHIERS. terne du cartilage, les fibres se portent en dehors, se courbent en dessous, et couvrent complétement la face inférieure du cartilage dans toute la partie antérieure; aussi, quand on regarde cette face de l'appareil, n’apercçoit-on plus qu’une petite portion des extré- mités postérieures des branches du fer à cheval (2). Après s’être ainsi étalé sur le cartilage, le muscle se recroqueville en dedans pour remonter sur la face dorsale en passant dans l’échancrure du fer à cheval, et s’y terminer en s’insérant sur la ligne courbe saillante déjà indiquée dans la description du cartilage (2). Si l’on suppose enlevé non pas seulement ce muscle postérieur et la pièce cornée, mais encore le cartilage, alors le muscle qui vient d’être décrit paraît comme une oublie recroquevillée en cornet sur elle-même, et dont les déux bords se trouveront rapprochés (3). Comme on le voit, le fer à cheval avait été d’abord fermé en arrière par un muscle, etmaintenant les bords de l’orifice se trou- vent doublés par une couche de fibres musculaires. $ IV. — Rapport et jeu des parties. Voilà toutes les parties qui entrent dans cet appareil compliqué ; cherchons maintenant à en comprendre le jeu et l’action par la connaissance des rapports qu’elles affectent entre elles. La pièce cornée s’introduit par son extrémité rétrécie dans le cercle que forment les branches du cartilage unies en arrière par le muscle postérieur ; elle se pose par sa partie élargie sur la face supérieure de l’anneau musculo-cartilagineux, et ses bords suivent la ligne d'insertion supérieure (4) du musele courbé. Le cartilage, pris dans son ensemble, forme un croissant dont l’échancrure est postérieure et le plan horizontal. Ea pièce eornée elle-même est courbée, et, vue de profil, elle présente aussi la disposition en croissant; mais son échancrure est antérieure et son plan vertical. Si l’on suppose ces deux courbes chacune dans un (4) Voyez Ann. des sc. nat., t. VI, pl. 9, fig. 7 (c). (2) Id., fig. 8 et fig:4 (3) 14 fet6, ant l'une des deux moitiés;du muscle, la droite, vue de sue ) Ia (4 g. A1 (a). ORGANISATION DU DENTALE. 259 plan , le plan du cartilage sera horizontal où à peu près et celui de la pièce cornée vertical; en sorte que ces deux croissants s'em- boîtent réciproquement par leur échancrure , et ont leurs plans perpendiculaires l’un à l’autre ; telle est l’idée que l’on doit se faire des rapports des deux parties. On s'explique alors que la pièce cornée paraisse à la fois sur les deux faces de la masse musculo - cartilagineuse (1). Comment agit cet appareil complexe ? Il est évident que chacune des dents n’est pas animée par un muscle spécial et particulier. Je ne pourrais même trop assurer que l’un des muscles s'attache aux lames cornées qui les porte. Le muscle postérieur (2), qui joint les deux extrémités du cartilage, n’a aucun rapport avec celle-ci, et quant au muscle contourné, l’une des extrémités seule pourrait contracter des adhérences avec les bords élargis de la partie antérieure. Je ne serais point éloigné de croire que, dans cette partie, la membrane hyaline transparente (3) n’eût des connexions avec le muscle, et, dans ce cas, linsertion fixe de celui-ci serait évidemment sur les bords externes du car- tilage; son insertion mobile serait sur la face dorsale, autour de la courbe centrale du fer à cheval. Qu'il existe des unions entre les membranes sous-jacentes à la pièce cornée et celte extrémité du muscle, cela est possible ; mais, certainement, la majeure partie des fibres de celui-ci se fixe au cartilage; en sorte que son action, quoiqu’en se faisant sentir sur la pièce cornée, se porte presque tout entière sur le cartilage. Il semblerait évidemment que Îles muscles doivent s’insérer, d’une part au cartilage, de l’autre à la pièce cornée ; mais cependant celle-ci se détache et s’enlève avec une si grande facilité, que je ne puis considérer l’insertion comme parfaitement démontrée. Les mouvements communiqués aux pièces formant l’armaiure linguale ne sont done pas ici de la même nature que ceux qu'on observe dans la plupart des cas où les leviers sont mis direc- (1) Voyez Ann. des sc. nat., t. VI, fig. 9, vue de profil; fig. 40, vue par la face inférieure ; fig. 14, vue par la face supérieure. (2) 1d., pl. 8, fig. 9, 10 et 14 (n,n,n). 21 (3) Fr fig, à (ee) © 76 260 H, LACAZE-DUTHIERS. tement en mouvement par des puissances. Je crois que le car- tilage exécute des mouvements qu'il communique secondaire- ment à l'appareil dentaire par une sorte de pression en dif- férents sens; ainsi évidemment, quand le muscle qui unit ses branches se raccourcit, la courbe du fer à cheval diminue, et l'appareil dentaire est comprimé, comme si on le plaçait entre les doigts. Cette action porte sur les lames latérales, surtout dans Ja portion rétrécie, et les dents doivent certainement êlre par cela même repoussées dans un sens. Quand le muscle n'est plus con- tracté, le cartilage revient, par son élasticité, à sa position pri- mitive, et avec lui les dents. L'action du muscle contourné en cor- net est plus difficile à concevoir; probablement elle doit tendre à faire éprouver au cartilage une sorte de torsion, qui doit rejeter la face supérieure de ses branches en dehors, quand le point fixe est à l'extrémité interne ou inversement. Comme la partie élargie de la pièce cornée est unie aux membranes qui couvrent celte face, les lames latérales doivent être tantôt tirées dans un sens, c’est-à-dire en dehors, tantôt poussées dans l’autre, c’est-à-dire en dedans. Ces mouvements se combinant avec eeux de resserrement occasionné par le musele postérieur, on comprend que les dents soient re- dressées ou abaissées, comme lorsqu'on serre entre les doigts ou che l'appareil dentaire en appuyant sur les lames latérales. La position même des parties fait comprendre que c’est la por- tion antérieure qui doit agir le plus efficacement sur les matières alimentaires, car elle est la plus large et la plus directement en rapport avec elles. Avant de quitter l’histoire de l’appareil dentaire, je dois dire que j’ai toujours remarqué vers son extrémité postérieure deux ou trois segments, moins résistants, et souvent tout à fait incolores; et je me demande si l'appareil tout entier ne se développerait pas dans la partie profondément placée dans le cerele musculo-cartila- oineux, et si le nombre des pièces augmentant avec la taille de l'animal, ce ne serait pas en marchant d’arrière en avant que se ferait l'accroissement; les segments antérieurs les plus déve- loppés, mais aussi les plus anciens, en se détruisant par suite d’un long usage, se trouveraient ainsi remplacés par ceux qui ORGANISATION DU DENTALE. 261 les suivraient. J'ai fait remarquer qu'il y avait bien peu de diffé- rence entre les éléments d’une extrémité et ceux de l’autre. A l'extrémité antérieure , ils sont seulement plus étalés que dans la postérieure, où ils sont resserrés. L'appareil lingual , ou broyeur, vient d’être décrit suecessive- ment dans chacune de ses parties composantes ; 1l reste mainte- nant à le prendre dans son ensemble, et à voir ses rapports avec les autres parties du tube digestif. ' Cavité linguale. — On se rappelle qu'après le mamelon buccal, le tube digestif se rétrécit, pénètre dans le corps et arrive dans une large cavité où est placé l'appareil complexe dont la description pré- cède. Si ce dernier est une langue (et l’analogie avec les organes semblables que l’on trouve dans beaucoup d’autres Gastéropodes ne semble guère douteuse), la portion du tube intermédiaire au bulbe et à la cavité dontilestici question ne peut être appelée æsophage, dans l'acception que l’on attribue ordinairement à ce mot. La bouche semble devoir être représentée par cette cavité même qui ren- ferme la langue ; qu'on le remarque, la bouche ou cavité linguale n’est pas dans les animaux supérieurs seulement un orifice , c'est bien une cavité, souvent fort spacieuse ; et ce qui 1c1 pourrait embarrasser, c'est la position; mais dans quelques autres Mol- lusques, l’orifice buccal se prolonge en une trompe, et Ja bouche proprement dite semble par cela même plus profondément placée. Le Triton a une trompe protractile, que l’on ne peut appe- ler la bouche, et qui est évidemment l'analogue du bulbe buccal du Dentale, du bulbe où mamelon que M. Deshayes à nommé à tort une téle formée seulement par une bouche. La dilatation du tube digestif renfermant la langue cornée offre des rapports intéressants et très importants en ce qui touche Îles organes de la circulation; je ne les ferai pas tous connaitre 101, réservant la plupart d’entre eux pour le moment où nous cherche- rons à suivre le liquide nourricier dans toute l’économie. Les parois de cette dilatation se rapprochent du côté du dos (1), beau- (4) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, pl. 9, fig. 4 : (1) langue; (u) paroi de 262 M. LACAZE-DUTHIERS. coup des téguments du corps, et même il est très difficile, sinon impossible, de les en séparer : ce qui pendant longtemps m'a fait répéter des préparations délicates, à cause du doute qu'elles lais- saient dans mon esprit. À mesure que l’on s'éloigne de l'extrémité antérieure, les parois du corps et eelles de la cavité digestive de- viennent de plus en plus distinetes en se séparant davantage l’une de l’autre; du reste, la paroi dorsale de cette cavité est lisse, simplement membraneuse et d’une grande délicatesse, ce qui rend sa préparation difficile. j Vers l'entrée antérieure de cette cavité et du côté du dos, j'ai observé (1) un tout petit repli ayant une teinte souvent jaune de Sienne, rappelant les pièces cornées, et qui m'a semblé être un rudiment de ces mâchoires cornées placées au côté dorsal de la bouche dans quelques Gastéropodes. Si l’homologie de cette der- nière pièce rudimentaire se confirmait , le rapport de l’appareil corné avec les langues des Patelles, ete., se trouverait par cela même mieux confirmé. L’analogie dela cavité buceale deviendrait aussi plus grande, nous n’aurions plus de doute; car la position de toutes les parties serait la même. La paroi postérieure de la cavité linguale est la plus compliquée. C’est elle qui porte le bulbe lingual ; à son origine antérieure elle présente un petit repli membraneux (2) placé en face de la petite plaque cornée précédente. Ce repli, rappelant un peu une petite valvule, m'a paru constant. Comment faut-il entendre les rapports de l'appareil broyeur ou triturant avec la paroi membraneuse de la cavité linguale? Le car- tilage et les muscles se trouvent au-dessous de la membrane limi- tant la cavité, l’appareïl eorné se trouve au-dessus ; en d’autres termes les premières parties sont en dehors, la seconde est en dedans. Qu'on se figure pour un instant la langue cornée libre ‘dans la cavité digestive, que l’on place en dehors de celle-ci le cercle musculo-cartilagineux , et enfin qu’on fasse pénétrer la la cavité linguale ; (w) paroi ou tégument du corps; (s) espace laissé entre ces deux membranes (u) (w). (1) Voyez Ann. des sc. nat, 4° série, pl. 9, fig. 2 (v). (2) Id., id., fig. 2 (z). ORGANISATION DU DENTALE. 263 pièce cornée par sa portion rétrécie dans ce cercle, celle-ci se coiffera avec la membrane formant la paroi, et la repoussera de l'autre côté du cercle. Sur la face interne de cette paroi formant un cul-de-sac est soudé l'appareil corné, tandis que sur la face externe de la même paroi se fixe le cercle musculo-cartilagineux. Aïnsi se trouve en dedans de la cavité buccale la pièce active cornée , en dehors les parties motrices ; les unes et les autres ont pour inter- médiaires la membrane du tube digestif qui les sépare en se mou- lant sur elles. Je crois que c’est la seule manière de pouvoir se faire une idée exacte des rapports des différentes pièces , et de comprendre la composition de cette dilatation du tube digestif que l’on a appelée à tort le gésier (1). Si la paroi du tube membraneux qui s’enfonce dans le cercle du cartilage était immédiatement en rapport avec l'extrémité de la langue , on comprend que dans quelques mouvements un peu vifs des déchirures eussent pu avoir lieu. La nature a prévu le cas, et elle a placé au fond de ee tube en doigt de gant un tout petit tam- pon de matière semi-cartilagineuse, qui, tout en étant peut-être la partie qui fournit de nouvelles pièces cornées , oppose encore un obstacle à l’action que ces pièces cornées pourraient produire sur la membrane. Je me suis assez étendu sur cette disposition anatomique pour que l’on puisse maintenant se faire une idée nette de cet appareil, le plus régulièrement formé de tous ceux de l'organisme, et le plus facile à distinguer quand on ouvre le corps de l’animal, soit par le dos, soit par le pied, et dont le volume est assez considérable pour qu'il se fasse remarquer du côté du dos par une élévation dans le point où les muscles rétracteurs latéraux viennent s’unir antérieu- rement au manteau. (1) Voyez loc. cit., W. Clark. 264 H. LACAZE-DUTHIERS. Anricze IIL.% Estomac. Dans les animaux supérieurs, on appelle ainsi la dilatation qui fait suite à l’œsophage, et qui précède la première portion de l’in- testin où s'ouvrent les conduits excréteurs de la sécrétion biliaire. Dans les Mollusques, au contraire, l'estomac est la dilatation, faisant suite à l’æsophage , où viennent s'ouvrir largement les ca- naux sécréteurs du foie ou de l'organe que l’on considère comme tel, et j'ajoute que cette communication entre l'ouverture des canaux bilaires et l’estomac est tellement grande que, dans quel- ques cas, il est bien difficile de dire : Là commencent les uns , là finit l’autre. Dans quelques cas même, l’on se demande si les pa- rois stomacales n’ont pas été se ramifiant, et si la substance glan- dulaire hépatique ne s’est pas agglomérée autour de ces sortes de culs-de-sac. 11 était besoin de rappeler ces faits , car ici nous ne trouvons pas de poche stomacale proprement dite, et les canaux biliaires sont si largement ouverts dans le tube digestif, que l’on est fort embarrassé, comme on va le voir, pour assigner leurs limites. En arrière de la poche linguale les parois se rapprochent , un véritable resserrement ou étranglement a lieu (4), puisune nouvelle dilatation se produit (2). Celle-ci, très variable dans sa forme, est plus facile à isoler que la partie précédente , bien qu’elle soit cependant encore assez délicate à préparer. Des contractions sont, sans doute , cause de la variabilité de forme que je signale. Dans quelques dessins de mes notes je la trouve cordiforme, et ce doit être là ce qui, sans doute, l’a fait prendre par M. Deshayes pour le cœur. Elle forme une véritable cavité et se rétrécit bientôt pour constituer un tube , qui, à son tour, se dilate après être passé par une espèce d'orifice que nous verrons pratiqué dans une mem- brane, véritable diaphragme. L'’indication de M. Deshayes m'a fait chercher longtemps l’or- gane central de la circulation sur le dos de l’animal. Je doute que (1) Ann, des sc. nat., 4° série, t. VI, pl. 8, fig. 1 ; pl. 9, fig. 2. (2) Id. (e). ORGANISATION DU DENTALE, 265 ce soit après avoir poussé des injections que le savant conchylio- logiste ait donné son interprétation. Sans doute la rétraction des issus , quelques trabécules musculaires ou fibreux se rendant à cette poche, auront été considérés comme des vaisseaux et fait voir un cœur là où il n’y a véritablement qu’une poche ou un ren- flement, une dilatation du tube digestif. Quant à la réponse à cette question, Cette cavité est-elle un esto- mac ? j'avoue ne savoir trop que dire. Je n’ai jamais rencontré de matière alimentaire dans son intérieur, quoique cependant rien ne s'oppose à penser que les aliments y séjournent quelque temps ; mais si nous rapprochons l'appareil tout entier de la digestion de celui des autres Mollusques, en nous rappelant la particularité que présente l’estomac de recevoir les produits de la sécrétion biliaire, nous verrons que l'estomac, le véritable estomac, est plus loin. Je crois que l’estomac est cette partie du tube dont la description ne peut être séparée de celle du foie, et qui forme une anse dans la portion postérieure du corps. IL faut donc interrompre ici la description du tube digestif proprement dit pour nous occuper du foie ou de la glande qui, sans contestation possible, peut et doit être considérée comme l’analogue de la glande appelée foie dans les autres Mollusques. AnrTicce IV. Du foie. La glande hépatique est la seule glande de la digestion bien ca- ractérisée ; en cela le Dentale ne diffère point d'un grand nombre d’autres Mollusques, des Acéphales particulièrement. Nous allons trouver ici un de ces exemples de glandes simples à peine composées, et dont l’étude se trouve par cela même bien plus facile. Malgré cela, le foie du Dentale a été mal décrit. M. William Clark l’a sûrement pris pour les branchies, et il a considéré comme étant le foie une glande profondément placée qui est en rapport avec les organes de la génération, qui est l’organe urinaire , l’ho- mologue du corps ou des corps de Bojanus des Acéphales lamelli- branches. Je reviendrai sur ces faits. De tous les organes , celui qui frappe le premier la vue , quand 266 H. LACAZE-DUVHIERS, on enlève l'animal de sa coquille, c’estle foie. On se rappelle que le manteau forme un tube sous la face inférieure du corps, et que c’est dans l'épaisseur même des parois de ee tube que l’on ren- contre la glande hépatique (4). Les cæcums qui la forment sont pla- cés en une seule couche à côté les uns des autres, et comme l’épais- seur des parois du tube du manteau est peu considérable, et que leur transparence est très grande, on les voit avec beaucoup de facilité, car la teinte jaune un peu bistrée (variable par son intensité avec les individus) vient encore faciliter l'examen. Pour bien étudier le foie , il faut fendre le tube du manteau sur la ligne médiane, et rejeter les deux lambeaux symétriques de chaque côté. Alors l'organe se trouve comme étalé, et sans faire de préparation on peut constater au travers des membranes la plupart des faits que je vais indiquer. Si, au contraire, l’on regarde l’animal par le dos, comnie les glandes génitales sont dorsales, la disposition ne peut être reconnue sans préparation. Il est cependant nécessaire de suivre le tube digestif en dessus pour reconnaitre ses relations avec les parties précédemment étu- diées. Ainsi étalé, le foie présente deux lobes (2), l'un droit, l’autre gauche, à peu près de la même dimension, et composés de la même manière. Dans cette simple préparation la courbure du tube du manteau à fait place à un plan horizontal, dans lequel sont rangés, en se touchant comme autant de petits cylindres, les culs-de-sac biliaires. La structure de la glande hépatique est fort simple et peut être observée avee la plus grande facilité, en raison de la disposition qui vient d'être indiquée. Les culs-de-sac sécréteurs ne se recouvrant pas les uns les autres , il suffit d'enlever un lambeau du manteau qui les contient et de le porter sous le microscope, pour reconnaître comment se composent les appendices sécréteurs réduits pour ainsi dire à leurs éléments. Si l’on apporte quelque soin à une mi- nutieuse et délicate préparation , on peut dédoubler le manteau et (1) Voyez Ann. des sc. nat., t. VE, pl. 414, fig. 1, 2 (f, f). (2) Zd., pl. 8, fig. 4 (f, ff). ORGANISATION DU DENTALE. 267 avoir encore plusisolés les éléments glandulaires, qui se présentent alors dans toute leur simplicité. Chaque cul-de-sac sécréteur se compose d’une membrane mince, transparente, sans structure bien évidente, qui le limite en dehors et lui donne sa forme. La surface interne de ce cæcum, ou cul-de-sac délicat, est ta- pissée par une couche de cellules volumineuses (L), dont les carac- tères rappellent les éléments du foie dans les Mollusques. Ces cel- lules forment ici véritablement le parenchyme sécréteur, comme dans toutes les autres glandes (2). Elles offrent, vues à un assez fort grossissement, l'apparence du tissu végétal, dont les utricules sont remplies de granulations colo - rantes. Pressées les unes contre les autres, elles deviennent po- lyédriques (3). Les granulations qu'elles renferment sont toutes vivement colo- rées et réfractent fortement la lumière. Ce dernier caractère les fait ressembler assez à des granulations graisseuses où huileuses ; ce sont elles qui donnent la teinte aux cellules, et par suite à l’or- gane tout entier. Chez les différents individus se présentent des teintes variées : les unes sont plus foncées que les autres, et cela tient uniquement au nombre des particules qui remplissent les cel- Jules. Mais la coloration est toujours plus ou moins rapprochée de celle de la terre de Sienne, mêlée d'un peu de bistre. Les granulations sont aussi pour leur volume très variables, tantôt moléculaires et tantôt assez grosses ; elles sont quelquefois accolées les unes aux autres, et forment comme de petits amas de sphérules empilées. Dans quelques Mollusques gastéropodes, dans la Bullée (Bullea aperta), j'ai rencontré ces granulations ayant presque l’apparence de petits corpuscules, de petites concrétions. Ici, bien que l’apparence du solide ne soit point aussi marquée, il m'a paru cependant y avoir dans quelques cas une analogie (1) Voyez Ann. des sc. nat, t. VI, pl. 10, fig. 7. Deux culs-de-sac grossis, pour donner une idée de l’arrangement des éléments cellulaires. (2) Voyez Id. (3) Voyez Id. , fig. 8. 268 H. LACAZE-DUTHIERS. entre les granulations hépatiques du Dentale (1) et celles de la Bullée. Les cellules paraissent s'être développées par voie endogène ; on en trouve en effet quelques-unes de grandes qui présentent des lignes de segmentation, annonçant évidemment des cellules filles enfermées dans une cellule mère (2). Le parenchyme glandulaire, formé par les cellules hépatiques caractéristiques, s’avance très loin sur les parois des tubes cæcums sécréteurs ; il arrive jusques au voisinage du tube digestif, si même il ne se continue pas un peu sur ses parois. On sait que dans beaucoup de Molluscoïdes, la Phallusie intestinale par exemple, la paroi même du tube digestif, dans son renflement stomacal, est tapissée par le foie ; qui forme comme une couche mince de ma- tière jaune. Dans les Mollusques , le foie est en général formé de culs- de-sac sécréteurs , que limite une membrane anhyste , et que double intérieurement une couche glandulaire, cellulaire. Dans les Acéphales, le fait est constant, et je me propose de présenter bientôt sur ce sujet un travail d'ensemble relatif au foie des animaux de ce groupe, où la structure sera étudiée avec soin. Dans des re- cherches multipliées, je n’ai jamais vu faire défaut le fait suivant : Toujours la couche cellulaire parenchymateuse est tapissée du côté de la cavité par un épithélium vibratil, continuation évidente de l’épithélium vibratil du tube digestif. Dans les Acéphales, ce mou- vement ciliaire est tantôt très évident, très marqué, en raison du développement des cils ; tantôt, au contraire, très difficile à voir, en raison de la finesse et de la ténuité des cils. La matière colo- rante plus ou moins abondante , et la couche plus ou moins épaisse des cellules, masquent aussi les vibrations ciliaires et les rendent plus difficiles à reconnaitre. Je devais chercher à trouver dans les cæcums hépatiques des Dentales si les mêmes mouvements se présentaient; je n'ai ja- mais pu les observer. Cela tiendrait-il à l’épaisseur de la couche (1) Voyez Ann. des sc. nat., &° série, t. VI, pl. 10, fig. 9 {a, b, c, d). (2) Id. (e). ORGANISATION DU DENTALE. 269 cellulaire et à leur coloration toujours intense ? Je le croirais vo- lontiers. Ces culs-de-sac se réunissent deux à deux pour former un tube toujours glandulaire, et à peu près du même diamètre. Ce tube simple s’unit au voisin pour n’en former qu'un, et bientôt tous les cæcums, d’un côté, se trouvent ainsi réduits à quelques troncs assez gros, dont le nombre variable est tantôt six, sept, huit pour chacun des côtés du lobe (1). C’est par une sorte de dichotomie convergente que tous les petits cæcums sécréteurs arrivent, en se réunissant, à former, vers la ligne médiane, ces quelques gros trones qui s'ouvrent dans l'intestin. Je remarquerai que le lobe droit et le lobe gauche se rappro- chent en arrière sur la ligne médiane, que même quelques-uns de leurs cæcums médians se recouvrent, et qu’une espèce d’ori- fice (2) se trouve formée au centre de l'organe hépatique. Nous aurons à nous occuper de cet orifice en traitant de la cireulation. Revenons maintenant à la partie du‘tube digestif qui, après avoir traversé le diaphragme, forme une anse dans la moitié postérieure du corps (3). Cette anse a une courbure telle, que ses deux branches se trouvent bientôt parallèles. Sa convexité est partagée en deux moitiés par l’orifice médian dont il a été question , et sur chacune d'elles viennent s'ouvrir, en se confondant entre eux, les différents gros troncs résultant de la réunion des cæcums sécréteurs. Ces réunions des troncs (4) peuvent-elles porter le nom de canaux excréteurs du foie ?Cela semble difficile, puisque la substance glan- dulaire les tapisse complétement ; et quand à savoir où commence et où finit le tube digestif, cela n’est pas plus facile. On pourrait peut-être regarder la partie comprise entre l’orifice central existant entre les deux lobes et l'insertion antérieure des cæcums les plus antérieurs , comme le pédicule du canai excréteur de (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, t. VI, pl. 8, fig. 4. (2) Id , id. (o). (3) Id., fig. 1, le foie se trouve appendu à une anse du tube digestif (e', e/'). —Voyez aussi pl. 9, fig. {4 (k,h). (4 ) Id. (h). 970 H. LACAZE-DUTHIERS. chacun des lobes du foie, et alors l'estomac proprement dit serait toute la portion antérieure à ces limites. Peut-être pourrait-on considérer toute la portion du tube digestif post-diaphragmatique , unie à la partie médiane des deux lobes hépatiques, comme un vaste sinus stomacal, où il serait dif- ficile de dire : Là commence l’un, iei finit l’autre , puisque la sub- stance jaune hépatique remonte assez loin. On voit ici une de ces analogies que je faisais pressentir en définissant précédemment l'estomac ; on reconnait aussi tout de suite les analogues des longs prolongements qui, dans les Acéphales comme dans beaucoup de Gastéropodes, s’enfoncent, en partant de l’estomae, dans la glande hépatique. Ceci fait encore voir que l’on doit considérer cette courbe intes- tinale, se prolongeant dans ces grands sinus latéraux internes de la glande, comme lestomac. Cette opinion repose non-seulement sur la disposition anatomique, mais encore sur les faits d’embryo- génie que l’on trouvera plus loin. On verra en effet, dans le déve- loppement du jeune Dentale? se produire d’abord la cavité stoma- cale correspondante à la courbe, et sur ses côtes se former ensuite des enfoncements jaunes et granuleux, origine évidente des élé- ments du foie. Ainsi l’estomac, ou ventricule digestif proprement dit, est placé bien en arrière de la cavité linguale ; il est dans le milieu du corps, en arrière de la cavité générale renfermant les circonvolu- tions intestinales , et il semble venir à la rencontre de la glande hépatique. Je ne saürais trop insister sur ce fait, car sans sa con- naissance on a de la difficulté à se faire une juste idée de quelques dispositions que l’on retrouvera dans l’embryogénie. Ceci expli- quera encore les erreurs des malacotomistes, dont il a déjà été parlé. ARTICLE V. Intestin. Après le foie, le tube digestif se redresse brusquement et se dirige de nouveau en avant en marchant parallèlement à sa première portion pour repasser par l’orifice diaphragmatique. ORGANISATION DU DENTALE. 271 Ces deux parties (L) de l’anse gastro-hépatique ne sont pas dans un même plan horizontal : l’une est un peu supérieure, tandis que l’autre est un peu inférieure, Ce rapport est moins marqué près du foie; mais quand les deux tubes rentrent dans la cavité abdominale, alors ils paraissent bien évidemment l’un au-dessus de l’autre , et cette superposition est une difficulté de leur étude. Dès que le tube digestif est rentré dans la cavité abdominale, l'intestin se caractérise nettement par la diminution du diamètre et l'apparence qui rappelle tout à fait les intestins en général ; il se contourne plusieurs fois sur lui-même et décrit de véritables cir- convolutions, dont la réunion forme le paquet intestinal. Il suffirait maintenant d'une description suceinete pour indiquer quels sont la position et les rapports de l'intestin ; mais comme je désire, en suivant sans interruption le tube digestif depuis la bouche jusqu’à l’anus, ne laisser subsister aucun doute sur l’exactitude des descriptions qui vont suivre, j'entrerai dans quelques détails un peu minutieux. Il est important de montrer que les auteurs ont interprété d’une manière différente quelques parties des organes de la digestion , parce qu'ils n'ont pas suivi. tous les contours du tube digestif : de là quelques erreurs qu'il faut signaler, et qui ne peuvent être prouvées qu’en les mettant en regard d’une description détaillée. Le paquet intestinal forme une masse à peu près quadrilatèré placée immédiatement en dessous de la seconde dilatation, que l’on a vue après Pappareil masticateur (2). Ilest, par conséquent, un peu en arrière et au-dessous de celui-ci : deux anses anté- rieures, deux postérieures, s’enlacent l’une l’autre pour le for- mer (8). À chacun de ses côtés se trouvent deux tubes à peu près droits, et parallèles à l'axe du corps : l’un est la terminaison du tube gastro-hépatique (4), et l’autre la terminaison de l'intestin ou rectum (5). Le premier se dirige du trou diaphragmatique dont il a (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoo. , 4° série, t. VI, pl. 8, 9 (e/, e”'). (2) Id., pl. 8, fig. 4 (f, à). (3) Id., fig. 4,5: (4) Id, fig. 4 (e!). (5) Id. (r). 979 H. LACAZE-DUTHIERS. été question à la partie antérieure de la masse sur le côté gauche, l’autre descend sur le côté droit. Le premier se courbe et devient perpendiculaire à sa direc- tion primitive (4), puis se porte en arrière et un peu en dedans (2); après s'être courbé brusquement , il revient (3) en avant, passe au-dessus de la première partie courbée pour former une troi- sième anse (4) et prendre une position tout à fait transversale parallèle (5) à celle qu’il avait suivie dans la première de toutes ses flexions; en se plaçant dans un plan supérieur à celui de sa première anse transverse, ce demi-repli conduit enfin à la seconde portion droite, qui se termine au rectum et qui occupe le côté gauche du paquet intestinal (6). Les intestins, réunis en masse, sont enfermés dans une partie du corps facile à limiter ; ils sont en avant du diaphragme transverse et vertical qui a été mentionné déjà, au-dessus du diaphragme mus- culaire qui sépare la cavité du pied de la cavité viscérale, en arrière du bulbe museulo-cartilagineux lingual, eten dessous des premières dilatations du tube digestif faisant suite à celui-ci. Il forme une petite masse unie aux parties environnantes par une foule de fila- ments {rabéculaires qui rendent sa séparation difficile. Les anses etles circonvolutions sont elles-mêmes unies et reliées par des fais- ceaux semblables, ce qui donne une peine extrême pour les dépe- lotonner. L’intestin est étroit, à parois épaisses et musculaires , tapissé à sa face interne par un épithélium à cils vibratils très vifs : cela devait être. Il est le plus souvent rempli de matières blanchâtres, peu colorées (ce qui semble étonnant, car la sécrétion biliaire est vivement colorée en brun), au milieu desquelles on reconnait fa- cilement les débris des coquilles de Foraminifères. En abandonnant le paquet , l'intestin se rétrécit beaucoup, et se porte directement en bas et en arrière, en se dirigeant vers la (1) Voyez Ann. des sc. nat., pl, 8, fig. 4, 5 (p, p). (2) Id. (h). (8) 1. (9). (4) 1a. (h). (5) Ia. (j). (6) Zd. (r). ORGANISATION DU DENTALE. 273 ligne médiane, pour traverser la coque fibro-museulaire qui sépare le pied du reste du corps; il arrive alors dans le voisinage de cette partie qui a été déjà décrite, où les canaux bihaires et le tube digestif s’abouchent les uns dans les autres. Après avoir traversé ce diaphragme , le tube digestif remplit de nouvelles fonctions. Il se renfle (2) tout à coup, présente d’abord un épaississement glandulaire formant comme un bulbe; il se dilate ensuite en un large tube à parois minces et transparentes, et va s'ouvrir au dehors dans un point très rapproché de la base du talon ; l’orifice, en forme de boutonnière, présente une fente dont la direction n’est pas parallèle à l'axe du corps, mais oblique, et dirigée d'avant en arrière et de droite à gauche. Cette ouverture extérieure du tube digestif ne me parait pas être l'anus proprement dit; je erois que l'orifice qui mérite seul ce nom est placé avant le bulbe, et tout à fait à la terminaison de cette parie grêle de l'intestin qui traverse le diaphragme (2). Je préfère considérer ce large tube, cet orifice en forme de bou- tonnière et cette masse glandulaire bulbeuse, comme étant des parties indépendantes du tube digestif, et dont il restera plus tard à déterminer les fonctions (3). Je me contente d'en donner iei la description anatomique, à cause de ses relations avec l'appareil digestif; mais plus loin on verra quelle fonction il peut être possible de leur attribuer. L'orifice en forme de boutonnière est facile à distinguer ; il est blanchâtre et fermé par deux lèvres musculaires épaisses, habi- tuellement appliquées l’une sur l’autre, qui peuvent s’écarter et se rapprocher à la manière des lèvres de la bouche ; comme ces lèvres sont saillantes au-dessus de la surface du corps , on les retrouve avec la plus grande facilité. Quand l’animal qu’on exa- mine est vivant, les contractions du pied amènent souvent le talon sur l’orifice et le cachent; qu’on tire en avant celui-ci, et l’on re- trouve toujours la partie. J’insiste sur ces dispositions anatomiques, parce que l’orifice dont il est ici question a échappé à M. Deshayes ; (1) Voyez Ann. des sc. nat., &° série, t. VI, pl. 8, fig. A(r, æ,y, an). C)Mdples;tfet2 Help No rer Er eu an). (3) Voyez, pour les parties, les dessins relatifs à la cireulation. 4° série. Zoon. T. VI. (Cahier n° 5.) ? 18 27h H. LACAZE-DUTHIERS. parce que M. W. Clark lui a donné, je erois, une signification impossible. On verra plus tard quels sont les rapports intimes de cette partie importante , dont l'étude mérite la plus grande attention, car 1l est difficile de préciser d’une manière bien exacte ses fonctions. Il est aussi fort utile de connaitre sa position, car autour d'elle, comme autour d’un centre, on rencontre des ganglions nerveux, des orifices de diverses glandes (ceux de la génération en particulier), et enfin, chose qui étonnera , les ouvertures exté- rieures de l'appareil de la circulation. Anrricce VI. Opinions des auteurs relatives au tube digestif. Tels sont les organes de la digestion ; au fond sont-ils bien éloi- gnés de ceux que l’on trouve dans la plupart des Mollusques ? Je ne le pense pas. Des formes différentes, conséquence des modilica- tions que le corps tout entier éprouve, peuvent masquer un instant des analogies qu'en bien cherchant, on retrouve sans peine. On a vu la bouche prolongée en une trompe immobile et non ré- tractile formant le bulbe buceal ; on à rencontré ensuite une cavité qui renferme un appareil en tout semblable à celui que lon appelle langue , et une petile pièce cornée médiane que l’on peut supposer représenter les mâchoires ou dents supérieures; puis s’est offerte une dilatation peu importante , qui précédait la partie du tube di- gesüf, où de larges communications s’établissaient avec les canaux biliaires; celle-ci a été regardée comme l'estomac, en reconnais- sant toutefois combien il était difficile de dire : Là commencent les canaux biliaires, ici finit l'estomac ; enfin le tube digestif s’est ter- miné par une série de petites circonvolutions ramassées sur elles- mêmes et formant un paquet venant s'ouvrir au dehors, par line termédiaire d’une parte dilatée, en une sorte de eloaqte. Le foie s’est présenté comme une glande simple formée de culs- de-sae sécréleurs, ayant la structure habituelle, et renfermant les cellules ou corpuscules caractéristiques. Cette glande, quittant la ORGANISATION DU DENTALE. 