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APERÇU GÉNÉRAL
SUR
L’'ÉGYPTE.
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in 2010 with funding from
University of Ottawa
http://www.archive.org/details/aperugnral0iclot
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At.
CHhiCT-
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Le
Va. 8. Œlot-Sey,
OFFICIER DS LA LÉGIOX D HOXNEUR, COMMAXDEUR
DE PLUSIEURS ORDRES, DOCTEUR EX MÉDECIXE ET EN CHIRURGIE,
INSPECTEUR GÉNÉRAL \
DU SERVICE MÉDICAL CIVIL ET MILITAIRE D'ÉGYFTE) PRÉSIDENT DU CONSEIL
DE SANTÉ. MEMERE DE L ACAPÉMIE ROYALE DE M ECISE DE PARIS,
DE L' ACADEMIE DES SCIENCES DE NAPLES,
ET DE PLUSIEURS AUTRES SOCIÉTÉS SAVANTES FRANÇAISES ET ÉTRANGÈRES.
orné d’un portrait, de cartes et de plans.
——
TOME PREMIER.
Bruxelles.
MELINE, CANS ET COMPAGNIE,
LIBRA!:KIE, IMPRIMERIE ET YFONDERIE.
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Son Altesse Mébémet-Ali,
VICE-ROI D'ÉGYFTE, ETO., ETC.
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GRAND PRINCE,
J'espère que vous me pardonnerez d'avoir atta-
ché votre nom à cet ouvrage sans vous en avoir de-
mandé l'autorisation. Votre altesse m'a donné tant
de preuves de sa bienveillance particulière, qu’elle ne
m'aurait pas refusé, j'ose l’espérer, cet insigne hon-
neur. C’est à dessein que je n’ai pas voulu couvrir
cet ouvrage de votre haute sanction; si j'eusse agi
APERÇU SUR L'ÉGYPTE. À 1
1
différemment, où aurait dit, sans doute, dans les cir-
constances présentes, qu'il a été écrit par votre ordre
et sous l'influence de votre gouvernement ; je me se-
rais exposé ainsi à faire remonter jusqu'à votre al-
tesse la responsabilité des imperfections de mon œu-
vre, qui ne doit retomber que sur moi. Mais, d’une
autre part, altesse, pouvais-je publier un livre sur
une contrée que vous gouvernez avec tant de sagesse ,
et dont vous êtes aujourd’hui la glorieuse personnifi-
cation, Sans vous en faire hommage? Ne serais-je
pas coupable d’ingratitude si je n’attribuais le fai-
ble mérite qu'il peut avoir à la position que votre
altesse m'a faite, et à la part qu'elle a daigné m'as-
signer dans l'œuvre de la régénération de l'Égypte ?
J'espère, grand prince, que vous étendrez cette
fois encore votre bonté et votre indulgence
Sur le plus respectueux, le pius sincère
et le plus dévoué de vos serviteurs,
CLOT-BEY.
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AVANT-PROPOS.
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L'Égypte inspire aujourd'hui un intérêt popu-
laire. Cette contrée, qui fut autrefois le berceau
de la civilisation, végétait depuis longtemps dans
un profond oubli, lorsque l'expédition francaise
vint, à la fin du dernier siècle, appeler de nou-
veau sur elle l'attention du monde. Après la mal-
heureuse issue de cetteexpédition, un homme d’un
génie supérieur recueillit l'héritage de la France.
C'était à lui qu'il était réservé de consoler de
leurs revers notre glorieuse armée et nos savants
illustres, en faisant fructifier les germes de civili-
sation qu'ils avaient semés et arrosés de leur sang
sur la terre des Pharaons. Sous ses auspices, les
roulements du tambour français devaient, pour la
satisfaction des mânes de nos braves, retentir en-
core dans les plaines des Pyramides, d'Aboukir,
de Saint-Jean-d’Acre et d’Héliopolis. Dans ces
lieux tout remplis de la gloire nationale , des
IV AVANT-PROPOS.
Français devaient , victoire immense! façonner
des armées musulmanes à nos formes militaires,
et faire planer le génie de notre nation sur les
nouvelles destinées qui s’ouvraient à l'Orient. De-
puis lors, l'Égypte, ressuscitée, est devenue par-
tie active dans une question à la solution de
laquelle tous les intérêts politiques du vieux
continent se trouvent engagés. Elle a acquis, et
par elle-même et par sa position relative, une im-
mense importance ; il me semble donc qu'il est
peu de pays qui méritent davantage d’être com-
plétement connus.
Je sais que l'intérêt qu’excite l'Égypte ne date
pas tout entier d'aujourd'hui, et qu'autrefois et
de nos jours , un grand nombre d'ouvrages, dont
plusieurs sont très-remarquables, ont été publiés
sur cette contrée. Il en est un surtout qui les do-
mine tous de sa supériorité, et auquel on ne peut
écrire sur l'Égypte sans payer un éclatant tribut
d’admiration. On comprend que je veux parler de
la collection des Mémoires de l'Institut d'Égypte ,
vaste encyclopédie, monument scientifique sans
pareil, dans les proportions duquel on sent le gé-
nie du grand homme qui en conçut le plan et sut
grouper autour de lui, pour le réaliser , les pre-
mières capacités de la France.
Après ce grand ouvrage , qui n’est pas l’un de
nos moindres titres de gloire, on peut citer plu-
sieurs livres dignes certainement de beaucoup
AVANT-PROPOS. Y
d’éloges. Parmi ceux qui précédèrent l'expédition
francaise, on doit nommer d’abord celui de Sa-
vari; mais surtout le foyage de Volney , où la
science et l'observation ont revêtu un style plein
de vigueur et de verve ; et celui de Sonnini, re-
commandable sous beaucoup de rapports. Parmi
les ouvrages récents, on distingue les Y’oyages du
duc de Raguse , dont la partie qui concerne YÉ-
gypte renferme tant d’intéressants détails et des
jugements pratiques si solides ; les Zettres sur
l'Orient! de l'illustre auteur de l'Æistoiredes Croi-
sades et de son jeune et savant ami, M. Poujou-
lat ; le J’oyage de MM. de Cadalvène et de Breu-
very; les deux volumes de M. W. Lane sur les
mœurs des Égyptiens ( Manners and customs of the
modern Egyptians) ; enfin les ouvrages de M. Men-
gin, qui renferment sur la vie de Méhémet-Ali et
l'histoire de son règne des détails d’une scrupu-
leuse exactitude, d'autant plus précieux qu’on ne
saurait les trouver ailleurs.
Beaucoup d’autres livres, d’une moindre im-
portance, ont été publiés sur l'Égypte. Mais, mal-
gré le genre de mérite qu'ont chacun des ouvra-
ges qui ont paru jusqu’à ce jour, ils laissent encore
une lacune : les uns sont déjà anciens, et depuis
leur apparition, une foule de faits nouveaux ont
changé la face de FÉgypte ; la plupart ne parlent
1 Correspondance d'Orient, par-Michaud ct Poujoulat. Brux , Meline
SG vol. in-189,
VI AVANT-PROPOS.
de ce pays qu’épisodiquement. Il n’en est pas qui
lui soient exclusivement consacrés et la présen-
tent, dans un résumé méthodique, sous ses points
de vue les plus saillants; en un mot un aperçu
générale sur l'Égypte n'existait pas, je me suis ef-
forcé de le donner au public.
Il est possible que je me sois trompé sur l’éten-
due de mes forces, en entreprenant l'ouvrage que
je viens de définir. J’ai cru , toutefois , qu'un sé-
jour en Égypte de quinze années , pendant les-
quelles j'ai eu le temps d'étudier à fond les mœurs
et le génie propre de ses habitants ; pendant les-
quelles j'ai été témoin ou acteur (pour mon hum-
ble part) dans les nouveiles choses qui s’y sont
faites, me donnait des droits à réaliser moi-même
le plan que j'avais conçu.
Ce n’est que depuis quelques mois qu’il m'a été
permis de mettre la main à l’œuvre. Ma première
pensée avait été de faire précéder d’un aperçu
physique et médical sur l'Égypte le travail que
je publie sur la peste ; mais lorsque j'eus réuni
tous les matériaux de cet essai, il se trouvé-
rent irop étendus et trop nombreux pour en-
trer dans mon cadre; ils formèrent les éléments
d’un ouvrage spécial, que dès lors je me décidai
à compléter ; car, dans les voyages que j'ai faits
en Europe, on m'a adressé souvent sur l'Égypte
des questions si singulières ; j'ai rencontré tant de
personnes, d’aiileurs très-instruites, qui avaient
AVANT-PROPOS, VIL
sur elle des notions incomplètes, erronées, étran-
ges, que j'ai cru qu'un ouvrage peu volumineux,
qui offrirait une esquisse générale de cette con-
trée, serait fort utile.
J'avoue que j'aurais désiré pouvoir mürir da-
vantage ce travail ; tel qu’il est, je ne me dissi-
mule pas les nombreuses imperfections qui le
déparent. Mais il m'a semblé que si jamais sa pu-
blication devait être opportune , c'était dans le
moment actuel. Aujourd’hui, en effet, l'existence.
l'avenir de l'Égypte sont débattus par la presse,
par la diplomatie, par l'Europe entière. Afin d’'ap-
peler un arrêt prochain, dont les résultats peu-
vent être immenses, j'ai pensé qu'il fallait se hâter
d'apporter au procès le plus de pièces possible.
Voilà le motif de la précipitation avec laquelle ce
livre a été écrit. J'espère que la bienveillance de
mes lecteurs me pardonnera les défauts de com-
position qui en ont été la suite. Livrant d’ailleurs
pour la première fois à l'impression une rédaction
d'aussi longue haleine, j'ai besoin , plus que per-
sonne, d'indulgence.
Je ne dirai rien des divisions que j'ai suivies
dans mon livre; j'ai adopté , comme on pourra
s’en convaincre en jetant les yeux sur les tables
des chapitres , celles qui paraissent les plus logi-
ques. Mon but, je le répète, a été de parler d’une
manière aussi complète qu'on pouvait le faire
dans un espace resserré, de tout ce qui se rap-
VII AVANT-PROPOS.
porte à l'Égypte. J'ai dû, par conséquent, me préoc-
cuper soigneusement de classer avec ordre mes
matériaux.
Plusieurs des questions que j'ai traitées sortent
de ma spécialité ; j'ai eu recours, pour ce qui les
concerne, aux bons ouvrages dont elles ont été
l'objet, et je me suis aidé des avis d'hommes com-
pétents , à l'amitié desquels je dois un témoignage
public de reconnaissance.
Il est d’autres questions, des questions nouvelles
surtout, qui ne pouvaient être traitées que par
quelqu'un qui fût initié de près à l’état actuel
de l'Égypte. J'espère que, réunies aux précéden-
tes, elles formeront un ensemble qui ne sera pas
entièrement dénué d'intérêt.
Quant aux questions nouvelles, qu'on ne croie
pas que j'en aie fait un thème d’éloges incessants
pour Méhémet-Ali, le sujet d’un panégyrique exa-
géré des hommes et des choses. Cet essai n'est
point un ouvrage de commande. QuoiqueJje loue,
toutes les fois que la justice le veut , le grand
homme pour lequel je professe une vive admira-
tion , et auquel je dois de la reconnaissance, je
n’obéis en cela à aucune sollicitation ni à aucune
convenance personnelle. Je conserve tout entière
la liberté de mes pensées et de mes expressions.
Ainsi, comme tout ne peut pas être parfait,
comme il faut signaler avec une égale imparti -
hté le mal et Ie bien. j'ai présenté mes remarques
AVANT-PROPOS. 1X
sur les choses qui me paraissent défectueuses, en
m'imposant la mesure que la vraie indépendance
ne dépasse jamais. Les esprits sages n’ignorent
pas, d’ailleurs , que ce n’est pas par la voie des
critiques acerbes et passionnées que l’on obtient
des améliorations ; ils savent que celui qui veut
de bonne foi le redressement des imperfections
qu’il signale, le fait avec beaucoup plus de chances
de succès , en prouvant la sincérité de ses inten-
tions par la bienveillance de ses avis.
Je dois remercier publiquement les personnes
qui ont bien voulu me prêter Fappui deleurs con-
seils ou me fournir des documents. Je nommerai
avant toutes le savant M. Jomard qui, vétéran de
l'Institut d'Égypte, s’est fait le gardien actif des
traditions qui attachent la France à cette contrée,
et a été l'intermédiaire dévoué par lequel l'Égypte
actuelle est venue demander à notre patrie les lu-
mières de la civilisation. M. Jomard a eu la bonté
de donner sa surveillance à la partie géographique
de cet ouvrage. Je dois à M. Figari, jeune profes-
seur de botanique plein de zèle et d'instruction,
attaché à l’école du Caire , une grande partie des
matériaux relatifs à cette science. M. Regis, natu-
raliste distingué, professeur et conservateur du
musée d'histoire naturelle de l’école de médecine,
m'a rendu le même service pour la zoologie. Je
suis également redevable à M, Bonfort, intendant
des domaines de S. À. Ibrahim-Pacha , de beau-
X AVANT-PROPOS.
coup de renseignements sur les plantes introdui-
tes récemment en Égypte et sur l’agriculture. Je
dois à M. Mengin, pour la partie historique et sta-
tistique, plusieurs de mes matériaux ; les ouvra-
ges de ce modeste et laborieux historiographe
seront toujours le #oniteur dans lequel quiconque
écrira sur l'Égypte devra puiser. Je me plais d’au-
tant plus à lui rendre justice, que plusieurs écri-
vains qui ont mis à contribution ses travaux ne
l’ont pas même cité.
M. Linan, ingénieur qui possède à fond l'hydro-
graphie et le cadastre de l'Égypte, et qui a été
chargé de la grande entreprise du barrage, m'a
fourni sur ces différents points des renseignements
et des chiffres précis.
M. de Cerisy-Bey, dont le nom vivra toujours
en Égypte, dans les importants travaux qu’il y a
laissés, m’a donné sur l’arsenal de la marine et les
constructions navales des notes et des dessins qui
ont fait la base de cette partie de mon travail.
Le savant M. Rosellini, que j'avais connu en
Égypte, et que j'ai eu le plaisir de rencontrer à
Pise, m'a donné sur les antiquités égyptiennes des
notes que j'ai complétées dans les ouvrages de
Champollion.
Enfin, je dois, sur les monuments arabes, des
indications à M. P. Coste, l’un des premiers archi-
tectes attachés au service du vice-roi, qui a exé-
cuté d'importants travaux en Égypte, et a publié
AVANT-PROPOS. X1
un ouvrage trés-intéressant sur l'architecture
arabe.
Cet ouvrage ayant été rédigé et imprimé très-
précipitamment , le style a du s’en ressentir.
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SIL.
ÉPOQUE PHARAONIQUE.
Temps fabuleux. — Temps historiques. — Tableau des dynasties éyyp-
tiennes — Depuis la première dynastie jusqu’à la conquêle des rois
pasteurs. — Invasion des pasteurs. — xvin dynastie. — Sésostris. —
Puissance extérieure de l'Égypte sous Sésostris. — Administration in-
térieure. — Commerce. — Invasion des Éthiopiens — xxvi° dynastie.
— Conquête des Perses.
1. Temps fabuleux. — Je dépasserais le but de ce
rapide résumé si j'allais me perdre dans le labyrinthe
chronologique que l’on rencontre au début de l’histoire
de l'Égypte. On sait que les prêtres égyptiens ont donné
à l'existence anté-historique de leur nation des myria-
des d'années, pendant lesquelles ils ont prétendu
qu’elle fut gouvernée par les dieux, et les demi-dieux
ou héros. La période de la domination des premiers
était fixée à 42,000 ans, sur lesquels 12,000 étaient
attribués au règne de Phtah ou Vulcain, et 50,000 au
règne du Soleil. A cette première époque succédait la
domination des demi-dieux , dont les Grecs ont fait
leurs douze grands dieux, Saturne, Jupiter, etc. Je
= 2
XIV INTRODUCTION HISTORIQUE.
laisse à d’autres le soin de démêler ce chaos, à d’autres
le souci d’y chercher des concordances avec notre chro-
nologie, basée sur la Genèse.
2. Temps historiques. — Le premier jalon que la
critique historique puisse établir nous est fourni par
la nomenclature des dynasties égyptiennes dressée par
Manéthon. Ce grand prêtre d’Héliopolis , qui vivait
environ 500 ans avant notre ère, fut chargé par l’un
des Ptolémées de rédiger, d’après les archives sacrées
préposées à Sa garde, une histoire ancienne de l'Égypte.
il ne nous est resté de son intéressant travail que des
tables chronologiques des dynasties, qui nous ont été
conservées par divers historiens de l’antiquité. Quoi-
que, telles que nous les possédons, elles présentent des
variantes et des lacunes, elles fixent néanmoins avec
certitude ou probabilité les points principaux de cette
histoire reculée ; et la science moderne, qui est parve-
nue à arracher aux hiéroglyphes une partie de leurs
secrets, a trouvé, dans les inscriptions qui couvrent
les ruines égyptiennes, le plus souvent la confirmation
des données de Manéthon , et quelquefois le moyen de
corriger les erreurs dont les auteurs qui nous l'ont
transmis ont déparé son travail.
Je vais présenter un tableau abrégé des dynasties
égypüennes, tel que le catalogue de Manéthon et les
découvertes modernes permettent de le consiruire.
J'indiquerai la date de l’avénement de chacune d'elles,
le nombre des rois qu’elles ont chacune fourni, ainsi
que la durée de leurs dominations respectives. Je rap-
pellerai ensuite les faits historiques les plus saillants
de l’histoire des rois auxquels se rattachent de grands
INTRODUCTION HISTORIQUE. XV
souvenirs, et de la puissance ou de la sagesse desquels
l'Égypte actuelle offre encore dans ses ruines d’écla-
tants témoignages.
5. T'ableau des dynasties égyptiennes *.
ve dynastie. Thinite-Thébaine. 5867 8 rois. 252 ans
11e » Id. 5615 9 » 297
ne ” Memphitique. 5318 8 » 197
1ve » Id. 5121 17 » 448
ve » D'Éléphantine, 4675 9 » 248
vie » Memphitique. 4495 G » 205
VILE » Id. 4292 5 » 75
ViTie ” Id. 4147 5 » 100
1xe » Héracléopolite. 4047 4 » 100
Xe » Id. 3947 19 » 185
xie » Thébaine. 3102 17 » 59
XIIe » Id. 5705 7 » 160
xIIE » Id. 5417 60 » 453
XIVE » Xoïte. 5004 76 » 484
xve » Thébaine. 2520 » » 250
XVIe » Id. ° 99270 » » 190
XVIIE » Rois pasteurs. 2082 6 » 260 ?
XVIIIe » Thébaine. 1822 17 » 348
XIX° » Id. 1475 6 » 194
? J'emprunte ce tableau à l’intéressant volume que M. Champollion «
publié sur l'Égypte ancienne dans l'Univers Pittoresque. Les personnes
qui désireront connaître à fond l’histoire de l'Égypte ancienne devront
avoir recours à ce savant vuvrage, où cette partie est traitée longuement
et élaborée avec une remarquable érudition sur les matériaux recueillis
par les dernières découvertes, qui ont élé pour la première fois mis en
œuvre par M. Champollion-Figeac.
2 Six pharaons thébains règnent dans la haute Égvpte pendant la
même période.
XYI INTRODUCTION HISTORIQUE.
xxe dynastie. Thébaine, 1279 10 rois. 178 ans.
XXIe ” Tanite. 1101 7 » 130
XXII » Bubastite. 971 7 » 00
XXHIE » Tanite. 651. 4. » 89
XXIVE » Saïte. 102 :F2,9 44
xxve » Des Éthiopiens. 718 6 » »
XXVIE » Saïte. 674 9 » 150%
&. Depuis la première dynastie jusqu’à la conquête
des rois pasteurs. — Le premier roi de la première
dynastie fut Meneï, appelé Ménès par les historiens
grecs. Ce fut lui qui substitua le pouvoir royal au gou-
vernement théocratique. On rapporte que, de son
temps, le Delta était encore un marais, qu'il fraya un
nouveau lit au Nil et qu’il jeta les fondements de cette
fameuse ville de Memphis, dont on a trouvé des ruines
dans les villages actuels de Menf, de Mokhnan, et sur-
tout de Mit-Rhainé. Meneï eut pour successeurs une
longue suite de rois, dont les noms et les actes sont
pour la plupart inconnus. Ces nombreuses dynasties
n’ont légué à l’histoire d’autres grands souvenirs que
les monuments qu’elles élevèrent, et qui font encore
l'admiration des voyageurs, des savants et des artistes.
C’est de la ri dynastie que datent les monuments les
plus anciens du monde connu, les pyramides de Dash-
khour et de Sakkarah. Les pyramides de Giseh sont les
tombeaux des trois premiers rois de la rv° dynastie. Un
roi de la xue dynastie, Labarès, fit construire dans le
Nome Arsinoïte (le Fayoum), le labyrinthe si fameux
dans l'antiquité, que l’on comptait au nombre des sept
1 Cette dynastie est détruite par la conquête des Perses, l'an 524,
h
INTROBUCTION HISTORIQUE. XVIF
merveilles du monde. Ce labyrinthe parait avoir eu
une destination très-importante. Il servait de point de
réunion aux députés des différentes provinces de
l'Égypte, appelés, dans de graves circonstances, à don-
ner leurs avis sur les décisions que devait prendre le
gouvernement. Il n’en reste plus aujourd’hui de ves-
tiges.
5. Invasion des pasteurs. — Les Égyptiens dési-
gnaient sous le nom de pasteurs (hyksos) les nomades
habitants du désert, que nous appelons aujourd’hui
Bédouins. Sous la xvr° dynastie, ces hommes intrépi-
des, endurcis à tous les périls de la guerre par les fa-
tigues et les privations d’une vie frugale et vagabonde,
débouchèrent en Égypte par l’isthme de Suez et s'em-
parèrent du Delta, que six de leurs chefs gouvernè-
rent successivement pendant une période de 260 ans,
depuis l’année 2082 avant notre ère; c’est sous le
quatrième de ces rois étrangers que Joseph devint
premier ministre, et appela en Egypte la famille du
patriarche Jacob, son père, qui devint la souche de la
nation juive.
6. XVIII dynastie. — Les Égyptiens supportaient
avec impatience le joug des rois pasteurs. Ils n’obéis-
saient qu’en frémissant à ces barbares qui avaient dé-
truit presque tout ce que les dynasties précédentes
avaient fait de grandiose et d’utile. Les descendants
des anciens rois que les pasteurs avaient détrônés et qui
s'étaient retirés et fortifiés dans la haute Égypte, atta-
quèrent enfin les dominateurs étrangers du Delta ;
Aménôf 1er parvint à les en expulser complétement ,
et, réunissant sous son pouvoir {oute l'Égypte , il
>
XVIII INTRODUCTION HISTORIQUE.
fonda la xvine dynastie. Cette dynastie fut la plus
brillante de toutes celles auxquelles échut le gouver-
nement de l’antique Égypte. Ses quatre premiers rois,
Aménôf Ier, Touthmosis Ie, Touthmosis II et Touth-
mosis IT, consacrèrent leurs règnes à relever la na-
ton épuisée par la longue oppression des pasteurs.
La domination de ces derniers avait été destructive.
Les premiers rois de la xvin° dynastie voulurent tout
restaurer; ils rétablirent la religion dans ses honneurs
et ses prérogatives ; ils firent respecter les antiques
lois tombées en désuétude; ils recreusèrent les canaux.
reconstruisirent les villes détruites et les monuments
abattus. Plusieurs des majestueux édifices de Karnac
et de Médinet-Abou sont leur ouvrage. Parmi eux se
distingue surtout Touthmosis IL, plus connu sous le
uom de Mæris; c’est à lui que l’on doit, outre beau-
coup d’autres monuments, les deux obélisques d’Alexan-
rie. C’est lui qui a donné son nom au lac connu au-
jourd’hui sous le nom de Birket-el-Keroun qui fertilise
la belle province de Fayoum, et qui dans l'antiquité ,
tenant en réserve le surplus des inondations du Nil,
pour le rendre à l’agriculture, après le retrait des
eaux du fleuve, contribua à féconder une partie impor-
tante de la moyenne Égypte. |
7. Sésostris. — Après avoir rétabli Fordre et la
prospérité à l’intérieur , la xvim® dynastie développa
encore la puissance de l'Égypte au dehors, et assura
sa prépondérance sur toutes les contrées voisines. Mais
parmi les rois qui s’'illusirèrent par leurs conquêtes ,
le plus grand de tous fut Rhamsès III, connu commu-
nément sous le nom de Sésostris.
INTRODUCTION HISTORIQUE. XIX
Ce prince renouvela toutes les conquêtes de ses
pères et les étendit jusque dans les Indes. Il emplova
l'immense butin que lui valurent ses victoires et les
tributs qu’il imposa aux peuples conquis, à exécuter
d'immenses travaux d'utilité publique ; on lui attri-
bue l’idée de la jonction du Nil à la mer Rouge. Parmi
les importantes constructions dont il enrichit le sol
égyptien , on voit encore aujourd’hui les monuments
de Zbsamboul, Derri, Guirrhé Hanan et Ouadi Esse-
bouä, en Nubie; et en Égypte ceux de Kourna, d'El-
Medinéch, près de Kourna , une portion du palais de
Lougsor, et enfin la grande salle à colonnes du palais
de Karnac. « Ce dernier monument, dit M. Champol-
lion jeune , est la plus magnifique construction qu'’ait
jamais élevée la main des hommes. »
C’est sous le règne de Sésostris que l'Égypte attei-
gnit au plus haut degré de prospérité intérieure et de
puissance extérieure.
8. Puissance extérieure de l'Égypte sous Sésostris.
— Voici les contrées qui reconnaissaient alors la domi-
nation immédiate ou la suzeraineté du pharaon.
La Nubie, l'Abyssinie, le Sennaar, un grand nombre
de contrées du midi de PAfrique ; toutes les peupla-
des errantes dans les déserts de l’orient ou de l’occi-
dent du Nil, la Syrie, l’Arabie, les royaumes de Baby-
lone et de Ninive, une grande partie de l'Asie Mineure,
l'ile de Chypre et plusieurs iles de FArchipet, plu-
sieurs royaumes formant la Perse actuelle.
9. Invasion des Éthiopiens. — C’est sous la xvinre
dynastie que cette période de grandeur , de gloire, de
puissance , se développa pour l'Égypte. Mais une in-
XX INTRODUCTION HISTORIQUE.
vasion éthiopienne conduite par Sabacon reñversa
l'œuvre de Sésostris. Les Éthiopiens furent chassés
d'Égypte par le chef de la xxvi° dynastie Stéphinathi.
10. XXVI° dynastie. Conquêtes des Perses. — Sans
doute avec son organisation l'Égypte ancienne aurait
prolongé son existence historique , si elle eùüt pu se
séquestrer du contact des étrangers ou si la topogra-
phie militaire de la vallée du Nil eüt été assez forte
pour la garantir contre les invasions étrangères. Mais
l'Égypte a peu de moyens naturels de défense; elle fut
toujours conquise, a dit Voltaire, par qui voulut lat-
taquer. Proie facile, elle attira tous les grands conqué-
rants qui convoitèrent ses richesses agricoles ou sa
belle position, au point où trois continents se joignent,
où deux mers ne sont séparées que par un isthme de
quelques lieues. Sa pauvreté en fait de moyens natu-
rels de défense , voilà quel a toujours été le côté
faible de l'Égypte. Les fondateurs de ses antiques lois
le comprenaient bien, quand ils lui interdirent au nom
de la religion toute communication avec les étrangers ,
de peur que ceux-ci, admis à la visiter, ne fussent exci-
tés à en faire la conquête. Tant que l’ordre sacerdotal
fut nombreux et puissant, 1l usa de son influence pour
empêcher les rapports avec l'extérieur ; mais les rois
de la xxvi° dynastie secouèrent le joug théocratique
et facilitèrent ces rapports. L'un d'eux, Psammétik Ler,
prit à sa solde des Grecs, des Cariens et des Ioniens ,
et mécontenta la caste militaire dont une grande par-
tie se retira en Éthiopie et priva l'Égypte de ses défen-
seurs naturels.
Un des successeurs de Psammétik, Ouaphré, qui se
INTRODUCTION HISTORIQUE. XXI
dépopularisa en s’entourant de soldats étrangers, fit
aussi la faute énorme d’attirer sur lui la colère de l’em-
pereur d’Assyrie, Nabuchodonosor, qu'il alla attaquer
pour secourir les Juifs. Il fut battu ; Nabuchodonosor
envahit l'Égypte , où il favorisa l’usurpation d’Amasis,
qui s'était révolté contre Ouaphré. Le règne d’Amasis
fut long et heureux. Les historiens rapportent que
sous lui l'Égypte ne comptait pas moins de vingt mille
cités populeuses. Ce fut pendant qu’il gouvernait l'É-
gypte que Pythagore et Solon visitèrent ce pays. Mais
Amasis ne réussit pas jusqu’au bout. Il put voir, avant
sa mort, s’amonceler l'orage qui devait éclater sur son
royaume et détruire son indépendance. Il avait mé-
contenté le chef des Grecs qu’il entretenait à son service ;
celui-ci courut auprès du fils de Cyrus et l’excita à
attaquer l'Égypte. C’est ce que fit Cambyse, peu de temps
après la mort d’Amasis. Une seule victoire remportée
à Peluse lui livra l'Égypte et son souverain Psammé-
nite, qu’il réduisit en esclavage et dont il fit périr le
fils. Les Perses se trouvèrent ainsi maîtres de l'Égypte,
lan 525 avant J. C.
Ç Il.
RELIGION DES ANCIENS ÉGYPTIENS,
Principe de l'unité divine. — Ternaire suprême — Différents dieux. —
Osiris, Isis et Horus. — Typhon. — Méiempsycosee — Culte des ani-
maux. — Villes qui leur étaient consacrées, — Divisions religieuses de
l'Egypte.
11. La religion des Égyptiens m'était pas, comme
on la cru communément, sur la foi des historiens
XXII INTRODUCTION HISTORIQUE.
grecs et romains, un culte grossier et ridicule consa-
cré à l’adoration exclusive de certains animaux, de cer-
taines plantes. Cette religion, qui avait pour base les
principes métaphysiques les plus élevés , se traduisait
aux yeux du vulgaire en des pratiques symboliques ,
dont les prêtres avaient le secret et dont le peuple et
les étrangers ne savaient ou ne pouvaient pas pénétrer
le sens mystérieux.
Le principe de l'unité divine était au fond de la
théologie égyptienne ; Ammon-Ra était considéré par
elle comme lêtre suprème dont tout procédait dans
l'univers. Ammon-Ra représentait le principe mâle;
mais le principe féminin lui était intimement uni sous
le nom de la déesse Mouth. De son union avec la déesse
Mouth était né le dieu Khons. Ainsi s'était formé la
Triade suprême.
Ce ternaire divin donnait naissance à tous les dieux
de l'Égypte destinés d’abord à représenter les mani-
festations infinies de la divinité dans tout l’univers. La
hiérarchie des dieux se formait par groupes de trois,
composé chacun d’un principe mâle, d'un principe
féminin et du produit de leur union.
Au-dessous d’Ammon-Ra, qui était souvent adoré
sous le nom de Knouphis, se trouvaient plusieurs dieux
que les Grecs se sont appropriés en leur donnant des
noms nouveaux. Tels sont : Bouto, déesse de la nuit,
qui avait, chez les Égyptiens, les mêmes attributions
que la Nuit des Grecs; la déesse Neith, dont le culte
était surtout en honneur à Saïs, ville de la basse Égypte,
et qui correspondait à Minerve; le dieu Phtha, qui, dans
la série des dieux de l'Égypte, occupait la troisième
INTRODUCTION HISTORIQUE. XXTIT
place et qui était analogue au Vulcain des Grecs : il était
l’ouvrier de la création. Le dieu Knouphis avait pro-
duit un œuf de sa bouche; cet œuf représentait la
création; Phtha en était sorti. Il avait coordonné la
matière première. Ce dieu avait été, suivant les Égyp-
tiens, le premier de leurs rois ; la ville royale de Mem-
phis lui était consacrée; c'était dans le magnifique
temple élevé en son honneur, à Memphis, que se faisait
l'inauguration des rois; — la déesse Hathor , la Vénus
des Égyptiens : elle était adorée aussi à Memphis; —
le dieu Phré, dieu du Soleil, l'Hélios des Grecs : la ville
où son culte était pratiqué avec le plus de solennité était
Héliopolis ; — Thoth, l’'Hermès des Grecs, qui avait
révélé aux hommes les premiers éléments des sciences,
des arts et du commerce : il était adoré à Hermopolis;
l'ibis était l'oiseau qu’on lui consacrait; — la déesse
Bescht, adorée à Bubastis, dont les Grecs ont fait leur
Diane et dont l’animal sacré était le chat, etc.
La triade à laquelle était échue la direction de la
terre était composée d'Osiris , Isis et Horus. Son règne
avait immédiatement précédé la génération des hom-
mes. L'histoire de la période qu’il occupa remplissait
la première partie des annales de l'Égypte. Osiris, s’il
faut en croire Plutarque , représentait le principe actif
de la production des êtres, et Isis la matière première
et passive de tous les êtres particuliers.
L'union d'Osiris et d’Isis, c’est-à-dire du principe
producteur et de la matière, produisait le monde , lu-
nivers , l’arrangement de toutes choses; c'était le fils
unique du dieu. On le nommait Horus.
Mais , à côté du principe d'ordre et d'harmonie re-
AXIV INTRODUCTION HISTORIQUE.
présenté par Osiris, Isis et Horus, existait le principe
du mal et.du désordre, Typhon, frère et ennemi d’'O-
siris.
Les Égyptiens feignaient qu'après avoir civilisé
l'Égypte et fondé Thèbes aux cent portes, Osiris vou-
lut faire partager ses bienfaits à toute la terre, et qu’il
visita tous les peuples qui, sous divers noms, lui éle-
vèrent des autels. Mais à son retour, l'épouse et la sœur
de Typhon, Nephti, se rendit amoureuse de lui, et, se
faisant passer pour Isis, en eut Anubis. Typhon outragé
tendit des embuüches à Osiris, lui enleva la vie.
ainsi qu'à Horus , et jeta les lambeaux de son corps
dans la branche tanitique du Nil; on dit que c’est là la
cause de l'horreur que cette embouchure inspirait aux
anciens Égyptiens. Ils croyaient aussi que les parties
du corps d’Osiris jetées dans le fleuve avaient commu-
niqué à ses eaux leur vertu fécondante.
Mais Osiris revint des enfers. Il reçut , après sa ré-
surrection , le nom de Sérapis; il rappela Horus à la
vie et lui donna des armées pour combattre Typhon.
Horus vainquit le mauvais principe. Mais Isis le sauva
en lui procurant une retraite , et depuis il demeura
caché dans l'univers, dont il ne cessa de troubler
l’ordre en suscitant toutes sortes de maux.
Osiris était représenté dans les temples sous divers
emblèmes, dont nous parlerons dans le chapitre des
antiquités ; mais c'était sous la forme d’un taureau noir
qu'il était le plus souvent adoré. De là le culte fameux
du bœuf Apis. Les marques distinctives de ce taureau
sacré étaient une tache blanche et carrée placée au
milieu du front; la figure d’un aigle sur le dos, les
INTRODUCTION HISTORIQUE. XXV
poils de la queue doubles, et un nœud en forme d’es-
cargot sous la langue.
Les Égyptiens crurent à la métempsycose; ils ad-
mettaient par conséquent l’immortalité de lâme; ils
pensaient qu'après la destruction du corps, elle entre
dans un autre animal toujours prêt à naître, et qu’elle
revient enfin au bout de trois mille ans revêtir de
nouveau la forme humaine pour recommencer une
nouvelle période d’existe nce.
Quelque profonde que fût l'essence de la religion
égyptienne , dont nous ne pouvons qu’entrevoir les
mystères , comme les prêtres et les initiés avaient seuls
le privilège de les connaître, le culte populaire dégé-
néra bientôt en un grossier polythéisme. Parmi les
superslitions innombrables qui eurent cours en Égypte,
on ne peut passer sous silence les honneurs rendus
aux animaux. On sait que les principaux parmi les
animaux sacrés furent les chats, les ichneumons,
les chiens, les éperviers , les ibis, les loups et les
crocodiles. Un grand nombre de ces animaux étaient
nourris à grands frais dans les temples. Lorsqu'ils
mouraient, des sommes énormes étaient consacrées
à leurs funérailles , et on en portait le deuil. Le meur-
tre prémédité de l’un d'eux était puni de mort. La
peine capitale était également portée contre celui qui
tuait même involontairement un chat ou un ibis.
Diodore de Sicile rapporte que, sous les Ptolémées,
quelle que füt la terreur qu’inspirât alors la puissance de
Rome, un Romain ayant tué involontairement un chat,
rien ne put l’arracher à la fureur d’un peuple fanatique.
Plusieurs villes étaient spécialement consacrées au
À 5
XXVYI INTRODUCTION HISTORIQUE.
culte de différents animaux. Ainsi le bœuf Apis était en
honneur à Memphis, le bœuf Mnévis à Héliopolis, le
bouc à Mendès, le lion à Léontopolis , le crocodile au
lac Mæris, dans une ville qui portait son nom, et le
loup à Lycopolis. La cause des honneurs religieux
rendus aux animaux était connue, mais tenue cachée
par les prêtres. Les voyageurs grecs durent l’attribuer,
d’après l'hypothèse qui leur parut la plus plausible ,
tantôt aux services que rendaient ces animaux, tantôt
aux diverses qualités dont ils présentaient les emblè-
mes. D’après ce que dit saint Clément d'Alexandrie ,
les sanctuaires des temples égyptiens ne renfermaient
pas de statues : c'était toujours un animal sacré qui, placé
dans une partie reculée de l’édifice et caché par un voile
aux yeux des profanes, était lesymbole de la divinité.
L'Égypte se trouvait partagée en espèces de dépar-
tements religieux à chacun desquels le culte d’une di-
vinité ou plutôt d’une triade était spécialement affecté.
En parlant de cette répartition, Diodore de Sicile l'at-
tribue à une cause politique. D’après lui, lun des
anciens rois, voulant dominer plus facilement sur
toute l'Égypte, concut le projet d'empêcher qu'un
accord général contre son autorité ne püt se former
parmi le peuple. Pour atteindre son but, il divisa
l'Égypte en cantons à chacun desquels il assigna une
divinité différente et interdit une certaine sorte de
nourriture. C'était mettre en pratique l’adage « Diviser
pour régner. » Diodore rapporte que les effets répondi-
rent à cette combinaison, et que l’on voyait les habi-
iants des territoires voisins presque toujours en que-
relles entre eux. parce qu'ils s’offensaient mutuellement
INTRODUCTION HISTORIQUE. XXVIF
par les infractions réciproques qu’ils faisaient à leurs
rites religieux. Du reste, quoique à chaque divinité
fùt assignée une portion particulière de territoire, tous
les temples renfermiaient, à côté de l'emblème du
dieu , la représentation d’Ammon-Ra , le dieu suprême
de l'Égypte entière.
Je ne puis pas m’étendre davantage sur la religion
des anciens Égyptiens. La matière est immense; elle
l'est d'autant plus qu’elle a été moins explorée , et je
dois renvoyer le lecteur qu’elle intéresse aux ouvrages
spéciaux , à ceux surtout de lillustre et si regrettable
Champollion.
$ lil.
ÉTAT SOCIAL, GOUVERNEMENT ET LOIS DES ANCIENS
ÉGYPTIENS.
Castes. — Les prêtres. — Caste militaire. — Caste populaire. — Le roi.
— Gouvernement. — Lois.
12. Castes. — La population de l'Égypte s'élevait ,
dans les temps prospères de l’époque pharaonique,
de 5 millions au moins à 7 millions au plus d'habitants.
Elle était répartie en trois grandes castes : la caste sacer-
dotale , la caste militaire et la caste populaire. Celle-ci
se divisait à son tour en deux classes : celle des agri-
culteurs et celle des commerçants. La loi attachait les
enfants à la profession de leurs pères , et perpétuait
ainsi l'intégrité et l’immobilité des grandes divisions
sociales.
15. Les prêtres. — Le gouvernement de l'Égypte
XXVIIL INTRODUCTION HISTORIQUE.
fut d’abord théocratique : la caste sacerdotale avait le
pouvoir ; plus tard elle dut le céder aux chefs de la classe
militaire ; mais elle conserva néanmoins la plus grande
partie de ses attributions et de ses priviléges.
Ainsi, sous l’époque pharaonique, les prêtres, pos-
sesseurs de nombreuses propriétés territoriales, de-
meurèrent exempts de toute contribution. La consi-
dération dont ils jouissaient avait pour lune de ses
principales causes leurs immenses richesses. Celles-ci
se composaient, outre leurs domaines, de revenus
fixes qu'ils tiraient de la piété populaire. Ces espèces
de dîimes leur étaient données en nature. Toutes les
classes étaient soumises à les payer ; le roi lui-même
ne se dispensait pas d'apporter son tribut. Mais les
prêtres ne percevaient pas seulement des droits sur
les vivants et tes productions de la terre ; des rede-
vances étaient établies sur les morts. Ils avaient la
propriété des nécropoles : toute momie déposée dans
ces vasles catacombes payait chaque année un droitfixe.
La caste sacerdotale était mêlée à toutes les affaires
nationales ; sur la guerre et sur la paix, sur les travaux
publics et sur l’agriculture, sur l'administration inté-
rieure et enfin sur toutes les grandes mesures gouver-
nementales, elle était consultée, et son avis, promul-
gué par l'organe de ses chefs, était le plus souvent
religieusement suivi. C'était dans l'assemblée des pré-
tres que le roi était intronisé ; après le monarque, le
grand prêtre était le premier dignitaire de l'Égypte.
Les prêtres exerçaient la médecine, étudiaient las-
ironomie, avaient dans leurs attributions la momifica-
üon des corps; ils étaient à peu près les seuls en
INTRODUCTION HISTORIQUE. XXIX
Égypte qui fussent instruits. Ils s’adonnaient surtout
à l’arithmétique et à la géométrie. Les opérations ca-
dastrales durent en effet avoir de tout temps une très-
grande importance dans un pays dont la surface est
annuellement changée par l’inondation qui, déplaçant
les limites des propriétés particulières, introduirait la
confusion parmi elles, et susciterait des litiges inces-
sants, si la géométrie ne fixait pas irrévocablement,
avec l’infaillibilité de ses procédés, la part de chacun.
La corporation sacerdotale se composait de divers
degrés. Il y avait au-dessous des grands pontifes les
hiérogrammates ou scribes sacrés, chargés de l’admi-
nistration des revenus sacerdotaux ; les archiprophè-
tes, les prophètes, les gardiens des temples, les sphra-
gistes ou scribes des victimes, qui marquaient d’un
sceau spécial les victimes dévouées aux sacrifices ; les
prêtres des villes, les hiéracophores, chargés de pré-
senter les offrandes funéraires : les libanophores, qui
brülaient l’encens devant les dieux ; les spondistes, qui
répandaient les hbations ; les surveillants des temples ;
les fonctionnaires inférieurs : tabellifères, portiers,
décorateurs, chanteurs; et les taricheutes, les pa-
raschistes et les colchytes, qui embaumaient les corps.
Les prêtres soutenaient, par les soins qu’ils appor-
taient à leurs costumes, la dignité de leurs fonctions.
Ils étaient vêtus de robes blanches; les tissus de lin
leur étaient seuls permis. Hérodote rapporte que
c'était pour eux un devoir de se raser et de s’épiler tous
les trois jours la tête et les autres parties velues du
corps.
1%. Caste militaire. — La classe des guerriers était
D.
AXX INTRODUCTION HISTORIQUE.
la seconde dans le principe. Elle devint la première
lorsque Ménès, son chef, détruisit la théocratie. Elle
possédait de très-grandes propriétés. Le nombre de
ses membres était considérable. Il paraît qu’en temps
de paix le chiffre de l’armée était d’à peu près deux
cent mille soldats. Pendant qu'Hérodote visita l'Égypte.
elle en comptait plus de quatre cent mille, divisés en
deux grandes sections d’après les nomes qu’ils habi-
taient. L’une de ces sections, celle des calisiries, com-
prenait deux cent cinquante mille hommes; l’autre,
celle des hermotybies, en comptait cent cinquante
mille.
L'armée égyptienne se composait de grosse infan-
terie, d'infanterie légère et de combattants en chars.
Il parait, d’après les inscriptions des monuments,
qu’elle n’avait pas de cavalerie. Les armes des fantas-
sins étaient la lance, le sabre recourbé, la hache et les
flèches ; un bouclier les protégeait. Les chars, dont les
roues étaient garnies de faux, étaient trainés par deux
chevaux, et montés par des guerriers armés d’une ha-
che et qui lançaient des flèches.
Les troupes étaient divisées en plusieurs corps, qui
suivaient chacun une enseigne spéciale. Le roi était le
chef naturel de l’armée ; il en déléguait le commande-
ment à ses fils ou à des généraux de son choix.
15. Caste populaire. — La caste populaire compre-
nait tous les hommes libres qui ne faisaient pas partie
des deux premiers ordres de l'État. Elle était nom-
breuse. Ses membres vivaient dans Paisance ; ils culti-
vaient la terre, exploitaient l’industrie et faisaient le
commerce.
INTRODUCTION HISTORIQUE. XXXE
La caste populaire parait avoir joui à une certaine
époque de droits politiques importants. Elle concourait
d’abord à Félection des rois ; plus tard elle n'intervint
plus qu’à lextinction des dynasties pour choisir la fa-
mille à laquelle devaient être transportés les honneurs
royaux. Plus tard encore cette prérogative lui fut enle-
vée ; on ne lui laissa que le droit de prononcer ces juge-
ments singuliers auxquels la mémoire des rois était
soumise après leur mort.
16. Le roi. — A son avénement au trône, qui lui
était transmis héréditairement d’après le principe
de primogéniture, le roi était proclamé souverain
et sacré comme tel par les prêtres convoqués à Meim-
phis.
Il était le chef du pouvoir exécutif, chargé pendant
la paix de faire observer les lois et de défendre la patrie
en Cas de guerre.
1! jurait aux lois une obéissance rigoureuse. Celles-ci
réglaient l'emploi de toutes les heures de sa journée.
A l’ouverture de l’année rurale, il creusait le premier
sillon au milieu de cérémonies solennelles. Pendant la
guerre, monté sur un char qu’il conduisait lui-même,
il combattait au milieu de ses troupes.
En général, le peuple égyptien était attaché à ses
rois. Lorsque le monarque mourait, la nation entière
prenait le deuil pendant soixante et douze jours ; durant
tout ce temps les temples étaient fermés et les citoyens
étaient obligés de faire pour lui des prières aux dieux.
Cette période écoulée, la momie du roi était exposée en
public à l'entrée de son tombeau, et chacun pouvait
Hbrement l’accuser de ses fautes, Cependant un prêtre
XXXII INTRODUCTION HISTORIQUE.
faisait son oraison funèbre. Si elle était accueillie par
l'approbation du peuple assemblé, le roi mortrecevaitles
honneurs de la sépulture : il en était privé dans le cas
contraire. On remarque encore, comme preuve de la
force de cet usage, que sur quelques monuments les
noms des souverains qui les élevèrent sont soigneuse-
ment effacés. On prétend que la crainte de ces juge-
ments funéraires retenait les souverains dans les limites
de la vertu et de la modération. Quant à moi, je ne
sais pas jusqu’à quel point pouvaient craindre l'opinion
de la postérité des hommes qui ne redoutaient pas la
haine ou le mépris de leurs contemporains.
17. Gouvernement. — L'Égypte était divisée en
départements ou nomes, à la tête desquels se trou-
vaient des chefs chargés de diriger l'administration re-
ligieuse , civile, militaire , financière. « On affirme,
dit M. Champollion-Figeac dans son savant ouvrage
sur l'Égypte ancienne, et avec une vraisemblance qui
a pour elle quelques traditions anciennes , que des as-
semblées politiques et solennelles étaient convoquées
par le roi ou par la loi, soit dans des circonstances.
extraordinaires, soit pour régulariser le taux et la na-
ture des impôts , soit enfin lorsque les changements
de règne et surtout les changements de dynasties les
rendaient nécessaires. Chaque nome envoyait un nom-
bre de députés à l'assemblée générale de ceux de la
nation, et c’est dans le labyrinthe qu’elle se réunis-
sait, »
18. Lois. — On ne sait rien de bien précis et de
bien méthodique sur la législation des anciens Égyp-
tiens. Il parait qu'elle a été plusieurs fois modifiée à.
INTRODUCTION HISTORIQUE. XXXIHII
la suite des diverses invasions que ce pays subit. En
voici les traits principaux , tels que nous les ont trans-
mis Hérodote et Diodore de Sicile.
« Le parjure était puni de mort : le serment étant
admis dans beaucoup de circonstances graves par la
législation égyptienne, il fallait en assurer , autant
qu’on le pouvait , la vérité à l'égard de Dieu et des
hommes. — C'était un devoir pour tous les citoyens
de prévenir les crimes, d’en poursuivre la punition ,
et celui qui voyant un homme en danger ne volait pas
à son secours était assimilé à l’homicide et puni comme
tel. — L'homme devait défendre son semblable contre
un assaillant, le garantir de sa fureur; s’il prouvait
qu’il ne l’avait pas pu , il n’en devait cas moins décou-
vrir le coupable et le poursuivre en justice. L’exer-
cice du droit de poursuite au nom des lois était donc
mis au nombre des devoirs et déféré à tous les citoyens.
— Le témoin d’un crime qui ne remplissait pas ce de-
voir était battu de verges et privé de nourriture pen-
dant trois jours; et l’accusateur convaincu de calomnie
subissait la peine réservée à l'accusé, s’il avait été dé-
claré coupable... Enfin, un coupable qui avait échappé
à l’accusation durant sa vie, ne pouvait se soustraire
à celle qui l’attendait à l'entrée même du tombeau :
une voix qui l’accusait avec vérité le faisait priver des
honneurs de la sépulture !. »
L’homicide était puni de mort, le parricide était
condamné au bücher ; les parents qui tuaient un de
leurs enfants étaient obligés de tenir son cadavre em-
: Champollion, Egspte ancienne.
XXXIT INTRODUCTION HISTORIQUE.
brassé pendant trois jours et trois nuits; le viol était
puni par la mutilation ; la femme adultère avait le nez
coupé, son complice était battu de verges.
Une loi singulière de l'Égypte est celle qui autorisait
le vol. Les voleurs formaient une corporation qui avait
ses chefs ; ceux-ci recevaient le butin commun des
filous , rendaient aux victimes les objets qu’on leur
avait dérobés, moyennant la cession du quart de leur
valeur. Ils partageaient ce bénéfice avec leurs collabe-
rateurs. — Le mariage entre frère et sœur fut permis
après la conquête des Grecs.
6 V.
SCIENCES . AGRICULTURE, INDUSTRIE ,; COMMERCE.
19. Sciences. — Les sciences étaient cultivées ex-
clusivement par les prêtres; j’ai indiqué celles aux-
quelles ils avaient fait faire des progrès, je ne puis
pas entrer dans plus de détails; je dirai seulement
que les Égyptiens paraissent avoir eu des connais-
sances très-avancées sur les sciences physiques et ma-
thématiques. Leurs zodiaques prouvent que les faits
astronomiques les plus saïllants leur étaient familiers.
Des colléges spéciaux de prêtres étaient occupés, à
Héliopolis et dans plusieurs autres villes, à observer
les astres. — C’est d’eux , au rapport de Strabon, que
vient l’usage de régler le temps, non d’après la révo-
lution de la lune, mais d’après celle du soleil; ils
comptaient douze mois de trente jours chacun, aux-
quels ils ajoutaient cinq jours épagoniens , qu'ils ap-
INTRODUCTION HISTORIQUE. XXXY
pelaient célestes. Ils distinguaient deux sortes d’an-
nées : l’année solaire de 565 jours un quart, et l’année
civile ou vague de 565 jours seulement; la rétrogra-
dation de celle-ci donnait un mois de différence tous
les 120 ans, et une année de 565 jours après 1460 ans.
Cette longue période était connue sous le nom de
sothique. Les Égyptiens étaient parvenus à déterminer
exactement l’année solaire, à la suite d'observations
intéressantes sur le lever héliaque de l'étoile Sirius.
Ils ne divisaient pas l’année en quatre saisons comme
nous, mais en trois de 120 jours chacune.
20. Agriculture, industrie, arts, commerce. — L’'a-
griculture était la vie de l'Égypte. Les travaux qu’elle
exigeait n'étaient pas pénibles : ils commencaient après
l'écoulement des eaux du Nil. « Chacun, dit Hérodote,
vient alors jeter les semences dans ses terres et y lâche
ensuite des animaux ; la semence est ainsi retournée
et enterrée et il n’y a plus qu’à attendre la moisson.
Les Égyptiens , particulièrement ceux qui habitent au-
dessous de Memphis, sont ceux qui recueillent avec le
moins de travail les fruits les plus abondants; ils n’ont
point à creuser inutilement les sillonsavec la charrue ;
ils n’ont ni la fatigue de retourner la terre ni celle de
la bêcher. » Les principales récoltes se composaient
de céréales.
Les arts et l’industrie avaient été portés à un très-
haut point de perfection. Je ne parlerai pas des ma-
gnifiques monuments qui furent élevés sur toute la
surface du sol , il en sera question au chapitre des
antiquités. Je rappellerai que les Égyptiens surent
mettre en œuvre les métaux par des procédés chimi-
XXXVI INTRODUCTION HISTORIQUE.
ques , qu'ils connurent l’art de l’émailleur, la fabrica-
tion de la porcelaine , du verre, du verre coloré, du
stuc, etc., qu'ils avaient des manufactures d’armes,
d’ustensiles divers, qu’ils fabriquaient des bijoux de
toutes sortes , des meubles nombreux, des tissus très-
renommés.
Riche de ses produits naturels et artificiels, V'É-
gypte devait être et fut en effet très-commerçante.
Ç VI.
DOMINATION DES PERSES.
Cambyse. — Ses successeurs. — Dernières dynasties nativnales.
21. Cambyse. — La conquête des Perses fut cruelle
et dévastatrice; ils ne respectèrent pas les mœurs du
pays ; ils pillèrent ses temples et détruisirent plusieurs
de ses monuments. On vit Cambyse, s’acharnant à op-
primer le peuple qu’il avait vaincu dans ce qu'il avait
de plus cher, ses croyances religieuses, tuer de sa
propre main le bœuf Apis, pour prouver qu'il m'était
pas un dieu. Ce féroce conquérant , non content d’a-
voir conquis l'Égypte, entreprit une expédition contre
les Éthiopiens etenvoya une armée à traversles déserts,
pour soumettre les habitants de l’oasis d’Ammon. Ces
deux tentatives échouèrent , l’armée dirigée contre les
Ammoniens périt dans les sables. Cambyse mourut
quelque temps après.
29. Ses successeurs. — Les Égyptiens respirèrent
pendant le règne de Darius , fils d'Hystaspe, l'un des
INTRODUCTION HISTORIQUE. XXXVIL
successeurs de Cambyse. Des monuments religieux
furent élevés, sous les auspices de ce prince, aux
dieux de l'Égypte. L’oasis d'El-Kargeh contient encore
un de ces temples. Il s’occupa particulièrement des
voies de communication à établir entre le Nil et la mer
Rouge ; néanmoins , vers la fin de son règne, les
Égyptiens se révoltèrent contre lui. Son successeur
Xercès les soumit ; mais le fils de celui-ci eut à répri-
mer une nouvelle insurrection et fil peser sur les
Égyptiens un joug plus sévère que ses devanciers. Les
habitants de l'Égypte ne se laissèrent pas rebuter par
leurs défaites, et sous la conduite d’Amyrtée , ils par-
vinrent enfin à recouvrer momentanément leur indé-
pendance (404 av. J. C.). La première domination des
Perses avait duré cent vingt ans.
25. Dernières dynasties nationales. — Amyrthée
compose à lui seul la xxvrrre dynastie. Il ne régna que
six ans. Une famille originaire de Mendès lui succéda
et forma la xx1x° dynastie, qualifiée de mendésienne, à
cause de son origine. Elle donna cinq rois qui ne gou-
vernèrent que vingt et un ans. Ils furent remplacés par
la xxx° dynastie appelée sébennitique ; elle se composa
de trois princes qui régnèrent pendant une période
de trente-huit ans. Ce fut sous le dernier de ceux-
ci, Nectabene II, que l'Égypte tomba de nouveau,
lan 558 avant notre ère, sous la domination des
Perses.
Celle-ci fut très-courte , elle ne dura que sept ans.
L'empire des Perses fut détruit en effet par Alexandre,
lan 552. L'année suivante l’illustre Macédonien en-
tra en triomphateur en Égypte.
APERCU SUR L'ÉGYPTE. Î. 4
AXXVIIH INTRODUCTION HISTORIQUE.
$ VII.
LES PTOLÉMÉES.
Alexandre, — Les Lagides, — Civilisation des Ptolémées. — Oecupatien
romaine.
2%. Alexandre fut un libérateur pour l'Égypte. La
conquête des Macédoniens (551 av. J. €.) la fit briller
d’un nouvel éclat. Le jeune vainqueur des Perses la
dota d’une ville commerciale , dont il choisit lempla-
cement avec le coup d'œil du génie, et qui devint
bientôt la plus florissante du monde. Après sa mort,
qui fut suivie du démembrement de ses conquêtes,
l'Égypte échut à lun de ses lieutenants, qui régna
sous le nom de Ptolémée Soter. Ce fut le premier sou-
verain de la trente-deuxième dynastie égyptienne,
celle des Lagides ; elle comprit treize rois ou reines,
et sa domination dura deux cent quatre-vingt-quatorze
ans. Voici la liste de ces rois :
Ptolémée Soter, mort en. . . . . 983 av. J. C.
Ptolémée Philadelphe. . . . . . . 24
Ptolémée Évergète. . . . . . . . . 29
Ptolémée Philopator. . . . . . . . 20
Ptolémée Épiphane. . SPORE
Ptolémée Philométor. . . . . . . . 145 » »
Ptolémée Évergète IL. . . . . . . . 116 » »
Alexandre Er.:L «ue le cuire RÉCRSRSSE
Ptolémée Soter IL ..swict.te ES.
Alexandre LES .. 5: 4106 CES » QD »
Ptolémée Aulète. . 19 21 ROSES
INTRODUCTION HISTORIQUE, XXXIX
0. + JA ax JC,
=
Les règnes des Ptolémées sont tissus d'événements
embrouillés , de querelles de famille, et n’offrent pas
d'intérêt historique.
Cependant l'Égypte acquit , sous plusieurs de ces
princes, une très-grande prospérité. De nouvelles voies
s'ouvrirent à son commerce; elle eut le transit des
produits de l'Inde dans la Méditerranée. Les sciences
refleurirent et firent à Alexandrie des progrès impor-
tants. L’astronomie, la médecine, la philosophie , au
point où les ont portées les Alexandrins , ont laissé
d’ineffaçables souvenirs dans l’histoire intellectuelle de
l'humanité. Pendant cette période, l'Égypte vit s’opé-
rer en elle la fusion de plusieurs civilisations. Ouverte
aux Grecs , aux Juifs , aux Asiatiques, aux Romains,
les mœurs , les idées , les religions de ces peuples se
mélèrent dans son sein. De ce mélange sortit une cé-
lèbre école philosophique , sous laquelle se réfugia le
polythéisme transformé , pour opposer un dernier
effort à la marche victorieuse de la religion chrétienne.
Mais la race des Ptolémées dégénéra bientôt ; les
luttes intestines qui divisèrent ses derniers représen-
anis, appelèrent en Égypte l'intervention romaine.
César, vainqueur de Pompée, s'arrêta avec complai-
sance à Alexandrie, où il mit sur le trône la fameuse
Cléopâtre. Celle-ci, qui, lors de la guerre civile du
second triumvirat , unit sa fortune à celle d'Antoine,
succomba avec lui à la journée d’Actium; et l'Égypte
devint, sous Auguste, province romaine.
XE INTRGDUCTIOX HISTORIQUE.
$ VHIL.
HOMHINATION ROMAINE.
Politique romaine.— Le christianisme en Égypte. — Querelies religieuses.
Les cophtes appellent l'invasion des Arabes.
25. La politique d’Auguste envers l'Égypte fut pro-
fonde; elle prouve que l’habile empereur avait bien
compris le pays sur lequel il établissait son pouvoir.
Elle mérite de fixer l’attention , même aujourd'hui;
car, sous les Romains, comme de notre temps, il y.
avait une question d'Orient d’une haute importance;
alors aussi il fallait l’étudier et lui préparer une solu-
tion pratique : Orientem componi, suivant la majes-
tueuse expression de Tacite.
La possession de l'Égypte fut considérée, par Au-
guste, comme d’un intérêt vital. À la valeur de sa
position géographique se joignait celle de sa richesse
agricole ; l'empereur en fit le grenier de Rome. Il
chargea le gouverneur qu’il plaça à sa tête d’expédier
chaque année, avant la fin du mois d'août , l’approvi-
sionnement en céréales nécessaire à la capitale de
l'univers. Les biens du gouverneur répondaient de
exécution ée cet ordre.
Il fallait donc soigneusement s'assurer, par de puis-
sants moyens, la possession d’une province aussi pré-
cieuse.
Auguste créa le précédent, suivi par ses successeurs.
de ne jamais confier à un patricien influent l’'adminis-
tration supérieure de l'Égypte. Il la donna à un sim-
INTRODUCTION HISTORIQUE. XLI
ple chevalier romain, qui avait du reste sous ses
ordres plusieurs préteurs , gouverneurs des différents
nomes, et trois légions répandues dans l’intérieur du
pays, jusqu’à ses frontières méridionales. Le préfet
d'Égypte, véritable vice-roi, était fréquemment changé,
de peur qu'il ne devint assez puissant pour s’appro-
prier les droits du souverain qu’il représentait.
D'un autre côté, Auguste ne donna point au peuple
égyptien les prérogatives , les franchises, les libertés
que les Romains accordaient aux nations conquises. Il
respecta , il est vrai, leurs usages civils et religieux ,
mais 1l eut soin de ne rien leur laisser qui püt faciliter
leur émancipation politique. Deux de ses décrets ré-
vèlent nettement ses intentions à cet égard ; l’un défen-
dait à tout noble égyptien d’aller à Rome, et lui inter-
disait l'admission au sénat; l’autre ne permettait à un
Romain sénateur ou chevalier de débarquer en Égypte
qu'avec l'autorisation de l’empereur.
D'ailleurs Rome, qui était directement intéressée à la
prospérité de l'Égypte, üra parti avec une grande sol-
licitude de tous ses avantages matériels. Les anciens
canaux furent restaurés ; on en creusa de nouveaux.
Le commerce maritime fut favorisé. La grandeur et la
richesse d'Alexandrie s’accrurent encore; elle devint
et demeura, jusqu’à la fondation de Constantinople, la
seconde ville du monde.
L’Égypte fut, sous les Romains, le théâtre de sédi-
Hions fréquentes et de troubles intérieurs. Elle fut rapi-
dement conquise par la reine de Palmyre, Zénobie, et
bientôt reprise par Aurélien. Le christianisme sv
imtroduisit sous le règne de Domitien, Il y prit un large
n
XLII INTRODUCTION HISTORIQUE.
développement, malgré les persécutions par lesquelles
les empereurs romains s’efforcèrent de comprimer son
essor. Il donna à l'Égypte un nouveau genre de célé-
brité. La Thébaïde se peupla de moines, et ses déserts
furent sanctifiés par la foi, qui faisait alors la conquête
de la terre. Alexandrie surtout prit une grande part
au mouvement religieux des premiers siècles de notre
ère. Arius était prêtre de cette ville, et saint Athanase,
son adversaire infatigable, en fut le patriarche. Les
disputes religieuses provoquèrent en Égypte, comme
dans tout l'Orient chrétien à cette époque, des luttes
acharnées et souvent sanglantes.
Lorsque Constantin divisa l'empire en deux grandes
parties, l'Égypte fut comprise dans celle dont Constan-
tinople devint la métropole. Mais miné par une fai-
blesse interne, assaïili de tous côtés, le Bas-Empire ne
pouvait conserver longtemps cette province. Les divi-
sions religieuses accélérèrent cette perte plutôt qu’elle
n’aurait dù normalement arriver. La masse du peuple
égyptien s'était ralliée à la secte jacobite et s'était sé-
parée par conséquent de l'Église byzantine. De là, la
haine des Égyptiens jacobites (les cophtes) contreleurs
dominateurs, les Grecs. Cette haine fut poussée si loin
qu’elle leur fit oublier les intérêts de leur religion. Le
patriarche cophie Benjamin et plusieurs de ses com-
patriotes influents ne craignirent pas d'appeler en
Égypte les ennemis mêmes du nom chrétien, les mu-
sulmans qui s'étaient emparés déjà d’une partie de la
Syrie. Ils préférèrent au gouvernement de l’empereur
de Constantinople le joug des sectateurs de Mahomet.
Ceux-ci saisirent avec empressement les avances qui
INTRODUCTION HISTORIQUE. XLJII
leur étaient faites. Ils envahirent l'Égypte, lan 640,
sous le règne d'Héraclius.
Ç.IX.
DOMINATION DES CALIFES ET DES SULTANS MAMELUKS.
26. Ce fut sous ja conduite d’Amrou et favorisés par
les indigènes qui venaient leur porter des vivres et se
joindre à eux, que les Sarrasins s’emparèrent de V'É-
gypte. Alexandrie tomba bientôt en leur pouvoir. Le
pillage auquel ils livrèrent cette ville est devenu céle-
bre, surtout à cause de l'incendie des manuscrits con-
servés par centaines de mille dans sa fameuse biblio-
thèque. Amrou avait demandé au calife ce qu’il fallait
faire de ces manuscrits : « Si ces livres ne renferment
que ce qui est écrit dans le livre de Dieu (le Coran), ce
livre nous suffit, lui répondit Omar, et d’autres sont
inutiles ; s'ils contiennent quelque chose de contraire
au saint livre, ils sont pernicieux ; dans l’un et l’autre
cas, brülez-les. » L'arrêt du calife fut exécuté, et la
bibliothèque des Lagides brula'ement enlevée aux let-
tres. Mais si Amrou agit dans cette circonstance avec
l’inflexible rigueur du fanatisme, il se montra plus gé-
néreux dans le reste de sa conduite, et fut utile au pays
qu’il avait conquis. Il s’occupa en effet de ses intérêts
matériels. Il fonda Fostat , dont 1l fit sa capitale; 1l
créusa un canal, qu’il appela le canal du prince des
fidèles, et qui devait mettre en communication les deux
mers. Son exemple ne fut pas suivi, en ceci, par ses
successeurs. Après avoir appartenu aux Ommiades et
XLIV INTROEUCTION HISTORIQUE.
aux Abassides, l'Égypte devint indépendante sous
Ahmed-ben-Touloun, chef de la courte dynastie des
Toulounides. Ce prince entoura Alexandrie de fortifi-
cations qui existent encore. Les Touiounides furent
remplacés un instant par les Iskhides ; ceux-ci firent
bientôt place eux-mêmes aux Fathimites (882). Sous
les premiers princes de cette dernière race, l'Égypte
vit encore de beaux jours. Misr-el-Kahira, la ville vic-
torieuse (le Caire), fut fondée par eux, et ils en firent
la métropole des arts, des sciences et des lettres ; issus
des environs de Fez, ils introduisirent brillamment en
Égypte la civilisation moresque qui se déployait déjà
en Espagne avec tant de gloire et de splendeur. Leurs
successeurs dégénérés perdirent leur puissance, qui
échut aux Ayoubites (1171). — Les débuts des Ayou-
bites furent signalés par la gloire militaire. Le maho-
métisme, vaincu en Syrie par les croisés , était sérieu-
sement compromis, lorsque le premier Ayoubite ,
Saladin, le releva par ses succès ; soumise à cette
dynastie, l'Égypte fut encore florissante , les arts et les
sciences continuèrent à être cultivés dans son sein, et
son commerce s'étendit, comme sous les Ptolémées,
dans toute la Méditerranée et dans l'Inde. Les Ayoubi-
tes semblaient destinés à triompher des croisades. Ce
fut sous le dernier de leurs princes que saint Louis dé-
barqua en Égypte, et fut fait prisonnier après le com-
bat désastreux de Fares-Kour , dont, six siècles plus
tard, la France devait aller demander compte aux ma-
meluks. Les Baharides recueillirent lhéritage des
Avoubites (1250). Au commencement de leur domina-
tion. les califes ahassides furent chassés de Bagdad , et
INTRODUCTION HISTORIQUE. à +4 Pa
les membres survivants de cette famille allèrent cher-
cher un asile en Égypte, où leur autorité spirituelle fut
reconnue. Le Caire devint alors, comme l'était Bagdad
auparavant, le centre du mahométisme, et demeura
la ville métropole de la religion musulmane, jusqu’au
jour où les sultans ottomans réunirent le pouvoir re-
ligieux au pouvoir politique. Les mameluks Borgides
succédèrent aux Baharides (1582). Leur domination ne
présente d'autre fait remarquable que l'institution qui
Jui servit de base. Il n’y a pas d’exemple dans l’histoire
d'une aristocratie semblable à celle des mameluks. Ce
fut l’un des successeurs de Saladin qui la créa mala-
droitement, dant le but de se faire une milice formida-
ble et dévouée : il acheta douze mille jeunes Circas-
siens, Abazes et Mingréliens, les fit élever dans les
exercices militaires , et obunt bientôt le corps de sol-
dats le plus aguerri et le plus redoutable de l'Asie.
Mais ces esclaves (#7amluk) ne tardèrent pas à com-
prendre qu'ils avaient en leurs mains toute la puis-
sance de leurs maitres. Ils renversèrent ceux-ci, choi-
sirent des sultans parmi eux, et se recrutèrent de la
même manière qu'ils avaient été formés. Transplantés
comme esclaves, dès leur enfance, dans le pays sur le-
quel ils devaient commander, ils ne lui étaient attaches
par aucune tradition patriotique, par aucune solidarité
de famille. Ils le traitaient comme province conquise.
Leur seul soin était de l’exploiter à merci, de se gor-
ger de richesses et de plaisirs. Aussi la durée de leur
domination barbare n'est-elle qu’une anarchie ininter-
rompue, fomentée par les ambitions personnelles, et
entretenue par de sanglantes violences.
XLVI INTRODUCTION HISTORIQUE.
DOMINATION DES TURCS ET DES MAMELUKS.
Gouvernement de l'Égypte sous les Turcs. — Révolie d’Aly-Bey. — Sou-
veraineté illusoire de la Porte.— Indépendance réelle des mameluks.
27. L'Égypte devint province de l'empire ottoman ,
sous Sélim Fer, en 1517. Ce suitan, après s’en être em-
paré, comprit bien qu’à cause de l'éloignement où elle
se trouvait du centre de l'empire, il serait difficile à la
Porte de lui faire sentir son autorilé. Pour ce motif,
et aussi afin de ménager les mameluks, Sélim la sou-
init à un système d'administration prudemment com-
biné, d’après lequel ie pouvoir était partagé entre plu-
sieurs Corps, qui avaient besoin pour se faire équilibre
de recourir à l’intervention des sultans. Les fonctions
et les soins du gouvernement étaient laissés à un divan
composé de mameluks ; l'administration locale était
confiée à vingt-quatre beys, chefs de cette puissante
corporation. Ceux-ci percevaient les impôts partiels
sur lesquels le divan prélevait le tribut payé annuelle-
ment à la Porte. Le sultan était représenté par un pa-
cha qui avait pour mission de noüfier au divan les or-
dres de son suzerain de Constantinople, de faire passer
le tribut, de veiller à la sureté du pays contre les en-
nemis extérieurs et de s'opposer à l'agrandissement
des divers pariis. Une milice de janissaires et de spa-
his avait été formée sous le commandement de sept
chefs noinmés odjacklys, pour souteñir les attributions
INTRODUCTION HISTORIQUE. XLVI!
du pacha; mais ils s'établirent en Égypte d’une ma-
nière trop sédentaire pour pouvoir conserver l'humeur
aventurière qui rendait si redoutables les janissaires
de Constantinople. Aussi les mameluks demeurèrent-
ils à peu près tout-puissants. Les membres du divan
avaient le droit de rejeter les ordres du pacha en moti-
vant leur refus ; ils pouvaient même le déposer.
Réduite à ces proportions, l'autorité de la Porte sur
l'Égypte était déjà bien restreinte; elle devint encore
plus illusoire dans la seconde moitié du dix-huitième
siècle. En 1756, l’un des beys mameluks, Alv-Bey,
refusa le tribut, chassa le pacha , battit monnaie à son
effigie, mit en déroute , dans toutes les rencontres, les
armées turques envoyées contre lui, et se fit proclamer
lui-même par le chérif de la Mecque, sultan d’Égypte
et dominateur des deux mers. La trahison de l’une de
ses créatures mit fin à sa révolte : mais elle avait porté
une aiteinte profonde à l'autorité de la Porte, qui de-
vint, après lui, plus nominale et plus précaire que
jamais. Depuis lors, on déposait ou lon exilait lespachas
sans la moindre hésitation ; ceux-ci sentaient si bien
leur faiblesse qu’ils obéissaient à la première somma-
on, et quittaient leurs palais, sans faire les plus légers
efforts pour résister. Plus prudents neanmoins qw’Aly,
les beys qui héritèrent de sa puissance eurent garde
de se déclarer indépendants. L'indépendance de fait
leur suffisait; ils recevaient les ordres du sultan avec
le plus grand respect apparent et ne les exécutaient
jamais. Îis écornaient considérablement le tribut, en
faisant entrer en compte des dépenses imaginaires ;
quelquefois même ils le suspendaient. La Porte fer-
/
XLVIII INTRODUCTION HISTORIQUE.
mait les yeux sur ces abus ; tenter de les réprimer eût
êté périlleux pour elle, L’unique but de sa politique
était de fomenter les divisions intestines des mame-
luks, et, par un système de bascule, d'empêcher qu’au-
cun parti ne prit le dessus et ne püût rétablir en
Égypte, avec un pouvoir fort, l’ordre et l'unité. Poli-
tique funeste à la masse du peuple égyptien dont la
condition , toujours misérable au milieu de l'anarchie,
s'est toujours améliorée au contraire lorsque le pou-
voir a acquis de l’énergie et que son action s’est con-
centrée.
XI.
…
EXPÉDITION FRANÇAISE.
But de l'expédition. — Prise d'Alexandrie, — Bataille des Pyramides. —
Défaite d'Aboukir. — Ses conséquences. — Kléber. — Victoire d'Hé-
liopolis. — Menou: — Évacuation. — Résultats de la conquête fran-
caise.
28. Deux beys, Mourad et Ibrahim, s'étaient par-
tagé le gouvernement lorsque Bonaparte débarqua en
Égypte, le 1° juillet 1798.
Les motifs immédiats de l'expédition de trente-six
mille hommes, que le Directoire envoya sur les bords
du Nil, étaient les nombreuses avanies que les mame-
luks faisaient subir à nos négociants; mais un but gran
diose, plus profond que la répression de leurs inso-
lents brigandages, avait guidé Napoléon. Il semblait
INTRODUCTION HISTORIQUE. XLIX
qu’une sorte d'attraction providentielle nous appelat
en Afrique,
Terre de poésie
Que, depuis six cents ans, notre France a choisie,
comme vient de le dire dans une ode sublime notre
grand poëte Méry ‘. Louis XIV, sur un plan qui lui
fut proposé par Leibnitz, avait songé un instant à s’em-
parer de l'Égypte. Le même projet avait été remis en
question sous le ministère du duc de Choiseul. Bona-
parte , à son retour d'Italie, se nourrit avec une sorte
d’exaltation idéale de la conception de Leibnitz. « Les
grands noms ne se font qu’en Orient,» avait dit le héros
d’Arcole dans un accès d'enthousiasme. L’écho d’Abou-
kir, qui lui répondit par la voix de Kléber : « Général,
vous êtes grand comme le monde! » lui prouva plus
tard qu'il ne s'était pas trompé en venant demander
au pays des pyramides ce prestige de gloire, irrésis-
tible talisman , qui enchaine l'humanité à la fortune
des hommes de génie.
Du reste Napoléon a exposé en deux phrases le mo-
tif politique de son expédition. .
« Le principal but de l'expédition des Francais
d'Orient était, dit-il, d’abaisser la puissance anglaise.
C’est du Nil que devait partir l’armée qui allait donner
de nouvelles destinées aux Indes. L'Égypte devait rem-
2 La Fraxcs Ex ArriQue, poème lyrique, lu à l’Académie de Marseille,
par l’auteur de Napoléon en Égypte, et dans lequel la générosité de
l'inspiration est magnifiquement révélée par la splendeur de la forme.
_
; :
L IXTRODUCTISN HISTORIQUE.
placer Saint-Domingue et les Antilles, et concilier la
liberté des noirs avec les intérêts de nos manufactures.
La conquête de cette province entraînait la perte de
tous les établissements anglais en Amérique et dans la
presqu'ile du Gange. Les Français une fois maîtres des
ports d'Italie, de Corfou, de Malte et d'Alexandrie , la
Méditerranée devenait un lac français. »
Ce beau rêve ne put se réaliser.
Je w’essayerai pas de faire l’histoire de notre con-
quête. Deux jours après le débarquement, Alexandrie
était au pouvoir des Français. Bonaparte n’y passa
qu’assez de temps pour organiser le gouvernement, et
marcha sur la capitale. Le 45 juillet Mourad-Bey, qui
avait promis, avec la présomptueuse forfanterie de
l'ignorance, de pourfendre nos soldats comme des :
batechs (pasitèques), vint attaquer l’armée ; mais les
charges de ses impétueux cavaliers échouèrent contre
les baïonnettes de nos carrés. Les mameluks, im-
puissants, s’imaginèrent, pour interpréter une tacti-
que qui leur était inconnue, que nos fantassins étaient
attachés entre eux et palissadés de baïonnettes. Toute-
fois ce premier échec ne les découragea pas; ils réser-
vèrent toutes leurs forces pour nous disputer le Caire.
Ils attendirent les Français entre le Nil et les pyra-
mides, couvrant Giseh, et se vantèrent de voir finir là
notre fortune. Leurs espérances furent de nouveau
trompées. La bataille des Pyramides fut décisive ; lar-
mée de soixante mille hommes qu’ils avaient assemblée
à Embabeh fut détruite ; dix mille musulmans , parmi
lesquels cinq mille mameluks, jonchèrent le champ
de bataille ou se noyèrent dans le Nil. La journée du
INTRODUCTION HISTORIQUE. LI
91 juillet nous donna le Caire et presque toute l'Égypte.
Mais dix jours après cette victoire notre escadre
était anéantie sur la plage d’Aboukir et avec elle les
brillants résultats que nous promettaient nos premiers
succès. « La perte de la bataille d’Aboukir eut une
grande influence sur les affaires d'Égypte et même sur
celles du monde; la flotte française sauvée, l'expédition
de Syrie n’éprouvait point d'obstacles, lartiilerie de
siége se transportait sûrement et facilement au delà du
désert, et Saint-Jean-d’Acre n’arrêtait point l’armée
française. La flotte française détruite, le divan s’enhar-
dit à déclarer la guerre à la France. L'armée perdit
un grand appui ; Sa position en Égypte changea tota-
lement , et Napoléon dut renoncer à lespoir d’asseoir
à jamais la puissance française dans l'Orient par les
résultats de l'expédition d'Égypte *. »
Livrée à elle-même, sans moyens de communication
avec la France , que préoccupaient d’ailleurs les revers
soudains qu’elle venait de subir en Italie et en Alle-
magne, notre armée d'Égy pte ne pouvait songer à Con-
server ses conquêtes. Aussi, lorsque Bonaparte, après
avoir pris sur les Turcs, à Aboukir, une éclatante re-
vanche de notre défaite navale, fut parti pour la
France , Kléber , à qui échut le commandement, dut
préparer les moyens de faire l'évacuation le plus hono-
rablement possible. Il conclut à Æl-4risch une con-
vention avec les Turcs. D’après les termes de ce traité,
il devait quitter l'Égypte avant trois mois , et la Porte
Ottomane s’engageait à fournir à l’armée française le
1 Naroreox, Mémoires, t. 11.
LIL INTRODUCTION HISTORIQUE.
nombre de vaisseaux nécessaires pour la transporter
en France, armes et bagages. Mais, au moment où les
Français allaient sortir du Caire, l’amiral Keith signi-
fia à Kléber que l’Angleterre ne consentirait à la capi-
tulation qu’à la condition expresse, pour l’armée fran-
çaise, de mettre bas les armes et d'abandonner ses
vaisseaux, ses munitions, ses bagages. Kléber répondit
à cet ultimatum en le publiant et en le faisant suivre
de la phrase suivante, adressée à son armée : « Sol-
dats! on ne répond à une telle insolence que par la
victoire : préparez-vous à combattre. »
Il fallait en effet, pour demeurer, battre et disperser
une armée de soixante et dix mille Osmanlis : c’est ce
que firent neuf mille Français dans l’immortelle jour-
née d’Héliopolis. Mais, tandis que Kléber chassait en
Syrie les débris fugitifs de l’armée du grand vzzir, la
population du Caire, soulevée par des fanatiques, avait
massacré les Francs qui se trouvaient dans cette ville
et tenait bloqués dans un palais cent quatre-vingts
Français, restés seuls pour la garde de la capitale, qui
tinrent en échec pendant deux jours une multitude
acharnée, appuyée par plus d’un millier de soldats.
Ces braves allaient succomber faute de munitions,
lorsqu'un détachement de notre armée victorieuse vint
les délivrer. Mais la présence de nos troupes et de
Kléber ne suffit pas pour comprimer le soulèvement.
Les révoltés n’implorèrent la clémence du vainqueur
que lorsque plusieurs quartiers de la ville eurent été
réduits en cendres.
Contraint de garder l'Égypte , Kléber, raffermi par
la victoire d’Héliopolis, débarrassé des Turcs, n'ayant
INTRODUCTION HISTORIQUE. Lili
rien à craindre des Anglais, dont l'attention se con-
centrait sur l’Europe , émue par la victoire de Ma-
rengo ; soutenu d’ailleurs dans le pays même de l’al-
liance de Mourad-Bey, auquel il céda le gouvernement
de la haute Égypte; consolidait de plus en plus sa do-
mination, lorsque, victime de la gloire qu’il avait im-
primée au nom français, qu’il représentait si noble-
ment, il tomba sous le poignard d’un assassin fanatisé
par les ulémas.
Kléber était peut-être le seul général qui eût pu
conserver l'Égypte. Sa belle renommée agissait sur le
moral des soldats , et la confiance de l’armée dans son
chef doublait ses forces. Mais aucun gouverneur n’é-
tait plus fait pour perdre notre conquête que celui qui
lui succéda, Menou. Ce général n’avait aucun mérite
comme militaire, aucune aptitude pour l’administra-
tion. Il mécontenta les officiers supérieurs que leur
capacité aurait appelés à occuper dignement sa place.
Il voulait faire en toutes choses le contraire de ce
qu'avait fait Kléber. Du reste, il fut loin de satisfaire
les indigènes , que vexaient ses innovations puériles.
Hautement blâämées par la partie la plus considérable
de l’armée, ses opérations, souvent ridicules, ne furent
jamais exécutées qu'avec mollesse ou avec défiance. Il
était bien évident que, sous un tel chef, l'Égypte était
perdue pour nous. Les Anglais le comprirent : ils fi-
rent une descente à Aboukir, débarquèrent six mille
cipayes à Kosseyr, appelèrent une nouvelle armée tur-
que , et forcèrent l’indolent et inhabile Menou, enve-
loppé par une coalition formidable, à capituler dans
Alexandrie.
L1V INTRODUCTION HISTORIQUE.
Vers la fin de septembre 1801, les débris de notre
arraée s’embarquèrent pour la France.
Ce serait un intéressant travail que de constater tous
les résultats de la conquête française. Je ne parlerai
que des plus généraux. Les victoirés des Français rui-
nèrent l'influence des mameluks; elles montrèrent
aux Arabes la faiblesse et linfériorité de leurs oppres-
seurs, et préparèrent ainsi la reconstitution de leur
nationalité. Hs virent l'Europe à travers Bonaparte, et
leur haine fanatique pour les infidèles s'émoussa. Le
général français frappa leurs imaginations impression
nables ’; la sage tolérance de Bonaparte, le respect
habile qu'il témoigna pour la religion et les mœurs du
peuple conquis, disposèrent celui-ci à avoir plus tard des
contacts plus multipliés avec l'Europe, et à se tourner
t Napoléon, le sultan Kebir (le grand sultan), occupera toujours une
place immense dans les traditions populaires de l'Orient ; j'ai souvent
entendu des Égyptiens en parler avec enthousiasme. Dans un voyage que
je fis a Suez, en 1534, je logeai dans la maison où Napoléon se reposa.
