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HISTOIRE

DR LA RESTAURATION

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PROTESTANTISME EN FRANCE

AU XVIII' SIÈCLE

Lanteur et l'éditeur déclarent se réserrer les droits rje irudi'r lion et de reproduction.

Paris. - Typ. <lo Cli, Meyrueis, 13 rue Cujas. ISTi

ANTOINE COURT

HISTOIRE

LA RESTAURATION

PROTESTANTISME EN FRANCE

AU XVIII'' SIKCLE It'APRÈS IfES HOCUMENTS TNÉMTS

EDMOND HUGUES

TOME DEUXIÈME

PARIS

MICHEL LÉVY FRÈRES, ÉDITEURS liUE AUBER, 3, PLACE DE l'OPÉUA

LIBRAIBIE NOUVELLE

IlOUI EV\riI> DHS ITALIENS. 15, AC COIN DK l,A IlTE IIS r,RA11MCI>T

187-2

ANTOINE COURT

HISTOIRE

DE LA RESTAURATION

DU

PROTESTANTISME EN FRANCE

AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE

CHAPITRE PREMIER

SÉJOUR d' ANTOINE COURT A LAUSANNE 1730-1744

Lausanne, au dix-huitième siècle, se trouvait en- core sous la domination bernoise. En 1536, après la guerre de François l" contre le duc de Savoie, Berne trouvantl'occasion favorable, s'était emparée du pays de Vaud et l'avait g-ardé. Sa domination était bien un peu dure et ses baillis tyranniques ; mais elle était puis- sante, respectée par les Etats voisins, assez indépen- dante vis-à-vis de la France, et Lausanne protégée, défendue, supportait sans impatience le joug- que Nse- geli vainqueur lui avait jadis imposé. Tout récem- II 1

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LAUSANNE AU DIX-HUITIÉME SIÈCLE

ment le major Davel « ce fou sublime » avait essayé de délivrer sa patrie, et il avait généreusement sacrifié sa vie dans cette noble entreprise Lausanne, indiffé- rente , avait assisté à sa mort ; elle y a\ ait même ap- plaudi.

Cette ville cependant, quoique asservie, sujette, et, malg-ré cela, un peu hautaine, était chère aux protes- tants de France. Comme Genève , comme Berne , sa suzeraine, qui avait offert une si larg-e hospitalité aux réfugiés , elle avait , à l'époque de la Révocation se- couru très-charitablement les malheureux qui s'étaient retirés dans ses murs. Ses pasteurs avaient organisé des collectes ; des distributions de pain et de bois avaient été faites chaque jour ; l'ancien évêché était devenu un hôpital l'on avait reçu tous ceux qui n'avaient pu trouver un abri dans les maisons des par- ticuliers. Beaucoup de Français, les plus riches sur- tout, y avaient fixé leur séjour. Depuis la Régence et la promulgation de l'édit de 1724, de nouvelles fa- milles s'y étaient réfugiées. C'étaient les de Saïgas, les de Richaud, les Briatte, Teriui, Fraissé, Andra, Hol- mède, Nogarède, Massip, Roger ; on eu comptait plu- sieurs autres^. On aimait cette ville française de mœurs et de langag-e, qui était plus éloignée de la frontière que Genève , et l'hospitalité était donnée généreuse- ment, sans ennuis, vexations, à l'abri des tracasseries de la France.

» En 1723. V. l'intéressant travail de M. Olivier. Etudes d'his- toire nationale. Lausanne, 1842. In-8.

V. Revue suisse, t. XIII, p. 361. Lausanne , centre protestant, au dix-huitième siècle, par F. A. de Charrière.

COURT SE FIXE A LAUSANNE

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Voilà pourquoi Antoine Court, malg'ré ses anciennes relations, ne se fixa pas à Genève, mais vint à Lau- sanne. Un autre motif infliia d'ailleurs sur sa dé- termination. C'est dans cette ville qu'étudiaient les jeunes proposants des provinces protestantes, et n'était- ce point pour veiller sur eux, dirig-er leur conduite, les préparer au ministère, qu'il s'était décidé à quitter le Lang-uedoc ? Il n'y avait même point de place au doute, à l'hésitation. Lausanne était nécessairement le but de son voyage, le lieu de son séjour.

Au mois de novembre 1729, il y était définitivement installé. Il avait fait choix d'un petit log-ement retiré, propre, agréable, dans la rue de la Madeleine, et qui ressemblait beaucoup «à un ermitag-e'. » Là, dans cette ville , dans cette maison il allait passer la seconde partie de sa vie ^.

Déjà son nom était connu, presque célèbre. Aussi, lorsqu'il arriva dans la vieille cité épiscopale, fut-il en- touré d'amis dévoués, d'hommes éminents. « Plusieurs messieurs et dames nous ont fait l'honneur de nous vi- siter, entre autres, mesdames de Gandar, le Juge sei- g'ueur, de Teyssonière, de Camus, de Vallotte... quel- que autre ministre et quelques messieurs » Parmi ces visiteurs , on devait , sans doute, compter encore les membres du comité vaudois qui dirigeaient le séminaire récemment fondé : Polier, le major de Montrond , les autres. Que de fois Polier n'avait-il point parlé de lui

» 7, t. III, p. 369. (Nov. 17£9.)

* Cette maison existe, et le souvenir du séjour d'Antoine Court y est encore conservé.

» N" 7, t. III, p. 375. (Nov. 1729.;

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LA FAMILLE DE MONTKOND

avec les étudiaut.s, de ses courses, de ses travaux ; c'était une amitié datant de loin, née de conversations particulières, sans qu'ils se connussent, solide cepen- dant et que le temps devait encore fortifier. M. de Montrond un ancien réfug-ié était un homme de cœur et de dévouement * . Court avait autrefois et dans des circonstances assez curieuses, fait la connaissance d'un membre de sa famille. En 1714, tout jeune encore, s'étant arrêté dans un village du Dau})liiné pour y copier le catéchisme de Drelincourt, il vit tout à coup entrer dans la maison il travaillait un g-rand person- nage chamarré d'argent, l'épée au côté, et le fusil sur l'épaule. Le personnage ouvrit le livre avec autorité, parut mécontent. Deux autres gentilshommes arri- vèrent bientôt. Court s'effraya. Il pensa que c'étaient des officiers venus pour l'arrêter, et, se rapprochant peu à peu de la porte, il allait s'enfuir, lorsqu'il vit le ca- non du fusil braqué sur lui. Il s'arrêta. Le mystérieux personnage s'approchant alors avec ses deux amis : « N'ayez point peur, lui dit-il, nous ne sommes point ici pour vous faire du mal. Nous savons qui vous êtes et

1 Sur M. de Montrond, M. J. Chavannes, qui connaît si bien tout ce qui concerne le Refuge, nous a transmis les renseignements sui- vants :

« Charles de Montrond paraît s'être établi h Lausanne peu après la Révocation. Il figure au nombre des réfugiés haliitant cette ville sur une liste dressée par ordre de l'autorité en 1693. Cinq ans plus tard en 1698, dans un catalogue plus complet et renfermant des détails plus circonstanciés, il est désigné comme étant originaire du Viva- rais, âgé de quarante-quatre ans, et père alors de huit enfants. Sa femme, Marie de Beaulieu, était alors âgée de trente-cinq ans.

« Dans une liste des membres de la chambre des pauvres réfugiés, en 1709, M. de Montrond figure comme en étant alors le modérateur Il en faisait sûrement partie depuis plusieurs années. »

AMIS ET BIENFAITEURS 5

nous avons trouvé le maître du log-is qui allait sans doute donner avis de quelque assemblée que vous devez con- voquer chez les protestants d'un tel lieu. M.ais vous ne faites pas sag-ement de vous tenir dans cette maison qui est suspecte... croyez-nous, ne faites pas ici un plus long' séjour. » Et il partit. L'auteur de cette ter- rible plaisanterie était un M. de Montrond qui revenait de la chasse avec deux jeunes g'ens, ses amis *. Il lui avait paru curieux de mettre à l'épreuve le courage d'un prédicant.

Ce concours bienveillant d'hommes de mérite et influents ne fut point inutile à Antoine Court. Il avait déjà trois enfants : deux filles, un g-arçon; il venait d'être père d'un second fils ^. Sa famille était nom- breuse et ses revenus médiocres. Encore que sa femme ne fût pas sans fortune, elle avait été obligée de ven- dre ses biens, quand elle avait quitté la France, et elle n'en avait pas encore reçu le prix. Il était donc gêné et presque sans ressources,

M. de Montrond le recommanda à la générosité du gouvernement bernois, et Duplan, le député géné- ral, écrivit en sa faveur à Zurich ^. La lettre de ce dernier était pressante; produisit-elle quelque effet? On ne sait. Mais Berne accorda bientôt au jeune pré- dicant une pension annuelle de cinq cents livres Quelques amis avaient obtenu cette faveur par leurs sollicitations. C'étaient Grooss, Dachs , Hacbrett,

1 N" 46, cah. I.

2 N" 7, t. III, p. 287. (Dec. 1729.)

3 N"!, t. VI, p. 333. (1730.) N- 36, p. 21. (Mai 1730.;

6 VOYAGE A BERNE

hommes jouissant d'un g-rand crédit à Berne, illustres personnag-es qui ne cessèrent toute leur vie d'honorer Court de leur amitié.

Le jeune pasteur du Désert contribua de son côté à ce résultat. Il s'était, quelque temps après son arrivée, rendu dans la ville suzeraine et y avait prêché. Ses prédications eurent un immense succès. Berne tout entière accourut pour les entendre, et de tous côtés on lui écrivit pour l'en féliciter. Un M. L'Huillier lui disait : « Je suis ravi d'apprendre que votre ministère est aussi bien goûté dans le pays vous êtes, et il y a plus de savants que chez ceux que vous avez eus \ » C'était un sentiment général de satisfaction. Antoine Court, encouragé, resta quelque temps à Berne, prêchant, cherchant des bienfaiteurs pour le séminaire et les protestants de France, éveillant les sympathies et les amitiés. Puis, il revint à Lausanne le prestige de son nom s'était déjà accru, et il espérait réahser tous ses rêves.

Un triste événement le plongea dans le deuil, dès son retour. L'aîné de ses enfants, une fille charmante, mourut subitement. Elle avait sept ans à peine. Ce fut un coup très-douloureux pour lui, mais qu'il sup- porta avec une résignation admirable. « L'innocente et rapide carrière, qu'a terminée l'enfant dont nous pleurons la perte, l'a mise, comme vous le dites si bien, à couvert des maux, des attaches et des traverses de ce monde le plus beau de nos jours n'est que fâcherie et tourment ^ » Aussi bien, il était fait à la

1 1, t. V, p. 537. (Sept. 1731.)

2 7, t. III, p. 529. (Août 1731.)

DEUILS DE FAMILLE 7

douleur. Tout récemment , il avait perdu sa mère , cette sévère et excellente femme, qui l'avait dans son enfance entouré de tant de sollicitude, et qui, la pre- mière, lui avait inspiré ces profonds sentiments de piété il avait puisé sa force -. Peut-être, durant sa vie, l'avait-il un peu nég-lig-ée, et elle s'en était plainte. Ses lettres, disait-ellè, étaient trop rares, elles parais- saient froides et les expressions en étaient forcées, trop recherchées. Cependant, si le soin des Egdises absor- bait ses loisirs, il n'avait jamais senti dépérir sa ten- dresse. Cet homme, tout action, était aussi tout amour. L'amour était la flamme latente qui l'animait.

Il n'eut jamais cependant une joie complète, et toutes ses afl:ections furent douloureusement mises à l'épreuve. Il eut encore un fils, mais qui mourut de la petite vérole, ainsi qu'un de ses frères, en 1736. De cette nombreuse famille il ne resta plus qu'une fille et un jeune g"arçon, plein d'intellig-ence et d'ardeur, que sa mère avait été obligée de laisser en France, lorsqu'elle s'était enfuie, et qui n'était venu en Suisse, qu'en 1730, accompag-né de Bombonnoux -.

Ce jeune enfant qui devait plus tard devenir célèbre sous le nom de Court de Gébelin ^, émerveillait déjà ceux qui l'entouraient par la vivacité de son esprit et sa précoce intellig-ence. Son père, pour l'instruire, prit un précepteur dans sa maison et lui fit donner des leçons par différents maîtres. Grosses dépenses, et qui excitaient les plaintes de « Rachel. » Leurs affaires

» N- 12, p. 289. (1730.)

« N" 7, t. III, p. 208. (Sept. 173G,)

3 Gébelin était, on se le rappelle, le nom de sa mère.

8

COURT DE GÉBELIN

domestiques avaient en effet subi des 'échecs; leur capital était en mains « gluantes » et ils n'en pou- vaient rien retirer. « A la bonne heure, disait Rachel, si les dépenses n'excédaient point le revenu qu'il a plu à la piété de LL. EE. de nous assig-ner; mais toute notre économie, dirai-je mieux, notre lésinerie, mais lésinerie nécessaire, n'a pu empêcher que les deux années dernières n'aient englouti la pension de trois ' . » L'éducation du jeune enfant ne souffrit pas cependant de cette gêne momentanée. Antoine Court se complai- sait à voir grandir son fils dans la science; il avait compris qu'un siècle s'ouvrait toutes les carrières pourraient être parcourues par les hommes de savoir, et 011 l'opinion publique décernerait le prix aux plus méritants. Et lui, dont la tète était mise à prix, lui proscrit, fils de proscrits, il aimait voir son image dans celle de son enfant; il espérait être un jour réhabilité en lui, par lui, et se persuadait que ce siècle dont le commencement avait été pour le père un siècle de douleurs et de persécutions, serait, vers la fin, pour le fils, uu siècle de relèvement et de triomphe. Cette persuasion faisait sa joie. Au milieu des ennuis et des tristesses présentes, elle le soutenait, le consolait.

Depuis le jour en effet il avait quitté les Eglises de France, il était sans cesse calomnié. Les protestants ne lui pardonnaient point son départ précipité, et l'ac- cusaient sinon de lâcheté, du moins d'un amour exces- sif pour le repos. En Suisse même, son arrivée avait étonné, presque indisposé ses anciens amis. Duplan

» N- 7, t. III, p. 209. (1737.)

JJÉCONTENTEMENT DES ÉGLISES 9

lui écrivait : « On est .siu'j)ns de ce que vous fassiez venir ce manteau noir, puisqu'il ne convient du tout pas que vous paraissiez sous l'habit de ministre, à moins que vous ne vouliez abandonner le service des Eglises de France et que vous ne vouliez causer beau- coup de rumeur sur votre conduite » Et ailleurs, après la réception d'une lettre de Corteiz : « D'un côté, vos compagnons d'œuvres vous appellent et les Eglises vous désirent, de l'autre une femme et des enfants vous retiennent ; c'est à vous d'examiner ce qui vous doit le plus tenir à cœur ^. » Duplan, comme les Eglises, comme les fidèles, voyait évidemment avec peine la conduite de Court. Quelques-uns allaient jus- qu'à lui dire : « Croyez-vous, Monsieur, que quand Dieu vous a donné cette semence, c'était pour la por- ter où l'abondance est? Non, certainement. Elle est destinée est la disette, et cependant vous faites tout le contraire. Croyez-vous de bonne foi, que quand Dieu nous demandera les âmes de ces pauvres gens qui se seront perdus, notre femme ni nos enfants nous excuseront-ils ^? » Enfin, au mois d'août 1730, les Eglises, officiellement, mandèrent à leur ancien pasteur de revenir au milieu d'elles. C'était une longue lettre, on lui rappelait ses engag*ements, le besoin de son ministère, les fruits de ses travaux, l'honneur de sa réputation, les grâces de Dieu, et son talent. Elle était .si- gnée par tous les pasteurs et proposants de la province''.

> N" 1, t. V, p. 297. (1730.) 2 Ihid., ]). 323. (1730.) » Ihich, p. 217.(1730.) * N" 1, t. VI, p. 449. (1730.)

10 SITUATION PÉNIBLE

Court n'écouta rien ; sa détermination était inébranla- ble. Il écrivit à Corteiz ;

(I Je porte dans mon cœur toutes nos chères Eglises, et je m'in- téresse vivement à leur bonlieur. Je n'ai pas entièrement re- noncé à leurs services; mais des raisons qui me paraissent intéressantes m'empêchent d'exécuter, pour le présent, les bons desseins que je conserve pour elles. J'espère que si le Seigneur 11)' appelle encore à le servir, il me le fera connaître et ménagera les circonstances, en sorte que je n'aurai aucun lieu d'en douter et que je suivrai sa volonté sans peine et sans contrainte. Je me recommande là-dessus à vos prières. Qu'on est heureux, mon cher frère, quand on peut se rappeler avec plaisir les motifs qui nous ont déterminé à faire à Dieu et au service de son Eglise, le sacrifice de nos veilles, de notre repos et de nos vies, et qu'on n'a rien à se reprocher sur sa retraite! Grâces à tes miséricor- des, ô mon Dieu! je me trouye dans cette heureuse situation, et si je n'ai pas fait autant que j'aurais pu et que j'aurais dû, comme, hélas ! il n'est que trop vrai, ma conscience au moins me rend ce témoignage que mes intentions ont été pures et mes vues dignes de l'excellence de ma vocation. C'est la gloire de Dieu, c'est le bonheur de son Eglise qui ont dirigé mon sacri- fice et mes courses. Si je me repose aujourd'hui, ce n'est point dans des intentions moins pures »

Cependant, ce n'était point avec une entière satis- faction qu'il jouissait de son repos. Il avait beau s'épui- ser en protestations de dévouement, on ne le croyait point, on lui suscitait des embarras, des ennuis. Tout d'abord, les Eglises lui avaient fait une pension ; main- tenant, sur les instigations de Roux et de Boyer, elles la lui retenaient. Il y avait plus. On allait jusqu'à garder ses livres, ses chers livres, qu'il avait laissés en France; on refusait de les lui envoyer-. Ces misé-

» N" 7, t. III. p. 467. (Août 173a.) 2 Ihid., p. 476 (Nov. 1730.)

DÉVOUEMENT D'ANTOINE COURT II

rables querelles devenaient intolérables, et il était temps de les faire cesser. Court y travailla, en mettant en exécution ses divers desseins, et en prouvant par des services quotidiens, incessants, qu'il ne s'estimerait jamais heureux, qu'il n'eût adouci la triste condition de ses corelig'ionnaires.

On le voulait partout et partout il volait.

Ce vers que Pictet, le fils de l'illustre Pictet, avait un jour, en plaisantant, fait sur Antoine Court, dit assez bien quelle fut sa vie pendant son long- séjour en Suisse. Surcliarg-é d'affaires, presque toujours la plume à la main, souvent en courses et en marche, écrivant des apologies, recourant aux uns et aux autres, multi- pliant les conseils , recueillant les réfug'iés , écrivant l'histoire des Eg-lises, leur cherchant des protecteurs, il passa quinze ans dans sa retraite de Lausanne, n'ayant d'autre pensée que pour ses frères sous la croix, d'autre but que le soulag-ement de leurs mi- sères.

En 1730, Bombonnoux était arrivé en Suisse. Il était vieux, brisé, incapable de continuer son difScile et périlleux ministère. Ce vieux serviteur était à bout de forces : il demandait un asile pour mourir en re- pos. Duplan à qui il s'était adressé, le lui avait promis. C'était bien au prédicant, qui, depuis le commen- cement du siècle, à travers mille dangers, tour à tour compagnon de Cavalier et compagnon de Court, n'a- vait cessé de combattre pour son Dieu et pour la li-

» 7, t. III, p. 476. (Nov. 1730.)

12 BOMBOXXOUX ET FAI RE

berté. Mais Duplan était parti, et Bombonuoux n'avait rieu obtenu. Court écrivit à Berne , supplia pour son ami. On lui fit bientôt espérer que Bombonnoux aurait une pension qui lui permettrait de rester en Suisse et d'élever des enfants dans quelque villag-e du pays de Vaud ' . Cette pension fut-elle accordée ? C'est peu pro- bable. Quelque temps après en effet, Court remerciait un personnag-e de ce qu'il faisait subsister son ami par sa g-énérosité et ses libéralités -.

Plus tard, en 1737, un prédicant du Daupliiné, tra- qué par les troupes, poursuivi, et malade, se réfug-ia en Suisse. Il se nommait Faure. Il avait été dix ans proposant et cinq ans pa.steur : il était sans arg-ent et sans ressources. Court en écrivit, à Berne, au doyen Dachs qui s'occupait avec beaucoup d'activité des pro- testants de France, peig'nit sa situation en couleurs fort vives, et réclama des secours pour ce malheureux homme « qui n'avait rien que ce que la Providence lui donnerait, pour subsister » Sa requête fut écoutée, et Faure obtint un secours qui lui permit de vivre à Lausanne.

On ne pouvait cependant faire sans cesse appel à la g'énérosité de LL. EE. de Berne : elle devait avoir un terme. L'entretien d'ailleurs des pasteurs que la per- sécution ou la maladie oblig-eait à fuir, réclamait un fonds considérable et des revenus certains. Voilà pour- quoi, vers 1740, Court se décida à parcourir les pays protestants, pour procurer, s'il était possible, quelque

1 1, t. V, p. -21. (Sept. 1730.) « N" 7, t. IV, p. 31. (1731.) s 7, t IV, p. 195. (1737.)

LES FUGITIFS 13

argent aux prédicants qui desservaient la France et à ceux qui se réfug-ieraient à l'étrang-er. Il fit part de son dessein à ses amis de Berne. Hacbrett consulté lui fit entendre qu'il devait renoncer à son projet ' ; il lui manda que LL. EE. ne lui accorderaient pas la lettre de recommandation qu'il réclamait, et que la Hollande, aussi bien que l'Ang-leterre , craig'uant d'être dés- agréables à Louis XV, se g-arderaient de lui donner les moindres secours ^. Court devant cette opposition aban- donna son dessein ; il fut oblig-é de continuer avec ses minces ressources l'œuvre de bienfaisance qu'il avait or- ganisée pour venir en aide à ses malheureux frères.

Secourir les pasteurs, c'était peu de chose. Mais combien de malheureux, sans pain, sans asile, jetaient chaque jour à l'étrang'er les rigueurs de la persécution ! Les affamés, quêtant et mendiant, abondaient dans les rues. Parfois c'étaient de malhonnêtes gens, usur- pant un faux nom et se prévalant de souffrances qu'ils n'avaient jamais endurées; presque toujours c'étaient de nobles et touchants infortunés. Court ne pouvait pas suffire au nombre des malheureux qui frappaient à sa porte ; il était obligé de les renvoyer ou de les recommander à d'autres per- sonnes. Mais sa position était délicate. Il touchait lui- même cinq cents livres du g-ouvernement de Berne, et il ne pouvait que fort difficilement faire appel à lagénéro-

De Trey, à qui il en avait aussi écrit, comme Hacbrett, le détourna de son projet. 11 lui disait, d'ailleurs, que LL. EE. contribueraient tou- jours au soulagement des malheureux, et que les pasteurs bien recom- mandés ne cesseraient d'exciter de la compassion. N" 1, t. XII, p. 457. (1740.)

2 N" 1, t. XII, p. 485. (1740.)

14 LES MARIAGES AU DÉSERT

sité de ce même g-ouvernement. C'est ce qu'il expli- quait au pasteur Vial de Geuève, un jour que des fugitifs étaient venus implorer sa protection, et qu'il avait été obligé de les faire recommander à LL. EE. par Un personnag'e de ses amis.

Il ne faut pas cependant croire (|ue le rôle d'An- toine Court se bornât à secourir les malheureux ré- fugiés. Avant toutes choses, il s'occupait de ceux qui étaient en France, y vivaient, y souffraient. Tl leur en- voyait des livres', apaisait les différends, conseillait, exhortait ; il continuait par ses lettres ce qu'il avait commencé par sa vivante parole. En vahi, quelques- uns des prédicants môme g'ardaient le silence et paraissaient ne plus tenir compte de lui -, son inaltéra- ble bienveillance les embrassait tous dans ses bienfaits. Aux jeunes pasteurs il prodig"uait les conseils, les ad- monestait, leur traçait une lig-ne de conduite, leur indi- quait le dang-er, la difficulté. Aux fidèles il multipliait les encourag-ements, les remplissait de son zèle, leur mon- trait la g-randeur du but ; s'ils étaient ébranlés, il les fortifiait; s'ils hésitaient, il faisait cesser les doutes; s'ils s'eng-ageaient dans les chemins de traverse, à g"auche, il les remettait dans la vraie route, la route large qu'il avait lui-même suivie.

La question des mariages et des baptêmes lui tenait surtout à cœur. Plus les protestants marquaient de ré- pugnance à faire consacrer leurs unions par le pasteur, au Désert, plus il insistait, gourmandait, devenait sé- vère. C'était en effet la question capitale. En 1731, il

> 1, t. VIII, p. 805. (1734.) t. IV, p. 221. (1737.)

LES MARIAGES AU DÉSERT 15

fit paraître une addition aux lettres sur les mariag'es et les baptêmes' . Bientôt il pria le professeur Polier d'é- crire sur ce sujet, et lui-même il ne cessa, lorsque dans l'embarras on s'adressait à lui ou qu'il avait connais- sance de quelque infraction à la règde établie, de mar- quer en termes clairs et catégoriques la conduite que l'on devait tenir. C'est ainsi, par une ferme attitude, qu'il obtint en cette matière quelque résultat. Ce ne fut, dit-on, qu'en 1743, que les protestants commen- cèrent de se marier ouvertement au Désert -. On se trompe. En réalité, dans toutes les provinces, malgré plusieurs exemples contraires, on fit baptiser les en- fants et bénir les mariag'es selon les règles établies; cela depuis 1726, et surtout depuis 1732. Un jour. Un ■protestant manda à Court, qu'il allait se marier de- vant le curé, à cause de certaines difficultés insurmon- tables. Court s'indigna. Il déclara que tout vrai protes- tant n'avait en cette matière que deux voies à suivre : ou sortir du royaume et se marier à l'étranger, ou aller au Désert et demander la bénédiction du ministre. Tout autre moyen paraissait déloyal, désbonnête, et quelles que fussent les conventions passées avec les prê- tres, à coup sùr coupable Il ne pouvait y avoir place à l'hésitation. La conduite de tous était nettement déterminée.

Quelle position cependant affi'euse et quelle dure extrémité! De tels mariages étaient déclarés clandes- tins, partant illégitimes; les enfants étaient déclarés

N" 7, t. III, p. 535.

* Réponse au Mémoire pour les protestants, p. 19. (1756;) 3 N" 1, t. IV, p. 379. (1739.)

16 LETTRE AU CARDINAL FLEURY

bâtards et inhabiles à succéder. Ne fallait-il pas une étonnante force d'àme pour braver l'horreur d'une semblable situation! En 1738, Court indig-né, s'adressa directement au cardinal Fleury, et le supplia de faire cesser cet état de choses. Il recourait, disait-il, à sa haute justice, et réclamait sa protection en faveur de plusieurs milliers de réformés « qui g'émissaient dans l'abattement et la tristesse, pendant que les autres sujets du g-rand Roi... étaient dans les plaisirs et dans la joie. » Ce n'était d'ailleurs qu'un point touché, en passant. Cette lettre qui était à la fois une apolog'ie et une requête, avait été inspirée par le désir de faire retirer les édits qui pesaient sur les protestants. Court, sans se rebuter aux difficultés, persévérait en effet à l'étranger, comme en France, dans la voie qu'il s'était tracée. Il voulait lasser les royales rig-ueurs par ses seules prières et une stoïque résignation. « Ne souf- frez point, lui disait-il, que pendant que l'Europe entière se réunit à célébrer des élog'es que Votre Excel- lence mérite à si juste titre, il se trouve des milliers de malheureux, qui dans leur triste état se voient con- traints d'en troubler les acclamations par leurs gémis- sements et par leurs plaintes ' . »

Mais le temps de la réparation n'était pas encore venu; Antoine Court ne l'ignorait point. Aussi cher- chait-il partout, pour ses frères sous la croix, des pro- tecteurs et des défenseurs résolus. En 1731 , deux ministres prussiens l'avaient prié d'exposer., pour le chapelain du roi, Joblonski, l'état des réformés de

1 N" 7, t. IV, p. 347. (1738.) V. Pièces et docuiiieuts, n" 1

LETTRE A JOBLONSKI 17

France ' . Court eût préféré en conférer avec ces deux personnages ; mais la chose étant impossible, il écrivit un long" mémoire sur ce sujet. Il fallait, disait-il, obtenir sinon une liberté entière, du moins quelque tolérance; envoyer des missions bien entretenues et à défaut de missionnaires entretenir à l'étrang-er de jeunes proposants ; enfin, donner de l'arg'ent et envoyer des livres -. « Il s'agit, écrivait-il dans un autre mé- moire, de conserver la Réformation dans un royaume elle fut autrefois si florissante, qui coûta tant de travaux et la vie à tant d'hommes illustres par leur zèle et par la piété, et dans lequel on ne nég'lig-e rien pour achever de l'éteindre » C'était en effet sa grande préoccupation. Les rigueurs étaient exercées avec une si infatigable opiniâtreté, qu'il fallait tout craindre, si l'étranger ne donnait un appui solide, constant. Le salut de la Réforme française se trouvait, à ses yeux, dans la fraternelle alliance des puissances protestantes. Pour lui, il pouvait, un moment, réchauf- fer le zèle des religionnaires et en entretenir l'ardeur ; mais que pouvait-il, seul, contre un ennemi sans cesse aux écoutes? On ne traverse pas impunément, sans secours et isolé, la persécution ; on court risque d'y périr tout entier.

C'est cette pensée qui soutenait l'activité d'Antoine Court. Par ses lettres, par ses mémoires, par ses con- versations surtout, longues, pleines d'intérêt, nourries de faits précis et douloureux, il éveillait les sympathies

< N°l, t. V, p. 335. (1731.) N" 5. État des réformés, envoyé îi M. Roques. (1731.)

3 Ibid.

2

18 AMIS ET PROTECTEURS

et formait une manière de confédération d'hommes d'élite et de dévouement. Dachs, premier pasteur de l'Eg-lise de Berne, Roques, l'advoyer Steig-uer, Trey, la vénérable Classe de Zurich, les principaux person- nag-es de Lausanne, ceux de Genève et des cantons évang-éliques, étaient ces amis. Amis de cœur, con- seillers excellents, dont la fidélité était à l'épreuve. Les lettres venues de France étaient toutes lues par eux, passaient entre leurs mains. Ou se réjouissait des nouvelles heureuses, on prenait des mesures pour pré- venir, dans la limite de ses forces, les maux qui mena- çaient. Un jour, on apprit la mort d'un prédicant, ce fut une douleur générale. Un autre jour, le bruit courut qu'un ministre avait été pris, jeté en prison, mais qu'il était parvenu à s'évader; les lettres aussitôt se remplirent de demandes sur cette affaire, de féli- citations, d'expressions de bonheur.

Et ces amis, Court ne les avait pas seulement trou- vés en Suisse ; il en comptait encore dans tous les pays, jusqu'en Suède. Duplan, qui voyageait comme député général des Eg'lises, rencontra dans ce royaume, lors- qu'il s'y rendit, les hommes les mieux disposés et les plus dévoués. On y aimait la France.

Mais un épisode des plus curieux, fut la corres- pondance échangée et les négociations entreprises entre Antoine Court et le comte de Zinzendorf, au sujèt des réformés. L'illustre disciple de Franke, après avoir fondé avec Frédéric de Wateville l'ordre du grain de sénevé, après avoir couru l'Allemagne, la France et habité Paris, était enfin revenu en Allema- gne. Il avait acheté une terre d'une vaste étendue et y

ZINZENDORF 19

avait établi des sociétés semblables à celles des Pié- tistes. Bientôt, les descendants des hussites, les frères de l'Amitié, persécutés par l'Antriclie et traqués comme les Vaudois en Piémont, comme les relig"ionnaires en France, étaient venus demander au noble comte, par la bouche de Christiam David, la permission de s'éta- blir sur ses domaines. Zinzendorf avait tout accordé et, depuis 1727, sur la route de Prag-ue, dans la ville d'Hernliutt, s'était formée une petite communauté. Son rêve commençait de se réaliser. Mais durant son séjour à Paris, il avait probablement appris les per- sécutions dont souffraient les réformés; il s'en était ému. En 1731, Duplan reu contra de Wateville et lui peig-nit la situation de ses frères sous la croix. ' Ce dernier fut vivement touché par ce sombre tableau, et Duplan écrivit bientôt : « M. de Wateville fîiit sa rési- dence en Allemagne auprès d'un sage très-distingué •par sa piété. Il s'appelle le comte de Zinzendorf, et il a de bonnes dispositions pour ceux qui abandonnent le pays pour l'amour de la vérité. Vous verrez avec M. de Wateville, si les offres de M. le comte de Zinzendorf peuvent convenir à quelqu'un de nos réfugiés \ » Quelles étaient ces offres? Sans nul doute de recevoir et d'offrir l'hospitalité à ceux que les rigueurs royales avaient déjà chassés, ou chasseraient de France. Quel- ques jours après, de Wateville écrivit directement à Antoine Court. Il lui disait, comment, depuis huit ans, il s'était consacré au service de Dieu, ce qu'étaient les frères Bohémiens ou Moraves, combien il avait été

1 N" 12, p. 49. (Juin, 1731.)

20 ZINZENDORF

édifié des détails qu'il avait appris, et quel serait son désir de faire la connaissance d'un homme aussi illustre et aussi pieux que lui ' . Il vint lui-même à Lausanne et vit l'ancien pasteur du Désert. Avec quelle satisfac- tion! c'est ce qu'il raconte quelque part, dans une lettre il n'hésite pas à écrire que leur connaissance est un effet de la providence de Dieu, tout aussi bien que l'union future des frères de France et des frères d'Hernhutt. Il devenait pressant en outre, de jour en jour; évidemment il voulait que cette union se réalisât bientôt et que les réformés accourussent sur le terri- toire de Wurtberg-. Malheureusement, soit que ce pro- jet ait peu souri à Court, soit que ses amis de Lau- sanne lui en aient montré les difficultés et le péril, il n'y donna point suite. Après quelques lettres, vers la fin de l'année 1731, et après avoir communiqué à son pieux correspondant un mémoire sur l'état des relig-ion- naires, mémoire (|ui fut aussi envoyé à la cour de Danemark, les rapports cessèrent, et un long" silence succéda au grand bruit de ces premières négociations. Cependant il n'y eut ni rupture, ni mécontentement. Une durable amitié s'établit au contraire entre le comte et le prédicant, et plus tard, en 1740, Zinzendorf lui écrivait encore pour se mettre à sa disposition et re- nouer, s'il était possible, les négociations qui avaient été rompues. Mais alors, une lueur de liberté com- mençait de briller. Ses offres d'hospitalité ne furent point acceptées ^. Il n'est point douteux, malgré tout,

» Août 1731.

* N- 7, t. V, p. 91. (1740.)

LETTRE A FRÉDÉRIC LE GRAND 21

que la générosité du comte ne soit venue en aide aux misères dont jadis Duplan lui avait fait un si triste tableau.

Antoine Court, bien que la cour de France ne parut pas disposée à céder aux sollicitations des puissances étrang-ères, écrivit encore, en 1742, au roi de Prusse, le priant d'intercéder pour obtenir la g-râce de treize g-alériens. Frédéric, le g-rand Frédéric, venait de mon- ter sur le trône, et ce monarque humanitaire qui ap- pelait Voltaire « son cher ami » et le priait de mépriser avec lui « les titres, les noms et tout l'éclat exté- rieur » paraissait devoir s'employer à toutes les dé- marches qu'on le supplierait.de faire. C'est du moins ce que plusieurs pensaient. Court entre autres. Il fit suivre sa supplique d'un mémoire oii il exposait l'his- toire des protestants depuis le commencement du siècle, racontait leurs souffrances, les long-ues persécu- tions dont ils avaient été victimes, et lui demandait d'inviter Louis XV à retirer les terribles édits qui op- primaient ses malheureux sujets ' . Frédéric, chose curieuse, s'occupa de cette affaire. Treize galériens furent, à sa prière, rendus à la liberté.

Ce fut avant 1744, la dernière requête qu'Antoine Court adressa et le dernier succès qu'il obtint.

Si g'randes cependant que fussent les sympathies de quelques hommes, l'opinion publique était loin d'être émue, et seule, l'indignation populaire pouvait mettre fin aux rigueurs que le gouvernement de

» 5, n" 3. (1742.)

22 PROJET D'HISTOIRE

Louis XV s'obstinait à déployer. Mais comment l'é- mouvoir? Un seul moyen : le Livre.

Depuis son premier voyag-e à Genève, Court cédant h son g-oût naturel et à de pressantes sollicitations, avait pris la résolution d'écrire l'histoire du protestan- tisme et de faire justice de toutes les calomnies dont on l'avait noirci. Ses travaux quotidiens, incessants, ne lui en avaient malheureusement point laissé le loisir; il n'avait pu mettre son dessein en exécution. Mais dès qu'il arriva à Lausanne, se sentant libre et à l'abri, il reprit aussitôt son projet.

Son plan était vaste. Il voulait écrire l'histoire de la dispersion et celle des établissements des réfugiés, dé- peindre l'état des réformés en France depuis la révo- cation de l'Edit de Nantes, retracer la vie des martyrs et l'histoire, en particulier, de ces Eg-lises sous la croix, que Dieu, dans quelque province, a s'était re- cueillies ' . » Son plan d'ailleurs varia souvent, s'a- grandissant tantôt, tantôt diminuant. Sa grande préoccupation était de réunir des documents. Il avait compris la grandeur de sa tâche : il voulait être vrai. Dans ce but il envoya en Hollande un mémoire il exposait ce qu'il voulait faire et réclamait le concours de tous les protestants pour l'aider dans son œuvre. C'est Polier qui lui avait conseillé cette démarche ^ et il la répéta plusieurs fois.

Souvent, dans la suite, ce même mémoire fut expédié à différentes personnes. « Je vous prie, écri- vait-il à un de ses correspondants, de le communiquer

1 N»7, t. IV, p 23. (Avril 1737.)

2 Ibid.

LETTRE CIRCULAIRE

23

aux compagnies ecclésiastiques et à toutes les per- sonnes que vous jug'erez bien intentionnées. » C'était en effet une lettre circulaire ' , et l'on peut fixcilement, par diverses lettres, en deviner le contenu. Un jour, s'a- dressant à la vénérable Classe des pasteurs de Zurich, il disait :

« Dieu a manifesté en faveur de l'Eglise de Franco un si émi- ncnt pouvoir que, nonobstant une des plus acharnées, des plus cruelles, des plus longues persécutions qu'on ait jamais vues, elle subsiste, cette Eglise, sinon d'une manière éclatante, du moins d'une manière si miraculeuse, qu'elle mérite bien que tous ceux qui sont affectionnés aux pierres de Sion, en louent le Seigneur et s'intéressent à faire connaître aux siècles à venir combien Dieu a été bon à cette partie d'Israël. C'est dans cette vue, Messieurs et très-honorés Frères, que j'ai ramassé jus- qu'ici tout ce que j'ai pu sur un si intéressant sujet, et que je consacre la meilleure partie de mes travaux et de mon loisir, depuis que le pieux, le puissant et l'illustre magistrat sous l'au- torité duquel j'ai l'honneur de vivre, m'a recueilli dans ses Etats, et honoré de sa puissante protection et de ses grâces ^ »

Voilà le ton, un peu adouci peut-être, atténuant, faisant soupçonner le vrai but plutôt qu'il ne l'avouait, calme et point du tout effrayant. Car c'était, on le verra, d'une absolue nécessité. Forcer la note, la jeter franche et bruyante, c'eût été se condamner volontai- rement au silence.

Court, dans cette lettre, n'exagérait rien, pas même son zèle à écrire son grand ouvrage. Tous ses loisirs étaient pris en effet par ce travail : il s'y consacrait

1 Nous ne la possédons pas, malheureusement; nous croyons ce pendant l'avoir retrouvée. 17, vol. P, p. 97. 2N° 7, t. III, p. 117. (1735.)

24 RECHERCHE DE DOCUMENTS

tout entier. Jamais il n'avait fait preuve d'une sembla- ble activité, et ses amis allaient jusqu'à lalui reprocher. C'était une fiévreuse ardeur, que rien ne pouvait calmer.

Quoique l'histoire qu'il se proposât de raconter, à cause de sa longueur, n'apparut pas à son esprit nette- ment déterminée, il en voyait cependant les grandes lignes et les traits principaux. Il pouvait hésiter dans la disposition des faits et se demander comment et en combien de livres il les classerait ; mais les grandes démarcations, il les avait clairement tracées. Déjà, en 1727, il disait que trois périodes formaient la division de son sujet : la révocation de l'Edit de Nantes, le sou- lèvement des Camisards, l'histoire enfin qui commen- çait à l'établissement de l'ordre, vers 1715, et se conti- nuait à travers le dix-huitième siècle. Glorieuses étapes parcourues pour conquérir la liberté ' ! Mais ce qui piquait surtout sa curiosité, c'était l'histoire de la ré- vocation de l'Edit de Nantes et des dernières années du siècle. Il la connaissait peu et se sentait attiré vers elle : « Commencer l'histoire à la révocation de l'Edit de Nantes serait une chose peut-être curieuse et fort nécessaire. Mais je n'ai pas, et bien s'en faut, les mé- moires qu'il faudrait pour cela. Feu M. Basnage m'a- vait exhorté à travailler à cette histoire, mais il m'a- vait dit en même temps que M. Benoît, l'historien de l'Edit de Nantes, était dans le dessein de continuer son histoire. Je ne sais si cet auteur a continué ou s'il est mort. Ne pourrait-on pas s'en informer, et en cas qu'il fût mort et n'eût pas continué, ne pourrait-on pas avoir

» 7, t. m, p. 188. (1727.)

RECHERCHE DE DOCUMENTS 25

ses mémoires. Voudriez-vous prendre la peine d'v don- ner vos soins ' '{ » Et aussitôt, il donnait une long-ue liste des papiers qu'il désirait de posséder, ceux de Brousson, de Roman, de Calandrin.

Principal acteur dans le drame s'étaient déroulés les événements contemporains, il le connaissait dans le détail et le portait vivant dans son souvenir. Mais le premier acte de la douloureuse trilog'ie lui échap- pait, et il voulait en savoir les péripéties. De là, le soin qu'il mit à se procurer des matériaux et à cher- cher des documents. C'étaient les livres d'abord de Basnage, de Saurin, de Daillé, les extraits des jour- naux, les mémoires des évèques, les édits, les déclara- tions, les ordonnances ; c'étaient surtoiit les papiers de famille, les manuscrits, les long-s récits naïfs et sim- ples, faits à l'étrang'er, sur les premières persécutions. Tl s'adressait à tous les protestants, aux nobles familles, aux pauvres, aux artisans, aux pasteurs réfugiés, à tous ceux qu'il croyait pouvoir lui être utiles et pouvoir éclairer de quelque lumière cette partie de l'histoire. Les moindres rayons lui semblaient précieux ; il les recueillait avec un soin jaloux. Dès 1731, il écrivait à un M. Rodier pour lui demander les papiers de Benoît ; à Superville, pour obtenir des mémoires sur "les Con- fesseurs; à un personnag-e de Vevey pour qu'il traduisît les mémoires de Cavalier, s'ils n'étaient point trop remplis d'erreiu-s ; à de Vig-nols, pasteur à Berlin ; à la marquise de Duquesne, au chapelain de l'ambassa- deur de Hollande à Paris, à combien d'autres ! Il

» N" 7, t. lil, p. 246. (1727.;

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RECHERCHE DE DOCUMENTS

en résulta une quantité prodigieuse de documents. Documents de toutes sortes, pleins d'intérêt, archives du protestantisme qu'il ramassa peu à peu, mit en ordre, classa, et qu'il a légués à la postérité.

En 1783, tout à coup, dans un numéro de la Bihlio- iJieque germanique^ on annonça, qu'un ministre de l'Evangile, établi en Suisse, travaillait à une histoire complète des Eglises réformées de France, depuis la révocation de l'Edit de Nantes, et qu'il recueillait dans ce but les matériaux ^ . Cette nouvelle produisit une grande émotion. Les amis de Court en furent étonnés, et même mécontents. Pictet lui écrivit aussitôt : « On a lu dans la Bihliotheqice germanique un avis que vous donnez au public du dessein que vous avez d'écrire l'histoire de vos Eglises. Je ne vous cacherai pas que cet avis a été très-mal reçu ici, et que l'on regarde l'exécution de votre projet comme très-dangereuse. MM. Turretin, Maurice, Vial, et plusieurs autres, sont dans cette pensée. Ils disent que les circonstances ne permettent pas d'exposer au public des faits qui ne manqueraient pas d'attirer sur vos Eglises de violentes persécutions ^. »

Ce n'était pourtant qu'une simple annonce et comme pour tâter le terrain. Interroger l'opinion, éveiller l'attention de la France, obtenir de nouveaux docu- ments, Antoine Court ne visait qu'à cela. La prudente Genève s'était effrayée mal à propos. Trois ans plus tard, l'ouvrage n'était point encore terminé ^ « Mon

1 V. Bibliothèque germanique, t. XXV, p. 214.

2 N" 1, t. VIII, p. 297. (1733.)

* Deux volumes seulement étaient prêts, s'ils l'étaient : c'étaient

RECHERCHE DE DOCUMENTS

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projet n'avance pas, écrivait-il, rien n'est plus rare que les mémoires nécessaires. » Et il s'étendait sur ses déceptions, sur les difficultés qu'il avait h sur- monter.

« Il faut recourir, écrit-on de la Haye, aux registres dos Sy- nodes et des Eglises pour en joindre les extraits, à une collec- tion assez vaste d'actes, d'histoires et de traités faisant au sujet, et je doute fort, ajoute-t-on fort judicieusement, qu'aucun parti- culier pût réussir à se procurer tant de secours. Si une Eglise, continuo-t-on, se chargeait de l'entreprise et communiquait aux jutres son dessein, elle aurait sans doute un heureux suc- cès, et'je vous laisse à penser, Monsieur (c'est à M. le profes- seur Poher qu'on parle), s'il ne serait pas digne de deux profes- seurs aussi vénérables et aussi illustres que vous et M. Rochet d'y intéresser l'Académie dont vous êtes le principal ornement. Par ce moyen, toutes les ressources possibles s'ouvriront à M. Court... L'Académie n'en fera rien, et on ne lui en fera pas la proposition... Que faire à tout cela? Faut-il perdre courage? J'ai plus de résolution. Peut-être qu'à force de solliciter et de fure- ter, on découvrira et on se mettra en possession de quelques monuments précieux... Peut-être serait- il bon de donner une partie de l'histoire au public. Cela pourrait animer diverses per- sonnes à fournir des mémoires, s'ils en ont »

Court cependant ne se décourageait point. Il frap- pait à toutes les portes, il « furetait ». Duplau, son ami, qui courait à cette époque les pays protestants, était chargé de demander des documents. Il est vrai que Duplan s'y intéressait peu, le négligeait, le lais- sait de côté. Court lui avait donné l'inventaire des

ceux qui dans le catalogue de ses manuscrits portent aujourd'hui le n. 28. Histoire des Eglises réformées de France, 02i Mémoires pour servir à VHistoire des Eglises 7^éformêes de France et de levr dis- persion, depuis la révocation de VEdit de Nantes jusqu'à présent. » 7, t. IV, p. 1G7. (1736.)

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RECHERCHE DE DOCUMENTS

livres, mémoires et papiers, quilui pouvaient servir ; mais Duplan le consultait peu, et Court s'indignait. «Vous me faites longtemps attendre les matériaux que vous avez eu la bonté de ramasser pour l'édifice que j'ai conçu. Apparemment qu'ils ne sont pas bien considérables, mais tels qu'ils sont, envoyez-les-moi. Je lang'uis d'en être en possession » Et ailleurs : « Mon projet n'a- vance pas. J'attends tous les jours des matériaux et j'en reçois peu. Votre zèle s'est entièrement refroidi à cet égard, ou plutôt ne s'est-il jamais bien allumé. Ce qu'il y a de bien certain, c'est que vous ne m'en- voyez aucune pièce, vous qui avez été à même de puiser aux meilleures sources ^. » Tout cela était in- juste. Duplan, occupé d'autres soins, oubliait peut- être un peu les intérêts de son ami; il ne les aban- donnait cependant pas. Que de fois lui avait-il envoyé ces précieux papiers !

Mais Court n'admettait, n'excusait rien. Il voulait remplir de son ardeur tous ceux qui l'entouraient.

Un jour, Duplan lui proposa de venir en Angleterre consulter un manuscrit intéressant de la fin du dix- septième siècle. Il se décida aussitôt à faire le voyage. Malheureusement des difficultés survinrent ; il renonça à son projet.

Malgré ses plaintes néanmoins, beaucoup de maté- riaux étaient déjà réunis et on pouvait les mettre en œuvre. Il n'en fit rien. Il attendait. Il recueillait pa- tiemment des notes, élucidait les points obscurs, met-

1 7, l. IV, p. 72. (1737.) « 7, t. IV, p. 210. (1737. j

HISTOIRE DES CAMISARDS

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tait en pleine lumière certains noms et certains faits, travaillant lentement , sûrement , avec amour. Des événements d'ailleurs survinrent à cette époque qui occupèrent ses loisirs et auxquels il fut oblig-é de don- ner tous ses soins. Son grand travail resta sur le mé- tier, un peu abandonné.

Un épisode fut cependant presque terminé : la g'uerre des Caraisards. Lorsqu'il vit que les documents pour la première partie de son histoire étaient rares et se trouvaient difficilement, il s'occupa avec ardeur des faits contemporains, et de cette lutte héroïque qui avait étonné la France. Il s'adressa aux survivants, il s'a- dressa aux pasteurs ses collèg-ues ' . Ceux-ci lui en- voyèrent le récit naïf des faits dont ils avaient été les témoins : ceux-là lui communiquèrent les actes des intendants, les mandements des évêques, les plaintes des curés, et les divers événements dont les pro- vinces protestantes étaient le théiitre. C'est de ce nombre prodigieux de lettres et de papiers ({ue sortit plus tard l'histoire des Camisards, et que devait sortir aussi l'histoire contemporaine du protestantisme.

En 1730, Antoine Court écrivait à Duplan : « Je l'ai dit et je le répète, je n'ai point renoncé au service des

i Un Synode provincial tenu dans les Boutières, en 1734, disait : (V. Bullet., t. II, p. 88) « ... Ayant considéré qu'il serait très-utile de l'aire connaître h la postérité le grand nombre de persécutions que nos pauvres Eglises ont souffertes depuis la révocation de TEdit de Nantes, enjoignons à tous les pasteurs et prédicateurs d'en faire ou d'en recueillir des mémoires très-exacts qui expriment les temps, les lieux et les principales personnes qui en ont été les objets, afin qu'on puisse rédiger en un corps d'histoire les choses les plus mémorables qui sont arrivées parmi nous. »

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SERVICES RENDUS

Eg-lises de France. Je les aime plus que moi-même, et leur bonheur est si bien lié avec le mien que je ne m'estimerai jamais heureux tandis qu'elles seront dans la souffrance. » Si quelqu'un, en 1744, lui eût encore reproché sa désertion et sa retraite, ne pouvait-il pas montrer avec un légitime orgueil tout ce que dans ces quinze années, il avait préparé, fait ou achevé pour elles?

/

CHAPITRE II

LE SÉMINAIRE DE LAUSANNE 1730-1760

En 1729, lorsque Antoine Court arriva à Lausanne, le séminaire * , récemment fondé dans cette ville par quelques bienfaiteurs, commençait de s'org-aniser. Les revenus étaient minces encore, et les étudiants peu nombreux. Les Eglises de France n'avaient pu envoyer que six étudiants parce que l'argent manquait pour les entretenir ; trois d'entre eux étaient déjà revenus, les trois autres continuaient leurs études. Les premiers s'appelaient : Bétrines, Roux et Boyer ; les seconds. Combes des Cévennes, Faure du Dauphiné, Lassagne du Vivarais ^. Court conduisait avec lui un nouvel élève : Claris. Si les choses cependant n'étaient point arrivées en leur état de perfection, elles allaient de mieux eu mieux. On espérait bientôt recevoir cha- que année deux étudiants, et les entretenir ^ .

1 «Le mot de séminaire, disait Court, est un épouvantail qui effraye les entrailles de la charité chrétienne. » Il voulait qu'on le changeât. Malgré tout, il est resté, et quoiqu'il désigne fort mal l'Ecole de Lau- sanne, il est nécessaire de le conserver.

s N" 12, p. 255. (Juin 1729.)

3 N"7, t. III, p. 283. (Juin 1728.)

32 COURT ET LE SÉMINAIRE

C'est une opinion admise qu'Antoine Court fut nommé doyen de ce séminaire naissant, et même qu'il y professa. Gn l'affirme, comme on affirme qu'il fut élu, en 1730, député g-énéral des Ej^lises de France. La vérité est qu'il ne fut jamais doyen, jamais profes- seur, et que s'il porta un jour le titre de député, ce ne fut (|u'en 1744. Sa position à Lausanne était parfaite- ment connue. Il était pasteur réfug-ié, sans poste fixe, })rêcliant ici et là, quand on le lui demandait, et vivant d'une modique pension que lui allouait le g"ouverne- ment bernois. C'est ainsi (ju'on lui proposa plus tard d'aller s'établir dans la caj)itale de la Répiiblique pour y seconder les ministres et les pasteurs, en cas de nécessité Court lui-même se signa toujours mi- nistre réfugié, et c'est le titre que lui donnaient ses correspondants. Qu'eût-il pu d'ailleurs enseig'ner? Son éducation était fort incomplète. Il ne sut proba- blement jamais ni le latin, ni le g'rec, ni l'iiébreu, et la théologie telle qu'elle était professée, était pour lui une science ardue. Un jour, il disait : « C'est trop me flatter que de me donner pour adjoint à M. le profes- seur Polier, et l'insuffisance de mes faibles avis doivent m' apprendre à rentrer dans mon néant. Je me charg-e pourtant avec plaisir de voir M. le professeur et de lui demander quels livres il jug-e nécessaire pour l'étude de nos Messieurs -. » La phrase était un peu ironique et visait la malice ; cette modestie cependant , et non affectée , convenait à Antoine Court. Ses attaches au séminaire, officiellement, furent nulles ou fort

» 1, t. VII, p. 425, et n. 7, t. IV. (Juin 1733.) *N» l,t. III, p. 575. (1730.)

PROSPÉRITÉ DU SÉMINAIRE 33

minces. Il n'y donna ni cours, ni leçons; mais, combien préférable ! il en fut véritablement le père, et comme l'àme. C'est lui et dès le jour il arriva qui vit les étudiants, se les attacha, les reçut chez lui, leur donna des conseils sur leur future conduite, les anima de son zèle, de sa piété, de son courag-e, prit en toutes occasions leur défense, fit augmenter leur pension, leur donna des maîtres et des répétiteurs, les exhorta, les soutint, pour tout dire, les traita comme ses propres en- fants. C'est lui enfin qui ne cessa de quêter des subsides, de dénouer les difficultés renaissantes, et de travailler chaque jour à g*arantirla j^rospérité de l'établissement.

Eu 1727 on pourvoyait à peine à l'entretien d'un proposant, en 1728 de deux, en 1729 de quatre. Mais « dès lors il plut à Dieu de répandre une si g-rande bé- nédiction sur cette heureuse entreprise qu'on parvint au point d'en entretenir un beaucoup plus g-rand nom- bre, non du fonds, mais des revenus mêmes ' . » Zurich accorda jusqu'à 1747 un subside annuel ; Berne conti- nua à donner des preuves de sa munificence jusqu'en 1735 ^. Mais surtout la Hollande, la Suède, l'Ang-leterre se firent remarquer par leur générosité. On put bientôt reg-arder l'existence du séminaire comme assurée.

Presque en même temps, en effet, LL. EE. de Berne sur la demande probablement de Dachs, d'Hac- brett et de quelques autres personnag-es, consentirent

1 N" 5, n" 15, p. 11. Mémoires aux Economes. (1740.)

* N" 5. V. Pièces et documents, n" II, Chaque année on demandait aux magistrats de Berne leur cotisation. En 1731, Dachs écrivait qu'il cause de Boyer on n'avait pas trouvé à propos de faire la demande du subside ordinaire N" 1, t. V, p. 639.

II

3

34 ÉCOLES AMBULANTES

officieusement à laisser s'ouvrir dans leur ville sujette l'école pour laquelle on leur réclamait des secours et à la couvrir même de leur protection, si elle voulait rester dans l'ombre, à l'écart, loin du bruit. Toutes les conditions furent acceptées, et dès lors il ne resta plus qu'à fixer les règlements, établir l'ordre, dans cet étrange séminaire toléré, mais non reconnu.

Les étudiants venaient des diverses provinces pro- testantes, mais surtout du Languedoc. Quel que fut leur âge, ils pouvaient se rendre à Lausanne pour y commencer ou achever leurs études. Ils ne jouissaient pas cependant de la pension allouée ordinairement, s'ils n'avaient dix-sept ans : c'est du moins ce qu'éta- blirent plus tard les membres du comité Quel- ques - uns étaient des catholiques convertis ; on en compta trois jusqu'en 1745.^. Mais en général, c'étaient des jeunes gens que les pasteurs avaient rencontrés dans leurs courses et qu'ils avaient cru bien disposés pour le ministère. Il se forma même de bonne heure des espèces d'écoles préparatoires l'on recueillait des enfants de dix à douze ans. Un pasteur leur était attaché. Il leur faisait lire la Bible, le catéchisme d'Osterwald, la Théologie de Pictet, et les interrogeait avec soin. Ces enfants s'appelaient 'premiers élèves;

1 Manuscrit Levade. Mais ce ne l'iit que vers 1788.

ï Synode de 1743. Il paraît, toutefois, qu'ils n'étaient pas très-liien vus. « On ne recevra aucun prosélyte au nombre de nos étudiants, que deux années après leur abjuration et en conséquence des témoignages de leur bonne conduite et de leur capacité, qui leur auront été don- nés par les personnes sous la direction desquelles ils auront été pen- dant ce temps-là. » Synode de 1748. 7, t. XIII, p. 53.

L'ESPRIT DU DÉSERT

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c'est parmi eux que se recrutait le plus grand nombre des étudiants. Paul Rabaut alla dans une de ces écoles, sous la direction de Bétrines '.

Plusieurs fois cependant, et dans les premiers temps surtout, on vit des jeunes g-ens à Lausanne qui avaient déjà prèclié au Désert et se trouvaient au service des Eg'lises. Dans ce cas, pour être admis, ils devaient ob- tenir du Synode \m congé et en produire le certificat^.

Quel qu'il fût, tout candidat était tenu de posséder une attestation de bonne vie et mœurs, et de promettre qu'il n'exercerait qu'en France son ministère. On réclamait surtout de lui qu'il eût l'esprit du Désert. « J'entends par là, écrivait Court , un esprit de mortification, de sanctification, de prudence, de circonspection, un esprit de réflexion, de grande sag'esse et surtout de martyre, qui nous apprenant à mourir tous les jours à nous-même, à vaincre, à surmonter nos passions avec leurs conca- piscences, nous prépare et nous dispose à perdre cou- rag'eusement la vie dans les tourments et sur un gibet, si la Providence nous y appelle » Il ajoutait, s'a- dressant à un jeune étudiant : « Vous sentez que si vous manquiez de cet esprit, vous risqueriez plus d'une fois de terribles mécomptes. Vous édifieriez mal, vous

1 9, p. 25. En 1744, ce séminaire de rintériour comptait douze étudiants, et il était question de l'augmenter. 7, t. VI, p. 195. V. à ce sujet un « Mémoire raisonné sur le séminaire de Lausanne et sur les sujets destinés à le remplir ou qui pourraient l'être dans la suite, les uns actuellement ici, les autres au service des Eglises et sous la conduite du pasteur, et les autres résolus à prendre le Désert.» Ce mémoire fort curieux et instructif, fut dressé en 1745. 5, n" 16.

2 N^l, t. XXVIII. (1755 ) V. le certificat donné à Gibert. Pièces et documents.

3 N" 7, t. IX, p. 655.

36 AUUIVÉl-: DES ÉTUDIANTS

seriez sans ressources au plus g-raud de tous les Ije- soiiis, et vous feriez le sacrifice d'une liberté, d'un re- pos et d'une vie toujours précieuse, seulement pour vous rendre malheureux et pour être continuellement en lutte avec le mépris, les ojjprobres, les difficultés et les contradictions » Un autre jour quelqu'un lui fit la demande d'entrer au séminaire, et il la lui ac- corda. Mais aussitôt : « \'ous avez fait de tout cela le sujet de vos méditations les plus réfléchies, et ce n'est qu'après vous en être occupé sérieusement et avoir imploré plus d'une fois le secours divin que vous vous êtes enfin déterminé d'entrer dans la carrière. Venez donc, à la bonne heure, travailler à vous mettre en état de plus en plus à les remplir d'une manière qui tourne ég-alement à l'avancement du règ-ne de notre commun maître, à l'édification et au plus grand avantag'e de son Eg-lise ^. »

Les directeurs du séminaire ne s'eng'ag-eaient pas à faire consacrer en Suisse les étudiants, non plus qu'à leur procurer des places, .si jamais la persécution ou les infirmités les chassaient de leur patrie ^.

Ils arrivaient presque toujours en automne. Dès qu'ils avaient pénétré dans la vieille cité, ils étaient placés dans différentes familles de la ville familles respectables et connues par leur piété, qui, moyen- nant une modique pension, les log-eaient et les nouris- saient

1 N" 7, t. IX, p. 655 «N° 7, t. VII, p. 102. 3 1, t. XIII, p. 53.

* Voici comment Antoine Court rend compte de l'arrivée d'un étu-

LEUR POSITION

37

Ils toucliaient dix-huit livres par mois. C'était trop peu. Court montra bientôt que ces jeunes gens ne pouvaient avec une si modiipie somme suffire à leiu-s dépenses, et qu'il leur manquait régulièrement quatre livres cinq sols En 1744 le comité de Genève, touché de cet état de choses et voyant que ses fusilles étaient obligés de faire des dettes, porta leur pension men- suelle à six écus ^.

Le comité de Genève les appelait ses pupilles ^ celui de Lausanne, les séminaristes. Il ne faut point croire

iliant. « A l'arrivée de notre jeune homme, je lui parlai aussi bieu qu'il me l'ut possible \w\ir l'engager il répondre à vos soins et pour se concilier la protection et la bienveillance des amis. Il promet, comme vous dites, monts et merveilles. Ce sera aux effets <\ démontrer qu'il pense comme il parle, et qu'il sait associer les actions au.x paroles. J'ai dit à M. Marazel qu'il ferait bien de le prendre avec lui, qu'il se- rait sous ses yeu.\ ce qu'il ne sera pas autrement; M. Marazel le croit aussi. Mais la pension est forte. J'ai dit que le jeune homme pourrait tenir son pain, boire de l'eau et être à moitié de pension. M. Marazel proposera la chose, et si elle peut avoir lieu, ils logeront ensemble et mangeront i\ une même table. » 7, t. XIII, p. 95. ' Dépenses d'itn étudiant.

Pour la table, sans vin ... 12 livres.

Blanchisseuse ou barbier . . 1 15 sols.

Chambre .'^

Huile, chandelle, bois. ... .S 10

Enfin, s'il boit du vin. ... 2

22 livres 5 sols.

Dans ces dépenses, il n'y avait rien pour l'habillement, le papier, les livres. (N° 5, n. 14, p. 2.) (Note de Court.)

^ N. 9, p. 25. (1744.) Beaucoup de détails nous ont été donnés sur ces points différents par MM. Fabre etDufournet, de Lausanne. Ces hom- mes vénérables, presque octogénaires, et qui ont joué un si grand rôle dans l'histoire religieuse de Lausanne, se sont mis à notre disposi- tion avec un em])ressemeut qui nous a profondément touché. M. Fabre a vu les derniers jours du séminaire. M. Duf'ournet, gendre de ce même Levade qui fut professeur au séminaire, a bien voulu nous communi- quer un manuscrit de son beau-père, manuscrit d'un réel intérêt.

38 BERNE ET LE SÉMINAIRE

cependant, et on le voit, que ce fussent des sémina- ristes, dans l'acception propre du mot; en réalité, il n'y avait point de séminaire. Ces jeunes gens étaient libres, vivaient dans des maisons particulières, et ne se réunissaient dans un local commun qu'aux heures des leçons. Ils n'étaient nullement internés; l'internat était chose inconnue en Suisse. La maison même ils se rendaient ne contenait ni salle vaste, ni amphithéâtre; c'était beaucoup plus simple : une chambre haute suf- fisait aux élèves et au professeur. Probablement en- core on chang-ea souvent de local, et dans les pre- miers temps, quand les étudiants étaient peu nombreux, ils venaient écouter les leçons dans le cabinet même de leur maître. Plus tard seulement, on loua une petite salle, étroite et basse, se donnèrent les cours d'une façon rég-ulière ; encore cette salle faisait-elle partie de l'appartement habité par un professeur

Il faut insister sur ce point. Rien en effet n'était plus humble et de plus mince apparence que ce sémi- naire, et on s'en est fait une fausse idée. LL. EE. de Berne n'eussent jamais souffert qu'ouvertement, publi- quement, et la France pouvant en être informée, une maison s'élevât viendraient étudier de jeunes hom- mes auxquels l'accès d'un pays allié était interdit, et qui n'en pouvaient franchir la frontière sans s'exposer aux rigueurs des édits. Ils avaient posé pour condition première à l'institution de cet établissement qu'il ne ferait ni bruit, ni éclat. Ils entendaient en ignorer officiellement l'existence, et surtout qu'on le crût. Que

1 Le local existe encore. Il se trouve dans la maison qu'occupait ja- dis le professeur Levade à côté de la cathédrale.

PREMIERS PROFESSEURS

39

de fois, en 1745 déjà, ne fut-il pas question d'en fer- mer les portes !

On comprend qu'aucune attache ne liât le séminaire à l'Académie, établissement public reconnu par l'Etat, et sur lequel Berne exerçait une puissance souveraine. C'étaient choses parfaitement distinctes. Les profes- seurs du séminaire étaient cependant les mêmes que ceux de l'Académie. Polier de Bottens, Salchly, Se- crétan, Chavannes, Durand, donnaient des leçons dans les deux établissements. Mais ici, ils étaient des fonc- tionnaires publics ; là, de simples particuliers, maîtres privés, des manières de précepteurs qu'avait choisis et que payait pour cela le comité de Genève.

Les premiers professeurs furent Polier et Ruchat. Polier, qui avait déjà enseigné à l'Académie la morale et le grec, y enseignait encore l'hébreu et le catéchèse; Ruchat était professeur de théologie. C'étaient deux hommes de savoir et au besoin de courage. En 1722, l'Eglise était alors l'Etat, Berne, ayant en sus- picion les sentiments de l'Académie de Lausanne en matière de dogme, avait résolu d'exiger de tous les ministres du pays de Vaud la signature du consensus et le serment d'association contre les piétistes, armi- niens, sociniens. Deux députés avaient été envoyés pour faire exécuter cette décision. Mais lorsque Polier fut appelé à mettre son nom au bas du formulaire, il refusa de signer, avant d'avoir fait connaître les motifs qui le faisaient agir. Ce ne fut qu'aux pressantes sol- licitations de ses collègues qu'il se décida à donner sa signature, mais en déclarant qu'il n'entendait par là, ni gêner les consciences, ni faire recevoir cette for

40 LES ÉTUDES

mule comme règ-le de foi. Cette déclaration fut rap- portée à Berne. Berne manda le courageux professeur et il lui fit entendre qu'il eut à se conduire à l'avenir avec plus de prudence ' .

Il paraît que Polier et Ruchat étaient fort aimés par les étudiants. On ne les appelait que les « bons et g-énéreux pères. » On leur décernait volontiers le titre « de princes, d'anges de l'école ^. »

Le programme des études dut varier beaucoup dans le courant du siècle. Au début, les jeunes hommes qui vinrent au séminaire étaient déjà âgés, très-igno- rants, savaient à peine lire et écrire. Il y avait plus. Leur congé_ était de courte durée, car les Eglises avaient besoin de pasteurs. Il fallut donc suivre une méthode particulière. On les prit tels qu'ils étaient, on leur apprit les premiers éléments de théologie, on compléta leur instruction par la connaissance des sujets controversés, et leur éducation fut déclarée ter- minée. On agit de même dans la suite toutes les fois qu'un prédicant un peu âgé vint étudier à Lausanne.

Mais bientôt le séminaire se recruta parmi de tout jeunes gens, suffisamment instruits déjà et qui avaient commencé leurs études dans les écoles ambulan tes On exigea en outre qu'ils passassent en Suisse deux ou trois années. « Il vaudrait mieux, avait écrit le comité directeur, n'avoir que deux ou trois personnes éclairées, qui pourraient ensuite éclairer les autres

1 V. U Histoire de V Instruction publique dans le pays de Vaud, par M. Gindroz. (Lausanne, in-S, 1853.)

2 N. 1, t. XIV, p. 23L (1742.)

3 V. Chap. IV.

LES ÉTUDES 41

dans le pays, ou du moins les diriger dans leurs études, que d'en avoir un grand nombre qui manquent de lumières au bout de leur voyage ' . » On put alors faire un cours complet de tliéologie. Cependant à cette époque même, on voit que les études eurent une tendance essentiellement pratique. On possède troii- gros volumes, recueils de cours, qui furent écrits de 1749 à 1753, et (jui peuvent faire très-sufRsammenI connaître quel était l'enseignement ^. D'exégèse et d'histoire, il n'est pas question. En revanche, la polé- mique et la controverse occupent une large place. La transsubstantiation, la papauté, les indulgences, le purg-atoire, la vocation des réformateurs... voilà les thèmes favoris. Sur ces sujets on accumule les pages et les arguments. Un Synode même recommandera qu'on s'y applique avec zèle et ordonnera de ne point négliger cette branche importante des études ^. En morale, c'est pis. On apprend ce qu'est l'humilité, la vaine gloire, le contentement d'esprit, la charité, la tempérance...; on apprend surtout quels sont les de- voirs du pasteur et quelle doit être sa conduite dans la vie. Le cours de théologie, moins insuffisant, reflète assez bien les idées du temps. On y traite de la reli- gion naturelle et de la révélée, on résout toutes les oppositions, on admet le dogme de la Trinité, les miracles, la divinité du Messie, et on anathématise les incrédules et les athées. Un point à noter. Le libre

N" 1, t. VI, p. 189.

2 N" 24, 11" 20, II" 23. Il est iirohable que ces volumes sont de Court Je Gélieliu.

3 Syu. (le 1748 (;irt. xxiv).

42 LES ÉTUDES

arbitre est reconnu. Le consensus n'avait point en effet réussi à arrêter l'essor des idées que venait de mettre à la mode l'Académie de Saumur.

L'enseig-nement était à peu près calviniste. On n'a- vait pu cei)endant si bien fermer toutes les issues aux doctrines nouvelles (ju'elles n'eussent pénétré par quel(|ue endroit. La Suis.se était un pays neutre oii les champions des deux grandes écoles rivales se li- vraient en ce moment un dernier combat. Elle était remplie des disciples d'Amyraut et de La Place. On y respirait l'hérésie. Grand dang'er! Quelques hommes prudents voulurent arracher les séminaristes à cette pernicieuse influence. Ils en écrivirent à Court et lui conseillèrent de transporter en France le séminaire. Leur conseil ne fut pas suivi. Antoine Court, quoique calviniste, détestait la contrainte en matière de foi. D'ailleurs, il était g-rand ami de la paix; il fermait les oreilles. « Je ne crois pas, écrivait-il, qu'on doive les oblig-er à sig-ner la confession, s'ils ne le font pas vo- lontairement. » Plus loin, il ajoutait, il est vrai, et dans ces quelques mots se dépeig'uait tout son caractère : « Il suffit d'exiger d'eux de ne rien enseigner qui y soit contraire ou qui trouble la paix. C'est la conduite que tient sagement, depuis un grand nombre d'années, l'Eglise de Genève. » Mais il expliquait aussitôt sa pensée : « Ceux qui en ont tenu une contraire et qui ont voulu forcer les gens à signer des confessions ont été blâmés et ont failli faire de grands maux à la re- ligion ' . »

1 7, t. IV. p i24. (1740.)

LES ÉTUDES

43

Le gTand vice de ces études, c'était qu'on n'y faisait ni latin, ni grec. On le savait bien, et dès qu'on en eut lu j^ossibilité, on se liàta d'y remédier. Vers 1746, il fut question de nommer un maître^ espèce de ré- pétiteur, — qui enseig-nerait la log'ique, la tliéolog-ie et le latin * . Cette proposition fut faite pa,r Antoine Court. Les membres du comité directeur y répug-naient, et il fallut insister. Court triompba heureusement. Bientôt même on s'occupa de choisir en France des hommes pour donner les premières notions de ces deux langues aux premiers élèves, « afin que quand ces jeunes g-ens viendraient se perfectionner, ils pussent assister aux leçons publiques et y être même consa- crés selon les règles académiques ^. » Dès l'année sui- vante, le maître fut nommé, et un étudiant suivit les cours de l'Académie. La connaissance du g-rec et du latin devint obligatoire. On voit plus tard qu'il y eut de nombreux élèves de langues^ qu'on fit choix d'un lecteur chargé d'enseigner le latin et le grec, et qu'on décerna même des prix à ceux qui s'étaient le plus distingués dans cette étude. Il est vrai que les étu diants durent alors passer cinq années à Lausanne. Les plus âgés n'en passaient que trois; mais c'étaient les seuls qui fussent autorisés à ne point lire dans le texte le Nouveau Testament ^.

Cette année 1746 vit au surplus une nouvelle et heureuse innovation. Jusqu'alors les étudiants n'a- vaient pas été exercés à la prédication. Court conseilla

> N°5, n. 14. (1746.)

2 N" 7, t. Vlir, p. 53. (1747.)

* Manuscrit Levade.

44 LES ÉTUDES

de leur faire faire de^ j)roposiHons. Chaque semaine, un texte était donné, et tous les lundis, l'un d'eux ré- citait en public le sermon qu'il avait composé. « Yon>i ne sauriez croire, écrivait-ou, l'émulation qui règne depuis ce temps, et combien chacun s'efforce à surpasser son compagnon. Les prog'rès sont des plus sensibles et me font un nouveau plaisir * . » Antoine Court se fai- sait une joie d'assister régnilièrement aux débuts de ces jeunes orateurs. Il les encourageait, leur donnait des conseils, excitait leur ardeur, applaudissait à leiu's succès. « J'assiste tous les lundis aux propositions et j'y assiste toujours avec un plaisir infini. » Il aimait entendre ces paroles ardentes qui devaient éveiller, quelques mois plus tard, les échos du Désert. Tout ému, il song-eait à ces jours de grand danger, où, sous le coup d'une surprise imminente et jetés en brutale réalité, ces tout jeunes hommes iraient au péril de leurs jours annoncer la parole de vie. Il y avait sur- tout un certain Gautier « très -éloquent, mais très-mi- sérable » qu'il avait disting-ué entre tous. Il lui pro- mettait un avenir brillant, et le croyait de.stiné à exercer plus tard par son éloquence une grande in- fluence sur les protestants de France. Le pauvre étu- diant ne devait pas tromper son attente ^.

Triste après tout, et de peu de savoir, ce séminaire ! Les vertus et les généreuses ardeurs y florissaient, non la science. En le voyant, l'image du passé s'évoquait nécessairement par contraste. étaient ces belles années qu'avaient illustrées les Académies de Montau-

« N" 7, t. YIII, p. 49.

' V. Cbap. IX. Il fut un des apôtres (ie la Normandie.

LES ÉTUDES

45

ban, de Sedan, de Sanmnr! Les professeurs alors, c'étaient les Dumoulin, les Desmaret^î, les Jurieu, les Charnier, les Garisolles; c'étaient Cajjpel, La Place et Amyrault. La France entière s'occupait de la g-rande (querelle de l'wihersalisme. De tous les pays réformés, de Hollande, d'Angdeterre, de Suisse, accourait aux leçons d'ximyrault une jeunesse empressée ; et Berne, qui daignait aujourd'liui couvrir de sa protection le pauvre séminaire naissant, sollicitait comme un honneur d'envoyer ses étudiants dans l'illustre école (ju'avait fondée Duplessis-Mornay. Tout à coup la révocation de l Edit de Nantes avait été sig-née; et, les portes des Académies françaises fermées, les chaires brisées, les élèves dissipés , il fallait (j^u'après cin(juante ans de persécutions, quelques jeunes g*ens ig-norants passas- sent la frontière pour aller dans une maison obscure ressaisir la tradition interrompue, et se remettre diffi- cilement à l'étude de questions depuis longtemps ré- solues !

Les Eg-lises avaient heureusement plus besoin d'hommes de dévouement que d'hommes de savoir. Les pasteurs qu'elles demandaient, étaient ceux dont nulle peine ne pouvait éteindre l'ardeur, nul dang'er nb ittre l'intrépidité; c'étaient ceux qui, sans trêve ni repos, étaient capables de courir les villes et les vil- lages, de convoquer les assemblées aux heures noc- turnes, de prêcher, d'exhorter, de consoler; c'étaient ceux enfin qui savaient braver la mort et souffrir le martyre.

Les étudiants étaient de bonne heure préparés aux labeurs de leur future position. Ils étaient accoutumés,

46 AUSTÉRITÉ DE LA VIE '

pendant leur séjour à Lausanne, à la frug-alité et à la fatig-ue ' ; ils s'eng-ag-eaient à pied dans la montag-ne, escaladaient les cimes du Jura, montaient à clieval, battaient le pays, et s'habituaient à la peine. Admi- rable pays d'ailleurs et merveilleusement disposé pour cette vie !

Nul plaisir surtout et nulle joie. Ces rudes campa- g-nards, g-rossiers un peu et qui ne connaissaient ni n'aimaient les usages des salons, étaient assez mal vus par la population aristocratique du pays de Vaud. On riait volontiers de leur patois lang'uedocien ; leur mise prêtait à la raillerie, leur lang-ue et leurs habitudes. Les étudiants mêmes, ceux de l'Académie, les fils de fa- mille, ceuxf[ui n'avaient point craint démonter la g'arde autour de la prison l'on avait enfermé l'héroïque major Davel, faisaient peu de cas et méprisaient ces fu- turs pasteurs qui pouvaient ne point les ég'aler par le savoir, mais qui les dépassaient de toute la hauteur de leur taille par le coiu"ag-e et la noblesse des senti- ments. C'étaient ]30ur les séminaristes des années d'aus- tère apprentissag-e , passées dans la solitude et dans le travail. Encore, lorsque plus tard ils y songeaient, leur paraissaient-elles douces et agréables !

« Vous l'avoucrai-je, Messieurs et très-chers amis, leur écri- vait un ancien condisciple, qu'il est difficile de se rappeler des moments si précieux, sans être tenté de les regretter et sans être porté à souhaiter de voir leur retour, placé comme l'on est dans plusieurs circonstances peu agréables, privé de respirer librement et publiquement l'air des villes et de la campagne, obligé d'inventer, d'étudier et de prendre les mesures propres à

1 9. (1744.)

LA PATRIE

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dissiper tout autant do projets et d'entreprises que font nos en- nemis pour nous enlever du monde !.... IVofitez, Messieurs et très-chers amis, profitez, vous qui restez à Lausanne à l'ombre d'une puissante protection, profitez de tant d'avantages qui vous sont offerts et qui sont mis à votre disposition, tandis que je me contente de soupirer vainement après leur possession »

Ils étaient libres eu effet, libres de penser et libres d'ag-ir. Ils pouvaient en toute sécurité, sans craindre les soldats ou les espions, travailler, vivre ; et ce re- pos inconnu en France avait tout le charme du bien le plus précieux.

Car le souvenir de la patrie ne les quittait jamais. C'est aux travaux qui les attendaient, aux souffrances prochaines, à la lutte, aux courses, aux ennemis, qu'ils song'eaient sans cesse ; et que de fois au milieu de ces imag'es, sombres ou g'aies, se dressait, sinistre, celle de l'échafaud ! Tout leur rappelait la France et ses malheureuses Eglises : les lettres que leur en- voyaient les fidèles et les conversations particulières, les exhortations d'Antoine Court. Penser à la France, c'était leur vie. Ils se réunissaient quelquefois entre eux ; ils allaient encore chez les rares familles qui les recevaient, familles de réfugiés, et de quoi parler, sinon de la patrie absente ? Court lui-même, et c'était comme un sacerdoce, ne les entretenait guère que sur ce sujet. Il les aidait de son expérience, les prévenait des périls, leur indiquait les moyens de les fuir; surtout, il les remplissait de son ardeur et de son courage. « Je lui proposai il parlait de l'un d'eux de destiner son ministère pour des Eglises, il y a une abondante

1 1, t. XIV, p. 23, 231. (Oct. 1742.) De Pradel.

48 L'Héroïsme

moisson à faire, et il n'y a pas de pasteurs fixes et établis, telles que sont celles du côté de Bordeaux. » Il aimait parler avec eux des succès obtenus par leurs coUèg-ues, il leur disait les bonnes nouvelles, il les fai- sait participer à sa joie; et quand il apprenait quelque catastrophe, il pleurait avec eux. Quel coup que l'an- nonce d'une mort inattendue ! Et que de fois, tout à coup, ce bruit terrible courait : Vous savez? En reve- nant du prêche, il a été pris ; son procès a été instruit ; il est condamné au gibet; le g"ibet va se dresser; il n'est plus, notre bien-aimé martyr ! On l'avait vu partir, une année avant, joyeux et libre, remplissant la ville entière de son ardeur et de sa jeunesse, disant un dernier adieu, jurant de revenir plus tard ; douze mois ne s'étaient pas écoulés, et l'on apprenait son sup- plice ! Et cependant, ceux qui restaient, austères et inébranlables, persistaient dans la périlleuse voie. Les premières larmes versées, ils reprenaient leur stoïijue attitude. Un jour, ils venaient d'apprendre une funèbre nouvelle ; le lendemain. Court écrivait : « Cette mort, bien loin de causer quelque décourag-ement parmi nos jeunes g'ens, ne sert qu'à enflammer leur zèle. Rien n'est si beau que les sentiments qu'ils expriment, et ce (j[u'il y a de plus dig-ne d'admiration, c'est que depuis cette mort il se présente deux nouveaux sujets ' . »

Lorsque le temps qu'ils devaient passer au séminaire était écoulé, ils étaient consacrés pasteurs. Cette céré- monie s'accomplissait généralement à Lausanne, dans

» N' 7, t. VII, p, 57.

LA CONSÉCRATION

49

une chambre haute, en présence des professeurs et des directeurs de l'étabUssement ; probablement aussi le comité de Genève s'y faisait représenter.

Ce fut une g"raA'e affaire que d'obtenir, soit des Eglises, soit de Berne la permission de donner l'ordi- nation dans une ville étrangère. Lorsque les premiers séminaristes étaient venus en Suisse, il avait été con- venu qu'ils ne s'y feraient pas consacrer. Ils devaient être reçus pasteurs en France et au Désert. En 1729 cependant, Roux etBoyer, à leur départ de Lausanne, se rendirent à Zurich, et malgré quelques oppositions ' , parvinrent à recevoir l'ordination de la Chambre Ec- clésiastique de cette ville - . Antoine Court était encore

1, t. V, p. 321. (1731.)

2 Attestation donnée par la Chambi-e ecclésiastique de Zurich, ;i M. le ministre Roux.

Aux lecteurs, salut.

Comme notre grand Pasteur de brebis et le souverain Seigneur de la moisson, voyant les troupes, fut ému de compassion envers eus de ce qu'ils étaient dispersés et errants comme des brebis qui n'ont pas de pasteurs, il dit à ses disciples : « Certes, la moisson est grande ; mais il y a peu d'ouvriers. Priez donc le Seigneur de la moisson qu'il en- voie des ouvriers en sa moisson. » Si ce discours de notre bienheureux Sauveur a eu son accomplissement au temps de sa chair, il ne l'a pas moins de notre temps, et principalement dans le pays nous voyons des troupeaux entiers dispersés dans plusieurs déserts. La gi-âce de Dieu est pourtant plus grande, puisqu'il envoie et qu'il pousse pour ainsi dire de temps en temps des ouvriers dans cette grande mois- son, et qu'il excite pour être pasteurs ceux qui par un courage apos- tolique risquent leur vie et portent leurs âmes dans leurs mains.

Nous pouvons compter dans ce nombre, le révérend frère en Christ M. F. Roux, de Caveyrac, diocèse de Nîmes en Languedoc, qui s'étant dévoué premièrement à Dieu et à son fils Jésus-Christ, et puis au service de son Eglise pour la mieux pouvoir servir, a jugé à propos d'en recevoir auparavant une ordination légitime; et pour cet effet, il s'est adressé au Consistoire ecclésiastique, lequel corps, ayant lu ses attributions, lui fit subir les examens nécessaires à ce saint des- II 4

50

LA CONSÉCRATION

en France, lorsqu'il l'apprit. A cette nouvelle il s'in- digiia.

« ... Je vois dans votre installation, écrivit-il à ses doux jeunes collègues, la discifiline sapée par son fondement, l'union la plus nécessaire violée de la manière la plus insultante, et les per- sonnes qui méritaient le plus votre confiance méprisées d'une manière sans exemjde. Quel sujet d'aflliction ! L'auriez-vous oublié, mes très-honorés frères, que notre discipline ne soufl're pas que l'on soit reçu dans des Eglises étriangères, et auricz- vous si peu consulté votrc.honneur, votre réputation, que de vous faire recevoir, sans rechercher l'approbation de ceux qui étaient peut-être les seuls en droit de vous la donner ou qui étaient du moins les seuls en état*... »

En même temps, Court, Durand et Rog*er résolu- rent de ne point reconnaître Roux et Boyer pour leurs légitimes collègues. Cependant les pasteurs de Genève écrivirent, implorèrent, et cette querelle, qui paraissait devoir s'envenimer, finit par s'apaiser. Un Synode national, en 1730, décida que les étudiants

sein, et lui lit prononcer un sermon sur le texte donné selon la cou- tume des Académies. L'ayant entendu avec applaudissement et beau- coup d'éditication, on n'eut point de doute de lui faire tenir la sainte ordination au saint ministère par l'imposition des mains, par des prières ecclésiastiques et par des remontrances et de salutaires exhor- tations. Cet acte s'est passé le lundi 4 avril 1729, à Zurich, en présence du très-vénérable Autiste M. Neulch... et de tout le corps ecclé- siastique, par le service et par les mains de Jean-Baptiste Ott, archi - diacre de la même Eglise. Nous prions Dieu pour ce nouveau frère en Christ, et nous lui souhaitons que partout oti la vocation de Dieu l'appelle, il y puisse aller, et y soit reçu avec une abondance de l'Evan- gile de Jésus-Christ. Amen.

Signé: Jean-Baptiste Ott, archidiacre de l'Eglise cathédrale de Zurich, et scellé de son cachet ordinaire. 17, vol. P, p. 397.

» 7, t. III, p. 429. (Mai 1729.) V. Pièces et documents, n" III.

LA CONSÉCRATION

51

seraient libres désormais, à moins qu'on n'en ordonnât autrement, de se faire consacrer dans les Académiqs étrang-ères. En 1731, deux nouveaux étudiants, Com- bes et Claris, furent ordonnés pasteurs, non à Zuricli cette fois, mais à Lausanne même. Ce fut une ques- tion définitivement vidée, »

Comment Berne avait-elle toléré que les sémina- ristes fussent consacrés dans une ville de son g'ou- vernement? « Les uns et les autres, écrivait Court, ont été reçus par la permission du souverain et par ordre de l'Académie, après un examen qui a été fait avec édification. J'ai été présent à la consécration » Berne probablement avait cédé aux sollicitations des mêmes personnag'es qui lui avaient arraché la per- mission d'ouvrir le séminaire, et elle avait promis de tout accorder, en fermant les yeux. Une condition avait été cependant imposée, c'est que cette cérémonie se ferait sans éclat et qu'on l'entourerait du plus g'rand secret. On devait en outre lui demander une autorisa- tion spéciale pour la consécration de chaque étudiant, et elle se réservait le droit de la refuser.

«...M. leDoyen, écrivaitCourtà FAdvoyer Steiguer, vous aura sans doute informé que nous avons un jeune homme d'assez grande espérance consacré aux Eglises de la croix, qui souhai- terait avant de partir d'être initié dans le saint Emploi du minis- tère. Osera-t-il se flatter qu'on passera sur les grandes et pe- tites difficultés et qu'on lui accordera ce qu'il demande »

Les ordres nécessaires étaient alors donnés; mais nul papier, nulle lettre ne pouvait être inscrite au

» 7, t. III p. 468. (1730.) « 7, (. IV. (Juin 1733.)

52 I^A CONSÉCRATION

reg"istre de l'Académie « pour des raisons, disait un jour le trésorier Reig-uer, que chacun voit facile- ment '. i> Bien plus, les récipiendaires devaient jurer de g-arder le secret. C'est ainsi qu'ayant reçu l'ordre de dire qui lui avait donné le pouvoir de faire toutes les fonctions de ministre, Claris répondit ([uil avait reçu l'imposition des mains « dans une ville de Suisse, dont il ne savait le nom. »

Le secret cependant ne fut pas si bien observé qu'on ne conniit ce qui se passait à Lausanne. En 1741, M. de Montrond se trouvant à Berne, vit le banner(;t Tiller et apprit de lui qu'un proposant s'était vanté publiquement de recevoir l'imposition des mains. Le banneret était mécontent. Il déclara que LL. EE. de- vaient observer une g'rande prudence, l'ambassadeur de France résidant à Soleure, et que les séminaristes pourraient bien se faire consacrer au Désert. L'émoi fut g-rand. M. de Montrond affirma que la chose était impossible, que le secret était g-ardé, que les consécra- tions se faisaient silencieusement dans une chambre haute, et qu'ils ne donnaient jamais de papier qui pût compromettre le g-ouvernement bernois vis-à-vis de la France ^. Court fut oblig-é d'écrire un mémoire pour obtenir de LL. EE. qu'elles continuassent à se montrer bienveillantes et tolérantes. Il y parlait de l'influence et du prestig-e qu'exerçaient sur les popu- lations les pasteurs consacrés à l'étrangler, des catho- liques qui méprisaient les prédicants de France à cause de leur ig-norance, et des dang-ers des consécrations au

1 1, t. VI, p. M. (1730.)

2 1, t. XII, p. 251. (Déc. 1741.) V, Pièces et documents, n" IV.

LE DÉPART 53

Désert Berne se radoucit. En 1744, le comité de Genève décida que les proposants recevraient l'im- position des mains à Lausanne, comme par le passé, cela aussi long-temps que le permettrait le g-ouver- nement bernois. Cependant , comme des difficultés pouvaient surg-ir, et que Salchly et Rucliat se prêtaient avec peine à ces réceptions secrètes, les Eg-lises furent invitées à consacrer elles-mêmes leurs pasteurs ^. Plus tard en effet, les étudiants du Lan- guedoc allèrent g-énéralement recevoir l'ordination dans cette province; il nj eut guère que les étudiants originaires des autres parties du royaume qt;i conti- nuèrent à se faire consacrer à Lausanne.

Il faut revenir aux séminaristes. Lorsque le der- nier acte de la cérémonie était accompli, quand les prières étaient terminées et le baiser de paix donné, arrivaient les dernières scènes, les derniers adieux. Il fallait rentrer en France. Le Désert les réclamait.

Ils partaient en grand secret, seuls parfois, souvent par petites bandes. Ils passaient la frontière sous des faux noms , avec de faux passe-ports, se donnant pour des marchands ou revêtant tel ou tel autre person- nage. En 1730, quatre jeunes pasteurs quittèrent Lau- sanne. Quelques jours après, l'un deux écrivait :

« ...Cher ami, le premier jour de marche fut celui d'épreuve pour la fatigue. Ces Messieurs qui s'étaient amollis par le peu de travail qu'ils avaient fait depuis quelque temps, du moins de

» N" 5, n" XIII. (1741). V. un certificat donné h Peyrot. Pièces et documents, n" V. 2 N" 9, p. 25, (1744.)

^ LE DÉPART

travail de cette nature, sur le soir, semblaient n'avoir do bou- ches que pour so plaindre. M. Las(sagne) avait toujours les mains a ses reins, et, sans compliment, lorsqu'il s'approchait de quelque lit, il en mesurait d'abord la longueur. M. Faure était fatigué du chemin. Ce n'était pas le tout. Il était chagrin d'avoir en partage un cheval à qui on ne pouvait disputer le titre de Rosse et qui ne tarda pas bien du temps à mériter le nom de Flanquine. Messieurs Com(bes) et Fau(re) étaient fati- gués, mais leurs chevaux n'ayant donné aucune marque do ré- beUion, ils étaient un peu plus tranquilles. Le lendemain au matm nous passâmes h Pont(arlier), sans entendre dire de nous que ces deux mots à un garçon de boutique : « Voilà quatre Suisses qui passent. » Le soir nous arrivâmes à Arbois, un peu moins fatigués que le jour précédent. Le samedi à Montfort en- core mieux portants, à la réserve de M. Faure, qui, quoique moins fatigué du chemin, était plus chagrin qu'à l'ordinaire de voir son Flan... lui refuser ses services. Le dimanche matin, Flan... qui s'était opiniâtré tout de bon à ne vouloir plus rien faire, nous fit aviser de nous servir du vin et de la verge. Ainsi par le moyen d'une bonne ration d'avoine bien trempée dans le vin et par le secours de nos fouets, cette lâche bête porta nos cavaliers jusqu'à Saint-Amour, se trouvait par hasard une chaise vide qui allait à Bourg en Bresse. Nous la chargeâmes de notre chagrin, et lui ayant attaché notre écharde par der- rière et bien recommandée à un cocher qui avait le soin de lui bailler les étrivières de temps en temps, nous arrivâmes à cette dernière ville dans un assez peu de temps. Ce soulagement de Flan... nous procura le moyen d'aller coucher le soir à Saint- Paul, et le lendemain à Lyon. Heureuse arrivée! Lieu désiré particulièrement de M. Fa(ure)qui trouvait des adoucissements à ses chagrins dans l'espérance de prendre dans cette ville un bateau pour voiture et d'embarquer avec lui son ingrat ser- viteur ! Mais malheureusement notre compagnon de voyage se trouva trompé dans son espérance. Il n'y eut point de ba- teaux prêts à partir, et il fallut se remettre ou se résoudre à monter un cheval, qui, quoique bien pansé, avait l'indis-

LE DÉPART

55

crétion de voir marcher son maître , sans s'en mettre en peine. Les choses étant ainsi, nous lui conseillâmes de faire de petites journées, et après l'avoir embrassé et recommandé à la protection divine, nous primes le chemin de Saint-Etienne, oii arrivé heureusement, M. >Las(sagne) qui commençait à oublier l'accident qui lui était arrivé en présence de M. du Cayla, eut la douleur de voir son cheval boiter; et, cela s'augmentant, fut, bientôt hors d'état d'être monté. Le jeudi matin, nous laissâmes notre cher frère à deux lieues d'un endroit oîi il avait des con- naissances et dans le dessein de laisser sa jument au logis jusqu'à ce qu'elle serait en état de se rendre besoin sera. Le vendredi au soir, nous arrivâmes sur la montagne, et c'est oii nous surprimes agréablement les amis, et après y avoir séjourné deux jours, nous nous séparâmes dans le dessein d'al- ler un chacun du côté de ses plus proches parents »

Malgré les périls, ou le voit, nulle crainte, nulle ter- reur. Tout servait de prétexte à exciter leur gaieté et soutenir leur courag-e. Ils aimaient jouer leur nouveau rôle, vrais Français qu'ils étaient, en bravant le dan- ger, le rire aux lèvres, sans bravade ni forfanterie. Combien cependant, qui parcouraient cette route avec tant d'insouciance, devaient, à peine arrivés au but, mourir misérablement sur le gibet !

Quelques pasteurs n'étudièrent pas au séminaire de Lausanne. En 1729 déjà, Bàle offrit aux Eglises d'entretenir à ses frais dans son Académie « un jeune liomme de talent ^. » En 1745, elle renouvela ses offres Ce fut un nommé Gabriac qui les accepta. Mais Bâle était allemande; il s'y déplut, -n'y resta pas moins.

1 N" 1, t. VI, p.459. V. aussi un autre récit, n°l, t. XXVII et XXVIII î 12, p. 277.

3 N" 7, t. VI, p. 340 et n" 5, u" XV.

56

BALE ET LE SÉMINAIRE

<< . ..Tout (le suite, je fus ])lacé au collège des étudiants en théo- logie ; il y en a vingt et deux. Tous parlent en latin ou en alle- mand, excej)té deux. Je vous laisse ù juger quel plaisir pou- vais-je avoir d'être parmi tous ces Messieurs, sans pouvoir leur dire une seule parole, ni demander une goutte d'eau aux gens de la maison. Sans compter qu'on y est très-mal. Les ali- ments n'y sont guères bons et encore moins propres; et si les étudiants n'en achetaient pas de leur argent, ils ne pourraient pas subsister. Les chambres y sont fort désagréables : la plu- part ressemblent (à) des prisons, et ce sont celles qui sont des- tinées aux derniers qui viennent; pour comble de mesure, il faut que ceux-là servent les autres à table du pain, de la soupe, cl de la viande »

Se troiiva-t-il d'autres Académies, qui imitèrent celle de Bùle On ne peut l'affirmer, mais rien n'est plus })robaljle. C'était une manière, et non la moins tou- chante, de secourir dans leur détresse les fidèles sous la croix.

Le grand foyer cependant fut à Lausanne : il y brilla jusqu'à la fin du siècle. C'est dans cette ville que vin- rent pendant soixante-dix ans, étudier près de trois cents pasteurs ^. Jusqu'en 1744, il en était venu quatre

< N" 1, t. XVII, p. 225. (1745.)

- V. aux Pièces et documents, ii° VI : la liste des étudiants dejnds 17 26 jusqu'à 1753. Le gouvernement français ne devHit certai- nement pas ignorer l'existence du séminaire : son Résident avait l'en informer. Cependant il ne faisait pas de réclamation, le laissait vivre, fermait les yeux.

En 1787, un jésuite, l'abbé Lenfant tit prendre des informations au- près d'un coniîdent de l'Evêque de Lausanne, de Lentzbourg, et voici ce qu'il apprit :

'< Il existe dans cette ville un séminaire distinct eu tous points de l'Académie qui est j)Our les Suisses. Là, se trouvent vingt ou vingt- quatre Français protestants, qui doivent avoir des Eglises dans leur pays. Ils y restent trois ans, font des cours de morale, philosophie, théologie, écriture sainte, sous des professeurs distincts de l'Acadé-

NOMBRE DES ÉTUDIANTS

57

par an ; mais dès cette époque le nombre s'accrut con- sidérablement. « Plus il sera grand, disait Court, plus il en résultera du bien pour les Eglises. La moisson est grande et les ouvriers sont rares. Des provinces en- tières, des villes opulentes en réclament ; elles en man- quent ' . » Il obtint de l'boirie de Genève qui se mon- trait prudente et économe, que l'on otirît douze places par an. Ce fut pour lui une joie immense. « Il eut fallu pouvoir lire dans mon âme pour se former une juste idée de la joie dont elle était remplie et pénétrée d'un pareil succès ^. » On voit en effet que de 1726 à 1753 seulement , le séminaire de Lausanne compta quatre-vingt-dix étudiants. Paul Rabaut y vint, Jean

mie sans en porter le titre. Les uns sont consacrés par ces maîtres en chambres privées; les autres après avoir été examinés et après avoir obtenu un acte de capacité, surtout les Languedociens, retournent chez eux et sont consacrés et prennent les ordres des mains mêmes du Synode de la province. Un comité de sept à huit personnes, laïcs et ecclésiastiques, souvent les plus comme il faut de la ville de Lau- sanne, soignent les personnes, mœurs et intérêts de ces jeunes-gens, les placent eux-mêmes en diverses pensions, et leur donnent environ 40 ou 36 livres de France par mois. »

Et le père Lenfant aussitôt de s'écrier : «Le voile du mystère qui couvre les rapports entre les ministres d'une secte anti-monarchique et les gouvernements républicains, suppose un projet ténébreux; ce secret seul suffit pour donner des inquiétudes au gouvernement. » {Revi'e suisse, t. XIIL p. 3G1) Louis XVI ne s'émut point de ces paroles, et le séminaire continua à jirospérer pendant la révolution. Au com- mencement du siècle, il fut transféré à Genève il aurait s'ouvrir tout d'abord, si la peur de la France n'avait point arrêté l'exécution des meilleurs desseins. Enfin Napoléon I" fonda la faculté de théolo- gie protestante de Montauban, et les étudiants cessèrent dès cette épo- que de franchir la frontière, pour écouter des leçons qu'ils pouvaient désormais, et en toute sécurité, entendre dans leur propre patrie. Ce fut le dernier coup porté h ce modeste et utile établissement.

I N" 7, t. YI, p. 454. {174.").)

« 7, t. IX, p. 297. (1748.)

58 NOMBRE DES ÉTUDIANTS

Bon Saint- André, Court de Gebelin, le conventionnel Marc-David Alba, dit La Source, Vincent, Guizot, Ra- baut Saint-Etienne, Jean Broca, Gachon, combien d'autres moins connus et aussi dignes de l'être.

« Etrange école de la mort, a dit de cet établisse- ment un illustre écrivain, qui défendant l'exaltation dans un modeste prosaïsme , sans se lasser, envoyait des martyrs et alimentait l'échafaud ! » Ce jugement a été ratifié par l'histoire ; il restera éternellement gravé au fronton de l'édifice.

CHAPITRE III

LE REFUGE AU DIX-HUITIÈME SIÈCLE 1730-17G0

Un jour, un élève di^ séminaire , curieux de savoir d'où provenait l'arg-ent de sa pension, le demanda au professeur Polier. Mais Polier deA^enant g-rave : « Que vous importe, pourvu que vous l'ayez régulièrement?» Personne ne disait en effet d'où venaient les fonds destinés à l'entretien du séminaire, comment ils avaient été obtenus, ni quels étaient les donateurs; on obser- vait à cet ég"ard un profond silence. Quelques hommes étaient seuls dans le secret, et ils le g-ardaient.

A Genève siégeait un comité composé d'hommes sûrs et dévoués : Vial, Maurice, Turrétin, plus tard Pictet, Lulliu, M. de Vég'obre, plusieurs autres. Ce comité, usant de très-g'randes précautions, brûlant au bout d'un certain nombre d'années les papiers compro- mettants, écrivant en chiffres ses procès- verbaux, afin que ses papiers n'apprissent rien au gouvernement français, s'ils étaient saisis, recevait l'argent des bienfaiteurs, le plaçait, le déplaçait, en disposait et ne rendait compte à personne de sa gestion. Seuls, les directeurs du séminaire étaient tenus au courant de

fiO

COMITÉ DE SECOURS

ce qui se passait Ainsi l'avaient voulu les donateurs. Ce comité s'appelait l'hoirie. On l'appelait encore ; V Association de secours pour les fidèles affligés ^.

Il est facile cependant aujourd'hui de dévoiler le mystère et de connaître, du moins sous les traits prin- cipaux, ce que l'on cachait si soig-neusement. Ceux qui, pendant tout le dix-huitième siècle, soutinrent de leur arg-ent les églises de France, furent les Princes protestants de l'étranger et les anciens réfugiés. Peut- être aussi les religionnaires subvinrent-ils plus tard aux frais du séminaire. En 1744, l'hoirie ne voulait ou ne pouvait annuellement accorder que six bourses aux étudiants ; mais Antoine Court désirait ardemment les porter au nombre de douze. Il s'adressa à ses frères de France. « C'est à fournir à ce secours que j'exhorte tous nos frères, tous les membres qui composent nos chères Eglises, mais en particulier tous nos bons bour- geois et riches marchands. Rien ne saurait s'offrir de plus beau ni de plus glorieux pour faire briller avec éclat la générosité dont je suppose qu'ils sont animés »

' En 1752, le comité directeur de Lausanne se composait de M. de Montrond, de Polier, de Louys de Chéseaux, et très-certainement de Court. Cependant il n'en est pas fait mention. (N° 37, p. "i.)

2 N" 9, p. 17. (1744.) «M. le professeur Maurice se trouvant indis- posé, Messieurs nos respectables associés pour le secours des fidèles affligés voulurent bien suppléer au voyage qu'il ne pouvait faire en se rendant auprès de lui le 16 novembre 1744. On employa la soirée, le lendemain et une partie du matin du 18 dud. ;i examiner sous les yeux du Seigneur ce qu'il y avait à faire dans les circonstances pré- sentes pour l'affermissement de la paix des fidèles et pour le bien de leurs chères Eglises. M. le professeur Polier fut prié de diriger la conférence, l'on tâcba de prendre en considération tous les articles nécessaires... »

s N- 7, t. VI, p. 4. (Nov. 1744.)

DÉPART DE DUPLAN

61

Il revint souvent sur ce sujet. Qu'on collecte des fonds, disait-il, et que des gens de confiance en soient les dépositaires : on indiquera les moyens de les faire parvenir \ Nous essayerons, lui répondit Rabaut; mais ce sera difficile de lever un fonds dont l'intérêt four- nisse à l'entretien de six étudiants. L'Eg'lise de Nîmes pourrait subvenir à la dépense de deux d'entre eux. Nous pourrions faire des collectes annuelles ^. Il ne paraît pourtant pas que le projet ait été mis en exécu- tion. La persécution survint. Ce fut l'argent étranger qui continua d'entretenir le séminaire, comme il avait entretenu les Eglises.

Duplan, après avoir parcouru en tous sens la Suisse, comme député général, fut engagé en 1730, par un Synode national, à se rendre dans les autres pays pro- testants. Ses lettres de créance furent confirmées. Au commencement de 1731, il partit'*.

« Vous prendrez beaucoup de peine, lui disait-on à Genève, vous dépenserez beaucoup d'argent, et vous n'obtiendrez pas grand'cbose. » Grandes et fausses

' Il disait encore : ^N" 7, t. V, p. 361) 15 janv. 1745. « ... Vous ne sauriez, mes très-chers frères, prendre trop de soins et d'application po'ir disposer les esprits à cette bonne œuvre et pour y travailler sans rjtard. La Providence ne saurait se manifester d'une manière plus sensible en faveur de nos chères Eglises qu'elle le fait. Quel crime ne serait-ce pas à nous, si nous négligions de seconder ses vues. Il le faut réprésenter aux Bglises, et le leur représenter avec force et avec succès s'il est possible. Ne serait-ce pas honteux à elles, si pendant que les étrangers ne négligent rien pour leur procurer de bous ouvriers, elles négligeaient elles-mêmes les moyens qui sont eu leur pouvoir pour s'en procurer, »

îN" 1, t. XVI, p. 168. (1745.)

* ^'"37. V. la copie faite par Vouland de l'original de la charge de Duplan, comme député.

62

LES RÉFUGIÉS

prédictions. Ce voyage ue devait durer qu'un an, il dura quatorze ans; il ne devait donner aucun résul- tat, il assura l'existence du Protestantisme.

Duplan ne se trompait point, lorsqu'il assurait, avec tant d'autorité aux Eg'lises et à l'hoirie, que les gou- vernements étrangers et les familles du Refuge se hâ- teraient dans leur généreuse charité de secourir leurs frères sous la croix ^

Les réfugiés, après la révocation de l'Edit de Nantes, s'étaient fixés dans presque toutes les nations du monde. On en comptait en Suisse, en Hollande, en Angle- terre, en Prusse ; le Brunswick en possédait, la Suède, le Danemark, la Eussie et même l'Amérique.

Tout d'abord, et jusqu'à la paix d'Utrecht, ils avaient espéré rentrer un jour en France. L'obstination de Louis XIV, les persécutions incessantes, l'édit de 1715 leur avaient bientôt enlevé tout espoir. Ils s'étaient alors résignés à leur nouvelle position.

Ils jouissaient d'ailleurs d'une pleine et entière li- berté de conscience ; ils avaient leurs pasteurs, leurs temples, leur ancienne organisation ecclésiastique. Les gouvernements des pays qui leur avaient donné l'hos- pitalité, les traitaient avec une rare bienveillance; leurs pauvres étaient secourus, les familles riches étaient reg'ardées avec honneur et même arrivaient aux dignités. Quelques-unes étaient dans la diploma- tie, le plus g-rand nombre dans l'armée, elles occu- paient de hauts grades. C'est un réfugié, Pierre de Montargues, qui sous les yeux du roi de Prusse di-

1 V. tome I^', chap. ix.

LES RÉFUGIÉS

63

rigea les opérations du siège de Stralsund. C'est en- core un réfug-ié, Ruvig'ny, tour à tour nég-ociateur et f^énéral, que le roi d'Angleterre cliarg-ea de remplacer Charles de Scliomberg- en Savoie, et qu'il nomma Ré- sident auprès du duc Victor-Amédée. Beaucoup s'é- taient aussi fait connaître dans les lettres et les sciences. Il y avait des écrivains illustres, des ora- teurs, des savants; plusieurs princes les traitaient avec bienveillance et les tenaient en haute estime. Mais sur- tout les marchands, les nég-ociants la classe bour- geoise — avaient prospéré et s'étaient définitivement attachés à leur nouvelle patrie. Ils avaient pris racine les hasards de l'émigration les avaient jetés; par leur travail, leur activité et leur goût, ils n'avaient point tardé à refaire l'édifice de leur fortune écroulée. « 0 nacelle battue de la tempête! s'était écrié autre- fois Saurin, vas-tu être engloutie dans les flots! » La nacelle avait échappé au péril, elle voguait à pleines voiles sur un calme océan.

C'est à la porte de ces réfugiés que Duplan allait frapper. Sa mission était fort simple. Il allait quêter de l'argent pour quatre objets : l'achat de livres des- tinés à la France, le traitement des pasteurs que les Eglises ne pouvaient pas payer, les secours à donner aux galériens et aux prisonniers, l'entretien enfin du séminaire de Lausanne \ On voit en effet que les sommes obtenues furent affectées à ce quadruple usage ^. Peu à peu cependant le séminaire en prit la plus large part, et finit par les absorber presqu'en

» N. 37, p. 53. « Ibid.

64 PREMIERS SUBSIDES

totalité. Ce fut toutefois avec l'autorisation des Eglises. En 1744, Court fut chargé d'eng-ager le Synode à décider : « que les fonds et les revenus des sommes collectées dans les pays étrangers, en leur faveur, seraient employés en premier lieu à l'entretien du susdit séminaire, comme étant ce qui pouvait contri- buer le plus efficacement à maintenir la prédication de l'Evangile au milieu des Eglises '. » Le Synode acquiesça volontiers à la demande.

« On m'a fait, écrivait bientôt Duplan, une des- cription de ces insulaires, tant iVnglais que Français, qui ne leur est pas fort avantageuse. On me les a dépeint comme des personnes extrêmement dures, avares, livrées à leurs plaisirs et à leur négoce. Ainsi ce n'est ni sur mon habileté, ni sur leur charité que je fonde mon espérance d'obtenir des secours en faveur de nos compatriotes. C'est uniquement sur la grâce de Dieu, qui fait fondre les rochers en eau et les cail- loux en huile, quand il lui plaît -. » Toutefois il ne se décourageait point. Avant de se diriger vers l'An- gleterre, il avait vu une dernière fois « les amis de Suisse y> qui lui avaient promis de continuer leurs secours En passant à Cassel, il avait obtenu du roi de Suède deux cents écus, et à Francfort l'Eglise française lui avait fait un riche présent ^. Il arriva au bout de quelque temps, en Angleterre, et passa deux ans à Londres, sollicitant sans trêve ni repos la

« 36, p. 59.

2 ]2, p. 507. (Sept. 1731.)

3 V. Pièces et documents, n" VI. * N" 9, p. 154.

L'ANGLETERRE

65

chariti' deri réfug-iés. Malheureusement ses craintes parurent tout d'abord se réaliser.

Les descendants des réfugiés étaient devenus « en- tièrement étrang-ers à la patrie abandonnée par leurs ancêtres, et n'en conservaient plus (pi'un vag'ue sou- venir. Absorbés peu à peu par la nation (p;i les avait accueillis, ils avaient cessé d'être Français. La trans- formation fut lente, mais continue. On peut en suivre les prog-rès en voyant disparaître successivement les Eglises fondées dans le commencement du refug-e. Sous les règnes de Jacques II et de Guillaume III, on en comptait trente et une à Londres. En 1731, elles étaient déjà réduites à vingt, mais qui se rem- plissaient encore d'une foule nombreuse de fidèles. Neuf furent fermées de 1731 à 1782 •»

Duplan, dès son arrivée, prit pour interprète un pro- testant récemment forcé de quitter la France; il com- mença aussitôt son œnvre de quêteur.

«... Je fus rendre visite à des personnes de chez nous qui sont fort riches et que je croyais animées du zèle de la maison de Dieu. Je crus qu'elles embrasseraient avec joie l'occasion de ré|)andre la lumière de l'Evangile dans notre patrie, sur la- quelle Dieu a commencé de jeter des yeux de comjiassion. Après que j'eus étalé l'état de nos Eglises et leurs besoins de la manière la plus pathétique qu'il me fut possible, on me répon- dit clair et net que les pasteurs mangeaient ordinairement pres- que toutes les collectes »

1 V. Weiss. Histoire des rc'fvgics protestants de France, t. \, p. 363.

Nous ne possédons malheureusement que des lettres trop rares de Duplan. Combien eût-il été intéressant d'avoir sur l'état des réfugiés au dix-huitième siècle, les notes prises sur le vif par cet infatigable voyageur 1

« 12, p. 524.

II 5

«6

LA HOLLANDE

Ce début était de fâcheux aug'ure. Duplan cepen- dant, courut, visita, insista, montra ses lettres de créance, parla, exposa, et parvint à former une société qui promit d'accorder de temps à autre quelques se- cours. — Il ne lui fallut pas une moindre persévé- rance pour obtenir quelque argent de la cour d' An- gleterre. Il dut gagner à ses intérêts la reine et le chevaliers. (Schaub); encore ne fut-ce qu'après deux ans de sollicitations pressantes que le roi voulut bien faire aux Eglises un présent de mille pièces d'or. Il pro- mit, il est vrai, de le répéter chaque année ; et la reine nomma l'évèque de Londres pour réclamer ce don royal *. « J'ai bien souffert, écrivait Duplan, et pris de peine, avant que de voir aucun frais de mes soins; mais enfin. Dieu soit loué, que mon voyage n'a pas été inutile ^ . »

En 1733, il passa en Hollande. C'était le pays qui avait reçu le plus grand nombre de réfugiés. Des colonies françaises s'étaient établies à Amsterdam, la Haye, Eotterdam, Leyde et Harlem; les sept pro- vinces avaient été remplies de Français émigrés. Là, avaient brillé Claude, Jurieu, Du Bosc, Superville, Pierre Lyonnet ; Saurîn y était mort depuis quelques années, Benoît y avait écrit son histoire, Jacques Bas- nage s'y était illustré, Janiçon venait de publier l'JEtat de la Répuhlique des Provinces-Unies. C'est dans ce pays enfin que les manufacturiers français avaient conquis la plus grande place. En possession depuis longtemps déjà des droits de bourgeoisie, ils avaient

1 9.

îN" 12, p. 521. (Nov. 1733 )

LA HOLLANDE 67

fondé de g-rands établissements; grâce à eux, l'indus- trie n'avait cessé de progresser. Utrecht était célèbre par ses velours, Harlem ])ar ses étoffes de soie, Leyde par le nombre et le talent de ses imprimeurs, Amster- dam par son commerce. Les réfug'iés, surtout dans les grandes villes, avaient tout d'abord vécu à part, conservant leur langue, se mariant entre eux et ne se mêlant rpie rarement à la société hollandaise. Cepen- dant la fusion commençait de s'opérer et les barrières de disparaître. Dans ce long contact avec les natio- naux, ce résultat était inévitable. Les principaux réfu- giés cliangeaient même leurs noms en noms hollandais.

