#} - ee _ Û . mu A w As 2, 2 A js dx LAS 7 4 HORS RARE. RCA La 4 4 2 0 d PRANTY x Me À NS SNS on do ET Y I D EE DE DO D D D ed D) : e 14” ç* D pce. a PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. PH. VAN TIEGHEM Ne D D LI RAIRES DE L'ACA DÉMIE ÉD ee PR Publiée sous la direction de M. Pa. ecnen L' abonnement est fait pour 2 volumes, ie d’ environ 300 page avec les planches et . none dans Le texte correspondant. aux m émoires. A Ces: volumes paraissent en plusieurs fasgiculés dans l'intervalle a une. année. Les tomes ] à VII sc sont complets. Publiée: sous ja. direction. de M... _ZO0LO GIE …. ‘ à “Le Abo beent est fait pour. 9 volumes, chacun d'environ. 200 pages, avec les planches correspondant. aux mémoires. Ces volumes Ph en. ot fasoicules dans Vintervalle | d’une année. Les tomes [ à VUR sont complets. 1 da. annonens à 2 volumes : Moi. | Paris : 30 francs. — Départements êb Union, postale ANNALES DES SCIENCES | GÉOLOGIQUES ancs Dirigées, Dour ja partie géologique, par. M. Héeerr, et. pour la partie. ot Tomes I à XXII (4879 à Cette publication est. désormais confondue avec. des Sciences naturelles. ie Prix des collections. PREMIÈRE SÉRIE (Z Loologie. et Hotanique He DEUXIÈME SÉRIE (1834- -1843). TROISIÈME SÉRIE (1844- 1 QUATRIÈME SÉRIE (1854-1 863). CINQUIÈME SÉRIE (1864-1874). SIXIÈME SÉRIE (1875 à 1884). SEPTIÈME SÉRIE (1885 à 1894). GÉOLOGIE, 22 volumes. à 1891). Chaque volume . : Chaque it D M ES EE ER Le TETE pr : SAR APE ED DAC PTE PACE : k (tit par M. À. MHNE- En oo. Chaque partie Chaque parlie : Chaque partie . Chaque partie 2 Chaque partie ter en ete Tele ae le 30 Li: 20: vol. 20 vol. 20 vol. 20: vol. 90 vol. 1e: 20 vob. ANNALES SCIENCES NATUÜRELLES HUITIÈME SÉRIE BOTANIQUE CORBEIL. — IMPRIMERIE ÉD. CRÉTÉ ANNALES SUIENCES NATURELLES HUITIÈME SÉRIE BOTANIQUE COMPRENANT L'ANATOMIE, LA PHYSIOLOGIE ET LA CLASSIFICATION DES VÉGÉTAUX VIVANTS ET FOSSILES PUBLIÉE SOUS LA DIRECTION DE M. PH. VAN TIEGHEM TOME VIII PARIS MASSON ET C#, EDITEURS LIBRAIRES DE L'ACADÉMIE DE MÉDECINE 120, Boulevard Saint-Germain 1898 LA VARIATION DANS LA GREFFE ET L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS Par M. L. DANIEL. INTRODUCTION La greffe a été comparée par Théophrasle (1) au bou- lurage. Celte comparaison est encore adoptée par ceux qui examinent superficiellement les choses, par les compila- leurs en particulier. Cependant, bien que les deux opérations présentent plus d'un point commun, elles sont fort différentes. Lorsque l'on greffe, en effet, on sépare bien, comme dans le bouturage, une parlie déterminée d’un végétal vivant (celle partie, c'est le greffon) pour l'implanter dans un autre végélal vivant (appelé sujet ou porte-grelfe), comme on implante dans le sol le pelit fragment qui constitue la boulure. Mais là s'arrête l’analogie, comme il me sera facile de le démontrer. La bouture qui reprend produit de toutes pièces un appa- reil absorbant nouveau à l’aide duquel elle puisera désor- mais directement ses aliments dans le sol où on l’a fixée. (4) Théophraste, De causis plantarum et De Plantis. ANN. SC. NAT. BOT. vil, À 2 L. DANIEL. Elle restera ainsi une plante autonome, ayant ses appareils propres etcoordonnés de façon à fournir, dans le milieu le plus favorable, le maximum de rendement biologique, au mieux des intérêls de la conservation de l’espèce ou de la variété à laquelle elle appartient. La plante bouturée ne porte ainsi en elle-même aucune cause de variation qui n'existait pas dans la plante mire. Elle ne pourra donc varier autrement que sous l'influence du milieu extérieur et en particulier de la nutrition géné- rale, suivant la composition de l'air et celle du sol plus ou moins riche où elle se trouve. Voyons maintenant s’il en est de même pour le sujet et le greffon, obligés de vivre associés par l'intervention du sreffeur. Le greffon, dès qu'il est en place, est obligé de puiser ses aliments dans le sol par l'intermédiaire de son sujet; 1l devient alors en quelque sorte une plante parasite, comme l’a remarqué Duhamel du Monceau (1). Bien que la compa- raison ne soit pas encore complètement exacte, il n'en est pas moins vrai que la nutrition générale du greffon dépendra à la fois du milieu extérieur comme pour la bouture, et, de plus, des relations qui existeront entre lui et son support comme dans la plante parasite. Or, pour quiconque a pu observer les variations produites par le milieu (2) et celles qu'entraîne souvent le parasitisme, ces relalions du sujet et du greffon devront amener dans les deux associés des modificalions plus ou moins profondes. En effet, le greffon, une fois implanté sur son sujet, na plus d'appareil absorbant propre ;ilest obligé, pour vivre, de (1) Duhamel du Monceau, Physique des arbres et Mémoires divers insérés dans les Comptes Rendus de l’Académie des sciences, 1728-1760. (2) Consulter les nombreux travaux de M. Gaston Bonnier sur les plantes alpines, sur l'influence de la lumière électrique sur les plantes, etc., ceux de M. Dufour sur l'influence de l’éclairement, de M. Lhôtelier sur l'in- fluence de l’état hygrométrique ; de M. Dassonville sur l'influence des sels, de M. Géneau de Lamarlière sur les Ombellifères, et en général les travaux du laboratoire de M. Bonnier, parus dans la Revue générale de Botanique. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 3 se servir désormais du sujet comme intermédiaire entre lui et le sol. Le sujet devra puiser la sève brule sous la direction du greffon. Quand ce sujet ne possède aucune partie verte, c'est le greffon qui régit seul la fonction; quand le sujet possède de la chlorophylle, il partage avec le greffon ia direc- tion de l'absorption. On conçoit que le greffon, obligé de se servir d'appareils le plus souvent différents des siens comme structure ou qualité osmolique, ne soit plus le maître de choisir dans le sol les substances qui lui sont indispensables ou simpiement utiles. [Il ne pourra refuser celles qui lui seront nuisibles, pas plus qu'il ne pourra régler aussi strictement la propor- tion des aliments que lui fournira son sujet. Ainsi l’eau, ce véhicule essentiel des substances solubles, dont l'abondance ou l'insuffisance ont des conséquences si opposées pour le développement de la plante, pourra être mesurée avec parcimonie au greffon par un sujet à vais- seaux moins nombreux ou de calibre plus petit, grâce aussi au bourrelet de la greffe. Ou bien, plus rarement, elle lui arrivera en excès parce que ce même greffon sera placé sur un sujet à struciure inverse de la précédente. Les conditions extérieures, les âges relatifs du sujet et du greffon influent considérablement aussi sur les relations des deux plantes au point de vue de l'ascension de la sève brute dans le greffon. D'autre part, le sujet reçoit pour son accroissement pro- pre une sève élaborée plus ou moins différente de celle qu'il aurait fabriquée lui-même avec son appareil assimila- teur propre, remplacé par celui du grelfon. Il la recevra d’ailleurs plus ou moins riche en matériaux plastiques suivant la proportion d’eau contenue dans la sève brute arrivant au greffon. Ainsi les deux plantes greffées sont sous la dépendance élroile l’une de l’autre : le fonctionnement du greffon est en partie lié à l'absorption du sujet, et comme celle-ci est, 4 L. DANIEL. en grande partie ou en entier, commandée par le greffon, le développement du sujet dépend aussi de celui du greffon. Cela montre bien déjà que, en admettant même la cons- tance des conditions extérieures, la situalion des plantes grellées ne peut se comparer à celle de la bouture. Parle fait même de la symbiose, la nutrition générale des plantes gref- fées est modifiée. Ne semble-t-il pas qu’à ces changements de nutrition doivent correspondre des variations de nutri- tion générale tout comme il s’en produit quand le sol varie ? Mais les changements dans les proportions d'eau con- tenues dans les sèves ne sont pas les seules différences qui existent entre la greffe et la bouture. Celle-ci possède toujours ses diastases propres qui lui permettent ultérieurement d'utiliser ses réserves au mo- ment précis voulu. Le greffon el le sujet possèdent aussi chacun des dias- tases spéciales : celles du greffon ne peuvent réagir que sur ses réserves propres sans attaquer celles du sujet et récipro- quement pour les diastases du sujet. La conséquence, c’est que le greffon passera à l’état de vie active ou de vie ralentie indépendamment du sujet et vice versa. Cela ne manquera pas de jeter un certain trouble dans la nutrition générale des deux plantes, si cela ne finit pas par compromettre leur existence. Mais déjà ces causes de varialion dans la greffe n'appar- tiennent plus en entier aux variations de nutrition générale : elles peuvent aussi être rangées dans la catégorie des varia- lions spécifiques, puisqu'elles rentrent dans les caractères parliculiers du sujet et du greffon, plus ou moins indépen- dants du milieu extérieur. A ces différences avec la bouture, il faut ajouter les réaclions qui pourront se passer entre les protoplasmas du sujet et du greffon, les produits des sèves élaborées diffé- rentes, lors des échanges osmotiques de cellule à cellule, produits qui seront d'autant plus différents eux-mêmes que LA VARIATION DANS LA GREFFE. ) le sujet possédera plus de parties vertes. Dans ces réac- üons, ce seront évidemment les cristalloïdes qui joueront le principal rôle, à cause de leur facile osmose. Leur péné- iration de cellule à cellule dépendra de la nature et de la tension du tissu cellulaire, des réactions des diaslases, de la nature spécifique des plantes associées. On conçoit que la greffe soit ainsi un admirable terrain pour amener une série de phénomènes chimiotactiques ou physico-biologiques par décomposilion ou synthèse des corps variés que mettra ainsi journellement en présence le fonclionnement spécial de chaque cellule. Dans l’état actuel de la science, il est impossible de pré- ciser encore la nalure exacte de ces phénomènes et leur processus; mais on peut affirmer que, contrairement à ce qui se passe dans la bouture ou la marcotte, la composition du protoplasma cellulaire sera, sous linfluence de ces actions diverses, modifiée dans certaines régions du sujet et du greffon, sinon dans leur ensemble. Ceci admis, une série de questions se présentent naturel- lement à l'esprit. Les variations protoplasmiques réagiront-elles ou non sur la forme extérieure de l’une ou de l’autre des deux plantes greffées ou sur les deux à la fois ? Les modificalions produites seront-elles exclusivement de même ordre que les variations amenées dans les plantes normales par les changements de nutrition générale sous l'influence du milieu? Ou bien porteront-elles aussi sur les caractères distinctifs des espèces ou des variétés associées ? Modifieront-elles quelques-uns seulement des caractères ou leur ensemble? Seront-elles temporaires ou permanentes ? Affecteront-elles seulement les organes végétatifs, le soma ou corps de la plante, ou alteindront-elles aussi le plasma germinalif, c’est-à-dire les organes reproducteurs ? En un mot, y aura-t-il ou non hérédité des caractères acquis, 6 L. DANIEL. au sens restreint du mot, dans l’acceplion que lui donne Weissmann (1)? Il est du plus haut intérêt de résoudre ces diverses ques- tions, tant au point de vue de la Biologie générale que des applications pratiques qu’elles comportent en agriculture et en horticulture. Au premier abord, il semble que cette solution ne pré- sente aucune difficulté puisque, pour répondre à ces ques- tions, il suffit en somme de voir si les variations existent et, dans ce cas, de rechercher si elles sont analogues à celles qu'amènent les changements de nutrition générale ou si elles portent sur les caractères spécifiques. Il faut croire que cette simplicité est purement apparente et bien lrompeuse, car il règne encore aujourd’hui, sur ces points particuliers de la science, la plus regrettable diver- gence de vues chez les praticiens, les botanistes et surtout les philosophes-naturalistes (Lamarkiens et Néo-Darwiniens). Pour quelques praticiens, de plus en plus reres, qui croient encore aux secrets de culture, la greffe n’est pas sorlie du domaine du merveilleux. C’est une opération ex- traordinaire, incompréhensible, par laquelle on peut chan- ger à volonté et radicalement loutes les espèces et leurs variétés, comme l'ont indiqué les Anciens (2). L'influence spécifique s’exercerait ainsi constamment dans la greffe et au plus haut degré. | Pour quelques autres praticiens et pour la plupart des savants, l'influence spécifique n'existe jamais, et si la greffe pouvait produire des variations, elles seraient sans impor- tance et analogues tout au plus aux changements produits par le sol. (41) Weissmaun, Essai sur l'hérédité et la sélection naturelle, chap. x; Pré- tendues preuves botaniques de l'hérédité des caractères acquis. Paris, 1892. (2) Ils admettent volontiers, avec Virgile, que l’on greffe la Noïx franche sur le triste Arbousier ; les stériles platanes portent les rejetons vigoureux du Pommier; les Hêtres, ceux du Châtaignier ; le Frêne blanchit sous les fleurs du Poirier, et l’on voit les porcs broyer le gland au pied de l’Ormeau (Géorgiques, liv. Il), ou, avec les auteurs du moyen âge, que l’on peut gref- fer le Poirier sur le Chou, etc. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 7 Parmi ces praticiens, je citerai au hasard Baltet et Carrière. Ballet, qui est considéré, dans certains milieux, comme une autorité en fait de greffage, affirme, dans l'Art de greffer (1), que « la greffe est l'unité fédérative, laissant aux intéressés leur autonomie ». E.-A. Carrière et André considèrent l'hybridation par la grefle comme impossible : « L'admettre, disent-ils, serait par trop osé par les conséquences que l’on pourrait en tirer (2) !1 » Du côté des savants, Van Tieghem (3), résumant les opinions dominantes, constate que « la greffe est un moyen précieux de fixer et de conserver les variations introduites dans l'œuf, précisément parce que ce moyen est hors d'état d'introduire la moindre variation nouvelle. » En Allemagne, le D° Vüchting (4), bien connu par ses travaux botaniques, est plus affirmalif encore, si c’est pos- sible. Il va jusqu’à traiter de légendes tous les faits cités jusqu'ici et qui paraissent démontrer l'influence récipro- que du sujet et du greffon. « Dans aucun cas, dit-il, on n'a démontré qu'il existe des influences spécifiques entre le sujet et le greffon ». Weismann (5) prélend que les varialions transmissibles sont toutes d’origine sexuelle; les variations somatiques ne sauraient être héréditaires. D'après lui, on n’a jamais fournt (1) Le lecteur qui parcourt cette compilation est surpris de voir son au-- teur, si affirmatif au début de son ouvrage, ajouter plus loin que certaines plantes modifient par la greffe leurs formes naturelles, fleurissent beau-- coup plus, etc. Pour dégager, au milieu de ces contradictions, l’opinion vraie de l’auteur, il faudrait sans doute posséder ce tact du greffeur qui, d’après lui, doit « suppléer à la connaissance des conditions essentielles à la réussite des greffes, que la science ne peut formuler d’une facon précise ». Rem- placer les principes de l’analogie des sèves d'Aristote et de Théophraste, de: la parenté d'Adanson, les unions harmoniques et inharmoniques de Vôchting par le tact du greffeur, ce n’est certes pas banal! (2) Physiologie végétale (Rev. hort., 1885, p. 554). (3) Van Thieghem, Traité de Botanique, 2° édition, p. 970. Paris, 1892. (4) Vochting, Ueber die durch Pfropfen herbeigeführte Symbiose des Helian- thus tuberosus und Helianthus annuus (Sitzungsber. Kônigl. preuss. Akad. d. Wiss. math. Phys. classe, 12 iuli 1894). (5) Weismann, loc. cit. 8 L. DANIEL. dans le domaine de la botanique un seul fait qui soit ca- pable de prouver Ja transmission des caractères acquis par voie somalique, c’est-à-dire par l'influence directe du milieu sur le corps même de la plante, en dehors des éléments reproducteurs. D'un autre côté, Bailey (1) arrive à une conclusion tout opposée en se basant sur la variation par bourgeons dans les plantes; A. Giard, dans ses lecons à la Sorbonne, et Le Dantec (2), dans un ouvrage récent plus spécialement consacré aux animaux, soutiennent énergiquement que les caractères acquis sont héréditaires. En somme, si on se borne à la question de la grefle végétale qui fait l’objet de ce travail, on voit que deux opinions extrêmes se sont partagé inégalement le monde des savanis ei des praticiens. D'un autre côté, l'affirmation absolue de la variation excessive ; de l’autre, la négation tout aussi absolue de celte variation. Aujourd'hui, ces derniers l’emportent de beaucoup sur leurs adversaires, et si quelques auteurs ont essayé de prouver par le raisonnement ou par des expériences que sujet et greffon réagissaient l’un sur l’autre (3), ou ont soupçonné que celle influence pouvait s'étendre aux pro- duits des deux plantes associées (4), ils n'ont soulevé qu'une regrettable indifférence. (4) Bailey, La plante dans la conception évolutionniste, 1895. (2) Le Dantec, Évolution individuelle et hérédité. Paris, 1898. (3) On peut citer, parmi les exemples anciens d'influence directe, le cas fameux du Cytisus Adami (Voy. Y. Delage, Structure du protoplasma et théo- ries de l’hérédité, 1895); et, à un moindre degré, la greffe du Garrya elliptica sur Aucuba, où le greffon reste grêle, se ramifie peu et porte des feuilles qui changent de forme {Carrière, Influence du sujet sur le greffon (Rev. hort., 1865)]; les variations remarquées dans les Conifères sous l'influence du sujet [Briot, De la greffe et du sujet (Rev. hort., 1867)]; les variations de l’Helianthus annuus sous l'influence du Topinambour, constatées par Maule, puis par Carrière, et contestées par Vôchting; les divers exemples cités par M. Sahut dans plusieurs travaux intéressants sur la greffe, etc. (4) L'influence de la greffe sur les produits du greffon a été pressentie par Dany (du Mans), vers 1572; par Jacques Boyceau, en 1639; par Cabanis, Knight, le comte Lelieur, Sageret et Pépin, à une époque plus récente, mais aucun de ces auteurs n’a donné à l'appui de ses indications une expé- LA VARIATION DANS LA GREFFE. 9 Ces expériences, anciennes ou récentes, ont d’ailleurs un défaut commun qui justifie jusqu’à un certain point le dédain dont elles ont été l’objet. Elles ne sont pas comparatives. Or, quel que soit l'intérêt d’un fait, il perd la plus grande partie de sa valeur quand on n’a pas rigoureusement précisé sa genèse. Aussi est-ce à jusle titre que les adversaires de l'influence et Weismann refusent d'en tenir comple; rien ne prouve en effet que les varialions observées soient le fait de la greffe exclusivement, qu'elles soient vraiment d’origine soma- tique el non d'origine sexuelle. Dans ces conditions, il était utile de faire des recherches nouvelles, à l'abri des objections précédentes, afin de dé- terminer d'une façon sûre ce qu’il peut y avoir de vrai ou de faux dans les expériences anciennes, s'il y a ou non hérédité des caractères acquis dans la grelfe. Ce sont ces recherches que j'ai entreprises depuis 1890, à Château-Gontier, à Rennes et au laboratoire de Biologie végétale de Fontainebleau, dirigé par M. Gaston Bonnier, membre de l’Institut, à qui je suis heureux d'adresser ici mes vifs remerciements pour les facilités de travail qu'il m’a procurées el pour le bienveillant intérêt qu'il a porté à mes éludes. Mes expériences sont toules rigoureusement comparalives. J'ai toujours eu soin, en effet, de placer à côté de mes greffes, dans les mêmes conditions de sol, de climat, de soins généraux, les plantes témoins appartenant aux variétés greffées, tant sujets que greffons, de façon à bien séparer les variations qui pouvaient être le fait du milieu extérieur et celles qui provenaient véritablement de la greffe. Ce sont les résultats des recherches ainsi conduites el essentiellement nouvelles qui ont avant tout servi de base _rience parfaitement probante. (Voy. L. Daniel, Histoire de la greffe depuis l'antiquité jusqu'à nos jours, ouvrage en cours de publication dans le Monde des plantes, Le Mans.) 10 L. DANIEL. aux conclusions de mon travail. Leur authenticilé est indis- cutable, car elles ont été, sur ma demande, contrôlées par des personnes dignes de foi et j'ai présenté quelques-unes de mes greffes les plus typiques aux séancés des Sociétés scientifiques et horticoles de Rennes, aux congrès orga- nisés par la Société pomologique de France à Rennes (1897) et la Société nationale d’horliculture de France à Paris (1898). On pourra donc discuter seulement l'interprétation des faits que je rapporlerai, mais non les trailer de légendes, comme on l’a fait pour les exemples fournis par les auteurs dont J'ai brièvement indiqué les travaux. Si l'on m'objecte, comme on me l’a fait, que les cas d'influence observés sont encore peu nombreux par rap- port aux observations négatives, je ferai remarquer que l'objection est spécieuse et a été bien souvent réfutée. Ibn-al-Awam (1), considérant les multiples circonstances qui influent sur le succès d’une greffe et prévoyant que quelques-uns de ces résultats pourraient être contestés, disait déjà au xnr° siècle : « Si la pensée vous est venue que ces grelles sont impraticables, elles ne peuvent vous pa- raitre telles qu'à cause du petit nombre d'essais tentés dans votre pays et du peu d’avancement de la science. Si c'est votre ignorance seule qui vous fait juger ainsi, ce n'est vraiment pas suffisant. » Tout récemment, dans une autre branche de la science, Cope (2) démontre, par une argumentation très juste, qu'il ne fault pas abuser des expériences négatives qui ne prouvent rien contre un fait positif bien authentique, füt-1l unique. À mon avis, quand on ne réussit pas à reproduire un fait bien observé, c’est que l’on n'a pas su réaliser les condi- tions nécessaires à la production du phénomène cherché. C'est là le seul sens que l’on puisse altribuer aux expé- riences négalives en face du fait authentique, et le nombre. (1) Ibn-al-Awam, Le livre de l'Agriculture, chap. vu. (2, Cope, The primary factors of organic Evolution. Chicago, 1896. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 11 de ces faits n'a qu'une importance secondaire (1), au point de vue de la théorie. Ce travail comprendra deux parties. La première sera consacrée à l'étude des variations directes produites par la greffe sur les plantes greffées elles- mêmes. Dans la seconde, j'examinerai si les variations ainsi pro- duites sont héréditaires, et dans quelle mesure. (1) Autrement, il faudrait s'entendre et fixer le nombre d'expériences positives nécessaires pour donner la certitude par rapport à un nombre donné d'expériences négatives. Ce serait aussi absurde qu'arbitraire. PREMIÈRE PARTIE VARIATIONS DIRECTES PRODUITES PAR LA GREFFE SUR LES PLANTES GREFFÉES ELLES-MÊMES. Ces varialions peuvent être produites de deux manières bien différentes, quoiqu'il soit parfois bien difficile de dis- linguer celles qui proviennent de l’une ou de l’autre :, Ou elles proviennent des changements plus ou moins considérables amenés par l'opération elle-même dans ia nutrilion générale des plantes grelfées ; Ou bien elles sont la conséquence d'une réaction mutuelle de ces mêmes plantes que la greffe peut amener à mélanger plus ou moins leurs caractères propres. Ces deux catégories de variations ne sont pas de simples vues de l’esprit. On verra par la suite de ce travail qu'à l’aide d’une méthode particulière de greffage, elles peuvent être en partie séparées et quelques-unes d’entre elles isolées assez facilement. Pour plus de clarté, j'ai divisé cette première partie de mon mémoire en lrois chapitres. Dans le premier, je décrirai et j'essaierai d'expliquer les influences de nutrition générale que j'ai observées. Dans le second, j'étudierai les cas d'influence spécifique, c'est-à-dire les transmissions directes entre le sujet et le gref- fon de leurs caractères particuliers d'espèce ou de variété. Enfin, dans le troisième, j'indiquerai la méthode qui m'a servi à séparer partiellement les deux catégories de phé- nomènes. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 43 CHAPITRE PREMIER VARIATIONS DIRECTES DUES AUX CHANGEMENTS DE NUTRITION GÉNÉRALE CAUSÉS PAR LA GREFFE. Dans ce chapitre, je m'occuperai d'abord des faits, puis j'essaierai d'en donner la {héorie. À. — LES FAITS. L'influence des changements amenés par la greffe dans la nutrition générale des plantes associées peut s'exercer : 1° Sur les dimensions de l'appareil végétatif du sujet et du greffon ; 2° Sur la saveur des parties alimentaires, leur grosseur, leur constitution chimique et l’époque de leur apparition dans la plante; 3° Sur le développement plus ou moins rapide des or- ganes reproducteurs du greffon ; 4° Sur la résistance relative des deux plantes aux para- sites et aux agents extérieurs. Je décrirai successivement ces quatre catégories de variations. S I. — Variations dans les dimensions du greffon et du sujet après le greffage. I. — Plantes herbacées. Un grand nombre de plantes greffées diminuent de taille et restent plus naines que les fémoins non opérés. D’autres acquièrent sensiblement la même taille et enfin, beaucoup plus rarement, quelques-unes deviennent plus vigoureuses après l'opération et augmentent de dimensions. Ces faits se produisant aussi par la culture en un milieu 14 L. DANIEL. plus ou moins riche, il est facile de voir avec les témoins si les variations sont bien le fait de la greffe elle-même ou dues à des causes étrangères. | En supposant que la variation soit causée par la grefle, celle-ci peut agir en tant qu'opération, ou bien par les dif- férences présentées par le sujet et le greffon. Comment s’en rendre comple el séparer ces deux sortes d'actions? C’est en somme facile, bien qu'on n'ait jamais essayé de le faire. On sait que deux plantes, si voisines qu’elles soient, dif- fèrent toujours plus ou moins, tant par leurs caractères mor- phologiques internes ou externes que par leurs aptitudes physiologiques. Si l’on veul donc discerner d’une facon sûre les modifi- cations produites par l'opération seule et celles dues à l’in- fluence réciproque des individus associés, il faut d’une part greffer les indinidus sur eux-mêmes; d'autre part greffer des individus de la même variété que les précédents sur des variétés et des espèces différentes, en cultivant le tout comparativement avec les plantes de semis parmi lesquelles on a choisi les sujets et les greffons qui serviront ainsi de témoins. C’est la méthode que j'ai suivie, sans me laisser arrêter par l’idée reçue (1) que les faits d'influence ne sauraient se manifester si le greffon et le sujet n’appartiennent au moins à des races différentes. J'aurai donc à considérer ici 1° La greffe d’une plante sur elle-même; 2° La greffe de plantes différentes entre elles. 1. Greffe d’une plante sur elle-même. — J'ai remarqué que les résullats de la greffe d'une plante déterminée sur elle-même varient suivant qu'il s'agit de plantes herbacées, à couches généralrices peu actives et cessant de fonctionner (1) Y. Delage, Structure du protoplasma et théories de l'hérédité, p. 227, en note. LA VARIATION DANS LA GREFFE. I QT de bonne heure, ou de plantes semi-ligneuses dans les- quelles, au contraire, les couches génératrices fonctionnent pendant assez longlemps avec beaucoup d’aclivité et pro- duisent des couches assez épaisses de tissus secondaires. 1% Cas. — Plantes annuelles à tissus ligneux secondaires peu développés. — Comme exemple de plantes de cette calé- gorie, je choisirai le Haricot (Phaseolus vulgaris), variété « Noir de Belgique », naine, assez précoce, et suffisamment résistante. Je crois devoir rappeler le procédé qui m'a servi à réussir ce genre de greffes, considérées jusqu'ici comme impos- sibles, et que j'ai d'ailleurs appliqué non seulement à beau- coup d’autres plantes herbacées, mais encore aux arbres dont la radicule et la Uigelle atteignent, au moment de la germination, une taille suffisante pour se prêter utilement au greffage (1). Ce procédé, c’est la greffe sur germinations, très vaguement indiquée en approche par Jacques Boyceau au xvu siècle et par Thouin au commencement de ce siècle. Pour les Haricots, je sème les graines sur couches, en pots ; Je greffe le septième jour environ après le semis ; cinq jours plus tard, la reprise est faite sous cloche: il suffit d'aérer progressivement jusqu’à la mise en place définitive. Les traces de l'opération se manifestent sous la forme d’excroissances de grosseur variable et qui finissent par cons- tituer une sorte de bourrelet plus ou moins irrégulier sui- vant la perfection de l’opération. En général, sujet el greffon paraissent ne pas trop souffrir. Cependant leur taille est modifiée plus ou moins suivant (4) Voy. L. Daniel, Sur la greffe des plantes en germination (C. R. de l’Afas, Congrès de Pau, 1892). — Depuis, ce procédé a été appliqué au Muséum par M. Maxime Cornu, qui s'en est très bien trouvé et l’a recommandé dans le Bulletin de la Société nationale d'Horticulture de France, 1895. Plus récem- ment, M. Micheii s’est servi de la greffe sur germinations pour greffer le Clianthus Dampieri, remarquable Légumineuse qui ne peut vivre sous notre climat qu’à la condition d’être greffée sur le Colutea fruteseens (Archives des sciences physiques et naturelles de Genève, novembre 1898, p. 527). 16 L. DANIEL. l'époque du greffage et la perfection de la soudure. Les greffons restent environ moitié plus pelils que les témoins; leurs feuilles sont moins nombreuses, moins développées et moins vertes. [ls ont, surtout dans les années sèches, l'aspect général des Haricots cultivés dans un sol sec ou insuflisamment fumé. Comme, étant données les précautions prises, toutes con- ditions sont égales d’ailleurs entre les Haricots greflfés et les témoins, sauf la greffe, c’est à cette opération qu'il faut attribuer les différences observées et non à des différences constitulionnelles. Des variations analogues se relrouvent dans le petit Pois nain, et un bon nombre de plantes annuelles, et même vivaces, comme dans la Pomme de terre par exemple. Cela prouve bien nettement que, dans toutes ces plantes à tissus secondaires peu développés, /e bourrelet amène à lui seul des changements de nutrition générale dans la greffe d'un même individu, contrairement à l'opinion reçue Jusqu'ici. La porlion servant de grelfon se comporte comme si elle était placée dans un sol sec ou pauvre en aliments. 2° Cas. — Plantes herbacées à tissus secondaires bien déve- loppés. — J'ai répété des expériences semblables sur les Choux cultivés (Brassica oleracea), qui sont des plantes semi- ligneuses. J'ai opéré sur jeunes semis d'un mois à six semaines envi- ron. Celle grefle est facile à réussir en prenant les précau- lions opéraloires nécessiltées par les grefles herbacées (1), en parliculier quand on à soin de mettre sujet et greffon dans des atmosphères différentes, en rapport avec les (1) Pour les détails concernant la pratique des greffes que je cite dans ce travail, consulter les divers Mémoires que j'ai publiés sur la greffe : Recher- ches anatomiques et physiologiques sur la greffe (Rev. gén. de Bol., 1894); Applications pratiques de la greffe herbacée (1bid., 1894); Influence du sujet sur la postérité du greffon (Le Monde des Plantes, 1895) ; Recherches anato- miques sur les greffes herbacées et ligneuses, Rennes, 1896; et surtout : Quel- ques considérations théoriques sur la greffe (Bull. de la Soc. scient. de l'Ouest, 1897). LA VARIATION DANS LA GREFFE, 17 conditions biologiques si peu semblables où les place l’opé- ration. Le greffon et le sujet reprennent au bout de quelques semaines (ce temps varie avec [a température extérieure et le milieu) leur développement interrompu après une période de souffrance. Les feuilles se mettent alors à pousser ; elles augmentent rapidement en nombre et reprennent bientôt la teinte verte des feuilles des témoins dont elles acquièrent la taille et la vigueur. Le bourrelet, qui élait très marqué au début, s’atténue au fur et à mesure de la croissance. Dans les greffes faites avec toute la perfection opératoire désirable, il finit par être à peine sensible quand vient la seconde année de développe- men£. C’est à la fin de la première année que la plante arrive en général à égaler la taille des témoins et à réparer le temps perdu par le fait de la cicatrisation. Tant que les lissus secondaires n’ont pas rétabli la circu- lation directe, on observe des phénomènes analogues à ceux que présentait le Haricot greffé sur lui-même. Mais ceux-ci disparaissent à la longue el la plante finit par reprendre ses allures normales. Je pourrais citer un grand nombre d’autres exemples du même genre : Dianthus, Lychnis, etc. En un mot, on peut dire que dans la greffe d’une plante herbacée sur elle-même, /« nutrition générale sera troublée en raison inverse du fonclionnement des couches qgénératrices libéroligneuses au moment où l’on pratique l'opération. 2. Greffes entre plantes appartenant à une même race, à des races, des espèces ou des genres difiérents. — Si l’on considère les individus fournis par un même semis de graines, que ces graines proviennent d’une même plante ou de plantes différentes de Ia même race, on ne {ar- dera pas à s’apercevoir que ces individus présentent très ANN. SC. NAT. BOT. VII, 2 18 L. DANIEL. souvent entre eux des différences personnelles sensibles, quoiqu'ils puissent posséder les caractères essentiels de leur race. Ces différences peuvent porter soit sur la forme extérieure, soit sur la structure interne ; mais elles peuvent aussi con- cerner les aptitudes fonctionnelles, de telle sorte que Îles divers individus pourront, dans un même milieu, atteindre des tailles variées, suivant leur énergie vitale parliculière. Quand on examine des semis de plantes appartenant à des races différentes, les caractères différentiels sont plus nom- breux et plus tranchés, tant dans la forme extérieure et la structure des organes que dans leur rôle physico-biologique. Ces différences augmentent encore quand il s’agit d'espèces d'un même genre ou de genres voisins appartenant à une même famille ou à des familles voisines. Donc, quand ces plantes différentes seront greffées entre elles, les conditions biologiques dans lesquelles elles seront placées présenteront une complication de plus en plus mar- quée suivant qu'il s'agira d’une même race, de races diffé- rentes, d'espèces ou de genres différents d’une même famille ou de familles voisines. C’est ce qu’a exprimé Adanson (1) en établissant son fameux principe de la parenté botanique : la greffe ne peut réussir qu'entre espèces d'un même genre, prin- cipe étendu depuis aux genres d'une même famille. Ce principe a-t-il vraiment la généralité que lui attribuent la plupart des auteurs qui ont écrit sur la greffe? C’est à l'expérience de se prononcer, et c’est elle qui me servira de guide dans ce qui va suivre. a. Greffes entre plantes de même race. — Ici encore les résultats diffèrent suivant qu'il s’agit de plantes à couches génératrices peu actives ou de plantes à tissus secondaires bien développés. Si l'on greffe entre eux divers échantillons du Haricol (1) Adanson, Familles des Plantes. Paris, 1768. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 19 noir de Belgique, par exemple, dont les variations indivi- duelles sont peu importantes, on constale la formation d’un bourrelet analogue à celui qui se produit dans la greffe du Haricot sur lui-même. Les variations de l'appareil végétatif du greffon sont aussi identiques. Je n'ai pas observé de greffons qui aient atteint la taille des témoins ; tous sont restés plus petits. Greffons maintenant des plantes semi-ligneuses de même race, par exemple un Chou cabus de Morlagne sur un autre Chou cabus de Morlagne du même âge. S'il s’agit de plantes choisies parmi Les plus ressemblantes comme vigueur, la greffe causera au début un retard de développement ; mais, comme le démontre l'expérience, le greffon et le sujet ne tardent pas à acquérir assez rapide- ment la taille normale. Choisit-on au contraire une plante vigoureuse et une plante débile dont les capacités fonctionnelles sont différentes, les résullals varient suivant le sens de la greffe, c’est-à-dire suivant que l’une des plantes considérées sera employée comme sujet ou comme greffon. Un Chou cabus vigoureux greffé sur un sujet faible, ligneux, à vaisseaux étroits, ayant durci comme on dit vulgairement, croîtra plus lentement et finalement restera de taille infé- rieure aux lémoins. Des greffes inverses peuvent rendre un greffon durei plus vigoureux, S'il n'a pas trop souffert avant et pendant la greffe et s’il est encore apte à reprendre loute son aplitude fonctionnelle. Donc, ici encore, et contrairement à l'opinion reçue, /a greffe entre plantes d'une même race produit des variations qui peuvent persister dans les planies semi-ligneuses, mais qui sont permanentes dans les plantes herbacées où les pa- renchymes prédominent et où le bourrelet joue par consé- quent un rôle très marqué pendant toule la durée de la greffe. L’aptitude fonctionnelle du sujet intervient dans les plantes 920 L. DANIEL. semi-ligneuses, concurremment avec celle du greffon. Cette action est bien moins netle dans les plantes herbacées. b. Grejfes entre plantes appartenant à des races, des espèces ou des genres différents. — Les réactions réciproques du sujet et du greffon vont se compliquer de plus en plus au point de vue des aptitudes fonctionnelles. Je vais examiner ici les greffes les plus caractéristiques sous ce rapporl. a. Greffes de Haricot noir de Belgique sur Haricot de Sois- sons gros el vice versa. — Ces deux plantes appartiennent à deux races bien différentes. Tandis que la première est naine et ne dépasse pas 40 centimèlres de hauteur, la seconde atteint 4",50. Le Haricot noir de Belgique sert-il de greffon, on cons- tale qu'il reste toujours environ moilié plus petit, comme s’il s'agissait simplement de sa grefle sur lui-même. Pour- lant, ici, le sujet possède une apliltude fonctionnelle bien supérieure à celle du Haricot noir de Belgique. C'est donc le bourrelet seul qui cause encore la varialion de taille du gretlon. ; Dans les greffes inverses, le Haricot de Soissons gros qui sert alors de greffon ne dépasse pas 2 mètres de hauteur ; il se ramifie plus que les témoins. Ses feuilles, comme dans toutes Îles greffes ordinaires de Haricots, restent moins vertes, moins grandes el moins nombreuses que dans les témoins. On peut donc conclure, de l’ensemble de ces expériences de greffe entre plantes herbacées à tissus cellulaires prédo- minants, que le bourrelet a pour effet de placer le greffon dans des conditions assez comparables à la végétation en sol aride, puisqu'il amène des résullals semblables. Une application pratique de ces faits est tout indiquée. L'amateur qui possède un petit jardin et ne peut culliver le Haricot de Soissons gros que ses dimensions rendent encom- LA VARIATION DANS LA GREFFE. 21 brant, n'aura qu'à le grelfer sur Haricot nain pour le rame- ner à des dimensions convenables. 8. Greffes d'Aubergine sur Tomate. — J'ai greffé à la même époque et à plusieurs reprises des Aubergines de variétés différentes sur une même variété de Tomate, la Tomate rouge grosse hâtive. Quand on prend l’Aubergine longue violette dont les dimensions sont égales environ à celles de la Tomate sujet el qui, comme celle-ci, exige une riche fumure, on constate que la reprise se fait facilement. L’Aubergine greffon se dé- veloppe régulièrement, et au niveau de la greffe on observe un léger bourrelet formé par le sujet (fig. 3, pl. I, à droite). Les racines de la Tomate sujet acquièrent un développe- ment très marqué. Le greffon ne souffre pas de l'absorption, pas plus que le sujet ne manque de sève élaborée. Si l’on grelfe l’'Aubergine naine hâtive sur la même variété de Tomate, on constate au début une reprise aussi bonne qu'avec la variété précédente, bien qu'il y ait une différence considérable entre leur taille. Mais bientôt le greffon modère sa croissance ; il n’alteint pas même sa taille normale. Le sujet se développe beaucoup moins que précédemment pendant qu'il forme un bourrelet volumineux au niveau de la greffe (fig. 3, pl. [, à gauche). Des greffes de Solanum ovigerum, dont la taille est inter- médiaire entre les deux variélés d’Aubergine précédentes, donnent avec la même variété de Tomate des résultats inter- médiaires entre les précédents. Il est bon de remarquer que ces greffes ont été faites entre tiges jeunes et que le sujet possédait des parties vertes lui permettant d’assimiler et de grossir quelque peu en dehors de la sève élaborée par le greffon. De là, la produc- tion du bourrelet. y. Greffe de Laitue sur Salsifis. — Dans les greffes pré- cédentes, le sujet et le greffon appartenaient à des plantes 29 L. DANIEL. annuelles ou à des plantes de même âge. Les résultats d’une grefle seront-ils les mêmes si l’on opère entre plantes d’âge différent ? Pour résoudre la question, j'ai greffé comparativement la Laitue sur racine de Salsifis jeune et sur racine de Salsifis à sa deuxième année de développement. Dans le premier cas, la racine possède son maximum de capacité absorbante ; dans le second, celte capacité est très réduite, mais la racine est riche en réserves. Avec la racine d’un jeune Salsifis comme sujet, jai obtenu une assez bonne reprise, malgré une forle tendance à la ruplure de l'association. Le résultat de cet antagonisme, c'est de faire souffrir le greffon qui se comporte comme dans un sol sec, ne pomme pas et, après avoir fourni quel- ques feuilles peu développées et peu vigoureuses, monte à fleurs au moment où les témoins vont pommer. Sa taille reste notablement inférieure à la taille moyenne de la variété. Quant au sujet, 1l grossit à peine et je n’ai pas observé dans ses lissus la moindre trace d'inuline, avec la grefie ordinaire (1). : J'ai essayé en vain de réussir la greffe de cette même variété de Laitue sur la racine âgée d’un Salsifis, qui possé- dait ses réserves, et J'ai constaté que l’inuline du sujet ne passait pas dans le greffon. Aussi, comme les capacités absorbantes de la racine âgée sont très réduites, le greffon meurt desséché faute d'aliments absorbables. C’est un exemple fort net de l'influence de l’âge du sujet sur la réussite de certaines greffes de plantes bisannuelles où les réserves du sujet ne sont pas assimilables par le greffon et où la racine ne saurait reprendre sa facullé pri- milive d'absorption. Ô. Greffes de jeunes bourgeons à fleurs de Choux. — La capacité fonctionnelle du greffon, si elle est inférieure à (1) Il en est autrement avec la greffe-mixte. LA VARIATION DANS LA GREFFE. AS: celle du sujet, produit une greffe défectueuse comme le montre la greffe de l’Aubergine naine hâlive sur la Tomate. Si celte capacilé vient à diminuer oulre mesure, la greffe ne réussit plus. C'est ainsi qu'après avoir greffé sur diverses variétés de Choux jeunes des inflorescences atro- phiées du Chou-fleur, dans lesquelles la chlorophylle man- quait en grande partie ou en totalité, je n'ai jamais observé de reprise. Mais la même greffe réussit fort bien quand l’on remplace celte branche dépourvue de capacité fonctionnelle par un rameau à fleurs qui possède quelques braclées vertes et de la chlorophylle. Ce rameau, une fois la reprise opérée, poursuit son développement comme s’il était resté sur le pied qui l’a fourni et même peut acquérir une taille plus considérable. C'est ce que l’on peut observer très nettement dans Ia greffe du Chou-rave blanc sur la tige jeune du Chou de Mortagne (1). L'âge du sujet et sa structure influent beaucoup sur la réussite de cette greffe. Avec un Chou à moelle développée et dont la laille est celle de l'adulte ou à peu près, comme le Chou cabus par exemple, la reprise est rare, car le sujet el le greffon pourrissent au niveau de la greffe. Avec un Chou très ligneux, comme certains Choux verts, la cicatrisation est insuffisante et la greffe réussit mal. e. Greffes de Chou vert sur Alliaire. — On sait que l’Alliaire est une Crucifère bisannuelle dont la racine prin- cipale possède de nombreux bourgeons adventifs intercalés entre des mamelons radiculaires. Grâce à ces productions, la capacilé fonctionnelle de la racine est très marquée. J'ai greffé sur cette racine principale un Jeune bourgeon à fleurs de Chouwert, que j'avais choisi parmi ceux dont la taille, une fois complètement développés, atteindrait sensi- (1) Cette greffe a été figurée dans mon mémoire : Influence du sujet sur la postérité du greffon (Le Monde des Plantes, Le Mans, 1895). 24 L. DANIEL. blement celle de l’appareil assimilateur total de l’Alliaire. Cette greffe a parfaitement repris. Le greffon a acquis son développement normal el la racine sujet conserve ses dimen- sions ordinaires. Il n’y a pas production d’un bourrelet très étendu. J’ai obtenu des résultats analogues avec des bourgeons à fleurs de Chou cabus (Chou de Saint-Brieuc). Dans une autre série de greffes, au lieu de prendre pour greffons des bourgeons à fleurs, c’est-à-dire une portion restreinte, à développement limité, de l'appareil assimila- teur du Chou, je me suis servi de jeunes Choux verts âgés de quatre semaines environ et Je les ai implantés sur des racines d’Alliaire de même taille ou plus grosses. La reprise s’est encore très bien faite. Le greffon reste vert; les feuilles se développent presque comme sur les témoins, mais à la longue un fort bourrelet apparaît sur le greffon qui acquiert un diamètre plus grand que celui du sujet. Si l’on surveille avec soin l’affranchissement, la greffe se maintient et la racine sujet prend un développement beau- coup plus considérable que si elle avait servi à assurer la nu- trition de son appareil assimilateur propre. Sa taille devient presque double et son chevelu est beaucoup plus abondant. n. Greffes de Carthame sur Soleil annuel. — Le Carthame (Carthamus tinctorius) est une plante tincioriale annuelle qui atteint une hauteur de 60 à 80 centimètres ; elle appar- tient à la sous-famille des Cynarocéphales, familleides Com- posées. Le Soleil (Helianthus annuus) est aussi une Composée, mais il rentre dans la sous-famille des Radiées ; il atteint une hauteur de 2 mètres environ. En opérant par le procédé de la grefle sur germinations, J'ai réussi la greffe de ces deux plantes. Bien que le Carthame füt ainsi placé sur un sujet plus vigoureux que lui, il n'a pas subi d'augmentation de faille. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 25 Au contraire, chaque greffon est resté trois fois plus petit que les témoins ; il ne s’est pas ramifié; ses feuilles, beau- coup moins nombreuses, élaient aussi beaucoup moins développées. L'inflorescence était formée d’un capitule unique terminal quand les témoins en possédaient plu- sieurs, sauf ceux qui, semés trop épais et non éclaircis, élaient reslés serrés les uns contre les autres. En un mot, l'aspect des greffons était celui des Car- thames souffrant d’une forte sécheresse ou semés trop épais. Quant au sujet, 1l était lui-même resté beaucoup plus petit qu à l’ordimaire; sa taille était sensiblement Ia même que celle qu'il possédait au moment du grelfage. 6. Greffes de « Sysimbrium austriacum » sur Chou cabus. — J'ai greflé, au début du printemps, le Sysimbrium aus- triacum, plante adventice aujourd’hui commune sur les murs de Rennes, sur un jeune Chou cabus provenant de semis d'août non mis en place et restés serrés en pépinière. J'avais choisi comme greffons : 1° des racines munies de leurs rosettes de feuilles, appartenant à des plantes à leur deuxième année de développement; 2° des tiges avec rosettes de feuilles provenant de plantes plus âgées. La reprise se fail avec la plus grande difficulté. Les racines munies de leur rosette de feuilles périssent, étant moins résistantes. Plusieurs tiges greffons ont réussi à se souder au Chou, et elles ont donné quelques pousses ché- tives. Un bourrelet s’est formé au niveau de la greffe, mal- gré le peu de vitalité du greffon. Les fleurs ont apparu à la longue et leur taille est restée très réduite. La fructification n’a pu s'effectuer complète- ment ; les siliques, restées très petites, sont tombées avant la maturité et les ovules ont avorté. Cette greffe montre comme la précédente que l’âge et la résistance du greffon entrent en ligne de compte dans la réussite de certaines greffes. Elle fait voir aussi que l'habitat normal des plantes est à considérer plus que la question de 26 L. DANIEL. parenté. En effet, le Sysimbrium austriacum et le Chou sont aussi voisins que le Chou et l’Alliairre par exemple la parenté ne peut donc être invoquée pour justifier le résultat. Les exemples de ce genre sont d’ailleurs nombreux. Je n'ai pas réussi à greffer le PAlor subulata Benth. sur le Phlox paniculata L., espèces d’un même genre, mais d’or- ganisation différente, elc. (1). Les différences dans les produits des sèves élaborées peuvent enfin être la cause directe d’insuccès : tel est le cas des greffes d’/satis tinctoria sur Chou cabus, où le gref- fon finit par corroder les issus du sujet après une pre- mière soudure, etc. II. — Plantes ligneuses. Si l’on compare maintenant les résultats des greffes her- bacées à ceux que fournit la greffe des plantes ligneuses, on verra que les mêmes cas se retrouvent avec quelques va- rianles dues à l’état ligneux. Dans l'exposé de ces résullats, je pourrai donc suivre Île même ordre que pour les greffes herbacées. 1. Greîfe de la plante ligneuse sur elle-même. — Lorsqu'on greffe une plante ligneuse sur elle-même, les conséquences premières du bourrelet cicatriciel sont les mêmes que pour les plantes herbacées pendant les débuts de l'union définitive (2). Mais, dès que les couches génératrices (1) Ces expériences ne signifient pas que les greffes entre plantes herba- cées d'habitat différent sont impossibles. Il pourrait se faire qu’en appli- quant les principes de l’acclimatation progressive, on réussisse à la longue. Il faudrait pour cela greffer entre elles des plantes de plus en plus diffé- rentes sous le rapport de l'habitat, ou se servir de greffons intermédiaires, comme on le fait pour les végétaux ligneux. (2) L. Daniel, Recherches anatomiques sur les greffes herbacées et ligneuses. Rennes, 1896, in-8, 104 pages, 3 planches doubles et 17 figures dans le texte. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 27 fonctionnent normalement, les tissus nouveaux ne tardent pas à redevenir droits, et le bourrelet n'existe quelquefois plus au bout de la première année de greffe. D'une façon générale, le bourrelel, dans la greffe bien réussie, disparaît au bout de peu d'années et la plante ne se ressent pas de l'opération à partir de ce moment. C'est ce qui explique comment celte nolion généralisée a pu faire croire que la greffe de la plante sur elle-même ne produit de varialion dans aucun cas. Or, cela ne peut être vrai que pour les plantes ligneuses seulement, où la gêne produite par le bourrelel n'est point persistante, mais mo- mentanée et de courte durée. 2. Greîfes entre plantes de même race, de races, d'espèces ou de genres différents. — De même, dans ces greffes, le bourrelet cicatriciel ne saurait intervenir en tant que bourrelet s’il n’y a une différence entre les capacités fonctionnelles du sujet et du greffon. Ici, encore, c'est à l'expérience de déterminer si Les variations produites seront conformes au degré de parenté botanique des espèces, et si la nature du greffon choisi, sa capacité fonctionnelle, sa diffé- renciation, l’état du sujet, peuvent influer sur les résultats de l'opération. J'examinerai tout d’abord les greffes ordinaires faites en prenant pour greffon des rameaux pourvus de leur géotra- pisme négatif, puis celles dans lesquelles on a choisi des rameaux dépourvus plus ou moins de ce géolropisme. a. Greffons à géotropisme négatif bien marqué. — Il s'agit ici de la grande majorité des greffes, car dans les greffes par rameaux on prend en général des rameaux verticaux. Parmi les greffes ligneuses de ce genre, je choisirai les exemples les plus caractéristiques que j'ai pu contrôler ou obtenir moi-même, et dont je puis, par conséquent, garantir l'exactitude. | 28 L. DANIEL. «. (Greffe de Poirier sur franc et sur Coignassier. — La greffe du Poirier est une des mieux connues et peut servir de type pour beaucoup d’autres greffes. Les différences qu’une même variélé présente, suivant qu’elle est placée sur Coignassier ou sur franc, sont très caractéristiques. La greffe réussit plus facilement au début sur Coignassier que sur franc. Les pousses sont plus vigoureuses que sur franc la première année, mais landis que sur Coignassier les pousses vont en diminuant de vigueur, c'est le contraire pour le Poirier sur franc. On constale que sur Coignassier la mise à fruit est plus rapide, que les fruits sont plus gros, plus parfumés et plus sucrés (1). Tandis que le bourrelet est en général faible ou nul avec le france, il est très développé avec le Coignassier. Il en résulte un état de souffrance qui amène plus rapidement la mort du greffon, qui résiste moins bien aux attaques des parasites. : De même, le sujet Coignassier subit (e contre-coup du changement d’ appareil assimilateur. Quand il porte un greffon de Poirier, 1l exige un sol plus frais et plus riche que sil n’est pas greffé, ou même que s’il est greffé avec une autre espèce de Coignassier. Beaucoup d'arbres fruitiers se moon d’une façon assez analogue, quand il existe les mêmes différences entre le sujet et le greffon, c’est-à-dire quand le greffon est placé sur un greffon moins vigoureux que lui (2). B. Greffe des Rosacées à noyau. — Dans ces greffes, on retrouve les phénomènes précédents à propos des greffes du Pêcher sur Amandier ou sur Prunier. Mais on observe aussi parfois des phénomènes particuliers qu'il n’est pas sans intérêt de connaître au point de vue de (4) G. Rivière et Baïlhache, Contribution à la physiologie de la greffe (C.R., 1e" mars 1897). (2) Consulter les articles de M. Félix Sahut dans la Revue horticole de 1885. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 29 la théorie, bien qu'ils soient peu connus, à cause des mau- vais résullats pratiques des greffes qui les présentent. Je veux parler de la manière bizarre dont se comportent les oreffes d'Amandier, de Prunier et de Pêcher sur Cerisier, dont a parlé le premier Olivier de Serres (1). | J'ai greffé en fente, au 20 mars 1892, le Pêcher el l’'Aman- dier sur de jeunes scions d'un an de Cerisier ordinaire (Cerasus avium), et le Prunier sur le Cerisier Sainte-Lucie (Cerasus mahaleb). Ces greffes ont réussi dans les proporlions suivantes : la totalité pour le Pêcher sur Cerisier, les {rois quarts pour l’'Amandier sur Pêcher, le quart seulement pour le Prunier sur Cerisier Sainte-Lucie. Les greffes des deux premières catégories surtout étaient superbes; leurs greffons, très développés, possédaient déjà, à la fin de juillet, de nombreuses ramifications latérales et leur vigueur faisait espérer pour eux le plus bel avenir. Les ereffons étaient d’ailleurs plus beaux que ceux des greffes classiques de Pêcher sur Amandier et sur Prunier failes à la même époque et dans les mêmes conditions. Notons que ces greffes, effectuées au laboratoire de Fontainebleau, se trouvaient placées dans un sol essen- tiellement sablonneux et peu fertile. L'année 1892 fut assez sèche. A la suite de l'hiver 1892-1893, assez humide, toutes les greffes périrent, sauf les greffes ordinaires de Pêcher sur Amandier et Prunier. En somme, ces résultats montrent bien qu'il ne faut pas se fier aux apparences de réussile d’une greffe à ses débuts. Cette première végétation n'implique pas la durée de la qiepie (2). Des observalions analogues ont été failes, la même année, sur des, greffes de Poirier sur Pommier el vice versa. (1) O0. de Serres, Théâtre d'agriculture, 1600. (2) C'est là un résultat que l’on retrouve fréquemment dans les greffes lisneuses, mais que l’on n’a pu expliquer d'une façon satisfaisante jusqu'ici. 30 L. DANIEL. y. Greffe de Lilas sur Frêne. — Le Lilas, quiest un arbuste, peut se greffer sur le Frêne, qui est un arbre, mais il ne vit pas longtemps. Un bourrelet se produit au profit du sujet, mais ce dernier reste plus petit que s'il n’était pas grefté. En somme, ce cas est l’inverse du cas +. On le retrouve aussi dans la greffe du Pavia sur Marronnier d'Inde. Mais le greffon vit plus longtemps que le Lilas sur le Frêne. J'ai observé très fréquemment des faits semblables aux précédents « ou y dans la greffe du Poirier ou du Pommier à cidre (fig. 1, 3 et5, pl. Il). Quand les deux arbres associés concordent comme vigueur, il n’y à pas de bourrelet sen- sible : en effet, l’excroissance cicatricielle des premières années ne larde pas à disparaître au bout d’un certain nombre d'années, comme pour le Chou, par le fonctionnement régu- lier des couches génératrices. Mais quand les deux arbres sont de vigueur assez différente, on observe toujours un bourrelel plus ou moins prononcé, produit, suivant les cas, par le sujet ou par le greffon. d. Greffes où le sujet, le greffon, ou les deux à la fois, acquièrent une taille plus élevée. — Les faits d'augmentation de taille que Jj ai constatés dans les greffes des plantes her- bacées se relrouvent beaucoup plus fréquemment dans les plantes ligneuses. Le Tilleul argenté est plus vigoureux après sa greffe sur Tilleul ordinaire, etc., elec. Un des exemples les plus caractéristiques sous ce rapport m'a élé fourni par les greffes d'Alisier effectuées sur Épine blanche au Jardin publie de Château-Gontier (Mayenne) vers 1840. Sous l'influence d’un seul greffon, le sujet a atteint un diamètre de 30 centimètres environ. Avec deux greffons, l'Épine sujet atteint presque 40 centimètres, quand les Épines blanches non greffées ont au maximum 15 centimètres de diamètre. Les greffons sont eux-mêmes beaucoup plus déve- loppés que s’ils étaient restés francs de pied. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 31 Ainsi donc, dans ces greffes, le sujet et Le greffon réagis- sent l’un sur l’autre de façon à augmenter tous les deux de taille. €. Greffes d'espèces silicicoles sur espèces calcicoles et réci- proquement. — On sait qu'un cerlain nombre de plantes exigent pour vivre un terrain siliceux, d’autres un terrain calcaire. On est parvenu à cultiver certains Pins, qui craignent le calcaire, en les greffant sur le Pin sylvestre. Récemment encore, M. Quintaa proposait d'utiliser la greffe du Châlai- gnier sur le Chêne, greffe bien connue, mais difficile à réa- liser, pour donner au Châtaignier la possibilité de résister aux maladies ou de vivre dans des sols calcaires. La culture de la Vigne francaise, greffée sur la Vigne américaine, a montré que les diverses Vignes américaines n'étaient point propres à servir de sujets dans tous les ter- rains. Il à fallu que l'expérience établit pour chaque sol et chaque greffon le sujet qui donnait les meilleurs résullals. L'on est ainsi, par sélection, parvenu à trouver les sujets qui convenaient à tel sol, telle exposition, tel climat, pour une variété déterminée de raisin. Ce sont là des faits au- jourd’hui bien connus de tous (1). n. Greffes de plantes panachées ou dépourvues de chloro- phylle. — L'expérience démontre, pour les arbres comme pour les végétaux herbacés, que les rameaux panachés reprennent d'autant plus difficilement qu'ils ont moins de chlorophylle. Une branche complètement blanche, comme on en trouve parfois sur divers arbres, ne reprend jamais. (1) Consulter pour cette partie les beaux ouvrages de MM. Félix Sahut (de Montpellier) : Les Vignes américaines, leur greffage et leur taille, 3° édit., 1887; Viala et Ravaz : Les Vignes américaines, adaptation, culture, qreffage, pépinières. Paris, 1896 ; Millardet, etc., etc., la Revue de viticulture et autres journaux viticoles. 32 L. DANIEL. b. Variations du géotropisme dans la greffe des arbres. — il est un fait admis dans la science actuelle : c’est que toute branche dépourvue de géotropisme négalif le reprend à la suile de la greffe sur l’axe principal du sujet (1). Ainsi le Ragouminier, qui est rampant, devient un arbre droit à la suite de sa grefle sur Prunier. Il en est à peu près de même du Cylise à feuilles sessiles greffé sur le Cylise Labour, etc. Cependant, on sait que les arbres pleureurs conservent leur port à la suite de la greffe : 1l n'en serait pas ainsi si la loi étail générale. | J'ai voulu voir si la nature de la branche choisie comme greffon n'avait pas quelque influence sur la production de ces phénomènes. J'ai donc fait un certain nombre de grelfes en choisissant respectivement sur un même arbre des gref- fons dans les branches verticales à géolropisme négatif très marqué, et dans les branches horizontales ou retombantes, à géotropisme négalif faible ou nul. Dans les Poires à cidre, } ai opéré sur la variété dite de Sauges, que j'ai greffée sur francs aussi semblables que possible, en assurant la concordance des sèves dans tous les cas (2). Avec les greffons pris sur les branches verticales, j'ai obtenu des pousses verticales superbes dont la figure 1 ci- dessous permet de se rendre compte. Par la suite, ces gref- fons donnent un arbre bien charpenté et vigoureux, se for- mant toul naturellement. Avec les greffons dépourvus de géotropisme négatif, j'ai obtenu des pousses horizontales ou fortement inclinées, dont la figure 2 ci-dessous donnera l'idée. Non seulement ces branches n'avaient point reconquis le géotropisme négatif qu'elles avaient perdu, mais elles étaient parfois devenues (4) Van Tieghem, loc. cit. (2) L. Daniel, Du choix des greffons dans les arbres fruitiers (le Cidre et le Poiré, 1896). M. de Suinville, directeur de la Revue Le Cidre et le Poiré, a gracieusement mis à ma disposition les clichés qui accompagnaient mon article; je suis heureux de l’en remercier ici. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 33 plus retombantes. L'année suivante, quelques yeux se dé- veloppent bien en pousses obliques , mais aucune d'elles ne reprend franche- ment le géotropisme négatif. On arrive ce- pendant à modifier les caractères du greffon en lui fai- sant subir une taille courte qui détermine la production de gourmandssemi-ver- ticaux, mais ce pro- cédé n’amène en gé- néral point la forma- tion d’une charpente aussi convenable que si l’on avait employé des greffons à géo- tropisme négatif bien nel. Enfin, des yeux de remplacement appa- raissent abondam- ment sur les sujets, comme si la concor- dance des sèves n'existait pas. Au lieu de greffer sur l'axe principal seul, greffons aussi sur les branches, en ANN. SC. NAT. BOT. SAT 7) ès Æ |. C2 CZ 1 Fig. 1. — Greffe de Poirier avec des greffons choisis sur les branches verticales de l’arbre étalon. choisissant un arbre assez âgé, et pre- : VIII, 9 J4 L. DANIEL. nons pour greffons exclusivement des rameaux à géotropisme négalif très marqué. Ces greffons conserveront leur direction et donneront des pousses disposées comme sur l'axe prin- cipal : la charpente de l'arbre aura, dans ces conditions, un aspect bien différent de sa charpente normale. Jamais d’ail- (1724 7 = 4 ee. LEE LE se te — LE CT —. = AE y AR AU (K A6 | À F(} MO à ‘à \ | = C2 Fig. 2. — Grefïe de Poirier avec des greffons choisis sur les branches horizontales de l’arbre étalon. leurs une pareille greffe sur branches n’amènera la forme normale et le greffon ne prendra poinli la direction angulaire de la branche sujet. Il faut donc, dans la greffe sur branches, choisir ses gref- ions en rapport avec le géolropisme des branches du sujet auxquels ils sont destinés. Enfin, au lieu de greffer le Poirier à cidre, j'ai opéré sur les Poiriers à couteau, greffés déjà sur franc et cullivés en LA VARIATION DANS LA GREFFE. 3) pyramide {1}. J'ai choisi les greffons sur les branches retom- bantes. Ces greffons n’ont point reconquis le géotropisme négatif, el certains d'entre eux sont devenus plus retombants encore et ont pris presque la forme pleureuse. Ces phénomènes sont plus accusés encore avec les variétés de Poiriers dont les branches de quatrième et de cinquième ordre affectent naturellement la forme retombhante, comme par exemple le Beurré d'Amanlis. Je cilerai, en dernier lieu, la greffe du Cotoneaster nummu- larius sur le Cotoneaster des Alpes (fig. 2, pl. Il). Cette greffe existe dans le jardin de M. Jules Aubrée {de Rennes), qui a bien voulu m'en communiquer la photographie. On sait que le Cotoneaster nummularius est un petit arbuste rampant à l’'élat naturel. M. Aubrée, en palissant et redressant le rameau principal, lui a donné une forme gracieuse, el en a fait un arbuste de grande taille à rameaux retombants, possédant un port parliculier des plus curieux. Donc, dans ce cas, le géolropisme négatif n’est point re- conquis, quoique le greffon ait acquis par la greffe une vigueur inusitée (2). Toutes les greffes que je viens de passer en revue sont des sreftes en fente, où le greffon est formé par un rameau plus ou moins étendu, mais contenant une forte proportion de issus ligneux ayant une disposition fixe, une orientation déterminée ; il n’y a donc rien d’étrange à voir les tissus nouveaux conserver celte orientation que commande jusqu’à un certain point la disposilion iniliale du squelette ligneux. Lorsque, par un seclionnement court du greffon, on sup- (1) L. Daniel, La culture du Poirier en pyramide pleureuse (Bull. de la Soc. horticole d'Ille-et-Vilaine, 1897). (2) A propos du géotropisme, rappelons ici, bien qu'ils ne soient pas absolument comparables à ceux que j'ai observés, les faits curieux signa- lés par Carrière (Flore des serres, t. I, p. 165) dans les greffes du Lilas Charles X sur Ligustrum vulgare, et dans celles du Caragana arborescens. A la suite de la greffe, des branches retombantes furent émises par ie sujet, mais non par le greffon. Ces branches conservèrent depuis leurs caractères et furent le point de départ de deux variétés à branches pleureuses. 30 L. DANIEL. prime la majeure partie de ce squelelte, le tronçon restant a moins d'influence sur la direction des bourgeons, et les bourgeons adventifs reprendront la direction verticale comme le font ceux qui se développent quand on étête un arbre. Mais ce n'est pas la branche elle-même qui reprend son géotropisme négatif : ce sont les gourmands qu'elle fournit. On conçoit que dans la greffe en écusson, où le greffon n'a point un squelelle directeur aussi prononcé, on ne retrouve point les phénomènes précédents aussi marqués. Mais il n’en est pas moins faux de dire,en thèse générale, que la greffe fait reprendre au greffon le géotropisme négatif quand il l’a perdu. Le Poirier au moins fail excepüon. c. Greffes de branches à fruits sur l'axe principal. — La greffe des bourgeons à fruits est une opération bien connue en horticulture et pratiquée déjà du temps de Pline. Elle a pour but de placer sur les #ranches d’un arbre des bourgeons à fruits quand il en est dépourvu. Mais on n'a point précisé ce qui se passerait si, au lieu de ereffer les branches fruitières sur les branches de charpente, on les plaçait sur l’axe principal d’un jeune seion, comme on le fait pour la greffe en fente ordinaire. J'ai grefié au laboratoire de Fontainebleau, compte ment avec les rameaux verticaux ordinaires, des dards, des brindilles et des lambourdes de Poirier sur franc et sur Pommier. Les brindilles et les dards ont bien repris, mais les pousses ont été peu vigoureuses sur le Poirier. À l’une des séries de greffons, on avait laissé le bourgeon terminal; 1l à produit trois nouveaux dards, courts, se transformant en lambourdes la deuxième année. À l’autre, on avait supprimé le bourgeon terminal; les greffons ont donné des rameaux à entre-nœuds moilié plus courts que le greffon pris sur les rameaux verlicaux à bois qui servaient de témoins. cé 6: LTD LP DTT LA VARIATION DANS LA GREFFE. 34 Les lambourdes ont toutes péri, sauf une qui a produit deux pousses latérales faisant un angle de 45° environ avec la verlicale : l’une de ces pousses a fourni une nouvelle lam- bourde, l'autre une branche à bois assez vigoureuse, pous- sant assez bien, (fig. 4, pl. Il.) Ce résullat est analogue à ce qui se passe souvent quand on taille l’axe principal d’un jeune Poirier sur une lambourde, sans couper préalablement le bouton à fruit. C'est ce que j'ai obtenu cette année en opérant sur de jeunes scions d'un an, ayant mal poussé l’année de leur plantation et dont les bourgeons axillaires de l’axe principal s'étaient transformés en bourgeons à fruit. Les dards de Poirier onf mieux poussé sur le Pommier que sur le Poirier. Mais la deuxième année, le greffon est mort dans la plupart des greffes, et les autres sont souffrants. Il y a lieu de retenir encore, au point de vue de la théorie, cette pousse plus marquée sur un sujet présentant une diffé- rence plus grande avec le greffon. Si l’on ajoute aux fails que je viens d'indiquer que le Coignassier reprend difficilement sur le Poirier, que les Amygdalées, comme les Pomacées, donnent des résultats, au point de vue de la greffe, très peu concordants avec la classification, elc., on verra qu'il faut absolument chercher ailleurs que dans le principe de la parenté botanique posé par Adanson la raison de toutes ces anomalies. L'analoge des sèves d'Aristote, la sympathie et l'antipa- tlae des plantes, et autres principes mal définis, n’expli- quent pas davantage pourquoi une plante À peut se grelffer sur une plante B quand la greffe inverse de B sur A est impossible. Je montrerai dans la partie de ce Mémoire relative à la théorie quelle est la raison véritable de ces faits qui s'expli- quent naturellement par des variations de nutrilion géné- rale sous l'influence de l'opération et des variations dans les condilions climatériques, le sol, etc. 98 L. DANIEL. SIT. — Variations produites dans la taille, la constitution chimique et la saveur des parties alimentaires des plantes greffées : racines, tiges, feuilles, fruits ou graines. Depuis la plus haute antiquité, on a constaté que la greffe améliorait les fruits de nos vergers, qui devenaient en général plus gros et plus savoureux. Récemment, dans une élude fort intéressante, MM. Gus- lave Rivière et Bailhache ont contrôlé scientifiquement quelques-unes de ces données en analysant comparativement les fruits d'une même variété de Poire greffée sur franc et sur Coignassier. Ils ont montré que ces Poires possédaient une composition chimique différente et que la richesse en sucre était plus grande dans les fruits venus sur Coignas- sier (1). Cependant ïl est hors de doute que plusieurs fruits peuvent devenir moins bons à la suite de greffes faites sur certains sujets déterminés. On reconnaîl au goût la même variété de Poire greffée sur franc et sur Coignassier. | L'âge du sujetet sa teneur en eau ont beaucoup d'impor- tance à cet égard, ainsi que le démontre la greffe d’une branche fructifère de Framboisier sur une pousse de Pannée. Celle branche produit, d’après le baron Tschudy, une grande quantité de fruits peu savoureux et peu parfumés, à cause de la surabondance de sève du sujet (2). Le baron Tschudy, ayant greffé des jeunes fruits de Melons en fente herbacée sur Concombre et sur Courge, constata une diminution de taille, mais une amélioration sensible de ce fruit (3). C'est la seule expérience qui ait été tentée jus- (1) G. Rivière et G. Baïlhache, Contribution à la physiologie de la greffe (C. R. de l’Acad. des Sc., 47 mars 1897). (2) CF. Thouin, art. FramBoisier dans le Nouveau Cours complet d'Agri- culture de Deterville, t. VII, p. 52. (3) Tschudy, Essai sur la greffe de l'herbe des plantes et des arbres, s. d. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 39 qu'ici, à ce point de vue, sur les plantes herbacées alimen- laires. Bien qu'on ait greffé la Tomate, le Chou, elc., on ne s’est point demandé si la greffe pouvait modifier, et dans. quel sens, la saveur ou la composilion des parties alimen- taires des plantes herbacées. Pourtant, si les fruits de nos vergers ont une grande im- portance dans l'alimentation, les légumes ne leur cèdent en rien sous ce rapport. D'ailleurs, on mange aussi les fruits de diverses plantes herbacées. Il peut done v avoir intérêt à les améliorer directement par la greffe, si cette opération venait à produire sur eux le même résultat que dans les arbres fruiliers. Je vais examiner les effets de la greffe sur la valeur des parties alimentaires de chaque plante, d’abord quand ces parties apparliennent à l'appareil végétalif, ensuite quand il s'agit de l’appareil reproducteur. 1. Les parties alimentaires appartiennent à l'appareil végétatii. — Ces parties alimentaires sont constituées par les réserves contenues dans la tige, la racine ou les feuilles. x. Greffes du Chou de Tours sur Chou nantais el sur Chou de Saint-Brieuc. — Ces trois variétés de Choux sont des Choux cabus de forme et de taille un peu différentes. Elles se greffent très facilement entre elles; la cicatrisalion est parfaite, si l’on opère sur jeunes plants âgés de quatre à cinq semaines environ. On constate par la suite du développement que, dans tous les exemplaires, le greffon produit une pomme aussi com- pacte que celle des témoins; mais la formation de cette pomme est moins précoce dans les greffons; Le retard est d'autant plus marqué que l'opération a été faite sur des Choux plus âgés et que la cicatrisation est plus lente. Ces résultats démontrent bien, comme d'ailleurs les greffes de Choux de Milan, la non-généralité des observations 40 L. DANIEL. rapportées par Beurrier, d’après le Gardener's Chronicle, affirmant que le Chou greffé ne pomme pas (1). Lorsque l’on essaye de déplier les feuilles qui forment la pomme de ces Choux greflés (fig. 3 et 4, p. 139-140), on constate qu’elles se brisent avec une bien plus grande facilité que les feuilles analogues des Choux témoins. Les changements ne se bornent pas à cette fragilité plus grande de la feuille, qui existe aussi dans la tige. Quand on goûle comparativement les Choux cabus greffés et les témoins apprêtés de la même manière, on constate que les premiers ont perdu presque complètement leur saveur et qu'ils présentent une fadeur caractéristique. On dirait que l’étiolement est plus complet. En tout cas, la greffe a empêché la production des matières sapides qui rendent agréables au goût les Choux témoins. La lignification est devenue moindre el les fibres ligneuses moins résistantes. Il y a certainement là un phénomène consécutif à l’absorp- tion moindre de quelque substance minérale. Le fait est curieux au point de vue de la théorie; il montre aussi que la greffe de certains Choux cabus ne saurait être proposée comme un moyen d'amélioration directe de ces légumes. 6. Greffe du Chou de Milan sur Chou-navet.— Cette greffe est beaucoup plus délicate que les précédentes; elle ne réussit qu’à la condition de prendre beaucoup de précautions tant dans l’opéralion elle-même que dans les soins ultérieurs, pendant l'union provisoire et le début même de l’union défi- nitive. Elle s'effectue au printemps, sur jeunes semis âgés de quatre à cinq semaines, choisis de telle facon que la racine du sujet et la tige du greffon aient au moins la même gros- seur. En aucun cas, il ne faut que la tige du greffon dépasse celle du sujet. (1) Beurrier, Du Chou greffé (Rev. hort., 1875). LA VARIATION DANS LA GREFFE. 41 Dans ces greffes, après la reprise définitive, on constate que le Chou de Milan donne une pomme moins dure ; les feuilles sont moins serrées, et les extérieures restent très verles. La grosseur de la pomme est moindre que celle des témoins. C'est au moment où la pomme apparaît que se forme aussi le tubercule du sujet, qui reste moins gros que celui des témoins. Un fait remarquable qui se retrouve dans d’autres greffes (Æelanthus annuus), c’est l'apparition d’un chevelu très abondant sur ce tubercule. Malgré ce chevelu et la lignification du greffon, la struc- ture du tubercule n’est pas extrêmement modifiée; l’union est surtout cellulaire, et, au point de vue alimentaire, le Navet greffé est aussi tendre et aussi succulent que les témoins. Son plus grand défaut, c’est de conserver quelque peu, sous forme de traînées noirâtres, les traces de la sou- dure plus ou moins parfaite. Au sommel, les vaisseaux ligneux contournés se terminent fréquemment par des broussins de greffe. Apprêlés de la même manière que les témoins, les Choux de Milan greffés ont une saveur moins âcre et plus agréable au goût. Les Choux-navets ont eux-mêmes un goût plus fin que les témoins et leur saveur est intermédiaire entre celle du Chou et du Navet. y. Greffe du Chou cabus sur Navet rond à collet rose. — Des faits assez comparables aux précédents s’observent en greffant le Chou cabus sur le Navet rond à collet rose, au mois de septembre, en prenant de jeunes semis de quatre à cinq semaines. La pomme s’oblient concurremment avec le Navei et l'on remarque des varialions de saveur analogues aux précédentes. Mais, il se passe alors un phénomène particulier que l’on peut faire rentrer, suivant le point de vue où l’on se place, dans les variations de nutrition générale ou dans les varia- tions d'influence spécifique. 42 L. DANIEL. Le sujet, jeune Navet convenablement choisi dans les semis d'août, n'a pas encore formé de réserves, puisque la variété à laquelle il appartient se tuberculise normalement en octobre-novembre. Or, tandis que les témoins ne subissent aucun dérangement dans leur fonction de réserve, les sujets ne se tuberculisent point avant l'hiver. Au mois d'avril. quand le greffon forme sa pomme, le sujet reçoit des réserves et le tubercule appa- rail avec la teinte rose caractéristique de l'axe hypocotylé. C’est donc le greffon qui commande les réserves, ce qui est tout naturel, puisque c’est lui qui élabore. d. Greffe de Navets sur Choux cabus. — Cette greffe est plus délicate encore que les précédentes et demande les plus grands soinspour réussir. Après la reprise, on constate que le tubercule se forme à l'époque normale, abstraction faite du retard de végétation causé par la cicatrisation, mais le dépôt de réserves se fail exclusivement dans l'axe hypocotylé et dans la portion de racine greffon restant après la taille en biseau du greffon. Ce sont ces parties seules qui s’hypertrophient, et leur volume est plus ou moins grand, suivant que le niveau de la greffe est placé au niveau du sol, en dessus ou en dessous, ce qui est conforme à la loi de niveau établie par Rover (1. Cette variation n’est donc pas le fait de la greffe, comme on pourrait le croire au premier abord. Le Navet qui se forme ainsi au sommet de la tige du Chou cabus ne devient pas plus ligneux pour cela; sa chair est aussi tendre que celle des témoins. Quand on la goûte, on constate qu'il est plus sucré et que sa saveur, moins âcre, est plus ou moins intermédiaire entre celle des Navets témoins et des Choux cabus non greffés. e. (rreffes de Panais sur Carotte et vice versa. — Quand on greffe la Carotte rouge demi-longue sur le Panais et le (1) Royer, Flore de la Côte-d'Or. Paris, 1881. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 43 Panais sur la Carotie à collet vert, en opérant entre Jeunes racines n'ayant pas encore emmagasiné de réserves, on re- marque que la tuberculisation se fait dans la racine greffon exclusivement. La racine sujet ne grossil pas après l'opération, st l’on a soin de supprimer rigoureusement tous les yeux advenlifs qui cherchent à se développer, au début surtout. De même, il faut surveiller avec soin la production des racines adventives sur le tubercule du greffon qui a toujours une tendance à puiser directement la sève brute dans Île sol au lieu de se servir du sujet. Le lubercule ainsi formé dans le greffon a une saveur plus sucrée que le tubereule dés témoins, mais sa taille reste plus pelite. n. Greffes de Laitue sur Salsifis. — Je rappelle ici ce que j'ai déjà indiqué pour ces greffes dans le paragraphe précé- dent. La racine sujet ne grossit pas et ne présente pas trace d'inuline, si l’on à eu soin de supprimer rigoureusement les bourgeons advenlifs. Donc, après la greffe, la racine sujet n’'emmagasinant plus de réserves, et le greffon ne pommant plus, on voit que celte opéralion, curieuse comme théorie, est ici un véritable contre-sens horticole. | En somme, on peut dire que, en supposant la soudure parfaite, la greffe amène un changement de saveur dans les parlies comestibles de l'appareil végélatif. Suivant les cas, ce changement se traduit par une amélioration (Navets, ete.) où par une perte de qualité (Choux cabus). Presque toujours il ÿ a diminution de volume de la partie comestible, qui peut manquer complètement (Laitue). Pour que l'opération ait un intérêt pratique, il faut que la diminu- tion de volume soit compensée par l'augmentation de la qualité, comme dans les Navets et cerlains autres légumes greftés. 44 L. DANIEL. 2. Les parties alimentaires appartiennent à l'appareil reproducteur. — Ces parties peuvent apparlenir à l’inflo- rescence, au fruit ou à la graine. 6. Greffes de Choux-fleurs sur Choux cabus. — Lorsque l'on greffe, en bonne saison, de jeunes Choux-fleurs, âgés de cinq à six semaines et semés à l’époque habituelle, en avril, en prenant pour sujet le Chou cabus, on constate que la pomme blanche, savoureuse, qui constitue la parte comeslible de cette plante, ne se forme plus aussi bien. Les branches, habituellement atrophiées, s’allongent plus ou moins; le plus souvent, cependant, la floraison n'a pas lieu, ce qui peut tenir aussi à l’époque du greffage. En un mol, le greffon se comporte comme les Choux-fleurs plantés dans un {errain insuffisamment fumé ou insuffisamment arrosé dans les années sèches. Ce résultat, facile à prévoir, empêchera la greffe du Chou- fleur d'être praliquement utilisée pour l’amélioration directe de ce légume délicat. Il ne saurait, en effet, gagner en sa- veur, puisque l’élongation de l’inflorescence amène à l'air Les parties comeslibles et s'oppose à leur étiolement parfait. . Greffes de bourgeons à fleurs de Chou-rave sur Chou cabus. — J'ai déjà montré que, dans ce genre de greffes, le bour- geon acquiert une taille plus considérable que s’il élait resté sur le pied mère. On remarque, de plus, que le fruit augmente de taille et que la graine devient plus grosse. Le fruit est plus large, mais ne s’allonge pas proportionnellement; les graines sont moins nombreuses dans chaque silique. .. Greffe des Solanées alimentaires. — J'ai constaté, en greffant la Tomate jaune ronde sur la Tomate rouge grosse hâlive, que les greffons portent des fruits une fois et demie plus gros environ que ceux donnés par les témoins. Le même résultat s’observe quand on greffe celte même variété sur les Tomates Reine des Hâtives, Naine hä- tive, etc. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 45 Quant à la graine, elle reste de même taille que celle des témoins. Ceci monire que, comme chez les arbres fruitiers, la greffe amène parfois le grossissement du fruit chez quelques plantes herbacées. Ce fait a son intérêt pratique pour la Tomate jaune ronde dont le fruit est excellent, mais a le défaut d’être de trop petite taille. En greffant le Piment conique sur la Tomate, j'ai oblenu un fruit modifié dans sa forme, qui était beaucoup plus gros que les fruits des témoins (fig. 1, pl. IH). En revanche, dans les greffes d'Aubergine, la taille du fruit n'augmente pas. Souvent même elle diminue. Le nom- bre des fruils est en rapport avec la perfection relative de la soudure el l’état de souffrance qu'amènent la concordance ou la discordance de vigueur du sujet et du greffon. À. Greffes de Carotte sauvage sur Carotte cultivée. — J'ai greffé ces deux plantes, racine sur racine, toutes les deux au début de la deuxième année de développement. On remar- quera que le greffon est de pelite taille et assez pauvre en réserves, tandis que le sujet appartenant à la Carotte rouge demi-longue est très développé et renferme une abondante provision de nourriture. La greffe se fait en fente, en ayant soin de placer le sreffon au milieu de la fente du sujet, afin de mieux assurer le contact des couches génératrices, ce qui n'aurait pas lieu en plaçant le greffon sur les côtés, à cause de la grande épaisseur de l'écorce hypertrophiée dans ja Carotte rouge. Moyennant ces précautions, les greffes réussissent si l’on parvient à éviter la dessiceation du greffon et la pourriture du sujet, ce qui n’est pas toujours facile. Le sujet ne donne pas d’yeux adventifs el le greffon n’émet pas de racines nouvelles si l’opération est bien faite. [ls se suffisent done muluellement. La Carolte sauvage monte à l’époque habituelle en don- nant une belle végétalion. Après une courte période d'humi- 46 L. DANIEL. dité, J'ai observé, sur ses feuilles, quelques Champignons parasites qui n’exislaient pas sur les témoins. Au moment de la floraison, divers insecles ont attaqué de préférence quelques-unes des ombelles, mais en somme la floraison et Ja fécondation se sont opérées normalement. Je ferai remarquer que J avais placé, côle à côte avec mes gref- fes, des témoins appartenant à la Carotte sauvage, mais non des témoins appartenant à la Carotte cultivée. Dans le voi- sinage, on ne laisse aucune Carotte domestique monter à graine. L'hybridation entre la Carotte rouge et la Carotte sauvage ereffée n’était donc pas possible à la suite du transport du pollen par le vent ou les insectes. D'ailleurs, eûl-elle pu s’ef- fectuer, elle aurait porlé sur quelques graines seulement et les témoins eux-mêmes auraient été hybridés comme les greffons, ce qui n’a pas eu lieu. Or, tous les fruits de la Carotte sauvage greffée ont acquis une taille presque double de celle des témoins, et leurs épi- nes sont devenues beaucoup plus longues et plus fortes. Ces différences étaient plus tranchées encore dans les fruits situés à la périphérie de l’ombelle, qui élaient moins serrés que ceux du centre et pouvaient plus librement se déve- lopper. À malurité, le fruit était formé par deux akènes très apla- lis; mais, à cause du volume plus grand du fruit, ces graines possédaient elles-mêmes une plus grande quantité de réser- ves et élaient plus volumineuses qu'à l'ordinaire. C'était donc, en fin de compte, sur la graine qu'avait principale- ment porté l'influence de la grelte. En résumé, la greffe des plantes herbacées peut ou non, suivant le cas, provoquer le grossissement du péricarpe dans les fruits charnus et de la graine dans les fruits secs comme chez lies plantes ligneuses. Mais 1l n’y a pas de règle générale sous ce rapport. La saveur du fruit dépend surtout de la perfection de la LA VARIATION DANS LA GREFFE. 47 soudure et de la quantité de sève qui arrive au greffon, el cela dans les plantes herbacées comme dans les plantes ligneuses (1). S IIT. — Variations causées par la greîfe dans l'époque ou le mode de floraison. Les variations causées par la greffe dans la floraison portent, soit sur l’époque habituelle de la floraison, soit sur son mode, dans le greffon bien entendu, puisqu'il s’agil ici de la greffe ordinaire et non de la greffe-mixte. 4. Variations dans l’époque de la floraison. — Le greffon peut être influencé dans l’époque de sa floraison d’une facon assez différente suivant qu'il s’agit de plantes annuel- les, bisannuelles ou vivaces, suivant le moment où l’on fait la greffe, suivant l’âge et la nature du greffon, et aussi sui- vant le procédé de greflage. a. Plantes annuelles. — Lorsque l’on considère les gref- fons des plantes annuelles, on constate que la floraison est le plus souvent relardée, mais d’une façon très inégale sui- vant les plantes. Cela lient à ce que la circulation des sèves est brusque- ment interrompue pendant quelque temps et ne se rétablit qu'à la cicatrisation complète. La croissance est par consé- quent retardée. Or, certaines plantes se cicatrisent rapidement ; d’autres, beaucoup plus lentement. IL en résulte que l'état de vie (4) Quelques expériences, rapportées par Thouin, mériteraient d’être ré- pétées. « Lorsque deux espèces sont greffées Sur un méme sujet, dit-il, celle de ces espèces dont le fruit prédomine enlève la saveur à l'autre. J'ai eu occasion de reconnaitre ce fait important sur un Abricotier de Nancy et une Reine- Claude greffés sur Prunier. Mais cette observation intéressante mérite d'être vérifiée sur un plus grand nombre d'espèces d'arbres. » (Thouin, art. GREFFE du Nouveau cours complet d'Agriculture. Paris, 1822.) 48 L. DANIEL. ralentie amené par la greffe a une durée fort variable suivant les plantes greffées. Ainsi, dans les Haricots, cette durée est d’une semaine environ; dans le Soleil, les Choux, elle est plus longue, et l’on sait qu'elle est maximum dans les plantes grasses. La floraison en subira le contre-coup et serait retardée d’au- tant si la cicatrisation était la seule cause en Jeu. Mais il y a autre chose. Quand le greffon souffre à la suite d’une union mal assortie, celte souffrance amène une pro- duction plus rapide des réserves et une floraison anticipée. L'époque de la floraison est alors en quelque sorte la résultante de ces deux forces agissant en sens contraire, et l’on s'explique ainsi que suivant la perfection d’une même greffe et les conditions extérieures, on puisse observer une avance ou un retard. Ainsi, le Haricot greffé sur lui-même fleurit en général au même moment que les témoins : cicatrisalion et souffrance due au bourrelet s’équilibrent. Mais le Haricot de Soissons greffé sur Haricot noir de Belgique fleurit plus vite que ‘les témoins, parce que le sujet et le greffon présentent une assez grande différence fonctionnelle. L'époque du semis et du greffage permet d'effacer d’ail- leurs ces différences au besoin. En semant une dizaine de jours à l'avance les plantes à greffer et en les greffant ensuite, elles se trouveront retardées du même temps environ par la greffe ; mais elles seront, la reprise opérée, dans des condi- tions analogues à celles des témoins semés dix jours plus tard que les premières et leur floraison se fera en même temps si la cicatrisation est suffisante. Ainsi, la connaissance exacte du temps réclamé par la cica- trisation, autrement dit la durée de l’union provisoire, a une grande importance pratique pour le greffeur, dans certains Cas. Quand il s’agit, par exemple, de plantes annuelles qui exigent une somme déterminée de chaleur totale, telle que toute la saison chaude est indispensable à leur fructification née Ré. = LA VARIATION DANS LA GREFFE. 49 normale, un retard de plusieurs semaines causé par la cica- trisation peut les empêcher complètement de fructifier à temps. | Ainsi, j ai greffé la même année (1897) des Piments divers (Trompe d’éléphant, Corne doux, Cerise, etc.) sur Auber- gine longue violette, Aubergine longue blanche et sur diver- ses variétés de Tomates. Les premières greffes, effecluées en juin, ont permis aux Piments greffons de fructifier et de mürir leur fruit. Les secondes, effectuées en juillet sur des plants retardés en pots, ont tout aussi bien repris que les premières, mais les pluies de septembre survenant au moment de la floraison ont fail couler les fleurs ; les quelques fruits qui ont pu nouer ont pourri ou gelé sans atteindre leur maturité. Bb. Plantes bisannuelles ou vivaces herbacées. — ei les conditions se compliquent de l’âge respectif des sujets el des greffons. Lorsque l’on prend pour sujet une plante bisannuelle à sa première année de développement et pour greffon une plante bisannuelle à sa deuxième année de développement, les considérations précédentes sont en grande partie appli- cables. J'ai obtenu un retard de {rois semaines environ dans la floraison du Chou-rave et du Chou de Bruxelles après avoir greffé leurs jeunes bourgeons à fleurs sur le Chou cabus; un retard d’une quinzaine environ dans la floraison des greffons de Linaria vulgaris placés sur lPAnthirrinum majus, etc. Si l’on greffe des plantes bisannuelles en choisissant pour greffon une plante bisannuelle à sa première année de déve- loppement comme le sujet, on constate que le greffon fleu- ril à l’époque ordinaire, la deuxième année. Cela est tout naturel, puisque, à ce moment, les conséquences de la cica- lrisation ne se font plus guère sentir : c'est ce qui se passe dans la greffe du Navet sur Chou, de Choux divers sur variétés différentes, etc. | ANN. SC. NAT. BOT. VIN, À 50 L. DANIEL. On oblient un résultat analogue en greffant entre elles cer- taines plantes bisannuelles à leur deuxième année de déve- loppement. Il en est ainsi pour là Carotte sauvage grelfée sur la Carotte rouge demi-longue, l’Alliaire sur Le Navet, etc. Quand le sujet est tuberculeux, il est épuisé dans la grande majorité des cas par son greffon. Exception doit être faite pour les réserves d’inuline qui ne seront utilisées que par un greffon apte à les digérer. La Laitue greffée sur Salsifis fleurit beaucoup plus rapidement que les témoins. Quelquefois, en greffant une plante bisannuelle à sa deuxième année de développement sur une plante vivace, on obtient un retard énorme dans la floraison. Tel est le cas exceptionnel du Salsifis greffé sur Scorzonère dont quelques exemplaires, greffés au mois de mars, ne fleurissent que l'année suivante. | Eu somme, c’est encore à la cicatrisalion et aux différen- ces fonclionnelles entre le sujet el le greffon qu’il faut atltri- buer ces résullats variés. Dans le cas où la floraison est retardée, c'est que la cicatrisation joue un rôle prédominant ; dans le cas contraire, c’est la différence des capacités fonc- lionnelles des deux plantes qui produit ce résultat, du moins en général. Dans les greffes de plantes à la première année de dévelop- pement, le retard produit par la cicatrisation n'influe guère sur le développement de la plante la deuxième année. La taille du greffon et [a quantité de ses réserves peuvent sim- plement être diminuées, d’où une différence de quantité et non de qualité, si la cicatrisation intervient seule. Quand il s’agit de plantes à la deuxième année de développe- ment dont les tissus sont également avancés comme différen- ciation ou réserves, la soudure est rapide et ne cause qu'un retard insignifiant qui porte non sur la floraison, mais sur la taille du greffon si les deux plantes greffées ont des volumes INÉSAUX. Au contraire, si le sujet n’a pas de réserves assimilables, le greffon n'ayant rien à sa porlée pour augmenter son appa- EE LA VARIATION DANS LA GREFFE. 51 reil végélatif, emploie ce qui lui reste de réserves propres à former son appareil reproducteur en supprimant la phase végétative : c'est le cas de la Laitue placée sur Salsifis. Quand le greffon se trouve sur un sujel sans réserves, mais pouvant absorber facilement, comme les bourgeons à fleurs de Chou greffés sur un jeune Chou, on conçoit que le greffon peu riche en chlorophylle se cicatrise lentement el amène un retard considérable dans la floraison. La cicatri- sation effectuée, le bourgeon ne supprime point la phase végétative, puisqu'il peut se servir de son sujet pour puiser dans le sol les matériaux qui [ui manquent. Au point de vue pratique, ces données peuvent rendre des services pour éviter l'hybridation dans quelques végétaux et amener la fruclificalion de certaines plantes greffées. En greffant la plante annuelle sur elle-même à une période assez voisine de la floraison, ou les plantes bisannuelles et vivaces sur une jeune plante bisannuelle ou vivace à sa pre- mière année de développement, on provoquera un écart de plusieurs semaines entre la floraison des plantes nor- males et des plantes grelfées, écart suffisant pour que les pre- mières aient défleuri quand les autres entreront en fleur. Dans ces conditions, l'hybridation ne sera plus à craindre. Si l’on veut au contraire empêcher un retard préjudicia- ble à la bonne formation des graines des plantes fruclifiant tard, on les sème plus tôt, de façon que le retard produit par la cicatrisation soit annihilé et que l'on puisse quand même récolter les graines en temps voulu pour qu'elles aient acquis loutes leurs qualités. c. Plantes vivaces et ligneuses. — Dans ces plantes, la floraison se produit tardivement et seulement quand l'arbre a acquis l’âge adulte. La période de croissance, pendant laquelle l'arbre reste infertile, varie suivant les plantes que l’on considère. Or la greffe peut réduire cette période de croissance, et, suivant l’âge et la nature du greffon, les fleurs se montrent 02 L. DANIEL. plus ou moins vite. Avec certains greffons bien choisis, on peut obtenir des fruits la première année de greffe. Mais 1l ne faut pas confondre cetle avance dans la mise à fruit d'un arbre, qui ne change pas en général l’époque annuelle de la floraison, avec l’avancement ou le retard de la floraison annuelle que je viens d'étudier précédemment. Si un pareil retard ou avancement se retrouve parfois dans certains cas, il est assez rare. Je citerai, d’après Sahut (1), le Pêcher qui est plus précoce greffé sur le Prunier que sur l'Amandier, le Prunier qui serait plus précoce greffé sur le Prunier Damas que sur le Prunier Saint-Julien, etc. Il est évident que la cicatrisalion ne peut êlre invo- quée pour Juslifier ces phénomènes, qui sont dus à une différence dans les capacités fonctionnelles des plantes associées, différence qui amène constamment un changement notable dans la nutrition du greffon et du sujet. 2. Variations dans le mode de floraison. — La grelie peut provoquer des variations dans la disposition des fleurs, dans leur préfloraison, leur chute ou leur coulure. a. Disposition des fleurs. — Quand on greffe entre elles des variétés naines ou ayant une tendance à rester plus petites, on constate que les inflorescences des greffons restent plus courles el que leurs entre-nœuds deviennent de plus en plus rapprochés. Les fleurs finissent, dans certaines greffes, par se toucher presque et par produire une masse de fleurs agglomérées. C'est ce qui arrive dans les greffes du petit Pois nain, etc. Dans les variétés de taille moyenne et dans les variétés vigoureuses, ces faits sont bien moins accentués el il faudrait bien se garder de les généraliser. La nutrition générale du greffon, modifiée par le bour- MES aNut, oc. tCiL, pv Rd ie, < 1 LA VARIATION DANS LA GREFFE. 