275 cavité abdominale , insinue pour ainsi dire ses cæcums entre les deux lamelles du manteau. On n’a point vu de glandes salivaires, à moins que l’on ne con- Sidère comme remplissant leur rôle les couches de tissus cellu- laires qui tapissent la eavité des abajoues ou poches voisines de l'orifice externe de la bouche dans le bulbe buceal. Si tout l’appareil digestif est enfermé dans une cavité cre usée à la base du pied, on a vu cependant qu'une anse s'échappe pour aller s’aboucher avec les canaux biliaires, et qu'après cet abou- chement elle revient sur ses pas pour rentrer dans la cavité viscé- rale. Le foie avec cette anse et l'anus d’une part, l’orifice buccal et le bulbe qui le supporte de l’autre, sont done situés en dehors de la cavité abdominale. MM. Deshayes et W. Clark, les seuls auteurs dont nous ayons eu à examiner les travaux, ont-ils compris de la sorte le tube di- gestil? I ÿ a dans leur travail quelques erreurs, dont je ne puis m’em- pêcher de parler ici; je les signalerai seulement, ear leur démon- siration, au moins en ce qui touche quelques-unes d’entre elles, ne sera possible que lorsqu'il sera question de la cireulation. M, Deshayes, comme l'a remarqué avec raison M. W. Clark, a pris à tort des coquilles de Foraminifères pour des mâchoires ; il a reconnu l'appareil masticateur, dont on a vu la composition ; mais il en donne une figure qui est très inexacte ; il n’en fait point, du reste, la description. Le foie, quoi qu'en dise M. W. Clark, a été parfaitement reconnu par M. Deshayes (4). Les erreurs du savant conchyliologiste fran- çais portent sur les connexions de la glande hépatique avec le tube digesüf, et sur la terminaison de celui-ci. « On remarque, dit ee » dernier (2), deux organes bruns profondément découpés et par- » faitement semblables : e’est le foie, divisé en deux lobes symé- » triques, qui versent le produit de leur sécrétion directement dans » l'estomac, chacun par ün vaisseau biliaire qui lui est propre. » L'estoinac , après aVoit reçu les vaisseaux biliaires, se termine (1) Voyez Mém. de la Soc. d'hist. nat., t. AU, pl. 45, fig. 43. (2) id., pag. 333; fg. 14 644, pl. 18. 276 M. LACAZE-DUTHIERS. » inférieurement en un intestin grêle, transparent, droit, médian, » qui se rend sans détours au pavillon, où il se termine par un ori- » fice extérieur. Cette position médiane de l’anus à la partie posté- » rieure de l’animal est le seul exemple qu’on puisse citer jusqu'à » présent dans les Mollusques. » Après avoir décrit minutieusement tous les contours du tube digestif ; après l'avoir isolé, sans aucun doute, des parties voisines, et pu juger ainsi de sa continuité, il n’est plus possible de ne pas considérer comme une erreur cette deseription. Dans l'étude des organes de la circulation, on trouvera la preuve que le cœur, décrit par M. Deshayes au-dessus de la eavité où est la langue, n'existe pas. Quand les organes de la reproduction seront décrits, on re- connaîtra facilement aussi que le prétendu intestin droit et trans- parent n’est autre chose que le canal excréteur des glandes gé- nitales. Ce qui paraît avoir fait perdre le tube digestif, c’est la particula- rité que présente son trajet, et qui a été indiquée avec tant de soin, quand il a été question du mode d’abouchement du foie avec l’esto- ‘mac. Je crois done que la description donnée par M. Deshayes des canaux biliaires n’est pas conforme à ce qui existe, parce que d'abord l’abouchement ne se fait pas sur le dos aussi en avant, et qu'ensuite on ne rencontre pas les lobes hépatiques ainsi appendus à l’extré- inité d’un tube grêle. Les figures de la monographie du Dentale montrent, avec la dernière évidence, que le foie décrit par l’auteur est bien le même organe que celui qui a été ici indiqué comme tel. La position de l'anus à l’extrémité du corps n’est pas plus exacte : on a vu où se terminait le tube digestif; ce qui aura induit en erreur, ee sera le long tube médian, transparent, que l’on voit, en effet, quand on a ouvert le manteau , mais qui n’a pas d’orilice à l'extrémité. On verra plus loin que les organes génitaux viennent s'ouvrir tout près de l’anus ou fente en boutonnière postérieure au talon du pied. Il est bien difficile de faire ici, à propos des seuls organes de la digestion, une crilique complète de toutes les opinions. C'est ainsi que M. William Clark a appelé le foie les branchies, et qu'il a re- ORGANISATION DU DENTALE. DST connu une communication entre la eavité du pied et celle de l’esto- mac. Pour montrer ce que ces manières de voir ont de peu exact, il faudrait avoir fait l'étude des organes de la respiration, ainsi que de ceux de la circulation. Nous y reviendrons donc plus tard ; je ne puis cependant laisser passer la eritique faite par M. W. Clark du travail de M. Deshayes, sans montrer que dans cette critique même se trouve une erreur qu'il n’est pas possible de mettre en doute. La description de M. Clark est par elle-même suffisamment claire pour qu'il ne puisse y avoir de fausse interprétation de ma part. Je la cite : « Those organs which 1 considers to be the syste- » matical branchiæ are termed by M. Deshayes the lobes of the » liver each pouring into the stomac the bile by their biliary ves- » seles. 1 cannot persuade myself that this view is correct ; I have » submited them to the microscope, and in each principal strand, » 1 have seen the heading vein distended with red blood as wel as » (he net like connecting ramifications , ! therefore consider what » are colled the biliary wessels to be the branchial veins convening » the blood to the heart instead of bile into the base of the sto- » Mach (L). » Je ne veux point montrer une erreur en en faisant une mol- même , et je cite encore la phrase de MM. Forbes et Hanley, qui semblent admettre la manière de voir de M. Clark : « .…. and the « branchiæ of Clark are the lobes of liver for Deshayes (2). » Il est bien évident que les branchies de M. Clark sont les lobes du foie décrit par M. Deshayes. Il est impossible que tout le tube digestif ait été suivi par l’au- teur anglais, et ici encore l'erreur doit être attribuée à la même cause : impossibilité de séparer des parois du corps la dilatation du tube en arrière de la langue, et par suite difficulté de suivre l’anse stomacale dans la portion postérieure du corps. Si done M. Clark a relevé une erreur quant aux mâchoires placées dans le mamelon buceal par M. Deshayes , il en fait une non moins grande dans le rôle qu'il attribue au foie; il semble même avoir méconnu la (4). Loc:cit., p.329. (2) À history of British Mollusca and their Shells, by prof. Edw. Forbes and Sylvanus Hanley, t. II, p. 447. 278 H, LACAZE-DUTHIERS, struelure intime de la glande hépatique, puisqu'il donne, comme une preuve que ee doit bien être organe respiratoire, la présence de corpuseules microscopiques rouges dans son intérieur. Ces cor- puseules sont, sans aucun doute, les cellules et les granulations hépatiques. Quant à l'ouverture de l'estomac dans la cavité du pied , elle est aussi une erreur due à ce que les différents diaphragmes, sépa= rant les cavités du corps, n’ont pas été interprétés dans lesens qu'il faut leur donner , si même ils ont été vus. De même pour l'ouverture postérieure contractile dont les lèvres constituent une petite saillie, en étudiant la circulation, on verra que, sije n’interprète pas faussement le travail de M. Clark , il l’a prise pour l’organe central de la circulation. En résumé, ces deux travaux renferment quelques erreurs très craves ; cependant le tube digestif est de tous les organes celui qui est le plus facile à observer, celui qui a été le mieux et le plus complétement décrit. La critique qui précède paraitra peut-être sévère aux yeux des auteurs dont j'ai analysé les travaux ; mais je les prie de vérifier de nouveau les faits que j'avanee ; leur connaissance intime de la ma- tière leur fera facilement observer ce qui pour d’autres nécessi- terait une longue étude. En suivant les indieations précédentes, ils arriveront à trouver les parties, et dès lors ils comprendront que je devais m’élever contre des faits qu’une dissection peut-être un peu rapide avait pu leur faire mal interpréter. Des preuves plus fortes encore que celles fournies par l'anatomie descriptive, si cela était possible, se présenteront dans Pétude des transformations em- bryonnaires , et l’on verra que les faits précédents se trouveront démontrés par le développement. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 6. Fig. 4. Appareil de la digestion, isolé de tous les autres organes, vu par le côté dorsal; (b) bouche avec la couronne de lobes labiaux (1) ; (ab) ren- flement du mamelon buccal; (p) pédicule du mamelon buccal; (1) appareil lingual paraissant au travers de la membrane qui forme la paroi de la pre- ORGANISATION DU DENTALE. 279 mière dilatation du tube digestif; (c) masse musculo-cartilagineuse de l'ap- pareil ; (a) dilatation du tube digestif succédant, après un étranglement, à la cavité linguale ; {f) (f) (f) (f) culs-de-sac sécréteurs des deux lobes du foie (celui-ci a été étalé pour montrer sa forme, sa composition et ses rapports avac le reste du tube digestif); (AA) les deux gros tubes qui résultent de la réunion de tous les tubes sécréteurs de chacun des lobes du foie, et qui s'ou- vrent dans le tube digestif (e/ e!') en se confondant avec lui. Il est difficile de déterminer le point où commencent ces canaux excréteurs du foie; les parties (e!) (h,h) (e!') forment une véritable anse stomacale qui est placée dans la partie postérieure du corps; (ii) paquet intestinal en partie caché sous la dilatation ; (x) rectum; (x) (y) (an) anus, ou mieux cetie sorte de cloaque qui fait suite au rectum, et qui secompose d'une masse bulbeuse (n), d'un large tube (y) et d'un orifice extérieur (an). Ces parties, dans la figure, ont été rejetées un peu à droite ; elles devraient, dans leur position naturelle, être cachées par les parties (e'e!/ à, à). Fig. 2. Le mamelon buccal, fendu sur la ligne médiane, pour montrer que le canal médian qui le parcourt est en communication avec les cavités latérales, véritables abajoues (ab). Fig. 3. Structure intime de la paroi intime des cavités (ab) du mamelon buccal. Les éléments cellulaires feraient penser que les poches peuvent jouer peut-être le rôle de glandes salivaires, Fig. 4et5. Paquet intestinal vu par sa face inférieure (fig. 4), par sa face dor- sale (fig. 5); (r) rectum; (e/') origine de l'intestin après le foie. Les mêmes lettres dans les deux figures indiquent les mêmes circonvolutions. PLANCHE 9. Fig. 4. Coupe un peu théorique de la base du pied et de la cavité viscérale, faite pour montrer les rapports des différentes parties du tube digestif, et vues de profil; (T) paroi dorsale du tube du manteau; (pp) pied supposé fendu ; (d) et (d') diaphragmes qui limitent en avant et en arrière la cavité viscérale (la préparation devrait être couchée horizontalement, le pied en bas); {b) bouche ; (ab) mamelon buccal; (41) lobes labiaux ; (1) langue; en avant et dessus, pièces solides dont les détails se trouvent dans les figures suivantes : (e) dilatation post-linguale; (e') (e!'} (h) anse du tube dépassant le dia- phragme postérieur, pour recevoir les conduits biliaires; (i) paquet intes- tinal : (r) rectum; (x) bulbe; (y) tube dilaté (an) orifice extérieur. Fig. 2. Partie centrale de la figure précédente, plus grossie, ét montrant les rapports de l'appareil lingual avec la poche qui le renferme. (!) langue cornée ; (c) cartilage ; (m) muscle latéral ; (x) muscle postérieur; (v) petite plaque cor- née, placée à l'entrée de la cavité linguale; (2) repli de la paroi, placé ‘en face de la pièce précédente; (u) paroi postérieure de la cavité linguale, dilatée, venant s’accoler presque à la paroi du corps de l'animal (w), et laissant à peine 280 H. LACAZE-DUTHIERS, entre elle et celle-ci quelques vacuoles (s); (e) est le tube digestif faisant suite à la cavité linguale; (a) est la paroi de la partie (s') qui renferme la masse mus- culo-cartilagineuse. Fig. 3. Le cartilage en forme de fer à cheval qui supporte la langue cornée. Dans cette figure, il est vu par la face inférieure et débarrassé de toutes les parties voisines. Fig. 4. Le même vu dans les mêmes conditions, mais par la face dorsale. Fig. 5. Structure cellulaire du cartilage précédent ; 300 diamètres. Fig. 6. Une moitié du grand muscle, et qui passe sous la voûte du fer à cheval du cartilage; c’est la moitié droite, isolée. Fig. 7. (m) le muscle tout entier, enroulé autour de la partie antérieure du cartilage (r), dont les deux branches paraissent en arrière. Les parties sont vues par la face inférieure. Fig. 8. La même chose que dans la figure précédente ; {m et m') sont les deux extrémités du muscle contourné qui viennent s'insérer sur la face dorsale du cartilage que l'on a vu figure 4, Fig. 9. Les trois pieces réunies et vues de profil; (1) partie cornée; (c) cartilage: (m) muscle antérieur spiral ; (n) muscle unissant les deux branches du fer à cheval. Fig. 10 et 11. Même chose que dans la figure précédente. Dans la première, les parties sont vues en dessous; dans la figure n° 11, elles sont vues en dessus. PLANCHE 10. Fig. 4. Pièce cornée analogue à la langue d’un Gastéropode (Patelle, Chiton, etc.), vue par la face qui correspond aux cartilages et aux muscles. La pièce est courbée en arc de cercle, comme la fig. 9, pl. 9, le montre : c’est ce qui per- met, dans la partie antérieure de la pièce, de voir les parties qui se trouvent sur l’autre face. (c) l'ensemble des pièces médianes rapprochées comme les corps des vertèbres qui forment la colonne vertébrale ou rachis ; (b) les plaques latérales. Entre ces deux ordres de pièces, on voit les talons des dents (td) ; vers l'extrémité antérieure de la figure, on voit (d) les dents; (c) la série des pièces médianes, mais du côté concave; (b) les plaques latérales ;{(a) est la membrane qui borde celles-ci de chaque côté de la partie la plus élargie. Fig. 2. La même pièce, vue par la face convexe et active; (c) la partie anté- rieure des pièces médianes creusées en canal, où viennent se coucher les dents (d) qui sont de plus en plus rapprochées et serrées en allant de (d) en (d); (b) plaques latérales ; (a) lamelle membraneuse placée sur les côtés de celle-ci. Fig. 3. Deux séries transversales des cinq pièces qui constituent la langue ; les talons des dents (d) correspondent aux extrémités des plaques (b) avec les- quelles ils s’articulent. Les pièces (e) sont plus éloignées ; on voit leur extré” ORGANISATION DU DENTALE, 281 ms mité antérieure rétrécie qui pénètre dans l'échancrure de l'extrémité posté- rieure de la pièce qui la précède. Fig. 4. Une série transversale des éléments, vus par l'extrémité postérieure, celle qui serait en connexion avec la série suivante. On voit la membrane (m) qui unit les pièces du côté de la concavité de la pièce totale. On remarque aussi l'épaisseur des lames latérales (b), l'apparence toute différente des dents (d) et la cavité de la pièce médiane (c). Fig. 5. Deux pièces médianes ou du rachis, emboîtées l'une dans l’autre, un peu écartées et'vues par la face inférieure et concave de la pièce totale. Fig. 6. Une dent isolée placée tout à fait de profil. Da côté du talon (f),on voit par transparence une dépression (g) placée sur l’autre face de la dent, et qui est destinée à loger le talon de la dent qui est placée en avant. On voit les sommets en pointes, formant des denticules secondaires qui hérissent l'extré- mité de la dent (j) (à) (e) (k) (2). Fig. 7. Deux culs-de-sac sécréteurs du foie, dans la partie antérieure desquels on voit les cellules se détachant. Fig. 8. Une portion du parenchyme de ces culs-de-sac, vue à un fort grossisse- ment, pour montrer la structure et les granulations jaune brunâtre qui rem- plissent les cellules ; 300 diamètres. Fig. 9. Éléments isolés. (a) (e) cellules remplies de granulations jaunes; (b) les granulations isolées ; (e) cellules filles enfermées dans des cellules mères, et en voie de se remplir de granulations ; (d) une toute petite cellule remplie de granules ; 500 diamètres. NOTE SUR LA SENSIBILITÉ DES TENDONS, Par M. FLOURENS. Lue à l'Académie des sciences, le 29 septembre 1856. Il y a trente-cinq ans aujourd’hui que les expériences qui suivent ont élé faites. Elles datent de 1821, époque où je m’occupais de mes expériences sur le cerveau et la moelle épinière , expériences bien autrement importantes, que je présentai à l’Académie en 1892, et dont l’importance même me fit négliger alors de publier celles-ci. Dès ee temps-là, le problème particulier de la sensibilité des tendons avait déjà fixé toute mon attention. Te n'avais pu voir sans étonnement la divergence singulière qui régnait entre les physio- logistes et les chirurgiens touchant un simple point de fait, savoir si les tendons sont sensibles ou ne le sont pas. D'une part, tous les physiologistes, ou à peu près tous (1), soutenaient l'insensibilité des tendons, et, d'autre part, tous les chirurgiens, où à peu près tous (2), soutenaient la sensibilité vive, et même dans certains cas extrème, des parties fibreuses ou tendineuses. Ainsi, par exemple, tandis que Haller (et toute son école, alors (1) Je dis à peu près tous : il faut excepter, en effet, Laghi, qui avait déjà vu les nerfs des tendons, Lamberti, Whytt, Lorry, ete., et particulièrement un physiologiste que j'ai grand plaisir de nommer ici, Antoine Tandon, grand-oncle . maternel de notre savant confrère M. Moquin-Tandon. (Voyez Housset, Mémoires de physiologie et d'histoire naturelle, tome I‘*, page 95 et suivantes.) (2) Ou à peu près tous : Haller cite, en effet, une observation très intéressante et fort détaillée de Farjon, chirurgien de Montpellier, observation où quelques tendons , mis à découvert par une large plaie de la jambe, purent être pincés, piqués, brülés, sans que le malade éprouvât aucune douleur ; mais Haller, qui ne songeait pas à la différence du tendon sain au tendon malade. ne remarque pas que Farjon dit expressément « qu'il avait reconnu que les tendons étaient dans leur état naturel par leur couleur, leur consistance et par le mouvement dans lequel ils étaient lorsqu'il faisait fléchir Je pied et étendre les orteils. » (Haller, Mémoires sur la nature sensible et irritable des parties du corps animal, tome I‘, page 134. Lausanne, 1756.) NOTE SUR LA SENSIBILITÉ DES TENDONS. 288 l’école supérieure de la physiologie) posait en principe, à Gœt- lingue, l’insensibilité absolue des tendons, deux chirurgiens très habiles, Morand et Jean-Louis Petit, affirmaient, à Paris, que «non- seulement les tendons sont sensibles, mais que certaines de leurs lésions pouvaient être suivies des plus vives douleurs. » « Jai rapporté, je pense, disait Haller, autant d'expériences qu'il en fallait pour prouver qu'on coupe, qu'on brûle et qu'on détruit sans douleur les tendons de l’homme et de l'animal, et que par conséquent les tendons sont dépourvus de sentiment (1). » Et Morand disait : « On sera peut-être étonné de voir un aussi erand nombre de blessures de cette espèce (il s’agit de tendons et de membres arrachés) rassemblées dans ce Mémoire ; mais ce qui, à mon gré, est bien plus étonnant, c’est que, en général, elles sont moins suivies d'accidents que Îa simple piqüre du tendon, qui est souvent mortelle, Voilà huit personnes blessées de cette façon guéries assez promptement, et il n’y en à eu qu'une qui ait éprouvé quelques accidents. I v eut des douleurs épouvantables les premiers jours, ete. (2). » Jean-Louis Petit, cet observateur si judicieux et si clairvoyant, a inséré dans les volumes de notre Académie deux observations, l’une sur un cas de rupture complète du tendon d'Achille, et Pautre sur un cas de rupture incomplète de ce même tendon. À propos de la première, Fean-Louis Petit dit : « Je finis cette observation en faisant remarquer que le malade n’a senti aucune douleur en se cassant les tendons, ni dans la suite pendant tout son traitement (3); » et à propos de la seconde, il dit : « De cela seul que le tendon d'Achille est rompu entièrement, il n'arrive aucun accident. ; et de cela seul que ce tendon n'est rompu ou cassé qu'en partie, il doit nécessairement survenir de fâcheux symplômes, C’est ce que j'ai presque toujours remarqué dans la rupture ou coupure incomplète des tendons des autres parties : la (1) Haller, Mémoires ci-dessus cités, tome L°, p. 136. (2) Mémoires de l'Académie royale de chirurgie, tome If, page 64 (édition de 1810). (3) Mémoires de l’Académie royule des sciences, année 1722, page 55 (édition de 1724). 28/} FLOURENS. douleur, linflammation, la fièvre, le délire et la gangrene, qui v surviennent quelquefois, rendraient cette maladie presque toujours mortelle sans le secours de l’art (2). » Jean-Louis Petit nous explique ensuite, par une analyse anato- nique admirable, comment, dans le cas de rupture complète, il n° a Jamais douleur, parce qu’il n’y a jamais tiraillement, et comment, au contraire, dans le cas de rupture incomplète il v a toujours tirail- lement, et par suite toujours douleur. Je laisse à regret cette analyse, qui m'éloignerait trop de mon sujet; Je me borne à ajouter que les deux observations de Jean-Louis Petit, comparées l’une à l’autre, furent pour moi le trait de lumière. Je vis tout de suite d’où provenait la divergence des physiologistes et des chirurgiens. Les physiologistes, opérant sur un tendon sain et normal, ne le trouvaient point sensible, et les chirurgiens, opé- rant sur un tendon déchiré, tiraillé, enflammé, le trouvaient sen- sible. à I ne s'agissait plus que de confirmer cette interprétation par l'expérience. Je provoquai done, sur différents animaux, l’inflam- mation du tendon d'Achille par des piqûres, par des tiraillements, par des coupures; et dès lors tout fut expliqué et concilié. Toutes les fois que j’opérais sur un tendon sain, je ne trouvais aucune sensibilité, et toutes les fois que j’opérais sur un tendon luméfié et enflammé, je trouvais la sensibilité la plus vive. Toujours emporté par d’autres travaux, j'ajournais sans cesse la publication de celui-là, lorsque, dans la séance du 3 mars dernier, M. Jules Guérin nous lut un Mémoire très remarquable sur ce qu’il nomme la contractilité tendineuse. À l’occasion de ce Mémoire, je pris la parole pour annoncer que « des expériences sur les tendons, déjà fort anciennes, m'a- vaient conduit à reconnaitre la sensibilité de ces parties , à préci- ser le mode de cette sensibilité et à déterminer les procédés d’ex- citation au moyen desquels on l’oblige à se manifester (2). » En conséquence de ces paroles, j'aurais pu me borner à publier (1) Mémoires de l’Académie royale des sciences, année 1728, page 235 (édition de 1730). (2) Comptes rendus, séance du 3 mars 1856, page 421. NOTE SUR LA SENSIBILITÉ DES TENDONS. 285 immédiatement mes anciennes observations. J’ai préféré les re- commencer (1). Sur différents animaux (chiens, lapins, cochons d'Inde), j'ai provoqué l’inflammation du tendon d'Achille par des piqüres et des coupures, et tout cela, bien entendu, sans le moindre signe de douleur ni de sensibilité. Au bout de huit jours, j'ai trouvé, du moins en général, le ten- don rouge, grossi, enflammé ; je l'ai pincé alors, et toutes les fois que les-signes d’inflammation étaient manifestes (2), les signes de douleur et de sensibilité l'ont été aussi. J'ai répété ces expériences à plusieurs reprises, et par séries successives d'animaux opérés ensemble ; je ne reproduirai ici que deux de ces séries. Dans la première, sur six cochons d’Inde, dont le tendon d’A- chille avait été soumis aux irritations indiquées, quatre ont mani- feslé une sensibilité très vive chaque fois que leur tendon, rouge ettuméfié, a été pincé (3). Dans la seconde série, sur cinq cochons d’Inde, à tendon d’A- chille préalablement irrité, quatre ont manifesté la plus vive dou- leur chaque fois que le tendon a été pincé (4). Pour avoir simultanément sous les yeux les deux effets opposés qui nous occupent, j'ai fait mettre à nu, sur ces quatre animaux, le lendon sain et le tendon enflammé. Une plaque de verre a été placée ensuite sous chacun de ces deux tendons pour l’isoler compléte- ment des parties voisines et sous-jacentes. Après quoi on a pincé, piqué, coupé, brûlé avec l'acide ni- trique, avec l'acide sulfurique, le tendon sain, et l'animal n’a ni erié ni bougé. On a pincé le tendon enflammé, et, à chaque pince- (4) Avec le concours de mon habile aide-naturaliste au Muséum, M. Phili- peaux. (2) Ou m'ont paru tels : en effet, il y a ici quelque difficulté pour bien juger de l'état du tendon après une irritation préalable ; si l’inflammation n’est pas encore née, bien qu'il soit déjà tuméfié, il nv a pas douleur, et si l'inflammation commence à s'éteindre, il n’y a plus douleur. (3) Les deux autres cohcons d'Inde ont été impassibles. Voyez la note 3. (4) Le cinquième cochon d’Inde a été impassible, Voyez la note 3. 286 FLOURENS. ment, l’animal à jeté un eri. C'était une chose frappante et une épreuve bien décisive que celle comparaison immédiate, que cette impassibilité absolue de l'animal tant qu'on n’agissait que sur le tendon normal et sain, et que les mouvements impétueux, les cris de ee même animal dès qu’on agissait sur le tendon malade. Le fait est donc démontré : le tendon sain est dépourvu de sen- sibilité et le tendon enflammé a une sensibilité très vive ; mais quelle est la cause de ce fait? À quoi peut tenir cette différence entre le tendon sain et le tendon malade ? Quel changement s’est-1l opéré dans l’état du tendon, ou plutôt dans l’état des nerfs du ten- don (car tout ce qui tient à la sensibilité dépend des nerfs), pour que, dans un cas, ce même tendon soit doué de sensibilité, tandis qu'il en est dépourvu dans l’autre. C’est là une question toute nouvelle, d’un ordre beaucoup plus Là # général, et qui sera examinée dans une seconde Note. NOTE SUR LA SENSIBILITÉ DE LA DURE-MERE, DES LIGAMENTS ET DU PÉRIOSTE, Par M. FLQURENS. Lue à l'Académie des sciences, le 20 avril 4857. 27) Dans la séance du 29 septembre dernier, j'ai présenté à l’Aca- démie une suite d'expériences desquelles il résulie que les tendons, qui sont complétement insensibles à l’état normal, prennent ou, plus exactement, manifestent une sensibilité très vive à l’état d'ir- rilation où d’nflammation. Après m'être bien assuré de cette loi physiologique qui dissi- mule ou cache la sensibilité dans le tendon à l’état sain, et qui Pv démasque à l’état malade, je me suis occupé de la dure-mère. 1. Sur l’insensibilité de la dufe-mère, Haller n’est pas moins absolu que sur celle des tendons. 1 dénie à la dure-mère toute es- pèce de sensibilité. «J'ai fait plus de cinquante expériences, dit-il, sur ladure-mére.… Elles ont toutes réussi avec la même évidence et sans laisser de NOTE SUR LASENSIBILITÉ DE LA DURE-MÈRE. 287 place à un doute raisonnable : je les crois suffisantes pour démon- trer que la dure-mère est insensible (1). » À la suite de ses propres expériences, il eite celles de ses élèves, Zinn, Zimmermann, Lœber, Walstorf, ete., toutes conformes aux siennes ; mais il est obligé de citer aussi celles de Lecat, Whytt, Laghi, Lorry, ete., qui toutes leur sont contraires. Quoique Haller se vante du nombre de ses expériences sur la dure-mère, il est probable que j'en ai fait beaucoup plus que lui, non, à la vérité, pour la dure-mère elle-même, mais pour arriver, par la dure-mère, jusqu'au cerveau; el voici le résultat général de ce que j'ai vu. Jamais, ni sur les oiseaux, mi sur les lapins ou les cochons d’Inde, je n’ai trouvé la dure-mère sensible. Sur les chiens, je l’ai trouvée tantôt sensible et tantôt insensible ; et je ne suis pas le seul physio- logisie à qui cela soit arrivé. « J'ai souvent vu, dit Magendie, la dure-mère d’une sensibilité très vive, particulièrement au voisinage des sinus (2). » Ainsi, la dure-mère, à la différence des tendons, est quelque- lois sensible, du moins dans certains animaux, même à l’état normal. À l’état d'irritation où d'inflammation, elle l’est toujours, comme les expériences suivantes vont le faire voir. J'avouerai d’abord que je n’ai pas réussi tout de suite à provo- quer un certain état d’inflammation dans la dure-mère. De sim- ples excitations mécaniques, des piqüres, des déchirures, des in- cisions, etc., n'y suflisaient pas. Enfin, j'ai imaginé de recourir à l'emploi d’une poudre épispastique (3) ; et bientôt l’inflammation a paru, et, avec l’inflammation, unesensibilité constante ettrès vive. (1) Mémoires sur les parties sensibles et irritables du corps animal, tome I, page 156. (2) Voyez son édition du Traité des membranes de Bichat, page 153: Un des élèves d'Haller avait été témoin d'un fait semblable. « On a cité avec emphase, s’écrie Haller, la conversion d'un de mes élèves. ; c'est M. Ramspeck..…. Il croit avoir vu effectivement un chien marquer du sentiment, quand on lui attaquait là dure-mère... » (Mémoires sur les puriies sensibles et irritables du corps animal, tome IV, p. 65. (3) De la poudre de cantharides. 285 FLOURENS. Après avoir fait trépaner plusieurs chiens, j'ai fait appliquer immédiatement sur la dure-mère une couche de pommade épi- spastique. Au bout de vingt ou de vingt-quatre heures, la dure-mère a paru rouge , épaissie , enflammée : on l’a très légèrement piquée, ou plutôt à peine touchée, et l’animal s’est agité; on l’a piquée plus rudement, et l’animal a poussé des cris très vifs. Sur quelques-uns de ces animaux, la dure-mère a été ouverte et le cerveau mis à nu : on a piqué la dure-mère enflammée, et l'animal s’est violemment agité, on a piqué le cerveau et l'animal est resté immobile : contraste curieux et profondément instructif! D'une part, la sensibilité très vive de la dure-mère aux moindres excitations, et, de l’autre, l’impassibilité absolue du cer- veau, même sous les excitations les plus fortes, tant qu’on ne dé- passait pas certaines limites, bien entendu, limites que j'ai, le pre- mier, marquées à l’impassibilité de cet organe (4). Sur un de ces chiens en particulier, à côté de la première cou- ronne de trépan, qui m'offrait la dure-mère enflammée, j'en ai fait pratiquer une seconde, qui m'a offert la dure-mère à l’état sain. On pouvait alors piquer, à côté l’une de l’autre, la portion de la dure-mèêre enflammée et la portion de la dure-mère à l’état sain ; et selon qu’on piquait l’une ou l’autre, ou l’animal souffrait, eriait et s’agitait, ou l'animal ne sentait rien : sous l’une et l’autre des deux portions, le cerveau était également impassible. IL. Je passe à mes expériences sur les ligaments. J'avais déjà fait, il y a longtemps, quelques expériences sur le ligament de la rotule ou tibio-rotulien. Ce ligament est parfaitement insensible à l’état normal, comme le tendon d'Achille, dont j'ai parlé dans ma précédente Note ; et, comme le tendon d'Achille , il prend ou manifeste une sensibilité très vive, lorsque, par des excitations prolongées (piqures, déchi- rures, ineisions, ete.), on l’a porté à un certain degré de rougeur et d’inflammation. (1) Voyez, sur ce point, mon livre intitulé : Recherches expérimentales sur les propriélés el les fonclions du système nerveux. NOTE, SUR LA SENSIBILITÉ DE LA DURE-MÈRE. 289 J'ai imaginé de faire appliquer une couche de pommade épispas- tique sur ce ligament. Vingt ou vingt-quatre heures après, ce li- gament a manifesté une sensibilité extrême. J'ai fait appliquer une pareille couche de pommade épispastique sur le tendon d'Achille; et vingt ou vingt-quatre heures après, la sensibilité de ce tendon a été également excessive, extrême. Dans ces deux cas, je n’agissais que sur un ligament, que sur un tendon, et pourtant qui n’en eùt pas été averti, aurait certaine- ment pu eroire, aux cris de l’animal, que j’agissais sur les parties les plus sensibles du corps vivant, sur les parües sensibles par excellence, et les seules qui le soient par elles-mêmes, c’est-à-dire sur les nerfs (1). IL. J'arrive au périoste. Tout ce que je venais de voir m'avait singulièrement étonné, et certes en avait bien le droit; ce que m'a offert le périoste m'a plus étonné encore. S'il est une partie, une membrane, qui soit naturellement, con- stamment, continuellement insensible , que chacun sache être in- sensible, c’est, sans contredit, le périoste. J'ai fait découvrir, sur plusieurs chiens, le périoste à la face antérieure et interne du tibia, là où le périoste est seul. J'ai fait ensuite appliquer immédiatement sur ee périoste, mis à nu , une couche de pommade épispastique. Quinze, vingt ou vingt-quatre heures après, l’épispastique a été enlevé, et le périoste s’est montré rouge et un peu gonflé. On l’a piqué alors, on l’a incisé ; et, à chaque piqüre, à chaque incision, l'animal a poussé des cris aigus (2). (1) Ce qui, outre ses expériences, toutes faites sur l'animal sain, confirmait encore Haller dans son opinion touchant l’insensibilité des parties dont il s’agit, c'est qu'il ne connaissait les nerfs d'aucune: il les niait dans toutes, et toutes en ont, comme chacun le sait aujourd'hui. (2) Je ne parle point, dans cette Note, du périoste interne ou membrane médul- laire, parce que Haller déclare ne l’avoir point soumis à l'expérience (voyez ses Mémoires sur les parties sensibles et irritables du corps animal, tome IV, page 87). Pour moi, je l’ai toujours trouvé très sensible, je dis très sensible à l'état normal ; et bien longtemps avant moi, Duverney, le père de l'anatomie comparée mo- derne, avait vu et dit là-dessus tout ce qu'on peut en voir et en dire : « Quani au 4° série. Zooz. T. VI. | Cahier n° 5.) ° 19 290 FLOURENS. — NOTE SUR LA SENSIBILITÉ, ETC. Toutes ces expériences sont nettes et décisives. Toutes parlent. Toutes accusent la sensibilité des parties fibreuses et tendineuses, latente ou cachée à l’état sain, et manifeste, patente, excessive, à l’état malade. Une grande contradiction de la science disparaît donc enfin ! Ces mots : douleurs de la goutte, du rhumatisme arti- culaire, des os, ete., ont enfin un sens ; je dis un sens physiologique, car tant que les parties, siége de ces douleurs, passaient pour ab- solument insensibles, ces mots n’en avaient pas. Comment expli- quer l'existence de la douleur, et des plus cruelles douleurs, avec des parties insensibles ? Haller n’a donc vu que l’état normal, que l’état sain. Toutes ses expériences ne se rapportent qu’à cet état. Au fond, et quoi qu'il en ait dit, lui, et son école, qui, sur ce point, domine depuis un siècle, il n’y a point de partie absolument insensible dans le corps vivant. La sensibilité est partout ; et, dans les parties mème (les tendons, les ligaments, la dure-mère, le périoste) où habituellement elle est le plus obseure, il suffit d'un degré d’irritation ou d’inflammation donné, pour la faire passer aussitôt de l’état latent et caché à l’état patent et manifeste. sentiment de la moelle, dit-il, dont on a fort douté, on voit, par les expériences que j'en ai faites, qu'il est très vif et très exquis. » (Mém. de l'Académie des sciences, année 1700, page 45.) RECHERCHES ANATOMIQUES SUR LE NAUTILUS POMPILIUS, ÆET PARTICULIÈREMENT SUR LE MALE , Par M. VAN BER HOEVEN (4). Les Céphalopodes sont des Mollusques à sexes distincts. Il y a longtemps déjà que les observations anatomiques de Swammer- dam, Monro, Cuvier et autres nous ont fait connaitre l’organisa- tion et en particulier les organes de la reproduetion de ces ani- maux. Cependant on connait moins bien la différence des sexes à l'extérieur, et le silence des auteurs à cet égard fait déjà présumer qu'elle n’est pas d’une grande importance, ce que nous savons d’ailleurs avec certitude au sujet de quelques espèces (2), I faut toutefois faire exception pour l'Argonaute, ainsi que pour quelques espèces de Poulpes. Dans les mâles de ce dernier genre, un des bras est renfermé dans une poche, d’où il se dégage à l’époque de la reproduction ; il se sépare du corps, et est reçu dans la coquille (1) Bijdragen tot de Ontleedkundige Kennis aangaande Nautilus Pompilius (publié dans les Mémoires de l’Académie des sciences d'Amsterdam, t. [T, 1856, et traduit du hollandais par M. Brullé, professeur à la Faculté des sciences de Dijon). (2) Les Calmars femelles paraissent être plus allongés, au moins dans les Loligo vulgaris et sagittata, d'après Verany (Mollusques méditerranéens. Gênes, 1854, in-4°, p. 99, 109). Dans le Sepia officinalis, au contraire, la femelle est plus ronde, et le mâle se reconnaît à une raie blanche autour de la nageoire (ibid., p. 69). Le Sepiola dispar femelle se distingue, suivant M. Krohn, par de grosses ventouses (Verany, p. 65). D’après M. Delle Chiaje, le mâle est plus petit, et dans le Loligo sagittata en particulier, il est d’un quart plus court que la femelle (Mem. sulla storia e notomia degli animali, etc., t. IV. Napoli, 1829, p. 97). C’est là tout ce que je trouve indiqué sur ce sujet. Le mémoire de M. van der Hœven a été écrit avant que M. Steenstrup eût fait connaître ses importantes découvertes sur la différence sexuelle des bras chez les Céphalopodes. 