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DE ‘ sur sv Dee est ven part tes ! a \ ruive ‘i vit Lx “ NE] ï t# OUEN ERA onde es x C ï COL | pue LEE lente APT | | | . * PEU RILEEL pass sé + re . 0 . è es | | : RELAX R Le : : | RER in: CRETE Ar : | a. : e + | | em us - ï * ‘1 ‘ 4 À CE ARE CL | | : È ENPPLLAAIULS à R 1e : CRCRETELRS ; ET OUL LS nn + tsses it, #vù, OCECEC EE. + , NL . '- ‘ , ‘ ‘ ais ob 02 + .… +. . CE] ’ (e tu tr ss CE .s ‘ ‘ D È pi } #0 ’ ul R sin NTM qi AA Bu l 1! Le Th L f A 1 Te ur WU Rat” en NN à rh L mr * 1 À A T4 =, Ce 2 2 F . e - } at à , À LA UV “à * a soon RARE RARES ENENORREt ete dd 00000000 ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES. CHOIX DE RAPPORTS ET INSTRUCTIONS 36 M DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. a ——————— | désir ; dar A à 2 AE 270 DTOG VO NTIC DITT MSN DV LIZD OC DEUXIÈME SERIE. — RE ES ESS " y NC E 3% TOME IV. je | 4 je DEUXIÈME LIVRAISON. EEE EEE tas hebat) IMPRIMERIE IMPÉRIALE. ZE ARE ê 3€) M DCCC LXVII. LR LES eAC3ESE NAIVOQNQNQOQNQQQOQQ0QN9QQNQQOQNQOQQQQQQQY RER 2 SO O0CGAC ©9e9; \oñooo0o0oon0o00on0n0oa0oo0oanon0a 7 7 7 9 : ©: 7 D . D SAUEA AK On A #2 AVSARASAU KA ZEN CE SAW SAU/ AE) 1 AAA LE, (EX À ERA} ASAU.SAYASA UT à : 4 L à â 5 4 ) 4 à 3 À À À . > 3" Sr À 2 3 Ë a L, ARCHIVES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES. - ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES. | | CHOIX DE RAPPORTS ET INSTRUCTIONS | PUBLIÉ SOUS LES AUSPICES DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. DEUXIÈME SERIE. TOME QUATRIÈME. PARIS. IMPRIMERIE IMPÉRIALE. ———— M DCCC LXVII. MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. — “ss (————— ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. TROISIÈME RAPPORT SUR LES RECHERCHES FAITES À LA BIBLIOTHÈQUE IMPÉRIALE DE SAINT-PÉTERSBOURG CONCERNANT LES LETTRES ORIGINALES ET MANUSCRITS FRANÇAIS SORTIS DE FRANCE, PAR M. LE COMTE HECTOR DE LA FERRIÈRE, MEMBRE NON RÉSIDENT DU COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES |. ———— Q>— Saint-Pétersbourg, janvier 1863, Monsieur le Ministre, Dans ce troisième et dernier rapport, je passerai en revue les documents que possède la Russie sur le règne de Louis XIV et sur le xvin° siècle. Pour plus de clarté et de précision, je m'occuperai d'abord des correspondances diplomatiques qui jettent quelque lumière nouvelle sur notre politique extérieure, si habilement con- ! Voir le tome IT, p. 373, et le tome II, DUT. MISS. SCIENT. — IY. l EP ee duite par Mazarin; puis, à l’aide des nombreuses lettres adressées de tous les points de la France au chancelier Séguier, j’examinerai l'état intérieur du pays, et j'essayerai de montrer au prix de quelles misères et de quelles souffrances furent achetées les glorieuses vic- toires de Condé et de Turenne. Les sacrifices exigés par Mazarin au nom des mêmes intérêts qu'avait invoqués Richelieu, devaient fatalement amener les mêmes maux, les mêmes luttes, les mêmes résistances. | La correspondance de M. de Brienne! avec M. de Brasset, notre résident à la Haye, est la première que je rencontre; elle va me servir pour bien déterminer la politique de Mazarin à l'égard des Provinces-Unies, politique qui peut se résumer en deux points : Ce que veut d’abord l’habile diplomate, c’est empêcher à tout prix les Provinces-Unies de traiter séparément avec l'Espagne. Ce qu’il veut ensuite, c'est les amener à négocier plutôt pour une trêve que pour une paix définitive, et cela dans l'intérêt de la Mai- son d'Orange. | Il est un autre côté de la politique de Mazarin qui, peut-être faute de documents, a été un peu négligé. Je veux parler des efforts qu’il tenta et dont on lui doit tenir compte en faveur de la minorité catholique des Provinces-Unies. Les lettres de M. de Brienne à M. Brasset, notre résident en Hollande, vont me permettre d'étudier sous ces divers aspects la politique de l’éminent successeur de Richelieu. Mais, avant de suivre pas à pas cette correspondance, il ne sera pas hors de propos de la faire précéder d’une lettre de Mazarin à M. Brasset. On y trouvera une nouvelle preuve de l’infatigable activité qu’il mit au service de la France, et des immenses efforts qu'il lui fallut faire pour arracher au pays tant d’armées luttant victorieusement sur tous les points à la fois. L « Monsieur, « Quoyque nous soyons sur le point de dépescher par delà le sieur d'Estrades, je ne laisse pas de mettre cette lettre à l'ordinaire, L Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg. ER ts qui peut estre Vous sera rendue avant son arrivée. C'est pour vous donner advis comme l’armée du roy que va commander Monsieur prendra sans faute sa marche vers le pays ennemy le quatriesme du mois prochain infailliblement, et que vers le 10 elle aura at- taqué quelque place. Sa Majesté s’asseure que dans le mesme temps M. le prince d'Orange aura de son costé attaqué la place qui a esié concertée. S'il y avoit du retardement, ce qu'on ne peut croire après les asseurances qu'a données M. le prince d'Orange de com- mencer de bonne heure une vigoureuse campagne, vous ferés les offices nécessaires pour le presser et l'obliger à l’entreprise sans perte de temps, afin d’estourdir d'abord les ennemis par une forte attaque en divers endroits. On ne doubte point icy que pré- sentement les 30 vaisseaux de Messieurs les Estats ne soient de- vant Dunkerque, mais il est nécessaire que l’admiral qui les commande aye des ordres très précis d'assister au besoin et favo- riser les desseins que nous pourrons entreprendre de ce costé, en sorte qu'il exécute sans difficulté tout ce dont il sera prié par Monsieur, lequel, selon les occurrences, luy depeschera des per- sonnes expresses avec letires de créance. « Cependant nostre armée s’avancera avec asseurance que celle de Messieurs les Estats est déjà preste devant Dunkerque. Si nous entreprenons quelque chose du costé de la mer, l'officier qui s’a- vancera le premier avec des troupes pour investir depeschera ex- près à l'admiral de Messieurs les Estats pour luy en donner advis aussitost qu'il l'aura fait. « Sa Majesté désire aussi que vous fassiez instance pour faire donner les ordres nécessaires au gouverneur de Maestricht de fa- voriser et assister le sieur Marsin des soldats de sa garnison et au- trement dans les entreprises qu'il pourra faire pendant que les troupes qu'il a levées sejourneront en ces quartiers là. On ne doubte point que les ordres que Messieurs les Estats en envoyeront au dit gouverneur ne soient en bonne forme et qu'ils ne soient bien exécutés, puisqu'en cette rencontre il s’agist beaucoup plus du service de Messieurs les Estats que de nostre advantage, et que jusqu'icy le dict sieur gouverneur a tesmoigné grande affection en tout ce qu'on a désiré de luy, à ce que nous mande le sieur de Marsin, dont vous pourrés prendre occasion de faire par delà les remerciemens convenables, afin de l’obliger d'autant plus à con- tinuer. La levée de Marsin fortifiée avec une partie de la garnison | | | es fn es de Maestricht obligera les ennemis à laisser quelque petit corps d'armée dans le Brabant, auquel cas les oppositions qu’ils pensent faire à nos entreprises et à celles de M. le prince d'Orange seront plus foibles; si le peu de forces qu'ils ont ne leur permet pas de rien lascher dans le Brabant, il y aura moyen de les incommoder de ce costé là, parce que les nostres peuvent courir jusqu'à Bruxelles et Namur. « L'armée que commandera M. le duc d'Orléans est composée de dix-huit mil hommes de pied effectifs et six mil chevaux, celle de M. le duc d’'Enghien de huict mil hommes de pied et trois mil chevaux. M. le mareschal de Gassion en commandera une troisième, qui demeurera entre les deux, soit pour Joindre celle de M. le duc d'Orléans pour la bonne issue de son entreprise, soit pour se joindre à M. le duc d’'Enghien, en cas que les ennemis voulussent faire diversion en France. Elle sera composée de trois mil chevaux effectifs et de six mil hommes de pied, le tout avec l'artillerie et autres choses nécessaires en proportion. « L'armée de M. le mareschal de Turenne est aussi en très-bon estat, elle sera toute ensemble le x du prochain et n’a jamais esté si forte, y ayant présentement près de sept mil chevaux et huit à neuf mil hommes de pied effectifs. Outre cela, M. le marquis de Villeroy est parti pour se tenir dans le milieu du royaume, du costé de Poictou, Limosin et Guienne, avec cinq mil hommes et douze cens chevaux, afin d’empescher que personne ne songe à rien re- muer contre le service du roy. Et auprès de la personne de Leurs Majestés il ÿ aura toujours un bon corps d'infanterie et de cava- lerie. Voilà l’estat de nos forces de ce costé cy, dont il sera à propos d'informer M. le prince d'Orange, lequel sçaura d’ailleurs que les armées de Catalogne et d'Italie seront fort puissantes et que celle de la mer ne sera pas moings forte que les années dernières, estant desjà sorty de Toulon une esquadre de vaisseaux et de ga- lères et M. le duc de Brézé s’apprestant pour aller faire sortr le reste. + « Nous sommes tousjours en négociation avec le duc Charles; nous ne sçavons encore qui en réussira. « M. d'Estrades partira demain en toute diligence ; mais, comme le voyage de la mer est incertain et que ce qu'il devra dire en substance au prince d'Orange est contenu dans cette lettre, vous pourrés le prévenir afin de ne point perdre de temps. Je n’escris | | ( 2 | # — ;) — point à M. de Beringhen le croyant party, et au cas qu'il ne le fust pas, vous luy communiquerés, s’il vous plaist, tout ce que Je vous mande. Cependant je vous prie de me croire « Monsieur, « Vostre très affectionné à vous faire service. | « Le Cardinal Mazarin |. « Paris le 30 apvril 1644.» Maintenant arrivons à la première lettre de M. de Brienne à M. Brasset; elle est datée du 5 août 1545 : « La Haye est un poste, lui dit-il, où les plus grandes affaires du monde se traitent. La prudence de feu le prince Guillaume a composé un état et avec tant de modération, que les provinces qui en font partie ne laissent de conserver leur souveraineté indépendante des autres. Si l'union dure, leur état s’affermira. Il faut favoriser cette harmonie, qui à fondé leur grandeur. La Zélande prend des conseils à part et re- tarde le départ des députés pour Munster; il faut y remédier. Vos discours, ajoute-t-1l, seront que la France veut la paix, qu’elle y exhorte ses alliés ?, » | Dans la lettre suivante, du 2 septembre, il revient sur les mêmes idées. Il loue la prudence du prince d'Orange, qui cherche a calmer les violentes résolutions contre les catholiques. Mieux vaut pour les États une trêve que la paix avec l'Espagne. « Pour nous, ajoute-t-il, nous devons vouloir la paix. La désunion des provinces serait un grand mal. Des ministres indiscrets sont ca- pables de nourrir la pensée d’une union complète de l'Angleterre et de la Hollande. — L’uniformité de religion serait un achemi- nement à ce que la distance rend difficile. Il faut appuyer le prince d'Orange, soutenir son autorité. Les Estats veulent dimi- nuer leur cavalerie, se borner à .une guerre défensive; c'est une faute. — S'ils jouissoient d’un profond repos, ils ne conserveroient pas un soldat; des mains du prince d'Orange l'autorité passeroit en celles des ministres, qui pousseroient les catholiques à l’extré- ! Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, vol. CVIT, n° 65. ? Dépèche chiffrée. . 6 — mité, qui de désespoir rappelleroïient les Espagnols et en peu d'années naistroit entre eux la guerre civile. La ville de Béthune est prise l.» On le voit clairement par cette lettre, la France craignait que les exigences intolérables des protestants Hollandais n’amenassent les catholiques à ne prendre conseil que de leur désespoir. M. de Brienne ne cesse de s'en préoccuper : « Vous me cités, écrit-il de nouveau à Brasset, que c’est tolé- rance et non permission aux sujets catholiques de MM. les Estats de venir faire leurs devotions dans les maisons des ambassadeurs; mais c'est une extraordinaire rigueur que de les en vouloir em- pescher. L'impossibilité pour un particulier d’avoir chez lui un homme d'église, c’est le priver de l'exercice de sa religion; le lui permettre chez un autre n’est pas tolérance, c'est un piége. Les François peuvent aller à Charenton, les Hollandois n’ont point de lieu pour leur exercice. Dieu détournera cet orage par sa mi- séricorde, et aura inspiré à MM. les Estats de faire partir leurs députés pour Munster. » Une lettre du 28 novembre 1645 témoigne de nouveaux efforts en faveur des catholiques. « Le prince d'Orange, écrit Brienne à Brasset, nous a fait sa- voir que la Zélande est la seule province de la Hollande qui se soit opposée à la liberté de conscience et à l'exercice public de la religion catholique, que lui croyoit devoir estre accordé. Ils savent bien que les catholiques nous reprochent l'assistance que nous leur donnons, qui est au dommage de nostre religion , et les excuses que nous pouvons alléguer sont beaucoup au-dessous de ce qui nous est reproché. Par le traité on a essayé d’establir une règle qui nous levoit le blasme, et les Huguenots de France, quoique zélés et indiscrets pour l'ordinaire, sont surpris de ce nouveau traite- ment. » Il l'engage à tâcher d'obtenir par une délibération des États ce qu'on n'a pu obtenir par la députation, et attend les résul- tats du siège de Trèves par M. de Turenne. Si les représentations ne furent pas poursuivies avec la même chaleur, c'est qu’à son retour de Hollande M. d'Estrades eut un long entretien avec M. de Brienne et l’édilia sur les mauvaises dispositions des Hollandais à l'égard de la France. Brienne, faisant ! De Paris, dépêche signée. = ms D ss part de cette conversation à Brasset, lui faitentendre {9 décembre 1645) qu'il a compris : qu'il fallait dissimuler le mauvais traite- ment fait aux catholiques, leur déniant l'exercice de leur religion et ne souffrant ni les prêtres ni les religieux, même pour le temps accordé par la capitulation. Il ne faut pas blâmer ceux qui tendent à dissimuler ce mécontentement dans une conjoncture aussi déli- cate où tout est à craindre de ces mauvais politiques qui « s’en défèrent aveuglément aux sentimens de leurs prédicans, qui sont non seulement aveugles en leur religion, mais qui n’ont aucune lumière pour les choses du gouvernement. » Si nous continuons ces citations, c’est qu’elles ajoutent certaines particularités aux documents déjà imprimés sur le congrès de Munster. À la Haye notre politique était habilement représentée par le résident Brasset. Nos plénipotentiaires de Munster se louaient hautement des bons offices qu'il leur rendait, le chargeant le plus souvent de dire tout le contraire de ce qu'écrivaient leurs collègues les députés des États!. Un: instant on mit en avant la médiation de la reine Anne d'Autriche entre les États et l'Espagne. Brienne , en avisant M. Bras- set de cette proposition par une dépêche du 6 mars 1646, la re- pousse en ces termes : « La reyne ne peut accepter d’estre juge entre l'Espagne et les Estats des conditions de traité; l'affection qu’elle a comme mère et celle qu'elle est obligée d'avoir à l’Estat sur lequel elle com- mande sont des sentimens si particuliers, que la proximité qui est entre un frère et une sœur ne peut entrer en pair?. Elle veut et souhaite la paix sous les conditions qui suivent : qu'elle sera honorable à la France et que les alliés y seront compris et à leur satisfaction. M. Brasset peut dire aux Estats et au prince d'Orange qu'ils auront beau rechercher la reyne, qu’ils ne gagneront rien sur elle. Il ajoute : « vous Re plus franchement à au prince d'Orange le désir de le favoriser. ; Pour atténuer l'effet de ce Tram Brienne dans les dépêches suivantes proteste des intentions de la France de n’entrer dans ! Mémoire et négociations secrètes de la France, touchant la paix de Munster; la Haye, Châtelain, t. III, p. 338. ? Voir une lettre d'Anne d'Autriche sur ce même sujet, Mémoire touchant le traité de Munster: la Haye, Châtelain, t. I, p.22. EAN aucun traité que conjointement avec Messieurs des États, ce qui ne l'empêche pas de prévoir le cas où la conduite de la province de Hollande pourrait nous donner lieu de modifier notre propre politique |. «J'admire, dit-il, limprudence et l’insolence de ces bourg- mestres, qui osent bien songer de desplaire au prince d'Orange, qui a tant contribué pour leur liberté, et qui est le fils de celui qui l'a fondée. Je suis bien encore plus surpris du peu de cognoissance qu'ils ont des affaires du monde et de leurs propres forces. L'union des provinces a maintenu leur république; la sagessse et valeur des Nassau l’a establie. Il semble qu'ils se disposent, j'entends les provinces de Hollande, à un traité particulier; ce qu’ils allèguent avoir esté pratiqué en divers temps ne peut estre tiré en exemple. La France les attendit longtemps à Vervins et y fit les pre- mières démarches qui leur causèrent la treve, cetle pierre angu- laire de leur souveraineté. Ce sont nos troupes, notre argent, qui soutiennent la guerre; le désir de nous assister lors du siege de Calais fut une volonté sans effet. Leur infidélité pourra réussir, Car la France aime mieux avoir sujet d’offense que d'en donner. » En terminant il offre une augmentation de subsides pour l'année prochaine, si le prince d'Orange est assisté et peut songer à quel- que chose de considérable. S'ils veulent s’épargner, ils nous feront aviser. Il n’y a moyen de réduire les Espagnols à la raison qu’en faisant paraître plus de flegme qu'ils n’en ont, et que la guerre ou la paix sont indifférentes. Il faut assurer le prince d'Orange de notre bon vouloir, mais le faire si habilement que notre intention ne soit pas pénétrée. Puis, revenant à parler de ce qui se passait alors à la cour, il ajoute : « Le cardinal s’est laissé vaincre de prendre le principal soin de l'éducation du roi. M. de Villeroy en aura le titre, et M. Estienne sera son gouverneur, duquel on dit beaucoup de bien ?. » La prise de Dunkerque (10 octobre 1646 )$ ajouta aux difficultés ! Dépêche du 10 mars 1646. ? Dépêche du 10 mars 1646. — De Paris et autographe. $ Dunkerke, prise par Condé après dix-huit jours de siége. H ayait sous ses o-dres les maréchaux de Gassion et de Rantzau. # ET pe de la situation. Ces Messieurs des États demandaient que la place leur fût remise. Brienne répondit sèchement, le 16 novembre, à cette étrange prétention : « La France ne remettra jamais Dunkerque aux Estats pour les engager à la paix. Pour la conserver elle romproit les conférences ‘de Munster. Nos vaisseaux viendront y hiverner et tiendront en respect ceux d’Ostende. » Répondant en même lemps aux plaintes de la princesse d'Orange : «il faudroit, ajoute-t-il, que le prince connust que la facilité avec laquelle parle sa femme lui porte pré- judice. La France n’a point cherché à corrompre ses gens; la ré- publique des Estats ne peut estre assurée que sous notre appui; cela est compris de tout le monde. » Chaque lettre de Brienne fait allusion à de nouveaux griefs, mais il ne cesse de recommander à Brasset de n'en rien laisser paraître : « Quoiqu'il soit bon de leur faire connoistre, quand l’occasion s'offre, qu’ils ont plus affaire de la protection de la France qu'elle de leur service, 1l faut dissimuler et songer avant tout à nos affaires, d'autant plus que, puisque leurs députés sont à Munster, il s'y publie diverses choses pour éloigner de la France les protestans d'Allemagne. On met en fait que nostre réconciliation avec le pape a esté conditionnée de lextirpation des Huguenots de France. A M. de Brasset de détromper les Estats, de faire connoistre la faus- seté de ces avis. » Au mois de février 1647 nous étions encore bien loin de la conclusion de la paix. . « Les politiques de la Hollande se trompent estrangement, écri- vait Brienne, quand ils font estat que la France a besoin de leur assistance. Si ces messieurs savoient l’histoire de leur pays, ils auroient appris que la France à formé leur Estat, qu’elle est si puis- sante quelle n’a besoin de personne. C’est nostre modération, nostre prudence à ne pas leur reprocher leur mauvaise conduite, qui a motivé un pareil langage. Le mareschal de Rantzau a eu tort de se placer entre Bruges et Ostende, cela peut leur donner de l'om- brage; mais les gens de guerre ne sont pas capables de cet esprit de modération. «Je n'ai jamais mis en doute que les parlementaires d’Angle- térre ne promissent du secours aux Espagnols. Ceux-là comme ceux-ci ont notre prospérité suspecte, mais leurs affaires ne sont "oi pas en estat de pouvoir faire de grandes choses; ils ont la guerre en Irlande , et ils sont pauvres, car, bien que l’Angleterre fust riche, lorsque leurs désordres ont commencé, elle se trouve appauvrie et la haine a esté si grande entre les partis qu’ils ont porté les choses aux dernières extrémités, et ainsi le plat pays a esté ruiné et le paysan rendu impuissant de supporter des levées. Pour faire en sorte qu'ils n’ayent pas la liberté de faire passer tous les hommes qu'ilz voudroient bien, nous faisons des levées et avons donné le titre à M. le Prince de colonel général des Anglois et Escossoïs. Nous espérons que plusieurs prendront nostre sérvice !. » | Dans les dépêches de M. Le Tellier que possède la Russie il est longuement question de la levée des régiments en Angleterre. Voici ce que je trouve dans une lettre à M. de Grignon du 5 dé- cembre 1648 : «Pas de nouveaux régimens; ils fondent dans peu de temps; pas d'officiers; seulement des soldats pour renforcer les deux ré- gimens de Douglas et de gardes escossoises dont les officiers sont excellens et prennent soin de conserver leurs soldats. » Toute l’habileté de notre diplomatie, ayant pour interprètes des hommes tels que d’Avaux, Servien, Brasset, de la Barde, à quoi va-t-elle aboutir? Toutes ces victoires liées ensemble par tant d’autres, depuis Rocroy jusqu’à Lens, à quoi vont-elles servir? II suffira des agitations des parlements, des premiers troubles de la Fronde pour entraver notre action au dehors, et nous faire perdre les fruits de ces six brillantes années. Ce ne sera pas trop de la bataille de Lens pour obtenir une paix dont les discordes civiles imposaient la nécessité. De longue main Brienne prévoyait ces tristes résultats. Dès le 17 juillet 1648 il écrivait à Brasset : «Il est fascheux qu’au parlement les jeunes l’emportent sur les vieux; mais s'il leur plaisoit de considérer qu’ils n’ont de l’auto- rité que pour ce que le roy leur a communiqué de la sienne, ils en auroient moins d'orgueil et serviroient à la grandeur du royaume, au lieu qu'ils le ruinent en éloignant la paix. Je fais ce que je puis pour faire comprendre aux ministres des princes que ce qu'ils appellent mouvement n’est qu’une chaleur que lintérest particulier a excitée, et il est bon que les ministres de Sa Ma- jesté parlent au dehors dans le mesme esprit. Faites sentir aux 2 ! Dépêche signée du 8 février 1647. jus OÙ Estats, malgré leur mauvais vouloir, que nous ne voulons pas dé- truire l'œuvre de nos mains !.» Le moment n'est point encore venu de parler des premiers troubles de la Fronde. Laissons de côté la journée des Barricades et reportons-nous au 9 octobre 1648, date qui précéda de bien peu de jours le traité de Munster. La cour s'était retirée à Saint-Ger- main et c’est de ce château que Brienne écrivait à Brasset : « M. Servien travaille pour simplifier le traité conclu à Osna- bruc, et déclare estre en puissance comme en volonté de mettre la dernière main à celui entre les couronnes; il est bien vrai que la paix est nécessaire à tous et à réprimer linsolence de messieurs de Hollande, qui osent bien se nourrir de certaines imaginations peu proportionnées à leur puissance. Sans nos divisions domes- tiques nous n’aurions pas laissé, et sans l'assistance des Hollan- dois, de faire des choses considérables. On espère que les délibé- rations du parlement seront achevées demain et que les affaires de finances se rétabliront. » La paix fut signée à Munster, le 24 octobre, entre la France, l'Empire, la Suède et leurs alliés. À partir de cette date la correspondance de Brienne cesse brus- quement et n’est reprise qu’en mars 1650. Dans ses dernières dé- pêches il revient plus d’une fois sur le mauvais vouloir des Hol- landais. 11 devine, il pressent qu'ils en viendront tôt ou tard à s'unir avec l'Angleterre contre la France. Il invite Brasset à ne cesser de combattre ces fatales tendances. « Leur ingratitude, écrivait-1l (le 28 février 1652) est un fait avéré. I faudra bien leur faire comprendre que nous nous en ren- dons compte, leur insinuant que nous ne nous portons pas jusqu à la haine, mais que leur commerce leur idole, leur grandeur, en pastira. Le roi repousse leur médiation avec ses sujets comme of- fensante. » La correspondance de Brienne n’est pas la seule où 1l soit question de nos rapports avec les Provinces-Unies; la biblio- thèque de Saint-Pétersbourg est à cet égard en possession d’autres recueils non moins importants. D'abord, les lettres originales de Mazarin en deux volumes : Le premier renferme toute la correspondance du cardinal avec ! Dépêche signée et datée de Paris. SN. D ce même M. Brasset, notre résident auprès des Provinces-Unies. Il contient cent vingt-trois feuillets et cinquante-six lettres, dont la première est du 4 juin 1643, la dernière du 20 septembre 1647; tous les chiffres des dépêches sont remplis. Ce volume mériterait d’être copié, ne fût-ce que pour comparer les lettres originales aux copies, qui seules sont restées en France. Il est une autre corres- pondance qui n'offre pas moins d'intérêt que celle de Mazarin et semble le complément indispensable des négociations de Munster, c'est celle de M. de La Barde, ÉnRe par le roi à la conférence d'Osnabruc et plus tard envoyé auprès des États de la Suisse }, Cette précieuse correspondance comprend deux volumes : le premier renferme trente-sept lettres ; le second soixante et seize. La première lettre est datée du 27 janvier 1650; la dernière du 14 novembre 1650. Dans les archives historiques de la Suisse qui ont été éditées à Zurich, on a publié en 1850 quelques-unes de ces lettres, mais en laissant de côté toutes celles du premier volume. On n'a publié du second que seize lettres, et c'est le manuscrit de Saint-Péters- bourg qui a servi à cette publication. Enfin il est un dernier recueil qui se rattache indirectement aux négociations de Munster, c'est le n° 9 de la collection de Saint- Pétersbourg : dans le premier volume il renferme les lettres des ambassadeurs espagnols en résidence à Munster à M. le comte d'Hennin et les minutes de ses réponses. Dans le deuxième vo- lume, à côté des lettres écrites au comte d'Hennin, s’en trouvent d’autres adressées à la langdrave de Hesse, à l'électeur de Cologne, et au comte Henri de Nassau. C'est donc une des collections où se trouvent réunis le plus de documents originaux sur les négociations de Munster; j'ajouterai que la bibliothèque de Saint-Pétersbourg en possède une histoire manuscrite et inédite en plusieurs volumes. Je vais maintenant examiner l’état de nos relations avec lAn- gleterre durant la même période. M. de Sabran y représentait la France. Dans les deux lettres de Ini qui vont suivre, il explique au chancelier Séguier la forme, le mécanisme du gouvernement 1 Cette correspondance est adressée à M. de Brienne. (N° 76 de la collection de Saint-Péte rsbourg.) Ce sont les lettres originales de M. de La Barde, dont nous n'avons en ae que les copies. ne. bte + th | — 13 — anglais, et lui expose les inextricables difficultés au milieu des- quelles se débattait Charles I°, pour aboutir en définitive à l'écha- faud de Whitehall. « Monseigneur, « C'est par vostre commandement que je suis assez hardi pour me donner l'honneur de vous faire ès occasions la part des nou- velles de ce royaume, qui se peut sans chyffre, sçachant d’ailleurs que vostre dignité et la confiance que la reyne et l’Estal ont en vostre personne ne permest pas qu'il y aye rien de secret pour vous de tout ce que l’on peut escrire des pays estrangers en lettre plus seure et plus à l'épreuve du risque des chemins et de la cu- riosité des surveillans; ce qui me dispensera d’en escrire par des- sus ce qui est si véritable et public icy que on ne le peut taire ailleurs. « L’estat de ce royaume, Monseigneur, est le plus pitoyable d’au- cun de la chrestienté en une sayson où, s’il eust esté libre des factions intestines, il pouvoit faire pencher les advantages de la paix du costé où il eust employé ses forces, ou forcer l'Espagne à relascher au moins ce qu'elle tient du Palatinat, si ce qu’y possède le duc de Bavière n'eust pu estre exigé. La première division vint des soupçons que l'Escosse eut que les évesques peu à peu voulussent introduire les coutumes de l’église romaine, comme l’archevesque de Cantorbéry avoit commandé en Angleterre : ce qui convia les Escossois de les tourmenter et enfin les chasser, dont le roy, pour leur restablissement en leur dignité et ès formes ordinaires, fit contre l’Escosse une armée de vingt-cinq mil hommes. L’Angleterre, regardant de travers cette guerre, conspira dès lors au mesme désir contre ses évesques; celuy de Cantorbéry, principal des deux royaumes, accusé de nouveauté par l'érection de quelques autels et de chasses en l’église, est mis prisonnier, et le roy, qui est néant- moins protestant et ne désiroit la conservation des évesques qu'en l'estat que feu son père l’avoit laissé, ne peut empescher l'exécution des loix contre les nouveautés Cet évesque attend tous les jours le martyre plutost que sa liberté; les puritains, qui prévalent, ne souf- frent images ni croix, ny l’establissement des chanoines, mesme à la mode que l’église anglicane les avoit establys, et la persécution est telle contre les catholiques que, si on leur laisse usage de la vie, ms QE il est acheté de la perte des deux tiers de leurs biens, et si un Anglois est recognu prebstre il est perdu. «Le grand demeslé entre le roy et l’Angleterre vient de ce qu'au prétexte de la religion s’adjoute l'observation de leurs loix et immunités; ce qui seroit aisé à rhabillier en l'extrémité où les afferes sont réduites d’estre sur le point d'estre terminées par une bataille, si simplement ils désiroient l'observation de la loi et coutume. «Is ont coutume d’avoir un parlement, mais qui ne s’assambloit | que de l’ordre du roy et en estoit dissous de mesme, et il y avoit longues années qu’ils sollicitoient cette convocation de parlement qui est proprement une assemblée d’estats, avec cette différence que ce que les deux chambres haute et basse résolvent en présence du roy doibt estre suivy sans qu'après le roy y puisse contrevenir sans le consentement des dittes deux chambres, dont la haute est composée de comtes, vicomtes et barons, chefs de maisons, qui sont pairs et s’assoient et se couvrent en présence du roy, quand ils y sont, pour montrer qu'ils font contrepoids à l'autorité royale; et la seconde chambre est composée de noblesse ou autres députés des communes, et lorsque le roy jugeoit que ce qu’il désiroit estoit pour ne passer point, il rompoit adroittement le parlement sans résoudre, et les choses demeuroient indécises; mais ce parlement, soupçonnant cette coutume, surprit le roy il y a quelque temps et luy fist de son gré ou par défiance signer la prolongation de ce parlement jusques à ce que les affaires qui estoient sur le tapis fussent finies; ce que depuis le roy a revoqué; mais le parlement a malgré luy subsisté et a pris les armes, s'est uny à l'Escosse et vingt- cinq mil hommes escossois sont devant York avec un traité qu'ils ont fait de ne se désunir jamais, de se maintenir parlement, et qui ne puisse estre séparé sans indiquer l’assemblée à temps pré- fixé, et l'advantage qu'ils prétendent sur le roy par les armes est dans leur esprit si certain qu'ils ne veulent ouyr aucune proposi- tion de la part d'aucun prince qui ne les reconnoisse pour parle- ment. Les parlementaires, aydés des Escossois, ont en diverses armées cinquante mil hommes et plus; le roy plus de trente-cinq, et les armées du comte d’Essex pour ce parlement, de vingt et deux mil hommes, sont près d'Oxfort, où est le roy avec une armée in- férieure, mais dont la cavalerie est bonne, avec intention de la combattre ou faire retirer vers l’ouest et Exeter, où est la reyne, à soixante lieues de là. Je ne me puis néantmoins persuader que le roy soit si foible; mais que, s’il se retire d'Oxfort, ce sera pour attirer son ennemy plus loing, et faire aprocher de son armée celle de son nepveu le prince Robert et les combattre. Cela est un peu à deviner, et ce moys cy m'en rendra plus sçavant, puisque je me dispose à partir demain après avoir esté icy seize ou dix- sept jours pour me randre à Oxfort, trante lieues d'icy, et de là à Exeter, soixante lieues plus outre, où est la reÿyne malade et voysine à l'accouchement. Je ne sçay si ce sera sans risque de traverser toutes leurs armées, mais il fault que j'aille exécuter les ordres qui m'ont esté donnés. «Il est donc asseuré, Monseigneur, que rien ne peut oster les esprits de l'opinion qu'il feront succomber le roy par les armes, et leur union avec les Escossois est si inséparable, les intérests de religion si communs, et de se conserver parlement, que, s'ils sont supérieurs, ils se résolvent à se servir de l’advantage pour faire nouvelles loix pour estre maintenus parlement, ou establir que la convocation en sera nécessaire en certain temps, et ne souffrir au- cune des actions purement souveraines sans l'interposition des parlemens, en quoy le roy a le principal intérest et les seigneurs de la chambre haute, pairs de naissance, qui seront tousjours con- trariés et surmontés par la chambre des communes à cause du nombre, et qui se chatouillent de l'autorité qu'ils prennent, et se sont précipités en un labyrinthe dont ils ne se sçauront retirer sans perte, de quel costé que le sort tourne. « Le roy a fini, à ce que j'ay vu par une lettre, le demeslé qu'il avoit avec les Irlandois, presque tous catholiques, et leur a doné la pax et liberté de conscience, pour laquelle seule ils souffroient beaucoup, et permet un parlement indépendant, dont ce parle- ment d'Angleterre augmante son aigreur, et leur peut donner de la crainte que Sa Majesté n’en tire un grand secours d'hommes, dont il a bien besoing. Jay abusé, Monseigneur, de vostre bonté en ce dong entretien; mais ayant à traverser toutes leurs armées pour joindre leurs Majestés Britanniques, où qu'elles soient, je crains que je ne puisse avoir sitost l'honneur de vous escrire ny de le faire que fort succinctement sans chyffre. C’est tout ce que mon peu d'habitude par deçà, estant nouvellement tiré du Levant vers le North, ma peu faire pénétrer de l’estat de ce royaulme, ne me restant que d'obtenir par mes supplications d’estre rendu cts A ed digne de l'honneur de vos bonnes graces par la faveur de vos commandemans en qualité « Monseigneur, « De Votre très-humble et très-obéissant serviteur. SABRAN !. « De Londres, ce 9 juing à la mode de France et d’icy, 30 mai 1644.» Voici la seconde lettre, non moins importante que la première : « Les affaires de ce royaume ont toujours esté dans un si égal désordre, et si peu suivis de nouveautés jusques à présant depuis celle que je me suis donné l'honneur de vous escrire, que je m’en suis dispansé n'y ayant rien qui fust digne d’estre présanté à vos yeux. « Aujourd’huy vous recevrés l’advis de deux martyrs qui furent sabmedy exposés au cruel suplice de la mode de ce pays; lun estoit jésuite irlandois, et l’autre prebstre séculier anglois, jeune de de trante ans; lesquels après l’arrest prononcé je fus visiter pour en recevoir avec ma famille la bénédiction et suivis au suplice. Leur disposition à mourir, leur constance à souffrir, leur visage et leur bouche concourant si également au tesmoignage de joye et de cog- noissance des graces du ciel en celle qu'il leur faisoit donna suget à l'un de cinq voleurs qui furent exécutés avec eux, mais avec grande différance de suplice, de se repentir, d’implorer le soir avant l'exécution leur ayde pour estre sauvé, et de protester de vouloir mourir catholique, et comme ils estoient tous sur l’échafault et la corde au col, le ministre les voulant exorter, celuy cy demanda pu- bliquement pardon à Dieu de sa vye passée, protesta ny avoir salut hors l’église romaine, et de vouloir mourir catholique, et tournant le visage vers les bons pères se soumist et en requist la bénédic- üon. Il ÿ avoit autrefoys commination seulement des peines pour la première foys que les prebtres anglois estoient surpris, mais il n’y en a point eu cette foys icy ; à mesme heure qu'ils furent exécutés ! Biblioth. impériale de Saïnt-Pétersbourg; documents français, vol. 107”, pièce n° 66. er Mi survint à ces seigneurs une nouvelle de grande conséquance, de la deffaitte par le roy de leur plus puissante armée, commandée du comte d'Essex, lequel, après avoir esté fort longtemps accablé de toutes nécessités avec plus de dix ou douze mil hommes réduits au besoing de toutes choses, s’est retiré, comme l’on publie icy mesme, luy troisième abandonnant son armée. La cavalerie désespérée se résoulut de se faire jour au travers de l’armée pour se sauver pour ne mourir (le faim, et plusieurs en sont échappés, et l’infanterie a esté receue à mercy ou partie d'icelle la vye sauve, laissant toutes les armes, bagage, munitions entières, quarante et une pièces des plus beaux canons, attirail et bagage. C’est ce que j'ay tiré des ar- üicles que l'on publie à Londres, et il y a lieu de croire qu'il ya eu quelque chose de plus; il seroit à souhaiter que ce succès, fesant cognoitre à ses seigneurs l'incertitude du sort des armes, en adoucit l'aigreur, et fist prandre une meilleure disposition à la paix selon les bonnes intantions de Leurs Majestés très-chrestiennes, c’est ce que je ne croy pas. « Vostre très humble et très obeissant serviteur « SABRAN 1. « De Londres, ce 22 septembre 1644.» Puisque nous voilà sur le terrain des luttes des parlementaires et de Charles [°, ce sera l’occasion de mentionner en passant une particularité dont nulle part, nous le croyons du moins, ne se retrouve la irace. Il s’agit des intelligences secrètes qui existaient entre les protestants de Normandie et les parlementaires, et des se- cours que ces derniers en recevaient. Dans une lettre de M. La Fosse au chancelier Séguier en date du 27 avril 1643, voici ce qu'il lui annonce?. « En passant par Pontorson, je saluai chez les Carmélites M. de ! Biblioth. impériale de Saint Pétersbourg; documents français, vol. 105", pièce n° 76. ? Les lettres de La Fosse au chancelier Séguier ont été réunies dans un recueil à part, qui forme le numéro 93 de la collection de Saint-Pétersbourg ; il en ren- ferme cent quarante-six, dont plusieurs sont d’un grand intérét pour l'histoire de a Normandie. MISS; SCTENT. — IT, 2 Be. Montaigu, qui me parla du secours que nos religionnaires donnent journellement aux parlementaires. Estant arrivé à Rouen, J'ai appris de bonne source que les religionnaires continuoient leurs secours aux parlementaires. » Dans la suite de cette lettre il parle de 800 mousquets achetés à Dieppe. Son avis n’est pas de recher- cher le passé, mais, si le chancelier le trouve bon, il empêchera tout à l'avenir. | Dans une nouvelle lettre il prévient le chancelier que les reli- gionnaires continuaient à fournir des secours d'hommes et d'armes aux parlementaires. «Les marchands hollandois demeurés en cette ville de Rouen leur ont fait tenir ces jours passés quatre charretées d'armes sorties de ceste ville, et ces charretées pour estre embarquées du costé de Caen. » Il n’est pas d'avis, dans l'état des affaires de France, d'arrêter le cours de la guerre civile chez nos voisins, et en terminant il dit au chancelier : « Si vous ne m'ordon- nez rien, je fermerai les yeux. » À la suite des lettres de M. de Sabran viennent naturellement se placer quelques extraits de différentes lettres écrites de Londres durant l’année 1646. C’est M. du Bosc, un des hommes de con- lance de Mazarin, qui se chargeait de ce travail pour le chancelier Séguier. Ces extraits font partie du recueil de lettres de du Bose au chancelier Séguier, dont plus tard nous nous servirons pour peindre l'état intérieur de la France à l’époque des troubles de la Fronde !. «De Londres, le 24 may 1646. «Le parlement d'Angleterre est irrésolu de ce qu’il a à faire, les seigneurs ne veulent consentir au désir des communes de deman- der que ledit roy soit amené en deçà?, et les communes se portent à vouloir user de puissance, mais ia ville de Londres demande la paix, et se plaint du gouvernement et des dépenses. « Aussyiost que Newark s’est rendu au parlement le 18, l’armée escossoise avec leur roy est allée vers le nord, et arrivée de cette heure à Newcastel; 4oo des royaux de Newark les ont suivys. Les dits Escossois traitent Sa dicte Majèsté avec tout respect, et le stile de ® Ce recueil forme le numéro 59 de la collection de Saint-Pétersbourg. 2 Du château de Warwick. — Voy, Guizot, édit. Charpent. t IF, p. 150. CET. Fe leur lettre aux Anglois sur l’arrivée de Sa dicte Majesté est attribué à ce que Cromwell estoit avec un bon corps près d'eux, et à leur dessein de se grossir et raprocher de leurs autres forces et de leur pays. Ils refusent de rendre Ashburnham aux Anglois. Quelques lettres portent que, par ordre de Sa dicte Majesté, Montrose a fait cessation d'armes avec le parlement d'Escosse. «Les députés d’Escosse en cette ville ayant dépesché un cour- rier en Escosse, le parlement l’a fait arrester en sortant et pris ses lettres. « Le chancelier d’'Escosse s’en va demain trouver Sa dicte Majesté. . «Ce parlement a resolu de demander à sa dicte Majesté qu'il licencie toutes les garnisons et fasse démanteler ses places, et prolongé l'ordonnance que tous ceux qui ont esté du party royal demeureront hors de Londres et mis à la distance de 20 milles. » Du Bosc ajoute de sa main à ces exiraits : « En vous adressant ces nouvelles d'Angleterre, je prens la har- diesse de vous présenter icy mes obéissances. La reyne a bien reçu celles que j'ay eu l'honneur de luy présenter de vostre part, et M: le cardinal aussy. M. de Bellièvre est arrivé ici, et a accepté l'ambassade extraordinaire en Angleterre, et nous eusmes ordre, les sécrétaires de Son Éminence et moy, d’escrire hier à tous les correspondans qu'il partira dans huit jours, et à M. de Sabran qu'il demande au parlement d'Angleterre un navire pour le passer. L'on parle de partir d'icy vers Paris sur la fin de cetie semaine. M" le duc d'Orléans part demain. » «De Londres, le 21 juin 1646. « On a publié icy une letire qu’on dit avoir esté escrite d'Oxford le 3/13 avril par le roy de la Grande-Brelagne au marquis d'Or- mond, gouverneur (d'Irlande, luy faisant sçavoir qu'après tant de lettres escrites par luy au parlement d'Angleterre pour y pouvoir aller en personne traiter d’une bonne paix, sans en avoir rien receu que des responses qui tesmoigneront assez que rien ne les conten- teroit que la ruyne de sa personne, de sa postérité, de ceux qui l'ont suivy, et mesme de la monarchie, et ayant eu des asseurances que sa personne, sa conscience et ses adhérens, seroient en seureté en l'armée des Escossois, et qu'ils se joindroyent à luy pour là 2h — 20 — paix et pour le bien de Sa Majesté et de ses royaumes, il avoit enfin résolu de passer en l’armée escossoise. Cette lettre a fait un bruit inconcevable, les Anglois chargeant les Escossois de conni- vence et d'infraction des traités. Sur quoy les Escossois ont donné à ce parlement une déclaration, qui est aussy imprimée, se défen- dant qu'ils ne sçavent si telle lettre est véritable ou supposée; que le roy a escrit depuis des choses toutes contraires; que ledit par- lement sçait trop quelle foy il faut adjouter à ce qui part du secré- ture Nicholas; que les prétendues asseurances sont fausses, allé- guant pour preuve le temps qu'elle a esté escrite, ce qui a esté escrit et fait depuis, les combats, reddition de Newark, les décla- rations et ordonnances faites par eux, leur refus ci-devant de se joindre au roy, lorsqu'il estoit encore puissant et leur jonction avec les Anglois, lorsqu'ils estoyent au plus faisble estat, et finalement ils prient le dit parlement de n’adjouter point de créance à tels papiers, mais seulement à leurs déclarations, et à leurs protes- tations. «En mesme temps les Escossois demandent de rechef l'argent qui leur est deu, et que leurs quartiers s’estendent jusquà York et pressent que les propositions de paix soient envoyées à Sa dicte Majesté. «La confusien en est grande icy. Les partys des presbytériens et des indépendans s’eschauffent, et le maire, et le conseil de Londres, continnent leurs instances pour avoir la responce de ce Parlement à leurs remonstrances. «Bristol s’est rendu à Fairfax, mais Oxford tient bon et plusieurs autres places. «Hudson, qui avait guidé Sa Majesté à l’armée des Escossois et qui s’estoit eschappé des prisons du maire de Newcastel, a esté re- pris à Sandwich près de Douvres, comme il vouloit passer en France. { «On confirme qu’il est arrivé des forces d'Escosse à Newcastel pour grossir l’armée des Escossois. » Voici une nouvelle lettre de Du Bosc à M. de Bellièvre, notre ambassadeur à Londres; elle est datée de Fontainebleau, le 31 août 1656. «Je vous adresse la lettre de Son Éminence en response à vos deux lettres des 14 et 21, desquelles je fis hier le déchiffrement; en les rendant hier soir à Son Éminence en présence de la revne, Je FR. n'ay pu m'empescher de leur donner l'éloge que je devois, et Sa Majesté et Son Éminence se mirent à les lire. « Son Eminence m'a commandé de mettre avec sa lettre l'extrait d’une gazette angloise qui s'estemportée à dire des choses horribles qui partent de quelque chose de fort mauvais, et j'ay eu ordre d’es- crire sur cela à M. Augier, et sur l’arrest de la personne de M. de Montreuil, et l'ouverture des lettres du roy. «Pour nouvelles je mets les mémoires que J'aurois envoyés à M. de Montreuil. Nous aurons icy S. À. R. dans un jour ou deux; de ma part j'aimerois mieux qu'il se fust arresté à prendre Dun- querque sans laisser toutes fois d’avoir pleine conformité aux vo- lontés supérieures. | «Je feray sçavoir à M. Germain la recommandation que vous avez faite à M vostre frère pour celui que vous nommez. « Le temps ne me permet pas davantage que de me signer avec un fidel respect. » Voici maintenant l'extrait de cette gazette-imprimée à Londres sous le titre du Pigeon d'Escosse. « Comme s'il y avoit une main particulière destruisant et gui- dant tout pour nostre bien, une grande dissension a commencé en France qui pourra produire de grandes choses. Le prince de Condé, le duc d'Enghien et plusieurs autres de grande qualité ont fait une déclaration contre le gouvernement de la reyne régente de France et du cardinal Mazarini, comme estans conduits par de mauvais conseils. Les partys de costé et d'autre sont grands; ils mettent aussyÿ en question (comme l'on dit) si le jeune roy est lé- gitime. Dieu est juste et peut porter le feu entre ceux qui l'ont allumé chez leurs voisins. Il ne sera pas à propos de vous remettre en souvenir l’'admirable Providence de Dieu à sousmettre les puis- sances de Danemark, lorsqu'on y levoit des forces pour abattre le peuple de Dieu en Angleterre; c’est une grace à ne Jamais oublier, et 1l y a péché à ne pas prendre cognoissance des traitemens que Dieu fait avec nous et pour nous. » Je citerai encore cette dernière lettre de du Bosc à M. de Gri- gnon, frère de M. de Bellièvre : « J'ai fait mon devoir de représenter à Son Éminence tout ce que Jay pu selon le juste et très-prudent désir de vos lettres du 24 oc- tobre. Il m'a semblé un peu prévenu de ce qu’on diroit qu'on ne fait rien pour ces gens-là. Fay insisté sur vos puissantes raisons, nom - mément l’ancienne pratique des prédécesseurs, qu’il y aura cha- pelle ouverte, mais qu'on ne doit pas obliger M. l'ambassadeur vostre frère à retirer les prestres anglois chez luy. Son Éminence m'a fait dire par M. de la Roze qu'il est tombé dans vostre senti- ment, qu'il consent à ce que vous désirez, qu’il préviendra les di- ligences et impressions qui se pourroyent faire sur ce sujet et qu'il se remet à moy de vous escrire. Ainsy je loue Dieu que vous voilà tous les deux hors de cette peine. » Pour continuer l’examen de nos relations avec l'Angleterre, c'est aux lettres de Mazarin lui-même que je vais avoir recours. Sa correspondance originale avec MM. de Bellièvre et de Grignon, nos ambassadeurs en Angleterre, existe là tout entière, telle qu’elle “est venue de France. En attendant que la copie que j'en ai rap- portée soit publiée, les quelques extraits que j'en vais donner serviront à bien déterminer quelle fut sa politique à l'égard de l'Angleterre, se contentant d'adresser des conseils à Charles FE, qui ne les suivit jamais, l’exhortant, mais en vain, à traiter avec les presbytériens, lorsqu'il en était temps encore. Ge que Mazarin cherchait avant tout, c'était à se dégager de toute solida- rilé. Quels que fussent les événements, il ne voulait pas se brouil- ler avec la nation anglaise. La lettre qui suit est du 8 février 1647; Mazarin trace au pré- sident de Bellièvre la conduite qu’il doit tenir : « Vous envoyant une copie de la lettre que j'escripts à M. de Montreuil pour response à ses dernières depesches, je me remets à ce que vous trouverez icy touchant les sentimens que nous avons icy sur l’estat des affaires du roy de la Grande Bretagne. Il faut avouer que Je ne sçay point de cause qui l'ait pu porter aux réso- lutions qu'il a prises contre ses propres interets et les conseils que, vous lui avez donnés, que la violence de son malheur qui merite certes qu'on luy compatisse. « Dans l’estat ou il est à present reduit, et qu’on voit augmenter de jour à autre, on a jugé qu’il n’estoit point de la bienseance que le dit sieur de Montreuil demeurast d'avantage auprès de luy. Toutefois, si vous jugiez que, pour le bien de ce prince, il y fit encore quelque séjour, on remet à vostre prudence de lui en donner l'ordre qu'on lui enjoint de suivre ponctuellement, comme il n'y manquera pas. «Je vous supplie de haster auttant qu'il se pourra de donner chaleur aux levées qu'on luy a ordonné de faire, affin que nous les recevions au plustost s’il est possible. Pour cest effect, s'il est besoin d’une plus grande somme que celle qu’on lui a fournie, je vous prie de la prendre sur vostre credit, vous asseurant que je la feray à point nommé remettre icy. « Vos dernières depesches ne nous apprennent que vostre arrivée à Londres. Nous attendons les premières que vous ferez, affin que, suivant ce que vous nous manderez, soit du besoin qu'il y aura de continuer vostre séjour en ce pays là, en cas qu'il vous paroisse quelque moyen d’esperance d'y estre utile aux affaires du roy de la Grande Bretagne, ou qu'il soit nécessaire que vous retourniez au plustost en France, leurs majestés prennent la résolution qu'il conviendra, qu'on vous fera promptement sçavoir. Cependant je vous diray que, si vous recognoissez que dans lopiniastreté des sujets de ce prince quelque office et quelque diligence que nous puissions faire pour le restablissement de ses affaires, elle sera superflue, vous devez vous mesnager de telle sorte avec ses sujets, qu'ils ne puissent recevoir de vostre conduite aucune occasion d’aigreur et de desgoust contre nous, à quoy ils ne sont que trop portés, et par leur propre inclination, et par les artifices et conti- nuelles suggestions des Espagnols, qui s'efforcent de leur donner de la jalousie de la grandeur de cette couronne, de les irriter par les civilités, et le traitement que l’on rend ici à la reine d'Angleterre, et au prince de Galles son fils, et de leur imprimer que c’est à eux qu ils ont l'obligation du repos où la France les laisse, puisque, sans la guerre qu'ils nous font, nous ne songerions qu'à tourner toutes nos forces contre eux et à leur faire de la peine, et comme ils n'ont point oublié d’interpreter sinistrement toutes les diligen- ces que nous avons faites jusques icy pour remettre une bonne correspondance entre le roy d'Angleterre et ses sujets, il sera à propos que vous profitiez de toutes les occasions dans lesquelles vous aurez lieu de destruire tout ce qu'ils auront basii contre nous, déclarant que l'intention de leurs majestez n'a jamais esté autre que de redonner la tranquilité à l'Angleterre avec l’entiere satisfaction de ses princes et de leur roy, ce que vous tascherez de bien insinuer dans lesprit de tous. « Vous n'oublierez rien pour faire réussir ce dessein si important, et comme vous sçavez fort bien les maximes sur lesquelles il faut agir pour rendre les Espagnols suspects et odieux en ce pays, vous es ne manquerez pas de vous en servir dans cette rencontre, et de mettre en œuvre toute sorte de machines pour discrediter les Espa- gnols, qui est le plus grand avantage que nous y puissions re- cueillir !. «Le cardinal Mazarin. «Paris, ce & février 1647.» Répondant, dans une autre lettre, aux observations de M. de Bellièvre, qui demandait à rentrer en France : « Guerissez-vous de ce scrupule, lui dit-il, que vous avez, que la dignité du roy de France puisse estre blessée en ce que ce parlement pourra faire contre celui de la Grande Bretagne. » Dans une lettre du 4 mai 1647, il est encore plus net : «Je croyois vous avoir fait connoistre a quel point Leurs Ma- jestés souhaitoient que dans la conjoncture présente vous fissiez encore quelque séjour en Angleterre. Ce n’est pas tant pour em- ployer le crédit que vous avez près des principales personnes et des affaires de ce royaume à procurer l’'amelioration de celles du roy, auxquelles on juge que vos offices sont peu utiles, que pour vaquer à ce qui concerne le bien et l'avantage de cette couronne, cédant un peu à contre cœur aux sollicitations de la reine d’Angle- terre, etc. » Au moment où le triste dénoûment s’approchait, Mazarin écrit ue dernière lettre au président de Grignon en faveur de Charles [°'; c'était pour ainsi dire pour l’acquit de sa conscience : «Il est malaisé de s’empescher de satisfaire la reyne de la Grande Bretagne, lorsqu'elle fait instance qu'on vous escrive en faveur de M. son mary: et quoiqu'on sache bien que les sollici- lations que vous ferez de la part de leurs majestéz ne peuvent, en l’estat où sont les affaires de delà, apporter aucun soulagement a ce prince, mais estre préjudiciable à nos interests et particuhère- ment dans l’assietle ou sont présentement les choses à Paris, on n'a pu néanmoins se deffendre de contenter la dite reyne, aux poursuites de laquelle leurs Majestez se sont encore obligées a depescher M. de Varennes, pour faire conjointement avec vous les dihigences que vous jugerez plus à propos pour tascher de délivrer ! N° 101 des documents de Saint-Pétershourg. mu D Liu le roy de la Grande Bretagne du péril où il se trouve. C’est un office que nul prince ne peut s'empescher de rendre, ce me sem- ble, et je me suis asseuré que cela se fera en sorte, par vostre pru- dence et adreïse, pour que si le contentement dudit roy ne s’en suit pas, il ne nous arrivera au moins aucun préjudice. » Le 30 janvier, la tête de Charles [°° tombait à Whitehall. En l’'apprenant, sous le coup de sa première émotion, Mazarin écri- vait à M. de Grignon. | « Monsieur, c'est la plus estrange nouvelle qui nous pouvoit ar- river, comme ça esté le spectacle le plus affreux qu’on eust pu voir que celuy de la mort du roy de la Grande Bretagne. Leurs Ma- Jestéz et toute la cour l’auroient pleuré avec des larmes de sang, s’il y en avoit, et ce que vous nous mandez de la constance et tran- quillité d'esprit avec laquelle il a vu venir et reçu le coup nous Je rend ici plus sensible et plus rude, dans la pensée qu'il y devoit estre moins exposé, non-seulement à cause de l'élévation de sa dignité, mais encore à cause du mérite de sa personne. Comme ceste vérité odieuse nous paroist maintenant un songe, elle paroistra une fable à la postérité, qui la sçaura, et ce sera un endroit par lequel elle regardera nostre siècle comme fertile en choses extra- ordinaires. Ce qui nous perce le cœur d’une douleur plus vive, c'est que nos affaires domestiques, et la précipitation imprévue de ce funeste accident ne nous ayent pas permis de rendre à ce prince, en ceste occasion, lous les offices que nous eussions dés'rés, quelque inutiles qu'ils eussent deu luy estre, et qu’en cela nouseussions esté devancés par Messieurs des Estats, bien que nous eussions de- pesché le sieur de Varennes pour cet effet. C’est tout ce que je vois pour escripre maintenant dans la tristesse où je me trouve. M. de Brienne vous fera sçavoir la volonté de leurs Majestés dans ceste rencontre, a quoy me remettant je vous assureray que je suis, etc. «le cardinal Mazarin. « De Saint Germain en Laye, le 27 février 1649.» Au nombre des lettres adressées au chancelier Séguier, plusieurs sont de M. Lanier, notre résident en Portugal, les unes datces d'Amsterdam, les autres de Lisbonne. Elles méritent une courte analyse. En envoyant du thé au chancelier Séguier {ce qui était Er Un une rareté), Lanier explique la manière dont on le préparait alors : « J'ai acheté (d'Amsterdam le 14 mai 1646) de très-bon thé, le meilleur et le plus frais arrivé; j'ay mis dans la caisse la pierre de meulle pour le moudre, qui est une fort belle pierre. I faut faire un pied d’un tronc d'arbre, et faut faire aussi un bois de la forme cy dessus, que l’on met au trou du costé pour la tourner, el elle rend le thé en farine comme celui que vous avez trouvé tout moulu en une boëte. Quant à la cuisine, ceux qui s’en sont servis disent que celle que je vous ai envoyée sert à deux fins, les petits chaudrons de cuivre pour le préparer à boire en eau avec du sucre, mais le petit alambic d'argent ne sert qu'après avoir bouilli le thé; à l'ordinaire l'on le fait passer par le dit alambic pour en tirer l'esprit; mais ils disent que cela ne se prépare que pour les gens de ce pays là. » Dans une lettre du 25 octobre suivant il ajoute : « Depuis mon arrivée à Lisbonne et particulièrement depuis l’arrivée des vaisseaux de l'Inde, je n’ay pu recouvrer de quelque façon que ce soit le thé royal que vous m'aviez recommandé, qui est une chose presque inconnue icy, où l’on ne se sert que de chocolat. L'on at- tend encore d’autres vaisseaux de l'Inde qui attendoient ceux qui viennent de Macao et de la Chine, qui pourront en apporter; Je n'y perdrai aucun moment, obligé comme je suis à la conservation de votre santé. » L'année suivante il put obtenir cette plante merveilleuse. «Je n'ayÿy pas voulu, se häte-t-1l d'écrire, laisser partir le R. P. Cyrille de Magne, prédicateur capucin de la province de Bre- tagne et l’un des missionnaires apostoliques du Brézil, sans le charger d’une petite boëte de sapin pleine de l’herbe Cha ou thé royal, plus frais encore que celui que je vous envoyai au mois de février dernier. Nous en attendons avec les vaisseaux des Indes à la fin de ce mois; je ne manqueray de vous en faire tenir, désirant en toutes occasions tascher de mériter la continuation de vostre protection et bienveillance. » n'y à que peu de chose à dire sur la mission de Lanier. Dans une lettre du mois d'octobre 16/40, il rend compte au chan- celier d’une tentative d’assasinat sur la personne du roi de Portu- gal, et en attribue la pensée à quelque ministre de Castille. Dans une autre lettre du mois de septembre 1648, il l'entretient de la misère du marquis de Pontchasteau, envoyé de France pour = ue prendre le commandement de quelques troupes de cavalerie en Portugal. II le prie de lui faire donner deux habits modestes et de fatigue, l’un d’écarlate, et l’autre de drap de Hollande. La chapelle Sant-Louis de Lisbonne en était réduite à emprunter des orne- inents ou à en louer; Lanier réclame des secours pour elle et de- mande, en même temps, que les priviléges dont elle jouit soient étendus à une autre chapelle Saint-Louis, fondée par des mar- chands français dans l’église de Saint-François de Porto; il croit qu'il serait bon d'y placer quatre pères de l’Oratoire. Retournons en arrière; interrogeons ces centaines de lettres, qui toutes nous parlent de l’état de nos provinces; demandons- leur les causes de ces agitations sans cesse renaissantes; deman- dons-leur si la Fronde n'avait point, nous ne dirons pas sa raison d’être, mais tout au moins son véritable prétexte dans les souf- frances des populations. La gloire ne console pas toujours de la misère. Mazarin, tout entier aux difficultés du dehors, méprisait trop celles du dedans. Ce fut sans doute un admirable ministre des affaires étrangères. Dans l’homme d'état se retrouvent toutes les qualités du jeune diplomate arrachant la paix sous Îes murs de Gasal à deux armées prêtes à en venir aux mains, et pacifiant pour un instant l'Italie; mais étranger au pays qu’il gouvernait eu maitre, ne sachant rien de l'esprit de nos populations, il dut peut- être à cette méconnaissance et des hommes et des choses une partie de ses fautes, une partie de ses revers. Durant les dix premières années de la minorité de Louis XIV, nous allons faire une excursion à travers ia France, nous arrêtant aux villes, aux provinces, où nous entendrons gronder les orages et les émeutes. Nous avons affaire à une époque très-agitée : il en sortira un bien triste tableau, mais il sera tout entier emprunté aux récits contemporains. Nous commençons par la Provence. La correspondance origi- nale de M. de Champigny, conseiller du roi, intendant de justice, police et finances de Provence, avec le chancelier Séguier, est passée en partie en Russie. Nous allons l'utiliser. Dès le mois de novembre 1643, les consuls de Marseille se plaignaient d’une surtaxe sur le commerce. Au mois de juin 16/44, une contestation s'éleva entre le parle- ment d'Aix et M. de Champigny. Celui-ci prétendait connaître des malversations qui se commettaient en la vente et achat des 28 — blés, et des usures qui se pratiquaient au grand désavantage des pauvres. Le manque de grains que redoutait Champigny, et qui tenait à la fois à l'insuffisance des approvisionnements et à des accaparements, amena une violente émeute à Marseille. La porte du premier consul fut enfoncée; la maison du second consul pillée; le comte d’Alais arriva à temps pour réprimer cette pre- mière sédition |. L’agitation se perpétua et redoubla au mois de juillet suivant. « Dans la nuit du 2 juillet une maison a encore esté pillée par des gens masqués, » écrivait Champigny. Il attribue ces désordres à Valbelle le Borgne, lieutenant de l’amirauté, à Valbelle, son frère, le conseiller, et à leur cousin Valbelle, sacris- tain de l'abbaye de Saint-Victor. Il croit la personne de M. d’Alais en danger dans une ville où il v a une populace ramassée de toutes les nations de l'Europe. Les Valbelle sont appelés à Paris pour rendre compte de leur conduite. Pendant que l'instruction de la rébellion se poursuit, les esprits se calment en apparence; mais ce n’est qu'une trêve : une nouvelle émeute éclate, le 8 novembre 1 644. « Le sieur de Valbelle, capitaine d'une des galères du roy, écrit Champigny au chancelier, a tenté de soulever le peuple. Sur les deux heures du matin, au moment où tous les marchands venoient de conduire M. le comte d’Alais chez lui, il arriva avec soixante de ses amis ayant les espées hautes hors du baudrier; il leur présenta une protestation de la part de ceux qui le suivoient contre tout ce qu’ils avoient à pro- poser au conseil général, qu'on a accoutumé de tenir le dimanche après la feste de la Toussaint, et parce que le sieur de Septème, gentilhomme fort sage et qui remplit le poste de 1” consul, leur respondit qu'ils n'avoient pas occasion de faire du bruit, ils atten- dirent qu'avec tous ses compagnons il fust entré à l’hostel de ville, et après firent grand bruit à la porte, et ayant mis l’espée à la main, crièrent : Tue, tue; ce qui obligea les consuls à sortir avec sept ou huit gentilshommes, et les -repoussèrent; pendant cela M. le comte d'Alais arriva, suivi de toute la noblesse et d’une grande partie du peuple indigné de l’outrage fait aux consuls, et dissipa aisément cette troupe de mutins, entre lesquels un, ayant voulu faire ferme avant l'arrivée du comte d’Alais, fut tué d’un * Lettre de Champigny au chanceller Séguier du 28 juin 164%, n°114 de la collection de Saint-Pétersbourg. RS: RS coup d'épée, sans qu'on sçache qui l’a frappé. » Tel est le récit laissé par Champigny. Nulle amélioration dans les annéessuivantes : Champigny cherche en vain les moyens de relever le commerce, tombé dans une dé- plorable confusion. Les consuls donnent leur démission. Au mois de novembre 1646, la ville dépèche à la cour MM. de Vias et de Roquefeuille. « De la réception qui leur sera faite, écrit Champi- gny au chancelier, dépend l’establissement de l'autorité du roy dans cette ville, qui ne peut estre retenue dans l'obéissance que par la crainte et la sévérité contre ceux qui s'en éloignent, et qui par des passions particulières exposent la ville au désordre. Les corsaires de Barbarie viennent prendre des barques jusqu'à l'entrée du port. Ils ont enlevé cinq ou six blanchisseuses !. » En présence de pareils troubles, le parlement d’Aix donnait-il au moins l’exemple de l'obéissance, du respect aux lois et à l’au- torité? Écoutons ce qu’en dit Champigny au chancelier Séguier : « La division au sein du parlement dure encore; elle durera tant qu'ils conserveront l'espérance par M. de Villeneuve de supprimer la chambre des requestes. M. de la Roque a convoqué toutes les chambres moins celles des requestes pour envoyer des députés pour aller complimenter le roy sur son avénement à la couronne. Il est à craindre que les jeunes conseillers ne finissent par soule- ver le peuple. » Ce que redoutait Champigny ne tarda pas à se réaliser : «la jeunesse turbulente du parlement, écrit-il le 28 septembre 1646, a cherché le 26 de ce mois à faire nommer par cabale pour con- suls des personnes de leur haleine, et disposées à les suivre dans leurs passions. Le comte de Bar, premier procureur du pays, a esté obligé de rompre le conseil, mais non sans bruit. Force a esté à M. le président de la Roquette de se rendre à l’hostel de ville, d'en faire évacuer la place. M. le comte d'Alais, le conseil estant rompu, a profité de son droit de nommer deux personnes très- sages. L’assesseur a fait une harangue séditieuse; il a rappelé l’aug- mentation du sel, et fait un triste tableau de la misère de la pro- vince. M. le comte d’Alais a esté forcé de lui enlever les marques consulaires ?. » 1 Lettre du 25 avril 1646. 