Rien n’y est changé, pas même la couche où il a dormi ; je ne voulus pas
avoir d'autre lit. Mon hôte était le même qui avait reçu le grand capi-
taine. Ce vénérable vieillard semblait rajeunir en racontant ce qu'il
avait vu, ce qu'il avait appris du sultan français. « Abounaparte, disait-
11, n'était pas l’eunemi des musulmans; car, s’il avait voulu, il pouvait,
avec la pointe d’une aiguille, renverser loutes les mosquées. Il ne l’a pas
fait, que son nom soit toujours grand parmi les hommes. » Puis il ajoutait
en finissant : « On nous assure qu'à l'heure de sa mort, là-bas sur un
rocher de la vaste mer, où douze rois des pays chrétiens étaient parvenus
a l'enchainer, apres l'avoir endormi au moyen d’un breuvage, les guer-
riers qui l'entouraient virent son Gme se poser sur le fil de son sabre.
Qu'il repose en paix!»
Ibrahim-Pacha a fait traduire en turc une histoire abrégée de Napo-
iéou. Elle a paru sous le titre de l'Histoire de l’illustre Napoléon, empe-
reur de France, dans un recueil appelé Definei asrar hukkami Eurepa
Trésor des secrets des souvrrains de Y'Europe).
INTRODUCTION HISTORIQUE. EV
vers la civilisation occidentale, pour lui demander les
éléments d’une organisation nouvelle. Cette régénéra-
tion serait achevée, si la domination française eùut duré
plus longtemps. Bonaparte en avait jeté les bases. Il
voulait réveiller la nationalité arabe. Il avait tout fait
dans ce but. 11 avait établi dans toutes les villes des
divans, espèces de conseils municipaux, composés des
principaux cheiks et des habitants les plus notables.
Ces divans étaient consultés par le gouvernement ; les
affaires du pays se faisaient avec leur participation, et
ils envoyaient des députés au Caire, où devait se for-
mer le grand divan national, représentation générale
de l'Égypte entière. Les Français montrèrent aussi la
plus grande sollicitude pour les intérêts matériels de
l'Égypte : ils la purgèrent des Bédouins qui l'infes-
taient ; ils veillèrent à l'entretien de ses précieux ca-
naux, et l’entourèrent de fortifications sur la Méditer-
ranée, du côté de la mer Rouge et sur la lisière du
désert.
6 XII.
ÉLÉVATION ET GOUVERNZ DE MÉHÉMET-ALI.
État de l'Égypte après le départ des Français. — Le pacha, les mameluks,
les Albanais, les Anglais. — Les mameluks ont le dessus. — Ils se
divisent. — Les Albanais, sous la conduite de Méhémet-Ali, les chassent
du Caire.— Méhémet-Ali. — Sa popularité. — Il est nommé vice-roi
par les chciks et confirmé par la Porte. — Tentatives des Anglais et des
mameluks contre lui. — Descente des Anglais dans la basse Égypte.
— Ils échsucnt. — Guerre contre les Wahabites. — Destruction des
mameluks.— Intrigues de la Porte. — Leur insuccès. — Organisation
des troupes régulières. — Conquêtes de l’Arabie, du Sennaar el du
Kordofan. — Prospérité ot puissance de l'Égypte. — Guerre de Morée —
LYI INTRODUCTION HISTORIQUE...
Nouvelles menées de la Porte contre le vice-roi. — Conquête de la
Syrie. — Victoires de Homs, Beylan et Koniah. — Intervention des
puissances entre la Porte et Méhémet-Ali. — Arrangement de Kutayeh.
— Dernière tentative du sultan Mahmoud. — Victoire de Nezib. — Le
statu quo. — But de Méhémet-Ali. — Érection de ses possessions en une
vice-royauté héréditaire. .
29. Lorsque les fautes du général Menou eurent
forcé les débris de nos troupes à abandonner les con-
quêtes de Bonaparte, de Desaix et de Kléber, l'Égypte
se trouva occupée par l’armée de la Porte, dont l’élé-
ment principal était un corps de quatre mille Albanais,
par les troupes anglaises débarquées par l'amiral Keith,
et par les mameluks. Les conquérants partis, il s’a-
gissait de savoir à qui allait échoir la conquête, des
vice-rois représentants de Constantinople, ou des ma-
meluks, anciens maitres du pays. Les pertes que
ceux-ci avaient souffertes dans leur lutte avec les Fran-
cais, pertes qu'ils n'avaient pu réparer, car la Porte,
prohibant l'importation des Circassiens et des Géor-
giens en Égypte, avait empêché qu'ils ne recrutassent
leurs rangs décimés, les avaient assez affaiblis pour
donner au gouvernement ottoman la volonté et la force
de se débarrasser de leur importun vasselage. Les in-
structions que reçut lewpremier pacha chargé de la
vice-royauté d'Egypte, après le départ des Français,
lui enjoignirent de détruire la puissance qui restait
aux mameluks. Ce pacha était Mohammed-Khosrew,
le même qui, sadrazam de l'empire ottoman, attirait
naguère sur lui, par la haute posilion qu'il occupait et
par sa rivalité contre Méhémet-Ali, l'attention de lEu-
rope. Exécuteur fidèle, mais inhabile, des ordres de
son gouvernement, Khosrew s'empressa de faire la
INTRODUCTION HISTORIQUE. LVIE
guerre aux mameluks, dont les deux principaux beys.
rivaux d’ambition et de puissance, étaient alors Osman- |
Bardissy et Mohammed l’Elfy. Les premières troupes
qu’il envoya contre eux furent battues. Méhémet-Ali,
qui devait jouer bientôt un si grand rôle, commandait
un corps d’Albanais dans cette armée malheureuse.
Eloigné du champ de bataille, il ne put prendre part
à l’action. Son général, irrité de sa défaite, voulut lui
en faire supporter la responsabilité. Il laccusa auprès
de Khosrew ; celui-ci n’eut pas assez de perspicacité
pour découvrir la calomnie, et résolut de perdre le
chef albanais, qu’il commençait à craindre. Mais l’ha-
bile Méhémet prévint ses coups. Appelé pendant la nuit
chez Khosrew, il refusa de s’y rendre, car il savait que
la mort l’y attendait. Il profita d’une insurrection que
le retard de la paye fit éclater au milieu de ses soldats
ct des autres Albanais, pour s’allier avec les mameluks
et leur ouvrir le Caire. Puis, se joignant à Osman-Bar-
dissy, il marcha contre Khosrew, l’accula dans Damiette,
dont il s’'empara, le fit prisonnier, et le conduisit au
Caire, où le Nestor des mameluks, Ibrahim-Bey, sur-
veilla sa captivité (1805).
Lorsque la Porte fut instruite de ces événements,
elle envoya en Égypte Ali-Gézaïrli-Pacha pour rem-
placer Khosrew et punir ceux qui l'avaient renversé.
Gézaïrli fut moins heureux encore que son prédéces-
seur. Il employa la ruse contre les mameluks et les
Albanais, qu’il ne pouvait réduire par la force; mais
étant tombé entre leurs mains, il les irrita par sa du-
plicité obstinée, et fut mis à mort par ordre de leurs
chefs.
LVIII INTRODUCTION HISTORIQUE.
Les mameluks ne tardèrent pas à se diviser, et à
rendre inutile leur double triomphe. Peu de temps
après la mort de Gèzaïrli, le rival d'Osman-Bardissy.
Mohammed l'Elfy, qui était allé en Angleterre de-
mander au cabinet de Saint-James son intervention en
faveur des beys dans les affaires d'Égypte, débarqua à
Aboukir. Bardissy ne put voir sans ombrage un bey
qui l’égalait en influence arriver en Égypte pour lui
ravir peut-être le pouvoir dont il venait de se rendre
maitre après ant d'efforts. Méhémet-Ali, qui, depuis
le renversement de Khosrew, était l’intime allié de Bar-
dissy, attisait encore sa jalousie. La haine de Méhémet
contre l’Elfy n’était pas sans fondements. Protégé de
l'Angleterre, ce bey avait acheté son appui en lui fai-
sant des promesses qui compromettaient, pour l’avenir,
l'indépendance de l'Égypte. Bardissy tenta de se dé-
faire de son rival par un guet-apens, mais son perfide
coup de main ne réussit pas. L’Eify s’échappa et aila
reformer son part dans la haute Égypte.
La scission ouverte des deux chefs des mameluks,
qui, au lieu de partager le pouvoir, comme l'avaient
fait sagement, avant la conquête française, Mourad et
Ibrahim-Bey, aimaient mieux s’entre-détruire, et user
dans une lutte intestine les dernières forces de leur
caste, redoubla l’inquiète audace des Albanais, sur les-
quels Bardissy s'était appuyé jusqu’à ce jour. Ils récla-
mèrent à grands cris huit mois de solde que leur devait
ce bey ei le menacèrent de se soulever contre lui, s’il ne
faisait pas droit à leurs justes demandes. Bardissy, vou-
lant s’efforcer de les satisfaire, frappa de contributions
énormes les habitants du Caire ; il excita, au sein de la
INTRODUCTION HISTORIQUE. L1X
population, de violents mécontentements contre son
autorité spoliatrice, et ne put parvenir à apaiser les
Albanais qui, sous la conduite de Méhémet-Ali , vin-
rent assiéger son palais et celui des autres beys. H ne
dut son salut qu’à son courage, et sorit du Caire pour
ne plus y rentrer (1804).
Grâce à cette soudaine révolution, à la tête de laqueile
il s'était mis avec adresse, Méhémet-Ali, qui avait su
acquérir l'amitié des ulémas et se rendre populaire au
Caire, se trouva maître de l’autorité. Son premier mou-
vement fut de faire restituer la vice-royauté à son pri-
sonnier Khosrew-Pacha. Mais les autres chefs albanais
n’approuvèrent pas cette résolution. ils dirigèrent
Khosrew sur Rosette, d'où ils le firent embarquer pour
Constantinople. Méhémet-Ali ne s’opposa pas à la nou-
velle déchéance de Khosrew, mais persistant dans son
dessein de confier le pouvoir à un pacha ture, il fit
nommer vice-roi Kourschyd-Pacha, gouverneur d’A-
lexandrie. Les cheïks et les chefs des troupes le char-
gèrent Jui-même des fonctions de kaïmakan. Cette
double nomination fut approuvée par la Porte (1804).
C’est depuis ce moment que Méhémet-Ali exerca
sur les aïffaires d'Égypte une influence supérieure. II
convient de rappeler iei les circonstances qui l'avaient
conduit sur le théâtre de sa grandeur future.
Méhémet-Ali Ctait né, en 1769, à la Cavalle, petit
port de la Roumélie. Orphelin dès son bas âge, il fut
recueilli par un aga ont il mérita la bienveillance.
Son courage et son habileté furent remarqués de
bonne heure. Il fit un bon mariage, et s'étant adonné
au commerce des tabacs, se créa une position honora-
LX INTRODUCTION HISTORIQUE.
ble et indépendante. Lorsque les Français eurent en-
vahi V'É gypte, la Porte, levant une armée pour aller
disputer cette province à Bonaparte, ordonna à Ja
ville que Méhémet habitait de mobiliser trois cents
hommes. Il fit partie de ce corps et en devint bientôt
le byn-bachi. Il assistait à la bataille d’Aboukir ; il s'y
distingua et fut nommé, après cette journée, saré-
chesmé (commandant de mille hommes). Il avait ce
grade , lorsque, après que les Français eurent évacué
l'Égypte, Khosrew l’envoya combattre les mameluks.
Nous avons vu comment ce pacha essaya depuis de le
perdre, et comment Méhémet-Ali, forcé d'agir dans
l'intérêt de sa conservation, devint en peu de temps,
grâce aux circonstances qu'il sut exploiter, l'arbitre
de l'Égypte.
La position du nouveau vice-roi Kourschyd était
difficile ; il avait à combattre les mameluks et à con-
tenir ses soldats. Cette tâche n’était pas de sa force.
Poursuivi sans cesse par les réclamations des turbu-
lents Albanais, dont la soide était toujours arriérée, il
perdit bientôt, par les exactions qu’il commit pour sa-
tisfaire ses troupes, toule chance de popularité. Méhé-
met-Ali au contraire augmentait chaque jour la sienne,
soit en combattant les mameluks, dont le peuple du
Caire redoutait les vengeances, soit en jouant le rôle
de pacificateur au milieu des émeutes militaires qui
mettaient fréquemment en émoi la capitale de lE-
gypte. Kourschyd, en garde contre les chefs albanais,
leur avait fait ordonner, par l’organe de la Porte, de
retourner dans leurs foyers. Méhémet-Ali commença
par ne pas obéir à cette injonction ; puis il feignit de-
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXI
vant les cheïiks de se préparer au départ. Mais ceux-ci.
qui voyaient en lui un protecteur, firent tout pour le
retenir. S'étant assuré par cette feinte adroite des sen-
timents de la population du Caire, Méhémet attendit
l’occasion d’en profiter. Elle ne tarda pas à se présen-
ter. Des soldats de Kourschyd mirent le Caire au pil-
lage; les cheiïks poussés à bout se réunirent et dépo-
sèrent le pacha , qui ne savait ou ne pouvait plus
protéger la tranquillité publique. Ils conférèrent la
vice-royauté à Méhémet-Ali, que la Porte venait depuis
peu de nommer pacha de Gaddah, afin de l’éloigner
de l'Égypte. Méhémet refusa d’abord, mais se rendit à
des instances réitérées. Le 9 juillet 1805 un firman de
la Porte vint le confirmer dans sa dignité de vice-roi
d'Égypte.
Poussé au pouvoir par les cheiks qui, par leur in-
fluence religieuse et traditionnelle, étaient les repré-
sentants naturels des populations, Méhémet-Ali y prit
dès le principe de vigoureuses racines. Du reste, 1l
sut tourner l’écueil contre lequel avaient naufragé ses
prédécesseurs, le besoin d'argent, besoin sans cesse
alimenté par l’avidité insatiable des troupes. Il était
soutenu par le peuple qui l'avait vu, faisant lui-même
la police du Caire , souvent arrêter et punir quelquefois
de sa main ses soldats qui se livraient au pillage.
Plein de déférence envers les cheiks, il leur faisait
part des difficultés de la situation , et les forçait ainsi à
lui procurer les moyens d'y parer. Leurs intérêts
étaient identifiés avec ceux du vice-roi, dont la puis-
sance était leur ouvrage. Aussi se prêtèrent-1ls aux
levées de contributions qu'il fut obligé de faire, et qui
1. 6
EXIT INTRODUCTION BISTORIQUE.
l’auraient dépopularisé s’il n’eüt obtenu leur sanction
et leur concours.
Si Méhémet-Alhi n'avait pas eu d'appui dans la popu-
lation du Caire, il eùt probablement succombé. Dès
que Kourschyd fut renversé, l'Elfy, qui avait puis-
samment réorganisé son parti, lui offrit de se joindre à
lui pour combattre le nouveau vice-roi. Il enxoya aussi
des députés au capitan-pacha, qui se trouvait alors à
Alexandrie , et lui promit de se soumettre à la Porte si
elle voulait prendre des mesures pour chasser Méhé-
met-Ali de l'Égypte. Il fut soutenu dans cette négocia-
tion par des agents anglais, qui menacérent l'amiral
ture d’uue invasion anglaise en Égypte si cette pro-
vince restait au pouvoir des Albanais et de Méhémet-
Ali, qu'ils peignaient sous des couleurs odicuses.
Mais le cousul français à Alexandrie, M. Drovetü, se
fit noblement auprès du capitan le défenseur de Méhé-
met, et commenca cette politique bienveillante que
notre pays a toujours employée à l'égard du vice roi.
Les tentatives de l'Elfy et des Anglais échouèrent;
ceux-ci ne se tinrent pas pour battus. L’Elfy leur avait
promis les ports de l'Égypte dans le cas où il vien-
drait à bout de ses projets. Attiré par cet appât, le
gouvernement britannique fit demander à la Porte
par son ambassadeur à Constantinople le rétablisse-
ment des mameluks, à la tête desquels il voulait met-
tre l'Elfy ; il allait même jusqu’à se faire caution de
celui-ci pour le tribut qu’il s'engageait à payer. La
Porie céda à ses sollicitations : elle envoya en Égypte
une floite commandée par un nouvel amiral, qui de-
vait travailler à la restauration des mameluks et por-
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXIIF
tait à Méhémet un firman par lequel il était nommé au
pachalik de Salonique. Le vice-roi feignit de vouloir se
soumettre aux ordres du gouvernement ottoman ;
mais les cheiks et les soldats le retinrent. D'ailleurs les
beys du parti de Bardissy, qui, fidèles à la politique de
Mourad-Bey , étaient demeurés les alliés de la France,
pe pouvaient assister paisiblement au triomphe de
leur ennemi l’Elfy, fort de lappui des Anglais. Mena-
cés comme Méhémet, le péri! commun les porta à se
rapprocher de lui. Le consul de France aidait aussi le
vice-roi, qu'il continuait à servir de ses bons offices.
11 détacha de F'Elfy vingt-cinq Francais qui marchaient
sous le drapeau de ce bey ; il écrivit à l'ambassadeur
de France à Constantinople de prendre auprès du di-
van la défense du vice-roi. Quant au capitan-pacha,
dès qu’il se fut mis au courant des affaires d'Égypte, il
ne tarda pas à voir que les rivalités qui divisaient les
mameluks étaient un obstacle radical à la réédifica-
tion sérieuse de leur puissance. Il contribua pour sa
part à faire changer la politique de son gouvernement
envers Méhémet-Ali, et la Porte finit par envoyer à
celui-ci un firman qui le rétablissait dans la vice-
royauté d'Égypte , à condition qu’il enverrait au sultan
un présent de 4,009 bourses (7,500,000 fr.).
Sorti de cette crise, Méhémet-Ali vit son pouvoir se
fortifier de jour en jour. Les deux chefs des mame-
luks, Osman-Bardissy et Mohammed FEIlfy, mouru-
rent tous deux presque en même temps (19 novem-
bre 1806, — 50 janvier 1807), et lui laissèrent le
champ libre. La même année les Anglais, qui avaient
vu avec peine la Porte se réconcilier avec le vice-roi ,
LIV INTROBUCTION HISTORIQUE.
et qui voulaient entretenir en Égypte l'anarchie des
mameluks, firent à Alexandrie une descente dont la
malheureuse issue est devenue célèbre. Après s'être
emparés d'Alexandrie le 17 mars, ils furent compléte-
ment défaits le 21 à Rosette, le 50 à Hamag. Les ma-
meluks, sur lesquels ils comptaient , leur firent dé-
faut ; les uns en effet trailèrent avec le vice-roi, et les
autres, battus à plusieurs reprises, furent refoulés dans
la haute Égypte, où Méhémet les livra à la poursuite
des Bédouins. Les troupes britanniques occupèrent
Alexandrie pendant six mois et l’évacuèrent le 14 sep-
tembre 1807. Dans cette circonstance, le consul de
France, M. Drovetti, aida utilement le vice-roi de ses
avis. Ce fut lui qui traça le plan de défense dont les ré-
sultats furent si heureux. A la gloire de ses succès
Méhémet-Ali ajouta celle de la générosité : il rendit
sans rançon aux Anglais les prisonniers qu'il leur avait
faits.
Il n’entrait pas dans la politique de la Porte de lais-
ser jamais le vice-roi jouir paisiblement de la puis-
sance qu'il avait si laborieusement acquise. Déjà à
plusieurs reprises, elle lui avait ordonné de faire mar-
cher des troupes contre les Arabes wahabites. Les
Wahabites, hérétiques de l’islamisme, qu'ils voulaient
reporter à sa simplicité primitive, s'étaient produits au
milieu du xvru: siècle et s'étaient rapidement emparés
de toute l'Arabie. Médine , la Mecque, ces lieux saints
des musulmans, étaient tombés entre leurs mains ; ils
en avaient pillé les richesses. Les pieuses caravanes
qui allaient accomplir le pèlerinage de la Mecque et de
Médine n'étaient plus en sûreté; souvent elles ne pou-
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXY
vaient atteindre le but religieux de leur voyage. Aussi
le monde musulman était-il plongé dans la désolation.
Animés d’ailleurs de toute la verve d’un fanatisme no-
vice, les Wahabites pouvaient se rendre redoutables
aux sultans au delà même des limites de l'Arabie. Déjà
ils avaient menacé le pachalik de Bagdad , lorsque les
ordres de la Porte, qui enjoignaient à Méhiémet-Ah
de les combattre, devinrent plus pressants que ja-
mais.
Avant de commencer cette guerre sainte et de dé-
garnir l'Égypte de troupes , le vice-roi devait anéantir
dans leur source tous les dangers qui menaçaient son
autorité et la tranquillité du pays. Les mameluks
avaient repris les armes en 1808. Méhémet-Ali en défit
une partie et accepta les offres d'alliance de la puis-
sante maison de l’Elfy. Mais on ne pouvait jamais
compter avec eux sur une paix sûre. Voyant que le
pacha allait être privé de ses meilleurs soldats, ils com-
plotèrent de l’attaquer et se flattèrent d’avoir bon mar-
ché de lui, lorsqu'il ne serait plus soutenu par ses
défenseurs naturels. Leur trame fut découverte. C’é-
tait une question de vie ou de mort qui s’agitait entre
eux et Méhémet-Ali. Le vice-roi usa du droit de légi-
time défense : menacé par les mameluks, il les pré-
vint. Le 4er mars 1811 fut le jour choisi pour cet acte
de terrible justice. Ce jour-là, les mameluks furent
invités à assister, dans la citadelle du Caire, à linves-
titure du fils du vice-roi, Toussoun-Pacha , qui allait
commander l'expédition contre les Wahabites. Cernés
au défilé par les soldats albanais, ils furent fusillés
sans merci, Cette exécution eut de lécho dans toute
6.
LXYI INTRODUCTION HISTORIQUE.
l'Égypte. La plupart des mameluks furent exterminés
dans les provinces. De faibles Gébris de ce corps se ré-
fugièrent en Abyssinie. Du reste, lorsque la masse fut
détruite, le vice-roi empêcha que l’on poursuivit ceux
qui avaient échappé au premier mouvement. C'était à
la caste qu’il faisait la guerre, non aux individus. Il
reprit à son service plusieurs de ceux qui survécurent.
Il leur laissa les richesses qu’ils possédaient ; il accorda
même des pensions aux femmes et aux enfants de ceux
qui succombèrent. Ainsi Méhémet-Ali atteignit en
une seule et terrible journée le but auquel tendait,
depuis deux siècles, la politique de la Porte Otto-
mance.
La guerre contre les Wahabites fut longue, difficile
et mêlée d’abord de succès et de revers. Après six an-
nées de lutte, ces sectaires furent beaucoup affaiblis,
sinon entièrement domptés par Ibrahim-Pacha. Mé-
hémet-Ali fit lui-même une campagne dans l’'Hedjaz;
mais pendant qu’il défendait de sa personne la cause de
l’islamisme, la Porie, qui tramait sourdement son ren-
versement, donna secrètement un firman d’investiture
‘le Égypte à Lathif-Pacha, qui devait sa fortune à
Méhémet-Ali. Cet ingrat parvenu essaya, pendant
l'absence de son bienfaiteur, de se faire un parti au
Caire. Mais le ministre de la guerre du vice-roi, Mo-
hammed-Bey , qui feignit d'entrer dans ses vues, l’a-
mena à se déclarer publiquement et le fit décapiter
(déc. 1815).
Les guerres d’Arabie ont sans doute beaucoup coûté
au vice-roi. Îl faut reconuaitre cependant que sous
plusieurs rapports elles lui ont été très-utiles. Ses vic-
sd
INTRODUCTIOX HISTORIQUE. LXVII
toires contre les Wakabites rendirent son nom popu-
laire dans l'empire. D'un autre côté le déploiement de
forces qu’elles exigèrent fut le prétexte à l'abri du-
quel il put organiser son armée régulière, base de sa
puissance.
Méhémet-Ali avait compris, dès son avénement au
pouvoir , limportance de la tactique européenne. Une
première tentative qu'il fit en 1815 pour organiser
des troupes régulières ne réussit pas. Un moment
même, son autorité fut sérieusement compromise par
le soulèvement des soldats turcs et albanais qu'il vou-
lait discipliner. il fut obligé de différer l'exécution de
ses projets à cet égard et d'employer d’autres moyens.
Il se débarrassa de ses bandes facitieuses à son double
profit, en leur faisant faire des conquêtes dans l’A-
rabie, le Sennaar et le Kordofan. Ces deux dernières
contrées furent soumises pendant l’année 1820. Mé-
hémet-Ali perdit dans le Sennaar son fils Ismaïl-Pacha.
qui périt d'une mort cruelle dans un guet-apens que
lui tendit un chef indigène. Le Befterdàr-Bey, gendre
du vice-roi, tira une éclatante vengeanec de cet assas-
sipat.
Dès lors, Méhémet-Ali, dont l'empire s’étendait sur
un immense rayon, travailla à développer toutes les
ressources intérieures que contenaient ses possessions.
Déjà il avait donné à la propriété la constitution uni-
taire qui a été entre ses mains son moyen d'action le
plus puissant. Par l'introduction de la culture du co-
ton , il opéra une révolution agricole sur le sol de
l'Égypte. 1! donna au coPimerce une large extension .
et ses revenus s’accrurent rapidement. (était le mo-
EXVIII INTRODUCTION HISTORIQUE.
ment d'organiser l’armée. Il établit à Assouan un camp
d'instruction : où par ses efforts persévérants et grâce
à la direction active de M. Sèves (Soliman-Pacha), plu-
sieurs régiments disciplinés à l’européenne furent for-
més. Il appela de France des généraux, des officiers ,
des médecins, et fonda des écoles, des hôpitaux et des
fabriques. Il connaissait trop bien la politique de la
Porte pour se fier jamais à ses intentions, pour travail
ler à son profit exclusif. Il savait que, quelque service
qu’il lui rendit , elle ne le respecterait qu’autant qu’il
serait fort. Il savait que le jour où il viendrait à chan-
celer, le divan n’hésiterait pas à lui envoyer le cordon
ou un successeur. Acquérir de la puissance était donc
pour lui moins une affaire d’ambition qu'une question
vitale. Il a pris bientôt envers Constantinople une po-
sition semi-indépendante ; maïs tout ce qu'il a fait
sous ce rapport lui a été commandé par le besoin de
sa conservation, et non, comme on l’a prétendu, par
une soif insatiable d’agrandissement. En présence de
la tortueuse politique de la Porte, un homme de cœur
et de génie ne pouvait agir autrement que Méhémet-
\li.
Les rapports de l'Égypte avec l’Europe devenaient
de jour en jour plus directs et plus fréquents; le vice-
roi commençait à attirer sur lui l'intérêt de l'Occident,
auquel il demandait les modèles de ses réformes et
d'utiles auxiliaires ; novateur éclairé et hardi, il en-
voyait à Paris, pour s’instruire à l’école de la France,
de jeunes musulmans destinés à répandre plus tard
Lo,
5 J'oyez le $ consacré à l'armée, t. 11.
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXIX
nos lumières sur les bords du Nil, lorsqu'il fut obligé
par le sultan à faire contre l'insurrection grecque une
guerre qui faillit compromettre en Europe la belle ré-
putation qu'il s’y était faite. Il obéit aux ordres du
chef de lislamisme. Il envoya d’abord un leger secours ;
mais plus tard, lorsque les progrès de la glorieuse ré-
volution hellénique furent devenus plus menaçants, il
dut faire un déploiement de forces plus considérable.
I! avait alors vingt-quatre mille hommes de troupes
réglées ; s’il avait refusé d’en faire marcher une partie
contre les Grecs, il se serait rendu odieux parmi les
musulmans. Le 16 juillet 1824, son escadre forte de
ssixante-trois voiles et de cent transports de toute na-
tion (excepté du pavillon français), partit pour la Mo-
rée. Elle portait seize mille hommes d'infanterie régu-
lière, sept cents chevaux, quatre compagnies de
sapeurs et de l’artilierie de siège et de campagne.
Ibrahim-Pacha commandait l'expédition ; il pacifia la
Candie, ses armes furent heureuses en Morée, où,
quoi qu’on en ait dit, sa conduite envers les Grecs fut
humaine et ne viola jamais les lois de la guerre. Mais
on sait de quelle manière déplorable pour l'empire ot-
toman la guerre de Grèce se termina. La bataille de
Navarin anéantit la marine de Méhémet-Ali comme
celle de la Porte. |
On ne peut parler de la révolution hellénique, sans
faire honneur au vice-roi d’ Égypte de la généreuse to-
lérance qu’il montra envers les Grecs. Les autres pa-
chas, charmés de trouver une occasion de satisfaire
contre des chrétiens les inSpirations grossières de leur
fanatisme, exercèrent sur eux des persécutions de tout
LXX INTRODUCTION HISTORIQUE.
genre. Le pacha d’Acre fit détruire l'église du Mont-
Carmel; les chrétiens de Syrie furent frappés d’ava-
nies ; le gouverneur de Chypre fit mettre à mort ou
emprisonner quiconque professait la religion grecque ;
dans toutes les autres parties de l'empire, le sang cou-
lait également ; mais en Égypte les Grecs continuèrent
à jouir de la protection de Méhémet-Ali, et ses États
servirent d'asile hospitalier à un grand nombre de fa-
milles, forcées de fuir d’atroces persécutions.
L’échec de Navarin ne découragea pas le vice-roi : la
guerre de Morée lui apprit le parti qu’il pouvait tirer
de ses troupes ; elle lui servit à mesurer ses forces. Il
se hâta de réparer ses pertes et, pourise préparer à de
plus granüs événements, fit construire à Alexandrie,
avec une rapidité incroyable, une nouvelle escadre
plus importante que celle que la journée de Navarin
lui avait enlevée.
Lors de l'expédition de Morée, le divan avait pro-
anis la Syrie à Méhémet-Ali ; au lieu de cette province, la
Candie lui fut abandonnée ; mais le vice-roi avait des
griefs contre le principal pacha de Syrie, Abdallah,
gouverneur de Saint-Jean-d’Acre. Ce pacha qui avait,
en 1822, encouru la disgrâce de la Porte, ne dut son
pardon qu’à l'intervention officieuse de Méhémet-Al;
au lieu d’être reconnaissant de ce service, il ne perdit
aucune occasion d'agir contre le vice-roi avec hostilité.
11 encourageait sur ses frontières la contrebande avec
l'Égypte. Il débauchait les habitants de la Chargyebh ;
six mille fellahs de cette province s'étaient relirés dans
#
1 J7,le S sur la marine, t 11.
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXXI
le pachalik d’Acre. Méhémet-Ali écrivit à Abdallzh de
les lui envoyer. Celui-ci lui répondit qu’ils étaient les
sujets du sultan et qu'ils se trouvaient aussi bien dans
l'empire de leur maitre en Syrie qu’en Égypte. Le
vice-roi, blessé de cette réponse, lui écrivit qu’il irait
reprendre ses six mille fellahs et wn homme de plus.
Du reste, il savait que la Porte avait l'intention de l'at-
taquer ; en homme habile il la prévint.
Le 2 novembre 1851, une armée d’invasion forte de
vingt-quatre mille hommes d'infanterie , de quatre ré-
giments de cavalerie, de quarante pièces de campagne
et d’un plus grand nombre de siége, se mit en marche
vers la Syrie. Ibrahim-Pacha en était le généralissime ;
Gaza, Jaffa, Caïffa tombèrent bientôt en son pouvoir.
Sant-Jean-d’Acre, contre lequel échoua Napoléon dans
son expédition de Syrie, résista pendant six mois à
Ibrabim. Il s'en empara enfin le 97 mai 1852. Lors-
que la nouvelle de ce succès, que l'on commençait à
croire impossible, fat connue à Constantinople, Méheé-
met-Ali fut prociamé rebelle. Déjà une nombreuse
armée avait été envoyée contre son fils; le 8 juii-
let 1832, Ibrahim en battit, à Homs, un corps consi-
dérable. La bataille d’Homs était la première qui se
livrât entre des troupes orientales réglées d’après la
tactique européenne ; les Turcs y perdirent deux milie
hommes tués et deux miile cinq cents prisonniers. Les
Arabes n’eurent que cent deux morts ct moins de Ceux
cents blessés. Aussi Ibrahim écrivit-l à son père, dans
le premier moment d'enthousiasme : « je n'hésite pas
à dire que deux ou trois cent mille hommes de pareïi-
les troupes ne me donneraient pas d’inquiéludes. »
LXXIE IRTROBUCTION HISTORIQUE.
Peu de temps après, il mettait en déroute en quelques
heures, aux défilés de Beylan qui lui ouvraient le
Taurus, l’armée du grand vizir Husseyn-Pacha. et en-
fin le 22 décembre 18592, il détruisait, à Koniah, avec
moins de trente mille hommes, une nouvelle armée
ottomane de soixante mille hommes, dont le général ,
Rechy-Pacha, tombait en son pouvoir.
La victoire de Koniah ouvrait Constantinople à
Ibrahim. Toutes les populations musulmanes appe-
laient Méhémet-Ah à l'empire; s’il leût voulu, il eùt
pu renverser la race d’Othman. Mais le vice-rot, sage
et modéré, demanda, après comme avant la victoire,
l'investiture de la Syrie. Déjà Ibrahim était à Kutayeb,
à cinquante lieues de la capitale, lorsque le sultan
éperdu confia sa cause à la Russie, qui envoya vingt
mille soldats à Constantinople et gagna , à son inter-
vention, le traité d’'Unkiar-Skelessi. La crise était me-
nacante ; la question , d’exclusivement orientale qu’elle
était dans le principe, devenait européenne. Les puis-
sances et la France surtout, dont laimable et habile
représentant à Alexandrie, M. Mimaut, avait encouragé
Méhémet-Ah , s’interposèrent activement entre le vice-
roi et Mahmoud. Sous leur garantie, la Syrie et le dis-
trict d’Adana furent cédés à Méhémet, qui se reconnut
vassal du sultan, et s'engagea à lui payer annuellement
le même tribut que les anciens pachas de Syrie; cet
arrangement fut conclu le 14 mai 1855.
L'adjonction de la Syrie à l'Égypte était nécessaire
à la sûreté des possessions du vice-roi. Du moment où
l’on est persuadé qu'il est utile à la civilisation en génc-
ral que les bords du Nil soient le siége d’une puissanec
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXXIII
indépendante, 1l faut reconnaître que ce but ne peut
être atteint qu'en unissant la Syrie à l'Égypte. Nous
avons vu en effet que la topographie militaire de cette
contrée ne lui permet pas de se garantir, par l’isthme
de Suez surtout, des invasions étrangères. Excepté les
Mores fathimites et les Français de Bonaparte, tous
les envahisseurs : Cambyse, Alexandre, les premiers
musulmans , les Ayoubites et les Turcs, ont débordé
sur elle par la Syrie. On ne peut donc assurer la vita-
lité de l'Égypte indépendante qu'en lui donnant des
limites syriennes. Ses vraies frontières ne sont pas à
Suez, elles sont au Taurus.
Ainsi, par la guerre de 1832 , Méhémet-Ali avait
tracé la configuration naturelle du nouvel empire
arabe ; il lui restait, pour donner à son œuvre cette
permanence qui est, en politique, la propriété et la
condition des grandes choses, à asseoir solidement la
dynastie qui devait présider aux destinées de cet em-
pire.
De son côté, le sultan Mahmoud, dont la jalousie
contre l’heureux vice-roi d'Égypte s'irritait chaque
jour davantage, ne songeait qu’à le renverser de sa
haute position. I] fomentait les troubles de la Syrie,
qui ont occupé pendant plusieurs années Ibrahim-
Pacha. Il s’efforçait d’opposer les intérêts des puissan-
ces européennes à ceux du vice-roi en leur accordant
un traité de commerce, dont il espérait que l’applica-
tion à l'Égypte ferait naître des difficultés insurmon-
tables. Enfin, après une lutte sourde de cinq ans,
lorsqu'il eut réorganisé son armée el sa flotte, lorsqu'il
se crut prêt à écraser son vassal, au commencemer!{
{
APERÇU SUR L'ÉGYPTE Î.
LXXIV INTRODUCTION HISTORIQUE.
de l’année 1859, il fit marcher sur la Syrie le séraskier
Hafiz-Pacha, dont les troupes sont venues se briser
contre l’armée égyptienne dans la belle journée de
Nezib.
Les événements imprévus , soudains , dont l'Orient
a été, il y a un an, le théâtre, la mort de Mahmoud au
moment où son armée était détruite, le passage de la
flotte ottomane à la cause du vice-roi , le trouble dans
lequel cette brusque péripétie a jeté la politique euro-
péenne, les désastres que le prolongement du statu quo
entrainerait pour la Turquie et l'incertitude à laquelle
il livrerait la paix générale, toutes ces causes ont rendu
absolument nécessaire la réalisation du but final de
Méhémet-Ali. Ce grand homme a délivré l'Égypte de
l'anarchie ; il lui a inoculé de puissants germes de civi-
lisation ; il l’a dotée d’une force militaire imposante à
laquelle elle a dù le principe de son indépendance ;
puis il lui a donné les conditions géographiques de
cette indépendance en lui conquérant les frontières
syriennes. Que manque-t-il encore au nouvel empire
égyptien qu'il a fondé ? Un gage de durée, une sécurité
pour l'avenir, une simple sanction diplomatique. Que
son existence soit mise sous la garantie des traités
cautionnés par les puissances, et que le pouvoir fori
qu'il a créé soit solennellement accordé , dans l’intérêt
de sa conservation, à Méhémet-Ali et à sa race. Voilà
ce que demande Méhémet-Ali, ce que la justice et la
civilisation, j'espère le démontrer plus d’une fois dans
le cours de cet ouvrage, réclament avec lui, pour lui;
voilà ce que la force des choses finira infailliblement
par lui donner.
INTRODUCTION HISTORIQUE. LAN
$ XIII.
MÉHÉMET-ALI ET SA FAMILLE.
50. Je crois qu’il convient de faire connaître la glo-
rieuse famille à laquelle sont irrévocablement attachées
les destinées de l'Égypte.
Méhémet-Ali, je lai déjà dit, est né en 1769, à la
Cavalle; il a, par conséquent, aujourd’hui 71 ans.
Sa taille est peu élevée; elle ne dépasse pas cinq
pieds deux pouces; il est fortement constitué; son
tempérament est éminemment sanguin-nerveux. Dans
son jeune âge, ses cheveux et sa barbe étaient blonds;
il a le front saillant et découvert, les arcades sourci-
lières très-prononcées, les yeux châtain clair enfoncés
dans leur orbite, le nez moyen un peu renflé vers le
bas, une petite bouche, de petites moustaches retrous-
sées , la barbe blanche et peu fournie , le teint châtain
clair. L’ensemble de ces traits forme une physionomie
agréable au plus haut point; vive et mobile, animée
d’un regard scrutateur, elle présente un mélange heu-
reux de finesse, de noblesse et d’amabilité.
Méhémet-Ali a une très-jolie main, petite et potelée,
un petit pied. Il est bien fait. Sa démarche, très-assu-
rée, a quelque chose de la précision et de la régularité
militaires. Il porte, en marchant, la pointe des pieds
en dehors, et balance un peu son corps. Il se tient
très-droit : il a souvent les mains croisées derrière le
dos. Il aime , chose remarquable, car elle est inusitée
chez les Turcs, à se promener dans ses appartements.
LXXVI INTRODUCTION HISTORIQUE.
Son turban ou son bonnet sont inclinés d'ordinaire du
côté gauche. Sans porter jamais d’insigne ni de ces
vêtements enrichis d'or que recherchent tant les os-
manlis , il est très-soigné dans sa tenue. Il a toujours
eu les manières faciles et distinguées d’uu grand sei-
gneur.
La vice-roi est très-vif, il est très-impressionnable et
cache difficilement les sensations qu’il éprouve; aussi
a-t-il beaucoup de franchise, beaucoup de loyauté : la
dissimulation doit lui être chose pénible. Chatouiileux
sur le point d'honneur , religieusement fidèle à la pa-
role donnée, il est incapable de trahison. Sa générosité
est peu commune, il l’a poussée quelquefois jusqu’à la
prodigalité. On dit qu’il a été très-galant. Excellent
père de famille, il chérit ses enfants et vit dans son
intérieur avec la simplicité de mœurs d’un bon bour-
geois. Sa sensibilité est extrême; je m’en serais fait
difficilement une idée, ainsi que de la bonté de son
cœur , si je n'avais été témoin de leurs effets. On l’a
vu inconsolable de la perte de ses enfants, et verser
des larmes à la mort de ses compagnons d’armes. Il
porte la sollicitude jusqu’à la tendresee pour ceux de
ses employés auxquels il est attaché. Difficilement 1l se
décide à punir , et, en général, il pardonne et oublie
les fautes, même les plus graves.
Méhémet-Ali est épris de la gloire. Il pense beau-
coup , non-seulement à la réputation qui entoure son
nom pendant sa vie, mais à celle qu’il laissera après
sa mort. Il se fait traduire et lit tous les journaux ; il
n’est pas insensible aux calomnies qu’ils ont souvent
lancées contre lui. Son activité est au-dessus de tout
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXXVII
ce qu'on peut dire. Non-seulement 1l s'occupe toute la
journée, mais il ne dort que quelques heures pendant
la nuit, et encore son sommeil est-il très-agité. À qua-
tre heures du matin, il est sur pied. Il reçoit tous les
jours les rapports de ses différents ministres, et dicte
toutes les réponses : puis il passe des revues, visite
les chantiers , les grands travaux, etc. Doué d’un tact
précieux pour les affaires, d’un jugement droit, d'un
coup d’æœil sûr et rapide, généralement, dans les discus-
sions les plus difficiles, et même sur des matières qui
lui sont étrangères, c’est Jui qui a la meilleure manière
de voir les choses, et qui se forme sur elles les opi-
nions les plus justes. L'histoire de sa longue carrière
politique le prouve à chaque instant.
Il calcule admirablement , sans avoir jamais étudié
les mathématiques: On sait qu’il n’a commencé à ap-
prendre à lire qu’à quarante-cinq ans. Ce fut là un
beau trait de sa vie. Il n’eut, du reste, ni beaucoup de
temps, ni beaucoup de peine à dépenser pour arriver
à son but. Il s'adonna ensuite à l'étude de lhistoire.
Celles d'Alexandre et de Napoléon lont le plus occupé.
Il ne connait aucune iangue étrangère; mais telle est
sa perspicacité, que dans ses conversations avec les
Européens il devine souvent dans leurs yeux ce qu'ils
ont voulu dire, avant que la traduction n’en soit ache-
vée. C’est, au surplus, un grand et vrai plaisir pour
lui que de causer avec des Européens et des hommes
instruits. Il traite avec eux les questions les plus rele-
vées, et les saisit avec une précision remarquable.
Le vice-roi observe sa religion sans fanatisme m
bigoterie. Il a toujours montré la plus grande tolérance
7
LXXVIIT INTRODUCTION HISTORIQUE.
pour tous les cultes. Il est le premier souverain mu-
sulman qui ait couvert les chrétiens d’une large pro-
tection , qui les ait fait sévèrement respecter , qui ait
accordé à plusieurs d’entre eux confiance et amitié,
qui leur ait donné des grades, des commandements,
et les ait élevés à la dignité de bey. Pour se placer
ainsi au-dessus des préjugés les plus enracinés, il lui
fallut braver avec courage les critiques de sa cour et
de son peuple , jaloux des faveurs qu'il accordait à des
etrangers.
Comme je l'ai déjà dit, Méhémet-Ali est simple dans
son intérieur. Il s’y livre aux plaisirs les plus inno-
cents. Il aime beaucoup les jeux d'échecs et de dames,
dans lesquels il est assez fort. Il joue sans prétention
avec des officiers de grades peu élevés , quelquefois
même avec de simples soldats. J’ai eu plusieurs fois
l'honneur de faire avec lui la partie aux cartes. Il se
plait à monter à cheval, et s’y tient fort bien, avec
beaucoup de grâce et d'élégance.
Je n’ai pas parlé des qualités guerrières du vice-roi.
Il me semble que, sur ce point, son histoire, qui nous
l’a montré sortant des rangs de l’armée et parvenant
par sa bravoure et son mérite à la première position,
en dit assez. J'aurais pu ajouter néanmoins que le
courage poussé jusqu’à la témérité non-seulement à
la guerre, mais dans les circonstances ordinaires de la
vie, a toujours été l’un des traits les plus saïllants du
caractère de Méhémet-Ali. Il semble que le sentiment
de la peur lui soit inconnu. Dans le commencement de
sa carrière, il a affronté tous les périls. L’année der-
rière ne l’a-t-on pas vu, malgré son âge, entreprendre
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXXIX
le voyage de Fazoglou, c’est-à-dire aller à six cents
lieues de sa capitale braver les écueils du Nil, briser sa
barque, se jeter à la nage, et faire sur un dromadaire,
à travers les déserts, une grande partie de cette route
longue et dangereuse ?
La crise politique qui attire aujourd’hui lattention
de l’Europe sur l'Orient a grandi encore Méhémet-Ali.
Jamais cet homme extraordinaire ne s'était trouvé
dans des circonstances aussi solennelles , sur un théâ-
tre d'opérations aussi vaste. Depuis un an, le rayon
sur lequel son influence se faisait sentir s’est élargi
jusqu’à embrasser l’Europe entière. Comme le Romain
antique, dans un pli de sa toge il tient la guerre ou la
paix ; de lui dépend l'équilibre européen. Or, dans ces
imposantes conjonctures, il s’est placé par son habileté
pratique et par sa prudente et généreuse modération,
plus encore qu'il ne l'aurait fait par des coups d’éclat,
au niveau des hommes d'État les plus consommés de
l'Occident. Sage et retenu comme doit l'être tout bon
politique dans l’ère pacifique sous laquelle nous vivons,
il a prouvé que sa prudence n’était pas de la pusillani-
mité, et déployant avec vigueur des ressources inat-
tendues, il a deviné avec son instinctive sagacité la
vieille maxime : Si vis pacem, para bellum. Seul , il
prévoit tout, il fait face à tout. Que l’on ne croie pas
qu'il trouve un très-grand appui dans ses ministres :
sans doute , plusieurs d’entre eux sont des hommes
capables de lui donner de bons conseils , mais , dans
une position aussi difficile, ils n’oseraient pas prendre
la responsabilité d’une détermination importante. Le
vice-roi ne trouve ses ressources qu’en lui, ne demande
LXXX INTRODUCTION HISTORIQUE.
ses inspirations qu’à son intelligence ou à son cœur.
Méhémet-Ali, on peut donc l’affirmer sans exagéra-
üon , est, sous tous les rapports, un homme des plus
remarquables , et l’un des plus grands génies que l’O-
rient ait produits.
IBRAHIM-PACHA.
Ibrahim-Pacha est le fils ainé de Méhémet-Ali. Cest
à tort qu’on avait répandu qu'il n’était que le fils adop-
tif du vice-roi ; il est né en 1789, à la Cavalle, deux ans
après le mariage de son père.
Ibrahim-Pacha a donc cinquante et un ans; il est
de taille moyenne (il a environ cinq pieds deux pou-
ces); il est fortement constitué , les fatigues de la
guerre ont fait blanchir de bonne heure ses cheveux et
sa barbe qui étaient d’un blond ardent; sa figure est
allongée ; son nez long et effilé ; il a les yeux gris et le
visage gravé de petite vérole.
Son tempérament est sanguin-bilieux ; il est naturel-
lement sérieux quoiqu'il se livre parfois à l’hilarité. Sa
voix est forte. Il n’a pas l’amabilité de mamières qui
distingue son père; son abord, sans être dur ni dés-
agréable, intimide.
Ibrahim a recu l’éducation que l’on donwait de son
temps aux princes orientaux. Il possède les langues
turque, persane et arabe, qu'il parle, lit et écrit avec
facilité. Il connait très-bien l’histoire de l'Orient.
Dès l’âge de seize ans, il a été chargé de commande-
ments de troupes et d’administrations de province.
Livré sitôt à la pratique des affaires, on comprend
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXXXI
qu’elles lui soient devenues très-familières, qu'il y ait
appris tous les détails du gouvernement de l'Égypte, et
que l’expérience lui ait suggéré, sur l'administration,
une foule d'idées positives. En 4816, il fut mis à la tête
d’une expédition contre les Wahabites, qu’il mena à
bonne fin et au retour de laquelle ses victoires lui valu-
rent d’être recu triomphalement au Caire. Lorsque
son père commença à organiser ses troupes à l’euro-
péenne, Ibrahim-Pacha fut des premiers à s’instruire
dans les exercices et les manœuvres militaires , qu’il
dut ensuite diriger comme général en chef, Il apprit
tout, depuis les premiers détails du maniement des
armes jusqu'aux évolutions les plus compliquées. Il
s'était ainsi préparé, lorsqu'il fut nommé général de
l'expédition de Morée. C’est pendant cette expédition
que les journaux, égarés sur son compte par des mou-
vements qui avaient leur source dans leur zèle pour
une belle cause , l'ont faussement représenté comme
un homme féroce et sanguinaire. Il est impossible de
citer un fait avéré qui fasse peser sur lui une accusa-
tion méritée de cruauté. Ce sentiment ne peut S’allier
d’ailleurs avec la bravoure calme et généreuse que
l'on connaît à Ibrahim-Pacha. L'expédition de Morée
lui fut une école utile. Il s’y trouva dans des positions
difficiles, et sa présomption de jeune général, habitué
à vaincre et se croyant toujours maitre de la victoire,
reçut des leçons qui, en lui présentant la guerre sous
des faces qui lui étaient inconnues , ont porté leurs
fruits en muürissant son jugement. Ce qu'il vit des
troupes françaises lui fit le plus grand plaisir. Il eut
l’occasion de connaître le général Maison , le général
LXXXII INTRODUCTION HISTORIQUE.
Sébastiani et beaucoup d’autres officiers français qui
conçurent une haute idée de sa capacité militaire. Il
sut au reste tirer un excellent parti de ses revers. Jus-
qu’alors on croyait en Orient que la cavalerie turque
était supérieure à la cavalerie régulière des Européens.
Ibrahim-Pacha comprit bientôt la fausseté de cette
opinion, et que des cavaliers en ligne, se formant en
pelotons et manœuvrant par masses, d’après une tacti-
que précise, devaient obtenir, sur un champ de bataille,
les mêmes avantages que l'infanterie faconnée à de
savantes et sévères évolutions. Aussi , dès son arrivée
en Égypte, s’occupa-t-il immédiatement de l’organisa-
tion de la cavalerie régulière. Il voulut avoir les prin-
cipales armes, et il a formé des régiments de chasseurs,
de lanciers, de dragons et de cuirassiers.
Peu de temps après son retour de la Grèce, Ibra-
him-Pacha commenca l'expédition de Syrie. On sait
combien cette conquête et les victoires qu’il remporta
ont fait honneur à son courage et à ses talents guer-
riers.
La conquête des armes achevée, Ibrahim-Pacha en
entreprit une autre qui, pour avoir moins d'éclat et
de renom, n’en était ni moins difficile ni moins hono-
rable. Je veux dire qu’il organisa complétement les
pays conquis ; il opéra pour cela plusieurs actes de
haute politique , il soumit toute la Syrie à l'unité de
gouvernement et à la centralisation de l’administra-
üon. Il la débarrassa d’une infinité de petits chefs
féodaux qui étaient autant de tyrans et entretenaient,
dans cette grande et riche province, une anarchie sans
fin. Il désarma toutes les tribus, qui ne se servaient de
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXXXIIIL
leurs armes que pour se combattre entre elles et com-
promettre la tranquillité publique; c’est par ces actes
et par la fermeté avec laquelle il les a soutenus qu'il a
doté la Syrie d’une sécurité qui lui était inconnue jus-
qu’alors, et que Méhémet-Ali, c’est son plus beau titre
de gloire, a su introduire, grâce à la vigueur de son
gouvernement, dans tous les pays sur lesquels il a
étendu sa domination.
Ibrahim-Pacha a eu à réprimer, en Syrie, plusieurs
révolles, notamment celles de Naplouze et des Druses ;
cette dernière surtout fut terrible, nous avons été té-
moin oculaire de sa répression, et nous y avons vu de
près la bravoure d’'Ibrahim et sa clémence envers les
vaincus. On ne peut lui reprocher , dans cette circon-
stance, un seul trait d’inhumanité.
Au fond Ibrahim-Pacha est très humain , quoi qu’en
aient dit de calomnieuses et anonymes accusations.
L'établissement des hôpitaux et des autres institutions
charitables l’a toujours beaucoup intéressé. Il s'attache
aisément, et ses démonstrations d'amitié vont souvent
jusqu’à la familiarité. Il n’aime pas du reste les courti-
sans et les flatteurs serviles. Au premier rang parmi
ses qualités morales, je placerai sa prodigieuse acti-
vilé. Il est très-perspicace et se distingue par un
amour excessif de l’ordre, de l’économie et de la dis-
cipline. Endurci à toutes les fatigues , 11 méprise trop,
à cet égard, les soins et les précautions ; car c’est en
bivaquant en tout lieu, comme un simple soldat, en
dormant couché sur la terre, malgré le froid, la pluie,
la neige, qu'il a contracté des douleurs rhumatismales.
Il est adoré de ses troupes ; il produit sur elles cette
LXXXIV INTRODUCTION HISTORIQUE.
fascination magique que l’empereur exerçait sur ses
soldats.
Outre ses qualités militaires, Ibrahim -Pacha en
possède une qui est surtout excellente dans un prince
destiné à gouverner l'Égypte ; c’est l'amour de l'agri-
culture. Dans les intervalles de repos que la guerre
lui a laissés, il s’en est toujours occupé avec prédilec-
on et s’en est fait le protecteur éclairé.
Le dernier fait d’armes d'Ibrahim a été la victoire
de Nezib. Elle a consolidé définitivement dans la race
de Méhémet-Ali la vice-royauté égypto-syrienne ,
qu'Ibrahim saura dignement diriger lorsque le destin
l’appellera à succéder à son illustre père.
AUTRES PRINCES DE LA FAMILLE DE MÉHÉMET-ALI.
Le second fils de Méhémet-Ali fut Toussoun-Pacha,
né à la Cavalle. Ce prince se faisait surtout remarquer
par sa générosité, poussée quelquefois jusqu’à la pro-
digalité. Cette qualité est des plus appréciées chez les
peuples orientaux. Aussi Toussoun-Pacha en était-il
vivement aimé. Il est mort laissant un fils, Abbas-
Pacha, né en 1815, aujourd’hui gouverneur du Caire.
Méhémet-Ali eut encore à la Cavalle, de la même
épouse, Ismaïl-Pacha, qui a péri malheureusement
dans la guerre du Sennaar, sans laisser d'enfants, et
une fille aujourd’hui âgée de quarante ans. Elle res-
semble beaucoup, dit-on, à son père physiquement et
moralement. Elle est veuve de Méhémet-Defterdar-Bey.
Elle était très-attachée à son époux, et, pour donner
à sa mémoire un pieux témoignage de regrets, elle n’a
INTRODUCTION HISTORIQUE. LXXXV
pas voulu se remarier. Elle passe sa vie dans l'exercice
des vertus qui parent le plus les femmes et se fait
aimer surtout par sa bienfaisance.
Méhémet-Ali a eu en Égypte un grand nombre d’en-
fants. Le plus âgé de ceux qui survivent est Saïd-Bey,
né en 1822.
Ce jeune prince est d’un fort bon caractère, d’un
physique agréable, et qui plairait davantage si ses
yeux n'avaient quelques taches, suite d’une maladie
de ces organes, affection très-commune en Ég gypte chez
les enfants. Il a recu une très-belle éducation. Après
avoir étudié les langues orientales, il s’est appliqué
aux mathématiques, au dessin, à la nautique, et à
recu toute l'instruction que l'on donne aux officiers de
marine. Il a passé au concours par tous les grades de
cette arme. Il parle notre langue comme un Français
et a tout à fait nos manières. Saïd-Bey est destiné pro-
bablement à être à la tête de la marine égyptienne,
soit comme ministre, soit comme amiral.
Les autres enfants de Méhémet-Ali sont : une fille
née en 1824; Hussein-Bey, né en 1895 ; Halim-Bey,
en 1826 ; Méhémet-Ali-Bey, en 1855.
Ces jeunes princes out tous des figures très-agréa-
bles. Ils ont beaucoup d'intelligence. Personne plus
que moi, qui les ai vus si souvent, n’a pu être témoin de
leur gentillesse et des traits charmants és leur vivacité
enfantine.
Ibrahim-Pacha a trois fils, dont l'aîné, Achmed-Bey,
est né en 18925. 11 ressemble beaucoup à son père;
mais il sera moins grand que lui. Il à fait de bonnes
études. Il a plus de bon sens que n’en comporte son
1. 8
LXXXVI INTRODUCTION HISTORIQUE.
âge. Ibrahim-Pacha l’a déjà fait voyager avec lui. Ses
autres fils, Ismaïl-Bey, né en 1850, et Mustapha-Bey ,
né en 1852, sont de gentils enfants ; mais 1ls sont trop
jeunes pour qu’on puisse porter encore sur eux un ju-
gement précis.
Abbas-Pacha, fils de Toussoun dont nous avons
parlé tout à l’heure, a hérité des manières de son
père, auquel il ressemble beaucoup. Ce jeune prince
a été mis très-jeune dans les affaires : il a été inten-
dant général de province. Le poste de gouverneur du
Caire, qu'il occupe aujourd'hui , est des plus impor-
tants, et il le remplit à la satisfaction générale. C’est à
tort qu’on l’a représenté comme en rivalité, sur la ques-
tion d’hérédité, avec Ibrahim-Pacha. Il est au con-
traire très-attaché à son oncle, qui ne peut pas avoir
d’ailleurs de concurrent sérieux ; car il a pour lui le
droit de naissance, l'armée , la puissance de l'opinion
publique et l’ascendant de son nom consacré par la
victoire.
Je me contente d'indiquer les autres membres de la
nombreuse famille de Méhémet-Ali ; car leur position
ne les appelle pas à jouer les premiers rôles. Ce sont,
tous neveux du vice-roi, Achmet-Pacha, gouverneur
de la Mecque (quarante ans); ibrahim-Pacha , général
de division ; Ismaïl-Pacha , gouverneur d'Alep (trente-
deux ans); Hussein-Bey, sans fonctions (quarante-deux
ans) ; deux autres neveux assez jeunes.
SANS ANNEES IR INIRAN INA
PENTEN/ Ze EN ENS EN ENT ENS EN ENT ES
CHAPITRE PREMIER.
PICPIRANC
sWSr
Apercu physique.
SITUATION , FORME , LIMITES ET DIVISIONS
GÉOGRAPHIQUES.
1. Situation, forme, limites. — On croirait volon-
tiers, à l'inspection d'une carte ordinaire de l'Égypte,
qu'il faut comprendre sous ce nom toutela partie orien-
tale de l'Afrique qui se trouve placée entre la première
cataracte du Nil au midi, la Méditerranée au nord, le
désert Libyque à l’ouest, et la mer Rouge à l’est; c’est
là l’idée que s’en font un grand nombre de personnes.
Elle n’est pas tout à fait exacte. L'Égypte n’est, à pro-
prement parler, qu’une étroite vallée dont le Nil est
l'artère, qui suit toutes les sinuosités du fleuve, s’évase
elle-même là où il se bifurque, et borde ses deux bran-
ches jusqu’à ce qu’elles aillent confondre leurs eaux
avec celles de la mer. Ainsi définie, l'Égypte, placée
entre le 24e et le 52° degrés de latitude, le 28° et le 51°
de longitude, est bornée au sud par la Nubie, dont la
88 APERCU PHYSIQUE.
première cataracte la sépare ; au nord par la Méditer-
ranée, sur laquelle elle étend une ligne littorale de
soixante et dix lieues, depuis l'ancienne Taposiris (la tour
des Arabes) jusqu’à l’extrémité orientale du lac Men-
saleh, où se trouvent les ruines de Péluse (quelques-
uns la portent de ce côté vingt lieues plus loin, jusqu’à
ËÉl-Arisch) ; à l’ouest par les monts Libyques, et à l’est
par les monts Arabiques. Ces deux chaines l’étreignent
dans toute sa longueur. Elles se serrent de près jusqu’à
la hauteur du Caire. Arrivées là, elles cessent leur pa-
rallélisme, se dirigent l’une vers ie nord-est, l’autre
vers le nord-ouest, et vont , celle-ci s'arrêter aux
côtes de la Méditerranée , celle-là se joindre aux mon-
tagnes de l’Arabie Pétrée et se relier aux chaines de la
Syrie.
2. Divisions géographiques.— Les Orientaux appel-
lent l'Égypte du nom de Misr; les Grecs empruntèrent
le nom que nous lui avons conservé de celui que por-
tait primitivement le Nil. Ils eurent raison, car l'Égypte.
comme on l’a fort bien dit, n’est autre chose que le lit
du fleuve qui la traverse et qui l’a créée.
La partie de la vallée du Nil qui forme l'Égypte se
développe sur une longueur de plus de deux cents
lieues. Elle est ordinairement divisée par les géogra-
phes en haute, moyenne et basse Egypte. La haute,
appelée Saïd, et la moyenne, Oues-Tanièh, renferment
le terrain de l’une et de l’autre rive du fleuve, compris
entre les deux lignes de montagnes dont nous venons
de parler. La haute Égypte commence à la première
cataracle ; la moyenne finit au Caire. Elles forment , à
la suite lune de l’autre, un ruban sinueux dont la lar-
APERÇU PHYSIQUE. 89
geur varie entre une et quatre lieues, excepté dans la
partie de la moyenne à laquelle est annexé un appen-
dice elliptique de terrain cultivable, encaissé dans la
chaîne libyque, et qui constitue la riche province con-
nue sous le nom de Fayoum. La basse Égypte, appelée
par les Arabes Bahireh, est une plaine triangulaire qui
a son sommet au-dessous du Caire, au Ventre de la
Vache , lieu où le Nil partage ses eaux en deux bran-
ches : l’un de ses angles, à l’isthme de Suez; et l’autre
à la tour des Arabes; dont les deux côtés, à l’est et à
l’ouest , sont limités par les déserts et s'étendent pa-
rallèlement aux deux branches du Nil, qui forment
cette île si fameuse et si fertile, à laquelle les Grecs
donnèrent , à cause de sa configuration , le nom de
Delta.
5. Superficie. — On évalue à environ seize cents
lieues carrées la superficie de l'Égypte. Deux cent
quarante-cinq sont occupées par la haute, deux cent
cinquante-cinq par la moyenne, et le reste par la
basse. La surface totale est répartie de la manière
suivante :
Terrain cultivable. . . . 1000 lieues carrées.
=HOMPRCUlE tt. + . -.., 200 »
Hletye fear 4." .: 607 n
57. Re CÉRMAREP SAP TRNORE 65 »
Ho ipnye;ls 0: à. 11 »
90 APERÇU PHYS!QUE.
Ç I.
ASPECT ET FORMATION GÉOLOGIQUE DU SOL.
Sol cultivable. — Sa forme, — Formation du sol cultivable , alluvions.
— Limon du Nil. — Aspects du sol cultivable. — Montagnes. — Leur
forme, leur hauteur et leur pente générale. — Leur composition gévlo-
gique. — Déserts. — Leur formation. — Üasis. — Aspect du désert.
4. Sol cultivable. — Sa forme. L'Égypte pro-
prement dite n’est, comme nous l’avons fait observer,
que la vallée que traverse le Nil; mais elle offre divers
traits spéciaux qui la distinguent des vallées ordinaires.
En général, les vallées au milieu desquelles coulent les
grands fleuves forment une espèce de berceau dans le
fond duquel les eaux trouvent leur lit. L’Égypte pré-
sente une disposition inverse. Les rives sont plus éle-
vées que le reste du sol, qui descend en une pente
appréciable, à mesure qu’il s'éloigne du Nil. Il résulte
de cette disposition du terrain, que pour peu que le
fleuve élève ses eaux au-dessus de ses berges, elles se
répandent sur toute la surface, et peuvent couvrir la
totalité du pays cultivé.
5. Formation du sol cultivable. Alluvions. — Par
son plan légèrement incliné vers le nord, l'Égypte
annonce lPapport graduel de lalluvion. Les anciens
disaient que le Delta était un présent du Nil. Les pré-
tres égypliens racontaient aux voyageurs grecs que,
du temps de leur premier roi, Ménès, l'Égypte n’était,
jusqu’au lac Mæris, qu'un vaste marais. La science
moderne a démontré la vérité de leurs assertions. Il est
LA
APERCU PHYSIQUE. 91
cerlain que le terrain cultivable de l'Égypte a été
formé par les dépôts de limon du Nil. Les couches
inférieures de ce sol présentent des pétrifications d’a-
nimaux marins, des pierres ponces, des caïlloux roulés,
des scories, des basaltes, des jaspes, des matières vol-
caniques, qu'ont dù couvrir longtemps les eaux de la
mer, refoulées peu à peu par l’alluvion envahissante.
Les progrès des dépôts du Nil nous sont révélés par
des faits incontestables. Ainsi Rosette, Damiette, qui,
à des époques peu reculées, étaient baignées par la
Méditerranée, s’en trouvent éloignées aujourd’hui de
plusieurs lieues ; ainsi encore, les terres ont plus d’élé-
vation sur les deux rives du fleuve que vers la base des
montagnes, ce qui vient évidemment de ce que les
inondations plus fréquentes sur les points les plus
rapprochés des eaux, y laissent, à l’époque de leurs
débordements, des dépôts plus considérables. Enfin,
ce qui prouve encore mieux, si c’est possible, la vérité
de ce phénomène géologique, c’est l’enfoncement des
bases des anciens édifices, couverts aujourd’hui par les
terres en culture. Quoiqu'il soit très-difficile de fixer,
d’une manière certaine, la progression périodique de
lexhaussement, des recherches approfondies ont per-
mis aux géologues de l'expédition française de l’éva-
luer approximativement à cent vingt-six millimètres
par siècle.
Les couches du sol cultivable n’ont pas sur tous les
points la même profondeur. Les fréquentes déviations
du Nil, la vitesse plus ou moins rapide de son cours
en sont les causes réelles appréciables ; là où ses eaux
roulent avec impétuosité, l'argile est emportée ou n’a
92 APERÇU PHYSIQUE.
pas le temps de se déposer ; là où elles sont stagnantes,
leurs sédiments sont plus abondants.
6. Limon du Nil. — Le limon pur qui forme le ter-
rain cultivable est composé, d’après l’aualyse qui en fut
faite par la commission française :
1° D’alumine, qui en constitue les trois cinquièmes.
20 De carbonate de chaux, qui équivaut à un peu
plus d’un cinquième.
5° De carbonate libre, pour environ un dixième.
4 De cinq ou six centièmes d'oxyde de fer, qui
commupiquent aux eaux la teinte rouge qu’elles ont
pendant l’inondation.
5° De deux ou trois centièmes de carbonate de
magnésie.
6° De quelques atomes de silice assez divisés pour
demeurer en suspension dans les eaux.
Le Nil charrie aussi, pendant les débordements,
une quantité considérable de sable quartzeux. La par-
tie la plus grossière tombe au fond du fleuve et produit
l'exhaussement de son lit; une autre partie est très-
irrégulièrement étendue sur les terres voisines; le reste
est charrié jusqu’à la mer, et concourt à produire l'al-
longement du Delta.
7. Aspects du sol cultivable. — Le sol éprouve pé-
riodiquement chaque année des changements très-
notables dans son aspect; le conquérant arabe de
l'Égypte, Amrou, a très-bien décrit ces métamorphoses
variées, dans la lettre, si souvent citée, qu’il écrivit au
calife Omar sur l'Égypte. « Peins-ioi, dit-il, à prince
des fidèles, un pays qui offre tour à tour l’image d’un
désert poudreux, d'une plaine liquide et argentine,
me
é
APERCU PHYSIQUE. 95
d’un marécage noir et limoneux, d’une prairie verte et
ondoyante, d’un parterre orné de fleurs et d’un guéret
couvert d’épis jaunissants. » En effet, nous voyons
d’abord le terrain sans culture, à l'exception de quel-
ques points artificiellement arrosés ; nu, aride, il offre
dans toute sa surface des retraites ou fentes dont la
_ largeur varie entre six pouces et un pied, la profondeur
entre cinq et six pieds. Insensiblement 1l se dessèche,
et l’on a de la peine à croire qu’un semblable état suc-
cède annuellement à de riches et abondantes moissons.
C’est la première période.
La deuxième est marquée par l'inondation qui fait
de toute la grande valiée un lac immense, semé de
villages, de monticules, de groupes d'arbres, et lui
donne l'aspect de l'archipel le plus pittoresque.
La troisième période est courte, car à peine le sol
a-t-il reparu , que le soleil absorbe l'humidité dont 11
est imprégné, tandis que le laboureur lui confie les
graines, espoir de la récolte prochaine.
La quatrième période suit d’une manière si immé-
diate, que son apparition est presque inappréciable.
C’est l’époque de la végétation qui couvre le pays d’im-
menses nappes de verdure.
Enfin , à la cinquième période, toutes les plantes se
chargent de fleurs, et les champs se couvrent d’épis.
Ces divers changements n’ont pas lieu à la même époque
sur tous les points de l'Égypte ; les régions les plus rap-
prochées du tropique sont les premières à les présenter.
8. Montagnes. Leur forme. — La nature semble
avoir placé les montagnes qui longent l'Égypte pour
la garantir de lenvahissement des sables des déserts.
94 APERÇU PHYSIQUE.
Arides et dépouillées, parce qu’elles sont inaccessibles
aux eaux fécondantes du Nil, parce qu’elles ne recoi-
vent des pluies que trop rarement ou en trop faible
quantité pour la végétation, elles se détachent des deux
côtés du fleuve en blocs continus plus larges qu’élevés.
Les montagnes qui sont à l’est du Nil sont plus rappro-
chées du fleuve, dontelles forment souvent elles-mêmes
la rive. La chaîne libyque en est plus éloignée, et quel-
quefois au point d’être à peine aperçue du Nil. Les
premières avancent sur le Nil leurs sommets proémi-
uents, tandis que leur milieu vertical et leur base ren-
trent en courbe concave , et présentent dans leur lon-
sueur des sillons que l’on dirait avoir été creusés, à
d’autres époques, par l’action de courants d’eau qui
auraient rongé leurs flancs.
9. Hauteur et pente générale. — La chaîne arabi-
que, lorsqu’elle forme le Mokattam près du Caire, ar-
rive à peine à une hauteur de deux cents mètres. En
avançant dans le sud, elle s'élève progressivement.
Ainsi, à soixante lieues du Caire, dans la province de
Syout, elle atteint les quatre cinquièmes environ de sa
pus grande hauteur qui est de six à sept cents mètres;
elle arrive à ce dernier terme un peu au delà de Thèbes,
s’y maintient quelque temps, puis s’abaisse jusqu’à la
première cataracte, où elle ne forme plus que de sim-
ples collines, pour se relever plus loin à la hauteur
qu’elle a dans la moyenne Égypte.
On dit généralement que la chaîne libyenne est plus
basse que larabique. On peut aflirmer néanmoins
qu’elle légale en hauteur moyenne, et que l'apparence
seule lui a donné son renom d’infériorité. Plus dis-
V8
APERÇU PHYSIQUE. 95
tante en effet que l’autre des eaux du Nil, souvent, du
bord du fleuve, on la prendrait pour une bande de va-
peurs indécises qui encadrent l’horizon à l’ouest.
A l’est du Mokattam , les montagnes qui se dirigent
sur la mer Rouge et l’isthme de Suez vont toujours en
s'élevant. Le contraire arrive pour la chaîne libyque,
qui s'incline sans cesse à partir de la hauteur du Caire.
On peut, d’après ces données, se faire une idée de l’in-
clinaison générale du massif dans lequel est creusée la
vallée du Nil. Il présente deux pentes : l’une, du sud
au nord conforme au cours du fleuve ; l’autre, de l’est
à l’ouest. Ces deux inclinaisons combinées donnent la
ligne de la plus grande pente qui se dirige du sud-est
au nord-ouest et décline un peu vers l’ouest.
10. Composition géologique. — Les cataractes du
Nil ne sont probablement que les derniers degrés d’in-
clinaison de la chaine primitive que le fleuve est obligé
de traverser, et qui impriment à son cours des sinuo-
sités conformes à la direction de la chaine principale
elle-même. Celle-ci, que l'on peut se représenter
comme s'étendant de la première cataracte, dans le
sens du golfe oriental de la mer Rouge, présente le ca-
ractère des terrains de première formation. Au nord,
ce sont les porphyres; vers le midi, les granits; le
schiste occupe les positions intermédiaires ; entre le
nord et ces parties moyennes se trouvent des roches
diverses, généralement composées de spath lamellaire
et d'amphibole.
Le terrain primitif conduit au terrain secondaire
suivant une direction à peu près parallèle à celle que
nous avons indiquée pour la chaîne principale, La con-
96 APERÇU PRYSIQUE.
stitution du sol dans le nord de la ligne à l’ouest du
fleuve, et jusque vers le littoral de la Méditerranée, est
celle des terrains secondaires. Le calcaire y domine
avec cette interposition de grès et de poudingue que
l'on remarque presque toujours entre les terrains se-
condaires et les terrains primitifs.
Les flancs incultes, sauvages, déchirés des monta-
gnes dont nous venons de parler, présentent plusieurs
intersections transversales, des gorges qui ouvrent aux
voyageurs et au commerce plusieurs passages à tra-
vers les déserts, pour la mer Rouge, les oasis, etc.
11. Déserts. Leur formation. — Les terrains sa-
blonneux , incultes , qui se trouvent au delà des deux
chaines de montagnes dont nous avons parlé PRE haut,
forment les déserts de l'Égypte.
La surface des déserts contient des graviers, des
cailloux roulés et des sables. Les sables sont composés
uniquement de grains quartzeux, sans mélange d’au-
cune autre matière. Les flots paraissent les avoir cou-
verts à d’autres époques. On les voit s’accumuler sur
plusieurs points en monticules de formes et de hauteurs
‘différentes. Des plantes ou d’autres corps solides sont
ordinairement les noyaux primitifs sur lesquels les
sables viennent se superposer. La plupart des monti-
cules qui se forment ainsi sont eux-mêmes déplacés
par l'action des vents, qui les poussent sans cesse dans
leur direction ; et s’il en est qui demeurent stationnai-
res, les formes que leur imprime l’action capricieuse de
ces courants d’airsontsibizarres, que, même rapproché
d'eux, on a peine à distinguer les divers mamelons
qui les composent.
LA
APERÇU PHYSIQUE. 97
12. Oasis. — La plus grande partie des déserts est
absolument aride, ou n’ofire, pour toute végétation.
que des broussailles rabougries. Les rares pluies de
l'hiver laissent en effet des dépôts d’eau dans les plis
du terrain. Sur les lieux bas qui jouissent de ce peu
d'humidité, des germes se développent, et l’on voit
s'épanouir quelques bouquets d'herbe. Mais tout dis-
paraît aux approches de l'été.
D’autres parties, en bien petit nombre, sont, grâce
aux sources d’eaux qu’elles renferment, cultivables
toute l’année. Elles sont connues sous le nom d’oasis,
mot dérivé de l’ancienne langue de l'Égypte, dans la-
quelle il signifiait habitation, demeure. On les a fort
bien représentées comme des iles fertiles, jetées au
milieu des immenses mers de sable. Cinq oasis se rat-
tachent à l'Égypte ; elles sont situées dans le désert de
Libye. La première que l’on rencontre, en descendant
du midi au nord, est celle de Karghè, placée à la hau-
teur de Thèbes; elle est séparée de l'Égypte par une
distance de quarante lieues, et s’étend, parallèlement
au Nil, sur une longueur de vingt-cinq lieues environ.
Les anciens la nommaient Oasis Magna. À vingt lieues
à l’ouest de cette oasis, se trouve celle de Dabhkel, qui
a à peu près douze lieues de longueur sur six de lar-
geur. En descendant V'Égypte jusqu’à la Méditerranée.
on rencontre encore la petite oasis de Farafreh, à en-
viron soixante et quinze lieues des terres; celle de Beryeh
(Oasis Parta), à trente-einq lieues de l'Égypte moyenne,
et dont les deux dimensions sont de cinq et huit lieues;
enfin, celle de Siouah, si fameuse dans l'antiquité, sous
ie nom d’Oasis de Jupiter-Ammon, et par le pèlerinage
É 3
98 APERÇU PHYSIQUE.
que fit Alexandre au temple de cette divinité qu’elle
renfermait. Située sous la même latitude à peu près
que le Fayoum. une distance de cent lieues l’en sé-
pare ; elle a cinq lieues de long sur quatre de large.
Les oasis contiennent en général des terrains très-fer-
tiles qui produisent du sucre, du café, de la garance et
principalement de lindigo.
15. Aspect du désert. — Le désert produit, sur
celui qui le voit pour la première fois, une impres-
sion solennelle. Il provoque l’âme aux pensées gran-
dioses; je ne suis pas étonné que les chrétiens des pre-
miers siècles aient choisi ces solitudes profondes,
comme le lieu où l’homme peut se mettre le plus
directement en rapport avec la Divinité, et entrer en
muette contemplation devant ses insondables gran-
deurs. Tout ce que les poëtes ont écrit sur les immen-
sités de l'Océan peut s'appliquer au désert. L’isolement
que l’on ressent, au milieu de ces espaces, est plus
grand encore, car on y est sous limpression d’un si-
lence dont on ne peut pas donner une idée à celui qui
n'en a pas ressenti les effets, et qui n’est pas même in-
terrompu par un murmure monotone comme celui des
vagues. Le premier sentiment que l’on éprouve, au
milieu de ces plaines sans bornes, dont les teintes blan-
châtres, animées par les feux du soleil, ressemblent à
un vaste horizon neigeux, c’est le sentiment de l’indé-
pendance et la conscience d’une hberté aussi illimitée
que les espaces dans l'immensité desquels plonge la
vue. Là on se représente l’état du premier homme
après la création ; comme lui on se sent maitre, on
se sent roi, et l’on aspire avec un vif bonheur Pair du
APERÇU PHYSIQUE. 99
désert , dont la pureté dilate voluptueusement les poi-
trines accoutumées à la lourde atmosphère des lieux
habités.
$ HI.
CLIMAT ET MÉTÉORES.
Saisons, — Température. — Mirage. — Vents. — Kamsiu. — Nessna ou
zéphyr. — Brouillards. — Nuages. — Rusées. — Nokta. — Humidité. —
Poussière. — Trombes de sable, — Vluie. — Grêle. — Neige. — Obser-
valions météorologiques.
14. Saisons. — Le commencement , la durée et la
fin des époques de chaleur, de froid, etc., ne sont pas
les mêmes, en Égypte, que sous nos climats tempérés.
L'action de l’hiver y est peu ou point sensible, surtout
dans les régions voisines du tropique. Le printemps et
l'automne se confondent, pour ne fournir qu’une seule
saison d'environ six mois, et le reste de l’année est
absorbé par le règne des fortes chaleurs.
15. Température. — Ce que l’on a dit en général des
chaleurs de l'Égypte est beaucoup exagéré ; d’ailleurs
elles ne sont pas uniformes dans toutes les parties de
la contrée. Il en est où elles ne sont pas plus fortes que
dans plusieurs régions méridionales de l'Europe, l'Es-
pagne et l'Italie, par exemple. Voici d’ailleurs un ex-
posé de la température moyenne des différentes zones
de l'Égypte.
Dans le Delta, le thermomètre marque ordinaire-
ment, pendant les trois mois d'hiver, de 12 à 14 degrés
au-dessus de zéro; pendant le printemps, de 16 à 24 ;
100 APERÇU PHYSIQUE.
pendant Fété, de 24 à 26, quelquefois 28 et 29; et
pendant l'automne, de 14 à 18.
En ajoutant deux degrés de plus par saison, on peut
avoir approximalivement la température moyenne de
l'Égypte intermédiaire.
Lorsqu'on remonte la haute Égypte , on voit la cha-
leur s’augmenter progressivement. À Syout, vers le
milieu de cette région, le thermomètre s'élève jus-
qu’à 54; à Assouan, limite de la Nubie, jusqu’à 56 et
quelquefois 358.
L'un des caractères les plus remarquables de la tem-
pérature de l'Égypte, c'est la variation qu’elle éprouve
dans la transition du jour à la nuit. Nukie part cette
transition n’est aussi tranchée. Un vent du nord, dont
le souffle diminue considérablement la chaleur de l’air,
s'élève ordinairement au coucher du soleil, et la tem-
pérature nocturne donne toujours de huit à douze de-
grés de moins que celle du jour. Aussi les nuits de
l'Égypte ne sont-elles jamais étouffées. Embellies par
un ciel admirablement serein , amenant dans l’atmo-
sphère une suave fraicheur, elles sont pleines de char-
mes , et il est aisé de comprendre la prédilection avec
laquelle les Arabes les ont chantées dans leurs poésies.
16. Mirage. — C’est la chaleur de la température
qui, en agissant sur la vaste surface plane que présente
le sol de la basse Égypte, donne naissance au singulier
phénomène, connu sous le nom de mirage ; c’est lors-
que le sol a été suffisamment échauffé par la présence
du soleil, dans le courant de la journée, que le mirage
se produit. Alors, le terrain parait terminé à une lieue
environ par une inondation générale. Les villages qui
APERÇU PHYSIQUE. 101
sont placés au delà de cette distance ressemblent à des
iles situées au milieu d’un grand lac, et dont on serait
séparé par une étendue d’eau plus ou moins considé-
rable. Cette nappe d’eau fantastique réfléchit l’image
de chaque objet qui se trouve dans son rayon, comme
le ferait un lac véritable ; mais à mesure que l’on s’ap-
proche d’un village qui paraît placé dans l’inondation,
le bord de l’eau apparente s’éloigne ; le bras de mer,
qui semblait vous séparer de votre but, se rétrécit : il
disparait enfin entièrement et se reproduit sur-le-
champ, pour un nouveau groupe d'habitations plus
éloigné ou toute autre chose placée en saillie à la dis-
tance voulue. On se souvient des déceptions cruelles
que ce phénomène fit subir à la soif ardente de nos
soldats, pendant leur marche dans le désert, d’Alexan-
drie au Caire.
17. Vents. — Volney a donné sur les vents de LEE
gypte un aperçu si complet, quoique résumé, que je
ne crois pouvoir mieux faire que de le citer textuelle-
ment : « En Égypte, dit-il, lorsque le soleil se rappro-
che de nos zones, les vents qui se tenaient dans la
partie de l’est passent aux rumbs du nordet s’y fixent.
Pendant juin, ils soufflent constamment nord et nord-
ouest. Ils continuent, en juillet, desouffler nord, variant
à droite et à gauche, du nord-ouest au nord-est. Sur
la fin de juillet et la moitié de septembre, ils se fixent
nord pur , et ils sont modérés, plus vifs le jour, plus
calmes la nuit.
« Sur la fin de septembre , lorsque le soleil repasse
la ligne, les vents reviennent vers l’est, et, sans y être
fixés, 1ls en soufflent plus que d’aucun autre rumb, le
9.
102 APERÇU PHYSIQUE.
nord seul excepté. À mesure que le soleil passe à l'au-
tre tropique, les vents deviennent plus variables, plus
tumultueux ; leurs régions les plus constantes sont le
nord, le nord-ouest et l’ouest. Ils se maintiennent tels
en décembre, janvier et février’, qui, pour l'Égypte
comme pour nous, sont la saison d'hiver. Alors les va-
peurs de la Méditerranée, entassées et appesanties
par le froid de l'air, se rapprochent de la terre, et for-
ment les brouillards et les pluies. Sur la fin de février
et de mars, quand le soleil revient vers l’équateur, les
vents tiennent plus que dans aucun temps des rumbs
du midi. C’est dans ce dernier mois, et pendant celui
d’avril, qu’on voit régner le sud pur, le sud-est et le
sud-ouest; ils sont mêlés d'ouest, de nord et d'est;
celui-ci devient le plus habituel sur la fin d'avril, et,
pendant mai, il partage avec le nord l'empire de la
mer. »
18. Kamsin. — C’est vers l’équinoxe que se lève le
kamsin, vent violent du sud dont le nom signifie en
arabe cinquante : ce mot lui a été appliqué parce que
la période pendant lequelle il souffle dure environ cin-
quante jours. Les Arabes lui ont encore donné le nom
de semoun , qui signifie poison. Volney et plusieurs
autres voyageurs en ont si longuement parlé, que je
me bornerai à en faire une très-courte descriplion. A
son apparition, le ciel revêt une teinte rougeâtre ; l’at-
mosphère n’est plus qu’une immense nuée de pous-
sière; une chaleur excessive dessèche la transpiration
cutanée; le thermomètre Réaumur s'élève quelquefois
jusqu'à 40 degrés ; on respire avec peine; on éprouve
un malaise général, une prostration complète, souvent
APERÇU PHYSIQUE. 105
suivie d’ophthalmie , de céphalalgie, d’apoplexie, de
dyssenterie aiguë ; sous l'influence de ce vent funeste,
l’état des malades s'aggrave , et, s’il règne une épidé-
mie, la mortalité s’accroit dans des proportions sensi-
bles. Parfois le kamsin prend un tel degré de violence,
qu’on est porté à croire aux récits fabuleux de cara-
vanes , d’armées entières , anéanties par le redoutable
vent du désert. Heureusement, pendant la période des
cinquante jours, il ne souffle avec quelque violence
qu’à cinq ou six reprises, et la durée de ses plus fortes
rafales dépasse rarement vingt-quatre ou quarante-
huit heures. J’ai été plusieurs fois surpris par des coups
de kamsin qui soulevaient autour de moi des tourbil-
lons de cailloux , qui m’auraient immanquablement
meurtri,si je ne m'étais dérobé à leurs terribles atteintes.