292 VAN DER HOEVEN. — RECHERCHES ANATOMIQUES de la femelle, où on l’a déjà rencontré plusieurs fois depuis quel- ques années. Décrit d’abord comme un animal parasite sous le nom d’Hectocotyle (4), puis de Trichocephalus acetabularis (2), on l’a considéré plus tard comme le mâle lui-même, avant d'arriver à la connaissance exacte du fait, tel que nous venons de l’énoncer en peu de mots (3). Dans l’Argonaute, la différence des sexes est doublement remarquable, et par la petitesse du mâle, et parce qu'il n’a pas de coquille. C’est d’ailleurs une circonstance heureuse et d’une grande importance pour la science que le démenti donné par l'observation à l'extrême différence sexuelle qu’auraient présentée certains Céphalopodes , dans le cas où l’Hectocotyle eût été un mâle. Cette anomalie n’était pas conciliable avec ce que nous sa- vions de l’organisation élevée des Céphalopodes ; elle ne pouvait trouver d’analogie que dans des êtres placés plus bas dans l'échelle, tels que les formes parasites de la division des Crustacés. Depuis que l'animal de la coquille, si anciennement connue sous le nom de Vautile, a été décrit par M. Owen (4), il restait surtout à rechercher en quoi consistait la différence des sexes. L'individu dont M. Owen a fait une étude si remarquable était une femelle. C'était aussi le cas des individus décrits depuis par M. Valenciennes et M. W. Vrolik (5). (1) Cuvier, Ann. des sc. nat., XVIIT, 4829, p. 447-156. (2) Delle Chiaje, Memorie sulla storia , etc., 11, 1825, p. 225. (3) Voir à ce sujet : Verany, loc. cit., p. 126-129, pl. 41. — H. Mueller, Sur le mâle de l'Argonaute et sur les Hectocotyles. Zeitschrift fuer wissensch., Zoologie, IV, 1853, p. 1-35, pl. 1. — Verany et Vogt, Ann. sc. nal., 3° sér., t. XVII, 1852, p. 147-188, pl. 6-9. — R. Leuckart, sur l'Hectocotyle de l'Octopus carenæ (Zool. Untersuchungen, 3° cahier. Giessen, 1854, p. 89-109). — Ce bras doit nécessairement se reproduire chaque année, mais j'ignore si l’on a fait à cet égard des observations exactes. (4) Memoir on the Pearly Nautilus. Londres, 1832, in-4. Traduit par M. L. Kiener, dans les Annales des sc. nat., t. XXVIIT, 14833, p. 87 et suiv. (5) Valenciennes, Nouv. rech. sur le Nautile flambé. Archives du Muséum, t. I1,4841,p. 257-314. W. Vrolik, Lettre au gouverneur généralJ.-J. Rochussen, sur l'anatomie du Nautile (Journal des sciences, etc., publié par la première classe de l'Institut néerlandais, t. IT, 1849, p. 307-324). Cette lettre a été reproduite en français par l’auteur dans le tome X des Mémoires de la Société linnéenne de Normandie. Caen, 1855, in-4°. SUR LE NAUTILUS POMPILIUS. 293 La question de savoir comment la structure générale et la forme extérieure pouvaient varier d’un sexe à l’autre offrait d’autant plus d'intérêt, que le Nautile se distingue sous plus d’un rapport de tous les autres Céphalopodes vivants, et que ses affinités le rap- prochent surtout des espèces fossiles du même groupe et de la nombreuse famille des Ammonites , éteinte depuis si longtemps. J'eus l’occasion, il y a quelques années, d’avoir à ma disposition un mâle de Nautile; mais il était dans un état de conservation qui rendait impossible l’examen des parties internes. Quant aux diffé- rences que je remarquai à l’extérieur, elles pouvaient être dues à une anomalie individuelle, qui aurait pu se rencontrer aussi bien dans une femelle. C’est pourquoi, en décrivant cet animal pour l’Institut des sciences, des lettres et des beaux-arts (1), je crus devoir m'abstenir d’une assertion explicite, et laisser dans le doute si j'avais sous les yeux une déformation accidentelle, ou bien une différence sexuelle normale. Je donnai cette dernière opinion comme une hypothèse, qui me paraissait d’ailleurs très vraisem- blable ; car, parmi les individus déjà nombreux qui étaient par- venus en Europe, on n'avait pas encore observé cette différence, ni quelque chose d’analogue. Mon attention resta fixée sur cet objet depuis 1847, époque où (1) Quelques anomalies dans la forme de la tête, observées dans un mâle de Nautile. (Journ. des sciences, etc., publié par la première classe de l’Institut néerlandais, t. 1, 1848, p. 67-73, pl. 1, fig. 1-3.) —- J'ai inséré depuis les mêmes faits dans une notice sous le titre de : Contributions to the Knowledge of the Animal of Nautilus Pompilius, notice communiquée à la Société zoologique de Londres par l'entremise de M. Owen. Voy. Trans. of the Zool. Society, t. IV, part. I, 14854, p. 21-29, pl. 5-8. J'ai surtout eu pour but, dans ce travail, de donner de meilleures figures de la femelle et de réunir quelques faits nouveaux sur un sujet que M. Owen et d’autres avaient à peu près épuisé. A l'égard d’une particularité dont j'ai fait mention dans ce mémoire, la présence d’une concrétion pierreuse dans le voisinage des appendices folliculaires de l'artère branchiale antérieure, je dois faire remarquer que je l’ai retrouvée depuis dans un autre individu. Le fragment examiné à ma prière par le docteur Leroir, alors candi- dat en philosophie naturelle à l'Université de Leyde, pesait 08",47, desséché 0,438, et son poids spécifique était de 1,66. Il offrait quelques traces de graisse et d'albumine, point du tout d'acide urique, 70,4 pour 400 de matièreinorganique et principalement du phosphate de chaux neutre. 29/ VAN DER HOEVEN, — RECHERCHES ANATOMIQUES je l'avais étudié, et je suis à même aujourd’hui de décider la ques- tion avec certitude. Je reçus, au printemps de 1855, du ministère des colonies, par les soins bienveillants de Son Excellence le gou- verneur général des Indes néerlandaises , plusieurs individus du Nautilus Pompilius, parmi lesquels se trouvaient des mâles, à différents états de conservation ; et quoïqu'ils ne fussent pas tous dans des conditions également favorables à l'examen des parties internes , tous offraient les parties externes sans altération et se rapportaient, jusque dans les moindres détails, à l'individu ob- servé en 1847 (1). Je n’ai done plus de motifs pour m'en tenir aujourd'hui à une supposition, et je puis dire avec assurance qu'il existe, dans chacun des sexes du Nautile, une différence remarquable et constante , quant aux parties extérieures. Faire connaître cette différence, et la rendre plus claire au moyen de figures convenables, tel est l’objet principal du travail que je présente aujourd’hui à l’Académie des sciences. Pour cela, je me dispenserai de renvoyer à mon précé- dent opuscule. Possédant des documents plus complets, il me parait préférable de donner ici une description nouvelle et com plète, et non pas de suppléer à ce que j'avais éerit précédemment. Par ce moyen, mes observations seront plus utiles à ceux qui connaissent imparfaitement les précédentes , et plus claires pour ceux mêmes qui voudraient les consulter. Je Jomdrai à ce travail la description et la figure des organes de fa génération du mâle, dont l'anatomie est publiée aujourd’hui pour la première fois. Il restera certainement encore des observationsà faire à cet égard, et certains points demeureront peut-être toujours obscurs, tant que l’on n’exa- minera que des individus qui auront séjourné dans l'alcool pendant plusieurs mois. C’est pourquoi il est à désirer que ces détails, de même que plusieurs autres particularités de l’anatomie desanimaux, soient tôt ou tard étudiés sur place par des observateurs soigneux, résidant dans nos colonies. Pour ma part, je m'’estime heureux de (1) Les mâles du Nautile sont-ils moins nombreux que les femelles? On peut le supposer d'autant mieux que le fait a été observé à l'égard d'autres Céphalo- podes et en particulier par Delle Chiaje. De son côté, parmi 200 Calmars, Du- vernoy n’a trouvé que 30 mâles. SUR LE NAUTILUS POMPILIUS. 295 faire connaitre dans ce travail quelques faits nouveaux , et d’avoir pu ajouter quelque chose à l’anatomie du Nautile, qui est devenue, gràce à un observateur aussi éminent que M. Owen, l’objet d’une attention toute spéciale de la part des zoologistes. Je ne puis tou- tefois me soustraire à la crainte de le suivre haud passibus œquis, el je ne doute pas qu'une main plus exercée et des veux plus per- cants n’eussent tiré un meilleur parti de l’occasion qui m'était offerte. L. Conformation extérieure du Nautilus Pompilius mâle. Dans les mâles et les femelles du Nautile , la forme générale du corps est la même. Il se compose de deux parties principales : l’une , plus ferme et plus musculeuse, placée en avant , renferme les organes du mouvement ef ceux des sens; l’autre, membra- neuse et mince, est le sac viscéral. Ce sac présente antérieurement un prolongement cutané épais, appelé le manteau, et s'ouvre en dehors, sous la première partie, par Pentonnoir formé de deux lobes placés l’un sur l’autre (4). (1) De ces deux bords, tantôt le droit, tantôt le gauche est placé sur l'autre. Cet entonnoir, ouvert en dessous, constitue une particularité remarquable, attendu que, dans les autres Céphalopodes (les dibranches), l'entonnoir est un tube complet. J'ai déjà fait remarquer ailleurs que celte disposition dans les Céphalo- podes tétrabranches [le Nautile), peut être considérée comme un état embryon- naire persistant. En effet, d’après les observations de M. Kælliker, l'entonnoir se compose d'abord, dans les Céphalopodes dibranches, de deux parties situées latéralement (Sur le développement des Céphalopodes, par le docteur Kelliker (en allemand). Zurich, 1843, in-4°, p. 44). Je ferai remarquer de nouveau, à cette occasion, que l'ouverture dont le manteau serait percé, suivant M. Owen, pour laisser passer l'entonnoir (Mem. on the Nautilus, p. 9), n'existe certainement pas. Le manteau offre un bord entièrement libre, sur lequel repose l'extrémité de l’entonnoir. Je dois donc prévenir l'interprétation à laquelle pourrait donner lieu un passage de la seconde édition des Lectures on the Comparative Anatomy of the Invert. Animals, de M. Owen (Londres, 1855), postérieure à mes Contributions, etc.; passage où on lit encore (p. 579) : « The margin of the collar of the mantle is perforated » below for the passage of the muscular expiratory and excretory tube called » the funnel. » Cette phrase semble avoir été reproduite par erreur d’après Ki première édition des Lectures (1843, p. 316). 296 VAN DER HOEVEN. — RECHERCHES ANATOMIQUES Dans la première partie du corps, on distingue en premier lieu le capuchon. C'est ainsi que M. Owen nomme un disque charnu, qui ferme l'ouverture de la coquille ; il est plus épais en arrière, doucement ineliné en avant, et, par conséquent, en forme de coin. Sa longueur est d'environ 1 décimètre, et sa plus grande largeur, dans les individus mâles, est de 7 4/2 à © centimètres. En arrière, le capuchon présente une échancrure profonde d'environ 4 centi- mètres , qui répond à la portion enroulée de la coquille. Il est divisé en deux parties latérales par une dépression longitudinale de sa face supérieure. Cette face est, en outre, creusée de dépres- sions transversales qui se eroisent, surtout en avant, avec des sil- lons longitudinaux ; de plus, elle est parsemée d’un grand nombre de tubercules inégaux, dont les plus gros ressemblent aux papillæ vallatæ de la langue de l’homme. Sous le bord antérieur du capu- chon, de chaque côté de la dépression médiane, on remarque , à À centimètre de distance environ , une échancrure transversale , ou une ouverture transversale par laquelle peut sorür un tentacule annelé d’un gris noiratre, qui s'étend, dans l’intérieur du capu- chon, jusqu’à la profondeur d'environ 4 1/3 centimètres. De chaque eôté du capuchon est située une épaisse enveloppe, l’exté- rieure de la tête, qui se partage en dix-huit lambeaux (4). Ces lam- beaux ou digitations se prolongent en arrière pour former une sorte de calice ; ceux de la face inférieure se réunissent au-des- sous de l’entonnoir, au moyen d’un rebord épais et échancré en avant. Quatre de ces digitations sont placées plus en dehors et en arrière ; les autres forment une espèce de verticille. En dehors, l’ensemble de ces digitations forme un seul tout avec le capuchon, pour constituer une enveloppe cireulaire extérieure, autour de la masse charnue de la bouche , dans laquelle sont placées les mâ- choires. La première digitation, celle qui accompagne le capuchon de chaque côté, s'applique immédiatement sur lui, et, en dessus et en avant, tient lieu pour ainsi dire de bourrelet à ce capu- chon, dont elle offre la couleur et l'aspect. Les autres digitations, placées sur les côtés et en dessous, sont cachées dans l'ouverture (1) Je n'en ai compté que dix-sept, au côté droit, dans un individu. SUR LE NAUTILUS POMPILIUS. 297 de la coquille; elles sont d’une couleur plus pâle et pourvues de sillons, mais non de tubereules. Dans chaque digitation est ren- fermé un tentacule de la même couleur que ceux du capuchon. Ces tentacules sortent plus ou moins de l’ouverture de chaque digitation , et sous ce rapport il existe une grande différence d’un individu à l’autre ; ils peuvent toutefois rentrer entièrement dans leur lobe. M. Owen a remarqué avec raison que le capuchon est le résultat de la réunion des deux digitations supérieures de cette enveloppe circulaire de la bouche. Ces parties ne présentent aucune différence importante , dans les femelles observées jusqu’à présent, du moins quant au nombre des lobes tentaculifères. Il paraît cependant qu’il peut s’en présen- ter, sans avoir pour cela aucun rapport avec le sexe. M. Owen, par exemple, a compté dix-neuf digitations de chaque coté, non compris le capuchon, dans l'individu qu’ila examiné (4). Toutefois le nombre normal paraît être de dix-huit, d’après les individus, tant mâles que femelles, que j'ai observés; c'est anssi celui qu'a trouvé M. Valenciennes dans son individu (2). Il me semble d’ail- leurs qu’il y à quelque différence, d’un sexe à l’autre, dans la forme du capuchon, et qu’à longueur égale cetorgane compte 2 centimé - tres de moins de largeur dans les femelles. Il faut noter, en outre, une différence dans la forme de la coquille. Son ouverture , dans les mâles, est plus large et plus arrondie; elle est plus comprimée dans les femelles. De plus, le bord marginal est, à mon avis, plus fortement ondulé dans les mâles et plus égal dans les femelles. Ces différences sont, toutefois, de peu d'importance , lorsqu'on les met en parallèle avec celles que présentent ces lobes internes, que M. Owen nomme processus labiales. Lorsque dans un Nautile, (1) Mem. on the Nautilus, p. 43 (Ann. des sc. nat., t. XXVIIX, p. 97). (2) J'ai dit ailleurs (Trans. of the Zool. Soc., IV, 1, p. 624) que M. Valen- ciennes n'avait compté que dix-sept lobes. C’est une erreur provenant de ce que je n'avais pas remarqué que M. Valenciennes rapportait au chaperon les deux lobes qui avoisinent cet organe, lequel se trouve ainsi pourvu de deux tentacules de chaque côté. Je crois qu'il faut entendre de la même manière ce que dit M. Vrolik, lorsqu'il mentionne également dix-sept grandes palpes de chaque côté (Journal de l'Institut néerlandais, t. IF, p. 323). 298 VAN DER HOEVEN. — RECHERCHES ANATOMIQUES soit mâle, soit femelle, on divise le capuchon par le milieu, et qu’on écarte à droite et à gauche les lobes externes, on met à découvert un repli cutané formé par la peau lisse et interne de la gaine que constituent les digitations et le capuchon. A ce repli sont attachées des masses charnues qui se divisent en lobes, et ces lobes sont les fourreaux de tentacules rétractiles semblables à ceux de l’exté- rieur, mais plus petits qu'eux. Considérons maintenant d’un peu plus près cette disposition, en l’examinant d’abord dans les mâles (4). Le repli cutané dont nous avons parlé se rattache par un bord libre au côté interne du verticille des tentacules externes. Une distance d'environ 15 millimètres sépare le côté gauche du eôté droit de ce repli cutané. On voit à la partie supérieure du repli une masse charnue (labial process), longue d'environ 3 centi- mètres, qui se divise antérieurement en huit digitations aplaties, de chacune desquelles sort un tentacule annelé. Les deux digita- tions supérieures sont courtes, situées à la base de la masse aplatie et recourbées en arrière; les six autres sont placées plus haut et plus allongées. Le lobe digité du côté droit est plus large que celui du côté gauche (2). En dedans du repli cutané, mais toujours en rapport avec lui, on voit en dessous, du côté droit, un petit lobe charnu qui se divise en quatre digitations tentaculifères. Au côté gauche et dans la même position, mais plus en arrière et plus dis- tinctement séparé du repli, est placé un corps grand et épais, qui provient de la réunion de quatre tentacules modifiés et énormément développés : c’est le spadice (spadiæ), sur lequel nous reviendrons plus tard. I constitue la partie la plus caractéristique du mâle des Nautiles. Outre ces lobes et leurs tentacules, on ne trouve aucune autre partie en dedans de l’anneau extérieur que forment les grandes digitations tentaculifères. Le repli , déjà plusieurs fois nommé, se continue en dedans avee la peau qui recouvre , en manière d’an- neau, la grande masse charnue, museuleuse et ronde formant l’en- veloppe du bec : cette peau se termine, autour de l’extrémité des ) Voyez la pl. 7, fig. 4 et 2, et leur explication. (1 (2) La largeur du lobe droit est de 2 centimètres, celle du lobe gauche de A seulement. SUR LE NAUTILUS POMPILIUS, 299 mâchoires, par un grand nombre de filaments courts et arqués, disposés en forme de frange. À l'endroit où se réunissent, en des- sous, les grandes digitations tentaculiféres extérieures, on remarque en dedans plusieurs sillons parallèles situés sur le bord antérieur el échancré de la commissure, tandis que, sur les côtés et plus en arrière, on voit de petites dépressions, ce qui donne à cette partie l'aspect d’un réseau. Un prolongement de la peau remonte, à À centimètre environ, en arrière du bord échancré , et recouvre d’une mince enveloppe la partie que M. Owen a appelée los hyoïde, ainsi que l'appareil museulaire des mâchoires ; là, ce prolongement rencontre la peau qui vient de la région dorsale et se confond avec elle, En dessous, cependant, il existe encore une duplicature de la membrane, formant un cul-de-sac allongé qui renferme un organe complexe ; une portion de cet organe , la partie supérieure , se montre au travers d’une fente transversale, au-devant de la dupli- cature. Il est large de 14 millimètres et long de 18 environ. Sa forme est ovoïde, avec la face supérieure renflée et linférieure aplatie. Il est placé, comme un coussin , en dessous et en arrière de l’os hyoïde, et s'applique à la face inférieure de l’origine de l’'œsophage. En ouvrant son enveloppe cutanée , on voit qu'il se compose de deux parties latérales, en forme de reins, appliquées l’une contre l’autre par leur face arrondie. Cette face est partagée, au moyen de sept où d’un plus grand nombre d'incisions (4), pro- fondes de 2 à 3 millimètres, en plusieurs lobes plats, quadrangu- laires et de plus en plus étroits. Si l’on sépare l’une de l’autre les deux parties latérales par une incision longitudinale, chacune d'elles offre, en outre, environ quatorze lamelles très minces, qui se dirigent obliquement en dedans et en bas : la lamelle la plus extérieure est située contre un corps claviforme, lisse, qui s’élargit en dessous ; enfin, en dehors du corps claviforme, se trouve une petite cavité, qui la sépare de la cloison extérieure très épaisse, formée de fibres lâches, transversales. Comparons maintenant cette disposition avec celle que présen- tent les femelles. On trouve de chaque côté, dans celles-c1, deux (4) Dans l'individu que j'ai examiné en 1847, j'ai trouvé dix ou onze de ces lobes quadrangulaires. Trans. of the Zool. Soc.,, IV, 4, p. 27, pl. 8, fig. 9. 300 VAN DER HOEVEN. — RECHERCHES ANATOMIQUES prolongements qui se partagent en digitations (1). La paire supé- rieure est plus large et présente d'ordinaire, ou presque toujours, douze tentacules (2). Le repli cutané, qui réunit ces prolongements, à la face inférieure, avec les grands appendices tentaculifères externes, est couvert d’un grand nombre de feuillets membraneux, minces, qui sont parlagés en deux groupes (3). La paire inférieure est située en dedans de l'anneau formé par la paire supérieure, et s'applique contre la masse charnue qui revêt les mâchoires. Ces lobes inférieurs sont plus petits ; 1ls se composent d’une sorte de tige qui s’élargit en avant sous forme de digitations et s'élève latéralement contre la masse charnue de la bouche. Jai compté là seize tentacules du côté droit et quatorze du côté gauche (4). On trouve entre ces lobes tentaculifères internes, au-dessous de la masse charnue de la bouche, une partie formée de dix-huit ou dix- sept replis, que M. Owen a prise pour l’organe de l’odorat, mais qui, suivant moi, doit être envisagée comme la continuation de l'anneau des tentacules internes, réduits ici à l’état rudimentaire. Cette partie est située sur le mince feuillet membraneux de la com- missure des lobes précédents. Il y a, par conséquent, ici une véritable différence sexuelle, dont nous devons toutefois examiner de plus près la nature. On pourrait admettre que dans le mâle du Nautile, de même que dans la femelle, il y a deux paires de processus labiales. La première * (4) « Four processes, which may be termed labial. » Owen, Mem. on the Nautilus, p. 14; trad. franç., loc. cit., p. 100. — M. Valenciennes, qui cherche à faire prévaloir une analogie forcée avec les bras des dibranches, appelle ces parties bras internes. (2) M. Owenet M. Vrolik ont trouvé ce nombre, qui est celui que j'ai tou- jours observé. M. Valenciennes a compté treize tentacules (loc. cit., p. 274). (3) Cette partie n'ayant pas été figurée exactement par M. Owen et par M. Valenciennes, j'ai cru devoir la représenter de nouveau. Voy. Bijdragen tot de Ontleedk. Keunis aang. Nautilus, pl. 5, fig. 4 G. (4) J'en ai trouvé, dans un individu, quatorze au côté droit et treize au côté gauche. M. Owen donne à ces lobes, de même qu'aux lobes labiaux externes, douze tentacules (Wemoir, p. 14). M. Valenciennes en indique treize de chaque côté, M. Vrolik quatorze. Il semble done y avoir là quelques différences entre les individus ; mais on peut cependant admettre, comme étant la règle, qu'il existe un plus grand nombre de tentacules que dans les lobes labiaux externes. SUR LE NAUTILUS POMPILIUS. 901 paire serait placée, dans le mâle, en dessus et en dedans, et porte- rait huit tentacules ; dans la femelle, au contraire, elle est située en dessus ct en dehors, et pourvue de douze tentacules. La seconde paire par la présence de quatre tentacules seulement, et mieux encore par sa situation extérieure, se distinguerait des prolonge- ments labiaux inférieurs de la femelle. J'avais considéré précédemment la différence dans ce sens (1) ; mais un examen plus attentif m'a conduit à une autre interpréta- tion, qui me parait plus admissible. Les deux lobes sont, dans le mâle, fixés au même repli de la peau, quoique le lobe inférieur soit placé au côté externe de ce repli. Je crois done que ces deux groupes de tentacules, dans le Nautile mâle, répondent à une seule paire des prolongements labiaux de la femelle, et qu’ils se sont développés aux dépens de la seconde paire. La commissure de la face inférieure nous apprend que la paire à laquelle ils répondent est celle des prolongements labiaux externes ou supérieurs de la femelle. Dans cetle manière de voir, le nombre des tentacules se correspond dans les denx sexes (8 + 4 dans le mâle et 12 dans la femelle). La différence des sexes peut maintenant être envisagée plus clairement. Les prolongements labiaux extérieurs du mâle sont divisés en deux parties, dont une, inférieure, est située en dessous et porte quatre tentacules. C’est ce groupe de quatre tentacules qui, au côté gauche, forme le spadice. Les prolongements labiaux infé- rieurs ou Internes semblent manquer dans le mâle, mais on pour- rait peut-être bien regarder comme des rudiments de ces prolon- sements, ou processus labiales interni seu inferiores, les parties dont se compose l'organe situé à la commissure interne , au-des- sous de la langue et des mâchoires. Dans ce cas, les feuillets saillants de cet organe répondraient aux lamelles regardées par M. Owen, dans sa description du Nautile femelle, comme l'organe de l’odorat. Au contraire, les parties membraneuses et minces qui se trouvent , dans la femelle, à la commissure des lobes labiaux externes, manquent complétement dans le mâle; elles sont rem- (1) Journal de la première classe de l'Inst. néerlandais, I, p. 71; Trans. of the Zool. Soc., IV, I, p. 26, 27. 302 VAN DER HOEVEN. —- RECHERCHES ANATOMIQUES placées par le tissu réticulaire qui recouvre en dedans la commis- sure des digitations tentaculaires extérieures. Retournons maintenant au spadice situé au côté gauche du Nautile mâle. Cet organe est long de 6 à 7 centimètres, épais de 4 4/2 à 5 centimètres, et sa base a à centimètres de largeur. Une coupe transversale montre évidemment qu'il se compose de quatre tentacules, dont trois se distinguent surtout par leur dé- veloppement extraordinaire ; les gaines de ces tentacules sont soudées entre elles (4). Le tentacule le plus inférieur n’est pourvu qu'à sa base d’une courte gaine membraneuse ; dans le reste de sa longueur, il est appliqué librement le long du bord inférieur et en dedans de la partie principale du spadice, qui comprend les trois autres tentacules. En dehors de la gaine membraneuse du tentacule supérieur du spadice, et tout près du bord antérieur, se trouve un disque plat, un peu plus long que large, dont le petit diamètre est de 2 1/2 et le grand diamètre de 3 centimètres. Ce disque est percé d’un grand nombre de petits orifices ronds, qui sont entourés d’un bord un peu élevé ; la distance entre ces ori- fices est d'environ 1 millimètre, et dans quelques endroits ils sont très rapprochés. Une coupe longitudinale, faite dans l'épaisseur de ce disque, montre qu’il est formé d’un grand nombre de folli- cules situés perpendiculairement au disque, ayant leurs parois élargies en forme de sac, et dont les ouvertures sont les orifices de la surface du disque. A l'égard du manteau, pour dire ici quelque chose de la seconde des parties principales du corps mentionnées plus haut, il ne pré- sente pas les deux saillies que l’on remarque à sa partie inférieure dans la femelle (2). L'appareil glanduleux, composé de lamelles nombreuses, qui, dans la femelle, se trouve placé à ce même endroit, mais à la face interne du manteau, manque dans le Nau- (1) Ces tentacules montrent à l'œil nu une structure analogue à celle des tentacules ordinaires vus au microscope. Voyez R. Owen, On the Structure and Homology of the Cephalic Tentacles in the Nautilus (Annals and Mag. of Nat. Hist., XII, 1843, p. 308). (2) Owen, Memoir, p. 9, pl. Le; pl. Il, fig. 4, e.—Vovez mes figures, Trans. of the Zool. Soc., IV, 1, pl. V; k; pl. VI, Gg. 3, h, h. SUR LE NAUTILUS POMPILIUS. 205 tile mâle. Cela confirme l'opinion de M. Owen, qui considérait cette partie comme se rapportant à l'appareil de la génération et comme devant sécréter l'enveloppe des œufs (4). J’ai cru remar- quer, en outre, que le manteau du mâle est plus court, et qu'il laisse les yeux presque à découvert; tandis que, dans la femelle, le bord du manteau se contourne pour remonter jusque sur le milieu du globe de l'œil. Il. Organes de la génération du Nautile mâle. Lorsqu'après avoir renversé ou coupé le manteau on examine le Nautile par la face inférieure, on aperçoit un espace libre ou une cavité qui est séparée de la cavité intestinale et renferme les quatre branchies, La situation des parties dans ce sac branchial correspond tout à fait, dans le mâle, à celle des parties analogues de la femelle. Le pénis cependant n’est presque pas placé à la gauche de l'observateur, comme cela a lieu pour l'ouverture de l'oviduete ou la vulve de la femelle (2), mais à peu près entière- ment sur la ligne médiane, entre l'anus et l’entonnoir. La forme du pénis est en cône tronqué; sa face dorsale adhère, jusque près de l'extrémité, à cette portion de la peau qui s’étend entre deux forts piliers musculaires (les grands museles de la coquille), et qui sépare la cavité intestinale de la cavité branchiale. On voit au côté gauche, qui est en réalité le côté droit de l’animal, puisque nous le voyons en dessous, entre l'anus et la première branchie, et à la base du pénis une saillie arrondie, qui est due à une vésicule située en dessous (le sac aux spermophores). (PI. 7, fig. à et fig. 7.) Avant de pousser plus loin l’examen de ces parties extérieures, considérons les organes internes de la génération : ils se compo- sent spécialement de deux glandes, toutes deux d’une grosseur (1) « À glandular apparatus... which, if not peculiar to it, in all probability more strongly developed in the female than in the male Nautilus Pompilius, » p. 9. Voyez plus loin la description de cette partie, p. 43; trad. franç., loc. cit., p. 144. (2) C'est, à vrai dire, la droite de l'animal, car il est placé sur le dos. Voyez la figure que j'ai donnée dans les Trans. of the Zool. Soc., loc. cit, pl. VIT, fig. 4. 304 VAN DER HOEVEN. — RECHERCHES ANATOMIQUES remarquable (fig. 4,5 et 6). Si l’on ouvre par la face dorsale le sac qui renferme les intestins, on trouve à la partie postérieure, à gauche du gésier, la plus grosse de ces deux glandes ; elle est ça- chée en grande partie par les lobes du foie, et du côté droit par une portion de l’estomac. Cette glande, que l’on doit considérer comme le testicule , par analogie avec les autres Céphalopodes (1), est en- veloppée d’une membrane blanche et mince, comme le sont aussi, chacun en particulier, les autres viscères (2). La longueur du testi- eule est d'environ 7 centimètres, et sa plus grande largeur de 4. Il surpasse en volume tous les autres viscères, à l’exception du foie qui est énorme, et il s'étend en avant jusqu’au cœur, occupant ainsi presque toute la longueur du sac intestinal. Sa forme est plate, ovoide, el présente, au côté gauche ou externe, un contour saillant et renflé , surtout en dessus. Si l’on écarte la membrane mince, mais ferme, qui l’enveloppe, le testicule, coloré en jaune-brun, se montre partagé en deux moitiés , l’une supérieure, l’autre infé- rieure, et, de plus, en plusieurs lobes peu serrés, figurés par des sillons obliques. Sa structure est le résultat d’un très grand nombre d’acini, dont les culs-de-sac se montrent à la surface comme au- tant de taches blanches. La structure propre du tissu des acini ne m'a pas paru bien distincte; je n'y ai vu, au microscope, qu’une masse granuleuse. À l’intérieur du testicule se montrent des con- duits blancs, qui se réunissent en un seul conduit (vas efferens) situé . au côté droit. Ce conduit déférent, après avoir traversé le tissu du testicule, marche pendant un court trajet dans le sac d’enveloppe, et se termine par une petite ouverture oblique, dans une saillie en cône déprimé. Le bord de cette espèce de papille présente des plis (1) La région du corps occupée par le testicule dans le mâle est la même que celle de l'ovaire dans la femelle. M. Owen dit que l'estomac musculeux est placé au côté gauche, dans le fond du sac intestinal, et l'ovaire à droite (Mem. on the Pearly Nautilus, p. 26, $ 4,; mais ces rapports dépendent de la position dans laquelle il a observé et fait représenter l'animal, c’est-à-dire le dos en des- sous et vu par la face ventrale. | (2) Cette membrane, vue au microscope, offre des fibres fines, longitudinales, et d'autres, moins nombreuses, qui se croisent avec les premières ; on y voit, en outre, des granules ou noyaux disséminés. | SUR LE NAUTILUS POMPILIUS, 805 rayonnants, et adhère intimement à l'enveloppe du testicule, qui est aussi traversée par l'ouverture en question. ‘ Au-dessus et à droite du testicule se trouve une deuxième glande, d’une forme aplatie, ovoïde, et plus petite que la première (1). Elle se compose en partie d’un grand nombre de petits lobules, fixés à des cloisons transversales aplaties, et formés de petits tubes microscopiques , digitiformes et aveugles , dont les parois offrent des cellules cylindriques ou cubiques (épithélium en cylindre). Dans la portion antérieure de cette deuxième glande génitale se trouve logé un petit sac situé en travers, et qui est environné, en dessous, par le tissu de la glande. (Fig. 8, 9.) Derrière ce petit sac se trouve un corps d’un blanc laiteux, que j'ai reconnu plus tard pour un tube replié, d’après la remarque du docteurJ.-A. Boo- oaard , prosecteur à l'Université de Leyde, qui a examiné avec moi les organes génitaux du Nautile. Je suis parvenu à suivre le trajet de ce conduit, ce qui présentait quelque difficulté, car il est uni d’une manière intime avec le tissu de la glande, dans lequel il est caché en grande partie. L'ouverture antérieure du conduit se voit entre les deux lèvres d’un mamelon, situé au côté droit du petit sac déjà mentionné ; delà il se rend au côté gauche, derrière le bord postérieur du sae, y décrit de fortes courbures qui se dirigent en dessous et en avant, et sont très rapprochées; puis il retourne en arrière , tout à fait contre le bord droit de la glande, pénètre de nouveau dans la profondeur , et se termine enfin sous forme d’un étroit canal, d'environ 1/2 millimètre de diamètre, dont l’orifice est à peine visible à l’œil nu, au côté gauche de la glande. Let cette glande présente une fossette allongée , située contre la saillie conique, dans laquelle s'ouvre le vaisseau afférent du testicule. C'est dans cette fossette qu'est reçue la saillie conique en question, dans la situation naturelle des parties ; au fond se trouve une fente linéaire qui conduit à une petite cavité de la glande, dont l’inté- rieur est garni d’une membrane lisse, quoique légèrement plissée (1) 11 me paraît hors de doute que cette deuxième glande est l'organe de l'individu incomplet, examiné en 4847, que j'ai pris pour le testicule (une masse ronde, qui S'échappait de la cavité ventrale. Journ. de l'Inst. néerlandais, P'p:72); &° série, Zooz. T. VI. (Cahier n° 5.) 4 20 306 VAN DER HOEVEN. — RECHERCHES ANATOMIQUES dans sa longueur. L’extrémité grêle du conduit replié s'ouvre en dessus dans cette cavité; il constitue donc le canal déférent, dont la deuxième glande génitale doit par conséquent être regardée comme formant en partie l'enveloppe. En outre, ce conduit sert encore à porter en dehors les produits sécrétés par la glande qu'il parcourt, et, de plus, il est sans aucun doute lui-même le siége d’une sécré- tion; car ses parois sont revêtues d’un épithélium à cylindre, comme celui des acini de la glande. L’épaisseur des parois du conduit est considérable , surtout dans sa portion supérieure ; en sorte que son diamètre intérieur n’est nullement en rapport avec l'extérieur. En moyenne, ce dernier est de 2 millimètres, mais 1l est plus grand en avant, et d’ailleurs inégal ; il présente deux dila- tations principales, qui ont plus de 3 millimètres de diamètre. Le petit sac déjà mentionné constitue un diverticulum aveugle, qui se dirige vers le côté gauche. La surface interne du sac offre à droite plusieurs plis saillants, transverses ; on y remarque, en outre, une seconde ouverture, très petite, qui est située immédia- tement au-dessus de l'extrémité du conduit déférent, et autour de laquelle sont plusieurs anneaux formés par les plis de la face in- terne Cette ouverture est l’orifice inférieur d’un conduit long de & à 5 millimètres, et dont le diamètre est d’environ 3 millimètres. Ce conduit a des parois très épaisses, et présente intérieurement des plis longitudinaux. Il aboutit à une poche ronde, le sac aux spermophores (1), dont les parois sont très résistantes et ne s’affais- sent pas, même lorsqu'elle est entièrement vide. La cavité de cette poche est garnie de plis longitudinaux, saillants et nombreux ; elle présente, en outre, une cloison intermédiaire, oblique, dont le bord antérieur et libre la partage en deux cavités, qui communi- quent entre elles en dessus. (Fig. 8, ves. sp. alt.) Cette poche donne immédiatement dans le canal du pénis (l'urethra seminalis), dont l’intérieur offre aussi des plis longitudinaux très saillants. Les parois épaisses de ce canal, qui constituent le pénis, sont formées d’un tissu très résistant; lorsqu'on le coupe, on y remarque de pe- (1) Les auteurs français qui ont écrit sur l'anatomie des Céphalopodes donnent à cet organe le nom de poche needhamienne, parce que l’on attribue généralement à Needham la découverte des spermophores. SUR LE NAUTILUS POMPILIUS. 