Lors(pie Duplan arriva à Amsterdam et à Rotterdam, ces villes étaient en fête à propos d'un voyage du prince et de la princesse d'Orange Il parvint à voir les deux illustres voyageurs, et obtint de leur munificence mille florins. A la Haye, il se mit en rapport avec plusieurs familles réfugiées, et y connut des demoiselles de Dan- geau, filles de ce marquis de Dangeau auquel Boileau avait dédié sa fameuse satire sur la iwblesse. Partout, il fut bien accueilli. Les Etats de Hollande lui pro- mirent un secours de deux mille florins payables chaque année, pendant cinq ans, et intercédèrent auprès de Louis XV pour faire mettre en liberté quelques g'alé- riens. C'est ainsi que ving't de ces malheureux furent délivrés, vinrent en Hollande, et y furent pensioiuiés l)ar les Etats ^.

Duplan fut loin de trouver la même g-énérosité

1 N" 12. (Juil. 1734.) « 9, p. 154.

68

LA PRUSSE

en Prusse ^ Frédéric-Guillaume I"' qui avait une si grande admiration ])our ses grenadiers de Pots- dam, ne tenait qu'en médiocre estime ceux qui ve- naient lui réclamer de l'argent destiné à ses sol- dats. Tl refusa de devenir un des bienfaiteurs des Eglises d(^ France ; d'ailleurs il était allié à Louis XV et ne pouvait secourir des hommes que la cour traitait en rebelles. Cependant il promit d'intercéder pour les galériens de France, offrit de recevoir dans ses Etats ceux qui voudraient encore s'y réfug-ier, et fit même proposer à Duplan par un de ses ministres de devenir le chef de nouvelles colonies ^ Duplan refusa et alla quêter chez les particuliers. Un grand nombre de ceux- ci s'étaient enrichis dans la fabrication des draps et des boutons. Le roi avait beaucoup encourag-é ces deux industries, et telle était leur prospérité, qu'en 1733 on avait pu exporter quarante - quatre mille pièces de

1 Sur la situation des réfugiés à Berlin, voici une lettre du pasteur de Vignoles. N" 1, t. VIII, p. 239. (1732.)

« ... Nous avons douze pasteurs français distril)ués en cinq paroisses suivant les villes particulières : A Berlin, proprement dit, dont le temple a été fondé le dernier, M. de Beausohre le fils et Naudé. Colo- gne sur la Sprée, résidence électorale ofi est l'église cathédrale, n'en a point de française. A l'occident, le A'erder, la première et la plus considérable de nos Eglises, que les Allemands fréquentent beau- coup, aMM.Beausobre le père,Pelloutier et Achard. Ces trois villes sont dans une seule enceinte de remparts et de fortifications. .3° Tout à fait à l'occident, est la ville neuve ou la Dorothée-Stadt, sont MM. Gau- thier et Deccomblo. C'est le plus petit et le plus joli quartier de la ville, je demeure depuis vingt-neuf ans, à deux cents pas de l'Ol)- servatoire. Au sud-est, la Fréderica-Stadt, nouvellement bâtie et d'une grande étendue, a MM. Forneret, Dumont et Formé. A l'e.x- trémité méridionale de cette dernière, et pour l'usage des faubourgs voisins, une chai)i'lle sont MM. Chion et de la Grivilière. » Un M. Crequi était ministre de l'hôpital.

* N" 9, p. 156.

LA SUÈDE ET LE DANEMARK

69

draps'. Duplan trouva j)arini ces iiég-ociants des amis dévoués. A Berlin, à Francfort, à Mag"deburg", àLeip- sick, à Hambourg-, il réunit jusqu'à mille écus, et des marchands français vinrent accroître cette somme par un don considérable. ^.

Duplan, quoique fatig'ué de cette vie errante, con- tinua ses courses. « Je n'ai pas fait de grandes ré- coltes, écrivait-il, mais j'ai au moins eu la consolation de faire partout j'ai passé, quelque grapillag-e qui n'est })as à mépriser. Je dois justifier les Eglises et ceux qui les gouvernent ; s'ils ne répondent pas tou- jours à mes désirs, c'est qu'il fourmille parmi eux des pauvres (ju'il faut nécessairement assister préférable- ment aux étrang'ers , de sorte qu'ils se trouvent em- barassés » En 1736, il arriva à Copenhague oii la reine de Danemark avait autrefois attiré La Placette ; la cour ou les particuliers lui donnèrent mille à quinze cents écus. « Dieu , disait-il, n'a pas abandonné son Eglise " . »

De là, il passa en Suède et vint à Stockholm. Les réfugiés étaient en petit nombre dans ce pays, trop éloigné peut-être et trop intolérant ; les nouveau- nés devaient être en effet baptisés par des minis- tres luthériens , partant devaient plus tard aban- donner le calvinisme. Toutefois Duplan fut accueilli avec beaucoup de faveur par le roi de Suède, et il obtint de sa générosité une pension de deux centfe

1 V. Veiss., t. I, p. 189.

2 N" 9, p. 57.

3N» 12, p. 56L (Dec. 1740.) * N" 9, p. l')8 et N" 12, p. 505.

70 RETOUR DE DUPLAN

écus. Le Sénat même de ce royaume lui accorda cin- quante ducats ' .

Ce fut la dernière étape en avant de ce long voyag-e. En 1738, au mois de janvier, il était de retour à la Haye, après avoir visité une seconde fois Copenhague, Hambourg- et affermi dans leurs charitables senti- ments les bienfaiteurs qu'il avait procurés aux Eg-lises. « Me voici arrivé à la Haye depuis quel(pies jours, après avoir visité le pays des Gots et des Vandales. » Il avait, disait-il, harcelé bien des g'ens, mais il espérait, avant la tin de l'année, avoir mis les choses sur un tel pied, que des secours, peu considérables il est vrai, mais fixes et réguliers, seraient annuellement accordés à ses frères de France

Il se trompait. Lorsqu'il arriva h Londres, il trouva toute son œuvre détruite, anéantie. La reine était morte, l'évêque de Londres n'était plus à la cour, le chevalier Schaub était absent, la société qu'il avait fondée s'était dissoute, et le roi, pendant son abseuce et malgré ses promesses, n'avait point renouvelé le don. Fâcheux événements ! Mais encore que la cour d'Angleterre eut cessé, depuis un an, de payer même les huit mille pièces qu'elle donnait depuis la Révoca- tion aux réfugiés nécessiteux % il ne perdit point cou- rage et recommença ses sollicitations près du roi et des riches familles.

Il s'établit dans la capitale et sa maison devint comme un bureau d'adresses. Une infinité de misérables et

1 9. p. 159.

SN" 12. (Janv. 1738.)

3 IbicL, p. 579. (Mai 1738 )

NOUVELLES DEMANDES 71

surtout de prosélytes que le comité de Londres avait pour leur mauvaise conduite rayé de ses listes, accoururent

chez lui et réclamèrent son assistance ' . Mais ses pensers étaient heureusement ailleurs. Il voulait obtenir une seconde fois les subsides accordés par le roi. Après plu- sieurs tentatives infructueuses, et lorsqu'il eut en vain essayé d'intéresser à ses démarches les principaux mi- nistres, il résolut de s'adresser directement « à Sa Ma- jesté Britannique. » Le roi octroya aussitôt mille pièces d'or et s'eng'agea à donner chaque année une somme semblable. Malheureusement il y eut bientôt de nou- veaux retards : le trésor était vide. Duplan, qui était las d'importuner le roi, proposa à mylord Wilming-ton de réduire le don à 500 pièces, si toutefois on pro- mettait de les payer rég'ulièrement et d'assurer cette rente sur un fonds. La proposition fut agréée. Mais les 500 pièces ne furent pas comptées plus rég-ulière- ment que les mille ne l'avaient été. Les choses furent alors remises dans leur ancien état , et Duplan se résig"na à solliciter, chaque année, le don royal \ Heu- reusement la g-uerre se termina, le trésor se remplit, et l'hoirie de Genève reçut sans interruption avec ceux des autres pays protestants les subsides de l'Ang-le- terre. « C'est la meilleure plume de notre aile, écri- vait Antoine Court; une fois perdue, notre oiseau ne volera plus que terre à terre ^ >/ Elle ne se perdit point. L'Ang-leterre fournit aux dépenses du protestantisme français jusqu'aux premiers jours du dix -neuvième

' N" 37, p. 45.

2 9, p. 158.

3 N»37, p. 36.

72 DUPLAN A LONDRES

siècle. Eu 1744, un comité fut même organisé à Lon- dres qui correspondit a^ ec l'iioirie et lui envoya direc- tement les fonds. Il se composait du chevalier Schaub, Vernon, et d'un ministre français nommé par l'arche- vêque'. Ce dernier s'appelait Serce : il était pasteur de la chapelle française de Saint-James.

Tels furent les résultats obtenus par Duplan. Jus- qu'en 1739, les secours de l'étranger avaient à peine suffi aux nombreuses dépenses de l'hoirie, mais dès cette année, les revenus permirent de faire face à tous les besoins. Il fut même facile « de thésauriser ^. » Duplan avait, en quatorze ans, recueilli dix mille livres sterling*.

Le député général ne touchait pas les sommes qu'il collectait. « En général, dit-il, je n'ai jamais rien touché de ce que j'obtenais pour les Eglises des mains de ceux qui donnaient ^. » Il informait l'iioirie des promesses qu'on lui avait faites, et l'hoirie rece- vait directement les dons.

Il n'avait point de traitement. Il voyageait à ses dépens. Mais parfois on lui envoyait des gratifications, et il était autorisé à prendre « sur les deniers des pupilles » l'argent qui lui était nécessaire.

Ai'rivé à Londres, assiégé aussitôt par les sollici- teurs, accablé de demandes, obligé de faire certaines dépenses, car il ne convenait pas « à un député qui implore des secours auprès des princes d'être un pied

1 N" 36, p. 7.

2 N- 37, p. 53. « 37.

DUPLAN A LONDRES 73

poudreux % » il se conduisit comme un homme qui va à la cour. L'état de sa maison indisposa plusieurs donateurs. Ils en écrivirent à Genève, à Lausanne, (''était un prodigue, un dissipateur ; il fallait le rap- peler, ils n'entendaient pas que leur argent ser\àt à ses folles dépenses. Le comité suisse, très-embarrassé, se décida à faire ce qu'ils exigeaient, et Court fut chargé de rappeler son ancien ami. Il s'acquitta de cette pénible commission avec beaucoup de tact, dans une lettre fort digne et fort habile, perçait toute son affection « Quelques-uns des principaux d'entre les amis de nos chères Eglises lû'ont fait entendre que dans le cas présent de la guerre entre l'Angleterre et la France, il convenait indispensablement (jue vous ne restassiez pas en Angleterre, pour ne pas rendre suspecte leur fidélité envers le roi et le gouvernement ; ([u'il était plutôt de la prudence et de l'intérêt que vous reveniez dans ce pays pour y concerter les mesures que l'état présent et à venir pourrait exig-er. » Par malheur Court venait d'être nommé représentant des Eglises, et il le lui annonçait. Duplan se crut trahi par son ami, devina sous le prétexte qu'on lui donnait le vrai motif, et blessé dans son honneur, re- fusa de quitter Londres.

Les choses s'envenimèrent. Le généreux gentil- homme d'Alais qui avait « tout abandonné, tout sa- crifié pour le service des Eglises » était accablé de dettes et ruiné. Il accusa Court de le vouloir supplan- ter et les bienfaiteurs de Londres de le calomnier.

» N" L», p. 2œ. ■2 Novembre 1744.

74 DÉSACCORD AVEC LE COMITÉ

Poussé à bout, il parla de In fortune qu'il avait dissipée dans ses voyages, demanda qu'on l'en dédommag-eât, et fixa une somme assez forte. Le chiffre en parut exa- géré ; riioirie refusa de la payer.

Son refus reposait sur (piel(|ue fondement. Duplan s'était engagé à servir gratuitement les Eglises, et ses déclarations étaient précises. « Je ne leur demande rien du passé, ni pour l'avenir. » Ailleurs, il ajoutait : « J'aimerais mieux verser mon sang jusqu'à la der- nière goutte, que de sucer inutiltïriient la substance des membres de mon Sauveur ' . » Après ces paroles, ses prétentions de 'fraîche date étaient surprenantes.

Il persi.sta néanmoins dans ses réclamations. Outre que ses embarras pécuniaires étaient réels, il était de plus irrité contre les membres du comité de Genève et le ministre de la chapelle de Saint-James, Serce. En 1745, il demanda qu'on nommât des arbitres, et il fixa la somme qu'il prétendait lui être due. Il exigeait 50 pièces par an pour les six premières années qu'il avait passées en Suisse, et 150 pour les quatorze der- nières passées à l'étranger, car « il avait toujours eu un domestique ou quelqu'un avec lui » pendant ses voyages.

« ...Je suppose, disait-il, quependant vingt ans do service, le sieur Duplan ait dépensé 2,400 liv. sterl., et ait tiré des Eglises t,200 liv., il lui resterait î ,200 liv., dont il a droit de deman- der remboursement. Il dônne cependant le choix ou de rem- !)Ourser entièrement, ou seulement d'une partie, ou de rien du tout, moyennant une pension raisonnable et proportionnelle à la justice de ses conditions, aux frais qu'il est obligé do faire

1 5, B" II

DÉSACCORD AVEC LE COMITÉ 75

pour le service des Eglises, et aux secours qu'il a procurés ou qu'il procurera aux Eglises. Sans compter la liberté des galé- riens auxquels les Etats de Hollande font des pensions, le sieur Duplan compte d'avoir procuré aux Eglises la valeur de plus de 10,000 liv. sterl. i... ..

Dix mille livres! Sur ce chiffre, la querelle prit une uouvelle force. L'hoirie préteudit n'avoir jamais touché une pareille somme. Duplan maintint son affirmation. Alors, pendant six ans, ce fut un continuel échange de lettres, de mémoires et de comptes. On nomma des arbitres et on choisit des experts, les Eg-lises se mêlè- rent à la discussion, on prit parti pour ou contre, on notifia à Duplan qu'il n'eût plus à s'occuper des affaires de France. Enfin, vers 1751, toutes ces colères paru- rent se calmer \ Des arbitres communs rendirent un arrêt qui disculpait le vertueux député des accusations portées contre lui, et qui lui accordait 100 pièces par an depuis 1731 jusqu'à ce jour, lui attribuait 700 piè- ces dont 300 payables immédiatement, et lui en don- nait enfin 50 autres de pension annuelle « afin qu'il put subsister honnêtement sur ses vieux jours. »

Antoine Court s'était montré très-dig-ne dans ces pénibles discussions avec son ancien ami. Duplan finit par reconnaître ses torts à son égard. Il se hâta de lui en manifester ses regrets : « Je suis très-fâché de m'être laissé persuader par les apparences, mais ravi qu'elles aient été trompeuses. Je me fais un devoir de faire part de mes regrets et de ma joie à nos amis de l'extérieur, comme vous le verrez par les deux let-

' N" 9, p. 160.

^ V. N" 37 qui contient toute cette affaire.

76 NOUVEAUX RÉFUGIÉS

très circulaires ci-joiute.s ({ueje voiis envoie oincrtes. La seule chose qui me reste à souhaiter, est que vous ayez eufin le cœur aussi net avec moi que je l'ai actuellement avec vous, afin qu'il ne reste plus le moindre obstacle à la réunion la plus cordiale et la plus confiante entre nous deux. »

Ce fâcheux et reg'rettable incident venait de se ter- miner, lorsque dans ce pays jadis tant de proscrits avaient trouvé l'hospitalité, Duplan ^ it arriver de nou- veaux réfug-iés.

En plus d'un endroit, Duplan raconte que pendant son séjour à Londres, il eut à s'occuper des relig'ion- naires, que les rig-ueurs de la persécution oblig-eaient de quitter la France.

Pendant tout le cours du dix-huitième siècle eu effet , et surtout dans la première moitié , beaucoup de protestants sortirent de France. Il ne faut cepen- dant rien exag-érer. Un assez g"raud nombre, il est vrai, quitta le sol natal; mais ce nombre est en réa- lité peu considérable, si ou le compare à celui des premiers réfug'iés. Les protestants ne tenaient plus à s'expatrier. Les dang-ers de la route, l'incertitude de l'avenir, l'éloig-nement des asiles ouverts pour les re- cevoir, et avant tout, l'amour de la patrie et de la re- ligion, l'espoir de meilleurs jours et les vag-ues lueurs qui faisaient présag-er pour un temps prochain l'au- rore de la tolérance, tout les retenait, les aidait à supporter avec résignation les douleurs incessantes de la persécution. Si d'ailleurs le désir de la fuite naissait chez quelques-uns, il était l)ientôt réprimé. Les pas-

NOUVEAUX RÉFUGIÉS 77

teurs, les cliefs du troupeau, voyaient aA'ec peine que l'on abandonnât la maison paternelle pour aller jouir à rétr;ing:er de la liberté. Fuir, c'était déserter son poste, et ils g-ourmandaient les lâches. Le nombre des protestants était-il donc si considérable que l'on put, sans dang-er pour la relig-ion, le diminuer encore! L'a- venir du "protestantisme exig-eait, absolument, que tous ceux qui le professaient, continuassent à rester mal- g-ré le péril dans cette France d'où .on s'efîbrçait de l'extirper. C'est ce qu'ils objectaient victorieusement à tous ceux qui voulaient s'expatrier, ou qui leur con- seillaient de passer la frontière. Saurin, l'illustre i»as- teur de la Haye, ne cessait de dire à ses frères sous la croix : Venez! Mais Antoine Court, s'opiniàtrant dans son plan de conduite, lui répondait toujours : C'est à vous de rentrer ' !

Ce ne fut g'uère qu'en 1724, lorsque la déclarati(jn royale fut publiée, qu'il y eut, dans les premiers mo- ments de terreur, une petite émig-ration. Quelques-uns se réfugièrent à Londres, en Hollande ; quelques autres en Suisse. A Lausanne, il arriva, vers cette époque, quelques familles du Lang"uedoc et du Dauphiné. On voit aussi des niarcliands, amis d' Antoine Court, qui se décidèrent à passer dans les Provinces-Unies. Mais dès cette année, on reprit courag-e, et le Refug-e ne reçut guère plus de nouveaux membres.

Ceux qui émigrèrent furent les malheureux qu'un péril imminent ou de récents malheurs obligèrent à

' V. L'Etat dif. Christianisme en France. (La Haye, in-^.) V. aussi les lettres diverses qu'il écrivit à Court

78

OFFRES DE L'ÉTRANGER

cette dure nécessité. Quand une asï^emblée avait été surprise, quand les amendes se multipliaient, ou que dans les villages, les prêtres trop tracassiers dénon- (•aieut une famille aux gouverneurs, on voyait alors quelques petites gens qui, la nuit, abandonnant leur vieille maison, se dirigeaient par les chemins écartés vers la frontière prochaine. Aux hasards de la route ils s'abandonnaient. Lorsqu'ils habitaient des pays voisins de la mer, ils s'embarquaient, misérables et pauvres, pour l'Angleterre. S'ils vivaient en Langue- doc, en Dauphiné, ils passaient en Suisse, la route étant courte, et jusqu'à Lyon à peu près sure. An- toine Court, ])endant son séjour à Lausanne, vit de ces fug-itifs exténués par les privations et par la fatigue frapper à sa porte. Et que de fois, parmi ces hommes, ne reconnut-il pas des amis, des anciens paroissiens!

Si les protestants, dans le cours du dix-huitième siècle, se montrèrent peu disposés à quitter la France, les princes étrangers ne cessèrent de travailler à les attirer dans leurs royaumes par l'appât de mille pro- messes. En 1746, on écrivit à Court que s'il connais- sait des familles honnêtes prêtes à venir habiter le plus fécond et le plus grand des Etats d'Allemag'ue, le duc régnant Brunswick et Lunebourg leur offri- rait volontiers une généreuse hospitalité Le même duc, en 1747, fit publier un extrait des pri\iléges qu'il avait accordés aux premiers réfugiés et qu'il accorde- rait encore à ceux qui viendraient s'établir dans ses Etats. Naturalisation des colons, liberté de conscience.

1 1, t. XIX. (Oct. 1746.)

BRUNS^^'ICK ET ANGLETERRE

79

franchise d'impôts, possession d'Eg-lises, emplois pu- blics, — rien n'était oublié pour tenter l'humeur voya- g'euse des réformés Il ne paraît point cependant que cet appel ait obtenu du succès.

En 1747, le comte de Zinzendorf, qui avait déjà fait plusieurs ouvertures auprès de Court, envoya des émissaires dans le midi de la France. Il était à cette époque revenu de son long' exil, et venait de donner une forme définitive à la communauté qu'il avait fon- dée. Ses émissaires trouvèrent ici et des g'ens bien disposés. Malheureusement, les pasteurs de Genève et Antoine Court furent informés de leurs démarches. Ils les firent échouer en éveillant la vig-ilance des pasteurs du Désert, et se montrant peu favorables à tout projet d'émig-ration ^.

La plus sérieuse et la plus curieuse des tentatives, fut celle de l'Ang'leterre. Le gouvemement de ce pays s'était, depuis la Révocation, efforcé d'accroître la population de l'Irlande (qu'avaient si cruellement décimée Ireton et Cromwell. Il avait établi des co- lonies à Dublin, à Waterford, à Cork, en d'autres lieux. Beaucoup de Français s'y étaient réfugiés et avaient acquis des fortunes considérables, Eji 1746, il fut décidé qu'on chercherait de nouveaux colons pour augmenter le nombre des habitants. Il se forraa une société dans ce but, et l'on fit une collecte des- tinée à assurer le succès de l'entreprise. Des maisons et des terres devaient être données aux réfugiés ; ils devaient être reçus dans la colonie de Waterford ;

1 N" 13, vol. III. (Imprimé.) '-N" 9, p. 226. (1747.)

80 IRLANDE

la plus grande bienveillance leur était g-arantie. Le chapelain du vice-roi d'Irlande, Serce, fut cliarg-é de transmettre à Antoine Court les offres de la société. Offres séduisantes, bien capables de vaincre les résis- tances. On donnerait de l'arg-ent aux pauvres réfu- giés, on fournirait à leurs dépenses pendant le voyag"e ; enfin, pour abréger la longueur de la route et en di- minuer les périls, un vaisseau de g'uerre ou de trans- port mouillerait à Nice et prendrait à son bord tous ceux qui auraient consenti à quitter la patrie Comme la proposition était sérieuse, et qu'en ce niomeut de nouvelles rigueurs s'exerçaient en France, Court en écrivit à ses collègues du Désert. Il est pro])able que c'est à une de ses lettres qu'un pasteur, Viala, répon- dit bientôt. Mille personnes, disait-il, étaient prêtes à partir, mais pauvres, même indig'entes; il faudrait leur donner des secours pour le voyage. Quelques gentils- hommes consentiraient aussi à s'expatrier; les autres, ceux qui possédaient des biens et de la fortune, ne se résoudraient jamais à cette extrémité. Il posait en outre mille questions : Quel était le lieu du refuge et dans quel pays? Il ne devait point être question ni des îles, ni de l'Amérique. Un vaisseau viendrait -il prendre les émigrants? 'Fournirait-on aux frais de la traversée? Donnerait-on des établissements? Les hom- mes robustes trouveraient-ils du travail, et les invalides du pain ^ ?

Ces négociations n'aboutirent pas. Le Parlement anglais refusa d'accorder la naturalisation aux nou-

1 X" 1, I XIX, p. 155. (Xov 1746., « Ibid., p. 21. {Sept. 1746.)

NOUVELLES PERSÉCUTIONS 81

veaux réfnpiés et l'Irlancle ne reçut pas les habitants qu'elle attendait avec impatience.

Ainsi jusqu'en 1752 , il n'y eut pas de véritable émig-ration. Beaucoup s'en étonnaient. « S'il est vrai, disaient-ils, qu'on soit cruellement traité, pourquoi ne s'enfuit-on pas? » Et Serce faisait remarquer que les premiers émigrants avaient montré plus de résolution. Mais Court indiqua d'un trait l'état des esprits et donna le mot juste :

« ... L'amour de la patrie, l'espérance de voir de.s temps ]ilus heureux... seront toujours des obstacles au refuge de ceux même ijui en connaissaient le plus la nécessité et qui y sont le plus disposés par inclination. 11 n'y a qu'un violent orage ou une persécution semblable à celle de la révocation de l'Edit de Nantes, qui soit capable de les faire surmonter, au moins à un nombre considérable de personnes »

Cet orage, malheureusement, éclata^. En 1751, l'intendant du Languedoc avait ordonné de nouvelles rig'ueurs, et les mesures de répression étaient exécu- tées avec un impitoyable acharnement. Une épou- vante immense s'était emparée de la province, et si terrible que fût l'exil, la perspective en paraissait moins effrayante que la situation dans laquelle on se trouvait. Antoine Court lui-même, qui s'était tou- jours opposé à la fuite , encourageait les protestants à s'expatrier. Moyen politique! il est vrai; mais qu'im- portait !

« ... Il faudrait disposer, écrivait-il, un aussi grand noml)re qu'il se ])ourrait (au moins quelques milliers de personnes de divers

1 1, t, X\, p. 47, (17-17). 2N"7, t. Vin, ],. 73, (1747.) V plus loin, rhap vu

II G

H2

NOUVELLES PERSÉCUTIONS

lieux), au refuge... On oflrc paiLouL des asiles ot on promet do grands avantages. Ceux (jui prendraient ce parti pourraient se; regarder comme les sauveurs de ceux ({ui resteraient. Ils ouvi'i- raient les yeux... Mais pour frapper ce coup et le faire efficace- ment, il ne s'agirait pas de sortir égrenés; il faudrait sortir en- core une fois en certain nombre*... »

Et il fai.sait plus. Il écrivait lui-même au roi de Prusse, lui demandant s'il pouvait diriger l'émig'ra- tion vers son royaume ^.

Telle était cependant la répulsion que les relig"iou- naires avaient pour le Refug-e, qu'à la fin de l'année, nul n'était encore disjx)sé à fuir. « A moins d'un vio- lent orafje, répétait Antoine Court, les meilleures dispositions se réduiront à des velléités. Les mauvais traitements eu feront toujours sortir quelques-uns; mais le calme que la politique sait mêler avec adresse dans l'orag'e qui s'élève de temps à autre, arrêtera toujours le g'rand nombre »

On approchait de 1752. La persécution qui sévis- sait en Lang'uedoc, loin de se calmer, redoublait. L'é- pouvante avait doublé. On ne parlait plus maintenant que d'une émigration en masse.

L'Irlande n'avait point abandonné son projet d'éta- blissement, et le comité qui s'était formé surveillait Ici marche des événements. Il crut le moment favorable. Par l'intermédiaire de Serce, il renouvela ses propo- sitions; elles furent acceptées.

Vers la fin du mois de mars, un gentilhomme de

1 7, t. XII, p. 383. (1751.)

2 Ibid., p. 412. (Août 1751.; 8 Ibid., p. 384.

L'ÉMIGRATION 83

Castres, M. de Bellesag-ne, se mit à la tète d'une pre- mière bande et passa en Angleterre. Tl arriva au but de son voyag'e, le 11 avril.

»... M. do Bellcsagne, écrivait Serce, arriva ici, lui vingtième, tant hommes, femmes qu'entants, dépourvus de tout. Je ûs as- sembler la Société hier, à qui je présentai ces pauvres fugitifs. Les paroles me manquent pour exprimer cette touchante scène... On projjosa d'avoir un concert public dont le produit serait appliiiué à leur entretien jusqu'à ce qu'on les ait placés*... »

Ce n'était que l'avant-g-arde. Serce l'espérait bien.

« ... La réception faite à M. de Bellesagnc et à sa troupe ne peut que donner les plus grands encouragements : je vous en laisse le juge. J'en ai inféré que Cagliari (Londres?) devait être désor- mais le rendez-vous général, comme étant le centre des secours. D'ailleurs une personne qui' vient do Venise (Rotterdam?) m'a assuré qu'on y trouvait des bâtiments plus commodes et on jdus grand nom])re pour se rendre à Cagliari, que ceux qui s'offrent pour passer à Liège ^. .. »

Et il conseillait aux prochaines bandes de choisir Cagliari pour quartier g-énéral.

Les secours furent très-rapidement organisés. La Société irlandaise chargea un négociant de Rotterdam de préparer un vaisseau pour transporter les émi- grants ^ puis elle envoya à l'hoirie de Genève des fonds destinés à subvenir aux frais de voyage des malheureux fugitifs \ D'un autre côté, en Hollande, S. A. R. fit remettre à Superville une somme consi- dérable avec ordre de l'employer à secourir les pauvres

i N" 1, t. XXV, p. 393. (Mai 1752.) « IbiiL, p. 393. 3 Ihkl., p. G09.

* Juin 1752. Mais LuUin remit cet argent ii Antoine Court.

84 L'ÉMIURATIUX

relig-ionnaires. « Vous pouvez compter, écrivait Rover à Antoine Court, qu'ils seront accueillis avec tendresse et avec charité. »

La route était toute tracée. On devait traverser la Suisse, passer par Lausanne et par Bàle, et descendre le Rhin jusqu'au port désigné pour reniljar(|uenient.

Au mois de juin, dans les premiers jours, une troupe de cent quatorze personnes arriva à Genève : elle était conduite par un nommé Coste On la reçut avec de grandes et touchantes démonstrations ; elle fut nourrie, log'ée, pourvue de vêtements et envoyée à Lausanne aux frais de la Bourse française -. Le même accueil l'attendait dans les autres villes qu'elle avait à tra- verser. Sur son passage, elle excita partout une im- mense sympathie. Lorsqu'elle entra à Rotterdam, ];i foule se porta à sa rencontre en triomphe \ Elle parvint bientôt au terme de son long voyage, mais diminuée, amoindrie. Les cent quatorze n'étaient plus que quatre- vingt-dix \ Trois enfants étaient morts en route. En Hollande, plusieurs des fugitifs, ouvriers en soie, avaient trouvé des places convenables et s'y étaient fixés.

Vers la fin du mois de juillet, une autre troupe partit : elle comptait trente-six personnes. Un nommé Pajon la dirigeait ^ Elle n'eut à souffrir aucun ac- cident.

L'intendant du Languedoc s'était cependant ému de

' N" 1, t XXV, p. G41, 677, 755. V. Récit du voyage.

2 N" 37. (.Juillet 1752.)

^ 1, t XXV, p. 661 (1752).

» Ibid. p. 853 (1752).

» Ibid., p 799, 885, 921, 957 V Récit ilu voyage.

L'ÉMIGRATION 85

la détermination qu'avait prise les relio-ionnaires. Il eu écrivit à Saint-Florentin. Celui-ci répondit aussitôt : « Je suis très fâché... d'apprendre les mesures que les puissances étrangères prennent pour attirer nos reli- g-ionnaires et pour nous enlever les ouvriers de nos ma- nufactures. Il est de la dernière importance que vous tachiez de prévenir par toutes sortes de moyens la perte que l'Etat peut en souffrir. » Des ordres furent donc immédiatement donnés pour garder les passages et arrêter les fuyards ' .

Plusieurs émigrants furent faits prisonniers. On opéra ces captures à Nîmes et à Grenoble. Ils furent dépouillés de tout, nourris de leur propre argent, et jetés en prison. Ce châtiment effraya. « Quel malheur, écrivait Rabaut , que cet événement soit arrivé ! Si les passages fussent restés ouverts, vous auriez vu ar- river à l'heure qu'il est, plus delà moitié de mon Eglise, sans parler d'une multitude d'autres fidèles ^ »

Une troisième troupe parvint néanmoins à passer la frontière et traversa Lausanne au mois de septembre^.

Ce fut la dernière.

Quel fut le nombre total des émigrants? Il est diffi- cile de le fixer. S'il ne fallait compter que ceux des trois bandes mentionnées, il serait relativement peu élevé. Mais combien partirent isolés ou par petits groupes! Beaucoup prirent la route de l'exil sans se concerter, se réunir. On voit ainsi, l'année suivante, une femme arriver à Lausanne avec cinq enfants. Elle

' V. ehap. VIII.

•2 N" 1, t. XXV, p. .593. (Juillet 1752.) V. encore n" .37. ' N"?, t. XIII, 1). 105 et,N» 1, t. XXVII.

86 L ÉMIGRATION

allait rejoindre son mari à Duljlin. Elle était exténuée de fatig-ue, sans argent et sans pain. C)n dut lui four- nir les moyens de continuer son voyag-e. Au surplus, beaucoup s'expatrièrent (^ui ne passèrent pas par la Suisse. Les religionnaires de Normandie et de Poitou s'embarquèrent dans les ports de la côte et firent voile en g-rand secret pour l'Angleterre . « Noml^re de jeunes g-ens, écrivait le pasteur de cette province, et plusieurs familles tant du pays de Caux que de basse Normandie ontpassé la mer depuis quelques mois. On ne s'embarque plus que nbcturnement dans tous les ports de laNorman- die. ' » L'année suivante, il écrivait encore : « Nous perdons fréquemment de nos bas Normands que la peur cliasse en Angleterre. Plusieurs jeunes gens du pays de Caux se retirent aussi journellement et en grand nombre ^ »

Quel qu'ait été ce nombre, l'Angleterre fut le seul pays qui profita de l'émigration. C'est elle qui l'avait encouragée, ce fut elle qui lui donna asile. Dès que les fugitifs furent arrivés à Dublin, la Société qui s'était formée, chercha à leur procurer des établissements. Chacun, suivant son état, obtint les moyens de travailler.

Serce écrivait :

« ... Les faispurs de bas ont été placés dans une maison avec matière et métier. M. Morand a monté un métier en étoffe de soie. Durand (un charron) est placé chez un bourgeois. Lafon et Frais- sinct, boulangers, travaillent à Baquofort. Ribot est chez un tailleur, Louis Metton dans une sucrerie, Bérard est menuisier, les deux Seguin sont chirurgiens, Pommier père et fils ne sont

> N" 1, t. XXV, p. 920. (Cet. 1752.) 2N"7, t. XIII, p 15S. (Juin 1753.)

L'ÉMIGRATION

87

pas placés, non plus quo Duiion, Groiizet et Yerdier. On leur a fait <los présents : Plantier eut 20 guinées pour sa part »

Il paraît cependant qu'on no put satisfaire toutes les exig-ences et qu'on fit des mécontents. Plusieurs émi- grants rentrèrent en France. Dès l'année suivante, soit reg-ret de la patrie absente, soit misère, on les vit re- passer la mer et se fixer, cette fois pour toujours, dans leurs anciennes demeures.

Ce retour inattendu eut parmi les relig'ionnaires un grand retentissement. Il empêcha de nouvelles émig-ra- tions. « Ces g-ens inquiets, écrivait Court, qui ne sont hien que ofi ils ne sont pas, nous ont enlevé par leur inquiétude une voie dont on aurait pu se servir effica- cement, mais qui ne vaut plus rien ' . » Au surplus l'es- pèce de tolérance dont on jouit vers cette époque, les

» N" 7, t. Xm, p. 69. (Mars 1753.)

Il eût été intéressant d'avoir les noms des émigrants. Antoine Court, à la prière de Royer, en dressa la liste, et il donna même le lieu de leur origine, leur âge et leur profession. Malheureusement le volume qui contenait ces précieux documents a été perdu. C'est une très-grave lacune dans la correspondance générale de Court et de ses amis.

On conuaiît cependant les principaux protestants qui se réfugièrent pendant le cours du di-X-huitième siècle. Voici une liste des ministres, veuves de ministres, proposants qui furent pensionnés par les divers cantons de Suisse : Pierre Corteiz et sa famille; Anna Durand, veuve du malheureux prédicant pendu à Montpellier, et sa famille; (est-ce son fils qui, plus tartU professa au séminaire?) la veuve du ministre Fauriel et sa famille; la femme du galérien Espinas; Roche et sa famille; le pasteur Maroger et sa famille; Paul Faure, ministre; Bombonnoux. (N" 17, vol. B, p. 55.) En 1755, le pasteur Gautier se retira à Jersey; en 1752, Loire obtint une place dans les Pro- vinces-Unies; la même année Viala et sa famille partirent pour Londres ; Combes enfin. Roux, Vouland, Fauriel le cadet, Dugnières, Pellissier, Migault, Corteiz neveu, tous pasteurs, passèrent en pays étrangers.

2 7, t. XIII, p. 208. (Oct. 1754.)

88 L ÉMIGRATION

périls de la route, l'amour de la patrie, l'espoir de meil- leurs jours, tout cela eut une influence décisive sur l'esprit des protestants. Dès la fin de 1753, ils aban- donnèrent tout dessein de s'expatrier.

L'émigration de 1752 avait été la ])lus considérable de celles qui eurent lieu au dix-liuitième siècle; elle fut aussi la dernière. Duplan, fixé définitivement à Lon- dres, ne vit g'uère de nouveaux arrivants. L'exil, bien que douloureux, avait autrefois paru une nécessité ; il se présenta, dès lors avec un tel cortég-e de patriotiques douleurs , qu'on en fut eflPrayé et qu'on aima mieux l'esclavag-e en France, que la liberté à l'étranger.

CHAPITRE IV

QUATORZE ANNÉES DE LUTTES 1730-1744

Tandis qu'Antoine Court org-anisait à Lausanne le séminaire, fondait des comités d'action, agitait l'opinion publique, etqueDuplan, courant l'Europe, allait quê- ter, de capitales en capitales, des secours pour les « fidèles sous la croix » ceux-ci livrés pendant qua- torze ans, à leurs propres forces, continuaient avec une admirable persévérance leur œuvre de rédemption.

Les temps étaient très-sombres. L'avenir apparaissait plus sombre encore et plus g-ros d'orages. Bien qu'au moment Court quittait la France, on put être assuré du succès de l'œuvre entreprise, on voyait bien qu'elle aurait avant de triompher de terribles assauts à sou- tenir. Du Daupliiné , de la Saintong'e , du Poitou , arrivaient sans doute d'heureuses nouvelles. Mais la persécution ne se ralentissait pas. Les amendes aug-- raentaient, les g-ibets étaient relevés et les galères se remplissaient. Le pauvre peuple pressuré ne pouvait suffire à l'avidité du fisc. On lui prenait ses enfants. Les cadavres des parents, des amis étaient traînés dans la rue et privés de sépulture

90 PERSÉCUTIONS

Un prêtre qui pour des raisons particulières fut obligé, en 1732, de fuir en Suisse, cherchant à se ménag-er des sympathies, écrivait en manière de jus- tification :

« ... 11 est vrai de dire que pendant le temps que j'ai restéaudit Saint-Andéol, j'ai traité les relii,'ionnaires avec toute la douceur posPil)Io. Qu'ils m'en démentent, si je dis faux, puisque j'en ai épousé de toutes les paroisses circonvoisines, avec conjçé de leur curé, sans aucune formalité que celle de la bénédiction, sans amendes aux enfants absents du catéchisme et de l'école,

recevant pour parrain ef marraine, sans interrogation de rien,

n'ayant jamais dénoncé aucun mort enterré sans m'avoir appelé, ne sortant de la maison prieuriale aucun jour de fête, pour n'être pas obli^'é de faire payer l'amende à ceux que j'aurais trouvés, selon la déclaration de France, n'ayant non plus jamais levé la langue, quelques assemblées que j'aie, je ne dis pas sues, mais vues. Cela est notoire à tout le pays

L'amende en effet, à propos de tout, à propos de rien, et la claie pour les morts, voilà ce qui était désor- mais en usage. Ce prêtre oubliait cependant trois choses : le bûcher pour les livres, le couvent pour les femmes et la potence pour les prédicants.

Le clergé était en effet impitoyable. La cour eût volontiers suspendu l'effet de toutes ses ordonnances : elle ne demandait qu'à se retirer sans bruit d'une en- treprise au-dessus de ses forces et désastreuse pour elle. Mais le clergé veillait sur elle, la fatiguait de son mécontentement et de ses obsessions, et n'entendait point qu'elle laissât tomber en désuétude l'édit de 1724. Tous les jours, de toutes les parties des pro-

1 17. vol. H

LE ROLE DU CLERGÉ

91

vinces, arrivaient aux ministres des dénonciations et des plaintes.

« ... J'avai.=; jusqu'ici regardé, écrivait on 1730 le vicaire général (le Saintes, les religionnaires do cotte province comme assez traniiuilles. Mais je vois qu'ils se licencient terriblement, et ([u'il y a peu d'endroits oii ils ne se soient assemblés depuis un an. 11 seml)le que plus on a d'attention pour eux et d'envie * de les ramener, plus ils font d'elîorts pour so soutenir dans l'erreur »

Un autre prêtre du Poitou, dans une long-ne lettre le mal était constaté et le remède indiqué, ajoutait :

« ... J'ai pris la liberté, dès le 27 du passé, do mettre sous vos yeux rindé])endance de ce peuple hérétique et rebelle... J'ai recours, sans aucun retardement, à Votre Eminence, pour la suppliei- d'envoyer de nouveaux ordres au juge subalterne du lieu ou royaume qui sont de Poitiers, d'Angoumois, pour con- traindre les religionnaires d'envoyer sous de grosses peines et do conduire, au son de la cloche, leurs enfants à l'Eglise »

Ce n'étaient point des lettres isolées. Les Archives sont pleines de documents semblables. On serait tenté de croire qu'un mot d'ordre général avait été donné, et que depuis l'évèque dans son diocèse jusqu'au plus hiimble des prêtres dans le plus petit des hameaux, tous se foisaient un devoir de l'observer avec un soin jaloux. Chaque villag-e, chaque ville avait son g-rand espion : le prêtre, et au-dessous du prêtre, la foule de ceux qui dépendaient de lui. Une assemblée se tenait- elle ? elle était aussitôt dénoncée à l'intendant et au mi-

1 V. Delmas, Histoire de V Eglise réformer de la. Rochelle, p. 307. Toulouse, in-18, 1S70.

«Archives nationales, TT., 325. (1729.) V." bi lettn; entiche aux Pièces et documents, u" VIL

92 LE ROLE DU CLERGÉ

nistre, qui donnait, ou non, l'ordre défaire marcher les troupes. Une fille devait-elle se marier au Désert ï Prière de l'évèque et ordre du ministre de l'enfermer au couvent. J'ai appris, écrivait un jour l'évèque de Poitiers, la célébration de deux mariages clandestins. Maurepas, de qui dépendait le l^oitou , mandait aussi- tôt qu'en enfermât les maris à la prison de >Saint- Maixent, et les femmes à l'hôpital de Niort, jusqu'à ce qu'ils fissent réhabiliter leur mariag-e , ou qu'ils cessassent d'habiter ensemble Hv tout un dos- sier terrible de plaintes, de dénonciations et de con- damnations : on n'avait jamais tant délivré de lettres de cachet. Que de drames inconnus ! Une famille était- elle suspecte ? Aussitôt, sur un ordre de la cour, donne'" on ne sait comment, on prenait ses enfants et on les jetait aux Ursulines, à l'Union chrétienne... dans un couvent quelconque. Il existe un rapport, dressé vers 1737, sur les différents couvents du royaume et sur les nouvelles converties qu'ils contenaient C'est ef- frayant il lire.

La cour, sollicitée d'agir et bien qu'elle y répugnât, se mit donc en mesure de frapper un grand coup.

Dès 1730 , les commandants de troupes reçurent l'ordre de marcher sus aux assemblées. Ils en sur- prirent et dispersèrent plusieurs dans le Languedoc. Les hommes furent envoyés aux galères, les femmes dansées prisons

'■ V. Pièces et documeiifs, n" VIIL

2 Archives nationales, TT, 325. (1730.)

3 V. Coquerel : Hixtoire des E(jUxex chi T>/>.ie,i. t. 1, p. 2G9. Paris, 2 voL in-8.

LES AMENDES

93

De plus, .suivant l'ing-énieux système adopté en 1728, les comniandauts furent cliarg'és de log'er leurs soldats dans les villes suspectes, et de prélever les amendes réglementaires dans les arrondissements s'étaient tenues les assemblées. Cette dernière mesure se prati- quait d'ailleurs avec beaucoup de régularité.

On possédait de petits imprimés ainsi conçus :

« M. ... est averti de venir payer au i)ureau do la recette des " tailles, à l'hôtel de ville, par le jour, sa taxe faite à l'occasion •< de la condamnation prononcée par le marquis de la Fare au " sujet de l'assemblée, à peine d'y être contraint par garnison » eiï'ective, suivant l'ordonnance de Mgr l'intendant. A Nismes. '< ce •>

La place du nom était laissée en blanc ; il suffisait de la remplir. Le malheureux à qui cet avertissement était envoyé, devait le rapporter avec le prix de son amende. Les curés satisfaits, le fisc enrichi , le pauvre protes- tant ruiné , que demander davantage ! Surtout que l'on ne s'avisât pas de ne point payer; les soldats ar- rivaient, s'installaient dans la maison, et combien lourde cette hospitalité forcée ! On devait obéir au mes- sage et s'exécuter de bonne grâce.

Après avoir payé pour les assemblées, il fallait en- core payerpour ses enfants. Les pères, on l'a vu, étaient obligés d'envoyer aux écoles catholiques filles et gar- çons. S'ils manquaient à ce devoir, les juges dressaient une liste des contrevenants, et chaque mois, pour chaque contravention, leur infligeaient une amende de dix sols. Le Vivarais est ruiné d'amendes, écrivait-

i N- 17, vol. P, p. -lit». (173U.) Imprimé.

94

LES AMENDES

OU. Et ailleurs : « Ou fait payer les amendes en bien d'endroitB. Il n'est pas nécessaire (jueje vous marque ce que les uns font pour les éviter, et ce qu'il en coûte aux autres pour demeurer fermes. Vous le savez »

Cela, c'était peu. En 1739, un protestant fut con- vaincu d'avoir fait baptiser son enfant par un pasteur ; il fut jeté en prison^. En 1733, la fille d'un autre protestant fut prise; le père à l'agonie se mourait. On ordonna aux deux sœurs de se convertir, si elles ne voulaient point voir leur mère au couvent (!t leur père malade précipité dans une basse fosse '\ En 1740, dix- sept femmes ou jeunes filles furent envoyées à la tour de Constance ou mises dans des couvents ''. Dans le diocèse de Caliors, Jean de Molènes mourut faisant profession du protestantisme ; on verbalisa contre le cadavre et le corps fut abandonné sans sépulture^. Une femme adressa quelques paroles de consolation à un nommé Josepli Martin; elle fut condamnée à six mille livres d'amende et à tenir prison close dans le château de Beaureg-ard. Quant à Martin, qui mourut, sa mémoire fut condamnée à perpétuité. Des ou- tragées du même g-eure furent commis contre les restes mortels de la comtesse de Monjou, à Bag-nols, et du sieur Lardât, d'Uzès « Ils me refusèrent, dit Yung- dans une de ses plus belles Nuits, la charité d'un peu

1 N- 1, t. VIII, p. 341, (1733.) et t. V, p. 123. (1730,j En Dauphiné.

2 1, t. XI, p. 501.

3 1, t. VIII, p. 341.

* 1, t. VII, p. 415 (1740.)

^ V. Mémoire historique de 1744, p. 3G8.

6 V. Coquerel, t. I, p. 275.

LES AUTO-DA-FÉ

05

de poussière pour recouvrir la poussière, charité dont leurs chiens même jouissent * . »

Louis XV, dans une ordonnance récente avait dé- claré :

« ... Que tous les nouveaux convertis ne pourraient, .sous ([uel- que prétexte que ce fût, garder dans leurs maisons, aucuns livres à l'usage de ladite religion, Sa Majesté leur enjoignant de porter, dans qunizc jours au plus tard de la publication de la présente ordonnance, tous les manuscrits, catéchismes, sermons, prières et autres livres à l'usage de la religion prétendue réformée, sous quelque dénomination qu'ils pussent être, pour être, les- dits livres ainsi déposés, brûlés en la présence des sieurs com- mandants ou intendants ; qu'après ledit délai de quinze jours, il serait fait une recherche exacte desdits livres dans les mai- sons de tous les nouveaux convertis, et i[ue tous ceux chez lesquels, au préjudice de la présente ordonnance, il en serait trouvé, seraient, pour la première fois, condamnés à une amende qui serait arbitrée par le commandant, et, en cas de récidive, à trois ans de bannissement et une amende, qui ne pourrait être moindre que du tiers de leurs Jjiens »

Les effets de cette ordonnance ne tardèrent pas à se montrer. Comme les protestants ne rendaient point leurs livres, les soldats allèrent les leur prendre, et ce fut une fête. On commença par un coup d'éclat. En 1730, au mois .de juin, M. d'Yverny, M. de Polestron, inspecteur des troupes, et l'intendant de la province, Bernage, se rendirent à Nîmes ; ils étaient escortés de t[uatre bataillons. En arrivant, ils firent nommer pour

1 II existe aux Archives de l'Hérault (jjaquet 118), un rapport des sulidélégués h l'intendant, sur l'inhumation des nouveaux convertis en 1737. Toutes les lettres s'accordent à dire que les N. G. enterrent leurs morts furtivement et sans déclaration.

« En 1729.

96 LES AUTO-DA-FÉ

chaque (j^uartier de la ville des commissaires choisis parmi les plus « big"ots, » après quoi ils attendirent la nuit. Déjà tous les habitants dormaient, lorsque les soldats g-uidés par les commissaires se répandirent dans la ville et allèrent frapper à la porte des hugue- nots. Ceux-ci, encore dans le premier sommeil, ou- vrirent leurs maisons, et on procéda aussitôt à une minutieuse recherche. Ce fut une manière d'auto - da-fé. Les livres furent emportés et réunis à l'hôtel de ville. (Quelques jours après, toute la population de Nîmes fut en g-rande joie; on entassa sur la place publique les ouvrag-es saisis, on en forma un bûcher, les soldats firent la haie, et le bourreau mit le feu à cet amas de Bibles, de psaumes et de sermons. Les officiers riaient et applaudissaient Cinq ans plus tard, un libraire était parvenu à faire passer eu France une assez g-rande quantité de livres hérétiques, et sa marchandise était arrivée à Beaucaire. L'inten- dant en fut informé. Aussitôt de verbaliser, de saisir et de condamner au feu. Un immense bîicher fut dressé devant l'hôtel de ville de Beaucaire, et la flfimme dé- vora bientôt les ouvrages amoncelés. C'étaient encore des catéchismes, des sermons de Saurin, des ouvrages de La Placette, des Bibles -.

On avait peur de la parole imprimée, mais on redoutait encore plus la parole vivante. La Bible ef- frayait, mais combien plus le prédicant! L'amende d'ailleurs , les auto-da-fé , les galères , la profana- tion des morts ne produisaient pas un assez })rofond

1 12, p. 242. (Juin 1730.)

2 V, Coquerel, t. I, p. 272. (1735.)

SUPPLICE DE DURAND

97

effroi; les supplices seuls, comme le dit uu jour Saint- Florentin , faisaient quelque impression , et il était désirable de pendre un prédicant Depuis 1728, d'ailleurs, la potence n'avait pas été dressée à Mont- pellier.

La première victime fut Pierre Durand. Il allait baptiser l'enfant d'un de ses paroissiens qui habitait une ferme près de Vernoux, dans le Vivarais, lorsqu'il vit venir à lui, sur la route, un paysan. Le paysan l'accosta, et s'offrit pour le conduire, comme un liomme envoyé exprès à sa rencontre. Durand accepta, et suivit son compagnon. Au bout de quelques pas, il vit tout à coup sortir d'un taillis une troupe de sol- dats; il était tombé dans une embuscade. Son com- pagnon était un soldat dég-uisé. Il n'opposa aucune résistance, et quoiqu'il eût des pistolets, il se laissa tranquillement g-arrotter. Il fut conduit sous bonne es- corte à Montpellier, jugé et condamné à mort. Quand il aperçut, au matin, le subdélégué entrer dans sa prison : « Monsieur, dit-il, vous venez m'annoncer ma sentence ? » Et sur la réponse affirmative du subdélé- gué : « Dieu soit loué ! » Il se mit à genoux et enten- dit, sans témoigner d'émotion apparente, prononcer son arrêt. En allant au supplice, il entonna un psaume; les soldats, pour étouffer sa voix, battaient en vain du tambour. Ferme, il monta la fatale échelle, et pria le bourreau de ne point le jeter dans l'espace avant qu'il

1 « Rien ne peut plus faire d'impression que le supplice d'un pré- dicant, et il est fort à désirer que vous réussissiez dans les vues que vous avez pour eu faire arrêter quelqu'un. » (Saint-Florentin au com- mandant La Devèze. V. Borel : Histoire de l'Eglise de Nimes, p. 232 ) Cette lettre ne fut envoyée qu'en 1745.

H 7

98

ÉVASION DE CLARIS

eût terminé aa prière. Lorsqu'il l'eut achevée : « Main- tenant, fais ton office ! » Quelques minutes après, ii avait cessé de vivre. On enterra son cadavre, au-des- sous du rempart de la forteresse, à côté de celui d'A- lexandre Roussel. Cela se passait au mois d'avril 1732 ' .

Pierre Durand était avec le siècle : il avait trente- deux ans. Il était un des derniers prédicants qui eussent assisté au Synode de 1715. Antoine Court était le seul maintenant qui survécut, et depuis trois ans il habi- tait Lausanne.

Peu de temps après ce triste événement, le pasteur Claris, un tout jeune homme à peine arrivé du sémi- naire de Lausanne, s'était réfugié, pour passer la nuit, dans la maison d'un protestant, àFoissac, près d'Uzès. Il commençait de s'endormir, lorsque les soldats en- vahirent sa chambre, le garrottèrent, et de nuit, à pied, le conduisirent à Alais. Il fut jeté dans un cachot, jugé et condamné. Il se préparait déjà à subir le dernier supplice, et avec quel héroïsme ^ ! lorsque les fidèles d'Alais lui firent secrètement passer un ciseau en fer*. Claris souleva la pierre d'une chambre qui com- muniquait à son cachot, descendit au rez-de-chaussée, et se laissa glisser au pied du mur. Il était sauvé ^.

La persécution se déchaînait en même temps dans les autres provinces protestantes. On avait faussement espéré qu'elle ne dépasserait pas le Languedoc.

' N" 17, vol. H. V. aussi Meynadier: Vie de Pierre Biirand. In-18. Valence.

2 V. la lettre qu'il écrivit à ses collègues, étant en prison. 17, vol. Z, p. 25.

3 1, t. VIII, p. 349 et 149.

' Claris a raconté lui-même son évasion. Le récit en est très-curieux

NOUVELLES CONDAMNATIONS 99

En 1731, dans la Saintong-e, Chapel qui plusieurs années durant avait parcouru le Poitou et les pays voi- sins, fut pris, pendant qu'il continuait son fécond et périlleux ministère. Il s'attendait à la mort. Il fut en effet condamné à être pendu. Mais le jug-ement ne s'exécuta pas. Le parlement de Bordeaux le gracia, se contenta de l'envoyer aux galères.

Dans le Poitou, l'intendant Le Nain fit disperser par la maréchaussée les assemblées dont il eut connaissance. Mais il ne pouvait suffire à la tâche. Maurepas, à qui il confiait son impuissance, lui conseillait de faire arrêter les prédicants, et, s'il ne pouvait, ceux du moins qui favorisaient les assemblées ' .

Dans le Dauphiné, en 1735, deux prédicants incon- nus furent capturés. L'un s'appelait Jean, l'autre Vil- leveyre. Périrent-ils? Tout porterait à croire que leurs juges ne se départirent pas en leur faveur de l'inflexibje sévérité dont ils avaient tant de fois donné la preuve ; Antoine Court cependant ne fait nulle part mention de leur supplice ^.

En 1736, l'intendant d'Auch, en Gascogne, con- damna plusieurs gentilshommes verriers

Prédicants et pasteurs étaient trahis, dénoncés, tra- qués avec une nouvelle ardeur. La « chasse » était or- ganisée. Le clergé cependant continuait à se plaindre. La chasse n'était point assez productive, disait-il, les pendaisons étaient trop rares. Mais l'intendant du Lan- guedoc se récriant et faisant parade de son zèle :

1 Archives nationales, TT, 325, (1732 )

* V. leur bel interrogatoire. {Bulletin, t. XII, p. 87 )

» 17, vol. P, p. 37(3.

100

MÉCONTENTEMENT DU CLERGÉ

« Nous faisons de notre part tout ce que nous pouvons pour leur donner la chasse. Il y a des récompenses pro- mises à ceux qui en procurent la capture ; ces récom- penses ont été exactement payées ' . . . » Que d'espions à l'affût! On ne savait plus à qui donner sa confiance. Ce fut un parent de Durand qui le trahit ; ce fut un ami qui, en 1735, vendit Rog-er, Faure et Roland en Dau- phiné; ce fut un fidèle, dont on ne sut jamais le nom, qui dénonça la retraite de Claris. Chaque prédicant traînait à sa suite ses espions, chasseurs en campagne. « J'ai couché quinze jours dans un pré, écrivait Corteiz, et je vous écris de dessous un arbre ^. » Que de fois alors ne s'applaudit-on pas du parti qu'avait embrassé Court, et ne se réjouit-on pas, le sachant en sîireté. Nul doute que dans un temps plus ou moins éloigné, il eut été, comme ses collègues, pris un jour et pendu. Aussi ses amis et les fidèles sous la croix, témoins de ces malheureux événements, ne cessaient-ils, en lui écrivant, de lui montrer leur joie de le savoir à l'abri des juges et des bourreaux ^.

Cependant, malgré la potence, les galères, les auto- da-fé on avait tout employé l'œuvre terrible ne progressait point : rien ne pouvait lasser la patience des protestants. Le clergé s'en indignait : « Vous ne faites point votre devoir, disait-il aux intendants, vous n'êtes ni assez actifs, ni assez impitoyables \ » et

1 V. Coquerel, t. 1, p. 266.

2 N" 1, t. V, p. 455. (1731.)

3 Ibid. (Mars 1732.)

* V Coquerel, t. I, p. 258. Cela ressort de la requête des curés des Cévenues, adressée à la cour en 1737.

MÉCONTENTEMENT DU CLERGÉ 101

il s'adressait directement à la cour, réclamant de nou- velles mesures, sollicitant de nouvelles rigueurs ' .

« ... llya dans tout ce pays des prédicants en grand nombre, et pour qui l'on impose dans chaque paroisse une somme consi- dérable... Ces prédicants rassemblent leurs consistoires régu- lièrement à certains temps; ils tiennent des assemblées très- nombreuses et très -fréquentes en plein midi sur les montagnes, dans les bois, et souvent dans des maisons particulières; nous le savons, nous le voyons, personne cependant ne dit rien; personne même n'ose rien dire, crainte d'être assassiné comme il est arrivé... Les docteurs de mensonges qui président à ces assemblées d'iniquité, n'inspirent à ceux qui vont les entendre que l'indépendance et le mépris des lois de l'autorité*... »

Venant ensuite à parler des baptêmes, de l'instruc- tion de la jeunesse, des mariages :

« ... Nous vous supplions, Monseigneur, par les entrailles de Jésus-Christ, de nous aidera ramener dans le bercail nos brebis égarées, par les voies les plus efficaces, mais les plus douces, qui, en arrêtant les prévarications, conservent les prévaricateurs... «

Les intendants accusés ainsi, et sous main, se dé- fendaient avec énergie. Si le protestantisme, disaient- ils, comptait encore un grand nombre d'adhérents, on ne devait pas leur en faire un crime. Ils avaient fait leur devoir. Ils avaient condamné et ils avaient pendu. Le clergé, d'ailleurs, n'avait-il rien à se reprocher? Avait-il donné avis de toutes les contraventions? Avait- il tout dénoncé? N'avait-il pas craint de se compro- mettre? Peut-être aussi exagérait-il, peut-être encore

1 V. un Mémoire sur les religionuaire.s envoyé, en 1737, à Saint- Florentin par le vicaire général du diocèse d'Alais. Pièces et docu- ments, n° VIII.

2 V. Coquerel, t. I, p. 260.

102

EMBARRAS DE LA COUR

il calomniait. Intendants et curés s'accusaient réci- proquement, se jetaient les torts ^

Les plaintes du clerji-é étaient tout à la fois fondées et profondément injustes. Plus d'un commandant de troupes n'attendait point pour ag-ir les ordres de la cour; souvent il les provoquait.

« ... 11 y a (luolquG temps, écrivait celui de Perpignan, qu'on parle dans le pays de Foix, de prédicant, d'assemblées, de reli- gionnaires et de leurs mouvements. La chose devient à présent plus sérieuse, et il me revient de plusieurs endroits que les as- semblées sont réelles et qu'elles se tiennent à une demi-lieue du

Mas d'Azil Quoiijue l'on n'y remarque aucune personne de

considération, et que ce sont tous gens du bas peuple, suivis de plusieurs femmes et enfants, je croi.s néanmoins qu'on ne doit rien négliger pour dissiper cette canaille »

Mais beaucoup aussi étaient lents à agir, hésitants ou mal disposés, parce qu'ils n'étaient pas très-con- vaincus de l'excellence du but proposé et des moyens pour y arriver. Fallait-il donc sans cesse inquiéter de paisibles gens qui ne demandaient qu'à vivre en paix'/ Cette question les rendait très-perplexes, et leur per- plexité avait son contre -coup sur leur conduite. A Rouen, vers 1736, un curé dénonça au procureur général quelques protestants qui ne s'étaient point fait marier à l'Eglise, et vivaient ainsi en concubinage, au mépris des lois du royaume. Le procureur, très-embarrassé, en référa à Saint-Florentin. Ici, il faut tout citer :

' V. la lettre de Bernage, iuteiidaut du Languedoc. Coquerel, t. I, p. 265. (1737.)

» Archives nationales, TT, 312. (173.5.) V. la lettre entière. Pièces et documents, n" IX. '

EMBARRAS DE LA COUR 103

» .;. Non-seulement, il y a dans Rouen quantité de gens qui se trouveront dans le cas d'être inquiétés, mais encore dans les autres villes et les paroisses de la province. Je ne ferai rien sur cette matière, que vous ne m'ayez marqué si l'intention de Sa Majesté est que je suive à la lettre les articles de cette Décla- ration. Gomme tout ce pays-ci est rempli de huguenots, il y aura lieu d'attaquer bien des gens et de troubler bien des familles qui vivent tranquillement. J'attendrai pour agir vos ordres aux- quels je me conformerai exactement »

Le clergé avait raison de reprocher à la cour l'iner- tie de ses agents. En plus d'une occasion, ses réclama- tions étaient fondées.

Il fallut bientôt cependant que les intendants redou- blassent de zèle : les prêtres avaient .obtenu gain de cause.

En Languedoc, Bernage frappa de lourdes amendes l'arrondissement de Sauve, les villages de Mandagout, de Fraissinet, de Fourgues, petits endroits pauvres, misérables. En 1739, dans le Vivarais, le prédicant Morel, attaqué par les soldats, mourut de ses bles- sures^. En 1741, on prit dans les îles de la Voulte,- avec sa femme, ses deux fils et leur hôte, le prédicant Pierre Dortial. On les laissa pendant quinze mois en- fermés dans le château de Beaureg-ard. En 1742, on se décida enfin à les juger. L'hôte fut condamné aux galères perpétuelles; la femme et un des fils furent g'raciés; l'arrondissement s'étaient tenues les as- semblées dut payer une amende de trois mille livres, et Dortial fut condamné au gibet. Lorsque le vieux prédicant eut connu sa sentence, il s'écria : « Quel hon-

1 Archives nationales, TT, 261. (173G ) 7, t. IX, p. 715.

104

SUPPLICE DE DORTIAL

neui" pour moi, o mou Dieu ! d'avoir été choisi parmi tant d'autres pour souffrir la mort, à cause de la pro- fession de la vérité! » Tl subit à Nîmes le dernier sup- plice avec une admirable fermeté

Les collèg"ues de Bernag"e suivaient dans leurs pro- vinces l'exemple (ju'il leur donnait. C'est ainsi que fu- rent condamnés à mort Jacques Boyer et Henri Hol- iard. Ils échappèrent heureusement au supplice, et ne furent pendus qu'en effig-ie.

Voilà quelques faits, pris au hasard, et dont les mé- moires ont gardé le souvenir. Que dire de la persécu- tion incessante, continue, de chaque heure, celle qui s'exerçait par les voisins jaloux et les curés ! Quand une famille huguenote affiche trop ouvertement sa foi, tous l'inquiètent, la harcèlent. A-t-elle des enfants? On obtient de l'intendant qu'il les fasse enfermer au cou- vent. En vain réclame-t-elle? Ses réclamations ne sont pas écoutées. A-t-elle un nouveau-né Ce n'est qu'à grand'peine qu'elle peut le faire baptiser par le pas- teur. A-t-elle un mourant? Le prêtre force la porte, pénètre dans la chambre du moribond et l'administre malgré lui \

En 1741, à Nîmes, un nommé Maurand se mourait. La famille désespérée fit appeler chez elle unprédicant. Mais le curé de la paroisse avait appris la maladie du pauvre homme et savait qu'il n'y avait plus d'espoir

» 17, vol. P, p. 25. (1742.) V. Bullet.n, t. IX, 288, 341.

* « Comme ce peuple, écrivait un curé du Poitou, est si inflexible dans son opiniâtreté, ils défendent de nous appeler dans leurs mala- dies les plus dangereuses. C'est ainsi qu'ils meurent et se damnent pendant qu'un grand nombre se sauverait, si nous les voyions à l'ex- trémité. »

MORT DE MAURAND 105

de le sauver. Il accourut. Il trouva le femme au chevet de son mari et l'etig-agea àse retirer. La femme surprise exprima le désir de rester, fit observer que sa présence était nécessaire, légitime, et qu'elle voulait tout voir, tout entendre ; puis, comme le curé refusait de l'écou- ter, elle implora, supplia. Vaines prières. Le curé lui intima l'ordre de le laisser seul, et celle-ci s'y étant re- fusée, il la saisit, la traîna dans la chambre et la jeta à la porte. Il commença alors son ministère, interrogea Maurand sur ses croyances, s'il adorait Dieu, Jésus- Christ, les saints, et comme Maurand d'une voix faible répondait affirmativement, il lui donna le crucifix à baiser. Le moribond se détourna et cria. Sa femme était dans la chambre voisine, entendait tout; elle enfonça la porte et entra. La malheureuse s'était ac- crochée aux pieds du lit, et jurait qu'elle ne quitte- rait point son mari; le curé la tirait violemment, essayant de lui faire lâcher prise. La maison se rem- plit de bruit. Il ne restait qu'un parti : l'ecclésias- tique le comprit et quitta la place. Le soir, il envoya quatre curés avec mission de convertir le moribond et d'arracher son âme à Satan. Ils n'y parvinrent pas. Maurand mourut, quel(]ues jours après, damné et pro- testant'. -*

Les rigueurs se multipliaient. Mais les protestants réparaient avec opiniâtreté les brèches faites à leur position. Chaque jour, un nouveau coup paraissait les abattre, chaque jour ils relevaient et plus haut leurs tètes meurtries. Dès l'année 1730, un jeune sé-

> N" 3(3, p 401. (1741.

106 ÉCOLES AMBULANTES

minariste de Lausanne, à peine arrivé en France, pro- posa, pour augmenter le nombre des' pasteurs et con- blerles vides que faisait la persécution, de fonder un séminaire au Désert. Par là, il entendait une école am- bulante. On sait que dans les premiers temps, les pas- teurs se faisaient accompag-ner dans leurs courses par des jeunes g-ens qu'ils jugeaient dignes, un jour, de remplir les fonctions du ministère. Ils leur donnaient quelques leçons et leur faisaient connaître la Bible; ils les instruisaient surtout par leur propre exemple. C'était quelque chose de ce genre, mais réglé, orga- nisé, et pour ainsi dire officiel, que Betrines proposait d'établir. Dans le Dauphiné, le pasteur Roger l'avait déjà fait , et le succès de sou entreprise était un grand encouragement. Un seul point inquiétait Be- trines : le manque de professeurs Il en écrivit, en Suisse, aux amis des églises françaises, à ceux qu'on appelait « les bienfaiteurs, » mais il paraît que les réponses ne furent point favorables, car en 1731, un an après, lorsqu'on passa à l'exécution du projet de Betrines et qu'on établit ces écoles ambulantes, on voit que la Suisse n'avait point envoyé de professeurs ^. Chaque année seulement, le Synode députa un pasteur et le chargea d'examiner et les élèves et les maîtres de ces étranges écoles. Comme par le passé, les élèves étaient les compagnons de quelque ministre courant son district ou son département. Ceci seul les distin- guait, c'est qu'ils étaient plus jeunes, qu'ils se prépa- raient moins pour le ministère que pour entrer au sé-

» 1, t. V, p. 539. * Ihid., p. 601.

CENTRALISATION DES AFFAIRES

107

minaire de Lausanne, et que leur entretien était payé par l'hoirie de Genève. Excellente institution, et qui ne contribua pas peu à aug-menter le nombre des pas- teurs de France.

On avait déjà divisé la province en plusieurs dis- tricts. Peut-être cette division ne parut-elle point heureuse, ou vit-on la nécessité, à cause de la ri- gueur de la persécution, d'org-aniser un ordre de choses qui permît de donner aux fidèles, pour un plus long* espace de temps, les mêmes pasteurs et les mêmes pré- dicateurs. En 1733, un Synode décida que le Lang-uedoc serait partagé en trois g-rands corps ou départements, au service desquels seraient aflFectés les ministres de la pro- vince. Ce furent le bas Languedoc, le haut Languedoc et les Cévennes'. Plus tard, on fit même des Cévennes deux départements, les basses et les hautes Cévennes. En même temps, parmi les pasteurs, on choisit le plus vénérable pour président, pour « doyen » et on le char- gea de diriger la masse des affaires courantes^. On voit par qu'il y avait chez les protestants une tendance à constituer un pouvoir central qui put, dans ces temps difficiles, expédier tout ce qui ne dépendait pas des Synodes. Tout récemment encore, n'était-ce pas sous l'empire de cette préoccupation qu'on avait créé le Conseil extraordinaire? Mais l'esprit d'indépendance était tel qu'aucune de ces tentatives ne put réussir. Les Synodes furent seuls entourés de respect et joui- rent d'une influence incontestée. Encore, chercha-t-on

1 1, t. VIII, p. 384. N" 36, \>. 243.

2 12, p. 310. (1730.j

108 NOUVELLE GÉNÉRATION

sans cesse à diminuer leurs attributions, et à localiser le pouvoir dans les colloques.

Ces efforts ne furent point vains. Ils empêchèrent que la persécution n'eût de trop funestes effets. Dès l'année 1734, Antoine Court et Duplan apprenaient que les choses étaient en bonne voie, et qu'aucun ob- stacle ne pouvait en entraver la marche.

Ce qui consolait, réjouissait, soutenait les protes- tants, c'était de voir à leur tète une nouvelle généra- tion de pasteurs qu'aucun dang-er n'effrayait, qui bra- vaient la mort et se dévouaient à l'accomplissement de leur ministère avec une admirable intrépidité. Qui eiàt osé montrer moins de force d'âme que ces jeunes hom- mes! Les relig-ionnaires, à leur voix, reprenaient cou- rage et sentaient grandir l'audace dans leurs âmes. En vain, les détachements couraien1>ils la contrée ; ils ne se lassaient pas de fréquenter ces assemblées qu'à peine revenus de Lausanne, ces prédicateurs de vingt ans convoquaient au Désert ' .

Grands hommes inconnus ({ue les Morel, Foriel, Mauvillon, Vouland, Corteiz% Peyrot, Roux, Gauch, Coste, Dugnière, Blachon, Gabriac, Déjours, Rabaut, Gibert, Migault, Désubas, Dubesset, Pradel, Morin, Def- ferre, Loire, Viala, Préneuf, Pradon, tant d'autres! Un caractère chevaleresque , un courage à l'épreuve, une générosité native, une foi vivante, une incroyable ardeur pour le triomphe de leur religion, ils réunis- saient tout et poussaient leurs qualités à un étonnant

' V. les plaintes des curés des Cévennes. Mss. Ral>aut. * Il était le neveu du célèbre Gorteiz.

DE PASTEURS

109

degré. Pendant trente ans, on les trouva toujours au premier rang-. Toujours en marche , toujours sur la brèche, ils ne cessèrent de courir la France, prêchant, convoquant des assemblées, pénétrant dans les contrées d'où le protestantisme avait disparu, fortifiant les reli- gionnaires ébranlés, partout animant, au contact de leur enthousiasme, les plus froids et les moins courageux. Désubas mourut sur le gibet. DefFerre restaura le pro- testantisme dans le Béarn. Loire Viala, Préneuf, Pradon, furent les apôtres de la Normandie, du Rouer- gue, de la Guyenne, du Poitou. Paul Rabaut rallia au- tour de son nom tous les intérêts eng'agéâ, et devint le grand centre autour duquel tout gravita.

Paul comme l'appelait simplement Antoine Court était originaire de Bédarieux. Il s'était lié de bonne heure avec Pradel, et tous les deux s'étaient voués au ministère. Ils desservaient des Eglises voisines, celui- ci Nîmes, celui-là Uzès. Paul était très-ferme, très- actif, comprenait la situation ; il continuait Antoine Court. Les protestants résolurent un jour de ne se rendre aux assemblées qu'en armes. Grave décision ! Il était manifeste qu'une collision ne tarderait pas à éclater entre les fidèles et les soldats. Rabaut déclara que s'ilsne revenaient pas sur leur résolution, il ne paraî- trait plus à leurs assemblées. Court connut cet incident et en écrivit immédiatement à son jeune collègue :

' Loire s'appelait de son vrai nom Jean-Baptiste le Roi II était de Saint-Omer, en Artois. N" 7, t. XII, p. 385.

-Viala était originaire des Céveunes. En 1729, il était lecompagnon de Roux. Trois ans aprè-:, il fut agrégé au corps des proposants N" 1, t. XXV, p 241.

110

PAUL RABAUT

'< ... Gontinupz à vous conduire de mémo, ou plutôt évitez avec soin tous les endroits oii de ])areils événements pourraient en- core arriver ; mais n'oui)liez rien pour ramener, s'il est possiiile, .avec toute la douceur dont vous êtes capable, ceux qui sont dans des idées si contraires à l'Evangile »

Une grande correspondance qui devint plus tard presque quotidienne, s'engagea après cette première lettre. Court avait pressenti son successeur.

Rabaut, cependant, qu'effrayait la grandeur de la tâche et l'insuffisance de son instruction, demanda bien- tôt à être admis au séminaire de Lausanne. Sa de- mande fut aussitôt accordée.

« ... Un article qui m'a fait un grand jtlaisir, lui écrivit l'ancien prédicant, c'est que vous pourrez venir ici bientôt. Je l'ai de- mandé pour vous et je l'ai obtenu. 11 ne s'agit que d'attendre qu'un de nos jeunes messieurs qui sont ici, soient partis, et cela sera pour le plus tard, ce printemps... Je me félicite par avance de l'heureux moment qui me procurera le plaisir de vous con- naître et de vous dire de vive voix une partie des choses que je sens pour vous, aussi bien que vous offrir tout ce qui sera en mon pouvoir et qui pourra vous être utile »

Et ce n'étaient point de vulgaires compliments. Quel- que temps avant :

■< Je suis charmé de me voir succédé dans une si belle cause par des personnes qui donnent d'aussi flatteuses espérances que vous le faites. Puissiez-vous, par des talents auxquels on ne puisse rien ajouter, par une conduite toujours édifiante, par un zèle toujours empressé, par une piété qui ne souffre aucun nuage, par des progrès qui aillent toujour.s en croissant, par une douceur qui prévienne et qui triomphe des cœurs les moins

» V. Coquerel, t. I, p. 407.

* Ibid., i. l, p. 406. (Mars 1740.)

PAUL RABAUT

m

flexibles, et \)a.r une prudence et une sagesse qui vous les con- cilie tous, je (lis les cœurs... puissiez-vous par ces rares qua- lités réunies justifier non-seulement ces flatteuses espérances, rtais aller au delà même de ce que d'aussi heureuses prémisses que celles que vous avez données, promet au corps nombreux qui vous chérit '. »

Rabaut et son ami Pradel, ainsi attendus, loués, souhaités, se rendirent à Lausanne vers la fin de l'année 1740. . Ils y restèrent deux ans, et n'en revinrent qu'après avoir reçu l'ordination.

Dans cet espace de temps, Court avait conçu une haute opinion de Rabaut. Il lui avait donné toute sa confiance, indiqué les voies à suivre, montré le but; il s'était ouvert à lui comme au seul homme qui le pût remplacer. C'était lui qui devait être le chef spi- rituel du protestantisme, qui devait tout conduire, tout diriger, qui devait préparer l'avenir. « Vous restez le doyen, lui écrivait-il un jour ; il est capital que quel- qu'un soit au timon. » Jamais confiance n'avait été mieux placée. La droiture de sou caractère, la noblesse de ses sentiments, l'austérité de sa vie et son héroïque courag-e le désignaient à la haute place que Court lui avait assignée. Pictet, de Genève, l'accusa un jour d'envie. « Il en est pétri, écrivait-il à son protecteur..., et si j'en avais la liberté, je peignerais votre petit Rabaut et je l'étrillerais d'importance. » Accusation que rien ne justifiait. Jamais on ne porta plus loin l'oubli de soi-même et des services rendus. Antoine Court ! Paul Rabaut ! deux noms qui brillent d'un im-

' N" 1, t. IV, p. 3(33. (Juin 1739.) V. aussi pièces et documents n°X.

112

VIALA

mortel éclat ! Si l'un restaura en France le protestan- tisme, l'autre l'y enracina.

Les jeunes pasteurs avaient liâte de dépenser leur activité sur un théâtre inconnu. Il restait peu de chose à faire en Lang-uedoc. Cette province était dans une situation prospère. Viala demanda et reçut avec joie la permission de se rendre dans le haut Languedoc *. Récemment Maroger y avait obtenu de grands succès; malheureusement, obligé de quitter la France à la suite d'une aventure sanglante qui est peu connue, il l'avait abandonnée, et les espérances que l'on fondait sur sa mission s'étaient ainsi évanouies ^.

Il importait de ne point négliger un pay^ qui tou- chait à des provinces célèbres autrefois par le nombre et la piété des religionnaires. Viala partit.

Il avait ordre de « prêcher l'Evangile, d'établir des anciens, et de former des Eglises dans ces vastes pays l'ordre ecclésiastique n'avait été que très-peu établi ^ »

Aussitôt arrivé, il parcourut le haut Languedoc, pénétra dans la Guyenne; ensuite franchissant les montagnes, il se rendit dans le Montalbanais déjà, non sans danger, Henri Hollard, prédicant inconnu, avait convoqué de nombreuses assemblées. De ,

' « Viala, ministre... La taille fort petite, les yeux noirs, le visage rond, le nez petit, assez bien fait, la bouche petite, le menton bien fait, y ayant une faussette, la barbe assez fournie et poil cliâtain, por- tant perruque à bonnet châtain clair. » Signalement des pasteurs : Archives de l'Hérault.

2 V. le chap. x du 1" volume.

8N° 1, t. XXV, p. 241. (1733.)

Il»

COMTÉ DE FOIX

113

vint à Négrepelisse, et se dirigea bientôt vers le comté de Foix *.

Tl fut accueilli avec enthousiasme. Les assemblées se multiplièrent et les religùonnaii'es à sa voix repri- rent courage. Partout, « ce fut alors possible, » des Eglises furent fondées ^.

L'émotion qu'il excitait sur son passage fut surtout très-grande, paraît-il, dans le comté de Foix. Au Mas d'Azil, à Sabarat, Camarade, les Bordes, Saverdun, Mazères, les protestants accoururent en telle foule aux assemblées, que l'autorité s'inquiéta de cet empresse- ment inusité.

« Le pays do Foix, écrivait le commandant de Perpignan, est voisin de la partie du haut Languedoc qui confine aux Cé- vennes. S'il y a do l'intelligence entre les religionnaires de ces deux provinces, comme on peut le présumer, ils seraient en état de se donner la main, et je tiens qu'il convient mieux d'y remédier jilus tôt que plus tard. L'insolence avec laquelle on a été à ces assemblées, me paraît une marque que ces gens-là lèvent le masque J'ai donné ordre au lieutenant de la maré- chaussée de faire en sorte d'arrêter le prédicant et les trois par- ticuliers du Mas d'Azil qui ont été le chercher à Montauban »

A peine Viala était-il de retour de cette longue et fatig'ante course elle n'avait pas duré moins de deux ans (1733-1735) que les consistoires du haut Lan- guedoc et de la haute Guyenne le firent prier de re- venir au milieu d'eux.

' N" 7, t. IV, p. 110. (1735.)

* V. Actes des Synodes provinciaux et des Colloques au dix-hui- tième siècle. Manuscrit très-précieux appartenant h la bibliothèque Je la Société d'histoire du Protestautisnie français.

3 V. Pièces et documents, n" IX.

II. 8

114 HAUTE-GUYENNE

" ... Il y a, (lisaient-ils *, un très-granil nombre de réformés dans cette contrée, et vous n'ignorez pas la nécessité pressante du saint ministère au milieu de nous. La corruption générale, les tentatives continuelles de l'ennemi, le désir véhément des lidèles, l'efficacité des armes spirituelles dont vous vous servez pour renverser l'empire du démon, les progrès que l'Evangile a déjà faits, par le ministère de M. Viala, notre bien-aimé frère, sont autant de preuves de cette nécessité... Nous souhaitons que vous nous fassiez la grâce de nous pourvoir d'un prédicateur actuel, prédicateur que nous entretiendrons, sans le secours do vos Eglises ^. >>

Viala reprit son dur ministère. Mais bientôt il tomba malade. « J'étais si liarassé par les veilles et les long's travaux auxquels j'avais été exposé, que je tombai malade d'une fièvre putride. » Dès qu'il fut guéri, il fit adopter les mesures nécessaires pour rétablir et organiser le culte d'une façon stable. On nomma des anciens, on forma des consistoires, on convoqua des colloques. Ce pays qui, pendant un si long espace de temps, n'avait vu ni pasteurs ni assemblées, et qui tout récemment encore avait été si cruellement op- primé par les gouverneurs, eut alors une manière de renaissance. Il se sentit revivre. Tel fut l'éclat de cet épanouissement, qu'on dut diviser les Eglises en trois sections pour l'atténuer et ne point attirer l'attention des .subdélégués ^.

En 1738, Viala partit pour la Suisse. Sa présence n'était plus nécessaire, et il désirait se faire consacrer

1 N°7, t. IV, p. 110. (1735.)

« V. Coquerel, t. 1, p. 285. (1735.)

' Voici les trois arrondissements : l" Terres de Viane, Lacaze, Berlats et Prades; Esperausses, Calmon, Castelnau, Ferrières et Brassac, Vabres, Mont-Redon et Senégats.

POITOD

115

pasteur, tl alla à Zurich. Là, un ami d'Antoine Court, l'archidiacre Ott, lui donna l'ordination.

Il revint bientôt plein d'une nouvelle ardeur, courut le Montalbanais, le Rouerg-ue, s'arrêta dans quelques villes, à Bédarieux, Montagnac, Villemane, organisant partout le protestantisme. Mais il était seul, isolé, ne pouvait suffire à la tâche. Le vieux Corteiz, dans l'impossibilité de lui offrir son concours, eut heureuse- ment pitié de lui ; il lui envoya un compagnon, ancien catholique, Jean-Baptiste Loire

Viala était infatigable. Un des prédicants les plus dévoués du Poitou, Chapel, avait été, on l'a vu, cap- turé, condamné et jeté aux g'alères. Sa place était à prendre. Viala, sans hésiter, se rendit, en 1738, dans le Poitou^. Bientôt il écrivait :

« Je n'aurais jamais cru que les réformés fussent en si grand nombre dans ce pays-là, surtout dans les campagnes du haut Poitou. Il est des paroisses il n'y a de catholiques romains que le curé et son sacristain. Je n'en ai pas fait le juste calcul, mais autant que je puis juger par ce que j'en ai vu depuis Couhé jusqu'à Niort (c'est une distance de dix lieues de long sur quatre ou cinq de large), il n'y a pas un huitième de catholiques romains Les gens y sont assez fermes, surtout en bas Poitou, plusieurs assez bien instruits, bien au fait de notre commerce et réglés dans leurs familles ; les autres sont ignorants, et d'une conduite peu régulière, faute de conducteurs. Il y a des gens riches parmi eux, chacun y vit du travail de ses mains, plu- sieurs y sont réduits à la mendicité; ou je me trompe, ou il n'est pas de province en France plus pauvre que celle-là. La

< N" 1, t. XXV, p. 241.

2 1, t. XI, p. 415. (1738.)

* L'évêque de Poitiers devait, plus tard, avouer que, dans certaines paroisses de son diocèse, il n'y avait pas un seul catholique.

IIG

SAINTONGE

persécution n'y est pas à beaucoup près si cruelle qu'ail- leurs »

Viala rencontra, à son arrivée, quelques oppositions, mais seulement intérieures ; ce fut à propos de l'éta- blissement de l'ordre. Il les vainquit facilement. En 1740, il avait déjà formé ving-t-quatre Eglises, et il espérait en fonder dix nouvelles sous peu de temps. Il fit en outre « quelques ouvertures » dans la Saintonge, dans le Périg-ord, et fonda à Bergerac une florissante communauté.

Il se disposait à quitter ces contrées, quand il ren- contra Mig-ault, dit Préneuf ^.

Préneuf était un obscur prédicant de Normandie qui, courant à l'aventure cette riche province, essayait avec quelques bommes dévoués comme lui, de restaurer le culte disparu ^ . Le bruit du succès de Viala était venu à ses oreilles. Il allait à sa rencontre poùr le prier de joindre, momentanément du moins, ses efforts aux siens.

Dès qu'ils se furent vus, ils se comprirent ^ Ne jiûuvant se rendre lui-même en Normandie, Viala y envoya Loire qu'il s'était attaché comme proposant.

Loire et Préneuf obtinrent les plus grands succès. Ils fondèrent quelques petites Eglises. Malheureuse- ment Loire, qui désirait exercer toutes les fonctions du ministère, partit pour se faire consacrer en Suisse et

1 1, t. XIII, p. 173. (Nov. 1740.)

2 Ibid.

8 Ces hommes étaient Rudemare, Jean Férard, Jean Pantel, prédi- cants plus inconnus que lui, vieux huguenots, et qui ne l'aimaient pas. N" 1, t. XVll,p. 183

* N" 1, t. XXV, p. 24].

NORMANDIE

117

laissa momentanément son collègue. Préneuf resta seul.

C'est alors, en 1742, que Viala, après avoir traversé le Poitou, se rendit en Normandie. Il y resta dix mois, et fonda plusieurs nouvelles Eg-lises, entre autres, celles du Havre ' . On se souvient qu'à Rouen il y avait un certain nombre de protestants. En 1736 déjà, le procureur général disait : « Tout ce pays est rempli de huguenots, » et plus haut : « Non-seulement il y a dans Rouen quantité de gens qui se trouveront dans le cas d'être inquiétés, mais encore dans les autres villes et paroisses de la province ^. » Viala se rendit à Rouen, fit accepter par les religionnaires la disci- pline et y réorganisa l'Eglise.

En 1743, dès qu'il le put, il revint dans le haut Languedoc. Il y trouva son ancien compagnon, Loire, ému encore des engagements solennels qu'il venait de prendre. Il le nomma pasteur du Poitou, et pendant que Préneuf continuait son ministère au nord de la France, il prit quelque repos au milieu de ces Eglises du haut Languedoc et de la haute Guyenne, dont il avait été le fondateur et l'apôtre

A l'Est cependant, le vieux Roger, entouré de ses jeunes pasteurs, travaillait sans relâche à accroître le nombre des Eglises du Dauphiné. Il essayait même de porter sur un nouveau théâtre son zèle et son activité. En 1730, quand la persécution sévissait, il poursuivait déjà ce but. Il forma bientôt quatre uou-

«N-l, t. XXV, p. 241.

2 Archives nationales, TT, 261.

» 1, t. XXV, p. 241.

118

ROGER ET LE DAUPHINÉ

veaux groupes d'Eg-lises, parmi lesquels celui de Die, et leur fit accepter les règlements établis. Par là, « il eut entrée sur un pays considérable, » oii il fonda cinq Eglises. Quel en était le nom? On ne sait. Il touchait au Comtat et à la haute Provence. On le suppliait de s'y rendre et de pressantes sollicitations l'y engageaient. Malheureusement « ses ouvriers » étaient trop rares. Il dut attendre quelques années encore, avant d'aller « réveiller » les protestants de ce pays

Ainsi au Nord, à l'Ouest, à l'Est, le protestantisme faisait de nouveaux progrès. La lumière que, peu d'années avant, Antoine Court et quelques compa- gnons, avaient fait jaillir sur les montagnes du Lan- guedoc brillait avec une intensité croissante : elle éclairait déjà plusieurs provinces du royaume.

A ces motifs de joie, s'enjoignait un autre. Depuis quelque temps la persécution se ralentissait. Çà et là, les intendants faisaient preuve de tolérance. Les assemblées étaient peu inquiétées. Les soldats devenus rares, à cause de la guerre, ne couraient plus les pro- vinces.

Dans ces circonstances, les religionnaires essayèrent de trouver des protecteurs qui les recommandassent à la bonté du roi. Ils s'adressèrent à l'heureux vain- queur d'Egra et de Prague, au maréchal de Saxe :

« ... Soixante ans ont déjà coulé sur nos misères; nos tem- ples démolis, nos pasteurs proscrits, nos troupeaux fugitifs ou

« 1, t, V, p. 155.

LA PERSÉCUTION SE RALENTIT

119

errants dans les campagnes ou dans les déserts, des dragons érigés en missionnaires, des ecclésiastiques plus cruels que les dragons, ne nous laissent vivre, ni mourir, sans nous contrain- dre à faire des actes dont nos consciences ont horreur. Les galères et les prisons regorgent de nos martyrs. Nos mariages souillés i)ar des sacrilèges ou des actes d'hypocrisie, nos enfants enlevés à leurs pères et à leurs mères, nos Uvres sacrés brûlés par la main du bourreau, nos biens confisqués ou chargés d'a- mendes : tels sont les principaux traits de nos malheurs... »

Il n'est point probable que le maréchal de Saxe ait jeté les yeux sur cette requête. Au surplus, il impor- tait peu. La tolérance par la seule force des événe- ments grandissait de jour en jour.

L'aurore de meilleurs jours se levait. Bien que le prédicant Dortial eût été récemment condamné et mis à mort, l'horreur de ce dernier supplice ne pouvait étouffer les premiers germes d'un espoir naissant. A Berne, comme on demandait des nouvelles et des ren- seignements sur la situation des fidèles sous la croix, M. de Montrond n'hésitait point à se montrer satisfait. Il parlait des succès obtenus en Guyenne et en Poitou, du grand nombre des réformés, du zèle, de la piété ; et si on s'enquérait de la persécution, il répondait qu'elle devenait moins violente, qu'elle avait des in- termittences, et que d'un diocèse à l'autre, suivant les évêques et les curés, elle sévissait ou ne sévissait point. Heureux signes ' !

Quelques prêtres en effet , soit ennui , soit lassi- tude, se montraient moins portés qu'autrefois à pous- ser le pouvoir dans les voies de répression. L'évêque

' 12, p. 251. (1741.)

120 MORT DE FLEURY

de Nîmes trouvait des imitateurs. Pour le pouvoir, n'étant point sollicité, ni prié, ni poursuivi, il se lais- sait aller à sa pente naturelle. Il ne révoquait point les édits, loin de là! mais il en suspendait l'exécution. Il laissait faire. Il fermait les yeux, puisque le clerg-é ne l'obligeait pas à les tenir ouverts.

Aussi bien, cette lig-ne de conduite lui était imposée par les circonstances. La France était en guerre. L'em- pereur Charles VI étant mort récemment, Louis XV avait été engagé dans une lutte malheureuse il jouait un mauvais rôle et dont l'issue l'effrayait. Les provinces étaient dégarnies de troupes. On n'avait plus de soldats. Il fallait donc paraître gécéreux, puisqu'on n'avait pas les moyens d'être sévère.

« Vous pensez bien, érrivait la Devèze, commandant dps troupes du Languedoc, que je ne laisserais pas une pareille tiudace impunie, si la situation des affaires du temps et celle je me trouve avec si peu de troupes me le permettait, et si je ' n'étais pas d'aUleurs bien informé qu'ils n'attendent que quel- que levée de boucliers de notre part, pour avoir un prétexte de se montrer plus bardiment... Il faut bien même prendre ci' parti et laisser faire ce (jue l'on ne saurait empêcher *. »

Pour surcroît d'ennuis, en 1743, celui qui, depuis 1726, gouvernait ouvertement la France et dirigeait, roi sans couronne, toutes les affaires du royaume, Fleury vint à mourir -. Ces événements n'étaient point sans gravité; ils devaient avoir des conséquences. Sollicité par les choses de l'extérieur, occupé par les soins d'une grande guerre, privé tout à coup d'un

' Archives nationales, TT, 336. (1743.) * 29 janvier 1743.

LE DUC DE RICHELIEU

121

ministre qui portait avec joie le poids du poiivoir, débarrassé par cette mort des sollicitations incessantes d'un clergé qui avait Fleury à sa discrétion et lui réclamait, pour prix de sa haute et invisible protection, quelque portion de l'autorité en matières religieuses, Louis XV devait oublier les protestants, et il les oublia.

En cela, il fut merveilleusement secondé par le nou- veau gouverneur militaire du Languedoc, le duc de Richelieu. Le grand seigneur comprit le roi; c'était son habitude. Depuis qu'il avait remplacé le marquis de la Fare il ne s'était que peu complaisamment prêté aux mesures de rigueur. L'ami de Voltaire, l'un des premiers lecteurs, à coup sûr, des Lettres sur l'An- gleterre^ si insouciant d'ailleurs et si égoïste, ne pou- vait guère avoir de haine contre de pauvres gens qui voulaient adorer Dieu à leur manière et qui ne faisaient d'autre mal que de se réunir pour chanter et prier Dieu en commun. Aussi, toutes les expéditions qu'il avait faites, il les avait faites tristement, comme à regret. C'étaient des parties de plaisir qu'il n'aimait pas. Mais lorsque, vers la fin de 1742 et 1743 surtout, il vit que de nouveaux conseils prévalaient à la cour, qu'on n'écoutait plus les doléances du clergé, et qu'on inclinait sinon vers la tolérance, du moins vers la bien- veillance, il modéra aussitôt l'ardeur de ses troupes, et laissa les religionnaires aller en sécurité à leurs assemblées. Dès 1742, il est facile de voir que les pro- testants jouirent d'une certaine liberté ^.

1 En 1739.

2 N" V, n" 5.

122 REPRISE DES ASSEMBLÉES

Ce fut d'abord un grand étonnement. Peu à peu, ils s'habituèrent à ce nouvel état de choses. Comme au sortir d'un rêve lourd et affreux ils se précij)itèrent vers le jour, vers la liberté. Les assemblées se multi- plièrent, leur nombre s'accrut extraordinairement, les fidèles, et non plus seulement les petites g^ens, mais les bourg-eois et les g'entilshommes coururent au Désert. Des catholiques même, g-agnés par cette espèce de contag-ion, se convertirent. A Nîmes, on en vit dans ce cas. « Ce nouveau mal g'ag'ne et aug-mente tous les jours, écrivait Bernag-e, au ])oint qu'on compte cent catholiques apostats pour un protestant qui se con- vertit. » Les pasteurs étaient à bout de forces et ne pouvaient suflSre à la tâche. Paul Rabaut et Pradel qui venaient d'arriver de Lausanne, trouvèrent les Eg-lises dans cet état de fiévreuse ardeur. Ils se mirent aussi- tôt à l'œuvre avec leurs collèg-ues. Mais, comme ils le disaient, la moisson était grande et les ouvriers man- quaient. Rabaut écrivait bientôt qu'il était accablé d'occupations, qu'il courait de tous côtés pour baptiser et marier, et qu'il n'était jamais en repos

Ce fut à propos d'une fête solennelle que les protes- tants montrèrent publiquement leur zèle et témoi- gnèrent, un peu imprudemment peut-être, leur joie^ Un étudiant, originaire du bas Languedoc, avait été reçu pasteur en Suisse ; il s'agissait de le présenter aux Eglises. On convoqua une assemblée. Les réformés étaient convaincus que les commandants de la pro-

» N" 1, t. XV, p. 45, (Déc, 1743.) * 36, p. 329.

CALOMNIES DU CLERGÉ

123

vince avaient reçu l'ordre de fermer les yeux Ils ac- coururent en grande foule. Le prêche se tenait dans un vallon, entre deux villag-es, Calvisson et Langlade. Près de dix mille personnes s'y trouvaient réunies, os- tensiblement, en plein jour. Chose curieuse! les troupes n'apparurent point. Il n'y eut ni alerte, ni surprise : tout se passa dans le plus g-rand calme. Les relig-ion- naires, heureux d'avoir tenté cette expérience, en con- clurent que la cour inclinait à la tolérance. De nou- vellets assemblées, ici et là, se tinrent encore, et on y mit même quelque ostentation. On prêcha, on donna la sainte Cène , on fit surtout des baptêmes et des ma- riages. Les puissances ne montrèrent nulle colère et n'appliquèrent aucune rigoureuse mesure. On crut alors avoir décidémment obtenu la liberté.

Cependant le clerg-é s'était ému. Il fit des représen- tations, calomnia , prétendit que les Cévenues étaient en armes, allaient se soulever. Cette grande ardeur commençait de l'effrayer. Richelieu se porta aussitôt sur les lieux et ne tarda pas à reconnaître la fausseté de ces bruits. Les assemblées continuèrent, et le nom- bre des assistants s'accrut. « Dès que j'eus commencé à prêcher en plein jour, dit Viala, tous les protestants sans exception d'âge, de condition, ni de sexe se ren- dirent en foule à nos assemblées. Mes auditoires étaient si nombreux, qu'à peine pouvais-je faire entendre ma voix aux plus éloignés de mes auditeurs. Castres, Puy- laurens, Revel , Rocquecourbe, Réalmont, tout le val- lon de Mazamet, toute la montagne depuis Mont-Redon

1 1, t. XV, p. 45.

124 CONNIVENCE DU POUVOIR

jusqu'à la Conne, se rendait^à la même assemblée, quel de ces endroits qu'elle fût convoquée *. »

Mais le clergé s'indig-nait de la complaisance de la cour. Il se plaignait déjà à haute voix. Richelieu vint à Nîmes, fit comparaître devant lui les principaux protestants, feignit une grande colère, et défendit la tenue de nouvelles assemblées. A travers ses paroles cependant, les religionnaires avaient saisi sa pensée. Il s'était servi « de termes qui laissaient entrevoir qu'elles ne lui faisaient pas autant de peine qu'il semblait vou- loir le persuader » Loin d'obéir, ils s'enhardirent de la connivence secrète du gouvernement. Bientôt, s'a- bandonnant aux illusions , ils agirent comme si la dé- claration de 1724 n'avait jamais paru, et si un nouvel édit avait effacé tous ceux que Louis XIV et Louis XV avaient promulgués contre eux.

N" 1, t. XXV, p. 241 ' N- 36, p. 329

CHAPITRE V

SCHISME DE BOYER. RETOUR d' ANTOINE COURT EN FRANGE 1730-1744.

Le bonheur n'était pourtant pas complet. Si le spec- tacle des assemblées, le nombre croissant des fidèles, l'espèce de tolérance dont on jouissait, inspiraient par- tout de la joie, un sujet de profonde tristesse accablait les âmes les plus hautes.

Le protestantisme était depuis quatorze ans déchiré par un schisme, et personne n'espérait en voir la fin. Ce schisme avait éclaté presque au lendemain du dé- part d'Antoine Court; il durait encore. Rien n'avait pu le terminer, ni les décisions des Synodes, ni les lettres des pasteurs étrangers ; et telle était la profon- deur des divisions, qu'il était à craindre qu'elles ne causassent « la ruine de ces pauvres Eg-lises, si on ne parvenait par quelque teiiipérament, qui mît à couvert l'honneur de la religion, au bonheur de le déraciner entièrement \ »

L'auteur de ces douloureuses dissensions était le pré- dicant Boyer.

Illum, aut clementer converte Aut ]jotpnter pverte,

> 36, p. 10.

126 BOYER

disait de lui l'archidiacre Ott, de Zurich. Boyer, de- puis le jour il s'était mis à la disposition des Eglises, n'avait cessé de leur donner des ennuis. Au début de son ministère, il avait refusé de se soumettre à la dis- cipline établie. Plus tard encore, malgré les règle- ments, il s'était fait consacrer en Suisse, et son ordi- nation à l'étranger avait fait naître de longs débats.

En 1730 précisément, il arrivait de Zurich, plein de zèle, nouvellement consacré pasteur, ambitieux et peut-être désireux aussi de prendre la place qu'avait laissée vide le départ d'Antoine Court. Il aspire à gouverner, disaient les protestants. Il obtint pour quar- tier le pays qui s'étend à l'entrée des Cévennes et comprend les. premières pentes de la montagne. Les principales villes en étaient Valleraugues, Meyrueis, Le Vigan, Anduze, Saint-Hippolyte. Il prit aussitôt possession de ces Eglises et commença son ministère C'était dans les premiers jours de 1731. Tout d'abord, ce ne furent que courses à travers le pays, convoca- tions d'assemblées, exhortations pressantes et vives, censures et sermons. Boyer faisait preuve d'activité, d'une trop grande activité peut-être. Surtout il se montrait sévère, austère, dur, menaçait volontiers et excommuniait. Il allait même jusqu'à accuser de fai- blesse et d'inertie ses collègues, et Court et Corteiz n'étaient point épargnés. Il agit de telle sorte, qu'en peu de temps il indisposa contre lui beaucoup de pro- testants. Un assez grand nombre cessa de fréquenter les assemblées. L'un d'eux écrivait : « Je crois que

» N" 1, t. V, p. 285. (Mars 1731.)

SON MINISTÈRE 12?

pour vouloir faire trop bien, il gâtera tout et ne fera rien qui vaille *. » Son premier acte mécontenta tout le pays. Deux jeunes mariés avaient fait bénir leur union à l'Eglise par le curé ; c'était chose défen- due, et on le savait. Mais les règlements étaient en cette matière si souvent violés, que les plus sévères admettaient toujours des circonstances atténuantes et pardonnaient cette infraction à la discipline. Boyer n'en fit rien. Il réunit les anciens d'Anduze, de Saint- Jean et de La Salle, et leur ordonna d'excommunier les nouveaux mariés. Ceux-ci s'y refusèrent; Boyer les déposa Cela fit grand bruit dans ce petit monde protestant. Les caractères s'aigrirent et les colères augmentèrent. Bientôt après, Corteiz ayant convoqué une assemblée dans un lieu de ce quartier, Boyer s'y présenta et voulut faire l'office, mais les fidèles s'y opposèrent et prièrent Corteiz de prêcher. Boyer, de dépit, sortit aussitôt de l'assemblée avec éclat

Cependant les protestants, tout en blâmant les actes de leur pasteur, n'osaient ni soupçonner ses intentions, ni attaquer sa sincérité. L'austérité, même farouche, n'était point rare en ces temps, et on pouvait s'en pa- rer sans affectation. Les pasteurs seuls, ses collègues, se méfiaient de lui. Duplan, qui l'avait connu en Suisse, le traitait déjà « de menteur, de malin, d'arrog'ant, d'esprit rusé, et le reg-ardait comme une bête féroce dans la vigne du Seigneur, ou comme un animal im- monde dans l'arche de la nouvelle Alliance*. » Mais

» 1, t. V, p. 299. (1731.)

^Ibid., p. 315.

' Ihid., p. 500,

* N" 37, p. 11. (1726.)

128 SUZANNE FEVRIER

tout à coup, un bruit étrang-e se répandit. On rapporta que Boyer avait « un commerce impur » Qu'y avait-il de vrai dans cette rumeur? On alla aux infor- mations et une enquête fut ouverte. Corteiz fut chargé de découvrir la vérité.

Près du Vig-an, dans un mas, espèce de ferme re- tirée, — vivait avec sa famille une jeune fille, Suzanne Février. C'était une paysanne. Boyer, disait-elle, l'a- vait connue, lui avait parlé d'amour et de mariage, avait vécu avec elle pendant cinq mois et l'avait ren- due mère. Elle avouait toutefois, qu'elle avait bientôt rompu avec Boyer, et que, désespérant de se marier, elle s'était donnée à un homme du château de Gines- toux. Lequel des deux était le père de l'enfant? « Il faudrait, écrivait Corteiz, se vouloir aveugler pour ne pas sentir que M. Boyer est le premier qui a abusé de la jeunesse de cette fille, qui l'a porté dans le mal- heur et l'a plongé dans le crime, crime qu'il a fait durer aussi long-temps qu'il a pu cacher-. » Mais le pasteur accusé niait hautement le fait, se disait vic- time d'une machination et proclamait son innocence. Suzanne Février en effet, confessa plus tard que Boyer n'avait jamais été son amant. Cet aveu un peu tardif n'était-il pas toutefois un peu imposé? C'est ce que crurent beaucoup de contemporains.

L'inimitié que les pasteurs du Languedoc nourris- saient contre Boyer ag-grava cette malheureuse afi"aire. Ils s'en emparèrent avec empressement. Us saisirent cette occasion pour noircir leur collèg-ue et donner

1 N" 1, t. V, p. 539 (Sept. 1731 et déjà eu juin, 7, t. 111, p. 503 ) » Ibid., p. 601. (Oct. 1731.)

PREMIÈRES DIVISIONS 129

carrière à une haine trop long-temps contenue. Sans doute ils ne firent pas cela ouvertement , ostensible- ment, mais, ce qui est pire, par d'habiles insinuations, avec de perfides réticences. « Outre son commerce im- pur, écrivait-on à Court, on le soupçonne de vouloir dominer sur les héritag-es du Seigneur, d'être men- teur, calomniateur, par pire d'ag-ir par un g-ain dés- honnête'... » L'afiaire de Suzanne Février était le thème ; on faisait des variations sur ses prétentions vraies ou fausses et sur ses \isées.

Tout s'ébruita. La province entière et les provinces voisines furent informées de ce qui se passait ; les ca- tholiques l'apprirent et s'en réjouirent; les pasteurs de Suisse le connurent et s'en afflig-èrent. De Lau- sanne les séminaristes mandaient qu'ils manquaient de termes pour exprimer leur affliction. «Qu'aurait-il fallu de plus, disaient-ils, pour réduire nos chères Eglises dans l'état le plus déplorable ^ ! »

Ce qui inquiétait les hommes de sens, c'était l'atti- tude de Boyer. Dès que celui-ci avait vu crever l'orage et qu'il avait senti sa position en péril, il avait placé dans sa fermeté toutes ses chances de salut. Il courut le pays, se justifia, donna des preuves de son innocence, et chercha à se former un parti. Il le forma. Le plus grand nombre des protestants de son qicartieo' embrassèrent sa cause et se décidèrent en sa faveur. Fort de cet appui, Boyer attendit courageusement l'attaque. Au mois d'avril 1732, un Synode provincial s'assembla et le fit comparaître pour présenter sa défense ; il arriva

1 N" 1, t. V, p. 538. (Sept. 1731.) «N°7, t. III, p. 503. (Juin, 1731.) II

y

130

COMMENCEMENT DU SCHISME

avec douze de ses partisans, protesta contre le Synode et en déclina la compétence. On lui proposa alors de faire jug-er son affaire par trois membres choisis dans l'Académie de Lausanne ; il repoussa l'offre. Mais l'as- semblée était irritée par tant d'au'Iace et décidée à sévir ; elle fit donner lecture de l'enquête sur Suzanne Fé- vrier, et, après en avoir délibéré, d'une voix unanime, elle ordonna la déposition de Boyer. Boyer ne s'émut pas, reçut le coup, et continua, comme par le passé, son ministère .

Ce fut le commencement du schisme. En vain le Sy- node avait-il privé le pasteur qu'il déclarait indigne, de tous les droits attachés à sa charg-e, et ordonné que les fidèles cessassent de le fréquenter, il n'avait entre les mains aucun moyen défaire exécuter son arrêt. Les fidèles d'ailleurs, non plus que Boyer, ne voulaient souscrire à sa décision. Ils s'étaient attachés à leur pasteur démis et le reg-ardaient comme une victime.

Le Synode usa de toutes les armes dont U avait, dans ces tristes circonstances, coutume de se servir, mais il n'obtint que peu de succès; et quoique en 1733, Cor- teiz donnât pour certain l'affaiblissement du parti de son ancien collèg-ue, la vérité était que Boyer se trou- vait à la tète d'une faction considérable , pleine d'ar- deur et dévouée jusqu'à la mort ^. Il s'était adjoint deux proposants, Gaubert et Grail, et se conduisait dans les basses Cévennes qu'il regardait volontiers comme un diocèse à vie, en manière de pape et de

» 1, t. VIII, p. 9. (Avril 1732.) Ce fut Durand qui devait cette même année périr si misérablement, qui donna lecture de l'enquête, î xN- 1, t. VIII, p. 383. (Fev. 1733.)

COMMENCEMENT DU SCHISME

131

chef de bande. Il restait encore du dragon sous le pas- teur. Betrines et Corteiz convoquèrent, un jour, une assemblée près de Saint - Hippoly te. Aussitôt quel- ques partisans de Boyer accoururent, renversèrent la table sacrée, firent taire Betrines, jetèrent le pain et le vin, et voulurent même emporter les coupes*.

Les pasteurs cependant du Languedoc qu'irritait de plus en plus l'attitude de Boyer et celle de la popula- tion, ne savaient quel parti tenir, ni quelle conduite suivre. Ils se disaient dans la désolation, et y étaient. Comme en 1723, au temps oîi florissaient les Inspirés, ils résolurent d'en appeler à l'influence des pasteurs étrangers. Ils firent composer un mémoire sur Boyer et l'envoyèrent à Lausanne et à Zurich. Mais Boyer apprit cette démarche ; il écrivit aussitôt son apologie, l'adressa aux mêmes personnages, prétendant que le mémoire de ses adversaires était « frauduleux et plein de faussetés*. » Bientôt même, Corteiz s'étant rendu à Zurich, il quitta la France, et vint dans la même ville. La vénérable Classe de cette cité s'eff'orça de tout apai- ser, mais vainement. Boyer qui se disait calomnié et victime de la jalousie de ses collègues, voulait deux choses : que son innocence fût hautement proclamée, et que les pasteurs et anciens par le vote desquels il avait été déposé, fussent également déclarés indignes et démis. « Point de paix, disait Corteiz de son côté, pour les méchants qui pèchent avec fierté et veulent faire triompher l'injustice * ! » Il était difficile de

1 1, t. VIII, p. 675. (1733). « Ibid. (Janv. 1734.) 3 Ibid., p 875. (1734.)

132 DÉCISION DES SYNODES

s'entendre. Lausanne voulut à son tour .s'occuper de cette affaire et imposer son arbitrag"e ; Antoine Court fut chargé par un Synode de soutenir l'équité du ju- gement qui avait dépouillé Boyerde ses fonctions. Mais les colères étaient encore trop grandes et les passions trop vives : on n'obtint aucun résultat. Boyer, mal- gré des prières pressantes pour le retenir, revint en France , au milieu de ces Eglises qui soutenaient son parti avec l'acharnement des causes persécutées.

En 1735, un Synode national se réunit et confirma la décision du Synode provincial. Quoique deux fois déposé, Boyer continua l'exercice de son ministère. « Surtout, écrivaient à cette occasion les pasteurs de Suisse, nous avons remarqué depuis longtemps en lui un esprit hautain et revêche, ennemi de tout ordre et de toute discipline, qui se plaît dans l'indépendance et qui se raidit contre le gouvernement ecclésiastique éta- bli dans vos Eglises ' . » Homme hautain en effet, mais aigri, et qui avait oublié sa faute, s'il était coupable, pour ne se rappeler que sa colère et sa vengeance. Il mettait de l'amour-propre à rester pasteur, malgré ses collègues, et à les irriter par le sentiment de leur impuissance.

Les choses restèrent dans cet état jusqu'en 1744. Peu à peu le Languedoc tout entier et les autres provinces entrèrent dans la querelle. Les uns tinrent pour Boyer et les autres pour les Synodes ; ce fut une longue succession d'arrêts et de protestations, de dis- putes quotidiennes entre les divers partis, de menaces

1 Lettre officielle des pasteurs de Zurich, Berne et Lausanne aux Eglises de France, (1736.) Pièce eommuuiquée.

OPPOSITIONS 133

suivies d'effets et de douloureuses représailles. Les passions en vinrent au point, que dans le quartier de Boyer, pour s'opposer à l'intervention des pasteurs du dehors, il se forma des troupes régulièrement orga- nisées, qui avaient pour but de disperser les assemblées.

« ...Comme des furies d'enter, écrivait Betrines en 1739, ces détachements ont été dans quelques maisons, pour les fouiller; ils se sont portés dans quelqu'une , si on m'a accusé juste, jusqu'à enfoncer les coflres et gardes-robes pour voir si nous n'y étions pas dedans. Mais, direz-vous, dans quelles vues fait-on tout cela? C'est, disent les uns, pour nous battre; les autres, pour nous tuer; les autres, pour nous livrer entre les mains des ennemis, et les autres disent que c'est pour nous forcer à nous réunir au sieur Boyer »

On prétendit même que Boyer et ses partisans dé- nonçaient aux commandants des troupes la tenue des assemblées et les faisaient surprendre. Pures imagina- tions, heureusement ! Les haines ne furent pas aveu- gles au point d'appeler à leur secours les persécuteurs ordinaires.

Dans ces circonstances, la joie qu'inspirait le relâ- chement des rig'ueiu's ne pouvait être complète. On voulut essayer une dernière tentative pour termi- ner ces dissensions. Il semblait que les colères de- vaient s'apaiser en même temps que la cour montrait en faveur des Eglises plus de bienveillance. N'était-il pas à craindre d'ailleurs, que les ennemis de la F'rance profitassent de ces discordes pour fomenter quelque révolte et exciter une guerre intérieure sur les der-

1 N'' 1, t. XI, p. 483.

134

COURT VIENT EN FRANCE

rières de son armée ' ? Paul Rabaut s'adressa donc à son ami, à celui qu'il traitait de frère, à Antoine Court. Il le supplia de revenir en France, ne fut-ce que pour quelques jours, et d'essayer du prestig-e de son nom pour calmer les esprits et faire renaître la paix Plu- sieurs fois il lui avait déjà adressé la même prière. Antoine Court s'était montré insensible. « Qu'on est éloigné du compte, répondait-il, quand on pense que ma présence pourrait apporter un remède ! » Mais en 1744, lorsqu'il apprit les heureuses nouvelles qu'on lui mandait, lorsqu'on s'adressa à lui comme au seul homme capable de dénouer ou de trancher les diffi- cultés, lorsqu'il vit l'avenir sous des couleurs moins sombres et qu'il crut un moment pouvoir assister au triomphe de sa cause, il sentit s'évanouir ses scru- pules et faiblir sa résolution. Le désir le prit sans doute aussi de revoir la France, et de visiter encore une fois ces Eglises que, depuis 1729, il n'avait point par- courues. Il devint hésitant. Il attendit un appel nou- veau.

Au mois de mars 1744, les professeurs Maurice et Lullin, les pasteurs Vial et Sarrasin, de Genève, Po- lier, de Lausanne, et sans nul doute de Montrond, se réunirent pour délibérer, entre autres choses, sur le schisme de Boy er ' .

Depuis 1731, ils avaient fait plusieurs tentatives pour y mettre fin; ils n'avaient pas réussi. Ils discu- tèrent alors un nouveau moyen de conciliation. Ils fe-

1 36, p 339.

* 1, t. XIV, p. 149. (1742.)

3 36, p. 516. (1744.)

LETTRE A BERNE

135

raient sig-ner par les principaux adversaires un com- promis par lequel ceux-ci s'eng-ageraient à se soumettre au jug-ement arbitral d'hommes influents choisis dans la province, ou dans les provinces voisines. Un dé- puté serait en outre délég-ué « par les amis des pays étrangers. » Ce député se joindrait aux arbitres, ser- virait de médiateur, solliciterait la signature du com- promis, et ferait ratifier le résultat obtenu par un Synode national. Tous les suffrages se portèrent sur Antoine Court. Polier vint, lui fit part de la décision qu'on avait prise, et Court, n'hésitant plus, accepta la délicate mission dont quelques amis venaient de le charger.

