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ANNALES
DE LA SOCIETE
JEAN-JACQUES ROUSSEAU
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ANNALES
DE LA SOCIETE
Jean-Jacques Rousseau
TOME CINQUIÈME 1909
A GENÈVE V^
CHEZ A. JULLIEN, ÉDITEUR
Au BoURG-DE-FoUK, 32
PARIS LEIPZIG
Honoré Champion
Quai Malaquais, 3
Karl W. Hiersemann
KÔNIGSTRASSIi, 3
Imprimerie I^vche-Varidel «& Bron Lausanne, Escalier-du-Marché, 5.
LE TEXTE
DK I. A
NOUVELLE HÉLOISE
et les Editions du XV IH Siècle
Notre étude précise, nous l'espérons, tout ce qui est essentiel sur la question. Elle n'a nullement la prétention d'être complète. Préliminaire à une édition critique et historique de la Nouvelle Héloïse qui ne saurait être achevée avant plusieurs années, elle pourra bénéficier de toutes les corrections et additions que la bienveillance des lecteurs et des bibliothécaires voudra bien faire parvenir à l'auteur. Nous apprendrons peut-être ainsi s'il n'existe pas dans les collections privées quelques fragments des brouil- lons de la Nouvelle Héloïse, quelque exemplaire annote et corrige par Rousseau. Les bibliothèques inconnues de nous, nous indi- queront peut-être des exemplaires complets des éditions dont nous n'avons pas trouvé tous les tomes ou les éditions que nous avons ignorées. Nos recherches n'ont pu porter que sur les biblio- thèques publiques de Paris, celles de Genève et Neuchàtel, le British Muséum, toutes les bibliothèques de Suisse et de France qui ont publié un catalogue, en v adjoignant celles de Saint-Omer et Toulouse, et quelques bibliothèques privées.
Nous avons dû demander de nombreux services. Nous remer- cions très vivement tous ceux qui nous ont aidé, MM. E. Alber- tini, M. Aubert, A. François, M. Masson, E. Maynial, H. Mérimée. J. Merlant, Mr R. Sturel, dont la complaisance fut aussi précise que patiente, MM. les bibliothécaires de Paris. Genève, Neuchà- tel, Toulouse, et tous ceux qui nous ont libéralement fait parve- nir des bibliothèques de province les éditions sollicitées. MM. E. Ritter et Th. Dufour ont bien voulu lire cette étude en manuscrit ou en placards et nous faire bénéficier de leur savante bienveil- lance.
ANNALES DE LA SOCIETE .1. J. ROUSSEAU
PREMIÈRE PARTIE Le texte.
I. Les Editions
A. Pi^emière édition.
iA Nouvelle H élo'i se fut mise en vente à Paris en février i7()i. Dès 1762 les éditeurs et contrefacteurs annonçaient un texte plus complet et plus correct : «Nouvelle édition augmentée — Seconde, troisième, quatrième édition originale revue et corrigée par l'éditeur — Nouvelle édi- tion revue et corrigée — Edition... coUationnée sur les manuscrits originaux de l'auteur. » Ces promesses n'é- taient pas vaines, s'il est vrai que le texte de la Nouvelle Héldise ne s'est pas transmis sans changements ou aven- tures depuis l'édition qu'imprima Rey à Amsterdam. Duchesne réédite par exemple le texte de 1761 . Pour les cent premières pages de la quatrième partie' il n'y a guère qu'une variante. Son édition est réimprimée en 1770 : il y a huit variantes. Le chiffre double pour l'édi- tion de Londres [Bruxelles] 1774. Entre la première édition et celle de Musset-Pathay il y a, pour les trois dernières parties, environ soixante-cinq variantes de quelque importance'-. Le chitTrc s'allonge jusqu'à cent
' Choisie parce que les brouillons manuscrits ne commencent qu'à cette quatrième partie.
- Sans tenir compte de variantes qui peuvent avoir leur importance pour le philologue, mais qui demaïuieraienl à être examinées une à une.
TEXTE DE LA NOUVELLE HELOISE 5
si l'on va jusqu'à Tédition courante de la librairie Ha- chette.
Que faut-il penser de ces variantes? Il en est, nous le verrons, qui portent en elles-mêmes leur valeur puis- qu'elles appartiennent à Rousseau. D'autres semblent bagatelles d'imprimeur et qui n'importent guère pour connaître exactement les aventures de Julie et de Saint- Preux. A y regarder de près pourtant, une simple let- tre, un signe de ponctuation, fidèlement modifiés d'édi- tion en édition, peuvent perpétuer un contre-sens ou une absurdité. Faut-il lire [c'est Claire qui parle de Saint-Preux] : a Je le vois retourner beaucoup plus réassuré sur son cœur que quand il est arrivé... », com- ment le veulent Musset-Pathay et bien d'autres, ou « beaucoup plus rassurée... ^^ ainsi que l'imprime Rev en 1761 ^? Ne faut-il pas croire que Musset-Pathay et tous ceux qui le précèdent déplacent fâcheusement un point et virgule en imprimant : « Dans le second [sys- tème] on s'applique à l'individu, à l'homme en général ; on ajoute en lui tout ce qu'il peut avoir de plus qu'un autre», et non comme la raisonnable première édition: «on s'applique à l'individu; à l'homme en général on ajoute...-» Il semble bien que pour cette lettre ou ce point et virgule on transforme ou ridiculise la pensée de Rousseau. Surtout c'est Jean-Jacques lui-même qui nous invite impérieusement à nous soucier, quand il s'agit de son style, des plus infimes détails. Les soins
' Partie IV, lettre 9, p. 99. Dans nos références, sauf les exceptions signalées, les chiffres romains indiqueront la partie, les chiffres arabes la lettre. Le chiffre de la page sera précédé de la lettre p. Sauf indi- cation spéciale le numéro de la page renvoie à la première édition. Quan d nous renvoyons aux «Œuvres» sans spécifier l'édition, il s'agit de l'édi- tion Hachette, in-12.
- V, 3, p. I 19.
4 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
pieux d'une édition critique seront simplement dociles à ses exigences constantes d'écrivain.
«Quand il s'agit de style, écrit-il à Rey en \'jb8, je veux qu'on me laisse le mien jusque dans mes fautes b), et c'est ce qu'il répétera patiemment pendant toute l'im- pression du roman. En mars 1709 il pose ses conditions préliminaires : « on suivra exactement mon manuscrit, l'orthographe, la ponctuation, même les fautes, sans se mêler d'y rien corriger ^ » Même recommandation en mars et mai 1760^. Louanges à Rey en avril parce qu'on lui obéit et qu'on respecte ses fautes *, Une phrase de roman n'est pas en effet un prospectus de commerce et nul n'y saurait toucher sans en détruire la mystérieuse harmonie : « l'harmonie me paraît d'une si grande im- portance en fait de style que je la mets immédiatement après la clarté, même avant la correction-'^». Rousseau dédaignera donc à l'occasion la stricte vérité de l'his- toire, au risque de méconnaître les libérateurs de la Suisse : « la phrase est tellement cadencée que l'addition d'une seule syllabe en gâterait toute l'harmonie".» Il s'affranchira des scrupules de la grammaire et, malgré l'effroi d'un prote obstiné, exigera qu'on imprime dans ]&. Lettre à d'Alcmbert h accueillii'Cy)> et non (( accueil- lerez '».
' Lettres inédites de Jean-Jacques Rousseau à Marc-Michel Rey, pu- bliées par J. Bosscha. Amsterdam, Mulkr, et Paris, Didot, i8.^8, in-8*, p. 59.
2 Ibid. p. (39.
•'• Ibid. p. 86 et ()5.
•i Ibid. p. 88.
* Ibid. p. 52.
6 Ibid. p. 99.
' Bosscha p. 5i. Aussi Rey dans l'édition de 1761 comme dans celle de 1763, imprime dans la Nouvelle Héloise (V, 2, p. 36 de 1761): «Les
TEXTE DE I.A NOULELLE HEI.OISE D
Où donc trouverons-nous le texte sûr qui nous per- mettra de ne pas nous tromper d'une seule syllabe et de respecter les barbarismes harmonieux. C'est à Rous- seau tout d'abord qu'il semble nécessaire de s'adresser. Et Rousseau semble n'avoir jamais varié. La seule édition dont il ait revu les épreuves, la seule qu'il ait jamais recommandée est la première édition de Rey à Amsterdam. La première édition «est la meilleure», dit-il, postérieurement à 1764^ En 1772 il ne reconnaît pour sienne que «la première édition de chacun de ses écrits^.)) En 1778 il demande à Rey un exemplaire de Julie pour remplacer la belle édition que Rey lui avait offerte et qu'il avait lui-même donnée au comte d'Eg- mont. Le libraire expédie un nouvel exemplaire, soi- disant de l'édition originale ; Rousseau répond en pro- testant que l'édition est très différente^. En 1774, quand il est hanté par l'idée qu'on altère et dénature son œu- vre, la Déclaration relative à différentes réimpressiojis de ses ouvrages affirme encore que ses livres n'existent «que dans la première édition*»
La tâche d'un éditeur serait donc claire s'il n'y avait une première difficulté. Si cette première édition est la meilleure, elle n'est pas bonne; elle est même très mau-
richesses qu'on y rccueillira dans deux mois. » Il faut conserver ce texte qui n'est pas une faute d'impression. (Sur cette forme de futur cf. A. François, Les provincialismes suisses-romands et savoyards de J. J. Rousseau dans les Anuales de 1907, p. 58.)
' Note manuscrite sur la feuille de garde du t. I de l'exemplaire de l;i Chambre des députés décrit plus bas, p. 14.
2 Bosscha. p. 3o2.
•^ Ibid. pp. 307 et 3o8.
* Notons que cette déclaration fut publiée pour la première fois par la Galette de littérature des sciences et des arts, le 19 février 1774 (d'a- près Bosscha, p. 3(i3.)
t) ANNALES DE LA SOCIETE J. .1. ROUSSEAU
vaise et c'est Rousseau lui-même qui le répète avec obstination : à son imprimeur tout d'abord ; les derniè- res feuilles de la première partie sont « pleines de fau- tes grossières ^» ; les bonnes feuilles sont semées de fau- tes énormes, dont plusieurs font des contre-sens « qui le désolent ^)). A son libraire et à ses amis ensuite; la première édition «a grand besoin de corrections*» Il souhaiterait « une édition moins pleine de contre-sens et de fautes*.)) Les amis le savent et le répètent. Dès février 1761 « on parle d'une troisième édition de Julie, faite sur celle d'Amsterdam, corrigée de ses fautes et contre-sens^, w A ce mal on remédiera par des Errata : un premier Errata très court qui paraît en tête de l'édi- tion de Rey. Puis un deuxième imprimé séparément, au plus tôt en janvier 1761 '', sur quatre pages, et qui indique soixante et onze corrections, dont treize cor- rections de style. Malheureusement VErrata est insuf- fisant. Il est, nous dit Rousseau lui-même, en 1764, « très défectueux'.» L'édition de Rey présente en effet des fautes typographiques aussi grossières que nom- breuses.
' Bosscha. p. 106,.
- Ibid. pp. 108-109.
^ Œuvres complètes. Kd. llacheue. X, p. •->4("i.
* Ibid. X. p. 256.
* Lettre inédite de Dangirard (22 févrierl à la Bib. de Neuchatcl.
* Donc après l'envoi des exemplaires à Robin {ci. infra l'hisloirc de la I" édition.) Ce n'est pas la seule fois où Rousseau ait ainsi demandé un Errata en carton ou même après le dépôt chez les libraires. 11 prie Rey, à propos des Lettres de la Montagne, d'expédier un errata, carton ou modèle, à ceux qu'il aura chargés du débit de l'ouvrage (Bosscha, p. 239.) Pour la date d'impression de l'errata, cf. une lettre de Rey à Rousseau à la Bibliothèque de Neuchatcl. sans date, mais postérieure au départ de Rey de Paris (janvier lyTn) : « L'Errata se travaillera la se- maine prochaine. »
' Œuvres, t. XI. p. 17S.
TEXTE DE LA NOTIVEl.l.E HEI.OISE
B. L'édition de i jôS.
Il y a mieux. Les affirmations de Rousseau qui s'é- chelonnent de 1764 à la fin de sa vie, ne sont pas Texacte expression de sa constante pensée. Si Ton se bornait à réimprimer la première édition on oublierait ou Ton maintiendrait bien des choses que Rousseau crut essentielles ou fâcheuses vers 1764 et vers 1769 tout au moins. Il y eut, en 1763, une édition qu'il dut juger meilleure que la première puisqu'elle était impri- mée sur un exemplaire corrigé par lui.
Dès février 1761, dès la mise en vente à Paris de l'édition d'Amsterdam, on parlait d'une nouvelle édi- tion «corrigée de ses fautes et contre-sens^». Coindet écrivait à Rousseau, vers la même date, pour lui parler d'une réédition^. Rey sans doute pensait comme l'opi- nion publique. Le i'^'' juin 1761, annonçant son inten- tion de réimprimer Julie en trois tomes, il suggérait à Jean-Jacques de lui fournir les changements qu'il pour- rait « y avoir fait, s'il y en avait quelqu'un ^. » Le 17 août 1761 il revient à la charge, et le 2 septembre Rousseau lui répond : «J'ai un exemplaire revu et cor- rigé avec soin pour une nouvelle édition de VHéldise; il y a même quelques petits changements, retranchements et additions. Je consens de bon cœur à vous l'envover.»
' Lettre de Dangirard à la Bibliothèque de Neuchàtel (22 février 1761.) - Œuvres. X, p. 294. La lettre de Rousseau à Coindet qui fait allu- sion à cette réédition est non datée, mais mal placée. Elle doit être de février ou mars.
■■• Lettre inédite à la Bibliothèque de Neuchàtel. Toutes les lettres de Rey dont nous n'indiquerons pas la référence, sont empruntées à cette collection de Neuchàtel.
8 AXXAI.KS \)K I. A SOCIKTK .1. .( . ROUSSEAU
Le i'"^ octobre Rey remercie et otîre de payer ce travail de correction. Rousseau refuse le 14 octobre et annonce que l'exemplaire va partir. Le 22 octobre Rey propose un messager. Le 3i octobre l'envoi est prêt. Le (î no- vembre Rousseau indique qu'il a été confié aux soins de M. Du voisin. Le 19 novembre Re}' annonce une lettre où Duvoisin notifie l'expédition. Le 24 novembre, let- tre à Re} de Duvoisin qui précise: «J'ai porté moi- même à la diligence le paquet bien et dûment condi- tionné: et sur la demande du buraliste j'ai donné la déclaration du contenu en ces termes, les six volumes de Julie. ..'^n Le 4 décembre l'exemplaire arrive. L'é- dition comprendra trois tomes qui coûteront six livres, et neuf livres avec figures. Le 28 avril 1762 elle n'est pas commencée; le i? mai non plus. Ln juillet on y travaille. En septembre elle est à moitié chemin. Fin octobre on en est à la cinquième partie. Le 14 janvier 1763 elle est achevée. En août 1762 Rousseau deman- dait deux ou trois exemplaires. Il renouvelle sa de- mande le ic) février 1763. Le 25. Rey annonce Texpédi- tion de quatre exemplaires par M. Rilliet. Il est d'ail- leurs possible que Rousseau ne les ait pas reçus, comme furent perdus ceux que Re}^ lui adressa par M"^ l'rem- bley en 1 767^.
Les changements apportés par Rousseau à cette édi- tion de 1763 sont assez nombreux. Corrections de style tout d'abord. La blancheur éblouissante de la poitrine des Valaisannes devient l'extrême blancheur^. Il y a
' Lettre de Duvoisin à la Bibliothèque de Neuchàtel. -' Bosscha, p. iiH, 120, 121. 164, 192 — Lettres de Rey. '^ I, 23, p. 1 32.
TEXT1-: l)K I.A NOUN'ELI.I-; Hl'il.OISE g
trente à quarante variantes analogues^ Corrections de sens : en 1761 Rousseau attribue à Aulu-Gelle une anec- dote sur Labérius que nulle part Aulu-Gelle ne raconte'. Il est mieux averti en 1763 et corrige Aulu-Gelle par Macrobe. En 1761 il affirme que les « grus » et la « cé- racée » se fabriquent sur le Salève et sont probablement inconnus sous ce nom dans le Jura^. En 1763 il change d'avis et note que ce sont des « laitages excellents qui se font sur le mont Jura\ » Additions aussi : simples détails comme la note où il affirme que « la première syllabe de chalet n'est point longue, mais brève, comme celle de chaland.^» Remarques de grammaire conime la note sur le sens «corrélatif» du mot hôte. Conseils de jardinage lorsqu'il explique que l'élagage tarit la sève des arbres dont la moitié des racines « sont en rair*"'. » Notes d'histoire lorsqu'il ajoute que Bonnivard est l'auteur d'une chronique de Genève ^ Détails pitto- resques quand la fraîcheur de l'air se joint au ciel se- rein, aux doux rayons de la lune et au frémissement argenté de l'eau pour soulever dans lame de Saint- Preux la tempête des souvenirs sentimentaux ^. Page d'analyse lorsqu une longue note explique que ce sont
' ici comme ailleurs il n'est pas possible de préciser parce qu'on ne peut savoir bien souvent si par exemple (i ic feignis n substitué à «Je feignais V est correction de Rousseau ou négligence d'imprimeur. L'édi- tion de 1763 est typographiquement encore assez médiocre.
- II, 23, p. 254.
•'• IV, 10, p. 141.
* Le mot céracée était en eftét un terme vaudois et neuchàtelois. (Cf. A. François, dans les Annales, 1907, p. 40.)
^ I, 36, p. 210 (1763, p. 141.» " IV, II, p. 293 et 3oi (1763.) ' VI, 8, p. 3n (1763.)
* IV, 17, p. 369 (1763. (
lO ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
les situations qui déterminent souvent les vertus et les vices ^
Enfin il y a des suppressions de notes constantes et considérables. Malesherbes avait retranché dans l'édition de Paris les sévères remarques sur le procès de La Bé- doyère en donnant longuement ses raisons-. Les rai- sons parurent bonnes sans doute à Jean-Jacques car il supprime lui aussi dans l'édition de 1763. Une note brève de 1761 interpellait Vhomme au beurre^. Allusion singulière et inexplicable, avant la publication des Con- fessions, pour le lecteur et même pour les familiers ; si étrange même que Lorenzi lui écrit en lui demandant pour M"^'^ de Boufflers des explications \ Rousseau sup- prime la note. On pourrait ainsi expliquer bon nombre de ces repentirs renonçant à des remarques qui ne se trouvent pour la plupart ni dans les brouillons, ni dans la copie Luxembourg. Les raisons seraient parfois plus mystérieuses, car lédition de 1763 omet cinquante-cinq notes, la moitié de celles de 1761.
Au total ce sont des modifications nombreuses et par- fois si intéressantes qu'on ne saurait être trop certain qu'elles sont bien dues à Rousseau lui-même. Or sur cette édition Rousseau ne s'est pas expliqué. Il l'a eue très certainement entre les mains puisqu'il écrit à Rey en i7()4 que dans l'exemplaire de ses (euvres il lui man-
' 176J). i. II p. 1 17.
- II, i3. Streckeisen-Moultou, J.-J. Rousseau, xes amis et ses ennemis. Paris, Calmann-Lévy, i865, i, II, p. 407.
-V, 7. p. 238.
* Lettre du 12 mars 1762 à la Bib. de Neuchâtcl. Sur « l'homme au beurre», voir les lettres à la M'" de Menars, au comte de Lastic et à M"* d'Epinay du 20 décembre 1754 (X, p. 93-94.) L'édition Duchesne de 1764 supprime d'ailleurs également cette note.
TEXTE DE LA NOUVELLE HELOISE I l
que le tome troisième ^ Un premier envoi de la réédi- tion de 1767 ne lui est pas parvenu'; mais il a reçu celle de 1769 (identique à part quelques erreurs typo- graphiques à celle de 1763): le docteur Ch. Coindet a légué à la bibliothèque de Genève un exemplaire du tome m (parties 5 et 6) annoté ou plutôt corrigé par Rousseau. Les corrections consistent à rétablir de sa main et en marge toutes les notes supprimées en 1763. Si Ton ajoute à cela que peu après 1764, comme en 1772, comme à la fin de sa vie, Rousseau renvoie à la première édition, accepte l'édition Duchesne avec très peu d'additions et modifications, il en faudrait con- clure que l'édition de i 'j63 est bien Jîdèle à des correc- tions de Rousseau, mais qu'il a renoncé par la suite à presque tout ce qu'il avait modijié sur l'exemplaire en- voyé à Rej .
C'est bien en effet la seule conclusion qui s'impose. Nous verrons que les notes manuscrites des exemplaires Duchesne donnés par Rousseau à ses amis recopient mot pour mot trois des additions les plus importantes de 1763, comme une ou deux autres sont confirmées par les brouillons ou la copie Luxembourg. Ceci dit, si Rey ne s'est pas servi pour son impression de l'exem- plaire envoyé par Rousseau, une hypothèse et une seule pourrait, à la rigueur et péniblement, s'ajuster aux faits. Ce serait qu'il eut imprimé non sur une édition de 1761, qu'il savait très incorrecte, mais sur la copie même envoyée en i 739 par Rousseau. Presque toutes les notes, comme le montre l'examen des manuscrits,
ï La Nouvelle Héloise forme les tomes IV^ V et VI. Cf. Bosscha p. 206. - Cf. supra, p. 8.
12 ANNALES DE LA SOClI-iTK.I. .1. ROUSSEAU
ont dû être ajoutées sur les épreuves. Ainsi s'explique- raient, malgré des hypothèses difficiles, les variantes et la disparition des cinquante-cinq notes. Mais cette explication même est insoutenable. Rey sans doute imprime (^ Lettres de deux amans... revues et corrigées par l'éditeur», ce qui prête à Tinterprétation immé- diate que Rey a corrigé lui-même son texte. Mais il faut comprendre que Rousseau se donne non pour l'auteur, mais pour Y éditeur de son roman, et qu'il exige de Rey qu'il s'en souvienne : « N'allez pas non plus dans la nouvelle édition de la Julie, si vous y mettez revue et corrigée, ■d]omev., par l'auteur : car vous devez savoir que je ne me reconnais point pour tel, mais seulement pour ^éditeur^)) Enfin il est évident que les ouvriers de Rey ont imprimé, non sur la copie manuscrite, mais sur un exemplaire de 1761. Dans ce texte de 1761 les fautes d'impressions abondent. Vingt- cinq au moins d'entre elles et des plus grossières ont été reproduites machinalement par le compositeur qui les avait sous les yeux-.
Ce n'est d'ailleurs pas la seule fois où Rousseau ait renoncé si vite à ce qu'il avait si soigneusement corrigé. Méticuleux parce qu'il est scrupuleux, Rousseau est comme tous ceux chez qui l'intensité du scrupule ne
' Bosscha. p. \'ij. On verra d'ailleurs (p. 38) que dans son Prospec- tus de 1760, Rey avait déjà pris ses précautions et laissé clairement en- tendre que Rousseau avait bien imaginé et non recueilli les Lettres de deux amans.
-On les trouvera partie II. p. S3, 11 5, 170, 249, 3i3 — III, 3, 10, 11 3, I 2I-), 179 — IV, 192, 225, 261 , 262, 323 — V. 222, 23o, 264 — VI, 12, 93, 144. En voici quelques exemples : Je sens raminer en moi — essayez, croyez-moi, de ce nouveaux genre d'études — ces sentiments sublimes ce sont affaiblis. — Que sert donc l'opulence à la fécilité — il vient d'être, profané - et comme je m'aime guère moins à le répéter etc.
TEXTE DE LA NOUVEF.I.E HEEOISE \ .->
suppose pas sa stabilité. Les exigences de son oreille, celles de sa conscience morale ou de sa pensée sont momentanément impérieuses, mais elles ne s'embar- rassent pas des contradictions. Les différences profon- des qui séparent le deuxième brouillon, primitivement copié pour Timpression \ du texte de 1761 prouvent que Rousseau a modifié son texte soit en le recopiant pour Rey, soit sur les épreuves. Or plusieurs des le- çons de 1763 sont un renoncement à ces corrections de style et un retour au texte du deuxième brouillon ou de la copie Luxembourg, L'édition de i-(3i imprime: Hé bien^ je l'y suivrai^. 1763 ne donne que: Je l'y sui- j'rai. Est-ce un oubli du compositeur ? Non pas. Hé bien manque dans la copie Luxembourg, mais on s'a- perçoit qu'il a été gratté et que la place est restée en blanc. Il y a là une quadruple oscillation de Rousseau. « Que penser-polis qu'il m'en a coûté yy. dit i 761^ confirmé par le deuxième brouillon. « Qu'il m'en ait coûté))^ dit 1763. Ce n'est pas une variante instinctive de l'impri- meur : c'est la leçon de la copie Luxembourg reprise par Jean-Jacques*.
C. Les édi lions annotées.
C'est par ces oscillations constantes de Rousseau que s'expliquent les éditions annotées qui nous sont par-
' Sur ces manuscrits cf. pp. 18 et p. 1 10.
- III, 16, p. go.
^ IV, I I, p. 194.
* De même 1763 (II, 16) : Puisse le ciel les combler des biens [17*11. du bonheur'], confirmé par la copie Luxembourg — Je ne crois pas qu'il y ait de souverains (IV, lo) [1761, des souverains], confirmé par le deuxième brouillon et la copie Luxembourg — Un ciel serein, la frai-
14 ANNALES 1)K F.A SOCIKTK .1. .1. ROUSSEAU
venues et qui sont importantes pour rétablissement du texte. On en possède trois, dont deux incomplètes. La bibliothèque de la Chambre des députés garde un exemplaire de l'édition Duchesne in-8°, 1764, tomes I, III. IV. qui porte cette indication: «Toutes les notes et corrections sont de la main de J.-J. Rousseau. Cet exemplaire m'a été donné par M. Coindet de Genève, neveu de Tami de J.-J. H. de Chateaugiron. >; A la bibliothèque de Genève nous avons identifié un exem- plaire complet de la même édition \ sans indication d'origine, mais évidemment destiné à d'Ivernois. La feuille de garde porte de la main de Rousseau : De la pari de l'auteur^ et les quatre feuilles de titre portent également de sa main le nom de d'Ivernois. Enfin nous avons signalé précédemment le t. III de l'édition de Rey 1769 qui a été légué par le docteur Ch. Coin- det en iXj6 à la même bibliothèque de Genève^.
Les annotations de l'édition du Palais-Bourbon sont évidemment postérieures à 17(54. Elles en sont vraisem- blablement \oi.sines. Leur ressemblance est presque absolue avec celles de l'exemplaire d'Ivernois. Or nous avons de d'Ivernois deux lettres, du i3 août et du 24 septembre 1764*, ou il demande à Rousseau les qua-
cheur de l'air, les doux rayons de la lune (IV, i -) [1761, u>i ciel serein, les doux rayons de la lune] est la leçon définitive d'un texte que Rous- seau écrit d'abord tel que l'édition de 1761, puis surcharge la fraîcheur de la nuit, puis corrige la fraîcheur du soir.
' Hf. 2018.
- Il serait logiquement possible que l'édition de Dupeyrou (Genève, 1782I représentât un autre exemplaire annoté. Nous avons discuté l'hy- pothèse (p. 83 et sq.) Pratiquement l'on verra que cet exemplaire serait identique à celui de la Chambre des Députés.
•■' Bibliothèque de Neuchàtel.
TEXTE DE I,A NOUVEF.I.l': HÉI.OISE l5
tre volumes ^ de la Nouvelle Hélo'ise et où il en accuse réception.
Les corrections et additions de Jean-Jacques sont assez nombreuses. Duchesne, pour établir ses quatre volumes, avait supprimé la division en six parties et numéroté à nouveau les lettres. Rousseau demande par deux notes qu'on rétablisse les parties; il y revient au cours des volumes lorsque chaque partie devrait commencer. Duchesne avait ajouté après le titre de chaque lettre un sommaire reproduit en table des ma- tières. Jean-Jacques efface ces sommaires, efface la table des matières des deux premiers volumes, puis se ravise : « Ces tables peuvent être bonnes à conserver avec les sommaires des lettres pour y trouver au be- soin ce qu'on cherche -. » Les corrections typographi- ques sont constantes et méticuleuses. Il faut, par exem- ple, imprimer l'ûes sans accent circonflexe. La note et les citations italiennes du t. IIL p. 228^ mal compri- ses et mal disposées par Duchesne sont rétablies. Une note de la première partie est supprimée. Toutes les citations italiennes sont traduites, sauf deux'' où Rous- seau inscrit « rt'.s/e à h-adiiii-e ». Trois des additions de
' L'édition Duchesne est à cette date la seule en quatre volumes. Dans une lettre à Rey du 27 avril 1769 (Bosscha, p. 288), Rousseau écrit : « Je me souviens que d ans une de vos éditions de la Julie pour égaliser les volumes et les mettre en quatre tomes vous les avez coupés diftc- remment». Nous ne connaissons d'éditions de Rey qu"en six ou trois tomes. Probablement Rousseau confond-il avec cette édition Duchesne.
2 L'idée d'une pareille table plaisait certainement à Rousseau puisque dans un Mémoire relatif à l'édition générale de ses Œuvres envoyé à Rey en mars 1764, il propose une Table des matières qu'il fera lui- même (Bosscha, p. 207.)
" Partie I\'. lettre 11, p. 2^7 du texte 17O1.
* 1, 20, 21, pp. 106, I I 2 (de 176 y. )
l() ANNAl.KS DK LA SOC1KTI-; .1. .1. ROUSSEAU
l'édition de 1763 sont reprises: la fraiclieur de l'air'^^ la note III, p. 207 sur le mot hote'^. la note II, p. 392 sur le rapport entre les situations et les vertus ou les vices ^. L'exemplaire de (ienève a des annotations moins nombreuses que celui de Paris. xMais comme il est complet il permet de constater que l'addition signa- lée par Rousseau pour la troisième partie, dans l'exem- plaire de la Chambre des députés, comme très impor- tante, est bien la note III, lettre 20, p. 117 de l'édi- tion de 1763, copiée par lui sur tm feuillet et collée dans cet exemplaire.
Enfin l'exemplaire de Paris comporte trois correc- tions de Rousseau qui confirment cette tendance ma- ladive à suspendre et alterner son choix pour les moin- dres détails de style: « Peu lire et peuse?~ beaucoup à nos lectures — si le charme de mes jouj^s est le supplice des tiens — 6 charme et bonheur de ma r/t?*». corrigent les leçons de Duchesne ((beaucoup méditer — tourment — gloire et bonheur.» Or Rousseau ne fait ainsi que re- venir au texte de i7()i. texte qui lui avait déplu et qu'il avait fait corriger par l'errata de Rey^ tel que Duchesne s'est cru légitimement autorisé à l'imprimer en i 764, ainsi que Key en 1763.
D. (lonclusion.
Les exigences dune édition critique s'établissent donc clairement. Que Rousseau n'ait pas voulu s'en tenir au
' \\\ 17, p. :>6y (17O3.) - IV. II. p. 2f):-i (1763.»
3 II, p. 117 (i7(o.)
■•t. 1, pp. 122,147, 211 (lettres I-', K). 3i.) •
^ Sur cet errni.i. C.\ , pp. û et 48.
TEXTE DE LA NOUVELLE HELOISE IJ
texte corrigé pour l'édition de 1 763, c'est ce que prou- vent évidemment ses renvois répétés à la première édi- tion, le soin qu'il a -sur une édition de 1769 de rétablir, pour les parties 3 et 6, toutes les notes alors suppri- mées. C'est donc la première édition qui devra servir de texte de base. On y fera entrer les additions de l'exem- plaire annoté de Duchesne 1764 (connu, nous le ver- rons, par les éditeurs de Genève en 1780, et utilisé par eux.) L'insistance de Rousseau qui en indique l'impor- tance et qui reproduit sur deux exemplaires celles qui sont essentielles y autorisent amplement. Les très ra- res et très minimes corrections seront utilisées en si- gnalant la variante de 1761. Enfin toutes les variantes de l'édition de i 763 seront soigneusement notées. Elles intéressent d'abord l'histoire de la pensée et la connais- sance du style de Rousseau. Surtout il n'est pas sûr qu'il n'ait voulu conserver parmi elles que les ad- ditions transcrites sur les exemplaires Duchesne de Paris et de Genève. 11 n'aurait pas rétabli l'erreur d'Aulu-Gelle, par exemple, qu'il corrige par Macrobe. Dans l'exemplaire des parties V et VI corrigé par lui en 1769 il laisse subsister, donc il semble accepter tel- les leçons différentes de celles de la première édition et de l'édition Duchesne, la remarque par exemple sur Bonnivard auteur d'une chronique de Genève ^ Or nous n'avons de cette édition de i 769 annotée que le tome IIL Rien ne prouve que dans les tomes I et II, les anno- tations de Rousseau, les dernièf^es en date^ ne. laisaient pas subsister des variantes analogues ou même plus nombreuses et plus importantes.
1 VI, «, p. 3ii (1763).
l8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
II. LES MANUSCRITS
A. Usag-e des manuscrits.
Ainsi déterminée la tâche d'un éditeur ne sera pas encore complète. La première édition, nous l'avons vu, est extrêmement incorrecte. Rousseau lui-même a de- mandé à plusieurs reprises qu'on s'en défie. Longtemps les éditeurs n'ont pu se fier pour les corrections qu'à des évidences de sens ou à des vraisemblances qui les ont souvent trompés. Le dépôt à la Convention des brouillons et de la copie Luxembourg^ leur offrit la pos- sibilité d'une revision plus intéressante et plus sùrc.
Mais ils ont eu grand tort d'annoncer souvent qu'ils avaient utilisé l'expression dernière de la pensée de Rousseau et la copie même qui avait « servi pour l'im- pression». Un examen même superficiel montre rapide- ment entre les textes manuscrits et le texte de 1761 des différences tellement profondes que le deuxième brouil- lon ou la copie Luxembourg, comme on l'a déjà souvent signalé, ne sont pas la forme définitive du texte. Rous- seau lui-même nous en avertit : «J'ai examiné l'état du manuscrit, écrit-il à Rey, et ne le trouvant pas assez net pour vous être envoyé dans cet état, je prends le parti de le recopier en entier, et je vous enverrai la copie partie par partie, à mesure qu'elle sera faite.» Cette copie ne fut pas une exacte reproduction : «En faisant votre copie sur la mienne, j'y ai changé beaucoup de choses dont je ne me souviens plus. » Même, la copie partie.
' Cf. la note sur les manuscrits, p. iio.
TEXTE DE LA NOUVELLE HÉLOISE I9
Rousseau, toujours poursuivi par ses scrupules méti- culeux et ses incertitudes obstinées, médite de nou- veaux changements à envoyer à Rey, « peu considéra- bles, mais nécessaires et assez nombreux.» Sur les épreuves, les corrections d'auteur sont nombreuses, si nombreuses que, malgré les dépenses de port, Rey de- mande à Rousseau de lui envoyer les épreuves mêmes et non des corrections repérées. Averti par Texpérience, et pour éviter les remaniements difficiles ou même les cartons, Rey prend à Toccasion les devants et réclame à Rousseau les additions et corrections pour les par- ties qu'il se prépare à imprimera
Il ne peut donc pas être question d'imprimer le texte de la Nouvelle Hélo'ise sur le manuscrit de Rousseau, comme on imprime Virgile ou Horace sur les meilleurs manuscrits. Il est impossible même d'en conclure des additions ou suppressions certaines. Pourtant ces ma- nuscrits peuvent rendre, pour vérifier la première édi- tion, des services limités mais précis.
Parmi les innombrables erreurs de cette première édition il en est qui sont des fautes typographiques évidentes : « De dépit, je me plais à la remplir de cho- ses qui n'y saurait être — ce n'est pas assez qu'elle soit vertueuse, elle doit être sans tâche — mdissobles, etc...,*» sont d'indéniables sottises de compositeur. Mais les cas douteux sont constants, plus nombreux même à me- sure qu'ils affrontent un examen attentif. Rappelons- nous les exigences impérieuses de Rousseau, sa ferme volonté qu'on respecte les moindres détails de son texte,
1 Bosscha, pp. 68, 95, 97, 84, 87. Lettres de Rey du 17 avril, 10 mai, 19 mai 1760.
2 VI, 2, 3,7.
20 ANNALES DE LA SOCIETE J. .1. ROUSSEAU
au risque de laisser subsister ses fautes : nous croirons volontiers que ce n'est pas toujours l'imprimeur qui est coupable, mais Rousseau lui-même. La preuve s'é- tablit pour des cas inattendus: u Abruvoir — des four- rés de lilac^» imprime Rey, et c'est bien ainsi qu'écrit Rousseau et dans le deuxième brouillon et dans la copie Luxembourg. Or le Dictionnaire de l'Académie dans sa première édition et dans les éditions postérieures, le Fu- retièrede \'j'i2. le Grand Vocabulaire français en 1771, le Dictionnaire de Trévoux en 1732, le Dictioiinaire de Fé- raud en 1787, donnent bien la formie abreuvoir. Mais qu'on ouvre la sixième édition de V Art de bien parler français., de de La Touche (1747): on y lit: a Abreuver, abruver. On prononce et on écrit abruver. On ne se sert de ce verbe au figuré que dans le discours familier. Tout le monde est abruvé de cette nouvelle-.» Et le Dictionnaire de Richelet, en 1706, 1732, 1739, maintient la même re- marque: a Abreuver. Le petit peuple de Paris dit abi^u- ver, mais les gens du beau monde prononcent et écrivent abreuver. » C'est dire que Rousseau ne prononce ni n'é- crit encore en 1760 comme le beau monde. Les Diction- Jiaires de Furetière en ir)90, de l'Académie en i(k)4, de Richelet en 170G, impriment Lilas sans commentaire. Mais La Touche nous renseigne encore en reproduisant la remarque de Ménage : « On dit lilas et non pas lilac^.» Rousseau a gardé sinon l'ancienne prononciation, tout au moins une ancienne orthographe*.
' IN, 1 1, pp. 97, 2o3.
-' L'Art de bien parler français : G' câit. Amsterdam et Leipzig. Arksiée et Merkus. 1747, t. II, p. 8.
•'■ Ibid. t. Il, p. 8. Le Dictionnaire de Hatzfeld et Darmestetcr indique que Lilas est emprunté de l'espagnol Lilac.
* Cette orthographe pourrait peut-être s'expliL|uer par la note oii Rous-
TEXTE DE LA NOUVELLE HELOISE 21
Ici c'est Rousseau qui s'attarde à rextrême et il ne semble pas que l'usage du temps ait pu justifier son or- thographe. Ailleurs les manuscrits nous permettront de respecter d'autres particularités d'orthographe ou de prononciation sur lesquelles l'usage hésite, mais où Rousseau choisit les formes qui ont depuis disparu : « Soin puéi^ile'^ », imprime Rey. Bouhours et La Tou- che demandaient déjà ptié?^il, mais en l'jGo puéî^il ex puérile s'écrivaient. Le deuxième brouillon et la copie Luxembourg choisissent ptiét^ile. (.<. Bienpeuillance^ » dit Rey. On hésitait entre bienreuillance et bienveillance . Rousseau hésite lui-même. Le premier et le deuxième brouillon et la copie Luxembourg donnent le plus sou- vent bienveuillance que Re}^ a trouvé sur sa copie. Le deuxième brouillon donne à l'occasion bienveillance^, i^ Argent content — Sens-froid*»^ imprime Rey. L'usage accepte alors ces formes et la forme actuelle. Ce n'est pas le compositeur qui a choisi, mais Rousseau qui écrit ainsi dans le deuxième brouillon comme dans la copie Luxembourg.
La syntaxe de Rousseau peut aussi à l'occasion se vé- rifier et ne se pas modifier sous prétexte de fautes d'impression. L'accord du verbe avec des sujets multi- ples est resté longtemps indécis. C'est bien Rousseau et non l'inadvertance du compositeur qui écrit, dans ses manuscrits comme dans Rey : « le bruit de la basse- cour, le chant des coqs, le mugissement du bétail, l'at-
seau reproche aux Genevois de faire sentir beaucoup de lettres qui ne se prononcent pas en français, par exemple le c dans lacs {= lacets) {V, i3.)
' IV, II, p. 220 et passim.
2 V, 2, p. 85 et passim.
■'' pour la lettre IV, i5 (Nous jouissons de la bienveillance
* V, 2, p. 70; 3, p. 104; VI, II, p. 290, etc.
•2 2 ANNALES DE LA SOCIETE J. .1. ROUSSEAU
telage des chariots, le repos des champs, le retour des ouvriers, et tout l'appareil de l'économie rustique donne à cette maison un air plus champêtre. — La symétrie et la régularité plait à tous les yeux. — S'il est des bé- nédictions humaines que le Ciel daigne exaucer, ce ne sont point celles qu'arf^ache la flatterie et la bassesse en présence des gens qu'on loue^w Inversement les manuscrits nous permettront de corriger des leçons, encore légitimées par Tusage, mais auxquelles Rous- seau et beaucoup d'autres avaient déjà renoncé. Ridi- cule après les précieuses était devenu substantif mascu- lin ou féminin. On disait un ridicule, comme une pré- cieuse, un merveilleux . Rey n'est donc pas absurde en imprimant : « c'est apparemment aussi l'usage en An- gleterre de tourner ses hôtes en ridicules- )>\ mais dans la note manuscrite de l'exemplaire d'Ivernois, Rousseau écrit en ridicule. Un usage qui nous paraît plus étrange était d'employer le pronom un autre^ avec une sorte de valeur neutre en parlant d'un homme ou d'une femme ^. Rey imprime ainsi : « un homme qui fut aimé de Julie d'Etange et pourrait se résoudre à en épouser un autre*,.. y) Mais Rousseau écrit une autre dans la copie Luxembourg et le deuxième brouillon, et il prend soin de corriger dans l'exemplaire Duchesne annoté de Paris •''.
> IV, lo, p. II 5, V, 2, p. 89.
2 V, 2, p. 82.
^ Voir la Syntaxe française du XVII' siècle de Haase, trad. par Obert. Paris, Picard, 1898, p. 119.
* VI, i3, p. 309. De niême encore dans Todition de Genève 1782 in-4'' (t. II, p. 374) « Ne donnez à nul autre [cpousej une place que je n'ai pu remplir. »
' L'édition de Rey imprime de même (t. IV, p. 204) «une monticule». Le genre du mot était encore incertain (et". A. François, Ainialcs de 1907, p. 57.) Mais le 2' brouillon et la copie Luxembourg donnent un mon- ticule.
TEXTE DE LA NOUVELLE HÉLOISE 23
Enfin ce sont le style même et la pense'e de Rous- seau que les manuscrits nous permettent à Toccasion de déterminer et de respecter. Rey, par exemple, im- prime : « Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l'inquié- tude qu'il donne est une sorte de jouissance qui sup- plée à la réalité.
Qui vaut mieux, peut-être....^»
Duchesne et presque tous les éditeurs qui suivent cor- rigent : «...une sorte de jouissance qui supplée à la réalité, qui vaut mieux, peut-être.» Le deuxième brouil- lon et la copie Luxembourg marquent, comme Rey, l'alinéa. C'est qu'il y a dans la pensée de Julie qui écrit un moment de méditation mélancolique et silencieuse et que le «Qui vaut mieux » n'est que la conclusion de ce silence. Nous avons indiqué, au début-, des varian- tes où une lettre et un signe de ponctuation déplacés transforment le sens. Les manuscrits nous permettent de choisir. De même lorsque Rey imprime : « dans l'é- tat civil où l'on a moins besoin de bras que de tête^», il n'a pas laissé tomber Vs que rétablissent Duchesne et tous les autres. C'est ainsi qu'écrit Rousseau dans le deuxième brouillon et la copie Luxembourg.
Puisque les manuscrits ont un usage nécessaire il n'est pas indifférent de connaître quel est le plus rap- proché de l'impression, celui qui devra faire foi. Leur chronologie, importante pour toute étude du travail du style chez Rousseau, est également indispensable pour une édition critique.
' VI, 8, p. i6o.
2 Cf. p. 3.
3 V, 3, p. ii8.
24 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
B. Chronologie des manuscrits.
Indépendamment de la copie d'Houdetot, antérieure- à la copie Luxembourg^ et qui serait par conséquent, même si elle se retrouvait, sans importance critique, de quelques feuillets à la bibliothèque de la Sorbonne, et des exemplaires annotés, il y a de la Nouvelle Héloise, à la Chambre des députés, trois manuscrits : un pre- mier brouillon tout à fait fragmentaire, un deuxième brouillon pour les parties IV-VI avec un certain nom- bre de lacunes, et la copie Luxembourg complète. La perfection même de la copie Luxembourg invite à croire qu'elle est postérieure aux brouillons. C'est ainsi que Petitain, pour son édition, l'appelle le manuscrit et l'utilise comme celui qui fait foi, par opposition aux deux brouillons. L'examen des dates lui donne tout d'abord une apparente justification.
Prenons pour exemple la quatrième partie dont nous étudierons la fameuse promenadesur le lac(lettre 17). Rey accuse réception le 27 octobre i75q de la quatrième par- tie, le i""" février 1760 de la sixième partie de la copie envoyée par Rousseau. A cette date tout le manuscrit établi par Jean-Jacques sur le deuxième brouillon est terminé. Or les copies pour M'"'^ de Luxembourg ne sont commencées que fin novembre i75g. La troisième partie est envo3^ée le 20 juin 1760. Rousseau termine la sixième dans la première quinzaine d'octobre. La quatrième partie doit être envoyée vraisemblablement
' Œuvres. VIII. p. SyS. Sur cette copie on consultera surtout : H. Buf- fenoir. La comtesse d'Houdetot, sa famille, ses amis. Paris, Leclerc, 190.S, 8", pp. 147, 188, 237, 2^'S, 25i-252. La copie fut commencée !e ig ou 20 novembre 1757.
TEXTE DE LA NOUVELLE HELOISE 2D
vers le i8 août ^ Elle est donc postérieure d'une dizaine de mois à la copie envoye'e par Rousseau à Rey et faite sur le deuxième brouillon.
Et pourtant c'est bien le deuxième brouillon qui, par ses corrections, additions, suppressions est de beau- coup et constamment le plus rapproché du texte de 1761; nous rétablirons tout à Theure. C'est que Jean- Jacques a corrigé les épreuves de la lettre 17 de la quatrième partie, que nous prendrons pour exemple, postérieurement au 7 septembre 1760, Il reçoit le 28 août les quatre premières feuilles de la quatrième par- tie. Le 7 septembre il renvoie Tépreuve K. du tome l\ (fin de la lettre 11)-. La lettre 17 est à la feuille N, O. Une seule hypothèse demeure : c'est que la copie Luxembourg a été faite avant le 18 août sur le deuxième brouillon }ion coiv^igé^ puis que Rousseau, dans Tattente des épreuves, souvent tardives, a rema- nié ce deuxième brouillon après le 18 août et reporté les corrections sur ses épreuves. C'est ce que l'examen philologique va pleinement confirmer^.
1 Rousseau. Œuvres. X, pp. 221, 22g, 23 i, 269. Lettres de Rey, La lettre par laquelle Rousseau annonce l'envoi est datée ace Mercredi 18». De juin (envoi de la troisième partie) à octobre (envoi de la sixième), il n'y a pas de mercredi i 8. Mais Rousseau écrit : « Voici Madame, une quatrième partie que vous devriez avoir depuis longtemps ». Cette phrase permet d'éliminer le 18 juillet trop rapproché du 20 juin pour la justi- fier. Le 18 septembre est bien voisin d'octobre où Rousseau veut envoyer la sixième partie avant le 1 5. — Cette erreur de date n'est pas unique chez Rousseau. Il écrit (à supposer que le texte édité soit exact) la même année, à la même M"" de Luxembourg, «ce lundi 20 juillet 1760. » Le 20 juillet était un dimanche. — Dans tous les cas l'édition Hachette a eu tort de classer cette lettre du mercredi 18, après une autre du 4 oc- tobre 1761.
' Bosscha. pp. 107, 108.
■' Notons d'ailleurs que, peu satisfait sans doute du texte envoyé à M"" de Luxembourg, Rousseau, le 12 décembre 1760 (X, 246), lui de- mande la cinquième partie pour la corriger.
20 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Sans tenir compte tout d'abord des ratures et surchar- ges, la copie Luxembourg diffère du deuxième brouil- lon (pour cette lettre IV, 17) sur dix points où le brouil- lon est avant toute correction identique à la première édi- tion: trois mots et un court membre de phrase sont sau- tés \ soit volontairement, soit par inadvertance de Rous- seau. Les sept autres différences sont de très minimes mo- difications de style-. Ces variantes ne montrent que la tendance constante de Rousseau à remanier les détails en recopiant les manuscrits. En deuxième lieu et surtout : la rédaction immédiate, avant corrections de ce deuxième brouillon, et la copie Luxembourg sont identiques entre elles et différentes du texte de la première édition sur huit points. Mais des corrections postérieures de Rousseau, faites d'ailleurs d\mc encre beaucoup plus blanche, mo- difient le texte du deuxième brouillon pour rétablir tel que Rey Ta imprimé. Voici par exemple quatre de ces corrections : A. (deuxième brouillon non corrigé et copie Luxembourg) : Trois rameutas, sans compter un des i>ens de la maison... B. (deuxième brouillon corrigé et texte de Rey): trois rameurs, un domestique... — A. oit la terre, partout cultivée et partout fertile... B. partout féconde... — A. approcher du bord de l'esplanade... B. ap- procher du bord^... — A. l'aimer, l'adorer encore et, après une union si parfaite et si douce, la sentir perdue... B. l'ai-
' Exemples : tandis que nous nous amusions agréablement à parcou- rir {2' brouillon et 1761] — tandis que nous nous amusions à parcourir [copie Luxembourg].
' Exemple: elle semble sourire et s'animer — elle semble s'animer et sourire.
^ Ici Rousseau avait écrit sur le deuxième brouillon : approcher de l esplanade. En recopiant pour M'"' de Luxembourg il écrit: approcher du bord de l'esplanade. Puis en corrigeant son deuxième brouillon et en envoyant son texte à Rey il adopte la leçon : approcher du bord.
TEXTE DE LA NOUVELLE HÉLOISE 27
mer, l'adorer et presque en la possédant encore^ la sentir perdue. . .
Enfin sur quatre points, le texte du deuxième brouil- lon d'abord identique à la copie Luxembourg et diff'érenl du texte de Rej' est établi conformément à ce dernier par une addition de Rousseau : A. (deuxième brouillon non corrigé et copie Luxembourg) : et nous j' primes terre... B. (addition du deuxième brouillon et texte de 1761) et nous j- primes terre après ai'oir lutté plus d'une heure à dix pas du rivage sans y pouvoir arriver^... — A. ce lieu solitaire... B. En approchant et reconnaissant mes anciens renseignements., je fus prêt à me trouver mal; mais je me surmontai, je cachai mon trouble et nous arri- vâmes. Ce lieu solitaire...' — A. mais Julie attendrie... 'B. mais Julie., qui me voyant... — A. la serra sans mot dire... B. la serra sans mot dire en me regardant avec tendresse et retenant avec peine un soupir^.
Il n'y a à peu près pas de cas inverse où la copie Luxembourg soit à la fois différente du deuxième brouil- hm et plus proche du texte de Rey et permette ainsi de supposer qu'elle est chronologiquement plus rappro- chée de ce texte. Les trois seuls exemples sont sans signification : A. (texte de Rey et de la copie Luxem-
' Ici le texte de Rey est légèrement différent : et après avoir lutté plus d'une heure à dix pas du rivage, nous parvînmes à prendre terre. Rousseau a remanié encore sa correction pour l'impression.
- Toute cette phrase partie au verso, partie en surcharge. Noter tou- jours l'extrême différence des encres qui prouve des corrections non immédiates et confirme notre démonstration.
■■' Rousseau avait d'abord écrit (2"^ brouillon) : « la serra sa)is mot dire en retenant avec peine un sotipir»; puis il barre et ne laisse que a la serra»; en recopiant pour M»" de Luxembourg il rétablit «sans mot dire»; enfin en corrigeant et en envoyant son texte à Rey il rétablit tous les mots barrés en intercalant « en me regardant avec tendresse. »
28 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
bourg): entre quelques rochers... B. (deuxième brouil- lon) jt^arm / quelques rochers. Il n'}' a là qu'une de ces minimes oscillations de mots pour lesquels Rousseau, nous Tavons vu, change constamment et sans raison. A. sauvage et désert, mais plein de ces sortes... B. sau- vage et désert, plein... — A. Je partis arec elle en soupi- rant., mais sans lui 7'épondre ^ B. Je partis avec elle san^ lui répondre. Pour ces deux derniers cas, si le texte Luxembourg est identique au texte de Rey il est éga- lement identique à la p?'emière rédaction du deuxième brouillon. Rousseau, sur ce brouillon, a seulement barre- les mots qui manquent en B. Puis il s'est ravisé et en recopiant pour M'"*' de Luxembourg et en recopiant pour Rey.
Nous avons fait le même travail pour la lettre IV, 1 1 et les résultats en sont identiques. Le manuscrit deuxième brouillon est constamment plus voisin du texte de 1761 que la copie Luxembourg par ses correc- tions et additions. Ces additions et corrections sont postérieures à cette copie. C'est le deuxième brouillon qui doit faire foi pour les textes qu'il nous donne. (Parties W-VI.)
C. Conclusion.
Quelques conclusions très générales s'indiquent à côté des conclusions critiques. Elles intéressent et la phi- lologie et la psychologie de Rousseau. La Nouvelle Héloise fut, et de beaucoup, le plus grand succès litté- raire du dix-huitième siècle. Elle eut plus de cinquante éditions et contrefaçons avant 1800, une au moins, la
' Ici le texte de Rey modifie « en gémissant. »
TEXTE DE LA NOUVELLE HÉLOISE 2C)
première, tirée à quatre mille exemplaires et peut-être plus, alors qu'aucun roman, de 1760 à la Révolution, ne «emble avoir dépassé trois ou quatre éditions avouées ^ Son action sur les âmes françaises fut prodigieuse-. Au cours du dix-neuvième siècle, elle fut incessamment rééditée et relue. Ce roman, Rousseau Ta revu, corrigé avec un soin tendre et une obstination durable. Des éditeurs sont venus qui ont fait quelque effort pour l'imprimer correctement et qui en connaissaient les manuscrits. Pourtant il nous faut encore le lire dans des éditions qui sont ou médiocres ou très mauvaises. Certes le sens du livre n'en souffre pas essentiellement et les âmes ardentes de Julie et de Saint-Preux n'en sont pas défigurées. Mais ce sont tout au moins le philologue qui étudie la langue de Rousseau, le lettré pieux désireux de le connaître exactement qui n'ont en- tre leurs mains que des ressources incertaines. C'est enfin tout lecteur cultivé qui garde la crainte instinc- tive d'être infidèle à Rousseau et de n'avoir d'une œu- vre d'art qu'une copie altérée parfois, ou retouchée au hasard.
L'étude des manuscrits de Rousseau suffirait ample- ment à nous convaincre du soin minutieux qu'il met à se corriger. Mais son obstination patiente, non pas im- médiate et continue comme celle de Flaubert, échelon- née au contraire parfois sur onze ou douze années, révèle des scrupules de styliste presque maladifs. Les
1 Paul et Virginie n'est qu'une «pastorale. »
- Cf. notre ouvrage : Le sentiment de la nature en France deJ.-J. Rous- seau à Bernardin de Saint-Pierre, Paris, Hachette, 1907, et notre arti- cle de la Revue du Mois (1909 10 mai) : Les admirateurs inconnus de la Nouvelle Héloïse.
JO ANNALES DE LA SOCIETE.!. J. ROUSSEAU
étapes de ces corrections s'ajoutent indéfiniment les unes aux autres : remaniements des phrases dans ses promenades de .Montmorency, le soir, la nuit. Pour le moins premier brouillon surchargé de ratures innom- brables, deuxième brouillon, copie pour l'édition mo- difiée, copie Luxembourg également et différemment modifiée, corrections du deuxième brouillon, envoi d'additions ou corrections à Rey, corrections sur les épreuves, corrections de style dans Terrata, autres cor- rections pour l'édition de 17Ô3, exemplaires de i 7Ô4 et lyôq corrigés et annotés. Quand on étudie ces correc- tions, qu'on retrouve les mêmes variantes qui oscillent à quatre reprises entre deux textes, les mêmes notes abandonnées et reprises, on doit songer une fois de plus que Rousseau fut un nerveux et un malade et que la tendance à l'idée fixe, parfaitement d'accord avec l'in- décision, se retrouve parfois dans ses tâches d'auteur comme dans les actes de sa vie.
Ainsi se confirme aussi ce que nous avons dit ailleurs du style « sentimental » et non pittoresque de Rousseau. Quand il compose Jean-Jacques est un auditif et non un visuel. Lorsqu'on écrit, comme Chateaubriand, pour ressusciter par les mots sans couleur et sans forme les visions éclatantes et harmonieuses, on peut se corriger sans cesse et sans cesse trouver une plus sûre corres- pondance entre ses images et son style. Mais il n'est généralement pas de retour possible. La phrase plus fidèle à l'image s'impose sans conteste et pour toujours sur celle moins précise et moins vivante. Au con- traire l'harmonie musicale d'une phrase est chose infi- niment mystérieuse et mouvante. Elle n'est pas la même pour un Genevois du dix-huitième siècle qui
TEXTE DE LA NOUVELLE HÉLOISE 3l
tend à prononcer les consonnes finales, et pour un con- temporain de M'"® de Staël qui tend à les effacer. Elle se transforme même peut-être pour un Rousseau mon- dain et bien portant et pour un Rousseau solitaire et malade. De là ces corrections, ces hésitations, ces re- tours dont aucune raison impersonnelle ne saurait sou- vent rendre bien compte. Pourtant si le détail d'un pareil style échappe en partie à une analyse méthodi- que, si les scrupules ne se justifient pas toujours pour d'autres que pour Técrivain, c'est cette poursuite assi- due des cadences subtiles et des harmonies fuyantes des mots qui seule fonde solidement la valeur musicale de la phrase. Les usages changent ; nous n'avons exacte- ment les oreilles ni de Rousseau, ni de ses contempo- rains, et pourtant les phrases vibrent toujours dans les lettres de Julie et de Saint-Preux.
.^2 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
DEUXIÈME PARTIE Les éditions du dix-huitième siècle.
L HISTOIRE DE LA PREMIÈRE ÉDITION
Pendant un voyage que fit Rey à Paris en 1738, Rous- seau lui lut à Montmorency «quelques morceaux de la Noiwelle Héldise.» Le 1 3 septembre 1768, Rousseau an- nonce que le roman, en six parties, est entièrement achevé et qu'il pourra, s'il le désire, commencer par lui impri- mer une édition de ses œuvres. Jean-Jacques projetait même un voyage à Amsterdam, fixé au printemps de 1 759, pendant lequel il devait surveiller l'impression. Le prix convenu avait été fixé tout de suite à quinze louis neufs par partie. Le3i octobre, Rey précise ses intentions : «Je commencerai par vos lettres que vous m'avez fait le plai- sir de me faire voir à quinze louis la partie ; je voudrais les publier par deux parties à la fois, mais comment faire pour les dessins? Voudriez-vous les faire exécu- ter à Paris et combien demanderait-on par sujet? Vous pourriez m'envoyer partie par partie et je vous ferai payer en peu de temps à chaque fois, sans m'enga- ger à tout finir pour le inois de septembre prochain; qo louis font 2160 livres, c'est une somme, sans comp- ter les autres frais qui iront bien au delà; combien croyez-vous que tiendra de pages chaque partie?» Le iQ février 1739, Rey réclame les deux premières parties du manuscrit en promettant pour le mois de mars
ÉDITIONS DU XVIII'^ SIÈCLE 33
trente louis neufs. En réponse, le 14 mars, Rousseau précise ses conditions définitives. L'ouvrage sera sur beau papier, de caractères et de format à convenir; les feuilles seront tirées seulement après le retour des épreuves corrigées ; on suivra exactement Torthographe, la ponctuation, même les fautes du manuscrit ; l'ou- vrage paraîtra tout à la fois et Rousseau en recevra soixante exemplaires ^
A la même date du 14 mars, Rousseau indique qu'il expédiera la première partie le dernier jour d'avril et que les parties suivront de mois en mois. En fait, Rey accuse réception de la première partie le 18 avril. Rousseau expédie la deuxième le 2 mai et Rey annonce son arrivée le i3. Le 14 octobre, il est -question dans une lettre de Rey de la troisième partie. Le 27 octobre, la quatrième partie vient d'arriver. Le i5 décembre, la cinquième est expédiée. Rey Ta reçue le 24. Envoi de la sixième le 18 janvier et accusé de réception du i^' février'.
La question des épreuves fut l'objet de constantes difficultés et négociations. A cette date les ports de paquets aussi pesants étaient extrêmement coûteux'. Rousseau refusait de les prendre à sa charge en affir- mant que tous ses bénéfices d'auteur y passeraient. D'au- tre part, en suivant la voie régulière de la poste, il crai-
' Bosscha: pp. 63, 65, 66, 68-69. — Œuvres. VIII, p. 36o. — Lettres de Rey du 20 septembre 1758, 24 octobre, 3i octobre, 19 février lySg, mars.
- Bosscha: pp. 68, 73, 82, 84. — Lettres de Rey du 14 mars 1759, 10 avril, 2 mai, 14 mai, i3 octobre, 27 octobre, i5 décembre, 24 décem- bre, 1 février 1760.
* Ils venaient même d'être augmentés. (Cf. une lettre de Thieriot à Voltaire du 28 novembre 1759. Revue d'Hist. litt. de la France, 1908, p. 348.)
:>4 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
gnait des indiscrétions, des détournements ou des diffi- cultés de police. Il commence par indiquer à Rey qu'il devra expédier à d'autres adresses que la sienne, en alternant ces adresses, et avec des précautions minu- tieuses, détaillées dans une lettre du i5 octobre. A la même date il suggère à Rey de solliciter de M. de Malesherbes, s'il a les ports francs, l'autorisation de lui faire parvenir les épreuves. Le 24 décembre, Rey écrit à Malesherbes ^ Le i^*" février il annonce à Jean- Jacques que M, de Malesherbes a accepté la propo- sition. Dans une lettre du G mars Rousseau indique à Malesherbes comment les épreuves pourront lui parve- nir de Paris à Montmorency, soit par la poste, soit par un messager de la rue Saint-Germain l'Auxerrois'^. La question des ports réglée, restait celle de la régu- larité des envois, d'Amsterdam ou de Paris. Les lettres de Rousseau à Rey et de Rey à Rousseau précisent les dates sans grand intérêt de ces échanges. Notons seu- lement que la première épreuve est envoyée le 3 avril 1760, la deuxième le 7 avril, la première bonne feuille le 24 avril, avec l'épreuve D'. Rousseau et Rey eurent
' La lettre est conservée à la Bibliothèque Nationale (Manuscrits. Collection Anisson, 22191, f" 299): «J'ai deux grâces à vous demander et que je vous prie de vouloir m'accorder. . . La première est de me permettre de vous adresser les épreuves d'un nouvel ouvrage que je vais entreprendre dont l'auteur est M. Rousseau, citoyen de Genève ; voici ce qu'il me mande par la lettre du i5 Xbre lySg, de Montmo- rency.... [Lettre publiée, conformément à l'extrait donné par Rey, dans Bosscha, p. 831.
Je mande parce courrier à M. Rousseau que je vous en ai fait la de- mande et que je l'instruirai de la réponse dont je vous prie de m'ho- norer. . . »
' Bosscha. pp. 83, 82, 86. — Œuvres, X. p. 226. — Lettres de Rey du 24 décembre 1759, 1 lévrier 1760, 16 juin (Lettre d'envoi d'épreuves :i M. de Malesherbes.)
• Bosscha et lettres de Rey, passim.
ÉDITIONS DU XVIII^ SIÈCLE 35
de fréquents démêlés dont le prétexte furent les retards de l'impression. Rousseau accuse Rey fort aigrement de ne rien expédier, et Rey s'excuse ou insinue que l'au- teur ne corrige pas régulièrement. Il semble bien d'ail- leurs que ce fut Rey qui laissa traîner l'impression en longueur. Dès le 20 octobre lySg, Rousseau prenait ses précautions. Il avertissait que son livre était attendu avec « quelque sorte d'impatience qu'une longue di- sette de romans doit naturellement augmenter. » Mais il y a sous presse plusieurs ouvrages analogues et « il est à croire que la curiosité sera éteinte » avant que Rey se soit mis en état de la contenter. Le 8 mai 1760. le 18 mai, le 28 mai, etc.. Rousseau affirme son exac- titude, s'irrite des reproches de Rey et revient sur ses affirmations et ses craintes : « outre que la réputation de ce recueil commence à chanceler et qu'on n'en vou- dra plus s'il tarde à paraître, je sais qu'il doit paraître, durant l'hiver, des nouveautés capables d'absorber l'at- tention du public. » Rey se défend comme il peut, in- sinuant, le 10 mai, que Rousseau n'est pas très exact, sans peut-être qu'il y ait de sa faute, avouant à la même date, ou le 12 septembre, des retards dans le tra- vail, se plaignant à nouveau, le 20 octobre, de retards d'épreuves dont la poste dut avoir sa part^
En même temps Rousseau s'irrite amèrement et constamment de l'incorrection des feuilles, des «fautes horribles » qu'on lui envoie. L'imprimeur n'est pas seul coupable. Son manuscrit parti, il expédie encore des changements, importants surtout pour la première partie, et qu'il faut repérer. Les erreurs sont dès lors
* Bosscha: pp. 8i, 90, 92, 96, 97. — Lettres de Rey du 10 mai 1760, 26 mai, 12 septembre. 20 octobre.
36 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
si aisées et si fréquentes que Rey se plaint (i juin 1760) et que Rousseau en reconnaissant les inconvénients du système demande à Rey de se contenter des corrections faites sur les épreuves ^ Entre temps la correspondance réciproque fixe toutes sortes de menus détails d'impres- sion. Rey demande, en mai 1759, des indications sur le format et le caractère; Jean-Jacques préférerait la forme in-8°. Rey s'inquiète de l'inégale importance des par- ties que Rousseau maintient comme inévitable. Le 28 février 1760, Re}^ envoie un échantillon du carac- tère. Le 6 mars, Rousseau, qui entre dans tous les dé- tails, fait ses observations sur le caractère, le papier, le titre courant. La page de titre fut l'objet de nom- breux remaniements. Déjà Rousseau avait profondé- ment modifié le titre de la copie envoyée à Rey -. La page corrigée est envo3^ée par l'imprimeur le 22 juin 1760. Le 2q juin, Rousseau demande des transforma- tions, une page moins chargée, la répartition du titre en faux-titre et titre, ainsi qu'on les trouve dans l'im- pression définitive. Les lettres de Rey du 10 juillet, 28 juillet, 2S août et de Rousseau du 17 juillet se met- tent définitivement d'accord**.
Rey, par souci de réclame, avait surtout insisté pour inscrire en page de titre la devise déjà célèbre de Jean- Jacques: « vitam impendere vero.» Rousseau proteste pour raisons personnelles et parce qu'il ne veut pas barioler son titre de français, d'italien et de latin. Rc}^
' Bosscha ; pp. 91. 84, g.S, 97, 87. Lettres île Rey du 1" juin 1760, 22 juin.
-' Cf. Hosscha : p. yS. La ditVcrence essentielle est que le loinaii s'in- titulait : Julie ou la Moderne Héloise.
" Bosscha : pp. 77, 81, 86, 102, 104. — Lettres de Rey du 1,4 mai 1739, 28 février 1760, 22 juin, 10 juillet, 28 juillet, 2.S août.
ÉDITIONS DU XVIII'^ SIÈCLE Sy
tenace, fait graver une vignette pour encadrer cette ior- mule qui lui tient au cœur, et il faut que Rousseau re- nouvelle ses protestations le 6 et le 24 juillet 1760^
La question des vignettes ne fut pas moins débattue. Le 7 avril 1760, Rey, qui possédait dans son fonds d'imprimeur un certain nombre d'assez jolies vignettes gravées, qu'il utilisera au besoin pour les éditions de Rousseau^, écrivait: «Je désirerais mettre des vignet- tes aux titres; voulez-vous m'en donner les sujets. « Le projet « ne rit pas trop » à Jean-Jacques qui de- mande du reste des épreuves. Rey insiste pour que son auteur « lui indique lui-même les sujets », mais Rousseau a changé d'avis; il ne veut plus de vignettes. Le cartouche qui a été gravé pour encadrer la devise pourra seulement et très commodément enfermer l'é- pigraphe de Pétrarque. Cartouche et épigraphe ne de- vront du reste figurer qu'au premier volume et au der- nier^.
Pour les planches, Rousseau a songé à huit estampes*, puis à douze, qui seraient dessinées par Boucher, coûte- raient une centaine de louis et dont les sujets sont tout écrits. Boucher a même donné son consentement. Mais Rey trouvait la dépense trop forte (lettres du 1 3 août 1739 et du 24 avril 1760.) Rousseau se décide ù charger Coindet de surveiller l'exécution et la publication des
' Bosscha. pp. 89,103, 106.
- Par exemple les vignettes utilisées pour le nouveau tirage de 1761 (cf. iniVa p. 49) portent les dates de 1728 et 1737.
•'■C'est ainsi qu'ils sont utilisés dans l'édition de 1761 (i«' tirage). — Bosscha: pp. 88, 100, 102, io5. — Lettres de Rey du 7 avril 1760, 24 avril, 3 mai.
* Sur ces projets d'estampes dont Rousseau discuta avec M™ d'Hou- detot et son frère M. de Lalive de JuUy, voir Buffenoir, op. cit., pp. i8t|, 200, 219.
38 AWALES DE LA SOCIÉTÉ .1. ,1. ROUSSEAU
douze estampes qui furent dessinées par Gravelot. Il offrit sans doute à Rey de les joindre à son édition, mais Rey répondit (27 octobre 1760) qu'elles arrive- raient trop tard — comme il advint — et elles furent publiées à part ^
Le prospectus fut lancé par Rev dans les derniers mois de i7(')o. Nous n'en avons pas retrouvé d'exem- plaire, mais il fut inséré dans la Bibliothèque des Scien- ces et des Beaux- Arts'-: «M. Rey distribue le pros- pectus que voici : La Nourelle-Hélo'ise, ou Lettres de deux Ar?iaus, Habitaus d'une petite ville au pied des Alpes, recueillies et publiées parJ.-J. Rousseau, 6 vol. grand in-douze, 1761. à Amsterdam, chez Marc-Michel Rey. à 1. 7... 10 de Hollande. On ne se propose ici que d'annoncer ces Lettres. Le nom de M. Rousseau qui les a recueillies, et en quelque sorte adoptées, est plus que suffisant pour les recommander au public. Cependant comme bien des gens souhaiteront sans doute de savoir quel en est le sujet, on \a tâcher de les satisfaire par un précis très succinct des principaux événements sur lesquels elles roulent...
[Analyse: pp. 5 1 2-3 14]
C.e précis peut suffire pour ceux qui veulent lire ce recueil dans le seul dessein de s'amuser. Quant à ceux qui y chercheront quelque chose de plus solide, on les avertit qu'ils y trouveront une foule de réflexions inté- ressantes amenées par les différentes situations des per- sonnes qui écrivent ces Letti"es. Ces personnes sont
' Avec des pagiiiaiions qui permettaient de les relier coinmodément. — Bosscha : pp. 77, 78. — Lettres de Rey du i !^ août 1 7.^(), 24 avril 1760, 27 octobre.
-' Public à La Haye, chez Pierre Gosse, in-12. Octobre-iiovenibre-dé- cembre (t. XIV, 2' partie), p. 3ii-5i3.
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Julie, Claire, Saint-Preux, Mylord Edouard et M. de Wolmar. »
Tout cela n'était que discussions commodes et arran- gements sans portée lointaine. Il y avait pour Rey des questions infiniment plus graves et dont dépendait le succès financier de son entreprise. Rey était libraire de Hollande, inconnu comme tel du gouvernement fran- çais et livré à toutes les entreprises des contrefac- teurs. Il voulait vendre son édition assez cher, pour se payer de ports assez lourds. Il était donc assuré que Touvrage serait immédiatement contrefait et que les volumes imprimés en France se vendraient au détri- ment des siens. Il songea à une première combinaison : «Je tire quatre mille exemplaires de Julie, j'en place deux mille à Paris pour toute la France où il ne me sera pas permis d'en envoyer ; je les y vends [au libraire] à 8 livres l'exemplaire, payables à six mois et à un an, à un nommé Robin au Palais.» (23 octobre 1760^). Il s'agissait alors d'obtenir l'entrée libre des ballots. Rousseau fit auprès de M. de Malesherbes des démar- ches (lettre de Rey du 3o novembre) ; il annonce le 26 décembre que l'entrée a été accordée à Robin. Rey avait d'abord promis de faire l'envoi le 12 décembre, mais il prévient que les balles ne sont parties que le 22 par eau, par la voie de la Zélande et de Bruxelles^. Il
' Rey avait sans doute déjà entretenu Rousseau de ses craintes. Dans tous les cas Rousseau en parla à Malesherbes qui donna, pendant que Rey se décidait tout seul, le conseil de substituer pour la moitié de l'édition un libraire français (Rousseau. Œuvres, X, p. 239.)
- L'édition Hachette donne (X, 235) une lettre datée de 1760 où Rous- seau indique qu'il n'a plus reçu de nouvelles de son libraire depuis la dernière feuille et qu'il croit son envoi en route. Nous avons omis de re- lever à Neuchâtel la dernière lettre où Rey annonce l'arrivée d'épreuves, mais il y a une lettre de lui du 20 octobre où il se plaint de n'avoir pas
40 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ ,1. .1. ROUSSEAU
avait d'abord espéré qu'elles arriveraient à Paris vers le milieu de décembre ^ Les difficultés de la naviga- tion d'hiver furent cause que le 3i décembre le «na- vire M n'était pas encore a Bruxelles. L'arrivée devait avoir lieu à Paris le q janvier. Elle est faite en tous cas le 17 2. Mais les exemplaires ne furent pas immé- diatement mis en vente.
Re3% en effet, n'avait pas conjuré le péril pour avoir vendu ses deux mille exemplaires à Robin. L'imprime- rie au dix-huitième siècle était une entreprise si semée de périls et d'embûches qu'on s'étonne de voir malgré tout les livres s'éditer avec quelque aisance. Les ris- ques que Rey ne courait plus, c'est Robin qui les affron- tait, et si Robin ne vendait pas, c'est Rey qui n'était pas payé. Dès la mise en vente, et même avant, si quel- que exemplaire s'égarait, c'était le champ libre ouvert aux contrefacteurs. Il s'agissait donc pour Rev et pour Robin d'obtenir de M. de Malesherbes une sorte de privilège, l'interdiction de toute réimpression du ro- man en dehors des deux mille exemplaires envoyés à Paris. Déjà en août 1761, Re}' avait soupçonné qu'une édition parisienne de Julie se préparait, et il avait écrit à Rousseau pour lui demander de s'y opposer. Rous- seau répondit sèchement qu'il n'était question de rien ; mais le péril n'était que différé. C'était de M. de Ma-
reçu les épreuves corrigées par Rousseau. La lettre doit donc être da- tée fin octobre ou commencement novembre. Dans tous les cas elle est antérieure au 24 novembre, ou plutôt à l'arrivée à Paris d'une lettre du 24 où Rey annonce l'expédition de l'ouvrage.
' C'est ce qu'espère aussi Rousseau dans une lettre à Lcnicps du 1 i dé- cembre 1760 (X, p. 244.)
- Lettres de Rey du 2 3 octobre 1760, .^o novembre, 26 décembre, sans date, 24 novembre, 3i décembre, 9 janvier 1761, 17 janvier.
EDITIONS DU XVIll' SIÈCLE 4I
leshcrbes que dépendait toute TalVaire. Rey ne ménage ni les sollicitations ni les voyages. Il vint à Paris en décembre 1760 (où il vit même Rousseau à Montmo- rency), et en janvier 17(^1 ^ Il n'obtint qu'un demi- succès.
Pour Malesherbes, Rousseau avait vendu son manus- crit à un libraire de Hollande. Il n'avait plus à s'oc- cuper des conditions de la mise en vente. C'était au libraire à calculer ses droits et ses intérêts. Or rien ne pouvait interdire aux libraires français de réimprimer à leur guise un ouvrage édité à l'étranger; toutes con- trefaçons étaient légitimes. Dans tous les cas elles étaient possibles avant même l'arrivée à Paris des bal- lots pour Robin, Malesherbes avait reçu de Rey, en novembre 1760, un volume, puis six exemplaires qu'il n'avait pas gardés pour lui. Rey s'en inquiète et s'en plaint, en constatant le 3i décembre que de ces six exem- plaires trois courent de mains en mains. Le chevalier de Lorenzi écrit lui aussi qu'il y a deux exemplaires «qui trottent de l'un à l'autre». Rey d'ailleurs a lui- même commis des imprudences, puisque dès le com- mencement de décembre il a prêté Julie à Dangirard, un correspondant de Rousseau. Aussi écrit-il lettres inquiètes sur lettres pressantes. Malesherbes refuse de recevoir en présent les trois exemplaires du roman et les paye. Il refuse d'interdire la contrefaçon. Il ne reste donc plus qu'à canaliser cette contrefaçon en sau- vant Robin et l'argent de Rey. On demandera à Ma- lesherbes de donner à Robin le droit exclusif de réim-
1 Bosscha : pp. 117. m. Lettres de Rey du 20 décembre 1760 et 9 jan- vier I 76 I.
42 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
primer la Nouvelle-Héloise. Malesherbes résiste, puis finit par donner son consentement à une combinaison qui profitera aux intérêts de Rousseau. Robin imprimera une nouvelle édition autorisée, mais il versera à Rous- seau un présent de cent pistoles. L'impression est com- mencée malgré Rousseau et sans d'ailleurs que Rey soit averti. Jean-Jacques, avec une très belle et très scrupuleuse honnêteté, poussant bien plus loin que Malesherbes le souci des engagements tacites qu'il croyait avoir pris envers Rey\ dut accepter ce qui s'é- tait fait «à son insu ». Il réclama du moins le consen- tement de Re}-. Re}- donna ce qu'il ne pouvait contes- ter puisque Malesherbes ordonnait et que l'édition était sous presse-. Du moins Rousseau voulut-il par- tager avec Rey ses cent pistoles. Rey refusa. Rousseau, comme compensation, lui céda pour mille francs le ma- nuscrit du Contrat social dont il aurait pu. dit-il. tirer deux mille francs. Cette édition de Paris ainsi impri- mée avant l'arrivée des ballots de Rey dut même, par ordre de Malesherbes, et dans l'intérêt de Robin qui n'aurait pu écouler un texte altéré, être vendue toute entière avant de commencer le débit de l'édition d'Ams- terdam : (' Robin, écrit de Loreiizi, le 28 janviei' lyin, ne veut pour or ni poLir argent livrer d'autres cxcm-
' Voir le très intéressant échange de ieiircs entre .1 . J. Rousseau cl Ma- lesherbes : Oeuvres, X, p. 237; Streckcisen-Moullou : J.J. Rousseau. Ses amis et ses ennemis, Paris, i865. Lettres du 2() octobre et du 11 no- vembre 1760, t. II, pp. 401-406.
- On voit donc ce que vaut la phrase de Rousseau du 28 janvier 1761 {ci. éf^alement Confession. VIII, p. 3(\';, ou lettre à Malesherbes du 10 fé- vrier 1761, X, p. 23i): «cette seconde édition se faisant par votre ordre et du consentement de Rey. » (Voir la lettre de Rey du 25 février 1761 : «J'ai donné les mains à la réimpression de Julie parce que je ne pouvais pas l'empêcher.)»)
KDlllOXS UV XVm' SIÈCLE 43
plaires que de rédition de Paris.» Coindet avait reçu pour Rousseau douze exemplaires de l'édition d'Ams- terdam. Six avaient été distribués. Robin proteste au- près de Malesherbes qui en écrivit à Jean-Jacques et Jean-Jacques promit que Coindet « ferait tous ses efforts pour les retirer.» L'édition complète d'Amsterdam ne commença à se débiter qu'au début de février 17(31 ^
Il fut également question, et tout de suite, de nou- velles éditions autorisées, revues par Rousseau et qui auraient sérieusement menacé les bénéfices de Robin. C'est ainsi que Robin, le 21 février, écrit à Re\^ pour protester violemment contre le bruit d'une troisième édition avec figures, moins coûteuse, que Malesherbes aurait autorisée et à laquelle Rousseau aurait quelque part. Rey, le 2 mars, transmet à Rousseau les protes- tations de Robin avec les siennes. Rousseau, en effet, avait été pressenti par Coindet et Malesherbes. Mais il voulait avant de consentir laisser à Robin le temps de débiter l'édition de Paris et ses deux mille exemplaires de Hollande. Il voulait aussi, puisqu'il s'agirait d'une édition officiellement autorisée, s'entendre avec Ma- lesherbes sur les suppressions de l'édition de Paris, sur les raisons données pour les justifier, surlesaccom-
1 Le 3 février Le Roy écrit bien à Hennin qu'il vient d'achever la lec- ture du roman. (Cf. G. M au gras : Querelles de philosophes, Voltaire et J.J. Rousseau, Paris, Calmann-Lévy, 1886, in-8°, p. 128), mais il n'in- dique pas s'il s'agit de la contrefaçon. A la même date du 3 février, La Condamine (lettre de Neuchâtel) écrit à Jean-Jacques qu'il diffère d'ac- quérir son roman pour avoir le texte authentique. Rousseau dit (IX, p. 2) «au début du Carnaval». Le Carnaval de 1761 se place du i au 3 février.
Bosscha : pp. 117, iii. — Rousseau : Œuvres: X, pp. 241, 246; 'VIII, p. 367. — Lettres de Rey du 3i décembre 1760, 6 mars 1761, 25 février, sans date. — Lettres de Dangirard du 22 février 1761 et Lorenzi, 28 jan- vier.
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modements et retouches qu'on pourrait trouvera En avril 1761. il renonce à s'occuper de ce projet d'une édition française. Le livre restera tel qu'il est-.
Rousseau avait été intégralement payé. En mars lySp, Rey promettait de verser les quatre-vingt dix louis dans le courant de l'année. Mais le i^'" juin. Fauteur n'avait encore rien reçu. Le i i juin Rey explique qu'il s'est arrangé avec M. de Saintvenant de Rouen qui se char- gera de pa3^er à Rousseau quatre cents livres en mai, autant en juillet, septembre, novembre et cinq cent soixante en décembre pour parfaire les deux mille cent soixante livres représentant les quatre-vingt-dix louis neufs. Le 21 juin Rousseau a reçu le premier paiement. Le 6 août rien de nouveau. Il propose à Rey si ses affaires sont embarrassées de résilier le traité. Mais le deuxième paiement est arrivé le 2 septembre, le troi- sième le 7 octobre, le quatrième le ib décembre et le dernier le 18 janvier 1760'.
Conformément à la promesse faite, Robin annon- çait à Rousseau, le 3o novembre i7()o, qu'il y aurait dans les balles de Rey soixante exemplaires pour lui. Sans compter M'"'' de Luxembourg, M'"'= d'Houdetot et les intimes qui ont lu les copies, Duclos a vu le ro- man sur les bonnes feuilles que lui envoie Rousseau"*.
' Voir la lettre sans date à Coindet (X, 293). Elle est très mal classée entre deux lettres du 2.^ décembre 1761. Elle doit se placer avant la lettre 265 d'avril 176 1 .
' Rousseau : Œuvres, X, p. 256, 249. — Lettres de Robin (à la Biblio- thèque de Neuchâtel) du 12 mars 1761, de Rey du 2 mars.
3 Bosscha : pp. 75, 77, 78, 79, 82, 84. — Lettres de Rey de mars 1759 (postérieure au 14), i 1 juin.
* Ajoutons une lettre à M. (Duclos?) où Rousseau indique qu'il en- verra la préface « imprimée» et « déjà cousue à la première partie» si son correspondant le désire.
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Des soixante exemplaires, un fut donné à M. de Mar- gency, deux à M'^'' de Boufflers pour le prince de Conti, trois remis à de Lorenzi par l'intermédiaire de Coindet, un autre à M. de Gauffecour. Rousseau, le 12 mars 1761, annonçait à M'"*' Bourrette que tous ses exem- plaires étaient donnés ou destinés ^
II. DESCRIPTION CRITIQUE DES ÉDITIONS
Nos filiations d'éditions se justifient ainsi : les gran- des familles se déterminent sans hésitation et avec une certitude rigoureuse. I. Première édition. Persistance du texte de 1761, sans les corrections conformes à V Er- rata de Rousseau que comportent toutes les autres fa- milles. II. Edition Duchesne de 1764. Titres de lettres constamment modifiés. Table sommaire des matiè- res...^. III. Edition Rey de 1763. Variantes conformes à l'exemplaire de 1761 corrigé par Rousseau. IV. Édi- tion de Genève, 1782. Variantes conformes à l'exem- plaire Coindet annoté par Rousseau. V. Éditions Defek DE Maisonneuve, Didot, etc. Variantes diverses emprun- tées aux manuscrits déposés à la Convention.
Pour le détail des filiations, qu'il était d'ailleurs inu- tile de pousser très loin au prix d'un travail infini', il ne nous était pas possible d'employer exdusij>ement la méthode la plus simple et la plus courante : collation-
' Bosscha : pp. io8. Œuvres: X. pp. 234. 253. 242. — Lettres (à Neu- chàtel) de Robin 3o novembre 1760; Margency, 21 janvier 1761 ; Lo- renzi, 28 janvier; Lalive, 3i janvier; Pernetti, 6 février.
'Cf. l'étude sur le Texte, p. \':> .
'■'' Le texte de la Xoiivelle-Héloise comportant iq3i p. in-12 et 1066 p. in-4".
46 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
ner d'un bout à Tautre dans toutes les éditions cin- quante ou cent pages déterminées. Il y a en effet quel- quefois trente ou quarante pages consécutives, ou plus, où l'on ne rencontre pas une variante importante et qui ne puisse pas être attribuée à la rigueur au hasard de la composition. Nous avons donc coUationné en- tièrement les éditions de Rey 1763 et de Genève 1782, les parties IV-VI de l'édition Musset-Pathay, et pour toutes les éditions de quelque intérêt les cent ou deux cents premières pages de la quatrième partiel
En même temps nous avons comparé le texte de la première édition et le texte de Musset-Pathay, le der- nier en date qui ait quelque valeur, pour l'ensemble des parties IV, V et VI dont nous avons les brouillons. Cette comparaison nous a fourni un tableau de qua- rante-sept variantes distribuées sur la moitié du roman. Nous les avons réparties en trois groupes suivant leur importance^. Et c'est à ces quarante-sept variantes que
' Les deux brouillons ne commencent qu'à cette quatrième partie. 2 Voici quelques exemples du tableau et des groupes :
I. I. (1761. IV, I i). Pas de note, i' (Musset-Pathay). Cette réponse n'est pas exacte puisque le mot d'hôte, etc. — 2. (IV, 17) et le bateau ayant besoin de raccommoder. 2' ... ayant besoin d'être raccommodé. — 3. (IV, 17). Un ciel serain, les doux rayons de la lune. 3' Un ciel serein, la fraîcheur de l'air, les doux rayons de la lune. — 4 (VI, 8) ...une sorte de jouissance qui supplie à la réalité. — Qui vaut mieux, peut-être. 4' ...qui supplée à la réalité, qui vaut mieux, peut-être.