307 tites ouvertures rondes, qui semblent être les coupes transverses de vaisseaux sanguins. À l'extrémité du pénis, on aperçoit la fin de VPurethra seminalis ; ce canal se termine par un orifice transversal, entouré d’un rebord épais, divisé en quelques tubercules par des découpures ; deux tubercules pareils se font surtout remarquer à la , face inférieure. Dans un des individus que j'ai examinés, et qui avait élé tué au moment de l'orgasme vénérien , le sac aux spermophores était distendu par son contenu, et occupait tout l'espace situé entre l’anus et la base du pénis, dans le voisinage de la branchie anté- rieure droite. Un spermophore gonflait le pénis , et sortait même en partie de son ouverture. Il résulte, de cet examen des organes du Nautile, qu’ils présen- tent en général le même type, que ceux des Céphalopodes mâles dibranchiaux. Le canal, que nous avons considéré comme le conduit délérent, correspond dans sa portion la plus large, la plus anté- rieure, et avec ses parois épaisses , à l'organe désigné par Cuvier dans le Poulpe sous le nom de vésicule séminale. La poche dans laquelle ce conduit débouche peut se comparer à celte partie que le célèbre anatomiste et d’autres après lui ont regardé comme la prostate : on pourrait cependant, avec plus de raison, lui donner le nom de vésicule séminale. Quant au issu glanduleux qui envi- ronne le conduit déférent, 11 parait manquer dans les autres Cépha- lopodes. A l’égard de la petitesse du sac aux spermophores et par quelques autres particularités , le Poulpe se rappoche du Nautile, plus que la Seiche et le Calmar. Les spermophores eux-mêmes établissent un rapport plus intime du Nautile avec le Poulpe, qu'avec les Céphalopodes à dix bras. L'extrémité supérieure du conduit déférent, ou la portion qui correspond à la vésieule spermatique des auteurs, m'a présenté déjà des spermophores incomplets et encore très mous. Ils étaient plus développés dans la petite vésieule où débouche le conduit. C’est seulement dans la poche où on les trouve rassemblés , au- dessous du pénis, qu'ils offrent plus de consistance, et que la disposition en spirale de leurs replis est mieux prononcée. Les spermophores passent de ce sac (la poche needhamienne), 808 VAN DER HOEVEN. — RECHERCHES ANATOMIQUES qui est certainement contractile, dans le canal du pénis , et de là dans le sac branchial. Is remontent ensuite, soit par l’entonnoir, soit en suivant le bord libre du manteau, jusqu'aux différents or- ganes tentaculaires qui environnentla masse charnue de la bouche. Là, les spermophores doivent rester quelque temps avant de sortir de la coquille du mâle pour pénétrer dans celle d’une femelle. Ce fait me semble mcontestable. Je les ai trouvés dans trois individus, et toujours dans le même endroit. C'était à la face dorsale, au-dessous du capuchon, et spécialement entre les deux tentacules les plus petits, où les premiers des deux prolonge- ments labiaux : les deux tentacules du côté gauche les embrassaient comme deux doigts, et l’on voyait à, à la base du prolongement labial droit, une cavité formée en quelque sorte par une poche qui entourait le spermophore. En effet, les spermophores ne sont pas là à découvert; als sont, au contraire, enveloppés dans une poche arrondie de couleur brune, dont la longueur est d'environ 48 milli- mètres et la largeur de 15, et dont les parois se composent de trois : ou quatre membranes superposées, sans structure appréciable. Je regarde cet enveloppement du spermophore comme ane des particularités les plus remarquables que m'ait fait connaître l’exa- men du mâle des Nautiles. Il doit nécessairement avoir eu lieu après sa sortie du pénis. En effet, lors même que je n'aurais pas rencontré , ainsi que je l’ai dit précédemment , des spermophores dans le canal du pénis, qui n'étaient pas éncore enveloppés dans leur poche, le volume remarquable de cette enveloppe ne serait pas moins un obstacle suffisant pour l’empêcher de sortir par le canal. Ainsi les membranes de la poche seraient sécrétées hors de la cavité intestinale. Mais où aurait lieu cette sécrétion et dans quel organe ? C'est à quoi je ne puis répondre que d’une manière eon- jecturale. Il n’y a rien dans le sac branchial qui puisse servir à cette sécrétion ; mais dans l’autre partie du corps se trouvent deux organes qui méritent d'appeler l'attention. On pourrait supposer d’abord que les replis nombreux de l'organe qui est situé sous l’œsophage, derrière la mâchoire inférieure, sont le siége d’une sécrétion. En second lieu se présente le disque arrondi et glanduleux de la face extérieure du spadice. Tandis SUR LE NAUTILUS POMPILIUS. 309 qu'il n’est pas certain que le premier de ces deux organes ait la propriété de sécréter, on ne pourrait guère mettre en doute cette propriété à l'égard du second. Il n’en résulte pas cependant que la sécrétion qui se produit dans l'organe discoïde, doive servir précisément à former la poche qui renferme les spermophores. Si j'avais eu le bonheur de rencontrer, dans un individu, des sper- mophores sur le trajet du sac branehial à la partie dorsale du corps, ce fait aurait pu donner lieu à une solution plus satisfaisante. Je ne suis pas non plus en mesure de faire connaitre comment la poche est transportée ensuite hors du corps avec le spermophore . qu’elle renferme. I ne peut y avoir d’accouplement réel ; car, non-seulement le pénis est trop court, est placé trop profondé- ment dans le manteau, mais, de plus, l’enveloppement des sper- mophores montre que la sortie du sperme a lieu un certain temps avant la fécondation. Je ne crois pas me tromper en regardant cet enveloppement comme un moyen de conservation du sperme ; 1l est soustrait par là à l’action de l’eau de la mer, jusqu'à ce qu'il soit parvenu au lieu de sa destination, c’est-à-dire au sac branchial de la femelle. Je crois devoir, en terminant, donner un apereu de la strue- ture des spermatophores (1), ou plus simplement des spermo- phores, autant du moins que peut le permettre l’état de conservation de ces corps, dans des individus qui ont séjourné longtemps dans l'alcool. On sait que le sperme des Céphalopodes est renfermé dans des corpuscules particuliers d’un très grand volume, que notre Swammerdam a le premier décrits dans le Sepia officinalis, comme « de petits tubes blanes et mous, qui se meuvent et s’entr'ouvrent dans l’eau (2), » et que Needham les a retrouvés depuis dans le Calmar, d’où ils ont pris plus tard le nom de cor- pora Needhammiana. J'ai trouvé que la poche décrite précédem- ment, et qui était placée sous le capuchon, ne renfermait jamais qu’un seul spermophore , et je n'oserais affirmer qu’elle püt en (1) Duvernoy change ce nom en celui de spermaphores. En modifiant légère - ment ce dernier nom d’après la remarque d’un célèbre helléniste, j'écrirai de préférence spermophores. (2) Biblia naturæ, p. 896. 910 VAN DER WOEVEN. — RECHERCHES ANATOMIQUES contenir deux. Ce spermophore, en effet, est d’une longueur extraordinaire, et forme dans la poche un grand nombre de cir- >onvolutions , qui se voient déjà dans les spermophores qui rem- plissent la poche needhamienne. ai réussi à en dérouler un , non toutefois sans en rompre quelques parties, et j'ai pu lui assigner une longueur de plus de 27 centimètres. Le docteur Boogaard estime même à 84 centimètres celle d’un autre spermophore qu’il a mesuré. Cette longueur remarquable n'est pas d’ailleurs sans exemple parmi les autres Céphalopodes. M. Milne Edwards a trouvé que les sper- mophores de l'Octopus vulgaris avaient8 centimètres de long(®), et M. R. Leuckart donne 3 pieds de longueur à ceux de l’Octopus ca- rena(Zoolog. Untersuch., 3 Hell. Giessen, 1854, in-4, p.98, not. 2). Le spermophore du Nautile est un tube cylindrique qui n’a pas la mème épaisseur partout, et qui mesure en moyenne À millimètre. Il se rétrécit aux deux extrémités : l’extrémité la plus grêle forme une petite courbure sous un angle aigu ; la longueur de cette partie recourbée et mince est d'environ 3 millimètres. Enfin la pointe elle-même présentait, en outre, dans un individu, un appendice microscopique qui semblait partagé en deux petits lambeaux, et s’écartait à angle droit de la partie amineie déjà indiquée. La couleur du spermophore, telle qu'elle se montre hors du pénis, est d’un jaune-brun. Dans sa cavité se trouve un filament en forme de ruban à peine visible à Pœæil nu, et d'environ 4/20° mil- limètre de large, qui est divisé en replis serrés, disposés en spi- rale, à peu près comme le fil spiral des trachées des Insectes. IF se compose en grande partie de spermatozoïdes , qui sont fixés, par leur extrémité capillaire, à un filament médian, sans structure (2). Pour plus de détails, je renvoie mes lecteurs aux recherches sol- gnées du docteur Boogaard , qui sont placées à la suite de ce mé- moire, etje laisse d'autant plus volontiers de côté mes notes incom- (1) Annales des sciences naturelles, 2° sér., t. XVIII, p. 339, pl. XIV, fig. 4. (2) Je considère maintenant comme des fibres détachées du ruban en spirale les parties que j'ai décrites ailleurs (Journ. de l'Inst. néerlandais, t. 1, p. 72) comme des corps microscopiques plats, longs et ovales, qui étaient fixés au filament principal. SUR LE NAUTILUS POMPILIUS. 311 plètes, qu’elles pourraient donner lieu à interprétation différente, et peut-être à des notions confuses ou erronées. La structure des corps needhamiens de la Seiche (Sepia offici- nalis ) a été examinée avec soin par le docteur C. -G. Carus, qui a cependant écrit sa deseription sous limpression d’une conception fausse, puisqu'il croyait avoir sous les veux un animal parasite (2). On pourrait peut-être comparer les parties situées dans l'extrémité grêle du spermophore des Nautiles à ce que cet auteur décrit, dans son Veedhamia expulsoria , comme le jabot et l’estomac. Après cette description viennent les observations, aussi exactes qu'étendues , de MM. Peters et Milne Edwards (2) et de l’infati- gable Duvernoy (3), au sujet des spermophores de divers Cépha- lopodes. Néanmoins l'état de conservation de ceux de ces corps que j'ai examinés empêche de les comparer d’une manière fruc- tueuse avec ces observations , quoique les rapports ne manquent certainement pas. Autant que j'en puisse juger par l’état présent de nos connaissances à cet égard, ce sont particulièrement les noue demeurant In d'nalostée Aves tu des Nautiles. Par leur longueur extraordinaire , les spermophores des Nautiles se distinguent cependant de ceux du plus grand nombre des Céphalopodes ; tandis que leur mode d’enroulement en circonvolutions serrées les éloigne de tous les corpuscules needhamiens connus jusqu’à présent. (1) Needhamia expulsoria Sepiæ officinalis, Beschr. und Abgebildet von D' C.-G. Carus. (Act. Acad. Leop. Carol., vol. XIX, p. 1, 1839.) (2) Publiées par le dernier de ces deux auteurs, Ann. sc. nat., loc. cit., p. 331-347. (3) Mém. de l’Acad. des sciences, XXIIL, 1850. Publiés séparément sous le titre de Fragments sur les organes de génération de divers animauæ, p. 111-114, où l'on trouve aussi une exposition historique complète du sujet, à laquelle on peut comparer celle qu'a publiée plusieurs années auparavant F.-S. Leuckart, dans ses Zoologische Bruchstuecke, I, Stuttgart, 4841, in-4°, p. 93-103. Dans les Nautiles, le spermophore est rempli presque entièrement par le réservoir spermatique, qui est enroulé en spirale; l'appareil CONTE si on peut l'ad- mettre, n occupe qu'un très petit espace. 312 VAN DER HOEVEN. — RECHERCHES ANATOMIQUES EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE 7 (1). Fig. 4. La tête du Nautile mâle vue du côté droit, les grandes digitations tentaculifères ont été coupées en a, a, a. On voit en dessus le spadice du côté gauche b, qui repousse en quelque sorte vers le côté droit le groupe supérieur gauche des prolongements labiaux. Au côté droit se trouvent les prolongements labiaux c, d, partagés en deux groupes. En e la masse muscu- laire qui environne les mâchoires et dont l'enveloppe se divise à son orifice e en une bordure de petites franges. On aperçoit enfl’entonnoir situé à la partie inférieure. Fig. 2. La même tête vue du côté gauche. On a également supprimé les digita- tions. (a, a, a, quelques tentacules coupés ; b, le spadice; b’, disque glanduleux, situé en avant sur le spadice; c, le groupe supérieur des tentacules gauches ; f, l'entonnoir. A, le capuchon coupé; B, l'œil gauche recourbé en dessous.) Fig. 3. Cavité branchiale et partie inférieure de l'entonnoir , dans le Nautile mäle (pour être comparées avec les parties correspondantes de la femelle (Trans. of the Zool. Soc., IV, pl. VIL fig. 4): a, anus; b, pénis; e, l’un des deux grands muscles de la coquille; f,f, l’entonnoir; g, le manteau écarté ; h,h, première paire de branchies; h’, h', la seconde paire représentée du côté gauche seulement. Fig. 4. Organes génitaux du Nautile mâle dans leurs rapports naturels vus par la face dorsale. Les membranes propres, ou poches péritonéales, ont été conservées autour des parties qui sont renfermées dans le sac in- testinal (t, gl. acc. et v. sp.); t, le testicule; gl. acc. deuxième glande des organes de la reproduction, dans laquelle est renfermée, à la partie anté- rieure, une vésicule membraneuse, mince, v. sp. (prostate? vésicule sémi- nale? ); d. sp. canal qui monte de la glande précédente vers une poche (v. sp. alt.), situé au côté droit du pénis p, et qui répond à la poche needha- mienne des autres Céphalopodes. Le pénis est vu par sa face dorsale et dégagé des bords latéraux de la membrane à laquelle il est attaché; cette face est très aplatie, en comparaison de la surface ventrale, qui est représentée figure 3, b et autres: r, le rectum, coupé tout près de l’anus. Il sort du sac viscéral, entre la vésicule séminale, v. sp. alt , situé à la base du pénis et le cœur C. Fig. 5. Les mêmes parties que dans la fig. 4, mais dépouillées de la mem- brane d'enveloppe du testicule, de la deuxième glande gl. acc. et de la (1) Comme les figures de ce mémoire sont très rarement indiquées et ne sont pas détaillées dans le texte, il sera peut-être utile de consulter cette explication des planches, avant de lire le mémoire. SUR LE NAUTILUS POMPILIUS. 313 vésicule séminale, v. sp. a.; on en voit les lambeaux en x, x,æx,æ. On voit sortir de l'orifice du pénis, en sp , des portions d'un spermophore, dont le filament est devenu libre par la rupture des parois. On voit aussi en p com- ment le pénis est fixé à la cloison membraneuse qui sépare le sac branchial de la cavité viscérale. En + est l'ouverture de la deuxième glande, par laquelle pénètre le sperme qui vient du testicule (voy. fig. 6), et au-dessus de laquelle se trouve, dans l'intérieur de la glande, l'extrémité inférieure du canal déférent. Fig. 6. Portion du testicule { vu par la face interne, pour faire voir l'ouver- ture + par laquelle sort le sperme ; la deuxième glande est relevée, et l’on remarque sur le testicule, en dessous de +, une dépression qui indique sa position dans l’état naturel. Fig. 7. Le pénis et la poche needhamienne de l'individu mentionné précédem- ment et qui montrait les spermophores au moment de l'éjaculation. (Ce même individu a servi à la préparation de la figure précédente.) Les lettres désignent ici les mêmes parties que dans la figure 3. Fig. 8. Le pénis fendu dans sa longueur p, et au-dessus la poche needha- mienne v. sp. a., également ouverte. On voit en + la cloison située obliquement. Au-dessous de ce sac spermophorique est situé le conduit qui part de la poche &. sp., dans laquelle on distingue des spermaphores et des fila- ments spiraux. En gl. acc. se voit une portion du tissu lamellé de la deuxième glande génitale. En y sont les premières circonvolutions du conduit déférent, qui traverse celte même glande. Fig. 9). Le conduit qui traverse la deuxième glande génitale, déroulé en partie et dépouillé de son enveloppe : a, l'ouverture inférieure ; b, l'ouverture supé- rieure de ce conduit ; la dernière de ces ouvertures est placée dans le petit sac qui est désigné dans les figures précédentes par les lettres v. sp. On voit en haut, dans le sac ouvert, l'orifice inférieur du canal d. sp., qui se rend au sac spermophorique. Fig. 10. Un spermophore retiré du pénis est vu par les deux faces. L'extré- mité a parut la première à l'ouverture du pénis. On peut remarquer ici le sin- gulier enroulement que présente ce corps en sortant du sac spermophorique. Fig. 14. Poche dans laquelle était renfermé un spermophore, dont on voit en quelque sorte les circonvolutions au travers des parois. Ces circonvolutions sont semblables à celles de la figure 10, si ce nest qu’elles sont moins serrées. Fig. 12. Un spermophore déroulé, dont une extrémité (la supérieure dans cette figure) est rompue. L'autre extrémité a est représentée dans la figure suivante. Fig. 13 à 15. Ces dessins sont dus au docteur Boogaard et se rapportent au sper- mophore. La figure 13 représente une des extrémités |, fig. 12)grossie 42 fois. On voit dans cette figure les circonvolutions serrées du filament spiral. Fig. 14. a, une portion du filament spiral, grossie 55 fois : les filaments capillaires àäl/ Joe, HOOGAARE, — RECHERCHES MICROSCOPIQUES sont des spermatozoïdes : figure 15, b, un faisceau de spermatozoïdes sous un plus fort grossissement (250 fois). (On trouve aussi dans le mémoire de M. van der Hoeven plusieurs figures qui sont relatives à l'anatomie du Nautile femelle’, et qui ne ‘diffèrent que peu de celles publiées précédemment par M. Owen et par M. Valenciennes; aussi avons-nous Cru pouvoir nous dispenser de les reproduire ici). (RépacrTeur.) RECHERCHES MICROSCOPIQUES SUR LES SPERMOPHORES DU NAUTILE, Par le D'J.-A. BOOGAARS. La forme des spermophores est, en général, cylindrique , et ils se terminent en pointe aux deux extrémités. Il arrive souvent , surtout à la face concave de leurs nombreuses circonvolutions , qu’un ou plusieurs plis longitudinaux se remarquent sur leurs té- guments. Près de leur extrémité les spermophores sont plus ou moins aplatis, et celle des deux extrémités qui est la moins épaisse est, en outre, recourbée en crochet. Hs semblent pourvus, à chaque extrémité, d’un appendice grêle, quoique assez résistant, et pointu, long d'environ 1°*,5 , et épais à son origine de 0",3. Les replis des spermophores ont une certaine régularité : les deux moitiés sont repliées séparément et se rapprochent l’une de l’autre, de manière que la portion moyenne du spermophore est située à l’une des deux extrémités de la masse allongée et enrou- lée ; c’est aussi cette portion qui sort la première du pénis. Il faut évidemment chercher la cause de cette particularité dans la forme de la poche spermophorique qui précède immédiatement le pénis. Lorsque le spermophore arrive dans ce réservoir, l'extrémité qui y pénètre la premiére est poussée peu à peu dans la deuxième chambre de cette poche, le long de la cloison intermédiaire, tandis que l’autre extrémité remplit plus tard la première chambre; la portion moyenne du spermophore vient amsi se placer naturelle- ment dans la partie antérieure de la poche, contre le bord libre de SUR LES SPERMOPHORES DU NAUTILE. 215 la cloison. Il en résulte que cette portion moyenne doit pénétrer la première dans le pénis et en sortir ensuite la première; car la forme allongée du peloton que forme le spermophore enroulé et la pression des parois du pénis s'opposent à la rotation. On trouve entre les circonvolutions une matière blanche et vis- queuse. L'un des spermophores que j'ai mesurés avait 34 centi- mètres de longueur, et environ 1°®,95 d'épaisseur dans sa partie moyenne. La couleur varie du gris jaunâtre au brun foncé ; cepen- dant cette dernière nuance n'appartient qu'aux spermophores qui sont arrivés dans le pénis ou qui en sont déjà sortis. La consistance des spermophores varie beaucoup , en raison de la place où on les rencontre. Peu après leur formation, ils sont extrêmement mous ; lorsqu'ils sont arrivés dans le pénis, ils deviennent beaucoup plus fermes ; ceux enfin qui se trouvent dans la poche située en dehors du pénis sont assez résistants, et en quelque sorte élastiques, quoi- qu'ils se brisent très facilement. Tout ceci se rapporte naturellement aux spermophores conservés dans l'alcool, ear je n’ai pas pu en observer d’autres. Les parties dont se compose le spermophore sont les enveloppes extérieure el intérieure et le contenu , dans lequel on peut distin- guer un ruban spiral lormé en grande partie de spermatozoïdes , et plusieurs substances, la plupart amorphes, qui remplissent l’in- tervaile compris entre le ruban spiral et les enveloppes. L’enveloppe extérieure est une membrane sans structure appré- ciable assez ferme , mais en même temps fragile, très peu exten- sible, et épaisse en moyenne de 0°*,005 (l'épaisseur variant de 0°®,1 à 0°",03). Elle est tantôt incolore et transparente , tantôt jaune où même d’un brun foncé : la surface externe de cette mem- brane est lisse ; l’interne offre souvent des saillies transversales , qui sont logées entre les plis de l’enveloppe intérieure. Celle-ci constitue une membrane très mince (0"",001-0"*,003), également sans structure appréciable , mais qui présente des plis transver- saux très nombreux. On ne peut guère la séparer qu’en petits fragments, car elle adhère assez fortement à l’enveloppe exté- rieure, et se déchire très facilement dans la direction des plis. L'espace compris entre ces enveloppes et le ruban spiral est 016 J.=A, BOOGAARD, -- RECHERCHES MICROSCOPIQUES rempli en grande partie par une substance transparente, tout à fait incolore et assez compacte , qui pénètre entre les plis de l'enve- loppe intérieure et les circonvolulions du ruban. On remarque dans cette substance un très grand nombre de corpuseules, la plupart du temps allongés et souvent aplatis, d’une grosseur très variable (de 0°",002-0"",01 en largeur, et 0"",002 à 0"",04 et même 0"",06 en longueur), qui sont formés d’une matière solide, incolore et réfractant fortement la lumière; le grand diamètre de ces corpuscules est toujours placé en travers. Indépendamment de ces deux substances on en trouve encore deux autres , qui ne sont dues peut-être qu’à l’action de l'alcool, et que, par conséquent, je décrirai rapidement. Ce sont : 1° une matière finement granuleuse, peu transparente, qui se trouve principalement à la surface interne, mais quelquefois aussi à la surface externe de l'enveloppe inté- rieure ; 2° une substance compacte, transparente et réfractant for- tement la lumière, qui est située le plus ordinairement, sous forme de fragments irréguliers et de toutes Îles grosseurs, contre le ruban spiral, auquel elle semble devoir son origine. La partie la plus importante du contenu des spermophores est, sans aucun doute, le ruban spiral, dont les replis transversaux , mais d’ailleurs très irréguliers, occupent la plus grande partie de la cavité du spermophore ; la largeur de ce ruban est de 0°",04 à 0°*,06, et son épaisseur est de 0"”,012. Sa couleur à la lumière réfléchie est d’un blane jaunâtre , et à la lumière réfractée d’un jaune foncé. Sa consistance est assez grande : on peut facile- ment en obtenir des fragments de 10 centimètres et plus de lon- gueur, sans que le filament se rompe. Ce ruban spiral, lorsqu'il n’occupe pas toute la largeur du spermophore , est rarement placé au milieu de sa cavité , mais il s'applique presque toujours à lun des côtés. On peut distinguer, dans le ruban spiral, l'enveloppe et le con- tenu : l'enveloppe est formée d’une membranule mince et tout à fait sans structure, qui adhère assez fortement au contenu, et dont l'épaisseur est tout au plus de 0°",002 : le contenu se compose en grande partie de spermatozoïdes , dont la partie appelée la queue se confond tellement avec un filament situé au milieu du ruban, SUR LES SPERMOPHORES DU NAUTILE. 917 qu'il est impossible , dans la plupart des spermophores, de les observer séparément ou de les isoler. Ce n’est que dans les sper- mophores récemment formés que je pus reconnaître , dans cer- taines parties, un filament sans structure et les spermatozoïdes qui y sont fixés ; leur extrémité antérieure est appliquée à la surface , immédiatement contre la membranule qui sert d’enveloppe au ruban : de là on peut les suivre des veux sous l’aspect de fibres très fines, mais très prononcées. Leur direction est d’abord oblique et ensuite longitudinale; leur extrémité libre ne présente aucune séparation en tête et en queue, mais seulement un renflement très petit, à peine visible, et en même temps une sorte de varicosité. Quant à la disposition des parties situées à chacune des extré- mités du spermophore , je ferai remarquer d’abord qu’elles n’of- frent pas des différences importantes. Le ruban spiral s'étend d’une extrémité à l’autre, et on peut le suivre , vers la petite extrémité , jusqu’à la courbure en crochet déjà citée, et, à l’extrémité opposée, jusqu’à la base de l’appendice, qui n'offre pas de courbure. La cavité du spermophore m'a paru se prolonger jusqu'à cet appen- dice , en se rétrécissant insensiblement; mais je n’ai pu constater cette disposition que dans un individu mieux conservé que les autres, et, par conséquent, je ne puis décider si on l’observe constamment. À l’extrémité grêle la cavité se rétrécissait subite ment vers la courbure en crochet, et devenait un conduit très grêle, enroulé en spirale, que l’on perdait de vue après les pre- miers replis dans l’appendice en crochet. On peut supposer peut- être que cette extrémité est fermée et l’autre ouverte, où que du moins elle peut s'ouvrir facilement par la rupture du petit appen- dice. L’enveloppe intérieure m'a paru s'étendre aussi loin que le ruban Spiral; je n’ai vu au delà que l'enveloppe extérieure : l'épaisseur des téguments est très variable vers les extrémités. Quant à un appareil d’éjaculation , analogue à celui des spermo- phores des autres Céphalopodes , je n’ai rien trouvé qui s’y rap- porte. I me semble fort peu probable que le séjour dans l'alcool en soit la cause, car, dans ce cas, il en resterait du moins quelques traces. L'absence de lappareil éjaculatoire est peut-être liée à l'existence de Ja poche dans laquelle sont renfermés les spermo- 018 J.-A. BOOGAARD. — RECHERCHES MICROSCOPIQUES, ETC. phores du Nautile après leur sortie du pénis ; toutefois il est plus facile d’émettre cette opinion que de la démontrer. La formation des spermophores à certainement lieu presque complétement dans le conduit déférent, car déjà ces corps se mon- trent pourvus de toutes leurs parties dans le petit sac auquel il aboutit. Cependant les enveloppes sont encore très molles , ainsi que la substance interposée entre elles et le ruban spiral. Il en résulte que l’on peut extraire du spermophore de longs fragments de ce ruban, ce qui n’est possible qu’au moyen des réactifs dans les spermophores devenus solides. En général, les éléments dont se composent les spermophores sont très peu sensibles à l’action des réactifs. L’acide acétique, l'acide sulfurique étendu et l'acide chlorhydrique lui-même sont presque sans effet. L’acide nitrique communique à toutes les par- ties du spermophore (excepté, ee me semble, à la première des substances déjà indiquées entre les téguments et le ruban spiral ) une couleur jaune claire, qui devient orangée par l'addition d’une dissolution alcaline , tandis que le tout à peu près se dissout. Par l'emploi de l’alcali seul (1 + 20 ag), la même substance que ci- dessus est d’abord dissoute, et les corpuscules allongés qu’elle ren- ferme deviennent libres ; plus tard les enveloppes aussi se dis- solvent : c'est le ruban qui résiste le plus longtemps, mais il acquiert une grande transparence et semble alors dépourvu de structure. L’ébullition dans l’éther ne fait subir au tissu du sper- mophore aucun changement. La poche dans laquelle sont renfermés les spermophores , après leur sortie du pénis, ne subit que peu ou point de changement par l’action de À partie d’alcali et de 9 parties d’eau , prolongée même pendant vingt-quatre heures. La plupart des acides ont encore moins d'action ; toutefois l’acide nitrique donne lieu à un dévelop- pement de gaz. Le résultat est le même lorsqu'on traite avec les réactifs en question la substance du disque glanduleux situé sur le spadice. HISTOIRE DE L'ORGANISATION ET DU DÉVELOPPEMENT DU DENTALE, Par le D' MH. LACAZE-DUTHIERS , Professeur de zoologie à la Faculté des sciences de Lille. (Suite.) Appareil de la vie de relation. IV. ORGANES DE LA LOCOMOTION. Il eût été naturel de faire suivre la description du tube digestif par celle des organes de la circulation et de la respiration, qui font partie de l’ensemble des appareils concourant à l’accomplissement de la fonction générale de nutrition ; mais il est absolument néces- saire , on le comprend, de connaitre les organes de la locomo- tion pour parler des vaisseaux qui les traversent. L'appareil de l'irrigation organique présente d’ailleurs des dispositions si singu- lières et si peu en rapport avec celles que l’on est habitué à trouver, que toutes les autres particularités de l’organisation doivent être connues d’abord, afin de ne laisser aucun doute sur l'existence de celles qui se présentent exceptionnellement. C’est là ce qui surtout m'engage à changer la marche habituellement suivie dans la description des organes et dans l’étude de leurs fonctions. Nous nous occupérons d’abord des organes de la locomotion, ensuite de ceux de l’innervation. Le Dentale est un mollusque parfaitement caractérisé, et, comme tel, il doit présenter des organes du mouvement, sinon semblables, du moins analogues à ceux des autres animaux de l’embranche- ment. 320 H. LACAZE-DUTHIERS. Le manteau, la coquille, le pied et les muscles moteurs, voilà les parties qui se présentent à notre étude. C’est en appre- nant à les connaître, c’est en cherchant avec soin leurs moindres rapports avec les parties analogues dans les autres mollusques, que nous pourrons espérer d'arriver à reconnaitre les rapports naturels du Dentale, rapports qu'il est difficile d'indiquer nette- ment. ARTICLE ΰ®. Manteau. Dans tous les mollusques, le manteau est cette enveloppe géné- rale qui se détache du corps en formant des replis variés, et donne naissance à des voiles de mille formes , tantôt libres, tantôt soudés , tantôt considérablement développés, tantôt, au contraire, à peine saillants, desquels dépend souvent l'apparence générale de l'animal. Les dispositions si multipliées qu’il prend semblent même caractéristiques de quelques-uns des groupes les plus na- turels de l’embranchement des Malacozoaires ; et le rôle qu'il joue dans quelques-unes des fonctions est souvent des plus im- portants : on comprend dès lors tout l’intérêt qui s’attache à son étude. C’est surtout le cas-pour l’animal qui nous occupe. Le manteau du Dentale présente, comme on le verra, des particularités fort remarquables se rapportant à l’accomplissement des fonctions les plus importantes. Il faut, pour l’étudier, casser la coquille avec les précautions qui ont été indiquées et observer les animaux morts empoisonnés ainsi que les animaux vivants : car les relâchements ou les con- tractions lui donnent une apparence toute différente. L'animal, enlevé vivant de sa coquille, paraît (1) conique et un peu courbe; la partiela plus large est terminée brusquement par une surface presque plane, perpendiculaire à la direction générale de l'axe, et froncée comme une bourse dont on aurait tiré les cordons ; le sommet, ou partie la moins développée, est terminé par un tube (1) Voyez les différentes figures qui donnent une idée générale du corps et en particulier dans les pl. 12, fig. 4, 2, 3 (Ann. des sc, nat., Zooz., 4° série). ORGANISATION DU DENTALE. 921 fortement échancré dans un sens. En tournant de tous les côtés ce petit corps conique , on remarque que, dans le tiers antérieur, il est blanc, opaque, sans aueune particularité; qu’au contraire, dans les deux tiers postérieurs répondant au sommet, l’une de ses moitiés longitudinales est (L) transparente et membraneuse, tandis que l’autre est épaisse, charnue, et présente à la fois des muscles et des glandes (2). Lorsque l’animal à êté empoisonné, le relàche- ment fait disparaitre le froncement du bord antérieur, et alors, mais alors seulement, on peut se faire une idée juste et exacte de l’état des choses. Il y a donc trois parties distinctes dans le manteau : L'une antérieure ; L'autre postérieure, occupant les deux tiers du corps; Enfin, une dernière ou terminale. La partie antérieure est un tube complet libre de toute adhé- rence, sauf en arrière , où elle s’insère sur le corps et où elle s’unit à la partie postérieure; elle cache le pied, le mamelon buceal , et ce qui sera décrit plus tard sous le nom de filaments tentaculaires. | Épaisse et fortement contractile, elle doit ses propriétés aux nombreuses fibres museulaires qu'elle renferme. Son bord libre, antérieur, marginal, n’a jamais été figuré d’une manière exacte : cela tient très probablement à ce que les figures ont été prises soit sur des animäux vivants et fortement contractés, soit sur des animaux conservés dans l’alcool et revenus par con- séquent complétement sur eux-mêmes. Pour en avoir une idée conforme à la réalité, il faut l’observer sur des animaux morts par asphyxie ou bien tués par l'acide cyanhydrique; alors on voit que ce bord libre, ou cette marge, est coupé obliquement (3) d’a- vant en arrière et de haut en bas, et qu'il accompagne la base du lobe latéral du pied auquel il est parallèle. Mais cette obliquité ne s’observe que lorsque l’état de relâchement est complet : pour (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoou., 4° série, t. VI, pl. 44, fig. 4, 2, 3 {t). (2) Id., fig. 4, 2, 3 (f,g,m, r). (3) 1d., fig. 2. Pour que les expressions qui sont dans le texte puissent s'appliquer à la figure, il faut la supposer couchée horizontalement. 4° série. ook, T. VE. (Cahier n° 6.) 1 21 329 H. LACAZE-DUTHIERS. peu qu'il y ait des contractions, le côté inférieur du bord remonte, etle pied semble entouré par une collerette partout d’égale hauteur. L'épaisseur de ce bord semble avoir été un peu exagérée dans les planches qui accompagnent le travail de M. Deshayes; il ya bien un épaississement (1) circulaire qui fait même une saillie comme un bourrelet, mais son épaisseur ne me parait pas aussi grande que lindiquent les dessins auxquels je fais allusion. Ce bourrelet circulaire est évidemment formé par denombreuses fibres musculaires circulaires, et c’est lui qui, en se contractant, ferme le tube comme une bourse ; il joue le rôle d’un véritable sphincter. Quand l’animai veut se séparer complétement du monde extérieur, le jeu de cet anneau musculaire que je viens d'indiquer l’enferme complétement ; il serait alors absolument impossible de rien faire pénétrer dans le tube du manteau. Chez beaucoup d’Acéphales lamellibranches, le manteau est ainsi plus musculaire sur son bord que dans le reste de son étendue; mais aussi, presque toujours, il porte des franges tantôt en forme de tentacules, par exemple les Peignes, les Limes; tantôt en forme de feuillet ondulé, mince et festonné. Ici ce dernier cas se présente, et, lorsque l’on à bien empoisonné le Dentale, on voit le repli légèrement festonné, qui entoure la base des lobes du pied comme une collerette (2). La partie moyenne de celte première portion du manteau n'offre rien de particulier ; elle est à peu près d’égale épaisseur en dessus et en dessous. Nous verrons qu’elle renferme des vaisseaux et des nerfs bien distincts dont l'étude nous occupera. Elle se termine en arrière en devenant adhérente avec la base du pied et le reste du manteau ; elle s'attache au dos de l’animal, près de la bouche et des replis portant les filaments tentaculaires. À partir de ce point, la ligne d'union devient de plus en plus oblique d’avant en arrière et de haut en bas; elle se dirige vers l’orifice anal et le talon du pied. Presque en face du talon et de l’anus, les portions anté- rieures et postérieures du manteau sont séparées par une dépres- sion ou petit étranglement (3), en avant duquel nous reconnai- (4) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zoou., t. VI, pl. 41, fig. 4, 2 et 3 (s). (2) I., fig. 1, 2et3 (d, d). (3) Id., fig. 2 (e). ORGANISATION DU DENTALE. 