2? Lettre autographe. — 30 — Dans une nouvelle lettre du 8 décembre, Champigny éenit : «Le désordre est à son comble à Aix, plus de justice rendue. 1 faut renvoyer de la cour les députés du parlement qui, par leurs lettres, attisent le feu. » Il ne répond pas de l’obéissance de la Provence. L'année suivante, une difficulté s'élève entre Champigny et le parlement; pour qu'on n'en vienne pas aux extrémités, l'intendant prie le chancelier d'intervenir. M. de Megrigny arriva comme médiateur, et fit comprendre à Messieurs des requêtes qu'il n’admettait pas leurs prétentions. Vaines tentatives! « Le temps, écrit Champigny, n’a pas adouci les esprits; ils sont plus aigris que jamais, » et il prévoit des dif- ficultés encore plus grandes. Elles ne se font pas attendre : « Le parlement a fait emprisonner les deux archers de la prévosté venus à Aix pour servir auprès de lui. Si on ne veut pas laisser anéantir toute autorité, il est temps de faire connoistre au par- lement et au peuple de cette province que la maxime qu'il faut se mocquer des arrests du conseil, qu’on y donne du parchemin pour de la cire tant qu'on veut, mais que c'est aux parlemens et aux provinces d'en empescher l'exécution, est fausse et n’est pas supportable en France dans la bouche d’un magistrat qui ent la première place !.» Nous ne sommes encore qu'au premier acte : la guerre va en sortir, et M. de Sainte-Aulaire nous l’a racontée dans l'Histoire de la Fronde : « M. le comte d’Alais, livrant bataille dans les rues, fait prisonnier par le parlement, relàché peu de temps après, puis à son tour assiégeant la ville, qui à une armée pour sa dé- fense. » Ajoutons à ce récit quelques lignes : M. d'Étampes de Valençay fut envoyé en mission extraordinaire pour pacifier les choses, il rendit compte en ces termes de la si- luation * : « Tout est d'accord en Provence; les gens du pays mettent les armes bas; les compagnies souveraines feront députation à M. le comte d’Alais le suppliant d'oublier le passé et de retourner à Aix. M. le comte d’Alais, qui n’avoit jamais pu espérer tant d'avan- lages , car le roy peut mettre dans ses coffres deux cent mille l Lettre antographe au chancelier. ? Lelire au chancelier Séguier. - livres à la Saint-Michel prochaine, n’en veut rien faire, et le pays se ruine et se désole. Dieu le garde du désespoir. Pendant qu'il y a 27 galères d'Espagne à Genes pour le passage de la fille de l’Em- pereur, la peste est à Marseille et le blé enchéri des deux tiers depuis cette guerre. Dans toute la contrée c'est le vol et le pillage. Nous attendons sur cela les ordres du roy !.» Le but de sa mission était de délimiter les fonctions du gou- vernement et du parlement, et, pour faciliter une réconciliation, le cardinal Mazarin lavait spécialement chargé d'amener M. le comte d’Alais et sa femme à relâcher quelque chose de leur di- gnité. Le parlement envoya sa soumission, mais le comte d’Alais, peu disposé à traiter, cherchait à gagner du temps. Enfin, pressé par M. de Brienne de terminer tous ces démèêlés, il se rendit à Aix. Le comte de Carces, les gens de guerre, tous les habitants vinrent au devant de lui, criant : Vive le roi! Le parlement vint le trouver à son logis avec son président, M. d'Oppède, ainsi que le président de Raguse et les conseillers de la Tournelle, et MM. de la cour des comptes et des finances, les consuls, les délégués des chapitres, M. de Maugiron le cadet, bon nombre de nobles. Ce ne furent qu acclamations pour saluer cette paix apportée par lui et l'oubli du passé. Le lendemain , M. d'Alais se rendit au parlement et le harangua. Le président de la Roque répondit et protesta de la fidélité du parlement envers Sa Majesté, mais demanda l’exécu- tion du traité passé le 21 février dernier par le cardinal de Bichy, offrant le désarmement, pourvu que le comte d’Âlais en fit de même, ajoutant qu'ils étaient prêts à lui envoyer une députation pour solliciter l'oubli du passé, promettant de ne jamais empiéter sur les pouvoirs du gouverneur, et que les États se tiendraient au heu que désignerait le comte d’Alais, et qu'ils consentiraient aux impositions de l’année précédente, sauf la réduction de la garde de la province. Ces propositions, que Champigny trouvait accep- tables, car le pays était ruiné par les gens de guerre, le comte d’Alais les refusa; il n’accorda pas même une suspension d'armes pour lever les récoltes. « C’est au roy, s'écrie Champigny, à décider sil veut donner à ce peuple la paix ou la guerre, le repos ou le trouble, unir les cœurs à l’obéissance, ou les plonger dans un abyme d'horreur et de désespoir. » ! N°14 de la collection de Saint-Pétersbourg. Br 0e Les voies de la conciliation étant épuisées, on en vinlaux armes. A M. d'Étampes succéda M. de Sève, et c’est ce dernier qui nous raconte la fin de cette guerre civile. « La moitié de l’armée, détachée sous le commandement du marquis de Vigneaux, a pris les chas- teaux de Bourbon et de Chasteau-Reynard, le premier à un gentil- homme de ce nom, l'autre au conseiller Aymar. L'exemple de ces deux chasteaux a fait ouvrir les portes de Roque-Martin, le Ver- négues et la Barbin, appartenant à des gentilshommes du pays, Merarques, chasteau fort appartenant au conseiller Valbelle. Le com- mandant s’est rendu à discrétion et a esté pendu avec le premier consul du lieu. De là on s’est allé attacher au village de Saint-Pol, sis sur un rocher près la Durance, et qui en est fermé d’un costé et de l’autre par une petite rivière. M. de Villefranche Montbrun en a fait attaque avec une partie de l’armée, et le comte d’Alais est de- meuré avec l’autre à trois lieues de là, près de Rians. M. de Mau- giron est sorti d'Aix avec tout ce qu'il y a de troupes réglées, et ce qui s’y est voulu joindre d’'habitans. On ne sait encore s’il va se- courir Saint-Pol, ou attaquer le comte d’Alais. La peste de Mar- seille, faisant toujours des progrès; il est à craindre qu’elle ne s'attache à l’armée !. » Lorsque M. d’Alais fut reläché par le parlement d'Aix, il parcourut les principales villes de son gouvernement pour y étouffer les désordres que sa détention avait fait naître. En com- pagnie de M. de Sève, il vint à Arles où les esprits étaient très- divisés, le parlement y ayant changé les règlements établis par le roi?. En fait de troubles, Arles était coutumière du fait, et si l’on ne craint pas de lire le récit d’une de ses émeutes habituelles, je vais remonter jusqu'à l'année 1644. Une lettre de Champigny, fait bien connaître l'organisation municipale de la vieille cité romaine : «Le conseil de cette ville est composé de quatre consuls, les deux premiers gentilshommes, le troisième bourgeois, et le qua- trième choisi parmi les principaux laboureurs ; il y a cent con- seillers perpétuels, cinquante gentilshommes et cinquante bour: geois. Le corps de la noblesse comprend deux cents gentils- * 17 octobre 1649. — N° 114 des documents de Saint-Pétershourg. ? Lettre de M. de Sève au chancelier £ éguier, n° 114 des documents de Saint- Pétersbourg. — 33 — hommes en ceste ville, divisé en ceux de l’ancienne noblesse qui ont des titres au delà de cent ans, et ceux de la nouvelle qui de- puis cent ans ou par lettres du Prince ou par les armes, ont esté ennoblis. Depuis cinquante ou soixante ans, l’ancienne noblesse, qui de longue main estoit establie dans l’hostel de ville, et qui y avoit fait entrer des bourgeois et des laboureurs, qui estoient de leur dépendance, s’est toujours réservé le premier chaperon, et adroi- tement, par le moyen des bourgeois et de quelques-uns d’entre eux, a toujours fait tomber le second chaperon sur ceux de la nou- velle noblesse, qui ont esté perpétueilement exclus du premier. De là est née la division qui a passé de temps en temps sur cette ville, et parce que souvent il arrivoit que ceux élus pour la place de second consul ne vouloient point l'accepter. MM. les gou- verneurs de la province ont esté obligés de leur commander de l'estre, ce qu'ils ont fait, en protestant jusques à l’année passée, où celui nommé pour second consul a mieux aimé quitter la ville que d'accepter la charge. » Après cet exposé, Champigny raconte le fait suivant : « À la suite d’un disner quelques jeunes gens ont ajusté un morceau de frise rouge en guise de chaperon; ils le bénirent sur la place, d’où, chassés par les consuls, ils l’allèrent jeter au Rhône. Un jeune homme de la noblesse, qui s’estoit promené sur la place le lendemain, est attaqué par les consuls et leurs hallebardiers, jeté à terre, frappé de coups d'épée. De là un tumulte apaisé avec beaucoup de peine, et la division dans toutes les familles, cha- cune ayant pris part pour un des camps. « Sans le comte d’Alais on en seroit venu aux mains !.» Remontons le Rhône, et voyons comment les choses se passaient à Valence, à Romans, où Fouquet avait été envoyé en mission. . Une lettre de lui écrite de Romans au chancelier Séguier est bonne à citer : « Monseigneur, « Depuis mon arrivée en cette ville, j'ay tellement mesnagé les esprits des chefs de party que tous les bruits ont cessé sans que j'aye esté obligé, comme je m'estois donné l'honneur de vous escrire, l Lettre de Champigny, du 15 février 1644. MASS” SEYENT. — IV. D ES De d'exécuter l’arrest du conseil; j’ay creu qu'ils estoit plus à propos de différer et faire espérer les uns et les autres pour les porter plus facilement à souffrir la cotisation des tailles, à laquelle on travaille présentement; si elle se fait sans bruit, ce sera un exem- ple pour tout le reste de l'élection, qui est assez esmeue et par les mauvais discours que l’on a advancés et par l'excès des charges, estant véritable qu’un fonds de 300 de revenu est cotisé pour oo“, ce qui réduit la pluspart du monde au désespoir. Néan- moins, s’il estoit possible de donner au plustost un arrest sur le- quel le roy, sur l’advis qui en auroit esté donné, feroit espérer de pourvoir l’année prochaine au soulagement des subjetz de ceste province, cette espérance adouciroit les esprits et les porteroit à faire quelques efforts de satisfaire pour ceste année, et me donne- roit créance pour les faire obéir, au lieu que s’il arrivoit quelque désordre, comme il n'y a point de troupes en la province, on n'y pourroit remédier qu'avec beaucoup de peine et de despense. Déjà on prend des pierres contre les huissiers qui vont dans les communautés de la campagne, et comme je ne puis pas estre partout à la fois, il est malaisé de faire obéir; je n’espargneray ni la peine, ni les soins, ni l'adresse dont je pourrai estre capable pour exécuter les ordres qu'il vous plaira de donner. » La date de cette lettre est du 28 juin 1644. Le mois d'août suivant, Fouquet se trouvant à Valence eut à se défendre, lui et deux conseillers du parlement de Grenoble, contre une émeute de femmes. Il s’en tira plus heureusement que ses deux compa- gnons, dont l'un fut tué et jeté au Rhône, et l’autre blessé griève- ment |. Lorsque Fouquet quitta cetie généralité, 1l fut remplacé par M. de Lausières. Les letires de ce dernier au chancelier Séguier nous font connaitre les suites de cette sédition. Il écrit de Valence, : le 28 août 1844 : «1l y a conflit entre le présidial, qui a con- damné à mort trois des séditieux, et les députés du parlement de Grenoble. Le jugement n’a pu estre exécuté faute de bour- reau, et le duc de Lesdiguières, qui est sur les lieux, a ordonné qu'il y fust sursis. Une instruction nouvelle est faite. Dans une pareille occasion il faut se contenter de chastier les plus cou- ! Lettre de M. de Musy au chancelier Séguier, du 19 août 1644. N° 114 des documents de Saint-Pétersbourg. a 9 == pables. Le peuple est tellement exaspéré, que les receveurs des tailles, malgré la présence du duc de Lesdiguières, n'ont pu quitter la citadelle. La misère n’est pas la seule cause de cette sé- dition, mais la division entre les personnes puissantes. Lévesque, comme seigneur temporel, est en opposition journalière avec Messieurs du présidial et avec le gouverneur. Lorsque M. Fou- quet a esté remplacé, on n'a pas manqué de dire qu'il avoit esté rappelé pour avoir escrit en faveur du peuple à Messieurs du conseil !, » Le 7 septembre suivant, M. de Lausières annonce au chancelier la condamnation de trois des séditieux, mais il fait observer qu'il serait à désirer que le parlement füt chargé de ces jugements : «J'en serois moins odieux dans la province. Le parlement se garde de punir ce qu'il approuve, et de s'opposer avec vigueur à ce qu'il souhaite. Nous avons laissé à Valence Messieurs du parlement, qui travaillent à se faire payer de leurs taxes par ces pauvres gens. » | En Dauphiné, tout à la fois des conflits entre l'autorité royale et le parlement, des séditions populaires et des duels. Dans une rencontre de trois contre trois le comte de la Suze est tué. Parmi les combattants figuraient le marquis de Châteauneuf et le baron de Bourzals. Dans un autre combat près de Grenoble périt un gentilhomme protestant. À toutes ces causes d’agitation viennent se joindre de nouveaux débats entre catholiques et protestants. M. Dufaure écrit lettres sur lettres au chancelier; il ne sait qu'opposer aux réclamations des curés, qui se plaignent de la trop grande liberté que prennent les ministres, dont l’exaltation va toujours croissant ?. Voilà l’état des choses dans les années 1645 et 1646. Quelques années plus tard, la situation ne sera pas meilleure. Le 15 août 1649, M. Dufaure écrit au chancelier Séguier : «Les impositions commencent à rentrer ; 1l y à bien des dé- sordres dans la manière de procéder du parlement de Grenoble. La sédition est toujours dans le peuple à l’ordre du jour. Le par- lement réclame contre les lettres d'abolition obtenues par le mar- quis de Chasteauneuf à l’occasion du duel où M. de la Suze fut tué. 1 De sa main et de Valence. N° 114 des documents de Saint-Pétersbourge. 2 Lettre du duc de Sully au chancelier Séguier. DE, eur Deux personnes viennent d’estre tuées à Montélimart par les sieurs de Sauve et de Sainte-Euphémie, enfans du sieur de Saint- Auban gentilhomme huguenot. Leur grace seroit d’un détestable exemple !. » Lyon, cette reine du commerce au xvi° siècle, Lyon devenue la patrie de ces riches capitalistes italiens qui, devançant leur époque, y pratiquaient déjà nos idées toutes modernes sur la cir- culation de l'argent, Lyon déchue de toutes les splendeurs du siècle dernier, subissait une crise monétaire, et le numéraire était devenu si rare que M. Faucon de Ris écrivait au chancelier : « Qu'on offroit à présent troys et demy pour cent pour le reste du temps du prochain payement de Pasques qui échoit au 1* juin, sans qu'on puisse trouver dix mille écus sur la place ?. » Selon lui, le mal provenait de la fabrique de passements d’or et d'argent : «Il s’en fait en telle quantité que presque toutes les monnoyes ont été converties en ces sortes d'ouvrages pour le grand débit et le profit extraordinaire que quelques marchands en par- ticulier y font; que d'autre costé cela empesche le débit des soyes qui sont icy en grande quantité et des manufactures qui s’en font, et qui font vivre plus de vingt mille personnes. Il n'y a pas de remède possible, si ce n’est l'interdiction de cette fabrique de passementerie . » L’Auverone est-elle plus à l'abri de ces souffrances et de ces luttes? On écrit au chancelier qu'il y a dans la province des misé- rables condamnés à mort ou aux galères, qui languissent dans les prisons, faute de fonds pour la conduite des prisonniers et les frais de justice. Les élections de Brioude et d’Aurillac sont dans une désobéis- sance complète; les taxes n’y sont pas payées. « Cette province auroit besoin d'une chambre ardente pour réprimer les violences des gens de guerre et de la noblesse. » Ainsi, dès l’année 1643, la demande des grands jours d'Auvergne est nettement formulée. Dix-huit ans se passeront encore avant qu'on y fasse droit *. En Languedoc, le peuple est si pauvre, que le bien rural sujet ! De sa main et de Grenoble. N° 114 des documents de Saint-Pétersbourg. ? Lettre du 20 mai 1644. 3 De sa main et de Lyon. N° 114. * Lettre de M. de Sacé au chancelier Séguier. N° 114. à la taille ne vaut pas ce qui se lève chaque année. Au mois de juillet 1645, une révolte éclate à Montpellier ; elle dure trois jours, et le sang y coule. M. de Schomberg, en allant dissiper les attroupements sur la place de l'hôtel de ville, est reçu avec des salves de mousqueterie; les maisons de MM. Dupuy et Massiac sont brülées avec leurs meubles et leur vaisselle. Pour s'opposer à 4,000 insurgés, Schomberg n'avait qu’une poignée d'hommes. If mande que ce sont les taxes de joyeux avénement qui ont amené cette sédition, et que sans lui la moitié de la ville eût égorgé l'autre !. Presque au même moment il fait de la situation de Nimes un triste récit : À « La ville est preste à se perdre par la continuation de la recher- che du crime de l'altération des monnoyes; le trafic et les manu- factures y ont absolument cessé ?. » Il lui a fallu trois semaines pour tout pacifier; en faveur de la ville, il réclame une abolition ÿ. À Toulouse , lutte entre le parlement et le capitoul*. Le che- valier de Roquelaure, accusé d’horribles blasphèmes contre l’hon- neur de Dieu et de la sainte Vierge, est enfermé dans les prisons de la conciergerie par ordre du parlement. Il gagne les geôliers, et, à l’aide d’une corde attachée aux barreaux, il descend dans les fossés et s'évade. La distance de haut en bas est si grande, écrit-on, que le précipice par lequel il s’est sauvé fait horreur à voir ÿ. À Milhau et à Sainte-Afrique , les catholiques se plaignent des huguenots, qui n’obéissent point aux édits, et ne veulent pas rendre les églises, se sentant les plus forts. Il y a cinq ans que les deux villes n’ont pas vu d'intendant 5. ! Lettre de M. d'Avaux au chancelier Séguier, datée de Pezenas, le 28 dé- cembre 1646. N° 114 des documents de Saint-Pétersbourg. ? Lettre du 4 juillet 1645 au chancelier Séguier. * Lettre de Schomberg au chancelier Séguier, du 14 juin 1645. N° 114 des documents de Saint-Pétersbourg. 4 Celte affaire est traitée dans une foule de lettres très-curieuses pour l’histoire de cette ville N° 114. 5 Lettres de MM. Fieubet et Manitan au chancelier, du 1% mars 1646. NT 214. ® Lettre de M. de La Marge au chancelier, du 7 août 1645. N° 214. PR À Rodez, luite entre les consuls et l'évêque seigneur temporel. L'évêque se retire dans sa maison des champs. « Ce peuple est fa- rouche, écrit M. Bertier au chancelier, et a maltraité autrefois ses évesques Î. » À la Rochelle, contestations violentes entre catholiques et pro- testants au sujet des frais pour les tentures des maisons sur le passage du Saint-Sacrement. Les protestants, par l'entremise de leur ministre Vincent, député au synode de Charenton, obtiennent une lettre du roi qui les en décharge. Sur la plainte des ecclésias- tiques, les choses sont remises en l'état ?. | À Rouen , les portes des prisons sont forcées par plus de soixante personnes (juillet 1649). Dix ou douze prisonniers criminels, dont trois voleurs de grand chemin, condamnés à mort, sont mis en liberté et conduits hors de la ville ÿ. Le séjour de l’armée du roi avait ruiné tout le pays qui avoisi- nait Nancy. Les dettes des communes étaient devenues si grandes que M. de Beaubourg, en 1646, sollicitait du chancelier un ordre pour que défenses fussent faites de saisir les bœufs, chevaux et autres bêtes tirantes, ustensiles de laboureurs et vignerons, «au- trement le pays se trouveroit en friche et le peu qui reste d’habi- lans émigreroient. » Faute de solde régulière, les armées vivaient sur le peuple des campagnes. Le Tellier écrivait au chancelier Séguier (21 juillet 1649), que la garnison de Perpignan s'était entièrement dissipée par manque de payement. Il en était de même à Casal, à Pigne- roi et à Philipsbourg. À Tours, un grefhier de la sénéchaussée, et un capitaine nommé Jabot, soulèvent le peuple à la fin de novembre 1643. M. de Heere écrit au chancelier que le capitaine Jabot, après avoir été manqué plus de vingt fois, a enfin été arrêté et condamné à mort par le présidial. Après avoir pendu le patient, l’exécuteur a pris la fuite; mais on l’a poursuivi et ramené à coups de bâton pour iui faire brüler le corps et jeter les cendres aux vents, aux termes de la ! Lettre du 4 mai 1655. N° 114 de la collection de Saint-Pétersbourg. ? Lettre de M. Brisson, procureur du roi à la Rochelle, 17 janvier 1650. N° 114 de la collection de Saint-Pétersbourg. * Lettre de Faucon de Ris au chancelier Séguier. N° 114 de la collection de Saint-Pétershourg. * Dépêches originales de Le Tellier. Bibliothèque de Saint-Pétersbourg EL Dre sentence. M. de Heere écrit qu'il a assisté à l’exécution et n'a voulu être accompagné que de deux hommes, pour montrer au peuple qu'il ne le craignait pas. Pour servir d'exemple, il de- mande l’ordre de faire raser les maisons des séditieux qui ont pris la fuite. Regardons maintenant du côté de la Picardie. Du Bosc, dont nous avons déjà cité les lettres, accompagnait le cardinal Mazarin dans le voyage que le roi fit à Amiens, au mois de juin 1649. Ce qu'il mande au chancelier Séguier ne peut donc être sus- pect : « Nous avons vu et appris sur le chemin les misères du temps, grandes en ces quartiers, les terres incultes, les villages aban- donnés, plusieurs bruslés; celui de Longueil, à demi-lieue d'icy, où nous avons passé, le fut il y a trois semaines par le régiment de son altesse royale, les églises pillées et profanées. Approchant des portes d’Âmiens, nous avons vu quantité de grands troupeaux de moutons n'ayant que les os et la peau et sortant pour chercher pasture, ceux qui les menoient, bergers et paysans, nous disant qu'ils mouroient de faim, bestes et gens, et que leurs moutons n'avoient point sorti de la ville de quatre, cinq et six semaines, de crainte d’estre enlevés par les gens de guerre. » L'événement le plus considérable de l’époque qui nous occupe est sans aucun doute la nouvelle révolte de Bordeaux. La Fronde avait trouvé dans cette grande cité un terrain tout préparé par des années d’agitation. Aux questions politiques étaient venues se Joindre les haines amassées contre l'administration peu tolérante de d'Epernon. Si l’on voulait écrire l’histoire de la Guyenne et de ses troubles au xvn° siècle, c’est à la Russie qu'il faudrait demander des ma- tériaux. Lettres originales de d’Épernon et de son fils, lettres de Pontac, de d'Aguesseau, du président Charron, d’Augeard, l’un des juges de la chambre de l’édit, de Dubourg, de d’Argenson, tout est là. Notre embarras, c’est de faire un choix. Toutefois nous essayerons d’en donner un aperçu, et au besoin nous cite- rons quelques lettres. C'est au mois de mars 1649, au moment même où la paix se rétablissait, qu’éclatèrent les troubles de Bordeaux. Les causes en ! Lettre au chancelier Séguier, du 16 janvier 1649. PPS ue remontaient bien haut. Dès l’année 1645, le parlement exigeait le renvoi de son premier président et de M. de Gourgues!. En 1648, lorsque des placards séditieux couvrirent les murs de la cité, et qu’il fallut poursuivre les perturbateurs, la chambre des enquêtes se retira pour empêcher toute délibération. On peut juger par là de la disposition des esprits, écrivait M. du Bernet au chancelier Séguier ?. Au mois d'avril 1649, la ville était sous les armes et livrée à elle-même. D'Épernon rassemblait ses troupes à Castres et faisait continuer à Libourne des travaux qui semblaient une menace pour Bordeaux. Ce fut à ce moment que la cour se décida à envoyer en mission M. d'Argenson. À son arrivée à Bordeaux, au com- mencement de mai, il essaya d’abord des voies de la conciliation, allant de Bordeaux à Cadillac, et se portant médiateur entre la ville soulevée et son gouverneur. Une première difficulté se pré- senta : d'Épernon voulait faire entrer des vivres dans le château Trompette, mais le parlement, qui s'y opposait, finit par y consentir, à la condition de l'éloignement des troupes qui blo- quaient la ville. D'Épernon s’y prêta; il donna des ordres pour l'ouverture des deux rivières de la Garonne et de la Dordogne, rélablit la liberté des grains, éloigna ses troupes jusqu'à Castres, à quatre lieues de la ville. Pour obtenir ce semblant de pacifica- tion, d’'Argenson avait eu à surmonter bien des résistances, bien des obstacies. Laissons-le parler : « Il y a eu bien de la difficulté à vaincre les defliances des mes- sieurs du parlement de Bordeaux et à les faire désarmer; j'ay tra- vaillé au commencement pour restablir la bonne intelligence entre monsieur d'Épernon et eux; mais il m'a esté impossible. Hs n’ont jamais voulu députer pour aller conférer avec luy; c’est ce qui m'a obligé de faire tant de voyages et c’est ce qui a tiré les choses un peu en longueur. Enfin ils ont désarmé, tout ce qu'ils avoient de troupes soudoyées ont esté congédiées ; nous avons fait mettre dans le chasteau Trompette toutes les farines que monsieur d’Esper- ! Lettre de M. Lane au chancelier Séguier, du 20 février 1645. N° 114 des documents de Saint-Pétershourg. 2 Lettre du »q mai. a RE GO non à désirées; quelques-uns du Parlement qui en avoient ap- prouvé la résolution dans leur compagnie, qui m'avoit donné pour cela des otages, entrèrent depuis dans la maison de ville comme bourgeois et opinèrent au contraire parmy le peuple, ce qui a esté trouvé fort mauvais par les gens de bien. « Je n’ay jamais trouvé des humeurs si difficiles ny des esprits si émeuz, encore que vous les cognoissiez fort bien, Monseigneur, j'ose vous dire qu'ils sont dans une situation tout autre que vous lesavez vus; leur haine contre monsieur d'Espernon est extresme. Ils manquent tellement de civilité et de respect à son esgard que cela n’est pas suportable; j'en escris bien au long à monsieur de la Vrillière les particularitez, je luy fais aussy quelques ouvertures des moyens pour les obliger à faire autrement. Il ne reste plus que quelques gardes des bourgeois aux portes de la ville; je leur ay escrit de les faire oster aussytost que j'ai esté de retour auprès de monsieur d'Espernon, qui m'a appris que les troupes du roy marchoient pour aller en Catalogne, de sorte qu’il ne leur restera plus aucun sujet de deffiance, ny de penser qu’on veuille icy leur faire la guerre. Le réduit qu'on fait à Libourne est aujourd’huy le principal sujet de leurs inquiétudes; 1l faut renvoyer, à mon advis, leurs députés conférer icy avec monsieur d’'Espernon, affin qu'ils luy rendent ce qu'ils doivent, et que cela nous donne le moyen de restablir la bonne intelligence nécessaire entre eux pour le bien du service du roy. Je suis comme je dois. « ARGENSON. « De Cadillac, ce 8 may 1649.» Il ajoutait : «Je croy que messieurs de la chambre de l’édit de Bordeaux vous feront prier de les transférer ailleurs; ils sont las de ces troubles, où ils n’ont pas pris de part, et plusieurs de cette compa- gnie mont tesmoigné qu'ils avoient ce désir !. » L 2 1 Cette dernière phrase est à remarquer, et il est juste de noter ici en l’hon- neur des conseillers protestants de la chambre de lédit que, à l'exception de deux , ils ne voulurent point prendre parti dans ces troubles et quittèrent la ville. = D = Au moment où d’Argenson croyait avoir réussi dans sa mission de pacification, tout fut remis en question. « J’avois tout achevé, écrit-il au chancelier le 29 mai, d'ajuster à Bordeaux, où j'estois allé pour faire cesser les gardes des portes, rendre le chasteau du Ha, et rompre toutes les barricades ; mais le peuple a pris ombrage de quelques canons et mortiers portés à Libourne et d’une muraille que l’on y continuoit seulement pour descharger les habitans du logement des soldats qui sont dans la ville, et pour faciliter la perception des droits du roy. J’avois sur- sis tout le reste du travail en attendant l’ordre du roy sur la con- tinuation ou sur le rayement de ce qui est fait. Le parlement avoit mesme résolu cette cessation des gardes, et ce qui restoit à exécuter de leur part pour jouir de la paix, mais leur malheur les a portés à vouloir en donner communication au peuple, avec lequel ils s'estoient unis, et d'en permettre d'en délibérer dans la maison de ville, où il y a eu tant de tumulte, qu’au lieu d'y parler de ce qui restoit à faire pour vivre en repos, il n’a esté délibéré que sur ces canons, et enfin le peuple a obligé le parlement à donner un ar- rest qui leur permet de sortir en armes pour aller à Libourne. Monsieur le premier président a couru fortune de la vie; pour le sauver et les autres je fus forcé de donner une ordonnance pour surseoir le travail de cette muraille du réduit de Libourne, et comme ils se prenoient à moy de ces canons et mortiers que mon- sieur d'Espernon y avoit fait porter sans dessein et sans que j'en eusse cognoissance, il m'a fallu sortir de la ville avec quelque escorte, parce que le parlement, qui s’est uny avec un peuple fu- rieux n'en est plus le maistre. Deux mil hommes de pied et 120 che- vaux sont sortis avec quatre canons, et au lieu de les amuser comme ceux qui les conduisent m’avoient asseuré de faire, et qu'ils en avoient ordre du parlement, il y a cinq conseillers qui vont à Li- bourne avec eux, Cursol, Massip, Pichon, Muscadet, Thibault et Andrant, bien que je leur eusse mandé aussytost après mon arrivée auprès de monsieur d’Espernon que l’on surseoiroit le travail de cette muraille du réduit de Libourne. Leur marche impétueuse et contraire à toute bonne conduite oblige monsieur d'Espernon de faire marcher des troupes pour s'opposer à leur dessein. Je leur aÿ enjoint par une ordonnance de se retirer dans la ville de Bor- deaux, et de mettre bas les armes. Nous apprendrons en appro- chant d'eux quelle responce ils feront. J'escris de tout si au long nee à Monsieur de La Vrillière que je me retranche pour ne vous estre pas ennuyeux, et pour vous protester d'estre toute ma vie comme je le dois, « Monseigneur, « Votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur. « ARGENSON. «Le 24 may 16491.» Cette tentative sur Libourne échoua; ies Bordelais furent battus. Le 30 mai d'Argenson écrivait au chancelier : « Nous faisons cependant ce qui se peut pour obliger messieurs de Bordeaux à seremettre dans l’obéissance et à députer vers mon- sieur d'Espernon. I faut que l'humilité les sauve puisque la su- perbe les a perdus?. » Une lettre de M. d'Augeart, l’un des conseillers de la chambre de l'édit, nous donne de curieux détails sur la rentrée de d'Éper- non à Bordeaux; elle est du 11 juin : « Monseigneur, « J'ay doné advis à Vostre Grandeur de la défaite de Libourne : cesle victoire a si fort abatu les factieux qu'ils ont eu recours à monsieur l’archevesque pour obtenir grace de monseigneur le duc d'Espernon. Mais le parlement n’a pu se résoudre à se servir de la mesme voye; se voyant abandonné de toute la bourgeoisie il a esté obligé de quiter le chasteau et d’ordoner que les barricades seront démolies. Les plus séditieux d’entre eux, appuyés du mar- quis de Lusignan , auquel ils avoient donné le commandement au heu de Chambaret, ont fait tous leurs efforts pour empescher la desmolition des barricades, et ont agi avecq tant de vigueur que les bons bourgeois ont esté obligés de s'armer contre des mutins qu'ils avoient esmeus. Cette nouvelle sédition fut cause que mon- seigneur le duc d'Espernon ne put entrer en ceste ville que sam- medi après soleil couché. Je l'ai acompagné, mais J'ay trouvé tant 1 Biblioth. impériale de Saint-Pétersbourg; documents français, n° 107”, pièce n° 39. ? Lettre au chancelier Séguier, n° 114 des documents français. Mie d'horreur pour moy, que je suis contrainct de me retirer d’avecq luy. Le président Charron!, lequel s'estoit engagé dans la faction, a servi d'instrument pour animer le peuple contre moy. M. de Rabat, mon collègue, a couru beaucoup de hasards; ceux qui ont eu à cœur le service du roy ont esté exposés à la fureur, et les sen- timens des foibles ont esté estouffés. C’est la seule raison qui m'a obligé de vous suplier très humblement d’acorder la translation de nostre compagnie en quelqu'autre ville de la province. Je fais par ces lignes la mesme prière à Vostre Grandeur avecq protestation d’estre toute ma vie De Vostre Grandeur, Monseigneur, Vostre très humble très fidèle et très obéissant verviteur. « AUGEART. «11 Juin 1649.» Au mois de juin suivant, aucune modification dans la situation : « Ces messieurs du parlement continuent encore leur mauvaise conduite, écrivait d’Argenson fe 25; ils demandent à être trans- férés à Saintes ou à Limoges, hors du gouvernement de M. d’'Esper- non. Je croy qu'il les faut interdire tous ou la pluspart pour les trans- férer de suite ou là ou ailleurs, sans qu'ils le demandent, car jamais cette province ni la ville de Bordeaux ne seront en repos, si l’on perd cette occasion que Dieu nous présente pour les chastier avec facilité. » La cour était irrésolue et laissait d'Argenson sans ordres. La lettre suivante établit bien la situation difficile qui lui était faite. « Monseigneur, «Je n’ay rien à escrire depuis mes dernières lettres sinon que messieurs du parlement de Bordeaux continuent partout leurs mauvaises cabales autant qu’ils peuvent. Les douze plus factieux ont esté nommés pour commissaires de la police, affin de pouvoir s’assembler sous ce prétexte, avoir sujet de parler au peuple et pouvoir mettre encore la ville en trouble. La Motte Hautefort et Théobon s’asseurent ouvertement de leurs amis pour eux. Ce- 1 Biblioth. impériale de Saint-Pétersbourg; documents français, vol. 107”, pièce nO0. es. MD 2e pendant M. d'Espernon ne peut avoir aucun ordre précis de la Cour pour remédier à ce mal capable d’inonder toutes ces pro- vinces. Et je ne sçay quel conseil luy donner, veu que je n’ay au- cun advis des intentions de Sa Majesté sur tout cecy, car si mon- sieur d'Espernon fait quelque chose de son chef, on dit aussitost que c'est animosité ou querelle particulière. Au nom de Dieu, Monsei- gneur, faites en sorte, s’il se peut, que nous ne demeurions pas da- vantage dans ces misérables incertitudes, qui font perdre tout le fruit de la victoire de Libourne! Cependant le premier président de Bordeaux est sorti de la ville; tout cela se fait depuis son inter- diction et les coupables de tous les désordres demeurent les maistres dans cette compagnie. Monsieur d'Espernon a envoyé vers le dit sieur premier président pour adviser avec luy de ce qui se pour- roit faire pour le service du roy, affin de restablir l’authorité de Sa Majesté, et la bonne conduite dans le parlement, par quelque forte résolution, à quoy nous l’ayderons, s’il s'Y veut porter. « Voicy le temps de faire les jurats à Bordeaux, à quoy il ne faut pas doubter que ces factieux ne travaillent pour en avoir de leur cabale. Monsieur le duc d'Espernon attend les ordres de la Cour, qu'il a demandés précis, pour empescher leur dessein, mais, s'il ne les à auparavant les premiers jours d’aoust , ils seront inu- tiles. Si on ne prend plus de soing à la Cour des affaires de ces provinces, tout s’y va suivre aussy bien qu’en Languedoc. «Je croy qu'il seroit à propos d'oster la chambre de lédit ae Bordeaux comme plusieurs de la mesme chambre le désirent; c'est aussy le sentiment de M. le duc d'Espernon, qui en a esté ad- verti par M. Augeart, l’un des conseillers de la Religion et l’un des plus affectionnés au service du roy. « Nous avons advis que ceux du parlement ont escrit à des gens de la R. P. R. que, si leurs églises se joignoient à eux, ils ne feroient jamais de paix qu'ils ne fussent remis comme ils estoient dans l'année 1615. | « Je suis comme je doibs, Monseigneur, votre très humble très obéissant et très obligé serviteur. « ARGENSON. « Ce 16 juillet 1649!.» 1 Biblioth. impériale de Saint-Pétersbourg: documents français, vol. 107”, pièce n° 104. a. éros C'est le 16 juillet qu'était écrite cette dernière lettre, et à la fin du même mois aucun ordre précis n'était encore parvenu. Pour en finir avec l'émeute, et sortir de cette immobilité qui compro- mettait l'avenir, d’Argenson revint à la charge, et fit une nouvelle démarche auprès du chancelier Séguier. « Monseigneur, « Le mémoire qu'envoie M. le duc d’'Espernon de tout ce qui s’est passé à Bordeaux vous le fera cognoistre si exactement qu'il seroit inutile de vous en faire une plus longue relation; il n’y a personne qui ne soit surpris de la folie des uns et de la furie des autres; je croy que Dieu a résolu de faire quelque grand chasti- ment de cette misérable ville. Les douceurs ni les chastimens lé- gers ne peuvent la mettre en repos, et les meilleurs remèdes aug- mentent son mal. Je croy qu’enfin l'on profitera de tout cela pour le restablissement de tous les droits du roy, et que ces gens-là, qui ne veulent point de pardon, et qui s’esmeuvent quand on leur fait des graces, ne sçauroient faire pis, lorsqu'on restablira tout ce qui. sera nécessaire pour le rétablissement des affaires du roy. Mon- sieur le premier président de ce parlement, qui est hors de la ville avec plusieurs autres de sa compagnie qui n'ÿ peuvent retourner avec seureté, désire les lettres patentes contenues dans son mémoire pour transférer leur séance ailleurs avec les clauses que vous y verrez marquées. Îl est nécessaire, Monseigneur, de les envoyer promptement, et de faire response diligemment sur tout ce que désire monsieur le duc d'Espernon, car les longueurs nuisent icy extresmement aux meilleures choses, et les occasions s’en perdent. Nous verrons si ces messieurs du parlement, interditzet autres, qui sont encore demeurés dans la ville envoyeront demain trouver M. de Cominges, comme ils ont promis. Il y en a plusieurs qui sont sortis de Bordeaux depuis que M. le duc d'Espernon en est parti, et les meilleures habitans quittent cette ville séditieuse. «On nous a dit que ces messieurs du parlement se sont fait présenter requeste par deux ou trois cens personnes de la populace, afin qu'ils ne déférassent point à l'interdiction; c'est leur méthode ordinaire pour dire qu’ils n’obéissent pas à cause de la furie du peuple, après qu'ils l’ont esmeu; ils en usèrent ainsy dans l'affaire de Libourne, et il s'est veu de suitte que l’arrest, qu’ils feignoient EDR RE d’avoir esté contraints de donner pour apaiser la violence du peuple, a esté exécuté par les soings de plusieurs commissaires de leur corps qu'ils y ont envoyés. Je croy qu'il se faudra résoudre à mettre fin à cette misérable conduitte par une force majeure avec le temps, puisque les douceurs et tous les expédiens dont on se sert pour éviter la destruction de bien de ces malheureux sont rendus inutiles par l’artifice des plus meschans et la lascheté des autres. Je suis de tout mon cœur, « Monseigneur, « Votre très humble et très obéissant serviteur. « Argenson. « De Cadillac, ce 29 juillet 1649 !.» Une tentative de rapprochement eut lieu dans les premiers jours d'août. D’Argenson en fait part au chancelier : « Les députés de Bordeaux, qui sont MM. Duzest et de Cursol, conseillers au parlement, ont conféré avec monsieur de Cominges depuis mes dernières lettres; ils proposent de faire sortir de la ville six des interdits, que les autres y demeureront sans entrer au palais, et qu'ils osteront de leurs registres l’arrest du 24 du mois passé, où sont les termes injurieux à la royauté et à la ré- gence; ils disent que cela a esté fait par l’advocat général Dus- sault, qu'ils désavouent tous; néantmoins cet arrest a esté signé : du président et d’un conseiller des requêtes. Cet advocat général mériteroit d’estre mis aux petites maisons, si l’on n’ordonne quel- que chastiment plus rude contre luy; c’est l’un des plus sédi- tieux et dont l'esprit est de plus mauvaise conduite au rapport de tout le monde. Monsieur le président Pontac est icy, où il attend monsieur d'Espernon, qui est allé à Libourne et à Bourg. Je ne voy pas que ses propositions ayent rien de solide pour le ser- vice du roy. Il faut, s’il est possible, oster aux factieux les moyens d’esmouvoir le peuple de Bordeaux, et comme je ne doubte point que vous n'ayez la pensée de restablir les droits et l’authorité du roy, principallement celuy des deux escus pour tonneau de vin, ! Biblioth, impériale de Saint-Pétersbourg; documents français, vol. 107”, pièce n° 106. cut QUE ue il n'y aura jamais d'occasion de le faire avec plus de prétexte qu'à cette heure. Il sera bon d'en parler comme d’un chastiment sur le peuple, que l'on avoit dessein d'en soulager au moins de quelque partye sans celte dernière sédition, où ils ont refusé le pardon du roy, affin que le peuple rejette cela sur les factieux du parlement qui l'ont fait esmouvoir, et auquel il imputera le mal de ce restablis- sement, que l’on ne fera jamais que par force, comme nous l’avons déjà escrit. Monsieur le premier président de Bordeaux est fort malade à sa maison proche d'Agen. Monsieur d'Espernon fait tout ce qu'il peut pour mettre à raison ces rebelles de Bordeaux, qui craignent extresmement la colère de Leurs Majestés à cause de cest arrest qui vous a esté envoyé, et il attend avec un peu d’impatience les ordres de la Cour, et vos intentions sur tout ce qu'il a escrit avec les lettres que ces messieurs du parlement, qui sont dehors, dési- rent pour establir leurs séances ailleurs, en attendant que les bons serviteurs du roy puissent retourner à Bordeaux avec seureté. «Je suis sans réserve « Monseigneur, « Votre très humble, très obéissant et très obligé serviteur. « ARGENSON. « De Cadillac, ce 10 août 1649 !.» M. de Pontac, nous venons de le voir, fut député auprès de M. d'Épernon; mais sa mission n'amena aucun résultat. Une lettre de lui à M. l'abbé Plichon, du 23 août, contient quelques détails que ne reproduisent pas les lettres de d’Argenson. À Bordeaux, le 23 aoust 1649. « Monsieur, « Je scay que vostre gazetier, qui est un des plénipotentiaires du conseil de guerre, vous informe ponctuellement de nos désolations et des ordres qu’on y met pour les arrester; nous sommes tout à faict à la guerre. Comme M. de Mirat faisoit sa relation, les cham- bres assemblées mardy dernier, M. d’Aumont la déclara à coups ? Biblioth. impériale de Saint- Pétersbourg; documents français, vol. 107”, pièce n° 108. PR De de canon et de mousquets, dont plusieurs personnes ont esté tuées ou blessées. Le parlement m’a chargé d'aller sçavoir de luy le sujet qui lavoit meu de nous traicter si hostilement, sans nous avoir adverty.Je me portai en la place du chasteau, après luy avoir en- voyé M. de Pontcastel avec un tambour lui faire une chamade, pour l’advertir que j'avois à luÿ parler de la part du parlement. M'ayant mandé que je pouvois y aller en seureté, je lui feis ex- poser ma créance en présence, et à l’ouye de trente bourgeois que je menois avec moy. Ne m'ayant sceu donner aucune bonne raison ny les aultres officiers qui l’avoient accompagné, nous reco- oneusmes que c'estoit par l’ordre de M. d’'Espernon. Il est vray que Felouze me dict qu'ils aymoient mieux mourir l’espée à la main en gens de cœur que de périr de faim. Vous m’advouerés que ceste commission est périlleuse. Je feus obligé de accepter pour m'oster de soubson, mais je n’y retourneray plus, parce que pendant nostre conférence on nous tira de la ville deux ou trois mousquetades. On croyoit faire peur au peuple et aux femmes par les canonnades qu'on continue de tirer jour et nuict, mais on est déjà accoustumé au bruict de ces bouches d'enfer. J’avois commandé à Marc de vous faire l'adresse de la lettre que j'escrivis jeudy dernier à M. de La Vrillière, affin que vous vissiez la re- lation que je luy en fais. Il n’en a rien fait, de quoi je le cour- rouce. Suivant vos sentimens j'escris à M. le chancelier. Après lavoir leue, la luy présenteres s’il vous plaist. J’adjoute à sa re- lation qu'on attend icy de jour à aultre M. de Sauvebœuf, qui vient accompagné de quinze cens hommes de pied et de cinq à six cens gentilhommes. S'il nous amène ce secours, M. d’Es- pernon ne sauroiït couvrir le mouvement. On me vient d’asseurer que ceux de la forest du Verd et de la Sauvetot, se ressouvenant du traictement que M. d'Espernon leur a fait, vont joindre au passage M. de Sauvebœuf, qu'on logera au chasteau d'Ha. On dict aussi que M. le prince de Marsillac vient à nostre secours. Si vous jugés à propos debvoir adiouster cet advis à M. le Chancelier et à M. de La Vrillière, je le remets à vostre prudance. J’obmettois de vous dire que le fils de Trelebois est arrivé, mais il a trouvé la place prise par le chevalier Tibaud jambe de bois. On craint qu’il ne face faulce route et ne trompe ceux qui luy ont baïllé ce commandement, comme il a fait le roy et les cardinaux; mais je le crois trop homme d'honneur et de bien pour faire une si lasche MISS. SCIENT. — IV. À ns RS action. Deux vaisseaux, nombre de chaluppes et deux galères ar- mées de rames montèrent hier sur les six heures, sur l’advis qu'on {ist que M. d'Espernon avoit faict faire un fort sur le port du Tourné. Une frégate et plusieurs chaluppes se sont avalées pour combattre Montry, et rendre la rivière navigable et libre à nous porter des vivres. Le marquis de Lusignan monta samedy sur une galère, et s’en alla au Tourné accompagné des aultres galiottes, nombre de chaluppes, et de trois vaisseaux, sur lesquels il y avoit trois régimens, et attaqua le fort que M. d'Espernon y avoit fait faire. Le canon en a tué plusieurs derrière les barricades. » La cour essaya d’un nouvel appel à la conciliation et adjoignit un négociateur à d’Argenson; mais ce dernier, plus au courant de l’état des esprits, avait peu de confiance dans ces nouvelles ouvertures. Il s’en explique avec le chancelier : «Je continue pourtant d'agir avec tous les soins qui sont en mon pouvoir pour contribuer à l’accommodement des affaires de Bordeaux. M. de Comminges y a envoyé donner avis de la com- mission qu'il a reçue à ceste fin. Je croy, Monseigneur, que vous avez bien vu par tout ce qui s’est passé que j'ay toujours eu cela pour dessein formé. Le ciel ou le mauvais vouloir de ces Mes- sieurs ont eu d’autres pensées, et 1l a semblé que tous ceux qui leur ont dit la vérité, et qui ont voulu procurer leur bien, aient esté leurs ennemis. Je me défie toujours de leur humeur, encore qu'elle puisse avoir changé en mieux, si leurs malheurs passés produisent en eux les effets qu’ils doivent. «Je crois, reprend d’Argenson, que cette démarche a rendu plus orgueilleux ces gens-là; ils ont pris cela pour une foiblesse, au lieu de le recevoir comme un effet de la: bonté de Leurs Majestés. M. de Cominges rend compte des responces qu'ils luy ont faites : ils tesmoignent ne vouloir point traiter icy et ils disent qu’ils ont escrit au roy, dont ils attendent les volontés pour y obéir absolument. Dieu veuille qu’ils le fassent, je le souhaite autant comme j'en doubte. Il sera bon, Monseigneur, de le tenter néant- moins. Mon fils vous fera voir, s’il vous plaist, le mémoire que je luy envoie sur ce sujet; il me semble que l’on ne peut faire cesser promptement les actes d’hostilité et le trouble que par ce moyen. On pourra ensuite faire l'ajustement de tout le reste à loisir, car si on pense à faire ces accommodemens, où il ÿ aura tant de choses à disputer, pendant que l’on a les armes à la main de part. ss et d'autre, il sera plus difficile, et la province en recevra beau- coup de dommage. D'ailleurs 1l semble nécessaire d’ouyr tous ceux dont je parle dans mon mémoire, pour faire une paix s0- lide et de durée. M. le duc d’Espernon, à qui je l'ai commu- niqué, l’a veu entièrement. Il vous en envoie un ample qu'il a fait luy-mesme. Je croy, comme luy, que la crainte fera beaucoup plus d'effet sur ces gens là que l'amour et la douceur. Il faut se disposer de bonne sorte à leur donner de la peur du chastiment, s'ils méprisent la miséricorde. C’est ce qui m'a obligé de mettre le dernier article de mon mémoire parce que je les cognois, et s'ils ne voyent que l’on peut absolument leur faire du mal, ils mespriseront toute la douceur dont on voudra user envers eux. Si les actes d’hostilité estoient cessés, je pourrois vous en aller en- tretenir de vive voix, et M. le duc d'Espernon le trouveroit à pro- pos. Je tiens cette paix nécessaire; elle ne se peut plus faire icy; mais plus on la désirera à la Court, plus il faut, à mon advis, parler ferme à ces messieurs dà, desquels, Monseigneur, vous re- cognoissez les humeurs beaucoup mieux que moy. Le moyen le plus efficace est d’avoir des navires en assez bon nombre; ils ser- viront à les chastier, s'ils n’obéissent aux bontés du roy, et ils ai- deront encore à assurer le payement des droits du roy dans les rivières, si bien que l'on en trouvera avantageusement les frais et la despense. La diligence est nécessaire sur toute chose en cette rencontre. Faites donc, Monseigneur, s’il vous plaist, que nous ayons promptement la response de notre courrier, et croyez que je suis toujours en vérité comme je doibs, « Monseigneur, « Votre très-humble, très obéissant et très obligé serviteur, « ARGENSON. « De Cadillac, ce 29 août 1649!.» La paix ne pouvant se rétablir et toutes les voies étant épuisées, d'Épernon se décida à renvoyer à la cour M. d’Argenson pour rendre compte de la situation; c'est en ces termes que celui-ci annonce sa prochaine arrivée au chancelier : ! Biblioth. impériale de Saint-Pétersbourg ; documents français, vol. 107", pièce n° 110. er HR « Monseigneur, «Je ne vous escris ces lignes que pour vous donner advis de la résolution que M. le duc d’Espernon a prise de mon retour au- près de vous pour informer Leurs Majestés et vous de tout ce qui s'est passé en Guyenne, et de l’estat présent des affaires sur ce que Messieurs du parlement de Bordeaux luy ont fait cognoistre assez clairement par leur dernière response, qu'ils ne veulent point obéir aux ordres du roy pour la paix; mais, comme Je ne puis faire toute la diligence que je souhaiterois dans une occasion si importante, il a jugé à propos que un courrier de M. de La Vrillière s’avançast pour vous donner advis de mon voyage, et Je l’ay prié de faire toute la diligence qu'il pourra, d'autant que ces Messieurs de Bordeaux pressent extresmement le siége du chasteau Trompette, où Mons’ d'Aumont se deffend très - bien. Mais, comme je crains que M. le duc d'Espernon ne le puisse secourir avec le peu d'infanterie qu’il a, Je pense, Monseigneur, qu'il seroit à propos d'envoyer promptement un lieutenant des gardes du corps du roy, ou du moins un exempt, porter le com- mandement exprès de cesser ce siège avec ordre de se mettre luy mesme dans le chasteau. M. de Candales pourroit escrire à Mons’ d’Aumont de le recevoir dans la place, veu qu'il ne faut pas que celuy qui sera envoyé à Bordeaux passe auprès de M. d'Espernon, avant que d'y aller. Je ne voudrois pas asseurer, Monseigneur, que ces Messieurs de Bordeaux obéissent, comme ils doivent, au commandement exprès du roy, veu les advis que nous avons certains de leurs malheureuses résolutions prises depuis peu de jours, et dont je remets à vous entretenir, en vous rendant les dépesches dont M. le duc d'Espernon m'a chargé, qui ne sont qu'en créance, et lorsque je vous asseureray Moi mesme que je suis comme je doibs, « Monseigneur, « Votre très humble, très obtissant et très fidèle serviteur. « ARGENSON. «De Chenonceaux, ce 21 sept. 16491.» * Biblioth, impériale de Saint-Pétersbourg; documents français, vol. 107", pièce n° 112. Loge Avec la mission de d’Argenson s'arrête la série des documents sur Bordeaux. Je n’ai rien trouvé ni sur le voyage de la cour en * Guyenne, ni sur les pourparlers qui amenèrent, au mois de dé- cembre suivant, le rétablissement du parlement dans ses droits. Montglat, dans ses Mémoires, caractérise bien la situation : « Le désordre, dit-il, est plutost plastré qu’éteint. » En effet, les événements de l’année suivante, la déclaration de guerre faite au nom de la ville à M. d'Épernon et à ses fauteurs, montrèrent bien qu'il disait vrai. Dans la première partie de ce rapport, j'ai réuni tous les documents qui pouvaient présenter quelque intérêt pour nos relations diplomatiques, depuis la mort de Louis XIIT jusqu'en 1652; puis, à l’aide des correspondances du temps, J'ai essayé de peindre la situation misérable de nos provinces, première et principale cause des désordres civils. Maintenant je vais me placer sur le théâtre même des événements, et présenter d’en- semble tous les documents qui se rapportent à l'histoire de la Fronde. C’est Mazarin lui-même qui, dans une lettre au prési- dent de Grignon, ambassadeur en Angleterre, va nous expliquer les motifs qui déterminèrent la reine à sortir de Paris; c’est lui qui va nous dire quelles agitations, quelles colères son nom seul soulevait. « Monsieur, « Vous aurez desjà sceu par les lettres de M. le comte de Brienne la résolution que la reyne a esté forcée de prendre de sortir de Paris, pour mettre en seureté la personne du roy, dont quelques factieux du Parlement avoient dessein de s’asseurer par le moyen des intelligences qu’on a descouvertes qu'ils entrete- noïent avec les ennemis de l’Estat, et des choses secrètes qu'ils faisoient en mesme temps parmy le peuple; ce qui a eslé bien confirmé depuis par l’évènement, lorsque les parties qui se tra- moient ont esclaté. Vous sçaurez maintenant que, Sa Majesté ayant jugé à propos de transférer ailleurs le parlement, et cepen- dant de linterdire pour oster tout moyen de nuire à quelques séditieux de la compagnie qui ont engagé dans leur party la jeu- nesse, qui à tousjours entraisné les sages en des desseins qu'ils détestent, non seulement le parlement n’a pas déféré à l’inter- sé EU va diction, mais s’est porté à une rébellion si déclarée, qu'il a or- donné des levées de gens de guerre dans Paris, et donné des arrests pour faire souslever les peuples contre le roy, réduisant par ce moyen Sa Majesté à la dure nécessité de recourir malgré elle à la force pour faire rentrer Îles habitans de Paris dans l’obéissance qu'ils luy doivent. Il n’y a point de bons François à qui le cœur ne saigne de voir un si grand attentat sur l’authorité royale, et que quatre ou cinq factieux, pour leurs intérests particuliers, ayent pu au milieu des prospérités de cet estat le porter sur le penchant de sa ruine, si Dieu, qui en a tousjours pris une protection visible, et qui aura soin de l'innocence du roy, ne destournoit un si grand malheur. C’est ce que l’on.a tout sujet d'espérer et de sa bonté et des forces que Sa Majesté à en main pour venir à bout des re- belles et de l'union des principales testes de la maison royale, S. A.R.et monsieur le Prince, qui, pour l’amour et l’intérest qu'ils ont au bien de l’Estat et au soustien de la royauté qu’on veut esbranler, conspirent à l’envy de tout leur pouvoir, de leur crédit, de leurs amis et de leurs personnes pour appuyer une cause qui n’est pas moins la leur propre que celle du roy. Aussi il n'est pas, Dieu mercy, à craindre que Leurs Majestés n’ayent certaine- ment et bientost une heureuse issue de tous ces embarras, bien que quelques princes et autres ayent pris part dans la rébellion du parlement pour des mescontentemens qu'ils prétendent avoir en leur particulier : M. de Longueville pour n’avoir pas eu le Havre; M. d'Elbœuf pour n’avoir pas eu Montreuil; M. de Bouillon pour rentrer dans Sedan; M. le coadjuteur pour le refus qui luy a esté fait d’agréer qu’on traitast avec M. de Montbazon du gouverne- ment de Paris. Le prétexte que les mécontens et les factieux du parlement prennent est le mesme qu’on a pris dans toutes les révoltes, qui est d'attaquer le ministère ; mais il me semble