II . I . (IV, I) ; tout le veut ; mon cœur, mon devoir, mon bonheur, mon honneur conservé, ma raison recouvrée, mon état, mon mari, mes en- fans, moi-même, je te dois tout, i'; tout le veut, mon cœur, mon de- voir... mes enfans, moi-même; je te dois tout. — 2. (IV, 3). Entin j'ai vu dans mes compagnons de voyage un peuple intrépide et Her dont l'exemple et la liberté rétablissaient à mes yeux l'honneur de mon es- pèce, pour lesquels la douleur et la mort ne sont rien. 2' ...l'honneur de mon espèce, pour lequel la douleur... — 3. (IV, 9) ...en sorte que je le vois retourner beaucoup plus rassurée sur son cœur que quand il est arrivé. 3' ... beaucoup plus rassuré. — 4. (IV, 10); elle lui assigne une
ÉDITIONS DU XVIll'^ SIÈCLE 47
nous avons, pour compléter nos recherches, comparé toutes nos éditions. Les concordances ou différences suffisent le plus souvent à établir un certain nombre de filiations secondaires.
I. Première édition,
A. Edition de Rey.
Dans nos indications les lignes des titres sont séparées par un trait. Quand il y a changement de page pour les faux-titres la séparation est marquée par deux traits. Les lignes imprimées eii lettres rouges, comme il arrive fréquemment pour les éditions de Hollande, sont signalées par des italiques^.
1. (Bibliothèque de l'Arsenal, B. L. -loSô-j.) Julie, I ou I la Nouvelle Heloïse. | Tome premier. j| Lettres | de deux Amans. \ Habi- tans d'une petite Ville | au pied des Alpes. | Recueillies et publiées \ Par J. J. Rousseau. [ Première partie. \ [Cartouche gravé] Non la co- nobbe il mondo, mentre l'ebbe : | ConobilTio ch'a pianger qui rimasi. | Petrarc. | A Ams-
heure pour l'entendre en particulier, et c'est là qu'elle ou son mari leur parlent comme il convient. 4' ...lui parlent...
III. I. (IV, 2). Je ne pouvois m'empêcher d'admirer en toi ce que j'au- rais repris dans un autre. T ... dans une autre. — 2. (IV, 3) ... accablé de fers, d'opprobres et de misères. 2" ...d'opprobre. — 3. (IV, 3) ...J'ai vu dans ce lieu de délice et d'effroi. 3'... de délices... — 4. (IV, 7) ... l'a guéri de l'esprit de systèmes. 4'. ..de système.
' 11 reste bien entendu que les italiques n'ont cette signification que dans la copie des pages de titres et ne l'ont plus quand il s'agit de rendre claire la suite de la description (Par ex. Préface... Catalogue...)
48 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
terdam. \ Chez Marc Michel Rey | MDCCLXI.
Il [in-'^]
T. I. Préface (Six feuillets non chiffrés.) A la dernière page : Note sur les fautes d'impression. — Lettres: pp. 1-407. P. 407 verso (non chiffré) : Catalogue des livres du fond de M. M. Rey, Li- braire â Amsterdam.
Errata de la Julie (paginé i à 4;. P. 4 :
«Le débit de cette édition ne pouvant pas être ditîéré, et les estampes qui s'y rapportent n'étant pas encore tout-à-fait prêtes, on les publiera dans peu de jours. Elles seront cottées sur les pages de cette édition de Hollande, afin que l'on puisse aisément les y insérer. »
T. II. (Ne porte pas le cartouche et les vers. Fleuron.) Lettres : pp. 1-3 19. Verso de la page 319 : Suite du catalogue des livres du fond de M. M. Rey. libraire à Amsterdam. — 1\ II L (Pas de cartouche). Lettres: pp. 1-2^^. Verso de la p 25=5 : Suite du catalogue, etc — 1 . IV. (Pas de cartouche). Lettres: pp 1-331. (Pas de cata- logue). — T. V. (Pas de cartouche). Lettres : pp. 1-3 1 1 . Verso de la page 311: Suite du cata- logue, etc. — T. VI. (Cartouche). Lettres : pp. 1- 312. (Pas de catalogue).
Nous avons vu que la feuille d'errata avait été im- primée postérieurement à l'achèvement définitif de l'é- dition. On comprend donc qu'elle n'ait pas été bro- chée avec le dernier volume. La plupart des exemplaires que Ton rencontre ne comportent pas cet errata. (Ainsi s'explique Tallirmation de Bosscha ' qu'il n'existe pas
' y. loy.
ÉDITIONS DU XYIII*-' SIÈCLE 49
d'errata.) On le trouvera dans l'exemplaire ci-dessus décrit de la bibliothèque de l'Arsenal. Il n'existe pas au contraire dans notre exemplaire, dans ceux de Limo- ges (B. L. 1472), de Genève (Hf. 2762), etc..
Dans sa correspondance avec Rousseau, Rey parle sans plus d'un tirage à quatre mille exemplaires dont deux mille envoyés à Robin. Or de deux choses l'une : ou les exemplaires imprimés pour lui ne furent pas tous identiques à ceux envoyés à Robin et ne furent pas tous tirés immédiatement, ou plus probablement il fit procéder sur les mêmes formes à de nouveaux tirages ^ Certains exemplaires, les plus fréquents, ne comportent comme celui décrit et comme l'avait voulu Rousseau ni vignettes diverses, ni cartouches et épi- graphes aux tomes II, III, IV. V. D'autres, au con- traire (par exemple Bibliothèque de Rouen O. 2372) ont à tous les volumes ce cartouche et cette épigraphe*. Certains mêmes sont plus modifiés encore. Avec une justification identique et les mêmes fautes d'impression ils comportent les différences suivantes :
2. (Bibliothèque de Genève Hf. 2^62.}
T. I. En tête: Sujets d'estampes: pp. 3-24. A la fin : Vignette gravée (Yver fecit 1737) — T. Il:
1 Par nouveau tirage, ici comme ailleurs, nous n'entendons pas déci- der si les éditeurs ont conservé leurs formes jusqu'à épuisement de lé- dition. Nous voulons indiquer seulement qu'ils ont mis en vente des exemplaires imprimés à un moment quelconque sur les mêmes formes, avec des pages de titre différentes.
- Remarquons que ce cartouche gravé devait être reporté sur les exemplaires après le tirage typographique. Au tome IV de l'exemplaire de Rouen il est imprimé tout de travers.
5o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J . .1. ROUSSEAU
Préface | de la | Nouvelle Heloïse : | ou | Entre- tien sur les Romans. I entre l'Editeur | et un Hom- me de Lettres. | Par J. J. Rousseau, | Citoyen de Genève. | A Amsterdam, | Chez Marc Michel Rey, I MDCCLXI. | Avec Privilège de nos Sei- o-neurs les Etats de 1 Hollande et de Westfrise. 1
O I I
pp: 1-63 (y compris le privilège). Verso de la p. 63 : Approbation (conforme à celle de l'édition Du- chesne) et Avis du Libraire Rey : a On trouvera in- cessamment chez moi les douze planches qui ont été gravées pour Julie ou la nouvelle Héloïse, de- puis la publication de cet Ouvrage » — Errata pour Julie (de deux feuillets non chiffrés. Iden- tique pour le fond à celui des exemplaires envoyés à Paris, mais les caractères d'impression sont très différents) — Sur la page de titre du volume: vi- gnette gravée. A la dernière page, cul de lampe (B. Picart. del . 1729) — T. III. Sur la page de titre : vignette gravée (identique à celle du t. Il, mais avec fond strié.) Dernière page : cul de lampe. (Picart. 1728) — T. IV. Page de titre : vignette (B. Picart direx.). Dernière page: vignette (avec la légende : Ingeniosa assiduitate et une ruche d'abeilles ^) — T. V. Page de titre : vignette. L^er- nière page: même vignette qu'au tome IV — Les estampes de cette édition sont gravées par Fran-
' Ce motif gravé ne porte ni date ni nom degraveur. La même vignette agrandie se trouve en tête du t. I. des Œuvres de l'édition de lyby. Elle est signée S. V. J. avec la date de 1762. Peut-être pourrait-on re- culer jusquen 1762 la date de la mise en vente de ce tirage, mais il est permis de supposer qu'en 1762 Rey a fait gravera nouveau sa vignette.
ÉDITIONS DU XVIII^ SIÈCLE 6l
kendaal (de I à IV) et par J. Folkema de V à XI. La XIP ne porte pas d'indications 1| in- 12.
On voit donc que Rey, sans avertir Rousseau, s'était entêté dans son projet de vignettes et qu'il les avait prodiguées. En outre la présence d'une contrefaçon des Sujets d'estampe et de la Seconde Pî^éface de Duchesne, postérieure nécessairement au 7 mars 1 -() 1 , puisque le Recueil d'estampes ne fut publié par Duchesne qu'après cette date ^ prouve pour le moins que Rey, s'il ne s'a- git pas d'un nouveau tirage, n'a fait brocher ses exem- plaires qu'à partir de mars 1761. La mise en vente de ces exemplaires se place entre cette date de mars 1761 et le mois de novembre. L'avis du libraire au verso de la page 63 de la deuxième préface, cité plus haut, porte qu'on trouvera « incessamment » chez Rey les douze planches nouvellement gravées. Or Rey écrit à Rous- seau, le i5 novembre^: «J'ai fait graver les douze plan- ches de la Nouvelle-Héldise. »
Les éditions datées de 1761 furent donc très nom- breuses et de beaucoup, semble-t-il, les plus répan- dues. Nous avons pu consulter les catalogues de ventes d'un très grand nombre de bibliothèques de la deuxième moitié du dix-huitième siècle^. Sur 126 éditions de la Nouvelle-Héloise que nous v avons rencontrées, 8q sont d'Amsterdam 1761, et les prix de vente écartent l'idée d'une des mauvaises contrefaçons que nous signale- rons. Ces éditions sont achetées presque toujours plus
' Cf. infra, p. 53.
- Lettre de Neuchâtel.
* Mais tous antérieurs à 1780.
D2 ANNALES DE LA SOCIETE J, J. ROUSSEAU
de dix livres et assez souvent plus de quinze*. (Le ro- man se vendait broché quinze livres.)
B. Préface et Recueil d'estampes.
Dès le 14 mars 1759, Rousseau prévenait Rey qu'il avait écrit une Préface de Julie., mais qu'elle ne paraî- trait pas avec le roman et qu'il se réservait le droit de la faire imprimer. Ce fut Coindet qui conclut le mar- ché pour l'impression, concurremment avec les Estam- pes et VEssai sur l'imitation théâtrale. La nouvelle Pré- face parut chez Duchesne le 16 février 1761. Rousseau se plaint d'ailleurs à cette date de n'en avoir aucune nouvelle. Il l'avait promise a Rey qui écrit le 2 5 février qu'elle ne lui est pas encore parvenue"-.
Préface | de la | Nouvelle Héloïse: | ou | En- tretien sur les romans, | entre l'Editeur | et un homme de Lettres. | Par j. ). Rousseau, Ci- toyen I de Genève | A Paris, | Chez Duchesne, Libraire, rue | S. Jacques, au Temple du Goût. | xMDCCLXI. I Avec Approbation et Privilège du Roi '
Avertissement: pp. Ill-IV — fVétace : pp. i- 91. Approbation datée du 10 février 1761. «* Le
' Prix marqués par le bibliophile inconnu qui collectionna ces cata- logues (bibliothèque de Toulouse). A titre de curiosité voici le prix des exemplaires de personnages connus: Princesse de Rohan: 9 livres, i5 sols. — La Popelinicrc : 21 1. — d'Argenson : 17 1. 10. — M"" de Pompadour: 24 1. — M"" de Luxembourg: 19 1. 10. — Princesse de Conti : 12 1. — Chancelier Maupcou: 5 1. 4. — Comte de Clcrmont : 12 1. 19. — Duchesse de Brancas: 20 1. 12. — Président Hénault: <S 1. (broché). — Clairaut : <; 1.
- Bosscha : pp. (jg, 112, 204. — Cl-hivres: X, p. 2b'i . — Lettre de Rey du 27> février i 77 i.
ÉDITIONS DU XVlll'' SIKCLK 53
Privilège se trouvera à la fin du Recueil d'Estam- pes de la Nouvelle Héloïse, que l'on mettra inces- samment au jour. »
Cette édition de Duchesne fut immédiatement con- trefaite par Rey lui-même. Duchesne se plaignit à l'oc- casion à Rousseau et accusa Rey d'avoir envoyé des exemplaires à Paris ^ Nous avons décrit cette contre- façon de Rey insérée en tête du tome II du nouveau tirage de 1761. (L'insertion est faite au tome II pour compléter un volume que Rey, comme il l'avait écrit à Rousseau, trouvait trop mince ^.)
Le Recueil d'estampes est annoncé en dernière page de la deuxième Préface. Il parut en mars et se vendait trois livres^. Le privilège est daté du 7 mars. Une faute de la Nouvelle Préface est corrigée dans un erra- tum à la page 47.
Recueil | d'Estampes | pour | La Nouvelle Héloïse, I avec | Les Sujets des mêmes Estampes, tels qu'ils | ont été donnés par l'Editeur. | A Pa- rie, I Chez Duchesne, Libraire, rue Saint | Jac- ques, au Temple du Goût. | 1761 | Avec Appro- bation et Privilège du Roi. ||
Recueil : pp. 1-43. Approbation : p. 44. Privi- lège : pp. 44-46 — P. 47 (( Faute à corriger dans la Nouvelle Préface. Page 26. ligne 5. n'ait plus rien à faire. Lisez, ait plus rien à faire. »
Rey contrefit également ce recueil dès 1761. Voir la description de l'édition de 1763, p. 73.
1 Lettre de la Bibliothèque de Neuchâtel du 12 lévrier 1763.
- Cf. supra, p. 36.
■'• Voir l'annonce du Mercure en mars 1761.
?4 ANNALES DE LA SOCIETE ,1. .1. ROUSSEAU
C. Edition de Paris.
Rousseau avait promis, si Rey consentait à la réim- pression, des corrections dont la première édition avait grand besoin ^ Mais nous avons vu que cette réimpres- sion fut faite à son insu, donc sans corrections de sa part. On trouvera dans Touvrage de Streckeisen-Moul- tou le relevé, envoyé par Malesherbes. des suppressions imposées à Robin et la réponse de Rousseau'-.
3. Bibliothèque de l'Arsenal: BL. 20(S6<S. Bibliothèque
de Dieppe : 43 16. Bf. g.)
Julie I ou I La Nouvelle Helovse | Tome pre- mier. Il etc.. Page de titre semblable à celle de l'édi- tion authentique sauf Heloyse au lieu de Heloïse et de légères différences dans le cartouche gravé. Les justifications des pages diffèrent; les caractères d'impression ne sont pas les mêmes ; la ponctua- tion est modifiée. Les catalogues de Rey sont sup- primés. Les fautes d impression signalées dans les errata sont corrigées. || in- 12.
T. L Reliée en tète : Préface de la Nouvelle Héloise etc.. (Seconde Préface) — Préface (non paginée). Lettres: pp. 1-407 — ^T. II. (Cartouche gravé et vers de Pétrarquej. Lettres : pp. 1-319
' Œuvres : X, p. 246.
- ./. ./. Rousseau. Ses amis et ses ennemis, t. H, pp. 406-41 5. — Œu- vres et correspondance inédites de ./. J. Rousseau: Paris, Calmann- l.évy, r86i, p. 389. ^ Les textes publiés par Streckeisen l'ont été négli- gemment et ne sont pas toujours exacts. Nous nous sommes assurés que pour ces lettres de Malesherbes il n'y avait que des variantes insigni- fiantes. Notons pourtant que cette longue et importante lettre est, pour le relevé des suppressions, un « .Mémoire » qui n'est pas de la main de Malesherbes.
ÉDITIONS DU XVIII^ SIÈCLE 55
— T. m. (Cartouche). Lettres : pp. 1-255 — T. IV. (Cartouche). Lettres: pp. 1-33 1 — T. V. (Cartouche). Lettres : pp. 1-308 — T. VL (Cartou- che). Lettres: pp. 1-293.
D. Contrefaçons.
Les contrefaçons de la première édition furent, comme le craignait Re}', aussi nombreuses que rapides. Rey était persuadé, il l'écrit d'ailleurs à Rousseau le 6 mars, que Duchesne avait imprimé une édition et qu'il n'a- vait renoncé à la vendre que sur les instances de l'au- teur. Duchesne prit du reste la peine d'écrire à son confrère pour protester. Il signale en même temps des contrefaçons à Lyon, Rouen, Bordeaux, Avignon, Liège. Selon Rey, ces éditions se vendaient publiquement à Paris dès le début de 1761, à quatre, cinq et six livres l'exemplaire. Dans tous les cas Pernetti indique qu'on imprime le roman à Lyon dès le 6 février 1761 . A Rouen, Rey signale deux contrefaçons, l'une que Pierre Machuel doit avoir finie avant Pâques 1761, l'autre qui se vend quatre livres en février 1762. En octobre 1701, il y a en Hollande une édition de Hambourg. Le ? juin, à Hennebont, un correspondant de Rousseau. Froma- get, se plaint qu'il n'}^ ait qu'une très mauvaise contre- façon ^ Jusqu'à la fin du dix-huitième siècle les contre- facteurs réimprimèrent sur la première édition. La con- trefaçon, pour les éditions que nous avons trouvées et que nous décrivons, s'établit très aisément. Toutes im-
' Bosscha : pp. 122. — Lettres de Rey du 6 mars 1762, 6 mars 1761, 2 mars, 22 février 1762, 22 octobre 1761. — Lettre de Guy (à la Bib. de Neuchâtell du 12 février 1763; de Pernetti, du 6 février 1761; de Fro- maget.
56 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
priment le texte de i-h\ sans tenir compte de Terrata imprimé par Rey séparément et rarement joint, comme nous l'avons vu, aux exemplaires vendus \ Pour les éditions datées de 1761, les différences profondes d'as- pect, de caractères, de pagination, signalent au premier abord qu'il ne peut pas être question d'un nouveau tirage sur les mêmes formes. C'est une nouvelle im- pression et par conséquent Rey aurait corrigé confor- mément à son errata, comme il le fit dès 1762 (édition de 1763), comme le firent ensuite Duchesne et les au- tres. Pour les éditions datées de 17(52 et années sui- vantes, le même raisonnement vaut encore plus clai- ment.
4. (Bibliothèque Nationale Y- 63. cSi i —63. <Si3.}
Lettres | de deux | Amants, | Habitans d'une petite Ville | au pied des Alpes, | Recueillies et pu- bliées I Par J. J. Rousseau. | Tome premier. I. partie | A Amsterdam, | Chez Marc Michel Rey. I MDCCLXI ||in-i2.
T. I. Préface de Julie : pp. i-iii — Seconde Pré- face ou Entretien sur les Romans : pp. iv-xxxv — Lettres sur la Nouvelle Heloyse, ou Alosia [sic] de Jean-Jacques Rousseau, Citoyen de Genève : pp. xxviii-Lxii — Prédiction tirée d'un vieux ma- nuscrit : pp. Lxiii-Lxxii — Sujets d'estampes : p. i- 24 — Lettres : pp. 1-5 18.
T. II, (IIP et IV= parties) : pp 1-423.
T. III, (V' et VP parties) : pp. 1-442.
1 Exception faite bien entendu pour les fautes grossières de typogra- phie que les compositeurs ont corrigées d'eux-mêmes à l'occasion. Encore laissent-ils souvent subsister des fautes telles que genre au lieu de génie.
KDITIONS DU XVlir SU-XLK
^1
Il y a entre chaque partie intercalation d'une page de ti- tre ne comptant pas dans la pagination. Pas de gravures.
5. (Bibliothèque de Genève. Hf. 201 j.)
Julie, I ou la I Nouvelle Heloyse. | Première partie. || Lettres | de | deux amans, | habitants d'une petite ville | aux pieds des Alpes. | Recueil- lies et publiées | par J. J. Rousseau. | Première partie. | Edition augmentée | d'une nouvelle Pré- face de l'Auteur. | Non la conobbe il mondo, | mentre l'ebbe : | Conobill'io ch'a pianger qui ri- masi. I Petrarc. ! A Genève. | MDCCLXI || in-i2.
T. L Préface. (Sans pagination). Seconde Pré- face de Julie : p. i | Seconde préface de Julie, ou entretien sur les Romans : pp. 3-52 — Lettres : pp. 1-199 — T. II : pp. 1-214 — T. III : pp. i- 195 — T. IV : pp. 1-282 — T. V: pp. 1-172 — T. VI. pp 1-150. Seconde préface : pp. 151-18:5 (Identique à celle imprimée au tome L)
6. Bibliothèque Nationale. Y' 63.82'j. Exemplaire qui comprend seulement les 2'-' et 3*^ parties. — Bibliothè- que de Genève: Hf. 4261. Exemplaire où la 4*^ partie est empruntée à l'édition de Rey 176D.)
Lettres \ de deux | Amants, \ habitants d'une petite ville | au pied des Alpes, | Recueillies et pu- bliées I Par J.J. Rousseau. \ Nouvelle Edition, I augmentée, avec Figures. | Première partie. I [Fleuron]. | A Amsterdam, \ Chez Marc-Mi- chel Rey. I M.DCC.LXII. \\ in-12.
(Le tome II de l'exemplaire de la Nationale com-
58 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
porte en plus le faux titre : Julie, ou la | Nouvelle Heloyse. | Tome second. || )
Préface de Julie : pp. i-iv — Seconde préface : pp. v-xLui — Sujets des estampes ( i''' et 2") : pp. i- VI — Lettres : pp. 1-24^ — T. II. 3' estampe. 4'' estampe : pp. i-iv. Lettres : pp. 1-184 — T. IIL 3'' et 6^ estampes : pp. i-iii. Lettres: pp. 1-143 — (Quatrième partie manque dans les deux exemplai- res) — Cinquième partie (reliée avec la sixième comme t. III de l'exemplaire de Genève) : 9' et 10' estampes: pp 1-3. — Lettres: pp. 1-186 — Sixième partie: 1 1*" et 12^ estampes : pp. i-iv. Lettres: pp. i- 171 . — Lettres sur la Nouvelle Helo3'se ou Aloisia de Jean-Jacques Rouseau, Citoyen de Genève. jVl.DCC.LXII : pp. 173-197. (Au verso de la page 197): Prédiction tirée d'un vieux manuscrit : pp. 198-207.
Seule cette édition, par son aspect et sa date pourrait faire penser à une nouvelle impression de Rey. avant celle qu'il lit sur l'exemplaire envoyé par Rousseau, en I 763. Mais elle ne corrige pas même des fautes signalées par l'errata et qui rendent le texte absurde (au tome II, par exemple : le rendre insipide =- les rejidre — el soulient = elle soutient — lasse, c'est -classe est.) Elle laisse même subsister des fautes t\'pographiques ridicules (T. Il, let- tre 27 . élève et nourrit le genre = le génie., faute signalée dans les Fautes d'impression de l'édition de Rey.)
7. [Zurich. Bibliothèque cantonale, (jal. XXV., 816-
HiHK)
' M. M. Masson, professeur à TUniversité de Fribourg a bien voulu prendre pour nous la description de cette édition.
ÉDITIONS DU Xyill*^ SIECLE DQ
Julie, I OU I La Nouvelle Hcloïse | Tome pre- mier Il Lettres | de deux amans, | Habitans d'une petite Ville au pied j des Alpes. | Recueillies et pu- bliées I par J. J. Rousseau | Tome premier j A Lausanne | chez iVlarc Chapuis | MDCCLXII || in- 12.
Préface : pp. i-iv. Avertissement (p. v) — Pré- face de la Nouvelle Heloïse : ou entretien sur les romans entre l'éditeur et un Homme de lettres. par J. J. Rousseau, citoyen de Genève : pp. 7-36 — Lettres: pp. 38-536. — T. IL Lettres: pp. i- 434 — T. IIL Lettres : pp. 1-455.
S. (Bibliothèque de Boulogne-sur-Mer ; 24^ 1 2-2^' i5 .) Julie, I ou la I Nouvelle Héloyse. | Tome Premier. || Lettres \ de deux | Amants, \ habi- tants d'une petite ville | au pied des Alpes, | re- cueillies et publiées | Par J . J . Rousseau. \ Nou- velle édition, | augmentée, avec Figures. | Pre- mière ^partie. \ A Amsterdam. \ Chez Marc- Michel Rev. I MDCCLXVW in-12.
Préface de Julie : pp. i-iv — Seconde préface ou entretiens sur les romans : pp. v-xlhi — Sujets des estampes de cet ouvrage : pp. xlix [sic]-Lvi — Lettres : pp. 1=245 — ^ • ^^- 3^ ^^ 4' estampes : pp. i-iv. Lettres : pp. 1-184. — T. IIL 5^^ et 6^ es- tampes: ,pp. i-i\". Lettres : pp. 1-143. — T. IV. 7^ et 8^ estampes : pp i-vi. Lettres : pp. 1-20 | — T. V. 9^ et 10^ estampes : pp. i-iii. Lettres : pp. i- 186 — T. VI. 1 1' et 12' estampes : pp. i-iv. Let- tres : pp. 1-171.
60 ANNALES UE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
A la suite de ce sixième volume : Lettres | sur la | Nouvelle Héloyse | ou Aloisia I de I Jean-Jacques Rousseau, | Citoyen de Ge- nève. I MDCCLV [sic] Il Lettres | a Monsieur | de Voltaire | : pp. 173-197. — Prédiction | tirée | d'un vieux manuscrit : pp. 198-207 — La | Nou- velle I Héloïse. I romance: pp. 1-22.
9. ( Bibliothèque de Nantes: B. L. 3og6i.)
Julie, I ou la I Nouvelle Heloyse. | Tome cin- quième. Il Lettres \ de deux | Amants, \ habi- tants d'une petite ville | au pied des Alpes, | Recueillies et publiées | par J. J. Rousseau. \ Nouvelle Edition, 1 auo-mentée, avec Fi^-ures. 1 Cinquième partie \ A Amsterdam, \ chez Marc- Michel Rey. I M.DCC.LXX, \\ in-12.
9^ et lo"^ estampes : pp. i-iii. Lettres : pp. 1-186
— Sixième partie. 1 i^ et 12'" estampes ; pp. i-iv. Lettres : pp. 1-171 .
A la suite : Lettres | sur la j Nouvelle Heloyse I ou Aloisia | de | Jean-Jacques Rousseau, | Ci- toyen de Genève. | M.DCC.LXX. | pp. 173-197
— Prédiction titée [sic] d'un vieux manuscrit : pp. 198-207.
Mauvaise contrefaçon des gravures de Gra- velot.
10. (Bibliothèque Nationale >"' 63.H42 — 63.^4-; — Bi- bliothèque de Calais : 2 y. I. ()()'/()•!
Julie, I ou la I Nouvelle Héloyse. | Tome pre- mier. Il Lettres \ de deux | Amants, \ Habi- tants d'une petite ville | au pied des Alpes, j Re-
ÉDITIONS DU XYIII*^ SIÈCLE 6l
cueillies et publiées | I*ar J . J . Rousseau \ Nou- velle édition, | augmentée, avec Figures. | Pre- mière partie. \ A Amsterdam, \ Chez Marc-Mi- chel Rey. I M.DCC.LXXIIW
Cette édition est absolument identique à celle de 1765 (n° 8). [Ce n'est pas un nouveau tirage; il y a des différences dans les justifications. Certaines fautes d'im- pressions sont corrigées (par exemple IV, lettre 3, poin- lesquels est modifié en pou7^ lequel). La date des Lettres de Voltaire est modifiée (M.DCC.LXXII). La Romance n'existe pas. Pour tout le reste les descriptions concor- deraient.
11. (Bibliothèque de Montpellier, 326 1 — Bibliothèque de Toulouse., 86'j [manque le t. VI].)
Julie, I ou la | Nouvelle Héloyse. | Tome pre- mier. Il Lettres \ de deux | Amants, \ Habitants d'une petite ville | au pied des Alpes, j Recueillies et publiées | par J . J . Rousseau, j Nouvelle édi- tion. I augmentée, avec Figures. | Première par lie, I A Amsterdam, \ Chez Marc-Michel Rev. | M.DCC.LXXVW in-T2.
Mêmes observations que pour l'édition précédente. Ce n'est pas un nouveau tirage sur les mêmes for- mes, mais c'est une réédition, identique comme des- cription, de l'édition de 1765. La date des Lettres de Voltaire est également adaptée (MDCCLXXV).
12. (Bibliothèque de Lannion D lo-i. Edition dont iM. le maire de Lannion a bien voulu nous envoyer la des- cription ci-jointe. Nous n'avons pu avoir communi- cation du volume).
02 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ ,1. .1. ROUSSEAU
Lettres | de deux Amants, | Habitants d'une petite ville au pied des Alpes. | Recueillies et publiées | Par J. J. Rousseau. | Nouvelle Edi- tion I Augmentée avec Figures | Troisième partie | A Amsterdam | Chez Marc-Michel Rev. I M.D.CCLXXIII II
13, (Edition signalée dans le Catalogue des livres de M. Midy, secrétaire du roi, Paris, Mérigot. 177?. in-8°.)
La Haye. 1762. 4 v. in-8°. fig.
14. (Edition signalée dans le Catalogue des livres de M . Re***. Paris. Desauges. 1 778. in-8.)
Amsterdam. 1771. 6 v. in-12.
IL U édition Duchesne,
A. Edition de 1 '()-/..
L'Edition de la Nouvelle Héloise publiée par Du- chesne se rattache à une Collection des (Eiivres dont la bibliographie détaillée ne relève pas de notre étude ^ Rappelons seulement que le travail de cette édition fut commencé dans le courant de 17(32, dirigé par Tabbé de La Porte, et terminé rtn 1764 ou début de 1765.
' De même chaque l'ois qu'il s'agira d'une édition qui prend place dans des Œuvres complètes nous n'indiquerons sur l'édition que ce qui sera nécessaire, cm à l'occasion quelques renseignements significatifs re- cueillis au cours de nos recherches. Les éditions séparées sont précé- dées d'un chiffre arabe, les éditions dans les CEmnes complètes d'un chiffre romain.
ÉDITIONS DU XVIII^ SIÈCLE 63
Rousseau en reçut les feuilles imprimées et écrivit à de La Porte le 22 janvier 1764 : «Je n'y ai rien trouvé qui ne confirme la satisfaction que j'avais de voir cette en- treprise sous votre direction». Mais il a toujours in- sisté pour que le public fût prévenu que « non seule- ment cette édition n'est pas faite par l'auteur, mais qu'il ne s'en est pas mêlé.)) Le i 2 février i 764, il répète qu'il ne doit ni ne veut reconnaître l'édition pour sienne, le 2 décembre 1764 et le i 2 septembre 1 765, qu'il n'ignore pas qu'elle est fautive \
La Nouvelle Héloise fut couramment vendue à part. Les volumes ne portent aucun faux-titre qui les ratta- che, comme il arrivait d'ordinaire pour les éditions de ce genre, aux Œuvres complètes. L'impression en fut par- ticulièrement défectueuse. Rousseau s'en plaignit sans doute. Dans tous les cas Guy lui écrivait le i5 août 1764-: «Il n'est guère possible qu'il y ait des livres sans qu'il ne s'y trouve des fautes d'impression, plus ou moins, et qui font souvent des contre-sens épouvan- tables. Cela n'est arrivé malheureusement que trop à la Nouvelle Héloise. M. l'abbé de Laporte n'a pu y veil- ler, parce qu'elle n'a pas été imprimée ici. Des raisons d'amitié pour un confrère de province qui nous harcelait pour en faire l'édition [sic]. Nous avons été assez sim- ples pour y consentir, aussi nous ne sommes pas à nous en repentir [sic]. Heureusement que l'édition n'est pas bien considérable.» On n'avait tiré en effet, comme Guy l'annonce le 12 février 1763, que 730 exemplaires
1 Œuvres XI, p. 114-113, 14, i5, 119, 177. — Lettre de de La Porte (à la Bib. de Neuchâtel), du 12 décembre 1764.
2 Lettre de la Bib. de Neuchâtel.
64 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
du format in-8°^ Guy et Duchesne craignaient en eftet que l'écoulement n'en fût difficile, par la concurrence des éditions de Hollande et des contrefaçons.
L'édition du roman s'annonce comme « revue, corri- gée et augmentée de figures en taille-douce et d'une table des matières». ISAver^lissemenl général de l'édi- tion prévenait en même temps que les éditions précé- dentes étaient « si défectueuses qu'elles ont excité les justes plaintes de Fauteur, qui les désavoue. » L'aveu de Guy lui-même montre que, pour la Nouvelle Héloïse tout au moins, la révision a dû être quelque peu non- chalante. Elle se borne en fait à tenir compte de Ter- rata publié par Rey et déjà utilisé par l'édition de Pa- ris. Par contre un grand nombre de modifications sont imposées au texte de Rousseau. Chaque lettre est pré- cédée d'un sommaire assez détaillé, reproduit en table des matières. Nous avons vu que Rousseau avait accepté la table des matières. Un grand nombre de titres de lettres sont modifiés et détaillés-. Ces titres nouveaux dans lesquels Rousseau n'est pour rien se transmettront fidèlement à presque toute les éditions postérieures. Rousseau, d'ailleurs, les a laissés subsister dans les exemplaires annotés. La division en six parties n'est pas respectée et les lettres sont numérotées suivant les quatre volumes.
Les altérations de détail, volontaires ou d'inadver- tance, sont assez nombreuses. On y retrouve dix des va-
' Lettre à la Bib. de Neuchâtel.
- Exemples : (IV. 4) de M. de Wolmar à l'amant de Julie au lieu de : de M. de Wolmar — (IV, 5) De M"" d'Orbe à l'amant de Julie (Dans cette lettre était incluse la précédente) au lieu do : De M'"' d'Orbe {Et dans laquelle était incluse la précédente.)
PREMIÈRES ÉDITIONS DK LA NOUVELLE HÉLOISE 65
riantes de notre tableau, une en I, trois en II, six en III, dont quelques-unes sont assez fâcheuses. Le texte : « ...qui supplée à la réalité — Qui vaut mieux, peut- être...» est déjà modifié en «; qui vaut mieux...»
L'édition comporte deux estampes nouvelles, « un dessin général de tout Touvrage pour mettre à la tête du premier volume de THéloïse», «un nouveau dessin pour remplacer le douzième qui n'a jamais trop con- venu.» Gu}^ annonce ces deux estampes à Jean-Jacques, le 12 février 1763 *. Il voulait les tenir secrètes, comme il récrivait à M. de Malesherbes, pour en faire la sur- prise à Rousseau. Mais le secret se répandait. Le fron- tispice est un Prométhée de Cochin, allégorie assez obscure. La nouvelle estampe de Gravelot, Julie se je- tant dans le lac, est substituée à celle de Julie sur son lit de mort. Guy envoie l'épreuve le 23 avril 17(53. Rous- seau s'en plaignit assurément car Guy s'excuse le 10 mai. Rousseau insiste le i5 octobre: «L'attitude de Julie y est guindée, insupportable ; on dirait qu'elle va faire un pas de rigodon ». Le 3i décembre, Guy répond qu'il a multiplié les recommandations et qu'on a retouché la gravure plus de dix fois^. Rousseau, dans tous les cas, ne désarma pas, et il annote ainsi dans l'exemplaire de Genève : « Cette froide et ridicule estampe avec ce pied de Julie en Tair, comme pour danser, a été ajoutée à mon insu, je ne sais par qui ni pourquoi, et n'est point dans les premières éditions.»
XV. i Bibliothèque Nalionale. Réscrpc Y- 1644-164^.) La Nouvelle | Heloise, | ou | Lettres \ de
» Lettre de la Bib. de Neuchate!.
2 Lettres de Duchesne (Neuchâtell. du 2? avril 176.^, 10 mai, 20 juin, 3i décembre. — Rousseau : Œmres : XI, p. 89.
5
66 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
deux Amans, | habitans \ D^une petite Ville au pied des Alpes : | Recueillies et publiées | Par J.J. Rousseau \ Nouvelle édition, revue, corrigée et augmentée | de Figures en taille douce, et d'une Table | des Matières. | Tome I \ Non la conobbe'l mondo, mentre l'ebbe : | ConobbiTio ch'a Pianger qui rimasi. | Petrarc. | ANeuchàtel \ Et se trouve I A Paris \ Chez Duchesne, Libraire, rue Saint- Jacques, I au Temple du Goût. | MDCCLXIV \\ in-8».
Avis du Libraire sur cette édition : pp. ni-iv — Préface: pp. 1-5 — Avertissement sur la Préface suivante : p. 6 — Seconde préface : pp. 7-62 — Lettres : pp. 63-398. Table des matières : pp. 399- 408 — T. IL (Pas de cartouche ni de vers de Pé- trarque). Lettres: pp. 1-398. Table: pp. 399-405
— T. III (Pas de cartouche etc..) Lettres : pp. i- 429. Table : pp. 430-432 — T. IV (Pas de cartou- che etc..) Lettres : pp. 1-33 1 . Table : pp. 332-336
— Sujets des estampes; pp. 337-362 — Prédic- tion etc.. : pp. 363-378 — Approbation et Privi- lège : pp. 379-382.
Bonnes estampes de Gravelot.
Il y eut sans doute un tirat^e in-12 de cette édition (Cf. les lettres de Rousseau à Gu}' du (') mai et à Du- chesne du 20 juillet 1764.) La Bibliothèque Nationale possède^ une Collection des Œia^res de format in-12, identique à la collection in-8" dont lait partie l'exem-
' Z. :^6i4ij et suiv.
PREMIÈRES ÉDITIONS DE LA NOUVELLE HÉLOISE 67
plaire décrit de la Nouvelle Hélo'ise. Mais la Nouvelle Hélo'ise manque.
B. Edition de 1764 (ijjo.)
Les sept-cent cinquante exemplaires in-8°, et peut- être les exemplaires in- 12 tirés en 1764 s'épuisèrent sans doute. Les rayons de Duchesne se trouvèrent dé- garnis et les Collections d'Œhivres incomplètes. Il fallut aviser et réimprimer en 1770. Pour ne pas surprendre sans doute au milieu des autres volumes on laissa la date de 1764, on garda à peu de choses près tout l'as- pect extérieur des volumes ^ La justification des pages est d'ailleurs très différente et l'on reconnaît immédia- tement la réimpression en se reportait à la dernière page du quatrième volume où l'on lit : « De l'Impri- merie de P. Al. Le Prieur, Imprimeur du Roi. 1770». La table sommaire est maintenue, mais les sommaires en tête de chaque lettre, peut-être sur une réclamation indirecte de Rousseau, sont supprimés.
La réimpression ne fut pas faite sur un texte de Rey 1761 . Par commodité d'imprimeur on prit un des exem- plaires restants de 1764. Les dix variantes signalées de 1764 se retrouvent. Par contre, et suivant la loi fatale de ces réimpressions qui additionnent les altérations typo- graphiques, le nouveau texte est beaucoup plus mauvais que le premier. Aux dix variantes de 1764, 1770 en ajoute onze autres, une en I, six en II, quatre en III. La réimpression in-i 2 ajoute encore une altération en
1 On rencontre des exemplaires où les deux éditions sont confondues, ainsi à la Bibliothèque de l'Arsenal (B. L. 20861», t. I et II de i7*)4, t. IV de 1764 (1 770).
68 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .). .1. ROUSSEAU
II et trois en III. Les altérations particulières ne se rat- tachant pas à ce tableau sont d'ailleurs nombreuses. Pour les cent premières pages de la IV*" partie de Re}- 1761, il y a dix variantes importantes qui transforment souvent complètement le sens (sera = fera ; à ton tour = à mon tour; et partout où l'on se porte avec soi. Ton y porte = Ton se porte avec soi l'on v porte; le moins prévenu = le moins prévu ; une phrase sautée ; c'est encore un fort bon signe, etc. . .)
Les éditions filiales de celles de Duchesne se recon- naissent aisément. Elles reproduisent la table sommaire ; elles utilisent les titres de lettres modifiés. L'absence des variantes essentielles les isole immédiatement de la famille Rey 17O3, Genève 1780, etc. Elles n'ont jamais été faites sur l'impression de 1764, beaucoup plus rare sans doute. Les tableaux de variantes les rattachent im- médiatement à l'impression de 1770, beaucoup plus incorrecte comme nous l'avons vu. L'absence des som- maires en tète des lettres confirme cette concordance.
XVI. [Bibliothèque Nationale Z. 36 1 •23-36 1 26.)
La Nouvelle | Héloise. \ ou | Lettres \ de deux Amans, | habitans \ D'une petite Ville au pieddes Alpes; | Recueillies et publiées | Pa.r J.J. Rousseau. \ Nouvelle édition, revue, corrii^ée et augmentée | de Figures en taille douce, et d'une Table | des Matières | Tome I \ Non la conobbe il mondo, mentre l'ebbe : | Conobbil'io ch'a Pianger qui rimasi. | Petrarc. | A Neuchdtel
I Et se trouve | A Paris, \ chez Duchesne, Li- braire, rue Saint-)acques, | au lemple du (toûL
I MD(:CLXIvi'm-'6\
PREMIÈRES ÉDITIONS DE l,.\ XOUVEI.I.E HÉI.OISE 6l)
Avis du Libraire sur cette édition — Préface : pp. 1-5 — Avertissement sur la Préface suivante : p. 6 — Seconde Préface: pp. 7-62 — Lettres: pp. 63-438. Table des Lettres et matières conte- nues dans ce volume : pp. 439-454 — T. IL Let- tres : pp. 1-468. Table: pp. 469-478 — T. IIL Lettres : pp. 1-502. Table: pp. 503-504 — T. IV. Lettres : pp. 1-386. Table : pp. 387-391 — Sujets des estampes : pp. 392-418 — Prédiction faite sur l'auteur etc.. : pp. 419-431 — Approbation et privilège : p. 432 (non chiffrée.) De l'imprimerie de P. Al. Le Prieur, Imprimeur du Roi, 1770.
XVII. Bibliothbqiic Xalionale : Y- 63'S32-63<S35 .)
Même édition que l'édition in-8'' mais format in-i2. Les pages imprimées sont de même dimen- sion; les marges seules diffèrent. Pourtant c'est bien une autre édition. Il va de légères différences dans la page de titre (Alpes:, au lieu de Alpes; — Xon la conobbHl au lieu de conobbe il.) Il v a des différences dans les justifications des pages. Le tome IV est ainsi paginé: Prédiction : pp. 4(9- 436. .4pprobation et privilège : p. .^37 — De l'Im- primerie de P. Al. Le Prieur, Imprimeur du Roi, 1770 — Catalogue de livres de fonds (sans pagina- tion.)^
XVIU. Bibliothèque de Nantes: 3og63. L.)
L'édition de 1764 (1770) a été réimprimée en 1788.
Julie, I ou I La Nouvelle | Héloise. | Tome
1 L'édition in-8* se vendait 20 livres avec figures et celle in- 12. 12 livres. (Catalogue de la Vve Duchesne, 1775.)
■yo annai.es de i.a société j. i. Rousseau
premier i La Nouvelle | Héloïse, | ou | Lettres | de deux amans, | habitans | d'une petite ville au pied des Alpes; | recueillies et publiées | par J. J. Rousseau. | Nouvelle Edition, ornée de Gravures.
I Non la connobe'l mondo, mentre l'ebbe. | Co nobbil'io ch'a Pianger qui rimasi. | Petrarc. | Tome premier. | A Paris, | Du fonds de la Veuve Duchesne, Libraire, rue | Saint-Jacques. | 1788.
II in-i2.
Préface : pp. 1-5 — Avertissement sur la Pré- face suivante : p. 6 — Seconde préface : pp. 7-62 — Lettres : pp. 63-438 — Table etc. : pp. 439-454 — T. IL Lettres : pp. i-? (manquent deux feuillets). Table : pp. ? — 479 — T. IIL Lettres : pp. i- 502. Table : pp. 503-504 — T. IV. Lettres : pp. i- 386. Table : pp. 387-392 — Sujets d'estampes: pp. 393-4 18 — Prédiction faite sur l'auteur etc. .. pp. 419-436. De l'Imprimerie de Couturier, quai des Augustins. 1788. — Supplément à la Nouvelle Héloïse de J. j. Rousseau : pp. 1-32.
Ce sont les mêmes caractères que ceux de Tédition 1764 (i 770). La pagination est à peu près identique. Il y a de légères différences dans la justification.
C. Edition de Londres (Btnixelles) 77 7-/.
XIX. (Bibliothèque Nationale. Réserve, Z. i356'^et suiv.)
Collection | complette | des | œuvres | de | J. J. Rousseau | Tome premier || [Portrait de Rousseau : de la Tour pinx. A de St-Aubin,
PREMIERES EDITIONS DE I.A NOUVEl.Ll': HEI.OISE 71
sculp.] \\ Julie I ou la I Nouvelle Héloïse \ Lettres I de I Deux Amans, \ habitans j d'une petite ville au pied des Alpes. | Recueillies et publiées | par \ J.J. Rousseau, \ Nouvelle Edition originale, revue et corrigée par l'Editeur. | Tome premier \ Londres \ MDCCLXXIV \\ Vignette (Moreau le j. inv. et sculp- || in-ij".
Prédiction faite sur l'auteur de la Nouvelle Hé- loïse, par un anonyme (Note : Cette prédiction est attribuée à M'. C. Panckouke, Libraire à Paris) : p. i-vni. (Souvent reliée après la Préface ou à la fin du volume ou supprimée) — Préface : pp. iiii
— Avertissement sur la Préface suivante: p. iv — Seconde préface : pp. v-xxxii — Lettres: pp. 1-336
— Table des Lettres et matières etc.. pp. 367-382
— T. IL Lettres: pp. 1-392. Table etc.. pp. 393-
399-
Gravures de Moreau le Jeune. Il y a des exem
plaires sans gravures.
La division en parties n'existe pas. Les lettres sont numérotées par volume. La Nouvelle Héloïse a dû être vendue séparément. On la rencontre souvent dans les bibliothèques sans le reste de la collection.
Cette édition des Œuvres de J. J. Rousseau est da- tée de 1774 pour la Nouvelle Héloïse (tomes I et II). Mais le tome I n'a pas dû être publié avant 1776. La vignette du titre et la gravure de la p. 198 portent bien la date de 1774, mais les gravures aux pp. 278 et 3i8 sont datées de 1776. De même au t. II, les gravures aux pages 46, 282, 345 sont datées de 1777. Après l'é- dition de Genève 1780, au tome X, (Œuvres posthumes^
7*2 AXXALKS DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
t. I. 1782) les éditeurs insérèrent (pp. 1-14 Les Aniou?-s de Milord Edouard Bomslon. Sur cette édition impri- mée en réalité à Bruxelles (Voir, par exemple, l'édition de Mercier 178(8 [n° xxxix] t. I, p. 53), pour Boubers, et dont Rousseau a eu connaissance en refusant d'en corriger les épreuves, on consultera les indications don- nées par Th. Dufour (Annales de la Soeiété J. J. Rous- seau, i()o5, p. 'iIm^ — I ()or), p. i()8.)^
L'exemplaire de l'Arsenal (B. L. 20864) renferme un long prospectus de 4 p. in-4" qui se termine par la copie d'un traité, daté du 11 décembre 1780, où Louis- Joseph Deloigne Castel, Jacques Charvet, négociants à Lille, Simon Peltzer, négociant à Cologne, s'engagent envers Pierre Jacques Duplain, libraire à Paris, à faire imprimer à leurs frais la suite des Œuvres de J. J, Rousseau [tomes X à XII, ou Œuvî^es posthumes I à 111]. Les éditeurs déprécient l'édition de Genève et affirment que leur édition a été faite «en grande partie du vivant et sous la direction de l'auteur», tandis que «celle de Genève n'a été entrepi'ise que depuis sa mortw. Pour la Nou]>elle Héloïse tout au moins, l'affir- mation, démentie d'ailleurs par Rousseau lui-même, est arbitraire et le texte n'est que la reproduction de l'édition Duchesne 1 7()4 (1770). Aux fautes de cette édition Duchesne s'en ajoutent d'ailleurs un tix's grand nombre et des plus graves, phrases sautées, contre- sens, non sens, etc. etc.. L'impression a été très né- gligée. L'indication: Nouvelle édition ori!j;iuale revue et
' Le Alcrcure de France du Si juillet 1779, p. 336, donne l'annonce de cette édition qui se vendait 12 1. par volume, (il. 3 s. par figure.) Un petit nombre d'exemplaires fut tire sur papier de Hollande, à 20 1. Deux nouvelles annonces de janvier 1784 (pp. 4.^-46; i?8-i3()) déni- grent l'édition de Genève.
PREMIERES EDITIONS DE I.A XOUVIiLI.K HEI.OISE yj
corrigée par l'édileui\ semblerait bien la rattacher à rédition de lyôS: Seconde édition oriL(inak\ etc., mais les imprimeurs n'ont emprunté que cette indication mensongère. Aucune des leçons de lyi")? n'a passé dans leur texte. D'ailleurs il semble bien que l'affirmation •des éditeurs ait été contestée tout de suite. Le Journal de Paris^ le i6 mai 1779, insère à la demande de Thé- rèse, la Déclaration de Rousseau relative à différentes réimpressions de ses ouvrages, pour protester contre l'annonce faite par la Ga'^ette de Lei'de (n° 33i d'une édition de Bruxelles in-4" «avouée et dirigée par l'au- teur^». Cette édition de Bruxelles ne peut être que no- tre édition ^
XX. {Bibliothèque de Narbonne. n" 2430.)
Cette édition de Londres a été remise en vente en 1790 avec une nouvelle page de titre. Les marges sont un peu moins larges dans l'exemplaire, mais c'est la seule différence ; il n'y a pas eu impression nouvelle.
Collection | complète | des œuvres | de | J. J. Rousseau, | citoyen de Genève, | ornée de son por- trait. I Tome premier. | Contenant le premier vo- lume de Julie, ou de la nouvelle | Héloise | A Ge- nève, I et à Paris, | chez Volland, Libraire, Quai des Augustins, | n° 25. | M.DCC.XC |! in-4°.
XXI. [Bibliothèque de Genève. Hf. 4244.)
Enfin l'édition Duchesne 1764 (177O) est reproduite dans l'édition suivante :
La Nouvelle | Héloïse | ou | Lettres | de deux
' Sur les autres publications de cette déclaration, et. Th. Dufour, An- nales, 1906, p. i55.
2 La Nouvelle-Héloise a été sûrement vendue séparément. Elle existe isolée dans les bibliothèques de Lorient (n* 348) et de Lyon (104694.)
74 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
Amans. | habitans d'une petite ville | au pied des Alpes; | recueillies et publiées | Par), j. Rous- seau. I Nouvelle édition. | Tome premier | à Pa- ris. I an huitième de la République. | 1799 || in-J2.
Préface : pp. 3-5 — Avertissement : p. .| — Se- conde préface : pp. 7-37 — Lettres : pp. 38-214 Table des Lettres etc. : pp. 21 5-216 — T. II (1800). Lettres : pp. 3-208. Table : pp. 209-210 — T. III (1800). Lettres : pp. 1-212. Table: pp. 213-214 — T. IV (1800). Lettres : pp. 3-208. Table : pp. 209-210 — T. V (1800) Lettres: pp. 3-183. Table : p. 184 — T. \T (1800). Lettres: pp. 3-222. Table : pp. 223-224.
IIL Edition de Rey^ ij63.
A. Edition de i~63.
Nous avons donné dans l'étude du texte tous les dé- tails sur l'origine de cette édition. Signalons que le tome I des Œiiin-es dont cette édition fait partie est daté de i7()2. A la fin de ce tome Rey indique : c Jim- prime actuellement les Œuvres de M. J. J. Rousseau, Citoyen de Genève... .Iulie ou la Nouvelle-Héloïse, let- tres de deux Amants, in-!2, 6 vol.» Ces six volumes furent paginés en trois tomes. Il est certain d'après cette annonce que la Nouvelle-Héloïse fut vendue sépa- rément. C'est ainsi que nous l'avons acquise. En mai 1764, le tome I était épuisé. D'après Rey l'édition (tout
PREMIERES EDITIONS J)E LA NOUVELLE HELOISE ' 0
au moins pour le tome 1) était de mille exemplaires ; mais Rousseau estimait que Rey n'était pas sincère ^
XXn. [Bibliothèque de Genève. Hf. 2765. La Nouvelle Héloïse est incomplète de la 3^ partie, remplacée par la contrefaçon de 17(0. Exemplaire complet dans notre bibliothèque personnelle.)
Œuvres | de | J. J. Rousseau. | Tome Qua- trième. I Contenant | Julie, | ou | la Nouvelle Heloïse. | Tome I et II. || Lettres | de deux Amans, \ Habitans d'une petite Ville | au pied des Alpes. I Recueillies et publiées \ Par J. J. Rous- seau. I Seconde édition orig-inale. revue et corrio;ée
I par l'Editeur. | Tome premier. \ Xonlaconobbe il mondo, mentre l'ebbe : | ConobilPio ch'a pian- ger qui rimasi. | Petrarc. | A Amsterdam, \ Chez Marc Michel Rey, \ MDCCLXIII. \\ in-12.
Privilégie [en hollandais] : 2 feuilles non pa- ginées — Préface : 4 pages non chiffrées. Avis du Libraire : On trouvera au commencement du tome II la Préface ou Entretien etc.. — Lettres: pp. 1-472 — T. V (II de la Nouvelle Héloïse). Préface : pp. i-xxxvi. Lettres : pp. 1-372 — T. VI (III). Lettres : pp. 1-387 — Pages de cette Edition auxquelles les Estampes doivent correspondre : p. 388 — (A la suite). Recueil | d'estampes | pour
I La Nouvelle Héloïse, | avec | Les Sujets des mêmes Estampes, tels qu'ils | ont été donnés par l'Editeur. | Non la conobbe il mondo, mentre
1 Bosscha ; p. 211.
70 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
l'ebbe ; | Conobillio ch a piang^er qui rimasi. | Petrarc. | A Amsterdam. | Chez Marc Michel Rey. I M.DCC.LXI. Ilpp: 1-24.
CONTREFAÇONS
Cette édition de i7()3 fut abondamment contrefaite. 23. [Bibliothèque de Geiiève. Relié arec le 3"" partie ( /. II)
de l'édition précédente.]
Lettres | de | deux amans, | habitans d'une petite ville | au pied des Alpes | recueillies et pu- bliées I par J. J. Rousseau. | Seconde Edition originale, | revue et corrigée | par l'Editeur. | Tome second. | Quatrième Partie. | A Amster- dam, Chez Marc-Michel Rey. | MDCC.LXV. || (in-12) pp. 1-364 .
XXIV. Bibliothèque Nationale: Y-(i3<S:hS\^
Œuvres | de J, J. Rousseau, | contenant Julie, I ou la I Nouvelle Héloïse. | Tome second. || Lettres | de deux Amans | habitans d'une petite ville I au pied des Alpes, | recueillies et publiées I par J, j. Rousseau | Seconde Edition originale, revue et corrigée | par l'Editeur. | Troisième par- tie. I [contrefaçon du cartouche de Rey avec les vers de Pétrarque] | A Amsterdam, | Chez Marc- Michel Rev. I MDCCLXX il in-12.
Préface de la Nouvelle Héloïse ou Entretien etc. : pp. ix-xxxvi — Lettres : pp. 1-1 52.
Détestables contrefaçons des gravures de Gra- ve lot.
PREMIÈRES EDITIONS DE LA NOUVEI.I.lv HELOISE
//
Nous n'avons rencontré nulle part d'exemplaire plus complet.
XXV. {Bibliothèque de Niort. .V« 3i<So.)
Œuvres | de J. ]. Rousseau, | contenant | Julie, I ou la I Nouvelle Héloïse. | Tome premier. Il Lettres | de | deux amants, | habitants d'une petite ville | au pied des Alpes, | recueillies et pu- bliés I par J. J- Rousseau. | Seconde Edition ori- ginale, revue et corrigée | par PEditeur. | Tome premier. | [Contrefaçon du cartouche de la I'' édi- tion et vers de Pétrarque] j A Amsterdam, | chez Marc-Michel Rey. | M.DCC.LXXVI || in-12.
Sujets d'estampes : pp. 5-27 — Pages de cette édition auxquelles les estampes doivent correspon- dre : p. 28 — Lettres : pp. 1-288 — T. II (Pas de cartouche). Lettres : pp. 5-201 — T. III (Cartou- che). Préface de la Nouvelle Héloïse ou Entretiens, etc.. pp. 7-40 — Lettres: pp. 41-192 — T. IV (Pas de cartouche). Lettres: pp. 5-192 — T. VI. Lettres : pp. 5-180.
Très mauvaises contrefaçons des estampes de Gravelot.
Ces trois éditions sont évidemment des contrefa- çons. L'aspect du volume, des caractères, l'absence de lettres rouges au titre, etc.. le montrent de suite pour celle de 1765. Pour les deux autres qui s'intitu- lent, en 1770 et 1776, Seconde édition, il suffit de re- marquer que Re}^ publiait dès 1767 une Troisième édi- tion originale etc.
78 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
B. Rééditions de l'G-j et suivantes.
XXVI. {Bibliothèque de Genève. Hf. 4354).
Œuvres | de | J. J. Rousseau. | Tome qua- trième. I contenant | Julie, | ou | La Nouvelle He- loïse. I 1 et IL partie || Lettres | de deux Amans,
I Habitans d'une petite Ville | au pied des Alpes.
I Recueillies et publiées | Par J . J . Rousseau \ Troisième édition originale, revue et corrigée | par l'Editeur. | Tome premier [Cartouche gravé et vers de Pétrarque] | A Amsterdam \ Chez Marc- Michel Rey, I M.DCC.LXVII \ Avec Privilège de nos Seigneurs les Etats de | Hollande et de West- frise II in-i 2.
Privilégie (en hollandais. Sans pagination) — Préface (sans pagination) — Avis du Libraire — Lettres : pp. 1-462 — Catalogue des livres nou- veaux qu'on trouve chez Marc-Michel Rey, etc.. (feuillet sans pagination) — T. V. (11 de la Nou- velle Héloïse) 2" Préface : pp.i-xxxv — Recueil d'es- tampes: pp. xxxvi-Lix — Lettres: pp. 1-360 — T. VI (III). Lettres : pp. 1-372. Table des Matières (sans pagination).
Cette réédition de \-()- était commencée en Mars i7<)(), puisque Rousseau en demande un exemplaire ^
XXVII. Bibliothèque de l'Arsenal: BL. -JOcSôS). (Euvres | de | Jean-Jaques Rousseau. | lome
Quatrième. Julie, | ou la | Nouvelle Heloïse. |
' l'ossclia : p. 270.
PREMIERES EDITIONS DE LA NOUVELLE HÉLOISE 79
Lettres de deux Amans, Habitans | d'une petite Ville au pied des Alpes. | Recueillies et publiées | ParJ.J. Rousseau | Troisième édition originale, revue et corrigée | par l'Editeur. | Tome premier
I [Cartouche gravé et vers de Pétrarque] | A Ams- terdam I Chez Marc-Michel Rey. | MDCCLXIX.
I Avec Privilège de nos Seigneurs les Etats | de Hollande et de Westfrise. || in-8°.
La description des volumes est identique à celle de l'édition de 1767. Bien que nous n'ayions pas vu côte à côte ces deux éditions il semble que Rey se soit con- tenté de mettre une nouvelle page de titre. Il faut re- marquer que Rey avait deux modèles un peu différents du cartouche gravé pour Tépigraphe. On verra ces dif- férences aux tomes I et II de l'exemplaire de Genève. Le Privilège n'est pas toujours relié en tête du tome I (cf. l'exemplaire incomplet de la Nationale: Z. 3().i39 in-80)^
Ces éditions comportent treize eaux-fortes (assez mé- diocres, sans nom de dessinateur ni de graveur), les douze estampes primitives et celle que Duchesne avait fait graver pour son édition. La « description» de cette treizième estampe est obtenue, dans le Recueil d'estam- pes, par un extrait de Rousseau (VI, 9) : « Toute la fa- mille... Si je ne dis rien». La Table des matières, très différente de celle de Duchesne, est un Index alphabé- tique : Abattement... Adultère... Ame etc.
' Signalons que le tome 1 des Œuvres de cette édition de i-(mj ren- ferme une Dédicace à Monsieur Pierre-Alexandre Dupeyrou, à Neuchâ- tel, datée du i" mai 1769 et un Avertissement du libraire qui n'indique rien pour la Nouvelle-Héloisc, mais qui est important pour la biblio- -graphie générale. (Sur la dédicace, cf. Bosscha ; p. 288.)
8o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ ,1. .T. ROUSSEAU
Il y a eu des tirages en format in- 12 pour lesquels on a simplement imprimé avec marges réduites un exemplaire nous a été communiqué par M. A, Jullien, libraire à Genève, éditeur des Annales'^.)
XXVIII, Bibliothèque de Genève. Hf. 40 1\
Œuvres | de | Jean-Jacques Rousseau. | Tome quatrième. || Julie, | ou la | Nouvelle Heloise. I Lettres de deux Amans, Habitans | d'une petite Ville au pied des Alpes. | Recueillies et Pu- bliées I Par J. J. Rousseau. | Troisième édition originale, revue et corrigée | par l'Editeur. | Tome premier | [Cartouche modifié. \'ers de Pétrar- que] I A Amsterdam, | Chez Marc Michel Rey, | M.MCC.LXXII. I Avec Privileoe de nos Seigneurs les Etats | de Hollande et de Westfrise. |1 in-8°.
Description des volumes identique à celle des édi- tions 1767 et i7()9. Les seules différences sont que le Privilège n'a pas été relié et qu'au tome 11 le Recueil d'estampes est paginé xxxvi-lvi. C'est un nouveau tirage. La justification des pages n'est pas identique. Les estampes ont été gravées à nouveau. Elles sont signées Martinet, la dernière 1<^.-A. Giraud fésit 1772. Martinet. Rousseau nous indique qu'il n'a eu aucune pari à celle édilion^.
Les textes de 1772, i 7(^9, i7<^>7 ont été établis sur un exemplaire de l'édition de 1763 et non pas. comme il aurait été à la rigueur possible, sur Texemplaire annoté de Rousseau. Ils n'ont donc pas de valeur critique. Vin
' On trouvera lians le Journal Encyclopédique (i5 déc. 1769, p. 472) rannonce de l'édition avec l'indication « M'' Rousseau a aidé l'éditeur de ses conseils. »
^ Bosscha : p. 28S.
PREMIÈRES KDITIONS DH LA NOUVELLE HKLOISE 8l
voici une seule preuve : Rousseau avait écrit ^ et l'exemplaire Duchesne-Rousseau imprime : « et si l'on joint au sentiment universel que sa vue inspire le sen- timent plus doux qu'un souvenir ineffaçable a dû lui laisser...» Le compositeur de 1763, par bourdon, saute sept mots et imprime «et si l'on joint au sentiment plus doux...» Le compositeur de 1 767-1 ybg, en présence de ce texte inintelligible ne se donne pas la peine de recourir à l'exemplaire modifié par Rousseau; il corrige pour donner un sens : « si Ton 3- joint un sentiment plus doux... »
29. Edition communiquée par M. A. Jiillien et portée à son catalogue d'ourrag-es neufs et d'occasion de ./. /. Rousseau^ iqoS.)
Après la mort de Rey, Barthelmy Vlam imprima une quatrième édition du texte de 1763. Elle fut établie sur un exemplaire de 1769, comme le montre la con- cordance des paginations, la justification presque cons- tamment identique, etc..
Julie I ou la I Nouvelle Heloïse. | Tome pre- mier. !| Julie I ou la I Nouvelle Heloïse. | Lettres de deux Amans, Habitans d'une | petite Ville au pied des Alpes ; | Recueillies et publiées | ParJ. J. Rousseau, j Quatrième édition orifj;inale, revue et corrigée. | Tome premier. | A Amsterdam, | chez Barthelemi Vlam. | MDCCLXXXXL | Avec Pri- vilège de nos Seigneurs les Etats de Hollande | et deWestfrise. [j in-12.
Les seules différences avec l'édition de 1767 pour la
1 IV, p. icio (1761.)
(52 ANXALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
description des volumes sont la pagination de la Pré- face au tome II : pp. i-xxxiv, et la pagination donnée à la table finale des matières : pp. 374-386.
XXX. Bibliothcqiii' de Geiiin'c. Hf. ■ib()o .
Collection | complète | des | Œuvres | de | J. J. Rousseau. 1 avec Fiq"ures en taille-douce. 1 Nouvelle édition, | Soigneusement revue et cor- riffée. 1 Tome Quatrième. I Non la conobbe il mondo. mentre | l'ebbe. | Conobillio ch'a pian- ger qui rimasi. | Petrarc. | \ Neuchàtel | De l'Imprimerie de Samuel Fauche, | Librairie du Roi. il M.nCC.LXXV. Il Julie, | ou | La Nouvelle I Héloïse. I Lettres de deux Amans, Habitans d'une I petite Ville au pied des Alpes; | Recueil- lies et publiées I par I ]. ]. Rousseau. | Première partie. || in-i 2.
Préface : pp. v-viii — Préface de la Nouvelle Héloïse, ou entretien etc.. : pp. i\-xliii — Lettres: pp. i-,|62 — T. V (t. II de la Nouvelle Héloïse). Recueil d'estampes : pp. \-xxviii — Lettres : pp. i- 360 — T. VI (II!) Lettres : pp. 1-372. lable des matières : pp. 373-39H.
.Mauvaises contrefaçons des gravures de Gra- velot.
L'édition de la Nouvelle Héloïse a été établie sur le texte de Rey 176g. Le tome I de la collection repro- duit l'avertissement de 1769 en notant que «cet aver- tissement est à la tête de l'édition de M. Rey». La table analytique et alphabétique est empruntée. La correction arbitraire «si l'on y joint un sentiment plus doux... «) est également reproduite.
PREMIKRES ÉDITIONS DE LA NOUVELLE HÉLOISE 83
La Collection de Fauche fut réimprimée en 1790: Collection complète des Œuvres dej. J. Rousseau^ citoyen de Genève. Neuchâtel. de l'Imprimerie de L. Fauche-Bore! . Imprimeur du roi. 1790. in-8". Le seul exemplaire que nous en avons rencontré est à la Bibliothèque Nationale (Z 36421-36425) et a Xourelle Hcloïse manque.
IV. Edition de Genève, A. Edition de Genève 1 -jHo- 1 -jH-j.
L'édition de Genève dirigée par du Peyrou et très ré- pandue au XVIIP siècle est bien connue. Signalons qu'à la fin de 1780, comme l'indique le prospectus dont nous avons parlé, l'édition commencée depuis environ dix- huit mois ne comportait encore que les tomes I à IV ^. La Nouvelle Héloïse tomes II et III) était pourtant pu- bliée. On s'expliquera donc les différences de dates sin- gulières que révèlent les nombreuses impressions de cette édition, certains exemplaires portant, comme nous l'indiquerons, doubles pages de faux-titres et titres, les premières avec la date de 1782 et les deuxièmes avec la date de 1780.
Le texte, pour la Nouvelle Héloïse^ fut très évidem- ment établi à. l'aide de l'édition Duchesne, exemplaire annoté qui appartenait à Coindet ^. La preuve s'en éta- blit immédiatement par le fait que toutes les corrections
' Cf. également la date de lAvant-Propos et de la Dédicace aux Mâ- nes de ./. J. Rousseau : Neuchâtel, 1779. - Cf. supra, p. 14.
84 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
et adjonctions de l'exemplaire annoté se retrouvent dans cette édition: suppression de la note 1,62; tra- duction des vers italiens par Rousseau, sauf ceux des lettres I, 20, 21; note 111, 20; variantes 1. 12, iq, 3i, etc.. Un détail prouvera la fidélité machinale avec laquelle ces corrections ont été reproduites. L'édition Duchesne a comme appels de notes des chiffres. Les appels manuscrits de Rousseau sont des *. Or à la let- tre IV. II il y a dans l'édition de Genève, pour la note ajoutée par Rousseau, un appel par % le seul des deux volumes de l'édition. 11 a été reproduit machinalement par celui qui a recopié la note de Rousseau. 11 n'y a en- tre les corrections de l'exemplaire annoté par Rousseau et l'édition de Genève qu'une différence. Si l'on étudie la note IV. 11 de la première édition ip. 237, note aux huit vers italiens,, on en comprend clairement le sens. Au contraire, le texte de Duchesne qui transporte les huit vers dans le texte, en maintenant en note la phrase de Rousseau « il aurait pu... », est inintelligible. A juste titre Rousseau la corrige pour la rétablir conformé- ment à la première édition. Mais on constate que cette correction manuscrite est extrêmement confuse. On s'explique très bien, en l'étudiant, que l'éditeur de 17X2 l'ait mal interprétée et corrige le texte de Duchesne par celui qu'il nous donne et qui est lui aussi peu intelligible.
Conformément à cet exemplaire 1 7(")4 annoté, l'édition de Genève conserve les titres modifiés par Duchesne et non biffés par Rousseau, et la table sommaire des matières qu'il acceptait explicitement.
Il était logiquement possible que du Peyrou ait eu en sa possession non l'exemplaire Coindet mais un autre exemplaire annoté par Rousseau et comportant an
PREMIÈRES ÉDITIONS DE l.A NOUVEI.l.I': HÉI.OISE Hb
moins toutes les corrections Coindet. Nous avons donc collationné entièrement Tcdition du Peyrou. I! en ré- sulte :
1" Que rédition du Peyrou est liée étroitement à une édition de Duchesne 1764 (édition de l'exemplaire Coin- det.; Voici les altérations communes les plus impor- tantes : T. I (de l'édition du peyrouj p. 63 : au défaut duquel (= au refus) — p. \ob : peut goûter (= peut goûter sans lui) — p. 104: destructeur des vertus de l'humanité (== des j'ertus et de l'humanité) — p, 267 : je n'ai rien fait que ^= je n'ai fait que) — p. 40X : Si c'é- tait (== Si c'était ici) — p. 49S : que nous admirons (=r qui nous admirons) — p. 5o3 : que j'ai à présent (^ que J'ai maintenant) — T. II, p. 247 : à l'homme en général; on ajoute (= ; à l'homme en général on ajoute)
— p. 298 : dans ses yeux que dans les regards enjoués (:= dans ses yeux si doux que dans les regards plus en- joués) — p. 3i 1 : Note, L'homme au beurre... supprimée
— p. 484 : réalité qui vaut mieux peut-être (= réalité.
— Qui vaut mieux peut-être) — p. 4'SX : suj- }ious que quand (= sur nous quand.)
2° Que l'édition du Peyrou a été très négligée, au moins en cours d'impression. Voici deux exemples de fautes d'impression : cotiser recette bonhommie (II, p. 61)
— laissera du moins un charte veuve il. p. 5o3.)
3° Que quatre-vingt-dix variantes de l'édition du Peyrou ne se justifient pas par l'édition Duchesne. Ces quatre-vingt-dix variantes révèlent-elles des corrections de Rousseau (autres que celles de l'exemplaire Coindet)?
Dix-sept entraînent non pas même des sens douteux mais de grossiers contre sens. Exemples: T. I. p. 100: six mois à Lausanne (^= six jours) — p. 396 : qu'il peut
86 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ.!. .1. ROUSSEAU
arj^éter (= qu'il ne peut) — p. 898 : que nous admirons (== qui nous admirons) — II, p. i23 : ce sont des forets de mâts ou de maïs (= de mays) etc..
Trente-cinq sont des mots sautés dont rien ne justifie la suppression et qui entraînent souvent des faux-sens ou des contre sens, ou des absurdités Exemples : T. I, p. 2o5 : car quand on parle de qu'elle est — T. II, p. qtî: c'est que les habitants (= c'est ce que> — • p. iq-j : pour l'aimer et pour être aimés (= pour en être aimés) etc.. La plupart de ces mots sont d'ailleurs des mono- syllabes.
Deux sont des mots déplacés sans importance: T. I, p. 3 : je consens qu'on puisse tous imaginer (= vous puisse) — T. II. p. i(36 : vous pouve:^ plus contribuer que [z^ contribuer plus que).
Dix-neuf sont de menus mots altérés, sans aucune importance, et qui parfois mênie faussent le sens: T. I, p. 1 2 I : c7 /a Julie f= à sa Julie) — p. 20Q : qui ne l'offensent pas \-= point) — p. 24D : dans tout ce que j'ai observé (^ de tout) — p. 307 : su)^ qui porte la tor- tue (contre-sens = sur quoi porte) etc..
Six sont des oscillations de grammaire ou d'usage: T. I, p. 21: : au col de mon père (= au cou) — p. joq : Grâces au ciel (= Grâce) — T. II, p. i()(): cette charité paresseuse des riches qui payent [=■- qui paye) etc..
Cinq sont de menus mots ajoutés sans importance (me, un, des^ et, de). T, I, p. ôi : le plutôt qu'il me sera possible i^~ qu'il sera possible) — p. 187 : dont ils font un si grand bruit {= font si grand bruit).
Il reste comme leçons qu'on puisse à la rigueur dis- cuter: 1°, T. I, p. 242 : je tâcherai du moins qu'il soit sage (=^ je tâcherai de faire au moins qu'il soit sage)
PREMIÈRES ÉDITIONS DK LA NOUVELLE HÉLOISE 87
— 2*^, p. 334 : celle qui peut nous serrir pendcvil le l'oj'age [=z durant) — 3°, T. II, p. 170: un i^n^ind secret, un seul chagrin l'empoisonne (= un chagrin secret, u)i seul chagrin l'empoisonne) — 4°, p. 207, note : ce métier oisif (=^ ce métier oiseux) — 5°, p. 248: Heureux, les enfants bien nés (= Heureux les bien nés) — (")", p. 476: et qu'il savait bien que tant (= et qu'il savait que tant).
La variante 2 est insignifiante et s'explique mieux d'ailleurs quand on la rapproche de Taltération de Du- chesne^, dajis le voyage {:= durant). — La variante 3 fausse fâcheusement le sens et s'expliquerait d'ailleurs par le voisinage des sonorités (un chaj^rm secret, (un) grand secret. — La variante 6 n'est qu'une con- fusion de l'œil du compositeur. L'édition Duchesne porte à la ligne supérieure : qu'il connaissait bien M""^ de Wolmar, et bien est juste au-dessus de // savait. Les trois seules variantes qui subsistent sont minimes. Les nombreux contre-sens et fautes d'impression de l'édition prouvent une grande négligence. Elles sont dues certainement à des corrections plus ou moins conscientes du texte de Duchesne ; les variantes 4 et 5 notamment ne font que modifier des expressions qui ont dû surprendre le compositeur ou le prote.
Rien n'oblige ou n'invite à supposer un exemplaire an- noté autt^e que celui de Coindet, ou tout au juoins dont les annotations fussent différentes.
Les éditeurs n'ont prévenu nulle part^ qu'ils avaient à leur disposition un exemplaire corrigé par Rous- seau. L'authenticité des leçons nouvelles, malgré ce
' Utilisé, rappelons le par du Peyron.
2 A moins qu'il ne Taient fait dans un Prospectus que nous n'avons pas rencontré.
88 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
silence étrange, donne à Tédition une solide importance critique, et semblerait prouver par exemple qu'ils se sont bien référés à un texte inconnu de Rousseau pour intercaler dans le Discou)\s sii?^ riné^alile un morceau que signale M. \^wio\i\ Annales delà Société J . J. Rous- seau, \qob. p. iqo et qui apparaît pour la première fois dans leur édition \
Il V eut d'abord une édition de format in-4°. XXXI. Bibliothèque Xalioiiale. Réserve. Z j3ôj. in-4".)
{ 1 ) (>ollection | complète [ des | Œuvres | de j. J. Rousseau. | Tome Second 1 (2) Collection
I complète | des œuvres | de | J. J. Rousseau^ | Citoyen de Genève. | Tome Second | Contenant les trois premières Parties j de Julie ou la Nouvelle Héloïse A Genève | MDCCLXXXII i| (3)LaNou- velle I Héloïse. | ou | Lettres | de deux Amans,
I Habitans D'une petite Ville au pied des Alpes ;
I Recueillies et publiées | Par J. J. Rousseau. | Tome Premier. | Non la conobbe il mondo. men- trc l'ebbe : (>onobiirio ch'a piani^er qui rimasi | Petrarc | Irad. Le monde la posséda sans la con- naître, et moi je l'ai connue je | reste ici-bas à la pleurer 1 ( )) Julie, j ou | La Nouvelle | Héloïse. | Tome premier. |i {^) La Nouvelle | Héloïse, | ou
I Lettres | de deux amans. | habitans | d'une pe- tite Ville au pied des Alpes: | Recueillies et pu-
' .Sur ia favon dont fut établie rédition, ou cousultera uiilcnient la note de Girardin sur l'un des manuscrits de la Chambre des députés et reproduite par Marcellin Pcllct (Révolution française. Septembre lytX), p. 197.) M"" A. Pons (J. ./. Rousseau et le Théâtre. Genève, 1909, p. li^y) signale également un vers du Devin du village donné par l'édition de Genève et qui ne se trouve ni dans l'édition originale, ni dans le ma- nuscrit lie la partition, ni dans In partition lie 1734.
PREMIÈRES KOITIONS DK I.A NOUVEr.I.E HÉLOISK Ny
bliées I Par ). [. Rousseau. | Tome premier. | Genève. | M.DCC.LXXX \\ in-4'\
Préface : pp. i-iv — Avertissement sur la Pré- face suivante : p. v — Seconde préface : pp. vi- xLvii — Lettres : pp 1-536 — Table des Lettres et Matières etc. : pp. 537-548.
Tome troisième, (second de la Nouvelle H éloïse) I Contenant la fin de la Nouvelle Héloïse, et les Amours de Mylord Edouard Bomston || La Nou- velle Héloïse etc. [comme le titre (3) sauf Tome second] !| Lettres: pp 1-5 12 — Les Amours | de I Milord Edouard Bomston. pp. 513-530 — Table des lettres, etc. pp. 531-537.
Cette édition fut publiée comme on le voit avec une profusion singulière de titres de collection, faux-titres, titres. Nous avons décrit Texemplaire le plus compli- qué. Mais tout cela fut le plus souvent simplifié par les éditeurs ou les relieurs. Certains exemplaires ne portent pas les pages 4 et 5 (par exemple Bibliothèque Nationale : Inventaire Z 9939 et suivants». D'autres sup- priment les pages i, 4 et 5. Ces titres devaient sans doute permettre aux libraires, éditeurs, particuliers, de relier ou de vendre la Nouvelle Héloise tout au moins dans la Collection complète ou séparément. L'exem- plaire de la Nouvelle Héloïse à la Bibliothèque Natio- nale (Z 9974) comporte seulement les pages 4 et 5 favcc la date 1780) et par conséquent aucun titre de collec- tion.
Avec l'édition in-4° on publia une édition in-8*^. On trouve à la bibliothèque de Lyon (catalogue manuscrit n° 103098) une édition de format grand in-8°, mais qui
QO ANNALES DE LA SOCIETE .T. .!. ROUSSEAU
ne diffère de Tédition in-4'' que par la largeur des mar- ges. La véritable édition in-8" est une impression nou- velle.
XXXll. ^Bibliolhèque Xatioîtale. Z 36.28 1, /;z-rVo.)
Cinq pages de titres à peu près identiques comme description à celles de l'exemplaire in-4". La seule différence est la façon dont sont coupés
les vers de Pétrarque et leur traduction: io
ch'a I et moi je^ || in-8°.
Préface : pp. i-v — Avertissement : p. v — Se- conde préface : pp. \ii-Lxn — Lettres : pp. 1-342 — Table des lettres et matières: pp. 343-355 — T. IV (Second de la. Nouvelle Héloïse.) Lettres: pp. 1-453. Table: pp. 454-464 — T. V (III). Let- tres : pp. 1-413. Table : pp. 414-419 — Tome VI (IV). Lettres : pp. 1-31-9 — ^-^^ Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 350-376. Table : pp. 377-
383.
Les mêmes confusions se présentent dans les pages de titre que pour l'édition in-4°. L'exemplaire de la Bibliothèque Mazarine '23067 G et suiv.) ne comporte que les pages 1 . 2 et 3. L'exemplaire de la Bibliothèque Nationale (Z. 36249} ne possède que les pages 4 et b (date de 1780). Là encore la Nouvelle Héloïse fut sans doute vendue séparément.
J'vnfin il y eut une édition, ou plus probablement con- trefaçon fie frontispice et les treize estampes sont de détestables contrefaçons), de format in-ri.
' Ajoutons bien ciiiendu les diiVérenccs dans lindication des numéros des tomes, la Nouvelle Héloïse commençant au tome III (au lieu de II) et comprenant 4 volumes et non 2.
PREMIÈRES ÉDITIONS DE LA NOUVELLE HÉLOISK 9I
XXXIII. i Bibliothèque de l'Arsenal. 20.S66 1er. B. L.) Collection | complète | des œuvres | de J. J. Rousseau, | Tome troisième || Collection | com- plète I des œuvres de J. J. Rousseau, etc. (Les cinq pages de titres des éditions in-4'* et in-S*^ avec de légères différences : Julie ou de la Nouvelle Héloïse — amans = Amans — habitans =- Habi- tans, etc.j || in-12.
Préface : pp. i-vi — Avertissement : p. vu — Seconde préface : pp. viii-lxxvii — Lettres : pp. i- 328 — Table des Lettres et Matières : pp. 329-342 — T. IV (tome II de la Nouvelle Héloïse.) Lettres : pp. 1-444 — Table: PP- 445-455— T V (IIIj Lettres : pp. 1-39S — Table : pp. 396-401 — T. VI (IV) Lettres : pp. 1-335 — ^^^ Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 336-360 — Table : pp. 361-367.
Les estampes sont de détestables contrefaçons des gravures de Gravelot.
Les Aventures de Milord Edouard Bouiston parais- saient pour la première fois dans l'édition de Genève, avec la note : (fidèlement empruntée par un grand nom- bre d'éditions) a Cette pièce qui paraît pour la première fois, a été copiée sur le manuscrit original et unique de la main de l'auteur, qui appartient et existe entre les mains de iVf"^^ la Maréchale de Luxembourg, qui a bien voulu le confier.»
On rencontra tout de suite des éditions séparées de ces Aventures., destinées évidemment à ceux qui possé- daient des éditions antérieures de la Nouvelle Héloise. {Bibliothèque de Genève. Hf. 23 1 g.)
ql ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
Supplément à rEmile | ou | de l'Education^ | de J. J. Rousseau. || s. 1. n. d. [(jenève 1781]. A la suite : Supplément | a la nouvelle Héloïse
1 de J. J. Rousseau. | pp. 101-128 || in-24.
Bibliothèque de Neuchdtel .
Emile et Sophie, ou les Solitaires. Ouvrage posthume de M. J. J. Rousseau. A (jenève, chez la Société typographique. MDCCLXXI.
A la suite : Les Amours de Milord Edouapd Bomston. pp. 103-133 || in-12.
Notons que ces Aventures copiées pour la seule M"^*de Luxembourg, et qui causèrent au persécuté Rous- seau tant d'inquiétudes, étaient depuis longtemps soup- çonnées du public. Le 2 mars 1761 «une personne » a dit à Rey quie Rousseau s'occupe à un septième volume qui doit contenir l'histoire de Bomston et le retour de Saint-Preux auprès de M. de Wolmar. En 1764, le I I mai, Rey revient à la charge « Il y a des gens qui veulent absolument que vous ayiez publié une suite à la Nouvelle Héloïse, un poème ^ je leur soutiens le con- traire^».
B . Edi tio n s fi lia les
Elles ont dû être établies sur l'édition ia-S", plus commode pour le travail d'imprimerie. Il va entre le
' Il y a là sans doute une cf)nfusion a\ec le « poème en prose» du Lé- vite d'Ephraim. dont (ilusicurs amis de Rousseau connaissaient aloi^s l'existence.
2 Lettres de Rey du 2 mars lylti, ri mai 1764 — Jean-Jacques écrit à M** (Duclos, sans doute), en 1760 (non datée — Décembre) qu'il ne pu- bliera pas les Aventures d'Edouard, qu'il a jeté les cahiers au feu et qu'il n'en reste que la copie de M"'« de Luxembouri; (X, p. 2'}>b).
PREMIERES EDITIONS DE I-A NOUVELLE HELOISE Q-t
texte in-S'' et celui in-4'^ trois des variantes de notre ta- bleau qui sont différentes et qu'on retrouve dans les éditions suivantes, identiques au texte in-8".
34. (Bibliothèque Nationale. Y^. 68854.
Julie, I ou I La Nouvelle | Héloïse. | Tome premier || La Nouvelle | Héloïse, | ou | Lettres | de deux Amans, | habitans d'une petite Ville au pied I des Alpes ; | recueillies et publiées | par J. J. Rousseau. | Tome premier. | Genève. | MDCCLXXX||in-i2.
Préface : pp. i-iv — Avertissement : p. iv — Se- conde préface : pp. v-xlviii — Lettres : pp. 1-3 i 2 — Table des Lettres et matières : pp. ^ 1 3-327 — T. II. Lettres: pp. 1-412. Table: pp. 413-427 — T. III. M.DCC.LXXXI. Lettres : pp. 1-377. Table : pp. 378-384 — T. IV. M.DCC.LXXXI Lettres : pp. 1-329 — Les Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 3^0-354 — Table : pp. 355- 362.
Remarquer la différence des dates pour les tomes HT et IV.
35. [Bibliothèque Nationale. Réseri>e Y^ J^gS-JSo i .
Julie, I ou I la Nouvelle | Héloïse. | Tome premier. || La Nouvelle | Héloïse, | ou | Lettres | de deux Amans; | Habitans d'une petite Ville au pied I des Alpes ; | Recueillies et publiées par J. J. Rousseau. | Tome premier. | A Londres. | MDCCLXXXI.il
Petit in-S*^ à très grandes marges blanches et impression très soignée.
C)4 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1, .1. ROUSSEAU
Préface : pp. i-v — Avertissement : p. vi — Se- conde préface : pp. vn-Lxiii — Lettres : pp. 1-140 Table: pp. 141-144 — T. II. Lettres: pp. 1-205 — Table : pp. 206-21 1 — T. III. Lettres : pp. 1-252. ■ — Table : pp. 253-256 — T. IV. Lettres : pp. i- 19:; — Table : pp. 196-199 — T. V, Lettres : pp. 1-269 — Table: pp. 270-273 — T. VI. Let- tres : pp. 1-245 — Table: pp. 246-248 — T. Vil : Lettres: pp. 1-235 — -Les Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 236-261 . Table : pp. 262- 264.
Réduction des gravures de Moreau le Jeune pour l'édition de Londres. (Bruxelles).