328 trons une disposition organique extrèmement remarquable, et sur- tout fort importante à connaître quand il s'agira de trouver l'or- gane de la respiration. La partie postérieure ou viscérale n’est pas isolée du côté du dos, comme celle que nous venons d'étudier. Elle nait sur les côtés du corps et forme un tube complet, que l’on peut considérer comme le résultat de la soudure sur la figne médiane des deux moitiés. Dans toute cette portion, le manteau est excessivement mince et transparent : aussi peut-on, au travers de son épaisseur, distinguer ce qu'il y a en dessous de lui, dans la cavité de son tube et même dans sa paroi postérieure. Presque toujours'il est rem- pli et distendu par l'eau que les contractions de la base et du sommet ont enfermée dans son intérieur. Mais il offre une particularité importante : il contient, dans l'épaisseur même de sa paroi, exactement sur la ligne médiane, un vaisseau rectiligne qui commence auprès de l'extrémité vers le sommet, et qui se porte, en grossissant de plus en plus, jusqu’à la partie correspondant à peu près au talon du pied, pour se diviser en deux. Nous aurons à revenir sur ce fait important (4). On voit aussi, tout le long des côtés du corps, les extrémités des cæeums des glandes génitales, qui arrivent jusqu'à l'origine du feuillet du manteau. Quant au foie, la majeure partie de ses tubes sécréteurs se trouve logée entre les lames de cette partie du tube. Le manteau. va se rétrécissant vers l'extrémité postérieure comme le corps ; puis il diminue brusquement en avant du bour- relet qui précède le sommet ; là il forme même comme un petit cul-de-sae, qui, dans les animaux vivants, est très accusé, parce qu'il est gonflé par l’eau (2). L'étude des deux parties du manteau que nous venons de dé- crire ne pourra être complète que lorsque la cireulation et la respi- ration seront connues , puisque des organes, dépendances impor- tantes de ceux qui servent à ces fonctions, se trouvent logées dans leur intérieur. L'extrémité postérieure du corps, ou sommet, à élé nommée 1) Voyez Ann. des se. nat., 4° série, Zooz., L. VI, pl. 44, fig. 4 (v). Ù à (2) Id., fig. 2 (o). 321, , H. LACAZFE-DUTHIERS. pavillon par M. Deshayes. Ce nom n’a rien d’impropre, et on peut le conserver ; mais il n’en est pas ainsi du rôle que lui attribue cet auteur. Le pavillon ou extrémité postérieure se compose de deux parties bien distinctes : l’une est un véritable anneau circulaire (1) , l’autre est lepavillon proprement dit (2), dont l’échancrure arrive jusqu’à l’anneau. Les muscles du dos, les glandes génitales, le tube trans- parent du manteau, tout s'arrête et se termine à son bord anté- rieur. Il est épais, dur, assez résistant, d’une nature presque fibro- cartilagineuse et cependant contractile. Il est percé d’un trou, que M. Deshayes a considéré comme lanus , parce qu'il a cru voir s'échapper par lui des exeréments. M. William Clark a vivement et justement critiqué cette manière de voir ; mais il lui a substitué une opinion qui n’est pas plus heureuse, quand il a désigné l’ex- trémité antérieure du manteau comme étant l'endroit par où s’é- chapperaient toutes les déjections. En parlant plus loin des autres fonctions, j'indiqueraipar des faits, des observations irrécusables, le rôle de l’orifice du pavillon. L’embryogénie viendra aussi à notre aide pour montrer que ni M. Deshayes, ni M. Clark, n'ont raison complétement, bien que, cependant, il y ait quelque chose de vrai dans la manière de voir de chacun d’eux. Le pavillon proprement dit est un tube de même nature que le bourrelet, car il est également contractile. ILest échancré en des- sous ; aussi a-t-il été comparé, par William Clark, à une cuiller, comparaison qui manque un peu de justesse : un sillon le sépare du bourrelet circulaire. Sa longueur totale est très variable avec les individus et surtout avec l’état. De nombreuses observations m'ont conduit à trou- ver une grande différence dans ses proportions, surtout dans sa longueur. Cela tiendrait-il à l’état de contractilité plus ou moins grande des individus observés? C’est possible, Cependant quelques animaux présentent de telles différences, qu'il est bien diffieile, surtout en opposant ce fait à ceux qui vont suivre et qui se rappor- (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zoor., t. V, pl. 14, fig. 4, 2, 3 (b). (2) Id. (a). ORGANISATION DU DENTALE. 325 tent à la coquille, que je ne saurais mettre en doute qu'il n’y ait de grandes variations dans lé volume. C’est là, du reste, une chose qui n’a pas une grande importance (1). Je laisse de côté, à dessein, l'étude du canal qui traverse cette extrémité postérieure du corps, car elle se rapporte à une autre fonction. Après avoir indiqué la forme du manteau et quelques- unes des particularités se rapportant à son histoire, après avoir, en un mot, décrit les limites de l’animal , il faut étudier l’enve- loppe protectrice que sécrète la surface du corps, c’est-à-dire la coquille. ARTICLE II. Coquille. $ I°". Description. La coquille à une forme connue de chacun ; elle a été décrite par les conchyliologistes avec le plus grand soin, et elle leur a servi heureusement, comme pour la plupart des autres mollusques, à la classification des espèces. M. Deshayes, entre tous , a fait connaître avec soin les particu- larités que peut présenter sa surface ; ce qui lui a permis, dit-il, d'établir nettement la distinction des genres et des espèces (2). Relativement à sa position, le savant conchyliologiste français a fait une erreur qu'il importe de relever. Il l’a renversée à moitié, absolument comme un homme vu dans une glace. La tête et les pieds sont bien en position, mais le côté droit est à gauche, et le côté gauche à droite. «Nous avons placé devant nous, dit-il, » sur un plan horizontal, la grosse extrémité ou base en avant, la » petite extrémité ou le sommet en arrière , la face concave ou » ventrale en bas, la face convexe ou dorsale en haut (3). » La po- sition des extrémités est exacte; mais le dos est en dessous, et la partie inférieure à la place du dos. Avant d’avoir fait une étude (1) On ne sera donc pas étonné de rencontrer des différences dans les figures du pavillon. (2) Voyez loc. cit. (3) Voyez loc. cit., p. 343. 326 M. LACAZE-NUTHIERS. satisfaisante des mœurs et de l’embryogénie, j'avais moi-même placé ainsi la coquille ; mais le jeune embryon me présentait déjà des courbures en sens inverse , et j’ai dû y regarder de plus près; il eût suffi, pour se convaincre de ce que j'indique, de voir le Dentale labourer le sable (1). Positivement, la concavité est en haut et en avant. On ne saurait en douter, surtout quand on fait l'anatomie de l’animal, car l’on trouve même jusqu’à la raison de la courbure. La coquille représente (2) dans son ensemble un tronc de cône courbé, dont la base est oblique à l’axe général. Cette courbure de l'axe, qui a existé à toutes les périodes de la vie, va diminuant peu à peu à mesure que l’animal augmente de volume. Des Dentales de 442 cenüimètres de long ont, relativement et absolument, une cour- bure infiniment plus considérable que ceux de la plus grande taille, Cela vient de ce que les coquilles se eassent et se détruisent à leur sommet, tandis qu’elles s’allongent au contraire à leur base : or, la courbure est bien plus forte au sommet qu’à la base; par conséquent, à mesure que l’animal perd les parties les plus forte- ment infléchies, il devient de plus en plus rectiligne. Je dis que la coquille du Dentale est toujours tronquée : cela est et devait être. Je ne parle point ici des cassures, des brisures de la base, qui sont toutes réparées par l'animal, comme on peut le voir dans une coupe longitudinale de l’une des planches qui accompagnent mon travail (8). L'animal n’adhère à la coquille que près du bourrelet circulaire du sommet du manteau ; il peut done se retirer au fond quand un accident vient à casser son tube vers la partie élargie ; puis 1l peut réparer la perte par une nouvelle sécrétion , qui se fera remarquer toujours par la courbe qu’elle est obligée de dé- crire pour se porter de la face interne à la face externe. Ce n’est pas une restauration des parties endommagées : c’est une conti- nuation de la production de la coquille. qui, trouvant un brusque changement dans la direction à prendre, s’infléchit en dehors. De là une saillie ou arrête vive circulaire qui est le bord de l’extré- (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zooz., t, VI, pl. 44, fig. 4. (2) Ja, pl. 49, fig. 4 et 2. (3) 1d., fig. 4 (x). ORGANISATION DU DENTALE. 327 mité cassée. Il en est du test des Dentales absolument comme de celui des autres mollusques. La coquille est sécrétée, ou mieux formée, par le dépôt d’une matière terreuse carbonatée, le plus souventde carbonate de chaux. Des couches minces se déposent à l’intérieur les unes des autres, et c’est évidemment le manteau ou toute la surface extérieure du corps qui les produit. La coquille s’aceroit et se constitue absolu- ment comme si l’on formait un gros cornet avec une foule de cornets emboités les uns dans les autres : le cornet le plus interne est le dernier placé, et ses bords dépassent ceux des précédents, qu’on aperçoit sur la surface externe par des lignes courbes, superposées. Ici le manteau dépose des cornets calcairés, forcé- ment de plus en plus longs, en dedans les uns des autres et se dépassant toujours (4). Or, que l’on y réfléchisse, l'animal a été d’abord microscopique ; il a eu une coquille bien longtemps avant d’avoir même la longueur d’un millimètre, et cependant son corps n’a pas cessé de croître et d'augmenter. Le pavillon lui-même, qui est très marqué dans les plus jeunes Dentales, prend des proportions dix, vingt fois plus grandes que celles du corps total de l'embryon. Il faudrait done, pour que la coquille fût éntière, que le corps lui-même restât à son sommet effilé et atténué en pointe microscopique ; or, cette condition serait évidemment incompatible avec toutes les fonctions les plus importantes : comment, en effet, par un orifice aussi délié que celui qui existe au sommet de la coquille d’un embryon, com- ment pourrait-il pénétrer une quantité d'eau en rapport avec les besoins de la respiration d’un être bien plus développé ? Comment pourraient, plus tard, s'échapper les produits de la génération par un orifice qui est plus petit que ces produits eux-mêmes ? D’ail- leurs, si ces réflexions ne suffisaient pas, l'observation directe du sommet de l’animal serait là pour montrer que le pavillon n’est point allongé et étroit, mais, au contraire, très large relativement à ce qu'il a été. Ces considérations me portent donc à croire et à admettre que (1) Voyez Ann. des so. nat., 4° série, Zoou., t. VE, pl. 42, fig. 1. 2928 H. LACAZE-DUTHIERS. Vanimal se déplace dans sa coquille à mesure qu'il grandit, que le sommet de celle-ci se casse et tombe quand il n’est plus assez grand pour loger le pavillon du manteau. Comment s'effectue ce déplacement ? Le sommet est-il cassé, et d'abord le retrait de l’animal vers la base en est-il la consé- quenee ? Cela peut être. Ou bien l’animal décolle-t-il ses insertions musculaires progressivement ? Ou bien encore y a-t-il tel ou tel autre mode de déplacement? Cela est possible ; mais on ne peut faire que des hypothèses. On verra, en étudiant la structure, que le sommet présente une particularité démontrant cette destruc- tion. Voici d’ailleurs une observation qui trouve ici sa place, et qui peut faire comprendre que le phénomène dont je parle a bien lieu: Les animaux placés depuis longtemps, en très grand nombre, dans un vase avec peu d’eau de mer, éprouvent le fractionne- ment de leurs coquilles; le bord de la base se détache en petits cercles par le mouvement seul de progression; il est évident que des conditions de vitalité peuvent changer la ténacité du tissu de la coquille elle-même. Quoi qu'il en soit, il n’est nullement douteux que, dans tous les individus de grande taille, le sommet ait perdu au moins un cen- timètre et probablement deux de la coquille primitive. On ren- contre des Dentales dont le sommet a une circonférence d’au moins un millimètre et demi de diamètre, quelquefois deux. Dans l’ori- gine, la coquille n’avait pas un sommet aussi considérable. D'une autre part, il n’est pas possible non plus que les couches s’ajou- tant à l'intérieur aient pu faire céder et dilater le tube; on trouve- rait à la surface extérieure des gerçures comme sur l’écorce des arbres, et cela n'existe pas. Je crois donc que, pour avoir la lar- geur totale d'une coquille âgée, il faut prendre une coquille très jeune, dont le sommet est à peine cassé, et l'ajouter à la précé- dente, en remarquant toutefois que la base de l’une soit égale au sommet de l’autre. On voit qu'ainsi le sommet d’ane coquille âgée a été la base à une époque de la vie, et que la cavité a été plus tard remplie en partie par la sécrétion des couches ajoutées en dedans. I n’est pas douteux, du reste, que l’animal ne soit parfaitement ORGANISATION DU DENTALE. 3229 fixé à la coquille : il suffit de casser celle-ci par la base, en se rap- prochant du sommet, pour arriver à un point où l’on trouve d’une manière non équivoque l'union des parties dures et des parties molles. Relativement à son éloignement de l'extrémité, ce point varie beaucoup. Cela s’expliquerait, ce me semble, par les dépla- cements dont il vient d’être parlé. J'ai rencontré sur quelques individus une dépression profonde correspondant à l'insertion des muscles , telle qu’elle a été indiquée et figurée par M. Deshayes. Mais cependant, je dois le dire, les cas où je ne lai point rencontrée sont beaucoup plus nombreux, les autres m'ont paru, relative- ment, des exceptions. Mais toujours 1l y a, comme dans tous les mollusques, une impression musculaire qu'il ne faut pas con- fondre avec la dépression dont je parle, et qui forme un véritable creux. Le sommet de la coquille est, disais-je, quelquefois très déve- loppé (4); mais alors il est rempli par la substance qui a été dépo- sée à son intérieur, et qui nous occupera bientôt. Cette substance dépasse (2) le bout du sommet et forme au delà un petit tube supplémentaire qu'a vu, indiqué et décrit M. Deshayes, et qui me semble moulé sur le pavillon. Ce petit tube est souvent fendu, et sa fente se présente du côté de l’échancrure du pavillon. Son ouver- ture n’est pas circulaire; elle est aplatie dans le sens transversal, et son grand diamètre est dirigé de haut en bas. On verra que la coquille de l'embryon présente un sommet rétréei, dont la forme n’est pas celle du reste de la coquille , et qui correspond au pavillon sur lequel il s’est moulé. D’après M. Deshayes, l’orifice du som- met transformé par son aplatissement latéral en une fente , peut servir à la connaissance des espèces. Tout un groupe dans le genre Dentale a été établi par cet auteur d’après ce caractère. J'ai trouvé, du reste, entre les individus de très grandes différences relativement à la longueur de ce tube supplémentaire ; elles sont souvent dues à la destruction du tube, qui est fragile, si l’on en juge par son peu d'épaisseur et par sa nature. (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zoo, t. VI, pl. 42, fig. À, 2. (2) Id. fig. 2 (g). D] 290 H, KLACA7E-DUTHIERS. La surface extérieure de la coquille présente des cercles, traces évidentes des périodes d’accroissement, et fréquemment aussi des lignes brusques, conséquences des fractures et des réparations. On y voit encore, mais seulement vers le sommet (4), des stries longitudinales peu marquées, qui semblent comme de petites côtes. Les caractères, lirés de la présence de ces stries, servent à répartir convenablement les espèces. Cependant il ne faudrait pas oublier qu'à un certain âge les Dentales ont une coquille complétement striée. Je possède une petite coquille qui a un centimètre de long et qui présente des stries ou petites côtes de l’une à l’autre de ces extrémités. Ces côtes ont elles-mêmes des stries secondaires, que l'on distingue très nettement sur les coupes microscopiques ho- rizontales (2). On comprend, du reste, que plus la coquille perd de sa partie postérieure, et plus les stries disparaissent. On doit penser, d’après cela, que la présence des stries, ou petites côtes, au sommet, n'a pas une valeur aussi grande comme un caractère d'espèce. La couleur de presque tous les individus pêchés dans la lo- calité des Hébiens était blanche, jaunâtre ou rose. Les teintes jaune et rose, mêlées pour faire des tons divers et intermédiaires, se trouvaient toujours beaucoup plus marquées sur le sommet, tandis que le plus souvent la base était presque blanche; sur des individus conservés, soit dans l'alcool, soit desséchés, la teinte de la coquille diminue beaucoup d'intensité, surtout dans ces der- niers. Quand l'animal est vivant, la teinte de rose, légèrement jaunâtre, est parfois des plus vives et des plus agréables. Le sommet présente presque toujours une couche de matière noirâtre (8), souvent très foncée, qui voile et masque les couleurs de la coquille; cette couche.est certainement une substance étran- gère déposée à l'extérieur, car il suffit de frotter vivement la co- quille pour l’enlever. Du reste, la disposition même de cette couche (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zooz., t. VI, pl. 42, fig. 2. (2) 1d., fig. 8 (j. (3) Za., pl. 44, fig. 4. ORGANISATION DU DENTALE, 991 prouve ce que je dis ici. Elle s'étend beaucoup plus loin sur le côté concave ou dorsal de la coquille, et cela parce que l'animal, en se trainant, à moitié enfoui, dans le sable, frotte le côté con- vexe ou inférieur et enlève par conséquent en dessous ce dépôt étranger, qui me parait être un résidu de matières organiques dé- composées. Si à l'extérieur la coquille est marquée de stries circulaires, à l’intérieur elle est, au contraire, d’un poli extrêmement beau : on croirait voir de la porcelaine pour la blancheur et l'éclat du verni. $ II. Structure. J'ai cherché en vain, dans les travaux particuliers ou généraux sur la structure des coquilles, s’il était question de celle qui va nous occuper. Je n'ai rien trouvé. J’ai donc entrepris l'étude de cette structure, et je l'ai poussée aussi loin que j'ai pu. Jai voulu comparer mes résultats à ceux obtenus par les auteurs pour les autres mollusques, et j'ai fait les coupes de quelques-unes des coquilles citées comme exemple, ne voulant pas m'en rapporter seulement aux figures accompagnant les mémoires. C’est surtout aux très beaux travaux de M. le professeur Carpen- ter, de Londres, que j’ai puisé des renseignements sur la structure des coquilles des mollusques (1). J'ai été plus heureux : j'ai pu, dans un entretien plein de courtoisie et d’affabilité , apprendre de la bouche même du savant professeur anglais quelques-uns des doutes qu'il conserve encore sur l’origine de certaines disposi- tions particulières que présentent les coquilles, ces doutes sont en rapport avec ceux qu'avait laissés dans mon esprit une étude, j'ose le dire, très approfondie de la texture du test des Dentales. Ayant éprouvé beaucoup de difficultés à voir quelques-uns des faits que je vais faire connaître , il me parait utile de dire d’abord corment je suis arrivé à les constater. Les préparations les plus simples demandent, pour être bien (1) Voyez l’article Suez, Cyclopædia of Anatomy and Physiology ; voyez aussi : On the Microscopic Siructure of Shells, in Annals of Natural History. Dec. 1843; in Reports of British Association for 184% and 1847. e 332 ES. LACAZE-DUFHIERS. connues, quelques précautions et l'emploi de quelques artifices. La coupe de la coquille, faite dans divers sens par l'usure sur un grès, puis sur une pierre plus fine, est un moyen d'étude nécessaire. Il faut agir comme dans tous les cas bien connus, où l’on veut faire des lames minces d’un corps solide. Quand on a obtenu des tranches transparentes microscopiques, on peut déjà observer quelques- unes des dispositions; mais pour les connaître toutes, 1l faut em- ployer tantôt la lumière réfléchie, tantôt la lumière transmise. Jai toujours remarqué aussi que, sur les lames minces, l’action d’une eau faiblement acidulée faisait apparaître des détails que l’action de la meule et du polissage avait masqués. J'ai eu recours encore à l’action des acides d’une manière va- riée en plaçant les coquilles dans des dissolvants extrêmement faibles (acide chlorhydrique, azotique, considérablement éten- dus), après avoir recouvert certaines parties de vernis inatta- quable. On peut de la sorte voir le passage entre une partie imatta- quée et une dont les éléments sont mis à nus. On obtient aussi de bons résultats en continuant l’action de lacide, après avoir couvert de vernis préservateur des parties déjà attaquées. Ce moyen réussit souvent et complète les idées que l’on puise dans l'examen des coupes minces. IL est aussi un mode d'observation qu'il ne faut pas dédaigner : c’est celui qui porte sur les petits fragments que lon obtient en cassant la coquille; on réussit quelquefois, mais c’est le hasard qui sert plus ou moins heureusement à produire des éelats minces, sur lesquels les notions acquises par les autres préparations peu- vent encore se compléter. Dans l'étude des os, des dents, ete., on dissout complétement la matière calcaire par un acide ; alors il ne reste plus que la trame organique, qui, de même qu'un moule, conserve la forme de tous les éléments. Cela est possible, quand eette trame organique est abondante; mais ici il en existe si peu, que c’est presque à se demander s’il y en a : en effet, quelle que soit la lenteur avec laquelle on fasse agir la liqueur dissolvante, jamais il ne reste de ré- sidu, et la dissolution est complète ; 1l doit certainement y avoir de la matière animale, liant entre elles les particules calcaires ; mais ORGANISATION DU DENTALE. 999 elle est en si petite quantité, qu’elle semble disparaitre, et que ce mode d'observation ne peut nullement servir. D'abord, que voit-on sur les lames des coquilles faites en diffé- rents sens ? En général, on fait les coupes parallèles et perpendiculaires à l'axe, et l’on cherche à voir sur les unes la disposition des éléments observés sur les autres; c’est aussi ce qui a été fait ici. Sur une coupe longitudinale , avec un faible grossissement et même à la loupe, on distingue deux ordres de lignes, bien diffé- rentes par leur direction, leur forme, ete. On reconnait (4) aussi que de la substance calcaire est disposée dans quelques points du test d'une manière toute différente à celle du reste de l'étendue. Vers le sommet, l'épaisseur est considérable ; à la base, au con- traire, les bords deviennent minces et tranchants ; au sommet, on voit, dans l’intérieur et s'étendant à une faible distance, une couche de substance qui ne présente plus et les lignes transver- sales et les lignes longitudinales divergentes. Cette substance à été surajoutée en dedans, à mesure que la brisure du sommet a eu lieu. Nous laisserons de côté cette substance, ainsi surajoutée, pour l’étudier isolément plus tard. Dans tout le reste de la coquille, on voit des stries (2) dirigées à peu près dans le sens de la lame, mais se portant cependant, en divergeant, du bord interne ou sur- face interne au bord externe ou surface externe. Ces stries, plus serrées en certains points, paraissent mieux alors en raison de la blancheur qu’elles déterminent. Il en est ici comme pour toutes les autres coquilles, leur nombre est tout à fait variable; il semble que, à certains moments, la production de la matière calcaire soit plus considérable, et que l'accroissement soit plus grand : de là un plus grand nombre de stries. Ces stries longitudinales sont bien le résultat de l’accroissement de la coquille. En effet, sur une coupe comme celle que j'ai repro- duite dans les planches de mon travail, avec seulement trois fois les dimensions naturelles (3), on peut voir que les couches sont (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zooz., t. VI, pl. 42, fig. 4 et 42. (2) Ja. (9 (1). (3) Zd., pl. 49, fig. 4. 331 H. LACAZE-DUTHIERS. toujours concentriques les unes aux autres, et que la plus interne, celle qui termine le bord tranchant de la base, doit arriver jusqu’au sommet; ces stries sont à proprement parler les lignes de soudure des différentes couches. Quand l'accroissement se fait avec une plus grande activité, le nombre des lignes augmente en même temps que l'épaisseur : de là ces différentes zones à éléments plus distincts dans la coupe longitudinale. On voit, du reste, très nette- ment cette succession des lignes d’aceroissement , lorsque, sur un point de la longueur de la ecquille, une fracture a eu lieu (1). Alors les couches internes se rejettent en dehors, en s’infléchissant brusquement et laissant, sans la réparer, l’extrémité de la frac- ture qui n’est pas le bord de la base, car à aucun moment celle-ci n’a été aussi brusquement terminée. Sur les mêmes coupes on aperçoit encore des lignes, ou mieux des bandes de deux ordres, perpendiculaires à la direction des premières, et par conséquent à l’axe du corps; la coupe (2) les fait distinguer facilement, et sous le microscope on les voit par la lumière réfléchie et par la lumière directe. Les unes paraissent blanchâtres à la lumière réfléchie, les autres sont grisätres. On pourrait considérer ces dernières comme étant la substance inter- médiaire aux bandes élémentaires précédentes. Une chose m'a toujours frappé : ces lignes blanchâtres épaisses paraissent bien plus distinctement, quand on les éclaire en faisant tomber les rayons lumineux parallèlement à leur direction ; on sait que c’est habituellement l'inverse qui arrive : des lignes quelconques se dé- tachent plus nettement, quand la lumière arrive perpendiculaire- went sur elles. Si l’on décape la coquille en dehors sur une plus où moins grande étendue, en agissant lentement pour obtenir une sur- face nouvelle, parallèle à la surface primitive, on voit (à) des bandelettes blanches semblables pour l'aspect à celles que je signalais sur la coupe longitudinale ; mais cette fois courtes et irrégulièrement rameuses, formant un réseau à mailles allon- (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zoo, t. VI, pl. 42, fig. À (b). (2) 1a., fig. 2 (f). (3) Id. fig. 2 (d). ORGANISATION DU DENTALE. 339 gées transversalement, parallèles au bord de la base de la co- quille. Enfin, si l’on examine une coupe circulaire faite autant que pos- Sible parallèlement à la base (1), on aperçoit sur ses bords, surtout si la coupe a été pratiquée près du sommet, des sortes de festons qui correspondent aux saillies ou petites côtes de la surface externe. On distingue nettement des lignes tantôt éloignées, tantôt rappro- chées, toujours parallèles , complétement circulaires et concen- triques (2). Puis, si l’on à une lame très mince, ou bien un peu décapée, on voit des sortes de zébrures (3) irrégulières qui sont produites par des lignes droites, parallèles entre elles , obliques au bord externe ou interne et aux lignes concentriques indiquées précédemment. Enfin, si l’on a une coupe pratiquée près du som- met, on voit de plus, en dedans, une matière d’une nature toute particulière, n’offrant pas la structure des parties qui viennent d’être indiquées (4). Voilà ce que l’on aperçoit. Il s’agit maintenant de savoir que sont tous ces éléments et comment ils s'unissent. j'ai cherché, dans un sommet de coquille, à montrer réunies toutes les par- ticularités que je viens d'indiquer (5). La substance interne du sommet forme une couche ayant une structure tout à fait différente ; elle semble formée par des prismes fort allongés, à pans arrondis, placés les uns à côté des autres, et n’atteignant pas cependant d’une extrémité à l’autre de la substance. Aussi quand on a fait une coupe, et que l’on regarde la concavité à un faible grossissement, on croit voir qu’elle est cannelée et formée de petits cylindres placés côte à côte ; et quand on regarde une coupe perpendiculaire à la direction, on reconnait la section transversale de ces éléments formant des festons qui limitent la cavité interne. Il semble que cette matière s’est déposée couche par couche, 336 H. LACAZE-DUTHIERS, car avec un fort grossissement sur des lames très minces, on voit (1) bien évidemment des lignes ou stries concentriques, qui répondent à des couches successivement recouvertes de l'extérieur à l’intérieur. Ces lignes concentriques sont parallèles entre elles et parallèles aussi au bord de cette substance particulière sur- ajoutée. Sur les lames coupées perpendiculairement à l’axe, et qui for- nent des cercles, on voit dans cette substance des lignes radiées dirigées vers le centre de la circonférence très nette qu'a fait naître la coupe. Ces lignes correspondent évidemment aux can- nelures, ou stries, qui séparent les baguettes que j'indiquais il n°y à qu'un instant. Comme l’espace central diminue à mesure que le dépôt augmente, il arrive que les bourrelets ou prismes longitudinaux, qui se rangent à côté les uns des autres, ne trouvent plus place et diminuent de nombre. C’est aussi ce qui arrive et c’est là ce qui explique comment une ligne , séparant deux bour- relets, semble quelquefois se bifurquer. De plus, en examinant avec la lumière obliquement transmise, on voit dans cette substance des granulations bien fines, et malgré cela on doit la considérer comme étant homogène. Dans chacun des festons qu’elle forme, on distingue aussi, au moyen de ce mode d'éclairage, de petites stries très délicates, à peine sensibles, rayon- nant de l’extérieur vers le limbe du feston, c’est-à-dire vers la ca- vité centrale de la coquille : on croirait voir des fibres en éventail dans chacun des festons. En outre (à), des lignes courbes se mon- trent dans toute l’étendue de chacune des projections de la côte ; elles paraissent être des lignes secondaires d’accroissement, car elles sont parallèles au bord. Dans une coupe suivant la longueur, on trouve des lignes lon- oitudinales qui correspondent aux bourrelets (4) qui ne mesurent pas toute l’étendue de la substance. Quant aux lignes circulaires d’accroissement, je n’ai jamais pu faire une coupe assez mince (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoou., 4° série, t. VI, pl. 12, fig. 4. (2) Voyez id., fig. 3. (2) Voyez id. fig. 4. (4) Voyez id., fig. 3 (g). ORGANISATION DU DENTALE. 337 dans le sens de la longueur pour les distinguer. Cette substance est cassante; elle ne résiste pas sur les coquilles qu’on cherche à réduire en lames minces longitudinales ; elle se brise, saute en éclat, sans qu'on puisse réussir à obtenir d'aussi belles prépara- tions que dans les autres sens. D'après l’énumération des éléments qui a été donnée plus haut, on voit que cette substance est bien différente des autres parties que l’on rencontre dans la coquille. On la distingue, du reste, souvent à une teinte demi-rose jaunâtre, quila fait facilement recon- naître; cependant, dans beaucoup de cas, elle est blanchâtre ; sa transparence est tout autre que celle du reste de la coquille, et cela en raison sans doute d’une différence de réfrangibilité. Au delà du sommet existe souvent, comme je lai dit, un petit tube supplémentaire (1), résultat du prolongement de cette sub- stance interne : cela se voit manifestement sur des coupes longitu- dinales (2); mais il a été de toute impossibilité, tant est grande sa fragilité, de pouvoir jamais faire une lame mince qui ne présentât des fêlures extrêmement nombreuses, et qui permit d'étudier sa structure. Tout porte à croire que, puisqu'il est la continuation de la substance surajoutée dont il vient d’être question , il offre la même structure. Le reste de la coquille est plus complexe et plus difficile à étudier qu’on ne pourrait le croire ; il faut avouer même que quelques dispositions ne sont encore que peu nettement définies. Lignes d’accroissement. — Les lignes qui de l’intérieur de la coquille se portent à l'extérieur, en marchant d'abord presque parallèlement à la surface interne, sont la conséquence de lPaccrois- sement qui s’est fait par couches successives (3) ; elles sont d’au- tant plus longues qu'elles correspondent à des périodes d’accroisse- ment plus nouvelles. Celles qui atteignent la marge de la base sont étendues d’une extrémité à l’autre de la coquille, et les bandes de (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoo., 4° série, t. VI, pl. 42, fig. 4 (g), et pl. 41, fig. 4. (2) Id., fig. 1et 2, (3) Td., fig. 4 et 2. &° série, Zoor. T. VI, (Cahier n° 6.) 