sans présomption que tous les bons François connoistront que la per- séculion est fort injuste. Les services que j'ay rendus sont assez considérables et assez récens pour n’estre pas désavoués par mes ennemis mesme, et que ce n’ait esté avec un tel désintéressement, que depuis six ans que j'occupe le poste de premier ministre, il ne se trouvera pas que j'aye rien pouï moy, ny pour mes parens, quelque bonté que la reyne ait eu pour me presser de recevoir des marques esclatantes de sa générosité, et quelque honneur que m'ait fait souvent toute la maison royale de me persuader te que je ne devois pas les refuser. Avec tout cela, pleust à Dieu que ma perte pust tant soit peu contribuer au service du roy et au bien et repos de l’Estat; car en ce cas je me la procurerois moy mesme avec plaisir, et croirois me relever beaucoup par ma chute, n'ayant agy jusqu'icy que pour acquérir un peu de répu- tation en bien servant, que j'estimerois bien mieux trouver par cette voye que par tout autre avantage. Cependant, ce qui perce le cœur à Leurs Majestés, c'est de voir leurs armes employées contre des François mesmes, et la considération du profit que les ennemis pourront tirer de nos désordres, qui peuvent enfin (s'ils estoient de durée) mettre en compromis tant d'avantages notables que nous avons remportés sur eux dans le cours d'une longue guerre, et rendre inutiles les travaux de tant de bonnes gens, l'effusion de tant de sang françois et la consommation de tant d'argent, lorsque nous estions à la veille de conclure Ia paix d'Es- pagne aussi avantageusement, que l’on venoit d'achever le traité de l'Empire, qui redonne à cette couronne ses anciennes bornes sur le Rhin et des provinces entières avec des places considé- rables. « Je viens maintenant à vostre lettre du 4° de ce mois, qui est la dernière que j'ay receue de vous, et vous diray que je suis ex- tresmement surpris de n'avoir aucune nouvelle des recreues ny des levées d'Escossois, quoyqu'il y ait desjà longtemps que l'argent st arrivé de delà, et que par toutes mes dépesches vous ayez pu “onnoistre à quel point Leurs Majestés souhaitoient qu'on pressast cette affaire. ” «Je vous conjure de tout mon cœur de vous y appliquer entiè- rement et de ne perdre aucun moment de temps pour nous en- voyer le plus grand nombre de soldats qu’il vous sera possible, vous asseurant que vous rendrez un service fort important à Leurs dites Majestés en cette conjoncture. Je vous remercie cependant de ce que vous m’escrivez des affaires d'Angleterre et demeure, etc. « Le cardinal MazaARin. « Saint Germain en Laye, le xxur janvier 1649.» Voici en quels termes Mazarin raconte au président de Gri- onon l'accommodement qui venait d’avoir lieu: EF «Enfin malgré les caballes et les oppositions des Espagnols et des malintentionnés du dedans, l’accomodement vient d’estre heu- reusement terminé. Le parlement s “estant porté à rendre au roy l'obéissance qu'il luy doit, en la manière que Sa Majesté a désiré, il se rendra un de ces jours en corps au bois de Saint-Germain, où le roy veut tenir son lict de justice, et ne pourra après cela s’assem- bler de cette année, sous quelque prétexte ou occasion que ce soit, que pour les affaires particulières du parlement. Le roy renforcera son armée de toutes les troupes que la ville de Paris avoit levées, et les compagnies souveraines auttoriseront par leurs suffrages les moyens d’avoir un secours d'argent jusqu’à quinze mullions; mais ce qui est encore plus à estimer dans l’accomodement que toute autre condition, c'est qu'il s’est fait de part et d'autre une sincère réunion des cœurs qui, faisant à l'avenir conspirer chacun à un mesme but, forcera bientost infaïlliblement les ennemys à donner les mains à la paix. Ils avoient conceu tant d’orgueil, et s’estoient rendus si intraitables depuis nos derniers désordres, qu'ils n’avoient pas honte de déclarer que ce seroit quitter la France à trop bon marché, de ne prétendre d’elle que la restitution de toutes les con- questes, et que l’occasion estoit venue de la mettre si bas, en fo- mentant ses divisions, qu’elle ne peut jamais estre en estat de leur faire aucun mal, ny mesme de leur en laisser la crainte. Il est sans doute qu'ils changeront aujourd'huy de sentiment et de langage, quand ils verront que tout l’orage qui s’est formé de decà, et qui nous menaçoit, est prest à crever sur leur teste. Et à la vérité, jamais la protection que Dieu prend de cette couronne ne parut plus visi- blement qu’en cette rencontre, où il se voit par l'événement qu'il n’a permis la prise des armes et l'assemblage de tant de forces de part et d'autre, que aflin que, se réunissant toutes par un bon ac- comodement, elles pussent fondre en un instant sur l’ennemy commun et l’obliger à consentir la paix, estant certain qu'avec l'armée que Sa Majesté a toute preste icy, et celle que commande maintenant M. d'Erlac, qui marche à grandes journées depuis l'eschange des ratifications de la paix d'Allemagne, on peut entrer en Flandres avec quinze mille chevaux et vingt mille hommes de pied effectifs. Jay cru que vous ne seriez pas marry d'apprendre cette importante nouvelle, qui, restablissant pleinement le calme dans tout le royaume, nous doit donner grande espérance de voir bientost la paix générale. C’est à quoy je donneray incessamment | | RU ER toute mon application et tous mes soins, suivant les saintes inten- üons de Leurs Majestés. Cependant je ne dois pas obmettre de vous dire qu'il ne se peut rien ajouster à la passion que S. A. R. et M. le Prince ont fait paroistre en cette rencontre pour le bien de l'Estat, et que leur fermeté et leur union a extresmement con- tribué à la bonne issue de cette affaire, dont la reyne leur a tes- moigné grand gré, à leur retour. « Puisque vous ne croyez pas qu'on puisse réussir aux levées qu'on s’estoit proposé de faire en Angleterre, je vous prie de con- server soigneusement l'argent qui estoit destiné pour cet effet, ne désirant point qu’il soit diverty à aucun autre usage. « Je suis très véritablement, etc. « Le cardinal Mazarin. «Saint Germain en Laye, le xrm° mars 1649. » Voici une dernière lettre de Mazarin au chancelier Séguier : elle est écrite dans un moment difficile; l'heure était venue de solder toutes les promesses arrachées par les chefs de la Fronde : « J’ay receu vostre dernière lettre du 7 du courant avec la mesme satisfaction que toutes les précédentes, et il n’y en a point qui ne me donne beaucoup de sujet de louer la prudence et le zèle avec lequel vous agissez en toutes les affaires qui regardent le service du roy. On a envoyé d’icy toutes les expéditions pour celles de Bor- deaux , qui j'espère s’ajusteront. Je me remets à ce que M. Le Tel- lier vous en écrira. « On a pris résolution sur l'affaire de M. de Bouillon en confor- mité de l'avis des gens du roy; ce sera à vous à la faire exécuter en la meilleure manière qu'il se pourra, et on a renvoyé la chose au parlement, comme vous le jugez à propos. J’aurois bien sou- haité que l’on n’eust pas réglé tout à fait les intérests de M. d'El- beuf, et qu'auparavant vous en eussiez escrit icy nostre sentiment, parce qu'à présent il peut croire son affaire faite sans qu'il ait plus besoin de recourir pour cela à la cour, puisque encore que vous l'ayez renvoyé à la bonne volonté de leurs Majestés, ayant jugé que ses prétentions estoient justes, elles sont comme nécessitées de se conformer à vostre avis et de le satisfaire. PT « La reyne est déjà fort engagée pour le logement des galeries du Louvre qu’avoit feu Vouet. Je verray néantmoins ce qui pourra se faire à vostre satisfaction. « Vous aurez déjà sceu la résolution que leurs Majestéz ont de retourner à Paris la semaine prochaine, que je ne doute point qui ne produise de très-bons effectz. Je seray ravy de vous ÿ embrasser et de vous y pouvoir témoigner de vive voix le ressentiment que j'ay des marques d’obligeance que vous me donnez en toutes ren- contres de votre amitié. « Le cardinal Mazarin !. » Au moment où Mazarin allait prendre le chemin de l'exil, il ne sera peut-être pas sans intérêt de faire connaître le jugement porté sur lui par Brienne, qui ne lui fut jamais favorable. Dans plus d’un passage des Mémoires de ce dernier perce ce mauvais vouloir, et disons-le (le mot ne sera pas trop fort), cette haine persistante. Brienne ne pardonna jamais au cardinal de lui avoir préféré Servien en toute occasion. Cette page, qui peut s'ajouter à toutes celles qu'il nous a laissées sur son époque, je l'em- prunte à une lettre du 17 février 1651, à M. Brasset, notre rési- dent en Hollande. Il lui annonce en ces termes la délivrance des princes : « Les princes détenus au Havre, mis en liberté par ordre de la reine, se sont rendus hier en cette ville, et ont eu l'honneur de baiser les mains de Leurs Majestés avec force protestations de fidé- lité. La hate avec laquelle M. le cardinal les a fait sortir de prison a donné sujet de murmurer à Son Altesse Royale; il n'en a pas tiré l'avantage qu’il en avoit espéré; au contraire, le soin dont il les a recherchés fait qu'ils l'ont mesprisé, et qu’il a perdu beau- coup d'estime vis-à-vis de ceux qui lui en avoient conservé, voyant comme il fait peu d’estat des choses de la dernière im- portance, quand il s’agit de son intérêt, jusqu’à les préférer à la seureté de Leurs Majestés, lesquelles ont commandé une garde bourgeoise pour lever le soupçon que l’on avoit donné au peuple qu'elles estoient en dessein de sortir de la ville, qui peut estre * Original signé et daté de Compiègne. N° 107 des documents de Saint-Pé- tersbourg. 2 OÙ 2e interprété à un honneste aveu donnant créance aux lettres de ceux qui travaillent incessament à décrier le gouvernement. » Et il ajoute : « Que M. le cardinal puisse rentrer dans le maniement, c'est ce qui me paroist si éloigné que je ne puis estre de son avis, que je sçais s'en flatter; mais après avoir éprouvé qu'il s’estoit trompé en diverses rencontres, il devroit, ce me semble, moins espérer de la fortune, laquelle, l'ayant une fois abandonné, semble peu dis- posée à le relever. » Brienne ne s’est pas montré plus indulgent pour madame de Longueville. Lorsqu'elle quitta la France pour se réfugier en Hol- lande, et de là gagner Stenay, il en prévint Brasset dans une longue lettre, que je ne puis moins faire que de reproduire. L’in- térêt qui s'attache à l’une des héroïnes de la Fronde, intérêt ré- veillé par tant de livres dont elle a été l'heureuse inspiratrice, m'en fait presque une obligation. Il à appris que «madame de Longueville commence à con- noistre que le conseil qu’on lui a donné devoit estre rejeté et que sa passion a surpris sa prudence. Elle eust joui de la seu- reté et de la liberté, ainsi que fait mademoiselle de Longueville, et peut-estre eust-elle pu estre utile à ceux qu'elle plaint. Cette princesse, ajoute-t-il, m'a adressé une lettre pour le roy, en laquelle elle explique les raisons qui l'ont contrainte à sortir du royaume, essaye de rendre coupable le cardinal Mazarin des maux de sa maison et de plusieurs qu'elle perdit: Comme c’est un manifeste, si elle ne l’a pas rendu public, le faisant impri- mer ou en envoyant des copies en divers lieux, j'estime qu'on s’abstiendra d'y répondre, et pour n’y engager le roy, je ne fais point de response à une lettre dont elle m'a honoré. Sans doute elle aura eu peine de la retenue du prince d'Orange, mais il en doit estre remercié, pour ne rien dire qui pust desplaire à Sa Ma- jesté. Je laisse à votre prudence de lui en parler ou de vous taire. La duchesse de Longueville a dépesché un nouveau manifeste. Vous nous avertirez si le premier a esté imprimé en Hollande, s’il a esté rendu public à Paris; ceux qui y sont demeurés nous l’'enverront. Je ne say quelle raison a eue M. de Tracy d’accom- pagner madame de Longueville, s’estant retiré du service de M" son mari; mais je crois qu'il lui eust esté plus utile d’en suivre les conseils que de prendre ceux de M. Saint-Ibar, lequel, pas- y pu sionné de troubler l’estat, se flatte de croire que l'absence de cette princesse le peut produire. l» Pour ceux qui veulent plus de détails encore, qui se plaisent à connaître ce qui se passe dans les coulisses des cours, ce qui s'y dit tout bas, voici un document digne de leur curiosité : c’est le journal rédigé jour par jour, heure par heure, par un familier du cardinal et de la reine, ce même du Bosc, déjà cité par nous au commencement de ce rapport. Ce journal est à l'adresse du chancelier Séguier ; malheureusement il n'en est venu à Péters- bourg qu’un fragment bien court, du 30 mai au 30 septembre 1649. Néanmoins, ces confidences vont nous révéler ce qui se passait à Compiègne, et nous raconter, dans tous ses détails, le voyage de la cour en Picardie. À Compiègne, le 30 may 1649. «Monseigneur, «Le partement d’icy de M. le Prince que je marquois avant hier continue à demain; il passera à Chantilly, ira à Paris, et de là en Bourgogne. Plusieurs m'ont dit qu'il demande d'estre cones- table, M. le duc d'Orléans va ce jourd'hui à Villers Cotrets pour quelques jours. M. de Comminges part ce mesme Jour pour Bour- deaux, prenant avec luy le sieur de Saint Elan, exempt des gardes de la reyne. Cette affaire de Bourdeaux et la petite mutinerie nouvelle de Paris touchent beaucoup de monde icy de desplaisirs et d'appréhensions, lesquelles je voy continuer dans les esprits en particulier, quoyqu'ouvertement ils facent bonne mine. Le refus qu'on a dit icy, au retour de M. de Vendosme, avoir esté fait par M. de Beaufort de signer le traité de mariage de M. de Mercœur, et un discours que tint un homme tout haut, à la collation de la reyne avant hier au soir, que le peuple de Paris estoit mal affec- tionné, ne les diminuent pas. L'on me disoit hier que les nièces de Son Éminence viennent dans trois jours. On donna ordre hier au soir pour envoyer des soldats du régiment des gardes garder Magny, maison de madame de Chaulne, à six lieues d’icy, contre les Erlachs, qu’on disoit y venir, qui ainsy ne seroient pas tous au delà la Somme, comme un gentilhomme du pays m'asseuroit hier qu'ils passoient par Sommefons, et alloyent à Vermond. Tous ceux ! De Dijon, dépêche signée du 19 mars 1650. D des villages autour de Roye, gentilshommes et autres, ont quitté et se sont retirés en ladite ville. On parle de vendre pour cent mille escus du bois de ceste forest. La reyne passe cette journée en dévotion aux Carmélites. « Madame de Motteville et sa sœur vinrent hier; madame de Brizy ne paroïist pas encor. On parle que M. le commandeur de Jars se veut marier. M. le mareschal Du Plessis est malade depuis quelques jours. Le chevalier Valois, Irlandois, a amené quatre à cinq cents soldats de sa nation qui vont descendre à Calais. ! « Du Bosc. » À Compiègne, le 3 juin 1649. « Monseigneur, « Après les dévotions du jour, je me mets Le soir à vous marquer ce que j'ay appris depuis ma dernière d'avant hier. On ne parle plus tant de s’en aller d'icy. Tout est à nostre égard dans l’incerti- tude. On a rapporté l'affaire de Bourdeaux d'autre manière beau- coup plus avantageuse : Chambret tué, comme il venoit recon- noistre M. d'Espernon, à demy lieue de Libourne; et après, leur camp attaqué; 1500 tués, 700 noyés et 6 vaisseaux pris, estant sorty du secours de Blaye. C’est ainsy que je l’ay ouy dire à la Revne et autres parlans avec Sa Majesté. Quelques-uns nous ont dit à l'oreille le succes autrement. Vous en avez sans doute les re- lations véritables, et de la suyte. M. le mareschal de La Mote vit hier la reyne; jeu regret de ne m'y estre pas trouvé. « M. de Mercœur revint avant hier; les demoiselles nièces de Son Éminence vinrent hier au soir à Mouchy, chasteau de M. de Hu- mières, à deux lieues d’icy, à ce qu'on m'a dit. Néantmoins l'on m'a voulu dire aujourd’huy qu’il y a encore bien des difficultés. Ce matin la reyne a esté dès les huit heures à ses dévotions aux Car- mélites, à pied, comme elle fait d'ordinaire, estant tout proche du chasteau. Après cela Leurs Majestés sont allées à Saint-Cornille, d’où elles ont suivi le Saint Sacrement à la procession qui s'est faite. Mossieur et Son Éminence marchoyent devant le roy, et la reyne estoit suivie de mademoiselle et de madame de Carignan. Il n’y avoit point de princes. M. le duc d'Orléans s’est trouvé à la messe auprès de Leurs Majestés en la mesme esglise; au retour de la pro- cession M. l’'évesque de Soissons a officié. M. le Prince estoit party LC OS — ce matin. Leurs Majesté ont esté, l'après disnée, aux Cordeliers, au | sermon du père Fauve, qui fust applaudy dimenche, et l’a esté au- jourd'huy, quoique non de tous. À la fin il a parlé à Leurs Majestés des réparations deues au Saint Sacrement pour les injures receues en ces derniers désordres, raportant celle que fist François premier. — Monseigneur, madame la marquise de Senecey me reproche que je n’ay pas assés sollicité le sceau des lettres à réformer pour le nom et surannation, en faveur de madame de Bellefons, de trans- lation de religieuses du fauxbourgs en la ville de Rouen, en ayant eu l’ordre de la reyne, et de vous la demander gratis de la part de Sa Majesté, comme je fis à Saint-Germain. « Pardonnez moi de mesler cecy parmimes devoirsetobéissances. « Du Bosc. » À Compiègne, le 5 juin 16409. « Monseigneur, «M. Berthemet vous aura dit ce que j'aurois pu escrire hier : le traité fait du mariage de M. de Mercœur déclaré vice roy de Catalogne et la survivance de l'admiraulté faite en sa faveur, et l'arrivée en cette ville des nièces de Son Éminence, lesquelles avoyent couché le jour précédent à Fisents, non à Mouchy, comme je marquois le dit jour qu'on m'avoit dit. Les dites damoiselles ne paroissent pas encor chez la reyne, n'estans habillées. Made- moiselle Mancini vit hier Son Éminence et alla chez madame la marquise de Senecey, affligée de la mort de madame de Chan- denier, femme de M. de Chandenier, qui avoit eu une heureuse couche et se portoit bien, mais un chirurgien s’estant imaginé que, 14 jours après, elle avoit encore un enfant dans le corps, luy donna une drogue qui la fit mourir. On trouve la dite damoiselle Man- cini belle, bien creue el avoir du sein. On me disoit hier au ma- tin que madame de Vendosme ne veut point encor consentir. M. le comte de Harcourt a presté le serment du gouvernement des Alsaces; tous s’en sont réjouys. M. le duc d'Orléans a dit à la reyne que M. de Guyse est tout à fait raccommodé avec sa femme. Il y eut hier conseil, après lequel Leurs Majestés allèrent à la forest, et au retour la reyne alla au salut à Saint-Jacques. Les maistres d’hostel du roy ont dit à la reyne que, si le pour- voyeur ne reçoit argent, les tables vont estre renversées. Sur la nes nouvelle de Bourdeaux, M. de Comminges revint de Paris icy; il doit toutes fois faire bientost le voyage. M. Thévenin, inten- dant de M. d'Espernon, a fort entretenu Sa Majesté des dites affaires et M. de Candale ensuyte. M. de Quincey fist hier au soir deux présens à la reyne, l’un de la part de la princesse de Palestrine, l’autre de la sienne propre, d’essences, pommades, gans et autres curiosités de Rome, dans des boetes et coffrets très jolys; il s’en acquitta fort agréablement, et les présens furent fort bien receus, quoyque Sa Majesté ne trouva pas tout à son goust, que vous savez estre bon. Il fist voir le pourtrait de la belle mère de Son Éminence, qui ne fust pas trouvée fort belle, mais de bonne mine. La reyne se plaist tant icy, qu'elle dit que, si on en part, il faudra aller à Amiens par pénitence. L'on me vient dire que le mariage de M. de Candale est aussy avancé avec la seconde des nièces de son Éminence que celuy de M. de Mercœur, et que celuy de M. de Richelieu se fera avec la troisième. « Du Bosc. » À Compiègne, le 7 juin 1649. « Monseigneur, « Depuis ma dernière du 5 j'ayÿ appris que la plus grande dif- ficulté du mariage de M. de Mercœur est le mot de principal héritier que M. de Vendosme n’agrée pas encore. Toute la cour croit que cette affaire se va achever dans fort peu de jours. Les nièces de Son Éminence parurent avant hier au soir chez la reyne. Monsieur les caressa fort, comme il ayme à se divertir parmy les dames. Il y a grande amitié entre luy et la petite madamoiselle d'Orléans, s’entrelenans joliment, comme si c’estoit pour un petit mariage. M. le maréchal du Plessis sort à présent, estant le jour auprès de Monsieur et reprenant bien sa santé. Un homme du pourvoyeur, venu tout droit, apporta hier à trois heures du matin l’ordre pour continuer à fournir les tables; autrement elles n'eussent point esté servies. Le murmure est universel icy des gens de guerre et de condition et d'officiers de n’estre point payés. Il semble qu'il y a quelque chose d'Amiens , mescontentement de M. le Vidame, concert de luy avec M. d'Hauquincourt que je ne sçay point; ma- dame de Chaulne a entretenu la reyne en particulier, et à genoux, peut estre pour parler avec plus de commodité. Le baron d'Auteuil D. entretint fort hier la reyne, à son souper, par occasion du droit qu'il dit indubitable de messieurs de Courtenay à la qualité de prince de sang. Il est venu nouvelles icy que M. de Guise a esté mené en Espagne; que le roy de la Grande Bretagne devoit partir de la Haye, jeudy dernier, pour venir en France, et passer par Breda, Anvers et Bruxelles, séjournant deux jours en chacune. Et l'on m'a dit en particulier que lélecteur de Trèves a envoyé icy demander du secours, et qu’on attend mercredy à Paris le bonnet de cardinal pour M. l'abbé de La Rivière. Madame de Beauvais est accouchée ces jours d’une fille. M. de Comminges est reparty d'icy pour aller retrouver M. d'Espernon. M. lévesque de Bayeux a presté cejourd'huy le serment de fidélité. « Du Bosc. » À Compiègne, le 14 juin 1640. «Monseigneur, « Selon ce que je marquois avant hier, tout se prépare au par- tement d’icy de Leurs Majestés pour demain à Montdidier et mer- credi à Amiens. Les premières chambres sont parties cejourd'huy. S. À. R. et Son Éminence iront d'icy mercredy tout droit à Amiens, en un jour. Quelques uns pensent que le séjour n’y sera pas long. Le roy disna hier avec Son Éminence, comme il fait d'ordinaire les dimenches. M. de Vendosme est indisposé ; la reyne envoya hier le visiter; il dit au complément qu'il ira à Paris et se rendra à Amiens. M. de Mercœur s’en est allé tout nuict à Paris. M. de Candale a presté serment cejourd’hui, entre les mains de la reyne, de colonel général de l’infanterie. Le prince de Falmont a veu la reyne et madame de Pisieux. Vous sçavez les deux inten- dans nouveaux des finances. « Du Bosc. » À Amiens, le 16 juin 1649. « Monseigneur, « Arrivant en cette ville, je m'excuse de n'avoir pas pu hier vous marquer le partement de Compiègne. Leurs Majesté ont couché à Montdidier, et sont arrivées icy cejourd’huy, où elles ont esté receues avec grande joye des habitans. S. À. R. et Son Eminence EE y sont arrivés un peu après, partys ce matin de Compiègne. Icy il y a grand désordre pour les logis : le fourrier de M. le prince a voulu avoir la maison , où logeait cy devant Son Éminence, disant qu'il estoit icy avec ordre et pouvoir pour avoir son rang, le pre- mier après S. À. R. et l'a emporté, la craye ayant esté mise sur la porte : Pour monsieur le Prince. Une autre maison a esté prise pour Son Eminence, tout près de là. MM. les secrétaires d’estat ont dis- puté leur rang contre les ministres, et l'ont emporté suyvant l’ordre ancien ; M. legrand provost de mesme, je ne sçay pas contre qui et autres. Et dans la maison où logent Leurs Majestés, la mesme que les dernières années, MM. les capitaines des gardes du corps du roy et de la reyne se disputent présentement. Je fis une mesprise avant hier escrivant le prince de Talmont pour le prince de Tarente, « Du Bosc. » À Amiens, le 18 juin 1640. « Monseigneur, « Outre ce que je marquois avant hier, à l’arrivée icy de la suyte, on a appris que plusieurs des derniers ont esté vollés et despouillés sur le chemin de Montdidier icy, et des femmes maltraitées. Sur celuy de Paris c'est tout de mesme : M. le chevalier de Guyse, qui en revint hier, a couru risque, à ce qu’on dit tout haut. Les gens de guerre se tiennent sur les hauteurs et dans les bleds et lieux couverts et passages, et vont surprendre et destrousser ceux qui pas- sent, et, si on ne leur donne argent, ils tuent. Ils ont esté aux postes enlever les chevaux. On m'a dit que M. Le Tellier a envové arres- ter une voiture d'argent qui venoit, jusqu'à ce qu’on envoya bonne escorte. Cela durera jusqu’à ce que les troupes soient passées, à -quoy on a peine faute d'argent. Le régiment d'infanterie de la Reyne passa hier, et cejourd’hui celui de la cavallerie de Chamboy; le roy les a veus. Le premier est de 5 à 6oo hommes, l’autre de 3 à 4oo maistres. Jay ouy la reyne recommander à celuy qui commande ce corps de cavallerie de tenir la main à ce qu'ils ne commettent point de méchancetés. Il y a allées et venues à Péronne; on me dist mesme que Son Éminence se doit abouchersur le chemin de Péronne avec M. d'Hauquincour.On parle ques. A.R.etSon Emi- nence iront à Arras. Quelques officiers de la reyne ont esté presi MISS. SCIENT. —-- IV. 5 — 66 — , de venir aux mains avec des gens de Son Éminence, qui avoyent pris le logis de M. Collart, clerc d'office, nonobstant la craye’ que quelques uns ont effacée en derniers lieux. M. Usenat, à ce que la voix commune rapporte confidemment, s'emporta à dire que les gens de Son Éminence estoient aussy bien à la reyne, et la ser- voyent mieux que ses officiers. Ces désordres ont donné sujet au commandement que Sa Majesté fist hier à M. Duplessis de Gue- negaud de renouveler l'ordonnance touchant les logemens, et à M. le grand provost de la faire observer. J’ay eu ma part du dé- sordre, la porte du logis qui m'est marqué, et où estoyent mis mes hardes, ayant esté enfoncée et rompue en mon absence par un des gens de Son Éminence. M. de Lionne et M. de Marsac, l'ayant sceu par d’autres que par moy, m'ont dit qu'ils m'en feront faire toute satisfaction; celle que je demande, c'est qu'on m'y laisse paisible et que celuy qui a commis linsolence n’en commette plus. Géné- ralement les esprits se voyent estonnés. Je suis très marry de n'avoir meilleure chose à vous présenter avec mes fideles obéis- sances, etc. « Du Bosc. » À Amiens, le 25 juin 1649. « Monseigneur, Jay laissé passer depuis lundy sans escrire, M. Berthemet, qui s'en alla mercredi, vous ayant pu dire plus que j'en aurois pu en- envoyer. M. le comte de Harcourt, convalescent de sa colique, est venu icy et a passé à l’armée, d'où un gentilhomme apporta hier qu'il alloit mettre le siége devant Cambray, et hier au soir il fut dit tout haut que la dite place estoit investie : dès mardy le bruit en couroit parmy le commun.On parle qu’il y a dedans deux mille hommes, et que nostre armée est composée de 28 mille : à sçavoir. 16 mille fantassins, et 12 mille chevaux; et que M. le comte de Harcourt y a trouvé 4 à 5 mille hommes plus qu'il n'espéroit. Le corps d’Erlach seul en doit faire 10 à 12 mille. M. le grand maistre de La Meilleraye, le fils, estoit venu ici, et est retourné à Paris quérir ses équipages. M. le prince de Conty et M. le prince de Marsillac sont icy de mercredy. M. de Vendosme arriva hier, je le vis au soir entrer chez Son Éminence. I ne vint point chez la reyne. M. de Mercœur, qui estoit venu deux jours devant, s’excusa qu'il estoit un — 07 — peu indisposé. M. Mancini entre dans le carrosse du roy depuis que nous sommes icy. On dit le traité fait entre luy et M. de Lien- cour pour sa charge de premier gentilhomme de la chambre. M. l'abbé Brisacier a esté receu précepteur du roy, en l'absence de M. de Rhodes, et M. de La Mote le Vayer, de Monsieur ; ils commen- cèrent avant-hier leurs fonctions. On parle de s’en aller bientost d’icy, retourner à Compiègne et de là à Fontainebleau. On disoit que M. de Vendosme venoit; on dit à présent que ce sera à Com- piègne, et que le mariage se fera à Mouchy. On me vient de dire que tous ceux du costé de M. de Jarsey quiestoyentà la querelle des Tuilleries viennent icy cejourd’huy. «Du Bosc. »: À Amiens, le 28 juin 1640. « Monseigneur, «Je marquois hier qu’on attendoit le courrier de M. le comte de Harcourt; son secrétaire M. Moiron arriva l'après disnée; je l'entretins, au soir, chez la reyne. Le siége est formé, l’on travaille à la circonvallation , qui sera faite dans cette semaine; elle sera de trois lieues; il y aura trois quartiers , le général, auquel seront M. de La Ferté Imbaut, de Villequier et d'Erlach. On donne aux travail- leurs huit sols par jour et le pain. Il est entré dans la place de l'infanterie qui, estant de la garnison, estoit dans des quartiers proches pour se rendre dedans au premier signal. Ceux de dedans ont voulu faire une sortie et surprendre comme les chevaux pais- soyent; on s’est mis en estat et ils sont rentrés. Il y a dedans 2 mille hommes de pied, et 300 chevaux. Erlach est malade à Péronne. Ohens commande ses troupes. Nostre armée est en tout de 25 mille hommes, 1/4 à 15 mille fantassins et 10 mille chevaux. La reyne, sur ces nouvelles receues, s’est déclarée qu'elle veut partir samedy de ce lieu pour Compiègne. « Du Bosc. » À Amiens, le 30 juin 1649. « Monseigneur, sn! . . . \ .\ 1° . « Ce que je puis ajouster à ma dernière d'avant hier touchant SE EN, le siége de Cambray est que 360 officiers réformés, qui se vouloyent jetter dedans, ont esté pris ou tués. Il paroist de la cavallerie enemye contre laquelle M. le comte de Harcourt se tient bien préparé. Les lignes seront faites au temps marqué, et l’eussent esté plus tost, si l'on eust eu plus d'outils, tant les Allemans, Polonois et autres tra- vaillent à merveille, et le terrain est bon. Elles seront de douze pieds d'ouverture et de dix de profondeur. II ÿ en devoit avoir vingt- deux mille toises. Il y en aura quinze cents davantage à cause des femmes des Allemans, qui veulent estre enfermées hors la portée du canon. Le sieur Moiron, secrétaire de M. le comte Harcourt, de- meure à la cour. M. Talon va faire avancer munitions, provisions et autres nécessaires. M. le duc d'Orléans s’en est allé cette nuit à Compiègne, d'où il doit aller à Paris. La reyne s’en ira d’icy, dès vendredy, après vespres, à Montdidier et samedy à Compiègne. Le sieur Chanut, résident pour le roy en Suède, d’où il est venu pour y retourner, y ayant laissé sa femme, a fort entretenu Sa Majesté touchant ce pays là. Il m'a dit que la nouvelle que les peuples de Suède veulent cy après estre gouvernés en république n'est pas véritable. Une litière de la reyne est commandée pour porter M. d'Erlach à des eaux qu'il va prendre en Alsace. M. de Vendosme estoit hier chez la reyne. Je ne sçay comment va le mariage de M. de Mercœur; on en parle froidement. « Du Bosc. » «M. le Tellier va à Paris; il est party. I semble qu'on n'envoie pas assez tost les choses nécessaires au siége. M. de Moiron presse et se plaint de la perte de temps, si cher en telle occasion. » À Amiens, le 2 juillet 1649. « Monseigneur, «En partant de cette ville, je vous présente l’imprimé françois d'Angleterre, ayant receu mes lettres icy au passage. Leurs Majestés sont ce soir à Montdidier et demain à Compiègne, où Son Eminence va coucher dès cejourd’huy. La circonvallation de Camibray doit estre achevée ce jourd'hui. Elle n’est que de 22 à 23 mille toises, ne faisans environ que deux lieues et demye. On a amené à Pé- ronne 250 prisonniers de ceux qui avoyent tasché de se jeter dans DS = es on Cambray. M. le maréchal du Plessis se trouve de rechef indisposé, depuis quelques jours. « Du Bosc. » (Sans lieu ni date). «Monseigneur, : «Je prends cette hardiesse pour vous adresser cette déclaration latine du parlement d'Angleterre, pièce importante et dangereuse, par laquelle ils prétendent justifier à tout le monde leurs procédés envers le roy et le changement de leur estat monarchique en res- publique; ce que j'ay creu qu’ils n’ont pas entrepris sans estre as- seurés d’autres estats, nommément de ceux des provinces unies des Pays-Bas; et que, quand leurs ambassadeurs allèrent rendre office au feu roy de la Grande-Bretagne, il y avoit autre mystère; aussy escrit-on que c’est par cet estat là qu’ils commenceront à se faire recognoistre, et qu'ils y vont envoyer un ambassadeur. Quelqu'un nouvellement venu d'Angleterre vint dire icy qu’ils commenceront par la France; ce seroit en ce cas pour la querelle; ce qui ne se fera point non plus sans que la partie soit faite. L’ambassadeur d’Es- pagne ne manquera pas de prendre avantage du rappel de celuy de France. Les Espagnols sçavent trop bien se servir de tout. L'on disoit, hier et avant hier, qu'ils vont assiéger Dunkerque; si cela est, les Anglois et les Hollandois ne leur nuyront pas. On parle que nous allons à Amiens, et que ce sera bientost. M. le duc d'Orléans estant revenu à la Cour avant hier, tout ce qu'il y a de princes soupèrent ensemble chez Son Éminence, Vous sçavez que le roy de la Grande Bretagne va à Paris incognito; il passera par la Cour. Monseigneur, J'ai prié M. Berthemet de rompre ma couverte et vous donner tousjours un des imprimés de Londres. Je mets icy le dernier que j'ay receu , et y adjoute qu’il paroiïst division à Londres véritable ou simulée; qu’on à fait partir des troupes pour FIr- lande; que la plus part des vaisseaux du parlement sont en mer, qu'ils ont pris deux frégates du roy de la Grande Bretagne, l’une nommée la Guynée; que madame de Carlile à plus de liberté; que le chevalier d’'Harington s'excuse de la charge des enfans d’Angle- terre sur son grand âge et incommodité de goutes. Je ne sçay, Monseigneur, quelle expression faire en remercyement de vos fa- veurs. Au partir de Saint-Germain j'allay pour recevoir vos com- si PR mandemens et vous présenter mes fidèles obéissances; je n’ay pu avoir cet honneur, parce que vous estiez en affaires, et je fus obligé à suyvre la première chambre, m'estant attaché à servir ce quar- tier pour avoir ma nourriture, puisqu'il faut suyvre ayant esté commandé de le faire les années passées. .… «Je prie Dieu qu'il vous conserve avec toute gloire et pros- périté. | « Du Bosc. » À Compiègne, le 8 juillet 1649. « Monseigneur, « Je n’ay point escrit depuis dimanche, veu le peu de matière. La reyne receut fort bien M. le duc de Saint-Symon, qui se trouva icy à l’arrivée. L'entrée du secours dans Cambray a esté l’une des plus malheureuses choses du monde. On ne l’attribue qu’au mal- heur; mais, quoyqu'il ne faille pas accuser tout le corps des Erlachs, il faut, ce semble, qu'il ÿy ayt eu trahison en une partie, et mesmes quelques uns d'eux, qu’on dit pris auparavant par les ennemys, les ont guidés, comme nous rapportent nos amys venus de l’armée. On blasme ensuite la levée du siège. Notre armée est encore à Crévecœur, comme on nous disoit hier. Nos troupes avoyent intercepté une lettre du comte de Garcies au comte de Fuensaldana, laquelle fust déchifrée icy par M. de Lionne; elle prescrit le secours, disant les lieux et le temps; on y fist une re- ponse du mesme chifre pour la faire porter dans la place. La reyne en a parlé tout haut de la sorte, ce que nous ne devons toutes fois pas faire; il est vray que c’estoit dans sa chambre, après que le gros se fut retiré. Je fus marry et j'adverty qu'on donnoit par là trop à conoistre aux enemys qu’on entendoit facilement leur chifres; je dirois davantage là dessus bouche à bouche que vous pouvez penser. M" de Senecey est allée à sa maison de Conflans se baigner pour un mois. Le résident de Catalogne a représenté en une audience publique, mardy, les nécessités et dangers de la dite principauté et demandé un vice-roy. Hier M. le coadjuteur vil la reyne, présenté par M. Servien, que Son Éminence a voulu en estre le négotiateur. Ce fut en particulier, après que la reyne fut habillée; l'huissier mesme estoit dehors. Après un temps le roy entra avec ceux qui le suyvoient, j'y entray en mesme temps, je |! | | || | — 71 — vy à la séparation que M. le coadjuteur se tesmoigna fort satisfait, louant les bontés de la reyne, et tenant sa croix à sa main; je luy entendy dire qu'il avoit rapelé à Sa Majesté qu'il tenoit cela d'elle. On compara son visage à ceux qui sortent de confesse. Je vy celui de la reyne esmeu. On dist après qu'il avoit avoué à Sa Majesté que, s'il avoit pensé que les choses eussent esté si loin, il ne s’en seroit Jamais meslé et qu'il avoit tesmovgné desplaisir et demandé pardon. Je n’en ay point ouiïy déclarer la reyne, quoy- qu'on l’ayt assés mise sur ce discours. Il n’a point veu Son Émi- nence; il s’en retourna coucher à Liencourt, d’où l’on m'a dit qu'il estoit venu. On a parlé ces jours que M. de Beaufort viendra avec M. le duc d'Orléans et que M. de Vendosme viendra aussy, ce que voyant, on ne doutera plus du mariage de M. de Mercœur. Tous espèrent ensuyte que Leurs Majestés iront à Paris. Le roy de la Grande Bretagne sera dimanche à Péronne et mardy icy, il y cou- chera et ira le lendemain à Chantilly, où M. le duc d’Anville fera les honneurs. Vous aurez sceu à Paris la défaite des Turcs par les Vénitiens en l’Archipel, qu'on dit estre grande. « Du Bosc. » À Compiègne, le Q juillet 16 :g. « Monseigneur, «Je corrige icy ce que j'escrivois hier touchant le roy de la Grande Bretagne; le dessein a esté changé, il viendra lundy cou- cher à Mouchy, mardy il disnera icy et ira coucher à Chantilly, où la reyne sa mère se trouvera. Les députés de Languedoc eurent hier audience de la reyne immédiatement après estre habillée, à l'entrée de la ruelle près le pied du lit, Sa Majesté debout et seule, personne ne s’approcha. M. lévesque d’AlbY fist la harangue: la reyne y fist response assez longue. M. le duc d'Orléans revint hier au soir accompagné de M. de Nemours et d'Estrée. Plusieurs avoyent cru qu’il améneroit M. de Beaufort. L'on dist après qu'il ira à Anet et M"° de Chevreuse à Dampierre, et qu'après le ma- riage de M. de Mercœur, M. de Beaufort viendra icy. La princesse de Tarente est icy avec M" de la Trémouille sa belle-mère. Plusieurs veulent croire que M. le coadjuteur a dit bien des EE choses à Ja reyne. L'on m'a dit qu'il avoit esté laissé à son option de voir Son Eminence, et il ne l’a pas fait. « Du Bosc. » À Compiègne, le 1 2 juillet 1649. « Monseigneur, « Depuis ma dernière du 9, lon a parlé que Son Éminencc et M. Servien iront à Saint-Quentin pour conférer et traiter de la paix avec le comte de Penaranda; que cependant Leurs Majestés iroyent à Paris, où Son Éminence viendroit après apporter la paix; qu'il a esté concerté que M. le coadjuteur ne verroit point Son Éminence, afin de pouvoir mieux servir à Paris; que M. de Beau- fort ne vient pas pour la mesme raison et que l’on s'entend aussy avec luy a présent; que M. le duc d'Orléans va mercredy avec luy à Paris pour achever d’accommoder l'affaire de M. de Jarsey. Je vous marque les bruits. M. de Vendosme alla samedy au soir à Roye pour estre hier à Peronne au devant du roy de la Grande- Bretagne qu'on prétend toutes fois recevoir sans cérémonie; M. d’Auguincour le traitera à Péronne, M. d’'Humières à Mouchy; le royicy demain à disner, luy donnant la main et M" la Princesse à Chantilly, d'où il ira à Saint-Germain. C’est là que la reyne sa mère le rencontrera. L'armée s’en vint de Crévecœur autour de Castelet, d’où elle s’est mise en marche, on m'a dit entre Landrecy et entre la dite ville et Avesnes. On a fort parlé du mauvais trai- tement que des conseillers du Parlement et autres ont fait à des valets de pied du roy vers les capucins du Marais; la reyne en attend les informations, et d’une collation que M"*° de Brégy devoit faire aux Tuileries empeschée parce que M. de Beaufort s'y fust trouvé. Elle vint hier au soir et a veu la reyne ce matin. Il semble par les lettres d'Angleterre que Jones, gouverneur de Dublin en Ir- lande, auroit esté défait, voulant munir quelque passage pour em- pescher à ses enemys les approches de la dite place et que les vaisseaux du parlement d'Angleterre auroïent eu quelque désavan- tage par ceux du prince Rupert. Cromwell a commission de gou- verneur en chef d'Irlande, pour trois ans, avec toute puissance civile et militaire. Le dit parlement, méditant de se desassembler pour cinq ou six mois, travaille à régler le gouvernement en l’en- us US sn iretemps par un comité de la faction prédominante. On y pense mesmes à réconcilier les partys, l’on disoit aussy à donner quelque chose de satisfaction aux catholiques; on yÿ récompense ceux qui ont bien servy; et l'on y a parlé d'empescher le transport d'argent qui se fait par la communication qu'ils disent trop facile entre Douvres et Calais. | « Du Bosc. » | À Compiègne, le 14 juillet 1649. « Monseigneur, « Le traitement du roy de la Grande Bretagne, à ce que j'apprens, depuis ce que j'escrivois lundY, a esté par M. le commandeur de Souvré, mais aux despens du roy. Hier, un peu après dix heures, Leurs Majestés allèrent au devant du roy de la Grande Bretagne jusqu’à moitié chemin de Mouchy; la rencontre fut à onze heures et un quart en la belle campagne. Les carosses s’approchant l’un de l’autre s’arrestèrent à mesme temps. Le roy de la Grande Bre- tagne descendit d’un carosse du roy, dans lequel il estoit venu, et Leurs Majestés, de celuy de la reyne; les deux roysse rencontrèrent entre les deux carosses, et se saluèrent; après, le roy de la Grande Bretagne, s’avançant un peu vers la reyne, la baisa et ensuyte Madame et Mademoiselle. Les complimens faits assez courts, la reyne rentra dans son carosse, se mettant au devant, comme elle fait de coutume ; les roys et Monsieur se mirent à la portière la plus proche, celle de la main qui est la droite du cocher, le roy au mi- lieu et le roy de la Grande Bretagne, à sa gauche, auprès de la reyne, auprès de laquellé se meist M. le duc d'Orléans, au mesme siège de devant; à l’autre portière estoyent Madame et Mademoiselle, et au derrière estoient Son Éminence, vis-à-vis de la reyne, et M" de Fiesque à costé de luy. Ainsy en grand cortége et grande cavallerie on reprit le chemin de cette ville, lequel estoit bordé de peuple. À la descente du carosse dans le chasteau, le roy de la Grande- Bretagne prit la reyne par la main, le roy marcha à costé de la reyne et Monsieur près de luy; ils montèrent au cabinet de la reyne, où esloyent trois fauteuils préparés : la reyne fist asseoir le roy de la Grande Bretagne en celuy du milieu, le roÿ s’assist à sa droite et la reyne à sa gauche, ces deux fauteuils un peu des- tournés en cercle. Et sur des siéges estoyent assis, au-dessous du PU ee roy, Monsieur, Madame et Mademoiselle , et, au-dessous de la reyne, M. le duc d'Orléans. On s’entretint jusqu'à ce que, le disner estant servy dans l’antichambre du roy, Leurs Majestés y passèrent. Les deux roys et la reyne lavèrent ensemble et essuyèrent d’une mesme serviette, puis s’assirent au costé de la table vers la terrasse; au- près du bout, où estoit la nef vers la chambre du roy, se mist le roy de la Grande Bretagne et tout près le roy et la reyne sur trois fauteuils, et un peu au-dessous, sur des sièges, estoyent Monsieur, M. le duc d'Orléans, Madame et Mademoiselle, tenant eux sept en- semble tout le costé de la table. Il n’y eut point de violon à cause du grand deuil du roy de la Grande Bretagne, qui le porte encor viollet. A près le disner, Leurs Majestés retournèrent au cabinet de la reyne, où la séance fust de mesme qu'auparavant pour Leurs Ma- jestés, mais Monsieur se mit auprès de la reyne et M. le duc d'Or- léans au-dessous de luy. Et au-dessous du roy estoient madame et mademoiselle de la Trémouille et madame de Tarente et made- moiselle de la Trémouille, qui s’y trouvèrent, et M. le duc d'Orléans s'estant levé, madame de Montbazon se mit en sa place, et luy ne revint plus s'asseoir. Son Éminence ne se trouva point à ce cercle, ny devant le disner. Les sieurs Otto et Camford chantèrent quel- ques airs italiens devant Leurs Majestés, le sieur Luigi jouant du petit clavecin. Entre trois et quatre heures, Leurs Majestés re- montèrent dans le carosse de la reyne, elle et M. ie duc d'Orléans au devant, les roys et Monsieur à la portière de la gauche du cocher. Ainsy le roy de la Grande Bretagne estoit à la gauche du roy et auprès de la reyne; à l’autre portière estoyent Madame et Son Éminence, et au derrière mademoiselle et madame deF iesque. L'on alla au puis du roy, où se fist la séparation. Leurs Majestés descendues du carosse, le roy de la Grande Bretagne les compli- menta, baisa la reyne, puis Madame, se séparant et parlant un peu à Mademoiselle de Mesmes; plusieurs disent que c’estoit sa mai- tresse. Après, le roy de la Grande Bretagne se sépara avec Son Éminence et mylord Germain, et parlèrent assez longtemps seuls. Cependant la reyne rentra dans son carrosse. La dite conférence finie, il s’en fist encore une autre du roy de la Grande Bretagne, M. le duc d'Orléans et mylord Germain aussy à quartier; laquelle achevée, le roy de la Grande Bretagne, raprochant un peu vers le carosse de la reyne, baisa les filles qui s'y trouvèrent, mademoiselle de Guerchy, Neuillon et la Roche. Après cela, le roy, Monsieur, M. le duc d'Orléans et Son Éminence conduisirent le roy de la Grande Bretagne vers la route qui mesne au chemin de Chantilly, au carrosse aussy esloigné; il s'Y passa du temps en complimens, le roy ayant voulu voir le roy de la Grande Bretagne en carrosse et marcher, devant de se retirer, luy faisant ainsy l'honneur tout entier. M®° de Carignan s’en alla dès le matin à Paris en colère de ce qu’elle né devoit pas estre du disner; on luy représenta assez qu’il n’y eust pas eu place au carrosse et que si elle et sa fille eussent esté à la table, trop d’autres y eussent prétendu ; mais elle fist grand bruit et s'en alla. Le roy de la Grande Bretagne a tous- jours parlé par interprète mylord Germain, excepté un peu avec la reyne en françois, en discours et entretien particuliers. La reyne dist tout haut au puis du roy que la journée le rendoit encore plus fameux à jamais qu’il n’estoit. Quelqu'un fist observer, comme on dressoit la table où mangèrent Leurs Majestés, que le lieu estoit tendu à la vérité d’une très-belle tapisserie, mais de Tarquin le Superbe, et, quoyqu'il n'y ayt pas de raport pour le sujet, il y en a au changement de la royauté en république avec le feu roy d’An- gleterre. Il en fut parlé jusqu à la reyne, et a advoué qu'une autre auroit esté mieux, mais il n'y en avoit point d’autre et restoit peu de temps. Ce fut par rencontre non préméditée. On se contenta de n’en plus parler, et que personne des Anglois ne feroit cette re- marque. Je n’entens plus parler que Son Éminence ira à Saint- Quentin pour s’aboucher avec le comte de Penaranda. «C Du Bosc. » À Compiègne, le 16 juillet 1610. « Monseigneur, « Avant hier j'escrivy la réception du roy de la Grande Bre- tagne. Depuis, Leurs Majestés ont envoyé visiter madame de Chas- tillon et se réjouir de son heureux accouchement d’un fils. M. Ta- lon, employé en la guerre, a esté envoyé à l’armée porter les or- dres. M. le duc d'Orléans alla hier à Villers Cotrets, après avoir disné avec le roy chez Son Éminence. Cejourd’huy il devoit aller à Nanteuil, où tous ces Messieurs de la querelle des Tuïlleries se devoient trouver et M. de Beaufort pour achever d’accommoder l'affaire des Tuileries, L'on m'a dit qu'il y a un grand escrit fait ER de toutes les satisfactions; néantmoins il semble selon quelques- uns qu'il y à encor difficulté. M. le Prince doit estre icy dans huit jours. Son Éminence se trouva mal hier au soir. Il se dit qu'il y aura demain conseil de conscience. M. Vincent estant venu, j'ay entendu dire à la reyne qu'elle ne voudroit point tous ces stiles d’altesse qu'on donne à présent aux princes, mais qu’on usàt du stile ancien. Sa Majesté est en dévotion tout ce jour aux Carmé- lites. La famille royale est en santé Dieu mercy. «Du Bosc. » À Compiègne, le 22 Juillet 1640. « Monseigneur, | «Le partement de Son Éminence de cette ville pour Saint Quentin a esté ce matin, entre 4 et 5. L’on m'a nommé, entre les principaux qui l’accompagnent, MM. de Vendosme, Mercœur, Servien, Villeroy et du Plessis Praslin. Il n’y va point de secré- taires d’Estat. L'on dit que M. le Prince ira après, lequel ne pa- roist point encore icy. On fait des jugemens différents sur l’exécu- tion empeschée à Paris des imprimeurs et vendeurs de libelles. M. Lenet, procureur général au Parlement de Dijon, fut hier au soir fort tard seul avec Son Éminence sur la terrace, près d’une heure. M. le duc d'Orléans et Madame vont se divertir à Villers Cotrets. Ainsy la cour sera petite jusqu’au retour de Son Émi- nence. Il a dit tout haut que son voyage ne sera que de fort peu de jours. Ses gens disent de dix ou douze. « Du Bosc. » À Compiègne, le 24 juillet 1649. «Monseigneur, «Au partement que je marquay avant hier, MM. de Vendosme, Mercœur , Villeroy, Plessis Praslin, Jarsey et commandeur de Jars et Souvré, entrèrent au carrosse avec Son Éminence. Ils furent traités à Magny par M"° de Chaulnes. Un homme sur le chemin les fist tourner chez elle, disant que c’estoit le meilleur, et quand ils furent entrés, ils trouvèrent tout prest un grand festin parfaite- ment bien servy. De là ils allèrent à Haras et à Saint-Quentin. Il en est venu aujourd’huy un gentilhomme de Son Éminence, lequel a parlé à la reyne en lréivuiiont Ce que j'en ay ee ouyr dire est que le comte de Penaranda a envoyé un secrétaire à M. le nonce et ambassadeur de Venise, et que l’archiduc est à Cambray, etun prélat sortant d'entretenir la reyne a dit à un autre qu'il y a bonne nouvelle touchant la paix. La nee tint hier l'après disnée sur son lit. Au soir, elle se divertit à voir dancer le roy avec les nièces de Son Éminence dans le petit cabinet en particu- lier, et après, à ouyr la musique italienne des sieurs Otto, Luigi, et Camford, à laquelle M. de Schomberg se mesla avec sa basse. Mademoiselle est aussy allée avec M. le duc d'Orléans et Madame à Villers Cotrets, d'où on les attend icy de retour demain où lundvy. On s’est bien réjouy icy de l’arrest du parlement contre ceux qui ont empesché l'exécution des imprimeurs, et de la délibération de la maison de ville sur ce sujet. « Du Bosc. » À Compiègne, le 26 juillet 1640. « Monseigneur, « M. le maréchal de Villeroy est venu de Saint Quentin, ce jour- d'huy; il a parlé longtemps à la reyne, à son éveiller; il ne s’en est rien dit à l'heure. J’ay entendu après des uns et des autres que Son Éminence ira à l'armée, y fera payer demi-monstre et re- viendra icy vendredy. M. de Marsac, venu hier et reparty aujour- d’huy, me dist hier que M. le comte de Harcourt estoit allé avec trois mille chevaux pour enlever quelques quartiers des ennemis. On dit ce jourd'huy qu'il n’a rien fait, et que Son Éminence attendoit des nouvelles du comte de Penaranda. M. de Servien parut hier chez la reyne, revenu de Paris. I assista au conseil ou conférence, qui n’estoit depuis le partement de Son Éminence que de la reyne et de MM. Le Tellier et de Brienne et se tenoit tous les jours. M. de Schomberg est allé à Saint-Quentin. M. le duc d'Orléans vient d'arriver, comme la reyne estoit à disner dans lantichambre. Sa Majesté à fort parlé à luy tout bas à l'oreille. Je n'ose pas faire les jugemens; mais je remarque ceux des au- tres, qui ne croient pas que les nouvelles soyent bonnes, ny de la paix, ny de la guerre. On parloit ces jours que le comte de Pena- ET randa ne veut point traiter sans un député du Parlement, comme porte la déclaration. Ce n’estoit qu'un secrétaire de l'ambassadeur de Venise, qui estoit repassé de la part du comte de Penaranda, lequel est revenu de Paris icy apporter lettres à M. le comte de Brienne envoyées hier à Son Eminence. «Il y a à corriger à l'imprimé de Paris de la réception 1icy du roy de la Grande Bretagne, qu'il y avoit carosse de la reyne au devant du dit roy, que les séances au carosse ont esté comme je les ay marquées, que les viollons n'ont point joué et qu’au carre- four des routes il y en a huict. Au laver de Leurs Majestés il y avoit trois serviettes sur trois assiettes dans un bassin, lesquelles on prist pour n'estre qu'une. « Du Bosc. » À Compiègne, le 27 juillet 1649. « Monseigneur, | « Ayant hier marqué ce que j'avois ouy, ce ne sera que pour dire qu’au soir j'appris que le régiment de cavallerie de Son Éminence, de Montdeberg, consistant de 150 maistres, après avoir esté quelque temps à acheter des chevaux en la haute Normandie, a été pour- suivy par les paysans renforcés et conduits par des gentilshommes jusqu'aux faubourgs d'Abbeville, auquel lieu, assistés des habitans du lieu mesme, le dit régiment a esté fort maltraité. Trente maistres ont este tués et cntr'eux cinq officiers extresmement regrettés du sieur de Bertouville leur major, qui estoit à la teste du dit régi- ment. Le reste, au nombre de six vingts, s’est sauvé avec grande peine en la dite ville, où ils vivent sur leur bource et n’osent sortir, estans attendus à la campagne par des partis tout à l’entour pour les massacrer. Tout le pays couroit sur eux, sous le nom de Maza- rins. Le dit sieur de Bertouville est sorty d’Abbeville dans un bateau couvert de paille et venu ainsy par eau jusqu’à Amiens. Il sollicite icy qu'on envoie un lieutenant du provost en informer sur les lieux ; il a perdu tout son équipage. Madame et Mademoi- selle revinrent aussy icy de Villers Cottrets. Mademoiselle s’est blessée à un pied d’une entorse. On pourroit s’estonner que les femmes ne se rompent ordinairement pieds et jambes avec leur incommode chaussure. | «Du Bosc. » R À Compiègne, le 30 juillet 1649. « Monseigneur, « Cejourd’hui, Leurs Majestés, au retour de la messe, ont donné audience en la chambre de la reyne aux députés de la ville de Paris. La harangue de M. le provost des marchands a esté trouvée fort affectionnée et respectueuse. Il a, au nom de la ville, tesmoigné grand desplaisir du désordre arrivé à l'interruption de la justice qui se devoit faire sur ces imprimeurs tant criminels, protesté que pas un des bourgeois n'y a trempé, que ce n’a esté que la canaïlle, gens sans adveu et sans exercice, l’a comparé à un nuage en une belle journé d’esté qui obscurcit pour un peu, mais n'oste pas la splendeur du soleil; qu'aussy cela n’empeschera pas celle de la justice et qu'elle ne se remette en son ordre et en son lustre; que le roy est l'ame de l’Estat; que comme l'ame, en quelque partie qu’elle soit, fait ses efforts, mais réside et fait ses fonctions prin- cipales en la teste; qu'aussy Paris estant la teste de l'Estat, c’est là que Sa Majesté est principalement désirée de ses amys et appréhendée de ses ennemys; que c’est pour cela que Henry IV, son ayeul, a donné tant de batailles et fait tant de conquestes; qu'ils supplient la reyne d'y mener le roy, et comme elle est mère de Sa Majesté, de l’estre aussy de son peuple en le ramenant en sa bonne ville; qu'ils viennent prosternés au nom de tous les corps offrir sans réserve leurs biens et leurs vies. La reyne a tesmoigné agréer ces hommages de leur bonnes affections; qu’elle désire plus qu'eux de ramener le roy à Paris; que, sans que ses affaires l'ont appelée vers la frontière, elle l'auroit desjà fait; qu'a la vérité les désordres et publications des libelles, jusqu’à manquer de respect envers la personne du roy mesme, sont choses très fascheuses; et qu’elle espère qu'ils les feront cesser et apporter l’ordre nécessaire, les asseurant de la bonne volonté du Roy et de la sienne. Voilà ce que ma mémoire m'en fournist. Ils n’ont point esté traités. Après leur disner, en une maison que les mareschaux leur ont donnée et celuy de Leurs Majestés, M. le provost des marchands est revenu voyr la reyne en particulier dans son petit oratoire avec M. le marquis de Villeroy seul. « Du Bosc, » ET À Compiègne, le 1° aoust 1649. « Monseigneur, «Le sieur Augier, estant à Paris pour le parlement d'Angleterre, a escrit à M. de Brienne qu'il a ordre de demander satisfaction sur des griefs de marchands anglois qu'il spécifie et de déclarer que, si on ne la donne dans 40 jours, le dit parlement accordera aux dits marchands des lettres de représailles. Mylord Germain est icy. L’on m'a dit qu'il vient entr'autres choses offrir que le duc d’York, second fils du feu roy de la Grande Bretagne, soit capi- taine de la compagnie de gendarmes Escossois et demande qu’elle soit remise en son ancien estat. Le roy a eu ce matin une foiblesse à la messe, au temps de l'élévation; il est devenu tout pasle, on luy a donné du vin et il est revenu comme auparavant et s'est diverty le reste du jour à l'ordinaire, eta donné audience, vers les trois heures, avec la reyne, aux députés des corps des marchands de Paris. Celuy qui a parlé a pris un ton si bas, que, quoyque je fusse bien près, j'en ay entendu que fort peu de sa harangue. Il a demandé Île retour du roy à Paris, asseurant qu'il y sera adoré, honoré, servy, respecté avec toute fidélité. La reyne s’est témoi- gnée bien satisfaite de leur bonnes affections , leur disant que, sur ces asseurances qu'ils donnent, elle le ramenera à Paris aussy tosl que ses affaires le permettront, et les asseurant cependant de la bonne volonté du roy et de la sienne. Son Éminence a esté à l’armée à Casteau Gambrésis et est aliendue icy ce soir. M. de Marsac, qui vint hier de sa part, nous dist que nostre armée est belle, consistant en 25,000 hommes, que celle des enemys est de 18,000, et qu'il y a quelque cours estably entre Son Éminence et Penaranda pour un traité. « Du Bosc. » À Compiègne, le 3 aoust 1649. « Monseigneur, «Je marquay avant hier l’arrivée de Son Éminence. Le roY avec grande joye de son retour alla au devant jusqu’en bas; la reyne, qui revenoit de la promenade, se trouva en la cour en mesme temps. Ensuyte il y eut conseil. Au souper la reyne fut entretenue de la beauté de l’armée, consistant à ce qu’on dist à En Sa Majesté de 23,000 hommes dont il Y a 11,000 chevaux. Son Éminence a fait payer demi-monstre et régalé de présents quantité d'officiers. Il fut dit qu’elle décamperoit le lendemain pour aller dans le Hainaut. M. de Grancé y a esté envoyé lieutenant général. M. de Turenne est icy. M. de Schomberg va à Metz et à Bourbon, et madame sa femme avec luy. Les gendarmes et chevaux légers de la garde du roy sont retenus pour aller au camp volant de M. le Vidame. M. de Champlastreux estant venu hier, chacun vouloit croire que c'estoit pour représenter la nécessité d’aller à Paris. Le bruit est que M. le duc d'Orléans y est fort porté. M. le Prince est attendu ce jourd'huy. On parle un peu que Leurs Majestés iront à Villers Cotrets pour deux ou trois jours. Vous estes assez informé du peu de lieu d'espérer la paix avec les enemys. La paix interne seroit le moyen d'y parvenir. M. Germain m'a dit qu'il fut hier résolu au conseil que le duc d’York sera capitaine de la compagnie de gendarmes Escossois, et qu'elle sera remise en son ancien estat. Le roy doit prendre médecine Sr ou samedi. =® «Du Bose, » À Compiègne, le 5 aoust 1649. «Monseigneur, « Le roy prist hier médecine. La reyne se tint auprès de Sa Majesté longtemps à le divertir et disna chez luy. Monsieur l’a prise ce jourd hui. M. le Prince vint hier; il parut gay, assista au conseil, fut longtemps seul avec la reyne et Son Éminence après que M. le duc d'Orléans et les autres furent sortis, et soupa avec Son Éminence. Cinq compagnies des gardes ont esté envoyées à Soissons. Il y en a plus à Mondidier. Le bruit est que Leurs Majestés iront à Villers Cotrets et autres lieux de ce costé là et à Paris dans peu de jours. On parle que madame de Chevreuse vien- dra icy et madame de Vendosme. M. d’Angoulesme est venu voir la reyne comme elle estoit à disner, et le roy avec elle. On m'a dit que le contract de mariage de M. de Joyeuse avec mademoiselle d’Alais a esté apporté icy pour estre signé, et que M. de Lionne va trouver le comte de Penaranda. M. de Grancé est encore icy. On a dit ce matin que nostre armée avoit avancé au pays enemy et avoit forcé un passage, où elle auroit gagné trois canons; mais MISS. SCIENT. — IV. 6 EU l'ayant demandé à mes amys de chez M. le Tellier, ils me disent n’en avoir point de nouvelles. « Du Bosc. » À Compiègne, le 8 aoust 1649. : « Monseigneur, «Il ne paroist point encor de nouvelles certaines de l’armée. Le major de Saint Quentin a escrit à M. Eusenat qu'elle auroit passé l'Escaut entre Bouchain et Valenciennes, et pris un fort; que les Allemans auroient passé à gué et à nage pour couper les enemys, qui auroyent esté défaits et auroyent perdu jusqu’à 17 pièces de canon ; tous sont en impatience pour savoir la confirmation et la certitude. On parle qu’elle doit prendre Condé et Saint-Amant. La reyne alla vendredi aux Célestins dans cette forest, à deux lieues d’icy. La situation de leur couvent a esté trouvée fort belle, mais tout malpropre. Le roy alla hier à la chasse du cerf. On a eu nou- velle d’une grande conspiration en Catalogne pour esgorger tous les François. Vous sçavez qu'il y a sujet de craindre de ce costé là. M. de Lionne est party ce matin pour Valenciennes, où il sup- pose qu'il trouvera le comte de Penaranda. Le contract