Le peuple croit, en Égypte, que le kamsin com-
inence régulièrement chaque année le deuxième jour
de la Pâque : c’est une erreur. La Pâque n'arrive pas
tous les ans à la même époque; le kamsin commence
donc , périodiquement il est vrai, mais à des époques
indéterminées, aux environs de l’équinoxe.
19. Nessim ou séphyr. — La veille du jour où le
kamsin est attendu, musulmans, juifs et chrétiens :
tous quittent l'enceinte de la ville pour aller respirer
les dernières haleines du salutaire nessim. Ils croient,
par ce moyen, se prémunir contre ie vent malfaisant
du midi.
29. Brouillards. — En hiver et à d’autres époques
rares, Indéterminées, 1l se forme des brouillards quel-
quefois si épais, que l’on peut à peine distinguer les
objets à quelques pas de distance. On se croirait trans-
104 APERÇU PHYSIQUE.
porté alors sous le ciel brumeux de Paris ou de Lon-
dres. Mais ce phénomène est de courte durée, sous
l'active influence du soleil de l'Égypte.
91. Nuages. — Dans la même saison, le ciel se
couvre de nuages , qui disparaissent le plus souvent
dès l'aurore. Leur passage se fait ordinairement du
nord au sud. Leur présence est signalée quelquefois
par des éclairs et des bruits de tonnerre qui frappent
l'imagination superstitieuse de l'Égyptien ; et il arrive
parfois que l'étranger, dans ces moments de convulsion
de la nature, soit lui-même involontairement ému et
se trouve rappelé à des regrets de patrie.
29, Rosées. — Les rosées, rares en hiver, abon-
dent en été, surtout dans la basse Égypte, pendant
que soufflent les vents d’ouest et du nord qui appor-
tent les évaporations des eaux de la Méditerranée.
Elles disparaissent avec les vents du sud, parce que
ceux-ci ne trouvent que des déserts arides sur leur
passage.
25. Nokta. — Les Égyptiens appellent nokta (goutte)
une rosée bienfaisante qui tombe dans la nuit du 17 au
18 juin , et à laquelle ils donnent la propriété de puri-
fier l'air et de faire cesser les maladies et particulière-
ment la peste.
Il est évident que le phénomène du nokta ne peut
avoir aucune influence déterminante sur l’épidémie;
sa venue est simultanée avec celle des chaleurs qui.
seules , opèrent le changement qu’on lui attribue. Les
auteurs anciens parlent de l’usage, oublié aujourd’hui,
de soumettre à l’action du nokta une portion d'argile
desséchée, dont le degré d’'imbibition indiquait le
APERÇU PHYSIQUE. 105
plus ou moins d'abondance de la crue des eaux du
Nil.
24. Humidité. — Dans la basse Égypte , il règne
constamment une grande humidité ; elle provient sans
doute du voisinage de la mer, de la nature basse du
sol que couvrent de vastes marécages , ou bien encore
des abondantes rosées qu'il recoit. Elle corrode tous
les métaux, et particulièrement le fer qu’elle oxyde
promptement. Elle rend difficile l'entretien des armes
et des instruments d'art , et détériore en peu de temps
largenterie et les vêtements brodés en or et en argent,
si l’on n’a pas la précaution de soustraire ces diverses
matières à son action. Elle diminue, à mesure qu’on
avance vers le tropique; elle acquiert son maxi-
mum d'intensité pendant la crue du Nil, époque des
rosées.
25. Poussière. — Lorsque l'humidité produite par
l’inondation et les rosées a cessé , le sol se dessèche ra-
pidement , sa surface devient friable et se résout en
poussière , qu’un ventun peu violent soulève de toutes
parts en immenses tourbillons. Cette poussière est tel-
lement fine , qu’elle pénètre dans les lieux les plus her-
métiquement fermés. Les Égyptiens peignent par une
hyperbole expressive la facilité avec laquelle cette
_ poudre importune s’introduit partout, lorsqu'ils di-
sent qu’elle peut même pénétrer à travers la coque
d’un œuf. On se rendra facilement compte de son
action délètère sur les végétaux qu’elle couvre et des-
sèche, sur les animaux, et en particulier sur l’homme,
dont elle empêche la transpiration en obstruant les
_ pores, et fatigue la respiration en s’insinuant dans les
106 APERÇU PHYSIQUE.
bronches. Enfin, elle altère les machines délicates .
celles entre autres qui sont employées à la filature
du coton, à la fabrication des tissus de soie, de
lin , etc.
26. Trombes de sable. — Il y a peu de pays où,
comme en Égypte, la poussière soit soulevée en trom-
bes par des tourbillons de vents : ces trombes forment
de gigantesques colonnes tournoyantes, qui s'élèvent
perpendiculairement jusqu'aux nues, quelquefois de-
ineurant immobiles, mais d'ordinaire marchant pen-
dant plusieurs minutes avec rapidité, jusqu’à ce qu'un
arbre, un mur, une maison, un accident de terrain
les brisent, ou qu’un moment de calme les laisse s’af-
faisser sur elles-mêmes.
27. Pluie. — On croit généralement qu’il ne pleut
jamais en Égypte : cette erreur a été répandue par
quelques écrivains modernes qui n’ont sans doute vi-
sité le pays qu'aux époques de sécheresse complète. 1!
pleut beaucoup dans la basse Égypte ; les pluies com-
mencent ordinairement dans le mois d'octobre, conti-
nuent en novembre et décembre, et finissent en mars.
Pendant cette période de temps, il y à peu de semaines
sans pluie, et on l’a vue souvent se prolonger plusieurs
jours de suite. Il pleut annuellement dans le Delta à
vingt-cinq ou trente reprises à peu près, et au Caire la
moitié moins et en moindre quantité. En 1824, il v
eut dans cette ville huit jours d’une pluie si violente,
qu’elle causa l’'écroulement de plusieurs maisons et des
dégâts de tout genre. Les pluies sont extrêmement
rares dans la haute Égypte ; elles n’y apparaissent qu'à
de longs intervalles. Cependant on a vu quelquefois,
APERÇU PHYSIQUE. 107
dans l’espace compris entre le Caire et Kenneh, des
orages, précédés par les éclairs et le tonnerre, se ré-
soudre en courtes mais abondantes ondées. Au-dessus
de Kenneh, les pluies sont des accidents encore plus
extraordinaires ; on se souvient néanmoins d’en avoir
vu tomber à Assouan.
Quelques personnes ont cru que les nombreuses
plantations, effectuées par le vice-roi, ont déjà influé
sur le climat de l'Égypte, en augmentant la fréquence
et la durée des pluies annuelles. Cette opinion ne pa-
raît pas avoir des fondements sérieux ; car en compa-
rant les tables météorologiques, dressées pendant les
trois années de l'expédition française, avec celles que
nous donnons à la fin de ce paragraphe, on voit qu'il n’y
a pas eu à cet égard de variation sensible dans une
période de quarante ans. En effet, le nombre des jours
de pluie observés pendant l’expédition française a été
en moyenne de 15 à 16; pendant les cinq dernières _
années, il a été de 192 à 15 :.
28. Gréle. — Si la grêle est rare dans la basse
Égypte, elle l'est plus encore dans l'Égypte supérieure.
Cependant les Français, qui se trouvaient à Kenneh
«en l'an VIIT, virent tomber une grêle abondante
dont les grains égalaient en volume an moins une
grosse noisette. » Depuis, diverses chutes de grêle se
? M. Jomard a traité spécialement la question des pluies dans un mé-
moire adressé à l’Académie des sciences. 1] y a établi d'une manière
irréfutable, 10 que l'erreur commune sur l'absence des pluies en Égypte
ne peut plus être soutenue ; 2° qu'il pieut aujourd'hui dans la même ine-
sure qu'il y a quarante ans, et probablement comme depuis plusieurs
siècles; 39 que les nouvelles plantations faites en Égypte sont encore saus
influence sur la quantité annuelle de la pluie.
108 APERCU PHYSIQUE.
sont succédé, à de longs intervalles, et en 1898, à
Abouzabel, nous pmes en remplir facilement plu-
sieurs vases. Nous remarquämes même des grélons de
la grosseur d'une petite noix. Il en résulta beaucoup
de dégâts dans les campagnes ; ils blessèrent quelques
individus, et tuèrent même plusieurs animaux.
29. Neige. — Pour l'Égypte, la neige est un acci-
dent encore plus extraordinaire que la grêle. On n’en
a jamais vu que sur le littoral et à peu de lieues des
divers points qui le jalonnent. Lorsqu’en 18553 la neige
tomba à Alexandrie, à Rosette et s’étendit jusqu’à
l’Atféh, les vieillards de ces contrées, interrogeant
vainement leurs plus anciens souvenirs, déclarèrent
n'avoir jamais rien vu de semblable.
50. — Je crois faire une chose agréable aux person-
nes qui désireront avoir une idée exacte et complète
de la température de l'Égypte, en imprimant ici les
observations météorologiques recueilliesau Caire, pen-
dant cinq années, par M. Destouches, pharmacien
inspecteur au service du vice-roi. Si on les compare
avec celles qui furent faites au Caire par la commission
scientifique de l'expédition française, on voit que le
climat de l'Égypte n’a pas éprouvé de variation sensi-
ble depuis une période de plus de quarante années.
Voici, par exemple, les observations thermométri-
ques de la commission réduites en degrés centigrades ;
elles donnent pour :
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Mars.
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On se convaincra par les tableaux suivants que le
thermomètre présente toujours, en moyenne, à peu
près les mêmes chiffres.
Il sera facile de juger par induction, d’après ces
données, de l’intensité de la chaleur dans les lieux
exposés au soleil. A Syène, à la limite extrême de la
haute Égypte, le thermomètre centigrade s'élève de 60
à 70 degrés dans les sables et au soleil. Au Caire, dans
les mêmes circonstances, il monte jusqu’à 45 et 50.
Nota. Les chiffres des colonnes comprises sous le titre
de vents et d'état du ciel indiquent le nombre des modifi-
cations atmosphériques désignées qui ont eu lieu pendant
chaque mois. Ces chiffres prouvent l’extrème mobilité
des phénomènes météorologiques qui constituent le climat
de l'Égypte.
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116 APERCU PHYSIQUE.
Ç IV.
LE NIL.
Noms donnés au Nil et honneurs qui lui furent rendus par les anciens
Égyptiens. — Sources du Nil. — Cataractes. — Lit. — Rives. — Grues.
— Débordements., — Inondations. — Coupe du kalisch. — Courants.
— Volume d'eau. — Nilomètre. — Retrait des eaux. — Filtration. —
Qualité des eaux.
51. Noms donnés au Nil et honneurs qui lui furent
rendus par les anciens Égyptiens. — Le Nil doit son
nom actuel à l’un des rois de l’antique Égypte, Nilus,
qui fit exécuter plusieurs travaux importants pour l’é-
conomie de ses eaux. Il était connu auparavant, par les
Grecs, sous le nom d’Ægyptus qu'il tirait aussi de celui
d’un pharaon. Pleins de reconnaissance pour les bien-
faits de ce majestueux courant, auquel l'Égypte devait
à la fois l'existence et la fertilité de son sol, les prêtres
l'appelaient Horus et Zéidorus, mots qui signifiaient
soleil et fertilité. Vivement frappés des merveilles que
le Nil présentait sans cesse à leurs yeux, ils proclamè-
rent que l’humidité était le principe de toutes choses ;
ils virent dans leur fleuve sacré une image sensible
d’Ammon, leur divinité suprème. Ils lui rendirent un
culte pompeux; une ville fut fondée qui porta son*
nom ; elle renfermait un temple élevé en son honneur.
Le Nil y était représenté sous la forme d’un vieillard.
Sa statue avait été taillée en marbre noir, à cause de
l’origine éthiopienne de ses eaux. La tête couronnée
d'épis , il s’appuyait sur un sphinx ; un crocodile, un
APERÇU PHYSIQUE. 117
hippopotame , un dauphin étaient couchés à ses pieds.
Seize enfants, dont les gracieuses attitudes rappelaient,
par un ingénieux et poétique symbole, les heureux
effets des crues du fleuve lorsqu'elles arrivaient à la
hauteur de seize coudées, se pressaient en cercle autour
de lui.
52. Sources du Nil. — Divers souverains de l’anti-
quité, Sésostris, Cambyse, Alexandre, les Ptolémée,
César et Néron firent faire des recherches pour décou-
vrir les sources du Nil. Toutes les tentatives furent
inutiles. Aussi les anciens avaient-ils caractérisé les
entreprises sans issue par ce proverbe : Caput Nili
queærere. Les voyageurs modernes , malgré tous leurs
efforts, ne sont pas parvenus encore à faire mentir celte
épigramme. L'opinion la plus généralement admise est
que les sources du Nil sont situées dans les montagnes
de la Lune (Gebel-el-Gamar). En s’éloignant de ses
sources supposées, le Nil, qui porte d’abord le nom de
fleuve Blanc (Bahr-el-Abyad), reçoit par la rive orien-
tale, dans le Sennaar, à environ cent quatre-vingts
lieues d’Assouan , le fleuve Bleu (Bahr-el-Azrek), que
quelques voyageurs avaient pris pour le Nil lui-même,
et plus bas le Tanaze ou Artaboras. Cette rivière est le
dernier de ses affluents. Depuis le lieu où il reçoit ses
eaux jusqu’au Delta , c’est-à-dire pendant une étendue
de quatre cent cinquante lieues, le Nil n’est alimenté
par aucune rivière, « exemple unique dans l’histoire
hydrographique du globe, » dit M. de Humboldt.
55. Cataractes. — Les cataractes du Nil ont jou:
pendant longtemps d’une renommée fabuleuse ; celle
de Syène surtout dépassait en célébrité les autres acci-
118 APERÇU PHYSIQUE.
«dents de même nature que l’on rencontre en remon-
tant le cours du fleuve. Cicéron et Sénèque n’hésitaient
pas à rapporter que cette chute d’eau était si considé-
rable, que le fracas qu’elle faisait frappait de surdité les
habitants du voisinage. On a eu, même dans des temps
peu éloignés de nous, une opinion aussi exagérée de
son importance.
La première cataracte, la seule dont nous devions
nous occuper puisque les autres ne se trouvent pas en
Égypte, est formée par une montagne transversale que
le Nil a dù couper, dans le principe , pour se frayer un
chemin. Pendant une étendue d’environ deux lieues,
ie cours du fleuve est barré par des blocs de granit
dont plusieurs s'élèvent à pic à une grande hauteur,
dont quelques-uns forment des îles assez considéra-
bles et le plus grand nombre des écueils. Déchiré par
tous ces obstacles, le fleuve refoule ses ondes, les divise
avec violence, ou les roulant par-dessus les rochers les
plus bas, forme de petites cascades ; on entend d’assez
join le bruit des eaux qui se brisent, tombent, tourbil-
lonnent et s’engouffrent. Ce passage serait très-dange-
reux pour la navigation, si une espèce de chenal n’avait
été pratiqué dans la rive gauche; pendant les hautes
eaux , tous les écueils de cette rive sont recouverts;
durant les basses eaux , les barques remontent le cou-
rant à la cordelle et en serrant de près la côte ; en le
descendant elles sont entrainées avec rapidité.
34. Lit. — À partir de la première cataracte, le Nil
coule du midi au nord pendant 216 lieues jusqu’à
% lieues au-dessous du Caire, où il se partage en deux
grandes branches. L’une se porte vers le nord-est, et
APERÇU PHYSIQUE. 119
l'autre vers le nord-ouest, directions qu'elles suivent
jusqu’à la Méditerranée, où elles forment : celle-ci, la
bouche de Rosette; celle-là, la bouche de Damiette,
après avoir baigné les murs de ces deux villes et avoir
parcouru chacune une ligne d'environ 30 lieues *. Le lit
du fleuve est entièrement composé de sable et d’argile,
sa largeur et sa profondeur ne sont pas à beaucoup
près les mêmes partout; tantôt 1l estresserré et profond;
tantôt 1l s'étend sur un espace de plus d’un quart de
lieue , guéable quelquefois sar presque toute sa lar-
geur.
55. Rives. — Plus on avance vers la première cata-
racte , plus Pélévation des rives du Nil sur le niveau de
ses eaux est sensible. Durant les basses eaux, elle est,
dans l'Égypte supérieure, de 53 à 40 pieds. Elle est de
20 à 25 aux environs du Caire et va en diminuant pro-
gressivement jusqu'aux bords de la Méditerranée, où
elle s'’annule. Mais à l’époque des crues, les eaux font
disparaître ces divers degrés d’élévation, et souvent
elles atteignent et inondent les surfaces les plus éle-
vées. Subordonnées à la nature du sol, à la force du
courant et à la manière dont les eaux les frappent, les
rives du Nil se détachent, coupées tantôt à pic, tantôt
à talus plus ou moins inclinés.
Elles ne sont pas comme celles de nombreux fleuves
1 On sait que dans l'antiquité le Nil avait sept embouchures qui étaient,
d’orient en occident : 19 la branche Pélusiaque ou Bubastique ; 2° la
branche Tauitique ou Saïlique, aujourd'hui confondue dans le lac Men-
zalch ; 3° la branche Mendézienne ou de Dibeh, également contenue dans
le lac Menzaleh ; 4° la branche Phatnitique ou Bucolique, qui est celle de
Damiette ; 5° la branche Sébennitique ou de Bourlos ; 6” la branche Bolbi-
tine vu de Rosette ; 7° la branche Canopique ou d’Aboukir.
120 APERÇU PHYSIQUE.
d'Europe garnies d'arbres et de plantes aquatiques;
cependant des groupes de palmiers, d’acacias, de
müriers , etc., les ornent par intervalles et charment
les regards du voyageur, soit qu'ils forment les ave-
nues des habitations , ou que, disposés en cercle
autour des sakiès : , ils protègent de leur ombrage
l’homme et les bestiaux, occupés à déverser dans les
champs l’eau fécondante du fleuve béni.
Le Nil baigne les pieds de presque toutes les villes,
des principaux villages dans la haute Égypte et dans
une partie de l'Égypte inférieure ; ses rives sont jalon-
nées de hameaux placés à des distances très-rappro-
chées les unes des autres : situation qui offre un as-
pect assez riant, et donne au voyageur la facilité de se
procurer les objets indispensables à la subsistance
journalière. k
36. Crues. — Comme tous les fleuves intertropi-
caux, le Nil grossit toutes les années après le solstice
d'été. On s’est beaucoup occupé des causes de ce phé-
nomène régulier , annuel, fécondant. Celles qu’on lui
donnait jusqu’à présent étaient loin d’être les vérita-
bles. On croyait que les nuages qui traversent l'Égypte,
chassés par les vents du nord, étaient ceux qui allaient
s'accumuler vers les montagnes de la chaîne éthio-
pienne, et là, se résolvant en pluie, formaient de la
réunion de leurs eaux, écoulées par différents ver-
sants , les crues annuelles du fleuve. On était allé jus-
qu’à prétendre que les vents du nord, indépendam-
ment des nuages qu'ils amenaïent, étaient aussi la
? Puits à roue dont il sera parlé dans le courant de cet ouvrage,
APERÇU PHYSIQUE. 121
cause des crues. D’après cette opinion, ces vents refou-
leraient les eaux du Nil vers le sud, c’est-à-dire en
sens inverse du courant, et celles-ci, contrariées dans
leur cours, s’élèveraient et inonderaient les terrains.
Mais il faut remarquer que les vents du nord ne règnent
qu’à l’époque à laquelle le Nil commence déjà à monter
en Égypte même, c’est-à-dire dans le mois de juillet.
A Kartoum , lieu où il se forme de la réunion du fleuve
Bleu et du fleuve Blanc, il s'élève dès le mois d'avril;
on ne peut donc supposer que les vents du nord amè-
nent en Abyssinie et dans les chaînes éthiopiques, où
se trouvent tous les affluents du Nil, les vapeurs aux-
quelles on attribue l’augmentation des eaux du fleuve.
D'ailleurs, et ceci tranche la question, aucun des légers
nuages que l’on voit passer, en Égypte, dans la direc-
ton du nord au sud, n’atteint la Nubie. Ils sont tous
dissipés avant d’arriver à Dongolah. Il faut donc cher-
cher ailleurs la cause de linondation.
Dans le Sennaar , ies mois d'avril, de mai et de juin
amènent des pluies sans interruption. À cette époque,
le vent souffle dans la direction du sud-est. Chaque
jour , vers midi, les nuages s'accumulent de ce côté de
l'horizon. Pendant toute la soirée, et jusqu’à deux
heures du matin il fait un temps affreux. Le vent mu-
git avec impétuosité; le tonnerre fait entendre sans
repos d’horribles roulements , et la pluie tombe avec
violence. Ce temps continue, dans le Sennaar, jusqu’à
la fin du mois de juin, et ce n’est que lorsque l’inon-
dation y est pour ainsi dire complète, que les pluies
se répandent ; or, on a observé qu’elles ne font jamais
monter les eaux , mais servent seulement à les entre-
1. il
122 APERÇU PHYSIQUE.
tenir pendant quelque temps :. Ce n’est donc pas là
encore la cause de ce phénomène.
L'opinion la plus vraisemblable et qui a prévalu au-
jourd'hui, est que les crues proviennent des orages
formés par les vapeurs de l'océan Indien, poussées
vers l’Abyssinie par un vent de sud-est, et retenues
dans cette région par la haute chaine de montagnes
où elles tombent en pluie.
Les premières eaux qui grossissent le Nil passent à
Kartoum, comme je l'ai dit plus haut, dans les pre-
miers jours d'avril; tandis qu’au Caire ce n’est que
dans la dernière quinzaine de juin que l’on remarque
une légère augmentation dans le volume du fleuve.
Elles mettent donc environ trois mois à faire à cette
époque un chemin d’à peu près quatre cent quatre-
vingis lieues, que la vitesse du courant leur permettrait
de parcourir en un peu plus d’un mois. Mais on s’ex-
plique aisément ce retard, en songeant aux diverses
saignées, aux infiltrations nombreuses qui dérobent au
fleuve ses premières eaux, avant qu'il n'arrive dans la
moyenne et la haute Égypte.
Les crues n’ont pas toujours lieu d’une manière gra-
duelle , régulière ; souvent elles s'élèvent considérable-
ment {out à coup , pour demeurer stationnaires, di-
minuer et augmenter de nouveau. Quelquefois leur
progression est extrêmement rapide, inappréciable.
Dans la moyenne et la basse Egypte, les eaux com-
mencent à s'élever vers la fin de juin ou le commen-
1 Les crues, dans le Sennaar,ne se déversent pas sur le terrain, comme
en Égvpte ; les eaux restent dans leur lit.
#
APERÇU PHYSIQUE. 125
cement de juillet ; elles atteignent leur plus haut degré
d’élévation à la fin de septembre ou au commencement
de juillet ; elles atteignent leur plus haut degré d’élé-
vation à la fin de septembre ou au commencement .
d'octobre , et arrivent à leur étiage aux mois de mars,
avril et mai.
51. Inondations. — Ceux qui ne connaissent VÉ-
gypte que de nom croient que le Nil déborde et inonde
les campagnes comme un déluge; mais loin de là :
l’inondation s'opère presque partout au moyen de ca-
naux irrigateurs, qui portent les eaux dans l’intérieur
des terres. L’inondation n’est presque jamais générale;
les eaux sont réparties, distribuées sur une surface
plus ou moins étendue et circonscrite par des digues,
d’où on les laisse s'échapper par divers points, lorsque
les premières terres ont été suffisamment abreuvées. Il
est peu de terrains qui soient arrosés par la spontanéité
des eaux ; l’homme n’abandonne presque rien au ca-
price du fleuve.
58. Coupe du Kalisch. — Lorsque le Nil arrive au
point voulu pour l’inondation, qui a lieu ordinairement
du 15 au 20 août, on procède avec pompe à l’ouverture
du Kalisch ou canal qui traverse le Caire et va se ré-
pandre, avec ses diverses ramifications, sur une grande
partie des provinces qui bordent la rive orientale de
la branche de Damiette. La veille du jour de la grande
solennité, dans la nuit, mille clartés, mille feux artifi-
ciels, représentant divers emblèmes, éclatent et se mé-
lent aux détonations du salpêtre, au bruit des fan-
fares et aux chants retentissants de l’Arabe. A côté du
canal, des barques resplendissantes de lumières et
124 APERÇU PHYSIQUE.
richement pavoisées sillonnent les eaux du fleuve,
descendent ou remontent son courant. Le lendemain .
les troupes sont sous les armes ; on pointe le canorm
sur la digue; on jette dans l’onde l'emblème du sacri-
fice humain ; le feu du canon fait tomber la digue, et
les eaux du Nil se précipitent en bouillonnant dans le
canal !.
1 D’anciens auteurs ont prétendu que, dans l'antiquité, pendant la
célébration de cette fête, les Égyvtiens offraient au Nil, en sacrifice, un
Jeune garçon et une jeune fille parés de fleurs.
On a refusé d'ajouter foi à l'existence d'une coutume aussi barbare chez
un peuple éclairé comme l'était le peuple égyptien. On a pensé que les
historiens qui l’ont accusé de faire au Nil ces odieux sacrifices humains
avaient été induits en erreur par un usage analogue à celui qui existe
aujourd’hui encore, et qui consistait à jeter dans le fleuve, avant l'ou-
verture du Kalisch, une espèce de simulacre humain couronné de fleurs.
Quoi qu'il en soit, et quoiqu'il paraisse certa'n que la coutume des sacri-
Sces humains n’a pas été pratiquée, au moins du temps des Grecs et des
Romains, un historien arabe, Mustany, raconte que l'année où Amrou fit
la conquête de l'Égypte, le Nil n'ayant pas crü dans la saison accoutumée,
les chefs du peuple vinrent trouver ce conquérant et le prièrent de leur
permettre, suivant l'usage antique, de parer une jeune vierge de riches
vêtements et de la jeter dans le fleuve : le général mahométan s’y opposa
fortement. Mais la crue du Nil ne s'étant pas manifestée pendant les trois
mois qui suivirent le solstice d'été, les Égyptiens alarmés vinrent le
solliciter de nouveau : il éerivit à Omar pour lui rendre compte de cet
événement. Le calife lui répondit : « O Amrou, j'approuve votre conduite
et la fermeté que vous avez montrée; la loi mahometane doit abolir ces
coutumes barbares. Lorsque vous aurez lu cette lettre, jetez dans le
iieuve le billet qu'elle renferme. »
Amrou y trouva ces mots :
« Au nom de Dieu, clément et miséricordieuz, le Seigneur répande sa
bénédiction sur Mahomel et sur sa famille! Abd-Allah-Omar, fils de
Khettäb, prince des fidèles, au Nil: Si c’est ta propre vertu qui te fait
couler jusqu’à nos jours en Égypte, suspens ton Cours; mais si c’est par
la volonté de Dieu tout-puissaut que tu l’arroses de tes eaux, nous le
supplions de l’ordonner de les répandre encore. La paix suit avec le
vrophète. Le salut et la bénédiction reposent sur sa famille! »
Aussitôt, continue l'historien, les eaux moutèrent de plusieurs coudées.
APERÇU PHYSIQUE. 125
59. Courant du Nil. — La pente du terrain où
roule le fleuve, depuis Assouan jusqu’à la mer, est peu
considérable. À deux cent cinquante lieues de son em-
bouchure, à cinq lieues au-dessous d’Assouan, 1l est
élevé de 5453 pieds au-dessus du niveau de la Méditer-
ranée ; à Thèbes (cent quatre-vingts lieues de l’'embou-
chure), de 557 pieds ; à Syout (cent vingt-cinq lieues),
de 287 pieds; et enfin au Caire, où il n’est plus qu’à
cinquante lieues de la mer, sa hauteur est, dans les
hautes eaux, d'environ 40 pieds. Le Nil parcourt trois
milles à l’heure dans la période de sa crue, deux
milles durant les basses eaux. Les sinuosités qu’il est
obligé de décrire, les obstacles qu’il rencontre, la lar-
geur plus ou moins considérable de son lit diminuent
ou augmentent la rapidité de son courant.
40. Volume d’eau. — Dans la période du déborde-
ment, comme dans celle de l’étiage du Nil, une grande
partie de ses eaux va se perdre dans la Méditerranée,
et de nombreuses terres restent stériles par l'effet de
la profondeur du lit du fleuve, et du manque de
moyens artificiels pour les élever au-dessus des rives
er les rendre profitables à l’agriculture. D’après les
calculs exacts faits par M. l’ingénieur Linant, voici
quels sont les volumes d’eau que le Nil roule, pendant
vingt-quatre heures, dans les basses et les plus hautes
eaux.
Basses eaux.
Metres cubes,
Par la branche de Rosette. . . 79 552 551,798
Id, de Damiette. . 71 055 840,640
150 566 592,568
11
120 APERÇU PHYSIQUE.
Hautes eaux.
Métres cubes.
Par la branche de Rosette. . 478 517 858,960
Id. de Damiette. . 997 196 898,480
705 514 667,440
Ce serait ici le lieu, sous un certain rapport, de
parler du barrage du Nil; mais j'ai préféré traiter ce
sujet dans le chapitre consacré aux travaux publics
actuels, auquel je renvoie le lecteur.
41. Nilomètre (mekyas). — L'inondation ayant tou-
jours été pour l'Égypte un événement vital, on a eu
de tout temps intérêt à mesurer les crues. Aussi les
anciens Égyptiens avaient-ils établi des nilomètres sur
divers points du cours du Nil, pour connaître d'avance,
à la hauteur de ses eaux, si l’inondation serait favora-
ble ou non à l’agriculture ; il en existait un à Memphis
et un autre à Philæ, dont on voit encore les ruines. Le
seul monument de ce genre , que contienne actuelle-
ment l'Égypte, est situé dans l'angle sud de la petite
ile de Raoudah, placée en face du vieux Caire, et qui
doit son nom poétique (parterre de fleurs) à sa fertilité.
Les Arabes appellent ce nilomètre m#ekyas (instrument
de mesure). Le mekyas de Raoudah consiste en une
colonne de marbre blanc, élevée au centre d’un puits
carré, dans lequel une ouverture est pratiquée aux
eaux du Nil, et dont on peut atteindre le fond au
moyen d’escaliers établis sur ses parois. La colonne,
taillée à huit pans, est graduée en seize divisions nom-
mées coudées. La coudée égyptienne, qui se divise en
APERÇU PHYSIQUE. 127
six palmes de quatre doigts, équivaut, d’après une éva-
luation faite pendant l'expédition d'Égypte, à 540 mil-
limètres. En rapportant le mouvement du Nil à la
graduation de ce nilomètre, on reconnait que le fleuve,
qui ne descend presque jamais au-dessous de la troi-
Sième coudée, doit monter de vingt-quatre à trente
doigts au-dessus de la seizième , c’est-à-dire couvrir le
chapiteau, pour annoncer le plus haut point d’abon-
dance ; ce qui constitue une crue effective de treize
coudées trois quarts, équivalant à vingt-trois pieds.
Pendant l’époque d’ascension des eaux du fleuve, des
crieurs publics vont annoncer dans les rues du Caire
les degrés qu’elles atteignent successivement. !
Le mekyas de Raoudah fut fondé par le calife om-
miade Soleyman, l’an 97 de l'hégire. Le calife abasside
El-Mamoun le fit reconstruire l’an 199 de l'hégire ;
des inscriptions placées dans l'intérieur de la colonne
constatent cette restauration. Un autre calife, Mos-
tanser-Billah, le répara dans la suite, et le couvrit
d’un dôme qu’il fit soutenir par des colonnes. Les ma-
meluks le dégradèrent pendant l’expédition francaise.
Mais nos ingénieurs le réparèrent à leur tour, et déco-
rèrent d’un portique son entrée extérieure ; ils gravé-
1: L'usage des criées publiques, sur lesquelles se basent chaque annee
les espérances du peuple égyptien, remonte à la plus haute antiquité. Les
Arabes auraient voulu l’abulir lors de la conquête. Il arrivait en effet
que, lorsque les crues n’atteignaient pas la hauteur regardée comme ia
seule propre à amener une bonne récolte, la population s’effrayait
d'avance, se désespérait d’une manière fâcheuse, et que le commerce se
trouvait dangereusement troublé. Quelque foudés que fussent leurs mo-
tifs, les Arabes n’osèrent pas aller violemment, sur ce point, à l’encontre
de l'opinion populaire. Celle-ci entoure le mekyas d'un respect religieux,
128 APERÇU PHYSIQUE.
rent, au-dessus de la porte, une inscription en arabe
et en français , indiquant l’époque de cette nouvelle
restauration.
42. Retrait des eaux. — Les semailles suivent .
comme nous l’avons déjà dit, le retrait artificiel ou
spontané des eaux ; la végétation s’opère alors avec unc
rapidité prodigieuse ; la nature et l’homme ont paré la
campagne des plus riches couleurs. Le sol, inculte
lui-même, n’est point insensible à l'influence bienfai-
sante du Nil. Dans les grandes inondations , les eaux
atteignent quelquefois le désert, et là où il n’existe
pas un atome de terre végétale, des plantes succèdent
à leur action immédiate, et la culture s'empare des
régions où elles arrivent.
45. Filtrations. — La fécondation des terres n’a
pas lieu par l'action exclusive des débordements du
Nil. S'il en était ainsi, il n’y aurait qu’une seule récolte,
et beaucoup de plantes acquerraient difficilement leur
développement nécessaire. La filtration est le plus
puissant auxiliaire de la végétation ; elle s'opère en
passant à travers les couches légères, sablonneuses,
sous-jacentes des terrains cultivables. Elle est due à la
pression que les eaux du fleuve exercent sur les rives.
à la pente et à la nature poreuse du terrain qu’elles
rencontrent. Son action est d'autant plus forte que le
volume d’eau du Nil est plus considérable. Lorsqu'elle
a lieu, il s'établit sur les rives deux courants qui sui-
vent une direction inverse ; l’eau pénètre insensible-
ment plus avant dans l'intérieur, elle s'étend jusqu’au
pied des montagnes, et ce n’est que lorsque la filtra-
tion est complète que la masse du liquide établit son
APERCU PHYSIQUE. 129
niveau. À l’époque de la baisse du Nil, la filtration à
lieu en sens contraire, c’est-à-dire que les eaux qui
infiltraient la rive descendent en même temps que
celles du fleuve ; et les terrains atteints les derniers par
Pinfiltration sont aussi les derniers à se dessécher.
Les eaux qui remplissent les canaux pendant l’inon-
dation, et qui y sont retenues par des barrages lors-
que le volume du Nil diminue, maintiennent encore
la filtration, après que le fleuve ne l’alimente plus di-
rectement. La filtration est exploitée au profit de Pa-
griculture par des puits à roue appelés sakiès, creusés
en grand nombre dans l’intérieur des terres, et dont
nous parlerons dans le paragraphe consacré à lagri-
culture.
44. Qualités des eaux du Nil, — Troubles à l’épo-
que de la crue, elles déposent facilement les matières
argileuses qu’elles contiennent en suspension et se
clarifient ainsi peu à peu. Elles ont une saveur agréa-
ble et ne dérangent jamais l'exercice des fonctions di-
gestives. Extrêémement légères, on peut en boire à sa-
tiété sans que mal s’ensuive ; elles passent facilement
par la transpiration et les urines. L'analyse chimique
a fait reconnaître qu’elles sont d’une grande pureté,
qu’elles sont très-bonnes pour la préparation des ali-
ments et même pour les arts chimiques. Elles peuvent
remplacer l’eau de la pluie et l’eau distillée , difficile à
obtenir en grande quantité dans une région où les com-
bustibles sont rares.
Les anciens ne se contentaient pas de rendre hom-
mage à la bonté des eaux du Nil ; ils lui attribuaient
encore des propriétés mystérieuses. Si l’on en croit
150 APERÇU PHYSIQUE.
Pline, elles avaient la vertu de rendre les femmes fé-
condes ; et c’est pour cette raison sans doute que Ptolé-
mée Philadelphe avait soin d'envoyer à sa fille Bérénice,
qu'il avait mariée à Antiochus, roi de Syrie, de l’eau du
Nil pour qu’elle en fit sa boisson exclusive. Le grand
honneur dans lequel l’eau du Nil était tenue dans l’anti-
quité lui a été continué encore dans les temps moder-
nes. Pendant longtemps on en a toujours entretenu à
Constantinople un approvisionnement, à l'usage des
sullans et de leurs familles.
M:
\
J
LACS DE L'ÉGYPTE.
Classification. — Le Maréotis. — Le Mahdveh.— L'Edkou. — Le Bourlos.
— Le Menzaleh. — Le Birket-el-Balah. — Le Sebakah Bardoual. — Le
lac Amer. — Les lacs de Natron. — Le Birket-el-Keroun. — La vallée
du Fleuve sans eau.
45. — On compte en Égypte dix lacs, dont sept
communiquent avec la Méditerranée.
Ceux-ci sont :
1° Le Boheyreh-el-Maryout, ancien lac Maréots;
9 Le lac Mahdyeh ou d’Aboukir ;
5. Le lac d'Edkou ;
4 Le lac Bourlos ;
5° Le lac Menzaleh;
6° Le Birket-el-Balah (étang des Dattes) ;
7° Le Sebakah Bardoual, ancien lac Sirbon.
Les trois autres sont :
8° Le lac Amer ;
ge Les lacs de Natron ;
APERÇU PHYSIQUE. 151
10° Le Birket-el-Keroun, ancien lac Mæris.
46. Lac Maréotis (PBoheyreh-el-Maryout). — Le
lac Maréotis, le premier que l’on rencontre sur la base
du Delta en venant de l’ouest , est situé entre la Tour
des Arabes et Alexandrie, dont il fertilisait autrefois
les environs. Ce lac contenait encore au xvr° siècle des
eaux douces que lui apportaient des canaux du Nil.
Mais limpéritie et la fatale insouciance du gouverne-
ment des mameluks le laissèrent se dessécher. Lors-
que l’armée française descendit en Égypte, le Maréotis
n’était plus qu’une plaine sablonneuse, dont la partie
la plus basse retenait les eaux de la pluie, qui y
séjournaient une grande partie de lhiver. Mais, le
4 avril 1801, l’armée anglo-turque coupa les digues du
canal d'Alexandrie vers l'extrémité occidentale du lac
Mahdyeh : les eaux de ce lac, aussi salées que celles de
la mer, se répandirent successivement par trois ou
quatre ouvertures dans le Maréotis, et mirent soixante-
six jours à le remplir. Le déluge provoqué par les An-
glais submergea quarante villes et les terres cultivées
qui les entouraient *.
4T. Boheyreh Mahdyeh. — Ce lac tire son nom d’un
passage d’eau ? situé sur la route d'Alexandrie à Ro-
1 Mchémet-Ali a fait barrer la communication du lac avec la mer. Le
Maréotis ne reçoit plus que les eaux pluviales et les surverses du canal
Mahmoudieh. Ces eaux couvrent sa surface pendant l'hiver. Mais, en
été, elies s’évapcrent, et, le fond du lac ayant été longlemps imprégné
par les eaux de la mer, elles laissent sur lui une couche saline assez
épaisse qui lui donne l'aspect d'un terrain couvert de neige. Le sel, qui
se cristallise ainsi, est exploité. Le vice-roi a conçu le projet de remettre
ea culture le sol du Maréotis,
? Mahdyzch veut dire en arabe passage d'eau.
152 APERÇU PHYSIQUE.
sette, par lequel il communique avec la mer. Il est si-
tué entre Aboukir et le lac d'Edkou. Il est salé et de
formation nouvelle. Le détroit par lequel il se lie à la
mer occupe à peu près l'emplacement de l’ancienne
bouche Canopique. On trouve sur la langue de terre
sablonneuse qui le sépare de la Méditerranée des ves-
tiges d’une digue longue de 5,000 mètres, que cette
mer rompit en 1715, époque à laquelle elle commença
à submerger le Mahdyeh. Ce lac offre une surface
de près de 14,000 hectares.
48. Lac d’'Edkou. — Il tire son nom d’un village
situé sur ses bords ; il est placé entre le Mahdyeh et la
branche de Rosette. Les eaux du Nil l’alimentent. Ii
était presque entièrement desséché à l’époque de l’ex-
pédition française, parce que les digues des canaux qui
le remplissent n'avaient pas été ouvertes depuis long-
temps. L’une de ces digues fut rompue en 1800 ; mais
l'inondation fut si abondante que les eaux du lac s’é-
levèrent de 50 à 60 centimètres au-dessus du niveau
de la mer et s'ouvrirent une bouche d’environ 150 mè-
tres de largeur. La superficie de ce lac est d’un peu
moins de 54,000 hectares.
49. Lac Bourlos. — Le lac Bourlos occupe la base
du Delta et s'étend d’une branche du Nil à l’autre. Ce
lac est peu profond. Il recoit divers canaux et commu-
nique avec la mer par une ouverture; il a environ
25 lieues de iongueur. Sa surface est de 112,000 hec-
iares.
30. Lac Menzaleh. — Le lac Menzaleh s'étend de-
puis Damiette jusqu'aux ruines de Péluse. Sa plus
grande dimension est de près de 84,000 mètres; sa
APERÇU PHYSIQUE. 133
plus petite, de 22,000 , et sa surface, de 184,000 hec-
ares. Il communique avec la mer par deux bouches
patricables, celles de Dibéh et d'Omm-Sarèdj, dans les-
quelles on a reconnu les bouches Mendésienne et Ta-
nitique des anciens. Ses eaux sont d’une saveur moins
désagréable que celles de la mer; elles sont potables
pendant l’inondation du Nil, qui leur verse alors les
siennes par le canal de Moeys.
51. Birket-el-Balah (étang des Dattes). — On ap-
pelle ainsi des lagunes, espèces de marécages formés
par le lac Menzaleh dans sa partie méridionale. Elles
eccupent une superficie d'environ 15,000 hectares.
52. Sebakah Bardoual. — C’est le nom moderne du
lac Sirbon, situé à l’est des ruines de Péluse et dans le
voisinage d’El-Arisch, le long de ja côte maritime. Les
descriptions que nous en ont laissées Strabon et Dio-
dore de Sicile sont encore applicables à son état actuel.
Diodore nous dit que « des corps d'armée ont péri
faute de connaître ces marais profonds, que les vents
recouvrent de sables qui en cachent les abimes. Le
sable vaseux, ajoute-t-il, ne cède d’abord que peu à
peu sous les pieds, comme pour séduire les voyageurs,
qui continuent d'avancer jusqu’à ce que, s'apercevant
de leur erreur, les secours qu’ils tâchent de se donner
les uns aux autres ne peuvent plus les sauver. Tous les
cfforts qu'ils font ne servent qu’à attirer le sable des
parties voisines, qui achève d’engloutir ces malheu-
reux voyageurs. C’est pour cela qu’on a donné à cette
laine fargeuse le nom de Barathrum, qui veut dire
abime, »
55. Lac Amer, — Situé vers le milieu de Pisthme
1. 12
154 APERCU PHYSIQUE.
de Suez, ce lac, sur l'emplacement duquel la mer
Rouge a dù autrefois étendre ses eaux, servit de trans-
ition pour l’ancien canal qui faisait communiquer la
mer Rouge au Nil.
54. Lacs de Natron. — À douze heures de marche
à l’ouest du village de Terraneh, dans la basse Égypte,
on rencontre une vallée dont la partie basse renferme
quelques lagunes qui prennent leur nom de lacs de
Natron d'une substance salino-pierreuse qu’elles pro-
duisent.
Ces lacs sont au nombre de six. Leurs bords sont
échancrés de petits golfes d’où l’eau transsude, se
forme en fontaines et s'échappe en petits ruisseaux qui
se rendent dans le fond des bassins. Leurs bords sont
recouverts de natron.
Il est à peu près certain que le fond de ces lacs est
inférieur au lit du Nil et même au niveau de la Médi-
terranée, et l’opinion la plus probable attribue leur
alimentation aux filtrations des eaux du fleuve, à tra-
vers l’espace de dix lieues environ, qui les sépare de
leur vallée. Les hausses et les baisses des eaux des lacs
sont en effet régulières , et correspondent, en propor-
tion inverse, aux crues du Nil. C’est en hiver et pen-
dant trois mois que les filtrations du fleuve donnent
aux eaux des lacs leur volume le plus élevé.
Les divers sels contenus dans ces lacs sont des mu-
riate, carbonate et sulfate de soude : lorsque l’évapo-
ration des eaux a lieu, ces substances, qu'elles ont
amenées avec elles, se solidifient , et c’est alors l’épo-
que où elles sont exploitées.
Les eaux de deux des lacs sont colorées en rouge
APERÇU PHYSIQUE. 155
par une substance végéto-animale. Lorsqu'on les fait
évaporer, le sel marin, qui cristallise le premier,
retient celte couleur rouge, et acquiert un parfum
agréable, qui ressemble à celui de la rose.
Il y a auprès des lacs de Natron plusieurs couvents
de cophtes.
55. Lac Moœæris ( Birket-el-Keroun ). — Le lac de
l'Égypte qui offre le plus d'intérêt et sans contredit le
Birket-el-Keroun. La réputation dont il a joui pendant
l'antiquité, et les immenses services qu'il a rendus à
l'Égypte, en font l’une des particularités de cette con-
trée qui méritent le plus d’attirer l'attention.
Le lac Mœæris occupe le fond d’une large vallée cir-
culaire que la chaine Libyque forme, comme nous
l'avons déjà dit, à la hauteur de la moyenne Égypte.
Cette vallée, qui était le nome Arsinoïte des anciens
Égyptiens. s'appelle Fayoum, mot que les Arabes ont
formé de Piom et Phaïom, qui signifiaient, dans l’an-
tique langue égyptienne, lieu marécageux. Ce qui reste
de l’ancien lac est appelé aujourd’hui Birket-el-Keroun
ou lac de Caron. C’est à cet immense bassin que se
rattache la fable de Caron, le farouche nocher du Styx.
qui d’après la mythologie antique , passait aux enfers
les ombres des morts. Sans doute les anciens Égyptiens
traversaient une partie du lac pour aller déposer leurs
momies dans une nécropole, et cet usage a fourni le
prétexte d’une fable qui à joué un grand rôle dans le
polythéisme grec et romain.
Les anciens, Hérodote surtout, avaient répandu sur
l’origine du lac Mæris une erreur qui a trompé plu-
sieurs géographes modernes et qui est encore vulgaire,
156 APERÇU PHYSIQUE.
mais que la science est unanime aujourd’hui à repous-
ser. D’après l'historien grec, le roi Mæris aurait fait
creuser le lac du Fayoum , pour en faire un réservoir
propre à recevoir le trop plein des inondations sura-
bondantes du Nil, à les rendre ensuite, dans le cas
où les crues auraient élé insuflisantes, et à subvenir
en tout temps aux besoins de l’agriculture. Mais
il est évident que ce lac n’a pu être creusé de main
d'homme, car cette opération aurait exigé le déplace-
ment de plus de onze cents milliards de mètres cubes
de terres ou de roches. Hérodote basait son assertion
sur ce que deux pyramides d’une grande hauteur, dont
lune était surmontée par un colosse, s’élevaient au-
dessus des eaux. Mais on peut admettre que Meæris
profita de la disposition naturelle de la vallée de
Fayoum, dont le fond paraît inférieur de beaucoup au
lit du Nil, pour y conduire les eaux du fleuve, et qu’il
fit élever les pyramides avant d’avoir entrepris ce
magnifique travail. On peut encore supposer que ces
pyramides existaient antérieurement à Mæris.
Le lac Mæris, dont le Birket-el-Keroun n’occupe au-
jourd’hui que le bas-fond, n’avait pas moins autrefois
de soixante et quinze lieues de tour. Il recevait les eaux
du Nil par un canal, connu aujourd’hui sous le nom
de Bahr Jousseff (canal de Joseph), dont on avait frayé
l'entrée à travers la chaîne Libyque, et qui s'irradiait
sur le Fayoum en plusieurs cours d’eau qui, après avoir
fertilisé tout le terrain cultivable , allaient se perdre
dans le lac.
On n’est pas entièrement d'accord sur la voie par la-
quelle ce vaste réceptacle rendait à l'Egypte les eaux
157
APERÇU PHYSIQUE. 94
qu’il avait recues. Hérodote prétend que le même canal
qui les lui avait portées pendant six mois les rapportait
dans la vallée du Nil pendant l’autre période de l’année.
Mais il est beaucoup plus logique de penser que les
eaux s’écoulaient par le canal appelé aujourd’hui Bahr-
Bela-Ma ou fleuve sans eau *.
56. Fleuve sans eau. — La vallée du Fleuve sans
eau, liée à l’extrémité occidentale du lac Mæris, s’a-
vance vers le nord à travers le désert, et parallèlement
au cours du Nil. Elle passe à une heure et demie de
distance des lacs de Natron, et allait se terminer autre-
fois au lac Maréotis. Le lit du Fleuve sans eau, qui tire
son nom actuel de son état de sécheresse ordinaire ,
avait été creusé, tout porte à le croire, au moins en
partie. Il formait un véritable appendice du lac Mæ-
ris, un second lac à la suite du premier, et c’est de sa
formation, et non de celle du lac principal, qu'il faut
faire honneur à la puissance de l’homme. La vallée du
Fleuve sans eau présente jusqu’à trois lieues de déve-
loppement d’un bord à l'autre. Elle est aujourd’hui
stérile et ne renferme point de sources. On y trouve
beaucoup de bois pétrifié ainsi que des animaux fos-
siles.
" Je renvoie le lecteur au savant mémoire publié par M. Jomard sur le
Biket-cl-Keroun, dans le grand ouvrage sur l'Égypte. Les questions qui
se rattachent au lac Mæœris y sont traitées à fond et avec l’érudition que
l'on connaît à cet illustre membre de l’Institut,
MINÉRAUX.
Composition géologique et minéralogique des montagnes. — Granit —
Grès. — Calcaire. — Hatières apportées par les courants. — Lydienne,
brèche siliceuse agatifère , caillou d'Égypte. — Brèche verte d'Egypte.
_—— Carrèires d’albâtre. — Émerauces. — Bois pétrifié. — Pétrifications
animales. — Pierres diverses. — Métaux.— Soufre. — Huile de pétrole.
— Gypse. — Charbon fossile. — Natron. — Nitre. — Alun.
1. On peut diviser les minéraux de l'Égypte en deux
grandes sections : la première comprend ceux qui ap-
partiennent en propre à la formation primitive du sol,
et la seconde ceux qui ont été amenés par les divers
phénomènes physiques auxquels l'Égypte a dù elle-
même l'apport progressif de la plus grande partie du
terrain qui la compose.
2. Composition géologique et minéralogique des
montagnes. — La première de ces deux divisions est
exclusivement composée des minéraux que renferment
les chaines Arabique et Libyque. Ces montagnes pré-
HISTOIRE NATURELLE. 159
sentent au minéralogiste différentes espèces de grès,
de caicaires, de granits.
3. Granits. — Aux environs d’Assouan se trouvent
ces variétés de granit, si fameuses dans l'antiquité.
connues sous le nom de syénites. On trouve dans ce
banc minéralogique des syénites rose, phorphyrique ,
rose et jaune, gris , blanc et noir , gris et rose, veiné
et noir ; du gneiss phorphyrique, des granits blancs
et quartzeux. La plupart des énormes monolithes que
nous ont laissés les Égyptiens, les obélisques , les co-
losses, sont des syénites rouges ; on voit aussi beaucoup
de statues et de monuments emblématiques d’un
moindre volume en syénite noir ou gris. Cette diver-
sité de couleurs des matériaux employés dans l’an-
tique architecture de l'Égypte , produisait, par une
variété habilement combinée, les effets les plus heu-
reux.
4. Grès. — Le grès compose les montagnes qui
s'étendent depuis Assouan jusqu’à quelques lieues au
sud d’Esné, pendant un espace d'environ vingt lieues
de longueur. Les couches de grès reposent au-dessus
de toutes les autres; vers le sud elles viennent s’ap-
puyer au granit ; vers le nord elles se joignent au cal-
caire. Des poudingues grossiers les séparent du granit.
Ce grès, qui, comme on l’a fait remarquer dans les
mémoires de l’Institut d'Égypte, se rapproche, pour la
composition et l’aspect, de certains grès employés à
bâtir dans plusieurs parties de la France, s’en distingue
par un grain un peu plus gros et plus anguleux, et par
une plus grande abondance de parcelles de mica. Les
teintes qu’il affecte sont grises ou jaunâtres. Les cou-
140 HISTOIRE NATURELLE.
ches , dans les grandes carrières de Gebel Selseleh
vers le milieu des chaînes, où il est d’une qualité su-
périeure , sont formées de bancs épais. Vers le nord
et dans les parties les plus élevées, les bancs devien-
nent plus minces et ont moins d’adhérence entre eux.
Ils sont d’ailleurs superposés horizontalement ou à peu
près.
Le grès est la pierre que choisirent les anciens
Égyptiens pour leurs constructions colossales. La fa-
cilité de son exploitation , la petite distance qui sépare
ses carrières du Ni et rendait son transport économi-
que , enfin sa docilité à céder au ciseau du sculpteur,
voilà les motifs évidents de cette préférence.
5. Calcaire. — Au nord et au nord-est des terrains
de grès, les montagnes sont entièrement calcaires.
Les pyramides de Giseh et de Sakkarah ont été con-
struites avec les différentes espèces que présente cette
pierre.
G. Matières apportées en Égypte par les courants.
Les vallées, les gorges transversales qui coupent les
lignes de montagnes qui encaissent l'Égypte ont pres-
que toujours à leur confluent , dans la vallée prinei-
pale, des atterrissements formés par les courants. On y
trouve tantôt des matières meubles et sans adhérence,
tantôt des couches de poudingues et de psammites
friables , les uns quartzeux, les autres composés de
diverses matières étrangères. On rencontre parmi ces
pierres des lydiennes, pierres de touche connues dans
l'antiquité sous le nom de basanites , et des basaltes
verts et noirs, qui ont joué un rôle important dans les
monuments, On trouve encore dans diverses parties
HISTOIRE NATURELLE. 141
de l'Égypte , et surtout dans les terrains sablonneux ,
des poudingues jaspoïdes, et cette espèce de jaspe con-
nue sous le nom de caillou d'Égypte. La brèche sili-
ceuse agatifère de Syène est une pierre qui est aussi
d’un haut intérêt. La statue de Memnon, si fameuse
dans lantiquité, à été taillée dans cette sorte de brèche.
à la composition de laquelle elle dut sans doute la pro-
priété merveilleuse dont elle jouissait, de rendre des
sons harmonieux au lever du soleil *.
7. Brèche verte d'Égypte. — Cette brèche, l’une
des plus belles pierres qui existent, se trouve dans la
vallée qui unit la haute Égypte à la mer Rouge et
emprunte son nom de la ville à laquelle elle aboutit.
Kosseyr ; c’est une espèce de poudingue, formé de
fragments roulés et arrondis de granit, de porphyre
et d’une roche de couleur verte, qui se rapproche
beaucoup du pétro-silex. Elle se distingue par sa du-
reté et la vivacité de ses teintes variées. Elle n’a jamais
été très-abondante, on n’en retrouve presque plus en
: Le fait curieux qui a donné sa célébrité à la statue de Memnon a ete
confirmé dans l'antiquité par des témoignages trop nombreux et Irop
respectables pour pouvoir être mis en doute. On a cherché à en donner
diverses explications. La plus probable est celle qu'a présentée M. de Ro-
zières dans son mémoire sur [a constitution physique de l'Égypte. W est
constaté que les granits et les brèches produisent souvent un son au lever
du soleil ; et quant à la statue de Thèbes, ses rayons, dit M. Rozières,
venant à frapper le cvulosse, séchaient l'humidité abondante dont Îles
fortes rosées de la nuit avaien! couvert sa surface. et achevaient ensuite
de dissiper celle dont ces mêmes surfa ces dépolies s'étaient imprégnées.
11 résulta de la continuité de celte action que des grains ou des plaques
de cette brèche cédant et éclatant tout à coup, cette rupture subite
causait dans la pierre rigide et un peu élastique un ébranlement, une
vibration rapide, qui produisait le son particulier que faisait entendre la.
statue.
142 HISTOIRE NATURELLE.
Égypte. Plusieurs morceaux d'art, dont elle a fourni
la matière , ont été apportés en Italie. C’est dans cette
contrée qu’elle a pris le nom sous lequel elle est con-
nue actuellement : breccia verde d’Egitto. Le fameux
sarcophage d'Alexandrie a été taillé dans cette roche.
8. Carrières d’albâtre. — L'’albâtre d'Égypte a tou-
jours joui d’une grande réputation. Les anciens en
exploitaient une carrière , située entre la mer Rouge
et le Nil, à la hauteur de Minieh, à 40 lieues du fleuve
et à 15 de la mer. Ils avaient fondé auprès d’elle une
ville à laquelle ils donnèrent le nom d’Alabastropolis.
C’est cette carrière qui a fourni l’albâtre avec lequel
ont été faits les beaux vases antiques que nous admi-
rons encore aujourd'hui.
L'autre carrière est située à huit heures de marche
de Benisouef, dans la moyenne Égypte. Elle a été dé-
couverte il y a peu d'années; son gisement est très-
considérable et l’albâtre qu’elle produit est d’une
excellente qualité. Ses blocs offrent d’ailleurs l’avan-
tage, grâce à leur proximité du Nil, de pouvoir être
transportés économiquement. Le vice-roi en a com-
mencé lexploitation. 11 se sert de ses produits pour
une mosquée qu'il fait construire dans la citadelie du
Caire ; ce monument religieux est soutenu par de nom-
breuses colonnes d’albâtre d’une seule pièce, et tous
les murs en seront revêtus par des plaques de cette
roche magnifique.
9. Émeraudes. — Les anciens ont recherché et vanté
lémeraude d'Égypte par-dessus toutes les pierres
précieuses, quoiqu’elle n’occupe pas le premier rang
parmi celles-ci. C'était surtout la pureté de sa couleur
HISTOIRE NATURELLE. 145
qu'ils aimaient en elle. « La vue déjà fatiguée se de-
lasse, disait Pline , quand elle se porte sur une éme-
raude. Nulle autre gemme ne la récrée comme elle par
la suavité de sa teinte. » Aussi les anciens se plai-
saient-ils à porter l'émeraude en bague , afin de pou-
voir y jeter fréquemment les yeux. C’est aux envi-
rons de Bérénice, port sur la mer Rouge fondé par
Ptolémée Philadelphe , et à peu près sous la même
latitude que Syène, que se trouvent les riches mines
d’émeraude, exp'oitées dans l’antiquité ; elles sont si-
tuées dans le mont Zabarah. M. Caïlliaud les a retrou-
vées récemment. Il en existait une aussi sur la rive
gauche du Nil, auprès de Tantah, dans la haute Égypte.
10. Bois pétrifié. — On trouve éparses, dans les dé-
serts qui avoisinent la vallée du Nil, beaucoup de pé-
trifications ligneuses qui frappent par l’aspect primitif
qu’elles ont conservé dans leur forme et dans leur cou-
leur. A deux lieues et demie du Caire, derrière le
Mokattam, on rencontre dans une vallée sablonneuse et
sur une surface d'environ une lieue carrée, de nom-
breux fossiles végétaux, restes d’une forêt pétrifiée ;
les arbres qui la composaient paraissent avoir été des
palmiers , des sycomores et peut-être des bambous ; 1l
en est qui ont jusqu’à 80 pieds de longueur ; l’aciion
du feu a sans doute joué le principal rôle dans la trans-
formation qui a réduit cette forêt à son état actuel.
La vallée du Fleuve sans eau contient également des
bois fossiles ; il en est de même de la vallée de l'Ega-
rement qui traverse le désert Arabique, depuis les en-
virons du Caire jusqu’à la côte de la mer Rouge à
25 lieues au-dessus de Suez.
î
di
4 HISTOIRE NATURELLE.
11. Pétrifications animales. — Presque toutes les
roches de calcaires ou de grès contiennent en grande
quantité des coquilles et des poissons fossiles. On trouve
aussi ces pétrifications amalgamées dans les poudin-
gues ; mais le ciment peu tenace qui unit les éléments
de ces agrégations les laisse s’en détacher quelquefois;
et c’est ainsi qu’au pied des montagnes viennent s’a-
masser les coquilles disjointes et isolées. On en ren-
contre beaucoup en cet état dans la vallée des Tom-
beaux, située en face de Thèbes. Le désert qui avoisine
les pyramides en contient de remarquables, connues
sous le nom de cornes d’Ammon.
Lorsqu'on creuse dans les couches profondes du sol,
surtout dans la basse Égypte, on rencôntre des bancs
entiers de coquilles et d'animaux marins : preuve
frappante que la mer, dans un temps peu éloigné en-
core, couvrait ces surfaces.
La valiée de l'Égarement renferme des coquilles
numismales qui ressemblent à des pièces de monnaie,
et dont quelques-unes ne sont pas plus grosses que
des lentilles.
12. Pierres diverses. — On trouve encore, dans la
vallée de l'Égarement, des pierres à meule , des Zapis
judaica, petite pierre qui a, comme on le sait, la forme
et la grosseur d’une olive. Le mont Baram, situé à
l'est et un peu au-dessous d’Assouan, contient une
espèce de pierre dont on faisait des marmites, et qui
porte, pour ce motif, le nom de pierre ollaire.
15. Métaux. — Le sol de l'Égypte est pauvre en
métaux ; on en découvre à peine quelques vestiges. Il
ne renferme pas de minerai de fer. On sait que le Nil.
HISTOIRE NATURELLE. 145
charrie dans ses eaux quelques parcelles de ce métal.
Il existe près d’Assouan des grès ferrugineux. On a
trouvé du cuivre dans le mont Baram. M. Cailliaud en
a découvert, ainsi que du plomb, auprès de la mine
d’émeraude du mont Zabarah.
14. Soufre, huile de pétrole, gypse. — On supposait
l'existence de volcans éteints et de mines de soufre
dans la partie de la côte de la mer Rouge qui cst située
à la hauteur d’Assouan. M. Cailliaud a trouvé en effet
une mine de soufre non loin des anciennes exploitations
d’émeraudes, dans le Gebel Kebrit. — Sur la côte de
la mer Rouge, environ vers le 28° degré de latitude,
on rencontre une montagne appelée Gebel-el-Ezeit
(montagne de l'huile) au bas de laquelle est une source
d'huile de pétrole, bitume liquide qui a donné à la
montagne le nom qu’elle porte. — Il existe des gise-
ments de gypse sur différents points de l'Égypte. Ils
sont nombreux et riches, mais le plâtre qu’ils don-
nent est de nature assez commune. Sa couleur est gri-
sâtre. Il a du reste beaucoup de densité.
15. Charbon fossile. —L'Égypte ayant peu de bois,
on comprend combien il lui serait avantageux de pos-
séder des mines de houille. Rien ne prouve que l’anti-
quité en ait connu et exploité. Les savants de l’expédi-
tion française ont fait, pour en découvrir, d’inutiles
recherches. Les nouvelles explorations ordonnées par
Méhémet-Ali n’ont pas produit de plus heureux résul-
tats; on peut induire, d’après la formation géologique
du sol, que toutes les recherches que l’on fera pour
découvrir des dépôts houillers seront également in-
fructueuses.
APERÇU SUR L'ÉGYPTE À. 19
145 HISTOIRE NATURELLE.
16. Natron. — Nous avons parlé du natron que
l'on exploite dans les lacs remarquables qui ont em-
prunté leur nom à cette substance. On avait cru, jus-
qu’à l'expédition française, que le gisement du natron
était un fait particulier à ces lacs. Mais c'était une
erreur : on en a découvert, en effet, dans plusieurs
parties de l'Égypte. Le natron est exploité dans une
vallée de la haute Égypte, située à cinq lieues d’Esné.
Les plages du lac Mœæris en contiennent. Il s’en trouve
aussi aux environs d'Alexandrie, près du lac Maréotis,
et à l’isthme de Suez. Les caravanes de la Barbarie en
apportent, de même que celles du Darfour.
17. Nüitre. — Du reste, les substances salines que
le sol de l'Égypte contient en abondance sont l’une des
particularités les plus saillantes de cette contrée. II
existe plusieurs gisements de sel gemme, et entre au-
tres, dans le terrain calcaire qui formele lit du Birket-
el-Keroun. La surface du terrain renferme une si
grande quantité de principes salins, qu'il n’est pas
rare de voir, après des pluies, les murs se revêtir d’une
efflorescence nitreuse. Mais c’est surtout dans les nom-
breux décombres amassés autour des villes que le
nitre est répandu dans de fortes proportions. Son
extraction donne lieu à une exploitation importante,
qui se fait à froid sous la seule influence du soleil, tan-
dis qu’elle nécessite en Europe l'emploi du feu. Voici
comment elle a lieu : on jette dans des bassins larges
et peu profonds les décombres que l’on a amassés ; le
uitre se dissout par le lavage; l’eau à laquelle il s’est
ainsi mêle est divisée dans de nouveaux bassins, moins
profonds encore que les premiers. Là, sous laction
HISTOIRE NATURELLE. 147
d’un soleil de 40 à 50 degrés, elle s'évapore et le mitre
se cristallise. C’est M. Rafli, chimiste romain, qui, en
1820, a introduit l’usage de ce procédé. De vastes
bassins à nitre furent formés d’abord au Caire. Dans
la suite, le vice-roi en a établi encore à Giseh, à Sak-
karah, à Denderah, à Koum-Ombou, lieux où les dé-
combres abondent.
18. Alun. — On a trouvé, depuis le gouvernement
de Méhémet-Ali, des mines d’alun assez abondantes
pour alimenter non-seulement la consommation inté-
rieure, mais encore l'exportation.
19. L'Égypte ne possède pas de minéraux propre-
nent dits ; contrée éminemment agricole, 1l semble que
la nature ait voulu lui défendre de s’adonner à lin-
dustrie, en lui refusant ses auxiliaires indispensables :
la houille pour combustible, le fer et le cuivre pour
éléments des machines.
ÿ II.
VÉGÉTAUX.
Préambute. — Généralites. — Végétation des déserts, — Végétation du
sol cultivable de l'Égypte. — Jardins de Choubrah et de Raoudah. -
Jardins d'Orient — Forêts, — Acclimatation des plantes meéridionales
de FEurope. — Plantes exotiques nouvellement introduites dans Îles
jardins de leurs altesses. — Arbres indigènes. — Arbres étrangers. —
Arbres fruitiers indigènes. — Arbres fruitiers et plantes nouvellement
introduites. — Plantes céréales graminées. — Céréales non graminées.
— Légumes ou plantes potagères. — Plantes textiles ou flamenteuses.
— Plantes tinctoriales. — Plantes à graines oléifères. — Plantes four-
rageuses — Plantes uliles diverses. — Fleurs ct plantes d'agrément.
— Pâturages des déserts ei des oasis. — Plantes officinales.
90. Préambule. — Les différents écrivains de l’an-
148 ‘HISTOIRE NATURELLE.
tiquité et du moyen âge : n’ont parlé des plantes
de l'Égypte que d’une manière très-incomplète. C’est
le célèbre botaniste Delile, venu dans ce pays avec
l’expédition française, qui le premier a formé une
flore ; son important travail laisse peu à désirer. Mais
depuis, le gouvernement de Méhémet-Ali ayant établi
l’ordre en Égypte, dans les déserts qui l’avoisinent et
depuis l'embouchure du Nil jusqu’à la Nubie supé-
rieure, a permis aux naturalistes d'explorer sans
crainte toutes ces contrées et de compléter l’œuvre de
Delile. Si beaucoup de plantes avaient en effet échappé
jusqu’à ce jour à leurs investigations, c’est que le man-
que de sécurité, pour les voyages dans le désert, les
avait empêchés de poursuivre et d'approfondir leurs
recherches.
Lors de la création de l’école de médecine d'Abou-
zabel, l’enseignement de la botanique fut confié à un
élève du savant Viviani de Gênes, M. Figari, qui joint
à des études profondes un goût décidé pour cette bran-
che de l’histoire naturelle. Depuis douze ans il n’a pas
cessé de faire des recherches sur les divers points de
l'Égypte : aussi a-t-il découvert vingt-deux espèces
nouvelles, qui ont été décrites dans la décade IV de
M. Viviani, et une infinité d’autres, communes à di-
verses contrées. M. Figari a fait également des recher-
ches importantes et des expériences sur l’agriculture.
1 Dans l’antiquité :
Hérodote, Strabon, Diodore de Sxexle, Pline.
bans le moyen âge :
Prosper Alpin et les Arabes.
Plus tard :
Lippi, Forskal, etc.
HISTOIRE NATURELLE. 149
C’est à lui que nous devons, en grande partie, les notes
que nous avons recueillies sur la matière qu’ébauche
cette esquisse.
Plusieurs des articles indiqués ici sont traités avec
plus de développement dans le chapitre de l’agricul-
ture.
21. Généralités. — Le nombre des plantes particu-
lières au sol de l'Égypte est très-limité. Ainsi, d’une
part, à quelques exceptions près, la flore des pyrami-
des se confond avec l'Atlantique de Desfontaines et
avec la Libyque de Viviani. Du côté opposé, à l’est de
la vallée d'Égypte, nous trouvons les plantes de l’Ara-
bie de la Flore de Forskal, qui viennent du désert et
finissent par se confondre avec celles qui avoisinent la
rive du Nil.
Si nous nous dirigeons au nord-ouest, dans la partie
du désert qui s'étend le long du littoral, nous rencon-
trons des plantes propres au bassin méditerranéen.
En suivant le désert jusqu’à la limite qui touche la
Syrie, nous voyons passer dans notre contrée les
plantes de la flore palestine. Ainsi on trouve très-com-
munément dans les environs de Gaza, d’'El-Arisch et de
Belbeys les plantes que M. Olivier décrit dans sa Flore
de la Syrie. Il est bien entendu que, dans tout ce que
nous venons de dire, nous avons voulu parler des
plantes herbacées annuelles et bisannuelles.
Si nous passons au sud de la vallée jusqu’au 26° de
latitude, la végétation prend alors un aspect tout par-
ticulier. Les plantes de cette localité font partie de la
flore de la Nubie et n’appartiennent plus à l'Égypte.
29, l’égétation des déserts. — Les vérilables espèces
15.
150 HISTOIRE NATURELLE.
de l'Égypte sont presque toujours isolées dans les dé-
serts arides ; il y en a peu dans les vallées que forme
la chaine du Mokattam. Les espèces particulières qui
avoisinent les rives du Nil, les canaux, les lacs, les
étangs de la basse Égypte sont plus rares encore.
Les plantes des champs n'offrent pas, au point de
vue de la science, un grand intérêt ; car, comparées à
celles d'Europe, elles fournissent peu de variétés,
tandis que les plantes des déserts et des vallées que
forment les chaines Arabique et Libyque attirent l’at-
tention de presque tous les naturalistes. Elles présen-
tent d’ailleurs des caractères qui les rapprochent de
celles des Alpes.
Les espèces répandues dans les sables sont presque
toutes annuelles ou bisannuelles ; celles qui persistent
un temps plus long sont très-rares. Parmi ces derniè-
res, on compte deux acacias épineux.
Les plantes du désert se trouvent dans de petites ré-
gions isolées, sensiblement plus basses que le reste du
soi, semblables à de petites vallées d’une forme ellip-
tique plus ou moins allongée, se dirigeant presque
toujours de Fest à l’ouest et abritées au nord et au sud.
Le désert apparaît à l'œil du botaniste comme une sur-
face où se trouvent éparses de petites iles irrégulières.
qui réunissent plusieurs genres et différentes espèces.
C'est dans ces lieux qui se couvrent de quelque ver-
dure que les gazelles vont chercher leur pâturage.
On rencontre dans le désert beaucoup de plantes
aromaliques. il y en a qui sont si petites et d’une cou-
leur si peu tranchée qu'elles semblent se confondre
avec le sol. L'aspect des végétaux du désert produit
HISTOIRE NATURELLE. 151
encore d’autres méprises. Aussi quelquefois on prend
de loin pour un arbre un tout petit arbrisseau; sou-
vent, à cause des illusions du mirage, on croit voir les
cimes des plantes dominer la surface des eaux.
En parcourant le sol, à l’époque des rares pluies de
l'hiver, l’eau forme de petits sillons et porte en suspen-
sion un peu d'argile, de l’'oxyde de fer et différentes
semences. Ces diverses matières se ramassent dans de
petites îles qui sont plus basses que le reste du sol. Les
vents concourent aussi à réunir dans ces lieux d’autres
semences qu'ils apportent souvent des régions éloi-
gnées. La saison de la végétation, qui commence au
mois de février , arrivée , les germes se développent ,
les plantes bisannuelles poussent leurs feuilles, et tout
est en fleurs aux mois de mars et avril. En mai, la vé-
gétation s'arrête; en juin et pendant tout l'été, on ne
voit plus que des plaines arides.
Les plantes du désert sont d’un vert blanchâtre.
leur tissu est ordinairement sec. Elles sont peu succu-
lentes, presque toutes dicotylédones, plus ou moins
couvertes de poils ou d’aspérités, peu élevées au-dessus
du sol, pourvues d’une racine très-profonde, quelque
fois filiforme et s'étendant très-loin.
L’arbrisseau qui se trouve le plus fréquemment dans
le désert à l’état sauvage est le seyal des Arabes (acacia
seyal de Delile , Flore égyptienne), qui est peu élevé,
presque sans feuilles, armé de longues et fortes épanes
d’un blanc dargent. Ses branches touffues sont cou
vertes d’un épiderme rude, écailleux, d’un rouge
foncé , et portent rarement des fleurs. Cet arbrisseau
est ordinairement entouré de sable très-fin, qui s’ac-
152 HISTOIRE NATURELLE.
cumule à son pied et finit par s'élever jusqu’à la moitié
de sa tige. Il arrive que ces acacias sont entièrement
recouverts, et alors ils servent de noyaux à des agglo-
mérations de sables.
On voit rarement le palmier à l’état sauvage. On le
rencontre cependant quelquefois dans le désert et
dans les vallées du Mokattam. Il est peu élevé et cou-
vert de vicilles frondes épineuses et permanentes,
pliées et pendantes vers le sol. Du sommet naît une
touffe de frondes d’un vert clair , très-rudes au tact.
Ce palmier ne porte presque jamais de fleurs, et quand
il en a, il ne produit que de mauvais fruits. Les cor-
beaux et une grosse espèce de charancon vont faire
leurs nids dans ses frondes.
95. Végétation du sol cultivable de l'Égypte. — La
fertilité de l'Égypte et la richesse de ses produits ont
été renommées dans tous les temps : la terre, le ciel
et le travail de l’homme concourent à lui mériter cette
réputation.
Il est inutile de s’appesantir sur les bienfaits dont le
sol de l'Égypte est redevable à l'inondation du Nil; j'en
ai déjà parlé. Il me suffit de dire que le limon, qui, à
lui seul, ne formerait pas une très-bonne terre végé-
taie, en compose , au contraire , d'excellente, lorsque
le labour la mêlé avec le sable. Quant à la terre trop
sablonneuse , elle ne convient qu’aux plantes dont
lest racines légères et déliées peuvent s’insinuer sans
efforts dans cette sorte de terrain. La terre argileuse
d'alluvion qui compose le sol cultivable de l'Égypte est
presque partout mêlée de substances salines favorables
à la végétation des plantes robustes.
=
HISTOIRE NATURELLE. 153
Le climat de l'Égypte seconde puissamment par sa
chaleur Paction fécondante des eaux du Nil. L'état
atmosphérique , la lumière , etc., ontle même résul-
tat; aussi voit-on d'immenses champs qui fleurissent
d'eux-mêmes, et n’ont presque rien à réclamer des se-
cours de l’art. Le travail des champs se fait avec la plus
grande facilité, en très-peu de temps et exige peu de
bras.
Servis par des agents naturels aussi heureux, les
propriétaires du sol de l'Égypte sont donc entièrement
responsables du plus ou moins de profit qu'ils en reti-
rent. Sont-ils ignorants et paresseux, ils laissent se
gaspiller les faveurs que la nature leur offre. Sont-ils,
au contraire, Industrieux et intelligents, ils en tirent
un admirable parti, et c’est ce que nous voyons aujour-
d'hui. En effet, si l'Égypte se trouve couverte d'arbres
de différentes espèces , qui forment comme des forêts
aux environs du Caire et dans le Delta, elle le doit à
l’homme de génie qui la gouverne, Le vice-roi a fait
planter en très-peu d’années seize millions de pieds
d'arbres dans la basse Égypte. Ibrahim-Pacha a dote
lui aussi, à ses frais, la vallée du Nil d'immenses plan-
tations. Elle doit à ses soins cinq millions mille cinq
cent trente-quatre arbres forestiers, de vingt-cinq
espèces différentes ; cinq cent quatre vingt-six mille
deux cent quinze arbres fruitiers de quarante et
une espèces et de sept cent trente-quatre variétés.
Il y a quelques années, le nombre des espèces
d'arbres propres à cette contrée ne s'élevait pas à
plus de douze. Il n’y avait guère que dix-huit espèces
d'arbrisseaux au-dessus de deux pieds d’élévation. On
154 HISTOIRE NATURELLE.
les trouvait éparses vers les rives du Nil et autour des
sakiès.
24. Jardins de Choubrah et de Raoudah. — Cest
surtout par la création de magnifiques jardins que le
vice-ro1 et son fils ont favorisé les progrès de l’agricul-
ture et de l’horticulture. Les plus importants de ces
jardins sont ceux de Choubrah et de Raoudah : le pre-
mier est situé auprès du Nil, à environ une lieue au-
dessus du Caire. Une très-belle allée d'arbres ombrage
l'espace qui le sépare de cette ville , et lui sert d’ave-
nue. Ce jardin contient une maison de plaisance du
vice-roi, joli édifice bâti dans le style byzantin et dont
l’intérieur est très-remarquable par la richesse de l’a-
meublement et le goût qui a présidé au choix et à la
distribution des ornements qui le parent. A l'extrémité
du jardin opposée au palais, Méhémet-Ali a fait con-
struire un élégant kiosque, bâtiment carré de près de
mille pieds de tour, soutenu par des colonnes de mar-
bre ou d’albâtre oriental, et dans l’intérieur duquel
un large bassin en marbre de Carrare , alimenté par
l’eau d’une sakiè, entretient constamment une déli-
cieuse fraicheur. Pendant la nuit, un appareil de gaz,
dont la direction a été confiée à un Anglais, répand
dans ce bet édifice ses abondantes clartés. Du reste,
te jardin est en harmonie avec les brillantes construc-
tions qu’il renferme. Une riche végétation anime son
enceinte ; on y voit de nombreuses espèces d'arbres
fruitiers, d'arbres étrangers précieux par leur rareté ;
et de plantes odoriférantes qui composent un ensemble
agréable et varié. Il est traversé par des allées sembla-
bles à celles des jardins de FEurope.
HISTOIRE NATURELLE. 155
La petite île de Raoudah, dont la fertilité a été de
tout temps célèbre, doit à Ibrahim-Pacha de nouveaux
embellissements. Ce prince intelligent en a fait l’acqui-
sition. Il l'a divisée en deux jardins, dont l’un dirigé
d’après le système d’horticulture anglaise et l’autre
d’après le système français. Deux habiles jardiniers
sont à leur tête. Cette île réunit aujourd'hui la plu-
part des plantes de l'Europe, de l'Amérique et des
Indes.
25. Jardins d'Orient. — On connait la renommée
des jardins orientaux. Les Mille et une Nuits les ont
rendus populaires parmi nous, et, dans le milieu fan-
tastique à travers lequel ils apparaisssent à notre ima-
gination , ils exhalent de tièdes parfums de poésie.
L'espèce de cuite idéal dont les Arabes les ont entourés
est facile à comprendre : habitants de contrées arides,
soumises à une température embrasée par les feux du
soleil tropical, ils ont dù regarder la végétation puis-
sante et l’épaisse verdure comme de splendides mer-
veilles, les ombrages qu’elles prodiguent, l’eau qui les
vivifie et entretient leur suave fraicheur, comme un
adorable bienfait de Dieu, et enfin, comme une céleste
jouissance, le repos auquel invitent toutes ces délices
aimées. Aussi ont-ils placé le paradis au milieu de ces
objets de leurs rêves les plus doux, et ont-ils choisi un
jardin pour théâtre éternel du bonheur qui ne finit
pas.
Les jardins de l’Orient ne ressemblent en rien à ceux
de l’Europe ; chez eux, point desymétrie savante, rien
qui rappelle nos parterres de fleurs artistement dessi-
nés, ni les combinaisons non moins recherchées que
156 HISTOIRE NATURELLE.
présentent les jardins anglais. Ils sont composés d’ar-
bres fruitiers ou d’agrément, plantés sans régularité
et confondant étroitement leurs rameaux, dont jamais
la serpe ne diminue le nombre ou ne gêne les capri-
cieuses allures. Les bosquets que forment ces vergers
touflus sont quelquefois si épais qu’on ne peut passer
sous leur voüte qu’en penchant le corps jusqu’à terre.
On dirait que les profondeurs attrayantes de ces retrai-
tes presque impénétrables ont été ménagées pour les
mystères amoureux. Le citronnier, le limonier, l’oran-
ger , le figuier , le sycomore, le dattier ,etc., se pres-
sent dans les jardins de l'Égypte ; des fleurs forment
souvent au milieu d’eux des berceaux odoriférants ;
des eaux nombreuses jaillissent dans les bassins, et
vont, en se répandant en ruisseaux sinueux , baigner
les pieds des arbres ; au milieu des groupes verdoyants
s'élèvent les élégants pavillons, connus sous le nom de
kiosques.
Tous les Turcs quelque peu riches ont des jardins
de ce genre, quelquefois dans l’intérieur des villes,
et c’est alors au milieu d’eux qu'ils placent leurs ha-
rems, mais plus souvent à la campagne. Les plus beaux
de ces jardins se trouvent dans le Delta et surtout dans
le Fayoum.
26. Forêts. — On a prétendu que, dans l'antiquité,
l'Égypte a contenu des forêts. Si on a entendu dire
qu’elles se trouvaient sur le sol cultivable, cette opi-
nion est peu probable; car ce terrain est trop fécond
pour qu’on ait jamais pu songer, dans aucun cas et
dans aucune de ses parties, à n’en retirer que du bois.
Mais quelques écrivains ont avancé que les montagnes
HISTOIRE NATURELLE. 157
qui encaissent le Nil ont jadis été couvertes d'arbres:
cette assertion n’est pas moins erronée. Il suffit en effet
de jeter un coup d’æil sur ces montagnes pour se con-
vaincre qu’en aucun temps elles n’ont été recouvertes
de terre végétale ; entièrement nues, on ne trouve pas
même de broussailles sur leur aride surface. Or, si
elles eussent jamais eu de la terre, elles devraient en
avoir encore, Car rien n'aurait pu l'enlever, puisqu'elles
ne recoivent presque pas de pluie; si d’ailleurs elles
avaient été boisées, ces pluies n’auraient pas suffi à en-
tretenir la végétation, et enfin les arbres qui les au-
raient ombragées auraient laissé quelques vestiges,
quelques débris; mais les bois antiques qui ont été
conservés sont ceux du sycomore et d’autres arbres qui
ne peuvent vivre que dans les terres profondes et ar-
rosées.
Il n'existe en Égypte d’autres forêts naturelles que
celles de dattiers. On en trouve en assez grand nombre
dans la partie orientale de la basse Égypte, dans la
province de Charkyè, sur la route d'El-Arisch, à Sala-
hyeh, à Belbeys. Les environs du Caire en contiennent
quelques-unes, et entre autres celles qui sont situées
au-dessus de Giseh, sur l'emplacement où fut Mem-
phis, près de Moknan. On en rencontre une autre à
Birket-el-Haggi (étang des pèlerins), non loin de Kan-
kah. Ce fut là que commenca la défaite du grand vizir,
qui valut à Kléber la grande victoire d’Héliopolis.