2 Le 19 398 H. LACAZE-DUTHIERS, substance qu’elles séparent sont d'autant moins épaisses qu’on se rapproche davantage du sommet ; c’est à peine si, dans cette partie, on peut les distinguer, quoique certainement elles y existent. Elles ne sont pas un élément, elles sont la conséquence du rapport des parties constiluantes. Si toutes ne sont pas visibles, c’est que les rapports des couches auxquelles elles correspondent sont assez intimes pour les faire disparaître ; mais quand on obtient des lames très minces, il arrive que des fentes des fissures se produisent le plus souvent en suivant leur direction, et les rendent évidentes. II reste à se demander comment il se fait que les éléments, dont nous allons maintenant parler, se trouvent unis entre eux , bien qu'ils appartiennent à des couches déposées à des époques différentes et certainement fort éloignées. Bandes transversales. — On a vu, dans l’énumération rapide des parties, qu'il existe sur les coupes longitudinales des bandes trans- versales très évidentes, que les unes sont claires ou blancnâtres , que les autres paraissent obscures ou brenâtres. Il est absolument nécessaire dans l'étude de changer de temps en temps le mode d’é- clairage, car on nese ferait point une idée exacte de la disposition si l’on n’observait que d’une seule manière.Ces bandes, de Leintes dif- férentes, paraissent tour à tour être l'élément fondamental, suivant que l’on éclaire directement ou par transmission. Quand la coupe reçoit la lumière transmise , les bandes blanches, vivement éclai- rées, et laissant passer beaucoup de lumière, semblent former le fond, ou substance intermédiaire dans laquelle sont disposées les bandelettes grisâtres ; dans le cas contraire, quand on éteint la lumière transmise pour éclairer par réflexion, les parties gri- satres paraissent noirâtres, à peine si on les distingue, tandis que les parties précédemment translueides deviennent d’un blanc mat irès marqué, qui les fait observer avec la plus grande facilité ; on voit de ia sorte que, dans tel ou tel cas, l’une ou l’autre partie de la substance peut être prise pour la plus importante. Le plus souvent les bandes blanches paraissent mieux; aussi les pren- drons-nous pour les éléments, et les décrirons-nous comnie pla- cées au milieu d’une substance homogène obscure. ORGANISATION DU DENTALE. _ 889 Ces bandes (4) sont étendues perpendiculairement d’un bord de la coupe à l’autre, de la surface interne à la surface externe ; cepen- dant elles n'arrivent pas exactement jusqu’au bord qui correspond à la surface externe de la coquille ; elles s'arrêtent un peu avant, Tantôt elles sont tout à fait rectilignes, et les bords qui les limi- tent parfaitement droits ; tantôt, au contraire, elles sont un peu on- dulées, mais leur direction générale reste toujours la même. Quelques-unes s'arrêtent ou commencent au milieu de l’épais- seur de la coupe; elles n'arrivent pas jusqu'aux bords internes comme les autres : dans ce cas, surtout quand on les.examine avec la lumière transmise, la substance grise qui les entoure semble former une bande bifurquée, et e’est la bande blanche interrompue qui occupe l’angle de bifureation. La largeur de ces bandes n’est pas la même à leur extrémité interne et à leur extrémité externe ; elle est beaucoup plus eonsi- dérable dans la première que dans la seconde : cela tient à ce que, du côté de la surface extérieure, les bandes ne sont pas aussi iso- lées et indépendantes les unes des autres que dans le reste de leur étendue ; leur extrémité externe semble se ramifier une, deux et trois fois, et par conséquent elles diminuent de largeur. Ces ramificalions, qui peuvent êlre souvent nombreuses et fort déliées, se séparent des branches principales à angles aigus, et restent presque parallèles au tronc primitif, après s’en être écartées un peu obliquement. Naturellement ces bandes sont d'autant plus longues que les parois de la coquille sont plus épaisses, c’est done surtout dans le voisinage du sommet qu'on les observe mieux; les différences de proportions de leurs extrémités sont, en effet, d'autant plus grandes qu'elles sont plus longues. Dans le fiers postérieur de la coquille on voit habituellement tous les faits que je viens de dire avee beaucoup de nettelé, parce que les extrémités in- ternes des bandes sont en général très isolées et très larges, On voit surtout très bien ces choses, quand on à eu soin de décaper, avec une eau faiblement acidulée, la surface de Ïa coupe, (4) Voyez Ann. des sc. nat., Zooz., &° série, t. VI, pl. 42, fig. 5, 4, B. 910 H. LACAZE-DUTHIERS. la lumière étant beaucoup plus irrégulièrement réfléchie par des parties moins polies. Entre ces bandes plus ou moins rameuses (1) se trouve la matière grisâtre, qui occupe tous les interstices et qui parait un peu plus grenue. À la première inspection on croirait que l’une des deux parties est saillante ; cela n’est pas, car la coupe ne peut présenter d’inégalités qu'à la condition d’être creusée de canalieules. Or ces canalicules n'existent pas. En passant sur la surface un crayon de mine de plomb, on voit que, tandis qu'il olisse sur les parties blanches sans v laisser de trace, au con- traire , il noireit les bandes grisâtres ; cela tient à un état fine- ment granuleux probablement de ces dernières, car on ne peut admettre une cavité dans leur intérieur, Dans quelques préparations, les bandes blanches présentent des stries perpendiculaires à leur direction , plus ou moins éloignées et semblables à de petites fissures. Ces stries ne sont pas toutes parallèles entre elles, puisque parfois on les trouve un peu incli- nées ; elles ne sont pas non plus exemptes de quelques courbures ou petites inflexions. Elles se font surtout remarquer quand une vive lumière réfléchie les éclaire; on croirait alors que chacune d'elles est saillante. Elles n'existent pas seulement sur les bandes de substances blanches ; on les voit aussi, mais moins facilement, sur la substance grise ; tantôt celles des bandes grises paraissent concorder avec celles des bandes blanches, tantôt elles font des anoles fort ouverts. Les moindres variations de la direction de ces stries sont, Je crois, importantes à remarquer, car elles prouvent qu’elles ne sont pas la conséquence des stratifications des couches d’accroisse- ment; mais qu’elles sont les traces des lignes que l’on va retrou- ver sur les coupes circulaires de la coquille et qui ont une origine difficile à interpréter. Naturellement on voit aussi les lignes dont il a été question, et qui résultent de la superposition des couches d’accroissement; elles coupent perpendieulairement les bandes grises et blanches, (1) Voyez Ann. des sc. nal., Zooc., 4° série, t. VI, pl, 42, fig. 5, 4, B. ORGANISATION DU DENTALE. ol tantôt très nettes, tantôt à peine apparentes. Il est-curieux de voir quels rapports affectent entre elles les parties d’une même bande ainsi partagée. Dans quelques cas (1), et ce sont les plus nom- breux, la partie de la bande blanche placée d'un côté de la ligne d’aceroissement est la continuation directe de la partie pla- cée de l’autre côté; direction, contact, rien ne laisse de doute. Mais dans quelques exemples (2), surtout vers le sommet, il arrive que la bande blanche correspond à la bande grise, du côté opposé de la ligne d’accroissement, si bien que l’on croirait avoir sous les veux une apparence due à un déplacement de deux parties de la coupe ; j'ai même craint l'erreur, et par tous les moyens possibles je me suis assuré qu'il n’y avait pas eu glissement pendant la pré- paration. La discordance des bandes est évidemment une consé- quence d’un changement dans la sécrétion produetrice de la co- quille. La preuve la plus évidente en est fournie par quelques exemples, où la ligne d’accroissement offre, d’un côté, les extré- mités rameuses très déliées , de l’autre les extrémités larges des bandes blanches. Il semble, dans ce cas, que l'animal a recom- mencé à produire dans toute l'étendue des éléments semblables à ceux qui se trouvent à la surface externe. Sur d’autres échantillons, la discordance des bandes se montre sur deux et trois stratifica- lions successives , de telle sorte que l’on voit successivement des bandes blanches dont l'extrémité large ou interne est interrompue et continuée par une bande grise , une nouvelle portion blanche, et ainsi de suite. . Voilà les choses que l’on observe sur une coupe longitudinale faite en usant une coquille empâtée dans du mastic; mais pour pouvoir faire de bonnes observations, usure doit être faite dans certaines conditions : elle doit être poussée jusqu’à ce que le plan de la coupe passe par l'axe de la coquille, en ne laissant exacte- ment que là moitie ; alors on colle avec un mastic résistant à l’eau sur une plaque de verre la surface obtenue, après l’avoir bien polie. On use sur le côté opposé en approchant de la lame de verre, et (1) Voyez Ann, des sc, nat., Zoo, 4° série, t. VI, pl. 42, fig. 5, 4. (2) 1, B. 312 EH. LACAZE-DUTHIERS. l'on arrive ainsi à avoir dans le mastic deux tranches de la co- quille (1), dont les rapports sont conservés, et sur lesquelles on peut facilement faire les observations. Mais il est nécessaire que la coupe soit faite dans les conditions que je viens d'indiquer; sans cela, si l’on dépasse d’un côté ou de l’autre en penchant trop ou pas assez dans un sens, il arrive que les bandes n'’offrent plus la même régularité, qu’elles deviennent rameuses, qu’elles s’anastomosent et forment bientôt un réseau d'autant plus complexe que la coupe est plus oblique. Sur une coupe {out à fait perpendiculaire à la précédente, mais dont le plan est encore parallèle à l’axe, par conséquent tangent à la surface du cône de la coquille, on voit un réseau très net (2). On peut faire cetle préparation en plaçant de champ une lame longitudinale obtenue comme il a été dit, et en l’usant peu à peu, la surface que l’on produit est forcément perpendiculaire au plan de la coupe longitudinale. On arrive encore au même résul- tat, et en restant peut-être plus dans les conditions naturelles , en décapant plus ou moins profondément la surface interne où externe de la coquille. Sur la surface externe (3), on voit des bandes blanches, irrégulières, offrant tantôt des branches, des ramifica- tions, tantôt des prolongements latéraux, courts, crochus ou poin- tus ; ces parties, vues à la lumière réfléchie, rappellent tout à fait par leur apparence les bandes blanches décrites précédemment. Malgré leurs ondulations et leurs rameaux, on voit qu’elles sont toutes parallèles à peu près aux lignes que lon pourrait tracer à la surface de la coquille parallèlement au bord de la base; en un mot, si l’on faisait passer un plan par leur direction générale, on couperait la coquille perpendiculairement à son axe. L'action de l'acide suffit parfaitement pour mettre à découvert extérieurement cette disposition (4), mais à l’intérieur il n’est pas même besoin d’avoir recours à un procédé quelconque. Il suffit de (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoor., 4° série, t. VI, pl. 42, fig. 4, (2) Id , fig. 6. (3) Id. fig. 2 (d). (£) Id., pl. 42, fig. 2 (d), où l'acide n’a agi que sur un point limité, ce reste de la coquille ayant été protégé par du verni. ORGANISATION DU DENTALE. 312 casser la coquille et de placer un fragment de manière à pouvoir l'observer par la face concave ; tout de suite l’on aperçoit le réseau à mailles transversales. Nous chercherons à rapprocher ces différentes apparences et à expliquer l'agencement de ces parties ; mais voyons encore ce qui paraît quand on fait une coupe perpendiculaire aux deux direc- tions précédentes. La préparation que l’on obtient est un cercle; il faut, pour les mêmes raisons que j'ai indiquées précédemment, chercher, autant que possible, à faire la coupe parallèlement au bord de la base ; sans cela , ici comme dans les autres cas et peut-être même plus facilement, apparaitrait le réseau. Quand on fait la coupe convenablement (1), à quelque hauteur de la coquille que cela ait eu lieu, on rencontre à peu près la même disposition. Si l’on est assez rapproché du sommet, la matière dis- posée au centre, et comme surajoutée, se montre; mais il est inu- tile de s’en occuper de nouveau, puisqu'il en à été parlé. On voit des zones, séparées par des lignes concentriques (2), parfaitement circulaires et régulières, qui ne sont autre chose que les traces de stratification des couches*d’accroissement; ces lignes sont tantôt plus rapprochées les unes des autres sur le bord externe ou sur le bord interne: cela tient à la position du point où a été faite lacoupe. Quandon à sur une même plaque une série de tranches circulaires, prises à diverses hauteurs, on trouve tantôt une zone large à l’exté- rieur, et une série de zones serrées à l’intérieur ; tantôt au contraire on rencontre l'inverse, tantôt enfin c’est au milieu de lépaisseur de la couche que se trouve la première, et à l’extérieur que se trouve la seconde. Il suffit, du reste, de se rapporter à la coupe longitudi- nale pour voir quelle est la cause de ces dispositions diverses (3). Quand les lames circulaires sont bien polies, on ne distingue rien à leur surface par la lumière réfléchie, et par la lumière trans- mise on ne remarque que des variations dans la transparence. (1) Voyez Ann. des sc. nat, 4° série, Zooz., t. VI, pl, 12, fig. 3 Cette figure n est qu'une portion d'une coupe formant un cercle parfaitement régulier. (2) Id., fig. 3 (m). (3) Id., fig. 1. oli M. LACAZE-DUTHIERS. Telle zone est très claire, telle autre est un peu obscure. On s’attendrait à trouver rayonnant du centre à la circonférence les mêmes bandes blanches aperçues dans la coupe longitudinale. I n’en est rien : on ne distingue plus du tout ces éléments si carac- téristiques ; et les deux substances, l’une grise, l’autre blanche, manquent presque complétement. Cela m'a d’abord fort embar- rassé, et j'ai du multiplier beaucoup les préparations, afin d'arriver à trouver les parties et à interpréter exactement leur signification. Mais en décapant la surface des coupes avec des acides faibles, on fait reparaitre constamment les zébrures; on les trouve tou- jours quand on pousse l’amincissement des lames très loin; dans ce dernier cas, on croirait à des lignes de félures nombreuses faisant entre elles des angles à peu près droits : que l’on suppose partant du centre les rayons du cercle de la coupe, on verra que c'est sur eux qu’elles viennent se joindre, en faisant un angle ouvert du côté du centre ; elles (1) sont donc obliques à la fois aux rayons et aux lignes concentriques de séparation des couches de stratificalion. Il semble voir des hachures s’entre-croisant , tant elles sont vivement accusées. Avec la lumière réfléchie sur une lame encore épaisse, et dans laquelle par conséquent il est impos- sible qu'il se soit formé des fentes, on les retrouve toujours à l’aide du décapage; et sur quelques préparations on les voit former desséries ou bandes irrégulières plus ou moins longues, tantôt sim- ples, tantôt entre-croisées, quelquefois comme bifurquées. II semble que la surface de la coupe est couverte de bandes dont les bords ne sont pas réguliers et bien définis. On comprend que la lu- mière réfléchie puisse agir différemmentsuivant qu'elle tombe obli- quement ou parallèlement à la direction de ces hachures : de là des effets, des jeux, contre lesquels il faut être en garde; car il pourrait arriver que des apparences trompeuses fussent prises pour laréalité. Les parties le plus fortement slriées sont d’une teinte blanchâtre ; elles rappellent les bandes blanches transversales de la coupe lon- gitudinale et celles du réseau des surfaces de la coquille. Dans une coupe perpendiculaire à l’axe, il est encore quelque (4) Voyez Ann. des sc. nat., 4e série, Zoou., pl. 42, fig. 3 (k, 1). ORGANISATION DU DENTALE. 019 chose de constant; toujours on trouve en dehors, sur la cir- conférence correspondant à la surface extérieure, une zone qui n'offre aucune trace de bandes rayées(1).Les zébrures dont il vient d'être parlé, pas plus que les bandes blanches des coupes précé- dentes, n'arrivent jusqu'au bord externe ; elles s'arrêtent tou- jours à la dernière ligne d’accroissement. La substance extérieure à cette ligne m'a toujours paru sans structure et formée d’un dépôt transparent. C’est elle qui, vers l’extrémité du sommet de la co- quille, estcomme striée, et qui formeles petites côtes de la surface. On voit, du reste, dans les coupes comme un feston marginal, dont les grandes dents sont crénelées (2). En face de la dépres- sion de chacune de ces crénelures de la grande dent, on trouve une ligne qui pénètre vers l'intérieur, mais qui n’arrive jamais jusqu’à la première ligne de stratification. Les lignes en hachures qui se coupent à angles plus ou moins ouverts semblent, au premier aspect, limiter des lamelles disposées comme dans un parquet dit, si je ne me trompe, en feuilles de fougère, et de même que dans les dessins de ces derniers les lignes en se rencontrant semblent faire saillie vers le sommet de l'angle, de même ici on a peine à croire, en examinant au micro- scope , que tout soit dans un même plan, bien que tout soit cepen- dant sur une même surface (3). Quels sont maintenant les rapports de ces parties; en un mot, rapprochons les apparences diverses qui se sont présentées à notre observation dans chacune des coupes qui viennent d'être décrites. J'avais d’abord cru, et c’est 1à ce qui m'a donné beaucoup à travailler, que les bandes blanchâtres des coupes longitudinales étaient des sortes d'éléments cylindriques et réguliers ; je m’atten- dais donc à les retrouver dans une coupe circulaire. Quel n’a pas été mon étonnement de ne pas les voir; alors j'ai multiplié les préparations, je les ai faites dans tous les sens avec toutes les obli- quités possibles, espérant toujours rencontrer des éléments eylin- droïdes. Ce qui m'étonnait surtout, c'était, dans les coupes faites (1) Voyez Ann. des sc. nat., &° série, Zooe., t. VI, pl. 42, fig. 3 (j). (2) 1d. 13) Id. (LE) 346 H. LACAZE-DUTHIERS, sur le champ des lames longitudinales , de ne point rencontrer les extrémilés des bandes blanchâtres, et de tomber constamment sur le réseau qui apparaît sans préparation à la face interne. C’est alors que l'examen des parties brisées, ou irrégulièrement corrodées par les acides, m'a particulièrement servi pour reconnaitre les rapports des éléments, c’est surtout l'étude de la structure de la coquille des Patelles qui m'a été très utile. Dans une foule d'espèces de Patelles , j'ai rencontré la même composition avec une aualogie telle, que, à la grandeur près des éléments, tout est semblable. Sur les coquilles de la Patelle vul- gaire que l’on trouve sur toutes les côtes, l’on peut faire sauter des éclats ef en séparer les éléments avec des pinces. Qu'on regarde même à l'œil nu les bords de la surface interne en des- sous de l'impression musculaire, et l’on verra très distinctement les mailles d’un réseau tout à fait semblable à celui du Dentale (D ; que l’on fasse une coupe parallèle à l’axe du cône représenté par la coquille , et l’on retrouvera sur la tranche les bandes blanches et brunes de la coupe longitudinale du Dentale. Dans toutes les espèces, dont il serait trop long d’énumérer ici les noms, j'ai vu une même chose; seulement dans quelques-unes, les dimensions des mailles du réseau sont extrêmement pe- ttes. Il est-curieux de rencontrer une nouvelle analogie entre la co- quille de ces animaux , alors que nous avions trouvé déjà des points de ressemblance entre leur appareil lingual. Après avoir étudié la structure avee le plus grand soin, je pense qu'il faut concevoir la substance blanchâtre comme formant des sortes de couches irrégulières et interrompues, dont les plans sont parallèles au plan de l’orifice de la base ou perpendiculaires à l’axe ; que ees couches, divisées dans la coupe longitudinale, paraissent comme des bandes étendues d’un bord à l’autre; mais qu’elles disparaissent dans une coupe parallèle à leur direction, c'est-à-dire perpendiculaire à l'axe. Si Pon ne distingue plus les bandes dans le second cas, c’est parce que la substance , étalée en couche à (4) Voyez Ann. des sc, nat., 4° série, Zooz., t. VI, pl. 12, Gg. 6. ORGANISATION DU DENTALE. 317 la surface des coupes, ne peut plus se faire remarquer, elle est la couche tout entière; ef si mème elle est interrompue, elle double en dessous la substance grise, et elle en masque le carac- tère. Mais il ne faut pas croire que ces lames soient aussi régulières que semble l'indiquer la description précédente. Elles sont ondu- leuses, interrompues irrégulièrement, rameuses, et la coupe de leurs extrémités sur la face interne ou externe de la coquille pré- sente le réseau que j'ai fait connaître (4), et ce sont les dos de ces ondulations qui, paraissant dans les tranches eireulaires, for- ment les bandes ou zébrures. J'ai cherché, dans une figure, à rapprocher les trois apparences et à montrer comment une même chose conduit aux aspects diffé» rents. On voit, par exemple, pourquoi le dos des ondulations des couches, en s’élevant sur la face supérieure (2), peut être distin- guées de la substance qui remplit les concavités de leurs ondula- tions. On voit encore comment il se fait que sur la face latérale (3) ces zones coupées paraissent comme des bandes. Les couches, dont les ploiements viennent se dessiner sur la surface de la coupe, en produisant des zébrures (4), semblent, dans leurs échancrures, émettre ou recevoir des bandelettes qui compliquent, par leur présence, l’apparence du réseau. Comment peut-on interpréter ces dispositions? Y a-t-1l dans la structure qu’on vient de voir quelque chose d’analogue à ce que l’on a décrit pour les autres coquilles ? En comparant ces résultats avee ceux qui se trouvent consignés dans un article de l'Encyclopédie d'anatomie et de physiologie anglaise de Tood, je suis frappé de quelques différences (5). Averti que j'étais par l’article du savant auteur de l’article, j'ai cherché dans toutes les parties de la coquille, si je ne trouve- (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zoo, t. VI, pl. 42, fig. 6, 2 (d) et 7 (a). ( &) Id., fig. 6, 7 (a). ( (5) Voyez article Suezr, par le docteur Carpenter, dans Cyclopædia of Anatomy and Physiology. 918 H, LACAZE-DUTHIERS, rais pas des éléments cellulaires. Souvent, en effet, les cellules qui ont formé originairement les coquilles disparaissent , la sub- stance semble homogène ; mais en y regardant de près, en cher- chant dans toutes les parties, on arrive à voir, dans quelques points de leur étendue, des cellules entières, ou des traces de celles qui disparaissent progressivement. Cela a été parfaitement démontré par le docteur Carpenter ; j'ai done multiplié mes recherches, et je n’ai dans aucun point de la coquille rencontré un élément cellulaire ; pour être bien sûr de ne point me méprendre, j'ai refait les coupes sur les coquilles de quelques bivalves, et là où le savant physiolo- oiste anglais avait trouvé des cellules, je les ai moi-même revues. Ces cellules, dans bon nombre d’Acéphales lamellibranches, s’empilent régulièrement les unes sur les autres, et forment les prismes si réguliers, si évidents et si beaux que l’on observe dans la coquille de la Pinne marine (1), et que j'ai vus si nettement encore dans les coquilles d’Anodontes, etc. Ici rien d’analogue. On trouve dans l’article auquel je fais allusion un dessin, donné d’après le travail de Bowerbank, qui rappelle complétement l'apparence des zébrures de la coupe cireu- laire de la coquille du Dentale. J'y vois une substance plus obscure, une autre plus blanche; sur ces deux substances, de teintes diffé- rentes, des lignes vivement accentuées, avec des directions tout à fait opposées et s’entre-croisant. Il me parait impossible de ne pas trouver une analogie complète avec les parties blanchâtres et gri- sâtres couvertes de lignes en hachures que l’on voit dans le Den- tale. Cette disposition, dans l'exemple (Cyprœa mauritiana) cité par M. Carpenter, d’après M. Bowerbank, serait due à la juæta- position de cellules rapprochées et parallèles dans une même couche, mais d’une direction opposée dans une couche inférieure. « Each of » these laminæ really consists of a series of celles in close apposi- > tion ; and theplates are disposed alternately in contrary directions, » so that each series of cells intersects the one beneath in nearly » at right angles (2), » et dans explication de la figure on trouve la confirmation de cette idée : « Portion of fractured surface of (1) Pinna nobilis. (2) Article Sueur, loc. cit., fig. 420. ORGANISATION DU DENTALE. 3h19 » middle layer of Cyprœæa mauritiana, showing lamina composed » Of prismatie celles obliquely crossing one another (4). » Quand on casse la coquille du Dentale, et quand on obtient un fragment dont la surface est à peu près parallèle à la direction du plan des coupes circulaires, on voit encore la même apparence (2); mais il semble alors, et j'avoue ne pas en pouvoir donner l’expli- cation, que les parties couvertes par les hachures de la coupe circulaire paraissent s’entre-croiser ; il semble que Îles parues dont les lignes se dirigent à gauche, par exemple, se redressent et laissent passer sous elles les parties dont les lignes se dirigent à droite. On croirait voir les extrémités rompues des premières re- levées et insinuées au travers des secondes. Mais faut-illes regarder comme des cellules prismatiques? C’est à cela qu'il est bien diffi- cile de répondre, et je n’oserais avoir ici une opinion aussi absolue que celle de M. Bowerbank. Car dans aucune coupe je n'ai pu ren- contrer les sections perpendiculaires à l'axe de ces prismes, sec- tions si évidentes et si faciles à reconnaitre quand elles tombent bien réellement sur des éléments prismatiques. Quant à l’origine de ces différentes parties, la difficulté devient encore plus grande, Sur un animal empoisonné par l'acide prus- sique, j'ai détaché àl’extérieur du corps et du manteau une pellicule d’une ténuité extrême, qui, lorsqu'elle flottait dans Peau, semblait irisée, sans doute par suite des pelits plis de sa surface. Portée sur le microscope, elle paraissait parsemée de taches nucléolaires ; c'est, je pense, la membrane externe épidermique, et presque anhiste, qui séerète la coquille. Mais je ne vois, dans la présence de ces noyaux, rien qui puisse expliquer les particularités de struc- ture que J'ai pris soin d'indiquer. Il est surtout fort difficile de comprendre comment les lignes ou hachures si tranchées sont obliques à la direcuon des sur- faces et des rayons du cône que représente la coquille ; il est, je le répète, bien difficile de se faire une idée de l’obliquité de ce partage de la substance, alors que le dépôt se fait par couches con- centriques. (1) Article Suez, loc. cit., fig. 420. (2) Voyez Ann. des sc. nat., 4° sér., Zoo., t, VI, pl. 42, fig. 8. 850 H. LACAZE-DUFMIERS,. Il faut aussi que des parties homologues ou semblables se dépo- sent toujours les unes sur les autres, afin de continuer les lames du réseau. On à vu cependant que, dans les coupes longitudinales, il y avait discordance dans quelques points; dans ce cas, le man- teau a cessé, pour une raison qui m'échappe, de déposer les par- ties semblables les unes sur les autres. Je crois que des doutes existent encore et doivent exister sur l’origine et l'agencement des parties ; aussi m'abstiendrai-je, dans ce travail, fout à fait particulier, d'émettre une opinion générale. Dans la description des bandes blanches rameuses de la coupe longitudinale, j'ai indiqué des stries, souvent irrégulières, qui par- tagent les bandes blanchâtres ou grisâtres, et je disais qu'elles ne devaient pas être prises pour les lignes d’accroissement. Elles me paraissent, en eflet, devoir être regardées comme celles qui forment les hachures dans les coupes circulaires. J’en trouve la preuve sur des tranches obliques où on les voit se continuer avec les hachures. Enfin, il reste un dernier élément dont il n’a pas encore été question. Il ne se montre pas dans tous les exemples; je veux parler de canaux très déliés, qui sont tout à fait les analogues de ceux que l’on rencontre fort nombreux dans la coquille de la Pa- telle commune (Patella vulgata). Quelques individus ont présenté, surtout vers le sommet, des canaux excessivement nombreux, oc- cupant la plus grande partie de l'épaisseur de la coquille, mais diminuant pourtant de nombre, en arrivant dans les couches les plus internes. Ces canaux, que je n’oserais appeler vaisseaux, sont (1) pour la plupart droits et d’un calibre égal dans toute leur étendue ; ils présentent cependant, de loin en loin, de tout petits renflements, trop éloignés pour les faire regarder comme monilifères. Leurs anastomoses sont nombreuses; elles se font presque toujours à angles aigus, mais jamais par arcades courbes. Ils renfer- ment sans aucun doute une substance jaunâtre, qui, tantôt agelomérée, remplit le tube, tantôt en trainée grêle, n’occupe (1) Voyez Ann. des sc. nal., 4° sér., Zoo, t. VI, pl. 42, fig. 9. ORGANISATION DU DENTALE. 991 qu’une partie de sa cavité. Ils ressemblent beaucoup à ceux que M. Carpenter a décrits dans son travail, et dont il a donné des figures (1). Je trouve cependant une différence. Dans le Dentale, les canaux sont plus rectilignes , leur union plus brusque et plus géométrique ; leur analogie avec ceux que l’on trouve dans les coquilles des Arches, des Pétoncles, des Patelles, ete., est absolue. Ces tubes n'ont probablement pas de parois; 1ls sont simplement creusés dans la substance de la coquille, et leur origine est difficile à indiqner; mais il n’est pas probable qu’elle soit la conséquence de l’union bout à bout de cellules. Sur des coupes longitudinales, j'ai vu quelques tubes se ren- dant dans les couches les plus internes, en suivant une direction à peu près parallèle à celle des bandes. Du reste, fréquemment on voit les bandes blanches et la substance intermédiaire traversées toutes les deux par un tube. Lorsque ces canaux sont nombreux, ils s’entre-croisent dans tous les sens, et la direction du plus grand nombre est paral- lèle à la surface extérieure ; leur ensemble forme une couche qui, sur une coupe, se fait reconnaitre à l'œil nu et à la loupe par l’ap- parence blanchâtre qu’elle donne à la préparation. Ces tubes n'étant pas constants dans tous les individus, leur place étant surtout dans les couches extérieures et près du sommet, il paraît bien difficile de pouvoir admettre qu'ils jouent un rôle quel- conque dans la circulation. Ils ne sont pas en rapport, je ne le pense pas, avec les vaisseaux sanguins. Voilà pourquoi le nom de tubes ou de canaux doit leur être appliqué de préférence à ce- lui de vaisseaux. Reste enfin le drap marin, c’est-à-dire cette couche de sub- stance qui lapisse la surface extérieure de la coquille el qui est co- lorée ici tantôt en rose, tantôt en jaunàtre, où même en noir, surtout du côté du dos et vers le sommet. Dans les diverses préparations , rien n'indique une couche spéciale d'éléments par- üiculiers avec une structure diflérente; cependant on remarque que le bord des lames, celui qui répond à la surface externe, est (1) Voyez loc. cit, fig. 445 (Anomia eplippium). 5) ii. LACAZE-DUTHIERS. toujours obscur, et que cela tient à la matière étrangère enfermée dans la couche calcaire externe. Si l’on dissout la coquille en- tière dans l’acide, on voit alors se détacher à la surface des par- ticules colorées, et, sous le microscope, on croit volontiers que ces particules ont appartenu à des végétaux confervoïdes emprisonnés par la matière calcaire ; de même, en dissolvant les coupes, quand tout disparaît on voit les bords persister encore, ou plutôt former des débris appréciables conservant la couleur. I y aurait donc, dans cette partie de la coquille du Dentale, quelque chose de sur- ajouté et d’étranger à la matière inorganique sécrétée par la sur- face du corps. J'ai dit, et c’est un rapprochement à établir, que, dans les co- quilles des Gastéropodes , la matière animale était en proportion à peine appréciable. En employant les liqueurs acides les plus faibles, on n'obtient rien; c’est à peine s’il reste quelques filaments. M. Carpenter a fait remarquer avec raison que, dans ces animaux, l’on peut à peine obtenir un résidu organique; je dirai cepen- dant que ce résidu est notablement appréciable dans la coquille de la Patelle. ARTICLE III. Pied. Le manteau et la coquille, qui en est une dépendance, ne sont pas des organes du mouvement dans le Dentale, comme cela se voit dans quelques Acéphales. L’organe proprement dit de la locomo- tion est le pied, qui se retire et s'enferme dans le manteau, ou qui s’allonge et devient saillant à l’extérieur , et qui sert, par un mécanisme facile à comprendre, à déplacer l'animal, seulement dans certaines conditions du sol. La coquille ne fournit qu’un point fixe aux agents essentiellement moteurs, aux muscles qui animent le pied. Celni-ci, éminemment contractile, se présente avec des formes toutesdifférentes, suivant son état de dilatation ou de resserrement. Sur quelques individus de grande taille, il peut s’allonger au dehors une distance de plusde 1 centimètre 1/2, quelquefois 2; mais quand on le touche, il rentre et se réduit à ce point qu’il n'occupe plus avec le reste du corps, au fond du cornet de la coquille, qu'un espace de 2 centimètres. Comment ce corps gros et dilaté peut-il ORGANISATION DU DENTALE. 353 se réduire ainsi et se montrer avec des proportions si différentes ? C'est ce que je chercherai à expliquer plus tard dans l’étude de la circulation. En ouvrant d’un bout à l’autre le tube du manteau, on voit dans sa partie antérieure le pied, grosse colonne charnue qui adhère au reste du corps, vers le milieu de la longueur totale, par une base obliquement dirigée de haut en bas et d'avant en arrière de la bouche à l'anus, dans le point qui limite aussi le bord du manteau. L’extrémilé antérieure ou libre du pied présente des lobes, des gouttières et des replis importants à connaitre, si l’on veut se faire une idée de son action, ainsi que de l’accomplissement de quel- ques autres fonctions. On peut, en plaçant l'animal dans un vase de verre, voir au travers des parois le jeu et les mouvements du pied quand il se cache dans le sable ; mais le moyen le plus simple est d'observer le Dentale sur un fond plat et résistant, comme une assiette par exemple, alors, dans les efforts infructueux qu'il fait pour pénétrer, il dilate et contracte successivement les lobes de son pied, et toutes les dispositions peuvent être remarquées. J’ai aussi, sur des ani- maux entièrement morts, fait un petit orifice au talon du pied, et poussé dans son intérieur une liqueur conservatrice, qui a pour ainsi dire fixé la forme en durcissant les tissus , alors il a été facile d’avoir sous les yeux une image permanente de ces formes fugaces et passagères que l’on voit changer à chaque instant sur l'animal vivant. Lorsque le pied est bien turgide, bien développé, on voit que son extrémité antérieure présente trois lobes : l’un médian, les autres latéraux. Le premier est de forme conique (4) ; il est à proprement parler la terminaison , la pointe du pied ; il peut diminuer de volume, mais sa forme reste constamment la même ; on le reconnait tou- jours, quel que soit son état de contraction. Les seconds l’entou- rent et s'appliquent contre lui ; ceux-ci ressemblent pendant leur épanouissement à des appendices foliacés, un peu renversés en (1) Voyez Ann. des sc. nat., k° série, Zooz., &. VI, pl. #1, Gg. 4 et 3 (p, p). 4e série. Zoo, T. VI. (Cahier n° 6.) 5 33 35 H, LACAZE-DUTNIERS. dehors et en arrière (1) ; dans certaines positions, ils sont suffisam- ment rejelés en arrière pour former de véritables crochets. Entre celte forme et celle où les replis latéraux ne présentent plus qu'un bourrelet aplati (2) sur les côtés du lobe médian , il y a tous les intermédiaires. Lorsque le pied est dilalé, les lobes latéraux ont une base fort large et très épaisse, et les sillons qu'ils laissent entre eux et le reste de l'organe deviennent moins sensibles. C'est done dans un état intermédiaire à la contraction et à la dilatation extrêmes qu'il faut les observer, pour voir qu'ils se re- joignent en dessous sur la ligne médiane (3); que leur bord libre vient se terminer sur la ligne qui les sépare du lobe médian, et qu'ils entourent celui-ci complétement de ce côté. Leur insertion sur le corps du pied est obliquement dirigée de haut en bas et d'avant en arrière, c’est-à-dire qu'ils s’avancent bien plus loin en arrière sur la face inférieure que sur la face dor- sale. Cette obliquité est la même que celle de l’ouverture du man- teau, et l'on peut voir dans un état de moyenne dilatation le repli festonné du bord du manteau venir s'appliquer parallèlement à eux sur le bord externe (4). Du côté du dos, les deux lobes latéraux se comportent un peu différemment ; ils s’avancent l’un vers l’autre, mais ils n'arrivent pas jusqu'à se rencontrer; ils sont séparés par une gouttière(5) qui nait sur la face dorsale du lobe médian, et qui se prolonge sur tout le reste du pied. Deux petits plis, d’abord très peu distincts, partant d’un point voisin de l'extrémité, divergentet décrivent une courbe en se rapprochant de la ligne médiane pour arriver à un angle saillant où se rend aussi l'extrémité du bord libre de leur limbe; le repli se porte de cet angle un peu en dehors et en arrière, et déerit une courbe, qui s’efface ainsi que le repli lui-même sur le dos du pied. Cette goutlière dorsale, née sur le lobe médian et (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zoo., t. VI, pl. 44, fig. 4 (1). (2) Ja., ie 2u((1). (3) Id. 12 (4) 1d., # 2 (!) lobe latéral. (4) Lamelle festonnée cu bord du manteau, (5) Zd., fig. 8 (c). ORGANISATION DU DENTALE. 305 séparant les deux lobes latéraux, joue un rôle important dans l’ac- complissement de la respiration; le pied est toujours saillant : quand l'animal est ensablé, comme sa forme est à peu près cylindrique, le bord du manteau l’embrasse de toute part; il serait difficile que des courants d'eaux pussent s'établir dans l’intérieur du tube du manteau ; aussi la nature semble avoir ménagé cette gouttière pour permettre que le manteau, toujours relevé en ce point, laisse un libre passage au liquide. M. Deshayes compare cette extrémité à une fleur, dans laquelle les lobes latéraux seraient la corolle , et le lobe médian le pistil; cela est exagéré : c’est tout au plus si l’apparence, dans un état de faible dilatation, peut rappeler la partie supérieure d’une fleur de lis, j'entends dire d’une fleur de lis du blason de la maison de Bourbon. Lorsque l’animal a contracté son pied, les deux lobes latéraux sont à peine saillants sur les côtés; une ligne cependant les fait distinguer encore, mais dans son ensemble l'extrémité de l'organe paraît se terminer en cône. On peut regarder le corps du pied comme à peu près cylindrique, quoique sur le dos il soit un peu aplati, et qu'une ligne, ou sillon peu apparent, le divise en deux parties symétriques et semblables. Cette ligne est la continuation de la gouttière de l'extrémité; elle arrive jusqu’à la base du mamelon buccal. Du côté inférieur, au contraire, il est rond, et parfois (cela tient, je suis obligé de répéter la même chose, à l'état plus on moins grand de contraction) il présente des rides transversales : tout à fait en arrière , à l'extrémité de la ligne oblique qui de la bouche conduit à l'anus, il se termine par une bosse froncée et ridée, saillante dans la cavité du manteau, et que j'ai nommée déjà bien souvent le talon. Le pied est charnu et essentiellement musculaire ; mais il a aussi de muscles rétracteurs particuliers très puissants. Une cavilé générale occupe tout son intérieur , et l’on ne peut faire une incision à ses parois sans tomber dans son intérieur, où l'on trouve comme à nu, et toutes disséquées pour ainsi dire, quelques-unes des parties importantes du système nerveux. Les 396 H. LACAZE-DUTHIERS, communicalions de cette grande cavité avec le reste du corps nous serviront à expliquer la prompte turgidité de l'organe, en même temps que ses changements si rapides de forme et de vo- lume. Les cloisons incomplètes et les fibres musculaires tendues d’un point à l’autre des limites de la paroi rendent comme spon- gieuses les parois de cette cavité que l’on retrouve dans les lobes latéraux et le lobe médian , et qui se rétrécit dans le talon pour devenir presque un canal sous-tégumentaire communiquant avec les parties postérieures du corps. En étudiant les organes de la digestion, on à vu que le paquet intestinal et l'appareil lingual étaient logés dans la base du pied ; cela est vrai, mais il faut remarquer qu'ils ne sont pas dans la même cavité: c’est un point, un fait important, sur lequel j'ai du reste appelé déjà l'attention. La cavité viscérale est par- faitement circonscrite par deux diaphragmes continus l’un à l’autre, mais dont les plans sontdirigés tout à fait en sens inverse : l’un, quoique courbe, est perpendiculaire dans son ensemble à l'axe du corps; l’autre lui est presque parallèle. Le premier sépare la cavité viscérale de la partie postérieure du corps, 1l a sa conca- vité dirigée en avant (1); le second est une larme mince museu- lire, non perméable aux liquides, dans l'épaisseur de laquelle on voit bien nettement des fibres transversales et longitudinales fort déliées. Le diaphragme longitudinal semble se prolonger du côté dorsal du pied, assez en avant, sans cependant se confondre tout à fait avec la paroi ; on croirait qu’il y a deux cavités dans le pied , l’une inférieure très considérable, l’autre dorsale, peu marquée, lacu- neuse, laissée entre les deux couches musculaires de la cloison et de la paroi, et les fibres charnues qui les retient ; du reste, la dis- tinction de ces deux cavités n’est pas toujours facile , et elle ne m'a paru avoir en elle-même aueune importance. Tel est l'organe qui sert à la locomotion; je renvoie, pour l’expli- cation des mouvements, au moment où nous étudieronsles mœurs. (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zooc., 4€ série, t. VI, pl. 9, fig. 4. Coupe de profil, un peu théorique, qui laisse voir la cavité du pied et les deux diaphragmes qui semblent former un tout continu dans une coupe aussi simple. ORGANISATION DU DENTALE. 