de mariage de M. de Joyeuse vient d’estre signé en la chambre du roy. Madame de Guyse et M. de Chevreuse, arrivés ce jourd’huy, ont assisté et signé. On attend ce soir madame de Chevreuse. L’am- bassadeur de Suède a eu cette après disnée son audience de congé, et madame sa femme aussy. On a arresté icy un fourbe qui a esté moine, religieuse, déguisé en fille, huguenot deux fois, et qui disoit la messe sans estre prestre. On ne parle plus tant d’aller à Paris si tost. Les gendarmes et chevaux légers de la garde, ayant représenté qu'il leur estoit impossible de servir s'ils n’es- toyent payés, ont obtenu congé d’aller chez eux. Je mets ici le dernier imprimé françois de Londres, M. Berthemet n'ayant pas ouvert mon pacquet pour le prendre et vous le donner. « Du Bosc. » À Compiègne, le g aoust 1649. « Monseigneur, « Ce porteur me disant qu’il va vous trouver, je le charge de ce AU que J'apprens à l’arrivée de M. Talon de l'armée, qui est, que mardy dernier le passage de la rivière de l’Escaut a esté forcé à Neufville entre Bouchain et Valenciennes; les enemys le défen- doyent avec canon et cavallerie. Mercredy toute notre armée passa. Jeudy les troupes allemandes ont défait douze cents hommes de pied et 5oo chevaux, à la teste du fauxbourg de Valenciennes. M. le comte de Harcourt a esté blessé légèrement au costé d’une mousquetade près la hanche, et M. le chevalier de Barin comman- dant les gardes de M. le Prince a receu une mousquetade au tra- vers du corps. Le seigneur des Fourneaux commandant les dra- gons allemands a eu le bras cassé. Si j'apprends chose davantage que je juge devoir estre adjoustée, je le feray vers le soir par la poste. Cecy est escrit entre onze heures et midy. « Du Bosc. » À Compiègne, le 10 aoust 1649. « Monseigneur, « J’escrivy hier si en haste par le sieur Marue, que j'oubliay de { = ; a 3 IL / : marquer la réception de madame de Chevreuse le soir précédent ; elle fust conduite par madame de Montbazon et le commandeur de Jars, outre lesquelles personne n'entra que Madamoiselle, se- lon l’ordre exprès, estant au lever du conseil et l'huissier demeu- rant dehors; elle estoit accompagnée de mademoiselle de Chevreuse sa fille. L'entretien dura quelque demy heure, après lequel on la vit sortir avec un visage satisfait. Quand tous furent retirés, je m'approchay de la reyne et parlay un peu du changement et du retour de madame de Chevreuse et des choses passées. Sa Majesté me dist qu’elle avoit bien promis de ne plus faire comme elle à fait, adjoustant toutes fois qu’il y falloit bien prendre garde, vous sçavez que c’est à dire. Je n’adjoustay rien au soir par la poste à ce que j'avois escrit du passage de l'Escaut, n'ayant rien appris davantage, sinon que nous y avons perdu quatre ou cinq cents hommes, ce qui se pouvoit assez colliger et imaginer. Madame de Chevreuse fut hier au soir une grande heure avec Son Éminence chez luy; après laquelle conférence ils allèrent ensemble chez la reyne. Son Éminence dist au retour à une personne que je luy présentay qu'il ira bientost à Paris. Les compagnies qui sortent de 6. — 6h — la garde s'y acheminent. La reyne demeure ce jourd'huy dans les Carmélites. Le roy disne avec Son Eminence. « Du Bosc. » ‘“ À Compiègne, le 11 aoust 1649. « Monseigneur, « La reyne déclara hier à souper qu’elle ira à Paris la semaine prochaine et loger au Palais Royal. Son Éminence a esté ce matin voir madame de Chevreuse. On m'a dit qu’elle va à Paris pour persuader à M. de Beaufort de venir icy, et qu’il a demandé trois jours pour se résoudre; s'il ne le fait, il faudra qu'il sorte de Paris, quand le roy arrivera. Je n’ay pas marqué que M. le Prince de Conty est icy. Madame la Princesse y est attendue ce soir. M. de Lionne alla dimanche à Cambray, où il fut receu avec grande civi- lité. Le gouverneur le voulut loger, mais il demeura en l’hostellerie. Lundy au matin, le dit gouverneur le visita et l’invita à disner, où il fut bien traité. L'après disner, vers les quatre heures, le comte de Penaranda arriva en la dite ville. M. de Lionne envoya prendre son heure pour l'aller voir, qui fut aussy tost après. Ils furent deux heures et demye en conférence. Hier au matin le dit comte vint visiter M. de Lionne; la visite fut longue. Ensuyte il linvita: à disner chez luy, à l’archevesché. Après le disner, ils conférèrent encor longtemps. Cette conférence finie, M. de Lionne s’en revint coucher à Véronne. Ce matin il est arrivé icy un peu devant midy. Voilà l'extérieur du voyage comme je l’ay appris de ses gens. Je ne puis encor pénétrer plus avant que par la lumière que vous avez eue en la dernière occasion. On m'a dit que le roy assistera doresnavant ès conseils. «a DE Bosc. » À Compiègne, le 12 aoust 1649. « Monseigneur, « J'appris hier, après avoir mis ma lettre à la poste, que le comte de Penaranda a assés déclaré à M. de Lionne qu'il prétend tirer de grands avantages de nos désordres, puisqu'il luy a dit que, Jusqu'à ce que le roy soit maistre de Paris et de ses provinces ND ce 2e mutinées, 11 ne faut pas nous attendre à traiter de la paix de la sorte que cy devant. Les lumières que vous en avez eues, dont J'ay eu quelque participation, vous en disent plus que je ne vous sçau- rois escrire sur ce sujet. De nostre union ou division interne des- pend tout nostre bien ou tout nostre mal, et tout nostre but prin- cipal, selon mon petit jugement, ne devroit aller qu'à concilier et réunir tous les esprits de tout le royaume tant qu'il se pourra en toute manière. Mais pardonnez que j'ay meslé ce mot de.raisonne- ment. Il est vray que le roy assistera bientost ès conseils; un de ceux qui sont le plus près de sa personne m'a dit que ce sera le mois prochain. Le sieur Courtois est allé ce jourd'huy à Paris par ordre de la reyne faire nettoyer et préparer au Palais Royal, _et Sa Majesté a commandé à son controlleur général de faire venir tous ses charrois icy pour lundy. La créance est que Leurs Ma- jestés iront mardy à Senlis et mercredy à Paris. Madame la Prin- cesse vint hier au soir. On parloit de quelque apparence que les ar- mées se pourroient chocquer; je ne croy pas que les Espagnols le voulussent hasarder. On spécule fort sur notre retour à Paris. « Du Bosc. » « L'on m'a dit, depuis cette lettre escrite, qu’il y a encore lieu de renouer un ajustement d’une conférence de Son Eminence avec Penaranda. » À Compiègne, le 14 aoust 1649. « Monseigneur, | « Le bruit a esté ce matin qu'il y avoit quelque chose de changé au voyage de Leurs Majestés à Paris, jusqu’à dire mesme qu'on n'iroit point du tout; néantmoins les apparences continuent; tous les charroys et mulets du roy et de la reyne sont commandés d'estre icy lundy ou mardy. Le jour du partement n’est point encor marqué, et il a esté dit que M. le duc d'Orléans ira mardy à Paris et reviendra devant que Leurs Majestés partent d’icy. On me dit que nostre armée est à Arleux. Il y a eu des escarmouches avec les enemys, qu'on appelle icy un carroussel, ayant commencé par cavalier et cavalier, puis 2, 4, 10, et ensuyte par escadron et escadrons. On n’en marque pas précisément le succès, ce qui fait croire que Ça esté peu de chose ou que nous n’y avons rien gagné. En qu Le corps que commande M. de Palluau à mis un grand convoy dans la Mote au Bois. On a parlé que les enemys avoient détaché un corps et seroient venus piller au deçà de Saint Quentin jusques vers Chauluy. Ceux du métier m'ont dit que ce sont les garnisons de Cambray et autres qui sont venues demander les contributions et enlever tout ce qu’elles ont pu. La reyne tesmoigna hier au souper à M. de Ruvigny qu'elle est bien satisfaite de ceux de Mon- lauban, qui n'ont pas voulu estre deschargés de la taille par le parlement de Tholose, mais se contentent de la diminution accor- dée par le roy. Ün père jésuite, nommé le P. Barton, procureur de la province d'Angleterre, a obtenu icy ces jours les passe-ports du roy pour les provinciaux anglois, flamans et wallons et leurs compagnons, pour aller à Rome à l'assemblée générale pour l’élec- üon d'un général. I a présenté une lettre de duc de Bavière à Son Éminence touchant quelque mariage. Son Éminence a fait response etremis à M. Vautorté, qui est pour le roy en Allemagne, de voir le dit duc pour cela. «Du Bosc. » À Compiègne, le 15 aoust 1649. « Monseigneur, « Hier la reyne déclara le partement d'icy de Leurs Majestés mardy pour Senlis, mercredy à Paris; et tous les ordres nécessaires pour cela furent donnés. Cejourd’huy le roy a esté à la messe aux Capucins, et la reyne a fait ses dévotions aux Carmélites. Le roy et Monsieur ont disné chez Son Éminence, et l’après disnée Leurs Majestés ont esté à Saint-Cornille au sermon de M. le coadjuteur de Montauban , et après vespres ont assisté à la procession générale aux Jacobins à pied. « Du Bosc. » Nous en avons fini avec le Journal de du Bosc, et nous n’avons plus rien à dire sur les premières années du règne de Louis XIV. À l’aide des documents que possède la Russie, voyons ce que va devenir la France sous la féconde impulsion imprimée par Col- bert. Tout d’abord le grand ministre s'affaque aux abus, il fait — 87 — rendre gorge aux traitants et relève le crédit public. De toutes les nouvelles mesures, celle qui ‘devait soulever le plus de mé- contentement, c'était sans contredit la réduction des rentes. La bourgeoisie s’y refusait opiniaätrément. Dans deux lettres au chan- celier Séguier, lettres écrites à l’occasion des rentes de l'hôtel de ville, Colbert prend da défense du droit de l'État. L'importance de là question nous engage à reproduire cette correspondance : « J'ai lu au roi, lui dit-il (1° juin 1564), la lettre qu'il vous a plu m'écrire sur la malière des rentes, sur laquelle Sa Majesté a esté bien aise d'apprendre vos sentimens, et m'ordonne en mesme temps de vous dire que, comme il y a beaucoup de séditieux qui entrent dans l’hostel de ville sans avoir intérest aux rentes, il seroit bien nécessaire de voir s’il n’y auroit point d’expédient d'en recognoistre quelqu'un , le faire prendre et punir, afin d’oster par ce moyen cette semence de séditions !. » Le 3 juin suivant, il revient sur la mesure elle-même : « J'ai leu au roy les deux lettres que vous avez pris la peine de m'escrire , et Sa Majesté en mesme temps m'a ordonné de vous faire sçavoir qu'elle sera bien aise que l'affaire qui vous retient soit bientost commencée, pour vous voir auprès d’elle, non-seulement pour toutes les affaires dans lesquelles elle a besoin de vostre pré- sence, mais mesme pour commencer à tenir un nouveau conseil qu'elle a résolu de donner les samedis de 15 en 15 jours pour les seules affaires qui regardent le commerce du royaume. «Sur le sujet de l’arrest pour le remboursement et admortisse- ment des rentes sur l’hostel de ville de Paris, M. Le Tellier a eu ordre de Sa Majesté de vous faire sçavoir ses intentions; en un mot, Monseigneur, le roy se sert d’un droit dont le dernier débiteur du royaume jouit tous les jours, qui est de s'acquitter. Son intention n'est point de faire aucune imputation ni surtout le payement des arrérages jusques à l'actuel remboursement; c’est une résolution que Sa Majesté a prise et qu’elle veut soutenir, estant juste et rai- sonnable. Je suis avec le respect que je doibs ?. » Ce besoin de tout connaître, cette activité qui débordait en lui, Colbert la communiquait à tous les agents qui dépendaient de lui. Rendant compte au chancelier de ses instructions aux ! De sa main et de Fontainebleau. ah. PR ve maitres des requêtes envoyés dans les provinces, il lui dit toute sa pensée : « J'ai cherché surtout à éveiller en eux l'envie de curiosités qui peuvent toujours estre utiles pour le service du roy et du public: joint que le roy a toujours désir de sçavoir toutes ces choses, qui est un assez puissant motif pour obliger ces messieurs à avoir la même curiosité et a avoir la satisfaction de pouvoir la donner à leur roy et maistre !.» Grâce à cette fermeté de direction, à ces efforts de chaque jour, l'état intérieur de la France s’améliorait et déjà partout la main du maitre se faisait sentir. Mais s’il n’y avait plus d’émeutes dans les villes, plus de séditions dans les provinces, néanmoins les que- relles particulières des grandes familles y maintenaient des causes de discorde. Il ÿ avait encore des abus de toutes sortes à réprimer, et pour extirper le mal, pour réprimer certains crimes, certains excès d'autorité (quelle que fût la main qui s’en rendit coupable), il fallait une Justice exceptionnelle. Ainsi peut s'expliquer la con- vocation des grands jours. Fléchier nous en a laissé l’histoire pour l'Auvergne , étude curieuse, où tous ceux qui ont écrit sur le règne de Louis XIV ont puisé des détails. M. Talon, dans les lettres de lui venues à Saint-Pétersbourg, s'occupe aussi des grands jours d'Auvergne. Au nombre des mesures réparatrices, il soumit à la si- gnature du chancelier un projet d'ordonnance, à l'effet de remettre les habitants de l'Auvergne dans la possession des communes et des droits d'usage aliénés durant les guerres. On ne s’en tint pas à l'Auvergne ; une commission du parlement de Toulouse alla tenir de semblables assises au Puy, en Velay, pour le Vivarais, le Velay et les Cévennes. D’Aguesseau, intendant de Limoges, reçut les mêmes pouvoirs pour sa province. Toutes ses lettres, tous ses rapports font partie des recueils emportés en Russie. Les lettres de M. Tubeuf au chancelier sur les grands Jours du Puy s'y trouvent également; j'y consacrerai quelques lignes. | Dans une première lettre (du 7 août 1666), Tubeuf rend compte au chancelier de plusieurs affaires des grands jours : il ne sait rien de M. de Caylus; il a sans doute été envoyé à Aurillac, 1 Mae Le x L Jai I £ Lettre autographe du 17 mars 1664, datée -de Saint-Germain, n° 107 de la collection de Saint-Pétershourg. SR es pour que son procès y füt instruit. L'affaire de l'abbé de Sainte- Croix n’est pas venue. Les commissaires du Rouergue apportent beaucoup de procédures. Nouvelle lettre du 9 novembre 1666 : « On poursuit l'instruction des personnes plus qualifiées. Jusqu'à ce moment on n’a pu satis- faire la justice par l'exemple de quelque criminel de marque. » « Samedi, ajoute-t-1l, nous jugeons les deux plus grands voleurs du pays. » _ Le 23 novembre 1666, Tubeuf écrit de nouveau : « L'affaire de l'abbé de Monestier arriva hier, accusé surtout de simonie, crime à la vérité ecclésiastique, aussi at-il été renvoyé devant les juges ec- clésiastiques à la pluralité des voix. Le mesme jour, un procureur a esté condamné à trois mille livres d’amendes. Nous allons partir pour Nismes. » Enfin nous lisons dans une lettre du 29 novembre 1666 : «Les commissaires des grands jours partirent le 27 du Puy. Les prisonniers, au nombre de 50, furent embarqués à Tournon et conduits à Beaucaire, où 1ls arrivèrent le 28 au soir. M. de Ber- thier est resté à Tournon pour la commission du Vivarais, où il y a un gentilhomme, M. de La Fas, prévenu de meurtre. L'abbé de Senneterre, à la pluralité des voix, a esté renvoyé devant les juges ecclésiatiques. Le sieur des Corberettes, pour meurtre et incendie, a esté condamné à avoir la teste tranchée. » La correspondance de Tubeuf s'arrête là ; mais je vais me servir de celle de d’Aguesseau. Le 24 septembre 1666, il fait part au chancelier des mesures prises pour réprimer les désordres dans le Limousin. Les gentilshommes surtout font abus de leur autorité. 1 poursuit les usurpateurs de noblesse et vérifie lui-même les tres. Le 26 octobre 1668, il donne de longs détails sur les violences qui se commettent presque journellement à Saint-Jean-d'Angély. 11 en est de même en Limousin. I y a eu à la foire de Chalus une lutte si violente entre M. de Saint-Priest et MM. de Soffrenie frères pour des honneurs d'église (les deux parties assistées de leurs gens et de leurs amis), que la foire la plus importante de la contrée a été interrompue. La querelle n’en resta pas là. D’Aguesseau annonce au chan- celier qu'une lettre de cachet a été envoyée pour informer du combat entre M. de Saint-Priest et MM. de Soffrenie. I fait faire PET en même temps une instruction pour le meurtre du fils aîné de M. de Roulfignac. D'Orléans,M. Barra écrit au chancelier, le 26 janvier 1666, que M. de Saint-Bonnet, condamné à mort et à la roue à l’unanimite de dix-neuf voix, a été exécuté cet après-diner. «Il a tesmoigné, ajoute-t-il, une fermeté inconcevable. Par in- dulgence de MM. du Présidial, il n’a pas été appliqué à la ques- tion , » et il ajoute : « Dans ce procès nous avons observé le caractère el l'esprit des gentilshommes de Beauce. Peut-estre que cet exemple les rendra sages. Dieu le veuille, car il ne faut pas user souvent de ces remèdes caustiques. » Dans la Touraine, dans le Poitou, les mêmes abus, les mêmes excès. Le maïître des requêtes Colbert, le frère du ministre, les réprimait avec sévérité. Au mois de juillet 1664, à la suite d’une visite dans les prisons de Fours, il fait mettre en prison le che- valier du guet, M. Desmoulins, et M. Barré, prévôt de la maré- chaussée, accusés tous deux de concussion !. Les charges étaient très-graves ; l'instruction fut longue, mais le prévôt de la maré- chaussée parvint à s'évader de sa prison ?. Dans une curieuse lettre du 27 janvier 1667, Colbert se plaint au chancelier du peu de sûreté qu'offrent ïes notaires et sergents de cette province de Poitou ; leurs faussetés ruinent des familles entières de laboureurs, de riches paysans. Il a fait arrêter un ser- gent soi-disant royal. Il demande un exemple nécessaire, et que le présidial de Poitiers le juge en dernier ressort $. À l’époque où nous sommes parvenu, bien des années nous sé- parent encore de la révocation de l’édit de Nantes, mais déjà par- tout nous retrouvons les traces, surtout dans le midi de la France, de violentes contestations entre protestants et catholiques. À Niort, le maire est dénoncé par le lieutenant général ; il est accusé de connivence avec ceux de la religion, qui depuis quarante ans em- pêchent l'exercice de la religion catholique en cette ville; il a battu des gens qui sont morts des suites de ces violences; devant * Lettre au chancelier Séguier du 27 juillet 1664, n° 107 de la collection de Saint-Pétersbourg. ? Lettre du 9 août 1664. * Lettre de M. Touchard, lieutenant général de Niort, au chancelier Séguier (avril 1663). | | 208 se ME. + ‘00 le Saint Sacrement, il a déchiré la robe du lieutenant criminel. On demande sa révocation. Le consistoire de Castres réclame contre un arrêt du conseil, qui enjoint aux hugüenots de cette ville d’enterrer leurs morts à l'entrée de la nuit ou au point du jour!. Le clergé de Metz se plaint des empiétements et des entreprises des protestants de cette ville ?. Les consuls de Montélimart ne veulent pas obéir à la décla- ration du roi portant que les consuls de la religion réformée seront obligés de plaider au parlement, et non à la chambre de l’'édit . Le gardien des Récollets d’Argental, au nom des évêques de Tulle et de Sarlat, réclame l’intervention du chancelier (15 février 1665), pour forcer les protestants à rendre l’hôtel de ville d’Argen- tal, dont ils se sont emparés et où ils ont mis leur temple. Ce n’est qu'en 1625 qu'ils ont rendu l’église catholique et le cimetière, et maintenant ils bâtissent un nouveau temple à l'extrémité de la ville et sans permission de Sa Majesté“. L'évêque de Nîmes (26 janvier 1663) fait part au chancelier Séguier du mauvais effet produit par les deux arrêts solennels, qui règlent l'enterrement de ceux qui meurent dans la religion pré- tendue réformée. La désobéissance de Nimes et d’Uzès, qui a suivi celle de Montpellier, serait une belle occasion peur y établir un consulat tout catholique, pour leur donner un frein et les punir de leurs désordres passés. À Grenoble, les conseillers huguenots de la chambre de l’édit refusent d’y assister. Il ne reste plus aucun moyen de les ranger à leur devoir, à moins qu'en leur absence il soit permis aux conseil- lers catholiques de connaître de leurs affaires 5. L'évêque de Mende (26 mai 1663) annonce au chancelier Sé- guier l'assassinat commis én la personne du curé de Saint-André de Lancize, qui avait fait interdire dans sa paroisse l'exercice de la religion réformée, Il à été frappé la auit par six ou sept protes- Lettre de M. Marmiette au chancelier Séguier (7 janvier 1663). Lettre collective au chancelier {février 1663 ). Lettre de M. de Lesson au chancelier Séguier (15 février 1665 ). Lettre du 6 mai 1665. Lettre de M. de Bercheu au chancelier Séguier (31 janvier 1663 ). = © NN re NET No tants. Le clerc du curé a reçu quinze coups de couteau ; la maison a été pillée et brûlée. | À Milhau, des troubles graves à l'occasion de règlements pres- crits pour les enterrements. Les pères capucins ont été maltraités par les huguenots. Il y a eu des coupables condamnés à être pen- dus et qui seront exécutés !. Dans une lettre du père Saint-Sym- phorien, gardien des capucins, qui accompagne celle-ci, il fait sa- voir au chancelier que les consuls et magistrats se trouvent parents et amis des principaux religionnaires, auxquels depuis peu ils ont marié leurs filles et leurs sœurs. M. Courtin écrit au chancelier {11 décembre 1663) qu'il se conformera aux ordres du roi et fera sortir de l’Artois tous les pro- testants dans le délai d’un an, à partir du 1° janvier 1664. Il leur laissera la faculté d’emporter leurs meubles et d’en disposer, de vendre ou d’affermer leurs immeubles, cette résolution étant de toute nécessité pour ôter le prétexte aux Espagnols que le roi fa- vorisait l’hérésie. | L’évêque de Lescar invite le président Séguier (lettre du 15 juin 1664) à protéger le père Martin Barnabote contre les protestants de son diocèse. M. de Lionne (8 juin 1665) écrit au chancelier Séguier en fa- veur de certains protestants des environs de Verdun, qu'on a chassés de leurs maisons, et auxquels on ne permet pas dy rentrer pour y prendre de quoi subsister. Le maître des requêtes, Colbert, fut plus heureux dans le Poi- tou. I] régla pacifiquement tous les différends qui existaient entre les syndics du clergé et ceux des protestants au sujet de l'exercice de la religion dans toute l'étendue de la généralité. Je terminerai cette longue revue par la lettre suivante, écrite par le père Georges de Paris, capucin. On y trouvera quelques curieux détails sur une mission dans les Cévennes en l’année 1665. «J'ay esté aux Cévennes, où Jj'ay assisté à un synode des hu- guenots, où il y avoit une assemblée de quatre-vingt-quinze mi- nistres. J’ay réfuté tous leurs presches, etj’ay eu jusqu’à cinquante ministres pour auditeurs, et je n’ay pas fait une seule prédication où Je n'en aye eu plus de vingt. Nous avons retiré une personne * Lettre de M. Pellot au chancelier Séguier (19 juillet 1663 ). PE relapse bien obstinée. Vous seriez estonné combien il y a de dis- positions à la conversion universelle de ces pauvres desvoyés et combien les arrests, le zèle et la fermeté de monseigneur le chancelier a converti d’hérétiques en touttes les Cévennes. Un des plus célèbres ministres m'est venu trouver, qui m'a dit qu'autre- fois monseigneur le cardinal de Richelieu luy avoit fait parler de la réunion, et me dit qu'à présent ils estoient plus disposés que jamais à la conversion universelle. Les ministres sont fort mal traités par le retranchement de leurs gages, qu'on leur retranche à chaque synode ; leurs esglises sont engagées par des dettes ex- cessives, et ceux qui se convertissent prétendent n'estre point obli- gez à ces dettes là, comme de fait ils en sont exemptés, ce qui charge excessivement les autres. Ils ne sont point admis aux offices, et mesmes en quelques endroits on ne veut point y recevoir des artisans huguenots. ; « Ils sont esclairés plus que jamais, et mesme je trouve qu'ils sont touchés de Dieu. Ces temples qu'on a abattus, qui estoient contre l'édit de Nantes, en ont converti plusieurs. Je vous diray qu’un ministre des premiers me dit : « Nous sommes si disposés à retour- « ner parmi vous que si vous approuviés la doctrine de Jansénius et « des jansénistes, nous consentirions à tous les autres articles qui «sont en débat entre vous et nous. » Je luy respondis que c’estoit tomber de mal en pire et que nous tenions les jansénistes pour hérétiques plus dangereux qu'ils ne sont eux-mesmes. Il est vray que les ministres preschent le jansénisme tout pur et le tiennent comme un renfort et disent que les plus habiles papistes et les subtiles et gens de bien en sont. C’est ce que j'ay entendu. Les bons catholiques de cé pays cy prient bien Dieu et de bon cœur pour la prospérité et santé de monseigneur le chancelier, qu'ils voyent avec raison estre le protecteur de l’esglise et le fléau de tous les hérétiques. C’est pour cela que Dieu conserve la vigueur de son esprit et de son courage. Si vous sçaviez les bénédictions qu'on luy donne en ces pays, principalement les catholiques des Cé- vennes, cela n’est pas croyable. « Si on continue à tenir ferme et à ne rien pardonner aux hu- guenots, dans peu ils se convertiront tous; ils ne sont nullement à craindre, quoy qu'on mande, et s'ils avoient quelque prétexte, comme un commandement du roy, la plus part seroient des vos- tres. Je voudrois qu’il m'en eust cousté la vie; vous estes bien de Eu ce mesme sentiment. Si vous Jugez à propos, asseurez monsei- gneur le chancelier de mes soumissions et respects et de mes prières |. » Nous touchons au terme du règne de Louis XIV; dressons pour cette dernière période le triste bilan de nos pertes : Les lettres originales de Chamillard à M. de La Feuillade. Ce recueil, en trois volumes, renferme six cent neuf lettres, du 7 dé- cembre 1703 au 2 novembre 1706. Il se complète par les lettres de M. de Vendôme à MM. de Chamillard et de La Feuillade du- rant les années 1704, 1705 et 1706, au nombre de 119. La campagne d'Italie y est longuement racontée, et ce curieux re- cueïl est resté intact, tel qu'il est venu de Paris ; Les lettres et dépêches du maréchal de La Feuillade, en deux volumes, et au nombre de 303 ; Les lettres de Pontchartrain ; Les lettres de M. Bosquet, intendant de Provence, et de M. Bal- thasar, intendant de Languedoc. Elles abondent en détails curieux sur ces deux provinces. Tous les documents que nous venons d’énumérer ne sont point des copies, ce sont les lettres originales, qui faisaient partie de nos anciennes collections. Il est encore d’autres manuscrits qui méritent tout au moins une mention : Les dépêches originales de nos plénipotentiaires à la conférence de Cologne (1673) et tous les documents qui s’y rattachent. Le duc de Chaulnes, Barillon et Courtin étaient les plénipo- tentiaires choisis pour représenter la France. Le recueil qui ren- ferme leurs dépêches comprend quatre volumes ?. Les réponses du roi, celles de M. Pomponne y sont jointes. La dernière lettre du dernier volume est du 10 mars 1674, et les conférences se rompirent officiellement le 16 avril de cette même année. Courtin a rédigé un journal de cette ambassade, dont nous avons fait co- pier tout le commencement. Poursuivons cette revue : Le récit de la campagne de Catinat en Piémont en 1670 et 1672, en deux volumes ; ! Lettre du 5 août; documents français, vol. 114", n° 44. ? N° 200 de la collection de Saint-Pétersbourg. a ER Un recueil spécialement consacré au cardinal de Retz, où l’on a réuni pêle-mêle, avec des lettres de lui, des extraits des diverses gazettes, et une lettre du pape au sujet de la détention du car- dinal ; ; Une histoire de la marine de France de 1669 et 1 700 , en cinq volumes : 1*% volume , le ministère de Colbert; 2° volume, le ministère du marquis de Seignelay; 3° volume, le ministère du comte de Pontchartrain ; 4° volume, le ministère du Conseil de marine durant la mino- rité du roi; 5° volume, le ministère de M. de Pontchartrain de 1691 a 1700. Un journal des marches de l’armée des alliés, du 10 juillet 1702 jusqu’à la paix signée entre la France, l’Empire, l'Angleterre et la Hollande, manuscrit de vingt-six feuillets. Relation de ce qui s'est passé à Rome depuis la mort du pape Alexandre VII jusqu'à l’élection de Clément IX {le 20 juin 1667). Les trophées et les disgraces de la maison de Vendôme (1669), manuscrit de 10/4 feuillets. L'état du régiment des gardes françaises pour la revue du roi en 1710, manuscrit de 19 feuillets. Enfin un essai sur le siècle de Louis XIV par Voltaire, manus- crit de 44 feuillets, corrigé par l’auteur lui-même. La Bastille conquise, poëme en dix chants. L’auteur anonyme a pris pour sujet le siége de Paris en 1649. L’apologie du duc de Beaufort, manuscrit de 198 pages. Un discours au roi contre M. Fouquet. Ce manuscrit, de 177 feuilles, est précédé d’une préface de l’auteur et renferme plusieurs pièces relatives à cette affaire. La Dieudiade ou Caractères satiriques de la cour de Louis XIV, avec les portraits de Jupiter, Junon, Diane, Adonis, satire en prose de 75 feuillets. Les amours de Henriette Stuart. Les amours de Louis XIV avec M* de La Vallière et de Fontan- ses et M°*° de Montespan, manuscrit en deux volumes, le 1% de 239 feuillets, le 2° de 155 feuillets. À qui devons-nous ces pi- quantes révélations sur la cour du grand roi? J’éprouve d'au- tant plus de regret de ne pouvoir le dire que cet auteur inconnu os OR observe et écrit en maître, et que certaines pages ne seraient pas désavouées par Saint-Simon. Bornons-nous au portrait qu'il nous donne de la duchesse de La Vallière : « Cette fille est d’une taille médiocre, et fort mince ; elle marche d’un méchant air à cause qu’elle boite ; elle est blonde, blanche, marquée de petite vérole; les yeux sont bruns, les regards languis- sans et passionnés, et quelquefois aussi pleins de feu, de joie et d'esprit; la bouche grande, assez vermeille ; les dents pas belles; point de gorge; les bras plats, qui font mal juger du reste du corps. Son esprit est brillant ; beaucoup de feu et de vivacité. Elle pense les choses plaisamment ; elle a beaucoup de solide, sachant pres- que toutes les histoires; aussi a-t-elle le temps de les lire. Elle a le cœur grand , ferme, généreux, désintéressé, tendre et pitoyable. Elle est de bonne foi, sincère et fidèle, éloignée de la coquetterie, mais plus capable que personne d’un fort engagement. Si elle n’était pas damoiselle avant sa faveur, maintenant elle est noble comme le roi. Elle aime ses amis d’une ardeur inconcevable, et il est certain qu'elle a aimé le roi plus d’un an avant qu'il ne la connust. Elle disoit souvent à une amie qu’elle voudroit qu'il ne fust pas roi. » Voilà pour l'histoire générale; mais il y a d’autres manuscrits qu'il est peut-être utile d'indiquer à ceux qui s'occupent de Vhis- toire des provinces et des familles; en voici le relevé : Jetons des diverses juridictions de France, manuscrit de 123 feuillets : Jetons de la province de Bourgogne, manuscrit de 23 feuillets; Histoire manuscrite de la ville d'Orange par Petit, de 1688 à 1693, en deux volumes de 500 pages chacun ; Verdun et le Verdunois (le tome second seulement) ; Généalogie de la maison de Longueville par Jean de Cauldreul, manuscrit de 18 feuillets ; Généalogie de la maison de Boulogne par Augustin Le Pre- vost; Généalogie de la maison de Nevers par Guy Coquille, manus- crit de 47 feuillets, envoyé par lui au duc de Nivernoïs avec 57 blasons peints; Histoire de la maison de La Tremouille: Généalogie de la maison de Poitiers par Vivant, dédiée à Diane de Poitiers, manuscrit de 32 feuillets. = QY — Avant de nous séparer du siècle de Louis XIV, il faut réserver une petite place à quelques lettres des savants français réunies dans un même recueil; presque toutes sont de bonne prise. Commen- çons par une lettre de Descartes, datée de 1636. Malheureusement elle ne porte pas de suscription. | «Monsieur, je ne manquerai pas de me trouver demain à vostre logis incontinent après vostre disner, puisqu'il vous plaist me faire la faveur de me le permettre, et je porteray tous ceux de mes pa- piers qui seront assez au net pour les pouvoir lire, afin que vous puissiez choisir ceux dont la lecture vous sera le moins ennuyeuse, et que J'aye le bonheur de sçavoir au vray le jugement que vous en ferez; car, comme je tasche en tout de régler plutost mes senti- mens par la raison que par la coustume, j'ai particulièrement une maxime, que je me tiens beaucoup plus redevable à ceux qui me reprennent qu'à ceux qui me louent, et afin que je ne semble pas avoir essayé de corrompre mon juge par mes complimens, je me contenteray pour ceste fois de vous dire que je suis vostre très- humble et obligé serviteur. » Il m'était impossible de copier toutes les lettres de ce recueil; on voudra donc bien se contenter de quelques miettes ramassées à la hâte. L'Académie française, à l’occasion de la nomination de Gilles Boileau, le frère de l'illustre poëte, fut sur le point d’en ve- nir à un schisme. Ménage, qu'il avait attaqué aussi bien que Gostar et Scarron, entraina Pélisson dans cette querelle par l'entremise de M de Scudéry. Dans l'intervalle de deux scrutins, alors de ri- gueur, Pélisson se donna beaucoup de mouvement pour obtenir l'exclusion du nouvel académicien. Il écrivit lettres sur lettres au chancelier Séguier, protecteur de l’Académie française. Cette cor- respondance fait partie de ce recueil ; elle offre d'autant plus d’in- térêt pour notre histoire littéraire, que d’Olivet n’a pas cru devoir raconter celte passe d'armes académique ; c’est ce qui m'a engagé à rapporter ces lettres de Pélisson. J'ai également extrait de ce recueil, où revient souvent Le nom de Boivin, gardien de la Bibliothèque impériale, des lettres de Segrais, notre poële normand, et une longue lettre de notre his- torien Mézeray, où se trouve accolé un sonnet de lui. Mézeray poëte ! Il faut bien avouer qu'il est un peu, comme versificateur, de l’école de Chapelain. À cette poésie un peu rude je préfère la prose de notre grand peintre Lebrun, dont la correspondance est MISS. SCIENT, —— IV. 7 + Me restée là si longtemps enfouie. Au début de sa carrière, il passa par de pénibles labeurs; pour rester à Rome, pour y vivre, il co- piait des tableaux qu’il envoyait à son protecteur le chancelier Sé- ouier. Ses lettres nous initient à toutes les difficultés, à toutes les épreuves de sa vie d'artiste !. Tous les documents du xvir° siècle ont élé successivement exa- minés; il ne nous reste plus qu’à dépouiller ceux du xvim°. Tâche longue et difficile ! Une étude sur Voltaire et ses manuscrits pren- drait à elle seule plusieurs mois. À sa mort, on ne l'ignore pas, ses livres furent achetés par Catherine la Grande ; de la bibliothèque de l’'Ermitage, où d’abord ils furent déposés, et où ils restèrent long- temps, ils passèrent à la Bibliothèque impériale, où ils sont au- jourd’hui. Une salle spéciale leur est consacrée. Les voilà donc, réunis ensemble comme de son vivant, les sept mille volumes dont se composait sa bibliothèque, la plupart en demi-reliure à dos de maroquin rouge. Au milieu de la salle, la statue d'Houdon, fidèle copie, et de la propre main du maïtre, de celle du vestibule du Théâtre-Français. Placée là, cette statue fait impression : c’est bien lui, le froid sceptique, l'impitoyable railleur. Il semble surveiller les visiteurs : si l'on touche à l’un de ses livres, son regard vous suit, son sourire ironique vous intimide. Sa pensée y est restée, car chacun de ces volumes porte en marge des annotations de sa main. [1 ÿ aurait donc un choix curieux à en extraire, sous ce titre: Les lectures de Voltaire. Si l’on en avait le temps et surtout la vocation, que de choses on retrouverait enfouies dans les volumineux recueils où il entas- sait tout, notes, extraits, prose et poésie ! On pourrait y joindre un certain nombre de lettres inédites également réunies là. Les plus nombreuses sont celles qui sont adressées à M"° d'Épinay. À la première page du recueil qui les renferme, on a placé cette note : « Me d'Épinay fut à Genève en 1757 pour chercher auprès de M. Tronchin du secours à un état d'épuisement qui laissait peu d'espérance. Elle y arriva au mois de novembre avec son mari, son fils et le gouverneur de son fils, homme assez médiocre, nommé Linan, faisant de mauvais vers, que M. de Voltaire appe- 1 Le savant M. Miller, lors de son voyage en Russie, avait copié ces lettres, et, depuis notre retour, il les a publiées dans la Revue des beaux-arts, ce qui nous dispense de les donner ici. sm. << loit des linanderies. M. d'Épinay s’en revint à Paris des qu'il eut établi sa femme et son fils à Genève. M. de Voltaire étoit alors aux Délices ; il partit pour Lauzanne quinze jours après l’arrivée de Mr° d'Epinay. » À la suite des lettres de M”° d'Epinay se trouve une lettre de Voltaire à l'intendant de Lyon au sujet d'un juif arrêté pour con- trebande ; elle commence ainsi : « Béni soit l'Ancien Testament, qui me fournit l'occasion de vous dire.....» Citons encore une lettre à M"° Denis, du 7 juillet 1763, où je lis : «Il ÿ avoit trois ou quatre ans que je n’avois pleuré. » Une lettre à Marmoniel pour le féliciter de ses ouvrages. Enfin mentionnons des lettres à Saurin, à d'Alembert, à Tron- chin, au comte d’Argental, au prince de Conti, à M. Saint-Au- guste, qu'il appelle ainsi, car «il n'aime pas mieux aoust que cul de sac, cela est trop welche. » La bibliothèque de Voltaire est confiée à un homme de goût et de savoir, M. Minsloff. Quelque jour il publiera, nous l’espérons, une étude complète sur tous ces manuscrits. IL serait à désirer qu'il étendiît ce travail aux papiers de Dide- rot, passés également en Russie. Il est inutile de nous arrêter plus longtemps à Voltaire. M. Léou- zon Leduc, dans ses Études sur la Russie, lui a consacré plusieurs curieux chapitres; nous y renvoyons et nous nous bornerons à reproduire deux lettres qui ont quelque droit d’être ici, puisque Voltaire les a adressées à un Russe, le prince Cantemir, et qu'il y est question de la Russie. Le prince Antiochus Cantemir était fils du prince Démétrius, qui un instant gouverna la Moldavie et a laissé une histoire otto- mane estimée. Le prince Cantemir, auquel écrivait Voltaire, arriva à Paris dans le mois de septembre 1748, en qualité de ministre plénipotentiaire. C'était un esprit cultivé et déjà connu pour avoir publié des satires sur la Russie, qui, à leur apparition, obtinrent un succès de vogue !. Dès son arrivée en France, se miten relation avec les savants et tous les hommes distingués de l'époque. La poli- tesse obséquieuse dont Voltaire use à son égard, témoigne de la haute situation qu'avait su prendre ce très-civilisé Tartare dans les salons d’alors et dans le monde des lettres. ! Voy. traduction des Satires du prince Cantemir. Londres, Jean Nourre, 1760. 7 — 100 — Voici les deux lettres : « Monseigneur, «J’ay à votre altesse bien des obligations; elle daigne me faire connoître plus d’une vérité dont j'étois assez mal informé, et elle w'instruit d'une manière pleine de bonté, qui vaut bien autant que la vérité même. Je lis actuellement l’histoire ottomane de feu M. le prince Cantemir, votre père, que j'auray l'honneur de vous renvoyer incessamment et dont je ne puis trop remercier votre altesse. Vous me pardonnez, s’il vous plaît, d’avoir été trompé sur votre origine. La multiplicité des talents de monsieur le prince votre père et des vôtres m’avoit fait penser que vous deviez des- cendre des anciens Grecs, et je vous auroiïs soupçonné de la race de Periclès plutôt que de celle de Tamerlan. Quoi qu'il en soit, ayant toujours fait profession de rendre hommage au mérite per- sonnel plus qu'à la naissance, je prends la liberté de vous envoyer ce que Jinsère sur votre illustre père dans mon Histoire de Charles XIT, qu'on réimprime actuellement, et je ne l’enverray en Hollande que quand j'auray appris d’un de vos secrétaires que vous m'en donnez la permission. . «Je trouve dans l’histoire ottomane, écrite par le prince Démé- trius Canlemir, ce que je vois avec douleur dans toutes les his- toires ; elles sont les annales des crimes du genre humain. Je vous avoue surtout que le gouvernement turc me paroît absurde et af- freux. Je félicite votre maison d’avoir quitté ces barbares en fa- veur de Pierre le Grand, qui cherchoit au moins à extirper la barbarie, et j'espère que ceux de votre sang qui sont en Moscovie serviront à y faire fleurir les arts, que toute votre maison semble cultiver. Vous n'aurez pas peu contribué sans doute à introduire la politesse qui s'établit chez ces peuples, et vous leur avez fait plus de bien que vous n’en avez reçu. Ne seroit-ce point trop abu- ser de vos bontés, monseigneur, que d’oser prendre la liberté de vous faire quelques questions sur ce vaste empire, qui joue actuel- lement un si beau rôle dans l’Europe et dont vous augmentez la la gloire parmi nous. « On mande que la Russie est trente fois moins peuplée qu'elle ne létoit, il y a sept ou huit cents ans; on m'écrit qu'il n'y à en- viron que cinq cent mille gentilshommes, dix millions d'hommes | — 01 — payant la taille, en comptant les hommes et les enfans, environ 1,120,000 ecclésiastiques, et c'est en ce dernier point que la Russie diffère de bien d’autres pays de l’Europe, où il y a plus de prêtres que de nobles. On m'assure que les Cosaques de l'Ukraine, du Don, ne montent avec leurs familles qu'a 800,000 àmes, et qu'enfin il ny a pas plus de 14 millions d'habitants dans ces vastes pays sou- mis à l’autocratice. Cette dépopulation me paraït étrange, car enfin je ne vois pas que les Russes aient été plus détruits par la guerre que les François, les Allemands, les Anglois, et je vois que la France seule a environ 19 millions d'habitants. Cette dispropor- tion est étonnante. Un médecin m'a écrit que cette disette de l’es- pèce humaine devait être attribuée à la v..., qui y fait plus de ravages qu'ailleurs et que le scorbut rend incurable. En ce cas, les habitants de la terre sont bien malheureux. Faut-il que la Russie soit dépeuplée, parce qu’un Génois s’avisa de découvrir l'Amérique il y a de cela deux cents ans? « J'entends dire d’ailleurs que toutes les grandes idées du czar Pierre sont suivies par le présent gouvernement, et comme parmi les projets celui de montrer de la bonté aux étrangers étoit un des principaux, je me flatte, Monseigneur, que vous l’écouterez et que vous pardonnerez toutes ces questions qu'un étranger ose vous adresser. Il y a peu de princes auxquels on demande de pa- reilles grâces, et vous êtes du petit nombre de ceux qui peuvent instruire les autres hommes. » .« Monseigneur, « J'apprends avec chagrin que l'édition des Ledot est déjà faite. Je leur ordonne de faire un carton concernant ce qui regarde votre illustre père; mais les ordres des auteurs ne sont pas plus exécutés par les libraires que ceux du Divan ne le sont par les Arabes voleurs. Jay écrit et je vais écrire encore, mais je ne ré- ponds pas de l’autorité de mon Divan. Jay l'honneur d'envoyer à votre altesse l’histoire ottomane qu'elle a bien voulu me prêter, _et c'est à regret que je la rends. J’ai appris beaucoup de choses, jen apprendrai encore davantage dans votre conversätion, et je sçay que vous êtes doctus cujuscumque linguæ el cujuscumque artis. « Je renvoye l’histoire ottomane par le carrosse public de Bar- sur-Aube qui part mercredi prochain, 22 du mois. Le paquet est à - 102 — votre adresse, à votre hôtel, et les registres du bureau public en sont chargés à Bar-sur-Aube. Si on ne la porte pas chez vous, Monseigneur, vous pouvez envoyer vos ordres au bureau de Paris. J'ai plus d’une raison de me plaindre de la précipitation de mes libraires. Ils sempressent de servir des fruits qui ne sont pas mürs, mais, de quelque mauvais goût qu'ils soient, j’auray l'honneur, Monseigneur, de vous les présenter, dès que je pourray en avoir. Je sçay que vous faites naître sous vos mains les fruits et les fleurs de tous les climats; les langues modernes et les anciennes, la phi- losophie et la poésie vous sont familières; votre esprit est comme l'empire de votre autocratrice, qui s'étend sur des climats opposés et qui tient la moitié d’un cercle de notre globe. Parmi les Fran- çois qui connaissent votre mérite, il n’y en a point, monseigneur, qui soyt avec plus de respect que je suis. » Voltaire nous a un peu détourné du règne de Louis XV. Nous. y revenons; mais avant de dresser le catalogue des docu- ments et des manuscrits historiques de cette dernière époque, qu'on nous permette de redescendre de la grande histoire aux com- mérages de ruelles, aux nouvelles à la main de la cour et de la ville. Au nombre des manuscrits de la collection de la Bastülle , il en est un qui est pour ainsi dire l'écho de tous les bruits de Paris. H s y.est glissé quelques lettres adressées à Bachelier, le valet de cham- bre de Louis XV, et son pourvoyeur habituel de nouvelles et d’a- necdotes galantes. En comparant ce recueil à celui de Barbier et au journal de d’Argenson, je me suis assuré qu’il n’en était pas une copie. Ce qu'il livre à la curiosité est bien de son cru. J'en citerai donc quelques fragments, et de préférence je choisirai le mois de décembre de l’année 1728, sur lequel Barbier et d’Argenson se taisent tous les deux. Du 15 décembre 1728. — Dans le Palais, sur les dix heures du matin. «On dit qu’il y a un procès actuellement pendant à la Tour- nelle qui embarrasse les juges. Le fait de ce procès est qu’un curé de village, estant seul dans sa paroisse pendant la moisson, ne trou- voit personne pour lui servir la messe. Il passa près de son esglise un paysan qui n’estoit pas de sa paroisse, qu'il invita de la lui venir servir, ce qu'il fit. Quand la messe fut dite, le curé en- gagea ce paysan à venir déjeuner chez lui, où ils burent à l'excès. — 103 — Dans la conversation le curé s’échauffa contre le paysan et prit une vieille épée avec laquelle il vouloit le percer ; le paysan se re- vancha et fut plus fort que le curé, le désarma de son épée et l’a, dit-on, tué avec; il a esté condamné par les premiers juges à estre pendu ; MM. de la Tournelle ont examiné le procès et ont aperceu que le cas est gratiable; mais on dit que M. le procureur général s'oppose à ce qu'il ait sa grâce; on assure que M. le premier pré- sident et M. le président de Maupou en ont écrit en cour et s'em- ploient auprès de M. le cardinal Fleury pour obtenir cette grace. « On parle à l'ordinaire de la maison de Condé comme on fai- soit cy devant; on assure qu'elle continue d’estre en horreur au roy; que ce qui le prouve c’est que M”* la duchesse de Bourbon n’a point de logement à la cour, et qu’elle est obligée de loger chez M”*° la Duchesse, quand elle va à Versailles. « On dit pareïllement qu’on a fait dire sous main à tous les of- ficiers de la reyne, qui ont esté mis en place par M. le Duc, de vendre leurs charges, à peine de les perdre. On assure même quele roy va oster à M. le Duc la charge de grand maistre pour la don- ner à M. le prince de Dombes. | « On parle aussy d’une affaire galante qui est arrivée à M. le comte de Charolois au couvent de Port-Royal avec une dame de considération qu’on ne nomme pas, qui s'y estoit retirée; que ce prince a esté à deux heures après minuit dans cette maison, qu'il a forcé le portier de luy en ouvrir la porte, qu'il a couché avec la dame dont est question, que l’abbesse, ayant esté informée de ce fait, a fait les plaintes à la cour et a demandé au roy justice ; on dit que M. le comte de Charolois de son costé, pour sauver la ré- putation de la dame avec laquelle il estoit en commerce dans ce couvent, a fait arrester le portier, de l’ordre du roy, et conduire à la Bastille pour l’engager à se rétracter et luy faire dire que ce n'est point luy qui est venu au Port-Royal voir la dame dont est question. On assure que, si ce prince ne réussit pas à dissua- der Sa Majesté qu'il ayt esté dans ce couvent, il sera luy mesme arresté. « On vante partout le mérite du roy, et on assure qu'il ne ie cé- dera en rien à ses ancestres. On dit de Sa Majesté qu'il est le prince des plus pénétrans de l'Europe, que c'est à M. le cardinal de Fleury qu'il est redevable des belles qualités qu'il a. Ces discours se sont tenus à l’occasion d’un soldat aux gardes suisses, lequel, en =" DO revenant de remonter la garde, s’estoit pris de vin et mis hors dé ‘ raison, qu'en cet estat il a volé sur le chemin dans un village. Le roy a esté informé que ce soldat alloit passer au conseil de guerre et estre condamné à estre pendu. Ce qui a engagé Sa Majesté à parler à M. le duc du Maine , auquel il a dit que, s’il avoit quelque crédit dans le conseil des Suisses, il seroit d’avis qu’on condamnast le soldat, mais qu'après l'avoir condamné on lui donnast sa grace. On dit que M. le duc de Maine auroit parlé au conseil de ce que Sa Majesté luy avoit dit à l'égard de ce soldat, et qu'il a eu la wie sauve. «On dit pareïllement qu'il est extraordinaire qu’on n’arme pas en mer pour aller contre les Tripolitains leur demander raison d’un vai-seau considérable qu'ils ont pris sur les Marseillois, qui venoit du Levant, que si on n’extermine pas ces barbares, les vaisseaux marchands n’iront plus en mer. » Du 16 décembre 1728. — Dans le Palais, sur les dix heures du matin jusqu'à midi, et en divers endroits. «L'affaire de M de Lorme a esté terminée aujourd’huy dans la grand'chambre. La question qui y estoit pendante et sur laquelle il s’agissoit de statuer estoit de sçavoir si cette demoiselle seroit receue à faire preuveicomme le sieur de Rapally a usé de voyes illicites pour contracter son mariage avec elle, et c'estoit ce que la sentence de la primatie de Lyon avoit ordonné. La demoiselle de Lorme à fait deffault de concert avec le sieur Rapally et a consenty que sa cause soit appellée et rapportée et en conséquence la sen- tence de la primatie de Lyon, de laquelle le dit Rapally estoit ap- pellant, a esté mise au néant. D’aucuns disent que le sieur Rapally a trouvé des amis auprès du nonce du pape, lequel s’est employé pour engager M. le cardinal de Fleury à assoupir cette affaire, en interposant l'autorité royale à M" de Lorme ; d’autres disent que c'est cette demoiselle qui a consenti de vivre avec le sieur Rapally, parce qu’elle s’est dégoustée de l'amourette qu'elle avoit contractée depuis son mariage avec le sieur de Rapally, et enfin d’autres disent que le sieur de Rapally s’est pourveu devant M. le lieu- tenant général de police, auquel il a exposé que ce qui cau- soit son divorce avec la demoiselle de Lorme, sa femme, c’estoit le sieur Dupin son beau-père; que le magistrat l'a mandé en son — 105 — hostel et luy a dit qu'il le feroit enfermer, s’il persistoit davantage à poursuivre la dissolution du dit mariage. « On blâme la conduite des avocats, disant que ces messieurs ne respectent point assez les sacremens, que ce sont eux par leurs mauvais conseils qui interrompent le repos des familles et de la société civile, et on dit que ce seroit à quoy le législateur devroit remédier en réformant les lois, ou du moins qu’on devroit rendre un édict confirmatif des anciennes et infliger des peines corpo- relles à ceux qui les enfreindroient, parce que, dit-on, il ny à personne qui ne trouve moyen de faire annuler son mariage pour peu qu'il ayt de crédit et d'argent. « On continue de dire que l'affaire de M. le marquis d'Hautefort ne se terminera pas à son avantage, et on assure que depuis que M'°deKerbabu a fait mettre sesinformations au greffe du parlement, tous ceux qui ont eu part à la suppression du contrat de mariage de ladite demoiselle avec M. le comte d’Hautefort sont en fuite. On blasme M. le lieutenant criminel de ce qu'il a, dit-on, donné avis à M. d'Hautefort des charges qui pouvoient estre contre luy et ses adhérens, et on assure que, si ce magistrat n’eust point agi ainsi, qu'ils seroient tous décrétés; d’autres disent que ce n'est point du fait de M. le lieutenant criminel, si le secret n’a point esté gardé, mais bien de ses grefliers, que pour de l'argent ces messieurs décèlent les secrets de la justice. « On dit communément que M. le duc est exilé; la cause qu'on en dit est que ce prince a parlé trop haut sur le refus qu’on a fait à toute la maison de Condé de donner l’abbaye de Royaumont à M. le comte de Clermont. On assure que M. le duc en a écrit à M. le cardinal de Fleury dans des termes qui insultoient non-seu- lement Son Éminence, mais le roy mesme. On croit que l'audace de ce prince va achever de disgracier entièrement sa maison, que M. le comte de Clermont va estre frustré de tous ses bénéfices, s’il n'opte pas dans le parti qu'il doit prendre. « Le bruit est assez commun que la reyne est grosse, et on dit que les plus habiles physionomistes disent que Sa Majesté l’est d’un Dauphin; il y en a mesme qui disent que le roy viendra à Paris à Notre-Dame et à Sainte-Geneviève le lendemain des Roys, pour remercier Dieu de la grace qu'il lui a pleu faire. « On dit pareïllement que les Dames de France sont malades; on assure pareillement que ces deux princesses ne vivrontque dif- — 106 — ficilement, parce que la nature ne leur à pas donné lout ce qui convient pour faire une longue vie. » Cette citation doit suffire. D'ailleurs nous avons rapporté une copie du manuscrit; elle pourra servir à compléter Barbier et d’Argenson. ) Jetons un rapide et dernier coup d'œil sur les manuscrits et documents du règne de Louis XV. Peu de chose à recueillir pour l’histoire de nos relations diplo- matiques : La correspondance de M. d’Allion, ministre de France à la cour de Saint-Pétersbourg, et de sa propre main. Ce recueil comprend 69 feuillets et provient de la collection de la Bastille. M. d’Alhon, ancien officier, était venu chercher fortune en Russie. M. de la Chétardie ayant été nommé ambassadeur à Saint-Pétersbourg et ue pouvant encore aller occuper ce poste, on proposa à M. d’AI- lion de vouloir bien le remplir. Il représenta donc la France acci- dentellement en 1744 et 1745. Quelques lettres à propos des affaires de Suède, parmi lesquelles les dépêches de M. Amelot, ministre des affaires étrangères, au marquis de Sainte-Aulaire, notre ambassadeur à Stockholm, et les réponses de ce dernier; enfin les lettres de créance de M. des Alleurs, notre ambassadeur près la Porte-Ottomane. Passons aux autres manuscrits : État des personnes qui doivent et ont droit de manger aux tables du roi de France durant l’année 1720, fait et arrêté à Paris le 1° janvier 1720, et signé Louis de Bourbon. Ce manuscrit contient 27/4 pages. Il se complète par un autre état et menu géné- ral de la Maison du roi de France en 1739. | Gazettes de Paris en 1723, 1724, 1725, manuscrit de 409 feuillets ; Explication historique de ce qu'il y a de plus remarquable dans la maison royale de Versailles et dans celle de Saint-Cloud en 1726, par M. Combes; Relations des années 1731, 32 et 33, en trois volumes de 200 pages chacun ; Liste des officiers de l’armée française arrivant à la rade de Co- penhague, le 20 septembre 1733, avec l'extrait de chaque équi- page ; Etat du régiment des gardes françaises par rang de compagnies — 107 — et suivant l'ancienneté de MM. les officiers et sergents pour l’an- née 1733, manuscrit de Ao feuillets; Minutes d’une correspondance secrète par quelque agent secret employé par la cour de Versailles en 1734, du 2 juin au 29 oc- tobre ; Gazettes de France manuscrites de 1737 à 1743, en cinq vo- lumes ; Lettres et nouvelles écrites durant la campagne de 1737: Gazettes de 1747, manuscrit de 214 feuillets ; Bulletin de Versailles de 1777 à 1792, cinq volumes manus- crits de 200 à 300 feuillets chacun ; Recueil de divers écrits du chevalier de Rességuier, avec la vie de l’auteur, écrite par lui-même à la Bastille, manuscrit de 65 feuillets !. Les limites de ce rapport sont de beaucoup dépassées, et pour- tant nous ne pouvons laisser de côté les manuscrits sortis de la Bastille en 1789. Ainsi que nous le dit M. Paul Lacroix, dans un article qui a paru récemment ?, c'était dans les archives de cette prison d'État qu’on avait accumulé pendant trois siècles non-seule- ment les dossiers des prisonniers contenant toutes les pièces rela- tives à leur incarcération , mais encore le dépôt de tous les ma- nuscrits et imprimés saisis par la police. Ces archives remplis- saient de vastes salles, qui étaient rangées dans un ordre parfait. Elles furent bouleversées, saccagées, pillées aussitôt après la prise de la forteresse, le 14 juillet 1789. C'est la bibliothèque de l'Arsenal qui a recueilli les débris de ce pillage. M. Ravaisson s’est donné le soin de classer tous ces dos- siers, et il doit en publier les parties curieuses. 11 importe donc de signaler ici toutes les liasses que Dubrowsky, ce collectionneur passionné, put acheter sur les lieux mêmes, et que possède aujour- d’hui la Bibliothèque de Saint-Pétersbourg. On en a formé plu- sieurs recueils, que j'ai fouillés un à un minutieusement; mais l'étiquette du sac vaut mieux que le contenu. Voici les titres sous lesquels ces pièces diverses ont été classées : Interrogatoires des prisonniers de la Bastille. Lettres des prison- niers. ! Avec indication qu'il provient de la Bastille. ? L'Amateur d'autographes. — 108 — Dans ce recueil bien peu de choses à citer : | Le procès- -verbal de la question ! donnée à un nommé Lise ministre protestant, accusé d'aller dans les maisons où il y avait des nouveaux convertis malades pour les exhorter à mourir dans: la religion protestante ; Procès-verbal d'une visite faite, en 1748, par M. de Rochebrune? chez un nommé Bucheron, compagnon imprimeur, prévenu de s'être mêlé d’un ouvrage obscène, Thérèse, philosophe; la visite amena la saisie d’une page imprimée qui fait partie du dossier’; Requête de M. Berryer, conseiller d'état (1751), au lieutenant de police, contre ur individu enfermé au Fort-Lévêque pour s'être qualifié son neveu et avoir pris son titre ; Interrogatoire d’un nommé Dubois (7 octobre 1766), arrêté à Strasbourg par les soins du maréchal de Contades et l’ordre de M. de Choiseul. Ce Dubois s’y occupait de l'émigration en Russie de familles entières, à titre de colons. La levée projetée était de 9,000 familles avec une prime de 4o roubles par famille rendue à Lubeck. La noblesse russe entrait pour moitié dans tous les frais. Lettres de cachet de 1706 à 1771. Je m'attendais à de piquantes révélations, mais voici tout ce que renferme ce recueil : Ordre d’arrestation de l’abbé Leblanc en 1741, pour cause de jJansénisme ; Ordre de perquisition, signé Louis XV (17 avril 1747), chez un certain abbé italien, le nommé Gononi, à l'effet d'y saisir les manuscrits et imprimés qui pourront être contraires à la reli- giOn ; Lettres de M. de Choiseul à M. de Sartine (23 octobre 1762) à l’occasion de l’extradition de M. Dupin de Chenonceaux, fils du fermier général de ce nom, et de l’extradition de M. de Vence. Ils s'étaient tous deux réfugiés en Hollande pour dettes. Passons aux autres volumes : Etat des personnes détenues en 1775 dans les prisons de Paris, re- lativement au pillage de pain et de farine; ! À la Bastille on n’employait que deux sortes de questions, l’eau et les brode- quins. ? Commissaire de police de Paris, chargé spécialement des poursuites relatives à la presse. — 109 — État des dépenses faites en 1788 pour les prisonniers de la Bastille en 1788. loreil SA Je choisis l'article relatif à M. Pelleport, l’auteur du Diable dans le bénitier, et dont le nom rappelle tous les libelles publiés à cette époque. | 3 chemises, 3 mouchoirs et façon ....... rss SMS Mniale de deap:de.coton .........,.... RS 0 miparesde bas de coton... ...,. NÉ. LO nes de coton... ....,: 0... 610 noulotes de Nankin .…….:,.,..1.......... seit OR eS o 0 Voici maintenant les noms des prisonniers de la Bastille en 1788 : Journet !, Evrard ?, Champigny *, Luylier *, Jacquet, Dunandi; ! Benoît Journet, né à Regny, en Lyonnais, ayant tenu les livres d’un tailleur nommé Navarre, prévenu d'avoir fait graver à Genève une planche propre à con- trefaire des billets de mille livres de la caisse d’escompte. { La Bastille dévoilée, 3° livraison, p. 135.) ; ? Joseph Saint-Jean, dit Evrard, né à Saint-Fargeau, près Tarare, le complice de Journet. * Antoine Melchior Potiquet de Champigny, né à Valognes (basse Normandie), ayant travaillé dans l'horlogerie avec son père, demeurant rue Grétry, avec sa sœur, la demoiselle de Savigny; arrêté à Bordeaux pour faux. ( La Bastille dévoilée, 3° i- vraison, p.125.) 4 Pierre Luylier de la Souchère, complice de Champigny, ci-devant employé au bureau des petites affiches, demeurant à Paris, rue des Poulies, avec Claudine Legras, sa maîtresse. ( La Bastille dévoilée , p. 128.) 5 Jacquet de la Douai, espion de M. Lenoir auprès des hommes de lettres. coûtaii près de 30,000 livres par an. Devenu inspecteur de la librairie étrangère, il faisait entrer tous les mauvais livres qu'il faisait imprimer lui-même. Il fut trahi par un colporteur avec lequel 11 s'était brouillé, et qu'il faisait passer pour l'associé d'un libraire étranger. ( La Bastille dévoilée.) 