Il écrivit une lettre, il expliquait à LL. EE. de Berne le motif de son départ, prenait congé du gou- vernement, et recommandait à sa charité la famille touchante qu'il allait quitter, incertain de la revoir Quelques jours après, s'adressant à l'Advoyer Stei- guer * :

« ...J'étais, Monseigneur, loi disait-il, depuis longtemps solli- cité par des lettres les plus pressantes de l'un et de l'autre parti pour me rendre dans ce pays-là, dans l'espérance qu'ils me témoignent que je pourrais parvenir à les réconcilier et à faire cesser le malheureux schisme qui s'y est élevé, tout ce que j'avais pu faire jusqu'à présent par mes lettres, aussi bien que toutes les exhortations et tous les moyens qui ont été mis en œuvre par les pasteurs respectables des pays étrangers qui s'en sont mêlés, ayant été infructueux. L'amour que je con- serve. Monseigneur, pour ces chères Eglises ; les intérêts de la gloire de Dieu et de notre sainte religion me faisant envisager

1 36, p. 21, (27 mai 1744.) » Ibid., p. 17. (29 mai 1744.)

136 APPUI DE LA SUISSE

cette entreprise comme une vocation à laquelle la divine provi- dence m'appelle et à laquelle jo ne pourrais me refuser, sans manquer à la résignation que jo lui dois, nonobstant tous les périls auxquels je vais m'oxposer, ne me laissaient d'indéter- mination que dans l'incertitude oii j'étais de savoir, si "V. E.. qui n'est pas moins distinguée par son zèle pour la gloire de Dieu que par le rang suprême qu'elle occupe dans l'Etat, l'approuverait... »

LL. EE. de Berne ne mirent aucun obstacle au départ de l'ancien prédicant. Celui-ci se disposa bientôt pour son périlleux voyage.

Sa mission était très-difficile. Pour la faciliter, Po- lier au nom de quelques amis, fidèles ou pasteurs, lui remit une lettre lettre de créance et d'instructions tout à la fois dans laquelle était long-uement exposé ce qu'il devait faire et ce que les Eg'lises, en même temps, devaient accepter'. On fit plus. Une circulaire fut envoyée à l'étranger et surtout en Suisse le projet de pacification récemment élaboré à Genève était tout entier déroulé ; au bas de cette lettre les pasteurs et amis des Eglises françaises furent priés de mettre leur signature. On ne pouvait croire qu'une mission approuvée par des hommes aussi il- lustres et influents, restât infructueuse^. Ostervald à Neufcliâtel, sig-na cette lettre, puis l'archidiacre Ott au nom de la chambre ecclésiastique de Zurich, enfin de Trey, pasteur de l'Eglise française de Berne, le pro- fesseur Salchly et l'illustre Dachs, premier pasteur et doyen de cette même Eglise de Berne ^ C'est muni de

» 36, p. 57. (31 mai 1744 } « Ibid.

' Ihid., p. 51, 53, 55.

VOYAGE ET ARRIVÉE

137

ces lettres et autorisé par de tels noms, que Court s'a- chemina vers la France.

Il partit le 1" juin ; neuf jours après, il était arrivé à Nîmes ^

« ... Ma route a été des plus heureuses, loué soit Dieu! Il n'y eut que le bruit que les assemblées du Yivarais avaient fait dans le Forez et le Velay que je traversai, qui me fit quelque peine, surtout ayant appris que dans les meilleures villes do ce pays- là, comme Saint-Chaumont, Saint-Etienne, etc., le Pin, Pra- dèles, Langogne, par oii je devais passer, il y avait des troupes. L'on disait dans tous ces endroits-là que les religionnaires étaient en Vivarais en grand nombre, mais on ajoutait qu'ils ne faisaient du mal à personne, qu'ils s'assemblaient, mais qu'ils ne portaient point d'armes, qu'il était vrai qu'on avait arrêté hors de Saint-Etienne plusieurs charges de fusils qu'on supposait destinés pour eux, et que l'on avait arrêté le ministre Jacaud venu de Lausanne. Tout cela lit d'abord quelque impres- sion sur moi, et j'étais quasi fâché de n'avoir pas suivi la route du Rhône. Cependant, y ayant fait quelque réflexion, je m'af- fermis dans le dessein de suivre celle que j'avais commencée, seulement suprimai-je le passe-port de Suisse et ne parus plus que comme venant de Lyon ; je vis même à Saint-Etienne plu- sieurs marchands de rubans, à qui je demandai des échantillons pour les porter à Nimes avec moi. On crut, au Puy, que je venais pour faire emplette de dentelles, et les meilleurs maga- sins me furent indiqués. Partout je trouvais des prêtres, je les invitais à boire et nous ne tardions pas à paraître les meil- leurs amis du monde. Un, n'ayant pas osé venir au cabaret, parce que c'est contre les règles de son évêque que les curés aillent dans le heu de leur résidence à l'auberge, je fis porter le souper chez lui, et il nous réjouit beaucoup. C'est ainsi que je passai partout fort heureusement »

' A Boucoiran plutôt, petit village h quatre lieues de Nîmes ^ N" 36, p. 113. (1744, 24 juin.)

138

COMMISSION ARBITRALE

Le bruit de son arrivée se répandit avec une rapi- dité étonnante; le lendeniain, on la connaissait à quinze lieues à la ronde, et les visiteurs affluaient. Mais An- toine Court avait hâte de terminer la malheureuse af- faire pour laquelle il avait quitté la Suisse. Le 19 juin, il convoqua un colloque assistaient onze pas- teurs et Roger du Dauphiné; quelques jours avant, il avait réuni dans un jardin près de Nîmes les hommes les plus influents de l'un et de l'autre parti ; à tous il exposa son plan de conduite et leur proposa d'y adhérer. Malgré de vives réclamations, surtout de quelques pasteurs, les Claris, les Roux, tout fut ac- cepté. Le 23 juin. Court vit Boyer, et lui dit franche- ment qu'il était disposé à suivre les routes praticables, mais qu'il entendait que tout s'arrangeât, et dans peu de temps. Après une assez vive discussion, il fut dé- cidé que le jugement de cette affaire serait déféré à trois arbitres et que leur décision aurait force de loi Ces arbitres furent Antoine Court, Roger et Pey- rot. Ce dernier était absent. On lui manda de se ren- dre immédiatement auprès de ses collègues.

' N" 36, p. 61. Voici la déclaration de Boyer.

« Je souss"« donne pouvoir à. M. Jacques Roger, Antoine Court, et Pierre Peyrot, pasteurs des Eglises du Dauphiné, Vivarais, Cévennes et bas Languedoc et a M"... avocats, de donner leur décision sur tous les différends qu'il y a entre les j)asteurs du bas Languedoc et Cévennes, et moi, et les Eglises des mêmes pays d'où qu'ils procèdent et en quoi qu'ils consistent promettant d'acquiescer à tout ce qui sera par eux décidé et de l'e.Kecuter suivant sa l'orme et teneur, à quoi je m'engage d'honneur et avec toute la bonne foi inséparable de mon caractère, tout comme si la décision émanait d'un synode national, fait ce jour 23 juin 1744. » Signe : Boyer,

La même déclaration fut signée par les autres pasteurs : Paul Ra- baut, Pradel, Molines, Roux, Ûibert, Déferre, Gabriac, Claris, Be- trines, Fayet et Redonnel. (N° 36, p. 63.)

DISPOSITIONS FAVORABLES 139

Les choses semblaient prendre une tournure favo- rable. Le 24 juin, on vit arriver à Nîmes un député des consistoires de Ganges, Valleraugue etleVig-an qui venait, en leur nom, faire acte de soumission. Court l'écouta, l'affermit dans ces dispositions et après avoir tenu une fort grande assemblée près de Nîmes, se mit à parcourir la province. Il tenait à voir lui-même quel en était l'état ; il tenait surtout à ramener les esprits à des sentiments de conciliation.

« ... Je partis le lendemain pour Montpellier, et voici une preuve de la manière que Dieu me fait la grâce de soutenir la fa- tigue. M. Pradel, de cette Eglise, et qui me devait accompagner, avait fait marcher une lettre avant nous, par laquelle il donnait avis à cette Eglise que nous arriverions le lundi au soir, et que si on trouvait à propos d'assembler pour ce soir-là l'Eglise, j'y prêcherais. La proposition fut acceptée, l'assemblée se con- voqua, et nous ne pûmes cependant partir de Nimes qu'après neuf heures du matin de ce jour-là. 11 faisait une chaleur exces- sive, j'en étais accablé. Nous prîmes des rafraîchissements en chemin, et nous n'arrivâmes aux environs de Montpellier qu'à huit heures et demie du soir. On nous dit là, que l'assemblée était encore à deux lieues de là. M. Roger, qui m'accompagnait avec M. Vernesobre (Pradel), ne se sentit pas de force pour nous suivre. Nous soupàmes ensemble, il s'alla coucher, et M. Vernesobre et moi, accompagné d'un monsieur de Montpel- lier, nous nous rendîmes à l'assemblée, et quoiqu'allant aussi vite qu'on peut aller, nous n'y arrivâmes qu'à une heure après minuit. Sans prendre aucun repos, je descends de cheval, j'en- dosse la robe, je monte en chaire, je prêche, et je le fais avec la même force que si je sortais du cabinet. Tout le monde parut édilié, et Vamen que je demandai ici comme à Nîmes ne fut pas prononcé avec moins de zèle. Je remontai à cheval, et me rendis tout près de la ville. On me marqua pour le soir un logis, oîi je vis le mercredi, 1" de ce mois, un grand nombre

140

LE JUGEMENT

des personnes les plus distinguées de l'un et de l'autre parti. Je leur exposai ma commission, on lut mes lettres de créance, chacun applaudit à mon dessein, et on promit de part et d'autre de se soumettre à tout ce qui serait décidé par le médiateur et les ar- bitres »

C'est ainsi qu'il parcourut la Vaunag-e, les basses et les hautes Cévennes, prêchant presque chaque jour, tenant des assemblées, convoquant les principaux pro- testants et les pasteurs, et les conjurant au nom de la foi commune et du triomphe de l'Eglise, de l'aider dans son œuvre d'apaisement. Ce voyage dura un mois, le mois de juillet. Le 5 août, les arbitres et les avocats des deux partis se réunirent. ^ii^''

<i ... Nous commençâmes les opérations de notre importante commission par l'invocation du nom de Dieu. J'adressai ensuite un polit discours à MM. les arbitres et médiateurs. 11 tendait, en leur dépeignant la grandeur du mal, à leur inspirer les dispositions nécessaires jiour le faire cesser. Je les exhortai fortement d'écarter de nos conférences tout esprit de dispute et de contestations et d'y apporter un es[irit de paix, d'agir rondement et de tendre au plus grand bien ^ .. »

Le 8 août, le jugement fut rendu. Il était fort prudent, fort modéré, peut-être même trop modéré; en réalité ne donnait tort ni aux uns, ni aux autres. Mais dans la situation des esprits, il eut été difficile d'agir autrement.

Les arbitres disaient qu'il leur était impossible de juger les faits imputés à Boyer en 1731, dans 1 affaire de Suzanne Février, et qu'ils en laissaient le juge- ment à Dieu « qui sonde les cœurs et les reins, et

< 36, p. 119. (3 juillet 1744.) î Ibid., p. 65 et p. 141.

RÉPARATION DE BÛYER

141

qui sait punir le coupable et protéger les innocents. » Passant ensuite en revue les Synodes, colloques et conseils qui avaient ou suspendu, ou réintégré Boyer dans ses fonctions, après avoir reconnu la légiti- mité des uns et la nullité des autres, ils ajoutaient, que Boyer, ayant violé la discipline et l'arrêt du Synode de 1735, serait suspendu de ses fonctions de pasteur, mais que cette suspension, vu l'état présent des choses, ne durerait que quinze jours; que Boyer témoignerait de sou repentir et ferait sa soumission, après quoi il serait réinstallé dans sa charge ; que Gaubert et Grail seraient confirmés pasteurs ; que le même département occupé en 1731, serait rendu à Boyer ; que les consistoires en seraient réélus ; enfin, que chacun s'efforcerait de travailler à l'apai- sement des esprits. « Nous invitons tous les fidèles qui ont eu connaissance de nos malheurs, qui les ont partagés avec nous , de joindre leurs prières aux nôtres, pour obtenir du Dieu de paix la faveur inesti- mable que nous lui demandons ici, afin que, nos vœux communs exaucés, ils prennent part à notre joie »

Le jugement fut communiqué, le 17 août, aux par- ties adverses ; naturellement il déplut aux uns et aux autres. « Je ne parus point, dit Court, à la sig'ni- fication et je fis fort prudemment. J'eusse eu à essuyer beaucoup de duretés de part et d'autre. » Les esprits cependant se calmèrent bientôt, et dès le lendemain, on convint qu'il eût été difiicile de faire autrement qu'il avait été fait ^.

» 36, p. 73 et n" 46. 2 Ihid., p 146.

142

RÉPARATION DE BOYER

Le 18 du même mois, se tint un Synode national. Antoine Court, craignant la présentation de nouveaiix mémoires et de nouvelles discussions, se hâta de sou- mettre la sentence à l'approbation du Synode et la fit adopter. Boyer parut dans cette assemblée et fit publi- quement sa soumission. L'assemblée, dans un élan spontané, entonna tout à coup un psaume, et Paul Rabaut fit la prière. On adressa des félicitations à Antoine Court, on lut des harangues en vers, on s'em- brassa et on applaudit

Il restait cependant une dernière cérémonie à accom- plir : le rétablissement de Boyer dans sa charge de pasteur. Grosse affaire ! Boyer devait faire répara- tion publique dans une assemblée, et son amour- propre se pliait avec peine à cette humiliation ; n'était^ ce donc pas assez d'avoir comparu devant le Synode? Malgré tout, une assemblée de près de vingt mille personnes se réunit près de Sauzet, <r dans une vigière, » et Boyer s'y rendit.

On avait élevé une chaire assez haute; aux pieds, avait été dressée une estrade. C'est sur cette estrade que prirent place, d'un côté les pasteurs ordinaires, de l'autre Boyer, Gaubert, Grail, une douzaine de pro- posants, en habit séculier. Court monta en chaire.

« ... Je fis une prière sur le champ je dus paraître fort ému ; elle partait du cœur et toucha. Tout le monde était attendri. 11 suivit la lecture d'un discours que j'avais préparé pour la circonstance, je dis lecture, car je n'avais eu ni assez de loisir, ni assez de liberté d'esprit pour l'apprendre. Dans ce discours, je m'adressai aux pasteurs, à M. Boyer, aux fidèles, aux gens

» N" 36, p. 147, 148.

FIN DU SCHISME

143

distingués, en leur adressant à chacun les uns après les autres la parole. Ce que je dis à M. Boyer était fort touchant. C'é- taient des coups de massue, dit un avocat, qui assistait à l'as- semblée, mais je le croyais ainsi nécessaire et j'étais persuadé qu'il ne produirait pas un mauvais eflet... »

Lorsque Court eut termiué sa harang-ue, Boyer se leva. Dans un discours fort écouté et fort touchant, il témoigna de son repentir, et promit d'observer la discipline à l'avenir avec une inviolable fidélité *. De tous côtés on versait des larmes. Grail et Gaubert s'approchèrent alors, et firent à leur tour une décla- ration semblable.

«... J'adressai ensuite, ajoute Court, la parole aux élèves de ces messieurs, et les exhortai à se rendre capables de prêcher la Parole, et surtout de tenir une conduite qui fit encore plus de fruit qu'ils ne le feraient jiar leur zèle et par leur prédication. Gela fini, je descendis de la chaire et fus donner la main d'as- sociation aux trois pasteurs rétablis, j'embrassai aussi les élèves les uns après les autres. Onze pasteurs qui étaient présents et quelques proposants en firent de même. Je remontai en chaire et ordonnai le chant des versets 12, 13 et 14 du psaume CXVIII. Tout ceci fut fort attendrissant, et je doute si quelque céré- monie l'a été plus que celle-ci »

Un des arbitres, Peirot, charg-é de la prière, fit des vœux au ciel pour le rétablissement de la santé de Louis XV, pour le succès de ses armes, pour la tolérance et l'union des fidèles. Bientôt après , la foule émue se dispersait dans la plaine et regagnait les villages environnants*. Le schisme était terminé.

1 Ce discours existe. V. 41, « jugement de Boyer. »

2 N" 36, p. 155.

« Ibid., p. 156 et 91.

144

APAISEMENT DES ESPRITS

Il fallait cependant qu'il s'écoulât quelque temps encore avant de voir les esprits complètement apaisés. « Le calme, écrivait Court, ne peut pas venir tout à une fois, mais peu à peu il succédera à l'orage. C'est un grand point que d'être parvenu les choses sont. L'œuvre était grande, difficile; on la croyait impos- sible. Le bras de l'Eternel a puissamment opéré, il ne laissera pas s'il lui plaît .son œuvre imparfaite » Court s'était, pour sa part, consacré avec une admi- rable activité à cette difficile entreprise. Il ne fallait rien moins que son talent, son crédit, .son autorité, pour résoudre une situation se trouvaient tant d'obstacles et qui réclamait tant de ménagements.

Aussi la province entière lui témoigna -t -elle de toutes façons sa reconnais.sance et sa joie.

Court vient d'acquérir plus de gloire Que les plus fameux conquérants: Son nom, au temple de Mémoire, Sera célébré en tous les temps.

Oui. par la plus belle entreprise 11 a su réunir les cœurs. Procuré la paix à l'Eglise Et concilié les pasteurs.

Qu'on éclate en reconnaissance D'un bienfait des plus précieux Mais dont la vraie récompense Ne peut être que dans les deux

Il y eut plusieurs pièces de vers de ce genre, et

N" 36, p. 56.

* Tbid., p. 91, par un avocat d'Uzès : M. Martin.

TOURNÉE EN LANGUEDOC

145

celle-ci n'était point la plus mauvaise : elle avait le mérite d'être courte.

Antoine Court resta près d'un mois encore en France, tout entier à la joie, aux rêves d'une réparation pro- chaine. Cette province qu'il avait quittée depuis quinze ans, à la prospérité de laquelle il n'avait cessé de consacrer tous ses efforts, il la revoyait, il lui était permis de la visiter presqu'en toute liberté. Que de choses à demander ! Que d'amis l'attendaient ! Il se hâta de parcourir une seconde fois les Eglises pour affermir la paix rétablie et pour ne point s'ar- racher trop tôt à son bonheur. Ce voyage fut un voyage triomphal. De tous côtés, on venait pour le voir, pour l'entendre ; son nom qu'avait grandi l'absence, volait de bouche en bouche ; son éloge était sur toutes les lèvres; les catholiques même venaient dans les mai- sons et couraient aux assemblées ils espéraient le pouvoir rencontrer.

Antoine Court se rendit d'abord dans une ville que mille souvenirs lui rendaient chère entre toutes. Là, se trouvaient ses amis, ses parents; surtout, il se rappelait que sa femme était née, et que dans une maison cachée, il avait abrité de trop courtes années de bonheur.

« ... Le lendemain du jour de la cérémonie, je me rendis enfin à Uzès, oij j'étais attendu avec tant d'impatience. Je fus reçu par quelques amis au Mas de Tailles, M. l'avocat Martin, Bonnet, Olivier, Careyron (cousin), Yerdier et autres vinrent souper. Je leur témoignai souhaiter n'être pas vu par un grand nombre de personnes et de tenir mon arrivée secrète quelques jours. Mais quel moyen dans l'état sont les choses ! A peine fus-je arrivé II 10

146 .

TOURNÉE EN LANGUEDOC

(juo tout le iiiundu lut en mouvement. Il n'est jjas jusqu'aux catholi(iucs (jui ne se disent : M. C. est ici. Tout ce que je pus l'aire, ce l'ut di; cacher le lieu de mon asile. C'estlà ([w. j'ap- jircnais ([uc tels et tels m'étaient allé chercher en tels et tels lieux. Trois jours se passèrent comme cola; j'étais l'ort occupé, ])arce qu'il fallait me préparer pour prêcher le din)anclie, et dis- trait par mille! autres affaires; il m'en coûtait un peu. Le; di- manche venu, je me rendis à ce qu'on appelle le Camp. C'est le lieu était convoquée l'assenihlée. Ce lieu est un espèce do Ijosquet près du Mas do Tailles, qui appartient à M. OHvier. Là, on avait dressé une chaire assez élevée, tendu diverses tentes attachées à des arhres, et étaient placées, outre plusieurs chaises de pierre, un iirand nombre de chaises dont chacun a soin de se pourvoir, et avec lesquelles on sort jinhliquement de la ville. Je l'us témoin de l'événement. L'assemblée était nom- breuse, et il y avait pour le moins de six à sept mille personnes. Elle était bien rangée, et assurément c'était un beau couj) d'œil sous les tentes. La joie parut grande lorsque je parus en chaire. 11 y avait ou pour être ému, ou pour s'amuser, d'entendre un bruit sourd qui s'élevait de tous cotés et tout le mouvement (ju'on se donnait dans l'assemblée. Je commeneai par la publi- cation de plusieurs bans. Je passai ensuite aux prières et au discours. Exprimer combien tout était ému et touché, la chose n'est pas possible. Là, était tout ce qu'il y a de gens de distinc- tion dans la ville, à l'exception de MM. do Massargues, de Com- bier, de Valabric, Gallofres, Soleirol et Tranqualla(|ue, qui sont les seuls de tous les protestants d'Uzès qui n'assistent point au Camp. Comme dans le nombre de ceux qui y assistent, il y en a la plus grande partie qui ne se sont aguerris que depuis la tolé- rance, je jugeai à propos de faire le procès à leur précédente démarche et leur fis verser bien des larmes, et il n'y eut pas même jusqu'à M. Faucheri qui n'y mêla les siennes. Je lis grand plaisir aux gens de la campagne, parce que je dis dans un endroit de mon discours que c'étaient eux et eux seuls qui avaient soutenu la religion dans le temps de crise. En un mot, il ne se parle plus en ville que du discours qu'on vient d'en- tendre. Le prédicateur eut été accablé sous les caresses, s'il

NOMINATION DE COURT l47

n'avait ou la précaution de so tenir en chaire tout le temps qu'on vint iiôur le saluer. Presque toute l'asseml)lée passa en revue devant lui et lui demanda l'état do sa santé, et son épouse no l'ut oubliée par personne. 11 fallait avoir et la main et la mé- moire prompte, parce que tout voulait être connu et articulé ])ar' son nom, et au moins baiser la main, puisqu'on était trop haut pour pouvoir être baisé au visage »

C'est au milieu de semblables démonstrations tou- cliantes et naïves, (^'il parcourut, à cheval et accom- pag-né d'amis, les Eg'lises de Lussan, Saint-Ambroix, Alais, Saint-Hippolyte, Lédig-nan, Saint-Jean, Anduze, Durfort, combien d'autres -! Le 20 septembre, il re- vint à Nîmes, et tint une assemblée dans les envi- rons ^. C'était un admirable spectacle à voir. Les assistants, près de vingt mille, étaient rang-és sur deux hauteurs qui formaient comme un immense amphithéâtre. Paysans et g-entilshommes s'y étaient rendus; « le beau monde » était présent. Court prêcha et souleva une fois encore le même enthousiasme qu'il avait excité déjà dans tous les autres lieux.

Mais tous ces témoig'nag-es de sympathie avaient déjà reçu une solennelle consécration. Court avait été nommé par le Synode national du IH août, député g-énéral des Eg'lises de France. Les protestants l'avaient choisi pour représenter officiellement leurs intérêts auprès des puissances étrang-ères.

Un homme cependant était encore investi de cette charge; c'était Duplan. 11 était député et j)ortait ce

1 N" 36, p. 211.

2 Ibid., p. 1.

* A un petit quart de lieue de Nîmes, au-dessous de la Tour Magne N" 7, t. VI, p. S2.

148

COMME DÉPUTÉ GÉNÉRAL

titre auprès des princes et des particuliers dont il allait solliciter la muuificence en faveur des fidèles sous la croix. Mais le Synode ne s'était point arrêté à cela; il avait voulu élire un second député et son choix s'était fixé sur Antoine Court. Il n'agissait d'ailleurs ainsi que par reconnaissance, et l'ancien prédicant du Désert l'avait bien compris. Antoine Court n'eîlt point accepté cet honneur s'il avait cru exposer la commis- sion de son ami aux mêmes dangers qu'elle avait pré- cédemment courus. Il n'entendait point lui faire pièce et il l'avait dit. Si sa charge devait susciter quelque embarras, il était décidé à la résigner, et sa résolution était sur ce point irrévocable'. Mais il espérait que ce seraient de vaines prévisions, et il n'avait point liésité à accepter le titre que les Eglises lui conféraient. Le Synode envoya la lettre suivante aux « illustres et g'énéreux bienfaiteiirs des paj's étrangers » pour leur donner connaissance de sa décision :

« Messieurs et très-puissants protecteurs,

>i Pénétrés de la plus vive reconnaissance pour les grandes marques de protection et de bienveillance dont vous avez bien voulu favoriser nos Eglises persécutées, persuadés que vous avez toujours le même zèle et le même empressement à vous intéresser pour elles, nous prenons la liberté de députer auprès de vous notre très-cher et très-honoré frère M. A. C. dont le zèle et la capacité nous sont connus, pour agir au nom et en l'auLorité de nos Eglises, en qualité de député. Npus l'avons chargé et le chargeons de représenter à toutes les personnes généreuses et bienfaisantes l'état et les besoins de tous les pro- testants sous la croix et de recevoir tous les bons avis et les

» N' 37, p 17

DES ÉGLISES ljé9

charilables soins qu'on daignera lui adrossor. Nous avons una- nimement délibéré, messieurs, qu'il sera accordé à notre susdit frère et bon ami, M. Court, la somme do quatre cents livres de notre monnaie pour subvenir aux frais auxquels il sera exposé pour nos Eglises, laquelle somme nous vous prions être prélevée sur les sommes destinées pour le soulagement de nos Eglises. Remettons le tout à votre sage prudence »

La décision du Synode n'avait pas été cependant inscrite sur ses registres. On voulait faire connaître à la cour les délibérations qui avaient été prises, et l'on craignait que la nomination d'Antoine Court n'éveillât les soupçons et ne causât de l'ombrag-e.

Que d'événements s'étaient succédé depuis 1729 et comme les sentiments de mécontentement qu'avait inspirés le départ de Court s'étaient facilement éva- nouis! — En 1744, on le fêtait, on le louait, et pour lui on épuisait tout ce que les cœurs pouvaient con- tenir de reconnaissance. En 1729 , on l'accusait , on lui reprochait d'abandonner les Eg'lises de France. C'est que dans ce long- espace de temps, il avait fait preuve d'un dévouement sans bornes, il avait consacré tous les moments de sa vie à secourir ceux qu'il appe- lait, avec vérité, ses frères, et maintenant qu'il venait d'ajouter un nouveau bienfait à tant de bienfaits, que ce malheureux schisme était terminé, et que la cour semblait entrer dans une voie de tolérance, les esprits ravis et confiants dans l'avenir, ne pouvaient se lasser de donner des marques de leur touchante affection à celui -qui méritait bien déjà le nom de restaurateur des Eg'lises de France.

* N" 36, p. 397. On a vu que ces sommes étaient collectées par Duplan. —V. chap. m

15(» DKPARÏ D'ANTOINE COURT

Il fallait cepoiidant qu'AntcMiie Court revînt en Suisse. Ses travaux l'attendaient, ses amis, sa famille et les soins même à donner aux affaires du protestan- tisme. Il quitta donc sa patrie, et le 2 octobre, par des cliemins détournés, il s'achemina vers Lausanne.

C'était la dernière fois (ju'il voyait la France.

CHAPITRE VI

LES RÊVES ET LES ILLUSIONS 1744

L'année 1744 marque une date importante clans l'his- toire de la restauration du protestantisme. Jusqu'à pré- sent il n'avait fait ni bruit, ni éclat. Il s'était propagé sourdement à travers la France, de villages en villag'es et de villes en villes, évitant le grand jour, cherchant l'ombre et le silence pour accomplir son œuvre. Maintenant le voici prêt. Il s'affirme et se montre. Il peut recruter encore de nouveaux adhérents, s'établir dans plus d'une province, compter un nombre plus considérable de pasteurs ; tel qu'il est, il ne craint point de paraître en pleine lumière. Il se sent fort et il veut le prouver. Son audace s'accroît. Il ne se cache plus, il brave les prêtres, il prie publiquement.

C'est visible partout. Lorsque Antoine Court arrive à Lausanne, il est si ravi de ce qu'il a vu, qu'il ne peut contenir l'explosion de sa joie. Ses récits sont un chant de triomphe. Il voyage, il tient des conférences, il veut faire participer à son enthousiasme tous ceux qui s'in- téressent au sort des Eglises. A peine chez lui , il se dispose à partir pour Berne. Abandonnez ce projet, lui

152 SITUATION PROSPÈRE

répond-on ; le Résident de France a connu votre départ, il s'en est ému, et il accuse LL. EE. d'être de conni- vence avec les religionnaires. « ... Il serait facile de nous imputer encore le dessein d'attaquer le roi au mi- lieu de son royaume , en envoyant des émissaires pour soutenir son peuple selon leur langage dans la désobéissance et dans l'erreur* ...» Alors, car il a hâte de l'annoncer : « J'ai laissé, Monseig'neur, mande-t-il àl'advoyer Steig-uer, les protestants de la France dans un état de zèle inexprimable et une situation plus heureuse, sans comparaison, qu'aucune de celles du temps qui s'est écoulé depuis la révocation de l'Edit de Nantes. Le zèle parmi eux est inexprimable, leur atta- chement et leur fidélité au g-ouvernement de qui ils dépendent est à toute épreuve, et leur nombre aujour- d'hui reconnu dans tout le royaume est peut-être tout aussi grand qu'il l'était lorsque cet édit fut révo- qué ^ ... » Il ne tarit pas sur ce sujet, il revient sans cesse sur ce thème favori, comme un homme qui, après avoir long-temps caressé un rêve, en voit la réalisation.

Heureuse année en effet ! Il faut s'y arrêter avec d'au- tant plus de complaisance qu'elle fut suivie de plus grands malheurs. C'est une halte entre deux étapes douloureuses et fatigantes.

En 1744, la guerre continuait. Louis XV avait hérité des embarras que lui avait- légués Fleury, et s'essayant au pouvoir, il s'efforçait de trancher avec son épée ce que sa diplomatie n'avait pu dénouer. Il s'était mis à la

» N" 36, p. 103.

î Ibid., p. 97. (Cet. 1744.)

ÉGLISES DE NORMANDIE

153

tête de son armée. Il avait assiég'é et pris Courtrai, fait chanter le Te Demi à Lille, et tel avait été l'éclat de ses premiers coups que les Hollandais effrayés venaient de lui envoyer des ambassadeurs.

C'est en ce moment qu'Antoine Court arriva eu France.

La France protestante comptait trente-trois pasteurs. La Normandie avait Préneuf ; le Poitou : Loire, Pra- don, Dubesset ; la Guyenne et le haut Languedoc : Viala, Corteiz (neveu) ; le Languedoc : Claris, Betrines, Rabaut, Pradel, Clément, Defferre, Jose;^h, Molines, Gain, Combes, Corteiz, Roux, Gabriac, Teissier, Boyer, Peyrot, Coste, Désubas, La Combes, Bla- chon ; le Dauphiné : Roger , Ranc , Voulan , Noyer, Roland, Faure. Ce nombre était insuffisant déjà pour des besoins qui croissaient chaque jour ' .

La Normandie était remplie de protestants, et quoi- que réveillée depuis peu d'années, comptait cependant dix-sept Egiises Il n'y avait qu'une ombre au bril- lant tableau qu'en faisait Préneuf. Rudemare, l'ancien prédicant, s'était mis à la tête des vieux relig'ionnaires,

' C'est d'après une liste de 1747, que nous donnons ces noms. Nous

n'arrivons pas cependant au chiffre de trente-trois, indiqué par An- toine Court.

* C'étaient :

Haute Normandie. 10 Anquetierville?

1 Saint-Nicolas. 11 Englesqueville.

2 Saint-Eustache. 12 Landemare.

3 Mélamare. ' 13 Armentières?

4 Lintot. Basse Normandie.

5 Grâce (la) ( 14 Condé.

6 Saint-Gilles. 15 Fraiches (les) ?.

7 Saint-Sauveur. 16 Saint-Honorine.

8 Augeville? 17 Hatié.

9 Manéglise.

154 ÉGlilSES DU POITOU

et faisait au nouveau pasteur une guerre sourde, in- cessante. Il contestait la mission de Préneuf, déclarait qu'il n'était pas ministre, ou qu'il avait acheté son titre à prix d'argent; il entravait toutes ses démarches.

Dans le Poitou, la Saintonge et l'Aunis, les assem- blées étaient fréquentes, et attiraient un grand con- cours de religionnaires*. On y voyait paysans et gen- tilshommes : les riches se faisaient remarquer par leur zèle. Nulle crainte d'aUleurs. On n'était pas inquiété,

Eglises du Poitou :

Mougou Vitré

Fondée en 1740 350 protestants. - 1740 250 -

Praiiîes

300

Goué

1742

i-*tl u li I tri c (Irt) :

1742 300

urtiiiuLiie oaiiit-rieraye,

1740 60O

Lanchalle

1740

Chauray

1740

Chenay

Lezay

1740 1200

Bourbia ?

Esoudun

300

Saint-Sauvant

Lusignan

Rouillé

Saint-Maixent

Sèvre (la)

310

Saiut-Jouin

Moncoutant

Fonsange

Bouperc

Mouilleron

1740 300

Roclietoujours

240

Raillères (les^

Mouchanps

1744

Saint-Prouant

Rouillé

Pamproux

17, vol. R, p. 257. et vol. Q, p. 341.

DE GUYENNE, ROUERGUE^, PROVENCE 155

on célébrait le culte au grand jour, et dans ce pays ai affreusement persécuté, florissaient trente Eg-lises ré- parties en douze arrondissements. Chaque arrondisse- ment comptait sept mille fidèles.

Cette partie de la Guyenne (ja'on appelait l'Agénois était en pleine prospérité ».

La haute Guyenne et le Rouergue possédaient neuf Egiises^ et le nombre allait s'en accroître.

Le comté de Foix donnait les plus g-randes espérances.

La Provence, dans laquelle n'avaient que rarement prêché Rog'er et ses coUèg-ues, comptait quelques pe- tites Eg'lises ^.

La principauté d'Orang'e si cruellement opprimée que le protestantisme semblait n'y avoir pas laissé de traces, n'avait point encore de pasteurs. Mais tel était le nombre et la piété des fidèles, que de quinze et de

' V. chap. VIII et x, la liste des Eglises.

* Églises de la haute Guyenne et du Rouergue.

2 Cornus.

3 Fondamente.

4 Saint-Félix de Sorgues.

5 Saint-Jean de Bruel. 0 Le Pout de Caniarés.

7 Brusque, la Mouline et Larnac.

8 Saint-Rome de Tarn.

9 Milhau de Rouergue.

10 Saint-Aflrique. N" 17, vol. Q, p. 320.

* Églises de Provence. Cabrières. \

Lamotte-d'Aigues. I Elles faisaient une assemblée

Peypin-d'Aigues. 1 de 1,200 personnes.

Saint-Martin de la Brasque. )

Lourmarin.

Lacoste.

Cinière (la)?

Merindol.

Laroque-d'Anthéron (une quinzie de familles). N" 17, vol. G, p. 329.

156 LA PRINCIPAUTÉ D'ORANGE

ving-t lieues , ou les voyait se rendre à Nîmes ou à Uzès par bandes de sept à huit cents. Ils venaient assister, « aux prêches. » « Les g-ens d'Orang-e, disait l'évèque d'Uzès, viennent ici, dès la veille, pour as- sister aux assemblées. »

Que dire du Dauphiné et du Languedoc'? Le Dau- phiné n'avait pas moins de soixante Eglises*. Le Lan-

1 Pour les Eglises du Languedoc, nous renvoyons à notre tableau. (Tome \", chap. x.) * Églises du Dauphiné.

1 ^vnnQ

A 1.1 YUllo.

oc jjie.

2 Viusobrôs,

33 AIarcham])t.

O oouonge :

o4 yuint.

4 Venterol.

ào baint-Citienne.

ij i^jUU—cli— J-'iwl&

oo oainie-v>roix.

G Dieulôfit.

37 Pontaix.

7 Montjoux.

oo vinsoi>rea.

o vesc.

OÎ7 ju lapine ?

J wiuuics.

4n T e fini i

lu Oe^ctULLUll.

iviireucl.

1 1 ITIUI lie.

12 Bourdeaux.

43 Montclar,

13 Saint-Aubin.

44 Beaufort-sur-Gervanne.

14 Trescoussons ?

45 Le Lauzet?

15 Orpierre.

46 Plan-de-Baix

16 Vaidrôme.

47 Gumiane?

17 Lesche.

48 Bardons (les)?

18 Charaix.

49 Beaumont.

19 Saint-Dizier.

50 Chamaret.

20 Charay.

51 Montmeyran,

21 La Motte-Chalançon.

52 La Beaume-Coruillane.

22 Maladière (la) î

53 Eure.

23 Volvent.

54 Lurs?

24 Arnayon.

55 Loriol.

25 Poujol.

56 Montélimart.

26

57 Allan.

27 Châtillon.

58 Saint-Paul-Trois-CMteaux.

28 Poët-Laval.

59

29 Saint-Roman.

60 Mens.

30 Montmoron.

61 Morges

31 Busseron.

N" 17, vol. 0, p. 329.

LE DAUPHINÉ

157

guedoc avait atteint son plus haut deg'ré de prospérité ; il ne lui restait plus qu'à conquérir le Montalbanais, et cette conquête devait avoir lieu vers la fin de l'année Nîmes comptait vingt mille religionnaires.

Mais ce qui était plus remarquable encore, c'était l'ardeur, l'enthousiasme, l'audacieuse confiance que montraient les protestants.

Le temps n'était plus sous le coup de surprises imminentes , ils se réunissaient dans les lieux déserts pour prier Dieu en commun. Alors on ne s'assemblait qu'aux heures nocturnes ; il fallait s'évader de la ville ou du village en grand secret ; on redoutait les espions et les soldats ; on se cachait dans les endroits ignorés pour entendre la parole du prédicant ; alors les assis- tants n'étaient guère que de petites gens, sans instruc- tion et sans influence... Ce temps n'était pas loin. Qui n'avait vu ces choses ? Il fallait à peine remonter aux derniers mois des dernières années. Tout était maintenant changé. Il ne manquait aux religionnaires que des temples et des cloches sur leurs temples ; à les voir, on eût cru qu'ils jouissaient de la même liberté que leurs pères avaient eue sous Henri IV.

' Églises dit M ont albanais.

1 Montauban. \

2 Lagarde.

3 Le Fau.

4 Négrepelisse.

5 Caussade. } ^ '* 60,000 protestants.

6 Réalville.

7 . . . .

8 Saint- Aiitoniij.

17, vol. 0, p. 239.

158 LES ASSEMBLÉES

Leurs assemblées relig-ieuses se tenaient en plein jour, souvent à la porte des villes. Antoine Court en présida une aux portes de Nîmes, au-dessous de la To^if Magne. Le lieu de ces assemblées était connu par tout le monde, et depuis <{uel(jue temps c'était toujours le même. Les fidèles s'y rendaient ouvertement, por- tant à la main leurs psaumes et leurs bibles ; on les voyait s'avancer par petits groupes, sur les routes poudreuses, munis chacun de sièges et de « pliants. » Les soldats restaient immobiles et assistaient indiffé- rents à ce spectacle :, les catholiques riaient parfois et les poursuivaient de huées; plus souvent, pi^jués par la curiosité, ils se mêlaient à la bande et allaient écouter le pasteur. L'assemblée était formée en quelques mi- nutes; c'est autour de la chaire portative, en bois, que se groupaient les protestants'. Les sièges s'alignaient, les tentes se suspendaient aux arbres, et bientôt après, le ministre vêtu de sa long'ue robe noire, commençait le culte. Admirable tableau ! On vit jus({u'à vingt mille fidèles s'asseoir à ces assemblées et couvrir un espace de huit cents toises. Paysans et seigneurs , tous s'y rendaient. Depuis le jour le danger avait disparu, la classe riche avait honte de sa longue apostasie, et s'ef- forçait par l'ardeur de sa piété de faire oublier « sa lâcheté passée. » « Le g"entilhomme, écrivait Court, l'avocat, le médecin, le bon bourgeois, le riche mar- chand a le même empressement... que le laboureur et l'artisan. » « Tout va aux assemblées, écrivait de son côté l'évèque d'Uzès, les personnes même qui n'y

' « Ou y portait une chaire décorée pour le ministre, écrivait l'évè- que d'Uzès, et des chaises pour les auditeurs. »

AU tjÉSERÏ 159

auraient jamais autrefois voulu paraître : procureurs, notaires , marchands , bourg'eois , notables , le g*entil- liomme même, seignieiir tle place ; on y mène jus- (^u'aux enfants qui commencent à marcher... Quand on demande aux g-ens d'une certaine sorte qvii avaient méprisé jusqu'ici les assemblées pourquoi ils y vont aujourd'hui, ils répondent qu'ils ne croyent pas contre- venir aux ordres du roi, parce que le roi le sait bien et qu'il le souffre'. » Cette foule écoutait, avec ravisse- ment ; elle était là, haletante, en plein champ, sous les rayons du soleil, les poitrines oppressées, les yeux humides, l'oreille tendue. La joie, l'étonnement se pei- g-naient à la fois sur ces austères fig'ures ; on se reg'ar- dait, on s'interrogeait. Etait-il donc vrai qu'on fût libre, qu'il fût permis de s'assembler ainsi aux portes mêmes de la ville. A peine osait-on y croire. Puis on repre- nait courag-e en considérant l'état présent des choses, on endormait ses craintes au chant monotone et im- mense des psaumes, et on se replong-eait dans la vision entrevue. Si d'ailleurs, cette liberté devait être un jour supprimée, il fallait en jouir sans arrière-pensée. On se dédommag-eait de soixante ans de privations. A peine avait-on annoncé un prêche, que les protestants ac- couraient en foule. Prêcher, c'était trop dire; il suffisait d'un baptême, d'une réunion quelconque devait pa^ raître ou parler le ministre. Court fut prié, un jour, de se rendre en pleine campag-ne pour baptiser un enfant ; il tarda quelque peu à venir au rendez- vous. Lorsqu'il arriva, une multitude était déjà réunie, et il

» Archives nationales, TT, 339. (1744.)

160

LES ASSEMBLÉES

fut obligé de célébrer le service. « On prêche toujours, qu'il ne faut pas de nombreuses assenablées, mais ceux qui le disent, ig-norent sans doute qu'elles se con- voquent d'elles-mêmes. » Et La Devèze d'un^mot con- firmait ces paroles : « Je ne vois, mandait-il à Le Nain que des assemblées multipliées et nombreuses, ils vont aussi publiquement que nous allons dans nos Eg-lises »

Qui n"a vu ce vieux tableau de Bose représentant une assemblée au Désert? La gorge est étroite; elle est resserrée entre deux rochers qui la surplombent et la cachent. C'est en plein midi. Depuis longtemps déjà, l'assemblée est révmie. Dans le fond, adossé au roc, un ministre en robe noire officie. Autour de lui les fidèles pressés écoutent attentivement ses paroles. Au sommet du rocher, des sentinelles font le guet. Animez la gravure, donnez la vie au dessin, vous aurez l'image assez exacte de ce qui se passait en 1744. C'est bien ainsi qu'étaient les assemblées du Désert ^

» Archives nationales. TT, 336. (Juin 1744).

* Voici encore une relation envoyée à l'intendant par un de ses émis- saires. Nous insistons à dessein.

« Le 6 du mois de septembre, l'on a tenu une assemblée dans un pré entre Paleville et Couliinal, diocèse de Lavaur, en Lan- guedoc; elle était composée d'environ sept ou huit mille person- nes arrivées de toutes parts, de Nîmes, de Montpellier, de Castres, Puylaurens, Mazamet, d'Anglas, de Lacaune, de Roquecourbe, de Ma- zères, Saverdun et autres lieux : il y avait deux ministres, un proposant et deux chantres. Les ministres étaient en robe de doc- teur avec de grands collets. Ils ont demandé à l'assemblée, après leur avoir fait un assez long discours, s'ils voulaient faire la Cène: ils ont répondu que oui. Les ministres avec les deux chantres ont en- tonné et chanté plusieurs pseaumes en musique, entre autres VExau- diat et le Te Deum: ils ont ensuite prêche et publié dix-neuf bans

BAPTEMES ET MARIAGES

161

Les mêmes sentiments qui poussaient les protestants à ces réunions, leur faisaient accomplir leurs autres de- voirs. Jusqu'alors, malgré les recommandations des pas teurs et les règlements des Synodes, ils avaient sou- vent fait baptiser leurs enfants et bénir leur mariage parlescurés. Les infractions àladiscipline établie étaient communes. Cette année on n'enfreignit plus la règle. A la fin de chaque prêche, les pasteurs baptisaient un grand nombre de nouveau-nés, et donnaient la béné- diction à de jeunes et même à de vieux mariés. On vit ainsi célébrer l'un après l'autre le mariage du grand- père, du fils et du petit-fils. Les ministres ne pou- vaient suffire à la tâche. Celui-ci dans le Poitou avait célébré jusqu'à trois cent quatre baptêmes ou mariag-es, celui-là quinze dans un seul dimanche.

Les actes d'apostasie avaient toujours répugné aux religionnaires. Ils ne s'y étaient résignés que comme à une dure nécessité. Lorsque les unions les plus saintes n'ont devant les magistrats aucune valeur, lorsqu'on ne peut ni tester, ni hériter, lorsqu'on encourt la note de bâtardise et de prostitution, et que d'un simple mot on peut éviter cette honte, il est facile de com- prendre que, tout en rougissant de sa lâcheté, on suc- combe à une tentation si grande. C'est ce qu'avaient fait un g-rand nombre de réformés, les bourgeois prin- cipalement et les gentilshommes.

Mais aujourd'hui qu'une ère de tolérance semblait

lie mariage. Après cette publication ils ont fait faire Ja Cène k ceux qui ont voulu. Ils ont été loger chez quelques particuliers qui les ont reçus il bras ouverts. J'ai leurs noms dans la lettre que je viens de recevoir. » Archives nationales. TT, 33(5-337. (Septembre 1744.)

II 11

162

BAPTÊMES ET MARIAGES

s'ouvrir, ils réparaient avec joie leurs fautes passées. Tout d'ailleurs s'accomplissait avec le plus grand ordre. Les baptêmes, devant témoins, se faisaient au Désert ; on inscrivait le nom de l'enfant et celui des parrains sur un registre ; puis, le reg"istre était confié aux soins du pasteur ' . Pour les mariag'es, on publiait les 1)ans dans deux assemblées consécutives, et s'il n'y avait ni ojjposition, ni protestation, on célébrait officiellement, en présence de l'assemblée, l'union des deux con- joints ^. « Ce qu'il y a de plus déplorable, écrivait un

1 Voici un certificat de liaptêine :

« L'an rail sept cent quarante-quatre et le treizième septembre, j'ai baptisé Marie Labrac, née le huitième du courant, fille légitime de Jean Lebrac et h Jeanne Mourier, du lieu de Rouhr, paroisse de Gluiras. Le parrain a été Pierre Robert, et la marraine Marie Pestr.', tous de la susdite paroisse, yt Signé : Coste, ministre.

* Voici encore un certificat de mariage, de date un peu plus reculée :

« Nous, ministre du St. Evangile, soussigné, certifions à tous ceux qu'il appartiendra, que le 31 octol)re 1762 fut béni par nous, suivant la forme ordinaire de nos Eglises protestantes et réformées, sans qu'il nous soit apparu aucun empêchement civil, ni canonique, après plusieurs publications, le mariage du sieur Pierre Chaudurié, fils légitime à Isaac Chaudurié et de demoiselle Catherine Lassabuire, habitants du village de Vesoux et de Laurenque, juridiction du Gé- vaudan, en Agenois, avec Mademoiselle Marie Daugean, fille légitime du sieur P. Daugean et de demoiselle Elisabeth Vergnol, habitants de Grossé, susdite paroisse, en présence de plusieurs fidèles et notam- ment des sieurs J. Delbosens, J. Raut, A. Labié et J. Froutin, ainsi qu'il appert par notre régistre. En foi de quoi j'expédie le présent certificat, ce 3 février 17G3. » Signé : Boutiton, pasteur.

Les pasteurs en effet consignaient sur leurs registres les noms des nouveau-nés et ceux des jeunes mariés. Ils le faisaient avec un soin minutieux; ne portaient-ils pas avec eus l'état civil d'un million de Français? Les droits de tout un peuple se trouvaient dans ces cahiers Le Synode national du 1744 ajouta ceci (article XXI) :

« Dans chaque Eglise, on sera exact à tenir un régistre de bap- têmes et de mariages; et on y fera signer des témoins en nombre suffisant, savoir : deux aux baptêmes et aux mariages, autant que l'on pourra trouver ce nombre. »

SYNODE NATIONAL 163

évèque, c'est (jne la plupart de ces nouveaux convertis qui fréquentaient les Eg-lises et faisaient leur devoir de catholiques, n'y paraissent plus du tout ; ils nég-ligent de porter leurs enfants à l'Eg-lise pour les y faire bap- tiser, et ils attendent i)our cela quelqu'une de leurs assemblées*. »

C'est au milieu de ce concours d'heureux événe- ments que le Synode national s'ouvrit au mois de juin.

« Je suis, écrivait Court, beaucoup occupé pour ce (|ui a du rajjport à cette assemblée, et aux choses qui doivent s'y traiter. Il y aura des députés de Normandie, de Poitou, de Guyenne, du haut et du bas Laug'ue- doc, des Cévennes, du Mvarais et Dauphiné. Nous n'avons pas de nouvelles de tous, mais nous savons que ceux de Normandie sont en chemin depuis le 20 du mois passé, d'où nous jugeons que ceux des provinces éloiguiées en feront de même. J'inviterai à ce Synode des personnes de distinction et éclairées, quoiqu'elles n'aient point charg-e dans l'Eg-lise... » Les affaires étaient graves en effet, et l'assemblée importante. Il s'agissait de profiter de ce premier moment de liberté pour prendre les mesures nécessaires, réunir en im seul faisceau les forces disséminées, connaître dans le détail la situation, et voir ce qu'il importait de faire pour assurer l'avenir. Depuis long-temps déjà, de])uis 1735, aucun Synode national ne s'était réuni. Le der- nier s'était surtout occupé de la querelle de Boyer, et on n'y comptait que les représentants du Laug-uedoc

1 Archives nationales, TT, 336. (1744.)

104 OUVERTURE DU SYNODE

et (lu Dauphiné. Il restait à joindre à Ces deux pro- vinces les autres provinces du royaume, et à unir par un lien officiel tous les protestants de France. Pendant de long"ues années, et avec une admirable persévé- rance, de hardis missionnaires n'avaient cessé, à tra- vers mille périls, de parcourir des pays d'où le protes- tantisme avait été presque entièrement banni. Il était j uste de convoquer dans une assemblée solennelle tous les acteurs de ce drame, tous les héros de ces luttes. Le protestantisme français allait compter ses forces ; il allait présider lui-même à ses destinées.

Le 18 juin, dans une métairie, jjrès de Ledig'nan, le Synode commença ses délibérations. Il était composé de vingt et un députés et de dix pasteurs. La Normandie avait envoyé Préneuf; le Poitou, l'Aunis, l'Ang-ou- mois, la Saintong-e et le Périg-ord : Jean Loire et deux anciens; le haut Languedoc et la basse Guyenne : Michel Viala et sept anciens ; le bas Lang-uedoc : Paul Rabaut et Simon Gibert, accompagnés de quatre an- ciens ; les Cévennes : Jean Roux et Jean-Pierre Gabriac, accompagnés de trois anciens ; le Vivarais et le Velay : Pierre Peirot et Mathieu Majal (Désubas), avec deux anciens ; le Dauphiné enfin : trois anciens et Jacques Roger.

Lorsque les membres du Synode furent réunis, ou procéda à l'élection des membres du bureau. Viala fut nommé modérateur, Rabaut modérateur adjoint, Pei- rot secrétaire, et Roger secrétaire adjoint. C'est An- toine Court que le Synode avait d'abord choisi pour modérateur, mais il avait décliné cette dig-nité, crai- gnant que son nom ne compromît auprès de la cour le

DÉCISIONS 165

succès que l'on attendait de cette réunion. Il n'avait consenti qu'à aider les députés de ses conseils, sans accepter d'autre titre que celui d'adjoint modérateur. En réalité, ce fut lui qui dirig'ea le Synode, proposa les divers articles, et les fit l'un après l'autre unani- mement adopter.

Court dit quelque part qu'il n'était point seulement venu en France pour mettre fin au scliisme de Boyer, mais encore pour enraciner chez les protestants les sentiments de fidélité au roi, et établir des liens uni- formes entre toutes les provinces de France C'est sous ces deux chefs qu'on peut ramener presque toutes les décisions du Synode.

Il fut résolu que les Eglises célébreraient à la fin de l'année un jeûne solennel pour la conservation de Louis XV et le succès de ses armes, pour la cessation de la g-uerre et pour la délivrance de l'Eglise; que tous les pasteurs feraient au moins un sermon chaque année sur les devoirs des sujets envers leur souverain ; enfin, que les fidèles seraient exhortés à souffrir pa- tiemment les mauvais traitements auxquels ils pour- raient être exposés pour leur religion.

Voilà pour le roi, voici pour l'union des Eglises.

xlucune province, à moins d'affaires pressantes, ne devait écrire au roi ou à ses représentants, sans avoir au préalable consulté les pasteurs d'une autre pro- vince. Les Eglises devaient toutes, pour observer l'uni- formité, célébrer en plein jour le culte public. Elles ne pouvaient en outre se servir que de Y Abrégé du

1 N" 7. t V, 1) .313

166 DÉCISIONS

catécMsme d'Osterwald, et elles étaient invitées à ache- ter le livre des Réjlexions composé par le même auteur. Lors(|u'une province avait besoin d'un pasteur, elle était eng-ag-ée à le demander an Synode de la province (juVlle croyait en état de le lui accorder. Il était in- terdit à \\\\ pasteur de sortir de sa pro\ ince pour aller exercer son ministère dans une cintre, sans être muni de lettres de ses confrères. Le Vivarais et les Cévennes devaient prêter \\\\ de leurs ministres aux Eglises de Guyeime et de Poitou; le bas Lang-uedoc et le Lan- guedoc devaient suivre cet exemple pour la province et la ville d'Orange. Un registre serait tenu l'on couclierait non-seulement les articles des Synodes pro- vinciaux, mais encore les lettres et les autres écrits qui pourraient être utiles à l'Eglise entière. Le bas Languedoc enfin serait chargé de conv oquer pour un temps prochain lui nouveau Synode national, et don- nerait avis aux autres provinces du lieu et des matières qut> l'on y traiterait.

Mais cela ne suflS^ait point. Si la situation du pro- testantisme était prospère, elle était loin d'avoir atteint son apogée. Le sort des Eglises dépendait toujoin-s d'un caprice du gouvernement, et comme la tolérance dont on jouissait n'avait, pensait-on, d'autre cause que le bon vouloir du roi, ainsi ce même bon vouloir pouvait renverser l'échafaudage des espérances et faire renaître la persécution. Il fallait donc lier la volonté de Louis XV par ini acte foi-mel : le retrait des édits.

Pour atteindre ce but, la marche était simple, sinon sûre. On devait apaiser le clerg-é et gagner les sym- pathies du roi. Le Synode défendit donc aux pasteurs

PROTESTATIONS DE FIDÉLITÉ

167

(le s'ot'cupei* dans leurs sermons de points de contro- verse, et aux fidèles de répondre, sans autorisation, aux lettres de polémique. Il exhorta même les pre- miers à ne parler qu'avec beaucoup de circonspection des souffrances du protestantisme. D'un autre côté, il décida qu'on présenterait une requête à Louis XV au nom de tous les relig'ionnaires du royaume, et qu'une apolog'ie serait composée, ils justifieraient leui's assemblées, leurs mariages et leurs baptêmes.

Il était en effet important pour les Eg-lises de pro- tester de leur dévouement à la monarchie. Le clergé les calomniait. Il leur faisait une guerre sourde, con- tinue, pleine d'embûches. Tantôt il représentait les religionnaires comme prêts à se révolter, tantôt il par- lait de leurs réunions au Désert comme de concilia- bules où l'on complotait contre l'Etat et contre le roi. Il devait inventer encore de plus odieuses calomnies. A cet ennemi invisible, toujours sur la brèche, dont les réclamations étaient toujours accueillies et les plus grossiers mensonges sans cesse écoutés, il était néces- saire d'opposer la vérité, et surtout de l'exposer d'une voix si haute que les plus obstinés fussent obligés de l'entendre.

Cependant les actes des religionnaires étaient assez éloquents. Tandis que le Synode continuait ses déli- bérations, un bruit étrange se répandit : « Louis XV au milieu de ses succès militaires était tombé malade à Metz; il se mourait. » L'assemblée, à cette nouvelle, dans un élan spontané, se jeta à genoux pour deman- der à Dieu le rétablissement de la santé du roi. Le même jour elle écrivit aux pasteurs.

1G8 CLOTURE DU SYNODE

« Messieurs et très-honorés frères. La triste et affligeante nouvelle que nous venons do recevoir de la maladie du roi pen- dant la tenue du Synode national, a touché si vivement la vénérable assemblée, qu'elle a cru être de son devoir indispen- sable pour seconder les mouvements de son cœur, d'ordonner des prières publiques dans chaque Eglise. Ainsi nous espérons qu'animés d'un môme esjirit, vous aurez l'attention de vous conformer incessamment à ce qui a été arrêté là-dessus, en inspirant aux fidèles de redoubler leurs vœux et leurs prières pour le rétablissement de la santé de Sa Majesté »

La même douleur qui avait éclaté dans Paris et dans la France entière, éclatait ainsi au milieu de ces popu- lations, dont presque un demi-siècle de persécutions n'avait pu lasser la patience. Et nulle politique n'avait commandé l'explosion de ces douloureux sentiments. Les protestants au dix-huitième siècle ne mirent jamais en cause la monarchie , ne lui attribuèrent jamais directement leurs douleurs ; ils la considéraient comme aveug-lée , trompée , ig-norant leurs maux. Lorsqu'à genoux, ils demandaient à Dieu la conservation de Louis XV, leurs prières, comme celles du peuple en- tier, étaient profondément sincères. Un même senti- ment de crainte, de piété, de vénération animait la France.

Le Synode eut bientôt terminé ses travaux; trois jours lui avaient suffi. Après avoir jeté sur le papier un projet de lettre au duc de Richelieu et au roi % il s'ajourna à l'année suivante, et ses membres, pleins d'espérance et confiants en l'avenir, regag-nèrent leurs provinces respectives.

1 N»36, 371. (20 août 1744.) i Tbid., p. 31<>, 340.

CURIEUX INCIDENT 169

Les autorités de la province avaient été prévenues de la tenue de cette assemblée, et piquées par la cu- riosité, ou cédant à un mouvement d'inquiétude, elles cherchaient secrètement à s'en procurer les réso- lutions Paul Rabaut l'apprit. Il fit aussitôt copier les actes du Synode, et l'acte de soumission de Boyer. Il envoya à l'intendant ces diverses pièces, et joig-nit à cet envoi une lettre pleine de déférence pour lui. Ayant appris, disait-il en substance, qu'il faisait recher- cher leurs délibérations, il se faisait un devoir de les lui communiquer. Il ajoutait qu'il serait heureux de lui soumettre tout ce que les protestants décideraient à l'avenir, s'il ne craignait de l'importuner. Mais si Bernage consentait à laisser les religionnaires en paix, s'il permettait qu'ils se réunissent, et se mariassent librement, il entendait n'en rien savoir et surtout paraî- tre l'ig'norer. Cette lettre si humble dans la forme, était le comble de l'insolence. Bernag-e s'en indigna haute- ment. Il s'en inquiéta même. Comment les protestants avaient-ils connu son désir de posséder la teneur de leurs résolutions? Un seul homme avait été dans sa confidence, et celui-ci ne s'était ouvert de sa mission qu'à l'évêque de Nîmes et à un catholique dont la discrétion était à l'épreuve. Les religionnaires avaient donc jusque dans son cabinet des affidés qui leur fai- saient connaître ses ordres les plus secrets ! Cette colère s'apaisa cependant. Bernage ayant communiqué

1 Dans le Poitou, l'intendant ordonna de rechercher les noms de ceux qui s'y étaient rendus. Ce fut une vraie enquête. Il n'en résulta rien, sinon que le nombre des protestants était considérable. Archi- ves nationales, TT, 325.

170 LES ESPÉRANCES

ces pièces à la cour, le ministre lui manda, peu de temps après qu'il n'y avait rien trouvé de répréhen- siLle, que les résolutions prises et les sentiments ex- ])rimés étaient fort louables, et qu'il était à désirer (|ue les huguenots agissent et pensassent toujours de même. Pourquoi donc s'émouvoir, puisque la cour n'accusait pas son zèle et voyait ces choses d'un œil calme ' ?

Les espérances augmentèrent encore. « Craindre Dieu, avait dit Court tout récemment dans un sermon, et honorer le roi, c'est un précepte que l'Eciiture donne et répète et qui ne saurait trop se répéter. » Les réformés connaissaient ce précepte; depuis 1715 ils le pratiquaient. Persévérant dans la même conduite, ils continuèrent à prier pour le roi et pour la monar- chie. Ils chantèrent en son honneur des Te Beum, et dans leurs assemblées ils crièrent : Vive le roi! Des ca- tholiques étaient souvent présents. Ils crurent ainsi par ces témoignag-es publics et peut-être un peu bruyants, de leur fidélité à Louis XV, ouvrir les yeux à la cour, et confondre leurs adversaires.

Et à vrai dire , leur but semblait atteint. La tolé- rance dont ils jouissaient depuis le commencement de l'année, ne s'était pas encore démentie. Leurs assem- blées se multipliaient , les tracasseries des prêtres avaient presque cessé, leur Synode s'était, sans nul danger, tenu publiquement; ils pouvaient croire, et ils croyaient, qu'ils seraient bientôt libres et que l'édit de 1724 allait être officiellement révoqué. Cela se pas- sait au moment du départ d'Antoine Court.

1 Archives de l'Hérault. 43, 2" partie, ancien catalogue.

CALOMNIES DU CLERGÉ

171

Le clerg'é cependant commençait à s'irriter. Çà et là, les haines couvaient. Dans le Daupliiné et le Lan- g'uedoc, on se livrait à des menaces répétées et on savait quelles bouches les proféraient. Les plaintes et les dénonciations recommençaient surtout.

Déjà, avant la tenue du Svnode, au mois de mai, les prêtres du Daupliiné, pour noircir les protestants de cette province, avaient répandu un curieux men- songe. Ils avaient publié que le pasteur Eoger, dans une assemblée, avait lu un édit signé de Louis X\', qui accordait aux réformés une complète tolérance. Cela avait fait grand bruit et était parvenu aux oreilles du roi. Louis XV fit aussitôt écrire de son camp de- vant Ypres au premier président du parlement de Gre- noble :

« ... Comme cette pièce est alisolumont fausse, suppo.sée, et que le roi n'a jamais eu l'intention de déroiicr aux lois ctal)lies sur ces matii"'ros par le i'ou roi son bisaïeul et par Elle, l'in- tention de Sa Majesté est que vous désabusiez les peuples de l'impression que cette pièce aurait pu faire sur eux ; et qu'en démasquant l'imposture du prédicant, vous leur fassiez sentir les risques qu'ils courraient en se livrant à la conduite de pareils pasteurs »

Une enquête fut ouverte. Il en résulta que jamais Eoger n'avait ni composé, ni lu un semblable édit. Quelque temps après, Roger indig-né écrivit à d'Ar- genson :

« ... Les auteurs de ces impostures nous noircissent pour nous rendre odieux et indignes du support de Sa Majesté; mais

' N" 5. Relation des principaux faits arrivés en France depuis quelque temps au sujet de la religion. V. aussi Bulletin, t. III, p. 312.

172

CALOMNIES DU CLERGÉ

ce n'est pas le seul motif do celui qui m'a accusé d'avoir suj)- posé un ('dit de liberté do conscience. Sa malif^nité l'a porté à vouloir découvrir par cette indigne voie la façon de jjenser à Sa Majesté sur nos exercices de reli':çion. Si sa maligne curiosité a été satisfaite à ce dernier égard, j'ose espérer qu'il ne triom- {iliera pas longtemps de l'opprobre dont son imposture m'a couvert aux yeux de Votre Excellence, et qu'en voyant éclater mon innocence dans la procédure même qui a été faite pour prouver le crime affreux dont on me cliarge, vous rendrez à l'accusateur et à l'accusé la justice qui leur est due »

Le dénoùment de cette affaire aurait du arrêter les plus intrépides calomniateurs. Il n'en fut rien. Comme il n'y avait pour eux, sous ce rég'ime du bon plaisir, ni peine, ni même confusion à redouter, les haines et les imaginations se donnèrent carrière. Au mois d'août, pendant la tenue du Synode, on vit paraître, dans le bas Languedoc et se distribuer une pièce de vers contre le roi et contre la France.

0 Dieu le fort, arbitre do la guerre!

Fais triompher les armes d'Angleterre.

Donne puissance et victoire à son roi

Le défenseur de ta divine loi !

Puisque c'est lui qui doit rompre la chaîne

Que nous portons, dès longtemps, avec peine,

Nous te prions de le favoriser

Par ton saint nom, et de l'éterniser.

Que rien ne puisse arrêter ses conquêtes,

Malgré l'effort des plus noires tempêtes.

Soutiens son ])ras de ta divine main

Pour accomphr son généreux dessein ^!...

Ces vers se colportaient publiquement ; on avait vu,

1 5. Relation des principaux faits, etc.

2 Ihid. V. aussi Mémoire historique, ii. 228.

CALOMNIES DU CLERGÉ

173

à Nîmes, un prêtre qui en offrait des copies. Qui les avait composés? On répandit le bruit que l'auteur était protestant, et que cette pièce était un cantique dont les religionnaires chantaient les strophes dans leurs assemblées.

Pure calomnie, et très-habilement exploitée.

« ... Vous me mandez, écrivait de Paris un correspoiidanl. de Court..., que la convalescence du roi a été un grand sujet de joie pour votre ville et pour les habitants de la province, sans distinction de religion, et que leurs prières ont été des plus ardentes. Il me parait néanmoins que cette joie n'a pas été si universelle que vous le pensez, puisque j'ai reçu depuis peu une lettre de votre province, qui fait voir que tout le monde n'y pense pas comme vous. Je vous en envoie l'extrait avec un des cantiques que l'on chante publiquement, afm que vous puissiez décider vous-même, si on doit être assuré dans votre province d'une grande fidélité et d'un amour Ijien véritable pour notre roi »

Or, l'auteur était un catholique et un prêtre.

Dès que ce cantique fut connu, les pasteurs du bas Lang'uedoc, pleins de douleur, écrivirent à La Devèze.

Nous sommes calomniés, disaient-ils, nous ne pou- vons nous défendre; faites ouvrir une enquête. Et quelque temps après Paul Rabaut s'adressart au duc du Richelieu ^ :

« ... Nous vous jurons. Monseigneur, nous vous protestons devant le souverain Scrutateur des cœurs qui saura punir, un jour, les parjures et les hypocrites, que ce n'est point parmi les protestants qu'a été fabriqué l'exécrable cantique qu'on leur attribue. Leur religion ne recommande rien plus fortement que l'obéissance et la fidélité au souverain. Dans les discours que

IN" 36, p. 413 (Sept. 1744.)

« N" 1, t XVI, p. 39. (Dec. 1744.)

174

CALOMNIES DU CLERGÉ

nous adressons à nos troupeaux, nous insistons souvent sur ces articles, comme peuvent eu rendre témoignage un iiomliie considéral)le de catholiques ([uo la curiosité a attirés à no.< assemblées religieuses. Ceux-là peuvent dire s'ils ont entendu chanter cet abominable canticjue, et si on fait quelque chose do contraire au bien de l'Etat. Ils ont été témoins des vœux pleins de zèle que nous adressons au Roi des rois en faveur de notre auguste souverain, de la rcino son épouse, do monseigneur le daujibin et de toute la famille royale, aussi bien que pour tous les seigneurs et magistrats du royaume, et nommément en faveur de Votre Excellence... »

La calomnie fut une seconde fois démasquée, l'im- posture percée à jour. Mais rien ne pouvait découra- ger la haine de quelques fanatiques obstinés. Un curé prétendit un jour (|ue deux jjrotestants l'avaient atta- qué et blessé de coups de fusil. Le commandant de la ville voisine nomma au.ssitôt une commission, et fit une enquête. Or, le curé n'était point blessé, n'ayant jamais été attaqué. Cette fois le mcnsong'e avait dépassé les bornes. On le vit bien. La Devèze témoi- gna im vif mécontentement, le curé dut prendre la fuite, et les prêtres reçurent l'ordre de ne plus se mêler des affaires des protestants Ne s'avisa-t-on pas enfin de signaler à l'intendant la présence d'An- toine Court, et de soutenir qu'il venait en France pour exciter un soulèvement":' Ce bruit même, à peine ré- })andu, trouva des esprits disposés à y ajouter foi. Il prit une telle consistance, qu'Antoine Court fut obligé de le démentir : il le démentit, dans une des plus belles lettres qu'il ait jamais écrites ^.

» 36, p. 149. (Août 1744.)

« Ibid., p. 103. V. Pièces et documents, XI.

PLAINTES DU CLERGÉ 17â

Le clergv cependant ne se lassait point ; il s'obstinait dans la lutte qu'il avait entreprise. Après un demi-siècle d'efforts persévérants, et quand il se croyait arrivé au but, il sentait le fruit de son travail lui échapper des mains, et se voyait retomber à son point de départ.

«... No pouvons-nous pas avoir, ('crivait un curé à La Dcvèze, (|U('lquo ordre pour faire Lenir mes religionnaîres dans l'obéis- sance (ju'ils doivent à leur roi et maître? Ils s'en sont totale- ment départis de cette obéissance. Ce qui est manifestement prouvé par les assemblées aux([ucllos ils assistent toutes les semaines. »

Non-seulement les curés, mais encore les évèques, ceux de Lavaur, d'Uzès, de Toulouse, de Castres, de Nîmes, ffiisaient entendre les mêmes doléances. « Ces g'ens, disait l'évèque de Nîmes, ne g-ardent plus au- cune mesure dans leurs façons d'agir et de parler. » Et la conclusion était toujours la même. x\ppliquez dans toute leur rig-ueur les édits, ou nous sommes perdus !

Il ... Dans la triste situation se trouve mon diocèse, il n'y a que l'autorité du roi qui y puisse rétablir l'ordre. Les choses sont à un point, qu'elles deviendront irremédialjles si on tarde davantage. J'espère que vous ferez sur cela vos représentations au roi. La chose est des plus sérieuses pour la religion, et elle ne l'est pas moins pour la tranquillité du jiays'. »

Les intendants ne le niaient })as. Ils donnaient à Saint -Florentin les mêmes renseignements que le clergé ; mais en même temps qu'ils constataient le

' Archives uatiouales, Tï. 336. (Oct. 17-14 ) Ce carton est rempli de documents semblables.

17G

MÉCONTENTEMENT DE LA C(;Ull

mal, ils découvraient aussi leur impuissance à l'extir- per*. Au mois de juin, le 29, le comte de Maurepas vint à passer à Montpellier. Le même jour, une assem- blée se tint presqu'aux portes de la ville. « J'en con- férai avec M. le comte, écrit La Devèze, f^ui jug-ea à propos, comme moi, sans arrêter personne ni faire aucune violence, de faire promener des détachements autour de nos faubourgs. » Ils n'avaient point de sol- dats pour disperser les assemblées ; en auraient-ils eu, ils se demandaient encore s'il serait bon de les employer. « Il y a apparence par tout ce qu'ils disent, mandait La Devèze, que si on les laisse prier Dieu à leur mode, ils ne branleront pas... » Leur seule crainte était que les relig'ionnaires fussent armés. Les bruits les plus étranges trouvaient auprès d'eux toujours créance sur ce point. Ils s'attendaient chaque jour à un nou- veau soulèvement de Camisards. Réelles ou simulées, le clergé était parvenu à leur communiquer ses ter- reurs.

Bien que la cour répugnât à sévir et qu'elle n'en eût pas d'ailleurs les moyens, tant de sollicitations cependant, tant de plaintes n'avaient pas été sans ef- fet. Court avait à peine quitté la France, qu'en divers lieux, on sentit vaguement un changement de con- duite chez les intendants et les commandants. Ce n'é- tait encore qu'une sensation confuse, mais qui avait sa réalité. A Grenoble, les magistrats firent compa- raître quelques religionnaires : « Vos ministres ne vous sollicitent-ils pas, leur dirent-ils, à user de vio-

' Archives nationales. V. la correspondance de Saint-Florentin et de La Devèze, TT, 336 (174-f.)

MÉCONTENTEMENT DE LA COUR

177

leiice, à enlever les enfants des couvents, à ég'org'er les religieuses? Ne vous ordonnent-ils pas de prier pour la reine de Hongrie et pour la prospérité des armes du roi d'Angleterre? Quelles sont les maisons qui servent d'asile à vos ministres, lorsqu'ils ont prê- ché? » La maréch.aussée même, vers la fin de l'année, visita quelques-uns ^ des lieux se tenaient d'habi- tude les assemblées, mais plutôt par parade que dans des intentions hostiles. Il n'y eut qu'un très -petit nombre de prisonniers.

Les choses suivaient leur cours. Antoine Court di- sait : « Les efforts des prêtres n'y changent rien ; » et les rehgionnaires continuaient de se nourrir d'illu- sions. En vain , du côté de Montauban, le clergé re- doublait-il ses attaques, en vain l'évèque de Castres déclamait-il publiquement contre leurs assemblées, ils n'en concevaient aucune inquiétude. Telle était leur confiance, que deux protestants ayant été pris du côté de Montpellier, ils en écrivirent à la cour, persuadés qu'ils obtiendraient immédiatement leur grâce ^

Ce qui entretenait ces illusions, c'était leur unani- mité. Antoine Court, comme tous ses amis, était con- vaincu que la tolérance était désormais un fait acquis... « Si l'on réfléchit un peu, écrivait-il, sur la situation présente des affaires de l'Europe, sur la guerre dont elle est affligée, depuis quelques années, sur le peu ou point d'espérance de voir la paix rétablie, sur l'incer- titude des événements à venir, qui ne sont connus que

1 17, vol. Z. V. aussi Mémoire historique, p. 227. î Ihid., p. 91.

II 12

178 COURT ET LE PRINCE DE HESSE

de Dieu seul, on pourra en tirer des conjectures pro- bables (^ue l'on peut espérer de jouir plus long-temps de cette espèce de tolérance qui règ-ne, qu'on no sau- rait s'en flatter. »

Cependant il ne se reposait point sur cette idée.

vS'il croyait aux intentions libérales de la cour, il pensait qu'on ne devait rien néglig-er pour les faire manifester officiellement. Aussi à peine arrivé, se liàta- t-il, en vertu des pouvoirs que lui avaient délég-ués les Eg-lises, d'organiser des moyens d'action pour assiég-er les oreilles des ministres et ag-ir sur la volonté du roi.

Au mois de novembre, le prince de Hesse-Cassel ve- nant à passer en Suisse, il se rendit auprès de lui, ac- compagné du professeur Poîier et de M. de Montrond. Il lui exposa avec beaucoup de chaleur l'état de ses coreligionnaires et lui demanda son appui, pour obtenir de Louis XV un édit de tolérance. Le prince ne s'en- gagea pas, mais parut animé d'excellentes intentions.

Quelques jours après cette entrevue , il réunissait chez le professeur Maurice les Associés four les secours des Jideles affligés^. Là, d'importantes décisions furent prises. On résolut d'attendre une époque plus favorable pour adresser une requête au roi, mais il fut convenu qu'on prierait immédiatement les puissances protes- tantes de s'intéresser à l'élargissement des galériens.

î 17, vol. Q. [l" iiov. 174-1.)

« En 1745, Court dit (ii" 7, t. VII, p. 75) y a de pareils comités secrets établis dans toutes les caj)ilales des royaumes protestants. » Un M. Mourier était à la tête de celui du Danemark, et Serce de celui de Londres. Serce (sur Serce, V. cliap. iii, p. 72) avait pour collègues MM. Schaub et Vernon, qui défendirent plus tard Duplan avec beau- coup de chaleur. Enfin un M. Roger dirigeait le comité de la Haye.

NOUVELLES MESURES 179

On g'oùta fort aussi le dessein d'établir à Londres, à la Haye, à Berlin, Copenhag-ue, Francfort, des co- mités composés de trois ou quatre hommes influents et siirs, qui emploieraient leur crédit auprès de leurs cours respectives en faA'*eur des protestants, et corres- pondraient avec le comité central résidant en Suisse. Une très- curieuse proposition fut faite encore. Pour- quoi, dit on, n'aurait-on pas à Paris, dans la capitale même du royaume , un ag'ent répandu dans le monde officiel, intellig-ent et dévoué, qui entretiendrait des re- lations avec la cour et donnerait avis de tout ce qui s'y tramerait contre les relig'ionnaires ? On délibéra sur sur ce projet : il fut unanimement approuvé. Il ne res- tait qu'à découvrir l'homme. Enfin les membres de la conférence s'occupèrent de la position intérieure des Eg'lises. L'argent y avait été rare jusqu'alors , les fidèles étant en général des paysans , des ouvriers, pauvres, et en outre accablés d'amendes. Elles ne pou- vaient suffire à leurs propres besoins ; elles prenaient même pour l'entretien de leurs pasteurs, de leurs galé- riens et de leurs malheureux une partie des sommes que fournissait l'étranger. Heureusement leurs ressources s'étaient notablement accrues, depuis quela bourgeoisie avait commencé de fréquenter les assemblées. La con- férence décida qu'elles pourvoieraient désormais à leurs dépenses soit par des collectes, soit par l'établissement d'un fonds auquel chacun contribuerait Les Eglises eurent donc à payer leurs pasteurs et leurs proposants, à secourir les galériens et les prisonniers, à soula-

' Ce projet avait été soumis au Synode national; cependant il avait été abandonné. On craignait que ce fonds ne fût pris.

180 CONSTI'J'UTIUN A L'ÉTRANGKR

g-ei'les pauvres, à acquitter les amendes, avenir en aide aux malheureux dont les maisons étaient rasées par ordre de l'intendant et que ruinaient les confiscations arbitraires, les amendes, les frais de procédure. Quant au séminaire de Lausanne, la conférence qui s'en oc- cupa beaucoup, ordonna d'affecter tous les secours de rétrang-er à son entretien. Les ressources devenues ainsi plus considérables, elle fit augmenter le nombre des places et créa des bourses pour attirer les étu- diants.

Mais le plus important, ce fut l'établissement à Lau- sanne d'un comité permanent d'action. Jusqu'alors, les protestants avaient fait plusieurs tentatives pour fonder un pouvoir central et remettre la direction de leurs affaires politiques entre les mains d'un petit nom- bre de personnes. Le conseil extraordinaire avait au- trefois été un de ces essais. Aucun n'avait réussi. Toutefois, comme il s'agissait plutôt de réorganiser le protestantime que de le diriger dans sa conduite extérieure, les inconvénients avaient été moindres. Aujourd'luii que sou organisation était parfaite , il fallait qu'il eut un cbef pour imprimer à sa marche un mouvement rég'ulier et empêcher qu'il ne se dé- bandât. Antoine Court, grâce au prestige de son nom, à son influence légitime, peut-être aussi à son éloigne- ment du théâtre des événements, parvint à constituer ce pouvoir. Il en établit le siège à Lausanne, autour de ce séminaire, son œuvre, et il en devint l'âme*. C'est que depuis quatorze ans déjà, affluaient l'ar-

» 7, t. VI, p. 5G.

DE COMITÉS D'ACTION

181

g-ent des bienfaiteurs étrang-ers, les conseils et les offi- cieuses recommandations; c'est qu'il invita toutes les Eg-lises à s'adresser désormais pour leurs affaires extérieures et intérieures. Il les pria de lui mander tout ce qui se passerait dans leur sein, de lui faire part de leurs résolutions, de lui envoyer la liste des baptêmes et des mariag"es, de lui communiquer surtout la teneur de tous les règlements synodaux ' . « Il faut trouver le temps, écrivait-il à Rabaut, pour m'écrire régulière- ment tout ce qui se passe de tant soit peu intéres- sant. » C'est dans ce but encore, que craignant la né- glig-ence de ses correspondants, il voulut org-aniser dans les principales villes de France des comités spé - cialement chargés de le tenir au courant des évé- nements et de recevoir ses ordres pour les transmettre aux fidèles. « Je serai , disait-il ailleurs, comme le centre toutes les lignes de cette correspondance aboutiront. »

Les comités de l'étranger l'informèrent ainsi des dispositions de leurs gouvernements, et ceux de France de l'état des esprits et des actes de la cour. Chaque jour il eut sous les yeux le récit des événements et il put, entouré de ses amis, les examiner, se rendre compte de leur portée, les faire tourner, s'il était pos- sible, au bien de ses coreligionnaires. « Ah ! écrivait- il, des occupations j'en ai eu et j'en ai par-dessus la tête, et on m'en taille actuellement tant et plus. Mé- moires, lettres et apologies, et cela pour un grand nombre de lieux, tout cela me tient à la chaîne et ne

1 Quels étaient les membres du comité? Nous ne savons. Nous ne connaissons que Polieret de Montrond.

182

DERNIERS STXCÉS

me donne point de relâche. Tout le monde ne sait pas ces choses, tout le monde ne doit pas le savoir et ceux qui les ignorent s'imaginent sans doute que je suis sans rien faire »

Cependant on approchait de la fin de l'année. Les intendants un peu inquiets, mais .surtout harcelés par les prêtres, s'étaient décidés à faire acte d'autorité. C'était nécessaire, écrivait-on à Le Nain, « pour dissua- der les peui)les de l'idée de tolérance que les ministres avaient inspirée ^. »

Les relig'ionnaires , malg-ré tout et quoi qu'on fît. persévéraient dans leurs illusions. Les appréhensions momentanées qu'avaient inspirées les derniers incidents n'étaient pas complètement dissipées, mais du moins elles n'augmentaient pas. Le Dauphiné était tranquille. Du Languedoc, Rahaut faisait savoir que, si les cava- liers de la maréchaussée continuaient de visiter les lieux suspects se tenaient ordinairement les assem- blées, ils n'avaient aucune intention hostile. Loire ob- tenait dans le comté de Foix de grands succès et se préparait à partir pour le Poitou Le vieux Corteiz ve- nait de quitter les Cévennes et se dirigeait vers la Guyenne avec un jeune pasteur » Préneuf de retour

« 7, t. YI, p. 20. (Dec. 1744.)

^ Archives nationales, TT, 33G. V. Pièces et document-;, n" XII. 3 7, t. VI, p 1 et 2.

' Ibid., p. 15. Il avait avec lui PraJon. Ce dernier nous donne de nouveaux et curieux renseignements sur le Poitou, à la date du mois d'août 1745. « J'ai découvert un grand nombre de protestant.s qui répondent fort bien h mes vœux, faisant paraître beaucoup de piété et de zèle, ne manquant pas une assemblée; en un mot, je suis fort content des gens de ce pays-ci, gens affables, pieux, officieux, aimant Dieu et travaillant k s'instruire à l'envi. » Il affirme de nouveau que

FIN DE L'ANNÉE

183

en Normandie fondait de nouvelles Eg-lises'. Viala avait le plus grand succès dans le Montalbanais ^.

Les espérances conçues au commencement de l'année restaient donc entières. Ces douze mois dont peu d'évé- nements regrettables avaient troublé la tranquillité et qu'avaient au contraire marqués des bonheurs inatten- dus, paraissaient ouvrir une ère nouvelle d'apaisement, de sécurité, de tolérance. Qui eut alors pensé qu'une effroyable tempête se formait à l'iiorizon, et que ce comité de Lausanne spécialement établi pour réclamer la liberté de conscience, n'emploierait tous ses moyens d'action qu'à essayer de conjurer l'orage, réparer ses désastres, calmer les terreurs et retenir fermes dans la foi les religùonnaires ébranlés !

le haut et le bas Poitou comptent 30 Eglises, divisées eu 12 arrondis- sements, et que chaque arrondissement forme une assemblée de 7,000 personnes. « Pour ce qui est de la jeunesse, je ne la reçois que lors- qu'ils ont quatorze ou quinze ans et qu'ils savent parfaitement leur catéchisme, surtout les matières qui regardent la sainte Cène. Pour ceux qui entretiennent un mélange de religion, qui vont tantôt h l'E- glise R. et tantôt à l'Eglise C, je ne les reçois pas à la sainte Cène, que lorsqu'ils ont fait un choix et qu'ils ont déclaré au Consistoire qu'ils veulent s'attacher à la religion protestante. » 11 ajoute qu'aux assemblées le pasteur prêche en chaire; que les hommes se mettent d'un côté et les femmes de l'autre ; que la classe bourgeoise et les gen- tilshommes montrent beaucoup de zèle. N" 1, t. XVII, p. 151.

» 1, t. XVII, p. 183.

2 IbUL, p. 339, et t. XXV, p. 241.

CHAPITRE VII

LA GRANDE PERSÉCUTION 1745-1752

L'année 1745 s'ouvrit sous de fâcheux auspices.

Dans les premiers jours de janvier, plusieurs reli- gionnaires furent faits prisonniers en Daupliin6 et dans le Languedoc. La ville de Nîmes fut frappée d'une amende de onze cents livres, et l'intendant y fit afficher, devant la maison du lieutenant du roi, les anciennes déclarations contre les protestants *. En même temps, la cour de France invitait diplomatiquement les Aca- démies de Suisse à désavouer les assemblées que les réformés tenaient dans le royaume ^.

Simples mesures d'intimidation! écrivait Court. « Trois amis d'ici et d'ailleurs, avec lesquels j'ai conféré sur nos affaires, pensent tous que le but de tous les emprisonnements que l'on fait en divers lieux, ne tend qu'à intimider et à arrêter le concours des assemblées ^ » Il terminait en recommandant la fréquentation des assemblées, assurant que ces ar-

1 N" 7, t. VI, p. 47.(15 janv. 1745.)

2 N" 7, t. IX, p. 467.

3 N" 7, t. VI, p. 100. (Fév. 1745.)

PLAINTES DU CLERGÉ

185

restations n'auraient aucun fâcheux effet. Quelques jours après, un peu ébranlé dans son optimisme, il disait : « Nous avons encore quelques lueurs d'espé- rance que cette persécution n'est due qu'à l'assemblée du sanhédrin dont nous avons depuis longtemps re- douté l'époque » Les nouvelles cependant deve- naient plus inquiétantes. De jour en jour les arresta- tions se multipliaient, les amendes aug-mentaient : il semblait qu'on fût à la veille d'une persécution géné- rale. Ou y était.

Le clergé ne pouvait voir qu'avec une vive peine les prog'rès de la restauration du protestantisme en France. Il avait épuisé tous les moyens pour en arrêter le cours. Contre ce redoutable adversaire, il ne cessait depuis 1715 d'exciter la colère du gouvernement; aux intendants il se plaignait de l'indifférence de leurs sub- délégués, — à la cour, de celle des intendants ; du bas eu haut de l'échelle administrative, il faisait monter ses doléances, et réclamait des mesures de rigueur. Malgré tout, le protestantisme regagnait peu à peu dans le royaume le terrain qu'il avait perdu. L'année 1744 fut une révélation. Cet adversaire était donc presque aussi fort qu'avant la Révocation; il se montrait au grand jour, il paradait dans les assemblées publiques! C'est alors que le clergé épouvanté attribua à Roger le faux édit de tolérance, et accusa les protestants de chanter dans leurs réunions du Désert un cantique contre la France, contre le roi. Il espérait attirer ainsi sur les religionnaires le courroux du gouvernement. Quelques

IN"!, t. XVI, p. 299. (Mars 1745).

186 ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

condamnations marquèrent en effet la fin de 1744. Mais ces châtiments ne le satisfaisaient pas. Il venait de mesnrer la profondeur du mal et, pour le g'uérir, il voulait des mesures radicales, excessives.

Jusqu'alors il ne s'était plaint à la cour que par la voix de prêtres et d'évèques isolés ; il n'avait point fait encore entendre, au nom de la France catholique, un cri solennel d'alarme. Au mois de février 1745, suivant une ancienne haljitude, il se réunit à Paris en assem- blée g-énérale. Le 7 avril, l'évêque de Saint-Pons prit la parole et dit' :

» Les cntreiirises des religionnaires qui composent une grande partie du Languedoc sont venues aujourd'hui à un point, qu'elles no peuvent plus être dissimulées et qu'il est d'une nécessité indispensable d'en arrêter le cours, tandis qu'on le peut encore, si on ne veut point que la religion catholique retombe dans l'état, elle était dans cette province avant la révocation de l'Edil de Nantes.

« Depuis la cessation de l'exercice public de la religion pré- tendue réformée, on n'avait vu d'assemblées de gens de cette religion que dans les bois, dans les lieux déserts et écartés des grands chemins. Ils avaient soin do laisser des espions de poste en poste, pour être avertis et se dissiper en cas qu'on vint à les découvrir; elles n'étaient composées que de gens du menu peu- ple, qui, par dilïérents chemins, pour ne pas faire foule, se rendaient au lieu destiné ; ils s'en retournaient de même et communément de nuit. Le secret et tant de précautions qui accompagnaient ces attroupements, marquaient leur crainte et leur faiblesse, et on croyait pouvoir les dissimuler sans beau- coup de risque. Depuis la fin de 1742, ces assemblées sont devenues de jour en jour plus fréquentes et plus nombreuses.

V. Collection des procès-verbaux des assemblées générales du clergé de France. T. YII, p. 102.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

]87

Aux gens du pouplo po joignirent Itiontùt ceux d'un étage PU})é- rieur, et ceux-ci furent suivis, sans beaucoup d'intervalle, de ce qu'il y a parmi eux de plus notable, mareliands, jirocureurs, notair(^s, avocats et quelque noblesse ; ceux même, qui aupara- vant n'avaient que du mépris pour ces assemblées, et qui les désajjprouvaient comme contraires aux ordres du roi, n'ont pas craint d'y paraître et ont cbangé de langage et de conduite. Elles se font en plein jour, tous les dimanches, et quelquefois même plus souvent. On y va en foule sans faire de mystère et aussi ouvertement qu'on va à l'Eglise; les pères et mères y con- duisent ou y portent leurs enfans. Elles s'approchent tous les jours plus près des villes, même de celles on il y a des com- mandants et des troupes ; on commence même à s'assembler dans les maisons particulières; et s'il reste quelques bâtiments qui ayent autrefois servi de temples, ils sont choisis par pré- férence.

« Les mariages des huguenots se célébraient encore partout à l'Eglise, il n'y a pas plus de deux ans, après les épreuves qu'on exigeait d'eux pour s'assurer de la sincérité de leur con- version. On n'en excepte que quelques paroisses depuis douze ou quinze ans les huguenots s'étaient mis peu à peu en possession de cohabiter ensemble comme mariés, sans l'avoir été cfl'ectivement à l'Eglise. Ce mauvais exemple, quoique com- mode, a été longtemps à s'étendre; mais depuis 1743, ces con- cubinages se sont multipliés partout, en sorte qu'ils ne se marient presque plus autrement, môme dans les villes princi- pales et sous les yeux des évèques. Ils se flattent que la multi- tude des coupables produira l'impunité, aussi sehàtent-ils d'en grossir le nombre et de profiter de l'espèce de liberté qu'ils s'imaginent avoir. Ces prétendus maries se cachaient il y a six mois ; aujourd'hui les noces se solennisent, comme si le mariage s'était fait conformément aux lois du royaume, et on commence à s'accoutumer à des choses, qui peu auparavant étaient regar- dées comme des abus insupportables.

« Pour favoriser ces mariages illégitimes, les notaires hugue- nots, (jui sont en très-grand nombre, ont retranché, de leur propre autorité, des contrats de mariage la clause par laquelle

188

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

les parties promettaient de faire bénir leur mariage selon l'usage de l'Eglise catholique, apostolique et romaine. A cette clause ils en ont substitué une autre qui laisse aux parties la liberté de se marier bon leur somt)le.

« Cette multitude de religionnaires mariés par les prédicants, qui augmente tous les jours, va former avec leurs enfants un peuple engagé par état à persévérer dans l'erreur, sans espoir de conversion. Car à qui d'entre eux pourra-t-on persuader dans la suite une religion qui condamne et leurs mariages et leur naissance?

« Les enfans des religionnaires étaient ci-devant portés sans difficulté à l'Eglise pour y recevoir le baptême; à peine avant ces derniers temps, trouve-t-on quelques exemples contraires. Mais depuis 1743, l'usage de les faire baptiser par les ministres s'est établi et a tellement prévalu qu'ils ne le sont plus autre- ment. C'était d'abord en secret et dans les maisons l'enfant était que le ministre baptisait; aujourd'hui on porte publi- (juement les enfans au ministre et on les rapporte à leurs maisons, ornés de rubans et de fleurs, suivis d'un cortège nombreux. On affecte de passer dans les rues et les places les plus fréquentées et toujours avec un air de triomphe qui insulte aux catholiques, et qui les humilie. Bon nombre d'huguenots auraient pourtant préféré de porter leurs enfans à l'Eglise ; mais ils ont avoué qu'ils n'en étaient pas les maîtres et qu'ils avaient à craindre sur cela le ressentiment de ceux dont ils dépendaient dans les familles mi-parties, dont le père et la mère sont d'une différente religion; il est arrivé assez souvent qu'on a enlevé par violence, et malgré la résistance de la mère catholique, l'enfant qui venait de naître pour le porter au pré- dicant et le faire baptiser... »

Aprè.s avoir parlé des enterrements, des maîtres d'é- cole, des livres qu'on ne distribuait plus en cachette, l'évêque continuait :

« 11 était important pour la rehgion et pour l'Etat que les religionnaires qui sont dans les différentes provinces du royaume.

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

189

n'eussent jtoint de correspondance entre eux, qu'ils ignorassent leur force et leur nombre et ne pussent point s'aider mutuelle- ment de leurs conseils. Il était important qu'ils ne fissent point dans l'Etat un parti, qui eût des lois et intérêts particuliers et ([ui pût agir de concert pour leur cause commune. Depuis la facilité qu'ils ont ou de s'assembler dans ces derniers temps, ils n'ont pas manqué d'établir un commerce avec leurs frères, même les plus éloignés ; ils se sont assemblés en Synode de diverses provinces, et ceux qui auparavant ne se connaissaient pas, font aujourd'hui un corps dont les parties sont liées, et tendent au même but, qui est la liberté de conscience. Le Synode national tenu au mois d'août de cette année 1744, sur les con- fins du diocèse d'Uzès, du côté de Sommières, est une preuve de cette correspondance. Il y avait des députés du Poitou, du Dauphiné, de Normandie..., etc.. Les actes de ce Synode sont publics par le grand nombre de copies qu'on en a répandu. On y prescrit le catéchisme, qu'on dit être enseigné partout (c'est cela dont on vient de parler), on y règle différents points de discipline et les départements des ministres, on annonce un prochain Synode provincial. Il est dit à l'article III qu'on pré- sentera une requête au roi, au nom de tous les protestants du royaume, et à l'article IV qu'il sera dressé une apologie pour justifier leurs assemblées, leurs mariages et leurs baptêmes.

« Outre cette direction générale, qui regarde le corps entier de la secte, il y a des consistoires établis dont les anciens sont préposés dans les communautés, pour veiller à la conservation de leur religion. Ils observent ceux qui refusent de se trouver aux assemijlées ou qui ont la faiblesse, selon eux, d'assister encore à l'Eglise, de s'y marier et d'y faire baptiser leurs enfans. On impose aux uns des pénitences dans les assemblées, on y prononce contre les autres des excommunications.

« Voilà donc l'exercice de la religion prétendue réformée rétabli par le fait et devenu public par les parties. Il ne leur manque plus que des temples. Dieu veuille qu'ils n'entrepren- nent pas d'en bâtir? On a déjà vu en plusieurs endroits des gens travailler à enlever les ruines de leurs anciens temples, en nettoyer la place, et la mettre en état d'y bâtir.

190

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

« C'est ce qu'on vit l'année dernière à un quart do liouc d'Uzès : hommes et femmes s'asscmljlèreiil en grand nombre i-our un pareil ouvrage, qui fut continué pendant plusieurs jours avec ardeur et beaucoup d'éclat. Interrogés à i[\ioï tendait ce travail, ils ne cachèrent jjoint leur dessein. Tout récemment, à Bédarieux, les religionnaires avaient élevé dans un carré long, liro])re à contenir l,OOUà 1,'200 personnes, un mur de pierre sèche, avec des sièges de pierre à l'entour, pour y tenir leurs assemblées. Ce sont des essais et des tentatives qui ne mar- quent que trop ])i('n à (juoi ils tendent et ce qu'ils oseraient à l'occasion.

« Quand on fait rélloxion sur une révolution aussi rajiidc et aussi étrange, on ne jiout revenir de sa surprise.

« Nous perdons en moins de deux ans les soins et les peines qu'on a prises pendant cinquante ans ))our ramener ces pauvres gens; nous nous voyons revenus quasi au même temps que nous étions avant la révocation de l'Edit de Nantes. »

Ici il se plaignait du nombre d'apostat-s et de relap,s, du progTès du libertinage et de.s mauvaises mœurs; puis il reprenait :

« Il est évident j-ar le progrès que les religionnaires ont fait de]iuis deux ans, qu'ils ne mettront point de ])ornes à leurs entreprises. Elles s'étaient renfermées d'abord dans les dio- cèses du bas Languedoc; le mal n'avait pas encore passé Mont- pelher, il y a sept ou imit mois ; mais depuis il s'est étendu dans le haut Languedoc; il croîtra toujours à mesure qu'on ne s'y opposera pas, et l'on verra bientôt les l'eligionnaires en venir au point de faire ou de demander des choses tout à fait intolé- rables.

« Ils ont beau publier que l'esprit qui règne dans leurs assem- blées, est éloigné de la révolte et du soulèvement, et protester de leur fidélité. L'esprit d'indépendance et l'amour d'une liijerté, ennemie de toute autorité, ont toujours animé cette secte et ont fait connaître dans cette province de quels excès ils sont capa-

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

191

l)los. Ils ne seront bons sujets qu'autant que la crainte les con- tiendra. Leurs espérances se relèvent toutes les fois que les l)uissances protestantes sont en guerre avec la France. Au moindre émissaire qui se glissera dans le pays do la part de ces puissances, à la moindre lueur qu'ils auront d'un secours étran- ger, ils se flatteront que le temps est venu d'obtenir la liberté tant désirée, et le rétablissement de leurs temples. Ils sont sur ce point d'une crédulité étonnante.

» Leurs prédicants ont grand soin de les entretenir dans ces idées. Ils osent même publier que ce temps de liberté est venu et on sait la téniérité (ju'a eue l'un d'entre eux de fabriquer dans le Daupbiné un édit à ce sujet, témérité qui a eu besoin d'être réprimée par la lettre de M. d'Argenson à M. le premier pré- sident du parlement de Grenoble. C'est par ces artifices qu'ils ont réussi à persuader à plusieurs que les assemblées ne sont point contraires aux intentions du roi, et cette persuasion en entraîne encore tous les jours un grand nombre. Ces prédi- cants qui dogmatisent impunément dans plusieurs diocèses, et dont le nombre s'augmente de jour en jour, sont la plupart gens sans choix, sans discipline, et qui manquent même de la mis- sion requise ^larmi eux pour prêcher; plusieurs sont étrangers, et par môme, suspects : la plupart de leurs discours tendent moins à inspirer aux peuples les vérités et la morale chrétienne, qu'une haine cruelle et implacable contre la religion cathohque. Que peuvent devenir des peuples crédules et livres à cette espèce de docteurs? Ne dépend-t-il pas de ces maîtres inconnus d'inspi- rer à leur auditoire ce que bon leur semblera? Et si un sédi- tieux, un boute-feu, un fanatique s'avise de prêcher dans les assemblées, qui peut répondre des suites qu'auront ses discours? On ne s'aperçoit déjà que trop des impressions qu'ont faites les prédicants dans les esprits, depuis que le pays en est inondé; on voit un éloignemont marqué des huguenots pour les catho- liques et une animosité toujours prête à s'allumer sur la religion et qui influe dans le commerce de la vie le plus indifl'érenl. Si on joint à ces dispositions le génie plein de feu qui domine dans le pays, on sera parfaitement convaincu que quelques mé- nagements qu'on ait pour les religionnaires, les pays l'on les

192

DÉMARCHE AUPRÈS DU Rol

laisse se fortifier sont exposés au moment qu'on y pensera le moins à être mis en combustion ! »

Lorsque l'évêque de Saint-Pons eut aclievé la lecture de son discours, d'autres évêques se levèrent, et, s'asso- ciant aux plaintes de leur coUèg-ue, firent observer que de semblables désordres avaient lieu dans la Guyenne et dans la Saintouge , le Dauphiné et le Poitou . Mais quel remède y porter? On eu délibéra, et l'arclievêque de Tours fut choisi par la compagnie pour ^présenter au roi le rapport qui venait d'être lu. Il n'avait point d'ailleurs mission de proposer à Sa Majesté un projet particulier : il devait laisser à sa religion le soin de faire cesser cet état de clioses. N'était-on pas convaincu que Louis XV trouverait « dans ses propres lumières et dans la sagesse de ses conseils les voies les plus efficaces et les plus convenables pour faire rentrer les religionnaires dans le devoir? » On ne se trompait pas. Quelques jours après, l'arclievêque de Tours rendait ainsi compte de ses démarches :

« Chargé de l'importante commission que vous m'avez, Mes- seigneurs et Messieurs, confiée, j'ai eu l'honneur de présenter au Roi le mémoire contre les entreprises des refigionnaires dans différentes provinces du royaume. J'ai été admis à une audience particulière de Sa Majesté, dans laquelle j'ai exjiosé, avec toute la force dont je suis capalile, le triste état de la religion dans ces provinces, dont je lui portais les plaintes au nom du clergé. Je n'ai pas cru devoir lui dissimuler les suites affreuses que l'on avait à craindre, si l'on ne s'opposait fortement aux progrès rapides de ces maux, et que l'impunité dont se flattaient les re- figionnaires, les enhardissait à un point qui ne peut s'exprimer et était capable de les porter à de grands excès.

« Mes représentations, Messeigneurs, n'ont été qu'une ana-

ASSEMBLÉE GÉNÉRALE

193

lyse courte, mais exacte, du mémoire. Animé de cet esprit de confiance que vous m'avez inspiré, guidé par vos lumières, sou- tenu par vos exemples, j'ai rempli ce que je vous devais et ce que je devais à la religion.

« Le roi m'a écouté avec bonté et une attention toute parti- culière ; j'ai remarqué toute l'impression que faisait sur son esprit le détail affligeant dans lequel je suis entré. Sa Majesté m'a fait l'honneur de me dire que je pouvais assurer le clergé de la continuation de son zèle pour le maintien de la foi, la défense de l'Eglise, l'extirpation de l'hérésie; qu'elle connais- sait toute l'étendue des maux sur lesquels portaient nos plain- tes, et qu'elle y apporterait avec soin les remèdes les plus pro- pres et les plus convenables.

« Ainsi, Messeigneurs, connaissant son attachement pour l'Eglise, nous devons être persuadés qu'il employera tous les moyens que sa sagesse et sa reUgion lui inspireront dans des conjonctures aussi tristes; et que si nos vœux ne sont pas exaucés dans toute leur étendue, ils le seront au moins autant qu'ils peuvent l'être. »

Louis XV n'avait point fait à l'archevêque de Tours de vaines promesses K II avait résolu de faire cesser les assemblées, et déjà, le l".et le 18 février, il avait

' Dès que i'assemblée du clergé se fut séparée (le 5 juillet), un cor- respondant de Court qui habitait Paris, l'en informa : « ... Il est mo- ralement impossible de pouvoir pénétrer ie secret des délibérations sur ce sujet, et on ne peut pas se flatter de le faire. Que si malgré les difficultés nous pouvons réussir à découvrir quelque chose d'une ma- nière ou d'une autre, nous serions exact à vous en faire part. » 1, t. XVII, p. 21. (Juil. 1745.) Le secret ne fut que trop tôt connu. Ne serait-ce point à propos de cette assemblée que fut composée la chanson, citée par le Bulletin, t. XI, p. 139?

Quel malheur rour tous les François Que le clergé à celte fois Gouverne noire France,

Eh bien! Sans tenir la balance : Vous m'entendez bien : etc..

II

13

194

X(;nVELLE.S ORDONNANCES

mis son nom au bas de terribles ordonnances '. « A l'é- gard de ceux que l'on saura avoir assisté auxdites assemblées, mais qui n'auront pas été arrêtés sur le champ, veut et entend Sa Majesté que les hommes soient envoyés incontinent, et sans forme ou fig-ure de procès, sur les galères de Sa Majesté pour y servir comme forçats pendant leur vie, et les femmes recluses à perpétuités » Ainsi, sur un soupçon, sur un bruit,

' OrdoiiiuiiK-e du Roi t'oiu-eriiaiit les yeiis Je la religion prétendue réformée du l"' iev. 1745. Archives de la Gironde, C. n"' 4 et 5. « De j)ar le Roi,

«Sa Majesté étant informée que nonobstant que par ses Edits, Dé- clarations et Ordonnances tout exercice de la Religion prétendue Ré- fonuée soit interdit dans le Royaume, cependant il s'est tenu deimis quelque temps plusieurs assemblées dans la Généralité de Moiilaubau, et désirant y jiourvoir : Sa Majesté a ordonné et ordonne que confort mément ii ces Edits. Déclarations et Ordonnances, le procès sera l'ait et jiarfait à tous jjrédicants qui dans la dite Généralité auront convoqué ou convoqueront des assemblées, et qui y auront prêché ou y prêche- ront, et y wnt fait ou feront aucunes fonctions, enseml)le à tous et un chacun des sujets do Sa Majesté de quelque état et condition qu'ils soient, lesquels se sont trouvés ou se trouveront ci après dans les dites Asseml)lées, et qui y seront pris en flagrant délit, voulant Sa Ma- jesté qu'ils soient condamnés aux peines portées par les Edits, Dé- clarations et Ordonnances. Et cependant à l'égard de ceux que l'on saura avoir assisté aux dites Assemblées, mais qui n'auront pas été arrêtés sur le champ, veut et entend Sa Majesté que par les ordres du Sieur Intendant et Commissaire départi en la dite Généralité, les hommes soient envoyés incontinent et sans forme, ni figure de procès sur les galères de Sa Majesté pour y servir comme forçats pendant leur vie, et les femmes et filles recluses à perpétuité dans les lieux qui seront ordonnés. Mande et ordoi)ntt;Sii Majesté au dit Sieur Intendant et Commissaire départi en la dite Généralité de Montauban, et U ses Baillifs, Sénéchaux et autres Ofticiers et Jus- ticiers qu'il appartiendra, de tenir chacun en droit soi la main ;i

l'exacte observation de la présente Ordonnance

Signé : Louis. Par le roi : Phélypeaux. <>

2 Le 22 mai, parut une nouvelle ordonnance d'après laquelle, si les religionnaires d'un arrondissement voisin assistaient à une assem- blée, outre l'amende qui frappait rarrondissement dan? lequel s'était

L'INTENDANT LE NAIN 195

les portes des prisons s'ouvraient et les pontons des g*alères. Nulle enquête, nul jug-ement. Autrefois, l'in- tendant jug'eait avec sept g-radués assesseurs : c'était trop long-; il pouvait juger seul maintenant « sans autre forme ni fîg'ure de procès. »

Louis XV au surplus pouvait compter sur le zèle et l'activité de ses ag-ents. Le nouvel intendant du Lang'uedoc, le successeur de Bernag-e, Le Nain, ba- ron d'Asfeld, petit-neveu du célèbre historien jansé- niste, n'était point homme à hésiter devant une me- sure; il s'acquittait des ordres qu'il recevait avec la rig'ide ponctualité que le sujet doit à son roi. En ap- prenant sa nomination, les protestants du Lang-uedoc frémirent : « Le caractère de cet intendant est dur, écrivaient-ils; il a menacé les protestants avant que d'avoir l'autorité en main : que fera-t-il à présent que l'on vient de la lui conférer? * L'avenir justifia ces craintes. Le Nain devait attacher sou nom aux plus cruelles condamnations (]ui eussent encore frappé les relig'ionnaires de cette province '.

Alors dans la France entière se déchaîna la persé- cution.

Dans un mémoire, parlant de l'état des protestants, Court disait : « Ils ne se croyent en sûreté nulle part ;

tenue rassemblée, une seconde iiniende devait frapper Tarroudisse- ijient entier dont faisaient partie ces religionnaires. Il y avait double profit. Archives de l'Hérault. C. 100.

Nous passons les ordonnances ridicules, telles que celle-ci : Dé- fense aux cabaretiers de la province du Languedoc de recevoir h l'a- veiiir dans leur cabaret les religionnaires venant îi des heures .in- dues, allant ou venant des assemblées.

1 Le Nain remplaça Louis Bazile Beruage en 1745 1, t, XVIIL p 55 (jauv. 1746.)

196 PERSÉCUTION EN DAUPHINÉ

ils craignent partout ég-alement. Ils craignent dans leurs maisons, dans les rues, dans les places publiques, dans les villes et la campagne, et dans les déserts même. Ils craignent pour leurs personnes, pour celles de leurs amis; ils craignent pour leurs biens qu'on leur enlève de toutes manières; ils craignent le pré- sent, ils craignent l'avenir... ' » Voilà les généralités, voici les faits.

En Daupliiné, dans les premiers jours de l'année 1745, un détachement de la maréchaussée, accompa- gné de troupes rég-ulières et suivi du bourreau, courut la province, jetant partout la terreur. Un de ses hauts faits fut d'arrêter un pauvre homme qui se mourait ; on l'arracha de son lit et on le traîna en prison. Le pauvre homme mourut en route. Au mois de février, il fut prouvé que les protestants se réunissaient dans une caverne située sur les terres d'un gentilhomme. Le gentilhomme fut condamné à une amende de mille écus, et enfermé pour un an dans la tour du Cret Au mois de mars^, un pasteur, Louis Eanc, ayant été

' 17, vol. 2, p. 289. Ce mémoire n'a pas été publié, mais il dut être comme la première forme du Mémoire historique de 1744. « V. aussi BuUet., t. XIII, p. 337.

Le parlement de Grenoble a rendu aussi, le 12 avril 1746 der- nier, un arrêt qui condamnait h. diverses reprises cent cinquante personnes : MM. Vouland, Rouland, Descours, Du Noyer, Du Buisson, Ranc, Paul Faure, tous ministres ou proposants, à être pendus par contumace et exécutés en effigie à la place du Brueil à Grenoble, aussi bien que Rouland frère du ministre; les npmmés Berlin, Louis Noir, Jacques Gaillard, Jean Jacques Emeri et Jean André Pommier aux galères, les trois premiers par contumace et les deux derniers réellement. Six sont condamnés au bannissement, les uns pour dix ans et les autres pour cinq, deux aux prisons pour cinq ans, et ces huit persoanes à une amende de 10 livres. •» îv° 7, t. VII, p. 139. V. aussi 17, vol. Z, p. 13, le récit de la mort de Ranc.

SUPPLICE DK RANC KT DE ROGER

pris récemment à Livron, tandis qn'il allait baptiser un enfant, fut conduit à Die et pendu. Il venait à peine de rendre le dernier soupir que le bourreau coupa la corde, trancha la tète, et fit traîner le cadavre dans les rues de Die par un jeune protestant. Ce même mois, le parlement de Grenoble renouvela tous les arrêts, édits et ordonnances précédemment rendus contre les religionnaires. En avril, Jacques Roger, l'illustre et vénérable ami de Court, l'apôtre du Dauphiné, l'homme pieux et infatigable qui depuis tant d'années évangélisait les Eglises de cette province, fut pris et conduit à Grenoble. II. fut condamné à mort

« Dès qu'il fut informé de la sentence rendue contre lui, il saisit le premier moment qui se présenta de passer dans une basse-cour oià il savait qu'il pouvait aisément être entendu de plusieurs protestants qui étaient prisonniers de l'autre côté, et il leur dit que le jour heureux était arrivé il devait sceller de son sang les grandes vérités qu'il leur avait enseignées. Il les exhorta à être fermes et immuables dans la religion, laquelle ils avaient par la grâce de Dieu jusqu'ici professée. Il leur parla dans un style si fort et si pathétique qu'ils fondaient tous en larmes. Sur les quatre heures de l'après-midi il fut conduit au lieu du supplice. En sortant de la prison, il chanta à voix haute le psaume LI ^. »

On le pendit sur la place du Breuil. Son corps resta vingt-quatre heures au gibet, après quoi, il fut traîné dans les rues et jeté dans l'Isère. Roger était un vieil-

* 1, t. XVI, p. 469. Récit de sa mort, et, de celle de Ranc.

2 N" 17, vol. Z, p. 107. Roger avait été arrêté aux petites Vachères. V. Le Papisme toujours le même , proiivé par des exemples tiréx de la persécution qu'on exerce actitellement contre les protestants du midi de la France. Londres. Imprimé par .T. Olivier, 17.56. Tra- duit de l'anglais.

198 PERSÉCUTION EN LANGUEDOC

lard (le qnatre-ving-ts ans. Eu octobre, sept per- sonnes furent condamnées aux galères, une jeune femme h être fouettée publiquement. On laisse de côté les amendes. Au mois d'avril 1746, cent cinquante personnes furent frappées de différentes peines. Sept étudiants ou pasteurs furent pendus en efRg-ie. Il fut défendu à sept couples de cohabiter à moins de faire réhabiliter leurs mariag'es par leurs prèti'es respectifs, t^uatre maisons ftirent démolies pour avoir servi d'a-

silë à des prédicants Il fîiut en passer. (*e furent

les principaux événements qui, dans l'espace de deux ans, s'accomplirent dans la seule province du Dau- phiné.