927. Acclimatation des plantes de l’Europe méri-
dionale. — La température et la nature du sol de
l'Égypte conviennent parfaitement à l’'acclimatation
et à la naturalisation des plantes méridionales des deux
1. 14
158 HISTOIRE NATURELLE.
hémisphères. On pourra donc, en se servant de l'É-
gypte comme d’un point intermédiaire, parvenir à na-
turaliser facilement en Europe les plantes des Indes.
La végétation présente un précoce développement
qui se fait remarquer principalement sur les plantes
méridionales d'Europe. Aussi ces plantes vivent-elles
moins de temps que dans leur propre pays. Leurs
fruits sont très-abondants, mais petits et peu savou-
reux ; et, quoique la greffe les ait améliorés , il arrive
toujours qu’ils finissent par dégénérer après quelques
années.
Il en est de même pour les plantes potagères intro-
duites dans l'horticulture d'Égypte, qui donnent pres-
que toutes de mauvaises semences.
Ainsi, les pommes de terre d'Europe se reprodui-
sent avec abondance ; mais, la seconde année, la ré-
colte faite avec les pommes de terre du pays est de
beaucoup inférieure à la première.
Les graines de betterave d'Europe donnent, la pre-
mière année, une récolte prodigieuse, et je puis aflir-
mer que des betteraves du pays pèsent jusqu’à un
kilogramme et qu’elles sont pourvues de beaucoup de
substance sucrée. Mais la seconde année, les semences
donnent une plante très-développée avec une racine
presque nulle et peu sucrée.
Peut-être, avec le temps, obtiendra-t-on de meil-
lcurs résultats, en faisant de nouvelles observations el
en apportant des soins à cette sorte de culture.
HISTOIRE NATURELLE. 159
98. — PLANTES EXOTIQUES NOUVELLEMENT INTRODUITES
DANS LES JARDINS DE LEURS ALTESSES.
L’Arbre à Campêche des Indes, qui est très-répandu
et en plein développement.
Le Teriminalia des Indes. On en cultive deux gi-
gantesques espèces qui réussissent très-bien.
Le Cercis siliquastrum.
Le Micocoulier de Provence.
Le Tinka des Indes.
Le Santal blanc.
L'arbre a Tamarin.
Le Caféier. I s’est difficilement acclimaté ; il est
cependant aujourd’hui plusieurs arbrisseaux qui ont
obtenu un beau développement. On en voit, en effet,
dans les jardins particuliers d’Ibrahim-Pacha, qui ont
atteint, en pleine terre, de 19 à 15 pieds de hauteur,
et produisent un assez grand nombre de grains de café.
Il est probable que cette culture réussirait mieux dans
ia haute Égypte ; car, par sa latitude comme par la na-
ture de son sol, cette région est celle qui a le plus
d’analogie avec l'Yémen.
La Plante à bambou des Indes, devenue très-belle et
qui s’est beaucoup répandue.
Les Amomacées.
Les Myrtacées, qui offrent les genres les plus rares.
Les Laurinées : l'arbre de la cannelle, du cam-
phre, etc.
“ Les Apocynées : la noix vomique et plusieurs autres
. espèces.
… Les Orchidées d’ Amérique : la précieuse vanille, qui
160 HISTOIRE NATURELLE.
prospère parfaitement, comme plante parasite, sur un
gros mürier. |
Les Nymphéacées : le nelumbium speciosum, qui
garnit les bassins conjointement avec les nymphées de
l'Égypte.
La T'halia dealbata se trouve aussi parmi ces deux
plantes aquatiques.
Cette dernière plante et plusieurs autres ont été en-
voyées du jardin botanique de Montpellier par M. le
professeur Delile.
La Phytolacca dioïca, qui devient colossale.
Le Convolculus patata, Linn., la pomme de terre
de l’Yémen, qui réussit parfaitement et sera un nou-
veau légume pour l'Égypte.
Le Topinambour d'Europe, qui se propage très-
bien.
29. — ARBRES INDIGÈNES.
Acacia (Acacia Lebbekk, Wildenof), ZLebekh des
Arabes.
C’est un des arbres qui prospèrent le mieux en
Égypte: il y devient très-beau ; il est couvert presque
toute l’année de feuillages qui forment un ombrage
charmant. C’est le plus joli arbre de l'Égypte et celui
qui croît le plus rapidement, Aussi le choisit-on de
préférence pour les plantations publiques, où on le ré-
pand avec profusion. Son bois est de bonne qualité :
on s’en sert pour le charronnage et la menuiserie. |
Gommier d'Égypte (Acacia nilotica, Wild.), San!
des Arabes. |
HISTOIRE NATURELLE. AGIT
Cet arbre croit dans toutes les parties de l'Égypte.
Il acquiert dans la basse et la moyenne un plus beau
développement que dans la haute. Mais il y rachète la
supériorité de sa forme par l’infériorité de ses produits.
Ce n’est guère que dans la Thébaïde qu’il donne de la
gomme ; là il est rabougri et sa tige tortueuse est peu
élevée. Du reste, ce n’est pas encore le climat de la
haute Égypte qui lui suffit; car il ne devient réelle-
ment productif que dans la Nubie. Le bois de cet arbre
est excellent; sa dureté le rend très-propre à être em-
ployé dans la construction des barques. L’Acacia ni-
lotica est surtout cultivé pour son bois dans la basse
Égypte. On emploie fréquemment ses fruits triturés
pour le tannage de toute espèce de peau.
Acacia odorant ( Acacia farnesiana), en arabe Fel-
neh.
Il porte des fleurs depuis le mois de décembre
jusqu’au mois de mars; l'odeur qu’elles répandent est
suave. Il s'élève jusqu’à 18 ou 20 pieds. C’est un arbre
que l’on ne trouve à peu près que dans les jardins.
Azedarach (Melia Azedarach , Linn.), Zenzalacht ,
arabe.
Cet arbre croît en abondance ; son bois est recher-
ché,
Peuplier blanc (Populus alba, Linn.), Hour, arabe.
Peuplier noir (Populus nigra , Linn.), Bags, arabe.
Ces deux arbres sont cultivés dans la basse Égypte,
mais ne sont pas très-répandus ; on ne les trouve guère
que dans les jardins.
Cyprès (Cupressus semper virens, Linn.), Sarou,
arabe.
1ä.
162 HISTOIRE NATURELLE.
Les cyprès sont assez abondants ; on en forme des
avenues ; ils croissent avec une très-grande rapidité.
et, la seconde année après laquelle ils ont été semés .
on les voit atteindre de 6 à 7 pieds de hauteur. Ces ar-
bres ne sont pas en Orient, comme en Europe, un
symbole de tristesse, l’ornement spécial des cimetières.
Pin d'Alep (Pinus Halepensis , Miller) , Senon bac,
arabe.
Il est très-multiplié.
Mürier blanc (Morus alba, Linn.), Toud-Beledy,
arabe.
Mürier noir (Morus nigra , Linn.), Toud-Chomi,
arabe.
Plus de trois millions de pieds de mürier sont culti-
vés aujourd’hui dans la basse Égypte, sur une surface
d'environ dix mille feddans. Les müriers bourgeonnent
en janvier; ils sont en plein développement vers la
mi-février. Le climat de l'Égypte leur est très-favora-
ble, ils y prennent en très-peu de temps un bel acerois-
sement :. Les müres noires sont cueillies et vendues.
Le peuple les aime beaucoup.
Olivier d'Europe (Olea Europea, Linn.), en arabe
Zeytoum.
L’olivier paraît avoir existé en Égypte dès la plus
haute antiquité. La fertile province du Fayoum en
contient un grand nombre. Il en est qui sont si déve-
loppés, qu'ils paraissent antérieurs à l'invasion arabe,
depuis laquelle il n’avait plus été fait de plantation de
cet arbre, jusqu’à ce Jour.
t Voir pour plus d: détails le chanitre consacré à l'agriculture :
HISTOIRE NATURELLE. 165
Quoique le sol de l'Égypte se prêtât merveilleuse-
ment à la culture des oliviers , puisque, après la troi-
sième année qu'ils y ont été plantés, ils portent déjà
des fruits, cet arbre précieux avait été négligé par les
Arabes. Méhémet-Ali n’eut pas de peine à comprendre
tout l'avantage qu’il pourrait en retirer, soit en affran-
chissant l'Égypte de Pimportation d'huile à laquelle elle
est soumise encore , soit en procurant au peuple égyp-
tien un aliment de plus. Aussi a-t-il fait faire depuis
plusieurs années de nombreuses plantations. Ibrahim-
Pacha possède près de cent mille pieds d’oliviers dans
ses propriétés. Les olives d'Égypte sont grosses et char-
nues.
Saule (Salix subserrata, Wild.), Saf-saf.
Saule pleureur (Salix babylonica, Linn.), Saf-saf.
Les deux espèces sont très-multipliées. On en fait du
charbon, employé par le gouvernement à la fabrica-
tion de la poudre.
Orme commun (Ulmus campestris), Xhar-kasty.
Myrte commun (Myrlus communis), Mersyn.
Cet arbuste est cultivé dans les jardins. Ses rameaux
sont vendus aux juifs , qui s’en servent pendant leurs
fêtes.
Tamarin (Tamarix gallica, Tamarix orientalis,
Lainn.), Alleh, Tarfeh, Abel, arabe.
Cet arbre est surtout cultivé pour donner de l’om-
brage ; on le trouve autour des sakiès. Son bois four-
nit du charbon; on se sert de ses excroissances pour la
teinture noire. On les emploie encore pour le tannage.
164 BISTOIRE NATURELLE.
30. — ARBRES ÉTRANGERS.
Le jardins, et surtout ceux d’Ibrahim-Pacha à
Raoudah, contiennent :
Le Bouleau commun (Betula alba, Linn.);
Le Micocoulier de Provence (Celtis australis, Linn.);
Le Micocoulier d'Amérique ( Celtis occidentalis .
Linn.);
Le Badamier (Terminalia catappa, Linn. );
Le Gainier, arbre de Judée (Cercis siliquastrum ,
Linn.) ;
Le Sterculier à feuilles de platane (Sterculia plata-
nifolia) ;
L’Érable sycomore (Acer pseudo-platanus , Linn.) ;
— platane (Acer platanoides, Linn.);
— champêtre (Acer campestre, Linn.);
— à feuilles de frêne (Acer negundo, Linn.);
Le Filaria à larges feuilles (Phillarea latifolia ,
Linn.).
_ On trouve encore dans les jardins de la basse
Egypte :
Le Platane d’Orient (Platanus orientalis, Linn.),
arbre assez répandu ;
Le Frêne à fleurs (Fraximus ormus, Linn.), Lesan
el Asfour ; |
Le Frêne commun (Fraxinus excelsior, Linn.) ;
Le Robinier faux acacia (Rubinia pseudo acacia,
Linn.);
Le Févier d'Amérique (Gleditschia triacanthus ,
Linn.).
HISTOIRE NATURELLE. 165
Il en existe diverses variétés récemment introduites
et dont on forme des haies.
L'espèce de Peuplier appelée par Linné Populus
tremula.
Différentes espèces de Cyprès (Distica, Pendula, Ho-
rizontalis) qui sont très-nombreuses.
Le Pin Sylvestre (Thuya orientalis, — occidentalis ,
Linn.); ces deux espèces sont très-répandues dans tous
les jardins.
Chêne (Quercus); on en trouve un petit nombre.
Toutes ces plantes réussissent bien et sont transplan-
tées des jardins dans les champs.
En général les plantes ligneuses s’acclimatent et se
naturalisent très-facilement, pourvu qu’elles soient
bien soignées dans les premiers temps. Il faut qu’elles
soient placées dans des lieux convenables , ombragés,
dans un terrain léger, humide, bien nourri. A ces con-
ditions, les semences germent, les plantes se dévelop-
pent, et l’on peut, après trois ans, les mettre dans les
parcs où elles prospèrent.
Il est suprenant que le tilleul et le laurier-cerise
n'existent pas encore en Égypte ; le châtaignier des In-
des ne s’y trouve pas non plus.
Le Ben (Moringa oleifera, Linn.), arbre très-répandu
dans la Nubie et Yémen, où 1l est vanté pour les pro-
priétés médicinales de la noix qu’il produit, a été in-
troduit par Ibrahim-Pacha, il y a environ quinze ans.
il s’est beaucoup propagé depuis.
166 HISTOIRE NATURELLE.
31. — ARBRES FRUITIERS INLIGÈNES.
Amandier (Amygdalus communis), Louz.
Les deux variétés qui produisent les amandes douce
etamère sont cultivées ; mais ellessont peu abondantes
et leurs fruits de médiocre qualité.
Bananier (Musa paradisiaca), Mouz.
On ne le trouve que dans la basse et moyenne
Égypte, encore n'est-il guère cultivé que dans les jar-
dins. En pleine terre, le tronc herbacé, qui porte les
immenses feuilles du bananier, serait trop exposé aux
coups de vent. Les figues bananes sont de très-bonne
qualité; mais c’est un fruit encore rare et recherché
que l'on voit seulement sur la table des personnes ri-
ches ou aisées.
Dattier ou Palmier (Phænix dactylifera, Linn.). Les
Égyptiens donnent à la femelle le nom de Nakhleh et
au mâle celui de Dakar.
Le dattier est l'arbre que l’on rencontre le plus sou-
vent sur tous les points de la haute et moyenne Égypte.
Il croît aussi dans les oasis et il s'élève jusque sur les
limites du désert. Il a existé de tout temps en Égypte;
les chapiteaux des colonnes des anciens monuments
paraissent n'être qu’une imitation du bouquet évasé
que forment ses palmes et ses frondes. Cet arbre vient
sans culture; mais, pour en obtenir de beaux fruits ,
il faut en arroser le pied et le tailler annuellement. Les
dattiers sont souvent réunis en forêts immenses, où on
les compte par centaines de mille. L'aspect de ces fo-
rêts est majestueux el mélancolique; lorsqu'on les
HISTOIRE NATURELLE. 167
parcourt, on se croirait sous les voûtes d’un temple
sévère. À voir ces troncs nus et allongés s’élancer à
des hauteurs de 60 à 80 pieds, on dirait les colonnes
légères et hardies que larchitecture du moyen âge
répand dans ses édifices avec une si riche profusion.
Les touffes larges et épaisses qui couronnent ces füts
effilés marient entre elles leurs palmes en élégantes
ogives, et achèvent de compléter cette poétique ressem-
blance.
On compte vingt-quatre espèces de dattiers , qui se
distinguent surtout les unes des autres par la couleur,
ia forme, le volume et la qualité de leurs fruits. On
peut les diviser, sous le rapport de la couleur , en trois
catégories : ceux qui produisent des daties de couleur
rougeâtre, ceux à fruits jaunes et ceux dont les fruits
sont blanchâtres.
Le palmier isolé a un aspect gracieux. Il est curieux
de voir, au milieu du panache de frondes qui le sur-
monte , suspendues à la base des palmes, d'énormes
grappes qui fournissent ensemble plusieurs quintaux
de dattes. Ce fruit est, comme on le sait, excellent.
très-sucré , et, par cela même, très-nutritif. On en
trouve de diverses qualités. Celles de la haute Égypte
et des oasis sont les plus délicates. Elles commencent
à mürir, dans la haute Égypte, vers la fin du mois de
juin , et, à peu près un mois plus tard, dans je reste
de la contrée. On ne les laisse pas mürir sur l’arbre.
Après les avoir cueillies et les avoir gardées assez long-
temps pour qu’elles puissent arriver au point de ma-
turité convenable, on va les vendre dans les villes , où
tout le monde s’en nourrit. Mets économique, à la por-
168 HISTOIRE NATURELLE.
tée des plus pauvres, on peut dire que la datte est un
bienfait du ciel pour les habitants malheureux de l’'É-
gypte. Toutes les dattes ne sont pas mangées dans leur
état de fraicheur; il en est que l’on pétrit en pain que
l’on consomme dans le courant de l’année. On tire des
dattes trois liqueurs, qui forment des espèces d’eau-de-
vie, de vinaigre et de sirop de mélasse.
Ce n’est pas seulement à cause de ses fruits que le
palmier est un arbre béni ; toutes les parties qui le com-
posent sont utilisées; toutes rendent les plus grands
services.
Avec les feuilles on prépare des nattes. On fait aussi
avec elles des corbeilles qui servent aux usages domes-
tiques, et de jolis chasse-mouches, que l’on apporte
quelquefois en Europe comme objets de curiosité.
Les gaines membraneuses de Ja base des feuilles
ont des fibres appelées /yf, dont ont fait des cordes
qui servent aux usages de l’agriculture, aux trans-
ports, etc.
Les grappes fournissent aussi des cordes. On les dé-
chire, on les bat pour en séparer les fibres, qui sont
longues et très-tenaces; on les tord avec des feuilles
minces de dattier, et l’on obtient ainsi des cordes très-
lisses.
On se sert des branches pour les placer entre les
poutres, dans la couverture des maisons, en guise de
planches et de travelles. On fait encore avec elles des
cages pour la volaille ou le gibier; on forme aussi, en
les travaillant de la même manière, des lits, des chaises,
des grillages, etc., etc.
La grosse extrémité de la palme, qui est attachée à
HISTOIRE NATURELLE. 169
l'arbre, est filandreuse : on la bat avec une masse, on
en écarte les fibres, et l’on en fait des balais.
Lorsque le dattier est en fleur, les pistils produisent
une espèce de filament qui est plus épais que le crin
du cheval, auquel 1l ressemble. Il est crépé. On s’en
sert dans les bains pour frotter et savonner le corps.
Le tronc du dattier est le bois qui est employé ordi-
nairement comme poutre dans la construction des
maisons et les autres travaux qui en nécessitent l’'em-
ploi. Ces poutres se plient très-facilement lorsque le
bois est encore frais; mais elles résistent très-bien plus
tard.
Enfin les noyaux des dattes servent de combustible,
et en outre on les donne à manger aux chameaux.
On comprendra aisément qu'un arbre aussi utile que
le dattier doit être rarement sacrifié. On ne coupe en
général que les palmiers qui ne portent pas de fruits.
Lorsqu'on les abat, au sommet du tronc où les palmes
se réunissent, on trouve une substance bonne à man-
ger, d’un pied de longueur , appelée le cœur du dat-
er; elle est formée de couches écailleuses superpo-
sées ; elle est blanche, tendre et de la consistance d’une
amande fraiche, dont elle a le goût. Les Arabes en sont
très-friands. On l’envoie en cadeau, et ce petit présent
est beaucoup apprécié.
On sait que les dattiers n’ont d’autres branches que
les longues palmes qui s’épanouissent en parasol au
sommet de la tige, et qui sont placées circulairement
par cinq ou six rangées. Chaque année on taille la
rangée inférieure de ces palmes : de là les grosses
écailles, dressées de bas en haut, qui couvrent toute la
_
Fr 15
170 HISTOIRE NATURELLE.
surface de l’arbre. C’est par le nombre de ces anneaux
écailleux qui entourent le tronc que l’on peut supputer
l’âge d’un dattier ; il n’est pas rare d’en trouver dont
l’existence remonte à plusieurs siècles.
On conçoit que l’on ne peut monter sur un arbre
dont le tronc est si élevé de la même manière que sur
les autres. Aussi les Égyptiens emploient-ils, pour ar-
river au sommet du palmier, un moyen spécial : ils
nouent autour de leur corps et du dattier une corde,
dont le milieu est élargi, en forme de fronde, s’as-
seyent sur cette partie, posent leurs pieds sur les as-
pérités écailleuses de l’arbre comme sur des échelons,
et, s’aidant des pieds et des mains, font remonter peu
à peu la corde, en l’accrochant aux crans que présente
le tronc. Ils emploient le même moyen, en sens in-
verse, pour redescendre.
Doum (Crucifera thebaïca, Delile), Doum des Ara-
bes.
Le doum diffère essentiellement du palmier ordi-
naire, d’abord parce que son tronc est lisse, ensuite
parce qu'il se divise en deux grandes branches, qui
se subdivisent à leur tour, et dont les rameaux ont
aussi leurs bifurcations. Ses fruits sont de beaucoup dif-
férents de ceux du dattier : comme ces derniers, ils se
suspendent en grappes ; mais ils ont à peu près la gros-
seur d’une orange d’une forme irrégulière et un peu
allongée. Ce fruit est couvert d’une enveloppe rougeà-
tre, sous laquelle on trouve une substance spongieuse
d’une saveur sucrée, mais fade. Au centre est un noyau
assez gros. Cet arbre donne des fruits deux fois par
an. [1 n’y à pas de doums dans la basse et moyenne
HISTOIRE NATURELLE. 171
Égypte; ce n’est guère qu’à 70 lieues du Caire qu’on
commence à le rencontrer, aux environs de Tantah. Il
est loin d’avoir le même degré d'utilité que le palmier.
Sycomore (Ficus sycomorus), Gimmeyz, arabe.
C’est l'arbre le plus gros de l'Égypte; il paraît y être
indigène; car les historiens de l’antiquité en ont parlé
et les caisses de momies sont toutes faites avec son bois.
Il acquiert un développement tel que l’on en voit qui
ont de 20 à 50 pieds de circonférence. Son tronc est
ordinairement très-court ; ses branches s'étendent pres-
que horizontalement et forment de superbes ombrages.
Ses feuilles ont une très-belle verdure, qu’elles conser-
vent toute l’année ; les anciennes ne tombent en effet
que lorsque la saison amène les nouvelles. Cet arbre
est donc providentiel pour un pays chaud. Il produit
des espèces de figues; mais, par une singularité re-
marquable, elles ne sont pas suspendues, comme Îles
fruits des autres arbres, aux extrémités des branches;
elles naissent sur le tronc même et sur les branches les
plus grosses. Ces figues sont de couleur jaune; elles
ont la même forme que celles des figuiers ordinaires ;
mais il s’en faut de beaucoup qu’elles soient aussi sa-
voureuses. C’est au mois de juillet qu’elles commencent
à mürir : afin de les faire parvenir plus tôt au point de
maturité convenable, lorsqu'elles ont atteint leur gros-
seur naturelle, on en coupe la partie supérieure, et,
dans peu de jours, on les cueille parfaitement müries.
Le bois du sycomore passe pour incorruptible. Nous
en avons des morceaux travaillés qui datent de ja plus
haute antiquité et qui sont encore intacts. On s’en sert
aujourd’hui pour faire des affüts de canons.
172 HISROIRE NATURELLE.
Abricotier (Prunus armeniaca), Mech-mech.
Pêcher (Amygdalus persica), Khouhh.
L’abricotier atteint à une belle hauteur, il arrive jus-
qu’à 56 ou 40 pieds. On fait sécher ses fruits et on les
méle à divers mets dans lesquels ils forment un assai-
sonnement excellent.
Les pêchers sont peu abondants ; ils mürissent envi-
ron vers le moi de mai.
Prunier (Prunus domestica), Barqgoug des Arabes.
Il en existe plusieurs variétés.
Poirier (Pyrus communis), Komitrih.
Pommier commun (Malus communis), T'effah-
beledy.
Coignassier (Cydonia vulgaris), Safargel.
Ces pomacées n'obtiennent pas le même développe-
ment qu’en Europe, et leurs fruits n’ont pas la même
beauté ni la même saveur.
Fiquier (Ficus carica), Tyn.
Les figuiers sont peu abondants. On en compte trois
variétés , le 7yn Bersoum, le Tyn Potlizan, le Tyn
Beledy, dont les fruits sont délicieux.
Le Figuier d’Inde (Cactus opuntia, Linn.), Tyn
Choqui.
Cette plante est très-répandue. On s’en sert pour for-
mer des haies autour des jardins. On mange ses fruits,
qui sont recouverts d’un écorce épineuse.
Le Jujubier (Zizyphus vulgaris, Linn.), 4nnab.
Le bois de cet arbre est très-dur, et pourrait être
employé aux ouvrages de charpente et de menuiserie.
On trouve des jujubiers parmi les arbres qui entourent
de leurs ombrages les sakiès.
HISTOIRE NATURELLE. 175
Le Caroubier (Ceratonia siliqua, Linn.), Karroub.
Il est très-rare en Égypte, où on ne le trouve que
dans les jardins.
Le Lotier (Ramnus spina Christi, Linn.), Nebgah.
Arbre assez grand qui fournit une espèce de petite
pomme, du volume à peu près d’un gros grain üe
raisin. Ce fruit est très-acerbe lorsqu'il est vert; mais
il est fort agréable au goût lorsqu'il est arrivé à sa
maturité. Les Arabes l’aiment beaucoup. C’est le fruit
si renommé dans l'antiquité sous le nom de lotus, qui
charma tellement, d’après Homère, les compagnons
d'Ulysse. Le nebqah est assez répandu.
Le Grenadier (Punica granatum, Linn.), Rouminan.
Il en existe deux variétés : l’une, nommée simple-
ment Roumman , se distingue par la douceur de ses
fruits; son péricarpe est rouge ; l’autre, le Roumman
Heggasy ; ses fruits sont acides et doux ; son péricarpe,
rouge obscur.
L’Oranger (Citrus aurantium, Linn.), Bortogän.
Cet arbre précieux forme l’ornement de tous les jar-
dins de la moyenne et de la basse Égypte, Les oranges
y sont si communes qu’elles composent, à elles seules,
l’unique production de plusieurs villages. On en compte
plusieurs variétés; il en est une dont la pulpe est d’un
rouge sanglant; elle est encore rare ; on la nomme
Bortogan-el-Dacin.
Le Citronnier (Citrus medica, Linn.), Leymoun
Beledy. e
Il donne beaucoup de fruis petits, pleins de jus et
peu mucilagineux. Le citronuier à gros fruits s’est pro-
pagé par la greffe.
15.
174 HISTOIRE NATURELLE.
Le citronnier à fruits doux, Leymoun Heloueh, est
très-estimé des indigènes. Mais ce fruit n’est pas à la
portée des classes pauvres.
Sébestenier (Cordia mixa, Linn.), Mokharyet.
C'est un arbre haut ordinairement de 30 pieds. II
porte au mois de mai des fleurs d’une odeur excellente ;
ses fruits sont peu délicats.
Petit Sébestenier (Cordia crenata, Linn.), Mokhayet
rumr.
Plus petit que le Cordia Mixa, il produit de meil-
leurs fruits.
Vigne (Vitis vinifera, Linn.), E°neb.
Les raisins et les vins de l'Égypte jouissaient, dans
l'antiquité, de beaucoup de réputation. Les Romains
en faisaient le plus grand cas ; ils transplantèrent même
en Italie la vigne qui les produisait. Mais la conquête
des musulmans, amenant avec elle la sévère prohibi- .
tion du vin prononcée par Mahomet, dut nécessaire-
ment influer sur la culture de la vigne, qui depuis lors
fut négligée. On laissa subsister néanmoins dans les
jardins quelques plants , afin d’avoir du raisin. Ce fut
le Fayoum qui en conserva le plus : cette province
approvisionnait de raisins le Caire et Alexandrie. Les
raisins indigènes sont très-bons ; ils ne contiennent que
de très-petits pépins, quelquefois ils n’en ont qu’un
seul ; il existe une variété qui n’en a même pas du
tout : elle est connue des Arabes sous le nom d’'E’neb
Eenaity.
Depuis le gouvernement de Méhémet-Ali , l'Égypte
a recouvré la culture de la vigne. Le vice-roi et son fils
ont introduit toutes les espèces qui existent en Europe
HISTOIRE NATURELLE. 175
et en Grèce ; elles ont presque toutes fort bien réussi.
Jusqu'à présent , quelques Européens ont seuls essayé
d'en tirer du vin; il est d'assez bonne qualité, mais
fort alcoolique.
Les Orientaux ont l'habitude de cueillir le raisin en
verjus. Ils emploient les feuilles de vigne dans la cui-
sine ; ils en font des boulettes avec du riz.
51. — ARBRES FRUITIERS ET PLANTES NOUVELLEMENT
INTRODUITS.
Ananas (Bromelia Ananas, Linn.), Ananas.
Cette plante, que l’on a propagée, n’a pas réussi
d’une manière satisfaisante, et donne peu de fruits.
Canne à sucre (Saccharum officinarum), Qassab
Halou.
Elle croît parfaitement en Égypte ; mais sa culture
n’est pas très-étendue. Elle ne suffit pas encore aux
besoins de la consommation du pays, et on importe
d'Europe une assez grande quantité de sucre raffiné.
On fait neanmoins quelques exportations de sucre
d'Égypte pour l’Hedjaz , la Mecque et plusieurs points
de l'Arabie.
C’est dans la haute Égypte, aux environs de Raza-
moun, que la culture de la canne à sucre est pratiquée
sur Ja plus grande échelle. La canne est dans sa maturité
vers les mois de novembre et décembre; elle atteint à
cette époque à une hauteur de 10 à 12 pieds. On la
coupe et on en extrait, dans la fabrique que le gouver-
nement a établie, le sucre et le rhum.
176 HISTOIRE NATURELLE.
Cerisier (Prunus cerasus), Kherez.
On a tenté de l’introduire. Il se développe assez
bien, mais ne produit pas ou presque point de fruits.
Peut-être réussirait-on à donner à l'Égypte des ceri-
siers féconds si, au lieu de transplanter ceux de
l’Europe centrale, on commençait à acclimater les ceri-
siers de Malte, par exemple, accoutumés à une tempé-
rature beaucoup plus rapprochée que toute autre de
celle de l'Égypte.
Fraisier (Fragaria ).
L'Égypte n'ayant aucune montagne boisée, on n’y
rencontre pas le fraisier sauvage ; mais, depuis quel-
ques années, on en a introduit la culture dans presque
tous les jardins; et aujourd’hui on vend dans les
marchés ces fruits naguère inconnus, ou qui du moins
étaient fort rares du temps des mameluks.
Fruits à crème (Anona squammosa, Linn.), Khesta,
Qechtah.
Cet arbre, d’origine américaine, ne se trouvait au-
trefois que dans quelques jardins ; il est plus répandu
aujourd’hui. Sa hauteur est médiocre. Le fruit qu'il
produit ressemble à une grosse pomme de pin, d’un
beau vert. Il renferme une pulpe très-molle qui a l’as-
pect, le goût sucré et le parfum agréable de la crème :
c’est de là que lui est venu son nom. Son bois fournit
du charbon. On fait avec ses feuilles pilées une espèce
de cataplasme que l’on applique sur les yeux dans le
commencement des ophthalmies.
Goyavier (Psidium pomiferumi, )
Cet arbuste est devenu très-commun. Il porte une
immense quantité de fruits.
=
HISTOIRE NATURELLE. 177
Noyer (Juglans regia, Linn.}, Gtos.
Cet arbre des pays froids n’avait jamais été euluve
en Égypte avant Méhémet-Ali. IL prospère très-bien, |
mais donne peu de fruits. Il n’a été introduit qu'à
cause de son bois.
Papayer (Carica papaya, Linn. ).
1! devient gigantesque et porte de très-bons fruits.
Pistachier cultivé (Pistacia vera, Linn.}, Festog.
Cet arbuste est très-répandu. Il produit de très-bons
fruits.
33. — PLANTES CÉRÉALES GRAMINÉES.
Blé (Triticum sativum, Linn.), Gameh, Kontah.
Dès la plus haute antiquité, l'Égypte fut renommée
pour ses blés. Elle en fournissait abondamment ja
Grèce et l'Italie ; Tacite l’appelait le grenier de Rome.
Mais depuis, des cultures plus variées se sont partagé
son sol, et le blé n’en forme plusla principale production.
On a beaucoup exagéré le produit du blé égyptien,
en le portant, comme l'ont fait quelques écrivains,
à 50, 60 et même 100 pour cent ; enréalité, il ne rend
moyennement que du 15 au 20. Il est des années d’a-
bondance ou des localités favorisées, dans lesquelles
cette proportion est dépassée, et qui donnent jusqu’à
25, 50, 40 même.
Les blés de l'Égypte sont d'assez bonne qualité.
Ceux de la haute sont les plus renommés. Les tiges
ne s'élèvent pas à plus de deux pieds et demi de hau-
teur. Le chaume qui les forme est gros et solide ; il est
surmonté en général d’un épi bien fourni. L'Égypte
178 HISTOIRE NATURELLE.
ne produit que du blé barbu. Inutile de dire qu’on en
compte plusieurs variétés, qui se distinguent par la
couleur du grain, par sa forme, par sa dureté.
Gros blé (Triticum turgidum), Gameh arab.
Orge (Hordeum vulgare), Chäyr.
Tandis que le blé demande une terre substantielle
et humide, l'orge se contente au besoin d’un sol sa-
blonneux. Il rend en moyenne du 5 au 12. On donne
assez communément le grain d'orge aux chevaux. Sa
farine, mêlée à celle du froment, sert quelquefois à
faire du pain. On fabrique au Caire de l’amidon que
l'on tire de l’orge, ainsi que du blé et du riz.
Dourah (Sorghum vulgare., Linn.), Dourah.
Cette céréale est cultivée en grande quantité. Elle
demande peu de culture, et n’a pas besoin du secours
des arrosements. Elle donne du 15 au 40. Sa tige
s’elève jusqu’à huit ou dix pieds. La farine du dourah
est la ressource des fellahs : ils en font un mau-
vais pain, légèrement acide au goùût, qu'ils préfèrent
au pain de froment. Le chaume du dourah sert de
combustible dans les fours à chaux; on en forme des
cloisons, on en couvre des terrasses; les Arabes s’en
servent aussi pour se construire de petites cabanes.
Les Arabes donnent au dourah vulgaire lépithète
de leyfr, qui signifie d’été, parce qu'il est semé à la fin
de mars. Une autre variété de cette céréale est cultivée
en automne; elle a le nom de Dourah blanc (Sorghum
cernuum , Linn.), Dourah 4’auäâgeh.
Mais (Zea Maïs, Linn.), Dourah Cham.
Le nom de Chamy a été donné au maïs parce qu'il
a été apporté de Syrie (Châm en arabe). Son grain est
HISTOIRE NATURELLE. 179
jaunâtre et plus gros que celui du dourah du pays. On
en fait deux récoltes par an, l’une en été, l’autre en
automne. Les fellahs coupent les épis à demi mürs,
les font rôtir et s’en nourrissent. La farine du maïs
donne un pain meilleur que le dourah. Il rend quel-
quefois jusqu’au 14.
Millet (Sorghum saccharatum, Linn.), Dokn.
— (Panicum miliaceum, Linn.) —
— (Pennisetum typhoïdeum.) —
Riz (Oryza sativa), Orz, Rouz.
Plusieurs auteurs ont pensé que le riz avait été in-
connu aux anciens Égyptiens ; d’autres ont discuté
lopinion contraire. Mais 1l paraît probable en effet
que l'Égypte ne produisit pas de riz pendant lanti-
quité, si l’on considère que les monuments, sur lesquels
on trouve figurés le blé et l'orge, ne contiennent au-
cune trace de cette céréale. Les Arabes sans doute Pont
apportée des Indes.
La culture du riz demande des terrains bas et li-
moneux : aussi n'est-elle pratiquée que dans la basse
Égypte. Les environs de Damiette et de Rosette pro-
duisent celui qui est le plus apprécié. Lorsque le
riz a été récolté et entièrement préparé pour la con-
sommation , on le mêle avec du sel marin sec : grâce
à cette précaution , on peut le conserver assez long-
temps.
Depuis Méhémet-Ali la culture du riz a étéintroduite
dans quelques provinces du Sennaar,
180 HISTOIRE NATURELLE.
J4. — CÉRÉALES NON GRAMINÉES.
Fenugrec (Trigonella Fœnum græcum, Linn.),
ilelbeh.
Cette plante donne un fourrage qui est en grande
éstime parmi les Egyptiens. Aussi s’en servent-ils eux-
mêmes comme aliment, loin d’en faire l'apanage ex-
clusif des animaux. Ils mangent la tige et la feuille du
fenugrec et les pousses des graines. Ils font aussi
criller celles-ci et les préparent comme le café. Ils font
encore un ragoüt des germes du fenugrec mélées
avec du miel.
Fève (Faba sativa, Linn.), Foul Bélédy.
Les fèves sont l’un des produits les plus abondants
de l'Égypte. On les sème dans des champs immenses.
Leurs graines sont plus petites que celles des fèves
d'Europe ; elles sont aussi de meilleure qualité. Elles
forment l’un des principaux aliments des Égyptiens.
Fraiches, on les mange au sel; desséchées, on les
fait bouilhir, eton les vend dans les villages toutes cui-
tes. On en donne aussi aux bœufs, aux chameaux, aux
ânes.
On ne concoit pas que les anciens Égyptiens aient
eu la fève en horreur. Il paraît qu’elle était regardée
par les prêtres comme un aliment impur, à cause des
taches des fleurs de cette plante, qui ressemblaient ,
suivant eux, à des signes de deuil.
Gesse (Lathyrus sativus, Linn.), Gi7-Ban.
Pois (Pisum arvense, Linn.), Zesilleh.
On les cultive dans la haute Égypte. On en donne
les graines aux buffles et aux chameaux.
HISTOIRE NATURELLE. 181
Nigelle aromatique (Nigella sativa), Kabbe soude.
Lentille (Ervum lens, Linn.), 4°ds.
Les lentilles d'Égypte étaient très-renommées dans
l'antiquité. Les Romains leur donnaient le nom de
lentilles de Péluse. Elles sont encore assez abondantes
aujourd’hui. Leur couleur, d’un jaune d'orange, est
très-belle.
Lupin (Lupinus Termes, Linn.), Termes.
Les graines que produit cette plante sont amères.
Elles ne servent qu’à la nourriture de homme; mais,
avant de les manger, ont les fait mariner dans de l’eau
salée. La tige du lupin est ligneuse; on l’emploie
comme combustible.
Pois chiche (Cicer arietinum , Linn.), Hommos ou
Maläneh.
La plante est appelée par les Arabes WMaläneh. Les
Égyptiens mangent les fruits verts qu’elle porte. Ils
donnent aux graines le nom d’Hommos. Lorsqu’elles
sont sèches, ils les font griller ou rôtir. Les tiges sont
données en nourriture aux bestiaux.
Haricot (Dolichos lubia, Forsk.), Loubyah.
Le Loubyah est cultivé dans la basse Égypte. Ses
tiges sont basses, ses grains sont blancs, ovoïdes et
marqués d’un point noir à leur ombilic. On trouve
à l’extrémité de la haute Égypte une autre espèce de
haricot dont les grains sont ronds et d’un volume égal
à celui des grains de poivre. Linné lui donne le nom de
Phaseolus Mungo ; les indigènes l’appellent Mäseh.
APERÇU SUR L'ÉGYPTE. Î. 16
182 HISTOIRE NATURELLE.
55. — LÉGUMES OU PLANTES POTAGÈRES,.
Mauve (Malva sylvestris, Linn.), H’hobbeyzeh.
— ( — verticillata, Linn.); —
Bamie (Hibiscus esculentus, Linn.), Bämyeh Be-
ledy.
Pourpier (Portulaca oleracea, Linn.), Régleh.
Épinard (Spinacia oleracea, Linn.), Sebanagh.
Poirée ou Bette (Beta vulgaris, Linn.), Selq.
Corette potagère (Corchorus olitorius, Linn.), Melou-
kyeh.
On mange tous ces herbages soit isolément, bouillis,
soit cuits avec de la viande.
La mauve, qui ne croît en Europe qu’à l’état sau-
vage, est cultivée, en Égypte, dans les jardins et même
dans les champs. Les habitants la préférent aux épi-
nards, et en font un plus grand usage, que nous de ce
dernier herbage.
Le Bahmyeh, connu vulgairement sous les noms de
Gombo et de Corne des Grecs, et qui est appelé Kala-
lou en Amérique, est un légume très-mucilagineux ,
dont on fait, pendant plus de la moitié de l’année,
une très-grande consommation ; c’est un aliment très-
sain.
La corette potagère, nommée Meloukyeh par les in-
digènes, est aussi beaucoup estimée par eux. Elle est
très-mucilagineuse et très-fade. Elle croit jusqu’à deux
ou trois pieds de hauteur, et forme une jolie plante,
qui produit une fleur jaune assez agréable à la vue. On
conserve des feuilles de corette desséchées pour la
HISTOIRE NATURELLE. 183
consommation d'hiver : trempées dans l’eau bouillante,
elles deviennent aussi tendres que lorsqu'elles sont
fraiches.
Le pourpier , l’épinard, la poirée sont employés
comme les plantes dont nous venons de parler.
Oignon (Allium cepa, Linn.), Bésal.
Poireau (Allium porrum, Linn.), Courat.
Ail ordinaire (Allium sativum, Linn.), 7oum.
Les oignons d'Égypte, si renommés dès l'antiquité
la plus reculée, méritent encore aujourd’hui leur an-
cienne réputation. Beaucoup plus petits que les oignons
d'Europe, ils sont aussi beaucoup plus doux. Il s’en fait
une très-grande consommation. La haute Égypte en
produit davantage que le Delta.
Les poireaux acquièrent un très-grand dévelop-
pement. Ils sont mangés seuls lorsqu'ils sont petits ;
quand ils sont gros, on les fait cuire, et on les mange
comme des légumes dont nous avons parlé plus
haut.
L’ail est très-peu cultivé en Égypte.
Céleri (Apium graveolens, Linn.), Kerôfs.
Persil (Apium petroselinum, Linn.), Badounes.
Chicorée sauvage (Cichorium intybus, Linn.), 7n-
dibes Chicorea.
Laitue romaine ( Lactuca sativa, Linn.), H°hops.
Cresson alénois (Lepidium sativum, Linn.), Re-
chäd.
Le céleri n’est guère cultivé que dans les jardins du
vice-roi. Les Égyptiens en mangent les racines, mais
non les feuilles.
Le persil est très-rare en Égypte.
184 HISTOIRE NATURELLE.
Les laitues sont belles. On les mange crues. On en
trouve sur les marchés pendant tout l'hiver.
Carotte (Daucus Carotta, Linn.), Gazar.
Navet (Brassica Napus, Linn.), Lift.
Colocasie (Arum colocasia, Linn.), Qolgas beledy.
Nénufar (Nymphæa cœrulea Radix), Byaron.
Radis (Raphanus sativus, Linn.) Figl.
La carotte d'Égypte est très-petite, et d’un rouge
vif. Elle donne beaucoup de feuilles ; elle est très-forte
au goût.
Les navets ne sont pas abondants ; on les mange à
peu près comme en Europe; on en fait confire une
assez grande quantité dans le vinaigre.
La colocasie produit des bulbes qui servent aux
mêmes usages que le navet.
Le nénufar est la fameuse Nymphæa lotus de lanti-
quité. Lorsque l’inondation disparaît, cette plante
aquatique couvre la surface des canaux de ses immen-
ses feuilles, au milieu desquelles se détachent des fleurs
blanches ou azurées , de la forme la plus élégante. Ses
tubercules étaient, d’après ce que rapporte Hérodote,
l'un des aliments les plus en faveur chez les anciens
Égyptiens. Aujourd’hui encore ils sont très-estimés, et
on en fait généralement un mets que l’on prépare avec
du lait.
On fait une grande consommation de radis. Leurs
feuilles ont un pétiole assez gros que les Égyptiens es-
timent davantage que la racine.
Chou cabus (Brassica oleracea, Linn.) Korowmb.
— fleur, Karnabid.
— brocoli, Karnabid æsued.
HISTOIRE NATURELLE. 185
Artichaut (Cynara scolymus, Linn.), Kharchouf.
Les choux ne réussissent pas aussi bien en Égypte
qu'en Europe.
On trouve en Égypte des artichauts depuis le mois
de février.
Fenouil (Anethum graveolens, Linn.), Chabet.
Tomate (Solanum lycopersicum. Linn.), Bydingän
el ooutah.
Les Arabes mangent les tomates crues ou cuites, de
même que les autres légumes.
Courge longue de Barbarie (Cucurbita lagenaria ,
Linn.), Qarataouryl.
Potiron (Cucurbita pepo, Linn.), Qara’eslombouly.
Petites courges (Cucurbita polymorpha, Linn. )
Qara’moghreby, Qara’youzy.
Concombre (Cucumis sativus, Linn.), Khyar.
Aubergine (Solanum melongena, Linn.), Bydin-
gân.
Les cucurbitacées sont employées à divers usages de
cuisine.
On connait en Égypte deux sortes d’aubergine ;
l'une, blanche, sous le nom de Bydingân abyad; et
l’autre, violette, sous celui de Bydingän œsoued. Les
gyptiens mangent les aubergines crues ou cuites ; ils
mangent aussi les concombres crus et confisent les
plus gros dans le vinaigre.
Carvi (Carum carvi, Linn.), Karäouih.
Coriandre (Coriandrum sativum, Linn.), Kouz-
Barah.
Cumin (Cuminum cyminum, Linn.), Kammourm.
Anis vert (Pimpinella anisum, Linn.), Fansoun.
16.
186 HISTOIRE NATURELLE.
Piment rouge (Cassium frutescens, Linn.), Felfel
akmar.
Les fruits de ces diverses plantes sont employés
comme condiment.
Melon (Cucumis melo, Linn.), Qaoun.
Pastèque (Cucurbita citrullus), Batech.
On compte diverses espèces de melons. Ceux de la
haute Égypte sont les meilleurs; ceux qui sont cul-
tivés aux environs du Caire sont en général peu su-
crés.
La pastèque, cette cucurbitacée rafraichissante que
la Providence semble avoir répandue avec complai-
sance dans les pays chauds, est très-abondante en
Égypte. Elle y est connue depuis l'antiquité. Les
Arabes ont toujours apporté à la culture de ce bien-
faisant melon d’eau les soins les plus assidus. On sait
de quel secours il fut à nos soldats français pendant
leur marche d'Alexandrie au Caire, où ils eurent tant
à souffrir de la chaleur. Pour exprimer combien ce
fruit leur était agréable, ils le nommaient, à l’exemple
des anciens Égyptiens, Sainte-Pastèque.
Depuis quelques années, toutes les plantes pota-
gères des différentes parties de l’Europe ont été intro-
duites en Égypte et s’y sont propagées avec une rapi-
dité extraordinaire.
Les légumes sont très-abondants dans les jardins du
Caire; ils y acquièrent un développement parfait ;
mais, quoique d’un bel aspect, ils sont très-mucila-
gineux et ont peu de saveur. Les plantes tendent
quelquefois à l’étiolement ; leurs feuilles présentent
de larges surfaces lisses et en général d’un vert clair.
HISTOIRE NATURELLE. 187
Leur végétation s’opère avec une très-grande promp-
titude.
36. — PLANTES TEXTILES OU FILAMENTEUSES.
Chanvre (Cannabis sativa, Linn.), 7y1.
Chanvre de Siam (Urtica nivea).
Avant Méhémet-Ali, le chanvre n’était cultivé que
dans la haute Égypte, et seulement pour ses graines,
avec lesquelles on fait un aliment ou une boisson eni-
vrante connue sous le nom de haschich. Maïs le vice-
roi en a considérablement étendu la culture, afin
d’avoir la filasse nécessaire à la fabrication des cor-
dages, des agrès et des voiles de ses vaisseaux. On n’en
fait pas, du reste, de toile pour la consommation de
l'Égypte, parce que le lin lui est préféré.
Le chanvre de Siam a été envoyé dernièrement par
le professeur Delile, de Montpellier, à M. Figari. Il a
réussi, et on présume qu'il pourra se propager.
Coton (Gossypium vitifolium, Linn.), Qotn.
La culture du coton est l’un des nombreux bien-
faits, l'une des richesses les plus considérables dont
l'Égypte soit redevable à Méhémet-Ali, On sait que le
cotonnier était relégué comme un arbuste d'ornement
dans les jardins du Caire, lorsque Méhémet-Ali Fa tiré
de cet état d’oubli pour en faire l’une des plus riches
productions du pays qu'il gouverne. Je parle avec plus
de détails de cette plante dans les pages que je consacre
à l’état actuel de la grande culture en Égypte.
Lin (Linum usitatissimum, Linn.), Kittan.
Cette plante est uue des plus anciennes que ren-
188 HISTOIRE NATURELLE.
ferme l'Égypte. Elle fournissait aux premiers habi-
tants de la vallée du Nil le fil avec lequel ils tissaient
les toiles si renommées qu'ils exportaient dans tout le
monde. Le lin est encore beaucoup cultivé de nos
jours : c’est de lui que les Égyptiens retirent la toile
dont ils se servent.
Lin de la Nouvelle-Zélande (Phormium tenax). On
n’a pas fait encore assez de tentatives pour naturaliser
le Phormium tenaz. On n’a eu en effet qu’une seule
plante de cette espèce, envoyée du jardin de Montpel-
lier , et elle a péri. Cette culture pourrait être pour
l'Égypte d’une si grande importance qu’il est néces-
saire de renouveler les essais. Tout porte à croire qu'ils
auraient des résultats satisfaisants. Le climat de l'É-
gypte se rapproche en effet de celui de la Nouvelle-Zé-
lande ; et on sait combien la vallée du Nil est hospita-
lière pour les nouvelles cultures qu’on lui confie.
57. — PLANTES TINCTORIALES.
Carthame (Carthamus tinctorius, Linn.), Osfour ou
Qourton. Semé à l’époque où les eaux du Nil se reti-
rent , le carthame ou safranon est récolté au mois de
mars, sans qu'il ait exigé de soins pendant sa crois-
sance. Ses feuilles, après avoir été desséchées, sont pi-
lées et réunies en pain. On tire en outre du safranon des
graines dont on fait une huile à l'usage du peuple. On
emploie ses tiges comme combustible. C’est dans la
moyenne Égypte qu'il est cultivé.
Garance ( Rubia tinctoria , Linn. }, Fouah. La ga-
rance, qui était tirée autrefois de l'ile de Chypre, est
HISTOIRE NATURELLE. 182
cultivée en Égypte depuis quelques années. Elle ne
fournit pas encore assez de produits pour alimenter
l'exportation. Les récoltes qu’elle donne sont exclusi-
vement consommées par les fabriques du gouverne-
ment.
Gaude (Reseda lutea, Linn.), Blyhah.
Henneh (Lawsonia alba), Henneh.
On dessèche et on réduit en poudre les feuilles: du
henneh , et les femmes s’en servent pour colorer , en
teinte d’acajou , diverses parties de leurs mains et de
leurs pieds *. Dans plusieurs parties de l'Égypte on fait
des paniers avec ses petites branches. Le henneh peut
se passer d'humidité.
Indigotier (Indigofera argentea, Linn.), Nyleh.
Indigo de la Chine (Polygonum tinctorium, Linn.).
C’est d'ordinaire sur les bords du Nil que l’indigo
est semé. On le cultive plus particulièrement dans la
haute Égypte et dans le Fayoum. La vertu colorante
de l’indigo d'Égypte paraît être aussi bonne que celle
de l’indigo d'Europe , quoique la substance préparée
dans les indigoteries égyptiennes soit moins pure.
C’est grâce au zèle inaltérable du savant professeur
de Montpellier , M. Delile, que le polygonum tincto-
rium a été introduit. M. Figari, qui le cultive, espère,
avec les semences qu’il a recueillies l’année dernière,
pouvoir le propager et faire ensuite des essais sur l’ex-
traction de la matière colorante.
Tournesol (Croton tinctorium, Linn.), Ghobbeyreh.
Cette plante croit spontanément dans les champs.
3 Voyez le paragraphe des Femmes, dans le chapitre des mœurs.
4
+
190 HISTOIRE NATURELLE.
38. — PLANTES A GRAINES OLÉIFÈRES.
J'ai parlé déjà de plusieurs plantes dont on extrait
de l'huile. On fait encore de l'huile avec le lin ( elle
est appelée par les Arabes zeyt-hhér), les semences de
coton et de tournesol, le chanvre (zeyt-tyl), lara-
chi (zeyt-foul sennar), le colza (zeyt-selgan), le pavot
(zert-abou-noum) , le ricin (kharoua) , le sésame (zert-
siryh).
39. — PLANTES FOURRAGÈRES.
Avoine (Avena sativa, Linn.), Zammeyr.
Trefle (Trifolium alexandrinum, Linn.), Bersym.
Chiendent (Digitaria dactylon, Linn.), Negrl.
Luzerne ( Medicago sativa, Linn.), Bersym heg-
giasy.
Cléome (Cleomen pentaphylla, Linn.), 4réreg.
Pois-gris (Pisum arveum, Linn.), Bésilleh.
Nous avons déjà cité plusieurs plantes qui fournis-
sent du fourrage; nous les complétons en énonçant
celles qui précèdent.
Il n’y a pas en Égypte de prairies naturelles , parce
que, si on en laissait se développer, elles seraient bien-
tôt couvertes de plantes épineuses et de roseaux. On
cultive donc des prairies artificielles , parmi lesquelles
le trèfle, appelé bersym par les Arabes , joue un très-
grand rôle. Le bersym est semé vers la fin de l’inon-
dation ; il arrive à une hauteur d'environ deux pieds ;
il est plus tendre que le trèfle des prés de France; ses
HISTOIRE NATURELLE. 191
fleurs sont blanches. Depuis le mois d'octobre jusqu’au
mois d'avril, on le coupe trois ou quatre fois; on s’en
sert aussi pour faire du foin. Nous avons parlé plus
haut du fenugrec, qui entre à la fois dans la nourriture
des hommes et dans celle des animaux. Il ressemble
assez au trèfle, mais il ne dure qu'environ deux mois.
Depuis le gouvernement de Méhémet-Ali, beaucoup
de plantes fourragères ont été introduites ; telles sont
la luzerne, le sainfoin, dix variétés d’avoine, autant de
trèfle. Parmi ces semences étrangères, il en est une
qui mérite d’être distinguée : c’est une luzerne culti-
vée depuis longtemps à la Mecque, qui est d’une fé-
condité presque incroyable. En été lorsqu’elle est bien
arrosée, on peut la faucher jusqu’à trois fois par mois.
40. — PLANTES UTILES DIVERSES.
Louf (Momordica Lufa , Linn.), Louf.
C'est une plante d'agrément. On retire de ses fruits
un tissu filamenteux , qui sert d’éponge pour les fric-
tions, dans les bains.
Mesuah ( Salvadora persica, Linn.}), Orak ou Me-
suah.
Les branches de cette plante, qui croit dans la
haute Égypte et plus encore en Arabie , fournissent
aux Égyptiens un bois dentifrice.
Buphthalmum pratensem, (Delile), Géraouän.
Plante annuelle, très-abondante sur les rives du
Nil et dans les iles. Elle devient ligneuse , et on en fait
de grossiers balais que l’on vend à bas prix. |
Les nattes, si communes en Égypte , où elles sont
RCRES
À
LUN
D.
192 HISTOIRE NATURELLE.
d’ailleurs si commodes , sont tressées avec diverses es-
pèces de roseaux et de joncs. Nous avons déjà vu que
l'on en fait avec les feuilles de palmier. Les nattes les
plus ordinaires sont celles que l’on tire du Saccharum
ægyptiacum et de la Poa cynosuroïdes. Les feuilles du
Typha angustifolia et celles du Cyperus dives en don-
nent de moins grossières. Les Joncs d'Égypte procu-
rent les plus fines.
Tabac commun ( Nicotiana Tabacum, Linn. }), Do-
khan.
Tabac rustique ( Nicotiana rustica, Linn.), Dokhan
Akhdar.
On cultive le tabac sur les berges du Nil et des ca-
naux, parce que cette plante exige beaucoup d’humi-
dité. Le tabac commun est jaune; le tabac rustique
est vert. C’est pour cela que les Arabes l’appellent
Akhdar. West de qualité médiocre et n’entre que dans
la consommation des classes pauvres.
Le Houblon (Humulus lupulus , Linn.) a été intro-
duit en Égypte par le professeur Delile.
41. — FLEURS ET PLANTES D'AGRÉMENT.
Acacia Farnèse (Acacia farnesiana, Linn.), Feteneh.
Arbrisseau qui porte pendant l’hiver des fleurs odo-
riférantes.
Anthemis où Chrysanthème à grandes fleurs ( An-
themis grandiflora) , Karoue.
Amarantine (Gomphrena globosa).
Asclépiade arborescente ( Asclepias fruticosa ).
Balsamine (impatiens Balsamina), Areteneh.
HISTOIRE NATURELLE. 193
Basilic commun (Ocymum Basilicum).
Basilic petit (Ocymum lignosum).
Catalpa ( Bignonia Catalpa ).
Cacalie Kleinie (Cacalia Kleinia), petit arbrisseau
originaire des Canaries.
Camare à feuilles de mélisse (lentana Camara).
Capucine à grandes fleurs (Tropæolum majus).
Chalef d'Orient (Elæagnus orientalis), VNegdeh.
Cornouiller sanguin (Cornus sanguinea).
— mâle ( — mascula).
Ces deux arbres ont été apportés de la Grèce.
Dahlia (Dahlia pinnata).
Ce sont les Français qui l'ont introduit.
Dauphinelle (Delphinium Ajacis), Ayakbouh.
Dolic Lablab (Dolichos Lablab), ZLablab.
Cette plante est grimpante : on s’en sert pour for-
mer des berceaux de verdure. Ses feuilles sont larges ;
elles sont entremélées de longues grappes de fleurs.
Euphorbe à feuilles de souci (Euphorbia calendu-
lifolia. )
On ne trouve cette plante que dans les jardins du
vice-roi et d’'Ibrahim-Pacha. C’est vers le printemps
qu’elle donne des fleurs.
Gattilier commun (Vitex Agnus castus), Kafma-
ryam.
Géranium à bandes ( Pelargonium zonale ).
— à odeur de rose ( — capitatum ).
Grenadier à fleurs doubles (Punica granatum flore
pleno), Roman Frenghy.
Grenadille bleue (Passiflora cœrulea), Cherkefelek.
Ces deux dernières espèces sont communément ré-
La 17
ne ©
194 HISTOIRE NATURELLE.
pandues ; la seconde recouvre les troncs des dattiers
qui s'élèvent dans les jardins.
Hélianthe annuel (Helianthus annuus), 4yn-el-
Chems.
Hélianthe nain des Indes (Helianthus indicus).
Jasmin à grandes fleurs (Jasminum grandiflorum),
Gesmin.
Cette plante tapisse les berceaux; elle les orne de
ses fleurs suaves, depuis le mois de mars jusqu’au
mois de décembre.
Kalancoe d'Égypte (Kalanchoe ægyptiaca), Oued-
nech.
Cette plante grasse est indigène en Égypte ; on la
trouve seulement dans quelques jardins.
Ketmnie des jardins (Hibiscus syriacus).
Cet arbrisseau, dont on borde ordinairement les al-
lées, produit une fleur très-belle.
Laurier-rose (Nerium Oleander), Tifleh.
Cet arbre est très-commun en Égypte. Il fleurit de-
puis le mois de mai jusqu’au mois d'août.
Liseron du Caire (Convolvulus cairius).
Arbrisseau grimpant qui est très-répandu auprès du
Caire, où on l’emploie à couvrir les kiosques et les pa-
villons. Il produit, pendant les mois de mai et de juin,
de belles fleurs rouges.
Lis blanc (Lilium candidum).
Il fleurit au mois de mars. Il n’est guère cultivé que
dans les jardins du vice-roi ct de son fils.
Mogori Sambac (Mongorium Sambac ), Zambag.
il est très-répandu en Égypte. Ses fleurs ont une
odeur très-agréable.
HISTOIRE NATURELLE. 195
Narcisse jonquille (Narcissus jonquilla ).
OEillet (Dianthus caryophyllus), Qoromfed.
Il fleurit dans le mois de mars.
Pervenche rose (Vinea rosa).
Poincillade élégante (Poinciana pulcherrima ).
Cette plante, venue des Indes , se trouve dans les
jardins de Raoudah. Elle produit, aux mois de juinet
juillet, une belle fleur rouge.
Quarantain (Cheiranthus annuus), Mantour Kheybr.
Cette plante fleurit en janvier et février.
Renoncule des jardins (Ranunculus asiaticus), Za-
phr£.
Elle fleurit au mois de février.
Rosier. — Ouard.
On en trouve diverses espèces ; la plus renommée est
celle qui est connue sous le nom de Rosier à cent
feuilles (Rosa centifolia). Elle est remarquable par le
parfum de ses fleurs. On la cultivée de tout temps dans
le Fayoum pour en extraire l’eau de rose. C’est au mois
de février que l’on recueille ses fleurs et qu’on les dis-
ülle. Elles ont produit en 1853 quarante mille rolles
d’eau de rose de diverses qualités.
Romarin ofjicinal (Rosmarinus officinalis), Hasel-
bän.
Cette plante odoriférante est très-répandue dans les
jardins du Caire.
Sesban d’Égynte (Sesbiana ægyptiaca), Sessabän.
On forme avec cet arbrisseau des haïes vives autour
de différentes cultures. 1l est abondant.
Tubéreuse ( Polyanthes luberosa ).
Elle est très-commune dans beaucoup de jardins.
196 HISTOIRE NATURELLE.
Violette ( Viola odorata).
Cette fleur délieuse , que les femmes égyptiennes
préfèrent aux autres, croit Gans beaucoup de jardins.
Elle fleurit pendant les mois de décembre et janvier ;
on la cultive à l'ombre des orangers.
Fucca à feuilles d’aloès (Yucca aloefolia).
On ne le rencontre que dans les jardins des Euro-
péers.
49. — PATURAGES DES DÉSERTS ET DES OASIS.
Anchusa undulata.
— microcarpa.
— flava.
Anthemis indurata.
— melampodina.
Aristida ciliata.
— pungens.
Arundo ægyptiaca.
— islaca.
Artemisia judaica.
— arborescens.
Avena forskalii.
— pumila.
— arundinacea.
— fatua.
Astragalus laniger.
— tomentosus.
— tumidus.
— tragacantha.
Balsamita tridentata.
HISTOIRE NATURELLE. 197
Borrago africana.
Bubon tortuosum.
Buphthalmum graveolens.
Calligonum comosum.
Carduus argentatus.
Carthamus narcoticus.
Cheiranthus tricuspidatus.
Cheiranthus farselia.
Convolvulus armatus.
— forskali.
Crepis species plures.
Centaurea crupinoides.
— calcitrapa.
Cotula anthemoides
— cinerea.
Crypsis alopecuroides.
Cyperus mucronatus.
Digitaria dactylon.
Echinops spinosus.
Echiochilon fruticosum.
Ephedra distachya.
Fagonia arabica.
— glutinosa.
Festuca fusca.
— divaricata.
Glinus lotoides.
Gypsophylla rokejeka.
Gymnocarpos decandrum.
Hedysarum alkagi.
Helianthemus ægyptiacum,
ne lyppi.
198 HISTOIRE NATURELLE.
Helianthemus kahiricum.
Heliotropium crispum.
— lineatum.
Kakile maritima.
Inula undulata.
— arabica.
— crispa.
Linaria ægyptiaca.
Poa cynosuroides.
Paronychia arabica.
Picris species plures.
Polygonum maritimum.
Plantago argentea.
Panicum turgidum.
Peganum harmola.
Raphanus recurvatus.
Ruta tuberculata.
Rumex roseus.
— spinosus.
Sahia ægyptiaca.
Saccharum ægyptiacum.
— cylindricum.
Santolina fragrantissima.
Scorpiurus sulcatus.
Spartium monospermum.
Scrophularia deserti.
Stipa tortilis.
Sodada decidua.
Suæda species plures.
Trigonella anguina.
— stellata.
HISTOIRE NATURELLE. 199
Zygophyllum coccineum.
Etc., etc.
Toutes ces plantes abondent dans les déserts pen-
dant les mois de février, mars, avril et mai.
43. — PLANTES OFFICINALES, INDIGÈNES ET EXOTIQUES ‘.
Outre les plantes dont nous avons déjà parlé, qui
sont employées par les médecins, voici celles que l’on
rencontre encore en Egypte, destinées à des usages
analogues : :
Acanthus mollis, Linn., Brancursine.
Achillea millefolium, Linn., Mille-feuilles.
* Adianthum capillus Veneris, Linn., Capillaire.
Althea officinalis, Linn., Guimauve.
* Ambrosia maritima, Linn., Ambroisie.
* Ammi majus, Linn., Ammi.
* — visnaga, Linn., Visnage.
Anchusa officinalis, Linn., Buglosse.
Anethum dulce, Linn., Fenoui! doux.
— feniculum, Fenouil.
— piperitum. — poivré.
Anthemis nobilis, Linn., Camomille.
Artemisia abrotanum, Linn., Armoise.
— absynthium, Linn., Absinthe.
— judaica, Semen contra.
* Arundo donax, Linn., Canne de Provence.
Asparagus oflicinalis, Linn., Asperge.
M
x
x
*
1 Les plantes indigènes sont marquées d’un astérique.
Les plantes exotiques, introduites dans les jardins du Caire, ont ets
presque toutes fournies par le jardin royal de Montpellier.
200 HISTOIRE NATURELLE.
* Balanites ægyptiaca, Delil., Myrobolan.
* Balsamita vulgaris, Linn., Balsamite.
* Borrago officinalis, Linn., Bourrache.
* Calindula officinalis, Souci.
* Carduus marianus, Linn., Chardon marie.
* Carum carvi, Linn., Carvi.
* Cassia absus, Linn., Absus.
* Cassia acutifolia
*— Jancifolia , Sené.
* — obovatifolia
* Cassia fistula, Linn., Casse.
Cet arbre devient très-beau en Égypte, où il atteint
jusqu’à 40 pieds d’élévation. 11 y en a beaucoup dans
les jardins du Caire. Les fruits qu'il produit sont ven-
dus pour l’usage qu’on en fait dans la médecine.
Centaurea cyanus, Linn., Bluet.
* Cichorium intybus, Linn., Chicorée.
Cochlearia officinalis, Cochlearia.
* Colchicum autumnale, Colchique.
* Cordia mixa, Sébestier.
* Cucumis colocynthis, Coloquinte.
Cynoglossum officinale, Cynoglosse.
* Cynomorum coccineum, Champignon de Malte.
* Cyperus longus , Souchet odorant.
* — rotundus, — —
* Datura stramonium, Stramoine.
Dracocephalum moldavicum, Mélisse moldavique.
Euphorbia lathyris, Épurge.
* Erithræa centaureum, Petite centaurée.
* Fumaria officinalis , Fumeterre.
Galega officinalis, Linn., Galega.
HISTOIRE NATURELLE.
* Glycyrrhiza glabra, Linn., Réglisse.
* Hibiscus abelmoscus, Linn., Ambrette.
Humulus lupulus, Linn., Houblon.
* Hyosciamus niger, Linn., Jusquiame noir.
à — albus, — —- blanc.
Hyssopus officinalis, Linn., Hysope.
* Inula undulata
* — crispa
* Lactuca virosa, Linn., Laitue vireuse.
Lavandula stacha, Linn., Stæchas.
* Lepidium latifolium, Linn., Cresson.
* Ligusticum peloponense, Linn., Livèche.
* Malva sylvestris.
* — alcea.
Matricaria chamomilla, Linn., Camomille.
* Melilotus officinalis, Linn., Mélilot.
— cœruleus, Linn., Mélilot cerules.
Melissa officinalis, Linn., Mélisse.
, Aune odorant.
* Mentha aquatica, Linn., Menthe aquatique.
%
— crispa, — — crépue.
* — pulegium, — Ruliot.
— rotundifolia, — Menthe.
* Mirabilis jalapa, Linn., Belle-de-nuit.
* Momordica elaterium, Linn., Concombre d'âne.
* Nigella damascena, Linn., Nigelle de Damas.
Oxalis acetosa, Linn. à
, Alleluia.
— acetosella, —
* Papaver rheas, Linn., Coquelicot.
* — somniferum, — Pavot blanc.
* Parietaria officinalis, Linn., Pariétaire.
— datura, — — datura.
201
202 HISTOIRE NATURELLE.
Physalis alkekengi, Linn., Alkékenge.
* Pimpinella anisum, Linn., Anis.
* Plantago major, Linn., Plantain.
* — psylium, — Psyllium.
Polygonum bistorta, Bistorte.
* Ranunculus sceleratus, Linn.
ü — trilobus.
* Ricinus communis, Linn., Ricin.
Cette plante, qui croit spontanément, est cultivée
surtout dans la haute Égypte.
Rumex acetosa, Linn., Oseille.
* Ruta graveolens, Linn.
* — halepensis, —
Salvia officinalis, Linn., Sauge.
* Sambucus niger, Linn., Sureau.
* Santolina fragrantissima, Linn., Santoline.
Saponaria officinalis, Linn., Saponaire.
* Scilla maritima. Linn., Scille.
Sinapis alba
— nigra
Sysymbriun nasturlium, Linn., Cresson de fontaine.
* Solanum nigrum, Linn., Morelle noire.
Spilanthus acmella , Linn. , Cresson de Para.
Tanacetum vulgare, Linn., Tanaisie.
Teucrium marum, Linn., Marum.
, Moutarde.
— scordium, — Scordium.
* Urtica dioica Orti
ë , Urtles.
— _urens
* Verbascum sinuatum, Linn., Verbascum.
* Verbena triphylla, Linn., Verbéane citronnie.
* — officinalis, — — —
HISTOIRE NATURELLE. 203
* Veronica beccabunga , Linn., Beccabunga.
$ III.
ANIMAUX DE L'ÉGYPTE.
44. Généralités. — L'Égvpte devant la formation de
son sol aux atterrissements du Nil, avant lesquels tout
porte à croire qu’elle ouvrait aux eaux de la Méditer-
ranée un long golfe parallèle et analogue à la mer
Rouge, il est permis d'avancer comme un fait certain
que cette terre ne possède aucun animal qui lui soit
propre. Tous les êtres qui l’habitent aujourd’hui y sont
arrivés par des migrations successives, qui ont suivi
les progrès de l’alluvion. Les traditions anciennes con-
firment suffisamment cette assertion. Elle s'appuie éga-
lement sur la comparaison qui a pu être faite des
animaux momifiés de l’antique Égypte ; CONServés par
milliers dans les catacombes, avec ceux qui se trouvent
aujourd’hui dans le pays. Quel a été le point de départ
de ces migrations ? Cette question n’est pas difficile à
résoudre : la similitude qui existe entre le plus grand
nombre des animaux de l'Égypte ancienne et moderne,
et ceux qui peuplent la Barbarie, indique que c’est de
cette partie de l'Afrique septentrionale que le mouve-
ment a dü partir.
Ceci s’applique surtout aux mammifères et à la plu-
part des reptiles.
Quant aux oiseaux, les zoologistes s'accordent à re-
connaître que l'Égypte a été, de tout temps, une terre
de transition pour ceux de ces animaux qui entrepren-
nent, deux fois par an, de lointains voyages. Aussi y
204 HISTOIRE NATURELLE.
rencontre-t-on, à peu d’exceptions près, les espèces de
l’Europe et quelques-unes de celles qui sont propres à
l'Asie; tandis que quelques autres, irrévocablement
sédentaires, vivent et meurent dans cette contrée,
dont elles ne peuvent franchir les limites. |
Mon intention, en donnant ici la nomenclature des
animaux qui font de l'Égypte leur demeure passagère
ou permanente, n’est pas de pénétrer à fond dans le
domaine de la zoologie. Je ne veux que faire connaître
sommairement, lorsqu'elles pourront offrir quelque
intérêt, les particularités que présente chaque espèce,
et rectifier les opinions erronées qui ont cours sur plu-
sieurs d’entre elles.
Quoique cette esquisse ne soit pas faite pour effrayer,
par la sévérité de la classification et laridité des mots
techniques, les hommes du monde qui forment à coup
sûr la classe la plus nombreuse parmi les lecteurs, 1l
m'a paru convenable toutefois d'introduire dans ce tra-
vail assez d'ordre et de méthode, pour qu'il ne de-
meure pas trop au-dessous de l'attente des hommes de:
science.
MAMMIFÈRES.
Animaux domestiques : Cheval. — Ane. — Mulet. — Dromadaire. —
Bœuf. — Buffle. — Espèce ovine. — Chèvres. — Chiens. — Chats.
Animaux vivant à l’état sauvage : Loup. — Renard. — Chacal. —
Hyène. — Sanglier.— Hippopotame.— Antilopes. — Daman. — Singes.
— Hérissons. — Martre. — Genette. — Mangouste. — Lynx — Gerboïse.
— Rats et souris. — Lièvre.
ANIMAUX DOMESTIQUES.
45. Cheval (4’oud). — I y a, en Égypte, plusieurs
HISTOIRE NATURELLE. 205
espèces de chevaux : les beaux chevaux arabes de race
pure qui sont venus de l'Arabie, les chevaux d’origine
syrienne dont se servent les tribus Kurdes et Hanézès,
ceux qui viennent de l’intérieur de l'Asie et de l’Eu-
rope, enfin ceux que l’on amène de Dongolah. Ces dif-
férentes races ont formé des mélanges ; cependant, on
n’emploie, en général, comme étalons, que des che-
vaux arabes de race pure. Ces animaux délicats, ac-
couplés avec de fortes juments, produisent une espèce
plus robuste, dont les formes sont plus arrondies, et
qui constitue la véritable race égyptienne.
Le cheval égyptien est de plus haute taille que le
cheval arabe. Sa têle est mieux placée; son encolure
se dessine à merveille; ses yeux sont pleins de feu
et d’ardeur ; ses naseaux sont largement ouverts; sa
croupe est gracieusement arrondie, ses jambes sont
fines, sèches et nerveuses ; son allure est noble, fière,
majestueuse. Le cheval arabe, soumis à une vie ac-
tive, laborieuse et pénible, à des privations qui n’ont
pour ainsi dire pas de terme, sous des maitres à demi
sauvages qui ne s’épargnent pas davantage eux-mêmes,
est toujours de petite taille, maigre, dépourvu de
formes agréables, sans rien perdre, pour cela, de ce
mâle courage et de celte vigueur indomptable, qui le
rendent si précieux à son possesseur.
Du reste, on ne trouve pas en Egypte de chevaux
de haute taille ; aussi ne peut-on y monter de la grosse
cavalerie.
Les peuples d'Orient se servent généralement , on
peut même dire exclusivement, de chevaux entiers,
sans que de cet état parfait de nature résulte le moin-
1. 18
206 HISTOIRE NATURELLE.
dre inconvénient dans l’usage. La docilité de ces ani-
maux n’est pas moindre que celle de nos chevaux
d'Europe, soumis à la terrible mutilation qui les
dégrade et les énerve. Ils ne s’emportent pas plus sous
l'homme, ils ne se prêtent pas moins à toutes ses exi-
gences avec une condescendance admirable, quelle que
soit leur fougue et leur vivacité.
46. Ane (Hemär). — On aurait une idée bien fausse
de l’âne d'Égypte si on le confondait avec celui d'Eu-
rope. Ce n’est plus, comme dans nos contrées, un qua-
drupède chétif, avili, mal nourri, encore plus mal
soigné, impitoyablement maltraité ; c’est au contraire
un animal grand et bien fait, dont la tournure est
presque noble, dont la démarche est légère, dont les
allures sont vives et douces à la fois. Aussi le prix des
ânes d'Égypte est-il assez élevé, surtout quand ils unis-
sent aux belles qualités de formes que je viens d’indi-
quer, de l'énergie et de la vigueur. Ce sont eux que
lon emploie de préférence pour les longs voyages à
travers le désert, en société avec les chameaux, char-
gés des lourds bagages ou du transport des marchan-
dises.
Les ânes les plus beaux, et par conséquent les plus
estimés, proviennent des contrées les plus chaudes
et les plus sèches de l'Égypte, du Saïd notamment.
Ceux qui naissent dans le Delta sont inférieurs aux
autres sous tous les rapports.
47. Mulet (Baghl). — L'Égypte, qui possède les plus
beaux chevaux du monde, et les ânes de la plus belle
espèce, devait produire de beaux mulets. Ces animaux
y sont en effet fort estimés; il en est dont la valeur ap-
HISTOIRE NATURELLE. 207
proche de celle des chevaux les plus brillants. On s’en
sert comme montures, et leur équipement est à peu
près le même que celui des ânes. Les mules (Bâghléh),
toujours plus dociles et plus endurcies à la fatigue,
sont préférées aux mulets. Leur allure est l’amble. On
les exerce à ce mode de progression par un moyen mé-
cauique qui consiste à réunir par une corde les pieds
antérieur et postérieur du même côté, de manière que
le mouvement du premier de ces organes entraine né-
cessairement l’autre *.
48. Dromadaires. — Si l’on ne veut appliquer le
mot de chameau qu’à la variété de l'espèce dont le dos
se recourbe en deux bosses, il n’existe pas en Égypte
de chameaux proprement dits. On y distingue deux
races de dromadaires : l’une , à qui l’on donne le nom
de Djemmel (chameau) , dont la taille est élevée, la
force prodigieuse, la marche pesante, et que l’on des-
tine au transport des lourds fardeaux ; l’autre, moins
grande, moins massive, d'une agilité remarquable,
nommée Æadjim par les Arabes parce qu’elle est la
monture des Æadji (pèlerins), et dromadare par les
Européens.
Malgré les services que rendent les dromadaires, ils
étaient pour les anciens Égyptiens un objet de mépris;
les Arabes ont au contraire pour eux le plus grand at-
tachement. Le dromadaire est utile sous d’autres rap-
ports que les transports et les voyages. Son poil est un
: Je renvoie le lecteur, pour de plus amples détails, au $ du chapitre
des Mœurs qui traite des voies de communication et des moyens de transpurt
par terre.
208 HISTOIRE NATURELLE.
article important de commerce; les Arabes en fabri-
quent des tentes et des tapis. Sa fiente, mêlée avec de
la paille hachée, et desséchée au soleil, compose une
espèce de motte dont on se sert comme combustible.
Le lait des chamelles est très-apprécié par les Bédouins,
qui en font un très-grand usage.
49. Bœuf (Thour).— Le bœuf domestique d'Égypte
ne diffère en rien de celui d'Europe. Il est employé
pour les travaux d'agriculture et pour divers usages
encore. Ce que quelques auteurs qui ont écrit sur l’É-
gypte ont dit de la beauté de cet animal et de l’excel-
lence de sa chair n’est pas tout à fait exact. Ilest
probable qu'aux temps anciens où le bœuf était en
honneur, où les arts agricoles étaient cultivés avec
grand soin, cet animal se faisait remarquer par l’éléva-
tion de sa stature, par la beauté de son pelage et par
le développement des cornes qui lui servent d’orne-
ment et de défense; mais la race en est dégénérée
aujourd’hui. Le bœuf est en effet réduit à des propor-
tions moyennes. Ses cornes sont généralement petites,
son poil d’un fauve plus ou moins prononcé ne sau-
rait flatter l’œil en aucune manière. La saveur de
sa chair est bien loin de mériter la réputation qu’on
aurait voulu lui donner ; c’est en effet, comme on l’a
observé , dans les parties boréales du globe et non
dans les pays chauds qu'il faut chercher les qualités
savoureuses et succulentes de la chair de cet animal.
On trouve en Égypte un bœuf sauvage que les
Arabes appellent Bakkar-el-Ouesch et qui constitue
une espèce distincte, très-rapprochée du zèbre, selon
un auteur estimé , si ce n’est identiquement le même
HISTOIRE NATURELLE, 209
animal. Les Arabes élèvent quelquefois dans la cam-
pagne de jeunes bœufs de cette espèce qu’ils ont at-
teints en poursuivant des sujets adultes ; leur cuir est
estimé.
30. Bufjle (Djamouss). — Le buffle ne parait pas
être d’origine égyptienne ; car il n’est pas représenté
sur les monuments antiques, et on ne le trouve pas à
l’état de momie. On prétend que cet animal a été im-
porté après la conquête des Arabes. Le climat et le sol
de l'Égypte lui conviennent parfaitement. Il s’y est, en
effet, aisément multiplié, et a acquis une très-belle
taille. Les buffles égyptiens ont très-peu de poils ; la
couleur de leur peau est gris de fer. Ils vivent presque
constamment dans l’eau, tellement qu’on les dirait am-
phibies. Quoique d’une physionomie farouche, ils sont
au fond très-doux , et n’ont nullement la férocité om-
brageuse des buffles de l’Europe, et surtout de la Ro-
magne. Leurs femelles donnent par jour de quatorze
à seize livres d’un lait d'excellente qualité. Jusqu'à
présent les Arabes n’ont pas encore utilisé la force pro-
digieuse du buffle, en s’en servant pour leurs travaux
domestiques. Sa chair est très-grossière, et n’est man-
gée que par le peuple.
51. Race ovine. — La race ovine constitue une par-
tie des richesses de l'Égypte. Elle y est nombreuse et
point mélangée. Les béliers ne sont pas soumis à la
castration. La laine est de belle qualité. Les brebis
(gahameh) paraissent être plus fécondes qu’en Europe.
Elles donnent deux portées par an, et généralement
deux agneaux à la fois. L'espèce est celle de la Barba-
rie.
18,
210 HISTOIRE NATURELLE.
Quelques autres espèces sont importées en Égypte
du Sennaar, du Kordofan et de l’Yemen. Ce sont des bé-
liers à queue adipeuse et de haute stature, dont la
laine est commune et de peu de valeur, mais qui ont
‘ beaucoup de chair et dont la graisse surtout est fort
estimée ; ou bien encore des animaux à poil ras cassant
comme celui des antilopes, et qui présentent dans cer-
taines parties de leur corps un développement graisseux
dont on pourrait sous certains rapports obtenir des
avantages assez importan(s.
52. Chèvre (Maäzel).— Les chèvres, que l’on trouve
répandues surtout dans l'Égypte inférieure, sont de
l'espèce dite de Syrie et appelée aussi chèvre mambrine.
Elles sont caractérisées par leur chanfrein arqué, leur
corps élancé, la petitesse de leurs cornes, leurs oreilles
longues et pendantes et leur pelage généralement rous-
sâtre. Leur lait est bon et abondant ; on en fait grand
usage. Elles sont conduites par petits troupeaux dans
les villes, et chaque consommateur voit traire devant
lui le lait dont il a besoin. Leur fécondité n’est pas
moins grande que celle des brebis, puisqu'elles produi-
sent deux fois par an, et que le nombre de chevreaux
est régulièrement de deux, quelquefois de trois, et par
exception de quatre.
Les chèvres de la haute Égypte, notamment du Saïd,
sont d’une autre espèce. Leur taille est beaucoup
plus petite, leurs cornes sont plus développées ; elles
sont vives, alertes; leur poil est long, soyeux et bien
fourni ; elles auraient sous ce rapport, comme sous
plusieurs autres, assez d’analogie avec les chèvres d’An-
gora.
HISTOIRE NATURELLE. 911
Le Sennaar fournit aussi une espèce de chèvre de
très-petite taille, à poil ras, dont le dos est marqué
dans toute sa longueur par une bande noire sur un
fond plus ou moins gris ou roussâtre.
55. Chien (Kelb). — Je ne sais si, rigoureusement
parlant, le chien d'Égypte mérite d’être compris au
nombre des animaux utiles, au nombre des animaux
domestiques. Ses mœurs et ses habitudes sont moitié
sociables, moitié sauvages, selon qu’il habite les villes,
ou que, vivant en nomade et sans maitre, il fréquente,
comme le chacal et le renard, les limites du désert.
Dans l’une et dans l’autre de ces conditions, son pelage
se distingue par de notables difiérences. Dans l’état de
liberté complète, il a le poil plus long et plus fauve.
Sa nourriture se compose de débris d'animaux aban-
donnés par lhyène et le chacal ; en cas de disette, 1l at-
taque et dévore son semblable.
Dans les villes où il pullule, il habite en tribus cer-
tains quartiers, et s’y impatronise de telle sorte, qu'un
chien appartenant à une autre tribu ne saurait tenter
de pénétrer dans le quartier voisin sans être assailli
avec furie , sans être cruellement battu , quelquefois
même dévoré. Le même sort attend infailliblement les
chiens d'Europe quand ils se présentent dans les rues.
Bien qu'impurs aux yeux des bons musulmans, les
chiens reçoivent d'eux , en Égypte, des soins particu-
liers. Ils ont droit, en quelque sorte, aux débris de
leur table, ainsi que cela a lieu dans les diverses parties
de la Turquie d'Europe. Là comme en Égypte, c’est
une chose digne de remarque, la rage est à peu près
inconnue chez ces animaux.
212 HISTOIRE NATURELLE.
En résumé, le chien d'Égypte parait constituer une
espèce distincte qui s’est perpétuée sans mélange et
qui a la plus grande analogie de caractères avec les
momies que l’on trouve dans jes catacombes et autres
vastes hypogées.
54. Chat (Qall). — Le chat a joui, de tout temps,
en Égypte , de priviléges presque illimités. Les hon-
neurs qui lui étaient rendus dans lantiquité, et sa
condition actuelle le prouvent également. Autrefois,
les considérations politiques ont pu commander aux
législateurs ces soins et ces égards qui étaient devenus
populaires : les traditions religieuses ont sans doute
inspiré aux modernes possesseurs de la terre des Pha-
raons ces procédés dont ils n’ont pas dévié. Le chat
était aimé de Mahomet, témoin le sacrifice que le pro-
phète fit de la manche de sa robe, sur laquelle Pani-
mal favori s'était endormi, plutôt que de troubler son
sommeil. De là cet amour que tout musulman doit
professer pour l’espèce qui descend, à ce qu’il croit, du
chat du prophète, sans altération. Le chat a accès par-
tout en Égypte. Partout il recoit le meilleur accueil,
au harem comme à la mosquée , chez le fellah comme
chez le cheik, chez le cadi ou chez l’aga. Dans lanti-
tique Égypte, la mort d’un chat était un long sujet de
regrets et de deuil; la douleur s’exprimait par des
manifestations spéciales, on les embaumait avec véné-
ration , on les enterrait solennellement ; on se borne
aujourd'hui à les entourer de soins délicats, pen-
dant la trop courte période de leur vie vigoureuse,
d’adoucissements pendant leurs maladies qui sont
traitées dans des sortes d’hôpitaux institués à cet
HISTOIRE NATURELLE. 215
effet, au moyen de donations et de fondations pieuses.