Cette édition de luxe sur papier grand format fut tirée à petit nombre. Les exemplaires courants sont de format in-24 (Bibliothèque Nationale, Z 36.191 etsuiv.). On lit, imprimé à la fin du tome V le prospectus de la collection « Collection de petits formats, en beau pa- pier, belle impression, belle gravures, en tout supérieure à celle imprimée à Lyon... »
XXXVI. Bibliothcqite de Génère. Archives J. J . Rous- seau. 0 R. 77.
(collection | complette | des (cuvres j de | J. j. Rousseau, | (Citoyen de (jcncve. | Tome troisième. | (contenant le L' Fome de Julie ou de I la Nouvelle Héloïse. | Aux Deux-Lonts, | (>hez Sanson et (compagnie. | M . IXv(">. LXXXIIL || Œuvres | complettes | de | ] . ]. Rousseau | (Ci- toyen de (^lenève. I N. Héhyise. lome premier. || La Nouvelle 1 Héloïse 1 ou 1 Lettres 1 de deux
PREMIÈRES ÉDITIONS DE LA NOUVELLE HÉLOISE qD
Amans | Habitans d'une petite Ville au pied | des Alpes ; I Recueillies et publiées | Par J. J. Rous- seau. I Tome I. I Aux Deux-Ponts, | Chez San- son et Compagnie. | M. DCC.LXXXII . || in-8«. Préface : pp. 5-8 — Avertissement : p. 9 — Seconde préface : pp. 10-^1 — Lettres : pp. ^3- 269 — Table: pp. 271-281 — T. IV (tome II de \a Nouvelle Héloïse) . Lettres: pp. 5-293. Table: pp. 294-302 — T. V, (III) Lettres: pp. 5-269. Table : pp. 271-275 — T. VI (IV^) Lettres : pp. 5- 249. Table: pp. 251-255.
XXXVII. Biblioihi'qiie Naliouak'. Z. 3635 1 al suir.)
Collection | complète | des œuvres | de J. J. Rousseau, | Citoven de Genève. | Tome troi- sième. I De l'Imprimerie de la Société littéraire — typographique. | 1783 H La Nouvelle | Héloïse, | ou I Lettres | de deux amans, | habitans d'une petite ville | au pied des Alpes. | Tome Premier. || in-12.
Préface: pp. 1-5 — Avertissement : p. 6 — Se- conde préface: pp 7-60 — Lettres: pp. 6i-3_|6 — Table des lettres et matières : pp. 347-360 — T. IV (tome 11 de la Nouvelle Héloïse.) Lettres : pp. 1-385— Table: pp. 386-396 — T. V. (111) Lettres: pp. 1-350 — Table : pp. 351-356 — T. VI (IV). Lettres: pp. 1-300 — Les Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 301-324 — Ta- ble : pp. 325-331 .
La Mazarine possède r4.?3<S un exemplaire incom-
q6 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
plet (tomes III et IV avec une bonne réduction des gra- vures de iMoreau.
38. [Bibliothèque de Genève. Archii'es J. J. Rousseau :
O. R. ig.)
Julie, ou I La nouvelle | Héloïse. | Tome premier. || La nouvelle | Héloïse, | ou | Lettres | de deux Amans, | Habitans d'une petite ville au pied des Alpes; | Recueillies et publiées par J. J. Rousseau. | Tome premier. | Genève. | 1788. || in-24.
Préface : pp. 5-8 — Seconde préface : pp. 8-44
— Lettres : pp. 45-278 — Table des lettres et ma- tières ; pp. 279-288 — \. IL Lettres : pp. 5-243
— Table: pp. 244-250 — T. III Lettres : 5-220 Table : pp. 221-225.
XXXIX Bibliothèque Nationale. Z . SG.'y-jC).
Œuvres | complètes | de J. J. Rousseau. | Nouvelle édition, | classée par ordre de matières, et ornée | de quatre-vingt-dix gravures. | Tome premier. | 1788 || [Verso suivant] Les Pièces nou- velles insérées dans ce volume sont : Introduction, par M. Mercier. Vovage à Ermenonville, par feu M. Le Tourneur, pour servir de Préface. Notes de J. J. Rousseau sur sa A'^owî^e//^ Héloïse. Les Notes des Editeurs i| Frontispice (C. I\ Marillier del. J. J. Hubert, sculp. Paysage suisse entouré de neuf médaillons représentant les scènes de la Sou- velle Héloïse). La Nouvelle Héloïse Tome I" || in-8^
Introduction : pp. 1-56 — Vovage à Ermenon-
l'REMIKRliS l'iDITlOXS DK LA NOUVELLE HÉLOISE ()-]
ville: pp. ^9-176 — La Nouvelle Héloise [faux titre] : p. 177. Avis: p. 178^ — Préface : pp. 179- 183 — Avertissement : p. 184 — Seconde préface : pp. 185-239 — Avis^ : p. 240 — Notes de J. J. Rousseau sur sa Nouvelle Héloïse : pp. 241-248 — Lettres : pp. 249-476 — Table : pp. 477-488 — T. IL Lettres: pp. 1-454. Table: pp. 455-468 — T. IIL Lettres : pp. 1-479. Table : pp. 480-488 — T. IV. Lettres : pp. 1-418 — Les Amours de Mi- lord Edouard Bomston : pp 419-446 — Des Ecrits publiés à l'occasion de la Xourelle Héloise : pp. 467-475 — Table : pp. 476-484.
Il fut publié des exemplaires k grandes marges, in-4".
Cette édition, faite pour le texte sur celle de Genève 1782, in-S'', a son importance, outre la beauté des gra- vures et frontispices. Les éditeurs ont eu connaissance de la Copie Liixemboin^s^ à laquelle ils ont emprunté une addition itome I, p. 2481. Les Notes de J. J . Rousseau, sur sa Nouvelle Héloise sont adaptées de la deuxième partie des Confessions, encore inconnue du public. L'étude de Mercier sur les Ecrits publiés à l'occasioji de la Nouvelle Héloise nous a conservé des analyses et extraits de pièces qui semblent maintenant introuvables.
' Voici cet Avis «Les morceaux nouveaux tirés des mémoires ou lettres ^ de Rousseau seront marqués par des guillemets; les notes qui lui ap- ; partiennent seront désignées par un chiffre, et celles de TEditeur par une étoile, avec ces mots : A", de l'Edit.»
- Voici cet Avis : « Les notes suivantes au sujet de la Nouvelle Héloïse, n'ayant point été publiées dans aucune édition, nous croyons que nos ^ lecteurs ne pourront que nous savoir gré de les rapporter ici; ce n"est qu'après beaucoup de recherches que nous sommes parvenus à nous les - procurer; elles sont de Rousseau lui-même.»
q8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
On trouve à la Bibliothèque Nationale, relié avec un exemplaire de cette édition (Z i38o) le Prospectus. Les deux premiers volumes de la Nouvelle Hélo'ise., alors publiés, se vendaient lo livres et 24 livres pour l'in-S", selon le papier, 24 livres et 48 livres pour rin-4*'.
Les gravures sont des frontispices de Marillier, la re- production des gravures de Moreau le Jeune et une gravure nouvelle de Wheaty pour la lettre IV, 17. On remarquera que, pour la reproduction des gravures de Moreau, on a fait subir quelques modifications aux costumes pour les mettre d'accord avec les modes nou- velles.
XL. (Bibliothèque de Vesoul. W 20<S j .)
Collection | complète | des Œuvres | de | J. J. Rousseau, | Citoyen de Genève. | Tome premier, | avec Figures. | Contenant le premier volume de la | Nouvelle Héloïse. | A Paris, | chez Bossange et Comp. Libraires, | rue des Noyers, n"" 33. | Et à Bruxelles, chez J. L. de Boubers, Imprimeur-Libraire. | 1791 || in-12 . |
Préface: pp. i-v — Avertissement : p. vi — Se- conde préface : pp. vii-Lxii — Lettres : pp. 1-342. Table : pp. 343-357 — 1 . H. Lettres: pp. 1-453. Table: pp. 454-466 — T. IIL Lettres: pp. 1- 413. Table: pp. 414-420 — T. IV. Lettres: pp. 1-349 — ^^^ Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 350-376. Table : pp. 377-384. || L'exemplaire comprend sept gravures. Cinq sont des contrefaçons de Marillier. Les deux autres (arrivée des enfants de Julie auprès de Saint-Preux et Scène du Voilej ne sont signées que J. Maillart S.
PREMIÈRES ÉDITIONS DE LA NOl'VEl.l.E HÉLOISE ^9
XLl. [Bibliothèque de Geiii'i'e. Hf. 4ig'j.\
Œuvres | complettes | de J . j. Rousseau,
I Cit03'en de Genève. | Nouvelle édition. | Tome
troisième. | A Paris, | chez Bélin, libraire, rue
St-Jacques, n° 26 | Caille, rue de la Harpe, n° i 50.
I Grégoire, rue du Coq St-Honoré | Volland, quai
des Augustins, n° 2^ | 1793 \\ in-24 .
Préface : pp. 1-5 — Avertissement : p. 6 — Seconde Préface : pp. 7-52 — Lettres: pp. 53- 363 — Table des lettres et matières: pp. 364-378
— T. IV (tome II de la Nouvelle Héloïse.) Let- tres: pp. 1-4 17 — Table: pp. 418-431 — T. V (III). Lettres: pp. 1-379 — Table : pp. 380-387
— T. VI (IV) Lettres : pp. 1-322 — Les Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 323-346 — Ta- ble : pp. 347-354-
Cette édition est de format in- 16 ou in-24 suivant la largeur des marges. Il y eut également des exemplaires in-8° et in-4° avec simples différences de marges. Dans l'exemplaire in-i6 de la Bibliothèque Nationale (Z. 36416. Incomplet du tome Ij on trouve glissé le Pros- pectus de l'édition. Le prix était de 8 livres 10 sous, cartonné; 21 livres sur velin in-8°; 42 livres sur velin in-4°. Le prospectus ajoute : « Les variantes, additions et corrections recueillies sur les manuscrits de Tauteur. étant déposés au comité d'instruction publique, la Con- vention nationale nous a accordé la permission de les comparer. Nous publierons ce supplément aussitôt que le travail en sera achevé. Nous nous étendrons plus au long à la dernière livraison.».
L'impression de la Nouvelle Héloïse est antérieure à
100 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
cet examen; elle est éditée simplement sur l'édition de Genève.
XLU. iBibliollicquc de Gcncve. Hf. 4243. \
La I Nouvelle Héloïse, | ou | Lettres | de deux amans, | habitant une petite ville au pied | des Alpes. | parj. J. Rousseau. | Tome premier.
I Lausanne. | 1794 |1 in-12.
Préface: p. 1-3 — Avertissement: p. 4 — Seconde préface: p. 5-39 — Lettres; pp. 41-303 — Ta- ble des lettres et matières : pp. 30=^-314 — T. Il [Seconde et troisième parties]. Lettres: pp. 1-348 — Table: pp. 349-357 — T. III [quatrième et cinquième parties] . Lettres : pp. 1-320. Table: pp. 321-324.
XLlIl. iBibliolhi'quL' de Genève. Archii'es J. ./. Rous- seau. O. R. S 2.) Œuvres | complètes | de | J . |. Rousseau.
II Œuvres | complètes | de j J . j. Rousseau, | citoyen de (Genève, j Tome troisième, j A Basie,
I de l'imprimerie de J. J. Thourneisen. | M.DCC.XCV II La Nouvelle | Héloïse, | ou | Lettres | de deux Amans | habitans d'une petite ville I au pied des Alpes; | Recueillies et publiées
I Par j. J. Rousseau. || Préface : pp. 3-5 — Avertissement : p. 6 — Se- conde préface : pp. 7-f] — Lettres : pp. 15-308 — Table des lettres et matières : pp. 309-320 — T. IV (tome II de la Nouvelle Héloïse). Lettres : pp. i- 348. Table: pp. 319-357 — T. V (III). Lettres: pp. 1-320 — l'able : pp. 321-32] — T. VI (IV).
PRKMIKRES ÉDITIONS DE l..\ XOIJ\"KI.LK HEI.OISK lOI
Lettres : pp. 1-283 — Les Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 284-304 — Table: pp. 305-311.
44. La librairie A. Jiillien de Genève a porté à son Ca- talogue des ouvrages de J. J. Rousseau, de igoy, l'édition suivante :
La Nouvelle Héloïse. Leipzig. 1796, portrait, 4 V. in-i2.
L'édition suivante, de Lausanne 1792, n'est qu'une mauvaise entreprise de librairie ; mais elle fut singuliè- rement éditée et il nous a été malaisé de la classer, i" L'éditeur a eu certainement connaissance de l'édition Mercier 1788, à laquelle il emprunte le Voyage à E 7^- menonville de Le Tourneur. Il lui emprunte également, ou bien à une édition de Genève, les traductions des vers italiens — avec d'assez fréquents oublis — et sans doute (plutôt qu'à l'édition Duchesne 1764) la table sommaire des matières. 2° Mais ni l'édition Mercier, ni l'édition de Genève n'ont servi pour l'impression. On trouve en effet, partie I, lettres 12, 19, 3i, les leçons de Rey 1761 et non les corrections typiques : pour les livres^ beau- coup méditer^ tourment, gloire et bonheur. De même les titres des lettres et la disposition de la note IV, 1 1 ap- partiennent à la première édition. Les parties I, II, III, V, VI. sont donc établies sur un texte de la famille 1761. On n'y retrouve pas les variantes de la famille Rey 1763. 3** Mais la quatrième partie a été établie sûrement sur un exemplaire de cette famille 1763 (sans doute cette partie manquait-elle dans l'exemplaire de 1761 utilisé par l'imprimeur, ou bien, comme nous l'avons vu pour
102 ANXALKS DE I.A SOCll'yiP. .1. .1. ROUSSEAU
certains exemplaires^, avait-on relié une quatrième par- tie de 1763 avec une troisième de 1761.) En effet, tou- tes les notes supprimées dans Tédition de 1763 sont également supprimées. En outre et surtout on y trouve, avec les variantes des lettres IV, 11 et 17: un ciel se- rein^ la fraicheur de l'ait'... des guirlandes de houblon., de lisei^on... avec la note nouvelle de la lettre IV, 11 : Cette réponse n'est pas exacte..., communes également à l'édition de Genève, la correction cruciale (IV, 10) : Laitages excellens qui se font sur le mont Jura... au lieu de: Laitages excellens qui se font sur la montagne de SaVeve. Je doute, etc..
Il reste d'ailleurs pour que cette conclusion soit in- discutable les difficultés que voici : De nombreuses et assez importantes variantes sont inconnues à Rey 1763, Duchesne 1764, etc., etc. Exemples: contraindre = contrefaire (IV, 2) — que j'ai vécus = que j'ai passés (Ib.) — le doux titre = le doux nom (IV, 3), etc.. etc.. Mais ces difficultés ne sont pas insurmontables. Quel- ques-unes de ces variantes aboutissent à de véritables non sens : non moins timide ni tendre = non timide ni tendre (IV, (>) — Je crois avoir accompli les vœux ^^ 7'o/r accomplir... (IV, 10) — // se trouve ainsi plus que doublé... est a peu prés alors -= serai! ainsi plus que dou- blé... serait à peu p?\'s alors... (Ib.) On peut donc croire simplement, comme l'aspect de toute l'édition le con- firme, à une grande négligence d'impression. Il y a ainsi de très nombreuses variantes par omissions, mots sautés, pronoms, conjonctions, syllabes tombés. (Exem- ples : // mangeait Aristoie = mangerait — un pan de
' Edition de Hcy lyTjX. Exemplaire de Genève. \'oir p. 75.
PRKMIKRES l':r)ITIONS DK LA NOUVELF.I'; HÉI^OISE Io3
son habit calant étendu = galamment — est-il juste qu'un mauvais sujet = qu'un nouveau venu sans affection cl qui 71 est peut-être qu'un mauvais sujet.) 11 y a vingt-huit fautes de ce genre pour les cent cinquante premières pages.
45. {Bibliothèque de Lyon. jiylviG.)
La nouvelle | Heloïse, | ou | Lettres | de deux Amans, | Habitans d'une petite ville au | pied des Alpes. I Recueillies par J. J. Rousseau, et précé- dées I du voyagea Ermenonville, de M. le Tour I neur. | Tome premier. | A Lausanne, | chez François Lacombe, Libraire. | 1792 || in-12. Préface : pp. i-iv — Voyage à Ermenonville : pp. v-cvi — Lettres : pp. 1-298 — Table : pp. 299- 311 — T. IL Lettres : pp. 1-3 10 — Table ; pp. 31 1- 318 — T. III Lettres: pp. 1-346 — l'able : pp. 317-352 — T. IV. Lettres: pp. 1-353 — Les Aven- tures de Milord Edouard Bomston : pp. 354-376 — Table : pp. 377-382.
V. Editions posth^ieii7^es au dépôt des manuscrits a la convention.
XLVl. {Bibliothèque Nationale. I^éserve. Z :> 14 et sui- vants.)
Œuvres | de | J. J, Rousseau, | Tome second,
contenant | La Nouvelle Héloïse. || Œuvres | de
I J. J. Rousseau, | citoyen de Genève. | Edition
104 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
ornée de Fio-ures, et collationnée sur les I Manus- crits originaux de l'Auteur, déposés au Comité
I d'Instruction publique. | Nouvelle Héloïse, To- me I I A Paris, | chez Defer de Maisonneuve. rue du Foin S. Jacques, n° ii. | De l'Imprimerie de Didot le Jeune. | 1793 |1 Explication des estampes
I contenues | dans ce volume. [Frontispice de Cochin. Quatre gravures de Monsiau] || La | Nou- velle Héloïse, I ou I Lettres | de deux Amans, | Habitans d'une petite Ville au pied des Alpes. | Non la conobbe il mondo, mentre l'ebbe : Cono- bill'io ch'a piangerqui | rimasi. | Pétrarc. | Trad. Le monde la posséda sans la connaître, et moi qui l'ai connue je reste | ici-bas à la pleurer. || in-4°. Préface : pp. g- 12 — Seconde Préface : pp. 13- 41 -- Lettres: pp. 43-584 — Table : pp. 585-600 — T. III (tome II de la Nouvelle Héloïse.) A Paris et à Amsterdam, | chez J. F. Gabriel Dufour, Successeur de Defer de | Maisonneuve. | De l'Im- primerie etc. . . I an VII j| Lettres : pp. 9-529 — Les Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 531- 548 — Table : pp. 549-556.
L'édition Defer de Maisonneuve est la première qui s'annonce comme «collationnée sur les Manuscrits ori- ginaux de l'Auteur, déposés au Comité d'Instruction publique». L'Avertissement de l'éditeur précise qu'il a bien eu connaissance de deux manuscrits, le manuscrit Luxembourg et l'un des deux brouillons, évidemment le deuxième. 11 ajoute que ce manuscrit « a servi à faire la première édition, dont les épreuves ont été vues et corrigées par l'auteur. Nous avons cette édition sous
PIŒMIHRES ÉDITIONS \)K LA NOUVEI.I.E HKLOISI': 1 OD
les yeuxw. Même si cet avertissement était sincère, la méthode selon laquelle le texte aurait été établi serait donc défectueuse. Le deuxième brouillon, pas plus que la copie Luxembourg, nous l'avons dit, n'ont servi pour la première édition et la comparaison la plus superfi- cielle aurait montré à l'éditeur quelles difterences pro- fondes les séparaient. La nécessité qui s'impose de n'u- tiliser copie et brouillon que comme contrôle occasion- nel nous permet de négliger Tétude détaillée des correc- tions que l'éditeur de 1793 lui a demandées. En fait on s'aperçoit très vite que, s'il s'en est parfois servi, il l'a fait avec une extrême négligence. Il annonce tout d'a- bord qu'il a eu la première édition sous les yeux. Or les compositeurs ont travaillé sur l'édition de Genève. Toutes les variantes essentielles que Genève doit au seul exemplaire annoté de Rousseau sont en effet repro- duites. En outre, pour les quarante-sept variantes de notre tableau, l'édition Defer de Maisonneuve s'éloigne de la première édition sur quarante-trois points. L'é- tude des manuscrits lui aurait permis de confirmer cette première édition et de se défier de l'édition de Genève sur au moins huit points, d'éviter par exemple les contre-sens, signalés p. 3, où la pensée de Rous- seau est inversée ou rendue inintelligible. Indiquons seulement que l'édition ajoute à la fin de la Préface quelques lignes empruntées peut-être au deuxième brouillon: «Allez, bonnes gens avec qui j'aimai tant à vivre... ^ »
* Petitain se demande déjà où ces lignes ont été trouvées. La copie Luxembourg n'a pas de Préface. Nous n'avons pas pu avant l'impres- sion de cette étude revoir les deux brouillons que nous n'avions pas en- tièrement étudiés. Mais l'éditeur indique qu'il emprunte son addition à
10() ANNAF.es de la société .1. .1. ROUSSEAU
XLVU. \Bibliollit'qite Xalioiiak'. Z. 3645 1 cl suiv.)
Œuvres | de | J . J . Rousseau, | (>itoyen de Genève. | Tome troisième. | A Paris, | De l'Imprimerie de P. Didot l'Aîné, | Au Palais des Sciences et arts. | An IX. (1801) || Julie, | ou | La Nouvelle Héloïse ; | ou | Lettres | de deux amants, habitants d'une | petite ville au pied des Alpes; I recueillies et publiées | par J . J. Rous- seau. I Non la conobbe il mondo, mentre l'ebbe :
I Conobill'io, ch'a piang-er qui rimasi. Petrar | Le monde la posséda sans la connaître ; et moi je
I l'ai connue, je reste ici-bas à la pleurer. || Préface : pp. 3-5 — Avertissement sur la préface suivante : p. 6 — Seconde préface : pp. 7-40 — Lettres: pp. .41-409 — Table des lettres et matiè- res pp. 410-423 — T. IV (tome II de la Nouvelle Héloïse). Lettres: pp. 3-291 — Table: pp. 292- 298 — 'i\ V (III). Lettres: pp. 3-302 — Les Amours de Milord Edouard Bomston : pp. 303- 318 — Lettre à M . . . Montmorency ... 1 760 [a Le mot propre me vient rarement, etc. . . »] pp. 319- 320 — Sujets d'estampes : pp. 321-322 — Table:
PP- 333-337-
Cette édition fut faite plus sérieusement que la pré- cédente. L'avis des éditeurs annonce qu'ils n'ont « épar- gne ni recherches, ni soins, ni dépenses, pour la rendre précieuse aux gens de lettres par l'extrême pureté du
la copie «qui a servi pnur rirnpressiun ». Cette copie (deuxième brouil- lon) ne commence qu'à la qualriènie partie?? Nous aurons à étudier la question.
I>REM1KRES Éhll'IOXS \)F. LA NOUVKI.LK Hl':[.OIS]': I 07
texte, altéré trop longtemps, et par les entraves que la censure mettait au génie de l'auteur à l'époque des pre- mières éditions, et par la négligence des libraires qui les ont renouvelées et multipliées à l'infini pendant trente ans et plus...» Pour la Nouvelle- Héloïsc ils au- raient collationné le texte sur deux manuscrits, le ma- nuscrit Luxembourg et le deuxième brouillon. Ces ma- nuscrits leur auraient servi «à corriger quelques-unes de ces fautes légères qui échappent à l'attention la plus soutenue». Mais les éditeurs se trompent quand ils annoncent que le deuxième brouillon « avait été mis au net par l'auteur pour servir à l'impression de l'ouvrage» ou du moins ils n'indiquent pas que des corrections innombrables avaient fait de cette copie un nouveau brouillon. Ils se trompent plus singulièrement encore en indiquant que ce deuxième brouillon et la copie Luxembourg «diffèrent très peu». Les différences sont au contraire profondes. En fait le texte a été imprimé sur celui de Genève^ à qui Didot emprunte les titres modifiés de Duchesne, la table sommaire, les traduc- tions des vers italiens de Rousseau. Mais il emprunte effectivement, soit à la première édition, soit aux ma- nuscrits un certain nombre de corrections. Il comporte les leçons exactes: et le bateau ayant besoin de î\iccoui- moder (IV, 17) — une sorte de jouissance qui supplée à la réalité — (2ui vaut mieux peut-être (VI, 8.) Il main- tient les variantes I, ig et 3i conformes aux manus- crits et à la première édition : «pour les ouvrages... le tourment des tiens... à gloire et bonheur de ma vie. » Il rétablit conformément au texte de lyCSi les vers italiens
' ou sur un texte de même famille.
lO'^ ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. ,1. ROUSSEAU
et la note IV, ii. bouleversés constamment par tous les éditeurs. Il reste pourtant que ce travail de révision a été fait maladroitement. Un certain nombre de va- riantes (IV, I : tout le peut, mou cœu^\ mou devoir... mes enfants, moi même; — IV, 9 : eu sorte que je le rois retourner beaucoup plus rassuré sur son cœur... — V, 3 : Dans le second ou s'applique à l'individu, à l'homme en général; — VI, 2 : si ton ami n'eut pas été ton amant j'ignoj^e ce qu'il eut été pour toi, etc.) gardent de l'édi- tion de Genève ou y ajoutent des contre-sens et absur- dités qu'un peu d'attention aurait rendus évidents et que la première édition ou les manuscrits auraient per- mis de corriger immédiatement.
XLVIll. Le Catalogue de la Bibliothèque d'un ama- teur., Paris, Renouard, 1819, 4 vol. in-S'', signale l'édi- tion suivante : (pp. 3o3-3o4).
Œuvres de Jean-Jacques Rousseau, Citoyen de Genève. Paris, de l'imprimerie de Pierre Didot l'ainé, 1796, 25 vol. gr. in-18. fig. vélin.
Soixante gravures de Diq^récl.
On tira cent exemplaires numérotés à 400 francs ; puis on refit avec les mêmes planches des exemplaires in-S**, six cents au moins.
La Bibliographie de Quérard signale des éditions de la Nouvelle Héloïse qui nous sont restées inconnues.
49. Genève, 1786, 6 v. in-12.
50. Genève, 1787, | v. in-18.
51. Paris, 1799, 6 v. in-iS.
l^lle signale, sans nom de ville, des éditions que nous
l'Kl'lMIKRES I>;i)IT10NS DK LA XOrNlvI.I.l': HKLOISK I O9
supposons identiques à Getièpe iy62 — Amsterdam, ijôy — Lausanne. ijç'J — Lausanne, i'jg4-
Editions Petilain et Musset-Patha)-.
Ajoutons quelques renseignements sur ces deux édi- tions, les plus intéressantes du XIX' siècle.
L'édition donnée par Petitain (Paris, Crapelet, Lefè- vre, 18 19-1820) indique dans son Avertissement les prin- cipes qui ont servi à rétablissement du texte. L'éditeur a suivi le texte de Genève confronté avec la première édition et à l'occasion avec celui de l'édition 1801 ou les manuscrits du Palais-Bourbon. On pourra voir en comparant cet Avertissement avec notre étude ce que l'information de Petitain, fort judicieuse, eut de néces- sairement insuffisant puisqu'il ne connaissait ni l'exem- plaire annoté Coindet. ni l'édition de Rey 1763. etc..
Les critiques contre l'édition de 1801 sont justes lors- que Petitain affirme que les corrections ont été faites sans méthode. Il a tort du reste d'affirmer que rien ne justifie les textes ((peu lire et beaucoup méditer)), «ô charme et bonheur de ma vie)>. Ils sont donnés comme nous Pavons montré (p. () et 16) par un Errata de Rous- seau.
Petitain a bien confronté l'édition de Genève avec la première édition. Il a repris à cette première édition la note I, 62. («Il y a ici beaucoup d'inexactitude») supprimée dans l'exemplaire annoté et dans l'édition de Genève (Voir de même la note III, 3 et le rétablis- sement logique de la note et des citations à la lettre IV, II. Cf. supra p. 84J. Mais cette confrontation n'a été sans doute qu'occasionnelle. La première édition
IlO ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
aurait permis à Petitain de corriger les contre-sens dont nous avons parlé (p. 3) et la variante fâcheuse citée p. 84 (note IV, 11), qu'il emprunte à Tédition de Genève. L'édition Musset-Pathay (Paris, Dupont, Bossange, Chassériau. 1823-1826) reproduit simplement (pour la Nourelle-Héloïse) le texte de Petitain (voir par exemple la présence de la note I, 62, etc.)
Note sur les manuscrits.
A l'exception du deuxième brouillon dont nous avons indiqué la valeur critique, les manuscrits de la Nou- velle Hélo'ise intéressent l'histoire de la pensée et du style de Rousseau, non l'établissement du texte. Nous n'avons donc pas à les étudier en détail. M. Marcellin Pellet en a donné une description sommaire (Les Ma- uuscrils de J . J. Rousseau au Palais Bourbon^ dans la Révolution fratiçaise. Septembre 1906, pp. 199-202). Nous ajouterons seulement que le deuxième brouillon ne donne pas au complet les parties IV, V et VI qui existent seules. Il y a des lacunes importantes. Signa- lons également, puisqu'on ne l'a, croyons-nous, indi- qué nulle part, qu'on trouvera à la fin du deuxième volume, sur le verso des feuillets, un assez long frag- ment de brouillon pour le livre IV de VEmile (Le Si j'étais riche.)
La Collection d'autographes de Victor Cousin à la Bibliothèque de la Sorbonne contient (fol. 81, 83, 8y, 89), des feuillets de brouillons, très intéressants pour Tétude de la composition de la Nom^elle Héloïse. Ce sont des f?"agments des lettres VI, S; VI, 6; VI, i i ^
' M. Th. Dufour a signalé et reproduit dans les Anvalcs (kjchS^ p. 2()(j) nne ébauche d'une dizaine de lignes pour la lettre 1, 11.
l'KEMIKRES KLU TIONS DE LA NOUVELLE HELOL^E I 1 1
Conclusion.
Quelques conclusions générales se dégagent de notre étude.
Une lecture attentive des descriptions confirmera bien souvent ce que tous les bibliographes savent de reste; le soin avec lequel il faut examiner et décrire les éditions pour les identifier ou les distinguer. Par com- modité de travail des éditions différentes suivent sou- vent page par page l'édition modèle ^ La réimpression Duchesne de 1770, par exemple, d'où sortirent bien des textes, est à peu près identique à l'édition de 1764. D'autre part, suivant une coutume toujours vivace, les éditeurs, pour écouler des éditions qui s'attardent, les affublent parfois d'une page de titre toute neuve qui dissimule l'ouvrage vieilli. Les dates des pages de titre n'ont aucune signification certaine, même dans les bonnes éditions, et demandent sans cesse à être véri- fiées, etc., etc. Tout cela est d'expérience courante dans la pratique bibliographique.
Une remarque plus importante est que les éditions sont assez nombreuses, dans cette fin du XVIIP siècle, qui s'intitulent revisées, corrigées, complétées^. L'exem- ple de la Nouvelle Héloïse doit apprendre à s'en défier. Il s'agit pour les libraires, non de servir les intérêts de la littérature, mais au milieu d'éditions et contrefaçons diverses, d'attirer le lecieur et de vendre leurs livres.
1 Cf. d'autres exemples dans R. Sturel. Jacques Amyot, traducteur des vies parallèles de Plutarque. Paris, Champion, 1909, pp. 126 e suiv.
* Voir pour un cas non identique mais analogue l'exemple d'une édi- tion de Plutarque excellemment étudié par M. Sturel. Op. citât, pp. 126 et suiv.
112 .\NXALi':s ni<: i.\ sociici'K .1. .1. rousseau
Les affirmations arbitraires ne leur coûtent rien. Pour la Nouvelle Héloïse deux éditions sont intéressantes en dehors de la première, celle de Rey 1763, et celle de Genève 1780. Il se trouve que celle de Rey se donne obscurément comme u corrigée par l'éditeur» et que celle de Genève n'annonce rien. Toutes les autres qui s'in- titulent plus fidèles et plus complètes n'ont de valeur que pour faire nombre.
La philologie de Rousseau retiendra l'intérêt de plus en plus en certain de l'édition de Genève pour l'établis- sement du texte des Oeuvres. Inversement l'édition de Musset-Pathav, intéressante par la compétence de son auteur, n'a pas, pour la Nouvelle-Héloïse du moins, d'autre valeur que celle du texte de Petitain.
Il reste, pour l'histoire littéraire, qu'au lendemain même de la publication du roman et jusqu'à la tin du XVIIP siècle, les éditeurs ont cru plaire au public en assurant qu'ils donnaient un Rousseau plus exact et plus complet. Il n'est guère de contrefaçons, même dé- testables, qui n'ornent leur page de titre de ces falla- cieuses promesses. Elles assurent ainsi que, dès i7t)i, Jean-Jacques est de ceux dont on entend connaître exac- tement la pensée, l'un de ces grands écrivains dont les miettes sont d'or et dont le génie est sacré. Elles signi- fient même sans doute, pour certains éditeurs et pour certains lecteurs, qu'entre le persécuté et l'autorité qui le persécute, c'est pour la pensée sincère et libre que l'opinion publique se décide. « Nouvelle édition revue el C07^7'ii(ée » , cela veut dire qu'il importe de lire, sur la société, la morale et la religion, non ce qui convient à la censure mais ce qu'a vraiment écrit Rousseau. Lors- que Re}' imprime n Seconde édiiioii orit^inale » il avertit
PREMIÈRES ÉDITIONS DE LA NOUVELLE HÉLOISE il3
qu'il réédite l'édition de Hollande et non l'édition de Robin soigneusement émoussée par Malesherbes. De cette édition de Paris les exemplaires sont rares. Si médiocre que fut son édition, nul contrefacteur n'a voulu, par dessein ou par nonchalance, la reproduire. Les prudences de Malesherbes n'ont pas été suivies par les scrupules du commerce ; c'est dire qu'elles furent dédaignées par l'opinion.
Surtout ces longues et monotones recherches n'au- raient pas été vaines quand elles ne nous auraient donné qu'un seul chiffre : cinquante éditions de la Nouvelle Hé- /oi'se publiées collectivement ou séparément avant 1800. Et même plus ces listes d'éditions s'allongent, plus elles risquent d'être incomplètes. Qu'un ouvrage ait eu une, deux ou trois éditions, il y a chance fort souvent pour qu'on arrive à ne pas s'y tromper. Qu'il en ait eu cin- quante, cela signifie que d'innombrables lecteurs l'ont demandé à leurs libraires ; cela signifie aussi qu'en présence de ces demandes, partout ou il y avait un édi- teur audacieux, dans l'absolue liberté où Ton était de contrefaire un ouvrage imprimé en Hollande, il y a eu tentation de contrefaçon, il y a eu bien souvent contre- façon. C'est dix. vingt, trente de ces éditions de pro- vince ou de l'étranger qui nous ont assurément échappé. En quarante ans il y a donc eu plus de soixante tirages de la Nouvelle Héloïse. La seule première édition a été tirée pour le moins à quatre mille exemplaires. Il n'est pas de roman contemporain de Rousseau qui ait clai- rement dépassé le dixième de ce chiffre. Il n'est peut- être pas d'autre ouvrage qui l'ait atteint. Si l'on y joint tout ce que nous apprennent les jugements des critiques et des journalistes, les anecdotes des Mémoi-
8
114 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
res, la correspondance pittoresque de la Bib. de Neuchà- tel, il s'avère qu'il n'est pas d'œuvre littéraire au XVIII* siècle qui ait contribué plus clairement que le roman de Rousseau à pétrir les âmes françaises.
Enfin retenons que la publication de la Nouvelle Héloïse offre un intérêt incomparable pour l'étude des relations entre les auteurs, les éditeurs et le gouverne- ment dans la deuxième moitié du XVIIP siècle. Grâce aux lettres de Rousseau à Rey, publiées par Bosscha, grâce aux lettres de Malesherbes et de Rey publiées par Streckeisen-Moultou ou conservées à Neuchàtel, il n'est pas d'ouvrage au XVIIP siècle, à beaucoup près, dont nous puissions suivre aussi clairement les aven- tures jusqu'au jour de la mise en vente. La Noui'elle Héloïse est l'exemple le plus favorable d'un ouvrage imprimé à l'étranger mais officieusement autorisé. Malesherbes sert d'intermédiaire pour les épreuves; il autorise l'entrée des ballots en France. Pourtant que de craintes et que de risques pour Rey. Le port des pa- quets d'épreuves est extrêmement coûteux. Quand le marché est fait avec Rousseau, rien ne prouve que la vente en France sera tolérée. Lorsque Malesherbes, parce qu'il est Malesherbes et que l'auteur est Rous- seau, autorise Robin à recevoir les ballots, rien ne dé- fend Robin contre la concurrence d'une contrefaçon vendue aisément à meilleur compte; rien ne lui assure la vente de ses deux mille exemplaires et ne promet à Rey qu'il sera payé. En fait ce n'est plus deux mille exemplaires qu'il faudra vendre, mais trois mille, puis- que mille sont réimprimés à Paris. Et de toutes parts, à Lyon, Rouen, Hambourg, Genève, etc.. les contre- façons se multiplient sans que, ni en droit ni en fait.
PREMIÈRES EDITIONS DE LA NOUVELLE HELOISE I 1 D
les autorités ne puissent ni ne veuillent s'y opposer. Rey gagna assurément de l'argent. Mais l'entreprise, avant le succès, n'était pas, il faut le dire, tout à fait sûre. Les quatre-vingt-dix louis neufs promis à Rous- seau n'étaient pas la somme dérisoire qu'il nous semble. On ne croit plus aujourd'hui que la censure, la Sor- bonne et le Parlement n'étaient pour les écrivains que de vains fantômes et la Bastille une aimable villégiature^. Mais n'eussent-ils tenu sur la tête des auteurs que des foudres de clinquant qu'ils eussent encore gardé des armes aisément efficaces. Par les privilèges et les tolé- rances, par les poursuites et les entraves de la vente et du colportage, ils frappaient les éditeurs à la bourse ; ils opposaient ainsi aux auteurs une des plus solides barrières, celle de l'argent.
1 Voir notamment les éludes de M. Lanson sur l'affaire de VEmile (An- nales, igoS, pp. 95-1 36) et de M. Keim, sur celle de VEsprit d'Helvétius (Helvétius, sa vie et son Œuvre. Paris, Alcan, 1907, Ch. XV.)
(Voir à la page suij>ante le tableau des filiations.)
ii6
ANNALES DE LA SOCIETE J. J ROUSSEAU
5 4-5-6 -7-[l5]
XV
10-12-u wvn
XIX
I
XX
XATD 21
^^
z
I
XXXI
n
I
im
29 SiMïï XXV
xxxn
XXXm - 35 - 54 XXXVI -XXX\T1-
[49] - [50] - 38-
XL - XLI - XLO- 'XLIII-[44] - [51]
ixxix
Nous désignons par A l'exemplaire corrigé envoyé à Rey par Rousseau; par Z l'exemplaire corrigé de la Chambre des députés; par M les manuscrits. — Les chiffres renvoient aux numéros d'or- dre de nos descriptions. Nous réunissons par une accolade les éditions qui dilVérent seulement par des détails de pages de titres, formats, — Nous plaçons sous une accolade les éditions pour lesquelles il était sans intérêt de rechercher les filiations intermé- diaires ; elles peuvent donc être établies parfois les unes sur les autres et non ilirectement sur l'édition d'origine. — I-es éditions entre crochets n'ont pas ete étudiées sur exemplaires. Leur clas- sement est donc hypothétique.
Les lignes pointillées indiquent rinterveniion secondaire d'étii- tions; le sens des flèches indique le sens des emprunts.
Les corrections n'ayant pas été possibles sur ce tableau cliché. précisons que 45 utilise secondairement XXII et XXXIX, XI A'I uti- lise M. XLVII utilise 1 et M, LU utilise i, XLVII et M.
PREMIERES EDITIONS DE LA NOUVELLE HÉLOISE II7
Pour plus de commodité nous résumons ci-dessous la significa- tion des chiffres.
1 Rej'' lyôi
2 Rey 1761 (cartouches et
vignettes)
3 Rey (édition de Paris)
Rey, Contrefaçons :
4 Amsterdam 1761
5 Genève 1761
6 Amsterdam 1762
7 Lausanne 1762
8 Amsterdam 1765
9 Amsterdam 1770
11 Amsterdam 1775
12 [Amsterdam 1778] i3 [La Haye 1762]
14 [Amsterdam 1771]
XV Duchesne ij64 XVI Duchesne 1764 {1770) in-80 XVII Duchesne 1764 (1770) in-i2 XVIII Paris 1788 XIX Londres 1774 XX Genève-Paris 1790 21 Paris 1799
XXII Rey iy63
23 Contrefaçon Rey 1765
XXIV Contrefaçon Rey 1770
XXV Contrefaçon Rev 1776
XXVI Rev 1767 |
XXVII Rey 1769 |
XXVIII Contrefaçon Rey 1773 |
29 Amsterdam 1791 |
XXX Neuchàtel 1775 |
XXXI Genève i-jSo in-4'^ |
XXXII Genève 1780 in-80 |
XXXIII Genève 1780 in-12 |
34 Genève 1780 in-12 |
35 Londres 1781 in-80 |
XXXVI Deux-Ponts 1783 |
XXXVII Société littéraire 1783 |
38 Genève 1788 |
XXXIX Paris (Mercier) 1788 |
XL Paris 1791 |
XLI Paris 1793 |
XLII Lausanne 1704 |
XLIII Bàle 1795 |
44 [Leipzig 1796I |
45 Lausanne 1792 |
XLVI Defei-, Didot ijg3 XLVII Didot 1801 XLVIII Didot 1796
49 [Genève 1786]
50 [Genève 1787] 5i [Paris 1799I
LU Petitain LUI Musset-Pathav
Daniel Mornet.
RECHERCHES SUR LES
SOURCES DU DISCOURS
DE UINÉGALITÉ
[oTRE but est d'expliquer la formation du Discours de l'Inégalité. Cette étude com- prend deux parties. D'abord, nous repla- çons Rousseau dans le milieu intellectuel vivant où il pensait et réagissait. On peut dire que Condillac et Diderot sont, à ce moment, les deux écri- vains avec lesquels Rousseau est le plus lié et dont il subit le plus l'influence ^ Les influences vivantes pous- sent Rousseau à certaines lectures de livres déjà an- ciens. C'est la question des sources «livresques», qui formera la deuxième partie de cette étude -.
* Nous constaterons des sources « livresques»; des influences ; des états d'esprit identiques; des développements imprévus de germes très pe- tits; nous parcourrons la gamme des déformations volontaires ou invo- lontaires que subissent les idées en passant d'un esprit dans un autre ; la parole exprime plus d'idées que le livre. Diderot discourant sur Vln- terprétation de la nature dut dépasser son ouvrage, remplaçant les hypothèses par des affirmations et surtout mêlant au livre actuel les préoccupations du livre prochain, et peut-être ses conclusions. 11 serait cependant d'une mauvaise méthode de substituer au livre réel, que nous tenons, un livre parlé hypothétique. Pour nous, le bilan d'idées de Condillac est constitué uniquement par tout ce qu'il a écrit avant cette date. Les ouvrages postérieurs ne servent qu'à éclairer et non à aug- menter ce système d'idées.
2 Ici les rapports d'expressions, de vocabulaire, sont les seules preu- ves d'une lecture. Nous ne prétendons pas faire ici un dénombrement
I20 ANNALES DE LA SOCIETE .1. J. ROUSSEAU
Diderot et le Discours de l'Inégalité.
Y eut-il insertion de morceaux composés par Diderot dans le Discours de Rousseau? Y eut-il seulement des indications générales^ données par Diderot à Rousseau ? Nous tenons pour la seconde hypothèse.
Première hypothèse : Sa critique.
Tout est dit sur la conversation de Diderot. Il était dans un perpétuel état «d'incandescence^»; s'emportant sur n'importe quel sujet, il construisait en une heure le plan d'un livre. En 1754, devant le président De Brosses, il discourt pendant quatre heures, avec « quel- ques digressions. » Ses bavardages sont la cause de son emprisonnement : le mouchard Perrault l'a en- tendu chez son logeur (kiillot parler avec « mépris des saints mistaires (sic) de notre religion^». Le Curé de St-Médard, Hardy, fournit sur lui une dénonciation en règle, mais reconnaît a que sa conversation est des plus amusantes.» Il a une sorte de manie pédagogique. C( C'est un philosophe qui instruit la jeunesse*.» Dans l'Encyclopédie, il professe. Aussi est-il un furieux don- complet. Nous connaissons les lacunes de ce travail. L'influence de Montesquieu est laissée de côté, celle de Hobbes indiquée, celle de Montaigne dispersée. Nous avons seulement voulu donner les premiers éléments d'une étude explicative. ' Schérer, Diderot, p. 45 et sq.
* Bibl. Nat. ms. l'iii n. a. fr.
* M"« de L'Espinasse, citée par Schcrcr, p. 4.5.
SOURCES DU DISCOURS DE L INEGALITE 121
neur de conseils, mais il s'en tient à des indications générales, à des plans que d'autres, qui ont le temps, rempliront: il a le prospectus facile. Personne, mieux ■que lui, n'indique le but. et les chemins; nul n'est moins apte à les suivre d'un pied patienta Diderot a •dû prodiguer à Rousseau de tels coiiseils.
Mais on accuse Diderot de collaboratioyi précise. Pour d'autres cas, Diderot lui-même a fait des aveux : « Il y a dans les Observations de l'abbé Desfontaines plusieurs morceaux de ma façon-.» Voilà une présomp- tion pour croire à l'insertion de quelques pages de Diderot. M. Assézat n'hésite pas à introduire dans les (euvres de Diderot plusieurs passages du Discours^ et la part faite à Diderot est belle. ^
Une critique du texte du Discours permet de rendre à Rousseau huit lignes de ce passage : « Semblable au
sanguinaire Sylla quae Lier y mas
dédit», qui n'apparaissent dans le texte qu'en 1782. Cette addition doit se rapporter à la période où Rous- seau préparait la Lettre sur les spectacles. Car on y re- trouve le fragment textuel, sauf la citation*. De plus l'anecdote relative à Alexandre de Phères est dans Montaigne^, que Rousseau lisait beaucoup.
Mais voici des aveux du seul Rousseau. Car Diderot (et Marmontel) si bavards sur le premier Discours,
' Cf. surtout les Pensées siii- l Interprétation de la Sature et l'article Art de V Encyclopédie.
* Lettre de Diderot, 10 août 1749. Mss. cités de la B. N. Ce sont les Observations sur les Ecrits modernes, 1742-43.
'Les pages 99-100 de l'édit. Hachette: «Tel est le pur mouvement de la nature. . . Il est donc bien certain. »
* Edit. de Du Peyrou. Lettre sur les spectacles I, p. 193.
* Essais III, XXVII. Début. « Alexandre, tyran de Phères, ne pouvoit souffrir d'ouyr au Théâtre le ieu des tragédies de peur que ses citoyens
122 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
sont muets sur le second. C'est d'abord une note du Livre VIII des Co7ifessions :
...De ces méditations résulta le Discours de l'Inégalité, ouvrage qui fut plus du goût de Diderot que tous mes autres écrits, et pour lequel ses conseils me furent le plus utiles....*
' Dans le tems où j'écrivois ceci, je n'avois encore aucun soup- çon du grand complot de Diderot et de Grimm: sans quoi j'aurois aisément reconnu combien le premier abusoit de ma confiance, pour donner à mes écrits ce ton dur et cet air noir qu'ils n'eurent plus quand il cessa de me diriger. Le morceau du philosophe qui s'argumente en se bouchant les oreilles pour s'endurcir aux plain- tes d'un malheureux est de sa façon ; et il m'en avoit fourni d'au- tres plus forts encore, que je ne pus me résoudre à employer. Mais attribuant uniquement cette humeur noire à celle que lui avoit donnée le Donjon de Vincennes, et dont on retrouve dans son Clairval une assez forte dose, il ne me vint jamais à l'esprit d'y soupçonner la moindre méchanceté.
Dans le texte^ il s'agit de conseils, dans la note de l'insertion d'un morceau de la façon de Diderot. Or il ne paraît pas douteux que la note est postérieure à la rédaction de ce livre des Confessions. La formule qui l'introduit le prouve: «Dans le temps que j'écrivais ceci...», et cet argument a suffi à M, Jansen^
L'examen du manuscrit de Paris, que l'on s'accorde à considérer comme la première rédaction des Confes- sions, achève la démonstration. La note est placée lon- gitudinalement dans la marine, quand d'autres notes sont placées naturellement au bas des pages". Ainsi
ne le veissent gémir aux malheurs d'Hecuba et dAndromache, lui qui, sans pitié, faisoit cruellement meurtrir tant de gents touts les jours».
' Fragments inédits de ./. J . Rousseau, p. 77.
2 Cf. p. 77, 86, 102, 125 du nis. de Paris. La note n'est point écrite de- là même encre que le texte (J. B. Morin, Essai sur la rie et le carac- tère de Rousseau, p. ^<)3.) Nous n'affirmons pas avec cet auteur que le texte est à l'encre de Chine et la note à l'encre ordinaire. La note pa- raît écrite avec de l'encre de Chine beaucoup plus diluée que celle du texte : le texte est resté d'un noir brillant, la note est grise : l'encre ordi- naire passée tire plutôt sur le roux que sur le gris.
SOURCES DU DISCOURS DE l'iNÉGALITÉ 123
le souvenir d'une collaboration précise de Diderot ne s'est point d'abord présenté à Rousseau. La note des Confessions — dont on fait argument — est surajoutée. Quel mobile poussa Rousseau à l'écrire? La mention du grand complot de Diderot et de Grimm fait soupçon- ner l'imagination d'un malade.
Entre le texte des Confessions et l'addition de cette note, on doit sans doute placer une lettre à M. de S^ Ger- main ^ Du moins y a-t-il entre la lettre et la note des rapports d'expression si étroits que l'une et l'autre appartiennent, chez Rousseau, au même état d'esprit. Trois notes de la lettre contiennent la note unique des Confessions :
« On sent dans les ouvrages que j'écrivais à Paris, la bile d'un homme importuné du tracas de cette grande ville...*»
Et en note :
«Ajoutez les impulsions continuelles de Diderot qui, soit qu'il ne pût oublier le Donjon de Vincennes, soit avec le projet déjà formé de me rendre odieux, m'allait sans cesse excitant et stimu- lant aux sarcasmes. «
Puis ^, pour prouver sa vertu à ses calomniateurs, il leur présente son Discours de l'Inégalité, et en note :
« En retranchant quelques morceaux de la façon de Diderot, qu'il m'y fit insérer malgré moi. // en avait ajouté de plus durs* encore; mais je ne pus me résoudre à les employer. >
Enfin, montrant comme il était aisé à Diderot de fabriquer de fausses pièces pour les lui attribuer, il
26
1 T. XII, p. 180 sq., du 17 — 70 (26 fév. 1770.)
'T. XII, p. 187. Je souligne les passages qui sont dans la note des Confessions. 3 Ibid, p. 188. * Variante des Confessions: au lieu de [durs] on lit [forts].
Î24 ANNALES DE LA SOCIETE .[. .1. ROUSSEAU
rappelle les emprunts qu'il lui rit, impossibles à recon- naître quant au style : mais en note^:
« Quant aux pensées, celles qu'il a eu la bonté de me prêter et que j"ai eu la bêtise d'adopter sont bien faciles à distinguer des miennes, comme on peut voir dans celle du philosophe qui s'ar- ^umente^ en enfonçant son bonnet sur ses oreilles; car ce mor- ceau est de lui tout entier. Il est certain que M. Diderot abusa tou- jours de ma confiance et de ma facilité, pour donner à mes écrits ce ton dur et cet air noir qu'ils n'eurent plus sitôt qu'il cessa de )ne diriger et que je fus tout a fait livré à moi-même.
Notons la progression de ces notes : Rousseau glisse du conseil au conseil pertide, du conseil pertide à l'in- sertion de morceaux entiers. Ce sont d'abord de a sim- ples impulsions », puis « quelques morceaux» qui ne sont pas désignés ; enfin l'idée arrive à la précision : « le mor- ceau du philosophe qui s'argumente est de lui tout en- tier. » Au reste, à travers la lettre, croît l'exaltation de Rousseau : c'est le détraquement : les griefs s'accumu- lent; les ennemis surgissent: Choiseul «l'enlace de satel- lites» et «d'espions malveillants». Et — trait qui sonne la folie — «les planchers ont des yeux, les murs des oreilles. » On lui vole ses lettres, et toute encre lisible ; sa botanique est une science d'empoisonneur; M. de Mon- tégut a brisé sa carrière ; M'"'-' de Boufflers, maîtresse d'un prince, le hait, parce que lui, Rousseau, accueil- lit froidement ses avances. M'"*-' de Luxembourg le hait ; Tronchin, d'Holbach le haïssent; Diderot veut l'arra- cher à la solitude où son àme se pacifie; Diderot gâte son plus vertueux ouvrage, le Discours de l'Inégalité.
Les persécutions de VEmile ont affolé Rousseau. Lorsque le bruit en est apaisé, c'est la conspiration
1 Ibid, p. i(j2.
2 Confessions : [en se bouchant les oreilles.]
SOURCES DU DISCOURS DE I. INEGALITE ] 2D
du silence : que machinent-ils? Selon M'"*" Macdonald^ il est possible que Diderot ait. dès cette époque, com- mencé à remanier les Mémoires de M'"^ d'Epinay. Oui ! les fausses pièces se fabriquent dans le mystère. Une idée fixe se forme chez Rousseau : on falsifie, à son insu, ses livres. « Ils mont attribué des écrits abomina- bles qu'ils ont fabriqués, imitant le style et la main". » Dans les Dialoi^ues. il écrira : «Cet argument tiré de ses livres a toujours inquiété nos messieurs... ils en ont entrepris la falsification...^» Cette machination est- elle possible? — Certainement, et voici l'argument : Diderot y a la main faite : styliste habile, ami de Rous- seau, aristarque de jadis, conseilleur intarissable, il est désigné pour cette besogne : la preuve, c'est que le c( morceau du philosophe qui s'argumente est de lui. »
Il y a unité de ton entre la lettre à M. de S^ Ger- main et la note des Confessions. Ne peut-on former l'hypothèse que l'une et l'autre sont écrites par unper- sécuté à idée Jîxe':
L'intluence de Diderot n'est pas très sensible dans ce «morceau». Sans doute Rousseau }' montre en ger- me toutes les vertus sociales, et cela paraît bien dans les idées du traducteur de Shaftesbur}'. Mais l'influence de Mandeville y est prédominante et avouée; mais la théo- rie de la pitié, conçue comme une identification avec l'a- nimal souffrant, n'est pas celle de Diderot, qui a adopté celle de Shaftesbury •* : que la vue immédiate de l'ob- jet souffrant dans tous ses détails nous rend pitova-
1 Cf. La Revue, août U)o6. Le livre a depuis paru en Angleterre et a été traduit en français (chez Hachette.)
2 Lettre citée, à M. de S'-Germain.
•'' P. 3o3-3o4. Cf. la lettre du 14 juin 1772, à Rey. * Diderot. Edit. Assézat, t. I, p. 91, et I, p. 289.
126 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1, J. ROUSSEAU
bles : Diderot soupçonne les aveugles d'inhumanité. Mais ce n'est pas la première fois que Rousseau peint l'insensibilité philosophique, il a écrit dans la Préface de Narcisse :
« Le goût de la philosophie relâche tous les liens de... bienveil- lance qui attachent les hommes à la société, et c'est peut-être le plus dangereux des maux qu'elle engendre. » Le philosophe finit « par mépriser les hommes... » « Bientôt il réunit dans sa personne tout l'intérêt que les hommes vertueux partagent avec leurs sem- blables. Son mépris pour les autres hommes tourne au profit de son orgueil : son amour-propre augmente dans la même pro- portion que son indifférence pour le reste de l'univers. La famille, la Patrie, deviennent pour lui des mots vides de sens ; il n'est ni parent, ni citoyen, ni homme; il est philosophe.'»
Deuxième hypothèse : Influence générale de Diderot.
Nous comparons ici les idées exprimées par Diderot avant 1754, avec celles du Discours de l'Inégalité. Nous ne conclurons pas toujours de l'identité à la tiliation. Une influence subie à la fois par les deux écrivains est souvent plus probable ".
L'Inslijict Social. — L'homme, tel qu'il apparaît dans les premières œuvres de Diderot, est un animal social, dont le bonheur et la vertu résident dans la Société : le bonheur individuel et le bonheur social doivent s'harmoniser, et se confondre en fait. Ces idées semblent en contradiction avec celles du Discours, dont on a fait une œuvre individualiste. Le caractère de Rousseau est pour beaucoup dans cette interprétation*. Mais distinguons le caractère et les idées. On peut montrer que le primitif de Vliiégalité est sociable.
> Fin 1732. C(. Discours, p. 100. «C'est la philosophie qui l'isole, etc.» * Cf. notre introduction et ses notes, p. 1 18-19.
3 Cf. Diderot, lettre à Rousseau, fin 1756. «C'est un étrange citoyen qu'un ermite. »
SOURCES DU DISCOURS DE L INEGALITE I27
Tout être, selon Shaftesbury, traduit par Diderot' fait partie d'un système, où il joue un rôle de conser- vation. On ne peut donner l'épithète de «bon» à une « créature parfaitement isolée, à l'abri de tout ce qui pourrait émouvoir ses passions» à moins de la suppo- ser « parfaite » et en « relation avec elle-même », Mais dès qu'on peut considérer «ce vivant automate» comme « faisant partie d'un système de la nature », on voit que par « sa solitude et son inaction, il tend directe- ment à la ruine de son espèce» et dès lors, il devient impossible de décorer un tel être du titre de bon. Ainsi le monde peut être considéré comme une série de sys- tèmes, et même les systèmes se pénétrent l'un l'autre.
« Toute une espèce peut contribuer à l'existence ou au bien être d'une autre espèce... L'existence de la mouche est nécessaire à la subsistance de l'araignée ; aussi, le vol étourdi, la structure délicate de l'un de ces insectes ne le destinent pas moins évidemment à être la proie, que la force, la vigilance et l'adresse de l'autre à être le prédateur. »
Et Rousseau écrit qu'aucun animal ne témoigne con- tre l'homme de ces antipathies qui annoncent qu'une espèce est destinée par la nature à servir de pâture à
' Principes de la Philosophie morale ou Essai sur le Mérite et la Vertu, avec Réflexions, Amsterdam, 1745. Assézat, t. I, p. 24-27. Précau- tions à prendre avant d'attribuer à Diderot les idées de VEssai sur le Mérite de Shaftesbury : Si l'on en croit la préface de Diderot, il aurait transformé le livre anglais. Il n'en est rien. Le texte est traduit exac- tement. Les notes sont plus originales. Sur quarante-huit notes, qua- rante-deux sont de Diderot. Il y adopte la morale sociale de Shaftesbury, en forçant l'importance de la Société. Il ajoute une apologie de la pas- sion et une critique religieuse; il cite souvent Shaftesbury dans des ou- vrages ultérieurs. Le texte cité ici est dans V Encyclopédie, art. Célibat. Notre règle, pour VEssai sur le Mérite, est de n'utiliser que les notes qui sont de Diderot, ou les passages qu'il a cités dans d'autres ou- vrages.
128 ANNALES DE I.A SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
Tautre ^; et il utilise l'antagonisme entre l'individu et l'es- pèce ^.
Mais Diderot ne perd point l'individu dans l'espèce, ni ne donne le pas aux tendances sociales. « Fais en sorte que toutes tes actions tendent à la conservation de toi-même, et à la conservation des autres, c'est le cri de la nature^.» Cette combinaison est dans Rous- seau : il y ^ dans l'homme c( deux principes... dont l'un nous intéresse ardemment à la conservation de nous- mêmes», et l'autre nous inspire une répugnance natu-^ relie à voir périr* «nos semblables». L'homme de la na- ture vit insociable, ou plutôt n'a que rarement à résou- dre les problèmes de la sociabilité. Sans doute Rous- seau se défend de faire intervenir la notion de sociabi- lité. Mais la Pitié tient la place des Aifections Sociales : C'est la sociabilité en germe. Elle se développera : J, de Castillon l'a très bien vu^: il refuse la sociabilité à l'homme pour la lui rendre sous forme de pitié, « De cette seule qualité, dit Rousseau, découlent toutes les. vertus sociales". »
l^ref, sur ce texte de Shaftcsbur}^ :
« Qu'une créature sensible puisse naitre si mal constituée que la connaissance des objets qui sont à sa portée n'excite en elle aucune afTection. qu'elle soit orit;inellement incapable d'amour,
1 Discours, p. 86.
' Ibid. ; p. iio. Les progrès «ont été, en apparence, autant de pas vers la perfection de l'individu, et, en effet, vers la décrépitude de l'Es- pèce. »
' Encycl., art. Conservation .
* Disc, p. 8i. Cf. p. 100. «La pitié est un sentiment naturel qui mo- dérant dans chaque individu l'amour de soi-même concourt à la consL-r- vation mutuelle de l'Espèce.» Cf. p. 98.
* Cf. son Discours sur l'origine de l'Inégalité parmi les hommes, p. 8cS. — Cf. la Profession de Foi, t. II, p. 261-62 : « Mais si l'homme est socia- ble par nature, ou du moins fait pour le devenir...»
* Cf. la suite : énumération des vertus qui procèdent de la pitié.
SOURCES DU DISCOURS DE [.INEGALITE 1 2()
-de pitié, de reconnaissance et de toute autre passion sociale; c'est une hypothèse chimérique; qu'une créature raisonnable ait senti l'impression des objets proportionnés à ses facultés; que les ima- ges de la justice, de la générosité, des autres vertus se soient gra- vées dans son esprit, et qu'elle n'ait éprouvé aucun penchant pour ■CCS qualités... c'est une autre chimère'. »
Rousseau a fait deux rêduclioiis : i" II suppiime la créature raisonnable, pour ne garder que la créature sensible. 2° Il a réduit les passions sociales, multipliées par Shaftesbur}^ à une seule, d'où naissent les autres. L'homme, créature sensible. — Grâce à Diderot, Rousseau regarde la sensibilité comme suffisante à la vie, au bonheur, et à la vertu-. C'est une des idées ■chères à Diderot que la réhabilitation de la passion. «On croirait, dit-il, faire injure à la Raison, si l'on disait un mot en faveur de ses rivales.^» Et il se fait, sui- vant un mot de Grimm, l'apologiste des passions*. Dans les Pensées philosophiques il attaque les morales ra- tionnelles et chrétiennes : «On déclame sans fin contre les Passions et on oublie qu'elles sont la source de tous nos plaisirs... Il faut avoir de fortes passions, à l'unis- son. » Elles font de grandes choses^. Dans V Essai, il avait dégagé l'importance de la sensibilité, moteur de l'être vivant : « Toute action de l'animal considéré comme animal part d'une affection, d'un penchant ou d'une passion qui le meut... l'amour, la crainte, ou la haine..."» C'est dans le même ordre d'idées que Rous-
' Essai, I, p. 43.
^ y oy ez Discoiits, p. 82.
■■ Pensées philos., I.
♦ Les notes qu'il ajoute à l'Essai de Shaftesbury, portent la trace de cet iitat d'esprit. Cf. surtout Essai, I, p. 2?.
* Pensées philos., I, IV, V.
« Essai, p. 70, t. I. Ce passage de VEssai sur le Mérite est une des rares additions faites par Diderot au texte même de l'auteur.
9
l3o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
seau écrit : « Quoi qu'en disent les moralistes, l'enten- dement humain doit beaucoup aux passions... C'est par leur activité que la raison se perfectionne..^» Il fait Tapologie de la morale du sentiment : celle de la Pi- tié. On peut acquérir la vertu par raison, mais il v a longtemps que le genre humain ne serait plus si sa conservation eût dépendu des raisonnements 2, Pour- tant Rousseau reste l'adversaire de la passion. Diderot se vante d'aimer «très passionnément sa maîtresse-''» et Rousseau fait une peinture sombre de l'amour «pas- sion terrible», «rage effrénée et brutale''». Le bonheur de l'homme primitif procède de ce qu'il a peu de pas- sions, et «peu actives ^ » C'est qu'il subit, plus qu'il ne le dit, l'influence des moralistes chrétiens et qu'en dé- fenseur logique de l'homme primitif il n"admet la pas- sion qu'en tant qu'impulsion de la nature et besoin physique.
Ses apologies de la passion ne sont que la contre- partie des critiques contre les lumières et la société. A cette affirmation de Diderot : « la passion, le senti- ment, peuvent constituer une morale». Rousseau subs- titue celle-ci : « la passion naturelle^ le sentiment na- turel peuvent constituer une vie heureuse et bonne. »
Recherche, par une méthode a posterioi'i. d'un déve- loppement historicjue de l'I'Are humain. — (^ette idée que la Vérité sort des faits, et qu'elle n'est point un sys-
' Discours, p. loo. Cf. la suite : « El il n'est pas possible de concevc>ir pourquoi celui qui n'aurait ni désir, ni crainte, se donnerait la peine de raisonner. »
2 Discours, p. loo. Cl. tout le passage.
■' Essai, I, p. 23 .
* Discours, p. 101-102.
* Discours, p. 100. Cf. p. 144.
* Discours, p. (ji .
SOURCES DU DISCOURS DE L INECAIJ'J )•; IJl
tème abstrait, construit à la mode des géomètres; celle de la toute puissance du fait, vainqueur des théo- ries spécieuses; voilà la «grande Révolution dans les sciences^» à laquelle assistent les hommes du milieu du dix-huitième siècle. Les Pensées sur rinlerpréialion de la Nature formulent les nouvelles l'ègles de la Science. Diderot pronostique la disparition du géomè- tre, à voii" son siècle se jetei" dans Vhistoire expéri- mentale de la Nature'-. Rousseau a cherché à donner Vhistoire expérimentale des Sociétés. Il procède en so- ciologue qui observe et conjecture sur des observations. (3n peut lui appliquer cette formule de Diderot : «Nous avons trois moyens principaux : l'Observation de la Nature, la Réflexion et l'Expérience. L'Observation re- cueille les faits, la Réflexion les combine, l'Expérience vérifie les résultats de la combinaison.))
Rousseau recueille des faits relatifs aux civilisations primitives, ce n'est pas douteux ^\ Ce constant appel aux Relations de voyages, à l'Histoire Naturelle, est si- gnificatif. Il rêve, en termes scientifiques, l'expérience, décisive :
« ... Quelles expériences seraient nécessaires pour connaître rhomme naturel; et quels sont les moyens de faire ces expérien- ces dans le sein de la société ». Il ose <> affirmer d'avance que les plus grands savants ne seraient pas trop bons pour diriger ces expériences*»
1 Pensées sur l'Interprétation de la Nature, II, VIII, XX. — Ibid., IV
- Pensées sur l'Interprétation de la Nature. \ et IV.
■' Cf. infra, dernier chapitre.
* Discours, p. 8'}. Rousseau parle de << déterminer exactement les précautions à prendre pour faire sur ce sujet de solides observations... » Mais il laisse le problème aux Aristotes et aux Plines de son temps. Il songe à Maupertuis, qui a conçu l'idée de telles expériences. En lin- guistique, en psychologie, en métaphysique, la méthode, selon lui, serait féconde: «Deux ou trois enfants élevés ensemble dès le plus bas âge sans aucun commerce avec les autres hommes, se feraient assur-é
1.-12 ANNALES DE I.A SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
Cette méthode directe n'est pas pratique. Mais reste possible une combinaison rétiéchie des faits, une sorte de reconstruction historique^ — et conjecturale, — mais vraisemblable.
Or nous sommes en présence d'tm très petit nombi'e de faits : une méthode s'impose, dont Rousseau marque la parenté avec la méthode historique:
Deux faits étant donnés comme réels à lier par une suite de faits intermédiaires inconnus ou regardés tels, c'est à l'Histoire, quand on l'a, de donner les faits semblables qui lient, c'est a la philosophie a son défaut de determinei" les faits semblables qui peuvent les lier.
Il y a « plusieuis explications de la manière dont les faits se sont produits», il est impossible de leur don- ner « le degré de certitude des faits», mais ce sont «les plus probables.» Donc, la Réflexion philosophi- que, nécessairement «conjecturale)!, «tirée de la na- ture même des choses» est le seul mo3'en «de décou- vrir la vérité'-.» l^ir là on détermine et on rapproche les hasards qui ont perfectionné l'être humain, Dide- j"ot précise cette méthode-':
" .Souvent, dil-il, on ignoie l'origine d"Lin art mécanique ou Ton n'a que des connaissances vagues sur ses progrès. Dans ces occa- .sions, il faut recourir à des suppositions philosophiques, partir
jnciit une laiiguc. l'our que rexpérieiice fût complète, il faudrait former des sociétés pareilles plus nombreuses, et les former denfants de difl'é- rentes nations : il faudrait surtout que ces petits peuples n'apprissent aucune autre langue. Cette expérience pourrait nous apprendre bien autre chose sur l'origine des idées même... Après tant de siècles. . . pen- dant lesquels, malgré les eflbrts des plus grands hommes, nos connais- sances métaphysiques n'ont pas fait le moindre progrès, ce ne saurait être que par des moyens nouveaux, et aussi extraordinaires que ceux- ci» qu'on y arriverait. (Maupertuis, Œumes complûtes, p, 35o-5i, Lettre sur le progrès des sciences.)
1 Le mot est prononcé par Rousseau, Discours, p. 8J>.
2 Pour ces textes, Discours, p. \o.< et p. 104. •' Encyclopédie, art. Art.
SOURCES nu mscouus dk l'inégalité i 33
de quelque hypothèse vraisemblable, de quelque événemeni pre- mier et fortuit et s'avancer ainsi jusqu'où l'art a été poussé. » » Si l'on ii»norait l'origine et les progrès de la papeterie, que ferait un philosophe qui se proposerait d'écrire l'histoire de cet art? Il sup- poserait qu'un morceau de linge est tombé par hasard dans un vaisseau plein d'eau, etc »
C'est là, selon le mot de Diderot, une dialectique. Rousseau l'emploie lorsqu'il explique l'origine des arts^ et dans l'ensemble du discours. Elle s'écarte beaucoup de la pure observation.
C'est une preuve que l'on est mal guéri des svstè- mes. Entre la théorie et l'application, du temps s'éciu- lera. On a beau vanter l'observateur patient- qui amasse les faits, on ne l'imite pas: on ne se résigne pas à ne pas conclure : le système reste la tin suprême et désirable, la raison d'être de l'expérience. Et on ne s'attaque point à des problèmes restreints, l'on esti- me que l'observation va fournir la solution des plus générales questions : origine et développement de l'es- prit, du monde, de la société, lois ph^'siques, moiales. chimiques, etc.
Par cette méthode analytique et expérimentale, pleine de sjmthèses prématurées, on constitue une notion nou- velle de la nature. Elle ne sera plus un tout actuel, immuable. Diderot « introduit l'idée de succession da?îs sa définition de la Nature. » La fixité des êtres et des choses n'est peut-être qu'une illusion due à la petitesse de la vie de l'homme, et à la lenteur des révolutions, étagées dans un temps sans limite^.
« Est-ce que les animaux ont toujours été et seront-ils toujours ce qu'ils sont.-» u Un individu commence, s'accroît, dure, dé-
' Cf. Discours, p. 1 1 1 .
2 Pensées sur l'Interprétation de la Sature, VIII.
■' Ibid., LVIII (questions).
1^4 ANNAi.Ks ni'i i.A s(m:ii':tk .i. j. kousseau
périt et passe ; n'en serait-il pas de même pour des espèces entiè- res. L'emhrvon forme des éléments premiers a passe par une in- finité d'organisations et de développements ; il a en, par succes- sion, du mouvement, de la sensation, des idées, de la pensée, de la réflexion, de la conscience, des sentiments, des passions, des signes, des gestes, des sons, des sons articidés. ime langue, des lois, des sciences et des arts : il s'est écoule des millions d'an- nées entre chacun de ses développements': il a peut-être d'au- tres développements à subir: il a eu, ou il aura un état station- naire : il s'éloigne ou s'éloignera de cet étal par un dépérissement éternel pendant lequel ses facultés sortiront de lui comme elles y étaient entrées : il disparaîtra poiu- jamais de la nature. ■■
Dans cette vision, qui n'est pas sans grandeur. Di- derot propose quatre idées : i" Idée de la vie d'iDie Espèce; 2" Fariatio)i du type physique de l'Homme; 1> De sou type meulal ; 4" Q/// se produiseul dajis uu temps éuorme ; ces idées ont enij;endie le Discours:
« Il V a une jetmesse du monde : l'espèce approche de sa décré- pitude... - ■'
dit Rousseau, et c'est la \ ie de cette espèce qu'il \eut retrouve!"^. La question des variations dti type phy- sique de rhonime est abordée de biais dans Rotisseau. Il parle de «l'intèi'èt qu'il y aiwait à examiner » Thoni- me «dans le premiei" embryon de rF'^spèce». mais il ne veut pas « stiivre son ori^anisation à ti"a\ei's ses dé- veloppements successifs... « Rotisseati « n'étudiera pas les changements qtu' ont dfi stuvenii" dans la conlor- mation tant extérieuie qu'intérietue de l'homme. » Mais dans les notes, il \- a (.les réponses à ces i.|uestions. La
' Celte idée que le lenips iiifuii reiui toutes les irausfunnalions pos- sibles est dans Bulloii. Mais BulVou ne l'a pas appliquée à l'hoininc. Nous ncii sommes pas au liulToii des I-ipoqucs (1774).
* Discours, p. i 10 et 84. (]f. sa réponse à lîonnct: « La société est natu- relle a l'espèce humaine comme la décrépitude à Tindividu.»
s Dlscuiirs, p. 84. Cf. uu texte de Grimm très intéressaiu pour l'in- lelligencc du Discours ICoir., \\\, p. 58 et sq.)
SOURCES DU DISCOURS Dl'i l/lNÉCiAI.ITK (35
note (3)^ traite d'après les données de Vncvialomie com- parée r> la question de l'homme quadrupède. Quant au développement moral de l'homme, le langage, par exem- ple, apparaît suivant la progression indiquée par Di- derot: «Signes, gestes, sons, sons articulés, langues... » Reste l'idée d'un temps extrêmement long. Rousseau lui aussi renonce à compter « les siècles qui s'écou- lèrent avant que les hommes puissent voir d'autre feu que celui du cieb», il «parcourt comme un trait ■des multitudes de siècles-». C'est ainsi que s'élabore l'idée de perfectibilité : on peut suivre le développe- ment historique de l'homme, pense Diderot. L'homme est capable d'un développement progressif, sous la pres- sion des circonstances : c'est la formule de Rousseau.
De telles audaces de pensée exposaient leurs au- teurs aux rancunes de l'Eglise. A ces recherches sur l'origine et le développement des choses, des êtres et des sociétés s'opposait le récit de la Genèse, et de toute la Bible. Son «Interprétation de la Nature» eût valu la Bastille à Diderot, s'il ne s'était enveloppé d'obscu- rité. Mais on se débarrassait du dogme par des conces- sions verbales; on affichait du respect pour les Vérités théologiques, et on présentait l'idée hardie comme une hypothèse. Une convention tacite entre le lecteur et l'au- teur remettait les choses au point, et l'excès de la sou- mission précisait ce que la pensée avait de nouveau. C'est un contre sens de prendre ces déclarations à la lettre.
Comparons certaines précautions de Diderot à quel- q ues passages du Discours. Diderot écrit :
' Je donne le numtjrotage des notes d"après ledit, princeps. Hachette. p. 127.
• Cf. Discours, p. 92-96-104.
\'M') ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
« Si la Foi ne nous apprenait pas que les animaux sont sortis des mains du Créateur tels que nous les voyons, le philosophe abandonné à ses conjectures... » «La religion nous épargne bien des écarts et des travaux; si elle ne nous avait point éclairés sur le système universel des êtres, combien d'hypothèses... que nous aurions été tentés de prendre pour le secret de la nature: ces hypothèses étant toutes également fausses nous auraient paru tou- tes à peu près également vraisemblables ^ » Et encore: «Dans le dessein où j'étais de développer la génération successive de nos connaissances, il eût été bien ridicule de choisir le premier hom- me à qui Dieu les avait accordées toutes par infusion. »
Mais, proteste Tadversaire, «est-il permis à un phi- losophe chrétien de raisonner sur des hypothèses arbi- traires qui contredisent les principes de la foi?» Et Diderot riposte - :
M Ayant à conduire l'homme depuis l'instant où il n"a pas d'i- dées, jusqu'à ce degré de perfection où il est instruit des profon- deurs mêmes de la religion : de ce point de nature imbécile, où il est en apparence au dessous de plusieurs animaux, jusqu'à cet état de dignité où il a pour ainsi dire la tête dans les cieu:^, et oii il est élevé par la révélation jusqu'au rang des intelligences céles- tes, je n'ai pu choisir pour modèle l'homme qui sortit parfait des mains de son créateur, et qui posséda \uï seul en un instant plus de hunière que toiue sa postérité réunie n'en acquerra dans tous les siècles à venir. »
Rappelons le début du Discours'^: létat de nature n'a pas existé! Le premier homme a lecu de Dieti lumières et préceptes : voilà ce que doit dire le philo- sophe chrétien. Ecartons tous les faits , les fails Ihéolo- giques) ce ne sont pas des vérités historiques lliisloirc, c'est la Bible!): ce sont des hypothèses, ce sont des conjectures. \'oilà bien des précautions a\ant de bous-
' Cf. Pensées sur l'Interprétation de la Sature. I.\'I1I.
* Apologie de la Thèse de l'abbé de Prades, I, 441,-432-45.4.
' Discours, p. 8^-84.
SOURCES DU DISCOURS DE L INEGAIJTK IJy
culer résolument le plan primitif de la cre'ation M ces concessions donnent au Discouî^s un air théorique : mais il ne faut pas s'y laisser prendre. Elles cachent un désir d'observation scientifique, une méthode, qui veut être expérimentale, une recherche, qui se croit trop vite heureuse, du fait historique et sociologique.
Faisons une large part aux influences subies en com- mun par Diderot et Rousseau : les travaux antérieurs de Diderot expliquent comment ces idées se sont formées chez lui : il vient de méditer Bacon pour sa préface de V Encyclopédie : pendant les loisirs de Vincennes. il s'occupait de rédiger des notes sur l'Histoire naturelle-. Rousseau est préoccupé de morale, de politique et de musique. Ces idées scientifiques devaient être plus précises chez Diderot que chez Rousseau. Si l'on réflé- chit que les Pensées sur V Interprétation de la Nature paraissent ei: pleine composition du Discours : que Rousseau dût être associé aux hardiesses de Diderot,
* Voici comment l'abbé Talbert (Cf. Vernes. Choix littéraire, t. \'I1, ou Migne, Collect. desOrat. sacrés, t. LXVI, p. 546 et sq.}, l'heureux con- current de Rousseau, dépeint, d'une manière orthodoxe, l'état de Nature: «Représentons-nous la nature humaine sortant des mains de son auteur, comme une fleur qu'une rosée pure et qu'un rayon bienfaisant vien- nent de faire éclore et dont la fraîcheur, le coloris et le parfum char- ment également.. . Fait pour connaître, l'homme connaissait sans erreur J il n'avait à craindre ni ténèbres, ni fausses lumières. Il voyait ce qui était bon, ce qui était juste; le cœur n'était point en contradiction avec l'esprit. Le penchant pour le bien était le seul goût qu'il connût, la vertu était son centre. Une volupté pure acquise sans travail, inaccessi- ble au trouble, à l'amertume. . . La terre toujours couverte de ses plus ri- ches vêtements s'empressait d'ouvrir son sein sous la main innocente qui la cultivait... Toutes les parties de l'univers concouraient à formerai! roi de la nature une demeure "digne de lui. Un air pur, inaltérable, et un soleil brillant donnaient une saison unique et tempérée, qui lui épargnait le soin de préparer à son corps des vêtements et des asiles, éloignant de lui la maladie, la douleur et cette foule de besoins qui en sont la suite. »
2 Cf. Lettre an gouverneur de Vincennes, 3o septembre 1749.
|3N ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
et à ses craintes de la censure, qu'il corrigea peut-être les épreuves avec son ami, ou se Ht lire les bonnes pa- ges, il n'est pas exagéré de dire que le Discours est le développement de la Pensée L VIII de Diderot.
Détail du développement intellectuel de lliomme et l'état de nature. — Ici, l'influence de Diderot est masquée par celle de Condillac. Pourtant la théorie de Rousseau sur la perfectibilité, doit à Diderot, qui écrit dans les Pensées sur l'Literprétation de la Nature: « Les facultés de l'homme sortiront de lui comme elles y étaient en- trées^; »
« 11 veut développer la génération successive de nos connais- sances. » « l/homme est au-dessous de la hète même dans la pas- sion, l'ivresse et la folie, semblable à la bête dans l'imbécilite, dans Tentance et la caducité, semblable à la bète farouche... chez le cannibale^. »
Diderot et Rousseau se rencontrent dans leur ps3xho- logie de Thomme primitif:
« Les miracles de la nature, dit Diderot, sont exposés à nos yeux longtemps avant que nous ayons assez de raison pour en être éclairés... Qui s'avise de s'émerveiller de ce qu'il voit depuis cin- quante ans... Les uns, occupés de leurs besoins n'ont guère eu le temps de se livrer aux spéculations métaphysiques... Les autres n'ont jamais eu l'occasion d'interroger la nature et n'ont pas eu l'esprit d'entendre sa réponse. Le génie philosophique, dont la sagacité, secouant le joug de l'habitude, s'étonna le premier des prodiges qui l'eiiN ironnaient, descendit en lui-mC'me. se demanda
' Cf. .ipol. de Prades, p. 45 i .
■- Cf. Discours, p. 90. «Si l'homme est seul sujet à devenir imbécile, c'est qu'il retourne ainsi dans son état primitif... et que perdaiu par la vieillesse, ou par d'autres accidents, ce que sa perfectibilité lui avait fait acquérir, il retombe plus bas que la bctc elle-même. » Crimm exprime cette théorie avec netteté et dans les termes de Jean-.Iacqucs en février 35 (Cf. sa Corr.) Mais à ce moment, le discours était presque tout im- primé. Du reste bien des idées du discours se retrouvent dans Grimm, qui — les dates l'indiquent — n'en est que l'écho.
SOl.'RCKS DU [)ISCOrRS DE L INEGAMTK 1 .">()
■et se rendit raison de tout ce qu'il voyait, a pu se faire attendre longtemps et mourir sans avoir accrédité son opinion'.»
Et il est facile de trouver dans Diderot les traits d'un tableau de Thumanité dans Va P^tat de nature », qui rap- pelle celui de Rousseau. Maison peut douter s'il a conçu l'homnie primitif à l'état de dispersion, à la manière de Jean-Jacques-. Il paraît concevoir les premiers hom- mes sous forme de troupeau.
« Il s"agit de la condition actuelle des descendants d"Adam con- sidérés en troupeau et non en société : condition non seulement possible, mais subsistante, sous laquelle vivent presque tous les sauvages, et dont il est très permis de partir lorsqu'on se propose de découvrir philosophiquement... l'origine de ses connaissan- ces...; qui diu'e plus ou moins selon les occasions que les hommes peuvent avoir de se policer et de passer de l'état de troupeau a i'état de société. » " (]'est celui sous lequel les hommes rapprochés à l'instigation simple de la nature, comme les singes, les cerfs, les corneilles, etc., n'ont formé aucune convention qui les assu- jettissent à des devoirs, ni constitué d'autorité qui contraignent a l'accomplissement des conventions: et où le ressentiment, cette passion que la nature qui veille a la conservation des êtres a placée dans chaque individu pour le rendre redoutable à ses semblables, est Tunique frein de l'injustice^.»
On retrouve là des idées du Discoin\^ : riuimanité en troLipeau. a\ec ces sortes d'association sans obliga- tion, comparables à celles des siiiges el des corneilles. demandait à la terreur des vengeances de tenir lieu du frein des lois'*. Même Diderot a quelquefois soutenu
* Diderot, Essai sur le Mérite, p. q2 et la note, IiJicyclopcdic. art. Art. Cf. Discuins. p. i|i : <■ Le spectacle de la nature lui devient indilVé- rent à force de lui devenir familier, etc. »
* Sans doute lEiicycl., art. Besoin, et Apol. lie Praiies. I, 4t'><) . il dis- tingue l'état ou les hommes sont rassemblés de celui où ils étaient dis- persés et montre les hommes « arrêtés les uns à côté des autres », ce qui
•paraît supposer un état nomade, et l'isolement primitif de chaque in- dividu. '^'Apologie de Prades, p. 4.^4-55.
* Cf. Discoiiis, p. 107, iO(), iio. « Il s'unissait à eux en troupeau ou ■tout au plus par quelque sorte d'association libre qui n'obligeait par-
140 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1, ROUSSEAU
que cet état primitif était heureux et moraP : «Les Abiens. dit-il, sont les seuls peuples de la terre qui n'aient eu ni poètes, ni philosophes, ni orateurs et qui n'en aient été ni moins honorés, ni moins courageux, ni moins sages.» Ef- la société donne aux hommes la notion d'une infinité de besoins chimériques qui les pressent mille fois plus vivement que des besoins réels et qui les rendent peut-être plus malheureux. Et ailleurs : « Nous \o}'ons naitre et s'accroîti'e la corrup- tion et les vices avec la naissance et l'accroissement des cités^. » Opinions assez répandues au temps de Dide- rot et de Rousseau.
La Propj^icté el son Orii>iuL\ l'Etal de Guerre el la f'ormalion de la Société, les d)'oits du peuple datis le coulral de ^ouvernemenl. — Diderot et Rousseau sont d'accoi'd poLH' voir dans l'agriculture l'oiigine de la propriété. L'article Ai^ficullui-e trahit une lecture de (irotius, de Pufendorf et de Locke : sources oli Rous- seau a puisé et auxquelles l'a conduit son ami^
Mais cette idée de Rousseau que la Propriété est la cause de la guerre de tous contie tous, lui fut peut- être indiquée par Diderot"'; il parle des P)acchionites.
sonne» et qui ciait sans durée. «Les singes et les corneilles s"aur(;upent à peu près de inême». Quand ce troupeau sest rapproché de la terme sociale — point où nous avons trouvé la plupart des sauvages — « chacun, avant les lois, étant seul juge et vengeur desotVenses qu'il avait reçues... c'était a la terreur des vengeances de tenir lieu du t'rcin des lois. » ' Art. Abicu.
2 Art. Besoi)!.
3 Art. Cité (i7(j;i-()4.) .\ ticssein je n'utilise pas les idées sur le luxe exprimées par Diderot dans son article Cliyistia)iismc. 11 s'y déclare Tadversaire du luxe, corrupteur des mœurs. .Mais cet article était guetté parles catholiques et Diderot s'en doutait ; il ne ménage point les con- cessions dont le caractère extrême marque le peu de sincérité.
* Cf. Discours, p. i)2, ii2-ii3, et ici 111.
* Cf. Discours, p. roq.
SOURCES DU DISCOURS \)K L INl';r, ALITl': I4I
secte de philosophes, qui, «après avoir banni d'entre eux les distinctions funestes du tien et du mien, n'a- vaient que peu de choses à faire pour n'avoir plus au- cun sujet de querelles et se rendi'e aussi heureux qu'il est permis de l'être. »
Selon Rousseau, les inègalitc's naturelles « à peine sensibles dans l'Etat de Nature^» prennent toute leur importance dès que l'inégalité des richesses et la vie en société s'instituent chez les hommes. Avec l'industrie naissante, l'inégalité des talents est mise en valeur; avec la vie en société, les passions de l'amour font naître des luttes: on se bat pour posséder; les riches ont affaire à des coalitions de pauvres : un «état de guerre» s'éta- blit. Et cet horrible tableau est précise par l'idée de la propriété.