En Languedoc, depuis le mois de septembre 1744^ les prisons et les galères ne cessèrent de se remplir. Touchant détail ! La maréchaussée vint prendre un jour à leurs parents leurs jeunes filles. Comme on les emmenait en voiture, de la portière, à leurs amis, à leur mères affligées, celles-ci criaient : « Nous allons en exil : nous y allons avec plaisir. Ne vous découragez point. Que votre zèle Soit toujotirs le même ; ne cessez point d'assister à nos saintes assemblées. Le Dieu tout- puissant se montrera lui-même notre gardien et notre libérateur ! » En décembre, deux compagnies de dra- gons furent mises en g-arnison chez les protestants de Milhau, en Rouergue. Elles y restèrent cinq mois, et Milhau fut ruiné. La même mesure fut appliquée dans la généralité de Montauban et en d'autres en- droits. On sait ce qu'avaient été jadis les dragonnades et quels affreux abus en étaient le résultat, les vieilles traditions ne s'étaient pas perdues. Cette soldatesque

PERSÉCUTION EN LANQUEDOC IW

conduitê par ses chefs, pillait les maisons, et détrui- sait ponr la 'joie de détruire. Elle volait l'arg'ent, enfonçait les armoires, déchirait le linp-e, pénétrait dans les caves et versait le vin, tombait l'épée à la main sur le bétail et la volaille. Folies de drag-ons en belle humeur ! Un d'eux, dans un villag-e, voulut violer une jeune fille; la jeune fille jeta des cris et prit la fuite. Les paysans accoururent, sans armes, poin- la défendre; au!=(sitôt la troupe fit feu, et Un vieillard fut tué sur place. Quant aux prisonniers, les cavaliers lés attachèrent à la queue de leurs chevaux et les con- duisirent ainsi àMontauban. Une enquête fut ouverte. On nous entourait, dit le maréchal de log'is, une sé- dition allait éclater, nous avons du faire feu pour nous dég-ag-er. Le maréchal de log-is fut écouté, les protestants passèrent pour s'être révoltés , et sept autres compagruies, plus toutes les brig-ades des maré- chaussées du canton, furent mises chez eux à discré- tion. Castres, Sainte-Foy, Puylaurens, ne furent pas mieux traités ; Uzès, le Vig-an, Ganges, Alais payèreht de lourdes amendes. Mont-Eedon, Vabres, Berlats, pe- tites Eg-lises, villag-es de quelques centaines d'habi- tants, furent condamnés chacun à trois et six mille livres , et durent en outre solder les frais toujours considérables des procédures. Nîmes fut frappée d'Une amende de onze cents livres, parce qu'une assemblée s'était tenue sur son territoife. Au mois de novembre suivant, nouvelle assemblée, nouvelle amende. Cepen- dant, conime il y avait récidive, on tripla l'amende; elle fut portée à quatre mille livres ! Encore à Nîmes se montrait-on indulg-ent ! Au mois de mars de cette

i

200 PERSÉCUTION EN LANGUEDOC

même année, dans le haut Lang-uedoc, une assemblée se réunit près de Mazamet. Survint une compag-nie de drag-ons qui fit feu sur la multitude désarmée; trois protestants furent blessés, ving-t furent arrêtés, le reste se dispersa. Pour les prisonniers, ils furent condamnés aux galères par l'intendant de Montpellier. Une autre assemblée, du côté de Saint-Hippolyte, fut en no- vembre surprise de même. Les soldats à plusieurs reprises tirèrent et l'on fit plusieurs prisonniers qu'on relâcha plus tard. Pourquoi? On ne sut. On ne rend jamais compte des ntesures arbitraires.

Toutes ces scènes et de plus terribles se reproduisi- rent en Vivarais. Mais on oublia facilement les infor- tunes privées devant un grand et irréparable malheur public qui atteignait tous les fidèles. Au mois de dé- cembre, un des pasteurs de cette province, un tout jeune homme, Désubas, fut pris par les soldats, et conduit à Vernoux. Sur la route, un grand nombre de protestants, hommes, femmes, enfants, se pré- sentèrent au-devant de l'officier qui commandait le détachement, et le supplièrent de relâcher le prison- nier. L'officier, un peu troublé sans doute, répondit que leur demande pouvait être juste, mais ne pouvait être exaucée par lui, et qu'ils vinssent la répéter eux- mêmes aux magistrats de Vernoux. La foule, con- fiante, suivit les soldats et entra dans la ville. Là, que se passa-t-il ? Y eut-il provocation? Toujours est-il, qu'à peine les protestants s'étaient engagés dans les rues, les catholiques de toutes parts, des portes, des fenêtres, firent feu sur eux. Trente personnes furent tuées, plus de deux cents blessées, et beaucoup mou-

EN GUYENNE

201

l'iirent de leurs blessures. Les survivants voulaient se venger, prendre les armes, en venir aux mains. Mais les pasteurs parvinrent à les apaiser. Ils firent plus. Ils écrivirent aussitôt à l'intendant, protestant de leur innocence, de leur fidélité, et qu'il n'y avait eu dans cette affaire ni sédition, ni pensée séditieuse. Les mal- heureux étaient obligés de se justifier ! On avait cepen- dant conduit Désubas à Nîmes, et de Nîmes on devait le diriger nuitamment sur Montpellier. Comme le jeune prédicant aA^ait l'affection de tous, on résolut de faire une tentative pour l'enlever à ses gardiens. Des paysans se mirent en embuscade sur la route et atten- dirent le passage de l'escorte. Paul Rabaut l'apprit, sauta sur un cheval et tombant au milieu des paysans, il les adjura de ne point attaquer les soldats, d'aban- donner leur projet; il fut écouté et l'escorte passa, sans être inquiétée. Mais Désubas fut enfermé dans la cita- delle de Montpellier, mis en jugement et condamné à être pendu. C'était en hiver. Il fut mené au liëu du supplice, les jambes nues, couvert d'une veste de toile légère. Arrivé devant la potence, on brûla sous ses yeux ses livres et ses papiers, et on le livra au bour- reau. Au moment fatal, quelqu'un lui présenta à baiser un crucifix, mais lui, détournant la tête, leva les yeux au ciel; quelques instants après il était mort

En Guyenne, l'intendant de Tourny apprit que des assemblées se tenaient à Sainte-Foy et « les petites villes, bourgs ou paroisses du voisinage. » Il manda aussitôt qu'on les dispersât par tous les moyens ^. Il

» N-n, vol. z, p. 69.

' Archives de la Gironde. C, n°' 4 et 5. (Mars, 1745.)

202

PERSÉCUtlON m SAIXTONGE

fit en même temps afficher les dernières ordonnances du roi

En Saintong-e, un nommé Elie Vivien fut fait pri- sonnier et convaincu d'avoir convoqué des assemblées et d'y "avoir prêché. On le condamna à faire amende hono- rable devant la porte de l'ég-lise cathédrale de la Ro- chelle, nu-tète, en chemise et la co,rde au cou. Lors- qu'il eut déclafé h haute et întellig-ible voix qu'il avait méchamment et comme malavisé assisté et prêché aux assemblées, l'exécuteur de la haute justice s'appro- cha , prit ses livres , les amoncela en bûcher et y mit le feu. Cela fait, Vivien subit le dernier supplice. Son corps resta vingt-quatre heures à la potence, et fut ensuite porté aUx fourches pati})ulaires « pour y rester jusqu'à entière consommation. » Ce fut la plus terrible exécution que virent les protestants de ^aintong-e

Les religionnaires étaient atterrés. Leurs pasteurs pouvaient dire dire d'eux ce que Laferrière disait de ceux d'ime grande Eglise : « Tout Nîmes a pris l'épou- vante et l'on ne l'a que trop imité dans les environs;

1 « De par le tloi,

« Nous faisons déi'erlse 'A toutes personnes de l'un et de l'autre sexe, (le quelque état, âge, qualité et condition qu'elles soient de s'assem- bler sous prétexte de religion, ailleurs que dans les lieux accoutumés et que pour assiste!* aux pi-iêres ordinaires à l'Eglise Catholique, Apostolique et Romaine, sous les peines les plussévèreSj telles qu'elles sont j)rononcées par les Edits, déclarations et ordonnances de SaMajesté.

* Sera la présente ordonnance affichée dans les villes et paroisses de notre département oîi nous l'envoyerons et publiées aux prônes d'icelles par les curés.

« Fait à Bordeaux, ce 24 fév. 1745.

« Signé : Aubert deTourny. » Archives de la Gironde. C, u°' 4 et 5.

s V. Archives de l'Hérault. C, 221.

FftAYBUR DK LA COUR 203

en sorte que ces nombreuses assemblées ont eu le sort de l'armée de Gédéon *. » Tout à coup, vers le mois de mai 1746, la persécution parut se ralentir ; les religionnaires eurent mi moment de répit.

La France était depuis loligtemps eno^ag-ée dans une g-uerre désastreuse. Elle avait contre elle l'Angleterre protestante, l'Antriphe et le Piémont qui la menaçaient h ses portes. La cour dans ces conjonctures vint à apprendre qiie des émissaires angolais parcouraient le Lang-uedoc et cherchaient à soulever les religionnaires. Elle s'efîraya. Si cette province se révoltait en effet, et si les Piémontais, envahissant la Provence, se joi- gnaient aux protestants en armés, elle courait un grand péril, èinxi peut-être d'un irréparable désastre. L'in- tendant reçut l'ordre de surveiller attentivement les protestants et il le transmit à tous les commandants du Languedoc.

Un de ces derniers, écrivit aussitôt à Le Nain ;

« ... Votre attention pour la tranquillité de cette provinre ro- iloublant la mienne, j'ai découvert que lors de la guerre qu'un ponseil passionné éleva entf-e la France et l'Espagne, le cardi- nal Alberoni avait dépêché un émissaire nommé f^cipion Sou- lan pour faire soulever les nouveaux catholiques des Oévennes, sur l'espérance d'un puissant secours, mais que M. le duc d'Orléans par un eflet de sa pénétration avait fait échouer cet indigne projet. Le moyen le plus efficace qu'il employa fut do faire agir un ministre nommé Basnage retiré à Rotterdam , dont il avait éprouvé la fidélité dans d'importantes négocia- tions. »

Et il émettait respectueusement l'avis qu'on ferait bien de réimprimer, en y ajoutant un avant-propos, la

i N" 1, t. XVII, p. 5.51. (Janv. 1746.)

204

L'INSTRUCTION PASTORALE

lettre pastorale que l'illustre pasteur avait écrite à cette époque.

Le Nain en écrivit sur-le-champ à Saint-Florentin ; Saint-Florentin approuva le conseil, et le vieil ouvrag-e fut remis sous presse. Bientôt le livre paraissait avec une préface qu'un pasteur du Désert était censé avoir composée. Ce pasteur était probablement l'intendant. L'édition entière fut mise en paquet, et on la répandit dans toute la province. Nîmes eut des exemplaires, le Vigan, Castres, Pujdaurens, les autres villes et les gros bourgs. La distribution de cet écrit donna même lieu à une plaisante aventure. Le Nain avait négligé de mettre dans la confidence tous ses subdélégués. Un comte de Caraman ayant par hasard remarqué au bureau de poste de Toulouse douze petits paquets de la même grosseur, cachetés du même cachet, et qui pouvaient contenir deux feuilles d'impression pliées in- 12, pensa que cet envoi pouvait renfermer quelque mémoire concernant les protestants. Tout ému, il s'adressa au premier président, et le premier président au subdélégué. TIn des paquets fut ouvert, et l'In- struction pastorale mise au jour ! Grand émoi. Le sub- délégué donna immédiatement avis au secrétaire de l'intendant. Mais celui-ci avec un sourire :

« C'est par les ordres de M. l'intendant qu'on envoie de Mon- tauban aux religionnaires du haut Languedoc une Instruction pastorale qui a été faite dans la vue de les empêcher d'assister aux assemblées. Ainsi il est inutile de se donner aucun mou- vement à cette occasion; je dois cependant vous prévenir que c'est avec beaucoup de mystère et de secret qu'on fait répandre cet écrit, et qu'on a pris toutes les mesures imaginables pour que

NOUVELLES FRAYEURS DE LA COUR 205

les religionnaires ne puissent point soupçonner de quelle main il leur vient, sans quoi, vous jugez bien qu'on n'en retirerait aucun avantage. »

Le subdélég-ué se rassura, les paquets arrivèrent à leur destination, l'édition s'épuisa, et les protestants jouirent pendant quelques jours d'une tranquillité re- lative. La face des choses changea si bien que beau- coup de religionnaires dont l'intention était d'émigrer, abandonnèrent momentanément leur projet'.

Quelques mois après, la cour retombait dans les mêmes terreurs. Les troupes françaises battues en Italie, près de Plaisance, s'étaient retirées derrière le Var, et au mois de septembre, quarante mille Autri- chiens envahissaient la Provence. Les Anglais blo- quaient Marseille et venaient d'opérer une descente en Bretagne. Pour la seconde fois, le bruit courut que les alliés avaient des intelligences avec les protestants, que des émissaires couraient le pays et le poussaient à la révolte. Le Nain, très-inquiet, sentait ses craintes s'accroître par la présence de l'ennemi. Il fallait avant tout s'assurer des dispositions des religionnaires, et étouffer dans son germe tout désir d'insurrection, s'il en existait. Le Nain avait à sa dévotion un négociant de Montpellier, protestant, nommé Amiel. Il le chargea d'aller voir ses coreligionnaires et de le tenir au cou- rant de leurs desseins. Amiel ne pouvant s'acquitter lui- même de la commission, s'adressa à un avocat du haut Languedoc : Resch, et à un marchand de Nîmes : Maigre. Il disait à Resch :

' V. Builet., t. V, p. 192 et suiv.

206

NÉGOCIATIONS

(( J'ai cru, Monsieur, pouvoir me confier à vous, pour vous prier, ma lettre rei;ue, de partir subito et incoynito, pour vous rendre aux endroits jiouvcnl être MM. Viula, Corteiz, Oli- vier et autres ministres des diocèses ci-devant nommés, à l'effet de leur comnmnicjuer, chacun en particulier, la présente lettre, sonder leurs sentiments et ]jrcndrc de chacun une lettre (|u'il faut qu'ils écrivent à M. Le Nain iiour lui apprendre ce (|u'ils pensent là-dessus, ce qu'ils prêchent au peuple, et no- tamment qu'ils n'ont avec les Anglais aucun commerce, direc- tement par des émissaires, ni par correspondance, en suppo- sant, comme je le crois, (|ue cela est sûr; au contraire, qu'il» prêchent au peuple la iiatience, la paix, une parfaite obéissance à notre bon roi et ([ue dans tous les temps, surtout dans une descente anglaise, comme celle qui vient d'avoir lieu en Bre- tagne, les protestants seront les iiremicis à prendre les armes et à s'exposer à perdre leurs vies et leurs biens pour le main- tien de la couronne de France... Quittez toutes affaires et ren- dez-vous incessamment auprès des ministres; l'affaire presse; elle est de la dernière conséiiuenco à tous égards. Je m'en rap- porte au surplus à votre prudence. Mais je dois vous observer (jue , dans les lettres que les ministres écriront, il n'y ait point de fatras, ni do demandes de grâces; ils doivent seule- ment s'attacher à la question anglaise, et à ]irévenir (ju'ils ne se lieront jamais à eux contre la France. Voilà l'objet le plus lirincipal duquel ils ne doivent point s'écarter. »

Une copie de cette lettre lut adressée à Maig-re.

Ces deux personnag'es n'hésitèrent point à accepter la commission , et munis de pleins pouvoirs , ils se mirent immédiatement en marche, l un pour le haut, l'autre pour le has Lang'uedoc et les Cévennes. On tou- chait à la fin du mois d'octobre : pas iin instant n'a- vait été perdu. Maig-re entra en rapport avec Rabciut, Pradel, Redonnai; il s'engag-ea ensuite dans les Cé- vennes, \it Boyer et Laferrière, et revint à Montpellier.

DE RESCH ET DE MAIGRE

207

Resch de riou côté vit les pasteurrf du haut Lang'uedoc ; Viala, Corteiz, Loire \ Partout ils recueillirent les as- surances d'un inaltérable attachement à la personne du roi. Le 1'' novembre, les ministres du bas Languedoc, réunis à la hâte, écrivirent à Le Nain :

!■ Monseigneur, nous n'avons aucune coimaissance de ces gens iiu'on appelle émissaires et qu'on dit être envoyés des pays étrangers pour solliciter les protestants à la révolte. Nous avons exhorté et nous nous proposons d'exhorter encore dans toutes les occasions nos troupeaux à la soumission au souverain et à la patience dans les altlictions, et de nous écarter jamais de la [iratique de ce précepte : « Craignez Dieu et honorez le roi. »

« Nous avons l'iionneur d'être, avec le plus profond respect* Monseigneur, vos très-humljl(!s et Irès-oliéissants serviteurs »

Cette lettre collective si claire, si loyale, ne parut point suffisante. Chaque pasteur tint à honueiu" de s'adresser en particulier à l'intendant pour protester de son dévouement et de celui des religionuaires ^. Celui- ci jurait (pril travaillerait comme par le passé à inspirer aux fidèles ces sentiments de patience, de soumission et de fidélité, (pii les avaient fait jusqu'à présent admirer. Celui-là s'afflig-eait des injurieux soupçons qui pesaient sur les protestants. Celui-là encore se disait victime d'une calomnie et affirmait qu'il n'av ait jamais eu de correspondance avec les Angiais. « Pour les émissaires de cette nation qu'on suppose s'être introduits dans le haut Lang'uedoc à notre sollicitation, c'est une im- posture dont le démon seul est capable. » « Il est vrai,

' X" J, I. WII, p. 29'. 2 V. Bull,'/ , t. IX, p. 244. ^ Ibich, p. 236 et suiv.

208 LA COUR SE RASSURE

écrivait Eabaut, que les protestants ont beaucoup souf- fert, en diverses provinces du royaume soit dans leurs personnes, soit dans leurs enfants, soit en leurs biens, et que cela pourrait faire craindre que les exhortations des pasteurs n'eussent pas tout le succès désiré ; mais Votre Grandeur me permettra de lui dire qu'on n'a rien . néglig-é pour former les protestants à la soumission, à la patience et au détachement du monde, qu'on a tâché de leur inculquer que la fidélité envers le souverain est un article capital de notre religion et que personne parmi nous ne peut se dispenser de ce devoir. »

Ainsi , sous le coup d'une nouvelle persécution , ces hommes trouvaient en eux-mêmes assez de par- don, assez de charité pour rassurer leurs persécu- teurs. Victimes depuis deux ans des rig-ueurs royales, ces infortunés traqués par les espions et dont la tète était mise à prix, venaient bénir la main qui les frap- pait et protester de leur pieuse soumission , sans dis- cours, sans enflure, tout simplement, et sans paraître se douter de la grandeur de leur conduite !

Le Nain se tranquillisa, et la cour aussi. Passant même d'une extrême frayeur à une extrême confiance, il fit bientôt une démarche qui montrait bien ses nou- veaux sentiments. Un des pasteurs du haut Langue- doc, Loire, lui avait écrit : « Plut à Dieu que Sa Ma- jesté voulut nous faire la grâce de mettre à l'épreuve ses sujets protestants en leur fournissant quelque occa- sion de se signaler pour son service et celui de sa couronne ! » Ses agents affirmaient en même temps que les religionnaires seraient heureux de donner des preuves de leur dévouement en marchant contre les

OFFRES DE SERVICE

209

eunemiri du royaume. « Je ne puis ({u'applaudir, ré- pondit Le Nain, au zèle et aux bons sentiments qu'ils témoig-nent en cette occasion et je ferai usag-e de leur bonne volonté, si le cas le requiert » Et il les pria de s'informer quelles seraient, par exemple, les forces que les protestants des diocèses d'Alby, Castres, La- vaur et Saint-Pont pourraient au besoin mettre sur pied de g'uerre. Le pasteur Boyer reçut une commission semblable. Il parcourut les Egalises du bas Languedoc et des Cévennes; quelque temps après, il mandait à l'intendant que les protestants n'attendaient que ses ordres pour sacrifier leur vie au service du roi^. Cepen- dant, un colloque s'était réuni dans le haut Lan- g-uedoc. Les prédicants de cette contrée s'y étaient joints aux anciens, et les uns voulaient qu'on promît l'appui des relig"ionnaires, mais sans fixer le nombre des combattants, les autres qu'on offrît à l'intendant dix ou quinze mille hommes'. La discussion se termina heureusement ; Le Nain fut bientôt informé que le haut Lang"uedoc fournirait deux bataillons qu'armerait le g'ouvernement et qu'il entretiendrait à ses frais.

Dans cette dernière circonstance, la cour s'était cru obligée de suspendre momentanément l'exécution de ses ordres sinon dans toute l'étendue du royaume, du moins dans la province l'on redoutait un soulèvement. Il est vrai , les passe-ports étaient soig^neusement vi- sités à la frontière, les relig"ionnaires deParis ne pou- vaient plus se rendre à la chapelle de l'ambassade de

1 1, t. XIX, p. 276. (Nov. 1746.)

2 1, t. XVII, p. 279.

3 Dec. 1746. V. Coquerel, t. II, p. 361.

Il

14

210 LA PERSÉCUTION RECOMMENCE

Hollande, des enlèvements d'ciifauts avaient eu lieu en Normandie, et des amendes frappaient encore quel- ques localités ; mais en Lan^aiedoc' et même en Dau- pliiné, "les amendes étaient plus rares, les prisonniers étaient relâchés, les assemblées moins inquiétées.

L'amiée 1747 s'ou\ rit au milieu des espérances re- naissantes. Les premiers mois s'écoulèrent assez tran- quillement. On se remettait de ses alarmes^ De Nîmes, Paul Rabaut faisait savoir qu'il n'y avait plus ni pri- sonniers, ni amendes. Mais il ajoutait : « Celadurera- t-il? Dieu lésait, et connue nous sommes sous sa main, nous nous abandonnons aux soins continuels de sa di- vine jjrovidence, et attendons tout de sa ])onté. » Or, au moment oii il écrivait ces lij>"nes, une ville des Cé- \emies et son arrondissement étaient frappés d'une amende de 500 livres pour crime d'assemblée^. On passait ainsi tour à tour de la crainte à l'espérance, n'o- sant compter siir l'avenir et se fiant à peine au présent. Cependant les signes d'un orage prochain se multi- pliaient. Çà et là, les gouverneurs faisaient peser de nouveau leur lourde main de fer , et le clergé que les événements politiques avaient l'année précédente rendu moins exigeant, demandait avec persistance de nouvelles mesures de rigueur \

Le moment était favorable. Les troupes alliées avaient été obligées de rétrograder pour assiéger Gènes, et bien- tôt d'abandonner ce siège. Belle-Isle venait de conqué-

1 N" 1, t. XIX, p. 5. (Sept. 1746.)

2 N- 7, t. VIII, p. 45. (Mars, 1747.)

3 N" 1, t XX, p, 73. (Avril 1747.) * Ibid., p. 79.

LA PERSÉCUTION RECOMMENCE 211

vir le comté de Nice et menaçait le Piémont. On ne craig'nait pins les protestants : la persécution recom- mença.

Dans le Poitou, Cliabannes qui n'était pas tendre et (jui commandait les troupes à la Rochelle, écrivait : « Je voudrais placer dans Saint- Maixcnt , Niort et Fontenay deux escadrons de Chabrillaut, un bataillon de la Couronne dans Mesle et les plus g-ros villag'es circonvoisins rapi)rocliant de Niort d'une part et de Manzé de l'autre; vous juyerez par l'état des par- roises qu'habitent les prhicipaux des relig'ionnaires, les motifs que je puis avoir. Quant aux deux autres escadrons de Chabrillaut, je les placerai dans l'Aunis et la Saintonge. » Au mois d'avril, les cavaliers de la maréchaussée tinrent dans un village s'emparer d'un pauvre homme accusé d'avoir exercé les fonctions de prédicant. (Quelques femmes, le voyant g-arrotté, pous- sèrent des cris. Un des cavaliers tira sur elles. Alors, de tous côtés, on accourut ; ils se sauvèrent. Le même jour, dans un autre villag"e, des archers arrêtèrent un protestant. Ses coreligionnaires voulurent le défendre, des archers leur tirèrent des coups de pistolet ' .

En Normandie, les enlèvements d'enfants continuè- rent connue par le passé

« La fureur de nos ennemis augmente, écrivait Paul Rabaut. En vain, avons-nous donné les assurances les jdus fortes de notre fidélité et de notre obéissance, en ■\ ain, avons-nous souffert sans nous plaindre les traite- ments les plus rig-oureux , on continue à sévir contre

1 1, t. XX, p. 249. (Avril 1747 )V. Archives iiai ioualt^s, TT, 32.5. ^ V. Mémoire^ historique, p. 38,

212 SUITLICK l)K DESJOlJRS

nous, et le.s dernières persécutions rencliérisseut sur les précédentes ' . »

Dans le Lung-uedoc, Montauban, Réalmont , Saint- Ambroix, Montpellier, Nîmes, Puylaurens, tiang-es, l)lusieurs autres villes, furent accablés d'amendes. A Quint et à Sainte-Foy deux personnes furent condam- nées à mort par le parlement de Bordeaux, et exécutées en effigie ^.

En 1748, dans le comté de Foix de nouvelles amendes frappèrent les arrondissements de Mazères, du Mas d'Azil, de Laverdure. Les protestants qui ne purent pas les payer, furent traînés en prison.

Dans le Lang-uedoc, Le Nain fit exécuter à Montpel- lier, Jean Desjours, convaincu d'avoir fait partie du ras- semblement qui, deux ans auparavant, avait réclamé à Vernoux le pasteur Désubas''. Revel et Castelnau de Bressac donnèrent au fisc deux mille livres ; Uzès eut trois prisonniers et la même somme à payer. Près de Saint-Ambroix se tint un jour une assemblée. Survint un détachement. Les femmes et les filles furent dé- pouillées, insultées, violées, et quelques Uommes furent blessés.

Les mêmes scènes qui avaient effrayé l'année précé- dente la Normandie, se renouvelèrent avec plus de fréquence; Caen et Rouen furent terrifiés : un g-rand nombre de familles se virent enlever leurs enfants.

Dans le Dauphiné , comme la persécution se ralen- tissait, un curé voulut la ranimer : dans ce but, il ca-

1 N" 1, t. XX, p. 388, (Sept. 1747.)

Mémoire historique, p. 113. 3 V. CoquereJ, t. 1, p. 413.

ABJURATION rrARNAIII) 213

](jmni;i. Les protestants, dit-il, ravaient empêché de célébrer la messe, et avaient voulu l'assassiner. Cétait un mensonp-e. Le juge criminel de Valence informa, découvrit l'imposture. Le prêtre confus charg-ea le prieur de Montélimart et prétendit qu'il n'avait menti qu'à son instig-ation. L'afffiire en resta Au moisdti septembre arriva un triste événement. De Lausanne était récemment venu en Dauphiné unje.une prédicant. Il s'appelait Arnaud, mais en Suisse on le connais- sait sous le nom de La Plaine et en France, depuis sou retour, sous celui de Duperron. A peine ai*rivé, il était tombé malade, et à peine g'uéri, on l'avait fait prison- nier. Les jésuites le circonvinrent, cherclièrent par la menace de la mort à le faire abjurer. Mais lui : « Si je n'ai pas la g-loire de résoudre toutes les objections qu'on peut me faire avec autant de netteté que je le souhaiterais, j'aurai du moins celle, avec le secours de Dieu, de ne perdre jamais de vue mon devoir. » Il ne l'eut pas. Cinquante-quatre conférences et la crainte du supplice triomphèrent de son courage : il finit par apostasier. C'était le premier pasteur qu'épouvantait depuis 1715 la perspective du gibet ^

Cependant la France épuisée d'hommes et d'impôts, après Lawfeld, après Berg-op-Zoom, venait d'accepter la paix que les alliés lui offraient. Des négociations s'ouvraient à Aix-la-Chapelle. Les religionnaires se prirent à espérer que leur bon droit serait défendu par les puissances protestantes belligérantes et qu'un terme

» N" 7, t. IX, p. 647.

« Ibid., p. 700, 577, 594, 609, 632.

214 ENLÈVEMENT D'ENFANTS

serait mis à leurs maux. Il u'eu fut rien. La paix se sig-na; leur espoir fut encore une fois décu.

La persécution suivit son cours, mais ])lus amère aux victimes ; l'avenir se couvrait d'un A oile sombre. L'a- postasie d'Arnaud avait eu un douloureux retentisse- jnent. « Quelle affliction pour l'Eg-lise ! » s'écriait sans cesse Court. La mort du pasteur Claris, ce foug-ueux et irréconciliable adversaire de Boyer, vint ajouter à la tristesse g'énérale. Couragvux, hardi, sévère à lui- même et aux autres, intraitable dans ses colères, il avait fait beaucoup i)our les relig^ionnaires, et n'avait pas été un des moindres appuis pour soutenir dans ce temps d'é])ranlement l'Eg'lise chancelante. Sa mort ar- riva en décembre : elle fut un nouveau sujet de dou- leur'.

L'année 1749 commença tristement Mais faut-il

continuer? Faut-il épuiser cette lug'ubre et monotone liste des mêmes crimes commis, des mêmes souffrances héroïquement supportées? Pourquoi non? Sous quel pré- texte montrerait-on moins de patience à raconter les douleurs des victimes, que celles-ci n'en montrèrent à les endurer ?

En Normandie, il _v eut de nouveaux enlèvements d'enfants. Un d'eux fut pris et enfermé dans la maison des A^our elles catJio/iques d'Wencon-^ il s'évada. L'in- tendant l'apprit et ordonna aux archers de jeter le père en prison, s'il n'indiquait le lieu de la retraite de son fils. Le père ne put l'indiquer : on le jeta dans un cul de basse-fosse

» Dec. 1748. V. Coquerel, t. 1, p. 454. 2 Mémoire historique, p. 47.

PROFANATION DE MORTS

215

Dans le Daupliiiié, un détachement de drag-ons sur- prit une assemblée. L'assemblée fut dispersée à coups (le fusil, et l'on fit plusieurs prisonniers

En Lang'uedoc , l'intendant condamna pour crime d'assemblée quatre religùonnaires aux galères, et son subdélég'ué de Perpignan en condamna deux^ De Revel, un gentilhomme fut conduit au fort de Brescou et sa femme jetée dans un couvent de Montpellier, pour n'avoir pas observé en se mariant les formalités pres- crites. Un fait semblable eut lieu dans une ville des Cévennes. A Lavaur un riche négociant protestant mourut. Deux amis, la nuit, allèrent lui creuser une fosse; ils étaient épiés : on les surprit, accabla de coups. Le lendemain, grand bruit autour de la maison mortuaire. Cependant on parvint, à force de prières et d'argent, à faire déposer le cadavpe dans le lieu con- venu. Mais la populace , ameutée par les pénitents blancs, courut vers la fosse, exhuma le corps, sépara la tète du tronc, et se préparait à lui faire subir des ou- trages plus grands encore, quand les archers surve- nant, empêchèrent de nouvelles profanations.

En Provence, il y eut de semblables scènes. On ve- nait d'enterrer clandestinement un nommé Montagne ; les catholiques accoururent, prirent le cadavre et lui attachèrent la corde au col ; puis, le promenant à tra- vers le village, au son du tambourin et du flageolet, ils le meurtrissaient de coups de talon, disant : « Ce coup est pour telle assemblée tu as été; celui-ci est pour

1 Mcnwire historiqve, \>. W.K tlhid., p. 112. » Ibiâ , p 141.

■m SUPPLICE DE BOURSAULT

celle-là : ah ! pauvre Montagne, tu n'iras plus au prêche à Lourmarin ! » Sous les coups, le cadavre creva. Ces foux furieux attachèrent les entrailles à des perches et les promenèrent en criant : « Qui veut de la Pré- chaille ' ? »

Dans l'Ang-oumois, l'Aunis, la Saintong-e, plusieurs mariages avaient été bénis au Désert par les pasteurs. Le parlement Bordeaux en cassa vingt-trois et dé- fendit aux contractants « de se hanter, ni fréquenter, sous peine de punitions exemplaires. » C'étaient des concubinages, disait-il, et il déclara illégitimes les en- fants qui en étaient issus. Six mois plus tard, en dé- cembre, il renouvela contre sept ménages la même sentence et la menace des mêmes peines -. « Hélas ! s'écriait Court, il n'y a rien de nouveau sous le soleil. De- tout temps, le vent de la persécution a nettoyé l'aire du Seigneur. »

. Dans le Poitou, les archers poursuivaient un jeune protestant ; ils déchargèrent leurs armes sur lui, et le laissèrent mort derrière une haie. Quelque temps après, les soldats firent des prisonniers, dans une assemblée probablement; un d'eux voulut fuir, il fut tué; les autres furent conduits à Poitiers. Le 18 juillet, par ordre de l'intendant, un nommé Boursault fut pendu à Poitiers Il avait aidé à arracher des mains de la ma- réchaussée un de ses amis.

En Languedoc, le 17 janvier, avait paru une ordon-

» Mémoire historique, p. 140.

* Ibid., p. 35 et suiv.

* Ibid., p 138, 125. On tenait beaucoup à prendre les deux pré- dicants du Poitou : Pradon et Dubesset. V. la curieuse correspon- dance qui s'engagea Ifi-dessus. Pièces et documents, n" XIV.

SURPRISE D'ASSEMBLÉES 217

nnnce royale qui confirmait les déclarations et édits concernant les nouveaux convertis de cette province, attribuait au commandant des troupes et à l'intendant la connaissance des baptêmes et des mariages célébrés au Désert, ordonnait que le procès fût fait aux accusés du crime de relaps ou d'apostasie. Le 22 novembre, une assemblée se tenait aux environs d'Uzès. Un déta- chement parut. Selon l'habitude, les religionnaires fu- rent poursuivis et dispersés à coups de fusil. Il y eut trois cents prisonniers qui furent condamnés à la pri- son, à l'amende et aux galères, mais il n'y eut pas de morts : c'était un progrès '. Dans les Cévennes, quatre mariages furent déclarés nuls, et les contractants payè- rent de gros frais de procédure. Au Vans, dans le Vi- varais, trois femmes se trouvèrent dans le même cas. Le Nain apprit qu'à Cette un pasteur avait béni le ma- riage de deux religionnaires ; il les condamna à mille livres d'amende et à une aumône de vingt livres pour les pauvres; il leur enjoignit en outre de se séparer, avec défense de cohabiter ensemble « jusqu'à ce qu'ils eussent fait réhabiliter leur mariage par leur propre curé, en observant les formalités prescrites par les saints canons et les ordonnances royales. » Vers la fin de cette même année, Rabaut avait réuni une assemblée près de Nîmes. La troupe survint, l'assemblée se dispersa. Quelques semaines plus tard, le même événement se reproduisit dans des circonstances analogues, avec cette seule différence qu'il y eut sept prisonniers. Le pasteur Pradel, im autre jour, avait convoqué les reli-

^N.Bullet., t. V, p. 210 et. suiv.

218 NOUVEAU TEMPS ITARRKT.

g-ionnaires à Uzès; les soldats finnit deux cents prison- niers, cin(| hommes furent condamnés aux galères, deux femmes à la tour de ('onstance, et treiite-liuit per- sonnes à six mois de prison

Depuis la paix d' Aix-la-Chapelle la ])ersf''cution s'é- tait cependant un peu ralentie. Les amendes avaient été moins nombreuses, les condamnations plus rares. Il semblait qu'on se lassât de sévir, le pouvoir civil du moins. Il ne s'était pas toutefois éparg-né. Dans un mémoire qui parut plus tard pour servir d'instruction au maréchal de Thomond, il avouait que toutes les res- sources avaient été épuisées. « Il y a eu des procédures, des décrets, des emprisonnements, des condamnations aux g-alères; un ministre a été pendu. Il a été imposé et levé des amendes sur les arrondissements il s'é- tait tenu des assem])lées^ » Mais tous ces coups avaient été frappés sur une enclume trop dure pour en être ébranlée. Depuis long-temps, de Bèze avait dit :

Plus à me frapper on s'amuse, Tant jilus de marteaux l'on y use,

Après cette nouvelle, sangdante et longue expérience, cinq ans ! et comment em^îloyés, on l'a vu ! la cour s'arrêtait donc, revenait à la modération, à la clé- mence. Mais le clergé veillait. En 1745, le roi s'était engagé à extirper l'hérésie; il l'avait essayé, n'avait pas réussi. Le clergé demandait qu'il réussît. Dans les provinces, celles du midi surtout, les évêques très-ar- dents s'obstinaient opiniâtrément à la lutte, et voulaient

» V. Coquerel, t. II, p. 14. s V. Bvllet., t. XVIII, p. 42Î).

ASSEMBLÉE DU CLERGi'';

219

en sortir vainqueurs. A Coutras, c'étmt M. de Saint- .Tal; à Lavaur, M. de Fontanges; à Lodève, M. de Fiunel ; c'étaient encore les évèqnes de Die, de Caliors, mais surtout celui d'Ag-en, M. de Cliabannes, celui d'Alais, M. de Montclus ' et l'abbé de Caveirac. D'ail- leurs ils se sentaient appuyés à la cour. Depuis 1749, Saint- Florentin avait otficiellement le département de la maison du roi, partant la direction des affaires re- lig"ieuses; sa réputation était faite; son nom était au bas de toute>s les mesures de répression. En outre, l'ancien évèque de Mirpoix, Boyer, avait la feuille des bénéfices ecclésiastiques, et c'était une créature des jé- suites. L'intendant du Languedoc, Le Nain, venait il est vrfii, de mourir. Mais tout intendant n'était-il pas aux ordres de la coiu"? Au surplus, son successeur était merveilleusement disposé. Il était du parlement de Grenoble, et s'appelait Jean-Emmanuel de Guig-nard, vicomte de Saint-Priest.

En 1750, au mois d'avril, le clerg-é de France, réuni en assemblée générale, tint à Paris ses solennelles as- sises. Quand il fut question « des entreprises des reli- gionnaires, » l'arclievêque d'Albi et celui de Bordeaux, les évèques d'Alais, de Rieux, de Bayonne, de Gap, se plaignirent amèrement "\ Les prédicants, « gens sans aveu, » redoublaient d'audace; les assemblées se mul-

* Montclus (lisait {BiiUet., IX, p. 4-13) « que la cause de tous les 0 maux dont l'Etat se plaignait, consistait en ce que les magistrats

s'étaient relâchés de la sévérité des ordonnances, qu'un ne ris- quait rien de persécuter les protestants, et que leur sortie du royaume n'était plus à craindre comme autrefois. » N'oublions pas aussi que c'est en 1751 que l'évèque d'Agen envoyait au contrôleur général sa fameuse lettre « sur la tolérance des Huguenots dans le royaume. »

* V. ('(illectio)i des proc^s-rerJiuux, etc., t. VIII, p. 340.

220 RÉPONSE DE LOUIS XA'

tipliaient; les. l^aptèmes et les mariag-es étaient l)éni,s au Désert; des catholiques, « esprits lég-ers et impru- dents, » embrassaient la R. P. R. On décida qu'un mémoire serait présenté au roi, et que l'on y réclame- rait la mise en vig-ueur de l'édit de 1724. Il fut pré- senté. Louis XV répondit au député qu'il venait de donner les ordres les plus précis pour faire exécuter en Lang-uedoc la déclaration de 1724, et qu'il en don- nerait volontiers de particuliers, selon l'exigence du cas, pour les faire exécuter dans les autres provinces. Le clergé se déclara satisfait.

Quelques mois plus tard, les soldats des dernières guerres arrivaient en Languedoc. « On commença, dit Rabaut, à mettre des détachements en campagne au mois de novembre 1750. »

Mais comment combattre le mal. Jusqu'alors on s'était surtout attaqué aux assemblées; ou avait fait des prisonniers et imposé des amendes. Les galères s'étaient remplies, les gibets avaient été élevés, le fisc s'était enrichi; les religionnaires n'avaient pas été domptés. Ce système était convaincu d'impuissance. Il fallait en chercher un meilleur*. On s'attaqua à la famille ?

Voulez-vous, écrivait-on en 1750 à Saint-Florentin % voulez-vous ruiner en peu de temps le protestantisme ^ Chassez du royaume les ministres et les proposants de

1 Cette dernière persécution ne s'exerça qu'en Languedoc.

2 V. Bvllet., t. Vn, p. 39. Nous disons 1750, non 1751, comme l'indi- que [e Bulletin. Saint-Florentin répondit à cette lettre le 28 mai 1750.

NOUVEAUX PROJETS 221

cette secte. Comment '! Enfermez dans un couvent les femmes de ceux qui sont mariés, dans une citadelle les pères de ceux qui ne le sont pas, et publiez bien haut que vous ne les rendrez à la liberté que lors- que fils et maris auront passé la frontière. L'expérience prouve l'efficacité du moyen. Le mini.stre Court serait encore en France, si sa femme n'avait pas été menacée du couvent, et le ministre Marog'er , si la sienne n'avait pas été internée au monastère de Lodève. Ayez le courag-e de cette mesure : le succès n'est point dou- teux. Plus de pasteurs, plus de baptêmes, ni de ma- riages au Désert. « Les enfants qui cesseront d'être catéchisés ne suceront plus avec le lait, pour ainsi dire, des préventions que l'âg-e fortifie et qu'on a peine à détruire. Les pères et mères ne craig-nant plus les menaces et les reproches des ministres se rendront plus facilement aux instructions des curés, et ceux-ci soutenus d'ailleurs par l'autorité du roi, se rendront bientôt maîtres des enfants. La relig'ion sera sauvée et l'Etat aussi. »

Quelque temps après , Saint-Florentin répondait : « Dans l'espèce d'impossibilité l'on est d'arrêter les ministres et prédicants qui ne font que se multiplier en Lang-uedoc, je suis -assez porté à croire qu'il serait utile d'adopter en partie le projet que le sieur *** pro- pose, et que l'on pourrait les intimider et même les

(V. Coquerel, t. II, p. 21.) Quel était Tauteur de ce mémoire ? Le même assurément qui envoya à l'intendant le signalement des iiasteurs (V. Bullet., VII, p. 462.) Tout nous j)orte à croire, les dernières li- gnes surtout, que c'était le fameux espion Puechmille récemment re- commandé à la cour.

222 SAINT-I'RIKST

écarter si l'on emprisonnait les femmes, leurs fiancées, leurs pères et mères, ou autres parents ... »

Ce projet cependant fut provisoirement abandonné. D'autres mesures avaient été résolues; elles allaient être mises en vig-ueur.

Le successeur de Le Nain, Saint-Priest, venait d'ar- river en Lang'uedocen 1750. Il était clmr»ré, dit Males- lierbes, de deux missions : la première de faire entrer le clerg-é dans les vues du g-ouvernement sur les ma- riages des protestants ; la seconde de faire rigoureuse- ment exécuter l'édit de 1724 ^ Dès son arrivée il .s'ac- quitta de la seconde. Au mois de mars, deux assemblées s'étaient tenues, l'une dans un village du bas Langue- doc, au Caviar, l'autre <m N'igan; les troupes les sur- l)rirent et firent des ])risonnierë : trois d'entre eux furent enfermés au fort de Brescou. Quelques jovu's après, sur les bords du (rardon, un jeune prédicant prêchait : l'auditoire était nombreux. Le commandant d'Anduze arriva avec trente soldats, fit charger cette foule sans défense, et s'empara de quelques vieillards. Ceux qui avaient fui, revinrent sur leurs pas et deman- dèrent la mise en liberté des captifs. Le commandant, ]jour réponse, ordonna à ses hommes de faire feu : trois protestants furent tués, beaucoup d'autres blessés'.

Ce n'était ((u'uu prélude à de plus rigoureuses exé- cutions. On était après tout, habitué à ces façons pé- remptoires : elles dataient de loin. Saint-Priest ne ve- nait })as dans le Languedoc pratiquer la persécution

' Cuquerel, t. II, p. 29. (28 mai 1750 )

2 Malesherbes : Mémoire sur le mariage des protesta nts, p. 86 ^ V. Mémoire historique, p. 138.

m-

NOUVEAUX ORDRES 223

comme l'avaient pratiquée ses prédécesseurs : il était porteur de nouveaux ordres.

Pourquoi le protestantisme n'avait-il pu être abattu ? On l'avait dit récemment : parce que l'enfant suçait avec le lait maternel des « pi'éventions » que l'âg'e ne faisait (|ue fortifier. L'enfant naissait, grandissait au Désert. Ainsi surg'issaieut chaque jour des jeunes gens qui coml)laient les vides faits par la prison et le g'ibet. Les fig-iires chang-eaient, non les cœurs. Mais qu'on en- levât les nouveau -nés à leurjjère, qu'on les fît baptiser selon les rites de l'Eg-lise, (ju'on les envoyât, plus tard, aux écoles catholiques, et (pi'on convertît ces jeunes âmes au dogme catholique..., n'était-il pas évident (]ue le protestautisme mourrait d'é})uisement ? Il tal- lait en effet des remplaçants à ceux qui périssaient. Or, quelle génération succéderait à celle dont les moyens de persécution et la mort naturelle auraient bientôt amené la fin? Raisonnement très -juste! On avait rt-cemment essayé de l'appliquer dans plu- sieurs provinces, spécialement en Normandie. Que d'exécutions de ce genre ! Les mémoires du temps sont remplis de ces tragiques aventures. Dans une ville, lui village, un enfant disparaissait. était-il ? Au couvent : quelques personnes pieuses y veillaient à .son éducation... Mais c'étaient des faits isolés. La mesure n'avait jamais été générale. Elle allait le devenir.

Il y avait en outre une raison politique. Le clergé seul, en conférant le baptême au nouveau-né, pouvait lui donner l'état civil. Dépositaire des registres, c'était lui .qui affirmait la légitimité de l'enfant. Mais le reli-

224

L'ÉTAT CIVIL

g"ionnaire, depuis 1740 surtout, n'entendait pas que le curé baptisât son enfant; il l'emportait au Désert, le faisait consacrer par le pasteur. Qu'advenait-il':' Le nouveau-né n'ayant pas été présenté à l'Eg-lise, rE{>-lisc ne le reconnaissait pas, le déclarait bâtard. Il en était de même des mariag'es. Les relig"ionnaires faisaient bé- nir au Désert leurs unions, mais l'Eg'lise seule pou- vait lég"alement joindre les contractants par des nceuds indissolubles. Elle déclarait donc illég-itimes, et appe- lait concubinages les mariag'es des protestants. (jlrand dang-er non-seulement pour la religion, mais encore pour l'Etat ! Deux millions d'hommes vivaient à part, hors l'Eglise, hors la loi. L'assemblée géné- rale du clergé n'avait point oublié de le dire au roi dans son dernier mémoire*...

« La religion gémit do ces prétendus mariages; elle ne peut les regarder que comme des concubinages publics et scanda- leux; ils ne peuvent trouver de protection et d'ajjpui que dans la secte, et par là, ils sont pour ceux qui s'y sont engagés un nouveau lien qui les attache fortement à l'erreur et un nouveau motif de s'éloigner de l'Eglise qui les réprouve. Les enfants qui en iiroviennent formeront dans quelques années un peuple nouveau ennemi de l'Etat, de la religion et des lois qui les dé- clarent illégitimes, un peuple déterminé par honneur et par intérêt à soutenir et à défendre la secte qui justifie la tache de leur origine. »

Il fallait mettre un terme à ce scandaleux état de choses, et le faire cesser par tous moyens, les moyens fussent-ils excessifs, radicaux.

' Collection des proces-verbaux, etc., p. 345.

LE UEBAPTISEMENT

225

Donc, en 1751, au mois d'avril, le nouvel intendant du Langaiedoc, Saint-Priest, fit afficher dans la pro- vince entière une ordonnance qui défendait aux relig-ion- naires non - seulement de se marier au Désert, mais encore d'y faire baptiser leurs enfants Cette ordon- nance avait un effet rétroactif. Elle enjoignait aux pa- rents de se rendre aux ég'lises paroissiales et d'y con- duire leurs enfants déjà baptisés « afin qu'on put leur suppléer les cérémonies de l'Eglise romaine. » Un délai de quinze jours était accordé pour obéir. Ce délai expiré, les curés étaient chargés d'envoyer à l'inten- dant la liste des récalcitrants, et Saint-Priest se réser- vait le choix du châtiment. Il voulait cependant croire que personne n'oserait résister à ses ordres ; en tout cas, il annonçait qu'il serait inflexible.

Pendant quelques jours , les mesures restèrent en suspens. Une foire célèbre se tenait dans une ville du bas Languedoc, et beaucoup de religionnaires, hommies notables, marchands, négociants, s'y étaient suivant une ancienne habitude donné rendez- vous. On crai- g'uait de ne pouvoir pas agir efficacement.

Cependant tout était prêt. Les subdélégués avaient reçu les instructions de l'intendant, et ils les avaient transmises aux commandants, aux consuls, aux curés. Bientôt dans toute l'étendue de la province, les reli- gionnaires reçurent l'ordre d'aller à l'église, se faire remarier ou faire rebaptiser leurs enfants. Mais ceux-ci

' Remarquons qu'il suivait à la lettre les conseils donnés par l'évéque d'Alais dans sa lettre de 1751 Saint-Priest vint lui même à Mîmes, vers la fin de 1751, manda devant lui les principaux protes- tants et leur enjoignit de porter leurs enfants à l'église. 1, t. XXVI, 1). 25.

II. 15

22<) LK REIUPTISKMKNT

('tonnés de cette atteinte nouvcîlle ])ortée aux droits les plus sacrés, restaient immobiles, et ne cédaient ni aux prières, ni à l'intimidation. Les uns écrivaient à l'inten- dant pour s'informer si ces dispositions cruelles éma- naient de la cour ou de son autorité privée; ils annon- çaient que dans le dernier cas, ils désobéiraient. Les autres, malg-ré la menace desprocliainescondanniations, persistaient dans leur nuiette obstination et refusaient de se rendre à l'ég-lise * .

Il fallut recourir à la force. L'intendant savait sur qui ses coups devaient spécialement tomber. De cha- que ville, de chaque villag-e, les curés, les consuls ou le subdélég'ué avaient en\oyé soigneusement à Saint- Priest la liste des récalcitrants. « Qu'hésitez-rous? ajoutaient-ils. Faites des exemples ! » Saint-Priest in- clinait naturellement vers la rig-ueur. Il marqua sur les listes (pi'on lui présenta les principaux protestants, et il les livra à ses ag*ents, (|ui n'attendaient pour agir que des ordres nouveaux ^.

Il y eut de terribles châtiments. Ici, les religion- naires furent accablés d'amendes, là, les prisons regor- gèrent d'hommes, de femmes « et même d'enfants à la mamelle. » Le Languedoc se vit traité en pays con- quis

C'est alors qu'un espion aux gages de la cour fut

1 Archives de l'Hérault. Lettres du subdélégué d'AIais, des consuls de Ganges, du Vigan, etc. (1751 )

2 L'ensemble de cette correspondance forme plusieurs énormes liasses. Le Bulletin eu a déjà publié (t. III, p. 479) un fragment. Nous en donnons un autre. V. Pièces et documents, XIV. Il s'agissait du rebaptise ment h Nîmes.

3 V. Bullet., t. X. p. 69, les amendes qui frappèrent quelque.s gen- tilshommes.

TERREUR GÉNÉRALE 227

assassiné. Pai* les protestants? Peut-être. Mais rien n'est moins sur. Il se nommait Lefèvre, et dirigeait les patrouilles qui recherchaient les pasteurs, et les dé- tachements qui couraient sus aux assemblées. Un jour du mois de juin, on le trouva mort chez lui. Des mains inconnues l'avaient percé de coups de couteau. L'in- tendant fit faire des recherches pour découvrir les meurtriers, mais ses recherches furent vaines.

Une immense terreur cependant pesait sur le Lan- g-uedoc. L'alarme était devenue si g-rande que les reli- gionnaires abandonnaient leurs demeures et ne logeaient plus que dans les cavernes et dans les bois. « Les maisons demeuraient. désertes, les déserts se peuplaient de fugitifs; les terres restaient en friche; celles qui étaient cultivées voyaient périr leurs moissons faute de mains pour les recueillir; les fabriques étaient a])andomiées, et le commerce ne faisait plus que lan- guir. » Les catholiques, à la vue de ces bandes errantes de fugitifs, s'armaient; les religionnaires se mon- traient très-aigris, sombres, irrités; une étincelle pou- vait allumer la guerre civile. Saint-Priest, très-ému, écrivit à ses subdélégués :

('Je suis informé que nombre de religionnaires de votre dé- partement, coupables de mariages ou baptêmes au Désert, ont quitté leurs maisons et se sont mis aux champs, dans la crainte qu'il n'y ait des ordres expédiés pour les emprisonner, comme plusieurs de leurs voisins. Si cette crainte est fondée, ils ont un moyen bien simple delà dissiper, on envoyant leurs enfants à leurs curés, pour leur faire suppléer les cérémonies du bap- tême; mais si c'est par obstination et dans un esprit de dés- obéissance qu'ils ont pris le parti de la fuite, ils se flattent en vain qu'on dissimulera, ou qu'on oubliera leur entreprisé C'est

226

TERREUR GÉNÉRALE

une résolution prise de les obliger à se mettre en rèf,'le, et ils se font illusion, s'ils espèrent que le roi changera de sentiment, ou que je négligerai l'exécution des ordres précis que S. M. m'a donnés à ce sujet. Je veux bien cependant et pour leur faire savoir que je n'userai de rigueur, que lorsqu'ils m'y forceront, leur donner encore un délai, afin que ceux qui ont pris l'alarme se rassurent, et reviennent dans leurs maisons continuer la culture de leurs terres et de leurs récoltes »

Les protestants revinrent dans leurs demeures. A peine rentrés, ils furent de nouveau poursuivis. Ils prirent une seconde fois la fuite. « Ce sont toutes ces rigueurs, écrivait le secrétaire d'Etat à l'intendant, qui ont causé les désordres auxquels il s'agùt de remédier, et non la tolérance que le clerg-é reproche assez ou- vertement au gouvernement... Les lois pénales qu'il ne cesse de réclamer ont toujours été exécutées. Mais l'expérience de tous les siècles de l'Eglise montre assez qu'elles ne suffisent pas pour extirper l'hérésie, et que la douceur, la patience et la charité sont les véritables moyens que la Providence a elle-même em- ployés et qu'elle a laissés aux pasteurs pour l'étabhsse- ment de la foi ^. » Les mesures de Saint-Priest n'a- vaient eu en effet que de médiocres résultats, et le suc- cès espéré était loin d'être complet. Il y parut bien, lorsqu'à la fin de l'année on voulut connaître la situa- tion de la province. Si quelques communautés s'étaient montrées dociles, si quelques protestants avaient porté leurs enfants à l'église, combien d'autres, dans le ba.';; Languedoc surtout, avaient persévéré dans leur con-

1 V. Mémoire historique, p. 56. (1" sept. 1751.) V. Coquerel, t. II, p. 48.

SUPPLICE DE BÉNÉZET 229

chiite, et résolu de tout souffrir plutôt (jue de se sou- mettre aux ordres de l'intendant ' !

Saint-Priest cependant s'était eng'ag-é à vaincre. Il était très-irrité des obstacles qu'il rencontrait, et dé- cidé à les renverser. Ayant la force, il voulait avoir le triomphe.

Il org-anisa des drag-onnades.

En même temps qu'il se préparait à frapper ce coup, l'occasion se présenta d'épouvanter les populations. Au mois de janvier 1752, deux jeunes prédicants furent pris. « J'apprends avec bien du plaisir, par la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire, le P'' de ce mois, qu'enfin l'on a arrêté un prédicant. Du moins nous pouvons faire un exemple, et cet exemple pourra éloigner beaucoup de g'ens de cette espèce, qui avaient lieu de se persuader, par le long- repos ils ont vécu, qu'il était impossible de les surprendre ^ » L'un de ces deux jeunes hommes s'appelait François Bénézet; l'au- tre, Molines, dit Fléchier. Le premier subit le dernier supplice à Montpellier, avec une admirable fermeté ^ ; le second abjura et fut transféré au séminaire de Vi- viers. Quant aux femmes chez lesquelles s'était opérée la capture, elles furent enfermées à la tour de Cons- tance \ Après l'exécution de Bénézet, Saint-Priest écrivit : « Il est juste de faire payer au dénonciateur

1 V. les listes aux Archives de l'Hérault.

* V. Coquerel, t. II, p. 52 et suiv.

3 V. la complainte qui fut faite. BuUet., t. XIV, p. 258.

* On exécuta aussi Jean Roques, protestant de Beauvoisin, qui, pris dans une assemblée, avait mis en joue rofficier commandant le déta- chement. V. Mémoire historique, p. 126 et Archives de l'Hérault. C. 234.

230 LES DRAGONNADES

la somme qui doit lui appartenir. Le roi approuve la gratification de 480 liv. que vous avez fait donner à celui qui a procuré sa capture, et celle de pareille somme que vous vous proposez de faire payer aux drag-ons du régiment de la Ferronaye. » Dragon et espion ! Les deux métiers étaient lucratifs.

Tout allait à souhait. L'arrestation et la mort de François Bénézet venaient de répandre une salutaire terreur, et les mesures décrétées étaient en cours d'exé- cution. Ces dernières étaient fort simples. Elles con- sistaient à envoyer dans les villes et les villages récal- citrants un certain nombre de dragons ou de cavaliers de la maréchaussée. Dès leur arrivée, les soldats étaient placés dans les familles des religionnaires et leur remettaient un ordre ainsi conçu :

« Il ost ordonni'i au S'' N*** de faire porter à l'Eglise de sa " paroisse eeux de ses enfants qui n'y ont pas encore été bap- « tisés, et c'est dans trois jours, à compter depuis la date de la » notification du présent ordre qui sera faite par le N***, et « de justifier dans ledit délai, par un certificat de son curé, du ■< baptême do ses enfants; le tout, sous peine de désobéis- « sance et d'être poursuivi incontinent après, suivant la rigueur « des ordonnances »

Le père de famille était obligé de payer au cavalier quatre livres par jour, jusqu'à parfaite obéissance. S'il n'obéissait pas, la garnison était renforcée.

Des détachements se répandirent aussitôt dans la province.

Un des premiers villages ils s'arrêtèrent, fut,

* Y. Mémoire historique, p. 62.

LES DRAGONNADES

231

dans le hna Lang-uecloc, le Caylar'. Le commandant de la troupe s'appelait Pontual. C'était un homme brutal, inflexible, et qui n'entendait pas (ju'on le bra- vât. A peine arrivé : « Que personne ne se flatte, cria- t-il ; il faut que tous les hug'uenots obéissent ou qu'ils périssent , dussé-je périr moi-même ! » La terreur remplit tout le villag-e, car les soldats étaient les maîtres. Alors on vit un spectacle navrant. Hommes et femmes avaient pris la fuite. Le villag-e était désert. Les catholiques et les soldats s'étaient mis à traîner les enfants à l'ég-lise. « Mais il y avait de ces enfants d'un certain âg'e, qui ne voulaient point absolument se laisser mener à l'ég'lise et qu'il ftillait traîner à force de bras ; d'autres perçaient les cœurs et les airs des cris les plus touchants ; des troisièmes se jetaient en lion sur ceux qui voulaient les saisir, et leur déchi- raient avec les mains et la peau et l'habit. » Cepen- dant, entouré de son clerg-é, le curé impassible fai- sait lentement tomber des gouttes d'eau bénite sur ces jeunes fronts superbes

Ces scènes qui épouvantèrent le Caylar se reproduisi- rent dans tout leLang'uedoc. Les drag'ons et les cavaliers de la maréchaussée exécutaient les ordres sans hésiter, froidement, méthodiquement. Ils ne quittaient un en-

» 30 janv. 1752.

* V. Mémoire historique, p. 63 et suiv. Voici une pièce curieuse qui se trouve aux Archives de l'Hérault, et que nous reproduisons textuellement. C'est un certificat de baptême que l'on attachait à la coiffe des enfants baptisés par force à l'église. « Balisé par Monsieur peaul ral)ot pastur ministre du saint evangille et sertihë que le trei- sième juillet mil sept sans quarante Nuf, j'ai batissé Marguerite Calvot. M"' je m'en décharge et je vous en charge devan Dieu, car ils sont batisé au nom du pére et du fils et du saint esprit. »

232 LES DRAGONNADES

droit que lorsque tous les enfants en avaient été rebap- tisés. Ainsi, on les vit paraître, s'installer et ag-ir à (îraissessac, à Bédarieux, à Saint-Geniès, Colorg-ue, Saint-Chapte, Moussac, Lussan, Vauvert, Aimarg-ues, Marsillarg-ues, Codog-nan, Milhaud, Cassag-noles, Car- det, Lézan, Quissac. Déjà même ils pénétraient dans les Cévennes, et le paj^s était dans l'effroi, quand ils furent obligés de s'arrêter.

Au mois d'août, six cavaliers de la maréchaussée commandés par un brigadier venaient d'arriver à Lé- dignan. Leur but, on le connaissait, « était de contraindre par la voie de garnison quelques N. C. à envoyer à l'Eglise leurs enfants baptisés au Désert *. » De sourdes rumeurs couraient cependant les villages environnants. La femme, disait-on, qui avait livré Désubas était morte assassinée par une main protes- tante; à Vauvert, des gerbiers avaient été incendiés pour propager le feu aux maisons. Les religionnaires de Lédignan et des environs se montraient très- excités, et la vue de la maréchaussée augmentait en- core leur irritation. Mais rien ne fiiisait prévoir un conflit entre les cavaliers et les religionnaires. Et de fait tout se passa tranquillement.

C'étaient surtout les curés qui dans ce pays tout rempli du souvenir des camisards portaient le poids de la haine publique. On les règardait comme les seuls instigateurs de la persécution. Quelques jours après l'arrivée de la maréchaussée, le 11 aoiît, au matin, le prieur de Ners venait de monter à cheval,

1 Archives de l'Hérault. C. 234. (Saint-Priest à d'Argenson.)

TENTATIVES D'ASSASSINAT

233

et suivait la route de Nîmes pour se rendre à Véze- nobres. Il n'avait pas fait quelques pas qu'il aper- çut, venant à sa rencontre, deux prédicants armés de fusils. Il passa son chemin. Tout à coup, soit curiosité, soit crainte, il tourne la tète pour voir une seconde fois les prédicants. Un coup de fusil retentit, et il tombe de cheval, g-rièvement blessé. Le compa- gnon de l'assassin accourt pour l'achever et lui assène des coups de crosse sur la tète. Il reste mourant au l)ord du fossé. Bientôt des secours arrivent ; on le trans- porte dans sa demeure, et il trouve assez de force pour raconter l'attentat dont il vient d'être victime

Le soir du même jour, le curé de Quillan dormait tranquillement, lorsque vers onze heures, on frappa à coups redoublés à Sa porte. Il se lève, paraît à sa fenêtre et demande ce qu'on lui veut. A peine s'est-il montré qu'une balle lui fracasse le bras, et il tombe inanimé sur les dalles de sa chambre ^.

L.e lendemain, 12 aoiit, le curé de Logrian revenait de Quissac à sa maison paroissiale. Sur la route, trois hommes étaient cachés en embuscade. A son approche ils se lèvent, tirent sur lui, et le laissent pour mort. Il en guérit cependant, lui et son confrère de Quillan. Le prieur seul de Ners mourut de ses blessures, plu- sieurs mois après

Quels étaient les auteurs de cette triple tentative d'assassinat? Des protestants, point de doute. Mais

' Archives de l'Hérault. C. 234. Nous puisons tout ici. Inutile de dire que nous corrigeons le récit de Coquerel. « Archives de l'Hérault. C. 234. » Ibid.

234 TENTATIVES D'ASSASSINAT

l'enquête que le subdélégué Teuipié commença aussitôt, ne put faire découvrir leurs noms. On ne connut que l'assassin du prieur de Ners. Il s'appelait Coste.

Tout d'abord, l'intendant partag'ea l'opinion qu'un vaste complot avait été formé et que c'en était le début ; mais il fut prouvé (pi'elle n'avait rien de fondé. Coste qui était orig-inaire de Mialet, avait fait ses études à Lau- sanne, et récemment il avait épousé une jeune tille de Ners. Il était pasteur de ce dernier villag-e. L'automne précédent, un détachement de soldats l'avait obligé de fuir; depuis lors il errait de maisons en maisons. Sur qui faire retomber la responsabilité de ses maux et de ceux de ses corelig-ionnaires? Sur le curé. Il le haïs- sait. D'ailleurs, disait-il, il s'était trouvé dans le cas de légitime défense. Il revenait de Vézenobres, quand le prieur s'y rendait ; ils se rencontrèrent. En le voyant, son ennemi prit les rênes de son cheval à la bouche, tira ses pistolets, et les dirig-ea sur lui. Il le mit alors en joue et tira Version fort croyable. Quoi qu'il en soit, l'assassinat n'était pas prémédité. Ce furent aussi les passions surexcitées qui occasionnèrent les deux autres meurtres. Le brig-adier de la maréchaussée et ses pavaliers quittaient chaque jour Lédig"nan, et de villag'es en villages, allaient intimer l'ordre aux reli- gionnaires de faire rebaptiser leurs enfants. A Logrian, pour éviter les garnisaires, ces derniers se soumirent, portèrent leurs enfants à l'église. Quatre jpurs avant le meurtre, vingt et un baptêmes avaient été déjà^ administrés. Mais bien des gens étaient à bout de

1 N" 1, t. XXV, p. 769. Le vrai nom de Coste était Marc Portai

FRAYEUR DU CLERGÉ 235

patience : alors eut lieu la tentative de meurtre. C'est ainsi rlu moins que le curé de Logrian s'expliquait et expliqua l'attentat dont il avait été victime Il en dut être de même à Quillan. L'excès de la souffrance avait armé les assassins, mais il n'y avait eu entre eux nulle entente, nul complot.

Cependant à la nouvelle de ces événements, l'alarme s'était répandue dans la province. Des rapports adressés à l'intendance annonçaient qu'une révolte était immi- nente, qu'il y avait nombre de rebelles, et qu'une nouvelle g-uerre de camisards allait éclater. Ces bruits habilement propag-és entretenaient la terreur. Les curés surtout se montraient eti'rayés, les uns par po- litique, les autres l'étant en réalité. On en vit qui ne se croyant plus en siireté dans leurs demeures, se réfu- g'ièrent auprès de leur évèque. Mais beaucqup exploi- taient contre les protestants l'horreur de ces crimes. Celui-ci écrivait qu'on le voulait assassiner; celui-là (ju'on avait tiré sur lui, mais que la balle « n'avait en- dommag'é ni os, ni nerfs ^ » Tous s'accordaient k de- niander de prompts secours et une prompte répression.

« Les rebelles sont à nos portes ; ils sont au nombre de six cents dans les bois de Saint-Bénézet commandés par Dé- ferre et Goste, ministres. Plusieurs curés tués ou blessés vous avertissent que nous avons besoin d'un profond et puissant se- cours. Si vous n'envoyez des troupes à Saint-Mamert, à Fon?, à Gajan, à la Rouvière, à Montagnac, si vous n'augmentez celles de Saint-Geniès et de la Cahnette, c'en est fait de tous les prêtres et des catholiques de ces environs »

1 Archives de l'Hércault. C. 234.

* Ibid. Le curé d'Anduze.

3 Ibid. Lettre du prieur de Gajan.

230 L'INTENDANT SE RASSURE

Saint-Priest envoya quatre-ving-ts hommes à Lédi- g-nan. C'était un petit renfort ; mais un envoyé de la cour, le marquis de Paulmy, était en Lang-uedoc pour passer les troupes eu revue et il était impossible de distraire des cadres un plus grand nombre de soldats. En même temps, le subdélég-ué de Nîmes reçut l'ordre de faire arrêter le principal auteur du crime, le mi- nistre Coste. Au mois de septembre, Coste n'était pas pris. On fit alors publier, au son de trompe, que qui- conque donnerait asile au meurtrier serait lui-même pendu. Vaines menaces! Le présidial de Nîmes ne put que le condamner, par contumace, à être rompu vif et brûlé*. Plus tard, un évèque parlant de Coste à Saint-Priest lui disait : « Nous savons bien que s'il avait assassiné un de vos préposés au vingtième, vous auriez trouvé le moyen de le faire arrêter. »

Ces tentatives de meurtre avaient d'abord jeté la cour et l'intendance dans de grandes perplexités. On se rappelait la mort mystérieuse de l'espion Lefèvre et de la femme Villaret : tout faisait craindre que les re- ligionnaires ne se portassent à de graves extrémités. Mais Saint-Priest qui était sur les lieux n'avait pas tardé à réduire les bruits à leur juste valeur, et bien- tôt il avait envisagé la situation sous son vrai jour. Le 21 août, complètement rassuré, il demandait à Saint- Florentin de nouveaux ordres pour reprendre la persé- cution.

« Si quelques assassinats, disait-il, commis par des bandits ayant des ministres à leur téte, paraissaient faire impression

» 1, t. XXV, p. 783.

ARRIVÉE DE RICHELIEU

237

sur le gouvernement au point de suspendre l'exécution des ordres que personne n'ignore avoir été donnés ; si on témoi- gnait une pareille failjlesse dans un temps nous avons beau- coup de troupes dans la province, quelles espérances ne conce- vraient pas les N. G. dans des temps moins heureux, la guerre forcerait le roi de retirer ses troupes... Je crois donc, Monsieur, qu'il est indispensable de suivre les ordres précédem- ment donnés sur les mariages et les baptêmes. Une doit être question que des moyens qu'on emploiera pour y parvenir*. »

Et Saint-Florentin lui répondait : « Ce serait tout perdre que de mollir en une pareille circonstance, et l'intention du roi est que vous continuiez à agir avec la même fermeté et la même prudence ^ » La plus g-rande confiance succédait ainsi aux craintes de la première heure.

Tout à coup cependant, on suspendit encore la per- sécution.

Au mois d'octobre, le duc de Richelieu vint en Lan- guedoc reprendre le commandemeiit militaire que la dernière guerre l'avait obligé de déposer. On redoutait beaucoup son arrivée, et ses instructions étaient en effet très-sévères dans la forme : « Les désordres du Lan- guedoc vous sont connus, et vous savez combien il de- vient, de jour en jour, plus important de les répri- mer... Le roi espère que vous profiterez du séjour que vous allez y faire pour remédier à tous ces maux. » Il

1 Archives de l'Hérault. C. 234.

2 Ibid. C. 437. - (3 sept. 1752.)

Et d'Argensoii encore : (4 sept. 1752.) « Vous avez vu par M. Je Saint-FJorentin que l'intention du roi était que vous continuiez de faire exécuter ses ordres avec la même fermeté et avec la même prudence, et je n'ai qu'à vous inviter d'y apporter à l'égard de M. de Moncan le même concert que vous savez que je lui ai recommandé d'apporter avec vous... » Archives de l'Hérault. C. 438.

238 LETTRE DE SAINT-FLORENTIN

avait ordre d'arrêter ou de chasser les ministres, ordre de faire cesser les assemblées ; pour les moyens, ou s'en rapportait à sa prudence. Mais dans un point, point capital, la cour, ô miracle ! reculait. «...Vous devez particulièrement vous attacher à la matière des mariag'es et des bai^têmes. Le point essentiel serait d'eng'ag-er MM. les évèques à rendre l'administration de ces sacrements plus libre et à supprimer quelc^ues conditions qu'ils y ont attachées depuis peu, et qui en éloignent les N. C. » Les curés devaient en consé- quence ne plus déclarer bâtards les enfants des reli- g'ionnaires, et bénir tous les fiancés qui se présen- teraient dans leurs ég-lises, sans exig-er d'eux ni communion, ni formule d'abjuration. Quant à de nou- velles poursuites à ce sujet, amendes (ju emprisonne- ments, il n'en était nullement question. Au contraire, la cour espérait que ce moyen terme ramènerait la paix, et que les religionnaires, dans l'intérêt de leurs familles, recourraient « aux pasteurs légitimes'. »

Ces favorables dispositions perçaient en d'autres let- tres. A la même date, Saint-Florentin écrivait à M. de Moncan. « Sa Majesté... est absolument éloig'née de faire en quelque façon la guerre à ses sujets. » Ailleurs, s'adressant à Saint-Priest : « Il paraît difficile, ajoutait- il, d'envoyer de nouveaux corps de troupes dans la province, et surtout le roi appréhende d'en venir à des rigueurs qui sembleraient être une espèce de guerre ouverte contre ses propres sujets. Cependant l'inten- tion de Sa Majesté est d'écarter toujours toute idée de

» V. Coquerel, i. II, p. 79.

PÉRIODE D'APAISEMENT

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tolérance, et pour cet effet, elle désire que vous con- tinuiez à faire des exemples \ »

Une noiivelle période s'ouvrit donc, trop courte malheureusement, de calme, d'apaisement, presque de tolérance. L'arrivée de Richelieu l'inaug-ura. Non pas que l'on n'entendît plus désorrnais parler de condam- nations; mais il semble qu'elles devinrent plus rares ou moins retentissantes ^. Qu'étaient d'ailleurs ces orages passagers après la longue et terrible tempête qui s'était déchaînée sur le protestantisme ^ !

i^V. Coquerel, t. II. p. SI.

2 I! y avait eu plusieurs condamnations à propos d'assemblées. Ainsi en mai : Jugements contre Rocquecourbe, la Crouzette et Saint- Jean de Vais; contre Calmont et Gibel ; en juillet, contre Pi- gnan, Cournonteral, Cournonsec, Saint-George ;— en septembre, contre Revel, etc., etc. Il y en eut encore. Ainsi le 17 novembre, nous voyons les protestants de Ganges frappés d'une amende; en déceml)re, pa- raît un grand placard signé : Richelieu, qui condamne à 400 livres les N. C. deBoucoiran, Domessargues, Sauzet, etc., etc. V. Archives de l'Hérault. C. 234.— V. encore Coquerel, t. II, p. 92, 93.

' Voici le chiffre exact des amendes qui furent imposées et collectées dans ces sept années. Nous le tirons toujours des Archives de l'Hérault.

En 1742, il n'y avait eu que 34,79G livres; en 1743, que 23,813 : en 1744, que 27,906.

En 1745, ce chiffre s'accroît aussitôt,

En 1745, 76,075 livres. (C. 353.)

En 1746, SG,355 - (C. 357.)

En 1747, 85,192 (C. 360.)

En 1748, 85,134 (C. 363.)

En 1749, 101,336 (C. 365.)

En 1750, 92,961 (C. 367.)

En 1751, 96,440 (C. 369.)

Contre les nouveau.\' convertis dont les enfants ont manqué d'assister à la messe; contre les maîtres et maîtresses d'écoles qui n'ont pas envoyé chaque mois l'état des absences; contre les consuls qui ont né- gligé d'envoyer l'état des enfants de 7 à 14, et de 14 à 20 ans, 93,137 livres. (C. 371.) Cela, dans la seule province du Languedoc !

En 1752

240

FIN DE LA PERSÉCUTION

Quant à cette tolérance inatttnidue et que rien ne faisait prévoir, les relig'ionnaires ne surent jamais quelle en fut la vraie cause. Heureusement la cour a découvert dans un mémoire les mobiles de sa conduite. Etait-ce pitié, clémence ? Non. Si elle leur accorda quel- ques mois de repos, ce fut en dépit de sa volonté : elle ne put faire autrement. Elle était tout à fait dis- posée « à reprendre les opérations qui avaient été si heureusement commencées. » Mais elle était oblig-ée de les interrompre, parce qu'elle se trouvait dans l'im- possibilité, « par le défaut de troupes, de faire respec- ter la règle et de punir ceux qui s'en écartaient »

Ainsi s'arrêta une des plus long-ues et des plus ter- ribles persécutions qu'ait jamais excitées le clerg-é contre le protestantisme français. Elle avait duré sept ans.

Les religionnaires jouirent d'un repos relatif pen- dant 1753. En 1754, la persécution recommençait. La cour avait des troupes disponibles.

1 V. aussi une lettre de Saint-Priest è Saint-Florentin : Histoire de VEglise reformée de Montpellier, par M. Corbière. Pièce? justi- ficatives, n" 41. (Novemljre 1752.)

CHAPITRE Vlll

MESURES DE DEFENSE ET DE CONSERVATION 1745-1752

Avant d'aller plus loin, il faut s'arrêter et interrompre ce monotone et douloureux récit. Soit abandon, soit ig'norance, voilà pendant sept ans les protestants livrés aux fureurs du clerg-é et de la cour. N'est-ce pas le moment de raconter leur conduite? On a vu les persé- cuteurs à l'œuvre, voici les persécutés.

Tout d'abord, lorsqu'aux premiers jours de 1745 ils se virent subitement attaqués, ils tombèrent dans une immense stupeur. Ils avaient l'année précédente joui d'une grande liberté. Ils vivaient dans cette douce illu- sion que Louis XV allait promulguer un édit de tolé- rance. L'abattement fut d'autant plus profond que les espérances avaient été plus hautes. En vain disait-on : « L'orage ne sera pas de durée. Il y a des gens en place qui n'approuvent pas ce que l'on fait et auprès de qui la douceur étales circonstances plaident pour nous. Dieu lui-même se mettra de la partie, s'il lui plaît, et quel pasteur n'aurons-nous pas en lui! La justice de notre cause, la pureté de nos démarches, la droiture de nos intentions et de notre conduite plaide-

II 16

242 PREMIER MOMENT DE STUPEUR

ront aussi efficacement pour nous ' . » Personne n'était rassuré. Les assemblées furent abandonnées, le culte ne se célébra plus, les nouveaii-ués furent portés à l'Eg'lise. On s'enferma dans sa demeure, on se fit humble, inaperçu, et chacun attendit silencieusement (j[ue l'orage fut passé. Ce fut surtout la classe bour- g-eoise qui se montra « lâche. » Elle ne s'était rendue au Désert que récemment, lorsqu'il n'y avait plus eu de dang'er; dès que se montra le péril, elle se cacha. Ceux aussi (jui d'habitude imitent les riches suivirent leur exemple en cette occasion.

A Lausanne cependant, Antoine Court et ses amis ne croyaient pas à la g-ravité de la situation ; les lettres les plus effrayantes les laissaient rassurés. C'était un orage ; il ne durerait pas ; la cour ne pom ait s'en- gager dans cette voie sang"lante. Il fallut enfin se rendre à l'évidence. Grand désarroi alors, car on était pris à l'improviste. Lausanne était le centre. Chaque jour, de tous les points du royaume arrivaient au repré- sentant des Eg'lises de tristes nouvelles : on deman- dait des secours , on demandait surtout des conseils. Que devait-on faire '/ Fallait-il vivre sans culte ? fallait- il prendre la fuite, ou convoquer d'autres a?5sem- blées ? Pour comble d'embarras les nouvelles étaient vagues , peu précises , souvent se démentaient. Tel incident devenait un événement ; les faits étaient dé- naturés. « Une personne dig-ne de foi m'a hier con- firmé ce que j'avais lu dans une des gazettes de Schaff- house, saAoir que les protestants dans les Cévenues

l N" T, t. VI, p. 24. (Janvier 1745.)

LE COMITÉ DE LAUSANNE

243

s'étaient soulevés en quelque manière, et avaient mal- mené les troupes du roi envoyées contre eux'. » Or, c'étaient les protestant (|ui \ enaieut d'être massacrés. Mais on finit par voir clair. Alors chacun se mit à l'œu- vre : il s'ag-issait du salut d'un peuple. Court fut admi- rable. Seul sur la brèche avec (juehjues amis, il se multiplia et ût face à l'ennemi. N'abandonnant aucune des entreprises commencées, tantôt voulant établir une imprimerie au Désert et faisant passer l'outillag'e né- cessaire", lantôt s'occu})ant de son séminaire oii il appelait cha(|ue jour de nouv eaux élèves, il prodiguait les appels aux uns, les exhortations aux autres, les conseils à tous. Conseils, non pas ordres; même en ce moment personne ne voulut avoir un maître.

On courul au plus ])ressant. Il fallait à tout prix continuer les assemblées Se cacher en effet, fuir le Désert, c'était combler de joie les persécuteurs. Que

1 1, t. XVI, p. 3<;^. (Mai-s 1745.)

^ N" 7, t. V, p. 387, Ce projet (riiujjriiiierio, i)lu.sicurs i\>i^ n'|ii-is, fut déliiiitivemeiit abaudonué. (N" 7, (. VI, p. IDG, 310.) La ih'cou- vei'te d'un tonneau reiripli de livres, y fit renoncer. (1745 )

* Les protestants de Montauban envoyèi'ent , en février et en mars 1745, des placets h l'intendant, dans lesquels ils promet^ taient de ne plus s'assembler. (N° 7, t. VII, p, 108.) Ils disaient : « Ils ont avec trop peu de réflexion donné dans le préjugé qui avait été répandu dans cette province et dans plusieurs autres du royaume, que le roi ne désapprouvait pas qu'ils s'assemblassent dans les cam- pagnes pour y faire leurs prières suivant le rite de leur religion; et ils se sont, comme les autres, inconsidérément laissé entraîner par, la foule, sans avoir cependant aucune intentii ii qui lYit con- traire à la tidélité que de bons sujets doivent ;i leur Souverain. C'est pourquoi, d'abord qui leur a été connu par la publication des ordon- nances des 1 et 16 février dernier, que ces assemblées déplaisaient au Roi et qu'il les défendait, ils se sont non-seulement abstenus d'y assister, mais ils ont encore empêché d'y aller tous ceux qui n'avaient pas la même connaissance, et ils promettent d'être plus attentifs 6

244

LES ASSEMBLÉES

voulaient- ils '! Que les asseml)lées cessassent. Leur but était atteint. Tl leur importait "peu que les religion- naires s'obstinassent dans leurs demeures ; ils savaient bien qu'un homme isolé est .sans forces, et qu'ils triom- pheraient facilement de l'opiniâtreté de g'ens qui ne .se retremperaient plus en comnuiu aux sources de la foi. Sans la réorganisation des assemblées au Désert, que fût-il advenu du protestantisme ^ Il se fut encore trouvé dans le même état les prédicants l'avaient ^•u en 1715. Aussi Antoine Court dans une lettre circu- laire aux pasteurs :

" Les gens qui ont à cœur, la religion, disait-il, ne peuvent trop redoubler de zèle à marquer leur persévérance dans la ferme résolution de maintenir et de conserver leurs assem- blées religieuses, pour rendre à Dieu le culte indispensable qu'il exige d'eux, suivant le mouvement de leur conscience. 11 est de la dernière et de la plus grande importance dans ces tristes et fatales conjonctures que tous les protestants du royaume, en marquant cette fermeté et cette persévérance, fassent ainsi paraître la plus grande unanimité entre eux dans ce sentiment... »

Cela, il ne cessa de le répéter dans ses lettres parti- culières. « Quelle route faut-il prendre, lui écrivait-on

l'avenirà se cuiil'onuer iiiviolablemeiit aux ordonnances, éditset décla- rations du Roi .. »

Antoine Court eut connaissance de ce plaçât. 11 prit aussitôt la plume, et écrivit une lettre très-sévère au pasteur de cette ville N" 7, t. VII, p 126.

« ... Je crois vous l'avoir écrit plus d'une fois, et je suis chargé de vous le répéter encore : que les pasteurs et les troupeaux ne doivent pas sitôt prendre l'épouvante; que si la cour apprenait que la frayeur s'empare des esprits, ce serait pour elle un encouragement à se porter à des voies violentes, dont elle verrait d'avance des apparences de ^ succès. »

LETTRE D'ALLAMANI) 245

du Dauphiné, celle du Désert, ou de l'exil ? » Il répondit : du Désert. On pouvait prendre des précautions, poser des sentinelles , se réunir de nuit, tenir de petites as- ' semblées ; c'était nécessaix'e et il l'accordait. Mais l'exil, il ne le conseilla jamais, sinon à ceux dont le courag-e n'était pas à la hauteur du péril. Car faiblir dans un tel moment, chose indigne ! Mieux valait fuir. Encore l'exil était-il dans sa pensée un moyen politique. Peut- être, disait-il, on obligerait ainsi le gouvernement « à user de douceur, de tolérance, et peut-être même à fixer l'état des protestants sur un pied dont ils pussent s'accommoder ^ » Les lâches sauveraient les vail- lants.

Antoine Court avait rapidement vu le péril de la situation. Il se disposait à publier un mémoire apologé- tique en faveur des assemblées ; le manuscrit était ter- miné, mais différentes raisons en retardaient l'impres- sion, — quand parut et se répandit un écrit, l'on condamnait comme criminelles et illégitimes ces mêmes assemblées. Elles étaient contraires aux constitutions de l'Etat, sujettes à de nombreux inconvénients, dan- gereuses pour le repos public ; on devait les inter- rompre ^ L'auteur, qui g'ardait l'anonyme, se disait et était protestant; il s'appelait Allamand. Court s'émut. Emotion d'autant plus grande, qu'Allamand, apprit-il, avait des relations avec la cour. Il prit la plume et ré- pondit. La défense des assemblées était présentée dans un petit in-douze, très-modéré dans la forme, mais perçaient çà et de dures vérités et de touchantes

1 N- 7, t. VI, p. 452. (1745.)

2 Ibid., p. 451. (Sept. 1745).

RÉPONSE A ALLAMAND

prières Il y avait surtout quelques pages très-claires sur la société civile et la société relig-ieuse, les devoirs de l'une et les droits do l'autre. On le mit en paquets et on l'expédia en France. (Quelle fut la destinée du petit livre? On ne sait. Mais, la même année, le Mémoire apologétique eti faveur des protestants sujets de Sa Ma- jesté to'h-chrétienne à Voccasion des assemblées qu'ils J'orinent en diverses provinces du royaume ayant été répandu, fut condamné au feu \ C'était le sort habi- tuel.

En 1746 parut un nouveau mémoire : Apologie des protestants de France sur leurs assemblées religieuses^ . L'ouvrag'e était dang-ereux, on le jugea du moins. Le parlement le condamna au feu. « Le dit livre ... sera lacéré et Lriilé au devant delà grande porte du palais, comme audacieux et contraire à la religion et aux lois de l'Etat. » Il fut en outre ordonné d'informer conti-e ceiix qui l'avaient composé, imprimé et débité ou au- trement distribué \ Mais la matière était trop im- portante, pour qu'on se lassât d'y revenir. La Suisse était une o/'/?cme d'apologies. Et déjà on s'occupait d'en publier de nouvelles, lorqu'en 1747 raml)a.ssadeur de

^Réponse des prutestants de Frcince 0. l'c/uteur d' ii ne lettre impri- iiH'C qui a pour titre: Lettre sur les Assemhlées des religionuairet Cil Languedoc^ écrite à un gentilhomme de cette province, par M. D. L. F. D. M. à Rotterdam, M. D. CC. XLV. Au Désert, 1745.

•2 Petit in-8. (1745). - Y. N" 7, t. VIII, p. 151; t. IX, p. 4.55: BkI- Ict., t. XIII, p 337: Archives de l'Hérault, C. 160. Le j)arlement lie Toulouse le condamna au feu, le 29 octobre 1745, et celui du Dau- phiuê en janvier 1746.

' Il parut aussi cette année en Holliuide : Avis fraternel aux Pro- testants de France. C'était une attaque contre les assemblées : on ne crut pas devoir y répondre. N" 7, t. IX, p. 483.

* N" 7, t. VIII, p. 1.51. (1747.)

ARMAND LA CHAPELLE 247

France à .Soleure se plaignit amèrement au g-ouver- nement de Berne des libelles « contre Sa Majesté très-chrétienne, le roi Louis XV » ((ui s'imprimaient h Lausanne. LL. EE. firent des remontrances au repré- sentant des Eglises et à ses amis. Il fallut s'incliner. On voulait bien en effet fermer les yeux, ignorer leurs menées, accorder même une bienveillante protection, mais on n'entendait pas qu'ils compromissent les l)ons .rapports des deux pays.

Un théologien hollandais secourut Antoine Court dans l'embarras. Dès les premières nouvelles, les pro- testants étrangers s'étaient montrés pleins de dévoue- ment. Celui-ci, le due de Brunswick, avait offert un asile aux religionnaires qui s'expatrieraient'. Celui-là, di- recteur du comité de Hollande, avait donné de l'argent pour le séminaire. Celui-là encore, avait fait imprimer en Angleterre des récits de la persécution et collecté des secours pour les victimes Mais rien sans doute ne causa à Court une plus grande joie que le livre d'Armand La Chapelle : La nécessité du mile pvMu parmi les chrétiens^. La Chapelle, après la Révoca- tion, avait passé jeune encore en Angleterre et s'était ensuite établi à la Haye. Théolog-ien instruit, cri- tique judicieux, il entrait à propos en lice. Il venait faire justice de l'anifis d'arguments théologiques, qu'amoncelaient laborieusement les adverf-'aires des

' N" 1, t. XIX, p. 118. (Ûct. 1746.) 2 N" 8. (Août 1746.)

* 2 voL in-12. Francfort, 1747. Vers 1750, Saint-Florentin pria le parlement de Toiilouse de flétrir l'ouvrage. Les religionnaires l'ache- taient, et c'était dangereux, « surtout dans les circonstances oti les assemblées étaient si fréquentes.» V. Coquerel, t. II, p. 28.

I

248 REPRISE DES ASSEMBLÉES

assemblées ; il venait surtout montrer la nécessité, la grandeur et la beauté de ces paisibles réunions. Son livre fut vivement loué. Il passa la frontière, courut les provinces protestantes, et ne contribua pas peu à raviver chez les relig-ionnaires l'amour du Désert.

Grâce à ses efforts, g-râce aussi à ceux non moins réels, persévérants, continus, des prédicants français, les assemblées recommencèrent et devinrent chaque jour plus fréquentes. La panique avait disparu, on avait réfléchi sur la situation, vu la folie de la crainte, et en dépit des espions, des soldats et des fusillades, chacun se fît un devoir de se rendre aux assemblées convo- quées. Il s'en tint et très-rég-ulièrement en Normandie, dans le Poitou, au pays de Foix; il s'en tint encore en Languedoc, en Dauphiné. Les religionnaires y vin- rent sans armes, de nuit; tout s'y passa bientôt comme aux dernières années.

Le grand péril était conjuré. Mais les persécuteurs proportionnaient à la force de la résistance la rigueur des mesures. Il fallait les désarmer. Comment? par la résignation et les prières ou par des moyens politi- ques ?

En 1745, au mois de juin, un protestant qui habitait Paris, et se donnait pour un personnage à la cour, écrivit à Lausanne, au représentant des Eglises. Créez un comité, lui disait-il, qui soit composé d'un petit nombre de membres honorés, distingués, jouissant d'un grand crédit. Ce comité aura pour but de dé- tourner les protestants de tout projet criminel contre l'Etat et contre le roi, de contenir le peuple et d'em pêcher qu'il ne fasse des démarches étourdies . de

ENCORE ALLAMAND 249

bien disposer en notre faveur les ministres, les favoris du roi, et de négocier la révision des édits. Cela fait, nommez un agent à Paris qui recevra directement les ordres du comité, et qui présentera les suppliques et les mémoires à Sa Majesté ou à ceux qui l'approchent. Cet ag'ent doit avoir certaines qualités, et il les énu- mérait; je me présente à votre choix \

Excellente proposition ! Le désir d'Antoine Court semblait près de se réaliser. Quelques mois aupara- vant, on se le rappelle, il avait conseillé d'élire un homme de qualité et de confiance pour plaider auprès des personnages influents la cause des protestants. Cet homme était trouvé. Malheureusement, on eut sur lui de fâcheux renseignements. Ce correspondant dé- voué n'était autre qu'AUamaud, le fameux auteur de l'écrit contre les assemblées. On avait devant soi un intrigant. Du moins, un religionnaire qui le connais- sait le donnait pour tel :

« Il n'a de subsistance qu'une chétive pension ; d'amis que ceux dans la maison de qui il loge; de motifs que le désir ron- geant de s'avancer et la vanité ; de talent que ses études, son imagination brillante et sa plume; de politique que sa vivacité et son inquiétude. On ne peut compter que sur son ambition et sur son intérêt; il a là-dessus les désirs les plus vastes. Le hasard l'a produit il se trouve. On s'en est servi comme on le fait à la cour d'une foule d'aventuriers subalternes qu'on emploie et qu'on désavoue, sans aucune conséquence ^. »

Court fut désillusionné. Il répondit évasivement. L'exécution du projet était très-délicate; les Eglises

1 N. 1, t. XVI, p. 539. (Juin 1745.) «N° 7, t. Vr, p. 472. (Sept. 1745.)

250 RÉSIGNATION DES PROTESTANTS

oblig-ées d'être prudentes, ne pouvaient donner une com- mission officielle; mais lui, Allamand, pourrait ag-ir, s'il voulait, officieusement, sans mandat. En réalité, il le remerciait. Car on ne pouvait, écrivait-il, le con- sidérer « que comme un aventurier qui clierclie à faire fortune et (pii, ])Our y parvenir, n'a pas craint de trahir les intérêts et les principes d'une relig-ion dfjiit il pré- tend être, un membre zélé, ni de ])rèter sa i)lume à des vues qui ne tendent pas à moins qu'à criminaliser les démarches les plus innocentes, et qu'à, légritimer toutes les peines (pii en peuvent être la suite. »

Ce fut donc par leurs seules prières, par leur fidé- lité, par leur pieuse résig-nation que les relig-ionnaires espérèrent désarmer leurs adversaires. Les assemblées furent surprises, les maisons rasées, les prédicants pen- dus, les enfants enlevés ; jusqu'en 1752, il n'y eut ni soulèvement, ni représailles. Souvent l'occasion se présenta d'écraser un ennemi numériquement plus faible ; ils n'en profitèrent jamais. A Vernoux ils étaient vingt contre un, ils se laissèrent fusiller. Quel- ques soldats envoyés en détachement suffirent toujours pour disperser des assemblées de plusieurs milliers d'hommes. Dès que la troupe arrivait, ils fuyaient de toutes parts. Cela non par lâcheté lâches ! ô héroïques martyrs ! mais par devoir, pour obéir à la loi : « Ceux qui prendront l'épée, périront par l'épée. » Un jour, ils voulurent sauver un des leurs, un jeune homme, un prédicant; ils s'embusquèrent sur la route atten- dant, les armes à la main, l'escorte qui conduisait le prisonnier. Paul Rabaut l'apprit, arriva à la hâte, leur parla; ils abandonnèrent aussitôt leur ^dessein. « Notre

SUPPLIQUES ET APOLOGIES 251

patience à tout souffrir, écrivait Court, notre soumis- sion aux volontés divines, et plus que tout cela une conduite pure et sainte, et exactement conforme aux lois (le l'Evang-ile et sévèrement purg'ée de tout ce qu'il y a de coupable et de vicieux, voilà les sources d'où nous devons attendre du soulagement ' . »

Les malheureux allèrent juscpi'à rivaliser de zèle pour payer la taille, la capitation, les autres charges de l'Etat. Lorsqu'on établit le vingtième, ils furent les premiers à s'y soumettre. En 1746, la cour engagée dans une guerre redoutable, craignit que les ennemis fissent soulever par leurs agents les provinces protes- tantes ; celles-ci non contentes de protester de leur dé- vouement, offrirent à l'intendant de lever deux batail- lons. En 1747, pour continuer la lutte, Louis X\' organisa une loterie à cinq cents livres le billet. Court invita aussitôt ses coreligionnaires à souscrire ; ils souscrivirent.

Cependant, ils ne cessaient de faire monter jus- qu'aux pieds du trône leurs prières et leurs lamenta- tions. Chaque jour, de tous les points du royaume arrivaient aux intendants, aux commandants mili- taires, aux ministres, à tous ceux qui approchant du roi, avaient quelque pouvoir, placets, mémoires, sup- pliques et tipologies. Ils en envoyèrent même au roi. Parfois cependant ils y ajoutèrent comme une menace indirecte. « Il faut, avait conseillé Court, exposer au gouvernement que les protestants souffrent, qu'ils sont las de souffrir, et que l'excès du m;d peut pro-

» N" 7, t. XIII, p. 14.

I

252

MÉMOIRE DES PLAINTES

(luire un désespoir qui s'élève au dessus de toute con- sidération humaine, au dessus de la religion même * . » Le conseil fut suivi dans la rédaction du f/mnd Mémoire des plaintes^.

« ... La triste situation de tant de malheureux qu'on a retenus longtemps dans des prisons obscures, qu'on a désolés par dos engagements et des promesses qui les accablent de honte et de remords, qu'on a ruinés par des amendes excessives et des frais exorbitants, qui errent dans les déserts et les campagnes, qui ne trouvent de repos, ni de sûreté nulle part, qu'on a privés de leurs biens, dégradés de leur noblesse, condamnés au sup- plice des scélérats, de qui on a rasé les maisons, enlevé les femmes et les enfants, ou plutôt de qui l'on a massacré et tué à l'un son frère, à l'autre sa mère, à l'autre son plus proche parent, et qui se trouvent tous les jours menacés de traite- ments encore plus rigoureux, à qui on ne cesse de dire que, une fois la paix faite, il n'y aura plus de sûreté pour eux que comme des victimes dévouées à une fatale destruction : une telle situation ne peut faire sur ces gens faits comme les autres hommes, et par conséquent non insensibles à tous les maux qui les accablent, que les impressions les plus fortes. Le pré- sent ne leur promettant rien de favorable, l'avenir que de tristes et sanglantes scènes qui vont décider leur ruine, le désespoir ne peut que naître et sortir du cœur de tant de malheureux »

Les relig"ionuaire.s e.spéraient efïrayer ainsi la cour : leur mémoire ne fut probablement pas lu. En 1746, avait encore paru la grande Apologie. On en attendait * de merveilleux résultats. Simple, digne, ferme, mais ne laissant percer ni la menace, ni la colère, écrite au contraire par des suppliants, elle était, croyait-on, ap-

» V. Coquerel, t. 1, p. 394. * Au commencement de 1747. 3 V Coquerel, t. I, p. 397.

LA GRANDE APOLOGIE . 253

pelée à toucher les persécuteurs. C'est Antoine Court (jui pour obéir à la volonté du Synode de 1744 l'avait rédigée. Terminée depuis longtemps, dift'érentes rai- sons en retardaient l'envoi. C'était une démarche de la dernière délicatesse ; elle pourrait avoir un effet con- traire aux vues que l'on se proposait ; loin d'arrêter la persécution, peut-être la ferait-elle redoubler. Pendant deux ans, on corrigea ce mémoire. Des copies en fu- rent expédiées en Ang-leterre, en Hollande, en Suisse. Chacun en pesa les moindres mots, ratura, amenda. Cependant quelques-uns, las de ces contre temps : « Que craint-on i' disaient-ils, qu'on apprenne au roi et à ses ministres qu'il se fait des assemblées et que diverses provinces fourmillent de protestants? Ils le savent déjà très-bien, et bien des gens sans doute font leurs efforts pour obtenir l'exécution des arrêts qui leur sont con- traires. Pourquoi diffère-t-on à leur offrir de bonnes contre-batteries ^ . . » Ils croyaient encore à la clé- mence de Louis XV ! L'apologie fut envoyée. Elle ne produisit aucun effet. Ce fut le sort de celles qui sui- virent -.

On approchait de 1748. Les assemblées se multi- pliaient, mais la persécution n'avait point de trêve. Epouvantable situation ! On avait épuisé toutes les chances de salut ; il semblait qu'il ne restât plus d'es- poir. A tant de causes de découragement, venaient s'en joindre d'autres. Des inimitiés graves, encore

< 7, t. VI, p. 121. (Mars 1745.)

* Nous en avons encore plusieurs en 1747, noiamment de Boyer,

254 DIVISIONS RENAISSANTES '

que les motifs en fussent légers, divisaient les prédi- cants du royaiime. En Normandie les démêlés entre Kudemare et Préneuf continuaient Vainement es- sayait-on dans mi colloque d'apaiser Kudemare, celui- ci appelait son collèg'ue « faux prophète, faux pasteur, lou]) ravissant, » et Préneuf fatig-ué retournait dans le Poitou. Il n'y restait cependant pas long-temps. Trou- \ ant tout cliang'é, le pays rempli de troupes, les pro- testants effrayés et n'osant pas le recevoir, il revenait en Normandie et reprenait les discussions interrom- jiues ^ Dans le Lang-uedoc, Boyer se trouvait de nouveau en gnierre avec ses collèg-ues qui l'accusaient d'avoir troj) mis en avant sa i)ersonnalité, lors({ue l'intendant avait nag'uère cherché à connaître cpielles étaientlesdispositionsdesprotestants. Déplus une haine violente animait Pradel contre Paul Rabaut « si bien, (jue le pauvre Rabaut ne parlait pas moins que de partir, de quitter la France'*... » «Ne receverai-je donc plus, écrivait Court, (|ue des nouvelles funèbres':' les uns fulminent en chaire, et les autres font les plus lourdes et les plus scandaleuses chûtes, les troisièmes poursui- vent à outrance un innocent, d'autres se rendent ici coupables des plus criminelles démarches. Ils mettent t(mt en désordre et en combustion dans les lieux, toutes sortes de raisons demandaient qu'ils vécussent en paix ! Et toutes ces choses arrivent dans quel temps ! Lorsque les ennemis de la relig'ion se réveil- lent ! . . . Ciel ! jusques à quand notre aveuglement du-

' V. chap IV, p. 116.

2N»1, t. XIX, p. 267; t. XX, p. 111 et ^07. (Juin 1747,) ^N» 1, t. XX, p. 139. (1747.)

PAIX D'AIX-LA-CHAPELLE 255

rei'ci-t-il'? » Court lui-même jouait un rôle dans ces querelles. Quelques-uns de ses anciens amis réu- nissaient contre lui des Synodes, et les Synodes le trai- taient en coupable. De (|Uoi ne l'accusait-on pas? Il se montrait partial au séminaire de Lausanne; il. s'était fait nommer clandestinement représentant des Egdises, il avait voulu supplanter Diiplan, il ne mettait pas de bornes à son org'ueil, il avait fait imprimer l'apologie sans la soumettre au jug'ement des pasteurs de France. En réalité ou le jalousait. Toutes ces accusations étaient fausses, et Court le montra. Il montra que sa conduite au séminaire avait toujours été juste, qu'il n'avait jamais sollicité les votes pour se faire élire re- présentant, que loin de (-herclier fi siq)planter Duplan, il n'avait cessé de l'inviter à se concerter avec lui, (ju'il lui avait été enfin impossible de communiquer l'apologie^. Les dissensions continuaient cependant, les défenses se croisaient, les relig'ionnaires prenaient déjà parti.

Sur ces entrefaites, on apprit que la paix allait se conclure. Les préliminaires étaient sig'nés : un cong'rès devait s'ouvrir à Aix-la-Chapelle. Nouvelle impatiem- ment a,ttendue. Dès qu'Antoine Court en fut informé, il couvo(|ua ses amis, s'adressa à de Montroud et le pria d'aller au congrès représenter les intérêts des protestants. Désespérant d'obtenir g-râce de Louis XV, il voulait implorer la puissante intervention des g-ou- ^■ernements étrangers. Serait-il écouté :' Il le croyait

2 N" 7, t. VIII, p. 328. (Sept. 1747.)

' N" 7, t. IX, p. 675 et suiv. V. Apologie au Synode.

* Ibid. L'affaire de la négociation y est exposée en détail;

256 POURPARLERS A\ KC BERNE

En même temps, il écrivit à Berne pour faire approu- ver la détermination que ses amis et lui avaient prise. Ils avaient résolu, disait-il, d'envoyer auprès des hauts protecteurs une personne de confiance « afin de les solliciter en leur faveur, pour tâcher d'obtenir du roi leur monarque, par leurs puissantes intercessions, quelque adoucissement à la rig'ueur des édits rendus contre eux, quelque mode de vivre au moyen duquel ils pussent professer leur relig-ion, sans encourir les peines auxquelles ils avaient été exposés jusqu'ici, et la liberté des prisoimiers et galériens pour cause de relig-ion. » Il priait LL. EE. en terminant, d'hono- rer cette mission de leur protection. Berne répondit que le choix de de Mont rond était excellent, mais que sa mission était inutile. On n'obtiendrait pas en effet des plénipotentiaires qu'ils exig-eassent de la France le retrait des édits; pour ce qui concernait les g'alé- riens, ils étaient déjà chargés par leurs gouvernements respectifs de réclamer leur élargissement. Un person- nage écrivait de sou côté, que non-seulement il n'était pas nécessaire, mais qu'il était encore dangereux d'en- voyer un député, pai'ce que la cour de France pour- rait voir d'un très-mauvais œil sa présence au congrès.

Dès qu'il eut pris connaissance de ces lettres, le comité abandonna son dessein. Antoine Court seul persista. Soit ! dit-il à Montrond, n'ayez point de mandat officiel, mais rendez-vous à Aix-la-Chapelle, sous divers prétextes, et recommandez de vive voix aux plénipotentiaires les intérêts des Eglises. Mont- rond y était disposé, mais il avait besoin : d'une com- mission des Eglises; 2" de l'approbation du comité;

DEMANDES D'ANTOINE COURT

257

3" d'arg-ent. Un Synode se réunit immédiatement en France, et neuf pasteurs envoyèrent la commission demandée; Court de son côté emprunta les sommes nécessaires, au nom des Eg-lises. Restait à demander l'approbation du comité. Celui-ci objecta que les prin- ces catholiques avaient toujours fait un crime aux réformés d'avoir déféré leurs g-riefs aux puissances protestantes, que d'ailleurs ce serait aller contre la volonté de Berne, et très-nettement il la refusa. Court monte aussitôt à cheval, se rend chez Polier qui était à la campag'ne, remet la question en discussion et le supplie de la faire favorablement résoudre. Mais il se heurtait contre une impossibilité, et quoi qu'il fît, le projet fut définitivement abandonné ^

Il ne voulait pas cependant laisser conclure la paix, sans tacher d'en retirer quelque avantage. Au mois d'août déjà, il avait prié le comité de Londres de faire demander par les députés anglais la permission de tenir des assemblées religieuses ^. Il revint sur ce point. Il composa un g-rand mémoire, étaient expo- sées les demandes des Eg-lises, et l'adressa aux minis- tres plénipotentiaires des puissances protestantes. Voici ce qu'il les priait de réclamer :

Amnistie générale de toutes les contraventions aux édits pour fait de religion, et remise de toutes les peines encourues.

2" Abolition des édits contre la religion; même situa- tion faite aux religionnaires qu'aux catholiques d'An- gleterre.

J t. IX, \>. 490. (-Mai sepiymbre 174b;.} 2 Ibid... p. 605. (Août 1748.)

II 17

258 LA PAIX SE CONCLUT

3" Elaig-iriseiiient des prisonniers et des g-alériens.

4" Prescription d\n mode de vivre qui permît aux protet^taiit.s d'avoir des pasteurs en nombre suffisant et de tenir librement leurs assemblées.

5" Validité des mariag-es et des baptêmes célébrés au Désert.

G' Loi contre tous les ])erturl)ateurs de l'ordre pu- blic, quels qu'ils fussent.

Les protestants, ajoutait-il, ne demandaient pas que leurs plaintes formassent la matière de conférences au congTès, mais ils suppliaient les plénipotentiaires, si la paix venait à se conclure, d'user de leur influence pour faire valoir auprès du g-ouvernement français leurs droits incontestables. Devaient-ils être en effet les seuls que la paix g-énérale laissât dans de mortelles an- g-oisses t Les horreurs de la g'uerre devaient-elles s'ap- pesantir sur eux seuls'/ Un aussi injuste abandon était impossible. 11 était temps de faire cesser un état de choses qui n'avait que trop duré, et qui remplissait encore de deuil plusieurs provinces entières

Si remarquables que fussent ces considérations, elles passèrent inaperçues. Les plénipotentiaires ne s'occu- pèrent que des intérêts respectifs de leurs puissances, et la paix se conclut le 18 octobre, sans qu'il ei'it été. question des protestants.

Il fallait donc dans cette solitude faite par le mal- heur n'attendre de secours que de soi-même. Les g-ou- vernements étrangers ne voulaient plus s'interposer entre le roi de France et ses sujets. A Riswick, à

1 V. Coquerel, t. I, p. 445 et suiv.

SYNODE DE 1748 259

Utreclit , ils avaient autrefois usé de leur influence pour arracher à la persécution leurs coreligionnaires. C'en était fait désormais de la fraternité des croyances ; il n'y avait plus que des coalitions d'intérêts. Ainsi s'évanouissaient les dernières espérances. La seule chance de salut qui restât encore, c'était de n'eu plus espérer. On devait se ceindre d'une stoïque énergie et se préparer à marcher résolument dans la voie qui conduisait au martyre. Au bout de la course, était la grande délivrance.

Cette idée perçait partout. Quelques jours avant la conclusion de la paix, au mois de septembre, un Synode national se tint dans les Cévennes' . Antoine Court ne ces- sait depuis quelque temps d'en demander la convocation. Il multi],)liait les lettres et les recommandations, il en- voyait des pièces et le prog-ramme des sujets à dis- cuter, car il voulait mettre un terme aux discussions intestines et unir par de nouveaux liens les chefs spi- rituels du protestantisme. Dans un si grand boukn erse- ment de choses, n'était-il pas en effet nécessaire que les forces, loin de se diviser, se g-roupassent et qu'un même esprit les animât? Là, se trouvèrent donc les dé- putés de la France entière, ceux de la Normandie, du Poitou, de l'Angoumois, de la Saintonge, du Langue- doc, du Dauphiné, de la haute Guyenne, du Quercy et du comté de Foix. On y comptait vingt personnes ayant droit à participer aux délibérations. Mais combien manquaient à l'appel. étaient ces belles figures que l'on avait vues au Synode de 1744? étaient

1 7, t. VIII, p. 207, et t IX, p. 618 et suiv.

jiGo milsukks et Décisions

Ruuc, Désubas, Rog-er Le premier acte cependant (lu Synode fut de jurer une éternelle obéissance aux ordres de Louis XV. «... Après avoir imploré la pro- tection de Dieu et le secours du saint Esprit, l'assem- blée a protesté unanimement de son inviolable fidélité envers le roi, notre aug'uste monarque, et elle a dé- claré que son but n'était que de se conformer de plus en plus dans ces justes sentiments... » Et lorsqu'il eut adopté les règ"lemeuts généraux du séminaire de Lausanne, confirmé Court dans sa charge de représen- tant des Eglises', recommandé et rétabli la concorde, qu'ordouna-t-il encore? De présenter une requête au roi. « On présentera une requête au roi, au nom de tous les protestants du royaume, dans laquelle après avoir renouvelé les assurances de notre fidélité et de notre soumission et après avoir fait un court narré de notre état , on suppliera respectueusement sa 'Majesté d'a- voir compassion de nous, et d'apporter quelque remède h nos maux ; on finira par des vœux ardents et sin- cères en faveur de sa personne sacrée, de son auguste famille et pour la g-loire et la prospérité de son règne. » Cette assemblée de proscrits qui pouvait, en ordonnant une révolte générale, jeter la monarcliie dans de sé- rieux embarras, n'avait ainsi pour ses persécuteurs que des prières et des paroles de paix. Point de récri- minations surtout , ni de colères ; c'était comme le testament d'un peuple qui va mourir. Deux mots y brillaient : Grâce ! Pardon !

Pendant les trois années qui suivirent, il n'y eut rien

1 V. Pièces et documents, n' XV.

l/ÉMIGRATION 261

(le saillant. Ils avaient exhalé leurs dernières plaintes, ils s'étaient enfermés dans un douloureux silence, dé- chirés, meurtris, et à force de coups comme rendus im- passibles. Des larmes, des prières : voilà tout. « 0 Eternel ! contemple-nous, car nous sommes en détresse. Nos entrailles bruissent, notre cœur est renversé au dedans de nous , parce que nous n'avons fait qu'être rebelles. On nous a ouï sang-loter et toutefois il n'y a eu personne qui nous ait consolés. Seigneur, ne nous rejette point à jamais. Pourquoi caches-tu ta face ? Pourquoi nous oublies-tu ? notre âme est penchée jus- que dans la poudre, et notre ventre est attaché contre la terre. Léve-toi à notre aide, et nous délivre par l'a- mour de ta g"ratuité ' ! »

Mais en 1752 , tout à coup , comme galvanisés, ils se levèrent. On venait leur enlever leurs enfants ! Ils rassemblèrent ce qui leur restait de force et se précipi- tèrent, tête baissée, contre l'ennemi ! Mort ou liberté ! Alors eurent lieu les tentatives d'assassinat contre les curés, et la grande émigration commença.

Grosse affaire que cette émigration ! Depuis le com- mencement de la persécution, l'étranger leur faisait des offres et ils les repoussaient. Ils ne voulaient plus partir. Ils se cramponnaient au sol natal. Ils y voulaient mourir ouattendredes joursmeilleurs. Car «il n'est point d'état si malheureux pour les hommes, qu'ils ne se repaissent contre toute raison d'espérances frivoles et chimériques de voir cesser leurs maux "\ » Mais à ce dernier outrage,

* Les Lannis de Sioti, p. 117. Rotterdam, in-12. V. aussi une Sup- plique des pasteurs du bas Languedoc. (Dec. 1750.) Coquerel, t. II, p. 20. 2 7, t. VII, p. 36.

202 L'ÉMIGRATKJiN

ils hésitèrent. D'im autre côté, Court leur ér-rivait : Par- tez ! L'Ang'leterre et les Pays-Bas vous offrent l'hospita- lité. C'est la seule chance de salut pour vous et pour vos frères. C'est le seul moyen (h^ rendre nos protestations efficaces auprès de la cour. Ils se décidèrent à partir

La courouATit les yeux. Allait-elle voir, comme après la Révocation, les routes se couvrir defu^ntifs? Saint-Flo- rentin écrivit à Saint-l*riest, qu'il fallait par tous moyens les empêcher de sortir. «... Je vous prie de n'éparg"ner ni dépenses , ni soins pour veiller sur un ohjet d'tuie aussi <i-rande conséquence ^. » Il conseillait même la douceur, l'indulg-ence ; mais .s'ils s'obstinaient dans leur dessein, « qu'on s'empare, disait-il, des notahles, et qu'on leur fasse leur procès suivant la rig-ucur des ordonnances. » Les intendants et les commandants en chef reçurent les ordres les plus sévères. En Lanjrue- doc, en Dauphiné, on arrêta des fuyards. En Bour- gogne, M. de Tavannes dut surveiller avec soin les frontières.

« ... Lo roi ayant donné des ordres pour l'aire arrêter en Dauphiné ceux qui y passeront, et quelques-uns y ayant déjà été arrêtés, il n'est pas douteux qu'il y en aura qui voudront gagner le Bugey et le pays de Gex, dans l'espérance d'y passer avec sûreté. Je vous prie donc de prendre toutes les mesures qui dépendront de vous, afin que l'on arrête sur celte frontière tous ceux qui se présenteront sans passe-port', »

Tous les passages furent gardés, les prisons se fer-

1 Y. chapitre m, p. SI et suiv.

2 V. Pièces et documents, XVI. (Mai 17.52.)

3 Y. Coquerel, t. II, p. 120. (24 juin 1752.)

TENTATIVES D'ASSASSINAT 263

mèrent sur les captifs, et la crainte arrêta ceux qui se disposaient à partir». L'émigration cessa.

Quelques jours après eut lieu la triple tentative d'assassinat.

Ils ne pouvaient plus fuir, et les dragons les con- damnaient à un acte pire que la mort. Depuis 1715, ils avaient souffert tout ce qu'on peut humainement souffrir; ils avaient été traqués, pris, condamnés, ruinés, emprisonnés et légalement assassinés. Sur toute leur vie s'étendait comme un voile de deuil. Cependant ils n'avaient cessé de protester de leur dé- vouement au roi, de lui demander g-râce! Ils étaient à bout. Cependant, chose admirable ! lorsque la terrible nouvelle se répandit, une immense douleur accabla tous les relig'ionnaires. Quoi! après tant d'années d'hé- roïque résig-nation souiller une si pure cause du sang* de trois malheureux hommes ! Et puis, song-eant à eux- mêmes : Le fruit de leur conduite n'allait-il pas être perdu par la folie criminelle de quelques-uns ? On les ferait passer pour de nouveaux camisards ; ils allaient se voir de nouveau traités comme tels. Peur nullement chimérique ! Le clerg-é exploitait indig-nement ce crime et poussait de toutes ses forces à une sang-lante ré- pression. On vit alors des pasteurs, dont la tête était à prix, prévenir la justice de leur pays et faire les af- faires de l'intendant. Espions et soldats cherchaient de tous côtés l'auteur du meurtre, Coste. Ils ne le trou- vaient pas. Une assemblée synodale se tint au^ssitôt, fît comparaître le pasteur accusé et l'oblig-eade quitter

i V. Coquerel, t. II, p. 121. (Juillet 1752.)

2G-t DOULEUR DES PROTESTANTS

la France En même temps, ces mêmes hommes s'in- terposaient. Pradel proscrit allait chez nn curé du dio- cèse d'Uzès et le suppliait de faire cesser ce nouveau genre de persécution. « Ils retenaient, eux ministres, tant qu'ils pouvaient leurs coreligionnaires, mais ils sentaient hien qu'à la fin ils n'en seraient plus maî- tres \ » Rabaut s'engageait de son côté dans les Cé- vennes et se transportait de maisons eu maisons,

' Coste consentit d'abord îi ce qu'on exigeait de lui, et promit de partir immédiatement. Mais les religionnaires le retenaient, n'enten- daient i)as qu'il les quittât. Coste fit alors traîner son départ en lon- gueur. Une active correspondance se tenait cependant entre l'Angle- terre d'un côté, Antoine Court de l'autre, et les pasteurs du bas Languedoc qui réclamaient instamment l'éloigiiementde leur collègue. Court écrivit plusieurs lettres îi Coste dans lesquelles il le conjurait (le partir et lui offrait l'hospitalité en Angleterre. Mais celui-ci faisait mille objections. Son attachement aux Eglises le retenait en France, les promesses qu'on lui faisait étaient illusoires, etc.. De plus, il était très-appuyé, très-aimé par ses paroissiens.