Le chat s’est donc toujours trouvé singulièrement
bien partagé dans ce pays, au milieu de tant d’autres
animaux qui y sont condamnés à la misère et à la
souffrance. #
QUADRUPÈDES SAUVAGES.
55. Loup (Dyb}). — Plusieurs naturalistes ont pré-
tendu qu'il n’existe pas de loups en Égypte. C’est une
erreur. On en trouve une espèce sur divers points. Elle
diffère de celle d'Europe par le poil qui est beaucoup
plus court. Toutefois, ce loup est bien plus rare que le
renard et l’hyène. Ne serait-ce pas le Canis Anthus, ou
bien encore le Canis Fennec de Bruce.
56. Renard ( Tsà àleb). — Le renard d'Égypte est
plus petit que celui d'Europe. Ses oreilles sont noires,
ses pieds sont fauves, la couleur du dessous de son corps
est toujours d’un brun qui s’enfume davantage à me-
sure que l’animal vieillit. On le voit rôder dans la cam-
pagne, se livrer à la chasse et se rapprocher des habita-
tions pour tâcher d'y surprendre les poules, ainsi que
d’autres animaux domestiques.
57. Chacal ( Djägél). — Le chacal vit en troupes
nombreuses sur les lisières du désert et se loge dans les
ruines et les décombres. Il se nourrit de cadavres d’a-
nimaux et fait entendre pendant la nuit des hurlements
tristes et prolongés.
58. Hyène. — Cet animal, appelé Dabèh par les Ara-
bes, n’est pas moins commun en Égypte qu'en Syrie et
sur les côtes septentrionales d'Afrique. Ses mœurs et
ses habitudes sont assez connues pour qu’il soit super-
9214 EISTOIRE NATURELLE.
flu de rien ajouter à ce sujet. On peut le soumettre à la
domesticité si on le prend tout à fait jeune, et surtout
si on l’habitue à un régime peu carnassier. L’espèce est
l'hyène barrée.
59. Sanglier. — Il est appelé Khanzire par les Ara-
bes, qui donnent le même nom au cochon domestique.
Ce pachyderme paraît constituer une espèce distincte.
Son état d'impureté le soustrait au danger de la pour-
suite des chasseurs arabes. Aussi est-il très-répandu
dans les diverses parties de la basse Égypte où 1l com-
met souvent de très-grands ravages. Il se rue plus
particulièrement sur les champs ensemencés de doura.
On rencontre souvent les sangliers par bandes de cin-
quante à soixante ; mais c’est particulièrement vers le
Delta, sur les bords des lacs et dans le voisinage de la
mer.
60. Hippopotame (Fars-el-Bahar). — Ce pachy-
derme monstrueux, que l’on croit assez généralement
habiter tous les points de l'Égypte traversés par les
eaux du Nil, ne s’y rencontre qu’accidentellement. Il
faut aller le chercher dans la haute Nubie. Cependant
on peut citer quelques apparitions d'individus isolés
qui se sont montrés jusqu'aux environs de Damiette.
C’est ainsi, par exemple, que Prosper Alpin dit en
avoir fait chasser un dans cette localité ; c’est ainsi
qu’en 1856 on en vit un non loin de la même ville. Il
commit de grands dégâts dans la campagne, et puis,
après une vingtaine de jours environ, il disparut pour
ne plus se montrer. On a prétendu que l’hippopotame
était plus commun jadis en Égypte, mais cette opinion
parait peu probable.
HISTOIRE NATURELLE. 215
61. Gazelle (Gazal). — Ce joli et gentil animal se
trouve en grand nombre sur les confins des déserts qui
entourent l'Égypte. On sait avec quel amour les poëtes
arabes ont chanté la coquette délicatesse de ses mem-
bres , la beauté de ses yeux, la légèreté de sa course
rapide. La gazelle se nourrit des petites herbes que
produit le désert; elle vient quelquefois pendant la
nuit brouter et boire, dans les terres cultivées. Les
Arabes Bédouins la poursuivent , et, montés sur leurs
agiles juments , parviennent quelquefois à la fatiguer
et à l’atteinare. Ils la chassent au fusil, au faucon ou au
chien. On prend les petites gazelles vivantes. Cet ani-
mal , qui est si farouche à l’état sauvage, s’apprivoise
très-bien ; j'en ai plusieurs dans ma basse-cour qui sont
très-familières, et procréent chaque année.
L’antilope (Dorcas), ou bœuf sauvage d'Égypte, est
un animal qui appartient plus particulièrement à la
Nubie.
On doit rapporter à la race ovine une sorte de mou-
flon dont la taille est assez élevée et qui parait être le
même que le mouflon d'Afrique.
Enfin, je citerai, pour compléter cette nomenclature
mammalogique, un animal fort rare, de la famille des
Ruminants, de la taille d’un bélier, que j'ai rencontré à
la hauteur de Syout, dans le désert qui avoisine la rive
orientale du Nil et dont l’existence n’avait pas encore
êté signalée.
62. Daman. — C'est le Schasan des Hébreux, et
son nom vulgaire est l’Agneau d'Israël, ou bien encore
le Daman d'Israël. Bruce est le premier naturaliste
qui l'ait fait connaître. 1l est de petite taille, d’un pe-
516 HISTOIRE NATURELLE.
lage roussâtre tirant sur le brun. Les bêtes fauves en
font souvent leur pâture.
65. Singes (Qerd). — Les singes, qui sont importés
en Egypte par des bateleurs arabes et qui sont colpor-
tés de ville en ville, n’appartiennent pas au pays. Ils
proviennent du Sennaar, de l'Arabie, et c’est à tort que
quelques historiens ont prétendu qu'ils avaient été
propres à l'Égypte pendant l'antiquité , se fondant sur
la grande quantité de singes que l’on trouve momifiés.
Ce sont généralement le magot , le maïmon et le tar-
tarin.
64. Hérissons (Qanfod). — L'espèce de hérisson
que l’on trouve en Égypte diffère de celle d'Europe par
quelques nuances de pelage. Ce sont d’ailleurs les
mêmes habitudes et les mêmes mœurs.
65. Martre.— La martre-furet est la seule espèce de
ce genre que l’on rencontre en Égypte. Ce carnassier y
est très-répandu. Il pénètre jusque dans les habita-
tions, où il attaque et tue impitoyablement les volailles
dont il mange aussi les œufs avec avidité.
66. Mangouste (Nems). — On la connaît plus par-
culièrement sous le nom d’Ichneumon et de Rat de
Pharaon. Elle est répandue dans toute l'Égypte. Cet
animal pourrait être soumis à la domesticité , car son
naturel est assez doux ; mais, d’un autre côté, la somme
des avantages qu’il procurerait , en détruisant les rats
et les souris dont il est avide, serait trop largement
compensée par les déprédations auxquelles ses mœurs
carnassières le porteraient incessamment, au grand
préjudice des animaux domestiques.
Que de fables ont été débitées sur son compte ? Sans
HISTOIRE NATURELLE. 217
doute , la mangouste détruit beaucoup de crocodiles .
puisqu'elle les attaque dans l'œuf qu'elle recherche sur
le sable , et qu’elle dévore les petits animaux de cette
espèce qui se laissent surprendre par elle. Mais il y a
loin de ce fait, qui est avéré, à ce guet-apens au moyen
duquel elle profiterait du vaste hiatus de la mâchoire
du lézard géant pour pénétrer dans l'estomac, déchirer
ce viscère et occasionner ainsi la mort de son puissant
ennemi.
Dans l'antiquité, la lot protégeait la mangouste d’une
manière spéciale. Les peuples pourvoyaient journelle-
ment à sa subsistance. Après sa mort, elle était l’objet
d’un culte particulier.
67. Lynx (Chat sauvage, gatt nemeri). — On voit
en Égypte deux espèces de Iynx, l’une des marais, et
en effet elle chasse aux oiseaux de marécages. Sa taille
est trois fois environ celle du chat. C’est le felis chaus des
naturalistes. La seconde, beaucoup plus rare, est le
felis lynx.
68. Gerboise. — On en compte deux espèces, de
taille bien différente, et qui se distinguent encore en-
tre elles par les pieds velus ou entièrement nus. Dans
le premier cas (l'espèce est bien plus petite), c’est le
dippus hirtipus des zoologistes ; dans le second cas,
c'est le dippus sagitta. L'une et l’autre ont les tarses
très-longs et très-minces, et peuvent exécuter des
sauts à de certaines distances. Il est peu de rongeurs
armés de dents aussi robustes. S'ils sont captifs , les
cages en bois construites de la manière la plus solide
ne sont qu’un faible obstacle à ce qu'ils reconquièrent
promptement la liberté. Une prison de fer peut seule
APERCU SUR L'ÉGYPTE. 1. 19
218 HISTOIRE NATURELLE.
résister aux attaques incessantes de ce joli mammifère,
alors surtout qu'il n’est point observé. Les Arabes le
connaissent sous le nom de Gerboa.
|
|
On a confondu quelquefois sous sa dénomination un «
rongeur de la taille d’un des grands rats d'Europe, qui
est la gerbille des pyramides, du lieu où on le rencon-
tre plus fréquemment. Une seconde espèce de moitié
plus petite vit, dit-on, en Nubie.
69. Rats et souris (Far). — Sous ces Ceux dénomi-
nations sont comprises les diverses espèces de murins
que l’on trouve abondamment en Égypte. Deux varié-
tés plus intéressantes parmi tant d’autres sont le rat
d'Alexandrie aujourd’hui naturalisé sur le littoral de
l'Europe méridionale, et que les Italiens appellent du
nom de rat des toits, et le rat épineux dont les poils du
dos sont roides et piquants.
70. Lièvre (Arneb). — Le lièvre d'Égypte diffère
du lièvre commun par la couleur de son pelage, par la
longueur des oreilles et des pattes postérieures. C’est un
animal impur pour les musulmans qui, s’abstenant de
le manger, ne lui font point cette guerre acharnée qu’on
a déclarée à l’espèce ordinaire, en France et dans tous
les lieux où elle se propage avec abondance.
OISEAUX.
OISEAUX DOMESTIQUES.
Poule. — Poule d'Inde, — Pigcon. — Die,
T1. Poule (Farkah). — La poule d'Égypte ne diffère
HISTOIRE NATURELLE. 219
de celle d'Europe que par la taille. Elle ne devient
jamais aussi grosse que celle-ci, et, chose singulière
qui pourrait devenir le thème d'observations intéres-
santes et fort curieuses, elle n’a aucune tendance à
lincubation de ses œufs. Cette incubation est faite arti-
ficiellement et sur une vaste échelle, de manière que
l’on peut affirmer que l'éducation de la volaille n’est,
nulle part, aussi étendue que dans ce pays, puisque,
par les moyens employés, il n’y a pas cette suspension
forcée d’incubation à laquelle le règlement des saisons,
en Europe, condamne l’éducateur. L’expérience la plus
simple à faire au sujet de l’anomalie que j'ai indiquée,
se bornerait à transporter en Égypte quelques poules
déjà éprouvées sous le rapport de leurs bonnes dispo-
sitions à couver, en même temps qu’on importerait en
France quelques poules égyptiennes. Si, par ces chan-
gements opérés , les unes perdaient leur qualité, si les
autres la recouvraient, l'influence climatérique serait
suffisamment reconnue, et ce singulier phénomène
n’en mérilerait que plus d’attention *.
On trouve au Fayoum et à Denderah une variété de
poule beaucoup plus forte, et dont les jambes sont plus
allongées que chez l'espèce précitée.
72. Poule d’Inde (Farkals).— Ce gallinacé estimporté
depuis peu d'années en Égypte. Son éducation y est
facile et sa propagation rapide.
15. Pigeons (Hamäm). — On élève, dans ce même
pays, avec beaucoup de soin et de succès, le pigeon do-
mestique, semblable à celui d'Europe, et dont les varié-
3 Voir, sur l’incubation des œufs, le chapitre des Mœurs.
220 HISTOIRE NATURELLE.
tés sout nombreuses. Il en est de même du petit pigeon
ou ramier , fort estimé pour sa chair, qui est très-déli-
cate. Il est préféré à la première espèce, en ce sens qu'il
vit presque à l’état sauvage et qu’il va chercher au loin
une nourriture qui ne coûte rien à ses maîtres. On
rencontre souvent des villages hérissés de pigeonniers,
dont les habitants s'occupent presque exclusivement
de l’éducation de ces volatiles.
74. Oie (Ouizzah). — L'oie cendrée est l’espèce indi-
gène; on a introduit celle d'Europe. Les canards do-
mestiques (Berk) sont peu répandus. Les canards sau-
vages, particulièrement à beau reflet d’acier bruni, sont
élevés dans les basses-cours.
OISEAUX SAUVAGES.
Rapacrs: Vautours, — Faucons, — Aigles, — Aigles pêcheurs, — Au-
tour, — Milan, — Élanion, — Buse, — Busards. — Oiseaux nueturnes.
— Chauves-souris. — Passereaux. — Grimpeurs. — Gallinacés. —
Échassiers.
75. Rapaces. V’autours (Hedoyah, Nisr). — Les vau-
tours arian et griffon , le catharte alimoche, vulgaire-
inent appelé poule de Pharaon, sont communs en
Égypte. Ils n’y sont pas absolument sédentaires, et
catreprennent périodiquement des migrations qui les
portent sur divers points du continent européen , et
dans quelques-unes des iles dont la Mediterranée est
parsemée.
76. Faucons (Bäs). — On compte au moins sept
espèces de vrais faucons en Égypte. Ce sont :
Le pèlerin,
HISTOIRE NATURELLE. 29]
Le lanier,
Le hobereau ,
L’émerillon ,
La crécerelle,
La crécerellette ,
Et le kobèz.
Ce sont tous des oiseaux voyageurs ou erraliques.
71. Aigles (Euqäb). — Ils sont au nombre de quatre,
Savoir :
L’aigle commun (voyageur),
L’aigle impérial (erratique),
L’aigle criard (voyageur),
L’aigle de la Thébaïde (sédentaire), aussi en Syrie.
peut-être même sur la côte de Barbarie.
78. Aigles pêcheurs. — Le pygargue, le jean-le-blanc,
ie balbuzard ne sont point rares sur toute l'étendue de
l'Égypte. Le fleuve, les bords de la mer, les lacs offrent
à ces oiseaux voyageurs des ressources abondantes
pour leur nourriture.
79. Autour (Nisr). — Les mêmes habitudes de voyages
appartiennent à l’autour et à l’épervier, qui se montrent
périodiquement aussi dans le pays, à diverses époques
de l’année.
80. Milan. — Il en est encore ainsi du milan royal
et du milan noir.
81. Élanion. — Le blac, oiseau unique du genre,
vit sédentaire en Égypte. Peut-être doit-il être rangé
parmi les oiseaux erratiques.
82. Buse. — On connait, dans le même pays, la
buse commune pour un oiseau voyageur. Il ne serait
pas étonnant que quelques naturalistes en eussent si-
19.
932 HISTOIRE NATURELLE.
gnalé plusieurs espèces , en raison de la variété de h-
vrées que ce rapace présente.
85. Busards. — Les mêmes ressources, qui s'offrent w
aux balbuzards pour leur nourriture, attirent les bu-
sards des marais et Saint-Martin dans le voisinage du
fleuve et dans les marécages d'Égypte. On les rencontre
absolument semblables sur les côtes de Barbarie en
Sardaigne, en Sicile et sur le continent d'Europe.
84. — Oiseaux nocturnes :
La chouette de lOural ;
L’effraie ;
Le grand duc;
Le moyen duc ;
Le hibou à aigrettes courtes ;
La chouette de Savigny ;
La chouette nébuleuse ;
La chouette chevèche ;
Et la chouette scops habitent également l'Égypte.
Ces oiseaux nocturnes , dont les ailes sont peu puis-
santes, dont les plumes sont lâches et peu serrées , ne
sont pas habiles à entreprendre de longs voyages. On
devrait en conclure qu’ils vivent sédentaires dans ce
pays. L'apparition en Angleterre et sur d’autres points
encore du Strix asculaphus , dont la demeure est plus
particulièrement l’Afrique, vient cependant contrarier
quelque peu cette assertion fondée sur l'observation
physiologique.
85. Chauves-souris. — L'intérieur des pyramides ,
les vastes hypogées, les grottes, les temples antiques ,
ni méme
HISTOIRE NATURELLE. 99%
les arbres creux donnent asile à une infinité de chauves-
souris dont une espèce, la roussette, acquiert de très-
grandes dimensions.
Les naturalistes les ont divisées en plusieurs genres
auxquels président des caractères distincts. Ce sont les
Rhinopomes, les Rhinolophes, les Nrycteres, les Ta-
phiens, les Molosses, les Nyctinomes et les Rousset-
tes.
86. Passereaux. — La plupart des oiseaux de cet
ordre, propres à l'Europe, se montrent communément
en Égypte, à l’époque de leurs migrations. Il devient
donc inutile de les énumérer. Je me bornerai à citer
exceptionnellement quelques espèces, entire autres,
dans la famille des traquets, le traquet leucomèle ; les
fauvettes rubigineuses, de Ruppel, luscinoïde, etc.,
parmi les becs fins proprement dits ; ainsi que le pipil
à gorge rousse du genre anthus;les conirostres me
fourniront les alouettes bifasciet et isabellini offrant de
jolies variétés, les bruants, le cendrillard, les fringil-
les ; le moineau espagnol, si différent du moineau or-
dinaire d'Europe, et qui, dans ses courses erratiques ,
semble suivre une route invariablement tracée; le
bouvreuil githagine, qui se répand assez abondamment
dans la péninsule Italique ; les fissirostres, l'hirondelle
de Savigny, Fhirondelle rousseline, qui apparait acci-
dentellement sur les bords de Provence.
Les corbeaux ont des mœurs assez cosmopolites ,
pour qu’on puisse les citer sur bien des points éloi-
gnés du globe, à plus forte raison en Égypte. Dans
cette famille, se trouvent encore le caoucas, la cor-
neille mantelée, impatronisée sur les maisons du Caire
324 HISTOIRE NATURELLE.
et qui remonte jusque dans la haute Égypte ;le rollier
avec sa belle livrée d’un vert bleuâtre qui la fait res-
sembler à un oiseau des tropiques.
Dans la tribu des syndactyles, ces guêpiers brillants
qui, en Égypte, rattachent, sous le rapport des pro-
duits zoologiques, l'Afrique occidentale à l’Afrique ri-
veraine de la Méditerranée. Ce sont le merops Savi-
gnii, le merops apiaster et le merops viridis, qui aime
tant à faire ses évolutions gracieuses et ses chasses
abondantes au-dessus des champs de doura, et tout
auprès des mimosa, dans les touffes desquels il va se
reposer.
Puis, dans les ténuirostres, la huppe, qui ne diffère
en rien de celle d'Europe.
87. Grimpeurs. — Je ne citerai, parmi les grim-
peurs, que le pivert, purement de passage en Égypte $
le coccysus pisanus plus sédentaire, et le coucou com-
mun.
88. Gallinacés. — Les gangas sont nombreux en
Égypte. Ils habitent les limites du désert , et s’avan-
cent par bandes nombreuses vers les champs cultivés et
vers les bords du fleuve où ils viennent s’abreuver.
On y compte : Le ganga cuta ;
Le ganga moucheté ;
Le ganga à ventre brülé ;
Le ganga Lichtenstein ;
Le ganga unibande.
Tous également sédentaires et plus ou moins rares.
La caille abonde à certaines époques , et puis elle
entreprend ces voyages lointains qui la font apparaître
sur les points du globe les plus opposés.
HISTOIRE NATURELLE. 29%
Deux espèces bien distinctes de tourterelles peuvent
être citées. C’est , d’une part, la tourterelle commune
qui est de passage et dont la chair est estimée ; d'autre
part, la tourterelle sédentaire à chair maigre et peu
sapide. Celle-ci se rapprocherait de la tourterelle à col-
lier de Barbarie , si sa partie inférieure n’était d’une
couleur blanc sale au lieu du blanc pur de la pre-
mière.
89. Échassiers. — Ce serait se lancer dans une in-
terminable énumération que d’aborder cet ordre si
nombreux d'oiseaux de tailles et de formes diverses.
Presque tous sont les mêmes que ceux d'Europe,
dont les mœurs, comme.on sait, sont essentiellement
voyageuses. Le pluvier à tête noire, le pluvier armé,
le court-vite, mériteront seuls une mention.
Je m'arrêterai plus complaisamment à parler de
libis sacré , espèce la plus célèbre des longirostres ,
dont le tour serait arrivé. C'était un oiseau vénéré dans
l'antiquité, et dont les momies parfaitement conservées
ont été trouvées dans plusieurs catacombes de l'Egypte.
C'est encore lui que l’on trouve figuré dans les hiéro-
glyphes. Il n’est pas très-commun en Égypte aujour-
d'hui, et ce n’est guère qu’en remontant vers les
cataractes qu’on peut espérer de le rencontrer. Entiè-
rement nudicolle à l’état adulte, il est garni de plumes
blanches assez serrées , dans toute la longueur de son
cou, alors qu'il est jeune et quoique sa taille soit aussi
développée que dans le premier cas.
J'’apporterai la même restriction en parlant des pal-
mipèdes. Pélicans, oies diverses, canards de toute es-
pèece s’y rencontrent communément.
296 HISTOIRE NATUREELE.
90. — ENTOMOLOGIE.
Les insectes de divers ordres sont abondants en
Égypte, sauf quelques restrictions pour certains d’en-
tre eux. C’est ainsi que les papillons sont moins variés
que les coléoptères, et que parmi ceux-ci, par exem-
ple, les éénébrionites sont plus fréquents que les in-
sectes diurnes, probablement à cause de l’action so-
laire, si intense dans un pays dépourvu d'ombre, et de
cette végétation rampante qui abrite tant de petits
êtres organisés. Le Nil renferme aussi quelques ani-
maux articulés de l'ordre des crustacés, quelques hiru-
dinés et autres encore. Les libellulines sillonnent in-
cessamment les eaux du fleuve et se jouent sur ses
bords. Elles s'élèvent quelquefois dans les airs par my-
riades et, de même que les papillons et les oiseaux,
opèrent de lointaines migrations. Dans les campagnes
de l'Égypte, pour lesquelles les sauterelles furent autre-
fois une plaie calamiteuse, on les voit encore aujour-
d’hui plus nombreuses que partout ailleurs ; mais c’est
là aussi que, par compensation, vivent plus sédentaires
les oiseaux acridophages.
Les arachnides de toute espèce, les hideux scor-
pions, dont les piqüres sont fort dangereuses, habi-
tent les sables, les masures, et se glissent jusque sous
les nattes dans l’intérieur des appartements. Une toute
petite larve de myrméléon creuse son trou en enton-
noir dans les terrains meubles et se procure, comme
le myrméléon d'Europe, par embuscade, la nourriture
dont il a besoin.
HISTOIRE NATURELLE. 997
91. — COQUILLES.
Les coquilles terrestres sont en bien petites propor-
tions en Égypte, si on les compare au plus grand nom-
bre des animaux organisés. L’helix trreqularis est à
peu près la seule que l’on connaisse. Ses couleurs et
même sa forme varient à l'infini.
Les eaux du Nil renferment des unio, iridine et
cyrène. Sur les bords vivent les paludines. — Dans la
haute Égypte et vers les cataractes se trouvent agrégées
aux masses rocailleuses les éthérées, dont la découverte
est due à M. Cailliaud. On trouve cà et là quelques
petits bulimes, quelques clausilies et maillots.
99. — REPTILES.
Les animaux appartenant à cette classe sont nom-
breux en Égypte. Les uns, c’est le petit nombre, habi-
tent les eaux du Nil ou sont riverains de ce fleuve ; les
autres sont répandus dans les villes, les champs, et sur
les limites du désert.
Crocodile (Temsah). — Le reptile le plus renommé
parmi ceux auquels les eaux ou les bords du Nil ser-
vent de séjour est le crocodile : ce gigantesque lézard
ne fréquente que la haute Égypte ; il ne descend pas
ordinairement au-dessous de Girgeh. Ce n’est que pen-
dant les années de grande inondation que l’on en voit
quelques-uns amenés par les eaux jusque dans le Delta.
On sait que le crocodile, sans être amphibie (car 1l
n’a pas deux organes respiratoires), vit dans l’eau et
298 HISTOIRE NATURELLE.
sur terre. 11 respire l'air naturel, mais, sur terre, il
est gêné et lourd dans ses mouvements ; dans l’eau, au
contraire, il montre une grande agilité, Ce n’est que
dans cet élément qu’il se considère comme en süreté :
il s’y réfugie au moindre bruit, et c’est là seulement ,
dans les lieux profonds surtout, que sa voracité peut
devenir funeste. Sur terre on n’a rien à en redouter.
Les crocodiles sont très-féconds. Ils viennent pondre
leurs œufs sur le sable ; ceux-ci éclosent sous Paction
de la chaleur solaire. Au sortir de l’œuf, les crocodiles
ont en général deux décimètres de longueur ; ils erois-
sent ordinairement jusqu’à cinq ou six mètres ; on en
a VU qui atteignaient dix mètres.
Ces reptiles choisissent leur demeure habituel! e aux
extrémités des îles et dans des lieux d’où ils puissent
aisément se réfugier dans le Nil. Ils vivent en troupes
et vont à la chasse sous la direction d’un chef. Lors-
qu'ils dorment, un des leurs fait le guet. On les voit
souvent, pendant la journée, étendus sur les ilots du
Nil, humer le soleil, dont ils aiment la chaleur ar-
dente, ou bien, la tête hors de l’eau, flotter au gré du
courant.
On compte en Égypte diverses espèces de croco-
diles. Une seule de ces espèces fut en honneur chez
les anciens Égyptiens, et recut même de leur part,
dans la moyenne Égypte, une espèce de culte : petite ,
inoffensive, elle était facile à apprivoiser. Il paraît
qu’elle était amenée par l’inondation et que c’était par
reconnaissance pour lheureux augure qu’elle appor-
tait que les Égy ptiens lui rendaient des honneurs reli-
gieux. On ornait les oreilles de ces crocodiles d’or et de
HISTOIRE NATURELLE. 229
pierres vitrifiées, et leurs pieds de devant de brace-
lets. On en trouve beaucoup à l’état de momie.
Autres reptiles. — Je me bornerai à énumérer les
autres reptiles que l’on trouve en Égypte ; ce sont :
La grande tortue molle du Nil ou trionyæ, appelée
Tyrseh par les Arabes. Elle attaque et dévore avec
avidité les jeunes crocodiles;
Le tupinambis ou monitor du Nil, appelé Ouaran
el Bahr ou lézard du fleuve par les Arabes. Cet animal
très-timide pousse des sifflements aigus à l'approche
des êtres qu’il suppose ses ennemis : c’est ainsi qu'il
rend à l’homme un très-grand service en l’avertissant
de la présence du crocodile ;
Le stellion spinipide, connu des anciens ;
L’agame variable ou changeant ;
Le gecko, dont les espèces les plus remarquables
sont l’annulaire et le lobé;
Le caméléon trapu ;
Le scinque, dont il existe au moins neuf espèces ;
Le lézard, dont on compte sept variétés ;
L’éryx, espèce de serpent, dont une espèce habite
le Delta et une seconde la Thébaïde ;
La couleuvre, dont les espèces sont l’oreillure, la
couleuvre à bouquets, celle à raies parallèles, la cou-
leuvre maillée et la couleuvre à capuchon ;
La scytale des pyramides ;
La vipère, dont les deux espèces, céraste, autrement
dit vipère à cornes, en raison de deux appendices
qu’elle a au-dessus des yeux, et haje, sont également
réputées très-dangereuses, et sur le venin desquelles
Forskala fait de nombreuses et concluantes expériences:
: À 20
950 HISTOIRE NATURELLE.
La grenouille et la rainette, dont l'espèce porte le
nom de Savigny, illustré dans les sciences naturelles.
POISSONS.
95. Généralités. — Les poissons propres au Nil, les
seuls dont je me propose de donner la nomenclature,
sans être bien nombreux, constituent cependant quel-
ques groupes intéressants par leurs mœurs, leurs habi-
tudes et leur organisation.
De ces divers poissons, les uns sont sédentaires dans
certaines localités, tandis que d’autres se livrent, à di-
verses époques , à des pérégrinations plus ou moins
longues. Il en est qui, descendus de la partie supérieure
du fleuve , s’avancent jusqu’à son embouchure. A lé-
poque de l’inondation, qui a lieu chaque année en sep-
tembre, ils viennent fournir aux habitants une nourri-
ture abondante; car ceux-ci les recueillent en très-grande
quantité, dans les campagnes inondées , lorsque les
eaux s’écoulent pour rentrer dans leur lit.
Le lac Menzaleh, près de Damiette, est aussi très-
poissonneux. Les produits de la pêche sont abondants
et deviennent l’objet d’un commerce lucratif d’exporta-
tion pour les iles et le continent de la Grèce.
On a prétendu assez généralement que les poissons
voyageurs portaient sur eux des indices certains de
leurs migrations. Selon les assertions les plus répan-
dues, ces animaux, à l'époque où ils descendent vers
l'embouchure du Nil, auraient la tête meurtrie du côté
gauche, tandis que cette meurtrissure existerait du
côté droit alors qu'ils remonteraient le cours du fleuve.
HISTOIRE NATURELLE. 251
Dans la première hypothèse, ce fait aurait lieu parce
que le poisson, pour éviter la force du courant, avoisi-
nerait les bords du côté gauche ; dans la seconde sup-
position, parce qu’il aurait la terre à droite.
Un auteur moderne et fort éclairé dans cette bran-
che de la zoologie, auquel nous empruntons ces détails,
a cité ce fait, il est vrai; mais, loin de l’appliquer à la
généralité des poissons voyageurs , il le restreint à
quelques espèces seulement. « Peu importe au poisson,
dit ce naturaliste, la rapidité du courant auquel il
se laisse aller sans s'inquiéter de la route qu'il doit
suivre. Un seul besoin le presse et le dirige, c’est
. celui de se réunir à sa femelle. Il se hâte d'arriver
: avec elle dans ce milieu d'habitation où doit s’ac-
complir le grand acte de la nature; et, quand cet
acte est accompli, quand il doit rentrer dans les
lieux qu’il habite d'ordinaire, et dont l'amour l’avait
momentanément éloigné, force est pour lui de se
rapprocher du rivage pour vaincre le courant, tou-
jours plus rapide. C’est dans cette circonstance seule
que les écorchures existent sur les deux côtés de la
tête, et non pas exclusivement du côté droit, ce qui
prouverait que, lors de la remonte, le poisson se di-
rige indistinctement, à droite ou à gauche, au milieu
des roseaux et des pierres où il trouve sa nourri-
ture. »
94%. — ÉNUMÉRATION DES POISSONS DU NIL.
Peréhs lates, Keven où mieux Kercheré des Arabes.
Chromis botté, petit labre fort joli, abondant dans les
9252 HISTUIRE NATURELLE.
ares formées par les eaux du Nil près Rosette. Sa
chair est délicate.
Cyprin Lépidote, espèce de barbeau , probablement
le Lepidotos des anciens. Il était l’objet d’un culte as-
sidu.
Cyprin du Ni, espèce de Forskal.
Labeo Coubie, espèce de Ruppel.
Leucisque du Nil, joli poisson blanc d’argent, à re-
{lets d’or sur le ventre, à la hauteur de Thèbes, époque
de l’inondaton.
Leucisque Bibié, peut-être une variété du précé-
dent.
Leucisque de Thèbes, V'Ibié des Arabes.
Mormyre oxyrinque. C’est le poisson auquel se rap-
portent les observations ci-dessus données sur les mi-
srations. Il était vénéré dans l’antique Égypte.
Mormyre cachifé.
Mormyre labié, Herseh des Arabes, mot qui signifie
belette.
Mormyre anguillaire.
Mormyre dorsal, Kachoué en arabe, ressemblant
quelque peu au brochet.
Mormyre cinuprinoïde.
Mormyrus longipinnus.
Mormyrus elongatus.
Silure à oreilles.
Silurus mistus.
Trois espèces de Schilbé, dont un, le doré, est ap-
pelé par les indigènes Schilbé arabi.
Hypopthalnus niloticus.
Cinq espèces de Pimélodes. L'une d'elles est le Shal
HISTOIRE NATURELLE. 953
Caumaré des Arabes. On la trouve conservée dans les
grottes sépulcrales de Thèbes.
Trois espèces de Sinodontes.
Porcus Bagad, plus généralement connu sous le nom
de Bagatle, Bogas au Saïd, quelquefois long de cinq
pieds, à chair molle, fade et peu estimée.
Porcus Docmac.
Mochokus niloticus. C’est un poisson de petite taille,
singulièrement redouté des pêcheurs à cause des pi-
qûres dangereuses que produisent ses épines et qui,
en raison de ses propriétés, a recu le nom de Mou-
choucké, en arabe : Ne te pique pas.
Heterobranchus anguillaris, remarquable par son
extrême vitalité, si bien que, longtemps après avoir été
tiré de l’eau et quoique ayant la tête brisée, il s’agite
encore avec vivacité. Les Arabes le nomment Xarmouth.
Il sert d’aliment à la classe pauvre.
Hétérobranche bidorsal, poisson rare.
Malaptérure électrique. Le nom de Raad (tonnerre),
que les Arabes lui donnent, n’exprime encore qu’im-
parfaitement les singulières propriétés électriques dont
il est doué, au moyen desquelles il communique aux
personnes qui le touchent des commotions assez vio-
lentes pour les forcer à lâcher prise immédiatement.
Le Characin Néfasch.
Le Characin Raschal.
Le Characin Raï.
Le Characin denté.
Le Characin Besse, que l'on pêche rarement à la
hauteur de Thèbes.
Le Mulèle Murse.
954 HISTOIRE NATURELLE.
Le Mulète Baremozé, petit poisson riche en couleur
et dont la chair est assez savoureuse.
Le Mulète Guilé des Arabes, très-abondant à la hau-
teur de Thèbes, ne descend pas vers la basse Égypte.
La Jerasalme Citharine.
Le Lavaret du Nil, en arabe Jamak el Malch.
La Clopée du Nil, Sardinn el Sabouga.
Le Judis nilotique.
Le Polyptère Bichir.
Le Tetraodon Phisis, poisson de formesinguhère et
qui à la singulière propriété de humer une certaine
masse d’eau et de la lancer avec force contre les per-
sonnes, comme s'il voulait les inonder. fl ne se montre
qu’à l’époque des grandes eaux.
Le Gymnarque nilotique.
La Murène anguille.
6 IV.
DIVERSES RACES D'HOMMES QUI HABITENT L'ÉGYPTE.
Généralités. — Cophtes — Égyptiens musulmans. — Bédouins. — Bara-
bras. — Juifs. — Grecs. — Abyssiniens. — Ethiopiens. — Européens.
95. Généralités. — Nous ne rechercherons pas si
les premiers habitants de l'Égypte furent des Chinois
ou des Indiens. Les suppositions hasardées à ce sujet
ont plus ou moins de probabilité ; mais il est difficile
de les établir sur des fondements positifs. D’après la
formation du sol de l'Égypte , suivant le cours du Nil
du sud au nord, il est naturel de penser que les peu-
plades qui habitaient lAbyssinie , la Nubie supérieure
HISTOIRE NATURELLE. 92355
et inférieure, ont du s'étendre successivement avec le
sol et le fleuve, vers le septentrion. Cette hypothèse ,
qui s'accorde avec l’assertion d’Hérodote , paraît s’ap-
procher beaucoup de la vérité, lorsqu'on examine les
traits et les formes des statues qui appartiennent aux
monuments de l'antiquité la plus reculée.
L'Égypte, plus que toute autre contrée, a été agitée
par les révolutions humaines. Elle a été attaquée , en-
vahie , subjuguée tour à tour par les Perses, les Grecs,
les Romains, les Arabes, les Ottomans, les mameluks
(Géorgiens et Circassiens) et les Français. Ces diffé-
rents peuples, en se mélant plus ou moins à la race
égyptienne, en ont peu altéré le type primitif.
La population actuelle de l'Égypte se compose de
Cophtes, d’Arabes, de Juifs, de Grecs, de Turcs, de
Géorgiens et de Circassiens , d’Abyssiniens , de nègres
de différentes espèces, et d’Européens.
96. Cophtes. — les Cophtes ont toujours été con-
sidérés, par la plupart des écrivains, comme les des-
cendants des anciens Égyptiens. C’est ce que prouve
jusqu’à un certain point la ressemblance que l’on re-
marque entre les Cophtes et les figures hiéroglyphi-
ques ‘. Cependant le célèbre Champollion a émis une
opinion contraire. Les Cophtes ont le front fuyant , de
grands yeux noirs , la coupe des paupières dirigée de
: Volney donne du mot Cophte une étymologie ingénieuse qui confirme
celte opinion. « Le terme arabe Qoubti, un €ophte, me semble, dit-il,
une altération évidente du grec œ-‘}ur-7105, un Égrptien j Car on doit
remarquer que y était prononce vu chez les anciens Grecs, et que les
Arabes, n'ayant ni 2 devant ao u, ni la lettre p, remplacent toujours
ces lettres par g et : les Copies sont done proprement les représentants
des Egvptiens. »
256 HISTOIRE NATURELLE.
bas en haut et de dedans en dehors, les pommettes
grosses et saillantes, le pavillon de loreille élevé, le nez
légèrement épaté, les lèvres épaisses et relevées, le
inenton large, les cheveux noirs. Ils ont en général peu
d’embonpoint, des membres grèles et la peau d’un
teint blafard.
Tous les Cophtes ne présentent pas ces caractères ,
parce que beaucoup d’entre eux se sont mélangés. Ceux
qui ont embrassé le catholicisme se sont alliés aux
chrétiens grecs ou syriens ; tandis que les Cophtes du
rit jacobite, qu’on rencontre surtout dans le Saïd.
ont conservé leurs mœurs et leur type primitif.
97. Égyptiens musulmans. — À l'époque de l'inva-
sion arabe , une grande partie de la population cophte
embrassa de gré ou de force l’islamisme, et alors une
fusion assez grande eut lieu entre les conquérants et
ies vaincus. Dans ce mélange, les Arabes entrèrent
pour une proportion bien faible relativement à la masse
de la population. D'où il résulte que l'Égyptien actuel
tient beaucoup plus, par ses formes , par son caractère
et par ses mœurs, des anciens Égyptiens que des véri-
tables Arabes, dont on ne trouve le type pur qu’en
Arabie.
Les Égyptiens musulmans, qui forment la masse de
la population actuelle des villes et des campagnes , et
qui sont désignés par le nom de fellahs, se distinguent
aux caractères physiques suivants : crâne développé ,
angle facial presque éroit, figure ovale, sourcils ar-
qués, yeux noirs et enfoncés; lèvres saillantes, barbe
pleine, poitrine large, ventre peu volumineux, colonne
vertébrale courbée en arrière, membres arrondis, arti-
HISTOIRE NATURELLE. 9357
culations peu saillantes, mains et pieds petits , taille
moyenne. La couleur de leur peau est plus ou moins
foncée; et bien que l'Égypte ait une superficie peu
considérable en latitude, on voit sur le littoral de la
Méditerranée le teint des habitants presque aussi blanc
que celui des Européens, tandis qu’il se rembrunit
successivement jusqu’à Assouan , où on peut le compa-
rer à celui des Nubiens; c’est-à-dire qu'il est là plus
foncé que celui des mulâtres.
98. Bédouins. — Les tribus nomades qui fréquentent
les déserts voisins de l'Égypte sont connues sous le nom
de Bédouins. Les Bédouins sont en général de taille assez
élevée , leurs membres ne sont pas arrondis, comme
ceux des Arabes cullivateurs ; ils sont grêles. Leur
teint naturellement blanc est hâlé par le soleil. Parmi
leurs femmes, il en est qui sont d’une beauté ravis-
sante. Les Bédouins sont fiers de la pureté de leur
race, qu'ils tiennent à maintenir intacte, et qu'ils se
gardent bien de mélanger en contractant des unions
chez les habitants des terres cultivées.
99. Barabras. — Les Barabras sont une peuplade
de la Nubie inféricure qui est répandue sur les rives
du Nil, depuis l'ile de Philoë jusqu’à la seconde cata-
racte, sur un espace d'environ 100 lieues de longueur.
Ils se distinguent des Égyptiens par la couleur de leur
peau, qui imile la teinte de l’acajou. Ils ne peuvent pas
d’ailleurs être confondus avec la race nègre. La dou-
ceur de leurs mœurs et leur probité sont remarquables.
On en compte 5 à 6,000 au Caire qui occupent des
fonctions domestiques. Les Barabras, comme nos Au-
vergnals et nos Savoyards, se retirent dans leur pays
938 HISTOIRE NATURELLE.
pour y finir leurs jours, aussitôt qu’ils ont amassé en
Égypte un petit pécule. La population barabra, qui
occupe l’espace que nous avons indiqué plus haut, ne
compte pas plus de 120 à 150,000 âmes.
100. Juifs. — Les Juifs, en Égypte, ont plus que
partout ailleurs conservé leur physionomie primitive.
Au milieu d’une population brune, ils se distinguent
par la blancheur de leur teint ; leurs yeux sont bleus
ou gris, leur barbe et leurs cheveux sont en général
blonds ou châtains.
101. Grecs. — Les Grecs qui sont en Égypte pro-
viennent des différentes parties de la Grèce ; plusieurs
sont nés dans le pays. On les reconnait à la coupe de
leur figure, à leur taille svelte, à leurs manières en-
jouées et à leur costume qui diffère de celui des autres
habitants.
102. Syriens. — Les Syriens sont assez norhbreux
n Égypte. Ils ont moins d'élégance dans les formes,
et le caractère moins jovial que les Grecs. Ils parlent
arabe et portent le costume des raïas du pays.
105. Abyssiniens. — Les Abyssiniens sont amenés
en Égypte et sont vendus comme esclaves. Plusieurs
sont faits eunuques et acquièrent alors une valeur
beaucoup plus grande. Les femmes sont en nombre
plus considérable.
Les Abyssiniens proviennent des côtes de la mer
Rouge et de l'Océan, de l’intérieur et des frontières de
la Nigritie. Il y en a trois variétés :
1° Ceux de la première ont la couleur des mulätres,
des cheveux crépus sans être laineux;
20 Ceux de la seconde, qui habitent l’intérieur, ont
HISTOIRE NATURELLE. 239
un teint plus clair ; leurs cheveux sont longs et frisés.
Ces deux variétés ont la conformation de la tête et
les traits du visage comme les Arabes, mais avec plus
de régularité et de douceur. Leurs formes sont arron-
dies ; leur constitution est délicate ; ils manquent de
force physique et d'énergie morale; ils sont intelligents
et fidèles. Les femmes sont remarquables par leurs
charmes et leur douceur.
5° La troisième variété se trouve sur les limites de
la province des Gallas. Là, les Abyssiniens ont la peau
presque noire , les cheveux laineux ; les traits de leurs
visages se rapprochent de ceux des nègres.
104. Éthiopiens.— Les nègres qui arrivent en Égypte
proviennent du Darfour, du Cordofan, des provinces
du Camamil.
Les différentes tribus de ces contrées, en guerroyant
entre elles, font des prisonniers qu’elles vendent ou
qu’elles échangent, et des marchands nubiens, appelés
Gellabs , conduisent ces esclaves dans les marchés des
principales villes de l'Égypte.
Les nègres de ces contrées présentent des types et
des caractères qui constituent des variétés très-nom-
breuses, qui se distinguent par la taille, la forme de la
tête, les traits du visage, la couleur de la peau, leur
capacité intellectuelle.
105. Européens. — Les Européens qui habitent
l'Égypte et qui sont désignés sous le nom générique
de Francs, se composent de membres de diverses na-
tions de l’Europe et surtout d'Italiens ; ils ont été en
général attirés dans l'Égypte et le reste du Levant par
les affaires commerciales. Il n’y en a qu'un très-petit
940 HISTOIRE NATURELLE.
nombre qui fassent de l'Égypte leur séjour permanent.
Aux chapitres de la population et des mœurs, je
parlerai encore des diverses races qui habitent l'Égypte;
dans le premier, j'indiquerai dans quel rapport elles
s’y trouvent entre elles: dans le second, les traits mo-
raux les plus saillants qui les distinguent.
SOUS
CHAPITRE TI.
LA] [DS+-
Population, habitations,
villes et villages de l'Égypte.
ÿ E.
POPULATION.
Population de l'Égypte dans l’antiquité. — Population actuelle, — Causes
de la dépopulation de l'Égypte. — Ce qu'a fait Méhémet-Ali dans l'in-
térêt de sa repopulation. — Obstacles qui paralysent dans le présent
les heureux effets des réformes du vice-roi.
1. Population de l'Égypte dans l'antiquité. — L'É.
gypte, dans les temps de son antique splendeur, dut
avoir, comme tous les États prospères, une population
nombreuse; s’il faut en croire Strabon et Diodore de
Sicile, elle aurait compté, sous Sésostris et sous les
Ptolémées, de sept à huit millions d'habitants.
Les historiens arabes vont jusqu’à prétendre que,
lors de la conquête de ce pays par Amrou, sa popula-
tion s’élevait à vingt millions d’âmes, et qu’il contenait
vingt mille villes ou villages. Ces chiffres se ressentent
1. 21
242 POPULATION, HABITATIONS,
de l’exagération dont les Orientaux imprégn ent tous
leurs écrits. On leur trouvera cependant moins d'in-
vraisemblance et même quelque fondement si, esti-
mant la population d’un pays par celle que ses moyens
naturels lui permettent de nourrir, on prend, pour
données d’une induction de ce genre appliquée à l'É-
gypte, l'étendue de son territoire, la nature de son sol
et la quantité de ses terres cultivables ; or, la surface
de la vallée du Nil équivaut au sixième de celle de la
France; cette surface est une vallée d’une fertilité pro-
verbiale; elle est, s’il m’est permis de parler ainsi,
élastique : l’agriculture peut l’élargir à volonté, et
conquérir le désert en conduisant sur ses sables les
eaux du Nil. Avec de pareils éléments de richesse in-
térieure, je crois probable que l'Égypte, avant sa com-
plète décadence, avait au moins le tiers des habitants
que lui donnent les évaluations des Arabes.
9. Population actuelle. — Au commencement de ce
siècle, lors de l'expédition française, on n’estimait plus
sa population qu’à 2,000,000 d’âmes ; il y a, il est vrai,
de l’inexactitude dans ce nombre, car il est bien dé-
montré qu’elle est aujourd’hui de plus de 3,000,000
d'habitants.
Il est impossible d'appuyer ce chiffre sur des don-
nées exactes, il n’y a pas en effet d'état civil en Égypte.
Les évaluations ont été faites sur le nombre approxi-
matif des maisons. On a supposé qu’en moyenne les
maisons du Caire contenaient huit personnes et celles
du reste de l'Égypte quatre. On peut estimer à envi-
ron quaiorze cent mille le chiffre de la population mâle,
dont le iers , à peu près, est en état de porter les ar-
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 9243
mes ; la population totale peut se classer de la manière
suivante :
Égyptiens musulmans. . . . 2,600,000
Égyptiens chrétiens (cophtes). 150,000
Demas on Turcs. ". 12,000
Arabes bédouins . . . . . 70,000
. 20,000
A 5,000
= 5,000
Esclaves circassiens, mingré-
liens, géorgiens. . . . . 5,000
UT. 7,000
TS RS de 5,000
TT, 5,000
M 2,000
ES Ur, 2,000
EE .U. 2,000
. . , 1,000
0. de 7133 900
© ) ., . de 50 à 100
DONS. - . . . . . de 60 à 100
. . . . Œ Da D
Espagnols . . . de 15 à 20
Suisses, Belges, Hollandais,
Prussiens , Suédois, Danois,
UE. | 100
Je répète que ces chiffres ne sont pas officiels, je ne
les ai déterminés que pour donner une approximation.
5. Causes de la dépopulation de l'Égypte. — En
comparant la population de l'Égypte antique avec celle
244 POPULATION, HABITATIONS,
qu’elle contient en ce moment, on ne peut s'empêcher
de s'interroger avec tristesse sur les causes du décrois-
sement rapide de la race humaine, dans une contrée
envers laquelle la nature a pourtant été si prodigue.
Serrée sur ses flancs par le désert, serait-elle forcée de
céder peu à peu du terrain à ce cruel envahisseur ? Se-
rait-il vrai, comme le prétendent quelques géologues :,
qu’une loi naturelle destinerait la haute Égypte à être
submergée par le Saharah, qui a déjà enseveli sous ses
sables une large partie de l’ancienne Thébaïde ? L’hu-
manité serait-elle expulsée ainsi, par une puissance
irrésistible, de l’une de ses plus antiques demeures ?
nous ne le pensons pas; nous croyons qu’en Égypte
l’homme peut triompher du désert, et ne doit accuser
que son incurie des progrès de cet élément de des-
truction.
La vie pour l'Égypte, c’est le Nil : la mort, c’est le
désert ; le Nil l’a créée, il en est toujours l'âme : aban-
donné à l’impulsion qui le mène, le désert la corrode
et la détruit ientement. Mais le fleuve peut dompter le
sable, car il le féconde. Pour conserver, pour agrandir
même cette belle péninsule égyptienne qui s’avance de
deux centslieues à travers les mers sablonneuses, il s’agit
donc d’opposer le fleuve au désert. La prospérité de
l'Egypte et l'augmentation du nombre de ses habitants
dépendent du ménagement des eaux du Nil ; elles sont
solidairement attachées au développement et à l’entre-
tien des irrigalions. Or, pour donner à des intérêts si
importants une surveillance constante et des soins as-
5 Cuvier , Discours sur les révolutions de la surface du globe.
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 9245
sidus , il faut une pensée et une force gouvernemen-
tales toujours une. L'Égypte est donc le pays qui de-
mande le plus à être gouverné ; son existence matérielle.
la conservation de son sol et partant de sa population,
réclament de la vigueur et de la continuité dans l’exer-
cice du pouvoir qui la dirige. Mais , par une ironique
fatalité, aucune contrée n’a été, depuis mille ans, plus
mal gouvernée ; aucune n’a vu se succéder, pendant de
courts espaces de temps, des pouvoirs aussi barbares,
aussi destructeurs dans leurs instincts, aussi pares-
seux, aussi inintelligents dans leur administration.
Quelque part que l'on recherche les causes de la dé-
population de l'Egypte, depuis Amrou , on les voit
donc toujours remonter à ses gouvernements ; il vau-
drait mieux dire aux anarchies diverses qui ont usurpé
dans son sein le nom du gouvernement, sans en exer-
cer les utiles fonctions.
Si, voyant leurs champs se couvrir d’une aride su-
perficie et manquant de moyens de subsistance , de
nombreuses familles ont émigré; si d’autres se sont
rapidement éteintes dans la misère ; à qui la faute , si-
non au pouvoir ou plutôt à l'absence de tout pouvoir
digne de ce nom?
Si des épidémies ont ravagé l'Egypte; si elles s’y
sont installées à demeure, qui a été coupable de ne
pas les avoir prévenues dans leurs principes ou com-
battues dans leurs conséquences? De la part de qui.
en ce cas, l'ignorance et l’insouciance étaient-elles des
crimes”? C’est encore sur les gouvernements que pèse
accusation, ou c'est de l'absence de gouvernement
qu'il faut de nouveau se plaindre,
21
..
246 POPULATION, HABITATIONS.
A la faveur de la longue anarchie qui était devenue
l’état ordinaire de l'Égypte. des nuées de chefs subal-
ternes tenaient de la loi du sabre le droit d’en mutiler
et d'en tuer les habitants. Sous l’étreinte de ces mille
petits despotes, comment aurait-elle pu reprendre
santé et vigueur ? Continuellement ensanglanté par des
guerres intestines, dévasté sans relâche par des hordes
de conquérants, ce pays s’en allait dépérissant peu à
peu comme rongé par une lèpre incurable.
4. Ce qu’a fait Méhémet- Ali dans l’intérêt de la
repopulation de l'Égypte.— Certes, parvenir à fonder
un pouvoir fort au milieu d’une contrée aussi mora-
lement et matériellement délabrée, établir une unité
robuste là où une monarchie séculaire avait tout frac-
tionné , donner à ce pouvoir nouveau assez de vitalité
pour qu’on puisse se promettre la continuité de son
action par sa transmission héréditaire dans la même
famille, c’est, ce me semble, l’œuvre d’un merveilleux
génie ; c'est le commencement, et le seul commence-
ment possible de la régénération et de la repopulation
de l'Égypte. On ne pouvait pas attendre davantage de
Méhémet-Ali; on n’avait pas même le droit d'exiger
qu'il fit autant.
Ses ennemis l’accusent néanmoins d’épuiser l'Égypte;
ils lui font un crime surtout de sa dépopulation ac-
tuelle, et lui reprochent de l’augmenter par l'entretien
de forces militaires qui excèdent les ressources du pays.
Si l’on admet que, pour renaitre à la civilisation et
revenir aux temps de sa prospérité si fameuse, l'Égypte
avait besoin, avant tout, d’un gouvernement fort et
durable, il faut excuser les moyens par lesquels Mc-
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 247
hémet-Ali a assuré la force et la durée de sa puissance.
C’est surtout dans les pays barbares où tout s'incline
devant le despotisme du fait, où le mot même de droit
commun est inconnu , que /a fin justifie les moyens.
On manque donc ou de logique ou de bonne foi lors-
qu’on veut rendre le vice-roi responsable des maux
passagers qu'a dù causer l’accomplissement de ses
projets, maux d’ailleurs qui ne sont que la suite de ces
souffrances chroniques dont il a pris à tâche de guérir
l'Égypte.
Sans doute, l'Égypte est aujourd’hui dépeuplée ;
mais à moins que l’on exigeât de lui l'emploi et la
réussite du procédé mythologique de Deucalion, le vice-
roi ne pouvait la doter d’une population improvisée.
Au milieu même des circonstances les plus favorables,
la civilisation est l’œuvre du temps; on ne régénère
pas un peuple d’un coup de baguette ; on ne le multi-
plie pas avec un simple fiat. Il suffit donc, pour sa
gloire, à Méhémet-Ali, d’abord d’avoir rendu tous les
progrès possibles, puis de leur avoir donné une vigou-
reuse impulsion, là où l’immobilité de la mort semblait
s'être installée pour toujours, au milieu des ruines.
Or Méhémet-Ali, loin d'avoir épuisé d’hommes la
vallée du Nil, a fait immensément au contraire, dans
l'intérêt de sa repopulation future. Napoléon avait dit :
« Encore vingt ans d’une administration comme celle
des mameluks et l'Égypte perd le tiers de ses terres
cultivables. » Le vice-roi a su prévenir les effets de
cette prédiction; 1l a ouvert de nombreux canaux qui
ont porté l’abondance dans les campagnes; il a perfec-
lionné le système d'irrigation ; il a refoulé ainsi le dé-
248 POPULATION, HABITATIONS,
sert, et augmenté, dans des proportions énormes , la
production de l'Égypte. Pour éloigner les causes des
maladies, pour en détruire les effets, il a appelé des
médecins étrangers et a créé une école de médecine et
des hôpitaux. Avant lui, la petite vérole moissonnait
le tiers des enfants ; cette cause de dépopulation a dis-
paru devant l'introduction de la vaccine. Il a détruit
le pouvoir arbitraire que s’arrogeaient les fonctionnai-
res; l'ordre le plus rigoureux règne dans toute la par-
ue de l'Afrique qui lui est soumise , et qui était au-
trefois en proie aux brigandages de tribus avides de
butin. On y jouit aujourd'hui de plus de sécurité,
peut-être, que dans les États les mieux gouvernés de
l'Europe.
5. Obstacles qui paralysent dans le présent les heu-
reux effets des réformes du vice-roi. — Les forces mi-
litaires de l'Égypte sont, il est vrai, considérables, mais
elles n’opposent pas d'obstacles absolus à l’accroisse-
ment de la population. Le fellah trouve en effet dans
les régiments un bien-être dont il est loin de jouir
chez lui : aussi la mortalité est-elle moindre parmi les
soldats que parmi les paysans ; d’un autre côté les mi-
litaires peuvent se marier et presque tous ont des
femmes. Il est certainement à désirer, dans l'intérêt
de la prospérité intérieure de l'Égypte , que les bras
de ses soldats soient rendus aux travaux agricoles. Si
Méhémet-Ali n'avait pas à défendre son indépendance
contre des mauvais vouloirs qu’on ne peut qualifier ;
s’il lui était permis de consacrer aux provinces qu'il
gouverne tous ses soins, {toutes ses pensées, peu d’an-
nées ui suffiraient pour répandre parmi ses sujets
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 9249
sinon la richesse, du moins l’aisance. Aujourd’hui, en
effet, fortifications, arsenaux, constructions publiques,
tous les travaux fondamentaux sont achevés, tous les
frais de matériel sont faits ; l'Égypte n'aurait plus qu'à
recueillir les avantages que lui promettent les réformes
récentes, si l'existence politique de celui à qui elle les
doit m'était pas sans cesse mise en question. Les
maux qui pèsent encore sur elle, c’est à l’Europe à les
faire cesser en tranchant, une fois pour toutes, les dif-
ficultés du problème oriental. Si elle ne marche pas
encore d’un pas assuré dans les voies de la prospérité
et de la civilisation , c’est aux puissances occidentales
qu’il appartient de lui donner l'impulsion définitive,
en mettant un terme aux longues anxiétés dans les-
quelles la tiennent le statu quo et les incertitudes de
la politique actuelle.
Ar:
MAISONS D'HABITATION. — ÉDIFICES PUBLICS.
Maisons des villes. — Leur apparence extérieure. — Porte d'entrée. —
— Croisées. — Terrasse. — Cour. — Logement des femmes. — laisons
des villages. — Mosquées. — Fontaines, abreuvoirs, bains. — Cafés,
bazars, okels.
6. Maisons des villes. — Les maisons des villes
sont généralement plus spacieuses et plus belles que
celles des villages. Il semble que ce fait, qui se ren-
contre partout , soit plus frappant encore en Égypte.
où la population des villages est pauvre et où laisance
250 POPULATION. HABITATIONS,
et la richesse se sont presque exclusivement réfugiées
dans les villes.
Les matériaux employés dans les villes pour la con-
struction des maisons sont des pierres calcaires, des
grès, tirés des montagnes qui les avoisinent, et des
briques cuites ou simplement desséchées au soleil.
Ces maisons n'ont le plus souvent qu’un rez-de-
chaussée et un étage, rarement deux. Elles ne sont
communément pas grandes, car chacune n’est occupée
que par une seule famille. On comprend aisément cet
usage , lorsque l’on sait que les mœurs musulmanes
concentrent la vie domestique dans l'isolement, et, à
cause des femmes, ferment l’accès de l’intérieur à tout
rapport intime et familier. Le musulman est d’ordi-
naire, pour le même motif, propriétaire de la maison
qu'il habite.
7. Leur apparence extérieure. — Du but exclusi-
vement personnel qu’a la demeure du musulman nais-
sent dans sa construction , dans sa distribution inté-
rieure , dans l'aspect qu’elle présente au dehors les
caractères spéciaux qui la distinguent. Chez elle, tout
ne concourt qu’à assurer au propriétaire les commo-
dités qu'il recherche et à l’envelopper de mystère ;
mails rien n’est sacrifié au goùt, aux exigences du pu-
blic. Ainsi la plupart des maisons, élevées sans symé-
trie, dans des rues irrégulières, ne sont pas recrépies,
et souvent celles de riches particuliers, dans l’intérieur
desquelles le luxe étale les ornements les plus distin-
gués, n’ont qu’une misérable apparence. Peut-être y
a-t-1l à cette négligence de la forme extérieure une
autre cause qu’une dédaigneuse indifférence pour l’a-
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 251
grément du public ; peut-être n'est-elle qu’une pré-
caution contre l'envie des grands et des puissants, à
la cupidité desquels les Orientaux avaient appris, par
une longue expérience, qu'il était trop dangereux d’of-
frir des tentations.
8. Porte d'entrée. — On entre, en général, dans ces
maisons par des portes très-basses. Ces portes s’ou-
vrent toujours en dedans; elles ne sont formées que
d’une seule pièce. Lorsqu'’elles sont ouvertes, la vue est
arrêtée par un mur qui fait face à l'entrée, et forme
une espèce de tambour par le côté duquel on pénètre
dans la maison. Les portes sont fermées intérieure-
ment par une forte barre en bois, qui court transver-
salement dans le mur, où on la fait glisser lorsqu'on
veut ouvrir, et d’où on la tire lorsqu'on ferme. Il y à
quelquefois aussi des serrures de divers genres que je
crois inutile de décrire.
9. Croisées. — Les facades sont percées par de
grandes fenêtres fermées par des grillages très-serrés,
qui permettent au vent et à la lumière de pénétrer dans
les appartements , mais dérobent aux regards les per-
sonnes ou les objets qui sont placés derrière eux. Les
parties de l’édifice situées au-dessus du rez-de-chaussée,
dans lesquelles sont ouvertes les fenêtres, s’avancent de
deux ou trois pieds sur les fondements, et forment des
balcons couverts. Le treillis des jalousies, appelé mus-
charabyeh, est fait avec de petits morceaux de bois
tournés, que l’on adapte ensemble de manière à compo-
ser des dessins compliqués et gracieux. Dans les mai-
sons pauvres, les grillages sont en roseaux ou branches
de palmiers. Dans les maisons des personnes aisées,
252 POPULATION, HABITATIONS,
des vitrages ferment en outre les croisées et protégent
l'intérieur contre la poussière.
10. Terrasse. — La toiture est horizontale; elle est
recouverte par une terrasse bordée d’un parapet de
hauteur d'homme. La terrasse sert d’étendoir, mais
principalement de lieu de récréation, dans les mai-
sons qui ne renferment ni cours ni jardins ; le maître.
son harem, ses esclaves, y montent pour respirer la
délicieuse fraicheur des soirées et se délasser des fati-
gues du jour. Le plancher des terrasses est recouvert,
en général, d’un mastic léger, composé du mélange de
la cendre des fours avec de la chaux et du plâtre. Dans
les maisons opulentes, elles sont dallées en pierres cal-
caires, sCiées en très-minces Carreaux.
11. Cour. — Chaque maison renferme presque tou-
jours une cour intérieure , qui a le double avantage de
lui donner de la lumière et de l’air. Autour de la cour
se trouvent les pièces où l’on renferme les peules , les
chèvres, etc., les écuries des bêtes de somme, les ma-
gasins de décharge, le moulin, le four , la cuisine, le
logement des domestiques et l'appartement où le maitre
recoit ses visites, et que l’on nomme Mandarah ; c’est
aussi dans la cour que le puits est creusé.
12. Logement des femmes. — La partie supérieure
des bâtiments est spécialement destinée aux femmes.
Elle renferme une grande salle, divan du maitre, qui
équivaut au salon de réception des maisons européen-
nes : les chambres à coucher du maître, des femmes et
des esclaves de son harem, des cabinets, ete.
15. Diverses particularités. — Toutes les maisons
musulmanes sont, à peu de variations près, construi--
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 255
tes sur le même type et divisées de la même manière ;
les légères différences qu’elles présentent entre elles
sont corrélatives au rang et à la fortune de leurs pro-
priétaires : chez les riches, par exemple, on trouve
presque toujours un jardin intérieur , domaine exclu-
sif des femmes , qui vont y chercher les distractions
que leur reclusion les empêche de demander à de fré-
quentes promenades extérieures. Les demeures des
grands seigneurs ont quelquefois deux cours et deux
jardins, et des corps de bâtisse séparés pour les hom-
mes et le harem.
Les maisons égyptiennes sont communément dallées
en pierres calcaires; dans celles qui appartiennent à
des personnes opulentes, les appartements sont sou-
vent lambrissés en marbre. On y trouve des bains. Le
mandarah, pavé en mosaïque , contient au centre un
bassin qui recoit l’eau jaillissante d’une fontaine. Les
appartements supérieurs ont souvent aussi leurs bas-
sins, alimentés par des jets d’eau. Il n'existe de che-
minée dans aucune autre pièce que la cuisine; au
contraire , les latrines sont très-nombreuses; chaque
appartement, à peu près, a les siennes. Les vitrages des
fenêtres ne s'ouvrent pas, comme chez nous, à deux
battants ; on les élève en les faisant glisser dans des
coulisses. Comme la ventilation est un point très-im-
portant pour une habitation égyptienne, on pratique
souvent dans la terrasse une ouverture que l’on sur-
monte d’un auvent tourné vers le nord : arrêté par
cette barrière, dans laquelle il s’engouffre , le vent se
répand dans l’intérieur de la maison.
C’est. le style arabe qui a présidé à la construction de
APERCU SUR L'ÉGYPTE. Î. 929
254 POPULATION, HABITATIONS,
presque toutes les maisons de l'Égypte. On sait de
quelles délicieuses fantaisies l'architecture arabe enri-
chit ses ouvrages ; on connait l’art charmant avec le-
quel elle réunit dans les ornements qu’elle sème avec
profusion la régularité des combinaisons à la vivacité
des caprices. On peut dire que les brillants détails que
les maisons égyptiennes lui doivent sont leur seule
beauté. Déjà en effet j'ai parlé de la triste défectuosité
de leur apparence au dehors ; elles ne sont pas plus ir-
réprochables dans leur distribution intérieure : la plus
grande irrégularité règne dans la disposition des pièces ;
souvent les appartements sont de différente hauteur,
et, quoique faisant partie d’un même étage, ne sont
pas soumis au même niveau. Favoriser l'isolement,
ménager des retraites cachées, voilà le but qui préoc-
cupe constamment l'architecte , but qu’il n’atteint ja-
mais qu'aux dépens de l'harmonie des parties et de
l'unité de l’ensemble.
Depuis quelques années, le système des construc-
tions s’est beaucoup modifié. Le style constantinopoli-
tain , genre bâtard, fusion de mauvais goût du style
grec dégénéré avec le style arabe, a été adopté. Plu-
sieurs constructions en hois ont'été élevées, d’après ce
système, dans lequel les fenêtres ogivales ont été rem-
placées par de grandes croisées rectangulaires , et le
luxe des arabesques, par le poli uniforme des surfa-
ces.
14. Boutiques. — Les maisons situées dans les
quartiers marchands ont des magasins au rez-de-chaus-
sée. Ces boutiques sont très-petites ; elles ont en géné-
ral de 192 à 15 pieds de largeur sur autant de profon-
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 255
deur. On n’y remarque aucun brillant étalage. Un
banc de pierre en interdit l’entrée au public, qui fait
ses achats en restant au dehors.
15. Maisons des villages. — Ce n’est guère que dans
les villes de la basse Égypte que les maisons sont con-
struites en pierres et en briques cuites ; là en effet, les
pluies étant fréquentes , les édifices exigent plus de
solidité que dans la haute Égypte, où elles sont rares.
Dans celle-ci, on ne se sert ordinairement que de bri-
ques carrées , séchées au soleil, ou simplement de
terre. Cette parlie du pays ne contient pas de villes
proprement dites, mais des villages. C’est surtout dans
les villages que se trouvent les habitations des pau-
vres : rien n’est misérable comme ces demeures; ce
sont des espèces de huttes ou de chaumières, qui s’é-
lèvent à peine de quelques pieds au-dessus du sol; leurs
murs fragiles sont formés de boue ou de briques de
terre , que cimente et tapisse la fiente des animaux.
Elles sont éclairées et aérées par de petites ouvertures ;
leurs toits sont couverts de branches et de feuilles de
palmiers. Le fellah vit dans leur étroite enceinte avec
ses animaux domestiques. Dans un grand nombre de
villages, des pigeonniers de forme carrée, mais dont
les murs sont légèrement inclinés à Er surmontent
les toits des chaumières.
16. Mosquées :. — Les mosquées sont les temples
des musulmans. La piété des souverains et des riches
les a répandues, en grand nombre, sur toute l'Égypte ;
la seule ville du Caire en contient plus de quatre cents.
* Voir le chapitre de la Relicion.
256 POPULATION, HABITATIONS,
Ordinairement ces édifices consistent en portiques dont
les rangées s'élèvent autour d’une cour carrée ; au cen-
tre de cette cour, se trouve un bassin destiné aux ablu-
tions. Le côté du bâtiment où est situé le sanctuaire
est tourné vers la Mecque ; il est plus spacieux que les
autres et contient deux ou trois rangs de colonnes, qui
forment autant de nefs parallèles au mur extérieur.
Une petite niche, nommée #ehrab, qui indique la
direction de la Mecque, est adossée au milieu de la
muraille du fond du sanctuaire. A sa droite est le
mimber ou chaire à prêcher. Vis-à-vis le mehrab s'é-
lèvent les pupitres qui supportent les exemplaires du
Coran et une petite tribune soutenue par des colonnes
d’où l’iman annonce l'heure de la prière.
Au-dessus des mosquées, les minarets détachent
dans l’azur du ciel leuts flèches légères. Ces tours, du
haut desquelles les müwezzins annoncent aux fidèles les
heures canoniques de la prière, donnent aux villes
musulmanes, du milieu desquelles on les voit saillir en
aiguilles élancées, une physionomie particulière. L’in-
térieur des mosquées est revêtu de ces sculptures dé-
liées, dans lélégante variété desquelles se complait
l'imagination exubérante des artistes arabes. On sait
que le prophète, voulant frapper au cœur l’idolâtrie, a
sévèrement défendu la reproduction par le crayon, le
pinceau ou le ciseau, de tout être vivant. Aussi ne ren-
contre-t-on jamais dans les monuments musulmans de
figures d'hommes ou d'animaux. L’imagination de
l’artiste arabe n’interroge, parmi toutes les formes de
beauté dont se revêt la nature, que la végétation, sa
parure la plus brillante. Aussi les sculptures arabes ne
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 257
présentent-elles jamais que d’ingénieux entrelacs de
branches, de feuilles et de fleurs, et doivent-elles à
cette singularité le caractère original qui les distingue.
Souvent les voyageurs, frappés de l’état de délabre-
ment dans lequel se trouvent la plupart des mosquées,
ne savent comment le concilier avec la piété ardente
des mahométans et le respect qu’ils professent pour les
édifices de leur culte. Mais c’est ce respect même,
poussé à l’excès, qui est la cause de leur négligence
apparente. Ils craignent en effet de violer la sainteté
de ces monuments, en leur faisant des réparations ; ce
n’est que lorsqu'ils menacent ruine qu'ils se décident
à les abattre pour les reconstruire.
17. Fontaines, abreuvoirs , bains. — Presque tou-
jours des fondations utiles sont annexées aux mos-
quées : par exemple, des fontaines, des abreuvoirs,
des bains, des écoles, des hôtelleries. Les fontaines ou
plutôt les citernes (sebil) sont très-répandues en
Égypte. C’est lorsque le Nil commence à s’élever que
Pon y fait la distribution de l’eau. Ces sebils, ordinai-
rement de forme circulaire, sont richement décorées
de grilles en bronze, de colonnes de marbre, de vi-
traux coloriés et d'inscriptions. Les abreuvoirs pu-
blics consistent en un seul bassin ; quelques-uns sont
recouverts d’une niche ou d’une arcade ; il en est même
qui, abrités sous un portique, présentent un aspect
monumental. Le climat de l'Égypte et les prescrip-
tions religieuses ont nécessité l’usage des bains : aussi
compte-t-on partout un grand nombre de bains publics.
18.Cafés, bazars,okels. — On se tromperait beaucoup
si lon s’imaginait que les cafés d'Orient ressemblent
9.)
Ai mm»
558 POPULATION, HABITATIONS,
en rien aux nôtres; ce sont des salles entourées de
bancs en pierre, et recouvertes de nattes dans lesquelles
les Égyptiens vont fumer, prendre le café et écouter les
conteurs. Les cafés sont très-nombreux. Les bazars
ne sont guère que des rues couvertes, garnies de bou-
tiques, où la population se presse. Les okels sont
de grands édifices destinés aux besoins du commerce.
Ils sont formés de bâtiments élevés autour d’une cour
carrée qui contient ordinairement un oratoire et une
fontaine, et dans le pourtour de laquelle s’ouvrent de
vastes magasins voütés et à l’abri des incendies. Les
étages supérieurs sont divisés en chambres et servent
d’hôtellerie aux négociants étrangers.
19. Villes et villages de l'Égypte. — Ce que j'ai dit
des maisons égyptiennes doit faire présumer que les
villes qu’elles composent ne sont rien moins que belles.
En effet, non-seulement les rues ne sont pas bordées
de maisons dont l’aspect satisfasse la vue; mais encore,
comme elles ne sont soumises à aucune loi d’aligne-
ment, comme chaque propriétaire ne consulte que sa
fantaisie et sa commodité lorsqu'il se construit une de-
meure, il dédaigne souvent de faire confronter la
facade de sa maison avec la voie publique, et lui donne
une position oblique à la rue. Du reste, les rues sont
souvent si étroites que les #usharabyehs des maisons
qui se font face se touchent presque, empêchent la cir-
culation de l'air et interceptent les rayons du soleil.
Elles ne sont pas pavées, et tantôt une poussière
épaisse, tantôt une fange bourbeuse en rendent le
parcours désagréable et difficile. Quelques-unes sont
larges, mais toutes sont tortueuses : aussi, coupées par
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 259
de nombreuses impasses, se mélant entre elles au hasard
et sans ordre, forment-elles souvent des labyrinthes
inextricables pour quiconque n’en a pas l’habitude.
Les villes sont divisées en quartiers; souvent ces
quartiers sont fermés par de grandes portes, confiées,
comme au Caire, à des gardiens qui font le guet pen-
dant la nuit. Ces quartiers portent des noms; les rues
ont aussi leurs dénominations, mais celles-ci ne sont
pas inscrites; de même les maisons ne sont pas numé-
rotées. Il n’y a pas d'éclairage public; seulement les
personnes aisées mettent, pendant la nuit, de petits
lampions devant leurs portes.
Le site des villes et des villages a été pris le plus
souvent au hasard et choisi sans observations des rè-
gles de la salubrité publique, pour lesquelles les habi-
tants de l'Égypte, ceux des villages surtout, montrent
l'indifférence la plus funeste. On les voit abandonner,
avec une déplorable insouciance, leurs demeures aux
outrages de la vétusté; ils laissent se lézarder les murs
de leurs maisons, qui deviennent bientôt le réceptacle
d’une multitude d'insectes et de reptiles. Ils dédaignent
de déblayer les ruines nombreuses qui s’amoncellent
chaque jour sur le sol, et, par-dessus ces débris, ils
jettent sans répugnance des immondices infectes.
260 POPULATION, EABITATIONS,
SH.
DIVISIONS TERRITORIALES.
Divisions dans l'antiquité. — Sous les mameluks. — Divisions actuelles.
1, 2°, 3°, 4°, 5°, 6°, 7° moudyrlicks.
20, Divisions dans l'antiquité. — L'Égypte était
divisée , sous les Pharaons , en trente-six nomes sub-
divisés à leur tour en de plus petites sections. Qua-
torze de ces préfectures étaient comprises dans la basse
Égypte et vingt-deux dans la haute. Les Ptolémées
conservèrent cette classification. Lorsque, sous Au-
guste , l'Égypte devint province romaine, cet empe-
reur la jugea trop importante pour la confier à un seul
proconsul : il en fit douze prétures.
21. Divisions sous les mameluks. — Sous les ma-
meluks elle était considérée comme formant quinze
provinces ; la basse Égypte en contenait neuf : Baïreh,
Rosette, Garbieh, Menouf, Damiette, Mansourah,
Charkieh, Kelyoub et Giseh; la moyenne, trois :
Atfeh, Fayoum et Benisouef ; la haute, trois : Syout,
Girgeh et Thèbes.
Ces divisions furent maintenues par Bonaparte.
22. Divisions actuelles. — Méhémet-Ali les a chan-
gées, et a soumis le pays à de nouvelles classifications
administratives, propres à assurer la centralisation
du pouvoir et l’unité de son action. L'Égypte a été
divisée par lui en sept gouvernements principaux ,
régis par des intendants nommés moudyrs. Les mou-
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 261
dyrlicks sont divisés en départements et les départe-
ments en cantons, qui renferment dans leur circon-
scription plusieurs villages.
La basse Égypte comprend quatre moudyrlicks ; la
moyenne et la haute, trois ; le nombre total des dépar-
tements est de soixante-quatre. On compte près de trois
mille cinq cents villages.
Je vais indiquer la circonscription des moudyrlicks,
les départements dont il se composent et les villes et
villages les plus importants qu’ils renferment.
25. 1 moudyrlick, formé des provinces de Baïreu :
départements de Rahmanyeh, Neguileh, Chebreiss,
Damanhour. C'est à l'extrémité nord-ouest de cette
province que se trouve Alexandrie (Iskanderyeh );
villages importants : Aboukyr, Deirout , Terraneh.
Gisex : département de Giseh et Bedricheyn ; villes :
Myt-Ranymet (Memphis), Daschkom, Sakkarah. Le
Caire, qui n’est pas compris dans le gouvernement du
moudyr, est dans la province de Giseh ;
KéLyous : départements de Xélyoub, Marg, Benh&
el Asal et Tahä; vil. : Choubra, Kankah, Abouzabel,
Mataryeh.
24. 2° moudyrlick, formé des provinces de MEnour :
départements de 4chmoun Gireys, Beydjour, Chybyn
el Koum , Melyg, Ebyär ; ill. : Menouf ;
GARBYEH : départements de Fouah, Zefteh, Tantah,
Djafaryeh, el-Chabäsât, Mehalet-el-Kebyreh, Nabaro,
Cherbyn, Damiette ; vill. : Rashid (Rosette), qui n’est
pas sous la juridiction du moudyr, Mehallet-el-Kebir.
25. 5° moudyrlick, formé de la province de Maxsou-
RAu : départements de Myt Ghamar, Senbelläoueyn,
262 POPULATION, HABITATIONS,
Mansourah, el-Ouady, Mehaïilet-el-Damceneh, Men-
zaleh; vill. Farescour, el-Arisch, Tineh, auprès des
ruines de Péluse.
96. 4° moudyrlick, formé des provinces de Cxar-
KYEH : départements de Chebeyt-el-Nakaryeh, Azy-
zyeh, Belbeys, Heya, Abou-Kebyr, Kofour-Nedjem.
Ares , formant un seul département : vill. el-
Tabyn.
27. Un moudyrlick dans la moyenne Égypte, com-
prenant le Fayoum et Benisouef, est formé de six
départements : Qemen-el-A4rous, deux départements
dans le Fayoum, Benisouef, el Fechn et Abou-Girgé:
Principaux villages : el-Zàouyeh , Aboucyr-el-Ma-
laq, Medinet-el-Fayoum, el Lâhoun, Massaral Da-
raouéh.
28. La haute Égypte est divisée en deux moudyr-
licks.
Le premier comprend les départements de: Beny-
Mazär, Minyeh, Sakyet-moussé, Deyrout, Mellaouÿ,;
Qousyeh , Monfalout , Doueyr , Cheroug, Syout, Sou-
hôs, Taht4, Ackhmyn, Bardys, Girgeh, Farchout,
Fâoubas.
Le deuxième comprend les départements de Keneh,
Kous, Esné, Edfou. Villages remarquables : Den-
derah , Medinet-Abou (ruines de Thèbes).
$ IV.
LES VILLES LES PLUS REMARQUABLES DE L'ÉGYPTE ACTUELLE.
Alexandrie. — Aboukir. — Rosette. — Damiette. — Hamanhour. — Ra-
manvyeh.— Fouah. — Mansourah. — Mehallet-el-Kebir. — Tantah.
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VILLES ET VILLAGES DE L'EGYPTE. 263
— Autres vies de la basse Égypte. — Le Caire. — Benysouef. —
Medinet-el-Fayoum. — Fiddemin. — Minieh. — Achmcuneyn.— Mou-
falout. — Syout. — Ackhmyn. — Girgeh. — Keneh. — Kous. — Esné.
— Assouan, — Suez. — Kosseyr.
Je vais parler rapidement des villes les plus impor-
tantes de l'Égypte actuelle ; je commencerai par celles
qu'offre la basse Égypte, je remonterai ensuite le cours
du fleuve : c’est la marche la plus naturelle, car c’est
celle que doivent suivre les voyageurs européens qui
viennent visiter cette contrée.
99, Alexandrie. — « Alexandre , a dit Napoléon,
s’est plus illustré en fondant Alexandrie et en méditant
d’y transporter le siége de son empire, que par ses
plus éclatantes victoires. Cetie ville devait être la
capitale du monde. Elle est située entre l'Asie et l’A-
frique , à portée des Indes et de l'Europe. Son port est
le seul mouillage des cinq cents lieues de côtes qui
s'étendent depuis Tunis, ou l’ancienne Carthage, jus-
qu’à Alexandrette; il est à l’une des anciennes embou-
chures du Nil. Toutes les escadres de l’univers pour-
raient y mouiller, et, dans le vieux port, elles sont à
l'abri des vents et de toute attaque. »
Alexandrie est située sous les 51° 15’ 5” lat. N. et 27°
55" 50/ long.; elle est bâtie, près du lac Maréotis, sur
un isthme qui joint à la terre ferme la presqu'’ile qui
couvre ses deux ports. Le Port-Neuf, placé à l’est, est
très-ouvert et n'offre pas aux navires de mouillage sûr
pendant les gros temps. C’est à l’extrémité du môle qui
le protége, que se trouve le fort du Phare, bâti sur
l'emplacement où s'élevait, pendant lantiquité, le
phare si célèbre des Ptolémées. Le Port-Vieux , situé à
264 POPULATION, HABITATIONS,
l’ouest, ouvre aux navires un bassin très-profond et
très-sûr; les passes par lesquelles on y pénètre sont
difficiles pour les vaisseaux d’un fort tirant d’eau. Avant
Méhémet-Ali, l’entrée en était interdite aux navires
des chrétiens, qui ne pouvaient aborder que par la
rade dangereuse de l’est.
Entourée d’un côté par la mer, de l’autre par les
sables, Alexandrie est placée dans une position insu-
laire. La ville actuelle, ainsi qu’on l’a souvent remar- :
qué, n’a guère reçu en héritage de la cité antique que
son nom et des ruines. Celle-ci avait été construite par
l'architecte Dinocrates , sur les plans mêmes d’Alexan-
dre. Au rapport de Pline, elle avait environ cinq lieues !
de tour et contenait une population de 300,000 «i-
toyens et autant d'esclaves ; une rue de 2,000 pieds de ,
long sur 100 de large la traversait du nord au sud, et
était coupée à angle droit par une autre rue presque !
aussi belle. Des palais magnifiques , des temples, des
gymnases , des cirques , des théâtres, des monuments
de toute sorte se pressaient dans son enceinte.
Lorsque Alexandrie fut prise par Amrou, elle for-
mait, d’après les historiens arabes, trois villes, Menné,
Nekité et Iskandérié. Dans son rapport au calife Omar,
Amrou dit qu’elle contenait 4,000 palais, 4,000 bains,
400 théâtres ou édifices publics et 12,000 magasins.
Vers l’an 1212 de notre ère, un successeur de Saladin
l’entoura d’une enceinte de deux lieues de circuit, flan-
quée de cent tours, qui subsiste encore aujourd’hui, et
a été réparée par Méhémet-Ali. Sous la domination :
musulmane, et principalement sous les mameluks ,
Alexandrie déchut rapidement; aussi n’était-elle plus,
Re te a
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 265
à l’époque de l'invasion française , qu’une bourgade et
un repaire de pirates ; sa population s'élevait à peine à
8,000 âmes ; ses fortifications tombaient en ruine; les
Bédouins venaient jusqu'aux pieds de ses murailles
commettre impunément leurs pillages, et à peine pou-
vait-on aller, sans escorte, visiter la colonne de Pompée,
à dix minutes de la ville.
Le séjour des Français en Égypte ne fut pas assez
long pour leur permettre de replacer Alexandrie à la
hauteur où ses destinées l’appellent naturellement. Ils
ne purent que la doter de fortifications nouvelles et
réparer les anciennes qui tombaient en ruine lorsqu'ils
s'en emparèrent.
Méhémet-Ali fut à peine arrivé au pouvoir qu'il com-
prit avec la vivacité et la sûreté de son coup d'œil la
triple importance militaire, maritime et commerciale
que la nature avait donnée à Alexandrie.