« Les mots de forts et faibles sont équivoques; dans l'intervalle qui se trouve entre rétablissement du droit de propriété... et celui des gouvernements politiques, le sens de ces termes est mieux rendu par celui de riches et de pauvres. »
Otoîis cette précision de Rousseau et voici, dans Dide- rot, une description de l'état de guerre - :
«Voici les hommes... arrêtés en troupeau... par l'attrait de leur utilité propre. Qu'arrivera-t-il? C'est que n'étant encore enchaînés par aucune loi, animés tous par des passions violentes, ils cher- cheront à s'approprier les avantages communs de la réunion, se- lon les talents, la force, la sagacité, que la nature leur a distribues dans une mesure inégale ; les faibles seront les victimes des plus forts, les plus forts pourront être surpris et immolés par les fai- bles... » On voit «le péril et la barbarie de ce droit fondé sur l'inégalité des talents, indistinctement funeste au faible qu'il op- primait, au fort dont il entraînait nécessairement la ruine, digne récompense de ses injustices et de sa tyrannie. » Bientôt « cette inégalité de talents, de force, etc., détruira entre les hommes le
' Discours, p. 112.
'■^ Apol. de Prades, I. p. 466-4Ô7.
142 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
commencement de lien» qu'ils avaient forme. «Apres s'être rap- prochés, après s'être arrêtés les uns à côte des autres, après s'être tendu la main en signe d'amitié, finiront-ils par se dévorer, com- me des bêtes féroces et par s'exterminer? »
Mais il convient de noter que tous les sociologues qui ont fondé la société sur un contrat, ont été obligés de supposer l'état de guerre: car, sans lui, qui pousserait les hommes à s'unir? Rousseau n'échappe pas à cette nécessité : mais il en fait un état intermédiaire entre l'état de nature et l'état de société. Et, pour Diderot comme pour Rousseau \ les hommes mirent tin à cet état de guerre par « des conventions. » Une « auto- rité )) selon Diderot, un «pouvoir suprême» selon Rous- seau seront chargés de l'exécution de cette convention.
Quelles sont les clauses de ce contrat entre gouver- nants et gouvernés? Le consentement du peuple légiti- me seul l'autorité.
« La puissance, écrit Diderot*, qui s'acquiert parla vit)lencc' est une usurpation, et ne dure qu'autant que la force de celui qui commande l'emporte sur celui qui oheil... » Il est \rai que « l'au- torité qui s'établit par la violence peut chani,'er de nature : c'est lorsqu'elle continue et se maintient du consentL-ment exprès de ceux qu'on a soumis. »
Rousseau montre que l'état de guerre dure entre le conquérant et le peuple conquis jusqu'à ce que la na- tion remise en pleine liberté reconnaisse volontairement son vainqueur pour son chef-''. Mais ici ils subissent tous deux l'influence de Pufendorf ^ Ailleurs, ils s'ins- pirent l'un et l'autre de Locke ou de Barbeyrac, éditeur
' Discours, p. 114-115. Apol. de Pradcs, p. 467.
2 Tous ces textes sont dans l'an. Autorité.
' Discours, p. i 10.
* Cf. Pufendorf, Droit de la Nature et des gens, 111, p. 2(19. Ici II!
SOURCES DU DISCOURS DE L INÉGALITÉ I 4 j>
de Fufendorf ^ Ces auteurs sont la source des idées politiques de V Encyclopédie, fpuisque Diderot les défend comme telles^.) Or, nous montrerons l'intiuence de ce livre de Pufendorf, annoté par Barbeyrac, sur Rous- seau : nous tenons donc la voie par laquelle Rousseau y est arrivé ; le Discours de l'Inégalité est, en partie, une (cuvre d'esprit encyclopédique.
II
Condillac et Rousseau.
L'amitié qui unit Rousseau et Condillac ne s'altéra point avec le temps : c'est qu'elle ne fut pas très intime. Jusqu'au bout des Confessions, Jean Jacques parle de Condillac avec affection : il prétend avoir découvert un grand philosophe dans VEssai sii?^ l'ofii^iiie des con- naissances humaines. Vers ijdo, les deux amis se ren- contrant au Panier F leur y : les entretiens sont pleins d'intérêt, puisque Diderot est exact aux rendez-vous^. Ne nous étonnons donc pas de voir Condillac souvent cité par Rousseau. En nous autorisant^ des contempo- rains, détachons du Discours un Essai sur l'origine des langues, qui fera la deuxième partie de ce chapitre.
'Cf. Discours, p. 119, Pufendorf, 111. p. 233, Locke, Gouvernement civil, p. 3o-3i. L'on pourrait multiplier les rapprochements pour mon- trer Rousseau et Diderot soumis à cette même influence. Cf. Diderot,. loc. cit. et Discours, p. 120.
2 Apol. de P rades, l, p. 469.
•' Edit. Hachette, VIII, p. 366, 199.
* Grimm, Corr. III, p. 56 et sq.
144 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
I. Influence générale de Gondillac sur le Discours.
Les traits essentiels de la ïiature humaine. — Ayant examiné !'« Homme physique^» Rousseau passe à r« homme moral.» Il était à croire que cette psycholo- gie serait fournie par Gondillac. Pourtant, l'influence de Montaigne prédomine, car VEssai sur l'origine des connaissances humaines est une étude partielle. Il ne considère les facultés que par le rapport qu'elles ont à Tentendement. Rousseau veut une formule complète : entendement, sensibilité, volonté.
Il distingue d'abord l'homme de l'animal. G'est le point de vue de Montaigne :
« Plutarche dit qu'il ne trouve point de si grande distance de beste à beste comme il en trouve d'homme à homme : il parle de la suffisance de l'àme et qualitez internes. J'enchérirois sur Plutar- che et dirois qu'il v a plus de distance de tel homme à tel homme
qu'il \- en a de tel homme à telle beste ^. »
Rousseau va jusqu'à le citer ^. Mais il laisse le para- doxe de Montaigne, qui voit dans l'animal une nature « plus riche ^ » que celle de l'homme. Rousseau fait « du choix», de la liberté, la caractéristique de l'homme: l'animal n'obéit qu'à l'instinct. Belle prérogative, s'écrie Montaigne'', supposé qu'elle soit réelle:
« Il est plus honorable d'être obligé a reigléement agir par na- turelle et inévitable condition, que d'agir rëgléement par liberté téméraire et fortuite, et plus seur de laisser à nature qu'à nous,
' Discours, p. 8().
* Kssais, 1, 42, de l'Inégalité qui est entre nous. ^ Discours, p. S(j.
* Cf. Essais, Apol. de R. de Scboudc, 11, 12. « Nous debvons conclure de pareils effets, pareilles facultés, et de plus riches etVels, plus riches facultés», et même « les animaux suivent peut-être quelque voie meil- leure que la nostre. »
* Essais, il, 12.
SOURCES DU DISCOURS DE L INÉGALITÉ I 4D
les renés de nostre conduite^» (Quelle sottise que de se « plaire à faire valoir cette notable prérogative sur les autres animaux, que, où nature leur a prescript certaines raisons et limites à la volupté elle nous en a lasché la bride à toutes heures et oc- casions. » De cette « liberté d'imagination et dereiglement de pen- sée... naît la source principale des maux qui pressent l'homme, péché, maladie, irrésolution, trouble, désespoir... »
Voilà une apologie de la nature que Rousseau s'ap- proprie : (( L'homme s'écarte souvent à son préjudice de la règle qui lui est prescrite...» Il s'inspire donc de Montaigne pour sa théorie de l'action humaine.
Il doit à Condillac l'importance donnée à la sensibi- lité dans le développement de l'intelligence; Condillac n'est pas un pur intellectualiste : il touche le fond sen- sible de l'être humain : son analyse s'\' heurte.
c< Les choses, écrit-il, attirent notre attention par le côte où elles ont le plus de rapport avec notre tempérament, nos passions, ou nos besoins. C'est une conséquence que la même attention embrasse à la fois les idées des besoins et celles des choses qui s'y rapportent. On pourrait considérer la perception de nos be- soins comme une suite d'idées fondamentales auxquelles on rap- porterait tout ce qui fait partie de nos connaissances^. »
Ainsi pour Rousseau: l'entendement humain doit aux passiojis : nous voulons connaître parce que nous vou- lons jouir: et nos passions ont pour sources nos be- soins ^. Chez Condillac, comme chez Rousseau, il y a la réaction de l'esprit sur les passions et les besoins. Condillac montre que *
' Ibid.
^ Essai sur l'orig. des coinutissaiices, I, p. 67.
^ Cf. Discours, p. 90-91.
* Traité des settsations, Ilï, 122-123. Le Traité des sensations, qui parut en lySS (octobre) put être lu par Rousseau en manuscrit. Nous l'utilisons dans notre chapitre sur Condillac, parce que Condillac paraît l'avoir longuement préparé (Cf. la préface de cet ouvrage). Il est impos- sible que Rousseau n'en ait pas entendu parler.
10
146 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1, ,1. ROUSSEAU
« nos premières idées ne sont que peine ou plaisir. Bientôt d'au- tres leur succèdent et donnent lieu à des comparaisons d'où nais- sent nos premiers besoins et nos premiers désirs. Nos recherches pour les satisfaire font acquérir d'autres idées qui produisent de nouveaux désirs... et il se forme une chaîne dont les anneaux sont tour à tour idées ou désirs.»
«Les passions, dit Rousseau, doivent aussi beaucoup à l'entendement... elles tirent leur progrès de nos con- naissances ^ » La statue de Condillac ressemble à l'hom- me du Discours: Condillac écrit un chapitre intitulé: Des besoins, de l'industrie el des idées d'un lionune isolé qui jouit de tous ses sens.
« Supposons que la statue ail des obstacles à surmonter pour obtenir la possession de ce qu'elle désire... son désir augmente- avec son inquiétude... il devient passion.» Mais « la statue est sans prévovance : la première fois qu'elle satisfait un besoin, elle ne devine pas qu'elle doit l'éprouver encore. Le besoin soulage. elle s'abandonne à sa première tranquillité. Ainsi, sans précaution pour l'avenir elle ne songe qu'au présent ; elle ne songe qu'à écar- ter la peine que produit un besoin, au moment qu'elle souffre. VA\e demeure à peu près dans cet état tant que ses besoins sont faibles, en petit nombre, et qu'elle trouve peu d'obstacles à les soulager*... » « Les premiers hommes observaient les faits relatifs à leurs besoins. Parce qu'on avait peu de besoins, il v avait peu d'observations à faire. ..•^»
Peu de besoins, pense Rousseau, vite satisfaits, im- prévoyance, aucune idée de l'avenir''.
A ces données, ajoutons cette idée de Locke, ba- nale, que la pensée est une combinaison de sensations'*; et cette formule de Condillac : « Le premier et le moin- dre degré de connaissance est d'apercevoir •"'», nous tien-
' Discours, p. qo.
* Traité des sensations, t. III, p. 1149, 3. t. 5. =* Traité des systèmes, 11, p. <)-io.
* Discours, p. yi.
* Discours, p. 89.
* Essai sur l'origine des connaissances, I, p. i3.
SOURCES DU DISCOURS DE L INKCAMT]'; I 47
drons les éléments de cette conclusion de Rousseau : « Apercevoir et sentir sera son premier clat qui lui sera commun avec tous les animaux, vouloir el ne pas vouloir, désirer et craindre sont les premières et presque les seules opérations de son dmeK »
L'Idée d'un développement de l'intelligence humaine. — Condillac se propose d'ft expliquer la génération des opérations de l'àme en les faisant naitre d'une simple perception ^ n II y est amené par un travail d'analyse. Mais l'analyse statique ne lui suffit pas : il faut qu'elle soit suivie d'une synthèse: il ne s'agit pas de prendre un fait actuel et d'en indiquer les éléments : il faut prendre ces éléments et en élaborer progressivement le fait ac- tuel ^. Condillac applique cette méthode à l'étude de l'es- prit humain. Et il arrive à supprimer la théorie de l'es- prit inné : l'esprit s'acquiert.
Aussi, grâce à Condillac, Rousseau peut tenter l'his- toire de la pensée humaine. Mais des raisons, tenant au sujet et à la forme du Discours, déforment son in- fluence : les subtiles analyses par quoi il dégageait une à une les opérations de l'esprit, Rousseau a quelque- peine' à les faire passer dans son court exposé: elles sont trop minutieuses. Il se borne donc à marquer les points principaux du progrès de l'esprit et à signaler entre chacun d'énormes espaces. Il distingue des «états'')) : l'état de nature, l'état élémentaire; il s'op- pose à l'état de raisonnement, qui, pour Condillac aussi.
* Discours, p. 90.
2 Essai sur l'origine des connaissances, p. i3.
•■! Voyez notre chapitre sur Diderot. Condillac ne veut pas seulement « remonter à l'origine de nos connaissances », il veut «en suivre la gé- nération. » Essai sur l'origine des connaissances, I, p. loi.
* Cf. Discours, p. 81, 87, 99, 91.
Î48 AXXALES DE [,A SOCIÉTÉ .1 . .1. IJOUSSKAU
est la dernière limite de la connaissance : il v a « un abîme entre les pures sensations ut les simples connais- sances.» Puis Condillac étudie un développement indi- viduel, Rousseau celui d'une espèce. Comiiient transpor- ter à un groupe la progression valable pour un seul hom- me? Les analyses menues sont impossibles. Aussi Rous- seau invente une nouvelle faculté, qui tiendra la place des analyses progressives de Condillac: ((Celle de se perfectionner: à l'aide des circonstances, elle développe successivement toutes les autres : c'est la perfectibi- lité^.)) C'est la faculté de devenir.
Ce devenir. Condillac, dans V Essai, le conçoit, semble- t-il. comme une mise en exercice p}^o^<>ressive des facultés contenues en puissance dans l'âme humaine.
".le suis, ecrit-il-. rL'moiite a la perception parée que c'est la premiL-re opération qu'on peut i-emarquer i.ians l'àme : et j'ai fait voir comment et élans quel ordre elle produit toutes celles dont nous pouvons acquérir l'exercice."
La mémoii'c était en nous, la sensation la dégage et nous la révèle. Que dit Rousseau? Il montre (( se déve- loppant successivement dans l'esprit humain les opéra- tions dont il était capable \'oilà donc toutes nos fa- cultés développées, la mémoire et l'imagination en jeu, i'amour-propre intéressé, la raison rendue active^.» Il n'arrive pas à se défaire de la notion des facultés de Tàme distinctes et irréductibles. Aussi bien Condillac avoue* ne s'en éti'e vrainient débarrassé que dans le Traité des sensations (17Ï)?), où il prouve que la «per- ception enveloppe en elle toutes les opéi'ations de
' Discours, p. yo.
^ Essai sur l'origine des co)iiiaissaiices, t. I. p. 10.
* P. lia. CF. également (Jcs phrases tri;s typiques, p. 81, (j-, 104.
* Traité des sensations, III, p. 48.
SOURCES DU DISCOURS D1-: L INl-XiALlTl-; I4()
l'esprit. » Et de cette perception, il fait sortir tout l'es- prit humain. Les opérations «naissent» l'une de l'autre : tous les éléments de Tune sont contenus dans l'autre. La mémoire, l'imagination, la raison, so)i( la perception. Alors seulement, Condillac a montré l'esprit se créant, et non plus se dégageant. Rousseau, d'accord avec V Essai, ne l'est plus avec le Traité des sensalions.
Rousseau concrétise les abstractions de Condillac : il fait de l'histoire avec cette psychologie analytique, aidé par sa forme constructive et poussé par le Traité des systèmes, où est proclamée la valeur du fail^. « Des faits constatés, voilà proprement les seuls principes des sciences. » Le « seul dessein » de V Essai ~ est de » rappe- ler l'Esprit a un principe qui soit une expérience cons- tante dont toutes les conséquences seront confirmées par de nouvelles expériences... » Il contient un chapitre : « Où on confirme pai^ des faits^ ce qui a été prouvé plus haut. » Rousseau en est frappé: et voici un des «faits», que Condillac lui fournit^. «Je n'avance pas de simples conjectures, écrit Condillac'': dans les forêts qui con- finent, la Lithuanie et la Russie, on prit en i6()4 un jeune homme qui vivait parmi les ours...» Son histoire est copiée par Rousseau dans une des notes du Dis- cours. Ce côté expérimental de la pensée de Condillac a souvent échappé à ses contemporains". Ce qu'il y a de sûr, c'est que Rousseau l'y a cherché et trouvé : il a
1 Traite des systèmes. II, p. S.
2 Essai sur l'origine des connaissances. I. p. q. ^ Ibid. p. ii8.
* Discours, p. 128 et 142.
* Essai sur l'origine des cun)iaissances, 1, p. 199.
6 Cf. GrimiTi., Corr. II, p. 441-42: il aurait voulu la vraie histoire mé- taphysique de l'homme. Cf. pourtant le chapitre du Traité des sensations : « De l'état d'un homme abandonné à lui-même et comment les accidents
1?0 ANXAl.F.S !>]•: I.A SOCIl'n'I' .1. .1. UOUSSEAU
lu Condillac dans un ctat d'esprit qu'on peut appeler le parti pris du point de vue historique.
On peut être tenté de penser que ces déformations anéantissent l'influence de Condillac. Je la crois au con- traire capitale. Sans Condillac. Rousseau n'aurait pu élaborer son idée de l'homme de la nature, plus proche de l'anthropoïde que de l'homme. Tous les politiques qu'il a lus croient que la raison est un fait inné. En psx'chologie, Locke l'admet sous la forme du pouvoir de combiner les sensations, qui s'exerce presque dès la naissance. Butfon est purement Cartésien : doué de raison, l'homme de la nature aurait du immédiatement, en face de l'univers, le concevoir, l'expliquer, en adorer la cause, déduire les règles du droit naturel, et inven- ter rapidement les arts et les sciences. Entre toutes ces intiuences et Rousseau, s'interpose l'affirmation de Con- dillac : les (>pé}\itio}is de l'espril appa}\iisseiit dans un ordre proi^essif.
11. L"l*2ssAi SUR i.'oRUiiXH i)r;s i.axc.uios
Pour Condillac, une des causes du développement des opérations de l'àme. c'est l'invention des signes conven-
auxqucls il est expcisé coiilribueiii a sou inslruclioii ». Coiuiillac écrit : « Le besoin tie la nourriture est le plus nécessaire à sa conservation. » En soulageant sa faim, la statue renouvelle ses forces : la vue. le tou- cher, l'ouïe, ne semblent faits que pour découvrir et procurer ce qui peut flatter le goût (p. ;^6o.) La saison change presque tout à coup, les plan- tes se dessèchent, le pays devient aride et elle respire un air qui la blesse de toutes pans. Elle apprend à se vêtir de tout ce qui peut entre- tenir la chiileur. Elle s'applique à reconnaître les animaux qui lui font la guerre. Elle fuit les lieux qu'ils paraissent habiter. Tantôt elle s'étu- die à les éviter par adresse, tantôt elle se saisit pour sa défense de ce que le hasard lui présente; supplée par son industrie, mais avec bien de la lenteur, aux armes que la nature lui a refusées; apprend peu à peu à se défendre, sort victorieuse du combat, et flattée de ses succès, elle commence à sentir un courage qui la met au-dessus du péril.» \'oyez les pages lon-io^du Discoiiis. Tous ces traits s'y retrouvent.
SOURCES DU DISCOURS DE L INEGALITE IDI
tionnels^ Son idée est que par les signes seulement nous devenons maîtres de nos idées: sur eux seuls nous avons de l'action; sans les mots, nous sommes dans la dépendance des faits extérieurs. Ce détail psychologi- que a échappé à Rousseau. Pourtant, l'importance du langage sur les progrès de l'esprit humain, Rousseau la signale : beaucoup de nos idées viennent du langage; sans lui l'homme serait resté dans l'imbécillité des temps primitifs : il adapte l'idée à sa thèse -.
Car ce que l'on a considéré comme une théorie du langage chez Rousseau n'est qu'un moment de sa dé- moîistratioji. Il faut montrer que la nature a mis elle- même des obstacles au progrès humain. Elle «a mis peu du sien dans l'établissement de la sociabilité. » Le langage, instrument de civilisation, ne nous a pas été donné par elle: elle nous en a même écarté en nous rendant presque impossible son invention.» Le but de Rousseau n'est pas de résoudre les «difficultés)), mais de les poser. La question sera d'autant mieux placée «dans le jour qui convient au sujet ^.» Et il tinit par se déclarer incapable de résoudre ce problème. C'est que Rousseau est un peu sophiste ; il fait plus atten- tion à la thèse qu'à l'argument. Il y aura donc ici un principe déformateur de l'intiuence de Condillac.
Condillac a supposé, dit Rousseau *, une « société établie entre les inventeurs du langage. » C'est exact. Condillac imagine deux enfants réunis et isolés du
' Essai sur l'origine des connaissances, 1, p. y.
' Cf. Discours, p. 93, et Condillac, Essai, I, p. 184-185. «Otez à un esprit supérieur l'usage de la parole, le sort des muets nous apprend dans queUe.s bornes étroites vous l'enfermez... Enlevez-lui l'usage de toute sorte de signes, vous aurez un imbécile. »
' Discours, p. 91-92, 96.
* Discours, p. 9^1.
l52 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
monde. Et Rousseau admet que c'est à peine « si les créatures humaines se rencontrent deux fois dans leur vie», et leur amour se passe d'éloquence ^ Des relations de mère à enfant existent, du moins pendant l'allaite- ment. Mais «l'enfant ayant tous ses besoins à expliquer, et par conséquent plus de choses à dire à la mère que la mère à l'enfant, c'est lui qui doit faire les plus grands frais d'invention et la langue qu'il emploie doit être en grande partie son propre ouvrage.» En cela, il suit Condillac-:
« Ce couple eut un enfant qui, presse par clés besoins qu'il r.e pouvait faire connaître que difficilement, agita tout son corps. Sa langue fort flexible se replia et prononça un mot tout nouveau... Les parents surpris, ayant enfin deviné ce qu'il voulait, essayèrent en le lui donnant de répéter le même mot. La peine qu'ils eurent à le prononcer fit voir qu'ils n'auraient pas été d'eux-mêmes ca- pables de l'inventer. »
Le procédé, constate Condillac, n'est pas rapide mais il est sur. Pour Rousseau, il aboutit seulement à mul- tiplier les langues : il y en aura autant que d'individus: voilà un premier obstacle.
Mais, nouvelle « difficullc pire oicoj'l' que la pi'ccc- dente^»: si les hommes ont eu besoin de la parole pour apprendre à penser, ils ont eu bien plus besoin encore de savoir penser pour trouver l'art de la parole. C'est la difficulté que se propose Condillac'* :
«Combien n'a-t-il pas fallu de reflexion poiu- former les langues, et de quel secours les langues ne sont-elles pas a la reflexion... ]1 semble qu'on ne saurait se servir des signes d'institution si l'on n'était pas déjà capable d'assez de réflexion pcuir les choisir et y
' Ibid., p. 93. 2 Essai, I, p. 26.S. =• Discours, p. 94. * Essai, I, p. 90.
SOURCES DU DISCOURS DE L INKGALITK 1 DJ
attacher des idées. Comment donc, l'exercice de la reflexion ne s'acquerrait-il que par l'visage des signes?»
Condillac pose l'objection, annonce qu'il la résoudra, et la résout en effet ^^ en montrant l'existence d'un ^dan- ii'diie instinctif y) ^ qui précède le langage réfléchi. Or, le langage «instinctif», c'est le cri de la nature admis par Rousseau, mais il Tadrnet comme stade de l'inven- tion du langage, et non comme solution de la difficulté proposée.
Voyons ces ébauches de langage qui précèdent le lan- gage articulé, et les difficultés qu'elles suscitent.
Il y a, dit Condillac^, des » signes naturels, ou cris, que la nature a établis pour les sentiments de joie ou de douleur... » « Quand ces deux enfants vécurent ensemble, leur commerce leur lit atta- cher au cri de chaque passion les perceptions dont ils étaient les signes naturels. Ils les accompagnaient de quelque mouvement, de quelque geste ou de quelque action... Celui qui souffrait parce qu'il était privé d'un objet que ses besoins lui rendaient néces- saire, ne s'en tenait pas a pousser des cris, il faisait des efforts pour l'obtenir... L'autre, emu par ce spectacle, fixait les veux sur le même objet et. sentant passer dans son âme des sentiments dont il n'était pas encore capable de se rendre raison,... souffrait de voir souffrir ce misérable. Dès ce moment, il se sent intéressé à le soulager et il obéit à cette impression autant qu'il est en son pouvoir. Ainsi par le seul instinct, les hommes se demandaient et se prêtaient du secours; je dis par le seul instinct car la réflexion n'v pouvait avoir de part. »
Nous reconnaissons Rousseau : pour lui le « cri de la nature» est le premier langage » et le plus « énergi- que», une « sorte d'instinct l'arrachait pour implorer du secours, ou des soulagements.» Mais tandis que Con- dillac montre la contribution apportée par les cris des passions au développement des opérations de l'âme,
' Essai, I, p. 26!^ : il signale en cet endroit qu'il résout cette diffi- culté. 2 Essai, 1, p. 75 et 261 sq.
I ?4 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .[. .1. ROUSSEAU
Rousseau marque que leur emploi était très rare et très peu efficace.
Le (( langage d'action » est le premier langage : voici comment Rousseau le définit^: « Des cris inarticulés, beaucoup de gestes, et quelques bruits imitatifs durent composer pendant longtemps la langue universelle.» Ce langage exista, selon Condillac, pendant une certaine période concurremment avec le langage parlé: « il }■ eut un temps oi^i la conversation était soutenue par un dis- cours entremêlé de mots et d'action '^ » Quant aux ono- matopées, Rousseau en trouve l'indication précise dans Condillac^.
Mais comment passer de ce premier langage au signe articulé? Nouvel obstacle: «Les organes grossiers n'a- vaient encore aucun exercice*.» La difficulté est réso- lue par Condillac : c'est l'enfant qui invente les mots, sa langue est «plus tlexible que celle de ses parents» qui ont beaucoup de peine à l'imiter. Mais bientôt, chez l'enfant même^, « l'organe de la voix perd, faute d'exer- cice, toute sa flexibilité » et le langage par geste reprend le dessus. Pourtant, peu à peu. à mesure que les sons articulés deviennent plus abondants « le langage fut plus propre à exercer de bonne heure l'organe de la voix et à lui conserver sa première tiexibilité.» La substitution se produit donc, pour ('ondillac. par un progrès lent et
• Disamrs. p. 107.
' Essai, \, p. 267. Cf. aussi Diderot : c le langage animai » c'est un « mélange confus de cris et de gostes » ; il accorde une extrême impor- tance au geste. Lettre sur les sourds et muets, 1, p. '^7-2.
^ Essai, 1, p. 275: « Les premiers noms des animaux en imiièrciu pro- bablement le cri, remarque qui convient également à ceux qui furent donnés aux vents et aux rivières, et à tout ce qui fait quelque bruit.»
♦ Discours, p. ()4.
* Essai, p. 267.
SOURCKS DU DISCOURS l)K L IN'EdALITK IDD
-continu, insensible, mais efficace. Rousseau élimine cette solution : il aggrave l'embarras en supposant une convention brusque et motivée. Ce dut être à la suite d'une délibération que la parole articulée fut mise en vigueur : « La parole paraît avoir été fort nécessaire pour établir l'usage de la parole.» Boutade qu'il emprunte à Lucrèce, cité par Pufendorf, comme il emprunte à ce dernier seulement l'hypothèse d'un secours divin dans l'invention de la parole ^
Reste la laborieuse invention des parties du discjurs. Ici Condillac ne l'inspire que sur deux points : c'est à lui qu'il prend cette idée que « l'infinitif fut d'abord le seul temps des verbes''» et celle-ci, que les adjectifs se développèrent difficilement '.
* Discours, p. g.S-yG. Cf. infra. Ces passages de Lucrèce se trouvent dans Pufendorf, Dioit de la nature, t. II, p. i63 et sq.
Le poète veut montrer l'absurdité de !'h\pothèse d'un homme de s,é- jiie inventant le langage:
« Praeterea si non alii quoque vocibus usi | inter se fueranl unde insita, notities est | utilitatis ? Comment l'inventeur aurait-il pu... ratione do- cere ulla suadereque surdis | quid facto opus esset, faciles neque cnim paterentur, | nec ratione ulla sibi ferrent amplius aures | vocis inauditos ^onitus ebtundere frustra... » Lucrèce. De Natura, V, 104 et sq. Les vers V, 1027 et sq. sont cites par Pufendorf.
Lucrèce tenait pour une origine naturelle du langage (Utilitas expres- sit nomina rerum); Pufendorf le critique, et admet une «institution di- vine du langage »
'- Cf. Discours, p. f)3 et Condillac, Essai sur l'origine des connaissances, 1, p. 368: «Les verbes, dans leur origine n'exprimaient l'état des choses que d'une manière indéterminée. Tels sont les infinitifs, aller, agir.» Cf. aussi Diderot, Lettres sur les sourds et muets, 1, 363-3(33. même-. idées.
^ Cf. Condillac, 1, p. 364. » On distingua ensuite, mais peu ii peu les difl'érentes qualités sensibles des objets... ce furent les adjectifs et les adverbes.» Diderot, Lac. cit., I, p. 33i, est d'une opinion contraire.
Cf. Maupertuis, Recherches sur l'origine des langues, o. c, p. 332- 33. C'est à lui que Rousseau doit l'idée que chaque mot I Discours, p. 9?) eut le sens d'une proposition entière, et que peu à peu se distingue le sujet d'avec l'attribut, etc. Maupertuis écrit:
« Je suppose que ma première perception fut celle que j'éprouve au- jourd'hui quand je dis: « je vois un arbre», qu'ensuite j'eusse la même
I 56 ANNALES nE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
La formation des mots généraux soulève de nouveaux obstacles. Selon Condillac :
» 11 n'était pas possible d'imaginer des noms pour chaque objet particulier. Il fut donc nécessaire d'avoir de bonne heure des ter- mes généraux... Aussi les hommes, autant qu'il est en leur pou- voir, rapportent leurs dernières connaissances à l'une de celles qu'ils ont déjà acquises. Par là les idées qui sont le moins t'ami- rières se lient a celles qui le sont davantage, ce qui est d'mi grand secours à la mémoire et a l'imagination. ()uand les circonstances tirent remarquer de nouveaux objets, on chercha ce qu'ils avaient de commun avec ceux qui étaient connus, on les mit dans la même classe et les mêmes noms servirent a designer les uns et les autres, (^est de la sorte que les idées des signes dexinrenl plus générales, mais cela ne se ht que peu a peu: on ne s'éleva aux notions les plus abstraites que par degrés, et l'on n'eut que fort tard les termes d'essence, de substance, et i^rètre.»
Mais Rousseau ^ prend le contrepied des idées de Con- dillac : chaque objet reçoit un nom particulier; l'homme ne connaît d'abord que l'individu : ce qui le frappe, c'est la non identité des choses : ce qu'elles ont de comi^iun est difficile à voir : pour arriver aux idées générales, il faut de l'histoire naturelle et de la métaph3'sique. 11 substitue à la fabrication naturelle des idées générales, leur construction scientitique et réfléchie. Condillac avait vu que le mot s'emplissait peu à peu de sens, jus- qu'à devenir général. Rousseau admet que les mots sont la traduction adéquate et artificielle des pensées. Ainsi s'aggravent les difficultés.
Ce n'est pas tout : pour Rousseau ces idées géné-
perccptioii que j'ai aujourd'hui quaiui je dis : " je vois un cheval ». je verrai tout de suite que l'une n'est pas Tauire. .le les distinguerai par quelque signe, et je pourrai me contenter des expressions A et B. Mais je remarquerai que certaines perceptions ont quelque chose de sembla- ble et une même manière de m'atlecter que je pourrai comprendre sous un signe et j'aurai : C, je vois. D, arbre, et aussi (!, je vois. K, clievjl.» ' Discours, p. gb-if).
SOURCES DU DISCOURS DK L INliGAI.rrK ID7
raies supposent les mots : car i" T imagination ne saurait nous fournir que des images particulières ; 2° seul, \c pur intellect, Tentendement. conçoit les idées générales, par le moyen unique du discours qui formule des propositions, des définitions. D'où vient cette dou- ble théorie ?
1° On ne saurait imaginer, dit Rousseau, un arbre en général. L'image se particularise aussitôt. Essayez, vous n'y arriverez pas. On songe tout de suite à Ber- keley :
« De ce qu'on peul énoncer et démontrer des théorèmes sur re- tendue et les figures, sans taire mention de la grandeur et de la petitesse de ces figures, ou de tout autre de leurs qualités sensi- bles, peut-on conclure que l'esprit ait la facilité de se représenter et de saisir une idée abstraite d'étendue destituée de telle ou telle grandeur, de telle ou telle couleur, etc...^» « (^ue si au reste vous voulez vous en convaincre encore mieux, essavez un moment de vous former Tidee de quelque figure abstraite de toute circons- tance spécifique de grandeur ou même abstraite des autres quali- tés sensibles... « : et Hvlas de repondre : <i Permettez que j"v pense un peu... Je trouve qu'il me serait impossible d'en venir a bout...*»
1 Dialogues d'Hylas et de Pliiloiwiix, p. (ji). Diderot en préconise la lecture à Condillac, dans la lettre sur les aveugles, I, p. 304. N'est-ce pas lui que Rousseau critique dans le premier discours : «l'un prétend qu'il n"y a point de corps, et que tout est représentation.» Cf. édit. Hachette, I. p. 1 7-1. S.
2 Ibid., p. 70-7 1 . Les mêmes idées sont développées dans VAlciplirvii, t. Il, p. i4oetsq. : elles sont la critique d'un texte de Locke, qui est cité par Berkeley. Rousseau l'a peut être vu. 1 Essai sur lent, hum., IV, 7, 9.) « Pre- nons par exemple l'idée générale de triangle : quoiqu'elle ne soit pas la plus abstraite, la plus étendue et la plus malaisée à former, il est certain qu'il faut quelque peine et quelque adresse pour se la représenter; car il ne doit être ni obliquangle, ni rectangle, ni équilatéral. . . mais tout cela à la fois et nul de ces triangles en particulier. Dans le fait, il est quelque chose d'imparfait qui ne peut exister, une idée dans laquelle certaines parties tirées d'idées différentes sont mises ensemble. » Cf. aussi le Traité des principes de la connaissance humaine. iCrit. phi- losophique, 1889. p. j^h-j et sq.) Ce traité n'était pas traduit du temps de Rousseau.
l58 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
2** Quant à la théorie nominaliste de la formation des- idées générales, Rousseau l'introduit en montrant que- faute de langage, l'anijnal n'en saurait former : le singe qui va d'une noix à l'autre, ne compare pas ces deux individus à leur archétype. Ici. il suit Locke en partie:
« Avoir des idées générales. c"est ce qui établit une distinction parfaite entre l'homme et les bêtes, et c'est une perfection a la- quelle les facultés des bêtes n'atteignent jamais. Nous n'observons évidemment pas de traces en eux de l'emploi de signes généraux pour marquer les idées universelles, et nous sommes par là fondes à imaginer qu'ils n'ont pas la faculté d'abstraire ou de former des idées générales puisqu'ils n'ont pas l'usage des mots ou autres si- gnes généraux... Nous ne saurions nier que les hctes ont de la raison jusqu'à un certain degré. Et poiu- moi il me paraît aussi évident qu'il v en a quelques-unes qui raisonnent en de certaines rencontres qu"il me paraît qu'elles ont du sentiment : mais c'est seulement sur des idées particulières qu'elles raisonnent, selon que les sens les leur présentent.' »
Mais la différence entre les deux auteurs est que pour Rousseau le mot est cause d'idée, pour Locke, il en est signe.
Serrons de près la théorie de Rousseau sur ce point;
« Les idées générales ne peuvent s'introduire dans l'esprit qii\T l'aide des mots, et l'entendeuieiil ne les saisit que par des proposi- tions... loute idée générale est purement intellectuelle... Les êtres purement abstraits ne se conçoivent que par le discours : la défini- tion seule du triangle vous en donne la véritable idée... Il faut donc énoncer des propositions, il faut donc parler pour avoir des idées générales, car sitôt que l'imagination s'arrête l'esprit ne marche plus qu'à l'aide du discours. >>
Cle n'est point là du (londillac, qui éciit - :
" .le trouve un corps, et je vois qu'il est étendu, ligure, divisi-
' Essai sur Ventendcmcnl liuinain, Il,chap. Xi.
^ Essai sur l'origine des connaissances, I, p. 181-S2. Berkeley, .Mci- phron, H, p. 148 et sq., exprime des idées identiques : il compare le mot à une pièce de monnaie dont on peut vêritier la valeur, mais qu'en pratique, on ne véririe jamais.
SOURCES DU DISCOURS DK L INK(]AIJTK I bi)
ble, solide, dur... Il est certain que si je ne puis pas donner tout à la fois une idée de toutes ces qualités, je ne saurais me les rap- peler à moi-même, qu'en les faisant passer en revue dans mon esprit; mais si, ne pouvant les embrasser toutes ensemble je vou- lais ne penser qu'à une seule, par exemple, à sa couleur, une idée aussi incomplète me serait inutile et me ferait souvent confondre ce corps avec ceux qui lui ressemblent par quelque endroit. Pour sortir de cet embarras, j'invente le mot or ci je m'accoutume à lui attacher toutes les idées dont j'ai fait le dénombrement; quand par la suite, je penserai à la notion de l'or, je n'apercevrai donc que ce son or, et le souvenir d'y avoir lié une certaine quantité d'idées simples, que je ne puis réveiller tout à la fois, mais que j'ai vu coexister dans un même sujet, et que je me rappellerai... quand je le souhaiterai... Les mots prennent dans notre esprit la place que les sujets occupent au dehors. »
On le voit, le mot est pour lui un expédient, une com- modité. Il devient indispensable. La théorie de Rous- seau est toute différente.
Pour lui, l'idée générale n'est pas un mot. Elle est quelque chose en soi, qui est dans l'aentendement ». dans «le pur intellect», produite par le «discours». Les «définitions, les propositions », nous « font conce- voir les êtres abstraits», nous en donnent « la véritable idée, » L-a parole n'est qu'un moyen pour faire entrer l'idée dans l'esprit : elle y parvient en formulant des phrases. Or voici ce que, dans Berkeley, répond Alci- phron à la critique d'Euphranor sur la réalité de l'image générale ^:
« Il me semble que vous ne distinguez pas entre l'entendement pur et l'imagination. Les idées abstraites appartiennent à l'enten- dement pur qui les conçoit, quoique l'imagination ne puisse se les représenter. »
Euphranor demande des renseignements sur cette faculté, et n'en obtient pas ; Rousseau cro/7 à sou exis- lence : c'est en elle que le langage suscite, crée « la vé-
' Alciplnun, II, p. 14?. Cf. Dialogue d'Hylas et de Philvnoùs, p. 70.
l6o ANNALES 1>E LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
ritable idée » abstraite. Sans le langage, cette faculté ne saurait être mise en exercice : car elle ne fonctionne que grâce (( aux propositions, aux définitions », et il est évi- dent qu'il est impossible, sans langage, d'exprimer des « propositions ou des définitions».
m
De l'Influence de Grotius et de Pufendorf sur le Discours de l'Inégalité.
Grotius et Pufendorl" sont à l'époque de Rousseau, les classiques du Droit naturel. On les corrige par les poli- tiques anglais ou français, mais on y revient toujours, Rousseau leur doit beaucoup et surtout à l'édition de Pufendorf donnée par Barbe3'rac\
1. L'Etat ni'; Nature
l^our les écrivains qui s'occupent de droit naturel, sauf de rares exceptions, un état de nou-sociclé a pré- cédé l'état de société. Ils cherchent tous, par des mé- thodes plus ou moins abstraites, à reconstituer l'homme « sauvage », afin d'en tirer des conjectures sur l'origine du groupement social.
> Cf. Locke, l':ditc. des enfants, trad. Coste, 1721, p. 432 et sq. ; Le- clerc, Panliasiana, il, p. 117-118; Diderot, tome XIV, p. i«j2etart. Citoyen; et surtout Journal des savants, mars 1748.
Grotius. Le droit de la guerre et de la paix, avec les remarques de J. Barbeyrac, Amsterdam, 1724, 2 voL in-q".
l'utcndorf. Le droit de la nature et des gens, traduit du latin par J. IJarbeyrac, avec des notes, Amsterdam, 1740 '^ vol. in-q».
SOURCES DU DISCOURS DE l'iNKGALITÉ i6i
Grotius^ puise dans la Bible et dans l'antiquité ses idées sur cet état. La vie des premiers descendants d'Adam, les développements sur le règne de Saturne, voilà les éléments de sa peinture. Cet état est un commu- nisme pacifique. «Dieu donna à tout le monde un droit égal sur toutes choses de la terre-», tout était alors en commun, et chacun en jouissait par indivis, comme s'il n'y eût eu qu'un seul patrimoine^, «et les hommes vi- vaient à leur aise des choses que la terre produisait d'elle-même sans aucun travail»; même, ils étaient peut-être végétariens, se demande Grotius :
H iJans le recueil des Anciens géographes grecs (Hudson, tome II), il V a au devant du fragment de Dicéarque des paroles de saint Jérôme*, où le passage de cet ancien auteur grec est cité d'une manière qui contient le fait dont il s'agit : « Dicearchus, in li- hris Antiquitatum et descriptionum GrœciiV refert sub Saturno, id est in aureo sa;culo, cum omnia humus funderet, nullam come- disse carnem et vixisse fructibus et pomis, qiuv sponte sua terra gignebat. »
On reconnaît là du Rousseau : pas de propriété. Fer- tilité naturelle de la terre : la citation de saint Jérôme figure dans une note du Discours^, l^ref « les choses en seraient là si les hommes eussent continué à vivre dans une grande simplicité », comme il parait «par Texeinple de quelques peuples d'Amérique, chez qui tout den^icure commun, sans qu'ils y trouvent aucun inconvénient». C'est Grotius qui parle. Ces premiers hommes qui « vont tout nus... », «demeurent dans des cavernes» et se cou- vrent de peaux de bête, ne sont pas mauvais. Leur vertu,
1 Grotius, I, p. 22 1 et sq.
- Genèse, I, 2g, IX, 23.
•'• Justin, XLIII, chap. I.
■* Pour tous ces textes, voyez Grotius 1, p. 229 et les notes de Barbeyrac.
^ Cf. Discours, p. io5, 85, 129, i3o.
li
102 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
comme le prouve un commentaire emprunté à Tacite surtout et à Senèque, a été heureusement précisée par Justin II, 2, i5: Tanto plus in illis proficit vitiomwi ignoraiio qiiam cogiiitio virtidis. Citation que Rousseau n'a garde de laisser tombera Et son idée maîtresse se dégage : le progrès des connaissances a été nuisible à l'homme*. Dion de Pruse, ajoute Grotius, parlant de ceux qui vinrent après les premiers hommes, dit que leur finesse, leur adresse à inventer et à faire bien des choses pour l'usage de la vie ne fut pas fort avantageux, parce que les hommes firent servir leur esprit et leur habileté à se procurer du plaisir plutôt qu'à se distin- guer par des actes de valeur et de justice. Et ici, nou- velle référence à la lettre XC de Senèque sur la manière dont ils inventèrent les arts et les choses nécessaires à la vie'.
Ainsi Grotius, que Rousseau raconte avoir lu sur l'établi de son père, fournit à ses idées politiques, dans le Discours, leur couleur antique et biblique, et leur chimérique poésie.
Avec Pufendorf*, la question de l'état de natui^e se pose avec précision:
« Ce que nous appelons « état de nature... » c'est la condition où l'on conçoit que chacun se trouve parla naissance en taisant abs- traction de toutes les inventions et de tous les établissements hu-
' Discours, p. 98.
- Groiius remonte à la source biblique de celte idée : l'arbre de la science du bien et du mal.
^ Rousseau s'est peut-être reporté à cette lettre.
* Entre Grotius et Pufendorf se place Hobbes : Il revise la notion de rétat de nature, il décrit un état anarchiquc, misérable ; sans quoi on ne l'eût point quitté; c'est un état de guerre, parce que l'homme est mé- chant, vicieux et passionné; le droit égal que les hommes ont sur tou- tes les choses entraîne la concurrence: la propriété, c'est la guerre. Telles sont les idées qui vont dominer le débat.
SOURCES DU DISCOURS DE l'iNÉGALITÉ i63
mains, ou inspirés à l'homme par la Divinité, qui changent la face de la vie humaine, et sous lesquels nous comprenons non seule- ment les diverses sortes d'arts avec toutes les commodités de la vie en général, mais encore les sociétés civiles dont la formation est la principale source du bel ordre qu'on voit parmi les hommes.^»
De là est née toute la première partie du Discoures *.
C'est pourquoi Barbe3Tac ^, avant Rousseau, commen- cera d'étudier les primitifs, et rapportera cette histoire de l'enfant sauvage « trouvé en 1844, qui, revenu parmi les hommes, aimerait mieux retourner parmi les loups». (Voyez la note de Rousseau.^) Pourtant Barbeyrac ne garantissait pas le récit.
Mais voici cette créature selon Pufendorf^:
« Muet, incapable d'autre langage que celui qui consiste dans des sons inarticulés, et affreux à voir comme une vilaine bête, il serait réduit à brouter l'herbe ou à cueillir des fruits sauvages, à boire l'eau de la première fontaine qu'il trouverait, à se retirer dans quelque caverne pour être un peu à couvert des injures de l'air et à se couvrir de mousses et d'herbes, à passer son temps dans une oisiveté ennuyeuse, à trembler au moindre bruit, au premier aspect d'un autre animal, à périr enfin de froid ou de faim, ou par les dents de quelques bêtes féroces... »
Cette- peinture a servi de point de départ à celle de Rousseau. Il en utilise les détails concrets, en réfute les traits trop pessimistes ^
Sa réfutation est souvent inspirée de Lucrèce. Or Lu- crèce est longuement cité par Pufendorf^:
Et genus humanum multo fuit illud in arvis Durius, ut decuit tellus quod dura creasset...
iPufendorf, I, p. i8i.
' Discours, p. 78 et 82.
^ Edit. de Pufendorf, 1, p. 182. D'après Hertius, De socialitate, I, 8.
* Discours, p. 128.
* Pufendorf, I, p. i 80 et i 82.
* Cf. Discours, p. 85, 86, 89. Au reste, Rousseau signale lui-même Pufendorf comme sa source.
■> Pufendorf, I, p. i83.
164
ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
... Voilà pour la force du corps. Les besoins vite sa- tisfaits :
...QuoJ terra crearat Sponte sua, satis id placabat pectora donum. Glandiferas inter curabant corpora quercus... At sedare sitim fluvii fontesque vocabant ... nemora cavos montes silvasque colebant.
Voici l'amour sauvage:
Kl Venus in silvis jungehat corpora amantum.
Nu! doute qu'il n'ait pris au même Lucrèce une ins- piration dans sa peinture des premières joies de la fa- mille ^:
Inde casas postquam ac pelleis ignemque pararunt Et mulier conjuncta viro concessit in unum Castaque privatœ Veneris connubia IseVà Cognita sunt. prolemque e\ se videre creatam...
Mais la vie, alors, devient plus molle-:
Tum genus humanum primum mollescere cœpit,
et l'union des familles se fait^:
Tune et amicitiam cœperunt jungere habentes l'Mnitima inter se nec Itcdere ne violare*.
' Discours, p. i 08.
2 Ibid.
2 Ibid. p. iO(j.
* Nf)us n'avons signalé ici que les rapprochements du discours avec les passages de Lucrèce cités par Putendorf. Les citations de Pufendorf comportent quelques lacunes. Rousseau semble s'être reporté au texte pour les combler. (Les contemporains n'ont pas manqué de signaler ces emprunts. J. de Castillon, loc. cit., traduit tout au long Lucrèce, livre V, V. 923, ()7()-<jSo, 985-98G, 1008, 1027, 1089, passages presque tous ci- tés par Pul'endorf). Les vers 964 et sq . paraissent avoir été imités. « Et manum mira freti virtute pedumque | Consectabantur sylvestria s<e- cla ferarum | Missilibus saxis, et magno pondère clav;e | Multaque vince bant, vitabant pauca latcbris.» Voyez Discours, p. 86, la lutte du sauvage contre l'ours. Cf. l'inditVérence de l'homme primitif pour le spectacle de la nature (p. 91) avec « Nec plangorc diem magno solemque per agrt)S quatrebant pavidi. . . | a parvis quod enim cousuerant cernere semper | AUeriio lencbras et lucem tcmpore gigni.» (971 et sq.) Rapprochons^
SOURCES DU DISCOURS DE I. 'INÉGALITÉ ibb
Cet homme est solitaire. L'idée d'un état de disper- sion ^ se dégage de cette description : et dans cet état quelle difficulté d'inventer les moindres choses !
« Quand même, dit Pufendorf, plusieurs hommes semblables à celui-là viendraient à se rencontrer dans un pays désert, combien de temps ne seraient-ils pas à mener une vie tout à fait misérable et presque farouche, avant que par leur propre expérience, par leur industrie ou par les occasions que pouvait leur fournir l'a- dresse de quelque bête, ils se fussent procure peu à peu quelques- unes des commodités de la vie, et eussent invente divers arts. Pour en tomber d'accord, il ne faut que considérer ce grand nom- bre de choses qui sont présentement d'usage dans la vie, et com- bien il aurait été difficile à chacun d'inventer tout cela lui seul, sans instruction et sans le secours d'autrui... 2 »
Et Barbeyrac d'insister dans sa note ^ : « C'est Dieu qui apprit aux hommes la nature des grains, le temps des se- mailles, et la manière de labourer et de faire du pain.... ce qu'il n'auraient pu découvrir d'eux-mêmes, qu'après une longue expérience et de longues réflexions», et «le fer», car on ne peut labourer « sans l'usage du fer». « Les habi- tants des Iles Canaries... à l'arrivée des Espagnols ne con- naissaient pas du tout le feu. » « Dapper, dans sa descrip- tion de l'Amérique, dit que plusieurs peuples de ce pays ignorent le fer et se servent de dents d'animaux. » Ajou- tons cet argument emprunté à Hobbes par Pufendorf que (( dans l'état de nature, personne ne saurait être assuré de Jouir des fruits de son industrie'*», et nous aurons un
encore deux passages : Lucrèce i'-!6o et sq. : At spécimen sationis et origo I Ipsa fuit rerum primum natura creatrix | arboribus quoniam bac- cae glandesque caducae | Tempestiva dabant pullorum examina subter. Cf. Discours, p. m. Comment les hommes apprennent l'agriculture.
1 Discours, p. i 5 i-i 52.
» Pufendorf, I, p. 182-183.
3 Ibid., I, p. i85.
* Pufendorf, I,p. 186. Cf. Hobbes, De Cive, X, par. 1.
l66 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
développement de Rousseau*. Mais ces arguments, qui, pour Pufendorf, sont des preuves de la misère de l'état de nature, changent de sens avec Rousseau : ils sont do- minés par ce principe que la civilisation est mauvaise, et que rien ne vaut « l'heureuse ignorance où la Sa- gesse éternelle nous a placés^,» Ainsi la « Botnie Jialuf^e» nous contenait dans cet état par toutes les difficultés ac- cumulées pour nous empêcher d'en sortir. Cette espèce de transformation de l'argument s'ajoute aux procédés de réfutation directe.
A vrai dire, il trouvait dans l'édition de Barheyrac un modèle de ce travail. Pufendorf achève son déve- loppement sur l'état de nature par un parallèle em- prunté à Hobbes entre l'état de nature et l'état civil, où l'état civil est fortement avantagé^. Mais objecte en note Barbeyrac^, il exagère beaucoup les avantages de l'état civil par dessus l'état de nature, et com- mençant d'argum.enter, il ne laisse pas passer un dé- tail du texte de Pufendorf. Relevons seulement celles de ces notes dont Rousseau a fait son profit.
Des passions dans l'état de nature? ce C'est ce qu'il fau- drait prouver. Car pourquoi l'empire despassions serait- il si grand ? Y a-t-il dans la société civile moins d'objets et d'occasions propres à émouvoir les passions? Ou plutôt n'y en a-t-il pas davantage? » On reconnaît là un des thèmes favoris de Rousseau : il critique les philoso- phes d'avoir prêté à l'homme de la nature des passions qui ne naissent qu'avec la société : le sauvage n'a pas
' Discours, p. 91 et 85, sur Tétat de dispersion et rinvciiticui des arts, p. iio et 107, sur les sauvages. ' Premier Discours, I, p. 9.
3 Pufendorf, I, p. i85, et Hobbes (De Cive, X, i.) * Pufendorf, 1, p. 186, d'après Titius, Observatioues, 460-461.
SOURCES DU DISCOURS DE l'iNÉGALITÉ 1 67
à satisfaire, comme le veut Hobbes, « une multitude de passions qui sont l'ouvrage de la société » : le peu de passions qu'il a sont «peu actives», elles se bornent presque à ses trois besoins essentiels, la faim, le repos, l'amour, tous les trois faciles à assouvira
Les guei^res dans l'étal de natuj^e?
« Il y en aurait sans doute quelques-unes, mais elles ne se- raient jamais ni si furieuses, ni si funestes, ni d'un si grand nom- bre de gens que celles qui ravagent souvent de vastes provinces et de grands royaumes... » La paix ne saurait être «troublée d'une manière qui nuise en même temps à un si grand nombre de per-
sonnes. »
Selon Rousseau, il a fallu l'état civil pour que les luttes devinssent « sanglantes»: ce n'est qu'alors que les homxmes « se massacrent par milliers ^. »
La barbarie dans l'état de nature? L'ordre... la dou- ceur, la politesse, les sciences ?
« D'où viennent alors ces monstres d'ambition, d'avarice, de volupté, de cruauté, d'inhumanité, qui régnent ordinairement dans les cours des princes?» Et « sous ces beaux noms on cache
' Discours, p. gi, 98, 100.
Pufendorf, qui veut montrer que l'état de nature est un état miséra- ble, fait argument de la violence de l'amour et de ses conditions spécia- les pour indiquer les luttes qu'il doit entraîner : on voit tout de suite que Rousseau (Discours, p. loi) introduit de la même manière son «mor- ceau très philosophique sur l'amour sauvage». (Grimm, Corr., III, p. 58 et sq.)
«Chez les bêtes (Pufendorf, 1, p. 178), les mouvements de l'amour ne les pressent qu'en certains temps, et autant qu'il est nécessaire pour la multiplication de l'espèce, et non pas pour un vain plaisir. Sont-elles parvenues à leur fin : les voilà contentes, leurs désirs cessent d'eux-mê- mes. Mais dans l'homme les mouvements de l'amour ne sont pas bornés à de certaines saisons, et ils s'excitent même beaucoup plus fréquem- ment qu'ils ne semble nécessaire pour la propagation de l'espèce. >» De ce fait que chez l'homme l'amourn'est jamais périodique, Rousseau conclut justement que l'espèce humaine ne souffrira pas de ce moment terrible d'ardeur commune, de tumulte, de désordre et de combat.
- Discours, p. loi-ioi.
vj
l68 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
souvent la vanité, la sottise, la folie, la pédanterie, les passions déréglées, les fourberies ingénieuses... »
Voilà Rousseau presque dépassé. La conclusion de Barbe3Tac prépare celle de Rousseau : admettons les misères de l'état de nature, elles n'existeront pas «par- tout et de tous temps». Il y aura des intervalles quel- quefois assez longs pour laisser goûter tous les plaisirs de l'indépendance et ôter toute pensée de se donner un maître pour protecteur.
Car, pour Pufendorf, l'état de nature est un état d'in- dépendance, d'ég'alité, de communisme :
« Pour les droits qui accompagnent l'état de nature, il \ a deux fondements: l'un est l'inclination dominante de tous les ani- maux qui les porte invinciblement à chercher par toutes les voies imaginables à se conserver... L'autre, c'est l'indépendance de ceux qui vivent dans l'état de nature, en tant qu'ils ne sont sou- mis à aucune autorite humaine. Du premier principe il s'en suit que dans l'état de nature on peut jouir et se servir de tout ce qui se présente, mettre en usage tous les moyens et faire toutes les choses qui contribuent à notre propre conservation... De l'autre, il s'en suit qu'on peut faire usage de ses propres forces, et suivre son propre jugement et sa propre volonté dans le choix des moyens qu'on emploie pour sa conservation et sa défense... C'est par rap- port à ce dernier droit que l'état de nature s'appelle aussi la liberté naturelle, parce qu'on y conçoit chacun comme maître de soi-même et indépendant de toute autorité de ses semblables, jusqu'à ce qu'on y soit assujetti par quelque acte humain : d'où vient aussi que, dans cet état-là, chacun passe pour égal à tout autre, dont il n'est ni sujet ni maître.'»
Nulle part, dans Rousseau, ne se trouvent concentrées ces idées: mais elles sont partout'-. Chaque homme se dé- veloppe suivant son intérêt: et le livre entier est l'apologie de l'égalité et de la liberté naturelle. Les hommes« tiers et indomptés» sont semblables « aux coursiers qui se dé-
' Pufendorf, 1, p. 187.
- Cf. Discours, p. 81, p. i 10, i 17 et sq.
SOURCKS DU DISCOURS DE l'iNKGALITÉ 1 69
battent impétueusement à la seule approche du frein.» Si Pufendorf admet avec Hobbes que l'état de nature est misérable, il conteste qu'il soit absolument un état de guerre. Or le premier argument de Rousseau est que les hommes, étant dans un a état de dispersion », ne sau- raient être en guerre, «puisqu'ils se rencontrent à peine deux fois dans leur vie, ne se connaissent, ni ne se parlent*)); et on lit dans Pufendorf: « Ceux qu'une dis- tatice de lieux sépare ne peuvent se faire du mal immé- diatement les uns aux autres... Ainsi je ne vois pas pour- quoi, quand on est éloigné les uns des autres on ne se regarderait pas comme amis^... »
Son second argument, c'est que l'homme est un ani- mal capable de pitié. C'est un « frein » aux passions égoïstes de l'homme. Rien de tel dans Grotius, ni dans Pufendorf: tous deux protestent que c'est un a abus » de faire rentrer « la générosité, la libéralité, la compas- sion... dans le droit naturel'.» Mais ils admettent qu'il existe dans la nature même de l'homme des éléments capables d'empêcher l'état de guerre. Tous deux font de l'homme une créature sociable.
<y Une des choses, dit Grotius, propres a l'homme, est le désir de la société, c'est à dire une certaine inclination à vivre avec ses sem- blables, non pas de quelque manière que ce soit, mais paisible- ment et dans une communauté de vie, aussi bien réglée que ses lumières le lui suggèrent...*»
Quand on critique la société, on ne saurait admettre la sociabilité : Rousseau la rejette -^
1 Cf. Discours, p. 92, 98, 104, i5i-i52. J. de Castillon, loc. cit., mon- tre bien que cet état de dispersion est au fond delà doctrine de Rousseau . •Cf. p. 128, i33, 207 de cet ouvrage.
- Pufendorf, 1, p. 19g.
•' Pufendorf, I, p. 239. Il cite Grotius et Tapprouve.
•* Grotius, I, p. 5. Pufendorf soutient des idées pareilles, I, p. 238.
* Cf. supra et Discours, p. 81.
I 70 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
D'autre part Grotius et Pufendorf admettent que rhomme est raisonnable. Et c'est ainsi qu'ils arrivent à leur définition de la « Loi naturelle » : ^
« La loi naturelle, c'est celle qui convient si nécessairement à la nature sociable et raisonnable de l'homme que sans l'observa- tion de cette loi il ne saurait y avoir parmi le genre humain de société honnête et paisible. »
Cette loi évite, complètement pour Grotius, à peu près pour Pufendorf, l'état de guerre : « Il ne s'agit pas de l'état d'un animal, qui ne se conduise que par les im- pressions des sens : mais d'un animal dont toute la partie principale et celle qui dirige toutes les autres fa- cultés est la Raison, laquelle même dans l'état de na- ture a une règle générale sûre et fixe'. » De cette Raison, se déduisent à travers les trois /;/-_/" de Pufendorf une foule de prescriptions de morale sociale et individuelle : c'est là une «collection de règles^» établie a priori, « suivant des convenances presque arbitraires», et non sur «la nature des choses». Rousseau laisse sur ce point, avec quelque mépris, «les livres scientifiques *», Cette définition de la loi naturelle repose sur une con- ception de la Raison qu'il n'admet plus: pour l'ami de Condillac, la Raison n'esl plus irréduclible^ : il faut fon- der le droit naturel sur des principes antérieurs à la rai- son*'. On voit la place de la théorie de la pitié dans le Discours. Elle est la forme modernisée de la loi natu- relle.
' Pufcnciorf, I, p. i36, et Grotius 1, p. 4.
- Pufendorf. 1, p. 201. C"est une réponse à Hobbes.
" Discours, p. H0-81.
* Ibid.
^ Cf. supra.
'■ Discours, p. 8.
SOURCES DU DISCOURS DE L INEGALITE I71
Donc pour Rousseau, l'état de nature est un état de vertu et de paix. Mais la propi^iété s'institue et les cho- ses vont changer.
II. La Propriété.
De l'oj^igine de la propr^iété. — Avant Rousseau, deux doctrines sont en présence. Selon la première (Grotius et Pufendorf, droit romain), la propriété indi- viduelle a pour origine un partage^ ou une occupation^ par droit du premier occupant. Il y a eu convention expresse, ou tacite, consentement universel exprimé, ou sous entendu, pour passer de l'état de communisme à l'état de propriété personnelle. Selon la seconde (Locke, Barbeyrac), la propriété a pour origine le travail indi- viduel^ qui la fonde en droit, comme en fait: aucune convention n'est nécessaire. Il y a dans Rousseau des traces de ces deux conceptions.
Nous avons vu Grotius admettre un communisme primitif. Pufendorf précise : « il n'était encore inter- venu à l'égard des choses aucun acte humaine » Il y avait seulement un droit accordé par Dieu aux hommes «d'user des biens de la terre ^.)) Mais
« les hommes jugèrent à propos d'abolir la communauté primi- tive...*; ils convinrent d'assigner à chacun sa part de ce qui était auparavant en commim, distribution qui se fit ou par l'autorité des pères de famille ou par un accord, ou par le sort... Toutes les autres choses qui n'entrèrent point dans ce premier partage, furent laissées au premier occupant*.»
1 Pufendorf, II, p. 243.
- Ibid, p. 247.
=* Ibid. p. 259 et 280 et Grotius, p. 228-245.
* A ce droit du premier occupant, Rousseau a peut être songé dans un passage fameux : « Le premier qui ayant enclos un terrain. . . » C'est r« occupatio. ». Cf. Discours, p. 113-114.
172 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
Et voilà comment se fait le passage du communisne à la propriété individuelle. Ainsi, pour nous servir de l'expression même de Rousseau, se forma « un droit de propriété différent de celui qui résulte de la loi natu- relle. » On sait comment se formule ce dernier : « les fruits à tous, la terre à personne ^ «
Pour Grotius, que Rousseau cite -, ce « partage » a pour cause Tagriculture : « Lorsque les anciens ont donné à Gérés Tépithète de législatrice, et le nom de Thesmophories à une fête célébrée en son honneur, ils ont fait entendre par là que le partage des terres a pro- duit une nouvelle sorte de droit ». Et la note de Grotius l'inspire, lorsqu'il fait de Gérés la législatrice d'une humanité vasabonde :
o
« Nam et Cereris Thesmophoria, id est legum latio, vocantur: sed hoc ideo fingitur, quia ante inventum frumentum a Cerere passim homines sine lege vagabantur: quae feritas interrupta est, invento usu frumentorum, postquam ex agrorum discretione nata sunt jura... ' »
Grotius explique que la multiplication de l'espèce humaine et, par conséquent, l'insuffisance de la terre, empêche qu'elle reste commune, et décrit un partage progressif entre les nations, puis entre les familles. Rousseau se contente d'une formule : l'agriculture fut la cause de cette «grande révolution^». Il ne garde de Grotius que l'image d'une luimanité composée d'agri- culteurs et de bergers — image biblique — et l'idée — latine — que les premiers laboureurs posèrent les pre- mières bornes et fixèrent par là la propriété.
^Discours, p. 112 et p. io5.
" Discou}s, p. I r2, et Grotius, I, p. 229.
•• C'est le latin de Servius cité par Grotius, 1, p. 228.
* Discours, p. I lo-i i3.
SOURCES DU DISCOURS DE l/lNÉGALlTÉ lyS
Par contre, il a gardé l'idée qu'une convention est né- cessaire pour instituer la propriété. Grotius déclare
«que les choses n'ont point commencé à passer en propriété par un simple acte intérieur de Tâme, puisque les autres ne pou- vaient pas deviner ce que l'on voulait s'approprier... il fallut une convention, ou expresse (dans le cas de partage), « ou tacite » (dans le cas d'« occupatio ») ; tous les hommes ont « consenti », ou « furent censés avoir consenti*. »
Pour Rousseau aussi la propriété tire son origine de i( conventions humaines »-. Le fâcheux, c'est qu'il y ait eu des gens assez simples pour la conclure.
Mais la théorie de Locke a été mise à contribution par Rousseau. Barbeyrac, immédiatement inspiré par Locke, s'élève contre la théorie du partage et surtout contre cette idée de convention. Il qualifie la première de apure chimère»^ et déclare que la seconde n'est ^nullement nécessaire^. » S'il abandonne la thèse du par- tage (Grotius et Pufendorfj. Barbeyrac retient l'impor- tance de l'agriculture. C'est elle qui fit sortir l'huma- nité de l'état de « communauté » primitive, non pas, comme le veut Rousseau, en déterminant un «partage», mais parce qu'elle est la première forme du travail et de l'industrie humaine*. C'est précisément là l'idée que Rousseau juxtapose à celle de partage^. C'est
1 Grotius, p. 228. Pufendorf approuve fort cette phrase (Pufendorf, II, p. 248-258.)
- Discours, p. i kj. Cf. p. 1 14: « ... qu'il vous fallait un consentement exprès et unanime du genre humain pour vous approprier sur la subsis- tance commune...» Cf. Pufendorf, II, p. 248: « C'était un crime de pren- dre la moindre chose de ce qui est en commun, avant que d'avoir là-des- sus le consentement de tous les autres» (Barbeyrac).
•'Pufendorf, II, p. 249-259.
* Pufendorf, II, p. 242.
'^ Discours, p. 1 12 : «... il est impossible de concevoir l'idée de la pro- priété naissant d'ailleurs que de la main-d'œuvre; car on ne voit pas ce que, pour s'approprier les choses qu'il n'a point faites, l'homme peut y mettre de plus que son travail.»
174 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
l'idée maîtresse de Locke : Barbeyrac la résume :
a Un homme se nourrit de glands ramassés sous un chêne... Quand est-ce que les choses qu'il mange commencent à lui appartenir en propre? ... Il est visible qu'il n'y a rien qui puisse les rendre sien- nes que le soin et la peine qu'il prendde les cueillir et de les amas- ser. Son travail distingue et sépare alors ces fruits des autres biens qui sont communs: il y ajoute quelque chose de plus que la nature, la mère commune de tous y a mis. Ainsi se forme la propriété de la terre ^ »
Mais selon Locke, la propriété ainsi acquise à ses limi- tes dans le besoin individuel :
i( Mais la propriété des biens acquis par le travail doit donc être réglée selon le bon usage qu'on en fait pour l'avantage et le plaisir de la vie [pour les besoins et les commodités (variante Barbeyrac)] si l'on passe les bornes de la tnodération et que l'on prenne plus de choses qu'on en a besoin, on prend sans doute ce qui appartient aux autres. »
Il y a des traces de cette théorie en deux endroits dans Rousseau ''. Ainsi se juxtaposent les deux théories alors exprimées sur l'origine de la propriété^.
1 Locke, Gouvernement Civil, p. 32-70. Pufendorf, II, p. 248-49. Je cite Locke; tout ce qui est en italique est textuellement dans Bar- beyrac.
- Discours, p. I 10 ei I 14. « ... utile à un seul d'avoir des provisions pour deux i> «... s'approprier sur la subsistance commune tout ce qui va au- delà de la sienne. »
•'■ Rousseau ne connaît-il Locke qu'à travers Barbeyrac ? Il est faux de l'affirmer. Une grande note de Rousseau contient une très longue citation du Gouvernement civil. Rousseau écrit : « C'est le seul tra- vail, qui, donnant droit au cultivateur sur le produit de la terre, lui en a donné par conséquent sur le fonds...» et paraît, là, s'inspirer direc- tement de Locke : « Nous voyons que cultiver la terre et avoir domi- nation sur elle sont des choses jointes ensemble : l'une donne droit à l'autre.» Il n'y a rien d'équivalent dans la note de Barbeyrac. Pour- tant dans l'une des additions ajoutées au texte en 1782, Rousseau cite Barbeyrac de préférence à Locke. Discours, p. 119, citation presque intégrale d'une note de Barbeyrac, dans son édition de Pufendorf, III, p. 23!^ (Locke, Gouvernement civil, p. 3o et 3i). Une autre citation de
SOURCES DU DISCOURS DE l'iNÉGALITÉ l'j'j
D'un nouvel état de choses créé par /'« invention » de la propriété. — Avec l'institution de la propriété, nous rattrapons Hobbes. Le droit égal que tous les hom- mes ont sur toutes choses entraîne la guerre \ mais seulement dès l'instant où ils commencent à revendi- quer individuellement ce droit, fondé sur un nouvel état de choses : alors se produisent la « cojicurreftce et la ri- valité^» qui «produisit une infinité de disputes et de querelles. » Elle est indiquée dans Pufendorf^. Mais c'est à la description de Hobbes que Rousseau est re- venu. Cet état de guerre amène les hommes à former entre eux une convention qui assure la paix. Mais Rous- seau donne à la propriété une importance capitale ; c'est Locke qui l'inspire. Pour Locke,
« la principale fin que se proposent les hommes, lorsqu'ils s'u- nissent à une communauté et se soumettent à un gouvernement, c'est de conserver leurs propriétés, pour la conservation desquel- les bien des choses manquent dans l'état de nature*.»
L'influence des politiques anglais domine dans la fin du livre.
Locke paraît être venue à Rousseau par Barbeyrac: «Car, selon l'axio- me du sage Locke, il ne saurait y avoir d'injure où il n'y a point de propriété. » Cette citation est tirée de VEssai philosophique sur l'En- tendement humain, IV, 3, i8, p. 447, 2' édit. Coste. Barbeyrac dans sa préface à Pufendorf, Sur les méthodes en droit naturel, cite ce passage. Ailleurs, critiquant la théorie qui fait du pouvoir paternel l'origine du pouvoir absolu, Rousseau passe légèrement (Discours, p. 118) sur les objections de Locke et de Sidney ; ces deux auteurs sont encore cités par Barbeyrac, qui expose le système de Locke à ce sujet (Pufen- dorf, III, 62-63.) Rousseau a lu Locke, mais Barbeyrac a attiré son atten- tion sur certains passages de cet écrivain.
' Hobbes, De Cive, p. 14.
- Discours, p. 113-114.
■ Pufendorf, II, p. 25 1.
* Locke, Gouvernement civil, p. 179.
176 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
III. L'Etat Civil.
Mais si Locke et Sidney^ fournissent à Rousseau quelques thèmes contre la monarchie absolue, Pufen- dorf et Barbe3rac ne sont pas oubliés-.
Selon Rousseau, «le conquérant et le peuple conquis restent entre eux en état de guerre» jusqu'à la recon- naissance libre du vainqueur^. Et pour Pufendorf, ff lorsqu'on acquiert la souveraineté par les voies de
la force, cela s'appelle s'en emparer Toute conquête
légitime suppose que les vaincus se sont soumis à
1 L"etude de linfluence de Sidney 1 Discours sur le gouvernement 1 j<Mme à celle de Grotius, Pufendorf et Barbeyrac jette un jour sur l'éru- dition de Rousseau. Il a pris à Sidney trois passages où se trouvaient des citations latines.
Discours, p. 124, deux citations (Lucain). Cf. Sidney, sect. XIX, I, p. 417-23. «La corruption et la vénalité, qui est si commune dans les cours des princes souverains et dans leurs Etats, se trouve rarement dans les républiques et dans les gouvernements mixtes. » Sidney y montre que « les démocraties ne peuvent se soutenir que par la pratique de la vertu » ; or « toutes les choses du monde se gouvernent par un principe conforme à leur origine. » Ainsi César « n'ignorait point que de la cor- ruption du peuple dépendait sa sûreté... celui-là était un soldat selon son cœur qui dirait : Pectore si fratris... »
Cf. Sidney, sect. XIX (I, p. qS?), montre, autour des tyrans, des hom- mes vicieux qui les soutiennent « ce sont ces gens-là quitus ex lioves- to niilla est spes ; ils ont en horreur l'autorité des lois parce qu'elle ré- prime leur vice : mais ils se font un plaisir d'obéir à un homme qui les favorise... » La citation de Tacite est dans le Discours.
Discours, p. 118: « miserrimam servitutem pacem appellant» (Tacite, Hist. IV, 17). Cette citation se retrouve dans Sidney, sect. XV, tome 1, p. 359: « L'empire romain ne cessa de déchoir dès qu'il fut entre les mains d'un seul homme». Sidney y critique Filmer, qui soutenait que le bonheur et la grandeur de Rome, ainsi que les joies de la paix, se trouvèrent sous l'empire. «Les Bretons, nos ancêtres, observèrent... que la paix que les Romains donnèrent aux hommes en ce temps-là ne
tendait qu'à les rendre de plus en plus esclaves : miserrimam
etc., comme dit un grand historien...»
2 Grotius est laissé de côté. Du reste toutes ses idées sont passées dans- Pufendorf.
•■ Discours, p. I lO, et supra.
SOURCES DU DISCOURS DE L INÉGALITÉ I77
lui par une convention; autrement, ils sont encore ré- ciproquement en état de guerre, et par conséquent, il n'est pas leur souverain^».
Il n'est pas, selon Rousseau, «raisonnable)) de croire que les peuples se sont d'abord jetés dans l'esclavage de l'abolutisme*. C'est l'avis de Pufendorf.
« La démocratie est la plus ancienne parmi la plupart des na- tions ; antiquité qui, d'ailleurs, est conforme a la raison, v avant tout lieu de supposer que ceux qui renonçaient à l'état de liberté et d'égalité naturelle pour se joindre en un seul corps, voulurent d'abord gouverner en commun les affaires de la société. Le moyen de s'imaginer qu'un père de famille, qui, après avoir aperçu les incommodités d'une vie solitaire entrait volontairement dans une société civile... oubliât si fort son ancien état d'indépendance où il se conduisait à sa fantaisie dans tout ce qui regardait sa con- servation que de se soumettre d'abord à la volonté d'une seule personne en matière d'affaires publiques^.»
Rousseau enfin, conteste que le Contrat qui unit les gouvernés au souverain puisse être unilatéral. C'était l'opinion de Pufendorf. Rousseau la cite pour la criti- quer. Tant il est vrai qu'il suit de près le livre du juriste. ,
Pour Pufendorf la souveraineté repose donc sur un abandon des droits du peuple. Mais que devient le droit divm^ si la souveraineté ne repose que sur une convention humaine?
« Pour la rendre plus sacrée et plus inviolable, il faut un prin- cipe plus relevé ; que l'autorité des princes soit de droit divin aussi bien que de droit humain.... la droite raison fait voir que l'établissement des sociétés civiles était absolument nécessaire
' Pufendorf, III, 20g, et aussi III, 407. Il y a dans Locke des idées similaires (Gouvernement civil, 263, 265, 275) : mais il distingue la conquête juste de l'injuste. Ce texte est cité par Barbeyrac, III, p. 407.
2 Discours, p. 117.
3 En désaccord avec Locke, Gouvernement civil, p. 134, qui admet une royauté primitive : Barbeyrac approuve Locke. Mais Pufendorf le contredit, III, p. i56-i57.
12
I "8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
pour l'ordre, la tranquiliie et la conservation du genre humain... » Mais il « faut rapporter à Dieu les établissements que les hommes ont inventés eux-mêmes par les liunières de la droite raison^.»
La théorie de Rousseau sur le droit divin rappelle celle-là : pour éviter les désordres, il faut quelque chose de plus solide que la seule Raison ; la volonté divine doit donner à l'autorité un caractère sacré et inviola- ble. Au fond, pour l'un et Fautre, le droit divin n'est qu'un moyen de gouvernement : il achève plus qu'il ne constitue la souveraineté.
D'ailleurs. Pufendorf est moins absolutiste qu'il le paraît : il établit fortement la souveraineté, mais il v admet des « modifications. » Toutes les promesses des rois n'emportent pas une limitation de leur souverai- neté, écrit-il -; mais il reconnaît qu'ils sont sujets à des pt^omesses parliculières^ c'est-à-dire celles <( qui renfer- ment un engagement particulier de gouverner selon cer- taines règles prescrites, que l'on appelle les Lois fonda- meiilales de l'Etat y). Et le souverain est soumis à ces lois si ((fortement» que ((tout ce qu'il fait contre les statuts et les lois fondamentales est entièrement nul par lui-même et n'oblige en aucune façon les sujets. >« Ces lois fojidatueiilales leparaissent dans Rousseau, et obligent tous les membres de l'Etat, sans exception".
Et Rousseau ^ pour appuyer cette théorie cite un long passage d'un écrit cùlèbvc publié en lôO-j au nom
' Pufendorf, 111, p. ilii, et Discours, p. i'ji.
^ Pufendorf, III, p. i()5-uj6.
3 Discours, p. 120.
* Voyez Discours, p. inj. C'est le Traité des droits de la Reine très chrétienne sur divers états de la monarchie d'Espagne, 1667, 4°, Imp. royale. Sidney, Discours sur le f^ouverjiement (t. Il, p. 2^8, édit. de 1702, 4*) faisait allusion à cet ouvrage sans citation. Barbeyrac, dans Pufendorf, III, p uj6, rappelle ce passage de Sidncy et complète ces allusions par des citations intégrales.
SOURCES nu DISCOURS DE L INEGALITE IJi)
et par les ordres de Louis XIV. La citation est de se- conde main., et confirme l'usage que Rousseau a fait du commentaire de Barbeyrac : ce juriste, en effet, cite pré- cisément en note, — au moment où Pufendorf parle de ces lois fondamentales de l'Etat, qui ont reparu dans le Discours, — le passage du « Traité des Droits de la Reine» qui est dans Rousseau.
IV
De l'Information scientifique du Discours.
Nous avons montré Rousseau poussé par Diderot à l'application d'une méthode scientifique, et préparé à tenir compte dans sa description de l'homme naturel des observations et des expériences. Sur elles, il s'efforce d'appuyer ses vues. Quelle est donc son info?ynation scientijique?
L'histoir,e naturelle de Buffon en constitue le fond le plus solide, mais non pas unique^. La Théorie de la terre, si ardue, et en apparence étrangère au sujet de Rous- seau est mise à contribution. Il y prend une vision de la terre primitive, bouleversée par des « révolutions,
' Cf. les notes où il y a des citations textuelles. La note (*2) i Discours, p. 127), reproduit Buffon, IV, p. 1 5 1, De la nature de l'homme ; la note (*a) (Discours, p. 129) la Théorie de la terre, Preuves, article VII, tome I, p. 354-55. On est renvoyé à ce passage par le texte même de la Théorie de la terre, I, p. 108. La note (*d) 1 Discours, p. i'-Î2) est tirée de l'histoire naturelle du chevai, tome VIL D'après la réponse donnée par Rous- seau lui-même à la note (*2) (Hachette, p. 127), Rousseau a lu V His- toire naturelle générale et particulière, avec la description du cabinet du roy, 1752, Paris, Imp. royale (ss. n. d'à.) édit. in-12. Nous nous y re- porterons dans nos références. En 1793, 4 tomes in-4*, 8 tomes in-12, ont paru (cf. Corr. de Grimm, II, p. 285.) Je donne pour les notes le numérotage de l'édition princeps du Discours.
l8o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
inondations et tremblements de terrée» Dans les Prieures de la Théorie de la terre^^ il est question de (c révolutions arrivées à la surface de la terre», un peu plus bas, du a globe terrestre» (p. 411), et on lit :
« Il Y a grande apparence... que l'Ile de la Grande-Bretagne était autrefois jointe à la France et faisait partie du continent ; on ne sait si c'est par un tremblement de terre, ou par une irrup- tion de rOcéan... (p. 423) ... Il arriva une grande inondation dans une partie de la Flandre par une irruption de la mer (p. 424). »
Le chapitre est plein d'exemples du même genre. Ailleurs c'est un renseignement sur la durée de la vie que Rousseau puise dans Butfon : la vie moyenne de l'homme est constante à l'état sauvage et à l'état civilisé ^. Buffon s'efforce de prouver qu'à « prendre le genre hu- main en général il n'y a aucune différence dans la du- rée de la vie...» et que « rien ne peut changer les lois de la mécanique qui règlent le nombre des années.» Il cherche des détails anatomiques. Rousseau, qui tient pour la thèse de l'homme bipède, utilise cet argument: <c aucun quadrupède n'a le sein placé comme la fem- me*. » On trouve dans Buffon (De l'âge piril) une douzaine de lignes sur la place des mamelles chez les animaux. Rousseau veut-il documenter l'hypothèse de l'homme «frugivore^», il s'adresse à Butfon":
« Comme l'herbe et les végétaux suffisent à leur nourriture... les chevaux ne se font pas la guerre entre eux ; ils ne se disputent pas leur subsistance. Ils n'ont jamais l'occasion de ravir une proie,
' Discours, p. 108.
- l^uffon, II, p. 410 et sq . Je classe I^ufVon parmi les influences livres- ques parce que Rousseau n'a guère pu subir l'action de sa conversa- tion.
•' Discnuis, p. 87, et Butfon, IV, p. 3<)4 et sq.
* Discours, p. 1 28.
•'' Discours, p. 1 3o.
« Buffon, VU, p. 253.
SOURCES nu DISCOURS DE l'inégalité l8l
ou de s'arracher un bien, source ordinaire de querelle et de com- bat parmi les animaux carnassiers ; ils vivent donc en paix. »
Rousseau, dans sa note 4, montre que la proie et les disputes qui s'en suivent n'existent pas pour l'homme primitif, s'il est frugivore ^ Mais l'est-il ? Buffon dit bien que « l'homme pourrait comme le bœuf vivre de vé- gétaux»^, mais les considérations anatomiques sur quoi il s'appuie sont assez obscures. Rousseau relève un ar- ticle du Journal économique de janvier 1754, qui rend compte d'une
« dissertation entre le docteur Wallis et le docteur Tyson sur l'usage où sont les hommes de manger la chair des animaux. Le docteur Wallis soutient la thèse de Gassendi, qui insiste sur la structure des dents de l'homme, qui sont pour la plupart incisives ou molaires... Le docteur Wallis ajoute que les cochons, les bœufs, la plupart des quadrupèdes qui se nourrissaient d'herbes et de plantes ont un long colon... au lieu que les loups et les re- nards et différents animaux carnassiers n'ont pas ce colon... Or on sait que ce colon se voit distinctement chez l'homme. »
Rousseau se souvient de cette page lorsqu'il écrit': « Quant aux intestins, les frugivores en ont quelques- uns, tels que le colon, qui ne se trouvent pas dans les animaux voraces... » Or l'homme a les intestins « com- me les ont les animaux frugivores^. »
' Discours, p. 128 et sq.
2 Buffon, VIII, p. 89 et sq. (Le bœuf.)
•'' Discours, p. i3o.
* Dans les mêmes intentions, Rousseau lisait les Observations sur l'histoire naturelle, la physique et la peinture de Gautier. Cette com- pilation, qui devint à partir de 1755 le Journal de physique, contient des descriptions anatomiques et médicales, des études de physique (théorie de la terre), des polémiques de savants et des études sur les procédés techniques des beaux-arts ; après une monographie sur le «loir» se trouve un chapitre « sur l'adresse de l'homme contre la force et les ruses des animaux les plus terribles et les plus féroces» (I, p. 246 et sq.) L'article débute par une description des courses de taureaux en
l82 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. -1. ROUSSEAU
Buffon a donné une théorie de la nature humaine. Faut-il rapprocher le paragraphe de Rousseau sur la Perfectibilité de ces lignes de Buffon^?
« Si les animaux étaient doues de la puissance de réfléchir, même au plus petit degré, ils seraient capables de quelque espèce de progrès; ils acquerraient plus d'industrie; les castors d'aujour- d'hui bâtiraient avec plus d'art et de solidité, que ne bâtissaient les premiers castors. Pourquoi chaque espèce ne fait-elle jamais que la même chose et de la même façon? et pourquoi chaque in- dividu ne le fait-il ni mieux, ni plus mal qu'un autre individu? Tous travaillent sur le même modèle, l'ordre de leurs actions est tracé dans l'espèce entière: il n'appartient point à l'individu. »
Le rapprochement porte sur deux points : la « perfec- tibilité » selon Rousseau, « réside dans l'homme, tant dans Tespèce que dans Tindividu... un animal est au bout de quelques mois ce qu'il sera toute sa vie, et son espèce au bout de mille ans ce qu'elle était la pre- mière année de ces mille ans 2, ^> Relation entre l'espèce et l'individu, comparaison de deux moments dans la vie d'une espèce animale. Mais quelle différence! Pour Buffon, c'est l'œuvre qui, chez l'animal, ne se perfec- tionne pas; pour Rousseau, c'est l'ouvrier-^ Buffon n'a en vue que les acquisitions extérieures à la nature de l'être ; pour Rousseau, la nature même de l'homme est acquise ; on sent ici se greffer l'inliuence de Condillac\ Et par elle Rousseau se sépare de Bulfon^ pour qui (' l'homme est un être raisonnable, l'animal un être sans
Espagne, « pour faciliter l'intelligence de ce fait d'histoire naturelle. » Rousseau, dans sa note, a copie la page 262-26;^ avec de légères va- riantes.
' Bulïon, IV, p. 167.
- Discours, p. 190.
3 J. de Castillon (op. cit., p. 35), ne conçoit pas que la perfectibilité puisse « s'appliquer à la raison », qui est une « faculté » ; une (. faculté artificielle » est une contradictio in terminis.
* Cf. supra.
i Cf. Discours, p. Sij. Cl l'.ufFoii, V\l, p. 76 et TV, 171.
SOURCES [)U DISCOURS DE l'iNÉGAMTÉ i83
raison », pour qui «on ne peut descendre insensible- ment et par nuances de l'homme au singe. »
Buffon tenait trop à la Raison pour ne pas faire le procès de la passion ^ : « il n'}- a que le physique de l'a- mour qui soit bon» : c'est que, a malgré ce que peuvent dire les gens épris, le moral n'en vaut rien. » A peine écrite, cette phrase devient célèbre : Grimm l'a relevée; on dit que M'"*^ de Pompadour protesta. Rousseau, à qui les théoriciens de r« état de guerre » apportent l'ob- jection des luttes pour la femelle ^ en fait son profit. Il distingue aussi le moral du physique dans le sentiment de l'amour'. Pour Buffon, le moral de l'amour est la vanité, et Rousseau y a substitué l'idée plus psycholo- gique de préférence exclusive. Mais voici cette « imagi- nation, qui, selon Rousseau, fait tant de ravages parmi nous, et ne parle point à des cœurs sauvages » :
« Les animaux, dit Bufll'on, ne sont point sujets à toutes ces mi- sères ; ils ne cherchent pas des plaisirs où il ne peut y en avoir ; guide's par le sentiment seul, ils ne se trompent jamais sur leur choix : leurs désirs sont toujours proportionnés à la puissance de jouir... L'homme, au contraire, en voulant inventer des plaisirs ne fait que gâter la nature; en voulant se jouer sur le sentiment il ne fait qu'abuser de son être et creuser dans son cœur un vide que rien n'est capable ensuite de remplir. »
Chez l'homme sauvage, dit Rousseau, « le besoin satisfait, tout le désir est éteint. »
Mais c'est le chapitre de Buffon sur les Var^iétés dans l'espèce humaine qui a le plus inspiré Rousseau*. Dès
' Buffon, VII, p. 1 1 I et sq . - Cf. supra.