Que faire? Ses collègues, très-convaincus de sa culpabilité, persis- taient dans leurs sentiments. « Il fait tache, disaient-ils, dans notre corps, il compromet notre caractère et les intérêts de la religion. » Ils parlaient même de faire décréter son expulsion jiar le Synode prochain. Court devint très-hésitant, et conseilla de laisser s'assoupir l'afîaire. (N" 7, t. XIII, p. 142.) C'était son habitude: il n'aimait pas brusquer les dénoûments, et redoutait tout ce qui pouvait amener la désunion. Heureusement Coste tomba malade et se décida à partir pour Londres le 24 (h'cembre 1753. Il était devenu presque fou. N" 7, t. XIII.

Nous ne savons jusqu'à quel point les remarques de Coquerel (t. 11, p. 96 et suiv.) sont fondées. Nous n'avons rien trouvé qui les justifiât. « On l'accusa, en 1748, dit-il, d'être un agent de la cour. «Fai- sons observer que cette accusation fut aussi dirigée contre Boyer, et très-faussement : ce dernier avait eu le tort de mettre trop en avant sa personnalité. Dans ce petit monde, que de choses mesquines à côté d'héroïques ! Antoine Court d'ailleurs, qui modifia souvent son opi- nion sur Coste, ne fait nulle part allusion à ces prétendus rapports entre la cour et ce malheureux homme.

2 Archives de l'Hérault. C. 234.

LETTRE DE RABAUT

265

recommandant la paix, la patience, la résig-nation.

Mais quelle n'était pas sa surprise ! il croyait les Cé- vennes en feu, il trouvait le pays calme; l'agitation n'avait été qu'à la surface...

<< Alarmé de ces nouvelles, j'ai voulu savoir ce qui en était, et, quoique je ne sache pas en détail tout ce qui s'est passé, je sais au moins avec certitude que le mal n'est pas à ])eaucoup prî's aussi grand qu'on l'avait publié, et je puis vous certiQer comme une chose incontestable qu'il n'y a point d'attroupe- ments (bandes armées). Quand j'ai voulu savoir d'oii procédait le mal, il m'est revenu que diverses personnes se voyant expo- sées ou à perdre leurs biens et leur liberté, ou à faire des actes contraires à la conscience par rapport à leurs mariages ou aux baptêmes de leurs enfants, et ne sachant aucune issue pour sortir du royaume, se sont abandonnées au désespoir et ont atta- qué quelques prêtres, parce qu'ils les regardent comme la pre- mière et la principale cause des vexations qu'on leur fait'... »

Et il écrivit à l'intendant et au commandant en chef du Lang'uedoc pour se disculper et pour disculper ses frères. Il n'avait cessé, disait-il, de recommander aux relig'ionnaires la patience et la douceur; le clerg-é se- rait bien aise de les voir se soulever pour les pouvoir mieux accabler; mais ils étaient en g-arde contre ces menées ; les protestants resteraient tranquilles ; ils ne vivaient que pour le roi ^

En ce moment courait un livre les mêmes choses étaient dites, et en termes excellents. On se l'arrachait

1 Lettre au subdélégué Chazel (21 août 1752). V. Coquerel, t. II, p. 77.

* Ibid., p. 75 et 76.

* On se l'arracha si bien qu'il fallut, l'année suivante, en donner une seconde édition. C'est cette dernière que nous avons sous les yeux. Le Patriote français et impartial, ou Réponse à la lettre de M. VÉ-

2m LETTRE DE L'ÉVÉQUE D'AGEN

Quel en était l'auteur? Les catholiques ne savaient. Il se sig-nait simplement : le Patriote français et impar- tial. Seuls, les protestants étaient dans le secret. Ce patriote était Antoine Court.

Dans le courant de l'année précédente, en 17ol, le bruit s'était réi)andu (jue Louis XV allait rappeler en France les calvinistes émig-rés. Bruit étrang-e, sans nul fondement. Au.^sitôt un évêque du Lang-uedoc, l'évê- que d'Agen, avait pris la plume et écrit au contrôleur g-énéral une très-violente lettre contre la tolérance :

« Quoi donc. Monsieur! co que Louis XIV environné d'en- nemis, de périls, de calamités, a refusé dans des circonstances dont le souvenir seul me fait trembler, le roi environné de la victoire, arbitre <le l Europe à laquelle il vient de donner la paix, pourrait-il aujourd'hui l'accorder? N'en doutez pas Mon- sieur, la révocation de l'Edit de Nantes n'est point de ces démarches arrachées à un prince dans la faiblesse de l'à-e ou dans celle de l'infirmité; elle n'est pas la suite de quelque^èle outre, m indiscret, inspiré par des personnes pieuses, plus atta- chées à la religion qu'instruites par des règles sages du gou- vernement; c'est à la fleur de son âge, c'est au milieu de ses prosp,.rités, c'est par le conseil des grands ministres qui tra- vaillaient sous lui, c'est par l'effet d'une profonde méditation et par une exacte connaissance des sentiments et des dispositions de ces pernicieux sujets qu'il se détermina à frapper ce coui. d'éclat... » ^

Il développait sa pensée. Les protestants étaient des révolutionnaires : il y avait bien paru en Flandre, en Ecosse et en Angleterre. Les protestants puisaient,

véque d'Agen à M. le contrôleur général, contre la tolérance des hv- gnenots en datedu 1 nuU 1751. Nouvelle édition, à Villefranche, chez P. Chrétien. 1753. 2 vol. A la fin se trouvait le Mémoire historique

CONTRE LA tolérance'

267

chaque jour, daus le principe même de leur foi, le libre examen, des idées factieuses et la haine des mo- narchies. Avant tout, ils étaient républicains. Et c'é- taient ces hommes qu'on rappellerait en France ! Il ne pouvait le croire. Mais ils sont en petit nombre, objec- tait-on. Alors lui, ^-ravement : « Pour ])eu (pi'il y ait de mauvais citoyens, ils sont toujours en trop g-rand nombre! » Puis, s'échauffant, il allait jusqu'à renou- veler les vieilles calomnies.

» Qu'est-ce que je crains, Monsieur? Je crains les artifices iiu'ils employèrent jiour s'accroître lorsqu'ils parurent; je me souviens qu'ils tentèrent les grands par les dépouilles des Eiliises; qu'ils ouvrirent les cloîtres pour en faire sortir ceux (|ui s'y étaient consacrés; qu'ils rendirent la liberté à ceux (jui s'étaient mis sous le joug, qu'ils flattèrent les peuples par la présomption, Je crains une religion qui consacre les vices, qui permet la licence, (|ui résout les engagements, (jui brise le joug de la foi, en laissant à chacun la liberté de faire ce qu'il lui plaît, et de se faire im culte tel qu'il le veut. N'y a-t-il plus de moines dans les cloîtres ennuyés de l'austérité de la discipline? N'y a-t-il plus de religieuses dans les monastères qui se repen- tent des saints enuageraents qu'elles ont pris? Ne reste-t-il plus encore des biens dans l'Eglise qui peuvent tenter l'avidité des peuples? »

Il terminait par ces mots : « Non, le fils, l'héritier, l'imitateur de Louis le Grand ne rétablira pas les hu- guenots ' ! ».

Lettre d'une rare habileté, d'une plus rare perfidie. L'auteur feig-nait d'ig-norer qu'il y avait dans le royaume

' Cette lettre se trouve au déimt du Patriote. Nous y insistons et ;\ (Icssi-in. Elle donne le ton de la polémique, le degré des passions, et nous njoutre quelles étaient les idées du clergé sur la tolérance.

LE PATRIOTE FRANÇAIS

presque autant de relig'ionnaires qu'avant la Révoca- tion ; il s'attaquait aux absents, aux émigrés, et résu- mait contre eux toutes les attaques et toutes les ca- lomnies ; les conséquences de son plaidoyer retombaient sur les présents. Il disait : empêchez le retour de ces factieux, et il sous-entendait : exterminez ceux qui restent .

A la lecture de cet écrit, Antoine Court, quoiqiie préoccupé par mille affaires entre autres celle de Du- plan ' , se hâta de le réfuter. Sou devoir le lui or- donnait, ses travaux précédents l'y engag'eaient, et de sérieuses études sur l'histoire du protestantisme : il se sentait sur un terrain sur. En 1752 , sous forme de lettre, paraissait le Patriote ^.

Si vous le voulez, Monsieur, disait-il en substance à l'évèque d'Ag-en, restons en France. Les gueux de Flandre et les puritains d'Angleterre nous intéressent peu; ils sauront se défendre, s'il leur convient. Les protestants sont des factieux et des ennemis de la royauté, assurez-vous ; l'accusation n'est pas nouvelle ; pesons-la. Une simple observation : Convient-il à un prélat catholique de nous attaquer sur ce sujet? En 1562, un édit royal accorda aux huguenots la liberté de leur religion : qui le viola? les catholiques. En 1563 et en 1566, nouveaux traités, nouvelles violations. Par qui? par les catholiques. En 1570, quels furent les adversaires de Henri III, de Henri I\^ ? les catho- liques. Mais passons. Les protestants, dites-vous, sont

1 Sur Duplan. V. chap. m, p. 73etsuiv.

2 Nous disons 1752, selon toutes probabilités, mais nous n'osons l'affirmer. La correspondance de 1752 nous manque.

ET IMPARTIAL

269

républicains. En théorie? Non. Lisez Bulling-er, lisez Calvin. N'objectez pas Bellarmin, Montesquieu et Vol- taire récemment ; ils se sont mépris. En fait? non plus. On prétend qu'Henri IV, que le prince de Condé, que le duc de Rolian ont voulu former des associations entre les g*randes villes et en faire un corps de petites républiques. Rien n'est plus dénué de preuves. Mais la guerre des camisards ! direz-vous. Elle n'éclata pas, Monsieur, contre Louis XIV, elle éclata contre les per- sécuteurs, prêtres et drag'ons. Ceux d'ailleurs qui se mirent à leur tête étaient des enthousiastes, des inspi- rés, et les protestants sensés les désavouèrent. Quant aux assemblées que les relig'ionnaires tiennent aujour- d'hui et dont on leur fait un crime, elles ne sont pas convoquées pour prêcher la révolte, loin de là, unique- ment pour prier Dieu. Mais quoi! pourquoi les dé- fendre? Depuis 1629, ces révolutionnaires n'ont cessé de donner à la royauté des preuves de leur fidélité ! En 1632, ils servaient le roi contre le duc d'Orléans; en 1650, ils refusaient de soutenir le prince de Condé ; en 1719, ils assuraient le Rég-ent de leur dévouement ; en 1746, ils offraient des soldats à la cour. Ce n'est point à cause de leur esprit indiscipliné, que fut révoqué l'Edit de Nantes. Cet édit que nul ne devait violer, fut extorqué par les jésuites à Louis XIV. Quelles en furent les conséquences : la décadence du commerce et des manufactures, l'abaissement de la population, les terres incultes... Vous ne l'ig-norez pas! Mais trêve de récriminations ! Cet édit, il le faut rétablir : voilà l'important. Puisque les protestants ne sont pas des factieux, puisqu'ils sont d'honnêtes gens qui ne de-

270 LE PATRIOTE FRANÇAIS

mandent (|ue la liberté de conscience, ils doivent ren- trer dans leurs droits confisqués. Il y a en effet en France des huguenots; leur nombre est presque aussi grand qu'avant la Révocation. Voulez-vous les laisser sous le coup de lïdit de HlSï C'est impossible. Si la justice de leurs réclamations ne vous touche pas, que du moins ce ,soit l'intérêt de l'Etat. L'Etat a intérêt à ne point mettre les prote.stants dans la nécessité d'énii- "•rer; l'Etat a intérêt à ne point })river tout un peuple de ses droits civils et ne i)oiut déclarer bâtards deux millions de citoyens; l'Etat a intérêt à voir ses manu- factures, son commerce, son industrie prospérer. Sur- tout, Monsieur, ne vous flattez i)as que de nouvelles persécutions rendront inutile le rétablissement d'un édit de tolérance. Les persécutions font des martyrs, non des convergions. L'exjjérience vous l'a récemment prouvé. Depuis trois quarts de siècle, vous empri- sonnez, vous pendez, vous violez tous les droits de la nature et de l'humanité; qu'avez-vous obtenu':' Rien. ils étaient cent, ils sont mille. Laissez donc. Mon- sieur, Louis XV, notre roi bieu-aimé, s'abandonner aux penchants de sa grande àme et joignez vos prières aux nôtres pour obtenir la liberté de conscience. Tout y gagnera, l'Etat et la religion *.

Tel était le thème développé dans un gros ouvrag-e de quelques centaines de pages. L'histoire profane et sacrée, les canons, les conciles, les Pères, les faits ré-

* Quelques anonymes, sous le nom d'Ainis de la patfie, i-épondi- rent à l'évèque d'Agen, dans une lettre adressée au contrôleur géné- ral. (V. Coquerel, t. II, p. 44.) On voit encore, à la fin du Patriote, une lettre du curé de L à W. l'évèque d'Agen.

LE MÉMOIRE HISTORIQUE 27i

cents, tout était invoqué, mis à profit; mais l'ampleur des proportions, la froideur calculée de la forme em- pêchait de voir l'implacable logique du fond. Vers la fin, en forme d'appendice, sous ce titre un peu vag'ue : Mémoire Mstorique, se lisait le récit des persécutions exercées depuis 1744 jusqu'en 1751. « Il serait infini, disait le PalHole^ de rapporter tout ce (jue ces fidèles sujets ont souffert depuis la révocation de l'Edit de Nantes; plusieurs volumes n'y suffiraient pas. L'an 1744 est l'époque la plus reculée à laquelle on re- monte. » Et froidement, méthodiquement, il racontait les enlèvements d'enfants, les emprisonnements, les surprises d'assemblées, les exécutions à mort, les meur- tres et les massacres, les indig-nités faites sur les cada- vres. Il n'omettait rien, ne faisait grâce de rien ; il g-roupait tous les faits sous divers chefs, et les exposait comme un narrateur consciencieux et indifférent. Ja- mais on n'avait écrit de plus sangiant réquisitoire. C'est sur ces terribles pages que se fermait le livre.

L'émotion à l'apparition de cet ouvragée fut grande chez les protestants. Dépassa-t-elle ce petit monde? On ne sait. La Nouvelle BïbliotMiiiie germanique ' dé- clara que le Patriote était écrit avec beaucoup de mo- dération et de solidité, et qu'à une grande exactitude l'auteur avait joint « un air de probité, de candeur et d'impartialité (|ui prévenait à son avantage. » Voilà tout. Antoine Court cependant, cherchant à expliquer l'arrêt subit qu'éprouva la persécution et l'espèce de tolérance qui marqua la fin de 175"2 c'est le Patriote^

' V. Nouvelle Bibliothèque gernumique, i. XI, art. xx.

m LE MARQUIS DE PAULMY

dit-il, qui a fait cela, et la crainte de l'émigTation. « On ig'norait dans le lieu d'où émanent les ordres suprêmes le véritable état des choses. On se demandait en lisant le mémoire du Patriote^ si tant de faits qu'il contenait étaient bien vrais. Le détail, les circonstan- ces, les dates, les noms, tout persuadait qu'ils devaient l'être, et qu'il n'était pas possible qu'ils fussent les fruits de l'invention. L'émigration qui en paraissait être une suite, se présentait à l'esprit comme une con- firmation » Que fit dans ces conjonctures, ajoute Court, le g-ouvernement ? Justement inquiet, il envoya en Languedoc pour connaître dans le détail la situa- tion de cette importante province, le marc^uis de Paulmy d'Argenson. Paulmy fit son rapport à la cour, la persécution cessa.

Le marquis arriva en effet, chargé d'une mission extraordinaire, mais Antoine Court se faisait illusion sur le but de son voyage. Paulmy ne faisait qu'une tournée militaire dans les provinces du Midi. Il venait officiellement inspecter les travaux de défense sur la ligne du Rliône et du Var; et en fait, il consacra son temps à passer des revues ^. Les protestants n'occu- paient que le second rang* dans ses préoccupations ; à leur égard il n'avait qu'une mission officieuse, s'il en avait.

Un incident dramatique marqua cependant son voyage, et dut produire sur son esprit une grande im- pression. Le marquis venait d'arriver à Nîmes pres- qu'au lendemain des tentatives d'assassinat. Tout le

1 7, t. XIII, p. 16. (Janvier 1753.)

2 Archives de l'Hérault.

LE MARQUIS DE PAULIMY 273

pays était en émoi ; les histoires les plus extravagantes se débitaient; on se croyait à la veille d'un soulève- ment, et l'on ne parlait que de pillage et de meurtres. Le subdélégué et l'évèque, qui étaient en position de découvrir l'exacte vérité, avaient bientôt fait justice de ces bruits ; mais Paulmy très-étonné désirait tenir des protestants eux-mêmes un mémoire sur leur situation. Son désir fut connu, et presque aussitôt il fut satisfait. Malheureusement le mémoire qu'il reçut était à son avis trop abrégé ; il souhaita d'en avoir un plus com- plet. Quelques jours plus tard, au mois de septembre, il quittait Nîmes, se rendant à Montpellier. C'était la nuit. Il était en berline, et venait de dépasser tranquille- ment le villag'e d'Uchaud, lorsque tout à coup, dans l'ombre, au milieu des vignes qui bordent la route, il aperçoit quelques partisans à cheval. En même temps, un homme s'avance, fciit arrêter le carrosse, et s'appro- chant respectueusement de la portière : « Je suis Paul Rabaut » dit-il, et il lui remet un long mémoire sur le- quel il le supplie de jeter les yeux. Puis il disparaît, et la berline reprend sa course. En apprenant cette aventure, le subdélégué Tempié ne put s'empêcher de marquer à l'intendant sa surprise : « Je trouve, Monseignem-, cette démarche bien hardie de la part d'un homme dont la tête est à prix ; cela prouve qu'il ne met péril à rien ^ . »

* Nous n'avons pas le récit détaillé de cette aventure de la main de Paul Rabaut. Voici tout ce qu'il dit (Coquerel, t. II, p. 88) : « Ce seigneur voulut être informé de notre état : pour cet effet, on lui tit parvenir un mémoire abrégé; il en demanda un plus détaillé : je le dressai, et ne s'étant trouvé pei'sonne pour le lui remettre, parce que le temps pressait, je fus l'attendre entre Uchaud et Codognan, le II 18

271

FIN DE LA PERSÉCUTION

Ce fut vers cette époque, un l'a vu, que s'arrêta la persécution. Antoine Court attribua cette tolérance mo- mentanée à l'émig'ration et au Patriote^ et Paul Rabaut à sou mémoire. Ni les mémoires, ni les apologies, ni l'émigration, ni le meurtre des curés n'avaient désarmé le gouvernement ; à peine y avait-il prêté une distraite attention. Depuis 1715, il recevait des placets ; l'émi- gration, il l'avait facilement empêcliée; le meurtre, il cliercluut à le punir. Il faut donc en revenir l\ ses pro- pres déclarations*. Il suspendait la persécution, parce qu'il manquait de soldats pour la continuer.

Tels étaient les résultats des conseils qu'Antoine Court et ses collègues n'avaient cessé de donner depuis 1715 aux protestants. Courage, patience, rési- gnation, rien n'avait pu toucher le cœur de la France, ébranler la volonté du clergé. Le manque de troupes faisait seul tolérer ces hommes stoïques qui, malgré tant de cruelles années, doux et fiers, priaient encore pour leurs persécuteurs. Plus d'idées de vengeance!

19 septembre 1752, et je le lui i-emis moi-même. Ce mémoire fut lu il la cour et produisit un bon effet. »

A côté de cette note, voici la lettre du subdélégué Tempié à l'in- tendant. (Archives de l'Hérault. G-, 251.) « 23 septembre 1752... J'ai été instruit que ce ministre étant, le 19, entre la baraque de Codognau et Uchaud, l'ut arrêté par Paul Rabaud, ministre des religionuaires, qui lui présenta un mémoire ou placet, eu s'annonçant par son nom, le suppliant de vouloir bien y jeter les yeux; qu'il était accompagné de plusieurs hommes à cheval, qui étaient apostés dans les vignes vis- U-vis du carosse. L'avis que j'ai l'honneur de vous donner est certain, puisque M. de Paulmy l'a dit lui-même à M. l'évêque. Je trouve. Monseigneur, cette démarche bien hardie de la part d'un homme dont la tète est à pris, et cela prouve qu'il ne met péril à rieu. y

1 V. chap. vu, p, 240.

héroïsme des protestants 275

Les àines étaient faites au pardon, comme les corps ;i la souffrance.

Spectacle étonnant que celui de ces croyants ég-arés en plein dix-huitième siècle ! Au Credo de leur temps qui s'élaborait, ces revenants des premiers siècles ve- naient les premiers proposer ces deux mots : oubli des offenses, mépris de la mort. Leur temps n'admit que le dernier. Et de quels exemples n'appuyaient-ils pas leurs paroles! En 1745, peut-être y eut-il un mouvement g-é- néral de crainte et dans la suite quelques défections éclatantes ; peut-être encore le découragement pesa- t-il lourdement sur beaucoup. Mais combien six années d'inébranlable fermeté rachetèrent la terreur de la pre- mière heure ! Deux prédicants, de tout jeunes hommes, abjurèrent, mais quatre périrent sur le g-ibet. Les assem- blées furent surprises, les fusillades se firent mille fois entendre, les galères furent remplies, les tours, les pri- sons et les couvents reg'org-èrent de prisonniers : nul ne se plaignit, nul surtout ne chercha ù éviter le châ- timent ' .

Lorsque en 1745 la persécution était dans sa force , les protestants du Dauphiné traversaient le Rhône pour assister aux « prêches » dont leure frères de l'autre rive, moins inquiétés, jouissaient tranquillement -.

Dans le Poitou, le pasteur Loire ne pouvait suffire à la tache et tenait des assemblées couraient en foule les religionnaires

1 V. le beau livredeM. A Coquerel : Les Forçats pour la Foi, Paris. (1866.)

2 7, t. VI, p. 456. (Nov. 1745.)

3 Idid., p. 117. (Mars 1745.)

276 héroïsme des PROTESTANTS

En 1749, le ministre Roland était en Provence. Cette province n'avait pas eu jusqu'alors de pasteur et Roger n'y avait pénétré que par un côté. Roland choisit cette terrible année pour réveiller le pays, org-a- niser des consistoires et grouper les églises en trois grands arrondissements

«: Il n'est pas possible, écrivait-on de l'Agenais, de punir tous ceux qui font baptiser leurs enfants au Désert. Les prisons de la province ne seraient pas assez grandes pour les contenir -. »

En Languedoc, en Dauphiné, dès que les soldats rentraient dans leurs cantonnements, les assemblées se multipliaient. Il n'}' avait pas de vallon, de caverne qui ne retentît du chant des psaumes de Marot.

Courage poussé jusqu'à la folie, de voyants, et qui, détail bizarre! devint contagieux. A la vue de ces héros, des catholiques se convertirent, embrassèrent le protestantisme. Cela même fit tant de bruit, qu'il pa- rut un arrêté du Conseil pour ordonner le procès de ces étranges prosélytes.

Eu 1753, parlant du nombre des religionnaires, An- toine Court disait : « Le Dauphiné, le ^ ivarais, le Rouergue, le Quercy, le comté de Foix, la Saintonge, le pays d'Auuis, la haute et basse Guyenne, le haut et bas Poitou, tout en est plein ; la Provence, le Béaru, l'Orléanais, l'Ile de France, la Picardie, la Bretag'ue, la Normandie, la Champagne en contiennent un nombre qui, pour n'être pas aussi considérable que celui des

1 N" 7, t. IX. (1749.)

- Chronique des Eglises réformées de l'Agenais, par M Lagarde, p. 254. Toulouse. (1870.)

SITUATION DU PROTESTANTISME

277

autres provinces, ne laisse pas que d'aller loin. » Ainsi, après la plus lono'ue et la plus terrible des persécu- tions , le protestantisme n'avait rien perdu de sa force. Il se retrouvait aussi vivant qu'aux beaux jours de 1744, lorsque, plein de confiance et se laissant aller aux illusions, il affirmait son existence dans les g-randes assemblées qu'Antoine Court et ses collèg-ues convoquaient librement au Désert.

CHAPITRE IX

l'ktat civil des reformés '

175^-1700

C'était une question grosse d'imprévu que celle du rehaptisement et de la célébration des mariag-es : elle renfermait en germe une révolution. Le clergé l'avait soulevée au nom de l'intérêt de l'Eglise, et l'avait voulu résoudre en 1751 par la persécution - ; il ni^ pré- voyait pas alors qu'il travaillait contre son but, qu'il s'emplo^'ait à sa propre ruine, et que la solution de- mandée par lui avec tant d'ardeur serait pour l'Eglise un solennel avertissement et le premier arrêt de sa dé- chéance.

Sur quoi rouleront en effet, au dix-liuitième siècle, les écrits des hommes d'Etat, lorsqu'ils s'occuperont des religionnaires ? Sur la tolérance? Non. Sur l'état civil. Ce sera leur thème jusqu'en 1787. Ils ne discuteront ni sur un mot, ni sur une abstraction ; ils établiront sim- plement ce fait, qu'il y a dans le royaume quinze cent mille sujets sans état civil, que le nombre s'enaccroît, que

1 V. le bel ouvrage de M, Anquez : De l'Etat civil des Réformés de France. Paris. (1868.)

2 V. chap. vir, p. 187, 223 et 224.

DE L'KTAT CIVIL " 279

la France souffre de cet état de choses, et qu'il faut définitivement y mettre un terme. De à l'idée de la tolérance, il n'y a qu'une lig-ne : que de fois ils la fran- chiront ! Ce n'est pas tout. Le mal est g-rand, diront- ils, et il est urg-ent d'y remédier. Oui. Mais comment? C'est ici qu'ils se montreront hardis. Parmi tous les remèdes proposés, ils n'en verront qu'un seul, et, si radical qu'il soit, ils n'hésiteront pas à l'indiquer : la distinction et la séparation du pouvoir civil et du pou- voir ecclésiastique.

Au fond, ce qui se débattait ici, c'était donc un des plus importants et des plus g-raves problèmes des sociétés modernes. Il appartenait au protestantisme de le poser le premier eu France et de lui donner sa vraie solution.

Sous l'ancien rég-ime, on le sait, c'est l'Eg-lise qui possédait les reg-istres de l'état civil. Depuis le seizième siècle, elle constatait les naissances, les mariag-es et les décès ; elle baptisait, elle mariait, elle enterrait, et seule elle en avait le droit. Maîtresse absolue de tout faire et de tout oser, elle ne faisait entre l'acte civil et l'acte religieux aucune distinction; elle les unissait inséparablement l'un à l'autre, et ne consentait à ga- rantir le premier qu'en posant ses conditions pour le second. Un dissident, quel qu'il fût, voulait-il se ma- rier, déclarer la naissance d'un enfant, il était tenu de se présenter devant le prêtre de sa juricUction, et le prêtre avait le pouvoir de le soumettre non-seulement aux formalités ordinaires, mais encore aux épreuves qu'il lui plaisait d'imag'iner. Les relig-ionnaires, par exemple, étaient ù bon droit suspects, au dix-huitième

280

LES ÉPREUVES

siècle, d'être de mauvais catholiques. Que fît l'Eglise? Elle ne consentit à légitimer leurs unions qu'à cette seule condition, qu'ils feraient ostensiblement acte de catholicisme. Ici, elle leur imposa des épreuves de quatre, de six et de douze mois; là, elle les contrai- gnit à signer une formule d'abjuration * ; et, s'ils re- fusaient de se plier à ces exigences, elle se réserva de déclarer illégitimes leurs mariages et d'appeler bâ- tards les enfants qui en naîtraient.

On a déjà vu, en mille passages, par quelles inces- santes sollicitations Antoine Court et les prédicants avaient obtenu des religionnaires qu'ils ne souscri- vissent pas, quoi qu'il leur eu coûtât, aux humiliantes

» V. Toniel, chap, m, la formule d'abjuration.— La terrible position des religionnaires était très-bien exposée dans le mémoire apologéti- que envoyé par Antoine Court k Fleury, en 1731. V. Pièces et docu- ments, n° 1, Nous donnons encore ici, sur le même sujet, l'extrait suivant d'un intéressant mémoire :

« Les protestants, non plus que les catholiques, ne sont pas tous doués du don de la continence ; mais si quelqu'un d'eux pense de se marier en France, h quels embarras ou h quelles épreuves n'est-il pas exposé? Il faut ou qu'il impose silence à ses désirs, ou, s'il veut rendre son mariage authentique, qu'il se résolve à revêtir toutes les apparences extérieures d'un catholique romain, qu'il assiste exacte- ment à la messe les quati-e, les six, les douze mois de suite (car cela varie suivant les diocèses, n'observant pas dans tous la même rigueur et la même exactitude), qu'il feigne d'adhérer aux instructions qui lui sont départies par le prêtre; qu'il se confesse et qu'il promette so- leiinellement de vivre et de mourir dans la foi catholique, de laquelle déclaration, il est dressé un certificat authentique qui est remis à l'évëque. Il est vrai qu'il arrive quelquefois que, par la connivence d'un prêtre qui a été bien payé et récompensé pour cela, plusieurs d'entre eux se marient sans être obligés k toutes ces démarches dis- simulées. Mais ils n'en passent pas moins pour catholiques devant l'évëque, et cela est si vrai, que s'il arrive dans la suite qu'ils fassent profession de la religion protestante, ils sont censés relaps. » 17, vol. Z, p. 135.

PRÉOCCUPATIONS DE LA COUR 281

conditions de l'Eglise ' . C'est un des principaux buts qu'Antoine Court avait poursuivi depuis le commen- cement de son ministère. En 1744, il l'avait complète- ment atteint ^.

Mais le clergé et la cour s'étaient depuis longtemps émus du tour que prenaient les choses ; et bien avant 1744 et 1751, on trouve les traces des colères de l'un et des préoccupations de l'autre. La cour ne pouvait voir qu'avec inquiétude un nombre considérable de ses sujets vivre sans état civil ^ Et ce ne pouvait être sans une vive irritation que le clergé sentait échapper à son pouvoir et secouer son joug des hommes que depuis

' Lettres écrites à un protestant de France au sujet des ma- riages et des baptêmes. In-8. (1730.) V. encore toutes les reconi- uiaiidatioiis d'Antoine Court, et j)rincipalement ce que nous avons rapporté : Tome I, chap. m ; tome II, cbap. i, p. 15; cbap. vi, p. 161, etc., sans compter les décisions synodales qui sont innombrables.

* V. les plaintes du clergé, chap. vi, p. 161, cbap. vii, p. 187, etc.

S Lettre sur les mariages. Imprimé. Sans nom d'auteur. AValeuce.

3 décembre 1716.

« ... J'apprends, Monsieur, que l'autorité temporelle se prépare à punir sévèrement le concubinage de ces nouveaux réunis, qui vivent avec leurs tiancées, sans que l'Eglise ait eu aucune part U leur prétendu mariage; c'est ce que nous a fait savoir le magistrat illustre à qui cette autorité a été confiée dans la province oti vous êtes, et qui l'y exerce avec tant de justice et tant de sagesse. Il a bien voulu nous instruire, avant que de rien entreprendre, des pouvoir.'; qu'il avait reçus il ce sujet.

« La punition d'un désordre si scandaleux et qui nous fait gémir depuis si longtemps, bien loin de diminuer noti-e douleur, ne servirait au contraire qu'à la redoubler, si ces aveugles que nous portons tou- jours dans le cœur, au milieu même de leui's plus grands égarements, et que nous avons tant de fois sollicités k y mettre fin, persistaient dans leur opiniâtreté. Tout nous persuade qu'une semblable charité vous inspire les mêmes sentiments, etc »

Et il les exhorte à inviter les nouveaux réunis ii réparer leur erreur et régulariser leur jjosition devant l'Eglise.

282 IRRITATION DU CLERGÉ

long-temps elle s'était habituée à croire ou (loiapté.s ou convertis.

Son irritation avait, au surplus, une (loul)le cause, et ceci mérite d'être expliqué. S'il lui était odieux que les religionnaires se passassent de son ministère, il lui était plus odieux encore qu'ils le lui fissent profaner. Beaucoup en effet, dans les quarante premières an- nées surtout du dix-liuitième siècle, ne se sentant pas le courage de vivre sans état civil, juraient tout ce que les prêtres leur demandaient et faisaient tout ce qu'ils exigeaient ; mais leur mariage enregistré et béni, ils ne retournaient plus à l'église et allaient au Désert.

« Lorsque ces jeunes gens, écrivaient les curés des Céven- nes, pensent enfin à s'établir par le mariage, c'est alors qu'ils violent plus ouvertement les lois de l'Eglise et de l'Etat. Quelques-uns, le nombre en est aujourd'lmi très-petit, s'a- dressent il nous. Ils nous déclarent qu'ils veulent vivre et mou- rir dans la religion catholique, lis se font instruire pendant six mois selon les règlements de Monseigneur notre évê- que; ils nous paraissent persuadés et convaincus, au moins ils nous le disent, et nous bénissons leurs mariages dans les règles. Mais ils nous trompent, et d'abord que leur mariage est célé- bré, ils ne paraissent plus dans nos églises. Nous allons les chercher, nous leur exposons les promesses qu'ils nous ont faites à la face des autels et confirmées par leur serment solennel, (Ce sont encore les règlements de ce diocèse.) Quelques-uns nous disent qu'ils souhaiteraient nous tenir ce qu'ils ont pro- mis, et qu'ils voudraient être obligés par les lois du prince pour se mettre à couvert des menaces et des mauvais traitements auxquels ils seraient autrement exposés. D'autres nous répon- dent avec indifférence qu'ils n'ont eu dessein d'être catholiques, et que quand ils ont fait semblant d'abjurer l'hérésie, ils ont pré- tendu renoncer, par une restriction mentale, à la catholicité'. »

' N" 7. Lettre des curés des Cévcnnes au cardinal de Fleury.

PRUJRT DE L'ABBÉ ROBKRT 283

Le cas était révoltant. L'Eg-lise pouvait punir ceux qui refusaient de venir dans ses temples ; elle n'avait qu'à les dénoncer aux intendants, et le châtiment ne se faisait pas attendre. Que de condamnations pour crime de mariage ! Mais que pouvait-elle contre ceux qui venaient liumUement lui demander ses bénédic- tions et qui, sortis à peine du sanctuaire, se hâtaient d'oublier les eng-agements qu'ils avaient pris! Pour les âmes réellement pieuses, c'était une vive douleur et un réel scandale.

On se rappelle que, dès 1726, un abbé Robert avait conseillé à Fleurv de supprimer les « épreuves » et pro- posé un remède. « Etablissez, disait-il en substance, deux sortes de mariages, l'un pour les catholiques, avec les paroles sacramentelles ordinaires : Ego vos in matri- 77107mm conjuugo in notnine Patois, Filii et Spiritus Sancti; l'autre pour les religionnaires, qui ne sera qu'un engagement pris par les conjoints et béni sim- plement par le curé avec l'eau et le signe de la croix, s Les scrupules de l'abbé Robert parurent exagérés. Ce- pendant, comme le mal était réel, on a vu qu'on chercha encore d'autres expédients, et qu'on n'en trouva pas qui satisfissent complètement les parties intéressées. Les évèques ne s'accordèrent que sur ce point, à savoir qu'il fallait demander l'application rigoureuse de l'édit de 1724, ou une nouvelle loi contre les religionnaires

En 1733, les membres des cours souveraines propo- sèrent de ne rien exiger des nouveaux convertis et de les traiter de la même façon que les anciens catlioli-

1 Archives de l'Hérault. C. 251. Les différents projets qui se succé- ilèrent de 1729 îi 1755 s'y trouvent tout au long exposés.

284

NOUVEAUX PROJETS

ques, puisque le protestantisme n'existait plus lég-ale- ment en France. Mais les évêques ne l'entendaient pas ainsi, et ils exigèrent des relip;"ionnaires qu'ils décla- rassent vouloir vivre et mourir dans la relig"ion catho- lique.

En 1738 en 1739, en 1740, en 1741, les projets se succédèrent, et les intendants et les évêques multi- plièrent leurs observations. On finit par tomber d'ac- cord, et il fut arrêté entre Fleury, Bernag-e et les évêques que le roi sig-nerait une nouvelle déclaration « pour renouveler plusieurs articles de la déclaration de 1724 qui étaient comme tombés en désuétude, et pour y ajouter des dispositions qu'on y avait omises ou mal appliquées. »

Malheureusement la g-uerre éclata, Fleury mourut, et il ne fut pas donné suite à cette convention.

En 1743 *, le mal empirant, les évêques convinrent de ce point que l'on exigerait des protestants une abju- ration en forme. La cour, de plus en plus préoccupée des périls de cette situation, était toute disposée à sig'ner cette convention ; malheureusement, la g'uerre continuant, il lui était impossible de prêter au clergé l'appui matériel dont il avait besoin pour entreprendre son œuvre. Ce ne fut qu'en 1748, après la conclusion de la paix, qu'il put se rendre aux instances du clergé.

Déjà cependant, la convention passée entre Fleury,

Le désordre était déjà très-grand. « Le nombre de ces mariages et des enfants qui en proviennent, dit une pièce authentique, a si fort augmenté, et le scandale répandu dans tous les diocèses il y a de nouveaux convertis est aujourd'hui porté si loin, qu'il est indispen- sable d'en réprimer les désordres. »

2 C'est à cette année que le clergé faisait remonter tout le mal.

EMBARRAS DE LA COUR 285

Bernage et les évèques lui déplaisait ; elle charg'ea donc d'Ag'uesseau de demander à Le Nain un nouveau projet.

La position de la cour était en effet très-difficile. Les évêques lui demandaient que les religionnaires se ma- riassent et fissent baptiser leurs enfants à l'église, et, s'ils refusaient, qu'elle les _y contraignît. Elle y con- sentait. Mais ils lui demandaient encore que les reli- gionnaires eussent, en accomplissant ces deux actes, des sentiments réellement catholiques, ou du moins qu'ils en montrassent les apparences. Elle ne pouvait vraiment ni le promettre, ni l'accorder. Au surplus, elle avait elle-même ses intentions. Elle avait consi- déré la question au point de vue de l'Etat ; elle souf- frait depuis longtemps de la situation que lui faisait l'obstination des protestants, et elle entendait le faire cesser d'autant plus vite, qu'elle en ressentait parti- culièrement un plus grand tort. Pour arriver à son but, elle ne voyait qu'un moyen : la douceur et l'indul- gence. « Relâchez- vous un peu de vos rigueurs, di- sait-elle au clergé, n'exigez pas d'abjuration écrite, n'imposez pas des épreuves trop long-ues; nous arrive- rons, peu à peu, à les gagner, et, s'ils repoussent nos avances, nous aurons toujours entre les mains la force pour les contraindre. » Mais les évêques ne voulaient rien entendre, et elle n'osait pas violenter leurs convic- tions : ainsi, elle s'engageait dans une voie sans issue, ne sachant à la fois ni céder, ni tenir ferme.

De 1743 à 1750, on tourna dans le même cercle. Les rapports et les mémoires se croisèrent, les confé- rences se succédèrent entre les évêques et les inten-

p

28C, (JkDONNANCH Dr; H 50

dants; on n'arriva à aucun résultat, et H ne s'établit nulle entente

Il était cependant facile de voir que la cour se lais- sait insensiblement ébranler et que le moment appro- chait où elle tomberait aux pieds du clergé. Au mois de janvier 1750, et bien que l'intendant Le Nain pen- sât que ce fut une faute et qu'il aurait mieux valu des ordres précis et secrets, elle promulg-ua une ordon- nance qui attribuait « au commandant, ou en son ab- sence h l'intendant, la connaissance des baptêmes et mariages qui seraient contractés devant les ministres da la religion prétendue réformée. »

Mais une loi qui ne comportait point de rigoureuse application ne pouvait contenter le clergé. Les évêques, et le plus fougueux d'entre eux, l'évèque d'Alais, M. de Montclus, déclarèrent qu'ils ne seraient satis- faits que si les intendants et commandants mettaient au service des ordres de la cour les soldats et les troupes qu'ils avaient sous la main. L'ordonnance de janvier, bien qu'insuffisante, contenait d'excellentes choses, sans doute; ils ne pouvaient cependant y ap- plaudir qu'à deux conditions : la première, qu'elle se- rait appliquée; la seconde, qu'elle aurait un effet ré- troactif. « Ce qu'il nous faut, disait l'évèque d'Alais dans une lettre à l'intendant, c'est une déclaration royale qui , en même temps qu'elle confirmera les premières, défendra aux protestants, pour l'avenir, de ne plus se marier hors de l'Eglise, ni faire baptiser leurs enfants au Désert, et leur ordonnera, pour U

* Archives de rHérâult. C. 25L

MÉ.MOIRE DE SAINT-PRIEST

287

■passée de venir, dans un terme très-court, réhabiliter et recommencer leurs mariages et leurs baptêmes ; le tout, sous la condition d'être jug'és sans forme ni fig-ure de procès... »

Saint-Priest, ([ui venait d'être nommé intendant du Lang-uedoc, arriva sur ces entrefaites. La cour l'inter- rogea aussitôt sur la question des mariag'es et des baptêmes, et lui demanda son avis. La réponse de Saint- Priest, quoique empreinte de tristesse, fut très-claire ^ Les protestants étaient de mauvais catholiques, on n'en pouvait douter, mais ils ne devaient pas être plus mal traités que de mauvais catholiques. On n'avait que faire de sonder et de soupçonner leurs sentiments in- times. Cela étabh, puisque le clerg'é voulait imposer des épreuves à ceux dont les opinions et la conduite lui paraissaient suspectes, il fallait pour mettre un terme à l'arbitraire, oblig-er tous les sujets du roi, indistinc- tement et de quel(/îce qualité qu ils fussent, qui deman- deraient le sacrement de mariag'e et n'auraient pas fait depuis long-temps les actes extérieurs de la R. C, d'assister pendant trois mois aux messes paroissiales. » Les mauvais catholiques, religionnaires ou non, se- raient frappés par la même mesure, et nul n'aurait le droit de protester contre elle. En attendant, « on sup- pléerait » aux cérémonies des baptêmes et des ma- riages faits au Désert; ces deux mots : bâtardise et concubinage, seraient rayés des registres paroissiaux, et l'on pourrait espérer que les protestants, traités comme les autres sujets, ni mieux, ni plus mal, vien-

1 Avril 1751. V. Pièces et documents, n= XVII.

288 PERSÉCUTION DE 1751

riraient désormais aux pieds des autels faire consacrer leurs unions et leurs enfants * .

C'est sur ces bases que de nouvelles négociations furent reprises avec le clergé.

On devait nécessairement tomber d'accord. La cour accordait plus qu'il ne lui était en réalité demandé : les épreuves, non-seulement pour les protestants, mais pour tous les Français, la certitude enfin de la répres- sion. Les évêqués en effet se déclarèrent satisfaits.

Au mois d'avril 1751 se déchaîna la persécution ^

On a vu comment elle se termina, et quelle en fut l'horreur et l'inutilité.

La cour, effrayée de ses propres mesures et des ob- stacles qu'elle rencontrait, ne tarda pas à se raviser, et bien qu'elle fut décidée à faire cesser les mariages et les baptêmes au Désert, ébranlée un peu, hésitante entre les moyens, elle ne sut bientôt plus à quoi se résoudre.

Ce qui ajoutait à ses perplexités, c'était l'attitude du clerg'é. Celui-ci, loin de se laisser toucher par la dernière expérience qu'il venait de faire, se montrait au contraire plus exigeant et plus dur. Il avait accepté, une année auparavant, les conditions de Saint-Priest ; il prétendait maintenant ne plus s'en contenter, et quoi- qu'il demandât toujours le concours du pouvoir civil, il voulait désormais faire adopter ses précédentes pré- tentions. Mais ses exigences tyranniques commen- çaient d'irriter la cour. Si la perspective d'un conflit était désagréable au gouvernement, fatigué et lassé

» Archives nationales. TT. 324-325. s V. chap. VII, p. 225.

RICHELIEU ET LES ÉVÉQUES 289

cependant, il ne voulait point céder une fois encore de- vant tant de hauteur. « Il y a quelque moyen, écrivait Saint-Florentin à Saint-Priest, de déterminer MM. les évèques à se relâcher, c'est de leur faire entendre qu'ils ne doivent pas compter sur l'autorité du roi pour le maintien des règ-les de sévérité qu'ils veulent établir \ » Et Eichelieu fut envoyé en Lang-uedoc avec des ordres très-précis, pour s'entendre avec les évêques et les convertir, s'il était possible, aux vues de la cour *.

Des conférences s'ouvrirent à Montpellier dans les premiers jours du mois de novembre 1752 ^ L'affaire était importante, comme le disait Saint-Priest, et elle intéressait la relig-ion et la cour. Les graves désor- dres qu'il s'ag-issait de faire ctoser, ne pouvaient être arrêtés que par le concours de l'une et de l'autre puis- sance. Mais si les évêques étaient disposés à demander celui du gouvernement, ils ne voulaient de leur côté rien concéder ni rien entendre : on s'en aperçut bientôt, après quelques séances, et l'on vit bien qu'il était inutile d'aller plus loin, car on n'arriverait à aucun résultat.

« Mes représentations, écrit Saint-Priest, ne firent pas grand fruit; chacun resta dans ses maximes, et tout ce qu'on put con- clure de ce qui fut dit à l'assemblée, dans laquelle j'eus plus plus d'une fois occasion d'admirer la prudence et la patience de M. de Richelieu, c'est : •< Qu'on n'inscrira plus, dans aucun diocèse, la quahfication odieuse de bâtard dans les registres de

- Archives de l'Hérault. C. 251. (15 juillet 1752.) 2 V. chap. VII, p. 237.

' V. une lettre de Saint-Priest : Histoire de l'Eglise de Montpel- lier Pièces jastilîcatives, n" 41. V. aussi une lettre de Richelieu : Bibliothèque aationale. Manuscrits, n" 7046, p. 320.

II 19

20f) NOUVELLE ENTENTE

baptêmes; Qu'il ne faut à l'avenir compter sur aucune sorte d'adoucissement dans les épreuves (|u'ils exigent pour les ma- riages sur lesquelles ils ne croyon t pas devoir se rendre uniformes .

« Vous ])Ouvez, Monsieur, regarder ce point comme constant ; on a dit et écrit sur cette matière tout ce qu'on a cru capalde de les engager à changer d'avis, et ce serait peine perdue que de tenter de nouvelles controverses.

« Il faut avouer (juc cette nouvelle détermination des évëques laisse au roi de plus grands embarras à surmonter jiour rétalilir l'ordre. »

La cour ne pouvait pas toutefois rester sur cet écheC, et Richelieu qui se plaisait aux siég'es et aux escalades, et qui y réussissait, n'entendait pas sortir vaincu ou amoindri de cette lutte d'un nouveau genre. Avec une étonnante obstination il reprit donc la question, et mie année ne s'était pas écoulée, passée en pourpar- lers et en intrigues, qu'il vit les évêques se rendre l'un après l'autre à discrétion, et l'entente s'établir en 1753 sur les mêmes bases qu'en 1751. Grâce à lui, la cour triomphait

La question allait cejîendant entrer dans une nou- velle phase. Jusqu'alors, elle avait été exclusivement débattue entre le clergé et la cour et comme étouffée entre des mémoires d'évêques et d'intendants. On l'a- vait en outre fait descendre à de misérables considé- rations, et ce qui devait être matière à principes était devenu matière à expédients. Il était temps de rom- pre le cercle on l'enfermait, et d'élever le champ elle se traînait depuis le commencement du siècle.

1 V. chap. suivant, p. 309. V. aussi Histoire de tEglise de Montpellier, p. 440.

RIPPERT-MONCLAR

En 1755, sans nom d'auteur ni lieu d'impression, parut un important ouvrag-e. Il avait pour titre : Jffémoire tliéologiqv.e et^^oUtique aie sujet des mariages clandestins des protestants de France et débutait par ces lig-nes bien faites pour exciter l'émotion :

« La nécessilé de trouver un moyen qui prévienne sûrement les mariages protestants de France, et qui constate l'état de leurs enfants, est i)eut-ètre, de tous les objets qui occupent le gouvernement, celui qui mérite le plus son attention. »

Plus loin, on lisait encore :

« Selon la jurisprudence du royaume, il n'y a point de pro- testants en France, et cependant, selon la vérité des choses, il y en a i)lus de trois millions. Ces êtres imaginaires remplissent les villes, les provinces, les campagnes, et la capitale de ce royaume en contient plus do soixante mille. »

(Juel était cet auteur qui parlait avec tant d'auto- rité à la fois, de fermeté et de modération ? Les catho- liques ne le surent pas tout d'abord et, dans le pre- mier moment de leur surprise, ils crurent qu'il était protestant. Ils se trompaient. L'auteur était catholique et membre du parlement d'Aix. Il s'appelait Rippert- Monclar.

La question qui se débat, disait en substance Rip- pert-Monclar, est une grave question, et tous en con-

Mémoire théologique et politique au sujet des mariages cIçlii- ûestins des i^rotestants de France, Von peut voir qu'il est de Vintérêt de l'Eglise et de l'Etat de faire cesser ces sortes de jva- riages, en établissant pour les protestants tcne nouvelle forme de se marier, qui ne blesse point leur conscience, et qui n'intéresse point celle des évéques et des curés. (1755.)

Il en parut, en 1756; « une seconde édition revue et corrigée. «

292 MÉMOIRE THÉOLOGIQUE, ETC

viennent. Pour la résoudre, il y a trois projets en présence : celui de la cour, celui de l'évêque d'Alais, et celui de l'évêque d' Agen . La cour veut que les re- lig'ionnaires se marient et fassent baptiser leurs en- fants devant les curés; mais elle veut aussi que les curés réduisent leurs prétentions et ne rendent pas inaccessible, par une sévérité déplacée , l'entrée de leurs églises. L'évêque d'Alais admet volontiers la pre- mière partie du programme gouvernemental ; mais il en repousse énergiquement la seconde. Quant à l'évê- que d'Agen, il est radical. « Vous poursuivez une con- ciliation impossible, dit-il, et le seul moyen de remé- dier au mal, c'est d'ouvrir aux protestants les portes du royaume » Tous ces projets sont mauvais, dé- testables, et il est facile de le prouver.

Ce n'est point la rigueur des épreuves qui mécon- tente et éloigne les protestants, c'est l'épreuve elle- même, fùt-elle sans conséquence, fût-elle sans valeur, par cela seul qu'elle est « épreuve. » Ils ne veulent ni plier, ni paraître plier devant l'Eglise. Ils réclament un droit, le droit de se marier, et ils n'entendent pas, pour obtenir ce droit, abjurer leur foi, même des lè- vres, même pour quelques minutes *. Que souhaitez- vous, d'ailleurs? Que le clergé réduise les épreuves?

' V. la Lettre de Vcvcque d'Agen à M. de Machault, chap. vm, p. 266. La pensée y était et le mot.

2 « Il paraît, devait dire bientôt Paul Rabaut, que l'évêque d'Alais, croyait faire un grand sacrifice en réduisant à quatre mois le temps des épreuves imposées aux fiancés protestants... Ce qui les rebute, ce sont ces épreuves mêmes, sans avoir que peu ou point d'égards à leur plus ou moins de longueur. Ce qui les désole, c'est qu'on leur fasse jouer l'infâme rôle d'hypocrites, qu'on les force d'assister à la messe malgré l'extrême répugnance qu'ils y ont. »

MÉMOIRE THÉOLOGIQI'E, KTC 2P3

Mais VOUS lui demandez uue impossibilité et une mé- chante action. Il ne peut moralement rien abandonner des droits qu'il tient de Dieu, et, le pourrait-il, il ra- baisserait sing-ulièrement sa dignité, et tiendrait en bien mince estime son honneur, s'il consentait jamais à conférer les sacrements du mariage à des hommes qu'il en croirait indignes. Vous voulez que les uns et les autres se déguisent et prennent un masque ; vous ne l'obtiendrez jamais. Le projet de M. l'évêque d'Agen serait en vérité le seul acceptable, s'il n'était point le plus funeste à l'Etat. Chassez-les, dit en effet M. de Chabannes. Eh quoi ! a-t-on oublié les funestes effets de la révocation de l'Edit de Nantes? Ne se rappelle-t-on plus les routes couvertes de fugitifs, et les rois étrangers ouvrant les portes de leurs capitales aux exilés qui leur portaient, avec leur fortune, le g'énie de la France?... Mais vraiment il serait trop facile de plaider uue cause mille fois g-agnée, et il vaut mieux ne point insister. M. de Monclus, lui, veut qu'on contraigne les protestants à se marier à l'église, et que les curés soient appuyés de dragons pour mener les fiancés protestants à l'église et les y retenir. Est-ce sérieusement possible ? Est-on jamais parvenu et par- viendra-t-on jamais à faire fléchir sous la force les consciences fières? N'est-ce pas d'ailleurs une honte pour l'Eglise, et qui pis est, une honte inutile ? Au surplus, ajoutait-il, car il voyait bien que son argu- mentation ne pouvait point toucher des esprits tels que ceux des évêques d'Agen et d'Alais, au surplus, de quel droit les deux prélats que nous réfutons se mêlent- ils d'une pure affaire d'Etat ? « Ces deux questions, s"il

294 MÉMOIRE THÉOLOGIQUE, ETC

faut persécuter les errants, ou si l'on doit plutôt les chasser du royaume, sont-elles donc du ressort de l'E- g-lise ?. . . Nous l'avons déjà dit, c'est une pure affaire d'Etat, qui le regarde seul, et qu'il ne manquera pas de terminer avec l'applaudissement de tout l'univers'. »

Voilà l'inutilité et l'odieux des trois projets mis en pleine limiière ; il faut cependant eu trouver un qui sauveg-arde à la fuis l'honneur de l'Eg-lise, les droits de la conscience et surtout l intérèt de la France.

Il est de la politique de conserver les anciens su- jets et de s'en procurer de nouveaux. « Il est encore de l'intérêt de l'Etat de conserver l'ordre dans les familles et dans les successions par la certitude et la facilité des mariages. Enfin, il est d'un sage gouvernement de pourvoir à tout ce qui peut maintenir l'ordre et l'honnêteté publique, et faire régner parmi les peuples l'union, la concorde et la paix. » Qu'est-ce que le ma- riage y D'après le droit civil, c'est tiri et mulieris maritalis conjunciio, individuam tita con&uetudinem retinens; d'après le concile de Trente : Matrimonium est viri et mulieris Mariialis conjiinctio inter légitimas personas inditiduam, titce societaiem retinens. Il est donc facile de constater dans le mariage deux choses Lien distinctes et que l'on peut séparer : « Un contrat humain, et un rit extérieur pour le hénir. » Le ma- riage existait avant Jésus, partant avant le sacrement et ce n'est pas le sacrement qui le rend indissoluble. La preuve en est qu'on n'oblige pas les infidèles qui se convertissent à se remarier, et que le concile de Trente

^'. MCmoire théologique, etc , p. 59.

MÉMOIRE THÉOLOGIQUE, ETC. 295

lui-même, se conformant à la tradition des siècles, a déclaré légitimes des mariag-es clandestins. Ces prin- cipes établis, il est évident que « le roi est maître d'établir, sans l'intervention de l'Egiise, une forme lé- gitime pour les mariag'es de ses sujets protestants, et de valider ceux qui sont déjà faits. » Quant au mode qu'il pourrait choisir, il serait simple. Tout le monde convient que les lois civiles et canoniques, en exig-eant pour la validité des mariag'es la publication des bans, ont eu principalement pour but d'obvier à leur clan- destinité. Serait-ce donc impossible et contraire aux lois de l'Etat de faire en France, pour les religionnaires, quelque chose d'analog'ue à ce qui se pratique en Hol- lande à l'ég-ard des catholiques : « lafwhlkation des ians, par exetnple, dans un tribunal de justice^ et la célébration des mariages devant les magistrats » Et plus loin, il ajoutait à propos des mariag-es déjà faits : « Les con- joints n'auraient qu'à se présenter devant les magistrats avec les preuves suffisantes de leur eng'ag-ement mutuel, ainsi que celles de la naissance de leurs enfants ; ils s'épouseraient de nouveau en leur présence, et en pas-

1 En 1752 déjà, d'après M. Anquez, ce système radical avait été proposé. Un anonyme avait démontré dans un mémoire qu'il était nécessaire de promulguer une loi, d'après laquelle les mariages des calvinistes se feraient aux hôtels de ville, devant les magistrats muni- cipaux, après présentation des curés et trois mois d'instruction. V. De l'Etat civil, etc. p. 139. C'est à ce mémoire qu'Antoine Court faisait probablement allusion dans une lettre à Pommaret : « S'il y avait un parti à prendre entre faire célébrer son mariage ou par un prétï'e ou par un ministre, ce serait que le roi ordonne que les mariages de réfor- més fussent célébrés en présence du magistrat et enregistrés par lui. On a démontré, dans un mémoire que j'ai en main, que le roi est par- faitement le maître de disposer, dans son royaume, de tout ce qui concerne la discipline du mariaiL', » 7, t. XIH, p. 211. (1753 )

RÉPONSE DT'N ANONYME

sellaient acte sur le reg-istre des mariages. » Voilà le seul projet convenable, bon en soi, et qui puisse remé- dier au mal qui prend tous les jours dans le royaume des proportions croissantes. La relig-ion est déshonorée et l'Etat confondu. Il est du devoir du prince de ren- dre à la relig-ion le respect qui lui est du, et à l'Etat l'ordre et la tranquillité qui lui sont nécessaires. Pourrait-on encore hésiter ^

Cet ouvrag-e, à peine paru, eut un immense retentis- sement. C'est par lui, à wni dire, que la question pro- testante fut définitivement mise à- l'ordre du jour du dix-huitième siècle, et s'imposa à l'opinion. Deux édi- tions furent épuisées' en quelques mois; Fréron, dans son Année littéraire^ en fit un compte rendu perçaient ses sympathies ' ; bientôt apparurent en nombre les réponses, les réfutations et les réponses aux réponses.

Une des premières, et des plus courtes d'ailleurs, contenait tout ce que l'on devait plus tard dire lon- guement sur cette matière \ Les prêtres, y lisait-on, imposaient des épreuves aux protestants; c'était vrai, et ils faisaient bien : ils n'étaient pas coupables, si après avoir fait leur devoir, ces derniers trompaient leur bonne foi. Le projet de loi proposé avait pour conséquence immédiate et nécessaire la reconnaissance

V. Année littéraire, t. III, p. 193. (1756 )

- Sentiments des catholiques de France sur le Mémoire au sujet des mariages clandestins des protestants, ln-8. (1756 ) Sans nom d'auteur ni de libraire.

Peu de temps après parut : Héponse d'un bon chrétien aux pré- tendus sentiments des catholiques de France. In-8. (1756.) Sans nom d'auteur. Cet écrit était favorable aux protestants.

Enfin : Petit Ecrit sur une matière intéressante. A Toulouse chez Pierre L'Agneau. In-8. (1756 )

DISSERTATION SUR LA TOLÉRANCE

297

et le rétablissement du protestantisme en France. Or, le protestantisme était ennemi des monarchies, donc ce rétablissement « ne pourrait jamais être que très- préjudiciable à la France qui depuis treize siècles était un royaume toujours catholique. Gloire beaucoup plus grande que toutes les autres dont elle pourrait se vanter. » Il fallait ainsi, à moins de courir de graves dang-ers, maintenir ce qui existait.

Cette même année 1756, parut un ouvrage plus considérable '.

« Je ne me flatte pas, écrivait l'auteur, de faire revenir les protestants de l'erreur ils sont au sujet de la tolérance. C'est leur système favori, et dont ils voudraient presque faire un article de foi. Mais j'aurai toujours l'avantage de convaincre les catholiques que l'esprit de persécution que tous ces petits au- teurs huguenots nous reprochent, est une manifeste calomnie, et que les lois pénales, lorsqu'elles sont bien dirigées, sont non- seulement permises, mais encore absolument nécessaires*. »

Et après avoir consacré une moitié de son ouvrage à combattre sous toutes ses formes l'idée de tolérance, l'auteur arrivait au projet de Rippert-Monclar, et il essayait d'en démontrer le danger et l'inutilité.

1 Dissertation sur la tolérance des protestants, ou Réponse à deux ouvrages, dont l'un est itttitidé : L'Accord parfait, nous eu parlerons plus loin, chap. xi, p. 337; et l'autre : Mémoire au su- jet des mariages clandestins des protestants de France. En France. (1756.) Sans nom d'auteur.

On répondit la même année à pet ouvrage : Réponse à une Disser- tation contre les mariages clandestins de France, ou Lettre à Taur- teur d'un écrit intitulé : Dissertation sur la tolérance des pro- testants, ou Réponse à deux ouvrages dont Vun a pour titre : U Accord parfait, et Vautre : Mémoire au sujet des mariages clandestins des protestants de France, ln-12. (1756.) Attribué à l'abbé Besoigne, d'aprè.s Barbier

* Préface, p. viii

298 DISSERTATION SUR LA TOLÉRANCE

Il convenait que des trois projets mis tout d'abord en avant, celui de l'évèque d'Ag"en n'était pas prati- cable. S'il y avait partout, disait-il, aussi peu de pro- testants qu'il y en a dans la Provence, le Béarn, le Berry, l'Orléanais, la Touraine, l'Anjou, le Maine, la Bretagne, le pays Chartrain , la Picardie, la Cham- pagne, la Bourgogne, la Brie, l'Isle de France et quel- ques autres provinces, il serait facile en temps de paix de délivrer pour jamais l'Etat de cette secte dange- reuse , parce que la désertion serait alors insensible ; mais ils étaient trop nombreux dans quelques pro- vinces, comme le Languedoc, la Guyenne, le pays d'Aunis, la Saintonge et la Normandie, poiu- que le dépeuplement ne se fît pas trop sentir. Pourquoi d'ail- leurs recourir à cette extrémité? N'y avait-il pas possi- bilité d'établir une entente entre la cour et le clergé ? Ils poursuivaient le même but ; ils devaient s'accorder sur le meilleur moyen de le réaliser. Quant au projet de Rippert - Monclar , il fallait l'écarter résolument et à tout prix, car il ne pouvait que ruiner à la fois et l'Eglise et l'Etat. Que signifiait sa distinction du ma- riage et du sacrement '{ Et cette distinction fiit-elle fon- dée, que pouvait-il prouver? « Il est; aussi nécessaire de se marier d'une manière bien chrétienne que d'une manière bien réglée. » L'Etat et l'Eglise avaient un commun intérêt à ce que les mariages se célébrassent comme ils se célébraient depuis plusieurs siècles ; et il fallait continuer d'observer les lois existantes, dussent les protestants, dont on exagérait d'ailleurs le nombre, en souffrir ou prendre le parti d'émigrer. La France en effet était assez riche, assez puissante pour se passer de

t'ABBÉ DE ÇAVEIRA.C 299

tous les religionn aires qui l'habitaient, sans rien perdre de sa puissance ou de sa g-loire. « C'est par pure commi- sération f[ue nous voulons bien les y souffrir. Mais qu'ils n'en abnsent pas au moins jusqu'au point de s'y croire nécessaires et de molester notre aug'uste mo- narque. Il ne sied pas à une poig'uée de mutins et qui ne sont pas la ving't-cinquième partie de la nation de vouloir se faire craindre. »

Toute cette arg-umentation n'étaitni serrée, ni hardie, et la passion y tenait plus de place que les faits et la log'ique. Il importait cependant que le mémoire de Bippert-Monclar ne restât pas sans vraie réponse, et on le comprenait bien. L'abbé de Caveirac essaya d'une réfutation « On a cru, disait-il dans sa préface, qu'il fallait donner aux e.spvits le temps de reyenir de l'es- pèce d'enthousiasme dont ils ont été saisis à la pre- mière lecture du Mémoire théologiqite et 2^olitique. Le moment de l'eng'ouement n'est pas l'instant propre pour faire revenir de la prévention ; on a donc trouvé plus sag-e que les esprits fussent rassis. » Et il arrivait au projet de Rippert-Monclar. En quoi consistait-il ? A séparer le mariag-e du sacrement, c'est-à-dire, à éta- blir pour les relig-ionnaires une forme de se marier pu- rement civile. Pour le condan^ner et en faire ressortir tous les dang-ers, ne sutiisait-il pas de ce simple énoncé':' L'Eg'lise avait toujours conservé l'espoir de ramener au bercail ceux qui s'en étaient écartés. Mais pour le

Méinoive politico-critique, Von examine s'il est de V intérêt de l'Eglise et de l'Etat d'établir, pour les calvinistes dii royaume, ■une nouvelle forme de se marier, et Von réfute Vécrit qui a pour titre : Mémoire théologique et politique ax sujet des mariages clandestins des protestants. In-8. (1751). )

300 MÉMOIRE POLITICO-CRITIQUE

réaliser , il fallait qu'elle vît les « errants » et qu'elle pût essayer sur eux la force de ses arguments. « Or, quel moyen lui resterait-il de les attirer à elle , si la permission de se marier en présence des mag-istrats les éloignait de nos pieuses pratiques... Quelle occasion aurait-elle d'instruire ceux qui ne seraient plus dans l'obligation de l'écouter ? » L'Eglise aurait en outre d'autres périls à courir. Les protestants n'étaient point les seuls qui fussent dans le royaume de mauvais ca- tholiques. Si un tel projet se transformait en loi, qu'en résulterait-il? il arriverait infailliblement que plus d'un catholique suivrait l'exemple donné par les religion- uaires, et que beaucoup se passant du prêtre se con- tenteraient de faire bénir leurs mariages par les magis- trats ordinaires désignés à cet office. L'Eglise enfin n'avait cessé depuis trois ans de poursuivre l'anéantis- sement du protestantisme français. Or, une telle loi détruirait tous ses desseins, car elle équivalait à un édit de tolérance. On allait voir le protestantisme reconnu relever fièrement la tête et refleurir en France comme au vieux temps jadis, quand régnait Henri IV. Ainsi pour l'EgHse triple péril... L'Etat du moins, pouvait- il se croire assuré contre tout danger, ou pouvait-il re- tirer quelque avantage de sa condescendance? Non. C'était un amusement périlleux que de refaire les lois, surtout lorsque primitivement dirigées contre les héré- tiques, on les voulait modifier ou changer en leur fa- veur. Avait-on oublié à quels principes obéissaient les protestants ? Ne savait-on pas qu'ils étaient les enne- mis jurés de toute autorité et de toutes monarchies ? Leurs apologistes, il est vrai, étalant complaisamment

MÉMOIRE POLITICO-CRITIQUE 301

les effets désastreux de la Révocation, se plaisaient à redire que si le projet était accepté on verrait les an- ciens réfugiés revenir dans le royaume. Mais qu'avait- on besoin d'eux ? La France ne se sufïïsait-elle pas ? Etait-il nécessaire que le nombre des factieux et des incrédules augmentât encore? On se flattait d'ailleurs d'un chimérique espoir. « N'avaient-ils point aban- donné leur patrie pour suivre leur religion ! Retourne- raient-ils dans un pays ils n'en trouveraient pas de vestige ! Dans un pays, le plus gTand privi- lège serait de pouvoir convertir en un acte profane une action qu'on croyait sanctifier tous les jours dans leurs temples par la prière et les bénédictions En résumé, le projet de Rippert-Monclar était donc détestable , plein de périls et sans compensation : il fallait le combattre hardiment et le rejeter en entier. Dans la situation présente et pour empêcher le mal d'empirer , il n'y avait qu'un remède , « et c'était l'affaire d'une loi sage, ferme et précise, qui en manis- festant la volonté du prince ne montrât son méconten- tement que pour montrer mieux l'excès de son indul- gence. » Il fallait empêcher, quoi qu'il en coûtât, les mariages clandestins, et il suffisait, pour y arriver, de maintenir et d'appliquer rigoureusement les articles 'IV, V et Vldel'éditde 1724. Sans doute le remède n'é- tait point parfait, et il en connaissait un, inventé par lui, qui guérirait tout ; mais il n'était pas de ceux qui se mettaient en avant, et il attendrait pour le com- muniquer qu'on lui fît l'honneur de le lui demander...

D'autres ouvrages du même genre suivirent de près jusqu'en 1760 celui de l'abbé de Caveirac. C'étaient, il

âÔ2 NOUVELLES RÉPONSES

est vrai, les mêmes faits et les mêmes arg-uments pré- sentés presque dans la même forme et longuement reproduits. Mais à cet empressement à répondre, on pouvait voir combien le clergé avait ressenti profon- dément le coup que lui avait porté Rippert-Monclar ' .

Si ses craintes étaient fondées , elles étaient du moins prématurées. Tout -puissant, maître absolu et respecté de tous, il savait bien que sa volonté prime- rait celle du roi, et que bien des années s'écouleraient encore avant que son autorité fût ébranlée. Et de fait, la condition des protestants relativement à leurs ma- riages ne changea point. Malgré Monclar, malgré Besoigne, malgré les intendants, le clergé resta souve- rain maître, et bien qu'il feignît de se plier aux exi- gences de la cour, il sut jusqu'en 1760 forcer le roi à l'aider dans l'accomplissement de ses desseins. En 1758 on trouve encore des ])lacets imprimés qu'envoyaient les protestants de Bordeaux, de Bergerac et de Sainte- Foy. Et l'année 1760 s'ouvre sur cette supplique des protestants du Languedoc

« Nous suii])lions notre auguste monarque, ce père de ses su- jets, de vouloir bien disposer de nos biens, de nos vies mémos, si elles sont nécessaires à son service; mais de vouloir bien

1 La Voix du vrai patriote catholique opposée à celle des faux patriotes tolérants, in-8. (1756), par l'abbé de Montégut, d'après Barbier.

Seconde Ré]}onse à des Dissertations contre la tolérance pour les mariages prolestants, ou Lettre à F auteur de deux mémoires, lim intitulé : « Mémoire politico-critique, » etc., et Vautre : « La Voix du vrai patriote catholique, » etc. Pièce. In-12. Attribué à l'abbé Besoigne.

' Arçliives nationales. TT. 434. —V. aussi Pièces et documents n" XVIII

NOUVELLES SUPPLIQUES 303

en même temps épargner nos consciences qui ne relèvent que de Dieu. Quand le clergé se relâcherait au point de bénir nos mariages moyennant une seule génuflexion, génuflexion que nous ferions devant un autel ou une image, ce ne serait pas moins profaner cet autel ou tel autre objet de vénération. «

Le temps approcliait cependant les arg'uments de Rippei't-Monclar devaient trouver des hommes d'Etat disposés à les écouter, et le clergé impuissant, humilié et vaincu, regretterait de n'avoir point cédé à temps et d'avoir })erdu par une opiniâtreté fâcheuse l'ensemble des idées dont il était le fidèle représentant et l'avocat le plus passionné. En 1752 déjà, n'était-ce pas Richelieu lui-même qui disait : « Je prononcerai hardiment qu'il faut trouver quelqu'expédient qui puisse concilier les excès, et que si la religion exige de la déférence aux sentiments des évèques sur l'ad- ministration des sacrements de baptêmes et de maria- ges aux N. C, l'ordre politique, le bien public et les liens les plus sacrés de la société exigent nécessaire- ment une loi certaine, invariable et uniforme pour assurer l'état d'un aussi g'rand nombre de sujets du Roi »

' Bibliothèque nationale. Mss. n" T046, p, 325.

CHAPITRE X

PAIX OU GUERRE? TOLERANCE ET PERSÉCUTIONS

1752-1760,

Les soldats manquaient, et Richelieu qui avait be- soin de renforts, conférait en les attendant avec les évêques du Languedoc.

Les relig'ionnaires, cependant, depuis la fin de la persécution de 1752, couraient au Désert et multi- pliaient leurs assemblées. Il y avait un zèle inexprima- ble. « Les choses ont changé en bien, depuis quelque temps dans notre patrie » écrivait Court. Et rempli d'illu- sions, il ajoutait : « Des ordres supérieurs sont inter- venus, et cette conduite aigre et violente s'est un peu modérée. Une espèce de tranquillité a succédé à la vio- lente bourrasque d

C'est dans le Languedoc que la persécution avait causé le plus de maux, c'est aussi dans cette province qu'on mit le plus d'ardeur à les réparer. Dès que les détachements cessèrent de battre le pays on vit les re- ligionnaires se rendre en foule aux prêches en plein jour. Il y eut cette année, 1753, un élan, une exubérance

f

t N'> 7, t. Xin, p. 127. (1753.)

REPRISE DES ASSEMBLÉES 305

de vie incroyable. Il semblait qu'on eût peu de temps à jouir de cette liberté inespérée, et on avait hâte d'en profiter. Ceux-ci fiers d'avoir traversé, sans lâcheté aucune, une crise terrible, arrivaient la tète haute; ceux-là se reprochant des actes de faiblesse, approchaient lentement, tristement. Ils avaient assisté à la messe, ils avaient laissé rebaptiser leurs enfants, ou bien encore ils s'étaient fait marier par un prêtre. Fautes impardon- nables, pour lesquelles les pasteurs se montraient sans pitié ! Qu'on lise à cette date les délibérations d'un consistoire. « Quelques personnes, qui ont fait rebapti- ser leurs enfants dans l'Eglise romaine, ayant demandé d'être admises à participer à la sainte Cène, elles ne pourront l'être qu'après une année et demie de péni- tence. » « M. et M""" ... feront leur réparation pu- blique pour avoir consenti que leur fille se mariât dans l'Eglise romaine. » « On bénira tel mariage, mais après avoir fait au dit et à sa fiancée une sévère ré- primande de ce qu'ils ont assisté à la messe *. » Tous cependant accoururent, et ceux-là les premiers qui re- doutaient le plus la honte d'une réparation publique. Il y avait si longtemps que la communion ne se célé- brait plus publiquement, et que les assemblées se te- naient, la nuit, dans l'ombre mystérieuse des retraites solitaires !

Les autres provinces offrirent un semblable spec- tacle. Elles avaient, le Dauphiné excepté, moins souf- fert que le Languedoc. Elles n'avaient point vu s'exé- cuter chez elles les dragonnades de 1752 : depuis 1750,

1 V. Coquerel, t. II, p. 100. II

20

306 REPRISE DES ASSEMBLÉES

quoique les intendants fissent parfois « des exemples, » elles jouissaient d'une assez grande tranquillité. Mais l'élan ne fut pas moindre.

En juin, dans la Saintonge et le Poitou, de grosses bandes d'archers coururent le pays i)0ur l'effrayer; personne ne se laissa intimider, et les assemblées con- tinuèrent ' . Les religionnaires poussèrent si loin l'au- dace que deux ans plus tard ils essayèrent de recon- struire leurs anciens temples \

En Provence, la foi renaissante fit des prodiges de courag-e. Le parlement d'Aix ordonna de faire baptiser les nouveau -nés dans les vingt-quatre heures, sous peine de cinquante livres d'amende, et d'envoyer les enfants aux instructions pastorales. Il fit plus, il con- damna par contumace un individu qui se mêlait de prêcher. Vaines mesures ! les Eglises que venaient de fonder Fontenelle et Roland souflFrireut tout et ne se laissèrent pas abattre ^ .

DansTAunis, le pasteur Pajon essaya « de donner de l'extension à son commerce, » et réussit ''.

En Guyenne, l'Agenois à la voix de Dubosc se con- stitua en dix-neuf Eglises. « Ayez pitié de moi ! écri- vait son pasteur ; je suis seul dans des climats il y aurait de quoi occuper un grand nombre de chefs ! Le Montalbanais est aussi sur mes bras. Quelle étendue de pays n'aurais-je pas défriché, si j'avais eu de quoi nourrir le pays conquis ! »

» N"?, t. XIII, p. 144. (Juin 1753.) î 1, t. XXVIII. (Déc. 1755.) 3 7, t. XIII, p. 144 * Ihid., p. 41. .

' Le vrai nom de Dubosc était Grenier de Barmont. Ces dix-huit

HEI'RISE des assemblées 307

Que dire de la Normandie? En 1750, le vieux Mi- g-ault avait appelé Gautier pour l'aider dans son mi- nistère. Gautier s'était fait consacrer et s'était immé- diatement mis à l'œuvre. Sa juvénile ardeur enflamma la province. De nouvelles Eglises furent fondées ; celles qui existaient déjà dressèrent de nonveaux règlements et organisèrent fortement l'ordre. « Gautier faisait mer- veille ! » Malheureusement il avait une santé chance- lante : il tomba malade et fut obligé en 1754 ou 1755 de se retirer à Jersey ^

Il n'y ent peut-être rjue le comté de Foix qui dans ce mouvement général demeura immobile, à l'écart ^. En 1754, le pasteur Dug-as s'y rendit, mais il en revint mécontent. « Les Eg-lises ayant été peu cultivées, elles sont aussi dans un mauvais état. Une grande igno- rance en matière de religion, peu de zèle, beaucoup de peur, voilà le caractère dominant du plus grand nom- bre. Le seul article ils se montrent tels qu'ils doivent être, c'est dans leurs mariages. Il n'en est presqu'au- cun qui les fasse solenniser par les prêtres. .T'en ai déjà béni plus de trente. J'ai aussi baptisé cinq ou six enfants de MM. les g-entilshommes verriers^... » Les derniers châtiments avaient en effet épouvanté ce pays.

Ëglises étaient: Castelmoron, Grateloup, Saint-Gayraud, Saint- Vin- cent, Saint-Brice, Lacépède, Moiibarbat, Toniieins, Saiut-Etienue, Clairac, Duras, Fernand, Longueville, Marsac, Lafitte, Tonneins- Dessous, Laparado, Queyssel ? 7, t. XIII, p. 13 et 27.

V. aussi Chronique des Eglises réformées de VAgetiais, p. 258 et suiv.

i 1, t. XXIII, p. 541, et 7, t. XIII, p. 3.

' On parlait déjà,, à Lausanne, d'envoyer des pasteurs en Bretagne et en Picardie. SN" 1, t. XXVIIL

308

NOUVELLES ILLUSIONS

Le souvenir en durait encore et arrêtait les mieux dis- posés.

Dans la France protestante l'espoir renaissait, un espoir bienfaisant. Quand on lui disait : « le mal est que dans notre patrie les calmes ne sont qu'apparents et momentanés, » elle n'écoutait pas et ne voulait pas ajouter foi. Car ces malheureux, à peine échappés à la tempête, ne prévoyaient plus d'orag-es. Ils se sa- vaient des ennemis, les prêtres, mais ils croyaient en la bonté du roi. « Ils se flattent que Sa Majesté dont la bonté leur est connue, aura pour eux plus réelle- ment que le clergé des entrailles de père et qu'elle ne permettra point que ses troupes, qui ne sont des- tinées à servir que contre ses ennemis, soient em- ployées à violenter la conscience de tant de milliers de ses plus fidèles sujets *. » Ils ne doutaient jamais du Bien -Aimé. Cette même année 1753, parut la se- conde édition du Patriote français et impartial. La Nouvelle Bibliothèque germanique qui avait rendu compte de l'ouvrage à sa première apparition, avait mis en doute qu'il pût changer les dispositions de la cour. « Cette réflexion, s'écrie aussitôt le Patriote dans sa préface, est mortifiante; elle ne paraît pas faire l'éloge de l'esprit de tolérance qu'elle suppose incorrigible et incapable de changer. » Or, tandis que les deux volumes passaient la frontière, arrivaient chez les intendants, chez le roi, couraient les provinces et peu à peu se trouvaient entre toutes les mains, la per- sécution recommençait en Languedoc. L'écrivain de

' V. Coquerel, t. II, p. 565. Réflexions de Paul Rabaut sur la lettre de M. l'évêque d'Alais. (1754 )

REPRISE DE LA PERSÉCUTION

309

la Nouvelle BihliotMqiie connaissait bien son temps.

Les conférences étaient enfin terminées. Richelieu et les évêques étaient momentanément tombés d'accord. Les évêques comptaient bien ne pas se relâcher de leurs prétentions, mais le futur vainqueur de Mahon en avait triomphé. Trente bataillons qui venaient d'ar- river, qu'il leur promettait de mettre à la poursuite des prédicants, des assemblées des nouveaux convertis, et qu'il laisserait dans la province un certain nombre d'années, avaient ébranlé les plus opiniâtres et fermé la bouche aux opposants

La cour l'emportait. Il était entendu qu'on n'exig-e- rait plus des N. C. une abjuration écrite, qu'on ne qualifierait plus leurs enfants de bâtards et qu'on ré- duirait à quatre mois le temps d'épreuve des fiancés ^, En retour, la cour allait reprendre les « opérations, » disperser les assemblées et chasser du royaume les prédicants, « ces pestes publiques. » Cela fait, elle traînerait les N. C. devant le prêtre pour leurs ma- riages et pour leurs baptêmes ^ Mais elle espérait n'en être pas réduite à cette dure et désagréable extrémité,

' Archives de l'Hérault.' C. 251.

'V. Réflexions de Paul Rabaut..., etc. « Ce n'est assurément pas pour procurer la tranquillité de ces derniers (les protestants), qu'il s'est tenu, dans le cours de l'année précédente, tant de conférences à Speiran, entre M. l'évêque d'Alais et quelques autres prélats du bas Languedoc. D'ailleurs ces Messieurs se sont expliqués trop claire- ment dans la dernière assemblée des Etats de ladite province, pour laisser le moindre doute sur leurs cruelles intentions. M. l'évêque d'Alais... attend apparemment que les troupes qui sont en si grande quantité dans la province, joindront leurs arguments aux siens, et qu'elles achèveront ce que sa condescendance aura commencé... »

» V. Mémoire d'Etat. Bnllet., t. X, p. 284. (1753.)

310

REPRISE DE LA PERSÉCUTION

car les prédicateurs allaient disparaître, et ceux-ci dis- parus, il n'était point douteux que les N. C. dont on n'exigeait presque plus rien, ne consentissent facile- ment à se fixire « suppléer les cérémonies de l'Eg-lise. » L'évêque d'Alais partageait cet avis, et il se proposait d'écrire aux religùonnaires de son diocèse pour qu'ils revinssent à de meilleurs sentiments. Il avait en effet des entrailles de père, et il voulait donner « aux hugue- nots cette nouvelle preuve de charité. »

Au mois de janvier 1754, Richelieu passa à Uzès. Les protestants voulurent profiter de sa présence pour lui présenter une requête. Trois jeunes filles vêtues de noir allèrent l'attendre sur son chemin et la lui remi- rent. Richelieu remercia, lut et sourit Le mois sui- vant, dans toutes les villes et tous les bourgs du Lan- guedoc, des hommes affichaient, et des crieurs, au son de trompe, publiaient un ban terrible contre les reli- gionnaires En même temps les com^mandants de troupes recevaient de nouvelles instructions ' :

> N- 1, t. XXVIII. (Janv. 1754 )

* C'était la mise en action du mémoire d'Etal de 1753. V. Bullet., t. X, p. 281.

* Art. l"'. L'officier qui commande UN aura attention U con- tenir sa troupe et à la faire vivre en bonne discipline de police, de façon que les habitants n'aient aucun lieu de s'en plaindre.

Art. 2. Il fera arrêter tous les N. C. et réfugiés ou gens suspects qui viendront des pays étrangers sans passe-port du roi ou permis- sion par écrit des commandants ou intendants de cette province; n'ayant égard en aucune façon aux passe-ports qu'ils pourraient avoir des ministres des puissances étrangères, soit qu'ils soient Français réfugiés ou étrangers, dont il nous informera sur-le-champ, ou l'offi- cier-général qui commandera en notre absence; et il tiendra la main îi ce que les consuls soient exacts à lui rendre compte de tous les étrangers qui pourraient passer, et généralement de tout ce qui vien- drait à leur connaissance, qui pourrait intéresser le service du roi et le bien de la ivligion.

REPRISE DE LA PERSÉCUTION

3U

Les opérations de 1745 et de 1752 si « heureuse- ment commencées » et si malheureusement interrom- pues, allaient donc reprendre leur cours. « J'ai cru

Art. .3. Il fera de son mieus pour empêcher qu'il ne se tienne aucune assemblée dans son quartier ni aux environs : et cependant il prendra une connaissance particulière des endroits voisins de son quartier oti se tiennent ces assemblées, il les reconnaîtra ainsi que les chemins qui peuvent y aboutir, afin d'être en état do prendre ses dispositions pour les surprendre.

Art. 4. Lorsqu'il aura été averti qu'il devra se faire une assem- blée, ou qu'il y en aura une dans quelque endroit, il prendra ses me- sures pour marcher dessus et la surprendre, et pour pouvoir y faire arrêter par les troupes ceux qui s'y trouveront, surtout les ministres ou les prédicants, sur qui il fera même tirer en cas qu'ils prissent la fuite k cheval, ou qu'ils ne fussent pas à portée de les joindre. Il leur sera facile de les i-econnaître à leur habillement et aux soins que prennent les N. C. pour les faire évader et mettre en sûreté.

Art. 5. Il aura attention à faire passer les avis qu'on lui aura donnés aux quartiers voisins, c'est-à-dire ceux qui, par leur position, pourraient environner l'assemblée, pour informer les commandants de sa marche et de ses dispositions, afin que ses quartiers se met- tent en mouvement et arrivent de tous côtés sur l'assemblée.

Art. 6. Et au cas que les religionnaires dans les assemblées fus- sent armés pour garder les ministres ou j)rédicants, et qu'ils se mis- sent en état de résister aux troupes, l'officier fera tirer de préférence sur ceux qui seront armés, et prendra toutes les mesures que la pru- dence exige pour que les troupes ne soient pas compromises et pour dissiper les gens armés.

Art. 7. Lorsqu'il aura surpris quelque assemblée, il aura soin avec sa troupe de remarquer la situation du lieu elle sera tenue et tout ce qu'il aura vu, afin qu'après qu'il nous aura donné avis, ou k l'ofiicier-général qui commandera en notre absence, celui que nous commettrons puisse faire des informations juridiques pour constater le délit et nous mettre en état d'ordonner ce qu'il apjjartiendra con- tre ceux qui auront assisté aux dites assemblées.

Art. 8. Il conduira et fera garder en prison, avec toutes les pré- cautions possibles, les prisonniers de l'un ou de l'autre sexe, qu'il aura arrêtés dans lesdites assemblées, et ne les relâchera point, sous quelque prétexte que ce soit, jusqu'à ce qu'il ait reçu nos ordres ou ceux du commandant, en notre absence.

Art. 9. L'officier aura soin de faire savoir dans son quartier et aux environs que ceux qui donneront de bons avis seront récompensés,

312

REPRISE DE LA PERSÉCUTION

devoir vous représenter, avait écrit Saint-Priest, deux ans auparavant," que pour exécuter avec sûreté les ordres qui m'étaient adressés, il était indispensable

et ceux qui prendront ou feront prendre un ministre ou pré licant, auront mille écus, qui seront payés sans aucune retenue, exactement et secrètement.

Art. 10. Il prendra à cet effet les mesures qu'il croira convena- bles pour avoir le signalement des ministres et prédicants qui tien- nent des assemblées dans son canton, et être instruit des maisons ils se retirent, et de tout ce qui se passera dans son voisinage, dont il informera exactement le commandant de son corps, et des moyens qu'il compte employer pour les faire arrêter, afin qu'il puisse le diri- ger dans une démarche de cette espèce, qui ne doit pas être faite lé- gèrement.

Art. 11. Si cependant l'officier avait des avis certains, qu'il sût quelque ministre ou prédicant logé ou réfugié dans quelque maison ou métairie de son quartier ou des environs, et que par l'éloignement il ne pût pas attendre les ordres du commandant de son corps sans manquer la capture, il pourra, dans ce seul cas, y marcher en force et les arrêter, en prenant d'ailleurs ses mesures relativement aux cir- constances et à la situation des lieux.

Art. 12. Il enverra aussi dans les quartiers voisins donner avis de ïa marche par des gens intelligents, qui serviront de guides aux trou- pes pour se rendre dans le lieu qu'il aura indiqué.

Art. 13. S'il arrête quelque ministre ou prédicant, il arrêtera aussi tous ceux qui seront dans la maison, de l'un ou l'autre sexe. Il fera fouiller, en sa présence, le ministre, visitera tous ses papiers, livres et effets, dont il fera un paquet qui sera cacheté. 11 se saisira aussi de toutes les armes qu'il pourrait y avoir dans la maison. Il gardera le tout et ne le remettra que par nos ordres ou de celui qui commandera en notre absence.

Art. 14. 11 conduira les ministres ou prédicants, et ceux qui au- ront été arrêtés dans la maison, avec toutes les précautions possibles, dans les prisons les plus voisines ou dans les forts, châteaux ou cita- delles, s'il y en a à portée, ils seront reçus sans avoir besoin d'au- tres ordres; et au cas d'un trop grand éloignement de prisons voisi- nes ou des forts, défendons de les transférer sans nos ordres, et en attendant il fera replier les troupes des quartiers voisins dans l'en- droit où sera détenu le ministre, pour garder en force et avec sûreté ce prisonnier jusqu'à la réception de nos ordres ou de ceux de l'offi- cier-général qui commandera en notre absence.

Art. 15. Il fera garder les ministres et prédicants h vue par un

LES TROUPES SONT EN NOMBRE

313

d'être en force, et qu'ayant consulté M. le comte de Moncan, il m'avait fait entendre que le nombre des troupes qu'il commandait n'était pas suffisant et qu'il lui fallait deux bataillons d'aug'mentation pour faire respecter l'autorité qui serait infailliblement compro- mise si, ce renfort n'étant pas accordé, on voulait aller en avant '. » Les soldats étaient aujourd'hui en nom- bre ^. Trente bataillons disséminés dans les villes et les villages occupaient militairement la province en- tière et promettaient d'exécuter rapidement les déci- sions du gouvernement.

Avant de repartir pour Paris, Richelieu tint à noti- fier lui-même ses ordres aux protestants. Il vint à Nîmes, à Alais, à Uzès, manda devant lui les princi- paux religionnaires, et leur dit que l'intention du roi

gros détachement, avec un capitaine, une sentinelle en dedans et en dehors, et nous informera sur-le-champ, et en même temps l'officier- général de son département et le commandant de son corps.

Art. 16. Sr lors de la capture ou en conduisant le ministre, il s'assemblait des religionnaires armés, et qui fissent la tentative de l'enlever, l'officiel-, après avoir pris les précautions pour mettre son prisonnier en sûreté, fera tirer dessus, comme sur ceux qui seront armés dans les assemblées, jusqu'à ce qu'ils se soient dissipés ou se soient retirés.

Art. 17. Il est expressément recommandé à l'ofiicier d'observer tous les N. C. ou autres gens suspects, qui seront dans l'usage d'être devant le quartier ou ailleurs en sentinelle pour avertir des mouve- ments que pourraient faire les troupes; et si l'officier s'aperçoit que la même personne remplit plusieurs fois cette fonction, il en donnera avis sur-le-champ au commandant de son corps, dont il attendra les ordres. » Bildiothèque nationale, Mss. n" 7047, p. 375.

Ces instructions n'étaient autre que la mise à exécution du fameux mémoire d'Etat de 1753. V. Bullet., t. X, p. 284.

> Archives de l'Hérault. C. 234 et 438. (Nov. 1752.)

* D'après une lettre, ils étaient au nombre de 41,000. N" 7, t. XIII, p. 227. (Dec. 1753.)

314

LES ASSEMBLÉES SONT SUSPENDUES

était qu'ils discontinuassent de s'assembler au Désert, et qu'ils cessassent tout commerce avec leurs ministres et prédicants Plus d'assemblées et plus de pasteurs : les soldats étaient charg-és de prendre les uns et de surprendre les autres. Il ne leur parla cependant ni des mariages ni des baptêmes; le ban non plus n'y faisait allusion : on réservait cette affaire pour un avenir plus ou moins prochain, après la fuite des pré- dicants et la cessation du culte ^.

Dès que Richelieu fut parti, les détachements se mi- rent à courir nuit et jour la campagne, et les patrouil- les les rues des villes et des bourgs. Il devint bientôt impossible de s'assembler. Réunissez-vous, écrivait ce- pendant Antoine Court, allez au Désert. On l'essaya dans la Vannage et quelquefois on réussit. Mais dans les diocèses de Nîmes, d'Uzès, de Montpellier, le con- seil était impraticable. « La grande quantité des trou- pes, la vigilance de nos ennemis y ont rendu les as- semblées impossibles. » A peine Rabaut put-il convo- quer deux « sociétés » d'environ cinquante ou soixante personnes ^ Au mois de mai, un pasteur voulut tenir une petite assemblée du côté de Saint-Jean, dans les venues. Les soldats la surprirent : deux hommes tom- bèrent entre leurs mains et furent jetés dans les prisons d'Alais ; plusieurs femmes et leurs enfants furent en- fermés à Uzès. Dans le haut Languedoc, Jean Sicard,

Archives de l'Hérault. C. 440.

* C'est manifeste. Dans le diocèse d'Alby, on continuait de l'aire bap- tiser au Désert : l'évêque demanda qu'on poursuivît les délinquants. Saint-Florentin refusa, disant qu'il fallait que les vues du roi préva- lussent. Archives de l'Hérault, C. 440.

3 V. Coquerel, t, II, p. 149.

CHASSE AUX PRÉDICANTS 315

jeune pasteur ardent, courageux, et dig-ne ^successeur des Loire et des Mala, osa convoquer au Désert jus- qu'à six mille personnes, et l'on ^ it des assemblées à Revel, à Rocquecourbes, à Castres, à Réalmont. Des troupes furent aussitôt expédiées, et Saint-Priest reçut l'ordre de faire arrêter sans délai et condamner tous les coupables. « Le roi jug-e qu'il faut absolument leur faire perdre le g'oùt et l'iiabitude de s'assembler » Une épouvante immense s'empara de la province, et le silence de la solitude enveloppa bientôt le Dé- sert.

C'étaient les prédicants surtout que la coin' effi'ayée voulait faire disparaître. « Il faut cliasser d'al)ord les prédicants, disait l'abbé de Caveirac, qui portent nos concitoyens à désobéir, qui les provoquent à s'assem- bler, qui les encourag*ent à se marier au Désert, qui les baptisent, qui les endoctrinent : tant qu'ils reste- ront en France, on ne viendra à bout de rien ^. » A qui les prendrait ou ferait prendre, mille écus étaient promis « qui seraient payés sans aucune retenue, exactement et secrètement. » On ne regardait pas à* la dépense ^.

L'annonce d'une si forte récompense fit éclore une foule de traîtres. Celui-ci vantant son talent, écrivait : « Plusieurs officiers seraient en état de vous dire, Monseigneur, que je réussis assez bien à ces sortes

' Archives de l'Hérault. C. 237. 11 y eut des condamnations aux ga- lères, à la prison et à la tour de Constance. * V. Mémoire politico-critique, etc, p. 21C.

^Saint-Florentin écrit en avril 1754, qu'il est trop juste de récom- penser ceux qui donnent de bons avis, et que c'est un article sur lequel on ne devait pas épargner la dépense. Archives de l'Hérault. C. 440.

316

LES ESPIONS

d'expéditions. » Celui-là, Puechmille : « Si votre cha- rité voulait s'intéresser pour me procurer quelque chose, je ferai tout au monde pour ne pas l'en faire repentir ^ » « Il y a autant d'espions que de mouches, écrivait Rabaut, nous ne savons aller pour être en sûreté... Nous errons dans les Déserts sans savoir reposer notre tète. » Comme s'ils ne fussent pas assez, Saint-Priest parlait en ce moment de leur ad- joindre les gardes de fermes ^.

Les prédicants observèrent une grande prudence. Ils couchèrent dans les champs, et lorsque harassés de fatigue ils acceptèrent l'hospitalité sous un toit, ils se rendirent successivement dans plusieurs maisons pour dérouter les soupçons. Un seul ancien de leur quartier connaissait le lieu de leur retraite ^.

Au mois d'août, espions et soldats n'avaient point fait encore de capture.

» Archives de l'Hérault. C. 440 et 234. (Avril 1754.) Un des plus fameux était Puechmille, que nous avons déjà rencontré et que nous retrouverons encore plus tard. C'était un homme précieux et très-im- portant, qui avait à la fois l'oreille des protestants et des intendants, et qui était aussi aux gages du clergé. Il se piquait de jouer auprès des protestants le rôle de modérateur. « Je me ménage, disait-il, la confiance des uns et des autres, afin de pouvoir rendre des services.» Il correspondait dii'ectementavec l'intendant et même avec les ministres. Les Archives nationales (TT. 433-434) sont pleines des rapports et des conseils de ce triste personnage. Il se prenait et on le prenait au sérieux. En 1752, le maréchal de Thomond trouva cependant qu'il s'exagérait son importance. « Il veut sans doute se faire valoir, écri- vait-il, pour tirer de l'argent. » Son surnom était Lagarde.

2 V. le mémoire d'Etat de 1753. « Ou leur donnera une première chasse, en fouillant en même temps tous les endroits l'on sait qu'ils se retirent...,» etc. C'est une vraie battue orga&isée et dont on ne néglige aucun détail. Bullet., t. X, p. 287.

3 Archives de l'Hérault. C. 440. (1754.)

SUPPLICE DE TEISSIER

317

C'est alors que les troupes reçurent l'ordre d'opérer une battue générale dans le bas Lang*uedoc et les Cé- vennes. On possédait à l'intendance les sig*nalements de la plupart des pasteurs et les noms de leurs hôtes habituels * : cette battue pouvait donner de fructueux résultats. L'espoir ne fut point trompé. En deux en- droits, les soldats surprirent deux pasteurs, mais les laissèrent échapper '". Au mas de Novis, dans le dio- cèse d'Alais, ils furent plus heureux. Le 14 août, à la pointe du jour, un détachement se rendit dans la métairie le jeune Teissier, dit Lafag-e, avait passé la nuit, et en cerna rapidement les issues. Teissier essaya de fuir par le toit, mais un soldat d'un coup de feu lui fracassa le bras. Il fut pris, conduit sous bonne escorte à Montpellier; quelques jours après il mourait sur le gibet

Dès qu'il eut appris ces nouvelles, le conseil écrivit à Moncan : « L'intention de Sa Majesté est de faire payer la gratification ordinaire de 3,000 livres au dé- tachement qui s'est assuré de la personne du ministre Lafage Teissier » Saint-Priest recevait de son côté

' Cette liste a été publiée. Bullet., t. VII, p. 461. Elle avait été dressée par l'auteur du mémoire (Ibid., p. 321) qui lui-même est cer- tainement Puechmille.

■•î Archives de l'Hérault. C. 237. Procédures contre Pierre Aubret et autres arrêtés dans la maison de ce religionnaire un ministre était caché; contre Jean Franc, du lieu de Canaule, diocèse de Nîmes, accusé d'avoir favorisé l'évasion d'un ministre calviniste, et d'avoir usé, k cet effet, de violences contre les troujjes du roi. (1754.)

' Archives de l'Hérault. C. 236. L'arrondissement de La Salle fut en outre frapjjé d'une amende de 3,000 livres, et Jean Novis, son hôte' fut condamné aux galères.

* 11 parait qu'à Anduze on voulut assommer ce traître. N"?, t. XIII, p. 146.

318 CRAINTES DES PRÉDICANTS

la lettre suivante : « J'ai, Monsieur, rendu compte au roi de la nouvelle que vous m'avez donnée de la prise du ministre L. T. et des protestants qui lui donnèrent asile. Sa Majesté ne doute pas que vous leur fassiez leur procès avec toute l'activité nécessaire, aussitôt qu'ils seront arrivés à Montpellier. Je serais fort aise que les reclierclies qu'on a faites dans les montagnes des Cévennes eussent aussi procuré quelque capture, et qu'enfin les ministres prissent assez sérieusement l'alarme pour abandonner le royaume. »

L'alarme fut g-rande en effet et quelques-uns son- gèrent à se sauver. Ils restèrent. Mais la cour était très- décidée à se débarrasser de « ces pestes publicpies; » les moyens seulement lui manquaient. Elle se mit en quête de mesures plus expéditives et d'un efîet plus radical.

On se souvient du mémoire <|u'en 1750 un traître avait envoyé à la cour. Voulez-vous, y disait^il en substance, forcer les prédicants à quitter le royaume. Prenez leurs enfants et leurs femmes, jetez-les en pri- son et promettez de ne rendre à la liberté ces objets de leur aflPection, que lorsqu'ils auront eux-mêmes passé la frontière. Le succès est infaillible La cour se rappela le conseil, et le fit mettre en pratique. Elle avait donné « la première chasse y> aux prédicants ; elle donna la seconde à leurs femmes. Son dessein tou- tefois était moins de capturer ces dernières, que de les frapper d'épouvante et les obliger à fuir.

Paul Rabaut avait échappé à toutes les poursuites.

Voy. ciiap. VII, p. 220 et suiv.

GllAINTES DES PRÉDICANTSi 319

Des bruits étrangles couraient sur son compte. On disait que sa maison avait un souterrain communiquant à des maisons amies et qu'il déjouait ainsi les nombreuses reclierclies des soldats ' . Le subdélég-ué Tempié s'était cependant fait fort de le prendre, et parlait d'investir avec deux bataillons les maisons où, croyait-il, le célè- bre pasteur était caclié. Il parut préférable d'effrayer sa femme. Une nuit, cent hommes commandés par un aide-major et le commandant de Nîmes se présentè- rent devant sa demeure, en firent ouvrir les portes, arrêtèrent Madeleine Guédan; puis, feig-nant de dis- cuter s'ils l'amèneraient en prison, la laissèrent s'éva- der La j)auvi'e Madeleine partit, erra au Désert, et quelque temps après, un peu rassurée, elle rentra à Nîmes. A peine arrivée, une nouvelle perquisition la força de s'enfuir. Mais en ce moment, plusieurs fem- mes de pasteurs moins heureuses qu'elle venaient d'être prises, et ces arrestatious avaient ébranlé les plus vaillants et les plus austères.

« J'ai riionneiir', Monseigneur, do vous informer qu on vient il'arrêter plusieurs femmes de ministres de la religion pré- tendue réformée, et nous apprenons que ces captures ont non- seulement fort ébranlé ces derniers pour leur faire prendre la ré- solution de sortir du royaume, mais encore qu'elles ont jeté le ministre Rabaut dans de cruelles perplexités. On va faire inces- samment une fouille dans les quartiers de la ville de Nîmes, sa prétendue femme fait son domicile, et nous espérons que la recherche qu'on en fera, ou la capture, si on la trouve, achève-

' Archives de l'Hérault. C. 440.

* V. Coquerel, 1. 11, p. 178. « Ainsi que je l'avais ordonné, dit le . commandant.

3 Archives de l'Hérault. C. 437. (Saint-Priest à Saiat*Florentin.)

320

.DEMANDE DE PASSE-PORTS

rontdedéterminerce ministre à passer en pays étranger. J'aurai l'honneur de vous rendre comjtte des succès de ces recherches.

Ils allaient donc partir ! On l'annonçait du inoins. Quelques-uns firent en efi'et demander à l'intendant des passe-ports pour quitter la France. « Vous pouvez leur en délivrer pour eux et pour leurs femmes, avait dit Saint-Florentin; soyez seulement censé l'ig-norer. » Saint-Priest accorda tout ce qu'ils demandèrent. Il fit même offrir un passe-port à Paul Rabaut. Rabaut refusa et resta * . Sa femme erra très-long-temps au Désert, et ne rentra dans sa demeure abandonnée que deux ans plus tard, lorsque le duc de Mirepoix prit le commandement du Languedoc.

Vers la fin de cette terrible année, Richelieu revint en Languedoc. Ses ordres avaient été exécutés : plus de pasteurs enfin * et plus d'assemblées. Puisque cette première partie du programme convenu avait été exé- cutée, on pouvait s'occuper maintenant de la seconde et tenir les promesses faites au clergé. En décembre 1754, le parlement de Toulouse ordonna en effet d'appliquer les édits de 1697 concernant les formalités des ma- riages. Heureusement l'ordre ne fut pas mis en cours d'exécution ''.

On s'était en effet étrangement trompé : les pasteurs n'avaient pas fui. Après avoir demandé des passe- ports, ils avaient abandonné leur dessein, s'étaient ca- chés et se trouvaient encore dans la province. Quant

1 Archives de l'Hérault. C. 440. . 2 Quels étaient ces prédicants? Profitèrent-ils de leurs passe-ports? Nous ne le pensons pas. Rien n'indique qu'ils aient déserté leur poste 8 N" I, t XXVIII. (Déc. 1754.)

SURPRISE D'ASSEMBLÉES 321

aux assemblées, on n'en voyait plus, il est vrai, mais on songeait à les convoquer de nouveau. « Nous avons résolu de mettre sur pied le culte public. » Il fallait donc reprendre les anciennes mesures.

Lorsque Richelieu dans les premiers jours de 1755 quitta le Lang-uedoc, il donna sans nul doute des ordres dans ce sens. « Oh ! s'écriait Rabaut, si cette soixante- dixième année de notre captivité pouvait être celle de notre rétablissement ' ! » Son souhait ne devait pas être encore exaucé ! En février, près d'Uzès, se tint une nombreuse assemblée : un détachement survint, qui fit 20 prisonniers. La plupart ayant promis de ne plus retourner au Désert furent relàcliés le mois suivant, mais l'un d'eux plus obstiné fut envoyé aux galères. Une amende de 12,000 livres frappa l'arrondissement -. Cependant aux yeux de la cour le succès de cette affaire ne parut pas complet : les soldats auraient du prendi'e le prédicant. « J'ai reçu. Monsieur de Saint-Priest. la lettre que vous avez pris la peine de m'écrire au sujet de l'assemblée qui s'est tenue le 16 du mois dernier, dans le territoire de Dions. Tl aurait été à désirer que l'on eîit pu saisir le prédicant qui avait convoqué cette assemblée, et les circonstances paraissaient même fa- ciliter cette capture, puisque la surprise ne lui avait pas laissé le temps de quitter sa robe et de monter sur son cheval. » Le 2 mars, nouvelle assemblée à Saint-Sébastien, dans les Cévennes; nouvelle surprise : il n'y eut cependant aucun malheur à déplorer ^ Le

> I, t XXVIII. (Janv. 1755.)

> Ibid (Février 1755 ) 3 Ibid. (Mars 1755 )

II

21

JKAN FABRK

même jour, jour de jeiiue, ou ne put célébrer le culte à Nîmes parce (^u'on mit trois détachements en cam- pag'ne'. Les fidèles prièrent dans leurs maisons. Du 23 au 31 mars, les soldats ne cessèrent de courir à travers le bas Languedoc. Du 31 mars à la fin de dé- cembre, on ne put avoir un moment de tranquillité ; toute assemblée un peu nombreuse tut impossible. Le mai, des religionnaires s'étaient réunis près de Saint-Geniez. Survint aussitôt un détachement qui fit feu. Le T' janvier 1756, une assemblée se tint aux environs de Nîmes : elle fut encore surprise. Les sol- dats avaient fait deux prisonniers, et déjà ils le.s em- menaient, lorsqu'un jeune homme se précipitant vers l'un deux : « C'est mon père, crie-t-il, que je viens dé- g-ag-er et prendre sa place; qu'où le laisse aller ! » Les soldats consentirent à l'échang'e, et le jeune homme fut condamné aux galères. Plus tard .sa noble action fut connue ; il obtint sa g-ràce et passa pour un martyr de l'amour filiaP. Mais que d'actions accomplies depuis 1715 égalaient la sienne ! (pie de martyrs inconnus va- laient Jean Fabre ! Le 8 août, les religionnaires se croyant moins épiés s'étaient réunis au Désert dans le bas Languedoc ; ils étaient en nombre immense : on devait consacrer trois pasteurs. Des soldats du ré- giment de Brissac eurent connaissance de ce qui se passait. Ils quittèrent le village voisin ils étaient casernés, se montrèrent à l'improviste, et au milieu de la mêlée affreuse que leur présence occasionna firent

' Journal de Paul Raijaut Coquerel, t. Il, jj. 187. V. Les Forçats pour la foi, et VActohiographie de Jean Fabre, p. 192,

LA PERSÉCUTION S'ÉTEND 323

feu. Plusieurs personnes furent tuées ou blessées'.

Ce qui redoublait l'universelle douleur, c'est que la persécution jusqu'alors contenue dans le Lang'uedoc paraissait devenir générale. L'année 1755 avait été terrible pour tout le midi. Dans l'Ag-enois, près de Clairac, un corps de cavalerie avait enlevé dix-sept per- sonnes ; un jeune homme avait été tué'. Dans la Sain- tonge, le pasteur Gibert avait couru de grands dangers. Pris dans une assemblée, il avait été conduit en prison à la Tremblade : heureusement on l'avait délivré ^ L'année 1756 n'avait pas commencé sous de plus fa- vorables auspices. L'intendant de la Rochelle venait de faire démolir quelques maisons dispo -jées « en tem- ples » se réunissaient les protestants. Une pauvre femme était condamnée à être recluse dans un cou- vent. Gibert était frappé d'un jug'ement qui le con- damnait, par contumace, au gibet... ^ Les terribles mesures de 1745 et de 1751 allaient-elles être remises en cours d'exécution?

Ces craintes étaient sans fondement. La guerre de

1 V. Coquerel, t. II, p. 237. La correspondance d'Antoine Court et des pasteurs du Désert nous fait défaut à dater de 175.5. Déjà les lettres de 1753, 1754, 1755, étaient rares; mais dès cette aiinée, elles manquent absolument. Que sont-elles devenues? Nous avons essayé de le dire dans notre notice sur les manuscrits d'Antoine Court. (V. Tome I".) Pour conduire notre récit jusqu'en 1760, nous allons donc puiser aux manuscrits de Paul Rabaut et aux Archives nationales. Chemin faisant, il nous sera cependant permis de les compléter avec- quelques documents que nous avons trouvés soit dans les Archives de riIérault,soitdaas la liasse des Mss d'AutoineCourt qui porte le n" 46.

2 \" 1, t. XXVIII. (Janv. 1755.) ' Ibid. (Septembre 1755.)

324 LK DUC DE MIREFOIX

sept aus venait d'éclater et la cour avait besoin de tous ses soldats, de tous ses g-énéraux.

En Languedoc, le commandant en chef, Richelieu, était déjà parti ; il tentait en fou, vrai Français qu'il était, l'heureuse escalade de Mahon. Son successeur était le duc de Mirepoix ' .

Tout d'abord, celui-ci avait continué la politique de son prédécesseur. Il faut queRabaut quitte le royaume, disait-il, et au prisonnier Fabre qui lui demandait son élargissement, il s'obstinait à mettre, comme principale condition^ le départ du célèbre pasteur. Mais il s'adou- cissait de jour en jour. Sa femme, douce, bonne, tolé- rante, exerçait sur lui une grande influence : il finit par se convertir complètement.

Jusqu'alors on avait traité les prédicants en ennemis. Lui se lia avec eux, leur écrivit et reçut leurs lettres. « M. le maréchal de Mirepoix a adopté un différent plan de conduite, lorsqu'il a succédé à M. de Richelieu. Il a pensé que la bonté et la confiance rendraient les pro- testants plus soumis aux ordonnances. Dans cette vue il a établi une correspondance avec les principaux de Nîmes et avec des ministres modérés^. » Avec ces der- niers même, il conclut comme un traité. Ne souffrez dans la province, leur dit-il, aucun émissaire étranger, aucun ministre qui ne soit en Languedoc, aucun esprit factieux ou violent; convoquez plus rarement vos assemblées et avec moins d'éclat : je fermerai les yeux, et si le roi ne promulgue pas un édit de tolé-

1 X" 1, t. XXVIII. (Déc. 1755.)

Instruction au maréchal deTbomond. Bullet.,t. XVIII, p. 430

ARRÊT DE LA PERSÉCUTION

325

rance, j'ag-irai du moins comme s'il l'avait promulg'ué. Il fit plus. Sa grande crainte était que les protes- tants se soulevassent. Convaincu « que des particuliers éclairés qui ont un état, une fortune à ménag'er, ne se laisseraient jamais préoccuper par des illusions dange- reuses, tempéreraient le zèle indiscret des imprudents, et éloig'neraient sans cesse les esprits de tout système périlleux, » il projeta de faire entrer dans les consis- toires les principaux relig'ionnaires, et de couvrir même de son autorité les assemblées, si les uns et les autres se soumettaient à certaines conditions qu'il indiquait. « On tolérerait des sociétés dans les villes, les bourg-s, les villag'es même, jusqu'au nombre de quatre à cinq cents personnes. » Il donnait en outre sa parole que ni pasteurs ni anciens ne seraient inquiétés. Chose cu- rieuse ! Il s'ouvrit de son dessein à la cour, et bientôt, ayant eu une conférence avec quelques notables de Nîmes, « il leur déclara qu'il était autorisé de Sa Ma- jesté pour former cet établissement dans la province, et les exhorta à y travailler incessamment ' . »

Les religionnaires du Languedoc respirèrent. Plus de détachements en campagne, plus de surprises ! ils coururent encore à leurs assemblées. Parfois peut- être y eut-il des amendes prononcées, mais elles ne furent jamais payées ; on n'entendit que rarement par- ler de procédures et de jugements ^. « Nos troupes ne font aucune sortie, écrivait du Vivarais le pasteur Peirot ; il paraît qu'on nous tient ce qu'on nous a

1 Archives nationales, TT. 433-434.

2 V. BitUet., t XIII, p. 430.

S20 ARRr-rr bk la pkrsécution

promis; de notre côté nous nous conduisons autant qu'il dépend de nous, selon ce qu'il fut convenu. » Dans le courant de-1757, la confiance était si j^-rande qu'on parla de réédifier les anciens temples détruits. A Saint-Geniez, à Sommières, à Vauvert, à Mont-Re- don, il Montaren, à Saint-Ambroix, à Blauzac, les re- lig-ionnaires essayèrent de réaliser leur dessein. Mais l'audace était trop g-rande. Mirepoix envoya des sol- dats qui dispersèrent les matériaux déjà réunis, et tout rentra dans l'ordre *.

Cette manière de tolérance momentanée s'étendit aux autres provinces.

En Poitou, en Normandie, en Daupliiné , de nom- l)reuses assemblées se tinrent, sans être inquiétées.

Eu Guyenne, dans l'Ag-enois, les protestants célé- brèrent très-fréquemment leur culte « dans des grang-es, maisons, chais et autres lieux, » et les pasteurs bé- nirent « une infinité de baptêmes et de mariag'es^. »

Dans le Béarn, le pasteur Déferre venait de se transporter, la tranquillité ne fut pas moins grande. Il baptisa sans nul dang-er plusieurs enfants, fonda des écoles, forma des consistoires à Ortliez, Salies, Athos, Peirade, Salles, Sainte-Suzanne. « Tout se prépare, écri- vait-il, à une vaste moisson. » Et il ajoutait : « Pourvii que les choses continuent à être pacifiques comme elles sont , pendant quelque temps, on verra les g-eîis entrer en foule dans la berg-erie du Seig-neur ■'. »

Espérances prématurées ! Peu de temps avant que

1 Archives de l'Hérault. C. 443.

V. Coquerel, t. II, p. 230. 3 Ibid., p. 231. Le pasteur Journet rétait venu rejoindre.

LA PERSÉCUTION REPREND

327

Mirepoix envoyât ses soldats en Lung'uedoc disperser les pierres des temples commencés , le clergé excitait déjà contre les relig-ionnaires le commandant du Béarn ' . Des garnisaires arrivèrent bientôt, et pendant trente- cinq jours, au nombre de cinq d'abord, puis de deux par maison, ils s'installèrent chez les nouveaux convertis. L'épouvante fut si grande que la moitié d'Ortliez et des villages entiers prirent la fuite. Encore faut-il noter que les soldats devaient se nourrir à leurs frais. « On n'était obligé que de leur fournir l'ustensile et le lit. »

En Guyenne se préparaient en même temps de ter- ribles mesures. Le procureur général .s'était plaint amèrement des « scandaleuses » assemblées de l'Age- nois. Au mois d'octobre, parut une ordonnance du maré- chal de Thomond commandant en chef, qui défendait « à tous les habitants de se trouver ensemble en plus grand nombre que celui de cinq, non-seulement dans les en- droits suspects, mais même dans les chemins » L'A- genois fut immédiatement occupé par les soldats. « On commença d'abord à faire désarmer tout le monde qui n'avait pas le droit de porter les armes. Ensuite on força les protestants à faire baptiser ou rebaptiser leurs enfants à l'Eglise romaine , et d'y faire bénir et rebé- nir leurs mariages *. » Ainsi quelques mois de tolé- rance passagère étaient aussitôt rachetés par une dou- loureuse période de cruelles souffrances.