997 On voit que, très différent de ce que l’on nomme pied dans quelques mollusques , il rappelle , par l’ensemble de ses carac- tères , le pied des Acéphales lamellibranches, et qu’il n’a rien d'analogue avec le disque musculaire moteur que l’on nomme aussi pied dans les Gastéropodes. Arricee IV. Muscles. Mon intention n’est pas d'entrer ici dans des détails minutieux relativement à toutes les fibrilles musculaires qui se rencontrent dans lorganisme du Dentale; cela apprendrait peu de chose, tout en nous entrainant trop loin, ear l’on a vu que la partie anté- rieure du manteau est presque entièrement formée de fibres char- pues où musculaires; que le pied lui-même est essentiellement contractile , mobile, et par conséquent musculaire; je n’entends m'occuper ici que des paquets d'organes actifs bien limités et distincts, analogues, par exemple, à ceux que l’on nomme les muscles valvaires des Bivalves, etc., etc. Si l’on veut enlever l'animal (et c’est ce qui n’a pas manqué de m'arriver quand j'ai commencé à étudier son anatomie) en cassant la coquille de la base vers le sommet, on le voit se retirer de plus en plus, à mesure que l’on avance davantage. En cassant toujours, quand l’animal ne peut plus s’enfermer , on arrive à un point où le corps adhère très fortement vers le sommet du cône. On remarque alors que le Dentale se courbe fortement en arrière et en dessus, et la cause de cette forme nouvelle n’est pas difficile à reconnaitre. On voit sur son dos quatre bandelettes (2) diver- gentes en avant, et convergentes en arrière vers le bord antérieur du bourrelet du pavillon : ce sont les muscles qui unissent l’animal à la coquille. Ces quatre bandelettes, d'un blane nacré brillant, sont faciles à distinguer, car elles sont seulement couvertes par une légère et mince pellicule très transparente de l'enveloppe générale ; on les reconnait tout de suite, en raison de la couleur si différente des (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoo., 4° série, pl. 41, fig. 2 et 3 (m, m). 998 M. LACAZE-DUTIHIERS, ovaires, du foie et des autres parties placées au-dessous d'elles. Il y en à deux de chaque côté, qui marchent paralièlement depuis le sommet du corps jusqu'à la jonction du tube du manteau avec le pied. Là elles se rapprochent, et ne semblent plus en former qu'une (1), bien que les fibres de chacune d'elles se dirigent plus parüealièrement dans l’un ou l’autre point de l’organisme. L'un des faisceaux est interne, l’autre est externe. Le premier est plus exclusivement desliné au manteau, le second au pied Quand on a fendu sur la ligne médiane et en dessous le manteau, quand on a fixé les lambeaux, en les étalant, on distingue très nettement les fibres musculaires, qui, du point où arrivent les bandelettes, s’étalent et s’écartent dans toute la membrane, comme les baguettes d’un éventail pour arriver jusqu’au bourrelet cireu- laire marginal. Le second faisceau externe, après s'être rapproché du précé- dent, pénètre dans les côtés du pied et forme ses fibres longitu- dinales ; il va jusqu’au sommet et peut être suivi assez loin même sur les côtés des lobes latéraux. Dans tout le trajet des deux bandelettes musculaires, jusqu’à l’endroit qui vient d’être indiqué, les fibres restent indivises ; elles ne se séparent pas pour se porter sur les parties latérales du corps. Elles sont, en effet, exclusivement distribuées aux parties antérieures. | Quelques fibres se détachent cependant du point d'arrivée auprès du manteau, et se portent en dedans pour faire une arcade très manifeste quand on regarde l’animal du côté du dos (2), autour de la partie qui correspond à l’appareil lingual ; elles sont même un point de repère très exact qui fait arriver avec certilude sur la langue ou pièce cornée. Du reste, dans le pied comme dans le manteau, on trouve des fibres transverses qui coupent à angle droit celles que nous ve- nons d'indiquer, et qui sont propres à ces organes; elles forment avec les précédentes un feutrage ou lacis éminemment contractile. Æusst quand l’animal est soumis à quelque irritation devient-il dur (4) Voyez Ann, des sc. nat., Zoou., 4° série, pl. 14, fig. 3. (2) Ta. (+). ORGANISATION DU DENTALE. 399 à peu près comme les autres mollusques dans les mêmes circon- stances. Il suffit d’avoir dit quels étaient les points d'attache des muscles, d’avoir conséquemment fait connaître leur direction, pour que leur mode d'action soit par cela même connu. Insérées au fond du petit cornet formé par la coquille, ces puissantes bandelettes ne peuvent et ne doivent produire qu'un seul effet, rappro- cher du point fixe le manteau et le pied. Naturellement, les fibres du paquet interne, étant les fibres longitudinales du tube du manteau, le raccourcissent, en rapprochant son bord libre de son point de jonction avee la base du pied ; de même, les fibres du second paquet, formant sur les côtés du pied des fibres longitudi- nales, doivent raccoureir cet organe et rapporter son extrémité libre vers son point d'union avec le manteau. Quand cet effet est produit, les quatre faisceaux, agissant simultanément, tirent ces deux parlies vers le sommet de la coquille en entraînant tout ce qui est placé derrière elles, c’est-à-dire à peu près la moitié du corps composé surtout par les organes de la génération. On trouve dans cette disposition une certaine analogie avec celle que présentent les Gastéropodes, chez qui an seul muscle rétrac- tenr du corps vient s'attacher dans un point unique de la coquille. Ici seulement 1l y a symétrie par rapport à un plan médian. Le Dentale a deux paires de muscles parfaitement semblables entre eux, et dans aucune période du développement des Gastéropodes on ne trouve cela. Jei les museles du pied sont plus simples que ceux des Acéphales, qui sont au nombre de quatre, deux de chaque côté, disposés également avec symétrie, mais qui par leur insertion peuvent porter l'organe en avant ou en arrière. À part le dédou- blement des muscles, il y a dans la disposition générale plus d'analogie , entre les Acéphales et le Dentale, qu'entre lui et les Gastéropodes. L'insertion se fait du côté du dos, dans les uns comme dans les autres. Du reste, ces muscles ne peuvent avoir aueun rapport avec ceux qui dans les Acéphales unissent les deux valves. Ils ne correspon- dent qu'aux muscles pédieux bien évidemment dans les deux cas. N'est-il pas possible maintenant de déduire là forme que prend 260 M. LACAZE-DUTIHIERS. le mollusque extrait de sa coquille de la disposition même des agents moteurs, des muscles? N’est-il pas facile de s'expliquer aussi la concavité dorsale ? Quand on à cassé la coquille, on voit l'animal s’infléchir de plus en plus du côté des muscles (4). Ceux- ci forment comme la corde d’un arc représenté par le corps. La corde, en se raccourcissant, courbe l'arc. Le pied et le manteau sont done portés en dessus, et une courbure à concavité dorsale est la conséquence forcée de cette action ; de plus, cette ten- dance permanente à la courbure est aussi la cause d’une conca- vité dorsale dans la production solide sécrétée par les parties molles. Ainsi l’on s'explique la forme de la coquille, et l’on voit qu'ici encore, si l'anatomie seule ne le prouvait, on trouverait une raison nouvelle contre l'opinion de M. Deshayes, qui place la con- vexité en haut. En résumé, un manteau tubulaire, terminé en avant par un tube complet, en arrière par un demi-tube, et au sommet par un bour- relet et un pavillon, un pied trilobé constituant à lui seul presque la moitié antérieure du corps, et correspondant au tube complet du manteau, quatre bandelettes musculaires dorsales, s’insérant, d'une part, au sommet de la coquille, de l’autre, au tube du manteau et au pied, tels sont les organes de la vie de relation. N. ORGANES DE L'INNERVATION. L'étude des organes de l’innervation n’a pas élé poussée très loin par MM. Deshayes et W. Clark. La description qu'ils en donnent ne répond pas au besoin que Cuvier à indiqué en s’occupant du Dentale dans son Règne animal. Une seule paire de ganglions, celle qui se trouve dans le voisinage de la bouche, a été recon- nue et décrite par ces auteurs. On verra qu'il est utile cependant d’avoir des notions étendues sur l’ensemble du système nerveux, (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoou., 4° série, pl. 44, fig. 2, où la courbure se fait sentir, même sur un animal mort. ORGANISATION DU DENTALE. 061 et que la distribution des nerfs dans certaines parties peut et doit en faire interpréter tout autrement les fonctions que cela n’a été fait. Dans l'exposé des particularités anatomiques qui suivent, je m'abstiens de toutes considérations générales sur les rapports zoologiques ; on ne manquera pas cependant de remarquer que le système nerveux du Dentale a une analogie , sinon une similitude complète, avec celui des Acéphales lamellibranches. Pour lacommodité des descriptions, on peut établir la distinction ancienne bien connue, quoiqu'elle soit bien critiquée. On peut étu- dier séparément le système nerveux de la vie animale, ou de la vie de relation proprement dite, et le système nerveux de la vie végé- tative, splanchnique, viscérale, ou enfin stomato-gastrique, celui qu’on nomme dans les animaux supérieurs le grand sympathique. En admettant cette division, je n'ignore nullement les objec- tions qui s'élèvent contre elle et contre les idées de Bichat; je ne prétends pas résoudre ces objections, je ne veux pas même m'en occuper : je n’emploie ici cette distinction que pour désigner deux ordres de parties, voilà tout. ARTICLE ΰr. Système nerveux de la vie animale. La partie du système nerveux se rapportant aux organes qui mettent l'animal en communion avec le monde extérieur est com- posée de trois paires de ganglions, reliés entre elles par des com- missures et des connectifs. On peut désigner ces petits centres d’in- nervation par les noms suivants, en raison des rapports qu'ils affectent avec les parties voisines : Lo Les ganglions sûs-æsophagiens,ou buccaux, ou céphaliques ; 2 les ganglions pédieux ; 3° les ganglions abdominaux ou respi- ratoires. Étudions-les successivement, voyons quels nerfs ils fournissent, et cherchons enfin les organes des sens. 362 | H. LACAZE-DUTRIERS. $ I. Ganglions. À. Ganglions cérébroïdes, sus-æsophagiens , céphaliques ou buccauæ. — Ces ganglions ont seuls attiré l'attention des deux naturalistes qui se sont occupés du Dentale. Je eite les détails qu’ils donnent à leur égard. Voïiei toute la description de M. Deshaves : «Le système nerveux » est encore plus diffici'e à observer que les organes de la généra- » tion. Cependantnous avons bien reconnu la forme et la position du » ganglion cérébral ; il est petit, quadrilatère, fort allongé et placé » longitudinalement sur la partie moyenne de la face postérieure » de la tête. De ses angles inférieurs partent deux filets très petits, » qui sé contournent sur lœsophage, où nous n'avons pu Îles » suivre, mais qui bien probablement passent au-dessous des bran- » chies, se dirigent à la partie antérieure du col pour former lan- » neau nerveux qui existe dans tous les Mollusques céphalés (1). » M. W. Clark considère ce centre nerveux comme formé de quatre ganglions unis entre eux pour donner à la masse une figure semblable à celle d’un X, et produire un collier à la base de l'œso- phage, qui arrive à l’estomac en passant dans la base du pied. Voici le passage : « At the base of the œsophagus is a cerebral » mass, four minute, pale pink, subcireular, finely puntured gan- » glions, in form some what like the letter X, united by a nervous » thread or collar, which eneireles the æsophagus at the point » where it passes at the base of the foot into the slomach, and the » fine filament. There from are distinctly visible passing to the » stomach and throwing of anastomosing lateral threads anteriorly » to the foot buceal orifice an the others front parts ofthe body (2). » J'ai cité ces passages, afin qu'ils puissent fournir eux-mêmes la preuve de leur insuffisance. Personne aujourd'hui ne saurait douter de l’importance du système nerveux dans la classification, dans la recherche des rap- ports zoologiques. Aussi l’on verra combien sont différents les ré- CA (1) Voyez loc. cit., p. 335. (2) Voyez loc, cit., p. 326. ORGANISATION DU DENTALE. 369 sultats que je présente à l'appréciation des malacologistes, et peut- être ne trouvera-t-on pas exagérée, en faisant la comparaison des travaux, celte asserlion, que je place en commençant, à savoir que la plupart des faits relatifs à cet appareil sont restés inaperçus. Les ganglions cérébroïdes méritent une description détaillée, car ils sont comme un ceutre auquel se rattachent les autres groupes ganglionnaires. Ils émettent, d’ailleurs, les rameaux ner- veux très nombreux et aussi très utiles à connaitre. Le plus souvent leur recherche est facilitée par une teinte géné- rale ou un pointllé jaune orangé, quelquefois assez vifs qui les fait distinguer vaguement au travers des téguments. Mais on les . rencontre à coup sûr en faisant la préparation suivante : on doit d'abord étendre le pied en avant, et rabaitre en arrière la partie libre du manteau, après l'avoir fendue en dessous. On cherche alors sous l'enveloppe en arrière du col du bulbe buccal, dans le pli du manteau et de la face antérieure et supérieure du tube diges- tif; en incisant ou déchirant les téguments dans ce point, on arrive tout de suite sur les ganglions que leur couleur décèle; en conti- nuant avec soin la préparation, on les a bientôt mis complétement à découvert, et l’on peut voir aussi les nerfs et les connectifs qui en partent. La masse cérébroïde est formée de deux ganglions , l’un droit, l’autre gauche, très rapprochés; ce qui fait que l’on a peine à dis- tinguer la commissure qui les unit. Ces ganglions sont ovoïdes ; leur grosse extrémité est tournée en avant, tandis que la plus effilée se dirige en arrière et en dehors. Après celle-ci, il n’est pas rare de voir sur le trajet du nerf qui en nait, et très près du ganglion, un renflement olivaire ressem- blant tout à fait à un nouveau ganglion (4). Il faut sans doute croire que ce sont ces deux masses secon- daires de substance nerveuse, qui, plus ou moins rapprochées, ont pu faire dire à M. William Clark que la forme de la masse céré- broïde était celle d'un X, et lui faire penser qu'elle se composait de quatre ganglions. Souvent, il est vrai, la petite masse présente (1) Voyez Ann. des 0. nat., 4° série, Zoou., pl. 13, fig. 1, 2, 3 (j) gan- gion cérébroïde , (’) renflement ganglionnaire secondaire. 96/1 H. LACAZE-DUTMIERS. l'apparence d'une croix; mais, quant aux renflements secon- daires, ils doivent être regardés comme des dépendances des ganglions ; on sait qu'il n’est pas rare de voir chez les Gasté- ropodes des renflements nerveux dans le voisinage des ganglions principaux, qui ne peuvent être considérés comme des ganglions particuliers, mais bien connus des dépendances des parties dont ils sont voisins. B. Ganglions pédieux. — MM. Deshayes et W. Clark ne les ont pas vus. Ils sont cependant les plus faciles à trouver, et c’est par eux que j'ai commencé l'étude du système nerveux du Dentale. Pour les voir, il suffit de placer P’animal sur le dos, de fendre le pied dans toute sa longueur sur la ligne médiane, et d’écarter les lèvres de la fente. Ils paraissent alors immédiatement accolés sur la couche musculaire de la face dorsale, vers le milieu de la longueur du pied (4). Is se présentent comme deux petites masses piriformes placées tout près l’une de l'autre, et ayant en arrière chacune un pelit point blanc (2). C’est sans aucune autre préparation que l’on peut étudier ces ganglions. Il suffit, on le voit, de fendre et d'ouvrir le pied. Si l’on verse sur eux avec une pipette quelques gouttes d’un liquide actif qui blanchisse les issus, comme, par exemple, l'acide azotique ou la solution d’alun , ete., 1ls se détachent alors avec une netteté extrême. Leur extrémité antérieure est effilée, elle semble se continuer avec le nerf antérieur. L’extrémité postérieure , au contraire, est arrondie. C’est elle qui porte les deux petits points blanes (3) fort importants à noter, en raison même de leur nature et de leurs fonctions. Is flottent dans la cavité du pied, et leur position n’est constante que parce que les nerfs qui en partent vont pénétrer dans les tissus musculaires voisins, et servent ainsi à les fixer. Aussi peut-on, (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zoo., t. VI, pl. 13, fig. 4, 2, 3 (a). (2) Id., fig. 4, qui représente les deux ganglions isolés. (3) Id., fig. 4 (a'). ORGANISATION DU DENTALE. 365 avec des pinces fines ou une aiguille, les soulever et s'assurer qu'ils ne sont point entourés par une substance charnue. Ils sont quelquefois un peu jaunâtres ; mais jamais leur couleur, qui rappelle celle des ganglions cérébroïdes , n’est cependant aussi foncée que dans ceux-ci. C. Ganglions abdominaux ou respiratoires. — Ces ganglions paraissent sans aucune dissection ; seulement il faut les rendre évidents par l’action des liquides qui coagulent la matière nerveuse : on les voit alors de chaque côté de l’orifice à deux lèvres, auquel correspond l'extrémité du tube digestif en arrière du talon du pied (1). Leur forme est assez exactement celle d’un triangle, dont chaque angle émet un cordon nerveux. La base est en avant, et le sommet en arrière. Ils présentent une particularité que n’ont pas offerte les ganglions précédents : ils sont très éloignés l’un de l’autre. Leur teinte est toujours blanche, jamais ils ne m'ont paru jaunes; il est vrai de dire qu'ils sont fort petits relativement aux autres, et que si la couleur jaune existe, elle disparait peut-être par suite de la transparence, conséquence du peu de volume. Ils sont très voisins des orifices vaseulaires qui, on le verra, existent de chaque côté de l’orifice digestif postérieur. Leur description manque complétement dans les Mémoires de MM. Deshayes et W. Clark. $ IT. Des nerfs. A. Nerfs des ganglions cérébroïdes. — Par des préparations minutieuses et souvent fort délicates faites sous des verres gros- sissants, on voit naître de ces ganglions deux paires de connecüifs , quatre paires de nerfs et un nerf impair médian. Dans les passages des recherches de MM. Deshayes et W. Clark précédemment cités, on a pu voir que les nerfs naissant de ces ganglions n’avaient pas du être suivis et disséqués, car il n’y avait (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zooz., t. VI, pl. 13, fig. 4, 2, 3 : (g) ganglion anal. Voyez aussi les figures relatives à la circulation: &, orifice anal. 366 H, LACAZE-DUTHIERS, rien de précis à leur égard. Ces auteurs parlent cependant de l'existence d’un collier œsophagien ou pharÿngien ; mais le manque de détails porte à croire qu'il a été plutôt supposé que vu; on en jugera par la description qui va suivre. Le rameau èmpair médian (1) prend son origine en avant entre les extrémités antérieures obtuses des deux ganglions. On peut le nommer nerf palléal moyen dorsal ; il se dirige en haut (l'animal étant couché sur la face abdominele), pénètre dans le manteau, et se distribue dans son épaisseur, en marchant directement d’arrière en avant vers le bord libre. Avant d'arriver au bourrelet de ce bord, il se divise en branches secondaires, variables pour le nombre, dont les ramuseules terminaux deviennent très grêles et fort difficiles à suivre. La première paire naît sur la convexité antérieure des ganglions, tout près du nerf palléal moyen : en raison de sa distribution, on peut la nommer paire des nerfs buccaux. Ces deux nerfs étant sy- métriques et parfaitement semblables, la description d’un seul suffira ; de même, pour toutes les autres paires, nous ne nous occuperons que des rameaux d'un seul côté. | Le nerf buceal (2) se porte directement sur les côtés de la partie du tube digestif placée dans le voisinage du ganglion; il suit sa direction, arrive à la base du mamelon buccal, se divise en deux branches, l’une supérieure (3) et l’autre inférieure. On a vu, dans la description de la bouche, que les cavités, sortes d’abajoues latérales que présente le mamelon, sont séparées par un tube cen- tral à peine saillant à l'extérieur, mais déterminant cependant deux sillons sur chacune des faces. C’est dans ces sillons que les branches supérieure et inférieure , résultant de la division précé- demment indiquée, viennent se cacher pour remonter vers les franges de la bouche ; de la branche inférieure se détache un ra- (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoor., 4° série, t. VI, pl. 13, fig. 4, 3 (b). (2) 1d., fig. 4, 3 (0). (3) Id. (c’). ORGANISATION DU DENTALE, 367 meau qui se porte en dehors et se perd dans les paroïs latérales des poches du bulbe (4). J’appelle l'attention sur le rameau inférieur, ear il fournit l’ori- gine du grand sympathique, comme on le verra plus loin (2). Les conneciifs qui relient les ganglions cérébroïdes aux ganglions pédieux appartiennent à la deuxième paire. Nés (à en dehors, un peu en dessous, el tout à côté des nerfs buecaux, ils se portent en bas et en avant, au milieu des fibres musculaires du pied, parmi lesquelles on à quelques difficultés à les suivre, à cause de leur teinte blanche. On peut les désigner par les noms de connectifs antérieurs. Les nerfs de la troisième paire viennent ensuite; je les nom- merai nerfs lentaculaires (h); ils naissent plus antérieurement que latéralement sur les ganglions. Is sont les plus volumineux de tous et leur position est constante; cependant ils naissent un peu plus en arrière, et se rapprochent des paires des nerfs pal- léaux moyens. Je les laisse de côté pour un instant; ils méritent une description toute spéciale que je joindrai à celle des tentacules dont l’histoire nous arrêtera spécialement. Les quatrième et cinquième paires sont destinées à la partie libre et antérieure du tube du manteau ; elles se distribuent surtout dans la portion dorsale et naissent de points différents. La quatrième _se détache des eôtés du ganglion avant le renflement supplémen- taire quand il existe. Ce nerf, que je nommerai palléal externe (5), se dirige en se ramifiant, comme le moyen, vers le bord du limbe du tube. La cinquième nait à l’extrémité effilée du ganglion, quand le renflement supplémentaire n’existe pas, ou de celui-ci quand il (1) Ann. des sc. nat., 4° série, Zooz., t. VI, pl. 43, fig. 4, 2 et 3 (2) Id Fo (3) Id. (d). (4) (5) Id. &. 508 NH. LACAZE-DUTHIERS. existe (1). Ce nerf, qu'on peut nommer palléal externe, se distri- bue tout à fait comme le précédent. Enfin, la sixième paire est formée par les deux connectifs qui unissent les ganglions cérébroïdes à ceux qui sont voisins de l’a- nus : je les nommerai connectifs postérieurs (2). Il arrive fréquem- ment que le nerf de la cinquième paire, ou palléal externe, naît, conjointement avec ce connecüf, de l’extrémité postérieure effilée du ganglion cérébroïde et de son renflement supplémentaire. On voit que de ce premier centre naissent de nombreuses branches, aussi variées par leur distribution que par leur volume, Les nerfs qui naissent des autres ganglions sont loin d’être aussi nombreux et aussi différents. B. Verfs des ganglions pédieux. — Les nerfs qui naissent de ces ganglions sont au nombre de neuf (3), quatre paires symé- triques et un rameau impair. La paire antérieure et les deux paires latérales sont destinées au pied ; celles-ci se portent directement à droite, à gauche et en arrière, en se mêlant aux fibres musculaires, au milieu desquelles on les perd bientôt ; celle-là continue l’extré- mité effilée des ganglions, et se dirige d’abord parallèlement à l'axe du pied vers l’extrémité antérieure et se distribue aux lobes médians et latéraux. Le nerf impair médian a son origine entre les deux ganglions en arrière, entre les deux parties arrondies auxquelles sont unies . les deux petites sphérules blanches dont il sera plus loin question. Il se porte directement en arrière, en suivant exactement la ligne médiane, et courant sur les fibres musculaires sans leur donner de branches ou rameaux secondaires. J'ai pu le suivre jusque dans le voisinage de la poche linguale, et j'avais, même avant d’avoir trouvé le grand sympathique, pensé qu’il en était l’origine. Peut-être a-t-il quelques connexions avec cette portion du système nerveux. Je n’ai pu m'en assurer, tant il est difficile à (1) Voyez Ann. des sc. nat., Zoo, 4° série,t. VI, pl. 43, fig. 4, 2, 3, 4 : (j) renflement ganglionnaire, (b') nerf palléal externe. (2) Ja. (p. (3) Id. (a). ns Lx ORGANISATION DU DENTALE. 369 suivre et à disséquer. E est probablement destiné à animer les fibres musculaires du diaphragme antérieur qui séparent la cavité du pied de celle où est logée la langue. Enfin la paire postérieure (4), plus volumineuse que les autres, naît en arrière et un peu en dehors de la convexité des gan- glions ; elle est accolée au côté externe des deux petites poches sphériques blanches, et se dirige en arrière pour aller jusqu'aux ganglions cérébroïdes. Elle unit deux centres nerveux, et par con- séquent forme leurs connectifs; après avoir marché sur la face interne de la eloison musculaire, sur laquelle reposent les deux gan- glions pédieux, elle traverse les fibres musculaires et se porte vers le dos. Dans ce trajet, sa temte blanche la rend très difficile à suivre. On distingue, en général, facilement les connectifs des nerfs. Ceux-ci se ramifient, et leur diamètre par cela même diminue de plus en plus. Ceux-là, au contraire, conservent le même vo- lume dans toute leur étendue, et tandis que les premiers sont toujours plus ou moins flexueux, ils sont eux le plus souvent droits. lei ces caractères font reconnaitre facilement la portion anté- rieure des connectifs buccaux-pédieuc. C. Nerfs des ganglions abdominaux , branchiaux ou respira- toires. — Les ganglions dont il s’agit ne fournissent pas de nom- breuses branches comme les précédents. Ils n’en donnent, à proprement parier, qu'une seule ; mais ils sont unis entre eux et avec les autres ganglions par des commissures et des connectifs. ils sont à peu près triangulaires, et chaeun de leurs angles est le point d’origine ou d'arrivée d’un filet nerveux. L’angle interne fournit un cordon (2) qui se porte directement en dedans : c’est la commissure d'union entre les deux ganglions. Il est placé, chose importante à remarquer, en avant de l’orifice correspondant à la dernière portion des organes de la digestion, de sorte que cet orilice se trouve être placé en arrière des gan- olions, car, réunis tous les deux, il faut les considérer comme formant un seul tout. (1) Voyez Ann. des sc. nat., Le série, t. VI, pl. 43, fig. 1, 2, 3 (d). (2) Id. (a). &° série, Zooz. T. VI. (Cahier n° 4.) # 24 310 H. LACAZE-DUTHIERS. C'est un fait important qu'il faut prendre en considération, et dont nous tirerons parti dans l’étude des rapports zoologiques. De l’angle externe (1) naît un second cordon d’umion : c'est celui qui met en rapport les ganglions cérébroïdes avec le centre abdominal. Ce cordon est le connectif bucco-branchial ou posté- rieur. Il est difficile à suivre, non pas dans sa première portion, mais dans les parties latérales du corps. Il se porte en avant et en dehors, il contourne la base du pied et remonte vers la bouche en se logeant dans le pli d'union du manteau et de la base du pied ; c’est au milieu des fibres musculaires, entre-croisées dans ce point, qui souvent sont feutrées et résistantes, qu’il faut le chercher. Mais ce n’est pas sans quelque difficulté que l’on parvient à le disséquer ; cependant son existence ne peut faire aucun doute. Les auteurs, n’ayant point connu et signalé les ganglions qui nous occupent, ne peuvent naturellement avoir vu les différents connectifs ou cordons d'union que je signale. Enfin, le sommet ou angle postérieur du ganglion fournit un cordon , le seul qui mérite le nom de nerf, puisque seul il n’unit pas des ganglions entre eux et qu'il se distribue à des parties de l'organisme. Quand on place l'animal sur le dos, après avoir fendu et étalé le manteau, on distingue ce nerf, sans préparation, à l’aide de la loupe, surtout si l’on a fait une injection avec une couleur foncée; la couleur même du foie qu'il traverse forme, comme la première, un fond sur lequel sa blancheur le fait détacher et reconnaitre facilement (2). Il se porte directement en arrière et un peu en dehors, 1l croisé à peu près perpendiculairement la direction des premiers cæcums sécréteurs du foie pour s'introduire entre eux et passer sur la face dorsale. Alors il marche sur les côtés du corps, où l'on peut aisément le suivre. Ses flexuosités sont peu nombreuses , et il n'émet pas de branches collatérales; ou s’il en émet, elles sont si erêles, qu'elles échappent à la vue. Il marche ainsi en droite ligne sur les côtés du corps, en se rapprochant peu à peu du dos jusque (4) Voyez Ann. des sc. nat, 4° série, Zoo2., t. VI, pl. 43, fig. 4 (f). ; (2) Id. (h). ORGANISATION DU DENTALE. 371 vers l’extrémité postérieure du pavillon, et il vient se terminer dans la portion dorsale de eette extrémité, dans celle qüi est échan- crée en dessous. On verra plus loin que cetie partie joue un rôle important dans la fonction de respiration; par conséquent le nerf qui naît de ces ganglions voisins de l’anus, et qui se rend directement à cet orifice respiratoire (1), doit être considéré comme le filet qui pré- side à l’accomplissement de la fonction : aussi est-il naturel de l'appeler nerf respiratoire, et de trouver dans les centres qui le fournissent les analogues des ganglions branchiauc. Telles sont les principales parties du système nerveux. On voit que les descriptions citées plus haut sont ioin de don- ner une idée exacte des complications anatomiques et des rapports des parties. L'existence même de la plupart d’entre elles avait été complétement méconnue. S III. Organes des sens. Malgré toutes les recherches les plus minutieuses, 11 m'a été impossible de pouvoir découvrir quoi que ce soit qui pût être con- sidéré comme l’analogue des organes de la vision. On sait que des Mollusques, dont la vie est très obscure, ont cependant des yeux : tels sont les Peignes, etc. Le Dentale est dépourvu de ces points brillants comme des diamants que présentent ces Acéphales sur le bord libre de leur manteau. Cela se comprend : ils vivent tou- jours ensablés, et l’on ne voit point de quelle utilité eussent été pour eux des organes de la vision. Quant aux organes du goût et de l’odorat, je ne saurais rien en dire comme pour les autres Mollusques ; mais l’ouïe et le toucher semblent, dans le Dentale, avoir des organes spéciaux. À. Otolithes. -— Depuis que les premiers travaux de M. Von Siebold ont appelé l'attention des naturalistes sur: la présence d’or- ganes particuliers ne pouvant se rapporter à aucune autre fonction que l’audition où la perception des vibrations des corps, Îles re- (1) Voyez Ann, des sc, nat., 4° série, Zoo, t. Vi, pl. 13, fig. À (m). 972 H. LACAZE-DUVTHIERS, cherches se sont multiphiées et ont prouvé que, dans l’'embranche- ment des Mollusques, l'existence de petites vésicules renfermant des corpuscules solides était générale. L'étude de lappareil de Paudition dans la série animale montrant d’une autre part que, plus les organismes se simplifient, plus l'appareil de l’audition se réduit à peu de chose, on a pensé que l'oreille interne, dans ce qu'elle a de fondamental, ou vestibule membraneux avec ses con- erélions , appelées otolithes, était la seule partie de l'organe de l’ouie chez les Mollusques. On est donc aujourd'hui à peu près convenu de désigner par le nom d’otolithes des petites pierres qui sont enfermées, en nombre plus ou moins grand, dans de petites ampoules probablement de nature nerveuse. Les otolithes du Dentale sont bien faciles à voir quand on a trouvé les ganglions pédieux. Ils sont accolés (1) à leur extrémité postérieure. Ils paraissent d’un blanc plus mat que le reste du système nerveux. MM. Deshayes et W. Clark, n'ayant pas eu connaissance des ganglions pédieux, ne peuvent les avoir vus. Ils consistent en deux poches (2) à peu près sphériques, comme dans les autres Mollusques, remplies d’une infinité de petits corpuseules agités d’un mouvement perpétuel de trépidation. Sous des grossissements que l’on peut faire varier et augmenter de plus en plus, on voit que chaque poche est une petite capsule elose de toute part, un peu aplatie ou déprimée du côté où elle repose contre le ganglion nerveux; qu’ellese compose évidemment de deux couches : l’une externe, de même nature que le névrilème des ganglions avec lequel elle se continue; l’autre interne, d’une légère teinte jaunâtre, analogue à celle de la substance du ganglion. Celle- ci, évidemment formée de tissu nerveux, doit être considérée comme la partie sensible de l'organe ; je n’ai pu cependant recon- naitre de continuité entre elle et la substance du ganglion, dont elle est séparée par une ligne indiquant sans doute une couche de névrilème. Le point de communication peut m'avoir échappé, car en raison de la petitesse des objets, les préparations directes sont à peu près impossibles, et, à cause de la forme, les parties prennent (1) Voyez Ann. des sc. nat, 4° série, Zooz., €. VI, pl. 13, fig. 4, 3, 4 (a’), (2) TantGas, ORGANISATION DU DENTALE. 919 sur le porte-objet toujours la même position, et la compression rompant ou éerasani tout, quand avec son aide on veut arriver à rendre minces les petites masses sphériques , il est difficile de bien préciser les rapports. MM. Wagner, Milne Edwards, Külliker, et beaucoup d’autres auteurs, ont, pour différents genres de Mollusques, montré que les mouvements des petits corpuscules sont dus à des cils vibra- tiles dont la capsule est intérieurement tapissée. Voici un nouvel exemple non moins démonstratif de la pré- sence de ces organes ciliaires. Les cils vibratiles existent sans au- eun doute, et ils forment une couche épithéliale, qu'il est impos- sible de méconnaitre en dedans de la capsule. Toutefois, pour bien les voir, il faut prendre quelques précautions. Au moment où l’on vient d'enlever les ganglions , tous les corpuscules sont très vivement agités d’un tremblement, et tous ils sont réunis en une petite masse au centre de la capsule. Une zone parfaitement limpide les sépare des parois capsulaires ; mais, à mesure que la vitalité diminue, on voit apparaître sur toute la paroi interne de la capsule des ondulations légères de plus en plus marquées. Enfin, en attendant suffisamment, on arrive à voir, quand les mouvements sont très ralenlis, que chaque cil frappe en avant de lui les cor- puseules qui se rapprochent de la paroi. Plus tard, quand la vitalité a complétement cessé, les eils disparaissent de nouveau, en raison sans doute de leur ténuité et de leur excessive transparence. C’est peut-être pour n'avoir point laissé s’affaiblir ainsi les mou- vements ciliaires, qu’on ne les a point signalés dans les autres Mollusques. En tout cas, ici la causé de la position centrale des corpuscules otolithiques et de leur trépidation est, sans aucun doute possible, le mouvement de l’épithélium à cils vibratiles de la capsule. On arriverait presque, à priori, à admettre l’existence de ces organes par la nature même du mouvement des concrétions, qui ne peut, en raison du volume des corpuseules, être comparé à celui que l’on appelle moléculaire ou brownien; lorsqu'on rompt la capsule, ces corpuscules cessent de trembloter ; les cils les frappent donc quand ils approchent des parois et les renvoient vers le centre. Je crois qu'aujourd'hui il serait difficile de se re- 37h M, LACAZE-DUTRIERS. fuser à admettre que ce mouvement a la même origine pour tous les Mollusques, Ces corpuscules sont lourds et pesants; ils sont calcaires; l'acide azotique les dissout avec effervescence. Leur forme (1) est voisine de celle d’une sphère assez régulière. Ils réfractent forte- ment la lumière, et pour cette raison, ainsi qu'à cause de leur forme, on les voit tantôt avec un centre clair entouré d’un bord noir, fantôt avec un centre obscur entouré d’une bande blanche vivement éclairée. Dans quelques-uns, on reconnaît comme des couches concentriques : alors le centre semble être formé par un petit noyau. Dans ce cas, la substance calcaire s’est déposée comme par couches successives. On sait que, dans les Gastéropodes, les ololithes sont allongés. Cela est très manifeste dans la Bullée (Bullæa aperta), où ils ont une forme qui rappelle celle de la semence du melon; ils parais- sent fusiformes. Dans la Cyelade cornée et les Acéphales , ils sont habituellement modelés en sphérules plus ou moins régulières. Tei done il y aurait un trait de ressemblance entre les corpuscules du Dentale et ceux des Acéphales (Cyclas cornea). Il faut dire ce- pendant que ce rapprochement n’a rien de très absolu, puisque dans l’embryon des Gastéropodes les otolithes sont toujours sphériques. En étudiant l’embryogénie de la Bullée, je me suis assuré que la forme des otolithes commençait positivement par être sphérique et non fusiforme. Le nombre des otolithes pour chaque capsule auditive est con- sidérable. B. Des organes du toucher. — 1 paraîtra peut-être étrange de localiser la sensibilité tactile dans un être aussi imparfait; mais l'observation légitime cette manière de voir; les données anato- miques viennent aussi la confirmer. Quand on a fendu le manteau en dessous, rabattu en arrière ses lambeaux, et fixé l’animal sur sa face abdominale, on voit (2) (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zoou., t. VI, pl. 43, fig. 6. (2) On consultera utilement dans l'étude actuelle les planches relatives à la circulation. ORGANISATION DU DENTALE. 