* Discours, p. i o i .
* II s'agit de ce chapitre où Buffon passe en revue toute l'humanité. 'Voici quelques détails qui prouveront avec quel soin Rousseau l'avait lu. Sur la petitesse des Lapons et surtout des Groënlandais (Discours, p. i38), voyez Buffon, VI, p. loi : « Les Lapons sont très petits... la
184 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
son premier Discotn^s le Sauvage l'avait attiré; Mon- taigne avait tourné ses idées de ce côté. Maintenant, c'est pour reconstituer l'état de nature qu'il va étudier les primitifs. Cette étude avait déjà servi à plusieurs fins : la critique des religions avait cherché à savoir s'il existait des peuples n'ayant aucune idée de Dieu ; puis les idolâtries particulières à ces peuples servirent à attaquer le « fanatisme. » On avait aussi placé, dans le cadre de tribus lointaines, des Salentes idéales et des critiques politiques et sociales ; la fiction du « bon sau- vage » se créait peu à peu, et les relations des voya- geurs « imbues de ces dispositions nouvelles, furent pleines d'éloges attendris du sauvage et le représentè- rent... comme un être exceptionnellement bon, inno- cent et heureux ^ » Mais chez Rousseau il ne paraît pas y avoir d'effort pour idéaliser le sauvage. Il considère la relation de voyage comme un document historique, qu'il critique^. Il accorde croyance à celles qui lui four- nissent des « exemples de la force et de la vigueur des hommes sauvages, parce qu'il ne faut que des yeux pour observer ces choses» : ce sont des u témoins oculaires^» qu'il croit à propos des singes « anthropoformes. » Ici encore le document de première main et la valeur du
plupart n'ont que quatre pieds de hauteur. Les Borangiens sont encore plus petits que les Lapons. . . Les femmes du Groenland sont de lort pe- tite taille. » Si Roussea» (Discours, p. 1 39) parle de « peuples entiers qui ont des queues », c'est qu'on lit dans BulTon (VI, p. i 12-1 13) : « Des .lésuites très dignes de foi ont assuré que dans l'île de Mindoro, il y a une race d'hommes appelés Manghiens qui ont des queues de quatre ou cinq pouces de longueur. » Ailleurs Rousseau écrit : « Les Patagons, vrais ou faux », et on lit dans Buffon (VI, p. 3oi et sq.) une longue dissertation sur ces peuples dont on rapportait qu'ils avaient une taille énorme.
' Lichtenberger, Le socialisme au XVIII" siècle, p. 6.
' Cf. supra.
■• Discours, p. i3i .
SOURCES DU DISCOURS DE l'iNÉGAI.ITÉ i8d
témoignage mesurée ! La valeur de toute l'histoire des voyages est aussi contestée. Il faudrait un voyageur phi- losophe ^ Ces documents ainsi interprétés Taideront à préciser ce que furent les premiers hommes et les pre- miers groupements.
Or voici la première « nation particulière » selon Rousseau. «Elle est unie, de mœurs et de caractères, par le même genre de vie et d'aliments et par l'influence commune du climat-.» C'est exactement la solution de Buffon au problème des Variétés dans l'espèce humaine. J'admettrais, dit-il, trois causes qui concourent à pro- duire ces variétés: «l'influence du climat, \ii nour?-i- tuî^e, les fnœurs:»^ et qui toutes dépendent de la pre- mière^. C'est le principe qui domine son chapitre : il explique l'uniformité que l'on constate entre les peupla- des de l'Amérique^, par l'uniformité du climat et de la nourriture : il complète sa démonstration en y ajoutant l'idée de la durée et de la continuité de ces influences :
« Les Américains se ressemblent tous parce qu "étant nouvelle- ment établis dans leur pays, les causes qui produisent des varié- tés n'ont pu agir assez longtemps pour opérer des effets bien sen- sibles^. »
Voici la même argumentation chez Rousseau". Il n'i- gnore pas «les puissants effets de la diversité des climats^ de l'air, des aliments., de la manière de vivre, des habitu- des en général, ni surtout la force étonnante des mêmes causes, quand elles agissent continuellement sur de
' Discours, p. 143-144. 2 Discours, p. 108-109. =' Buffon, VI, p. 209 et sq. * Buff'on, VI, p. 309 et sq. ^ Ibid, p. 3o5 .
''• Discours, p. 139. Toute la note est très directement inspirée de ce- chapitre de Buffon.
l86 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
longues suites de générations. » Ces causes entraînent (( les variétés les plus frappantes » dans la « figure et l'habitude du corps. »
Ces «nations» ne constituent pas l'état initial des sociétés ^ « La partie nord de l'Amérique, dit Buffon, est si déserte que M. Fabr}' a fait souvent cent ou deux cents lieues sans trouver une face humaine» ...et lors- qu'il rencontrait des «habitations», «c'était toujours a des distances extrêmement grandes les unes des autres» « ...Dans chacune il n'y avait souvent qu'une famille... et rarement plus de vingt personnes ensemble... » Ainsi Rousseau groupe sous la première hutte la première famille, «petite société-», et ces familles sont séparées sur le continent: ce n'est que dans les îles qu'elles sont « rapprochées, et forcées de vivre ensemble » ; ce n'est qu'ensuite que la « nation » se forme. Et pour Butfon les premières sociétés participent plus encore de l'indé- pendance naturelle, que pour Rousseau. Tout s'y fait par '< caprice » : il n'y a « ni règles, ni maîtres, ni lois»; ce sont des «assemblages tumultueux d'hommes barba- res et indépendants» : ils se « réunissent on ne sait pour- quoi», «se séparent sans raison», «n'obéissant qu'à leurs passions particulières-''. » Du moins pour Rousseau les premières « troupes » d'hommes ont « une assiette fixe»; le «voisinage est permanent» entre les familles*.
C'est ainsi que le naturaliste Bufibn est amené à né- gliger ces «prétendues nations» et déclare «nécessaire d'examiner la nature de l'individu. » Le savant confirme
' Buflon. VI, p. 272. -' Discours, p. 107-108. ' Buffon, VI, p. 275 et sq. * Cf. Discours, p. 108.
SOURCES DU DISCOURS !)(•; I.IXHCAF.ITK I 87
la thèse du politique : un état purement individualiste a précédé l'état v civil » :
« L'homme sauvage est de tous les animaux le plus singulier, le moins connu et le plus difficile à décrire : mais nous distin- guons si peu ce que la nature nous adonné, de ce que l'imitation, l'éducation, l'art et l'exemple nous ont communiqué, qu'il ne se- rait pas étonnant que nous nous méconnussions totalement au portrait d'un sauvage, s'il nous était présenté avec les vraies cou- leurs et les seuls traits naturels qui doivent en faire le caractère. Un sauvage, absolument sauvage, tel que l'enfant élevé avec des ours dont parle Conor, ou la petite fille trouvée dans les hois en France serait un spectacle curieux pour un philosophe : il pour- rait, en observant son sauvage, évaluer au juste la force des ap- pétits de la nature: il v verrait l'àme à découvert, il en distingue- rait tous les mouvements naturels, et peut-être v reconnailrait-il plus de douceur et de calme que dans la sienne ; peut-être verrait- il clairement que la vertu appartient à l'homme sauvage plus qu'à l'homme civilise, et que le vice n'a pris naissance que dans la société '. "
Ailleurs, il laisse entendre que le sauvage est heu- reux. (( Une espèce de sauvages de l'Ile de Cevlan », qui vivent «dans les bois» armés d'arc et de flèches, n'est peut-être^ que la descendance d'Européens naufragés; ils continuent à mener la vie de sauvages qui peut-être a ses douceurs lorsqu'on }• est accoutumé -. Le chapitre de Buffon est contemporain de la composition du premier Discouf^s de Rousseau (1749J. Rousseau dut y trouver une justification scientifique de ses vues personnelles.
I Buftbn. VI, p. 277-278.
- Buffon, VI, p. 164. Ailleurs (VI, p. 20g) Buffon fait un parallèle en- tre les peuples sauvages et les citoyens d'une nation heureuse et poli- cée; il le conclut à l'avantage de ces derniers : mais il écrit : « Si les peuples sauvages avaient quelque avantage, sur les peuples policés, ce serait par la force ou plutôt par la dureté de leur corps. Dans un peu- ple sauvage, comme chaque individu ne subsiste, ne vit et ne se dé- fend que par ses qualités corporelles, son adresse et sa force, ceux qui sont malheureusement très faibles, défectueux... cessent bientôt défaire partie de la nation.» Rousseau (Discours, p. 87) constate que la nature se conduit à l'égard des enfants sauvages comme la loi de Sparte.
l88 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
Mais l'information ethnologique de Rousseau dépasse Buffon. Le chapitre de Montaigne sur les cannibales est utilisé. « Les Caraïbes, dit Rousseau, sont paisibles dans leurs amours, peu sujets à la jalotisie. » Ce ne sont pas ceux de Buffon. «qui ne pardonnent jamais à ceux qui ont débauché leurs femmes. » Montaigne, au con- traire, insiste plaisamment sur le peu de jalousie que ressentent les femmes caraïbes. C'est à une boutade du Cannibale de Montaigne qu'il faut rapporter la der- nière page du Discoms :
« Ils dirent, écrit Montaigne, qu'ils trouvaient en premier lieu fort étrange que tant de grands hommes portants barbe. Torts et armés... se soumissent à obéir à un enfant, et qu'on ne choisis- sait plutôt quelqu'un d'entre eux pour commander. Secondement (ils ont une façon de langage telle qu'ils nomment les hommes moitiés les uns des autres) qu'ils avaient aperçu qu'il v avait parmi nous des hommes pleins et gorgés de toute sorte de com- modités, et que leurs moitiés étaient mendiants à leur porte dé- charnés de faim et de pauvreté, et trouvaient étranges comment ces moitiés ici nécessiteuses pouvaient souffrir une telle injustice qu'ils ne prissent les autres à la gorge ou ne missent le feu à leurs maisons'. »
Mais il connaît les sauvages mieux que par Montai- gne. Il a lu l'ouvrage du P. Dutertre sur les Caraïbes-. 11 lui prend l'histoire du Cara'ïbe imprévoyant qui pleure le soir son lit vendu le matin ^,.
'Comme nos français, dit Dutertre, sont plus adroits qu'eux, ils les dupent assez facilement: ils ne marchandent jamais un lit au soir, car comme ces bonnes gens voient la nécessite qu'ils en ont
' Montaigne, I. XXX. Cf. Discours, p. i 2Ô : «un enfant qui commande à un vieillard...)), et Discours, p. 82: «la dureté' des uns et l'aveuglement des autres.» Un jugement de Cannibale est au fond du Discours.
' Discours, p. l'.U. Histoire générale des Anlilles habitées par les Fran- çais composée par le P. Dutertre Jacobin, Paris, Jolly, 2 vol. in-4°. Cf. J. des Sav., 1067. Rousseau a été mis sur la voie par BuHon qui signale le tome II, p. 453-482 de cet ouvrage.
•'' Discours, p. 91 .
SOURCES DU DISCOURS DE I.'iNÉGAMTK I 8()
toute présente, ils ne donneraient pas leur lit pour quoi que ce fût ; mais le matin ils le donnent à bon compte, sans penser que le soir venu ils en auront autant à faire que le soir précédent: aussi ils ne manquent point, sur le déclin du jour de retourner et de rapporter ce qu'on leur a donné en échange, disant tout sim- plement qu'ils ne peuvent coucher à terre. Et quand ils voient qu'on ne leur veut pas rendre, ils pleurent presque de dépit*. »
Du P. Dutertre encore, les petits Caraïbes qui cou- rent à quatre pattes^, et les haches de pierres à creuser des canots'. (En appUquant aux primitifs cette industrie de sauvages, Rousseau devance de beaucoup les Epo- ques de la Nature*".) Nous n'avons trouvé qu'approxima- tivementdans Dutertre le détail donné par Rousseau sur l'odorat si fin des sauvages de l'Amérique^. Dans V His- toire des Antilles., ce ne sont pas les Espagnols que les sauvages sentent à la piste, ce sont les nègres et les Fran- çais". Dès lors, ou la mémoire de Rousseau a été infidèle, ou il y a une autre source. Toutefois il est possible que Rousseau ait seulement utilisé un souvenir lointain. Depuis l'apparition du livre du P. Dutertre le détail était deven'u courant : le Joiirnal des savants le relevait déjà en 1667 '^.
1 Dutertre, II, p. 385.
^Discours, p. 127, et Dutertre, II, p. liyS.
"• Discours, p. 107, iio. Dutertre 384-87. II est vrai que le même détail est dans Coréal, Voyage aux Indes occidentales, 2 vol. in-12.
* Nous n'avons trouvé nulle part mention des haches préhistoriques, ces pierres de foudre que l'on a cru tombées des nues et formées par le tonnerre, et qui.... ne sont que les premiers monuments de l'art de l'homme dans l'état de pure nature (Buff'on, Epoques, édit. Lacépède, 1817, II, p. 56i) (1777).
* Discours, p. 89.
8 Dutertre, I, p. 5oi.
' Le livre [de César de Rochefort] sur VHistoire morale des Antilles, I vol. in-4*, qui est une des sources du P. Dutertre, donne ce renseigne- ment d'une manière qui se rapproche beaucoup plus du texte de Rous- seau : « On assure que les Brésiliens et les Péruviens ont l'odorat si subtil qu'au flair ils discernent un Français d'avec un Espagnol » (p. 457).
IQO ANXAl.ES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
Certains détails de Rousseau s'éclairent si on les rap- proche de certains passages de Dutertre. ButFon dit que les Caraïbes «assaisonnent» leurs mets «avec du piment». Le P. Dutertre dit plus fortement: «ils pimentent si étrangement leurs mets qu'il n'y a qu'eux qui puissent en user^ » Et Rousseau tire de là des conclusions sur la grossièreté du goût chez les sauvages. «Tous les hom- mes », dit Butîbn, « tendent à la paresse... » et les Ca- raïbes « particulièrement aiment mieux se laisser mou- rir que de travailler » : Rousseau écrit plus précisément que les sauvages ont l'horreur du « travail continu - >>. C'est qu'il a lu Dutertre : « Ils ne travaillent que par bou- tades et en tous ouvrages n'emploient qu'une heure le jour^». Enfin, est-ce Dutertre qui a suggéré à Rousseau cette image de l'agriculture primitive: «...avec des bà- loîts poi?ilus*i>, ils cultivèrent des « racines» autour de leur cabane? «Après cela, dit le père Dutertre, elles s'en vont cultiver la terre avec un gros bâton poinlii et ne se servent point du tout de nos houes -^ »
L'Histoire générale des voyages est encore un livre auquel Rousseau doit beaucoup". Il le cite^ dans la note
Mais il n'y a aucun rapprochement précis, autre que celui-là, qui per- mette de conclure que Rousseau l'a lu.
' Dutertre, II, p. ^îSy.
~ Discours, p. ()2.
2 Dutertre, II, p. 3S2 et 38o.
* Discours, p. i i i .
* Dutertre, II, p. '383.
^ L'Histoire générale des voyages. .. C.ollcctiiui de toutes les relations de voyages par terre et par mer. . . avec les mœurs et les usages des habitants, leur religion, leur gouvernement, leurs arts et leurs scien- ces paraissait chez Didot in-4"' depuis 1746. Le tome XI paraît en 1754 ; c'est le dernier que Rousseau a pu connaître. En 1765, il ne parut pas de volume de cette collection.
^Discours, p. i 38. Rousseau ccrit (p. 141) : « Il est encore parle de ces espè- ces d'animaux dans le 3* tome de la même histoire des vo^af^es». Il donne donc à croire qu'il s'est reporté à cet autre texte. En fait il s'est
SOURCES DU DISCOURS DE I. INP:GAL1TK I9I
sur les singes « anthropoformes ». On trouvera le texte dansVHistowe des Voyages, tome V, p. (S7-88. A la fin de ce volume se trouve une planche où est représenté cet animal moitié singe, moitié homme ; la ressemblance avec l'homme est très accusée ^ Quant à l'anecdote de la note (* 12)-, et qui a inspiré le frontispice de l'édition de M. M. Rey, Rousseau lui-même nous en donne la ré- férence: tome V, p, 175.
Rousseau, dans la note (5), fait une longue citation de Kolben^ voyageur hollandais qui connaît le cap de Bonne- Espérance. Ce n'est pas dans Huffon qu'il a pu la trou- ver : le naturaliste est très vague sur les Hottentots, dont il vante l'agilité et la force ; il note aussi sans pré- cision qu'ils sont « errants, indépendants, et très Jaloux de leur liberté^.» Rousseau a-t-il donc lu la Descriplioji du cap de Bomie-Espérance par Kolbe, Amsterdam (Ca- tuffe), 3 vol. in-i2, 1741? Non. Car il est évident que
borné à recopier une note du tome V qu'il citait. En eft'et, c'est par une faute d'impression que la note du tome V renvoyait au tome III. II faut lire tome IV, -et Rousseau aurait pu chercher longtemps au tome lit (Voyez Hist. des Voyages, t. IV, p. 240-41.)
1 La curiosité publique s'était portée sur ces animaux si proches de l'homme. Pons Augustin AUetz, un polygraphe curieux d'actualités, est l'auteur d'un petit livre intitulé Histoire des singes et autres animaux curieux dont l'instinct et l'industrie excitent l'admiration des hommes, Paris, 1752, in-i2. Il faut lire le chapitre IX, p. 36: «Des singes se rap- prochant le plus de l'espèce humaine, et appelés par quelques-uns hom- mes sauvages. » On y trouve cité tout au long le texte de l'Histoire des Voyages, cité par Rousseau dans sa note. Il n'est pas probable, cepen- dant, que Rousseau l'ait lu. Car Alletz cite aussi le passage du tome IV relatif à ces animaux, passage qui est indiqué inexactement par Jean- Jacques.
- Discours, p. 1 5 I .
* Discours, p. i3i. Ce n'est pas seulement dans cette note que Rousseau parle des Hottentots. On lit (Disc. p. 89), un détail très précis sur leur vue exceptionnellement perçante. Où Rousseau l'a-t-il pris? Je ne sau- rais le dire. En tous cas ce détail n'est pas dans la relation de Kolben. Butlon donne à propos des Hottentots une bibliographie assez abon- dante. J'ai commencé un dépouillement qui n'a pas été heureux.
ig2 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
la citation de la note (*d) est entièrement empruntée à y Histoire des Voyag-es^ tome V, p. 146 et sq. Les pas- sages cités par Rousseau sont épars dans le livre de Kolbe, et réunis de la même manière dans VHistoire des Voyages. Les variantes du texte de Rousseau sont très peu nombreuses.
François Coréal est cité à deux reprises dans le Dis- cours'^. Mais la question de son influence est des plus obscures^,
Rousseau ne l'a-t-il lu qu'à travers Buifon? Cela ne paraît pas probable. Buffon puise dans la relation de Coréal des détails sur les habitants de la Floride : « ils se peignent le corps de diverses couleurs»; les femmes «grimpent avec agilité aux arbres les plus élevés'.» Rousseau peut avoir fait son profit de ces deux rensei- gnements : son homme primitif vit sur les arbres; il le dit par deux fois*, et ses sauvages de l'a âge d'or» se pei- gnent le corps de diverses couleurs^. Or Rousseau ajoute immédiatement après : « ils perfectionnent et
* Discours, p. 86 et i3o.
- Voici les volumes où Rousseau, à notre connaissance, a pu le con- sulter :
a) Buflbn qui le compile.
b) Voyages de François C.orcal aux ItiJcs occidentales, traduits de l'Espagnol. Avec une relation de la Guyane de W. Ralcigh... 212, Pa- ris, D'Espilly, 1722.
c) Autre édition de cet ouvrage avec de très légères modifications: Re- cueil de Voyages dans l'Amérique méridionale, traduits de l'espagnol et de l'anglais, Amsterdam (Bernard), lySS.
ti) Comme les citations de Coréal n'apparaissent qu'en 1782 dans le texte du Discours, il est possible que Rousseau ait consulté l'Histoire générale des Voyages, tome XIII (1757), où la relation de Coréal est analysée.
^ BuH'on, VI, p. 281.
* Discours, p. 86 et 104. II faut dire que cette idée était suggérée à Rousseau par son rapprochement de l'homme de la nature avec le singe <i anthropoforme. »
* Discours, p. i 10.
SOURCES DU DISCOURS DE l'iNÉGALITÉ ig3
embellissent leurs arcs et leurs flèches» ; ce détail, qui n'est pas dans Buffon, est dans Coréal, une page après la description du tatouage: «ils se peignent le corps
de plusieurs couleurs Ils sont armés de l'arc et des
flèches, et rien n'est mieux peint que leurs arcs^» D'au- tre part Rousseau fait allusion à ces ais que les habi- tants des rives de l'Orénoque appliquent sur la tête de leurs enfants. Ce détail est partout^, mais le seul Coréal le donne dans les termes de Rousseau':
« Les peuples qui vivent entre rOrenoque et l'Amazone ont la coutume ridicule d'aplatir la tête et le visage de leurs entants. Ils mettent pour cela leur tête entre deux ais destinés à cet usage. »
Rousseau paraît donc avoir lu la relation de Coréal.
Mais voici qui complique le problème. D'abord les deux citations de Coréal* ne peuvent se trouver ni dans Buflfon, ni dans les éditions de Coréal de 1722 ou lySS, ni enfin au tome XIII de VHistoire des Voyages. L'édi- tion de 1722 parle des «indigènes de Venezuela)) mais reste muette sur leur immunité particulière relativement aux bêtes féroces. Voudrait-on réduire la citation aux premiers mots de la phrase de Rousseau : a Quoiqu'ils soient presque nuds, dit François Coréal», le reste étant une induction, la citation serait encore inexacte, car Coréal ne mentionne pas la nudité de ces peuples. On trouve bien dans Coréal des renseignements sur les Iles Lucayes; mais le détail donné par Rousseau sur les effets pernicieux de la chair chez les habitants de ces îles, ne se trouve nulle part. D'autre part, ces deux ci-
1 Coréal, I, p. 26-27, édition de 1722.
* Nous avons relevé le détail dans Buflon et dans La Condamine, Relation abrégée, p. 70.
3 Coréal, Voyages, I, p. 261-62.
* Disco urs, p. 66 et i3o.
13
1 Q4 ANNALES DE LA SOCIKTK J. .1. ROUSSEAU
talions ne sont pas dans l'édition de ]'jbb: elles n'appa- raissent dans le texte du Discoin\s, que dans l'édition de Du Pe3'rou. Dès lors e]ue conclure? Sont-ce là des cita- tions de seconde main, qui se trouvaient fausses dans l'intermédiaire^? Rousseau a-t-il attribué à François Coréal des détails puisés dans d'autres relations, que nous n'avons pu retrouver, et dont lui-même ne se sou- venait plus quand il a fait ces additions. Faut-il met- tre en cause Du Peyrou ? Ou peut-être ai-je laissé échap- per une édition de Coréal ?
Enfin, il est probable que Rousseau a lu la Relalioii du j'oyage de La Condamine"-. Le jugement qu'il en porte parait formulé en connaissance de cause ^. et voici
' Venues peut-être par Diderot r Sont-elles inventées par Rousseau ?
-Relation abrégée du voyage fait à l'intérieur de l'Amérique méri- dionale, lue à l'Académie des sciences, 1745, in-8.
•' Cf. Discours, p. 144, et La Condamine, p. 7 et 8: « Ils ont [ces académi- ciens] visité [ces régions] plus en géomètres qu'en philosophes. Cependant ... ils étaient à la t'ois l'un et l'autre ». Les observations, dit La Condamine, « qui concernent les mœurs et les coutumes singulières des diverses na- tions qui habitent les bords [de l'Amazone] seraient beaucoup plus pro- pres à piquer la curiosité, mais j'ai cru qu'en présence d'un public à qui le langage des physiciens et des géomètres est familier, il ne métait guère permis de m'ctendre sur des matières étrangères à l'objet de cette académie. »
La Condamine est soupçonné d'avoir mis la main à un livre curieux sur une fille sauvage trouvée dans les bois. Ce livre paru, avec pour nom d'auteur M"" H....t, en 1755, a peut-être été lu par Rousseau, mais le Discours éx.&\\. fini à cette époque: Voici ce qu'en dit Raynal: o... Elle montait sur les arbres avec une agilité surprenante, elle attaquait le gi- bier à la course... elle ne se nourrissait que de viandes crues... elle ne parlait pas, mais poussait des cris de la gorge, elle n'avait aucune idée morale et ne pensait que relativement k ses besoins.» Raynal ajoute un trait «humiliant pour la pauvre humanité et qui montre combien l'état de pure nature serait le despotisme des passions»: la petite fille assas- sine sa compagne pour ramasser avant elle un chapelet qu'elles aper- çoivent en même temps. " Gardons-nous de croire que les hommes livrés aux seuls mouvements de la nature fussent meilleurs qu'ils ne sont au- jourd'hui.» Mais Raynal oublie de dire qu'à peine eut-elle frappé sa com- pagne, « touchée apparemment de compassion pour sa camarade dont la plaie saignait beaucoup», elle «banda sa plaie avec une écorce d'arbre.»
SOURCES DU DISCOUKS DK l'iNKC ALITÉ igb
le portrait d'un dt ces sauvages observés par La Con- damine :
« Ils ont tous un même fond de caractère. L'insensibilité en fait la base. Je laisse a décider si on la doit honorer du nom d'a- pathie, ou l'avilir de celui de stupidité. Elle naît du petit nombre de leurs idées, qui ne s'étend pas au-delà de leurs besoins. Glou- tons jusqu'à la voracité, quand ils ont de quoi se satisfaire; so- bres, quand la nécessité les y oblige, ennemis du travail, in- différents à tout motif de gloire, d'honneur ou de reconnaissance; uniquement occupés, de l'objet présent et toujours déterminés par lui, sans inquiétude pour l'avenir; incapables de prévoyance et de réflexion; se livrant, quand rien ne les gêne, a une joie pué- rile... ils passent leur vie sans penser, et ils vieillissent sans sor- tir de l'enfance, dont ils conservent tous les défauts... on ne peut voir sans humiliation, combien l'homme abandonné à la simple nature diffère peu de la béte» Quant à leurs langues, elles sont «fort pauvres»; toutes manquent de termes pour exprimer les
idées abstraites et universelles Temps, durée, espace, être,
substances, matière, corps; tous ces mots et beaucoup d'autres n'ont point d'équivalents dans leur langue ; non seulement les noms des êtres métaphvsiques, mais ceux des êtres moraux...' »
Est-il Utile de marquer combien cette description, qui est pleine de la psychologie sensualiste de l'époque, se rapproche des théories de Rousseau sur l'homme sau- vage^?
A vrai dire nous n'avons jusqu'ici tenu compte que des détails précis qui pouvaient déterminer les livres dont Rousseau s'est servi. Les autres sont partout. Par- tout ce sont les mêmes renseignements sur la parure des sauvages, plumes et tatouages. Partout est signalée leur gourmandise ellVénée pour les c. liqueurs européen- nes. » « Les Jalofs boivent de l'eau de vie comjiie de l'eau.» C'est l'expression même de Rousseau^. Partout des descriptions des chants, des danses, des assemblées
1 La Condamine, p. 5o-5i.
2 Cf. Discours, p. gi, i25, 8(), 98, 95, 96.
* Cf. Hist. des Voyages, III, p. 140. Discours, p. 89.
iqii ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
de sauvages, de leurs instruments de musique ; par- tout la vie primitive, la chasse, la pèche, la hutte. Par- tout des détails sur la force physique, l'endurance et la santé des peuples non civilisés. F. Coréal dit par exemple des Brésiliens « qu'ils sont plus robustes que
nous et peu sujets aux maladies ils vivent très
vieux... ^ w
Politiquement, ils sont dans l'w Egalité naturelle». Le P. Dutertre écrit ^:
« Ils sont tels que la nature les a produits... ils sont tous égaux, sans que l'on connaisse parmi eux presque aucune sorte de supé- riorité ni de servitude... Nul n'est plus riche, ni plus pauvre que son compagnon, et tous unanimement bornent leurs désirs à ce qui leur est utile et précisément nécessaire et méprisent tout ce qu'ils ont de superflu, comme une chose indigne d'être pos- sédée... »
Le P. Labat dit «qu'ils sont entièrement libres et in- dépendants, et personne n'a droit de commander aux autres... Leur délicatesse sur ce point est inconcevable... ils sont tous égaux... ^)) Rousseau écrit que chez les pre- miers hommes «les vengeances sont terribles» et «tien- nent lieu du iVcin des lois.'*» Buffon avait écrit que les Caraïbes étaient «terribles pour leurs ennemis^.» Co- réal et la plupart des auteurs de relations expliquent par la «passion de :1a vengeance •"' « l'anthropophagie. Quant à leur amour de la liberté '^, il est partout indiqué :
' Cordai, Voyages aux Indes occidentales, trad. de l'espagnol 2/12, Paris, 1722, tome I, p. l'U- Dutertre, loc. cit., II, p. IÎ97.
- Dutertre, loc. cit., p. 11, p. 397. Coréal, loc. cit. I, p. 241.
^ Le P. Labat, Nouveaux voyages aux Iles d'Amérique^ 6 vol. iii-12, 1722, IV', pp. 32 1 et 329.
* Discours, p. i lo.
* ButVon, VI, p. 282. « Coréal, I, p. iS.S.
' Discours, p. 118 et p. i3i.
SOURCES DU DISCOURS DE L INEGALITE I 97
Buffon dit qu'il n'y a rien «dont ils ne soient capables pour se remettre en liberté ^w Tout le premier in- quarto de Dutertre est consacré à l'histoire des luttes que les sauvages soutinrent contre les Européens. INous avons vu des détails sur leur paresse^.
Mais surtout tous ces êtres primitifs sont bons. Les Hottentots, tant décriés, ont beaucoup de vertus^: ils « ne respirent que la bonté et l'envie de s'obliger mutuellement... un autre implore-t-il leur assistance : ils courent l'accorder. » Coréal dit que les Brésiliens ne «laissent soutfrir personne: ils ont compassion^ des étrangers. »
Buffon décrit que les Caraïbes sont «compatissants ». en quoi il copie le P. Dutertre^:
« Ils sont d'un naturel doux et compatissant bien souvent, même jusqu'aux larmes, aux maux de nos Français, n'étant cruels qu'à leurs ennemis jurés. »
Ainsi Rousseau parait être assez fondé à dire : « C'est la pitié qui détournera tout sauvage robuste d'enlever à un faible enfant sa subsistance acquise avec peine."» Coréal s'indigne des mauvais traitements qu'on fait su- bir aux sauvages : Kolbe fait une longue apologie des Hottentots. Et Dutertre pourrait être le missionnaire qui regrette le temps passé chez ces peuples sauvages' :
« Si nos sauvages sont plus ignorants que nous, ils sont beau- coup moins vicieux... ils ne savent presque de malice que ce que nos Français leur en apprennent... Ne se lèveront-ils pas avec su- jet contre les chrétiens au jour du jugement... et ne condamne-
1 Buffon, VI, p, 282.
- Cf. encore Hist. des Voyages, V, p. 146.
'• Hist. des Voyages, V, p. 147.
* Coréal, I, p. 2 il-!.
^ Dutertre, II, p. 411.
•5 Discours, p. 100.
~' Discours, p. i3o et Dutertre, 11, p. 3.^8 et 414.
\gH AN'XAr.ES de I..\ société .I. .1. ROUSSEAU
ront-ils pas avec justice leur ambition, leur avarice, leur luxe, leur dissolution, leurs trahisons, leurs en\ ies et mille autres pé- chés qui ne sont même pas connus parmi eux. "
Ainsi Rousseau a constamment essayé de remplir de faits précis empruntés aux meilleures sources les don- nées abstraites que les politiques lui transmettaient sur l'état de nature. Il n'obéissait pas seulement au besoin de son esprit qui était de se représenter les choses sous une forme imagée et vivante. Il y a certainement chez Rousseau une tendance marquée à l'expérience, une recherche du fait scientifique ^ Le Discours est moins logique, m.oms a p^'iori que tous les traités qui l'ont précédé. Ce n'est pas un roman. Ce n'est pas « un poème épique. » Rousseau a voulu, utilisant les moyens que lui fournissait la science de son époque, écrire la réelle histoire des sociétés humaines.
.lean Mokki..
> Certaines gens de son temps l'avaient remarqué. Dans une Bibliogra- phie médicinale raisonnée ou essai sia- l'exposition des livres les plus utiles à ceux mi se destinent à l'étude de la médecine (Paris, lySô), le Discours de Rousseau est signalé avec éloges: «Je crois qu'on y re- connaîtra pi; s de rapport à l'Histoire naturelle de l'homme que le titre ne paraît l'annoncer. » seau à Raynal, de juillet 1 753, sur l'emploi des métaux dangereux : on y
Il faudra! aussi comparer Z)/5C0Hr5, p. i35-i36, avec la lettre de Rous- voit Rousseau chimiste et hygiéniste.
ROMANTIQUE
à M. Gustave Lanson.
'armi les lecteurs de Rousseau, en est-il un seul qui n'ait présente à la mémoire la célèbre description du lac de Bienne dans la cinquième Rêverie du prome- neur solitaire :
Les rives du lac de Bienne sont ^lus sauvages et plus romanti- ques que celles du lac de Genève, parce que les rochers et les bois y bordent l'eau de plus près; mais elles n'en sont pas moins riantes, etc.
Chose curieuse on ne rencontre nulle part ailleurs chez Rousseau ce mot romantique qui paraît si étroite- ment lié à la destinée de son œuvre. C'est pourquoi, depuis longtemps déjà, Tattention des critiques s'est tout naturellernent fixée sur ce passage. Voici comment l'un d'eux, M. E. Bourciez, s'exprimait à son sujet dans la Revue critique du 5 octobre i qoS :
Personne que je sache ne s'est encore préoccupé d'eclaircir son histoire et ses origines [du mot roynantique]. Chez nous, c'est Rousseau qui en est le père, semble-t-il, le père du mot et de la chose : l'exemple qu'a cité Littré, tiré des Rêveries du prome- neur solitaire, reste bien jusqu'à nouvel ordre le plus ancien en date. Les i^ever/e^ écrites en 1777 n'ont été publiées qu'en 1782, et là d'ailleurs Rousseau, après avoir parlé des rives du lac de Bienne « plus sauvages et romantiques que celles du lac de Genève », ajoute un peu plus loin qu'il laisse errer ses yeux « sur les romanesques
"200 ANNALES DE LA SOCIFITE J. .1. ROUSSEAU
rivages»: c'est donc que le sens des deux ëpithètes était encore un peu flottant pour lui, et qu'il ne les distinguait pas nettement. Je crois que, pour trouver cette distinction absolument établie, il faut franchir un espace d'une vingtaine d'années, et arriver jusqu'au passage bien connu qui se trouve dans la préface de \s. Néologie de Mercier*. N'importe, c'est Jean-Jacques qui a employé le mot le premier. Mais l'avait-il inventé ? Je ne le pense point, et le Dic- tionnaire général ne nous apprend pas grand chose en disant que cet adjectif est tiré de roman. Pour moi le mot n'est pas d'origine française, il est tout bonnement emprunté à l'anglais, et nous avons là une trace fort curieuse de ce cosmopolitisme dont on a commencé à écrire l'histoire. Ce qu'il y a de plus certain c'est que, dès le début du XVIIIe siècle, Addison et un peu plus tard Thomson ont employé une épithète romantic, signifiant «qui res- semble aux héros de romances, plein de mélancolie. » C'est de là, on ne peut guère en douter, qu'est venu le mot destiné chez nous à une si brillante fortune. En avait-on fait déjà la re- marqvie ?
Il serait exagéré de prétendre que les découvertes faites depuis par les érudits ont entièrement confirmé la note d'ailleurs si perspicace de M. Bourciez, mais elles ne Font pas ruinée dans sa partie essentielle, l'origine anglaise du mot français i^omanlique^ au con- traire. Presque en même temps que M. Bourciez, un peu avant lui même, et sans qu'il paraisse s'en être douté. M, Gustave Lanson, dans la Revue universitaire du i5 juin iqo^, fournissait un premier témoignage décisif :
Je crois bien, écrivait-il à propos du mot romantique, qu'on le rencontre pour la première fois, et non francisé encore, dans l'abbé Leblanc {Lettres d'un Français à Londres, 1745). Il écrit à BufTon sur les jardins qu'il a vus dans son voyage: «Plusieurs Anglais essaient de donner aux leurs un air qu'ils appellent en
' J'ignore, je l'avoue, à quel passage « bien connu » de la préface de la Néologie, M. Bourciez fait allusion. Le mot romantique n'apparaît pas aine seule fois dans cette préface, ni dans le texte courant, ni dans les notes. Mais, à la vérité, il figure en bonne place dans le corps même du dictionnaire (voyez plus loin, p. 234.)
ROMANTIQUE 201
leur langue Romantic, c'est-à-dire à peu près piuoresque, ei le manquent faute de goût. » ^
En citant ce passage, M. Lanson se rencontrait avec M. Bourciez pour souhaiter une monographie détaillée sur ce mot « littérairement considérable » : « Faire l'histoire de son introduction et de ses applications au XVI IP siècle, disait-il, serait esquisser un chapitre de rhistoire du goût. » C'est cette histoire si intimement unie à l'influence de Rousseau, que je voudrais essayer de tracer dans les pages qui vont suivre, à l'aide des matériaux réunis en partie par moi, en partie par d'autres érudits que j'aurai soin de nommer en leur lieu. Parmi ces érudits, je désire toutefois dès mainte- nant rendre hommage à M. Daniel Mornet dont le monumental ouvrage sur le Sentijnent de la nature de Jean-Jacques Rousseau à Bejviardiu de Saint-Pierf^e enveloppe, pour ainsi dire, cette notion du « roman- tique», la fait circuler dans le grand courant des idées du temps — outre qu'il fournit quelques renseignements essentiels sur l'histoire du mot. -
I
Les origines du mot anglais n'ont point été encore
complètement élucidées, que je sache. On vient de >
' Voir abbé J.-B. Leblanc, Lettres d'tin François concernant le gou- vernement, la politique et les mœurs des Anglois et des François, La Haye, Paris, 1745, t. II, p. 2o5. Le même passage a été signalé, mais postérieurement, par M. Eugène Ritter, Les Quatre dictionnaires fran- çais, igoS, p. 21 5.
2 Voyez p. 244. J'avoue cependant n"avoir pu découvrir ni à la page in- diquée, ni aux alentours, même en recourant à l'obligeance de M. Mor- net lui-même, l'exemple signalé dans le Journal de Linguet, t. I de 1777-
•202 ANNALES DE LA SOCIET!-; .1. .1. ROUSSEAU
voir M. Bourciez les chercher dans Thomson et dans Addison qui c ont employé une épithète roniantic signifiant qui rassemble aux héros de rojjianccs, plein de mélancolie^. » Les lexicographes anglais, en effet, John- son, Latham, Ogilvie iMurray n'en est pas encore à la lettre R), ne remontent guère plus haut, ni les critiques anglais les plus récents. ^ L'un deux pourtant, Havelock Ellis. dans un article du Contemporary Reî'iew, février looo. intitulé The lope of jpild nature^ vient de signaler un exemple sensiblement plus ancien du mot romantic appliqué précisément, dans une intention favorable, aux spectacles de la nature sauvage. L'exemple est tiré du Diary bien connu de Samuel Pepys (i633-i7o3), commencé en i(>6o, publié seulement en i823. Pepys vi- sitant Windsor en !()()() manifeste ainsi son enthou- siasme dans son journal : « It is, s'écrie-t-il. the most romantic castle that is in the world.»
Havelock Ellis ne dissimule pas la satisfaction que lui cause cette découverte fort intéressante en effet. Tou-
' Le passage d'Addisoii qu'on cite généralement à ce sujet, est tiré du début de son ouvrage Remarks on scvcral parts of Italy, etc., in the Years ijoi, ijo'j, i~i)3, i" édit. 1705. Dans la traversée de Marseille à Gènes, il touche au petit port de Cassis, non loin de Sainte-Baume; là, il note ainsi ses impressions : « We were herc shovvn at a distance of the Déserts, which h ave been rendered so famous by the Penance of Mary Magdalene, who, aftcr her Arrivai with Lazarus and Joseph of Arimathea at Marseillcs, is said to hâve wept away the rest of her Life ainong thèse solitary Rocks and Mountains. It isso roniantic a Scène, that il has ahvays probably given occasion to such chimerical Relations.»
- Cf. H. -A. Bcers, A history of Englisch romanticism m the /.V"" Ccntury, London, 1S99, p. 6: «The adjective romantic is much later [than romance'^^, implying, as it dœs, a certain degree of critical attention to the spccies of fiction which it describes in ordcr to a generalizing of its peculiaritics. It first famé into gênerai use in the latter half of the seventccth century and the early ycars of the iS""; and naturally, in a pcriod which considered itself classical, was marked from birth with the shade of disapproval which has been noticed in popular usage. »
ROMAN rit,) ur; 20J
tefois ce n'est pas à kii, si l'on peur dire, que revient rhonneur d'avoir atteint le pôle. En i883, déjà, TAmé- ricain M. T. S. Perry — nom prc-destiné — . dans son excellente English Liierature in the eighteenth Cenlurf, parue à New-York, citait^ un exemple plus ancien et plus caractéristique si possible, extrait d'un autre Diarw celui de John Evel^m ( 1620-1 706), publié en 181 8 et 18 u). John Evelyn parcourant l'Angleterre en T6S4, note sur ses tablettes :
What was most stupendious to me was the rock of St Vincent, a little distance from the town. the précipice whereof is equal to anvthing of that nature I hâve seen in the most confragose cata- racts of the Alps, the river gliding between them at an extra- ordinary depth. There is also on the side of this horrid Alp a very romantic seat.
Notons cette première application du mot anglais romantic à un pavsage d'un caractère alpestre. C'est une preuve de la fascination exercée déjà à cette époque par les Alpes sin" l'àme européenne, en particulier sur les Anglais "'. Cela seul rendrait le témoignage de John Evelvn plus précieux que celui de S. Pepys, même s'il n'était pas antérieur. Mais d'ailleurs ils se cotiiplètent : tous deux attestent l'emploi courant au XVIP siècle, par les vo3'ageurs anglais, du mot 7^omantic pour carac- tériser les aspects les plus impressionnants de la na- ture sauvage.
On peut se demander, après cette constatation, jus- qu'à quel point le lexicographe néologue Phillipps avait le droit de citer romantic (écrit romantick) dans son
1 Voyez p. 148.
* Sur cette fascination, voyez fouvrage de M. J. Grand-Carteret, La Montagne à travers les âges, iqo3, t. I, p. 322 et suiv., où d'ailleurs il ■ est fait une large place au voyage de John Evelyn eu Suisse.
/
204 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
New world of words, édition de Londres. lyoi). ^ Sans doute le mot lui apparaissait-il sinon tout-à-fait nou- veau, du moins dans sa toute première fraîcheur ; il n'avait pas encore reçu la suprême consécration des grands écrivains, d'un Pope et d'un Thomson notam- ment, qui ont achevé de le populariser et de l'imposer à Tattention. des lettrés. Il n'était point encore enveloppé non plus dans cette faveur des jardins naturels qui ne date guère, en Angleterre même, que du second quart du XVIIP siècle, à laquelle les Saisons de Thomson donnent la première impulsion -, et dont l'abbé Le- blanc, dans le passage cité par M. Lanson, se fait le témoin en 1745. Que ce soient bien là, Je veux dire l'au- torité d'un Thomson et d'un Pope et la vogue des jar- dins anglais, que ce soient bien là les raisons essentielles de la vulgarisation du mot romantic en Angleterre et à l'étranger, c'est ce qu'on ne manquera pas de constater, en ce qui concerne la France, dans la suite de cette étude. Toutefois pareille diffusion ne s'est pas faite en un jour.
II
Si l'on veut être persuadé que dans le passage de- l'abbé Leblanc, le mot roniaiilic est encore bien loin d'être français, il sufllit d'interroger les plus anciens traducteurs de Pope, de Thomson et de Whately. Aucun n'ose se servir du mot romantique ; tantôt ils
' Cf. Skeat, Htvmolopical dictionary of F.nglish Language, Oxford 1H82.
2 Voyez Alicia Aniherst, History of Gardeuing in Kngland, i8(|6, et H.-A. Bcers, op. cit., p. 118 et suiv.
ROMANTIQUE
2o5
traduisent le mot anglais par romanesque \ tantôt ils le traduisent par pittoresque (Téquivalent fourni déjà par labbé Leblanc), tantôt enfin, ils ne le traduisent pas du tout, ils Tesquivent. Voici les preuves tirées de la traduction de Pope par Silhouette, Amsterdam, lySS, de Thomson par M"^*" Bontems, 1739, de Whately par François de Paul Latapie, Paris 1771 (L'art de former les jardins modernes) :
Pope ^
Whether the charmer sinner it,
or saint it, If Folly grow romantic, I must
paint it.
V. i5i6.
Thomson ^
...Sudden he starts, Shook from his tender trance,
and restless runs To glimmering shades, and
sympathetic glooms, Where the dun umbrage o'er
the falling stream Romantic hangs...
Spring, V. 938-942.
... and hère a while the muse High-hovering o'er the broad cerulean scène,
Silhouette.
Quelques caractères qu'une belle emprunte, soit qu'elle les profane ou qu'elle les sanctifie, la folie devient-elle romanes- que't II faut la peindre (p. 97I.
Mme Bontems.
Réveillé tout à coup et sortant de sa léthargie, il cherche les ténèbres qui sympathisent avec l'état de son cœur. Guidé par un reste de lueur, l'ombre vague, qui lui dérobe le ruisseau cou- lant, plaît aux fantômes roma- nesques qui l'agitent (p. G2).
Ici ma Muse revoit en ima- gination sa chère Calidonie [sic], ses montagnes aériennes.
1 C'est déjà par romanesque que le traducteur des Remarks d'Addison en 1722, rend le romantic du passage cité plus haut : « Les déserts si fameux par la pénitence de Marie Madelaine, qui... passa le reste de ses jours, à ce que l'on dit, à pleurer ses péchés dans les rochers et dans la solitude de ces montagnes, qui forment une scène si romanesque, qu'elle a toujours probablement donné lieu à de semblables fables. » I Remarques sur divers endroits de l'Italie par Mons. Addison, pour servir au voyage de Mons. Misson, Utrecht, 1722, in-12, p. 2).
* Moral Essays, Epistle II (i735).
3 The Season, édit. de Londres, lySo.
2o6
AXXAI.ES DE I.A SOCIETE.!. .1. ROUSSEAU
Secs Caledonia. in rouuntic sortant des vagues de la mer.
view : entourées d'un firmament eten-
Her airv mountains, from the du et piquant (p. 23il.
gelid main, Invested whh a keen, diffusive
sky, Breathing the soûl acute...
AlltllUlU, V. Si2-827.
Whatelv 1
W'hen in a roiujiiiic situa- tion... (p. 40).
...Or hurrying along a devions course, add splendor to a gay, and extravagance to a romantic
L.atapic.
Lorsque dans une situation pittoresque... (p. 34).
...Ou se précipitant avec fra- cas dans leur cours irrégulier elles ajoutent au brillant et à la
situation [en parlant du rôle des vivacité d'une situation ijaie, et
eaux dans un paysage] (p. (3i.)
The woods concur with the rocks to render the scènes of Pcrsfield romantic <p. 240).
au merveilleux d'une scène pit- toresque (p. Si ).
Les hois groupés avec les rochers, contribuent beaucoup à rendre les scènes de Persfield cWrC'memenx pittoresques [p. 3o.i
Mais ce n'est pas seulement chez les traducteurs, c'est aussi chez les écrivains originaux que romanesque et pittoresque servent à caractériser l'irnpression nou- velle, à mesure qu'elle s'insinue dans Tàme française. Rien n'est plus instructif que de suivre sur ce point le progrès de l'expression chez les bons auteurs. Où Fé- nelon, par exemple, dans les Dialoi^iies des luoj-ts 171 2 ;, en est encore réduit à recourii" au je ne sais quoi poiii" traduire son sentiment, d'ailleurs très moderne, en lace de la nature sauvage :
Voici le plus beau désert qu'on puisse voir. N"admirez-vous pas ces ruisseaux qui tombent des montagnes, ces rochers escarpés et en partie couverts de mousse, ces vieux arbres qLii paraissent
' Observaliotis uu modem (îardcniiifç, 4' édit., Londres 1777 1" cdit.. 1770].
ROMANTIQUE 207
aussi anciens que la terre où ils sont plantés : La nature a ici /t' ne sais quoi de brut et d'affreux qui plait cl qui fait rêver agréa- blement. ^
OÙ Fénclon, dis-je. en est encore réduit au /> ne sais quoi, Diderot, lui, dans ses lettres à Sophie Volland, dit soit pittoresque (mot relativement neuf dans la lan- gue; :
A irauche de la maison, nous avons un petit bois qui la Jetend du vent du nord ; il est coupé par un ruisseau qui coule naturel- lement à travers les branches d'arbres rompues, à travers des ronces, des joncs, de la mousse, des cailloux. Le coup d'œil est tout-à-fait pittoresque et sauvage (20 octobre 173g).*
soit romanesque :
Le village [de Champignv] couronne la hauteur en amphithéâ- tre. Au-dessous, le lit tortueux de la Marne forme, en se divisant, un groupe de plusieurs iles couvertes de saules. Ses eaux se pré- cipitent en nappes par les intervalles étroits qui les séparent. Les paysans y ont établi des pêcheries. C'est un aspect vraiment romanesque (3o octobre 17591, ^
Quand Diderot emploie ainsi le mot romanesque, il est visible qu'il a déjà dans l'esprit romantique, la chose sinon le mot, le mot restant seul désormais à découvrir ou à hasarder. iMais il ne le dit pas. C'est à Rous- seau— pour en arrivera lui — qu'il est réservé, parmi les écrivains de race, de franchir une étape nouvelle et. finalement, d'arriver au but. Toutefois, Rousseau com- mence par être en retard sur Diderot, en retard pour l'expression s'entend, car pour le sentiment il a bientôt fait de le rattraper et même de le dépasser. Dans les célèbres pages de la description du Valais (Nouj^elle Héloïse, I, 23) qu'on donne généralement comme la
Léger et Ebroin. Cité par M. Jules Lemaitre, Jean Racine, p. 33. * Œuvres, édit Assézat et Tourneux, t. XVIII, p. 416. ■■ Ibid. p. 41 7.
208 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
première éclosion du sentiment romantique dans la littérature française, nous en sommes encore, tout comme chez Fénelon, au je ne sais quoi:
Les méditations y prennent [sur les hautes montagnes] je ne sais quel caractère grand et sublime, proportionné aux objets qui nous frappent, je ne sais quelle volupté tranquille qui n'a rien d'acre et de sensuel... Tout cela fait aux yeux un mélange inex- primable, dont le charme augmente encore par la subtilité de l'air... Enfin ce spectacle a je ne sais quoi de magique, de sur- naturel qui ravit l'esprit et les sens, etc.>
Qu'on veuille bien se reporter au texte complet, que je juge inutile de reproduire ici : à coup sur on ne saurait imaginer définition plus émouvante et plus com- plète du sentiment romantique en face de la nature alpes- tre, d'autant plus émouvante qu'elle jaillit, pour ainsi dire, d'un contact direct avec cette nature, qu'elle re- présente un éveil quasi spontané du sentiment nouveau dans l'àme d'un grand écrivain. De telles pages, si l'on considère leur retentissement, autoriseront toujours à considérer Rousseau comme le principal «inventeur» de l'émotion romantique en France. Toutefois ce n'est encore là que la chose couchée vivante et palpitante sur le papier: le mot même mettra encore beaucoup de temps à paraître sous la plume de Rousseau, beau- coup plus de temps que chez Diderot, même sous sa forme équivoque et indécise romanesque. Ce sera, nous l'avons vu, aux environs de 1777, lorsqu'il rédi- gera ses Rêveries, et encore l'écrivain parfait de ce chef- d'œuvre, hésitera-t-il : il ne sera pas très sur de ce qu'il fait :
' O. IV, 3i. Cf. encore la lettre sur le pèlerinage de Meillcrie (IV, 17 — <). IV, 362) : « Ce lieu solitaire formoit un réduit sauvage et désert, mais plein de ces sortes de beautés qui ne plaisent qu'aux âmes sensi- bles, et paroissent horribles aux autres. »
ROMANTIQUE 209
Laissant errer mes yeux au loin sur les romanesques rivages qui bordoient une vaste étendue d'eau claire et cristalline,...
écrira-t-il d'une part comme l'ami de Sophie VoUand ;
mais un peu plus haut, dans le même morceau et dans
une phrase presque identique, il lâchera enfin le mot
nouveau, le grand mot :
Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et plus romanti- ques que celles du lac de Genève.
C'est le but atteint, l'expression finale aussi exacte que possible, qui reprend, condense et fixe en un mot saisissant toutes les définitions, tous les développements antérieurs. Pareil résultat n'est pas obtenu sans peine. Dans l'intervalle de la Nom^elle Hélo'ise et des Rêveries que s'est-il au juste passé qui nous y ait conduits ? Il s'est passé que le grand courant de l'influence anglaise dont les infiltrations ont commencé depuis si longtemps, a achevé de pénétrer et de se répandre en France : ce courant est venu tout naturellement se joindre au cou- rant créé par le génie de Rousseau : il s'est fondu avec lui pour en augmenter si possible l'irrésistible puis- sance. ^ Il s'est passé en particulier que ce courant étranger a déposé sur la terre de France un mot nou- veau qui doit y faire fortune parce qu'il vient au devant d'un sentiment déjà profond. Dans ce mot, semble-t-il, l'àme française et l'àme anglaise se sont étreintes, car Rousseau, avant même de le connaître, l'avait glorifié dans sa Nouvelle Héloïse aux yeux des Anglais eux- mêmes, et d'autre part, l'Angleterre, avec sa longue expérience de la nature sauvage, la lointaine tradition de ses voyageurs, venait renforcer par un mot précis le
1 Cf. Mornet, Sentiment, p. 214 et suiv., et par delà Mornet la thèse mémorable de feu Joseph Texte à laquelle d'ailleurs il se réfère.
14
-2 10 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
sentiment qui bouillonnait depuis quelque temps déjà dans la littérature française.
Dans cet échange, il y eut des intermédiaires. Ce ne fut pas précisément Rousseau, ou plutôt ce ne fut pas Rousseau tout seul, comme on a pu le croire. Il demeure après tout incertain où il l'a pris, ce mot romantique qu'il emploie pour la première fois vers 1777, si c'est aux Anglais directement, comme son séjour en Angleterre permettrait de le supposer, ou si c'est en France même, autour de lui, où d'autres, ainsi qu'on va le voir, commençaient à se servir du mot d'Outre-Manche. C'est ici que nous allons rencontrer ces artisans plus modestes du ^'-cosmopolitisme litté- raire » dont l'œuvre de Rousseau fut à la fois environ- née et soutenue, et qui, ceux-là, puisèrent à coup sûr directement à la source anglaise.
III
On a vu que le traducteur de Whately, Latapie. en 1771, rend encore systématiquement romanlic par pilioresqiw. Autant que j'ai pu m'en rendre compte par un rapide examen, J.-M. Morel, dont la Théorie des jardins^ ]\iris 177*), s'inspire également dans une très large mesure de Whately, n'emploie pas davantage le mot romantique pourtant assez fréquent chez l'écrivain anglais. C'est un terminus ad quem. A ce moment même,. romantique pénètre par deux ou trois portes dans la langue française : ce sont notamment les vulgarisateurs de la littérature anglaise en France et les amateurs de
jardins anglais.
ROMANTIQUE 2 1 1
Les vulgarisateurs : en 1776, le principal d'entre eux peut-être. Letourneur, lance sa célèbre traduction de Shakespeare en vingt volumes. Elle est précédée d'un Discours extrait des différentes préfaces que les éditeurs de Shakespeare ont mises à la tête de leurs éditions. On y peut lire ceci (p. cxvni et suiv.) :
Ce n'est pas seulement au sein d'une ville, et sur le sopha de la mollesse, qu'il faut lire et méditer Shakespeare. Celui qui voudra le connoitre, doit errer dans la campagne, le long des saules qui avôisinent le hameau, s'enfoncer dans l'épaisseur des forêts, gravir sur la cime des rochers et des montagnes : que de-là il porte sa vue sur la vaste mer, et qu'il la fixe sur le paysage aérien et Romantique des nuages, alors il sentira quel fut le génie de Shakespeare, ce génie qui peint tout, qui anime tout. Tout dans la nature, depuis la voûte immense du firmament jusqu'à la fieur isolée dans la bruyère, reçoit de lui le trait et la forme qui le caractérisent...
Dans cette phrase mémorable, romantique est impri- mé en italique avec une majuscule, et accompagné de la note importante que voici :
Nous n'avons dans notre langue que deux mots, peut-être même qu'un seul, pour exprimer une vue, une scène d'objets, un paysage qui attachent les yeux et captivent l'imagination. Si cette sensa- tion éveille dans l'âme émue des affections tendres et des idées mélancoliques, alors ces deux mots, Romanesque et Pittoresque ne suffisent pas pour la rendre. Le premier très souvent pris en mauvaise part, est alors synonyme de chimérique et de fabuleux : il signifie à la lettre, un objet de Roman, qui n'existe que dans le pays de la féerie, dans les rêves bizarres de l'imagination, et ne se trouve point dans la nature. Le second n'exprime que les effets d'un tableau quelconque, où diverses masses rapprochées forment oin ensemble qui frappe les yeux et le fait admirer, mais sans que l'àme y participe, sans que le cœur y prenne un tendre intérêt. Le mot Anglois est plus heureux et plus énergique : En même tems qu'il renferme l'idée de ces parties grouppées d'une manière neuve et variée, propres à étonner les sens, il porte de plus dans l'àme le sentiment de l'émotion douce et tendre qui naît a leur vue, et joint ensemble les effets phvsiques et moraux de la pers- pective. Si ce vallon n'est que pittoresque, c'est un point de l'éten-
212 ANNALES DE LA SOCIETE ,1. J. ROUSSEAU
due qui prête au Peintre et qui mérite d'être distingué et saisi par l'art. Mais s'il est Romantique, on désire de s'y reposer, l'œil se plaît à le regarder et bientôt l'imagination attendrie le peuple de scènes intéressantes : elle oublie le vallon pour se complaire dans les idées, dans les images qu'il lui a inspirées. Les tableaux de Salvator Rosa, quelques sites des Alpes, plusieurs Jardins et Campagnes de l'Angleterre ne sont point Romanesques ; mais on peut dire qu'ils sont plus que pittoresques, c'est-à-dire, touchans et Romantiques. '
Ce texte de Letourneur si important, si précis déjà par la définition qui accompagne le mot romantique^ ne devait pas rester longtemps isolé dans la littérature française. L'année suivante, 1777, venait au jour un ouvrage qui, au témoignage de l'éditeur, attendait depuis plusieurs années pour paraître. Dans une sphère plus modeste, il devait avoir un aussi grand retentisse- ment que le Shakespeare de Letourneur; de 1777 à i8o5, il n'a pas été imprimé moins de quatre fois. La première édition porte le titre suivant : De la Composi- tion des paysages, ou des moyens d'embellir la Nature autour des habitations, en joignant l'agréable à l'utile^ par R. L. Gérardin (s/c), Mestre de Camp de Dragons, Chevalier de l'ordre Royal et Militaire de S. Louis Vic*^ d'Ermenonville, Genève et Paris, in-8, xiv- 160 pp.; R. L. Gérardin, c'est-à-dire comme nous avons pris l'habitude de désigner le même personnage, le marquis René-Louis de Girardin, celui-là même chez qui Rousseau est mort en 1778 ; nous sommes en plein pays de connaissance. Ouvrons donc la Composition des paysages : au chapitre XV, intitulé Du pouvoir des paysages sur nos sens, et par contre-coup sut^ notre ânie^
1 Le passageet la noie sont signales par M. F. Baldensperger, FAudes d'histoire littéraire, Paris, 1907, p. 70. M. Gustave Rudler, docteur ès- lettres, professeur au lycée Louis Le Grand, a eu l'obligeance d"en pren- dre copie pour moi à la liibliothèque Nationale.
ROMANTIQUE 2l3
l'auteur s'attache à distinguer ce qu'il appelle la beauté «pittoresque» et la beauté «de convention», la beauté pittoresque comportante son tour trois sortes de situa- tions, pittoresques, poétiques et... i^onianiiques. ^
» Cette distinction n'est pas précisément nouvelle. Watelet, dans son Essai sur les jardins, 1774, p. 55 distingue déjà « trois caractères qui peuvent servir de base à la décoration des nouveaux parcs»: \t pitto- resque, le poétique ci le romanesque . Watelet recule donc devant la néo- logisme. Toutefois sa définition du romanesque n'en mérite pas moins d'être rapprochée de celle que Girardin nous donne du mot romantique . C'en est en quelque sorte une première épreuve. C'est pourquoi nous n'hésitons pas à la donner ici en note :
« Le romanesque paroît oft'rir un champ plus vaste que le poéti- que dont je viens de parler : il embrasse en effet tout ce qui a été ima- giné, et tout ce qu'on peut inventer encore. Mais par cette raison l'effet en est plus incertain. Dans le nombre infini d'inventions romanes- ques, il n'en est qu'un petit nombre qui soient généralement répan- dues ; au lieu que les idées poétiques, dont la lecture des auteurs anciens instruit la jeunesse, et qui sont continuellement reproduites par les arts, deviennent des conventions adoptées, et communes à tous ceux qui ont quelque instruction.
« Les idées romanesques auxquelles il faut joindre la plupart des idées allégoriques, n'ont pas cet avantage : elles sont plus vagues, plus per- sonnelles ; elles appartiennent, pour ainsi dire, à chacun en propre ; et elles tendent par ces raisons plus directement au dérèglement de l'ima- gination, et aux ég'aremens du goût. Car il ne faut pas perdre de vue ce principe applicable à tous les arts : que leurs productions sont d'au- tant plus sujettes aux atteintes du mauvais goût, qu'elles sont consa- crées à des usages et des intentions plus personnelles. En effet il est certain que quiconque destine un ouvrage des arts à être vu et apprécié par d'autres que lui ; quiconque a pour objet d'obtenir une approbation générale, tend naturellement à se rapprocher de la raison, de la nature et de cette perfection qui réunit le plus de suffrages.
«Mais, pour revenir à mon sujet, je conviendrai que des dispositions extraordinaires, fondées sur des idées même assez puériles, peuvent produire quelques momens d'une illusion piquante.
« Tel serait, par exemple, un lieu très sauvage où des torrens se pré- cipiteraient dans des vallons creux ; oit des rochers, des arbres tristes, le bruit des eaux répété par les antres multipliés, porteraient dans l'âme une sorte d'effroi * ; où l'on appercevroit des fumées épaisses, des feux sortant de quelques forges, de quelques verreries cachées, où l'on entendroit les bruits de plusieurs machines, dont les mouvements pénibles et les roues gémissantes rappelleroient les plaintes et les cris des esprits mal-faisans. Ces images d'un désert magique, d'un lieu pro-
* C'est moi qui souligne.
214 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Si la situation pittoresque, dit-il, enchante les yeux, si la situa- tion poétique intéresse l'esprit et la mémoire, retraçant les scènes arcadiennes en nous, si l'une et l'autre composition peuvent être formées par le peintre, et le poète, il est une autre situation que la nature seule peut offrir : c'est la situation Romantique. [En note : J'ai préféré le mot anglois. Romantique, à notre mot fran- çois. Romanesque, parce que celui-ci désigne plutôt la fable du roman, et l'autre désigne la situation, et l'impression touchante que nous en recevons]. Au milieu des plus merveilleux objets de la nature, une telle situation rassemble tous les plus beaux effets de la perspective pittoresque, et toutes les douceurs de la scène poétique ; sans être farouche, ni sauvage, la situation Romantique doit être tranquille et solitaire, afin que l'âme n'y éprouve aucune distraction, et puisse s'y livrer toute entière à la douceur d'un sentiment profond.
A travers les ombrages noirâtres des sapins, et les amphithéâ- tres de rochers, la rivière limpide descend de cascades en casca- des, jusques dans la vallée tranquille ; c'est-là qu'elle semble s'étendre avec plaisir pour former un lac entre la chaîne des rochers majestueux, dont les intervalles laissent appercevoir dans le lointain ces respectables montagnes, dont les cimes couvertes de glaces et de neiges éternelles, ressemblent à cette distance à d'énormes masses d'agathe et d'albâtre, qui réfléchissent comme autant de prismes, toutes les couleurs de la lumière '. Les eaux
pre aux évocations, auxquelles se joindroient les accidens et les sons qui leur conviennent, présenteraient un romanesque auquel la panto- mime même ne serait pas nécessaire. En effet l'imagination émueseroit prête à la suppléer; et dans l'instant où le jour s'obscurcirait, où les ombres de la nuit répandraient la tristesse qui leur est propre, et les illusions qui les accompagnent, peu s'en faudroit qu'on ne crût voir dans ce désert des Démons, des Magiciens et des Monstres.
L'usage que l'Art pourroit faire de ces sortes de scènes, seroit sur- tout d'ajouter par une préparation adroite, et une opposition forte aux charmes d'une disposition absolument différente : et ce contraste ren- droit plus délicieux, sans doute, un tableau dont la volupté auroit choisi, et composé tous les objets: mais ce caractère est un de ceux qui peuvent entrer dans la disposition des lieux de plaisance, dont je vais m'occuper » (p. 86-89).
> Paysage alpestre de la Nouvelle-Héloise (IV, 17) ; les rochers de Meillerie avec les «glacières» dans le fond. Le paysage a été vu par Girardin, mais à travers l'enthousiasme de Rousseau. Un seul détail plus imaginaire que réaliste: la rivière «limpide», au lieu de l'eau « bourbeuse » du torrent « formé par la fonte des neiges « dans Rous- seau. On peut également évoquer à cette place les strophes fameuses de Haller dans son poème des Alpes qui eut, comme on sait, un reten-
ROMANTIQUE 2 I 5
du lac sont d'une couleur bleu-céleste tel que l'azur du plus beau jour ; et transparentes comme le cristal le plus pur, l'œil y peut suivre jusques au fond les jeux de la truite sur des marbres de toutes couleurs*. Une Isle s'élève au milieu des eaux, comme pour servir de théâtre aux plaisirs champêtres ; cette Isle char- mante est entremêlée de vignes et de prairies, et de distance en distance des ombrages variés y forment d'agréables bocages ; la vache y pâture la fraise qui rougit la pelouse ; d'heureux époux que l'intérêt n'a point unis, y sont assis sur l'herbe tendre au milieu de tous leurs enfans-^; c'est là qu'ils font un souper déli- cieux avec la crème qui a la saveur de la fraise et la couleur de la rose*. Plus loin, au clair de la lune argentée*, l'eau du lac frémit
tissement européen: Dort senkt ein kahler Berg die glatten \\ andc nieder, Den ein verjâhrtes Eiss dem Himmel gleich gethûrmt. Sein frostiger Krystall schickt aile Strahlen wieder...
1 Evocation aussi précise que possible (cadre alpestre, couleur, trans- parence, île), dans un paysage de ce genre intentionnellement fictif et anonyme, des lacs chers à Rousseau, le lac de Genève et le lac de Bienne. 11 ne fait aucun doute que Girardin avait visité également le second; peut-être en avait-il entendu parler par Rousseau lui-même dont c'était un des sujets de conversation favoris (cf. B. de Saint-Pierre, J. J. Rousseau, édit. Souriau, p. 93). Quelques lignes plus loin nous allons retrouver la trace certaine des conversations de Jean-Jacques dans la prose de Girardin.
2 Des vignes, des prairies, des bocages, c'est tout-à-fait le signalement de l'Ile de Saint-Pierre, lîle «aux plaisirs champêtres y par excellence, avec son pavillon de danse. Ce qui suit ne le dément pas.
3 L'ombre du couple Wolmar, qui passe, avec son désintéressement, ses vertus rustiques et familiales, son escorte d'enfants et son goût pour le laitage. Le contact des Idylles de Gessner l'a d'ailleurs légère- ment affadi.
* Cf. B. de Saint-Pierre, Vie et ouvrages de J. J. Rousseau, édit. Sou- riau, p. 52 : « Il aimait à se rappeler les bons laitages de la Suisse, entr'au- tres de celui qu'on mange en quelques endroits des bords du lac de Ge- nève. La crème en été y est couleur de rose, parce que les vaches y paissent quantité de fraises qui croissent dans les pâturages des monta- gnes. » Il y a là une mystification générale bien curieuse des amis de Rousseau, dont on aimerait savoir l'origine. Jamais crème n'a été « cou- leur de rose» qu'artificiellement ou par suite du mauvais état de la vache dont le lait conserve des traces de sang. En tout cas voici, sem- ble-t-il, la trace irrécusable des conversations de Rousseau dans l'esprit de Girardin et dans sa prose.
* Le lovely moon des Anglais, comme Girardin l'intitule lui-même {Com- position, p. I ig), mais aussi les nombreux eftèts de lune des Idylles de Gessner, et, qui sait? un peu Rousseau également. Nouvelle Héloise, W, 1-] : «Le frémissement argenté dont l'eau brillait autour de nous... »
2l6 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
SOUS la barque légère qui porte les jeunes filles du voisin ha- meau : un corset blanc marque leur taille bien proportionnée, de longues tresses flottent sur leurs épaules, un joli chapeau de paille, orné des plus belles fleurs de la saison, est la parure d'un visage riant où brille l'éclat de la santé, et la sérénité de l'inno- cence ' ; leurs voix sonores n'eurent jamais de maîtres que les oiseaux, et la consonnance de l'harmonie naturelle ; et les échos de ces cantons qui ne connurent jamais les charivaris de la musique chromatique 2, n'y répètent que les cris de la gaieté, les chants de la nature, et les sons naïfs du haut-bois.
La rivière en sortant du lac, s'enfonce dans un vallon resserré et profond; de hautes montagnes, et des rochers sourcilleux, semblent séparer cet asvle du reste de l'Univers^. Les cimes en sont couronnées de sapins où ne toucha jamais la coignée ; sur les pelouses de thym et de serpolet, des chèvres blanches s'élancent gaiement de rochers en rochers ; leur sécurité dans un lieu aussi dé- sert, rassure sur la crainte des animaux farouches, et bannit la pen- sée d'un abandon total, en annonçant le voisinage d'une habitation tranquille. Après quelques chutes précipitées par l'opposition des
* L'estampe de Freudenberger. Nous sommes en plein « helvétisme littéraire.» Donc Rousseau, Rousseau flanqué de Gessner et de Haller.
2 C'est-à-dire les charivaris de la musique française. Encore l'estam- pille irrécusable de Jean-Jacques, et jusqu'à ses propres termes («Figu- rez-vous un charivari sans fin d'instrumens sans mélodie... » Nouvelle Héloïse, II, 23 -O. IV, p 197. Cf. dans les Consolations des misères de ma vie, 1781, p. 199 : «En France on se plaît à dénaturer le caractère de chaque instrument. Aussi chacun peut entendre à quels abominables charivaris ils donnent le nom de musique.») Girardin était jusque là le disciple de Rousseau. Pour faire la conquête du philosophe, il a soinde lui porter à copier de la musique italienne (Stanislas, Mémoires, l, p. 19); plus tard, à Ermenonville, il lui offre des concerts selon ses goûts: « Dans le calme de la soirée, où la musique champêtre a tant de charmes, il aimait à entendre, sous les arbres voisins des rivières, le son de nos clarinettes. Cette mélodie, bien plus touchante encore lors- qu'elle est placée sur le théâtre même de la nature, lui rendit bientôt le goût de la musique, à laquelle le tintamare actuellement à la mode l'avait fait renoncer, etc. » {Ibid. p. 27, dans la lettre de René Girardin à Sophie, comtesse de***).
3 Changement de décor ; nous sommes transportés dans la terres ima- ginaire de l'âge d'or, l'Arcadie des poètes (cf. le paysage arcadien d'Er- menonville dans Stanislas de Girardin, Itinéraire des Jardins d'Erme- nonville, 1788, p. 3o.) Donc influence de Shenstone (At Leasowes he lay'd Arcadian greens rural... Inscription d'Ermenonville, dans Stanis- las, Itinéraire, p. 35), mais aussi, et dans une très large mesure, de Gess- ner, le Gessner des Idylles, si cher à Girardin (voyez plus loin, p. 222.)
ROMANTIQUE 217
rochers qui se croisent sur son cours, la rivière trouve enfin dans ce vallon étroit, un petit espace où ses eaux écumantes et con- trariées, peuvent jouir d'un moment de repos. Un bois de chênes verts antiques s'avance sur les rives adoucies : sous leurs ombra- ges mystérieux est un tapis d'une mousse fine. Les eaux limpides et peu profondes s'entremêlent avec les tiges tortueuses, et leurs ondes, qui se jouent sur un gravier de toutes les couleurs, invi- tent à s'y rafraîchir; les simples aromatiques, les herbes salu- taires, et la résine des pins odorants, y parfument l'air d'une odeur balsamique qui dilate les poulmons. A l'extrémité du bois de chênes, à travers un verger dont les arbres sont entortillés de vignes et chargés de fruits de toutes espèces, on entrevoit une cabane^; son toît de chaume y met à l'abri, sous une grande saillie, tous les ustensiles du ménage rustique. La cabane est formée de planches de sapin assemblées par son maître; au lieu d'ordre d'architecture, une treille en forme le péristile et les porti- ques ; mais l'intérieur en est plus propre que le palais du Prince". Si les mets n'y sont pas apprêtés avec les poisons de l'Inde^, ils y sont d'une qualité exquise, et d'un goût pur et salutaire : cette retraite fut trouvée par l'amour, elle est habitée par le bonheur. C'est dans de semblables situations, que l'on éprouve toute la
1 La cabane de Philémon et Baucis (Girardin, Compositio)!, p. 71 et Stanislas, Itinéraire, p. 3o), mais aussi toutes les cabanes (Hutte) des Idylles as Gessner, et qui sait? peut-être aussi le chalet de Julie (cf. sa description, Nouvelle Hél. I, 36).
2 Phraséologie de Rousseau : « C'est une idée plus grande et plus noble de voir dans une maison simple et modeste un petit nombre de gens heureux d'un bonheur commun, que de voir régner dans un palais la discorde et le trouble » [Xouvelle Héloise V, 2 - O. IV, p. 382); «Bien sûr, Madame, d'habiter avec plus de plaisir votre chalet dans un désert que les palais des rois dans les villes» (L. à M"« Boy de la Tour, 7 mai 1763. Edit. Rothschild) — qui est aussi la phraséologie du temps: «Ah! si l'amour ou la philosophie vous porte dans cette solitude, vous y trou- verez un asyle plus doux à habiter que le palais des rois» (B. de Saint- Pierre, Etudes de la Nature, I - O., Bruxelles, 1820, II, 61).
s Je ne sache pas que Rousseau ait nulle part condamné formellement l'usage des épices; toutefois cette condamnation est implici'.ement conte- nue dans ses conseils sur l'alimentation rationnelle (cf. Emile, II et Nou- velle Héloise, V, 2 - O. II, 122 sq. et IX, 37g et 384). Sa Julie ne va-t-elle pas jusqu'à repousser l'usage du sel [Ibid. IV, 10- O. IV, p. 3i5) ? On reconnaîtra encore ici l'énergie du style de Rousseau quand il oppose l'alimentation raffinée des riches à la simplicité d'une nourriture saine et naturelle, tout entière empruntée au terroir natal : « Ma table ne se- rait point couverte avec appareil de magnifiques ordures et de charo- gnes lointaines» (Emile, IV- O. 11, p. Sig).
2l8 ANNALES DE l./V SOCIÉTÉ .1. .f. ROUSSEAU
force de cette analogie entre les charmes physiques, et les im- pressions morales. On se plait à y rêver de cette rêverie si douce, besoin pressant pour celui qui connoît la valeur des choses, et les sentiments tendres ; on voudroit y rester toujours, parce que le cœur y sent toute la vérité, et l'énergie de la nature.
Tel est à peu près le genre des situations Romantiques : mais •on n'en trouve guères de cette espèce que dans le sein de ces superbes remparts, que la nature semble avoir élevés pour offrir encore a l'homme des asyles de paix, et de liberté*.
Tel est le paysage romantique de Girardin, aussi complet, aussi représentatif qu'on peut le désirer. On Taura sans doute remarqué chemin faisant : ce paysage n'est pas simple. Le lecteur a sous les yeux non pas un seul, mais une série de tableaux ou de « scènes ». comme on disait alors, emboîtées les unes dans les autres à la façon des vieux imagiers, et qui le transportent, non seulement en divers lieux, mais en- core à divers moments de la journée. De la sorte, Gi- rardin évoque en une saisissante synthèse tout ce qui le faisait rêver, tout ce qui faisait rêver le XVIIP siècle en contemplation devant la nature : les montagnes, les ro- chers, les forêts, les lars, les torrents, les ruisseaux, les prairies et les fleurs, les arbres et les cascades, la lumière du jour et le claii de lune, et, en outre, dans le cadre de cette nature romantique, la vie rustique poétisée, l'idylle prinntive, l'humanité de l'âge d'or.
' M. Mornet, qui reproduit ce passage de la Comyosition presqu'en entier, laisse tomber dans sa citation ce dernier paragraplie qui projette cependant une vive lumière sur tout le morceau. On y voit clairement que c'est à la Suisse que Girardin pense presque tout le temps et qu'il est sous l'influence immédiate des grands artisans de 1' «helvétisme littc- téraire », pour me servir des termes désormais consacrés par M. de Reynold, c'est-à-dire, Rousseau, Gessner et Haller. Sur la Suisse, théâtre des vertus idylliques depuis la Lettre sur le Valais de Rous- seau, les Idylles de Gessner et les Alpes de Haller, voyez notamment Mornet, Seyitiynent, p. 71 et stiiv.
ROMANTIQUE 219
C'est ce qui suffirait déjà à donner au témoignage de Girardin plus de prix qu'à celui de Letourncur.
Mais il y a plus. Sans doute les deux témoignages se complètent à bien des égards. Des deux côtés nous constatons l'emprunt direct du mot romantique à l'an- glais, emprunt avoué et qu'on croit être le premier à se permettre. Des deux côtés même soin de distinguer, dans une note, romantique de ses substituts habituels, romanesque et pittoresque, ou encore poétique, même volonté d'exprimer par un mot spécial parfaitement clair un sentiment nouveau, d'une nature particulière, d'enrichir la langue d'une notion précise au moven d'un terme qui dépasse tout ce qu'elle a été en état d'exprimer directement jusque-là, même insistance enfin sur la part de rêverie sentimentale que comporte la contemplation romantique de la nature sauvage. On sent que l'esprit français achève ici de parvenir à la par- faite conscience de ce qui l'obsède depuis si longtemps déjà et que l'Angkterre lui permet de faire surgir en pleine lumière.
Pourtant, entre les témoignages de Letourneur et de Girardin, si conformes à tant de points de vue, il n'est pas impossible de distinguer une nuance, nuance fort expressive même, et que nous autres rousseauistes en parculier nous ne saurions omettre dénoter au passage,. Letourneur nous apparaît plus exclusivement placé sous l'intiuence anglaise. A n'en pas douter, c'est le traducteur d'Young, d'Ossian et aussi de certains pas- sages de Thomson qui tient ici la plume. Les traits épars de la nature qu'il évoque, sinon les saules, qui pourraient cependant nous servir d'indice, du moins la bruyère nommée deux lignes plus loin (a jusqu'à la
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fleur isolée dans la bruyère »). mais surtout la mer et les nuages « le paysage aérien et romantique des nuages ^ » nous ramènent irrésistiblement au paysage « calédonien » de Thomson et d'Ossian. Dans sa note, il pourra bien ensuite énumérer « les tableaux de Sal- vator Rosa, quelques sites des Alpes, plusieurs jar- dins et campagnes de l'Angleterre », nous sentons que de tels rapprochements ne se font chez lui qu'à la ré- flexion, et traditionnellement, pour ainsi dire, à tra- vers les Anglais eux-mêmes qui les ont dès longtemps consacrés. Allons plus loin: c'est un rien de plus mé- lancolique (« Si cette sensation éveille dans l'àme émue des affections tendres et des idées inélancoliques... »), de plus farouche aussi peut-être, sans vouloir insister trop, que je pressens dans le romantique de Letour- neur, plutôt qu'il ne l'exprime, et où l'on retrouve la couleur d'Ossian, de Young, et aussi de Thomson dans le fameux épisode de l'amant inquiet errant dans la campagne, au clair de lune:
Sudden he starts, Shook from his tender trance, and restless runs To glimmering shades, and sympathetic glooms, Where the dun umbrage o' er the falling stream, Romantic, hangs ; there thro' the pensive dusk Strays, in heart-thrilling méditation lost, Indulging ail to love...-
C'est cela même qui est concordant au génie de Shakes- peare auquel Letournetir fournit ici son décor naturel.
> A-t-on remarqué que les nuai:es sont totalement absents de l'œuvre descriptive de Rousseau ?
- Sur ce passage, H. -A. Beers, op. cit., p. ii6, observe : « This is from a passage in which romantic love once more cornes back into poetry, after its long éclipse ; and in which the lover is depicted as wandering abroad at « pensive dusk », or by moonlight, through grèves and «long brooksides ».
ROMANTIQUE 221
Au contraire, si le romantique de Girardin m'appa- raît légèrement adouci, je n'ose dire en vérité plus anodin, mais plus aimable ou plus souriant (« sans être ni farouche ni sauvaf;e^ la situation romantique doit être tranquille et solitaire»), prêt en un mot à servir de cadre à une société idyllique, c'est non pas certes qu'il échappe à l'influence anglaise, mais c'est qu'il l'unit à une autre influence tout aussi décisive, l'influence du romantisme helvétique, représentée chez lui principalement par Rousseau, mais aussi, n'allons pas l'oublier, par Gessner très certainement et par Haller probablement. Rousseau et Gessner, Gessner et Rousseau, voilà ce que l'on trouve à chaque instant superposé aux Anglais, chez Girardin. De là l'helvé- tisme général de son morceau souligné par les der- nières lignes et l'allusion transparente aux « superbes remparts, que la nature semble avoir élevés pour offrir encore à l'homme des asiles de paix et de liberté »; de là cette substitution significative d'un paysage nettement « alpestre » au paysage «calédonien», et maint autre, trait où l'on reconnaît aussitôt, soit la griffe du génie de Rousseau, soit l'empreinte plus molle de Gessner. Je les ai notés, chemin faisant, dans les notes qui ac- compagnent la citation; je n'y reviens pas. Il suffit, en résumant, de reconnaître ici dans l'auteur de la Com- position des paysages ce qu'il a été réellement: au second plan un des hommes les plus représentatifs de son époque au point du vue du goût, en relation di- recte, en contact immédiat avec les deux principales sources du grand courant romantique qui traverse alors l'Europe, la source anglaise et la source helvétique. Il .avait voyagé en Angleterre, il avait visité les grands
•212 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. ,1. ROUSSEAU
parcs créés par Kent et Brown ^, il avait pénétré au cœur de la littérature anglaise, assidûment fréquenté ses poètes, Thomson et Shenstone entre autre.» -, sans compter Milton auquel est emprunté l'épigraphe de la Composition des paysages. Mais, anglomane avéré, il n'en reste pas moins en communication étroite avec la vie littéraire du continent. Or cette vie littéraire du continent est surtout représentée pour lui par deux hommes, deux Suisses, Gessner et Rousseau, avec lesquels il entretient des relations personnelles.
Il correspond avec le premier, Gessner, auquel il ne manque pas de rendre visite quand il vo3^age en vSuisse^: il est un admirateur passionné des fameuses Idylles., qu'on lit dans le texte à Ermenonville, comme un classique*; à l'occasion, il se plaît même à les pas- ticher d'une de ces «id\iles)) de Girardin fut même gra- vée sur un chêne d'Ermenonville, Stanislas dans son Itinéraire nous l'a transmise ainsi que la musique qui devait l'accompagner^); il grave avec amour le nom de l'auteur sur l'obélisque des poètes de la vie pastorale, dressé dans un coin du célèbre parc:
Dem Salomon (îessner. Er hat gemahlet was er Gesagt hat" :
et tout le parc d'ailleurs est plein de monuments évo-
' Cr. .Vndrc Martin-Decacn, Les Jardins paysagers d' Ermenonville [La vie a la campagne, i3 août 1907, p. i 12-1 16.)
* Voyez Jes inscriptions de robélisque d'Ermenonville, dans Stanis- las, Itinéraire, p. 34-35, et d'autres inscriptions (p. 16).
'■'' Cf. A}inales, III, p. 243.
* Cf., outre la lettre publiée par les Annales, les Mémoires de Sta- nislas, 1828, i, p. i3 : «J'ai traduit avec une grande facilité les idylles- de Gessner... »
* Itinéraire, p. 3 i . La musique est à la fin du volume. *' Itinéraire, p. 34.
ROMANTl(.UïK 223
quant la vie des Idylles: c'est Tautel de la Rêverie où Rousseau vint s'arrêter un jour^ ou c'est encore le chêne de Palémon, die grosse Eiche des Palemon, pour em- ployer le langage de Gessner '\
Pour Rousseau, les témoignages sont plus nombreux et plus décisifs encore. La fascination date de loin: elle remonte au moins à la querelle de Palissot (décembre i/DD , quand celui-ci « Jouait « Jean-Jacques devant le roi Stanislas, à Lunéville, et qut.- Girardin, alors colonel de dragons, prenait la défense de la victime illustre ^. Mais elle fut singulièrement renforcée par la lecture de la Nouvelle Héloïse. C'est à partir de ce moment-là sur- tout, on peut Taffirmer, que Girardin fait de Rousseau son idole. Aussi quand Stanislas enfant entreprend sa grande tournée de Suisse et d'Italie, en compagnie de son père, du peintre Chàtelot. et du bizarre domestique Théodore, on commence par un pèlerinage à Métiers. oij l'on s'arrête assez longtemps pour permettre aux ar- tistes de la troupe, à Stanislas et à Chàtelet. de prendre de nombreuses vues du pays"*. Au retour^, on entre en
1 Ibid. p. 21.
2 Ibid. p. 33. Cf. l'Idylle intitulée Idas, Mycon, t. Il, p. 19, des Sal. Gessners Schriften, Zurich. 1788.
3 Cf. Musset-Pathay, Histoire, 1821, II, p 99.
* Cf. conte de Girardin, Iconographie de J. J. Rousseau, 1907, n° 1088 et suiv., et les Mémoires de Stanislas, J, p. 20.