' V. Coquerel, t. II, p. 248. (Avril 1757.)— « Cu-s implacables ennemis qui nous eonJanuient pieusement et qui nous brûlent parcharité, n'ont pas de plus grande passion ni de soins plus opiniâtres que de perdre les protestants. » Requête au roi Coquerel, t. II, y. 254

s V. Btdlet. t. XVIII, p. 433.

» V. Coquerel, t. II, p. 254

ASSEMBLÉE DU CLERGÉ

Le Laug-uedoc cependant et les autres provinces (échappèrent, encore que le clergé ne se fût pas épar- gné, à ce retour offensif de la persécution.

Le clergé était profondément irrité de la condes- cendance que montrait la cour depuis le début de la guerre. Eu 1758, réuni extraordinairement à Paris en assemblée générale, il manifesta son indignation. Le? religionnaires ne mettaient plus de bornes à leur audace ; ils célébraient en public leur culte ; ils se ma- riaient au Désert; ils élevaient des temples... Qu'é- taient donc devenues les promesses royales !

« L'assemblée a ensuite observé que quelques provinces avaient chargé leurs députés de faire les plus vives instances, pour qu'elle prit les mesures les plus efficaces à l'effet d'arrêter les entreprises des protestants : sur quoi la compagnie a prié Mgr l'archevêque de Narbonne et Mgr l'évêque de Castres. M. l'abbé de Juigné et M. l'abbé de Barrai, de voir à ce sujet M. le comte de Saint-Florentin, afin d'engager ce ministre à faire part au roi des très-humbles représentations du clergé à cet égard, et obtenir qu'il soit donné des ordres, pour que les édits et ordonnances du royaume contre les protestants soient exactement exécutés; qu'en conséquence l'exercice public de leur religion leur soit absolument interdit. »

Une députation se rendit chez Saint-Florentin, et le pria d'engager le roi à donner des ordres pour conte- nir les protestants dans le devoir. Saint-Florentin ré- pondit qu'il n'avait, pour sa part, jamais détourné son attention d'une matière si importante, qu'il avait fait démolir les temples commencés et qu'il prendrait de nouvelles mesures '.

V. Procès-terhal de C Assemblée générale e:etraordi/>fiire du clergé de Fra>u'e. p. 43 et 50. Paris, (1758J

LE MARECHAL DE THOMOND

329

« Mgr l'archevêque de Narbonne a dit, qu'en conséquence de la commission dont la compagnie l'avait chargé, il avait été... chez M. le comte de Saint-Florentin pour le prier de vouloir bien engager le roi à donner des ordres pour contenir les religionnaires dans le devoir ; qu'il y avait des diocèses ils avaient poussé la témérité jusqu'à faire l'exercice de leur religion et même à vouloir construire des temples ; qu'il était plus nécessaire que jamais que les religionnaires fussent con- traints à se conformer aux anciens édits et règlements qui ont été faits à leur égard ; que M. le comte de Saint-Florentin lui avait répondu qu'il pouvait assurer l'assemblée qu'il n'était pas besoin de solliciter Sa Majesté pour cet objet; qu'elle y donnait toute son attention, qu'ayant appris que les protestants avaient jeté les fondements d'un temple, elle avait aussitôt donné des ordres pour arrêter leur entreprise. »

Mais la cour avait d'autres préoccupations. Tout entière à la g'uerre, elle n'avait ni les moyens ni la volonté d'inquiéter ses sujets protestants qu'elle crai- gnait un peu, et dont elle avait en ce moment besoin. D'un autre côté, elle appréhendait de déplaire au clergé. Son embarras était grand. On le vit bien nu vague de ses réponses et dans l'instruction surtout qu'elle venait de composer pour le commandant en chef du Languedoc.

Mirepoix était mort vers la fin de 1757. Quel suc- cesseur lui donnerait-elle ? Le maréchal de Thomond s'était illustré en Guyenne par ses dernières ordon- nances et l'inflexibilité de son caractère. Elle arrêta donc sur lui son choix. Cette nomination était une garantie offerte aux évêques. Mais allait-elle lui permettre d'agir en Languedoc comme tout récemment en Guyenne ? Non certes. Ici, il faut tout citer :

330 INSTRUCTIONS DE LA COUR

« Si \c plan dp conduite adopté par M. le maréchal de Mire- jioix seml)le pécher du côté do l'indulgence, il paraît que celui qui a été suivi en Guyenne par le maréchal de Thomond pèciie du côté opposé, du moins à en juger par deux ordonnances qu'il a rendues depuis peu... Il paraît donc à projios ((ue M. le maréchal de Thomond ne donne pas en Languedoc les deux ordonnances qu'il a fait publier en Guyenne, et il semble égale- ment convenable de lui recommander de ne donner fi l'avenir aucune ordonnance générale sur le lait de la religion, sans s'être assuré des intentions du roi, et même sans .jue le projet en ait été vu par Sa Majesté.

« La conduite qu'il doit tenir à l'égard des religionnaires paraît devoir être tempérée de fermeté et de condescendance. Il faut contenir et ne pas révolter, user d'autorité sans la compro- mettre, dissimulera propos, plus menacer que punir, en un mot recourir aux moyens que l'on a employés durant la dernière guerre, et dont le succès a justifié la sagesse. M. le maréchal de Thomond ne saurait tro]) consulter M. de Moncan et M. de Saint-Priest dont la prudence et l'expérience sont reconnues '. »

Politique habile ! Elle croyait ne s'aliéner ainsi ni les protestants ni le clergé. Elle ne permettait point aux premiers de croire qu'elle les voulut tolérer; elle ne donnait pas au second le droit de se plaindre « de l'aban- don que le roi paraissait faire de la religion ^ »

Le maréchal de Thomond, bien qu'assiégé par le clergé dès son arrivée, se conforma à ces instructions. Ce fut g-râces à elles que le Languedoc jouit jusqu'en 1760 d'une sécurité inaccoutumée. Sans doute, il y eut des emprisonnements, des amendes, mais ces châ- timents furent isolés, en vue d'intimider les religion- naires et pour les contenir. C'est ainsi qu'en 1758, les

i y. Bullet., t. XVIir, p. 429. s Ibid, p. 433.

CONSTRUCTION DE TEMPLES 331

relig-ionnaires du Collet de Dèxe et de Saint-Michel s'é- tant mis à bâtir des temples, deux cent cinquante fusi- liers, partirent pour les en empêcher et raser les fon- dements c( de ces maisons de prières*. » Ces exemples étaient nécessaires, commandés par la situation. Car si peu qu'on leur laissât de liberté, les protestants bri- saient toutes les chaînes et se précipitaient avec g-rand éclat vers la route du Désert. On l'avait vu bien des fois depuis 1715, et récemment encore sous le com- mandement de Mirepoix. Or il fallait empêcher l'éclat. Le clerg-é veillait, le clerg-é était fort, et la cour crai- gnait le clerg'é .

Tout porte à croire que cette politique fut suivie en plusieurs provinces, en Normandie surtout, en Poitou, en Saintonge et en Provence.

Mais, chose étonnante et qui montre l'indécision du g'ouvernement à l'ég'ard de ses sujets protestants ! ce fut au moment même elle recommandait la condes- cendance à ïhomond, qu'elle laissa la persécution con- tinuer en Guyenne, en Dauphiné, dans le comté de Foix, dans le Béarn.

En Dauphiné , le parlement de Grenoble fît empri- sonner un g-rand nombre de relig-ionnaires. Ils avaient assisté à des assemblées : c'était leur crime.

Dans le comté de Foix, le commandant, M. de Gu- danes, dressa à leur chasse les paysans et les cavaliers de la maréchaussée ^.

1 Archives nationales, TT. 433-434. « J'ai lieu de croire, écrivait le commandant de la troupe, que ce petit acte de diligence et de vigueur que nous venons de faire, arrêtera un désordre qui allait vraisembla- blement devenir général. »

2 V, Coquerel, t. II, p. 264.

332

PERSÉCUTION EN GUYENNE

Dans le Béarn, toutes les vieilles mesures furent re- mises en vigueur. Après le premier orag-e, Déferre et son collèg-ue Journet avaient tout voulu remettre sur pied. c( Nous allons, sous le bon plaisir du Seig-neur, reprendre nos opérations plus vigoureusement que jamais. » Mais en 1758, un nouvel orage éclata. On dispersa les assemblées, on inquiéta ceux qui donnaient asile aux pasteurs, et il y eut des enlèvements d'enfants. Les maires et les jurats, de concert avec les curés, « arrachèrent les enfants à la mamelle de leurs mères pour les rebaptiser... A Salies, le maire avec un ap- pareil terrible, fut à la maison du nommé Loustalot pour lui enlever son enfant ; ils ne trouvèrent que la femme qui, saisie de frayeur, tomba morte, et l'on ne la rappela à la vie qu'avec beaucoup de peine ' . »

La Guyenne ne fut pas plus épargnée. Quoique le maréchal de Thomond eût quitté cette province, les or- donnances qu'il y avait édictées n'avaient point été re- tirées. Le duc de Richelieu qui venait d'arriver, se hâta d'ailleurs d'en renouveler l'ensemble dans une nouvelle ordonnance. Les prisons de la Force, de Pui- guilhem , de Bergerac , de Mornac et d'Agen furent remplies de protestants ; le château du et l'hôpital de la manufacture de Bordeaux eurent aussi les leurs. « Dieu veuille avoir pitié de nous ! Aujourd'hui on a fait venir des lettres de cachet , et on a commencé à arrêter nos meilleurs associés; on menace de faire en- lever les filles pour les mettre dans les couvents, de sorte qu'en toute manière notre sort ne saurait être

i Y Coquerel. t. Il, p. 250.

INDÉCISION DE LA COUR 333

plus déplorable qu'il l'est. » On s'attaqua même aux livres. Ce qui ne s'était vu depuis long-temps, se vit. Il y eut à Bordeaux un auto-da-fé de plusieurs milliers de volumes « pernicieux et séditieux, contraires aux lois et maximes de la religion d'Etat ' . »

Cet état de choses dura long-temps. A la mort d'An- toine Court, il était encore dans ces provinces en pleine vig'ueur, et il menaçait même de s'implanter en Lan- g-uedoc. En 1760, l'ordre fut intimé aux protestants de Nîmes et de Montpellier de faire célébrei" à l'Eg-lise leurs mariag'es, et d'y faire baptiser leurs enfants. « Daig-nez, Sire, écrivaient-ils dans une requête au roi, daig'nez tendre une main secourable à vos sujets infor- tunés. Daig'uez dissiper d'un regard les cruelles alarmes qui les agitent. Toute leur consolation est dans le té- moignage de leur conscience, et tout leur espoir est dans votre clémence et votre humanité^. »

Ainsi huit années venaient de s'écouler, sans qu'à voir les apparences des choses, elles eussent apporté aucun adoucissement à la condition des protestants. Etait-ce la tolérance ? Etait-ce la persécution ? On ne savait. Le lendemain trompait toujours les craintes ou les espérances de la veille.

» V. Coquerei, l. II, p. 260 et 261. * V. Pièces et documents, n" XVIII.

CHAPITRE XI

NOUVELLES MESURES DE DEFENSE 1752-1760

La conduite de la cour variait d'une année à l'autre; celle des protestants était toujours la même. Depuis 1715, elle n'avait pas cliang-é. Un mot la résuûiait : Résig-nation.

De 1753 à 1760, suppliques et placets ne cessèrent d'être envoyés au roi, au Bien -Aimé.

« Si nous pouvions, Sire, faire nos assemblées de piété dans les villes et dans les bourgs, nous n'irions pas nous assembler dans les Déserts, nous souffrons le froid glacial de l'hiver et les ardeurs brûlantes de l'été; mais nous préférons le séjour des bètes à celui des hommes, parce que celles-là nous sont moins cruelles que ceux-ci. Malgré notre vigilance cl nos pré- cautions, il arrive souvent que nous sommes suriiris par les troupes de Votre Majesté, que l'on voit fréquemment en cam- pagne à cette fin. Et comment en sommes-nous traités? Vous aurez de la peine à le croire, Sire; rien pourtant n'est plus certain. Vos officiers et vos soldats, non contents d'avoir dissipé et mis en fuite nos assemblées, font sur elles des décharges comme sur une armée ennemie, poursuivent les fuyards à grands coups de fusil, arrêtent et conduisent en prison ceux qui ne sont pas assez lestes pour échapper à leur poursuite, et ils

StJPPLIQIJES ET PLACETS

335

exercent toutes ces cruautés contre des gens qui ne portent d'autres armes que leurs livres de dévotion.

« Nous avons la douleur, Sire, d'être souvent les spectateurs et les victimes de ces tragiques scènes; mais elles se sont re- nouvelées avec plias de fréquence et de fureur depuis environ trois ans; on eût dit que les Déserts d'Uzès, de Dions, de Saint- Geniès, de Montagnac, de Sauve, de la Yaunage étaient des champs de bataille, par le bruit de la mousqueterie ; mais c'était seulement de la part des troupes de Votre Majesté, contre les- quelles on ne se défendait que par la fuite. Cependant, Sire, nous avons eu des gens tués, d'autres blessés dangereusement, et un plus grand nombre arrêtés et condamnés, les hommes aux galères, et les femmes à être enfermées dans la tour d'Ai- gues-Mortes, les uns et les autres pour le reste de leurs jours.

« Ce n'est pas tout, Sire; il est des lieux oii, sur la déposi- tion d'un infâme délateur, sans autre jireuve, et sans confron- tation, les gens sont arrêtés et condamnés aux galères, ce (jui donne heu aux injustices les plus criantes. C'est ainsi qu'à Bé- darieux plusieurs protestants furent arrêtés dans leurs maisons, il y a précisément deux ans, et (quoiqu'ils fussent on état de prou- ver, même par le témoignage de plusieurs cathohques, qu'ils n'avaient point assisté à l'assemltlée à l'occasion de laquelle ils avaient été arrêtés, le témoignage du délateur l'emporta : l'in- tendant ne voulut rien entendre et les condamna à servir en qualité de forçats sur les galères de Yotre Majesté.

« Le traitement qu'on fait éprouver aux personnes doit faire présumer qu'on n'épargne pas leurs biens. En effet. Sire, outre les confiscations qui ne manquent jamais de suivre les condam- nations aux galères qui dans cette province sont toujours à vie, il semble qu'on ait résolu de ruiner tout à fait vos sujets pro- testants par les amendes arbitraires auxquelles on condamne les arrondissements. Ceux d'Uzès, de Dions, des Vans, de Nimes, de Montpellier, de Montagnac, en ont payé depuis peu de très-fortes; mais celle de 10,000 livres, outre 900 et quel- ques livres de frais, à quoi M. l'Intendant vient de condamner quelques lieux de la Vannage, est totalement ruineuse. Il est impossible qu'on puisse y satisfaire, à moins qu'on n- vende

336

SUPPLIQUES ET PLACETS

une partie des biens-fonds qui font subsister les infortunés habitants de cette contrée.

« On ne se contente pas, Sire, d'exterminer nos personnes, de nous priver de la liberté de consommer nos biens, on porte quelquefois la cruauté jusqu'à nous arracher nos enfants d'entre les bras pour les transporter dans des couvents ou dans des séminaires, pour leur surprendre une signature, sans leur dire ce qu'on veut en faire, les entraîner dans quelque église yjar ruse ou par force, pour leur donner des poupées ou des colifi- chets ; tels sont les moyens qu'on emploie pour soustraire des enfants de sept à huit ans à l'autorité paternelle... Votre Ma- jesté verra aisément ce qui peut se passer dans le coeur d'un père à qui on enlève ce qu'il a de plus cher, d'autres soi-même, et à qui l'on refuse même la consolation de les voir dans les tristes lieux on les enferme. Rien n'est plus propre à jeter les protesfants dans le découragement et dans le désespoir »

Ainsi chaque année et plusieurs fois par au -. Ils reprenaient leur plume dès que les soldats se met- taient en campag-ne. Leurs apologues furent déchirées, leurs suppliques brûlées ; rien ne put les décourager. Ils frappèrent obstinément à la porte de Versailles, voulant que le roi connût leur sort, car s'ils étaient persécutés, c'est assurément qu'ilTig-norait. En 1754, après le ban de Eichelieu, Rabaut, sur l'avis de ses col- lègues, adressa un mémoire apologétique à Saint-Flo- rentin, à Paulmy, Machault, de Puisieux, à tous ceux qui pouvaient voir le roi. En 1755, il y eut une sup- plique des religionnaires de Guyenne, en 1756 et en 1757, de ceux du Languedoc, du Béarn et de l'Age-

» V. Coquerel, t. II, p. 89, (1753.)

' De toutes ces apologies, il ne nous en reste que quelques-unes. La perte n'est point cependant irréparable. Toutes se ressemblaient.

L'ACCORD PARFAIT DE LA NATURE, ETC. 337

nois. Eu 1758, le Synode national protesta solennelle- ment encore de son dévouement à la monarchie.

« Shv, les Eglises protestantes de votre royaume assemblées en Synode viennent aux pieds de Votre Majesté pour la sup- plier de jeter un œil de compassion sur le triste état elles se trouvent réduites. Trois millions de sujets innocents et oppri- més osent essayer de faire parvenir leurs voix tremblantes jus- qu'au trône, assurés que le moment, leurs gémissements frapperont l'oreille de leur roi, sera le terme de leurs calamités. Sire, tant de maux surpassent les forces humaines. La vie de- vient un fardeau insupportable pour ceux qui les éprouvent, les sentiments les plus naturels s'étouffent dans leurs cœurs, et la patrie si chère pour tous les Français, n'est plus pour ces mal- heureuses victimes qu'un sujet d'horreur et d'eflroi *! »

Cette même année, la Guyenne et le Béarn en- voyèrent suppliques sur suppliques, et le Dauphiné fit paraître « ses très-humbles, très-soumises et très-res- pectueuses représentations -. »

Ils ne se contentèrent pas d'écrire des requêtes et des apologies : ils publièrent des ouvrag-es. Le livre avait plus d'autorité. Au surplus une jeune puissance gTandissait, qui devait renverser et supplanter l'autre : c'était l'opinion publique. Ils voulaient l'intéresser à leur cause, la g-ag-ner, et comment y parvenir, sinon par le livre ?

En 1753, Antoine Court donna en deux volumes une seconde édition du Patriote français et impartial. La même année parut l'Accord farfait de la nature et de

1 N" 46. Liasse.

2 4(5. Ihid.

II

2?

LA LIBERTÉ DE CONSCIENCE, ETC.

la raison ' . « Le Patriote^ écrivait Court, va servir de fondement à un autre ouvragée divisé en trois parties : la nécessité de la tolérance en g-énéral, sa lég-itimit(' par rapport aux protestants et sa nécessité. » L'Accord en effet n'était guère qu'une reproduction du Patriote.

L'auteur, M. de Beaumont, « excellent homme, bon g'entilliomme, chevalier de Saint-Louis, plein de zèle, de mérites et de vertus ^ » s'était emparé des faits cités par Antoine Court et s'était borné simplement à en changer l'économie pour établir son argumentation. Mais la forme en était tout autre et l'esprit. De Beau- mont se disait protestant et l'avouait bien haut. Cela dépbit. « Que j'ai à me plaindre du Parfait accord l En copiant le Patriote., ou l'a énervé. Tout avait plus de force dans la bouche d'un impartial que dans celle d'un corps qui plaide lui-même, et qui plaide pour lui.» Court était en effet persuadé que les ouvrages de cette nature auraient d'autant plus de poids qu'ils paraî- traient moins être des œuvres de parti.

En 1754, un anonyme publia : La liberté de con- science resserrée dans des homes légitimes ^

L'année 175(5 vit s'imprimer la Lettre d'un patriote sur la tolérance civile des protestants de France, et en

1 V Accord parfait de la nature et de la raison, de la révélation et de la politique; ou Traité dans leqnel on établit que les voies de rigueur en matière de religion blessent les droits de l'huinanité et sont également contraires aux lumières de la raison, d In morale Evangélique et au véritable intérêt de VÉtat, par un gentilhoniiiie de Normandie, ancien capitaine de cavalerie au service de Sa Majesté. A Cologne, chez Pierre Marteau. (1753.)

2 N" 2. (25 août 1754.)

3 Londres (1754 ) Sans nom d'imprimeur. Fréron eu reudil comjjte dans son Année littéraire, t. VII, (1756.)

LA VOIX DU VRAI PATRIOTE, ETC. 339

appendice à cet écrit : la Méponse d'un bon chrétien aux prétendus sentiments des catholiques de France sur le mémoire (m sujet des onariar/es clandestins des protestants. Antoine Court en était l'auteur '.

Cette même année, parut le fameux Mémoire tliéo- logique et politique au sujet des mariages par Eip- pert-Monclar.

En 1757, parut enfin une lettre de M. de .... capi- taine d' infanterie à M. le chevalier de ... officier de lamaison du roi., touchantles assemblées des Huguenots.

Le but fut en partie atteint. Ceri ouvrag'e,s attirèrent l'attention de quelques puLlicistes et liommes d'Etat; ils firent même as.sez de bruit dans un certain monde pour que le clergé ne les laissât pas sans réponse.

En 1756, l'abbé Bouniol de Montégut publia : La voix du vrai patriote catholique, opposée a celle des faux patriotes tolérants ^

L'abbé de Caveirac, la même année, répondit au Mémoire théologique et politique sur les mariages {rdr le m oire politico-crit iq ue .

Lorsque Court eut ftiit paraître sa lettre d'un pa- triote sur la tolérance, le fougueux abbé reprit de nou- veau la plume et donna en 1758 V Apologie de Louis XIV et son conseil sur la révocation de VEdit de Nantes.,

1 Petit in-8. (1750.)

^ Brochure in-8. Chez Hérissant. C'est à propos de ce livre que Fréron disait : « Vous rabattrez, Monsieur, ce qu'il vous plaira de ces exagérations peu propres à faire valoir la bonne cause que l'auteur a entrepris de soutenir. » Et ailleurs: « C'est dommage que des raisons aussi solides ne soient pas de nature à faire impression sur toutes sortes de lecteurs. » Il ajoutait encore avec une pointe d'ironie : « Le feu de son imagination dédommage en quelque sorte du défaut de justesse ou de preuves. » Année littéraire, t. VI, p. 192. (1756.)

340 .IRGUMENTATION DES PROTESTANTS

gros volume auquel était jointe une dissertation sur ];j journée de la Saint-Bartliélémy * .

Au fond que disaient Antoine Court, Beaumont et les autres auteurs ? Ils disaient : Nous sommes trois millions de protestants dans le royaume ; aux yeux de la loi nous n'existons pas, aux yeux de la cour nous sommes des rebelles : nous demandons un état civil, et un mode de vivre. Pourquoi sommes-nous hors la loi et traités en ennemis de l'Etat ? Nous sommes de paisibles citoyens, honnêtes, dévoués au roi; nous avons le talent et la fortune ; nous sommes la bourgeoisie. L'Etat a beau- coup souffert de la révocation de l'Edit de Nantes, il en souffre encore. Il a enrichi ses ennemis, et il s'est lui-môme l'uiué. L'Etat n'avait aucune raison pour nous expulser : le clergé a surpris la religion de Louis XIV ; nous sommes victimes d'une surprise. Que Louis XV, notre Bien -Aimé, veuille enfin résister au clerg-é et promulguer un édit de tolérance ; qu'il consente à nous laisser marier devant nos pasteurs ou devant des magistrats choisis par lui ; qu'il contienne ses dra- gons dans leurs cantonnements et ne leur permette plus de troubler nos travaux par de quotidiennes vexations : il se couvrira de gloire, il enrichira la France, et nous le bénirons. Mais s'il s'obstine à marcher dans la voie il s'est engag'é, il ne peut aboutir qu'aux plus écla- tants échecs et aux plus graves complications. Si grande que soit notre patience, nous ne pouvons ré- pondre de celle de tous les protestants. Est-il prudent

> In-8. (1758.) Sans nom d'imiirimeur. C'est à cet ouvrage que répondit, en 1760, le pasteur Delabroue : L'Esprit de Jésus-Christ sur la tolérance. Petit in-8.

AROrMKNTATKiN DKS CATHOLIQUES 311

eu effet « de maltraiter trois millions d'hommes qui sont répandus dans toutes les parties du royaume, jus- qu'au point de les dépouiller sans miséricorde de tout ce qu'ils ont de plus cher au monde, c'est-à-dire de leurs biens, de leurs femmes et de leurs enfants, sur- tout lorsqu'on convient que ces trois millions d'hommes sont tous des citoyens fidèles, utiles, nécessaires même »

A quoi, les catholiques répondaient : Vous n'êtes que quatre cent mille et tous êtes des factieux. La ré- vocation de l'Edit de Nantes n'a causé aucun préjudice au royaume ; elle l'a au contraire débarrassé d'esprits turbulents, et d'ennemis cachés. Ce sont vos excès qui vous ont fait chasser en 1685 ; vous êtes les victimes de vos propres violences. Vous demandez aujourd'hui qu'on vous tolère dans le royaume : l'intérêt de l'Etat et celui de l'Eg-lise s'y opposent ; l'Etat n'a pas be- soin de sujets qui l'attaquent, et l'Eg-lise de déistes qui portent le relâchement dans le culte et dans les mœurs. Le catholicisme au surplus n'admet point de partag-e dans l'autorité ; son unité ne souffre pas de division, son infaillibilité ne permet pas qu'on doute. Soumettez-vous aux exig-ences de la relig-iou et de l'Etat, ou partez : les chemins sont ouverts. Quant à croire que le successeur de Louis XTV rétablira l'édit que ce g-rand roi déchira si justement, c'est pure ima- gination, c'est folie. Jamais on ne verra les calvinistes « reparaître dans le royaume, la séduction et l'im- piété sur les lèvres, la flamme et le fer dans les mains,

1 V. Mémoire thiologique et poUtiqiie, etc.

342 LECOINTE DE MARCII.IAC

affichant aux portes du Louvre et du temple dos pla- cards injurieux. »

« Factieux ! » Voilà rru-g-ument qui revenait sans cesse, et qu'ils jetaient à tout propos. Or, quand les abbés de Montégut et de Caveirac après tant d'exemples de fidélité faisaient porter sur cette épitliète le poids de leurs réquisitoires, on apprit en Languedoc la ten- tative d'assassinat de Damiens. Rabaut prit aussitôt la plume et dans une lettre circulaire invita les protes- tants de la France entière « à célébrer un jour d'actions de grâces et d'humiliations extraordinaires, à l'occa- sion de l'atteinte sacrilèg-e faite en la personne sacrée de Sa Majesté, et de son heureux rétablissement'. »

Encore que les religionnaires se livrassent avec une étrang-e facilité aux plus chimériques espérances, ils n'osaient trop les fonder cependant sur leurs seules re- quêtes et sur leurs ouvrag-es. Comme ces malheureux que la mort entraîne etqui veulent vivre, ils se précipi- taient sur toutes les chances de salut que le hasard ou les revirements de la politique leur offraient. Il y parut bien dans les deux curieuses et piquantes aven- tures qui signalèrent ces dernières années.

Il y avait à Paris un protestant zélé nommé Le- cointe. Ce n'était ni un personnage ni un intrigant. Capitaine de cavalerie au régiment de Conti, ami de de Beaumont, l'auteur de V Accord parfait, il avait noué des relations avec Paul Rabaut, probablement aussi avec Antoine Court, et il s'était mis à leur dis-

' V. Bicllet., t. V, p. 319. (1757.) V. aussi la lettre qu'écrivit An- toine Court, en 1744, k l'intendant. Pièces et documents, n" XI.

LE PRINCE DE CONTI 043

position pour faire parvenir leurs requêtes aux hom- mes influents qu'il connaissait K

Plus lieureux qu'Allamand, il avait obtenu de se mêler des aftaires des réformés. Etait-il toutefois leur ag-ent? Rien ne le prouve ^. Antoine Court et ses col- lègues se montraient très-défiants à l'endroit des hom- mes qui s'ofi^raient à les servir, et la conduite qu'ils avaient récemment tenue avec Allamand laisse sup- poser qu'ils n'avaient autorisé Lecointe qu'à agir en son propre nom.

En 1755, Lecointe avait l'amitié du prince de Conti^. Le prince yivait à l'Ile-Adam, un peu en disgrâce, boudant la cour et faisant de l'opposition. Lecointe lui parla des religionnaires et le sujet ne déplut pas : il y revint.

Quelques jours après, en avril, le prince recevait une lettre de Paul Rabaut, C'était un appel à sa générosité, à son influence. « Si par votre canal. Monseigneur, Sa Majesté pouvait être instruite de l'abus qu'on fait de son autorité pour écraser un peuple qui brûle de zèle pour son service, sans doute il en aurait compassion et lui ferait un sort supportable. » Conti très-étonné

' A quelle année remontaient ces relations? Nous ne pouvons le (lire. Un peu toutefois avant 1755. Les détails précis sont d'ailleurs assez rares, non-seulement sur ces relations, mais' encore sur Le- cointe. Au fond, quel était ce personnage? On ne sait trop. Les inté- ressants et substantiels articles qu'a publiés M. Athanase Coquerel dans le Bulletin, n'ont pas dissipé toute l'obscurité dont ce person- nage est entouré.

2 Ce ne fut que plus tard probablement qu'il fut officiellement nommé agent des Eglises.

3 Nous suivons dans notre récit les manuscrits Rabaut. Nous man- quons malheureusement de bien des documents sur l'origine et sur le dénoûment de cette aventure.

3U CONTI ET RABAUT

ne marqua aucun mécontentement : ce rôle de pro- tecteur, « de rapporteur » lui convenait. Plusieurs lettres suivirent la première. Rabaut y vantait la phi- lanthropie, l'humanité du prince, et le suppliait de présenter à Sa Majesté la défense des religionnaires. Le secrétaire de Conti répondit, et dans ses réponses ne cacha pas la bienveillance dont était animé son maître. Ce commerce épistolaire dura quelque temps. En juin, Paul Rabaut fit connaître les demandes des Eglises : délivrance des g-alériens et des jeunes g-ens enfermés dans les couvents, permission de se marier devant un mag-istrat et de s'assembler soit au Désert, soit dans des temples, liberté assurée aux pasteurs, retour des réfugiés. Il ajoutait :

» Qu'il y a de grandeur d'âme, Monseigneur, de magnani- mité, d'héroïsme dans le beau i)rojet que vous avez formé ! Si Henri le Grand pouvait en être instruit, il applaudirait sans doute à la noblesse des vues de Votre Altesse sérénissime et ù la sagesse des arrangements qu'elle veut prendre. Laisser à la nature ses droits, à la conscience ses privilèges; faire cesser l'oppression et les violences ; permettre à chacun de rendre à Dieu ce qui lui est dù, en rendant à César ce qui lui appartient : c'est à Louis le Bien-Aimé qu'est réservé ce grand ouvrage, et à vous, Monseigneur, de lui en avoir inspiré le dessein, et d'en avoir procuré l'exécution »

Une entrevue fut décidée entre le prince et le minis- tre proscrit; le lieu choisi fut l'Ile-Adam.

1 II ajoutait : « En attendant, Monseigneur, que nous puissions célé- brer vos vertus et faire éclater les mouvements de notre reconnais- sance, je crois pouvoir assurer à Votre Altesse sérénissime qu'il sera aisé d'observer le secret et de faire régner l'harmonie. Je vais écrire à mes consorts, mais en termes généraux et uniquement pour leur

ENTREVUE A L'II.E-ADAM

345

« Plus on a réfléchi, écrivait Rabaut à Pradel, le 18 juillet, et plus on s'est confirmé dans la pensée que je ne pouvais pas éviter la corvée en question. Je ne vous ai parlé là-dessus que d'une manière vague, parce que la prudence ne permettait pas de confier au papier certains détails. Je laisse la lettre aux mes- sieurs que vous savez; il vous sera aisé de vous en procurer la lecture. Mais je vous prie de ne pas leur faire connaître que vous soyez exactement informé de toutes les circonstances de l'affaire et surtout du grand homme qui se prête..., etc. Je pars ce soir, puisqu'il le faut, plein de confiance en Dieu et rempli d'espérance que ce voyage ne sera pas infructueux »

Paul Rabaut quitta Nîmes le 18 juillet, traversa la France et arriva à l'Ile-Adam, il eut deux confé- rences avec Conti. Le 15 août, il était de retour en Languedoc.

Que s'était-il passé entre ces deux hommes? Rabaut n'en dit qu'un mot, comme en passant, dans une lettre à Moultou : « Le grand homme qui se propose d'a- doucir notre sort m'accorda deux audiences, dans les- quelles furent discutés les principaux points à accor- der. » Il s'agit certainement de ce qu'il avait déjà demandé : la délivrance des galériens, les mariages, le retour des réfugiés et surtout la liberté du culte. Ce dernier point dut être toutefois vivement discuté,

donner des espérances et les disposer à concourir à nos vues. » Il le priait, détail touchant, de l'excuser s'il ne se signait pas. (11 juin 1755.) Mss Rabaut.

1 Voici la fin de la lettre à Pradel : « ... Continuez-moi, je vous prie, votre amitié et les secours de vos prières. Je ne manquerai pas de vous écrire d'abord mon arrivée et tout ce qui se passera. Le plus tôt que vous pourrez venir ici sera le mieux. On marque, au reste, qu'il est nécessaire de continuer les parties champêtres. Je vous embrasse de tout mon cœur. » Signé : Paul. (18 juillet, 1755.) Mss Rabaut.

340

ENTREVUE A L'IF.E-ADAM

et probablement aussi il excita quelque désaccord en- tre le prince et le prédicant, car on trouve la trace d'un différend dans une note en date du 7 août :

<i Apivs m'ètre tourné de tous côtés sur l'expédient ù prcn- ilro au sujet du culte, je n'en trouve pas d'autre que celui que je pris la liberté de proposer à Votre Altesse sérénissime. Il est sûr que mes constituants ne se contenteraient pas du culte domestique qui en effet ne suffit point pour remplir les vues non-seulement des léj^islateurs religieux, mais même aussi du gouvernement politique. ... 11 est ridicule de prétendre qu'il n'y a qu'une religion en France. Il est de toute notoriété que le protestantisme est cru et professé par une partie considérable des sujets de Sa Majesté. Vouloir les rendre catholiques, c'est tenter l'impossible, comme une longue expérience l'a démontré. Faut-il donc les laisser vivre sans exercices de religion?

Et Paul Rabaut concluait :

'( Bâtissant donc sur ces principes... qu'il serait inutile et même dangereux de vouloir les faire renoncer à leurs exercices de religion, que le culte domestique d'une ou deux familles est totalement impraticable, et que le parti ne pourrait en aucune façon s'en contenter, il résulte de tout cela que la l;onne poli- tique demande qu'on permette que ce culte ait un peu plus de publicité. »

On n'arriva à aucune conclusion pratique, et Rabaut revint probablement à Nîmes porteur de beaucoup de promesses, mais n'ayant rien obtenu. Il arrivait ce- pendant plein d'illusions et fondait les plus grandes espérances sur son voyage. Ainsi, l'année suivante, Antoine Court écrivait : « La nouvelle que vous venez de m'anuoncer, serait-elle bien fondée ? et ne présumez- vous pas trop en faisant espérer aux protestants de

ESPÉRANCES DÉÇUES* 347

France un cliang-ement de sort, qu'ils souhaitent de- ])uis si long-temps et que jusqu'ici ils ont reg-ardé comme impossible '? » Rabaut était en effet persuadé que la condition des relig-ionnaires n'allait pas tarder à s'améliorer : « Les fers sont au feu, disait-il à Moul- tou, et si la suite répond à ces heureux commence- ments, connue j'ai lieu de le croire, le printemps ne passera pas que l'on ne voye éclore quelque chose de très-flatteur pour nous ^. »

Espérances bientôt déçues ! Les rapports entre le prince de Conti et Paul Rabaut continuèrent quelque temps, mais sans résultat. Les lettres ensuite devin- rent plus rares, bientôt la correspondance cessa, et tout fut terminé. L'abbé de Caveirac enleva les der- nières illusions : « Vous faites liien. Monsieur, répon- dit-il à Court, de douter des nouvelles de votre corres- pondant, vous ferez encore mieux de ne pas les débiter. Le sort des calvinistes de France n'est pas prêt à chang-er, il n'est pas même possible qu'il chang-e. » L'origine de cette aventure avait été sans nul doute l'intérêt ou le désœuvrement du prince : l'intérêt n'y ayant pas trouvé son compte ou le désœuvrement cessant, l'aventure avait pris fin.

Le souvenir en durait encore, lor.squ'en 1759 trois protestants proposèrent d'acheter la tolérance à prix

' V. Lettre sur la tolérance, etc., p. 1.

2 II disait dniis la même lettre : « Il y a lieu d'espél'ér que Dieu donnera du repos il Israël. (Que cet article soit, je vous prie, entre vous et moi.) Je me suis assuré, par moi-même, des bonnes intentions qu'a ])our nous l'homme du royaume qui nous peut le mieux servir. » (Octobre 1755.) Mss Ral)aut.

348 BANQUE PROTESTANTE

(l'arf^ent ' . L'un s'appelait Rey, l'autre Boudon -, le troisième, grand jug"e des g-ardes suisses, Herressche- van ^

Proposition très-sérieuse. Les finances du royaume étaient très-bas; depuis le commencement de la guerre de sept ans, la cour empruntait, faisait argent de tout et ne pouvait combler 1e gouffre. Voici ce qu'ils avaient imaginé. Ils fonderaient à Paris une maison de com- merce, émettraient des actions, feraient appel aux re- ligionnaires et aux réfugiés, et avec l'argent protes- tant, ils prêteraient au roi sous certaines conditions ([u'ils stipulaient \ Le roi reconnaissant ne pourrait persécuter ses bienfaiteurs; il accorderait la tolérance. « ... L'exemple de simples particuliers qui se sont trouvés en pareil cas, donne une idée du crédit im- mense et des influences que cette société aurait dans plusieurs branches de l'administration générale, et l'on croit pouvoir dire avec vérité que de tous les moyens qu'il est possible de mettre eu usage en faveur des protestants, celui qu'on propose serait le plus sage, le plus sîir et le moins sujet à des incon- vénients ^. »

* Il ne serait pas étonnant que Lecointe fut encore l'auteur et le promoteur de l'idée. V. Bullet., t. XIV, p. 353.

' Boudon était originaire de Clairac.

* 46. Liasse.

* Voici comment et à quelles conditions : « ...Les avances que fera notre maison, seront remboursées par des ordonnances et des assi- gnations à différentes échéances sur le trésor royal et les autres caisses de Sa Majesté. L'intérêt de ces avances nous sera payé sur le pied de 6 p. 100 l'année, et il sera supporté soit par le roi, soit par les parties prenantes, suivant les différentes négociations qui auront lieu. » Archives nationales, TT. 433-434.

8 N" 46. (2 février 1759.)

POURPARLERS AVEC BELLE-ISLE 341»

Ils s'en oiiyrirent, le 4 février, à Belle-Isle. Belle- Isle fut enchanté. Le 6, Boudon lui écrivait :

« Nous ferons dans toutes les occasions, et particulièrement dans les circonstances présentes, les plus grands efforts pour concourir au Ijien de l'Etat et au service du gouvernement, et nous saisirons avec un vif empressement tout ce qui pourra convaincre le roi que nous méritons par notre amour et par notre fidélité jjour lui, le précieux avantage de sa confiance. »

Il se faisait fort dans cette lettre de l'assentiment des protestants, et parlait en leur nom; mais, à vrai dire, il ne les avait pas encore consultés. Belle-Isle répondit aussitôt : « Suivez sans aucun retardement les opérations. » Il croyait l'affaire certaine, et se dé- clarait satisfait si le premier établissement était de trois à quatre millions; mais il traitait uniquement avec eux et ne parlait pas des protestants * .

Cependant on fondait les plus grandes espérances sur cette affaire. Un anonyme, peut-être Lecointe,

1 Voici la copie de trois lettres du maréchal de Belle-Isle à Boudon, que nous trouvons dans les manuscrits Rabaut. Nous n'osons affirmer qu'elles soient authentiques. Cette affaire est très-obscure et nous manquons de documents pour l'éclaircir.

« Versailles, 8 février 1759.

« J'ai reçu votre lettre du 6 de ce mois. Je suis fort aise d'avoir pu engager le Roi à vous donner une marque de confiance aussi distin- guée. Je suis persuadé que vous justifierez le-témoignage avantageux que j'ai rendu à Sa Majesté de votre zèle et de votre fidélité. Je me ferai un plaisir, dans ce cas, de chercher de nouvelles occasions de vous donner des preuves de mes sentiments pour vous.

« Signé : Le Maréchal, Duc de Belle-Isle. » « Versailles, 17 février 1759.

« Ne soyez point arrêté. Monsieur, par les inquiétudes que vous m'avez fait parvenir. Suivez sans aucun retardement les opérations dont je vous ai chargé et vos associés; ne perdez pas un moment. J'aplanirai toutes les difficultés qui se présenteront, parce que je suis

350

LA BANQUE EST AUTORISÉE

écrivant à un relig-ionnaire : « Cette affaire, disait-il, est publique dans Paris, on en parle dans toutes les sociétés, dans tous les cafés, en un mot partout. Per- sonne n'y contredit, et les plus sensés ne parlent de cet arrang-ement qu'avec satisfaction et élog"e. » Plus loin, en annonçant qu'il avait souscrit pour 2,000 livres, il ajoutait : «Je me reprocherais toute ma vie et je me ferais même délicatesse de conscience de ne m'étre pas prêté dans une occasion qui peut procurer un heureux changement à notre situation présente, quelque évé- nement que puisse avoir d'ailleurs cette affair-.' "... »

En avril, Rey et Boudon quittèrent Paris, et se ren- dirent le premier à Nîmes, le second dans le Poitou. Ils venaient pleins d'espoir.

A peine arrivé, Rey se présente avec un autre nég'o-

persuadtJ que vous vous comporterez tous avec la prudence que je vous ai recommandée, et îi laquelle vous vous êtes engagé. Vous pouvez, dans ce cas, être assuré de la protection du Roi. Je suis, etc..

« Sigyié : Le Maréchal, Duc de Belle-Isle. » « Versailles, 11 mars llô'.).

« Je sais. Monsieur, tous les arrangements que vous avez faits avec vos associés pour remplir les engagements que vous avez contractés avec moi. J'en rendrai compte au Roi, et je puis d'avance vous assu- rer sa satisfaction des témoignages du zèle que vous donnez dans cette occasion, et je crois devoir en attendre tout ce que vous m'avez pro- mis. Je conçois que votre établissement ne peut être précipité; aussi je n'ai compté que sur les secours que vous m'avez rendus possibles Je désire même que vous vous conduisiez dans les provinces avec la plus grande circonspection. En conséquence, je serai fort satisfait si votre premier étal)lissement est de trois h quatre millions, pourvu que vous y apportiez tonte la diligence que les circonstances reinh'ont nécessaires, et que vous me mettiez à portée, sans aucun retarde- ment, de commencer nos négociations. Pendant cet intervalle, votre maison se nieltra à même de continuer vos opérations. Vous savez, Monsieur, quels sont mes sentiments pour vous.

V. Signé : Le Maréclial, Duc de Delle-Isle. ->

1 Archives nationales, TT 433-434 (Mars 1759.)

FROIDEUR DES RELIGIONNAIRES

351

ciaut devant le lieutenant du roi, et sollicite de lui la permission de tenir près de Nîmes une assemblée pour délibérer avec les relig'ionnaires sur la création de la banque. Le lieutenant du roi, très-étonné de la de- mande, s'informe à Montpellier s'il doit l'accorder. Le maréchal de Tlioniond n'éprouve pas un moindre étonneraent à la lecture de cette lettre ; il en écrit à Belle-Isle et à Saint-Florentin, et en attendant il re- fuse la permission demandée. Le 7 mai, ou lui ré- pond de Paris qu'il s'est sag'ement conduit, et Belle-Isle ajoute lui-même : « i^u'il convenait de suspendre pour le moment présent la suite de cette affiiire, et cesser tout mouvement et toute proposition de la part des sieurs Rey et Boudon auxquels il faut donner ordre de sortir 'du Languedoc et revenir à Paris'. »

Tandis que ces événements se passaient, Rey et Bou- don ne trouvaient pas un meilleur accueil auprès des protestants. A leur g-rand étonnement, ils ne rece- vaient que des refus. Vous nous parlez, levar répondi- rent les protestants de Bordeaux, de l'établissement d'une maison de commerce ; nous seuls protestants la commanditerions, et c'est nous qui prêterions au roi moyennant intérêt, les sommes qui lui seraient néces- saires ^ Mais il n'y a qu'un édit ou un arrêt du conseil

' Archives nationales, TT. 433-434, 2 4G. Liasse.

ModHc de soitscviption : » Nous soussignés, nous engageons à nous intéresser Ji l'établisse- ment de banque et de finances qui doit se former incessamment îi Paris, par une compagnie de protestants, sous le bon plaisir du Roi, qui , leur remboursera les avances par des ordonnances ou assignations à. différentes échéances sur le trésor royal et sur les autres caisses de Sa Majesté, lequel établissement consistera en actions de cent livres tour-

352

OBJECTIONS ET RÉFUTATIONS

qui nous puisse donner la faculté d'agir; nous n'avons pas d'existence politique ; aux yeux de la loi nous ne sommespas. La preuve en est que Belle-Islene fait nul- lement mention de nous. Que Louis XV nous recon- naisse d'abord en retirant l'édit de 1715, alors, mais alors seulement, nous pourrons « suivre les mouve- ments de notre amour.» Il y aune autre objection. Vous voulez assembler tous les religionnaires du royaume, et les faire souscrire pour dififérentes som- mes proportionnées à leur fortune. Bien. Mais nous formerons ainsi un corps dans le corps, nous nous fe- rons suspecter, nous irons contre notre but. Les asso- ciés répliquèrent : Belle-Isle, il est vrai, n'a pas parlé des protestants, mais la seule cause en est qu'il crai- gnait d'irriter les catholiques. Boudon n'a agi qu'au nom des protestants ; il s'est toujours présenté comme leur député et il n'a traité que sous ce titre : la commis- sion qui lui a été accordée en fait foi. S'il vous reste

nois jusqu'à mille, revêtus d'un coupon annuel pour les intérêtsde nos fonds, à raison de cinq pour cent, sans préjudice de la répartition des bénéfices qui pourront se faire dans la suite, actions et coupons qui ne pourront être négociés qu'entre les protestants, et après en avoir donné connaissance aux directeurs ou aux personnes par eux établis à cet effet dans les provinces, n'entendant pas que nos risques excèdent les som- mes énoncées par nos souscriptions, nous nous engageons, disons- nous, à nous intéresser à cet établissement et à remettre les sommes pour lesquelles nous avons souscrit ci-après, au caissier de cette mai- son ou compagnie, après que ledit établissement aura été amené à sa dernière perfection, ce qui ne sera censé tel, qu'après qu'il sera con- staté que le Roi aura fait choix de directeurs sur le nombre des sujets qui lui auront été présentés par les provinces du rojaume intéressées dans ladite compagnie, et après la première assemblée qui aura été tenue, dans laquelle les directeurs auront délibéré sur les règlements nécessaires pour la bonne administration de cette affaire. » N. N pour livres tournois. 46. Liasse.

PROPOSITION D'ENCONTRE 353

encore (luelque crainte, ajoutez à votre bulletin de souscription : « Vu les lettres de M. Belle-Isle, et à condition que l'établissement sera bien et dûment au- torisé par Sa Majesté... » Explications superflues : Tentreprise avait avorté.

Paul Eabaut présenta de nouvelles objections. Quel- ques relig'ionnaires firent observer que lever un pareil fonds serait se dénoncer soi-même, que les amendes se multiplieraient, que la cour ruinerait les protestants, et qu'elle n'épargnerait à la fin pas plus la banque qu'elle n'aurait épargné ses fondateurs.

Ni Boudon d'ailleurs, ni Rey n'inspiraient une grande confiance. Ils avaient beau montrer leur correspondance avec Belle-Isle, ils ne parvenaient pas à dissiper les préventions de leurs coreligionnaires, ceux surtout du Midi. « Il n'y eut sorte d'imputations, dit Rabaut, qu'on ne fît à ceux qui étaient les auteurs et les pro- moteurs du projet de banque. Telle est la malice du cœur humain qu'il reçoit plus volontiers les impressions défavorables au prochain, que celles qui lui sont avan- tageuses. Les calomniateurs n'atteignirent que trop leur but. »

Le projet fut donc abandonné définitivement. On essaya bien vers la fin de l'année de le reprendre, mais en vain. Un pasteur, Pierre Encontre, fit vers la même époque une contre -proposition qui parut un moment réunir tous les suffrages. Il s'agissait de faire à Louis XV un don gratuit.

« ... 11 y aurait plus de générositô de notre part dans une pareille olVrc que dans rétablissement de la banque; ou pour II . 23

354

LE PROJET EST ABANDONNÉ

mieux dire, lo don gratuit est une générosité, tandis qu'il n'en paraît point dans un prêt fait avec usure et dans l'espérance même d'un gain considérable. Comme tout bon protestant se ferait un devoir do donner des preuves de son zèle et de son attachement pour le roi et le bien du royaume, les plus pauvres mêmes se signaleraient en cette occasion, et quand la somme que chacun donnerait serait petite, la totalité ne laisserait pas que de faire un objet fort considérable. Il est sûr que tel qui ne voudrait pas prendre part à la banque, contribuerait au don gra- tuit... Enfin, plus il y a de générosité dans cette démarche, et plus il y a lieu d'espérer que Sa Majesté et ses ministres en seront touchés et travailleront efficacement à adoucir notre sort. S on se détermine à ce dernier parti, il convient de mettre inces- samment la main à l'œuvre »

Mais après quelques pourparlers, on ne tomba pa.s d'accord, et un silence complet succéda bientôt à tout ce bruit. Les relig-ionnaires épuisés d'efforts, fatig-ués de démarches et de vaines tentatives, attendirent silen- cieusement que l'heure tardive sonnât de la réparation.

Peu de mois après, deux ans avant le .supplice de Calas, le 15 octobre 1760, parut encore en Guyenne une ordonnance contre les assemblées, les baptêmes et les mariages

Mss Rabaut.

* N" 46. Bt l'année précédente, en Languedoc, Thomond écrivait à Saint-Florentiu : « ... Il est fâcheux de ne pouvoir réprimer d'une façon efiBcace tant de contraventions et oti il paraît de l'afifectation k se roidir contre l'autorité; mais je suis persuadé que vous penserez que dans la position nous sommes en général, et je me trouve en particulier, il n'y a rien à faire que de ne pas discontinuer à faire connaître aux peuples qu'il n'est pas question de la tolérance dont on les flatte... C'est à quoi pourront servir au moins quelques amendes prononcées de temps en temps. » Archives nationales, TT 434. (1" juin 1759.)

LASSITUDE DE LA COUR 355

Ainsi, ai^i'ès une expérience de près de cinquante ans, la conduite de la cour ne semblait pas se modi- fier. En 1760 comme en 1715, on la voj'ait s'acharner contre le protestantisme et poussée, surmenée par le clergé qui ne lui laissait ni trêve ni relâche, s'em- ployer à cette suinte croisade.

Heureusement sa lassitude perçait sous ses efforts. Elle affichait des ordonnances, envoyait ses soldats en détachements, menaçait de la prison, de l'amende, et faisait exécuter ses menaces : elle était cependant fa- tiguée, horriblement fatiguée, et le montrait'. Elle n'espérait plus ramener au catholicisme ses sujets égarés : l'obstination qu'elle rencontrait lui enlevait chaque jour ses illusions. Elle continuait de sévir par habitude. Lorsque à l'instigation des curés ou des évê- ques, un intendant lui demandait de nouvelles instruc- tions, elle les donnait ; mais ses ordres, déjà moins rig-oureux, étaient d'une application particulière et ne concernaient plus le protestantisme entier. Cette lassi- tude, elle l'avait d'ailleurs montrée depuis la Régence. Elle frappait un grand coup, puis retombait, sommeil- lait. Après la déclaration de 1724 et les édits de 1726, s'ouvrait une période d'apaisement. Les soldats faisaient sans doute « des exemples, » de terribles exemples, mais isolés. La persécution n'était point générale ; elle s'abattait sur une province, sur une partie de la province : elle ne se déchaînait pas sur toute la

1 V. les très -intéressantes instructions données au maréchal de Thomond et au maréchal de Richelieu, qnand le premier prit le commandement du Languedoc et le second celui de la Guyenne. La cour ne savait à quoi se résoudre. Archives nationales, TT. 446.

356

l.E PROTESTANTISME EN 1760

France. Ai)i-è.s 1745 et 1752, il y avait encore un temps d'arrêt. La persécution faisait long- feu. Au moment même le clergé concevait les plus g-randes espérances, assistait au spectacle et battait des mains, le spectacle cessait : il fallait qu'il retournât dans les coulisses, et qu'il renouvelât ses plaintes et ses in- structions.

Si jamais, en effet, la cour avait cru qu'elle parvien- drait par la force à convertir les relig-ionnaires, elle ne pouvait plus conserver cette croyance. En 1724, les illu- sions étaient permises, en 1760, elles étaient folles

Le protestantisme français était définitivement con- stitué. Tl n'était pas, comme aux premières années du siècle, à l'état latent : il s'était manifesté. Il formait un C011ÎS compacte, robuste, plein de vie. Il pouvait re-

' Elle ue la conservait pas. L'audace des religionnaires allait si loin que Paul Rabaut et Encontre faisaient imprimer « Une lettre pas- turcde sur Vaumone aux fidèles de VEglise réformée de Ntmes, » et l'envoyaient au commandaut militaire lui-même, à Thomoud « Ce que je trouve de singulier, disait Thomond, c'est que deux mi- nistres aient l'effronterie de mettre leurs signatures aussi hardiment, et celle de vouloir instruire un troupeau dont l'existence au moins ne devrait pas être reconnue. » Archives nationales, TT. 434. (Janv. 1759. V. aussi « uu mémoire (adressé k Saint-Florentin) sur l'état des affaires de la religion prétendue réformée en Languedoc. » C'est uu résumé historique très-exact et curieux des événements qui se passè- rent de 1741 à 1760. L'auteur, qui gai-dait l'anonyme, concluait ainsi : « L'état actuel des choses est que les mariages et les baptêmes des protestants ue se font plus qu'au Désert; qu'ils tiennent leurs assem- blées aux portes et sous les murs des villes; qu'ils y vont et en reviennent par bandes et en plein jour; que les ministres et prédi- cants ne se cachent presque plus, et agissent comme personnes publi- ques, eu délivrant des extraits de leurs registres de mariages e baptêmes; et qu'il ne reste qu'à élever des temples; que l'on pourrait même dire qu'il eu existe en certains endroits, puisque l'on s'as- semble en très-grand nombre dans des maisons ou des granges dispo- sées à cet usage. » Archives nationales, TT. 446.

NOMBRE DES PROTESTANTS

.357

criiter de nouveaux membres, mais il était arrivé à cet lieureux état, s'il est à souhaiter de croître en- core, on ne doit plus craindre d'amoindrissement.

Deux Synodes nationaux s'étaient tenus dans ces dernières années, l'un en 1756, l'autre en 1758, et s'étaient rencontrés les députés de toutes les provinces. Les protestants s'étaient alors par leurs pasteurs donné la main d'association, et l'union des Eg-lises avait été de nouveau solennellement affirmée. Union complète ! Elle consistait « dans la conformité de la foi, du culte, de la discipline , et dans une exacte cor- l'espondance entre les provinces, soit en temps de per- sécution, soit en temps de calme, comme aussi dans la contribution aux dépenses à faire pour le bien de la cause commune. » Ils avaient en effet senti que tout g-rave péril avait désormais disparu, qu'ils n'avaient à craindre que des secousses , et qu'il leur suffirait de montrer une même attitude courageuse pour échapper aux derniers coups de la persécution expirante.

Combien étaient-ils ? On ne sait. Leurs apologistes disaient trois millions , leurs détracteurs quatre cent mille. C'est entre les deux chiffres qu'il faut s'arrêter. Ils avaient en 1756 quarante-huit pasteurs en exercice, dix-huit proposants et quatre étudiants à Lausanne. En 1763, ils eurent soixante-deux pasteurs, trente-cinq proposants et quinze étudiants. Le nombre de leurs chefs spirituels s'était dans l'espace de sept ans accru de plus d'un tiers. En Suisse, le séminaire ils en- voyaient leurs enfants avait atteint le plus haut degré de sa prospérité. A l'étranger, ils comptaient des amis dévoués et des bienfaiteurs qu'aucune demande ne rebu-

358

LEUR FORCE MORALE

tait. A Paris, un des leurs, Lecointe de Marcillac, usait de fion crédit pour défendre leur cause auprès des per- sonnag"es influents'.

Etait-ce un peuple que la cour put conserver l'espoir de convertir ou de faire disparaître ? Expirant sous les coups de trente ans de persécutions, appauvri par l'émigration, écrasé par une terrible guerre, il avait, en 1715, relevé la tète; que ne pouvait-il aujourd'hui que trempé par une lutte demi-séculaire il reposait, fort de sa puissance et de son droit ! Loin de tou- cher à sa perte, il touchait au salut. Ses infortunes devaient enfin trouver des défenseui'S. Contre la cour et le clergé allaient surgir Voltaire et l'opinion pu- blique. La cause de la liberté de conscience qu'il repré- sentait était, en dépit du clergé, sure désormais de triompher en France \

1 V. le très-intéressant et très-curieux mémoire que dressa, en 1759, De'.la Beaumelle. La situation du protestantisme, à cette date, y est assez bien exposée. Bibliothèque nationale. Mss. 7047, p. 440.

* Nous nous arrêtons ici. A cette date de 1760, la restauration du protestantisme français est un fait accompli. Sans doute les religion- naires auront de nouvelles attaques à repousser, de nouvelles persé- cutions à supporter; mais s'ils en peuvent souffrir, ils n'en sauraient être ébranlés. Les temps de crise sont passés : une nouvelle période s'ouvre de réparation et de paix.

Nous essayerons de raconter un jour l'histoire du protestantisme pendant les années qui s'écoulèrent de 1760 h 1789. Cette histoire, encore qu'elle soit plus connue, mérite d'être écrite avec détail. Elle est la conclusion de notre ouvrage; elle contient le dénoûment du drame que nous avons exposé dans ces deux volumes. Mais il faut s'arrêter aujourd'hui et faire halte : la mort d'Antoine Court clùt naturellement notre récit.

CHAPITRE XII

l'opinion publique au dix-huitième siècle

1715-1760

Le 10 mars 1762, à Toulouse, un protestant inconnu, Jean Calas, meurt sur la roue. Cette mort remplit la France de bruit. Voltaire s'en empare et en fait son af- faire propre. Il parle, il écrit; il réclame justice pour le malheureux supplicié. Calas devient le sujet des con- versations. Dans les boudoirs, dans les salons, sur la place publique, on ne parle que de Calas. Calas est un héros, un martyr. Puis le ton des conversations s'élève, et le champ s'agrandit. On apprend qu'il y a d'au- tres protestants en France et qu'ils souffrent : on s'in- dig-ne, on demande pour eux la tolérance. Là-dessus on discute, les esprits s'exaltent, des livres se publient, des répliques paraissent, et après vingt-cinq ans, l'opi- nion publique devenant impérieuse, Louis XVI accorde à ses sujets non catholiques l'état civil, c'est-à-dire la tolérance. Au fond, de quoi s'agit-il? Voici : Un hon- nête commerçant huguenot a un fils, et ce fils se tue ; le huguenot est accusé de l'avoir assassiné, il est traîné en prison, jugé, condamné et mis à mort.

Ici, il faut s'arrêter.

3'i0 INDIFFÉRENCP; DE LA FRANCK '

Pourquoi tant de bruit à propos d'une simple er- reur judiciaire? Les juges étaient des fanatiques. Oui, niais leur bonne foi était certaine. La sentence était injuste. Oui, mais ils la croyaient méritée. Ne s'était-il donc rien passé de plus révoltant depuis 1715? Quoi! les galères sont remplies de religionnaires, ceux-là nul- lement accusés d'assassinat. Quoi! toutes les prisons, le château de Hâ, la tour du Cret, le fort de Brescou, le château de Ferrières, la tour de Constance, vingt au- tres, regorgent de prisonniers et de prisonnières ! Quoi ! (le pauvres paysans, coupables d'avoir assisté à une .issemblée, ont été massacrés! Arnaud a été pendu, Hue pendu, Vesson j;endu, Roussel, Durand, Dortial, Ranc, Roger, Désubas, Bénézet, Teissier pendus! Il y a eu des amendes, des emprisonnements, des enlèvements d'enfants, des tortures et des supplices; on a traversé les grandes persécutions de 1726, de 1745 et de 1752; toutes les cruautés se sont donné carrière et toutes les horreurs en spectacle ; des morts ont été jetés à la voirie; des cadavres ont été insul- tés, traînés dans la boue des carrefours, déchirés et finalement jetés à l'eau ; cela s'est vu pendant qua- rante-cinq ans, cela se voit encore... ; et nul ne s'est levé, nul ne se lève pour dénoncer à la France ces crimes et ces turpitudes ! Dans ce siècle si doux, on l'assure, si bon, si compatissant, oixV humanité qaï en honneur et ce mot est sur toutes les lèvres, tant d'iniquités n'ont réveillé aucun écho ! En 1760, l'opi- nion publique n'est point encore émue ! Comme si la limite de la révoltaiite injustice n'était pas atteinte, elle ne s'occupe frivolement que des choses de la so-

LA SOCIÉTÉ .161

ciété et (le celles de l'esprit. V Esprit des lois, événe- ment. \S Encyclopédie, V Essai sur les mœurs, événe- ments. Mais d'un million d'hommes horriblement per- sécutés, il n'est encore nullement question! L'opinion est ailleurs! Elle ne s'éveille, ne se déchaîne tout à coup que deux ans plus tard, en 1762, à propos d'un pauvre protestant roué, victime d'un fanatisme sécu- laire ! Etrange caprice, ou plutôt étrange revirement ! Ni caprice, ni revirement.

Quand on étudie le dix-huitième siècle, il faut dis- ting'uer trois périodes, si on veut le bien comprendre et le bien juger : la première qui s'étend jusqu'à 1760; la seconde qui est une préparation à la Révo- lution; la troisième qui comprend les onze dernières années, et qui esta elle seule tout un siècle. C'est de la première période qu'il s'agit ici.

Cette société qui remplit l'Europe du bruit de ses plaisirs et de ses scandales, qui attire sur elle tous les regards, qui se donne en spectacle, qui cherche le.s applaudissements et qui constitue à elle seule ce qii'on est convenu d'appeler le dix-huitième siècle, cette société est profondément ég-oïste. Héritière d'un monde qui s'écroule, elle sent qu'elle va disparaître, et elle se rattache à la vie avec la frénésie de la dernière heure. Sachant son mal, elle s'étourdit. Elle se farde, elle parade sur la scène, car elle a peur de regarder en elle-même : son cadavre l'effraye. Elle veut s'oublier et elle multiphe les plaisirs, les jouissances; elle a soif de choses nouvelles, inconnues, étranges; elle veut être distraite, elle le veut à tout prix. C'est son idée fixe. Elle a disposé de tous les moments

362 L'ÉGOISME ET LES DISTRACTIONS

elle pourrait songer à elle-même et songer aux autres.

Comment plaindrait-elle, aimerait-elle autrui, elle qui ne peut s'aimer elle-même? Jusqu'à Louis XIV, l'amour divinisé, idéalisé par l'hôtel de Rambouillet, avait son culte et ses adorateurs. Maintenant on n'aime plus : on a des désirs. Le cœur s'est tellement desséché, que l'amour n'y peut plus fleurir. On se prend, on se quitte; on se reprend, on se requitte; et on appelle cela des passades , des épreuves, des fantaisies. On cite jusqu'à trois femmes qui ont aimé : trois dans un demi-siècle ! Les autres s'offrent, quand elles ne se vendent pas. L'amour est une disteaction comme le bal ou la comédie. L'amitié même n'existe plus. On ouvre un salon, et on donne des soupers. Pendant cinquante ans à la même place paraît la même personne. Sans doute elle est aimée. Ce long tête-à-tête a fait naî- tre de doux sentiments, une intimité profonde, une réelle affection. Pourquoi, sans cela, durerait-il ? Cha- cun en a besoin : voilà le vrai motif. On en a besoin pour rompre la monotonie de la vie : l'égoïsme y a trouvé son compte. « Pont de Veyle? Madame. êtes-vous? Au coin de votre cheminée. Cou- ché les pieds sur les chenets, comme on est chez ses amis? Oui, Madame. Il faut convenir qu'il est peu de liaisons aussi anciennes que la nôtre. Cela est "^Tai. Il y a cinquante ans. Oui, cinquante ans passés. Et dans ce long intervalle, aucun nuag*e, pas même l'apparence d'une brouillerie. C'est ce que j'ai tou- jours admiré. Mais, Pont de Veyle, cela ne viendrait- il point de ce qu'au fond nous avons toujours été fort indifférents l'un à l'autre? Cela se pourrait bien. Ma-

L'ENNUI

363

dame. » Puis, vienne la mort du vieux confident, quel- ques heures après, on ira chercher dans un salon ami les distractions des yeux et de l'esprit.

Cette société, d'ailleurs, sans cœur et sans larmes, comme toutes les sociétés de décadence, au milieu de ses plaisirs, s'ennuie. Ennui profond, incurable, qui vient de la satiété. Elle n'a ni les viriles pensées ni les généreuses ardeurs ; elle n'en a plus la force ; elle est assoupie, dormant du sommeil qui précède la mort. « Il n'est pas d'épanchement, pas de lettres, la plainte de l'ennui ne revienne comme un refrain, comme un g-émissement. C'est une lamentation con- tinuelle sur cet état d'indifférence et de passi-v ité, sur cet engourdissement de toute curiosité et de toute énergie vitale, qui ôte à l'âme jusqu'au désir de la liberté et de l'activité, et ne lui laisse d'autre patience que la paresse et la lâcheté'. » Or, de quelle tâche ne faudrait-il pas qu'elle se charg'eât? C'est de la conjura- tion de la cour et du clergé qu'il faudrait triompher ! Elle aurait à attaquer le prêtre qu'elle aime et qui est fort, et les ministres, dont elle vit. Tâche immense qu'elle n'a pas osé entreprendre pour sauver Diderot de Vincennes ! Et pour quoi ? Pour qu'on tolère des hugue- nots? Les philosophes sur ce point ne l'ont pas endoc- trinée encore, et ceux-ci sont même très-peu concluants. Elle ne rit pas, comme Madame de Sévig'né, des pen- daisons de ces pauvres gens, mais elle les regarde toujours comme des ennemis de l'Etat. Ces hommes aus- tères au surplus, qui, depuis un demi -siècle, intré-

' La Femme au clix-huitiémt^ siècle, par MM. Edmond et Jules de Ooncourt. Paris I11-8

m LA SRNSIBLERir;

pides et sur la })rèche, versent leur sang" pour leur Dieu et pour leur foi, ces hommes qui sont la vie et aussi le châtiment lui sont au fond peu sympathiques ; ils l'épouvantent. Elle pressent en eux les soldats de la révolution prochaine. Que prêtres et soldats orga- nisent donc leurs battues à travers les montagnes du Dauphiné, les plaines du Languedoc et de la Guyenne; elle ne protestera point : elle s'ennuie, et rien n'est digne de troubler son égoïste quiétude.

En 1762, dit-on, elle se réveille pourtant. C'est vrai. Quelques hommes l'ont en effet galvanisée. Epuisée, lasse de galanterie, et se faisant vieille, elle a cherché de nouvelles distractions. Depuis quelques années elle a ouvert des salons sérieux. Elle s'occupe de physique, de chimie, et Maupertuis est à la mode. Mais déjà son caprice passe et lui est à charge. Voltaire jette alors en pâture à sa morne oisiveté le nom de Calas : elle se pré- cipite sur l'horrible réalité, comme bientôt elle se précipi- tera sur les rêveries de Eousseau ; et comme un jour elle se prendradepassionpourl'amour vrai, pour la maternité et pour la campagne, la voilà maintenant pleine d'un beau zèle pour la justice et pour l'humanité. Mais quoi ! Calas ne lui suffira pas. Elle ira chercher un autre protestant, un galérien : Jean Fabre. Elle fera de lui XHonnîte cnminel^ un héros de drame, et pour piquer davantage sa curiosité maladive, elle l'invitera à la représentation de ses propres infortunes. « Madame la duchesse de Villeroy aurait désiré que je fusse à la première représentation du drame qui se donna sur son théâtre, Mademoislle Clairon joua le principal rôle en présence de tout ce qu'il *y avait de plus qualifié à

LES PARLEMENTS 365

la cour. Tous les spectateurs s'attendrirent beaucou}). » Attendrissement menteur ! Elle cherche à cacher la sécheresse de son cœur sous la sensiblerie. Elle se répand en douloureux épanchements, elle se donne des poses mélancoliques et attristées, elle invente des modes au masque de sa ligure, elle pleure à V Honnête criminel comme elle va pleurer au Père de /(mille; mais pas plus alors qu'aux premières années du siècle, elle ne s'est senti une vraie émotion, une vraie larme. C'est un dernier carnaval.

Que font cependant les hommes qui, dans cette ruine g-énérale restés encore debout, conservent intact l'hon- neur de leur nom et de leur charge '! Ah ! ces membres du parlement sont sans pitié. Inébranlables et rigides, ils ne combattent que pour eux. En 1752, plutôt que de céder, ils se font exiler, mais en même temps ils con- damnent l'Uncyclofédie. Ce sont eux qui, sans protes- tation, sans murmures, enregistrent toutes les ordon- nances et déclarations royales. Ce sont ces jansénistes, le croirait-on, qui nourrissent de la haine contre les protestants. Ils brûlent leurs livres et ils pendent leurs pasteurs. trouver plus froide cruauté que dans ces parlements de Grenoble, de Bordeaux et de Toulouse! Dans ce dernier surtout, survit l'esprit de l'inquisition.

Même les plus illustres, par principe sont intolé- rants. Montesquieu reste impassible. « Ce sera une très-bonne loi civile, lorsque l'Etat est satisfait de la rehgion établie, de ne point souffrir l'établissement d'une autre. Voici donc le principe fondamental des lois politiques en fait de religion. Quand on est maître

366

RIPPERT-MONCLAR

de recevoir dans un Etat une nouvelle religion, ou de ne pas la recevoir, il ne faut pas l'y établir. » Il ajoute : « Quand elle est établie, il faut la tolérer. » Oui, mais le protestantisme n'est pas établi : donc qu'on le persécute.

Un seul ose lever la voix ; et c'est Rippert-Monclar. On sait à quel propos Il ne prend la plume, dit-il, que pour défendre sur la question des mariages la relig'iou et l'Etat : heureusement son but est autre. « Ce n'est pas tant la cause de la relig-ion et de l'Etat, s'écrie-t-il, que nous avons plaidée, que celle en par- ticulier de l'humanité : et si l'on ne trouvait pas des hommes en France, faudrait-il les chercher ! » L'hu- manité ! le voilà donc le grand mot, et c'est à la France qu'il le jette. Quoi ! Il y a eu cent cinquante mille ma- riages au Désert; il y a un nombre immense de bâtards, les laisserez-vous sans état ci\i\ ! Ce sont des er- rants, oui, mais ce sont aussi des citoj^ens. « Jusques à quand molesterons-nous donc un grand peuple dont la multitude nous est si nécessaire, les travaux si utiles, l'industrie si précieuse, la fidélité si éprouvée, et l'atta- chement si extraordinaire ? N'est-il pas temps de faire cesser cette captivité dans laquelle ils g'émissent de- puis soixante-dix ans au sein même de leur propre pa- trie. » Et comme il raille MgT l'évêque d'Alais, d'après lequel on ne risque rien de les persécuter, et Mg-r l'é- vêque d'Agen qui leur ouvre si facilement les portes du royaume ! Il prétend ne demander, ne proposer qu'un mode d'état civil; mais c'est un réquisitoire qu'il écrit. Il fait plus. Il réclame la tolérance pour ces mal-

- V, Mémoire théologique et politique, eto

PRÉJUGÉS ET CONVICTIONS

367

heureux « qui travaillent d'une main au bonheur de la France, tandis que de l'autre ils sont continuellement occupés à essuyer les larmes que la contrainte en ma- tière de relig-ion leur fait verser. »

Ce bon et courageux livre n'émeut pas cependant ces durs hommes de robe Ceux-ci ont une opinion arrêtée, vraie dans le fond, en ce moment absolument fausse, ne reposant sur aucune preuve. Rippert-Mon- clar est oblig-é lui-même d'y sacrifier ; « Il ne s'agit point ici de rétablir l'entier exercice de la religion prétendue réformée. Si cela était, nous pourrions avoir des adversaires, et peut-être des adversaires formida- bles... » Ils sont convaincus que les grands adversaires des monarchies sont les huguenots. Ils s'en vont, disant : Les huguenots sont républicains. Montesquieu dans VFspnt des Lois l'écrit lui-même ^. L'idée précon- çue les aveugle, et c'est sous son empire qu'ils agissent. Ils condamnent, ils emprisonnent, ils pendent non des hommes qui veulent prier Dieu selon leur conscience,

'■Robert da Saint-Vincent le citera cependant en 1787.

* Livre XXIV, cliap. l. «Quand la religion chrétienne souffrit, il y a deux siècles, ce malheureux partage, qui la divisa en catholique et en protestante, les peuples du Nord embrassèrent la protestante, et ceux du Midi gardèrent la catholique; c'est que les peuples du Nord ont et auront toujours un esprit d'indépendance et de liberté que n'ont pas les peuples du Midi, et qu'une religion qui n'a pas de chef visible convient mieux à l'indépendance du climat que celle qui en a un. » Aussi avec quelle joie Caveirac s'écrie-t-il aussitôt : « Je n'adopte pas le système des climats : c'est le système le plus faux que l'esprit humain ait pu enfanter, abstraction même faite de la religion ; mais je me servirai du texte qui établit si bien les principes du calvinisme! Que n'y trouverait-on pas si on le voulait commenter! On y verrait une souveraineté changée eu république, un gouvernement monarchi- que renversé, un roi décapité, un vil particulier élevé à. la suprême dictature. » Mémoire politico-critique, p. 188

.368 LES HOMMES D'ÉTAT

mais des fauteurs de troubles qui violent les lois de l'Etat en s'assemblant et qui rempliraient le royaume d'anarchie, s'ils n'y mettaient ordre. En vain les mal- heureux se défendent-ils, montrent leurs actes depuis le commencement du siècle, protestent de leur dévoue- ment, jurent fidélité au roi ; rien ne peut déraciner une opinion qui est déjà un préjug-é. Eu 1752, après tant de preuves d'éclatante soumission, Joly de Fleury ose dire qu'ils abusent des embarras de l'Etat pour se don- ner carrière. « La guerre qui survint suspendit tout, et donna lieu aux relig-ionnaires de mépriser la disposition des lois précédentes avec une licence sans bornes. »

Rebelles ! factieux ! voilà les épithètes convenues. Le clerg-é s'en sert, et la noblesse et le parlement. Ils les jettent en réponse, quand ces suppliants leur demandent la tolérance. Peu à peu elles se répandent, deviennent courantes, prennent autorité et renversent toutes les objections.

Il n'y a guère que les hommes d'Etat et ceux dont la vie se passe au milieu des religionnaires qui protes- tent, tout en obéissant, contre les mesures dont ces mal- heureux sont les victimes. En 1751, c'est un intendant du Languedoc, non suspect de faiblesse, Saint-Priest qui écrit : « .Je ne dois pas vous laisser ignorer, Alon- seigneur, que c'est avec une répugnance extrême qu'il m'arrive de condamner des particuliers pour fait de re- ligion. Je vois qu'en toute autre matière les N. C. ne cèdent pas aux autres sujets du Roi pour la fidélité et pour l'obéissance » Et dans un mémoire d'Etat, écrit

' Archives nationales, TT. 325.

LES PHILOSOPHES

369

vers la même époque, sans nom d'auteur ni signature, on trouve ces lig-nes : « Les protestants méritent au- jourd'hui plus de pitié que de haine ; peut-être qu'on les plaindrait davantag'e, si ce n'était pas une de leurs erreurs d'attaquer la hiérarchie. Quiconque n'aura point étouffé dans son cœur les premières semences de la justice naturelle, reconnaîtra sans peine que les privilèges dont ils ont joui si long-temps, tout révoqués qu'ils sont, exigent du moins quelque ménagement pour eux, et qu'il n'est pas possible que quarante ans aient changé en malheureux proscrits ceux qui pro- fessaient une religion publiquement tolérée dans le royaume. Tout ce que je veux induire de là, c'est que leur malheur n'est point un crime devant la justice humaine, et qu'on ne peut les mettre au rang de ces sectaires abominables dont quelques princes ont voulu purger la terre. » Timides protestations, sans doute, mais protestations, et qu'on doit citer avec d'autant plus de soin qu'elles sont plus rares.

Qui peut faire cause commune avec des factieux? Qui peut les défendre? Voilà qui retient les meil- leurs'. « Qui osera donc maintenant, s'écrie l'auteur

1 II faut ajouter aussi : l'ignorance dans laquelle ils se trouvent. Ce n'est guère qu'en 1756, qu'ils apprennent par les brochures de Rippert-Monclar et de l'abbé de Caveirac l'épouvantable situation faite aux protestants; dès qu'ils l'apprennent, ils en parlent. Fréron, dans son Année littéraire, consacre trois lettres au Mémoire sur les mariages clandestins, h l'écrit sur la Tolérance, et à la Voix du Catholique impartial. Bien qu'il n'en expose que le contenu, il laisse en plus d'un passage percer ses sympathies. « Je ne doute pas, dit-il a. propos de Monclar, que vous n'applaudissiez aux vues de l'auteur, qui sont celles d'un homme plein d'humanité et de zèle pour sa patrie. » Année littéraire, t. III, p. 193 et 212 ; t. VI, p. 192. (1756.)

Il 21

.TîO LEUR SITUATION

de la Dissertation sur la Tolérance^ prendre le parti de semblables hérétiques? Peuvent-ils jamais faire honneur à leurs protecteurs / La sensibilité et la com- passion sont bien louables; mais il ne faut pas qu'elles soient imprudentes. Chacun de nous se doit à l'Etat; et y introduire de nouveau une secte aussi dange- reuse, ce serait mettre dans son sein un serpent qui le déchirerait comme par le passé. » Ah ! les hommes de justice, les volontaires du droit qui ont par hasard api)ris, car la Gazette de France ne rapporte pas ces choses, un de ces crimes dont une province vient d'être le théâtre, sont prêts à le dénoncer à l'in- diynation populaire. La prudence ferme leur bouche. Quelle est leur position? Ils sont les premières victi- mes, et avant de défendre les autres, ils ont à se défen- dre eux-mêmes. A peine sont-ils tolérés, et sous con- ditions. Leur parole n'est point libre, ni leur plume. BufFon est obUgé de plier devant la Sorbonne, et Diderot est mis en prison sous prétexte d'athéisme. Les Pensées sont jetées au feu en 1746, et la Lettre sur les aveugles en fait envoyer l'auteur au donjon de Vinceunes. On vient de décréter la peine de mort contre toute per- sonne ayant eu part à la composition, à l'impression, ou à la distribution d'écrits qui peuvent attaquer la re- ligion ou l'autorité royale. Voltaire n'a échappé au clergé que par les prodiges de sa diplomatie; encore, lorsqu'il défendra Calas, dira-t-il bien haut : « J'ai eu bon nez de toutes façons de choisir mou camp sur la frontière. »

Peut-être aussi quelques-uns qui ne connaissent les protestants que par des récits hostiles et les jugent par

LEURS PRÉJUGÉS 371

la guerre des Camisards, les prennent pour des fa- natiques. D'Arg-ental ne sera pas étonné, lorsque tout d'abord parlant de son futur client, Voltaire lui écrira : « Cette horrible affaire déshonore la nature humaine, soit que Calas soit coupable, soit qu'il soit innocent. Il y a d'un côté ou de l'autre un fanatisme horrible. » Le fanatisme, dans quelque parti qu'il trouve asile, ils l'ont en horreur, car les maîtres dont ils se réclament en ont souffert, et ils en souffrent eux-mêmes encore. C'est ce fanatisme qui a causé les g'uerr^s de religion, ensanglanté le royaume, arrêté l'essor de la libre pensée, et qui, victorieux aujour- d'hui, g-ouverne la France. Vienne à leurs oreilles le bruit d'emprisonnements ou de pendaisons nouvelles ; en vérité plutôt que de s'indigner, ils sont tentés de regarder et d'applaudir. Les loups se mangent entre eux.

Madame d'Epinay raconte quelque part une bien curieuse et instructive histoire dont il faut peser cha- que mot et qui reflète merveilleusement l'esprit du siècle. Dans un dîner, on vient à parler des cérémonies extérieures du culte et à comparer le catholicisme au paganisme. Là, se trouvent quelques beaux esprits du temps, Saint-Lambert, Duclos, Rousseau...

DucLos, Que fait ce peuple de sa raison ? Il ae moque des autres peuples de la terre, et il est encore plus crédule qu'eux.

KoussEAU. Pour crédule, je le lui pardonne ; mais je ne lui pardonne pas de condammer ceux qui le sont autrement que lui.

Madame Quinault dit qu'en matière de religion, tout le monde avait raison ; mais qu'il lallail que chacun demeurât dans celle il était né.

372

MADAME D'ÉPINAY

Non, pardiou I reprit Rousseau avec rhaleur, si elle est mau- vaise; car alors, elle ne peut faire que beaucoup fie mal.

Je m'avisai de dire que la relipiion faisait souvent beaucoup (le bien, qu'elle était un frein jiour le menu peuple qui n'a- vait jias d'autre morale. Tout le monde se récria à la fois et m'écrasa de raisonnements qui me parurent en effet meilleurs que le mien. L'un dit que le menu peuple avait plus peur d'être pendu que d'être damné. Saint-Lambert ajouta que c'était l'af- faire du Code civil et criminel de régler les mœurs, et non celle de la religion qui faisait bien restituer un écu à Pâques à sa servante, mais qui n'avait jamais fait restituer des millions mal acquis, une province usurpée, ni réparer une calomnie.

Saint-Lambert allait continuer. « Un instant, dit Madame Quinault, nous sommes ici pour nourrir et substanter cette guenille qu'on appelle le corps. Duclos, sonnez, et qu'on nous donne le rot' ! »

Le tableau n'est-il pas charmant ? Ces délicats qui discourent à table sur la religion, ces philosophes qui touchent avec Rousseau, en passant, à la tolérance et qui s'écartent aussitôt de ce sujet délicat pour reprendre entre deux services des lieux communs déjà vieux, ne sont-ils pas peints sur nature et présentés sous leur vraie lumière'/

Tous ces préjugés, toutes ces aversions, ces géné- reuses ardeurs, cette indifférence, cette impossibilité d'agir, tout cela se retrouve chez le plus illustre d'entre eux. Voltaire est au dix-huitième siècle le grand cham- pion du droit Pour lui, l'amour de la justice est une passion. Et il n'est pas de ceux dont il dit : « Oui, c'est un philosophe, mais il est philosophe pour lui. » Il est

1 Mémoires de M"" d'Epinay Edition Boiteau, t I, p 378.

2 Histoire des idées morales et politiques av dix-huitiéme siècle, par M. Jules Barni. Paris. (1867.)

VOLTAIRE

373

philosophe pour les autres : ayant la lumière, il veut la répandre. Cette lumière est malheureusement éblouis- santes et tous veulent l'éteindre. En 1722, pour s'être écrié à propos des protestants :

Et périsse à jamais l'affreuse politique

Qui prétend sur les cœurs un pouvoir despotique,

Qui veut, le fer en main, convertir les mortels,

Qui du sang hérétique arrose les autels,

Et suivant un faux zèle ou l'intérêt pour guides

Ne sert un Dieu de paix que par des homicides !

il se voit dénoncer à Rome parle nonce MafFei, lui et ses vers. Le voilà rendu prudent. Quand il revient dans ses Lettres anglaises sur la tolérance, il n'appuie plus, il glisse. Il connaît maintenant la conjuration du clergé et de la royauté. Contre ces deux puissances, que peut- il? Il n'est qu'un faiseur d'écrits dont la Bastille aura raison. Alors il met la lumière sous le boisseau ; plu- tôt qu'elle ne soit éteinte, il la cache, il en intercepte les rayons.

Son amour n'est point mort cependant. Pour le sa- tisfaire, il veut devenir fort et puissant, car il n'est point de ceux qui aiment à verser obscurément leur sang-. De sa retraite de Cirey, il remplit la France du bruit de son nom. Intrigues, sciences, théâtre, histoire, diplomatie, il mène tout de front. Il force les portes de l'Académie. Il devient l'ami d'un roi. Il a ses entrées à la cour. Le voilà une puissance.

Ici sa conduite devient inexplicable. Rassasié d'hon- neurs, roi élu des choses de l'esprit, sans doute il va se porter champion des causes justes persécutées. De Lausanne il passe les hivers de 1756, 1757 et 1758

374

VOLTAIRE A LAUSANNE

nu milieu de protestaiits, il va dénoiicer à l'opinion la persécution qui frappe les reli^ionnaires de France * ? Nullement. Il tient table ouverte, il forme des acteurs et joue la comédie. « Je voudrais que vous eussiez passé l'hiver avec moi à Lausanne. Vous y verriez des pièces nouvelles exécutées par des acteurs excellents ; les étrang-ers accoiirir de trente lieues à la rondie, et mon pays Roman, mes Ijéaux rivages du lac Léman devenus l'asile des arts, du plaisir et du goût. » Des protestants, il n'est nulle part question. Cependant il ne peut ig-norfer qu'ils sOnt affréusëirient persécutés, que leurs prisonniers sont sur les galères, leurs enfants enlevés, leurs pasteurs pendus. C'est a Làusàtnië qu'è- tlidient les prédicants français, et la villte est pleine de réfugiés. Antoine Court y Iiàbitë^ et il a cértainettient profité de la i)résence du grand homme pour faire appel à sa pitié ; s'il ne l'a point vu, il lui a envoyé le Pa- triote^ son Mémoire historienne et tout récemment sa Lettre sur la tolérance^. Plusieur.s pasteurs vivent dàhs soii intimité. Toiite la famille ëiifîh dés Pblier et ëelui qui professe aii séminaire sont de ses aiiiîs. De tOiites parts, on le sollicite d'écrire en faveur des relig'ibn- naires. La tolérance ! Champ imrtiéiise Ouvert a son génie ! Il reste sourd poUi-taiit aux prièi'es. SOn théâtre l'occupe tout entier et quaiid il se mêle de pliilanthro-

V. rintéressant travail de M. Olivier : Voltaire d Lausanne Lausanne. In-8.

2 II n'est pas permis de supposer qu'Antoine Court n'ait pas eu des relations avec Voltaire pendant son séjour à Lausahne. Asstlréméht il a faii'e appel à son humanité. Malheureusement les années 1756, 1757,1758, 1759, 17C0 nous mani(uent. et nous en sommes réduits à faire des conjeclures.

VOLTAIRE ET LE PROTESTANTISME

375

pie, c'est pour décerner un prix au meilleur Ouvrag-e sur la réforme des lois pénales.

Tout s'explique. Voltaire^ lui aussi, a accepté l'opi- nion courante sur les protestants. Non aveug-lément, mais après l'avoir examinée h la lumière de l'histoire. Il croit que l'esprit hug-uenot est un esprit républicain. Il vient de le publier dans son histoire dit siècle de Louis XIV. Au chapitre Calvinisme, ayant à traiter de la révocation de l'Edit de Nantes, il afïirnie que les réformés sont les ennemis de l'Etat, et s'il dépëiilt avëc humanité les malheurs qui les ont frappés, il donne clairement à entendre qu'ils les ont mérités ' .

Dans cette disposition d'esprit, on le supplie de dé- fendre les religionnaires de France. Sans doute, il g'émit sur lëiirs liiàiix. Mais peut-il deinàridëi^ g^râce pour des hoinmes qui s'assemblefat malg-i^é les édits et qui ii'é- tant qu'une poig-née, sont déjà rebelles aux lois du royaume. Voltaire, qui a attaqué taiit d'abUs, professe un g-rand respect pour l'abus roykiité. Sa liardiëssè ne va pas jusqu'à faire cause comiiiuiié avec des mc- tiétix. Il peiit iiitérieiireinent condàrnhër uii état de choses dont souffrent un nombre considérable fa- milles, mais lës victiiiiës porteiil un nbrii qui arrête plainte sur ses lèvres. Si sa hainë cohtrë le fahatismë ri'à i-ieh perdu de sa forcé, il met àii-dessiis de sa haine son respëct pour la lof et soii aniour pour priiicë.

Quand il défendra Calas, qu'on le sacke bien, il ne

' Ràbaut se plaignit à Moultoil de ce chapitre et le pria d'y répon- dre. Moultou en écrivit h Court de Gébelin. Il était prêt à réfuter ces calomnies, disait-il, mais il lui demandait sa collaboration, N" l. t: J^XVlil, 1^' nov. (1755 )

LE PEUPLE

défendra pas un protestant : il défendra un innocent mis à mort. C'est la seule logique des choses qui le forcera de s'occuper de religion. Alors seulement, profitant de la faveur publique et pris d'épouvante devant l'aveuglement que peut causer le fanatisme, il publiera son timide plaidoyer en faveur de la tolérance. Heureux supplice que celui du vieux huguenot ! Les protestants n'eussent jamais eu Voltaire pour défen- seur, si parmi tant de victimes ils n'en eussent compté une frappée juridiquement au nom de la loi.

Qui peut donc, qui pouvait sauver ces malheureux? Le préjugé retient les uns, et l'égoïsme les autres. Le peuple ?

Il est vrai, dans cette noble France ruinée, abaissée, épuisée d'hommes et d'argent, se trouvent des cœurs qu'émeuvent les infortunes. Lorsqu'en 1730, Claris est pris, le sergent s'approchant : « Je suis mortifié, dit-il, de faire à votre sujet ce que je fais ; mais prenez pa- tience : le Seigneur a bien plus souffert que vous. » Ce sont des soldats qui refusent de disperser les assem- blées, car « ils ne sont pas faits pour inquiéter les gens de la religion. » C'est le régiment de la Ferronaye qui accable de son mépris le chevalier de Pontual par les soins duquel Molines a été pris. C'est le peuple qui au supplice de Désubas ne peut s'empêcher de dire : « Les protestants ont raison de se glorifier des souffrances de leurs ministres, puisque ceux-ci affron- tent la mort avec tant de constance et de sérénité. » C'est la foule qui va crier sur le passage de Voltaire : Gloire au défenseur des Calas ! Gloire au sauveur des

LE PEUPLE 377

Sirven et des Montbailli! Ce peuple qui souffre, compatit à la souffrance. Il lie sa cause à celle de tous les opprimés. Il sent le grand lien de la fraternité. Mais qu'est-il? Que peut-il? Celui qui sera tout, n'est rien. Dans le concert de l'opinion publique sa voix est perdue. L'influence, le crédit, la puissance sont à cette société ég-oïste et corrompue qui tient tout dans ses mains, qui représente la France, et qu'il va bientôt balayer, las de sa nullité, de sa tyrannie et de ses insolents dédains.

Ainsi, ni le peuple, ni les écrivains, ni les parle- ments, ni la mondaine société ne peuvent ou ne veu- lent jusqu'en 1760 arrêter le clerg-é dans la voie san- glante où depuis 1715 il continue à marcher. Vienne donc, vienne bientôt le jour, si triste qu'il soit, un malheureux vieillard expirera sur la roue. De ce jour, datera la solennelle réparation.

Antoine Court, ne devait pas le voir.

CHAPITRE XIII

DERNIÈRES ANNEES. MORT d'aNTOINÉ COURT 1745-1760

Depuis son voyag"e en France, Antoine Court avait fui le bruit de Lausanne et quitté son petit logement de la rue Madeleine. Un M. Louis de Chéseaux lui avait offert l'hospitalité à la campagne^ et il l'avait acceptée. Il habitait près de la ville, au Timonex.

C'est qu'il menait sa laborieuse vie. Lettres, sup- pliques, mémoires, livres, négociations, tout se faisait là, tout en sortait, tout y aboutissait. C'est aussi qu'il se reposait de ses travaux au milieu de ses nombreux amis et de sa famille.

Ses deux enfants avaient grandi. Son fils était un homme déjà sérieux.

Le jeune Court de GébeUn avait terminé ses études au séminaire ; il se préparait, quoiqu'il eût un goût marqué pour les sciences, soit à devenir pasteur, soit à professer la théologie. En 1753, il vint à Genève « pour s'y former sur les excellents modèles dans l'art de la prédication ' . » Sa sœur l'y accompagna. Leur mère faillit les y rejoindre. C'était la première fois

» N" 7, t XIII, p. 15C.

LA FAMiLLÈ b'ÂNtiOINÈ fcOURT 37^

qué les deux jeilnës ^etiS tjuittaient la maisôîi j)atër- neile, et bien que sépâl-éë d'ëux par quelques liéûës à peine, l'eXcellelite femmë lës croyait, loin d'ellé, exposés à mille périls. « Votre tiière fut fort iriqliiètë, hier matin, mon fils, quand ëlle apprit qu'il n'y avait point de lëttrë au 'cbUl*rier. » Àldrs suivaient les recom- mandations, (a S'il vdùs arrivait quelque accident, soit à vous, soit à votre sœur, qUe Diéti rie veuille ! il ne faut point le taire, niais nous en iiistruire selon la vé- rité. L'ajJ^rendre par dés voies iridiréctës, c'est iàiig'- mënter la jîëine. »

Court de Gébelin revint iDiëntôt a Lâiisanrié. ïl s'y fit consacrer paSteui', ët fut iioitinié ëii 1755 professeiu* suppléant de logique et de nioralë au séiiiinaire *. Son père ne J)buvait suffire à la tâëlië : il devinl son secré- taire et en quelque Sorlë soii 'cdllàtïoratëur. Il dépouilla l'immense correspondance, classa les lettres, répondit aux pasteurs de France, firépàrâ les tràvaiix com- meiicés. Ce labôrieuX jëùnë botiiine 'd'iiiie iiltëllig-ëiice rare, d'une érudition aù-de§siig de cëllë sbii âgë, ët qili avait mie facilité surpréiikntë, qiiëlqlië sujet au- quel il s'appliquât, était eîlËaiiiliié l'ârdëur pàtër- nëlle. il faisait le bonlieUr et i'brgiiëil la iiiaisbu K Il en faiS&it aussi l'espéi^aiicë, cstv îl était l'aveilir. Antoine Cburt aimait rëvivre ëii lui ; avëc liii, il pai'- tag-eait ses joiës, et lorsqiië lës iibiivëllë's patrîë remplissaient son grand cœur de tristëssë, s'arracliàiit

1 Vers ia fiii de 1754 oU au coithmencement i75o. 1, t. XXVIII. '2 La maison s'était accrue de nouveaux hôtes : les eiifants dePradel et de Paul Rabaut. De quelle sollicitude ne les entourait-ou pas! 7, 1. XIII. (l7r.:3j

380

MORT DE « IIACHEL

aux douleurs présentes, il goûtait avec lui, par anti- cipation, l'ivresse du triomphe futur. Heureux fils ! S'il avait passé sa jeunesse dans l'amertume de l'exil, il verrait du moins l'avènement de l'œuvre à laquelle son père avait consacré sa vie.

La joie, la paix, la sereine tranquillité de cette fa- mille furent bientôt irréparablement troublées. Celle qui en était l'âme, celle que son mari appelait « sa Rachel » et dont ses enfants parlaient avec un amour si plein de vénération, tomba mortellement malade au mois de juin 1755. On fit appel à tous les dévouements, on multiplia les remèdes, on manda Tronclxin, le fameux Tronchin qui devait soigner Voltaire. Tout ce que l'a- mour put trouver de zèle, tout ce que la science pou- vait donner de soulagements fut épuisé. Soins inu- tiles! Elle mourut quelques jours après, dans les bras des siens.

Ce fut pour Antoine Court une immense douleur. Cette femme avait été, dans les dures années qu'il avait traversées, l'ami fidèle et sûr qui l'avait soutenu et qui l'avait consolé. Il avait fait deux parts de son cœur, l'une pour elle, l'autre pour l'Eglise. Ou plutôt il les avait identifiées dans les profondeurs de son af- fection. Si celle-ci prenait tous les moments de son existence, celle-là l'aidait à accomplir l'œuvre ardue. Lorsqu'il la vit mourir, il sentit qu'avec elle mourait la moitié de lui-même.

Il voulut quitter le Timonex, fuir les lieux pleins de son cruel souvenir, revenir à Lausanne. « Mon cher ami, écrivait à Court de Gébelin son ami Louis de Chéseaux, je revins si accablé hier de votre affliction.

MORT DE .< KACHEL » 381

de l'état si violent de M. ton père, j'ai été depuis lors et je suis encore si effrayé, si ému de la crainte que me donnèrent ses irrésolutions sur son plan de vie qu'il ne voulût quitter le Timonex, que je suis abîmé dans les plus tristes réflexions. » Puis, il changea d'avis et resta. Vinrent alors les consolations. Toiis ceux qui de près ou de loin avaient connu cette excellente femme, tous ceux qui aimaient Court, tous ses amis, tous ses cor- respondants de Suisse et de France, voulurent dans ce- douloureux moment hii marquer leurs sympathies et atténuer en quelque manière par leur respectueux empressement la perte qu'il venait de faire. Mais l'un d'eux eut une phrase sublime : «Votre épouse char- nelle est morte, lui écrivit-il, il vous reste les afiaires d'une épouse spirituelle, de l'Eg-lise réformée de France. » Il avait compris que pour calmer cette im- mense douleur, il fallait opposer un amour à un autre amour.

Antoine Court depuis longtemps ne vivait plus que pour « cette épouse spirituelle. » On a vu quels fur-ent les soins qu'il lui consacra, son infatigable activité, son courage, sa prudence et son audace pour la sauver, la mettre à l'abri et la conduire à la délivrance ; mais son inquiète sollicitude, son inépuisable affection, sa pater- nelle vigilance, c'est-à-dire tout son cœur, toute son âme, voilà surtout ce que l'on doit voir et ce qu'il reste à montrer. Quand on l'aura mis en pleine lumière, on aura connu l'homme tout entier.

Il faut lire, page à page, cette immense corre's- pondance : il n'est pas un seul de ces feuillets jaunis d'où

382 COURT ET LES PROTESTANTS

ne jaillisse un mot parti du cœur. Pasteurs et fidèles, il les enveloppe tous dans son amour. Il les regarde comme les siens, comme ses propres enfants. Il les comprend dans la g-rande famille dont il est le chef. Il participe à leurs joies, à leurs doulenrs; avec eux il se réjouit et avec eux il s'afflig-e. Sa vie est leur vie. Survienne la persécution, le voici rempli de tristesse ; (juand une tolérance momentanée .succède aux ri- g'ueurs ordinaires, le voilà qui se déride, qui respire et espère. Il se fait tout à tous, il est au milieu d'eux par la pensée, il ne les quitte pas, il marche avec eux côte à côte dans leur dur pèlerinag'e. «Avec vous, je vais me cacher dans les retraites les plus sombres, avec vous je souffre la pluie et le froid. Mais avec vous je me souviens (|ue les épreuves du temps finissent et que des souffrances momentanées n'ont rien qui entre eu parité avec la gdoire ({ui en doit être la suite ' . » Car il n'a jamais une parole de décourag'e- ment. A chaque pas il les soutient, à chaque chute il les relève. Il tient fixé devant leurs yeux le g-rand but du vo^^age et leur fait contempler aux horizons lointains l'aurore rougissante des premiers feux de la liberté. Nulle amertume, nul reproche. Ces pauvres hommes meurtris des rigueurs de la persécution, il les traite comme des malades, avec douceur, avec bonté, avec charité. Il n'a garde de les épouvanter, mais il les ras- sure, il les console et il leur fait prendre patience. Cou- rage ! Ou arrivera bientôt au but. Courage ! Encore uu pas et on y touche.

' N' 7, t. XIII, 1 . 90. (1754.1

COURT ET LES PASTEURS 383

C'est surtout avec les pasteurs, ses coUèg-ues, qu'il découvre tous les trésors de son âme. Il les a vus jeunes encore au séminaire, quand ils étaient dans la fleur de l'àg-e et que toute l'impétuosité de leur ardeur, toute l'exubérance de leur vie se donnaient joyeusement carrière. Il les a écoutés et il les a formés. A celui-ci il a donné telle direction, à celui-là telle autre. Il les suit maintenant dans la nouvelle période de leur exis- tence, notant chaque pas, applaudissant à chaque suc- cès. Il ne les abandonne jamais. Il leur indique la route, leur en montre les difficultés, stimule leur au- dace et excite leur ardeur. En avant ! c'est son cri de g"uerre. Il veut qu'ils soient g-rands et qu'ils soient forts, que chaque victoire aug'mente leur confiance et qu'ils bravent tout pour accomplir leur oeuvre. « Cou- rage donc, mon cher ami! que ces progTès fournissent à votre âme encore plus de sujets de joie et de conso- lation, que vous n'en trouvez de décourag'ement dans tout ce que la tiédeur, la crainte et l'amour du monde forment d'obstacles à la beauté, à l'excellence et à la sag-esse de votre entreprise ' . » Quelle joie n'aura-t-il pas quand il apprendra les succès d'un Gautier en Nor- mandie ! « Gautier fait merveille ! » Il l'écrira partout, il le publiera, il faudra que nul ne l'ignore. Mais si ces mêmes hommes courent de trop grands périls, si des obstacles insurmontables se dressent devant eux, et si la persécution salue leurs premiers travaux, avec quelle sincère amitié ne compatira-t-il pas à leurs maux, cherchant encore par ses touchantes effusions à rele=

1 N- 7, t. XIII, p. 54.

384 SON INÉPUISABLE BONTÉ

ver leurs volontés ébranlées. « Toute ma maison, nos amis et nos jeunes candidats, tous vous saluent, et cha- cun redouble ses vœux pour votre conservation. Faites part à messieurs vos cliers associés de mes tendres sol - licitudes pour eux ' . » Invisible et présent, il est avec eux. Il aime à se rappeler, voyant leurs hésitations et leur fermeté, leurs craintes et leur audace, les jours déjà bien loin, un bâton à la main, en compag-nie d'un vieux prédicant, il courait, jeune encore, les mon- tagnes du Vivarais et les plaines du bas Languedoc.

Parfois il arrive que ces hommes intrépides sont en dissentiment. Il y a eu conflit de zèle. De là, des colères mal contenues, des reproches, des accusations réciproques. C'est alors que se montre toute la candeur de cette belle âme. « Agréez que je vous exhorte, au nom de Dieu, à vous aimer les uns les autres, à vous supporter, à ne faire les uns aux autres que ce que vous souhaiteriez qu'on vous fît à vous-même, comme le Seigneur vous y exhorte dans sa parole. Pardonnez- vous les uns aux autres, oubliez entièrement les ou- trages que vous prétendez avoir reçus, comme vous voulez que Dieu vous pardonne et qu'il anéantisse toutes vos fautes, quelles que soient leur énormité et leur grandeur ^. » Il ne peut admettre le moindre dés- accord, et la peine qu'il en éprouve éclate aussitôt. Il conçoit l'émulation, non la compétition. Il veut la paix, une paix absolue. Et avec quelle affectueuse tendresse ne prêche-t-il pas « cette harmonie si nécessaire, sur- tout entre des personnes qui se proposent les plus

I N. 7, t. xrii, p. 159.

s N" 7, t. IX, p. 749

I

SON ABNÉGATION 385

nobles objets, qui s'occupent des mêmes desseins, qui veulent tous concourir à une même œuvre ' ! » Lui- même, il donne l'exemple. Lorsque involontairement il devient le prétexte de pénibles discussions, et que sa personne est l'objet de violentes attaques, il fournit des explications, il désarme ses adversaires, il les fait roug-ir. Lui, semer la dissension! Il se justifiera plutôt, et il ouvrira les yeux aux plus aveug-les. Si fier pour- tant, si noble, déjà vieux, être obligé d'étaler sa vie, de montrer ses actes et de plaider une cause trois fois illustre devant un tribunal de jeunes gens, ses succes- seurs! Il en pleure; mais il prend la plume et il écrit son apologie au Synode de 1748. Qu'importe l'humi- liation à qui veut sauver un peuple ! De cette démarche même, il n'éprouve aucune colère. Si sa douleur a été profonde, il n'a pas laissé monter l'amertume jusqu'à son cœur. Il continue à voir du même œil ses adver- saires; il leur tend fraternellement la main et il leur pardonne. Claris, son ancien ami, qu'il a traité tout jeune comme son enfant et qu'il aime comme un fils, Claris l'attaque et meurt. Dès qu'il apprend sa mort, il écrit aussitôt :

« Permettez que je vienne mêler mes larmes avec les vôtres. La perte que nous venons tous de faire, en perdant M. Claris, en mérite les plus douloureuses et les plus sincères. L'Eglise vient de perdre en lui un de ses plus zélés pasteurs, vous, mes- sieurs, un de vos plus chers collègues, et moi un ancien ami avec qui, avant de malheureuses affaires qui avaient un peu altéré injustement ses dispositions à mon égard, je vivais dans l'union la plus intime et la plus parfaite. Mieux que personne,

» 7, t. IX, p. 639.

II 25

ri

386 SON ACTIVITÉ ET SON DÉVOUEMENT

je connais sans doute la grandeur de cette perte, et surtout pour l'Eglise, parce que mieux que personne je connais quel était son mérite, ses vertus, ses talents. Elle m'est d'autant plus sensible qu'elle est arrivée dans un temps que je souhai- tais le plus faire renaître dans cet ancien ami les dispositions qu'il avait eues pour moi, de l'édifier sur tous les griefs répan- dus dans une de ses lettres, et de m'unir plus que jamais avec lui pour agir de concert dans l'œuvre la plus importante à laquelle l'être intelligent puisse être appelé, et à laquelle nous nous sommes, vous et moi, M. T. G, F. par la grâce de Dieu consacrés. »

Il ne connaît ni le dédain ni la colère : son âme tout entière au grand but est insensible aux blessures per- sonnelles. Séparé de ses coreligionnaires par le double rempart des frontières et du despotisme, il vit par l'a- mour avec eux. C'est lui qui les affermit dans la foi, qui leur parle dans les assemblées au Désert, qui fait revivre dans leurs Synodes son calme et sa modéra- tion; c'est lui surtout qui empêche les défaillances, qui maintient la concorde et fait marcher résolument cette petite armée à la conquête de la liberté. Il en surveille les généraux, il les forme sous sa paternelle direction, il les anime de son esprit, et lorsqu'il les croit dignes du poste auquel il les destine, il les envoie au triomphe ou à la mort. La France, c'est tout son cœur, et quel cœur ! Elle a tout son amour comme elle a toutes ses pensées.

Depuis longtemps- déjà il rêvait de raconter l'héroï- que histoire. A peine arrivé à Lausanne, il ramassait, on l'a . vu, lettres, actes, mémoires, requêtes, édits,

TRAVAUX HISTORIQUES 387

tous les documents nécessaires '. Il voulait éveiller l'attention publique, car l'indifférence de la France l'ac- cablait de douleur, et, pensait-il, elle n'était due qu'à son ig'norance. Les quotidiennes et absorbantes occu- pations de sa vie n'avaient pas fait évanouir son rêve. Il le nourrissait tendrement, et il essayait de le fixer à ses moments de loisir. En 1748, en pleine crise, il demandait à ses correspondants de nouveaux matériaux et leur parlait « de son vaste et téméraire projet. » Son plan était le même, mais tout à fait déterminé, décidément arrêté. Il voulait raconter l'histoire de la révocation de l'Edit de Nantes, celle du Refuge, celle des suites de la Révocation, des Camisards, enfin de la Restauration \ Avant 1744, il avait terminé deux volumes portant déjà le titre général de l'ouvrage : Histoire des Eglises réformées de France (1685-1690). Deux énormes in-quarto de 1 ,242 pag-es ' ! Malheureu- sement il s'était mis à l'œuvre, n'ayant encore que peu de documents, et en beaucoup d'endroits il avait refait Elle Benoît. A la même date aussi, il avait presque terminé l'histoire des Camisards. Depuis son voyage en France, sans beaucoup d'ordre, mais opi- niâtrément, il continuait. Il écrivait l'histoire des martyrs et celle des ministres de France % dans la- quelle il voulait comprendre les principaux contempo- rains. C'est sous cette préoccupation qu'il demandait à ses collèg-ues le récit de leur vie et que lui-même com*

» V. Chap. I, p. 22 et suiv. s 7, t. IX, p. 654. (1748.) s N" 28,

» N" 39. 1 vol. in-4 1* 42. 1 vol. in-4.

388 HISTOIRE DES CAMISAKD.S

mençait ses mémoires Puis, venaient les œuvres combat : Le Patriote, le Mémoire historique^ la Lettre sur la tolérance, le gros Traité sur les Assemblées ^.

Tous ces épisodes étaient complets en eux-mêmes, mais ne formaient nullement une histoire suivie. Il remplissait cependant ses cartons de matériaux et lais- sait le temps s'écouler, sans les employer, comme s'il eût réservé ce g-rand labeur pour les loisirs de sa vieil- lesse. Peut-être aussi ne croyait-il pas le moment pro- pice. Ainsi, plus tard, son fils écrivait « qu'il ne pen- sait plus à donner au public l'histoire des Camisards ^ »

Œuvre de prédilection pourtant. Avant qu'elle fût achevée, il aimait en lire des fragments à ses amis, la corrigeait, y ajoutait, sans se lasser, avec amour. « Me trouvant à la campagne depuis quelques jours avec un des amis de notre comité secret d'ici, libre de tout embarras et distractions, nous avons lu ensemble ce qu'il y a déjà de composé. » Il se montrait surtout soucieux de la vérité. Ne voulait-il pas intituler l'ou- vrage : « Histoire., on on relève les faits et les erreurs qui se trouvent dans ce qui a été écrit précédemment sur cette guerre., ou llérnoires historiques et critiques poîir servir à l'histoire de la guerre des camisards ''. » En 1744, quand il vint en France, il alla revoir les lieux s'étaient passés les événements. En compa- gnie de quelques survivants, il visita tous les endroits « tant soit peu considérables » qu'avaient illustrés les

' 46. 5 cahiers. V Tome I", (.hap. i. ^ 16. 2 vol. in-4. » N" 2. (8 juin 1760.) * 7, t. V, p. 452.

HISTOIRE DES CAMISARDS 38.9

eng-ag'emeuts des insurgés avec les troupes du roi. Il n'avait non plus négligé aucune source. Il avait réuni tous les récits. Brueys, Louvreleuil, Flécliier, étaient entre ses mains; il avait fait copier le manuscrit de de la Baume et celui de d'Aig-ailliers ; il s'était procuré les mémoires de Cavalier et tous les autres ouvrag-es parus à l'étrang-er dans le courant du siècle. Il avait surtout cherché les relations des témoins oculaires, avait interrogé les Camisards « dignes de foi, » col- lectionné toutes les lettres, tous les papiers, si bien qu'il en avait rempli plusieurs énormes cartons Il le disait : « C'était un ouvrage de beaucoup de soins et de beaucoup de frais. »

La préoccupation sous laquelle il se trouvait devait malheureusement avoir sur son esprit une fâcheuse influence. Il écrivait quelque part : « L'histoire des camisards... prêche hautement la nécessité de la tolé- rance, et c'est pour en fournir une des plus fortes preuves que l'auteur l'a composée. Toutes les réflexions dont il l'accompagne tendent au même but ; et si quel- que chose doit être capable d'inspirer et au politique et à l'ecclésiastique le dessein de la mettre en œuvre, cette tolérance si recommandable et si nécessaire, c'est sans doute un ouvrage tel que l'histoire des camisards qui n'est qu'un tissu des plus affreux efi^ets dont l'in- tolérance ait jamais été la source ». Si sympathique qu'il fiit aux insurgés, il ne pouvait plus, fidèle à son dessein, les juger impartialement. Quel argument invo- quaient les persécuteurs contre les religionn aires? La

1 7, t. V, p. 45. (1745.) s N" 7, :. XIII, p. 97. (1753.J

390

HISTOIRE DES CAMISARDS

révolte précisément de leurs frères : « Vous êtes des rebelles Il le savait et voulait leur fermer la bouche. Très-vrai, quand il exposait les causes de cette grande insurrection, il l'attribuait aux seuls fanatiques et en niait l'unanimité. Les protestants sérieux, éclairés, disait-il, l'avaient hautement condamnée et n'y avaient jamais prêté la main. Oui, la classe riche, les bour- geois et les rares gentilshommes qui avaient peur et avaient déjà abjuré. Mais il est manifeste que tout le pays se jeta dans l'insurrection et que chacun y participa, soit qu'il se- mît parmi les combattants, soit qu'il les secourût clandestinement. Il était loin aussi de se montrer bienveillant pour les prophètes. Encore qu'il les défendît contre la ridicule accusation de Fléchier, il penchait pour les emportements de Merlat. Il ne s'expliquait pas sur l'inspiration, mais il faut lire entre les lignes : au fond, inspirés et pro- phètes lui étaient antipathiques. Ainsi, il plaidait plu- tôt une cause perdue dans l'opinion, qu'il ne racontait avec la sévère impartialité de l'historien, une des plus légitimes et des plus étonnantes guerres entreprises au nom de la liberté de conscience *.

Ce livre de grand avenir, sur lequel il fondait de si belles espérances, était prêt bien avant 1753. Il était en négociations pour le donner au public. Ne pouvant le faire imprimer publiquement en Suisse, il s'était adressé à un libraire hollandais qui lui offrait cinq flo-

' Cette histoire n'en reste pas moins la meilleure que nous possé- dions. Malgré la réimpression qu'on en fit en 1819, elle est très-rare. On devrait bien en donner une nouvelle édition. Le récent ouvrage de M, Bonnemère, si consciencieux qu'il soit, ne saurait la remplacer.

MALADIE D'ANTOINE COURT

391

vins par feuille d'impression ' . Mais la somme parais- sait modique et il demandait plus. L'affaire fut aban- donnée. Elle ne fut pas reprise.

La mort de sa femme avait porté un coup mortel à Antoine Court. Il avait essayé de rester au Timonex, mais n'avait pu. Quelques mois après, malade, souf- frant, il rentrait à Lausanne.

« Depuis la mi-décembre que nous revînmes en ville, écrivait son fils le 20 janvier 1756, il a toujours été plus ou moins incommodé. Le jour de Noël en parti- culier, il eut une violente attaque de colique et de maux d'estomac qui dura quelques jours après. Un peu mieux à la réception de votre lettre, il eut peu à près une rechute qui nous fit tout craindre, parce qu'il eut beaucoup plus à souffrir, et en particulier d'une fièvre opiniâtre qu'on n'a pas pu entièrement chasser, car toutes les nuits il en a quelques ressentiments -. »

Quelle fut sa vie à dater de ce jour ? Continua-t-il à languir ? Avait-il rapporté de ses courses passées le germe de la maladie qui le devait conduire au tom- beau '{ Voltaire vint à cette époque passer quelques hivers à Lausanne et remplit toute la ville du bruit de son nom et de ses fêtes. Le vit-il ? Lecointe de Mar- cillac fut nommé agent des Eglises réformées à Paris. Est-ce lui qui arrêta ce choix ? Fit-il échouer le projet d'établissement d'une maison de commerce, ou bien l'ap- puya-t-il '{ Autant de questions qui restent sans ré- ponse. Depuis le mois de janvier 1756, un silence absolu

> 7, t. XIII, p. 97. (Mai 1753.) * N" 2. (20 janvier 17.56.)