Cette ville est la clef militaire de l'Égypte ; c’est le
point sur lequel doivent porter nécessairement les pre-
mières attaques des ennemis ; il était donc d’un intérêt
majeur de veiller au perfectionnement et à l'entretien
de ses fortifications. La descente des Anglais, en 1807,
dut faire sentir au vice-roi que la moindre négligence
à cet égard pourrait devenir fatale.
Les ports d'Alexandrie sont les seuls que renferme
l'Égypte ; si des flottes sont nécessaires pour protéger
l'indépendance de ce pays, que les puissances euro-
péennes ne peuvent menacer que par mer, c’est Alexan-
drie qui leur offre un asile vaste et inattaquable; c’est
de cet avantage naturel qu'il fallait profiter : Méhé-
met Ali n’a pas fait défaut à cette nécessité. Il à fait
1, 23
2356 POPULATION, HABITATIONS.
d'Alexandrie son portmilitaire ; il y a établi son arsenal.
L'importance commerciale de tout point du littoral
méditerranéen de l'Égypte est subordonnée à la facilité
de ses relations avec le Caire, centre commercial, in-
dustriel et politique. Dans l'antiquité, Alexandrie sé
reliait au cœur de l'Égypte par la branche du Nil à
l'extrémité de laquelle elle était placée ; lorsque cette
branche fut peu à peu comblée par les atterrissements,
les premiers conquérants arabes rattachèrent Alexan-
drie au Caire par un canal dont les historiens orientaux
nous ont laissé de magnifiques descriptions. Mais sous
l'administration des mameluks, ce canal dépérit promp-
tement et ne fut bientôt plus qu’un simple fossé, des-
séché pendant la plus grande partie de l’année. Alors
Alexandrie perdit sa position commerciale, qui échut
à Rosette. Mais Méhémet-Ali la lui a rendue, en la re-
joignant au Caire par un canal navigable , auquel il à
donné, en l’honneur du sultan Mahmoud, le nom de
Mahmoudieh. Maintenant tout le commerce de l'Égypte
s’est donc concentré à Alexandrie. Le ministre du
commerce à son administration dans cette ville; c’esi
Jà qu'il vend aux négociants européens les produits
d'exportation.
Triplement régénérée, Alexandrie a vu sa popula-
tion s’accroitre rapidement et atteindre le chiffre de
60,000 âmes, dont les équipages des flottes et les ou-
vriers de l’arsenal forment environ le tiers. On compte,
dans les deux tiers restant, vingt mille Arabes indigènes,
six mille Turcs, dix mille Juifs ou Cophtes et cinq mille
Européens. je ne parle pas de la population flottante at-
tirée soit par les affaires, soit par la curiosité des voyages.
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 267
L’aspect de la ville, on le concevra aisément , s’est
complétement modifié depuis ces dernières années.
Les immenses cimetières qui se trouvaient dans l’inté-
rieur ont été rejetés au dehors. Les mares d’eau sta-
gnante qui y croupissaient ont été desséchées et com-
blées. Les rues n’ont pas été pavées, il est vrai, mais
celles sont tenues avec propreté. Des constructions de
tout genre, des arsenaux, des palais, des casernes, des
fabriques, des hôpitaux, etc., ont été bâtis sur un
grand nombre de points. Une partie considérable des
murs d'enceinte, qui s’élevaient sur les bords de la
mer, a été abattue pour faire place aux agrandisse-
ments de Ja ville.
C’est sur la presqu’ile connue sous le nom de Ras-el-
Tyn (cap des Figuiers) que se trouvent l'arsenal de la
marine, le palais du vice-roi et plusieurs autres con-
structions occupées par le service de administration
et du gouvernement.
L’isthme qui unit Ras-el-Tyn à la terre ferme est
occupé par la ville turque, bâtie d’après le type ordi-
naire des cités musulmanes.
Ensuite vient le quartier des Européens. Alexan-
drie avait autrefois son quartier franc, c’est-à-dire
celui qui était habité par les Francs ou Européens. Ce
quartier était bien supérieur aux diverses parties. de la
ville occupées par les indigènes. Mais c’est surtout de-
puis le gouvernement de Méhémet-Ali, car c’est depuis
lors que la résidence des consuls généraux a été défi-
mitivement fixée à Alexandrie, qu’il a pris un bel
aspect. Lorsqu’en 1895 je débarquai dans cette ville,
on ne distinguait, dans le quartier franc, que quelques
268 POPULATION, HABITATIONS,
okels. Aujourd’hui, il a entièrement changé de face ;
il s’est étendu depuis le centre du Port-Neuf jusqu’à
l'aiguille de Cléopâtre. On voit actuellement, dans le
voisinage de ce monument, une très-belle place formant
un rectangle d'environ huit cents pas de long sur cent
cinquante de large. Les maisons qui entourent cette
place ont été bâties à l’européenne , sur des plans fort
élégants. Quelques-unes appartiennent à Ibrahim-Pa-
cha. C’est sur cette place que logent les principaux
consuls ; le palais consulaire de France se distingue
parmi tous les autres par sa belle apparence.
On remarque dans l’enceinte deux monticules de
200 pieds de hauteur environ, couronnés par deux
forts construits par l’armée française et dont l’un con-
serve le nom et consacre la mémoire du brave général
de génie Caffarelli-Dufalga, mort au siége de Saint-
Jean-d’Acre. La colline du fort Caffarelli, la plus proche
de la ville, est formée par un amas de décombres qui
ne datent probablement que de l’époque des Arabes.
L'autre, qui porte le nom de Kom-el-Dyck :, est un
rocher calcaire, et couvre l'emplacement occupé, dans
l'antiquité , par un théâtre. On n’y voyait aujourd’hui
que quelques misérables cabanes d’Arabes; autrefois les
Européens riches, ayant reconnu la salubrité de ce lieu,
s’y sont fait bâtir des maisons de plaisance, qu’ils ont
entourées de jardins.
Les environs d'Alexandrie sont couverts , jusqu’à
deux lieues à la ronde, d'immenses ruines, qui prou-
vent qu’il n’y a rien d’exagéré dans ce que les histo-
1 Colline du Coq.
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 269
riens ont rapporté sur les merveilles de la ville an-
cienne. Les matériaux avec lesquels la ville arabe avait
été construite, ont été fournis par ces ruines ; encore
ne les avait-on tirés que de la superficie du sol. Mais on
trouve des décombres considérables et très-1importants
en creusant, quelquefois même jusqu’à 60 pieds de
profondeur.
Les établissements ou édifices publics que possède
Alexandrie sont : l’arsenal *, les magnifiques palais du
vice-roi à Ras-el-Tyn, se composant du harem, du di-
van, où appartements particuliers de Méhémet-Ali , et
du palais des étrangers, où le vice-roi donne l’hospita-
lité la plus généreuse aux voyageurs de distinction.
Alexandrie a une intendance de santé et plusieurs hô-
pitaux ; l’un d’eux, celui de la marine, dit de Mahmou-
dieh , peut contenir de 12 à 1500 malades ; un autre,
celui de l’armée de terre , dit de Ras-el-Tyn, 5 à 600.
On compte dans cette ville trente mosquées.
30. Aboukir. — En suivant la côte à l’est d’Alexan-
drie, on rencontre, avant d'arriver au lac d’Edko, une
plage devenue fameuse par le terrible échec maritime qui
étouffa dans leur germe les conséquences de notre expé-
dition d'Égypte, et par la belle victoire que Bonaparte
y remporta sur les Turcs, l’année suivante , à son re-
tour de Syrie. Ce lieu, doublement illustre, qui réveille
dans toute âme française un souvenir de deuil et un
souvenir de gloire, est Aboukir.
Le village qui lui donne son nom occupe l’emplace-
ament sur lequel se trouvait la Busiris des anciens,
# "En voir la deseription dans Île chapitre sur la Marine.
270 POPULATION, HABITATIONS,
ville renommée par son temple consacré à Isis et la fête
annuelle que les Égyptiens y célébraient.
Aujourd’hui la position d’Aboukir est très-impor-
tante sous le point de vue militaire. Si elle n'était pas
bien défendue, elle pourrait offrir à une expédition
d’envahissement un lieu de descente. La valeur de
cette position a été comprise par le vice-roi, qui, en y
établissant des fortifications , l’a rendue inexpugnable ,
d’après le témoignage des hommes de l’art.
51. Rosette. — Au delà du lac Mahdieh et sur la rive
gauche de la branche occidentale du Nil, à laquelle elle
donne son nom, se trouve la ville de Rosette. Elle est
située à une lJieue et demie de la mer, sous le 51° 25°
de latitude boréale et le 28° 8” 5”’ de longitude, méri-
dien de Paris. On se rend à Rosette par terre en lon-
geant le rivage. Lorsqu'on y arrive par mer, il faut
traverser un passage assez dangereux qui obstrue l’em-
bouchure du Nil. Ce passage, nommé Boghäz, est ouvert
par le courant dans la barre que forment les bancs de
sable , résultat des dépôts accumulés du fleuve. Cette
ouverture est très-variable : de là les difficultés qu’elle
présente.
Dès que l’on a franchi le boghäz, un spectacle ravis-
sant s'offre à la vue : c’est la riche plaine du Delta,
avec ses immenses {apis de verdure ou ses moissons
dorées, parsemée de groupes de dattiers, de villages ou
de villes surmontées par les flèches aiguës des minarets,
qui s'étend sur la rive droite du Nil sans rencontrer
d'autre borne que l'horizon.
La ville de Rosette est appelé Raschid par les Arabes,
qui attribuent sa fondation au fameux calife Haroun-
VILLES ET VILLAGES LE L'ÉGYPTE. 971
el-Raschid. Elle acquit de l'importance commerciale
lorsque Alexandrie tomba en décadence ; mais mainte-
nant que le canal Madmoudieh a rendu à celle-ci tous
les avantages de sa position, Rosette a été abandonnée
par les négociants, et sa population a considérablement
décru ; elle s'élève à peine aujourd’hui à 15,000 habi-
tants. Rosette est renommée pour ses rizières et pour
ses jardins , dont on a beaucoup exagéré la beauté, et
qui sont dans le gouùt des vergers orientaux , dont j'ai
déjà essayé de donner une idée.
Cette ville a près d’une lieue de long sur un quart
de lieue de large. On y remarque une assez belle mos-
quée, une filature de coton, des machines à monder
le riz, une entre autres qui est mue par la vapeur, une
vaste caserne. Au sud de Rosette se trouve un ermitage
fameux dans le pays, élevé en l'honneur d’un saint
arabe dont le nom, 4bou- Mandour , signie père de
l'éclat. Du haut du minaret de cette fondation pieuse,
un magnifique panorama , qui embrasse la terre et la
mer, se déroule aux yeux du spectateur.
52. Damiette. — La ville de Damiette (Damyät) est
située sur la rive orientale de la branche du Nil qui
portait autrefois le nom de Phatnitique. Elle est à deux
heues de distance de la mer, à demi-lieue du lac Menza-
Ich, sous les 29° 29/ 15” de longitude et 51° 25” 45’ de
latitude. Elle n’occupe pas le même emplacement que
la ville sarrasine illustrée par les croisades. Les croisés
attaquèrent plusieurs fois celle-ci, qui tomba en leur
pouvoir en 1218, et dont saint Louis s’empara en 1249.
Lorsque ce prince la rendit aux musulmans pour prix
de sa hberté, ceux-ci la détruisirent et allèrent élever à
372 POPULATION, HABITATIONS,
deux lieues de distance une re cité, qui est la
ville actuelle.
Les environs de Damiette sont renommés pour leurs
rizières. Cette ville est elle-même l’entrepôt des riz de
l'Égypte. Elle fait avec la Syrie un commerce assez im-
portant. Ses manufactures de toile avaient autrefois
beaucoup de réputation. Des évaluations exagérées ont
porté le nombre de ses habitants à 60 ou 80 mille; il
n’est réellement aujourd’hui que de 95 à 50 mille.
Les édifices les plus remarquables que renferme
Damiette sont des mosquées et les vastes magasins à
riz que le vice-roi a fait construire. Méhémet-Ali y a
aussi établi de belles casernes et l’école d'infanterie.
55. Damanhour. — La première ville que l’on ren-
contre en revenant vers l’ouest du Delta est Daman-
hour , ville assez grande, située à peu de distance du
canal de Mahmoudieh ; elle contient de 8 à 10 mille
habitants.
54. Rahmanieh, — petite ville située sur le Nil et
non loin de laquelle se trouvent les ruines de Fan-
cienne Saïs. C’est aussi auprès de Rahmanieh qu'était
Naucratis, la seule ville que les anciens Égyptiens eus-
sent ouverte au commerce étranger.
35. Fouah, — sur le Nil, entre Ramanieh et Rosette
et en face de l’ouverture du Mahmoudieh. Elle était,
au xvie siècle , assez importante; mais elle avait consi-
dérablement déchu depuis que le canal d'Alexandrie ,
qui la liait avec cette ville et en faisait un entrepôt
commercial, s'était ensablé. Elle a repris aujourd’hui.
quelque valeur ; le vice-roi y a fondé une fabrique de-
tarbouchs ou bonnets à limitation de ceux de Tunis,
VILLES ET VILLAGES BE L'ÉGYPTE. 275
une filature de coton et un moulin à écosser le riz.
56. Mansourah, — sur la rive droite de la branche
de Damiette et à environ douze lieues de cette ville.
Mansourah a été illustrée par l'échec que saint Louis y
subit. On y montre encore, sur une petite place faisant
face au Nil, le lieu dans lequel ce pieux roi passa sa
captivité. On trouve de plus à Mansourah les ruines
d’une voùute nommée Basar-el-Gadim, sous laquelle
saint Louis signa la paix et la reddition de Damiette.
C'est entre cette ville et Mansourah que se trouve
Fareskour , où il éprouva la première défaite qui
trompa sa valeur et ses espérances.
51. Mehallet-el-Kebir. — Cette ville, située dans
l'intérieur du Delta, dans le voisinage de la branche
de Damiette , occupe, suivant quelques géographes ,
l'emplacement de l’ancienne Xoïs, et suivant d’autres ,
celui de Cynopolis. Elle est assez grande. Quoique dé-
chue de la prospérité dont elle a joui à une autre épo-
que , elle compte encore de 16 à 18 mille habitants.
Ses fabriques de toile de lin jouissaient d’une très-
grande réputalion. Le vice-roi y a établi une belle
manufacture où l’on file le coton et tisse les toiles.
58. T'antah. — À droite de Mehallet-el-Kebir on ren-
contre, en remontant , Tantah, petite ville célèbre par
les pèlerins nombreux qu'attire dans son sein une
fondation religieuse, et par ses foires annuelles. L'objet
du pèlerinage est une mosquée dédiée à un santon
nommé Saïd le Bédouin. Cette mosquée est une des
plus belles et des plus riches de l'Égypte. L'interces-
sion de Saïd le Bédouin passe pour donner la fécondité
aux femmes , pour opérer des guérisons miraculeu-
274 POPULATION, HABITATIONS,
ses, etc. Aussi vient-on l’invoquer de tous les points
de l'Égypte; la plus grande partie des musulmans qui
vont à la Mecque font une station à Tantah.
L'époque choisie par les pêlerins est en général la
fête du saint , celle où a lieu la foire connue sous le
nom de eZ Chouroum Balbie : c’est la plus importante
des trois foires dont cette ville est le théâtre. Les deux
autres sont celles de Moulet, de Sidi Adela et de Raja-
bieh. Pendant la grande foire de Chouroum , une
‘affluence immense encombre Tantah; des marchands
s’y rendent de la Turquie, de la Perse, des Indes et
de plusieurs parties de l'Afrique. Ils y apportent des
toiles peintes , des mouchoirs, des toiles de tout genre,
des soieries , des jouets d'enfants , des poteries , des
plumes d’autruche , des esclaves , etc. Ils étalent leurs
marchandises dans les okels ou dans des baraques qui ,
formant une double rangée , occupent quelquefois en
longueur quatre lieues de terrain. Ceux qu'un but
pieux a attirés auprès de la mosquée de Saïd le Bé-
douin plantent leurs tentes dans le voisinage de la ville.
Des baladins, des filles de joie , des danseuses , des
musiciens ambulants, viennent exercer au milieu de
toute cette foule leurs talents ou leur industrie. Quatre
inille hommes sont envoyés à Tantah pendant la foire
pour y protéger l’ordre ; mais ils ne peuvent pas em-
pêcher les filous de commettre de nombreux actes
d’escroquerie.
Lorsque les foires ont cessé à Tantah, cette ville, qui
présentait une physionomie si animée et offrait à la
curiosité du voyageur un spectacle plein dattrait, de-
vient déserte et revêt un aspeci triste et désolé.
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 275
39. Les autres villes de la basse Égypte dignes de
quelque mention sont :
Menouf, village assez considérable situé près du
sommet de langle du Delta; il contient une mosquée
où l’on remarque d’élégantes colonnes.
A l’est de la branche de Damiette et sur la route de
la Syrie :
Belbeys, que Bonaparte fortifia. C’est non loin de
cette ville qu'était située, sous les Ptolémées, celle
d’Onion, où Onias, fils d’un grand prêtre hébreu.
avait fait construire un temple sur le modèle de celui
de Jérusalem , et dans lequel on pratiquait les cérémo-
nies du culte juif.
Salahyeh , point central de la province de Charkyeh.
Abouzabel, Kankah. — Ces deux villages ont acquis
de l’importance pendant les derniers temps; ils soni
situés tous les deux sur la route de Salahyeh au Caire,
à quatre lieues nord de cetie dernière ville et autant
du Nil. Ils sont distants l'un de l'autre d’une demi-
lieue. Ils ont chacun environ 1,500 habitants. C’est
dans l'intervalle qui les sépare que se trouve une im-
mense plaine inculte d’un terrain assez ferme , et fai-
sant face au désert de Gessen (celui de l'isthme de
Suez). C'est dans ce lieu que les 80.600 hommes
amenés par le grand vizir se trouvaient campés lors-
qu'ils furent défaits par 9,000 Français, commandés
par Kléber. C’est là aussi que furent établis le camp
d'instruction des troupes régulières et les premières
écoles d'état-major d’arüllerie, ainsi que l’école de
médecine d’Abouzabel.
Mataryeh, près du Caire, sur les ruines de lan-
276 POPULATION, HABITATIONS,
cienne Héliopolis, l’une des plus belles et des plus
fameuses villes de l'Égypte antique. Des traditions qui .
se rattachent aux humbles débuts de notre religion
sont conservées dans ce village ; on y montre en effet
le puits où Joseph , Marie et l'enfant Jésus se désalté-
rèrent pendant leur fuite en Égypte, et le sycomore qui
leur prêta son ombre. Ces pieux souvenirs sont égale-
ment vénérés des musulmans et des chrétiens. Mata-
ryeh est devenu à jamais célèbre par la grande victoire
de Kléber.
40. Le Caire. — Le Caire est sous les 50° 2’ 21”’ de
latitude nord et 28° 58’ 50” de longitude. Il est situé
dans une plaine sablonneuse , à 400 toises de la rive
droite du Nil, à cinq lieues et demie du sommet du
Delta et au pied des derniers mamelons du Mokattam. La
ville principale , appelée grand Caire , est placée entre
le bourg de Bouläâq, qui lui sert de port au nord , et
le vieux Caire, qui lui rend le même service pour la
navigation méridionale du Nil.
Le vieux Caire occupe l'emplacement sur lequel
s'élevait Babylone d'Égypte. Pendant qu'Amrou as-
siégeait cette dernière ville, une colombe établit son
nid sur sa tente. Touché de ce fait, qu'il regardait
comme un présage céleste, le général arabe, partant
pour s'emparer d'Alexandrie , ne voulut pas déranger
la colombe, laissa sa tente dressée et, à son retour,
fonda autour d’elle la nouvelle capitale de l'Égypte j
qu’il appela Misr-Fostat *.
Mais les destinées de cette ville ne devaient pas être
1 Fustat signifie ; en arabe , fente.
Æ a rar enrever ICS deux plus grandes buttés qui, hautes d'environ deux
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VILLES ET #ILLAGES DE L'ÉGYPTE. 277
longtemps prospères. Vers l’année 1167, les croisés,
conduits par Amaury, roi de Jérusalem, marchèrent
sur Fostat. À leur approche, le gouverneur de cette
ville la brüla ; l'incendie dura cinquante jours ; les ha-
bitants se réfugièrent dans les campagnes voisines et
groupèrent leurs habitations autour de la ville d’el-
Kaherah, fondée en 958 par un général de Moeys, le
premier des califes fatimites d'Égypte, et qui avait
acquis déjà quelque importance. Cette cité nouvelle
prit la place de l’ancienne métropole, et dut son agran-
dissement définitif, ses fortifications et ses embellisse-
ments au grand Saladin.
Telle a été l’origine du Caire, quel les Arabes
donnent le nom de Misr, qu'ont porté en Orient les
capitales successives de l'Égypte. C’est de l’épithète
d’el Kaherah, qui signifie la victorieuse, que nous
avons fait en Europe le Caire.
Plus longue que large, cette ville, la première de
lempire ottoman après Constantinople, occupe une
superficie de près de 900 hectares et a plus de
25,000 mètres de circonférence. Elle est environnée
de collines poudreuses, formées par l’entassement des
décombres dont les fragiles constructions égyptiennes
jonchent sans cesse le sol *. Une enceinte élevée par
1 Ces collines sont assez élevées. Lors de l’expédition , les Français
placèrent sur leurs sommets des redoutes qui tenaient la ville en respect.
Mais comme ces buttes forment un épais rempart qui empêche la cireu-
lation de l'air dans le Caire, ils avaient conçu le projet de les détruire.
Ils reculérent néanmoins devant les difficultés d’une entreprise aussi
immense, qu'ils n'auraient pas eu le temps d'ailleurs d'achever. Le pre-
mier, Ibrahim-Pacha a eu la hardiesse de mettre la main à ceite œuvre.
Ïl a fait enlever les deux plus grandes buttes qui, hautes d'environ deux
: 9 24
978 POPULATION, HABITATIONS,
Saladin et flanquée de tours l’environnait jadis entiè-
rement ; elle n'existe plus aujourd’hui qu’en partie; la
ville, en s’agrandissant beaucoup du côté du nord et
de l’ouest, a dépassé cette barrière ; elle l’a respectée au
midi et à l’est. Elle est traversée dans sa longueur par
un canal (kalisch).
Le Caire contient près de trente mille maisons et une
population d'environ 590,000 âmes.
La ville est divisée en quartiers (en arabe hérat) ;
elle en contient plus de cinquante. Les principaux ,
en allant du nord au sud, sont : el-Charaouy, el-
Esbekyeh, el-Nasérah, quartier des Cophtes, des Ar-
méniens, des Syriens, etc.; e/-Roum, ou le quartier
grec; el-Youd, ou le quartier juif; el-4frang, ou le
quartier franc; el-Mousky, el-Zoueyleh, Bâb-el-Ghadr,
el-Azhar,el-Moyed, B&b-el-Khärg, el-Hanafy, Birket-
el-Fyl, el-Moghaärbeh, Touloun, le plus ancien des
quartiers du Caire; el-Roumeyleh, Kärämeydân , el-
Kaläh, ou la cidatelle.
I y à au Caire plus de soixante et dix portes, dont
quelques-unes sont intérieures; les principales sont ,
au sud : Bäb-el-Sayd, B&b-Fouloun, Ba&b-el-Seydeh,
Bäàb-el-Qarafeh; à l’est : Bäb-el-Ouizyr, Bâb-el-Ghorayb;
cents mètres, occupaient, entre Boulâq et l'embouchure du Kalisch, un
espace d'environ uu kilumètre carré. Les travaux ont duré cinq ans. Les
décombres enlevés ont servi à combler des mares d’eau stagnanie qui
avoisinaient le Caire. Aujourd'hui, l'emplacement nivelé est couvert dé
magnifiques plantations. De son côté, le vice-roi a fait disparaître une
de ces collines de décombres qui obsiruait le chemin de Chocbra et
faisait suite à celles dont je viens de parler. Je n'hésite pas à regarder la
destruction de ces buttes comme l'un des travaux les plus considérables
qui aient été fails en Égypte suus le règne de Méhémet-Ali.
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 979
à l’ouest, du côté du Nil : Béb-el-Louq, B&b-el-Nâsryeh;
au nord : Bäb-el-Hasanyeh, Bàb-el-Nasr, ou porte du
secours ; Bäâb-el-Fotouh, ou porte de la victoire : ces
deux dernières sont de remarquables morceaux dar-
chitecture ; B&b-el-Nasr remonte à l’époque de Saladin ;
Bäb-el-Ghadr, B&b-el-Hadyd.
Les rues, comme celles de toutes les villes musul-
manes, sont tortueuses; elles se replient sur elles-
mêmes; elles se brisent ; elles sont coupées par des
ruelles qui n’ont quelquefois pas plus de 5 à 4 pieds de
largeur, et par de nombreuses impasses *. On compte
plus de deux cent quarante rues principales, environ
trois cents traverses et autant d’impasses. Les rues
changent souvent de nom. Parmi les plus importantes,
il en est deux qui traversent la ville dans sa longueur :
la première est celle qui va de B4b-el-Seydeh à B&b-el-
Hasanyeh : elle est longue de 4,600 mètres ; la seconde
longe la rive droite du canal ou kalisch depuis le dou-
ble pont du sud, appelé Kanätar-el-Sebâa, jusqu'au-
près de la porte de Cha’ryeh. Cinq rues coupent la ville
dans sa largeur. Parmi elles, trois se dirigent de la c1-
tadelle vers le Nil.
On remarque au Caire quatre places principales :
ce sont, au sud de la ville, celles de Qarémeydan et de
Roumeryleh ; vers le centre, Birket-el-Fyl; et au nord-
ouest, l'Esbekyeh. Celle-ci est la plus grande; sa su-
perficie est égale à l’intérieur du Champ-de-Mars de
Paris. Cest sur le côté occidental de l'Esbekyeh que
1 Rue. en arabe, se dit : sekkah, taryg, lGret, mal:adj ; ruelle, derb;
impasse, a’/feh.
280 POPULATION, HABITATIONS,
lon voit la maison qui fut habitée, pendant l’expédi-
tion, par le général Bonaparte. A l’époque de l’inonda-
tion, ces places sont submergées, excepté celle de l’'Es-
bekyeh, qui vient d’être exhaussée, nivelée, plantée
d'arbres et entourée d’un canal.
C’est dans le centre de la ville que se trouvent les
bazars. Plusieurs méritent d’être cités : tels sont celui
de Ghourneh, où l’on vend les châles de cachemire,
les mousselines et les toileries étrangères; el Achrafyeh,
où se tiennent les marchands de papier ; le Kan-el-
Khalyly, occupé par les joailliers, les quincailliers, les
marchands de cuivre et de tapis; le Néhhassyn, par
les orfévres ; le Boudoukanyeh, par les droguistes et les
merciers ; le Æamzaouy , par les marchands drapiers ;
le Serougieh, par les selliers ; le Soug-el-Sellat, par les
armuriers ; le Gémalyeh, par les marchands de café et
de tabac de Syrie. Dans la grande rue de Margouch,
on vend au détail les toileries du pays. L’okel des
Gellabs sert au trafic des esclaves qui arrivent de l’in-
térieur de l'Afrique.
Il y a au Caire 400 mosquées, dont beaucoup, il est
vrai, sont en ruines. Les plus remarquables, sous le
rapport de l'architecture, sont celles d’'Amrou, bâtie
lan 20 de l’hégire (640 de J. C.), d'El-Hâkem-el-
Obéidy, lan 400 (1007) sous la dynastie des Fatimi-
tes ; du sultan Hassan, construite par lui en 757 (1554) :
(on travailla pendant trois années à cette dernière, et
Makrysy assure que, chaque jour, l’on y dépensait
1,000 mithkals d’or : ; la mosquée de Teyloun, bâtie
5 Le mithkal équivaut à 24 carats.
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 281
l'an 258 (850) par le sultan Ebn-Teyloun; celle d’El-
Moyed, bâtie l’an 820 (1415) par le sultan Abou-el-
Nasr-el-Moyed ; celle du sultan Kalaoun-sef-el-Dyn;
celle du sultan Barquouq, bâtie en 1070 (1655); celle
du sultan el-Ghoury, bâtie en 9535 (1522); celle de
Kayd-Bey, bâtie en 870 (1465); celle de Seté-el-Zeinab,
bâtie l’an 500 (910); enfin la mosquée d’El-Azhar, la
plus célèbre de toutes.
Les chrétiens des diverses sectes ont environ trente
églises ou chapelles ; les juifs comptent dix synago-
gues.
Il y a dans les quartiers commercants et industriels
près de treize cents okels. Cette ville renferme en ou-
tre douze cents cafés, trois cents citernes et soixante
et dix bains, dont les principaux, remarquables par
leur grandeur ou leur richesse, sont ceux d’Zamman-
Yesbak, d'El-Soultan , d'El-Moyed, d'El-Tanbaleh,
de Margouch , de Soungor, d'El-Soukkarieh, etc. Les
trois villes des tombeaux , ainsi que les appellent les
Arabes , les plus celèbres par leur étendue , sont si-
tuées hors du Caire. Elles occupent en surface plus du
quart de celle de la ville ; ce sont au nord l'enceinte
de Qoubbeh , à l’est le Touräd-Qaid-bey , au midi le
Tourûd-el-Seydeh-Omm-Qûsim. Dans ces vastes cime-
tières, on trouve les tombeaux des califes, dont plu-
sieurs sont de très-beaux morceaux d'architecture.
Celui de Qoubeh renferme le tombeau de Malek-Adhel
et d’autres sépultures également remarquabies des sul-
tans et des beys mameluks.
Il n'existait autrefois au Caire comme hôpital que
le Moristan; jen parlerai dans le chapitre consacré à
24.
282 POPULATION, HABITATIONS,
l'état actuel de la médecine en Égypte. Il y a aujour-
d’hui sur la place de l'Ezbekyeh un bel hôpital civil
qui contient sept cents lits, dont la moitié pour les
hommes et la moitié pour les femmes. Dans ce même
établissement se trouvent la Maternité, l’école d’accou-
ment et l’hospice des insensés. IL y a de plus le ma-
gnifique hôpital militaire de Kasr-el-Ain, situé entre le
grand Caire et le vieux Caire , dans le lieu où était
l'ancienne ferme d'Ibrahim-Bey , sur les bords du Nil.
Cet hôpital renferme dix-huit cents lits.
Outre un grand nombre d’écoles particulières an-
nexées aux fondations pieuses. telles que les mos-
quées , les fontaines, les citernes , le Caire compte plu-
sieurs édifices consacrés à l’enseignement.
On voit dans l’intérieur de la ville de très-beaux
palais, ceux du vice-roi, d'Ibrahim-Pacha, d’Abbas-
Pacha et du Defterdär-Bey , qui entourent lEsbe-
kyeh; celui d’'Ihrahim-Pacha-Koutchouk (le jeune),
vers le centre de la ville, celui de Mahmoud-Bey, et
beaucoup d’autres que je me dispense de citer. Sur
les bords du Nil s'élèvent le palais d’Ibrahim-Pacha et
celui du Defterdär-Bey. Tous ces édifices sont remar-
quables par leur étendue et leur construction.
La citadelle est située au sud du Caire, sur la der-
nière hauteur du Mokattan, et domine la ville. Elle
fut construite par Saladin ; mais, comme position mi-
litaire, elle est loin d’avoir de l'importance , car elle
est dominée elle-même par une hauteur sur laquelle
Méhémet-Ali a placé un petit fort, qui pare en partie
à l'inconvénient de sa situation. On arrive à la citadelle
par deux rampes taillées dans le roc, dont l’une, au
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 983
nord , conduit à la porte nommée Porte des Arabes ,
et l’autre , à l’est, aboutit à celle qui est connue sous le
nom de Porte des Janissaires. La citadelle fut presque
entièrement ruinée , en 1824 , par l'explosion d’un
magasin à poudre creusé dans le roc. Tous les édifices
qui s’y trouvaient furent abattus en totalité ou en par-
tie. Depuis lors, Méhémet-Ali les a fait reconstruire
presque en entier.
C’est dans la citadelle que se trouve le palais oc-
cupé par le pacha lorsqu'il vient au Caire. On y remar-
que aussi le Puits de Joseph, ainsi appelé à cause du
prénom de Joussouf que portait le grand Saladin qui
le fit creuser. Ce puits est de forme carrée et divisé
en deux parties ; sa profondeur totale est de 280 pieds ;
son fond est au niveau du Nil. On y descend par
un escalier tournant. Un manége à roues, que deux
bœufs font mouvoir, élève l’eau de la partie inférieure
au niveau de la supérieure, d’où, par le même moyen,
on la fait monter jusqu’à la hauteur du sol. Le puits
a été creusé pour parer au cas où l’aqueduc qui porte
l’eau du Nil à la citadelle viendrait à être coupé. Elle
contient d’ailleurs plusieurs citernes, dont une, entre
autres, suffirait à la boisson de quelques milliers d’hom-
mes, pendant une année.
On voit dans la citadelle de belles ruines du palais de
Saladin. Aujourd’hui le vice-roi y fait construire une
mosquée. On y trouve encore un arsenal de construc-
ion, une fonderie de canons , une manufacture d’ar-
mes portatives, des ateliers où l’on fabrique tous les
objets d'équipement pour la cavalerie et l’infanterie ,
une imprimerie, et lhôteldes monnaies, quiconsomme
284 POPULATION, HABITATIONS,
annuellement , en or, environ la valeur de 5,000,000.
Le mouvement de la population commence au
Caire à six heures du matin ; il s’interrompt , pen-
dant la période de la forte chaleur , de midi à trois
heures. Tous les voyageurs qui ont écrit sur l'Égypte
ont parlé de l'effet pittoresque que produit dans les
rues, dans les bazars, dans les places, la foule ba-
riolée qui les remplit. Tous ont dit les nombreux con-
trastes qu’elle présente : le riche puissant aux vête-
inents splendides et chargés d’or, à côté du pauvre
déguenillé ; l’homme affairé passant rapidement de-
vant l'indolent santon qui recoit, étendu avec in-
différence , les attouchements des femmes supersti-
tieuses qui espèrent obtenir de son contact une
guérison ou toute autre faveur miraculeuse; puis tous
ces hommes de diverses nations, de religions ou de
sectes différentes , qui se distinguent les uns des au-
tres par leurs caractères physiques et leurs costumes
originaux ; au milieu d'eux, les femmes qui, sous
leurs vêtements qui cachent toutes les formes et ne
laisent voir de leur visage que les yeux , ressemblent à
des fantômes; puis encore, fendant la foule, iei le
baudet aiguillonné par le jeune et pétulant änier, là
le grave et lent chameau , plus loin le cheval du grand .
seigneur magnifiquement enharnaché, et la mule de
l’homme de loi au pas doux et mesuré; enfin ces nom-
breux bateleurs qui amusent les passants , ces conteurs
qui, dans les cafés, charment la contemplation du
fumeur oisif. Aux singularités de sa population ajoutez
la physionomie toute particulière que donnent au
Caire ses maisons à terrasses , ses rues qui serpen-
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 285
tent; les innombrables minarets qui la surmontent ,
et vous vous représenterez une ville comme 1l n’en
existe nulle part ailleurs , une cité tout empreinte du
génie arabe, une vraie ville des Mille et une Nuits.
Le faubourg de Boulâq est au nord du Caire; il
n’en est séparé que par une plaine de peu d’étendue ;
il est placé au bord du Nil, et sert, comme je lai dit
plus haut, de port pour les rapports commerciaux que
le Caire entretient avec la basse Égypte. Il renferme
des fabriques de drap, de coton filé, de toile, une cor-
derie, une fonderie, le chantier de construction des
barques du Nil, des okels, des magasins; le beau palais
d’Ismaïl-Pacha , dans lequel se trouve l'école poly-
technique.
Le vieux Caire contient les entrepôts de céréales,
appelés ordinairement Greniers de Joseph : 11s se com-
posent de sept cours carrées dont les murs sont en
briques. D’énormes monceaux de blé, de lentilles, de
fèves, etc., s'élèvent au milieu de ces cours à de très-
grandes hauteurs et forment de véritables monticules.
41. Benisouef, — sous le 28° 59’ 15”’ de longitude
et le 29° 9° 12”’ de latitude; cette ville, l’ancienne Pto-
lemaïdon, doit, d’après ses habitants, son nom mo-
derne, qui signifie les enfants des sabres, à un combat
à l’arme blanche dont elle aurait été le théâtre. Sa
population s'élève à environ 6,000 âmes. Benisouef
est une des villes les plus commerçcantes de l'Égypte
moyenne. Ses fabriques de tapis de laine, de couver-
tures, de milays, espèces de manteaux en coton,
avaient autrefois une grande réputation. On y voit au-
jourd’hui une importante fabrique de toiles de coton.
250 POPULATION, HABITATIONS,
Benisouef est située auprès de l’une des embouchures
du Bahr Toussef (canal de Joseph}, qui va répandre
ses eaux et la fertilité dans le Fayoum. Elle doit à cette
position une partie de l'importance commerciale qu’elle
a conservée encore de nos jours.
42. Medinet-el-Fayoum. — C’est la ville principale
du Fayoum. Elle est située à l’entrée de cette riche
province. Elle a été construite avec les matériaux et
en partie sur l'emplacement de l’ancienne Crocodilo-
polis, dont Ptolémée Philadelphe changea le nom en
celui d’Arsinoé, en l'honneur de sa sœur. Cette ville a
environ une lieue de circuit. Un embranchement du
Bahr Ioussef la traverse. Elle était autrefois le séjour
de plaisance ou le lieu de retraite des mameluks. Elle
a aujourd’hui environ 12,000 habitants.
45. Fiddemin.— C'est le plus joli village du Fayoum.
Il est formé de deux groupes d'habitations, dont l’un
est occupé par les musulmans et l’autre par les cophtes.
il est entouré d'arbres fruitiers, dont les ombrages
touffus embellissent son aspect. Ses habitants mon-
trent aux voyageurs un olivier antique qu'ils regardent
comme le père de tous ceux qui existent en Égypte, et
auquel ils donnent une existence de dix siècles. Cet
arbre proauit annuellement environ quatre cents kilo-
grammes d'olives. Il est pour les habitants de Fidde-
nin l’objet d’une espèce de culte.
44. Minieh , — sous les 28° 98’ 55'’ de longitude et
28° 8’ 20” de latitude, à gauche du Nil; cette ville est
assez bien bâtie ; quelques-unes de ses rues sont régu-
lières. Elie renferme plusieurs mosquées remarqua-
bles. On y trouve une fabrique de toiles de coton.
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 987
45. Achmouneyn. — Ville de 7 à 8,000 habitants.
sur la rive gauche du Nil.
46. Monfalout. — Assez grand village sur la rive
gauche du Nil. Sa population est de 5,000 âmes.
47. Syout. — Cette ville est située sous les 280 25’
17°” de long. et 27° 15° 14” de lat. Elle est considérée
comme la capitale de la haute Égypte. — La campagne
qui l’environne est magnifique. — Elle a été construite
sur l'emplacement de l’ancienne Zycopolis, à un quart
de lieue de distance du Nil. C'était dans son enceinte
que venaient se réfugier autrefois les mameluks expul
sés de la basse Égypte : aussi a-t-elle conservé quelque
chose d’aristocratique dans son aspect. Ses rues sont
plus larges et plus propres que celles des autres villes
de l'Égypte. On y remarque des bazars, deux mosquées
très-belles, un palais qu’'ibrahim-Pacha fit construire
pendant qu’il gouvernait la haute Égy pte, et un magni-
fique bain public annexé à une mosquée que le Def-
terdär-Bey a érigée. Syout possède une filature et une
. fabrique de toiles de coton. Cette ville est la principale
station des caravanes de la Nubie et du Soudan. La
population de Syout est de 20,000 âmes.
48. Ackhmyn, — petite ville de 10,000 âmes de po-
pulation, dont mille chrétiens, sur la droite du Nil.
Elle renferme une manufacture de coton. C'était Ja
Panopolis des anciens.
49. Girgeh, — sous les 29° 54° 51” de long. et 26°
29” 20/’ de lat., près des ruines de Ptolémaïs et sur la
rive gauche du Nil. Après le Caire et Alexandrie, la
ville de Girgeh est la plus grande de l'Égypte ; c'était
aussi l’une de celles où les mameluks mécontents al-
288 POPULATION, HABITATIONS,
laient se rallier ; elle était d’ailleurs autrefois la capi-
tale du Saïd. On y voit aujourd’hui encore huit belles
mosquées, un vaste bazar et une filature de coton.
Sur une population de 8 à 10,000 âmes, on y compte
environ 500 chrétiens; elle contient un couvent de
missionnaires Catholiques. | +.
50. Keneh, — sous les 50° 24’ 50’ de long. et 126 W
20” de lat. (Cænopolis des anciens). Cette ville est
située surla rive droite du Nil ; elle a à peu près 10,000
habitants ; elle est placée à l'embouchure de la vallée
de Kosseyr, et sert, par conséquent, de lieu de passage
aux caravanes qui se rendent à là Mecque ou viennent
d'Arabie par la voie de Kosseyr. Il paraît que, dans
l'antiquité, un canal, dont il ne reste plus de vestiges,
et qui liait le Nil à la mer Rouge, avait son ouverture
à Keneh. Keneh est renommée dans toute l'Égypte
pour la fabrication des bardaques (en arabe goulés).
On appelle ainsi des vases poreux faits avec de largile
desséchée au soleil, qui ont la propriété de rafraichir
l’eau. Il y a à Keneh une manufacture de coton. C’est
en face de cette ville que se trouve Denderah, village
qui a remplacé la T'entyris des anciens, et où l’on ad-
mire l’un des temples antiques les plus beaux et les
mieux conservés.
51. Kous (Apollinopolis Parva), — petite ville assez
commerçante sur la rive droite du Nil.
32. Esné (Latopolis), — sur la rive gauche du Nil ;
cette ville est assez commerçante. Les caravanes du
Darfour et du Sennaar en font une de leurs stations.
On y tient un grand marché de chameaux renommé
dans toute l'Égypte. Esné est entouré de ruines, dont
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 283
je parlerai dans le chapitre que je consacre aux anti-
quités égyptiennes.
55. Assouan, — sous les 50° 54° 59’’ de longitude
et 24° 8’ 6” de latitude. Cette ville est la dernière que
l’on rencontre en Égypte du côté de la Nubie. Sa posi-
tion a dû lui donner, dans tous les temps, une grande
importance. Elle était, dans l'antiquité, sous le nom de
Syène, une place forte. Les Arabes soignèrent aussi ses
fortifications ; mais , après la chute des califes fatimi-
tes, elle fut entièrement ruinée par les tribus nubien-
nes , qui l’occupèrent successivement. En s’emparant
de l'Égypte, Sélim la fit rebâtir sur la rive orientale du
Nil, auprès de la première cataracte. La ville actuelle
est échelonnée sur le penchant d’un coteau planté de
dattiers. Ses maisons, entourées de bouquets de ver-
dure, présentent un aspect pittoresque et riant. Sa
population, de 4,000 âmes environ, esi composée d’A-
rabes , de Barabras , de Cophtes et de quelques Turcs
employés.
C’est en face d’Assouan que se trouve la petite île
d'Éléphantine ; un peu au-dessus de la cataracte est
celle de Philæ. Quoique de peu d’étendue, car elle n’a
que 1,500 pieds de longueur, elle est une mine iné-
puisable de précieuses antiquités. Il y croit des dattiers ;
elle est en partie cullivée.
Il nous reste à dire quelques mots de deux villes qui
ne font pas essentiellement partie de l'Égypte . puls-
qu’elles sont en dehors de la vallée du Nil, mais qui en
dépendent et lui servent de ports sur la mer Rouge.
54. Suez, — située sous les 50° 15’ 5” long. et 29°
59’ 6’ lat. Cette ville eut beaucoup d'importance dans
APERCY SUR L'ÉGYPTE. 1. 95
290 POPULATION. HABITATIONS,
l'antiquité, à cause du transit du commerce des Indes.
Elle fut d’abord nommée Arsinoé et plus tard Cléopa-
tride. Aujourd’hui son port n’a guère de relations
suivies qu'avec les villes maritimes des côtes de la mer
Rouge. Le commerce avec l'Arabie l’alimente. Une
partie des pèlerins qui se rendent annuellement à la
Mecque viennent s’y embarquer. La ligne des paque-
bots des Indes a donné, dans ces derniers temps, un
peu plus d'intérêt à cette ville, qui est très-fréquentée
inaintenant par les Anglais. Des diligences transportent
les voyageurs du Caire à Suez. Il y a dans celle-ci un
consul anglais. Elle a aujourd’hui à peu près 1,500 âmes
de population. Quoique peu distante du Caire, Suez
en diffère totalement, soit par sa physionomie, soit par
les mœurs de ses habitants. Elle est comme lavant-
poste des Indes. Nous reviendrons sur cette ville, dans
le chapitre ‘des travaux publics , au sujet des grandes
communications projetées entre le Nil et la mer Rouge.
Kosseyr. — Ja dit que la vallée qui s'étend de
Keneh à Kosseyr est la route que l’on suit pour arriver
à cette ville. Kosseyr a un petit port sur la mer Rouge,
avec le littoral de laquelle elle fait quelque commerce.
Elle est l’une des stations des paquebots anglais. Elle
renferme deux agents consulaires, l’un anglais, l’autre
francais. Sa population est d'environ 1,200 habitants.
Elle fait partie du département de Keneh.
VILLES ET VILLAGES DE L'ÉGYPTE. 2G1
Distances réciproques de differents points de
Du Caire à Alexandrie,
—
D’Alexandrie à Rosette,
De Rosette à Damiette,
l'Égypte *.
à Rosette,
à Damiette,
à Salahyeb,
à Belbeys,
à Suez,
à Benisouef,
à Minieh,
à Syout,
à Girgeh,
à Keneh,
à Thèbes,
à Esneh,
à Edfou,
à Assouan,
41.6 lieues.
38,9.
36.
24.
10,8
28.
99.9
49,2.
73.
100.
119,5.
150.9.
142,5.
159,2.
174.
12,8.
28,9.
x Les distances du Caire aux points de la haute Égypie sont les résul-
tats des mesures prises entre différents points intermédiaires, en suivant
Fe cours du Nil.
Religions et sectes qui existent
en Égypte.
SIL.
ISLAMISME. — SES DOGMES.
Le Coran. — Unité de Dieu et mission de Mahomet. — Les anges. —
Résurrection et jugement dernier. — Paradis. — Enfer. — Purgatoire.
1. — Ja religion musulmane est celle qui domine
en Égypte; elle y fut introduite au vne siècle, par la
conquête d’Amrou. Avant cette époque, l'Égypte,
province du Bas-Empire, était chrétienne; mais la
foi religieuse y avait été brisée et compromise par les
nombreux schismes qui, dès les premiers siècles du
christianisme, la déchirèrent en Orient. Aussi, les
chrétiens d'Égypte, peu éclairés et las de toutes ces
disputes, n’opposèrent-ils qu’une faible résistance au
prosélytisme des sectateurs de Mahomet.
On a en général, sur l’islamisme, des idées si peu
exactes , si fausses même, que je crois nécessaire d’en
tracer une esquisse rapide ; du reste, je ne compte pas
faire ici l'apologie d’une religion qui n’est pas la mienne.
RELIGIONS ET SECTES QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 2)
Je ne veux qu’en exposer brièvement les dogmes , la
morale , le culte. On ne pourrait pas porter de juge-
ment sur un peuple aussi religieux que le peuple arabe,
si l’on n’avait que des données erronées sur le mobile
le plus puissant de sa vie publique et de sa vie privée.
2, Le Coran. — On sait que ce livre est regardé par
les Arabes comme émané de Dieu. Il est écrit en arabe
littéral. Les ulémas prétendent que son style est su-
blime et qu’on ne peut l’imiter en élégance, en beauté,
en concision. Le Coran est done pour les musulmans
le livre par excellence. Ils le lisent ou l’entendent lire
cinq fois par jour; quelques-uns l’apprennent par
cœur ; tous en retiennent les versets ou les chapitres
fondamentaux. Le Coran est composé de cent vingt
fragments que les fidèles croient avoir été apportés à
Mahomet par l'ange Gabriel, pendant les vingt-trois
années qui s’écoulèrent depuis que ce prophète attei-
gnit l’âge de quarante ans, époque à laquelle il com-
mença à remplir sa mission religieuse, jusqu’à sa
mort.
3. Unité de Dieu et mission de Mahomet. — Les
principes élémentaires de l’islamisme sont simples ; iis
se réduisent à deux : la croyance en l’unité de Dieu,
exprimée par la formule : «Il n’y a de Dieu que Dieu; »
et la foi en la mission de Mahomet : « Mahomet est
le prophète de Dieu. » C’est autour du dogme de lu-
nilé divine que Mahomet rallia les tribus de l’Ara-
bie, plongées, avant lui, dans l’idolâtrie la plus
grossière, et fonda à la fois leur religion et leur puis-
sante nationalité.
Mahomet, en préchant l'islamisme , annonçait qu'il
29.
994 RELIGIONS ET SECTES
n’y avait jamais eu qu’une seule religion véritable dont
il se donnait pour le restaurateur inspiré. « Toutes les
fois, disait-il , que cette religion a été négligée ou cor-
rompue dans l'essentiel, Dieu , à des époques diverses,
a envoyé du ciel des livres à différents prophètes : le
Pentateuque à Moïse, le Psautier à David; d’autres
livres à d’autres prophètes, enfin l'Évangile à Jésus.
Ces livres sont tous vrais, mais le Coran, descendu du
ciel le dernier, doit être suivi, jusqu’au jour du juge-
ment, dans les lois qu’il a établies ; il est la parole, la
lumière de Dieu ; il est éternel , incréé ; l’original en est
entre les mains de Dieu et ne peut être changé ni
abrogé. »
4. Les anges. — L’islamisme enseigne que Dieu
a des anges. dont un certain nombre veillent sur les
actions des hommes. L'ange Gabriel est le ministre
des vengeances célestes; Azraël est chargé de recevoir
l’âme des hommes à leur dernier soupir , et Israfil de
sonner la trompette de la résurrection générale.
3. Résurrection et jugement dernier. — Les musul-
mans croient à la résurrection générale. « Nous vous
avons créés de terre, dit le Coran , vous y retournerez
et nous vous en ferons sortir une seconde fois. » xx.
La résurrection sera suivie du jugement dernier.
« Le jugement universel ne durera qu’un clin d'œil,
ou sera plus prompt encore, parce que rien ne limite
la puissance de Dieu, xvr... Ceux qui se présenteront
avec de bonnes œuvres recevront un prix glorieux et
seront exempts des frayeurs du grand jour. Ceux qui
n'apporteront que des crimes seront précipités dans le
feu , le visage prosterné. » xxviIr.
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 9295
6. Paradis. — Celui qui fait toutes les choses pres-
crites est placé au jour du jugement dans le paradis.
« Les élus, s’écrie Mahomet, habiteront le jardin des
délices ; ils reposeront sur des lits enrichis d’or et de
pierreries précieuses. Ils se regarderont avec bien-
veillance; ils seront servis par des enfants doués
d’une éternelle jeunesse, qui leur présenteront du
vin exquis, dans des coupes de différentes formes. La
vapeur n’alourdira point leur tête et n’obscurcira point
leur raison. Ils auront à souhait les fruits qu’ils dési-
reront et la chair des oiseaux les plus rares. Près
d'eux, seront des houris aux beaux yeux noirs. La
blancheur de leur teint égale l’éclat des perles. »
Le paradis musulman n’est pas seulement un lieu
de délices matérielles, comme on le croit générale-
ment. Le bonheur de la vue de Dieu est infiniment
supérieur aux autres biens qu'il renferme. Les trésors
du ciel sont éternels : « Dieu les destine aux croyants
qui ont mis en lui leur confiance ; à ceux qui évitent
Piniquité et le crime , et qui font taire leur colère pour
pardonner ; à ceux qui, soumis à Dieu, font la prière.
règlent leurs actions par la prudence , et versent dans
le sein de l'indigent une partie de leurs richesses. »
XL, 54-56.
7. Enfer. — Les méchants qui ne rachètent pas
leurs méfaits par l’aumône et la prière souffrent en
enfer dix fois tout ce qu’ils ont fait souffrir aux autres.
8. Purgatoire. — Mahomet, qui a fait tant d’em-
prunts aux christianisme que l’on a dit de sa religion
qu’elle n’était au fond qu’un secte chrétienne, a suivi,
relativement à la création et la chute de l’homme, les
296 RELIGIONS ET SECTES
traditions bibliques. Placé sur la terre, l’homme doit
y travailler à sa sanctification. « Dieu nous à mis sur
la terre pour gagner le séjour éternel. » xxx1x, 74.
Il devient juste par la foi et les bonnes œuvres : « Je
pardonnerai à ceux qui joindront au repentir la foi et
les bonnes œuvres. Ils marcheront dans la voie du
salut. » Dieu peut accorder le pardon à un croyant
mort sans s'être repenti d’un grand péché, mais ce
n’est qu'après une expiation de sa faute dans un lieu
de souffrances qui ressemble assez au purgatoire chré-
lien.
$ IL.
MORALE DE L'ISLAMISME.
Vertus. — Prescriptions de la piélé. — Le fatalisme — Rapports de
l’homme avec la femme.
9. lertus. — Le Coran recommande la pratique de
toutes les vertus et condamne les vices et les crimes
que la morale chrétienne a condamnés. La vertu qui
est surtout en honneur dans l’islamisme est la bienfai-
sance. Le bon musulman doit donner aux indigents le
dixième de son revenu. Il ne doit pas faire parade de
ses bonnes œuvres. Le Coran prohibe l'usure. Il prêche
oubli des injures, la franchise, la modestie, la géné-
rosité, la chasteté, la patience, etc.
10. Prescriptions de la piété. — Aux yeux des mu-
sulmans, la piété est la première des vertus ; sans elle,
les meilieures actions ne sont pas agréables à Dieu.
Ceux qui veulent l’acquérir doivent garder de tout pé-
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 297
ché leurs sept membres, de peur qu’ils ne deviennent
pour eux les sept portes de l'enfer. Ces membres sont
les oreilles , les yeux , la langue, les mains, les pieds,
le ventre et les parties sexuelles.
1° Il ne faut écouter aucun instrument de musique ;
ue point prêter l'oreille au mensonge , à la médisance,
aux discours obscènes ; ne point entendre chanter, pas
même le Coran ni aucune prière.
90 Il faut éloigner ses yeux des choses dont la vue
est prohibée. Il est défendu à tout fidèle, de quelque
sexe qu'il soit, de regarder un homme du nombril au
genou , et à la femme, de regarder du nombril au ge-
nou une personne de son sexe.
Le musulman ne peut regarder du nombril au ge-
nou, ni même au dos et au ventre, les femmes avec
lesquelles il ne peut se marier. Quant aux autres, il
commet un crime s'il voit plus que leur visage, la
paume de leurs mains ou leurs pieds, que ce soit la
passion qui le guide ou non, n'importe la laideur ou
la beauté de la personne regardée , son âge ou celui de
l'homme qui regarde. Ces règles ne s'étendent pas à la
femme légitime ou à l’esclave. Il faut encore s'abstenir
d’épier, par les fentes des portes, l'intérieur de la maï-
son d'autrui, et de regarder les musulmans d’un œil
de mépris.
3° La langue doit se garder du mensonge, de la
calomnie et de la médisance. Il faut éviter de se louer
soi-même, de reprendre quelqu'un hors de propos, de
violer ses promesses et de ne pas garder la fidélité due
au texte d’un traité.
Le blasphème est une faute énorme qui enlève à ce-
2
298 RELIGIONS ET SECTES
Jui qui s’en rend coupable le mérite de ses bonnes œu-
vres antérieures. S'il est marié, son mariage est dis-
sous. Lorsqu'il se repent, il est considéré comme
musulman néophyte.
4° Lever la main à tort sur quelqu'un, s'emparer de
sa nourriture, toucher sans nécessité à ce qui est essen-
tiellement immonde , par exemple à un animal mort,
c’est enfreindre la loi religieuse.
5° Il faut se garder d'aller dans de mauvais lieux,
d'entrer dans la propriété d'autrui sans sa permission,
de frapper sans sujet son prochain ; de gâter son tapis,
sa natte, ou tout autre objet qui lui appartient.
6° Quant aux péchés dont le ventre est coupable , il
faut s'abstenir des aliments prohibés, de la gourman-
dise et de tout excès.
7° Enfin , les péchés dont les parties sexuelles sont
les instruments, et que la loi condamne encore plus
que les autres, sont : la fornication , le péché contre
nature, le commerce avec sa femme pendant le temps
de ses infirmités périodiques ainsi que pendant ses
couches.
11. Le fatalisme.—On voit que le dogme de la fata-
lité n’enlève pas à la liberté humaine , dans le cercle de
la morale, le mérite et le démérite. On a, du reste,
beaucoup exagéré l'influence que l’on attribue à la pré-
destination sur la conduite et les sentiments du mu-
sulman. Sans doute cette croyance a dû lui inspirer
beaucoup de résignation aux vicissitudes de la fortune,
aux malheurs privés et publics ; mais il est faux qu'elle
ait tué en lui, comme on l’a prétendu, toute sensi-
bilité.
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 299
Le fatalisme n’enchaîne pas les musulmans à une
stupide immobilité. La loi religieuse, quoiqu’elle l’aver-
tisse que fuir les maux que Dieu lui envoie, c’est pré-
tendre à l’immortalité, ui recommande néanmoins
d'étendre l'incendie qui brüle sa maison , d’en sortir
lorsqu'elle menace ruine ou qu’elle est secouée par un
tremblement de terre , de fuir devant l'inondation , en
un mot de prendre toutes les précautions dictées par
la sagesse humaine.
12. Rapports de l’homme avec la femme. — Les
rapports de l’homme avec la femme ont été réglés par
la morale de l’islamisme d’une manière plus sage qu’on
ne le croit vulgairement. La polygamie est permise, il
est vrai, comme dans toutes les religions de l'Orient ;
mais elle est restreinte. D’après les paroles expresses
du Coran, un homme ne peut pas avoir plus de quatre
épouses légitimes ; et, s’il redoute quelque inconvé-
nient de ce nombre de femmes libres, il lui est recom-
mandé de n’en prendre qu’une, ou bien de remplacer
les épouses légitimes par des esclaves. La condition des
femmes à été améliorée en Orient par la loi de Maho-
met. On ne peut épouser une femme sans lui assurer
une dot en cas de répudiation. Les sœurs héritent
conjointement avec les frères, et recoivent une demi-
part. L’esclave rendue mère obtient sa liberté. Le ma-
riage , défendu avec les femmes idolâtres, est permis
avec les juives et les chrétiennes. Le Coran proclame
la supériorité de l’homme sur la femme; mais il veut
que cette supériorité se constate par une bienveillante
protection. « Les hommes , dit-il, sont supérieurs aux
femmes parce que Dieu leur a donné la prééminence
500 RELIGIONS ET SECTES
sur elles, et qu'ils les dotent de leurs biens. Les fem-
mes doivent être obéissantes et taire les secrets de
leurs époux. Les maris qui ont à souffrir de leur déso-
béissance peuvent les punir, les laisser seules dans leur
lit et même les frapper. La soumission des femmes
doit les mettre à l’abri des mauvais traitements ; atta-
chez-les par des bienfaits. »
\ HIT.
CULTE.
Les cinq prières quotidiennes.— Purifications. — Les Mosquées. — Nazirs,
imans, cheiks. katifs, muezzins, cayyins. — Ramazan. — Le grand
et le petit Baïiram. — Pèlerinage de la Mecque. — Santons. — Les
quatre rites orthodoxes. — Pratique de la religion chez les musulmans.
— Aliments prohibés. — Devoirs religieux des femmes. — Infractions
aux lois morales. — Tolérance envers les chrétiens recommandée par
le Coran.
15. Les cinq prières quotidiennes. — La prière est
la principale des pratiques de la religion musulmane.
Il faut la faire cinq fois par jour. Au fègre, le matin,
descend un ange qui reste jusqu’au douwr, à midi; il
inscrit les noms de ceux qui ont prié. À midi, sa liste
est close; malheur à ceux qui n’ont pas fait la prière!
Cependant ils peuvent, en priant et jeunant plus qu'il
ne l’est ordonné, effacer cette faute. Un autre ange
demeure de midi à l'asr (trois heures et demie); un
autre de l’asr au magreb ( coucher du soleil); et enfin
le dernier, du magreb à l’eche (deux heures après le
coucher du soleil). « Publie la gloire du Très-Haut
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 501
avant le coucher et le lever du soleil, pendant la nuit et
aux extrémités du jour, afin que ton cœur soit content
de lui-même. » xx, 150. « Tourne ton front en priant
vers le temple antique qu'Abraham, aïeul d’Ismaël,
consacra au Seigneur (la Caaba). En quelque lieu que
tu sois, porle Les regards vers ce sancluaire auguste.»
14. Purifications. — Les purifications forment une
des parties les plus essentielles du culte musulman.
La loi ne permet au croyant l'exercice d’aucun acte re-
ligieux, s’il ne s’est lavé auparavant de toute souillure
corporelle. Il y a trois sortes de purifications : le la-
vage, l’ablution, la lotion. La première est commandée
pour les souillures matérielles, soit du corps, soit de
lhabit, soit de l'endroit où l’on prie. Pour éviter celle-
ci, afin de ne pas s’agenouiller sur un lieu impur, les
musulmans font porter par leurs esclaves un petit
tapis, appelé en arabe sedjadeh, qu’ils déploient à
l'heure de la prière. Ceux qui n’ont pas de tapis se
placent sur leur manteau. L’ablulion (el oudhouou)
consiste à se laver le visage, la bouche, les narines, la
barbe, les mains, les bras jusqu’au coude, et les pieds
jusqu’à la cheville. On prie en l’accomplissant. La lo-
tion a lieu pour les souillures telles que l'acte de coha-
bitation, les infirmités périodiques de la femme, les
couches, etc. Cette pratique des purifications est l’une
des plus sages qu’ait établies lislamisme. Sous le pré-
texte d’un acte religieux, elle prescrit aux Orientaux
des mesures de propreté et d'hygiène dont l'emploi
répété, excellent partout, est encore plus convenable
dans les climats chauds.
15. Les mosquées. — Tes cérémonies religieuses des
L: oe
502 RELIGIONS ET SECTES
musulmans sont nombreuses , ainsi que leurs fêtes,
qu'ils célèbrent avec pompe. Les mosquées sont tou-
jours extrêmement propres. Elles ne contiennent point
de décorations. Elles ne renferment mi chaises ni bancs.
Le sol y est couvert, en été, de nattes, en hiver, de
tapis, sur lesquels les musulmans se tiennent assis sur
les talons. On sait qu'ils déposent leurs chaussures
avant d’entrer dans les mosquées. Leurs gestes, leurs
regards y sont calmes et modestes, leur attitude est
recueillie. Dans les plus grandes, on voit néanmoins,
pendant une partie de la journée, des hommes qui
causent ensemble, mangent, dorment, travaillent
même. Quoique s’y livrant à de pareilles occupations,
les musulmans ont pour leurs mosquées le plus grand
respect. Avant l'expédition française, il en était plu-
sieurs devant lesquelles il n’était pas permis aux chré-
tiens et aux juifs de passer à cheval. Bonaparte fit
cesser cet usage, en opposant aux ulémas un argument
sans réplique : « Si c'est par respect pour vos mos-
quées, leur dit-il, que vous ne laissez pas passer devant
elles à cheval les membres des religions différentes de
la vôtre, pourquoi ne vous astreignez-Vous pas, vous
aussi, à cette loi? Est-il raisonnable d’exiger pour les
objets de votre culte, et de la part des étrangers, des
témoignages de vénération que vous ne leur donnez
pas vous-mêmes ?» Aujourd'hui, la tolérance est arrivée
à un tel point, que les Européens peuvent entrer sans
danger dans les mosquées. Il est à regretter que plu-
sieurs d’entre eux n'aient pas assez de déférence pour
les préjugés du pays, et dédaignent de se soumettre à
la tenue décente que réclame la destination de ces lieux.
= ju
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 205
Ce qu'il y a d’intéressant surtout dans les mosquées,
ce sont les fondations qui leur sont agrégées. Aux plus
importantes sont annexées des espèces d’hôtelleries,
des écoles publiques et des colléges appelés médressés,
où l’on forme à l'étude de la religion ou des lois les
imans et les muezzins pour le service du culte, les
cadis et les naïbs pour la judicature.
Le nombre de ces temples est très-grand, trop
grand même, en Égypte. On en compte quatre cents
au Caire, dont le plus célèbre est celui d’'El-Azhar *.
Ils sont tous anciens , et la plupart d’une très-belle
architecture. On en construit très-peu aujourd’hui ;
on ne fait plus de beaux édifices tels que ceux qu’éle-
vaient les califes.
16. Nazirs , imans, cheiks , katifs, muezzins ,
cayyins. — Chaque mosquée est dirigée par un nazir,
qui à la manutention des fonds qui lui sont alloués
pour son entretien , ou des legs pieux qu’elle possède,
et qui nomme les ministres de la religion, aussi bien
que les serviteurs inférieurs. D’ordinaire deux imans
sont employés à desservir la mosquée. Ils ont charge
de prêcher ou de réciter , aux heures fixes, les cinq
prières quotidiennes, appelées namaz. Au surplus, les
ministres de l’islamisme ne forment pas un corps ab-
1 La mosquée d’El-Azhar est cumme la Sorbonne de l'Égypte; on y
vient pour s'instruire, de tout l'Orient. La philosophie d’Aristote, les
éléments de la langue arabe, l’interprélalion de l'histoire des califes y
sont enseignés. On trouve dans l’intérieur de cet édifice des quartiers
appelés roudes, vù logent les étudiants. Il y a celui des Syriens, celui des
Persans, des Kurdes, des Nubiens, des Tures, des Indiens, des Moghrebins,
des habitants de l'Hedjaz, ete. Tous sont entretenus aux frais de la
mosquée.
504 RELIGIONS ET SECTES
solument distinct dans la société. Le caractère dont
ils sont revêtus n’est pas ineffaçable comme celui des
prêtres de la religion catholique. Renvoyés , en effet,
par le nazir , ils perdent , avec leur place, leur titre
d’imans. Ils se marient; et comme le salaire qu'ils
gagnent au service de la mosquée est très-petit
(1 piastre ou 95 c. par jour), ils pourvoient à leur en-
tretien et à celui de leur famille en exerçant une pro-
fession, quelquefois un métier. Il en est qui sont
droguistes ou parfumeurs ; quelques-uns maîtres d’é-
cole. Ceux qui n’ont pas d'occupation spéciale vont ré-
citer le Coran , moyennant récompense , dans les mai-
sons particulières. On les choisit principalement parmi
les pauvres étudiants de la mosquée d’El-Azhar.
Les imans ne forment que la classe moyenne des
ministres de la religion musulmane. Au-dessus d’eux
se trouvent, dans la hiérarchie de ceux des ulémas
qui sont chargés des fonctions religieuses, les cheïks,
auxquels est spécialement dévolue la prédication du
vendredi , et les katifs, qui disent, dans ce jour sacré ,
les cinq prières que les imans récitent pendant le reste
de la semaine. Au-dessous de ceux-ci sont les #uez-
zins , qui, du haut des minarets , annoncent la prière,
et les cayyins , serviteurs subalternes de la mosquée.
17. Ramazan. — Une pratique très-connue de
nom en Europe est le jeùne du ramazan. Ce jeùne
dure pendant un mois ; on ne voit pas dans son insti-
tution la valeur hygiénique du carême chrétien et
juif, car il n’est pas affecté à une saison fixe ; il passe
alternativement par les différents mois de l’année, et
accomplit son évolution à travers toutes les saisons ,
Sn dla
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 205
dans l’espace de trente-trois ans. Le ramazan n'est pas,
comme on se le figure chez nous, un mois de baccha-
nales pour les musulmans; c’est un temps de jeüne
sévère. Arrivé à l’âge de quatorze ans, chaque maho-
métan est astreint à le pratiquer. « Ce mois , dit le
prophète , dans lequel le Coran est descendu du ciel
pour être le guide, la lumière des hommes et la règle
de leurs devoirs , est le temps destiné à l’abstinence.
Le manger et le boire vous sont permis jusqu'à lin-
stant où vous pourrez, à la clarté du jour, distinguer
un fil blanc d'un fil noir. Accomplissez ensuite le
jeûne jusqu’à la nuit. » Les prescriptions de la loi sont
observées avec un scrupule au-dessus de toute expres-
sion. Bien peu de personnes se permettent de l'enfrein-
dre , encore n’osent-elles le faire qu’en secret. L’absti-
nence n’est pas bornée seulement à la privation,
pendant le jour , de toute boisson ou de tout aliment;
on l’a poussée jusqu’à défendre de priser , de fumer
ou de respirer les parfums. Les plus fervents n’avalent
pas même leur salive. Les femmes enceintes ne sont
pas soumises au jeûne. Le voyage, la maladie en dis-
pensent aussi; mais, même dans ces conditions , il en
est bien peu qui veuillent profiter de l’adoucissement
que la religion fait en leur faveur à la rigueur du
commandement sacré. Il est des dévots qui, faisant
les voyages pénibles du désert, au milieu des plus
fortes chaleurs, refusent une goutte d’eau à leur palais
desséché et résistent à la soif la plus ardente. J'ai vu
moi-même des malades altérés par la fièvre ne pas
vouloir consentir à prendre des médicaments et trouver
la mort dans observation fanalique du jeüne.
96.
506 RELIGIONS ET SECTES
18. Le grand et le petit Baïram. — Le ramazan est
suivi d’une fête qui dure trois jours, désignée sous
le nom de petit Baïram. Pendant cette fête, l’austérité
du mois de carême fait place , chez les musulmans , à
l'effusion de joie la plus vive. Dans ces trois jours de
bonheur , les musulmans se font les souhaits les plus
heureux et se pardonnent leurs torts réciproques. Le
grand Baïram ou Courban-Baïram vient soixante et dix
jours après et en dure quatre. Il célèbre la mémoire du
sacrifice d'Abraham. Le grand et le petit Baïram sont
les seules fêtes de l’année pendant lesquelles tout tra-
vail est suspendu.
19. Pélerinage de la Mecque. — Il est commandé
aux musulmans de faire, au moins une fois dans leur
vie, le pèlerinage de la Mecque et du mont Arafat.
Deux cas les en exemptent : la pauvreté ou la maladie.
Ceux de la secte hanéfy peuvent envoyer à leur place
aux lieux saints un représentant dont ils payent les
dépenses. Beaucoup se dispensent d'accomplir cette
prescription religieuse. c
Les pèlerins qui obtiennent , après avoir visité la
Mecque et le mont Arafat, le titre de hadjis, prennent
deux points de départ pour aller en Arabie : Damas ou
le Caire. Les musulmans de l'Afrique, les Turcs de
l'Albanie et de la Roumélie se rallient ordinairement
dans cette dernière ville. Les Turcs de l'Asie Mineure,
les Persans se réunissent à Damas.
C’est ordinairement le 27 du mois de chewal que
s'achemine la caravane du Caire. Quelques jours avant
a lieu la procession du mahmil, caisse carrée en bois,
dans laquelle sont contenus deux exemplaires du
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 307
Coran, qui sont envoyés annuellement à la Mecque.
Le mahmil, le bagage de l’émir el hadji (chef des
pèlerins), la caisse qui contient le trésor envoyé par
le sultan au tombeau du prophète, le kishwe, chemise
de soie noire damasquinée, brodée au Caire, et qui est
destinée à recouvrir la sainte Caaba ; toutes ces cho-
ses sont porlées par la procession dans la plaine de
Haschouï, au nord du Caire, et de là sont dirigées vers
le lac des Pèlerins (Birket-el-hadii), dernière halte où
se réunissent les pèlerins pour le départ définitif. {ls
se partagent en trois caravanes : l’une suit la route de
terre par le désert; elle marche principalement la nuit ;
elle campe d'ordinaire le matin , deux heures après le
lever du soleil, pour se mettre encore en route le soir,
deux heures après qu'il s’est couché. Le voyage par
terre dure environ quarante jours. Ceux qui redoutent
les périls ou les fatigues Cu désert vont à Djedda par
la mer Rouge; ils s'embarquent à Suez ou à Kosseyr.
C’est pendant les fêtes du Courban-Baïram , dans
les premiers jours du mois de zel-hedji, que les pèle-
rins doivent se trouver réunis à la Mecque. La Caaba
surtout est l’objet de leur dévotion : on sait que c’est
un petit édifice d'environ 56 pieds de long sur 48 de
large et 80 de hauteur. Les Arabes prétendent qu’il
fut bâti par Ismaël, qui eut pour sa construction deux
auxiliaires descendus du ciel : Abraham et l'ange Ga-
briel. C’est celui-ci, d’après eux, qui porta au patriar-
che la fameuse pierre noire conservée depuis si long-
temps dans la Caaba , et qui n’est autre chose qu’une
basalte.
C’est au mont Arafat, à six heues de la Mecque, que,
208 RELIGIONS ET SECTES
d’après les traditions arabes, a eu lieu le sacrifice d’A-
braham : le pèlerinage n’est accompli que lorsque
l’on s’est rendu au sommet de cette montagne pour
assister, pendant la nuit du 9 zel-hadji, à la prière qui
s’y récite. Le jour suivant les pèlerins doivent se ren-
dre dans la plaine de Mouna, où ils achèvent les pra-
tiques prescrites par de nombreux sacrifices de chè-
vres, de chevreaux, de chamelles. On évalue à 30
ou 40 mille le nombre des bêtes à cornes qui sont
immolées en cette circonstance.
L’époque du retour au Caire de la caravane de la
Mecque est le commencement du mois de safer, sur-
nommé, à cause de cela, Mislet-el-hadji (arrivée des
pèlerins). Les parents ou les amis des hadjis vont à
leur rencontre et les ramènent joyeusement chez eux,
ou mêlent leurs cris de douleur à la musique triom-
phale qui fête la caravane, s'ils apprennent que ceux
qu'ils brülaient de revoir ont succombé aux privations
et aux fatigues du pieux voyage. Les hadjis survivants
sont entourés de respect ; on les regarde comme em-
preints d’un cachet de sainteté ; on invoque leur inter-
cession auprès de Dieu.
Les femmes ne sont pas soumises au pèlerinage de
la Mecque ; elles peuvent l’entreprendre , mais, chose
bizarre ! il ne leur est pas permis de monter au som-
met de l’Arafat si elles ne sont accompagnées de leurs
meris. Celles qui ne sont pas mariées doivent prendre
un époux dans cette circonstance. Il est vrai que c’est
une pure formalité ; et que ces fictives unions sont
rompues après la cérémonie par un facile divorce. On
a vu néanmoins quelques-uns des maris improvisés
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 309
ainsi abuser de leurs droits fortuits et éphémères.
20. Santons. — Les musulmans ont une multitude
de saints qu’il vénèrent , auxquels ils élèvent des mo-
numents, et qui sont connus sous le nom de santons.
Mais il n’y a pas, comme chez nous, de formalités de
canomisation. L'opinion publique est le tribunal sou-
vent peu éclairé qui proclame la sainteté. Les ulémas
instruits ne se prêtent pas à ses écarts et ne reconnais-
sent pas le genre de saints qu’elle institue.
Les insensés, les maniaques ne sont pas nécessaire-
ment saints, comme on le croit ; le Coran ordonne
pour eux le respect, mais il ne les sanctifie pas; les
préjugés seuls ont forcé jusqu’à ce point le sens de
la loi.
21. Les quatre rites orthodoxes. — On sait que les
musulmans sont divisés en quatre rites orthodoxes , le
Hanéfy, le Schafiy, le Maleky et le Hanbèly. C’est le
premier de ces rites qui est le plus communément suivi
en Égypte comme dans le reste de l'empire ottoman.
29, Pratique de la religion chez les musulmans. —
Ce qui frappe chez le musulman c’est l’imperturbable
solidité de sa foi. Elle est tellement enracinée en lui,
qu'aucun doute ne vient jamais l’assaillir dans son es-
prit. il a de sa croyance une si haute idée qu’il ne com-
prend pas comment le monde entier n’embrasse pas
lislamisme. Les musulmans nous appellent infidèles,
parce qu'ils ne nous voient pas observateurs scrupu-
leux des pratiques religieuses ; ils nous appellent impies
parce qu'ils ne nous voient pas prier. Ils ne sont jamais
retenus par le respect humain ni pour laveu de leurs
croyances n1 pour l'exécution de ses pratiques. Ils dé-
310 RELIGIONS ET SECTES
fendent hautement leur foi lorsqu'elle est attaquée.
Chaque lieu leur est bon pour faire la prière : la rue,
un champ, une maison privée ; ils la récitent dans une
assemblée , füt-elle même composée de gens étrangers
à leur religion.
On a préjugé en Europe des progrès de l’incrédulité
chez les musulmans, surtout par l'infraction que quel-
ques-uns d’entre eux ont faite au texte du Coran qui
leur défend l’usage du vin. Cette prohibition , que le
prophète prononça , dit-on, après avoir vu létat d’a-
brutissement d’un homme ivre, est, du reste, conçue
sous un excellent point de vue d'hygiène, et sa pra-
tique est des mieux entendues dans des climats comme
ceux de l'Arabie, de l'Afrique, où du reste le vin et
les liqueurs fermentées ne sont pas indigènes. Mais
quoique quelques Turcs des classes élevées l’aient violée,
il ne faut pas croire que l’incrédulité, renfermée dans
le cercle étroit d’un petit nombre d’esprits forts, qui
s'imaginent avoir acquis notre civilisation lorsqu'ils
ont imité notre indifférence en matière religieuse, mine
sérieusement l’islamisme.
95. Aliments prohibés. — C’est un des mérites de Ja
religion mahométane que le soin qu’elle a pris de faire
de pieuses obligations d’une multitude de précautions
et de mesures hygiéniques d’une très-grande utilité.
Ce soin, quoique aboutissant quelquefois à des détails
trop minutieux et gratuitement vexatoires, n’en est
pas moins très-bon dans son principe. En même temps
qu’il atteignait les boissons et transformait des me-
sures de propreté extérieure en rigoureuses pratiques,
on conçoit qu'il devait embrasser aussi la nourriture.
——_—_—
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. EE: À:
ll a scrupuleusement pourvu à ce point important. Des
aliments ont été défendus aux fidèles comme immon-
des : ce sont, ainsi que pour les juifs, la chair du porc,
et de plus celle du cheval, du mulet, de l’âne, de la
tortue et de l'éléphant; sont également immondes tous
les animaux carnassiers, les oiseaux de proie et les
reptiles. Le lait des juments et des ânesses est prohibé.
On ne peut le boire qu'après un temps de séquestration
déterminé, jugé suffisant pour sa purification. Dans
aucun cas on ne doit faire usage des parties naturelles,
ni des reins, ni des entrailles des animaux. Le sang est
sévèrement défendu ; aussi la loi religieuse ordonne-
t-elle d’égorger les animaux, c’est-à-dire de leur couper
la tête avec toutes les artères et de leur faire perdre
tout leur sang avant de les manger *. Les musulmans
goütent peu le plaisir de la chasse et sont peu friands
de gibier à cause de la difficulté qu'il y a de le saigner
complétement.
24. Devoirs religieux des femmes. — Les femmes
ne sont pas astreintes comme les hommes aux devoirs
religieux. Elles vont rarement dans les mosquées. Le
prophète ne le leur a pas défendu , mais il a dit qu’il
était mieux qu'elles priassent dans leurs maisons. Les
musulmans, qui semblent penser que la présence de
leurs femmes est propre à inspirer des idées toutes dif-
férentes de celles qui conviennent à la sainteté du tem-
: Cette prohibition du sang vient sans doute de ce que les fondateurs
des législations religieuses juive et musulmane croyaient que cette
humeur était celle qui était exposée à s'allérer le plus dans l’économie
animale. La doctrice de l'Aumurisme est celle qui a dû régner la pre-
iniére.
J
51° RELIGIONS ET SECTES
ple, ont presque fait une prohibition du conseil de
Mahomet.
25. Infractions aux lois morales. — L'observation
des formes religieuses ne coïncide pas toujours, chez
les musulmans , avec celle de la morale. Le fanatisme
entretenu par l’ignorance allie souvent le vice aux plus
austères pratiques. On en voit qui, en même temps
qu'ils se privent d'un peu d’eau pour étancher leur
soif lorsque cela leur est permis, volent sans scrupule,
si l’occasion s’en présente, et commettent même des
crimes plus coupables. Ainsi, malgré les menaces reli-
gieuses les plus sévères, ils s’'adonnent à la pédérastie ;
ce vice, il faut le dire, est moins commun parmi les
Arabes que parmi les Turcs, mais on rencontre davan-
tage chez les premiers un vice plus inconnu encore à
l'Europe, la bestialité. Ils sont enclins à la dissimula-
tion et au mensonge. Les serments par Dieu et par le
prophète sont la chose du monde à laquelle il faut le
moins se fier dans leurs bouches.
26. Tolérance envers les chrétiens recommandée
par le Coran. — Les musulmans sont renommés en
Europe pour leur haine contre les chrétiens. Si des
actes de férocité, commis pendant les fureurs de la
guerre, leur ont mérité cette réputation, ce n’est pas
sur les principes de l’islamisme qu’il faut en faire peser
la responsabilité. Le Coran recommande souvent à ses
sectateurs la tolérance pour les chrétiens; les versets
suivants, écrits dans ce sens, me paraissent mériter
d’être cités : u
« Les chrétiens seront jugés d’après l'Evangile.
Ceux qui les jugeront autrement seront prévaricateurs.
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. 215
« Chante la gloire de Marie, qui conserve sa virgi-
nité intacte. Nous soufflâmes sur elle notre esprit : elle
et son fils firent l'admiration de l’univers.
« O fidèles, votre religion est une. Je suis votre
Dieu. Adorez-moi! Les juifs et les chrétiens sont divi-
sés dans leurs croyances ; tous reviendront à nous.
« Nous avons prescrit à chaque peuple ses rites sa-
crés. Qu'ils les observent , et qu’ils ne disputent point
sur la religion. Appelle-les à Dieu ; tu es dans le vérita-
ble chemin. .
« Ne disputez avec les juifs et les chrétiens qu’en
termes honnêtes et modérés. Confondez ceux d’entre
eux qui sont impies. »
Malgré la tolérance prêchée , comme on le voit, par
le Coran, et quoiqu’on puisse dire qu’elle soit pratiquée
en un certain sens, puisque les musulmans ne persé-
cutent pas les chrétiens, ils professent néanmoins pour
eux un souverain mépris. Les actes publics s’en res-
sentent; le témoignage d’un chrétien n’est pas admis
contre un musulman. Le mékemet (tribunal), dans ses
décisions , accole souvent au nom d’un chrétien l’épi-
thète d’infidèle et même celle de damneé, s’il est mort.
Jadis les chrétiens ne pouvaient pas occuper de places
et étaient exclus des honneurs sociaux. Si l’un d’eux
était condamné au supplice, c'était le plus infamant
qu'on lui infligeait.
Il faut dire que le fanatisme de la populace a souvent
empêché l'effet des bonnes intentions des gouvernants
en faveur des autres religions. Les Arabes sont en gé-
néral plus tolérants que les autres nations musulma-
nes , et les Égyptiens , soit à cause de la douceur natu-
1 8 27
514 RELIGIONS ET SECTES
relle de leur caractère, soit à cause des rapports qu'ils
ont eus avec les Européens lors de la conquête de Bona-
parte, le sont encore davantage.
Ç I.
AUTRES RELIGIONS ET DIVERSES SECTES.
Juifs. — Cophies jacobites. — Cophtes catholiques. — Grecs schismati-
ques. — Grecs catholiques. — Arméniens. — Catholiques latins. —
Rivalité des sectes chrétiennes. — Tolérance du vice-roi.
27. Les religions ou sectes que l’on rencontre encore
en Égypte sont celles des juifs ; des cophtes, des Ar-
méniens et des Grecs schismatiques ; des cophtes , des
Arméniens et des Grecs orthodoxes ; enfin des catho-
liques du rit latin. Les sectateurs de ces différentes
Églises s'élèvent ensemble à plus de 200,000 âmes.
28. Juifs. — On compte environ 7,000 juifs, dont
la plus grande partie habitent, au Caire, un quartier
distinct. Il y a parmi eux environ 1,200 caraïtes.
Cette religion est plus méprisée encore chez les musul-
mans qu'elle ne l'était en Europe dans les siècles de
barbarie. Méhémet-Ali les a du reste émancipés des
avanies qu'ils suhissaient autrefois ; il leur accorde la
même protection qu'aux autres cultes; ils ont huit
synagogues.