* Si l'on se fie au souvenir de Stanislas : « C'est au retour d'Italie que mon père fit connaissance avec J. J. Rousseau» (p. 19). Par malheur la date précise de ce voyage ne nous est pas connue (Stanislas se borne à dire qu'il le fit « fore jeune. ») La lettre de Girardin à Gessner, du 29 juillet 1778, publiée par nos Annales. 111, 243, semble indiquer qu'il n'a pas dû précéder de beaucoup la mort de Rousseau: Girardin y fait allusion comme a une chose assez récente. Mettons 1777 ou 1778; Sta- nislas aurait eu i5 ou 16 ans (il était né en 1762); c'était être à la fois rt fort jeune » et avoir l'âge requis pour prendre son vol à travers le monde. En suivant ce raisonnement, on arrive à trouver que la con- naissance de Rousseau et Girardin n'irnrait précédé que de quelques
2 24 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
relations suivies avec le grand homme, on escalade les étages de la rue Plàtrière, on s'installe de force dans la petite chambre au canari et à l'épinette. ^
C'est le temps où les Jardins d'Ermenonville achèvent de s'embellir; l'inspiration de Rousseau s'y révèle en maint endroit. Quand le philosophe vient se réfugier, en mai 1 778, dans cette retraite qui semblait l'attendre, avoir été faite pour lui, il y trouve tout un « verger de Julie » où l'on voit (( des arbres antiques couverts de mousse et de lierre, et formant des guirlandes au-dessus des ga- zons, des fleurs et des eaux qui s'étendent sous ces om- brages rustiques ^ »; et il y trouve, dans un lieu appelé le ynonitment des ancieimes atnoin^s, « une cabane prati- quée dans le roc, avec quelques inscriptions gravées sur des rochers qui s'avancent jusque sur le bord d'un lac
nt la situation a quelque ressemblance avec celle do
^°is au plus le séjour du premier à Ermenonville. Que devient alors le témoignage forme! de Le Bègue de Presle, Relation..., Londres 1778, p. 5: « Ensuite je lui offris de la part de Mons. le Marquis de Girardin, dont il avoit reçu plusieurs visites [« visites éloignées 0, est-il précisé d'ailleurs à la page suivante, et qui n'ont pu lui faire connaître «inti- mement» les Girardin] depuis quelques années, une habitation pour le reste de ses jours. » On le voit, la date de l'entrée en relation de Rous- seau avec Girardin reste incertaine. 11 appartient aux possesseurs des précieuses archives du second, de nous fixer à ce sujet. En attendant, j'en croirais plutôt Le Bègue de Presle que Stanislas. Le témoin est plus immédiat, plus direct. J'en croirais aussi plutôt Le Bègue de Presle, mieux à même d'être informé, que Corancez, témoin d'ailleurs passionné et qui en veut à Girardin de lui avoir soufflé Rousseau. Cf. sa Relation dans Musset-Vath'dy, Histoire, 1827, p. 416: «M. Girardin... qui con- naissait peu Rousseau et depuis peu de temps... » A vrai dire les argu- ments dont Musset-Pathay corrobore dans une note le témoignage de Corancez (absence de lettres adressées à Girardin dans la correspon- dance imprimée, réponse favorable aux ouvertures du comte Duprat le i5 mars! sont tout le contraire de décisifs.
• Mémoires de Stanislas, I, p. 19-20.
2 Lettre de R. de Girardin à la contesse de "*, datée d'Ermenonville, le... juillet 1778, reproduite par Stanislas dans ses Mémoires. Voyez p. 26.
ROMANTIQUE 22 D
du lac de Genève w ; les yeux du philosophe se mouil- lent; il croit revoir « les situations romantiques du pays bien aimé de son enfance», « les heureux rivages de Ve- vai, et les rochers amoureux de Meillerie^j). Enfin quand Rousseau meurt, il n'a qu'à faire un signe, à exprimer un vœu ^, on l'enterre au milieu de ces merveilles qui lui sont en quelque sorte consacrées désormais, dans une île « espèce de sanctuaire, dit Girardin, qui semble formé par la nature même pour recevoir son favori *. »
Qu'après cela, la Composition des paysages^ le mani- feste artistique amoureusement caressé par Girardin, soit tout plein de Rousseau, on n'en est guère sur- pris. On s'étonnerait plutôt du contraire. Aussi bien Rousseau y est-il sans cesse présent, quoiqu'il ne soit jamais désigné par son nom. Deux fois ses ouvrages, notamment la Noupelle Héloise^ sont cités *. Ce sont même les seules citations du livre. En outre, à deux reprises, il est fait allusion au philosophe, d'une ma- nière aussi transparente que possible, mais assez inat- tendue et qui pose même un petit problème. Je de- mande la permission de m'y attarder un peu : nous ne nous écartons de notre sujet qu'en apparence comme on le verra plus loin. Il s'agit, en effet, de la date même du livre, et par conséquent de la citation du mot romantique.
Au chapitre VI de la Composition des paysages., l'au- teur décrit ce qu'il appelle les « détails » d'un parc que
1 Ibid., p. 20. Cf. Stanislas, Itinéraire, p. 5o.
- Voyez plus loin, p. 226.
3 Dans les Mémoires de Stanislas, t. I. p. 36.
* P. 55 {Nouvelle HéloïselV, 11), et p. 10: « La Nature (dit un homme dont chaque mot est un sentiment), la nature fuit les lieux fréquentés, etc.» (même lettre, O. IV, p. 334.) Ce passage est également cité par Stanislas dans Vltiyiéraire, p. 52.
15
220 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
l'on n'a pas de peine à identifier avec Ermenonville :
Ici, dit-il, dans un terrein profond et retire, une eau calme et pure, forme un petit lac, la Lune avant de quitter l'horizon se plaît long-tems à s'y mirer. Les bords en sont environnés de peupliers ; à l'abri de leurs ombrages tranquilles, on apperçoit dans l'éloignement un petit monument philosophique. Il est con- sacré à la mémoire d'un homme dont le génie éclaira le monde; il y fut persécuté, parce qu'il voulut par son indépendance se mettre au-dessus de la vaine grandeur. Un caractère de silence et de tranquillité règne dans cette douce retraite, etc.. (p. ^q).
C'est sans doute à ce passage que fait allusion Sta- nislas quand il dit : «Mon père, dans un ouvrage clas- sique sur l'art de composer les jardins-paysages, avait parlé d'une île de peupliers, au milieu de laquelle on élèverait un mausolée à Rousseau. C'est positivement dans cette île que Jean-Jacques a été enterré à la lueur des flambeaux ^ » En d'aiitres termes, d'après Stanis- las de Girardin, l'auteur de la Composition des paysa- ges aurait annoncé bien avant la mort de Rousseau que celui-ci serait enterré dans l'île des Peupliers. Mais outre que cela ne s'accorde guère avec le vœu exprimé par Jean-Jacques au dernier moment, selon Girardin lui-même -, il paraît difficile d'interpréter le passage ci-dessus dans le sens d'une indication anticipée ou d'une sorte de prophétie. (Girardin parle de Jean-Jacques au passé, comme d'un homme mort; c'est bien plutôt une manière d'oraison funèbre qu'il lui consacre en ces quelques lignes. Cette impression se confirme encore à la page suivante ibo):
' Mémoires, I, p. :<().
- « Dites-leur que je les prie de pernielire que je sois enterré dans leur jardin » {Lettre à Sophie, comtesse de ***, dans les Mémoires de Stanislas, I, p. 33). Cf. plus loin (p. 3.5) « Le samedi 4 juillet, nous l'avons porté dans Tîle des l^eupliers, où on lui a érigé sur le diamp un tombeau avec cette inscription... »
ROMANTIQUE 227
Ici s'offre un vallon étroit et solitaire; un petit ruisseau y coule tranquillement sur un lit de mousse, les pentes des montagnes sont couvertes de fougère, et des bois enferment de tous côtés cette solitude: c'est là que se trouve un petit hermitage; un phi- losophe en fit sa retraite paisible.
II y a là encore, à n'en pas douter, une allusion à Rousseau et à cette cabane de chaume dans la partie du parc appelée le Désert^ popularise'e par la gravure, et où Rousseau, selon Stanislas, aimait à se reposer et à arranger les plantes qu'il venait de recueillir ^ Mais alors une question se pose, celle que je faisais pressentir tout à l'heure: la première édition de la Composition des paysages ne serait-elle pas en réalité postérieure à la mort de Rousseau et à la date de son titre : mdcclxxvh ?
A ne considérer que VAiùs de rEditeu7\ nous serions au contraire renvoyés à deux ans en arrière :
Ces Feuilles, y peut-on lire, étoient imprimées des le commen- cement de l'année 1775 ; elles allaient paroitre, lorsque les circons- tances en suspendirent alors la publication. Plusieurs ouvrages ont paru depuis sur plusieurs sortes de Jardins; mais ici on traite principalement des Campagnes, de leur embellissement, de leur culture, et de leur subsistance; et si l'on se détermine à réimprimer aujourd'hui ces mêmes Feuilles, c'est que le plus beau spectacle de la Nature seroit sans doute celui des campagnes heureuses.
Voilà certes, en admettant que le texte de la « réim- pression» tut identique au texte primitif, qui vieilli- rait singulièrement l'emploi du mot romantique par Girardin, qui le ferait même plus vieux que l'exem- ple de Letourneur. Mais sans doute le texte de 1 777 ne saurait faire foi pour celui de 1775, pas plus en ce qui concerne romantique que touchant les pas-
' Mémoires, I, p. 2]. Cf. Itinéraire, p. 5o
228 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
sages où il est fait allusion à Rousseau. Reste donc seu- lement la question de savoir si cette impression de 1777 est bien de 1777 et non pas de 1778, de la seconde moitié de 1778, pour plus de précision, quand Rous- seau avait déjà son monument dans l'île des Peupliers, Or sur ce point nous avons au moins un témoignage quasi-décisif. C'est celui de Girardin lui-même dans sa lettre à Gessner datée du 29 juillet 1778 et publiée ici-même, t. III, p. 243:
Je profite, Monsieur, de Toccasion de plusieurs de vos conci- toyens qui, en revenant du palais de Chantilly, sont venus aujour- d'hui voir ma campagne, pour vous faire parvenir le petit ou- vrage dont je vous ai parlé à Zurich, et qui a été imprimé pen- dant mon absence.
Le petit ouvrage, c'est-à-dire la Composition des pay- sages'^ pendant mon absence^ c'est-à-dire pendant le voyage de Girardin en Suisse avec Stanislas, voyage qui, au dire de Stanislas, précéda les relations de Rousseau avec les Crirardin (mais cela n'est pas très sur), antérieur en tout cas à la mort de Rousseau, que Stanislas fit « fort jeune » (il était né en 1762) et qui doit avoir eu lieu précisément en 1 777, au plus tard dans les premiers mois de 1778, ainsi qu'il a été dit plus haut dans une note. Il n'y a donc pas à en douter jusqu'à nouvel ordre : la Composition des paysages a été pu- bliée en 1777 (mettons vers la fin de 1777), les passages oij il est si directement fait allusion au souvenir de Rous- seau demeurant par là même tout à fait énigmatiques^.
Ainsi que je l'ai dit, la solution de ce petit problème n'est point négligeable pour l'histoire du mot i^oman-
' Je n'ai trouvé nulle mention de la Composition des paysages soit dans l'Année littéraire, soit dans le Journal Encyclopédique pour les années 1777 et 1778.
ROMANTIQUE "229
iique^ puisque, s'il fallait en croire l'éditeur de la Co>n- positon des paysages^ l'exemple de Girardin serait le plus ancien, étant même antérieur à celui de Letour- neur; si la Composition est de 1777, conformément à la date du titre, il est contemporain de l'exemple des Rêveries; si au contraire la Composition est de 1778, comme le donneraient à supposer les allusions au sé- jour et au tombeau de Rousseau, il ne lui est que pos- térieur. De toute manière cependant le texte de la Com- position garde une certaine supériorité sur le texte de Rousseau, parce qu'il est plus net, plus décisif et c.sse de confondre i^omantique avec romanesque. Qui sait, même, si ce n'est pas des lèvres de Girardin, dans leurs conversations, que Rousseau a recueilli ce mot nouveau qui fait irruption dans les dernières pages qu'il ait écri- tes? Cela n'aurait à coup sur rien d'impossible, Girar- din ayant dû se servir souvent du mot romantique, y réfléchir beaucoup avant de le glisser avec autant de précautions dans son grand ouvrage. Très peu après d'ailleurs, il en faisait un nouvel usage caractéristique. C'est dans sa lettre déjà citée, adressée en juillet 1778 à Sophie, comtesse de **' et où il retrace les derniers jours de Rousseau à Ermenonville^:
Les rochers, les sapins, les genévriers tortueux y rappelaient de plus près à sa féconde imagination les situations romantiques du pays bien aimé de son enfance, et lui remettaient sous les yeux les heureux rivages de Vevai, et les amoureux rochers de Meil- lerie. ^
> Cette lettre a été publiée pour la première fois comme pièce justi- ficative à la suite de la Lettre de Stanislas de Girardin à M. Musset- Pathay sur la mort de J. J. Rousseau [1824], p. 3i et suiv. Stanislas en a reproduit les fragments les plus importants dans ses Mémoires, 1828, I, p. 23-36, au texte desquels nous nous référons.
- Mémoires de Stanislas, I, p. 25.
•2J0 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
Ne semble-t-il pas que dans ce second exemple, où il emploie déjà le mot nouveau avec beaucoup plus d'assurance, Girardin fasse hommage en quelque sorte de l'adjectif rowj/z//^«e à Rousseau lui-même, du moins aux lieux qu'il a rendus célèbres et qui resteront longtemps, aux 3'eux des contemporains, le type achevé de la situation romantique ? Il y a là comme un suprê- me témoignage de cette fusion des deux grands courants du romantisme, le courant anglais et le courant helvé- tique, que Girardin nous aide à saisir et à comprendre, mieux que personne peut-être à cette époque.
IV
Assurément ni la note de Letourneur, ni celle de Girardin, n'ont passé inaperçues; leurs ouvrages, ainsi que nous l'avons dit, sont de ceux qui ont fait du bruit à leur époque. Toutefois leur retentissement, et surtout l'autorité des deux écrivains, n'ont pas été tels qu'ils dussent entraîner irrésistiblement le public fran- çais dans la voie si nettement tracée. Il s'agit de deux voix concordantes sans doute, fort curieuses à enregis- trer comme telles, mais de deux voix perdues dans la foule après tout. Aussi arrivera-t-il encore fréquem- ment, en dépit de Letourneur et de Girardin, que Ion confonde romantique et romanesque^ tout comme Rous- seau.
En outre, quelque séduisant qu'il soit avec sa phy- sionomie anglaise, le mot romantique est long à s'im- poser au bon usage d'une manière définitive. En 1779, dans le premier volume de ses Vovage':^ dans les Alpes ^
ROMANTIQUE 23 1
H.-B. de Saussure n'ose encore qualifier que de « roma- nesque retraite » le charmant petit lac de Flaine, entre Cluse et Sallenche (Haute-Savoie) ^ En 1796, dans le quatrième volume du même ouvrage, encouragé par le progrès de Topinion, il écrit hardiment :
On entre de là dans une autre petite enceinte, dont le fond plat est une belle prairie que traverse le ruisseau du Mont-Cervin, avec un chalet et des troupeaux sur ses bords, et une chapelle dans le haut, situation vraiment romantique.'
Sur ce point le témoignage d'un écrivain puriste comme l'abbé Delille a encore plus de poids, et il se présente aussi d'une façon plus frappante. En 1782, dans la première édition de son poème Les jardms, chant III, il ne se permet que romanesque^ même au ■cours d'un passage inspiré directement de Whately :
Loin de ces froids essais qu'un vain eti'ort étale, Aux champs de Midleton, aux monts de Dovedale, Whateli, je te suis*; viens, j'y monte avec toi. Que je m'y sens saisi d'un agréable effroi ! Tous ces rocs variant leurs gigantesques cimes Vers le ciel élancés, roulés dans des abîmes, L'un par l'autre appuyés, l'un sur l'autre étendus. Quelquefois dans les airs hardiment suspendus. Les uns taillés en tours, en arcades rustiques. Quelques-uns à travers leurs noirâtres portiques Du ciel dans le lointain laissant percer l'azur,
' Voyage dans les Alpes, I, p. 3g3.
2 IbU. IV, p. 408.
■'• Whately parle de Middleton dale et de Dove dale dans la partie de ses Observations on modem Gardening intitulée Of Rocks embrassant les chapitres XXXV fOf the accompaniments of rocks. Description of Middleton dale), XXXVI, XXXVII et XXXVIII lOf rocks characterised by fancy. Description of Dove dale). On y rencontre les phrases sui- vantes : (( Middleton dale is a cleft between rocks ascending gradually ■from a romantic village... m (chap. XXXV, p. g?) ; « Sometimes a spot, remarkable for nothing but its wildness, is highly romatitic...^^ (chap. XXXVIII, p. III).
232 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Des sources, des ruisseaux le cours brillant et pur. Tout rappelle à l'esprit ces magiques retraites. Ces romanesques lieux qu'ont chantes les poètes.
Dix-neuf ans plus tard, dans Tédition retouchée de Paris, Levrault, 1801, in-12, et dans toutes celles qui lui font suite, on trouve ce dernier vers ainsi modifié :
Ces romantiques lieux qu'ont chantés les poètes.
L'année d"avant, 1800, dans V Homme des champs, 3me chant, v. 3o6, Delille a déjà laissé courir le terme :
Ensemble remontons aux lieux de leurs berceaux Vers ces monts, de vos champs dominateurs antiques. Quels sublimes aspects, quels tableaux romantiques!
On peut être certain que le prudent Delille ne s'est pas laissé entraîner à Taventure par la vulgaire tenta- tion du néologisme. De fait son témoignage et celui de Saussure permettent de fixer avec une quasi certitude Tépoque où i^omantique a définitivement pris racine en France : ce sont les trois derniers lustres du XVIII'' siè- cle. Mais alors, il fait plus que de s'implanter: il est très en faveur, il devient «à la mode» ^ Un curieux passage d'une comédie contemporaine, signée du prince de Ligne, Les Ejilèi'emeuts, ou la rie de château eu i yc^S (acte I, se. 3), nous le montre en train de faire la conquête du public élégant, du «bel usage» ^:
Ambroise : ...Un homme du village, qui a passé un an à Paris, dit qu'il faut arranger encore vos places d'une manière dont je ne puis retenir le nom, Pitt...
' Il ne faut certainement pas prendre au sérieux le témoignage con- traire de la duchesse d'Abrantès, Mémoires, Paris, i83i, I, p. 154: « Du restc^ j'ai connu la reine de Suède aimant prodigieusement tout ce qui était mélancolique et romantique. Alors [sous le Directoire] le mot était inconnu ; depuis qu'on sait ce que c'est, cela ressemble un peu moins à de la folie. »
* Signalé par .Mornet, Sentiment de la Nature, p. 244, note a.
ROMANTIQUE 233
Le Chevalier : Pittoresque.
Ambroise : Oui, pittoresque, et pour que cela soit rom...
La Marquise : Romanesque.
Ambroise: Oui, mais encore un autre rom...
Le Chevalier : Romantique. Qu'il est bête 1 1
Le mot, dans sa première faveur, tend même à usurper la place de romanesque dans tous ses sens. Ainsi M'"^ Roland, dans ses Méritoires . parlera de ses « idées grandes et romantiques », de sa « tète romanti- que»-'^ Marmontel, de même, dans ses Mémoires, parle d'une «beauté romantique», de «l'âme ardente et de l'imagination romantique » de M"^ de Lespinasse ^. On ne saurait imaginer triomphe plus complet du mot nouveau sur un ancien rival qui lui avait longtemps barré la route. Après cela il ne restait plus à l'Acadé- mie lou à ceux qui avaient pris sa place) qu'à s'incliner devant l'autorité de l'usage et à enregistrer au plus tôt romantique dans son Dictionnaire. C'est ce qu'elle fait en 1798, à sa manière qui est nécessairement un peu sèche :
Romantique, adj. des 2 g. Il se dit ordinairement des lieux, des paysages, qui rappellent à l'imagination les descriptions des poëmes et des romans. Situation romantique. Aspect romantique.
Une telle consécration, qui passe généralement pour l'estampille officielle d'un mot français, aurait dû paraître suffisante : aussi est-on surpris de voir î^oman- tique recueilli encore dans la A^^'o/o^ze de L.-S. Mercier, en 180 1 :
' Cf. du même prince de Ligne, dans un passage de son Coup d'œil sur Belœil, édition de 1786, p. i5 (également signalé par Mornet), où il décrit «les sources que j'ai dans ma faisanderie»: «Tout ce que je dis ici est peut-être Romancier ou Romantick, comme disent à présent les Anglomanes... »
- Métnoires de Madame Roland, édit. Perroud, II, p. ?q et 164.
^Mémoires de Marmontel, édit. de 1804, t. I, p. 34? et t. II, p. 5oi.
-234 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
Romantique. Les rives du lac de Bienne sont plus sauvages et plus Romantiques que celles du lac de Genève... (/. /. Rousseau.)
Romantique. La Suisse abonde en points de vue Romantiques : je les ai bien savourés. Une forêt Romantique (celle de Fontaine- bleau] : un vieux château Romantique (celui de Marcoussisl. Je salue tout ce qui est Romantique avec une sorte d'enthousiasme.
On sent le Romantique, on ne le définit point ; le romanesque, dans les arts, est faux et bizarre.
Sans doute, Mercier fait-il ici comme l'anglais Philipps en 1706, dans son New world of words. Il enregistre comme néologisme un mot qui n'est en réalité que dans sa toute première fraîcheur, mais que Ton emploie couramment depuis un certain temps. Le premier des lexicographes français, il montre en tout cas par des exemples nombreux les divers aspects ou les divers emplois du mot, il le suspend comme un trophée a la plume de Rousseau, enfin, par son enthou- siasme même, il nous le fait voir parvenu à Tapogée de sa brillante fortune. Nous n'avons pas de raison de suivre plus loin romantique dans son histoire. Cette histoire en ertét entre désormais dans une nouvelle phase. Le mot va être emprunté par le français une seconde fois, non plus à TAngleterre, mais à l'Allemagne, pour caractériser non plus l'impression produite par la na- ture sauvage, mais un genre littéraire, une grande école d'art.
Je ne voudrais pas cependant clore cette enquête sans citer encore, au moins en partie, ne iut-ce qu'à titre de conclusion, les célèbres pages où l'Obermann de Sénan- cour définit à son tour Taexpression romantique», en la distinguant avec soin de romanesque, et cela par le même procédé que Girardin, c'est-à-dire en évoquant sous nos yeux le paysage type auquel s'attache de pré- férence sa rêverie. On mesurera mieux la distance par-
ROMANTIQUE 235
■•courue de 1777, date de la Composition des paysages, -à 1804, date de l'apparition à'Obermaun, à travers les Rêveries d'un promeneur solitaire :
Le romanesque séduit les imaginations vives et fleuries ; le romantique suffit seul aux âmes profondes, à la véritable sensibi- lité. La nature est pleine d'effets romantiques dans les pays sim- ples; une longue culture les détruit dans les terres vieillies, sur- tout dans les plaines dont l'homme s'assujettit facilement toutes les parties.
Les effets romantiques sont les accents d'une langue que les hommes ne connaissent pas tous, et qui devient étrangère à plu- sieurs contrées. On cesse bientôt de les entendre quand on ne vit plus avec eux ; et cependant cette harmonie romantique est la seule qui conserve à nos cœurs les couleurs de la jeunesse et la fraîcheur de la vie...
Imaginez une plaine d"eau limpide et blanche. Elle est vaste, mais ■circonscrite ; sa forme oblongue et un peu circulaire se prolonge vers le couchant d'hiver. Des sommets élevés, des chaînes majes- tueuses la ferment de trois côtés. Vous êtes assis sur la pente de la •montagne, au-dessus de la grève du nord que les flots quittent et recouvrent. Des rochers perpendiculaires sont derrière vous; ils s'élèvent jusqu'à la région des nues ; le triste vent du pôle n'a ja- mais soufflé sur cette rive heureuse. A votre gauche, les monta- gnes s'ouvrent, une vallée tranquille s'étend dans leurs profon- deurs, un torrent descend des cimes neigeuses qui la ferment; et quand le soleil du matin paraît entre les pics glacés, sur les brouil- lards, quand des voix de la montagne indiquent les chalets, au- dessus des près encore dans l'ombre, c'est le réveil d'une terre primitive, c'est un monument de nos destinées méconnues !
Voici les premiers moments nocturnes; l'heure du repos et de la tristesse sublime. La vallée est fumeuse, elle commence à s'obs- curcir. Vers le midi, le lac est dans la nuit; les rochers qui le fer- ment sont une zone ténébreuse sous le dôme glacé qui les sur- monte, et qui semble retenir dans ses frimas la lumière du jour. Ses derniers feux jaunissent les nombreux châtaigniers sur les rocs sauvages; ils passent en longs traits sous les hautes flèches du sapin alpestre; ils brunissent les monts; ils allument les nei- ges; ils embrasent les airs; et l'eau sans vagues, brillante de lu- jnière et confondue avec les cieux, est devenue infinie comme eux et plus pure encore, plus éthérée, plus belle. Son calme étonne, sa limpidité trompe, la splendeur aérienne qu'elle répète semble creuser ses profondeurs ; et sur ces monts séparés du globe et
236 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
comme suspendus dans les airs, vous trouvez à vos pieds le vide des cieux et l'immensité du monde. Il y a là un temps de prestige et d'oubli. L'on ne sait plus où est le ciel, où sont les monts, ni sur quoi Ton est porté soi-même; on ne trouve plus de niveau, il n'y a plus d'horizon ; les idées sont changées, les situations in- connues; vous êtes sorti de la vie commune. Et lorsque l'ombre a couvert cette vallée d'eau, lorsque l'œil ne discerne plus ni les objets ni les distances, lorsque le vent du soir a soulevé les on- des, alors, vers le couchant, l'extrémité du lac reste seule éclairée d'une pâle lueur; mais tout ce que les monts entourent n'est qu'un gouffre indiscernable, et au milieu des ténèbres et du silence vous entendez, à mille pieds sous vous, s'agiter ces vagues toujours ré- pétées, qui passent et ne cessent point, qui frémissent sur la grève à intervalles égaux, qui s'engouffrent dans les roches, qui se bri- sent sur la rive, et dont les bruits semblent résonner d'un long murmure dans l'abîme invisible... i
Quel émoi, quelle langueur profonde dans ces lignes, malgré, ici et là, un peu trop d'insistance, quelle ouver- ture et quel enrichissement de la sensibilité révélés par ces variations éloquentes sur le thème désormais consacré, mais surtout quel retentissement lointain, quel écho prodigieux d'un mot dans le C(tur d'un homme, ramenant toujours, irrésistiblement, sous ses yeux la vision traditionnelle, le grand décor helvéti- que, le lac de Julie et Saint-Preux !
Alexis François.
1 Obermann, lettre 38, 3* fragiTient : De l'cxprc&sion romantique et du « Ran;^ des vaches ».
UNE LETTRE INÉDITE
DE JEAN-JACQUES ROUSSEAU
A M. DE BONAC
?A lettre qu'on va lire appartient au Musée Condé, à Chantilly (série V, tome IV, f° 32, or.) Nous en devons la connaissance à no- tre savant et obligeant ami M. Edouard Rott, correspondant de l'Institut, à Paris. Le document, dont l'authenticité est certaine, porte la mention sui- vante, inscrite au haut de la lettre : Chambérj', M. Jean- Jacques Rousseau. ij36; t^eç[ue] le i6.
Cette missive ne porte pas d'adresse, mais elle était évidemment destinée à M. de Bonac, qui était ambas- sadeur de France à Soleure quand Rousseau y arriva (avril lySi) avec l'archimandrite rencontré à Boudry. Nous n'avons pas besoin de rappeler les détails de cette affaire, narrée dans le livre IV des Confessions.
On savait que Jean-Jacques avait eu, après cette aventure, des rapports avec l'ambassadeur qui lui avait rendu un si grand service : cela ressort, comme nous le fait remarquer M. Théophile Dufour, du Mé- moire au gouvernement de Savoie [i-]?)^). Mais jusqu'au- jourd'hui, aucune des lettres qu'il a dû lui adresser n'était connue. Celle que nous publions a d'autant plus de prix, que les lettres de cette époque sont fort
238 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
clairsemées et qu'il n'en existe point de 1736. « Celles qu'on a classées à cette date dans la correspondance, nous écrit M. Th. Dulour. appartiennent à d'autres- années», Philippe Godet.
Monseigneur,
Je ne sais si Vôtre Excellence agréera la liberté que Je prends de lui écrire, mais J"ai lieu d'espérer tout de son indulgence après tant de bontés que J'ai éprouvé de sa part dans un temps ou Je les meritois si peu. Je suis, Monseigneur, ce jeune homme que vous daignâtes sauver d'une perte inévitable il v a quelques années en le tirant des mains de ce misérable prêtre Grec. Votre Excellence eut, de plus, la bonté de m'envoier à Paris ; ou, soit imprudence, ou malheur. Je ne pus agréer à Monsieur de Sourbeck a qui Mon- sieur de la Martiniere m'avoit recommandé par ordre de Votre Excellence'. La perte de ce bon protecteur me mit au désespoir:
' Nous rappelons le passage des Confessions relatif «i ce personnage: « M. de La Martiniere, secrétaire damhassade, fut en quelque i'açon chargé de moi. En me conduisant dans la chambre qui m'était destinée, il me dit: Cette chambre a été occupée sous le comte du Luc par un homme célèbre du même nom que vous: il ne tient qu'à vous de le remplacer de toutes manières, et de faire dire un jour: Rousseau pre- mier, Rousseau second. »
M. Edouard Rott a eu l'obligeance de nous communiquer les rensei- i<nements suivants qu'il a recueillis sur La Martiniere.
La Martiniere (Laurent Corentin de) né en... ?, mort en i/l^i, arriva en Suisse (1698) avec Puysieux, dont il était le secrétaire particulier, puis devint bientôt secrétaire-interprète de l'ambassade à Soleure. Il ht l'intérim entre les ambassadeurs Du Luc et Avaray (juin 171 3 - novem- bre 17 16). Du Luc dit de lui: « 11 parle latin comme un cordelier», et encore: «C'est un bon scribe, mais il manque de lumières et d'un cer- tain poids qui ne se trouve qu'au caractère que le roy veut bien luy don- ner». Cependant, à son départ pour Vienne, Du Luc le recommande au ministre : « M. le M'" d'Avaray n'aura point à essuyer un noviciat pour peu qu'il veuille écouter ce secrétaire. » (18 janvier 171.''). La fin soudaine de La Martiniere arriva peu après le passage de J.-J. Rousseau àSuleurc, et c'est à cette mort qu'il fait allusion en parlant de «la perte de ce bon protecteur». M. de Bonac écrit à Chauvelin le 19 novembre 173 1 : « Le S' de I^a Martiniere fut emporté sous mes yeux vendredy dernier en sortant de Table par une attaque d'appoplexie si violente, qu'elle ne lui permit pas de proférer une parole ». Il laissait sa veuve et ses enfants dans une misère noire; mais, comme observe Bonac (à Chauvelin, 5 juin 1731).
LETTRE INÉDITE A M. DE BONAC 23q
ne connaissant personne dans la maison de Votre Excellence, une mauvaise timidité m'empêcha de m'adresser directement à elle : ainsi Je me laissai baloter a mon infortune et à ma mauvaise conduitte : Cependant, Monseigneur. Madame de Warens. cette charitable et vertueuse protectrice dont J'ai eu l'honneur de par- ler à Votre Excellence, daigna me pardonner mes égaremens passés aussitôt que Je revins a elle ; c'est par le moïen de ses bienfaits, et de ceux de feu Monseigneur l'Eveque d'Annessi que Je jouis depuis quelques années dans la maison de cette Dame d'une douce tranquillité que J'ai taché de mettre a profit en tra- vaillant sérieusement à devenir honnête homme et bon Chrétien. Je me suis fait un plan d'études propres à former mon cœur, et a cultiver mon esprit, et Je les suis régulièrement autant qu'une santé délicatte et une langueur qui m'ôte l'espérance d'une lon- gue vie peuvent me le permettre ; J'ai réglé ma conduitte d'une manière que J'ai jugé convenable a ma situation et a mes senti- ments, et J'ose me flatter d'avoir fait quelque progrès dans l'estime des honnêtes gens.
Pardonnes moi tant de liberté. Monseigneur, Je sais que tous ces détails blessent le respect que Je dois à Votre Excellence ; mais ils sont les effets d'une effusion de cœur dont Je ne suis point le maitre. Quand je réfléchis que sans les soins charitables de Votre Excellence, Je ne serois apparemment qu'un malheureux vagabond ; quand Je réfléchis que si J"ai fait quelque chemin dans les sentiers de l'honneur, si J'ai pris quelque amour pour la vertu. C'est a Votre Excellence que J'en suis redevable ; soit par son opposition a mes résolutions étourdies, soit par ses sages exorta- tions ; En vérité, Monseigneur, il s'en faut peu que Je ne me figure de parler à un bon Père dans le sein duquel Je verse touttes mes confidences, et les plus secrettes dispositions de mon cœur. Je viens donc. Monseigneur, avec un cœur attendri, et plein de reconnoissance faire a Votre Excellence l'hommage que Je lui dois comme a l'auteur de tout le bonheur que Je puis espérer ; Je me reconnois redevable aux bienfaits de Votre Excellence des avantages qui me sont les plus précieux. Agrées, Monseigneur. que J'aie quelquefois l'honneur de vous en présenter mes remer-
« sa pauvreté prouve son honnêteté». La .Martinière avait envinm ?4 ans de service en Suisse.
Son fils, Jean-Victor- Léonce Corentin. ne en 170?, « bon et sage gar- çon », fut, à la mort de son père, recueilli par M. de Bonac. Bachelier en Sorbonne en 1727, il apprit l'allemand à Strasbourg en 17.^6 et obtint {14 octobre 1740) le brevet de secrétaire-interprète. Il rrourut à Soleure en aotit 1767.
240 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
cimens pleins de zèle et de soumission. Trop heureux, si Jamais Je puis apprendre que ces témoignages d'un cœur sincère et reconnoissant n'ont pas déplu a Votre Excellence et qu'elle veut bien agréer le très profond respect avec lequel Je suis Monseigneur,
De Votre Excellence
Le très humble et très obéissant serviteur
Jean-Jacques Rousseau. Chambéri 3' Xbre ijSb.
MENUS DÉTAILS SUR JEAN-JACQUES ROUSSEAU
f'AUTEUR des quatre lettres dont je vais citer quelques fragments est Mademoiselle Ma- rianne de Marval. Elle avait un frère, ^^s^mrs^À François, capitaine au régiment suisse de Boccard, et lui contait les menus incidents de la vie neuchâteloise. Le propriétaire de ces lettres, M. Louis Thorens, avocat à Neuchàtel, a bien voulu me permet- tre d'en extraire pour les Annales les passages qui se rapportent à Jean-Jacques. L'importance n'en est point considérable, mais rien ne nous est indifférent de ce qui touche le grand écrivain, et les détails notés par M"^ de Marval montrent au moins quel intérêt de curiosité s'attachait à tous ses pas.
Saint-Biaise, 23 juillet iy64. — Nous voici enfin à Saint- Biaise, mon cher frère. ^ Et rien ne nous y manque que vous. Mon cher père se porte très bien, à un mal de dents près, mais qui ne l'a pas empêché d'aller dîner à Voën avec Manette et Louise... J'ai été au Val-de-Travers ; j'ai vu la maison de Rousseau. Je fus l'autre jour au Bied ^, chez Mme Deluze, où je manquai le voir
1 La famille de Marval résidait à Neuchàtel, et passait la belle saison à Saint-Biaise (propriété actuelle de la famille Terrisse, où se trouve le tilleul gigantesque, bien connu dans toute la contrée, dont il sera question plus loin). Elle possédait aussi, et possède encore, non loin de Saint-Biaise, une «campagne» dans le hameau de Voëns.
î Près Colombier. On sait que Rousseau y fit plusieurs visites et qu'il aimait fort Mme Deluze. Notons qu'il y a, non loin du Bied, dans la plaine d'Areuse, un arbre vénérable abritant un banc, qui passe pour avoir été particulièrement aimé du « promeneur solitaire ».
16
242 AXXALES DE I.A SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
en personne. 11 y avait passé quelques jours la semaine que nous y fûmes. Et le jour que nous y étions, il y revenait : mais quand il vit bien du monde de loin, il disparut ; et nous n'eûmes que le regret de savoir qu'il ne voulait pas nous voir. On lui courut après, et on ne le retrouva pas.
M'"'-' Deluze me dit qu'il avait été aimable au possible, pendant qu'il avait été chez elle. Mm*; la colonelle Sandoz y était, et Jean- Jacques la goûta beaucoup ^ Mme Deluze me conta que pendant qu'il avait été chez elle, il dit un jour qu'il voulait jouer à la lote- rie. Mme Deluze dit qu'elle ne jouait pas de l'argent, mais qu'elle en ferait une. On v mit bien des bagatelles pour tous ceux qui y étaient. Et elle lit tomber a Rousseau une boette à bonbons, au haut de laquelle était ce billet :
Air : Sur la petite posle de Puris.
Nous possédons dans ces beaux lieux
Un esprit émane des cieux ;
Il est aimable, il est charmant.
Il possède tous les talents.
A tous ces traits de mon pinceau,
Ne reconnait-on pas Rousseau .■'
Il ouvrit la boette et parut surpris d'y trouver ce papier. On lui dit de le lire tout haut. Il le fit, et mit Sando^ en place de Rousseau. Et à Mme- Deluze il chanta celui-ci siu' le même air :
Nous sommes dans une maison Où les biens pleuvent à foison. Bonbons sucres, jeunes appas, Propos joveux, mets délicats, Et la maîtresse, avec un mot. De tout billet fait un bon lot.
Saint-Biaise, lundi 1 <j novembre i-ù4- — J<-> voudrais avoir quelque chose d'intéressant a vous marquer. Je ne sais rien, sinon que Jean-Jacques a ete à (h-essier chez iM. Du l\-yrou. Je l'ai vu.
ï II s'agit sans doute de hi femme de Claude-Auguste Sandoz, qui était entré en lyjy au service de Hollande, où il Ht une brillante car- rière. Son brevet de colonel date de 1748. 11 devint en 1779 lioutcnant- général. 11 avait épouse Henriette, fille de M. de Bada, comte de Chau- moni. Cette dame, qui passait pour fort aimable et distinguée, iut liée avec Sophie de Laroche et Julie de Bondeli ; c'est chez elle que cette dernière mourut en 1778. (Voir André Giadcs, Mademoiselle de Bondelir Semaine littéraire, 1907.}
MENUS DÉTAILS SUR .1. J. ROUSSEAU 240
mon cher frère : il est parlant avec son habit à Tarménienne ; quand vous avez vu son estampe, vous l'avez vu. Pendant qu'il était à Cressier, il a reçu une lettre de Corse, du général Paoli, chef des rebelles, qui le priait instamment de se rendre en Corse pour les gouverner, et que s'il ne voulait pas, il devait leur envoyer un code de lois. Rousseau a été très' fîatté de cela, et on dit qu'il est indéterminé d'y aller. 11 doit lui avoir répondu.
Cet épisode de la vie de Rousseau est bien connu, et Ton se rappelle le passage du Contrat social qui avait attiré sur lui l'attention et la sympathie de Paoli et de ses amis : « Il est en Europe un pays capable de légis- lation, c'est l'ile de Corse. La valeur et la constance avec laquelle ce brave peuple a su recouvrer et défendre sa liberté mériterait bien que quelque homme sage lui apprît à la conserver. J'ai quelque pressentiment qu'un jour cette petite île étonnera l'Europe». La Corse fut conquise par la France, ce qui lui épargna la peine de se donner une constitution, et à Rousseau d'en être le Lycurgue. Constatons que la demande adressée à Jean- Jacques avait produit à Neuchàtel une certaine sensa- tion, puisque les demoiselles même en parlaient...
L'année suivante. M"'' de Marval écrit encore :
Saint-Biaise, i3 mai tjhS. — 11 fait un temps des dieux depuis vendredi que nous sommes ici. Il n'est pas possible d'ima- giner rien de plus beau. Les jardins sont superbes... II v a une apparence de fruit prodigieuse. L'allée des tilleuls est d'une beauté ravissante ; elle est touffue comme un bois, de même que les ver- gers. Je crois que la campagne n'a jamais été si belle. Devinez qui mon cher père vient de voir passer sous le Tilleul! Rousseau, avec Mr Du Peyrou, tous les deux à pied, qui allaient en ville. Mon père ne l'avait jamais vu...
Le vénérable tilleul, aujourd'hui enclos dans la pro- priété Terrisse et qui faisait alors partie du domaine public, s'élève à l'entrée nord-est de Saint-Biaise, à
244 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
Tendroit où bifurque la route descendant de Voëns. La voie principale conduit à la gare de St-Blaise ; Tautre voie (la rue du Tilleul) se dirige vers le haut du village, en franchissant sur un pont la ligne du che- min de fer, construite en tranchée. A qui connaît les lieux, il apparaît que Rousseau et son compagnon, pour venir de Cressier, avaient suivi, non la route de la plaine, mais le pittoresque chemin qui monte de Cressier au hameau de Frochaux, puis redescend vers le vignoble par le solitaire et verdoyant vallon de Voëns. Cet itinéraire, qui sera toujours le chemin des écoliers — et celui des poètes — devait avoir toutes les préférences de Jean-Jacques. ^
On sait que Du Peyrou avait une maison dans le village de Cressier et que Rousseau y séjourna. ^ A un quart d'heure du village, sur un coteau escarpé, est située Tesplanade de Bellevue, où Du Peyrou possédait un pavillon qui, agrandi plus tard, est aujourd'hui la propriété de la famille Pury. C'est à une promenade au pavillon que se rattache le souvenir célèbre consigné dans les Confessions^ celui de la pervenche qui tout à coup lui rappela les Charmettes :
« En 17(34, étant à Cressier avec mon ami M. Du Peyrou, nous montions une petite montagne au sommet de laquelle il y a un joli salon qu'il appelle avec raison Bellevue. Je commençais alors d'herboriser un peu. En montant et regardant parmi les buissons, je pousse un cri de joie: Ah! voilà de la pervenche! ...Du Peyrou s'aperçut du transport, mais il en ignorait la cause : il
' La course de Cressier à Neuchàtcl est ainsi de deux heures et demie. - C'est la maison appelée le Clos-'R^ousxeau, où est installé le pen- sionnat Quinche.
MENUS DÉTAILS SUR J. .1. ROUSSEAU 24D
l'apprendra, je l'espère, lorsqu'un jour il lira ceci»...
Notons que la pervenche continue de foisonner sur les bords du vieux chemin très ardu qui grimpe à Bellevue.
Recueillons enfin ce détail que nous donne encore
Mlle de Marval :
Saint-Biaise, le j h mai lyOS. — On m'écrit de la ville que Rousseau vient s'établir à la Coudre, à la maison de feu le lieute- nant Peter.
Rousseau était alors au plus fort de sa querelle avec le pasteur de Môtiers, et parlait déjà de quitter ce vil- lage. Il songea à diverses retraites : Cressier, le Chanet sur Neuchàtel, la Coudre, village situé à une demi- lieue à Test de la ville... Puis vint la catastrophe : il se réfugia hors de la Principauté, à Tlle de Saint-Pierre, qu'il avait visitée avec enchantement pendant un nou- veau séjour à Cressier^, mais où, hélas ! il demeura si
peu de temps.
Philippe Godet.
' Voir lettres à Du Peyrou, de Môtiers, 2y juin, et de riîe de la Motte, 4 juillet 1765.
ROUSSEAU
A I.A
GRANDE CHARTREUSE-
(epitre inédite)
N lit le nom de J. J. Rousseau au bas de la pièce suivante, que je crois inédite, et qui a été conservée par un manuscrit du XVIIP siècles
Vers à la louange des Religieux de la grande Chartreuse.
Illustres habitans de ces demeures saintes, D'où n'approchent jamais ni les pleurs, ni les plaintes ! Que vos chastes plaisirs surpassent les douceurs Du jus dont le poison enyvre tant de cœurs •'^!
' Sauf indication contraire, les citations de Rousseau qu'on trouvera dans cet article sont empruntées à l'édition Hachette en i3 vol. in-i6.
■- C'est un double feuillet de 4 pages in-4". Le texte occupe le recto et le verso du premier feuillet. J'en dois la communication à l'obli- geance de M. l'abbé E. Levesque, bibliothécaire de l'Ecole supérieure de théologie de Paris. Qu'il veuille bien trouver ici tous mes remer- ciements.
3 On serait tenté de croire que ce « jus » désigne la liqueur des Pères, mais la distillation de «la Chartreuse» n'a commencé qu'en 1840. Si donc le texte est exact, ce «jus» me paraît être celui de la vigne.
248 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
Que de mortels fondroient dans vos déserts affreux,
S'ils connoissoient combien vos pareils sont heureux!
Au plus vives douleurs mon cœur semble être en proye,
Et vous nages toujours dans la plus pure joye.
Tranquilles sur le sort de votre Eternité,
Vous voyés commencer votre félicité ;
Et de mille remords mon àme déchirée,
Aux flammes, aux Démons craint d'être un jour livrée.
Vous fuyés le grand monde, et lui-même vous fuit ;
Mais plus je m'en éloigne, et^ plus il me poursuit.
L'or, rhonneur, le plaisir, tout tend à me surprendre,
Je ne sçais, je ne veux, ni ne peux m'en défendre.
J'aime ce qui me nuit, je hais ce qui m'est bon.
Sans cesse je combats la grâce et la raison.
Hélas ! que n'ai-je vu le monde par vos j^eux.
Ou que n'ai-je plutôt approché de ces lieux!
Vous en avés banni la fraude et l'imposture,
La grâce seule y règne et la simple nature.
Là, chacun consultant la raison et la Foi,
Fuit le mal, fait le bien, et vit selon la Loi.
O mœurs ! ô saintes mœurs ! qu'une vertu si rare
Mérite le bonheur que le Ciel vous prépare!
Occupés de Dieu seul auprès de ses Autels,
Vous vives inconnus au reste des mortels.
Votre ennemi vaincu, honteux de sa défaite,
Ne^ revient plus troubler cette douce retraite.
On ne voit point ici la molle oisiveté
1 et en surcharge. Cette correction et les suivantes reproduisent-elles des « variantes » du texte original, ou témoignent-elles simplement des distractions du copiste, il est difficile de le décider avec certitude, quoique la première hypothèse soit peut-être plus vraisemblable : cf. plus loin la discussion sur les circonstances de la composition.
2 Ne barre, puis rajouté en marge.
ROUSSEAU A LA GRANDE CHARTREUSE 249
Dans les bras du sommeil nourrir la volupté :
Ni l'avide fureur de quelque bien fragile,
Faire tout entreprendre, et rendre tout facile.
Tout est changé pour vous, les biens sont sans appas,
La gloire et les plaisirs comme s'ils n'etoient pas;
La faim, le froid, le chaud, le silence, les larmes.
Les veilles, les travaux ^ n'ont pour vous que des charmes.
Quels hommes, Juste Ciel ! qui n'ont plus rien d'humain !
Seroient-ils devenus ou de bronze, ou d'airain?
Vieux sapins, qui voyés revivre l'innocence,
Que le monde autrefois connut dès sa naissance.
Cachés moi tellement sous un feuillage épais ^,
Que mon guide égaré ne me trouve jamais :
Que moi-même écarté dans vos routes perdues,
Je n'en puisse jamais retrouver les issues :
Oui, je consacre à Dieu^ le reste de mes jours.
Qu'il en règle à son gré l'heureux, ou triste cours;
Trop heureux si je puis, en vivant comme vous,
Obtenir ses faveurs, et calmer son courroux.
J. .T. ROUSSEAU.
Ces vers ne sont pas autographes. M. Th. Dufour qui a bien voulu les examiner ne garde aucun doute à ce sujet ; et quiconque comparera le manuscrit avec des autographes de Rousseau, avec ceux surtout qui appartiennent à l'époque probable où ont été rédigés ces vers, arrivera, je crois, à la même conviction. Mais, à défaut de cette garantie qui lui manque, YEpitre aux
1 Texte primitif du manuscrit : les veilles et les travaux ; et barré d'une autre encre.
2 Texte primitif du manuscrit: sous vos feuillages épais ; vos et Ys de feuillage barrés, un en surcharge, et d'une autre encre.
s Texte primitif du manuscrit: à mou Dieu; mon barré d'une autre encre.
2DO ANNALES DE I.A SOCIPriK .1. .1. ROUSSEAU
Religieux de la Grande Chartreuse apporte avec elle des preuves d'authenticité qui me paraissent suffire pour Taccepter,
En tête de la copie, d'une autre écriture, et d'une encre plus foncée et plus récente, on lit : par j. Jac- ques Rousseau. [Vers] envoyés comme tels par le P. gênerai i~8o. Cette note est de la main du cha- noine Dupinet. chanoine parisien de la fin du XVIÏP siècle, qui occupait, semhle-t-il, ses loisirs à réunir des pièces curieuses sur les philosophes de son temps. La relation sur les derniers jours de Voltaire, dont M. Frédéric Lachèvre a récemment retrouvé une copie, et qu'il a publiée sous le titre de Voltaire mourant \ est de lui; le texte original, qui existe encore -, et où les sources sont soigneusement notées, indique chez ce chanoine un souci d'information exacte. Sur sa de- mande peut-être, ou plutôt parce qu'on savait que ce genre de documents l'intéressait, le P. général des Charti'eux lui envoya copie de cette épître, que les reli- gieux conservaient sans doute avec un certain plaisir dans les archives du couvent^.
' Paris, Champion, lyoS, i vol. in-8.
- M. l'abbé Levesque. qui la possède, se propose de lui consacrer pro- chainement une étude.
^ On sait que presque toutes ces archives, attribuées à l'État dès 1790, ont été transportées en i8o3, à la Bibliothèque de Grenoble. 11 ne sem- ble pas que la pièce de Rousseau se trouve égarée dans l'un des dos- siers du fonds des Chartreux. Si, comme je le crois, elle a été écrite par .lean-Jacques sur l'album des visiteurs, l'original est également perdu, car cet albun a été supprimé au XIX* siècle, ou du moins les Char- treux ne l'ont pas conservé: cf. [dom Boutrais], La Grande-Chartreuse, par un Chartreux, Grenoble, Côte, 1881, i vol. in-iô, p. 263, note. — Le P. Général a bien voulu me faire savoir que les Chartreux d'aujour- d'hui ne possédaient pas l'original de l'épître de Rousseau et qu'ils n'en connaissaient pas le texte.
ROUSSEAU A LA GRANDE CHARTREUSE 2 D I
L'origine de cette pièce semble donc être déjà favora- ble à son authenticité: mais le texte lui-même fournit d'autres arguments en sa faveur.
Nous connaissons par la correspondance de Rous- seau une excursion qu'il fit à la Grande Chartreuse. Dans une lettre à Du Peyrou. datée de Lyon, le 6 juil- let 1768, il écrit : « Prêt à partir pour aller herboriser à la Grande Chartreuse avec belle et bonne compagnie botaniste que j'ai trouvée et recrutée en ce pays, je n'ai que le temps de vous envoyer un petit bonjour à la hâte ^ ». C'est sans doute lors de cette excursion -qu'il inscrivit sur l'album des Pères cette réflexion, où le botaniste et le moraliste font fraterniser leur admi- ration : « J'ai trouvé ici des plantes rares et des vertus plus rares encore - ». Ce n'est pas d'ailleurs la seule fois que Rousseau se sentit ému dans un monastère : et Bernardin de Saint-Pierre nous a raconté le pieux attendrissement -de son ami en entendant les moines du Mont-Valérien chanter les Litanies de la Provi- dence^. Les « Vers à la louange des Religieux de la Grande Chartreuse» n'ont donc rien qui contredise sur ce point les sentiments de Rousseau. Il n'est guère possible cependant de les rattacher à cette excursion de 1768. Outre que, sur la fin de sa vie, Rousseau n'avait plus qu'un goût très médiocre pour la poésie,
1 Œuvres, édit. cit. XII, S- ; cf. lettre à la duchesse de Portland, Lyon, 2 juillet 1768, VI, 74: «...les montagnes de la Grande Chartreuse, où je compte aller herboriser la semaine prochaine»; cf. encore quelques souvenirs botaniques de cette excursion dans une lettre à M. de La Tourette, Monquin, 17 octobre 1769, VI, 82-3.
- La grande Chartreuse, par un Chartreux, op. cit. p. 263, note.
3 La Vie et les ouvrages de ./. J . Rousseau, édition Maurice Souriau, Paris, Société des textes français modernes, 1907, 1 vol. in-i6, p. 107-8; cf. Études de la nature, 3"" édition, Paris, 1788, t. III, p. 526.
232 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
et n"a plus écrit en vers aucune pièce de cette lon- gueur, — le Rousseau des dernières années, réconci- lié avec le protestantisme sinon avec les pasteurs, et guéri depuis longtemps de la peur de l'enfer^, ne craint plus ni les « remords », ni la résistance à « la grâce », ni le « courroux » du Ciel, ni les « ilammes », ni les « Démons ».
On sait, au contraire, et par Rousseau lui même, qu'il a traversé dans sa période catholique, sous Tin- Huence de ses lectures jansénistes, une crise religieuse très pénible, où la pensée de Tenfer devenait une pho- bie de malade : « Les écrits de Port-Royal et de TOra- toire, raconte-t-il au VP Livre des Confessions, en rappelant sa vie aux Charmettes, étant ceux que je lisais le plus fréquemment, m'avaient rendu demi-jan- séniste, et, malgré toute ma confiance, leur dure théo- logie m'épouvantait quelquefois. La terreur de l'enfer que j'avais jusque là très peu craint, troublait peu à peu ma sécurité... Je me demandais : « En quel état suis- je ? si je mourais à Tinstant même serais-je damné » ? Selon mes jansénistes la chose était indiscutable, mais selon ma conscience, il me paraissait que non. Tou- jours craintif, et flottant dans cette cruelle incertitude, j'avais recours, pour en sortir, aux expédiens les plus risibles... Un jour, rêvant à ce triste sujet, je m'exer- çais machinalement à lancer des pierres contre les troncs des arbres, et cela avec mon adresse ordinaire,
' Cf. Confessions, VIII, i63 : Les âmes aimantes et douces n'y croient guère; et l'un des ctonnements dont je ne reviens points est de voir le bon Fénelon en parler dans son Télcmaque comme [s'il y croyait tout de bon » ; Lettre à Voltaire du /A' août rj56, X, i3o: « L'éternité des peines, que ni vous, ni moi, ni jamais homme pensant bien de Dieu ne croirons jamais » ; cl. encore Emile, 11. 2xS.
ROUSSEAU A LA GRANDE CHARTREUSE 20 Ù
c'est-à-dire sans presque en toucher aucun. Tout au mi- lieu de ce bel exercice, je m'avisai de m'en faire une espèce de pronostic pour calmer mon inquiétude. Je me dis : « Je m'en vais jeter cette pierre contre l'arbre qui est vis-à-vis de moi: si je le touche, signe de salut; si je le manque, signe de damnation ». Tout en disant ainsi, je jette ma pierre d'une main tremblante et avec un horrible battement de cœur, mais si heureusement qu'elle va frapper au beau milieu de l'arbre... Depuis lors je n'ai plus douté de mon salut ^ ». Le testament du 27 juin lySy, qu'on trouvera reproduit dans le livre de Mugnier sur Madame de Warens et J. J. Rousseau^, montre encore très présente chez Jean-Jacques la pensée du jugement et du salut éternel. On peut donc admettre avec vraisemblance qu'il faut placer VEpitre aux Char- treiix entre les années lySô et 1740.
Il serait difficile de la dater plus précisément. Pen- dant ces quatre arnnées, Rousseau alla plusieurs fois à Grenoble ^. En se rendant à Montpellier, il y resta trois jours du 12 au 14 septembre 1737, mais le programme de ces journées, tel qu'il Fexpose dans une lettre à
1 VIII, [73-4.
- Paris, Calmann-Lévy, i8gi, i vol. in-8, p. 149-150 : «Considérant la certitude de la mort et l'incertitude de son heure et qu'il est prêt d'aller rendre compte à Dieu de ses actions, a fait son testament comme ci- après. Premièrement s'est muni du signe de la sainte croix sur son corps, en disant au nom du Père, du Fils et du Saint-Esprit, recom- mandé son âme à Dieu, son Créateur, le priant par les mérites de N. S. Jésus-Christ et l'intercession de la très sainte Vierge et des saints Jean et Jacques ses patrons, de luy faire miséricorde et de recevoir son âme dans son saint paradis, et proteste de vouloir vivre et mourir dans la sainte foy de l'Eglise catholique... Donne et lègue le dit testateur aux R*" Pères Capucins, aux K^' Pères Augustins et aux dames de S'« Claire ■dans ville, à chacun des dits couvents la somme de i6 livres pour célé- brer et faire célébrer des messes pour le repos de son âme ».
' Confessions, VIII, i53.
2:^4 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
M"^'-" de Warens. est déjà si chargé qu'il semble à peu près impossible d"v intercaler encore une excursion à la Grande Chartreuse ^ Peut-être rit-elle partie d'un autre voyage à Grenoble. Peut-être encore y alla-t-il directement de Chambéry. sans passer par Grenoble. La chose reste incertaine. M. Eugène Ritter me sug- gère que Jean-Jacques a pu aussi composer son épître sur de simples oui-dire, sans avoir jamais vu ni les moines ni le monastère. L'hypothèse n'est pas en soi inadmissible, mais, si Ton se rappelle que la réputa- tion de Jean-Jacques était nulle alors, il paraîtra peu vraisemblable que quelqu'un eût pris la peine d'en- voyer cette épître aux Pères et que ceux-ci l'eussent conservée. J'admettrais plutôt, quant à moi, que Rousseau a écrit lui-même ces vers sur « le grand livre que le P. hospitalier présentait aux visiteurs au moment du départ, et où chacun était libre d'écrire ce que lui dictaient la politesse et la religion-».
' Lettre du i3 septembre, X, 18-20.
2 Tracy, Vie de saint Bruno, Paris, Berton, 1785, p. 382, et [le P. Mandar, de l'Oratoire], Voyage à la Grande Chartreuse, ap. Journal de Verdun, janvier 1776, t. CXIX, p. 64. Dans la note qui précède ce « Voyage » en vers, le P. Mandar raconte qu'à lui aussi, «suivant l'usage», on lui apporta le livre des visiteurs; et il ajoute : «avec un peu plus de loisir, voici des vers qu'on aurait pu peut-être y insérer». Le poème du Père oratorien, écrit à Juilly le i" décembre 1775, est beaucoup plus long que celui de Rousseau; mais, dans quelques passages, il est si voisin de l'Épitre aux Cliartreux, par l'accent et même par les mots, qu'on peut se demander si le touriste de 1775 n'avait pas lu les vers de Jean-Jacques sur le grand livre du P. hospitalier. Après avoir dit son admiration pour ces religieux austères, qui,
. . . nuit et jour, anéantis pour nous. Nous rendent Dieu propice, apaisent son courroux,
— le P. Mandar s'adresse à la Chartreuse même dans une invocation- qui rappelle beaucoup celle de Rousseau :
Ah ! du moins, saint désert, séjour pur et paisible, Solitude profonde au vice inaccessible.
ROUSSEAU A LA GRANDE CHARTREUSE 2d5
La rapidité de composition, imposée par les circons- tances, expliquerait peut-être, chez un travailleur aussi lent que Rousseau, les négligences de st3de et les fautes de métrique : mots répétés, pieds en trop ou en moins, rimes masculines se succédant au début et à la fin ^ Sauf ces quelques détails d'exécution, qui té- moignent seulement d'une rédaction trop hâtive, on re- trouve dans VEpitre aux Chartreux la manière habi- tuelle de Rousseau, quand il s'essaie à versifier; et cela encore achève d'en confirmer l'authenticité. Le voca- bulaire de Rousseau poète est fort restreint ; son dic- tionnaire de rimes est particulièrement indigent. M. Eugène Ritter me fait observer très justement que dans les trois grandes épîtres approximativement con- temporaines de VEpitre aux Chartreux : Verger des Charmettes^ Épitî^e à Bordes^ Epitre à Parisot, qui forment en tout 666 vers, seize couples de rimes se
Impétueux torrents, et xous. sombies forêts, Recevez mes adieux, comme aussi mes regrets. Toujours épris de vous, respectable retraite, Piiissé-je dans le cours d'une vie inquiète, Dans ce flux éternel de folie et d'erreur, Oii flotte tristement notre malheureux cœur, Puissé-je, pour charmer mes ennuis et mes peines, Souvent fuir en esprit au bord de vos fontaines, Egarer ma pensée au milieu de vos bois, Par un doux souvenir rappeler mille fois De vos saints habitants les touchantes images. Pénétrer sur leurs pas dans vos grottes sauvages, Me placer sur vos monts, et là, prenant l'essor, Aller chercher en Dieu, ma joie et mon trésor.
(Journal de Verdun, p. 68-q.)
A moins que Rousseau et le P. Mandar n'aient puisé à une source commune, il ne paraîtra peut-être pas impossible que le Père ait feuil- leté à la Chartreuse le livre des visiteurs, et qu'attiré par la signature devenue célèbre de Jean-Jacques, il ait lu et retenu ses vers.
1 Cf. les notes de l'épître.
256 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
trouvent répétés, quelques-uns même trois ou quatre fois. Si Ton relit ces trois épîtres, et qu'on y joigne même, — malgré la différence des sujets et la diffé- rence 'des vocabulaires qui en résulte, — les poésies badines, les comédies ou opéras en vers composés par lui environ à la même époque, on remarquera cer- tainement que plusieurs couples de rimes et la plu- part des mots mis à la rime dans VEpitre aux Cliar- tî'eux sont repris ailleurs par Rousseau, tant sa pau- vreté verbale le rend peu exigeant, dès qu'il écrit en vers.
Couples de 7-imes : douceurs-cœurs, cf. V, 204, VI, i5, 35. 27; yeux-lieux, VI, 7, 8; imposture-nature, VI, 26; foi-loi, V, 171, 207; autels-mortels, V, 212; appas-pas,
V, 197, VI, 7; larmes-charmes, V, 146, VI, 3; jours- cours, V, 190, 192, 198, 23i ; vous-courroux, V, 187, 210, 219, VI, 4.
Mots mis à la rime: plaintes, VI, 11 ; douceurs, VI, i5, etc; cœurs, VI, 3, 4, 11, 14, i5, 16, 17, etc; af- freux, V, 192, VI, 3; heureux, VI, i5; félicité, V, 202,
VI, 19, 21 ; surprendre, V, 211; défendre, V, 207, 210; bon, V, 170; raison VI, 19, 24 ; yeux, V, 189, VI, 4, etc.; lieux, V, i9<), 199, etc.; imposture, VI, 2(3; na- ture, VI, 6, 10, etc.; foi, V, 171, 207, 22(3; loi, VI, 4, 12, i3, 16, 19, etc.; rare, V, 170; prépare, V, 2i3; autels, V, 212; mortels, V, 189; oisiveté, VI, 10; vo- lupté, V, 202, VI, 18; facile, VI, 2, 4; appas, V, 197, VI, 7; pas VI, 14; larmes, VI, 3, 6, 1 3, etc. ; charmes, VI, 3, 20, etc.; humains, VI, 4, 19; innocence, V, 191, 193, VI, 2, 24; naissance, VI, 12, i5; jamais, VI, 2, 3; jours, VI, 16; cours, V, 190, etc.; vous, VI, 10, etc.; courroux, VI, 14, etc.
ROUSSEAU A LA GRANDE CHARTREUSE 257
Ainsi sur 25 couples de rimes, 9 lui ont déjà servi ou lui serviront bientôt; sur 5o mots mis à la rime, 36 se retrouvent, — et beaucoup à plusieurs reprises, — dans les autres oeuvres versifiées de la même période. Il y a là, je crois, si toutefois il était nécessaire, un dernier argument d'authenticité.
Mais le meilleur de tous, n'est-ce pas encore les sen- timents exprimés, les désirs du cœur qui se révèle, leur émotion, et, pour ainsi dire, leur accent? h'Epître aux Chartreux rend bien le son de Rousseau, du Rous- seau encore jeune, hanté déjà par son rêve de retour à la nature, avide de solitude et de calme, travaillé par ses efforts de relèvement moral et l'inquiétude de sa pen- sée religieuse. A ce point de vue, et quoiqu'elle soit d'un ton moins « laïque », elle est toute voisine de VEpître à M. T^orde ou du Verger des Charmettes:
Verger, cher à mon cœur, séjour de l'innocence, Honneur des plus beaux jours que le ciel me dispense, Solitude charmante, asile de la paix, Puissé-je, heureux verger, ne vous quitter jamais ' !
O vous, qui, dans le sein d'une humble obscurité.
Nourrissez les vertus avec la pauvreté,
Dont les désirs bornés dans la sage indigence
Méprisent sans orgueil une vaine abondance.
Restes trop précieux de ces antiques temps.
Où des moindres apprêts nos ancêtres contents.
Recherchés dans leurs mœurs, simples dans leur parure,
Ne sentaient de besoins que ceux de la nature.
Illustres malheureux, quels lieux habitez-vous' ?
Voilà des vers de Rousseau qui ressemblent comme des frères à ceux que je viens de publier. Ce sont les
» Verger des Charmettes, VI, 2. ' Epitre à M. Borde, VI, 9-10.
IT
2 58 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
mêmes aspirations à la vie innocente et apaisée, les mêmes regrets de la simplicité primitive, s'exprimant en des formules de cadence analogue, presque avec les mêmes mots. Il y a pourtant dans VEpitre aux Chaf- treux une angoisse religieuse et comme des remords, qui semblent bien ne pas être de purs développements littéraires, et qui en font davantage une confession. Est- ce parce qu'il ne s'adressait plus cette fois à des gens du monde comme M"^'' de Warens, Borde ou Parisot, mais à des moines qui l'avaient édifié, que la confes- sion de Jean-Jacques, encore catholique croyant, s'est faite plus intime et plus douloureuse? Telle qu'elle est, en dépit de la médiocrité du style, elle reste un docu- ment qui n'est point négligeable dans l'histoire des idées religieuses de Rousseau.
Pierre-Maurice Masson.
CONTRIBUTION
A LÈTUDE DE LA PROSE MÉTRIQUE
DANS LA
NOUVELLE HÉLOÏSE
Lv prose métrique de La Nouvelle Héloïse mériterait toute une étude. Je n'en veux même point tenter ici l'esquisse. Je vou- drais seulement signaler à celui qui Ten- treprendra un rapprochement, qui, à ma connaissance. n'a pas encore été fait, et qui permettra peut-être d'analyser avec plus de précision Tart du style chez Rousseau,
La Nouvelle Héloïse^ on Ta bien des fois remarqué., abonde en couplets lyriques : lyriques, non pas seule- ment par les thèmes qu'ils développent, — car, à ce point de vue, on pourrait considérer la Julie comme le bréviaire du romantisme qui se prépare et déjà s'orga- nise, — mais lyriques aussi par Tordonnance mesurée des phrases, qui se groupent fréquemment en véritables strophes, tantôt, semble-t-il, selon une loi d'instinct. tantôt, et plus souvent peut-être, comme je vais essayer de le montrer, selon une loi consciente. On se rappelle cette recommandation de Rousseau à Malesherbes en
200 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. ,1. ROUSSEAU
vue de Tédition française de son roman. Malesherbes lui demandait de supprimer un a par haiard » qui pouvait sembler irrévérencieux pour le christianisme : « S'il ne tient qu'à sacrifier ce mot-là, lui répond Rousseau, j'y consens. Qu'on en mette un autre,... pourvu que ce mot substitué... ne gâte pas l'haivnonie de la phrase'^ y) ; et, dans une lettre à Coindet, à propos d'une « horrible faute d'impression » qui déparait les Sujets d'estampes de la Julie: «Je ne saurais vous dire, lui écrit-il, combien cette faute me chagrine, moins pour elle-même que jcjrce qu'elle gâte l'harmonie d'une phrase, qui, sans cela, serait fort coulante^ y). C'est là un scrupule musical qui ne surprendra point chez l'auteur du Devin du village. Au reste, les habitudes de compo- sition de Rousseau entretenaient, en l'affinant encore, ce goût inné d'harmonie. Stérile devant la table et le papier, il lui fallait la promenade ou les insomnies de la nuit pour trouver l'équilibre de sa phrase et la faire, en quel- que sorte, chanter : « Il y a telle de mes périodes, écrit-il, que j'ai tournée et retournée cinq ou six nuits dans ma tête, avant qu'elle fût en état d'être mise sur le papier'». Cette recherche douloureuse « du nombre et de l'har- monie », qu'il a poursuivie dans tous ses autres ouvra- ges'*, c'est dans La Nouvelle Héloïse qu'il l'a surtout ten- tée. Plus il y mettait de son cœur, plus l'émotion confuse qui l'agitait avait besoin de s'organiser, et mieux aussi
1 Notes à M . de Malesherbes à l'occasion de « La Nouvelle Héloïse », Œuvres de J. J. Rousseau, édition Hachette, i'^ voL in-if), t. V, p. 8g. Sauf indication contraire, toutes les autres citations de cet article sont empruntées à cette édition.
' Lettre du i8 février 1761, dans Œuvres et correspondance inédi- tes, publiées par Ci. Streckeisen-Moultou, Paris, Lévy, 1861, p. 38o.
•' Confessions, VIII, 80; cf. encore Ibid., VIII, 24().
-« Ibid., VIII, 25o.
LA PROSE MÉTRIQUE DANS LA NOUVELLE HÉLOISE 26 1
la cadence s'insinuait entre les mots, pour les répartir en groupes harmonieux, savamment disposés et coupés. Qu'on relise, par exemple, Tadieu de Saint-Preux aux deux cousines, avant de s'embarquer. ^ L'élargissement progressif du mètre y rend d'abord sensible cette émo- tion du départ qui va croissant jusqu'à la tristesse re- cueillie du dernier adieu ; puis, après quelques phrases d'un dessin moins sûr, où il semble que des rythmes nou- veaux s'essaient, l'élégie se termine avec ampleur sur une strophe de six vers, admirablement équilibrée, où cinq alexandrins égaux et lents préparent et prolongent l'impression d'incertitude inquiète que laisse le dernier décasyllabe :
Il faut finir, je le sens. Adieu, charmantes cousines. Adieu, beautés incomparables. Adieu, pures et célestes âmes. Adieu, tendres et inséparables amies, femmes uniques sur la terre.
Daignez vous rappeler quelquefois la mémoire d'un infortuné qui n'existait que pour partager entre vous tous les sentimens de son âme.
J'entends le signal et les cris des matelots; je vois fraîchir le vent et déployer les voiles : il faut monter à bord, il faut partir. Mer vaste, mer immense, qui dois peut-être m'engloutir dans ton sein, puissé-je retrouver sur tes flots le calme qui fuit mon cœur agité !
Nombreuses seraient les lettres de La Nouvelle Héloïse, où l'on trouverait des couplets analogues, dis- posés de place en place, et comme à dessein, en groupes
> Nouvelle Héloise, IV, 276.
202 AN'NALES DE I.A SOCIÉTÉ ,T. J. ROUSSEAU
métriques, groupes d'ailleurs très habilement irréguliers pour la plupart, et dont la sinueuse liberté enlève à tous ces vers bien définis la monotonie lassante des vers blancs. Sans doute, pour un musicien comme Rousseau, qui aurait rêvé de traduire le mouvement de la passion par le rythme quantitatif de la phrase, le procédé était encore grossier ; mais, écrivant en fran- çais, ayant fait dans sa jeunesse l'apprentissage de nos différents mètres, il ne pouvait se défendre de chercher à exprimer le rythme véritable qu'il sentait en musicien par le pseudo-rvthme syllabaire où il s'était exercé en poète. ^ De tous les vers qu'il avait jadis pratiqués, celui qui lui resta le plus longtemps familier, ce fut, semble-t-il, l'octosyllabe. L'Allée de Sylvie est écrite tout entière sur ce mètre, qu'il jugeait sans doute le plus lyrique des vers français.
Passions, source de délices. Passions, source de supplices, Cruels tyrans, doux séducteurs, Sans vos fureurs impétueuses, Sans vos amorces dangereuses, La paix serait dans tous les cœurs ^.
Ce couplet est emprunté à L'Allée de Sylvie, et ne détonerait point dans La Nouvelle Héloïse. Les octosyl-
• Il ne saurait être question, à proprement parler, de « rythme » dans la poésie ou la prose française: « Il y a cette différence entre la métrique et la rythmique, écrit Rousseau dans le Dictionnaire de musique (VU, i63), que la première ne s'occupe que de la forme des vers, et la seconde de celle des pieds qui les composent : ce qui peut même s'appliquer à la prose. D'où il suit que les langues modernes peuvent encore avoir une musique métrique, puisqu'elles ont une poésie, mais non pas une musique rythmique, puisque leur poésie n'a plus de pieds ». 11 reste néanmoins dans les divers mètres français un certain mouvement qui leur est propre, et qui peut être considéré comme une manière de rythme ; cf. encore Essai sur l'origine des langues, chap. XII (I, 396).
2 L'Allée de Sylvie, VI, ly.
LA PROSE MÉTRIQUE DANS LA NOUVELLE HÉLOISE 263
labes y abondent : aux heures de tristesse ardente et de trépidation sentimentale, ils apparaissent aussitôt, sou- tenus et élargis ça et là par un décasyllabe ou un <ilexandrin :
Tout m'alarme et me décourage ;
je ne lis pas dans l'avenir
des maux inévitables, mais je cultivais l'espérance, et la vois flétrir tous les jours. ;"
Que sert, hélas ! d'arroser le feuillage, quand l'arbre est coupé par le pied ! ^ ^
Ou bien :
On n'aperçoit plus de verdure, l'herbe est jaune et flétrie,
les arbres sont dépouillés ;
Le séchard et la froide bise
entassent la neige et les glaces ; toute la nature est morte à mes yeux comme l'espérance au fond de mon cœur ^.
Ou encore :
Rends-moi ce sommeil enchanteur,
rends-moi ce réveil plus délicieux encore, et ces soupirs entrecoupés,
et ces gémissemens si tendres, durant lesquels tu pressais sur ton cœur ce cœur fait pour s'unir à lui -^
Etc., etc.
La méditation de Saint-Preux dans le cabinet de toi- lette de Julie, méditation toute lyrique, qui pourrait se transcrire presque entière en phrases mesurées, a
1 Nouvelle Héloise, IV, 58.
2 Ibid., IV, 59. î Ibid., IV, 99.
264 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
comme rythme de base, si l'on peut ainsi parler, le rythme de l'octosyllabe.
Me voici dans ton cabinet, me voici dans le sanctuaire de tout ce que mon cœur adore.
Lieu charmant, lieu fortuné,... sois le témoin de mon bonheur, et voile à jamais les plaisirs du plus fidèle et du plus heureux des hommes.
Tout y flatte et nourrit l'ardeur qui me dévore.
O Julie, il est plein de toi,
et la flamme de mes désirs
s'y répand sur tous tes vestiges. Oui, tous mes sens y sont enivrés à la fois.
Julie, ma charmante Julie,
je te vois, je te sens partout.
Oh ! viens, vole, ou je suis perdu.
Il me semble entendre du bruit. Serait-ce ton barbare père ?
Mon cœur, mon l'aible cœur, tu succombes à tant d'agitations. Ah ! cherche des forces pour supporter
la félicité qui t'accable*.
Est-ce là un rythme conscient et volontaire? Je le crois, et vais essayer de le montrer par le rapproche- ment suivant. On connaît l'admirable invocation à la femme, que Saint-Preux envoie à Julie dans sa dernière lettre, comme son testament d'amoureux. Cette invo- cation sans hiatus-, d'un dessin à la fois très libre et très défini, est un véritable poème ; et je ne crois pas être infidèle aux intentions de Rousseau en le présen-
1 Nouvelle Héloise, IV, 98-9.
* Rousseau a mis ime coqueuerie de poète à éviter les hiatus dans
LA PROSE MÉTRIQUE DANS LA NOUVELLE HÉLOISE 26S
tant de nouveau au lecteur sous cette forme mé- trique :
Femmes ! Femmes ! objets chers et funestes, que la nature orna pour notre supplice, qui punisse:^ quand on vous brave, qui poursuive^ quand on vous craint, dont la haine et l'amour sont également nuisibles', et qu'on ne peut ni rechercher
ni fuir impunément, beauté, charme, attrait, sympathie, être ou chimère inconcevable abîme de douleurs et de voluptés, beauté plus terrible aux mortels que l'élément où l'on t'a fait naître, malheureux qui se livre à ton calme trompeur ! c'est toi qui produis les tempêtes qui tourmentent le genre humain. O Julie ! O Claire ! Que vous me vendez cher cette amitié cruelle, dont vous osez vous vanter à moi. J'ai vécu dans l'orage, et c'est toujours vous qui l'avez excité. Mais quelles agitations diverses vous avez fait éprouver à mon cœur ! Celles du lac de Genève ne ressemblent pas plus aux flots du vaste océan.
La Nouvelle Héloise; cf. sa remarque sur la fin de ce « couplet» dans ' e discours de Julie mourante :
Le pays des chimères est en ce monde
le seul digne d'être habité. Tel est le néant des choses humaines
qu'hors l'Etre existant par lui-même il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas.
« Il fallait que hors, écrit Rousseau en note ; et sûrement M""* de Wolmar ne l'ignorait pas. Mais outre les fautes qui lui échappaient par ignorance ou par inadvertance, il paraît qu'elle avait l'oreille trop délicate pour s'as- servir toujours aux règles mêmes qu'elle savait. On peut employer un style plus pur, mais non plus doux ni plus harmonieux que le siens*. (V, 41.)
' Ce vers de treize pieds, comme plusieurs autres dans La Nouvelle Héloise, devient un alexandrin très satisfaisant pour l'oreille, si, au lieu de compter les syllabes, on laisse la prononciation supprimer l'e muet Les vers de onze et neuf pieds appelleraient une observation analogue..
26b AXXALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
L'un n"a que des ondes vives et courtes,
dont le perpétuel tranchant agite, émeut, submerge quelquefois,
sans jamais former de long cours. Mais sur la mer, tranquille en apparence,
on se sent élevé, porté doucement et loin
par un flot lent et presque insensible.
On croit ne pas sortir de la place, et l'on arrive au bout du monde ^
Sur ces trente-quatre vers, — je les appelle ainsi, faute de terme adéquat, — onze sont des octosyllabes : ce sont eux qui donnent à l'invocation son accent, et déterminent son allure. Or, parmi les « Poésies diver- ses » de Rousseau, je trouve ces Vers sur la femme ^'^ qui nous aideront à mieux comprendre et goûter l'art très raffiné de ce petit poème en prose :
Objet scdiiisanl et funeste, Que j'adore et que je déteste ; Toi que la nature embellit Des agrémens du corps et des dons de l'esprit, Qui de l'homme fais un esclave. Qui t'en moques quand il se plaint. Qui l'accables quand il te craint. Qui le punis quand il te brave, Toi dont le front doux et serein Porte le plaisir dans nos fêtes ; Toi qui soulevés les tempêtes, Qui tourmentent le genre humain ; Être ou chimère inconcevable. Abîme de maux et de biens. Seras-tu donc toujours la soiu-ce inépuisable De nos mépris et de nos entretiens ?
Au point de vue de la technique métrique et du sen- timent, il est impossible de contester la parenté évi- dente de ces deux morceaux : ce n'est pas seulement le
» Nouvelle Héloise, V, 28 (Partie VI, lettre VU). - Poésies diverses, VI, 28.
LA PROSE MÉTRIQUE DANS LA NOUVELLE HÉLOISE 267
même thème, c'est le même rythme, le même mètre, le même balancement antithétique, et souvent les mêmes mots. Pour marquer avec sûreté et précision l'exact rapport entre cette « prose » et ces » vers » si étroite- ment apparentés, il serait utile de connaître la date et Torigine de ces derniers. On lit dans Tédition Furne des Œuvres complètes de Jean-Jacques Rousseau^ Paris, i835, in-4°, t. III, p. 3(5q, la note suivante, relative aux Vers sur la femme : « Publiés pour la première fois en 1824 dans Tédition donnée par M. Musset- Patha}'». Cette note est inexacte; non que ces vers soient absents de l'édition Musset^, mais l'édition Belin les avait déjà publiés en 1817^, Dans Tune comme dans l'autre d'ailleurs, nulle indication d'origine n'est fournie. Je ne les ai lus dans aucune des éditions anté- rieures à 181 7 que j'aie pu consulter, ni dans l'édition de Genève de 1781, ni dans celle de Didot de 1796. M. Théophile Dufour veut bien me signaler qu'il les a découverts dans la Correspondance secrète, dite de Métra. Ils y ont été insérés dès 1783, sous ce titre, et sans autre indication :
VERS |
|||
IBUÉS |
A .1 |
. .1. |
ROUSSEAU |
SUR |
LA |
FEMME ^. |
Avaient-ils déjà paru dans quelque autre recueil ? Je l'ignore. Mais, s'il faut se fier ici à la seule Correspon-
' Paris, P. Dupont, t. X, 1824, in-8, p. 464.
2 Paris, Belin, t. V., 1817, in-8, p. 686.
^ Correspondance secrète, politique et littéraire, on Mémoires pour sei-vir à l'histoire des cours, etc.. depuis la mort de Louis XV, Londres, John Adamson, 1787-1790, 18 voLin-12, t. XV, p. 134. L'édition origi- nale, très rare, de cette Correspondance avait paru à Neuwied, Société typographique, 1 775-1 793, 19 vol. petit in-8.
208 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
dance secrète, on sait que le témoignage de Métra ne saurait y être allégué, et que, comme tant d'autres feuil- les de ce genre au dix-huitième siècle, « elle était Tœu- vre d'un bureau de nouvellistes^», M. Dufour me fait remarquer très justement qu'un texte posthume, ainsi publié sans garantie d'aucune sorte, et « attribué » seu- lement à l'auteur, est d'une authenticité suspecte : « Le mot attribué, m'écrit-il, est pour moi la preuve que les vers ne sont pas de Rousseau; s'ils étaient de lui, on n'aurait pas employé cette expression, d'ailleurs assez bien trouvée, le poète anonyme reconnaissant ainsi, en quelque manière, la paternité de Rousseau à l'égard de la rédaction primitive en prose». Je serais peut-être moins affirmatif que l'éminent critique. Je considère Tauthenticité de cette pièce comme douteuse ; je ne con- sidère pas son inauthenticité comme certaine ; car, pour laisser de côté tout autre argument, pourquoi ce poète anon3'me qui prenait plaisir à mettre en vers un frag- ment de La Nouvelle Héloïse, se serait-il arrêté à mi- chemin, pourquoi aurait-il coupé en deux cette invoca- tion qui forme un tout si harmonieux, pourquoi n'au- rait-il pas versifié les derniers couplets, d'une beauté plus séduisante et plus émue encore que les premiers? Acceptons donc — provisoirement du moins — «Tattribution » de ces vers à Rousseau, non pas même comme probable, mais comme possible. Pour le cas où ils seraient de lui, il resterait à se demander s'ils ont été tirés du roman, ou s'ils Tont précédé. Dans la pre- mière hypothèse le rapprochement aurait encore son intérêt. Il montrerait que Rousseau, en relisant sa prose
' Frant/: P'unck-Bremano et Paul d'Estrée, Figaro cl ses devan- ciers, III, Revue des Deux-Mondes, du i" août njoo, p. 644.
LA PROSE MÉTRIQUE DANS LA NOUVELLE HÉLOISE 269
lyrique, aurait su en dégager lui-même le rythme essen- tiel qui la gouvernait ; et les Vers sur la femme demeu- reraient comme une affirmation indirecte de tout ce qu'il y a de conscient et d'intentionnel dans le style de Rousseau et dans ses procédés rythmiques. Mais on admettra, j'imagine, comme plus vraisemblable, que, si Rousseau en est l'auteur, il a dû les écrire avant le roman. L'invocation de Saint-Preux dans La Nouvelle Héloïse, sans être certes hors de place, forme une en- clave très nettement circonscrite parmi les développe- ments personnels qui l'entourent : c'est une envolée d'un lyrisme tout universel à l'occasion d'un cas parti- culier. Aussi J'admettrais volontiers que le morceau au- rait été inséré après coup dans la lettre, ou du moins, qu'en écrivant la lettre. Rousseau aurait retrouvé dans sa mémoire cette Méditation amoureuse, reprise plus ample et mieux orchestrée des Veî^s sur la femme. Si au contraire Rousseau avait emprunté à la lettre de Saint-Preux un thème à versifier, on comprendrait mal pourquoi il aurait tronqué le développement primitif, et sacrifié cette double comparaison finale, dont il ne pouvait pas ne pas sentir toute la mélancolique beauté. « J'ai fait de temps en temps de médiocres vers, avoue- t-il dans les Confessions; c'est un exercice assez bon pour se rompre aux inversions élégantes et apprendre à mieux écrire en prose ^». Rousseau semblerait donc nous invi- ter lui-même à reconnaître dans sa prose un second état de ses vers. Ayant écrit jadis cette petite pièce, où il aurait exprimé, sous une forme encore un peu grêle, un sentiment douloureux et profond, il y serait revenu
1 VIII, m.
270 ANNALES DE LA SOCIETE .1. J. ROUSSEAU
plus tard, quand il composait cette Julie, où il déversait tout son cœur; et. supprimant quelques fadeurs, «pros- crivant » surtout l'ornement « barbare de la rime^w. — il aurait conservé dans sa prose cadencée, comme rythme directeur, ce rythme octosyllabique qui le séduisait tou- jours-; mais, pour en élargir ou en assouplir le mouve- ment, il en aurait coupé la monotonie par des mètres divers, dont il aurait pu déjà apprécier l'heureux effet dans le premier état versifié.
Ainsi, en renonçant aux «vers», Rousseau n'aurait pas renoncé à la « poésie ». Les analyses précédentes, — qui ne veulent être encore une fois que l'amorce d'une étude à faire. — permettraient dès à présent, si je ne me trompe, de mieux admirer dans La Nouvelle Héloïse une oeuvre très travaillée de poésie consciente ; et par là, je ne veux pas dire seulement cette poésie qui est en quelque sorte latente dans toutes les tristesses, toutes les ardeurs, tous les grands rêves idéalistes ou pas- sionnés de l'homme, jnais cette poésie soumise à un dessein, et organisée, si Ton peut dire, par l'art, qui trouve l'un de ses charmes les plus vifs dans l'adapta- tion réfléchie de ces tristesses, de ces ardeurs, de ces rêves à une loi intérieure qui les discipline en les harmonisant.
Sans doute, les conclusions que je propose n'auront toute leur valeur que si les vers sont de Rousseau.
1 Dictionnaire de musique, VII, 25/.
2 Ne serait-ce pas pour conserver ce rythme de l'octosyllabe, qu'il aurait transposé ces deux vers :
Toi qui soulèves les tempêtes Qui tourmentent le genre humain,
en cette phrase de la lettre: «c'est toi qui produis les tempêtes, qui. tourmentent le genre humain » ?
LA PROSE MÉTRIQUE DANS LA NOUVELLE HÉLOISE 27 1
Cependant, quand bien même leur inauthenticité serait définitivement démontrée, elles pourraient subsister presque en entier. Qu'un poète de la fin du dix-huitième siècle ait su dégager d'une lettre de La Nouvelle Héloïse les vers qu'elle contenait, n'v a-t-il pas là une preuve que ce rythme de l'octosjdlabe. que j'ai cru reconnaître si souvent dans les parties h^riques de l'œuvre, s'y ma- nifeste en effet pour toute oreille familière avec les rythmes de la poésie française ? Et les Vers sur la femme, quel qu'en soit l'auteur, pourraient encore, je crois, servir d'illustration à toute étude sur la prose métrique de La Nouvelle Héloïse.
Pierre-Maurice Masson.