392 L'AVENIR

ne fait sur sa vie. Tous les papiers qui pouvaient contenir des renseig-nements ont été anéantis ou ég-arés*, et c'est la dernière lettre, jusqu'au jour de sa mort, il soit fait mention de son nom.

Mais sans doute cette belle iritellig-ence ne s'éclipsa pas subitement, et ce grand cœur ne cessa de battre pour ses chères Eglises de France. Si g-raves qu'aient été les atteintes de l'àg'e et de la maladie, certainement il n'en demeura pas moins debout à son poste. Il dut comme par le passé tout guider et tout diriger. Son fils prit pour lui le gros de l'œuvre, mais lui, inébran- lable, resta « au timon » et de son observatoire conti- nua à surveiller la marche g'énérale, donnant les con- seils, conduisant au port d'une main siire le vieux navire battu de la tempête. De tels hommes conservent jusqu'à leur dernier soupir to.ute l'énergie de leur âme et la lucidité de leur esprit.

Autrefois les protestants avaientpour devise : « Sauve- nous, Seigneur, nous périssons ! » Depuis longtemps, ils étaient sauvés. Il put voir, le vieux prédicant, ce nom- bre considérable de florissantes Eglises qui s'élevaient dans plusieurs provinces , cette nouvelle g'énération de pasteurs qui pénétraient hardiment en tous endroits, si petits qu'ils fussent, et cette multitude de fidèles qui malgré les périls allaient à leurs assemblées invoquer le Dieu de leurs pères. Mais quoi ! Les présages de temps meilleurs se multipliaient. Si la persécution sé- vissait en Béarn et en Guyenne , le Languedoc, le Dauphiné, la Normandie, le Poitou, le comté de Foix,

1 V. notre notice sur les manuscrits de Court Tome I", à l"Ap- penclife.

SOUVENIRS D'ANTAX 393

jouissaient d'une tolérance relative. La cour modérait l'ardeur de ses soldats. Le maréchal de Mirepoix avait inauguré une politique nouvelle et le successeur de Bàville pensait « que la bonté et la confiance ren- draient les protestants plus soumis aux ordonnances. » N'était-ce pas hier enfin que Rippert-Monclar venait d'écrire son mémoire sur les mariages clandestins?

Que de fois, à ce spectacle, dut-il se rappeler le jour dans une carrière abandonnée, à l'aube naissante, il exposait pour la première fois devant quelques paysans ig-norants le prog-ramme de son œuvre. Point d'Eglises alors, et point de pasteurs. Quelques vieux prédicants, de pauvres femmes qui prophétisaient , de petites réunions au Désert, un millier de fidèles, voilà ce qui restait du protestantisme français. Et alors, année après année, il repassait l'histoire de sa vie. Il se voyait, enfant encore , allant avec sa mère aux assemblées, puis faisant l'office de lecteur et courant avec Brunei le Vivarais et le Dauphiné. Plus tard venaient le pre- mier Synode et sa consécration au ministère. Il confé- rait avec l'envoyé du régnent; il se rendait à Genève, et quand la déclaration de 1724 renversait toutes ses espérances, il envoyait Duplan réclamer l'appui des peuples protestants ; le nombre des fidèles augmentait et celui des Eg'lises ; le séminaire de Lausanne était fondé ; il quittait la France ; il s'établissait en Suisse ; il était enfin nommé représentant des Eglises... Que de cruelles déceptions et que de joies ! Que d'aven- tures ! Que de périls ! étaient ses premiers compa- gnons et ses premiers amis ? Arnaud pendu. Hue et \'essou pendus, tant d'autres ! L'un après l'autre, il len

394

LES SURVIVANTS

avait laissés sur les bords de la route, et quand arrivé au terme du voyage , il retournait la tôte , à peine voyait-il jusqu'à trois d'entre eux qui l'avaient suivi.

Duplan s'était marié et vivait à Londres, loin de lui. Bombonnoux, vieux et accablé d'infirmités, traînait sa pénible existence ». Corteiz le dernier, l'intrépide Cor- teiz, se trouvait à Zurich îl ne s'était décidé à la re- traite qu'en 1752. Passant de Suisse en France avec une extraordinaire facilité, il n'avait cessé de com- battre que lorsque la vieillesse l'en; avait empêché. Le Synode, en lui donnant son cong-é, lui remit cette attes- tation :

« II a été pendu deifSc fois en effigie, comme appert par les jugements rendus par les intendants de Montpellier et d'Auch, poursuivi plusieurs fois par les détachements de dragons, et recherché par des particuliers mal intentionnés, ce qui le met dans la nécessité indispensable de se réfugier dans un pays de liberté. Sur ces fondements nous prions Dieu de le combler de ses grâces les plus précieuses, et de le couvrir de sa divine pro- tection partout sa Providence le conduira. »

Mais le vieux prédicant, toujours attentif, tenait ses yeux fixés sur la Franee. Avec Antoine Court, il ap- plaudissait aux succès de ses successeurs, il les suivait dans la carrière, et regrettait le temps il les y de- vançait. « La plupart de ces messieurs qui nous ont succédé au service des Eglises de la croix me sont in- connus; mais n'importe, je les aime, je les estime, je les honore, et fais des vœux an ciel aussi ardents que sincères en leur faveur, à cause de l'œuvre excellente

1 7, t. XIII, p. 27. (1754.) «N I, t. XXVIII. (1755.)

DERNIERS JOURS 395

qu'ils font ' . » Et ailleurs, avec une admirable simpli- cité, il aimait, lui aussi, racf>nter les aventures de sa jeunesse agitée. Conseillant un jour aux protestants du bas Languedoc persécutés de fuir dans les pro- vinces voisines : « Coucher à la campag-ne quelques mois, s'écriait-il, n'est rien h trois années consécutives que je fus oblig'é d'y coucher depuis 1709 jusqu'à 1712^! » Car que faire » sinon se rappeler? Ils revi- vaient par le souvenir !

Trois vieillards ! voilà tous les acteurs qui restaient du grand drame. Court était le quatrième. La jeune généra- tion pouvait contempler une dernière fois ces athlètes. Ils allaient bientôt l'im après l'autre disparaître.

On approchait de l'automne 1759. Antoine Court sentait chaque joui- ses forces diminuer. Bientôt, pen- dant l'hiver qui suivit, le mal s'ag-gi-ava; ses jambes enflèrent, l'oppression s'accrut, et sa faiblesse devint telle qu'il fut hors d'état de sortir. Cependant ses en- fants rivalisaient autour de lui de dévouement. Son fils voulut lui donner une dernière joie. Il le fit consentir à publier l'histoire des Camisards. L'impression en fut hâtée, et bientôt il lui put offrir les premières pages de son livre. Mais déjà il n'était plus en état de goûter un sentiment quelconque de bonheur. « Toutes les af- faires du monde lui étaient indifférentes ^ . »

La catastrophe arrivait rapidement. Vers la fin du mois de mai 1760, la faiblesse augmenta, l'en- flure gagna le ventre, et l'oppression fut si forte

1 1, t. XXVIII. (Ja»v. 1755.) ■i Ibid.

3 N" 2. (S juin 1760..)

M

396

MORT D'ANTOINE COURT

(ju'il ne put prendre un moment de repos sur sou lit ' . Tout espoir était perdu. '

Le 8 juin, Court de Gébelin écrivait : « Ma sœur et moi, nous nous voyons à la veille de perdre le meil- leur et le plus tendre des pères, qui ne vivait que pour nous, qui nous aimait plus que lui-même, qui ne sou- pirait que pour notre bonheur, et qui était notre sou- tien Jusqu'à hier, nous nous étions flattés que sa

maladie ne serait pas mortelle; à présent nous n'en pouvons plus douter, et il nous semble toujours qu'il doit revenir à la vie ^ »

II ne s'était pas trompé. Quelques jours après, l'a- g-onie commençait, une ag-ohie' calme, douce ^.

Le vieux prédicant avait conservé toute sa présence d'esprit, sa sérénité, sa douceur, sa patience. Pendant trois jours, il se vit mourir.

Mais tandis que le froid de la tombe gagnait lente- ment ses membres, et que la nuit éternelle l'envelop- pait de ses ombres, sans doute il entrevit le lumineux avenir. Lui qui n'avait vécu que pour ses enfants et pour ses frères, il ne pouvait quitter ce monde sans em- porter l'assurance du bonheur des uns et de la pros- périté des autres. Il dut voir la gloire de son fils et son nom réhabilité par lui ; il vit Voltaire ; il vit l'essor de la France; et c'est au milieu de lasplendide vision qu'il rendit le dernier soupir.

Le 15 juin 1760, il était mort.

1 2. (8 juin 1760.)

« Ibid. Sa fille épousa, en 1762, M. Solier, de Vevey.

3 Ibid. L'Histoire des Camisards était imprimée à la même époque.

ORAISUN FUNÈBRE

397

Quels furent, à cette douloureuse nouvelle, les sen- timents des Eg'lises de France? Comment les protes- tants apprirent-ils ce funèbre dénoùment ? Quels amis suivirent le prédicant à sa dernière demeure ? Quelles paroles émues laissèrent échapper tant de malheureux qu'il avait secourus et tant d'hommes qui le chéris- saient ? On ne sait ' . Mais lui-même avait depuis long-- temps écrit son oraison funèbre, lorsqu'un jour, plein de l'idée de la mort, il avait laissé, dans une lettre à Corteiz, s'épancher de sou âme les sentiments qui en débordaient :

« S'il a plu à Dieu de se servir de nous comme de vils instruments pour amener plusieurs à la justice, que nous puissions reluire un jour selon ses divines promesses, comme les étoiles du firmament ! Nous devons le bénir tous les jours avec un nouveau zèie de ce qu'il a daigné se servir de notre ministère pour ranimer la foi presque éteinte dans notre chère patrie, et y conserver une religion pour laquelle nous avons tant de fois et pendant tant d'années sacrifié notre

Nous n'avons à cette date et sur cette mort qu'une lettre adressée au professeur E. Chiron, de Genève, par Court de Gébelin :

« Monsieur, la tendre part que vous prenez k la perte accablante que nous venons de faire, ma sœur et moi, excite toute notre reconnaissance. Quelle est grande cette perte en effet! C'était le plus tendre des pères, un ami intime, un conseiller excellent. Il ne vivait que pour nous, il prévenait nos désirs, il pourvoyait à nos besoins, toujours bon, tou- jours rempli de patience, de support, d'indulgence, de gaieté, toujours digne de tout notre amour. Pourrais-je jamais le pleurer comme il le mérite? Ohl la terrible épreuve! J'en suis accablé, mais je n'en murmure pas ; plutôt j'envierai le bonheur dont il jouit actuellement et dans ce sentiment je demanderai à Dieu de me faire la grâce d'en être digne. » (22 juin 1760.) ~ Pièce communiquée par M. Arnaud pasteur à Crest.

m CONCLUSION

vie. Plus je médite sur la grâce que Dieu nous a faite à cet ég-ard, et plus je trouve que nous avons lieu de le louer de nous avoir choisis pour une œuvre si belle et si consolante. A quoi aurions-nous pu employer plus dignement notre vie? Et quelles sources plus abondantes de consolations pour nous, que celles qui nous fournissent le fruit dont il a plu à Dieu d'accom- pag;ner les faibles efforts de notre ministère : de savoir que notre travail n'a pas été vain dans l'œuvre du Seig'neur, et de nous voir succéder dans cette œuvre si sainte par une troupe d'ouvriers pleins de zèle qui ne respirent que d'étendre les conquêtes de notre divin Maître M »

Il ne faut rien ajouter à ces lignes. On ne pouvait plus dignement et avec plus de simplicité apprécier l'œuvre et la vie de celui qui fut au dix-huitième siècle le restaurateur du protestantisme en France.

« 7, t. VIII, p. 17, (Mars 1747.)

i'IN UU SECOND VOLL.MK.

PIÈGES

ET

DOCUMENTS INÉDITS

I

LETTRE d' ANTOINE COURT AU CARDINAL DE FLEURY . ï . . . 1738.

Monseigneur, si la vérité et l'innocence avoient besoin d'ap- pui auprès de Votre Excellence, j'en eusses cherché. Mais con- vaincu du contraire, ni l'obscurité de mon nom, ni ma religion qui sembloient m'en interdire l'accès, ne m'ont pas même fait hésiter un moment. Plein de la plus vive confiance je recours humblement à sa haute protection et jlmplore sa justice. C'est en faveur de plusieurs milliers de protestants qui gémissent dans l'abatement et la tristesse, pendant) que les autres sujets du grand Roy dont vous êtes le premier Ministre, sont dans les plaisirs et dans la joye.

Mon dessein. Monseigneur, n'est pas d'exposer aux yeux Votre Excellence tout ce qu'a de déplorable leur état. En vain l'entreprendrois-je, je n'y saurois réussir. Il est vrai que grâces à Dieu et à Votre Excellence leur éiat est bien changé. Votre Excellence convaincue que la religion se persuade et qu'elle ne se commande pas, elle a à plusieurs égards fait succéder la

400 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

douceur à la contrainte, et baiii, j'espère pour toujours, d'un royaume poli, éclairé et chrétien des usages, si je l'ose dire, contraires à l'esprit du christianisme. Ouvrage véritablement digne du prélat, de qui la piété et la douceur égalent les lumières et la haute capacité : seul digne d'immortaliser sa gloire et de rendre à jamais sa mémoire précieuse, non-seulement aux pro- lestants, mais à tous ceux sur qui un zèle mal entendu ne fait pas illusion! Mais quelque heureux chant^:ment, Monseigneur, qu'ait aporté la douceur et la piété de Votre Excellence à l'état des innocens malheureux en faveur de qui j'entreprens de la solliciter, il est encore bien capable d'exciter la compassion d'une ame aussi grande que la sienne.

Les privilèges qui faisoicnt autrefois tout leur bonheur, qu'ils regardoient comme les légitimes récompenses de leur attache- ment et de leur fidélité au service de leur Prince dei.iourenl révoquez. Tous les édits émanés contre eux, même la déclara- tion du 14 de mai 1724, quelque aggravante et redoutable qu'elle soit, subsistent dans toute leur force : l'effet n'en est que sus- pendu, que dis-je, ne dépend que de la volonté d'un juge de village ou d'un simple prêtre.

L'expérience, hélas I n'est là-dessus que trop incontestable. La cour le désaprouve sans doute; mais la chose n'en est pas moins réelle et n'en offre pas moins à l'imagination un avenir toujours allarmant. Sortir du royaume, Monseigneur, est une chose défendue. L'entreprendre c'est s'exposer aux plus émi- nens dangers. Est-on assez heureux pour y réussir, ce n'est que pour traîner une vie pleine de misère dans tous les lieux de son refuge. Vendre ou engager ses fonds est une chose également interdite, et le fisc s'en empare dès qu'il constate que le propriétaire n'est plus dans le royaume.

Servir Dieu est le devoir le plus essentiel de la créature intel-- igente. Outre les hommages du cœur il en demande d'exté- rieurs. Mais les protestants veulent-ils s'acquitter d'un devoir si juste, SI raisonnable et si nécessaire, et convaincre leurs

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compatriotes qu'ils ne vivent point au milieu d'eux sans Dieu et sans religion : ils ne le peuvent qu'en se préparant l'avenir le plus triste. La prison, les galères, la confiscation de biens, le rasement de maison, la désolation de familles, en sont les suites allarmantes, inévitables de leur juste dessein. De quel zèle, Monseigneur, et de quel amour pour Dieu ne faut-il pas être animé lorsqu'on est capable de passer par dessus ces craintes ! Vivre dans le désordre est une pensée qui soulève et qui rem- plit d'horreur. Le mariage au contraire est honorable, il est de l'institution du Créateur; l'homme qui craint Dieu ne balance pas dans le choix. Mais, Monseigneur, à quoi n'expose-t-il pas le protestant? La même religion qui le lui fait préférer à une vie hcentieusc ne lui permet pas de le contracter en faisant des actes contraires à ses lumières et aux mouvemens de sa con- science; mais s'il les suit, outre que des peines afflictives en sont des conséquences inévitables, son mariage est déclaré clandestin, ses enfans réputés bâtars, inhabiles à succéder à son héritage : et s'il veut le mettre à couvert, il ne le peut qu'au dépend de sa religion : l'abjurer, promettre de vivre et de mourir dans celle qu'il désaprouve, étant les seules routes qui lui soient ouvertes. S'il les embrasse, à quels déchiremens de cœur ne se livre-t-il pas? Aussi ne tarde-t-il point à violer des engagemens qu'il n'a contractés que pour légitimer un mariage qui sans cela eut été déclaré clandestin, et que pour assurer un héritage qui sans cela eut passé à des mains étrangères. Malheu- reuse victime, qui, pour se garantir lui et les siens des disgrâces temporelles, se livre à tous les remors d'une conscience coupable et justement allarmée ; porte jusqu'aux pieds des autels l'hipo- crisie ou le parjure; offense la Majesté divine au premier chef, puisqu'elle n'est jamais plus directement oUensée que lors- qu'on fait ce que la conscience dicte clairement lui être dés- agréable ! Heureux, Monseigneur, si de si justes sujets de lar- mes finissoient ici ! Mais à peine commencent-elles à couler qu'il s'en ouvre de nouvelles sources. Plus le mariage du pro- II 20

402 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

testant est fertile et plus ses embarras deviennent extrêmes ; et plus il se trouve engagé à des démarches criminelles.

Mais ce n'est pas la fin de ses maux, son mariage lui donne-t-il des enfans; c'est qu'il les élève dans cette même religion avec laquelle sa conscience ne peut s'accomoder. En- trera-t-il, Monseigneur, dans de nouveaux engagemens qu'il ait résolu de violer? Portera-t-il encore une fois jusques aux pieds des autels l'hipocrisie ou le parjure? Et renouvellera-t-il autant de fois que son mariage sera fécond des démarches qui soulèvent la conscience, qui arment le ciel et qui le rendent l'horreur des hommes et des anges? Ou élèvera-t-il ses enfans, ces tendres objets qui lui sont plus chers que lui-même, dans une religion qu'il désaprouve? Funeste état, Monseigneur, qui met dans la juste nécessité de craindre ce qui fait l'objet des plus ardens désirs, la plus légitime fin du mariage, la propa- gation de l'être intelligent? Sont-ils parvenus à un âge de con- noissance, les enfans de tant de larmes, ici se renouvellent les douleurs de leurs infortunés parens. L'ordre est exprès; il faut les envoyer à des instructions que l'on croit contraires à la véritable religion. Mais un père qui aime Dieu, qui aime sa religion, à qui le salut de ses enfans est cher, peut-il s'y ré- soudre? S'il le fait ne donne-t-il pas une marque sensii^le de mépris pour Dieu et pour la religion? Ne dépouille-t-il jias la qualité de père ; ne renonce-t-il pas à l'amour qui doit être le plus profondément gravé dans son cœur, je veux dire à celui de rendre ses enfans agréables à la Divinité et de les éloigner de tout ce qu'il croit porter atteinte à leur salut? Mais, Monsei- gneur, s'ilprens le seul parti qu'il doit prendre, si l'amour pour Dieu et celui du salut des chers dépots que le ciel a confié à ses soins, rélèvent au-dessus de menaces et l'engagent quoiqu'avec une répugnance extrême à refuser son obéissance à l'ordre de son Souverain; il est accablé d'amendes qu'il est obligé de payer exactement et dont la somme est plus grande h proportion que sa famille est plus nombreuse, et qui jointes aux impots de

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 403

l'Etat, l'on bientôt conduit aux derniers excès de la misère. Ce qui achève, Monseigneur, de déchirer ses entrailles et qui met le dernier trait au tableau de ses malheurs, c'est la violence dont on use à l'égard de ses enfans. On les lui enlève, on les enferme dans des couvens, on le prive et de les voir et de les instruire. Quelles ne sont pas ici, Monseigneur, ses anxiétés et ses détresses ! Plus il a d'amour pour Dieu, plus il est persuadé de la vérité de sa religion, plus il a d'éloignement pour celle qu'on veut leur faire embrasser ; plus il est éclairé sur ses devoirs à leur égard, plus il s'en forme de grandes et de justes idées, plus leur salut lui tient à cœur et plus sa douleur doit être grande.

Elle est telle aussi, Monseigneur, qu'elle ne sauroit être bien représantée, et qui ne peut être bien comprise que par un prélat aussi pieux, aussi éclairé que l'est Votre Excellence. Les dio* cèses de Viviers et d'Alais sont sur tout remplis de ces pères et de ces mères dont la douleur ne sauroit être dépeinte. Ils reten- tissent de toutes parts de leurs cris et de leurs larmes. A tant de cris se joignent encore ceux de malheureux condamnés aux prisons et galères, et renfermés dans des couvens. De si justes clameurs pénètrent le ciel. Soyés en touché, Monseigneur. Arrêtez-en le cours par des voyes également dignes de votre piété et de votre justice. Ne souffrez point que pendant que l'Europe entière se réiini à célébrer des éloges que Votre Excel- lence mérite à si juste titre, il se trouve des milUers de mal- heureux qui, par leur triste état, se voyent contrains d'en troubler les acclamations par leurs gémissemens et par leurs plaintes. Ne souffrez point que pendant que Votre Excellence répand de toute part la félicité et la joye, il existe dans les Etats du Grand Maître qu'elle sert avec tant de dignité et de grandeur, plu- sieurs milliers de sujets à qui on ne peut reprocher d'autre crime que l'amour et l'ataciiement qu'ils on t pour la religion qu'ils croyent véritable, et qui demeurent accablés sous des maux qui leur paroissent plus redoutable que la mort même. L'oserois-je

404 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

dire, ce seroit, Monseigneur, une tache au ministère qui passera à jamais pour le plus glorieux, le plus doux et pour le plus parfait que l'Europe ait vu depuis l'établissement de la monar- chie. Puisse, Monseigneur, un ministère digne de tant d'éloges, être aussi long qu'il est glorieux I Puisse-t-il répandre égale- ment ses salutaires influences sur tous les sujets qu'il inté- resse.

J'ai l'honneur d'être avec des sentimens également remplis de respect et d'admiration, etc.

Antoine Court

(N» 7, t. IV, p. 348.)

11

DEUX LETTRES DE DACHS A ANTOINE COURT

Berne le 17 décembre 1730.

Monsieur et très honoré frère,

Comme ie suis dans l'incertitude si M' du Caila (Duplan) est encore dans vos quartiers, iay cru, que ie ne sçauray mieux faire que de m'adresser à vous pour luy faire part de la reponce que iay reçue de Zurich touchant le subside pour l'entretien des proposants et pour l'achapt des livres de piété, elle porte en substance que M'' le thresorier Escher qui dirige la plus part cette affaire, et à qui M. du Caila avoit aussi escrit, avoit re- pondu à M"" l'Archidiacre Ott, mon correspondant, qu'il seroit nécessaire d'attendre l'arrivée de M' Cortéz pour apprendre de luy toutes les circonstances et se régler selon icelles ; il faut donc qu'à Zurich on soit informé que bientost ce cher frère doit venir au pais, ainsi on sera dans les mesmes sentiments icy, quoi que ie n'aye pas pu encore m'informer sur cela ; ie le sçaurai pourtant au plus tôt pour pouvoir donner avis. Vous

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 405

aurés la bonté de comuniquer cecy à M. du Caila avec asseu- rance de nos cordiales amitiés et que ie ne manquerai pas de presser la chose de tout mon pouvoir.

Du reste, Monsieur, vous pouvés estre persuadé, que i'em- brasserai avec plaisir toutes les oîicasions pour vous témoigner, que ie suis avec toute la sincérité et estime,

Monsieur et très honoré frère,

Vostre très humble et très obéissant serviteur.

Dachs.

(N" 1, t. V, p. 19.)

Berne, 28 septembre 1730.

Monsieur et très honoré frère,

Dans l'incertitude ie suis si M. du Caila est encore à Lausanne, je prend la liberté de vous dire que nous avons obtenu de LL. EE. la continuation de leur beneficonce ' pour cette année, et ie ne manquerai pas de faire toucher les sommes destinées au plutost, si plaist à Dieu. le vous prie d'avoir la bonté de mettre l'adresse à la lettre incluse, pour M. Roux, qui m'avoit demandé quelque avis. le n'ay d'autres^ nouvelles pour vous communiquer, sinon que ie suis avec une affection cordiale,

Monsieur et très cher frère, Vostre très humble serviteur.

Dachs.

(N° 1, t. V, p. 41.)

' Beneficence pour les Etudiants du Séminaire. V. n" 8. (1730.)

406

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

N" 111

CERTIFICAT DONNÉ «A MM. ROUX F.T BOYER

1729.

Nous les pasteurs et prédicateurs des Eglises sous la croix en Languedoc , assemblez au sujet de la vocation au saint ministère de messieurs nos chers frères Roux et Boyer, reçus dans la vénérable classe de Zurich, veu les sollicitations de Messieurs nos amis du païs étranger, l'humilité de nos susd... frères, la confession qu'ils ont faite d'avoir violé notre disci- pline et d'être coupable pour avoir manqué à demander notre consentement pour la vocation qu'ils ont reçue, avons délibéré et conclu qu'après avoir reçu l'avis d'aprobation de messieurs nos chers frères Roger et Durand, ministres du Dauphiné et Vivarez, que nous consulterions à ce sujet par nos lettres, nous leur donnerions la main d'assistance, et confirmerions leur vocation par le ministère ou de MM. Corteiz ou Court à la tette d'une assemblée publique convoquée à ce sujet.

(N° 7, t. m, p. 397.)

IV

LETTRE DE M. DE MONTROND A ANTOINE COURT De Berne, le 16 décembre 1741.

Le sujet de cette lettre. Monsieur et cher ami, sera tenu se- cret s'il vous plaît entre M. le prolfesseur Poller (que j'asseure de mes plus profondes obéissances) et vous. Ayant l'honneur d'informer avant-hier Mgr le banderet Tiller, ma matière me

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

407

conduisant naturellement sur le grand nombre de protestants qui sont aujourd'huy en France, et la diversité de leur situation suivant la diversité des caractères persécutans ou tolérans des ovêques, curés, etc., ce qui donnoit lieu du colté des premiers à un écoulement presque continuel, mais égrené, de refuge, il me mit sur le conte des proposans qui estudient à Lausanne; je crus devoir luy faire connoitrc que j'estois informé de tout ce qui les concerne; il me dit donc qu'il avoit receu depuis peu une lettre d'une personne qu'il ne me nomma pas, mais qui sans aucune malice l'avertissoit dans un bon esprit qu'il y avoit quelqu'un do ses proposans qui s'estoit vanté qu'on luy donneroit les impositions à Lausanne; et tout de suite il me parla des ménagemens que LL. EE. estoit obligées de garder là-dessus accause des plaintes de l'ambassadeur qui réside à Soleure, et fit là-dessus quelques réflections tendantes à faire connoître qu'il luy paroissoit que LL. EE. ne devroit pas se croire géennées par cet endroit-là, puisqu'elles ne se formalisent pas que leurs sujets allent estudier en Sorbonne, mais qu'il luy paroissoit cependant que ces proposans, après avoir fait à Lau- sanne les estudes qu'ils estoient en écrit d'y faire, pouvoit aler se faire consacrer au Désert par les ministres qui y sont, qui ont l'autorité suQsante et canonique pour cela ; je luy dis, que je ne pouvois envisager que comme un très grand malheur pour les Eglises de France, si LL. EE. interdisoit absolument à ces pauvres gens la satisfaction d'estre consacrés comme ils l'avoient estés précédemment à Lausanne, c'est à dire en chambre clause, mais par quelques Professeurs choisis pour cela de l'Académie, et qui jamais ne leur donnoit aucun escrit qui put estre trouvé sur eux, de faire voir qu'ils avoient receu les impositions des mains à Lausanne ; que je pouvois l'asseurer que cela se faisoit avec tant de circonspection et de prudence, qu'il n'en transpiroit jamais rien, et qu'une marque de cela, estoit, que ces pauvres gens passoit, d'abord après, et arri- voit au Désert sans estre découverts, ni qu'on en soubsonna

408 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

rien; que le malheur qui résulteroit d'un tel refus seroit que les protestants de France n'auroit plus la mesme vénération ni la mesme confiance pour leurs pasteurs qui auroit estes con- çacrés dans leurs assemblées, qu'ils ont pour ceux qui ont receu les ordres dans les pais libres et dans des Académies establies pour cela; que par concequant quoy que leur ordina- tion ne fut certainement pas moins bonne, ils ne feroient plus autant de fruits en ce que la plus part d'entre eux se croiroit abandonnés par les Puissances de leur communion, qu'ils ont regardé jusques à présent comme leurs seules ressources et leurs protecteurs dans ce monde; qu'il seroit mesme à craindre qu'une telle mortification leur arrivant, ils ne retombassent insensiblement et dans la suite des tems, dans le fanatisme qu'on avoit eu tant de peine de déraciner, et qu'il y avoit dessus des reflections bien sérieuses et bien intéressantes à faire; que la prédication de l'Evangile se repandoit beaucoup en Franco; qu'elle avoit paru cy-devant renfermée dans les seules provinces du Languedoc, Vivarés et Dauphiné; que les prédi- cateurs avoient depuis peu perse jusques en Guienne et en Poitou et y avoit trouvé une abondante moisson et des peuples très-disposés à les escouter, en sorte qu'il avoit falu y envoyer des proposans qui sont en France pour les soulager dans leurs travaux; que je ne disconvenois pas, qu'il ne put estre, que quelqu'un de ses jeunes gens n'eut lâché par imprudence quelques discours inconsidérés, tendant à se flatter qu'il obtien- droit d'estre consacré à Lausanne, comme ceux qui l'ont estés avant luy, mais que j'estois bien asseuré que aucun professeur, ni autres, ny avoit donné lieu ; et que sy M. le professeur Polier le connoissoit, il l'en reprimanderoit bien fortement, car je sçavois que l'on leur avoit signifié mesme qu'ils ne devoit pas s'y attendre; que LL. EE., soit les seigneurs curateurs ne le perraettroitplus. 11 m'escouta avec beaucoup d'attention et de bonté, Mgr le trésorier Steiguer et le banderet Hackrett estoient présents, et il me dit qu'il me prioit de luy donner un

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 409

mémoire dessus, que je luy ferois plaisir; et je crus m'ap- percevoir qu'il seroit bien aise de trouver des raisons assez fortes et assez bonnes pour déterminer à continuer la mesme permission qui a esté donnée précédemment de recevoir en chambre clause, et avec toutes les précautions qu'on a mises en œuvre pour le secret, les proposans qui ont estudié à Lau- sanne et qui se destinnent au ministère sous la croix ; je vous prie donc, mon cher ami, que conjointement avec M. le pro- fesseur Polier, vous dressiés un mémoire des raisons qui font connoitre la nécessité d'une telle permission que vous rendrés aussi patétiques et aussi fortes que vous le pourés ; que vous y marquiés les dattes, autant que vous le pourés, des temps oîi les ministres sous la croix ont percé en Guienne, Poitou, et ail- leurs ; les circonstances remarquables de leur nouvelle mission ; et les tems ou on leur a envoyé des proposans pour les aider; en un mot tout ce qui convient à une matière si interressante; que vous le faciès mettre au net par vostre fils, qui escrit bien, et sans datte, ni sans lieu, afin que je puisse le remettre à ce seigneur tel ; je ne doute pas qu'il ne fasse un bon effet. 11 me parla aussi du chisme que Boyer cause qui trouble si fort les pauvres Esglises, il me demanda à quoy en estoit ses malheu- reuses affaires; je luy dis que ses dissentions subsistoit tou' jours, au grand scandale des gens de bien, et au desavantage de ses Esglises; que bien des gens croyoit qu'il y avoit un peu de tort de tous les cottes ; que les autres Esglises de la pro- vince l'avoit peut estre poussé avec trop de rigueur eu esgard à Testât oii elles se trouvoit, d'esglises sous la croix; mais que les crimes dont on accusoit Boyer, il en estoit si certains, qu'on ne pouvoit que ne l'empêcher de croire qu'on ne luy imputoit rien dont il ne se fut rendu coupable; il me dit (entre nous s'il vous plaît), qu'il avoit esté du sentiment, quand Boyer avoit esté dans cepaïs, qu'on devoit l'enfermer pour l'empêcher d'aler plus troubler ses esglises et qu'on auroit peut estre bien fait, .le sortis de là, après une assés longue visite, avec M. le ban-

410 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

deret, mon patron, qui me dit estant dans la rue que je ferois bien d'entretenir une correspondance avec M. lebandoretTiller sur ses matières; je luy dis que je m'en ferois beaucoup d'iionneur et un devoir capital, dès qu'iiraprouveroitetvoudroitmelepermetre, mais que je ne pouvois pas, sans ses ordres, m'ingérer dans des affaires qui n'estoient proprement pas do ma competance; j'at- tens donc avec impatience, mon cher ami, réponse à cette lettre, et le mémoire toi que je vous le demande; je ne vous <;harge de faire des complimens à personne, parce que je sou- haite qu'il n'y ayc que M. le professeur Polier seul qui sache le sujet pour lequel je vous escris; s'il juge nécessaire que M. "Vial en soit informé, je ni mes pas d'obstacle, pourveu que ce soit avec tout le mesnagement, et les asseurances du secret qui est si nécessaire pour ne compromettre personne, et ne pas gâter des affaires si interressantes ; adieu mon très cher compère et ami, je suis toujours sans aucune réserve tout à vous et aux vostres.

De Montbond,

"Vous m'adresserés vostre lettre chés M. le banderet Hackrett, je suis logé.

(N° l.t. XII, p. 25.)

No V

CERTIFICAT DÉLIVRÉ A PIERRE PEIROT

M. Pierre Peirot natif de la paroisse de Champ-Clause en Velay s'etant adressé à nous soussignez pour avoir un témoi- gnage des pasteurs et professeurs de l'Académie de Lau- sanne touchant sa conduite et ses études pendant le séjour qu'il a fait dans cette ville afin de s'en servir partout oii la divine Providence le conduira; nous le lui avons accordé avec d'autant plus de plaisir que nous n'avons et ne savons rien que de bon

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 411

et de louable à dire sur son compte. Dès son arrivée à Lau- sanne, en juillet 1736, il s'est appliqué avec toute l'assiduité dont il a été capable à toutes les études qu'il a crû lui être néces- saires pour exercer un jour dignement le saint ministère de l'Evangile, et a toujours fait paroitre dans toute sa conduite des mœurs troz réglées, une piété sans fard, un grand amour pour la vérité et la charité, et beaucoup de zélé pour notre sainte religion, ce qui joint aux preuves réitérées qu'il nous a données de ses lumières naturelles et de ses connoissances acquises nous a fait juger qu'il pouvoit être un fidèle Ministre de Jésus-Christ. En conséquence de quoi après avoir obtenu la permission de nos supérieurs il a reçû l'imposition des mains pour ce saint emploi, le 27 juillet de l'année dernière '1739. Et nous ne doutons pas qu'aidé du secours de Dieu que nous implorons pour lui de tout notre cœur qu'il n'en remplisse les fonctions avec fruit et avec ediflication par tout oii il sera appelé. Nous le recommandons pour cet effet à la protection divine et à la bienveillance de tous ceux d'entre nos frères en Jésus-Christ à qui il pourra s'adresser.

A Lausanne, ce 18 avril 1740. (N° 17, vol. G, p. 491.)

N" VI

MSTE DES ÉTUDIANTS DU SÉMINAIRE DE LAUSANNE

« Un autre obstacle, c'est le manque d'ouvriei-s habiles. Les comptoirs se dégarnissent, et M. Delingèbes (Antoine Court) voit périr avec une extrême douleur les plus belles moissons. Il a appelé tout ce qu'il a pu des sujets dans la chambre se forment les jeunes facteurs, pour remplasser, s'il est possible, ceux qui prennent d'autres partis. Il y a longtemps qu'il se proposoit de donner à Messieurs les œconomes une idée succincte de l'état actuel par raport aux facteui-s. Il en trouve d'écrit dans ses registres quatre-vingt-dix, qui ont successivement, depuis 1728, fait apprentissage dans la chambre de fabrique ; en voici la liste, dans laquelle on trouvera leur nom, le temps de leur arrivée au séminaire, celui de leur départ et leur destinée, » (Note de Court.)

412

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

NOMS

1 Roux (François) . .

2 Boyer (Jacques) . .

3 Foriel

4 Combes (Jean). . .

5 Faure (Paul) . . . G Claris (Barthélémy) .

7 Maroger

8 Betrine (Jean) . .

9 Boyer dit Dubos . .

10 Badon

11 Morel

12 Foriel (cadet) . . .

13 Mauvillon (Pros )

14 Vouland ....

15 Corteiz, neveu . .

16 Peyrot

17 Roux (Jean) . . .

18 Gauch (François). .

19 Dugniere ....

20 Blachon

21 Coste

22 Gabriac l'aîné. . .

23 Dejours

24 Rabaut (Paul). . .

25 Gibert dit Clément .

26 Gounon dit Pradon .

27 Majal dit Désubas .

28 Pellicier dit Dubesset

29 Pradel

30 Saltet dit Morin . .

31 Loire

32 DeCFerre

33 Migault

ARRIVEE

1728

1728 1729 1729 1729 1730 1731

Avril Juin Juin Avril Juillet Octobre Octobre Mars Novembre 1730 En 1731 Août 1734 Octobre 1734 Avril 1735 Octobre 1735 Décembre 1736 Juillet 1736

Août Juin Juillet Janvier Janvier Juin Juillet Août Août Août Janvier

Ibid. Novembre 1741 Mars 1742 Mai 1742 Août 1742

Ibid.

1737 1737 1737 1738 1739 1739 1739 1740 1740 1740 1741

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

413

DEPART

DESTINEE

Avril

1729

Août

Ibid.

Ibid. Ibid. Ibid.

1730

Juillet

1731

Ibid.

Juin

1734

En

1732

Janvier

1737

En

1737

Septembre

1735

Avril

1736

Avril

1739

Avril

1740

Août

1739

n

Août

1739

Mai

1740

Janvier

1741

Février

1741

1740

Février

1741

Avril

1741

Juillet

1743

Juillet

1743

Mai

1744

Mars

1742

Juin

1744

Octobre

1742

Juillet

1743

Ibid.

A quitté en 1742, est à Lausanne.

Sert dans les basses Cévennes.

Tué en Vivarez en 1740.

Sert dans les hautes Cévennes. ^

Mort à Lausanne en 1747.

Mort en Languedoc en 1749.

A quitté et déposé en 1735; est à Vevey.

Déposé en 1746; est en Languedoc.

Mort à Berne en 1740.

Renvoyé; il est en Hollande.

Tué en Vivarez en 1739.

A quitté; est en Angleterre.

Renvoyé ; il est en Hollande.

Sert en Dauphiné. v

A quitté et vient de passer en Irlande.

Sert en Vivarez. v*

Sert dans les hautes Cévennes. *^

Mort à Lausanne en 1739.

A quitté en 1752 ; est à Londres.

Sert en Vivarez.

Sert en Vivarez. " Sert dans les hautes Cévennes. ^ Renvoyé.

Sert en Languedoc ; il étudia à ses dépens, Sert dans le bas Languedoc. A quitté en 1752; est à Gersey. Exécuté à Montpellier en 1746. A quitté en 1752; est en Hollande. Sert dans le bas Languedoc. A quitté ; est mort à Dublin en 1753. A quitté en 1751 ; est en Hollande. Sert dans le bas Languedoc. A quitté en 1749 ; est à Guernesey.

414

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

NOMS

ARRIVÉE

X' cVl Ici

XA.VI 11

1 mai

1745

1 JUlll

1745

1 JUlll

1745

39 Bornac dit Lapra

Juin

1745

Juin

1745

Août

1745

42 Glaret ,

Octobre

1745

43 Sol (Jacques)

Octobre

1745

Novembre

1745

Novembre

1745

46 Nicol

Décembre

1745

Décembre

1745

48 Sicard

1745

Janvier

174(1

Janvier

1746

Février

1746

Mai

1746

Août

1746

Mars

1747

Septembre 1746

Octobre

1746

57 Bastide

Octobre

1746

Octobre

1746

Juin

1747

Décembre

1747

Avril

1745

62 Godefroi

Juillet

1748

Septembre 1748

Octobre

1748

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

413

DEPART

Septembre 1744

Avril 1748

Mars 1748

4 juin 1748

Août 1747

Septembre 1747

Octobre 1745

Août 1747

Juin 1746 A été 54 mois à la pensiun Août 1750

Septembre 1746 Rayé de la pension en décemb. 1748

DESTIiNEE

Août

1747

Novembre

1748

Octobre

1746

Octobre

1746

Avril

1748

Août

1749

Août

1750

Octobre

1751

Octobre

1747

Août

1747

Septembre

1747

Septembre

1749

Septembre

1749

Juillet

1746

Octobre

1751

Septembre

1752

Novembre

1749

Abandonna son dessein. Sert dans les hautes Cévennes. Mort en 1749, en Languedoc. Mort en Dauphiné en 1749. Sert en Dauphiné. Renvoyé ; il est à Lausanne. Sert en Dauphiné. Sert en Dauphiné. Abandonna son dessein ; a abjuré la religion. Parti en 1752. Sert en Guienne. Sert dans les hautes Cévennes. "^y Sert dans les basses Cévennes. Abandonna son dessein. Exécuté à Montpellier en 1752. 11 avait étu- dié à ses dépens.

Sert dans le haut Languedoc.

Sert dans les basses Cévennes. Sert dans les basses Cévennes. Sert dans le Vivarez. Sert en Normandie. Sert dans le haut Languedoc. Sert dans l'Isle de France. Sert dans le bas Languedoc ; il est dans la

démence. Sert dans le bas Languedoc. Sert dans le bas Languedoc. ^ Sert en Saintonge. Mort à Lausanne en avril 1749. Sert en Poitou.

Sert en Poitou. Il a étudié à ses dépens. ^

Sert en Normandie.

Sert dans le pays d'Aunis.

Sert dans les basses Cévennes.

416

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

NOMS ARRIVÉE

Novembre

1748

Novembre

1748

Décembre

1748

Mars

1749

Juillet

1749

Août

1749

Février

1750

Février

1750

Février

1700

Avril

1750

Mai

1750

Mai

1750

Janvier

1751

Avril

1751

Juin

1751

Juin

1751

Août

1751

82 Picard

Mai

1753

Ibid.

Juin

1753

85 Vallat

Octobre

1753

Ibid.

87 Pic . , , . . .

Ibid.

Ibid.

89 Billeron

Ibid.

90 Ribe

Ibid.

Ici s'arrête la liste dressée par Antoine Court en 1754.

Qu'il serait désirable d'en posséder une semblable depuis 1754 jusqu'au moment le séminaire de Lausanne fut fermé! Ce serait le livre d'or du protestantisme français au dix-huitième siècle... Malheureusement les successeurs d'Antoine Court ne suivirent pas son exemple et n'imitèrent pas son exactitude. La

PIÈCES ET Documents inédits

417

DEPART

Janvier 1750

Janvier 1750

Juin 1753

Octobre 1752

1751 1751 1753 1751 1752 1751 1753

753

DKSTIiNEE

Mort à Lausanne en novembre 1751. Sert dans les basses Cévennes. " Sert dans les basses Cévennes. Sert en Yivarez. Sert en Dauphiné. Est ù Bàlc.

Sert dans les basses Cévennes. Sert dans les basses Cévennes. Est chez lui à Montauban, ayant quitté. Sert dans les basses Cévennes. Sert on Daui)liiné. ' Abandonna son dessein ; est en Hollande. Abandonna son dessein ; est à Londres. Est à Genève. Est au Séminaire. Sert dans les basses Cévenne.s. Mort à Lausanne en mars 1754.

V Tous ceux-ci sont dan s la chambre de fabrique .

liste du professeur Levade, que nous a procurée M. Dufour.net, quelques lettres particulières et les listes fournies par les Syno- des... voilà tous les documents inédits dont nous ayons con- naissance. Nous sommes loin, on le voit, de pouvoir donner une liste aussi complète que la précédente.

Peut-être a-t-on remarqué qu'Antoine Court n'indique pas II tl

418 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

dans le tableau précédent le lieu de naissance des étudiants. Une lettre du mois d'octobre 1753 (n» 7, t. XIII, p. 262), fait cependant connaître celui de quelques-uns d'entre eux.

Pierre Vallat était de Lasalle ;

Jean Pic, des hautes Cévennes ;

Jean Gardes, du haut Languedoc ;

A. Gai, des basses Cévennes ;

David Chabran, d'Anduze ;

Joseph Picard, de Nimes ;

Pierre Paris, de Nimes;

François Noguier, de Valleraugues.

A la hn de 1754, il y avait dix postulants (N° 7, t. XIII, p. 2; qui lirobablemcnt furent admis cette même année au séminaire. C'étaient :

Paul Vincent ; Pierre Allègre; Jean Guizot;

Les deux frères Saussine (Pierre et François) : Jean-Pierre Lafont; N. Teissier; Pierre Puget; N. Téron (Théron?) ; Jacques Mathieu. Nous les retrouvons pasteurs dans la liste du Synode de 1763.

De 1755 à 1763, les documents manquent. En 1763, nous avons :

Jacques Rosselotis, N. Brugnier, Jean-Patil Betrines, Fro* mental (originaires du bas Languedoc).

Etienne Faure, Louis Bonifas (originaires du haut Languedoc).

Armand, Voulant (originaires du Dauphiné).

Barre, Noguier, Louis Bernard (originaires des basses Cé-» Vennes).

PIECES KT DOCUMENTS INEDITS 419

Pierre Gombet (originaire des liautes Cévennes).

Pierre Métayer, Jacques Métayer (originaires du Poitou).

Dumon (originaire du Périgord et Agcnois).

Nous trouvons eniin, pour les années 1783 à 1788, les noms suivants dont le professeur Dufournet a bien voulu nous tran- scrire la liste.

Noms des étudiants français que j'ai eu sous ma direction depuis mon entrée au Comité, {"juillet IISZ, et qui ne se trouvent pas dans ce livre commencé le ['''^janvier 1788.

MM. MM.

Crumières, du Vivarais ; Pierre Allègre;

Marteau, du Poitou; Du Moulin, parti malade;

Bordes, de Saintonge ; De Wismes, de Picardie;

La Source, du haut Languedoc; Coste, des basses Cévennes ;

Gautier, des basses Cévennes; Gabriac ; Marphuson;

Bastide, des basses Cévennes; Moravel; Bourgade;

Morel, du Dauphiné; Allègre; Maurin; Bruguier;

Villeneuve, du Poitou; Campait;— Maurin; Degavet:

Nayon, du haut Languedoc ; Grenier ; Lagarde ; Caulet :

Du Gaz, de Saintonge ; Moline ; Masson ; Gely ;

Nogaret, de Provence; Encontre ; Noè ; Briand ;

Lombard, du bas Dauphiné; D'Hervieux;— "Verget;— Devèze;

Henry Allègre ; Tarou ; La Fond ; Geniès ;

Bruguier, du bas Languedoc ; Réville ; Pérès ; Grenier,

Pradel, du bas Languedoc: Ladreil ; Girard ; Gaussin ;

Valentin, du bas Languedoc; Cornu; Livache; Millange ;

Boisson, des basses Cévennes; Arnaud ; Cleret; Gabriac ;

Verdier, du Languedoc; Arbousset;— Martin; Mercier;

Gourjeon, du Dauphiné; LaBourdette; Astruc; Bèze. Marlineau, de l'Agenois ; Total : 188

(Transcrit du legistre de M. Levade, professeur au séminaire français de Lau^ sanne).

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Vil

LETTRE d'un CURÉ DU POITOU A MAUREPAP Décembre 1729.

Monseigneur, je ne dois pas me lebulor à informer votre éminanec de l'opiniastreté de plus de deux mille religionnaires mutins à désobéir à l'authorité royalle, qui absolument ne veul- lent pas enuoyer leurs enfants au catéchisme, crainte qu'on les oblige de se confesser et faire leur première communion. J'ay j)ris la liberté, dès le 27 du passé, de mettre sous vos yeux l'in- dépendance de ce peuple hérétique et rebelle, puisque M. Joly de Fleury fera voir à votre éminance les appels que j'ay eu l'honneur de lui envoyer, et que mes parroissiens ont ozé faire pour ne point faire instruire leurs enfants au nombre de près de mille dans la religion catholique ai)Ostolique et romaine ; le tout pour perpétuer leur indépendance et se voir en estât un jour de former une sédition contre l'aymable Roy qui nous gou- uerne, puisqu'ils font journellement des cabales publiques pour entr'eux faire des assemblées nombreuses toutefois secrettes, pour fouler entièrement aux pieds toutes les loix de l'Eglise, jusqu'à n'y pas venir escouter la parolle de Dieu annoncée par des missionnaires choisis exprès pour leur conversion. Comme voilà le saint temps de l'Auent passé, je n'ay laissé écouler aucun jour sans travailler à défricher la vigne du Seigneur, sans produire aucun fruit, craignant qu'il n'en arriue autant ce Caresme, j'ay recours sans retardement à votre éminance, à la supplier d'envoyer de nouveaux ordres au juge subalterne du lieu ou royaux qui sont de Poictiers et d'Angoumois de contraindre ces religionnaires d'envoyer, sous de grosses peines, de conduire au son de la cloche, leurs enfants à l'Eghse, puisque ces mêmes juges ne veuUent plus condamner, voyant

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leur sentance sans aucun eflct ot suiuie d'un appel qui n'a point, de parties pour soutenir et deffendre les édits de Sa Majesté. J'ose donc demander à votre éminance de faire mettre aux hôpitaux ou ailleurs un certain nombre de filles, enfants, aux dépents du Roy, puisqu'ils ne sont pas tout à fait en estât de payer pension. Je payerais moy-mème volontiers quelques pen- sions, ce qui produirait de grands fruits, mais à peine ay ie de quoi subsister.

Comme ce peuple est si inflexible dans son opiniastreté. ils deffendent de nous appeler dans leurs maladies les plus dan- gereuses. C'est ainsy qu'ils meurent et se damnent, pendant qu'un grand nombre se sauneraient, si nous les voyons à l'ex- trémité. Mais ils ne nous appelleront jamais qu'ils n'y soient contraints par leurs propres parants ou domestiques présents. Car, à présent, tout fuit de chez un huguenot malade, lorsque nous Talions voir, et cela afin de n'estre pas obligé de témoigner.

Encore une fois. Monseigneur, c'est la forte passion que j'ay do gagner des âmes à Dieu qui me font prendre la lilierté d'a- voir recours à votre éminance pour exterminer cette maudite hydre, qui fait tant de ravages dans ce lieu. Au renouvellement de l'année, je prent la sainte hardiesse d'ofl'rir toute sorte d'heu- reux souhaits à votre éminance, qu'elle soit remplie de béné- dictions; pour preuue démon obéissance respectueuse, je désire la conseruation de votre éminance jusqu'à la fin de ce siècle, avec le souuenir éternel de votre sainteté au miUeu des bien- heureux.

J'ai l'honneur d'estre à votre éminance. Monseigneur, le plus humble et le plus obéissant et fidelle de vos serviteurs.

Degennes ,

Curt de Villefagnan, diocèse de Poiciiers, généralité d'Angoulesme. rouie de Bordeaux.

La Villefagnan, ce 24« décembie 1729. (Archives nationales, TT. 325.)

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PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

Vin

TnOIS LETTRES DE MAUREPAS A l'iNTENDANT DE POITIERg A Versailles^, le 23 août 1730.

Monsieur, M. l'éucsque de Luçon a demandé que la nommée Marguerite Ghapau demeurante au Bourg de Monchampic, fut mise à YUnion crestienne de Luçon, sur l'exposé que cette ûlle, âgée de vinjjt-deux ans, doit se marier bientôt à la Rocheux avec un religionnaire. Il ajoute qu'elle a du bien suflisament pour payer sa pension, qu'elle demeure chez sa grand-mère et que le sieur Brielhouet exempt de la maréchaussée de Chaton- nay la connoit fort. Je vous enuoye les ordres du Roy pour la faire arester et conduire au couvent.

Je suis, etc.

Maurepas.

A Marly, le i février 1730.

Monsieur, M. l'éuesque de Poitiers m'ayant escrit que les nom- més Daniel Papot et Pierre Gacault religionnaires, auoient esté mariés clandestinement par un prédicant avec les nommées Callier etYivattier sur le compte que j'en ay rendu au Roy, Sa Majesté m'a ordonné d'expédier les ordres que vous trouverez cy joints pour faire mettre ces deux hommes dans les prisons do Saint-Maixant et les deux femmes à l'hôpital de Nyort pour y rester jusqu'à ce que les uns ou les autres soient instruits des vérités de la religion et ayent consenti à faire rehabiliter leur mariage en face d'Eglise ou a cesser d'habiter ensemble.

Je suis, etc.

Maurepap.

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

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A Versailles, le 19 octobre 1730.

Monsieur, M. l'éuesque de Poitiers m'a escrit que le sieur et dame de la Rouse de la paroisse de Briou près Mello , ne sont plus dans la disposition de mettre leur fille au couuent de Puy- berlau, pour y estre instruite des vérités de la religion, quoy- qu'ils vous en eussent donné paroUo. Je vous envoyé les ordres du Roy que Sa Majesté m'a ordonné d'expédier, pour faire mettre cette fille à l'Union Cresfienne de Poitiers oti elle sera moins a la portée de sa famille qu'à Puyberlau.

Je suis, etc.

Mauuepas.

(Archives nationales, TT, 323%

VIll

MÉMOIRE AU SUJET DES RELIGIONNAIRES DU BAS LANGUEDOC ET DES CÉVENNNES PRÉSENTÉ A LA COUR PAR L ABBÈ DE SAINT-MAXIMIN, DOCTEUR DE SORBONNE, PRÉVÔT ET GRAND VICAIRE d'aLAIS(1737?).

L'état de la Religion dans le bas Languedoc et les Geuennes semble mériter une attention particulière de la cour. A ne con- sidérer que le bien de l'Etat et du service du Roy, on conçoit aisément qu'il est d'une grande importance de trauailler effica- cement à ramener à la Religion catholique ceux que les préjugez de la naissance et de l'éducation en tiennent encore éloignez. Le nombre en est plus grand qu'on ne le croit peut être à la Cour, et l'opiniâtreté dans l'erreur semble se fortifier déplus en plus.

Depuis la révocation de l'Edit de Nantes, c'est à dire depuis plus de cinquante ans que le calvinisme est proscrit dans le royaume, la religion catholique a plus perdu qu'elle n'a gagné

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du moins dans les campagnes, et les précautions qu'on a prises jusques-icy pour n'avoir point été assez mesurées, n'ont seruy qu'a aigrir le mal et a commettre l'authorité du Roy.

En effet les reglemens sur cet article ont été extrêmement multipliez et il n'y en a presque aucun que s'executte. Les uns ([ui portoiont la seuerité trop loin ot dont l'exécution ne pouvoit guerre se concilier avec les loixde l'Eglise, ont été abandonnés et il paroit par les dernières déclarations que la Cour en a senty les inconveniens, les autres quoique moins rigoureux pouvoient encor avoir des conséquences dangereuses et préjudiciables au bien de l'Etat, et c'est peut-être la raison pour laquelle on n'en a pas jiressé l'exécution : telle est la disposition de plusieurs articles de la déclaration de l'année 1724.

Cette condescendance de la Cour n'a seruy qu'à rendre les religionnaires plus obstinés et plus entreprenans, ils ont cru qu'on les craignoit : plusieurs même se sont imaginé et ont fait croire aux autres que les menagemens avec lesquels ils etoient traittés etoient un effet d'une prétendue conuention entre la Cour cl les puissances protestanttes alliées de l'Etat, et c'est ce qui a fait que ces diuers reglemens ne les ont point allarmé. 11 y en a même un grand nombre parmy eux qui osent encor espérer le rétablissement de la religion protestantte dans le royaume et qui entretiennent les autres dans ces idées.

Quelques différentes qu'aient été les vues de la Cour dans les reglemens qui ont successivement paru sur ce sujet, il semble qu'on ait toujours suppozé, comme le point fondamental de ces reglemens, qu'il n'y avoit point de religionnaires en France, que depuis la révocation de TEdit de Nantes tous etoient censez catholiques, et c'est pour cela qu'on les appelle encore aujour- d'huy nouveaux convertis. Or, il n'y a point de nom qui leur convienne moins.

11 est vrai que la pluspart ont été baptizés dans nos Eglises, t't que ceux qui l'ont été dans les Temjiles sont censez avoir fait abjuration : mais il suffit d'avoir qu'elque connoissance du païs

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pour être persuadé qu'ils n'en sont pas pour cela meilleurs catholiques, et que leur eloignement pour l'Eglise n'a jamais été n'y plus vif n'y plus opiniâtre; on scait assôs de qu'elle manière cette prétendue conversion s'opéra sur la fin du siècle passé, et ce qu'un zele trop amer fit entreprendre contre les loix de l'Eglise pour flatter la pieté du feu Roy !

11 n'y a plus à la vérité n'y ministres n'y temples ou l'on fasse un exercice public de la religion prétendue reformée. A cette publicité près, les choses sont presque les mêmes. Dans les lieux oii les amandes sont exigées rigoureusement, les enfans viennent quelquefois à l'église, mais l'on connoit assés par leur dissipation et leur immodestie l'eloignement qu'ils puisent dans une éducation domestique contre la religion. Souvent même ceux a qui l'ingénuité de l'enfance ne permet poinl encore l'usage de la dissimulation, nous repondent dans nos visites, sur les élemens de la foy, comme s'ils etoient éleués à Genève. Dès qu'ils croyent pouvoir secoiier le joug des amandes, alors ils ne se gênent plus, et nous ne les re- uoyons à l'église que lorsqu'il est question de mariage; et après que le contract de mariage est signé, ils recommencent alors la même comédie qu'ils avoient joiié dans leur enfance : cela dure qu'elques mois après lesquels ils vont se joiier du sacrement de la pénitence, reçoivent la bénédiction du ma- riage, et disent un éternel adieu à l'église. 11 est inoiiy qu'au- cun d'eux se soit conuerty à l'occasion de ces épreuves . Si on les fait durer un peu trop longtemps, la cohabitation précède la bénédiction du mariage, et quand on veut les faire séparer, suiuant les règles, auant que de les marier, ils se dé- goûtent, viuent dans le concubinage, et ne paroissent plus à l'église. Ils ont une si grande répugnance a y venir, que bien des pères ne veulent pas même y accompagneur leurs enfans quand on les baptize, et que souvent nous avons besoin de l'authôrité des commandans pour les forcer a les y faire porter. Quand ils viennent ù tomber malades, les pasteurs sont les

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derniers a en ùtre informez, les parens cachent la maladie le plus qu'ils peuvent, et à les entendre ils meurent presque tous de mort subitte. Si le curé est informé de la maladie et qu'il insiste a vouloir voir le malade, il est loùjours mieux, ou bien il est dans le sommeil ou dans l'effet de quelque remède ; les notaires, médecins, chirugiens et apotiquaires que l'on souffre contre toutes les règles exercer les professions, sans être catho- liques, n'ont garde d'auertir du danger. Alors quelques uns des frères, plus souvent quelques femmelettes ignorantes se met- tent a exhorter la malade, ou a lui lire quelque liure protestant. Le malade meurt toùjours plein de confiance, et est enterré fur- tivement, sans que sa mort soit constatée par aucun monu- ment public, ce qui n'empêche pas que sa succession ne soit partagée, son testament exécuté, n'y que sa veuve se remarie.

On les suppose catholiques, parce qu'ils n'ont point d'exercice public de la religion protestantte; mais j'ôse auancer que dans bien des endroits il ne manque a cet exercice que la tolérance qu'ils auoient avant la révocation de l'edit de Nantes. Il se tient très souvent des assemblées, et elles ont été plus fréquente que jamais pendant les trois années de la guerre; quand le pais a été degarny de troupes réglées, les religionnaires en s'attrou- pant ne prenoient pas même la précaution de se cacher, ils n'alloient plus s'enfoncer dans les bois n'y dans les défilés de leurs montagnes, c'étoit aux portes des villes et a la vue des églises qu'ils s'assembloient. On connoit par nom et surnom plusieurs predicans qui roulent dans les Ceuennes et la Vau- nage, sans que malgré l'attention des commandans on ait pu les attraper, par les précautions que prennent les religionnaires pour les cacher ou les sauuer. Je scay par des voyes sures ce qui se passe dans ces sortes d'assemblées : elles commencent par le chant de quelques pseaumes de Marot suiuis de quelques prières a la mode des églises proiestanttes; le predicant fait en- suitte une espèce de sermon; ces sortes de gens n'ont pour l'or- dinaire n'y science n'y talent : ils prennent ce qu'ils disent daijs

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les discours imprimé des ministres ; quelquefois, comme ils réci- tent un sermon de quelque prédicateur aatholique qu'ils accom- modent a leur religion, ils y mêlent presque touiours qu'elques invectives séditieuses contre la religion catholique, quelquefois contre le gouuernement auqu'el il reproche la pretendiie ty- rannie qu'on exerce a leur égard, après quoy ils flattent le peu» pie d'une prochaine délivrance. On fait ensuitte courir un cha- peau, ou chacun met pour le predicant ce qu'il juge a propos. Ces sortes de questes vailent souuent plus de cent écus, et voilà le vrai motif qui engage ces sortes de gens à bazarder ce métier au risque de se faire pendre. Il est rare d'en trouuer parmi eux qui aient recù l'imposition des mains et la mission de quelque église protestantte : ce sont des libertins ou des feneans a qui la misère fait embrasser un métier si dangereux. La pluspart sont des François réfugiez en Hollande ou en Suisse; les plus sages parmi eux, après avoir amassé qu'elque chose, s'en re- tournent dans les pais étrangers.

Apres le sermon, il y a comme autrefois des anciens du con- sistoire qui font leur rapport du besoin des frères pour lesquels on fait une seconde quête; outre ces quêtes ou la contribution est volontaire, il y a une taxe sur tous les chefs de famille pour subueniraux dépenses communes. Cette taxe est proportionnelle et augmente ou diminiie chaque année; quoique les préposez a la recette n'aient point d'action pour l'exiger, on assure que cette taxe estbien touiours payée, etqueles fonds qui reuiennent au Roy pour la taille et la capitation resteroient plutôt en arrière.

On ne fait la Cene que dans les assemblées extraordinaires et dans le temps de f\aques : c'est pour cela que les troupes sont bien plus alertes alors pour courir sur les assemblées qui sont plus fréquentes et plus nombreuses. A la fin, onbaptize les enfans s'ils s'en trouue qui ne l'aient pas été, et on marie les parties qui se présentent, c'est ce qu'on appelle les mariages faits au camp de l'Eternel. Il n'y a guerre que la canaille qui s'en tienne à ces sortes de mariage, quoiqu'ils soient regardés

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comme bons par tous les réunionnai res, mais les personnes d'une certaine façon s'açlressent à l'église pour éuiter les peines portées contre les concubinaires et pour assurer l'état de leurs enfans.

Au reste ces sortes d'assemblées sont une source de dissolu- tion et de libertinage; comme elles se tiennent ordinairement pendant la nuit, la jeunesse de l'un et de l'autre soxo se sert de l'occasion qu'elles fournissent pour satisfaire de criminelles passions. On trouve dans ces assemblées des liures protestants qu'on fait venir des païs étrangers, et qu'on débittent a ceux qui en veulent achepter. Les anciens du consistoire, a qui les predicans s'adressent, indiquent les assemblées en faisant aver- tir de maison en maison.

Tels sont les prétendus nouveaux conuertis dans le bas Lan- guedoc et les Geuennes. Le nombre est à peù près le même qu'il etoit auant la révocation de l'edit de Nantes. 11 y a peu de famille qui se soient véritablement conuerties, et nous en comptons plusieurs d'anciens catholiques qui se sont peruer- tios ; et on cela la religion catholiijue souffre un desauentage réel depuis l'interdiction de la prétendue reforme : car, aupa- rauant, la poruersion étoitseuerement punie; on en auoit même ôté la principalle cause en delfendant et en déclarant nuls les mariages des catholiques avec les prétendus reformés ; au lieu qu'ailjourd'huy, sur le principe qu'il n'y a qu'une seule religion en France, la peruersion ne peut être constatée, et lesmariages se font librement entre des personnes qui, malgré la supposition qu'on veut bien faire, ont des sentimens tout opposez sur la religion. Or l'expérience nous apprend que de ces mariages mi parties les enfans qni en naissent prennent ordinairement la mauuaise religion. Elle est plus commode puisqu'elle ne gene en rien, et puis le penchant naturel au desordre et a l'indépendance y trouve mieux son compte. D'ailleurs, on a remarqué dans tous les temps, que ceux qui font profession d'une religion proscritte, ont toùiours plus de zele que les autres pour l'inspirer a ceux

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sur qui ils ont quelque authorité; il arriue que dans les lieux ou le' gros de la bourgeoisie est composé de religionnaires, les catholiques qui se trouuent en petit nombre, et des plus pauvres, s'éloignent insensiblement de l'eglisc par interest ou par com- plaisance. Le commerce et les manufactures sont entièrement aux gens de la religion : cela fait que les ouvriers et les arti- sans pour se procurer du crédit, de la protection, et de l'ou- urage se conforment a l'exemple de ceux de qui ils dépendent; de même les domestiques, surtout dans les campagnes, oublient bientôt la religion catholique qu'ils avoient pratiqué dans leur païs : on leur fait manquer les offices de l'église, ils ne peuuent l)ratiquer l'abstinence les jour marqués, on les fait travailler les fêtes; les catholiques eux-même qui trauaillent pour leur compte s'accoutument à ne plus observer de fêtes. L'exemple, le libertinage et l'enuie de gagner leur fait mépriser les loix de l'église quoiqu'ils fassent encore profession de catholicité.

Le nombre des religionnaires est plus considérable qu'on ne se l'imagine, aussi bien que l'étendue du païs qu'ils habitent. 11 suffit pour en juger d'examiner l'état des trois diocèses ou ils sont on plus grand nombre, à sçavoir d'Uzès, de Nîmes et d'Alais. Je ne parle point de ceux du diocèse .de Montpellier, de Viuarais, du Géuaudan et du Rouergue, cela n'est pas un objet si considérable dans ces differens endroits, et d'ailleurs je n'en ay pas une connoissance si certaine. Les trois diocezes dont je viens de parler sont composés de près de quatre cens paroisses , sur lesquelles il y a environ vingt cinq villes ou gros bourgs. L'étendue de l'orient a l'occident, c'est à dire depuis le Rhosne jusqu'au Rouergue, est de près de vingt cinq lieues du païs, qui en feroient quarante des enuirons de Paris ; il y en a presque autant du midy au septentrion, c'est à dire depuis Aiguemorte et la mer jusqu'au Géuaudan. Do ces quatre cens paroisses il y en a plus de deux cens entierrement composées de religionnaires, cent cinquante enuiron qui sont mi parties, mais ou les reli- gionnaires sont le plus riche et le plus grand nombre, et peut

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ùlrc cinquante qui sont censez entièrement catholique. On peut supposer quatre cens personnes par paroisses l'une portant l'au- tre, ce qui lait cent soixante mille araes dans les trois diocèses, desqu' elles il y en a bien par conséquent cent vingt mille do religionnaires. Si on y joiynoit ceux des enuirons, cela iroit a près de deux cent mille; que seroit-ce si on y comprenoit ceux du haut Languedoc, du Dauphiné, de la Xaintonge et du Poitou?

Cette multitude de gens dispersés dans tout le royaume, qui se croient injustement persécutés, a qui on ne cesse d'inspirer des sentimens de haine et de fureur contre l'égUse cathoUque et ceux qui la gouuernent, qui entretiennent des liaisons au dehors du roiaume par les liures qu'ils reçoivent et les predi- cans qui en viennent, qui y enuoient leurs enlans, et qui y ont presque tous des parens et alliés méritte sans doute une atten- tion particulière de la Cour. On ne peut pas dire il est vrai que leurs assemblées se fassent a main armée n'y qu'ils s'i rendent ))Our autre chose que pour l'exercice de leur religion; mais quand bien môme on n'auroit rien ù craindre pour le présent, pourroit-on répondre de l'auenir? 11 ne faudroit peut-être qu'une guerre, surtout une, les puissances protestanttes, pour voir se renouueller dans le cœur du Royaume les desordres dont on fut témoin au commencement de ce siècle. C'est un feu qui couuc et qui ne sera jamais bien éteint que par la reunion sincère de ces religionnaires a la foy catholique.

On en doit être bien conuaincu par les précautions qu'il faut prendre pour contenir le pais qu'ils habitent dans la tranquilité et la soumission, et il en coûte assez cher au Roy pour faire sentir l'importance de trauailler efficacement a les ramènera la foy de l'église. Il faut cinq ou six mille hommes de troupes réglées pour garder le bas Languedoc et les Ceuennes. Or quand la paix sera bien établie c(;s troupes seroient inutiles au Roy puisqu'il n'en aura besoin que pour garder les frontières du Royaume. Cette surcharge paroit encor mieux dans les temps de guerre, puisque outre les trouppes qu'on envoyé contre les

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ennemis de l'Etat, il faut encor que le Roy en entretienne dans le Royaume pour contenir ses propres sujets. Nous en auons un exemple tout récent, puisque l'on a été obligé de créer plu- sieurs bataillons d'arquebusier qui ont beaucoup coûté à l'Etat pour remplacer les troupes réglées qu'on a enuoyc pendant cette guerre en Allemagne et en Italie.

En effet malgré cette tranquilité apparente qui règne parmi les religionnaires, on s'apperçoit aisément, quand on les a pra- tiqué quelque temps, combien peu ils sont affectionnés au bien de l'Etat. L'amour de la patrie si naturel aux François semble entierrement éteint dans leurs cœurs ; on diroit que nos succès les attristent, et nous remarquions aisément quand on receuoit (ju'elques nouvelles de la prospérité des armes du Roy pendant cette guerre, que leurs sentimens sur ce point etoient fort diffé- rent de ceux des anciens catboliquos.

Une autre raison plus particulière aux ecclésiastiques qui leur fait souliaitter quelques reglemens de la Cour, c'est l'em* barras ils se trouvent au sujet des mariages de ces religion- naires. LesEuesques ont bien de la peine a concilier sur ce point les loix de l'Eglise avec le bien de l'Etat qui semble deman- der que les mariages soient facilités autant qu'il est possible. Or comment donner un sacrement de l'Eglise, et un sacrement qui suppose la grâce et une conscience pure, à des gens qui font profession de ne pas croire à l'Eglise, et qui ne donnent aucune marque de catholicité. La pratique sur ce point n'est pas uni- forme dans tous les diocèses ou il se trouve des Religionnaires. Partout on exige quelque temps d'epreuue, pendant lequel on instruit les fiancez, on exige cnsuitte une profession de foy, par laquelle ils disent qu'ils croyent tout ce que l'EgUse catholique, apostolique et romaine croit et enseigne, et qu'ils condamnent tout ce qu'elle condamne, et promettent de vivre et mourir dans cette foy. Cette épreuve est plus longue dans certains diocèses et plus courte dans d'autres. Icy la profession de foy se fait de viue voix, on l'exige par écrit. Partout on oblige les fiancés

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de ac présenter à confesse : bien entendu qu'ils se jouent de ce sacrement et qu'on ne leur donne jamais d'absolution.

Maisa parler ingénuement tout cela sembleun jeu, les epreuues longues ou courtes ne servent qu'a les aigrir plus ou moins, et ils ne font pas de difficulté de dire que c'est une vexation qu'on exerce a leur égard. Ils aprennent et repettcnt par routine quelques réponses aux principalles demandes de la doctrine chrétienne; leur présence a l'église et aux mystères qui s'y célèbrent ne font que les profaner par leur immodestie et leur manque de foy; la parole de Dieu deuient pour eux une source (le blasphèmes et de plaisanteries. En multipliant les sermens et les abjurations, on lait multiplier les parjures; et tout cela finit par quatre sacrilèges a scavoir la double profanation des sacremens de pénitence et de mariage pour l'une et l'autre partie.

On sent assez combien il est difficile de prendre un bon parti au sujet de ces mariages. Après avoir consulté la dessus les personnes les plus éclairées, nous nous trouvons encor exposez a de grands embarras et a bien des inquiétudes; l'unique moyen de remédier à tous ces inconueniens seroit de prendre des moyens plus surs et plus efficaces que par le passé, pour ra- mener ces religionnaires au sein de l'EgUse, et peut-être ne trouuera-t-on pas mauvais que je dise icy mon sentiment sur ce point. Un peu d'expérience, de fréquentes conversations avec les personnes les plus éclairées et les mieux au fait, une connoissance assez exacte des dispositions de ces reUgionnaires par la confiance que plusieurs d'entre eux m'ont témoigné, mais principallement les lumières que j'ai tiré de ceux que Dieu a ramené au sein de l'EgUse par mon ministère dans le cours de mes missions, principalement dans le diocèse de Nîmes, tout cela peut faire excuser la liberté que je prens d'ha- zarder icy quelques conjectures.

Mais auparavant il est à propos de faire connoitre qu'elles sont les dispositions des Religionnaires par rapport a leur reli-

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gion. Il y eu a peu qui y soient attachez par un véritable zele : la pluspart ne la connoissent seulement pas. 11 semble qu'ils n'aient hérité de leurs ancestres que cette haine envenimée contre l'Eglise et ses pasteurs, qui a toùiours fait le caractère des protestants; les ministres étrangers et les predicans qui courent le païs s'attachent plus à leur inspirer de l'horreur de notre religion qu'à leur enseigner la leur, ils nous dépeignent avec les couleurs les plus affreuses : c'est pour cela qu'ils nous regardent comme leurs plus cruels ennemis et comme les auteurs de tous leurs maux; ils croient que si les ecclésiastiques en etoient crû, ils seroient bientôt exterminez. J'ai été témoin de ces préventions quand j'ai occasion de leur parler en public ou en particulier. Je le faisois toujours avec toute la douceur possible, je les plaignois de n'être pas dans le bon che- min, j'ajoùtois que je ne pouuois cependant les blâmer de ne pas embrasser une religion qu'ils ne croyoient pas la véritable, qu'il n'etoit question que d'examiner qui d'eux ou de nous étoient dans l'erreur, que je m'ofl'rois d'eclaircir leurs doutes, avec tûutte la charité dont j'étois capable, mais qu'en attendant ils demeurassent tranquils, qu'ils se contentassent de prier Dieu dans leurs maisons sans s'attrouper, et que s'ils n'etoient pas encor enfans soumis de l'EgUse, ils fussent au moins bons ser- uiteurs du Roy; ces discours me faisoient regarder avec éton- nement, quelque fois même ayant employé mes prières et mon crédit pour détourner des punitions dont ils etoient menacez, on ne sauroit croire le bon effet que cela produisoit.

La pluspart ne tiennent a leur religion que parce qu'ils ont succé ces sentimens avec le lait, ou bien parce qu'ils auroient honte d'en sortir; l'éducation la leur a fait prendre, l'habitude et le libertinage les y entretiennent, ou bien s'ils sont ébranlez pour en sortir, la crainte et le respect humain les en empêche. Plusieurs m'ont souuentdit qu'ils voudroient avoir un prétexte assez fort pour pouvoir se mettre au-dessus des reproches et du

respect humain, et qu'alors ils ne balanceroient pas; d'autres y II 28

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tiennent par intorest ou par complaisance, peu enfin par des motifs de conscience.

Il n'est donc question que de rompre ces liens qui les atta- chent pour les voir revenir dans le sein de l'Eglise. Or la vio- lence n'y est nullement propre, il est inutile de le prouuer. La Cour semble l'avoir reconnu en se départant des voyes de ri- gueur qu'on auoit voulu d'abord employer. Apres tout il n'y a rien sur quoi la force ait moins d'empire que sur la façon de penser ; la religion se persuade, elle ne se commande point ; on peut bien employer la force pour arrêter les predicans et empê- cher les assemblées, parce que cela interesse le seruice du Roy etla tranquilité publique, mais obUger des gens de professer une Religion quils ne croient pas bonne, cela est contraire aux loix de l'Eglise, et ne seruiroit qu'a les aigrir davantage. En effet, l'entrée de l'Eglise doit être interditte aux excommuniez. Les loix de l'EgUse deffendent d'admettre à la célébration des saints misteres les cathecumencs et les pêcheurs publics, et l'on regar- deroit comme un acte de religion d'y trainor malgré eux des chrétiens qui sont censez excommuniez, soit pour croire des erreurs condamnées, soit pour n'avoir jamais satisfait au devoir pascal ! 11 est bien plus convenable de laisser aux ministres de l'Eglise la liberté d'en exclure ceux qui ne mérittent pas d'y assister, et de faire naitre en même temps a ceux-cy le désir d'y être admis.

Et voila, je crois, le moyen le plus doux, le plus conforme a l'esprit de l'Eglise et en même temps le plus efficace pour les ramener, qui est de leur faire souhaitter d'être mis au nombre des cathoUques, et de leurs faire regarder comme une récom- pense de leurs bonnes dispositions de pouuoir l'obtenir. Pour cela il n'est question que d'attacher à leur rehgion un carac- tère d'opprobre et d'infamie qui leur fasse souhaiter à eux- mêmes d'en sortir. On s'est déjà apperçù que ce moyen a eu un plein succez par rapport à la haute noblesse du Royaume qui. regardant la religion protestante comme un obstacle a sa for-

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tune et aux grâces du Prince, n'a pas tardé a la quitter, et l'on ne doit pas être en peine sur ce qui reste de gentils-hommes religionnaires, le nombre en est beaucoup plus petit qu'il n'etoit, et on doit attendre qu'il n'y en aura bientôt plus ; la noblesse se depaïse par le service ou par les charges, elle a honte de faire profession d'une religion proscritte, et qui semble n'être plus suiuiequo par quelque canaille, et dans deux ou trois géné- rations elle sera sûrement de la religion du Prince. On ne doit pas non plus s'embarrasser beaucoup de la vile populace; quand elle ne sera plus souteniie par l'exemple de la bourgeoisie, le besoin, la dépendance, le penchant qu'elle a do se conformer à l'exemple des autres la fera pareillement rentrer en foule dan? l'Eglise.

Il ne s'agit donc que de cet état mitoyen qui est entre la nô- blesseet le bas peuple et qui compose la bourgeoisie. Or, sans rien statuer de nouueau, il semble qu'il suffiroit, conformément aux Edits et Déclarations, de priuer de tous grades, charges, emplois, offices publics, ceux qui ne feroient profession ouvertement de la religion catholique, apostolique et romaine; il conuiendroit encor d'y comprendre les bouchers et cabaretiers et autres qui débitent de la viande affin que les loix de l'Eglise ne fussent pas violées par rapport a l'abstinence, aussi bien que les chiru- giens apotiquaires et sages femmes attendu la qualité de leur profession, et pour cela qu'on deffendit aux universités d'ac- corder aucun grade, soit en droit, soit en médecine, qu'on ne leur eut fait apparoir d'un certificat de catholicité ; qu'on fît pareille deffense aux seigneurs justiciers d'instituer des juges, lieutenans, procureurs fiscaux, greffiers, notaires, etc., qu'il ne leur eut été exhibé un pareil certificat, duqu'el il seroit fait men- tion dans les lettres ou prouisions qu'il seroient expédiées a peine de confiscation de la justice ; mêmes delïenses aux maires et consuls pour les officiers des hôtels de ville, et aux lieute- nans depoHce et syndics des communautez, pour les bouchers, cabaretiers, chirugiens et apotiquaires, etc. Si ce règlement étoit

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exécuté, il opercroit infailliblement un grand changement; car les parens qui voudroient pourvoir leurs enfans de quelques charges auroient un prétexte suflisant pour secouer le joug du resj)ect humain qui les retient presque tous; il pouroit bien iirriuor que ces enfans n'en scroient pas meilleurs catholiques dans le cœur, mais à la seconde ou troisième genehations leurs descendans scroient tous comme les autres. Les religionnaires ne pourroient pas se plaindre de cette loy. Car outre qu'elle n'est pas nouuelle, elle ne force personne, elle n'exclue pas même nommément les religionnaires, parce qu'on doit toujours supposer qu'il n'y a qu'une religion en France, elle fait seule- ment connoitrc que la volonté du Roy est qu'on donne des mar- ques publiques do catholicité pour pouvoir exercer une charge ou un emploi puIjUc. Par là, ceux qui ne voudroient pas donner ces prennes extérieures de religion seroient réduits au seul commerce, ou a ne rien faire; et ainsy on s'accoutumeroit peu à peu à les confondre avec les juifs.

Or, la preuun de la catholicité seroit de fréquenter l'église, et d'avoir satisfait au devoir pascal. Mais comme on peut être bon catholique et mauvais chrétien, et qu'on peut auoir de bonnes raisons pour manquer à la communion pascalle il sufiiroit que le certificat portât qu'on y eut satisfait depuis trois ans. Ces certificats seroient délivrés par les curez des parties : mais pour éuiter l'abus et la connivence, il seroit a propos que les curez fissent un catalogue de tous ceux qui se seroient présentés à la communion, que ce registre fut signé de lui et du juge, et qu'un double conforme en fut envoyé au secrétariat de l'euesché trois mois après Pâques, que ces certificats ne fissent foy qu'au- tant qu'ils seroient affirmés véritables par deux témoins dignes de foy et anciens catholiques qui attesteroient l'assiduité à l'é- glise, et qu'autant qu'ils seroient légahsés parfevêque diocésain ou son grand vicaire afin qu'on fut a portée de vérifier sur le double qu'on auroit si ces certificats contiennent vérité.

Ceux qui sont issus de familles religionnaires, et qui exercent

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actuellement les professions susdittes, seraient tenus de rap- porter dans six mois de pareils cerlilicats a peine d'interdiction» avec ordre aux seigneurs, juges royaux et autres, aux maires, consuls, etc., de tenir la main à ce règlement, a peine d'en répondre en leur propre et priué nom.

Quoiqu'on ait dit cy dessus qu'il ne paroissoit pas conuenable de forcer personne ù venir à l'église, il semble que cela ne doit regarder que les personnes qui, par leur ag'?, sont censoz on état de se décider par elles-mêmes sur la religion qu'elles veu- lent professer ; ainsy il paroit a propos continuera exiger que les enfans viennent aux instructions, a peine d'amende contre les pères et mores, comme il se pratique.

On peut encore suiure la disposition de l'article sixième de la déclaration de 1724 au sujet des mariages, et ordonner en conséquence que les eiifans, qui n'auront point frôquontés l'église jusques à l'âge de quatorze ans, ne seront point admis par los curez à la bénédiction du mariage, que pour cela ils tiendront un registre de tous les enfans de leurs paroisses qui se trouue- ront dans le cas, et qu'ils marqueront année par année si les- dits enfans sont exacts ou non : mais comme il y a trop de rigueur à priuer pour toujours de la bénédiction du mariage les enfans qui n'auroient point assisté à l'église, on pourroit remet- tre à la prudence des evêques de régler le temps de leurs épreuues et instruction quand ils se présenteroient pour le mariage, lequel temps ne pouroit être plus court que d'un an, comme il se pratique dans le diocèse d'Alais. Il y a apparence que si on exécutoit exactement le règlement proposé au sujet des charges et offices publics on no seroit pas a la peine de régler ces épreuues, parce que selon les apparences on enuoiroit exactement les enfans à l'Eglise.

Gomme une des principalles sources de l'obstination des reli- gionnaires est l'éducation protestantte que les enfans vont pui- ser dans les païs étrangers sous prétextes d'affaires, d'y aller voir leurs parons, ou d'y apprendre le commerce, il faudroit que

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cela fut sévèrement deffendu, qu'on n'en accordât que très difficilement la permission, que les parens fussent tenus de les représenter quand ils on soroiont requis et qu'il fussent rendus responsables do leuréuasion en leur propre et privé nom.

Il arriue encor fréquemment que des étrangers de la religion protestantte viennent s'établir dans les païs religionnaires du roïaume en qualités d'ouuriers, artisans, négotians, commer- çans, ou d'agens des marchans étrangers, et comme ils sont au fait de l'exercice de la religion prétendue reformée, leur com- merce ne peut c^tre que très préjudiciable à la conuersion de nos religionnaires; c'est pourquoi il est d'une extrême consé- quence de ne laisser établir dans le pais que des personnes qui puissent prouver leur catholicité.

Les concubinages occasionnés par le delay de la bénédiction du mariage, ce qui est très fréquent, aussi bien que la persécu- tion des anciens catholiques doivent être seucrement punis. Pour y remédier, il conviendroit d'ordonner aux procureurs du Roy, ou des seigneurs, que sur la dénonciation qui leur seroit faitte par les curez ou les promoteurs que tel et tel cohabittent ensemble sans être mariez, ou qu'un tel de famille ancienne catholique a cessé de fréquenter l'église et n'a point satisfait depuis trois ans au devoir pascal, ils eussent a remédier a ces desordres à peine d'interdiction.

Pour couper court à l'obstination des religionnaires, l'essen- tiel seroit d'empêcher les assemblées, et pour cela de capturer les predicans. Il n'est pas de mon ministère d'en indiquer les moyens, mais ceux qui ont l'authôrité en main dans la province, scâuent assez qu'il ne faudroit pour cela qu'un peu de dépense pour être auerty a propos : ces frais ne seroient point à charge à l'Etat, parce quils pourroient être pris sur les fonds des amandes qu'on tire des enfans qui manquent aux instructions.

L'expédient des arrondissemens qu'on a imaginé depuis quel- ques années, par lequ'el on a joint plusieurs paroisses ensemble en les rendant solidairement responsables des assemblées qui se

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tiendroient dans l'étendue de l'arrondissement, paroit encor très bon ; mais pour en tirer plus d'avantage, il faudroit que l'intérêt engageât quelqu'un de ceux qui sçavent ces assem- blées à en venir donner advis assez à temps pour qu'on les put surprendre. Ces moyens mis en pratique et ponctuellement exécutés opéreroient selon les apparences un grand change- ment dans quelque temps, mais il faudroit qu'on tint la main à leur exécution, autrement l'authorité du Roy se trouve com- mise, et l'opiniâtreté se fortilie. Il n'y a dans tout cecy aucun règlement nouveau, et ce sont les plus modérez de ceux qui ont été déjà faits qu'il est question de remettre en vigueur; on au- roit lieu d'en espérer encor un succez plus aljondant, s'ils étoient partout également soutenus par le zole et les trauaux des occlo- siastiques. 11 y a des cantons ou l'on remarque des dispositions plus favorables pour rentrer dans le sein de l'Eglise, tels sont plusieurs endroits du diocèse de Nimes. Nous en avons plus ramené à Saint-Gille et à Sommicres que dans touttos les au- tres missions que nous avons faittes ailleurs. Les religionnaires y sont plus dociles, ils écoutent avec attention ce qu'on leur dit, ils n'ont pas un si grand éloignement de l'église, ils aiment la parole de Dieu, même annoncée par les ecclésiastiques; ainsi, en les traittant avec douceur et charité, on peut tout attendre de ses trauaux; si Dieu donne à ce diocèse un éuéque qui ait du zele, de la capacité, de la douceur, qui aime le trauail et qui soit en état de payer de sa personne, je repondrois bien que dans peu la religion y feroit de grands progrez.

Nos religionnaires des Geuennes ne sont pas à beaucoup près si dociles. Il semble que le païs sauvage qu'ils habittent influe sur leur caractère ; d'ailleurs, comme les villages ne sont pas ramas- sez comme dans la Vannage, et que les paroisses tiennent une étendiie immense de pais impraticable, on ne peut pas les assem- bler pour leur parler et les instruire, ainsy on ne peut pas y trauailler avec autant de succez que dans le plat païs,

fArchives nationales, TT. 322.)

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IX

LETTRE DU COMMANDANT DE PERPIGNAN A l'iNTENDANT A Perpignan, le 22 aousl 1733.

Monsieur , il y a quelque temps qu'on parle dans le pays de Foix de predicant, d'asseml)lées, de Religionnaires et de leurs mouuements. J'ay eu l'honneur de vous en informer et je vous ay marqué par ma lettre de 4 may dernier que je ne voyois aucune preuue certaine n'y sur ces assemblées n'y sur le pre- dicant, qu'on disoit seulement qu'il y auoit des assemblées et que vraysemblablement il y auoit un chef, mais qu'on nes'acor- doit n'y sur le lieu ny sur les circonstances. Cependant j'en- voyay des lors par précaution une brigade de mareciiaussée au Masdazil ou elle est encore, La chose deuient à présent plus sérieuse, et il me renient de plusieurs endroits que les as- semblées sont réelles et qu'elles se tiennent àune lieue du Mas- dazil dans la jurisdiction de Gabre, paroisse située en Langue- doc. J'en ay donné avis à M. de Bernage, et j'ay l'honneur de vous enuoyer ci joint les copies de cinq procès verbaux qui m'ont été adressés par mes subdelegués et par le lieutenant de la maréchaussée : leur lecture vous feraconnoitre, Monsieur, que ces gens la se sont assemblées en grand nombre les nuits du 30 au 31 juillet et du 4 au 5 de ce mois.

Quoy que dans le nombre de ceux qui sont nommés dans ces procès verbaux l'on ne remarque aucune personne de considé- ration et .que ce sont tous gens du bas peuple suivi de plu- sieurs femmes et enfans, je crois neantmoins qu'on ne doit rien négliger pour dissiper cette canaille dont on m'assure que la plus grande partie est armée. Ces mouuements peuvent tirer a conséquence, le pays de Foix est voisin de la partie du haut

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Languedoc qui confine aux Seuennes; s'il y a de l'intelligence entre les Religionnaires de ces deux prouinces, comme on peut le présumerais seroient en état de se donncr la main, et je tiens qu'ils conuient mieux d'y remédier plustost que plus tard.

L'insolence avec laquelle on a été à ces assemblées me paroit une marque que ces gens la leuent le masque; nous n'avons point de troupes en Roussillon, les quartiers de celles qui sont en Languedoc sont fort éloignez du pays de Foix et les trois brigades de maréchaussée qui y font leur résidence ne sont pas en étatrde les contenir.

J'ai hezité jusques a présent sur le parti que l'on pouvoit prendre dans cette occasion; j'ay pensé qu'il soroit d'une dangereuse conséquence, dans la conjoncture présente des aft'aires, de faire un éclat et qu'il étoit seulement question d'obseruer les mouuements de ces gens la qu'il falloit laisser en repos, tant qu'ils n'agiroient pas ouvertement contre les ordres duRoy ; mais je crois qu'aujourd'huy il convient d'en user autrement et que, si l'on demeuroit dans le silence, ilsendeuien- droient plus hardis et plus téméraires. Dans ce point de veiie j'ay donné ordre au lieutenant de la maréchaussée de faire en sorte d'arrêter le predicant et les trois particuliers du Masdazil que l'on dit avoir été le chercher a Montauban. Ils sont nom- més dans le procès verbal des consuls dud. lieu du 5 de ce mois. Si on peut les atraper, je les feray interroger afin de faire en sorte de découvrir quelque chose des projets de ces gens la.

11 me paroitroit bien à propos de les faire désarmer, mais peut on faire cette opération sans troupes, et trois brigades de maréchaussée pourront elles y parvenir? je mande cependant aud lieutenant de la maréchaussée d'y procéder. autant qu'il croira pouvoir le faire sans exposer sa petite troupe.

Les assemblées iUicites auec port d'armes sont de la com- pétence des prévôts ce lieutenant m'a demandé la permission : d'informer de celle cy ; je luy ay marqué que cette procédure me paroissoit quant a présent prématurée et je ne vois pas

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qu'elle pùt produire un grand effet. Il faut quelque chose de plus fort pour arrêter les gens de cette espèce, et j'estime que deux escadrons do caualerie ou de dragons logés dans les paroisses du Masdazil, Sabarat, Camarade, Les Bordes, Le Caria, Sauer- dun et Mazeres feroient plus d'eflet que toutes les informations qu'on pourroit faire. Cette troupe contiendroit les Religionnaires et rassureroit les anciens catholiques, et il me paroit que c'est le seul objet auquel on doit s'atacher pour conseruer la tran- quillité dans ce pays la, d'autant mieux que nous ne voyons point que les Religionnaires qu'on dit être armés ayent fait au- cun désordre. 11 n'a été encore question que de ces deux assem- blées dont j'ay la preuve, et ou il paroit qu'il ne s'est trouué que de la populace.

J'informe M. Dangeruilliers de ce que j'ay l'honneur devons marquer enfin de le prévenir sur les troupes que je propose d'envoyer.

Je suis avec respect, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Jallaiz.

(Archives nationales, TT. 322J.

N" X

LETTRE DU PROFESSKUR POLIER A PAUL RABAUT

7 mars 1740.

Monsieur et cher frère en Jésus-Christ notre Seigneur,

Il a falu attendre la réponse de nos amis au sujet de la de- mande que vous faisiés dans vôtre lettre à M. G..., et cette ré- ponse n'est arrivée que la semaine dernière. Je commencerai par vous en faire part : Elle porte donc « que l'on consent à çe que vous vous rendiés dans cette ville pour perfectionner

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vos ôtudes; mais qu'il faut attendre à partir qu'il y ait uno place vacante par le départ de quelque autre; autant pour ménager les fonds destinés à cet usage, que pour ne pas laisser voir dans nôtre Académie un trop grand nombre à la fois de candidats du Désert. Il ne faudra donc se mettre en chemin qu'après l'arri- vée au pays de celui qui doit faire place. L'on souhaitte de plus qu'il n'en vienne qu'un à la fois, par les mémos raisons que cy- dessus : chacun pourra avoir son tour; ensuite que celui qui viendra soit muni d'un consentement de ses supérieurs et d'un témoignage qui fasse foi que c'est un bon sujet, propre pour l'emploi auquel il est destiné; enfin qu'il ne se propose pas d'apprendre icy le latin ni d'y ol)tenir l'imposition des mains, ni de servir d'autres Eglises que celles du Désert, mais qu'il se dispose à s'en retourner, dès qu'il sera appelé, et tout au plus tard au bout de deux ans. » Si c'est vous, Monsieur, qui soyés le premier à profiter de cette permission, vous pourrés nous en donner avis à M. Court ou à moy, et l'on vous fera savoir aussi le tems précis auquel vous pourrés partir. Tout ce que j'ai oui dire d'avantage sur vôtre compte m'a deja prévenu en vôtre faveur, et je me ferai un plaisir, pendant vôtre séjour icy , de vous être de quelque utilité pour vos études, vous offrant d'avance tout ce qui dépendra de moi à ce sujet. Je n'attendrai pas même à ce tems à vous édifier et vous dire ma pensée sur les doutes ou les difficultés que vous pourriés avoir. La question que vous me proposés dans vôtre lettre m'en fournit une occasion toute na- turelle. Et comme M. R. a aussi souhaitté que je lui disse mon sentiment sur ce sujet, je vous repondrai à peu près dans les mêmes termes que je l'ai fait en lui repondant. Je remarquerai d'abord que vous diflerés un peu dans la manière dont vous proposés cette question. L'un demande s'il faut adorer la nature humaine de Jésus-Christ et lui rendre les mêmes hommages qu'à sa nature divine, et l'autre, les considérant comme insepa- ral)les, demande si l'on ne doit pas adorer Jésus-Christ comme Dieu et homme tout ensemble, c'est-à-dire comme nôtre me-

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diateur. Or, selon que l'état de la question sera établi, la ré- ponse doit être dillerente : car autres sont les hommages qu'on doit rendre à Jésus-Christ comme un simple homme, autres ceux qu'on doit lui rendre comme Dieu, et autres enfin ceux qui doivent le regarder comme médiateur. Après cela, je crois qu'il faut encurbien définir le terme d' adora ton qui n'est propre- ment qu'un acte d'honneur et de respect, le plus grand qu'on puisse rendre à celui qui en est l'objet, soit par les idées que l'on fait de ses attributs et perfections et par les sentiments que ces idées produisent en nous, soit par les signes extérieurs que nous en donnons : d'où il suit que, quoique l'Ecriture sainte se serve du même terme pour exprimer ces actes intérieurs et extérieurs qu'elle nomme adoration, il faut l'expliquer diflé- remment suivant les idées et les sentiments de ceux qui s'ac- quittent de ce devoir et suivant l'objet de cette adoration. Autre est l'adoration civile que l'on doit rendre aux rois et aux grands de l'Orient et dont nous avons un grand nombre d'exemples dans le Vieux et dans le Nouveau Testament, et autre l'adora- tion que l'on appelle religieuse, parce qu'elle fait une partie essentielle delà Religion. Quand, par exemple, il est dit des Ma- ges, Matth. 11, 2, 11, qu'ciils étoient venus pour adorer le roi des Juifs nouvellement né, » et ensuite qu'wils adorèrent l'enfant Jésus comme tel» : peut-être faut-il l'entendre d'une adoration purement civile, comme le titre de Roi des Juifs semble le prouver ; mais supposé que les Mages, instruits par une révé- lation divine que l'on ne peut leur refuser à quelque égard, aient voulu s'acquitter envers Jésus-Christ de quelque honneur reli- gieux, il est du moins constant qu'ils ne vouloient pas l'adorer comme Dieu. J'en dis de même de divers malades et autres personnes qui voyant les miracles de Jésus-Christ se proster- noient devant lui ou l'adoroient (car c'est le même terme). Voy. .entr' autres Matth. VIII, 2; IX, 18; XIV, 33; XV, 25; XX, 20 ; XXVIil, 9, 17, etc. Dans tous ces endroits là, Jésus- Christ l'objet de cette adoration n'y est considéré que comme

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un prophète illustre par ses miracles, ou comme le Messie, ou comme une personne qui méritoit un honneur plus grand que celui que l'on rend d'ordinaire aux hommes; mais il n'y a au- cune apparence que c'étoit à sa divinité propre que l'on ait voulu rendre ce culte ou ces hommages ; car quoiqu'il ait été appellé dans l'un de ces endroits, Matth. XIV, 33 : Le fils de Dieu, ce titre no désigne que le Messie, ou tout au plus une per- sonne favorisée de Dieu d'une façon particuhère, ou qui a quel- que qualité divine.

Ces éclaircissements pourroient suffire pour la décision de la question proposée, en y ajoutant que la nature humaine de Jésus-Ghrit a été élevée par son union à la divinité à un si haut degré d'honneur, d'autorité et de perfection, qu'elle mérite bien un culte, une adoration et des hommages supérieurs à tout autre homme ou créature que ce puisse être. Mais, pour re- pondre plus positivement à cette question, je ne ferai pas diffi- culté de dire, que comme Jésus-Christ doit être invoqué en qualité de Médiateur, il mérite aussi, en la même qualité, nos adorations et nos hommages, puisque l'invocation est un culte plus religieux que l'adoration et qu'elle la suppose. De plus, il y a divers passages exprès qui attribuent à Jésus-Christ un hon- neur et une adoration semblable à celle que l'on doit rendre k Dieu, quoique ce ne soit pas sous cette qualité que ces passages les lui attribuent. Ainsi, quand il est dit, Jean Y, 22, 23, que « le Père ne juge personne, mais qu'il a donné tout jugement au Fils, afin que tous honorent le Fils comme ils honorent lo Père, » il est manifeste qu'il s'agit d'un honneur au Fils en qualité de médiateur, et non parce qu'il était Dieu. Ces paroles : « que le Père a donné tout jugement au Fils, » le prouvent déjà; mais celles qui, 25, 27, le confirment à n'en pouvoir douter, savoir, qu'il lui a donné ce pouvoir déjuger, « parce qu'il est le Fils de l'homme, » c'est-à-dire parce qu'il est le Messie, ou bien parce qu'il s'est abaissé jusques à revêtir la nature humaine pour nous sauver. Cela paroitra encore mieux, par ce que dit

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saint Paul, Philip. II, 8, U, 10, 11, l'on voit : Que Jésus- Christ doit être adore, puisque « tout genou doit se fléchir de- vant lui et toute langue confesser qu'il est le Seigneur; » Qu'il doit être adoré, parce que Dieu lui a donné un nom ou une di- gnité, au dessus de tout nom ou de toute dignité, en con- sidération de son abaissement et de ses souffrances; et enfin que cette adoration doit être suljordonnée à celle qui est duc à Dieu, puisqu'elle "doit tendre à sa gloire. D'o9 je conclus que, (juoique les créatures par elles mêmes ne puissent ou ne doivent pas être l'objet de nôtre culte et de nos hommages reli- gieux, et, par conséquent, de nôtre adoration telle qu'elle est due à Dieu souverainement et absolument, cependant Jésus- Christ a été tellement exalté dans sa nature humaine au dessus de toute créature, par son emploi de médiateur, qu'il mérite à cet égard l'hommage de tous les hommes, et que Dieu a voulu qu'on lui rendit à cet égard une adoration sinon souverame et égale à celle qui est duë à la Divinité, au moins semblable, su- bordonnée et inférieure à celle-là et qui se rapportât à la gloire de Dieu.

Si l'on objecte les paroles de Jésus-Christ au démon, Matth. IV, 10, il est aisé de répondre que Dieu seul e«t digne par lui-même de cette adoration religieuse et suprême, et qu'on ne doit rendre cet honneur à aucune créature, pas même dans un degré inférieur, sans un commandement exprès de sa part; mais qu'il ne s'en suit pas de que Dieu n'ait pu communiquer cet honneur à son ûls considéré comme médiateur, envoyé de sa part et revêtu de la nature humaine, surtout si c'est un honneur inférieur à celui qui est à Dieu le Père, outre que dans le passage dont il s'agit, Jésus-Christ oppose l'adoration que le démon exigeoit de lui à l'adoration qui n'est due qu'à Dieu seul, et que lui-même ne devoit rendre qu'à Dieu.

Si l'on réplique que l'adoration, prise dans un sens absolu, suppose des attributs et des perfections dans celui qui en est l'objet, qui sont incommunicables à la créature, je conviendrai

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qu'à l'envisager sous cette idée, l'adoration suprême et absolue n'est due qu'à Dieu par sa nature; mais cela n'empêche pas que Dieu ne puisse communiquer à quelqu'une de ses créatures et à la nature humaine en particulier, un 'degré de perfection et de gloire qui la rendent digne d'une adoration subordonnée de la part des hommes. Et telle est celle que l'on doit à Jésus- Christ considéré simplement comme médiateur entre Dieu et les hommes, et qui est appelé en cette qualité, Jésus-Christ homme, 1 Timot. V, 5.

N" XI

COPIE DE LA LETTRE DU NOMMÉ COURT, MINISTRE DE La RELIGION PRÉTENDUE RÉFORMÉE, ÉCRITE A M. DE LA DEVÉZE (17-14}.

Monseigneur, c'est avec la plus vive douleur que j'ai été in- formé qu'en donnant une intrépretation sinistre à mon retour en France, on m'a taxé d'être venu y apporter le flambeau delà rébellion.

Une accusation aussi affreuse et aussi contraire à mes sen* timens m'oblige d'exposer aux yeux de Votre Grandeur la conduite que j'ai teniie pendant le cours de l'exercice de mon ministère dans ce royaume, ma retraite aux pays étranger, et le motif de mon retour.

A peine eus-je atteint l'âge de raison que je fus témoirt de l'horible et sanglante scène que les camisars donnèrent dans cette province, je gémissois de leurs égaremens sans pouvoir y remédier.

Leurs principaux chefs désarmés par la douceur de M. de Villars et la clémence de Louis le Grand, ou détruits par la juste sévérité des peines qu'on leur infligea, cette détestable troupe de rebelles fut dissipée; mais le fanatisme enfanté par l'ignorance regnoit encore parmi ces rebelles dispersez, se pro-

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duisoit dans leurs assemblées secrcttcs, et sembloit n'attendre qu'une occasion, et un chef, pour rallumer lo feu de la rébellion.

Pour prévenir ce malheur, Je résolus d'éclairer ces esprits té- nébreux et indociles de la lurnicre de l'Evangile, dont les di- vins préceptes eont le plus ferme appuy des souverains. Je commençai cet important ouvrage en l'année 1713. Je m'intro- duisis dans leurs assemblées, j'y vis avec horreur des gens se disant ou se croyant inspirés du Saint-Esprit et (îes femmes même érigées en prédicateurs, je me conciliai la bienveillance du peuple en lui adressant la parolle, et avec de médiocres ta- lens, dans un ago peu avancé, je fus écouté avec attention et suivi avec empressement. Après avoir fait ces premiers progrès dans les cœurs, sans aucun caractère, je me préparai a obtenir un mission légitime; revêtu de cette mission, je m'associai des compagnons dans le ministère, et de concert avec eux je for- mai plusieurs Eglises sur la discipline qui etoit en vigueur avant la revocation de l'Edit de Nantes : le culte fut rétabli dans sa pureté, la saine morale prechée, le fanatisme éteint et l'es- prit de révolte anéanti.

En l'année 1719, M. le duc d'Orléans regent envoya dans la province un gentilhomme du Dauphiné pour nous informer des mouvemens que se donnoit le cardinal Alberoni pour soulever les protestans en faveur de l'Espagne, et nous aprendre qu'un nommé Scipion Soulan s'étoit promis de favoriser les desseins de l'Espagne. Au bruit de cette nouvelle je fis assurer S. A. R. de la part des protestans d'une fidélité inviolable pour Sa Ma- jesté, et que, loin d'écouter les insinuations séditieuses de Sci- pion Soulan, ils seroient les premiers à l'arrêter et à devenirs ses accusateurs.

En l'année 17-23, les nommés Vesson et Hue surnommé Mazel, predicans qu'on avoit chassés du corps des pasteurs, l'un pour être fanatique, l'autre pour des opinions contraires a la religion chrétienne, furent pris à Montpellier et condamnés au derniers suplice.

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Après leur exécution, M. de Bernage pere,lors intendant de cette province, écrivit une circulaire à ses subdelegués par la quelle il les chargeoit de faire proposer à ceux qui prechoient dans le désert que s'ils vouloient sortir du royaume il leur donneroit des passeports.

Cette proposition m'ayant été faite, je fis dire à M. de Ber- nage que si l'on connoissoit les services que mes collègues et moi rendions à l'Etat, en instruisant le peuple et l'affermissant dans les devoirs de bons et fidèles sujets que nous leur incul- pions et répétions sans cesse, bien loin de nous offrir des passe- ports, on travailleroit à nous retenir dans le royaume et on nous empecheroit de sortir.

En l'année 172(3, je renouvellai les assurances de la fidé- lité des protestans dans une lettre que j'ecrivois en leurs noms à M. de la Fare commandant de la province.

En l'année 1729, tout le peuple étant effermi dans la religion et dans les préceptes de soumission aux souverains qu'elle pres- crit avec tant de force, et ayant un nombre suffisant de pasteurs pour le maintenir dans l'observation de ces préceptes, je me re- tirai dans le pais étranger.

Peu d'années après, il s'éleva des dissentions sur certains points de la discipline entre l'un des pasteurs de cette province et quelques-uns de ses collègues; un grand nombre de fidelles prenant part à ces discutions formèrent deux partis dont l'ani- mosité réciproque etoit prette à éclater d'une manière scanda- leuse.

J'employai d'abord ma plume à faire cesser ces dissentions, mais n'ayant pu y parvenirpar mes écrits, voyant la guerre s'allu- mer dans l'Europe et la France enveloppée dans cette guerre, je craignis que cette désunion qui etoit dans les Eglises de cette province n'y causât quelque trouble contraire au bien de l'Etat, et je me flatai que ma présence et mes bons offices pourroient prevenirs ces malheurs.

Je n'ai point été trompé dans mon attente, Monseigneur. Ar- II 29

450 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

rivé depuis peu de mois dans cette province, a peine ai-je par- couru rapidement les lieux ou regnoit la discorde, que les deux partis ont donné leurs intérêts à des arbitres dont ils sont con- venus et du nombre desquels je me suis trouvé.

Un jugement de conciliation authorisé par un sinode national et acquiescé par toutes les parties intéressés a réuni tous les esprits, rendu la paix à nos Eglises, et assuré la tranquilité pu- blique à cet égard.

Je m'occupe à présent. Monseigneur, à faire publier cette paix dans tous les lieux dont elle avoitété bannie, et à l'affermir dans tous les cœurs des pasteurs et des Ddelles par mes exhortations, et à prier le Seigneur qu'il rende cette paix aussi durable que solide.

Cet objet quoi qu'intéressant n'a pas rempli toutes mes vues, les circonstances de la guerre m'ont inspiré le dessein de por- ter nos Eglises à faire des reglemens de discipline, pour incul- per de plus en plus aux pasteurs et aux troupeaux la fidélité qu'ils doivent à leur souverain, les vœux (ju'ils sont obligés de faire pour la conservation de sa Sacrée personne et la prospé- rité de son règne, et pour tous ceux qui sont revêtus de son authorité; mais je leur dois cette justice qu'ils ont prévenu à cet égard mes éxhortations et rendu mes précautions inutiles, que leur inclination secondant leur devoir à cet égard, je n'ai eu que des applaudissemens à leur donner, et qu'ils n'ont pas même besoin qu'on leur recommande la persévérance dans un devoir qui est profondement gravé dans leur cœur.

Je les ay trouvés tous disposés à sacrifier leurs biens et à verser jusqu'à la dernière goûte de leur sang pour le bien et l'a- vantage de l'Etat et pour l'honneur de la gloire de Sa Majesté.

Les ministres qui prêchent parmi eux ont les mêmes senti- mens, ils rapellent sans cesse aux peuples qu'ils instruisent leur devoir à cet égard.

Les assemblées, qu'ils convoquent pour rendre à Dieu un culte qui lui est du et qu'ils regardent aussi comme un devoir

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 451

indispensable, ne sçauroient faire de la peine, elles ne sont point incompatibles avec les devoirs des fidelles sujets. Les premiers chrétiens qui furent les sujets les plus fidelles qu'eu- rent jamais les Empereurs s'assembloient pour prier Uieu, pour participer aux misteres de leur religion et pour s'instruire de leurs devoirs, et par ces assemblées ils conservèrent la pureté de leurs mœurs et de leurs doctrines, ce qui força leurs en- nemis même à leur donner des louanges.

Les protestans du royaume suivent l'exemple de ces saints personnages, leurs assemblées ont les mêmes objets et les mêmes motifs; on ne voit pas que l'Eglise ait jamais fait aux premiers chrétiens un crime de leurs assemblées religieuses ; les sujets du roi seroient-ils plus coupables qu'eux? Il est trop reli- gieux , il est trop équitable, notre invincible monarque, et le digne pere d'un peuple dont il fait le délice pour empêcher que des sujets fidelles ne rendent à Dieu leurs hommages et ne le ser- vent de la manière qu'ils croyent lui être la plus agréable; il sçait que la rehgion est le plus fort lien de la société civile, et que sans elle il est impossible qu'elle puisse se maintenir.

En effet, Monseigneur, ôtés la crainte de quelque divinité, plus d'obligation de confiance, plus de gage de la vérité et de la justice, et par conséquent plus de confiance mutuelle entre les hommes, car comment se fier a une personne, l'en croire sur sa parolle et lui confier ses intérêts, si on n'a pour garant de sa fidélité que la force des loix humaines desquelles il croira pouvoir se soustraire, et s'il n'a pas à craindre des peines qu'il ne sçaurait éviter ? Comment un souverain peut-il se reposer sur la fidélité de ses sujet sans religion? ils ne lui demeureront fidelles qu'autant qu'ils croiront que leur intérêt particulier le demandera ou qu'ils seront retenus par la crainte de sa puis- sance.

C'est précisément le cas dans lequel se trouveroientun grand nombres des sujets du roi sans les assemblées religieuses dont je parle. Nés dans une religion dont ils ont succé les principes

452 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

avec le lait, il est bien difficile de déraciner de leurs cœurs ces préjugés et de leur faire embrasser sincèrement une autre reli- gion. 11 resuite pour l'ordinaire que n'en connoissant bien au- cune, ils se livrent à l'irréligion et s'abandonnent à tout ce qui peut favoriser leurs passions ; il n'est pas moins dangereux de leur ôter les moyens de s'instruire des devoirs de la religion dans laquelle ils sont nés, dès que ces devoirs ne tendent qu'a leur bonheur personnel, au bien de la vie civile, à l'avantage de l'Etat et à mamtenir les peuples dans la fidélité qu'il doivent à leur souverain.

11 vous est très connu, Monseigneur, qu'il y a grand nombre de sujets du Roi, protestans, incapables de pouvoir s'instruire par eux mêmes des devoir de leur religion, n'y d'en instruire leurs familles ; quel préjudice n'aporteroit pas à l'Etat et au roi une pareille ignorence si les assemblées n'avoient évité un pa- reil malheur. C'est là. Monseigneur, que les protestans ont apris leurs devoirs envers Dieu, le Roi, l'Etat et les prochains; c'est qu'ils ont puisé les sentimens dont je les ay représentés a votre grandeur remplis et pénétrés pour Sa Majesté. S'ils eus- sent toujours eu comme ils ont aujourd'hui des véritables pas- teurs pour les instruire, aucun d'eux ne fut jamais tombé n'y dans le fanatisme n'y dans la rébellion ou tombèrent quelques uns au commencement du siècle, et dont la conduite est encore en horreur et le sera à jamais à tous ceux qui professent la re- ligion protestante.

Voila, Monseigneur, ce que j'ai cru devoir mettre sous les yeux de vôtre grandeur, j'ai crû surtout qu'il étoit de mon de- voir de lui exposer ma conduite et mes sentimens. Je n'ay rien avancé que je ne puisse justifier par des miliers de per- sonnes, par des écrits et par des faits. Ainsi votre grandeur pourra juger présentement de cei homme qu'on lui a dépeint, à ce qu'on m'a assuré, la torche de sédition à la main. Il est af- fligent de repousser les traits d'une calomnie aussi énorme, mais il est très consolant de produire sa justification aux yeux

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 453

d'une personne illustre, aussi éclairée qu'équitable. C'est cette douce consolation que je goûte, Monseigneur, en vous adres- sant mon apologie, et en vous assurant du profond respect avec lequel j'ay l'honneur d'être,

Monseigneur, de vôtre Grandeur, le très humble et très obéissant serviteur,

Signé : Antoine Court.

(Archives nationales, TT. 336).

1

454

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS. XII

ÉTAT DES NOUVEAUX CONVEnTIS CONTRE LESQUELS M. LE DUC DE

NOMS DES NOVTElnX CONVEKTIS

C1.IODB PORTON

Claude dit Roche

Antoine Tebuas

Philippe Blàcbb

BouGNiBD dit le Père Eternel. De Ried dit Pbticocbt ....

Jeàr Faucon, s' de Lavabbb .

Louis Dblbuze, s' de la Liqoièbe, avocat

Ret, avocat

Le s'Vibbne, marchand de soye.

Roques

Louis Tbiadou

Henbt Mascabenb, avocat . .

AndbbSicabd aîné, marchand. EsTiENNE Pbilb, avocat . . . .

La Roquette, auc. ofGcier. .

Dakiel Faulièbb

Foetal db Saint-Albv, s' de forcouvbbtb

Jean Marin

Va&bilbes ainé

LIEUX

DB LEUBS BÉSIDENCBS

Gluiraz

Id

Saint-Fortunat . . .

Marlenac, paroisse de Saint-Fortuual.

Id

Les VaDs

Alaiz

Alaiz

Nismes

Nismes .......

Bedarieux

Bedarieux

Castres

Castres

Pierre Segade. . . .

Puylaurens

Mazamet

Revel

Rcalmont

Id

PRISONS

DANS LBSQUBLLIS IU DOIVENT ÉTBB RBHll

Au chât.de 6eauregar( Id

Id.

Id. . . .

Id

Au chit. d'Alals.