919 de chaque côté du bulbe buceal des organes dont je me suis abstenu de parler jusqu'ici. Ils consistent en deux paquets de très longs et contractiles fila- ments, excessivement nombreux, portés à droite et à gauche par deux replis cutanés, qui entourent comme une collerette la base du pédicule buccal. Une anatomie détaillée de ces replis est utile et nécessaire en raison même de l'importance des faits qu'elle nous montre. Pour arriver à étudier leur forme exacte, leur structure, ete., il faut enlever les nombreux filaments ou tentacules qu’ils portent: alors on voit qu'ils sont insérés en partie entre le manteau et le pied, et sur le pied, qu'ils commencent lun et l’autre tout près de a ligne médiane, en arrière du mamelon buccal, mais que, dans ce point, ils sont parfaitement distincts, qu'ils se portent un peu en avant et en dehors en abandonnant le pli d'union du manteau et du pied pour s’avancer sur les côtés de celui-ci. Leur bord libre arrondi, un peu ondulé en festons, donne imsertion aux ten- tacules. C’est vers la ligne médiane, en arrière du mamelon buc- cal, que ces replis sont le plus élevés et qu’ils offrent la plus grande étendue. Quand il s'agira de la circulation, quelques nouveaux dé- tails compléteront leur histoire ; je n’appelle en ee moment laften- tion que sur la partie nerveuse qu’ils renferment. Quand on fait la préparation déjà indiquée pour mettre à nu les ganglions sus-æsophagiens, on doit fendre les téguments juste dans l’espace que laissent entre eux les deux replis tentaculifères ; alors on n’a qu’à suivre les deux gros nerfs qui naissent des gan- alions, et qui se portent en dehors dans la ligne d'union des replis avec le corps. Ces gros nerfs marchent parallèlement au bord adhérent du repli, en fournissant des branches nerveuses, secon- daires (4), qui se ramifient elles-mêmes, et qui marchent vers le bord libre, c’est-à-dire vers la base d'insertion des tentacules. Ces nerfs secondaires se divisent une, deux ou trois fois én rameaux plus petits et variables en nombre : habituellement on en compte (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zooc., t. VI, pl. 13, fig. 4, 2, 3 (e). — Mais voyez surtout les planches relatives à la circulation, où les nerfs et ganglions céphaliques ont été représentés tout spécialement. 970 UM. LACAZE-DUEHIERS. jusqu’à dix, douze et même quatorze. Les rameaux sont d'autant plus longs et divisés en un plus grand nombre de branches, qu'ils sont plus près de l’extrémité interne du repli, puisque e’est dans ce dernier point que celui-ci a la plus grande étendue. Il n’est aucune partie du corps où les filets nerveux soient aussi multipliés ; on ne peut s'empêcher, en voyant cette richesse, de croire que ces organes ne jouent un rôle tout spécial. Les nerfs, arrivant jusqu'à la base des tentaeules, doivent, quoique je n’ai pu les voir dans leur intérieur même, leur donner sans aucun doute des propriétés tactiles très développées. Ces filaments sont évidents et faciles à observer. Ils n’ont pas échappé à l'examen de MM. Deshayes et W. Clark; mais pour ces deux auteurs ils sont des organes tous différents. M. Deshayes, se basant sur des données anatomiques relatives à la circulation , les avait considérés comme les branchies. De Blainville (4), admettant cette opinion comme lexpression de la vérité, avait été conduit à faire un ordre des Cirrhobranches pour les Dentales, tout seuls dans sa sous-classe des Paracéphalo- phores. M. Deshayes lui-même adopta ce mode de groupement. M. Von Siebold parait se ranger aussi à cette opinion, puisque dans son Manuel d'anatomie comparée il fait, pour le genre Den- lalium, sa première famille des Tubicolés : les Cirrhibranches (2) . M. W. Clark, trouvant les organes de la respiration dans une autre partie du corps (le foie a élé pris, à tort, par lui pour les branchies), doit leur attribuer un nouveau rôle dans les phéno- mènes vitaux : il les considère comme destinés à sécréter un liquide propre à la digestion; pour lui, ce sont des glandes sal- vaires. Voilà donc deux opinions bien différentes , et j’en présente moi- même une troisième tout aussi opposée aux précédentes qu’elles le sont entre elles, puisque je les considère comme étant des or- ganes du foucher où du tact. En résumé, trois fonctions leur sont attribuées, et elles sont aussi différentes que possible, puisqu'elles (4) Voyez article Morzusques du Grand Dictionnaire d'histoire naturelle, on le Manuel de malacologie, de de Blainville. — (Dentale). (2) Voyez Manuel d'anatomie comparée, t. 1, p. 294. ORGANISATION DU DENTALE. 211 se rapportent à la circulation, à la digestion et à l’innervation. Analysons ces opinions , et voyons quelle est celle qui offre le plus de raisons en sa faveur. D'abord, et cela sera surabondamment démontré dans l’histoire de la circulation , M. Beshayes décrit le ecœur et les vaisseaux qui se rendent aux replis, sans avoir fait d’injections. Aussi le pré- tendu cœur n'est-il qu'une dilatation du tube digestif ; les vais- seaux, que l’une de ses figures montre dans les deux replis ten- taculifères, sont des nerfs, ceux-là mêmes qui viennent d’être décrits. Les vaisseaux ont une tout autre disposition; on le verra. Ainsi done les preuves anatomiques tirées de la distribu- tion des vaisseaux, des rapports et du voisinage du cœur n’exis- tant plus, la valeur de l'opinion, et par suite de la classification, est singulièrement compromise. Quant à l'opinion de M. W. Clark, elle est une hypothèse sous la forme d’une assertion. Quelles sont les preuves qui démon- trent que ces glandes servent à la digestion et deviennent ainsi saillantes , extérieures au tube digestif ? Si ces filaments sont des glandes salivaires , ce sont, on le reconnaîtra, de singulières glandes. Les mucosités qui les entourent, et qu'ils semblent sécréter, sont-elles suffisantes pour leur faire attribuer un rôle aussi exclusif? Je ne le pense pas. Ne voyons-nous pas en effet, sous l'influence d’une irritation quelconque, toute la surface du corps des Mollusques produire une abondante matière muqueuse? En faveur de l'opinion que je présente, et qui consiste à consi- dérer ces tentacules comme des organes du tact et peut-être un peu de préhension, je trouve d’abord les dispositions anatomiques et la richesse en filaments nerveux ; ensuite je vois que le Dentale se sert de ses tentacules tout à fait comme le font d’autres animaux à qui personne ne refuse des organes du tact et de préhension. Il suffit de placer quelques Annélides voisines de la Térébelle, ou la Térébelle elle-même, dans un vase exposé à la lumière (je dis Ja lumière, parce qu'il m'a toujours paru que ces animaux craignent et fuient le grand jour, aussi travaillent-ils tout de suite à se garan- ir), pour les voir s’agiter en tous sens, étendre leurs longs bras céphaliques, et aller à leur aide se fixer aux parois du vase ; qu’on 918 M, LACAZE-DUTHIERS. leur donne des débris de coquilles et des grains de sable, et ces longs bras qui, en s’allongeant et en rampant, palpent et tâtent tout, vont les saisir, les rouler, les trainer péniblement au fond du vase et les apporter jusque sur le dos de l’animal; cela se répétant souvent, un tube se trouve bientôt formé; car les mucosités soit des fila- ments, soit du corps, agglutinent les débris ainsi apportés : c’est une observation qu'il est facile de faire et de répéter ; et je la cite, parce que j'ai trouvé une analogie très grande entre les tentacules des Annélides et ceux du Dentale. Ayant placé ces derniers, bien vivants, dans de toutes petites cuvettes, j'ai vu leurs tentacules sortir par l’orifice de la base du manteau (1) et aller au loin tâter lente- ment, puis se fixer aux parois du vase à l’aide de la ventouse qui existe, comme on vale voir, à leur extrémité. En plaçantun paquet de ces filaments sous le microscope, on les voit se tordre, se con- tourner et s’entortiller dans tous les sens comme des paquets de vers ; leurs mouvements sont même tels, que, je l’avouerai, au premier examen, avant d’avoir connu toutes les dispositions ana- tomiques, j'avais eu l’idée qu'ils étaient des Helminthes parasites, idée , du reste, qui n’a pas duré, on le comprend, en face de l’ob- servation des faits anatomiques. Il faut le dire, des deux opinions des auteurs l’une paraît plus naturelle; elle vient tout d’abord à lesprit : c’est celle de M. Des. hayes. Les branchies sont le plus souvent en forme de filaments et de franges, il paraïf donc tout simple que les filaments dont il : s’agit aient d’abord été pris pour des organes de la respiration. Est-ce à dire cependant qu'il faille rejeter d’une manière abso- lue les deux opinions précédentes. Je ne le crois pas. On sait que dans les Annélides les branchies sont souvent très contractiles , et qu'il est quelquelois impossible de faire pénétrer les liquides d'injection dans leurs tubes ou filaments. Cela est arrivé à M. de Quatrefages, qui, sans contredit, avait affaire à des branchies; on sait aussi que dans les animaux inférieurs la division du travail phy- siologique étant de moins en moins marquée, il arrive qu’un même organe répond aux besoins de plusieurs fonctions; aussi je suis loin (1) Voyez Ann. des sc, nat., 4° Série, ZooL., t. VI, pl. 14, Gg. 4. ORGANISATION DU DENTALE, 979 de vouloir affirmer, d’une manière absolue, que les tentacules du Dentale ne puissent concourir à la respiration, qu'ils ne puissent aussi sécréter un mueus filant abondant, servant peut-être à agglu- tiner, à retenir et à engluer les petits Foraminifères, ou les autres matières alimentaires; mais je crois que ces fonctions sont bien secondaires , si elles existent, car ce n’est que par analogie que l'on peut les admettre. On trouve, au contraire, toutes les preuves organiques nécessaires pour croire que ces filaments jouent un rôle actif, qu'ils sentent, tent, et qu'ils doivent s’insinuer entre les grains du sable où s'enfonce le Dentale, pour y saisir et rap- porter à la bouche les Rhizopodes qui servent à l'alimentation. Ces filaments sont faciles à observer ; il suffit d’en prendre quel- ques-uns et de les porter sous le microscope pour voir immédiate. ment leur structure (L). Ils sont striés longitudinalement et transversalement. Les stries longitudinales paraissent surtout quand ils sont étendus ; les trans- versales se montrent, au contraire, pendant les contractions. Leur surface est couverte de eils vibratiles, beaucoup plus évi- dents vers l'extrémité que dans le milieu de la longueur (2). Leur extrémité libre (3) est renflée en massue et un peu aplatie ; éminemment variable dans ses formes par suite de sa contrac- tilité, elle présente toujours une dépression semblable à une ven- touse (4) ; un canal existe dans l’intérieur du tentacule , mais je nai pas pu le suivre bien au delà de l’étranglement placé en arrière de l’extrémité claviforme. La ventouse, amsi que Porifice de ce canal, est tapissée de cils plus gros que dans le reste de l’éten- due des tentacules. C’est même en suivant le mouvement ciliaire qu'il m'a été possible de reconnaïtre l’existence de la cavité centrale. Au milieu des granulations du tissu de cette extrémité, on trouve un certain nombre de corpuseules plus gros; presque tou- (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, ZooL., &. VI, pl. 11, fig. 6, 7, 5, (2) 14. , fig. 6, 7, 8. (3) Id., fig. 8. (4) Id, fig. 8 (v). 980 H. LACAZE-DUTHAERS. jours en avant il y en a trois, de teinte jaunâtre et rapprochés (1); dans le point où commence la dilatation, on en rencontre trois autres (2) plus volumineux et moins jaunes, entassés les uns au- dessus des autres, et ce n’est guère que jusque près d’eux que le mouvement ciliaire de la cavité se fait remarquer; toute l’extré- mité renflée est, du reste, parsemée de petits noyaux jaunâtres. Soumis à un grossissement un peu fort, les tentacules présentent dans toute leur étendue une même composition ; leurs parois sont épaisses et à bords parallèles. Le centre du cylindre est occupé, soit par une cavité, comme semble l'indiquer le mot précédent de paroës, soit par un fluide que rien ne décèle. Mais on trouve, de loin en Join, de gros corpuscules avec noyaux et nueléoles, et souvent des trainées de substance unissant les deux ; il semble surtout que ces parties soient appliquées à la surface interne des parois. Y a-t-il dans toute l'étendue de ce tentacule un tube ouvert dans la ventouse? C’est ce que je ne saurais décider ; s’il existait, les corpuscules dont il vient d’être question , seraient les cellules produetrices des mucosités que l’on trouve toujours au milieu des filaments, et l'opinion de M. Deshayes perdrait de sa valeur, tandis que relativement celle de M. W. Clark en acquerrait (3). Quoi qu'il en soit. je n'ai jamais vu et rencontré de granula- tions mobiles et flottantes daus la cavité de ces filaments. Les tentacules sur un même repli sont loin d'offrir le même déve- loppement; on en voit de toutes les grandeurs. Il m'est arrivé, sur des Dentales de petite taille, de trouver un tentacule relativement énorme, entouré de filaments très courts et très déliés ; évidem- (1) Voyez Ann, des sc. nat., 4° série, Zoo., t, VI, pl. 14, fig. 8 (b). (2) Id. (a). (3) Voici le passage du texte de M. W. Clark : « Salivary glands are very » large, covering the base of the foot and the œsophageal ganglions, and enve- » lope the buccal pouches so completely that they seem imbedded in them; they » spring from wich side the base of the mouth, and are two thick fasciculi, » wich consist of a multitude of very fine, long, light yellow capillary strands, » their extraordinary volume is necessary to produce a copious dupply of fluide » to lubricate, especially of the scabrous ones, as Bulima pulchella and the barp » pointed Laguna amphora. » (Loc. cit., p. 326.) ORGANISATION DU DENTALE. 201 met des proportions aussi différentes tiennent à des degrés divers de développement (4). Enfin un fait qui m’a étonné, et que je ne puis pourtant mettre en doute, c’est que les Dentales, placés dans certaines con- ditions, se débarrassent de leurs filaments tentaculaires. Ainsi souvent, deux ou {rois jours après avoir fait la pêche des animaux, on voit flotter, dans l’eau où ils sont placés, des houppes de tenta- eules. J'avais apporté de Saint-Malo à Courseules (Normandie) des Dentales en grand nombre; le changement d’eau de mer leur fit rejeter une quantité considérable de paquets tentaculaires. ARTICLE Il. Grand sympathique, ou système nerveux stomalo-gastrique. Les nerfs et ganglions du système de la vie animale ont, en gé- néral, une apparence particulière qui les fait reconnaître assez fa- cilement. Leur mode de distribution et leur origine ne permettent pas de les confondre avec le système grand sympathique, où du moins avec ce qui en tient lieu. Pour trouver les nerfs sympathiques, il faut faire la préparation des ganglions (2) cérébroïdes, chercher les nerfs de Ia première paire ou nerfs buceaux (3), les suivre sur les côtés du pédicule du mamelon de la Bouche, jusqu’à l'endroit où ils se bifurquent. En isolant la branche inférieure (4), celle qui est la plus voisine du pied, on voit qu’elle abandonne le reste du nerf, qui se distribue au mamelon, et qu'elle se porte en bas et en arrière vers la masse musculo-cartilagineuse de là langue (5). Il v a deux nerfs ou cordons d’origine, un de chaque côté. En arrivant à la masse musculo-cartilagimeuse, les deux cordons se renflent un peu, et forment un petit ganglion triangulaire de chaque côté et en avant de l'appareil lingual. Une commissure transversale les unit : de son (1) Voyez Ann. des sc. nat., 4° série, Zooz,, t. VI, pl. 11, fig. 5 (m) est le repli tentaculifère. (2) Ia., fig. 4, 2 et 3 (5). 382 H. LACAZE-DUTHIERS. milieu naît un filet nerveux qui se porte en arrière perpendiculai- rement à la direction de la commissure, sur le milieu de l’appareil lingual , jusqu’à la partie qui fait saillie sur la face inférieure , et qui correspond au sommet de la pièce cornée (4). De ces ganglions partent deux nerfs (2), un de chaque côté. Îls remontent en arrière, et suivent les côtés de l'appareil lingual ; puis, arrivant sur le dos de la masse museulo-cartilagineuse, ils se renflent en deux nouveaux petits ganglions (3). Une commissure (4) les unit transversalement, et un filet ner- veux postérieur qui en naît se dirige en arrière, en accompagnant le tube digestif; il ne m'a pas été possible de le suivre bien loin. On voit, en résumé, que l'appareil lingual est enfermé dans un cercle formé par les connectifs ou commissures unissant les gan- olions. On voit aussi que, si l’on considère le tube digestif dans son ensemble, et le système nerveux sympathique, plus les ganglions cérébroïdes, la première portion des organes de la digestion est enfermée dans un double collier nerveux : le premier formé en haut par les ganglions cérébroïdes, les nerfs buccaux et les gan- glions avec la commissure antérieure du grand sympathique ; le second formé par cette commissure et la commissure postérieure dorsale avec la seconde paire des ganglions sympathiques. Il m'a paru y avoir des différences individuelles, surtout pour le volume des ganglions ; et ces différences assez marquées font, dans quelques cas, reconnaître avec bien plus de facilité le système grand sympathique. Je n'ai qu’à rapprocher les résultats généraux qui précèdent de ceux que MM. Deshayes et W. Clark ont fait connaître (5), pour que lon reconnaisse que ces auteurs n’ont eu qu’une connais- sance bien imparfaite des organes de l’innervation. . Le Dentale ne semble pas, on le voit, mal partagé à l’endroit du 1) Voyez Ann. des sc. nal., 4° série, Zooz., t. VI, pl. 13, fig, 1, 2, 3 (0). 2) Id. (m). (1) (2) (3) 14. (n). (8) Za. (p). (5) Voir plus haut les citations du texte de ces aüteuts. ORGANISATION DU DENTALE. 383 système nerveux, et l’on trouve même ici quelque chose de plus que dans le système nerveux des Acéphales, chez qui l'on n’a pas, queje sache du moins, indiqué encore le grand sympathique. En cherchant dans d’autres Mollusques la disposition de quel- ques-unes des parties du système nerveux, j'ai eu l’occasion de voir se vérifier des analogies que j'avais entrevues entre eux et le Dentale. J'espère plus tard me laisser guider par ces mêmes ana- logies, et trouver le grand sympathique des Acéphales lamelli- branches. Dans l'étude des rapports zoologiques, il ÿ aura lieu d’insister longuement sur les traits de ressemblance que présente l'appareil de l’innervation du Dentale avec les Acéphales lamellibranches. EXPLICATION DES FIGURES. PLANCHE ÂA. Fig. 1. L'animal du Dentale sorti de la coquille et vu par la face inférieure: (p) lobe médian ou terminal du pied ; (?) lobes latéraux ; (q, 5, d) partie anté- rieure du tube du manteau ; (s) le bourrelet terminal antérieur du manteau, formé par des fibres musculaires en sphincter; (d) bord festonné du bour- relet ; (t) partie postérieure du tube du manteau; (br) portion du tube du manteau qui joue le rôle de branchie ; (f) lobes du foie logés sur les parois du tube (t) ; (v) vaisseau médian bifurqué en avant et logé dans les parois du tube ; (a, b) partie terminale du corps de l'animal : (b) est un bourrelet circu- laire, servant à l'union du corps et de la coquille ; (a) est un épanouissement du pavillon échancré sur toute la partie inférieure. Fig. 2. Le même animal vu de profil. Les mêmes lettres désignent les mêmes choses que dans lafigure précédente. La position nouvelle permet devoir (e) une dépression qui se trouve vers le point où le vaisseau bifurqué (v) de la figure précédente arrive auprès de la partie (br), jouant le rôle de branchie : (r) un organe glandulaire jaunâtre qui est l'analogue du corps de Bojanus , (G) les organes de la reproduction ; (m) les muscles de la partie dorsale ; (0) est un renflemient que présente souvent le tube (+). Fig. 3.Le même animal vu par le dos. — Mêmes lettres désignant mêmes choses que précédemment. La position nouvelle permet de voir sur le dos du pied une gouttière (c), avec les bords qui la limitent et qui appartiennent au lobe médian (p) et aux lobes latéraux (/); (x) est une partie lisse entourée par les fibres musculaires, qui correspond à la partie linguale. Figure 4. Le Dentale placé dans sa position naturelle ; il est oblique à la surface du sable que représente la ligne (s), où il vit enfoncé. On voit les bords du man- teau affleurant les bords de lä coquille, les tentacules sont sortis au dehors. 954 H, LACAZE-DUTHIERS. Fig. 5. Un des replis internes tentaculifères du bord de la bouche chargés de filaments, dont les longueurs et le volume sont très variés : cela tient aux divers degrés de développement. On peut voir que l’un d’eux (4) est relativement très considérable ; cette figure a été prise après avoir comprimé un peu les parties(a). Fig. 6. Un filament tentaculaire grossi, pour montrer la disposition générale : sa tête renflée en massue et ciliée, ses annelures dans toute son étendue. Fig. 7. Une portion d'un filament bien développée ; les parois paraissent striées lougitudinalement et transversalement ; à l'intérieur, on voit comme des cel- lules à divers degrés de développement, peu serrées et de forme diverse. Fig. 8. Une extrémité des filaments, vue du côté de la ventouse (v), tapissée de cils vibratiles se prolongeant dans le tube (c), qui occupe le centre du filament ; (a) est un groupe de trois grosses masses transparentes ; (b) est un groupe de trois petits corps jaunâtres. PLANCHE 492. Fig. 1. Coupe longitudinale de la coquille du Dentale, grossie truis fois. Sur cette coupe on distingue les lignes (i) correspondant aux couches d’accroissement : (g) la partie surajoutée au sommet de la coquille ; (b) est une fracture de la coquille qui a été réparée. Fig. 2. Sommet de la coquille grossie et présentant des coupes dans tous les sens, pour montrer en (g) la substance surajoutée au sommet, et qui semble formée de prismes placés côte à côte; en (f) les stries longitudinales d’ac- croissement , et les bandes blanchâtres perpendiculaires à l'axe de la co- quille ; en (d) le réseau que forment les extrémités des bandes blanches vues en (f). A la surface de ce tronçon de coquille, on voit des petites côtes qui sont cannelées , et en {c) se montrent sur la coupe dans un autre sens des bandes blanches qui se trouvent aussi dans cette figure vues en long en (f), en pointe en (d), et transverses en (c). Fig. 3. Portion d'une partie d’une lame prise perpendieulairement à l'axe de la coquille vue au microscope; (g) coupe des prismes de la substance sur- ajoutée au sommet ; (7) substance de la circonférence sans stries cireulaires, ne présentant que de pettes lignes rayonnantes et naissant dans le fond du pli des cannelures ; (m) lignes d'accroissement correspondant à (i) de la fig. 1 ; (k) (1) lignes en forme de hachures qui déterminent les zébrures de la surface des coupes perpendiculaires à l'axe. Fig. 4. Portion de la substance (g) surajoutée et vue à un grossissement de 300 diamètres. On y voit des stries rayonnantes et les lignes d’accroisse- ment. : Fig. 5. Segment d'une coupe longitudinale montrant en A les bandes rameuses à l’une de leurs extrémités, épaisses et larges à l’autre ; en B, la même chose; mais, vers le bord interne, les bandes blanches ne se correspondent plus entre deux lignes d’accroissement; elles sont discordantes. ORGANISATION DU DENTALE. 389 Fig. 6 Réseau formé par les extrémités des bandes blanches, Vue à 100 dia- mètres et prise dans un point analogue à celui marqué (4) dans la fig. 2. Fig. 7. Coin formé un peu schématiquement pour montrer la réunion des trois coupes précédentes. Fig. 8. Portion des zébrures de la figure 3, grossie à 300 diamètres, vue non sur une section, mais sur un éclat de la coquille. Fig. 9. Tubes creusés dans la substance de quelques individus, et ressemblant tout à fait aux tubes que l'on trouve dans les coquilles de Patelles, des Arches et des Anomies, etc. PLANCHE 19. Fig. 4. Disposition générale du système nerveux. L'animal est supposé vu par le dos; mais comme il n’y a que des lignes indiquant les contours du corps et de quelques organes, la figure du système nerveux peut bien être considérée comme une projection sur un plan de tous les filets nerveux.— A, pied ; B, man- teau ; C, mamelon buccal; E, cartilage lingual; G, orifice postérieur de la digestion ; I, foie représenté seulement par quelques extrémités de cæcums sécréteurs ; M,fpavillon, ou orifice postérieur du tube ou manteau. — (a) gan- glions pédieux, (a) otolithes, (b) nerf palléal moyen, (b') nerf palléal interne, (b'') nerf palléal externe, (c) nerf buccal, (c') nerf labial, (d) connectif anté- rieur , (e) nerfs tentaculaires, (f) connectif unissant les ganglions respiratoires et céphaliques ou connectif postérieur, (g) ganglion voisin de l’anus, (4) nerf respiratoire, allant jusqu’au pavillon M en (i) ; (7) ganglion cérébroïde, (j') ren- flement secondaire postérieur à ce ganglion, (k) origine du nerf grand sym- pathique sur le nerf buccal, (1) premier ganglion sympathique, {m) connectif unissant les premiers ganglions aux seconds, (o) nerf sympathique nés au milieu de la commissure unissant les deux premiers ganglions sympathiques, (p) commissure des ganglions sympathiques postérieurs, (n); (g) commissure des ganglions respiratoires. Fig. 2. Lo système nerveux central, vu par la face inférieure pour montrer sur- tout le collier œsophagien du grand sympathique. Les mêmes lettres désignent les mêmes choses que dans la figure précédente. Fig. 3. Lo système nerveux central, mais plus fortement grossi et vu de profil. Mêmes choses désignées par les mêmes lettres. Fig. 4. Les ganglions pédieux pour montrer les rapports et la forme des vési- cules des otolithes. Fig. 5. Une otolithe prise pour montrer les cils vibratiles qui tapissent la face interne. Fig. 6. Corpuscules calcaires, ou otolithes proprement dites (300 diamètres). &° série, Zooz, T. VI. (Cahier n° 6.) 5 25 PUBLICATIONS NOUVELLES. Monographie des Cicindélides, où Expositiou méthodique et critique des tribus, genres et espèces de cette famille, par M. James Tromsox , in-h , 1697, L'auteur de ce travail possède la plus belle collection de Cicindélides que l'on ait encore formée, et sa monographie, exécutée avec beaucoup de soin et un grand luxe, fera faire certainement des progrès importants à l'histoire de es insectes. La première livraison qui vient de paraître est accompagnée de trois planches dessinées par M. Nicollet, et très bien gravées. Histoire naturelle des Insectes coléoptères, par M. Lacorpaire. Paris, à la librairie Roret. Le quatrième volume de ce Genera vient de paraître , et contient les familles des Buprestides, Throscides, Emnémides, Élatérides, Cébrionides, Cérophytides, Rhipicérides, Daseyllides, Malacodermes, Clérides, Lyméxylons, Cupésides, Pti- niores, Bostrichides et Cissides. Studii paleontologici. — Études paléontologiques, par M. A. Massa- LONGO ; in-8. Vérone, 1856. Cet opuscule, accompagné de 7 planches, contient un Prodrome de la Faune entomologique fossile du Monte Bolca, dans laquelle l'auteur décrit et figure plu- sieurs espèces nouvelles ou imparfaitement connues. Il décrit aussi un fossile qu’il considère comme appartenant à la famille des Hirudinées, et consacre le reste de son fascicule à l'étude de divers végétaux fossiles. Mémoires de l’Académie de Dijon pour 1856, t. V, partie scientifique; in-8 , 1857. Ce volume, consacré presque entièrement à la zoologie, est occupé en majeure partie par un travail très important de M. Nodot intitulé : Description d'un nou- veau genre d’Edenté fossile renfermant plusieurs espèces voisines du Glyptodon, et accompagné d'un atlas de 42 planches format in-4°. Les recherches de ce natu- raliste portent principalement sur des fossiles recueillis sur les bords de la ri- vière Lujan, et apportés en France par le vice-amiral Dupotet. A l’aide de ces matériaux déposés en partie au Muséum d'histoire naturelle de Paris, et en partie au Musée de la ville de Dijon, M. Nodot a pu reconstruire presque CPIÉEMEnt la charpente ossaire d'un grand Édenté dont la carapace à près de 2? mètres de long, et établir les caractères d’un nouveau type générique qui a reçu le nom de Schistopleurum, et qui doit prendre place à côté du genre Glyptodons de M. Ovven et du genre Hoplophorus de M. Lund. Endépendamment du Schistopleurum typus dont il vient d'être question, M. Nodot décrit les ossements appartenant à plu- sieurs autres espèces du même genre et à des espèces de Glyptodons nouveaux pour la science. Enfin, il termine son mémoire par des considérations intéres- santes sur la station et les mœurs de tous ces grands Édentés cuirassés et par des vues sur fe mode de classification le plus propre à représenter les affinités naturelles de ces animaux. Ce volume contient aussi une note de M. Brullé intitulée : Études zoologiques sur la famille des Ichneumonides; des Observations entomologiques par M. Vallot et un rapport fait à l'Académie de Dijon, par M. Vrolik, sur un mémoire de M. E. Rousseau relatif à la dentition des Cétaces. Nous ne pouvons que féliciter l'Académie de Dijon des nouveaux services qu’elle a rendus à la science par ces publications intéressantes. FIN DU SIXIÈME VOLUME. TABLE DES ARTICLES CONTENUS DANS CE VOLUME. ANIMAUX VERTÉBRÉS. Sur le mécanisme de la formation du sucre dans le foie, par M. CI. BERNARD, . . : De md eur à Gale Note sur la sonsihilité de Made par “in FLODRENSE RE ET CR 20 Note sur la sensibilité de la dure-mère, des ligaments et du périoste, par M. Frourexs . . 12 Mec CNET DU MSC Remarques sur les caractères que l'on peut tirer du sternum ‘ OISCAUX, DA MEAP IGERVAIS ONE PROD cas CARE A on SU: NE H) Recherches sur la Faune des premiers sédiments tertiaires parisiens (Mammifères Pachydermes du genre Coryphodon, par M. Hiserr. . 87 ANIMAUX ANNELÉS. Recherches sur la Parthénogénèse, proprement dite, chez les Lépidoptères et les Abeilles, par M. De Siesorn. . . L RATE Études'sur!l'instinet et les métamorphoses des Shane par FM Paré . 437 Notes sur quelques points de l'histoire des Cerceris, des Bombex, des Sitaris, etc., par M. FaBre. . . . UE 183 Études sur l'histologie comparée du éme nerveux ailes dites Ans lides, par M. Faivre . . . : LD MEN PIC Quelques observations sur les polar de Trémates par r M. pe Finippr, . 83 MOLLUSQUES. Recherches anatomiques sur le Nautilus Pompilius, et particulièrement sur le mâle, par M. Van Der HOEvEN. . . . . ; 291 Recherches microscopiques sur les spermophores du Ni, par W. Fe GAARD. . . : . - Bees de e NES ILE Histoire de l'organisation et ii 0 Er ns Dentale, par M. Lacaze- Durniers. . . A EN" 4e Lt 2 EM 6e Publications an etes. OR AROPERIIE RON ANVION OMS EUS LE 1222003586 EEE TABLE DES MATIÈRES PAR NOMS D'AUTEURS. Bernarp (CI.) — Sur le méca- Boocaarn. =— Recherches mi- nisme et la formation du sucre croscopiques sur les Spermo- danshennie RENE . 243 phores du Nautile. . . . 314 — Leçons de physiologie expé- Brown. — Leihæa geognostica rimentale (Annonce. . . . 222 (nnohce), MOMENT 208 Caruco. — Mémoire sur les ter- rains supérieurs de la Véné- tie, et sur les Bryozoaires, Anthozoaires et Spongiaires fossiles qu'ils renferment Eee ONCE) Mu. k DoyÈre. — Essai : sur ji anatomie de Naïs sanguinea (Annonce). Eowarps (Mirxe). — Leçons sur la physiologie et l'anatomie comparée de l'homme et des animaux (Annonce). ; Farne. — Études sur l'instinct etlesmétamorphoses des Sphé- giens. — Notes sur quelques points de l'histoire des Cerceris , des Bombex. des Sitaris, etc. Favre. — Études sur l’histologie comparée du système nerveux chez quelques Annélides . Fiiepr. — Quelques observa- tions sur les larves des Tré- matodes, . Frourexs. — Note sur r la sensi- bilité des tendons . — Note sur la sensibilité de la dure-mère , des à oo et du périoste. : Gervais. — Remarques sur les caractères que l'on peut tirer du sternum des oiseaux . 224 TABLE DES PLANCHES. HégerT. — Recherches sur la Faune des premiers sédiments tertiaires parisiens (Mammi- fères, Pachydermes, du genre Coryphodon). Hecxez. — De telis quibusdam Astaci fluviatilis Dissertatio inauguralis (Annonce). Lacaze-Durmiers. — Histoire de l'organisation et du dévelop- poment du Dentale. . LacorpaiRe. — Histoire des Co- léoptères (Annonce). £ Nopor. — Description d'un nou- veau genre d'Édenté fossile (Annonce). Picrer et HumBerT. — | Monogra- phie des Chéloniens dela mol- lasse suisse (Annonce). Rauzin. — Distribution des ani- maux fossiles de ARS à (Annonce). . . SIEBOLD. — Recherches sur la parthénogénèse, proprement dite, chez les Lépiaoptères et les Abeilles. . . : Tuousox. — Monographie des Cicindélides (Annonce). Van per Hoëvex. — Recherches anatomiques sur le Nautilus Pompilius, et particulièrement sur le mâle. . . 87 223 225 et 319 386 19% 386 TABLE DES PLANCHES RELATIVES AUX MÉMOIRES CONTENUS DANS CE VOLUME. 1,2 UE 5,6 . Système nerveux des Sangsues. " Genre Coryphodon. ; . Anatomie des Sphégiens. 7. Anatomie du Nautile mâle. 8, 9, 10. Organes de la digestion du Dentale. 41. Organes de la locomotion du Dentale. 42. Structure de la coquille du Dentale. “43. Système nerveux du Dentale. FIN DE LA TABLE. IL Jr Lith Becquet freres. Zoolb IAoMe RASE \ DU SYSTÈME NERVEUX . Kg. 5. SIRUCTURE erie. » e en. nat. 4 P Tackerbauer ad nat del? Ann des Sc FRE Fa érie. , e Ann. des Scien. nat. 4 LithBecquet frères. (2 Plackerbauer ad nat del \ SIRUCTURE DU SYSTEME NERVEUX . «Ann. des Se.nat. 4! Serie. Zool. T6 .F15. Pre Humbert del Genre Le at Ann, des Se.nat. 2° Serte . | Zoo. T.6.21. 4 Humbert del Ann.des Seznc. nat. j°Serre.. ZA. Tabre del. Analornte des Jphegienrs. N Rémond mp. 7. Veille Bstrapade, 15, larts. Ga Ton 0) PE. | < Us | n È | r , EL = | nd = pl | u ‘ “ ' * LA L y | < " L Ÿ { Ê : Q FA fre | je 7 J # / 5 : > è 1 y | Ann.des Secene. rat. 4° Serte. Ù LOOO LOTO OO ONC. TI. Tabre del. Anatomie des JSphegient. NW: Aemond. énp.r. Vieclte- Lstrapade, 15, Zarts. ur des Se nat 4 Srre Anatornie Zoo! Tom 6 Pl > in { LA « qi Li à KT Arre. des Secerce. nat. 4 "Serre. Zool. Tome 6, PL.8 LD. ad ral del. Annedouche sc. Organes de la Digestion dt Dentale . NW Remond tmp. r. Vieille Bstrapade, 15. Paris, Vormne 6 PV. NS NS $ N Ürganes de le Diesuonr ae L'entale.. NV Aemond tnp.r. Vieille Bstrapade,15, Parts. Ann.des Secenc. nat. 4° Serte.. oO MOTO. 0207 Annedouche SC. Ürgares de la digestion du Dentale.. WARémond tmp. r. Veille Bstrapade, 18, Parts. Zoo orne OT LITE, Ann.des Serenc. rat. 4 ‘Serre. LD. ad naë. del. Fee de Annedouche 5e. Urganes de la digestion du Lentile.. NRémond impr. Vieille Pstrapade:15. ares, PE Hool Tone 6. PU Ann.des Science. nat. 4° Serre. 9. = A — _— — — u S NZ Annedouche se. ZI TD.ad rat. de. zclure de lt coquille da Dentale. Jo NW Rémond tmp.r. Veille Estrapare,15. Parts. Ann des Science nat. 4" Serre. Zool. Tome 6, PL 73. ZT. D. ad ral. dE. Æ Annedouche se. Jyséme nerveux du Dentale. WAemond trp.r. Vieille Estrapade,15. Paris. di 14 \ k AA TA ds js CARS UT AE) ne de CA A RON D 3 2044 093 337 657 Date Due