Note de la Rédaction. — Le renseignement de M. Th. Dufour concer- nant la première apparition des Vers sur la femme (cf. supra p. 267) demande à être complété comme suit: Ces vers ont également paru dans le Journal encyclofédique de 178?, t. VII, p. 488-48C) (i"^'' novem- bre) (Titre : Vers sur la femme, attribués à J.-J. Rousseau. Var. : quand il te plaint, Abyme des maux et des biens.) Il faudrait savoir si l'inser- tion dans la Correspondance de Métra — que nous n'avons pas sous la main — est antérieure ou postérieure à cette publication. Dans le se- cond cas, l'emprunt serait évident.
LE PEINTRE G. F. MAYER
UR cet artiste auquel on doit la gracieuse silhouette de Jean-Jacques herborisant à Ermenonville, si souvent reproduite, et dont nous donnons, en tête de ce volume, une des plus authentiques épreuves — Jean-Jacques s'y détache sur le décor du petit pont et du pavillon qu'il habita à Ermenonville, — notre distingué confrère, le comte de Girardin, l'auteur de la monumentale Iconographie de J. J. Rousseau dont il est rendu compte d'autre part, a bien voulu nous communiquer les rensei- gnements suivants qui complètent en partie ceux de Stanislas de Girardin dans ses Mémoires, 1828, I, p. 16-17 :
Paris, 28 décembre 1909.
Mon cher collègue,
Vous me demandez une note sur le peintre Mayer qui repré- senta si bien Jean-Jacques Rousseau, auprès duquel il vécut pen- dant les derniers jours de la vie du philosophe. Je puise tous les renseignements qui suivent sur lui dans mes archives de famille contenant sur cet artiste de nombreuses notes de René de Girar- din et de son fils Stanislas.
Mayer ou Meyer, car il signait tantôt d'une façon, tantôt de l'autre, (je possède des aquarelles de lui signées des deux façons) était né suivant les uns en lySy, suivant les autres en 1740, à Manheim suivant les uns, à Strasbourg suivant les autres. Sui- vant mon arrière-grand'père Stanislas, il était né à Strasbourg. C'est là où il commença à dessiner. Il vint à Paris pour se perfectionner et c'est là qu'il fut admis parmi les élèves de Ca- sanova chez lequel il resta huit ans. Il peignait si bien qu'en retouchant un peu ses tableaux, Casanova les faisait passer pour
18
2 74 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .). ROUSSEAU
être de lui et plusieurs de ceux-ci, qu'on prend pour des œuvres- de Casanova, sont de Mayer.
En quittant Casanova, il entra comme peintre chez Tancien duc des Deux-Ponts. Il fit alors surtout du paysage et des fêtes fla- mandes. C'est le peintre qui approche le plus de Téniers.
Il a dit a mon arrière-grand'pere qu'il n'avait copie dans sa vie que deux tableaux. Il n'avait jamais appris l'anatomie et cepen- dant dessinait fort correctement le corps humain.
Après la mort du duc des Deux-Ponts, il ne resta pas avec son successeur qui voulait ne lui faire peindre que des têtes de cerfs.
Il revint à Paris où il eut alors beaucoup de réputation. 11 entra chez le marquis René de Girardin comme peintre. 11 v vécut deux ans et v mourut, à Ermenonville, le 5 juin 177Q. Il v fut enterré dans une petite ile aux environs du château, ile qui se trc^uvait lL-us le petit étang prés de celle des Peupliers où reposa Rousseau ^ Son corps s"v trouve encore.
Il était luthérien, d'humeur facile et gaie. Il était très aime de tous ceux qui le connaissaient. Il était complaisant avec tout le monde. Il dessinait fort bien et avait un très joli coloris. Il n'était pas de l'Académie quoiqu'avant une très grande réputation. 11 allait en être : il travaillait à son tableau de réception lorsqu'il mourut.
Il mourut, dans des souffrances atroces, d'une maladie qu'il avait contractée dans sa jeunesse « pour ne s'être pas, dit-on, d'après Stanislas Girardin, contente toujours de dessiner ses modèles >'. Pendant les derniers huit jours de sa vie, enferme dans sa chambre, ne voulant voir personne, on l'entendait crier de eiou- leur dans tout le château.
11 exposa plusieurs fois et entre autres un tableau représentant « l'Ile où est enterré .lean-.lacques Rousseau à Ermenonville » (au Salon de la Correspondance, en ijy»)!. Ce tableau appartient à Monsieur le vicomte de Vauloge qui le tient de famille. Monsieur le Vicomte de Vaulogé possède aussi un fort beau pastel qui lui vient de famille et qui, d'après la tradition, est le portrait de
' «...Sur la pointe d'une île qui s'avance dans ses eaux [du lac], vous apercevez un petit monument, dont une partie est cachée par les buis- sons; il porte cette inscription :
» Hier liegt Georgc-l-'riderich Mayer, aus Strassburg treburtig, er war ein gcschickter niahler und ein rcdlicher maïui.
» Ci-gît George-Frédéric Mayer, né à Strasbourg; c'était un peintre liabile et un honnête homme» (Itincraivc des Jardins d'h^rmcnonville, 1788, p. 28.)
!.E PEINTRE G. F. MAYER 2']D
Mayer. Mayer était aussi un fort bon graveur à reau-fortc. Il a gravé entre autres : « Le saut de Borzelbaum «, « La nouvelle troupe de danseurs. »
Voici, mon cher collègue, tout ce que je puis vous dire sur le peintre Mayer; j'espère que cela vous suffira.
Rece\ez, je vous prie, mon cher collègue, les assurances de mes sentiments les plus distingués.
Comte DE GiRARDIN.
BIBLIOGRAPHIE
COMPLÉMENT POUR LA BIBLIOGRAPHIE DE L'ANNÉE 1907
FRANCE
Le Gaulois du Dimanche, Supplément hebdomadaire, littéraire et illustré, i3-i4 avril 1907 : Baron Morano, Mes vieux papiers. La mort de J. J. Rousseau .
L'auteur de cet article publie des notes de son trisaïeul, M. Chariot, commissaire-priseur à Paris, — qui fut «l'ami et le conseiller » de Thérèse Levasseur, — notamment une requête signée par elle pour solliciter la faveur d'être placée « sur la liste des protégés » de Catherine de Russie. Doubrowsky, secrétaire de l'ambassade russe à Paris, promit d'envoyer cette supplique à l'impératrice. Dans l'entretien qu'il eut à cette occasion avec Thérèse, au mois d'octobre 1790, en présence de M. Chariot, qui en rédigea « un compte rendu, certifié par lui véritable, » Dou- browsky prétendit que sa souveraine possédait seulement deux portraits d'hommes célèbres, dont l'un était celui de Rousseau. 11 ajouta : « Vous ignorez, Madame, qu'il existe à Pétersbourg une Société de J. J. Rousseau: que cette Société s'occupe de rechercher à grands frais les manuscrits des grands hommes ; qu'elle m'a chargé de lui procurer tous ceux de votre époux que je pourrai découvrir. J'ai été chez un libraire de Paris, que Ton m'a indiqué et chez lequel j'en ai trouvé un, qui a servi à l'im- pression et qui est absolument perdu par la malpropreté des ouvriers. Si vous en avez quelqu'un, je traiterai avec vous à un prix dont vous serez très contente. »
Bien que Thérèse détînt encore les Confessions et peut-être d'autres papiers, elle déclara n'avoir plus aucun manuscrit. Puis, sur la demande de Doubrowsky, elle consentit à dicter, « pour lui et pour la Société de J. J. Rousseau à Pétersbourg, » une relation détaillée des derniers moments du philosophe. M. Morand en donne le texte, daté du 3o octobre 1790. C'est une version iné- dite, qu'il est intéressant de comparer avec celles qu'on connais- sait déjà, notamment avec la lettre de Thérèse à Corancez, du 27 prairial an VI (i5 juin 1798).
Mais pour admettre l'existence, en 1790, d'une « Société de J. J. Rousseau» à Saint-Pétersbourg, il faudrait qu'elle fût attes-
278 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
tée par ailleurs, car si la bonne foi de M. Chariot paraît incontes- table, on peut conserver des doutes légitimes sur celle de Pierre Doubrowskv. Ce dernier est connu pour avoir été à Paris, de 1780 a 1800, un collectionneur insatiable, qui sut profiter des nombreuses occasions que la Révolution mettait à sa portée. Il emporta en Russie et vendit au gouvernement une série impor- tante de volumes et de documents anciens, comprenant entre autres des manuscrits précieux de Saint-Germain-des-Prés, des recueils de dépêches royales ou diplomatiques, des papiers pro- venant de la Bastille, etc. On est donc fonde à supposer qu'en s'adressant à Thérèse Levasseur, il agissait tout simplement pour son propre compte. [Th. D.|
HONGRIE
.1. .1. Rousseau. .4 bcs^cd KelethCyése [L'origine de la langue], forditotta Dr Rédei Rezsii, bevezetés gvanânt: Miert dalla- nios a magyarnyelv [magyar onomatopoeia), irta Drum.îr Jà- nos, Debreczen, Sz. kir. Vàros Konyonyomda-vàllalata 1907, in-8, i38 pp.
Préface de M. Jânos Drumar (p. 3-i8), et dissertation introduc- tive du même sur « une onomatopée hongroise « (Pourquoi la langue magyare est mélodique) où l'auteur applique à un cas spé- cial les idées de Rousseau sur la langue.
Rivista di Jilosofia e science jffini, Padova, ottobre-dicembre 1907: R. MoNDoi.KO, // Contralto sociale c la lenden^a comunista in J. J. Rousseau.
BIBLIOGRAPHIK DE L'ANNÉE 11K)8
ALLEMAGNE
Jean-Jacques Rousseals Glaubensbekenntnis des savovischen Vikars, ins Deutsche iibertragen, mil einer Vorrede und einem Anhange versehen, von Dr J. Reinke, prof. a. d. Universitat Kiel, Verlag von Eugen Salzer in Heilbronn, 1908, in-8, 1 19 pp.
Cette traduction de la Profession de foi du Vicaire savoyard, due à un professeur de botanique, se présente elle-même comme
biblio{;raphie 279
une profession de foi, la protestation d'un savant contre l'athéisme du jour, une manière d'antidote proposée au grand public « contre l'insanité des écrits de Nietzsche et de Hàckel ». C'«st dire qu'elle est écrite dans un sentiment de sympathie profonde et d'admiration pour le génie toujours vivant, toujours actif de Rousseau. Le traducteur reconnaît lui-même qu'elle n'est pas tout-à-fait complète, en ce sens qu'il a négligé certains passages qui faisaient répétition, ou inutiles dans une publication détachée de ce genre. En appendice, des pages d'Adolf l^^ick intitulées Religion et Sciences naturelles, et un fragment d'un discours pro- noncé récemment par le professeur Reinke à la chambre prus- sienne des seigneurs, le tout ayant trait également à la querelle du monisme. [A. F.]
Jean-Jacques Rousseau. Kiiltiirideale, eine Zusammenstellung aus seinen Werken mit Einfûhrung von Eduard Sprangkr, ûbersetzt von Hedwig Jahn, verlegt bei Eugen Diedrichs, lena, 1908, in-8, 333 pp., un portrait frontispice.
Ce nouveau choix très copieux et fort bien présenté par l'édi- teur (sauf la couleur criarde de la couverture), se divise en quatre rubriques : 1° Caractère et Biographie, -i'-' Etat et Civilisa- tion, 3° Morale et Pédagogie, 4^' Religion et Philosophie, chaque partie se terminant par un certain nombre de pensées détachées ou « aphorismes ». L^introduction, très soignée, part de la donnée d'un Rousseau «philosophe de la nostalgie» (SehnsuchtI, dont l'àme vibrante renouvelle les idées et les sentiments de son époque — raconte sa vie, dont la seconde partie n'est qu'un long regret de la première — enfin caractérise son œuvre dans le double champ de la psychologie et de l'histoire, le tout d'une manière qui dénote la familiarité de l'auteur avec les ouvrages du philoso- phe et une haute idée du rôle joué par celui-ci : « Ce que Rous- seau a été pour la vie intellectuelle allemande, aucune description ne réussirait aujourd'hui à le rendre d'une manière complète. » Ainsi s'achève l'introduction, au moment où elle vient de signaler l'appui fourni par l'Allemagne à notre Société. [A. F.]
Jean-Jacques Rousseaus Briefe, in Auswahl herausgegeben von Friedrich M. Kircheisen, Greinerund Pfeifïer, Stuttgart, s. d. [1908], in-8, i6q pp. (Collection des Biicher der Weisheit itnd Schônheit.)
Le dernier choix de lettres de Rousseau, traduites en allemand, par Fr. Wiegand, a été publié en 1872. Celui qu'a fait M. Friedrich M. Kircheisen s'en distingue par le souci d'éclairer la biographie de Rousseau au moyen de sa correspondance, en variant autant que
28o ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
possible les correspondants, en empruntant des lettres à tous les moments de la vie de Rousseau et en les répartissant. selon les prin- cipales périodes de cette vie, en cinq chapitres : I, Jeunesse et années nomades (4 lettres) ; II, Débuts de la célébrité (i5); III, l'Ermitage et Montmorency (22) ; IV, l'Exil en Suisse et en Angle- terre (17); V, Soir de la vie (12].
Chacune de ces cinq portions de la correspondance est précé- dée d'un court résumé biographique. Le volume se termine par quelques pages de notes explicatives, mais il y manque un index des lettres reproduites, qui permettrait au lecteur de retrouver aisément les plus intéressantes.
Si le traducteur s'est en général heureusement acquitté d'une tâche malaisée, on doit signaler à l'éditeur plusieurs erreurs dont quelques-unes sont graves. Il les eût évitées en consultant de plus prés les érudits genevois et savoisiens. Au tome II des Aniurles (p. 179; p. 181, note 3) il aurait par exemple trouvé l'indication de la date exacte de la lettre de Rousseau à son père (p. 12 du recueil) qui est de 1736, et de celle de MH"-" Serre (p. 17) qui est de juin 1735, et aurait donc dû passer avant la précédente. Un assez grand nom- bre des dates attribuées aux lettres de Rousseau, dans l'édition Ha- chette, que M. K. a suivie, doivent de même être contrôlées. Faut-il une fois encore marquer la vraie époque du séjour aux Charmettes, qui est de l'année 1738 et non de 1732? Cette chronologie des pre- miers livres des Confessions est maintenant définitivement établie (voyez Annales, I-III, passim ; Mugnier, Mme de Warens et Jean- Jacques Rousseau; Ritter, La famille et la jeunesse de J. J. Rous- seau, travaux trop souvent négligés par les érudits allemands). Parmi les notes explicatives (p. i63 et suiv.), dont quelques-unes manquent de clarté, voici celles qui doivent être rectifiées : note 5, Mme de Warens s'appelait réellement Louise-Françoise de la Tour, dame Loys de Vuarens. Sa famille était vaudoise. Elle est née en 1699 — non en 1700 — et morte en 1762 — non en 1764. — Note II, Jean-Baptiste Rousseau est né en 1701, non en 1760. — Note 21, Jacob Vernes est mort en 1791, non en 1781. Ce n'est pas lui, quoique Rousseau l'en ait d'abord soupçonné, qui fut l'auteur de l'ignoble Sentiment des citoyens, dont le véritable auteur — qui l'ignore encore aujourd'hui ? — était Voltaire. — Note 48, l'Esca- lade, c'est-à-dire l'attaque perfide de Genève par le duc de Savoie, eut lieu le 11 décembre 1602. — Note 54, M. K. abrège de qua- rante-sept années la vie de Jacques-Antoine Roustan, qui mourut non en 1761 (année où il fut nommé régent de la 4e classe du collège de Genève) mais en 1808! — Note 66, c'est en 1766 que Rousseau passa en Angleterre, en compagnie de Hume, tandis que 1770 est la date de son établissement définitif à Paris.
BIBLIOGRAPHIE 2S1
Il me reste à louer l'élégance de ce recueil de lettres, imprimé sur beau papier et orné de frontispices et de culs de lampes dont quelques-uns sont charmants. [B. B.]
J. J. Rousseau in seinen Werken. Bearbeitet von P>iedrich M. KiRCHEisEN. Verlag von Robert Lutz, Stuttgart, s. d. (1908), in- 16, 282 pp. (Tome 12 de la collection Ans der Gcdanken- welt grosser Geister. 1
Voici, à l'adresse du grand public allemand, un choix de frag- ments de Rousseau qui se présente en un joli volume, nettement distribué, élégamment imprimé, agréable à manier, facile à con- sulter. A la table des matières, divisée en sept chapitres : Philoso- phie et religion ; Pédagogie ; Politique et économie politique ; Théâtre, littérature, musique et science; Amour de la nature;. Femmes, amour et mariage ; Vie journalière, un index détaillé ré- pond, qui permet d'apprécier la richesse variée des morceaux choi- sis. M. K, n'a négligé aucune des parties de l'œuvre de Rousseau. Il a fait des emprunts même à Mon Portrait, au Projet d'éduca- tion pour M. de Ste-Marie, a la Fiction sur la Révélation. Seule la correspondance de notre auteur est négligée, et c'est une lacune dans un recueil qui doit évoquer la physionomie complète de l'homme et de l'écrivain. Quant aux « Fragments posthumes » et surtout aux « Pensées » de Rousseau, l'éditeur, puisqu'il accompa- gne les textes cités de notes explicatives, aurait dû en faire pour expliquer ces références arbitraires.
M. K. est un bon traducteur. Son texte allemand ne déconcerte même pas celui à qui sont familiers le rythme et l'élégance de la phrase de Rousseau. Quant à la netteté et à cette force du style original plus concentrée à mesure qu'on approche de la fin d'une période, il est bien difficile de les reproduire en allemand. Au moins la traduction est-elle scrupuleuse sans servilité.
Une notice biographique de quarante pages ouvre le volume. Signalons à son auteur quelques inexactitudes: — p. 8, il parle de la « patrie suisse » de Rousseau; — 16, l'aventure du ruban vole ne s'est pas passée dans la maison du comte de Gouvon, et ce n'est pas à cette époque de la vie de Rousseau qu'il convient de parler de «son caractère extrêmement fier»; — 19, c'est à Lausanne et non à Nyon que « Vaussore » donnait des leçons de musique ; — 20, incertitude sur la date exacte du séjour aux Charmettes ; —
33, la Dédicace du Discours sur l'Inégalité est de l'année 1754; —
34, on ne saurait parler d'une « correspondance active» [lebhafter Briefwechsel) entre Voltaire et Rousseau ; — 46, le maréchal de Luxembourg était mort quand Rousseau rentra en France.
282 AXXALES DE LA SOCIÉTÉ J. ,1. ROUSSEAU
Il y aurait lieu de reviser quelques-unes des notes explicatives. Ainsi, p. 104, note 7, à propos de la science livresque, ce n'est pas au chapitre iv du livre m des Essais de Montaigne, qu'il faut renvoyer le lecteur, mais au chapitre xxiv du livre i; — ijS, la note sur Molière en dit trop ou pas assez : — 206, d'Ivernois n'était pas un ami de Genève, mais de Motiers-Travers.
(les quelques indications aideraient M. K. à rendre tout-à- fait bonne une seconde édition de son ouvrage. Nous souhaitons qu'elle voie le jour et nous remercions M. K., au nom des rous- seauistes, des efforts qu'il tait pour répandre la connaissance des œuvres de Rousseau parmi ce public allemand qui ne les lit pas dans l'original et ne connaît pas beaucoup plus de lui que quel- ques idées sur l'éducation. [B. B.]
^^'alther Kùchler, Privat-dozent an der Universitiit Giessen. FraUjOsisch Romantik, Heidelberg, Cari Winter's Universi- tatsbuchhandlung, xoo8, in-8, ni-118 pp.
Chap. I : Rousseau. Saint-Pierre. Madame de Staël. Dans cette histoire du romantisme retracée d'une plume ingénieuse et rapide en neuf chapitres (auxquels s'ajoute, sous forme de conclusion, une discussion serrée du livre de M. P. Lasserre), Rousseau marque naturellement le point de départ. C'est lui qui ronipl avec l'idcal classique de l'homme raisonnable et sociable, et qui restaure dans leurs droits la nature et le sentiment. M. K. montre avec justesse le rôle prépondérant, exagéré même à certains égards, de l'imagination et du sentiment chez Rousseau: » De la sorte, ce qu'il put donner à son temps et aux générations qui l'ont suivi, ce ne fut ni la force ni l'unité de la conscience, mais un divorce in- time. Toutefois ce qu'il donna était grand en soi et nécessaire. Ce fut un ébranlement et une secousse, la profondeur après un temps de superlicialité. Renouvellement au prix d'ameres souf- frances intimes, existence intérieure profonde au prix de la fai- blesse en présence de la dure realite. L'importance de son action sur la culture générale ne saurait être amoindrie par le déchire- ment de son être, auquel est indubitablement due la grande déchi- rure dans le code moral de la postérité. La révolution dont Rous- seau fut la cause, doit être mise en lumière par l'historien penseur dans toute sa légitime puissance et indépendamment du malheur personnel de l'initiateur. » C'est ce que M. K. s'efforce de faire dans une revue rapide de l'œuvre de Rousseau, envisagée du point de vue de la glorification de l'idéal romantique, c'est-à-dire, en dernière analyse, de la glorification du sentiment. On prendra beaucoup de plaisir à lire ces pages pénétrantes et celles qui sui- vent, où la postérité de Rousseau se trouve dénombrée. On
BHiLIOCRAPHlI-: 2'S3
est seulement surpris de n"v pas voir figurer George Sand .au premier rang, en compagnie de Bernardin de Saint-Pierre, Mme de Staël, Chateaubriand, V. Cousin, Lamartine, Victor Hu- go, Musset et Vigny. [A. F.|
Odo TwiEHAUSEN (Dr TheodoT Krausbauer, Kreisschulinspektor in Wreschen). Roiisseaiis Pàdagugik iind ihre Nachivirkiingen bis auf die Neii-^eit, dritte durchgesehene Auflage, Minden i. W., 1908, Alfred Hutelands Verlag i Lehrer-Prufungs-und In- fonnations-Arbeilcn, Heft 10), in-8, 71 pp.
Dans un premier chapitre, l'auteur étudie la théorie pédago- gique de Rousseau. Il distingue dans cette théorie, une partie « téléologique », a laquelle il ne consacre que deux pages, et une partie « méthodologique ". A propos de cette deuxième partie, il nous parle successivement des idées de Rousseau sur l'éducation physique, sur l'instruction et sur le gouvernement des enfants. — Un second chapitre, beaucoup plus important que le premier, étu- die l'influence que les idées pédagogiques de Rousseau ont exer- cée en Allemagne. Signalons les paragraphes consacrés à Pesta- lozzi, à Diesterweg, et aux décrets (« Regulative » et « AUgemeine Bestimmungen ») qui ont marqué, pendant le XIX*; siècle, l'évo- lution de l'enseignement dans les écoles prussiennes. |Ch. W.l
Oberlehrer Dr Ernst Zabel. Die sociale Bedeutuug von J. ./. Roiis- seau's Erjiehungstheorie, Beilage zum Programm des Konigl. Gymnasiums zu Quedlinburg, Ostern kjo.S, H. Kloppel, Que- dlinburga. H., in-40, 22 pp.
Critique d'actualité: la pédagogie de Rousseau passée au crible de la pédagogie » sociale » des Natorp, Bergmann, etc., ou la pédagogie allemande amenée par son évolution a se retourner contre son premier inspirateur et son idole, c'est à peu près ce que signifie, avec d'autres que nous avons déjà eu l'occasion de signaler, le travail du Dr E. Z. Les 22 pages de cette docte dis- sertation aboutissent à la conclusion que c'est au point de vue social précisément que la pédagogie de Rousseau se montre la plus insuffisante, en quoi d'ailleurs elle est de son temps, du siècle orgueilleux du rationalisme pur. Nous avons vu naguère un jeune pédagogue allemand, M. Gorland, soutenir à ce sujet l'opinion contraire (Vovez Annales 1907, p. 255). [A. F.|
284 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
Geschlecht und Gesellschaft. herausgegeben von Karl Vanselow, Verlag der Schonheit, Berlin, Leipzig, W'ien, III Band, Heft 4 (avril 1908I: Dr méd. Otto Adler, Berlin, Weib und Emp- jïndung, Sexualstudien ; III, Frau von Warens. La femme de glace, Die Kalte Freundin J. J. Rousseau's (avec trois repro- ductions d'estampes).
Reproduction sous une forme remaniée de l'étude parue sous le même titre dans l'ouvrage du Dr Adler, Die mangelhafte Ge- schlechtsempfindung des Weibes, Berlin, 1904, in-8, chapitre XII et dernier, p. 191-207. Mme de Warens y est étudiée comme type d'un certain tempérament. Il paraît que pour les « psychologues sexuels », il v a un grand intérêt à savoir si la locataire des Char- mettes était frigide « en soi » ou seulement par rapport à Rousseau, grave problème que d'ailleurs le Dr A. renonce à résoudre. [A. F.]
Neue Bahnen, Zeitschrift fur Erziehung und Unterricht, Leipzig, février 1908: O. Karstaedt (Magdebourg), Jean-Jacques Rous- seau auf der Anklagebank.
« J. J. Rousseau au banc des accusés », défendu avec beaucoup d'énergie, par M. O. K. contre MM. Lemaître (lequel, entre paren- thèse, n'a pas fait ses fameuses conférences dans le grand amphi- théâtre de la Sorbonne, mais à la Société de géographie, Boule- vard Saint-Germain), Lasserre et C'*^. M. O. K. oppose avec raison à ce misérable réprouvé de la critique française actuelle, le Rous- seau glorieux qui est devenu l'âme de la pédagogie allemande au XVI IL- et au XIX» siècles, et dont l'action reste de l'autre côté du Rhin plus elTicace que jamais. |A. V .].
Badische Schu^eitung, Vereinsblatt des Badischen Lehrervereins, des W'itwen- und Waisen-Stifts und des Pestalozzi-Vercins, i(3 mai 1908 : Eduard Oppki., GœtJic und Rousseau a!s Botj)jiker.
Encore un pieux hommage rendu au pcre de la pédagogie alle- mande, à propos de l'activité spéciale du botaniste. A vrai dire, dans ce domaine, Jean-Jacques n'a guère laissé la trace que d'un dilettante, mais d'un dilettante de génie. M. O. s'exagère beau- coup le rôle de Rousseau dans la mode des jardins anglais, qui ne lui ont pas été révélés d'ailleurs par son séjour en Angleterre, puis- qu'il en parle déjà longuement dans la Nou-l'elle Heloïse. |A. i''.|
Dr méd. Gaston Vorberg, Hannover. Neue Betrachtungen ïtber Jean-Jacques Rousseaus Leiden mil besonderer Beritcksichti- gting seines iffoj gefundenen l'cstjmcnts, sexualpsycholo- gische Studie, Separat-Abdruck ans der Zeitschrift fiir Sexuahvissenschajt, 1908, Heft \'l, p. 3ii-334, in-S.
BIBLIOGRAPHIE 285
M. G. V. revient sur le sujet délicat traité avant lui par le Dr Roussel (voyez Grand-Carterel, /. J . Rousseau jugé par les Français d'aujourd'hui) des causes sexuelles de la neurasthénie de Rousseau, par laquelle, de même que le Dr Régis, il explique toutes les incommodités physiques du philosophe. Le testament, traduit intégralement d'après l'original publié par M. Th. Dufour (voyez Annales 1908, p. 384), n'est ici qu'un prétexte, car il n'en est plus question dans la suite de l'article. Bornons-nous à noter que le Dr V. soutient la thèse aventureuse de l'impuissance de Rousseau. On pourrait lui reprocher de n'être pas suffisamment au courant de la littérature du sujet, puisqu'il ignore précisément le mémoire du D'' Roussel qui aurait dû le frapper cependant. Il lui échappe aussi des étourderies. Ainsi ce n'est pas sur la tren- tième, mais sur la vingt et unième année de Rousseau, en lyBS, que tombe son initiation par Mme (^q Warens. Celle-ci avait alors non pas 42 ans, mais 34, étant née en 1699. [A. F.]
ANGLETERRE
J. J. Rousseau. Emile, or Concerning Education, with an Intro- duction and Notes by Jules Steeg, translated by E. Wor- THiNGTon, Londres, George G. Harrap and C°, in-8.
Jean-Jacques Rousseau. The humane philosophy. Maxims and principles selected and classified by Frederika Macdonald, MCMVIII (19081, London, J. M. Dent & Go, in-8, x-284 pp., avec un portrait.
Recueil de 609 pensées ou fragments, empruntés pour la plu- part à la Nouvelle Heloïse, à VEmile et au Contrat social, et ré- partis en 16 chapitres qui peuvent se ramener aux rubriques sui- vantes : de l'excellence de la nature humaine ; — des fausses et des vraies méthodes du bonheur : — de la liberté naturelle et ci- vile ; — de l'homme, de la femme, du célibat, du mariage ; — des obligations des pères et des mères ; — de l'éducation ; — de la religion naturelle et surnaturelle. Ce plan ressemble à celui qu'avait conçu l'abbé de la Porte quand il publia, en 1768, à Amsterdam, Les Pensées de J. J. Rousseau, citoyen de Genève. Mais les intentions des deux éditeurs sont différentes. L'éditeur anglais a pris le soin d'indiquer dans un index la provenance de chaque fagment ou de chaque série de fragments. Enfin il a com-
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mente en des notes instructives (p. 273-281) le sens et la portée^ véritables de quelques-unes des plus fameuses théories de Rous- seau, ainsi sa théorie des droits, sa doctrine de la volonté géné- rale, l'évolution de sa pensée sur le rôle du père dans l'éducation et quelques-uns des préceptes de sa pédagogie.
Pour établir les cadres d'un pareil recueil et pour les remplir exactement, pour n'oublier aucun des points essentiels de la pensée de Rousseau sans sortir des limites de sa philosophie de l'homme naturel, pour échapper enhn. dans le choix des frag- ments, au parti-pris ou au caprice, il fallait cette connaissance étendue et ce lovai amour de l'œux rc de Rousseau dont Mme m. a donné bien des exemples. Nous nous demandons seulement pour- quoi Mme M. a si souvent morcelé en petits paragraphes distincts et même parfois séparés par d'autres paragraphes glissés au tra- vers, des pages de Rousseau qui eussent gagné à être Hdelement reproduites dans leur suite. On doit néanmoins souhaiter que ce livre se répande largement dans le public anglo-saxon auquel il est d'abord destiné, et qui connaît mal, qui juge sommairement et souvent injustement l'auteur de VEmile et du Contrat social.
Mais M'ne jM. a une ambition plus vaste que sa préface expose sans réticences : ce recueil doit prouver, par les paroles mê- mes de Rousseau, que le jugement des plus connus des criti- ques français ou anglais est sans valeur, en dépit de tout leur talent, puisqu'ils lui ont attribué des doctrines qui ne sont pas les siennes ; il doit en même temps restaurer dans ses grandes lignes sa véritable « philosophie de la vie », que cinquante années d'une critique fausse ont défigurée. Mme M. a raison de protester con- tre les erreurs, les jugements superficiels, les commentaires mal informés de tant d'écrivains du XIX» siècle. Il est certain que ses efforts contribueront à les redresser. Il est certain aussi que les érudits et les critiques savoisiens et suisses romands travaillent de- puis longtemps à remettre dans le vrai le caractère, la vie et la pensée de Rousseau'. Leur œuvre, faite de science et de con- science commence à porter ses fruits. Ceux qui s'inspirent de leur exemple applaudissent Mme M. quand elle conseille l'étude directe, sans intermédiaires intéressés, des écrits de Rousseau, et leur ambition est, comme la sienne, de les rendre tous plus accessibles au lecteur affranchi. |B. B.]
' Voyez par exemple, le recueil trop peu connu de conférences adres- sées au public cultivé : ./. ./. Kousseju ju^c par les Genevois d'aujour- d'hui, Genève, [878.
BIBLIOGRAPHIE 'i-S-y
Jean Jacques Roussp:ai:. 772e inorals of Rousseau, London, Sis- lev's, L T D, s. d. [iqoS], in-12, xx-265 pp.
Symptôme intéressant d'un éveil d'attention de la part des let- tres anglais pour Rousseau, ce choix de courts fragments de son œuvre et de pensées détachées doit présenter l'ensemble de ses idées morales. Il est précédé d'une notice biographique par M. Claude Mortemart, où l'on voudrait rencontrer moins d'erreurs de fait et de jugement, et d'une « liste des principaux écrits de Rousseau >> dressée non sans fantaisie (ainsi: Les Thèses galantes pour Les Muses galantes). Quant aux fragments, au nombre de 72. ils sont groupés en deux parties sous les rubriques Dieu (53) et Homme (19), sans qu'on se rendre bien compte pourquoi, par exemple, l'article « Coquetterie » est rangé dans la première. Si l'éditeur avait respecté Tordre chronologique et s'il avait pris le soin d'indiquer après chaque fragment sa référence, il eût permis au lecteur de suivre l'évolution de la pensée morale de Rous- seau. [B. B.]
J. Churton Collins. Voltaire, Montesquieu and Rousseau in En- gland, London, Eveleigh Nash, Fawside House, 1908, in-8, vni-292 pp., portraits.
Rousseau in England [p. 182-271 ; portrait de Rousseau par Wright, de Derby ; vue de Wooton Hall ; vue de la grotte de Rousseau à Wooton]. — Le séjour de Rousseau en Angleterre est le point central de sa vie; les persécutions qui le chassèrent du continent, autant que ses écrits, lui avaient valu dans ce pays une haute estime et une curiosité sympathique; elles le décidèrent à accepter les offres réitérées de Lord Keith et à profiter de l'ama- bilité de Hume. Son arrivée à Londres, à peine signalée, lui attire mille visites et attentions que ne découragent point ses façons excentriques. Hume se prodigue : il veut obtenir une pension du roi pour son ami et lui trouver une résidence selon son cœur. Dans leurs entrevues fréquentes, une scène étrange rappelle à Rousseau une autre scène, non moins bizarre et pénible, dont Hume aussi fut le triste auteur, en France, au cours du voyage en commun. Fortifiée par la publication de la lettre de Walpole, la défiance devient certitude ; Rousseau se croit victime d'un vaste et infernal complot dont Hume est le sbire en Angleterre : la célèbre querelle éclate. Retentissement prodigieux en Europe I polémique des deux prinpaux intéresses et de leurs partisans ! Cette affaire gâtait pour Jean-Jacques le séjour champêtre à Woo- ton et exagérait encore sa susceptibilité : la folie approchait ; un rien le décida à quitter le royaume.
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Plusieurs pages de conclusion sont consacrées à analyser le caractère de Rousseau, à dépeindre les conditions favorables de son installation et l'agrément de ses relations, à l'opposer à Vol- taire anglomane, à souligner l'ennui irréductible de sa corres- pondance, à esquisser l'influence médiate et peu sensible des écrivains anglais sur son génie.
Des nombreux articles consacrés à cet ouvrage, aucun n'atteint l'ampleur ni l'exactitude d'analyse de celui de M. de Wyzewa dans la Revue des Deux-Mondes, juin 1908. Tous, sauf ce dernier, vantent les détails inédits dont l'auteur anglais enrichit ce cha- pitre de la vie de Rousseau. Pourtant, à la lecture, on s'étonne de l'absence de recherches sérieuses dans les bibliothèques du Royaume-Uni, absence d'autant moins excusable que cet ouvrage resta dix ans sur le métier. Nous paraissent inédits deux noms : White Hart, auberge où Rousseau logea à Spalding, Jessop, docteur de la même ville qui fut son correspondant occasionnel.
M. Collins l'indique lui-même: Burton et M. Morley ont fourni des indications considérables et intéressantes sur la Querelle, à l'exclusion du séjour à Wooton où Howitt avait recueilli (en 1840) les dernières traditions relatives à Ross Hall. — M. Birbeck Hill, dans ses notes aux lettres de Hume à Strahan, donne plu- sieurs détails complémentaires que M. Collins semble ignorer. Ici, notre auteur aurait été bien avisé de signaler l'erreur una- nime des biographes qui placent tous Wooton en Derbyshire et non en Staffordshire, et font résider Rousseau à Chiswik chez un fermier. Autre erreur de détail : Garrick ne joua pas trois, mais deux rôles dans la soirée de gala du 23 janvier (p. 2o3) ; ce sont là des points que nous traiterons plus longuement dans une autre occasion.
La partie la plus intéressante du travail de M. Collins étudie les causes de la bizarre conduite de Rousseau. Il arriva en An- gleterre déséquilibré et en repartit irresponsable de ses actes et de ses paroles, l'esprit et le cœur torturés de chimères, le caractère amoindri et morbide. Le monde a de telles obligations à Rous- seau qu'en bonne justice il appréciera son activité selon qu'elle se déploya avant 1766 ou après cette date fatale. Malheureuse- ment pour Rousseau, il est connu et jugé surtout par la Que- relle et par les Confessions, œuvre de dégénérescence (p. i83- 184) — Il nous semble qu'il eût fallu prouver que cette œuvre-ci et cette circonstance-là ont valu à Rousseau sa renommée, affir- mation qu'une enquête rigoureusement conduite eût annulée, ou nommer les gens qui, pour prononcer une condamnation, consi- dèrent deux éléments d'information alors qu'il y en a cent, ou encore dire quand et où vécurent ces juges; serait-ce dans l'An-
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gleterre éprise de Julie, admiratrice de la Lettre sur les specta- cles, étonnée de V Emile, choquée du Contrat social} (p. 194, 195). — Comment donc expliquer Rousseau? Au lieu de faire de son caractère après ijGG le simple aboutissant de son naturel, ce qui serait vouer Jean-Jacques à une infamie éternelle, M. Col- lins V voit le résultat d'une maladie mystérieuse : la gloire du philosophe est intacte (p. i85.) Pourquoi, dès lors, demanderons- nous à l'auteur, blâmer le pauvre grand homme de vouloir exalter son génie par le « truc » d'une vie extérieurement dénuée de con- fort (p. 20(3) ; pourquoi relever dédaigneusement ses inconsé- quences (p. 209), dont plus d'une ne prouve rien sinon la toute puissance de l'émotion sur l'intelligence, au point d'en faire « un égoïste morbide, hystérique et sentimental, » |p. 2(k)), un logicien, un maniaque dont les accès puisent une intensité poignante dans une absolue sincérité (p. 23i). A contempler Rousseau, M. CoUins éprouve l'embarras d'un honnête homme en face d'une énigme intellectuelle et morale, et d'un patriote à l'égard d'un étranger qui refuse d'apprendre à connaître ses hôtes (p. 265-269).
L'ouvrage de M. Collins réunit en un tout de lecture agréable des faits déjà connus et expose avec aisance au grand public ce que fut Rousseau durant ce séjour mémorable. [L.-.l. C]
Gabriel Compayré. Jean-Jacques Rousseau and Education froni
Nature, translated by R. P. Jago, l.ondon. George G. Har-
rap and Company [ou New-York, Thomas Y. Crovvell and C»],
1908, in-8, vin-120 pp., un portrait frontispice.
Le traducteur exact de ce petit ouvrage paru en 1901, chez De-
laplane, aurait pu mettre au moins la bibliographie au courant
des publications plus récentes. [A. F.]
Francis Gribble. Rousseau and the Women lie loved, London, Eveleigh Nash, Fawside House, 1908, in-8, xxi-443 pp.
M. Francis Gribble, qui a écrit un livre sur les amants de Ma- dame de Staël et un livre sur les amants de George Sand, ne pouvait manquer d'étudier surtout en Rousseau « les femmes qu'il aima ». A vrai dire, on chercherait en vain dans ce fort vo- lume, imprimé avec soin, sur beau papier, avec sept portraits hors texte, des détails biographiques inédits sur les amies de Jean-Jacques, ou une analyse psychologique affinée et neuve des sentiments qu'elles inspirèrent à Rousseau ou qu'elles éprouvèrent pour lui.
Le livre que nous annonçons est simplement, sous un angle spécial et peu accentué, une esquisse biographique puisée à la source des Confessions contrôlées, rectifiées, et quelquefois con-
1;)
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tredites à tort, par les recherches récentes, de valeur si diverse, de MM. E. Ritter, A. de Montet, A. de Montaigvi, Léo Claretie, A. Jansen, et de feu F. Mugnier et Fritz Berthoud.
Ecrivain brillant, dont la prose élégante et vive entraîne et charme le lecteur, M. F. Gribble ne nous parait doué ni d'un sens critique bien sûr, ni d'un souci exagéré de l'exactitude his- torique. Une critique minutieuse relèverait dans son séduisant exposé maintes petites erreurs de fait qu'une lecture plus atten- tive de ses auteurs lui eût aisément épargnées.
Certains de ses jugements détonnent comme une fausse note dans l'ensemble peu original, mais assez juste de son exposé. Ainsi nous avons un peu de peine à admettre que l'idylle de Chambéry soit peinte par Rousseau dans la manière et dans le sentiment de Watteau. On aura plus de peine encore à comprendre pourquoi l'écrivain anglais s'eflbrce de démontrer que Mme de Wa- rens n'a pas été la maîtresse de Jean-Jacques, ou à peine. Le séjour à Venise est interprété dans le sens le plus défavorable à Rousseau, sur l'autorité du livre récent de M. A. de Montaigu, dont M. Théophile Dufour à fait, ici-même, bonne et prompte justice. L'importance du séjour de Rousseau à Genève en 1754 a com- plètement échappé à notre auteur. Enfin et surtout, on doit regretter qu'en toute occasion, quand deux interprétations sont possibles, M. F. Gribble choisisse toujours la moins favorable à la conduite et au caractère de Jean-Jacques. En revanche, sur cer- tains points particuliers, spécialement sur la vraie nature des re- lations qui attachèrent Jean-Jacques à Thérèse, et sur les théo- ries récentes émises par le Dr Roussel ou Mme Macdonald sur les enfants de Rousseau, M. F. Gribble nous semble avoir vu juste et parlé avec bon sens.
Son livre, qui n'ajoute rien à ce que nous savions et à ce que nous pouvions supposer de l'histoire sentimentale de Rousseau, sera sans doute accueilli avec faveur en Angleterre, tant par ses qualités de forme que par l'attitude plutôt malveillante pour Jean- Jacques que l'auteur a cru devoir adopter à la suite de Morley et de tant d'autres critiques d'Outre-Manche. [G. V.]
The Fortnighlly Reviens Londres, août lyoS: l'^rancis Gribble, Rousseau at Venice.
L'auteur de cet article, qui nous juge de très haut, ne paraît pas trop bien nous connaître, non plus que nos publications. Et cela est encore plus regrettable pour lui que pour nous, car son
BIBLIOGRAPHIE 29 1
sens critique a visiblement besoin d'être éveillé. Par exemple, s'il avait lu la note de M. Th. Dufour parue dans le t. I de nos Annales, p. 3o5, sans doute se serait-il moins aveuglément fié à la brochure de M. Aug. de Montaigu, qui lui a fourni toute la ma- tière de son article, transformé en une manière de réquisitoire sans mesure, partant sans valeur, contre Rousseau. [A. F.]
BELGIQUE
Het Boek, Maandschrift voor Boekenvrienden, Bruxelles, mai-juin, igo8: Jan van den Arend, Jean-Jacques Rousseau.
Nous rendrons compte de ce premier article écrit par un ami de notre œuvre et un lecteur éclairé de nos Annales, quand la suite aura paru.
ESPAGNE
Rafaël Altamira. Cosas del Di'a, crônicas de literatura y arte, F. Sempere y Compaiiia, editores, Galle del Palomar nùm. 10, Valencia, s. d. (1908), in-8, vi-241 pp.
P. 134-144: Rousseau. — Dans cet article écrit à propos de la sous- cription ouverte pour le monument de Montmorency, le distingué professeur de droit à l'Université d'Oviedo met en lumière l'im- portance de l'œuvre de Rousseau pour notre époque, et signale les manifestations récentes qui la confirment aux yeux du grand public: les conférences J. Lemaitre, les travaux des principaux juristes allemands sur le Contrat social, enfin la fondation de la Société J. J. Rousseau. L'article se termine par un vœu auquel nous nous associons de tout cœur, c'est que quelque érudit espa- gnol — pourquoi ne serait-ce pas M. Altamira lui-même? — en- treprenne une étude approfondie, accompagnée d'une bibliogra- phie, sur la diffusion des idées de Rousseau en Espagne au XVIIIe siècle et dans la première moitié du XIX^. M. Altamira signale dans le domaine pédagogique, comme un témoin important de l'influence de Rousseau au delà des Pyrénées, VHistoria de la vida del hombre du Jésuite Hervâs y Panduro. [A. F.]
Ateneo, Madrid, janvier igoS, p. 22-89: Andrés GonzÂlez- Blanco, La Mùsica, d proposito del libre de un musicôgrafo espanol.
Le début de cet important article fait de larges emprunts aux écrits de Rousseau qu'il appelle en témoignage. [A. F.]
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FRANCE
Edmond Parisot, docteur es lettres, et F^élix Henry, directeur d'Ecole normale. Les vieilleures pages des écrivains péda- gogiques, de Rabelais au XX^ siècle. Préface de Jules Payot, recteur de l'Académie d'Aix, Paris, 1908, A. Colin édit., in-i6,. xu-364 pp.
P. iio-iii, 124-127, 143. 147, 162-164, 171-173, 183-184, ex- traits de VEviile. — P. 36i, courte notice sur Rousseau pédago- gue. [L. P.]
L'Esprit de J. Barbey d'Aurevilly, dictionnaire de pensées, traits,
portraits et jugements tirés de son œuvre critique, préface par
Octave l'z.^NNE. Paris, edit. de la Société du Mercure de
France, 1908, in-i(j.
P. 28()-287 : Jugements sur Rousseau. Cf. p. ii3: Un mot sur
Mme d'Epinav. [L. P.]
Albert Bazaili.as. professeur de philosophie au Ivcée Condorcet, docteur es lettres. Musique et Inconscience, introduction à la psychologie de l'inconscient. Paris, Félix Alcan édit.. 1008, in-8, VI-320 pp.
P. 254-258, dans le chapitre intitulé La psychologie de l'inconscient, l'auteur est amené à s'occuper de Rousseau qui lui semble «offrir le tableau du moi subconscient parvenu au point culminant de la finesse et de l'acuité. » Après avoir relevé dans les Confessions. et surtout dans l'ouvrage intitulé: Rousseau juge de Jean-Jacques, des analvses pénétrantes du moi inconscient, l'auteur résume sa pensée dans une page qui annonce une façon nouvelle d'envisa- ger l'art de Rousseau, considéré >■ au même titre que la musique », comme un art de l'inconscient. « Rousseau renverse le système convenu du moi de la réflexion pour se transporter jusqu'au point redoutable ou la conscience se fond avec les éléments sau- vages et spontanés de la nature. Ce qu'un tel art nous révèle de capricieux et de fantasque, son exaltation, son délire, son ivresse, cette superposition continuelle de la rêverie au réel, ne sont que les procédés de la vie inconsciente quand, saisie au delà du tour- nant où elle s'infléchit vers la pensée, elle présente encore la forme d'une puissance élémentaire qiii nous renouvelle et nous enchante. Ce ravissement, qui fait le charme si insinuant de Rousseau, ne serait point compris, si on l'envisageait au point de vue d'un art de l'intellectualité svmetrique et froid. Aussi bien.
BIBLIOGRAPHIE 29.")
est-ce le moi de rinconscient que Rousseau vient déchaîner et qu'il soulève par un magique appel. Il restera toujours celui qui a vu en l'homme une vie sourde et comprimée, souffrant de ne pouvoir formuler son rêve. Il a pratiqué le dédoublement redou- table des forces affectives et des forces intellectuelles. En affran- chissant les premières, pour nous permettre d'en jouir dans ce qu'elles ont de vertigineux et de charmant, il aura soulevé du fond de la nature humaine une énorme vague de sensibilité, et l'équili- bre ordinaire de l'homme en est encore ébranlé. Mais si l'ordre social a peut-être à redouter les conséquences d'une telle disso- ciation, elle ne saurait que profiter à la psychologie, mise ainsi en mesure de soupçonner un nouveau champ d'expérience. »
|MaX. BUFFENOIR.]
Paul BoNNARDOT. Mélkodc d'éducation susceptible de former les élites, accompagnée de citations de tous nos auteurs critiques français et étrangers des XVII I^, X/A'« et XX<^ siècles, avec fac-similé d'une lettre autographe inédite de J. J. Rousseau, et sa Statue à Genève, Librairie ancienne et moderne George Cres, Paris, 1908, in-iS, xni-ioj pp.
Ce petit volume d'une composition un peu déconcertante, mais qui dénote un véritable culte pour la personne et l'œuvre de Rousseau, renferme, p. 40-70. une ample collection de jugements anciens ou récents sur Je philosophe de Genève, p. 71-107, un certain nombre de documents concernant la manifestation du Censeur à la Sorbonne en iqo7, les conférences de J. Lemaître, l'inauguration de la statue de Montmorency, et la souscription du monument d'Ermenonville. La lettre à la marquise de Verdelin du 5 novembre 1760, dont le fac-similé ouvre le volume et qui, à nos yeux, en fait presque tout le prix, n'est pas « absolument inédite », puisque Rousseau lui-même en a transcrit le début dans les Confessions, livre X ; mais elle n'en constitue pas moins telle quelle un document nouveau dont on ne saurait assez féli- citer l'heureux propriétaire. [A. ¥.]
Hippolyte Buffenoir. Causeries familières sur Jean-Jacques Rous- seau. A propos du monument d'Ermenonville, Paris, aux bu- reaux de l'Athénée. 1008, in-S. 44 pp.
Ces causeries écrites de la plume autorisée que l'on sait, ont pour objet : 10 J. J. Rousseau et la haute société de son temps, 2° J. J. Rousseau et les femmes, 3" Les derniers jours de J. J. Rousseau, Ermenonville. La partie la plus nouvelle, le récit d'une visite de Rousseau à l'aubereiste des Deux Anses, à Dom-
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martin. fait par le petit-fils de l'aubergiste, M. Victor Offroy (cf. Annales, III, 3o2), en a été resservie par M. B. lui-même aux lecteurs du Journal de Genève, 19 octobre 1908, dans un article intitule Jean-Jacques Rousseau à Ermenonville. [A. F.]
Gabriel Compayré. L'éducation intellectuelle et morale, Paris, Paul Delaplane édit., s. d. (1908), in-i6, x-456 pp.
Au début de cet ouvrage, M. G. se pose, à propos de J. J. Rous- seau et de son contradicteur récent, M. J. Lemaitre, la question de « l'éducation générale et l'éducation professionnelle. » Faut-il sacrifier la seconde à la première, comme Rousseau semble nous y inviter, ou la première à la seconde, comme le suggère M. J. Lemaitre? Ni l'un, ni l'autre. Elles sont toutes deux nécessaires. Rousseau notamment a eu raison de « rappeler à l'homme qu'il a une destinée personnelle >> ; mais il a eu tort de se « trop canton- ner dans l'absolu », r« homme en soi », n'étant qu'une chimère. [A. F.]
Duchesse de Dino. Souvenirs, publiés par sa petite-fille, la com- tesse Jean de Gastellane. Paris, Calmann-Lévy édit., s. d. (mai 1908), in-8, 363 pp.
P. 134: La jeune princesse Dorothée de Gourlande, future du- chesse de Dino, est soumise, par sa gouvernante allemande, pas- sionnée pour VEmile, au régime sanitaire de VEmile, à quoi elle dut le rétablissement de ses forces et une excellente santé. P. 276-290, en appendice, reproduction de la partie du livre II de VEmile où ce régime se trouve exposé. [A. F.]
Louis DucRos, doyen de la Faculté des Lettres d'Aix. Jean-Jac- ques Rousseau. De Genève a l'Hermitage ( i j i 2- 1 j5- ), Paris, Fontemoing édit., 1908, in-8, 418 pp.
Exceptionnellement, il sera rendu compte seulement dans les Annales de 1910, de cet important ouvrage sur lequel M. Eugène Ritter a bien voulu se charger de préparer une étude appro- fondie.
L'Ecole d'Art (Ecole des hautes études sociales). Histoire du paysage en France, Paris, librairie Renouard, H. Laurens, édit., 1908, gr. in-8, viii-323 pp.
P. 153: Le paysage au XVIII<^ siècle après Walleau. par M. Léon Deshairs. Le § 2 qui traite du « sentiment de la nature dans la seconde moitié du XVIIIe siècle: la littérature pittores- ques, les jardins anglais, les voyages», fait intervenir R. de Gi-
BIBLIOGRAPHIE 2q?
rardin, disciple de Rousseau à Ermenonville (p. yg), et Rousseau lui-même dont l'influence sur les peintres et paysagistes de l'épo- que est caractérisée en quelques lignes (p. 177). Les livrets des Sa- lons témoignent que pour eux aussi l'île des Peupliers est devenue un lieu de pèlerinage. [A. F.]
Emile Faguet, de l'Académie française. Le Pacifisme, Paris, Société française d'imprimerie et de librairie, 1908, in- 16, 400 pp.
P. 28-3i. Rousseau critique avec bon sens le projet de « Paix perpétuelle » de l'abbé de Saint-Pierre. — 3i-35. Son avis sur le fond de la question. La guerre est inévitable. Une « république confédérative des petits Etats » pourrait quelquefois l'arrêter. IL. P.]
Abel Faure. U Individu et l'esprit d'autorité du Moyen-Age à la loi Falloux. Paris, Stock édit., in-i6. 320 pp.
P. 125-142. Action de Rousseau sur son siècle. Il le reflète tout entier dans le domaine du sentiment, comme Voltaire l'exprime tout entier dans le domaine des idées. Individualisme du siècle : sentiment violent d'indignation contre les inégalités sociales, consacrées par les institutions. Ce sentiment crée théoriquement l'égalité sociale. Par une -fausse déduction, il conclut à l'égalité naturelle, et se rencontre avec l'erreur initiale de la philosophie sensualiste. Rousseau rend au siècle ce qu'il en a reçu, mais il le domine. Il pose la base de l'éducation individualiste, négative, progressive. Analyse de VEviile. La partie générale du svsteme de Rousseau, c'est l'éducation négative de l'enfant de cinq à douze ans. Rousseau a posé les bases indestructibles de l'éduca- tion rationnelle. Il se rattache ainsi a Rabelais : avec l'un comme avec l'autre, c'est le naturel qui se substitue à l'artificiel. Dans la deuxième phase de l'éducation, l'Educateur remplace la Nature, et c'est Montaigne que Rousseau rappelle alors. Influence de Rousseau éducateur. En France, V Emile fut admiré ou combattu, mais ne fut pas mis en pratique. Il le fut en Allemagne : les idées de Rousseau ont présidé à l'établissement des Instituts pédagogi- ques de Basedow et de Pestalozzi. — P. 144. Rousseau est le plus grand des écrivains philosophes. Tout le XYIII^ siècle tourne dans le cercle de ses idées pédagogiques. [L. P.]
Baron de Frénilly, pair de France. Souvenirs 1 1 -68-1 828), pu- bliés avec introduction et notes par Arthur Chuquet, Paris, Plon-Nourrit & C'e édit,. 1908, in-8, xix-558pp.
•296 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. ,1. ROUSSEAU
P. 20, le X trio » des Girardin aux Tuileries; — 21, le mot de Rousseau « Adieu, rôti ! » à propos d'une occasion semblable ; — 26, l'allaitement des « pauvres victimes de Rousseau » dans les salons; — 43, pèlerinage à Ermenonville; mot de Gustave III sur le tombeau : « J'achèterais bien volontiers ces peupliers-là pour Stockholm pourvu qu'on ne me donne pas le tombeau par dessus le marche » : — 44, éducation inspirée de Locke et de Rousseau, « dont, en somme, je me suis bien trouvé » ; — 54, voyage en Suisse, en commençant par Motiers-Travers ; — 177 à 179, visite à Chenonceaux ; l'allée de Sylvie; la galerie du petit château habitée par Rousseau et ses élèves ; mot de Mme Dupin : « C'était un vilain coquin » ; silence de M^e d'Houdetot ; cf. p. 214, sur Mme Dupin ; — 232 à 235, 25o à 254. 277 à 280, la so- ciété de Mme d'Houdetot sous le Directoire et le Consulat, dans le Marais et à Sannois ; — 289 à 240, pèlerinage a l'Ermitage de Montmorency; — 334, niort de Mme d'Houdetot. Nota: le baron de F. est un témoin passionné, fort sujet à caution. L'index à la fin du volume est incomplet. [A. F".]
Henrv Gaillard de Champris, professeur à l'Ecole préparatoire Sainte-Geneviève et à l'Ecole Massillon. Sur quelques Idéa- listes, Essais de Critique et de Morale. Paris, Bloud & C'"^ édit., 1908, in-i6, 283 pp.
P. 83- 108: La Philosophie religieuse de J. J. Rousseau. Religio- sité de Rousseau. Il est croyant. Sur quel fondement? Il faut le demander: i" à la Profession de foi du Vicaire savoyard; 2» à la Correspondance. — Les mouvements cosmiques attestent une volonté première, nécessairement intelligente. Apologétique ora- toire et lyrique. Harmonie, ordre universels. Optimisme. L'ob- jection du mal physique n'embarrasse pas Rousseau : il le nie, ou le déclare nécessaire à l'ordre général. (L'auteur signale en pas- sant, p. 93, note, une curieuse analogie entre la théorie de Rous- seau sur le « mal particulier », et une opinion émise par un per- sonnage du Torrent, de M. Maurice Donnay). Quant au malmoral, il est le gage de la liberté. Spiritualité et immortalité de l'âme, sim- plement établies sur le « jugement interne « ou bon sens ; valeur du sentiment opposé à la raison raisonnante. Mais cette « reli- gion naturelle » est ennemie des religions positives, de la révéla- tion, de toute autorité dogmatique. Pourtant Rousseau, esprit libéral, s'est montré favorable au christianisme, même au catho- licisme. Lacunes et faiblesses de sa philosophie religieuse. Elle vaut par le sentiment de l'infini, la défiance à l'égard de l'enten- dement humain, la sincérité et la charité. [L. P.]
lîIBI.IOC.RAPHIK 297
'i^e comte de Girardin. Iconographie de Jean-Jacques Rousseau; portraits, scènes, habitations, souvenirs. Préface du vicomte Eugène-Melchior de Vogué, de l'Académie française. ' Paris, Ch. Eggimann édit., s. d. | looS], in-8, xvi-344 pp.. avec 16 plan- ches hors texte.
Il est déjà intéressant, pour un rousseauiste, de voir associés, sur la couverture d'un livre, les noms de J. J. Rousseau et du comte Fernand de Girardin. descendant direct du marquis René de Girardin, qui accueillit Rousseau à Ermenonville. L'intérêt augmente quand on sait avec quelle conscience et au prix de quelle recherche l'auteur a composé, en y donnant ses soins pen- dant de nombreuses années, le gros volume que voici. Possédant dans ses archives de famille des documents curieux et inconnus, dont la description eût déjà présenté de l'intérêt pour l'étude du philosophe de Genève, M. de Girardin ne s'est pas contenté de publier le catalogue de ce trésor domestique ; il a voulu connaître tous les portraits de J. J. Rousseau qui se trouvent soit au devant de toutes les éditions de ses œuvres ou dans tous les ouvrages où il est parlé de lui. soit dans les collections publiques ou particu- lières. Plus de six mille effigies de Rousseau, nous dit-il, ont ainsi passé devant ses yeux ! C'est le résultat de cette formidable enquête qu'on soumet aujourd'hui à notre attention ; — entre- prise qui n'était pas sans modèle, mais qui, je pense, n'aura point d'imitateur, en ce qui concerne Rousseau. Je m'explique : un tra- vail de ce genre n'est jamais définitif; peut-être indiquera-t-on à l'auteur quelques additions, apparemment de peu d'importance, quelques découvertes nouvelles à signaler, quelques erreurs de dé- tail à rectifier ; ces corrections et ces enrichissements, j'imagine que l'auteur est le premier à les souhaiter et à les solliciter. Mais voici, en tout cas, un Corpus iconum auquel devront toujours se référer les dévots de Rousseau et les travailleurs, et que personne ne songera à refaire. Remercions donc le comte de Girardin de nous l'avoir donné. Et qu'il y a loin de cette Iconographie, si copieuse et si touflTue, à l'ébauche, si déplorablement incomplète, qu'Auguste Bachelin avait tentée à l'occasion du Centenaire ! Accordons tou- tefois à Bachelin, puisque son nom se trouve évoqué ici, un sou- venir sympathique.il ne faut pas sourire, même après que d'autres ont fait beaucoup mieux, des efforts de ceux qui ont ouvert une voie.
La division de l'ouvrage, si elle n'a pas de prétention scienti- fique, a l'avantage incontestable de favoriser les recherches et
' Préface reproduite par le Journal des Débats du 17 juin 190S,
2q8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
d'en favoriser la rapidité. L"auteur, pour se reconnaître dans cette quantité de documents, s'est attaché à ce qui frappe tout d'abord en eux dans leur premier aspect. D'où quatre parties : I. Portraits (p. 17-104), divisés en portraits en pied, debout et assis, — portraits demi-corps, — portraits en buste, tête découverte ou tête coiffée du bonnet d'Arménien, — portraits d'après la sculpture, soit en pied, debout ou assis, soit en buste. — II. Porlri.iits-f;roiipes. Estampes dans lesquelles Jean-Jacques Rousseau Joue un rôle, et estampes allégoriques (p. io5-iqoi. En effet, ce sont là de véri- tables portraits de Rousseau, d'une valeur documentaire parfois très grande. — III. Les Habitations (p. 191-246), depuis la nais- sance jusqu'à la mort. Une légère critique en passant. Pourquoi ne pas avoir observé l'ordre chronologique? On nous parle d'abord (p. 194I de Trie-le-Chàteau, puis (p. iqb] de la maison natale. Simple inadvertance. Une étude très complète sur le tom- beau d'Ermenonville, un dernier chapitre sur le tombeau du Panthéon complètent cette troisième partie. — IV. Peintures. Pastels. Aquarelles Miniatures. Dessins. Sculptures. Médailles et médaillons. Objets divers. Souvenirs (p. 247-294). Soit un total de i3o6 numéros, auxquels s'ajoute un addendum ÇimA (p. 295-311), 41 numéros complémentaires, destinés à compléter ce qui a déjà été dit, ou à reparer des omissions. Des tables détaillées |p. 3i3- 344I terminent le volume.
Ce que je ne saurais assez dire, c'est combien cet ouvrage est autre chose et plus qu'un catalogue et une simple nomenclature. Je dois insister sur son caractère critique. A chaque pas, on nous dit: cet état est des plus rares, cette épreuve est de toute rareté. Et, chemin faisant, certaines questions se trouvent traitées avec un ensemble de renseignements qui forment comme de petites dissertations ou des articles de revue en raccourci. J'en indique quelques-unes à titre d'exemple. Voici (p. 17 sq.) l'étude sin- la, série des portraits en pied par Mayer ou d'après Mayer, série qui découle d'une silhouette de Despréau jusqu'ici inconnue et appar- tenant à l'auteur. Voici (p. 4Ô-49) toute la série des portraits gravés par FMcquet, avec l'indication d'un état jusqu'ici inconnu dans l'œuvre du graveur. De même, à propos des planches dessi- nées par Gavarni, on nous signale une planche du célèbre artiste qui a été omise dans la description de son œuvre. A signaler aussi ce qui est dit des portraits par La Tour ip. 3o8-3i()). Sur leur chronologie, sur la destinée et l'identification de tel d'entre eux, M. de Girardin n'est pas d'accord, — et il semble bien qu'il ait raison de ne pas être d'accord — avec ce qui avait été dit jus- qu'à présent par la critique artistique.
BIBLIOGRAPHIE 299
Une élégante et parfois éloquente préface de M. le vicomte de Vogué se garde également du panégyrique et du dénigrement : « qu'il faille aimer Rousseau ou le détester, c'est une autre affaire. Les deux sentiments se succèdent ou se combattent dans nos cœurs, selon l'angle sous lequel nous considérons le monstre... »
Les seize planches hors texte reproduisent un portrait du mar- quis René de Girardin par Greuze, des portraits de Stanislas de Girardin et du « Petit gouverneur», l'élève de Rousseau, ce der- nier d'après Mayer, des vues d'Ermenonville, des portraits ou des bustes de Rousseau, des objets lui ayant appartenu, le tout provenant des collections particulières des marquis et comte de Girardin.
L'auteur de cet intéressant ouvrage en prépare, paraît-il, un autre qui sera consacré aux vignettes ou illustrations diverses des œuvres de Jean-Jacques. Il faut souhaiter que cette nouvelle ico- nographie paraisse bientôt, pour l'honneur et le profit des études concernant Rousseau, son entourage et son temps. ^ [L. P.J
1 P. 26, 1. i5 en rein. : Ch' III. vers 4i3, ajoutez: de VHomme des Champs on les Géorgiques françaises, par J. Delille, Strasbourg, Levrault, igoo (édition in-i6). — P. 162, n° 686: lithographie dessinée pour le Cabinet de Lecture, novembre 1837. — P. 177, 1. 4: Roumiel-, lise^: BoNNiEu (selon la gravure achevée), ou plutôt Bounieu (Michel- Honoré, 1740-1814). — P. 17g, 1. 3: Johonnot, lisez: Johannot. — P. 207, 1. 9 en rem.: Lo>-;g-, lisez : Lory. — P. 32 1, col. i, 1. 3o : C. Motte, ajoutez: 52, 2i3. Les index d'ailleurs ne sont pas complets; de plus, ils contiennent des indications vagues on fausses, ainsi, p. 32i, Orio, gra- veur, fin du XVIP s. [!], p. 323, Tavernier, dessinateur et graveur, né «en 1742 ou 1787 » (sic). Dans le corps de l'ouvrage également les ré- férences sont souvent insuffisantes ; ainsi, p. i52, 1. 17, on aimerait savoir de quelle livraison de V Artiste., il s'agit, et p. 204, n" 811, l'indi- cation « récemment paru », pour l'article de M. Pinvert sur Auguste Bachelin, est beaucoup trop vague. Enfin, l'on est surpris de certaines omissions; par exemple, sous le n' 883, nous trouvons mentionnée la planche 25 du recueil Valois et comté de Sentis, alors que nous ne trou- vons nulle part la planche 26 : Vue de l'Isle des peupliers à Ermenon- ville, avec le Tombeau de ./. J . Rousseau. De même, sous le n' 65, l'une des planches de Guërin pour les Géorgiques françaises de Delille, édition in-i6, devrait être accompagnée du frontispice de l'édition in-12, non signalé, représentant Rousseau apostrophant Paris: Paris, ville de bruit, etc. (Chant IV, vers 406). De même encore, p. 2o5, le n» 8ig demande à être complété par le signalement d'autres planches des Tableaux pittoresques de la Suisse, de La Borde, par exemple la Grotte de Aloutiers, près la maison du philosophe de Genève, dessiné par Châtelet, gravé par Duparc {Tableaux, t. II. p. 160, planche xcn), la Vue d'une cascade de Moutiers-Travers, à peu de distance de la mai- son de J. J. Rousseau, Châtelet del., Née direx. [Tableaux, t. III, en
.■>00 ANNALES DE LA SOCIETE .1, J. ROUSSEAU
Marat. Correspondance, recueillie et annotée par Charles Vel- LAY, docteur es lettres, Paris, Charpentier et Fasquelle éJit., iqo8, in- 12, xxiii-291 pp.
P. 2i3: lettre à René de Girardin, 4 juillet ijqi (parue dans Y Ami du peuple) en réponse à une lettre de Girardin où celui-ci se plaignait d'avoir été traité par Marat de « spoliateur des (tuvres posthumes de J. J. Rousseau aux dépens de sa veuve » ; — 217, lettre au même (parue dans VAnii du peuple], 2 sept. 1791, pour l'engager à s'opposer au transfert des cendres de Rousseau d'Ermenonville au Panthéon. [A. F.]
Edmond Pilon. F^rjncis Jammes et le Sentiment de la Nature, avec un portrait et un autographe, Paris, Société du Mercure de France, MCMVIII [hjoS], in-i6, 77 pp. (Collection « Les
hommes et les idées »).
P. 24-2Ô: E^vocation de Rousseau, le « triste botaniste», dans les méditations de M. Jammes. L'auteur du Roman du lièvre est hanté par >< son singulier souvenir » ; son « livre ami», ce sont les Rêveries. Pèlerinage aux Charmettes, et rencontre avec M. Henry Bordeaux [cï Annales, III, 285, IV, 296), d'où résulte la méditation Sur J. J. Rousseau et Mme de Warens aux Charmettes et à Cham- bery, dans le Roman du lièvre (iqoS). [A. P.]
Henry Roujon. La galerie des bustes. .1. Ruelf, édit., Paris, iqoS, gr. in-18, 324 pp.
P. 189-193 : Le respect des nwrls ; à propos du fameux mani- feste de M. .1. Finot, Laissons les morts en paix! (voyez Annales, III, p. 287) et des articles de M'ik: Macdonald, auxquels il servait de préface. M. R. ne voit dans toute l'affaire dramatisée par le génie de Mme Macdonald qu'une querelle d'écrivains sans grande portée. C'est pousser un peu loin les droits du critique à planer au-dessus de la pauvre humanité.
P. 2i5-22r : Vieilles querelles; c'est-à-dire, la dispute de Voltaire et de Rousseau sur la Providence, à propos du tremblement de terre de Lisbonne. M. Roujon veut que dans cette affaire, Rous-
face du frontispice, planche cxxvii), le Torrent du Val-Travers, Vue à peu de distance de la maison du Philosophe de Genève, dans le comté de Neiichâtel, dessiné par Châtelet, gravé par Masquelier [Tableaux, t. III, p. 223, planche cxxxiv). Toutes ces pièces n'ont pu être omises que par un défaut de méthode. On ne peut admettre qu'elles aient échappé à l'attention d'un chercheur comme l'auteur de V Iconographie. 11 faut donc qu'il les ait oubliées tout simplement dans sa rédaction ou dans son classement final. [A. F.]
BIBLIOGRAPHIE 3o I
seau ait été l'instrument des « ministres » genevois: à cela il n'eut que trop d'entrain : « Toutes les vieilles rancunes secrètes de Jean-Jacques à l'égard de Voltaire, l'envie du parasite contre le richard, la haine de l'obscur pour l'illustre, la gloriole surtout de se mesurer, David de la religion naturelle, contre ce (ioliath du blasphème, lui dictèrent sa lettre du i8 août. » Ici l'on trouvera que la critique de M. R. ne plane plus assez. [A. F.l
Michel Salomon. Charles Nodier et le L!;roiipe romantique, d'après des documents inédits. Ouvrage orné de deux portraits, Pa- ris, Perrin et G'- édit., 1908, in-iô, xii-3i4 pp.
P. 3. Charles Nodier élevé par son père dans les principes de l'Emile. — 47. Influence de la Nouvelle Heloïse dans un opus- cule de jeunesse, Le peintre de Salt^bourg (i8o3). — 230-237. Pa- rallèle entre la Nouvelle Héloïse et Candide, dans le cours de lit- térature (inédit) que Nodier professa à Dôle en 1828. — 243. Son jugement sur les « types » de la Nouvelle Héloïse. — 253. De Vol- taire ou de Rousseau, Nodier serait embarrassé pour dire qui aie plus contribué à l'anéantissement des vieilles doctrines monarchi- ques. — 258,262,268. Influence ou réminiscences de Rousseau dans son œuvre. — 3o5. Nodier revenu du Contrat social après s'en être grisé. |L. P.].
Ernest Seillii^re. La Philosophie de V Impérialisme: IV. Le mal romantique, Essai sur Vimpérialisme irrationnel, Paris, Plon- Nourrit & Ci<^ édit., 1908, gr. in-8, lxxvii-3q() pp.
Nous avons parlé en leur temps des derniers ouvrages consa- crés par l'auteur à la « philosophie de l'impérialisme « (Annales^ 1906, p. 283-284; 1908, p. 321-322). Celui-ci en est la conclusion et le couronnement. Rousseau s'y trouve mentionné incidemment : et comment serait-il absent d'une étude sur la pathologie du ro- mantisme, l'auteur faisant le procès de celui-ci en tant qu'il le considère comme une exaltation d'égotisme et de mysticisme, c'est-à-dire comme une exaltation de la sensibilité au détriment du jugement, finalement comme une pure insurrection de l'instinct contre la raison ? (Remarquons en passant combien l'expression stendhaliennne d'égotisme convient à M. Seillière. L'egoïsme, c'est l'impérialisme normal et sain ; l'égotisme, c'est l'impérialisme mor- bide ; Rousseau est un grand égotiste). — P. xii. La prédication morale de Rousseau est une régression, non une réaction contre les excès du rationalisme philosophique. — xix-xxvn. Des cinq générations romantiques distinguées par l'auteur, Rousseau est le père de la première, « le Messie de l'âge romantique, le pseudo- Christ des temps modernes.» Individualisme sans frein, psycho-
J02 ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
logie mystique, morale romantique avec des velléités pompeuses de morale stoïcienne : tous les caractères de sa postérité intellec- tuelle. (A signaler, p. xxvi, note i, ce que l'auteur dit en passant du romantisme de Kant). — xxviii. Schiller et Rousseau. Goldsmith est déjà une sorte de Rousseau anglais. — xxxviii. Tolstoï est une réincarnation de Jean-Jacques. — xlvii. Rousseau et les Encyclo- pédistes; Condorcet, Volney. — lx, note. Traditionalisme de Rous- seau; cf. Lemaître.
Fourier et Rousseau. — P. i. Babeuf, Saint-Simon, Owen, Fourier procèdent de Rousseau. — 26. Fourier, sous prétexte de corriger les théories morales de Rousseau, les exagère follement dans le sens romantique et mystique. — 54. Conception follement égotiste de la vie sociale dans Fourier; différence avec le Cotitrat social. — 60-61. Mysticisme social. Le phalanstère et les « habi- tants » des Dialogues de Rousseau. — 63, note i. Une réminis- cence des Rêveries du promeneur solitaire. — 64. Fourier four- nit une caricature du rousseauisme. — 81. La bonté naturelle. — i38. Fourier raille le moralisme de Jean-Jacques. — 177. Conclu- sion. En exagérant la pensée de Rousseau, Fourier l'a adaptée aux aspirations économiques de son temps, par la prédication du luxe.
Stendhal et Rousseau. — P. i8(). Beyle a parlé de lui-même plus complaisamment encore que Rousseau. — 224, 227, 245. Sen- sibilité à la Rousseau, c'est-à-dire vulnérabilité nerveuse, timi- dité passionnée, affinement émotif. — 233. Comment Beyle « payait son écot ». — 236. Il se reconnaît porté à la « masca- rade », c'est-à-dire au mensonge, comme Rousseau s'avouait « fabuleux ». — 25f. Il préfère au plat bonheur le malheur pas- sionné de Rousseau. — 254-257. Mysticisme esthétique. Influence de Rousseau ; anecdotes. Rousseau dans la correspondance, l'œuvre et le Journal de Beyle; tentative de réaction. — 166. Tentative de conciliation entre Helvétius et Jean-Jacques. |L. P.|
Stendhal. Correspondance ( i Sou- i 842}, publiée par Ad. Paupe et P.- A. Cheramy sur les originaux de diverses collections. Préface de Maurice Barrés, de l'Académie française |avec trois portraits inédits photogravés.] Paris, Ch. Bosse, 1908, 3 vol. gr. in-8 de xxrv-448, viii-5(k) et vi 11-378 pp.
T. I, p. 2. '< La lecture de Plutarque a formé le caractère de l'homme qui eut jamais la plus belle âme et le plus grand génie, J. J. Rousseau.» — 27. '«Je relis sans cesse Virgile et Jean-Jac- ques. » — 52. Beyle conseille à sa sœur de lire la vie de Rousseau. — 89. Influence de Jean-Jacques sur « ce qu'on appelle la bonne
BIBLIOGRAPHIE 3o3
.compagnie.» — 94. Rousseau et tous les grands hommes ont com- mencé par le regret du bonheur. — loi. « Rousseau malheureux toute sa vie parce qu'il cherchait un ami comme il en a existé peut-être une dizaine depuis Homère. » — 107. Bonne foi de Rous- seau dans ses erreurs. — 109-110. Il s'est ennuyé dans le monde; il était toujours de mauvaise humeur. — 129. Influence de Jean- Jacques sur Beyle enfant. — 141-142. En i8o5, il lit les Confessions et les Rêveries. — i58. Mélancolie, inspiratrice de Rousseau com- me de tous les grands génies sensibles. — 160. Services qu'il a ren- dus à la société moderne comme destructeur des préjugés. — 184. Rousseau «philosophe chagrin pour n'avoir pas pris le monde du bon côté. » — 109. Voltaire et Rousseau ne seront bien connus qu'après la publication de toutes leurs lettres et celles des mémoi- res des contemporains. — 2o3. Rousseau a «une tête commune et un cœur inimitable. » — 286. Faute d'hypocrisie mondaine, « il est mort enragé. » — 287. Beyle recommande pour un de ses jeu- nes cousins la lecture du Contrat social. — 288. Le monde nuisi- ble à qui le néglige, comme Rousseau. — 244. Beyle conseille à sa sœur Pauline la lecture du Contrat social. — 259. Erreur de Rous- seau quand il a pris les arts pour les causes de la corruption qui les accompagne toujours. — 260. « Rousseau et les autres philoso- phes ont eu d'excellentes choses, mais il faut bien prendre garde d'admettre par dessus le marché leurs erreurs. » — 385. Bevle lit les Confessions (à Moscou, en 1812). C'est faute de beylisme que Jean-Jacques a été si malheureux. — 385-386. Idée de Rousseau sur la musique.
T. II, p. 77, 107 et 226. Beyle se fait envoyer à Milan, en 1818 et 1820, des ouvrages de Rousseau. — 272. Rousseau a donné aux bords du Léman une célébrité exagérée. — 286. Oriele, 0 lettere di due amanti, roman publié à Paris en 1822, est une imitation de la Nouvelle Héloïse. — 358. Beyle signale (en 1825) l'appa- rition d'une édition des œuvres complètes de Rousseau. — 5o5. « Un homme comme J. J. Rousseau n'a pas trop de dix-huit heures par jour pour songer à tourner les phrases de son Emile.
— 522. Ascendant de Thérèse Levasseur sur Rousseau, d'après Brissot.
T. III, p. 95. Beyle (en i832) écrit ses Confessions, « au style près, comme Jean-Jacques Rousseau, avec plus de franchise. » (Il veut parler de la Vie de Henri Brulard). — 102. Il a découvert à Rome (en i833) le manuscrit de Confessions comme celles de Rousseau, écrites par un jeune abbé, Don Ruggiero, au XVII<-^ siècle.
— 166. Il vient d'écrire (en i836) ses confessions « avec moins de talent et plus de franchise que Rousseau. » (Il désigne ainsi son
304 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .!. ROUSSEAU
Napoléon). — 260. Voltaire et Rousseau donnent de Teloignemenr pour la France (à Rome, en 1841.) [L. P.].
Julien TiERSOT. Les Fêtes et les Chants de la Révolution fran- çaise, Paris, Hachette & Cie édit., 1908, in-i6, xxxviii-323 pp..
P. XXVI, Nécessité des fêtes populaires d'après Rousseau; la page où il a traité ce sujet a peut-être inspiré la Marseillaise. — 3. Mauvais état des musiques militaires françaises au XVI II* siècle, d'après Rousseau. — 94-95- Le programme de la fête de la P'édé- ration du 10 août i7q3 était tout pénétré de l'esprit de Rousseau, et V Hymne a la nature de Gossec, exécuté au lever du soleil, est une paraphrase musicale de la description qui précède la Profes- sion de foi du vicaire savoyard: n Les ravt)ns du st)leil levant ra- saient déjà les plaines... >, — lyo. Le 5 flt)real an II, ouverture d'un concours pour Texécution de la statue en bronze de Jean- Jacques Rousseau. — 201-204. Fêtes en son honneur. Translation de ses cendres au Panthéon, le 20 vendémiaire an III (11 octobre 1704). — 229. Fêtes des dernières annnées de l'ère révolutionnaire; influence de Rousseau. — 235. Les fêtes décadaires en l'honneur de l'Ftre suprême. |L. P.]
Léon Vallas. La musique a l'Académie de Lyon au dix-huitième siècle. (Thèse de doctorat ès-lettres. Université de Lvon.i Edition de la Revue musicale de Lfon, s. 1. [Lyon], novembre i()o8, gr. in-8, xx-243 pp.
M. V. exagère peut-être un peu lorsqu'il pense (p. i3S) qu'ail v aurait tout un ouvrage à écrire sur Rousseau et les musiciens lyonnais. » Mettons un mémoire solide, tout le monde sera d'accord. (]elui qui écrira ce mémoire ne pourra se dispenser de recourir au présent travail fortement documenté, en partie de première main, mais en se prémunissant contre le parti pris de l'auteur et son ignorance manifeste de tout ce qui a été écrit hors de Lyon sur le sujet. Ainsi, en ce qui concerne la partition du Pygmalion et le méchant rôle qu'on prête à Rousseau dans cette affaire, le dernier mot n'a certainement pas été dit par MM. Antoine Salles (Horace (^oii^nel cl le Pygmalion de Rousseau dans la Revue musicale de Lyon, 24 et 3i décembre 1903), et F. Z. (>ollombet (./. ./. Rousseau à Lyon. Revue du Lyonnais, i838, VIll, 3), non plus qu'en ce qui concerne la musique du Devin du village. il n'a été dit par (^lastil Blaze... Mais écartons les sujets de polé- mique et bornons-nous à dépouiller:
P. 12. n. 4: la (lùte à bec de Rousseau ; — 42 : renseignements sui' le musicien David, mentionné par Rousseau dans les C'.onfes-
BIBI.IOC.RAI'HIE
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5/o«i' (séjour à Lvon en 1741);— 102 : les « folies de violon de M. Mondonville » (Dicl. de mus., art. Sonate); cf. sur ce person- nage, p. 84, 85, 86, 97, 106, etc. ; — [24: au concert du 3 juillet 1765, Mlle Fargues interprète la cantate de la Naissance de Vénus de Rousseau; — iSg et suiv. : Rousseau, de passage à Lyon en 1770, assiste à des représentations du Devin du Village, organisées en son honneur, et à quelques concerts de l'Académie, notamment un concert spirituel du Vendredi-Saint (n, ou il fait la connais- sance d'H. Coignet. Composition de la musique du Prgmalion. L'affaire du motet racontée par Coignet (dans un récit quelque peu suspect, veut bien reconnaître M. V.) ; — 173 et 221 : lecture des discours de Bordes contre Rousseau, les 11 mai 1751, l'-'f août et II décembre 1732 à FAcadémie des Sciences et Belles- Lettres : le troisième n'est connu que par le résume du procès- verbal dont M. V. reproduit le texte: — 178: l'académicien Charles Bordes (1711-1781), l'ami, puis l'adversaire de Rousseau; — 182: lecture, le ib janvier 1754. de la lettre de démission de Montucla, avocat au parlement, contenant de curieuses allusions au bruit causé par la Lettre sur la musique française ; l'auteur se donne pour être '< du coin de la reine » ; — 204: l'académicien Cheisset apprend par la lettre de Rousseau publiée dans le Mer- cure de juin 1751, l'existence du mode nouveau inventé parBlain- ville. |A. F.|
Teodor de Wvzewa. (Quelques figuix's de femmes aimantes ou malheureuses, Paris, Perrin & C"-- edit., i()o8, in-8, 418 pp.
P. 3o2 : Mary Wollstonecraft, la « mère du féminisme », à dix- huit ans, lit une traduction de V Emile et finit par l'apprendre par cœur; Rousseau devient «son auteur favori, Tinspirateur de tous ses sentiments et de toutes ses pensées » ; — 3ot), rencontre le peintre suisse Fuseli, admirateur de Rousseau ; — 3i6, discute les idées du philosophe sur la femme (très intéressant). [A. F".J
Revue des Deux Mondes, l'-i septembre et it"'" octobre 1908: Jean- Jacques Roi:ssE.\u, Lettres inédiles, yiuhWtdcs par M. Philippe Godet.
Quarante-huit lettres, véritable trésor, publiées d"après les ori- ginaux ou copies d'originaux appartenant à la baronne Bartholdi, née de Lessert, à Paris. Elles vont du 9 avril 1766 au 8 mars 1776, et sont adressées à Mm^ de Lessert, née Bov de la Tour, sauf une lettre à Thérèse Le 'Vasseur et deux lettres à M^e Bov de la
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:)00 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .(. J. ROUSSEAU
Tour, née Roguin. Aug. Ducoin, dans sa brochure Trois mois Je la vie de Jean-Jacques Rousseau, Paris, i852, p. io3-io4, avait déjà publié d'après les papiers Rozières à Grenoble, un texte des Sentiments du public sur mon compte à peu de chose près con- forme à celui que M. G. restitue. Nous regrettons que dans une publication de ce genre, tut-elle faite par la Revue des Deux Mondes, on n'ait pas cru devoir conserver l'orthographe de l'ori- ginal, comme l'a fait M. de Rothschild pour les lettres à Mme Boy de la Tour. [A. F.]
La Grande Revue, lo octobre 1908 : Georges Audigier, Les por- traits originaux de Jean-Jacques Rousseau.
M. A. n'en reconnaît que quatre : [" le pastel de Latour, du mu- sée de Saint-Quentin, et sa réplique du Musée de Genève; 20 la lithographie du dessin de F. Houel fait à Montmorency, « dans la petite maison de l'orangerie du maréchal de Luxembourg, le di- manche de l'octave de la Fête-Dieu, l'an 1764 » (date fort sus- pecte, aurait dû observer M. A.); 3° le portrait à l'huile de Ram- say, conservé au Musée d'Edimbourg; 5° les deux bustes de Hou- don, et surtout la lithographie de Marins Lavigne représentant le masque moule sur le cadavre du philosophe par l'illustre sculp- teur. Cet article intéressant, quoique un peu hâtif, appellerait une discussion serrée dans l'ensemble comme dans le détail. |A. F.]
Louis AuRENCHE. Madame de Larnage au Bourg-St-Andéol, Pri- vas, imprimerie centrale de l'Ardèche, 1908, in-8, 34 pp.
Cet article ajoute quelques renseignements a l'étude publiée par notre confrère dans nos Annales, t. III, p. (39 et suiv. Ce sont toujours des documents d'archives qui en fournissent la matière; on peut dire qu'après les derniers coups de sonde de M. A. nous connaissons et au-delà tout ce qu'il est important de savoir sur la famille et l'héroïne du livre VI des Confessions. La notice nouvelle est accompagnée de deux vues, l'une du Bourg-Saint- Andéol, l'autre de la maison de Madame de Larnage au Bourg- Saint-Andeol. A propos du doublet Torignan-Taulignan dont il a été question déjà dans l'article des Annales, disons qu'il n'a rien d'étonnant dans un région où l'échange de Vr (lingual) et de / est particulièrement fréquent. On en trouverait sans doute beaucoup d'autres exemples dans les documents d'archives. [A. F".]
Revue des Deux Mondes, i5 novembre 190S : Vicomte Georges d'AvENEL, Honoraires des gens de lettres.