Id.

Id.

A la cit. de Montpel

Id

Au fort Brescou . .

Id

Au chat, de Perrière

Id. Id.

Id. Id.

Id. Id.

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS XII

GHELIEU A EXPÉDIÉ DES ORDUES POUR LES FAIRE ARRÊTER

455

MOTIFS DE LEURS EMPRISONNEMENTS

Il a enlevé de force Catherine, sa sœur, de la maison de sœur de Saint-Joseph, du lieu de Chalençon, elle avoit été mise pour être élevée dans la retigion catholique.

Il a aydé à faire l'enlèvement de cette fille.

Il est le chef des religionnaires de l'arrondissement de Saint-Forlunat ; il se donne les plus grands mouvements pour abolir la religion catholique; il entretient à ses frais le nomme Jalade, pour enseigner le chant des pseaumes, et former des ministres.

Il prête sa maison pour tenir chaque jour des assemblées à peu près semblables à celles de 1727, et daus lesquelles il se passe les choses les plus extravagantes.

Il assiste à ces assemblées, dont il est un des principaux acteurs; il a été condamné aux galères pour le même fait; mais il s'évada des prisons.

Il a apostasié et ne cesse de proférer publiquement des blasphèmes contre la religion ca- tholique; il affecte de chanter des pseaumes dans les rues.

Il a apostasié depuis longtemps; il assiste régulièrement aux assemblées, ainsi que sa famille; il excite les autres à y aller, et exhorte les malades nouveaux convertis à mourir dans les erreurs de leur religion.

C'est un docteur de la R. P. R. Il assiste aux assemblées et en tient dans sa maison, ou a entendu les nouveaux convertis chanter des pseaumes; on l'a vu à sa fenêtre, tenant un livre à la main, montrer le chant des pseaumes au fils d'un boulanger; il a été un arbitre dans l'aCTaire de Boyer avec ses confrères.

C'est un homme des plus séditieux, grand parleur et inconsidéré; il commerce beaucoup avec les ministres et il s'est tenu plusieurs assemblées dans sa maison.

Il a un moulin à huile hors de la ville II s'est tenu plusieurs assemblées de gens choisis; il s'est fait des mariages et des baptêmes chez lui.

Il est employé à la mauufacture du sieur Simandy ; il a fait les fonctions de prédicanl dans plusieurs assemblées ; le fait est prouvé par des inTormations juridiques.

Il escorte les ministres avec des armes, enseigne le chant des pseaumes et passe pour fort dangereux.

Il a fait les fonctions de prédicant dans plusieurs assemblées; il publia 36 bans de ma- riages dans celle du 13 septembre

II a fait les fonctions de prédicant, et notamment dans l'assemblée du 23 août nH.

II s'est tenu une assemblée dans sa maison le 27 novembre i7H.

Il s'est mis à la tète des assemblées et a voulu exciter un soulèvement; il avoit une pen- sion de retraite de 300 fr., dout M. le duc de Richelieu a demandé à M. d'Argenson la sup- pression.

Il convoqua des assemblées, fait le catéchisme, fournit les livres aux religionnaires et con- duit les étrangers à Genève.

Il convoque publiquement l'assemblée tenue, le 6 septembre, dans l'arrondissement de Revel; il a distribué des livres protestants à son retour du synode, il resta trois se- maines.

A assisté aux assemblées; il est regardé comme un homme fort séditieux et capable de tout entreprendre.

Il a fait la quête dans les assemblées; on assure qu'il a un dépôt de 10,000 fr. du produit de ces quêtes pour payer les amendes auxquelles on pourra condamner les arroudissements.

' Archives nationales, TT. 325. 15 décembre 1744.)

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

N" XIII

Correspondance entre la cour et l'intendance du Poitou pour faire prendre Pradon et Dubesset.

ROUILLÉ A l'intendant

A Versailles, le 4 septembre 1749.

J'ay reçu dans son tems, Monsieur, avec la lettre que vous avez pris la peine de m'ecrire, le 3 du mois passé, l'état des par- roisses de votre département ou il se trouve des rcligionnaires, avec les noms des lieux ou ils tiennent leurs assemblées, et ceux des principaux predicants. Gomme il pouvoit être dange- reux de donner lieu à quelque affaire d'éclat, en faisant agir des troupes contre eux , je m'étois proposé de conférer sur le con- tenu de votre lettre avec M. le Chancelier, mais je n'ay pas pu jusqu'icy en trouver l'occasion. J'ay d'ailleurs crû pouvoir at- tendre sans inconvénient quel seroit l'événement du procès a l'extraordinaire dont vous avez commencé l'instruction en conséquence de l'attribution qui vous a été donnée, ce procès, suivant ce que vous m'avez mandé, m'ayant parùen état d'être bientôt jugé. EnOn, Monsieur, je comptois aussi que vous pou- riez m'aprendre que l'officier de la maréchaussée à qui vous avez donné l'ordre d'arrester un des predicants pouroit y réus- sir par adresse et sans le secours d'aucunes troupes réglées. N'ayant point reçu de nouvelles à ce sujet, jeprends Iffpartyde communiquer votre lettre M. d'Argenson, afin qu'il puisse recevoir les ordres du Roy, et donner ensuite ceux qui seront jugés convenables pour faire agir les troupes dans les occasions suivant ce que vous proposez, et même envoyer un comman- dant dans la province si cela est jugé nécessaire.

Je suis très sincèrement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Rouillé.

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 457

P. S. Je dois à cette occasion vous faire part d'une lettre que - j'ay reçue il y a déjà quelques tems de M. de Link ou de Liny dattée de même Linck ou Liny, par laquelle en me représen- tant les mconvenients qui pouvoient résulter des assemblées que font les religionnaires en Poitou, il me mande qu'il y a à la Ville-Dieu d'Aunay un nommé Girault receveur des fermes qui est un religionnaire dangereux et qui meriteroit d'être puni ou du moins révoqué. Vous serez en état de connoitre par les éclaircissements que vous voudrez bien prendre si cet avis particulier à quelque fondement, ou si ce n'est pas plustôt l'effet de l'animosité qu'on pouroit avoir contre cet employé parce qu'il feroit bien son devoir. R.

l'intendant a rouillé

10 septembre 1740.

Monsieur, depuis la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire le 3 du mois dernier au sujet des assemblées des religionnaires dans cette province, je n'ay pas perdu de vue un seul instant le projet de faire arrester un des predicans qui entretiennent ces assemblées ; je me suis même sous d'autres prétextes trans- porté au bas Poitou pour concerter, avec ceux que j'ay chargé de l'exécution , les moyens les plus propres à faire réussir ce des- sein. Les mesures qui ont été prises me font espérer que l'on poura y parvenir avec le seul secours des brigades de mare- chaussée de ce département J'ay toujours été persuadé, comme j'ay eu l'honneur do vous le marquer, de l'inconvénient qu'il y auroit a donner lieu a quelque affaire d'éclat ; c'est même dans cette idée que loin de proposer de faire faire aucun mouvement extraordinaire aux troupes réglées qui sont dans la province, je me suis restraint à demander que l'officier de maréchaussée qui est a la suite de cette affaire fust autorisé à se faire donner main forte dans le quartier de cavalerie le plus a portée, pour ne pas

458 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

laisser échapper une occasion qu'il est queiquei'ois difficile de retrouver lorsqu'on a manqué a jirofiter du moment. En effet M. les prédicans qui peuvent soupçonner qu'on épie leur de- marche, se tiennent sur leur garde, et changent a chaque in- stant de lieu et de demeure ; ce qui exige pour pouvoir s'en saisir la facilité de trouver des secours a portée des diffirerens ou ils ont coutume de se retirer, et les brigades de maréchaussée ne sont pas en assez grand nombre, n'y assez rapprochées les unes des autres pour qu'on puisse en tirer cet avantage.

Le régiment de Chabrillant vient de sortir de cette province, il doit être remplacé dans les mêmes quartier à la fin de ce mois par celuy d'Henrichemont ; on parviendra peut être avant son arrivée à arrester quelque prédicant ; en tous cas. Monsieur, il se- roit uniquement question que M. le G. d' Argenson voulust bien me faire autoriser à en tirer les secours que j'ay pris la liberté de vous demander et dont, comme j'ai eu l'honneur de vous l'ob- server, il ne seroit fait usage que dans des circonstances indis- pensables. A l'égard de l'affaire dont la connoissance m'a été attribuée, il m'a paru essentiel d'en rallentir en quelque sorte dans le moment présent l'instruction, par la crainte que l'éclat qui en résulteroit ne nuisit aux démarches qui se font pour la capture d'un des principaux prédicans, cette capture étant le moyen le plus sur d'arretter le cours des assemblées. Je me mettray a portée de vous rendre compte de la conduit^ du nommé Giraud receveur des fermes à la Ville-Dieu d'Aunay.

ROUILLÉ A L'INTENDA^T

A Fontainebleau, le 31 octobre 1749.

Vous m'avez mandé, Monsieur, le 27 du mois passé, que vous veniez de recevoir de M. D' Argenson les ordres que vous aviez demandez pour vous remettre en état de faire agir les troupes qui sont en Poitou, suivant que les circonstances l'exigeroient.

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

459

pour parvenir à la capture de quelques ui;s des predicants qui entretiennent depuis longtems les assemblées des religionnaires en Poitou. J'ay lieu de présumer que ceux que vous avez chargé de l'exécution n'ont encore réussir, puisque je n'ay point reçu de vos nouvelles a ce sujet. Cependant M. le procureur général a écrit récemment à M. le Chancelier pour luy faire part de ce qu'il a appris des assemblées des religionnaires de la paroisse de Pouzanges et de celle de (jhavaigne et des prétendus mariages que le ministre Pradon y a faits; il ajoute que le procureur fiscal d'Ansigny luy a marqué que le sieur Giraud receveur au bureau des traites au sujet duquel je vous ay deja écrit, et le sieur Bouchetierre, tous deux religion- naires, etoient à la teste de ces assemblées; que d'ailleurs son substitut à Nyort luy a confirmé que le ministre Pradon réside toujours dans la province, qu'il y tient de fréquentes assemblées, que l'on fait monter les mariages qu'il a faits a plus de deux mille cinq cent, et qu'il est associé avec le nommé Bessé ; M. le Chancelier, qui m'a fait part de cette lettre de M. le procureur général, ayant pensé que peut être les officiers de la maréchaussée que vous avez mis à la suite de ces prédi- cants agiroient avec plus de soin et de vivacité s'ils étoient por- teurs d'ordres du Roy, je vous envoyé ceux que j'ay fait expédier pour arrester les nommés Pradon et Bessé, et je vous prie de ne rien négliger pour que ces ordres soient mis à exécution le plus tôt que faire se pourra.

Vous voudrez bien aussi me faire part des éclaircissements que vous avez prendre sur ce qui concerne le sieur Giraud, et de ceux que vous pouvez prendre par raport au sieur de Bouchetierre.

Je suis très parfaitement, Monsieur, votre très humble et très obéissant serviteur.

Rouillé.

460

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

l'intendant a rouillé

A Saint-Meixent, le k aoTembre 1749.

Lorsque j'ay reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire, le 31 du mois dernier, et les ordres qui étoient joints pour arrester les nommés Pradon et Bessé prédicants, je me disposois à vous rendre compte d'un événement qui, quoique l'issue n'en ayt point esté aussi heureuse qu'on avoit lieu de l'espérer, ne peut cependant que produire un très bon eflet et favo- riser, par l'éclat qu'il vient de faire, les vues que l'on a de faire cesser les assemblées des religionnaires. J'avois ordonné a mes subdelegués et a toutes les brigades de maréchaussée de veiller sur les moindres attroupements; le subdelegué de Saint-Meixent fut averti quil estoit arrivé le l'^'" de ce mois dans une auberge, dontceluy qui la tient est de la religion et fort suspect, sept par- ticuliers assez lîien mis : on lui assura que, Bessé étoit du nom- bre. 11 le crut d'autant plus facilement que, Bessé et Pradon ayant eu plusieurs demeslés ensemble, le bruit estoit qu'il devoit se tenir une assemblée de prétendus anciens pour régler leurs diflerens.

Mon subdelegué ne pouvoit agir sur des apparences plus fortes, et je l'aurois blasmé d'estre resté dans l'inaction sur de pareils indices ; il prit le parti de faire investir l'auberge par des cavaliers du régiment d'Henrichemont, dont une compagnie est en quartier dans cette ville, et les religionnaires qui y estoient furent arrestés au nombre de sept, sans la moindre vio- lence, et conduits en prison. Mon subdelegué m'en donna avis à Nyort ou je venois d'arriver pour les opérations du dépar- tement. Je pensoi qu'un affaire de cette importance seroit mieux discuttée en ma présence, je partis sur le champ et me rendis icy, je me transportai à la prison ou j'ynterrogeai les pri- sonniers. Bessé ne s'est pas trouvé parmi eux, comme on me le

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 461

disoit, on avoit esté trompé par la ressemblance que le nommé Renard marchand de sel du lieu de Jarnac en Saintonge et l'un des iirisonniers a avec le predicant. Il paroist certain que tous ces differens particuliers sont des commerçants de Jarnac ou des environs, ils sont tous de la religion prétendue reformée, et il n'est pas douteux qu'ils ne sont venus icy que pour assister a une assemblée, quoiqu'ils l'ayent nié par leurs interrogatoires en commençant, cependant que s'ils en avoient trouvé une sur leur chemin, ils y auroient assisté comptants ne point faire de mal ; je ne me détermineray a leur rendre la liberté que lors- que je seray pleinement instruit de la vérité des faits qu'ils ont déclarés : un pareil traitement les dégouttera peut-être de venir aux assemblées et produira un bon effet, en retenant par la crainte tous ceux qui les composent. Il se trouva le même jour deux autres particuliers logés chez le nommé Carry maître de la poste aux chevaux ; effrayés de ce qui se passoit, ils deman- dèrent des chevaux de poste, quoiqu'ils fussent venus sur les leurs, Carry ou par foiblesse, ou par interest, ou peut-estre par amour de parti, car il est luy mesme protestant, leur en donna, le postillon les conduisit dans un village nommé Mougon à deux lieues de Niort; ils le renvoyèrent, retinrent les chevaux de poste, et luy recommandèrent de conduire les leurs à Saint- Leger de Melle sur la route de Bordeaux. Le postillon ne fut pas plustôt de retour a Saint-Meixent que Carry le renvoya en effet à Saint-Leger avec les deux chevaux, le postillon n'y trouva point les deux particuUers, on luy indiqua une assemblée qui se tenoit aux environs ou ils étoient allés sur les chevaux de poste et ou il leur rendit les leurs et reprit les siens ; la conduite du sieur Carry est très reprehensible, je naurois pas hésité a le faire mettre en prison et a vous proposer, Monsieur, de le révo- quer; mais je feray suivre de près la conduite de ce particuUer qui est un des meilleurs habitans de Saint-Meixent et que j'ay intimidé de façon a me persuader qu'il communiquera la crainte à ceux qui sont de son parti, et d'ailleurs par le soin

462 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

que j'ay eu de gagner les postillons, il est intéressant pour le succès des mesures que j'ay prises qu'il conserve dans ce mo- ment présent la poste aux chevaux.

Au reste, Monsieur, l'événement dont j'ay l'honneur de vous informer a entièrement deroutté l'assemblée qui devoit se tenir a une demie lieue de cette ville, le 2 de ce mois ; il ne s'y est trouvé presque personne, et point de predicant. 11 me parut intéres- sant de profiter de cette circonstance qui a lait de l'éclat, et a annoncer d'une manière non équivoque les intentions du Roy pour renouveller la publication d'une déclaration qui a esté déjà publiée pendant que M. le comte de Ghabannes commandoit dans la province, et qui rapppelle les peines prononcées tant contre les predicans que contre les particuliers qui les retirent et assistent aux assemblées. Ces démarches desabuseront en- tièrement ceux auxquels on s'estoit eflbrcé de persuader que le gouvernement usoit au moins detollerance sur ce qui sepassoit.

Je ne perds pas de vue les moyens d'arrester les predicants et surtout Pradon et Bessé, j'ay donné les ordres les plus précis a ce sujet, mais je vous supplie d'observer que deux hommes dans une province entière dont ils parcourent successivement toutes les parties, et auxquels presque chaque particulier sert d'espion ne sont arrestés qu'après beaucoup de travail; aussy il ne m'est pas possible de fixer le temps auquel la capture en sera faite ; il ne faut qu'un moment, mais le moment peut se faire attendre, il dépend d'une infinité de circonstances, au sur- plus le principal objet est d'arrester le cours des assemblées, et de tacher d'y parvenir sans faire éprouver aucune violence au sujets du Roy qui ont le malheur d'estre engagés dans l'erreur, attendu qu'il est important de ne pas donner lieu a une déser- tion dans les pays estrangers qui serait la suite de l'effet infail- lible d'une autorité peu mesurée. Dans la vue d'empêcher les assemblées de se former, j'ay composé des brigades de maré- chaussée des cavalliers les plus intelligents et les moins néces- saires a leur residance, et je les ay placé dans les lieux les

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 463

plus suspects; j'en ay mis une a Pousange en bas Poitou, parce qu'après l'éclat qui vient d'estre fait icy, je ne doute pas que les predicants ne prennent cette route. On ne doit pas se flatter que les choses soient rétablies sitôt dans l'ordre ou elles de- vroient estre, c'est ce que jay marqué à M. le Chancelier, il y a quelques jours, sur le renvoy qu'il m'avoit fait d'une lettre de M. le procureur gênerai. Je vous supplie de croire que j'y don- neray une atttention continuelle, et que je ne négligeray rien pour y parvenir.

Si je ne vous ai point repondu plustot. Monsieur, sur le compte que vous m'avés demandé de la conduitte du sieur Gi- rault receveur des fermes a la Ville-Dieu d'Aunay, c'est qu'il me parut intéressant de m'assurer de la vérité des faits dont le vicaire de cette paroisse nous a informé par des personnes qui ne fussent susceptibles ni de partialité, ni de prévention. J'ay entin vérifié que le sieur Girault est un très mauvais sujet, entesté pour la religion, ne respectant point l'autorité et servant d'en- trepost entre la Saintonge et le Poitou : il seroit fort dangereux de le laisser dans l'employ qu'il exerce et mesme dans le lieu de la Ville-Dieu d'Aunay qui est comme le point de communication entre les deux provinces. Quant au sieur Bouchetière il est aussy de la religion et peut bien se trouver aux assemblées, mais ce n'est point un esprit remuant ni dangereux.

Je suy, Monsieur, avec un profond respect, etc.

l'intendant a rouillé

26 novembre 1749.

Monsieur, depuis la lettre que j'ai eu l'honneur de vous écrire le 4 de ce mois, je n'ai rien négligé pour procurer lapromte exécution des ordres du Roy que vous m'avés adressés contre Pradon et Bessé.

464 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

L'éclat fait à Saint-Maixent par la capture de quelques reli- gionnaires de la Saintonge et la publication et la déclaration du mois d'août 1747, tant contre les prédicans que contre ceux qui les retirent et assistent aux assemblées, paroissoient devoir en suspendre le cours. Je fus cependant instruit que Pradon n'avait point quitté le haut Poitou, qu'il avoit même indiqué par ses émissaire une assemblée pour le dimanclie 23 de ce mois , il devoit prêcher et faire des mariages.

Le lieu de cette assemblée devoit être un endroit appelé Les Pommerates qui se trouve à deux lieues de la ville de Melle et de Saint-Maixent, et dans une distance égale du bourg de la Mothe Sainte-Heraye. Je projettai de le faire arrêter dans l'assemblée même par des personnes, qui à la faveur de déguisement dé- voient se mêler parmi les religionnaires et s'assurer de sa personne. Les trois compagnies de cavalerie du régiment d'Henrichemont qui sont on quartier dans les endroits dont je viens d'avoir l'honneur de vous parler, et quelques brigades de maréchaussée auroient suffl pour assurer l'exécution de ce pro- jet sans la difllculté de tirer secours de la cavalerie dans un pais entièrement couvert de bois. Cette circonstance me détermina à faire marcher les deux compagnies des grenadiers du régi- ment d'Eu qui sont en garnison dans cette ville avec cent hom- mes de détachement du même régiment ; je les fis partir le ven- dredi 21 sur une route pour Saintes dans la vue de cacher le véritable sujet de leur marche; mais le seul déplacement de ces troupes a suffi pour donner de l'inquiétude au rehgionnaires. Pradon en a été averti par ceux qui lui sont affidés, et lorsque les troupes se sont portées le dimanche à l'endroit ou l'assem- blée avoit été indiquée, elles n'ont trouvé que quelques habitans de la compagne effraiés et déconcertes par leur présence et qui étoient même dispersés dans les bois.

Le commandant s'est ensuite transporté dans deux ou trois hameaux qui servent de retraite aux prédicans, et dont il a fort intimidé les habitans. Il y a lieu d'espérer qu'ils seront plus

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 4(55

soumis aux ordres du Koy dont ces démarches réitérées ne leur laissent plus ignorer les volontés. La caiiture d'un prédicant dont je ne désespère point et la punition achèveront de les en convaincre. Je continuerai de suivre cette ail'airc avec toute l'at- tention et toute la vivacité qu'elle exige.

ROUILLÉ A l'intendant '

A Versailles, le 13 janvier 1751.

Je suis informé, Monsieur, que les protestans continuent leurs assemblées en Poitou, et qu'ils prennent même assez peu de précautions, puisqu'on assure qu'il sien est teniie depuis peu une de jour, et qu'il y avoit au rendez-vous plusieurs chaises de poste. Le meilleur remède pour déranger ces assemblées seroit de s'emparer des nommés Pradon et Bessé fameux prédicans, ou du moins de l'un d'eux, pour leur faire subir la peine portée par les édits et déclarations du Roy parus à ce sujet. 11 est certain que cette capture seroit icy fort approuvée et que ceux que vous pourriez employer pour y réussir pourroient compter, dans le cas de succez, sur une recompense proportionnée au service qu'ils rendroient dans cette occasion, et telle que vous la jugeriez convenable. J'ay crû devoir vous donner cet avis, et je ne puis que m'en remettre à vos soins pour l'exécution, per- suadé que vous n'y négligerez rien de tout ce qui pourra dé- pendre de vostre autorité.

Je suis très parfaitement, Monsieur, vostre très humble et très obéissant serviteur.

Rouillé.

1 Deux ans s'étaient écoulés : ni Pradon ni Dubesset n'avalent été pris. Cepen- dant les assemblées continuaient, et il importait, cioyail-on, pour les faire cesser de faire disparaître ceux qui en étaient les instigateurs, Rouillé revint aussitôt à la charge, sans plus de succès, il est vrai.

Il 30

466

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

nm iLLK A l'i.ntkndant

A Versailles, le 12 janvier 1751.

Je reçois, Monsieur, la lettre (luc vous avez pris la peine de m' écrire, le (3 de ce mois, au sujet de la continuation des assem- blées que tiennent les protestants en Poitou, et conformément à ce (juo vous proposez, j'ay crû devoir ajouter à celle-ci une lettre ostensible pour ceux (jue vous jugerez à propos d'em- ]ilo\ er la capture des nommés Pradon et Bessé, ou au moins de l'un de ces l'amoux prcdicants. Il est certain que ceseroitun des moyens les plus capables de déranger ces assemblées, mais il faut convenir que cela n'est pas aisé par toutes les ressources qu'ils ont pour estre instruits des démarches -que l'on peut faire contre eux, et dont javois déjà connoissauce, indcpenda- mentde ce (|uo vous m'en marquez. Je suis cependant persuadé ([ue vous donnerez tous vos soins pour la reLissite.

Il ne m'éloit pas encore revenu que ces assemblée se fussent tenues le jour, comme cela est arrivé le jour de Noël; la quan- tité de chaises de poste qui, suivant ce que vous me marquez, étoient au rendez vous, semble indiquer qu'il y a des personnes de considération (jui se trouvent à ces assemblées, et rendre encore plus pressante la nécessité d'user de moins de ménage- ment que vous n'avez fait jusqu'icy jiour les faire cesser. Je laisse cependant à vostrc prudence à déterminer le temps vous croirez devoir agir plus ouvertement, soit en prenant des mesures pour faire arrestcr quelques-uns des principaux assis- tants, soit en faisant publier, si vous le croyez convenable, une ordonnance pour deffendre de nouveau ces assemblées, soit enfin en faisant marcher des troupes dans les endroits oii elles se tiennent pour les dissiper. Je vous ay déjà mandé, par ma lettre du octobre dernier, que c'estoità M. D'Argenson que vous deviez vous adresser pour luy demander un ordre aucom-

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 4(57

inandanl des troupes ()ui sont eu Poitou pour prester main forte uu.v cavaliers do marocluuisséo, et ai^ir par détachement, suivant (lue vous le jugeriez convenable. Je luy en ecriray mesme dans le temps sur vostrc premier avis, et je ne puis au surplus que me remettre à ce ([ue je vous ay expliqué par cotte môme lettre du "21) octobre sur la conduite (lue vous avez à tenir par raport aux religionnaires et à leurs assemblées.

.le suis très sincèrement, Monsieur, vostre très huniMe rt très obéissant serviteur.

HouiLLi;.

noUU.LÉ A l.'l.NTEND.V.NX

.V Versailles, le 20 féviier 17ol.

.i'ay vu, Monsieur, par la lettre que vous avez pris la peine de m'éciirc tout ce qui s'est passé à l'occasion de l'assemblée des religionnaires ijui dcvoit se tenir le 1*^'' de ce mois auprès de Melle, en bas Poitou, Pradon devait prescher ; il y a lieu de penser que, par les mesures que vous aviez prises de concert avec le prevost de la maréchaussée, on auroit pu parvenir à la capture de ce prédicant, s'il fut venu à cette assemblée il étoit attendu. Il est certain que le plus sur moyen de faire ces- ser ces assemblées est de tacher de prendre un prédicant pour le punir suivant toute la rigueur des ordonnances, et c'est à quoi vous devez principalement donner vos soins. Vous pouvez mesme promettre des recompenses jusqu'à concurrence de la somme (|ue vous croirez convenaljle à ceux, qui vous en faciliteroient les moyens par les avis qu'Us seroient en état de vous donner sur les démarches de Pradon ; je suis bien persuadé que vous n'userez de cette permission qu'avec ménagement. A l'égard du nommé Trouillet (jui a été arresté et constitué prisonnier à Molle, je pense comme vous, par les raisons détaillées dans votre lettre et dans celles de M. Boissemont qui y étoit jointe,

468 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

que lo meilleur party est de le faire transferrer à la Rochelle ; la seule attention doitestrc qu'il y soit conduit avec sûreté, et j'ay écrit à M. D'Argenson pour le prier de vous envoyer au plustot les ordres nécessaires pour que vous puissiez, si vous le jugez à propos, faire accompagner ce prisonnier par des détache- mens de troupes, et les faire agir d'ailleurs dans les occasions vous croirez en avoir besoin. Moyennant cet arrangement, vous ne serez jdus exposé à aucune difficulté de la part des commandants des troupes qui sont en garnison dans votre Gé- néralité. Les listes que vous avez rassemblées de ceux des reli- gionnaires qui tiennent les rolles des contributions que l'on jiaye aux predicants , de ceux qui sont mariés depuis quelques mois aux presches, de ceux qui se meslent d'enseigner aux en- fants, et enfin des endroits se tiennent communément les assemblées, ne peuvent que contribuer à vous mettre à portée de faire des exemples capables d'en imposer et de les faire tom- ber sur les plus coupables, ou plustot sur ceux qui sont les plus accrédités dans le party; mais je ne puis adopter le projet d'en faire enlever quelques-uns d'autorité pour les faire passer aux isles; l'intention du Roy est qu'il n'y soit envoyé personne de force, et beaucoup moins que d'autres les religionnaires que l'on ne peut en gênerai regarder comme pouvant estre dangereux, tout mal instruits que vous les suposiez dans leur religion. Le party le plus convenable est, comme je vous l'ay précédemment marqué par ma lettre du 2G octobre dernier, d'en faire arrester quelques-uns des plus hupés et qui cherchent à se distinguer par des contraventions marquées, et de les faire mettre en pri- son ou de les exiler loin de chez eux, afin de les punir par lade- jicnse qu'ils seront obligés de faire et d'interrompre en même tems la suite de leurs menées et de leurs intrigues, et à l'égard de ceux qui par leurs facultés ne seroientpas en état de subvenir à pareille dépense, les faire mettre en prison aux frais du Roy pour un tems convenaljle et proportionné à leurs contraventions, en obser- vant, dans le cas vous pouriez acquérir contre les uns et les

piftcES i:t doccmfnts INKDIÏS W.)

aiitros ou ({uolqiios-uns d'onlro eux des preuves suffisantes, de me proposer de vous donner un arresl d'attril)ution pour in- struire leur procès et les faire condamner aux peines du bannis- sement ou des galères, suivant les circonstances plus ou moins graves. Je dois à cette occasion vous envoyer la lettre cy- jointe que je viens de recevoir du curé d'Exoudun,pres laMothe Sainte-Heraye, qui se plaint de l'insolence avec laquelle les re- ligionnaires agissent dans ce canton, oii il me semble (marque ce curé) qu'ils ont levé l'étendart de la révolte, et surtout au village de Bagnault il observe que Pradon et les autres pre- dicans font en quelque manière leur résidence. Vous voudrez bien faire sravoir à ce curé que je vous ay écrit, afin qu'il puisse vous donner les esclaircissemons qui pourront dépendre de luy et vous proposer les moyens qu'il croira capables de remédier au desordre dont il se plaint. Je vous prie de me faire part de ce qui vous en reviendra, et de votre avis sur la proposition qu'il fait de faire mettre au couvent la nommée Jeanne Proux.

Je suis très parfaitement. Monsieur, vostre très humble et très obéissant serviteur.

Rouillé.

nouiLLÉ A l'intendant

A Versailles le 28 septembre 1751.

J'ay reçu, Monsieur, la lettre que vous avez pris la peine de m' écrire, le 19 de ce mois, au sujet des frais déjà faits parraport aux religionnaires , et de ceux que vous prévoyez avoir à faire pour empescher leurs assemblées qui voudroit recommencer. Sur le compte que j'en ay rendu au Roy, Sa Majesté m'a or- donné d'expédier une ordonnance de 4000 fr. sur le trésor royal qui sera employée à payer les avances faites et les nouvelles dépenses que vous aurez occasion de faire. Cette ordonnance que j'ay expédiée, est au nom du sieur Chevalier, commis à

470 PII' CES i'T DOCUMENTS INÉDITS

la rocetto généraln (lo l*oitiors qui po roTnliourspra des l .i'OO fV. dont il a fait l'avanco; clif» no jiout l'-tro prosentéo à la signature du Roy quo dimanche prochain 3 octol)ro, ot je no pourray coii- BÔquomenl; vous l'envoyer pour lo plustot que par le courier du mardy 5. S'il ostoit plus convenable par raport à vos arran.qo- ments avec le commis à la recette générale, de faire remettre cette ordonnance au receveur gênerai des finances en exercice, vous pouriez nie le demander promptement, et je crois que par cette raison jo puis sans inconvénient diflérer à en disposer jusqu'à ce quo j'ay reçu votre réponse. Au surplus. Monsieur, quoyquo je vous aye mandé que Sa Majesté aprouvoit que vous eussiez la liberté d'employer annuellement à ces dépenses jus- qu'à la concurrence d'une somme de 0,000 fr., elle désire que vous en usiez sur cela avec le plus d'économie qu'il sera pos- sible, et je vous prie de vouloir bien m'informor successivement de ce qui se passera à ce sujet, alin que je puisse hiy en rendre compte.

Je laisse à votre prudence de retenir autant de temps que vous le jugerez à propos les trois protestants qui sont actuelle- ment en prison à Poitiers, et qui ont jusqu'icy refusé consta- mentde rchabilitter leurs mariages faits aupresclie.

Je suis très parfaitement. Monsieur, vostre très humble et

très obéissant serviteur. . Rouii.Li;.

(Archives nationales, TT. 32o-3-26,)

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

471

XIV

Correspondance entre l'Intendant du Languedoc et son subdéléguc à Nhnes à propos du rebapiisement .

l'intendant a tempik

Montpellier, le 13 août IT.'il.

Je n'ai encoro reçu do vous aucuns états des religionnaires de votre département qui ont refusé d'envoyer à l'église leurs enfants baptisés au Désert pour les faire baptiser par les curés, et de ceux qui ont obéi aux ordres que vous avez donnés de ma part à ce sujet. Gomme je ne veux plus différer à mettre ces affaires en règle, je vous prie de m'envoj'er tous les états que vous avez reçus, et ceux qui vous manquent à fur et mesure que vous les recevrez; observez en même temps de noter autant qu'il sera possildc sur tous ces états les N, C. qu'il vous paraî- tra convenable do faire arrêter par préférence et dont l'exemple pourra être capable de faire le plus d'impression.

TE^^PIÉ A 1,'lNTENDANT

Nismes, 16 août 1751.

Monseigneur, on exécution de la lettre que vous m'avez fait l'honneur do m'écrire, le 13 de ce mois, j'ai l'honneur de vous envoyer les états des religionnaires de Nismes et du lieu de Beauvoisin, qui ont fait baptiser leurs enfants au Désert et qui ont refusé de les envoyer à l'église. Les deux curés de Nismes m'ont remis les états qui concernent cette ville; et M. Jacomon, qui est le curé principal, y a joint un petit état de ceux qui ont obéi aux ordres que je leur ai donnés de votre part. 11 m'a as- suré qu'il me donnerait bientôt un supplément. A l'égard du

472 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

curé do Boauvoisin,ilnc m'a envoyé aucun état de ceux qui ont obéi, ot jn présumo qu'il n'\- a point do paroissiens dans ce cas.

J'ai l'honneur do joindre au mémoire du Jacomon un état de ceux qu'il me paraît convenable de faire arrêter de préfé- rence, et dont l'exemple me parait capable de faire plus d'im- pression ; j'ai fait de même à celui du curé de Beauvoisin.

J'aurai l'honneur, à chaque courrier, de vous envoyer quel- ques uns des autres états qui m'ont été remis avec de pareilles notes.

Etat des N. C. de Nismes qu'il paraît convenable de faire arrêter par préférence.

S' Paul 'Valz, marchand, dans la maison du S'Larguier, près le logis de la Romaine; S' Molines, marchand, gendre de M. Astruc; Sf Dartain, droguiste ; Sf Freboul, marchand; S' Roubel, cy-devant apoticaire ; S' Mathieu, marchand, près de la Romaine; S' David, marchand.

l'intendant a TEMPié:

27 soût 1751.

Je vous envoie ci-joint, M..., des ordres pour faire arrêter et conduire au fort de Nismes les sieurs "Valz, Molines, Dartain et Freboul, religionnaires de la même ville; les nommés Roux, Girau, Puech et Rouvin, de Beauvoisin; les nommés Bé- chard, consul de Ledignan ; Lazare, lieutenant de juge d'U- chaud; Gabian, consul de Vestric, et Fontaine deBernis. Je vous prie de tenir ces ordres secrets, et de les faire exécuter les uns après les autres, en commençant par ceux de Nismes. Exhortez Domergue, s'il vous plaît, à prendre bien ses précau- tions et ses mesures pour assurer ces captures; il vaut mieux

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 473

les différer, s'il ost nécessaire, que de les manquer eu agissant avec précipitation. Je ferai payer les espions et les mouches qu'il emploiera, pourvù qu'il fasse les captures dont il s'agit; mais si, par quelque événement imprévu, il ne pouvait parvenir à les faire toutes, ayez agréable de lui recommander un grand secret, afin que mes ordres ne transpirent en aucune façon. M. le comte de Moncan en adresse à M. de Beaupoil pour faire donner toutes les mains fortes nécessaires.

Je vous prie encore, M., d'avoir une attention singulière aux interrogatoires que vous fairez prêter en général à tous ceux que je ferai arrêter. Il est nécessaire de les faire questionner, outre les demandes ordinaires sur le fait de leur prévention (Ceux mariés à l'Eglise) :

S'ils ont fait des abjurations par écrit, et entre les mains de qui;

Si depuis ces abjurations, et la bénédiction de leurs ma- riages, ils ont continué de fréquenter l'église; s'ils ont approché des sacremens et combien de fois ;

Quelles sont leurs dispositions à l'avenir par rapport à la R. G. A. R.;

(Ceux mariés au Désert) : Par qui et oiî leurs mariages ont été bénis, et leurs enfants baptisés ;

Si leur père et mère étaient anciens cath. ou prot., s'ils ont toujours eux-mêmes professé le protest., et n'ont jamais fait les fonctions de catholiques ;

3" Quelles sont leurs dispositions pour l'avenir, soit par rap- port à la R. G., soit sur l'obéissance qu'ils doivent aux ordres du Roy par rapport à la religion P. R.

TEMPIÉ A l'intendant

Nismes, le 30 août 1751.

M., j'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'é- crire le 27 de ce mois, avec les 12 décrets que vous avez décer-

474 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

nés pour faire arrêter pareil noml)re do particuliers fie mon département. Je me suis concerto pour leur exécution avec M. de 13eaupoiI, lieutenant du Roy de cette ville, qui m'a promis de donner toute main forte sur les ordres qu'il m'a remis de M. le comte de Moncan, commandant de la province. Comme vous me faites l'Iionneur de me dire de les faire exécuter, les uns après les autres, en commençant par ceux de Nismes, j'en ai remis un à Domergue, en lui donnant les instructions néces- saires. Je vous supplie d'être persuadé que vos ordres seront exécutés à la lettre et sans précipitation, que je me conforme- rai à tout ce qu'ils contiennent, et par exprès à ce qui concerne les interrogatoires de ceux qui seront arrêtés et le .secret qui sera gardé absolument.

Il se pourrait que la foire d'Alais retardât l'opération, si quelqu'un des intéressés s'y trouve; auquel cas il n'y a pas de mal d'attendre leur retour.

l/rNTliNDANT \ TKMPif:

l'' septembre 1751.

.l'apprends. M., que les différents exemples que j'ai faits dans la ville et dans le diocèze d'Uzès contre les religionnaires qui ont fait liaptiser leurs enfants au Désert ont produit de très-bons effets, et que la plupart de ceux qui étaient tombés dans ce cas, s'empressent de faire supléer à l'église les céré- monies du baptême à leurs enfans, comme il y a lieu de croire que tout cela n'est point ignoré des N. C. de Nismes, et que j'espère toujours qu'ils prendront le parti de se mettre en règle, je veux bien encore, à cette considération, suspendre l'effet des ordres que je vous ai adressés le 27 du mois dernier; ainsi je vous prie de ne point les faire exécuter ; si cependant il y en a quelqu'un qui le soit, lorsque vous aurez reçu cette lettre, vous pourrez faire pour ceux-là ce qui est prescrit par les mèroes

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 475

ordres; mai* observez, s'il vous jilait en même temps, si l,i ron- deseemliinoe dont je veux bien encore user à l'égard dos reli- gionnaires do Nismes, produira l'elVet ipie j'en attends, parce que si elle no servait qu'à augmenter leur obstination, ils peir- vent compter que je ne les ménagerai pas davantage, et que je les obligerai tous sans exception à se mettre en règle par rap- port au bapt. de leurs enfans. Le Roy s'est expliqué d'une ma- nière précise à ce sujet, et il n'y a pas d'apparence qu'on soull'rc qu'ils résistent impunément à ses volontés, ni que je sois, le premier à y contrevenir en dissimulant leur désobéissance; ayez une attention singulière à tout ce qui se passera à ce sujet et à m'en informer.

TKMPli; A l/l.NTENDANT

Nismes, 4 septembre 1751.

JVl., J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'é- crire le de ce mois, pour suspendre l'exécution des ordres (juc vous m'aviez fait celui de m'adresser le 27 août dernier. J'ai retiré ceux que j'avais baillés à Domergue qui avait déjà i)ris des précautions pour les exécuter, j'en ai fait part à quelques- uns des religionnaires notables, et en ai fait apprendre les dis- l)ositions à quelques sindics des corps du commerce, pour qu'ils n'ignorent pas vos bontés et en même temjis à quoi ils seront exposés, s'ils n'en prolitent pas ; je pense cependant que les exemples de leurs voisins pourraient bien n'être pas assez frap- j)ants pour les amener à leur soumission, et je crains qu'il ne faille des exemples domestiques.

TE^rPI^; a l'intendant

13 septembre 17,">1.

M., M" les curés de Nismes, que je priais de m'apprendre. chaque jour, si quelques-uns des religionnaires de cette ville

47G PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

prenaient lo parti rto lu soumission on faisant porter à l'oglise les enfants qu'ils avaient fait baptiser au Désert, depuis la lettre que vous m'avez fait l'honneur de ra'écrire pour suspendre l'exécution des ordres que vous m'aviez donnés le 23 du mois passé, ne m'ont rien mandé. Au contraire, l'un d'eux qui est le principal, appellé M. Jacomon, m'a dit ces jours passés que personne ne s'était présenté pour obéir, ce qui me détermine à persister dans mon opinion que les religionnaires de Nismes qui sont dans ce cas ne prendront le party de la soumission qu'après des exemples domestiques.

(Archives de l'Hérault.)

N" XV

COMMISSION DE COURT EN QUALITÉ DE DÉPUTÉ GÉNÉRAL DES ÉGLISES, DÉLIVRÉE AU SYNODE NATIONAL DE 1748.

Nous, pasteurs et Anciens députés des églises réformées du haut et bas Languedoc, de la province du Dauphiné, du haut et bas "Vivarais et Velay, des hautes et basses Cévennes, de la Guienne, de la comté de Foix, du Périgord, de l'Angoumois, de la Saintonge, pays d'Aunis, du haut et bas Poitou, et de la Normandie, assemblés au Désert, sous la protection divine, en Synode national, pour délibérer uniquement sur les choses qui regardent l'avancement du règne de Jésus-Christ et les progrès de son Evangile parmi nous, après avoir imploré les lumières du Saint-Esprit, avons résolu unanimement de renouveler et confirmer, autantque besoin en est, les lettres de créance qui ont été cy-devant accordées à M. Antoine Court, notre très-cher et très-honoré frère, ancien pasteur des églises sous la croix, en qualité de notre député général auprès des Roys, princes, magis- trats, Eglises, Académies, pasteurs et consistoires de notre sainte religion, pour implorer tous les secours que leur cha-

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 477

rité et la tendre part qu'ils prennent à nos maux peut nous ac- corder, sans blesser en aucune manière les droits inviolables de Notre Souverain et auguste Monarque.

A ces causes, nous renouvelons et ratifions et conûrmons par les présentes la commission expédiée à M. Court par les députés au Synode national tenu en Languedoc, au mois d'août 1744, et nous prions et suplions très-humblement toutes les personnes sacrées, illustres et notables auxquelles il s'a- dressera, de le reconnaître et recevoir en qualité de député gé- néral des églises réformées sous la croix ou de notre représen- tant, de luy accordef leur puissante protection, de nous accorder par son migistère tous les secours que leur sagesse et leur cha- rité les porteront à nous fournir, soit pour nous aider à l'entre- tien du ministère évangélique parmi nous, à soulager les pri- sonniers et galériens, ou pour obtenir en notre faveur quelque soulagement à des maux qui se renouvellent tous les jours et qui ne finissent jamais, quelque relâchement à la rigueur des Edits et quelque mode de vivre, au moyen duquel nous puis- sions servir Dieu et luy rendre nos hommages par un culte pu- blic, sans être exposés, comme nous l'avons été jusqu'icy, à des peines pécuniaires afflictives et infamantes, et nous accorder tous les charitables secours d'une manière telle que nous le souhaitons et qu'elle est dans nos intentions les plus pures et les plus sincères, qui ne puisse fournir à ceux qui ne nous aiment point aucun prétexte de nous accuser, avec quelque aparence de justice, que nous manquons au devoir de fidelles sujets. Car à Dieu ne plaise qu'il nous arrive jamais, en rendant au Roy des Roys les hommages qui luy sont dus, de manquera la fidé- lité que nous devons à notre légitime souverain Louis XV, Notre auguste Monarque. Oui, craindre Dieu el honorer le Roy sera toujours pour nous, comme elle l'a constamment été, une maxime également sainte et inviolable. Nous sommes persua- dés que tous les hauts et illustres protecteurs des églises sous la croix, Roys, Princes, Electeurs, Magistrats,Prélats,Pa6teurs,etc.,

«8 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

continueront d'aprendro avec joye qu'il y a encore une iiiande moisson à faire dans le cliamp du Seigneur, que les églises sn niultipliont. que le Seigneur ajoute tyus les jours des personnes à son Eglise pour être sauvées; mais nous ne sommes pas moins persuadés que des jjrotectcurs si bienfaisants, si remplis de zèle, qui ont fait prouver par tant de maniues de bienveil- lance combien grande est leur cluirité pour nous, continueront à s'intéresser en notre faveur, et qu'ils ne se borneront pas seulement à nous procurer des secours pour l'instruction, la sanctification et la consolation d'une infinité do pauvres fidèles qui sont afamés de la Parole de Dieu, à Soliciter la liberté de tant de confesseurs qui sont détenus sur les galèrei^t dans les prisons; mais qu'ils feront encore ressentir les elfets de leur charité et de leur zèle à tant de membres du corps mystique de Jésus-Christ qui gémissent sous la croix, en leur procurant par leurs puissantes intercessions la douce liberté qui fait 1 objet de leurs vœux. Il ne nous reste qu'à faire des vœux au ciol jiour toutes les personnes sacrées, illustres et notables qui ont déjà contribué et (jui voudront bien contribuer encore à l'avenir à une œuvre si pieuse et si sainte, qui ne tend qu'à l'avancement du règne de Jésus-Christ, le Roy des Roys, le Seigneur des Sei- gneurs. Veuille l'auteur de tout don parfait, le Père de toute grâce et do toute consolation, le Dieu ]/ar qui les Roys régnent, répandre ses plus précieuses bénédictions sur tous les Rovs, Princes, Electeurs, Magistrats, Seigneurs, Eglises, Evéques, Pasteurs, etc., qui daignent s'intéresser au bien de nos églises, et en répandant sur leurs personnes, sur leurs familles, ses bénédictions, faire prospérer les Royaumes, les Etats, les Ré- puljliques, les Eglises dont ils sont les dignes chefs, conserver au miheu d'eux la lumière de l'Evangile, et la douce liberté de servir Dieu selon sa parole ! Yeuille-t-il récompenser un jour abondamment les riches effets de leur bénéficence et les salu- taires fruits de leurs intercessions! C'est par ce vœu que nous finissons la lettre de créance que nous donnons à M. Antoine

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 479

Court, notre député général, lequel nous recommandons à la ixnuio de Dieu et à sa puissante protection.

Fait dans iiolrî asscDiblée générale, le 17 septembre mil-seiit-ceut-quaraDte-huit.

Peirot, pasteur et modérateur; J. Lomii, pasteur et modérateur adjoint; GAVALiEiij pasteur et secrétaire ; Redonnel, pasteur et secrétaire adjoint.

^Hccucil des acles des Synodes tenus en la jirovince du Vivarais (1721-1793;, conservé aux Arcliives cousistoriales de la Voultc (Ardèclio\ et communiqué par M. le pasteur Arnaud, de Crest.)

N" XVl

LETTRE DE SAINT-KLOIIENTIN A SAINT-PIUEST SUR l'É.MIURATION

A Versailles, le 21 may 1752.

Je suis très lâché, Monsieur, d'apprendre, par votre lettre du 8 de ce mois, les mesures (juc les puissances étrangères jirenncnt pour attirer les religionnaires et pour nous enlever les ouvriers de nos manufactures. 11 est de la dernière importance que vous tâchiez de prévenir, par toutes sortes de moyens, la perte que l'Etat en peut souffrir. Les ministres et les prédi- cants étant les agents dont ces puissances se servent, c'est une nouvelle raison pour ne rien négliger, aiia de les arrêter ou do les obliger à sortir du royaume. L'indulgence envers les pro- testants et tous les soulagements (juil sera possible de donner tant à eux tiu'aux ouvriers et autres habitants de la province, sont les moyens les plus sûrs de les fixer; et enOn, on les dé- tournera de passer en pays étrangers, si l'on peut surprendre (iuel([ues gens apparents, lorsqu'ils s'évaderont, et si l'on peut leur l'aire leur ]irocès suivant la rigueur des ordonnances. Jo vous prie de n'épargner ni dépenses ni soins pour veiller sur

480 PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS

un objet d'une aussi grande conséquence. Je viens d'écrire à M. le comte d'Argenson pour le prier de donner de nouveaux ordres dans les villes et places frontières, aOn qu'on ne laisse sortir aucun sujet du Roi sans des passeports en bonne forme.

On ne peut, Monsieur, vous honorer plus parfaitement que je ne fais.

Saint-Florentin.

(Archives de l'Hérault. C. 437.)

XYII

MÉMOIRE DE SAINT-PRIEST A SAINT-FLORENTIN SUR LA QUESTION DES MARIAGES.

Monseigneur, vous m'avés fait l'honneur de me marquer par vôtre lettre du 21 mars, qu'il étoit important qu'on sçut ma façon de penser sur l'article des Mariages et Batesmes des nouveaux convertis; j'aurois aussitôt satisfait à vôtre demande, si les affaires de toutes espèce, que j'ai trouvées à mon arrivée dans cette province, avoient pu me le permettre. Le délai que j'ai aporté à repondre est excusable par cette raison; il ne l'est pas moins par l'importance de la matière, et d'ailleurs je ne vous dissimulerai pas que ce n'a pas esté sans une sorte de peine que je me suis livré à la discussion de plusieurs questions aussi nouvelles pour moy qu'elles vous sont familières. Cette considération doit cependant céder à la loy du devoir. Choisi par Sa Majesté pour faire exécuter les Ordonnances rendues à l'occasion de N. G., il est utile que j'espose mes sentimens et mes doutes, pour que, les connoissant, vous puissiés ou engager MM. les évesques à se prestor un peu plus qu'ils ne font sur l'article des mariages et batesmes, pourvu que la chose leur soit possible, ou m' éclairer si je me trompe, afin qu'instruit par un si bon maître, je puisse travailler fructueusement sur des

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 481

principes certains au bien et à l'avantage de la religion dont vous estes un ministre si distingué.

Les Assemblées, deveniies plus fréquentes que jamais, sont d'un Ires grand scandale pour religion, en même tems qu'elles troublent la police générale du royaume, et blessent directement les loix que l'Etat n'a cessé de faire depuis la révocation de l'E- dit de Nantes; tout concourt par conséquent à exiger qu'on en interrompe le cours : il n'est question que du choix des moyens à employer pour tendre à un but si désirable.

Il n'est pas douteux qu'on doive préférer ceux qui couperont le mal par la racine; et pour le bien connoistre, il ne faut que réfléchir sur les actes de religion qui se font aux Assemblées. Je les réduits à quatre principaux, savoir la prière, l'exphcation de l'Ecriture-Sainte, la bénédiction des mariages, et le batesmc des enfans ; je ne parle pas de la Cène, parce qu'elle n'a pas lieu dans les assemblées nombreuses.

Les deux premiers de ces actes sont de pure dévotion et ne sont pas de nécessité. Chaque particulier a la liberté de dire des pseaumes et de Hre des livres saints dans sa maison^ et je crois qu'il est bien certain que la crainte des peines empêcheroit les N. C. d'assister à des assemblées, si elles n'estoient teniies que pour ces deux objets ; mais les mariages et les batesmes sont des actes d'une classe différente ; hors le cas d'un péril évident de l'enfant, l'eau salutaire doit lui estre donnée par une personne ayant caractère, et l'union de l'homme et de la femme doit estre bénie.

Les protestans conviennent que nos prestres ont ce pouvoir relativement à eux, quoique d'une communion différente. Pour- quoi donc au mépris des ordres du Roy, au péril de leur liberté et quelques fois de leur vie, vont-ils se marier au Désert et y font-ils baptiser leurs enfans? C'est sans doute parce qu'on exige, pour les admettre aux sacremens de l'Eglise, des préalables ou des conditions qui dans leur esprit sont equivalens au refus.

J'ignore si ç'a esté par ces motifs que les premières assemblées II 31

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ont ôto faites, maiis je crois fermemont qu'ils sont la voritahlc cause pour laquelle elles se perpetïient; aussy je penserois que pour les détruire absolument il ne faudroit que donner plus de facilité aux N. C. qui demandent à se marier et à faire baptiser leurs enfans à l'Eglise ; ils y viendroient en foule, comme ils le faisoient précédemment, lorsque les épreuves étoient moins ri- goureuses; le ministère des predicans deviendroit totalement inutile ; les cueilletos, faites dans les assemblées, n'auroient plus lieu en leur faveur; réduits à la misère et à n'avoir point de fonctions, le païsan perdroit l'habitude de les considérer et ils seroient contraints de sortir du royaume. Mais on ne doit pas espérer de voir rien arriver de pareil, tant qu'on exigera que 'es N. G. fassent des abjurations ou promesses par écrit, ou qu'ils reçoivent la communion avant d'estrc mariés, et tant qu'on qualifiera de bâtards les enfans procréés de leurs conjonc- tions illicites, qu'ils présenteront à l'Eglise pour y recevoir l'eau.

Quand on rellecliit sur la nature des nouvelles épreuves, (car autrefois, et il n'y a pas encore bien longtems, les evesques se contentoient d'une simple assistance aux offices et aux instnic- tions pendant trois ou quatre mois) on ne sçauroit s'cmpecher de reconnoistre qu'elles blessent les loix de l'Etat et ne sont pas conséquentes aux dispositions de l'Edit portant révocation de celui de Nantes, qui n'a cependant esté rendu quejiour extirper le calvinisme.

Pour se bien convaincre de cette importante vérité, il suffit de se rapeler que ceux qui ne voulurent pas embrasser la reli- gion du prince sortirent du royaume, et que ceux qui y restèrent alijureront volontairement ou par force les erreurs de Calvin et furent encore incorporés à l'Eglise romaine, et que, depuis cette époque, il n'a plus esté fait aucun exercice iiublic de la religion pretendiie réformée. De ces faits qui ne sont ignorés de per- sonne, ne doit-on pas conclure que les enfans et petits enfans des protestans restés en France depuis la révocation de l'Edit de Nantes sont nés dans le sein de l'Eglise, puisqu'ayant esté

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haptisés à l'Eglise, étant procréés do mariages qui y ont esté faits, et de gens qui ont abjuré le calvinisme, on ne pourroitles regarder comme protcstans qu'autant qu'il seroit prouvé claire- mont qu'ils ont fait des actes extéiicurs et non équivoques de la R. r. Il,, prouve impossiljlc pour lo général, puisque l'exer- cice de celte religion est absolument proscrit et que les temples ont été détruits,

11 n'y a donc qu'une religion dans le royaume, et on ne ])cul s'empèclier do regarder comme catholiques ceux qui sont nés en Franco, depuis que les autres religions y ont été abolies. Aussi de ce qu'un homme descendra en ligne directe d'anciens pro- testans, on ne sçauroit en conclure qu'il soit lui-même protes- tant. On ne le pourra pas non plus, en partant do la circonstance qu'il ne remplira pas ses devoirs et qu'il n'assiste pas aux of- hces : on devra s'en tenir à le regarder comme un très mauvais catholique. Cola posé, je demande si un curé pourroit se dispen- ser de marier un particulier fils d'un ancien catholique, sous prétexte qu'il ne remplit pas les devoirs de catholiiiuo. Je crois que la négative de ci'tte proposition n'est pas douteuse. L'apel comme d'abus du refus de l'impartition de la bénédiction nup- tiale seroit reçu, et les tribunaux secuhers authoriseroient seu- lement (ju'on aporta quelques délais à la célébration, pendant lesquels l'apelanl seroit tenu de fréquenter les Eglises, et de faire des actes extérieurs de la religion romaine. Les nouveaux convertis ne doivent donc pas estre traités différemment, puisqu'ils doivent être mis dans la classe des mauvais cathoHques. Les dé- clarations du Roy tendent à les empêcher de sortir du royaume etl'intention de Ba Majesté est qu'ils y soient sous la protection des lois communes à tous ses sujets, qu'ils peuplent son royaume, qu'ils s'y marient et qu'il n'y ait sur l'article des mariages que des règles uniformes. Les constitutions de l'Etat sont d'autant plus considérables sur ce point que colles de l'Eghse ne sont pas con- traires ; je ne les connois pas assés particulièrement pour entrer dessus dans un grand détail, mais il me semble ([u'il est per-

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mis (le penser ce que j'avance, en partant de certains faits qui sont connus de tout le monde. L'Ej^lise exige dans celui qui demande un sacrement, qu'il ait les dispositions nécessaires pour le recevoir dignement, mais ces dispositions estant intérieures sont laissées à sa bonne foy, ou à la prudence du confesseur qu'il a choisi pour le diriger ; mère tendre, elle reçoit à bras ouverts ceux qui recourrent à elle. Elle supose que c'est tou- jours avec foy et respect, et laisse à Dieu le soin do punir les hommes sacrilèges. D'autre part, l'administration publique des sacrements doit être déterminée par les seules constitutions canoniques qui ont été autorisées par l'Etat; je ne crois pas qu'il y en ait qui exigent de celui qui demande à se marier, (ju'il approche de la sainte table, ou mémo qu'il donne sa pro- fession de foy par écrit, mais s'il en est quelques unes, je doute bien fort qu'elles ayent esté reciies dans le royaume.

C'est vraisemblablement d'après ceprincipe, qu'un confesseur, qui seroit certain des mauvaises dispositions d'un pénitent qui sortiroit du tribunal, ne pourra pas lui refuser la communion, s'il se presentoit pour la recevoir. Pourquoi y auroit-il pour les mariages des règles plus sévères que celles establies pour le plus auguste de nos sacremens? La profanation de celui-cy n'est-elle pas inliniment plus grande, et si malgré cela la police générale et la crainte du scandale public font passer par dessus cette importante considération, dans le cas le sacrilège est évident, ne peut on pas conclure, à plus forte raison, qu'on ne doit pas refuser le sacrement de mariage à celui qu'on ne sçait pas aussi sûrement dans un état criminel, et qui, par les actes extérieurs qu'il fait, annonce au contraire des dispositions convenables.

On dira peut-estre que dans la supposition que je fais la com- munion n'est donnée, que parce que le refus emporteroit né- cessairement révélation du secret de la confession, je repondroi que ce danger ne se rencontreroit pas à l'égard d'un concubi- naire public, et dans d'autres cas à l'égard desquels mon rai- sonnement reste dans toute sa force.

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II semble que les loix de l'Etat qui tendent à favoriser la po- pulation et conséquemment les mariages ne sont point contra- riées par des loix positives de l'Eglise à l'égard de ceux qui, soit qu'ils descendent d'anciens protestans, soit qu'ils soient d'une ancienne famille catholique, ne remplissent pas les exer- cices de notre sainte religion, ou tout au moins qu'il n'y a pas de loy particulière pour ceux qu'on nomme N. C. qui les assu- jetisse nommément à certaines épreuves. Cela posé, on ne peut disconvenir que celles qu'on exige dans la province du Langue- doc, en différens diocèses, ne sont que des règles de discipline., qui sont laissées à la prudence de chaque evèque. Mais il est constant que ces sortes de règles peuvent être changées par eux toutes les fois qu'ils estiment qu'il en peut résulter un grand bien. Donc la question de sçavoir si celles faites pour les N. G. doivent ou ne doivent pas subsister, dépend de la balance à faire de l'utilité de leur existence avec les inconveniens qui peuvent en résulter pour l'Etat et pour la religion même.

J'ay déjà observé, et je ne crois que personne ne doutera de cette vérité, que les difficultés qu'éprouvent les N. C. pour se marier ou faire batiser leurs enfans à l'Eglise, les forcent pour ainsi dire à se rendre à des assemblées les predicants font ces deux cérémonies, qui, comme je l'ai dit, sont des actes de nécessité. Ces difficultés donnent lieu à des assemblées, et dés lors il ne s'agit plus que d'examiner s'il n'est pas de la der- nière conséquence d'arrester le cour de ces mêmes assemblées. Les maux infinis qui résultent des batesmes qui y sont faits, et des mariages qui y sont bénis, sont un premier motif bien puis- sant pour prouver combien il est important de les détruire. En elfet quel trouble n'aporte-t-il pas dans l'ordre civil? On ne voit que concubinage dans des paroisses entières ; on n'y aura bientôt plus que des enfans bâtards , les sucessions seront in- certaines, enfin te Roy est et sera privé de la connoissance du nombre de ses sujets N. G., puisque les enfans ne sont pas in- scrits sur les registres de bastemes des paroisses, connoissance

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(ju'il ost cejiondant important d'avoir. Une seconde réflexion ost (jue jilus il y aura des asseniijlccs, plus il y aura de protes- tans : l'oxercico d'uno religion en perpétue l'e.sprit; il est donc instant pour la loli^ion de noncourir à abolir celles qui ne ko lionnont (jue Iroj) i'rr(juemmpnl. Enlin elles sont capables d'ope- ror encore de plus -grands inconveninns, le Roy compte avec raison sur la fidélité de son peuple en gênerai, mais il est des moments de fanatisme, ou plusieurs à l'omiire de la religion croyent tout légitime et se croyent tout permis. Sa Majesté ne sera jamais en peine de rétablir l'ordre et de frapper les coupables. Sa puissance est telle qu'elle n'a rien à redouter, ce- pendant sa bonté paternelle l'engage à prévenir tout ce qui pourroit estre à ses sujets une occasion de se rendre coupables. C'est ce qui l'a engagé de rendre des ordonnances, soit pour l'éducation des enfants, soit pour la punition de ceux qui as- sisteroiont à des assemblées, et les troupes ont des ordres ilc marcbe pour les dissiper.

L'Eglise ne doit elle pas avoir la même tendresse pour ses enl'ans l't dessein d'en adopter un plus grand nombre? Ne doit- elle pas, en se preslant autant qu'il est possible, prévenir par une sage condescendance la destruction et le pillage de nos saints temples qui dans un moment de fureur ne seroient pas respectés, crimes dont le projet ne peut guerres estre conçu que dans une assemblée de gens animés par leur ministres etdont'i.i puni- tion n'empecheroit que le mal n'eut esté fait.

S'il est vrai que la religion et l'Etat ayent un interesL si pal- pable à empêcher que les N. C. ne s'assemblent, il n'est pas moins certain que les evesques ministres de l'un et principaux membres de l'autre ne soient dans l'étroite obligation de se pres- ter en tout ce qui ne blessera pas directement la religion même et la loy de leur conscience.

Il me semble que la conscience doit être pj^rfaitement tran- quille, toutes les fois ([u'on a suivi les règles ordinaires de la prudence. L'Eglise n'exige dans ceux qui veulent s'appro-

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cher de ses sacremens, <iiie Jjs dispositions intérieures dont il sullit de so contenter, d'actes extérieurs qui annoncent ces dispositions ou tout au plus d'interroger sans appareil et sans témoins celui qui demande le mariage, pour s'assurer de sa fa- çon de penser, (^o qui prouve que cette forme est suffisante, c'est i)rincipalement la conduite qu'ont tenue précédemment les evesques et celles que suivent encore quelques uns d'entre eux. Cette première rellexion donne lieu à une seconde qui est que le peu d'uniformité entre eux sur les épreuves qu'ils exigent etaldit toujours au moins qu'elles ne sont pas de nécessité. En- lin ce qui achevé de convaincre, c'est que ces mêmes conditions qui révoltent les N. G. n'ahoutissent à rien et ne remplissent pas l'objet pour lequel elles paroissent faites. En effet quand un homme aura déclaré par écrit qu'il veut faire profession de la religion catholique, s'il n'est pas de bonne foy, en sera-t-il moins protestant dans le fond de l'ame? S'il trompe son evesque et qu'une fois marié il cosse d'aller à l'église, a-t'on quelqu'action pour le contraindre ou pour le punir ? Non, sans doute. Il y a plus, s'il est cofivaincu d'avoir assisté, depuis sa déclaration faite, à quelque assemblée, est-il un juge qui sur un simple acte visi- blement souscrit par la nécessité de prendre une femme, prit sur lui de le condamner comme relaps ? J'ai bien de la peine à le croire, jusqu'à ce qu'il aura plu au roi d'expliquer dessus ses intentions, à quoy sa Majesté ne se portera vraisemblable- ment, que lorsque le corps ecclésiastique aura réduit les épreuves au point désirable.

.le croirois donc que, les N. G. ne pouvant être regardés que comme de mauvais catholiques , les evesques seront parfaite- ment en sûreté de conscience, quand ils les traiteront de la même manière; et comme on n'exige des uns ni communion ni profession de foy par écrit, et que d'ailleurs la constitution de l'Etat résiste à l'abjuration comme je l'ai observé, on ne doit pas en exiger d'avantage de la part des autres. Dieu seul con- noit le fond du cœur et ne peut estre trompé, l'homme au con-

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traire sujet à l'erreur, n'est pas cependant coupable de s'y livrer dans le cas dont il s'agit, lorsqu'il ne s'y détermine que par les actions extérieures sur lesquelles il luy est permis de juger.

Avant de finir sur ce point, il est bon de prévenir quelques objections qui pourroient estre faites. On dira peut estre :

Que les préalables qu'on demande au N. C. ne sont pas à la vérité de nécessité indispensable, mais qu'il sont des précau- tions surabondantes qu'on ne sçauroit blâmer dans une partie aussi essentielle que la dispensation des sacremens de l'Eglise.

Que les protestans sont séparés de la communion des (idcllos, de.'< pécheurs publics qu'on ne peut admettre dans le sein de l'Eglise, qu'après s'estre assuré plus particulièrement, et d'une manière éclatante, de la sincérité de leur retour.

Que la condescendance, qu'on souhaite do la part des evesques, ne remedicroit pas au mal, puisqu' avant qu'il y eut des assemblées on Qt des mariages et baptesmes, les protes- tants ne se marioient pas à l'Eglise et se contentoient d'un simple contract civil devant notaire, au moyen de quoy le mary et la femme habitoient ensemble.

Enlin que le meilleur moyen d'arrester le cours des assem- blées est d'exécuter à toute rigueur les ordonnances du Roy, de sévir sans miséricorde contre ceux qui y auront assisté, et que dès qu'on a cette voyo pour remplir cet objet, il est impor- tant pour la religion que les evesques restent chacun dans leurs principes et ne paroissent molir.

Je réponds à la première objection, que dès qu'il n'y a pas de règle dont l'exécution soit de nécessité, et que d'un autre costé il s'agit de se prester pour remédier à un mal qui inte- resse l'Etat et la religion, on est pas non seulement blâmable, mais que même on est louable de s'en tenir aux précautions or- dinaires, sauf en prendre de surabondantes, l'excès de prudence estant en cette occasion comme en plusieurs autres une imper- fection plutôt qu'une vertu. Tant pis pour celui qui trompe ; on ne doit pas moins l'en croire pour le mariage que l'on fait

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pour l'Eucharistie donL la profanation est bien un autre crime.

La seconde objection se resoud par une simple reflexion. Il n'est point en France de pécheur public, s'il n'a esté nommément déclaré tel par une sentence dans toutes les formes ; or, pour que les N. G. puissent estre regardés sous cet aspect, il faudroit un jugement qui prononça contre chacun d'eux en particulier. Je ne crois pas que cela ait esté observé, et si on l'entreprenoit, je ne crois pas qu'on y réussit, parce que la non assistance aux offices divins ne sera jamais regardée comme un motif suffi- sant pour fonder une condamnation régulière, et que n'y ayant pas dans ce royaume d'exercice public de la R. P. R. on ne parviendra pas à prouver aux protestans qu'ils sont tels : rien ne leur est plus aisé, quand il le voudront, que d'écarter toutes les preuves de leur véritable croyance.

A l'égard de la troisième objection, je ne nierai pas, qu'avant que les assemblées fussent aussi fréquentes qu'elles le sont, il y avoit quelques N. G. qui sans estre mariés ni à l'Eglise ni au Désert vivoient avec la femme qu'ils avoient choisie au moyen d'un simple contract par devant notaire, mais il faut qu'on con- vienneaussi que c'estoitle très petit nombre. D'ailleurs on ne doit pas argumenter de certains faits particuliers dans un affaire gé- nérale. Ne sçait on pas que dans toutes les religions du monde, il y a eu des fanatiques et des concubinaires? La protestante n'en est pas plus exente que les autres. Il suffît qu'il soit convenu pour les protestans que leurs mariages doivent estre bénis par une personne ayant caractère, pour qu'on puisse en conclure que le plus grand nombre n'a jamais négligé et ne négligera jamais cette formalité. Indépendamment des exemples multi- pliés qu'on pourroit citer, ne doit-on pas présumer que les lu- mières de la droite raison conduiront tous lesN.G. à assurer un état à leurs enfans, lorsque les moyens de ,1e faire par un mariage en face de l'Eglise ne leur seront pas rendus trop difficiles?

Enfin, et c'est la réponse à la quatrième objection , c'est une grande erreur de penser que la crainte des peines et des traite-

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ment rigoureux, soient capalilos il emiiêcher (jue les N. G. con- tinuent de s'ag.senibloi-. L'esperionce apiirend tous les jourri que les cliatimcns nirme cori)orel,s ot les amendes pécuniaires ne re- médient à rien et que les persécutions n'ont jamais détruit en- tièrement aucune religion. Ne doit on pas sentir aussy, com- liien il en coûte ù Sa Majesté et à ceux qui ont à exécuter ses ordres, d'avoir toujours le fer à la main pour fraper ses projires sujets, surtout pour fuit de cioyancc.

Espérer de faire changer de sentimens à tous ceux qui dans le fond de l ame sont protestans, c'est se llatter d'un succès im- possible, quoiqu'on puisse faire. Mais quand on se bornera à em- pêcher l'exercice de la R. protestante, on y pourra réussir, ainsi qu'on l'avoit fait précédemment. Ce ne pourra estre cependant (ju'en agissant consequemment à la distinction que j'ai es- posée plus iiaut. Personne ne désobéira au Roy (au moins, on doit le présumer) et ne s'exposera à la perte de sa liberté, de ses biens et de sa famille, lorsqu'il ne sera question que de quel- ques prières ou lectures qu'on fait plus commodément et sans aucun risque dans sa maison. Mais les mariages doivent estre bénis. Ce sont des actes de nécessité, et comme on ne détruira jamais dans l'homme le désir de s'unir à la femme, il est indis- pensable que la cérémonie en soit faite à l'Eglise catholique ou au Désert.

S'il est donc visible et palpable que les mariages sont le véri- table motif des assemblées , je conclus que ce n'est qu'en ren- dant facile les uns, qu'on parviendra à aboUr les autres. Les suites de celte condescendance qui n'intéresse que la con- science des evesques, comme je l'ai observé, ramènera insen- siblement au giron de l'Eglise, sinon tous ceux qui sont imbus de préjugés qu'ils ont succès avec le lait, du moins une partie, et plus sûrement leurs descendans. C'est à ce double objet que doivent tendre les vœux de tous les François , soit qu'on les considère comme catholiques, soit qu'on les regarde comme ci- toyens.

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Pour toucher ce but désirable à tous égards, le concours des deux puissances est absolument nécessaire. En vain le Roy fora des ordonnances ; en vain ses ofliciers prononceront des peines, on ne di'ti uira pas le mal, et on ne procurera pas le bien, si les evesfjues ne se prestent pas.On ena fait sentir les raisons. En vain aussi les evesques se presteroient-ils, si le gouvernement ne fai- soit pas exécuter ensuite avec la plus grande exactitude les loix générales rendues sur cette matière. Quand on croit avoir lieu de se flater de l'impunik', on se dispense de faire des rellexions, et on suit plus volontiers les hal)itudes qu'on a contractées.

Pour établir ce concours, je croirais que les evesques pour- roient ordonner à leurs curés,

de supléer les cérémonies du batesme aux enfans des N. G. qui seroient présentés à l'Eglise sans difficulté, et à l'égard de ceux procréés de mariages faits au Désert, de ne point leur don- ner la qualilication de bâtard sur les registres, mais d'écrire simplement qu'ils sont enfans d'un tel ou d'une telle. J'avoue que je n'ai jamais bien compris pourquoi quelques evesques ont exigé que cette odieuse qualification fut insérée dans les actes. C'est éloigner toujours davantage les protestans de nos Eglises, sans remédier absolument à rien. Tout enfant, qui n'est pas dit lils naturel et légitime, est très certainement jjatard; mais à quoi bon l'exprimer?

i^d' obliger touslessujets du Roy, indistinctement, de quelque qualité et condition qu'Us soient, qui demanderoient le sacrement de mariage, et n'auroient pas fait depuis longtemps les actes extérieurs de R. G., d'assister pendant trois mois aux messes paroissiales et au service divin, et, dans le cas ils auront esté exacts de leur impartir la bénédiction nuptiale, après les avoir instruits de la dignité du sacrement. Je ne sçaurois trop repeter à cet égard qu'il y ajuste sujet de croire qu'un homme dans le royaume, oii il n'y a qu'une seule religion, est de bonne foy lors- qu'il remplit pendant trois mois et publiquement les devoirs ordi- naires d'un catholique, et qu'il ne tient pas des discours qui de-

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truisent cette présomption, que les autres épreuves ne sont point de nécessité, et qu'elles sont inutiles, en ce que la rechute de la part d'un N. C. qui ne s'y seroit soumis que pour se ma- rier, et qui les auroit interrompus incontinent après, ne suffirolt pas dans les tribunaux pour le faire regarder comme relaps.

8i ce plan estoit adopté par les prélats, j'estimerois que la con- duite à tenir par le gouvernement seroit de faire exécuter aux peines portées, et avec la plus grandes exactitude, les ordon- nances et règlement généraux et particuliers précédemment faits à l'occasion des N. C. Ils sont de la connoissance de tout le monde, et la sagesse et la suffisance de leurs dispositions ne sont révoqués en doute par qui que ce soit. Cependant il pour- roit peut estre paroître convenable que le Roy donna une décla- ration qui enjoignit à ses sujets N. G. qui se seroient mariés au Désert ou y auroient fait baptiser leurs enfans de faire rehabiliter dans le délai de six mois leur mariage en fasse de l'Eglise et de faire supléer les cérémonies de batesme dans quinzaine, le tout à compter du jour de la publication et lec- ture qui auroit été faite de la dite déclaration dans chaque paroisse, un jour de dimanche, à l'issuë des vespres; de la- quelle lecture et publication seroit dressé procès-verbal par les maires et consuls pour estre envoyé à l'intendant; que Sa Majesté accordera amnistie entière à ceux qui satis- feroient dans le dit délai, passé lequel tems, les désobeissans, ensemble ceux qui depuis la dite publication se seroient mariés au Désert ou y auroient fait baptiser leurs enfans, seroient constitués prisonniers, jugés sans forme ni figure de procès par le commandant ou en son absence par l'intendant de la province et condamnés aux peines portées par les ordonnances, même à celle de galères, s'il y échoit.

Il y a tout lieu de penser que cette déclaration produiroit tout l'effet qu'on en doit attendre; que la plus grande partie des mariages seroient réhabilités, et que les N. C. se deshabitueroient d'aller au Désert.

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On objectera peut estre que, convenant qu'il a esté lait des mariages au Désert, je dois convenir aussi que ceux qui en se- roient coupables, seroient dans le cas do faire abjuration, puis- qu'ils auroientfait un acte non équivoque de la R. P. R.

Je reponds que dans le fait il est à la vérité notoire qu'il a esté fait au Désert des mariages et des baptêmes, mais que dans le droit la preuve n'en sera parfaite qu'à l'égard de ceux contre lesquels il aura esté rendu des jugemens. Les autres ne peuvent estre considérés que comme gens qui ont vécu dans une habi- tude criminelle. Je ne pense pas que l'abjuration doive indis- pensablement estre faite par les premiers, d'autant plus, que s'agissant de ramener a la règle et de la faire aimer, il semble que toutes les difficultés doivent disparoistre, des que la modé- ration dans les choses qu'on exige n'attaque ni le dogme ni la discipline générale de l'Eglise, et assurément le deffaut d'abju- ration ne blesse ni l'un ni l'autre. Les batesmes sont encore dans un cas plus favorable, puisque l'enfant qui est la partie princi- palle, ne peut estre coupable de rien.

Je reviens donc à dire qu'il suffiroit d'ajouter à l'attention suivie qu'on auroit de prévenir, d'empêcher et de séparer les as- semblées et de punir les contrevenans, d'ajouter, dis-je, la pré- caution dont je viens de parler, et notamment la déclaration que je propose de rendre. Il en résulteroit un bien infini, puis- qu'en supposant le concours des evesques, elle donneroit a un très grand nombre de familles le moyen d'assurer l'état de leurs enfans, d'établir une règle dans la succession et de transmettre leurs biens à leurs descendans légitimes. D'un autre costé, les N. G. excusables en quelque sorte dans les circonstances pré- sentes, n'auroient plus aucun prétexte apparent à alléguer pour leur deffense, et ce seroit un grand soulagement pour ceux qui auroient à les juger, car je ne dois pas vous laisser ignorer, Monseigneur, que ce n'est qu'avec une répugnance extrême qu'il m'arrive de condamner des particuliers pour fait de re- ligion. Je vois que, dans toute autre matière, les N. G. ne cèdent

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point aux autrefï sujets du Roy pour la fidélité et pour l'obéis- sance; et que ceux marnes qui se convertissent de bonne foy no refusent pas sans quelque sorte do fondement la déclaration qu'on leur demande par écrit. Je ne pense pas, et je l'ai déjà dit plusieurs fois, qu'une jiiece de cette espèce suffise pour les faire regarder comme relaps, mais la plupart sont illétrés et empor- tent un autre jugement. Leurs ministres n'ont cessé de leur faire entendre qu'on ne chercboit qu'à les surprendre et à les perdre ; en faut il davanlaue ]iourles allarmer? N'ont-ils f)as lieu de craindre que le deflaut de devoir pascal qu'ils ne manque - roient de remplir que par l'avis d'un confesseur, comme cela ar- rive à beaucoup de catholiques, ne leur fut imputé à crime; qu'on ne couvrit du voile de la religion des innimitiés qui se- roiont le véritalile motif des persécutions qu'ils eprouveroient, et qu'avec un acte par écrit, on ne vint à bout de les faire décla- rer atteints et convaincus, tandis que dans le fond de leur ame ils n'auroient aucun reproche à se faire sur le fond de leur croyance?

J'avoiie avec franchise que ces considérations font que je suis touché de compassion, toutes les fois que pareilles afl'aires sont portées devant moy; et c'est contre ce sentiment bien naturel que j'aurois besoin d'estre rafermi, si tant est que les choses dussent subsister dans l'état elles sont; mais j'es])ère, Mon- seigneur, que je ne serois pas réduit à cette triste nécessité.

Vous avés désiré savoir ce que je pensois des mariages et ba- tesmes. .Te n ai pu renipUr vôtre objet qu'en traitant en général les alfaires de la religion relativement auxN. G. Je me suis ex- pliqué avec la liberté permise dans une lettre, et sans aucune prévention pour mes sentimens particuliers, dans la viie unique de remplir mes devoirs et de procurer, s'il est possible, un plus grand bien. Pénétré de respect pour l'Eglise et pour ses ministres, je n'ai prétendu en aucune manière mettre la main à l'encensoir, moins encore attaquer le dogme ou la discipline. Cette protesta- tion de ma façon de penser me paroit nécessaire par la raison

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toute simple que, n'estant pas théologien et ignorant beaucoup de choses, il n'est pas impossible que je n'aye avancé, sans le vouloir, quelque proposition erronnée. Si je suis tombé clans cet inconvénient, daignés m'en faireappcrcevoir et je ne tarderai pas à me rectilier. J'ay l'honneur, etc.

Signé : de st. priest.

A Montpellier, le 30 avril 1751. , (Archives naliouales, TT. 325-326.]

N" XVllI

TRÈS-HUMBLE ET TRÈS-RESPECTUEUSE REQUÊTE DES PROTESTAIS DE LA PROVINCE DU L^V^'GUEDOC AU ROY

Sire, Les protestans de vôtre province de Languedoc se jet- tent aux pieds de "Votre Majesté pour implorer votre clémence. La confiance qu'ils ont dans le cœur paternel de leur Roi Bien- Aimé, est seule capfihle de les soutenir au milieu des terreurs qui les environnent et des vives allarmes qui les agitent.

Ces infortunés vivoient. Sire, dans la plus grande sécurité, à l'ombre d'une tolérance que les lumières du sièc le, f intérêt de l'Etat, et surtout l'équité et l'humanité de leur souverain, sembloient, cimenter et affermir pour jamais. Dans le doux es- poir qu'ils avoient conçu de pouvoir désormais se reposer sans crainte chacun sous sa vigne et sous son figuier, ils bénissoient de concert votre règne auguste; ils s'abandonnoient avec allé- gresse au penchant qui les attache à leur patrie, penchant si naturel dans tous les hommes, et si raisonnable dans tous vos sujets; le commerce et l'agriculture y fleurissoient entre leurs mains ; ils peuploient, ils cultivoient, ils eurichissoient les con- trées qu'ils habitent.

Un coup impré™, en troublant cette heureuse sécurité, vient

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de porter la désolation et l'effroi dans cette province. L'époux consterné tient entre ses bras son épouse tremblante et craint de se voir forcé à briser lui-même des nœuds que la nature, l'amour et la religion ont consacrés ; la mère désolée cache dans son seing l'enfant qu'elle nourrit et tremble à chaque in- stant qu'on ne vienne lui arracher cette précieuse partie d'elle- même. Nos maisons ne retentissent plus que des sanglots de l'affliction ou des cris du jiésespoir.

Tels ont été, Sire, les effets .subits des ordres qu'on a fait si- gniQer à plusieurs d'entre les principaux habitants de vôtre ville de Nîmes.

Montpellier est dans le même cas. Il a été enjoint à quelques particuliers de cette ville, mariés au Désert, de se séparer de leurs femmes, et de porter leurs enfans à l'église, pour qu'on leur suplédt les cérémônies du baptême.

On leur ordonne de faire célébrer leurs mariages et le bap- tême de leurs enfans dans l'Eglise romaine; c'est-à-dire, qu'on veut les contraindre à renoncer à la religion qu'ils croyent la seule véritable, puisque les curés refusent de prêter leur minis- tère, à moins que ceux qui ont recours à eux, après avoir fré- quenté pendant quelque tems les exercices de la religion catho- lique, n'abjurent celle qu'ils professent.

Depuis quelque tems, la plupart des curés n'exigent point d'abjuration par écrit, mais une simple profession de foi verbale. Voici la formule du certificat que les curés du diocèse [d'Alais doivent fournir aux protestans do leurs paroisses, et que ceux- ci doivent rapporter pour obtenir la permission d'épouser. Cette formule est prescrite dans une lettre circulaire de M. l'évêque d'Alais, en date du 10 avril 1754, et elle est suivie pour le fond dans tous les diocèses.

« Je certifie avoir publié pendant deux ou trois dimanches ou fêtes consécutifs les bans de mariage N. N. Je certifie de plus, que N. et N., mes paroissiens, étant nouveaux catholiques, sont assidus aux prônes et à la messe paroissiale depuis quatre

PIÈCES ET DOCUMENTS INÉDITS 497

mois; que les ayant interrogés plusieurs fois, s'ils vouloient vivre et mourir dans la religion catholique, apostolique et ro- maine, ils m'ont toujours répondu qu'ils étoient dans cette ré- solution; qu'ils sont suffisamment instruits des vérités de notre foi; .qu'ils ont fait leur confession, et qu'ils sont disposés à s'approcher du sacrement de l'Eucharistie, lorsqu'on le jugera à propos. Je certifie encore qu'ayant veillé soigneusement pen- dant les quatre mois sur le reste de leurs actions et de leur conduite, soit par moi-même, soit par le ministère de gens di- gnes de foi que j'ai employés à cet eflbt, il ne m'est rien revenu qui puisse faire douter que la profession qu'ils font de la religion catholique ne soit sincère. En foi do quoi, j'ai signé le présent certificat. »

Il ne s'agit point, Sire, de la cause de quelques particuliers : ce sont plus de douze mille familles du seul diocèse de Nîmes, plus de quatre vingt mille de la province du Languedoc, c'est un peuple entier qui réclame votre justice et le droit qu'il a sur le cœur compatissant de Votre Majesté.

Si l'attachement pour une religion dans laquelle on naquit, qu'on a succée avec le lait, qu'on a aimée dès qu'on a fait usage de sa raison, à laquelle on s'est consacré, après l'avoir exami- née dans l'âge mûr; si un tel attachement est un crime, tous les protestans de votre royaume en sont coupables. Mais, Sire, quelle seroit l'ame assez dépourvue d'humanité, pour pronon- cer une sentence contre laquelle l'équité, la nature et la raison s'éléveroient de concert? Quand même notre foi ne seroit fon- dée que sur des préjugés, la charité permettroit-elle d'employer la violence pour la dissiper? Non, Sire, la violence roidit les esprits qu'il faut éclairer, et ce moyen, inutile au but qu'on se propose, est encore plus contraire au caractère bienfaisant de Votre Majesté.

On reclame les loix du royaume contre les mariages des pro- testants ; mais. Sire, ces loix ont été faites dans des temps

malheureux, l'on posoit pour jirincipe qu'il n'y avoit point II " 32

4i)« IM^;CES"ET DOCUMKNTS INÉDITS

(le protestans en France. Est-il possible aujourd'hui de soutenir une assertion si illusoire et si hautement démentie à la face de tout l'univers? Il en est, Sire, des protestans dans votre royaume; ils y sont en très grand nombre pour le bien de l'a- griculture, pour le soutien des fabriques, pour l'extension du commerce ; ils sont répandus dans le barreau, ils peuplent la marine, ils fourmillent dans vos armées. Cette génération mal- heureuse, connue dans les ordonnances sous le nom de Nou- veaux Convertis, est passée ; une autre a succédé qui, ayant en horreur la dissimulation de celle qui l'a précédée, fait une pro- fession publique de sa foi, à l'ombre d'un gouvernement dont l'équité ot la modération forment le caractère. Peut-on avec justice lui appliquer les loix qui n'ont pas été faites pour elle, des loix qu'une longue désuétude semble avoir abrogées?

Si ces loix pouvoient avoir quelque force contre les protes- tans, ce ne seroit point, nous osons le dire, au clergé romain de les invoquer. En ell'et. Sire, comment les ministres du sanc- tuaire peuvent-ils concevoir le projet de traîner aux autels et d'initier par force à leurs mystères sacrés un peuple qui fait profession ouverte d'une foi opposée à ces mêmes mystères ? Ne devroient-ils pas plutôt être les premiers à demander au souverain une loi nouvelle, propre à prévenir de telles profa- nations? Loi juste, loi nécessaire, que le bon ordre et la sûreté des citoyens exige et que nous attendons avec confiance de la bonté paternelle de Votre Majesté.

Ce qu'on exige de nous, par rapport au baptême de nos en- fans, n'est pas moins douloureux que ce qu'on veut nous faire éprouver dans nos mariages. Comment pourrions-nous nous résoudre à voir qualifier nos enfans de bâtards dans les regis- tres publics? Les curés leur refusent la légitimité, à moins que par une dissimulation criminelle nous n'ayons acheté la béné- diction nuptiale de quelque prêtre. C'est la méthode qu'ils ont suivie dans le gouvernement de Guyenne, par rapport à ces enfans malheureux que l'exécution militaire leur a livrés tout

PIÈCES i<;t documents iNÉni'j's 499

récemment : c'est celle qu'ils observent rigoureusement dans toutes les provinces.

La loi, il est vrai, Sire, n'abandonne point au caprice des curés l'état des enfans qui leur sont présentés pour être bap- tisés ; le sort des citoyens ne dépend point des qualifications qu'ils reçoivent dans cette cérémonie religieuse, et le prêtre n'a le pouvoir ni d'oter ni de donner la légitimité. Cependant, Sire, le silence du pèro dans une toile conjoncture sembleroit em- porter un consentement odieux, et les protestans ne pourroient rompre le silence sans donner lieu à des clameurs qui intéres- seroient la tranquillité publi(juo.

Mais, quand même les considérations humaines pourroient nous permettre de recourir aux curés pour le baptême de nos enfans, la religion, la conscience, plus fortes que les intérêts temporels, nous imposeroient une loi toute contraire.

En effet, Sire, sans parler des cérémonies opposées à notre croyance, contenues dans le Rituel romain, le père qui envoie son enfant au curé de la paroisse, le consacre à une église dont il a cru être obligé en conscience de se séparer lui-même; le parrain et la marraine qui se présentent s'engagent formelle- ment à l'élever dans cette même Eglise ; ils promettent au nom de l'enfant lui-même qu'il vivra et qu'il mourra dans une foi contraire à celle qu'ils professent, et qu'ils sont dans le dessein de lui inspirer. Ne seroit-ce pas, Sire, ajouter le parjure à la profanation ?

Ne seroit-ce pas entasser la fourberie, l'impiété, l'abus de fout ce qu'il y a de plus sacré parmi les humains -"

Pardonnez, Sire, si nous osons mettre sous les yeux de Votre Majesté une contradiction frappante, bien propre à faire con- noitre l'esprit de ceux qui nous persécutent. Ils implorent Votre autorité Royale pour nous contraindre à recevoir des sa- cremens que notre conscience refuse, et, dans le même temps, les tribunaux retentissent des plaintes d'une autre portion de vos sujets aux(|uols les mêmes ministres refusent, sur les plus

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légers soupçons, les sacremens qu'ils demandent avec instance. Est-ce l'esprit du Christianisme qui suggère une conduite si contradictoire ? N'est-ce pas plutôt l'effet d une politique sinis- tre ? Et les protestans ne sont-ils pas excusables, si dans l'a- mertume de leur cœur ils n'y découvrent qu'un dessein formé de les pousser dans le plus affreux désespoir, afin d'obliger Votre Majesté à les punir avec justice.

Ah! Sire, si tel est leur funeste dessein, qu'ils sachent que leurs odieux efforts seront toujours impuissans. L'obéissance, la soumission, rattachement à notre Auguste Souverain, sont des devoirs auxquels la nature, notre religion, la reconnoissance, l'amour ne cessent de nous inspirer. Nous fuirons plut<jt loin de notre chère patrie: nous abandonnerons plutôt la douceur de ces climats, nos champs, nos manufactures, notre com- merce; nous irons plutôt dans un exil volontaire nous joindre à nos frères dispersés parmi les nations ; ou, s'il reste encore quelques terres incultes aux extrémités de l'Europe, nous irons plutôt y chercher un azUe, et contre les violences des intolé- rans, et contre les tentations du désespoir dans lequel ils cher- chent à nous précipiter.

Daignez, Sire, tendre une main secourable à vûs sujets in- fortunés. Daignez dissiper d'un regard les cruelles allarmes qui les agitent. Toute leur consolation est dans le témoignage de leur conscience, tout leur espoir est dans votre clémence et dans votre humanité. Ils ne cesseront, Sire, de pousser vers le ciel les vœux les plus ardents pour la conservation de Vôtre personne sacrée et pour la prospérité de Vôtre règne.

FIS DES PIÈCES ET DOCUMENTS

TABLE DES MATIÈRES

CHAPITRE PREMIER.

SÉJOUR d'aNTOINE court a LAUSANNE (1730-1744).

Lausanne au dix-huitième siècle. Arrivée d'Antoine Court (novem- bre 1729). Amis et bienfaiteurs : Polier, le major de Mont- rond..., etc. Sa famille s'accroît. Il obtient de Berne une pension annuelle. Voyage à Berne. Mort d'une de ses filles et de sa mère. Le jeune Court de Gébelin. Mécontentement des Eglises sous la croix. Tracasseries auxquelles il est sujet. Son dévouement. Lettre à Corteiz. Arrivée de Bombonnoux et de Faure. Les réfugiés. Lettre sur les mariages. Apologie au cardinal Fleury. Antoine Court cherche à éveiller les sympathies de l'Europe protestante. Lettre à Joblonski. Correspondance avec le comte de Zinzendorf. Lettre îi Frédéric le Grand. Il veut écrire l'histoire du protestantisme. Son plan. Lettre-cir- culaire pour se procurer des documents. Son projet éveille les susceptibilités de Genève. Déceptions. Il prie Duplan de cher- cher des documents. Histoire des Camisards. . . . Page 1.

CHAPITRE II.

I.E SÉMINAIRE DE LAUSANNE (1730-17(30).

Le séminaire en 1730. Position d'Antoine Court; il n'a aucune attache officielle avec le séminaire. Tolérance de Berne. Prospérité de l'établissement; il s'organise. Ecoles prépara- toires; premiers élèves. Conditions requises pour être admis.— « L'esprit du Désert. » Position des étudiants. Leur sort s'a- méliore. — Premiers professeurs. Programme des études : la polémique et la controverse y tiennent une grande place. Court maintient à Lausanne le séminaire, malgré les conseils de ses amis qui veulent le tran'îportpr pu Fr.iin'p pour le mettre h l'abri des

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TABLE DES MATIÈRKS

idées nouvelles. Court y iiitjoiiuit l'étude du grec et du latin. Il oblige les étudiants h faire « des propositions. » Il les prépare aux labeurs de leur futur état. Peu de considération de la po- pulation vaudoise pour ces jeunes campagnards. La patrie. La consécration. Difficuhés jjour ol)tenir l'ordination en Suisse

Court s'y oppose. Un Synode laisse la liberté du choix aux étudiants. La consécration doit se faire en secret. Départ des étudiants. Difficultés du voyage I3;ile et le séminaire. Nom- bre des étudiants Page 31

CHAPITRE III

J-E REFUGE AU Ul.X-nUlTiK.ME Kli-XI.K (n30-1760;.

Discrétion de l'hoirie sur l'origine des fonds qui entretiennent le séminaire. Le Comité de Genève ou l'Association de secours pour les fidèles affligés. Les bienfaiteur.* sont les protestants de l'étranger et les anciens réfugiés. Court excite les ])roiestants de France h collecter des fonds. Voyage de Duplan dans l'Europe protestante. Les réfugiés. L'Angleterre; état de cette nation, heureux résultats. La Hollande: prospérité du pays; empresse- ment des Hollandais pour Duplan et son œuvre. Indifférence du l'oi de Prusse. Duplan poursuit son voyage, il passe en Suède et en Danemark. Il y est accueilli avec faveur. Il revient, il trouve son œuvre détruite en Angleterre. Il ne se décourage pas et recommence ses sollicitations auprès du roi et de la reine. Elles sont couronnées de succès. Organisation du comité de Londres.

Résultat général du voyage de Duplan. Duplan h Londres. Il accuse Court de vouloir le supj)lanter. Désaccord avec le comité. Des arbitres communs apaisent le différend. Con- duite de Court pendant ces débats. Duplan reconnaît ses torts.

Nouveaux réfugiés. Court combat l'émigration. - Les princes étrangers font des proj)ositions aux protestants de France. Le duc de Brunswick et l'Angleterre. Les émissaires du comte de Zinzendorf sont combattus par Court et les pasteurs du Désert. Offres de l'Angleterre. Lettre de Viala. Les négociations n'a- boutissent pas. Considérations de Court sur l'émigration. Persécution de 1752. Antoine Court encourage l'émigration Nouvelles propositions de l'Irlande : elles sont acceptées. Déparc de M. de Bellesagne, à la tête d'une première bande; nouvelle bande d'émigrants sous la conduite de Coste; autre bande avec Pajon. Mesures prises pour empêcher l'émigration. Sort des réfugiés en Angleterre. Les mécontents rentrent en France. Fin des émigrations Pag .59.

TABLE DES MATIÈRES

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CHAPITRE IV.

QUATORZE ANNÉES DE LUTTES (1730-1744)

Continuation de la persécution ; l'amenfle, la rlaie, soldats à loger, séquestrations, lilancs-seings. Les auto-da-fé. MM. dTverny, de Polestron et Bernage sévissent à Nîmes. Des auto-da-te, on passe aux prédicants. La première victime est Pierre Durand. Son courage devant ses bourreaux. Son supplice. Claris est fait prisonnier : il s'échappe. La persécution s'étend. Dans la Saiutonge, on s'empare de Cliapel. Les fidèles du Poitou, du Dauphiué, de la Guyenne, sont également persécutés. Méconten- tement du clergé. Intendants et curés s'accusent de négligence.

Embarras de la cour. Le parti de la persécution l'emporte. Supplice de Dortial. Mort de Maurand. Persévérance des pro- testants.— Ecoles ambulantes. Bétrine en prend l'initiative. Centralisation des atïaires. Division du Languedoc en districts.

Ces divisions ne peuvent se maintenir. Les Synodes seuls sont entourés Je respect Nouvelle génération de pasteurs. Pau! Rabaut et les protestants. Rabaut part pour le séminaire de Lau- sanne avec Pradel. Opinion de Court sur Rabaut. Caractère de ce dernier. Viala dans le haut Languedoc. Son succès dans le comté de Foix. On rappelle Viala dans le haut Languedoc et la haute Guyenne. Son activité. Il organise tout. Il va se l'aire consacrer en Suisse. De retour en France, il reprend son œuvre, secondé par Jean-Baptiste Loire. Il se rend dans le Poi- tou. — Situation de cette province. Caractère des habitants.

Succès de Viala. Il rencontre Préneut'. Il envoie Loire se- conder Préneuf en Normandie. Viala k son tour se rend en Nor- mandie (1742). Il y réorganise l'église. Il revient dans le haut Languedoc. Dans l'Est, Roger travaille h réveiller le Dauphiné.

Le nombre des églises s'accroît. La persécution se ralentit.— Le maréchal de Saxe et les protestants. Mort de Fleury. Louis XV oublie les protestants. Le duc de Richelieu. Sa tolé- rance. — Reprise des assemblées. Rabaut et Pradel de retour de Lausanne continuent leur œuvre Le clergé s'émeut. Ses ca- lomnies.— Les assemblées n'en continuent pas moins. Richelieu fait semblant de sévir. Connivence du pouvoir. . . Page 89.

CHAPITRE V.

SCHISME DE BOYER. RETOUR d'aNTOINE COURT EN FRANCE (1730-1744).

Boyer : son caractère, son activité, son ambition, sa dureté. Il indis- pose les religionnaires. Différends avec Corteiz. On commence

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TABIJ-; DES MATIÈRES

h soupçonner Boyer. Ses relations avec Suzanne Février. Convocation d'un Synode, Attitude de Boyer. Il se fait des partisans. Il se défend au Synode provincial (avril 1732). Le Syn de ordonne la déposition de Boyer. Il continue son ministère.

Commencement du schi-me ; Boyer est à la tête d'un parti. Mémoire envoyé en Suisse contre Boyer. Celui-ci écrit son apo- logie. — Prétentions de Boyer. Décision du Synode national (1735). La querelle s'envemine. Oppositions. Rahaut appelle Court en France. Il revient (i744). Nouveau mode de conci- liation. — Court est chargé de l'affaire. Sa lettre à Berne. Son voyage et son arrivée. Le 19 juin, il convoque un colloque. Dispositions favorables. Commission arbitrale. Il ne cesse de prêcher. Jugement des arl)itres sur l'affaire de Boyer. Répa- ration de ce dernier. Synode national : Boyer fait sa soumission (1744). Court rétablit Boyer dans sa charge de pasteur. Dé- claration de Boyer, Grail et Gaubert. Fin du schisme. Court travaille à l'apaisement des esprits. Reconnaissance des provinces pour lui. Sa tournée en Languedoc, son séjeur à Uzès. Il est nommé député général des églises de France (18 août), Contraste entre les deux époques 1729 et 1744. Il retourne en Suisse (2 octobre 1744) Page 125.

CHAPITRE VI.

RÊVES ET ILLUSIONS (1744).

Le protestantisme b'affirme: situation prospère. .Joie d'Antoine Court. —Eglises de Normandie.— Eglises du Poitou, de la Guyenne, Rouer- gue, Provence, Dauphiné, Languedoc. Ardeur des protestant*. Les assemblées du Désert. Tolérance du gouvernement Les protestants s'enhardissent. Baptêmes et mariages. Synode na- tional. — Son importance. Ouverture du Synode. Sa compo- sition. — Court décline la dignité de modérateur du Synode. Décisions du Synode. Pi'Otestations de fidélité. Maladie de Louis XV. Tristesse des [)rotestants. Clôture du Synode. Rabaut communique à l'inten-lant les délibérations. Indignation de Bernage. Les protestants espèrent voir la révocation de la décla- ration de 1724. Le clergé commence à s'irriter. Ses calomnies. Protestations des pasteurs du bas Languedoc. Obstination du clergé : ses plaintes. Mécontentement de la cour. La persé- cution semble près de recommencer. Court et le prince de Hesse.

Mesures prises par les associés pour les fidèles affligés. Comité central de Lausanne. Comités d'action en France et à l'étranger. Derniers succès. Fin de l'anné» Page 151.

TABLK DES MATIÈRES

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CHAPITRE VII.

LA GRANDE PERSÉCUTION (1745-1752).

L'année 17-15 s'ouvre sous de fâcheux auspices. Arrestations. Court ne perd point espoir. Le clergé voit avec peine les progrès de la restauration du protestantisme; il renouvelle ses plaintes.

Assemblée générale du clergé (février 1745). Discours de l'évêque de Saint-Pons. Ses attaques contre la tolérance. Une mission est déléguée auprès du roi pour attirer son attention sur les progrès du protestantisme. Résultat de cette entrevue. Nouvelles ordonnances. L'intendant Le Nain. La persécution se déchaîne. La persécution en Dauphiné : supplice de Ranc et de Roger. La persécution en Languedoc : répétition des dragon- nades, massacre de Vernoux, supplice de Désubas. La Guyenne n'est pas plus épargnée. Les religionnaires perdent courage. La cour craint un soulèvement général à l'instigation de l'Angle- terre. — Uitistructioyi pastorale. Négociations de Resch et de Maigre. Lettre des ministres du bas Languedoc à l'intendant Le Nain. Nouvelles protestations de fidélité de la part des pasteurs.

Le Nain et la cour se tranquilisent. On admet les protestants à concourir à la défense du territoire contre les Anglais. La persécution ne tarde pas à recommencer. Le Poitou et la Nor- mandie sont frappés. Supplice de Desjours. Abjuration d'Ar- naud. — Négociations et paix d'Aix-la-Chapelle. Mort de Claris (nov. 1748). Nouvelles persécutions : enlèvements d'enfants, pro- fanation de morts. Supplice de Boursault. Surprises d'as- semblées.— La cour veut revenir à la tolérance; mais le clergé, dans son assemblée générale, se plaint de nouveau ; la cour ordonne de recommencer la persécution (1750). On s'attaque à la famille. Saint-Priest succède k Le Nain. L'enlèvement des enfants devient une mesure générale. Il est interdit aux religionnaires de se marier au Désert et d'y faire baptiser leurs enfants. On les force d'aller à la messe. Assassinat d'un espion de la cour. Terreur des religionnaires du Languedoc. Saint-Priest réorganise les dragonnades. Supplice de Bénézet. Tentatives d'assassinat contre le prieur de Ners et d'autres curés. Elles jettent l'effroi dans la province : le clergé prend l'alarme. Saint-Priest se rassure et demande de nouveaux ordres pour reprendre la persé- cution. — Richelieu prend le commandement militaire du Langue- doc. — Lettre de Saint-Florentin, traçant à Richelieu sa mission.

Période d'apaisement. Fin de la persécution. Repos relatif pendant 175.?: pn 1754 la persécution recommence. . Psgp 184.

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TABLE J)K.S MATIÈRES

CHAPITRE VIII.

MESURES DE DÉFENSE ET DE CONSERVATION {l'î45-1752).

Persécuteurs et persécutés. Premier inonieat de stupeur. Con- fiance de Court. Il est bientôt oblij^é de se rendre h l'évidence.

Il se multiplie pour faire face à l'ennemi. Le comité de Lau- sanne. — On tâche de réorganiser les assemblées. Court combat énergiquenient l'émigration et recommande la tenue des assemblées.

Lettre d'AUamand. Courtcombat lesidéesque ce dernier y émet.

Sa réponse est condamnée au feu. La Suisse devient une officine d'apologies. Empressement de l'étranger à secourir les religion- naires. Armand La Chapelle et la Nécessité du culte public parmi les chrétiens. Caractère de La Chapelle et de son livre.

Reprise des assemblées Allamand se propose pour plaider la cause des persécutés auprès de la cour. Réponse de Court. Les religionnaires souffrent en silence. Leur empressement à payer l'impôt. Mémoire des plaintes (1747). La grande Apologie (1746) : elle ne produit aucun effet. La persécution ne ralentit pas; des divisions sans cesse renaissantes viennent accroître le découragement. Rudemare et Prébeuf, Boyer, Pradel et Rabaut.

On accuse Court de partialité et de vouloir supplanter Duplan,

Réponse k ces accusations. Pais d'Ai.x-la-Chapelle. Court veut implorer l'intervention de l'étranger. Il écrit à Berne et propose De Moutrond pour aller défendre au congrès les intérêts du protes- tantisme. — Le comité de Lausanne abandonne le projet. Court persiste et veut envoyer DeMoutrondau congrès, sinon officiellement, du moins officieusement. Nouveau refus du Comité; abandon du projet Court adresse un mémoire aux ministres plénipotentiaires des puissances protestantes. Ses demandes et ses considérations passent inaperçues. Un Synode se réunit dans les Cévennes. Mesures et décisions. En 1752, les protestants sont à bout de patience : on leur enlève leurs enfants. Mort ou liberté. Offres de l'étranger. Ils les refusent d'abord, puis les acceptent sur les conseils de Court. La cour ouvre les yeux et conseille l'indul- gence. — Tentatives d'assassinat : elles sont blâmées par les reli- gionnaires.— Rabaut conseille la patience, la résignation. Sa lettre à l'intendant du Languedoc. Lettre de l'évêque d'Agen contre lu tolérance. Le Patriote français et impartial. Le Mémoire historique sert d'appendice au Patriote. Succès du Patriote. Voyage de Paulmy en Languedoc. Curieuse aventure. Rabaut lui remet un mémoire sur la situation des protestants. Ce qui met fin à la persécution , c'est le manque de soldats. Héroïsme des protestants. Situation du protestantisme. . . Page 241.

TABLh: DES MATIÈRES

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CHAPITRE IX.

LBTAT CIVIL DES RÉFORMÉS (1752-1760).

hi; J'éfal civil. Importance Je la queslioii. Epreuves exigées pour légitimer un mariage. Les protestants finissent par s'en passer.

Préoccupation de la cour et du clergé. Irritation du clergé.

Quelles en sont les causes. Projet de Tahbé Robert. Nou- veaux projets. En 1743, les évêques décident de demander une abjuration en forme. Embarras de la cour. Elle se laisse ébranler par le clergé : ordonnance de 1750. Elle ne contente pas le clergé. Mémoire de Saint-Priest. La cour donne pleine satisfaction aux évêques (1751). La persécution recommence et la cour se ravise. Richelieu et les évêques. Conférences de Mont- pellier (noveml)re 1752). Obstination des évêques. Ils finissent par céder devant Richelieu. Rijjpert-Mouclar et le Mémoire thcolugiqxe et 2')olitiepie. Retentissement de ce livre. Réponse d'un anonyme. Dissertation sur ht tolérunre des protestants. Réponse à une dissertation contre les mariages clandestins des protestants. (175fi.) L'abljé de Caveirac publie son Mémoire po- litico-critique. — Argumentation de Caveirac. Nouvelles ré- ponses, nouvelles suppliques. Observations de Richelieu sur l'état civil Page 278.

CHAPITRE X.

PAIX OU GUERRE? TOLÉRANCE ET PERSÉCUTIONS (1752-1760).

Les soldats manquent. Empressement des réformés à courir au Désert. Le comté de Foix reste seul à l'écart. Dans la France protestante, l'espoir renaît. Confiance et amour des réformés pour Louis XV. Richelieu et les évêques s'accordent. La per- sécution l'ecommeuce. Richelieu à Uzès. Les troupes sont en nombre. Richelieu notifie lui-même ses ordres aux protestants.

Des détachements courent toutes les provinces : les assemblées sont suspendues. La chasse aux prédicants recommence. On met leur tète à prix. Les espions. Battue générale dans le bas Langue- doc et les Cévennes. Supplice de Teissier.— Alarme des prédicants: ils hésitent àpariir; ils restent. Seconde chasse, celle-ci aux fem- mes.— Perquisitions chez Rabaud.— Fuite de sa femme. Demande de passe-ports. Richelieu revient en Languedoc; sou étonnement. Les pasteurs n'ont pas émigré et convoquent de nouveau les assem- blées. — Richelieu édicté de nouvelles mesures. Surprise d'une assemblée à Uzès (février 1755) : il en est de même de toutes celles que l'on veut convoquer. Dévouement de .leau Fabre. La per-

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TAHLF. DKS MATIÈRES

sécution s'étend. Mirepoix succède k Richelieu; il continue d'a- bord sa politique; puis il s'adoucii.— 11 se lie avec les prédicants. Arrêt de la persécution.— Dessein de Mirepoix de laisser formera des sociétés» dans le-s villes.— Les religiounaires courent k leurs assem- blées : ils commencent à. rebâtir leurs temples. La persécution reprend en Béarn, en Guyenne. Le Languedoc est préservé. Le clergé et son assenildée générale (1758). Thomond succède à Mirepoix. Instructions de la cour. Politique incohérente : fermeté et condescendance. Thomond n'écoute pas le clergé et suit les instructions de la cour. Construction de temples Dans les autres provinces, la persécution continue. Pendant ces huit années, indécision continuelle ....... Pag. 304.

CHAPITRE XI.

NOUVELLES MESUllES DE DÉFENSE (17.52-1760)

Depuis 1715, la conduite du protestantisme se résume en un mot : Résignation. De 17.53 à 17G0, le Bien-Aimé est accablé de sup- pliques et de placets. Les apologies sont déchirées. Mémoire de Rabaut (1754). Protestations de fidélité de la part du Synode (1758). Seconde édition du Patriote (1753). L'Accord parfait de la nature et de la raison. M. de Beaumout. La Liberté de conscience (1754). Lettre d'im patriote sur la tolérance ci- vile des protestants. Mémoire théologique et politique au sujet des mariages. Lettre de M. de. . . touchant les assemblées des huguenots (1757). La Voix du vrai patriote catholique, opposée à celle des faux patriotes tolérants. Mémoire politico-critique.

Apologie de Louis XIV et son conseil sur la révocation de VEdit de Nantes. (1758). Argumentation des protestants. Les protestants réclament pour eux le droit commun, et on les traite de factieux. Argumentation des catholiques. Lecointe de Mar- cillac. Ralmut écrit au prince de Conti. Leur entrevue à l'Iie- Adam (18 juillet). On n'arrive à aucune conclusion pratique. Espérances déçues. Les relations de Rabaut cessent avec Conti. Banque protestante. Pourparlers avec Belle-Isle. Le projet est pris en considération; peu après, la cour en suspend l'exécution. Froideur des religionnaires à l'égard de cette banque. Objections et réfutations : l'entreprise avorte. Raisons de cet échec. Projet d'Encontre : don gratuit à faire au Roi; ce nouveau projet est aban- donné. — Nouvelles ordonnances contre les assemblées. Lassi- tude de la cour. Elle sévit par habitude. Le protestantisme en 1760. Il est définitivement constitué. Synodes de 1756 et 1758.

Nombre des protestants; leur force morale. . . Page 334.

l'ABLE DE.S MATIÈRES

CHAPITRE XII. l'opinion publique au dix-huitième siècle (1715-1760).

Mort de Calas. Rôle de Voltaire. Indifférence de l'opinion pu- blique pour le protestantisme; causes; Trois périodes dans le dix-huitième siècle. La société. L'égoïsme et les dis- tractions. — L'amour n'existe plus L'ennui. Cette société est incapable de la moindre énergie. En 1702, elle semble se réveil- ler et se vouer aux sciences. La sensil)lerie; belle ardeur; Calas, Jean Fabre. Les parlements. Leur conduite. Leur cruauté pour les protestants. Leur intolérance. Rippert-Mon- clar. Son livre, son but; il prend la défense des protestants. Préjugés et convictions des parlements. Pour eux, les huguenots sont les adversaires de la monarchie, des rebelles, des factieux. Protestation des hommes d'Etat. Saint-Priest. Opinion d'un ano- nyme sur les religionnaires. Les philosophes. Leur position. Ils doivent céder. Leurs préjugé.s. Madame d'Epinay. Voltaire . c'est le type du philosophe au di.x-huitième siècle; tout se retrouve en lui. Voltaire à Lausanne. Voltaire et le protestantisme. Causes de l'indifférence de Voltaire. Dans Calas, il défend l'inno- cent, non le protestant. Le préjugé retient les uns, et l'égoïsme les autres. Le peuple Page 359.

CHAPITRE XIII. dernières années, mort d'antoine court (174.5-1760).

Court quitte Lausanne pour le Timonex. Il partage son temps entre ses travaux et sa famille. Son fils part pour Genève. Il revient à Lausanne et professe au sémin lire. Ses travaux. Mort de Rachel. Douleur de Court. Correspondance de Court.

Court et les protestants. Il les regarde comme ses enfants. II les soutient dans le malheur. Court et les pasteurs. Il ne les abandonne jamais. Son affection et son dévouement. Son iné- puisable bonté. Il donne l'exemple de l'abnégation. Lettre au sujet de la mort de Claris. Son activité. Travaux historiques.

Il veut raconter l'héroïque histoire. Son plan. Histoire des Eglises réformées de France. Histoire des Camisards. Œuvres de combat. Retour au Timonex. Maladie d'Antoine Court.

Quelle est sa vie à partir du 20 janvier 1756? Le protes- tantisme en 1760 et celui d'autrefois. Les survivants. Sou- venirs d'antan. Derniers jours. Le mal s'aggrave. Mort d'Antoine Court (juin 1760). Tristesse à la nouvelle de sa mort.

Son oraison funèbre. Conclusion Page 378.

510 1 AI'.I.K DKS MATIKRRS

PIKCES r:T nom \ri;Nïs inkdits

I. Lettre d'Antoine Court au cardinal de Fleury. (1738 ). 399

II. Deux lettres de Dachs à Antoine Court. (1730.) . . . 404

III. Certificat donné à MM. Roux et Boyer. (1729.) . . 40G

IV. Lettre de M. de Montrond à Antoine Court. (1741.) . 40G

V. Certiticat délivré îi Pierre Pcirot. (1740.) 410

VI. Liste des étudiants du séminaire de Lausanne . . . 411 VIL Lettre d'un curé du Poitou à Maurepa-;. (1729.) . . . 420 VIII. Trois lettres de Maurepas à l'intendant de Poitiers.

(1730.) 422

VIII his. Mémoire au .sujet des religionnaires du bas Languedoc

et desCévennes, présenté à la cour i)ar l'abbé deSaint- Maximin, docteur de Sorlionne, prévôtct -rrand vicaire d'Alais (1737?) 40;}

IX Lettre du commandant de Perpignan à l'intendant

(1"35.) 440

X. Lettre du profes.seur Polier à Paul Raijaut (1740.). . 442

XI. Copie de la lettre du nommé Court, ministre de la re-

ligion prétendue réformée, écrite ;i M. la Devéze. (1744.) 447

Xn Ktat des nouveaux convertis contre lesquels M le duc de Richelieu a expédié des ordres pour les faire arrê- ter. (1744.) 454

XIH. Correspondance entre la cour et l'intendant du Poitou

pour faire arrêter Pradon et Dnljesset. (1749-1751.). 450

XIV. Correspondance entre l'intendant du Languedoc et son subdelégué à Nîmes, à propos du rebaptiseraent. (1751.) 471

XV. Commission d'Antoine Court en qualité de député gé- néral des Eglises, délivrée au Synode national de 1748. 476

XVI Lettre de Saint-Florentin à Saint-Priest sur l'émi- gration. (1752.) 47tj

XVII. Mémoire de Saint-Priest ii Saint-Flm'entin sur la ques-

tion des mariages. (1751 ). 480

XVIII. Très-humble et très-respec!ueuse requête des protes-

tants de la province du Languedoc au Roi. (1760.). 495

KIX UK r.Mfl.K DKS M.ATIÈRES DL' SECOND VOI.IJMK.