5 Pierre Dunand, né à Saint-Gervais, près Genève, ci-devant officier dans la marine marchande, arrêté pour contrefaçon de billets de la Caisse d’escompte. { Voir son interrogatoire ; la Bastille dévoilée, 3° partie, p. 11,7.) — 110 — Perret !, La Barolière ?, La demoiselle Sando , Pelleport “, Rainville 5, Petit 6, Morin ?, Pujade #, La Caurrège”, Laroche 1, De Whyt!!. ! Jean-Marie Perret, né en Savoie, horloger de profession, complice de Dunand. (La Bastille dévoilée.) ? Jacques-Luc Pillote de La Barolière, né à Lunéville, ci-devant officier au régi- ment de Navarre, convaincu d’avoir essayé d'imiter les billets de la Caisse d’es- compte. (La Bastille dévoilée, 3° livraison, p. 120.) $ Henriette Sando, âgée de 38 ans, née à Valenciennes, marchande de modes, arrêtée chez elle, rue des Audriettes, et sous un nom étranger, celui de Saint-An- selme. On n'a jamais pu savoir la cause de sa captivité; soupçonnée d’avoir rap- porté de Londres un mémoire fort rare. ( La Basulle dévoilée.) * Anne-Gédéon de Laffite, marquis de Pelleport, auteur de tous les pamphlets parus à cette époque, et mis à la Bastille pour une brochure contre le comte de Vergennes et M. Lenoir ; relâché par l'entremise de M. de Villedeuïl. ( La Bastille. dévoilée, 3° livraison, p. 66.) 5 Jean-Jacques Rainville, né à Paris, arrêté à la barrière Saint-Jacques pour avoir réclamé un ballot de librairie venu d'Orléans et contenant des exemplaires d'un ouvrage intitulé : Au rédacteur du petit almanach de nos grands hommes. ( La Bastille dévoilée, 3° livraison, p. 137.) $ Charles-François Petit, employé au contrôle général dans les bureaux de la loterie royale, arrêté à Toulouse pour falsification de signatures. 7 Antoine-Parfait Morin, employé à la caisse de la loterie royale, arrêté pour falsification de la signature de M. Lecouteulx, administrateur de la loterie royale. (La Bastille dévoilée, 3° livraison, p. 126.) 8 Jean-Antoine Pujade, négociant, à Paris, arrêté pour falsification de lettres de change. {La Basulle dévoilée , 3° livraison, p. 126.) * Jean La Caurrège, arrêté pour falsification de lettres de change. ( La Busulle dévoilée, 3° livraison, p. 126.) © Bernard Laroche, âgé de 18 ans, arrêté à Amsterdam pour falsification de lettres de change; il ne sortit de la Bastille, avec La Caurrège, que le jour de la prise. { La Bastille dévoilée, 3° livraison, p. 126.) "C'est ce de Whyt qui ne sortit de la Bastille que le 1 4 juillet 1789. On le pro- mena plusieurs jours de suite, on le montra dans tous les lieux publics. Quel était- 112 On l'ignore. H avait d’abord été enfermé à Vincennes avec le marquis de Sade et M. de Solage. Lorsqu'on le mit en liberté, il n'avait plus sa tête, et chaque jour Re, > — lil — Continuons l'examen des papiers de la Bastille : Lettres saisies ou écriles aux prisonniers de la Bastille ; Pièces saisies sur les auteurs ou écrites durant leur séjour à la Bas- lille. Le titre ne tient pas encore tout ce qu’il promet. Il s’est glissé pourtant dans ce recueil quelques lettres de Crébillon fils à M. de Maurepas, lettres où, pour se justifier d’avoir écrit le roman du Sopha, il accuse hautement les mœurs de son temps, dont il n'a que trop fidèlement reproduit la licence!. À une époque qui ne se piquait point de rigorisme, la publica- tion de ce mauvais livre valut à Crébillon fils un exil de quelques mois hors de Paris. Il en profita pour faire un voyage en Angle- terre. Si, au lieu de corrompre les mœurs et d'écrire un roman licencieux, il se fût attaqué à M°° de Pompadour, il n'en eût pas été quitte peut-être à si bon marché. J'en ai sous les yeux un triste exemple, celui de d’Allègre, dont je vais vous dire l’histoire et les souffrances. Voici d'abord ce qu’en a écrit Latude dans ses Mémoires ? : «M. Berryer, lieutenant de police, me donna pour compagnon un jeune homme de mon âge, plein d'activité, d'esprit et de feu, cou- pable du même crime que moi. I avoit écrit à M®°de Pompadour; dans sa lettre il lui parloit de l'opinion publique, et traçoit à la favorite la marche qu'elle devoit suivre pour la reconquérir, et conserver la confiance du roi, et puisque enfin la nation étoit attachée à son char, il l’invitoit à se rendre digne de son estime, et lui en indiquoit les moyens. » Lorsque Latude le connut ei l’eut pour compagnon de chambre, il variait dans le récit de son histoire. On en fit un instant un comte de Lorges; il mourut à Charenton, où l'on fut obligé de l'enfermer. ( La Bastille dévoilée, 3° H- vraison, p. 84.) 1 Voici sa défense; l'immoralité se fait presque naïve : le roman lui a été com- mandé par une des premières têtes de l'Europe. Il passait pour libre, bien des mois avant qu'il parût. Tenu de faire honneur à sa commande, il a cherché à pemdre la vertu sous les couleurs les plus attrayantes, le vice, au contraire, sous les dehors les plus repoussants. Pour avoir évité les détails «qui sembloïent inséparables d'un fonds de telle matière, les dames ne l'ont pas trouvé assez libre,» et on lui a fait un ‘reproche de celte morale qu'il a essayé d'y répandre partout. Le libraire, pour faire écouler le fruit défendu, qui tenait si peu ce qu'on en attendait, y a ajouté des gravures obscènes ; il est à se demander comment on a pu en trouver les situations et les motifs dans son livre. ? Histoire de sa détention, Amsterdam, 1787. Voici une note sur d’'Allègre par — 112 — d’'Allègre était déjà, depuis trois ans, enfermé à la Bastille, et traité bien rigoureusement !. Dans une lettre du 16 mai 1752, il demande une promenade d’au moins une demi-heure avant la messe ; il manque d’air dans sa chambre. Il proteste qu'il n’a pas mérité un traitement aussi rigoureux que celui qu’on lui inflige. On le punit pour une faute qu'il aurait de l'horreur à imaginer. I réclame des livres, qu'on lui a refusés jusqu'ici; il désigne la Science des ingénieurs et la Na- vette mécanique par Varignan. En marge de cette lettre est écrite cette laconique et initie réponse : « d’Allègre demande à aller pueReE l'air dans la cour. Néant. » Dans une seconde lettre du 28 mai suivant, il remercie de cé qu'on lui a donné une chambre moins humide. Il demande de nou- veau des livres ; toute sa consolation est dans l'étude. En marge est enfin écrit: Accordé des livres. Deux ans s’écoulèrent encore. Son frère, un prêtre de la doc- trine chrétienne, fit une nouvelle démarche auprès de M. Sartine. Sa lettre, datée du 25 décembre 1754, est jointe au dossier. Je la fais suivre : « J'ai été transféré de Lodève en cette ville de Limoux par ordre de mes supérieurs; je me hâte de consacrer les prémices de mon arrivée pour renouveler à votre grandeur mes très-humbles res- pects, et pour la supplier d’avoir la bonté de faire passer la lettre incluse à mon cher frère. Il y a près d’une année que je n’ai point reçu de ses nouvelles. Je crains qu'il ne périsse tout à coup à la Bastille, et il y périra infailliblement, si votre grandeur ne daigne intervenir pour le faire élargir. Je ne doute point qu’il n’ait manqué essentiellement à madame de Pompadour, mais il étoit, monsei- gneur, pour lors très Jeune; il ne se rendit à Paris que par ses M. Duval, commis à la Bastille : «Antoine Allègre, maître de pension à Mont- pellier, transféré de cette ville à la Bastille, le 21 mai 1790. — En outre du mé- moire où il engageait M”* de Pompadour à veïller plus attentivement sur sa per- sonne, 1l avait été accusé d'avoir fabriqué des lettres anonymes et calomnieuses contre M. de Maurepas, l'archevêque d’Alby et l'évêque de Lodève, lettres qu'il fit passer à M°° de Pompadour et qui furent cause de sa _ première détention à Montpellier. » (Jal, Dictionn. de progres ) ! I avait été également enfermé à la Bastille le 13 juillet 1750, comme com- plice de son frère dans la fabrication de lettres anonymes; il en sortit le 8 octobre suivant, (Jal, Dictionn. de biographie.) — 1135 — ordres. D'ailleurs ila commis une faute à son égard, non un crime. Cinq ans de prison ne sont-ils pas une assez rude punition ? La seule grâce que je demande à votre grandeur, c'est de m'informer jusqu'à quel temps il doit être enfermé. Il a une tante disposée à lui laisser son héritage, si elle connaît la durée de sa détention. » Cette tentative ne devait pas réussir; en marge de la lettre est écrit : Pas de réponse. D’Allègre, n'écoutant plus que les conseils du désespoir, aida La- tude dans ses projets d'évasion et se sauva avec lui de la Bastille, le 25 février 1756. À l’aide d’un déguisement, il put gagner Bruxelles; mais, bientôt repris, il fut ramené à sa prison, où il devint fou enragé. On le transféra dans la maison de Charenton en 1764; il vivait encore en 1777 !. Nous nous sommes servi des Mémoires de Latude? pour com- pléter ces renseignements retrouvés sur d’Allègre. Ajoutons que les papiers de la Bastille passés en Russie contiennent un manus- crit inédit de Latude. Il n’a pas moins de 473 feuillets, et c’est avec raison que le prisonnier l’intitule son Grand mémoire, ses Réveries. Ce serait un livre curieux à publier. En terminant, qu'on nous permette de donner tout entière une dernière lettre que nous avons recueillie dans les liasses de la Bas- lle. Dans celle-là il ne s’agit plus d'adoucissement demandé aux longues souffrances de la captivité. Il n’y est question que de notre belle manufacture des Gobelins. Cette lettre, qui offre quelque intérêt pour l’histoire de l’art, est adressée par M. de Folard ÿ à M. de Sartine, et datée de Munich, le 16 janvier 1768. « Le nommé Santini, ci-devant ouvrier très-habile aux tapisse- ries des Gobelins, qui à cause de son habileté à été regretté de ses supérieurs, ainsi que vous m'avez fait l’honneur de me lécrire, il y a environ deux ans et demi, ne demanderoït pas mieux que de retourner à la manufacture royale des Gobelins, avec la liberté que je lui avois offert de votre part de choisir l'atelier où il vou- droit travailler, l’assurant d’être bien accueilli et mieux traité que ! Voici ce qu'en dit Latude : «En le revoyant dans cet état affreux, je ne pus re- tenir mes larmes, je lui dis mon nom, je lui dis que c’étoit moi qui m'étois échappé de la Bastille avec lui. T1 ne me reconnut point et me répondit que non, qu'il étoit Dieu. » 2 Latude fut mis à la Bastille le 1° mars 1749. * Le traducteur de Polybe. MISS. SCIENT. — IY. S — Hill — par le passé. Il demande en outre l’assurance d'une pension an- nuelle de 200 livres assignée sur le fonds des gratifications ou au- trement, pour le dédommager en partie de ce qu'il abandonneroit ici, où il a une pension de 600 florins, faisant à peu près 1200 i- vres assurées pour sa vie par un décret électoral, outre 1200 livres par an pour dresser deux apprentis qu'on lui a donnés. I n’y a que la maladie du pays qui puisse le faire renoncer à une pareille situation, qu'il ne retrouvera pas assurément en France, quelque bien que le puissiez traiter. Il à fait ici de petits ouvrages char- mants, qui valent mieux que les tableaux qu'il a copiés. Il a com- mencé de grandes tapisseries, qui sont admirables, mais qui ne peuvent être finies qu'en dix-huit mois. Il dépend de vous, mon- seigneur, de l'empêcher de les achever. En pareil cas, il faudroit user de la plus grande discrétion pour qu’on ne se doute point ici de son projet d'évasion, auquel on ne manqueroit pas de s’oppo- ser efficacement. Honorez-moi d’une prompte réponse là-dessus, à laquelle je me conformerai. » | Nous sommes parti du xr° siècle, et nous touchons aux limites du nôtre. Le cercle entier a été parcouru. Cette étude rétrospec- tive aura peut-être son côté utile. Dans un premier rapport au Comité des travaux historiques, publié dans la Revue des Sociétés savantes, nous avions très-sommairement indiqué une série de do- cuments qui intéressent la ville de Brest. La curiosité de quelques érudits bretons s’en est éveillée : ils ont demandé aux conserva- teurs de la bibliothèque de Saint-Pétersbourg la communication de ces pièces historiques ; une copie leur en a été immédiatement adressée. Il en sera de même chaque fois qu’une semblable de- mande sera faite. Voltaire, dans la lettre que nous avons citée, rappelait qu’au nombre des recommandations que Pierre le Grand avait pour ainsi dire léguées à sa nation, il avait placé au premier rang la politesse, la bienveillance envers les étrangers. Si du temps de Voltaire cette tradition de cordiale et généreuse hospitalité s'était perpétuée, je puis dire, avec quelque raison et quelque reconnais- sance , qu'il en est de même encore aujourd'hui. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'hommage de mes sen- timents respectueux, C' À. pr LA FERRIÈRE. DEUXIÈME RAPPORT SUR UNE MISSION LITTÉRAIRE EN ANGLETERRE ET EN ÉCOSSE, PAR M. PAUL MEYER, MEMBRE DU COMITÉ IMPÉRIAL DES TRAVAUX HISTORIQUES ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES !. IE. DURHAM. Paris, octobre 1866. Monsieur le Ministre, La ville de Durham renferme deux bibliothèques : celle du Chapitre, et celle de l’évêque Cosin ?, qui appartient à l’Université. La première, qui est de beaucoup la plus importante, possède un catalogue imprimé de ses manuscrits. M. Francisque Michel y prit copie en 1836 de la Chronique de Jordan Fantosme, qu'il a depuis publiée deux fois “. Il signala dans le manuscrit qui la lui avait fournie (C. 1v. 27) l'Histoire des Anglais, de Geffrei Gai- mar, et un bon texte du Brut de Wace, dont il a donné quelques extraits dans son Rapport. Je n'avais pas à m'occuper de ce manuscrit, déjà suffisamment connu, mais j’examinai avec soin le volume coté C. 1v. 27. B, qui, selon M. Fr. Michel, « contient une copie du roman d'Alexandre, du xiv° siècle et sans intérêt 6, » * Voir le premier rapport, t. II, p. 247. ? Cosin (" 15 janvier 1671) fut un bibliophile distingué. { Voir Surtees, The History and antiquities of the county of Durham, 1, cx.) * Codicum manuscriptorum ecclesiæ cathedralis Dunelmensis catalogus classicus descriptus a Thoma Rud. Dunelmiæ ; 1825. In-fol. * En 1840 pour la Surtees Sociely, et en 1844 dans les Documents inédits, à la suite de la Chronique des ducs de Normandie, de Benoit. * Rapports au Ministre, p. 219 et suiv. * Ibid. p. 210. — 116 — C'est un exemplaire de la version de Thomas de Kent, dont on ne connaissait jusqu'à ce Jour qu'un seul manuscrit, celui de la Bibliothèque impériale, fonds La Vallière, n° 45. L'Alexandre de Thomas de Kent, non-seulement est inédit, mais même n’a été jusqu'ici l’objet d'aucune étude approfondie. Van Praët lui a con- sacré quelques lignes dans le catalogue des manuscrits du duc de La Vallière!, et Legrand d’Aussy en a donné une notice assez étendue?, mais qui est loin de fournir une réponse suffisante aux questions que soulève ce roman. Depuis lors, aucune recherche originale n’a été faite sur Thomas de Kent, et l'abbé de La Rue ÿ et Weber“ ne le citent que d'après Legrand d’Aussy ou même d’après le catalogue de La Vallière. Il reste encore à déterminer exactement les sources auxquelles il a puisé, et notamment l’éten- due des emprunts qu'il a faits à ses devanciers Lambert le Tort et Alexandre de Bernay, et à faire le départ de ce qui lui appartient et de ce qui doit être attribué à ses copistes, entre les incorrections de tout genre qu'offrent les deux exemplaires de son œuvre. Cette dernière recherche, entreprise à l’aide d’un seul manuscrit, eût difficilement pu aboutir à des résultats certains; on peut croire que les variantes très-nombreuses du manuscrit de Durham per mettront de restituer avec assez de certitude la leçon originale, et en même temps de retrouver, sous les modifications dues aux scribes, le langage et la versification de Thomas de Kent. Pour qu'on puisse juger du nombre et de la valeur des variantes qu'offre le manuscrit de Durham, je publie ci-après les quatre- vingts premiers vers de ce manuscrit, et j'y joins en note les lecons différentes du manuscrit de Paris. (Appendice À.) Je signalerai encore parmi les manuscrits de la bibliothèque du Chapitre la traduction d’un ample commentaire sur le Psau- tier (A. 11. 11). L’exemplaire est magnifique : il se compose de trois volumes in-folio, dont l'écriture accuse les premières années du xmir° siècle, sinon la fin du xu°. Ces volumes contiennent, le premier 142, le second 213, le troisième 275 feuillets ; ce der- nier est d’un plus grand format que les autres et d’une écriture 1 11,-158;,/5n° 2702. 2 Notices et extraits des manuscrits, V, 122-130. C'est le ms. La Vallière que Legrand d’Aussy désigne par le n° 7190-6. 3 Essais historiques sur les bardes, jongleurs el trouvères, 11. à Metrical romances , 1, xxv. — 117 — plus grosse. J'ai transcrit, à titre de spécimen , la première colonne de ce texte. (Appendice B.) Le manuscrit V. 11. 17 de la bibliothèque de l’évêque Cosin n'est pas inconnu. M. Fr. Michel en a publié une centaine de vers !. Toutefois, l'utilité que ce manuscrit peut offrir au recueil des Anciens Poëles de la France m'a déterminé à l’étudier de très- près. Il renferme deux chansons de gestes : celle d’Anséis et celle d'Ogier, l'une et l’autre incomplètes. L’Anséis a 9600 vers, l'Ogier 12640. Au premier de ces poëmes manquent environ les 1430 premiers vers; au second les 400 derniers. Ces deux textes ont été transcrits au xrn° siècle et en France, comme la langue le montre assez, mais non par le même scribe. Ce sont deux manuscrits réunis sous la même couverture. Une nouvelle copie de l’Anséis, füt-elle excellente comme celle de Durham, ne saurait offrir un grand intérêt, parce qu'on pos- sède déjà trois bons manuscrits de ce poëme ?, sans parler d’un quatrième, qui a été exécuté par un scribe italien *, et de deux feuillets isolés ayant fait partie d’un cinquième manuscrit *. Tous offrent une version identique . Au contraire, un nouvel élément pour la critique du texte d'Ogier ne peut être que bienvenu. A la vérité, on en connaît déjà quatre manuscrits, outre celui de Durham; mais tous, sauf un, celui de Tours, sont incomplets ou médiocres. Une bonne leçon du même roman mérite donc d’être signalée et étudiée. J'ai pris quatre extraits du manuscrit de la bibliothèque Cosin; Je les publie ci-après en appendice, y laissant à dessein subsister les leçons fautives. J’y ai joint, autant que je l'ai pu, la comparai- son des autres textes, afin qu'on puisse bien en concevoir le rap- ! Rapports au Muustre, p. 238-242. ? Bibl. imp. fonds fr. 793 (anc. 7191), et 12548 (anc. suppl. fr. 540°); le troisième est à Lyon, à la bibliothèque du Palais des Arts. * Bibl. imp. fr. 1598 (anc. 7618). * A la fin du ms. de la Bibl. imp. fr. 368 (anc. 6985). Ce fragment comprend 1650 vers. 5 C’est sans aucun fondement qu'Amaury-Duval a prétendu (Hist. litt. XIX, 653- 654) que le ms. italianisé 7618 (maintenant fr. 1598) contient une rédaction particulière. Cette assertion erronée a été reproduite par M. Gaston Paris, Histoire poétique de Ghar- lemagne , p. 494. © Bibl. imp. La Vall. 78, fr. 1583 (anc. 7608, Cangé, 88); bibl. de Tours; bibl. de la faculté de médecine de Montpellier, 247. — 118 — port. Voici comment, selon moi ces divers textes peuvent être classés. Le plus ancien, ou du moins celui qui paraît avoir conservé le plus de traces de la version primitive est celui de Tours. Maintes fois il indique par quelques vers une idée ou une situation que les autres manuscrits développent longuement. On en verra la preuve ! dans les notes qui accompagnent les extraits publiés à l'Ap- pendice. Par rapport à ce manuscrit, qui me semble être la rédaction de Raïmbert dans sa forme la plus pure, les quatre autres manus- crits constituent une seule classe, où cependant chacun se dis- tingue par des traits particuliers. On peut dire qu’en général ils s'accordent dans les divergences qui les séparent du manuscrit de Tours; mais on ne saurait, sans les avoir comparés d’un bout à l’autre, déterminer celui qui s'en éloigne le moins. Il semble que ce soit le manuscrit de Montpellier ?, et toutefois le manus- crit La Vallière a l'avantage sur un point au moins. Il est le seul, avec le manuscrit de Tours, où se soient conservés dix vers qui renferment une allusion très-précise à la retraite d’Ogier, allant se réfugier avec la veuve et les deux fils de Carloman auprès de Didier, roi des Lombards *; fait attesté par les témoignages les plus authentiques, et qui vraisemblablement était raconté tout au long dans la chanson primitive d'Ogier. D'autre part, le manuscrit de Durham, envisagé au point de vue paléographique, a l'avantage d’être le plus ancien des quatre de sa classe; il parait être à peu près du même temps que celui de Tours#. En tout cas, il est antérieur d’un siècle peut-être au manuscrit de Montpellier, qui, exécuté dans la seconde moitié du xiv° siècle, offre une langue déjà très-altérée. Il est même plus ancien que le manuscrit La Vallière, qui paraît appartenir aux dernières années du xmm' siècle; il est aussi plus complet, car à celui-ci il manque environ 1200 vers, et à celui-là 4oo seulement. * On la trouve déjà dans l'édition de M. Barrois en ce qui concerne le rapport du ms. de Tours, qui est la base de cette édition, et du ms. La Vallière, dont elle donne presque toutes les variantes. , Ai n'oserais rien aflirmer à cet égard, n’ayant de ce ms. qu’une connaissance impar- * Voy. l'édition de M. Barrois, v. 4423-4429, et Gaston Paris, Histoire poétique de Charlemagne, p. 308. * C'est à tort que M. Barrois (préface, p. Liv) attribue son ms. au x1v° siècle; le fac- simile joint à quelques exemplaires montre assez qu'il est bien du xin° siècle. — 119 — Quant au manuscrit 1583, il n’a qu'une mince valeur. Il date du xv° siècle et contient la suite d’Ogier, qui fut imprimée plu- sieurs fois à la Renaissance. Cette leçon est à tous égards celle qui s'éloigne le plus de la rédaction de Raimbert ; elle y ajoute par- fois des vers et s'efforce, comme on le verra par quelques variantes que j'en ai données, de corriger les assonances, surtout dans les tirades masculines. En outre, par un dernier malheur, if se trouve qu'un grand nombre des feuillets de ce volume, qui est en papier, ont été détruits par l’action corrosive de l'encre. Somme toute, l’Ogier de la bibliothèque de l’évêque de Cosin, bien qu'inférieur à la leçon de Tours, est cependant l'un des meilleurs manuscrits que nous possédions de cette remarquable chanson de geste. (Appendice C.) APPENDICE. NOTICES ET EXTRAITS DE MANUSCRITS CONSERVÉS À DURHAM. À ts BIBLIOTHÈQUE DU CHAPITRE C. IV. 27. B. Tomas pe Kewr, le Roman d'Alexandre!. Fol. 7. Cist siecles est culvert e perillus, Fort à ceus ky servent le haut rey glorius Qui pur sa gent dona le soen sanc precius; Si cum mester nous est il ait mercy de nous! 5 Car vie d'ome est breve e le mond labrus, Deceivables à toz e à multz envius. Nequedent n'a el siecle nul si bosoignus Que alcun delit ne ait si trop n’est meseurous. Muit put estre dolent al jugement irus 10 Au jour où tanz serront e tristes e pourous Qui pur sa char norir est en ceo mond penus, À ceo k’om entent est son quer desirus. Un deduit y chosi que mult est delitus, ÂÀs tristes est confort e joie as dolerus 15 E assuagement al mal as amerus. Deliter se put bien home chevalerus E tuit cil qui sunt de romanz coveitus. À enviouse gent sunt ly bon fet costus, Car joie e envoisure est doel as envius. 20 Le mal le tient al quer, dont vient le dit Qustus; Autrement crevereit car tut est venimus. Si envius me reprent, seignors, ceo dy à vous : L'em mesprent bien sovent en ovre meins grevous. Mult par sereit ly home en ses fez eürous 25 Quy à la foiz n'est repris des homes envius. Ore put qui voet oïr vers merveillus De Alisandre le roy, de Daire l’orgoillus, ‘ Ge ms. conlient 201 feuillets; les quatre derniers sont presque entièrement détruits. En outre, trois feuillets ont été coupés après le fol. 118. Le ms de Paris (La Vall. 45) a perdu aussi l'un de ses feuillets, le septième. Ces deux exemplaires se complètent mutuelle- ment. Fol. 8. 30 35 es © 45 60 65 — 121 — Ci qui conquisi tanz regnes e lanz iles hidus, Inde e Ethiope les regnes plentivous Par force de bataille e meint estur dotus. Hardiz estoit e conquerranz sages e enginus. Il. La descripcion del mounde. Ancienement ly sage mesurerent le monde Cum le firmament torne e cum la terre est ronde; En trois la departirent sanz compas e desponde. L'une est Aufrike, Asye est la seconde; Europe est la tierce, de toz biens est feconde. Doze signes au ciel dont clarté nous abonde, Le curs des esteilles cum la mer est parfonde ; Des doze mois parlerent e del vent que rebonde, De marz e d'averil et de may la plus monde, De jun e de junet en Virgo se vergonde, De aust e de septembre que sa veigne feconde, De octobre e de novembre, decembre od la fonde, De genever e feverer e de aquarie od l'onde. Qui de ceo plus querat querge que ly l'esponde. IT. De Nectanabus le roy de Libye. Del mond esprover surent plusur baron. Le plus sage de toz Nectanabuz ot noun, Les curs as planetes esprova par reson ; Tuit li quarte element ly furent en bandon, Quant autre roy conquist à force d'esperon Il se combaty par constanlacion (?). Ne voleit guerroier sanz artimage non. Si alcun roy se prist envers sa region, Adonc alast cocher sus en sa meson; Ewe en un bacin prist ou en un poton, E de cire feist une conjunction En semblance d’omes, par ymaginacioun, L'une semblance à 1y, l’autre à son compaignon; En chescune escriveit donc son propre non, Combatre les feseit par simulacion ; Tant ne venissent nefs, eskarnard ne dromon Que par engin nes tornast donc à destruction. Eissi ot tut jours pes, desqu'al temps Phelippon Avint que tresze roys, tut en un seison , Se pristrent contre ly par iceste achaison. Sa mort eurent juré par fere traïson ; Ost avoient mandé de meinte nascion. Quant cil soit par les esteilles lour entencion Un ris jeta de joie e dit une oreison ; ms Me 70 Charme fust en chaldeu, ne say pas le jargon, Ewe fist donc metre al bacin de laton; Fist lors e dist charmes en estrange sermon. Quant fet ot ceo qu'il volt par sa conjureison Adonc vist de son regne la confusioun. 75 S'il ne fuist ne tent pas nule defension Ne la gent del realme nule garison, Toz serront pris et occis e mené en prison; Bien voit s’il atend ja n’avera rançon, De attendre ou d’aler ert en grant suspecion. S0 Quant il eust pensé si s’en fuist tost com laron, Le chef rees e tondu s’en vest en chemineisson. IV. Coment Nettanebus s'enfui et vint en Macedone. Nettanabus se ot rees e deguisé estreit...…. Ms. La Vall. 1. Mult per est iceste s. dolenz et p. — 2. Fors à icels. — 3. Qui por nus delivra le seon sanc precius. — 4. eiet m. — 5. et iceste munde laborus. — 10. Al lur que tant avera. — 13. U. d. ai. ch. — 15. as mals des a. — 16. D. si poent h. ben ch. — 18. À l'e. g. s. L. b. vers c. — 20. L. d. Custus. — 22. Si nul dels. — 3. e, outre mal G. — 25. Si à la fiée n'e r. d. envious. — 26. 0. un v. — 28. Qui Babiloine prist e sis uncles Cyrrus — Alixandre conquist et tanz isles hidus. — 30. La Vall. ajoute : Cum l'estorie dirrat fort fu et vigrous. — 31.H.e.c.ee. — 32. Li sage homme ancien m. 1. m.— 34. s. c. sanz espounde. — 35. L'u. partie est Asye, Affrike L. s. — 38-39. Manquent dans La Vall. — 41. ou V. — 42. Le second hé- mistiche de ce vers et le premier du suivant manquent dans La Vall. — 44. de quareme od l'onde. — 45. que l'en responde. — 46. D'iceste chose e. — L8. Qui le c. — 51. Dunt se combatent cist par estellacion. — 52, se par a. non.— 54. Lors s'a. c. segur,— 57. Eten semblant de ceus p. machinacion. — 58. L'une semblat. — 61. Ja tn. v. en chalam n'en d. — 62. t. en d. — 66. par m. grant t. — 68. la L. e. — "72. Cul le f. d. m. en un b. Après ce vers La Vall. ajoute : Ses ymages moilla et destrempa sa puison. — 74. tote la confundeisun. — 735. n'i entent n. d. — 76. De la g. — 8x. e vail en chaitiveison. B BIBLIOTHÈQUE DU CHAPITRE. A. IL 11. , Commentaire sur le psautier. Beatus vir qui non abut in consilio üunpiorun el in via peccatorum non slelit, el in cathedra pestilentie non sedit. — Adam nostre premer pere ne fu mie beatus vtr, kar 1l alat al conseil des feluns del serpent 3 de Eve ki li firent la obedience Deu enfreindre, 3 il estut en la veie des peccheurs quant il se delitat en ço ke li ser- penz 3 Eve la decevent 3 li promistrent ke il savereit e bien 3 mal, 3 serreit si cum Deus; ceo est ke il ne murreit ja. E il sist en la chaere de pestilence quant — 1235 — il escusa sun mesfet envers Deu, kar il deust aver dit : Peccavi Domine, miserere me, ceo est à dire : jo ai pecché, aiez merci de mei. Ceo ne dist il mie, einz munta la chaere de sotie, si cumença à defendre sei 3 à desreiner envers Deu, si dist : Mulier quam dedisti mihi decepit me, 3 comedi ; ceo est : la femme ke tu me dunas me deçut 3 jeo mangai; queinses (sic) si jeo ai pecché ceo est ta cupe ki la femme me dunas ki me deçut. Mes nostre sire Jhesu Xps, secundus Adam, il fut beatus wir, kar il ne ala mie al cunseïl des feluns judeus ki li distrent : Si ft- lius Dei est, descendat de cruce et credimus ei. Geo est : si 1 est Crist fiz Deu, des- cendet de la croiz et nus crerum en lui. E il ne estut mie en la veie des pecchurs, ker il ne se delita mie en la mundeine richesce, ker quant li judeu le voldreient fere rei, ne out cure ne se delita mie, 3 ceo mustra il bien, quia non stetit in via peccatorum, ne se volt deliter el siecle, ne vot demurer; tart i vint, poure vie i mena, poi i demura, ne vescut ke trente dous anz, ki mil cinc cenz anz i peust richement estre si il vousist. Ore fait à esgarder en queles (sic) maneres li diables venqui le premer Adam. Il le venqui gula , vana gloria, avaritia, ceo est par glu- tunerie, par veine gloire, par avarice...…. C BIBLIOTHÈQUE DE L'ÉVÉQUE COSIN V. IL 17. Ogier le Danois. F. (Edition Barrois, v. 1 et suiv.) Fol. 55 a. Seignor, oiés, que Jhesus bien vous faiche!, Li glorious, li pere esperitable! De fiere geste et de fer vaselage ?. Rainbers le fist à l’'aduré corage, Chil de Paris qui les autres en passe; Il n’est jouglerres qui soit de son lignaje * Qui tant boin vers ait estrait de barnage. Huimais dirons d'Ogier de Danemarche, Le fil Gaufroi à l’aduré corage, Comment ses peres le laissa en ostage Envers le roi de Paris et de Chartres. À Paris fu nostre emperere Charles; ! Tout le début, soit environ 120 vers, manque dans La Vallière par suite de l'arra- chement d’un feuillet, 2? Le début est un peu différent dans Tours; les quatre vers qui suivent sur Raimbert de Paris y font défaut. * Pour ce vers et pour le suivant 1l y a dans 1553 : Jouglieres fut, si vesqui son éage, Gentis homs fu et trestout son lignaige; Mainte chançon fist il de grant barnage. Fol. 55 b. es NE il ünt sa cort à une haute Paske ; De plusors terres i furent li barnages. Apres la messe sont entré en la sale, Cil chevalier s’asient par ces tables. Molt richement se faisoit servir Charles. A ces paroles es vous .I1II. mesages, Par ces degrés montefre]nt en la sale, Devant Charlon desfublerent lor capes; Courones orent, s’orent reses lor barbes Et les grenons, les mentons et les faches, Charles les voit, si mua son corage : «Barons, fist il, qui vous fist tel outrage ? — En non Dieu! sire, Gaufroi de Danmarche, Le pere Ogier à qui nous envoiastes, Un fel traïtres qui li cors Dieu mal face!» Quant li rois lot, doel ot en son corage; Juré en a le cors Filio-Patre : «Quant ne me porte feüté ne homage, Mort et honi en seront si ostage. » Or croist Ogier une paine si male, N'orrés grignor en canchon ni en fable. Franc chevalier, s’il vos plaist escouter Boine canchon de grant nobilité, Clerc ne gramaire ne canterent jougler (sic) Mais orés ja retentir et soner; Parmi aus tous me sui abandonés. Huimais orrés dou Danois d'Outremer, Du fiel Gaufroi qui tant fait à loer, Comment ses peres l’avoit forostelé Envers le roi de Paris la cité. Li rois apiele le castelain Guiré, .[. molt proudome dou borc de S. Aumer; Par le poing destre li a Ogier livré: «Amis, dist-il, cestui bien me gardez; S'il vos escape mart (sic) vos ert encontré. Ne vous lairai, par Dieu de majesté ! Qui vaille un seul denier ne castel ne cité, Ains vos ferai tous les membres couper. » Quant cil l’entent molt en fu effréés «Sire, dist-11, molt bien sera gardés, Car de vo bons ne quier nul refuser. » Par le poing destre a cil Ogier conbré, Si l'en mena ou bourc à son hostel !. Sa biele fille en prent à apieler. ! Le ms. 1583 recherche les rimes riches : À son hostel le fet o lui mener. PPS — 125 — C'est Beuseline la biele o le vis cler, H n’ot si biele en .xmr. chités : «Fille, dist il, cestui bien me gardés, Car Km. ! le m'a bien commandé De sor la teste et les membres couper; S il vos escape jou sui desbareté. — Sire, dist ele, bien vos sera gardé. » Quant la puchele le vit si tres beau baceler Ens en son cuer li prent à apieler; Puis le mena el palais principer. Vait s’ent la nuit et li jours lor apert, Et li mangiers fu pres et conréés; Assez i ot venison et senglés, Grues et gantes et boins poissons de mer Et bougerans et vin viés et auvés. Quant ont mangié et beü à plenté Li senescal vont les napes oster. Li lit furent et pres et conréé. En une canbre en ont Ogier mené, Ens en .r. lit le couchierent souef. Quant il deüst dormir et reposer Molt tenrement commencha à plorer; L’aige li chiet fil à fil lés le neis; Jhesu de gloire en prent à apieler : «Glorieus sire, peres de majesté, Garis mon cors de mort et d’afoler. Demain aurai tos les membres coupés Car Kim. le m’a bien afié.» Quant la pucele l'oï ainsi parler Dedens son cuer l'en prent molt grant pités, Dedens sa canbre est venus à celé Si coiement que nus ne le seit; Deles Og. s’est alée couler, Toute nue est, ja mar le mesquerrés ; Molt doucement le prent à conforter : «Ne plorés mie, li danseaus d’outre mer, Tant preudome a à Paris la chité De cheaus de France qui sont asamblé, Ja ne porront soffrir ni endurer Que vos soiés honis ne vergondés, Ains vos ferront trestout quite clamer. » Ogier l'entent, dou cuer a sospiré; Molt bien cuida qu'ele desist verité, Vers lui s’en torne, vers son desire costé, ! Jei et en plusieurs endroits j'ai reproduit l'abréviation parce qu'il y avait doute sur l'orthographe de la terminaison , ce manuscrit omettant fréquemment l’s caractéristique du sujet. — 126 — Assez tost a son torement {sic) oblié ; .C. fois le baise par molt grant amisté Puis en a fait toutes ses volentés Comm’ autres hom doit faire de sa per !. Cele nuit fu Bauduins engenrés, Li plus biaus enfes de la crestieneté, Qui au perron fu à Loon tués; Charlot l'ocist par sa ruiste fierté, D'un eschekier li dona un caup tel Qu'’andeus les ieus li fist dou chief voler ; EI pavement le convint jus verser. Par çou cueilli Og. si grant fierté Que s’en fu puis ses cors au roi melés. Tres ceste terre jusqu'a Rome sor mer, Tres Alemaigne jusc'a mont S. Mikiel Ne remest 11 ne castiaus ne chité Li mur ne fuissent et pechié et qassé. Vai s’ent li nuis et li jors lor apert?, Et Kim. s’est vestus et parés; Fol. 55 d. À un mostier se fait messe chanter. Apres la messe sont dou mostier torné, Puis s’en monterent el palais principer ; L’aige demandent, s’asient au disner. . Quant mangié orent et béu à plenté Li senescaus font les napes oster. K. demande son novel foresté, Li castelains li corut amener. I en monterent el palais principer; Charles le voit, s1 l’a araisoné : a Og. dist il, vos estes forsosté ; Malvaisement m'en a Gaufroi mené, Li vostre peres qui Diex puist craventer, Qui m'a mes homes honi et vergondé ! Or vos ferai tous les membres cauper, Ardoir en fu ou noier en la mer. Dist Og. : «Sire, tout à vo volenté. «Drois emperere, dist li Danois Og., De caitif hom c’or vos prenge pitié! Moi poés vos ou vendre ou engagier, Ou pandre à fourques ou en iaue noier; | Lequel que faites çou ier dels et pitiés. | Gaufrois mes peres si ne m'ot gaires chier Quant envers vos m'a fait forostagier ; Tout ce li fait Helisent sa moiller, | | | ! Tout ce passage, à partir des recommandations du châtelain à sa fille, est raconté | plus brièvement dans le ms. de Tours, et plus longuement dans le ms. 1583. i * 1583 : li ours apparut cler. # — 127 — C'est ma marastre, si ne m'a gaires chier, Qu'ele vauroit que jou fuisse noïés !,» Tenrement pleure des biaus iex de son chief. Charles le voit, si en ot grant pitié. Ogier esgarde contreval le planchier Et voit la sale emplir de chevaliers; Par non apiele le conte Manesier, Eudon de Langres et Acart de Rivier, Huon de Nantes et Ernaïs le fier, Gui de Gascoigne et Droon de Poitiers, Huon de Troies et Sanson l’enforchié. « Segnor baron, çou dist li dus Ogier, Por amor Dieu, vos vauroie proier & Que vers Karlon m'aidiés à rapaier Qui me manache la teste rooignier. » Et il respondent : «Sire, molt volentiers Fol. 56. L’en proierons se çou vous puist aïdier, Trestot por vos, sire danois Ogier.» Li conte sont tout ensamble arengié, Molt bien .xuit. l'en sont alé au pié Que tout li proiïent : «Sire, merchi d'Ogier, Le fil Gaufroi le novel chevelier. » Mais li rois dist qu'il n’en fera riens Que il ne soit honis et vergoigniés ?. Qui dont veïst le Danois gramoiers Ses poins detordre, ses chavels esrachier Et son ermin deronpre et depechier! Por lui en pleurent puceles et moillier, Et cler et lay couroné de mostier. En poi de terme puet Diex son home aïdier : Es vos de Rome .x1x11. messagier, En mi la plache sont descendu au pié ; K. les voit , si les couruit baisier. Li apostoiles Îes 1 ot envoiés. «Signor baron dist K. au vis fier, Dites de Rome comment se tient mes fiés ? » Et cil respondent : «Nous le vos dirons bien * : Par Dieu de gloire, le pere droiturier, ! Les vers relatifs à Helissent manquent dans le ms. de Tours; dans La Vallière ide insérés à la fin de ia tirade précédente. ? Tours et La Vallière introduisent ici une réponse directe de Charles, puis vient la reine, qui insiste à son tour et sans plus de succès. 1583 présente aussi une réponse di- recte de Charles, mais toute différente, et la reine n'intervient pas. * Tours et La Vallière : autre chose que bien; 1583, pour obtenir une meilleure rime : Drois emperiere , dient ly messagers. Tout ce qui suit, jusqu'a la fin de la tirade, est raconté en 13 vers dans Tours et dans La Vallière. Re En Rome n'a ne eglise ne monstier, Tour ne bretesque, cloque ne clochier, Que tout ne soit fendu et pechoié. — Qui a ce fait dit Charle au vis fier? — En non Dieu sire, nous le vos dirons bien Se vous volés maintenant, en non Dieu; Ch'a fait uns rois, sires est des paiens, Non a Corsibles et Danemons li fiers. Ja nous ont mort .M. de nos crestiens, Et l'apostoïle est de Rome cachiés. «Baron, dist K., mout en sui corechés, Dieus et S. Pieres nos en puisse vengier! - Et se jou puis ïl le conperront chier. » Il en apiele Primant sen despensier, Par le poing destre li a livré Ogier Amis biau frere, cestui me gardés bien !, Desi au Rome le menés à mon fé. Quant mes barnages i sera arengiés De 1à les mons es tentes herbergiés, Fol. 56 b. Franc 1 seront, Alemant et Pohier, Desor un pui ferai fourques drechier, Là penderai le bon danois Ogier, Là le verront serjant et escuier, Que mais ne faicent Alemant ne Pohier, Que nus ne laist son fil por ostagier ; Se il le fait, jamais le voie entier !» Et Kim. fu dolans et iriés, Taille ses chartres, fait escrire ses briés Mande ses homes, ses barons chevaliers, Par trestout son roiaume n’i remest escuiers. (Que tous ne viegnent au ? mant K. le fier. Desi au Rome en vaura repairier. Quant K. entendi les mesages Ke Sarr. sont entré en ses marces, Taille ses briés, fait escrire ses chartres ; Si les envoie en Pulle et en Calabre, En Engleterre et par toutes ses marces; Et par mi Flandres revienent li mesages, N'i remest chevalier de boin age Que tout ne viegnent apresté de bataille. Les os asamblent à Paris sos Monmartre. À Paris furent Franc et Borghegnon. Et Hainuier, Flamenc et Brabençon, Et Alemant et Baivier et Berton: Vinrent encontre le roi à Besenchon. 7 1583 : Cestui vous veil charger. * De même plus loin (fol. 113 a) : s'écrier au haut ton, prover au traïtour. pt Là trova K. le baivier Widelon, Huon de Troies et l’enforchié Sanson O chevaliers trente .M. qu'il sont. une Le atel à CC XL (Édition Barrois, v. 9755 et suiv.) Fol. 112 b. Oi l’avés en la canchon arrier, Puis escapa par esfort de destrier. Or a tant fait et avant et arrier Que prison (sic) est li bons danois Ogier En Portemarce que fremerent Pohier ; Cou est à Rains tout droit l'arcevesquié. .Vr1. ans tous plains 1 fu li bons Ogiers, Chou fu damages de si gentil chevalier. Or dist li vers de la bone canchon VII. ans tous plains estuet en la prison si Par le congié l’emperere Charlon. Onques n'i vit son pié ne son talon; Sor le brun marbre se gist li jentix hom. Blance ot le barbe, s’ot flori le grenon. Sovent reclaime Jhesu Crist et son non Qui le consant (sic) par sa beneïchon. Or dient tout, Alemant et Frison Et li Franc. Flamenc et Braibenchon, Et un et autre de mainte region, it les espies que Sarr. 1 ont Fol. 112 c. C'Ogiers est mors en la chartre Karlon. «Diex quel damage!» com dient li baron, «Mieudres d’'Og. ne caucha d’esperon. » Molt le regrete maint duc et maint frans hom. Pour nient le plaignent car il n’a se bien non Car merchi Diex et Turpin le baron Tant Ji dona pain et vin et poisson, Ët car salée, porc et beuef (sec) et mouton, Grues et gantes et autre venison, Et tant manga à sa devision Gros ot les poins entour et environ, Et le col gros plus que nul campion, Le cors furni entour et environ. Nel puet tenir aneaus ne toureiïllon, Buies de fer ne claus, tant soit reon, Qu'entre ses piés ne le meche en .1. mont. ! Ce morceau présente la même leçon que les mss. La Vallière , de Montpellier et 1583 , sous la réserve des remarques contenues dans les notes. MISS, SCIENT. — IV, (e] — 150 — Del bon Danois chi endroit vos läiron, Quant lieus en iert molt bien 1 revenrou. Or vous dirons de Breh. le felon !, Uns rois paien qui ait maleïchon ! A tint Aufrique et la grant region Et Babilone entour et environ, Toute la terre de Damas le roion, Rois fu des Sesnes, segnur l'en clamoit on Nonchiés li fu de la court roi Karlon C'Ogiers est mors en la chartre à bandon. { ne cremoit en France se lui non, De tout les autres n’en donroit .1. bouton; IH ne les prise vaillant un esperon. Manda ses homes, maint Sarr. felon:, Le viel Teneb. et le viel Braidimon, Et Clarel et Eubrin et Enbron. D'outre Morimde manderent Fausseror Qui car d'enfant mangüe por capon; = Quant il la mort si le pent à larchon, Od lui l'enporte en lieu de venison. Manda Herpin del pui de Besençon ; lt si demanda le paien Cordaglon; [oil avoit .171. nés et .111. dromons Et .urxr. bras as costés environ; Fol. 119 d. En cascuns bras porte un grant mail reon; Et si manda l’amuañfle Carbon. Tout asambla Breh. au cuer felon ; Trente rois sont de la geste Mahon, Vint amiral qui ont grant region, Quatre .c.M. de Sarr. felons. En mer s’enpaignent li maisnie Norron: À terre vinrent à Diex maleïchon ; Il s’en entrerent el roiaume Karlon. Breh. chevauche qui ot cuer de felon, Toute Alemaigne ont mis en grant fricon, Crestien metent tout à destruison; L1 fourier courent entour et environ, En .rr°. hieus chevaucent li felon. D’Arle le blanc jusc’à Aïs le perron, Des Loheraine de si à Besençon, De Normendie à Saint Mikiel au mont, N'i remest 11 ne castiau ne doignon, Bourc ne richet, chité ne fort maison, ! Ce vers et les vingt-sept qui suiyent sont dans La Vallière rimés en ant. On peut les lire dans l'édition de M. Barrois {v. 9734-9824), qui suit ce ms. du v.9712 au v. 9839. Au lieu des 128 vers compris entre ces deux nombres, le ms. de Tours n’en offre que 243; M. Barrois les a transerits en note, II, 4oo. Fol: 114. = GE Ne fort moustier, maison de religion !, Que tout ne metent à fu et à carbon. En France entrerent 11 maine roion ? ; Des crestiens font grant confusion, Ochient femes, maint petit enfanchon, Et un et autre ochient à bandon S'il ne veut croire en lor dieu Baraton. Brehiers chevauce à forche et à bandon, Ains ne fina si vint à Monlaon ; La grant chité assisent environ. Un mes s'en torne qui va nonchier Karlon; Li rois l’entent, à poi qu'il ne font; Manda ses homes de partout son roion, De Saint Omer de si à Carlion, Et de Poitau de si que à Dijon; N'i remest 11 chevalier ne baron Que ne fust pres du serviche Karlon. Les os asamblent, n’1 font demourison; Là voit (sic) on maint vermeïl confanon, Tant fort escu, tant destrier aragon. [snelement chevaucent vers Laon. À deus lieuetes de delés Pierrepont Aresta l’ost l’emperere Charlon; C’est à .11. lieues de la cité de Laon. Un Sarr. qui ait maleïchon Qui fu espie à Brehier le felon. Jusc’ à lor ost n’1 fait arestison. Au mestre tref escria à bandon : «Hé! Brehier sire, or esmuet la tenchon; Crestien vienent à force et à bandon. Onques mais Turc n’en vit si grant fuison. » Brehier l’entent, tel joie n'ot nus hom. En piés se dreche, si escrie au haut ton : « Or cha mes armes, sans nul, arestison. » Lors li aporterent .xirt1. esclavon. «Jou veul aler veoir les os Karlon; Prover li veul au traïtour felon ; Braimont ochist, çou fu par traïson; Pepin ses peres si ochist Justamont. Vengerai les, foi que jou doi Mahom!» H vest l’auberc qui fu de grant renon; N’a chevalier de si à Besenchon Ne traïnast une toise environ. Puis chaint l’espée au senestre giron; Ele fu prise el tresor Pharaon, Balans le fist en l'ile de Macon ; ! Corr. gent. d. r. (Barrois 9839). ? Corr. la maisnie Mahon, Tours (Barrois 9841). Le — 152 — Contre l'achier n’a nule arme fuison. Puis lacha l’elme qui fu de grant renon ; Une escarboucle avoit el chief amont; À mienuit, quant li tans fu enbron, Mil chevaliers conduire en porroit on. .XVIT. piés avoit li turs de lonc Et de laeur ! une toise de donc. Tant estoit fors, en escrit le trovon, Vint chevaliers n’orent à lui fuison Que vaille mie se molt petitet non. En ses piés sont fermé li esperon Qui .r111. piés et demi ont de lonc. On li amaine Bauchant son aragon, Ains sor si bon ne monta nus frans hom, Fol, 113 b. Fors sor Baiart qui fu au fil Aimon, | Renaut le preu qui ot cuer de baron. Brehier 1 monte, ains n’1 baïlla archon ; Puis prent l’escu qui fu d'os de poisson Qui plus iert durs que coivres ne laitons. Ne crient qarél ne espiel .r. bouton; En mi avoit une ymage Mahon. L’espiel saisi, n’i fist plus lonc sermon, Ne le portast un molt fort campion, A .v. cleus d’or fremé le gonfanon ?. Puis apiela Persans et Esclavon ; Sor menbre perdre lor commande par non Ne se muissent pour cri ne pour tenchon Jusc’à cele eure que venir le verront. Et chil respondent : « Vostre plaisir feron. » Le cheval broce, vait s’en à esperon, Sus en l’angarde en monte à bandon Et voit les os l’emperere (sic) Charlon, Le tref roial et l'aigle d’or en son. Rrehier le voit, tel joie n'ot nus hom; Mahomet jure ja pié n’en estordront. Mais ne seit mie la grant destruison * Que il aura et la grant dapnasion ; Qu’encontre lui aura tel campion Poi prisera lui ne son dieu Mahom. Or dist li canson “ en cest commencement © Li rois de France amena biele gent, 1 C’est aussi la lecon de Tours; — La Vallière et 1583 : largeche. * 1583 (fol. 77 d) développe la fin de la tirade en 36 vers. * Ce vers et les trois suivants manquent dans Tours. Corr. li vers. Au lieu de ce vers et des sept suivants, Tours n'en a qu'un : Li rois Braiïher cui li cors Dex cravent. as NYS == .C. mile furent as bons destriers courant; ur. tans furent Sarr. et Persant. Diex les confonde, le pere omnipotent! Et cil Breh., qui li cors Dieu cravent! Cascun matin s'en va apareiïllant ; K. apiele felon et soudoiant ; Vient en l’angarde armés molt ricement, Voit les os K. où toute France apeni, Le tref le roi consieut en un pendant; Bien le connuit à l’aygle flamboiant Et au dragon qui est desor molt grant. En mi le pré ficha l’espiet trenchant, À hautes vois va Breh. escriant ; K. apiele felon e souduiant. IE. (Édition Barrois , v. 11830 et suiv.) Fol. 126 d. Bruiant s’en va ausi comme tempeste ; II. piés ou plus dedens le pré l’enfere Et dist Og. : « Chi a laide novele ; Se longes vis c'estra dolours et perte ; Mais ains que voies, ce cuit, aprochier vespre Auras ostel dedens infer le pesme; Là iras tu avoec ceus de ta geste. Ne te pris mais vaillant une chenele ; Mais n’amerai ne toi ne ta favele ; Croire devoies el vrai roi celestre ; Mais se jou puis jou te donrai confese Au brant d’achier dont tranche l’alemele. » Lors li court sus li dus de bone geste Et tint Courtain que est et bone et biele Et fiert Brehier qui li ot fait moleste. Grant cop li done en travers par mi lelme, Les las li trence, le colier en desserre, Encontremont en fait voler la teste ; Og. le voit, en crois se jete à terre, Diex en merchie le glorious celestre, Sa douce mere que pecheours rapiele. Atant s’en saigne Og. de sa main destre, Et se leva et tint Courtain la biele ! Cet extrait correspond à uñe lacune du ms. La Vallière. Il est , sauf quelques variantes , identique à la leçon du ms. de Montpellier (fol. 135 b). Le ms. 1583 est à cet endroit (fol. 56) trop endommagé pour permettre une comparaison suivie. On y voit cependant que Brehier, comme dans le ms. de Tours, ayant eu l'épaule enlevée d’un coup d'épée, lance à Ogier, sans atteindre, une pierre énorme, — 134 — Qui tainte estoit de sanc et de cervele ; Molt bien l’essue , el fuerre le reserre, Por reposer s'asiet un poi sor l’erbe !. Or faites pais por Dieu le roi celestre Encore orrés cançon et bone et biele Cil jougleour, sachiés, n’en sevent gaires, De la canchon ont deronpu la geste ?, Mais j en dirai qui en sai la matere. Or entendés, por la vraie paterne, S'orrés canchon qui est de bone geste 5: Sachiés por voir que mellor ne puet estre; S'orrés d'Og. con se revint del tertre, Eom l’encaucherent la pute gent averse Et com soufri bataïlle et grant et pesme À Sarr., Diex maudie lor jestes ! Bien .111.C.M. en avoit as herberges; Mors fust Og. ne fust une pucele Fol. 127 a. Qu'il toli as Sarrazins superbes (?) Qui ala querre KI. d’Aïs la Capiele. Og. s’asist, si a osté son elme; Molt fu lassés, si se coucha sor l’erbe; Il n’en pot mais car bataille ot fait pesme“ Au plus crueus qui fust en toute terre, Ne c'on trovast tant com 11 mons traverse: Mais de repois n'avera il maïs gaires. Lors escouta parmi une vauchele ; S’oi crier et plaindre une puchele. Og. l'entent, n'i a fait longe areste; H saut en piés, si relace son elme, Vint au bauchant, le destrier de Castele. Qui 11 cuidoit monter sans nule aresteÿ, Mais li chevaus li à fait le traverse Qu'il ne voit pas son segnor né en terre’, Breh. le grant qui estoit rois de Perse. En fuies torne, de qanqu'il puet s’eslaisse, Og. le sieut l'espié ens el poing destre, L’escu au col tint Courtain à senestre ?..... ! Ici 1583 intercale une tirade en ant de plus de trente vers. Bien que M. Barrois ait placé à cet endroit l’une des douze divisions de son poëme (la onzième), il n’y a, dans le ms. de Durham ni dans celui de Montpellier, pas même une initiale en couleur. * 1583 ajoute : Une jornce en dient et puis la laissent. * Ce vers et les huit suivants manquent à Tours. * Ce vers et les trois suivants manquent à Tours. b Manque à Tours. a Manque à Tours ainsi que le vers suivant, 7 Manque a Tours. Ne { Édition Barrois, v. 12609 et suiv.) Fol. x3% c Che fu en may que chante la copée; L'orieus chante en la saule ramée ? Et li mauvis au main est afilée ; Et paien ont la langarde ÿ montée, Breh. troverent envers goule baée; Grant doel demainent cele gent desfaée. Voient no gent garnie et armée ; Vint et .vr. rois de cele gent dervée Ont Ysorie la courone donée Le fil Brehier qui tant ot grant ponée ‘ Qui rois estoit d'Aufrique la loée ; Trente batailles de gent out ordenée, En la menour, c'est verité prouvée Sont trente .M. de cele gent armée Diex les confonde qui fist chiel et rosée! Sonent buisines et cors à la menée De .v. grans lieues en tentist la contrée *. Qant nos François voient cele gent $ asanblée Il n'1 a cel n'ait la colour muée: Toute la terre en est acouvetée, Li frons devant duroit une lieuée : Ains tant n'en fu à nul jour ajostée. K.. les voit de Franche la loée ?, De mautalent a la colour muée, Li sans li mue sos la broigne safrée. Puis icele eure que primes chaint espce Not tel poour,, ch'est verité provée. Et li dus N. à la barbe mellée Et li Danois ont lor gent ordenée : XI. batailles ajostent par la prée; En cascune ot vint .M., lance levée. Og. en a la premiere menée f ! Cet extrait est tout à fait conforme à la leçon de La Vallière (lol. 276 c) et de 1583 (fol. 104 c). La leçon de Montpellier, au contraire (fol. 138 d), se rapproche beau- coup plus de celle de Tours. ? Manque à Tours et à Montpellier, ainsi que le vers suivant. * L’avant garde, La Vallière. * Pour ces deux vers, il n’y en a qu’un dans Tours. Pour ce vers et les deux suivants, :l y en a quatre tout différents dans Tours et dans Montpellier. ® I faut, avec La Vallière supprimer gent. ? Pour ce vers et le suivant, Tours à : Lo Kalles li rois à la color muee. — 136 — Desor Bauchant l’oriflambe levée !; Et N. a la seconde menée: Au Vienois ont la tierche gardée ; La qarte maine Gautier (sic) de Pierre lée ; Cil de saint Gille la quinte a ordenée, Li dus Raïmon qui maine grant ponée, Peres Huget à la chiere menbrée. Pierres d'Artois à la siste menée; Gerrart de Blaive ont la setisme donée: Eues del Mans a l’uitisme menée ; Chil de Tourenche la neueuisme ont donée, K1. li a otroïe et garée. Chil de Grant pré la disime a gardée, Et Loeys l'onsisme a à chelée?, Le fil le roi qui est de renoumée; Karlos de France qui bien fiert de l’espée, À la dousisme encargie et combrée K. no rois de France la loée À la tresisme et conduite et guiée. Li emperere à la chiere menbrée Seigne sa gent de la vergene honourée. Lors chevauchent, cascuns lance levée Com bone gent de bien faire aprestée. Ancui trairont paien dure journée. Vers François vienent de randonée: Devant les autres plus d’une arbalestrée Vint Clariens, uns rois du Val Fondée; C'est une terre qui molt est redoutée, Soleaus n’1 lievre en toute la contrée, Ne n'i aura nesun point de rosée, Ne onques feme n'1 fu d’ome amée ; Bos et culevres 1 a grans caretées 5. Tel terre soit confondue et dampnée! La car mangüent sans seil et sans pevrée, Trestoute crue, c'est verité provée; Mais en bataille est mot tres bien armée. Li sires d’aus maine trop grant ponée; Ogier le voit venir parmi la prée, Contre lui broche Bauchant de randonée ; Li uns vers l’autre s’en vient lance levée, Grans eaus se donent sor les targes roées. Li paiens a sa lance tronchonée. (Le reste manque.) ! Les vingt-cinq vers qui suivent manquent à Tours et à Montpellier. 2 Corr. a chaelee. ? Les six vers qui suivent manquent à Tours. IT EDIMBOURG. Des deux bibliothèques d'Édimbourg, Advocates library et Si- gnet library, une seule contient des manuscrits anciens, la pre- mière. Elle a été explorée en 1836 par M. Fr. Michel, qui y a si- gnalé un bon texte du Perceval de Chrestien de Troyes et un manuscrit de Tristan. Ce dernier ouvrage est la rédaction connue sous le nom de Bret, qui a pour auteurs Luce du Gast et Hélie de Borron. Comme les manuscrits en sont rares !, je crois devoir rapporter, à titre de spécimen, les premières phrases de celui d'Édimbourg. Le dialecte en paraît lorrain. (Appendice À.) Sous le numéro 18. 7.6, on conserve dans le même établisse- ment un mince volume qui permet de combler dans notre his- toire littéraire une petite lacune. Voici l’incipit de l'ouvrage qui s'y trouve : Inciptunt capitula in tractata qui dicitur Eruditio requm et principum. Incipit primo proloqus. Clementissimo Domino suo L. Dei gratia illustrissimo regi Francorum, G. DE Torn. de regno momentaneo migrare feliciter ad eternum. Gratias ago, gratia- rum omni gratuito largitori quod gratanter auditis ea que sunt necessaria vel edi- ficant ad salutem. À la fin on lit une rubrique ainsi conçue : Actum Parisius apud fratres minores ,anno gracie M.CC. quinquagesimo nono , mense octobri, in die octabarum beati Francisci. Obsecro autem eos qui has tres lecturi sunt epistolas seu librum istum ut superlineares titulos in principio libri apponent, ut ea que continentur in eo el in sequentibus scribuntur capitulis evi- dencius videant et agnoscant ?. Ce livre est donc dédié à saint Louis; c’est là son principal in- térêt. L'auteur est Guibert de Tournai, connu par un assez grand ! La Bibliothèque impériale en possède deux exemplaires, fonds français 104 et 756. Le premier, qui est fort bon, présente une lacune d’un feuillet au commencement de chacune de ses deux parties. Le second a été exécuté au xtv° siècle en Italie. ? Cette dernière phrase a pour but d'inviter le lecteur à rédiger lui-même la table du hivre : c'est ce qui a été fait. La table a été écrite au x1v° siècle à la fin du volume, sous cette rubrique : Tabula libri de eruditione principum precedentis. — 1358 — nombre d'ouvrages, la plupart manuscrits, dont on trouvera l'énu- méralion dans l'Histoire lütéraire (XIX, 138-142). Son traité de l'éducation des princes n’était pas complétement ignoré, car Fop- pens ! en avait signalé un manuscrit dans la bibliothèque de lab- baye des Dunes; mais la trace de cet exemplaire est perdue, et, comme on n'en connaissait aucun autre, M. F. Lajard, qui écrivit pour l'Histoire littéraire (XIX., 138-142) l’article Guibert de Tour- nai, fut réduit à répéter la mention de Foppens. Il n’est donc pas inutile de signaler un manuscrit de cet opuscule. Le manuscrit 18.4.9 intéresse l’histoire littéraire à divers égards. Il renferme la chronique de Martin le Polonais, l'histoire d'Alexandre le Grand en distiques, par Wilkinus de Spolète?, un re- cueil de fables, également en vers élégiaques, mais sans nom d'au- teur, qui n’est autre que le Novus Æsopus d'Alexandre Neckam *. Enfin on y trouve, sous le titre de Quentyses bones et esprovélels, Loute une série de recettes dont les unes sont purement médicales, tandis que les autres n’ont d’autre objet que l’ébattement et la récréation de ceux qui en usaient. Il en est parmi ces gentillesses qui ne sont pas tout à fait innocentes; celle par exemple qui con- siste à donner, par une préparation assez cruelle, à un chapon vivant l'apparence d’un chapon rôti, tellement qu’au moment où on veut le découper, il se dresse et s'enfuit“. D’autres ne sont que ! Bibliotheca Belgica, 1, 386 b. ? La Bibliothèque impériale en possède un ms. écrit en ltalie, fonds is 8bo1. Qua- drio a signalé cet ouvrage, Storia d’ ogni Poesia, IV, 478-479; Endlicher en a donné une no. étendue cs les Jahrbücher der LH t. LVIT, Anzeigeblatt p. 13-18 (Vienne, 1832), sous le titre de Die Alexandreis des Qualichino von Arezzo. * Publié en 1854 par M. E. Du Méril dans ses Poesies inediles du moyen âge (p. 176- 212), d'après deux mss. lun de Paris, l'autre de Berlin. Dans le texte d'Édimbourg , l'ordre est différent de celui qui est adopté par M. Du Méril. * On trouve la mention d’un divertissement analogue, mais plus ingénieux encore, dans le roman de Floire et Blancheflor (première version): Ne saveriez mes porpenser Que là ne veissiez porter : Grues et gantes et hairons..... Et pastés de vis oiseles; Et quant il ces pastes brisoient Li oiselet partout voloient. Adonc veïssiez vous faucons Et ostoirs et esmerillons Et moult grant planté de mousches Voler apres les oiselés. (Edit. de M, Du Meéril, p. 119-120, — 159 — grossières et néanmoins ne déplaisaient pas à nos aïeux, moins délicats que nous en fait de bons tours!. {Appendice B.) Je dois signaler comme un document de l’histoire de la méde- cine le manuscrit 18.6.9, petit volume écrit au commencement du xiv° siècle dont je donne le début à l’Appendice. (Appen- dice C.) Le manuscrit 18.7./4 contient la traduction d’un ouvrage bien connu, le Secret des secrets, supposé à Aristote : Cy commence le livre des meurs du gouvernement des seigneurs, appelé les? secretz des secretz de Aristote. | C’est un exemplaire princier. La première initiale (C) con- tient les armes parties de France avec un lambel et d'Angleterre ; en face, sur un feuillet qui paraît ajouté, on lit : TO THE RIGHT | HYGHE AND | MYGHTYE PRINCE | EDWARDE DUKE | OF SOMERSET LORD | PROTECTOR HIGHE | TREASUROUR AND | MARSHALL OF ENG- | LONDE UNCLE AND |"GOVERNOR TO THE | KYNGES | MAJESTIES | HIGHNESS. Je mentionnerai enfin deux manuscrits de la seconde moitié du xv° siècle qui renferment l’un {n° 19.1.8) le Chevalier délibéré, d'Olivier de la Marche, l’autre {n° 19.1.9) la Destruction de Troyes, de Jacques Milet; et, parmi les manuscrits exposés dans des vitrines, une magnifique Cité de Dieu aux armes du cardinal d’Amboise. ! On peut citer comme exemple d'une de ces plaisanterics qui nous semblent d’un goût douteux, la petite histoire que Joinville rapporte du comte d’Eu : «Je vous conterai des jeus que le comte d'Eu nous fesoit. Je avoie fait une meson là où je mangoie moy et mes chevaliers, à la clarté de l’uis. Or estoit l'uis devers le conte d’Eu, et il qui moult estoit soutilz fist une petile bible que il getoit ens; et fesoit espier quant nous estions assis au manger et dressoit sa bible du lonc de nostre table, et la fesoit geler, et nous brisoit nos pos et nos vouerres.» (Edition de M. de Waïlly, p. 390.) Les comptes des ducs de Bourgogne, publiés par M. de Laborde, nous ont conservé la mention de dé- penses faites pour des «ouvrages ingénieux,» pièces à surprises qui inondaient d’eau les gens, les précipitaient dans des sacs remplis de plumes ou les frappaient de verges. (Voir Bibl. de l'Ecole des chartes, 3° série, 1, 254-255.) ? I faudrait le singulier ; 11 y avait sans doute dans le ms. dont celui-ci est la copie : li secrez. * On y lit en divers endroits cette devise : Au perdre gain. APPENDICE NOTICES ET EXTRAITS DE MANUSCRITS CONSERVÉS À LA BIBLIOTHÈQUE DES AVOCATS, À ÉDIMBOURG. Ce Le À Le Brer ! C1 comancet la grant ystoire de monsignor Tristan ke mes sires Luces dou Gat et mes sires’Helius de Boron translaterent dou latin en romans por ceu que nuli n’anprenoit à translateir ci halte ystoire com de celui qui estoit li muedres chi- velliers dou monde, ne qui onques fust en la grant Bretaigne ne devant lou roi Artu ne apres, fors Galaad tant soulemant; et apelerent entre aulz cest livre L Bret, pour ceu qu'il est aci comme maistres sor tous les livres qui onques furent fais de la tauble reonde ne dou Graal. Et commançait primieremant mes sires Luces dou Gat, que briemant parlait tant com il vesquit, et dist en teïl maniere : [A]près la passion Jhesu Crist avint que Joseph de Harimatie vint en la grant Bretaigne per lou comant Nostre Signor, et an cristiennait grant partie. Joseph avoit .I. sien cerorge qui esteit apeleis Brons, et cil Brons avoit .xij. filz : il vint à Joseph et se li dist : «Sire je aï .xij. fdz; je voldroie que vous parlexiez à eulz, et lor demandissiez c’il se vodront mairieir, ou qu'il vodront faire.» Donc vint Joseph à ealz et lor demandait c’il ce vodroïent marieir, et distrent li .xj. que oùïl, et li dousisme dist qu'il ne se marieroit pais, ains serviroit à S. Graal et seroit vir- gines. — «Donc t’an donrai je après ma mort la garde, » fait Joseph. Et cil estoit apelcis Helains li gius (?). Li .x. furent marieis per lou consoiïl Joseph et li on- zime dist qu'il se mairieroit à se volanteit; et cil estoit apeleis Sadoc, après ceu s’an departit Joseph... B. 18. 