53 relet, est la cause de ces variations sur lesquelles je reviendrai plus loin. b. Préfloraison. — Lorsque la sève brute est amenée en quantité plus ou moins considérable dans les fleurs du greffon, 1l arrive que les fleurs sont plus ou moins nom- breuses et s'ouvrent plus ou moins facilement. J'ai observé une floraison difficile dans le Prassica Cheiranthus à la suite de sa greffe sur Alliaire. Mais le cas le plus curieux que j'ai observé sous ce rapport, c'est celui du Chou rave blanc greffé sur Chou rave violet. Cette greffe avait élé faile entre jeunes plants de quatre à cinq semaines environ et bien vigoureux. La reprise et la soudure furent aussi parfaites que possible. Le greffon seul fournit un tubercule; 1! conserva sa couleur blanche pendant que le sujet, resté rouge, n'avait grossi que comme appareil absorbant, mais non comme organe de réserve. La greffe inverse du Chou rave violet sur Chou rave blanc donne le même résullat au point de vue de la tuberculisation et de la couleur. Cela démontre bien que la couleur caractéristique de chaque variété se forme sur place et ne dépend point exclusivement des produits apportés par le greffon ou le sujet. Au moment de la floraison, toutes les fleurs du Chou rave blanc présentèrent une remarquable préfloraison chif- fonnée et les pétales, une fois développés à l'air libre, prirent un aspect gaufré très caractéristique (lig. 15, p. 192). Les greffes du Chou rave violet avaient en général fourni un tubercule plus gros que les précédentes. Déplantées, puis ramassées à la cave pendant l'hiver en prévision des gelées, elles furent remises en terre au printemps. Elles se comportèrent moins bien que les lémoins et poussèrent assez mal au début; les Limaces se logèrent dans les tubercules ainsi que les Forficules et les Cloportes. Ces parasites absor- D4 L. DANIEL. bèrent une grande partie des réserves au détriment de la floraison. Les quelques fleurs fournies par les greffons avaient aussi l’aspect gaufré, mais à un moindre degré que les précédentes. c. Chute des fleurs et coulure. — Si la soudure est trop imparfaile et si le greffon est maintenu trop longtemps dans un état de pléthore aqueuse, la coulure des fleurs et leur chute avant l'épanouissement se produiront fala- lement. J'ai observé la chute des fleurs dans beaucoup de Sola- nées, en particulier dans la Pomme de terre. La soudure, assez imparfaile, comme dans beaucoup de plantes où les tissus herbacés prédominent, n’avait pas permis au greffon d'atteindre sa taille normale, et il souffrait du manque d’eau. La floraison eut lieu quand même ; les fleurs du début s’ouvrirent; elles étaient bien conformées, mais elles se détachèrent toutes de leur support, pendant aue celles des témoins persistaient en grande parlie et produisaient un fruit. Quant aux dernières fleurs de l’inflorescence, elles ne s’épanouirent même pas et tombèrent à l’état de boutons. Un résullat semblable se produit par un excès d’eau dans la greffe des bourgeons à fleurs du Chou quand on se sert de bourgeons un peu avancés où les boutons commencent à poindre. Cela arrive de même quand on maintient trop longtemps la plante greffée sous cloche dans une atmosphère humide. Dans les Choux, une seconde floraison succède à la première qui à avorlé, si l’on a soin de maintenir la vie du greffon en lui donnant les soins nécessaires. L'expérience montre que l'éliolement, les variations atmosphériques et l’état du sol ont la plus grande influence sur ces divers phénomènes et leur intensité. LA VARIATION DANS LA GREFFE. D S IV. — Les parasites dans la greffe. Les relations des piantes avec leurs parasites et le degré de résistance qu'elles offrent à leurs altaques sont de la plus haute importance en agriculture. Cette résistance est augmentée par la vigueur de la plante: elle est diminuée si la plante souffre et se trouve dans des condilions défavorables. Dans ce paragraphe, J'examinerai si la greffe augmente ou affaiblil la résistance de la plante, et si cette augmen- tation ou cet affaiblissement sont temporaires ou définitifs, Comme dans toutes les plantes greffées, le sujet et le greffon souffrent surtout dans la phase de l'union provisoire; c'est aussi à ce moment que les parasites les attaquent le plus vivement. Mais une fois l'union définitive commencée, les plantes greffées sont moins atlaquées, 1l est vrai, mais ne sont pas pour cela à l'abri. Les espèces de parasites changent: leurs atlaques sont plus ou moins vives, plus ou moins dangereuses, suivant Ja perfection de la soudure et les convenances fonclionnelles réciproques des plantes greftées. Je vais étudier successivement : 1° L'action des parasites pendant l'union provisoire ; 2° L'action des parasites lors de l’union définilive. 4. Les parasites pendant l'union provisoire. — Les principaux parasiles qui s’atlaquent aux grefles pendant l'union provisoire sont les Mollusques, les Vers, les Clo- portes, les Insectes et les Moisissures. Ces parasites peuvent agir différemment sur le sujet et sur le greffon qui ont souvent un coefficient de résistance différent et ne se trouvent point dans les mêmes condilions biologiques. «. Mollusques. — Les Mollusques les plus à craindre pen- 56 L. DANIEL. dant l’union provisoire sont les Limaces (noire, grise et rouge) et les Escargots. Ces animaux n’attaquent point, pour les mêmes raisons et de la même manière, le grellon et le sujet. J'ai déjà démontré (1) que celte attaque des Mollusques n’est point due à une réaclion muluelle du sujet et du greffon, à un processus chimique modifiant la nature des tissus et diminuant ainsi les moyens chimiques de défense que peuvent posséder naturellement les plantes vis-à-vis de ces animaux. Elle est tout bonnement due, pour le greffon, à la morüfication qu'il subit par le fait même de l'opération. Quant au sujet qui ne subit pas de mortification marquée, l'attaque des Limaces est due à ce que ses tissus sont entamés dans l'opération. Les méristèmes de cicatrisation qui se produisent assez rapidement sont des portions très tendres, riches en matières nutrilives, destinées par le fait même à être l’objet des préférences des Mollusques. Quand on greffe sur tubercule, l’altaque est encore plus vive puisqu’à l'attrait des parties jeunes et tendres s’ajoule celui des réserves. D'une façon générale, on peut dire que laittaque des Mollusques est cependant inégale vis-à-vis du sujet et du greffon pendant l’union provisoire. Elle est plus forte pour le second que pour le premier et varie suivant la nalure des plantes. Les plantes les plus attaquées après la greffe sont évidemment les plantes cullivées, comme les Lailues, les Choux, les Carottes, etc., mais beaucoup de plantes non attaquées normalement le sont après cette opération. Il en est ainsi pour le Lactuca Scariola qui possède des principes chimiques défensifs; pour le Centaurea montana à loison protectrice, etc., etc. (1) L. Daniel, Parasites et plantes greffées (Rev. des Sc. natur. de l'Ouest, 1894). LA VARIATION DANS LA GREFFE. 57 B. Vers. — L'allaque des Vers ne se produit en général que sur le sujet, la seule des deux plantes dont les tissus soient suffisamment humides pour permettre à ces animaux d'y vivre. J’aiobservé fréquemment la présence de divers Helminthes dans les tubercules de Carotte sur lesquels étaient greffés le Fenouil, le Céleri, etc., dans ceux de la Betlerave et dans les greffes sur lubercules de Chou-rave ou de Navet. L'attaque m'a toujours paru plus vive dans les tubercules d'Ombelli- fères et d'autant plus marquée que l'atmosphère était plus humide. Elle est la conséquence pure et simpie de la blessure et de la pourrilure que causent dans les tissus de réserve les agents atmosphériques chargés de germes ; elle est accentuée par les arrosages et peul souvent compromettre la greffe en faisant pourrir les méristèmes de cicatrisation du cylindre central et des couches génératrices. y. Cloportes. — Les Cloportes et divers Myriapodes mani- festent une préférence marquée pour les plantes greffées, mais ils ne compromettent en général les greffes que s'ils sont en nombre suffisant, ce qui arrive dans certains Jardins humides. Ils attaquent de préférence les greffes de plantes tuber- culeuses comme celles de la Carotte, du Chou-navet, de la Pomme de terre {greffes sur lubercules). Mais 1ls peuvent aussi causer de sérieux dommages aux greffes de Chrysan- thèmes sur Anthemis frutescens, sur Helianthus annuus, etc., ainsi que je l'ai consiaté bien des fois. Ô. Insectes. — L'atlaque des Insectes est en général assez peu à craindre pendant l'union provisoire. Cependant j'ai observé plusieurs cas de greffes compromises pendant celte phase par l'attaque d'Insectes déterminés. Lorsqu'on greffe les jeunes pousses de la Ronce sur les Jeunes pousses du Framboisier, on remarque que le sujet D8 L. DANIEL. est allaqué assez vivement par un petit Coléoptère, qui vit sur le Framboisier, il est vrai, mais sans produire des dégâts aussi prononcés. J'ai remarqué l'attaque très vive des Altises vis-à-vis des greffes, qui ne réunissent pas définitivement, d’/sañs tinctoria sur Chou cabus, mais qui se maintiennent long- temps à la phase de l'union provisoire. Le greffon et le sujet sont bien attaqués tous les deux à la fois, mais le gref- fon surtout, qui souffre davantage, est préféré par ces petits Coléoptères. Les Taupins (Agriotes obscurus) attaquent les bourgeons enterrés des greffes de la Vigne et nuisent à sa reprise (1). Un exemple curieux d'attaque des greffons par les insec- tes est celui de la Chématobie vis-à-vis du Pommier (2). Je le décris ici, bien qu'il ne rentre qu'indirectement dans le sujet, étant donné que la ponte de l’insecte n’a pas lieu de préférence sur les grelfons. Quand on observe une série de greffes de Pommier, faites à la même époque et dans les mêmes conditions, on remar- que souvent que tous les yeux des greffons ne poussent pas au début de la végétation. Quelques-uns seulement se déve- loppent, et parfois aucun d'eux ne donne de pousse, quoi- que l'écorce des greffons soit restée verte. A la seconde sève, la plupart de ces greffons conservent assez de vitalité pour faire développer Les veux stipulaires et assurer ainsi la reprise du greffon. Quelquefois, il n’en est pas ainsi, el la greffe est manquée. Si l’on examine les boutons des greffons au début de la première sève, on constate que ceux qui ne se développent pas contiennent une jeune larve de Chémalobie qui à rongé le sommet végélalif de chaque bourgeon. Il est donc important, lorsque l’on greffe le Pommier, de (1) Valéry Mayet, Les rongeurs de boutures et de greffes (Rev. de viticult., 1894). (2) L. Daniel, La Chématobie et la greffe du Pommier (Le Cidre et le Poiré, 1896). LA VARIATION DANS LA GREFFE. 59 visiter soigneusement ses greffons, et de les débarrasser des œufs de la Chématobie, si l’on veut éviter les insuccès. e. Champignons. — Les Champignons ne sauraient se développer que dans un milieu suffisamment humide. Comme, pendant l’union provisoire, le greffon se trouve dans des conditions bien différentes de celles du sujet, qu'il est exposé à périr par dessiccation, tandis que Île sujet souffre de pléthore aqueuse, c'est évidemment le der- nier qui sera seul atteint par les Moisissures, ou le sera le premier. Cette attaque est d'ailleurs peu marquée à l’air libre, sauf pour les grefles faites dans un milieu très humide, lors des pluies persistantes, Elle est au contraire trop fré- quente quand l’on place sujet et greffon sous cloche, comme on le fait à tort dans la pratique, au lieu de donner à chaque plante le milieu qui lui convient en employant un dispositif approprié (1). Quand l’union provisoire a une longue durée, comme cela arrive dans les plantes de la famille des Liliacées par exemple, d’autres Champignons sont à craindre. Le Lilium candidum, greffé sur lui-même au moment où sa tige était suffisamment jeune, vit longtemps {cinq à six semaines et plus, suivant les conditions extérieures), bien que l’union vasculaire définitive ne se produise pas. Les gref- fons et les sujets furent envahis rapidement par l’Uromyces Erythroni (D. C.) Passer., et leurs feuilles ne tardèrent pas à se dessécher, bien que la tige greffon fût restée verte et bien vivante. 2. Les parasites pendant l’union définitive. — IL faut une surveillance active pour prévenir les ravages des para- sites au début de l'union provisoire. Mais, au fur et à (4) L. Daniel, Quelques considérations théoriques sur la greffe (Bull. de la Soc. scient. et médic. de l'Ouest. Rennes, 1897). 60 L. DANIEL. mesure que la cicatrisation commune fait des progrès, la résistance de chaque plante augmente d’aulant, et, au moment où l'union définitive est complète et parfaite, l'at- laque des parasites précédents est considérablement réduite et peut, le plus souvent, être négligée quand les deux plantes concordent suffisamment. Mais si les deux plantes associées diffèrent comme capa- cité fonctionnelle, elles souffriront dans leur nutrition géné- rale et donneront d'autant plus prise à l'attaque des para- sites que celte différence sera plus tranchée au début, car elle ne fera que croître avec le développement plus consi- dérable des deux plantes avec l’âge. Les parasites qui atlaquent ainsi les plantes greffées qui souffrent dans leur nutrition générale ne sont plus les mêmes en général que ceux de l’union provisoire. On peut les classer ainsi par ordre d'importance au point de vue des ravages : 1° les Insectes et les Myriapodes; 2° les Champignons et autres parasites végétaux; 3° les Mollusques (1). Les deux premières catégories sont surtout à craindre pour les végétaux ligneux; les animaux de la troisième sont préjudiciables surtout aux greffes herbacées. a. Insectes. — Les Insectes qui attaquent les plantes gref- fées varient tout nalurellement avec ces plantes. Ceux dont j'ai le plus particulièrement constaté les rava- ges sont les Pucerons, les Altises, les Piérides, les Charan- cons, la Chématobie, le Liparis dispar, ete. Les Pucerons attaquent un très grand nombre de plantes grellées, et cela avec d'autant plus d'intensité que le greffon souffre plus dans ses rapports avec le sujet. Une expérience caractéristique sous ce rapport est la suivante. J'ai greffé, par le procédé de la greffe-mixte (Voy. plus loin, chap. mt), le Cerasus avium sur le Prunus Lau- (4) Bien entendu, cette classification n’a rien d’absolu, et je l’établis pour la commodité de l’étude. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 61 rocerasus. Lorsque, par une taille raisonnée, on laisse au sujet assez de feuilles pour qu'il élabore lui-même sa sève sans porler trop de préjudice au greffon, celui-ci n’est pas ou est à peine atlaqué par les Pucerons. Si les feuilles du sujet sont trop nombreuses, et absor- bent la majeure partie de la sève brute, le greffon n'en recoil plus assez; 1l pousse beaucoup moins, souffre du manque de nourriture et il ne tarde pas à être couvert de Pucerons. | Vient-on à supprimer une partie des pousses du sujet, le greffon devient plus vigoureux, et résiste mieux aux Pucerons, dont le nombre diminue rapidement, pour finir par disparaître. Parmi Îles autres greffes où j'ai constalé l'attaque très vive des Pucerons vis-à-vis des greffons comparativement aux témoins, je puis citer le Prassica Cheiranthus grelfé sur Alliaire, le Chrysanthème greffé sur Anthemis frutescens, divers Rosiers, elc. Il est assez facile de s’en débarrasser avec le Jus de tabac. Les Altises s’attaquent principalement aux Crucifères; leur attaque est aussi plus ou moins vive suivant le degré de perfection de la soudure et les rapports qui existent entre le greffon et son support, au cours d'une même grelle. Mes expériences sur les Choux cabus sont très démons- tratives à cet égard. J'ai greffé, au printemps, le Chou nan- tais sur le Chou de Saint-Brieuc qui est plus vigoureux. Tant que la reprise n'a pas été complète, et la répartition des sèves redevenue normale, diverses Allises (PAyllotreta vittula Red., P. nigripes, F., etc.) ont envahi les greffons avec une intensité beaucoup plus marquée que pour les témoins. Cette attaque s’est modérée quand le greffon s’est à nouveau trouvé dans les conditions ordinaires. Mais ces mêmes Altises ont constamment attaqué de la même manière le Chou de Saint-Brieuc greffé sur Chou 62 L. DANIEL. nantais qui, placé sur une plante moins vigoureuse, n'’at- ‘teint point sa taille ordinaire et souffre par le manque de sève brute. Les mêmes faits se sont produits avec le Chou de Tours greffé sur Chou nantais, mais avec moins d'intensité, la souffrance du greffon étant moindre, puisque les diffé- rences entre les capacités fonctionnelles de ces plantes sont moins tranchées. | Les Piérides du Chou, du Navet, etc., s’attaquent aussi plus spécialement aux greffons de Crucifères. Je cilerai, parmi mes observations, l'attaque plus vive du Chou vert greffé sur Allaire; du Prassica Cheiranthus sur Alliaire, sur Darbarea, elc. Les Charançons du groupe des PBaridius (B. Artemisiæ, Herbst.; 2. chlorizans Germ., B. cuprirostris Fab.) logent leurs œufs de préférence au niveau de la greffe dans toutes les Crucifères greffées (fig. 1, pl. 1). Les larves y trouvent une nourriture plus abondante et plus parfaite sans doute. Un grand nombre de mes greffes ont été compromises par ces larves, quand la sève élaborée, fournie par le greffon, n’a pu former des tissus conducteurs nouveaux suflisants pour annihiler leurs ravages. L’atlaque à eu surtout des conséquences désastreuses pour les grelles de bourgeons à fleurs, et pour celles où le greffon apparlient à une plante de faible volume et peu vigoureuse. C’est ainsi que les greffons de Corbeille d'argent placés sur Chou reprennent fort bien, donnent des inflorescences superbes, puis périssent quelquefois desséchés tout à coup. Il en est de même des Barbarea intermedia el præcox greffés sur Chou et sur Alliaire, de quelques greffes de Choux et de Navets. Quand on examine la région du bourrelel, on la trouve entièrement rongée par les larves de Baridius qui ont même quelquelois dévoré le sommet du sujet. La Chématobie et le ZLaiparis dispar causent parfois de LA VARIATION DANS LA GREFFE. 63 sérieux dégâts aux jeunes greffons de Pommier, après l'union définitive. Enfin, on sait que les greffes de Vigne sont attaquées par une dizaine d'espèces d’Insectes parmi lesquelles il faut citer le Pentodon punctatus qui, à lélat larvaire, attaque le bourrelet de la greffe el ronge les tissus de cicatrisation. Un Myriapode, le Planiulus, mange les pousses tendres et pénètre dans la partie médiane des greffons (1). 6. Parasutes végétaux. — L'attaque des parasites végé- laux est beaucoup plus vive sur les plantes greffées. C’est un fait général. J'ai déjà indiqué la présence du blanc sur mes Carottes sauvages greflées quand les témoins reslaient indemnes. C’est un fait d'observation vulgaire que le blanc du Rosier attaque d’une façon exceptionnelle les greffons de cer- taines variélés, et que cette allaque est d'autant plus vive et plus dangereuse que les relalions du greffon et de son support sont plus défavorables à la répartition des sèves. Dans le Poirier et le Pommier, la greffe entraîne, par le fait des souffrances du début d’un petit greffon placé sur un sujet beaucoup plus gros, un durcissement des écorces très préjudiciable. Ce durcissement se traduit par l’appa- rilion rapide de Lichens et de Mousses parasites qui aggra- vent le mal et finiraient par compromettre la vie des deux plantes si l’on n'y meltail ordre, en incisant longiludinale- ment l’écorce du sujet, et en badigeonnant à la chaux ou à la bouillie bordelaise. Même dans les greffes les mieux réussies, les Champi- gnons supérieurs et inférieurs peuvent se joindre aux para- sites précédents et atlaquer soit le sujet, soit le greffon, soit les deux à la fois. Parmi les espèces de Champignons supérieurs que j'ai observées sur les greffes âgées ou mal venues de Pommier à cidre, je citerai le Pholiota squarrosa, V Armillaria mellea, (1) Valéry Mayet, loc. cit. 64 L. DANIEL. l’'AHypholoma fasciculare, V'H. sublateritium, V'H. hydrophi- lum, le Pleurotus Pometi, le Polyporus sulfureus, le P. lns- pidus, le P. versicolor, le Volvaria bombycina. Quelques-uns de ces Champignons forment leurs chapeaux indifféremment sur le sujet et sur le greffon : tels sont les Polypores, qui s’observent très fréquemment; les P/eurotus Pometi el le Volvaria bombycina, qui sont plus rares. D'autres, au contraire, se {rouvent loujours au collet du sujet ou sur les racines, comme les Æypholoma, V'Arnuil- laria mellea et le Pholota squarrosa. | Enfin, il est bon de faire remarquer que les questions de climat jouent leur rôle dans cetle attaque, suivant qu'elles sont plus ou moins favorables au développement de telle ou telle espèce. Ainsi le Polyporus hispidus est extrêmement fréquent sur les vieux Pommiers de l'arrondissement de Château-Gontier dans la Mayenne; il devient rare dans le nord de la Mayenne et n'est pas très fréquent en Ille-et- Vilaine. Dans ces deux dernières contrées, on trouve aussi fréquemment sur le Pommier le Polyporus sulfureus, qui devient plus commun en Normandie. Je n'ai jamais observé le Polyporus sulfureus sur le Pommier aux environs de Château-Gontier, bien qu'on le trouve assez souvent sur les souches de Chêne. Chacun sait aussi que le Pommier greffé est attaqué par de nombreux Champignons inférieurs : Mectria, Asteroma, ele., de même que la Vigne française, depuis qu’elle est greffée sur la Vigne américaine, est envahie par des parasites végé- taux de plus en plus nombreux et dangereux : Oidium, Mil- dew, Black-rot, etc. Il me reste à parler d’un autre parasite, le Gui, qui accé- lère souvent la disparition de certains Pommiers greffés. L'on sait, par les belles recherches de M. Gaston Bonnier, que le Gui rend à son hôte en sève élaborée autant qu'il en recoit de sève brute (1). Le fait que je signale pourrait pa- (1) Gaston Bonnier, Sur l'assimilation des plantes parasites à chlorophylle (C. R., 28 décembre 1891). LA VARIATION DANS LA GREFFE. 65 railre en contradiction avec les conclusions de cet auteur. On peut facilement expliquer la chose en remarquant que ce nest pas tant comme parasite épuisant qu'agil le Gui, mails parce que sa présence amène dans les tissus du Pom- mier un désordre considérable qui se traduit par des nodo- sutés énormes (lg. 5, PL. IT). Ces nodosités entravent l’ar- rivée de la sève dans les parties de branches qui sont situées au-dessus, et celles-ci finissent par disparaître. Dans les Pommiers grelfés, ce résultat arrive d'autant plus vile que les relations entre le sujet et le greffon sont plus mauvaises. La conclusion, c'est qu'il faut continuer à supprimer le Gui des Pommiers, puisque ses produits amènent dans les tissus de l'hôte une excitation morphogène {rès nuisible, même en admettant que la sève élaborée par le parasite puisse être absorbée en totalité par son support. y. Mollusques. — Les Mollusques sont en général peu à craindre après l'union définilive. Cependant, j'ai remarqué qu'ils allaquaient encore plus vivement les plantes greffées que les témoins. Il en est ainsi dans les greffes de Haricots entre eux, les greffes de Tomates, d’Aubergines, de Piments, de Choux, d'OEillets, etc. Non seulement les feuilles sont rongées, mais aussi les tiges, les fleurs et les fruits. J'ai remarqué une attaque plus vive quand la souffrance du greffon et celle du sujet sont manifestes. Le bourrelet de la greffe peut aussi être attaqué par eux, surtout si les méristèmes formés à cet endroit renferment une sève riche en réserves el en substances sucrées. Un exemple bien caractéristique m'a été fourni par la oreffe de l'Helianthus tuberosus sur l'Hehanthus læhiflorus. Le premier est plus vigoureux que le second, et au moment où il fabrique ses réserves, il les transmet au sujel qui prend alors son accroissement maximum. À partir de ce moment, les magasins deviennent insuflisants; la sève, riche en réserves sucrées, séjourne au niveau de la grelle, et on voit ANN. SC. NAT. BOT. VIU, 9 66 L. DANIEL. alors se former un léger bourrelet irrégulier sur Île greffon. Ce bourrelet est entamé facilement par les Limaces et les Hoelix aspersa qui le dévorent. La sève sucrée s’écoule par la blessure; les Guêpes et les Fourmis s’empressent de profiter de cette aubaine et il est parfois très difficile de les éloigner. Tous les exemples que je viens de donner montrent que l'attaque des parasites pendant l’union définitive est d'autant _ plus vive et dangereuse que les rapports entre le sujet et le greffon sont moins parfaits, de telle sorte que cette attaque est pour ainsi dire un ceritérium du degré de perfection de la symbiose. Toute greffe mal faite ou mal assortie ouvre la porte aux parasites. L'étude des rapports entre les parasites et les plantes greflées est de la plus grande importance dans la pratique agricole et horticole : c’est elle seule qui permet de com- prendre bien des effets singuliers constatés dans les plantes greflées et restés jusqu'ici sans explication, ainsi que je le démontrerai dans la théorie qui va suivre. B. — LA THÉORIE. Pour bien comprendre la théorie des variations de nutri- tion générale causées par la greffe, 1l faut éludier successive- ment le fonctionnement de la plante normale et celui des plantes greffées. $S I. — Fonctionnement de la plante normale. Représentons par Ca la capacité fonctionnelle mazxima d’une plante complètement développée, au point de vue de l'absorption, c’est-à-dire l'évaluation complète de ce qu'elle peut alors, en fonctionnant avec le maximum d’énergie dont elle est capable, absorber en eau et en substances dissoutes LA VARIATION DANS LA GREFFE. 67 par l'intermédiaire des racines pour l’amener dans l’appa- reil assimilateur sous forme de sève brute. Appelons Cv la capacité fonctionnelle maxima de l'appareil aérien de la même plante au point de vue de l'assimilation générale des matières amenées par la sève brule et concen- trées par l’évaporation de l’eau, travail dont la résultante est la formation de la séve élaborée. Ces deux quantités ont entre elles d’étroites relations dans les conditions normales d'existence de la plante : Cv commande Ca, et c'est ce qu'on exprime en disant que /a consommation règle l'absorption (1). Ceci posé, étudions la manière dont va fonctionner une plante annuelle depuis l'apparition de ses premières feuilles jusqu à la mort après fructification, en la supposant placée d’abord dans un milieu parfait, le plus favorable à l’exercice de ses fonctions, puis dans un milieu variable, par suite imparfait, où ces fonctions ne pourront s'exercer avec l'énergie maximum. | 4. Milieu parfait. — Supposons que la jeune plante se trouve placée dans un sol suffisamment humide et chaud, renfermant tous les aliments nécessaires à la plante sous leur forme absorbable et dans les proportions voulues. Sup- posons aussi que l'air soit assez sec et la lumière suffisante pour assurer le maximum de rendement de la fonclion assi- milatrice. Dans ces conditions éminemment parfaites el qui peuvent évidemment se trouver quelquefois réalisées, la jeune plante fonctionnera avec le maximum d'énergie. Mais comme à leur début ses appareils aérien et souterrain n'ont pas leur taille maxima T, leurs capacités fonctionnelles respectives seront représentées par des quantités ca el cv, bien infé- rieures aux quantités maxima finales Ca et Cv. Mais ces (1) Van Tieghem, loc. cit. 68 L. DANIEL. quantités ca el cv du moment présenteront les mêmes rapports que Ca et Cv el seront aussi égales entre elles. La sève brute, pompée énergiquement, est incessamment appelée dans les feuilles, qui produisent elles-mêmes le maximum de sève élaborée. À cause de la valeur élevée de ca, la sève élaborée reste riche en eau et contient surtout des subslances plasiiques, qui sont employées aussitôt à la formation simultanée ou successive de nouvelles racines et de nouvelles branches feuillées. La croissance de l'appareil absorbant est alors proportion- nelle à celle de l'appareil assimilateur. Cetle croissance continue de la plante a pour résultante une augmentalion constante de ca et de cv, et cela dure jusqu'à ce que ces quantités arrivent à égaler Ca et Cv. À ce moment, la plante considérée a pris son maximum de développement, c’est-à-dire qu'e/le possède la plus grande taille T, que l'espèce soit capable d'acquérir. Dès lors, la sève élaborée servira à la fabrication des fruits et de la graine. La plante, pendant le reste de son exis- tence, fournira une fruclification totale maxima F, qui commencera à une époque déterminée au bout d’un temps de croissance {; puis elle finira par mourir. Si la plante est bisannuelle ou vivace, le raisonnement pré- cédent s’y applique tout aussi bien. La plante bisannuelle emploie sa première année au déve- loppement partiel de son appareil végétalif et à la mise en réserve des substances destinées à sa croissance complète et à sa fructification l’année suivante. Dans les plantes vivaces, plusieurs années sont néces- saires à la croissance totale, et la frucüification F se com- pose des fructifications partielles des années pendant les- quelles la plante a donné des fruits. 2. Milieux variables imparfaits. — Voyons maintenant ce qui va se passer si l’on fait varier successivement ou LA VARIATION DANS LA GREFFE. 69 simultanément les milieux dans lesquels la plante est appelée à vivre. Trois cas peuvent se présenter. 2. La capacité fonctionnelle marima Ca diminue seule. — Supposons l'appareil absorbant placé dans un sol sec et pauvre en aliments, l'appareil assimilateur restant dans les conditions idéales de fonctionnement. Dès le début, lappareil absorbant ne peut atteindre la capacilé fonetionnelle ca cv, mais seulement une capacité plus petite c'a < cv, de telle sorte que, malgré l’appel normal déterminé par la consommation, l'absorption reste insuffi- sante. La première conséquence de l’arrivée plus faible de la sève brute, c’est la concentration de la sève élaborée, sa richesse moindre en matériaux plastiques. En effet, la ten- sion cellulaire augmentant, les déshydratalions la dimi- nuent par formation de saccharose ou d’amidon (loi de Pfeffer). De là, une formation précoce de réserves et une amélioration de saveur si la plante est alimentaire. Les éléments plastiques, plus réduits, donnent des tissus moins bons conducteurs ; les vaisseaux se forment plus étroits, le bois est plus serré et plus riche en éléments sclé- reux : la plante durcit, comme on dit vulgarrement. Ces éléments plastiques, au lieu de se partager également entre l'appareil absorbant et l'appareil assimilateur, pour- ront être appelés plus spécialement dans l'appareil absor- bant, de facon à augmenter la surface d'absorption sans augmenter la surface d’assimilalion, celle-ci, si la diffé- rence n’est pas exagérée, peut arriver ainsi à exiger de la racine exactement ce que celle-ci plus développée peut arriver alors à lui fournir. Ainsi l'inégalité du début, si elle n'est pas excessive, pourra se transformer en égalité fonctionnelle. Mais cet équilibre final ne sera atteint qu'au prix de souffrances variées. Ces souffrances se traduisent finalement dans la 70 L. DANIEL. plante par une diminution de taille T c'o et les tissus de la plante renfermeront un excès d'eau d'autant plus considérable que c'o se rappro- LA VARIATION DANS LA GREFFE. 71 chera plus de 0. L'appareil assimilateur aura beau fonc- tionner. il restera toujours, par suite de l'insuffisance de sa capacité fonclionnelle, un excès d'eau qui, au delà d'une certaine limite, amènera la pourriture. Entre le fonctionnement du milieu parfait et la pourri- ture par réplétion aqueuse, 1l y a toute une série de cas intermédiaires où la vie de Îa plante persiste, bien que le fonctionnement de ses appareils soit défectueux. Dans ces cas, à cause de l'excès d’eau. la sève élaborée reste plus liquide et moinsriche en réserves. L'appareil assi- milateur se développera plus que l'appareil absorbant pour ramener l'équilibre et faire en sorte que, l'absorption co étant donnée. la plante ait un appareil assimilateur c'o < cv, mais suffisant pour lui permetire de vivre sans pourrir. Les conséquences d'un semblable état de choses seront d'amener une taille T” dela plantelelle quel'onaitT > T3 1", un aspect caractéristique de la plante vivant en milieu humide, une structure spéciale où les vaisseaux du bois seront plus larges et moins lignifiés, une fructification /’ plus tardive puisque les réserves se forment plus difficilement et telle que l'on ait / Q”, si Q’ représente l’eau qui arrive aux feuilles du Haricot grelté. C’est donc le bourrelet qui cause en grande partie la con- centralion de la sève brute dans l'élaboration, puisque l’eau arrive plus lentement dans les feuilles. Mais cette concen- lralion n'est point due à l'arrêt de la sève élaborée par le bourrelet, comme on le prétend. Un pareil arrêt n'est possi- ble que si les tubes criblés laissent passer plus difficilement celte sève, grâce à leur forme contournée et irrégulière. Or, ces tubes criblés communiquent latéralement par des cloisons grillagées. Pour que l'arrêt de la sève élaborée soit effectif, 1 est nécessaire que le nombre des tubes soil moindre ou que des travées de parenchyme cicatriciel soient interposées 18 L. DANIEL. entre eux. Ceia a souvent lieu en effet, de telle sorte que, dans beaucoup de cas, la sève élaborée passe un peu plus lentement du greffon dans le sujet. Si cet arrêt de la sève élaborée existait seul, il aurait pour résultat direct, non de produire une concentration de la sève, mais de saturer d’eau les tissus du greffon, qui passerait ainsi très rapidement à l’élat de réplétion aqueuse. Mais il n’en est rien, par suite de la diminution de l’arrivée de la sève brute qui tend à produire la dessiccation du greffon. Les deux effets se compensent en parlie, mais en partie seulement. On à toujours d> d', si d représente la perte d’eau par l'insuffisance des communications vasculaires et d'la saturation produite par l'insuffisance des communi- cations libériennes. Cette différence augmente avec les dimensions respectives du sujet et du greffon; elle atteint son maximum au moment du complet développement de la plante greffée (1). Ceci posé, voyons comment le Haricot greffé, gêné dans sa nutrition générale par son bourrelet, devra se comporter dans le milieu parfait et dans le milieu imparfait variable. a. Milieu parfait. — Si l’on suppose le Haricot placé dans un milieu parfait, étant donné que dans une plante identique non greffée Les capacités fonctionnelles du moment seraient ca = cv, cette égalité sera, du fait du bourrelet, remplacée dans le greffon par l'inégalité c'a < cv, puisque, d’après les calculs précédents, tout se passe pour le greffon comme si l'absorption du sujet devenait moindre. Cette même égalilé, toujours à cause du bourrelet, sera transformée pour le sujet en une inégalité de sens contraire, (1) Ces considérations s'appliquent non seulement aux plantes herbacées mais encore aux végétaux ligneux, où cette différence augmente d’année en année à cause du bourrelet de plus en plus développé, dans le cas où l’on a C'v > Ca. [Voy. plus loin relations (2) et (b) en milieu parfait ou im- parfait.| Elles ne s'appliquent plus dans le cas où l’on a C'v < Ca, lorsque d devient plus petit que d’ [relations (3) et (c)]. Re LA VARIATION DANS LA GREFFE. 79 ca > c'v, puisque loute l’eau absorbée par le sujet ne sera pas enlevée par le greffon. Le greffon se trouve donc placé dans les conditions du cas « de la plante normale végétant en sol sec ; Le sujet reste placé dans les conditions de la plante normale végétant en sol humide. La plante normale peut lutier contre ces conditions défa- vorables et ramener ses fonctions à un équilibre fonction- nel momentané en développant inégalement ses appareils. La plante greffée n’a pas cette ressource. En effet, la sève élaborée esl moins riche en produits plastiques dès l'instant que la sève brute arrive en moindre quantité. Les produits plastiques qu’elle pourrait contenir, retenus plus longtemps au niveau du bourrelet, ne peuvent donner l'augmentation d'appareil absorbant que réclame le greffon. De même, ils ne peuvent amener l'augmentalion de l'appareil assimilateur que réclame le sujet. D'ailleurs, en admettant que ce double résultat pût être atteint, un {el accroissement ne ferait qu'augmenter les différences fonctionnelles au lieu de les alténuer comme dans la plante normale. Done, il serait nuisible. On peut donc dire que dans le Haricot, à la suite de la greffe en fente, la parlie sujet et la partie greffon de la même plante sont dans des conditions biologiques bien différentes : la première est exposée à la réplétion aqueuse et à la pour- riture ; la seconde, à la dessiccation. La vie ne peut se maintenir que si les différences ne sont pas trop exagérées, mais avec toutes les conséquences de chaque changement de milieu. Ainsi s'expliquent naturellement les faits que j'ai observés dans la greffe du Haricot et de diverses plantes herbacées sur elles-mêmes : la formation exclusive d'’amidon dans le greffon, conformément à la loi de Pfeffer, el l'absence totale de cette substance dans le sujet ; la diminution de taille à la fois dans le sujet et dans le greffon ; l’affaiblissement différent des deux parties greffées dans la résistance aux parasites ([nsectes, 80 L. DANIEL. Mollusques, ete., pour le greffon, et Champignons pour le sujet); la floraison avancée par la souffrance du greffon; l'influence de l’époque du greffage au point de vue de la maturité des fruits. La malurité des fruils n'aura lieu que si la plante peul emmagasiner, dans le cours de son existence, une quanlité de chaleur g. Si le retard causé par la cicatri- sation, dans celle absorption de chaleur, se produit au début du printemps, la perte de chaleur sera moindre que dans l’été par exemple, et l'avance produite par la souffrance du greffon pourra ne pas compenser cette perte de calorique. Le degré d'intensité avec lequel se manifestent les phéno- mènes causés par le bourrelel, suivant la nature des plantes, s'explique aussi facilement. J'ai montré que l'amidon est extrêmement abondant dans le Lis greffé sur lui-même, qui est presque aussi riche en amidon qu'un tuberecule. Encore très abondant dans les greffons du Haricot, 1l l’est beaucoup moins dans ceux du Tagetes, par exemple. L'étude anatomique comparée montre immédiatement que dans la greffe du Lis la reprise est très imparfaite et seulement cellulaire, puisqu'il nv a pas de couche généra- trice interne. Dans les Tagetes, la couche génératrice in- terne est plus active que celle du Haricot; elle produit un bourrelet plus riche en vaisseaux de cicatrisation assurant mieux la conduction de la sève brute, etc. Les résultats observés sont done bien conformes à la théorie. b. Milieux variables imparfaits. — Voilà ce qui se passe quand les milieux sont le plus favorables à l'absorption et à l'assimilation. Supposons maintenant que le milieu d’absorplüion devienne plus sec. Le sujet souffrira moins de l'excès d’eau, mais en revanche le greffon sera placé dans un milieu plus sec en- core. Ainsi se comprend que la taille du greffon soit d'autant plus pelite que le sol est plus sec et que Le milieu aérien est LA VARIATION DANS LA GREFFE. SI plus sec et plus éclairé ; que toutes les conséquences dé- duites précédemment augmentent en intensité dans le greffon et diminuent dans le sujet. Admetions maintenant que le milieu aérien varie seul, que la lumière soit moins intense et que l'humidité augmente. El peut se faire alors que dans le greffon c'a devienne égal à co. Le greffon se trouve alors placé dans de bonnes condi- lions, comme dans la relation (2) du cas y de la plante normale. Sa taille sera la plus élevée possible dans le cas de greffe, mais restera toujours inférieure à la taille maxima T el sa fruclification sera moindre que F. Lorsque ces conditions s’accentuent, on aura c'a > c'v dans le greffon. À parlir de ce moment, il se trouve en milieu humide (cas 8 de la plante normale) et 1l en présente les conséquences. Mais comme ces condilions sont essentiellement défavo- rables au sujet qui se trouvait à l'avance dans un milieu humide, c’est le sujet qui manifeste le premier sa gêne el présente le plus rapidement les symptômes de la réplétion aqueuse. C’est donc lui qui doit pourrir le premier, puisque la résistance R’à la réplétion aqueuse est la même pour le sujet et le greffon, dès l'instant qu'il s'agit de parties diffé- rentes d’une même plante. Ainsi s'explique la pourriture du sujet seul dans la greffe sur elles-mêmes de jeunes plantules de Citrouille, de Balsa- mine, de Soleil, de Haricots, etc., quand on maintient ces greffes à l’étouffée pendant l'union définitive, tout comme pendant l'union provisoire. L’inégalité, suivant les plantes, du coefficient de résistance R' montre pourquoi la pourriture du sujet, vulgairement la fonte, se produit plus vite dans les greffes de Citrouille que dans celles des Helianthus ou des Haricots. Mais cette iné- galité n'intervient pas seule; 1l faut tenir compte aussi de la durée de la cicatrisalion qui impose, pendant un temps plus où moins long, le maintien sous cloche des plantes greffées, dans le procédé ordinaire des jardiniers. ANN. SC. NAT. BOT. VII, 6 82 L. DANIEL. J'ai évité la fonte du sujet en maintenant, pendant l'union provisoire et les débuts de l’union définitive, le sujet à l'air libre et le greffon à l’étouffée de moins en moins complète. Si la résistance R’ est assez grande, la greffe se maintient sans pourrir, mais alors apparaissent dans le greffon les caractères de la vie en milieu humide : jaunissement el rougissement des feuilles, pourriture des méristèmes, des boutons à fleurs, retard dans la fructificalion, apparition de Moisissures, etc. Si l’on suppose enfin que le milieu d'absorption et le milieu aérien varient simultanément, il est facile de se rendre compte que les effets étudiés ci-dessus se combineront de façon à augmenter ou à atténuer les influences constatées. Aussi on peut conclure théoriquement, ce qui est conforme à l’expérience, que la greffe d'une plante herbacée faite sur elle-même détermine toujours des variations de nutrition géné- rale qui établissent un antagonisme plus ou moins marqué entre la parte sujet et la partie greffon. Cet antagonisme amènera toujours une diminution de taille et une diminution de la résis- lance aux parasues, quand \l n'amène pas une mort rapide des plantes associées. 2. Plantes semi-herbacées et plantes ligneuses. — Tout ce que Je viens de dire pour les plantes herbacées, à couches génératrices peu actives, va s'appliquer aux plantes semi-herbacées et aux plantes ligneuses, mais seulement dans les premiers temps de l'union définitive, lant que les variations causées parle bourrelet dans l’ascension de la sève brute se feront sentir. L'étude anatomique comparative de greffes de ce genre d'âge différent montre très clairement que, grâce au fonc- tionnement persistant des couches génératrices, de nouvelles couches de tissus conducteurs s'ajoutent constamment aux anciens. Or, ces couches cessent, au bout d’un certain temps, LA VARIATION DANS LA GREFFE. 83 d'être soumises aux causes qui les rendaient irrégulières. Les cavités dues à l’opération sont remplies; la pression exercée par les lèvres du sujet et par la ligalure qu'on a enlevée cesse d'agir sur le développement des vaisseaux qui vont, au bout d’un temps variable suivant la plante et la perfection de l'opération, reprendre peu à peu leur régu- larité. Comme il s'agit d'éléments anatomiques produits par une même plante, ces éléments auront alors la même strue- ture dans toute leur étendue, aussi bien dans la partie sujet que dans la partie greïfon, et ils finiront ainsi par ne plus être déviés au niveau de la greffe. On sait que les bois et libers anciens ont un pouvoir con- ducteur de plus en plus réduit : ce sont les lissus nouveaux qui sont presque exclusivement chargés de la conduction des liquides. On conçoit donc que la circulation des sèves puisse, chez ces plantes, redevenir de plus en plus régulière après la greffe, au fur et à mesure du fonctionnement des couches génératrices, pour arriver à reprendre son cours normal. Le rôle du bourrelet est alors fini et la plante greffée se comporte comme si elle ne létait pas. Même si les conditions extérieures sont encore suffisam- ment favorables, ce qui dépend beaucoup de l'époque du ereffage et de la durée de Ia cicatrisation, on comprend que la plante greffée sur elle-même puisse regagner le temps perdu et acquérir finalement la taille ordinaire des témoins. Ces remarques s'appliquent tout particulièrement aux planies ligneuses dont les couches génératrices très actives fonctionnent chaque année et longtemps. Comme ce son les ereffes ligneuses que l’on à surlout étudiées Jusqu'ici, on s'explique qu’on ait pu affirmer que la greffe d’une plante sur elle-même n’amenait aucune modification. Par le fait, il n’en est jamais ainsi dans les greffes herba- cées, non plus qu'au début des greffes de plantes ligneuses. S4 L. DANIEL. surtout dans celles où le greffon est de petite taille par rapport au sujet. Cette condilion amène en effet une inégalté de début ca > c'v entre l’appareil absorbant et lappareil assimilateur qui ne disparaît qu'après plusieurs années de greffe. Mais, à la longue, la plante ligneuse greffée sur elle- même reprend son développement régulier, à condition tou- tefois que l'exécution matérielle de l’opération n’ail rien laissé à désirer. 2° Groupe. — VARIATIONS DE NUTRITION GÉNÉRALE PRO- DUITES DANS DES PLANTES DIFFÉRENTES GREFFÉES ENTRE ELLES. — Quand on greffe entre elles des plantes différentes, les choses pourront se compliquer considérablement, parce qu'aux changements produils comme précédemment par le bourrelel, se combineront ceux qu’amènent les différences plus ou moins marquées qui existeront entre les capacités fonctionnelles du sujet et du greffon. En effet, aussitôt formée, l'association possède un appareil absorbant dont la capacité fonctionnelle maxima était Ca avec un appareil assimilateur de capacité Cv, mais qui sera désormais commandée par un appareil assimilateur différent de capacité fonctionnelle maxima C'o. Î 4 PAT ) Voyons comment va fonctionner cette association —— dans Ca le milieu parfait, où la plante fournissant le greffon pourrait acquérir une taille maxima T, donner une fructification totale F au bout d’un temps #, et où la plante sujet aurail une taille différente 6. J'examinerai ensuite ce qui se passera pour la même association dans un milieu variable imparfait. 4. Milieu parfait. — Les relations finales qui relient C' et Ca, dans les condilions les plus favorables, sont forcément l’une des {rois suivantes : LA VARIATION DANS LA GREFFE. 85 Mais comme, au moment de la greffe, ni l’une ni l’autre des deux plantes associées ne fonctionne avec les capacités maxima, ces relations seront, à ce moment, représentées par d’autres capacités plus pelites, qui seront dans les mêmes rapports et pourront s’écrire en supposant que, comme pré- cédemment, on considère deux plantes greffées de facon que l'appareil assimilateur du greffon corresponde comme valeur à l'appareil absorbant du sujet. (Hpcv—= Cu; (br. cv > ca; (c'e via: L'existence simultanée des relations (1), (2) ou (3) avec les relations correspondantes {4),(à) ou (c) élimine les cas de sujets et de greffons de taille inégale ou qui seraient greffés au mo- ment où ils auraient perdu en totalité ou en partie la faculté de reproduire la partie de l'appareil végétatif à laquelle ils correspondent ou seraient incapables d'en remplir efficace- ment les fonclions (bourgeons à fleurs, branches étiolées, racines tuberculeuses, etc.). Ces cas particuliers seront étudiés avec les cas généraux auxquels ils peuvent correspondre. Rerations (1) el (a). — Le greffon et le sujet ont les mêmes capacités fonctionnelles initiales (a) et appartiennent à deux plantes ayant les mêmes capacités fonctionnelles maxima (1). Ce cas peut évidemment se rencontrer, mais il esl fort rare, étant donné ce que Jai déjà fail remarquer, que deux plantes sont Loujours plus ou moins différentes entre elles. Lorsque les conditions des relations imiliale (4) et finale (1) se trouvent réalisées, on retombe exactement dans le cas de la plante greffée sur elle-même et dont J'ai examiné les va- 86 L. DANIEL. \ riations. Ici encore la greffe pourra produire des variations dues à l'existence permanente du bourrelet dans les plantes herbacées. Dans les plantes ligneuses et semi-herbacées, ces variations, temporaires et limitées au début de la greffe, s’atténueront de plus en plus avec l’âge et finiront par dis- paraître. Je puis citer, parmi les exemples bien nets de ce cas, la greffe du Haricot noir de Belgique sur Haricot flageolet nain dans les plantes herbacées; la greffe du Chou de Tours sur le Chou de Rennes pour les plantes semi-herbacées, et diverses greffes de Poirier ou de Pommier sur franc pour les végélaux ligneux. Relations (2) et {b). — Les capacités fonclionnelles ini- tiale (db) et finale (2) des deux plantes sont différentes : celies du greffon sont plus grandes que celles du sujet : La différence entre ces capacités fonctionnelles peut tenir à une question de structure (membranes osmotiques, nombre et diamètre des vaisseaux) ou à une question de diastases dans les plantes bisannuelles et vivaces. Ces deux différences peuvent exister d'ailleurs séparément ou concurremment, s'ajouter ou se compenser plus ou moins. Au point de vue de la théorie, qu’elles soient réunies ou séparées, concordantes ou discordantes, le raisonnement sera le même. Remarquons simplement que si les différences sont dues uniquement aux diastases, l'inégalité dans la rela- tion (b) sera intermittente, très accusée au début et à la fin des périodes de végétation active, beaucoup moins entre ces deux termes extrêmes (1). (1) Si cette question de diastases était le seui obstacle au bon fonctionne- ment d'une greffe, on pourrait le faire disparaître ou au moins l’atténuer. en employant le procédé suivant, assez analogue à celui qui me sert pour éviter la pourriture du sujet. Il suffirait de placer le sujet et le greffon dans deux milieux différents en tant que température, de façon à avancer la plante tardive et à retarder la plante précoce; en un mot, faire pour la greffe ce que l'on fait pour la culture dela Vigne en serre, où l’appareil LA VARIATION DANS IA GREFFE. 87 Seule l'inégalité de structure produit des effels perma- nents et de même sens pour un même appareil. Ceci posé, comme Île greffon commande l'absorption du sujet qui ne peut, par sa nalure même, suffire aux besoins de ce greffon, celui-ci va se trouver aussitôt dans les condi- ions de la plante normale végélant en sol sec {cas 0). Comment va-t-il lutter contre cette situalion anormale? Le fera-t-il de concert avec le sujet ou bien les deux plantes lutteront-elles séparément et d’une facon discordante ? Ici encore les conditions diffèrent suivant qu'il s'agit des végétaux herbacés ou des végétaux semi-herbacés et ligneux. Dans les premiers, le bourrelet persiste toujours avec toutes ses conséquences, tandis que dans les seconds il se modifie progressivement par le jeu normal des couches géné- ralrices. Il y a donc lieu d'examiner séparément ces deux catégo- ries de greffes. 