29. Cophtes jacobites. — Les cophtes schismatiques
sont la secte chrétienne la plus nombreuse; on en
compte 150,000 environ. Ils ont cent trente églises
ou couvents. Leur chef spirituel est un patriarche
nommé par des évêques et archevêques. C’est lui qui
QUI EXISTENT EN ÉGYPTE. o15
choisit les directeurs chargés de l'administration des
couvents et des églises. On sait que le rit cophte est
exclusivement limité à l'Égypte. Les cophtes se confes-
sent ; ils communient sous les deux espèces et se lavent
le corps avant d'approcher de la sainte table. Ils se font
circoncire comme les israélites. Leur secte est celle
qui . fut établie par l’hérésie d’Eutychès. Les cophtes
sont aussi connus sous les noms de monophysites et de
monothélites. Leurs prêtres se marient, mais l'état
monacal exige le célibat. C’est parmi les moines que
les évêques sont pris. Tous les offices sont célébrés en
langue cophte, langue que ne comprennent plus les
prêtres eux-mêmes, qui d’ailleurs sont très-ignorants.
50. Cophtes catholiques. — Il y a en Égypte 5,000
cophtes catholiques. Le catholicisme ne date pas chez
eux depuis longtemps. Ils ont un évêque; leurs pré-
tres sont plus instruits que ceux des jacobites. Il sem-
ble que le catholicisme ait contribué à leur donner
aussi, sur le reste de la population cophte , la supério-
rité des lumières.
51. Grecs schismatiques. — Il y a environ 5,500
Grecs schismatiques. On les range en deux classes :
ceux qui sont du pays même, ce sont les plus nom-
breux, et ceux qui y sont venus attirés par le com-
merce. On pense que les premiers , répandus dans
la basse Égypte et descendants des anciennes colonies
grecques , adoptèrent le rit schismatique à cause de
leurs fréquents rapports avec leur ancienne métropole
politique, Constantinople. Comme les Grecs étrangers,
ils obéissent, dans le domaine spirituel , à un patriar-
che envoyé de Stamboul. Ils ont au Caire trois monu-
516 RELIGIONS ET SECTES
ments religieux, qui sont le couvent de Saint-George ,
celui de Sainte-Catherine et une église dédiée à saint
Nicolas.
52. Grecs catholiques. — Il y a des catholiques du rit
grec au nombre d'environ 5,500. La plupart sont
Syriens. Il n’y a que quelques années qu’ils sont sou-
mis à la juridiction d’un patriarche. :
55. Arméniens. — Les Arméniens sont au nombre
de 2,000 environ. Ils sont la plupart du rit schisma-
tique ; ils ont leurs prêtres , leurs églises et un patriar-
che. Il y a quelques Arméniens catholiques qui ont,
pour célébrer les cérémonies de leur culte, un temple
spécial.
54. Catholiques latins. — Les catholiques du rit
latin sont en général formés par la population euro-
péenne. Les pères de terre sainte, religieux de saint
François, desservent les différentes églises latines , qui
sont sous la juridiction du révérendissime de terre
sainte.
Les missionnaires de la propagande ont aussi des
églises en Égypte. Le pape a tout récemment nommé
un évêque.
Les établissements religieux du catholicisme ont
été placés de tout temps sous la protection spéciale de
la France. On sait que François Ier et Louis XIV
les avaient couverts de leur tutelle, par leurs ordon-
nances.
55. Rivalité des sectes chrétiennes. — Le gouverne-
ment de Méhémet-Ali accorde une égale protection à
ces différents cultes ou rites, sans se préoccuper des
divisions qui les séparent. D'ailleurs, aux yeux des
QUI EXISTENT ET ÉGYPTE. 517
musulmans , toutes les sectes , quelles qu’elles solent ,
sont également infidèles. Il existe, entre les diverses
croyances qui se partagent le petit nombre d'Égyptiens
qui ne sont pas mahométans , une antipathie natu-
relle, une jalousie, des rivalités qui, dans tous les
temps, ont entretenu parmi eux des dissensions pro-
fondes ; elles sont aujourd’hui sans conséquence, parce
que Méhémet-Ali, impartial pour tous, ne favorise
aucun culte au détriment des autres. Le seul inconvé-
nient qui en résulte; c’est la déconsidération qu’elles
jettent, dans l'esprit des musulmans, sur le christia-
nisme en général; mais, avant le vice-roi, elles avaient
des suites plus graves. Ennemis acharnés les uns des
autres, les différents cultes achetaient la protection du
gouvernement; c'était celui qui donnait le plus d’ar-
gent qui avait raison et obtenait le plus de privilèges.
On voyait alors d’intrigants sectaires obtenir par haine
religieuse la vie de certaines personnes, la démoli-
tion des églises du culte contre lequel ils étaient irrités,
et lui attirer des persécutions de tout genre. On con-
coit que de pareilles animosités, poussées jusqu’à ce
point, devaient donner aux musulmans une triste
idée des vertus religieuses des chrétiens.
56. Tolérance du vice-roi. — Le vice-roi donne un
bel exemple de tolérance en appelant les diverses reli-
gions, dans les prières publiques, à invoquer pour
tous le Dieu commun ; on voit chaque année une
cérémonie à la fois touchante et philosophique conçue
dans cet esprit : ce sont les prières ordonnées pour la
crue du Nil. Le point de réunion est la petite ile de
Raoudah ; là, tout près du nilomètre, on voit les mi-
27.
5183 RELIGIONS ET SECTES QUI EXISTENT EN ÉGYPTE.
nistres des différentes sectes musulmanes, les juifs,
les chrétiens de tous les rites, élevant les mains au ciel,
invoquer, chacun dans leur langue et d’après leur
rituel particulier, le Dieu de tous.
SAN IN AN ARR AR IN IN IN IR IR IN IR
RAS A NA RAR RER DOCS CCEe ES
CHAPITRE V.
Lois musulmanes et administration
de la justice en Égypte.
LOIS CIVILES.
Jurisprudence musulmane. — Époque de la majorité. — Mariage et di-
vorce. —— Droits du père. — Tuteurs. — Débiteurs et faillis. — Inter-
diction. — Prêt sur hypothèque. — Donations. — Héritages.
1. Jurisprudence musulmane. — Chez les musul-
mans, comme dans toutes les civilisations orientales,
la source de la loi, c’est la religion : pour eux. le délit
est toujours un péché, souvent le péché est un délit.
Leurs lois civiles et criminelles sont principalement
tirées du Coran; mais, dans beaucoup de cas, ce livre
ne donne pas de décisions, et alors le juge s’éclaire
dans les quatre espèces de traditions religieuses que je
vais énumérer :
1° Le sunnet, qui renferme le récit des actions et
des paroles du prophète. On interprète dans ce recueil
les préceptes que le prophète a donnés sur certains
actes et le silence qu'il a gardé sur d’autres.
320 LOIS MUSULMANES ET ADMINISTRATION
2° Les lois orales d’une notoriété publique , qui ont
été connues dans les trois premiers siècles du musul-
manisme. On fonde le respect dont on entoure les
traditions de cette époque sur ces paroles de Maho-
met : « Mon siècle est le meilleur , le plus heureux de
tous les siècles ; le second le sera moins , et moins en-
core le troisième, qui sera suivi de la propagation du
mensonge êt de l'erreur. »
On suit aussi d’autres lois orales moins sacrées ,
qui sont comme une espèce de droit coutumier.
5° Les recueils des gloses et interprétations des
premiers disciples du prophète.
4° Le recueil des décisions canoniques prononcées
par les imans des premiers siècles, et surtout les
quatre grands imans , fondateurs des quatre rites or-
thodoxes.
2, Époque de la majorité. — La loi civile musul-
mane fixe l’époque de la majorité pour les deux sexes
à l’âge de la puberté : pour l’homme , à douze ans;
pour la femme , à neuf, si à cet âge ils déclarent leur
état de puberté avec serment. Dans le cas où ils ne
remplissent pas cette formalité, c’est à quinze ans ré-
volus que les jeunes gens des deux sexes sont déclarés
majeurs. Alors l’homme de condition bre est maître
de ses actions; s’il a perdu son père, son tuteur peut
gerer ses biens jusqu'à ce qu’il ait accompli sa vingt-
cinquième année. Mais, si le jeune homme a la dispo-
sition de sa fortune , tout emploi qu'il en fait confor-
imément aux lois est un acte valide.
5. Mariage et divorce. — Nous avons déjà vu que
la loi limite à quatre le nombre des épouses légitimes
DE LA JUSTICE EN ÉGYPTE. 521
que peut avoir un musulman. Le mariage est légale-
ment constitué par une déclaration de consentement
faite devant témoins, et par le payement, en tout ou en
partie, d’une dot à l'épouse. La faculté du divorce
repose principalement dans la volonté du mari. Les
Arabes en font un abus énorme. Il en est qui ont
changé de femmes plus de cinquante fois. Le di-
vorce est extrêmement rare au contraire chez les Os-
manlis. Le mari peut reprendre encore sa femme après
deux divorces : mais , après la troisième séparation ,
il ne lui est permis de l’épouser une nouvelle fois que si
elle a été mariée, dans l'intervalle, à un autre homme
et qu’elle ait été répudiée par lui.
4. Droits du père. — Le père a la faculté de marier
à son gré ses enfants mineurs sans qu'ils puissent
jamais réclamer contre cet acte de son autorité. Les
enfants majeurs ne peuvent être mariés qu'avec leur
consentement. Cette règle est fondée sur l'exemple du
prophète, qui consulta sa fille Fatima avant de lac-
corder à Ali. Le père administre les biens des enfants
mineurs sans être responsable des accidents. Il peut
les engager s’il a des dettes ou des besoins réels.
5. Tuteurs. — Excepté ces deux derniers droits,
le tuteur a sur son pupille la même autorité qu’un
père. Le plus proche parent du père de l’orphelin est
de droit son tuteur ; si celui-ci n’avait point d'alliés,
son tuteur naturel serait le magistrat du lieu.
6. Débiteurs et faillis. — La loi musulmane permet
l'incarcération des débiteurs jusqu’à ce qu’ils aient été
déclarés insolvables. Le failli, soumis à une interdic-
tion formelle, a besoin de lautorisation du magistrat
922 LOIS MUSULMANES ET ADMINISTRATION
pour tout acte civil et toute opération relative à ses
biens.
7. Interdiction. — Sont interdits : les mineurs ,
les vieillards imbéciles, les insensés, les esclaves, les
prodigues et les banqueroutiers. En cas de délit , ils
sont tous soumis néanmoins à la pénalité imposée par
Ja loi.
Le propriétaire d’un bien quelconque a le droit,
s'il n’est pas interdit, d’en disposer de son vivant en
faveur de qui il veut.
8. Prêt sur hypothèque. — S'il prête sur gage ou
hypothèque, les frais nécessaires à leur conservation
sont à sa charge. Sa créance, en cas de mort ou de
faillite du débiteur , est privilégiée.
9. Donations. — En vertu du droit de propriété ,
il peut donner , de son vivant, ce qu'il lui plait et à
qui il veut ; mais il est maître d'exiger la restitution
entière ou partielle de sa donation. La légalité le lui
permet, quoique la religion blâme cet acte, qui ne
peut d’ailleurs s'effectuer si le donateur ou le dona-
taire sont morts, ou s’il y a parenté entre eux , ou si
le donataire n’est plus en possession de l’objet donné.
10. Héritage. — En Égypte, comme dans tout
l'empire ottoman, les fils héritent également du patri-
moine de leurs pères. Il n’existe point de droit de pri-
mogéniture , il n’est fait aucune distinction entre les
fils d’épouses légitimes , de concubines ou d’esclaves.
Le femme hérite de la moitié de la part dévolue à
l’homme qui était dans la même relation de parenté
qu’elle avec le défunt : ainsi la fille a la moitié de la
portion du fils. Si le mort ne laisse que des filles, deux
DE LA JUSTICE EN ÉGYPTE. 395
ou un plus grand nombre, d’après une loi du Coran ,
elles ont à se partager les deux tiers de l'héritage ; s’il
n’en laisse qu’une , elle recoit, d’après la même loi,
la moitié ; mais le tiers ou la demie restant sont re-
portés sur lesdites filles ou fille , dans le cas où le dé-
cédé n’aurait point eu de parents à qui ils pussent être
distribués. Si le père et la mère du mort lui survivent,
ils ont , dans le cas où il laisse des enfants , un sixième
de l’héritage ; s’il ne laisse point d'enfants , le père en
a les deux tiers et la mère le tiers ; ou, s’il existe des
frères du défunt, la mère n’a qu’un sixième , et le
sixième restant leur est accordé. L’épouse ou les épou-
ses ont un huitième de l'héritage si le mari laisse pos-
térité, et un quart s’il n’en laisse point. Un mari hérite
de la moitié de la propriété de sa femme si elle ne
laisse point d'enfants , et d’un quart dans le cas con-
traire. Un homme ne peut disposer en legs que du
tiers de sa fortune. Les dettes et les legs du mort doi-.
vent être la première chose payée.
S IL.
LOIS CRIMINELLES ET PÉNALES.
Le blasphème. — Meurtre. — Coups et blessures. — Adultère, — Vol. —
Apostasie.
11. Le blasphème. — D'après la loi musulmane, le
blasphème est puni de mort; les factieux, les faus-
saires, les pirates, les brigands encourent la peine ca-
pitale,
324 LOIS MUSULMANES ET ADMINISTRATION
12. Meurtre. — Le meurtre est puni par la peine»
du talion. Cette peine peut être commuée, suivant la
volonté des héritiers de la personne assassinée, en une
amende à leur profit. L’assassinat est du reste presque
inconnu en Égypte.
15. Coups et blessures. — Les coups et les blessures
sont punis aussi par la peine du talion, rigoureuse-
ment appliquée : œil pour œil, dent pour dent, etc.
14. Adultère. — L’adultère qui n’est pas marié est
fustigé ; la loi le condamne à être lapidé dans le cas
contraire.
15. Vol. — La main du voleur doit, d’après le Co-
ran, être tranchée; mais une loi du Sunnet ordonne
que cette punition ne sera infligée que dans le cas de
vol avec circonstances aggravantes. Les faux témoins,
au civil, doivent être notés d’infamie et promenés dans
la ville pour que leur honte soit publique ; ceux qui
ont porté de faux témoignages dans les affaires crimi-
nelles encourent la fustigation, et sont punis de la
peine que leur crime a fait subir à l'accusé. Le pro-
phète punissait l'ivresse de la bastonnade , mais quoi-
que cette peine soit encore affectée à ce délit au Caire,
elle est rarement infligée. Du reste, l'ivresse est peu
commune.
16. Apostasie. — L’apostasie de la loi musulmane
est considérée comme le crime le plus odieux; elle est
punie de mort, à moins qu'après triple serment le cou-
pable ne revienne à lislamisme.
O1
19
SN
DE LA JUSTICE EN ÉGYPTE.
ÿ HI.
ADMINISTRATION DE LA JUSTICE.
Les juges. — Le tribunal. — Exécution des lois. — Actes publies., — Frais
de procédure. — Code militaire. — Pouvoir arbitraire des pachas.
Pénalité, — Justice chez les Francs.
17. Les juges. — Du souverain seul émane la jus-
tice. C’est lui qui nomme les premiers juges, qui choi-
sissent, à leur tour, leurs subordonnés en hiérarchie.
Le sultan envoie par conséquent chaque année au Caire
un grand cadi, dont la juridiction s'étend sur toute
V'Égypte. Il à sous lui les cheiks , les muftis, docteurs
de la loi, et les naïbs, espèces de substituts.
Les deux grandes qualités réclamées du juge par la
loi musulmane sont la vertu et l'instruction. Le juge
nommé ne doit pas refuser cette charge, qui n’est pas
inamovible.
18. Le tribunal. — Le lieu où se rendent les juge-
ments s'appelle mehkemé. À ce tribunal doit toujours
être attaché un greffier, kiatib, dont la charge est de
dresser protocole des plaidoiries. [1 n’y a point d’avo-
cats dans l'empire ottoman ; chaque partie défend sa
cause ou la fait défendre par l’homme instruit dans les
lois qu’elle choisit. Généralement, dans toutes les af-
faires, la déposition de deux témoins fail une preuve
complète. L’adultère seulement en demande quatre, et
il faut que leurs dépositions soient entièrement identi-
ques. Dans le jugement de ce crime, laveu quatre fois
réitéré de l’homme et de la femme emporte aussi con-
APFRCU SUR L'ÉGYPTE. Î. 928
326 LOIS MUSULMANES ET ADMINISTRATION
viction; mais il est renversé par le désaveu. Dans
aucune cause, le témoignage d’un seul homme n’est
admissible ; celui de la femme ne l’est qu’au civil. Les
arrêts rendus par le juge sont en droit irrévocables, et
l’on en appelle rarement avec succès. Néanmoins, les
agents du pouvoir exécutif en suspendent ou en mo-
difient quelquefois les effets, qui devraient être immé-
diats. Le respect professé par la loi musulmane pour
la légalité est si grand, qu’elle justifie les conséquences
de tout jugement, füt-il basé sur l’erreur avérée ou la
déposition de faux témoins.
19. Exécution des lois. — Il y a dans les recueils
juridiques ou dans le droit coutumier musulmans, des
lois assez bonnes ; mais encore faudrait-il qu’elles ne
fussent pas annulées par des lois contradictoires, et
qu’on les exécutät. Or, il faut avouer que la justice ne
peut pas être plus mal rendue qu’elle ne l’est en Tur-
quie. Les causes civiles surtout sont soumises aux abus
les plus monstrueux. C’est souvent par le rang des
partes que le juge laisse influencer sa décision. Quel-
quefois, il vend ses arrêts au plus offrant ; ce qu’il y a
de scandaleux par-dessus tout, c’est la multiplicité des
faux témoignages. Nous avons vu que les dépositions
de deux témoins font preuve légale; le défendeur ou
l'accusé trouvent toujours deux témoins à acheter.
Avant Méhémet-Ali, la justice était dans un état pire
encore, car elle était remplacée par l'arbitraire des
pachas, des beys, des chefs subalternes qui usurpaient
sur les prérogatives et les garanties judiciaires.
20. Actes publics. — Les attributions des notaires
appartiennent aux, juges; c’est le cadi qui passe,
DE LA JUSTICE EN ÉGYPTE. 327
moyennant un droit de 2 pour 100, les contrats de
vente d'immeubles entre les particuliers. Ces contrats,
appelés keggeh, sont revêtus de son sceau, et leurs
minutes restent dans les archives du tribunal.
91. Frais de procédure. — Les frais des procédures.
qui sont fort peu compliquées, car la justice est très-
expéditive, n’excèdent pas 4 pour 100. Le condamné
les paye sur l'heure. Les revenus et les bénéfices 1lli-
eites surtout que font les cadis en exploitant leurs
charges, leur procurent un casuel important.
29, Code militaire. — Méhémet-Ali ne pouvait in-
troduire de réformes dans l’administration de la jus-
tice, au civil, parce qu’elle est intimement liée à la
religion. Mais il a bien compris tout ce qu'il y a de
défectueux en elle et dans la législation. Aussi, en
organisant son armée, a-t-il fait adopter le code mili-
taire français. Il a également établi un tribunal de
commerce mixte, composé de nationaux et d’Euro-
péens.
25. Pouvoir arbitraire des pachas. — On sait que
dans quelques grandes circonstances , surtout au com-
mencement de sa carrière, lorsque son autorité était
mal affermie , le vice-roi a dù réprimer , par des exé-
cutions faites sans procès, des émeutes d’Albanais ou
des mouvements populaires. Une tête tombée préve-
nait de grandes calamités et sauvait des milliers d’exis-
tences. Que l’on ne croie pas, au surplus, que je
veuille défendre, en principe, le système qui livre à
la volonté d’un souverain ou d’un chef la vie d’un
homme. J’apprécie trop , pour cela, la belle protection
qu’exercent sur la société les formes judiciaires des
328 LOIS MUSULMANES ET ADMINISTRATION
nations civilisées. Mais chez les peuples barbares ;:
l'arbitraire peut produire lui seul de bons résultats }
et l'on ne doit pas hésiter à s’en servir, lorsqu'on:
l’'emploie au nom de la cause de la civilisation. Nous:
faisons bien , en Algérie , l'expérience de l'insuffisance
des moyens doux et formellement légaux. Un gouver-
nement exclusivement militaire et des cours prévôtales:
seraient nécessaires pour en dompter les tribus féroces
et fanatiques. Les mesures de douceur qu'inspire la
philanthropie à des personnes qui ne connaissent np
les lieux , ni les hommes, prodiguent le sang et les
catastrophes qu’elles veulent au contraire épargner.
24. Pénalité. — Nous avons vu , en parlant des Jois
criminelles , les divers genres de peines qui sont in-
fligés en Égypte. Ce sont la bastonnade et la peine
du talion. Les femmes ne sont pas soumises à la même
pénalité que les hommes. On ne les pend pas, on ne
leur tranche pas la tête ; quand elles.sont condamnées
à mort , elles sont renfermées dans des sacs et noyées.
La pendaison, la décollation et la peine du pal. sont
pour les grands crimes. Autrefois, la férocité des chefs
ou des pachas inventait des supplices d’une cruauté
raffinée. On ne peut se rappeler sans .frémir, par
exemple, les horreurs commises par le Djezzar ; qui
avait mutilé odieusement le tiers de la population: ”
Saint-Jean-d’Acre.
25. Justice chez les Francs. — On sait que les Eu-
ropéens ne sont pas soumis en Orient à la législation
turque ; que les capitulations les mettent sous la juri-
diction des consuls. Les consulats français , par une
récente ordonnance , ont l'autorité judiciaire; cette
:
|
DE LA JUSTICE EN ÉGYPTE. 329
mesure a été excellente , car auparavant les consuls ne
pouvaient qu'instruire les affaires qui devaient se juger
dans la métropole où il était impossible de faire venir
les témoins : cet élat de choses , qui est maintenu en-
core par les autres nations pour leurs consulats res-
pectifs , assurait l'impunité aux délinquants. On voit
encore en effet, dans le Levant, des assassins libérés à
cause de la difficulté qu’il y aurait à les faire juger
dans leurs pays.
28,
CLASSES SOCIALES.
Considérations générales, — Les deux races : les Tures et les Arabes, —
Classes sociales chez les Égyptiens : ulémas, classe moyenne, artisans,
fellahs.
1. Considérations générales. — On dirait que l’É-
gypte devait porter , en toutes choses, une empreinte
particulière, et que rien ne devait y ressembler à ce qui
se passe dans les autres contrées. Ainsi , la formation
de la société n’a pas suivi, chez elle , les développe-
ments auxquels elle paraît soumise ailleurs , et qu’elle
a présentés plus particulièrement en Europe, dans les
temps modernes. Les nations occidentales sont sorties de
l'invasion et de la conquête. Elles sont le résultat de la
fusion des races victorieuses avec les races vaincues.
Les conquérants ont formé d’abord une aristocratie
privilégiée ; puis entre eux et le peuple s’est élevé une
classe moyenne, la bourgeoisie, qui a progressivement
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 92 |
accru son influence par ses lumières , son industrie
et son infatigable application aux affaires, jusqu’à ce
qu’arrivée au niveau de la caste noble , elle ait obtenu
l'égalité civile , ou préparé cette magnifique conquête
morale que les sociétés modernes sont destinées à
opérer partout.
Rien d’analogue en Egypte : et pourtant les conqué-
rants n’ont pas manqué aux populations qui habitent
les bords du Nil. Elles semblent condamnées au con-
traire à une éternelle dépendance. Dans lantiquité ,
les castes sacerdotales et guerrières les tinrent sous le
joug. Puis vint la conquête des Perses ; ensuite celle
des Grecs , remplacés bientôt par les Romains; enfin
les Sarrasins, les mameluks et les Turcs. Eh bien !
sous toutes ces dominations , la masse de la nation
égyptienne est demeurée courbée sous la main de ses
maîtres ; jamais elle n’a eu d’action elle-même sur ses
propres affaires , sur ses destinées. Façonnée à la ser-
vitude, elle n’a jamais fait d'efforts pour obtenir la
hberté, elle n’a jamais entrepris de lutter avec ses con-
quérants pour leur arracher des concessions et se placer
à leur hauteur.
9. Les deux races : les Turcs et les Arabes. —
Ainsi, quoique le fondateur de l'islamisme m’ait pas
établi de distinction sociale entre les musulmans ,
quoiqu'il n'existe pas dans l’empire ottoman de castes
privilégiées , en Égypte , deux races , qui malgré leur
religion commune ne se sont pas mélangées, sont en
présence l’une de l’autre ; la première a le pouvoir ,
jouit de ses honneurs et recueille ses profits ; la se-
conde est condamnée à la dépendance, en subit la
932 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
honte , et en supporte les charges. Celle-là est la race
turque ; celle-ci , la race égyptienne ou arabe.
\
Cet état de choses , c’est tout un passé de quarante …
siècles qui l’a produit, il est impossible qu’une révolu-
tion soudaine le change instantanément. Aussi fau-
drait-il bien se garder de faire peser sur Méhémet-Ali
la responsabilité de son existence et de sa durée. Tous
les esprits impartiaux reconnaitront que le vice-roi, au
contraire, a fait tout ce que lui ont permis ou com-
mandé les nécessités de sa position pour en préparer
la modification. Méhémet-Ali est le seul osmanli qui
ait travaillé à relever la race arabe. D'abord, il à ré-
pandu sur elle les bienfaits de l'instruction. L'Europe
et surtout la France ont vu, dans leurs écoles et dans
leurs facultés , des Arabes étudier nos sciences, s’ini-
tier à nos idées , prendre l'empreinte de notre civilisa-
tion. Puis, et ceci a une haute importance, il à fait bat-
tre par les Arabes les Turcs, ces fiers dominateurs ,
qu’une servitude de trois siècles leur avait appris à res-
pecter et à craindre. Les succès militaires réhabilitent
un peuple. La gloire des armes est, si j'ose le dire, le
sacrement qui institue les nations. À ce compte, les
quatre victoires qui ont consolidé et illustré Méhémet-
Ali doivent avoir de très-grands effets pour le rétablis-
sement de la nationalité arabe. Ajoutez que le vice-roi
a donné dans son administration un grand nombre
d'emplois aux Égyptiens indigènes, qu’il a choisi parmi
eux la plupart des chefs des départements (les mà-
mours), et presque tous les officiers de ses armées jus-
qu'au grade de chef de bataillon.
Méhémet- Ali ne pouvait pas faire plus pour les
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 333
Arabes. On le comprendra aisément. Les Égyptiens
ont les vices et les défauts des peuples longtemps asser-
vis ; ifs n’ont point de personnalité; ils n’ont pas l’in-
stüinct du commandement, Voilà pourquoi le vice-roi
n’a pas pu leur confier les premiers postes. Quoique
très-intelligents, s'ils ne sont pas dirigés , ils ne savent
rien mener à fin.
_ : Les Turcs, au contraire, accoutumés à la supériorité,
ont cette tenue, cette dignité, cette confiance-en soi
qui sont nécessaires à ceux qui gouvernent ; aussi 0C-
cupent-ils les premiers emplois dans ladministration
et dans l’armée.
3. Classes sociales chez les Égyptiens. — La race
égyptienne proprement dite se divise en plusieurs
classes.
La première est celle des ulémas , les hommes de la
loi et de la religion. L'importance et la noblesse de
leurs fonctions , l'instruction qu'ils doivent avoir ac-
quise pour être à même de les remplir, leur valent de
la considération. Quoique tout musulman puisse entrer
dans le corps des ulémas , ils se transmettent hérédi-
tairement leurs charges et forment une espèce de caste
aristocratique. Autrefois ils avaient une grande in-
fluence sur l’esprit du peuple, ils dirigeaient l'opinion,
ils excitaient ou arrêtaient souvent les mouvements
politiques. Ce haut ascendant a été détruit par le vice-
roi, qui leur a enlevé les grandes richesses territoriales
qu'ils devaient aux superstitions et à l’ignorance de
leurs compatriotes. Ils ont maintenant peu d'influence
et n’exercent aucune action sur le gouvernement, qui se
trouve entièrement concentré entreles mains des Turcs.
934 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
La deuxième classe est formée par les propriétaires, «
les négociants, les marchands ; elle est peu nombreuse,
elle ne contient en général que des fortunes médiocres. |
La crise que traverse l'Égypte en ce moment paraît
avoir relevé son importance. C’est aux hommes les
plus influents qu’elle renferme, qu'ont été confiés les
principaux commandements de la garde nationale,
improvisée par Méhémet-Ali dans les villes de la basse
Égypte.
La troisième classe est celle des artisans. Elle forme
une véritable caste. Tous les métiers, toutes les petites
industries, sont divisés en corporations qui se régissent
elles-mêmes dans le cercle qu’elles embrassent, qui ont
leurs statuts, leurs coutumes, leurs chefs. Elle com-
prend encore la nombreuse corporation des domes-
tiques.
Enfin, la quatrième classe est formée par les agricul-
teurs, les paysans, connus sous le nom de /ellahs,
qui composent la masse de la nation. Nous aurons
à en parler plusieurs fois encore dans le cours de cet
ouvrage.
Ç Il.
LA FAMILLE MUSULMANE.
Autorité paternelle. -—— Déférence de l’épouse envers le chef de la famille.
— Respect des enfants pour leur père. — Hiérarchie fraternelle. —
Respect des jeunes gens pour les vieillards, et des inférieurs pour leurs
supérieurs
4. On peut dire que les mœurs de l'Orient m'ont
jamais changé fondamentalement. Le respect silen-
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS, 239
cieux pour la tradition, et l’immobilité en fait d'idées,
de religion, d’usages, forment toujours le caractère
distinctif de la civilisation orientale; aussi, dans ses
détails comme dans son ensemble , tranche-t-elle for-
tement avec la nôtre, si active , si mobile, si insubor-
donnée envers le despotisme des anciennes lois et des
anciennes coutumes, et qui a appris à l’école des pro-
grès modernes à n’avoir foi qu’au présent, à ne tourner
que vers lui ou vers l'avenir ses regards et ses préoc-
cupations.
5. Autorité paternelle. — C’est principalement dans
la famille que l'Orient exhale ce parfum de traditions
antiques qui nous rend quelquefois son étude attrayante
à un haut degré; la famille a conservé, chez les musul-
mans, sa constitution patriarcale. Né au milieu d’un
peuple qui faisait remonter avec orgueil son origine à
un fils d'Abraham, et vivait encore presque tout entier
de la vie nomade de ses ancêtres, le fondateur de lis-
lamisme dut faire, dans ses lois religieuses , une haute
part à la famille, dont le rôle est si important chez les
peuples pasteurs. C’est un des motifs pour lesquels
l'autorité paternelle possède en Orient une partie de la
puissante influence dont elle jouit pendant l'ère pa-
triarcale. Le père est le chef suprême ; 1l exerce un
pouvoir absolu sur sa femme, sur ses enfants et sur
ses esclaves ; chacun d’eux témoigne la plus grande
déférence pour ses ordres et l'entoure des égards les
plus empressés. Cette autorité du père , cette soumis-
sion du reste de la famille existent dans toutes les clas-
ses de la société ; on les rencontre chez les princes, de
même que chez les plus indigents de leurs sujets.
5515) MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
6. Déférence de l'épouse envers le chef de la famille.
}
— Dans ses rapports avec son époux, la femme se“
montre très-respectueuse ; elle n’a pas avec lui cette
familiarité, cet abandon, indices, en Occident, de l’é-.
galité qui règne entre les deux sexes. Souvent elle se
tient debout en présence de son mari; toujours elle
l'appelle son maitre. Elle a pour lui des soins, des
prévenances qu’en Europe on exigerait à peine d’une
servante; mais l’accomplissement de ces devoirs est
loin de lui être pénible : elle est habituée à s’absorber
dans son époux; elle n’a d’autre souci que de chercher
à lui plaire, d'autre occupation que de travailler à em-
beliir son existence. C’est la même affection humble et
dévouée que nous voyons dans les récits bibliques ani-
mer les femmes des anciens jours.
7. Respect des enfants pour leur père. — Le chef
de la famille recoit de ses enfants des marques analo-
gues de vénération et de profond respect; ils lui baï-
sent les mains, en signe de soumission ; ils ne s’as-
seyent devant lui que lorsqu'il le leur permet, ne
prennent la parole que lorsqu'il les interpelle, et se
garderaient bien de fumer ou de boire du café en sa
présence ’. Ce n’est qu'après leur mariage qu'ils ont
avec lui un peu plus de liberté. Ils étendent à leur
mère ce respect filiai, et lui donnent à toute occasion
des marques du vif sentiment de tendresse qu’ils nour-
rissent pour elle.
1 Jbrahim-Pacha lui-même , homme à barbe grise, père de famille,
vizir comme son père. plus élevé même que lui dans l’ordre hiérarchique,
puisque, en qualité de gouverneur de la Mecque, il est le premier pacha
de l'empire ; fbrahim, couvert de gloire militaire, donne néanmoins à
Méhémet-Ali les mêmes témoignages d'hnmble sonmission.
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. :337
8. Hiérarchie fraternelle. — Entre les freres et les
sœurs s'élève une hiérarchie basée sur l’âge, qui exige
de la part des plus jeunes des témoignages de soumis-
sion et des égards envers les plus âgés. L’aîné occupe
le second rang dans la famille ; il en devient le chef à
Ja mort de son père. Enfin, les liens de la parenté sont
regardés comme si religieux, que le serment le plus
‘sacré des musulmans est celui qu’ils font sur la vie de
leurs parents, et, lorsque ceux-ci ne sont plus, sur
leur mémoire ou sur leur tombe.
*. 9. Respect des jeunes gens pour les vieillards, et des
“inférieurs pour leurs supérieurs. — Ces mœurs de
‘famille ont profondément agi sur la société musulmane.
“Elles ont consacré le respect des vieillards auxquels
-les jeunes gens prodiguent presque les mêmes atten-
‘tions qu’à leurs pères; c’est de ce nom qu’ils les appel-
‘lent ordinairement; ou de celui de cheik, qui veut
‘dire vénérable. Les différences d’âge ne sont pas les
seules à influer de cette manière sur les rapports so-
“eiaux. La différence des rangs a des effets semblables.
La subordination des classes inférieures se révèle par
-des formules de politesse spéciales. Ainsi, toutes les
‘fois que passe un personnage de distinction, les hom-
mes du peuple quittent la pipe et leur travail, restent
debout et attendent respectueusement son salut. Lors-
qu’un individu adresse la parole à son supérieur, il
Pappelle son maître ou son père ; à son égal, 1l donne
le titre de frère. On dirait que la société musulmane
ne forme qu’une seule famille et qu’une parenté com-
mune en réunit tous les membres dans le système
hiérarchique de la tribu patriarcale.
à 29
Le
338 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
III. .
DE L'ESCLAVAGE EN ORIENT.
Esclavage occidental. — L’esclavage en Orient. — Esclaves blancs. —
Esclaves noirs, — Condition des esclaves. — Femmes esclaves. — Reli-
gion des esclaves. — Conduite des Eurepéens envers leurs esclaves en
Égypte. — Extraits des livres du droit musulman relativement à l’escla-
vage, à la traite et à l'affranchissement des esclaves.
10. Esclavage occidental. — Les progrès que le
christianisme a fait faire à la morale ont à jamais con-
damné le principe même de lesclavage, comme un
crime de lèse-humanité. Les atrocités que l’on a com-
mises, soit dans l’antiquité, soit dans les temps mo-
dernes, contre les malheureux que le sort avait poussés
dans cette condition dégradante, en ont rendu le nom
odieux à tous les hommes de cœur. Aussi ne sera-ce
pas l’un des moindres titres de gloire de notre siècle,
que l'abolition du hideux trafic qui alimentait et ali-
mente encore les marchés à esclaves des colonies eu-
ropéennes, et l’initiation à la liberté de ces Africains,
transplantés en Amérique, au milieu de si horribles
circonstances.
11. L’esclavage en Orient. — La cruelle soif du
gain, qui a créé et entretenu l'esclavage des colonies,
lui à imprimé un cachet si repoussant, que je ne vou-
drais pas me servir du mot esclavage en parlant de la
servitude en Orient; il y a, en effet, une énorme difié-
rence entre l'esclavage américain et la servitude des
Orientaux. Chez ceux-ci, cette institution m'est ni
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 359
cruelle ni flétrissante; elle ne considère pas l’esclave
comme une chose, un objet matériel, ainsi que le fai-
sait la loi romaine; elle n’en fait pas non plus un
article d'importation ou d'exportation, sur la livraison
duquel on peut spéculer ; une simple machine au fond,
dont on évaluerait volontiers la puissance en forces de
chevaux. Le colon occidental n’estime dans le nègre
que sa valeur matérielle, il oublie en lui l'homme mo-
ral, il le dénature. Le musulman, au contraire, voit
toujours un homme dans son esclave, et il le traite
de telle manière, qu’on pourrait dire de l'esclavage
oriental, qu’il est souvent une vraie adoption, et tou-
jours une admission au cercle élargi de la famille.
12. Esclaves blancs. — On voit en Égypte des escla-
ves blancs et des esclaves de couleur. Les premiers,
pris à la guerre ou vendus par leurs parents, viennent
de la Géorgie et de la Circassie. On en trouve fort peu
dans les bazars, depuis que la Russie a étendu ses
conquêtes jusque dans ces contrées. On dirait que
cette puissance est destinée à châtier les peuples du
Caucase qui, au mépris des lois les plus sacrées , s’é-
taient faits depuis si longtemps les vils pourvoyeurs
du harem. Il y a aussi, en Égypte, des esclaves grecs ;
ils ont été pris dans la guerre de l’indépendance.
15. Esclaves noirs. — Les nègres et les Abyssi-
niens sont très-nombreux. Ce sont des prisonniers que
se font réciproquement , dans leurs luttes intestines,
les peuplades de l’intérieur de l'Afrique. On n’a jamais
entendu dire qu'ils fussent vendus par leurs parents :
ainsi le sentiment des lois naturelles est plus profondé-
ment gravé au cœur de ces sauvages que dans celui des
340 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. :
Géorgiens et des Circassiens , que des écrivains récents)
ont voulu cependant nous représenter comme une:
race de magnanimes héros. 2
14. Condition des esclaves. — La condition de ces.
esclaves est bien loin d’être malheureuse ; souvent
même elle les élève beaucoup au-dessus de celle dont:
la servitude les a tirés. Les blancs peuvent parvenir aux
premiers rangs de la société et aux postes les plus con-
sidérables. Les nègres , quoique presque toujours con-
damnés par leur couleur aux postes inférieurs :,
obtiennent plus de bonheur qu'ils n’eussent pu en
espérer dans l’état de nature. Cependant il n’est pas
sans exemple d'en voir arriver aux grades supérieurs ,
même jusqu'à la dignité de bey. L’esclavage est d’abord
pour eux comme une seconde naissance, car il les
sauve de la mort ; si, après avoir été faits prisonniers,
ils n'étaient pas vendus, ils seraient impitoyablement
massacrés.
J'ai dit que la servitude est souvent , en Orient, une
adoption ou du moins une incorporation à la famille.
Le musulman qui achète un esclave en bas âge le prend
en effet dans le bazar, nu, sale, privé de tous les soins
sous lesquels s’abrite l'enfance; c’est comme s’il re-
cueillait un enfant abandonné. Il ne se contente pas, au
reste, de l’autorité matérielle que lui donne le droit de
propriété qu'il a acquis sur son jeune esclave en la-
1 Parmi eux , les eunuques jouissent tous d’une très-grande considéra-
tion. Mais c'est presque toujours dans les fonctions du sérail. On en a vu
cependant parvenir jusqu'au rang suprême de vizir. On ne peut pas féli-
citer ces malheureux d’une fortune qu'ils ne doivent qu'à la honteuse
mutilation dont ils ont été victimes. On ne doit pas en savoir gré à ceux
qui ne la leur ont accurdée qu’à ce prix.
MOEURS ET USAGES DES MUSULMAN . 341
chetant ; il légitime en quelque sorte ce droit par les
soins qu'il apporte à son éducation. C’est par la reli-
gion qu’il la commence ; il lui fait apprendre ensuite à
lire et à écrire. Lorsqu'il l’a formé, il en fait son chi-
boukchi ou son cavedji (celui qui donne la pipe ou ce-
lui qui présente le café); il en fait encore son faräch
(son valet de chambre). Chez un homme riche , l’es-
clave devient kasnadar (trésorier), kiatib (secrétaire).
selickthar (porte-épée), kiayha (intendant); on le
marie avec une esclave de la maison, quelquefois même
il épouse la fille de son maître.
C’est ainsi que, au milieu des mœurs patriarcales des
Orientaux , la servitude prend un caractère bien op-
posé à celui que nous lui avons fait en Amérique. La
loi musulmane protége l’esclave contre l'injustice de
son maitre ; elle lui donne des garanties contre sa vio-
lence et appelle d’ailleurs sur lui la bienveillante pro-
tection que les fidèles doivent aux êtres faibles, mais
la différence de traitement n’est pas celle qui me
frappe le plus. La servitude orientale se distingue avec
honneur de notre esclavage , surtout par son respect
pour la dignité humaine. L’esclave, en Turquie, n’est
pas humilié de sa condition ; souvent il répète avec
fierté qu’il est de la maison de tel bey ou de tel pacha,
et il donne à son maître le titre de père. Il sait d’ail-
leurs qu’il n’est pas éternellement enchainé à son état
par un lien de fer; il a devant lui assez d'exemples
pour exalter son ambition et grandir son âme à l’espoir
des plus brillantes destinées. Cette fameuse milice des
imameluks qui a si longtemps gouverné l'Égypte ne se
recrulait que parmi les esclaves : Ali-Bey, Mourad-Bey,
29,
342 MOEURS ET USAGES DE MUSULMANS.
Ibrahim-Bey avaient été achetés dans les bazars;
l’ancien sadrazam de l'empire ottoman, le vieux
Khosrew, s’est élevé de la servitude à la puissante
position qu’il occupe aujourd’hui ; Khalil-Pachaet Saïd-
Pacha, tous deux gendres du sultan Mahmoud, beaux-
frères du padischah Abdul-Medjid et ministres de la
Porte, ont été esclaves ; le sultan Mahmoud ramassa
dans les rues de Constantinople le Circassien Hafiz,
dont il devait faire plus tard le séraskier de sa dernière
armée. De même, en Égypte, les officiers supérieurs
sont la plupart des affranchis. Jai vu, dans les bazars
du Caire, les esclaves grecs arrachés à leur pays au
moment où il allait renaître à la liberté; je les ai re-
vus ensuite occupant presque tous les emplois les
plus élevés dans l’ordre civil et dans l’armée. On serait
presque tenté de croire que leur servitude n’a pas été
un malheur, si l’on pouvait oublier les douleurs de
leurs parents, qui se les sont vu ravir au moment où
ils croyaient pouvoir leur léguer une religion libre de
persécutions et une patrie régénérée.
15. Femmes esclaves. — La femme esclave est éle-
vée dans l’intérieur de la maison et employée au service
du harem ; souvent son maître la prend pour épouse
ou la donne à son fils ou à l’un de ses officiers avec un
trousseau et une dot. Le sultan n’épouse jamais que des
esclaves ; il en est de même du vice-roi d'Égypte et de
ses fils.
On voit dans la même maison des esclaves noires
et des esclaves blanches etle maître avoir pour femmes
une Géorgienne , une Abyssinienne , une négresse du
Darfour , et les entourer, elles et leurs enfants, des
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 943
mêmes soins, des mêmes égards. Cependant il est rare
qu’un blanc fasse son épouse d’une négresse; il y a
même peu d'exemples qu’une fille de condition se soit
mariée à un homme de couleur. |
16. Religion des esclaves. — La servitude en Orient
convertit à l'islamisme tous ces hommes et toutessces
femmes qui vont peupler les bazars. Le prosélytisme
jaloux des musulmans nous explique qu’ils n’aient pas
permis aux chrétiens d’avoir des esclaves. Cette solli-
citude religieuse me plaît sous un point de vue : elle
prouve que les Orientaux estiment que leurs esclaves
sont dignes de partager avec eux les félicités futures que
le prophète a promises aux fidèles; c'est reconnaitre
l'égalité devant Dieu , et cette égalité contient en germe
toutes les autres. Cependant de tout temps, en
Égypte , les raïas, qui jouissaient de plus de liberté
que dans aucune autre partie de l'empire turc , ont eu
la faculté d'acheter et de vendre des noirs ; quelques-
uns même ont pu, en usant de précaution , intro-
duire dans leur harem une Circassienne ou une Géor-
gienne.
17. Conduite des Européens envers leurs esclaves
en Égypte. — Les Européens qui habitent l'Égypte
peuvent avoir aussi des esclaves , ce qui est dù à la to-
lérance de Méhémet-Ali. On croirait volontiers, pour
l'honneur de notre civilisation , que ce doit être un
bonheur pour ceux-ci d’appartenir à des maîtres qui
viennent de contrées où l'esclavage n'existe pas et dont
le sol hospitalier donne la liberté à quiconque le tou-
che; en général, on se tromperait. Ces Européens,
qui, en parlant de la barbarie musulmane, ont tou-
044 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
jours le mépris à la bouche , maintiennent peu souvent
leur conduite au ton de leur verbeuse philanthropie;
beaucoup vendent ou troquent leurs esclaves. Ces actes
peuvent être justifiés jusqu’à un certain point et dans
certains cas, tant qu’ils ne dégénèrent pas en trafic.
Ce serait en effet une cruauté que de donner la liberté
à un jeune esclave qui ne pourrait subsister par son
travail et dont on serait forcé néanmoins de se débar-
rasser. En l’affranchissant, on serait aussi barbare
qu’un père qui chasserait son enfant du foyer domes-
tique. Mais vendre un esclave qui peut gagner sa vie
en travaillant , c’est faire un marché qui déshonore ;
et pourtant bien des Francs spéculent sur cette infamie.
On en voit qui vendent des femmes enceintes de leurs
œuvres et qui abandonnent ainsi à l'esclavage leurs
propres enfants , sur la naissance éventuelle desquels
ils ne rougissent pas de percevoir une prime. Pour
qualifier de si horribles immoralités, la langue est trop
pauvre ou le cœur de l’homme d’honneur trop riche
d’indignation. En les voyant , les Orientaux doivent
s'enorgueillir de leur vertueuse barbarie et prendre en
mépris notre civilisation , souillée par des misérables
qui couvrent leurs bassesses de ses oripeaux. Hâtons-
nous de dire que des Européens hommes de cœur
traitent leurs esclaves, hommes et femmes , avec bien-
veillance , adoptent tous les enfants qu’ils ont de
celles-ci et ne poussent point jusqu’au crime une faute
que condamnent nos mœurs et notre religion.
La légèreté de plusieurs des voyageurs qui viennent
en Égypte amène quelquefois des résultats aussi fà-
cheux que ceux dont je viens de parler, En visitant
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 345
les bazars d'esclaves, curiosité dont le touriste est.
très-avide , si une négresse ou une Abyssinienne leur
plaît , ils achètent avec un peu d’argent le moyen de
satisfaire leur caprice; puis , cette boutade sensuelle
apaisée , ils croient être généreux envers l’infortunée
sur laquelle ils ont assouvi leur passion éphémère en
lui donnant la liberté. Mais, dans un pays où la
femme ne peut vivre que sous la tutelle de l’homme, la
liberté place l’esclave affranchie dans la déplorable al-
ternative de la misère ou de la prostitution. C’est ainsi
que l’étourderie égoïste de quelques Européens noma-
des contribue à entretenir cette espèce de mépris que
les musulmans ont pour nos mœurs.
J’insiste sur les tristes conséquences que le contact
des Occidentaux avec l'esclavage oriental produit sur
cette condition, envers laquelle les musulmans usent de
ménagements religieux. Il importe en effet de stigma-
tiser les honteux écarts que des Européens se permet-
tent au milieu d’une nation étrangère à nos mœurs. Il
semble que , par respect pour la civilisation à laquelle
ils sont fiers d’appartenir , et afin d’en montrer la su-
périorité , ils devraient , en face d’une civilisation op-
posée , se tenir sur la plus grande réserve. Le nom de
Franc veut être porté avec dignité devant les musul-
mans; c’est un crime que d'attirer sur lui le mépris que
l’on ne craint pas d'appeler sur soi-même , et de l’écla-
bousser de sa fange.
Je termine par des passages extraits des livres du
droit musulman. On y trouvera des détails intéres-
sants : on y verra que, pour lislamisme, le point
de départ légal de l’esclavage, c’est la guerre, et
546 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
qu'en principe il n’est qu’une de ses vicissitudes :,
18. Extraits des livres du droit musulman , relative-«
ment à l’esclavage , à la traite et à l’affranchissement. «
— Si les chances de la guerre faisaient tomber entre
les mains des musulmans des prisonniers infidèles , le
sultan aurait le droit d'employer envers ces prisonniers
un des quatre moyens qui seraient à sa disposition et
qui vont être énumérés :
1° Il pourrait leur faire couper la tête , excepté aux
insensés , aux femmes , aux jeunes enfants , etc. ;
20 Il pourrait leur faire grâce, en leur donnant
pleine hberté ;
5° Il pourrait faire échange contre des prisonniers
musulmans qui se trouveraient chez eux, ou bien trai-
ter de leur liberté au moyen de l'argent;
4° Enfin il pourrait sanctionner l'esclavage.
Dans le choix qu'il fera d’un des quatre moyens dont
il vient d’être fait mention , le sultan adoptera celui
qu'il voudra, pourvu toutefois qu'il soit bon et con-
forme aux intérêts du gouvernement local. S'il se pro-
nonce pour l'esclavage, il devra, sous tous les rapports,
bien traiter ces nouveaux esclaves. La tradition porte
que, dans la mémorable journée de la grande bataille
de Bâdre , des prisonniers, parmi lesquels se trouvait
le nommé Abbas, se présentèrent devant le prophète,
qui ordonna qu'on vêtit celui-ci sur-le-champ. On
trouva par hasard les habits qui avaient servi au
nommé Abdala Obey; comme ils n’étaient plus néces-
1 La traduction de ces morceaux est due à l’obligeance du cheïk Refah,
qui a été instruit en France, et qui est aujourd’hui directeur de l’écols
des langues.
MOEURS ET USAGES BES MUSULMANS. 347
saires et qu'ils lui allaient bien, on les lui donna. Le
prophète a dit : Ayez pitié des deux faibles créatures.
Il voulait, par ces paroles, faire allusion à la femme et
à l’esclave. La tradition rapporte encore que, lors de
la grande bataille de Zâdre, on demanda au prophète
ses ordres relativement aux prisonniers, et qu'il ré-
pondit : « Dieu vous a donné plein pouvoir sur eux ! »
Alors le calife Omar parla en ces termes : « O envoyé
de Dieu, décapitez-les. » Le prophète, se tournant vers
les musulmans qui étaient présents, leur adressa la
parole en leur répétant : « Dieu vous a donné plein
pouvoir sur eux. » Omar répondit dans le même sens
en se servant des expressions que nous avons rappor-
tées. Aboubekr se leva, et dit au prophète : « Mon opi-
nion serait que vous leur fissiez grâce en les rache-
tant. » On vit alors la joie et le contentement éclater
sur la figure du prophète, et il reçut la rançon. Dieu
alors révéla au prophète le passage suivant : Si vous
n’eussiez pas agi d’après les volontés de Dieu, vous
auriez été très-coupables et vous auriez mérité d’être
punis rigoureusement. Mangez tout le butin que vous
avez recueilli légalement et honnêtement , et craignez
Dieu ; car il est juste et clément. Comme le prophète
exigea d’Abbas , son neveu, cent onces d’or pour ran-
çon, tandis qu’il se borna à en demander quatre-vingts
onces à un autre parent d’un degré inférieur , Abbas
s’'écria avec humeur : « Voilà les effets d’une bonne
parenté! » Dans cette circonstance, Dieu révéla au
prophète le passage suivant : O prophète! dites à ceux
qui sont retenus chez vous comme prisonniers que, si
je reconnais dans leurs cœurs des sentiments purs,
348 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS,
non-seulement je leur pardonnerai volontiers leurs
- mauvaises actions passées, mais encore je leur accor-
derai une récompense d’une valeur plus importante
que ce qui leur a été enlevé.
Comme la liberté est l’état primitif des hontmets et
que l’esclavage n’est qu'une chose accidentelle, la foi
musulmane considère comme très-louable l’affranchis-
sement des esclaves. Il est certaines fautes qui seront
expiées par la mise en liberté-des esclaves, telles que
le parjure, par exemple, l’inobservance du jeùne, etc.
Le prophète à dit :: « Celur qui affranchira un esclave
musulman, Dieu préservera des tourments qu’on en-
dure à l'enfer autant de parties de son corps qu’il s’en
trouve dans celui de l’esclave mis en hberté. » Deson
vivant le prophète a affranchi soixante-trois esclaves ;
il est à remarquer qu'il a: vécu le même nombre d’an-
nées ; son épouse, fille d’Aboubekr, soixante-neuf; elle
a vécu soixante-neuf ans. Un compagnon du prophète,
appelé Zulkra, des tribus héméréites, a affranchi huit.
mille ésclaves dans une sèule journée ; Abdala, fils
d'Omar, mille; Haquim-Ebné-Hézan, cent, qui por-
taient à leur cou des colliers d’argent; Abdragman-
Ebné-Of, trente mille. Tous ces personhages étaient
des compagnons du prophète.
La foi musulmane est tellement favorable à l’affran-
chissement des esclaves, qu’elle ordonne expressément
que, lorsqu'un homme achètera:un esclave avec la con-
dition qu’il lui donnera sa liberté, 1l est forcé de mettre
à exécution sa promesse immédiatement après l'avoir
acheté. S'il se refusait à le faire, on pourrait même
employer envers Jui la contrainte par corps. Un imfi-
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS, 549
dèle peut et doit aussi affranchir un esclave, lors même
qu'il serait ennemi juré des musulmans. Que laffran-
chissement d’un esclave soit fait par un musulman ou
par un infidèle, l’esclave affranchi sera toujours sous la
protection de son maître. Il y a en quelque sorte entre
le maître et l’esclave des liens de parenté : le maître
est le tuteur naturel de son affranchi, comme un père
l'est de ses enfants.
Il existe plusieurs modes d’affranchissement. En
suivant le premier , le maitre doit déclarer par écrit,
de son vivant, que l’esclave aura sa liberté après sa
mort. Voici de quelle manière doit être conçue cette
déclaration : « {près ma mort tu seras libre. »
D’après le second , l’esclave rachète sa liberté pour
une certaine somme , qu’il solde en deux payements.
Il peut aussi, après avoir fait le prix avec son mai-
tre, lui payer peu à peu la somme convenue ; dès qu’il
a acquitté sa dette, il obtient sa liberté.
Le dernier cas d’affranchissement, applicable seu-
lement aux femmes, est celui où elles sont mères.
Mais l’esclave qui sera dans une pareille position ne
pourra jouir de sa liberté qu'après la mort de son
maitre.
( IV.
LES HOMMES.
Séparation des hommes d'avec les femmes dans la société. — Caractère
physique des hommes. — Caractère moral, qualités intellectuelles. —
Sobriété. — Charité, — Courage et résignation, — Attachement des
î. 30
550 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
Égyptiens pour leur pays.— Défauts et vices ; cupidité.— Dissimulation,
jalousie, ingratitude. — Paresse. — Orgueil religieux. — Ignorance. —
Entêtement. — Querelles, vengeances. — Esprit satirique et licencieux.
— Costumes : costume ancien. — Costume mameluk. — Costume nou-
veau, — Chaussure. — Réflexions sur le nouveau costume, — Costume
fellah. — Usages des Égyptiens relativement aux cheveux ; à la
barbe, etc. — Propreté et malpropreté. — Emploi du temps, occupa-
tions. — Sommeil, manière de se coucher. — Exclamations ordinaires,
jurons, serments. — Domestiques.
19. Séparation des hommes d'avec les femmes dans
la société. — La religion de Mahomet et les mœurs
traditionnelles des Orientaux ayant établi dans la vie
sociale une infranchissable barrière entre les hommes
et les femmes, chaque sexe a , en Égypte, des mœurs
et des usages si tranchés qu'il est nécessaire de les
étudier à part.
20. Caractère physique des hommes. — L'aspect de
l'Arabe a quelque chose de noble , d’austère et de mé-
lancolique. L'Égyptien musulman conserve, même
sous les haïllons, un caractère de distinction : il se
tient très-droit, le corps cambré ; sa démarche est me-
surée , sans affectation ; ses mouvements sont calmes ;
on dirait que toutes ses manières sont calculées avec
précision , et pourtant elles ne sont pas étudiées; la
vivacité et l’enjouement, naturels aux Européens, et
surtout aux peuples méridionaux, n’en troublent ja-
mais la régularité et la lenteur. Son regard est sérieux,
son visage sévère. D’une imperturbable impassibilité ,
il ne trahit au dehors aucune des impressions inté-
rieures qu'il éprouve, et laisse s’agiter, sous le même
masque également froid, les sentiments les plus divers.
Ordinairement ses paroles sont peu nombreuses et pa-
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 251
raissent inspirées par la réflexion. Sa voix est forte et.
perçante ; il parle sur un ton très-haut, si bien qu’on
croirait souvent qu'il se dispute, lorsqu'il ne fait que
causer.
21. Caractère moral; qualités intellectuelles. — Les
Égyptiens sont intelligents ; ils concoivent rapidement,
apprennent par cœur avec facilité, mais, soit insou-
clance, soit défaut de mémoire, ne se souviennent pas
longtemps de ce qu’ils ont d’abord retenu. Ils sont
très-malléables : on peut les employer aux travaux les
plus divers. D’une imagination impressionnable, ils
sont accessibles aux sentiments d’émulation , et, lors-
qu'ils sont exaltés , ils sont capables des plus grandes
choses. Ils sont doués d’une très-grande adresse ma-
nuelle. Pendant son enfance, l’Arabe est enjoué, vif,
spirituel même ; en arrivant à l’âge viril, il prend ce
caractère froid et sérieux que révèle sa physionomie
que je me suis efforcé d’esquisser plus haut. C’est sans
doute l'influence de la religion qui produit cette modi-
ficalion.
22. Sobriété. — La sobriété des Égyptiens est une de
leurs qualités les plus frappantes ; on s’en convaincra
lorsque je parlerai de leur nourriture. L’ivresse est
irès-rare parmi eux. Leur frugalité est extrême. Ils
montrent un très-grand respect pour le pain; il se
confond si étroitement, dans leur pensée, avec l’exis-
tence, dont il est le soutien pricipal, qu’ils lui donnent
le nom de keysch, qui signifie littéralement vée. Ils n’en
laissent jamais perdre par leur faute le moindre mor-
ceau ; on les voit, lorsqu'ils en trouvent des fragments
dans les rues , les ramasser soigneusement , et, après
992 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS,
les avoir portés trois fois à leurs lèvres et à leur front ;
les placer dans un endroit où ils ne soient pas exposés à
être foulés aux pieds et où un chien ou tout autre ani
mal puisse s’en nourrir. |
95. Charité. — Les musulmans sont en général cha-
ritables. La religion leur en fait un devoir : aussi un
motif intéressé parait guider la bienfaisance ; ils font
l’'aumône plutôt en vue des récompenses célestes, qui
leur sont promises en retour, que par sympathie pour
les malheurs de leurs semblables.
L’hospitalité est une vertu qui est très-répandue en
Égypte et mérite d’être hautement louée. Elle y con-
serve encore comme un reflet de la générosité patriar-
cale. Les voyageurs (mousafirs), de quelque religion
qu'ils soient, sont hébergés et nourris partout où ils se
présentent. Si, au moment où il va prendre son repas,
un musulman reçoit une visite, il le fait partager au
visiteur. Les personnes de la classe moyenne, qui ha-
bitent dans des quartiers retirés , soupent quelquefois
devant la porte de leurs demeures; elles invitent à
s'asseoir à leur table ceux des passants dont l'extérieur
est convenable.
Les Égyptiens sont très-affables entre eux ; ils met-
tent plus de froideur et de réserve dans leurs rapports
avec les Européens. Ils font preuve quelquefois de gé-
nérosité.
24. Courage et résignation. — Nés sous l'oppression,
les habitants de l'Égypte montrent , dans les circon-
stances ordinaires, une grande timidité et redoutent
d'appeler le danger sur leurs têtes. Toutefois en pré-
sence du péril, leur courage et leur énergie se réveil-
étais. 2" "
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 355
lent. Dans les peines, dans les souffrances , leur rési-
gnation est inébranlable ; respectueusement soumis
aux événements comme aux décrets de la Divinité, ils
accueillent les épreuves qu’elle leur envoie avec cette
phrase stoïque : « Dieu est bon (4//ah-kerim). »
93. Attachement des Égyptiens pour leur pays. —
Il n’est pas d'hommes qui poussent plus loin que les
Égyptiens l'amour du sol qui les vit naître. Il est rare
qu’ils puissent se résoudre volontairement à quitter
leur terre natale. Sans le Nil, dont l’onde bienfaisante
étanche leur soif et féconde leurs campagnes, sans les
dattiers , qui leur procurent un aliment facile et déli-
cieux , les fellahs ne peuvent concevoir l'existence ;
aussi demandent-ils souvent aux Européens si chez
nous il y a aussi un Nil et des palmiers.
26. Défauts et vices ; cupidité. — Le premier senti-
ment qui semble naître chez l'Égyptien , c’est l'amour
de l'argent. Les idées d’honneur et de dignité person-
nelle lui sont si étrangères qu’il n’a pas de répugnance,
s’il est d’une classe inférieure, à mendier les person-
nes plus haut placées que lui quelques misérables
paras :; afin d'obtenir ces pièces de monnaie, il tend
toujours à représenter sa situation comme plus mal-
heureuse qu’elle ne l’est réellement. Lorsqu'on lui
donne de l'argent, soit en cadeau, soit en payement, il
a l'habitude de remuer l'index de la main droite en
disant : Kéman ouâhed (encore une autre pièce de
monnaie). Cette cupidité instinctive porte souvent les
Égyptiens à recourir à la fraude dans les transactions
5 Quarante paras — une piasire : celle-ci vaut vingl-cinq centimes.
30.
254 MGEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
commerciales; elle les rend enclins à l’escroquerie et »
au vol. Il est facile de s'expliquer l'existence de ce bas
sentiment chez ce peuple, lorsqu'on songe qu'il a été
soumis pendant plus de dix siècles à toutes les extor-
sions qu'il a plu à ses {yrans de lui faire subir. Sans
cesse volé par ses oppresseurs, l'argent, par cela même
qu'il lui était plus difficile de le conserver , lui est de-
venu plus précieux, et il a dû rechercher d’autant plus
à se couvrir de l’apparence de la pauvreté que les de-
hors de la richesse attiraient sur lui plus de périls.
C’est de là qu'est venue aux Égyptiens l'habitude d’a-
voir dans leurs maisons une cache, nommée mekhba,
dans laquelle ils tiennent renfermé leur trésor.
927. Dissimulation, jalousie, ingratitude. — Le
mensonge , la dissimulation , l'envie , la défiance , ces
vices que l’on rencontre toujours enracinés chez les
hommes avilis par la tyrannie , dégradent le caractère
des Égyptiens; le noble sentiment de la reconnaissance
leur est presque inconnu. Ils commettent souvent des
actes de la plus noire ingratitude.
98. Paresse. — Livrés à eux-mêmes, les Arabes se
laissent aller à une honteuse indolence. Si une direc-
tion vigilante ne les aigui!lonnait sans cesse, comme
leurs désirs sont bornés , leurs besoins très-peu nom-
breux , et comme l'Égypte leur offre le moyen de les
satisfaire aisément , ils passeraient leur vie dans une
oisiveté complète et ne songeraient pas à maintenir ,
par l’assiduité du travail , la fécondité du sol qui les ,
nourrit. La voix de l'intérêt ne domine pas assez, -
dans leur cœur , leur apathique léthargie, pour dis-
traire leurs regards du présent et les porter vers la-
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 399
venir. De même que les lazzeroni de Naples, les
besoins du moment sont seuls capables de les faire
mouvoir. Leur prévoyance ne s'étend pas jusqu’au
lendemain.
29. Orgueil religieux. — La religion prend de
bonne heure de l'empire sur l'Égyptien. Sans qu’il en
fasse une étude particulière , son esprit en retient aisé-
ment les traits principaux. Son intelligence docile re-
coit toutes les impressions que ses parents lui incul-
quent à cet égard, et le doute ne l’effleure jamais. Il ne
tarde pas à devenir ridiculement vain de sa croyance.
Se regardant comme sectateur d’une religion privilé-
giée , il n’a que du mépris pour ceux qui suivent un
culte différent. Il les désigne par des termes insultants ;
au nom de juif et de chrétien il joint ordinairement
lépithète de chien ou d’infidèle. Il ne sait pas de plus
grand outrage à lancer à la face de celui avec lequel
il se dispute que de l’appeler chrétien ou juif.
30. Zgnorance. — La masse du peuple égyptien est
plongée dans la plus profonde ignorance. Quelques
personnes ont cru devoir en faire remonter la cause à
la religion musulmane, mais c’est à tort. Il est en
effet dans le Coran plusieurs passages où les sciences
sont honorées et où leur culture est recommandée. On
sait du reste ce que les califes de Bagdad et la civilisa-
tion moresque d’Espagne ont fait pour le developpe-
ment de l'intelligence humaine. Ce sont les mameluks
qui ont entièrement étouflé les lumières en Égypte.
Aujourd'hui , il n'ya, outre les sujets formés par les
écoles récemment fondées , que quelques personnes
lettrées, et encore toute leur instruction se borne-t-elle
3:6 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
à la connaissance des livres religieux et de quelques
poésies.
61. Entétement. — L’'obstination est un des traits
principaux du caractère des Égyptiens. On en voit
souvent qui préfèrent recevoir cent’, deux cents coups
de courbach * plutôt que d’acquitter leur chétive im-
position. Il est rare qu’ils consentent à la payer de
plein gré ; après qu'ils se la sont laissé arracher par la
bastonnade, qu’ils endurent autant que leurs forces
le leur permettent , ils ne manifestent souvent qu’un
regret, c’est que s'ils avaient supporté quelques coups
de plus ils auraient échappé, peut-être, au fise. Ce
n’est jamais qu'avec le cowrbach que l’on est venu à
bout de leur entêtement. Il en était de même du temps
d’Ammien Marcellin. Cet auteur rapporte en eflet que
les Égyptiens se faisaient un point d'honneur de ne
payer leurs contributions qu'après avoir recu des
coups de bâton.
32. Querelles ; vengeances. — Les Égyptiens , prin-
cipalement ceux des basses classes, sont enclins à se
quereller. Ce sont presque toujours des motifs d'inté-
rêt, souvent très-légers , qui provoquent leurs dis-
putes. A voir l’acharnement avec lequel ils soutiennent
leur querelle, les torrents d’injures, les vociférations
qui sont lancées de part et d'autre, on s’imaginerait
qu'une fàcheuse issue va terminer des débats aussi
animés. 1l n’en est rien. Il est rare que les coups sui-
vent les gros mots. La dispute se termine comme
d'elle-même. « La justice est contre moi,» dit celui
1 Espèce de cravache en cuir d'hippopotame.
dit > todos mimi nl gr hd attéianint le séitidt lutter teté DA LÉ EE
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 357
qui cède ; quelquefvis une troisième personne inter-
vient par une exclamation pieuse : Bénédiction sur le
Prophète , s’écrie-t-elle , que Dieu le favorise! Les
deux adversaires répètent à voix basse ces religieux
souhaits ; ils récitentalors ensemble quelques versets
du Coran, et scellent souvent leur réconciliation par
un embrassement.
Le sentiment de la vengeance est inné chez les Égyp-
tiens. Il existe parmi eux des vengeances héréditaires
entre familles ; autrefois on en voyait entre villages. Le
sang appelle le sang. La famille de l'homme assassiné
doit se venger sur celle de lassassin. Heureusement le
meurtre est presque inconnu en Égypte.
35. Esprit satirique et licencieux. — Les Égyptiens
sont naturellement satiriques ; ils sont souvent spiri-
tuels. Leur langue se prête aux ambiguïtés et aux
expressions à double sens qu’ils répandent volontiers
dans leur conversation. Celle-ci est ordinairement très-
licencieuse. Ils expriment avec les mots les plus crus
les idées les plus scabreuses ; il est même peu de fem-
mes , entre les plus vertueuses, qui fassent régner la
décence dans leur langage et évitent de salir leur con-
versation d’obscénités.
J'ai déjà parlé du libertinage des Arabes et des vices
honteux qu’il entretient parmi eux.
54. Costumes : Costume ancien. — Les vêtements
qui étaient généralement portés en Égypte avant ces
dernières années se composaient : 1° d’une chemise;
20 d’un calecon; 3° d’un gilet; 4° d’un cafetan; 5° d’une
ceinture ; 6° d’un gebbeh ; 7° d’un benich. Les capri-
ces de la mode n’exerçant aucune action sur les Orien-
358 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
taux, leur costume demeurait invariablement le même
dans son ensemble comme dans ses détails.
Les chemises orientales diffèrent essentiellement des
nôtres. Elles sont très-longues et très-larges; leurs
manches, très-amples, le sont également dans toute.
leur longueur et ressemblent à celles d’un surplis. Les
chemises des gens du peuple sont en toile de lin ou de
coton ; celles des personnes riches sont faites avec une
toile fine appelée moghrabin ou avec une étoffe de"
soie. La chemise ne se met pas comme chez nous dans
le caleçon, mais par-dessus.
Le calecon (Zeb4s) est une large culotte; on dirait
une jupe qui serait cousue dans la partie inférieure, de
manière à laisser deux ouvertures pour les jambes. Le
calecon descend jusqu’au genou; il est fixé autour de
la taille par une gaine dont le cordon, plus ou moins
richement brodé, suivant la fortune de l’individu qui
le porte, est nommé dikkeh.
Le petit gilet, appelé sodeyry, est ordinairement de
drap ou d’une étoffe de coton ou de soie.
Par-dessus le gilet on passe le cafetan, espèce de robe
de chambre à grandes manches.
La ceinture (hezam) est une longue pièce d’étofle
en mousseline, en laine ou en soie, large d’un mètre,
longue de huit ou dix, que l’on roule et dont on en-
toure la taille au-dessus des hanches. Les gens riches
se servent pour le même usage d’un cachemire.
Le gebbeh est une espèce de surtout, doublé de four-
rures en hiver, dont les manches sont plus courtes que
celles du cafetan, et que l’on revêt par-dessus celui-ci.
On le laisse ouvert par devant.
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 399
Quelques personnes portent encore, outre le gebbe,
une robe plus large nommée benich, dont les manches
sont très-amples et très-longues et fendues à l’extré-
mité. Le benich est un vêtement de cérémonie dont
se servent spécialement les hommes de loi et les ulémas.
Quoique l'Égypte soit un pays chaud, l’usage des
pelisses y est très-répandu, et ce n’est pas simplement
par luxe. J’ai souvent moi-même senti pendant l'hiver
le besoin de me revêtir de ces surtouts à manches lar-
ges, garnis de fourrures. Les transitions brusques en-
tre des températures différentes rendent en effet le
froid plus sensible en Égypte. Les pelisses turques
sont d’amples redingotes en soie ou en drap, que les
grands seigneurs portent fourrées en hermine, en
sémour (martre), etc. Elles sont généralement regar-
dées comme un signe d'honneur. Les ulémas en sont
revêtus. Lorsque quelqu'un est nommé à une charge
importante, c’est avec une pelisse qu’il en reçoit lin-
vestiture.
La coiffure n’est pas la partie la moins distinguée
et la moins élégante de lPancien costume : elle est
formée d’un farbouch, bonnet rouge en laine, autour
duquel est roulé le turban. Au-dessus du farbouch, et
pour le garantir de la sueur, les Égyptiens placent une
petite calotte de toile appelée étackyeh. Le turban se
fait avec un châle en mousseline simple ou brodée, en
. laine ou en soie. Les personnes riches se servent d’un
cachemire.
Il y avait autrefois et il y a encore aujourd’hui,
parmi les personnes qui ont conservé l’ancien costume,
plusieurs manières d’arranger et de porter le turban.
360 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS:
Après avoir plié le châle diagonalement, comme une
cravate, on le roulait méthodiquement autour de la
tête, le plus souvent en croïsant les tours de manière
à former au-dessus du front une espèce de X ; quelque-
fois on plaçait les tours l’un sur l’autre en spirale ; ou
bien on portait le châle d’un seul côté. Chacune de ces
modes diverses indiquait le rang, l'emploi religieux,
militaire ou civil qu’occupait celui qui la suivait. I y
avait les turbans à la militaire, à la marchande, à la
marinière, à la turque, à V'albanaise, à Varnaoute, à
la cadi, à la mufti, etc.
Les ulémas se distinguent par la grosseur de leur
turban : il forme autour de la tête des chefs de la loi
une sphère volumineuse. Quelques-uns placent par-*
dessus une écharpe en mousseline ou en cachemire,.
en ramènent les deux pentes devant la poitrine où
l’une demeure pendante, et d’où l’autre est rejetée sur
l'épaule opposée. Ce voile flottant qui encadre leur
figure caractérisée, et qu'ils portent avec noblesse,
leur donne l'aspect majestueux et sévère des prêtres
de l’antiquité.
La couleur du turban servait autrefois à distinguer
les castes. Les musulmans seuls étaient autorisés à
l'avoir blanc ou rouge. Les chérifs, ou descendants de
la famille du prophète, avaient exclusivement le droit
de se servir de la couleur verte. Aux raïas, juifs ou
chrétiens étaient affectés le noir, le brun, le violet et
le rouge foncé. 3
Tel est l’ancien costume, appelé costume à la lon-
que. Il n’est plus guère conservé aujourd’hui que par
les ulémas, les marchands, les écrivains des adminis-
TT PTT,
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 561
trations ; et surtout par les chrétiens et les juifs in-
digènes.
35. Costume mameluk. — Il est porté encore par
quelques vieux survivants de cette milice. Il différait
légèrement de celui dont je viens de parler. Le cafetan
des mameluks, au lieu d’être très-long, se terminait,
comme une veste, à la hauteur de la ceinture. Ils en
avaient deux, l’un à manches étroites, l’autre à man-
ches larges, par-dessus lesquels ils revêtaient la salta,
espèce de carmagnole dont les manches étaient très-
amples, mais s’arrêtaient au coude. Leur pantalon, en
drap de Venise, qu'ils mettaient par-dessus le calecon,
était retenu à la ceinture par le dikkeh. Il était très-
large, descendait jusqu’à la cheville et ressemblait à un
grand sac percé, dans le fond, de deux ouvertures. Ils
serraient en outre autour de leur corps un cachemire.
56. Costume nouveau. — La métamorphose qui
s’est opérée dans le costume des Égyptiens date de
l'époque de l’organisation des troupes réglées, vers
l’année 1895 ; elle en fut la conséquence. La première
chose que l’on supprima dans l’armée fut le turban.
En 1826, de nouvelles modifications eurent lieu : on
laissa toujours subsister la culotte large jusqu'au ge-
nou et terminée par une espèce de guêtre; mais on
adopta un gilet à manches, par-dessus lequel on placa
une carmagnole dans le genre des vestes de nos hom-
mes du peuple, mais plus ample, espèce de dolman,
dont les manches ouvertes flottaient en arrière. On n’a
pas tardé à comprendre combien ces manches étaient
embarrassantes pour les mouvements militaires, et on.
les a supprimées.
APERCU SUR L'ÉGYPTE. À. 3
302 MOEURS ET USAGES BES MUSULMANS.
L'armée étant devenue la chose la plus importante
en Égypte , son influence devait toucher à tout; le
costume traditionnel s’en ressentit. Les hauts person-
nages , qu'ils eussent ou non des commandements dans «
l’armée , adoptèrent peu à peu l’habillement militaire.
Ibrahim-Pacha fut le premier à prendre le tarbouch;
son exemple fut bientôt suivi par tous, et le vice-roi lui-
même revêtit le costume qu'il avait donné à ses troupes.
Autrefois les Orientaux aimaient dans leurs vête-
ments les couleurs éclatantes : le rouge, le rose, le
lilas, le blanc, le violet, etc. Ils ne portaient jamais
les couleurs foncées, réservées aux raïas. Le gout et
l'usage ont changé, aujourd’hui, sous ce rapport. Les
couleurs vives ont été abandonnées par les personnes
de la haute classe, qui emploient maintenant les beaux
draps noirs, bleus, marrons, etc. Les hommes du
peuple les ont conservées.
La coiffure actuelle, qui consiste en un simple tar-
bouch, est bien plus commode , sinon aussi gracieuse
que le turban. Je ne pense pas que de longtemps
elle puisse être changée. Du reste, je ne sais par quoi
on la remplacerait. Le chapeau européen n’a dans sa
forme rien d'assez élégant ni d'assez noble pour faire
souhaiter que le tarbouch lui soit sacrifié. Les musul-
mans nourrissent d’ailleurs contre lui une antipathie
incroyable. Veulent-ils, dans un mouvement de colère,
dirent qu’ils sont capables de tout, il s'écrient qu'ils:
prendront le chapeau. ce qui serait à leurs yeux une:
énormité presque aussi grosse que d'abandonner leur
nationalité, que de renoncer à leur religion. Il serait
idésirer, néanmoins , que les Égyptiens attachassent”
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 365
une visière au tarbouch, ce qui leur donnerait une
coiffure analogue à celle de nos troupes d'Afrique.
Dans un pays où la lumière est très-vive, il serait im-
portant en effet de garantir les yeux et le front contre
les ardeurs du soleil. Mais comme une visière ferait
ressembler en quelque chose le tarbouch au chapeau,
je doute que les musulmans se décident à l'adopter.
57. Chaussure. — En général les musulmans ne
portent pas de bas. Les personnes aisées les rempla-
cent par une espèce de chausson en peau jaune, nommé
mezz : Ce chausson est placé dans un soulier de maro-
quin rouge ou jaune, appelé markoub, qui est porté
en pantoufle. La couleur jaune n’était permise autrefois
qu'aux musulmans ; les chrétiens pouvaient avoir des
souliers rouges ; mais le noir leur était principalement
affecté. L’utilité de la double chaussure dont se servent
les Orientaux est facile à comprendre. Grâce à elle, ils
peuvent, en entrant dans un appartement ou dans une
. mosquée, déposer leurs souliers à la porte et marcher
sur les nattes, les tapis, les divans, sans crainte de les
salir et sans avoir néanmoins les pieds nus.
38. Réflexions sur le nouveau costume. — Ce cos
tume, quoique introduisant des changements impor-
tants dans l'habillement ancien, n’en a pas altéré le type
national. Il réunit aux avantages du costume franc,
dont il n’est pas une absurde caricature, les traits les
plus caractéristiques de celui des musulmans; il ne
fut pas du reste une innovation , car il existait déjà en
Albanie et dans la Roumélie. Méhémet-Ali a fait, en le
choisissant , acte de prudence et de bon goût : de pru-
dence , parce qu'il aurait eu à combattre les antipa-
364 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
thies religieuses les plus vivaces , s’il avait voulu impo-
ser à ses sujets l'habillement européen ; de bon goût,
parce que des hommes habitués à la commodité des
vêtements amples, qui laissent toute liberté à leurs
articulations et à leurs mouvements, n'auraient pu
qu'être gènés dans nos habits et les porter d’une manière
ridicule.
Ce qui est arrivé à ce sujet à Constantinople à prouvé
que le vice-roi avait agi avec son bon sens et son habi-
leté ordinaires. On sait que le sultan Mahmoud a fait
prendre à ses troupes le costume européen sans amen-
dement. Chemise étroite , cravate , pantalon serré ,
redingote étriquée , souliers couverts , tout, excepté le
tarbouch, est emprunté à l'Europe dans le costume
actuel des Turcs. Or, Mahmoud a fait retomber par
là sur ses réformes le dégoùt qu'a soulevé chez les
Osmanlis l'adoption des vêtements européens. Ces
vêtements ont toujours été un objet de mépris et
d'horreur pour les musulmans. Il a été imprudent de
heurter de front leurs répugnances sur ce point; et
puis les Turcs sont si mal accoutrés sous la redingote et
le pantalon , ils entretiennent leurs nouveaux habits
avec si peu de soin, que la réforme somptuaire de
l’ancien sultan n’a abouti en réalité qu’à une grotesque
mascarade.
Il serait injuste néanmoins de ne pas reconnaître
qu’elle peut produire de bons résultats en effaçant un
des traits qui séparaient radicalement les musulmans
du reste de l’Europe. Celle de Méhémet-Ali , qui a rap-
proché le costume égyptien du nôtre sans les dénatu-
rer néanmoins tous les deux, amènera, par une trans-«
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 303
ition plus sûre, la même conséquence. Les différences
de costumes , surtout lorsqu'ils sont, comme pour les
musulmans, tout un symbole de traditions religieuses
et nationales , élèvent entre les penples d’insurmon-
tables barrières, qu’il est bon de faire tomber. En
envisageant les choses sous ce point de vue, on ne
saurait regarder comme puérils ou déplorables les
changements opérés par Méhémet-Alhi et Mahmoud,
Les artistes regretteront sans doute ce qu’avaient de
majestueux et de poétique le turban , les robes flottan-
tes, les riches ceintures ; mais les hommes positifs se
consoleront aisément d’une perte de pittoresque, en
songeant aux heureux effets qui peuvent la compenser.
Quoique les livres saints défendent aux musulmans
de porter des vêtements de soie ou enrichis d’or, des
bijoux en or ou en argent , la puissance religieuse n’a
pu vaincre le goùt passionné qu'ils ont pour ces sortes
de parures. C’est sans doute parce qu'il connaissait ce
penchant des Arabes, que le législateur s’est efforcé,
mais en vain, de le réprimer par une prohibition spé-
ciale. Il n’y a pas de peuple qui fasse autant qu’eux
profusion d’or et de pierreries; mais un goût délicat
ne règle pas la splendeur de leur costume; ils ne sa-
vent pas mettre d'harmonie parmi les richesses qu'ils
étalent ; ils ne savent pas les assortir entre elles ; 1ls
les dégradent quelquefois par de ridicules et grossières
disparates ; ilw’est pas rare, en effet, de voir un Orien-
tal porter en même temps une veste brodée en or et
des guenilles.
Les Égyptiens ne tiennent pas leur garde-robe aussi
bien fournie que les Européens aisés; ils n’ont pas
31.
566 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
beaucoup d’habillements; cependant les riches en
changent assez souvent. Le linge de corps est renou-
velé ordinairement plusieurs fois par semaine. Les
gens du peuple sont loin de suivre, sous ce rapport,
les lois de la propreté. En Égypte on ne fait pas de
lessive avec les cendres ; tout est lavé à l’eau simple ou
au savon. On n’y porte pas, comme chez nous, du linge
plissé et repasse.
59. Costume fellah. — Il est très-simple : il consiste
en une chemise et en un calecon de toile de lin, par-
dessus lesquels se passe une grande chemise bleue
(herie), qui descend au-dessous du genou, serrée au-
tour du corps par une ceinture de peau ou d’étofte.
Le fellah porte le tarbouch et le turban ou une calotte
feutrée, de couleur blanche ou grise , appelée Zebden.
Dans l'hiver, il revêt une capote à manches amples
que l’on appelle zabout.
Il y a quelques modifications dans le costume égyp-
tien, suivant les différentes parties du pays. Les habi-
tants de la basse Égypte , obéissant aux exigences du
climat, sont vêtus assez confortablement; ceux d’A-
lexandrie ont en général, comme les Barbaresques, des
vêtements de drap. Au Caire, l'habillement est plus
léger. Mais là, comme dans la basse Égypte, ceux qui
n’ont pas les moyens de soutenir le luxe du drap ont
des vêtements de coton, tandis que, par une singula-
rité assez curieuse, les habitants du Saïd se couvrent
d’étoffes de laine, même pendant les plus fortes cha-
leurs. Aux environs d’Assouan, l'habillement se réduit,
pour les hommes et les femmes, à ces ceintures de
peau coupée en bandelettes, que l’on voit ehez tous
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 307
les sauvages, et qui ne couvrent que le milieu du
corps.
40. Usages des Égyptiens relativement aux cheveux,
a la barbe , etc. — Le Coran ordonne aux musulmans
de se raser entièrement les cheveux. La plupart des
Égyptiens n’en laissent subsister qu’une petite touffe
appelée choucheh, au sommet de la tête; car ils crai-
guet que si, venant à être pris par les infidèles, ceux-
ci leur tranchaient la tête , et ne trouvaient pas de
cheveux pour la saisir , ils n’introduisissent leur main
impure dans la bouche, la barbe pouvant ne pas être
assez longue pour donner prise.
Les Égyptiens, comme les peuples des climats
chauds, ont la barbe peu fournie; ils en rasent géné-
ralement la portion qui est au-dessus de la mâchoire
inférieure, ainsi qu’une petite partie de celle qui vient
sous la lèvre inférieure ; ils laissent subsister cependant
ce que nous appelons la royale. Ils rasent aussi une
partie de la barbe, sous le menton, et tous les poils
irréguliers qui peuvent se trouver sur le visage. Ils
laissent ordinairement pousser leur barbe jusqu’à la
longueur d’un travers de main (tel était l'usage du
prophète). Ils coupent la moustache au niveau de la
lièvre supérieure , tandis que les Osmanlis la laissent
croître librement.