4. 9. CE SUNT QUENTYSES BONES ET ESPROVÉ[E]S *. Ad faciendum capillos canos et albos. Pur bloundyr chevus, pernez escorche de noyer de l’entre deus, et eschorche le pome grenette et gaude et saffrayn et moun de l’euf, et broyés ensemble, et © Grand in-fol. 196 f. à trois col. par page, assez endommagé, surtout vers la fin, xu° siècle, * Ces recelles ont élé écrites au x1v° siècle sur deux pages restées blanches, entre la chronique martinienne et le poëme de Wilkinus. — JAl — le mettez quy[re] sur le feu de une quart de vyn blaunk ou en plus, et le fetes quire jesques à la moyté, et pus le ostés et le colés; et du cler vous lavés les chevus sovent et les enseychés countre le feu; et ensy il devendra bloyde et cha- nues. Depilatorium. Pur oster le menu peal, pernez une ounce de orpiement, une ounce de cenders clavelé[e]s et demi libre de caux vive, et brayés tout ensemble, et le mettez quire en une potel de leiscive et le fetez quire jesques à la meyté, et pus le ostés, et le lu là vous vodrez ostet le poil lavés de ewe chaude et pus de cele ewe, et ja poile ne demurra. Ad faciendum locumn rubeum. Pur fere une tache rouge sur ky vous voudrez, pernez une quarte de myel cru, et le festes quire et coler come l’ewe rose, et ne pernez mye la primere ewe que cherra cler, mès la secunde qui est rouge, et cele fet la tache. Pur oster la tache pernés aluine de glace et vyn egre, et broyés ensemble et le fetes boïller, et de ceo chaut frotés la tache, et ele se enpurra (sic). Ad auferendum tentigines. Pur blouncher faces [et] ouster lentilles, pernez une gomme que est noméle] dragagaunte et la rasine de bys et rasine de louache et baïe de lozere, et farine de feves, et brayés tut ensemble, et le mettés quire en une potel de vyn blaunk, et le fetes coler comme ewe rose, et de cele ewe que cherra vous lavés sovent le visage au seyr [et} au matyn !, el ceo ostera les ledes taches du visayge, et ceo fray le vysage cler et bele. Ad faciendum caponem apparere assatum. | PP Pur fere sembler un chapun rousty que quant homme le porte à la table yl se enfuera, pernés un chapoun et lé moyllés beyn de ewe que ne soit pas trop chaude, et quant il serra plumé, le enseychés et pus le enoygnés de gleyr des eufs byen par tut, et pus le enseychés countre feu, et ceo fetes sovent; et pus le enoygnés del moun de l’euf et le ensechés, et pus del saffron broyé le oygnés et le enseychés, et pus metés du seym; e veez que vous (sic) mayns seient tut jours moyllés od seym tant cum vous apparaïllés vostre chapoun; et pus pernés la teste et mettés desouz les eles, et le mettés entre .1r. esquielles et le portés à la table. Et quant homme le veut trencher, yl se enfuera. Pur fayre une beste roye ou techele, pernés une lib. de litaz de argent, .11. bib. de cendres clavelées, et demi quarteron de alonne de plume et le gros de un euf de chauz vive, et broiés ensemble et le fetes quire en une potel de ewe de pluvye ou de cisterne; e que fetes quire jesques à la moyté, et puis moyllés les ? Ms. au seyr au à malin. ? La rubrique de ce paragraphe manque. — 142 — cheivron (?) ou le poil .vr. foythe ou .vrr. vyn chaut, e 1l devendroyt negres et de ewe teygne yl serroyt et sour. Ad capiendum cuniculos. Pur faire conyng ou autre beste sayller hors de la terre saunz chien et saunz firet, pernez une pot de terre o un long col grel, et mettez dedeynz le pot carbun ardaunt, et pus mettés poudre de orpiment et de soufre, et pus butés le col de pot dedeyns là terre la où la beste y est entré[e], et pur la punesie tauntost s’en issera hors de la tere. da Ad fugandum muscus. Pur enchaser les mouches hors de une meyson, pernez une ounce de Orpi- ment ct taunt de escamoine, et broyés ensemble et le temprés de moyl creu et ové let, et pus oygnez les heus et les fenestres et touz les mouches murrount. Ad congregandum columbas ad unam domum. Pur assembler plusours columbes à une columber, pernez sel comyn et meïl et broyés ensemble et le temprés ové meyl, et pus mettez traumper dedeyns poys et feves mout beyn, et pus le espaundés aval le columber dedeyns et dehors, et de cler oygnés les trous du columber où il serrunt de nuyt, et tant cil lu amé ont! que tous jours repeyreront et jammès il ne lerrunt. Ad capiendum aves. Pur prendre oysiaux ové mayns que mangüent semence, pernés semence de chenenille et fel de beuf et vinegre et broyés ensemble et mettés dedeyns traumper semence tel come tu voderas par .n1. jours, et pus le ostés et le ensecchez et pus le getés là où il pussent manger, et quant Îles averount mangé, il serrount cum bestis enyveyrs ?. Ad congregandum pisces. Pur asembler tous les pessouns de un estaunc, pernés semence de chenenylle et bran de forment et broyés ensemble et le temprés ové oylle de olive, et fetis de ceo petit morseaus et getés dedeyns le estang, et primes pendés un basyn beyn cler outre le ewe, et dedeyns le basyn .r11. chaundeles alumés , et touz les pessouns vendront à cel. Ad ignem seu flammam faciendum. Pur faire geter graunt feu et flamme hors des eus et de boche de beste ou de pes- son, ostés les eus et mettés poudre de camyfre, et pus le alumés de une chan- delle, et grant flamme y verrés. ! Amerjont? ? Pour enyvreys ; de même que plus bas yvers pour yvres. — 143 — Ad sobriandum ebrios. Pur desenyverer genz qui sunt yvers, pernetz une poygne de coyng et taunt de morel et broyés ensemble et le temprés ové vynegre, et pus li donés à boyvre à 1y que est yvers. Ad clarificandum vocem. Pur fere beyn chaunter et cler, pernés centorye, urtyes poygnauntes , fyges , rey- syns, licorys, gamme arabic, dragagaunt, de toux yceux owel porcion pernés et brayés de mel escumé, et pus le mettés quire byen tysane, et le faytis quire jesques à la moyté, et pus le colés et bevé$ sovent jJuyn et à seyr, et gardez vous de vyn vermoyl, de rost et de noys et de furm:ge duyr et d’autres choses contrarious. L Pur fere genz petter, pernés la rasyne de eleyboyre blaunch et eofs de formie et le fetes un poudre, et li donés à manger ou à beyre, en potage ou en boyre, et tost comencera à pettyr. Pur estauncher ceo, dones à boyvre wynegre chauth, et 1l estaunchera. eee ais elle, ale,s, ns, 0e, ©, © Pur fere le veirre estendre cum la porure * de une pome, pernés .11. fers chauz et le trenchés etc. { Medicina ne pili cadant. f Pur fere que chevus ne pussunt cheyr, pernés un quarteron de laun et le fetes foundre en oyle de olive, et de ceo frotés les rasynes des chevus. Ad Jaciendum pulos crescere. Pur fere revenyr chevus que sunt cheez par teyngne ou par autre maladie, per- nés une poygne de rue et une poygne de ees que fount le meïl, et demi ounce de encense, et broyés ensemble, et pus le fetis quire en myel cru ensi que il seÿt beyn espesse, et pus mettés en boystes et chauffés beyn de ewe chaude là où les chevus faut, et pus metés de cel oygnement et fetis ensy sovent et le fetis rere; et aset aver{a|s des chevus. Ad restringendum sanquinem plage. Pur saunc de playe estauncher, pernés la urtye menue mavese et ove eysil destempre, et ceo mettés sur la playe et il estaunchera saunz delay. " Medicina pro plagis curandis. Pur plays garir pernés sanicle et le semenz de rouge rouns et de cholet vyolet ! La rubrique manque. ? La rubrique manque. 3 Il faudrait parure. — i4h — et plantayngne, aloygne, ache et rouge urtye et bugle, et ceo boyllez en bure de may, et pus le colés par my un drap et le metés en boystes, et ceo vaut pur playes garyr. C Tor 0. TRAITÉ DE MÉDECINE INTITULÉ EUPERISTON. Euperiston est cest livre apelé, ceo est à dire bien esprové; car 1 n'y a riens es- crit en cest livre ke ne est esprové. Premerement dirrum de la teste, et pus d’autres membres. Premerement de dolor de la teste. Dolor de la teste à la foyz est en tute la teste, e donc est apclé cephalea ou cepha- largia ou soda; à la foyz est en milu de la teste, e donc est apelé emigranea. Ausi avient en divers lus de la teste solonc les quatre complexions, car dolor de sanc est el front, de colre en la destre part, de fleume est par deriere e de melancolie est en la senestre partye. La cure de dolor de la teste est, si la materie est de sanc sou- lement, ke le patient seit seiné de la veine capitale en la contrere partye de la dolor; e sachez ke 1 covient ke le patient se garde de trop manger ou boyvre, e no- mement de vin; e mult li vaut dormir sovent. La cure de dolor ke avient par cer- tein tens e par certein houre est itele : ceo est à saver ke le patient se garde de longes pensées, e de ire, e de cumpaynie de femme. Et sachet ke Avicenne dit par l'autorité de Philagore ke mult vaut à destrure dolor de la teste ke le patient seit semé de la veine en le front ou de la veine ke est dedens le levre par aval, ou mettre ventouses en le col e desouz la teste, e poy aler e lesser viandes ke enflent. E sachet ke acetouses choses nusent à cely ke ad dolor de la teste par encheson de l'estomac. La cure de dolor de la teste de freid” encheson, de materie de melancolie quant la dolor est forte . Pernet milium e broillet desure une chaude tuyle, e pus metet en un sachel e raet la teste, e metet le sur la teste. Autre esprové : Pernet K.S. de anis e metet en eawe chaude en treis sachels, e metet un sur la teste e un autre desur l'oraylle là où la dolor est. Autre esprové : Escorchet un jefne*moton e metet la pel chaude sur la teste, un jor e une nuyt. Si la dolor ne cesse mye uncore, lavet la teste oveke cette eawe: quisset la racine de cucumbre savage en eawe e en oyle, e de ceo lavet la teste, pus enbruet la teste oveke ces oyles : pernet oyle de camo., oyle de pulleole, an. T1 s., oyle m°cellin. : .ïij., medlet ensemble e de ceo chaud enoynet la teste e enbruet, e de ces oyles metet en l'orayle de cele part où la dolor est, e plonget l'orayle leins, pus sur metet la pel de moton. Si la dolor aviegne de l'estomac, lavet les narilz sovent oveke oyle de camomille tedve, e en dolor de chaud’ encheson oveke oyle violete tedve. Si la dolor seit plus par devant, fetes cest emplastre esprové : Pernet cyre blanche e malaschet oveke oyle de camomille, e pus l’estendet e surmetet al front, chaud e souet ! changet. E ceo est la cure de dolor de la teste ke est de freid, sanz materie ou oveke materie de melancolie ou de fleume ou de ventosité ou de fumosités..... l Corr. sovent. == 1 = IV GLASGOW. Glasgow possède deux collections de manuscrits : l’une, de beau- coup la plus importante, fait partie du Hunterian Museum; l’autre appartient à l’Université. Aucune n'est spéciale à PÉcosse: il est même certain que les plus importants des manuscrits qui les composent ont été achetés sur le continent, et particulièrement en France; d’où l'intérêt direct qu’elles ont pour nous. Au com- mencement de ce siècle, le catalogue de l’une et de l’autre fut exécuté par quelques professeurs de l’Université. C’est un travail à tous égards très-insuffisant, et qui l’est devenu plus encore sous la forme abrégée que lui a donnée Hænel dans ses Catalogi librorum manuscriptorum (col. 784-798). Si l’on ajoute à cette publication quelques notes de Dibdin !, on aura tout ce qui a été écrit sur les bibliothèques de Glasgow. Aussi ont-elles été peu explorées. Dans son rapport de 1837, M. Fr. Michel, si heureux ailleurs, déclare n’y avoir rien trouvé qui valüt la peine d’être mention- né, à l'exception d’une chronique en prose relative aux affaires de France?. Cependant le musée Hunter, au moins, mérite un examen attentif. M. Th. Wright y a découvert en 1857 le seul manuscrit connu Jusqu'à ces derniers temps des Cent nouvelles nouvelles; M. Pertz y fit en 1862 une visite qui n’a pas été infructueuse“ et j'ose espérer que Votre Excellence ne consi- dérera pas comme temps perdu les huit jours que je lui ai con- sacrés. Ce musée doit son existence à William Hunter, célèbre méde- cin du siècle dernier, qui fut grand amateur d'objets d'art et de curiosité. À sa mort, arrivée en 1783, il légua à la ville de Glas- gow, où il avait fait ses études, toutes ses collections, qui furent déposées dans une manière de petit temple grec, expressément construit pour les recevoir. Les livres y sont placés, comme les ? À biblograplucal, antiquarian and picturesque tour in the Northern counties of England and in Scotland. London, 1838, t. II, ? Rapports au Ministre, pe 212. * J l'a publié en 1858 dans la Bibliothèque clzévirienne. Je tiens de M. P. Lacroix qu'il en existe un autre ms. à la bibliothèque de YHer rmitage, à Saint- Pétersbourg. ® Voy. Monumenta, Script. XVIII, 502. MISS. SCIENT. — IV. 10 =— = autres objets, plutôt pour la vue que pour l'usage; aucun endroit n'est préparé pour recevoir les lecteurs, de telle sorte que c’est véritablement une faveur que d’être admis à y travailler. Le musée Hunter contient un grand nombre de manuscrits re- marquables par leur ornementation. Plusieurs, je l'ai dit, pro- viennent de bibliothèques françaises. J’indiquerai ceux d’entre eux dont j'ai pu constater l’origine. P.1.10° (Hænel, T. 1. 10). Bozrius, De consolatione. Splen- dide manuscrit portant la signature de N. J. Foucault. Il a été exécuté à Gênes, paraît-il, et pour un opulent personnage assuré- ment. On lit en effet ces mots écrits en lettres d’or sur le premier feuillet : Istud opus est Gregorü de Janua, MCCCLXXXV. Sur le même feuillet, une main du xvu° siècle a écrit : À M. l'abbé Au- bry, ch° à Evreux, par... M. d'Atign.… | P. 2. 1. Roman de la Rose. Ce manuscrit offre au bas du premier feuillet la signature de Guyon de Sardière. C'est sans doute l’un des deux exemplaires de ce poëme qui sont enregistrés sous les numéros 528 et 529 dans le catalogue des livres de ce riche ama- teur, qui fut publié en 1759. Le manuscrit S. 2. 10 (Hænel, S. 2. 19), contenant Le Fait des Romains, compilation dont on connaît de nombreux exemplaires”, a la même origine et paraît correspondre au numéro 1559 du catalogue. La célèbre bibliothèque Gaignat, qui fut cataloguée en 1769 par de Bure, est représentée au musée Hunter par quelques-uns de ses livres les plus précieux. De cette collection provient le ma- nuscrit des Cent nouvelles nouvelles publié par M. Th. Wright. Je signalerai ensuite un magnifique exemplaire de la Vita Christi de Ludolphe le chartreux, en quatre volumes in-folio, aux armes royales et avec ces mots écrits sur le premier feuillet du premier ! Ce bâtiment va êlre prochainement démoli pour les travaux d'un chemin de fer, et les livres manuscrits et imprimés qu'il contient seront réunis à ceux de l'Université. ? La lettre désigne l'armoire; le premier chiffre ‘est celui du rayon (il y en a dix par armoire) , le deuxième indique la place qu'occupe le ms. sur le rayon. Hænel fait une série continue de tous les mss. contenus dans une même armoire; d'où vient que.ses chiffres ne concordent avec les miens que pour ies mss. du premier rayon. * Cet ouvrage fait ordinairement suite à une autre compilation généralement intitulée Le Livre d'Orose, et qui s'étend du commencement du monde à la mort de Crassus, Le Fait des Romains étant consacré à la Vie de César. Des exemplaires où ces deux parties sont réunies se trouvent dans le fonds français de la Bibliothèque impériale sous les nu- méros 39-40, 64,246, 251, etc. Le, NE 2 volume : Pour le Roy. C'était le numéro 126 du catalogue Gai- gnat ; il fut payé 220 livres !, et c’est maintenant le numéro R. 2. 17 du musée Hunter. — L'aurologe de Sapience, écrite par le scribe À. Rousseau, et conservée sous le numéro Q. 3. 4o, est certaine- ment le manuscrit Gaignat 874. On y lit les notes suivantes, toutes écrites au xvrr° siècle : « Ce present livre apartient à Mons. de Montegu. — Mons de Balsac et Loyse de Balsac et Anne de Balsac, Loysette de Balsac, Françoys de Balsac. — Claude de Courbeton. — Thomas de Balsac. » Ce manuscrit porte un blason écartelé au 1 et 4 d'argent au lion rampant d'azur, et au 2 et 3 d’or semé de fleurs de 1ys d'azur. Le manuscrit 117 de Gaignat, vendu 320 livres 1 sol, est maintenant conservé au musée Hunter sous le numéro R. 3. 12 (Hænel R. 3. 29); c’est un très-beau Miroir de l'humaine Sal- valion, à la fin duquel on lit cette note : « Et ainsi fine ce pre- sent proces du myroir de l’umaine salvation fait et translaté de latin en franchois à Bruges l'an de grace mil .üij°. et cinquante cincq. » Un beau manuscrit du xv° siècle (P. 2. 13?) contenant l’Apoca- lypse avec glose en français, vient probablement aussi de Gaignat; ce serait le numéro 94 de son catalogue. Il porte des armoiries (d'azur au chef d'argent et à six besants d'argent 3-2-1) et la de- vise Sans nombre. Le manuscrit R. 2. 11, Le Grand Propriétaire de J: Corbichon, paraît également devoir être identifié avec le nu- méro 1041 de Gaiïgnat. Le manuscrit S. 1. 1, contenant les Cas des nobles hommes et femmes, traduits de Boccace par Laurent de Premierfait, parait aussi correspondre au numéro 3490 de Gaignat. Dans l’une des miniatures de ce beau volume on voit l’écu de gueules à la croix d'argent de la maison de Savoie. Je crois aussi possible d'identifier le manuscrit 1348 de Gai- gnat avec celui qui, au musée Hunter, porte le numéro S. 6. 3 (Hænel S. 6. 76). C’est la Fauconnerie de Guillaume Tardif, On voit à la partie inférieure du premier feuillet un double écu, ! La Bibliothèque impériale possède, sous le numéro Q. 939. — 8, L-M, un cata- logue de la vente Gaignat avec les prix marqués. ? D'après Hænel, T. 2. 13; mais ce numéro n’est pas exact, ou au moins il ne l'est plus. Ce ms. est exposé dans une vitrine. — 148 — chacun surmonté d’une couronne d’or; le premier est de France, le second écartelé de France et de... Je signalerai maintenant quelques manuscrits qui ont sûrement été exécutés en France, bien qu'il ne me soit pas possible de dé- terminer leur provenance immédiate comme pour ceux que je viens de mentionner. Le manuscrit P. 2. 3 contient le Sophologium poetarum de Jaco- bus Magnus (+ vers 1415, selon Fabricius)?. Il à été exécuté à Montpellier en 1459,comme l'indique l’explicit : « Explicit tabula capitulorum decem librorum Sophilogii poetarum, completa in Montepessulano xxx° die mensis Jullii, anno Domini millesimo quadringentesimo quinquagesimo nono. Deo gracias. » Au-dessous on lit, d’une autre main: « Hunc librum feci scribi ego Anthonius de Mala Rippa, notarius regius Montispessulani, et solvi pro eo sex scuta auri. » À la fin du même siècle, ce livre appartenait à l'un des secrétaires du roi, car on lit sur un feuillet de garde ces mots qui semblent du temps de Charles VIIT : « Iste liber pertinet magistro Petro Jaupitre, regis secretario Ÿ. » Un exemplaire du livre de proprietatibus, de Barthélemy de Glanvil (R. 3. 13, Hænel KR. 3. 30), porte cette note écrite, à la fin du volume, au xv° siècle : «Iste liber est de commun li- braria fratrum Beati Ludovici de Pissiaco, ordinis predicato- rum. » k ÏH n’y a pas non plus à douter de l'origine française du manus- crit Q. 2. 9 (Hænel Q. 2. 28), qui renferme la chronique de Jean Chartier. Sur les marges de cet ouvrage on voit quelques notes écrites en français vers la fin du xvr° siècle à ce qu’il semble. Des notes écrites par la même main apparaissent aussi dans le manuscrit R. 4. 39, en deux volumes, contenant la portion des Grandes Chroniques deSaint-Denis qui s'étend de l’avénement de Louis VIT au second chapitre de la vie de Charles VI, celui qui est intitulé : Le 1°, des Juifs qui furent pilliez. C'est une copie médiocre, exécutée au xv° siècle. ! Dans ce blason les armes de France sont seules reconnaissables ; les autres présentent wisiblement une croix potencée cantonée de quatre croisettes; mais la couleur du champ non plus que des pièces ne peut être discernée. * Cet ouvrage a été imprimé à Paris en 1507, in-4°. * Il y a une mention de Pierre Jaupitre en 1496 dans Tessereau, Hist. chron. de la chancellerie de France, 1, 7/ — 149 — Plus recommandable est le manuscrit S. 1. 9, qui contient également un grand fragment des Chroniques de Saint-Denis avec les suites. C’est un beau volume en parchemin, écrit à longues lignes dans la seconde moitié du xv° siècle. Il porte en quatre en- droits des armes trop endommagées pour pouvoir être reconnues, et qui semblent avoir été recouvertes par l'écu fleurdelisé de France parti d'Angleterre. Elles accompagnent toujours une minialure où l'on voit un personnage revêtu d’une robe semée de fleurs de lis, tenant le sceptre en main et portant la couronne d'or. Il est donc présumable que ce manuscrit a été exécuté sinon pour un roi, au moins pour un prince du sang. Au bas du fol. 3, on lit, d’une main du xvr siècle : « À moi Nicolas Fourmocourt!. » Malheureu- sement ce beau volume, qui paraît être celui auquel M. Fr. Michel fait allusion dans son rapport, présente diverses lacunes; il est no- tamment incomplet à la fin?. Il contient : 1° Une table qui commence ainsi : « C'est la table des chapitres de plusieurs chroniques qui sont escrips en ce present livre comme il s'ensuit. — Le premier chapitre, comment Edouart, roy d’An- gleterre, fit homaige au roy de France de la Guchié d’Acquitaine... » 2° Un abrégé des Chroniques de Saint-Denis dont voici le titre et le préambule : Gy s'ensuit les lignéez des roys de France, et parole en brief de leurs faiz, et en quel temps ilz ont regné, et ont ilz gisent, et quieux enfans ilz ont eu, et comment Lutesse fu nommée Paris, et Gaule France. À tous nobles qui aiment beaulx et bonnes ystoires et qui ont fain de sçavoir des faiz du temps passé, on veult escripre et enseigner au plaisir de Dieu qui soit à mon commencement, commant le royaume de Gaule et la cité de Lutesse furent commanciez, qui à present sont nommeez France et Paris, et en quel temps, et vous nommeray de hoir en hoir ceulx qui ont regné, et quelle lignée 1lz ont eue, laquelle s'ensuit selon l'arbre qui le demonstre et enseigne. Si prie à tous ceulx qui l'oiront lire ou liront que ce que ilz trouveront à blasmer, que ïlz seuffre[nt] paciem- ment, sans villanie et reprehension, car je l’ay mis tout au mieulx que j'ay peu, selon mon petit entendement. Et vous plaise à le corrigier, vous le trouvarez es croniques de Saint Denis où les hystoires et tous les faiz des rois de France sont ! La lecture de ce nom n’est pas très-sûre. ? Le récit s'arrête à la seconde expédition de Guyenne en 1453; les derniers mots sont : «Mondit sieur-de Clermont se parti de devant le dit Blanchefort et vint à Macault ; et là se üint jusques à la reddicion de Bourdeaulx, tant comme le siege dura à Cadilhac. Le roy fut à Montferrand et à Saint-Macayre, alant et venant de l’un à l’aultre pour re- conforter tousjours ses gens, tant ceulx qui tenoyent ledit siege comme ceulx de la bas- tie et du navire... » — 150 — escripts, et là doit-on prandre l'original, car cet arbre n'est fait que pour legiere- ment sçavoir les ligneez des rois qui ont regné en France, que Dieu doint bien regner jusques affin ! Amen. Vous devez sçavoir que Dieu crea ciel et terre... » 3° Les Chroniques de Saint-Denis et leurs suites ordinaires, à partir de l'endroit qu'indique la table, c’est-à-dire à dater de l’a- vénement de Philippe IT. Les manuscrits R. 4. 5 (Hænel R. 4. 41), et R. 5. 20 (Hænel R. 5. 58), tous deux très-richement ornés, sont aussi d’origine française. Le premier commence ainsi : « PAULI EMILIT VERONENSIS in Franciæ antiquitatem præfatio. Mirari sæpenumero soleo quod..… » La seule marque de propriété qui s’y trouve est le nom Belriont, écrit au xvi° siècle sur le premier feuillet de garde. C’est tout ce que mes notes me permettent d'en dire. Le second à pour titre (au sixième feuillet) : Gallice antiquitatis a prima gentis origine re- petite liber primus inchoatur. Il est dédié au cardinal de Bourbon, archevêque de Lyon, comme on le voit par ces lignes qui pré- cèdent la préface : Paulus Émilius Veronensis illustrissimo ac op- timo principi Carolo pontifici, cardinali Borbonio, sanctissimo studio- rum parenti. Le manuscrit R. 5. 20 est l'exemplaire même qui fut présenté au cardinal, car il porte ses armes au bas de la première page. Il paraît qu'après la mort de celui-ci, arrivée en 1488, Paul- Émile rentra en possession de son volume, car on lit ces mots sur un des feuillets de garde : «Liber iste pertinet Paulo Emilio Ve- ronensi, secretario olim domini Lugdunensis. » Une copie sur pa- ee existe de cet ouvrage à la Bibliothèque impériale sous le nu- méro 5934 du fonds latin. On sait qu'appelé en France sous Charles VIIT pour écrire en beau style notre histoire, Paul- Émile publia en 1517 les quatre premiers livres de son travail, les deux suivants en 1919, et qu'il mourut en 1529 laissant pour les quatre derniers livres des matériaux qui furent mis en œuvre par Lavarizzi, son compatriole et ami. La première édition de lou- vrage complet ne parut qu'en 1539 chez Vascosan. Le manuscrit R. 1. 5 (Hænel, R. 1. 6) du xv° siècle, contient la traduction du Canon d’Avicenne. Il mérite d’être cité pour la richesse de son ornementation. Q. 4. 5 (Hænel, Q. 4. 53), petit in-fol. de 12 feuillets Sur l’une des gardes on lit cette note : « Bought at an auction of Mr. Leneves books. March 1730, pr. 1. Hardinge. » Ce manuscrit contient un — 151 — petit poème de 630 vers environ dont 54 composent le prologue. C'est une épître sur les affaires du temps que Louis XII est supposé adresser en 151 1 à Hector, l'ancêtre de sa race, et dans laquelle le pape Jules IT est assez malmené. L'auteur se nomme «maistre Jehan. » Dans son prologue il présente son livre À Loys Mons’ de Nevers Hoir de Cleves, conte d'Auxerre, Louis de Clèves, comte d'Auxerre, mourut en 1545. Le ma- nuscrit est à ses armes. Le même maître Jean est l’auteur de trois pièces contenues dans le manuscrit de la Bibliothèque impériale fr. 1690 (anc. 7672) et précédées d’une dédicace au même Louis de Clèves. La première est intitulée : Exhortation aux princes ter- riens ; la seconde : L’obstination des Suisses ; la troisième est un ron- deau dont le refrain , Quant je vouldrai, élait apparemment la devise de Louis de Clèves, car les mêmes mots accompagnent ses armes dans le manuscrit de Glasgow. On lit aussi à la suite de l’'Exhorta- tion aux princes terriens, la devise Sans piquer qui ne me touche, qui se retrouve également dans le manuscrit de Glasgow à la suite du prologue. Le œuvres, assez médiocres, de maître Jean ont été peu répandues et il ne parait pas qu'on en ait jamais rien im- primé. Q. 7. 13 (Hænel, Q. 7. 126), petit in-4°, fin du xv° siècle, vé- lin, 31 ff. Ce manuscrit vient de France et n’en est sorti qu'au xvin° siècle, car c'est à cette époque qu'on a écrit sur un feuillet de garde ce titre : Recueil des poëmes contre les prédicateurs d’astro- logie. Il a toute l'apparence d’un exemplaire royal; et on voit dès les premiers vers que le poëme qui s’y trouve, et qui contient des prédictions pour les années 1475 à 1483, a été composé pour un roi. En voici le début : Sire, vous Sçavez que yCi jus Error communis facit Jus ; Si n'ay crainte aucune ou terreur De vous parler de ceste erreur. . Mon cueur qui pieça vint s’ouffrir Du tout à vous ne peut souffrir Ce deul, et fault qu'il vous decele L'horrible abusion de celle Mesgnée et dyabolique secte — 152 — Dont la foy de Dieu est infecte, Qui n'ayans de Dieu souvenir Jugent des choses à venir. Bien sçavons qu'en la loy antique... . Suit une ballade tautogramme : Poure Prouvence, pueple peu plantureux Par pestillence pugni presentement, Perséquté, perdu, plaintif, paoureux. . .. Le refrain est: Paradis paint, peneux pelerinage. Q. 7. 24 (Hænel Q. 7. 138), petit in-8° vélin, de 33 feuillets, daté à la fin de 1544. Ge petit volume est encore un livre royal. Il contient, en 940 vers environ, la traduction d’une nouvelle de Boccace (Décam. x, 8). Le prologue et le titre écrits en lettres d'or sont ainsi conçus : AU ROY. Ici Bocace une nouvelle traicte De deux amys unis parfaictement, Laquelle j'ay en vostre langue extraicte, Sire, selon mon foible entendement. Et cognoissant que tout son argument Est plein de foy et d'actes tres honestes, Je l'ay pensé à vous deu seullement Qui la foy propre et le mesme houneur estes. La huictiesme journée (sic) du Decameron de Bocace touchant l'amytié de Tile ct de Gisippe, traduicte en rithme françoyse par BORDERYE. Le texte commence ainsi: Âu temps qu'encore n'estoit par tiltre juste Octavian nommé César Auguste, Et que le nom et l'office tenant De triumvir il estoit gouvernant La republique et l'empire de Romme..... Cette élégante plaquette était évidemment destinée à Fran- çois [°'; mais, si elle lui fut offerte, elle ne resta pas longtemps dans la librairie royale, car des notes du xvmr° siècle et même du xvrr, qui y sont inscrites, montrent que, longtemps avant d'être acquis | | | — 153 — par Hunter, ce manuscrit était entre les mains de simples parti- culiers. Les manuscrits dont l'histoire littéraire et la philologie peuvent rer parti sont naturellement rares à Glasgow. Hunter appréciait les livres en amateur plutôt qu’en érudit. Je mentionnerai un exemplaire incomplet des Métamorphoses d'Ovide (R. 7. 3, Hæ- nel R. 7. 85) et un Sénèque le tragique (R. 7. 16, Hænel R. 7. 98). Le premier est du xn° siècle, le second du xv°, l’un et l’autre par conséquent trop récents pour mériter d’être collationnés. Entre tous les manuscrits du musée Huntérien, celui qui me paraît avoir le plus de valeur scientifique est un mince cahier de quatre feuillets in-8°, contenant un fragment de glossaire latin- français du milieu du xm° siècle et disposé par matières (R. 7. 14; Hænel R. 7. 96). Ces feuillets sont reliés au milieu d’un ma-. nuscrit des Analytiques d’Aristote, où ils peuvent n'avoir été placés qu’au siècle dernier, la reliure n’étant pas plus ancienne que cette époque. Comme tous ceux que nous avons passés en revue, ce volume vient de France, car on lit au haut du premier feuillet des Analytiques : « Joannes Carpentinus (?), decanus et canonicus Ab- batisville !. » Malgré son peu d’étendue, ce fragment, écrit très-fin et sur plusieurs colonnes, contient environ un millier de mots français placés en regard de leurs correspondants latins. Beau- coup sont des termes techniques qui ne se rencontrent guère dans les textes et qu’on serait fort en peine d'expliquer si on les y trouvait. Indépendamment du dialecte, qui est anglo-nor- mand, la présence de certains mots anglais entre les mots fran- çais? montre que ce glossaire a été exécuté en Angleterre. La découverte de ce débris d’un glossaire dont rien ne nous permet de conjecturer l'étendue n’est pas sans importance; nul doute 1 Ce volume n’est parvenu entre les mains de Hunter qu'après avoir passé par une vente publique, car on lit sur le premier feuillet ces lignes découpées d’un catalogue imprimé : «Aristotelis Analytica priora et posteriora. À very ancient Ms. on vellum, probably wrote in the x century (au x11° seulement). There are bound up with it 4 leaves of a Dic- tionary french and latin in which the changes that the french language has undergone may be observed, as for exemple Esrrir, lis, rixa, contentio, jurgium. This word is not in use now in the french language tho’ the english retain it from the Normans.» ? Par exemple, sous la rubrique De Vestibus : «hic piro, riveling;» d'après Halliwell, rivelinq est une chaussure grossière. On trouvera ci-après, à l'appendice À, sous la ru- brique De Herbis, «astula regia, wederoue,» sous celle De Equs, «hic succursarius, ru- ner, elc.» — 154 — que la lexicographie française n'y trouve beaucoup à prendre. Je me propose de le publier en même temps que d’autres glos- saires du même genre, mais moins anciens. En attendant je crois devoir en transcrire dès maintenant quelques parties. (Appen- dice À.) | Le manuscrit Q. 9. 13 (Hænel Q. 9. 176 !) n’est pas sans in- térêt. À la suite de divers traités latins du comput, il présente un traité sur le même sujet rédigé en vers français. L'auteur de ce travail, qui contient près de 1200 vers, nous donne son nom: il s'appelait Raüf de Linham?, et écrivait en 1256. (Appen- dice B.) | Enfin, sous le numéro R. 2. 7 (Hænel R. 2. 16) ,on conserve au musée Huntérien un manuscrit du premier livre de Froissart, qui semble remonter à la première moitié du xv° siècle. C’est, autant . Que j'ai pu en juger, la leçon la plus fréquente, celle que M. Ker- vyn de Lettenhove considère comme la seconde rédaction. Le texte de ce manuscrit est loin d'être correct; pour qu'on puisse l'apprécier, j'en ai rapporté quelques extraits. (Appendice C.) La bibliothèque de l'Université contient un petit nombre de manuscrits généralement dénués de valeur. Plusieurs d'entre eux ont été acquis en France. Je citerai d’abord un Térence du xv° siècle (F. 5.23), qui appartint à un évêque de Carcassonne, témoin cette note : « Cest livre a esté de messire Jehan du Chastel, evesque de Carcassone. À. Bertrandi. » À la fin du volume est transcerite l'épitaphe de Charles VIT: Rex Karolus fueram Gallorum septimus olim ..... et celle de « Domini Ch. de Pistorio, qui sepultus est in ecclesia cathedrali Pistoriensi. » Un ouvrage d’une plus grande valeur est le manuscrit grec qui porte le numéro ©. 3. 10. C’est un grand in-folio dont l’écri- ture paraît remonter au xr° siècle. Il renferme des vies de saints pour le mois de janvier. À la fin on lit cette note inscrite par l’un de ses derniers propriétaires : « lax@6 à Iepépsos larpds &v Tupc- © Dans le catalogue de Hænel, la cote de ce ms. est ainsi conçue : Varü tractatus theo- logucr. ? Probablement le lieu de ce nom dans le comté de Kent. * Jean du Chastel occupa le siége de Carcassonne de 1459 à 1495. — 155 — vous érei ts Oeoyovias X éÉaxoot6olw évvevnxdole Tpére. OXGéa Dévra oÙv yLElX. » Je signalerai, en terminant, sous le numéro F. 1.15 un manus- crit sur papier contenant la traduction de la Consolalion de Boëce par Jehan de Meung. Il me reste encore, Monsieur le Ministre, à entretenir votre Ex- cellence de mes recherches dans les bibliothèques d'Oxford et dans celle du comte d’Ashburnham ; ce sera l’objet d’un troisième rapport. J'ai l'honneur d’être, Monsieur le Ministre, de votre Excellence, le très-respectueux et très-obéissant serviteur, Pauz MEYER. APPENDICE. NOTICES ET EXTRAITS DE MANUSCRITS CONSERVÉS AU MUSÉE HUNTÉRIEN, À GLASGOW. À R.97,. Li GLOSSAIRE LATIN-FRANÇAIS. Remigare. ....... . nagger. Comentari'........ construre. Increpari......... maudire. Ulcerane. "224088 plaier. Ludificare......... gaber. Crumare.. . 1, 7-20 trescer. Lupanarte PEUR, bordeler. Comendare........ loer. Cenperesn es rampir. Scalpere vel scabere.. grater. Stertere ..... ace dormir. Spuere.. se : « 21:10 ESRI Fu LS PA dE À borparler. Obtruere. torse. eluppe (?) | roloqui...... US Oprientart. .-:.. enrichir. | Angere Rene ere constreindre, De Herbrs. Hoc abrotanum. . . averoine. Hoc cepe, in singu- Hec satureiu....... safeie. lari et plur. hee Hoc Jfeniculum RCE fenouil. cepe, ceparum.... olnum. Hec malva ........ mauve. Hoc absintium...... aloine. Hec pastinaca. . .... pagnage. Hec ns. ae nie. Hec dragancia . .... dragonce. . Hoc pulegium. ..... puliol. Hoc porrum....... poret. Hoc cerpillum. . .... cerfoil. Hec'eruen. TARA, erut. Hec savina.: 1 "7 savine. Her castus 2502 cost ?, Hec Sinapass. 7. 2.2 senevel. Hec artemesia. ..... mere ebur*. Hoc sinapium...... mustarde. Hoc narstutium..... kersun. Fc anelum: - 3. 2 .. anele Hoc marrubium..... mariul. Hoc anisum........ anis. Hoc alluan: . 222 : “ail: Hoc'apium. à. asche. Hec ysopnse eee ysope Hec limestica . ..... limesche. Hoc cerfolium. . .... cerfoil Hec centanea* ..... centoire. 1 Sic, corr. cementari. | 2 «Costa vel costis, cost.» (Glossaire de Durham (xu° s.), Saxon Leechdoms, edit. by O. Cockayne, IT, 301.) 3 Pour mere erbur. * Centaurea ? =) PE de Hoc eleborum . .... . sephoine. Hec jovisbarba. . . .. jusbarbe, Hec piame. :...... pioine. Hec lanceola....... lancelée. Hoc cinnamonium... canele. Hic jusquiamus. . ... cheinlée. Hic gingiber. ...... gingenbre. Hec alccasgsa..s. guimave. Flice pipen.=..:. ... poivre. Hec vervena....... verveine. Hoc petrosillum.. . persin. Hec buglosa..... … bugle: Hoc pelestritum..... pelestre. Hec paradella. . .... parele. Hoc thus . has … encens. Hecsaluia so sauge. Hec menta........ mente. Hoc aloe,es..:..... aloine. Hoc ciminum....... comin. Hec jugella. ....... neele. Hecramipler. >... . arace !. Hec mentaster...... mentastre. Hecdolm hs. . violete. Hic satirion....... futerole. Hec plantago ...... plantein. Hoc solsequium.. ... sussie. Re tai J'AI OL rose. Hoc ff[rjagum. ..... frese. Hoc lilium. ....... hs. Hec vetonicu. ...... vetoine. Hoc coriandrum .... coriandre. Hec enula. ........ audne. Hec accidula....... osile. Hec dictamus...... ditain. Hoc papaver. ..... - popelure. Hic titimalus.. ..... espurge. Hoc salatrum...... morele. Hoc lapatium...... gletuner. Hec cicuta........ :h. benoite. Hec mandragora. . .. mandeglore. Suit immédiatement une série de mots français accompagnés chacun de plusieurs équivalents latins. hoc bellam. hoc duellam. hic mars. hec pugna. hoc facinus, orts. hoc scelus, eris. hec iniquitas. hec nequita. Bataille Felonie Ce recueil de synonymes latins se poursuit de la même manière pour les mots : cheval, vent, aide, haut, fes (faix), envie, occision, chaïtif, sanc, alcune chose, espée, mere, porte, estrif, losenge, corone, mors (mort), brandon, coveiteus, feu, comandement, plaie, tere, herbe, sovent, moltefois, cruel, neef (navire), dolour, compaignon , dam- mage, ossel, leid (laid), poete, garde, petit, novel, maladie, force, blé, lé, grant, long, covenable, eaue, tardif, ancien, ignel, derain (dernier), grief, fol, contrarius, suffreitous, fiuz, delitable, viande, lumere, fin, seur, dormir, touz, pereseus, peresse, citté, cote, doun (don), dos, victore, campus (sic, champ), entente, corub (circuus, aduncus), se- mence, usure, plentif, voisin, rosel, ententif, bois, dité (carmen, dic- tamen), iver, soef (suauis), delit, feble, serour, sage, poorous, las, re- pos, loier, estrange, partie, coupe, pasture, tombe, veile (anus), mer, blanc, profitable, marchant, renable (facundus, eloquens) , emflés, noir, parole, corde, harpe, mamele, aornement, riche, poverté, maleureuz, boneurez, beauté, vin, venim. 1 «Atriplex , arasches» (xur° s.). (Th. Wright, À vol of Vocab. p. 141 a; cf. Sax. Leechd. II, 338, au mot Melde.} — 158 — ltem, de Herbis : Hoc gariofilum. . ... girofre. Hec arundo........ — Hec gaianga. ...... garnigal. Hec cannes. Hec hinnula ....... escaloine, Hoc vinum........ vinum (sic). Hec sandra ss waranche. Hec sicera ........ scicere. Hec phihetenne 2: feuchiere. Hoc nectar........ pieument. Hec rapa . Saee te rabe. , Hoc hydromellum. ,. mede. Hoc raphanum . .... raiz. . Hoc mustum. ...... must. Hoc affoldium ..... musche. Hoc acetum ....... eisil. Hec'astula regia.... wederoue!. Hec ex, Jectorme ee lie. Hec banicialis (?)}... sinerwer. Hec oriraracha..... oralche. Suit une rubrique : De membris et de visceribus, contenant une cen- taine de noms français; puis une autre qui contient l'énumération des parties d'une maison; la voici : Hec sunt partes domus principales : Hoc festum * die a feste. Hoc fundamentum. .. fundement. Efe paris 0.4.2 paroit. ; Particule ejus sunt : File PRsits. + = A POSL Hoc aquagium...... conduit. Hec pannu ...... .. panne. Hoc hostium. ...... huis. Fie trabs:. 2. 4.2.0 tref. Hic girafus (?)...... gru (?) Hoc laquear....... lac. Hecvertigogass «56 vernele (?) Hoc hanum........ cheveron. Hec hma.. . -.:.... dime Hec tequla........ tieule. Hec sera,re....... loc. Hoc foramen....... pertus. Hec clavrs. . we . clef. Hhe,cmaeus cuuesel. cuin. Hoc pessulum. ..... pedle. Hicasser 25 0e... bor. Hecuectis.. sent b s arre. Elie bols =. pumel. Hoc repagulum. . ... ic cannes," 2 je aistre. Hec columpna. ..... piler. Hoc epicantorium... cheiminée. Het teghle ss te cie sengle. Hoc fumarium...... fumere. Hec basis......... fundamentum. HEC JenesiniE eee 00€ fenestre. Hoc epistilium.. . ... sumet. Hoc stillicidium .... gutere. Hec eavtlla! : 4... keville. Hicimbrexs ie 21 l : ec dons P). «2, tysun. ” over Hoc lodium. . x aefs Suit une rubrique De armis convenientibus ad domum : massue, gi- sarme, arc, seete, seete barbelée, arbaleste, etc. (22 mots), puis : ! «Astula regia, vude roue vel bare popig.» (Gloss. de Durham, Sax. Leechd. I], 300.) — «Hastula reqia, muge de bois, wuderove» {xu1° s.). (Wright, À vol. of Vocub. p- 140 b.) — «hastula, wodruffe.» (Ibid. p. 226 b.) ? Voir pour le sens de ce mot Halliwell, au mot Lover, et Wright, À vol. of Voc. p. 203, note 2. — 159 — Tunc de Ludis : Mic iroeus ... .... topet. Hic pirqus vel talus. . $ ; : : deiz. Hec scuticu........ escurge. Hec tessera vel calixus Hec pila RE. Mes. pelote. Hoc scacarium..... escheker. Hoc pedum. sn. croche à pastur. Hec camtorupta..... croce. ee An: : tables. Hic scaccus ....... esches. Viennent ensuite des rubriques ainsi conçues : Ad domum pertinent (distribution et ameublement d'une habitation, 22 mots); — de suppel-. lectilibus (instruments et ustensiles divers, 90 mots); de cibis (46 mots); — de piscibus (20 mots); — de ornatu lecti (11 mots); — de vestibus (33 mots); — de vestibus mulierum (26 mots”); — de munistris domus (16 mots); — de equis (37 mots); — de animalibus domesticis (20 mots); — de avibus domesticis (11 mots); — de animalibus silvestribus (51 mots); — de avibus (38 mots). Le manuscrit s'arrête à la rubrique de arboribus, sous laquelle il ne reste que deux mots. Pour donner un dernier ex- trait de ce glossaire, je transcris la rubrique de equis qui me paraît présenter plusieurs difficultés d'interprétation : De Equis. Hic palefridus... ESS Hic gradarius (?) vel }palefroi. hic mannus...... Hic destrarius...... destrer. Hic fugatorius . .... chaçur. Hic succursarius. ... runer. Hec succursura. . ... trot. Hic veredus ....... cheval caret. Equus badius...... cheval bai. Equus scutulatus.... cheval po. Equus calidus, candi- .. cheval bauchant. Equus roseus ...... cheval sor. Equus edorsatus .... cheval redoit. Equus redorsatus . cheval redoit de- rere. Equus enervatus. ... [cheval}recreant Equus sbimatus. . . .. [cheval] esgareté Equus exulceratus... [cheval] redoisu esperuné, POPORIÉ. regumber. Antepedare. ....... brandir. Equus morbocaducus. cheval cordeus. Equus hortecaducus.. cheval camerus. Equus morbosus .... chevalmorveux. Hec selle IN 2. sele. Hec ontella. . ..... arçun devant. Hec postellu.. . .» . .. arçun derere. Hec sudaria....... sus cele. Hoc frenum ;. 2... frein. Hoc lupauum...... canfrein. Hec abend.. #8. .. redne, Hec'cingnla., er. …. sengle. Hoc scansile. . :4 ... estref. Hec zomca. 24: 2% + - : Hoc trossolare...... Prose lie: thäms A « à - ] Hoc capistrum . .... nu Equus cantarus.:... cheval escullé. Equus spadix...... [cheval harace.] \ Et plur. hec equitia,) et plur. hecepiplua, | loreins. vel hec phallere,. . 1 J'ai publié la liste inscrite sous cette rubrique dans le Jahrbuch hf romanische u. en- glische Literatur, VIN, 37-38. 2? Ou chamus. — 160 — B SH iS CSSS x TRAITÉS DU COMPUT. 1° Fol. 8’. Incipit lbellus calcularie artis ErBrici. Annus solaris ut majorum constat sollertia investigatum...…. Écrit à la fin du xrr° siècle. 3 2° Fol. 21. Compositus ecclesiasticus secundum AvGusTINu. Testante sancto Augustino quatuor sunt quibus sancta indiget Ecclesia.. Cet article et les trois suivants ont été écrits vers la fin du xin1° siècle ou au commencement du x1v‘. 3° Fol. 45 verso. Incipit Algorismus. Omnia que à primeva rerum origine precesserunt ratione numerum formata sunt..... 4° Tractatus de mundo et astronomia ?. Mundus dicitur quasi indigne motus est... 5° Fol. 99. Ci commence le kalender de latin translaté pur romancer. En geste ne voil pas chanter Ne veilles estories cuntier, Ne la vaillance as chivaliers Qui jadis estoi[e]nt si fiers ; Mun sén ceo pas ne saveroit Leur valeur descrire à droit. De dire poi $ jo mult; E de autre part ausi # dut Que tant prisace leur valur Que tenu fusse à mentiur; Que mult i ad cuntes e fables Que ne sunt pas veritables Pur ceo de telle) chose dirroi ! Cette pagination, qui est ancienne, montre que le volume a perdu ses premiers feuillets ; il y a une autre lacune du fol. 53 au fol. 68. ? J'emprunte ce titre à une table écrite vers la fin du x1v° siècle sur le premier feuillet de garde. ? Ce blanc existe dans le ms. il faut peut-être suppléer redut. $ Corr. Et d’aulre p. autresi d. 5 Corr, mie. — 161 — Dunt verité vous monst{erjroi, E proveroi de mun ditee Par reson la verité !. De estudier en cel labour G'en sui tenu, quant mun seignur Pur qui amur cest ovre enpris Comandé me avoit e requis De lui aprendre e enseigner En romanz la art del kalender. Ceo est l'encheson, autre ne ay, Que cest ditee comens|er|ay. Mes neporkant la laie gent Asensier purroi ben sovent Que que les resons savera Entendre, car nient i a Qui lunges mures (sic) i ferreit, Fol. 95 b. E ja (le) plus sages ne serreit ; Jo dis cel de la laye gent Que sunt de feble entendement ; Pur ceo vous di : Sa entendez Vous qui ? saver desirez Les breves resons de cest art Où pou en ert vostre part (sic), Car une petite reson En son livere nous dist Caton : Li mestre en vein la lesonc (sic) list Dunt les desciples en unt despist, E le cunte est pur nent contee Qui de nului n’est escoutee; Par ceo pensez de l'escouter Car mult harrei en vein conter. Incipit narratio. À Roume el temps ancianor Estei[e|nt clers de grant valor...….. Suit l'exposition des divisions de l'année en saisons, mois, semaines et jours. L'auteur explique ainsi qu'il suit pourquoi le mois de février est le plus court de tous : h Fol. 96 b. Ore fet ben à demander Pur quai l’em fist amenusier Plus fevrer que un autre mois; Pur la noblie de deus rois ! On pourrait corriger : Par droite reson lu-verte. ? Suppléez à. MISS. SCIENT, — 1V, 11 — 162 — La reson vous [en] voil mustrer : Fol, 96 c. Car chescun an, en feverier Li Bugres et Hi mescreans Ové leur femmes, of (sic) leur enfans A Belzebub e à Pluton Fesoi[e]nt sacrefice e doun; E pur le fet que firent ci Fust feverer tenu plus vil E de jours amenuser ! (sic) Car trop i avoit le maufee. Voici maintenant l'étymologie du nom des calendes : Fol. 99 b. Jadis solai[e]nt la gent De Roume [tot] communement En chescun mois le jour premier Partot grant feste celebrer, E chescun autre escrivoit Ke acun (sic) don que à lui fesoit Ke bon eür Deu lur donast Tant com cel mois durast? ; E cel jour, pur si grant bounté, Jour de Kalendes fust nomé, Car ceo mot en gru kalon En romauntz est à dire bon. Suivent diverses explications relativement au nombre d’or et aux lettres dominicales. Puis l’auteur traite des jours néfastes : Fol. 100 c. Ore dirrai des jours denietz Que vous dismal appelletz (sic). Il donne ainsi l'explication du mot anglais dismal : Dismal les appelent plusours, Ceo est à dire les mal jours. Ce n'est pas qu'il paraisse bien persuadé de l'influence pernicieuse des jours néfastes, toutefois il ne laissera pas de les énumérer : Fol. 100 d. E sachetz que seint Augustin Qui fust mult de clergie fin En ses liveres defent (sic) Ke garde ne preignent la gent. Ceo, dit il, ja ne guardez, Ne calende ne jour denietz; Ne purquant jo les voil nomer Ke les lais ne me puissent blamer. u ! On pourrait corriger : E de j. fu amenuisés, et à la rime correspondante li maufes. * Corr. Autant come. — 165 — Puis il passe à l’'énumération des principales fêtes du calendrier, ‘dans laquelle naturellement les saints anglais tiennent une grande place. Sainte Bride (1° février), saint Cuthbert (20 mars), saint Duns- tan (20 mai), la translation de saint Eadmund (9 juin}, saint Botulf (17 juin), saint Alban (22 juin), saint Swithoun (2 juillet), la transla- tion de saint Thomas le martyr (7 juillet), saint Kenelin «qui rois es- toit» (17 juillet), saint Eadmund {16 novembre), le roi Eadmund {20 novembre}, saint Thomas le martyr (29 décembre). Viennent ensuite les fêtes mobiles et des règles pour trouver la Pâque. Puis l’auteur se nomme en ces termes : Fol. 102 c. Jo qui cest petit tretee De latin vous ai translatee Raüf de Linham ai à noun. Ne voil que nul hom si moi noun De cest oevere blame ait, Si rien par aventure i sait Mesdit, mesfet ou mesassis ; Pur cee vous ai mun noun apris. Puis il traite des vigiles, de l’avent et des quatre-temps ; il assure que ces jeunes sont favorables à la santé. Parlant ensuite des signes du zo- diaque, il s'efforce d'établir entre chacun d’eux et le mois correspon- dant un rapport; ainsi pour février : Fol. 103 c. Ausi en feverer di um Cest signe, solail en peisun, Car de peisun est le droit (sic) Ke en plenté de eawe soit. À cele sesoun ensement Pluvie e plenté de eawe apent. L'auteur revient sur ce qu'il a dit précédemment au sujet du bissexte puis il termine ainsi son poëme : Fol. 105 c. Seignurs, un{e| rien vous di : Si cest ditee que avez oi A clerks ne suflist pas assetz, De ceo ne vous esmerveilletz Car pur licJeux nel fi jo mie Qui entendent grant clergie, Mes cest romantz à laie gent Assez suflist plenerement, E leur aprent del kalender Quant que à lais serra mester, Car cil ne pount pas tantost Augustin saver e compost ; E pur mun seignur aucer (ste) — 164 — Qui tant me daigna à prier, Car cest art saver voleit F E pas le latin ne entendeit, Car il ne estait for poi lettree; Ë pur ceo en romantz Île ai tretee E tantz des antz avoit il tenu De l’incarnacion Jhesu. M. e .cc.Lvi. Ke jo Raüf cest tretee fis. E, seignurs, si vous rien desplest De ceo que en cest dist est fet, Pur Deu, pensetz de l'amender Si meutz le savetz adresser. Pur ceo si, com{e) dient la gent, Un sage meint{es} foetz mesprent, Donc ne est ceo pas merveille grant Si cil fet qui meins est sachant. Si rien i trovetz de profist Dunt solas vous viegne ou delist, Tant me facetz pur guer[re]doun : Prietz Jhesu que pur son noum Par la Virene (sic) de son poer Granter me veulle cest loer Que à tutz bons serra commun. Amen, amen die chescun! 6° Fol. 108 verso. Chronique abrégée de 1321 à 1389 : Anno Domini .M.ccc.xxt. fuit baronum guerra; Thomas Lencastrensis fuit decapitatus et multi alii tracti et suspensi...…. 7° Fol. 108 recto. Poëme politique en quatre-vingt-huit vers hexa- mètres : Jak. Straw. Thome Meller. Jak. Tyler. Pro dolor! accrevit nuper confusio rerum Cum virtus procerum silet et vutgus male senit. Servit nobilitas et rusticitas dominatur, Ad res illicitas omnis plebs precipitatur Anglia quid gaudes cum sis anathemate cincta ? Quomodo sic audes patriarche sanguine tincta.… — 165 — C KR 72 : FROISSART, 1° livre '. In nomine Dei, amen. [C]y commence la table des Croniques Froissart, de la guerre et l’occasion d'icelle qui fu longuement entre le roy de France Phelippe et le roy Edouart d'En- gleterre, et plusieurs autres leurs successeurs. PROLOGUE. Afin que hounourables et noblez aventurez, faiz d’armez par les guerrez de France et d'Engleterre, soyent notablement registrez et mis en memore perpetuel, par quoy aient exemple de eulx couragier en bien faisant, je veul traiter et recorder l'istore et matiere de grant loenge; mais ains que je la commence je requier au Sauveur de tout le monde, qui crea toutes chosez, qui veulle creer et mettre en moy sens et entendement si vertueulx que ce livre que j'aÿy commencié je le puisse continuer et perseverer en telle maniere que tous ceulx et cellez qui le liront, ver- ront et orront, y puissent prendre esbatement et plaissance, et je encheoir en leur grace. On dist, et vray est, que tous edeficez sont maçonnez et ouvrez l'une pierre après l'autre, et toutes grossez rivieres sont faictez et rasembléez en plusieurs lieux surgons ?, aussi les sciencez sont estraictez et compiléez de plusieurs clers, et ce que l’un ne scet l'autre scet, non pourquant rien n’est qui ne sceu ou loing ou prez. Donc aussi pour attamdre et venir à la matiere que j’ay empriz de commencier, premierement par la grace de Dieu et de la benoite vierge Marie dont tout confort et avancement viennent, je me veueil fonder et ordonner sur les vrayes croniques jadis faittes et rasemblées par reverent homme et discret seigneur Monss. Jehan le Bel, chanoïgne de Saint Lambert de Liege, qui grant cure et toute bonne düli- gence mist en ceste matiere et la continua tout son vivant au plus justement qu'il peult, et moult lui cousta à la querre et à lavoir; mais quel frez qu'il y eust, ne feist riens ne lez plaigni, car il estoit riche et puissant; si les povoit bien porter, et estoit de soy meisme larges, hounourable et courtois, et voulentiers veoit le sien despendre. Aussi 11 fu en son venir mout amy et segret de tres noble doubté seigneur Mons” Jehan de Haynau qui bien est ramenteuz, et raison, en ce livre, car de moult nobles et belles advenuez ï1 en fu chif ( sic) et cause, et des roys moult prouchain ; par quoy le dessus dit Mess. Jehan le Bel peult de lés lui veoir et cognoistre plusieurs noblez besoingnes lesquelles sont contenuez en sui- vant. Vray est que je qui ay empriz ce livre à ordonner, ay par plaisance, qui à ce m'a toujours encliné, frequenté plusieurs nobles grans seigneurs, tant en France comme en Engleterre , en Escoce et aultres pais, ay eu la congnoissance d’eulx, sy [ay] tousjours à mon povoir justement enquiz et demandé du fait des guerres et des aventures qui en sont avenues, et par especial depuis la grosse bataille de Poitiers ! En 379 chapitres. In-fol, relié en parchemin. La place des miniatures et des initiales a été laissée vide. ? Corr : et sources, — 166 — où le noble roy de France fu pris, car devant ce je estoie encorez moult jeunez de sens et d’aage; nonobstant si empriz je assés hardiement, moy yssu de l’escole, à rimer et à dicter les guerres dessusdictes, et pour porter en Engleterre le livre tout compillé, si comme je filz, et le presentay adonc à la tres haulte et tres noble dame madame Phelippe de Haynau, royne d’Engleterre , qui liement et douce- ment le reçut de moy et m'en fist grant profit. Or puet estre que ce livre n’est mie examiné ne ordonné sy justement que telle chose le requiert, car faiz d'armes qui si chierement sont comparez doivent estre donnez et loiaument departi à ceulx qui par prouesce y travaillent; dont pour moy acquiter envers tous ainssy que droiz est, j'ay empris ceste ystoire à poursuir sur l’ordenance et fondacion de- vant dicte, à la priere et requeste d'un mien chier seigneur et maistre Robert ! de Namur, seigneur Beaufort à qui je veul devoir amour et obeis- sance, et Dieu me doint faire chose qui lui puist plaire. Cy endroit parle l'acteur des aucunz des plus preux chevaliers de ce livre, le n° chapitre. [ Buchon , chap. czxv.] Comment le roy d'Engleterre fu enamouré de la contesse de Salbrin, le Lxxvim° chapitre. Ce jour meisme que le roy David et les Escos se partirent au matin du chastel de Salebrin, vint le roy Edouart à tout son ost à heure de midy en la place là où les Escos avoient logé. Si fu couroucé quant il ne les trouva, il estoient venus en si grant haste que les gens et les chevaux estoient durement travaillés; si com- manda que chascun se logast là endroit, car il voulloit aller veoir le chastel et la noble dame qui leans estoit qu’il n’avoit veue puis les nocez dont elle fust mariée, et dont chascun s’ala loger qu’il peüst et reposer ainssi qu'il vout. Sitost que le roy Edouart fu desarmé, il prist jusques à .x. ou .xir. chevaliers, il s’en alla de- vers le chastel pour saluer la contesse de Salebrin , et pour veoir la maniere des assaux que les Escos avoient fais et les desfences que ceux du chastel avoient faictes à l'encontre. Sitost que la dame de Salebrin sceut le roy venir, elle fist ou- vrir toutes lez portez et vint hors si richement vestue et atournée que chascun s'en esmerveilloit, et ne se povoit on cesser de la regarder et remirer sa grant no- blece, avec la grant beauté et le gracieux maintieng qu’elle avoit. Quant elle fust venue jusques au roy, elle s’enclina jusques à terre contre luy, en le regraciant de son secours, et l’amena au chastel pour le festier et honnourer comme celle qui tres bien le savoit faire. Chascun la regardoit à merveilles et le roy meïsme ne se povoit tenir de la regarder, et bien luy estoit aviz que onques n’avoit veue si noble, si frique ne si belle dame. Si le fery tantost une estincelle de fin’amour un (sic) cuer qui luy dura par long temps car bien luy sembloit que ou monde n’avoit dame qui tant feïst à aimer comme celle. Si entrerent où chastel main à main, et le mena la dame premiers en la salle, et puis en sa chambre qui estoit si noble- ment parée qu’il afferoit à telle dame; et tousjours regardoit le roy la gentil dame si ardamment que elle en devenoit toute honteuse. * Espace blanc dans Ie ms.; cependant il ne manque rien. — 167 — [Fin du volume ; Buchon, chap. cecxevni |. .... La fu priz messire Guillaume dez Bordes en bon convenant d'un escuier de Haynau appellé Guillaume de Beaulieu, appert homme d’armez et qui grant temps avoit geu englois es forteressez d’entour Calais, et se armoit de Tresignies. À cest un se rendy dolent et couroucié de ce que la journée n’avoit esté pour luy. Là veist on Englois mettre François à grant meschief et plusieurs fiancer prison- niers en la fin de la bataille, et maint gentilhomme mort, de quoy ce fu pitié. Quant les Englois eurent les mors despouilés messire Jehan Harveston et lez siens se partirent de la place et emmenerent leurs prisonniers et leurs gaingz arriere dedens Chierebourc. Sy povés bien croire que lez Englois menerent grant joye celle nuit de la belle aventure et journée que Dieu leur avoit donnée. Sy fu le dit messire Guillaume des Bordes grandement festié et conjoye et aysié de ce que on povoit faire, car sa personne le valoit bien. Ceste desconfiture fu entre Montbourc et Chiereboure le jour saint Martin le Boullant l’an mil. 1°. Lxx1x. , » F oi LUS es | UE (Put 1 * see ET PR A wi ve ia! Les an Wa we sp % drague ri LE doi ssh du Fe, ii PI RE ae 14 LAS nl he : Nada Ah 1 neo aoû na etel PRE N Vérieg “ 5% 40 ‘à. rares ren Jai pr ê s à ‘'normuté cable. br #fiéogreh: pee aré ob DORA D 0 0 LR 0) aol ak eh N av à ba refre pet aa tn caf qui Ways mi #60 vf Pit qe sich Hosni Gt que rite La: rt tan iôrd E a: 3°} Fe 4 t& 43 19 Spain 1e dipl seb à swbretf als erul hs 1 mures il a ti fsre ot Maean ha ab | HE F ur Fri ip À dcr # dits Paru bo | j EU ie : RME RE ! : p . z y e ñ LA cu M 4 \ *% : ke NES 2 de À y a ET EU RE par / 4 1 Le DUR # e À # ha « { LS cel [l n= 4 NOTICE SUR LES RUINES DE L’'HIÉRON DES MUSES DANS L'HÉLICON, PAR M. P. DECHARME, MEMBRE DE L'ÉGOLE FRANÇAISE D'ATHÈNES. Athènes, le 9 mai 1866. Leake, le premier voyageur qui ait exploré l’'Hélicon en détail, fut aussi le premier à fixer l'emplacement de l’hiéron des Muses au monastère abandonné d'Hag. Nicolaos, situé à deux heures de Thespies, au fond d’un vallon solitaire !. Ce vallon presque fermé, arrosé par une eau vive, revêtu d'une fine et brillante végétation, à la fois riant et sauvage, semblait bien convenir à un sanctuaire des Muses?. En même temps, le savant voyageur avait trouvé dans l'église du monastère une inscription qu’on y voit encore et qui confirmait ses suppositions : c'était un catalogue des vainqueurs aux concours des Muses*. II y avait là une raison suffisante pour fixer à Hag. Nicolaos la place de l'hiéron. Cependant, il était facile d'objecter que l'inscription trouvée pouvait avoir été ap- portée d’une assez grande distance; d’ailleurs, cette inscription était unique, et dans la construction de l’église, du monastère, dans celle des murs, on n’aperçoit qu’un très-petit nombre de pierres antiques. N'était-il pas extraordinaire que, si l'édifice chrétien avait remplacé l’ancien hiéron, on n’eût pas utilisé, 1 Voir le plan. ? Plutarque (De Curiosit. p.521 e) remarque que les sanctuaires des Muses ont : été établis loin des villes : Kai yap rà Mouceïa mophuwrdro Tüv mékewr idpÜoavro. # Corp. Inscript. Græc. n° 1586. MISS. SGIENT. — IV. 12 — 170 — comme cela se voit partout en Grèce, les matériaux antiques qu'on avait sous la main? N'était-il donc rien resté de tous ces autels, des bases de toutes ces statues et de toutes ces offrandes dont parle Pausanias ? Cependant, après Leake, tous les explorateurs de la Grèce se sont habitués à considérer Hag. Nicolaos comme le seul empla- cement possible du sanctuaire des Muses..Les derniers voyageurs dans l’Hélicon, Ulrichs', MM. Conze et Michaëlis?, ont adopté l'avis de Leake, tout en reconnaissant que le bois des Muses pou- vait s'étendre au delà d'Hag. Nicolaos. Leur opinion est résumée dans la plus récente géographie de la Grèce. « La place de l&aos Tv Movowr, dit M. Bursian, est ce plateau arrosé, couvert d'arbres et de buissons, où le myrte domine, d’une épaisse végé- tation, resserré entre les côtés orientaux de l’'Hélicon, où l’on voit encore maintenant un cloître ruiné d'Hag. Nicolaos, et plu- sieurs églises, dont l’une, Hag. Paraskevi, n’est pas encore aban- donnée. » Au mois de mai 1865, j'explorai à mon tour l'Hélicon, en compagnie de mon collègue M. Petit de Julleville. Il était naturel que le sanctuaire des Muses nous attiràt. Après un court séjour à Hag. Nicolaos, nous nous rendimes de là à l’église d'Hag. Paraskevi (voir le plan), dans l'intention de reconnaitre avec soin les envi- rons du bois sacré. Pour plus de rapidité, nous nous partageämes l'exploration, et mon collègue fut assez heureux pour découvrir le premier plusieurs ruines helléniques dans une haute vallée voisine d'Hag. Paraskevi, et que nous n'avions pu apercevoir en venant du monastère“ Nous reconnümes bien vite, parmi ces ruines, quelques débris byzantins indiquant que nous avions sous les yeux des églises ruinées. Ces églises étaient au nombre de trois. Dans l’une d'elles, je copiai une inscription gravée sur la base d’une statue élevée par les Thespiens à un empereur et consacrée aux Muses5. À en juger par l'apparence de la pierre, ‘ Ulrichs, Reisen und Forschungen in Griechenland, Il, p. 89 sqq-. ? Annal. Inst. Arch. Rapporto d'un viaggio fatto in Grecia, nel anno 1861. * Bursian, Geograph. von Griechenland, Erster Band, p. 239. # C’est ce qui explique comment ces ruines ont échappé aux voyageurs précé- dents. Quand on va directement d'Hag. Nicolaos à Ascra, ïl est difficile de les apercevoir. 