1'° CATÉGORIE. — Greffes herbacées dans lesquelles on a C'o > Ca. — Les effets du bourrelet étant les mêmes que dans la greffe d’une plante herbacée sur elle-même, il n’y a pas lieu de les discuter à nouveau. Il reste à étudier les variations produites par l'inégalité du début c'o — ca. Évidemment, les effets produits sur legreffon seront ceux étudiés dans le cas « de la plante normale, si les deux plantes diffèrent seulement par rapport à l'absorption de l’eau. Ces effets seront plus accentués que dans la greffe de la plante herbacée sur elle-même. En revanche, les effets produits par la greffe sur le sujet, placé par le bourrelet dans le cas £ de la plante normale, seront atlénués dans une large mesure. Il peut arriver que, par le fait d’une différence osmotique des membranes, l'absorption du sujet n’amène pas dans le absorbant est en dehors de la serre pendant que l’appareil assimilateur est à l'intérieur, à une température plus élevée. 88 L. DANIEL. greffon tous les sels qui sont nécessaires à son développe- ment. Des modifications spéciales en seront la conséquence(1), dans la taille, la structure et la saveur. Donc, dans le milieu parfait, les effets du bourrelel et de l'inégalité Co > Ca s'ajoutent en grande parlie pour aug- menter les souffrances de l'association, diminuer la résis- {ance propre des associés et parfois amener leur mort. Quand la symbiose persiste, la taille T du greffon est dimi- nuée, et le plus souvent aussi celle du sujet. La fructificalion totale f'est moindre que F et la floraison plus rapide. Ces effets sont plus marqués que dans la greffe de la plante her- bacée sur elle-même, el ils sont en rapport avec la valeur absolue de l'inégalité Cv > Ca. Ainsi s'expliquent les résultats fournis par diverses greiïes de Haricots, en particulier celle du Haricot de Soissons gros sur Haricot noir de Belgique. 2° CATÉGORIE. — Greffes semi-herbacées ou ligneuses dans lesquelles on a C'v > Ca. — Dès l'instant que la structure des tissus conducteurs du sujet et du greffon est différente, il y aura forcément un bourrelel ; mais ce bourrelet ne res- tera pas stationnaire comme dans le cas précédent des plan- tes herbacées. Les couches génératrices, continuant à fonc- tionner, accuseront de plus en plus l'inégalité de structure (1) M. Dassonville a tout récemment montré que cette action des sels et leurs proportions relatives amènent dans les plantes normales des modifi- cations de struclure plus ou moins profondes et variables avec les espèces considérées (Voy. Revue générale de Botanique, 1896 et 1898). On sait d'autre part en horticulture que les phosphates favorisent gran- dement la floraison quand ils sont donnés à la plante au moment propice (engrais florigènes) et que les azotates ont une influence marquée sur le développement de l'appareil végétatif (engrais feuillogènes). Dans le cas de greffe en milieu parfait, le greffon n’a aucun avantage à retirer d'un apport plus considérable de sels, ou d’un changement dans leur nature. Mais il n’en est plus de même quant aux désavantages; si les sels arrivent en moindre quantité ou sont choisis par les membranes du sujet de telle façon que le greffon se trouve transporté, par le fait du sujet, du milieu parfait dans un milieu imparfait beaucoup moins favorable à l'exercice de ses fonctions, il est clair que ses souffrances seront augmen- tées d'autant. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 89 entre le sujel el le greffon et ses effets sur la répartition générale des sèves. Comme cetle catégorie de greffes est une de celles qui se trouvent réalisées le plus fréquemment, je l'étudierai plus en détail. Elle comprend trois sortes de greffes : 1° Celles dans lesquelles le greffon possède, au débul de la greffe, un appareil assimilateur sensiblement égal, comme énergie vilale et taille relative, à l’appareil absorbant du sujet ; 2° Celles dans lesquelles le greffon est constitué par un œil ou un rameau plus petit que la racine sujet ; 3° Celles dans lesquelies le sujet et le greffon ont la même taille, mais dont le sujet, modifié en vue d’une autre fonction, a perdu en partie ses facultés d'absorption. 1° Le greffon et le sujet, de même énergie vitale, ont sensi- blement la même taille au début de la greffe. — Dès le début de la greffe, l'inégalité Co > Ca amène un fonctionnement anormal du greffon, tout comme dans le cas des greffes her- bacées et pour les mêmes raisons. Mais tandis que, dans les plantes herbacées, les couches génératrices cessent de fonctionner de bonne heure et déter- minent rapidement une inégalilé maxima, qui ne peut plus croîlre à partir de ce moment, dans les plantes ligneuses ou semi-herbacées, les couches génératrices continuent à fonc- lionner et plus les tissus conducteurs augmenleront d'épais- seur, plus le bourrelel s’'accentuera. En effet, le développement des deux plantes est forcément inégal ; les éléments plastiques fabriqués par le greffon se transforment en tissus différents dans les deux plantes. Cela continue ainsi jusqu à ce que la différence finale co > ca arrive à dépasser la limite d'équilibre entre l'absorption et l'émission de l’eau par l’associalion (dessiccation du greffon). Quand cette limite n’est pas atieinte, ce qui dépend de la valeur de l’inégalité co > ca, la symbiose persiste, mais 90 L. DANIEL. alors la taille du greffon reste encore inférieure à T et sa fructification totale inférieure à F. Il ne faut pas confondre la diminution de la frucüficalion tolale, le grossissement du fruit et la valeur relative de la fruclüification annuelle, comme on le fait trop souvent. Ces effets sont simultanés el la conséquence les uns des autres. Par le fait de l’arrivée moindre de l’eau dans le greffon, les réserves y apparaissent plus vite eten quantité plus grande (cas x de la plante normale) : ce sont là des conditions qui favorisent la fructification en général et le développement de chaque fruil en particulier. Mais la fructification totale d'une plante ligneuse greffée ne sera pas plus considérable pour cela. Le volume des fruils augmente et quelquefois leur nombre, mais la production s'arrête beaucoup plus vite puis- que le greffon meurt beaucoup plus tôt que s’il était resté franc de pied (1). 2° Le greffon et le sujet possèdent même énergie vitale au début de la greffe, mais la taille du greffon est beaucoup plus petite que celle du sujet. — C’est le cas de la plupart des greffes en écusson (2), des greffes en fente, en couronne, ete., (1) On pourrait objecter que, par greffes successives de la même variété, on arriverail à faire produire indéfiniment des fruits à un même arbre, comme le Poirier, et à rendre ainsi la fructification totale aussi grande que possible. Eu admettant que le fait fût possible, l’objection ne serait pas sérieuse. L’on pourrait aussi bien bouturer le franc qui produit la greffe, et prolonger dans les mêmes conditions sa fructification, dont le produit total serait toujours supérieur, à cause de la taille plus élevée et du remplacement moins fréquent, à celui des greffons. Ce dernier ne peut en effet fructifier aussi longtemps, comme je viens de le démontrer, que le franc de pied. Les effets de greffes répétées sur une même variété s’accu- muleront forcément à la longue pour la transformer et la faire disparaître avec d’aulant plus de rapidité que ses souffrances seront plus vives. On s'explique ainsi facilement l’usure des variétés par la greffe, ou mieux leur transformation ; il y aurait intérêt, pour les conserver, à les cultiver bou- turées. (2) Bien entendu, j'entends ici les greffes en écusson où l’on a supprimé totalement l'extrémité du sujet au voisinage de l’écusson de façon que celui-ci recoive toute la sève brute. Si la section n'a pas été faite, la sève brute arrive en plus faible quantité à l’écusson qui se développe peu et ne ressent point les effets de l'inégalité Cv > Ca. Il prend alors les dimen- sions de tout œil latéral du sujet qui occuperait sa position. La théorie que J'expose ici ne saurait lui étre appliquée. Il y à lieu encore de tenir compte de la place qu'occupe l’écusson au LA VARIATION DANS LA GREFFE. 91 exécutées sur les végélaux ligneux. C'est celui qui a été jus- qu ici le mieux étudié en pratique et c'est aussi le plus em- brouillé peut-êlre, étant donnés les résullats souvent contra- dicloires qui ont élé rapportés. À cause de l'inégalité de dimension entre les deux appa- reils, les différences finales C’o > Ca n'entrainent plus falalement l'inégalité de début c'v:> ca. Au contraire, le sujet fournira autant de sève que le greffon lui en deman- dera, jusqu’à ce que la taille de celui-ci soit devenue telle que sa capacité fonctionnelle c’» soit égale à la capacité fonction- nelle maxima qu'il prendrait dans un milieu parfait d'absorp- tion d’eau avec son appareil absorbant propre ca correspon- dant à sa taille. L'on a donc l'inégalité inverse co < cu. Par conséquent, pendant toute cette période, le sujet reste dans les condilions du cas $& de la plante non sreffée, mais il tend de plus en plus à se rapprocher des conditions de sa vie normale au fur el à mesure qu'augmente la taille du greffon. Celui-ci, pendant la même période, fonctionne avec la capacité maxima correspondant à sa laille, si la soudure est parfaite ; mais, par suite de l’état du sujet, 1l reste [lui-même dans Îles conditions du cas & de la plante normale et pousse à bois d’une facon d'autant plus marquée que l’eau lui est fournie plus en exces. Dans ce cas, le bourrelet ne nuit pas au greffon, car le retard dans l’arrivée de la sève qu’il peut causer est bien dépassé par la richesse de la sève brute fournie et la plas- début de l'opération, car la sève brute ne lui arrivera pas de la même ma- nière. Placé entre deux yeux, il est baigné seulement par la sève élaborée jusqu'au développement complet des vaisseaux cicatriciels, puisque les courants latéraux de la sève brute sout très faibles. Il est mieux situé à la place d’un œil, parce qu'alors il recoit la sève brute qui s'écoule par la blessure de l'œil enlevé. Aussi on concoit que la reprise soit plus facile, et que le premier prenne plus facilement quand, par l’arcure du sujet ou sa taille préparatoire, on change au profit de l'écusson la répartition de la sève brute. On pourrait faire les mèmes remarques pour la greffe de côté sous écorce, le placage, etc. Ces divers cas rentrent dans la greffe-mixte, tant que le sevrage complet n'est pas effectué. 92 5 L. DANIEL. ticité consécutive plus grande de la sève élaborée, se diffé- renciant en tissus destinés presque exclusivement à l’accrois- sement du greffon en vue du rétablissement de l'équilibre entre l'absorption et l'émission de l’eau. Si cel équilibre n'arrive pas suffisamment vite par suile d’une soudure défectueuse, des troubles vitaux très préjudi- ciables apparaissent dans le sujet. Sa croissance étant relar- dée et ses facultés absorbantes du moment utilisées en partie seulement, les poils absorbants s’usent sans être remplacés aussi régulièrement ; par conséquent, l’absorplion diminue. Évidemment, ces poils seront facilement remplacés quand les besoins du greffon augmenteront. Mais comme ces besoins deviennent faibles par suite de l'insuffisance de la soudure, les écorces durcissent et déterminent une pression de plus en plus élevée, très nuisible au greffon et au sujet, même quand l'égalité c'o = ca vient à être atleinte. Ces désordres dans l'association sont d'autant plus mar- qués que la vigueur propre de la branche greffon est moindre etils peuvent amener la réplélion aqueuse du sujet et la mort du tout après un envahissement progressif et rapide des parasites végélaux (Lichens, Mousses et Champignons) qui profilent de la diminution des résistances de chaque plante. Ainsi s'expliquent les mauvais résullats de la greffe des branches fruilières placées sur l'axe prineipal. On conçoit aussi pourquoi l’incision longitudinale du sujet dans des greffes ainsi durcies produit les metlleurs résultats puisqu'elle annihile complètement la tension exagérée de Mécorce: Cette discussion explique encore pourquoi la greffe des vieux arbres réussil mieux avec plusieurs greffons, ou quand on laisse au sujet des pousses feuillées qu'on enlève pro- gressivement après la reprise définitive (1). Lorsque le développement du petit greffon a été suffisam- (1) Faits connus depuis longtemps. (Voy. Ménage des champs et Jardinier françois accommodez au goust du temps, Paris, 1711.) LA VARIATION DANS LA GREFFE. 93 ment rapide pour amemer à Lemps l'égalité c'o = ca, l'asso- ciation va se comporter comme les greffes précédemment étudiées où le greffon el le sujet élaient de même taille (Ciu=uCae co > ca). Mais il yaura cependant une différence : la capacité fonc- tionnelle des deux plantes sera moindre à ce moment que celle des mêmes plantes greffées avec des appareils égaux ; le sujet, pendant la période de croissance du greffon, destinée à amener l'égalilé, perd une partie de son pouvoir absor- bant qu'il ne saurait reprendre de suite à cause de son dur- cissement. En un mot, les eflets de l'inégalité Co > Ca seront plus accentués dans le mode de greffage avec un greffon plus petit que le sujet. Comme ils portent sur la laille, la fructi- . fication plus rapide, 1} peut se faire que l’on ait intérêt à employer ce mode de greffage : c’est le cas des arbres frui- liers de nos Jardins. Mais l’exagération de ces phénomènes élant nuisible à la durée des arbres, on a, au contraire, intérêt à les éviter pour le Pommier et le Poirier à cidre par exemple. Aussi doit-on employer de préférence la greffe sur jeunes scions d'un an qui réduit au minimum les effets de l'opération. Le succès plus grand de ces greffes se comprend d'ailleurs tout natu- rellement d'après ce que Je viens de dire ; ilen est de même de la greffe avec plusieurs greffons, sur vieux arbres ; la dif- férence co > ca est en effet réduite par ces procédés. Je vaisexaminer maintenant diverses bizarrertes de greffe, jusqu'ici considérées comme inexplicables ; pourquoi, par exemple, les pousses du début sont plus vigoureuses dans la greffe du Poirier sur Coignassier que dans la greffe du même Poirier sur france, lorsque par la suile c'est l'inverse qui se pro- duit? pourquoi une plante À qui ne peut se greffer directe- ment sur une plante C réussit à vivre sur celle plante quand l'on prend pour intermédiaire une plante B. Enfin j'éludierai les effets du surgretfage. de) L. DANIEL. Les pousses plus belles du Poirier sur Coignassier et l’ar- rêt ultérieur de sa végétalion sont dus aux variations de l’iné- galité Cv < Ca qui, au début de la greffe, donne lieu à l’iné- galité de sens contraire c'o ca quand la taille du greffon dépasse celle du sujet. Je viens de démontrer que sujel el greffon se trouvent au début dans les conditions du cas & de la plante normale en milieu parfait. L’excès d'eau et Ia souffrance consécutive sont donc d'autant plus grandes que l'inégalité c'o < ca est plus grande en valeur absolue. J'ai fait voir que la valeur de celte inégalilé dépend de l’âge de la greffe ; elle est d'autant plus grande que la greffe est plus récente et que le greffon est de plus petite taille par rapport au sujet. Mais ce n’esi pas tout. La valeur de l'inégalité dépend encore de la valeur relative iniliale de chacun de ces termes, qui sont sous l’étroile dépendance de la valeur relative des termes de l’inégalité finale Co > Ca. Plus celle-ci est grande, plus l'inégalité de début est pelite, puisqu'elle est inverse de la première. Le greffon compense en partie la faiblesse de sa laille par une capacilé fonctionnelle propre plus grande, tandis que le sujet compense l'excès de ses dimensions par une capacilé fonctionnelle plus petite. Les deux variations s'ajoutent donc pour diminuer la valeur absolue de l’inéga- lité co > ca. Donc, plus l'inégalité C’» > Ca sera élevée en valeur abso- lue, moins les souffrances du début seront grandes dans le greffon el plus sa croissance sera rapide jusqu'à ce que l’iné- galilé se transforme en égalité. A partir de ce moment, l’iné- galité change de sens el amène au contraire des souffrances d'autant plus vives que l'inégalité C’o > Ca sera plus grande en valeur absolue. Ces considéralions expliquent très simplement le cas du Poirier greffé sur Coignassier ou sur franc. La différence Co > Ca du Poirier greffé sur Coignassier est plus grande en valeur absolue que la différence C'o > Ka LA VARIATION DANS LA GREFFE. 95 du Poirier placé sur franc. Donc la souffrance du début doit être moins vive dans la première greffe el les pousses plus vigoureuses que dans la seconde. C’est l'inverse dans la suite du développement, et la théorie est d'accord avec l’expé- rience. Ce que l’on considère comme une anomalie est abso- lument rationnel. L'arrivée de l’eau dans le greffon suffit, comme on le voit, à expliquer certains phénomènes. Pour d’autres, tels que ceux de la structure variant avec la nature des sujets, 1l faut faire inlervenir l'osmose qui change suivant les sujets. On conçoit que tel sujet laissera passer tel sel que ne pre- nail pas le greffon, ou empêchiera l’arrivée de tel autre : les proportions relatives des sels absorbés pourront même varier. Or, on sait quel rôle important jouent les sels dans la structure d’une plante donnée, qui voit ainsi augmenter ou diminuer sa conduction par l’épaississement de ses appa- reils, leur développement plus réduit ou augmenté. C'est de cette façon seulement qu'on peut expliquer la différence de structure entre les bois d’une même variété de Poirier greffée comparativement sur Coignassier et sur franc. L'examen histologique des deux bois permettrait de discerner la nature des différences osmotiques dans les deux greffes, si l’on connaissait préalablement l’action de chaque sel sur le Poirier. Comme le bois du Poirier greffé sur franc est plus dense, plus dur et moins cassant que le bois de ce même Poirier greffé sur Coignassier, il faut en conclure que les différences que devrait amener la-diselle d’eau sont victorieusement combattues par l’action des sels amenés par le sujet Coi- gnassier. Examinons maintenant le cas d’une variété À de Poirier qui donne de mauvais résultats sur un sujet C de Coignas- sier, mais qui y réussit si on la grefle sur un Poirier B, préalablement greffé sur Coignassier. 96 L. DANIEL. D'après la théorie précédente, il est clair que les deux bourrelets devraient amener des résultats plus mauvais qu'un seul, puisqu'ils augmentent chacun la valeur de l’iné- galté co > ca, en empêchant successivement la sève brute de pénétrer aussi facilement dans le greffon. La sève brute ne change pas comme qualité à son passage dans les bour- relets, car B est un simple intermédiaire sous ce rapport, puisque les vaisseaux sont des tubes, contournés il est vrai, mais continus. L’absorplion reste en définitive commandée par le greffon, indépendamment de l'intermédiaire sous le rapport de la qualité, mais sous sa dépendance au point de vue de la quantité. : Or, non seulement les mauvais résultats ne sont pas accentués, mais ils disparaissent en partie. Il semblerait done que la théorie soit en défaut. Il n’en est rien cependant. Le résultat meilleur produit par l'intermédiaire B peut tenir à ce que le Coignassier C contient dans sa sève élaborée un produit nuisible au Poirier À, directement ou par réac- üon. Dans la greffe unique, ce produit passera directement par osmose dans le greffon et le fera mourir. Il suffit pour cela que les membranes des cellules de celui-ci soient osmotiques pour la substance considérée. Le même phénomène se produirait si À contient dans sa sève élaborée un produit nuisible à C. Avec la greffe intermédiaire de B sur C, puis de x sur B, le produit nuisible ne peul arriver à À ou à C que par l’in- termédiaire de B. Il suffit, pour qu'il n'ait plus d’action sur À ou sur C, que les cellules libériennes et le parenchyme de B ne soient pas osmoliques pour celte substance. C’est Ia seule explication possible d’un bon résultat obtenu à la suite de surgreffes quand l’on a dans les deux greffes successives l'inégalilé c'o> ca (1). La théorie de ce cas C'o> Ca, commun dans le surgreffage, (1) Dane les greffes intermédiaires réalisant l'inégalité cv < ca, la double sreffe peut amener la réussite plus facile en ot l'arrivée de la sève brute, ainsi qu’on le verra plus loin. LA VARIATION DANS:LA GREFFE. 97 permet encore de comprendre les effets de la greffe répétée sur une même variété. Comme dans le cas précédent, le seul changement pos- sible, c’est le retard plus marqué de la sève brute, puisqu'il s'agit de l'ascension de la sève brute dans des tubes capillaires sous l'influence d’une même poussée osmolique du sujet. Si les reprises successives sont parfaites, elles entraînent une augmentation de la différence c'o>ca. Cette augmenta- tion est plus prononcée encore avec une reprise insuffisante. Les phénomènes produits par la seconde greffe accen- tueront donc les effets de la première. Ainsi s'expliquent la diminution de plus en plus marquée de la taille, de la vigueur et la fructification de plus en plus rapide ainsi que l'épuisement prématuré du greffon, etc. Lorsque l’on surgreffe avec des variétés différentes, pré- sentant les mêmes rapports, les mêmes effets se retrouvent, à moins que l’on ne retombe dans le cas précédent où les sèves élaborées interviennent dans le résultat final. 3° Le greffon et le sujel ont la même taille, mais le sujet a perdu en partie ses facultés d'absorption par le fait de l'âge et de l'adaptation à une autre fonction. — Ce cas peut être réalisé tout aussi bien dans la relation (1) que dans la rela- tion (2). Mais il n’y a pas lieu d’étudier successivement cette variation dans les deux relations, car la théorie de ces cas particuliers ne diffère que par une question de quantité. Supposons que, comme dans les plantes bisannuelles à racines tuberculeuses, la racine, jouant le rôle de magasin de réserve, vienne à perdre en grande partie sa capacilé absorbante. Les conditions dans lesquelles va se trouver la grefte changent dès lors suivant qu’on considère la racine Jeune ou la racine âgée, et l'on comprend alors que la greffe de Lai- tue sur Salsifis puisse réussir avec la racine jeune où la relation c'o> ca est voisine de l'égalité, quand elle échoue ANN, SC. NAT, BOT. VU, 7 98 L. DANIEL. sur racine âgée ayant perdu son pouvoir absorbant où la relation cv>ca augmente en valeur absolue, puisque le greffon ne peut uliliser l’inuline en réserve dans le sujet. La rapidité de la cicatrisation el sa nature jouent un rôle important dans les greffes de ce genre, quand Îles réserves du sujet peuvent être assimilées par le greffon. Que la cicatrisation reste imparfaile ou subisse un retard prolongé, le greffon ne rencontrera plus la somme de chaleur suffisante pour développer son appareil reproducteur dans le cours de l’année de greffe. Il en restera, comme le Sal- sifis sur Scorsonère, à la roselte caractéristique de la pre- mière année de son développement, et s'il ne pourrit pas l'hiver, ce qui est le cas fréquent, il se développera à fleurs l’année suivante. Le greffon bisannuel devient ainsi plur- annuel. Quand la cicatrisalion est suffisamment rapide et que les réserves du sujet peuvent êlre assimilées par le greffon, le manque de capacilé absorbante n'a plus autant d’inconvé- nients, car le greffon se développe à l’aide de ces réserves élrangères comme avec les siennes propres. | Mais, à cause de sa relation finale C'v> Ca, les réserves du sujet sont en moindre quantité que celles habituellement formées par le greffon. Celui-ci devra rester de plus petite taille étant moins nourri : c’esl ce que confirment les expé- riences que J'ai décrites dans la 1° partie À de ce chapitre. En résumé, on peul dire que, dans le milieu parfait, lorsque la greffe sera faite entre plantes de capacités diffé- rentes C'o> Ca, on aura en fin de compte un greffon de laille plus petite que Ÿ, une fruclfication totale plus petite que F, venant au bout d’un temps plus court que f, absolu- ment comme si la plante greffon, à l’élat normal, avait végélé dans un sol sec, passant ainsi du milieu parfait d’ab- sorplion au milieu imparfait. Toutes ces conséquences sont proportionnelles à la valeur absolue de l'inégalité C’v> Ca, et la réussite de la greffe, avec celte relation, n'est possible malériellement que dans LA VARIATION DANS LA GREFFE. 99 l'intervalle compris entre les valeurs extrêmes de l'inégalité qui amènent à la longue la dessiecation du grelfon, ou qui produisent à un moment donné la réplétion aqueuse. Relations (3) et (c). — Les capacités fonctionnelles initiale (c) et finale (3) sont différentes : celles du sujet sont plus grandes que celles du greffon. Ces greffes ne se font guère dans la pratique horticole. Elles ont aujourd’hui une grande importance en agriculture, car c'est le cas de la Vigne française placée sur la Vigne américaine. Mais n'eussent-elles aucune importance pra- tique actuelle, elles n'en seraient pas moins intéressantes en théorie. Dans cette catégorie, les effets du bourrelet, qui se produit comme dans les relations précédentes, pourront s'ajouter à ceux qu'amènera l'insuffisance du greffon ou les com- penser en parlie. Ces effets seront d’aulant plus marqués que le greffon sera plus pelit par rapport au sujet et que par conséquent la greffe sera Le plus près de son début. Dans les plantes semi-herbacées el ligneuses, les effets du bourrelet qui empêche l’eau de pénétrer dans le greffon compenseront en partie les résultats de linégalité C'o < Ca. Mais cette compensation sera temporaire seulement ; les effets produits à la suite de la première année de greffe, avec même un greffon très pelit par rapport au sujet, seront toujours de même dans les années suivantes et l’augmen- tation de taille du greffon ne fera que diminuer progres- sivement celle différence sans l’annuler. La conséquence de cette greffe, c’est d'exposer pendant toute sa durée le sujet à la réplélion aqueuse, et aussi, à un moindre degré, le greffon. Cependant, comme le greffon s'accroît rapidement, beau- coup plus vite que le sujet, celui-ci remplace plus lentement ses poils absorbants, et il se produit une sorte d'équilibre entre l'absorption et l'émission de l’eau, pendant que ie sujet reste baigné par la sève brute. 100 L. DANIEL. Si la mort n'arrive pas par réplétion aqueuse, le sujet reste de plus petite taille qu’à l’ordinaire, tandis que le greffon, s’il n’est pas trop baigné par l’eau du sujet, autre- ment dit si la valeur absolue de l'inégalité c'ou Ca, avec (b) c'v > ca; (3) Cul, avec. (c) cu ca. Relations (1) et (a). — La capacité absorbante maxima Ca du sujet est la même que la capacité maxima C'o du greffon, ainsi que les capacités initiales de début de la greffe. Examinons encore séparément les plantes herbacées el les plantes semi-herbacées ou ligneuses. 1" CATÉGORIE. — Plantes herbacées. — J'ai montré que dans le milieu parfait, avec la greffe ordinaire, le sujel reste gorgé d'eau par l'effet du bourrelet, tandis que le greffon est exposé à la dessiccation. Les conséquences d'une variation dans cette situation anormale sont faciles à prévoir. Toute augmentation d'humidité dans le milieu aérien favorisera le greffon aux dépens du sujet qui pourra plus facilement mourir par réplétion aqueuse et pourriture quand le greffon survivra plus facilement. Toute diminution d'absorption dans le sol favorise le sujel ua détriment du greffon, qui finira par mourir desséché quand le sujet restera vivant. Lorsque la diminution d’absorplion coïncide avec une diminulion de la vaporisation, les circonstances sont plus favorables, mais l'égalité ca = c'o füt-elle attente, grâce à celte combinaison, les deux plantes n'atteindraient point leur taille normale, puisqu'elles fonctionneraient chacune avec des capacités inférieures à leurs capacités maxima. Ces considérations expliquent les variations de laille des greffons d'une même espèce, la non-réussite de certaines greffes dans des années sèches ou humides, quand elles 104 | L. DANIEL. réussissent lorsque les conditions climatériques sont diffé- rentes, et pourquoi les greffons seuls meurent par dessicca- tion quand le sujel est bien vivant (1), ou inversement le sujet pourrit quand le greffon reste bien portant. D'une facon générale, on peut donc conclure que la greffe des plantes herbacées, en milieu imparfait comme en milieu parfait, a toujours pour conséquences d'amener des trou- bles dans la nutrition générale,qui oscillent entre la réplétion aqueuse du sujetet la dessiccation du greffon, et cela qu'il s'agisse de la greffe d’une plante sur elle-même ou de plantes différentes. Ces troubles dépendent non seulement des relations ‘initiale et finale entre les capacités fonctionnelles du sujet et du greffon, mais ils sont sous la dépendance très étroite des conditions de sol et d’atmosphère. Cette dépendance et la situation différente dans hd se trouvent les deux plantes amènent à cetle conclusion pra- tique très importante : Il ne faut jamais, dans les plantes herbacées, traiter de la même manière le sujet et le greffon quand on est obligé de recourir à la culture sous verre ; ce qui favorise le fonction- nement de l’un nuit au fonctionnement de l’autre. Un pareil traitement n'aurait sa raison d’être que si l’on voulait, dans un but expérimental ou dans le dessein d’ob- tenir des variétés .nouvelles, placer le sujet et le greffon dans les conditions biologiques les plus anormales. Mais il faut bien se persuader que toutes les varialions ainsi pro- duites conduiront à une diminution de la taille T et de la fructification de l’espèce ou de la variété choisie comme greffon (obtention directe du nanisme par la greffe). 2° CATÉGORIE. — Plantes semi-herbacees ou ligneuses. — (1) J'ai pu, cette année 1898, après une sécheresse prolongée, constater dans les Rosiers la mort du greffon quand le sujet, resté vivant, poussait des branches de remplacement, Dans le Pommier, par exemple, tout meurt, parce que le sujet n’a point, au même degré que le Rosier, la faculté d’é- mettre des bourgeons de remplacement. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 105 On voit de suite que, dans ce cas spécial où l'absorption et l'émission de l’eau s’équilibrent, et où les effets du bourrelet disparaissent assez vile, les variations de c« et de c'o sous l'influence des changements des milieux, air ou sol, se ramènent absolument à celles des variations du cas y de la plante normale vivant en milieu variable. Ce cas, très rare évidemment, n'offre donc que peu d’in- térêt, et 1l ny a pas lieu de s’v arrêter davantage. Relations (2) et{b).— Les capacités maxima Ca et C'o sont différentes et l’on a Cv > Ca. Ce cas, le plus compliqué de tous, est, comme je l’ai déjà dit, celui qui est le plus souvent réalisé dans les arbres frui- tiers. L'étude des variations d’un sujet et d’un greffon, offrant ces relations dans un milieu variable, est des plus impor- tantes, car ces variations auront pour effet de compliquer encore les effets déjà compliqués qui ont été exposés à l'étude du même cas en milieu parfait. . Ici, j'examinerai séparément encore les greffes herbacées et les greffes ligneuses. 1" CATÉGORIE. — Gréffes herbacées. — Les effets du bour- relet restent les mêmes que dans les cas précédemment étudiés. À cause du peu d'activité des couches génératrices, ce bourrelet ne sera pas beaucoup accentué par l'inégalité C'o > Ca. | Mais les conséquences de cette inégalilé changeront les conditions de vie du greffon beaucoup plus que dans le milieu parfait, et elles seront différentes suivant que le sol varie, ou le milieu aérien, ou les deux milieux à la fois. La diminution de Ca cause ici la mort plus rapide du greffon, puisque celui-ci est déjà privé d'eau par Île bourrelet. La dessiccation du greffon sera d'autant plus rapide, que la valeur absolue de l'inégalité du moment cv > ca est plus prononcée. C’est le cas d’un certain nombre de greffes herbacées dont le greffon meurt, le sujet restant 106 L. DANIEL. vivant, ou dont la taille reste beaucoup plus pelite si l’asso- ciation est placée dans un sol sec : Haricots de Soissons sur Haricots nains cultivés en sols plus ou moins humides, plus ou moins riches, elc. Si C'v seule diminue, le greffon en profite sans que le sujet en souffre, jusqu’à ce que la réplétion aqueuse arrive. Celle réplélion aqueuse arrive plus vile que dans le milieu par- fait, mais moins vile que dans le cas d'égalité des fonctions, comme dans la greffe de la plante sur elle-même. La pour- riture du sujet n’est plus ici, comme la dessiccation du greffon, fonction de l'inégalité c'o > ca. Il y a lieu, bien entendu, de faire les mêmes remarques que dans les relations (a) et (1) au point de vue de la com- pensation relative ou de l’exagéralion de ces phénomènes par une variation simultanée concordante ou discordante. Il faut aussi tenir compte des variations causées par l’osmose différente des sels qui arrivent au greffon. 2° CarTÉGORIE. — Greffes semi-herbacées ou ligneuses. — Il faut considérer encore séparément : 1° les greffes où le sujet et le greffon sont de même taille; 2° celles où le greffon est plus petit que le sujet au début de l'opération. 1° Le sujet et le greffon s'équivalent comme taille. — Dans ces sortes de greffes seulement existe au début la relation (4) c'o> ca. Le bourrelet ne saurait ici disparaître, puisque les deux plantes diffèrent comme capacités; au contraire, il augmentera avec l’âge, et ses dimensions seront en rapport avec l’activilé respective des couches génératrices des deux plantes et la valeur absolue de l'inégalité du moment c’v> c'a. D'ailleurs, les effets de ce bourrelel vont concorder avec ceux de l'inégalité fonclionnelle pour amener les mêmes résultats, c’est-à-dire la diminution de l’arrivée de l’eau dans le greffon. Dans ces conditions, la taille finale et la fructifi- cation sont fonctions du bourrelet et de l'inégalité, comme 1e l'ai démontré pour le milieu parfait. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 107 Mais, dans le milieu imparfait, ces relations vont, en plus, être influencées par les changements de milieux. Tout ce qui augmentera la valeur de l'inégalité du mo- ment c'o > ca augmentera les réaclions produites; tout ce qui la diminuera allénuera ces mêmes effets. Ainsi, lorsque le sol devient moins riche et plus sec, par exemple, le greffon souffre d'autant plus, fructifie moins et vit moins longtemps. J'ai très fréquemment observé ce cas. Mes greffes de Choux de Mortagne sur Choux nantais, faites en terre forle, réussissent mieux que dans un terrain sec; leur taille relative est plus élevée, leur vigueur relative plus grande, et ces effets sont plus accen- lués que sur les variétés cullivées comme témoins. Cette influence du terrain permet de comprendre pourquoi le Pècher greffé sur Prunier vit plus longtemps quand il est placé dans un sol humide. Quand c’est seulement le milieu air qui varie et devient plus humide, la dessiccation du greffon est moins à craindre, car les effels de l'inégalité c'o> ca du moment diminuent. Ainsi s'expliquent la vie plus longue de certaines plantes greflées placées dans des climats plus humides, et les chan- gements de taille, de nature des produits du greffon (1) qui correspondent à la variation du milieu aérien. Les différences qui en résultent dans la concentration de la sève élaborée expliquent en partie la saveur moindre des fruits, la fructification moins abondante, la pousse à bois plus marquée dans les années humides d’un même cli- mat, elc. (1) La nature des réserves et leur quantité varient en effet suivant les conditions atmosphériques et le contenu des sèves. Quand l’eau arrive en moindre abondance dans le greffon et que l’air est sec, la pression osmotique augmente dans les cellules du greffon et cela d’autant plus vite que les ma- tières solubles s’y forment plus rapidement. Cette pression ne peut devenir trop élevée, sans quoi elle compromettrait la vie de la cellule. Elle est abaissée par formation de saccharose aux dépens du glucose : c’est ainsi que mes Navels greffés sur Choux sont devenus plus sucrés. La richesse plus grande en sucre des poires greffées sur Coignassier est un fait de même ordre, en étroite relation avec l’arrivée moindre de la sève brute par le sujet Coignassier que par le sujet franc de pied. 108 | L. DANIEL. Si les deux variations existent à la fois, les phénomènes qu'elles produisent sont intermédiaires entre les précédents et peuvent se compenser en partie. Ces considérations permettent de comprendre la raison de quelques faits couramment observés dans la pratique. Le Poirier greffé sur frane, dont la capacité d’absorp- Lion C’a est plus grande que celle du Coignassier Ca, vit plus longtemps sur franc et s’y développe finalement avec plus de vigueur que sur Coignassier, et 1l résiste mieux aux varia- tions de milieu et aux parasiles, toutes conditions égales d'ailleurs. De là le bien fondé de la pratique qui, en sol riche, prescrit de greffer le Poirier sur Coignassier; en sol pauvre ou sec, recommande de le greffer sur franc. Les mêmes principes sont appliqués au Pêcher que l’on cultive, suivant les sols, greffé sur Amandier ou sur Prunier. La pratique est ici absolument d'accord avec la théorie; mais elle ne le serait plus si l’arboriculteur taillait wni/ormé- ment la même variété de Poirier, espérant ainsi obtenir dans tous les cas cet équilibre parfait entre la production et la vigueur qu'il recherche avant tout. En effet, cet équilibre ne peut être atteint qu'à la condi- lion de connaître les trois causes qui peuvent le faire varier : la valeur de l’inégalité Co > Ca, l’état du sol, la nature du climat. Or, cetterecherche n’a jamais eu pour base la discus- sion de l'inégalité C’v > Ca el la théorie complète de ce cas de greffe ; elle est restée exclusivement empirique, el pour cause. Comme les effets observés dans une même greffe sont éminemment variables avec les trois facteurs considérés, et amènent parfois des résultats contradictoires suivant leurs relations, on conçoit que chaque praticien puisse avoir sa manière de tailler personnelle et qu’il se soit fait une sorte d’arboriculture à lui, en rapport avec le coin de terre où il opère et la nature de son climat. Tout cela serait bien s'il se LA VARIATION DANS LA GREFFE. 109 contentait de cette application locale, mais combien ont voulu généraliser ! Toutes ces divergences cesseront le jour où l’on basera les théories de la conduite des arbres fruitiers, non seule- ment sur la réparlition des sèves dans un arbre normal, comme on l’a toujours fait, mais encore sur la théorie de la greffe, en cherchant à déterminer préalablement et d’une façon précise les facteurs que je viens d'indiquer : rapports fonctionnels du sujet et du greffon et leurs variations suivant la nature du sol et du climat. Toule théorie qui ne s’appuiera pas sur ces données fondamentales restera empirique et ne sera pas générale. 2° Le sujet et le greffon sont de taille inégale au début de la gréffe. — Le raisonnement qui a servi pour le milieu parfait s'applique également ici. Mais il reste à indiquer les variations qui seront causées par les changements de mi- lieux. J'ai montré que, par le fait même de la petite taille du greffon par rapport à celle du sujet (greffe en fente du Pom- mier à cidre, par exemple), l'inégalité de début c'o > ca change de sens el devient c'o < ca. Lorsque la variation porte sur le milieu aérien, elle est toujours nuisible, et cela jusqu'à ce que, par suite de la croissance, le greffon ait acquis une taille telle que, dans les conditions du moment, l'inégalité co > ca vienne à s'établir. | Quand l'absorption devient moindre, la variation est au contraire avantageuse pourvu qu'elle ne ramène pas, par une diminulion exagérée, l'inégalité co c'a, en représentant les capacités fonclionnelles du moment par CONCURENE Voilà comment les choses devraient se passer s1 la cica- trisation du début était parfaite, el ne jouait par elle-même aucun rôle défavorable. Mais, très souvent, par suile de la taille plus élevée du sujet et de l’étendue de la cicatrice, 1l 110 L. DANIEL. n'en est pas ainsi. Les cellules bordant la plaie perdent leur tension et meurent jusqu'à une profondeur variable avec les conditions où elles se trouvent ; la sève brute n’y arrive plus et prend la direction des veux voisins qui préexistent sur le sujet ou s’y développent adventivement ; toute la région située au-dessus se dessèche et nuit au rétablissement de la circulation des sèves ; si l’on a supprimé les bourgeons d'appel, ces effets seront très nuisibles au développement régulier du greffon, gêné déjà dans son accroissement par une émission d'eau insuffisante. L’absorption se ralentit avec le retard de croissance subi par le sujet. Et si l’on supprime les bourgeons et que le mi- lieu devienne sec à ce moment, le greffon mal soudé encore est exposé à se dessécher parce que l'inégalité très marquée c'o Ca el c'o > ca, je dirai que l’on a toujours, en milieu imparfait plus encore qu’en milieu parfait, en représentant par 7 et 7’ les résistances propres du sujel et du greffon dans l'association : Une taille du greffon © Ca el la greffe du Coignassier sur Poirier réalise le cas inverse Co < C'a On voit de suite que l'absorption initiale sera bien diffé- rente dans les deux cas, ainsi que l’osmose. Le greffon Coi- gnassier commande l’absorption d’un sujet plus riche en sève qui reste pléthorique et amène fatalement la réplétion aqueuse du greffon; de là l’insuccès final. Dans la grelle inverse, le greffon est exposé à la dessiccation. Done, il suffirait, pour expliquer la différence des résultats, d'admettre que la résistance R du Coignassier vis-à-vis de la pléthore aqueuse füt trop faible dans notre climat pour permettre la réussite de sa greffe sur Poirier, et que la résistance R’ du Poirier à la dessiccation fût au contraire suffisante pour ne pas trop souffrir de la relation Co > Ca où il est placé par sa greffe sur Coignassier. Admetlons que le Poirier soit osmotique pour telle substance nuisible au Coignassier (el que celui-ci reçoit forcément après la greffe quand il ne l’absorbait pas directe- ment dans le sol par l'intermédiaire de ses racines, à cause d’une différence de propriétés osmoliques des membranes), ce sera une autre cause d’'insuccès. D'une façon générale, soient deux plantes A et B ayant des coelficients de résistance R et R° pour la sécheresse, ! r' etr pour l'humidité. A Dans la greffe de À sur B ei abstraction des diffé- rences d’osmose amenant un empoisonnement, l'opération réussira si les variations de nutrition générale, quelle qu’en soit l'origine, ne dépassent pas dans le milieu donné M les LA VARIATION DANS LA GREFFE. 119 valeurs absolues R et 7, R'et >" du greffon et du sujet. B te. Dans la greffe inverse de B sur À a l'association se maintiendra de même si les variations de nulrition générale ne dépassent pas les mêmes limites dans le milieu M. Or, cela n’est possible qu’à la condition que la nutrition générale de À se rapproche suffisamment de celle de B et qué le milieu M varie dans le sens favorable au maintien convenable des résistances R et 7, R' et 7”. Les variations de M, si À et B diffèrent comme nutrition, produisent donc un effet différent suivant qu'il s’agit de la greffe . ou de la greffe 7 On conçoit que les limites R et >, R' et 7’ puissent se trouver dépassées dans un cas el non dans Pautre ; ainsi se comprend une anomalie que le principe de la parenté est impuissant à expliquer. Que les résultats observés dépendent beaucoup du mi- lieu M, c'est encore tout naturel, et la théorie précédente a pour corollaire l'influence du milieu sur la réussite des greffes, influence constatée depuis longtemps par les Anciens, et dont on n’avail pu donner une explicalion satisfaisante (1). Variations des relations du sujet et du greffon sous l'influence des diastases différentes. — Il peut arriver que les relations que je viens d'étudier se compliquent encore à la suite de l’action différente des diastases spéciales du sujet et du greffon. On dit vulgairement, dans ce cas, que les deux plantes entrent en sève à des époques différentes. Que va-t-il résulter de l'introduction de ce facteur nouveau ? _ Soient E l’époque d'entrée en sève du greflon; D, la durée de sa période printanière de vie active; d, la durée de sa période estivale de vie active. Soient E, D' et d’ les valeurs correspondantes pour le sujet. (1) Carrière, Influence du milieu sur la réussite des greffes (Rev. hort. 188#). 120 L. DANIEL. Supposons E plus précoce que EE’. Il peut arriver que D = D'et d— 471 {C'est ce cas, le plus simple "qual faut étudier d’abord. Soit une greffe en fente, par exemple, effectuée au début du printemps comme celle du Pommier. Le greffon entre en sève à son époque accoutumée E, mais comme Île sujet n'entre en sève qu à l’époque E’, le greffon reste exposé à la dessiccalion pendant la période E-E’, quand bien même seraient réunies par ailleurs toutes les conditions nécessaires au bon fonctionnement de la symbiose. Ce greffon périra si la différence E-E° vient à dépasser une cerlaine valeur variable suivant les plantes et suivant les conditions du milieu aérien. I souffrira simplement si celte différence est comprise entre o et la valeur précédente. Péndant celte période E-E’, le greffon est donc placé dans les plus mauvaises conditions des relations (2) et (4) s’il est à feuilles persistantes, conditions moins défavorables s'il est à feuilles caduques. C’est une des raisons pour les- quelles on ne peut greffer les arbres à feuilles persistantes que pendant la période de vie aclive. ; Lorsque le sujet arrive à l’époque E’, ses conditions vitales s’harmonisent ou non avec celles du greffon suivant que les relations initiales rentrent dans tel ou tel des cas que j'ai précédemment décrits. Une nouvelle variation apparaît à la fin de D jusqu’à D”, puis une autre à la fin de d'jusqu à d'; mais ces variations qui durent à chaque fois un temps E-E” sont en sens inverse de la première. L'association se trouve alors dans les condi- lions des relaüons (3)et (c), et la pléthore aqueuse du sujet se manifestera de la même façon, si l’on supprime les bour-- geons de remplacement. L'année suivante, les mêmes phénomènes se reproduisent au grand préjudice du développement du greffon qui se trouve abrégé de trois fois le temps E-E’, el ainsi de suite. Ainsi s'explique la tendance si marquée à l’affranchis- sement que l’on observe dans ce cas dans les deux plantes LA VARIATION DANS LA GREFFE. 121 quand on les abandonne à elles-mêmes dans un milieu favorable. Supposons E plus précoce que E. C'est le sujet qui fonc- tionne le premier et produit au début {a réplélion aqueuse [relations (3) et (c)]; viennent ensuite deux périodes de dessiccation [relations (2) et (4)| égales comme la pre- mière en durée à E’-Æ. De là une même abrévialion du développement et une même tendance à l’affranchisse- ment. Si maintenant on examine le cas où D + det D'+ d' sont des périodes inégales, on verra facilement que, suivant le sens des inégalités, elles pourront ajouter leurs effets aux précédents ou les réduire au moment du passage à l’état de vie ralentie, à la fin de la sève de printemps ou à la fin de la sève d'automne. On comprend ainsi que la croissance du greffon puisse êlre différente de ce qu'elle serait dans une greffe normale et donner par exemple des pousses plus vigoureuses à la sève d'août qu'à la sève de printemps ou inversement, abstraction faite des autres causes de variation dans l’arrivée des sèves (variations atmosphériques, varia- \ lions de capacités fonclionnelles, etc.). Cette étude permet de comprendre pourquoi, comme l'a remarqué Sageret, quelques greffes faibles, qui doivent leur faiblesse au peu de rapport des sèves, meurent parfois quand on raccourcit le greffon. Il est clair qu'une semblable taille peut avoir pour consé- quences une pléthore aqueuse plus grande du sujet. L'opé- ration serail ulile si elle était pratiquée au moment où le greffon manque d’eau par insuffisance d'absorption du sujel peu en sève. Or, cette période est relativement courte par rapport à l’autre dans les greffes dont le sujet a une capacité C« plus pelite que la capacité C’v du greflon. 192 L. DANIEL. Plus la différence C'» < Ca est grande en valeur absolue, plus le raccourcissement est nuisible. Mais iln'en est pas de même si sujet et greffon présentent la relation Co > Ca, car alors la taille courte s’oppose à la dessiccalion. Ainsi donc l'observation de Sageret n’est pas générale, et la taille d'un greffon ne concordant pas comme sèves avec son sujet a besoin, plus encore que la taille des arbres greffés avec concordance, d'être raisonnée d’après les Ca dance des sèves à trois époques différentes chaque année. rapports et les variations spéciales qu'amène la discor- 2° Cas. — Les plantes greflées n’attergnent pas, dans leur milieu naturel, leur taille maxima © et 1”. Ici, je considérerai successivement les variations de taille el les varialions de résistance. 4. Augmentation de taille sous l'influence de la greffe. — Jusqu'ici j'ai supposé, dans presque tous les cas, que la plante sujet pouvait atteindre, dans le milieu consi- déré, sa taille maxima T’, et le greffon sa taille maxima T. Supposons maintenant qu'il n’en soit pas ainsi pour des raisons de nutrition générale insuffisante (Voy. p. 73). Le sujet fonclionnera avec une capacité maxima Æa < Ca dans le milieu considéré, quand 1l possédera son appareil absorbant complet; de même le greffon fonctionnera avec une capacité maxima À» < C'v, celle-ci étant la capacité du milieu parfait. Or, si l’on se reporte à la discussion des variations des relations (2) et (3) des greffes siluées en milieu imparfait et variable, on voit qu’il arrive que l'absorption est insuffisante quand on a X’v > Ka el inversement que la vaporisation est insuffisante quand on à Àv < Ka. Dans ces conditions, l’absorptior et la vaporisationn'ayant LA VARIATION DANS LA GREFFE. 