La barbe est très-considérée par les peuples orien-
taux. Elle est à leurs yeux un symbole de virilité, de
liberté et de puissance physique et morale. Le serment
par la barbe et par la moustache est une parole d’hon-
neur. Pour parler d’un homme qui a peu d'intelli-
gence : « On pourrait, disent-ils, compter les poils de
308 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
sa barbe. » Les soins assidus avec lesquels ils la culti-
vent sont proportionnés à la considération qu'ils lui
accordent. Après chaque ablution légale, ils la lavent,
la savonnent et souvent la parfument. Autrefois , on
la teignait avec du henneh, parce qu’une barbe noire
était estimée comme une très-grande beauté. Cet usage
trop efféminé est aujourd’hui tombé en désuétude.
La barbe a été supprimée dans l’armée. Le vice-roi
l’a défendue aux officiers comme aux soldats. Ainsi
aujourd’hui, nous voyons des généraux, des pachas
privés de cet ornement naturel auquel ils portaient au-
trefois un attachement superstitieux. Cette suppression,
qui détruit encore un de ces traits caractéristiques
qui marquaient entre les Européens et les Orientaux
une différence profonde, me paraît très-importante.
En effaçant les dissemblances extérieures, on prépare
la fusion des peuples et leur assimilation morale.
Dans l’ordre civil, un jeune homme ne porte la
barbe que lorsque son père le lui permet, ou à lépo-
que de son mariage. Les esclaves sont privés de cet
honneur. Lorsqu'ils sont arrivés à l’âge mür, quelque-
fois leurs maitres le leur accordent sur leur humble
et suppliante requête.
Ceux qui n’ont pas la barbe laissent toujours pous-
ser leur moustache. En Orient, l’homme qui ne porte
pas la moustache est stigmatisé par une épithète ou-
trageante ; aussi conseillerai-je aux Européens qui
voyagent dans le Levant de ne pas la raser.
J'ai été témoin d’une anecdote assez piquante rela-
tive à la barbe ; je la raconte, parce que je pense qu’elle
pourra donner une idée du prix que les Égyptiens de
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 511
vieille roche attachent à ce glorieux signe de virilité.
Dans une tournée que je fis en 1854, pour leservice
du recrutement, j’assistai, à Zagazie, petit bourg situé
dans la basse Égypte, sur la rive droite du canal de
Moeys , à un procès assez curieux qui s'était élevé à
propos de barbe. Voici le fait : Un cheik-el-beled (maire
de village) avait choisi pour l’armée un fellah trop
avancé en âge que je réformai. Mais celui-ci ne se con-
tenta pas d’avoir la permission de retourner dans ses
foyers ; il se présenta devant le mâmour, et regardant
fixement le cheik-el-beled qui se trouvait auprès de
lui : « Je te l'avais bien dit que je n'étais plus bon à
être soldat. » Puis se tournant vers le mâmour : « En-
tends-moi, à Hassan le redouté ! dit-il, le cheik-el-be-
led est mon ennemi; il a voulu malgré mes quarante
ans que j’allasse vivre au milieu des fusils, et il m'a
dépouillé de ma barbe pour que je parusse plus jeune
aux beys qui nous prennent. Comment retournerai-je
auprès des miens sans l'honneur de mon menton ? Je
serai la risée des petits enfants, et les pères me regar-
deront en pitié. Par le prophète, rends-moi justice, fils
d’Ibrahim le juste et le fort. » La harangue fit effet.
Le mâmour ordonna au cadi qui était présent, d'écrire
son hakem. Un coup d'œil d'intelligence est échangé
entre le cheik accusé etson juge. Celui-ci accroupi sur
un tapis et imprimant à sa tête le mouvement oscilla-
toire favorable à linspiration, eut l'air de réfléchir
quelques instants, puis il prononcça, toujours en se ba-
lançant, la sentence suivante : « Il est écrit au chapitre
de la vache, que celui qui coupe le nez, une oreille,
qui arrache un œil, une dent à son frère, perdra le
570 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
nez, une oreille, un œil, une dent. Mais le livre ne dit
rien sur la barbe. J’ai jugé. » Le verdict plut fort au
cheik, mais beaucoup moins au mâmour , qui répliqua,
en caressant avec une malicieuse gravité sa barbe
grise : « Gloire à Dieu! et respect aux paroles du pro-
phète. Puisqu’il est licite de couper la barbe à son
frère, vite qu’on la coupe au eadi. » Un cadi sans
barbe! mais ce serait un juge dégradé, voué au ridi-
cuie. Le nôtre, épouvanté, s’excuse, supplie, réforme
son jugement et applique la loi du talion. Le cheïk,
coupeur de barbe, tenait lui aussi à l’honneur de son
menton; tournant ses regards caressants vers sa vic-
time : « O Halil, mon frère, dit-il, est-ce que ma barbe
coupée fera pousser plus rapidement la tienne ? Arran-
geons-nous plutôt. Tiens, que veux-tu pour le dom-
mage que je l'ai causé? » Or, comme, d’après la loi
musulmane, tout se rachète, la barbe du conscrit
invalide fut évaluée à 60 piastres, ce qui fait à peu
près 15 francs. Mais quoiqu'il eùt obtenu justice, ül
ne voulut pas retourner dans son village; il demeura
au service du mâmour jusqu’à ce que sa barbe füt re-
poussée.
Les chrétiens du pays ont pour la barbe la même
considération et suivent les mêmes usages que les mu-
sulmans. C’est surtout chez les prêtres que l'entretien
d’une belle et majestueuse barbe commande le respect.
Une chose qui n’a pas peu nui aux progrès du catho-
licisme dans le Levant, c’est que ses ministres ont le
menton dépouillé. Les musulmans et les chrétiens
schismatiques ne pourraient pas se soumettre à des
chefs spirituels, rasés comme les derniers de leurs es-
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 371
claves, et l’idée que le pape est ainsi les fait sourire de
dédain et de pitié. Je ne sais si j'ai cédé moi-même à
l'influence du préjugé driental ; mais j’avouerai que
lorsqu’à Rome j'ai vu officier S. S., au milieu de cette
magnifique cérémonie, je me suis pris à regretter que
l'auguste vieillard n’ajoutât pas à toutes les marques
extérieures qui appellent sur lui le respect, l'effet que
produirait infailliblement une vénérable barbe blan-
che. Je crois, du reste, que la barbe convient à la gra-
vité sacerdotale, et je ne serais pas étonné qu’un jour
quelque pontife l’enjoignit au moins aux cardinaux et
aux évêques. Je suis persuadé que cette mesure, qu’ap-
prouvent également et l’art et la dignité du culte chré-
tien, amènerait des résultats dont on aurait beaucoup
à se louer, auprès des Orientaux, sur lesquels les cho-
ses extérieures exercent plus d'influence qu'on ne sau-
rait se l’imaginer en Europe.
Excepté la barbe, toutes les parties chevelues du
corps sont soigneusement épilées par les musulmans.
L’épilation se fait de trois manières : en rasant les
poils, en les arrachant ou en les faisant tomber avec
un cosmétique composé de chaux et d’orpiment. Les
hommes de basse classe se tatouent quelquefois les
bras et les mains.
41. Propreté et malpropreté. — Le prophète, qui
sentait l'importance de la propreté sous un climat brü-
lant, en a fait pour ses disciples un devoir religieux en
leur prescrivant les ablutions. Les Égyptiens, et cela
est rigoureusement recommandé, se lavent très-fré-
quemment les parties génitales et l'anus. Ils ne font
jamais cette opération qu'avec la main gauche, qui
372 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
est la main impure ; la droite est exclusivement con-
sacrée aux usages relevés, à manger, à saluer , etc.
Ils prennent souvent des bains : nous en parlerons
bientôt.
Les musulmans ne crachent jamais dans les appar-
tements ni dans les mosquées. Lorsqu'ils sont avec
plusieurs personnes et que le besoin de cracher les
presse, ils le satisfont en se détournant et avec le plus
de précaution possible.
Les éructations leur sont permises à table, lorsqu'ils
parlent, même lorsqu'ils prient ; ils les font avec une
sorte de sensualité. Les Européens sont souvent très-
choqués d’une pareille licence, lorsqu'ils ne sont pas
prévenus que les mœurs autorisent. Il parait que ce
sont les Sarrasins qui ont transporté le même usage en
Espagne.
Malgré toutes les mesures de propreté que la religion
leur commande , les riches et les pauvres ont souvent
des poux sur leurs vêtements. Ils n’en ont aucune
honte, et ne tuent même pas ces dégoütants insectes.
Avec leur indolence accoutumée, ils les prennent et se
contentent bénévolement de les jeter à terre. Les per-
sonnes aisées ont un instrument particulier qu’elles
promènent sur le dos pour se soulager de leurs piqü-
res ; c’est une espèce de râpe en bois, recourbée, qui
ressemble à une grande cuiller. On a attribué lexis-
tence des poux chez les Égyptiens, non-seulement à la
malpropreté, mais à la chaleur du climat, à l'usage
qu’ils font de vêtements de coton , au repos dans le-
quel ils se complaisent, et à l’abstinence de liqueurs
fermentées qu'ils observent en général très-sévèrement,
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 313
Quoiqu'ils se lavent la bouche plusieurs fois par
jour, les Égyptiens aisés ont, presque tous, les dents
gâtées. Les fellahs au contraire les ont très-belles.
Hérodote (Euterpe , zxxx1v) , en parlant des médecins
de l'Égypte, cite parmi eux une classe qui s’occupait
particulièrement de la cure de la bouche. Il parait done
que cette infirmité a existé de tout temps en Égypte.
C’est à tort qu'on l’a attribuée à l'usage du café et du
tabac. La vraie cause en est sans doute le régime ali-
mentaire des riches qui mangent des viandes, des lé-
gumes préparés au beurre, des mets chauds, et qui
soumettent sans transition ces organes à de brusques
alternatives de chaud et de froid.
Les musulmans ne se servent jamais de nos brosses
en crin. Ils redoutent en effet qu’elles ne contiennent
des soies de porc, animal immonde d’après leurs lois.
Leurs brosses sont faites avec une racine ligneuse,
nommée #isouag, qui vient du Sennaar ou de Arabie.
Les Égyptiens ne se taillent pas eux-mêmes les on-
gles ; ils se les font rogner par leurs barbiers qui les
coupent très-ras.
Ils ont l'habitude, assis sur leurs divans , les jambes
croisées, de passer la main sur la plante deleurs pieds ;
ils aiment beaucoup le châtouillement qu’ils se procu-
rent ainsi.
49. Bains. — La religion a prescrit comme un de-
voir, aux Égyptiens, l'usage des bains chauds , et l’ar-
deur du climat leur a fait trouver un vif plaisir dans
laccomplissement du précepte du prophète; aussi le
pratiquent-ils volontiers et fréquemment.
Nous avons déjà vu que le nombre des bains pu-
1. 32
914 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
blics (:ammans) est très-grand en Égypte, et que sou-
vent ils sont annexés à une fondation religieuse. On
en trouve au Caire soixante et dix. dont quelques-uns
sont exclusivement consacrés aux hommes, d’autres
aux femmes et aux enfants en bas âge, et le plus
grand nombre aux deux sexes. Ceux-ci sont livrés le
matin aux hommes et l’après-midi aux femmes. Lors-
qu’un bain est occupé par les femmes, une étoffe de lin
ou de drap est placée sur la porte d’entrée pour aver-
ür les hommes qu'ils ne peuvent plus pénétrer dans
son enceinte. Des domestiques mâles font le service
des hommes ; les femmes ne sont servies que par des
domestiques de leur sexe.
La façade des bains est ornée en général dans le
goût de celles de beaucoup de mosquées. Des combi-
naisons de couleurs parmi lesquelles dominent le blanc
et le rouge, en décorent l’entrée. L'édifice est composé
d’une série d'appartements pavés en marbres de di-
verses couleurs , comme le dourkah : des maisons par-
ticulières, et couronnés de dômes, percés de petites
ouvertures rondes qui donnent passage à la lumière.
Les murs et les dômes sont construits ordinairement
en briques et en plâtre. Sur le niveau des parties les
plus élevées de l'édifice, une sakié est établie afin d’a-
limenter la chaudière , de l’eau d’un puits ou d’un bas-
sin.
Le premier appartement dans lequel on entre se
nomme meslukh. Il est entouré de divans; c’est là que
lon dépose ses habits. Si l’on a une montre, de l’ar-
* Voir le raragraphe de l'ameublement.
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 319
gent ou un sabre, on les confie en entrant au gardien
du bain (mallim).
Lorsque l’on est déshabillé , on s’entoure les reins
d’une serviette; on prend des sandales de bois, et l’on
arrive au bain par plusieurs couloirs étroits dans les-
quels on s’habitue progressivement à la chaleur que
l’on ne pourrait pas supporter sans transition. Le bain
est une salle voûtée , pavée et revêtue de marbre; des
nuages de vapeur qui se condensent au-dessus d’un
bassin d’eau chaude , s’y forment sans cesse et se mé-
lent aux suaves exhalaisons des parfums que l’on y
brüle. Couché sur un drap, la tête appuyée sur un pe-
tit coussin, et prenant les postures qui lui plaisent le
mieux, le baigneur est entouré de nuages odorants
qui flottent et roulent sur son corps et dilatent tous ses
pores.
Après quelques instants de ce repos voluptueux,
lorsqu'une douce moiteur s’est répandue sur la peau,
un domestique du bain vient commencer le massage.
D'abord, il presse mollement les membres , les plie ,
puis lorsqu'il leur a donné la flexibilité nécessaire , il
fait craquer les jointures , et semble avec ses doigts
pétrir la chair qu’il touche d’une manière délicate.
Dans cette opération que l’on dirait violente et qui est
faite pour alarmer les novices, quoiqu'il n’y ait pas
d’exemple qu’elle ait amené quelque accident fàcheux,
le cou lui-même doit craquer deux fois. Lorsque toutes
les articulations ont été assouplies, le domestique
frotte les calus des pieds avec une espèce de râpe en
brique cuite, rude et poreuse, et la chair avec une
pièce de laine nommée ris. Sous l’impression de cette
2/6 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
friction vigoureuse , on croirait que la peau se déta-
che ; la crasse tombe, en petits rouleaux allongés, du
corps inondé de sueur ; les moindres parcelles qui ob-
struaient les pores sont enlevées, et la chair devient
unie et douce comme du satin. On ne saurait se figu-
rer la quantité de saletés que la main du masseur fait
sortir du corps de la personne la plus propre qui ne
prend que des bains ordinaires.
Le baigneur passe ensuite dans un cabinet où le
même serviteur verse sur sa tête de l’écume de savon
parfumée, et le lave encore avec un paquet de fila-
ments de palmier semblables à du crin , nommés Zyf.
Il se plonge ensuite dans un bassin d’eau chaude ; puis
on lui couvre la tête et le corps de grandes serviettes,
et 1! retourne dans la première salle ; là, étendu sur un
matelas, il est recouvert encore de linge sec, et on l’es-
suie en exerçant sur SOn Corps un nouveau massage. Il
passe ainsi une demi-heure dans un état de voluptueuse
langueur, et savoure la pipe et le café. Enfin il s’ha-
bille ; s’il l’a demandé, ses vêtements ont été parfumés
à la vapeur du bois d’aloës.
Après avoir pris un bain oriental, on éprouve un
sentiment de bien-être qu’il est impossible d'exprimer.
On se dirait d’une souplesse et d’une légèreté inaccou-
tumées, et comme délivré d’un poids énorme. On croit
renaître à une vie nouvelle, et on se nourrit avec bon-
heur de cette existence purifiée dont l'esprit et le cœur,
comme toutes les parties du corps, ont la délicieuse
conscience.
Plusieurs personnes vont au bain deux fois par se-
maine , d’autres une fois, quelques-unes moins sou-
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 577
vent. Il en est qui se contentent de se baigner dans un
bassin et de se faire laver avec l’eau savonneuse et par-
fumée. Le bain est ordonné aux musulmans, chaque
fois qu’ils ont eu des rapports avec leurs femmes ou
qu'ils ont éprouvé des souillures d’un autre genre.
Le prix des bains est très-modique, et à la portée de
toutes les classes. Les pauvres ne donnent que de 5
à 10 paras (de 5 à 6 centimes). Il est vrai qu’ils ne sont :
à ce prix ni massés , ni savonnés. Les personnes un
peu aisées payent pour le bain complet depuis 1 pias-
tre jusqu’à 5 (25 cent. à fr. 1,25). D’ailleurs cet usage
est si important , qu'il n’est presque pas d'homme ri-
che qui n’ait un bain dans sa maison. Il serait trop
incommode en effet de conduire souvent au bain pu-
blic une famille nombreuse.
Sous le point de vue hygiénique, je crois que les
bains orientaux sont salutaires au plus haut point ;
d’abord parce qu'ils assurent l’entretien de la propreté,
entretien absolument nécessaire dans un pays où la
chaleur du climat, les sueurs abondantes et la pous-
sière sont tout autant de causes très-fortes de saleté ;
de plus , la suppression de la transpiration étant en
Égypte la source de la plupart des maladies, ces bains
produisent un heureux effet, comme préservatifs, en
tenant en éveil les fonctions cutanées. L'expérience a
prouvé naturellement aux Orientaux leur efficacité
sous ce rapport. Aussi, à peine éprouvent-ils une dou-
leur, la plus légère courbature , de la sécheresse de la
peau, etc., qu'ils se rendent au bain, y passent plu-
sieurs heures et y reviennent plusieurs jours de suite.
Is doivent encore à cet usage de guérir d'assez graves
32.
918 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
maladies, telles que les affections syphilitiques, la
gale, etc., si communes en Orient. C’est l'introduction
des bains orientaux que l’on doit regarder comme la
cause de la diminution des maladies de la peau , telles
que les dartres, la lèpre, etc., qui exerçaient autrefois
de si déplorables ravages. Je considère donc les bains
des Orientaux comme l’un des moyens les plus efficaces
de leur hygiène, et je fais des vœux pour que l’usage
s’en répande en Europe. Quant à ceux qui y ont été
établis jusqu'à ce jour, ils ne sont que de pâles et im-
parfaites imitations ; généralement, la distribution des
pièces y est mauvaise. Les transitions de la chaleur à
la température fraiche y sont mal ménagées, et per-
sonne n'y entend le massage et les frictions, comme
les Orientaux.
Si répandus qu'ils soient dans l'Égypte inférieure,
les bains d'étuves ne sont pas connus dans la partie du
Saïd située au-dessus de Girgeh. Là, hommes, femmes
et enfants se plongent plusieurs fois par jour dans l’eau
du Nil atüédie par les feux du soleil. La chaleur du cli-
mat y tient amplement lieu de celle que l’on irait cher-
cher dans les bains de vapeurs.
45. Emploi dutemps, occupations. — Les Égyptiens
se lèvent de très-bonne heure. Il est du devoir du mu-
sulman qui tient à réciter la prière du matin, d’être
sur pied et habillé avant l'aurore. La première chose
qu’il fait, après avoir accompli son ablution et dit la
prière, c’est d'allumer sa pipe et de prendre du café ;
la plupart se contentent pour le matin de cette boisson ;
quelques-uns mangent en outre un léger déjeuner.
L'homme de classe aisée , qui est maître de son
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 279
temps, monte ensuite à cheval, va faire des visites ,
faire des emplettes , ou attend l'heure de son diner en
causant avec un ami. Il prend son premier repas une
heure avant midi, fume ensuite et boit du café. Après
le diner, il se retire dans le harem où sa femme ou son
esclave veillent à son repos. Il dort là deux ou trois
heures. Dès qu'il se réveille, il se lave la figure et fait
le Æheff. Ce mot, intraduisible dans notre langue, dé-
signe un état de quiétude physique et intellectuelle,
aimé des Orientaux, situation indolente et béate, pen-
dant laquelle toute vie active est interrompue, sorte
de léthargie qui se complait en elle-même, et réunit
dans une voluptueuse langueur le far niente et le pen-
sar niente des Italiens. Il fume ensuite plusieurs pipes,
prend du café , joue aux dames ou aux échecs jusqu’à
l'asr (trois heures après midi). A cette heure, il récite
chez lui une prière ou va la dire à la mosquée. Ce de-
voir accompli, il fait une petite promenade à pied ou
à cheval, et rentre ordinairement chez lui une heure
avant le coucher du soleil : c’est le mahgreb, l'heure de
la prière du soir et du repas. Après le souper, il sort
encore et va quelquefois dans un café entendre les
conteurs, quelquefois passer une heure ou deux chez
un ami. Il se couche ordinairement à huit ou neuf
heures , à moins que quelque fête particulière, une
noce, par exemple, ne prolonge sa veille ; ou qu’invité
par la beauté de la nuit, il ne monte sur sa terrasse
pour jouir de la fraicheur.
Telle est la vie nonchalante de l’homme opulent :
point d'activité; c’est presque le repos absolu. L'Égyp-
tien semble avoir horreur du mouvement. La marche
280 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
ou la promenade n’est pas une de ses distractions ordi-
naires ; il ne peut concevoir que les Européens y pren-
nent plaisir.
Celui qui a la direction ou la surveillance de quelque
travail ou qui est employé dans une administration se
rend à ses affaires ou à son bureau le matin, y passe
toule la journée, y prend son repas et revient chez lui
le soir.
Les marchands vont également passer la journée
dans leurs boutiques. Celles-ci ne sont presque jamais
en effet dans la maison et le quartier qu’ils habitent.
Les artisans commencent leurs travaux de bonne
heure.
Les fellahs vont aux champs le matin et ne rentrent
ordinairement chez eux que le soir. Le travail de la-
griculture est fort peu pénible; ils le font très-lente-
ment et dorment une partie de la journée. Ils se cou-
chent au soleil, en s’enveloppant de leurs manteaux ,
s'il »’y a pas d’arbres dansle voisinage du lieu où ils se
trouvent. Ils sont tellement endurcis à la chaleur, que
les feux du soleil le plus ardent ne troublent pas leur
sommeil et ne leur causent jamais d'accidents.
44. Sommeil, manière de se coucher. — Les peuples
qui occupent l'empire ottoman ont presque tous été
nomades à leur origine. Ce n’était donc pas pour eux,
dans le principe, une bien grande affaire que de dor-
mir. Accoutumés à lever à tout moment la tente pour
entreprendre de fréquentes pérégrinations, ils ne pou-
vaient avoir entouré le sommeil des précautions et des
commodités créées par les habitudes de la vie séden-
taire. Les Turcs et les Arabes actuels ont hérité, en ce
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 381
point comme en tous les autres, des mœurs et des
coutumes de leurs ancêtres.
Généralement ils ne connaissent pas l’usage des lits.
Depuis plusieurs années il est vrai que l’on en a intro-
duit quelques-uns ; mais ils sont loin encore d’être ré-
pandus. Les Égyptiens étendent un ou plusieurs ma-
telas sur leur tapis et dorment dessus, habillés. Ils
prétendent que cette couche, improvisée chaque soir
sur le parquet de leur appartement, est plus commode,
parce qu’elle conserve sur tous les points le plan hori-
zontal ; ils disent aussi qu’elle est moins embarrassante
que nos lits. Comme ils n’ont pas de pièces spéciales
pour en faire leurs chambres, les matelas roulés sont
aisément enlevés et permettent de donner, pendant le
jour, à la pièce où l’on s’est reposé la nuit la destina-
tion que l’on veut.
Les matelas des Orientaux sont fourrés en coton ;
ils sont peu épais; les Égyptiens aiment mieux en
augmenter le nombre que le volume. Les dimensions
qu’ils leur donnent sont bien entendues, d’abord parce
qu’elles les rendent plus aisés à ployer et à mouvoir,
ensuite parce que, dans un pays chaud, une couche
formée de matelas épais offrirait moins de prise à l’ac-
tion rafraichissante de l’air et concentrerait davantage
la chaleur.
Chez les personnes riches , les draps de lit sont en
soie ou en toile très-fine. Le drap supérieur est toujours
attaché à la couverture.
Avant de se coucher, les personnes aisées des villes
quittent l’habillement qu’elles ont porté pendant le
jour ; elles gardent leur chemise et leur calecon et
382 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
mettent par-dessus une espèce de robe de chambre,
dans le genre du cafetan, qu’elles serrent avec une
ceinture de cachemire ou de soie, fermée par des agra-
fes ou des boucles. Elles allégent aussi leur coiffure et
se contentent d’une simple bonnet.
Parmi les artisans, beaucoup n’ont point de matelas
et couchent sur leurs tapis. Les pauvres dorment sur
des nattes. Ce n’est pas pour eux une grande formalité
que de se coucher : ils s’'enveloppent d’une large tuni-
que ou roulent autour d’eux une couverture, et s’é-
tendent sur le sol. Ils sont tous tellement habitués à
ces sommeils à la dure, qu’en organisant l’armée, on
n’a pas jugé convenable de donner aux soldats des
matelas et des paillasses ; ils ont seulement des lits de
camp, qu’ils recouvrent d’un tapis en laine.
Les Égyptiens semblent avoir le sommeil à leurs
ordres. Pour s'endormir avec plus de facilité et d’agré-
ment, les riches se font faire par leurs esclaves, leurs
domestiques , et même leurs femmes, des frottements
sur les jambes et les pieds, qui exercent sur eux une
action magnétique. S'il fait chaud , un esclave veille,
toute la nuit, occupé à chasser les mouches et à ven-
tiler l'appartement. Ceux qui sont dans l’aisance se
font réveiller d’une manière toute particulière : on
n'interrompt pas leur sommeil, en les secouant ou en
faisant du bruit ; un esclave s'approche d’eux avec
précaution et leur caresse la plante des pieds avec ja
main jusqu’à ce que ce chatouillement les ait rappelés,
par une douce transition, du repos à la veille.
45. Exclamations ordinaires, jurons, serments.
— Les musulmans, tout imbus d'idées religieuses.
æ
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 383
jettent souvent dans leur conversation des exclamations
où Dieu, le prophète , le Coran, sont invoqués ou célé-
brés. Ils sont très-portés à faire des serments ; ce sont
en général ces objets de leur respect qu'ils prennent à
témoin. Ils prononcent souvent le mot owallah (par
Dieu). Avant de commencer quelque chose, ils s’écrient
ordinairement : « Au nom de Dieu l’indulgent. le misé-
ricordieux , » et, après avoir terminé : « Honneur à
Dieu. » « Dieu est bon, » disent-ils souvent, « {Allah ke-
rim. » Ils ne parlent jamais d’un événement futur
sans dire d'abord : « Si c’est la volonté de Dieu,
in-challah, » et d’un événement passé sans ajouter :
« Dieu sait tout, 4/laou dalem. »
Les musulmans ne blasphèment jamais ; les impré-
cations contre la Divinité les rempliraient d'horreur.
Le vocabulaire des injures est très-riche. Il en est
qui sont trop obscènes pour pouvoir être citées. Ils
se traitent souvent de hanzir (cochon), #hôr (bœuf).
L’une de leurs fortes injures est : fils de chrétien ou
fils de juif. Ils feignent quelquefois, et c’est le plus
violent des outrages, de cracher sur la personne qu’ils
invectivent.
46. Domestiques. — Les musulmans ont toujours
à leur service un grand nombre de domestiques ;
ceux-ci se divisent en plusieurs classes, dont chacune
a sa spécialité; ce sont : les farrachs, auxquels est
confié le soin de l’intérieur de la maison, qui lavent
les habillements, etc.; les sakkhas, ou porteurs d’eau ;
les fabbarhs, cuisiniers ; les chiboukchi, qui ne s’occu-
pent que de la pipe; les caredji, du café ; les saïs, ou
palefreniers ; chaque logement a un portier, botwab.
AS PE AA A
Fe PTS sh
584 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS:
- C’est ordinairement le sakkha qui est le chef des do-
mestiques. Dans les maisons même d’une médiocre
aisance, il y a souvent un chef pour chaque classe de
serviteurs.
Un domestique ne remplit jamais que les fonctions
pour lesquelles il s’est placé et qu'il regarde comme
constituant un métier, hors duquel il est tout à fait
incompétent. C’est là un grave inconvénient pour les
maitres, qui sont sans cesse obligés d’avoir recours,
même dans les plus petites choses, à des hommes
différents. De plus, cet usage les force à entretenir un
nombre démesuré de serviteurs, et leur occasionne des
dépenses disproportionnées avec leurs besoins. Aujour-
d'hui, grâce à l'exemple salutaire donné par le vice-
roi et Ibrahim-Pacha, le luxe des domestiques a beau-
coup diminué ; on s’en tient au nécessaire.
Les musulmans ont des égards pour leurs domes-
tiques ; ils les nourrissent , les habillent et les payent.
Il est vrai que le salaire qu’ils leur donnent est très-
peu considérable. Les domestiques s’acquittent assez
bien de leur besogne, qui d’ailleurs, divisée comme
“elle l'est, n’est ni très-difficile ni très-fatigante. Un do-
mestique, chez nous, fait sans efforts le travail de qua-
tre ou cinq Égyptiens. Souvent néanmoins la crainte
seule d’une punition est capable de dompter leur in-
dolence.
Jamais les hommes n’ont à leur service des domes-
tiques femmes, niles femmes des domestiques hommes;
cet usage européen est l’une des particularités de nos
mœurs qui scandalise le plus les musulmans.
Les domestiques égyptiens sont très-avides d'argent;
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 3585
ils ont l'habitude de demander des étrennes à toutes
les personnes qui viennent visiter leurs maitres, par-
ticulièrement les jours de fête. À mesure que l’on sort
d’une maison ils accourent pour vous aider à monter
sur votre cheval ou votre baudet, et tendent la main
pour demander le petit don, qu’ils appelent baschich.
Le baschich est un usage aussi fatigant et aussi vexa-
toire que la buona mano dans certaines provinces de
PItalie. Les domestiques égyptiens poussent si loin
leurs exigences, qu’ils réclament le baschich non-seule-
ment pour les services qu'eux ou leurs maîtres vous
ont rendus, mais aussi pour ceux que vous leur ren-
dez. Avez-vous fait un cadeau , il faut donner l’étrenne
à celui qui vient le chercher. Recevez-vous à diner,
il faut gratifier du baschich les domestiques de vos
hôtes. Moi-même, médecin, après avoir fait une visite
gratuite, je suis assailli par les domestiques de la
maison que je quitte et forcé de jeter quelques pièces
de monnaie à ces effrontés mendiants , si je veux me
débarrasser de leurs cris importuns. Le vice-roi à
donné des ordres sévères pour faire cesser cet abus:
mais 1l est tellement enraciné dans les mœurs, qu'il
ne sera pas facile de le détruire.
Les domestiques égyptiens sont du reste peu fidèles
et peu scrupuleux ; il faut se méfier de leur penchant
au larcin.
Dans aucun pays musulman, il n’était permis aux
chrétiens d’avoir des domestiques mahométans. On
aurait regardé une infraction à cette loi comme un
outrage à l’islamisme. L'Égypte seule a toujours fait
exception à cet usage dicté par un grossier fanatisme.
x 35
586 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
Il faut avouer que , sans la tolérance des Égyptiens à
cet égard, les Européens qui habitent leur pays seraient
fort embarrassés.
Ç V.
DES FEMMES.
Femmes arabes. — Pratiques de coquetterie : amoindrissement des sour-
cils. — Teinte des paupières, — des ongles, — des doigts. — de la plante
des pieds. — Moyen factice de développer la gorge. — Tatouage. —
Circoncision des femmes. — Femmes turques. = Age nubile des Égvp-
tiennes, leur fécondité , leur vieillesse. — Costumes. — des femmes
riches. — Modifications récentes apportées au costume des femmes
riches, — des femmes du peuple, — de la classe moyenne. —- Logement
des femmes, harem. — Personnel du harem.— Vie du harem. — Pré-
rogative chevaleresque accordée aux femmes. — Visites des dames du
harem. — Occupation des femmes. — Leur opinion sur leur état. —
Usage des bains. — Anecdote racontée par Napoléon. — Mœurs des
Égyptiennes prostituées. — Eunuques.
47. Femmes arabes. — Les femmes arabes, qui
sont la partie la plus nombreuse de la population fé-
minine de l'Égypte, sont en général de taille moyenne
et se font remarquer par l'élégance de leurs formes.
Elles participent de la bonne constitution de l’homme ;
on sait qu’elles partagent ses fatigues et que souvent
elles le surpassent en vigueur. Elles ont la colonne
vertébrale arquée , les membres réguliers et arrondis ,
les mains et les pieds petits et potelés. De grands yeux
noirs, ombragés de longs cils et étincelants de vivacité,
donnent à leur visage une belle expression. Leur nez
est petit, souvent légèrement épaté. Elles ont les lé-
vres un peu épaisses ; leurs dents , irréprochablement
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 387
alignées et d’une éclatante blancheur, contrastent avec
la teinte basanée de leur peau. Celle-ci est plus ou
moins foncée , suivant qu’elles sont de la haute , de la
moyenne ou de la basse Égypte , de la ville ou de la
campagne. Un sein puissamment développé , ferme et
bien placé, orne leur large poitrine, qui ne cède ja-
mais aux artifices malentendus et souvent funestes de la
coquetterie européenne. Leur démarche est élégante ;
leur pas sùûr et allongé; leurs poses majestueuses ,
leurs gestes pleins de grâce rappellent de suaves sou-
venirs de l’antiquité. On aime la douceur de leur voix
qui se marie si bien à la charmante tendresse de leurs
expressions familières. En vous adressant la parole elles
vous appelleront : Mes yeux , mon cœur , mon âme
(iah heny , iah kholbi, iah rohihi). Lorsqu'elles parlent
à un homme elles lui donnent toujours le nom de
naître ou celui de frère.
48. Pratiques de coquetterie; amoindrissement des
sourcils ; teinte des paupières, des ongles, des doigts,
de la plante des pieds. — Les Égyptiennes se préoccu-
pent beaucoup de leur toilette. Elles ont une ambition
excessive de plaire, et dans ce but elles imaginent
mille pratiques curieuses. Ainsi, au lieu de laisser
croitre librement leurs sourcils, elles en diminuent la
largeur et n’en conservent qu’une ligne très-mince.
Elles teignent en noir le bord de leurs paupières ; elles
se servent pour cette opération d’une poudre noire
qu'elles appellent k£hol (antimoine) ; elles la tiennent
dans un petit flacon en argent ou en cristal ; elles in-
troduisent dans ce vase un stylet avec lequel elles por-
tent la poudre sur le bord des paupières , qu’elles veu-
988 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
lent par là rendre plus brillantes ; elles atteignent assez
bien ce résultat , lorsqu'elles ne surchargent pas trop :
la teinte. Elles placent aussi des mouches noires sur
différentes parties du visage, au cou et sur la gorge.
Elles se teignent ordinairement les ongles , l'extrémité
de la face palmaire des doigts et la plante des pieds en
noir ou en rouge, avec des feuilles de l'arbre appelé
henneh. Ces feuilles, réduites en poudre, sont humec-
tées avec de l’eau et forment une pâte qu’elles appli-
quent le soir sur leurs mains en découpures artistement
faconnées, qui laissent l'empreinte de dessins très-
gracieux. On voit que tous ces soins ont pour but de
faire ressortir la blancheur de la peau.
49. Moyen factice de développer la gorge. — J'ai dit
que les femmes égyptiennes ont une belle gorge ; elles
visent surtout à l'avoir très-développée ; il en est qui,
dans ce but, appliquent sur cette partie de la mie de
pain, ce qui ne produit d’autre effet qu’un relâchement
dans les tissus de l'organe.
50. Tatouage. — Les femmes du peuple se font
tatouer la lèvre inférieure , le menton, les bras et les
mains.
51. Circoncision des femmes. — On fait subir aux
femmes égyptiennes une espèce de circoncision; on
exécute cette opéralion sur les jeunes filles de sept à
huit ans. Lorsqu’elles ont atteint l’âge voulu , on les
conduit au bain, et ce sont les baigneuses, qui armées
de mauvais ciseaux, les mutilent. J’ignore quelle peut
être la cause d’un pareil usage. Il paraît cependant
avoir pour but de modérer , dans son principe même ,
le penchant des femmes égyptiennes à la volupté , car
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 381
il n’est point, comme on l'avait dit, une mesure hy-
giénique , qui aurait consisté à retrancher les nymphes,
qui ne sont pas plus développées chez les Égyptiennes
que chez les Européennes. La religion ne le prescrit
pas. On dit qu’il était pratiqué dans l’antique Égypte.
52. Femmes turques. — Les femmes turques sont
les plus belles que l’on rencontre en Égypte. La plu-
part sont des esclaves venues de Géorgie ou de Circassie.
Ce sont les odalisques des sérails. Elles sont très-blan-
ches , et la perfection de leur taille , la régularité et la
noblesse de leurs traits les font passer à bon droit pour
les plus belles femmes du monde.
55. Age nubile des Égyptiennes ; leur fécondité ;
leur vieillesse. — En Égypte , les femmes sont nubiles
à l’âge de dix ou onze ans. Elles sont souvent mères à
douze ans, grand’mères à vingt-quatre, bisaïeules à
trente-six, trisaïeules à quarante-huit. Enfin il n’est
pas rare d’en voir contemporaines de leur cinquième
génération. La grande précocité des femmes égyptien-
nes les fait vieillir rapidement ; à vingt-cinq ans elles
sont plus fanées que les Européennes ne le sont quel-
quefois dans leur cinquantième année. Leur fécondité
a été citée par tous les historiens. Celles qui demeurent
stériles sont en quelque sorte méprisées ; aussi n’est-1l
aucun moyen qu’elles n’emploient pour devenir mères.
54. Costumes des femmes riches. — Les femmes
des grands se distinguent par la richesse et la variété
de leurs costumes. L'or , la soie , les broderies, les
cachemires aux couleurs éclatantes , les tissus les plus
recherchés se font remarquer dans leurs parures.
Voici les divers vêtements qui composent celles-ci :
33.
2930 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
Une chemise faite ordinairement de mousseline , de
toile très fine , de crêpe ou d’autres tissus également
distingués. Cette chemise est blanche ou de couleurs
éclatantes , telles que le rose, le violet, le jaune clair,
le bleu de ciel; quelquefois elle est noire ; souvent elle
est brodée de soie ou d’or ; quelques-unes sont parse-
mées de paillettes brillantes. Cette chemise est très-
ample , ses manches sont larges ; elle ne descend pas
tout à fait jusqu’au genou ; elle recouvre un calecon de
toile ou de mousseline.
Un pantalon (chintyan) , auquel l’étoffe est prodi-
guée , est fixé par une gaîne à la ceinture et lié à la
jambe , d’où il retombe sur les pieds, ce qui lui donne
l'aspect d’une jupe.
Une grande robe (yalek), serrant la taille sur les
hanches , descend jusqu'aux pieds. Cette espèce de tu-
nique est échancrée de manière que la gorge n’est re-
couverte et retenue que par la chemise ; elle est bou-
tonnée sur le devant , jusqu’au-dessous de la ceinture
et ouverte des deux côtés depuis'les hanches. Les
manches pressent les bras, s’élargissent au coude et
de là descendent jusqu’au bas de la robe, ou s'arrêtent
au poignet.
Une ceinture est passée autour de la taille ; elle con-
siste en un châle de cachemire ou en un carré de
mousseline ou detoute autre étoffe et même d’indienne,
suivant les rangs et les fortunes. Le carré est plié
diagonalement ; il est placé sur le bas des reins ; Fun de
ses angles reste derrière ; ses deux extrémités ramenées
sur le devant y sont fixées par un nœud ou une ganse.
La ceinture qu’il forme entoure le corps sans le serrer.
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 591
Par-dessus le yalek les femmes portent un gebbeh,
qui est en drap pendant l'hiver. Les manches de ce
surtout s'arrêtent au coude ; il est échancré dans le
haut ; il ne croise point sur la poitrine et reste ouvert;
il est simple ou orné de broderies. Quelques dames
le remplacent par une espèce de spencer appelé saltah.
La coiffure se compose d’une petite calotte rouge en
laine autour de laquelle sont élégamment roulés, en
forme de turban , un ou plusieurs mouchoirs de crêpe,
de mousseline blanche ou peinte, plus ou mois riche-
ment brodée.
A la partie postérieure du bonnet est attachée une
plaque ronde, bombée, de trois pouces environ de
diamètre , nommée gours. Les femmes de classe infe-
rieure ont cette plaque simplement en or; chez les
dames riches , elle est garnie de pierreries.
Les cheveux de la partie antérieure de la tête tom-
bent en boucles sur les tempes ou sont ramenés en
bandeaux. Les Égyptiennes , de mêmes que nos dames
d'Europe, rejettent la masse de leurs cheveux en
arrière ; mais, au lieu de les arrêter sur la tête, elles
les laissent retomber sur leur dos ; elles les divisent en
petites tresses; elles en forment depuis onze jusqu’à
trente-cinq, mais attachent assez d'importance à ce
que le nombre soit impair. Elles font entrer dans la
composition de ces tresses trois légers cordons de soie
noire ; de petites paillettes ou des bijoux en or sont
attachés à ces cordons. Chacune des tresses est termi-
née par un ornement en or, une grappe de perles ou
simplement une pièce de monnaie percée à son bord.
L'ensemble de cette coiffure est appelé sejé.
999 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
Les bijoux, les perles , les diamants, employés à
profusion , brillent du reste en riches pendants aux
oreilles de la dame du harem , se roulent en nombreux
colliers autour de son cou et chargent ses deiïgts de
bagues élincelantes.
En général les dames égyptiennes ne portent point
de bas. La peau de leurs pieds , souvent lavés dans
une eau parfumée , est aussi douce que celle de leurs
mains ; leurs ongles , coupés très-ras, sont teints avec
le henneh. Les plus recherchées dans leur toilette vont
jusqu’à garnir leurs orteils d’anneaux aussi précieux
que ceux qui parent leurs mains. Une espèce de sou-
lier (nezz) en maroquin jaune ou en velours riche-
ment brodé chausse ce pied, dont la coquetterie aime
encore à relever la beauté naturelle par l'éclat du luxe ;
mais, très-découvert, c'est à peine s’il en cache les
extrémités ; dépourvu de rebord par derrière , il laisse
au talon toute sa liberté. Le mezz tient lieu de bas
aux dames ; elles le portent sur les divans et les tapis.
Lorsqu'elles doivent marcher ailleurs, elles ont des
babouches, espèces de pantoufles en maroquin jaune
dont la pointe est aiguë et recourbée; quand elles
sortent, elles passent leurs pieds et leurs jambes
dans de petites bottes , également en maroquin jaune,
dont le but est d'éviter que la jambe puisse être decou-
verte.
Le costume que je viens de décrire est celui qui est
porté dans l'intérieur du harem. Quelques parües en
sont assez gracieuses el élégantes ; mais celui qui cou-
vre les femmes en public les fait ressembler à nos reli-
gieuses ou plutôt aux dominos de nos bals.
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 395
En effet, quand elles sortent , elles s’affublent d’une
grande chemise en soie noire (sableh), par-dessus la-
quelle elles placent un immense voile en taffetas, nommé
habbarah, qui enveloppe tout le corps. Un autre voile
en mousseline cache de leur visage tout , excepté les
yeux. Le habbarah des femmes mariées est noir; celui
des jeunes filles est blanc. Les femmes de condition
inférieure, qui n'ont pas de habbarahs en étoffe de
soie, se servent du même vêtement en tissus de fil et
de coton , à fond bleu et carrelé. Il porte alors le nom
de milayeh.
55. Modifications recentes au costume des femmes
riches. — Quoique la mode ne fasse guère plus sentir
ses caprices aux femmes qu’aux hommes , néanmoins,
depuis peu d’années, leur costume a éprouvé en Égypte
des modifications , je dirai même des améliorations.
Ainsi maintenant la coiffure n’est plus alourdie par
des turbans massifs , surchargés , de bijoux. Le sefé
n'est presque plus en usage ; les cheveux sont tressés
et relevés sur la tête. On ne laisse pas, comme autre-
fois, les chemises par-dessus les pantalons. Le yalek
n’est plus aussi long; ses manches s'arrêtent au poi-
gnet ; il n’est plus échancré sur la poitrine et se bou-
tonne ou se croise sur cette partie du corps comme les
robes des dames de l'Europe. Le gebbeh est entière-
ment abandonné; il n’est porté que par les vieilles
femmes. L'usage des bas s’est répandu parmi les dames
de la haute société. Les étoffes brochées d’or sont
négligées ; les tissus en mousseline simple les ont rem-
placées.
En un mot, toutes ces réformes de costume se sont
2)4 MOLURS ET USAGES DES MUSULMANS.
opérées au profit du bon gout et aux dépens de la pro-
digalité et d’un luxe inintelligent.
56. Des femmes de classe moyenne. — Les femmes
qui ne sont pas nées dans les dernières classes de la
société portent, au lieu de la chemise en toile, une
chemise de soie et des souliers (narqoubs), dans les-
quels leurs pieds sont loin d’être emprisonnés.
57. Des femmes du peuple. — Le vêtement des fem-
mes du peuple est beaucoup plus simple : il se com-
pose d’une ample chemise en toile bleue, à manches
très-larges ; au-dessus elles portent une chemise blan-
che et un calecon. En général elles n’ont point de
chaussure.
38. Logement des femmes. — Harem.— Dans la
maison turque , une partie , séparée de celles qu’habi-
tent ou fréquentent les hommes, est spécialement con-
sacrée au logement des femmes. Elle est vulgairement
appelée harem. On se fait en Europe une fausse idée
du harem ; ce mot est souvent confondu avec celui de
sérail, par lequel les Turcs désignent proprement un
palais. Les musulmans appliquent le mot de harem
non-seulement à l'appartement qu’habitent les femmes,
mais aux personnes mêmes que cet appartement ren-
ferme.
La distribution intérieure du harem n’a rien de
particulier. Il contient, ainsi que le logement des
hommes, le divan, salle de réunion où les dames de la
maison se voient entre elles et reçoivent les visites de
leurs amies ; puis des chambres pour chacune d’elles ,
et d’autres pièces affectées à leurs esclaves , à leurs do-
mestiques et aux besoins du ménage. On évite autant
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 595
que possible d’avoir sur la rue les fenêtres de ces ap-
partements ; ils prennent le jour du côté du jardin ou
de la cour de la maison. Des grillages en bois, travail-
lés avec art, en couvrent les fenêtres et opposent une
barrière jalouse aux rayons du soleil et aux regards in-
discrets.
On s’imagine généralement en Europe qu’un harem
est une sorte de lieu de prostitution , où le libertinage
d’un peuple énervé a placé le théâtre exclusif des jouis-
sances sensuelles les plus nombreuses et de la plus
abrutissante débauche. On se trompe; un ordre sévère,
une rigoureuse décence, règnent dans le harem, et
font que, à bien des égards, il ressemble à nos établis-
sements monastiques.
59. Personnel du harem. — Il ne faut pas croire
que, même dans les harems qui renferment un grand
nombre de femmes, toutes soient destinées aux plaisirs
du maître. Le harem d’un homme riche nécessite un
grand train de maison et demande, pour les besoins
du service intérieur, beaucoup de servantes. Celles-ci
sont ordinairement des négresses, et on conçoit qu’elles
doivent former elles seules la plus grande partie des
femmes du harem.
De plus, chaque épouse a autour d’elle une espèce
de petite cour : elle a des esclaves attachées à sa per-
sonne et qui remplissent auprès d’elle à peu près les
mêmes offices que les esclaves dont se compose la mai-
son d’un homme. Ainsi elle a une secrétaire, une tréso-
rière, des dames de compagnie, chargées , l’une du
service de la table, l’autre de la garde-robe, celle-ci
du café, celle-là de la pipe, etc. C’est un honneur? our
596 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
une dame d’avoir beaucoup d'esclaves. Lorsqu'elle sort
elle les mène à sa suite et en fait parade comme d’un
luxe brillant. C’est ainsi que les mameluks d'autrefois
mettaient une grande gloire à se faire accompagner
par un nombreux et splendide cortège, témoignage
vivant de leur richesse et de leur puissance.
Mais ces esclaves mêmes, qui occupent auprès des
épouses les charges d'honneur et de confiance, ont à
leur tour des servantes, et l’on voit combien de cette
manière le nombre des femmes du harem se multiplie.
Ainsi on peut dire que, dans un harem de deux cents
femmes, il y en aurait beaucoup plus de cent cinquante
qui seraient inconnues du maître. Je n’ai pas besoin
d'ajouter que les harems de deux cents femmes sont
très-rares et que les premiers dignitaires de l’empire
peuvent seuls prétendre à entretenir dans leur maïson
une population féminine aussi nombreuse.
60. Vie du harem. — Les femmes musulmanes sont
loin de se considérer comme malheureuses de la reclu-
sion du harem. Nées pour la plupart dans son enceinte,
elles y sont parvenues jusqu’à leur jeunesse sans savoir
qu’il pût exister pour les personnes de leur sexe un
autre séjour et une manière de vivre différente. C’est
le harem qui a été le théâtre des jeux de leur enfance,
ce leurs premières occupations , de leurs premières
joies. de leurs premiers soucis. Or les vicissitudes de
plaisir et de peine, de travail et de repos, forment tout
aussi bien la trame de la vie dans le harem oriental
que sur la scène libre que lOccident a ouverte à l’exis-
tence de ses femmes. On a dit avec une profonde rai-
son , depuis longtemps, que l’habitude est une seconde
MOEURS ET USAGES DES MUSULHAXS. 597
nature : la vie du harem est, à ce titre, la nature pour
les femmes musulmanes. Accoutumées à se mouvoir
dans ce cercle , la pensée ne leur vient pas de le fran-
chir : aussi leurs désirs et leurs pensées en respectent-
ils sans effort les limites, consacrées par le temps, la
religion et les mœurs. Lorsque arrivées à l’époque du
mariage, elles ont passé du harem de leur mère dans
celui de leur époux, elles sont entourées de jouissances
nouvelles, et leur cœur, dans lequel une éducation
raffinée n’a pas allumé des passions inquiètes et dange-
reuses, va au-devant du bonheur que leur offre la vie
qui s'ouvre à elles. Les soins que leurs époux leur pro-
diguent rendent ce bonheur facile à atteindre. Tout ce
qu'un musulinan a de beau et de riche, il le consacre
à son harem ; il aime à répandre une somptueuse ma-
gnificence dans le logement de ses femunes, tandis qu'il
se contente pour lui-même des appartements les plus
modestes, et ne se permet du luxe qu’en armes et en
chevaux. Du reste, quoique les femmes passent pour
être esclaves en Orient, là, comme partout ailleurs,
elles exercent une grande influence. Plus d'un événe-
ment politique a eu son ressort caché dans les mys-
tères du harem. Plus d'un sultan a plus d’une fois
accordé aux irrésistibles sollicitations d’une épouse
favorite la nomination d'un graud vizir ou l’avancc-
ment rapide d'un officier de sa cour. L'empire que les
femmes préférées exercent sur leur époux est souvent
mis à profit. Les dames musulmanes se voient sans
obstacle, et c'est dans leurs visites qu'elles se deman-
dent réciproquement, pour leurs époux ou pour leurs
familles , des faveurs que. sûres de l’ascendant dont
APERCU SUR L'ÉGYPTE. 1. 31
BH) MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
elles jouissent auprès de leurs maitres , elles savent
bien pouvoir obtenir de leur complaisante soumission.
61. Prérogatives chevaleresques accordées aux
femines. — Pendant la guerre, les femmes sont tou-
jours respectées ; le combattant malheureux qui a pu
se réfugier dans un barem est épargné. Autrefois cette
prérogalive tutélaire, accordée aux femmes dans un
esprit chevaieresque, pouvait couvrir de sa protection
les jours mêmes d'un criminel. Bien plus , du temps
des mameluks, le coupable qui était condamné à la
peine capitale était conduit au supplice les yeux ban-
dés ; car, s’il eüt rencontré et pu voir un harem sur
sa route, en touchant la robe de l’une des femmes du
cortège , 1] aurait sauvé sa vie.
62. Visites des dames du harem. — Xes dames mu-
sulmanes ne reçoivent d'autre homme que leur maître.
Si quelquefois le médecin est appelé dans le harem , on
a soin de faire couvrir la malade sous ses voiles , et un
cunuque assiste à la visrte. Mais le harem est ouvert à
toutes les femmes , quelle que soit du reste leur reli-
gion. C’est surtout par les dames chrétiennes et juives
que l’on connaît beaucoup de détails intimes sur ces
cloîtres des musulmans. Les visites des femmes se pro-
longent quelquefois pendant plusieurs jours ; tant
qu'une dame étrangère est dans leharem, le maitre lui-
inême de la maison se fait un scrupuleux devoir de ne
pas yentrer, quelque long que soit le séjour qu’elle y fasse.
65. Occupations des femmes. — Les femmes mu-
sulmanes ne reçoivent pas d'éducation intellectuelle.
Les musulmans croient qu’elles sont, sous le rapport
de l'intelligence , dans un état d’infériorité très-grand
MOEURS ET USAGES DES HUSULMANS. 299
eu égard à l'homme, On saii que Mahomet, à cause de
cette infériorité, ne leur a pas imposé la rigide observa-
tion des devoirs purement religieux. Plusieurs docteurs
sont même allés jusqu’à douter qu'elles eussent une
àme. Elles ne savent en général ni lire, ni écrire ; mais
elles s’adonnent à la couture , au tissage , à la broderie ,
aux soins domestiques, aux détails du ménage; elles
égayent leurs loisirs par des jeux : elles font venir dans
leurs appartements des chanteuses et des almées, sur
les divertissements desquelles nous parlerons dans un
des paragraphes suivants.
Les femmes de ciasse aisée ne sortent guère que
pour se rendre aux bains, et visiter leurs parents et
quelquefois leurs amies. On les rencontre à pied ou
montées sur des baudets et suivies de domestiques.
Les femmes des fellahs vont librement : leurs maris
les envoient quelquefois vendre leurs denrées dans
les marchés.
6%. Leur opinion sur leur état. — C’est avec éton-
uement que les femmes musulmanes se sont entendu
dire plusieurs fois par nos dames européennes qu’elles
sont malheureuses de ne pas pouvoir se montrer en
public. Elles font des réponses naïves et piquantes au
sentiment de commisération qu’on exprime sur leur
état. Si nos dames leur demandent à quoi leur servent
les parures qu’elles sont forcées de cacher , ainsi qu’el-
les-mêmes , à lous les yeux : « Elles nous servent,
répondent-elles, à paraître convenables aux yeux de
notre seigneur : et vous, ajoutent-elles, est-ce, non
pour vos maris , mais pour les autres hommes et les
autres femmes que vous vous parez ? » Lorsqu'on leur dit
400 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
qu’elles sont bien à plaindre de ne pas pouvoir sortir
et aller partout : « Vous êtes bien plus malheureuses
que nous, répliquent-elles ; si nous avons besoin d’a-
cheter quelque chose, nous faisons venir les mar-
chands chez nous; vous, vous êtes forcées d’ailer les
chercher dans leurs boutiques, » etc.
65. Usage des bains. — Les femmes musulmanes
vont souvent au bain. Les bains de vapeur sont pour
ciles des lieux de réunion où elles se racontent les pe-
tits incidents de leur vie domestique, où elles causent
‘ de tout ce qui les concerne , où elles nouent quelque-
fois des intrigues politiques et arrangent les mariages.
66. Anecdote racontée par Napoléon. — Napoléon
raconte, dans ses Mémoires, une petite conjuration
curdie dans les bains publics , et que j'aime à rappe-
ler, car elle prouve que le séjour de ce grand homme
en Égypte avait ému tous les sentiments, exciié toutes
les imaginations, même celles des femmes , el parais-
sait devoir commencer pour tous, en Orient, ua nou-
vel ordre de choses. « Le général Menou, ayant épousé
ue femme de Rosette , la traila à la française. Il lui
donnait ja main pour entrer dans la salle à manger ; la
meilleure place à table , les meilleurs morceaux étaient
pour elle. Si son mouchoir tombait , il s'empressait de
ie ramasser. Quand cette femine eut raconté ces cir-
constances dans le bain de Rosette, les autres conçu-
reut une espérance de changement dans les mœurs ,
et signèrent une demande au sultan Kébir pour que
leurs maris les trailassent de la même manière. »
67. Caractère des femmes. — Les femmes égyp-
üicnues prennent, dans Péducation qu'elles reçoivent,
MOEURS ET USAGES DES MUSULYHANS. 401
habitude de la soumission et du respect. Comme elles
u'ont pas de rapport avec les hommes, il est rare
qu'elles puissent nouer des intrigues amoureuses, et
l'honneur des maris est plus en süreté en Orient qu’en
Europe. Toutefois, il faut l'avouer , forcées de rester
verlueuses jusqu’à l’époque de leur mariage, parce
qu'elles doivent donner à leurs parents et à leurs ma-
ris des preuves irrécusables de virginité , elles devien-
nent moins scrupuleuses lorsqu'elles sont mariées.
L’honnêteté des femmes n’est jamais appuyée, en
Orient , sur de solides principes de morale ; la crainte
seule les retient, mais non le respect d'elles-mêmes.
Aussi leurs époux les tiennent-ils sous une étroite sur-
veillance ; la sureté de leur honneur dépend de ja
continuité de leur vigilance et de la prudence de leurs
précautions.
Les femmes égyptiennes ont beaucoup de penchant
à la volupté. Élevées dans des habitudes d’indolence,
il n’est pas étonnant qu’elles soient paresseuses et
molles. Leur principal objet estde plaire à leurs époux.
I! en est qui s’adonnent aux soins du ménage; mais
un état de maison est bien moins difficile à conduire
en Orient qu’en Europe.
On ne voit jamais, en Égypte, de femme mariée
vivre en concubinage avec un autre homme.
68. Prostituées. — De même que la religion de
Moïse et celle de Jésus-Christ, l’islamisme a sévère-
ment coudamné la prostitution. Elle est rare en Tur-
quie. Mais l'Égypte, qui se distingue des autres parties
de l'Orient sur un grand nombre de points , et prinei-
palement par un extrême relâchement de mœurs, a
54.
402 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
fait plus encore que tolérer les femmes publiques. Ces
malheureuses, qui y étaient très-répandues , avaient
formé, jusqu’à ces derniers temps, une corporation
qui avait ses chefs , ses règlements , et payait au
trésor une redevance annuelle très-considérable. Le
gouvernement a volontairement renoncé à cette bran-
che de revenu. Il a supprimé la prostitution. Il est vrai
qu'il existe encore beaucoup de femmes publiques ;
mais elles sont cachées. Quoique cette mesure ait eu
un but moral, elle a produit un effet déplorable en fai-
sant faire des progrès à un vice plus honteux, plus
dégoûlant que le libertinage, la pédérastie. Je ne se-
rais pas éloigné de penser que la considération d’un
aussi triste résultat ne portât le gouvernement à tolé-
rer de nouveau l'existence de la prostitution.
Je crois que ceite plaie sociale est alimentée en
Égypte plus encore par l'abus du divorce que par le
tempérament voluptueux des Égyptiennes. Les prosli-
tuées sont en général des femmes répudiées qui ont
pris en dégoüt la servitude de la vie conjugale, ou
qui, ne pouvant se remarier , n’ont eu d'autre moyen
d'existence que la prostitution.
69. Eunuques. — C’est ici sans doute qu’il convient
de dire un mot des déplorables argus des harems, les
eunuques. Ce sont les seuls hommes qui entrent dans
le logement des femmes, dont la vertu est confiée à leur
garde. Il n’est pas rare de les voir jouir en même
temps, pour tromper l’un ou les autres, de la con-
fiance du maître et de celle de ses femmes.
L'horrible usage des eunuques remonte à Pantiquiie
la plus reculée, On a‘tribue à une reine à dem fabu-
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 405
leuse , Sémiramis , l'invention de cette mutilation
atroce. ‘Tous les monarques asiatiques profitèrent,
pendant l'antiquité, du legs que cette princesse avait
fait à leurs sombres et jalouses amours.
Les Grecs du Bas-Empire conservèrent l'usage des
eunuques. Un de ces infortunés, l’eunuque Narsès,
fut, après Bélisaire, le meilleur de leurs généraux, et
releva un moment leurs affaires en Italie.
Quoique la loi de lislamisme condamne la mutila-
tions , les musulmans ont continué à l’opérer ; on di-
rait que cette barbare coutume est la compagne obli-
gée de la polygamie.
Dans la Turquie d'Asie et d'Europe, les grands
seigneurs sont les seuls à peu près à jouir du privilége
d’avoir des eunuques. En Afrique, au contraire, ei
surtout en Égypte, il sont plus répandus, et c’est
sans doute parce qu'il est plus facile de s’y procurer
les sujets convenables.
70. Lieux où l’on fait des eunuques. — C’est exclu-
sivement en Égypte que la mutilation est aujourd’hui
pratiquée. C’est ce pays qui fournit les eunuques aux
harems. Il en fait un trafic que la cherté des malheu-
reux qui subissent cette horrible dégradation rend
assez lucratif.
Syout, Girgeh sont les seules villes où s’accomplit
l'opération de la castration. Croirait-on que les exécu-
teurs de cette œuvre ignoble sont des chrétiens , des
prêtres même, des cophtes? Ces hommes, rebut et
honte de la religion dont 1ls usurpent le nom glorieux.
sont flétris par l'opinion, dans les lieux mêmes où ils
exercent leur industrie, coupable de lèse-humanité.
404 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
Le village de Zawy-el-Dyr, près de Syoul, est la
métropole des mutilateurs; trois cents eunuques en-
viron sortent annuellement de leurs mains. Leurs vic-
times sont de jeunes nègres de six à neuf ans, amenés
par les caravanes du Sennaar ou du Darfour; on les
vend ordinairement, suivant les chances de vie ou les
qualités qu’ils possèdent, de quinze cents à trois mille
piastres (de 525 à 750 fr. ).
71. L'opération. — La mutilation est ordinairement
pratiquée pendant l'automne ; cette saison est regardée
en effet comme la plus favorable. Les opérateurs ou
plutôt les bourreaux ne se bornent pas, ainsi qu’on le
croit généralement , à la castration ; ils tranchent avec
un rasoir toutes les parties extérieures de la généra-
tion. Puis ils versent de l’huile bouillante sur la bles-
sure qu'ils ont faite et placent un tuyau dans la portion
restante du canal de l’urètre. Ils répandent ensuite sur
la plaie de la poudre de hennebh ; enfin, ils enterrent les
patients jusqu’au-dessus du ventre et les laissent dans
cet état pendant vingt-quatre heures. Lorsqu'ils les re-
tirent, ils les pansent avec un onguent composé d’ar-
gile et d'huile.
72. Honneurs rendus aux eunuques. — Le quart
des enfants qui subissent cette opération ne survivent
pas à ses suites; ceux qui conservent la vie sont con-
damnés à une existence étiolée et souffrante. Il est
vrai que les musulmans les entourent de beaucoup de
considération. À Constantinople, par exemple, le chef
des eunuques est l’un des personnages les plus impor-
tants de la cour ; sous le sultan Mahmoud, on à vu un
eunuque, élevé à la dignité de pacha, commander les
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS, 405
armées de la Porte. Mais aucune marque de distinc-
tion , aucune faveur, ne saurait compenser pour ces
êtres la perte de leur qualité d'homme, qui influe
d'une manière si triste sur leur caractère moral.
75. Leur caractère. — On reconnaît, en général,
un eunuque à sa physionomie extérieure : il est sans
barbe, il a de l’obésité, sa voix est féminine. L’eunu-
que est orgueilleux ; mais sa fierté a quelque chose de
sombre. Il est méchant, ombrageux, irascible, et ces
défauts sont la conséquence de la conscience qu'il a de
sa dégradalion. Il est ordinairement dévot ; 1l cherche
dans les pratiques austères de la religion un dédom-
magement au sentiment de son infériorité physique.
Il est des eunuques qui aiment la société des femmes,
on en voit même qui se marient.
74. Suppression des eunuques. — Certes, s'il a ja-
mais existé des crimes dont la société entière soit cou-
pable, aucun, parmi eux, ne surpasse celui par lequel
l'usage des eunuques a été créé et maintenu. L’escla-
vage a été activement attaqué de nos jours, non-seule-
ment par les philosophes, mais encore par les gouver-
nements, et l'Europe marche rapidement vers l’époque
de son entière abolition. Mais l'usage des eunuques
est un double outrage fait à la nature, une violation
simultanée de ses lois physiques et de ses lois morales,
et néanmoins je ne sache pas que les nations qui sont
à la tête de Ja civilisation moderne, et qui ont réuni
leurs efforts pour faire cesser la traite des nègres, aient
rien tenté pour détruire l'usage des eunuques. L’in-
tervention européenne si funeste aujourd’hui à l'empire
ottoman qu'elle comprime sous le poids de mille in-
406 - _ MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
térêts politiques, dont la lutte sans issue l’énerve et le
ruine; celle intervention aurait pu lui être utile, et
bien mériter de l'humanité, en le dirigeant, en Fen-
courageant, en le soutenant dans ses réformes civilisa-
trices. Or, parmi celles-ci, l’une des plus louables eut
ete sans contredit l'abolition des eunuques. Pour Fhon-
neur de l'Europe, je souhaite que les cabinets songent
à l'obtenir du sultan et du vice-roi d'Égypte. Je suis
persuadé qu’il leur suffirait d'exprimer à ce sujet leur
désir philanthropique pour le voir promptement satis-
fait. Méhémet-Ali, qui est connu pour sa docilité aux
utiles et nobles avis, mérite presque aussi précieux
que la spontanéité des grandes idées, s’empresserait
sans doute d'écouter leurs remontrances, et l'Égypte
ne serait bientôt plus le théâtre d’une pratique qui ne
peut pas être tolérée par notre siècle.
NL
MARIAGE, POLYGAMIE, DIVORCE.
Mariage — Polygamie en Égypte. — Divorce. — Causes de la privgamie
et du divorce eu Orient. — Leurs effets.
75. Mariage. — Dans une contrée où la polygamie
ct le divorce sont en vigueur, le mariage ne peut pas
être une affaire d’une importance capitale, ct, comme
chez nous, où il contient en germe les destinées de
l'homme et de la femme, être considéré comme lacte
le plus grave de la vie. En Orient, l'amour ne prélude
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 407
pas à l'union des époux. La claustration du harem in-
terdit à homme de connaître, même de vue, la femme
qui Jui est destinée. Souvent le mariage est arrangé
par les parents, lorsque les fiancés sont encore enfants,
ct lorsqu'ils sont arrivés à l’âge nubile leur volonté est
à peine consultée. Les noces amènent donc de fré-
quentes déceptions, dont la réparation est demandée à
un prompt et facile divorce. Aujourd’hui, les incon-
vénients de cette manière illogique de contracter
l'union conjugale ont été adoucis à certains égards.
Les parents sont moins sévères; non qu’ils permettent
jamais à un jeune homme de voir ni de parler à une
jeune personne ; mais ils consultent avec plus de soin
les convenances d’âge et de caractère moral et physi-
que. Avant le mariage, la mère et les parentes les plus
proches du jeune homme vont rendre visite à sa future
dans son harem, et peuvent prendre par elles-mêmes
des informations précises sur sa beauté ou sa laideur,
sur ses défauts ou sur ses qualités.
En Orient, les femmes n'apportent pas de dot à
leurs maris ; ceux-ci au contraire doivent. leur faire
un douaire (#ahr). Chez les personnes d’une certaine
aisance, ce don s'élève ordinairement à la somme de
dix bourses (plus de douze cents francs). Il est moin-
dre pour les veuves ou les femmes divorcées ".
76. Polygamie en Egypte. — Nous avons vu que la
loi musulmane permet à un homme d’avoir quatre
épouses et un nombre illimité de concubines, en d’au-
tres termes qu'elle sanctionne la polygamie ; mais on
1 T 1 : “ - Kg - LT à LR £
sioules Îe< ccremonies qui Se rapportent au mariaswe soni tadiquées
daus l'uu des paragraphes suivants,
408 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
s'abuserait, si l’on croyait que la licence donnée par la
religion est communément mise à profit. La plupart
des Égyptiens n’ont qu’une femme. Il serait impossi-
ble qu’il en füt autrement, à moins que le nombre des
femmes ne dépassät considérablement celui des hom-
mes; or, en Égypte, la population féminine balance à
peu de chose près la population mâle. D'ailleurs, Pen-
tretien d’un nombreux harem exige de fortes dépen-
ses, et n'est qu’à la hauteur d’une grande fortune ;
aussi la polygamie n'est-elle pratiquée que dans les
sommités de la société. Un homme de classe inférieure
a quelquefois deux ou plusieurs épouses dont chacune
subvient par son travail aux frais de son entretien ;
mais en moyenne, on peut évaluer qu’en Égypte. il
n’est pas plus d’un homme sur vingt qui jouisse de la
prérogative de la pluralité des femmes.
77. Divorce. — Une institution qui a beaucoup d’ana-
logie avec la polygamie, et dont la pratique est poussée
jusqu'au scandale, c’est le divorce. La polygamie per-
met d'avoir un nombre illimité de femmes à la fois ; le
divorce, de les posséder l’une après l'autre. Il n’y a
entre la première et le second d'autre différence que
celle qui distingue la simultanéité des jouissances , de
leur succession. Au fond, ils ont la même nature. Nés
des mêmes causes, ils doivent produire les mêmes ré-
sultats.
J'ai déjà dit que l'on voit en Égypte des Arabes qui
ont divorcé cinquante fois : c’est là une exception ; mais
ceux qui ont répudié dix, douze et même vingt femmes
sont beaucoup moins rares. Les Tures respectent da-
vantage le lien conjugal: chez eux, la polygamie est
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 409
très-peu pratiquée ; ils ont encore moins recours au
divorce.
78. Causes de la polygamie et du divorce en Orient.
— Les rapports de l’homme avec la femme ont été de
tout temps en Orient empreints d’un caractère particu-
lier, entièrement opposé à celui qu’ils ont présenté en
Europe. Ce contraste a été l’objet des méditations ap-
profondies des philosophes, des publicistes et des phy-
siologisies.
En Occident , tous les peuples, les Grecs comme les
Gaulois, les Germains comme les Romains, ont observé
la monogamie; en Asie, tous, depuis les Persans jus-
qu'aux Tures , ont permis à homme d'entretenir plu-
sieurs femmes.
Le christianisme , qui a donné à la civilisation euro-
péenne cette magnifique impulsion dont nous voyons
aujourd'hui les admirables résultats , a prêché l’austé-
rité des mœurs , l'unité et l’indissolubilité du mariage.
L'Occident tout entier a écouté sa voix, a exécuté ses
commandements. Le mahométisme, au contraire, a
permis la polygamie , a consacré l’infériorité morale de
la femme; un lot immense lui est échu. La plus grande
partie de l'Asie, rebelle aux apôtres du Christ, s’est
ralliée autour de l’étendard du Prophète.
Mais les rapports de l’homme avec la femme sont,
au point de vue social, d’une importance fondamen-
tale. Ils exercent une influence immense sur la famille
et. par conséquent, sur la société tout entière. I} serait :
done d'un haut intérêt Ge découvrir les causes qui les
font varier, suivant les latitudes et les hémisphères.
La principale cause de la polygamie parait être
1e 2)
410 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
exclusivement physique. Montesquieu a observé que,
dans les pays chauds, il existe entre les deux sexes
une inégalité naturelle : « Les femmes , dit-il, y sont
nubiles à huit, neuf et dix ans. Ainsi, l'enfance et le
mariage y vont presque toujours ensemble. Elles sont
vieilles à vingt ans. La raison ne se trouve donc jamais
chez elles avec la beauté. Quand la beauté demande
l'empire, la raison ic fait refuser; quand la raison
pourrait l’obtenir, la beauté n’est plus. Les femmes
doivent être dans la dépendance, car la raison ne
peu‘ leur procurer dans leur vieillesse un empire que
la beauté ne leur avait pas donné dans la jeunesse
même. Il est donc très-simple qu’un homme, lorsque
la religion ne s’y oppose pas, quitte sa femme pour en
prendre une autre, et que la polygamie s’introduise. »
L'illustre penseur me parait avoir exposé avec sa
profondeur habituelle la vraie cause de la polygamie ,
de la fréquence du divorce en Orient et de l’état d’infé-
riorité dans lequel la femme s’y trouve placée vis-à-vis
de l'homme.
79. Effets de la polyqamie. — Mais cette cause, si
matérielle dans son origine, a eu les conséquences
morales et politiques les plus vastes ; c’est à elle qu'il
faut attribuer l’état d’infériorité dans lequel, depuis
plusieurs milliers d'années , les peuples orientaux vé-
gètent eux-mêmes; c’est la polygamie qui les a pétri-
fiés dans cette apathique et abrutissante immobile,
signe certain de la décrépitude des nations ; €’est elle
qui les a abattus aux pieds de tous les conquérants ocei-
dentaux qui ont entrepris de les soumettre; c’est elle
qui appelle sur eux l’action de l'Europe, sous la seule
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 411
influence de laquelle ils pourront se retremper et se
relever de leur abaissement actuel.
Les funestes conséquences de la polygamie ont été
présentées avec une mâle éloquence par mon illustre
ami le professeur Lallemand dans un tableau rapide
et esquissé à grands traits. Je pense que mes lecteurs
me sauront gré de citer ici ses énergiques paroles *.
« Dès la plus haute antiquité, l'Orient et l'Occident
sont en présence. C’est d’abord la guerre de Troie, due
à l'enlèvement d'Hélène par le plus lâche des enfants
de Priam ; c’est plus tard l'impulsion en sens contraire
qui amène l'invasion des Perses ; puis, de nouveau, la
réaction de la Grèce, la retraite des Dix mille, l’expé-
dition d'Alexandre; puis, quand cette puissance est
détruite, vient celle de Rome, qui étend aussi ses con-
quêtes en Afrique et en Asie.
« Au milieu de ces luttes renaissantes un phénomène
caractéristique domine tous les autres. Partout on voit
quelques poignées d’hommes libres renversées par des
nuées d'esclaves conduits par des despotes efféminés.
« Ces caractères distinctifs, signalés par tous les au-
teurs de l’antiquité, se sont conservés jusqu’aujour-
d’hui sans altération.
« À quoi peut-on attribuer une opposition si con-
stante ? À la race? Mais les Turcs, les Égyptiens, les
Persans, etc., sont , comme nous, de race caucasique.
Au climat”? Mais les Anglais conservent leur énergie,
leur activité, leur persévérance, au milieu des Indous,
et c’est à cela seul qu’on peut attribuer l’étonnant suc-
1 Des pertes sémina es invulontaires, p. 6325-39,
412 MOEURS ET USAGES DE MUSULMANS.
cès d’une conquête aussi gigantesque. Faut-il s’en pren-
dre aux institutions politiques ou religieuses? Mais
elles sont l'ouvrage des hommes ; d’ailleurs , de part et
d’autre, les formes de gouvernement, les religions ont
changé, sans amener aucune modification dans les
deux types primitifs.
« Il n’y a qu’une chose qui soit restée invariable des
deux côtés , c’est ce qui concerne le mariage. Dans
tout l'Orient la polygamie a toujours été admise ; tous
les peuples d'Occident , au contraire, se sont constam-
ment montrés attachés aux principes de la monogamie.
« Pour peu qu'on réfléchisse à l’affaiblissement phy-
sique et moral produit par les excès vénériens, on
comprendra facilement les différences que des institu-
tions aussi opposées doivent amener dans l’existence
des deux peuples. Je sais bien que ces excès ne sont
pas rares chez nous ; mais il est évident que la satiété
doit plus tôt y mettre un terme; qu’elle doit faire re-
chercher davantage . dans les rapports conjugaux, les
jouissances intellectuelles et morales.
« Chez les Orientaux, la variété rallume les désirs
éteints , réveille les sens engourdis ; tout gît pour eux
dans les plaisirs physiques. S'ils rencontrent un Euro-
“péen , ils le regardent comme médecin , et ne tardent
pas à lui demander des secrets pour multiplier et pro-
longer leurs jouissances. Le commerce le plus impor-
tant de leurs droguistes est celui des opiaits, des
pastilles , des préparations aphrodisiaques les plus va-
riées ; la vente en est publique ; leur but est avoué ;
rien ne paraît plus naturel chez un peuple dominé par
les idées érotiques.
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 415
« ILest vrai qu'il faut être riche pour avoir un harem
nombreux , que les concussions des grands peuvent à
peine suffire aux dépenses d’un sérail ruineux. Mais ce
sont les sommités qui donnent impulsion : le peuple
ies imite toujours autant qu’il peut.
« D'ailleurs il faut des eunuques partout où il y a
des femmes à garder. La prévoyance croit avec les
motifs d’ombrage , et la mutilation finit par être portée
jusqu'aux derniers raffinement de la jalousie ja plus
barbare. Certes , l'esclavage est bien odieux ! mais il
n’est pas comparable à ce lâche attentat contre l’huma-
uité. L’esclave le plus aviii peut un jour devenir un
héros ; quelle que soit sa misère , elle doit faire envie
à l’eunuque.
« Ce n’est pas tout; la possession inutile, dauge-
reuse , de tant de femmes par les privilégiés de la for-
tune , amène forcément ja pénurie dans le reste de la
société, par la même raison que les profusions , les
dilapidations des cours ne se payent qu’aux dépens de
la misère publique. Aussi la sodomie est-elle populaire
dans tout l'Orient , elle s’y montre sans entraves et sans
pudeur. Quelle énergie morale peut-il rester à des
hommes vautrés dans de pareilles turpitudes ?
« Enfin la femme , étant pour uu Oriental un objet
de trafic , ne peut plus lui paraitre qu’un être abject ,
impur , de beaucoup inférieur à lui ; c’est une mar-
chandise à laquelle il demande la fraicheur, des formes
agréables ; mais pour de lintelligence , des qualités
morales, de la vertu, il n'y pense seulement pas.
D'ailleurs la dégradation produite par l’habitude del’es-
clavage porte. chez elle aussi, ses fruits délétères.
1.
414 HOEURS ET USAGES DES MUSULMANS,
« Entre de pareilles mains , quelle éducation morale
la première enfance pourrait-elle recevoir ? Quel res-
pect le fils conserverait-il pour sa mère, quand il la
voit rudoyée , frappée par le plus misérable des eunu-
ques , avec l’approbation de son père? Quelle amitié
peut-il exister entre des frères issus de femmes qui
se détestent ? Sans les vertus domestiques, que de-
viennent toutes les autres ?
« Ainsi la polygamie n’agit pas seulement d’une
manière directe sur les maîtres efféminés des harems
et des sérails , elle étend son influence corruptrice à
tout le reste de la population , et ceux qui ne sont ex-
posés qu’à être énervés par des excès vénériens sont
encore supérieurs, sous tous les rapports, à tout ce
qui les entoure. C’est entre leurs mains que tombent
l'influence et le pouvoir ; ce sont eux qui ont encore le
plus d’activité et d'énergie ; eux seuls peuvent conserver
quelque vie à la société orientale. il suffisait donc de
s'occuper d’eux pour prendre une idée du reste.
« Tel est l'Orient , etc. »
Les fâcheux résultats de la polygamie ne pouvaient
être présentés avec plus de force et de vérité que dans
le fragment que je viens de citer. Mais il est impossi-
ble qu’un usage dont l’origine se perd dans les tradi-
tions les plus reculées d’une vaste contrée , que le cli-
mat encourage , que la religion autorise, puisse être
supprimé de longtemps. L'influence seule de nos idées,
en s'étendant sur l'Asie, en relevant la dignité des na-
tions qui lhabitent , pourra le faire disparaitre.
OX
MOEURS ET USAGES BES MUSULMANS. 41
$ VU.
LES ENFANTS.
Prenuers soins qu'on leur donne — Leur éducation.
80. Premiers soins qu’on leur donne. — Le princi-
pal but du mariage en Égypte, c’est la progéniture;
aussi , la naissance d’un enfant fait-elle une grande
joie dans la famille. La stérilité est comme une malé-
diction du ciel pour une femme; elle est le sujet des
plus grands reproches que puisse lui faire son mari. La
considération dont jouit l'épouse est proportionnée à sa
fécondité. L'opinion publique regarde comme incon-
venant qu'un homme répudie la femme qui lui à
donné un enfant, surtout si celui-ci vit encore.
L’amour maternel, s'il n’était pas, en Égypte
comme partout , le sentiment le plus pur et le plus dé-
voué que la nature ait mis dans le cœur de la femme,
y serait donc etitretenu par l'intérêt. Les mères ont
pour leurs enfants une tendresse , une indulgence,
des attentions toutes particulières ; elles les allaitent
elles-mêmes. La loi mahométane leur défend de les
sevrer avant l’âge de deux ans , à moins que leur mari
ne les y autorise. Ceux-ci leur permettent en général le
sevrage à l’âge de dix-huit mois. Le décision du Pro-
phète à cet égard me paraït inspirée par une haute
raison. Dans un pays où les enfants succombent en
très-grand nombre aux affections intestinales, le lait
de la mère est certainement la meilleure nourriture
qu'ils puissent recevoir.
416 MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS.
Lorsque sa santé ne permet pas à la mère d’allaiter
son enfant , eile prend une nourrice. L’esclave qui
remplit cette fonction est considérée , en quelque
sorte , comme faisant partie de la famille ; elle acquiert
des droits éternels au respect de ses nourrissons et à
la reconnaissance de leurs parents.
Dans le plus bas âge, les enfants donnent peu de
peine à leurs mères et à leurs nourrices. Ils poussent
très-peu de vagissements. Ils ne sont pas emmaillotés
comme les nôtres , ils croissent librement , et mar-
chent dès l’âge de six mois.
Depuis l’âge de deux ou trois ans, jusqu’à sept ou
huit, les enfants sont maigres , chétifs, et ils ont le
ventre très-développé; ce qui vient sans doute de la
mauvaise alimentation à laquelle ils sont soumis. Rien
n’annonce en eux le beau type arabe qui les distingue
lorsqu'ils arrivent à la jeunesse. En général, ceux de
la haute société sont mal vêtus. Lorsqu’elles les font
sortir avec elles , les mères , en enlevant au costume
de leurs enfants tout ce qui pourrait faire supposer
l’aisance , pensent les préserver du mauvais œil. Les
enfants des pauvres restent tout nus. On voit souvent
dans les rues et à la campagne leurs mères les porter
en cet état, sur leurs épaules.
81. Leur éducation. — Jusqu'à l’âge de sept ans,
dans la haute et moyenne classe, les enfants sont éle-
vés dans le harem. La première éducation a une 1m-
mense influence sur l’homme. Il est évident que celle
que reçoivent ainsi les musulmans dans la société ex-
clusive des femmes, doit laisser des traces profondes
7
sur toute leur vic. En général, les enfants prennent
PDT
MOEURS ET USAGES DES MUSULMANS. 417
dans le harem des mœurs très-douces. La pétulance
n’anime pas leurs jeux ; ils ne sont pas folâtres, espiè-
gles. Dès l’âge le plus tendre, on forme leur caractère
au calme et à la réserve. Dans les familles riches, on
les initie au bon ton de étiquette musulmane, et l’on
est souvent étonné de rencontrer dans les manières d’un
enfant de cinq ou six ans l’aplomb et l’aisance d’un
homme et d’un grand seigneur.
La circoncision s'opère à l’âge de six ans, et quelque-
fois plus tôt ou plus tard. C’est à peu près à la même
époque que l’on commence à apprendre aux enfants à
lire le Coran et à en écrire les versets. A huit ou
neuf ans , ils ne sont plus sous la tutelle du harem.
S'ils sont de famille riche, leurs parents font venir
chez eux un maître pour les instruire. Leurs pères
leur enseignent à s'acquitter des pratiques religieuses,
à faire les ablutions , à réciter les prières. Le Prophète
a ordonné aux enfants de dire leurs prières à l’âge de
sept ans , et il a recommandé aux pères de battre leurs
fils qui, à l'âge de dix ans, ne rempliraient pas ce
devoir. À peine ont-ils atteint leur douzième année ,
qu’on leur donne des fonctions militaires ou civiles
qu’ils remplissent , dans le principe , sous la surveil-
lance d’un gouverneur.
Dans les classes inférieures, les enfants sont envoyés
à l’âge de sept ans dans les écoles publiques annexées
aux mosquées ; ils y apprennent à lire, on leur fait
prendre ensuite un métier. Dès l’âge de sept ou huit
ans, ils concourent activement aux travaux. Dans les
campagnes, ils se rendent utiles en dirigeant les bœufs
aux sakyès. Ceux que l’on destine à la carrière des ulé-
Ea uu mot, les enfants sont très-précoces en Égypte. Is
parviennent bientôt à pouvoir gaguer amplement leur
418 MOEURS ET USAGES BES MUSULMANS.
mas y entrent dans leur dixième ou douzième année.
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Fi5 DU TOME PREMIER.
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