5 C’est le numéro 50 de notre Recueil d'inscript, béot. inédites. LI — 171 — cette inscription était depuis longtemps exposée à l’action de l'atmosphère; elle n’eût donc pas manqué de frapper les regards de quiconque serait venu visiter ces ruines. Or elle est inédite. Ne devions-nous pas en conclure que nous étions les premiers voyageurs qui eussent reconnu ces ruines? Et le texte même de l'inscription n'indiquait-il pas que nous étions sur le véritable emplacement de l'hiéron des Muses ? Dernièrement, je suis retourné seul dans l’'Hélicon. Je voulais vérifier notre petite découverte de l’année dernière, étudier at- tentivement des ruines que nous avions visitées en passant, peut- être même y commencer des fouilles. Les ruines dont il s'agit sont situées dans une haute vallée ou- verte vers l'est, à plus de deux kilomètres du monastère d'Hag. Nicolaos, et à quelques centaines de mètres seulement de l'église d'Hag. Paraskevi. Chaque ruine est ombragée d'un épais bou- quet de chênes verts, seuls restes de l’ancien &Acos. Elles sont disposées sur de petits plateaux gazonneux, de chaque côté du torrent qui arrose plus bas la vallée d’Ascra. (Voir le plan.) La ruine qui est à droite de ce cours d’eau porte dans le pays le nom d'Hag. Trias; les deux autres ruines, sur la rive gauche, s’ap- pellent, l’une Hag. Catherina, l'autre Hag. Constantinos. Le nom de Constantin fait peine à entendre en pareil endroit. C’est lui le premier qui a violé le sanctuaire des Muses, qui a enlevé leurs statues pour les transporter à Constantinople, où elles furent plus tard consumées dans un incendie! Il ne s'est pas contenté de les détruire ; il a remplacé leur divinité par la sienne?. Les noms d'Hag. Trias et de Hag. Catherina conviennent mieux aux sou- venirs que rappellent ces ruines : on peut voir, dans le premier, la tradition du nombre ternaire des Muses; dans le second, celle de leur virginité. D’après la description que Pausanias nous donne de l'&cos 1 Zosim. V, 24. Daoi dè ds nai Tà delumAa Tà Ev T@ Édex@ve Tv dpxnv xabidpu- Oévra raïs Moÿous, pépos nai aÿrd Tÿs xaTd mavytTwr iepooudias Év Tots Kwvyolavrivou yevopeva ypovors, dvarebévra Toûtw T® Tom 1 dd To œupôs ÜrhxÜn aPop, oaPéolepôy mus Ty xaÜéËoUGAY änavras duovoiar un- vUOYTE. ? Constantin a été placé par les païens au nombre des divinités qu'il avait renversées. Plusieurs de ses médaïlles portent à la fois le titre de dieu et le mo- nogramme du Christ, — 172 — des Muses, il semble évident qu'on n'y avait pas bäu de temples, mais qu'on y trouvait seulement des autels et des statues dis- persées sous les ombrages. Il ne s'agissait donc pas de retrouver sous les ruines des églises byzantines les fondements et les débris d’édifices antiques; encore moins pouvait-on espérer d'y décou- vrir des objets d'art. Mais, si Constantin avait enlevé les admi- rables groupes de Muses, œuvres de Céphisodote, de Strongy- lion, d'Olympiosthènes, le Dionysos de Myron, beaucoup d’autres encore, au moins avait-il dû laisser les pierres qui soutenaient toutes ces statues, et, avec elles, les inscriptions qui les con- sacraient. Je fis donc commencer des fouilles parmi les ruines de l’église d'Hag. ‘Frias, où j'avais trouvé l’année dernière une inscription inédite. Au bout de quelques heures, ces fouilles amenèrent au Jour : 1° Une inscription commémorative de victoires remportées aux différents jeux de la Grèce {n° 48 de notre Recueil, encore inédit, d'inscriptions béotiennes) ; | 2° Une consécration aux Muses d'une statue élevée à un em- pereur par les Thespiens {n° 49 du recueil); 3° Une inscription en vers, composée d’un distique, proba- blement gravée sur la base d’une statue de Polymnie (n° 51); 4° Une autre inscription, également en vers, en l’honneur de Terpsichore (n° 52). Quelques coups de pioche donnés près de l’église d'Hag. Cathe- rina amenèrent aussi la découverte d’une cinquième inscription, en vers, mais incomplète {n° 53 du recueil). J'aurais voulu faire continuer plus longtemps les fouilles; mais l'hiéron est à deux heures de tout endroit habité, et l’état du pays, moins. sûr que Jamais, minterdisait un plus long séjour dans le sanctuaire des Muses. J’ai donc dû me borner à ces pre- mières recherches, me tenant pour satisfait de pouvoir indiquer à ceux qui viendront une source presque certaine d'inscriptions nouvelles. Si mince d’ailleurs que fût le résultat, mon but était atteint. Il me paraît évident que l'église où j'ai trouvé les ins- criptions en l'honneur de Terpsichore et de Polymnie est située dans l’enceinte de l'antique bois sacré. Les deux autres églises, où je n’ai pu fouiller, et qui sont tout entières composées de pierres antiques en font également partie. L’&cos devait occuper toute la vallée, jusqu'à la hauteur de léglise d'Hag. Paraskevi. — 173 — La position de l’hiéron des Muses une fois déterminée, il devient plus facile de fixer un certain nombre de points, jusqu'alors in- certains, de la topographie héliconienne : tels que la position de la fontaine Aganippe, de l'Hippocrène, etc. C'est ce que nous al- lons essayer. On comprend généralement sous le nom d’Hélicon cette chaîne de montagnes qui s'étend entre le lac Copais et la mer de Go- rinthe, se rattachant d’une part au Cithéron, de l’autre au Par- nasse, La partie la plus élevée de cette chaîne est celle qui domine le golfe , et que les Grecs modernes appellent Palæo-Vouno; le sommet, dont on fait l'ascension en partant du monastère de Dobo, a une hauteur de 1,749 mètres et conserve ordinairement ses neiges jusqu'en juin. Mais il est à remarquer que le Palæo- Vouno n'était pas pour les anciens le véritable Hélicon. Pausanias ! dit que l’'Hélicon est de toutes les montagnes de la Grèce la plus fertile, la plus remplie d'arbres. Or, cette assertion ne convient nullement au Palæo-Vouno, qui n'est qu'une masse rocheuse, abrupte, semée çà et là de quelques sapins : elle est, au contraire, d’une exactitude frappante pour cette partie de la chaîne qui s’é- tend de Thespies à Coronée. La cime réelle de l’Hélicon n'est pas non plus celle dont parlent les anciens. Ce qu’ils entendent par » äxpa xopu@n?, T0 4xpoy TOÙ DÉXxdvOSS , ce n’est pas le sommet du Palæo-Vouno, c’est le sommet qui est en face d’Ascra, où l'on voit aujourd'hui les ruines d’une chapelle d'Hag. Hélias, et où les Muses exécutaient jadis leurs chœurs de danses : Axporätw ÉAmur yopoès éveroimoavro Kalods, iuepoevtas. L'Hélicon est surtout le domaine des Muses; c’est la montagne où jaillissent Aganippe et Hippocrène, où coule l'Olmeios, que contourne* le Permessos.. Pour nous donc, comme pour les an- ciens, l’'Hélicon doit être cette partie de la montagne dont les pentes s'élèvent près du village de Néochort, à l'occident de Thes- pies, et qui se dirige vers le nord-ouest jusqu’au double village D Patsan. EX, XXVIIT, 1. Id EX) xaxr, 6. * Schol. Hesiod. Theag. v. 5. 4 Pausan. IX, xxix, 3 : Peÿ dé xai oùros 6 T Epunoos DEpi Tor déve. L' ideu- tité du Teppnoôs et du Iepunoaos est admise, NT de Zagara. Plus loin, en eflet, les noms changent. La montagne qui s'étend entre la vallée de Zagara et le Copaïs s'appelait le Libethrion; entre Coronée et Lébadée, elle prenait le nom de Laphystion. Pénétrons, à la suite de Pausanias, dans le véritable-Hélicon. Pausanias se dirige de Thespies à Ascra, sans rien signaler sur sa route. Il aurait-dû cependant y rencontrer un petit temple, dont on a récemment découvert les soubassements sous les ruines de l’église abandonnée d'Hag. Georgios !. J'ai copié dans ces ruines une inscription inédite en l'honneur de Caracalla et de Julia Domna. On a également trouvé là un marbre sépulcral, où sont représentés en demi-relief un homme debout, une femme assise, et, entre les deux, un enfant qui tend les bras à son père. Quel était ce temple dont on a retrouvé les fondements? C’est ce qu'on ne saurait affirmer. On peut seulement conjecturer, d’après le nom d'Hag. Georgios donné à l’église chrétienne , que c'était un hiéron d'Héraklès, une des divinités principales du canton de Thes- pies. En continuant à remonter la vallée, on rencontre à une demi- heure de Palæo-Panagia, sur une éminence, les débris d’une for- teresse vénitienne, qui remplace peut-être l'antique Ceressos, lieu fortifié du canton de Thespies, qui servit plusieurs fois de refuge à ses habitants. Au delà de Ceressos, on franchit un petit cours d'eau, coulant au milieu d’une vallée secondaire qui s'ouvre sur la vallée principale. Près de ce cours d’eau sont éparses bien des pierres anciennes. À l'endroit dit Episcopi, on reconnait de nom- breuses traces d'habitations. Cette vallée fertile, qui s'étend entre Ceressos et Ascra a dû être habitée au moyen âge. L'église ruinée d'Hag. Christos, qui est au fond de cette vallée, renferme quelques pierres sépulcrales : j'y ai copié une inscription. L'église d'Hag. Georgios n'offre aucun débris ancien. Mais, en continuant jus- qu’au pied d’Ascra, on rencontre sous un bouquet de chênes verts la petite église d'Hag. Loukas, qui est une ruine hellénique.On y a trouvé une inscription funèbre en vers; c’est l’épitaphe de la fille d’un gardien de l’hiéron des muses : ZoÂmuiou Caxbporo Avypà mais évbade xeïrat, xT À.” ! Cette église est située en face du village de Néochori, près du chemin de Thespies. ( Voir le plan.) ? Ulrichs, Reis. und Forsch. t. IT, p. 95. — 175 — Du temps de Pausanias, les environs du bois sacré étaient ha- bités : Iepsorxodot dé ai dvdpes Tù &)oos (IX, xxx1, 3). Les prêtres et les gardiens des offrandes devaient en effet avoir là leurs de- meures. On peut croire que le monastère d'Hag. Nicolaos a rem- placé les maisons de ces serviteurs des Muses, qu'il en est la tra- dition. Nous sommes au pied de l’acropole d’Ascra. La position n'en est pas douteuse, bien que Strabon ! dise qu’elle est située à qua- rante stades de Thespies, distance insuffisante. Mais il ajoute qu’elle est établie sur une haute et abrupte colline, &@ dÿmaoù PL TPAYÉOS TOTO , description qui ne peut convenir qu’à celte hauteur conique, d’accès difficile, où l’on voit encore des restes de murs d'appareil polygonal, et au sommet une tour hellénique assez bien conservée. Ascra était déjà déserte au temps de Pau- sanias; 1l n'en restait qu'une tour, celle que nous y voyons au- jourd’hui ?. D’Ascra, Pausanias se rend au bois sacré des Muses ou, pour parler le langage usité dans le pays, auprès des Muses, æapa rais Movoaus$. « En allant vers le bois sacré, dit-il, on laisse à gauche la fontaine Aganippef. » Or, la position du bois étant fixée aux ruines d’'Hag. Trias, Hag. Catherina, Hag. Constantinos, la seule fontaine qu'on trouve à gauche est celle qui coule près du monas- tère et qui prend sa source un peu plus haut. Il est donc impos- sible de douter que ce soit la fontaine Aganippe *. Cette fontaine justifie encore aujourd'hui l’épithète de fossdys que lui donnent les vers de la Théogonie. Kai Te mept xpyvyv iocidéa O0 dmahoiorr Opysdvrai*. PURE, 29. ? Pausan. IX, xxix, 1 : Âoxpns pèr Ôdù mœüpyos els ên’ Euoû xai dAÂo ovdèy éhelmero eis pynunv. 3 Plutarch, Amator. I, 2. PPausan. IX, xxx, 3. * C’est aussi l'opinion d'Ulrichs (Res. u. Forsch. II, p. go), qui aurait dû en conclure que l’hiéron des Muses n’était pas à Hag. Nicolaos, puisque, d’après le texte de Pausanias, la fontaine Aganippe était en dehors de l’enceinte sacrée. L'adjectif éodns indique la couleur sombre d’une eau de source abondante et profonde. — Bien que le mot Âyarinmn ne se trouve pas dans les vers d'Hé- siode, il est impossible de croire qu’il s’agit d’une autre source. Aganippe, en effet, est la seule qui ne soit pas comprise dans l’'énumération des cours d’eau héliconiens, par où commence la Théogonie. — 170 — En se rendant directement au bois des Muses, Pausanias signale l'image d'Euphèmeèe et celle de Linus creusées dans le rocher !. Les rochers où étaient ces représentations, œuvres d’un art primitif, se rencontrent en allant de l’église d'Hag. Paraskevi à celle d'Hag. Catherina. Pausanias entre ensuite dans le bois sacré, et là, sous les ombrages, il aperçoit les statues qui y sont rassemblées. C’est un premier groupe de Muses, œuvre de Céphisodote; plus loin ce sont trois Muses du même artiste, trois autres de Strongylion, les trois dernières d'Olympiosthènes. C’est un Apollon et un Hermès combattant pour la lyre; c'est le Dionysos de Lysippe; c’est le plus célèbre Dionysos de Myron, enlevé par Sylla aux Orchomé- niens, pour être consacré dans l’'Hélicon. Viennent ensuite les sta- tues des lyriques illustres : Thamyris aveugle et tenant une lyre brisée; Arion de Méthymne sur un dauphin; Saccadas d’Argos; Hésiode assis, la cithare sur ses genoux; Orphée accompagné de Teleté, et beaucoup d’autres trésors. Après cette énumération, Pausanias remarque que les Thespiens célébraient près du bois sacré une fête et un concours qui portaient le nom de Movoceïa. Il ajoute : «Ils célèbrent aussi une fête en l'honneur d’Éros, avec des prix non-seulement pour les exercices musicaux, mais encore pour les luttes athlétiques ?. » On pourrait croire, d’après ce texte, que les deux concours des Movosia et des É par de1a se célébraient près du bois sacré. Il n’en est rien. La fête en l'honneur d’Éros se passait à Thespies. C'est ce qui ressort du texte d’un des plus charmants dialogues de Plu- tarque : Épaorinés 3, ‘ Autoboulos, nouvellement marié, était venu à Thespies avec sa femme pour sacrifier à Éros, à la suite de différends survenus entre les deux familles. Là il rencontre des amis et des hôtes. Pen- dant deux ou trois jours, la société reste dans la ville; on philo- sophe; on se promène, en causant, des palestres aux théâtres. Mais ensuite, pour échapper au bruit de la fête et aux ennuis du concours des citharèdes, les amis se décident à lever le camp et à aller établir leur tente dans l'Hélicon, auprès des Muses : « Eis To» Euxva xarnvkioavro &apà raïs Motoaus. » Si la société d’Autoboulos quittait Thespies pour aller chercher l'Pausan: IX, xxx 3: 2 IX, XXXL, :9. * Plutarch. p. 749, b-c. — 177 — la tranquillité auprès des Muses, n'est-il pas évident que la fête en l'honneur d'Éros se célébrait à Thespies et non dans l'Hélicon ? «Du bois sacré, dit Pausanias, il faut monter environ vingt stades (3,680 mètres) pour atteindre l'Hippocrène !. » La position de l’'Hippocrène a été pendant longtemps très-in- certaine. La carte de l'état-major français la fixe à la fontaine Kersiza, située au sud-ouest du village de Zagara, au milieu d'une admirable nature. Mais la fontaine Kersiza est à une distance de plus de quatre heures de l’hiéron des Muses; sa position ne ré- pond donc nullement au chiffre donné par Pausanias. Leake, à son tour, a placé l'Hippocrène au couvent de Makariotissa; mais la distance était encore trop grande. La seule fontaine qui puisse correspondre à la distance fixée par Pausanias est celle que les bergers appellent aujourd’hui xpud æ:ydde, et qui est presque au sommet de la partie de l'Hélicon qui domine le vallon des Muses. (Voir le plan.) Ulrichs, le premier, a placé là l'Hippocrène avec beaucoup de raison. Mais Ulrichs était parti du monastère d'Hag. Ni- kolaos, croyant partir de l'hiéron des Muses, et la distance qu'il par- courait pour atteindre la source était encore trop grande pour ré- pondre à celle de Pausanias. Au contraire, des ruines d'Hag. Trias au xpuù œiyddu, la distance, en ligne droite, n’est que de trois kilomètres, et il ne faut pas plus d’une heure et demie pour y monter. Du couvent, au contraire, le chemin, quoique plus facile, est beaucoup plus long (deux heures au moins). Ainsi la position de l’'Hippocrène elle-même confirme à son tour celle de l’hiéron des Muses. L'Hippocrène (xpud æryddi) est située dans une clairière, au milieu d’une épaisse forêt de sapins, à une centaine de mètres au-dessous du sommet de la montagne. Son eau glacée est enfer- mée dans un puits formé en partie de pierres antiques. Quand on y arrive après les fatigues de l'ascension, on ne peut s'empêcher de se rappeler l'épigramme de l’Anthologie ?. ÂpBaivor Élimdva péyar xdues*&AN éxopéolns Iyyacidos xpmvys vexTrapéwr A1Eddwv. « À gravir le haut Hélicon, tu l'es fatigué; mais tu as étanché ta soif aux eaux divines de la source de Pégase. » ! Pausan. IX, xxxr, 5. ? Epigramme d'Onestès, Anthol, éd. Jacobs, t, IT, 1x, 230. — 178 — — N'est-ce pas ici que, suivant Callimaque !, se baignait un Jour Athéné avec la nymphe Chariclo, quand la déesse fut surprise dans sa nudité par Tirésias? Le malheureux en fut châtié; il y gagna le don de divination, mais il y perdit la vue : Ay more ya. DÉT ÀwY noue Paves Îrrow èmi xpava Édutonadr ua) peoica, Aüvro: peoau6pivà d'eiy dpos douyia...….. Au-dessus d'Hippocrène, le sommet de la montagne est cou- ronné par une chapelle en ruines d'Hag. Hélias, toute composée de blocs antiques polygonaux. On aimerait à placer là l'autel du tout-puissant fils de Saturne, dont parle l’auteur de la Théogonie (v. 4) ...xœ Boudr épiobevéos Kpoviwvos. Mais le texte n'indique nullement que cet autel fût au sommet de la montagne ?. Ce sanc- tuaire était peut-être consacré à Apollon, qui a été remplacé, en plus d’un endroit de la Grèce, par Hag. Hélias. Il est plus difficile de déterminer la position des deux autres cours d’eau héliconiens consacrés aux Muses : le Permessos et l'OI- meios. L'Olmeios, suivant le Scholiaste d'Hésiode, est une rivière de l'Hélicon de Béotie, située vers son sommet : Ô Oueids DOTAUÔS eos &v Éuxdur Tis Borwrias xaTà Td &xpOy aÜTO. «Sur le sommet même de l’Hélicon, dit Pausanias, est une pe- tite rivière, le Lamos : Ér) d8 dnpa Tÿ xoOpUP} TOÙ Éuxdvos wo- Tapôs où uéyas à Nduost. I y à une telle ressemblance entre les mots Oduerds et à Aduos, qu'on peut, sans invraisemblance, les identifier 5. l Aourpà rs IanÂddos, v. 70 sqq. ? La source citée au vers 3 de la Théogonie, xaf re Dep xpnynv, ne peut pas être la fontaine Hippocrène, citée plus loin vers 6,7 Érrov xpAvNs. C'est donc l'Aganippe. Il en résulte que l'autel de Jupiter n'était pas au sommet de la mon- tagne, mais au bas, près d'Aganippe. Kai re mepi xpnyny ioetdéa mooo dmaoîoi Opxeürreu, xai Poudr éprobevéos Kpoviwvos. * Theogon. v. 5. ? Pausan. IX, xxxr, 6. 5 C’est aussi l'opinion de Leake. Le nom du Lamos ne se trouve nulle part ailleurs que dans le texte de Pausanias ; lOlmeios , au contraire, est cité à la fois dans la Théogonie et dans Strabon. — 179 — La position de l'Olmeios sur la cime même de la montagne est singulière. Pausanias a été sans doute amené à cette assertion par une fausse interprétation des vers hésiodiques : El 4 H mov xpyvys , ÿ OXueroù Éabéouo AxpoT4T eo Éd XOpOÙS ÉVETOIMOAVTO. 4 Le nom de l’'Olmeios étant suivi des mots dHPOTÉTE) Éduve Pausanias a pu en conclure que cette rivière était au sommet de la montagne. Mais l'expression &äxpa xopu@n ne doit sans doute pas être prise à la lettre. Elle peut indiquer seulement que lOI- meios avait sa source sur un haut plateau de l'Hélicon; et alors lOlmeios pourrait être le cours d'eau qui traverse le vallon des Muses, coule d’abord dans la direction de Thespies, puis se dirige vers le sud-ouest pour se jeter dans la mer de Corinthe !. IH est vrai que, suivant Strabon?, l'Olmeios serait un affluent du Permessos, qui se jette dans le Copaïs, près d'Haliarte. Mais les assertions de Strabon sur la géographie de la Grèce doivent inspirer une certaine défiance. Strabon ne connaissait de la Grèce qu’Athènes, Argos et Corinthe. Sur le reste, ses renseignements sont souvent vagues, quelquefois complétement faux. C’est lui qui affirme que l'Hélicon a la même hauteur et le même périmètre que le Parnasse. Il commet plusieurs autres erreurs. Le témoi- gnage de Strabon n'est donc pas une raison suffisante pour ad- mettre que l’Olmeios se jette dans le Copais. Le Permessos, suivant Pausanias, contourne l’Hélicon : Peï xœi OÙTOs Ep Tùv Éuxdve. D'après Strabon, il traverse le territoire d’'Haliarte pour venir se mêler aux eaux du Copaïs. Ces deux ren- seignements s'accordent assez bien avec la rivière moderne de Lagara, qui, après avoir coulé dans la direction de l’est jusqu’à la hauteur d’Ascra, remonte vers le nord et contourne en effet l’'Hé- licon pour se jeter, près d'Haliarte, dans le lac Copaïis. N'y a-til pas, d’ailleurs, témérité de notre part à vouloir intro- duire dans la topographie de l'Hélicon une précision que les an- ciens n’y ont pas mise? À la façon dont Pausanias parle de l'Olmée et du Permesse, il est évident qu'il en connaissait mal la place. ! Je n'ignore pas les difficultés que soulève cette assertion. I est bien extraor- dinaire en effet que Pausanias, qui a dû traverser ce cours d’eau ou le remonter pour aller au bois sacré, ne l'ait pas nommé. 2 Strab. IX, 20. — 186 — Les noms de l’'Olmée, du Permesse n’existaient peut-être plus de son temps que dans les vers de la Théogonie. La tradition sur la place de ces rivières poétiques s'était perdue. Ce qui importe plus que ces questions topographiques, ce sont les souvenirs que rappelle le vallon sacré; c'est la vie poétique qui anima jadis tout ce canton. Ici Hésiode, faisant paître ses troupeaux, entendit la voix des Muses. Ici a grandi la famille des poëtes hésiodiques. De ces hauts sommets couronnés de sapins, l'inspiration est descendue sur tous ces rhapsodes qui, une branche de laurier à la main, allaient chantant les dieux, leurs naissances, leurs unions, donnant aux hommes les préceptes de la sagesse et les règles de la vie pratique. Plus tard, ces rhapsodes font place à d’autres serviteurs des Muses , aux Ivriques, dont Corinne et Pindare sont les glorieux représentants. En même temps que grandissait la religion des Muses, on voyait s'établir sur leur domaine ces fêtes et ces concours qui, pendant de longs siècles, entretinrent en Béotie le goût des choses de l'esprit. Ces fêtes ne devaient finir qu'avec les divinités elles-mêmes. Ainsi le vallon des Muses fut témoin d’une activité poétique non interrompue. Ainsi, depuis Hésiode jusqu'aux derniers jours de la religion hellénique, chaque génération vint tour à tour s’abreuver aux eaux sacrées d'Hippo- crène et d’Aganippe. “epuedur emewtrdu == QUE Ee Ti Det Vie A7 ee Leur e PA nee Der AN il 7 ARANSS # \ / 1111 LT #/) || W, { |] 1 1 Le ù S \ S 27091) CA à 11) DA NN y 71))}} N Z I \ \\\ NN NAN KE D VISVUL -000ILIO / 1/11 © LIL TS 4 0 DT f/ 77/277/7/20119)/2807/0)1 K\ NT ur RATE Vul y LUE AR ‘SUOJTAUS S9S JP 79 SHS AN: SHINO TVA NE LE) SESSOUIQT RAPPORT SUR UNE MISSION ARCHÉOLOGIQUE ET ÉPIGRAPHIQUE EN MOLDAVIE ET EN VALACHIE, PAR M. GUSTAVE BOISSIÈRE. Caracal (Petite Valachie),20 août 1865. Monsieur le Ministre, Sur une bonne carte du Danube, Votre Excellence pourra voir, entre Hirschova et Matschin, sur la rive turque, et Braïla, sur la rive roumaine, le grand fleuve formant comme un triangle îles et de bras, de lacs et de marécages. Au printemps, quand les eaux sont hautes, elles recouvrent presque tout entier ce large espace; mais elles baissent beaucoup en été, et laissent ré- apparaître des îles nombreuses, vertes prairies, qui naguère létaient des bas-fonds, mais qui pendant les grandes chaleurs et jusqu'aux fortes crues de l'automne, feront d’une rive à l’autre comme autant de ponts et d'enjambées pour ainsi dire. En hiver, les et roseaux, fleuve et marais, tout s’aplanit et disparaît sous une épaisse couche de glace, chemin solide et sûr, que durent prendre plus d’une fois les hordes robustes des barbares pour en- vahir les côtes des deux Mésies, et attaquer, entre autres points, Jimportante ville romaine dont je voudrais entretenir Votre Excellence. D'un sommet élevé de la dernière chaîne des Balkans, voisin de l'antique Troesmis, et d'où la vue est vaste et libre, nous nous sommes bien rendu compte de l'aspect général du pays; de ce faîte isolé, se découvre un horizon immense et le panorama du Da- | — 182 — nube. Le soleil (nous sommes au mois de Juin) a déja séché : bien des mares et bien de petits lacs; mais rien ne peut tarir ces mille bras du grand fleuve qui doivent pendant l'hiver former une véritable mer de glaces. En face de nous, à peu près droite d'Hirschova à Galatz, une grande ligne brillante, le Danube, dans son cours actuel, dans son vaste lit d'aujourd'hui, et presque vis- à-vis, sur la rive roumaine, un point qui se détache, Braïla. De cette grande ligne jusqu’à nos pieds, des lacs, des étangs, des ruisseaux sinueux, capricieusement découpés, des iles basses, simples terrains d'alluvion, nourris et fécondés sans cesse par le fleuve, plantés de roseaux et de saules, large et mobile frontière qui sépare la Roumanie de la Turquie. Jusqu'à Galatz, ces îles, pâturages excellents, riches en fourrages, appartiennent aux Prin- cipautés danubiennes; elles appartiennent à la Turquie depuis Galatz jusqu'aux embouchures du Danube. Deux lignes s'aperçoivent nettes et distinctes dans: ce tableau « d'abord confus, dans ce large bassin où se sont répandues et déplacées les eaux courantes du fleuve : ce sont les deux lignes des coteaux, les deux versants entre lesquels coule le Danube, la rive roumaine et la rive turque : celle-ci plus sinueuse, plus « découpée de golfes et de détours, bordée de plus hautes falaises, \ plus favorable par conséquent aux établissements militaires, aux postes de frontières, aux stations défensives, aux campements d'observation ; là coulait autrefois à pleins bords le vieux Danube, aujourd'hui amoindri, rétréci et presque abandonné. Sur cette ligne, au fond des coudes nombreux formés et creusés par le fleuve, on aperçoit facilement, et du premier coup d'œil, des points comme désignés par la nature à une forte occupation mi- litaire, et qui n’ont pu échapper aux regards clairvoyants des Ro- mains. Ainsi, à notre gauche, au sud, un mamelon où se devinent des ruines évidemment romaines (nous nous en sommes assurés depuis, en y abordant par le fleuve); là devait être Bereum ou Bereo, placé, en effet, sur la table de Peutinger à vingt etun milles de Troesmis; ainsi encore, presque à nos pieds, le plateau de Troesmis même; au nord enfin, à notre droite, l'antique Arru- bium, la moderne Maischin. Descendons maintenant vers la plaine, sur le plateau qui s’é- tend du pied de ces derniers contre-forts des Balkans aux bords du vieux Danube. A trois lieues de Matschin, entre les petits vil- cm — 185 — lages de Gretzi et de Tarkai, auprès d’un point nommé lylitza, que les cartes ne mentionnent pas, le Danube fait un de ces coudes aigus dont je parlais tout à l'heure; dominant ce petit golfe et tout le pays d’alentour, fortement situé sur un plateau naturel- lement sûr, là s'élevait jadis un municipe romain qui devait être surtout une importante place militaire, Troesmis. Ici encore, gravissons deux monticules rocheux, appuyés aux pentes des Balkans, et regardons sous quel aspect s’offrait et s’offre encore à nous la ville romaine. Une grande plaine, élevée en plateau, nettement délimitée, et protégée presque de tous côtés par des défenses naturelles : derrière, par les montagnes qui l’enferment dans leur ceinture, et rejoignent d'assez près le Danube, en for- mant un amphithéâtre, pour ne point laisser là de passage, si ce n'est par un vallon intérieur, à la voie militaire venant de Be- reum; à gauche et de front, par le fleuve qui tourne aux pieds de Troesmis, par des falaises de grès ou de sable, murs naturels à pic, où se dressaient les deux forteresses; enfin, par de dith- ciles marécages, toujours humides, même en été. À droite, cette plaine s'incline et s’abaisse du côté du village de Gretzi, et dans la direction de Matschin; là, sur cetle pente douce, descendait la voie romaine qui reliait Arrubio et Troesmis. En effet, au pied du coteau, en avant de Gretzi, nous avons retrouvé sur un petit cours d’eau les restes bien conservés d’un pont romain, où passait | évidemment la route, plus solides dans leur vétusté que les mi- | sérables poutrelles sur lesquelles on passe aujourd’hui. À quelque | distance de ce pont, est un autre point de repère, un petit tu- | mulus, éventré, comme presque toujours, par les gens du pays, grands chercheurs de trésors; et debout, à côté, deux grosses | pierres façonnées et que n’ont placées là ni la nature, ni le hasard; l’une a la forme d’une borne et doit avoir servi de limes, de finis; l’autre est placée vis-à-vis, mutilée, mais bien droite encore, avec des vestiges de moulure, et un large champ d'inscription. Mais l'inscription, s’il y en a eu une, a complétement disparu, et nous n'avons pu distinguer la trace même d'une seule lettre. Ca dû toutefois être là, selon toute vraisemblance, la limite qui | sépara la Scythie de la Mésie, limite en effet placée dans l'Iti- néraire d'Antonin entre Troesmis et Arrubio, c’est-à-dire entre Iglitza et Matschin; et la grosse pierre carrée, qui a résisté aux _ années, mais qui a perdu ses précieux caractères, a dû jadis porter — 184 — une inscription analogue sans doute à celle-ci, que j'ai copiée à 4 Bukarest, dans la cour du général Mavros ! : EX AVCTORI ATE IMP:CAŒSARIS DIVI TRAIANI PARH CI: FILIO : DIVINERVAE 5. NEPOTIS TRAIANIH DRIANI AVG-:P-P.PON CIFICI MAXIMO TRIB POTESTATIIS XX COS ANTIVS RVFINVS Il 10. TER MOESOS ET HRA CES FINES POSVIT Peut-être aussi n’avions-nous trouvé là qu'une antiqué borne milliaire; quoi qu'il en soit, nul vestige n'existe plus de cette voie romaine; nous avons soigneusement parcouru à pied tout le pla- teau, sans en rien retrouver; et, quoique guidés par une ligne de petits tumulus entre lesquels passa jadis la route, nous l'avons devinée plutôt que nous ne l'avons suivie, quand nous avons re- monté du pont romain dont je viens de parler aux forteresses de Troesmis. Sur tout ce parcours, le sol est couvert de nombreux fragments de poteries, de briques, de tuiles, de fer, de verro- teries. Le vent et la pluie ont raviné par endroits, en en altérant un peu la physionomie, le plateau autrefois uni; nous traversons une longue levée de terre,.qui s'étend des collines au fleuve, coupe le milieu de la plaine, et ferme du côté de Matschin les abords des deux forteresses. On nous avait annoncé là les restes d'un aqueduc; ce n’était vraisemblablement qu’une première ligne de défense, qu’un simple talus retranché en avant de la ville. Enfin, adossés au Danube, s’aperçoivent les deux camps fortifiés, les deux forteresses qui dominaient et défendaient Troesmis. Construites sur deux éminences, de forme et d'aspect réguliers, carrées äu premier coup d'œil, elles sont séparées l’une de l’autre par un petit ravin qui penche vers le fleuve, défendues. solidement sur leurs derrières par le Danube, de front et sur les ! La copie de cette inscription, empruntée par Orelli (n° 4984) au Bulletin Ferussac, était Inexacte; à la quatrième ligne, 11 y a bien FILIO, comme TIFICI MAXIMO à la septième. — 185 — flancs par des travaux stratégiques et des fortifications qui ont fait l'objet et l'intérêt de nos fouilles. S’attaquer à la ville même, et fouiller au hasard la plaine pour y retrouver un coin de Troesmis, quelques maisons, une rue peut-être, je ne dis pas un quartier, ce sont là de longues et coù- teuses curiosités, mal récompensées souvent, et qui toujours de- mandent plusieurs saisons, non pas quelques semaines. Tel n’était pas, d’ailleurs, l'objet de notre mission; nous avions à relever le plan d’une forteresse romaine; à étudier, dans une importante place de guerre, sans cesse menacée, plusieurs fois prise et re- prise, le système et l’art de défense du grand peuple savant entre tous à tous les travaux de la guerre; à restituer un de ces camps retranchés permanents, précieux débris de l'antiquité militaire, bien rares aujourd'hui, et presque tous disparus sous de grandes villes. C'étaient là surtout les recherches dont S. M. l'Empereur avait chargé M. Ambroise Baudry, mon collègue ; Votre excel- lence m'avait, à moi, confié le soin de recueillir les monuments épigraphiques que les fouilles pourraient mettre au jour. Troesmis offrait deux forteresses à nos investigations; nous ne pouvions malheureusement nous occuper de l’une et de l’autre; une étude minutieuse et complète valait mieux que deux ébauches, et nous avons dû choisir. — Nous n'arrivions pas les premiers, et même nous arrivions bien tard. Le temps qui ronge tout n'avait laissé là aucune trace visible de quelques-uns de ces beaux débris et de ces restes grandioses qui charment les veux, saisissent d'a- bord l'imagination, et ouvrent le cœur au travail. Pas une co- lonne et pas un piédestal, pas un fragment d’autel ou de basi- lique, pas même un mur ne sortait de terre : tout était englouti sous une couche épaisse de cendre et de poussière; nul vestige des points d'attache où venait aboutir la voie de Bereum et d’où partait la voie de Matschin. Les travaux, au premier coup d'œil, apparaissaient lents, ingrats, difficiles; et nous n'avions pas sur nos têtes, comme à Rome, à Nîmes, à Lambèse, l'ombre de ces grands monuments à demi détruits qui sont comme une espérance, comme une promesse même de succès. Encore, s’il n'y avait eu qu'à déterrer patiemment la forteresse enfouie, mais intacte, à déblayer un sol vierge; mais le temps n'avait pas été là notre seul ennemi; depuis combien d'années les habitants des villages voi- sins el les Turcs, ignorant le dommage qu'ils faisaient à la MISS, SCIENT. — IV. 13 ms HG science, et surtout insoucieux des dévastations qu'ils commettaient, venaient-ils prendre, dans un endroit où les matériaux abon- daient , taillés, façconnés, presque tout prêts pour le travail, les vieilles briques légionnaires , le moellon, les pierres même, qu'ils faisaient simplement rouler jusqu'aux bords du Danube! Cette œuvre de longue destruction s’accéléra dans les dernières années; un Français, colon de ces contrées, obtint du gouvernement turc l'exploitation de ces précieuses carrières, dont le produit trou- vait un facile et lucratif débit dans les pays d’alentour (la nou- velle église grecque de Braïla! sera bâtie avec des matériaux ro- mains de Troesmis). Ainsi, dans ces dévastations successives ont presque entièrement disparu le mur d'enceinte qui regardait le fleuve : à gauche, un long pan de murailles; à droite, moitié des remparts et des tours ; enfin, nombre de murs intérieurs et de petites. maisons renversées par une curiosité maladroite ou de puériles spéculations. Du moins est-ce là ce qui éveilla l'attention de M. Engelhardt, notre agent auprès de la Commission euro- péenne du Danube; comprenant en homme de goût toute lim- portance des fouilles qu'on pouvait faire à Troesmis, et ne vou- lant pas que la France, qu'il représentait, y fût devancée par personne, sûr aussi de l'intérêt que notre Académie et le monde savant accorderaient à ses recherches, il entreprit spontanément une campagne individuelle, où, à grands frais et non sans de grandes peines, il parvint à déblayer la façade en pierres de taille du bastion principal de la forteresse et à en arracher d’intéres- santes inscriptions qui avaient servi à la reconstruire. J'ai parlé de peines et de dépenses ; en effet, Monsieur le Mi- nistre, rien n'est facile et tout est cher dans un petit coin comme Iglitza, perdu au fond d’un golfe où ne passe guère personne, complétement isolé de la rive roumaine et des deux points vivants de Braïla et de Galatz. Pour donner à Votre Excellence la juste idée d’un éloignemènt qu'on ne peut soupçonner sur la carte, quand nous sommes partis de Galatz sur la canonnière à vapeur de la marine impériale la Meurtrière, nous avons mis cinq ! En regardant les trottoirs de Braïla, où nous espérions trouver une ou deux inscriptions disparues, nous y avons reconnu beaucoup de pierres de Troesmis; de même à Caracal, en Valachie, un grand nombre de maisons ne sont point dallées autrement qu'avec les larges briques romaines du village voisin de Rechka. de UE heures à remonter le bras du Danube qui passe devant Iglitza. C’est là pour nous, Monsieur le Ministre, une occasion de dire à Votre Excellence de quel secours nous a été la présence presque incessante de la Meurtrière auprès de nous; nous sommes heu- reux de pouvoir témoigner ici notre reconnaissance au comman- dant en chef de la station française du Danube, M. Cadiou, qui, dès le premier jour, s’est mis avec une parfaite obligeance à la disposition de la mission, et à M. Meurville, commandant de la Meurtrière, qui nous a sans cesse prêté le meilleur concours, ap- puyé de ses hommes et de toutes les ressources qu'on trouve à bord d’un bâtiment de l'État. Sans cela, tout d’abord, nous n’au- rions pu, au commencement du mois de juin, alors que les eaux sont hautes et inondent encore le pays, aborder même à l'endroit de nos travaux; la Meurtrière nous a transportés, nous et nos ba- gages, installés, sans cesse ensuite ravitaillés; c’est elle qui s’est chargée de notre correspondance. C'est sous ces bons auspices qu'a commencé notre campagne; nous nous sommes dès le pre- mier moment inquiétés des ouvriers; il en est venu d’abord tres- peu, cinq seulement pendant deux ou trois jours, puis huit, puis dix, puis davantage; évidemment dans ce pays du libre arbitre, où l’on abuse des petits et des faibles en les payant fort mal, souvent avec des promesses, parfois à coups de bâton, 1ls se mé- fient des nouveaux venus qu'ils croient ressembler aux autres. Mais lorsque les premiers eurent été largement et régulièrement payés, le bruit s’en répandit alentour; de plus, le pacha de Toultcha, sur linvitation de son collègue de la commission euro- péenne, M. Engelhardt, vint nous voir un jour à Troesmis; nous lui remimes pour le gouverneur général des provinces du Danube une lettre de recommandation, que nous tenions de l'ambassadeur ottoman à Paris; et sur-le-champ il donna l'ordre au mudir de Matschin de nous seconder autant qu'il lui serait possible, et de nous faciliter le recrutement des ouvriers. Nous eùmes ainsi sur le terrain jusqu’à soixante travailleurs; 1l nous vint des Tartares, des Turcs, des Moldaves, des Bulgares, des Russes, petite troupe bigarrée, d'humeur bonne et facile, mais souvent molle à l'ouvrage, mal outillée, inexpérimentée à de pa- reils travaux, gens surtout si bien habitués à vivre de peu et se trouvant s1 riches le samedi soir après la paye, qu'ils ne reve- naient pas de plusieurs jours. Nous n'avons pu les astreindre à G] (9 0 — 188 — une besogne à peu près régulière, qu'en retenant à chaque paye- ment la moitié de la solde environ, et en nous faisant ainsi des- potiquement et à la turque leurs débiteurs. Tout cela, et plus que tout le reste, la difficulté de se faire comprendre, et de bien expliquer leur besogne à des gens dont on ne sait point la langue, leur insonciance de ce qu'ils faisaient, leur unique préoccupa- tion de trouver de l'or et des monnaies qu'ils nous cachaïent, leur maladresse à casser les poteries rencontrées par la pioche, à dé- molir les parements de murs, qu’ils n'apprirent que peu à peu à respecter et à suivre comme des jalons sûrs; tout cela, dis-je, fut pendant longtemps, et presque toujours même, de véritables obstacles. Pourtant, grâce à l’active direction de mon collègue M. Baudry, qui s’attachait à sa besogne en véritable artiste, en connaisseur épris de l'antiquité, les fouilles avançaient vite encore, sans qu'aucun accident arrivat à personne : les murailles sortaient de terre , et dessinaient l'enceinte de la forteresse, le bastion prin- cipal était à découvert, le sol antique, après des fouilles pro- fondes, était retrouvé sur plusieurs points; les larges saïllies des tours se détachaient aux angles et sur les côtés, trois basiliques plus ou moins importantes réapparaissaient; dans l’intérieur de la forteresse , sillonné de longues tranchées, on retrouvait le dessin des petites habitations et les lignes de quelques rues; deux ou trois maisons, soigneusement explorées, nous rendaient de curieux débris de poteries, de petits vases et quelques anciens ustensiles. Encore quelques journées et les fouilles, menées à bonne fin, nous donnaient un travail complet, lorsqu'un incident que nous n’a- vions pu prévoir vint interrompre nos recherches. Je ne crois pas, Monsieur le Ministre, avoir besoin d'expliquer à Votre Excellence pourquoi je me suis aussi longuement étendu sur ces détails, presque purement narratifs; toute mission , en effet, se complique de difficultés matérielles, de préoccupations exté- rieures, de tout un côté de savoir-faire, de relations quasi-poli- iiques; J'ai pensé que l'apprentissage que nous avons fait, nos essais, nos tàtonnements, nos écoles de toute sorte, pourraient à l'avenir servir à d’autres d'enseignement, leur épargner des len- teurs, leur éviter des embarras. Je reprends donc ici le journal de notre séjour à Troesmis, renvoyant pour les renseignements spé- ciaux , pour les détails techniques, aux plans, aux dessins et aux restitutions, aux rapports enfin de M. Baudry. — 189 — J'avais dû me rendre à Bucharest pour préparer avec une commission bienveillante le plan de notre voyage d'exploration dans la petite Valachie. La Meurtrière, forcée par les basses eaux d'abandonner Iglitza, était retournée à son poste de Galatz, et ne nous protégeait plus de son pavilion très-respecté là-bas. Profitant de ce départ, le mudir de Matschin, accompagné de quelques cavas, se présenta sur le terrain des fouilles, apportant les com— pliments de ce même pacha de Toultcha qui nous était obli- geamment venu voir, mais en même temps, et cela verbalement, sans aucun ordre écrit, sans lettre polie préalable, l'invitation de suspendre tous travaux jusqu'à une réponse soi-disant attendue du gouverneur général. Baudry, fort de son droit, de l’impor- tance des recherches commencées, de son titre de Français et de la situation que lui faisait si honorable notre mission officielle ; fort aussi des recommandations données et de ce que nous avions fait à Paris de démarches polies et prévenantes auprès du gou- vernement ottoman, Baudry tint bon, demanda un ordre écrit, et n’abandonna pas les travaux. Mais les cavas s’en prirent aux ouvriers, et par des menaces de prison, par des rudoiements de toute sorte, firent si bien qu'après deux ou trois jours de résis- tance les plus fidèles de nos travailleurs n'étaient plus que cinq, que Baudry renvoya, craignant pour eux les représailles qui pourraient suivre notre départ. — Que faire à Iglitza, en atten- dant la solution de cette affaire? Même protestant immédiatement, notre plainte tout de suite écoutée, et réparation faite, il eût en- core fallu, pour reprendre les travaux, retrouver les ouvriers, fa- ciles à disperser, difficiles à réunir : c'était perdre beaucoup de temps, et nous avons dû partir. À peine arrivés à Galatz, nous avons déposé entre les mains du consul de France une plainte officielle; de son côté, M. Engelhardt, qui se croyait en quelque sorte comme personnellement blessé par le procédé du pacha, lui demandait par le télégraphe l'explication de son étrange conduite, et le pacha prétendait, dans une réponse sans netteté, que nous avions violé les lois de l'empire en emportant de Turquie des objets provenant de nos fouilles. Pouvions-nous croire, Monsieur le Ministre, que des Turcs se souciassent autant de quelques vases à demi brisés, de misérables fragments, d’un petit nombre de débris qui n'avaient d'autre valeur qu'une valeur purement scien- tifique et d'intérêt que pour nous? Ne devions-nous pas penser — 190 — que notre lettre de crédit nous garantissait des droits si modestes? Enfin, ne pouvait-on nous avertir que nous ne devions rien em- porter, sans nous Ôter la liberté de continuer nos travaux ? Il y a donc eu là, ce nous semble, un procédé brutal et arbitraire, sur- tout, si, comme il y a lieu de le croire, le pacha a prêté l'oreille à ce bruit ridicule, que nous avions trouvé de l'or. Aussi, atten- dons-nous de Constantinople une réparation légitime, mais plus encore une garantie certaine pour la sécurité de nos recherches à venir; 1l est indispensable, quand nous explorerons la rive turque du bas Danube, que la fantaisie d’un pacha ne puisse point gêner ni interrompre des travaux auxquels veut bien s'in- téresser Votre Excellence. Si malheureuse à tous égards, et si regrettable pour nous qu’ait été cette interruption, nous n’en pouvons pas moins présenter à Votre Excellence un plan, inachevé sans doute, mais qui, nous l'espérons, ne lui paraîtra pas sans nouveauté ni sans intérêt. Baudry se réserve l'honneur de vous envoyer lui-même, Monsieur le Ministre, le résultat de ses recherches: il vous dira avec'une précision technique, à laquelle je ne puis prétendre, le système d'architecture, l'agencement symétrique des remparts et des tours, et comme la structure même de la forteresse. Il donnera à Votre Excellence des détails curieux et nets : le nombre des mètres. cubes de terre qu'il nous a fallu enlever, l'étendue des tranchées que nous avons ouvertes, les cotes exactes, les mesures précises, la superficie du terrain. Tout cela montrera à Votre Excellence l'importance des travaux entrepris, et lui fera bien voir surtout ce qu'était, dans les derniers temps de l'empire, un établissement militaire permanent. — C'est une petite question, mais qui ne serait pas sans intérêt, de bien s'entendre sur le nom qu'il con- viendrait de donner à un établissement militaire comme celui de Troesmis. Je me suis servi jusqu'ici des noms de forteresse ou de camp retranché ; le second, je crois, serait plus juste que le pre- mier, sans l'être tout à fait encore. Ce mot de forteresse, nous ne le voyons plus aujourd’hui qu’à travers les idées et la couleur du moyen àge; et celui de camp retranché, mème en l’appelant per- manent, ne donne pas de la réalité une image suffisamment grande, ne rappelle pas à l'esprit ces solides constructions, ces fortifications puissantes qui ont résisté aux années. Nous avions un instant pensé à ce mot technique et pour nous bien précis de — 191 — | caserne, qui fournirait à peu près l’idée de l'organisation intérieure du camp de Troesmis, et, dans son acception toute moderne, ferait assez bien voir ce qu'était cette petite ville des soldats, à côté de la ville civile en quelque sorte, de la cité, du municipe romain. Nos casernes modernes renferment tout le monde des sol- dats, comme auraient dit les Latins, tout ce qui leur est néces- saire, ateliers, salles d'escrime, écoles, etc. La même chose exista sans doute à Troesmis : j'ai dit que nous y avions trouvé deux ou trois basiliques où devaient se réunir, ici les soldats peut-être, et là les officiers; à côté, c'était un stade où les Romains s’exerçaient comme nos soldats dans leurs préaux; ailleurs, de vrais corps de garde, où ils veillaient comme les nôtres. Mais encore ce mot de caserne est-il par quelques points insuffisant, et a-t-1l une allure un peu trop pacifique pour un établissement aussi armé en guerre, aussi battu en brèche que celui de Troesmis. Il semble que le mot de citadelle, dont la position escarpée de Troesmis ne contrarierait en rien le sens antique; citadelle, avec les idées que ce mot réveille chez les modernes, serait encore le meilleur, en admettant, bien entendu, les restrictions qu’il faut toujours faire dans la comparaison, dans l'assimilation délicate des choses an- tiques aux choses modernes. Maintenant, quelle époque assigner à l’origine de ce camp? « Il y a lieu de remarquer, dit M. Léon Renier, dans son premier rapport sur les inscriptions de Troesmis, que les nombreux em- branchements du Danube en face de Troesmis, présentaient de grandes facilités pour le passage du fleuve; que c’étaient pro- bablement ces facilités qui avaient été cause de la prise de cette place par les barbares, et que, par cette raison , les Romains, après l'avoir reprise, durent, pour empêcher que pareille chose n’ar- rivât à l'avenir, se hâter d'y établir à demeure un corps de troupes considérable. » Il ajoute, non sans une justesse ingénieuse, que ce camp pourrait bien avoir été établi par L. Pomponius Flaccus , lorsque, comme légat légionnaire, il eut repris Troesmis; peut-être même la légion cinquième Macédonique était-elle celle que commandait ce personnage ? « Le camp retranché qu'on y re- marque serait alors celui de cette légion, lequel aurait ensuite été occupé par les différentes légions qui la remplacèrent succes- sivement dans l’armée de Mésie, jusqu'a la première Jovia, que l'Itinéraire d’Antonin y place à une époque postérieure aux pre- — 192 — mières années du règne de Dioclétien et de Maximien. » Pour nous, nous n'avons trouvé dans nos fouilles nulle trace de la pre- mière légion Jovia, non plus que de la deuxième légion Italique. Un seul fragment de brique nous a donné le nom de la première ltalique, tandis qu’un très-grand nombre portait la mention de la légion cinquième Macédonique, dont Troesmis nous semble avoir été à plusieurs reprises le quartier général. Quoi qu'il en soit de l’origine de ce camp, il est certain que par la suite il a été plusieurs fois détruit et reconstruit, et que le style de la recons- truction dernière ne le fait pas remonter, dans cette extrême transformation du moins, aux beaux temps de l'architecture ro- maine. L'histoire rapporte que Justinien fit rebâtir Troesmis: outre ce témoignage historique, les monnaies que nous avons trouvées, rares d’ailleurs, mais presque toutes byzantines et de basse époque, l’état des constructions, belles encore sur quelques points, mais où l’on sent le plus souvent de bonnes mais loin- taines traditions, plutôt qu'un véritable art bien vivant; le carac- tère inculte et barbare de plusieurs inscriptions; surtout ce fait manifeste qu'on ne les a pas même conservées comme des monu- ments, mais employées comme des matériaux! ; tout cela accuse nettement la date très-basse de la reconstruction de Troesmus. Quant à la fin de la ville romaine, et à la catastrophe dernière où elle a péri, l’histoire en est écrite partout dans ses ruines; chaque coup de pioche faisait voler un nuage de cendre; presque partout nous retrouvions de véritables couches de braise; dans toutes les tranchées, la ligne du feu, les ravages d’un terrible incendie étaient visibles. Nous aurions été bien heureux que des découvertes artistiques intéressantes vinssent ajouter quelque agrément aux résultats un peu ingrats, el tout au moins secs et austères de nos recherches, nous aurions bien souhaité pouvoir rapporter à Votre Excellence un de ces beaux et antiques souve- nirs du grand art et du puissant génie des Romains; mais-nous n'avons rien trouvé qui méritat le nom de beau; nous avons pieu- sement ramassé quelques poteries qui n’ont d'autre valeur que leur antiquité, quelques petites lampes par exemple, et cela bien ! Dans l'intérieur du bastion principal, qui compie jusqu'à six assises de pierre de taille, nous avons retrouvé lrois inscriptions; l'une, plaquée en travers et la face en dehors, date de Marc-Aurèle; une autre, d'époque évidemment très- basse, encastrée dans la seconde assise au-dessus du sol. — 195 — orossières, qui auront éclairé sans doute les corps de garde et les humbles demeures. Ce que nous trouvions fréquemment, et dans les maisons intérieures, et surtout, de proche en proche, dans les tranchées ouvertes à côté des remparts, ç'a été ces immenses jarres en terre cuite, où les anciens déposaient leurs provisions de toutes sortes. Dans quelques-unes, il y avait encore du blé brülé par l'incendie; la plupart étaient vides et avaient contenu sans doute la provision d'eau des soldats; auprès de chacune, en effet, se trouvaient presque toujours de petits pots à anses, qui devaient servir à puiser. Le plus souvent, ces jarres étaient bri- sées; une d'elles pourtant a pu être retirée des fouilles dans un parfait état de conservation ; elle est aujourd’hui déposée en sûreté chez M. Engelhardt, à Galatz. J'aurais bien voulu personnellement, Monsieur le Ministre, que l’'épigraphie nous dédommageät par d’intéressantes richesses de l’aridité des résultats qu'avait obtenus l'architecture; malheureu- sement toutes nos fouilles, nos patients efforts et des travaux ac- tivement poussés pendant près de deux mois, n'ont pu ajouter que quelques découvertes à ce qu'avait trouvé M. Engelhardt. Du moins, ces inscriptions confirment-elles le vrai nom de la ville romaine, qui est Troesmis, et son titre de municipe. Sur- tout elles affirment définitivement une position géographique, fort importante par elle-même pour l’histoire de ces contrées, importante surtout à ce point de vue que ia géographie comparée de ces pays était mal sûre et mal connue. Troesmis elle-même, par exemple, était le sujet d’une erreur manifeste et d’une erreur assez grave. Jusqu'aux fouilles qu’on y a entreprises, et aux ins- criptions découvertes, on la confondait avec la moderne Mat- schin, qui en est éloignée de trois lieues; or trois lieues font envi- ron les neuf milles romains marqués sur Itinéraire d'Antonin et la Table de Peutinger entre Arrubio et Troesmis; il y a donc là non-seulement deux positions bien distinctes; mais encore Mat- schin devient certainement l'antique Arrubio : voilà donc, du pre mier coup, deux établissements militaires, jusqu'ici incertains, rétablis scientifiquement par des inscriptions authentiques; et l'on peut dorénavant rattacher en toute sécurité, à ce point solide et sûr de Troesmis , toute la chaine, tout le cordon des places fortes romaines qui couraient de façon continue sur la rive droite du Danube. — 194 — Telle est, Monsieur le Ministre, l'histoire des fouilles entre- prises à Troesmis; mais nous n'avons fait là que la première partie de notre tâche. Jai eu déjà l'honneur de dire à Votre Excel- lence combien la vue des lieux, les renseignements sürs, des lectures nouvelles, l'examen de nouvelles cartes, en un mot l’ex- périence locale, avaient donné de netteté à nos projets et de pré- cision à notre programme de travail. Voici quelle en est la triple division, quelles sont les trois étapes, en quelque sorte, de notre voyage scientifique; voici quel en sera, nous l’espérons, le triple intérêt : 1° Exploration des ruines du camp retranché de Troesmis. 2° Excursions en Petite Valachie : étude des voies romaines et relevé des points antiques, Caracal, Turn-Severin, etc. Courses dans le Banat et la Transylvanie sur les traces de l’armée de Trajan : Sarmisægethusa. Exploration de la vallée de lOlto. 3° Étude topographique et géographique sur les établissements romains du bas Danube, en partant d’un point sûr, Troesmis. Nous espérons, Monsieur le Ministre, que Votre Excellence agréera ce plan de travail, et aussi que ces explorations nouvelles ne resteront pas infructueuses pour la science. J'ai l'honneur, Monsieur le Ministre, d'être de Votre Excel- lence, le respectueux et dévoué serviteur, G. BoIssière. ù MONUMENTS ÉPIGRAPHIQUES RECUEILLIS À TROESMIS, DANS LA MOESIE INFERIEURE, ù PAR M. G BOISSIÈRE. La plupart des inscriptions qui suivent ont été reproduites et com- mentées dans deux remarquables rapports faits par M. Léon Renier à l'Académie des inscriptions et belles-lettres, dans les séances du 19 août 1864 et des 4 et 18 août 1869. Je renvoie le lecteur dès maintenant et une fois pour toutes à ces pages excellentes, à cette science si profonde, si sûre et si nette. NESME". TIB S*VET VRIO TIB S FILSAEMIL1A MAVRETANOFN DISPRAEFECTO 5: CASTRORVM LEGSVŒMAC ORDGQ TROESMENSIVM * Cette inscription doit se lire ainsi : Tiberio Veturio, Tiberu fiio, Ænila (tribu), Mauretano, Fundis, præ- fecto castrorum legionis quintæ Macedonice, ordo Troesmensium. Elle présente tous les caractères d’une assez haute antiquité et semble chronologiquement devoir ètre classée la première. M. Engelhardt, qui l'a découverte , en a pris et envoyé une excellente photographie. * La dernière lettre de la troisième ligne forme un monogramme : fun. 2 Les deux dernières lettres de ce mot forment un monogramme. Hauteur de la pierre, 1,41 ; largeur, 0,58; hauteur moyenne des lettres, 0",07. . — 196 — N° 2. MPONTIO l'AELIT ANO c\'/PATRIPON LAELIANI . (EGAVGPR :Pà o |? DOTROESM Cette inscription, incomplèle du côté gauche, mais où manquent seu- lement quelques lettres, faciles à restituer, doit se lire ainsi : Marco Pontio Læliano, clarissimo viro, patri Pontu Læliani, leqati Au- gusli pro prælore, ordo Troesmensium. Le légat impérial mentionné dans cette inscription est connu dans l'histoire ; 1l fut le chef d'état-major de Lucius Verus dans la guerre contre les Parthes ‘, et consul sujfectus avec Q. Mustius Priscus, quel- ques années après 143 *. Egalement découverte par M. Engelhardt. Hauteur de la pierre, 1°, 45; largeur, 0",60; hauteur moyenne dés lettres (07, 07. à NAS: P : VIGELLIORA IOPLARIOSSA TVRNINOA'TLIO BRADVANOCN CIDIOTERTVL 5. . LO:LEGAAVC: = ORDOTROESMEN EX DECRETO15"MO Cette inscriplion , trouvée par M. Engelhardt comme les deux qui pré- cèdent et la plupart de celles qui suivent, doit se lire ainsi : Publio Vigello Raio Plario Suturnino Atlio Braduano Gao Ancidio Tertullo legato Augusti, ordo Troesmensium ex decreto suo. Le nom de Vigellius est fort rare ; le légat impérial qui le porte dans notre inscription est le premier proconsul d'Afrique qui persécuta les chrétiens. PEL T On s'accorde à placer son proconsulat en 200 de notre ère. Il devait donc avoir été consul suffectus vers l'an 190, et légat de la Mésie infé- rieure un àn ou deux après cette dernière date. Hauteur de la pierre, 1," 62 ; largeur 0",57 ; hauteur, des lettres, 0",08. l_ Comes divi Veri; Smetius, fol. 67, n° 3. ? Orelli, n° 4710. — 197 — NeT4 IMP : CAESARI'M AVRELIO : ANTONI NOPIO:FEL: AVG: ‘ DIVI SEVERI NEPCOTi DIVINONINIFILDDI CAE: 1 FL'NOVIO' KRVFO LEG* AVG:PRPRMVP4WTIPÆR SACÆRDPROVINETBISDV VMVIRA:OB:HONPONF Cette inscription doit se lire ainsi : Imperatori Cæsari Marco Aurelio Anionino Pio Felici Augusto, divi Se- vert Nepoti, divi Antonin fulio, dedicante Tito Flavio Novio Rufo, leqalo Augusti pro prætore, Marcus Ulpius Antipater, sacerdos provinciæ et bis duumviralis, ob honorem pontificatus. Cette inscription a donné lieu, entre M. Léon Renier et M. Mom- msen, à un débat scientifique des plus intéressants. J'en voudrais dire quelques mots clairs et rapides. Le monument sur lequel est gravée l'inscription (c’est un piédestal en marbre, orné de moulures élégantes) est fendu en plusieurs endroits; mais ces brisures, œuvres du temps et du hasard, n'ont absolument QT rien de commun avec la triple lacune qu'offre l'inscription aux lignes 2, 3, et 5, et qui est, dans la copie donnée ci-dessus, remplie en lettres pointillées. M. Engelhardt affirmait le fait, en envoyant copie de l'inscription quil avait découverte ; d’ailleurs M. Léon Renier l'éta- blissait scientifiquement : «Ces lacunes, disait-il, ne sont pas dues au hasard, car elles portent sur le nom de l’empereur et sur les qualifica- tions qui devaient le faire reconnaitre parmi les princes qui avaient porté le mème nom.» Premier point incontestable : mais quel était cet empereur ? Quel nom avait disparu sous le martelage ? M. Engelhardt essaya d'abord de remplir la triple lacune « en y insé- rant les qualifications qui se rapportaient à Caracalla, » et c'est avec cet essai de restitution que la copie en parvint à M. Léon Renier. M. Renier ne l'admit pas, jugea la copie fautive, et partant de ce fait établi, qu'il s'agissait dans l'inscription d'un empereur dont le nom a été effacé en vertu d'un décret du sénat, remplaça par conjecture , mais conjecture vraiment scientifique et certaine, le nom de Caracalla par le nom et les qualifications d’Elagabale, le seul des Antonins qui ait élé l'objet d'une semblable condamnation. Il lut donc les mots martelés des deuxième, qua- trième et cinquième lignes, précisément tels qu'ils sont reproduits en lettres pointillées dans la copie donnée ci-dessus, 1 Lettres liées : CANTE. — 198 — Cependant, M. Mommsen recevait de cette inscription une copie presque identiquement semblable à celle de M. Engelhardt, et adoptait, mais à contre-cœur, les restitutions de M. Renier. En réalité, il le di- sait lui-même, pour des raisons trop longues à reproduire ici, et quoi- que le martelage du nom de Caracalla füt sans doute une chose nouvelle, il était presque persuadé qu'il s'agissait dans l'inscription non pas d'Ela- gabale et de son légat C. Novius Rufus, mais d'un autre légat T. F1. No- vius Rufus et de Caracalla, à qui convenaient en effet les qualifications de fils de Sevère et de petit-fils de Marc-Aurèle. Espérons, ajoutait M. Mommsen, qu'un bon estampage viendra faire cesser ces incer- titudes. Cet estampage, je ne pus le prendre lorsque ma mission m'amena à Braïla ; le monument y était déposé sur le quai, attendant le bateau qui l'emporterait en France , mais entouré de cercles de fer, serrés par des boulons. Tout cela du moins ne m'a gêné absolument en rien dans la lecture et l'examen que j'en ai faits : je puis donc garantir l'exactitude de ma copie, comme j'en garantis l'impartialité. Je n'ai point eu la d’ail- leurs grand mérite : à part quelques obscurités, et quelques sigles com- pliqués, la lecture était facile; les mots martelés eux-mêmes n avaient pas été si bien effacés par le ciseau qu'on ne püt les déchiffrer encore en parfaite sécurité. Je n'ai à leur, sujet aucun doute. Seulement j'ai eu plaisir, je l'avoue, que mon humble contrôle et ma plus que modeste autorité donnassent gain de cause à la science si clairvoyante de notre savant français. Je dois ajouter toutefois, comme l’a fait M. Engelhardt, qu'en ce qui touche la sixième ligne, et la restitution que propose M. Renier de de- dicante L. Novio, ma copie me semble tout à fait exacte, pour mieux dire je garantis mon exactitude, lorsque j'ai fait, comme M. Engelhardt, précéder les noms Novo Rufo des trois lettres T. FI. Hauteur de la pierre, 1,33; largeur, 0", 72; hauteur moyenne des lettres, 0", 07. 