123 pas atteint leur valeur maxima, ces quantités sont suscep- libles d'augmenter jusqu’à ce qu'elles l’aient atteinte. L'absorption Xa pourra donc se changer en absorption Ca sous l'influence d’un grelfon dont l’activité est plus grande que celle de l'appareil assimilateur propre du sujet dans les conditions biologiques où il se trouve habituellement. Si donc le greffon est mieux organisé pour lutter contre le milieu défavorable, ou mieux adapté, le sujet se développera plus sous son influence que s'il n’était pas greffé. C’est ainsi que s'explique le développement exagéré de l'appareil absorbant de l’Alliaire greffée avec un Chou entier, vigoureux, de taille bien supérieure à la sienne, quand ce même appareil reste normal avec un bourgeon à fleurs du mème Chou, qui possède une capacilé fonctionnelle limitée, inférieure de beaucoup à celle du Chou tout entier. L'influence inverse se comprend tout aussi facilement. Un greffon de capacilé fonctionnelle Æ’v prend un développe- ment © avec son appareil absorbant Ka. Mais si, dans le même milieu M, on le place par la greffe sur une plante qui lui fournit une absorption supérieure voisine de Ca ou égale, il pourra atteindre une taille T plus grande que 6. Ainsi peut se comprendre le développement plus marqué d’un bourgeon à fleurs de Chou-rave greffé sur jeune Chou de Morlagne, l'augmentation de vigueur de la Carotte sau- vage greffée sur la Carotte rouge, etc. De même, on se rend comple que les deux cas puissent se combiner et produire à la fois une augmentation de taille dans le sujet et le greffon. C’est le cas de lAlisier grelté sur Épine blanche où le sujet et le greffon acquièrent chacun une taille supérieure aux francs de leur espèce. Cette augmentation de taille sous l'influence d'un chan- gement dans les appareils de nutrition des plantes greffées, qui se retrouve à la fois dans certains végétaux ligneux et dans certains végélaux herbacés, pouvant avoir un intérêt CE. immédiat dans le cas des légumes, on comprendra que j'aie 124 L. DANIEL. cherché à faire grossir quelques-uns d’entre eux par ce moyen. Pour cela, il fallait chercher expérimentalement quelles sont les plantes qui n'atteignent pas sous notre climat leurs capacilés fonctionnelles, et qui, greffées sur d’autres à capa- cités fonctionnelles absorbante ou assimilatrice plus élevées, pourraient ainsi prendre un volume plus considérable. Bien que l'expérience n'ait pas été favorable pour les Choux par exemple, les essais relatifs à l'absorption ne doivent pas être abandonnés. Les cas d'augmentation de volume à la suile d’une absorption plus élevée sont évidem- ment rares; c’est ce que prouvent seulement ces résultats négalifs, mais ils ne veulent pas dire qu'il en est de même pour tous les légumes. Il est possible aussi qu'en fournissant à un Chou, muni de deux appareils absorbants après la greffe, une nourriture suffisante pour que les deux appa- retls puissent fonctionner chacun avec leur capacilé fonc- tionnelle maxima, on arrive à le faire grossir, quand :1l reste au contraire plus petit (fig. 2, PL VIT), si les appa- reils absorbants sont situés en sol ordinaire, où ils se trou- vent fatalement irès rapprochés el se gènent mutuellement. Je n'ai pas encore terminé mes essais relatifs à l’augmen- tation de la capacité assimilatrice Aa dans le cas de greffe Co ICa. La théorie fait prévoir que l'on peut ainsi augmenter le volume du greffon. | On sait que le moyen le plus simple d'augmenter Xa, c'est d’accentuer l’éclairement : c'est ce qui ressort bien netlement des observations de M. Marié-Davy, à l'observa- toire de Montsouris, et de celles elfectuées séparément par MM. Dufour et Géneau de Lamarhère aux laboratoires de la Sorbonne et de Fontainebleau (1) e \ / La production végétale étant proportionnelle à la quan- (1) Cf. Dufour, Influence ce la lumière sur la forme et la structure des feuilles. Paris, 1887. — Géneau de Lamarlière, fiecherches morphologiques sur la famille des Ombelliféres. Lille, 1893. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 129 tilé totale de radiations solaires dont la plante à pu profiter, on verra immédiatement que les tailles normales T et T' du grefon et du sujet ne peuvent être atteintes que si les relations [ D = permettent non seulement de compenser le retard et la perte dans l’'emmagasinage des radialions solaires causés par l'opération, mais encore à les dépasser. La mise à une lumière vive des plantes greffées est le moyen {out indiqué pour les faire assimiler plus vite el aug- menter leur croissance lorsque Co ne dépasse pas Ca. Si au contraire la greffe réalise l'inégalité Co > Ca, l'augmenta- üon de la radiation pourrait produire l'effet contraire et diminuer la taille, toutes choses étant égales d’ailleurs. 2. Variations de résistance au froid, aux parasites, etc. — [l me resie à envisager ici une dernière question où la nutrition générale des deux plantes greflées peut jouer un rôle considérable : c’est celle de la résistance au froid. On sait qu'une plante placée en sol sec résiste mieux au _ froid que lorsqu'elle vit en sol humide; qu'une plante aoûtée, à Lissus bien développés, est moins sensible qu'une plante à tissus peu différenciés; qu’un végétal fortement raciné résiste mieux qu'un végétal à racines faibles el peu développées. Ceci posé, je vais examiner quelle sera l'influence du gref- fage sous ce rapport. Les variations dans l’arrivée de la sève brute ont une importance capitale el par conséquent les rapports Hs ainsi que les différences d'entrée en végélalion et de passage à l'état de vie ralentie. Si, grâce à un sujet en état de pléthore aqueuse, le greffon a pendant l'hiver ses tissus imbibés d'eau, 1l est clair que les effels des gelées seront d'autant plus désastreux que l’eau sera plus abondante dans les tissus. Ce sera l'in- verse dans le cas contraire où le greffon est placé sur un sujet moins riche en eau. 126 L. DANIEL. L'aoûlement des tissus est d’ailleurs plus rapide et plus parfail si la sève brute est moins abondante. Les conditions de la relation C’» > Ca sont donc très favorables, et cela d'autant plus que les froids débutent plus rapidement et sont plus intenses. C’est l'inverse évidemment dans le cas où la greffe donne lieu à la relation C'o < Ca. L'aoûtement sera plus rapide encore si le sujet entre en végétalion de meilleure heure que le greffon et si son passage à l’état de vie ralentie se fail plus tôt. Les différences entre E et E, D et D’, d'et d', étudiées page 119, sont donc elles-mêmes {rès imporlantes à consi- dérer à cet égard, puisqu'elles commandent l’arrivée de la sève brute dans les deux plantes. Enfin, il est clair que si le greffon, abstraction faile des variations spéciales que je viens de signaler, est placé sur un sujet qui lui permet de fonctionner avec sa capacité maxima Ca, il sera d'autant plus vigoureux et d'autant plus résistant vis-à-vis du milieu et des parasites. Quant au sujel, il peut lui-même acquérir une résistance plus grande dans le cas où, par suile de l'inégalité Xv > Ka, ses racines arrivent à prendre le développement maxima T' qu'elles ne pourraient prendre, sans la greffe, dans le climat considéré. S FH es Application de la théorie de la greïfe à la culture du Pommier. Je terminerai cetle partie de mon travail par quelques considérations utilitaires. Que faut-il penser du procédé qui consiste, pour accé- lérer la production, à greffer à outrance le Pommier et le Poirier en grande cullure comme en horticulture, bien que l’agriculleur cherche à la fois la quantité el Ta qualité (fruits de pressoir), quand l’horliculteur sacrifie la quantité à la qua- lité (fruits de lable) ? LA VARIATION DANS LA GREFFE. 127 Le rôle idéal du greffeur serait d'amener l'arbre fruitier à fructifier dans un délai minimum en lui conservant sa fructification maximum F, somme des fructifications par- telles f, 7, fo... Jaus fa. La théorie que je viens d'établir montre que si l'on avance la fruclificalion par la greffe, sa valeur totale F diminue. Il y a donc antagonisme. Il reste à savoir s'il v à vraiment intérêt à amener par la greffe C’o > Ca, la fructification plus rapide f + f + f,...,en sacrifiant les termes /,, + /,, + /,, puisque la greffe avance la mort de la plante, où bien s’il est préférable de grefter avec concordance parfaite ou mieux de ne pas greffer du tout en cullivant des francs convenables. Pour s’en rendre compte, il est nécessaire de rappeler, d’après Lawson et beaucoup d’autres auteurs, qu'un Pom- mier greffé vit pendant soixante à soixante-dix ans au plus, et fructifie par conséquent pendant cinquante à soixante ans, tandis que le franc vit jusqu'à trois cents ans et peut fruclifier pendant deux cent cinquante ans environ. De plus, on ne peut cultiver un Pommier à la place d’un Pommier adulle sans remplacer entièrement le sol qu'il occupait. La réussite de l'arbre est à ce prix lant que l'on ne connaîtra pas exactement la nature des éléments enlevés au sol par l'arbre disparu. Cette connaissance peut seule per- metlre, en effet, de faire une fumure raisonnée. L'emploi de la greffe en agriculture ne sera avantageux que si les fructifications successives des divers arbres gref- fés occupant le terrain pendant un temps égal à la vie du franc sont supérieures en qualité et quantité à la fructifica- tion totale de ce franc, et si le prix des engrais employés, des arbres remplacés, du travail effectué, elc., ne dépasse pas la plus-value obtenue par la greffe. La théorie démontre facilement qu'il n'en saurait être ainsi. Les chiffres que j'ai donnés établissent qu'il faut quatre greffes parfailes pour équivaloir en durée à l'arbre franc de pied. Ces quatre greffes rapporteront pendant un temps sensiblement égal à celui pendant lequel le franc 128 L. DANIEL. sera en pleine production. Mais leur taille reste pendant assez longtemps bien plus pelite, puisqu'il y a quatre pt- riodes de croissance au lieu d'une ; il en résulte que leurs quatre frucbficalions totales ®, + ®, +4, +, ne sau- raient égaler la fructification F du france. Donc, dans les conditions les plus favorables, sans tenir comple du travail effectué, de l'achat des arbres, des para- sites, de l’action plus nuisible des variations climatériques et de l'épuisement du sol, l'opération de la greffe est désavan- tageuse en grande culture par comparaison avec la culture directe du franc. Ce serait bien pis encore si l’on était obligé, faute de terres neuves, de planter dans un sol usé déjà par de pré- cédentes cullures de Pommiers. Si l’on ne connaissait pas les fumures nécessaires pour rendre au sol ce que les arbres précédents auraient enlevé, on ne pourrait plus cultiver le Pommier dans ce sol. Cela est à craindre avec le temps dans nos régions de l'Ouest où l’on plante à outrance, dans toutes les fermes et presque dans tous les champs, sans se préoccuper de lave- nir. Les lignes de Pommiers sont assez rapprochées pour que les racines épuisent le sol en Lous sens; on ne se préoc- cupe pas assez d’espacer les ligues pour qu'il reste de la terre neuve en quantité suffisante pour permettre une plantalion de remplacement. Chaque ferme se transforme ainsi pro- gressivement en un vaste verger d'arbres grelfés, exposés à toutes les maladies qu'entraîne un greffage souvent défec- tueux, et voués à une disparition rapide. Comment les rem- placer plus tard si le sol est épuisé? Avec le franc, l'épuisement du sol a bien lieu aussi, mais comme le franc dure quatre fois plus longtemps que l’arbre oreffé, la question de son remplacement vient aussi quatre fois moins vite et l’on peut plus facilement établir une alter- nance de cultures. La conclusion pratique est la suivante : plantons modé- rément, espacons suffisamment les lignes et plantons plus LA VARIATION DANS LA GREFFE. 129 souvent des arbres francs de pied. Greffons seulement, et avec parfaite concordance, ceux qui fournissent de mauvais fruits ; il est toujours facile de les reconnaîlre. En cela, la théorie que je viens d’élablir est parfaitement d'accord avec les observations pratiques des vieux auteurs des xvu° et xvin siècles; elle justifie l’adage normand : « Celui qui greffe travaille pour lui, mais celui qui plante des arbres francs de pied travaille pour ses enfants. » Il est évident que ces observations s'appliquent à la grande cullure, au Pommier à cidre. Bien entendu, je ne veux pas dire qu'il faut proscrire la greffe, qui permet de propager les bonnes variétés qui ne se bouturent pas ou rapportent peu bouturées ; j'entends seulement qu'il faut en user plus modérément, et ne pas remplacer sottement une variété qui peut être excellente non greffée par une variété parfois moins bonne, durant moins et donnant des récoltes plus faibles, comme on le fait en greffant tous les arbres sans exception. Que l’horticulteur, qui opère en petit, et ne se préoc- cupe en général que de la qualité, use et abuse de la grefle pour obtenir plus vite des fruits meilleurs, cela peut se com- prendre. Il peut d’ailleurs facilement changer de place ses cultures ou remplacer le sol. Par conséquent, les observa- tions précédentes ne lui sont pas applicables au même degré. Une deuxième question pratique importante, c'est celle de la surgreffe du Pommier à cidre, parfois employée dans l'élevage de cet arbre, surtout par les pépimiéristes. Ce que je viens de dire au sujet des résullats de la greffe du Pommier et la théorie que j'ai donnée de cette opé- ration page 111, montrent que la surgreffe doit être bannie dans l’élevage du Pommier. Elle fait doublement l'affaire du pépiniériste, car par ce moyen on obtient des Jeunes arbres qui atteignent plus rapidement leur valeur marchande, mais qui, surgreffés, dureront d'autant moins longtemps et de- vront être plus vite remplacés. ANN. SC. NAT. BOT. vit, 9 130 L. DANIEL. Donc l’agriculteur, dont les intérêts sont, sous ce der- nier rapport, en opposition directe avec ceux du pépinié- riste, a toul intérêt à n'employer que des francs non greffés ou greffés simplement avec la variété définitive (1), sans variélé intermédiaire. $ IV. — Conclusions. En résumé, si l’on a bien suivi les raisonnements précé- dents, il me semble que les variations de nutrition géné- rale consécutives à la greffe et leurs conséquences se com- prendront sans trop de difficullés. La théorie que je viens d'exposer suffit à expliquer tous les cas, quelques compli- qués qu’ils paraissent au premier abord (2). La nutrition générale du greffon et du sujet est modifiée par deux causes, agissant simullanément, dans le même sens ou en sens contraire; ce sont : 1° Le bourrelet cicatriciel consécutif à l'oper alion ; 2° Les différences entre les capacités D propres du sujet et du greffon (Structure différente, diastases spé- ciales, différences de composition entre les sèves brutes ou les sèves élaborées, etc.). Les phénomènes produits, non seulement dépendent de la nature des plantes, mais sont sous l’étroite dépendance du milieu, et ils peuvent s'exercer dans un sens différent sui- vant les variations de ce milieu. Ces deux causes, modifiant le plus souvent la résistance des deux plantes en sens défavorable dans la greffe ordi- naire, sont la raison de l’affaque plus vive des parasites vis-à-vis des plantes greflées; c’est aussi à elles qu'est due (1) C’est la seule réponse que l’on doive faire à la question posée à ce sujet par l’Association française pomologique lors du Congrès du Mans en octobre 1898. (2) J'avais déjà émis l’idée, d’une façon sommaire, dans ma note Sur la greffe des parties souterraines des plantes (G. R., 21 sept. 1891), que la réus- site de la greffe dépend des rapports de nutrition générale du sujet et du greffon beaucoup plus que de la parenté. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 151 l'action plus prononcée des changements de milieu sur ces plantes. La connaissance approfondie des variations de nutrition générale et du climat fournit la clef des opérations de l'ar- boriculture, opérations qui ne peuvent se raisonner d’une façon vraiment complète qu’en s'appuyant sur la théorie de la grefle. Celte connaissance peut seule permettre au greffeur et à l’horticulleur d'obtenir sûrement le résultat qu'ils recherchent. C'est en effet la théorie précédente qui montre dans quelles limites la greffe peut êlre utilisée pour obtenir une mise à fruit plus rapide, une diminution ou une augmenta- ton de taille de l'appareil végétatif où du fruit, un chan- gement de saveur, elc.; comment on doit choisir les greffons et les sujets pour obtenir sûrement ces résultats, etc. Elle fait voir comment la plante greffée paraît excep- tionnellement acquérir une résistance plus grande aux para- sites dans certains cas parliculiers (Phylloxéra) ; comment elle peut résister dans des sols qui lui seraient contraires (Châtaignier, Pin) ou dans des climats différents (Néflier du Japon sur Épine blanche). Elle démontre tout aussi clairement que cette opération, mal comprise et insuffisamment raisonnée {ce qui arrive malheureusement trop souvent) devient une cause d'épuise- ment pour chacune des plantes greffées, affaiblit leurs ré- sistances aux variations du milieu, et les livre sans défense aux parasites animaux et végétaux qui achèvent l’œuvre commencée par l'homme. C'est la greffe qui est la principale cause de la fréquence des maladies des arbres fruiliers cultivés (lavelure des fruits, chancres, etc.), maladies dont l'intensité esl encore accen- tuée trop souvent par une laille mal entendue et une culture mal comprise. C’est à la greffe que l’on peut souvent altribuer la mort des Pommiers sans cause apparente, à la suile de varia- tions climalériques. excessives, en un mot ce que l'on à 132 L. DANIEL. appelé, à tort ou à raison, la maladie des Pommiers. Il n’est point besoin pour cela d’invoquer les méfaits de Champi- gnons parasites (1). Il est probable qu'elle n’est pas étran- gère à la maladie des Châtaigniers. La théorie des variations de nutrilion générale est la seule qui permette de comprendre les résultats, contradic- toires en apparence, que l'on observe dans la grelle des arbres fruitiers, et les anomalies que les principes de la parenté, de l’analogie, etc., sont impuissants à expli- quer (2). Elle permet de formuler les conditions de réussite des greffes. Pour qu'une greffe réussisse, il faut et 1l suffit que les protoplasmas du sujet el du greffon n'aient pas, à la suite de l'opération, leurs propriétés chimiques et physiologiques modifiées au delà d'une /2mite déterminée, qui amène l’empoi- sonnement ou annihile les propriétés essentielles de la sub- stance vivante (nutrilité, motilité, elc.). Ces modifications peuvent se produire de deux façons : 1° Par l'action des composés protoplasmiques (produits utiles ou résidus), qui se trouveront mis brusquement (em- poisonnement immédiat) ou progressivement (empoisonne- ment lent) en présence par suite de la juxtaposition des tissus, conformément aux propriétés osmotiques des mem- branes ceilulaires, que ces produits agissent directement sous leur forme première ou qu'ils donnent naissance, par réaction mutuelle, à d’autres produits nuisibles. 2° Par les relations des capacités fonctionnelles du sujet el du greffon, capacités définies dans leur sens le plus C'o large, et dont le rapport Ca doit rester tel que ni l’une ni (1) C'est l’idée que j'exprimais en 1894 dans ma note Parasites et plantes greffées, publiée par la Revue des Sciences naturelles de l'Ouest. Les parasites choisissent de préférence l'être qui souffre et accélèrent sa fin. (2) Bien entendu, je fais ici abstraction des variations spécifiques. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 133 l’autre des plantes greffées ne dépasse les limites de la des- siccation ou de la réplélion aqueuse, tout en trouvant lou- jours, dans le milieu où elles vivent, les éléments essentiels de leur propre subslance à leur portée et sous forme assi- milable. On voit de suite que le principe de la parenté ne pourrait être fondé que si la classificalion botanique éfait basée sur la similitude des protoplasmas et des capacités fonction- nelles, ce qui est loin d’être le cas (1). Quant au principe de l'analogie des sèves, 11 n’envisage qu’un côté de la question, car 11 n’entraîne nullement une similitude des capacités fonctionnelles suffisante pour le maintien de la vie dans les deux plantes. Deux sèves éla- borées différentes peuvent d’ailleurs n être pas un obstacle à la reprise d’une greffe si les produits délélères n’osmosent pas au travers des membranes. (1) Comment, avec ce principe, expliquer, outre les anomalies que j'ai citées page 13-37, les faits suivants? Toutes les Chicoracées se greffent entre elles, à moins qu'il ne s'agisse de plantes dont l’une possède de l’inuline et l'autre non. Le Carthame (sous- famille des Flosculeuses) reprend sur le Soleil (sous-famille des Radiées); le Chrysanthème (Chamomillées) et l’Absinthe (Artémisiées) peuvent se greffer sur le Soleil (Hélianthées). L'Heliopsis ne réussit pas sur Helianthus et la Santoline ne prend pas sur le Tagetes, et pourtant ces plantes sont plus voisines que les précédentes. Le Fenouil (Sésélinées) et le Panais (Peucédanées) se greffent facilement sur la Carotte (Daucinées). De même, toutes les Solanées s'unissent facile- ment entre elles. Or, on ne peut arriver à greffer des plantes de tribus différentes dans les Légumineuses : les Pisum et les Faba (Viciées), le Lupin (Génistées) ne se greffent point sur le Haricot (Phaséolées), etc. On voit donc que, sous le rapport du principe de la parenté et de la greffe, les Composées et les Légu- mineuses peuvent se comparer aux Rosacées, et les plantes herbacées se comportent parfois comme les plantes ligneuses. Il me serait d’ailleurs facile de multiplier ces exemples. CHAPITRE I VARIATIONS PRODUITES DIRECTEMENT PAR UNE RÉACTION MUTUELLE DU SUJET ET DU GREFFON. Tandis que les variations de nutrition générale et leurs conséquences sont admises par un certain nombre de prati- ciens et de savants qui se sont bornés à en constater quel- ques-unes sans en donner une explication salisfaisante, les variations causées par une réaclion mutuelle des deux plan- tes sont rejetées avec ensemble comme étant contraires à presque toutes les théories acluelles. Or, en dépit de ces théories, les faits se chargent de dé- montrer la possibilité de cette catégorie de variations, ainsi qu'on le verra par ce chapitre dans lequel j'étudierai succes- sivement: 1° Les modifications de saveur consécutives à la greffe: 2° Les changements produits dans la résistance au froid et aux parasites ; 3° Les varialions dans le mode Le développement de l’ap- ps eil végétalif ; * Les variations dans les organes de reproduction. ‘ ies faits sont moins nombreux que dans le précédent chapitre, cela tient d’une part à ce que l'influence spécifique est en général moins accusée que l'influence de nutrition générale, et de l’autre à ce que l’on n'a jamais, à cause même des idées reçues jusqu'ici, dirigé les études dans cette voie qui promet d’être particulièrement féconde. Comme dans le précédent Feu ere je décrirai d’abord les /ails que j'ai observés, puis il essaleral d'en donner une explication théorique. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 135 A. — LES FAITS. $S I — Modifications dans la constitution chimique des plantes greîfées. Ces modifications ne doivent pas êlre confondues avec celles qui ont élé considérées dans le précédent chapitre et qui proviennent d’un changement dans la nutrition générale dû à une absorplion différente. Celles-ci sont plus ou moins indépendantes des produits caractéristiques de l'espèce ou de la variété élaborés dans la cellule, {tandis que les pre- mières sont au contraire la conséquence d’une réaclion mutuelle des produits protoplasmiques du sujet et du greffon. 1° Greffe d'Alliare sur Chou. — En greffant l'Alliaire (A{liaria officinalis) sur le Chou vert, on constate que le greffon choisi à la deuxieme année de son développement donne une tige semblable à celle qu'il aurait fournie sl était resté sur son pied mère. Mais ce qu'il v a de remarquable, c'est que, dans certains greffons, l'odeur alliacée si caractéristique de l'Alliaire a sensiblement diminué et il faut frotler les feuilles de ces gref- fons beaucoup plus longtemps que celles des témoins pour la faire apparaître. L’odeur du Chou vert se combine à l'odeur alliacée et le goût est lui-même modifié. 2° Grejfe de Navet sur Chou cabus et de Chou cabus sur Navet. — Dans ces greffes, si l’on compare le goût des Lu- bercules avec celui des témoins, on constate que non seule- ment ils sont plus sucrés, mais encore que la saveur caracté- ristique du Navet est plus ou moins miligée, suivant les échantillons, par le goût du Chou. Les greffes de Chou cabus sur Navet produisent un tuber- cule moins sucré que les greffes inverses. 136 L. DANIEL. 3° Greffe du Haricot noir de Belgique sur Haricot de Sois- sons gros. — On sait que le Haricot noir de Belgique possède des gousses tendres et appartient à la catégorie des Haricots dits mange-tout, cultivés surlout pour leur fruit. Le Haricot de Soissons gros, au contraire, appartient aux Haricots dits à parchemin, cullivés exclusivement pour leur graine. La gousse, cuile en vert, possède un goût irès par- ticulier et désagréable qui permettrait facilement de les reconnaître en l’absence du parchemin. Dans la greffe du Haricot noir de Belgique sur le Haricot de Soissons gros, on oblient des légumes qui ne sont pas modi- fiés dans leur forme extérieure, mais qui possèdent un par- chemin assez développé et une saveur rappelant quelque peu celle des gousses du sujet. En somme, on peut dire déjà que, dans ces trois cas, il y a une transmission partielle de caractères du sujet au gref- fon, et une production, à des degrés divers, d’hybrides de grejje, en désignant les plantes modifiées par un nom qui n’est pas très exact, mais qui a le mérile d'indiquer leur genèse. S IT. — Résistance au froid et aux parasites. J'introduis ici le caraclère de résistance au froid, qui varie suivant les espèces et parfois avec les individus d’une même race, bien que je n’aie pas d'observations de celte variation produite directement sur l'appareil végétatif des plantes herbacées. Rien n’est plus simple en apparence que la recherche de semblables faits. On peut croire qu'il suffit en effet de greffer des plantes de serre tempérée sur des sujets de résistance variable el de constater les résultats après l’hiver. Mais ce que J'ai dit des variations de résistance au froid produites par les variations de nutrition générale montre qu'il n’est pas toujours facile de discerner ce qui est, dans l’augmen- tation de cette résistance, produit par l’action réciproque LA VARIATION DANS LA GREFFE. 137 spécifique des deux plantes et ce qui est dû aux variations de nutrition générale. J'ai commencé des expériences sur ce sujet assez délicat. En atlendant d'en connaître les résultats, Je me bornerai à citer à l’appui de ma thèse quelques observations anciennes assez concluantes. Thouin (1) à constaté que le Néflier du Japon greffé sur l'Épine blanche a passé au Muséum plusieurs hivers en pleine lerre, parce qu’on a eu la précaution de le couvrir de paille, Landis que la gelée a fait périr, pendant les mêmes années, plusieurs individus francs de pied, quoiqu'ils eussent élé couverts de la même manière. De même, le Pistachier greffé sur Térébinthe est moins sensible au froid que les individus venus de semence. Le Quercus phellos L., greffé sur l’Yeuse, a supporté des froids de — 16° à — 17° quand les individus issus de graines sont gelés à — 7°,5. Je cite ces observations parce qu’elles me paraissent les plus sérieuses et qu’elles sont comparatives, au moins en parlie. Il serait toutefois bon de les répéter, car Thouin à négligé d'indiquer si les arbres greffés et les Lémoins étaient placés à la même exposition et dans les mêmes conditions de cullure, et si l'expérience a été faite sur un nombre suffi- sant d'exemplaires. Cette dernière condition est nécessaire pour délerminer sûrement s’il s’agit dans l'espèce d'une variation causée par la greffe ou bien d’une variation excep- tionnelle d’un greffon unique qui pouvait la posséder à l'avance. Une expérience très intéressante au sujet de l'augmenta- tion de résistance aux parasites à la suite de la greffe, c'est celle qui a trait au Citronnier. Cet arbuste, greffé sur Bigarradier, résiste fort bien aux maladies qui l’épuisent en Corse eten Italie quand on le cul- tive franc de pied. (1) Thouin, Monographie des greffes. Paris, 1821. 138 L. DANIEL. Il est évident que cette augmentation de résistance peut être due à une transmission directe de la résistance propre du sujet au greffon, puisque j'ai démontré, dans la théorie des variations de nutrition générale, que la greffe affaiblit dans la majeure partie des cas la résistance R du greffon. S IT. — Variations dans le développement et la forme de l'appareil végétatif. lei les exemples ne manqueront pas et seront beaucoup plus concluants. J’examinerai successivement les variations de forme dans les organes végétatifs et les variations dans leur structure. I. -— Plantes herbacées. 4. Changement de forme des organes végétatiis. — La forme des organes végétalifs peut être modifiée, soit dans le greffon, soit dans le sujet. a. Greffon. — J'ai obtenu des modifications dans la forme du greffon dans deux catégories de greffes différentes : celles des Choux cabus et celles des ÆHehanthus. a. Greffes de Choux cabus. -— J'ai grelfé le Chou de Tours, variélé de vigueur moyenne, à feuillage vert tendre, à pomme conique bien caractérisée, sur le Chou de Saint- Brieuc dont la pomme est ronde et le feuillage plus foncé. Quelques-uns des greffons ont conservé la pomme conique spéciale à la variété greffon (fig. 3), mais d’aulres acquièrent la forme ronde du sujet (fig. 4), tandis qu’un cerlain nombre d’entre eux présentaient une forme très nettement inlermé- diaire entre le cône et la sphère. L'action du sujet sur la forme du sujet s’est done, dans ces greffes, manifestée d’une façon inégale suivant les gref- fons, mais elle est très nette sur un cerlain nombre et porte sur les caractères particuliers de la variété greffon. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 139 _B. Greffe de Soleil annuel sur « Helianthus lætiflorus ». — Le Soleil annuel (Æelianthus annuus) est une plante bien connue, à feuilles larges, cordiformes. Au contraire, l'He- hanthus lætiflorus a des feuilles lancéolées, non cordiformes. Après la greffe, un certain nombre de greffons de Soleil > ne LALE. à à NU 5 Here NES AAA ED \: Le LS N RTE CE ART V4 4 A u, { LS UUUN ARNA 1 N ! 7) LL y#29 À PE 4 A N S RAR NE Î UP { D, # 1 \£ / ( sn nu RE 17 ù ANS 077 LE À 13 Z- A Ju 7 JF À TRE nm LS À Fig. 3. — Chou de Tours greffé sur Chou de Saint-Brieuc, et ayant conservé, à la suite de cette opération, la forme conique de la variété à laquelle il appartient. annuel ont fourni des feuilles de moins en moins cordifor- mes en allant vers le sommet el dont la forme se rappro- chait de plus en plus de la forme du sujet; quelques-unes même étaient devenues nellement lancéolées. D'autres greffons n'avaient pas été influencés sous le rap- port de la forme de la feuille. On peut donc, comme pour les greffes précédentes, faire 140 L. DANIEL. les mêmes remarques au point de vue de l'intensité de l’in- fluence et de sa généralité. b. Sujet. — Des changements remarquables se produi- sent aussi dans le sujet sous l'influence du greffon. 7X 4 RIT A AS ANNE FLD P NU UAE AP Pain / ip sl, ti D ÉLETPAL TER AE À / PO ATEN 7° Cle Ne Ye D j A 1,1) 7j A 7 11) dE y'il 4 AC Fa MW VAE = W2 £ : F4 L ; 7 EE AP \ ) Ca Ÿ Y : TH U A4 À ; f CAS EP 11 SG ÿ 0, £ à 4 { 1: 1, * À PTE AM [l LE eee! Fig. 4. — Chou de Tours greffé sur Chou de Saint-Brieuc à pomme ronde, et ayant pris, à la suite de cette greffe, la forme ronde du sujet. y. Greffes d' « Helanthus læhflorus » sur « Helianthus tuberosus ». — Dans celle greffe, il s’agit d'espèces voisines qui diffèrent surtout par la forme de leur rhizome, leur uni- que moyen de reproduction, puisqu'il s’agit de plantes qui ne fruclifient pas sous notre climat. L'Helianthus lætiflorus possède un rhizome qui wace loin de la lige aérienne, de 40 à 60 centimètres et plus. Ce rhi- LA VARIATION DANS LA GREFFE. 141 zome se termine par un bourgeon renflé de petite taille qui propage la plante avec une facilité remarquable. L'Helanthus tuberosus possède aussi un rhizome, mais les tubercules qu'il forme sont de forte taille et s’agglomé- rent (1) au voisinage des tiges aériennes, ce qui donne à l’ap- pareil souterrain des deux plantes un aspect bien distinct. Dans les sujets d'A. tuberosus portant comme greffon VA. lætiflorus, j'ai observé un développement très curieux des rhizomes du sujet. Ceux-ci ont bien gardé leur taille, mais au lieu de se former au voisinage de la tige aérienne, ils se sont formés à des distances variant entre 25 et 30 cenli- mètres, c'est-à-dire à des distances en quelque sorte inter- médiaires entre celle du sujet et celle du greffon. Le mode de développement souterrain d’une plante tuber- culeuse peut donc être modifié par le greffon qu'on lui donne à nourrir. Ô. (reffes d'« Helianthus grandiflorus sulphureus fl. sim- plex » sur « Helianthus tuberosus » variété à tubercules roses. — Dans les greifes précédentes, il s'agissait de l’union de deux plantes tuberculeuses et vivaces. Dans les greffes d’ÆHe- lianthus grandflorus sur H. tuberosus, 1 s’agit d’une plante annuelle, non tuberculeuse par conséquent, sur une plante vivace à lubercules. Ces greffes, faites en assez grand nombre au laboratoire de Fontainebleau, ont réussi très facilement et se sont com- portées de la même manière, à part des différences de taille dues à l'exécution plus ou moins parfaite de l'opération. Les sujets ont tous fourni des tubercules assez différents d'aspect des tubercules des témoins. Ces tubercules du sujet étaient moins nombreux, moins gros, plus réguliers et 1ls étaient reliés à la portion aérienne de la tige par des tiges souterraines un peu plus fines, atleignant environ 10 à 20 centimètres de longueur. La couleur de l’épiderme était (1) Il en est ainsi, du moins dans la variété sur laquelle j'ai opéré : on sait qu'il y a plusieurs variétés de Topinambour. 142 L. DANIEL. restée blanche dans certains tubercules ; quelques autres étaient roses à l’extrémilé et blancs du côlé rattaché au rhizome, quand les tubercules des témoins étaient unifor- mément roses, sauf les yeux. Le greffon annuel n'a donc point fait périr le sujel vivace qui a fourni quand même un certain nombre de tubercules de remplacement (fig. 2, pl. IT). e. Greffes d'« Helianthus globulus » sur « Helianthus lætiflo- rus ». — Ces greffes réalisent, au point de vue biologique, le même cas que les grelfes précédentes. Les tubercules se forment aussi à l'extrémité des rhizomes, mais ils sont peu nombreux et moins distants de la tige aérienne. Dans le cas de l’Aelianthus annuus pris comme greffon, le sujet est mort sans avoir donné de pousses tuberculeuses. n. Greffes de Pommes de terre. — On sait que la Pomme de lerre a été maintes fois greffée et que les résultats obtenus à la suite de ces greffes ont donné lieu à de nombreuses discussions. Les premiers essais sur la greffe des variétés de Pommes de terre entre elles ont été failes en Anglelerre par R. Trail, en 1865. Il avait greffé entre eux les tubércules d'une variété blanche et les tubercules d'une variélé bleue. Il obtint à la fois des lubercules blancs, des tubercules bleus et des tuber- cules panachés. La nature de la chair élait non seulement modifiée, mais aussi l’épiderme, les liges et les feuilles ; ces modificalions élaient encore nettes après trois ans de culture (1). De semblables résultats auraient été oblenus ensuite en Angleterre par Feun et Dean, puis en Allemagne par Hilde- brand. Répétées en France et en Belgique, de telles greffes ne donnèrent aucun résullat de ce genre. (4) Darwin, loc. cit. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 143 J'ai essayé moi-même d'opérer sur tubercules comme l'indique Darwin, mais, bien que j'aie varié mes procédés, je n'ai jamais oblenu les résultats indiqués. Je considère d’ailleurs qu'il est impossible de les produire par la greffe directe entre tubercules adultes. Mais que l’on greffe sur tiges jeunes ou sur tubercules en voie de croissance, les conditions changent et il est possible que ce soit ainsi que R. Trail ail opéré, ses procédés ayant pu être inexactement rapportés, ou mal indiqués par l’auteur. La greffe sur tiges a été reprise par M. Édouard Lefort, qui a opéré comme Tschudy le faisait dans ses greffes de Tomate sur Pomme de terre. En greffant entre elles Ia variété Marjolin, précoce, à chair jaune, à fanes courtes, et la variété [mperator qui est ronde, à tubercules nombreux, il a obtenu une Pomme de terre nouvelle à grand rendement, possédant à la fois la chair jaune, la précocité et les fanes courtes de la variété Marjolin, mais ayant la forme de la variété Imperator (1). L'expérience serait concluante, à mon avis, si elle était comparative, ce que l’auteur ne dit pas. Voici une expérience qui le prouve. J'ai greffé la Pomme de terre Corne blanche sur la Pomme de terre Négresse à lubercule en entier bleu foncé. Le sujet m'a donné de pelils tubercules peu nombreux, arrondis au lieu d’avoir la forme allongée type de la variété. Ces tuber- cules étaient les uns entièrement bleus, les autres panachés de bleu et de blanc; quelques-uns de ces derniers avaient une chair où le blanc prédominait. L'examen des témoins m'a montré que ce dernier phéno- mène existait, plus rarement et moins prononcé, 1l est vrai, chez les témoins. On ne saurait donc sûrement attribuer à la greffe la modification de couleur que j'ai observée. En sem- blable cas, la prudence est indispensable. (4) Ed. Le‘’ort, Bull. de la Soc. nat. d'agricult., 189%. 144 L. DANIEL. Je recommencerai l'expérience inverse ; s’il ya panachure, ce sera cette fois bien concluant. J'ai greffé entre elles, sur liges, des Pommes de terre Early rose et diverses autres variétés à épiderme blanc ou jaune. Je n'ai obtenu aucune modification bien netle dans la couleur de l'épiderme. On conçoit d’ailleurs que la modifi- cation de la chair puisse être indépendante de celle de lépi- derme et vice versa. 2. Variations dans la structure des organes végé- tatifs. — L'on a admis jusqu'ici que la greffe ne modifie point d’une façon très sensible la nature d’une plante (1). Ainsi, une plante ligneuse greffée sur une plante herbacée ne change point la nature de cette dernière, abstraction faite bien en- tendu des variations de nutrition générale dont J'ai parlé précédemment. C’est ainsi que la greffe d’une Pivoine arbo- rescente sur une Pivoine herbacée ne modifie point la struc- ture de cette dernière, qui reste herbacée dans toute son étendue (2). Mes expériences sur la greffe des Aehanthus m'ont fait voir que cette opinion est erronée, du moins quand on la formule d’une facon aussi absolue. J'ai greffé l’Helianthus læhiflorus, plante vivace, sur l’He- lianthus annuus, plante annuelle. La première est de taille plus faible. Elle possède une tige très ligneuse, au centre de laquelle s’observe une moelle peu développée. Son épiderme est vert sombre; de nombreux poils raides le recouvrent; ces poils sont caducs avec l’âge et la tige finit par devenir glabre et couverte de len- (1) Lamarck croyait possible la transformation d'une plante ligneuse en plante herbacée (Philosophie zoologique. Paris, 1809, t. I, p. 226). Godron est d’un avis contraire et considère l’état ligneux et l’état herbacé comme d'excellents caractères spécifiques (De l'espèce et des races dans les étres organisés. Paris, 1859). L'opinion de Godron est partagée par la plupart des naturalistes. (2) Decaisne, De la greffe herbacée (C. R., 1847, etc.). LA VARIATION DANS LA GREFFE. 145 ticelles brunes plus ou moins larges, mais nombreuses. La seconde est de taille plus élevée. Elle possède une lige à moelle prédominante {rès épaisse, à bois très peu déve- loppé (fig. 5). Son épiderme est vert pâle; ses poils sont per- sislants, les lenticelles rares et peu apparentes. Aussi, les différences d'aspect entre les deux végétaux greffés sont telles quon ne saurail les confondre, même en les examinant superficiellement. Or, après la greffe, les sujets ont pré- senté de bonne heure avec les témoins des différences extrêmement remarqua- bles el importantes. de : … Fig. 5. — Coupe d’un Ainsi leur tige, au 1°” octobre, élail Helianthus annuus té- parfaitement vivante encore tout comme MO A et I les racines, quand les lémoins étaient rapport au bois b, qui se ; représente à peine le enlièrement morts. Elle avait perdu ;/106 de la surface de tous ses poils, qui étaient remplacés re ue par de larges el nombreuses lenticelles. que dans la figure 1; Sa couleur gris cendré verdâtre s'était RE modifiée complètement ; elle était passée au brun vert sombre, de telle sorte que l’épiderme du sujet rappelait à s’y méprendre celui du greffon. L’épaisseur de la tige sujet était de 65 millimètres de dia- mèlre, quand les plus forts témoins aceusaient un diamètre de 15 à 20 millimètres au plus. La greffe avait donc causé un accroissement en diamètre pouvant êlre évalué à lrois ou quatre fois l'épaisseur normale. Le système radiculaire du sujet se composait de deux parties, parce que ce sujet se composait primitivement de deux régions : sa racine proprement dite et une portion de üige de 75 millimèlres, qui avait été enfoncée dans le sol au moment de la mise en place définitive de la greffe. Il y avait donc les racines normales primitives et les racines adven- tives qui s'étaient développées sur la portion de fige en- terrée. Toutes ces racines formaient un chevelu inextricable, qui AINNNSC. NAN BOT. vil, 10 146 L. DANIEL. n'était en rien comparable au faible chevelu des témoins (19 PAR La racine principale primitive avait elle-même suivi le développement exagéré de la tige et elle possédait une gros- seur anormale. Voilà pour les caractères extérieurs. Passons maintenant aux caractères intérieurs. Le développement si curieux du sujet m'avait fait penser à première vue que je me trouvais en présence d’une tuber- culisalion de ce sujet, dont les tissus se seraient ainsi adaptés au rôle de magasin de réserve sous l'influence d’un greffon à rhizomes {raçants et riche en produils se transformant en inuline au moment de la mise en réserve. L'examen histologique m'a montré qu'il n’en était rien. Je nai pas trouvé trace d’inuline dans le sujet qui se trou- vail presque en en- üier formé d’un bois fort dur, disposé comme dans le gref- fon, et présentant [a plus grande analogie avec le bois de celui- ci. La moelle, si Fig. 6. — Coupe au niveau de la greffe d'Helianthus développée dans les lætiflorus sur Helianthus annuus. — m', b'et e’, Soleilsannuels(fis.5) moelle, bois et écorce du greffon, parties qui sont ! ONE normales, sauf l'écorce plus épaisse; m, m, restes a vail presque enlie- de la moelle du sujet au moment du greffage; : b, b, b, bois du sujet, très durs et très épais, qui rement disparu dans enveloppent le greffon et se confondent avec les {oute l'étendue du bois de celui-ci dont ils ont l'aspect et la disposi- : tion; e, e, écorce du sujet considérablementhyper- SU] el. trophiée. Comparer à la figure 5, p. 145. (Grandeur L'écorce. cle naturelle.) Un ÿ lg £ GA V2 | SN — CE — e— CI 7 \ NN = NT NS NV l ANS ) TS * 15" WE y _ 27 TID), F2 T0) = LA , 77ÿ) ) | même élait plus épaisse qu’à l'ordinaire, mais son augmentation n'était pas comparable à celle des tissus ligneux (fig. 6). Au niveau de la greffe, j'ai remarqué un écoulement inler- LA VARIATION DANS LA GREFFE. 147 mittent d'une substance mucilagineuse, soluble dans l’eau et dans l'essence de térébenthine : c’est donc une gomme- résine spéciale. Son aspect extérieur, après une exposition de quelques jours à l'air, était celui de la gomme des Rosa- cées à fruit à noyau, mais elle en différait par un goût de résine prononcé el ses propriétés chimiques. Comment expliquer les changements de structure que je viens de décrire ? Les plantes vivaces possèdent deux moyens pour se main- tenir vivantes pendant l'hiver : ou bien elles produisent un lubercule ; ou bien elles lignifient leurs lissus. J'ai démontré ailleurs (1) que l’inuline ne peut passer d’une plante qui en fabrique dans une plante qui n’en fabrique pas normalement. La tuberculisation exigée par le greffon ne saurait donc s'effectuer dans le sujet, qui est incapable de fabriquer de l’inuline avec les matériaux de la sève élaborée qui lui sont fournis par l’Helianthus lætiflorus. Les réserves étant impossibles à emmagasiner sous celte forme, le sujet use de la faculté que possède toute plante d'augmenter son tissu ligneux, de telle sorte qu'il y a une remarquable suppléance physiologique entre la lignification et la tuberculisalion. Malheureusement, je n’ai point observé d'yeux adventifs sur le sujet, ce qui n’a pas permis à celui-ci de devenir en réalité vivace ; mais cela ne prouve nullement qu'en répétant ce genre de greffes on n’arriverait pas à oblenir un tel résultat. Des phénomènes de variation dans la structure du greffon m'ont élé fournis par les greffes des Æe/ianthus globulus et annuus sur Helianthus lætiflorus et d’'Helianthus grandiflorus sulphureus fl. simplex sur Helianthus tuberosus. Dans les premières, le greffon élait hignifié sur une étendue de 7 centimètres à parlir du niveau de a greffe. L’épaisseur (1) L. Daniel, Recherches morphologiques et physiologiques sur la greffe (Rev gén. de Bot., 1895). 148 L. DANIET. de l’anneau ligneux était de 2,5 millimètres au moins dans cette région quand, dans la région non modifiée, il avait à peine 1 millimètre. Le bois modifié était aussi beaucoup plus dur que celui des plantes normales et il avait la dureté et l'aspect de celui de l'Helianthus lætiflorus. Les caractères extérieurs de l'épiderme formaient eux- mêmes le passage le plus net entre ceux du sujet et ceux du greffon. Au voisinage du niveau de la greffe, sur le bourrelet et à quelques centimètres au-dessus, l’épiderme du greffon rappelait celui du sujet. Plus haut, ces caractères s’atté- nualent pour reprendre leur forme nor- male dans la région non modifiée. Dans les greffons d’'Helianthus grandi- Jlorus placés sur Topinambour, l’action du sujet était plus prononcée encore sur Fig. 3 7 Coupe dun, le #retton, dont la structure est la meme greffon d’Helianthus k grandifiorus dans la que celle de l’Aelanthus annuus (Kg. 5). M La région influencée atleignail de 25 à nn os ni 30 centimètres suivant les échantillons. développé, occupant L'épaisseur du bois était de 2,5 à 5 milli- les 2/8 de R section: mätres, et sa dureté très accusée (fig. 7). e, éCOrce peu epaisse comme dans les té- La soudure était en même temps bien moins.(Grossissement : Diomereu 2) curieuse dans quelques-unes de ces greffes. Des racines adventives dévelop- pées sur le greffon dans la région cicatricielle avaient pénétré dans le sujet, après être restées distinctes sur une longueur de 1 à 2 centimèlres, et elles s'étaient ensuite soudées au sujet, rappelant à partir de ce point la greffe directe ordi- naire. Ces modifications de l’Aehanthus annuus sont intéres- santes d'autre part en ce sens qu'elles démontrent que l’on ne saurait comparer dans tous les cas l'hybridation directe par la greffe avec l’hybridation sexuelle. On sait en effet que dans les hybrides sexuels, il y a un fait habituel que les caractères du mâle s'imprègnent avec LA VARIATION DANS LA GREFFE. 149 plus d’évidence sur les organes de la reproduction, surtout en ce qui concerne la couleur des corolles, tandis que les caractères du type femelle dominent au contraire sur les organes de la végétation. Les mêmes modifications observées dans deux catégories de greffes où l'Æelanthus annuus esl lantôt sujet, tantôt greffon, montrent que l’on ne peut altribuer par comparaison le rôle de mâle ou celui de femelle à un sujet ou un greffon, au moins quand il s’agit de la transmission directe de cer- {ains caraclères végélatifs dans les hybrides de greffe. II. — Arbres, L'influence du sujet sur le greffon et réciproquement dans les végétaux ligneux a, comme je l'ai dil dans l’intro- duction, donné lieu à des affirmations et à des négations sans nombre. Je ne veux point décrire tous les cas observés, car leur authenticité a été maintes fois contestée. Je me bornerai à rapporter ici : 1° les très intéressantes observations de M. Louis Simon, horticulteur à Plantières, près Metz, qui a bien voulu me les communiquer avec des photographies et des échantillons à l'appui; 2° le cas du Cytisus Adami. 1° Le Néflier de Bronvaux. — « Il existe à Bronvaux, près de Melz, m'écrit M. Simon, un Néflier plus que centenaire, greffé sur Épine blanche. Un peu au-dessous de la greffe, le sujel, c’est-à-dire l'Épine blanche, a donné naissance à une branche de Néflier. « Cette branche diffère de la partie greffée (greffon) de l'arbre en ce qu’elle est épineuse (fig. 5, PI. IV), et qu'au lieu de porter des fleurs solitaires, ces dernières sont réunies en une inflorescence portant jusqu'à 12 fleurs blanches, mais semblables à celles du Néflier (fig. 6 et 7, PI. IV); les fruits sont des nèfles, mais ils sont assez petits el aplalis. « Comme on le voit, tous ces caractères sont tout à fait 150 L. DANIEL. intermédiaires entre l'Épine blanche et le Néflier. Les ra- meaux sont épineux comme ceux de l'Épine; les fleurs sont disposées en corymbe comme celle de l'Épine et elles ont la forme et la couleur de celles du Néflier, bien qu’elles ne soient pas solitaires comme dans le greffon. Enfin les fruits, quoique modifiés, sont des nèfles. « Sur ces mêmes branches, il s’en est développé une autre qui a un feuillage intermédiaire entre le Néflier et l'Épine ; ses fleurs sont disposées en corymbe comme celles de l’Épine blanche; elles ressemblent plutôt à des fleurs d'Épine blanche qu'à des fleurs de Néflier, mais leur calice est plus développé, et leur corolle est rose et non blanche. Le fruit est petit, allongé, de couleur de nèfle. « Les jeunes feuilles sont semblables à celles de l'Épine, mais elles sont tomenteuses comme celles du Néflier, tandis que les feuilles normales sont totalement glabres. Sur les vieilles pousses, les feuilles sont moins découpées et souvent même elles sont entières comme celles du Néflier (nee DEAN) « Enfin, cet arbre a produit, également en dessous de la greffe, une autre branche bien curieuse. La partie inférieure de cette branche est de l’Épine blanche ordinaire, mais elle se transforme à son extrémité en un rameau tout différent, portant des feuilles duveleuses comme celles du Néflier fig. 4, PI IV). La base de ce rameau est donc normale quand son extrémité devient intermédiaire entre l’Épine et le Néflier. Cette partie de la plante n’a pas encore fleuri, n’ayant que trois ou quatre ans. » De chacune de ces trois formes, M. Simon a fait des greffes qui conservent leurs caractères. La dernière branche a donné, en 1898, à la fois des rameaux de Néflier et des rameaux d'Épine blanche. Les caractères spécifiques, /usionnés à la suite de la greffe, se sont donc séparés ensuite. Ce singulier dédoublement exisle aussi dans le Cytisus Adam, ainsi que je l’indiquerai tout à l'heure. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 151 Îl était intéressant, élant donnée l'importance de ces faits, d'avoir sur l’origine de l'arbre en question les renseigne- ments aussi complets que possible. M. Simon m'a écrit que la personne qui lui a signalé ce curieux spécimen est âgée de soixante-quinze ans, et que le grand-père de cette personne le connaissait déjà. La grelfe peut donc dater d’en- viron cent cinquante ans. M. Simon termine ainsi sa lettre : « Le cas curieux qui s’est produit sur cet arbre prouve bien l'influence du greffon sur le sujet, opinion que nous avions déjà depuis longtemps, mais dont nous n’avions pas une preuve assez manifeste. Nous savons qu'en le faisant connaître nous aurons des contradicteurs, mais 1 faudra bien qu'ils s'inclinent devant les faits (1) : l'arbre est là à leur disposition. Quand on nous à signalé cet arbre, nous aussi avons été incrédule et nous n'avons cru, comme saint Tho- mas, qu'après avoir vu, tellement cela semblait invrai- semblable. » 2 Le Cytisus Adami. — Le Cytisus Adami est, lui, un très remarquable exemple de l'influence spécifique du sujet sur le greffon, comme le précédent est un cas précieux d'influence spécifique du greffon sur le sujet. IL fut obtenu, en 1826, par J.-L. Adam. Cet horticulteur avait greffé en écusson un certain nombre de Cytises pour- pres (Cytisus purpureus) sur le Cytisus Laburnum. L'un des écussons bouda un an et donna ensuite plusieurs scions dont l’un, plus vertical et à feuilles plus grandes, fut multiplié par la greffe. C'est ce rameau qui fut l'origine du fameux Cytisus Adami, plante qui présente à la fois sur certaines branches les caractères fusionnés des deux espèces greffées, sur d’autres branches les caractères disjoints de chaque variété, et qui offre la particularité d'être stérile. Le Cytisus Adami produit, en effet, tantôl des fleurs (1) Voy. E. Jouin (chef des cultures de M. Simon), Peut-on obtenir des hybrides par le greffage ? (Le Jardin, 20 janvier 1899). 192 L. DANIEL. pourpres comme le Cytisus purpureus, tantôt des fleurs jaunes comme le Cytisus Laburnum, tantôt, enfin, des grappes d’une couleur sale comme celle qu'on obtiendrait en mélangeant artificiellement du pourpre et du jaune sur une palette. Malheureusement, M. Adam n'avait pas conservé la greffe qui avait fourni le Cyfisus Adami. Aussi a-l-on émis des doutes sur l'authenticité de cette expérience. Godron {1} considère le Cytsus Adama el la Pizarria |orange mons- trueuse, dont le fruit est à moitié orange et à moitié citron (Voy. plus loin)}) comme des hybrides extraordinaires très difficiles à expliquer. D’après lui, lhybridalion se serait accompagnée d'une greffe naturelle d’embryons mulliples. Poileau considère le Cytise d'Adam comme un hybride sexuel, et croit que M. Adam à pris un rameau de Cytise poussé sur le sujet pour un rameau du greffon. Morren est du même avis; 1l dit textuellement qu'il combat la théorie de Caspary (qui considère le Cytisus Adam comme un hy- bride de greffe) « avec conviction, parce que cette opinion est paradoxale, qu'elle vient à l'encontre des principes de physiologie végétale el ne s'appuie sur aucune observation formelle (2) ». À propos de ces faits, M. Simon, qui voit avec raison un rapprochement très net entre eux el le cas du Néflier de Bronvaux, me fait part de remarques très judicieuses. « La supposilion de Poiteau, m'éerit-1l, qui croit que M. Adam s'est trompé el a pris un rameau développé sur le sujet au lieu d'une branche développée sur le greffon, doit être écartée, car un pralicien ne peut se tromper de la sorte, vu la grande différence entre les deux Cylises. Avant de faire des multiplications, M. Adam a certammement regardé son sujet avec attention. Il est à remarquer que la plupart des (1) Godron, De l'espèce et des races dans les êtres organisés. Paris, 1859. (2) C’est l'opinion contraire qui est paradoxale, ainsi que les faits se char- gent de le démontrer, non seulement dans les plantes herbacées, mais en- core dans les arbres : le Néflier de Bronvaux en est la meilleure preuve. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 453 auleurs d'ouvrages dendrologiques donnent le Cytisus Adami comme hybride du Cytisus Laburnum et du Cytisus purpureus. Quant à nous, d'après les dires de M. Adam, l'obtenteur, nous avons la conviction qu'il s’agit d’un acci- dent causé par l'influence du sujet sur le greffon. » Je partage entièrement cet avis moi-même, d’après mes grelles herbacées où j'ai observé des mélanges non seule- ment dans les caractères de l'appareil végétatif, mais aussi, comme on va le voir dans le paragraphe suivant, dans l'appareil reproducteur. S IV. — Variations spécifiques dans l'inflorescence, la fleur et le fruit. Les modifications produites par la greffe dans les organes de la reproduction varient suivant les plantes que l’on con- sidère et suivant Îa nature de l'organe. Avec le procédé de la greffe ordinaire, je n'ai jusqu'ici pas remarqué beaucoup de variations dans l'inflorescence que l'on puisse nettement considérer comme spécifiques, au même titre que celles de la fleur si remarquable de l'Épine blanche de Bronvaux. Je ne puis citer à cet égard que la greffe d'Æehanthus annuus sur Helianthus lætiflorus et celle d'AHelianthus qran- diflorus sur Topinambour, à un moindre degré. Dans la première greffe, le greffon a produit 12 capitules plus petits, espacés en grappe, et non groupés en une sorte de corymbe comme dans les témoins, qui en portaient seule- ment 4 ou 5. Les bractées à l’aisselle desquelles partaient les pédoncules étaient aussi quelque peu différentes des braclées normales. Les fleurs étaient aussi semblables à celles des témoins. Cependant, dans quelques capitules, diverses fleurs n'étaient plus aussi nettement ligulées et leur corolle affectait la forme d’un tube irrégulier en cornet. On peut voir, dans la transformation de l’inflorescence el lan L. DANIEL. la ramification exagérée de l’axe, l'influence directe d’un sujet très ramifié. Quant à la modification de la fleur, elle ne peut être considérée comme spécifique, et elle montre que l'influence spécifique peut s'exercer en même temps que d’autres influences de nutrition générale, comme elle peut produire des accidents nat ob tance Les greffons d'Aelianthus grandiflorus ont de même présenté la transformalion du corymbe de capitules en grappe allongée. Quant à la fleur proprement dile, je citerai le cas de la ereffe de la Pomme de terre. J'avais greffé entre elles deux variétés de Pommes de terre, l’une à fleurs bleues, l’autre à fleurs blanches. J'ai constalé, au moment de la floraison, que les greffons de la Pomme de terre à fleurs bleues ont donné des pétales de teinte bieu pâle, de couleur assez exactement inltermé- diaire comme teinte entre les fleurs normales de la variété bleue et celles de la variété blanche. à Mais c'est surtout dans le fruit des plantes herbacées (1) que j'ai remarqué les exemples les plus curieux et les plus nets d'influence spécifique. Je n'ai pas à revenir longuement ici sur les greffes de Haricot noir de Belgique sur le Soissons gros, au point de vue de la saveur et du parchemin. Ces modifications sont évidemment de nature spécifique. J'insisterai plus spéciale- ment sur les greffes de Solanées alimentaires qui m'ont fourni les résullats les plus probants. 4. Greîffes de Piment sur Tomate. — Ces greffes, (1) Des modifications spécifiques du même genre ont été récemment indiquées dans le fruit du Pommier par M. Rytov (Moniteur de la Société impériale d’horticulture de Russié). Une greffe de Pomme « Antonovka ordi- naire » sur du « Sladkaiabel » a produit des fruits de « Sladhkaia Antonovka », (Cf. Bulletin de la Société nationale d'Horticulture de France, nov. 1898, p. 1097). N'est-ce pas là la meilleure réponse à faire aux pomologues qui n’ont fait, au Congrès de la Société pomologique de France à Rennes (1897), l'objection que mes expériences s’appliquaient aux plantes herbacées, mais. ne sauraient concerner les arbres fruitiers? (Voy. C.R. du Congrès dans le journal La Pomologie française, Lyon, 1897). LA VARIATION DANS LA GREFFE. 155 ainsi que celles de Tomate sur Piment, de Piment sur Au- bergine el vice versa réussissent facilement. La floraison des greffons est quelque peu retardée par le greffage, à cause des variations de nutrition générale, mais ce relard est facile à éviter en semant sur couches de bonne heure et en greffant aussitôt que les plants sont suffisamment oros. Sur l’une des greffes de Piment conique sur Tomate rouge grosse, à fruit côlelé et aplali, j'ai obtenu de nombreux fruils coniques de taille et de forme normales, et un fruit aplati, côtelé, ayant exactement la forme du fruit de la Tomate servant de sujet (fig. 1, PI. II). Ce fruit était aussi beaucoup plus gros que les autres. A malurilé, les fruils normaux el le fruit modifié avaient la même couleur rouge, caractéristique des Piments non greftés. 2. Greïffes d'Aubergine sur Tomate. — Toutes les variétés de Tomates et d'Aubergine se greffent facilement les unes sur les autres, et leur vigueur relative ne dépend que des rapports existant entre les capacités fonctionnelles du sujet et du greffon. J'ai obtenu, avec une greffe d'Aubergine longue violette, à fruit lisse, allongé, pyriforme, sur Tomale rouge grosse, à fruit aplati et côtelé, trois fruits de forme différente sur un même greffon : a. Des fruils pyrifcrmes violels, ayant la forme typique des fruits normaux de l’Aubergine longue violelte (fig. 8) ; b. Des fruits ovoïdes violets, ayant la forme exacte de l’Au- bergine à fruit blanc (Sol/anum ovigerum) (fig. 9); c. Enfin des fruits aplatis, côtelés, rappelant le fruit de la Tomate rouge grosse servant de sujet (fig. 10). Ces fruits modifiés contenaient des ovules à des degrés divers de développement, mais aucun n’avail produit de graines bien formées : toutes avaient avorté de bonne heure. Je citerai encore, comme résultat intéressant, le cas d’une 156 L. DANIEL. Jan À ve ; ; ie == = bas emneeneeedeses oui ë = Fr LE 8 © HE 1 £ æ. f nl 2 J F EE 7: LEE EL; TT fo É fl FE fe fe i LE he E ; da: Fa . \ HT ER \X cs Fig. 8 -— Fruit normal de l’Aubergine longue violette. Fig. 6. — Fruit modifié ovoïde, obtenu à la suite} de la greffe dans un greffon d'Aubergine longues violette. Fig. 10. — Fruit arrondi côtelé obtenu sur | un greffon d'Auhergine longue violette, à la suite de sa greffe sur Tomate à fruit. M côtelé. Je LA VARIATION DANS LA GREFFE. 197 série de greffes d'Aubergine blanche à calice non épineux sur Aubergine violelte à calice épineux, greffes effectuées au laboratoire de Fontainebleau en 1898. Dans bon nombre d'exemplaires, des aiguillons apparurent sur le calice du greffon à la suite de la greffe sur Aubergine violette. 3. Greïtes de Tomates entre elles. — Les diverses variétés de Tomates se greffent les unes sur les autres avec une facilité plus grande encore que toutes les Solanées précé- dentes, bien que personne ne se soit, jusqu'ici, avisé de le faire. J'ai obtenu des résultats concernant l'influence spécifique avec les greffes de Tomate jaune ronde greffée sur diverses variétés de Tomates rouges à côles : Rouge grosse hâtive, Reine des hâlives, elc. Dans toutes ces greffes, la Tomate jaune ronde a donné des fruits plus gros, mais ce n’est que dans quelques greffons seulement que la forme du fruil a été complètement mo- difiée. Des greffons de Tomate jaune ronde placés sur Tomate rouge naine hâlive m ont fourni, à la fois, de nombreux fruits sphériques comme ceux de la variété jaune ronde ; des fruits aplalis mais lisses, et des fruits côtelés mais ronds, intermédiaires à des degrés divers entre les fruits des témoins des deux variélés greffées ; enfin, des fruits aplalis, côlelés, ayant absolument la forme des fruits du sujet. Ces derniers étaient surtout nombreux sur les branches situées au voisinage du bourrelei. La couleur de tous ces fruits était celle de la Tomate jaune ronde; c’est à peine si quelques-uns d’entre eux pré- sentaient quelques traces de rougeâtre. La chair était égale- ment jaune. Je signalerai encore, dans ces greffes, une variation de forme et d'aspect dans l'appareil végétatif. On sait que Ja Tomate rouge grosse hâlive à un port frapu et des feuilles qui se replient d'une façon assez caractéristique. La Reine des Hâtives a un port plus élancé et des feuilles plus fermes; 158 L. DANIEL. la Tomate jaune ronde est plus élancée encore, ce qui permet facilement de distinguer ces deux dernières variétés de la première. Greffée sur Reine des Hâtives, la Tomate rouge grosse hâtive a conservé son aspect dans quelques échantillons, mais d’autres exemplaires étaient plus élancés et s’éloi- gnaient du type. Greffés sur Tomate jaune ronde, quelques greffons sont restés trapus, mais à rameaux moins fournis, et d'autres sont devenus élancés, avec des feuilles fermes et un ro semblable à celui du sujet. Dans les deux cas, le fruit n'a pas été modifié d’une façon bien sensible. En résumé, dans tous ces exemples, /a variation spécifique s'est effectuée avec une intensité très différente suivant les plantes greffées et même suivant les parties considérées d'un même greffon, comme si elle s’élait localisée sur les greffons les moins résistants à la variation el même sur les régions les plus malléables de ces individus, et cela, qu'il s'agisse des arbres ou des plantes herbacées. À la suite de celte variation, il s’est produit, suivant les cas, un mélange plus ou moins complet des caractères du sujet et du greffon, ou bien ces caractères, après leur fusion, se sont disjoints el se sont maintenus séparés sur un même grellon ou un même sujet. B. — LA THÉORIE. Les fails assez nombreux que je viens de rapporter montrent très nettement que sujet ou greffon peuvent, après la greffe, acquérir directement certains caractères distinc- tifs des variétés associées ; l'existence d’hybrides de greffe ne saurait donc plus être mise en doute. Cette conclusion pouvant être eriliquée par ceux qui ne veulent point admettre l’action directe du soma sur la variation, LA VARIATION DANS LA GREFFE, 159 il est nécessaire de discuter ici l’interprétation que l'on doit donner aux faits que J'ai rapportés. Deux hypothèses peuvent seules être mises en avant : Ou il s’agit bien d’une réaction mutuelle spécifique des plantes associées par la greffe ; Ou il s’agit de phénomènes de xénies produits par la fécon- dation croisée ou l’excilation fonctionnelle causée par la fécondation. Les personnes qui refusent d'admettre l'influence réci- proque spécifique du sujet et du greffon adopleront sans doute cette dernière hypothèse. En effet, la transformation partielle des fruits des Solanées el des Légumineuses, le mélange des caractères des variétés qui s’est produit comme dans l'hybridation sexuelle évoque à l'esprit l’idée d’une fécondalion croisée qui serait cause des effets observés. Que l'embryon, en se développant, réagisse sur lovaire qui le porte et que celte réaction soit spécifique, ce sont là des fails désignés sous le nom de xéntes par les philosophes- naturalistes, mais que la majeure partie d'entre eux n’accepte que sous toutes réserves (1). Or, les xénies, précisons bien, concernent exclusivement l'ovaire développé, c'est-à-dire le fruit, et je ne sache pas qu'on ait jamais remarqué que l'influence de l'embryon ou l'excilation fonctionnelle conséeulive à la fécondation aient modifié d’autres parlies et surtout l'appareil végétatif, ces parties étant pour la plupart adultes au moment où se pro- duit l’action perturbatrice. Ceci posé, discutons, à ce point de vue, les phénomènes d'influence spécifique que j'ai chservés dans mes grefles. S'il s’agit de xénies, la fécondation croisée a eu lieu. Quand il s’agit de variétés de Tomates, le croisement est (4) « Quant aux faits de xénie et de télégonie, on pourrait peut-être leur trouver une explication, mais ils sont trop mal démontrés pour que la théorie ait à en tenir compte. » (Y. Delage, Structure du protoplasma et théorie de l'hérédité, p. 705, à l'analyse de la théorie des déterminants de Weiss- mann. Paris, 1895.) 160 L. DANIEL. évidemment possible, si l’on n’a pas soin de l’empêcher, car on sait que les variétés d’une même espèce se fécondent assez facilement entre elles. À cel égard, je dois dire que mes témoins étaient placés côle à côte, et offraient la plus complète promiseuité entre les variétés sur lesquelles j'opérais. Cependant je n'ai point remarqué dans ces témoins des phénomènes comparables à ce que Jai observé dans les Tomates grelfées. | De même, dans les Haricots, je n’ai point observé traces de xénies sur les témoins. Ces résultats montreraient déjà, si l’on admet que les mo- difications remarquées sur les greffons sont des xénies, que les xénies sont au moins amenées plus fréquemment par l’opéralion de la greffe, qui favoriserait l’action morphogène de l'embryon sur les tissus encore peu différenciés voisins. Mais s'il s’agit, dans l'espèce, de xénies survenant après un croisement, comment semblables phénomènes se pro- duiraient-ils chez le Piment qui appartient au genre Capsicum et ne s’hybride pas avec la Tomale qui appartient au genre Lycopersicum”? En effel, Herbert (1) n’a jamais réussi à . hybrider les plantes de genres différents dans les Solanées. Kælreuter, un des plus habiles dans la matière, n'a pas obtenu de meilleurs résultats. Si l’on admettait l'hypothèse d'une hybridation sexuelle, il faudrait alors conclure que la greffe favorise la féconda- tion croisée entre genres voisins. Cela serait bien possible, et Darwin (2) signale sous ce rap- port un fait curieux qui démontre l'influence de la grelle sur Ja fécondation. « Le Passiflora alata ne peut produire du fruit que grâce à l'intervention d'un pollen élranger. Or, d’après Munro, M. Donaldson ayant greffé le Passiflora alata sur une espèce différente, le P. alata s'est fécondé lui-même, a continué depuis à se féconder ainsi et à pro- duire des fruits en abondance. » (1) Herbert, Amaryllidacæ, ete. London, 1837, p. 378. 2) Darwin, De la variation des animaux et des plantes, t. 1, p. 146. LA VARIATION DANS IA GREFFE, 161 Cette influence de la greffe sur la fécondation des plantes greffées aurait une grande importance pratique, si elle était bien démontrée. Le fait cité par Darwin est un argument puissant en faveur des xénies, el si Je ne possédais, en fait d'exemples d'influence du sujet et du greffon, d’autres faits que les modifications spécifiques des fruits des Solanées et des Légumineuses, la théorie de la réaction des proto- plasmas serait bien compromise, d'autant plus qu'il serait facile d'expliquer l'inégalité des modifications dans les divers fruits et dans les divers greffons par l'absence d’hy- bridalion ou un croisement différent. Cependant, mon expérience de l'Aubergine greffée sur la Tomate montre que si la modification du fruit est la consé- quence d’un croisement, celte varialion est produite dès le début de la fécondation seulement, puisque le fruit modi- fié de l'Aubergine ne contenait pas de graines, mais des ovules ayant avorté de très bonne heure. C’est que, me dira-t-on, l’excilalion fonctionnelle pro- duite par la fécondation croisée suffit à produire des xénies, et cela indépendamment du développement de Ia graine. La preuve, c’est que Darwin (1) cite des exemples d’un développement d’un ovaire non fécondé en fruit à la suite d’une irritalion mécanique. Je veux bien admettre encore cette hypothèse, mais si la production de xénies peut êlre raisonnablement invo- quée dans l'explication des faits d'influence de Ja grelle sur les fruits, il n’en est plus de même dans les autres cas, comme dans la greffe des plantes qui se reproduisent par voie végélative et voie sexuelle à la fois el dans celles surtout qui se reproduisent exclusivement par voie agame. Qu'à la suite d’une fécondation croisée, la Pomme de terre donne des tubercules possédant des caractères mixtes, il faudrait admetlre que les xénies portent non seulement sur le fruit, mais encore sur l'appareil de repro- (14) Darwin, doc. cit. ANN. SC. NAT. BOT. VIT, À 162 | EL. DANIEL. duction agame, par une sorle de corrélation singulière entre les deux modes de reproduction. Mais comment expliquer, par une semblable réaction, la variation du Topinambour sous l'influence de l’Helianthus lætiflorus, par exemple, puisque le Topinambour ne produit pas de graine sous notre climat, pas plus que l’Helianthus lætiflorus? Il faudrait encore invoquer l'excitation fonclion- nelle, qui agurait alors à distance sur les bourgeons. Tout cela serait bien compliqué et bien extraordinaire, et ne suffirait pas encore à expliquer la modificalion des organes formés presque complètement au moment où la fécondation a lieu et parfois très éloignés de la fleur, par suite du centre d’aclion morphogène. Les xénies ne peuvent en effet s'appliquer au changement de la fleur de la Pomme de terre, à l'apparition d’épines sur une variélé d'Aubergine n’en possédant pas, au changement d’inflorescence des Helianthus annuus el grandiflorus, à la variation des feuilles de ces Helianthus, à celles de l'Épine blanche de Bronvaux, aux modifications de structure des Helianthus, etc. Il faudrait pour cela admettre qu’un pollen étranger pûüt faire ressentir son action sur des organes formés avant même qu'il soit développé, avant que le croisement se soit effectué ! Dans tous ces derniers exemples, une seule cause peut être invoquée raisonnablement : c'est la réaction mutuelle des protoplasmas différents du sujet et du greffon qui pro- duit une Aybridation asexuelle, comparable jusqu'à un cer- tain point à l’hybridation sexuelle, dont elle affecte l’allure générale par l'inégalité de ses effets suivant les plantes considérées. On comprend que cette action puisse dès lors affecter, suivant les cas, toutes les régions de la plante qui sont encore malléables au moment où s'exerce cette action et pourquoi elle atteint plus spécialement dans beaucoup de LA VARIATION DANS LA GREFFE. 163 cas les organes reproducteurs, parce que c'est le lieu de convergence d'un grand nombre de produits fabriqués par l'appareil végétatif et le point de la plante où se trouvent le plus de tissus en voie d'évolution, c’est-à-dire de parties plus facilement modifiables. _ Que cette aclion soit plus rare dans les arbres que dans les plantes herbacées, cela ne se comprendrait pas avec les xénies, mais c'est une conséquence toute naturelle de la théorie de la réachion mutuelle. En effet, les tissus ligneux sont très différenciés et formés par un squelette rigide ; ce. sont eux qui prédominent dans les arbres et s'opposent au changement de forme. Mais dans les plantes herbacées, ce sont les parenchymes qui composent en majeure partie le corps de la plante : ces tissus sont peu différenciés, repassent facilement à l’état de méristèmes et sont par conséquent presque aussi malléables que les mérislèmes eux-mêmes sous l'influence des varialions de milieu. Les plantes herbacées changeront donc plus facilement de caractère sous l'influence de la greffe que les plantes ligneuses, ce qui est alors conforme à l'expérience comme à la théorie. Dans la greffe ordinaire, le sujet possède peu de parties vertes par rapport au greffon. Les sèves élaborées séparé- ment par le sujet et le greffon réagissent mutuellement, mais d’une façon très inégale. Le suiet, dont les tissus nouveaux sont chaque année, dans les arbres, fournis en grande parlie par le greffon, devra se modifier plus facilement que celui-ci. Ainsi s'explique la réaction plus profonde observée dans le Néflier de Bronvaux, le Cytisus Adami, etc. Je suis per- suadé que si l’on n’a pas observé plus souvent de semblables phénomènes, cela tient à ce qu’on supprime les pousses du sujel dans toutes les greffes ordinaires. CHAPITRE HI SÉPARATION PARTIELLE DE L'INFLUENCE DE NUTRITION GÉNÉ- RALE ET DE L'INFLUENCE SPÉCIFIQUE PAR LA GREFFE- MIXTE. Les deux chapitres précédents ont été consacrés aux fails qui démontrent l'existence dans la greffe de deux catégories d'influence distinctes : les unes, produites par un chan- gement de nutrition générale, n’atteignent pas directe- ment les caractères spécifiques; les autres, produites par les réactions muluelles de deux protoplasmas différents, mélangent au contraire en partie ces caraclères. C’est ce qui se passe dans la greffe ordinaire où l’on ne laisse point de pousses feuillées au sujet, du moins à demeure. Il me reste à montrer, dans ce chapitre, que ces deux catégories de variations peuvent être en parlie séparées à l’aide d'un procédé de greffage auquel J'ai donné le nom de greffe-mixte. La greffe-mixte diffère de la greffe ordinaire en ce sens qu'on laisse au sujet un certain nombre de pousses feuillées ; assez pour qu'il puisse vivre en parlie par lui-même; pas assez pour qu'il puisse luer le greffon en accaparant pour lui toute la sève brute. La grefle-mixle ne doit pas être confondue avec le rappro- chement, opération très voisine, intéressante en théorie et en pralique, et qui n’est autre chose qu'une grelle en appro- che où l’on ne sèvre pas les plantes associées. Or, dans la greffe-mixte, le greffon ne possède pas d'appareil absor- bant propre, tandis que le sujet est nourri à Îa fois par le greflon et par la portion d'appareil assimilateur propre qu'on lui a laissée à dessein. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 165 Mais le rapprochement et la greffe-mixte, s'ils présentent plusieurs différences essentielles, offrent plus d’un point commun, et il est nécessaire d'étudier séparément les résullats de ces deux opérations. À. — RAPPROÔOCHEMENT DES VÉGÉTAUX. Le rapprochement des végélaux a élé pratiqué par les Anciens et c’est à cette opération qu'ils ont attribué les effets les plus merveilleux : production de fruits monstrueux et d'hybrides de greffe à l’aide de la greffe en approche par compression ou de la greffe en approche par pénétration (greffe Virgile de Thouin) (1). Au siècle dernier, il a été essayé de nouveau par M. de Caylus, qui aurait oblenu lui-même par ce moven des résul- tals aussi surprenants que ceux signalés par les Anciens, et qui les a consignés dans un ouvrage lrès peu connu (2). Je ne m'atlarderai pas à [a discussion de ces résultats portant sur les fruits, parce que, s’il ne s’agit pas d’obser- vations inexactes, l’hybridation a pu jouer un rôle quia été attribué à la réaction des sèves l’une sur l’autre. Vérifier ces faits sur les arbres serait long; je me suis adressé, pour aller plus vite, aux plantes herbacées et prin- cipalement aux Choux, dont les races nombreuses et assez différentes, faciles à se procurer et à cultiver, se prêtaient fort bien à ce genre d'expériences. Voici les principaux résultats que J'ai obtenus : 4. Rapprochement de deux Choux appartenant à la même race. — J’ai opéré sur le Chou-rave (Brassica gon- gyloïdes), entre jeunes semis dont la fige n avait pas encore commencé à se tuberculiser. (1) Thouin, Monographie des greffes. Paris, 1821. (2) De Caylus, Histoire du rapprochement des végétaux. Paris, 1806. 166 | L. DANIEL. Ce rapprochement a élé fait avec entlaille réciproque comme dans la greffe en approche ordinaire, mais je n’ai sevré aucune des deux plantes. Cette opération provoque une soudure très nette qui relie les deux plantes, bien qu'elles continuent à vivre séparément chacune avec ses appareils propres. J'ai fait celle entaille à des hauteurs égales sur les deux Choux, puis à des hauteurs différentes, afin de voir si la situation de la soudure pouvait avoir une influence quel- conque sur les conséquences de l'opération. En greffant à la même hauleur ou non, j'ai obtenu deux catégories de résultats : Tantôt les deux plantes rapprochées ont donné chacune un tubercule d’égale taille, mais les deux tubercules réunis atteignent à peu près le volume d’un tubercule des témoins, sans le dépasser jamais, el cela qu’il se soit agi de plantes greffées à la même hauteur (fig. 1, PI. V) ou de plantes grefflées à des hauteurs différentes, en dehors de la région tuberculeuse | h8. 2 PLV) Tantôl, au contraire, l’une des deux plantes a pris un déve- loppement plus considérable que l’autre, et un des tuber- cules était plus gros que lautre. Mais jamais les deux tuber- cules réunis n’ont encore atteint un volume supérieur à celui d’un tubercule normal des témoins. | 2. Rapprochement de Choux de variétés différentes. — J'ai opéré ici entre un grand nombre de variélés de Choux, et les résultats ont varié en intérêt suivant les cas considérés. a. Chou-rave et Chou de Bruxelles, — Chacune des variétés a pris, à la suite du rapprochement, un faciès légèrement différent du faciès normal. Mais les deux variétés sont restées parfaitement reconnaissables. Toutefois, le Chou de Bruxelles a moins bien pommé; ses bourgeons étaient plus distants el moins gros; quant au LA VARIATION DANS LA GREFFE. 167 Chou-rave, son tubercule s'était quelque peu allongé et n avait pas atteint les dimensions normales. b. Chou moellier et Chou-rave. — On constate une dimi- nution assez marquée dans la taille des deux Choux. Mais tandis que le Chou-rave conserve ses caractères à peu près intacts, le Chou moellier perd en grande partie le renfle- ment spécial de sa üige, devient plus ligneux et reprend en grande partie l'aspect du Chou vert (fig. 2, PI. VI). €. Chou moellier et Chou Minet. — Le Chou Minet est une sorte de Chou vert nain, à feuilles gaufrées, parfois cultivé dans l'Ouest. En le rapprochant du Chou moellier, beaucoup plus vigoureux que lui, on constate qu'il reste de très pelite laille, landis que le Chou moellier prend son développement normal, accaparant pour fui toute [a nour- riture. Le Chou Minet conserve presque la taille qu'il avait au moment du rapprochement. Il est envahi par les larves des Baridius de préférence à l'autre (fig. 2, PI. I). d. Chou-rave et Chou Minet. — Quelque chose d’absolu- ment analogue s’est passé dans le rapprochement du Chou- rave et du Chou Minet. Le premier de ces Choux s’est bien développé et a produit un tubercule moyen, mais le Chou Minet est resté très faible et n’a point atteint la taille des témoins (fig. 3, PI. V). Ces différents exemples montrent que le développement des plantes herbacées, à la suite du rapprochement, se fait également ou non dans les associés suivant leur résistance et leur vigueur respectives. Dans les Choux, le rapprochement de variétés différentes n’amène point d'augmentation dans le volume de l’appareil végétatif, mais le plus souvent, au contraire, il produit une diminution. Cette opération n'a donc, sous ce rapport, aucun intérêt pratique. 168 L. DANIEL. 3. Rapprochement du Chou-fleur et d’autres variétés de Choux. — Le Chou-fleur est une variété de Chou dont les inflorescences atrophiées forment une boule blanche savou- reuse, qui est un excellent légume. J’ai voulu voir si l’inflorescence se comporterait, à la suile du rapprochement, comme l’appareil végélalif, et j'ai rap- proché le Chou-fleur d’un certain nombre d’autres variétés. Voici les résultats de ces expériences. a. Chou-fleur et Chou-rave. — Après un développement assez faible de l'appareil végélatif, on voit le Chou-fleur for- mer plus ou moins son inflorescence ; les rameaux divers s’allongent et s’échappent de la roselte des feuilles qui auraient dû les recouvrir. Dans quelques cas, les fleurs avortent; dans d’autres, la lransformation est poussée plus loin; les fleurs se développent complètement, la fécondation a lieu et la fructification se fait fort bien (fig. 4, PI. VD). Quant au Chou-rave, il fournit toujours un tubercule assez pelil par rapport aux témoins, el un peu plus allongé (Hé set 2NPI VI b. Chou-fleur et Chou moellier. — Avec le Chou moellier, le Chou-fleur se comporte exactement de la même façon qu'avec le Chou-rave. Mais le Chou moellier perd en grande parlie sa nature tuberculeuse ; il durcit, sa tige reste à peu près cylindrique et il rappelle le Chou vert par son aspeet (fig. 1, PL VI. Il est bon d'ajouter que ces derniers rapprochements où figurait le Chou-fleur ont été faits dans un terrain sablon- neux très médiocre au laboratoire de Fontainebleau. La mauvaise nature du sol a pu contribuer à exagérer les effets constatés. On peut donc dire que le rapprochement du Chou-fleur a pour conséquences de l’amener à fructifier. Or ce fait est susceptible d’une application pratique. On.sait que le Chou- fleur fructifie difficilement et que l’on obtient sa graine à LA VARIATION DANS LA GREFFE. 169 l'aide de procédés plus ou moins compliqués. De là la cherté plus grande de ses semences. Par le rapprochement, on pourra donc oblenir plus faci- lement la graine du Chou-fleur : c’est un point pratique important, surtout si l'influence du rapprochement ne se fait pas sentir sur les semences, ce qui est {rès probable, puisque cetle opéralion permet à peine un mélange des sèves, iIncomparablement moindre que celui qui est consé- culif à toute vraie greffe. B. — GREFFE-MIXTE. Dans la greffe-mixte, comme dans la greffe ordinaire, J'étudierai séparément les effets de l'opération au point de vue de la nutrition générale et à celui de l’influence spéei- fique. $ [. — Variations de nutrition générale dans la greîffe-mixte. J'ai démontré, dans la théorie générale de la greffe ordinaire, au chapitre [*, que, quel que soit le degré de complicalion présenté par la symbiose du sujet et du gref- fon, les varialions de nutrition générale, abstraction faite des substances dissoules dans la sève brute, peuvent se ramener à deux cas extrêmes pour le greffon : la souffrance par excès d’eau et la souffrance par manque d’eau. Quant au sujet, il peut souffrir par excès d’eau, ou manquer de la sève élaborée suffisante pour assurer sa croissance. La grelfe-mixte va être un excellent moyen de parer à celte souffrance dans la majorité des cas. 4. Greîffe-mixte des plantes herbacées. — à. Le suyel et le greffon sont de capacités inégales. — On à vu qu'avec la greffe ordinaire du Haricot noir de Belgique sur Haricot de Soissons gros, le greffon souffre de la sécheresse et le HOT LNRS sujet d’un excès d'eau. 170 L. DANIEL. Avec la greffe-mixte, l'absorption da sujet est commandée par deux appareils assimilateurs égaux ou inégaux (suivant la volonté du greffeur qui relranche par la taille ce qu'il veut au sujet) : celui du greffon et celui laissé au sujet. De à une élévation plus facile et plus abondante de l’eau au niveau de la greffe, et, grâce à une vaporisation plus aclive, une disparition de la pléthore aqueuse du sujet. Le greffon lui-même, trouvant plus d’eau à sa disposilion puisque le sujet se développe mieux et remplace plus facilement ses poils absorbants usés, fabrique plus de sève élaborée et celte sève, plus riche en matériaux plastiques, est employée à Sa croissance. | Donc la greffe-mixte doit amener à la fois une augmen- talion de l'appareil absorbant et de l'appareil assimilateur de l’associalion, si la soudure est bonne. C'est ce que con- firme Denpéciene Avec la greffe-mixte, le Haricot noir de Belgique greffé sur Haricot de Soissons arrive à acquérir sa laille el sa vigueur normales. Il fleurit à peu près en même temps que ses congénères non greffés et aussi abondamment. Les variations de nutrition générale sont donc considé- rablement atténuées, sinon supprimées, à la suile de la grelfe-mixte des Haricots. Voilà pour les plantes annuelles. Considérons maintenant des plantes bisannuelles, comme la Carotte et le Panais par exemple. Avec la grefle ordinaire, on à vu que les réserves se déposent exclusivement dans la racine greffon, le sujet conservant la taille qu'il avait au moment où l’on a effectué l'opération. Laissons à la racine sujet quelques feuilles; la greffe ordinaire fait place à la greffe-mixte et les choses changent aussitôt. On constate que la racine sujet et la racine greffon se tuberculisent à la fois, à la condition de veiller avec soin à ce que | ranch n'ait pas lieu. Ce résultat est tout naturel encore. La question d’ osmose au niveau du bourrelet ne joue aucun rôle par rapport aux | LA VARIATION DANS LA GREFFE, 170 produits élaborés directement par les cellules chlorophyl- liennes du sujet. Le dépôt des réserves dans le sujet dépend de sa nutrition, indépendante du greffon grâce aux feuilles qu'on lui a laissées; ce dépôt se fait dès que l'assimilation emporte sur la désassirailation (1). Un résultat comparable est amené dans le sujel par la greffe-mixle de Laitue sur Salsifis jeune. b. Greffe-mixte de Choux. — La greffe-mixte que je viens d'étudier a été pratiquée entre végétaux de capacités iné- gales. Je l'ai essayée aussi entre végétaux de capacités égales avec la relation Co Ca. J'ai opéré sur les Choux possédant un tubercule, qui montrent très facilement, par Ja variation de leur tubercule, l'influence d’un changement dans la nutrition générale. À la suite de la greffe en approche de deux jeunes Choux moelliers appartenant à la même variélé, on constate après le sevrage de l’un deux que les deux Choux grossissent iné- galement. Le plus vigoureux est loujours celui qui puise directement la sève brute dans le sol. Mais il faut remar- quer que, bien qu’il y ait ainsi deux appareils assimilateurs différents, la récolte n’est pas doublée ni même augmentée d'une façon sensible (fig. 4, PI. V). C'est que le sujet ne saurait dépasser sa faille maxima T; le résultat est donc bien conforme à la théorie. En essayant d'augmenter l'appareil absorbant par rapport à l'appareil assimilateur, on obtient des résultats semblables dans les Choux. J’aigreffé en approche quatre ou cinq Choux- raves au moment où leur tige est de grosseur uniforme et n'a pas commencé ses réserves. La reprise bien faile, j'ai coupé la tête à deux des Choux en laissant intact l'appareil absorbant (fig. 2, PI. VIT). L'association possédait ainsi deux appareils assimilateurs (4) Ici pourraient se placer les greffes d'Helianthus où le sujet possède une portion de tige verte suffisante pour assimiler par elle-même (Voy. chap. 1, $ 3). La tuberculisation observée s'explique très facilement ainsi. 172 L. DANIEL. et qualre appareils absorbants destinés à l’alimenter. Les tubercules se sont formés, mais chacun d’eux n’a pas atteint une grosseur normale; leur ensemble équivalait sensible- ment à un tubercule ordinaire des Choux-raves témoins. Ce résultat était facile à prévoir. Les greffons ne peuvent dépasser leur taille maxima T, et, en admettant qu'ils ne l'atteignent pas ordinairement dans le milieu considéré, 1l faudrait pour les augmenter que les racines d’un greffon puissent s'étendre assez loin pour sortir de la région qu'é- puisent les racines voisines des autres greffons, ce qui n'est pas le cas. La greffe-mixte ne peut donc servir que rarement à aug- menter le volume tolal d’une plante herbacée. Avec les arbres et les arbustes qui ont une tige assez longue et qui peuvent s’incliner suffisamment, par la greffe en approche, pour que les appareils absorbants se gènent peu, on arrivera évidemment à amener plus facilement, par le procédé indiqué, l'augmentation de la taille d’un greffon et à lui faire acquérir son développement maximum dans le lieu considéré : c’est ce que juslifie l'expérience de Thouin sur le Frêne de Caroline. Par ce moyen, le greffon pourvu de cinq systèmes radiculaires grandit beaucoup plus vite et atteignit une grosseur double de celle des témoins plantés dans le même terrain et à la même exposition. Ses feuilles avaient conservé la même forme, mais elles étaient un tiers plus grandes (1). 2. Greffe-mixte des plantes ligneuses. — Considérons par exemple deux végétaux qui sont greffés entre parties de taille différente, comme dans la greffe en fente des arbres fruiliers. Il est clair que la petite taille du greffon amènera fatalement le sujet à l’état de pléthore aqueuse tant que Île (4) Thouin, art. Grerre dans le Nouveau cours complet d'Agriculture, publié chez Deterville, nouvelle édition, Paris, 1822. LA VARIATION DANS LA GREFFE. 173 greffon n'aura pas acquis une taille telle que l'équilibre soit rétabli entre la consommation et l'absorption. La greffe avec bourgeon d'appel qui amène la sève brute dans le greffon devra être iransformée en greffe-mixte, en réduisant de plus en plus la portion feuillée du sujet, el pro- portionnellement aux pousses du greffon. Y a-L-1l entre le sujet et le greffon des capacités fonclion- nelles différentes, la greffe-mixte est tout indiquée encore quand il s’agit d’un greffon placé sur un sujet dont l’absorp- tion est trop considérable. Mais alors il faut laisser à demeure les pousses du sujet et les laisser se développer de plus en plus, mais pas trop cependant, de facon que le sujet ne puisse passer à l'état de pléthore aqueuse, ainsi que le greffon. J'ai montré que la greffe ordinaire de la Vigne française sur la Vigne américaine a pour résultats, dans un sol émi- nemment favorable à l’absorption, d'amener le sujet et le greffon à l'état de pléthorce aqueuse, de diminuer ainsi la résistance aux Cryptogames de la Vigne française, qui est ainsi envahie plus rapidement par les Champignons. Le remède à essayer, d’après la théorie que je viens d'exposer, c'est évidemment la greffe-mixle. [l faut laisser au sujel quelques pousses feuillées, plus ou moins longues suivant les variétés greffées, suivant les variations du milieu, le nombre des Phylloxéras et l'intensité de leur attaque vis- a-vis du sujet employé. La sélection des sujets consislerail alors à trouver, non plus un sujet tel que, déduction faite de Ia sève prise par le Phylloxéra, le greffon reçoive assez el pas trop de sève brute dans un terrain donné, mais, ce qui est plus facile à réaliser, un sujet puisant assez de sève brule pour nourrir le greffon et le Phylloxéra. L’excès de sève ne devient plus un obstacle insurmontable si l’on sait tailler raisonnablement le sujet et maintenir un juste équilibre entre Pabsorption el l'émission de la vapeur d’eau. Ce serait en outre le meilleur moyen de conserver au greffon sa résistance R, comme au sujet sa résistance R', 174 L. DANIEL. a. Greffe de Pécher sur lAmandier. — Un procédé assez voisin de la greffe-mixte est celui qui, d’après M. Féret (1), aurait été appliqué par M. Rivière, l’habile jardinier chef du Luxembourg, à la conduite du Pêcher en Algérie. La théorie de ce cas particulier est la même que celle du procédé que Je conseille pour la Vigne. on. M. Rivière formait le tronc de sa palmette avec un Aman- dier qu'il rabattait la première année de manière à laisser développer un nouveau scion au sommet, et il écussonnait de chaque côté un œil destiné à former les branches latérales. L'année suivante, le scion fourni par l’'Amandier était rabattu et écussonné de la même manière jusqu’à formation complète de la palmelte. À ce moment, le scion de l’Amandier n’était pas rabattu, de façon à employer l'excès de sève fourni par le sujet. Si ses pousses élaient trop fortes et nuisatent aux greflons, on les taillait de façon à supprimer cet inconvénient. Il paraît que ce procédé, décrit verbalement par son in- venleur, a donné les meilleurs résultats. Dans le cas où le sujet et le greffon présentent des diffé- rences dans l’entrée en végétation, dans la persistance ou la chule des feuilles, etc., la greffe-mixte amènera encore la réussite plus certaine ou plus complète. En voici deux exemples. b. Greffe de Cerisier (Cerasus avium) sur le Laurier-cerise (Prunus Laurocerasus). — On sait que si l’on peut facilement greffer les plantes à feuilles persistantes sur les végétaux à feuilles caduques, la greffe inverse réussit bien plus rare- ment et la plupart des auteurs la considèrent même comme impossible. La raison de cet échec, c'est que le sujet à feuilles persistantes, se trouvant privé de feuilles l'hiver par le fait de la greffe ordinaire, est forcé pendant cette saison de recourir au greffon pour assurer son existence. Or ce (1) Féret, À propos de la greffe-mixte (Cosmos, p. 738, 1897). LA VARIATION DANS LA GREFFE. 120 greffon, perdant lui-même ses feuilles à cetle époque, ne peut lui rendre ce service d’une façon efficace. De Jà l’in- succès final de la greffe ordinaire. Mais avec la greffe-mixte, les conditions sont différentes. Les pousses feuillées laissées au sujet lui suffisent à main- tenir son existence pendant l’époque de la vie ralentie, indé- pendamment du greffon, ainsi que le démontre l'expérience suivante : J'ai écussonné, au printemps de 1891, le Merisier (Cerasus avium) sur le Laurier-cerise (Prunus Laurocerasus) en lais- sant des pousses feuillées au sujet et en les pinçant sévère- ment lorsqu'elles prenaient un développement inquiétant pour le greffon. L'écusson à parfaitement réussi. L'année suivante (1892), dans un but expérimental, Jai volontairement laissé trop de feuilles au sujet. Le greffon a souffert aussitôt; ses pousses sont devenues moins vigou- reuses, et, à la suile de ce ralentissement dans la végélation, les pucerons l'ont très vivement attaqué. Voici les différences présentées à ce moment dans l’appa- reil végétatif par les greffons et l’étalon {jeune semis) qui les avait fournis. Étalon : Pousses de 1 mètre à 1,90 ; feuilles plus larges à péliole plus gros et plus court; nectaires larges et nom- breux. Points noirs à l'extrémité des nervures latérales : écorce blanchâlre; aspect de la plante jeune et bien por- tante ; toutes les pousses vivantes et saines ; pas de fleurs; pas d’atlaque de pucerons. Greffons : Pousses de 0,20 à 0",30. Feuilles plus petites, nervures moins saillantes et moins nombreuses: nectaires petits et plus rares; peu de points noirs; écorce brune: aspect de l’arbre âgé ; quelques pousses desséchées ; la gomme apparaît; quelques boulons à fleurs se développent sur les rameaux ; les pucerons les altaquent vivement. On observe un bourrelet assez prononcé au niveau de la greffe. À partir de ce moment, jai été fixé. La réussite de la greffe élait une question d'équilibre végélalif entre le sujet 176 L. DANIEL. et le greffon, équilibre qui dépendait du greffeur et qui pou- vait s'élablir par une taille raisonnée d’après les rapports du sujet et du greffon, absolument comme doit se raisonner toute taille concernant les arbres fruitiers greffés. Il fallait donc Lenir compte de la valeur relalive des appa- reils végélalifs des deux plantes, tout en s'inspirant des con- ditions climatériques et de la nature du sol. Une taille, basée sur ces principes, a en effet redonné au oreffon la vigueur qu'il était en train de perdre. Les puce- rons ont modéré leur allaque, puis ont fini par disparaître. La vigueur du greffon une fois reconquise, avec sa résis- tance première, le bourrelet s est atténué. La troisième année, les pousses du greffon ainsi conduit ont atteint un mètre de longueur; sa croissance était donc rapide ei sa santé excellente, ce qui a persisté jusqu’à ce jour. Malgré celle vigueur, la fruclification n’en a pas moins été avancée, et les greffons ont déjà fructifié quatre fois quand l’étalon n’a pas encore donné de fruits. La taille de cet élalon est d’ailleurs supérieure à celle des greffons, résultat parfaitement conforme à la théorie, puis- qu'il s’agit dans l'espèce de plantes à capacités fonclionnelles différentes, par conséquent d’une greffe dans laquelle on a C'o > Ca. La conclusion pratique de tous ces faits s'impose. La greffe- mixte doit être essayée partout où la greffe ordinaire échoue ou donne de mauvais résultats par suile d’une nutrition générale défectueuse : elle est tout indiquée dans la con- duite du Pêcher, de la Vigne, elec. c. Greffe de Poirier sur Pommier. — On sait que cette greffe ne réussit guère el dure, dans la grande majorité des cas. quelques années tout au plus à la suite d’une greffe ordinaire. J'ai greffé le Poirier sur un sauvageon de Pommier, en 1892, au laboratoire de Fontainebleau. La greffe a parfai- tement repris et m'a fourni la première année un rameau LA VARIATION DANS LA GREFFE. 