De cette captivante étude nous extrayons les renseignements suivants concernant Rousseau. Au contraire de Voltaire, fort
BIBLIOGRAPHIE Soy
désintéressé en ce qui concerne le rendement de ses ouvrages, Rousseau s'applique sans cesse à vendre les siens le plus cherpos- sible, « pour se délivrer, dit-il, de la crainte de mourir de faim. » 11 repoussa les pensions et les places et, certes, l'obstination de cet insensé de génie à tirer de son cerveau seul son maigre bud- get ne manque pas de grandeur. Jean-Jacques, que l'on a cru souvent dupé par les libraires, déploya au contraire dans ses rap- ports avec eux l'esprit le plus pratique ; il fit preuve d'une téna- cité prudente, d'un esprit de suite et de méthode qu'il ne porta nulle part ailleurs dans sa vie décousue et tourmentée.
Les deux ouvrages de Rousseau qui lui ont rapporté le plus furent le Devin du Village et le Dictionnaire de musique. Le Devin valut à Jean-Jacques un présent royal de 5,400 francs ; il en reçut un autre de 2,700 francs de la part de Mme de Pompadour, qui fit jouer la pièce à Bellevue. Avec les représentations de l'Opéra et la gravure, on arrive au total de 11,925 francs. Le Dictionnaire de Musique fut offert par Rousseau à Duchesne pour 10,460 fr., ou à son choix, 5,400 francs payés comptant et une pension viagère de 660 francs. Le libraire préféra ce dernier mode de payement (1765) et servit la pension durant douze ans jusqu'à la mort de l'auteur.
Quant aux autres livres de Jean-Jacques, ses lettres nous ap- prennent que la Nouvelle Héloïse fut payée 4,860 francs, le Con- trat social 2,200, les Lettres de la Montagne 2,200, la Lettre sur les spectacles 1,620 francs ; le tout après de minutieux débats avec ses éditeurs. Il les excite, les caresse et les menace tour à tour. Pour les réimpressions de ses œuvres, les prétentions de Jean- Jacques nous semblent fort modestes: réfugié dans le canton de Neuchàtel en 1765, il s'efforçait de céder la propriété intégrale de ses œuvres moyennant une rente viagère de 3, 600 francs, — 1,600 livres — « qui est la somme que je dépense annuellement depuis que je vis dans mon ménage, c'est-à-dire depuis dix-sept ans ». L'affaire manqua ; il réduisit ses prétentions à 2,200 francs, s'en- gageant en outre à donner à ses acquéreurs ce qu'il pourrait pu- blier par la suite. Il finit par traiter pour 1,400 francs par an qui, joints à une pension de 660 francs, constituée par l'éditeur d'Ams- terdam sur la tête de Thérèse Le Vasseur, et à la rente de pa- reille somme payée par la librairie Duchesne, lui fit un revenu de 2,720 francs par an.
M. D'Avenel observe justement qu'il n'y a nul rapport entre de telles sommes et le bruit fait par les livres de Rousseau déjà de son vivant. Ajoutons aux renseignements ci-dessus que dans ses conversations avec Bernardin de Saint-Pierre (édit. Souriau, p. 60-61) Jean-Jacques déclare qu'il n'a pas tiré 20 mille livres de -ses ouvrages, et qu'il a vendu V Emile 7000 livres. [A. F.]
3o8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
Revue Bleue, 4 janvier 1908: Fernand Caussy, Voltaire pacifi- cateur de Genève : — suivi des Propositions |de Voltaire] a c.vjiniiier pour apaiser les divisons de Genève.
Intéressante contribution à l'étude de " l'affaire J. J. Rousseau». [L. P.]
Revue bleue, 11 avril i()o8: Edme Champion, Deu.v conversions de J. J. Rousseau.
(Chapitre détache, comme le précédent, d'un livre en prépara- tion sur J. J. Rousseau et la Révolution française. Bornons-nous à dire ici qu'il s'agit de deux conversions « politiques » de Rousseau, l'une conservatrice, concordant avec YEpitre à Parisol, l'autre, fort subversive déjà, même rérolutionnaire, dont le pre- mier Discours serait le point de départ. [A. F.]
Revue bleue, -ib juillet i()n8 : Edme Champion, Rousseau et Maral.
M. E. Ch. proteste contre les efforts faits par certains historiens tendancieux pour «accoupler Rousseau avec Marat». D'abord, il n'est pas vrai de dire que Marat a été purement et simplement l'a- pôtre du Contrat social, qu'il lui est arrivé de commenter peut-être en 1788, selon le témoignage de Mallet du Pan, mais dont il n'a pas adopté toujours toutes les idées, qu'il a même parfois ouver- tement contredit. Ensuite, la Révolution elle-même n'a pas con- fondu ces deux hommes : leurs deux panthéonisations notam- ment, entre lesquelles Nisard tente d'établir une relation logique, s'opposent en réalité l'une à l'autre. On se sert de Rousseau pour désavouer Marat, pour renverser l'idole infirme de son trône. |A. F.|
Annales Révolutionnaires, janvier-mars 1908: Arthur Chi-qiet, Aa jeunesse de Camille Desjnoulins.
P. 13-17: Sentiments peu bienveillants de Cam. Desmoulins envers Rousseau, à qui cependant il doit beaucoup dans ses écrits. [L. P.]
Annales Révolutionnaires, janvier-mars, 1908, (rubrique : Notes et Glanes): A. (^|hl"quet|. Bilder aus Sievekings Leben.
P. i23-r24: A. Sieveking, a l'occasion d'une excursion à Mont- morency faite, en 1810, avec Overbeck, se félicite de connaître tous les séjours de Rousseau. |L. 1-*.|
BIBLIOGRAPHIE Sog
Ad. D'EspiNK, membre correspondant de TAcademie de méde- cine. Jean-Jacques Rousseau et Desessart^. Extrait du Bulle- tin de l'Académie de médecine, séance du 2 juin 1908. In-8, 8 pp.
Il n'était pas inditierent pour nous de connaître l'avis d'un homme du métier — M. D'Espine, professeur à l'Université de Genève, s'est fait une juste réputation dans la médecine de l'en- fance — sur ces soi-disants plagiats dont, au dire de dom (>ajot et de Desessartz lui-même, Rousseau se serait rendu coupable en pillant la Traite de l'éducation corporelle des enfants en bas âges, publié par le médecin Desessartz en 1760. M. D'Espine prouve: loque Rousseau n'a pas pu connaître cet ouvrage au moment où il rédigeait le livre premier de VEmile\ 1" qu'en effet les indications fournies par Rousseau diffèrent sur des points importants J.e la thérapeutique de Desessartz. Si nous ajoutons qu'à sa propre science, M. D'E. joint l'érudition intelligente puisée aux meilleu- res sources, nous aurons achevé de faire sentir le prix de son petit travail. [A. P.]
Revue thérapeutique des alcaloïdes, 2e série, icS'-^ année, n«> 42, 43, 44, juin-septembre 1908 : Dr Fernel, La médecine légale dans l'histoire: J. J. Rousseau s'est-il suicidé?
Ces articles lucides et documentes sont probablement ce qu'on a écrit jusqu'ici de plus judicieux et de plus complet sur la mort de Rousseau. Nul n'était mieux qualifié pour aborder un pareil sujet que le D"" Cabanes, qui se cache sous le pseudonyme du Dr Fernel. La question du suicide est ici résolue une fois de plus négativement, avec beaucoup de force. L'auteur rappelle d'abord l'exhumation du cercueil de Rousseau au Panthéon en 1897, sans exagérer la valeur du témoignage fourni par cette en- quête, témoignage secondaire selon lui ; puis il retrace minu- tieusement, d'après les meilleures sources contemporaines, les circonstances de la mort de Rousseau. La suite de son étude dis- cute et réduit à néant les diverses versions de la mort violente de Rousseau: suicide par empoisonnement (M"ie de Staël, Dubois d'Amiens), suicide par une arme à feu (Corancez), homicide par imprudence commis par Thérèse (Raspail). L'auteur établit enfin la mort naturelle du philosophe et confirme, à cent trente ans de distance, le diagnostic du certificat d'autopsie, l'apoplexie séreuse. Au fond, comme il le fait observer, rarement mort de grand homme fut enveloppée de moins de mystère, et l'on a peine à s'expliquer la persistance d'une légende qui témoigne surtout de
JIO ANNALES DE LA SOCIETE J. J. ROUSSEAU
l'imagination romanesque de ses auteurs, et qui n'a pas pour elle l'ombre d'un fondement solide. Disons à ce propos qu'un dossier manuscrit très complet des pièces du débat, réuni par les soins de M. Ernest Naville, se trouve aujourd'hui déposé aux Archives J. J. Rovtsseau. [A. F.]
Annales des maladies des organes génito-nrinaires, Paris, 26e an- née, vol. I, no 9, iQoS: Yy^P .Hy.ky.sco, Etude sur les rétrécisse- ments congénitaux de l'urètre à propos de la maladie urinaire de J. J. Rousseau.
Cette étude confirme le diagnostic des docteurs Poncet et Le- riche (Annales, IV, p. 323), sauf en ce qui concerne le siège du rétrécissement que l'auteur place avec Mercier (Recherches sur la nature et le traitement d'une cause fréquente et peu connue de ré- tention d'urine, Paris, 1844) non pas dans la portion bulbo-mem- braneuse, mais dans la portion prostatique de l'urètre, tout près du col de la vessie. Le travail du docteur H. emprunte une grande partie de son intérêt à l'observation de cas analogues ou semblables faite par lui dans les hôpitaux. [A. F.]
Journal du magnétisme, Paris, no 36 ( igcS) : D' H. Labonne, Pe- tit problème sur la maladie de J. J. Rousseau.
Cette note ajoute quelques observations au diagnostic des doc- teurs Poncet et Leriche (voyez Annales, IV, p. 325), notamment en ce qui concerne l'existence d'une hernie et d'un phimosis congénital chez Rousseau. [A. F.|
Mercure de France, i"-*' juin, i(j juin iyo8: Marius-Ary Leblond. Le Rêve du bonheur; Rousseau, Bernardin et le XIX<^ siècle.
Ces articles ont ete depuis groupés en un volume dont il sera rendu compte en son temps.
Revue des cours et des conférences, 28 mai iqoS : Maurice Masson, professeur à l'I'niversité de Fribourg, Rousseau expliqué par Jean-Jacques.
Fn d'autres termes la vie et l'œuvre expliqués par le tempéra- ment, dont les grands traits sont : l'ouvrier — l'artisan raté, le paresseux — l'homme agité par la maladie, le sensitif et le pas- sionné qui finit par rapporter tout à soi. Cette dernière leçon d'un cours professé pendant trois semestres a été également re- produite dans la Revue de Fribourg, juin igo8, p. 423-453, sous ce litre : Le rapport de la vie au système de J. J. Rousseau. [A. F".]
BIBLIOGRAPHIE
3ll
L'ami des monuments et des arts parisiens et français, it^ partie du tome XXI (n" 119), s. d. (1908): Ch. N., Idées de Jean-Jacques Rousseau sur la conservation des monuments, Arènes de A'îmes.
Cette note s'inspire d'un passage des Confessions où Rousseau oppose l'état de délabrement des Arènes de Nîmes au XVIIIe siè- cle, au soin avec lequel on veille sur les arènes de Vérone. [A. F.l
Mario Schiff. Editions et traductions italiennes des Œuvres de Jean-Jacques Rousseau, Paris, Honoré Champion édit., 1908, in-8, 69 pp. (extrait de la Revue des bibliothèques, juil- let-septembre iqoj, janvier-mars 1908).
Dans ce travail, M. S. ne s'est pas contenté de décrire minu- tieusement chaque pièce, manuscrite ou imprimée, d'après les formules les plus exigeantes de la science bibliographique. Il y a joint de larges extraits des préfaces ou des introductions, qui dispenseront les travailleurs de recourir, désormais, aux origi- naux, dont quelques-uns sont très difficilement accessibles. De la sorte, une bonne part des éléments essentiels d'une étude sur l'influence de Rousseau en Italie, sont réunis dans ces 69 pages. Il n'y a plus qu'à mettre la matière en œuvre. D'un premier coup d'œil jeté sur ce répertoire, il ressort que le plus en vogue des ouvrages de Rousseau au delà des monts a été Pygmalion 17 ver- sions, 20 éditions, 1773-1894), à cause, dit M. S., de la ressem- blance de cet ouvrage avec les productions de Métastase. Puis viennent le Contrat social (7 versions, i3 éditions dont 2 fran- çaises, 1796-1903), les Discours sur les sciences (3 v., 3 éd., 1760- 1892), sur l'inégalité 14 v., 5 éd., dont une française, 1797-1892), sur l'Economie politique (4 v. 4 éd., 1797-1892), sur les héros (i éd.), sur l'origine du langage (1 éd., 1892), \e Projet de Paix perpétuelle (2 v., I éd., 1892), la Nouvelle Héloïse (2 v. 3 éd., 1813-1898), des fragments de cet ouvrage, notamment 8 éditions de la lettre de Saint-Preux sur l'économie domestique dans le ménage Wolmar, sous le titre // buon governo degli affari domestici (à partir de 1762), VEmile (2 v., 2 éd. dont une d'extraits, 1887-1907), les Con- fessions (1 V., 1 éd., 1884), ces deux derniers ouvrages traduits fort tard, comme on voit, etc., etc. Dans son introduction, M. S. s'est bien gardé de remercier le Comité de la Société .1. J. Rous- seau qui lui avait donné l'idée de son travail, et qui s'y était inté- ressé pour le moins autant que MM. Morpurgo et Papa, et avant eux. [A. F.]
:)12 ANNAI.KS DK I. A >OCli;i'K .1. .1. ROUSSivVU
Le Ménestrel, Paris, ]3 aoùi moS: .lulien Tikrsot, Soixante ans de la vie de Gluck (1714-17741.
Poursuivant une série d"etudes sur le grand musicien d'Orfée et d'Alceste, M. T. apprécie, chemin faisant, dans cet article, le rôle joué par Rousseau dans le débat sur la musique française. 11 pense que « ce n'est pas aux écrits nés dans l'ardeur du combat qu'il faut demander la vraie pensée de Jean-Jacques », mais au Dictionnaire de musique, ou se trouvent exposées des idées parti- culièrement justes et teconJes slh^ la musique et en particulier sur l'opéra. [A. F.|
HONGRIE
Rousseau, J. J. Valloniasaini [Mes Confessions|, francziàb(')i (01- ditotta BogdÂnfy Odon, Budapest, Franklin-Tàrsulat edit., 1908, 2 vol. in-8, 278 et 394 pp.
Annotation combinée de Musset-Pathav, de Petitain et du tra- ducteur.
ITALIE
Gian-Giacomo Rousseau. Etuilio o dell educa^ione, lraduzit)ne di Almerico Ribera, con prefazione di l-uigi Credaro, Milano, Société éditrice Sonzogno, s. d. |i(io8). in-8, 402 pp. 1 Biblio- teca classica ecnnoiuica, w 1 kh.
Continuation d'une série de traductions de Rousseau que nous avons eu déjà l'occasion de signaler a nos lecteurs (cf. Annales, t. II, p. 288). L'excellente préface de M. (l. donne ime biographie sommaire de Rousseau (débutant par un résume de l'histoire de de Genève où cette ville est qualifiée de " centre le plus vivant de la spiritualité française après Paris "I, une analyse et ime critique judicieuse de VJiiuile, a\ec cette conclusion intéressante à relever sous la plume d'wn spécialiste de la pédagogie : « Fmcore aujourd'hui, il n'v a pas d'inirodLiction meilleure ni plus efficace à la science de l'éducation que V/\>niledc Rousseau, quoique r« évan- gile de la nature de l'éducation ■•. comme Gœthe appelait VEmile, n'ait jamais été adopte, .le voudrais que tous ceux qui ont des enfants, tous ceux qui enseignent, le lussent et le relussent, écartant ce qui est faux, s'appropriant ce qui est vrai et bon ». Une ou deux taches à faire disparaître dans l'édition suivante. P. 7. l'abbé de Govivon n'est pour rien dans le vicaire savoyard: c'est l'abbé (îàtier qu'il
lilBLIOCRAl'Hii: 3i3
faut lire ; quant a l'abbc Gaimc, Kousscau n'a pas fait sa connais- sance à Annecy, mais à Turin. I\ n, c'est en mai 1778 let non 1777) que Rousseau se lixe a Ermenonville : et il meurt âge, non de 62, mais de 66 ans, étant ne en 1712. Kntin, p. h, il n'est pas exact de dire que c'est la critique allemande qui a surtout éclairci la biographie de Rousseau: c'est la critique suisse et française. [A. F.]
Giorgio Del Vecchio, prof, nella R. Università di Sassari: // concetto délia Natiifa e il principio del Diritto, Milano, To- rino, Roma, fratelli Bocca edit., iqocS, gr. in-8, 174 pp.
Ce nouvel ouvrage de notre savant confrère nous intéresse surtout pour deux notes. Dans l'une |p. 73», M. D. V. montre qu'il y a déjà chez Rousseau, notamment dans la Profession de foi, des traces de l'antithèse kantienne entre le caractère intelli- gible et méthaphysique de la personne et son caractère sensible et physique. Dans l'autre (p. 61), Rousseau lui sert de preuve que le culte de la nature est étroitement uni dans l'histoire a l'huma- nisme, c'est-à-dire à la conscience de l'infinie valeur de l'homme. [A. F.|
Scena illiistrjla, Florence. 1 mars i()o8 : Mario Foresi, Madame de Warens.
Reproduction en grande partie textuelle de l'article du même auteur sur G. G. Rousseau luusicista paru dans Ars el labor {cf. Annales, IV, p. 3321 [A. F.|
La Maschera, cronaca del teatro, anno 1\', n. 4, ih janvier 1Q08: G. Pagliara, La prima com>nedia di ./. ./. Rousseau ^
La première comédie représentée, soit L'engagement téméraire, dont M. P. raconte agréablement l'histoire, de sa composition à Chenonceaux. en 1747. à sa représentation à la Ghevrette, en 1748. |A. F.]
RUSSIE
Jan-Jak Russo. O Bogue [Sur Dieu], perevod s fran/.uskago L. N., Saint-Pétersbourg. Senatorskaïa tvpographia, rqoS, in-8, III pp.
Traduction de la Profession de foi du vicaire savoyard, des- ' Reproduit dans // Pcnsiero latinu. Milan, 2 août 1908.
3 14 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .T. .T. ROUSSEAU
tinée à combler dans la traduction d'Emile de P. Perrof, Mos- cou, 1896, un vide naguère encore justifie par Texistence de la censure. [A. F.]
Grey Graham. J. J. Rlisso, ego ji^n proip'edeuia i okriijaioiichaia sreda [J. J. Rousseau, sa vie, ses œuvres, son milieu], s. por- tretom Russo, 2e édit., Moscou, V. N. Marakuief édit., 1908. in-8, 25 1 pp., un portrait hors texte [d'après la reproduction de l'original de Friley donnée par Le Livre].
Sans doute, bien qu'on ne le dise pas, traduction du Rousseau d'Henry Grey Graham, paru en 1882, à Londres et à Edimbourg chez Blackwood and Sons, dans la collection des Foreign Clas- sics for English readers, edited by Mrs. Oliphant. [A. F.]
SUISSE
Jean-Jacques Rousseau. Jour après jour, [par Adèle de Saussure|. Genève, Alex. Jullien édit, 1908, in-i6, 382 pp.
« Jour après jour une parole de Jean-Jacques, cherchée et transcrite par une Genevoise pour faire mieux aimer et connaître le citoyen de Genève », tel est l'avant-propos de ce recueil qui fait, avec une grâce et un tact parfaits, les honneurs de l'esprit et du cœur de Jean-Jacques. L'intention, le sentiment et l'ambition d'une admiratrice très intelligente du philosophe, du moraliste et de l'écrivain sont indiqués en ces quelques mots, que complètent et la dédicace: >< à la Société Jean-Jacques Rousseau je dédie ce petit volume », et le nom d'une famille genevoise illustre dans les sciences et les lettres.
Depuis les Pensées de J. J. Rousseau, citoyen de Genève, un choix de maximes que leur auteur anonyme (l'abbé De la Porte) présentait, en 1763, comme « dictées par l'humanité, l'honneur et la sagesse », et où, laissant dans l'ombre le « sophiste hardi », il ne voulait offrir que « l'écrivain brillant et mâle, l'homme sen- sible ei le penseur »; depuis V Esprit, maximes et principes de M. Jean-Jacques Rousseau de Genève, que les libraires associés publiaient en 1764, bien des recueils anonymes ont paru qui sont des imitations ou des rééditions de ces deux-là. Le Jour après jour de Madame de Saussure s'en distingue par l'absence d'in- tention polémique ou apologétique '. 11 est l'ceuvrc d'une lectrice
' Voir par exemple : Sabatier de (lastres, Le véritable esprit Je ./. •/. Rousseau .
BIBLIOGRAPHIE
3l
qui n'a suivi d'autres guides, dans son voyage à travers l'œuvre de Rousseau, que sa sympathie et une sorte de candeur avisée qui ignore les parti-pris.
Chez un écrivain dont la pensée est si fermement enchaînée et qui remplit tous ses livres de sa personne, si bien que le « je » n'est Jamais absent, même de ses discours en apparence les plus abstraits, il est malaisé de choisir de courtes réflexions, appro- priées à tous les lecteurs et dont chacune s'explique d'elle-même. Mme A. de S. y a réussi. Dans ses éphémérides rousseauistes, les jours se suivent et ne se ressemblent pas. Rien de plus divers, par l'inspiration et par l'application. Et pourtant, la sève cachée qui court dans les fleurs et les épis de cette gerbe, c'est bien l'âme passionnée, douloureuse, clairvoyante, tendre et victo- rieuse du promeneur solitaire. Et la piété de celle qui les a cueillis et assemblés, c'est bien celle d'une Genevoise qui aime Jean-Jacques à cause de sa patrie et sa patrie à cause de Jean- Jacques. « Ne dis donc pas: que m'importe où je suis? Il t'im- porte d'être où tu peux remplir tous tes devoirs ; et l'un de ces devoirs, c'est l'attachement pour le lieu de ta naissance. «
Des pervenches pâles ornent la couverture de Jour après jour ; un portrait, d'après l'un des pastels de La Tour, ouvre le volume; l'Ile des Peupliers le ferme, avec le quatrain naïf de Ducis gravé sur une estampe du tombeau d'Ermenonville. Chaque page est encadrée d'un fllet rouge qui enveloppe la pensée comme d'une vibration de vie. Ainsi Rousseau traçait-il de sa main d'artiste gra- veur un cadre à l'encre rouge autour des feuillets de ses herbiers. Tant de soins délicats sont un hommage déplus. Jean-Jacques les eût appréciés, lui qui aimait tant les beaux manuscrits, une table joliment servie, la lingerie fine, la netteté scrupuleuse dans l'ex- pression, une parure simple et soignée, l'art et la nature si bien associés que la nature en parait plus vraie, et l'art plus intime et vivant. [B. B.]
Louis WiTTMER, docteur es lettres. Charles de Villers (ij65- i8i5}, un intermédiaire entre la France et l Allemagne et un précurseur de Mme de Staël, Genève, Georg & C''^, Paris, Ha- chette & C'e, édit., in-8. vi-473 pp.
P. 12, dans son premier ouvrage politique. De la liberté, son tableau et sa définition, ce qu'elle est dans la société, inspiré par l'horreur de la Révolution sanglante, V. s'attaque aux théories rousseauistes de l'homme né bon et de la liberté des passions, dont il prend le contre-pied ; — 35, et plus tard encore, dans le Spectateur du Nord, il triomphe quand le Voyage de La Perouse
.->!() ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
vieni démentir la croyance au c. bon sauvage": — [(ji. Influence forte et durable de Rousseau sur Jacobi, qui initie Villers à la phi- losophie de Rousseau, dont la signification morale et religieuse lui avait jusqu'alors complètement échappé; Villers déiste comme Rousseau. [A. F.]
La Revue verte, Fribourg, i3 mars kjoS : Bibliophii.on, /. ./. Rousseau revu et corrigé par lui-même.
Etude analogue à celles de V. Cousin dans le Journal des Sa- vants de septembre et novembre 184S, et d'Antoine Albalat dans Le travail du style enseigné par les corrections manuscrites des grands écrivains, iqo3. Celle-ci prend pour base les fac-similés du manuscrit d'Ejuile publiés en 1878 à très petit nombre par le li- braire Rouveyre. [A. F.|
Maurice Boy dp. la Tour. La maison Rousseau à Môtiers. Extrait du tome III (1907) des Annales de la Société Jean-Jacques Rousseau, Genève, 1908, in-8, 4 pp.
Schweijer Frauenheini, Zurich, 4 juillet 1908, p. 368-3Ô9 : Hed- wig CoRREvoN, Jean- Jacques Rousseau, Zur /.Vo. ll'ù"- derkehr seines Todestages i 3. [sic] Juli).
Article et jugement de circonstance, comme l'indique le litre.
Prof. A. D'FIspiNK, président du Congres. Rousseau et iallailenicnl maternel, discours prononcé le 3 septembre }f)o6' a Fouver- ture du dixième Congrès français de médecine réuni à Genève, Extrait de la Revue médicale de la Suisse romande, XXVIII'iif année, n'» 9, 20 septembre 1908, Genève, Société générale d'imprimerie, i()o8, in-8, 11 pp., une planche hors-texte.
11 faut regretter que cette étude captivante ait été réduite aux proportions d'un discours. Elle méritait mieux par les matériaux abondants mis en œuvre et par la compétence de l'auteur. H aurait valu la peine de la pousser davantage, notamment en ce qui concerne l'époque de Rousseau*. M. D'E. n'en a pas moins trace là une excellente histoire sommaire de l'allaitement maternel de l'antiquité jusqu'à nos jours, histoire où Ivousseau doit naturel- lement tenir la place d'honneur. (A. F.|
' On est surpris de n'y pas voir mentioniice la Dissertation sur l'édu- cation physique des enfants, Paris, 1762, du Genevois Jacques Balexsert,
BIBLIOGRAPHIE .^ 1 7
Musée neiichâtelois, recueil d'histoire nationale et d'archéologie, XLV'^ année, mars-avril 1908. p. 56-58 : Aug. Dubois, Un billet inédit de J. J. Rousseau a Isabelle d'Ivernois.
Billet sans adresse, sans date et sans signature, faisant partie de la collection des lettres de Rousseau remises récemment à la Bibliothèque de Neuchâtel par la famille d'Alph. Petitpierre. Selon M. D., il doit être daté, à un ou deux jours près, du 27 mai 1764. Dans une note, l'éditeur nous renseigne sur Fétat actuel du fameux lacet offert par Jean-Jacques a sa jeune amie. [A. F".]
La Semaine littéraire. Genève, 2 et q mai 1Q08: Philippe Godet. Un jour a Montmorency.
Encore un de ces pèlerinages dont le récit, sinon le thème, se renouvelle indéfiniment au gré des narrateurs ! M. P. G. s'y est pris de la bonne manière puisqu'il a eu pour guide M. J. Ponsin, l'homme dvi monde qui connait le mieux le Montmorencv de Rousseau. [A. F.|
Musée neuchàtelois, mai-juin 1908, p. 82-100: Philippe Godet, Lettres inédites de Mrlord Maréchal.
Plusieurs de ces dix-neuf lettres adressées au colonel Chaillei sont à verser au dossier de l'histoire des événements qui ont dé- terminé Rousseau à quitter Môtiers, événements auxquels, comme on sait, Mylord Maréchal et le colonel Chaillet furent directement mêlés. A noter, p. 97, le plaisant Brouillon d'un rescript que je ferl>is si j'éiois Pritice de Neufchâtel, à propos des menaces de mort dont les magistrats enquêteurs dans l'affaire de la lapidation furent l'objet dans le pays. P. 100, il est fait allusion à un por- trait donné par Rousseau à son protecteur et dont celui-ci fait faire des copies. Serait-ce le second pastel de La Tour offert par le peintre à son modèle en 1764, et que l'on hésite à identifier avec le portrait du Musée de Genève légué par Coindet (Vovez Annales, II, p. 1461 ? Rousseau s'en serait ainsi débarrasse au mo- ment de fuir le comté de Neuchâtel. [A. F.]
que Rousseau a accusé de plagiat, mais à tort, semble-t-il, non plus que le concours de l'Académie de Haarlem auquel elle était destinée : « Quelle est la meilleure direction à suivre dans rhabillement, la nour- riture et les exercices des enfants, depuis le moment où ils naissent, jusqu'à leur adolescence, pour qu'ils vivent longtemps en santé?» (Cf. Musset-Pathay^ Histoiie, II, i5-i6.)
3l8 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J, J. ROUSSEAU
Revue de F?-ibourg, juin 1908 : Maurice Masson, Le rapport de la vie au sj'Stè7ne de J. J. Rousseau.
Vovez plus haut p. 3 10.
Revue de Fribourg, 1908, p. 170: G. de Reynold, Jean-Jacques Bodmer et Jean-Jacques Rousseau, caractères de l'écrivain suisse.
Chapitre détaché d'un ouvrage en préparation dont nous ren- drons compte en son temps.
Musée neuchâtelois. XLV^ année, septembre-octobre 1908, p. 169, *** Promenades neuchâteloises en France (avec planches): Trie.
Description et histoire de cette localité où Rousseau a laissé comme marques de son passage son nom sur une tour et la signature de Thérèse au bas d'un acte de baptême (fac-similé de l'acte). [A. F.]
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CHRONIQUE
Extrait des procks-verbaux des séances du Comité
Séance du 28 novembre 1Q08. — Le président propose au Co- mité l'envoi de circulaires spéciales aux bibliothèques anglaises ou américaines. Comme conclusion du débat qui s'engage à ce sujet, il est décidé de consacrer chaque année 100 francs à la pro- pagande en faveur de la Société Jean-Jacques Rousseau.
Le précédent bureau est confirmé purement et simplement dans ses fonctions. Il en est de même des différentes commissions, sauf celle des Archives, où M. A. François prend la place de M. H. Aubert.
Séance du i5 juin iqoq. — Le président annonce la mort de M. Albert Jansen, membre étranger du Comité. Il exprime les regrets du Comité. M. H. Morf, professeur à Francfort, ayant accepté une candidature, son nomsera proposé à l'assemblée gé- nérale pour remplacer celui de M. Jansen.
Demandes de subventions présentées pour des travaux biblio- graphiques par deux membres de la Société. Le Comité, sans prendre d'engagement formel, verra à utiliser ces propositions le moment venu.
M. A. François fait savoir que l'étiquetage (par numéro) de la bibliothèque des Archives est terminé.
Assemblée générale du i y juin igog.
Le rapport du président mentionne le retard considérable de la publication du tome IV des Annales, les acquisitions des Archives en livres, manuscrits, estampes (notamment un choix fait avec la Bibliothèque publique dans la collection Paul Strœhlin), les pré- cieuses fiches bibliographiques envoyées par la Bibliothèque de l'Université d'Harvard, l'équilibre qui se maintient dans le recru- tement des membres, en dépit des morts et de quelques démis- sions, l'inauguration du monument d'Ermenonville, enfin diver- ses représentations du Devin du village qui ont eu lieu récemment, en Suisse ou à l'étraneer :
324 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. .1. ROUSSEAU
« Le Devin du village a son secret, conclut-il. Les spectateurs se partagent, à Vienne ou à Neuchâtel, en braves gens qui n'en savent que le titre et la renommée, et en gens informés et même savants, musicographes et historiens littéraires, qui ont l'esprit en- combré des gloses, des commentaires et des polémiques qu'a pro- voqués le petit opéra né dans le cœur et la tête de Jean-Jacques, tandis qu'il passait huit à dix jours chez l'ami Mussard, à prendre les eaux de Passy et à se prélasser dans « sa maison très agréable et son très joli jardin ». Les érudits se remémorent la querelle sur la musique italienne et la musique française, la vogue de l'opéra bouffe, et les insinuations de la coterie Holbachique, et les colè- res des musiciens de l'Opéra... Cependant le rideau se lève. Colette paraît et se met à chanter: « J'ai perdu mon serviteur, j'ai perdu tout mon bonheur >>,... et aussitôt le charme opère. Un souffle frais des- cend de cette scène de feuillage sur le parterre ; il dissipe la pous- sière des controverses et les dissertations fumeuses et les propos chagrins, il éclaire le cerveau et fait battre le cœur plus à l'aise.
La tendre et puérile aventure des amours de Colette et de Co- lin, la ruse innocente du Devin, la ronde joyeuse des filles à ma- rier, ces jolis airs limpides, ces récitatifs langoureux, ces accords de caresse et de danse, tout évoque le Jean-Jacques aimable, fa- cile, souriant et confiant, gai compagnon sous la tonnelle, char- mant causeur sur les chemins de la campagne, tout plein de lu poésie des choses rustiques. C'est lui qui fit courir un frisson in- connu, une volupté ravissante dans les nerfs fatigués des cour- tisans de F"ontainebleau. Sa musique naïve et cordiale réveille des émotions et ressuscite un temps que l'on croyait mort.
Ecoutez cet enseignement, MM. et chers confrères ! C'est dans l'homme et dans son cœur ardent à la joie comme à la souffrance qu'est la vérité. Que tous nos travaux, nos critiques scrupuleuses, nos savantes discussions, nos enquêtes bibliographiques, nos la- beurs d'éditeurs et d'historiens aient pour fin dernière et pour souci constant de rendre la vie au vrai Jean-Jacques, comme il pensa, comme il vécut, comme il souffrit, comme il aima. »
Le trésorier rend ensuite compte de la situation financière au 3i décembre i<)o8, qui se résume par les chiffres suivants :
Recettes. . . . fr. 7876 85 Dépenses . . . » i3i7 i5
Solde créancier . fr. (J55o 70
Cet excédent des recettes inusité est dû au fait que le tome 1\' des Annales n'a pas encore été publié. Décharge est donnée au
CHRONIQUE 323
Trésorier par les vérificateurs des comptes, MM. (^hapuisat et Fatio, qui veulent bien accepter un nouveau mandat.
L'Assemblée appelle le professeur Heinrich Morf, de Francfort, à représenter dans le Comité les rousseauistes de langue alle- mande, en remplacement de M. Albert Jansen, décédé. Puis M. Eugène Ritter lit une notice biographique sur son ami M. Jan- sen, notice qu'on trouvera plus loin dans la Chronique.
Etat des Archives J. J. Rousseau au 3i décembre 1908 : 731 numéros; augmentation de l'année : 160 numéros, dont 87 acquis par la Société J. J. Rousseau, 73 donnés par: MM^^s Th. de Saussure et Ch. Spiess, MM. Bernard Bouvier, Al. F'rançois, F. Kircheisen, Ad. D'Espine, Eug. Ritter, Th. Dufour, F. Raisin, Alex, .fullien, à Genève: P. Usteri, à Zurich; P. P. Plan, H. Buf- fenoir, à Paris; L. Aurenche, à Pierrelatte ; Aug. Castellant, à X'illers-Cotterets: P. Bonnardot, à Suresnes ; Ch. François, a Lyon; R. Bonnard, a Rennes; Alb. Metzger, à Chambéry ; Fr. <iribble, a Londres; J.-F. Rotton, à Frith Hill (Godalmingi ; H. Mac Lellan, à New-York; V. Sqmmerfelt, à Larvik (Norvège); G. Vorberg, à Hanovre; Alf. Schulze, a Kœnigsberg ; E. von Sallwûrk, à Karslsruhe ; A. Stoppoloni, à Ancone; G. Del Vec- chio, à Sassari ; Raf. Altamira, à Oviédo ; les éditeurs Hachette, H. Champion, à Paris; Sonzogno, à Milan; F". Dietrich, Ph. Re- clam junior, B.-G. Teubner, a Leipzig ; J. Klinkhardt, Tro- witzsch, à Berlin; F.-G.-L. Gressler, à Langensalza; la direction de la Maschera, à Naples, de la Nuox'a Antologia, à Rome; de la Hilfe, à Berlin-Schoneberg; de la Grande Revue, de la Revue thérapeutique des Alcaloïdes, des Annales des maladies génito- urinaires, à Paris ; la Bibliothèque publique et universitaire de Genève ; la Commission executive du monument d'Ermenon- ville.
Parmi les acquisitions les plus importantes, citons une lettre autographe de J. J. Rousseau a Moultou, 11 juin [1763 ?], une note autographe du même adressée au libraire Néaulme. non datée, l'original du contrat de mariage de Mm« de Larnage, un beau portrait de Gauffecourt, peint par Nonnotte, gravé par Da- villé en 1754, l'édition in-4f des Œuvres de Rousseau, Genève, 1782-1789, etc., etc.
Le trésor des fiches bibliographiques s'est accru notamment de 47 fiches envoyées spontanément par la bibliothèque de l'Université d'Harvard. Il serait à désirer que beaucoup d'autres bibliographes
326 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. J. ROUSSEAU
des deux mondes imitassent leurs zélés et intelligents collègues des Etats-Unis d'Amérique. Il y a quelques années déjà, le di- recteur du Deutsches Schulmuseum, à Berlin, le Dr A. Rebhuhn, nous avait adressé le catalogue manuscrit complet de tout ce que le musée possède concernant Rousseau. Nous l'en avons remercie en son temps.
ALBERT JANSEN ^ (1833-1909)
Au printemps de 1881, la librairie Garnier se proposait de faire paraître une éditon des Œuvres de J. J. Rousseau^ pour faire suite à celles de Voltaire et de Diderot, qu'elle venait de publier. M. Brunetiere avait accepté la direction de cette entreprise, et désirant avoir la collaboration d'un érudit genevois, il s'était adressé à M. Adert, qui avait lui-même nourri pendant quelque temps, et ensuite abandonné, faute de loisir, le projet de publier la correspondance de Rousseau.
M. Adert, qui avait lu avec intérêt mes premiers travaux sur Jean-Jacques, avait aussitôt pensé à moi, et l'accord s'était fait rapidement. M. Brunetiere vint au mois de juin passer quelques jours à Genève, et dans un dîner chez M. Adert, auquel avaient pris part MM. Charles Berthoud et Marc Monnier, on but à la santé des futurs éditeurs, et au succès de leur œuvre.
Dans les premiers jours de septembre, j'allai faire des recher- ches à la bibliothèque de Neuchâtel, et compulser la riche col- lection des papiers de Rousseau, que Du Peyrou lui a léguée. Je trouvai là M. Albert Jansen, qui y était venu dans le même but; nous logions dans la même pension ; il connaissait déjà mes publications, et aussi celles de M. Théophile Dufour, qui arriva a Neuchâtel au moment où j'allais en partir. M. Jansen m'écrivait le 22 septembre, quelques jours après mon retour à Genève: « Vous devinez ma satisfaction d'avoir fait la connaissance de M. Dufour. Son nom était depuis longtemps, dans mes senti- ments, intimement réuni avec le vôtre. Je pense avec joie au mo- ment où je vous reverrai à Genève. »
' Notice nécrologique lue à VAsscmblcc générale du 17 juin 1909.
2 (>cuc entreprise a traîné Irtnjitenips, et a fini par être abandonnée.
CHRONIQUE 327
M. Jansen vint en effet, au mois d'octobre, passer quelques jours à Genève, et repartit ensuite pour TAllemagne. Je ne l'ai pas revu depuis; mais notre correspondance qui s'est ralentie quelquefois, ne s'est jamais interrompue. Elle n'avait qu'un uni- que objet : Jean-Jacques Rousseau.
Quand j'ai connu M. Jansen, il avait déjà 48 ans; je n'ai rien su de toute la première moitié de sa carrière. C'est à l'obligeance de son neveu, M. Jean Boas, que je dois une esquisse de son curri- culiim vitae.
Albert Jansen est ne le 29 avril i833, à Zeitz, petite ville prus- sienne située sur TElster, au sud de Leipzig ; son père était maî- tre tanneur. Il fit ses études au gymnase de Schulpforta et à l'Université de Berlin; en i858, à la tète des étudiants et délégué par eux, il eut l'honneur d'adresser un discours à S. A. R. le prince Frédéric-Guillaume.
L'année suivante, il fut nommé professeur au gymnase de Landsberg sur la Wartha. C'est dans cette ville qu'il épousa en 1862 mademoiselle Louise Boas; mais après une année de ma- riage, il eut la douleur de la perdre.
Il quitta alors l'Allemagne, ayant été appelé à la cour de Saint- Pétersbourg pour y être le précepteur de S. A. I. la grande- duchesse Olga; elle avait douze àtreize ans. M. Jansen, qui était un homme d'un caractère sûr, d'une intelligence lucide et droite, et de beaucoup de cœur, fut apprécié par la famille impériale à sa juste valeur. Aussi la jeune princesse, après son mariage avec le roi de Grèce, n'oublia point son ancien précepteur, et jusqu'à la fin elle resta en correspondance avec lui. Les lettres de S. M. la reine Olga ont été léguées par M. Jansen à la bibliothèque de Berlin, comme ses autres papiers. '
Après sa tâche terminée, M. Jansen était revenu à Berlin (1867) et pendant vingt ans, il s'y voua à l'enseignement; il avait été nommé professeur d'histoire à l'Ecole de guerre (Kriegs-Aka- demie). Comme je l'ai dit plus haut, je ne l'ai connu que près de la fin de cette période de sa vie.
Je ne sais à quelle époque il s'est épris de Jean-Jacques Rous- seau; mais déjà en 1881, le philosophe genevois était devenu le centre de toutes ses préoccupations, de ses études, de ses recher- ches; il lui avait voué sa vie : c'est un exemple, plus rare de nos temps qu'autrefois, mais qui n'est pas unique, de ce charme sou- verain qu'a possédé, que possède encore l'auteur d'Emile, de ce
1 M. Dufour et moi, nous avions reçu de M. Jansen un certain nom- bre de cahiers de notes, qui ont pris place dans les Archives J. J. Rous- seau.
3*28 ANNALES DE LA SOCII'/l'É .1. .1. ROUSSEAU
don de gagner les cœurs, et d'être pour quelques âmes celui qu'on aime par-dessus tout. Fccrivain qu'on relit sans cesse.
Depuis i88r, j'ai pu suivre d'assez près la vie de M. Jansen; on V compte d'abord quelques années heureuses et fécondes, 1882-87, pendant lesquelles sa santé lui permettait de travailler beaucoup; nous allons voir qu'il les a employées avec fruit. La maladie est venue ensuite, et il a vécu encore plus de vingt ans, sans que ses forces lui aient permis de continuer l'œuvre qu'il avait entreprise avec ardeur, avec amour; sa destinée a trompé ses espérances.
Dans sa retraite de Gries-Bozen, au pied méridional des Alpes du Tyrol, où il s'était établi dans l'automne de 1888, et où il a demeuré jusqu'à sa mort, il continuait à prendre intérêt à tout ce que M. Théophile Dufour et moi, nous lui apprenions de nos recherches et de nos publications sur J. J. Rousseau.
Je ne suis pas en mesure de donner la liste de tous les articles qu'il a fait paraître çà et là; mais ses principales publications sont les suivantes :
a) en langue française:
i. Jean- Jacques Rousseau. Fragments inédits, recherches bio- graphiques et littéraires. Paris, 1882, 84 pages in-8'^'.
Cette brochure contient deux morceaux inédits de Rousseau' et quelques lettres et billets, également inédits ; — et une his- toire de la rédaction des Confessions.
2. Documents sur Jean-Jacques Rousseau 1 ijli-j à ijh5) recueil- lis dans les Archives de Berlin. Genève, i885, 92 pages in-80. C'est un tirage à part des Mémoires de notre société genevoise d'his- toire, tome 22=. Ce travail lui avait été communique dans sa séance du i3 novembre 1884; on y remarque le texte inédit des dépositions de J. J. Rousseau et de Thérèse Le Vasseur, faites le 7 septembre 1763. sur Tattaquc dont ils avaient ete l'objet pendant la nuit précédente.
b) en langue allemande :
3. Jean-Jacques Rousseau als Musiker. Berlin, 1S84, xn et 482 pages in-8".
4. Jean-Jacques Rousseau als Bolanikcr. Berlin. i883, viii et 3(>8 pages in-80.
Ces deux volumes avaient ele publies par M. Jansen pour dé- lester, comme il disait, la grande Histoire de la vie et des œuvres de J. J. Rousseau, qu'il avait en vue, et à laquelle il put travailler encore pendant les années suivantes, jusqu'au mois de janvier 1888, où la maladie vint cruellement arrêter son activité, sans qu'il ait pu rien rédiger qui soit prêt pour l'impression: si bien que ces deux ouvrages, qui n'étaient pour lui que des travaux accessoires, se trouvent aujourd'hui constituer l'essentiel de ce
CHROMQUF. 32()
qu'il aura laisse. Ce sont des œuvres solides, et il faudra les con- sulter toutes les fois qu"on voudra parler de Rousseau musicien ou de Rousseau botaniste.
5 et 6. Deux articles dans Ic-s J')'cii.ssi.sclic Jalirbiichcr : Zur Lil- teratur ûber Rousseau's Politik. Tome 4<)'-\ — Die Bildnisse Jean- Jacques Rousseau's, tome b2^.
Pendant vingt ans, M. Jansen a vécu paisiblement dans le site calme et tiède qu'il avait choisi pour sa demeure; il y devenait, en vieillissant, toujours plus ami de la solitude. Sa santé était restée assez bonne jusqu'en 1907. Quand il entra dans sa soixante- quinzième année, un affaiblissement progressif se fit sentir, et mon ami ne se dissimula pas que sa fin était proche. Il était en- touré de soins presque filiaux par son hôte, M. Obermûller. qui nous a retracé en termes touchants l'histoire de ses derniers jours; il est mort d'un coup de sang, le i5 mars 1909.
Il avait pris des dispositions testamentaires pour être enterré dans le cimetière de Landsberg. où reposait la dépouille mortelle de sa femme.
On le voit : la destinée de notre collègue a eu quelque chose de mélancolique : il est un de ceux devant la tombe desquels on répète le mot de Virgile : Pendent opéra interrupta. Il a été un de ces savants modestes, plus nombreux peut-être en Allemagne qu'ailleurs, qui ne travaillent pas pour se faire un nom, et qui n'ont en vue que la vérité, occupés uniquement a la rechercher et ^i la mettre au jour.
Eugène RiTTER.
— Outre la perte de M. A. Jansen. délègue étranger de notre Co- mité, dont on vient de lire les brillants états de service, nous avons encore à déplorer le décès de ti'ois de nos membres qui emportent tous nos regrets:
Georges Baud. à Genève.
L.-L. Brédif, recteur d'Académie honoraire, à Sceaux, France, mort le 21 août 1909. M. Brédif avait pris une part active aux études rousseauistes. ainsi qu'en témoigne son grand ouvrage Du caractère intellectuel et moral de J. J . Rousseau, étudié dans sa vie et dans ses écrits, paru en 1906, dont il a été rendu compte dans nos Annales, t. III, p. 269.
Edouard Rod, l'écrivain bien connu, décédé le 28 janvier 1910, à Grasse (France), critique et romancier, à qui Jean-Jacques a permis d'ajouter à ceux qu'il avait déjà, le titre d'écrivain dra- matique. Son Réformateur (vovez Annales, t. III, p. 282) n'était
330 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
pourtant pas sa première pièce, mais c'est la seule sans douie que la postérité retiendra. Comme critique, Edouard Rod lais- sera une trace profonde dans le champ de nos études par son heau livre, L'affaire J. J. Rousseau (voyez Annales, t. III, p. 2801, préparé avec un soin infini, fondé sur une documentation prodi- gieuse et toujours exacte, écrit avec amour, d'une plume singu- lièrement souple et mesurée. De cette souplesse et de cette me- sure témoignent encore nombre d'articles consacrés à Jean-Jac- ques ou à son entourage, dans diverses revues, et notamment celui- là même qu'il publiait très peu de jours avant sa mort sur Thérèse Levasseur, dans la Revue hebdomadaire. Enfin nous devons à Edouard Rod la reconnaissance qui s'attache à l'ami de la pre- mière heure : il fut, en etïet, l'on s'en souvient, un de ceux qui tinrent notre société naissante sur les fonds baptismaux, le jour de la séance inaugurale (vovez Annales, I, p. i«) et 23).
— Quoiqu'il n'ait pas fait partie de notre association, nous devons signaler la mort de M. Louis Dufour-Vernes, archiviste d'Etat à Genève, survenue en juillet 1909. M. Louis Dufour peut être en effet rangé au nombre des plus actifs généalogistes de Rous- seau. Il a consigné le résultat de ses recherches dans deux mé- moires qui font autorité, intitulés, l'un Recherches sur J. J. Rous- seau et sa parente, accompagnées de lettres inédites de Mallet-du Pan, J. J. Rousseau et J. Vernes, Genève, 1878, in-8, 46 p., l'autre Les ascendants de J. J. Rousseau, Genève, 1890, in-8, 3o p.
Nous signalerons de même la mort du D'' Richard Mahrenholz survenue à Dresde le 14 mars 1909. Il avait donné en 1889, à Leipzig, une étude intitulée Jean-Jacques Rousseau, Lehen, Geis- tesentu'ickelung und Hauptyverke, qui fait époque.
— La carte de membre annuel pour i()0() représente le portrait de Rousseau peint par Frilev et reproduit par Le Livre [Icono- graphie (iirardin, n" 2701.
— Le catalogue de la bibliothèque du professeur Hewet, Ithaca, New-York, vendue en février 1909 par les soins du libraire G. G. Bœrner, à Leipzig, mentionnait sous le n" 1918, une ^ silhouette peinte de J. J. Rousseau tournée vers la droite, d'une grandeur 5,5 X 9 "-'m-i ^'n'-'!"-h'emeni peint, petit in-folio " (reproduction en tète du catalogue I.
— Dans la Petite chronique du Musée neuchàtelois, numéros tle janvier-février et mars-avril i<)o8, p. 38 et 71. M. (^h. K. nous i-en- seigne sur les dons faits récemment a la liibliotheque tle Neuchà-
CHRONIQUE 33 I
tel par les hoiries Pury-Sandoz et Alphonse Petitpierre. de 28 lettres de Rousseau, autographes ou copies, dont treize adres- sées au colonel Abram de Pury, trois à Daniel de Pury, douze à Isabelle d'Ivernois, le tout en partie inédit.
— Le 14 décembre ic)oS, il a passé dans une vente d'autogra- phes, à l'Hôtel de la rue Drouot, à Paris, un manuscrit de musi- que autographe signé trois fois J. J. R. ; 7 p. in-folio oblong, relie parchemin blanc, dentelle ; copie de trois chansons dont deux ont pour titre : Las mon pauvre cœur; Ce n'est point en offrant des fleurs (Catalogue Noël Gharavay). Ce manuscrit a été vendu 2 5o francs.
— Le catalogue d'autographes périodique Noël Charavay, n» 383 (juillet 1908I mettait en vente, au prix de 3o francs, sous le no 62783, un manuscrit autographe de J. .T. Rousseau, 2 pages in-40. Cette pièce, acquise par les Archives J. J. Rousseau, est la minute autographe fort curieuse de la lettre à d'Ivernois, du 3i janvier 1767, publiée dans la Correspondance.
De même ont encore passé dans des ventes spéciales, les 5 fé- vrier, 25 et 26 mai 1908, les originaux des lettres à M. de Graffen- ried, 20 octobre 1765, et à Duchesne, 3o octoble 1761 (no* 98 et 281 des catalogues N. Charavay). adjugées la première pour 38o francs, la seconde pour 175 francs.
— - La vente de la bibliothèque de Ferdinand Brunetiere, du 6 février au 6 mars 1908, a vu passer un assez grand nombre d'ou- vrages de ou concernant Rousseau. Citons dans le nombre les Œuvres complètes, édition Auguis, 1823, exemplaire avec les figures sur papier de Chine, contenant, notamment au tome L de nombreuses notes marginales de la main de M. Brunetiere. et les Œuvres complètes, Paris, Poinçot. 1793, exemplaire avec la plu- part des figures avant la lettre, provenant de la bibliothèque du M''^ de Biencourt. Ces deux ouvrages ont atteint respectivement 200 et 460 francs.
On peut citer encore, comme exemple du prix qu'atteignent cer- taines éditions de Rousseau, un exemplaire des Œuvres complètes, édition de Paris, Poinçot, 1788-1793, 33 tomes en 37 volumes in-8, « exemplaire exceptionnel, dit le catalogue, tiré in-40 sur grand papier velin fort et bien complet, 46 figures et 38 frontispices, la plupart en épreuves avant la lettre, soit 84 pièces. » Prix : 4000 fr. (Catalogue Th. Belin, Paris, avril 1908, no Soq.)
— M. L[ouis] U[lmo| a retrouvé « dans des archives de fa- mille )>, présenté et publié dans le Peuple genevois des 3i octobre,
33'2 AXNALES DE LA SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
4, II, 18, 2? novembre, 9, 16 et 19 décembre 1908, de forts cu- rieuses Observations sur le style de J. J. Rousseau dues au juris- consulte et orateur genevois Etienne Dumont. Mais il se trompe lorsqu'il donne ce travail pour inédit. Les Observations d'Ktienne Dumont ont en effet paru pour la première fois dans la Biblio- thèque universelle de Genève, n>^ d'avril i83(i.
— Dans le Journal des Débats du 4 août 1908, M. Jules Couët a publié une lettre inédite de Barbey d'Aurevilly, du 11 août [i858], ayant trait à un article sur Jean-Jacques Rousseau et son clapier, que Barbey d'Aurevilly fit paraître, à cette époque, dans le Réveil.
— A l'appui des opinions qu'elle professe, la revue Fides de Rome, numéro de juillet 1908, p. 52-53, a reproduit les célèbres pages de Rousseau sur le duel.
— La Stratégie, journal d'échecs, Paris, 42'-' année, 41»^ volume, no h, juin 1908, a reproduit intégralement l'article de notre con- frère, M. 1. Grùnberg, Rousseau joueur d'échecs, publié dans le tome III de nos Annales.
— Nous annonçons avec plaisir, conformément au vœu de l'auteur, le nouveau volume de notre confrère M. Hippolyte Buffenoir, Le prestige de Jean-Jacques Rousseau, souveniis, documents, anec- dotes, un vol. in-8, illustré, Emile-Paul éditeur, Paris, recueil de mémoires et d'articles sur divers sujets, dont il sera plus complè- tement rendu compte dans notre prochain v(^lume.
— Le Conteur )>judois du 17 octobre i()o8 a publié une anec- dote fantaisiste, .4 la vôtre M. Jean-Jacques !, où Rousseau appa- raît « sous un nover. près des murs du château de Glérolles, dans l'automne 175*) " ( 1 ! ).
— The Times, Londres, 4 juin 1908, à propos de la translation des cendres d'E. Zola au Panthéon (The Panthéon and Zola), trace un parallèle de circonstance entre la destinée de cet ccri- vain et celle de Rousseau.
— Dans la (iajelle de France du 25 avril 1908, sous ce titre In- dividualisme et Nation, Dom Besse s'cfTorce de prouver le mal qu'a fait « l'individualisme de Rousseau devenu par la Révolution l'individualisme de la France contemporaine ».
— Dans la revue Berner Rundschau, i5 juillet 1908, p. 718, Jules Coulin s'élc-ve contre le ridicule usage adopté par certaines pu-
CHRONIQUE 333
blicalions allemandes, de germaniser les prénoms de Rousseau : « Johann Jakob » Rousseau.
— Dans le Dpennik Popianski de Posen, sous ce titre Jan Ja- kob Rousseau w swietle majnows:^ej Krytyki francuskiej, un chro- niqueur, Teodor Jeske-Choinski, a longuement apprécié en deux articles (27 et 28 mars 1908) la vie et l'œuvre de J. J. Rousseau, si malmenées par la critique des .1. Lemaître et des Lasserre.
— Dans le Heraldo de Madrid, 5 octobre 1908, article de Ma- nuel Bueno sur les « deux rivaux», Rousseau et Voltaire, Veranet) errante : Dos rivales.
— Dans la Libre parole, 20 juillet 1908, article de polémique d'Edouard Drumont, intitulé De Rousseau à Tolstoï.
— Sous ce titre significatif: Catholicisme et Libre pensée, leurs saints et les nôtres, le Bulletin catholique neuchàtelois du 17 octo- bre 1908, poursuit, dans un but apologétique, un curieux parallèle entre Jean-Jacques Rousseau et saint Vincent-de-Paul, qui n'est guère à l'honneur du premier, comme on peut s'y attendre.
Au reste Jean-Jacques doit sembler fort menaçant, à l'heure qu'il est, aux militants du catholicisme, si l'on en juge par le fré- quent retour de son nom dans les feuilles de propagande, telle la France chrétienne, à qui Le monument de J. J. Rousseau à Erme- nonville inspire des propos d'une violence inouïe (20 août 1908), ou encore Der Schwei^er Katholik de Soleure où le « chapelain » Laub consacre cinq laborieux articles (18 septembre, 2, 16, 23 oc- tobre, 4 décembre 1908) à dénoncer l'exemple pernicieux de Rous- seau, sous ce titre ironique: Beriihmie " Leuchten » unter alter und neuer Beleuchtung .
— La correspondance de J. J. Rousseau avec Mn^^ de Lesseri publiée par M. Ph. Godet dans la Revue des Deux-Mondes (voyez d'autre part, p. 3o5) a excité au plus haut point l'intérêt du public. Les journaux de tous les pays en ont entretenu leurs lecteurs. Ci- tons au hasard dans le nombre :
Le Rappel, Paris, 10 septembre 1908 [J. J. Rousseau inédit, son mariage, son délire, par Georges Dangon). — Le Savoyard de Pa- ris, 26 septembre 1908 [Jean-Jacques Rousseau inédit, avec illus- trations, par Céo Mamby). — Le Courrier suisse de Buenos- Ayres, 17 octobre 1908 [Le mariage de Jean-Jacques Rousseau, par Paul Besson). — // Mar^jocco, Florence, 6 septembre 1908 {Let- tere inédite di Rousseau). — Ga^etta del Popolo, Turin, 17 octo- bre 1908 (G. Giacomo Rousseau e Giorgio Bi^et nei loro carteggi^ par Alfredo Vinardi), etc., etc.
:>':>4 ANNALES DE LA SOCIÉTÉ J. J. ROUSSEAU
— En son volume de vers. Le clavier des harmonies, Paris, Pion édit., 1908, où il célèbre la musique et les musiciens, les formes musicales et les instruments, M. Henry Allorge consacre un sonnet à Rousseau.
— Dans une soirée de V « Art social», à Genève, le 7 avril 1908, puis à la Fête des musiciens suisses, à Baden, le i^r juin de la même année, le compositeur Joseph Lauber a fait entendre une fantaisie de sa composition, écrite pour deux pianos sur un motif du Devin du village.
— Une troupe itinérante a donné, en septembre 1908, une série de représentations du Devin du village de Rousseau et de la Ser- vante patronne de Pergolese, dans les principales localités du canton de Neuchâtel et du Jura-Bernois, St-Imier (10 septembre), La Chaux-de-Fonds (i3 septembre). Neuchâtel (i5 septembre), Bienne (16 septembre). Chacune de ces représentations était pré- cédée d'une conférence littéraire et musicale sur J. J. Rousseau, faite par M. Jules Carrara, professeur à Genève.
— De septembre iqoj à juin 1908, d'après la Zeitschrift der in- ternationalen Musikgesellschaft, soit le Miisikverein de Bamberg, soit la Stadtkapclle d'Iena, ont exécuté l'ouverture du Devin du village.
— A la réunion des néo-philologues suisses, du 3 octobre 1908, à Baden, M. Bernard Bouvier a répété sa conférence sur le Voyage de Rousseau autour du lac de Genève (cf. Annales III, 3o3). Compte rendu dans V Academia de Zurich, 23 octobre 1908.
— A la 26'^ réunion annuelle de la Modem Languagc Associa- tion of America, tenue à Princeton, N. J., les 28, 29 et 3o décem- bre 1908, le professeur A. Schinz, de Bryn Mawr Collège, a fait une communication sur Les résultats des découvertes de Mrs Macdonald concernant Jean-Jacques Rousseau.
— Le critique danois (îeorges Brandes a fait une conférence sur Jean-Jacques Rousseau et Voltaire, le 29 février 1908, à la Sing- academie de Berlin. La National Zeitung du i^' mars 1908 a rendu compte de cette conférence, dans un article intitulé Brandes liber Voltaire und Rousseau.
Le même critique, répondant à une invitation de la Freie lite- rarische Gesellschaft, avait fai-t quelques jours auparavant, à Francfort s. Mein, une conférence sur Rousseau contre Voltaire. La Frankfurter Zeitung du 28 février 1908 en a rendu compte.
CHRONIQUE 335
— Le 26 avril 1908, M--' Georges Laguerre a fait au théâtre de. ■Clermont dans l'Oise une conférence sur J. J. Rousseau, au pro-
rit du monument d'Ermenonville.
— Le Christianisme au XX-^ siècle du 19 juin 1908 a annoncé que M. Philippe Godet venait de donner a la Faculté de théologie protestante de Montauban une série de cinq leçons sur J. J. Rousseau.
— M. Jules Carrara, professeur à Genève, a fait le 22 octobre 1908, à Porrentruy, et le 29 octobre, à Tavannes (Jura-Bernois), une conférence sur L'œuvre politique du XVIII^ siècle étudiée dans r « Esprit des lois » de Montesquieu et le « Contrat social » de Rousseau (analyse dans le Petit Jurassien de Moutiers, i"-'' no- vembre 1908).
— Dans la séance d'ouverture du X^ Congrès français de méde- cine tenu à Genève les 3 et 4 septembre 1908, le président, Df Adolphe d'Espine, de l'Université de Genève, a fait une commu- nication sur l'allaitement maternel et l'importance du rôle joué à ce propos par J. J. Rousseau (voyez plus haut, p. 3i5.)
— Le 9 décembre 1908, au « Comité d'études historiques et ar- chéologiques sur la Montagne Saiaie-Geneviève et ses abords »^. M. Alex. Schurr a fait une communication intitulée Le passage de J. J. Rousseau sur la Montaigne de Ste-Genevieve (!|.
— Le 10 mars 1908, M. Georges Hervé poursuivant, à l'Ecole d'anthropologie de Paris, son cours sur l'histoire de l'ethnographie, a fait une leçon sur L'ethnologie au XVI IL siècle : J. J. Rousseau.
— A Mannheim, le 6 novembre 1908, M"-^ Anna Ettlinger a ou- vert le cycle de ses conférences littéraires par une leçon sur Rous- seau et Tolstoï. Huit jours plus tard, i3 novembre, leçon sur les Œuvres de Rousseau. Compte-rendu dans la Neue Badische Lan- ies-Zeitung des i3 et 20 novembre 1908.
— Pendant le semestre d'été de l'année 1908, M. Gaspard Val- lette a fait à l'Académie de Neuchâtel un cours sur Jean-Jacques Rousseau. Dans sa leçon d'ouverture, qui a eu lieu le ki mai, il s"est efforcé de démontrer que Rousseau, dans ses idées et dans ses sentiments, fut et resta toute sa vie un Genevois, protestant et individualiste, rebelle à la tradition classique de la France.
— Dans le semestre d'hiver 1907- 1908, M. Louis Aguettant, pro- fesseur de littérature française à l'Institut catholique de Lyon, a
:>:)b ANNALES DE LA SOClIiTÉ .1. .1. ROUSSEAU
fait une série de conférences qui ont eu pour sujet : La Aouvellc Héloïse et la vie de J. J. Rousseau ; le lyrisme dans la Nouvelle Heloïse : Rousseau et l'art des jardins ; le " verger de Julie y^.
— Une partie du cours de iM. Izoulet, professeur de philosophie sociale au Collège de France, a été consacrée, dans l'hiver 1908- iqoc), à Rousseau aristocrate.
— Les articles suivants touchant les lieux que Rousseau a illus- trés d'une manière ou d'une autre, ont paru dans l'année 1908:
Ga:fette des étrangers. Genève, 20 juin iqoS : Emile Gaidan. L'Ile Rousseau.
Journal de Genève. 28 novembre igo8 : Henry Correvon, L Ile Rousseau (entretien et végétation).
The Continental Weekly, édition de Montreux, 8 août 1908: H, Villiers Barnett, Rousseau and M^e ^(> Warens at Annecy — her Housenear the Hôtel d'Angleterre — the n petite maman's n Flight from Vevey — authentic Portraits of the Lovers [notamment ce- lui de Rousseau jeune, resté longtemps en possession de la fa- mille Favre, appartenant aujourd'hui au D' Caillies d'Annecy] — qiieer Doings at the Couvent of the Visitation.
Tribune de Genève. 29 novembre 1908: Philippe Jamin, Prome- nades genevoises, La gentilhommière de Thônes (état actuel).
L'Opinion, Paris, 29 août 1908 : C/ze^ Madame de Warens (par X.) (description des Charmettes, le registre et les inscriptions des visiteurs).
Le Savoyard de Paris, 12 septembre 1908: Joseph Blanc, Le Re- venant des Charmettes, nouvelle d'outre-tombe (fantaisie, avec 4 illustrations).
Le Rappel, Paris, 7 novembre 1908: Georges Dangon, Chei Madame de Warens, une heure aux Charmettes.
Le Figaro, Pdrh, i5 septembre 1908: Henri Roujon, Rêverie vénitienne (où l'on cherche à se représenter ce que Rousseau serait devenu, si Montaigu l'avait retenu et fixé à Venise).
L'A:^ione, Lugano, 6 août igo8 : Tullio Ferrari, J. J. Rousseau air isola S. Pietro.
L'Echo de Paris, 17 octobre 1908: Henri d'Alméras, Ermenon- ville ou les Jardins du Philosophe (description du parc créé par Girardin.(
— Les plaintes qu'im de nos membres a fait entendre à notre assemblée générale de 1908, au sujet du mauvais entretien des (xharmettes, n'ont point été vaines. Elles ont ému le présent con- servateur de la maison historique, M. Mars-Vallet. Dans une lettre au Journal des Débats, (voyez le n" du 4 janvier 1909), il
CHRONIQUE 337
rappelle qu'il v a trois ans, la municipalité de Chambéry, con- sultant plutôt son désir de sauver de la ruine cette vieille de- meure chère à tous les lettrés, que les ressources de son budget, et n'ayant pas hésité à s'en rendre acquéreur, une somme de 4,400 fr. a depuis lors été votée par le Conseil municipal et sur la proposition du maire, pour parer aux plus urgentes restaurations. Ces travaux ont d'ailleurs été exécutés sur les avis de M. Berton, architecte des monuments historiques, après l'approbation du sous- secrétaire d'Etat aux beaux-arts, et ils se poursuivent avec le seul souci de respecter et de ne changer en rien le caractère rustique des Charmettes. M. Mars-Vallet ajoute enfin qu'étant lui-même un rousseauiste fervent, il n'est personne venant visiter les Char- mettes qu'il ne tienne à guider en personne dans son pèlerinage.
— A Montpellier, dans le milieu de la rue Jean-Jacques Rous- seau, en face du Jardin des Plantes, se dresse une bâtisse a trois étages, blanchie à la chaux, aux fenêtres étroites, maison an- cienne où, en 1737, habita Jean-Jacques Rousseau. Le souvenir du philosophe dans la ville universitaire de Montpellier était, il y a peu de temps encore, rappelé par une planchette de bois avec mention, appendue à la façade. Montpellier a pensé qu'il fallait commémorer de façon plus digne le séjour de Jean-Jacques Rous- seau. Le 20 décembre 1908, sur la vieille maison, la pancarte en bois a été remplacée par une large plaque commémorative en marbre. Ola fut fait au cours d'une cérémonie très simple à laquelle assis- taient M. Alby, conseiller de préfecture, représentant le préfet; le maire de Montpellier, docteur Pezet; le recteur de l'académie, M.Benoist; M. Bernard, proviseur du lycée ; des conseillers géné- raux et municipaux, des chefs d'administration, etc. Le soin de prononcer le discours de circonstance (intégralement reproduit par Le Midi mondain et la vie méridionale du 17 janvier 1909) avait été confié à M. Pierre Brun, docteur es lettres, professeur au lycée. Voir notamment à ce sujet dans le Journal de Genève du 18 jan- vier 1909, l'article de M. Jean-Joseph Duproix intitulé Le souve- nir de Jean-Jacques Rousseau à Montpellier.
— Le 18 octobre iqo8, on a inauguré à Ermenonville le monu- ment du sculpteur Gréber (cf. Annales, t. III, p. 3o6). Notre co- mité, prévenu trop tard, n'avait pu se faire représenter, mais il avait affirmé sa sympathie par une lettre. La cérémonie s'est dé- roulée sous la présidence du ministre du travail, M. René Vi- viani, en présence des notabilités de la région. Des discours ont été prononcés par le docteur Chopinet, député, président du comité d'organisation, MM. Auguste Castellant, secrétaire géné-
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338 ANNALES DK l.A SOCIÉTÉ .1. .1. ROUSSEAU
rai du même comité, Grand-Carteret, délégué de l'Institut natio- nal genevois, R. Viviani ministre. Au banquet qui a suivi, ont encore pris la parole le docteur Chopinet. MM. Steinbilder (pour le président de la Chambre des députés), Buffenoir, G. Laguerre. H. Bazaud, Dr Pauthier, Castellant, Gabriel Faure. Lafargue, sous-préfet de Senlis, etc. La fête a été complétée par une visite a File des Peupliers, un bal et une illumination. L'Echo républi- cain de Senlis, que dirige notre confrère M. Castellant, en a rendu compte en détail et a publie intégralement le texte des principaux discours dans ses numéros du 25 octobre et diman- ches suivants. Le discours de M. Viviani a été donné par Le Siècle du 19 octobre, la photographie du monument par les Annales politiques et littéraires du 18 octobre et par V Illustra- tion du 24 octobre. Fmfin, outre la plaquette de M. Buffenoir, Causeries familières sur J. J. R(nisseau signalée dans notre Biblio- f^raphie (p. 293), des aiticles de circonstance sur ,/. ,/. Rousseau à Ermenonville ont été publies par MM. Félicien Pascal. Galette de France, 23 octobre, llippolyte Buffenoir. Journal de Genève, If) octobre. Revue illustrée, 20 octobre, J. Lemaitre, Annales poli- tiques et littéraires, 18 octobre, Edmond Pilon, Revue bleue, 3i oc- tobre, etc. Voyez encore, dans la Neue Ziircher Zeilung àuj^ novem- bre, un article de M. R. Kaufmann intitulé f'f'n Rousseau-Denkmal.
— Dans VEcho républicain de Senlis du i^r novembre, notre confrère, M. Aug. Castellant, a annoncé que la tombe de Thérèse Levasseur, au Plessis-Belleville, venait de recevoir une décora- tion digne de la femme de Rousseau. Cette tombe, M. Castellant était seul à en connaître l'emplacement exact. Parles soins du co- mité du monument d'Ermenonville, une grille en fer forge en- tourera désormais le terrain de la concession et le simple monu- ment de pierre dû à la générosité de M. Michel, (^e monument porte les inscriptions suivantes : Sur une face :
Ci-gît la dépouille mortelle de
Thkrksk levasseur
Compagne de J.-J. ROUSSEAL'
Née à Orléans en 1721, decedée au Plessis en 1801.
Sur l'autre face :
Erigé par les soins du filomite du Monument .i.-.I. Rovisseau d'Ermenonville.
Gttncession perpétuelle.
CHRONIQUE 339
L'inauguration, dans Pintimité des amis de Rousseau, a été remise au printemps 1909.
Au sujet de Thérèse et de ce mcmument, il a paru des chroni- ques documentées dans VUnione de Milan, 5 novembre 1908 [Te- resa e Giangiacomo], et dans VEclair de Paris, \^^ novembre 1908 (sous la signature de Georges Montorgueil).
— Un comité vient de se former dans l'Oise dans le but d'éle- ver sur le territoire de la commune de Trie-Château un monu- ment à l'auteur du Contrat social. Il y a quelques années, on avait déjà songé à gloritier dans ce pays le souvenir de Rousseau qui, durant un an, sous le nom de Renou, vécut avec sa femme, Thérèse Levasseur, dans le château du prince de Conti. Mais en raison de la souscription pour l'érection dvi monument d'Er- menonville, on dut ajourner la réalisation de ce projet. Le sculp- teur beauvaisien Henri Gréber, l'auteur du monument d'Erme- nonvdle, a été chargé, une fois de plus, de faire revivre dans une œuvre d'art les traits de Jean-Jacques.
— Dans VEclair du 19 octobre 1908, M. Georges Montorgueil a raconté l'histoire des sabots que Rousseau se serait confection- nés lui-même à Ermenonville. Ces sabots, conservés pieuse- ment par l'aubergiste Giard, M. Montorgueil prétend les avoir vus, il y a une quinzaine d'années chez un de ses descendants, couverts d'inscriptions par les fervents de Rousseau et même assez endommagés par certains disciples trop zélés du philosophe qui en auraient détaché des morceaux en guise de reliques. Une attestation officielle du Conseil municipal d'Ermenonville les accompagnait. M. J. Grand-Carteret a écrit à VEclair du 21 oc- tobre pour signaler que, selon lui, ces sabots avaient eu une toute autre destinée, et qu'un académicien lui avait offert de les prêter à l'Exposition iconographique de Rousseau en i883. Cette discus- sion a été, pour la Chronique médicale du i^r novembre 1908, l'occasion de publier, d'après la Mosaïque de 1874, une gravure représentant les fameuses chaussures. Cf. également Vlntermé- diaire du 10 novembre 1908.
ERRATA DU TOME IV (1908)^
P. 34, n. 4: une heure, lisez: une heure.
P. i56, 1. 6: de son, lise\ : sur son.
P. 277, 1. II : J. L. Goncerut, lisej: I. H. Goncerut.
P. 281, 1. 25: preussichem, lisez: preiissiscliem.
P. 282, 1. 26: Suzanna Rousseau, lise:^ : Susanna Bernard.
P. 283, 1. 27: après traduction, ajoute:; : abrégée.
P. 286, 1. 25 : Nietzche, lise^ : Nietzsche.
P. 291, 1. 21 ; 293, 1. 14; 336, 1. 33: Bookmatui, lisez: Bookman.
P. 294, 1. 17 : portrait, lise-;: portraits.
P. 294, 1. 33 ; XVI, lise;: xx.
P. 295, 1, 24: centres, lise:; : cendres.
P. 299,1. 3i-32. Article paru précédemment dans la Revue hebdo- madaire du 28 décembre 1901, p. 385-40o, sous ce titre: A propos d'un testament de J.-J. Rousseau. Il était alors signé du pseudonyme «M. Guilland » et accompagné de deux portraits.
P. 299, 1. 36: 7 juin, lise:;: 27 juin.
P. 3 14, 1. 32 ; du, lise:;: de.
P. 3x4, 1. 35-36: bourgeois de Genève, lise:;: bourgeois de Lyon.
P. 3x4, 1. 38: livre III, lise;: livre VII.
P. 3i5, 1. 4. Ajoute:;: 34. Notice sur Camille Basset de Ghâteaubourg, nommé dans une lettre (7 janvier ijjo; Œuvres, t. VI, p. 94) à M. de la Tourrette, dont il était le neveu. — i28-x35. Notices sur divers mem- bres de la famille Claret de la Tourrette de Fleurieu qui furent en relation avec Rousseau. (Cf. Annales, II, 172.) — 170-171. Notice sur ctienne Delessert, mari de Madeleine-Catherine Boy de la Tour, « l'adorable Madelon, » la « chère cousine » de J.J. (Cf. Annales, II, x88- 189.) — 285-287. Notice sur Claude Gros de Boze, secrétaire de l'Aca- démie des inscriptions et belles-lettres, membre de l'Académie fran- çaise, etc., pour lequel Rousseau, allant se fixer à Paris, avait une recommandation. A l'époque (1742) où Jean-Jacques, « campagnard » intimide, dînait quelquefois chez l'académicien, celui-ci était âgé de soixante-deux ans, et sa femme, née Imbert de Cangc, qui « aurait été sa fille » (Confessions, VII), « brillante et petite-maîtresse, » n'en avait
> La plus grande partie de cet errata est due à M. Théophile Dufour, à qui nous exprimons nos remercîments. Nous continuerons à accueil- lir avec reconnaissance toutes les menues corrections ou additions que nos confrères veulent bien nous proposer. (Commission des publicatiojjs.j
ERRATA
341
que trente-deux. — 344-346. Notice sur Charles-Jacques Le Clerc de Frêne, seigneur de la Verpillière, prévôt des marchands de Lyon de 1764 à 177 1, marié à Catherine Boesse, petite-fille du « noble et géné- reux » Camille Perrichon. D'après H. Coignet, il fit représenter, en 1770, à l'Hôtel-de-Ville, Pygmaliun et le Devin du village, en présence de l'auteur, et M"'« de la Verpillière, « femme très spirituelle, » échan- gea des lettres avec Rousseau.
P. 3i5, 1. 36: en i\^ l'a, ajoute :{: ti i8ig.
P. 3i6, 1. 38: Thône, lise:{: Thônes.
P. 317, 1. i3: Études, XIII, lisez: Études, XII.
P. 317, 1. 16 : une heure, lise:[: une demi-heure.
P. 317, 1. 3i : Étude XIII, lisez: Étude VIII.
P. 3ig, 1. 6 et suiv. Dès 1826, Aimé Martin introduisait dans VEssai le véritable texte du second billet de Rousseau, daté du vendredi 3 \corrige:{ : vendredi 2] août 1771, et il donnait aussi en note [Œuvres, t. XII, p. 41) le premier billet, « ce vendredi matin, très à la hâte, » que Bernardin s'était borné à mentionner en quelques mots. Ces deux lettres sont publiées d'après les originaux, « retrouvés depuis la pre- mière édition» [18 19] de V Essai.
P. 3ig, 1. 24: je vous rernercie, //se^ : je vous en remercie.
P. 3 19, note, 1. 3 : lettre à M..., 7 déc. 1763, lise:{: lettre à Dom Deschamps, 25 juin 1761 (Emile Beaussire, Antécédents de l'hégélia- nisme dans la philosophie française, i865, p. i5i-i54).
P. 322, 1. 27: Darciaux, lise^ : Darcusux.
P. 322, 1. 27 : Au titre, lise^: Sur la couverture.
P. 322, 1. 28: au faux-titre, lise^: au litre.
P. 324, I. 18: Paris, lisez: Paris.
P. 324, 1. 3o : Dec.ïn, lise^ : Decaen.
P. 325, note, 1. 2 : Ajoute^ : et dans le Lyon médical du 12 janvier 1908; tirage à part, Lyon, Association typographique, 1908, [ii-]i2pp.
P. 326, P. 326, P. 33o, P. 332, P. 333, 334, 334, 335, 335, 335, 335, 335, P. 335, P. 335, P. 335, P. 335, P. 336, P. 336,
9: a;7;-è5 spasmodique, ay'oM/e^ ; obsédante. 29: Philomatique, lisez : Philomathiquc. 8 : Heines, lise:[ : Heine. 14: i5 avril, lise:{:ib août. 10 : Ponverre, lisez : Pontverre. 8: i85i, lise:^: 1846. 25: i3 avril, lise:{ : 20 avril. 7 : 1767, lise^: 1768.
i2-i3; 337, 1. i5 : languages, lisez: language . i5, 17 ; 344, 1. 3o : Valette, lise:[ : Vallette. 17-18: après Bibliothèque universelle, ajoutez : avril. 20: Allegemenen, lisez: Allgemeinen. 25: Niewe, lisez: Nieuwe. 28: janv.-mars, //sef : janvier. 29 : Ch. G., liseï: Ch. G[ideJ. 3i : oct.-nov., lise:^: oct.-déc. 6 : D' S. J., lise^ : D' S. Jankelevitch. i^: après 14 avril, ajoute^: (A. Aulard).
042 ANNALES DE LA SOCIETE .1. .1. ROUSSEAU
P. 337, 1. 27 : 28 avril, lisc^ : q mai.
P. 342, 1. 3-8. On connaissait depuis longtemps la lettre « inédite » à De Luc, du 29 mars 1/38. l-^llc avait été déjà en grande partie pu- bliée, à deux reprises, lorsque le journal L'Ordre, du 21-22 avril i85i, la donna intégralement, a\ec quelques inexactitudes. Dans le texte, meilleur, de la Chronique médicale (i^'' février 1907, p. 88), il manque un paragraphe. — Le fac-similé du g 3, inséré dans la même revue (i" janvier 1900), est suivi d'une signature <( .1. J. Rousseau », qui n'existe pas à la fin de cette lettre et a été prise ailleurs.
P. 342, 1. 9: BoUetino, lisez : Bollettino.
P. 342, 1. 20: 1493, //ir^: 1493-1496.
P. 342, 1. 3i. Notre confrère, le docteur 0. Adler, de Berlin, veut bien nous informer qu'il possède un exemplaire de la même plaquette, relié avec différents libretti ayant servi pour des représentations royales. Le Devin y est imprimé à partir de la page 23, à la suite de Zclindor, roi des Sylphes, musique de Rebel et Francœur, qui fut représenté le même jour devant le roi et dont M'"* de Pompadour tint également le principal rôle, celui de Zelindor.
P. 343, 1. 24-33. Sur cette manifestation, voy., dans \q Journal de Ge- nève du II juillet 1878, un article de M. Eug.-A. Poney, qui contient le discours prononcé alors par le prof. Bâillon : " .1. .L Rousseau bota- niste» et une note de M. J. Grand-Carteret, dans son ./. ./. Rousseau jugé par les Français d'aujourd'hui, Paris, 1890, p. xix.
P. 343, 1. 34: Bletton, lise^ : Bleton.
P. 344, 1. 6, ajoute::;: Le docteur Adler a aussi publié dans le même journal, 14 mai 1907, un article intitulé: ./. ./. Rousseau als Mtisiker.
P. 344, 1. 19 : p. , lise:{ : p. 299.
P. 344, 1. 20: 23 mars, lise:{ : 23 mars.
P. 345, 1. 35-36: la phase, lise^: le phare.
P. 347, 1. 19: p. , lise\:p. 323.
P. 347, 1. 24: le Recueil, lisez: les Séances el travaux.
P. 347, 1. 33 : 16 février au 21 mars, lise:^: 16 janvier au 20 mars.
P. 348, 1. 4-3 : Résumé, lise:^ : Résumés.
P. 349, 1. 17: de Vogué, lise^: de Vogué.
P. 33o, 1. 29: commençons, lise:; : commençons donc.
P. 35o, 1. 35 : à sa patrie, lise:; : à la patrie (texte de Rousseau. H, 3).
P. 35o, 1. 36 : il leur fait, lise^: il lui fait (id.)
P. 35o, 1. 38 : périr, lise:; : mourir (id.)
P. 35o, 1. 40: l^es grâces trop fréquentes, lise;: Les fréquentes grâ- ces (id.)
P. 33 I, 1. Il ; chapitre Vlil, ajoute:;: du livre IV.
1*. 33 1, 1. 17 : ou sujet, lise:; : ni sujet.
P. 35i, 1. 3o-3i : 5 janvier 1907, lise:;: 5 janvier 1906.
P. 352, 1. T : le Matin, ajoutez : (de Bruxelles).
P. 352, 1. 16 : P. Carrier- Belleusc, lise:^ : Louis Carrier-Hellcuse.
P. 36o, 1. 9: 281, lise:;: 282.
P. 36o, 1. II, 17: 324, lise:;: 323,
P. 36o, \. 35 : 359, lise:; : 354.
TABLE DES MATIÈRES
Pages
Le texte de la Nouvelle Heloïse cl le> éditions du
XVII1= siècle, par Daniki. Mornet i
Recherches sur les sources du Discours de V Inégalité, par
Jean Morel 119
Romantique, par Alexis François 109
Une lettre inédite de Jean-Jacques Rousseau à M. de
Bonac, par Philippe Godet 237
Menus détails sur Jean-Jacques Rousseau, par Philippe
Godet 241
Rousseau à la Grande Chartreuse (epitre inédite), par
Pierre- iMaurice Masson 247
(Contribution à l'étude de la prose métrique dans la A'oz/-
ve//e //e7oJ'5e, par Pierre-Maurice Masson. . . 239
Le peintre G. F. Maver, par le Comte dk Girardix . . . 278
BIBLIOGRAPHIE
Complément pour la bibliographie de 1907 277
Bibliographie de Tannée 1908 278
Allemagne, p. 278 — Angleterre, p. 283 — Belgique, p. 291 — Espagne, p. 291 — France, p. 292 — Hon- grie, p. 3i2 — Italie, p. 3 12 — Russie, p. 3i3 — Suisse, p. 314.
Par B[ernard| B|oL'Vier|, MaxjimilienI Bukkenoir, L.-J.C[ourtois],Th|è;ophile| D[ukoijr], A|lexis1 P'|ran- çois], L[ucien] P[invert|, G|aspard|V|allette], Ch[ar-
LES] W[eRNER|.
Il est parlé des ouvrages de O. Adler, 284 — R. Alta- mira, 291 — J. \an den Arend, 21)1 — G. Audigier, 3o6 — L. Aurenche, 3o() — G. d'Avenel, 3o() — J. Bar- bey d'Aurevilly, 292 — A. Bazaillas, 292 — Bibliophi- lon, 3 16 — O. Bogdànt'y, 3i2 — P. Bonnardot, 293 — M. Boy de la Tour, 316 — H. Buffenoir, 293 — F. Caussy. 3(»8 — E. (Champion, 3o8 — A. Ghuquet, 3o8 — J. Ch. (CoUins, 287 — G. Compayré, 289, 294 — H. Correvon, 3i6 — L. Credaro, 3i2 — (J. Del Vec- chio, 3i3 — L. Deshairs, 294 — A. D'Espine, 3o<). 3iG —
.->44 TABLE DES MATIERES
Duchesse de Dino, 294 — J. Drùmar, 278 — A. Du- bois, 317 — L. Ducros, :î94 — E. Faguet, 2g5 — A. Faure, 2q5 — D' Fernel, Soq — M. Foresi, 3i3 — Baron de Frénilly, 295 — H. Gaillard de Ghampris, 29(5 — Gomte de Girardin, 297 — Ph. Godet, 3o5, 317
— H. Grev Graham, 3i4 — ¥. Gribble, 289, 290 — P. Heresco, 3io — R. P. Jago, 289 — H. .lahn, 279
— O. Karstaedt, 2S4 — M. Kircheisen, 279, 281 — \V. Kûchler, 282 — H. Labonne,3io — M. A. Leblond, 3 10 — F. Macdonald, 285 — Marat, 3oo — M. Mas- son, 3 10, 3i8 — R. Mondolfo, 278 — Baron Morand, 277 — Gh. N., 3i 1 — L. N., 3i3 — E. Oppel, 284 — G. Pagliara, 3i3 — E. Parisot, 292 — E. Pilon, 3oo
— J. Reinke, 278 — G. de Reynold, 3i8— A. Ribera, 3i2 — H. Roujon, 3oo — M. Salomon, 3oi — Ad. de Saussure, 3i4 — M. Schill, 3ii — E. Seillière, 3oi — .1. Steeg, 283 — Stendhal, 3o2 — J. Tiersot, 3o4, 3i2
— O. fwiehausen, 283 — E. Vallas, 3o4 — Ch. Vel- lay, 3oo — E. M. de Vogué, 297 — Voltaire, 3o8 -- G. Vorberg, 284 — L. Wittmer, 3i5 — E. Worthing- ton, 285 — T. de Wvzewa, 3o5 — E. Zabel, 283.
Revue des bibliographies 3 18
GHRONIQUE
P^xtrait des proces-verbaux des séances du Comité . . . 323
Archives Jean-Jacques Rousseau 325
Albert Jansen (1833-1909), notice nécrologique, par EuGiiNK
RiTTER 32(3
(Chronique générale 329
Errata du tome iv (1908) 340
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