177 assez bien développé, atleignant 32 centimètres de long. Cette première pousse ne s'était pas ramifiée. L'année suivante, le greffon a fourni un rameau principal de 198 millimètres de long ; il s’est ramifié en même temps et a donné quelques branches latérales plus courtes, dont la plus longue avait 10 centimètres, c'est-à-dire élail moitié plus petite que la pousse terminale. La troisième année (1894), le rameau principal continue à pousser et atteint 98 millimètres de longueur. Les branches latérales donnent de faibles pousses dont la plus développée alteint 45 millimètres : ces pousses ont l’aspect de dards. En 1895, la pousse principale atteint une longueur de 38 millimètres seulement. Les pousses des dards sont insi- gnifiantes; chaque dard se transforme en lambourde par l’apparilion du bouton à fruit, sauf la branche latérale, la plus développée, qui se termine par un dard, correspondant _ à la pousse de 10 centimètres de cette année. Dans l’année 1896, le rameau terminal donne une pousse terminale de 5 millimètres, en forme de dard; il en est de même de la plus grande branche latérale. Les autres rameaux fleurissent à leur extrémité et sur quelques rameaux laléraux très courts. La fructification n'a pas lieu. Déjà, le grelfon présente les signes d’une décrépitude manifeste, surtout vers les extrémités. Il est peu vigoureux, bien que le sujet possède de belles pousses, trop belles évi- demment, car je ne les ai pas surveillées suffisamment pendant ces quatre dernières années pour maintenir l’asso- ciation, voulant étudier ce qui se passerait dans ces condi- tions (1). En 1897, le rameau principal donne seulement une pousse de 3 millimètres; la plus forte branche latérale, une pousse de 2 millimètres seulement; ces deux rameaux se terminent par un bouton à fleur. Les autres branches latérales donnent encore quelques fleurs chétives, qui ne produisent point de (1) C'est en grande partie pour cela que la grelfe ne s'est pas maintenue plus longtemps. ANN. SC. NAT. BOT. VIT, 42 178 L. DANIEL. fruit. A Ja fin de la végétation, les extrémilés se dessèchent et la dessiccation gagne de proche en proche les pousses plus an- ciennes. Je remarque que lé- corce exposée au nord se main- tient plus longtemps verte. Enfin, en 1898, les feuilles poussent seulement sur la por- lion voisine du sujet qui se maintient encore verle pendant quelque temps et qui finit par mourir desséchée complèle- ment, landis que le sujet reste vivant, grâce à des pousses laté- rales, qui, étant très dévelop- pées, ont été supprimées sur la figure 9. La diminulion progressive des pousses avec l’âge est un fait frappant dans cette greffe(fig.11, LR 12 et 13), et montre bien que A l'inégalité Co < Ca qui résulte e qêre Année œe%ore rime, - e, RTS Us errorvenænsrterppe d’une osmose imparfaite, moins grande au début avec un gref- fon de petite taille, va en aug- mentant avec la taille plus éle- vée du greffon el finit par amener la dessic- cation. JET Onrérconcont Fig. 11. — Greffe-mixte de Poirier sur Pommier. — is elle PERSGECES Les rameaux du sujet ont été coupés sur le dessin. vir à l’'augmenta- 17e, 2e, 3e, 4e, 5e et 6e Années représentent les pous- tion d’une parlie ses successives du greffon. déterminée d’un végétal, si l’on a soin de permettre à l'absorption de s’exer- LA VARIATION DANS LA GREFFE. 179 cer suffisamment. C'est ainsi que peul s'expliquer l’expé- D EE = A === — - - —— A ue ; Le) È = - SSL, SEE _ < à To a = F--------- 2% E ‘ NY = } £! ll ra + 1 L À | 4 / (ae 4 == == - -- -o LE Û (æ | 4 < ! $ ‘© 5 ; + | Ë à ! 4 re e de rod ! ‘| à = : (S FE - £ Ûl LES X---- re 1 RE » l SE ou : où D: c) 1 {.: "CS : ! V < [l À A | 4 . ' É ! EE E t i + A ne mi Ll PE (l 1 4 à ' 0 SE : [l 4 FE: ! 0 D: ï B # ' 1 À Ke, 0 1 &Æ- ñ 6 = 4 = ; d \ 4 i -© = , = 1 < L i E | ï vu c K®] -D s (ES 1 [en 0 ï < v É © L : Où L L ll 1 , à ; 4 "| X 1 - : ! , ù 0 ! ul : ' (9) ‘ @ ; a ' S ! se 1 v X: SI ss 4? 1 | =; Fig. 12. — Greffe-mixte de Poirier sur Fig.13.— Greffe-mixte de Poirier sur Pommier. — Pousses de 3°, 4°, 5e et Pommier. Pousses de ?e, 3e, 4e, 5e 6° années, grandeur naturelle, et 6° années du greffon, grossies par rapport à la figure 11. rience de Knight sur le Pêcher, et le grossissement des 180 L. DANIEL Poires par une greffe en arc-boutant ou en approche ordi- naire opérée au niveau du fruit, avec suppression ultérieure de la partie supérieure rapprochée, ete. $ II. — Variations produites par les réactions réciproques des protoplasmas du sujet et du greffon. Les phénomènes que je viens d’exposer dans le paragraphe précédent concernent uniquement la nutrition générale. Les résullals constatés montrent que la greffe-mixte atténue dans une notable mesure les effets produits par les change- ments de nutrition générale consécutifs à la greffe ordi- naire. _ [l me reste à examiner s’il en est de même relativement aux variations qu'amènent parfois, dans la greffe ordinaire, les réactions mutuelles des deux plantes associées. Pour résoudre cette question, Je me suis tout naturellement adressé aux plantes herbacées dans lesquelles les tissus cel- lulaires prédominent et qui peuvent, étant moins différen- ciées, s’influencer réciproquement avec plus de facilité que les plantes ligneuses. Pour avoir encore plus de chances de succès, j'ai opéré au moment où les tissus sont le plus jeunes possible, c'est- à-direau moment où les protoplasmas ont toute leur activité, quand ils sont en voie de différenciation. Il est clair que les tissus morts et les tissus qui ont achevé leur croissance complète ne sauraient êlre modifiés après l'opération, mais seulement ceux qui sont en voie de différenciation où sus- ceptibles de repasser à l’état de méristème. Je me suis donc encore servi de la greffe sur planes en voie de germination, et j'ai choisi comme sujet d'expérience le Haricot noir de Belgique que j'ai greffé sur le Haricot de Soissons gros. Pour l'intelligence de ce qui va suivre, il est nécessaire de donner ici les caractères les plus saillants de ces variétés. Le Haricot noir de Belgique est un Haricot nain, assez LA VARIATION DANS LA GREFFE. 181 précoce, qui donne une inflorescence courte de 3 à 5 fleurs violettes. Sur ces 3 à 5 fleurs, 2 à 3 seulement produisent des gousses qui sont très {endres el d'un goût agréable. Les graines sont violettes, d’un noir foncé et de laille moyenne. Les feuilles sont elles-mêmes de taille moyenne et bien vertes. La hauteur de la plante entière ne dépasse pas 0",40 en moyenne. Le Haricot de Soissons est un Haricot à rames très vigou- reux, atteignant une taille de 4,50 de hauteur. Il fleurit surtout au sommet et donne des inflorescences allongées, portant une vinglaine de fleurs à pélales blane Jaunâtre. Sur ces 20 et quelques fleurs, 3 à 5 donnent des gousses larges, à chair très parcheminée, et d’un goût spécial désagréable après la cuisson. Les feuilles sont larges et vigoureuses. Avec ces plantes, j'ai fait deux séries de greffes. Dans les plantes de la première série, j'ai supprimé avec soin les pousses du sujet qui se produisent avec une persis- tance remarquable au voisinage des cotylédons : c'était la greffe ordinaire. Dans la seconde série, j'ai laissé au contraire ces yeux latéraux se développer sur le sujet, mais en coupant par- liellement les pousses dès qu’elles paraissent prendre un développement inquiétant pour lé maintien de la symbiose : c'était la greffe-mixte. À côté de ces greffes, dans le même terrain et à la même exposition, j'avais placé des témoins appartenant aux deux variétés greffées. | Dans les greffes ordinaires, j'ai naturellement obtenu les résultats précédemment indiqués : diminution de taille, de vigueur; feuilles moins nombreuses et moins vertes; inflo- rescences moins fournies; fructification moins abondante ; en un mot tous les effets principaux de la variation de nu- trilion générale. La variation spécifique s’est montrée dans le fruit seulement qui était devenu un peu plus parcheminé que les fruits de même âge récoltés sur les témoins et qui possédait en parlie celle saveur particulière el désagréable 1 82 L. DANIEL. des gousses du Haricot de Soissons gros. Rien n’était mo- difié par ailleurs dans l'appareil végétalif ou reproducteur. Dans les greffes-mixtes bien conduites, j'ai remarqué que la taille et la vigueur des greffons restait sensiblement la même que celle des témoins. Les inflorescences étaient aussi fournies ; les fruits, aussi nombreux et aussi déve- loppés. En un mot, les variations de nutrition générale étaient très peu marquées. Mais il n’en élait pas de même des variations spécifiques sur l’un des greffons ; une inflo- rescence, en parliculier, s'était allongée et portait 9 fleurs panachées de blanc sale et de violet, et leur disposition rap- pelait celle du Haricot de Soissons. Cette inflorescence m'a fourni trois fruits. Tous les fruits du greffon étaient plus parcheminés que ceux donnés par les greffons dans la greffe ordinaire ; leur saveur se rapprochail davantage aussi de la saveur spéciale du Haricot de Soissons. Les graines étaient restées violel noir, et possédaient la forme des graines ordinaires du Haricot noir de Belgique. En somme, cet exemple est absolument typique : ül montre que l’on peut, dans les Haricots, à l’aide de la greffe- mixte, atténuer les variations de nutrition générale et aug- menter les variations spécifiques. Rien de surprenant à ce que la nutrition générale soit ‘meilleure; cela est conforme à la théorie, car il s’agil ici du cas C'r Oo CHAPITRE HI ANATOMIE DE LA FEUILLE COMPARÉE A CELLE DE LA TIGE DES GRAMINÉES. Les tiges des Graminées présentent-elles dans leur struc- ture des variations anatomiques semblables à celles que nous avons rencontrées dans les feuilles, et ne pourrait-on pas les uliliser au même titre que les caractères hislo- taxiques qui nous ont servi à établir les cinq groupes pré- cédents? Telle est la double question que je me suis pro- posé de résoudre. La tige des Graminées offre une structure qui est en géné- ral assez uniforme; on y distingue tout d’abord deux parties assez apparentes : le cylindre central et l'écorce. Examinons, par exemple, la tige aérienne du Blé, et, pour avoir un terme de comparaison avec les types des autres espèces, considérons la région comprise-entre le nœud supé- rieur et la base de l’inflorescence. [. Cylindre central. — Si nous pratiquons des coupes transversales dans la tige du Blé, nous constatons : l° Une cavité centrale irrégulière entourée des restes d’une moelle constituée par des cellules assez grandes, vides généralement au moment de la floraison, et dont les parois se lignifient de très bonne heure. | 2° À l'extérieur de la moelle, une couronne de faisceaux libéroligneux, alternativement de 1” et de 2° ordre, assez rapprochés les uns des autres, plongés au milieu de fibres et de cellules à calibre étroit, mais à parois fortement ligni- fiées. Ces faisceaux possèdent la structure normale; le bois et le liber sont enveloppés d’une gaine scléreuse constante. À l'extérieur de ces faisceaux se trouve une zone de tissu ligneux s'étendant parfois Jusqu'à l’épiderme de la tige, et dont l’importance varie néanmoins avec les espèces que l’on considère. [Il est à remarquer que les éléments fibreux de deux faisceaux voisins se rejoignent par leur base et ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 303 constituent ainsi une bande continue protectrice tout au- tour du cylindre central. En outre, comme ils s'étendent de la base au sommet du chaume, ils forment, avec les fais- ceaux du cylindre central, la presque totalité de la résis- tance nécessaire aux liges des Graminées pour se maintenir dans la position verticale. Comme je l'ai fait remarquer, la proportion de ce tissu de soutien est variable avec une foule de causes; mais on peut dire que, d'une manière générale, il est plus déve- loppé dans les tiges des Graminées végétant dans les ter- rains arides et chauds ou sur les coteaux desséchés et expo- sés aux venis. IL. Écorce, — L'écorce comprend l’épiderme et le paren- chyme cortical. L'épiderme est formé de cellules dont le mode d’union est, comme pour les feuilles, variable selon les espèces. Le parenchyme cortical est composé uniquement d’un Ussu assimilateur ressemblant assez à celui que nous avons trouvé dans les feuiiles. Parfois, les éléments verts situés immédiatement sous l’épiderme affectent la forme des cellules palissadiques ordinaires, Dans ce parènchyme sont plongés des faisceaux de 2° ou le plus souvent de 3° ordre, allernant avec ceux du cylindre central; et comme ils sont placés à la limite interne de l’écorce, ils paraissent se con- fondre avec les premiers et ne former qu'une seule couronne appartenant au cylindre central. On constate ici une différence avec la lige d'un certain nombre de Monocotylédones, celle des Palmiers, par exemple. Tandis que dans les tiges de ces derniers les faisceaux sont disposés sans ordre, dans les Graminées il existe, au con- lraire, une régularité presque parfaite dans la place occupée par les faisceaux libéroligneux, et cette régularité se pour- suit même dans la base des tiges aériennes el jusque dans les rhizomes des espèces vivaces. Le parenchyme vert de l'écorce se trouve interrompu, dans le Blé et dans une foule d'autres espèces, par des 304 E. PÉE-LABY. cloisons de tissu fibreux, disposées assez régulièrement, et correspondant à la face dorsale de chaque faisceau libéro- ligneux de 1* ordre du cylindre central. Ces cloisons s’'élendent jusqu'à l'extérieur et y forment les arêtes que l’on remarque dans les liges sillonnées, celles des Setaria et quelques autres. Dans certaines tiges de Graminées, les fais- ceaux corlicaux portent également à l'extérieur des cloi- sons ligneuses, moins importantes il esl vrai, mais qui peu- vent aboutir à l’exlérieur. Comme on le voit, 1l existe une analogie presque par- faite entre le tissu de soulien de la tige el celui de la feuille. Nous savons en effet que, dans la feuille du Blé, cha- que nervure porte aux deux pôles du faisceau des bandes ligneuses qui s'étendent jusqu'aux épidermes. D'autre part, nous avons remarqué que les feuilles de l’ensemble des Graminées pouvaient se diviser en deux groupes principaux : le 1”, comprenant celles dont le parenchyme est pour ainsi dire uniforme et remplit tout l’es- pace compris entre les faisceaux; le 2°, celles dont Le tissu vert est uniquement disposé autour des faisceaux. Il était assez naturel de penser que cette même distinction devait exister pour les liges. En effet, si nous prenons les Panicum, les Setaria, les Eragrostis, elc., nous trouvons que Îles faisceaux libéro- ligneux du parenchyme vert de l'écorce possèdent la même constitution que ceux de la feuille; c’est-à-dire qu'il existe celte même couronne de grandes cellules renfermant ces corpuseules chlorophylliens de nature el de dimensions parliculières, que nous avons rencontrés dans les feuiiles de ces mêmes plantes. Seulement, il est bon de dire que les dimensions des cellules vertes formant la gaine du faisceau ne sont pas aussi grandes que dans le tissu foliaire. Les feuilles de ces Graminées, comme de la majorité du 5° groupe, possèdent une nervure médiane en général très développée (Zea Mays, Sorghum halepense, ete.). Cette dernière forme même une côte blanchâtre en saillie assez ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE 305 marquée à la face inférieure. Les coupes transversales de ces feuilles nous ont montré que vers l'extérieur de ces côtes il se trouvait une bordure de faisceaux libéroligneux de même nature que les faisceaux de 3° ou 4° ordre du limbe. À l’intérieur de ces faisceaux, on en voit ordinaire- ment un de 1° ordre bien développé, plongé dans un tissu rappelant complètement la moelle de la tige par sa consti- tution. On voit par là que cette côle blanchâtre peut être considérée comme une portion du cylindre central, rabattue pour former la nervure médiane de la feuille. En résumé, l'anatomie comparée de la lige et de la feuille des Graminées montre qu’il existe une concordance par- faite entre ces deux organes. Si elle ne nous a pas apporté de fait nouveau pouvant servir à l'établissement des groupes que nous avons élablis dans celle importante famille, elle a confirmé d’une façon certaine les principes qui nous ont guidé dans ce travail. ANN. SC. NAT. BOT. vit, 20 DEUXIÈME PARTIE CHAPITRE PREMIER LA GAINE VERTE DES FAISCEAUX DES FEUILLES DES GRAMINÉES. Je me propose, dans ce chapitre, de décrire en détail ce que l’on doit entendre par gaine verte des faisceaux foliaires. On savait depuis longtemps qu'il existait autour des fais- ceaux de certaines feuilles de Graminées, celles que j'ai ran- gées dans le 5° groupe, une couronne de cellules vertes se distinguant des voisines par leurs dimensions et aussi par leur contenu. Mais jusqu'ici personne n'en avait donné la nature exacte. On n’avait jamais établi non plus que les feuilles des autres Graminées, celles qui sont comprises dans les 1°, 2°, 3° et 4° groupes, possédaient également autour de leurs ner- vures une gaine de cellules allongées renfermant de la chlo- rophylle. Et cela, parce que, pour étudier l’analomie d’une feuille, on se contente ordinairement de coupes transversales, et que, dans ce cas, la gaine peut être confondue assez facile- ment avec le reste du parenchyme vert. Cependant, la présence constante de cette gaine autour de tous les faisceaux, et la forme spéciale des éléments qui la constituent, semblent lui donner une importance phy- siologique considérable. D'ailleurs, après avoir décrit sa structure et ses principales modifications dans l’ensemble des Graminées, j'essaierai d'expliquer son rôle dans la vie de ces plantes. ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 307 Dans les feuilles des Graminées des quatre premiers grou- pes (Poa, Avena, Bromus, Triticum, elc.). on trouve ordi- nairement des nervures de 1%, 2°, 3° et 4° ordre. Laissant de côté les premières, si l'on observe une nervure de 3° ou de 4° ordre, on remarque, en dehors de la gaine scléreuse du faisceau, une couronne de cellules vertes se distinguant de leurs voisines par leurs parois franchement convexes vers l'extérieur (PI. XI, fig. 11 et 12), au lieu d'être recti- lignes comme les autres. Des coupes longitudinales passant au voisinage de l'axe de ces éléments m ont permis de constater que ces cellules sont de quatre à cinq fois plus longues que larges (PI. XT, fig. 13 et 14), et s'appliquent intimement contre le faisceau qu'elles enveloppent complètement. En pratiquant un grand nombre de coupes dans les nervures secondaires, on se rend en outre bien compte que les éléments de la gaine verte vont en augmentant de longueur et de diamètre de la face infé- rieure à la face supérieure de la feuille. Si l’on considère ensuite une nervure de deuxième ordre. on remarque que les cellules vertes entourant la gaine scléreuse du faisceau perdent petit à petit leur coloration verte ; les cellules tournées vers la face supérieure devien- nent, les premières, incolores: puis c'est le {our de celles qui sont situées à la face inférieure, et enfin viennent celles qui sont placées sur les côtés, jusqu'au moment où cette couronne de cellules paraît tout à fait incolore. De telle sorte que, dans les nervures de premier ordre principale- ment, la gaine qui était verte au début de la végétation ne renferme plus de chlorophylle lorsque le faisceau est arrivé à son complet développement. On constate d'autre part que, plus la nervure que l'on examine est d'un ordre élevé, plus la longueur des cellules de la gaine est grande. C'est ce qui explique pourquoi, en section transversale, ces cellules paraissent vides: l'épaisseur 308 E. PÉE-LABY. de la coupe élant moindre que la longueur d’un de ces éléments, le contenu s'échappe très facilement. C’est aussi pour ce molif que l'existence d’une pareille gaine est restée si longtemps ignorée. Pour se rendre compte des fonctions de cette gaine, il faut envisager ses relations avec la gaine scléreuse d’une part et le parenchyme chlorophyllien de l’autre. La figure 14 de la planche XII nous montre que, tandis que les parois de la gaine scléreuse sont épaisses et ligni- fiées, celles de la gaine verte sont au contraire minces el cellulosiques. Les unes et les autres portent d’ailleurs des ponclualions aréolées assez nombreuses pour assurer la communication et faciliter le passage des liquides ou des gaz entre ces deux sortes d'éléments. D'autre part, les parois intérieures, celles qui sont au con- tact du faisceau libéroligneux proprement dit, sont bien plus épaisses que les parois externes. C’est ce que montrent très nettement les figures 16, 17 et 18 de la planche XII, en section transversale, et la figure 14 en section longitudi- nale. Les rapports de la gaine verte avec le reste du paren- chyme chlorophyllien de la feuille sont assez faciles à saisir. sur une des deux coupes longitudinales (fig. 13 et 14). On y voit en effet les cellules à chlorophylle implantées normale- ment sur la gaine verte, comme de véritables cellules palis- sadiques. Si nous passons à l’examen du contenu des cellules de cette gaine,toujours dans les mêmes exemples précités, nous voyons que lorsque la feuille est très jeune, ou lorsqu'elle est prise sur une Graminée en herbe, dont la tige n’est pas encore formée, toutes les cellules de la gaine sont également remplies d’un contenu chloroph yllien ressemblant exactement à celui des cellules vertes voisines, et cela dans les nervures de tout ordre. Avec l’âge, à mesure que la feuille se développe, ou bien dans une feuille de la tige portant des fleurs ou des ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE 309 fruits, la substance verte disparaît en partie dans les plus pelites nervures et complètement dans les nervures de 1°" ordre. En suivant la marche de Ia disparilion de la chlorophylle dans la gaine, on s’aperçoit que le contenu des cellules devient de moins en moins dense ; à un moment donné, la substance chlorophyllienne n’est représentée que par une traînée proloplasmique ne renfermant que quelques chloro- leucites. Puis la couleur verte disparaît complètement, ne laissant à la place que du protoplasma incolore. Enfin, dans les nervures principales, le proloplasma lui-même a totale- ment disparu. Tels sont les caractères anatomiques que possède la gaine verle dans les nervures des feuilles des Graminées apparte- nant plus parliculièrement aux deux premiers groupes, c'est-à-dire aux feuilles dont les deux faces portent un égal nombre de stomates régulièrement placés. Dans ce cas, la gaine verte est complète, elle entoure les jeunes faisceaux en entier ; elle ne devient incomplète à l’un ou même aux deux pôles du faisceau que dans les nervures principales. Nous rencontrons une pareille organisalion dans la plupart de nos Graminées annuelles dont le système foliaire est très développé. Nous allons voir maintenant quelles sont les principales modificalions que présente celle gaine dans les Graminées dont les feuilles sont dépourvues de stomates à la face infé- rieure. | Il Reprenons une feuille du Deschampsia flexuosa étudié plus haut. Nous avons vu que l'épiderme inférieur est doublé d’une bande de fibres longues et étroites, à parois fortement épaissies, qui ne laissent pas de place aux stomates sur cette face. Mais, en revanche, nous savons que ces organes sont très nombreux à la face supérieure. De plus, la figure sché- malique de la page 266 nous montre que les nervures sont 310 E. PÉE-LABY. rares et plongées dans un parenchyme chlorophyllien très épais. La gaine scléreuse entoure tous les faisceaux comme à l'ordinaire, mais la gaine verte n’existe qu'au pôle supérieur (PI. XIE, fig. 16): elle n’enveloppe que la moilié du faisceau, celle qui est conslituée par les éléments conducteurs du bois. Cette disposition de la gaine est très apparente dans cel exemple, parce qu’elle contraste avec les tissus voisins par la forme et les dimensions de ses éléments. Le contenu de cette gaine perd de bonne heure sa colora- Lion verte, on ne trouve cette dernière que dans les feuilles très Jeunes. Les parois des cellules de cette enveloppe deviennent aussi rapidement plus épaisses que les autres, et même se lignifient légèrement dans le Deschampsia flexuosa. Cette lignification est poussée plus loin et est totale dans les cellules de la gaine de certaines feuilles appartenant à ce groupe (Sparlina stricta, Psamma arenaria, elc.). Au lieu d'examiner une feuille aciculaire, prenons une feuille ordinaire à limbe plan, dépourvue de stomates à la face inférieure, celle de l’Ampelodesmos tenax par exemple. Un fais- ceau de cette feuille est représenté par la figure 17 de la plan- che XII. Nous voyons ici que la gaine verte est de dimensions plus grandes que précédemment ; elle recouvre le pôle supé- rieur d'une sorte de fer à cheval dont les deux branches rejoignent la bande de tissu mécanique qui se trouve à la partie inférieure de ce faisceau. Si l’on passait en revue un certain nombre de feuilles de ce groupe, telles que les Festuca duriuscula, Calamagrostis epigeios et autres, on trouverait tous les intermédiaires entre le cas de la gaine du Deschampsia flexzuosa et celui des feuil- les planes en général. On verrait également que, dans ces feuilles, les cellules de la gaine sont dépourvues de chloro- Jeucites. Cette disposition particulière de la gaine verte autour du faisceau indique nettement qu’elle est en rapport plus étroit ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 311 avec la face supérieure qu'avec la face inférieure de la feuille. Or la face supérieure est chargée seule des fonctions de transpiration, puisqu'elle porte seule les stomates. Et comme celte gaine esl dépourvue de chlorophylle pendant la deuxième période de la végétation de la plante, elle ne peut servir qu’à la conduction de l’eau. Il est donc à peu près certain que celte gaine doit emmagasiner l’eau nécessaire à la trans- piration, selon l’état hygrométrique de l'air, et maintenir la vilalilé des tissus dans le cas d’extrème sécheresse. Celte explication résulle évidemment de la position de celte gaine dont les éléments sont plus développés vers l'extérieur, c’est- à-dire vers la face où la transpiration est le plus active. C'est dans les Graminées aquatiques ou des lieux humi- des que la gaine verte des faisceaux foliaires atteint son plus grand développement. Si nous considérons la feuille d’une des plantes renfermées dans le tableau V, eten particu- lier celle du Phragmites communis, dont un des faisceaux est représenté dans la figure 23 de la planche XII, on est frappé lout de suite par les grandes dimensions de la gaine qui l’en- veloppe. Dès le début de la formation des feuilles, les cellules de cette gaine ont déjà perdu leur chlorophylle et ne renferment que du protoplasma incolore. Bientôt après, elles ne contiennent plus que de l’eau, de sorte que, dans cetle plante, on peut dire que cette gaine joue presque exclu- sivement le rôle de réservoir aquifère. Mais en même temps les parois de ses éléments se lignifient légèrement pour empêcher l’affaissement qui ne manquerait pas de se pro- duire, surtout dans les feuilles comme celles du G/yceria fluitans, dont le limbe est pourvu de vastes lacunes. [TT Il existe enfin un groupe de Graminées dans lesquelles la gaine foliaire ne ressemble pas du tout à celles des feuilles précédentes. Non seulement elle est en général plus déve- 312 E. PÉE-LABY. loppée, mais encore elle diffère par le contenu de ses élé- ments, comme nous l'avons indiqué plus haut, en décrivant la structure des feuilles du 5° groupe. Il suffit en effet d'examiner les premières figures de la planche XIIL pour se convaincre de la forme et des dimensions des cellules de cette gaine. El si l’on regarde les figures 24, 25, 26, 27, on voit tout de suite que leur contenu ne se rencontre pas habituellement dans les cellules d'un paren- chyme chlorophyllien ordinaire. Considérons les nervures secondaires de l’Æ£ragrostis pilosa (PI. XII, fig. 19) ou du Sorghum halepense (PI. XIL, fig. 20), nous verrons que la gaine est ici complète, et qu’elle confine à l'extérieur à des cellules palissadiques toutes différentes par la forme et les dimensions. Dans les nervures de 2° ou de 1” ordre, celte gaine se trouve interrompue à l’un des pôles ou même aux deux pôles du faisceau, par les bandes de soulien qui s’enfoncent parfois jusqu'au contact des élémenis du bois ou du liber. Quant au contenu de cette gaine, il contraste, par sa colo- ration vert bleuâtre avec celui des cellules voisines, qui est plutôt d’un vert jaunâtre. De plus, examiné de près, il se présente formé de granules chlorophylliens ayant l’aspect de massues, plus ou moins pressées les unes contre les autres selon les cas, et implantées par l'extrémité la plus fine contre la paroi interne, comme le représentent les figures 24, 25, 26 et 27. Je ne veux pas entrer ici dans de plus longs détails sur la composition de ces corps chlorophylliens ; je me pro- pose de donner plus tard leur nature chimique. Contrairement à ce qui se passe pour les autres Grami- nées, la gaine verte conserve, dans les feuilles dont nous nous occupons ici, sa coloralion verte pendant très long- temps dans les nervures principales, et ne la perd jamais dans les secondaires. À mesure que la plante avance en âge, les chloroleucites deviennent de plus en plus petits, mais conservent néanmoins des dimensions supérieures à la normale vers la fin de la végétation. ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 313 Les membranes des cellules formant la gaine verte restent en cellulose dans les nervures de 5° et de 4° ordre. Ce n’est que dans les faisceaux principaux que la gaine se lignifie parfois assez sensiblement. Ce serait le moment de faire la distinction imaginée par Schwendener (1) entre les faisceaux foliaires qui possèdent une gaine scléreuse bien développée, et ceux qui en paraissent dépourvus. On remarque en effel, dans les faisceaux de certaines feuilles privées de cette enveloppe protectrice, que la gaine verte possède des parois plus épaisses et plus forte- ment bgnifiées que dans celles qui ont une constitution nor- male. Ce qui laisserait supposer qu'au besoin cet organe jouerail à la fois le rôle de tissu assimilateur et de tissu pro- tecleur, ce que d’ailleurs nous savions déjà et que nous avons constalé plus haut à propos des gaines des feuilles des quatre autres groupes. En résumé, il existe Loujours, autour des faisceaux libéro- ligneux des feuilles, et en dehors de l’endoderme, une gaine verte qui se présente sous deux aspects différents : 1° Dans les Graminées comprises dans les quatre premiers groupes précédemment élablis, la gaine verte entoure com- plètement les jeunes nervures et conserve son contenu chlo- rophyllien pendant toute la végétation de la plante (PI. XI et XIL, fig. 11 et 15). Dans les nervures plus fortes, la gaine perd la coloration verte, d’abord dans la partie tournée vers la face supérieure, puis à la face inférieure, el ne garde de chlorophylle que sur les côlés. Elle peut même la perdre complètement ; dans ce cas, les parois des éléments qui la forment se lignifient fortement aux deux pôles, et se confon- dent avec les bandes de fibres qui accompagnent le plus suvent ces sortes de nervures (PI. XII, fig. 12). Quelquefois même, dans les feuilles aciculaires des Gra- minées des pays secs, el en général dans celles qui sont (1) Schwendener, loc. cit, p. 254. 314 E. PÉE-LABY. dépourvues de stomates à la face inférieure, la gaine verte est incomplète, et lignifie rapidement et assez fortement les parois de ses éléments (PI. XI, fig. 16 et 17). Enfin, dans le cas des Graminées aquatiques, la gaine com- plète et formée d'éléments de très grandes dimensions ne se lignifie qu’assez tard (PI. XII, fig. 23). Cette gaine ne paraîil renfermer que de l’eau pendant presque toute la vie de la feuille. 2° En deuxième lieu, dans les feuilles des Panicées et des Andropogonées principalement, la gaine verte est plus apparente, el conserve durant toute la vie de la plante la fonction assimilatrice. Le rôle de soutien n’est ici qu’acci- dentel et ne paraît d’ailleurs évident que dans les nervures de 1” ordre. : On voit donc que cette gaine qui n’enveloppe que les fais- ceaux libéroligneux situés dans le parenchyme assimilateur, à l'exclusion de tous les autres, remplit un rôle considérable dans la nutrilion de la plante, au moment surtout de son dé- veloppement. Plus tard, cette gaine, perdant sa chlorophylle, sert à conduire ou à conserver l’eau nécessaire aux mul- tiples fonctions de la feuille ; enfin elle peut, dans certains cas, remplacer le issu de soutien qui fait défaut dans quelques espèces. Tel est le triple rôle que j'ai cru recon- naître à cette deuxième gaine des faisceaux foliaires des Graminées. CHAPITRE I LES CELLULES MOTRICES DES FEUILLES DES GRAMINÉES. Si l’on observe les feuilles des Graminées en géntral, on remarque que les unes restent planes durant toule leur vie, et que les autres prennent la forme d’aiguilles en s’enroulant de diverses facons. C'est ce dont on peut fort bien se rendre comple, à la fin de l'été, dans les friches ou les pâturages ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE 315 pauvres, ou bien encore dans des terrains abandonnés par les eaux. Mais ce n’est pas uniquement à cetle époque de l’année que l’on peut constater le phénomène : pendant la végéta- lion, il arrive souvent que les feuilles d’une certaine espèce s’enroulent et deviennent aciculaires pour reprendre quelque temps après leur forme primilive, el ainsi de suite. L'état de l’atmosphère et celui du sol produisent ces divers chan- gements dans l’aspect d’une même feuille. On peut même provoquer ces varialions en prenant les feuilles planes de certains Festuca; et tout le monde sait d'ailleurs que lorsqu'on fauche les prairies, surtout à la fin de l'été ou pendant l'automne, la plupart des feuilles des Gra- minées s’enroulent el prennent la forme d’aiguilles. Il existe donc des Graminées dont les feuilles conservent un limbe à peu près plan durant toute leur vie, et d’autres qui changent de forme selon les conditions atmosphériques ou terrestres. Les premières appartiennent au 1° groupe établi plus haut; elles ont une structure des plus simples et des faces sensiblement parallèles. Telles sont les : Triticum vulgare, Secale cereale, Bromus sterilis, Br. mollis, Cyno- surus echinatus, etc., etc. Les deuxièmes, au contraire, se rencontrent dans les quatre autres groupes. Leurs feuilles possèdent un limbe dont la face supérieure est, dans bien des cas, fortement ondulée. Le changement de forme qu'elles peuvent revêlir est dû à la structure et aux propriétés d’un tissu particulier que j'ai désigné sous le nom de {issu moteur. De la posilion et de l'importance de ce tissu dépendent les formes diverses des feuilles, que nous allons, en effet, élu- dier successivement pour nous rendre compte du mécanisme des mouvements opérés par les feuilles des Graminées. Si, à celte étude, nous ajoulons celle du développement et du rôle de cet appareil moteur dans la vie de la plante, nous en aurons fait l’histoire complète. Duval Jouve est le premier botaniste, en France, qui parle des cellules bulliformes, comme :l les appelle dans son 316 E. PÉE-LABY. Mémoire sur les À gropyrum de l'Hérault, en 1870,p. 320, et dans son travail sur les Graminées en général (1). Il a entrevu leur rôle ou plutôt leur mécanisme ; mais il laisse à d’autres le soin d'étudier leur structure et leur développe- ment. Cependant, il est allé un peu trop loin, à mon avis. en leur attribuant une influence prépondérante dans le mode de vernation de la feuille en boulon, lorsque ces cellules n'existent pas encore ou sont à peine sensibles. Pour nous, le seul effet évident de ce lissu, c’est de pro- voquer le mouvement du limbe ou d’une parlie du limbe ; voilà pourquoi nous l’appelons moteur. Nous allons succes- sivement passer en revue la distribulion de ce issu moteur dans les feuilles des Graminées, sa structure, son dévelop- pement et la nature du mouvement qu'il provoque et son rôle dans la vie de la plante. [. Distribution du tissu moteur dans les feuilles. — Le tissu moteur se trouve uniquement à la face supérieure du limbe; les cellules qui le forment sont groupées en bandes sensiblement parallèles à la nervure médiane. Quant à leur posilion relativement aux autres lissus foliaires, on FE en distinguer deux principales : 1° Elles sont situées entre deux nervures consécutives, et en général sur toute la longueur de la moitié du limbe (fig. 5, p. 256), ou bien sur la portion du limbe avoisinant la nervure principale (fig. 9, p. 267). 2° Elles ne forment qu'une bande de cellules motrices de : part et d’autre de la nervure médiane (fig. 10, p. 269). Les deux cas précédents peuvent se rencontrer sur un limbe à faces parallèles ou bien sur un limbe possédant des sinuosités profondes. Voyons l'effet produit dans chaque cas particulier. Nous admettons, sauf à l'expliquer plus lard, que chaque bande fait l'office d’une charnière autour de laquelle le limbe peut tourner de 0 à 180 degrés. PREMIER cas. — Si nous considérons les figures 4, 5, 6, (1) Duval Jouve, Loc. cit., p. 316. ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. o171 qui représentent des sections transversales de feuilles possé- dant des bandes de cellules motrices sur toute la largeur du limbe, les charnières, agissant chacune pour leur propre compte, auront pour effet ou bien d’éloigner ou de rappro- cher les deux moiliés de la feuille. EL si le mouvement s’ef- fectue en premier lieu sur les bords, l'effet produit sera, d’une part, l’enroulement, d'autre part le déroulement de chaque moitié du limbe. La conséquence, au point de vue physiolo- gique, est facile à tirer : dans le premier cas, c’est la face inférieure qui est seule exposée aux agents atmosphériques ; dans le deuxième, ce sont les deux faces qui sontsoumises aux mêmes conditions. DEUXIÈME cas. — Si nous examinons la feuille du Festuca capillata (Hg. 10), nous voyons qu’il n existe que deux bandes de cellules motrices situées de part et d'autre de la nervure médiane, au fond d’une sinuosité assez prononcée. L'aspect seul de la figure montre que l'effet de ces deux charnières sera le rapprochement ou l’éloignement des deux faces supérieures de cette feuille. Si la turgescence des cellules mo- trices est minima, les deux faces seront appliquées fortement l’une contre l’autre ; el si nous remarquons qu'une moitié du limbe est un peu plus grande que l’autre et que ses bords sont légèrement recourbés vers le haut, nous com- prendrons que la jermeture de la feuille sera complète et que la transpiration sera à peu près nulle pour la face supérieure. Si, au contraire, la turgescence augmente, l'écartement se produira d'autant plus qu'elle sera plus grande d’abord, et que les cellules seront ensuite plus nombreuses. Or, ici ces cellules sont peu profondes et seulement au nombre de trois en section. Il s'ensuit que l'amplitude du mouvement est très faible et qu'alors la feuille, ne s'étalant jamais com- plètement, est dite aciculaire. Il en est de même pour toutes celles de cette catégorie, qui sont assez répandues, comme nous aurons l’occasion de le constater un peu plus loin. Si nous passons à une autre Féluque plus commune que la précédente, le Festuca duriuscula, nous voyons que les 318 E. PÉE-LABY. feuilles sont tantôt étalées, tantôt enroulées. A l'inspection de la figure 9, nous comprenons tout de suite pourquoi l’écartement peut être plus grand el la feuille presque plane : parce que, à l'effet produit par les cellules motrices voisines de la nervure médiane s'ajoute celui qui provient des deux aulres bandes latérales situées un peu plus loin. Les feuilles de Festuca duriuscula el de Festuca capillata possèdent les bandes motrices au fond d’une sinuosité, et nous avons constalé que l’amplitude du mouvement est relalive- ment restreinte. Au contraire, si les deux bandes motrices sont au niveau de la face supérieure ou la dépassent, comme c'est le cas dans les Sesleria argentea et cœrulea. elles pro- duiront un écarlement plus grand et pourront rendre la feuille tout à fait plane. Les cellules motrices de ces deux feuilles sont représentées en section transversale dans la figure 7 de la planche XF. Leur nombre est d'abord plus grand, ensuite leurs dimensions, surtout en profondeur, son plus marquées : par conséquent, l'effet produit devra être plus grand, surtout si la turgescence peut se produire Hbrement à l’extérieur. Quelles que soient les posilions occupées par les bandes motrices sur le limbe de la feuille, nous avons vu que les unes sont situées au fond de sinuosilés, et les autres au niveau général du limbe. Nous savons aussi qu'elles pro- duisent des effets analogues. Mais on peut déjà faire cette remarque que les premières sont bien moins développées que les secondes. La raison est facile à comprendre. En effet, dans les feuilles du Deschampsia cæspntosa (fig.8, p. 266), du Psamma arenaria, du Lohum perenne (lg. 6, p. 256), de l'Agrostis canina, elc., etc., la profondeur des sinuosités varie des quatre cinquièmes à la moilié ou au üers de l'épaisseur totale du limbe. L'effort pour replier Ja feuille est peu considérable en raison de la faible épaisseur du tissu foliaire en face de chaque sinuosité. D'où l’inutilité d’un {issu moteur important en cet endroit. Si, au contraire, on considère les feuilles du Cynodon ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 319 dactylon (fig. 16, p. 289), du Phragmites communis (fig. 13, p. 278), du Sporolobus tenacissimus (fig. 18, p. 297), dont les faces sont sensiblement parallèles et l’épaisseur assez consi- dérable, on concevra qu'il est nécessaire d’une force plus grande que précédemment pour replier la feuille ou tout au moins en rapprocher les nervures. C’est aussi pourquoi les cellules motrices sont plus développées et les bandes plus profondes. Parfois même, quand l'épaisseur de la feuille est trop considérable, les cellules motrices sont étagées sur deux rangs (fig. 10, PI. XI), comme on peut le constater dans le limbe de l’'Arundo Donax. IL. Structure des bandes motrices. — Prenons une feuille de Gaudinia fragihs dont les bandes peuvent être consi- dérées comme possédant une struclure normale. Des coupes transversales pratiquées vers le milieu du limbe en- tièrement développé nous montrent (fig. 5, PI. XI) au fond d’une cavité trois cellules plus grandes que leurs voisines, et d’un aspeel tout autre. Elles sont contiguës d’une part aux cellules épidermiques (ép. s.), et de l’autre au paren- chyme vert proprement dit, sur lequel elles semblent reposer. Chacune d'elles à la forme d'un coin dont ia partie amincie serait tournée vers la face supérieure. Ce sont les cellules motrices. Les membranes qui forment ces éléments sont très minces relativement à celles de l’épiderme. Leur épaisseur va en augmentant néanmoins de la base renflée à Ja partie amincie du coin. La figure 5 représente ces trois cellules à leur maximum de turgescence; mais il est rare de les ren- contrer en cet élal sur une section transversale ; on les trouve le plus souvent avec des parois plus ou moins frois- sées ou ondulées, donnant l’apparence de cellules se péné- trant en partie les unes Îles autres, Quant à la nature des membranes, on peut affirmer qu'elle est cellulosique; les réactifs colorants ordinaires de cette substance, et en particulier l’hématoxyline alunée, indiquent cependant une cellulose se rapprochant de celle 320 E. PÉE-LABY. qui constitue le collenchyme dans les plantes : la réfrin- gence parliculière à ce dernier tissu vient corroborer l’indi- cation des réaclifs. Ce n'est que vers la partie extérieure de ces cellules que les membranes plus épaisses, comme nous l'avons dit, semblent se rapprocher, par leur composi- tion, de celles des cellules épidermiques voisines. Mais elles ne portent jamais cet épais revêtement de cutine que l’on trouve toujours sur ces dernières. C’est à peine si la fuch- sine ammoniacale, réactif habituel de cette substance, donne à cette partie des cellules motrices une légère colo- ration rosée. Mais en revanche, on remarque, en cet endroit, une couche assez importante de cire qui, tout en protégeant les mem- branes, ne leur enlève rien de leur élasticité, comme le fait la cutinisation. D'autre part, cette couche cireuse a l’avan- tage d'empêcher l’évaporation d’une manière plus complète. Vues de face, ces cellules motrices paraissent plus allon- gées dans le sens de la feuille qu’en largeur. Néanmoins, elles le sont moins que les cellules épidermiques voisines, et sont plus bombées. Si on cherche à se rendre compte du contenu de ces cellules dans une feuille développée, on constate d’abord qu'il est fluide, privé de substance solide à l'intérieur des membranes. Le protoplasma et le noyau que l’on aperçoit dans ces cellules en formation disparaissent de très bonne heure, comme nous aurons l'occasion de le voir un peu plus tard. Telle est donc la structure normale d’une bande motrice dans sa plus grande simplicité. On comprend que les cel- lules qui forment ces tissus soient essentiellement propres à provoquer les mouvements dont nous avons parlé plus haut. En effet, la turgescence de ces éléments peut se pro- duire assez rapidement, en raison de la finesse des parois qui peuvent être facilement traversées par les sues cellu- laires, comme aussi l’échappement de ce même liquide vers l'intérieur du parenchyme foliaire. Dans le premier cas, le lhimbe s'étale, tandis qu'ilse replie ou s’enroule dans le second. ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 921 Ces mouvements alternalifs du limbe des feuilles des Graminées peuvent être remarqués assez facilement dans la nature. Il suffit d'observer pendant les chaleurs de l'été les feuilles des Festuca duriuscula ou du Festuca pratensis. Le matin, après la rosée de la nuit, on trouve les feuilles de ces plantes presque complètement étalées; vers le milieu de la journée, elles sont repliées, surtout si les plantes sont expo- sées au soleil. Mais on peul aussi provoquer artificiellement ces mêmes mouvements, comme Jai eu l’occasion de le faire sur un grand nombre de Graminées pour avoir une idée de la rapi- dité avec laquelle 1ls se produisaient selon les espèces. Pour cela, on détache une feuille de la tige qui la porte, et on la place dans un milieu humide ou dans un endroit sec. Dans ces expériences, J'ai constaté les deux lois suivantes 1° Le lemps nécessaire à une feuille pour passer de l’état d'enroulement, après dessiccation partielle, à celui de feuille élalée, est plus grand que pour le mouvement inverse ; 2° sur une feuille coupée, ces mouvements se produisent lentement, et ne peuvent être répétés plus de deux fois, en général. Ces expériences nous prouvent que lemouvement dans les feuilles des Graminées n'est pas simplement mécanique comme pour cerlains autres organes végétaux : l’assise mécanique des sporanges des Fougères el les éla- tères des Équisétacées ; ici, il est en rapport avec le proto- plasma vivant des cellules de la feuille, dont l'activité et les propriélés varient avec le milieu. Ce n’est donc pas seule- ment la rentrée et la sortie de l’eau qui augmentent ou dimi- nuent la turgescence de ces cellules motrices. Ceci n’a rien d'étonnant et est absolument conforme à la plupart des autres mouvements observés chez les plantes, tels que le sommeil ou l’état de veille des feuilles des Légumineuses. Maintenant que nous savons comment les bandes mo- trices peuvent effectuer le mouvement du limbe, il est facile de voir de quoi dépend l'ampleur de ce mouvement. ANN. SC. NAT. BOT. vi, 24 320) E. PÉE-LABY. Pour un même nombre de cellules motrices, l’ampleur du mouvement est en rapport évidemment avec les dimensions de ces cellules. Plus une cellule motrice sera large et pro- fonde, plus les parois s’éloigneront par la turgescence et plus l’écartement du limbe sera grand. Si le nombre de cellules augmente dans chaque bande motrice, le mouvement pourra avoir plus d’étendue ; car, les effets de chaque élément s'ajoutant entre eux, le résultat définitif est plus considérable. C’est ce que l’on peut consta- ter dans les feuilles du Ses/eria cœrulea, qui ne possèdent qu'une bande motrice de chaque côté de la nervure mé- diane, et en général dans celles qui sont dans le même cas, et qui sont comprises dans le tableau suivant : Tableau VII. NOMS. TRIBUS. DURÉE. | 19 Cellules motrices situées uniquement de chaque côté de la nervure HN AT TENTER SAN. MON EME MORE == FestucacapulataRam ete re — Dactyhstalomerata AH eee — médiane. | Poucompressa LE ER EME EIRE Festucées. 22 = inemnorqus 12505 eee — 2L IDINO LE LT ON RS ESS RER — 2£ Catabnosaaquatica bb EEE te — | 2£ SESlERATCETUE UT ARS re RON —- 2 . 2 2° Bande motrice principale située de chaque côté de la nervure mé- diane et une ou deux bandes moins importantes portées par le reste du limbe. Danthonia decumbens D. G......... Avenées. 2 Poa distichophylla Gaud. .......... Festucées. 2 ATEN ONATENSISAILEE ERP EEE CPE Avenées. 2 — DromoesOouan CCE PCEE — 2 DESUUCANODIN EE NSP PETER Festucées. 24 Melhcanutans EN eRre Rer — 2£ Sclerochlom aura PB BE PRE P EE MERE — O (1) Les deux bandes motrices situées de part et d’autre de la nervure médiane sont confondues en une seule placée immédiatement au-dessus. ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE 3923 Nous avons déjà expliqué pourquoi les dimensions des cellules motrices sont, en général, en rapport inverse avec la profondeur de la sinuosité portant la bande motrice. Mais il est une autre cause qui peut faire varier leurs dimen- sions, c’est le nombre de bandes motrices réparties à la sur- face du limbe : moins, en effet, elles sont rapprochées, plus les éléments moieurs devront être développés pour produire le même effet. Considérons deux feuilles ayant la même cons- titulion dans les bandes motrices, c’est-à-dire trois cellules sur un seul plan, mais dont les sinuosités soient différentes comme nombre, celle de l’Agrostis canina, et celle du Gau- dinia fragilis. Dans l'Agrostis canina (lg. 4, PI. XI), les cel- lules motrices ont des dimensions plus grandes que dans le Gaudinia fragilis (g. 5, PI. XI). Les sinuosités sont cepen- dant d’égale profondeur, mais elles sont plus rapprochées dans le Gaudinia fragilis que dans l’Agrostis canina. Il est aussi à remarquer que des trois cellules constituant la bande motrice en seelion, c’est toujours la cellule médiane qui est la plus développée. Les deux cellules latérales Le sont quelquefois beaucoup moins (fig. 4 et 8, PI. XI). Quand le nombre des cellules motrices augmente, la différence dans les dimensions n’est pas aussi sensible. Nous verrons, en effet, que si le nombre trois est Le plus général dans la cons- titution des bandes motrices, il peut être de 4, de 5, de 6 et de 7, mais le plus souvent d’un nombre impair : c’est ce que nous apprendrons en étudiant le développement de ce tissu. UT. Développement du tissu moteur des feuilles des Gra- minées. — Pour bien suivre la formation des cellules mo- trices, prenons d’abord comme exemple les feuilles de plus en plus jeunes d’une plante dans laquelle les bandes motrices soient très développées à l’état adulte : la feuille du Cynodon dactylon, qui possède même deux rangées de cellules mo- trices superposées, comme d’ailleurs la feuille de l'Arundo Donax (PI. XI, fig. 10), et pratiquons des coupes trans- versales sur les feuilles les plus jeunes, celles qui constituent le bourgeon renfermé encore dans la gaine foliaire. 324 E. PÉE-LABY L'examen de ces coupes nous montre que, même à cet élat de faible développement de la feuille, les bandes mo- trices sont indiquées et contrastent déjà avec le tissu voisin par une apparence plus claire due à un contenu moins dense. On constate ainsi que les éléments qui forment ces parties brillantes ont des dimensions plus grandes. Mais il est facile de voir que ce sont des cellules épidermiques, car le con- tenu en est le même el les membranes se ressemblent à ce moment-là, landis que les cellules du tissu sous-jacent sont bourrées d’amidon et de chloroleucites. À partir de ce stade du développement, on remarque, sur des coupes de feuilles plus âgées, que ces cellules épidermi- ques deviennent de plus en plus grandes pendant que leur contenu s’éclaireit, et que les membranes s'amincissentjus- qu’à prendre les dimensions que nous avons constatées à l'état adulte. Dans le cas particulier de la bande motrice de la feuille du Cynodon dactylon el de celles qui possèdent deux ran- gées d'éléments moteurs, l’élage inférieur n'existe pas au début de la formation. Ce n’est que plus tard qu'il appa- raîl, provenant, par cloisonnement, des éléments de l'étage supérieur. | Ainsi donc, lorsque la feuille est encore dans le bourgeon, les bandes motrices sont déjà différenciées. Le nombre des éléments moteurs que présente la seclion transversale reste le même pendant la durée de la feuille ; ce ne sont que les dimensions qui augmentent. Nous venons de voir que le tissu moteur était de nature épidermique. Il est encore plus facile de constater celte ori- gine sur des feuilles dont les bandes motrices sont moins développées que celles du Cynodon dactylon, et qui doivent être considérées comme formant la transition entre celles qui en sont totalement dépourvues et les dernières. Si nous considérons les feuilles des Graminées du premier groupe, telles que le Mibora minima, le Cynosurus echinatus, ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 2395 la plupart des Bromus, elc., etc., nous remarquons que les cellules épidermiques de la face supérieure sont sensible- ment égales. Cependant, en les examinant de très près, les cellules épidermiques comprises entre deux nervures sont un peu plus profondes que les autres. De cette légère diffé- rence dans les dimensions des cellules épidermiques, on passe insensiblement à d’autres plus prononcées que l’on peul voir dans les Graminées qui figurent en tête du tableau If, et en particulier dans l’Arrhenatherum elatius inerdiet 2, PL XT) Dans la figure 1, les cellules épidermiques médianes con- servent encore, sauf les dimensions, les caractères de leurs voisines. C’est à peine si l’on constate un amincissement dans les membranes latérales el inférieures. L’épaisseur de la cuticule qui revêt les membranes extérieures est partout la même. Si nous examinons la figure 2, nous voyons que la diffé- renciation est plus marquée. À part les parois supérieures cutinisées, les cellules médianes possèdent l'aspect qu’elles auront dans des feuilles où le tissu moteur est plus déve- loppé. Ces deux figures sont significatives ; elles sont tirées de la même plante, mais de deux feuilles différentes : la première apparlient à une feuille de la base, la deuxième à une du sommet de la tige. En outre, nous remarquons dans la figure 1 que le nombre de cellules épidermiques comprises entre deux stomales est de neuf, tandis que dans le second il n’est que de sept. Si nous examinons la figure 3, lirée de la feuille d’Anthoranthum odoratum, ce nombre n'est plus que de six; iltombe à cinq dans le Phalaris nodosa, elc., etc. Or, à mesure que ce nombre décroît, la profondeur des cellules motrices augmente, et c'est toujours la cellule ou les cellules médianes qui l’emportent par leurs dimensions. On constate, en même temps, que la surface s'incurve. En passant en revue les diverses Graminées, on voit que dans les feuilles à surface plane les nervures sont relalive- 326 E. PÉE-LABY. ment écartées les unes des autres: les cellules motrices sont peu développées en profondeur et plus nombreuses que lorsque la feuille porte des sinuosités : dans ce dernier cas, les cellules motrices possèdent des dimensions plus grandes el sont le plus souvent réduiles à trois. _ IV. Effet et rôle du tissu moteur. — Si les bandes motrices s'étendent sur toute la longueur de la feuille, comme c'est le cas général, el que ces bandes existent sur toute la lon- gueur de la feuille, l'effet portera sur toute la longueur du limbe qui s’enroulera en cornet de chaque côté de la nervure médiane; les deux moiliés s’appliqueront l’une contre l’autre de manière à figurer une feuille aciculaire { Brachy- podium pinnatum, Deschampsia cæspitosa, elc.). Et, par un effet inverse, la feuille redeviendra plane. Si les bandes motrices existent seules vers la pointe du limbe, ou sont développées seulement sur ses bords (Lolium italicum, etc.), l’extrémilé seule de la feuille s’enroulera comme précédemment. Et si ces mêmes bandes sont siluées uniquement au voi- sinage de la nervure médiane (Festuca duriuscula, Aira media, elc.), les feuilles s’incurveront jusqu’au contact des bords du limbe qui, dans ce cas, ne s’enroulera jamais com- plètement. Enfin, s’il n'existe qu'une bande motrice de chaque côté de la nervure médiane (Festuca capillata, Poa alpina, Me- lica nulans, Avena bromoides), où au-dessus de la nervure médiane uniquement (Dactylis glomerata), les deux moitiés du limbe pourront se rapprocher jusqu’au contact. Au point de vue physiologique, ces divers mouvements de la feuille ont une importance considérable. En effet, selon les besoins de la plante, les fonctions de transpiration et de chloro-vaporisation peuvent être ralentis ou aclivés à volonté ; nous avons expliqué plus haut par quel mécanisme. C’est donc grâce à la présence de ce tissu moteur dans les feuilles que cerlaines Graminées peuvent résister à des tempéra- ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 321 fures excessives et végéter sur des sols desséchés ou arides qui ne conviendraient nullement à certains autres. C’est en- core pour cela que l’on trouve au sommet des hautes mon- tagnes des Graminées à feuilles aciculaires (Festuca ovina, F. Eshra) et autres, tandis qu’on n'y rencontrera pas les espèces à feuilles larges qui forment la base des prairies, des vallées ou des plaines. En outre de la faculté qu'ont les feuilles précédentes de diminuer leur surface de transpiration, il en est d’autres encore qui, ne s’enroulant que partielle- ment ou pas du tout, possèdent une organisation différente qui produit le même résultat. Je veux parler de ces bandes ligneuses sous-épidermiques qui sont siluées à la face infé- rieure du limbe {Festuca duruiscula, F. rubra, Deschampsia flexuosa, etc.). La présence de ces cellules motrices dans les feuilles des Graminées rend donc possible l'adaptation de certaines espèces sous des climats ou sur des terrains dans lesquels leur évolution ne pourrait se produire sans ces organes. C'est aussi pour ce motif qu'on rencontre en France la majeure partie des Graminées connues. A peine si quelques-unes sont exclusives à certains pays ou réfractaires à certaines natures du sol. Telles sont, par exemple, celles qui ont besoin pour vivre du chlorure de sodium et que l’on trouve exclusivement sur les bords de la mer, ou bien celles qui sont éminemment calcifuges ou calcicoles. Mais en consultant le tableau de ces espèces dressé par Contejean et, plus récemment, par d’autres botanistes, on reconnaît qu'elles sont peu nombreuses. En jetant un coup d'œil d'ensemble sur les Graminées de France, on reconnait que les unes possèdent des feuilles sans appareil moteur: ce sont des espèces qui ont terminé leur évolution avant les fortes chaleurs; les autres, au con- traire, exposées à des températures excessives ou à de grandes sécheresses, sont munies de feuilles ayant un tissu moteur diversement développé selon les cas. Ces dernières possèdent les moyens de luller, par conséquent de conserver et de 328 E. PÉE-LABY. propager l'espèce, moyens qui ont fait défaut certainement à bien des espèces disparues à des époques antérieures. Nous avons déjà vu que la présence du tissu moteur dans certaines feuilles ne pouvait être d'aucune ulilité pour éta- blir une classification générale des Graminées. Mais nous avons expliqué comment ce nouvel appareil pouvait servir à différencier certaines espèces voisines, alors même qu’on possède les organes floraux, ou tout simplement à en carac- tériser certaines aulres quand ceux-ci font défaut. CHAPITRE Il LES STOMATES DES FEUILLES DES GRAMINÉES. Dans les ouvrages classiques de Botanique, on cite les feuilles des Graminées en particulier, comme exemple de feuilles possédant un égal nombre de stomales aux deux faces du limbe (Hordeum murinum) (1). Le fait, donné comme normal pour les feuilles de cette famille, n’est, au contraire, qu'une exception. Les auteurs qui se sont occupés des stomates des Grami- nées sont rares. En 1865, A. Weiss (2) publiait un travail considérable sur les stomates en général; il parle incidem- ment des feuilles des Graminées, à propos du nombre de stomates contenus par millimètre carré; mais il ne cile que six exemples. Un autre botaniste, Pfitzer (3), traitant de la structure gé- nérale des épidermes, est amené à parler des stomales des Graminées, mais seulement au point de vue analomique. Reprenant la question, Schwendener (4) s’est occupé de (1) Duchartre, Éléments de Botanique, 3° édit., p. 163. (2; A. Weiss, Untersuchungen über die Zahlen-und Grossenverhälinisse der Spaltôffnungen (in Jahrb. für Wissench. Botan., IV, 1865). (3) Pfitzer, Ueber des Spallüffnungen der Graser (in Pringsheim Jahrb., Bd VII, p. 556-8). (4) Schwendener, Ueber Bau und Mekanik der Spaltüffnungen (Monats- bericht, 1881. — Id., Ueber die Spaltüffnungen der Gramineen (Sitzungsbe- richte der Akad. der Berl., 1889). ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 329 la structure des stomales des Graminées, pour nous faire connaître le mécanisme d'ouverture et de fermeture de ces organes. Si l’on examine l'ensemble des figures schématiques représentant les sections transversales des feuilles des Gra- minées (p. 244 à 302), on constate que dans le 1°’ groupe seul les feuilles portent des stomates distribués en égal nombre et de la même façon sur les deux faces. Il renferme prinei- palement des plantes annuelles, la plupart de nos Céréales et quelques-unes de nos Graminées fourragères. Dans le 2° groupe, la surface supérieure du limbe devient plus grande que l'inférieure : les lignes de stomates, au nombre de deux entre les nervures, sont ici ordinairement au nombre de quatre, tandis que ce nombre de deux est resté le même à la face inférieure (fig. 4, 5, 6, etc.). Voilà donc une catégorie de Graminées, assez nombreuses en France, dont la face inférieure possède moins de stomates que la face supérieure, fait généralement contraire à ce qui se passe, tant chez les Monocotylédones que chez les Dicoty- lédones. Mais dans le 3° groupe, cette anomalie alleint son maxi- mum, car la face supérieure des feuilles des Graminées qui le composent porte seule des stomates; la face inférieure en est tolalement dépourvue. Ainsi donc, l’on voit que, lorsque la surface de transpi- ration de la feuille est sensiblement la même sur les deux faces du limbe, le rapport entre le nombre de stomates de chaque face est aussi le même. Si la surface supérieure devient plus grande par suite des sinuosités qui s'y trouvent, ce rapport augmente dans des proportions variables avec la surface ; c’est le cas des feuilles du 2° groupe. Enfin, si, la surface supérieure augmentant, le nombre des stomates diminue à la face inférieure jusqu’à 0, ce rapport devient maximum ; c’est le cas des feuilles des plantes renfermées dans le 3° groupe. Si nous nous reportons au tableau IV, page 262, contenant 330 E. PÉE-LABY. les Graminées dont les feuilles ne portent que des stomates à la face supérieure, nous voyons qu'il en existe de deux sortes. Les premières possèdent des feuilles à limbe relativement plan, dans lequel il est facile de distinguer la face supé- rieure de la face inférieure. Les secondes sont munies de feuilles filiformes {Festuca ovina, Festuca rubra, Festuca hete- rophylla, Deschampsia flexuosa, etc.). I paraît impossible, dans ce cas, de faire la distinction précédente. Cependant, les sections transversales nous montrent nettement l'existence de deux faces qu’il est facile de ranger dans le cas général. Et l'on remarque alors que c’est bienila face inférieure qui est presque uniquement exposée aux agents atmosphériques, alors que la face supérieure est cachée entre les deux moitiés du limbe replié autour de la nervure médiane. C'est sur cette face que sont distribués les stomates. Nous avons vu précédemment qu’au point de vue anato- mique ces feuilles présentaient certaines modifications en rapport avec celte distribulion spéciale des stomates. Ainsi, la gaine aquifère n’entoure qu’une partie des faisceaux libéroligneux, celle qui est adossée aux éléments conduc- teurs du bois, et tournée par conséquent vers la face supé- rieure où sont situés les stomates. Ensuite, dans ces feuilles, le {issu de soutien est ordinairement plus développé que dans les autres groupes; les bandes de fibres ligneuses situées à la base de chaque nervure prennent des propor- tons telles qu’elles peuvent se rejoindre et constituer une sorle de revêtement sous-épidermique réduit parfois à une, deux, trois assises continues de ces éléments. Nous avons, en traitant de la structure spéciale des feuilles de ces Graminées, parlé en détail de ces modifications anatomiques au sujet desquelles nous croyons ne pas devoir insister plus long- temps. On peut remarquer, dans le tableau IV, que presque toutes les espèces qui y figurent sont vivaces. Il n'y en a qu'une qui soit annuelle, le Nardurus tenellus. Si l'on considère ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 391 l’époque de fructification de ces Graminées, on voit qu’elle a lieu vers la fin de l'été dans nos climats. En rapprochant ce fait de l'habitat de ces plantes, soil au sommet des mon- tagnes, soit au bord de la mer, soit dans les régions chaudes et brülées par le soleil, on comprend que leur structure doive être différente de celles qui ont fructifié avant l'été et qui n'ont pas besoin d'être protégées contre une perte d’eau très intense. Ainsi, prenons quelques exemples de ces Graminées végé- tant dans des régions un peu différentes : le Festuca ovina, le Festuca Eskia, le Deschampsia cœspitosa et le D. flexuosa, et voyons comment elles se comportent d’une année à l’autre. Les rhizomes de ces plantes portent, au printemps, des bourgeons qui se développent au-dessus des parties dessé- chées ou des débris de feuilles de l’an passé. Les tiges n'apparaissent que plus tard à fin du printemps et fructifient en été. Quelle que soit l’exposilion de chacune de ces plantes, on la voit toujours porter des fleurs et des fruits aussi bien sur les sommets desséchés que dans les vallons humides. C’est ce qui explique comment certaines montagnes de l'Ariège ou des Hautes-Pyrénées, complètement déboisées, exposées aux ardeurs du soleil sur un sol aride ou rocailleux, sont recouvertes par les gazons drus et serrés du Festuca ÆEshia principalement. Cette Graminée empêche, presque à elle seule, la dénudation complète des flancs abrupts de ces montagnes. Elle est d’ailleurs si coriace (nous savons pour- quoi) que les troupeaux la respectent intégralement. Heu- reusement pour eux que, de loin en loin, il s’y mêle quel- que autre Fétuque à feuilles aciculaires, mais moins rebelle à la dent, qui leur permet de séjourner quelque temps dans ces parages. Opinion de Duval Jouve sur les feuilles précédentes. — Duval Jouve, dans son travail sur les feuilles des Graminées, admet que « cerlaines, plus nombreuses qu'on est porté à 332 | E. PÉE-LABY. le croire, n'ont de stomales qu à la face supérieure (1) ». Mais il s'empresse d'ajouter que cette face devient de très bonne heure, par suite d’une demi-torsion, la face infé- rieure, celle qui porte toujours les stomates tournés vers le sol. Il a signalé le fait en 1871 (2), mais il avoue son impuis- sance à l'expliquer. Or, il est bon de dire tout de suite que deux plantes citées par Duval Jouve, à l’appui de son affirmation, comme dé- pourvues de stomates à la face inférieure de leurs feuilles, le Melica altissima et le Gynerium argenteum, ne doivent pas rester dans cette catégorie. J’ai eu la curiosité, quoique ces deux Graminées n’appartiennent pas à la flore française, de vérifier le fait sur des feuilles de diverses provenances, et Jai, au contraire, trouvé des stomates aux deux faces. Ensuite, quant à la demi-lorsion du limbe dont il parle, j'ai très sincèrement cherché à la constater dans les feuilles des deux plantes citées par Duval Jouve, et dans celles qui figurent dans la première partie du tableau IV, et j'avoue que Je n'ai Jamais pu l’observer. D'ailleurs, admetlrions-nous le renversement dont parle Duval Jouve pour certaines feuilles larges, comment expli- quer l'absence de stomates à la face inférieure dans les feuilles aciculaires (Festuca ovina, Festuca rubra, Festuca capillata, ete., elc.)? I'est, à mon avis, bien plus simple d’ad- mettre une règle uniforme pour expliquer le cas d’une feuille dépourvue de slomates à la face inférieure, quelle que soit d’ailleurs sa forme, qu'elle soit aciculaire, ou à limbe plan. L'absence de stomates à celte face est en rapport avec les conditions de végétation de la plante ; elle se manifeste toutes les fois que cette dernière a besoin d'échapper à une trans- piration {rop active qui amènerait sa dessiccation à bref délai. Et l'enroulement qui se produit dans quelques feuilles a pour effet d'augmenter cette préservation contre la dessic- calion, en n'offrant à l'extérieur qu’un épiderme fortement (1) Duval Jouve, loc. cit., p. 314. (2) Id., Bull. Soc. bot. de Fr., t. XVIII, p. 236: ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 339 culinisé, et doublé parfois d’une bande d'éléments lignifiés pouvant retenir, eux aussi, une certaine quantité de liquide dans leur intérieur. Développement des feuilles dépourvues de stomales à la face inférieure. — Si l'on éludie le développement des feuilles des Graminées du 3° groupe, sur deux exemples, le Festuca ovina et le Psamma arenaria, en pratiquant des coupes selon la mélhode habituelle, on constate que, pour si jeunes qu'elles soient, leur face inférieure est toujours dépourvue de stomales. D'autre part, comme dans ce groupe il existe des Gra- minées à deux sortes de feuilles, le ÆFestuca rubra et le Festuca heterophylla possédant toutes les deux des feuilles aciculaires à la base et plus ou moins larges au sommet, j'ai voulu savoir, d’abord, sur les deux sortes de feuilles adultes, el ensuitesur les feuilles aussi jeunes que possible, si l'absence de stomales était constante à la face inférieure. De même, dans les Graminées vivaces en général, il existe des feuilles d'automne, des feuilles d'hiver, qui persistent pendant toute la saison, et des feuilles d'été. Il était bon de se demander si ces lrois sortes de feuilles conservaient la même structure à loules les époques. Après des recherches sur de nombreux exemples, J'ai loujours remarqué que les véritables caractères anatomiques était constants pour la même plante, quels que fussent l’âge et les dimensions de la feuille considérée. Donc, l’élude du développement nous montre que les feuilles de cette calégorie de Graminées sont dépourvues, pendant toute leur existence, de stomates à la face infé- rieure. CHAPITRE IV STRUCTURE DE L'ÉPIDERME DES FEUILLES DES GRAMINÉES. Dans le cours de mes précédentes recherches, j'ai eu l'oc- casion de remarquer maintes fois que les cellules épider- 334 E. PÉE-LABY. miques de certaines feuilles de Graminées présentaient une forme et une structure particulières. Et c’est parce qu'elles diffèrent de celles des autres végétaux que j'ai cru devoir les décrire dans ce travail. Car je ne crois pas qu'il existe une étude détaillée de la structure de ces cellules, pas plus en France qu’à l’étranger. Je n'ai vu signalé jusqu'ici qu'un cas de cette structure, dans deux ouvrages classiques (1). La plupart des feuilles des végélaux possèdent un épi- derme supérieur et un épiderme inférieur se ressemblant, soit par la forme, soit par les dimensions de leurs éléments. On peul faire cette observation surtout sur les feuilles à tissu mou, dont l'accroissement est rapide et la durée relative- ment courte. Certaines Graminées sont dans ce cas : celles qui sont rangées dans le 1° et le 5° groupe, c'est-à-dire celles dont le limbe est à faces parallèles. Déjà, dans le 2° groupe, qui renferme des feuilles à face supérieure plus grande que l’inférieure, les deux épidermes sont un peu différents ; néanmoins, je les laisse de côté pour le moment. Je veux seulement m'occuper ici d’une différence plus marquée et plus intéressante que présentent en général les épidermes des feuilles des Graminées du 3° groupe, dont le limbe est dépourvu de stomates à la face inférieure, et de quelques autres venant dans des sols arides et desséchés. Tout le monde sait que les feuilles des Graminées et les feuilles rubanées, en général, possèdent des cellules épider- miques ayant l’aspect de rectangles plus ou moins allongés, et dont les parois sont rectilignes (PI. XIIT, fig. 29). Sr l’on examine la feuille de Blé, par exemple, les cellules des deux épidermes sont à peu près semblables. La première modificalion que l’on remarque consiste dans le changement de forme des cellules de l’épiderme inférieur. Les figures 28 et 29 représentent des lambeaux d’épiderme pris au même niveau d’une feuille de Poa trivialis. Outre que la forme des cellules est un peu différente, on constate que (1) Tchirsch, Angewandite Pflanzen anatomie, p. 144. — Franck, Lehrbüch der Botanik, p. 133. RS ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 339 celles de la face supérieure sont plus allongées que celles de la face inférieure. D'ailleurs, cette dernière remarque s’ap- plique à presque toutes les feuilles des Graminées. Examinons maintenant la feuille de l'Avena pratensis : nous voyons que les cellules de l'épiderme supérieur possè- dent les caractères précités ; les cellules ont des parois recti- lignes comme celles de la figure 29. L'épiderme inférieur de cette feuille est constitué par des cellules d'abord plus étroites et dont les parois de raccordement avec les cellules voisines sont fortement sinuées et forment une sorte d’en- grenage à dents très serrées. Éxaminées à un fort grossis- sement (PI. XII, fig. 32), ces cellules présentent les parties suivantes: 1° la ligne médiane de soudure qui sépare la con- cavité de l’une de la convexilé de l’autre sinuosité ; 2° un oburrelet en saillie au-dessus du niveau de l’épiderme con- tournant chaque sinuosité. Sans vouloir rechercher la composition chimique de ce bourrelet, ni affirmer, comme les auteurs précités, qu'ils sont constitués par de la si/ce ou des si/cales, j'ai pu constater par les réactifs appropriés qu'ils étaient fortement cutinisés. Cette cutinisalion est quelquefois si considérable qu’elle finit par obstruer le sinus formé par chaque dent, comme on peut le constater sur la figure 32, et, d’une façon encore plus nette, sur l’épiderme du Psamma arenaria, du Stipa Jjuncea, etc. On comprend qu'une disposition semblable des parois laté- rales de ces cellules est fort propice pour renforcer la mem- brane épidermique et augmenter la rigidité du limbe. Si l’on ajoute à cela une forte culinisation des parois, on voit quelle peut être la différence de résistance entre cet épiderme el l’épiderme supérieur dont les parois restent minces. Mais toutes les cellules à bords dentés ne présentent pas des sinuosités à contours si serrés que celles de l’Avena pratensis (fig. 32) ou du Prachypodium pinnatum (fig. 31). I existe tous les intermédiaires entre les cellules à parois recti- lignes du 1°” groupe et ces dernières. Ainsi, dans la feuille 336 E. PÉE-LABY. de l'Avena montana, c’est à peine si les sinuosités sont indiquées sur la face inférieure (PI. XIIL, fig. 30). On peut faire une autre remarque à propos des feuilles dont nous nous occupons. Deux cellules épidermiques se rac- cordent bout à bout par lintermédiaire d’une ou de deux cellules en forme de poil invaginé ou en saillie. Ainsi,reprenons la figure 30 : nous voyons que deux cellules consécutives sont séparées par une autre plus petite en forme de poil crochu; d'autre part, deux autres cellules, petites, rectangulaires et non en saillie, servent à raccorder les autres éléments épi- dermiques. Si nous prenons l’épiderme inférieur de la feuille du Bra- chypodium pinnatum (lg. 31), nous remarquons que c'est tantôt par une, tantôt par deux de ces cellules que les cel- lules épidermiques se raccordent. ei, les éléments de raccord ont pris la forme d’un rein, et l’on peut constater que les formes de rein et de poil sont associées. Le plus souvent, les deux petites cellules sont de même nature. Si nous reprenons la figure 32, nous pouvons suivre, d’une façon précise, la façon dont les cellules épidermiques se rejoignent. Entre leurs extrémités sont placées deux petites cellules réniformes, à convexité tournée du même côté, se soudant entre elles et aux cellules voisines en formant un bourrelet qui s'applique exactement contre le bourrelet des cellules épidermiques, avec une moindre sinuosité cette fois. Il élait indispensable, pour compléter les notions que l’on avail sur la structure de ces cellules, de pratiquer des coupes longitudinales, parallèles aux cellules épidermiques et pas- sant par ces pelits organes de raccord. Plusieurs seclions opérées sur des feuilles différentes m'ont éclairé sur la nature morphologique de ces cellules intermédiaires et sur la forme exacle des cellules épidermiques. Examinons, en effet, les deux figures 34 el 35 représen- tant, la première, la coupe longitudinale de l’épiderme d'une feuille d’une Graminée vivace, le Festuca elatior, la seconde d’une plante annuelle, le Nardurus tenellus. L'une ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 394 et l’autre de ces deux feuilles portent les plissements carac- téristiques de ces épidermes. Nous voyons par ces coupes : 1° que les sinuosités de la membrane n’inléressent que la ligne supérieure de suture et pas du tout les parois infé- rieures; 2° que la petite cellule intermédiaire possède tous les caractères des cellules épidermiques qu’elle raccorde, et n’est aulre qu'un poil invaginé. Ces sortes d'organes sont très communs dans les feuilles appartenant à cette catégorie de Graminées. Les deux figures suivantes, 33 et 36, représentent des sec- tions longitudinales passant par deur de ces organes. La première appartient à la feuille de l’Avena pratensis. Les deux cellules servant à unir les cellules épidermiques sont situées l’une au-dessus de l’autre : l’inférieure, de dimensions plus grandes, repose par sa large base sur une fibre ligneuse hypodermique ; la supérieure a la forme d’un poil réduit à sa partie basilaire. L'ensemble de ces deux organes acces- soires ne dépasse pas le niveau de l’épiderme. Dans la deuxième figure, représentant un lambeau d’épi- derme inférieur du Lasiagrostis calamagrostis, les deux cel- lules de raccord sont, d’abord, un peu plus développées, et ensuite placées côte à côte. L'une possède une surface exté- rieure légèrement concave et peut êlre prise pour un poil invaginé; l’autre, à surface convexe, a bien la forme d’un poil ordinaire très court. Le tout repose ici sur un paren- chyme vert. Ce dernier cas se rencontre surlout dans l’épiderme des feuilles coriaces aciculaires ou à limbe plan, appartenant à des Graminées venant dans les endroits arides et brûlés par le soleil ou sur des Lerrains rocailleux. En résumé, nous voyons que, dans les feuilles des Grami- nées, on trouve des épidermes constlilués de deux façons principales : dans un premier cas, la membrane épider- mique est formée de cellules de dimensions égales, ayant l'aspect d'un rectangle à parois reclilignes et relativement ANN. SC. NAT. BOT. vit, 22 ? ai md 338 E. PÉE-LABY. peu épaisses. C’est le cas des feuilles du Triticum vulgare, du Promus mollis, du Poa triviahs, du Brachypodium sylva- hicum, du Baldingera arundinacea, etc., etc. Dans une seconde catégorie, l’épiderme est composé de cellules de deux sortes: les unes grandes et reclangulaires, à parois épaisses, s’articulant entre elles, non plus comme les précédentes, selon une ligne droite, mais bien par une ligne sinueuse, découpant des sortes de dents d’engrenage s’em- boîtant avec celles de la cellule contiguë. Dans ce cas, les sinuosilés sont d'autant plus serrées que le besoin de résis- tance aux agents atmosphériques et à la perte d’eau est plus grand. Les autres, petites, en forme de poil ordinaire cro- chu ou de poil invaginé, sont siluées aux extrémités des cel- lules précédentes et servent à les raccorder. La jonction se fait, tantôt par un, tantôt par deux de ces organes. Sont dans ce cas : les feuilles des Festuca duriuscula, ovina, ela- hor, du Brachypodium pinnatum, au Deschampsia cœspitosa, du Psämma arenaria, du Nardus stricta, ete., etc. La plu- part de ces feuilles portent un bourrelet fortement culinisé tout le long de la ligne de suture des cellules épidermiques ; ce bourrelel fait parfois une saillie assez prononcée au-des- sus du niveau de la membrane épidermique. CHAPITRE V RÉSUMÉ GÉNÉRAL. Nous nous sommes proposé, dans ce travail, de diviser les Graminées de France en un certain nombre de groupes basés sur les différences anatomiques que présentent leurs feuilles. Nous allons résumer ici, sous forme de conclusions générales, les principaux caractères qui nous ont permis de distinguer cng catégories de feuilles correspondant à autant de divisions dans les Graminées. Nous suivrons d’ailleurs l’ordre adopté précédemment pour l'étude dé- taillée de la feuille. ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 339 À. — Eynderme. 1°. — Les membranes épidermiques ne possèdent pas la même organisation chez toutes les Graminées. Elles sont semblables sur les deux faces du limbe dans les Graminées des 1°” et 2° groupes (Trilicum vulqare, Holcus lanatus, Phalaris nodosa, ele... elc.). Dans ce cas, les cellules qui les constituent sont disposées en files longitudinales, ont une forme de rectangle allongé dans le sens de la feuille, et les parois de séparalion de deux cellules voisines sont planes. Les cellules épidermiques peuvent se transformer en poils de formes et de dimensions variables. L’épiderme est parcouru par des lignes de stomates de position invariable. Elles sont situées de part et d’autre de chaque nervure, aussi bien à la face supérieure qu’à la face inférieure. Les stomates possèdent également une structure déterminée. Enfin, dans quelques Graminées de ce 1° groupe (2° ta- bleau) l'épiderme supérieur ne reste pas plan, el certaines cellules commencent à se différencier en tissu moteur, Il en est de même pour le 4° et le 5° groupe. 2°. — Dans les feuilles du 2° groupe, l’épiderme supé- rieur à pris une surface beaucoup plus grande, en raison des sinuosités qui sillonnent le limbe, et les lignes de stomales sont au moins en nombre double sur celte face (Lolium temulentum, Avena montana, Fesluca gigantea, elc., elc.). 3°. — Dans les Graminées du 3° groupe, le pouvoir trans- piratoire de la face supérieure est devenu maximum, la face inférieure étant totalement dépourvue de slomates. Les cellules épidermiques de cette face sont devenues plus résistantes; leurs parois extérieures sont plus fortement cutinisées, et leurs faces latérales portent des sinuosités en forme de dents qui engrènent avec celles des cellules voi- sines. Il est à remarquer que les feuilles de cette catégorie appartiennent à des Graminées précieuses par leur résistance 340 E. PÉE-LABY. aux températures élevées et aux fortes sécheresses du sol. 4°. — Dans les feuilles des Graminées, l’épiderme peut se modifier profondément : Les cellules de la face supérieure, comprises ordinairement entre deux nervures consécutives, prennent parfois des dimensions en profondeur et en lar- geur très grandes pendant que leurs parois s’amincissent. Elles ont changé de fonctions, elles sont devenues mo- drices. Le tissu moteur des feuilles présente trois dispositions principales en rapport avec les {rois principaux mouve- ments du limbe. Le rôle des lissus moteurs consiste à mettre la feuille à l'abri d’une transpiration trop rapide, et, par suite, à per- mettre à la plante de croître dans des régions où toule végétation est rendue impossible aux Graminées qui ne pos- sedent pas cel appareil moteur foliaire. B. — Parenchyme. 5°. — Le parenchyme vert est compris entre les nervures el l’épiderme. Les cellules qui le constituent affectent deux formes particulières suivant qu'elles sont au contact ou en dehors des nervures. Ces dernières sont presque isodia- métriques et à section polygonale. Les premières, au con- traire, qui sont autour des nervures, se distinguent par leur forme et leurs dimensions. En section longitudinale, elles sont de trois à cinq fois plus longues que larges; en section transversale, elles possèdent des dimensions radiales plus grandes, de telle sorte qu’elles ressemblent à des cellules palissadiques formant une auréole autour du faisceau libéro- hgneux sur lequel elles sont implantées normalement. Elles sont reconnaissables à leurs formes ; leurs parois tournées vers l'extérieur sont toujours convexes (PI. XII, fig. 16 et 17). Ces cellules particulières, disposées en couronne autour du faisceau, forment la gaine verte. Elles conservent tou- jours leur rôle de {issu assimilateur dans les nervures de ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 341 4° el 3°, et parfois de 2° ordre. Elles perdent la chlorophylle avec l’âge dans celles de 1°” et aussi de 2° ordre; elles conslituent alors un issu conducteur ou de réserve pour l'eau. Dans cerlains cas, elles peuvent servir de tissu de sou- tien, quand leurs élements se lignifient. 6°. — Dans les feuilles manquant de stomates à la face inférieure, la gaine est incomplète : elle n'est située que du côlé de la face supérieure, celle qui seule transpire LFestuca ovina, Deschampsia flexuosa (PI. XIT, fig. 16). Dans celle catégorie de feuilles, la substance verte disparaît de très bonne heure, et les parois se sclérifient rapidement. Il existe un rapport très étroit entre les fonctions de cette gaine dans les Graminées et le pouvoir transpiratoire de la feuille : plus ce dernier est grand, comme dans les Grami- nées aquatiques, plus celte gaine est développée | PAragmites communs (lig. 23), Catabrosa aquatica, Glyceria fluitans|. 7°. — La disposition du parenchyme assimilateur affecte deux formes différentes : l’une dans laquelle les cellules vertes sont réparties à peu près uniformément; l’autre dans laquelle le parenchyme vert forme uniquement, autour des nervures, deux enveloppes concentriques différentes. La plus extérieure de ces enveloppes est constituée par des cellules palissadiques très longues et très étroites ; la plus interne est au contraire formée de cellules de dimensions très grandes [Cynodon dactylon (fig. 15), Eragrostis pi- losa (fig. 19). 8°. — Le contenu est également différent pour ces deux sortes de cellules : celles de l'enveloppe externe renferment la substance chlorophyllienne ordinaire. Mais celles de l’en- veloppe interne sont caraclérisées par d'énormes chloro- leucites, en forme de massue, tranchant par une couleur bleuâlre très marquée sur la couleur verte des éléments précédents. | Ces chloroleucites, de forme et de dimensions extraor- dinaires, sont presque toujours associés à des cristaux d'oxa- late de chaux simples, lronqués ou maclés. 349 E. PÉE-LABY. 9°. — La présence de celle dernière gaine, avec tous ses caractères spéciaux, constitue, à mon avis, un caractère histotaxique suffisant pour diviser la famille des Graminées en deux catégories renfermant des plantes bien différentes par leurs propriétés et leur structure. C. — Nervures. Les nervures des feuilles des Graminées sont d'impor- lances différentes : on en distingue ordinairement quatre sortes correspondant à quatre ordres de nervures. 10°. — Chaque nervure comprend un faisceau hbéro- ligneux (1). Les nervures de 1°” et de 2° ordre possèdent toujours des vaisseaux; celles de 3° en manquent assez sou- vent, et dans celles de 4° ordre on ne trouve guère, en fait de bois, que du parenchyme ligneux. Le liber ne fail jamais défaut. | 11°. — Les nervures des feuilles paraissent parallèles sans communication apparente : mais elles communiquent toutes par d’autres nervures transversales de 3° ou de 4° ordre. 12°. — Chaque nervure est entourée d’une gaine endo- dermique scléreuse enveloppant complètement le faisceau hbéroligneux. 13°. — Dans les feuilles des Graminées du 5° groupe, cette gaine protectrice fait généralement défaut dans les nervures de 3° et de 4° ordre, et même dans celles de 2° et de 1° ordre (Setaria viridis, Andropogon Ischæmum, Digitaria sangui- nalis, etc.) ; elle est alors remplacée par la gaine verte, dont les parois peuvent se lignifier assez fortement. D. — Tissu de soutien. On trouve dans les feuilles des Graminées deux sortes de üissu de soutien, au point de vue anatomique : tantôt, il est (1) IL est fait exception pour les nervures médianes de certaines feuilles. (Zea maïs, Sorghum, etc.), qui en ont un plus grand nombre. - ÉTUDE DE LA FEUILLE DES GRAMINÉES DE LA FRANCE. 9343 constitué par de longues fibres ligneuses, à seclion vague- ment arrondie, et à parois épaisses ; tantôt il est formé de cellules courtes, à parois lignifiées, mais relativement peu épaisses, ayant une seclion franchement polygonale. 14. — Les fibres sont associées en bandes ou fais- ceaux élastiques et très résistants situés au pôle inférieur des faisceaux libéroligneux, du côlé du liber. Elles accom- pagnent ces derniers depuis la base jusqu’au sommet de la feuille, et, en dehors de leur rôle protecteur, elles donnent à la feuille la rigidité nécessaire pour se maintenir dans l'atmosphère et accomplir ses fonctions. L'importance de ces bandes fibreuses est variable selon les espèces, mais est très grande en général dans les nervures de 1”*et de 2° ordre (Avena pratensis, Ampelodesmos tenax, Festuca qigan- led, etc). 15°. — Les éléments de soutien de Ja deuxième catégorie accompagnentles faisceaux à la partie supérieure sous forme également de bandes s'étendant d’une extrémité à l’autre du liimbe foliaire. 16°. —- Les bandes de soutien peuvent rejoindre la gaine scléreuse et faire corps avec elle, ou bien rester localisées contre l’épiderme sous forme également de faisceaux de moindre importance. 17°. — Dans certains cas même, les fibres constituent, sous l’épiderme de la face inférieure de la feuille, un revête- ment complet d'une épaisseur parfois considérable (Psamma arenaria, Festuca duriuscula, etc.). Ce revêtement peut com- prendre deux à cinq assises de fibres dans les Graminées de France vivant dans des régions chaudes ou sur des terrains arides. Outre leur rôle protecteur, ces fibres constituent un issu de réserve pour l’eau, et, par suite, elles peuvent con- tribuer à retarder ou même empêcher la dessiccation de la feuille. EXPLICATION DES PLANCHES NOTATION COMMUNE A TOUTES LES FIGURES. ép. S., épiderme supérieur. fAmibEe ép. i., — inférieur. t. s., tissu de soutien. c. ép., cellules épidermiques. g. L., gaine libérienne. CANNES — motrices. chl., chloroleucites. g. sc., gaine scléreuse. po. c., poil crochu. g. v., — verte. po. i., poil invaginé. p. v., parenchyme vert. Le nombre entre parenthèses indique le grossissement linéaire. PLANCHE XI (300). Fig. 1. — Arrhenatherum elatius (avenaceum). Début de la formation des cellules motrices. Section transversale du limbe. Fig. 2. — Arrhenatherum avenaceum. Cellules motrices, prises sur la même plante, complètement formées. Fig. 3. — Anthoxzanthum odoratum. Section transversale d’une bande motrice représentant un nombre pair d'éléments moteurs bien formés, dans les- quels les deux médians sont d’égales dimensions. Fig. 4. — Agrostis canina. Cellules motrices réduites à trois, en section transversale ; c’est le cas normal. La cellule médiane est plus grande que les deux autres. De chaque côté se trouve une cellule épidermique, et au-dessous le parenchyme vert. Fig. 5. — Gaudinia fragilis. Section transversale de la feuille passant par une bande motrice, située au fond d’une sinuosité. On se rend compte de la forme et des dimensions des cellules motrices par rapport à celles de l’épiderme et du tissu sous-jacent. Fig. 6. — Festuca duriuscula. Une des bandes motrices situées d’un côté de la nervure médiane, en section. On remarque ici le nombre #4, en raison de l'effort plus grand pour replier la feuille. Fig. 7. — Sesleria cœrulea. Une bande motrice de cette feuille placée dans les mêmes conditions. Le nombre de cellules motrices est encore plus grand, 6, parce que le limbe est aussi plus large, et que leffort doit ètre plus considérable. Fig. 8. — Brachypodium pinnatum. Une des formes de la bande motrice, dans le cas d’un effort assez grand. Les cellules motrices, relativement grandes, font une forte saillie dans la sinuosité. Fig. 9. — Sporolobus tenacissimus. Section transversale d’une bande motrice de cette feuille. On voit les dimensions exagérées que prend dans cet exemple la cellule médiane. Fig. 10. — Arundo Donax (150). Section transversale d’une des bandes mo- trices de cette feuille, dans laquelle les cellules motrices sont disposées sur deux rangées superposées. An. des Setenc. nat, 8° Jértre. Bol Torre-VII PL, IT. Ÿ . Pée- Laby del. Ann. des SJetence. nat. 8° Serre. Fort. Torre NMIPPRCNTEZ 0 Dustin RES 2 0 Dose © Pée- Lab de, Iumely Se EXPLICATION DES PLANCHES. 349 Fig. 11. — Bromus erectus. Nervure de 3° ordre, dans laquelle la gaine verte (g. v.) entoure complètement le faisceau libéroligneux, enveloppé lui-même par la gaine scléreuse (g. s.). PLANCHE XII (300). Fig. 12. — Bromus erectus. Nervure de 2° ordre de la même feuille dans la- quelle la gaine verte (g. v.) est interrompue aux deux pôles, et transfor- mée en cellules ligneuses qui se confondent avec le tissu de soutien (#. s.). Fig. 13. Avena pratensis. Section longitudinale passant sur les bords d’une nervure de 3° ordre, montrant les cellules de la gaine verte (g.v.) en con- tact avec le parenchyme vert ordinaire (p. v.). Fig. 14, — Avena pratensis. Section longitudinale et médiane d’une nervure de 2° ordre. On voit les rapports de la gaine verte (q. v.) avec le paren- chyme vert (p. v.) d'une part, et la gaine scléreuse (g. s.) de l’autre. Deux éléments de la gaine scléreuse sont représentés bout à bout. Fig. 15. — Cynosurus cristatus. Nervure de 2° ordre dans laquelle la gaine verte se différencie nettement par la forme et les dimensions de ses éle- ments (g.v.), perdant de bonne heure leur contenu et lignifiant aussi leurs parois. Fig. 16..— Deschampsia flexuosa. Nervure montrant la disposition de la gaine verte dans les feuilles privées de stomates à la face inférieure. Ici, la gaine (g. v.) est incomplète et tournée vers la partie supérieure, la face transpiratoire de la feuille. Fig. 17. — Ampelodesmos tenax. Dans cette nervure, la gaine verte (g. v.) prend une disposition analogue à celle de la précédente comme apparte- nant d’ailleurs au même groupe. Les parois deviennent plus épaisses et les éléments viennent se raccorder au tissu de soutien de la face inférieure. Fig. 18. — Molinia cœrulea. Section transversale du limbe montrant la posi- tion de la nervure par rapport aux deux faces et aux tissus environ- nants. La gaine verte (g. v.) est complète, possède des parois lignifiées ; elle est rattachée au tissu de soutien de la face supérieure par des élé- ments de même nature (f. 5.). Fig. 19. Eragrostis pilosa. Nervure inférieure. La gaine verte (g. v.) se re- connaît à la forme et à la dimension de ses éléments. La gaine scléreuse fait défaut et semble remplacée par une couronne de cellules interposées entre le faisceau ligneux et la gaine verte. Le parenchyme vert de cette plante est représenté par des cellules pa- lissadiques bien marquées. Fig. 20. — Sorghum halepense. Dans cette nervure, les vaisseaux du bois sont directement au contact de la gaine verte, sans interposition de gaine scléreuse. Le liber semble au contraire séparé du même organe par une couronne de cellules à parois légèrement lignifiées. Fig. 21. — Cynodon dactylon. Section transversale d’une nervure de 3° or- dre. Un des deux vaisseaux est encore au contact de la gaine verte, dont le caractère général, dans cette plante, est de posséder une cellule au pôle supérieur, toujours lignifiée, et deux ou trois au pôle inférieur. Elles semblent rattacher la gaine aux deux faisceaux de soutien (£. s.). Fig. 22. — Sporolobus tenacissimus. Section transversale d’une nervure de 3e ordre, montrant la forme bizarre de la gaine verte (g. v.), ainsi que les dimensions énormes de ses éléments. On voit deux moiliés des cellules motrices situées de chaque côté. 346 E. PÉE-LABY. PLANCHE XIII. Fig. 23. — Phragmites communis (300). Nervure dans laquelle la gaine verte (g. v.) est très développée. La gaine scléreuse (g. s.) est complète et bien marquée. Elle est doublée d’une deuxième, à éléments plus petits et bien distincts, qui entoure seulement le liber (g. {.). C'est la gaine scléreuse libérienne assez fréquente dans les nervures de cette catégorie. Fig. 24. — Cynodon dactylon (600). Deux cellules de la gaine verte de cette feuille, à un fort grossissement, montrant la forme, la position et les di- mensions des chloroleucites, lorsque la feuille est jeune et fraiche. On voit aussi quelques cristaux d’oxalate de chaux, simples, nageant dans le liquide cellulaire. Fig. 25. — Panicum miliaceum (300). Deux cellules de la gaine verte de cette feuille conservée dans l’alcool à 95°. Le protoplasma contracté englobe un certain nombre de cristaux simples ou ÉRONQUES, ou maclés, de très os dimensions. Fig. — Andropogon Ischæmum (300). Les chloroleucites sont ici plus . mais ils sont plus nombreux : ils ont conservé la même forme. Fig. 27. — Sorghum halepense (300). Les chloroleucites sont encore plus petits et plus nombreux. Les cristaux sont remarquables par la diversité de leurs formes. Fig. 28. — Poa trivialis (140). Fragment d’épiderme de la face inférieure montrant la forme normale des cellules. Fig. 29. — Poa trivialis (140). Portion d'épiderme de la face supérieure de la même feuille montrant, par comparaison avec la précédente, la forme des cellules. Les unes et les autres ont des parois rectilignes. Fig. 30. — Avena montana (140). Cellules épidermiques de la face supé- rieure dans lesquelles les parois sont légèrement sinueuses. Les cellules se raccordent à leurs extrémités par l'intermédiaire de deux sortes de poils. Tantôt par un poil crochu ordinaire {p. c.), tantôt par un poil in- vaginé (p. i.). Fig. 31. — Brachypodium pinnatum (140). Partie d’épiderme montrant les cellules très finement sinuées. Entre deux extrémités de cellules se trouvent deux poils : l'un ordinaire crochu, l’autre invaginé réni- forme (p. 1.). Fig. 32. — Avena pratensis (600). Partie d’épiderme à un très fort grossisse- ment pour montrer la facon dont sont soudées entre elles les cellules, et les poils. On voit : 1° deux poils invaginés réniformes; 2° la ligne de soudure des cellules avec les cellules latérales finement sinueuse ; 3° le bourrelet, d'épaisseur variable, accompagnant la ligne secondaire. Fig. 33. — Avena pratensis (140). Section longitudinale de l’épiderme infé- rieur passant par deux poils, pour montrer leurs formes et leurs rap- ports avec les éléments voisins. Fig. 34. — Festuca elatior (140). Section longitudinale de l’épiderme passant par un seul poil invaginé, montrant la position normale de ces sortes d'organes. Fig. 35. — Nardurus tenellus (140). Même section pour montrer que la posi- tion et la forme restent les mêmes, quand bien même la plante serait annuelle. Fig. 36. — Lasiagrostis calamagrostis (140). Section longitudinale passant par deux poils montrant que l’un des deux peut seul être invaginé. Pot Tome VII PL.13. Are des Science. nat. 8° Jerte AT VW F2 $ $ . rie Lan 25 — | ne P:€ | | (:. | ] ) à Pt \ $ $ 36 Eu “ | De | C7 ra TR Lee Lab del. Zimely se HE D a az TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS CE VOLUME La variation dans la greffe et l’hérédité des caractères acquis, par RSR TPANTE LR ER RE CARS Se ER D SAR lee t Étude anatomique de la feuille des Graminées de la France, par MAR POELE A A MR A RUE nee à 227 TABLE DES ARTICLES PAR NOMS D'AUTEURS Dante (L.). — La variation dans la greffe et l’hérédité des caractères AOQUISS Ne eee ee NAN ERA NSP Re OR REP Pée-Lary (E.). — Étude anatomique de la feuille des Graminées de la France se... 0 00e ee ee ee 0 ee ee 9 0 0 0 0 0 ee 0 eee 0 0 0 0 0 0 0 « © 0e 0 ee © © e © € TABLE DES PLANCHES ET DES FIGURES DANS LE TEXTE CONTENUES DANS CE VOLUME Planches I! à X. — Variation dans la greffe. Planches X à XIIL — Structure de la feuille des Graminées. Figures dans Le texte 1 à 19. — Variation dans la greffe. Figures dans le texte 1 à 18. — Structure de la feuille des Graminées. CoRBEIL. — Imprimerie ÉD. CRÉTÉ. Ci " Mao LEE] v: Le À De Len cuil RSR 4 w N R'ET AND RAA" à : 5 dé: RE . x». L 1” A4 LE n°2 DÉS. as me ce NTI? 22 S La 4e è 6 $ 13 ÿ $; 115 é 5 $, ? 15 LES p y É ea 2 ke - «