1 N°25 JIB:CL"-POM PETANOCV BISCONSVL C:VAL:FIRMYS 5. )LEGIITAL Hauteur de ia pierre, 1,50; largeur 0",70; hauteur des lettres, 6",10. Cette inscription doit se lire ainsi : Tiberio Claudio Pompeiano, clarissimo viro, bis consuli, Gatus Valerius Firmus, centurio legionis primæ Italicæ. Tib. Claudius Pompeianus est un des gendres de Marc-Aurèle. On — 199 — ne lui donne pas dans notre inscription le titre de légat impérial; «aussi ne doit-on pas le compter parmi les gouverneurs de la Mésie inférieure, et ne faut-il voir dans ce monument qu'un hommage rendu au gendre de l’empereur, peut-être à l'occasion d’un second consulat, par un de ses anciens soldats ‘.» Pompeianus fut consul pour la deuxième fois en 173 : «cest là, sans doute la date du monument qui nous occupe; date qui nous peut servir en même temps à démontrer que si, à cette époque, la légion V° Macédonique n'avait pas encore été dans la Dacie, elle avait du moins quitté ses anciens cantonnements de Troesmis, et y avait été remplacé par la [° Italique. C'est là, ce me semble, dit M. Renier, la manière la plus vraisemblable d'expliquer la dédicace de ce monument par un centurion de cette dernière légion. » Cette inscription si simple est en beaux caractères et fort bien con- servée. Nous allions la faire scier, et nous voulions l'envoyer en France, quand nous est arrivé l’ordre de suspendre les travaux, et la défense, au nom du gonvernement turc, de rien transporter hors des fouilles. N° 6. L-IVLIO FAV:s TINIANOLEÿ AVGÉEHEPR ORDO Mu 5. NICIPI TR o GESMS Hauteur 1”, 70; largeur 0", 63 ; hauteur des lettres 0”, o8. Le monument est brisé du côté droit, et la plupart des lignes ont de ce côté perdu une ou deux lettres; mais ces letires se restituent très- facilement et l'inscription doit selire ainsi : Lucio Julio Faustiniano, legato Augusti pro prætore, ordo municipu Troesmensium. Troisième ligne : Restituer deux lettres disparues : PR. Une copie en- voyée à M. Mommsen présente, comme la copie ci-dessus, une lacune après le mot AVG. M. Mommsen la remplit par trois lettres au lieu de deux, et fait précéder les deux lettres Pr, qu'il faut en effet de toute nécessité restituer, d’un deuxième G, terminant le mot AVG, et indi- quant un second empereur régnant simultanément avec le premier, et dont le nom aurait été martelé. Aussi bien, la conclusion que tire de là M. Mommsen est pour lui fort séduisante : en effet, si, comme cela est fort vraisemblable , le personnage mentionné dans notre inscription est le même que le légat impérial des médailles de Marcianopolis, à sa- voir le Faustinianus qui fut légat impérial de la Mésie inférieure sous 1 L,. Renier. — 200 =— Septime-Sévère et Garacalla , nous avons par cela même la date approxi- mative du monument qui nous occupe. Si donc, à la troisième ligne, il n'est question que d'un seul empereur, LEG. AVG. comme je crois pouvoir l'aflirmer, notre inscription aurait été gravée au commence- ment du règne de Septime-Sévère, avant que Caracalla eût été associé à l'empire. Mais si, selon la conjecture de M. Mommsen, il y a là un deuxième G, et un deuxième G martelé, comme il ne peut-être ici question que de Septime-Sévère et de Caracalla, M. Mommsen voit dans ce fait une nouvelle preuve à l'appui de l'opinion qu'il a émise à propos de l'inscription n° 4 *, à savoir que le nom de Caracalla avait été martelé sur les monuments de la Mésie inférieure. : N° cs LHANTONIO LÉFILHARNENSI FELICISKARHA GINES)SLEGYIIIS AVG )SLEGYXSGEM : } LEG-ITALSVIXITS ANNIS:L:VIIT- DIDIA MARCELLINA CON IVNX -CVM:ANTONIS 10. MARCELLINA:ET -DI DIANO:FILIS-ETS HER :B:M:FACERE CVRAVERVNT (Sp Hauteur des lettres, 0",09; hauteur dela pierre 1°,60; largeur 1”,01. Cette inscription doit se lire ainsi : _ Lucio Antonio, Lucu filio, Arnensi, F elici , Karthagine, centurioni le- gionis terhæ Auquslæ, centurioni legionis decimæ Geminæ, centuriont le- gioms primæ Îtalicæ. Vixit annis quinquaginta novem. Didia Marcellina conjunxæ, cum Antoniis Marcellina et Didiano filus et heredibus, bene me- rent facere curaverunt. Ainsi nous avons là le cursus honorum complet du centurion L. An- tonius Felix. Né à Carthage, cet officier commence sa carrière militaire dans la province où il est né, et dans la légion ITT° Augusta; il y parvint au grade de centurion *. Il passe ensuite dans la Pannonie Supérieure à la légion X° Gemina, et meurt centurion de la EF" Italique, à Troesmis, en Mésie inférieure. Voir plus haut, pages RON el 198. ? Voir à son sujet le n° 898 des Inscriptions romaines de l'Alyérie, de M. L. Renier. — 201 — N° 8,9et 10. Empreintes de briques légionnaires. 1° Nom de la légion V° Macédonique, les lettres MA formant un monogramme. 2° Fragments nombreux ou ces deux lettres sont séparées : LEG V MAC: 3° Fragment unique : GIIT ALI N° F1. IMPHCAE TRASHADR®S AVGYCHEVALHS PVDYSVETSLE : V MAC-ETSMVLPOLE ON -MAGYCNNABEYTE TVC-AEL-AED:D:D VET Es CHRSCONSSAD WCANAB:LEG:V:-M Hauteur de lapierre, 0",50; largeur,0”,50 ; hauteur des lettres, 0,06. Cette inscription doit se lire ainsi : Pro Salute Imperaloris Cæsaris Trajani Hadriani Augusti, Gaio Valerio Pudente veterano legionis quintæ Macedonicæ , et Marco Ulpio Leontio, ma- gistris Canabensium, et Tuccio Æliano ædile, dono dederunt veterani et ” cives romant consistentes ad Canabas legionis quintæ Macedonice. Le monument est brisé à sa partie supérieure ; mais la première ligne seule a été emportée : elle se composait des deux mots PRO SAL, dont la restitution est d'autant plus facile qu'on aperçoit encore nette- ment le pied des quatre dernières lettres. M. Renier fait remarquer l'irrégularité des nombreuses abréviations qu'on trouve dans cette inscription : CAË, pour CAES; LE pour LEG; CANABE pour CANABENS , et cela sur un monument élevé par une autorité publique et sous le règne d'Hadrien ! Il sera bon de s’en souvenir pour expliquer des inscriptions semblables dont la lecture serait moins certaine, On ne connaît que cinq inscriptions où soient mentionnées des Ca- nabæ de légions. La plus intéressante des cinq est celle de Troesmis, celle qu'a trouvée M. Engelhardt, la seule en effet qui mentionne à la fois des magistri et un édile. Qu'était-ce donc que ces Carabæ? A T'ori- gine , et au sens propre du mot, de simples baraques, construites, dans M198. SCIENT. — IV. 14 TT le voisinage des castra stativa des legions, par des vivandiers, des mar- chands qu'attirait là l'espoir d'un commerce avantageux. Bientôt toutes ces baraques formaient un vrai village. Combien de fois avons-nous vu le même fait se reproduire en Algérie, autour de nos postes militaires! Quand donc ces Canabæ, ce petit village avait pris une assez grande im- portance pour avoir une administration particulière, une res publica, on lui donnait, avec le titre de vicus, une administration analogue à celle des vici, c'est-à-dire composée de deux magistri, d'un édile et d’un con- seil de vicani ou de décurions. Voir une inscription découverte près de Strasbourg en 1851; elle a été reproduite plus exactement et inter- prétée dans le rapport de M. L. Renier sur les dernières inscriptions envoyées de Troesmis. Voir encore dans Ackner et Müller, Die Rôm. Inschriften in Dacien , les n°’ 433, 358 et 387. N°, 42? Le monument dont je vais parler est un grand piédestal couvert d'ins- ur! a du LE FLO HANoÉ LEG A A] TT m VE Flu AGE de F U it ce mu crane VE , \R-YRYG NT AUS E CV. urnes MPESCENNIVS À: pt ARE CAN D Fons À. ATISÈ NTVA LE my. nu FLANTO N'INhir CASSIVS GA GN\ “h Con HT lALE ail LS NU 0 VALE W}} [ VALERIVSVALENS CL MA XIM mr LVCR? Vill0}) APIRI | © L sv Ti . A Le a ( IVLPR-CYLVSEXJMM Fi Mi VA LES Ve ea IALERI ee is 1vui A: 1j] al IVIBIVSFRISCVS VALIANVARIS VAL VALE | à\ M IVLI! LÉ v EN (il LE vu LE ë Ha Ua a TISTINS VETVS CSS VALES HELV CAN}, UV LI VS jA LÉ N IVLI\ de 1 ml Me Z VLMAXIMVS Dom Fr. a te V JS CoH AILT À fe tHILIPPVS JVL : Etc b {Es LVL RE 1. pe ES ENT y, a pub "10 Re pr HU il il linge EN 5} il {fCHo 1 al VAL RYFVS EX Eg 3 AR ñ ins Il MEVr v jai LaNGINYS VAL VALENS X ï f NUS AB NV s'1 MEUNVS 4 VAL MAXI I] : ar ren Fi AA en PEN En À là nn IVL LONGINV 5 QYAU ven |} S'ifé QUE RE PHit m He HN & Nr [VAL oNGIN" lt VALEN ; VALI||SEVER vi (È nr à ei IIVL MACRI { Co me ve USA 8 eat LL DrsA FATAL MA MACRI| | pe pure Qt que lens) Lu) Re ue arr Ier AA il 4 AV LAN el MErrivs MIGËIVL cos 2 LEE H GERM EX | MTENS Lu NL. VALENIS)NAL MA Ms vs CRISPV D 0, PA on dm SEPT (al ex | lu RE 4 Î > Pire 3 car in om "_SILVAN EXCORN © will LA | tuiun PR T1 ((l ARIVAL FRONT] nn Fi LE FOIS €À Pro sh VAL NETE QE Ér CAPIT NÉGUIEL VALEN SI 4 M x 1 mVIit sl lEcrr, QALE Ex; LES VALEN (ERVÎMESS, VALEN SE | UE ares TT anus. Va dir frERT ML Elu = = A — == Sen .. TT lg IL 2 criptions sur trois de ses faces. Il est brisé en plusieurs morceaux. Henzen, 6803. — 2035 — M. Engelhardt en a découvert d'abord la partie supérieure ; il en a de- puis retrouvé la base, qui faisait un fragment plus considérable encore ; si bien que le monument, sauf une assez courte lacune intermédiaire, est aujourd'hui presque complet, et qu'on peut en toute certitude en apprécier l'importance et en connaitre la destination. Les quatre premières lignes de la face principale, qui se lisent presque complètes au-dessus de la corniche, et gravées en plus grands caractères que le reste de l'inscription, doivent être interprétées ainsi : Bonis bene. Julio Majore leqato Auqusti pro prætore, et Plotio Juliano legato Augusti. Vient ensuite la première ligne de l'inscription proprement dite, en assez grands caractères; elle doit se lire ainsi : Cohors prima. Sempronius Valens, ex architecto. Au-dessous se lit, sur trois colonnes, une longue liste de noms qui se continue également sur la face droite et sur la face gauche du monu- ment. Malheureusement, certaines parties de la pierre sont dans un tel état de mutilation qu'un assez grand nombre de noms sont difhciles , souvent même impossibles à déchiffrer ; j'ai fait de mon mieux pour ètre exact, et copier sans inventer. Ce qui se voit du moins très-nette- ment, cest, sur la face principale, la division en trois colonnes, ainsi que la disposition symétrique des S finales des noms inscrits, sur une même ligne verticale. Lorsqu'un nom est plus court que les autres, s’il se termine par un S, le lapicide laisse entre l’avant-dernière lettre du nom et 15 finale assez d'intervalle, pour que l'S se trouve symétrique- ment au-dessous des finales des lignes supérieures; par exemple : IVELONGINVS IVLVALEN S Cette disposition nest point nouvelle au reste‘; il faut croire que les anciens voyaient quelque agrément à tirer ainsi l'œil par ces lignes nettes et franches. Ce qui se distingue encore assez clairement, au milieu du pêle-mêle un peu confus de tous ces noms entassés, de ces caractères négligés et souvent rongés par le temps, ce sont d'abord, de distance en distance, les différentes abréviations du mot Cohors et les chiffres qui l'accompa- gnent. Ainsi, à la première ligne, sur la face principale : CoH* I — sur la même face, dans la troisième colonne, et à la troisième ligne, le mot CoHors très-net, suivi, je crois, de trois jambages, indiquant la troisième cohorte. Sur la face principale encore, dans le fragment inférieur, aux seconde 1 Voir à ce sujet le n° 135 des Inscriptions romaines de l'Algérie. — 204 — et troisième colonnes, double mention de la seconde et de la quatrième cohorte. CHo II , CoH III: — Enfin, sur les deux courts fragments de la face gauche : CoH VIIIT et CoH X. Plusieurs des noms inscrits sont suivis de mentions comme celles-ci : EX IMM, EX MAG, ou bien encore EX CORN, EX EQ. «De ces diversesparticularités on peut conclure que ce monument avait été élevé par des sous-officiers et des soldats qui y sont mentionnés sui- vant ordre des cohortes auxquelles ils avaient appartenu, en reconnais- sance de l'honesta missio qui venait de leur être accordée.» M. Léon Renier, dont je viens de citer là les conclusions, a, en effet, trouvé à Lambèse plusieurs monuments semblables , élevés pour le même motif par des sous-officiers et des soldats de la légion III Augusta. Voir, par exemple, les n° 100 et 102 des inscriptions de l'Algérie. Le légat impérial propréteur mentionné sur l'architrave, Sextus Ju- lius Major, est connu : il avait été légat impérial de l'armée d'Afrique sous le règne d'Hadrien; il quitta, comme cela se faisait ordinairement, ces fonctions prétoriennes pour être élevé au consulat, et fut ensuite nommé au gouvernement de la Mésie inférieure. Un diplôme militaire, publié par M. Henzen*?, et daté de l’année 134 de notre ère, Sextus Ju- lius Major étant légat impérial de Mésie, nous donne par conséquent la date certaine de son gouvernement dans cette province, et, par suite, les dates approximatives de son consulat et de son commandement en Afrique. N° 15 Fragments d'un monument analogue au précédent. J'ai cru, au pre- mier abord, qu'ils appartenaient au piédestal dont je viens de parler: les mesures exactement prises ne permettent pas cette supposition; je ne crois pas avoir à revenir ici sur ce que jai dit, d'après M. Re- nier, touchant l'inscription qui précède. Le monument dont je vais transcrire la copie semble avoir eu la même destination; mais il est ex- trêèmement mutilé : la forme en est méconnaissable , et la reconstruction impossible. Rien ne reste de la face principale. ! Inscr. de l'Algérie, w° 2296. ? Ann. de l'Inst. de corresp. arch. 1857, p. 6. = 305 | GZALIS OPTREEAD SE“; PLEX AOZCASSIVS Vi NE EXZMAG TEREN IBZ# HQNIL EXZBV#M%PONT VS: ONG] EMA 114450 ANA NIVS V PLAYA WE, IZ2AN T2 ALEXANDER RIVS PYZZ"% VS VAL EX TIROC IVL GEME VSFVS EX BLEC:LICINIVS FELIX .CA PPVS VAL MA%Z VS PVDENS CA‘iSV TVRNN EX FO II CAEI O CATVS INANVS IYLNIOZ22%2204/ RVFVS IVL SAP | | VS VALENS AMINIVS CRISPVS 2 RONO ANTONI PROG LRGEUAN L3487 GETA IVL GERMANVS IBZ4ZIPON VOVITA SACER POLLIO BAUIMISMÉRE TEE EX IMM CLODIVS SECVND EX AC __…. VS VIBIAKZA GENVS MR SILVANVS IVLO PACONE ELNE M VALENS EX BLEG VS ANONIVS VS PROCV VALER CLEMENS LENS STATOR N- UNS MVNITORIVS SEVERVS ERENTIA IN AEMILIVS UNS VALER AFERNVS FAVSTVS EX BR EX AC STRVILI YGEME NONIVS SATI NVS/AN ECE # S VALER MAXI LOTIR TIREMR 8 : Eh ONO ETRON YSE MEM PR MIEVAEES, EX CELL JAANV S£V AL£!# 1 SXÉRESI CAE N° 14. WRO SALIMPANTY%ZEa ETVERING:LEG:VMC-: : ALLI BASSI LEG:NG-: PRPRMARTIVERILEG 5. AVG-:I\EILC INTIANS Largeur de la pierre , 0”,76 ; hauteur des lettres, 0°,06. Cette inscription, dont les trois dernières lignes sont presque entiè- rement effacées, au point d'en rendre la restitution impossible, doit se lire ainsi, et cela, pour les cinq premières lignes, d’une façon tout à fait certaine : | Pro salute imperatorum Antonini et Vert Auqgustorum, legionis quintæ — 206 — Macedonicæ, Lallit Bussi legati Augustorum pro prætore, Martu Veri le- gali Augustorum, Publius Ælius Quintianus...... miles legionis quintæ Macedonicæ, centuria Ælu Q..... posuil. Remarquons dans cette inscription, comme dans la douzième, la double mention du légat impérial propréteur, gouverneur de la pro- vince legati Auguslorum pro prælore, et du légat impérial commandant la légion, leqati Augustorum. Il y faut remarquer aussi la singulière abré- viation du nom des deux empereurs , Marc-Aurèle et Lucius Verus*. M. L. Renier, dans son rapport, a consacré à cette inscription un long et bien intéressant commentaire. Ses réflexions portent d'abord sur le légat légionnaire, Martius Verus, un des personnages les plus céle- bres du règne de Marc-Aurèle : notre inscription nous le montre légat légionnaire; il est ensuite consul en l’année 162*°, et exerce jusqu'en 165 un commandement consulaire dans la guerre contre les Parthes. P. Martius Verus est alors nommé légat de Cappadoce, et conserve le commandement de cette province jusqu'en 175, où il passe au gouver- nement de Syrie, après avoir comprimé la révolte d'Avidius Cassius. Il est élevé, en 179, à un second consulat et meurt en 190. «Le légat gouverneur de la province, Tallius Bassus, est, au con- traire, peu connu. On peut même dire qu'il ne l'est pas du tout; car, quoiqu on possède deux autres autres inscriptions qui le rappellent, son gentihicium est tellement inusité, qu'aucun des savants qui ont publié ces documents n'a cru pouvoir l'accepter tel qu'il s’y lit. » Moi-même, à Troesmis, en copiant l'inscription dont je m'occupe, surpris de la nouveauté de ce gentilicium et ne connaissant pas les deux autres monuments qui concernent notre personnage, j'avais lu Lallius et non lallius. Je vois, dans le rapport de M. Renier, qu'à propos de la première de ces deux inscriptions, découverte en 1774 près de l'arc de Septime-Sévère, et publiée la même année par Amaduzi, celui-ci, au lieu de lallio, a lu Tallio, c'est-à-dire Tito Allio : et telle est également la lecon adoptée par Borghesi dans le manuscrit de ses Fastes consu- laires. D'autre part, Fea et M. Henzen ont cru lire, comme moi, Lallio. La seconde de ces inscriptions est tirée de la Rome souterraine , de M. de Rossi: elle commence ainsi : IALLIAETALLIBASS Induit en erreur, lui aussi, par l'extrème rareté du gentilicium Iallius, M. de Rossi a supposé une négligence du lapicide dans la gravure des P. 202 et sq. ? Voir les tuiles datées de l’anñée de leur avénement : 161. % Inscr. de Pérouse, p. 384. Vermiglioli. — 207 — deux premiers mots, el a pris pour une L la première lettre de ces deux mots. Mais le premier désignant une femme, qui ne pouvait avoir de prénom, il n'a pas détaché cette L du reste du mot, et il a fait du tout le gentiicium Lallius, qui est rare, mais dont on a des exemples incon- testables. C'est là pourtant une supposition et un changement, somme toute, arbitraires ; à voir le fac-simile de M. de Rossi, la lecture de l'ins- cription est parfaitement certaine; 1l n'y a donc rien à y changer, et c'est lallius qu'il faut lire, ici comme dans l'inscription de Troesmis. Ce Iallius Bassus avait embrassé le christianisme; et c'est ce qui nous explique l'extrême rareté des monuments relatifs à lui et à sa famille. Cette famille , d'abord, était nouvelle; elle était arrivée avec lui aux hon- neurs ; -puis il se fit chrétien, sans doute après son gouvernement de Mésie, et, dès lors, lui et les siens durent s empresser de rentrer dans la vie privée. N° 15 et 16. Fragments tous deux pris sur des copies de M. Engelhardt; piédes- taux qui se trouvent aujourd'hui dans les matériaux de l'église grecque de Braïla, mais qui proviennent de Troesmis. ] IMP : CAESarim Tulio Philppo INVICTOp.f.aug.p.m.t PPPCOSPROcos 5. ORDO MVNICIPI Troesm. DEVOTI NVMin ma ESTATIQVEeus. M. Renier pense qu'il s'agit là de l'empereur Philippe, dont les noms ont, en effet, été effacés en vertu d’un décret du Sénat, et qui n'avait pas été consul avant son avénement; il faudrait alors lire ainsi les deux premieres lignes de l'inscription : Imperatort Cæsari Marco Tulio Phi- lippo Invicto, etc. y = ORDO MVNICIPI TROESM: LÉ Pie D: M: TIBERIA : CLWD VIXIT : ANN:L- BLICIVS VIATC . AVG MW CONI B M: EX — 208 — La pierre est brisée du côté droit; mais les lettres se restituent facile- ment; l'inscription doit se lire ainsi: Dis Manibus. Tiberia Claudia vixit annis quinquaginta. Lucius Publicius Viator, Augustalis municipu, conJugi bene merenti. On voit qu'il existait à Troesmis une corporation d'Augus- tales ; on n'en avait pas encore trouvé jusqu ici dans les provinces orien- tales de l'Empire. Le prénom Tiberia est employé ici comme cognomen, et, suivant l'usage en pareil cas, placé devant le gentilicium Claudia. N° 18. D: M: TIB-CLAVDIVS TIB:F:QVIRINA VLPIANVS DOM 5. LAOD:SYRIAE )LEG X GEM ET II FL ET XI FVLu ET, IL CYR.EL.X.FR ET II ADIVT ET V M 10. VIXIT ANNIS LVI HSFC: Dus Manibus. Tiberius Claudius, Tiberu fiius, Quirina, Ulpranus, domo Laodicea Syriæ, centurio legionis decimæ Geminæ, el quartæ Flavie, et duo decimæ Fulminatæ, et lertiæ Cyrenaicæ, et decimæ Fretensis, et secundæ Adjutricis, et quintæ Macedonicæ. Vixit annis quinquaginta sex. Heres secundus faciendum curavit. C'est, on le voit, une carrière pleine et agitée que celle de ce cen- turion. Né à Laodicée de Syrie, ilsert d'abord, aveclalégion X° Gemina, dans la Pannonie supérieure; il passe ensuite, avec la IV° Flavia, dans l'armée de Mésie supérieure; de là en Cappadoce, puis en Arabie, puis en Judée. Il quitte encore une fois l'Orient pour revenir, avec la légion deuxième Adjutrix, dans la Pannonie supérieure; il meurt enfin dans la légion cinquième Macédonique, à Troesmis, après avoir fait, comme le dit M. Renier, deux fois le tour du monde romain. N° 19. AVIS ANTONIVS AVLI FILSPAPIRIA VALENS OESCI VI . XIT ANNIS XXXX® ANTONIA TYRAN NIS CIBERTA MER RES PATRONO BSM®PS ( — 209 — Aulus. Antonius, Auli filius, Papiriu, Valens, ŒÆsci; vixit annis quu- draginta. Antonia Tyrannis liberta et heres patrono bene merenti posuit. N° 20. D:-' 118 M CSIVLIVS SA TVRNINVS-: DOMO OESCI: b.. EX OPTIONE: VE LEG V MAC VI VO:SE:POSVIT: CVM SCRIBONIA MELITINE:CONIVG Grandes et belles lettres de 8 et 10 centimètres de hauteur. Düs Manibus. Gaius Julius Saturninus, domo OEsci, ex optione, vele- ranus legionis quintæ Macedonicæ, vivo se posuit cum Scribonia Melitine con]uge. De 21. DISMANIBVS TRASCANIVS FORTVNATVS . POLLIA FAVENIA 5. MEDICVS:AN:L-H:S-E- CVI MON MNTVM RASCANA PH OFBE ET H//SCAN VS ENTYCHVS HREDES:‘F-C-H-M-HNS: Petits caractères inégaux et négligés. Mention d'un médecin, chose assez peu commune. Celui-ci n'est pas un médecin légionnaire ; il porte- rait ce titre; c'est un citoyen romain, puisqu il est inscrit dans la tribu Pollia. Il est curieux de le rencontrer à cette époque si loin de sa patrie. L'inscription doit se lire ainsi : Düs Manibus. Titus Rascanius Fortunatus, Pollia, Faventiu', medicus, annorum quinquaginta, hic situs est, cut monimentum Rascania Phœbe et Rascamus Euiychus heredes fecerunt. Hoc monimentum heredes non se- quitur. } Aujourd'hui Faenza. — 210 — AN? 22: ANTISTIVS ZO TICVS VIX ANN XXXVI HS E AN TISTIA ANONI . NA MARITA EI VS ÆSIHIEAILT FORTVNATAMA IHEREDES PRrIMI QT Cette inscription est très-fruste et asssez difficile à déchiffrer. Les let- tres en sont longues et minces, indiquées souvent plus que gravées, no- tamment à la sixième ligne, où je n'ai guère distingué que des jambages droits. Ce monument, d'ailleurs, n'offre pas de particularité intéres- sante ; 1l doit se lire ainsi : Anüstius Zoticus, vixit annis triginta sex; hic situs est. Anlstiu Anto- nina, marita ejus, el... Fortunata mater, heredes primæ fecerunt. N° 23: Or 7/77/77777/7777//) DIAE CO: 0 VER ANINES ARC 5. CLAVDTAE":IVEIA NE FILIAE SVAE VI XIT ANNIS. VET DO MITIAE MATRO NAE 'FILTAE"SVAE 10. VIX: ANNIS-IT-H.SZ La pierre est, on le voit, brisée à sa partie supérieure; les lettres D M ont disparu sans doute, ainsi que, dans la première et la seconde ligne, le nom du mari et du père qui a élevé ce monument , et les pre- mières lettres du nom de Claudiæ. Cette inscription, qui n'a d’ailleurs rien que d'ordinaire, doit se lire ainsi : Claudiæ, conjugi suæ, vixit-annis triginla ; el Claudiæ Juliane, fie sue, vixil anns quinque, et Domitiæ Matrone, fliæ suæ, viœit annis tribus. Hic sitæ suni. Lettres assez grandes et régulières, de 0",08 de hauteur, Me N° 24. RBAN « MAC Tres-beaux caractères; très-soignés ; 15 centimètres de hauteur. Ces caractères étaient gravés sur deux pierres distinctes dont ils oc- cupaient toute la largeur, et qui avaient servi de revêtement à une tour circulaire. Cette tour, avec une tour semblable, défendait l'entrée prin- cipale de la forteresse. Les deux pierres dont il s’agit avaient été placées de telle sorte que les caractères étaient engagés dans la maçonnerie. Il en a été de mème pour la plupart de nos inscriptions. M. Engelhardt a trouvé presque toutes les siennes ainsi placées et engagées dans le bastion principal. En effet, le travail du lapicide supprimait celui du maçon , et l'alternative des creux et des reliefs que forment les caractères inscrits, offrait au mortier assez de prise et d’adhérence pour rendre inutile le travail de la boucharde , qui eût été indispensable sur les trois autres faces lisses de la pierre. Cependant, assez souvent, l'ouvrier n'a pas ménagé l'inscription; c'est ainsi que, pour l'inscription qui nous oc- cupe, le marteau a fort entamé et à demi effacé les caractères MAC, qui nous ont semblé appartenir au nom de la légion V°, et qui sans doute à l'origine, dans le monument primitif, étaient placés très-haut, sur une porte peut-être, indiquant le campement de la légion V° MAC. Du fragment RBAN, M. Renier ne voit pas qu'il y ait rien à tirer. N°29: Pris sur une copie de M. Engelhardt. L'inscription a été par lui dé- couverte dans l'enceinte d'une forteresse romaine qui domine la petite ville turque de Matschin , comme la forteresse de Troesmis domine le petit point d'Iglitza. J'ai dit’ à quelle ancienne station romaine je croyais que répondait la ville moderne de Matschin. Trois lieues environ sé- parent Matschin de Troesmis; or, trois lieues font à peu près 9 milles romains, c'est-à-dire précisément la distance indiquée sur l'Itinéraire d'Antonin entre Troesmis et Arrubio. D'ailleurs, en faisant plus d'une fois la route qui sépare ces deux localités, nous n'avons point remarqué de point intermédiaire, où vraisemblablement se soient fixés autrefois les Romains. 11 y a donc, pour moi, identité entre Arrubio et Matschin. À coup sûr, Matschin ne saurait être l'ancienne station d’Accisus, située à 62 milles à l'E. de Troesmis, ni mème celle de Nowodunum, qui en est elle-mème éloignée de 38 milles. Quoi qu'il en soit, voici l'inscription de M. Engelhardt, mutilée mal- ! Voir page 193. 948 — heureusement et qui ne nous donne aucun renseignement sur la ques- tion que je viens d'agiter. 4 e « VIXIT ANYZ//W C:IVLIVS PRZZZ DEC ALAE Il AY ET, © IVCIVE PRINT B PROC PATRI BE NE MERENTI PO SVERVNT. M. Reniér la restitue ainsi : Vixit annis..……. Gaius Julius Pr... decurio alæ secundæ À... et Gaius Julius Primus, beneficiarius procuratoris, patri bene merenti posuerunt. Hauteur du monument, 0",58 ; hauteur des lettres, 0°,06. N° 26. RENNES SR RES IMILITAVITIN AIG LLECIVS INSACRO nr = £ DS => “il SA APR EF GEGCI | HERGUU ji: CITANN INIST it «La moitié supérieure du monument est occupée par un bas-relief représentant deux bâtons de centurion, entre lesquels on lit, au milieu d'une grande couronne, les lettres D M, Diis Manibus ; au-dessous et des deux côtés de cette couronne, se voient deux pains marqués d'une croix, panes decussali. « L'inscription est très-difficile à lire, dit encore M, Renier; cepen- dant , après une longue étude, je suis parvenu à la déchiffrer, et je crois pouvoir affirmer l'exactitude de ma lecture; elle est ainsi conçue : Dus Manibus. — Valerio Thiumpo, qui militavit in legione undecima — 213 — Claudia. lectus in sacro comilatu lanciarius , deinde proteæit unnis quinque, missus prefectus legionis secundæ Herculeæ fecit annos duo semise (sic) et de- cessit. Vixit annis quadragintu quinque, mensibus tribus, diebus undecim Aurelius..... «Ce monument appartient à une époque postérieure au règne de Constantin; mais il n'en est que plus intéressant, les inscriptions mili- taires de cette époque étant extrêmement rares. » Le personnage en l'honneur duquel est gravée l'inscription s'appelle Thiumpus, nom assez extraordinaire, qui ne doit point cependant nous surprendre à une époque où les légions étaient presque entièrement com- posées de barbares. Valerius Thiumpus sert d'abord comme lanctarius dans la légion X[I° Claudia, légion alors classée au nombre de celles qu on appelait comitatenses (in sacro comitatu). Il passe ensuite dans la garde de l'empereur et est pendant cinq ans protector domesticus, enfin il meurt préfet de la légion X[° Herculea, qui avait, à l'époque où fut rédigée la Notice de l'empire, son quartier général à Troesmis. C'est donc la date de l'inscription. Ce monument a été rencontré à Braïla; mais on a affirmé à M. En- gelhardt qu'il provenait de Troesmis, et l'inscription en fait foi, puis- qu elle est en l'honneur d'un préfet de la légion IT° Herculea, mort au boui de deux ans et demi de ces fonctions, et que, d'après la Notice de l'empire, præfectura legionis secundæ Herculianæ Troesmis. Auparavant”, cette légion avait occupé la station de Noviodunum. Ici se terminent les incriptions que M. Engelhardt a découvertes à Troesmis ; on voit quel est l'intérêt de ces documents épigraphiques, et l'importance des renseignements qu'ils ont fournis à l’histoire. Nous n avons eu qu à glaner, après M. Engelhardt. Voici maintenant la petite moisson que nous avons faite, en dépit de longues recherches et de fouilles persévérantes. N°27. De ce dernier monument si curieux trouvé par M. Engelhardt, je rap- procherai celui-ci qui est moins intéressant sans doute, mais qui appar- tient à peu près à la même époque : il remonte, on va le voir, à la jeu- nesse de Constantin. C'est le même caractère inculte et négligé; ce sont les mêmes lettres grossières, irrégulières, barbares; c'est à peu près la même forme des À et des L. La pierre est grossièrement arrondie en facon de colonnette; elle est 1 Voir l’Itinéraire d’'Antonin. — 214 — presque carrée; quelques lettres sortent, du côté droit: hors de la face principale. INIO PESINVIC AVG ET *FL': VAT CONSTANTINC PF:INVIC FILO AVGG Le monument est brisé à la partie supérieure; ce qui en a disparu, ce sont sans doute les noms de l'empereur Licinius, dont j'ai cru recon- naître les dernières lettres, et qui doivent se rétablir ainsi: Imp. Cæs. Val. Liciniano Licimio, pio felici, invicto, Auqusto; et FT/{avio) Valerio Constantino, pio, felici, invicto, filio Augustorum. N° 28. Copié sur une copie hérissée de fautes que j'ai corrigées de mon . mieux : TRAIAN :LEG I ITAL:LEG X FRET : LEG: V-MAC -ZZZZZIW VIX - ANN:-LZZYPETRONIA /UFIL-ET HER:‘F-C-: Le matelot qui a copié ces caractères sans les comprendre, a dit quil les avait pris sur une pierre venant de Troesmis. Je le crois en eflet, à voir, dans l'inscription, qui est sans doute le cursus honorum de quelque centurion, mentionnée en dernier lieu, la légion cinquième Macédo- nique, où le personnage servait quand il est mort. Voici, avec les la- cunes que je ne saurais remplir, le sens de ce petit fragment, analogue vraisemblablement à l'inscription n° 7, dont jai parlé plus haut page 200. Noms du personnage....... centurion (7) dans la II° légion Tra- jana, dans la légion [°° Italique, dans la X° Fretensis, enfin dans la V° Macédonique, campée à Troesmis. 11 a vécu cinquante ans ?... Petronia, sa fille et son héritière, lui a fait élever ce monument. Voir encore plus haut, n° 18, p. 208, le cursus honorum de Tib. Claudius Ulpianus. N° 29. Ce petit autel a été trouvé dans une tranchée faite en avant d'une petite basilique, et à droite de l'axe transversal du camp retranché. Le monument était, on l’entrevoit dans ce dessin, dans un état de mutila- — 215 tion très-grave. J'en ai arraché ce que j'ai pu, en rapprochant les frag- ments brisés. À côté de cette petite rosace qui orne la partie supérieure de la pierre, on ne déchiffre , à droite, que le monogramme W, dont je ne saurais dire ici le sens. Mais à la première ligne de l'inscription ADS = F ip Gi Ring FA proprement dite, on restitue très-facilement la formule connue et con- sacrée pro salute imperatoris que nous avons rencontrée plusieurs fois à Troesmis, et notamment dans les inscriptions 11 et 14. Je ne pourrais dire quelle est au juste la dernière lettre de cette ligne : peut-être est-ce un E? Mais alors, même en supposant un R'à la suite, nous aurions du mot imperator une abréviation que je crois barbare et inusitée. Je crot- rais plutôt que cette lettre disparue est un P, un second P: chose très- naturelle, l'inscription mentionnant ensuite deux empereurs. Quant aux noms mêmes des deux empereurs, ils sont faciles à réta- blir dans leur intégrité : 2° et 3° ligne, à savoir, L. Septimi Severi Pertinacis. — Remarquer le monogramme R à la fin de la ligne. Et M. Aurelu Antonin.....ll y a sans doute, dans ce dernier mot, un monogramme aujourd hui effacé : WTO; à moins quil n’y ait eu erreur du lapicide. Toutes ces lettres au reste, sont bien grossières et bien irrégulières. La 5° ligne a complétement disparu, à l'exception d'un petit signe qui nétait, je crois, qu'un ornement. Cette ligne contenait sans doute les noms de la divinité à laquelle était consacré le monument; conjec- ture vraisemblable , à en juger par la ligne suivante, où je rétablis le mot sacrum. Viennent ensuite , à la fin de cette ligne et dans la suivante, les noms de celui ou de ceux qui ont dédié le monument, avec cette formule peut-être : Dedicante Castore ou Pastore ? Je ne puis rien tirer des trois lignes suivantes; et je devine, à la der- nière, plutôt que je ne lis, posuerunt. _ ah N° 30. MCET REDES DTrTVS VNT L'inscription est brisée à la partie supérieure et du côté droit. Com- plète, c'était probablement une inscription funéraire avec le tour et les formules habituels. Dus Manibus....... noms du personnage. .... noms des héritiers, heredes , qui lui ont élevé ce monument , posuerunt. Une restitution plus précise de ce petit fragment mutilé me paraît impossible. La moyenne des lettres : 0",07. N°0 1e | 5 M PRO SAL IMP CAES:T AEL HAD ANI AVG PII ET M 5. AVR:VER: CAES: P VAL CLEMES ET L COMINIVS VAL-VET LEG VM MAC 10. ET L:VAL:CRISPVS AEDILIS DES-POS- Ce monument, d'assez pauvre tournure, a été trouvé encastré en travers dans les assises de pierre du bastion principal. J'ai parlé de cette circonstance, p. 192, de ce rapport, et j'y ai vu la preuve des re- constructions de la forteresse de Troesmis, reconstructions hâtives et négligées, puisqu'on avait recours à des monuments gravés, voisins sans doute de la forteresse, dont on ne respectait n1 le souvenir, ni la destination, et quon plaquait dans la muraille, sans même songer à retourner en dedans la face inscrite. Ces reconstructions ont dù, pour ces motifs, avoir lieu à une époque assez basse, quasi-barbare, et insou- ciante des anciennes règles de belle et bonne architecture; et surtout, disons-le aussi, après un siége peut-être ou à la veille d'un siége, dans un de ces moments de crise où apparaissaient les barbares. Quoi qu'il en soit, cette inscription doit se lire et s'interpréter ainsi : Jovi Optimo Maximo, pro salute imperaloris Cæsaris Titi Ælii Hadriani, Antonin August, pü, et Murci Aureli Veri Cæsdris, Publius Valerius Clemens et Lucius Cominius Valens, veterani legionis quintæ Macedonicæ , magistri, et Lucius Valerius Crispus ædilis designatus, posuerunt. — die — C'est on le voit, un monument analogue à ceux dont j'ai déja parlé plus haut, notamment aux monuments 11 et 14 de ce rapport, et sur- tout au petit autel, n° 29, que j'ai reproduit, p. 215. N° 32. Je rapproche de ce monument une inscription semblable en ce sens qu'elle était placée de même, dans le même bastion, où elle servait d'assise comme la précédente. Ce bastion comptait jusqu'à six assises de très-fortes pierres de taille; le monument que je vais citer faisait partie de là seconde assise par en bas: on voit par là qu'on avait dü reprendre à nouveau et presque de fond en comble la reconstruction de cette partie fort avancée et fort exposée du camp retranché de ‘Troesmus. On s'était servi pour cela, je l'ai dit, de tous les matériaux qu'on avait sous la main ; on avait sans doute recouru, entre autres, aux monuments funé- raires dont était bordée probablement selon l'usage la voie qui menait: du camp vers la plaine. Telle était l'inscription suivante : D: M: MMORIÏAE CLAVDIE HE DISTES CEXV D. DIA AGELAIS MAI Cette inscription ne présente pas de particularité bien intéressante, c'est un monument élevé par une femme à une femme, une amie à une amie. Nous retrouvons là ces noms de femme si fréquemment empruntés au grec: Hedhsles, Aglaïis. Les dernières lettres de la 5° ligne semblent être l'abréviation du mot merite. Les caractères.sont plus que médiocres. N2.3% L'inscription suivante a été trouvée également dans les assises du même bastion : NS DATE NÉPrCEAV DIANVS « PLANINA 5. VIXIT ANN : VMIMESI BVS IT DI 177777777777 L'inscription est brisée en haut et en bas: une seule ligne manque MISS. SCIENT. — 1V. 15 — 218 — la partie supérieure, avec le Düis Manibus consacré; ce sont les noms du petit enfant auquel a été élevé ce monument. L'inscription doit se lire ainsi : .....us, Til filius, Velina, Claudianus Planina; vixit annum unum, mensibus quatuor, diebus.. La lacune inférieure se remplirait sans doute du nom des parents de ce petit enfant. Ligne 6, mesibus pour métis comme dans l'inscription 31° Cle- mes pour Clemens; au reste la petite inscription qu'on vient de lire est encore en caractères incultes, si négligés même à la fin, qu'on les peut à peine déchiffrer. N° 34. Fragment de sculpture grossière sous une tête entourée de rayons : GENS ZE C'est sans doute la partie supérieure d'un petit autel consacré au soleil, soli..,.. le fragment est fort mutilé. N° 35. LCLALYAIDL RIVSSPV® Ss)SLEGIOS EIVSDEM Ce petit fragment est malheureusement trop mutilé pour qu'on en puisse tirer quelque fait intéressant. C'est encore là sans doute une ins- cription funéraire : la pierre est brisée à sa partie supérieure, sans que nous puissions déterminer l'importance de la lacune. Peut-être y avait-il là le cursus honorum de quelque centurion? Mais les noms du person- nage ont complétement disparu, ainsi que les numéros des légions où il avait servi. Pourtant, à voir les trois premières lettres de l'inscription. qui semblent être les dernières du mot Macedonice, on peut conjecturer que le personnage, au moment de sa mort, servait dans la V° légion Ma- cédonique. Viennent ensuite vraisemblablement, en faisant des deux jambages incertains que l'on voit sur la pierre le pied de la lettre H, viennent, dis-je, les trois lettres H:S-E. C'est la formule habituelle. Puis les noms du camarade, du collègue qui a élevé le monument et qui servait dans la même légion : 7 legionis ejusdem. Malheureusement une assez courte lacune du côté droit de l'inscription a sufh pourtant à emporter LR — les premieres lettres du nomen et du cognomen de ce centurion. Il s'ap- pelait sans doute Valerius ; mais le cognomen reste obscur. N° 36. Sur une colonnette brisée : SIC NATV ITE SVM PONTIFI MA, PAR SP Je suis à peu près sûr de ce que j'ai lu ; on a trouvé ensuite un autre | fragment de colonnette qui semblait tout pareil à celui-ci, et qui portait aussi des caractères, mais absolument indéchiffrables. Les petites lettres que je viens de transcrire ne sont pas gravées, elles sont emportées au couteau ; les lignes ne sont pas droites, elle tournent en montant sur la petite colonne. Ÿ a-til, à la seconde ligne, iterum, au lieu de ite sum ? Je l’aimerais mieux, mais je n'en sais trop rien. J'imagine que ces deux fragments appartenaient à une modeste basi- lique trouvée près de la. LIN SA Le fragment suivant n'offre qu'une petite particularité , dont je ne puis | encore garantir parfaitement l'exactitude : il m'a semblé pourtant, à la dernière ligne de l'inscription, avoir remarqué des façons d’accents sur deux lettres. Les caractères ont assez bonne tournure : le mot dit, qu'on aperçoit à la première ligne, indique que, dans le monument, il était directement ou indirectement question d’un empereur. DIVI | RIVI | SVBE | PRPR 5. ABO La quatrième ligne mentionne aussi les titres d'un légat, propréteur sans doute ; mais les lacunes sont telles à la partie supérieure et du côté droit de l'inscription, qu il faut renoncer à en rien retirer d’intéressant. N° 58: Fragment de marbre blanc; moulures élégantes ; lettres d'un beau ca- ractère. N'TONI , CAES — SE = N° 39: EsuDVv® ARIVSS NDVM SAVIT® Encore ici une lacune telle qu'il n'y a rien de quelque valeur à tirer de ce petit fragment : les noms manquent, el c'est ce qui nous intéresserait ; il ne nous reste qu'un titre, qu'une fonction, celle sans doute de dupli- carius. (1° et 2° ligne). Dans les deux dernières lignes, restituons, mais cela est sans importance aucune, la formule ordinaire, faciundum curavit. N° 40. Le fragment suivant na malheureusement pas non plus un bien grand intérêt; du moins renferme-t-il une fois encore la mention de la V° légion : À ES YŸ FILTVS'CL2 DECIMVS RIA à }LEG&V DONSAT 4 à Remarquons aussi filius non abrégé, le cognomen du personnage Decimus , et les trois dernieres lettres du nom de la tribu, ria. C'est sans doute le mot Macedonicæ qu'on entrevoit à la dernière ligne : les syllabes mace terminant l’avant-dernière, et le reste se lisant ainsi, à deviner le haut des lettres : DONCAE. N'evel : NS-VIX-A ELLICIVS VL-NO CITE! Fragment d'inscription funéraire. N° A2 D PAELE TINS Lettres assez belles et soignées, rien à tirer de curieux de ce petit mor- AL ceau mutilé, où l'on n'entrevoit que le Dis Manibus, deux noms indiffé- rents, et les dernières lettres du nom de la tribu. N° 45 et 44. P-ANHI EPS PRE INXY JARINAE vs AFET A3. Publu Anthi..... 44. Vraisemblablement marine. Je n'ai mis ces derniers fragments, si médiocres et si insignifiants, que pour être tout à fait complet. \ | # Meme - " , LL : l À F ) L 11 LA & | | j k “on 4 DA F 1 HONT AS î ROUE ; : 1 \ ol 4 ï ë L] 5 à ’ . 4 : A mors . ‘ h L j * # DA ‘ F. ) WW AUTRE bonus dar (CL NT. ce it pui] Ni ax TA CN WA Li in Lx Me ON d'a x - ! \ , | à ni 4 ; : Eh Q PREMIER RAPPORT SUR UNE MISSION SCIENTIFIQUE À L’ILE SANTORIN, PAR M. F. FOUQUÉ. Ve Paris, 1° juin 1867. Monsieur le Ministre, À la fin du mois de janvier 1866, une violente éruption a su- bitement éclaté au milieu de la baie de Santorin. Les phéno- mènes volcaniques intenses qui l'ont caractérisée dès son début se sont prolongés sans interruption jusqu'à ce jour. Votre Excel- lence, en me chargeant récemment d'en suivre les progrès, m'a permis de compléter des recherches que j'ai commencées l'année dernière sous les auspices de l'Académie des sciences. De nombreuses analyses, qui me restent à faire, m'empêchent de songer à vous présenter immédiatement un rapport complet sur les résultats de ma mission. Je me propose, en conséquence, de vous entretenir d’abord seulement de deux questions qui se sont présentées à moi dans le cours de mon voyage, et qui, bien qu'accessoires, n’en sont pas moins du plus haut intérêt. La pre- mière est relative aux anciennes révolutions du sol de Santorin ; l’autre, dont je parlerai dans un second mémoire, a pour objet les tremblements de terre qui viennent de porter la ruine et la désolation dans les deux îles de Mételin et de Céphalonie; je me réserve de traiter en détail la question principale dans un troi- sième mémoire. L'importance de l’éruption dont la baie de Santorin est actuel- lement le foyer, et les circonstances particulières dans lesquelles elle se développe, donnent un haut intérêt à l'étude géologique de cette localité, et expliquent suffisamment l’empressement des géo- logues, qui y sont venus de tous côtés, et la réunion des commis- PA | QUES sions scientifiques, qui y ont été envoyées par les gouvernements ou par les principaux corps savants de l'Europe; et cependant, les phénomènes si imposants, dont ces lieux sont aujourd’hui le théâtre, ne sont qu'un reflet des grandioses manifestations qui s’y sont produites autrefois. Les formidables explosions, qui mainte- tenant projettent sans cesse à des hauteurs énormes des myriades de blocs incandescents, ne sont même véritablement rien, si on les compare à l’épouvantable cataclysme, qui, vingt siècles envi- ron avant notre ère, a subitement creusé en ce point, au milieu d'une île habitée et fertile, un abîme taillé à pic, ayant huit cents mètres de profondeur et dix kilomètres de diamètre. Des découvertes récentes, dont je veux principalement m'oc- cuper ici, nous fournissent de précieux renseignements sur ce terrible événement, et en réunissant ces données archéologiques avec ce que l'on sait d'autre part, sur l’état antérieur de la région ainsi bouleversée, on arrive, dans ce cas particulier, à faire re- monter l’histoire bien au delà de ses limites. ordinaires et à re- nouer le lien qui devrait toujours l’unir à la géologie. Pendant les premiers âges de la période tertiaire, la Grèce pa- raît avoir été jointe à l'Afrique par un large continent, qui occu- pait l'emplacement actuel de la Méditerranée, et sur lequel vi- vaient ces grands mammifères, dont les ossements ont été trouvés récemment en si grande abondance à l’état fossile dans certains gisements de l'Attique. C’est seulement au commencement de l'époque tertiaire pliocène qu’un mouvement considérable d’affais- sement du sol est venu séparer l’Europe du sol africain et donner aux rivages méditerranéens à peu près la configuration qu'ils pré- sentent encore aujourd'hui. Ce mouvement général d’'enfoncement, suivi plus tard d'un nouvel exhaussement moins important, a été nécessarrement ac- compagné de dislocations profondes dans l'épaisseur de l’enve- loppe terrestre. Dès lors la matière ignée sous-jacente a pu s’échap- per par les fentes ainsi produites et les volcans de la Grèce ont pris naissance. | Les premières éruptions ont été faibles. Les gaz et les vapeurs accompagnant la sortie des laves étaient en assez petite quantité pour permetire aux mollusques et aux polypiers de vivre et de se multiplier au sein de l’eau de la mer, dans le voisinage du lieu traversé par leurs émanations délétères. Le mont Saint-Élie, — 92925 — qui est aujourd'hui la partie culminante de Santorin, constituait alors une petite île composée de marbres et de schistes métamor- phiques, et la bouche volcanique principale se trouvait au milieu de la mer, à cinq kilomètres de là environ, vers le nord, à peu de distance du centre actuel de la baie. Dès le début des phénomènes éruptifs, il s'est formé certainement en ce point un ilot résultant de l'accumulation des laves rejetées au dehors et solidifiées après leur épanchement, îlot qui s’est élevé et a grandi de plus en plus, à mesure que les éruptions se multipliaient davantage. Vers la fin de la période pliocène, le volcan, peu redoutable jusqu'alors, a acquis subitement une énergie considérable; alors les laves sont sdrties non-seulement par l'orifice du cratère central, mais encore par d’autres ouvertures nouvelles, et leurs produits ont engendré à l'extérieur des cônes parasites formant une sorte de cortége au cône principal. Les nouvelles déchirures du sol ont été accompagnées de bouleversement locaux, de soulèvements qui ont porté en quelques points le fond de la mer à plus de deux cents mètres de hauteur, avec les débris organiques déposés dans: ses profondeurs. En même temps, toutes les bouches en activité projetaient-des masses de cendres et de lapilli, qui venaient combler, en grande partie, l'intervalle compris entre le mont Saint-Élie et les cônes d’éruption, et réunissaient le iout en une seule grande île cou- vrant l’espace occupé aujourd’hui par la baie de Santorin et par les îles qui l'entourent. L'ile ainsi formée présentait deux points culminants : l’un, le SaintÉlie, haut de huit cents mètres: l'autre, constitué par le cône principal, et dont la hauteur dépassait certainement mille mètres. I y existait aussi, principalement au nord-est et au sud-ouest, des cônes parasites de moindre élévation. La région centrale se trouvait ainsi hérissée de sommets escarpés ; les parties extérieures s’inclinaient au contraire de tous côtés en pente douce vers la mer et se terminaient par un rivage au con- tour arrondi. La composition chimique des couches superlicielles du sol, composées principalement de cendres et de détritus volea- niques et par conséquent riches en oxydes alcalins, était une ga- rantie de leur fertilité. L'ile méritait donc les noms de ÈrpoyyvAn, la ronde, et de KaAk/o7n, la belle, sous lesquels les auteurs an- ciens nous apprennent qu'on à d'abord désigné Santorin, proba- blement par un vague souvenir légendaire de cette configuration — 2926 — primitive, tandis qu'il est impossible de comprendre comment ces dénominations auraient pu être données à l'ile Santorin, en lui supposant le même aspect qu'aujourd'hui, la même forme échan- crée et le même revêtement uniforme de tuf ponceux. Pendant la durée de la période quaternaire, qui avait succédé ‘époque tertiaire pliocène, l'ile dont nous venons de décrire la configuration n'a fait que se compléter et s’agrandir à la suite d’éruptions fréquemment répétées, et par la superposition de nou- velles couches de laves et de cendres aux couches antérieurement vomies par les bouches du volcan; mais l'espèce de dôme qui en formait la partie centrale, installé sur une déchirure souterraine, se trouvait miné dans ses profondeurs, et devait bientôt se briser et s'engloutir brusquement. Les volcans sont des points faibles de l'écorce terrestre; ce sont des centres de minimum de résistance; aussi, lorsque le liquide embrasé contenu dans les entrailles du globe éprouve accidentel- lement des mouvements brusques de poussée ou de retrait, c’est là que les effets les plus violents se font ordinairement sentir. Depuis le commencement de l'époque historique, on à pu ainsi observer et décrire plusieurs fois des bouleversements considé- rables arrivés dans certaines régions volcaniques, mais aucun de ces événements n’égale en importance le gigantesque effondrement qui a formé la baie de Santorin. Toute la partie centrale de la grande île s’est, en effet, déta- chée et engouffrée subitement, laissant un vide d’une étendue su- perficielle comparable à celle de l'enceinte fortifiée de Paris. Il n’est resté de l’ancien sol qu’une étroite bordure représentée au- jourd’hui par les trois îles de Santorin, de Therasia et d’Aspro- nisi, et encore cette ceinture a-t-elle été certainement, dès le mo- ment de sa formation, entaillée du côté septentrional par une profonde découpure, au travers de laquelle l’eau de la mer s’est précipitée pour remplir l’abime qui venait de se creuser. Ce terrible écroulement avait été immédiatement précédé de l’émission d’une quantité prodigieuse de pierres ponces de toutes formes et de toutes grosseurs. L'ile tout entière en avait été re- couverte sous une épaisseur énorme, car, ses parties périphé- riques, les seules qui subsistent encore aujourd’hui, présentent souvent ce dépôt blanchâtre en couche de plus de trente mètres. Le mont Saint-Élie, malgré la distance considérable qui le sépa- Le rait de la bouche du volcan et malgré son élévation au-dessus du niveau de la mer, n'avait pas même été à l'abri de cette pluie de pierres ponces, dont on retrouve de nos jours les éléments jusque sur les points culminants de sa crête. La baie actuelle de Santorin occupe tout l'emplacement de la région effondrée. Des trois îles qui l'entourent, la principale, San- torin, s'étend surtout à l’est et au sud en affectant la forme d’un croissant; puis vient à l’ouest le petit ilot d’Aspronisi, qui paraît avoir été jadis beaucoup plus étendu, mais que les flots de la mer rongent et diminuent chaque année; enfin au nord-ouest s'élève la côte escarpée de Therasia. Les falaises de Santorin sont très-abruptes, principalement du côté est de la baie. En face de Therasia elles atteignent une hau- teur de quatre cents mètres. Dans cette partie, le sol est formé d’une série de couches de lave, dont la coupe transversale est sen- siblement horizontale. Entre ces bancs noiratres s'étendent de minces couches de cendres. Toutes ces assises alternantes peuvent être suivies sans interruption, et l’on peut même se convaincre qu'il y a eu réellement autrefois une continuité parfaite entre ces bandes volcaniques grises, noires ou rougeûtres et celles de même couleur et de même nature qui se dessinent sur les falaises de Therasia. On peut même observer le long de ces escarpements dé- nudés, sous la forme de longs rubans verticaux, la section des lilons par lesquels la matière, ignée venant des profondeurs de la terre, arrivait à la surface pour s'épancher au dehors, alors que la grande île existait encore dans toute son intégrité. Plus au sud, du côté du pied du mont Saint-Élie, la falaise ne présente pas de bancs de lave dans sa constitution, mais on y voit une série de couches de cendres et de lapilli lancés par le volcan central à diverses reprises et superposés dans un ordre régulier. Au delà, vers la pointe sud-ouest de Santorin, des cônes para- sites étalent leurs coulées ou leurs amas de laves plus ou moins modifiées par des actions chimiques postérieures à leur émission, et montrent à leur surface les débris des couches fossilifères, qu'elles ont brisées et soulevées en paraissant au jour. Au-dessus de tout cela, partout dans les trois îles, on retrouve la pierre ponce tantôt pulvérulente, tantôt en blocs plus où moins volumineux, presque toujours en fragments anguleux et à la place même où elle est retombée après sa sortie de Pancien cratère. — 228 — Enfin, entre les murs de cendres et de laves qui l'environnent, la baie présente encore partout une énorme profondeur. Bien que des poussées volcaniques, relativement récentes, aient soulevé le fond de la mer en plusieurs points dans sa partie centrale, bien que des éruptions répétées, dont l’une dure encore, y aient élevé plusieurs collines de laves scoriacées ou compactes de cent mètres de hauteur au-dessus du niveau de l’eau , bien que les tremblements de terre, l’action des pluies torrentielles de l’hiver et les efforts incessants des vagues aient abattu et précipité plus d’un fragment de rocher, et entraîné des masses considérables de cendres ou de tuf ponceux, néanmoins la profondeur moyenne de la mer dans l'intérieur de la baie est encore d'environ quatre cents mètres, et les navires n’y trouvent, pour jeter l'ancre, que la partie termi- näle d’un cône volcanique d'origine récente, dont le sommet fort étroit se trouve à quelques brasses au-dessous de la surface de l'eau. Ces différents faits géologiques étudiés dans leurs détails prouvent surabondamment tout ce que nous avons précédemment énoncé. La constitution du sol fondamental de la grande île, l'ordre et l'étendue des éruptions qui l'ont successivement agran- die, la position occupée à cette époque par la cheminée principale du volcan, celle des cônes parasites, les circonstances physiques du grand effondrement, tout cela nous est révélé avec la plus grande clarté par l'observation des falaises qui bordent la baie de Santorin. Cependant une question importante, celle de savoir si l’homme a été témoin du grand cataclysme resterait encore à résoudre, si des découvertes nouvelles n'étaient venues jeter un jour inattendu sur ce problème. Aujourd'hui, non-seulement nous sommes cer- tains que l’homme a été le contemporain et la victime de l'érup- tion qui a produit le tuf ponceux, mais encore nous possédons de curieux renseignements sur les habitudes et sur le degré de civilisation des anciens habitants de la grande ile. Les circonstances qui ont favorisé la principale des découvertes dont j'ai à parler maintenant sont assez intéressantes pour mériter d'être mentionnées. : 4 Il y a quelques années, la compagnie de l’isthme de Suez, ayant entrepris de grands travaux de maçonnerie pour la confection du port et des édifices de Port-Saïd, eut l'idée de faire venir de la — 229 — pouzzolane, afin de fabriquer ses ciments dans les meilleures condi- tions possibles. Or, le tuf ponceux de Santorin, mélangé avec la moitié-ou même avec le tiers de son poids de chaux, forme des ciments qui acquièrent rapidement une extrême dureté, et qui, en même temps résistent parfaitement à l’action de l’eau de la mer. Les qualités de ce tuf, jointes à la facilité de son exploitation et à la possibilité: d'en opérer le transport en Égypte à des prix peu éle- vés, décidèrent la Compagnie à s'en procurer de grandes quantités. Depuis ce moment, le tuf ponceux n'a pas cessé d’être exploité sur une large échelle, tant sur la côte de Santorin que sur celle de Therasia. Les navires viennent se poster en certains endroits, près du rivage, et y reçoivent la pouzzolane, qu'on a détachée en haut des escarpements, et qu’on fait tomber, ou plutôt glisser jus- qu’en bas, en lui faisant suivre dans sa descente quelqu’une des an- fractuosités de la falaise. Des portions considérables de la couche ponceuse de Santorin et de Therasia ont été enlevées de la sorte. À Santorin , l'exploitation n’a guère lieu que du côté interne de la baie, dans le voisinage du village d'Acrotiri; à Therasia, elle se fait sur presque toute l'étendue de la falaise, tant sur le bord oriental de l'ile que sur la côte méridionale, qui fait face à l'ilot d’Aspronisi. De ce dernier côté, à peu près au milieu de l'espace compris entre les deux caps Tripiti et Kimina existent de vastes carrières à ciel ouvert, se faisant suite les unes aux autres et ap- partenant à plusieurs propriétaires. Dans toutes ces exploitations on entaillait et on enlevait le tuf ponceux, en s’arrêtant à un ni- veau inférieur, dont la limite était indiquée par de nombreux blocs de pierre, qui génaient le travail d'extraction et ôtaient de la valeur à la pouzzolane.Or, ces blocs qu'on trouvait en files ré- gulières, n'étaient rien autre chose que des crêtes de murs. Les ouvriers et les propriétaires du terrain connaissaient parfaitement ce fait et savaient très-bien qu'ils avaient affaire là à d’anciennes habitations, mais on rencontre si fréquemment des débris antiques à Santorin et à Therasia que la chose n'était pour eux d’aucun in- térêt. L’attention du monde savant a été appelée pour la première fois sur ces constructions de Therasia par M. Christomannos, pro- fesseur de chimie à l'Université d'Athènes et membre de la Com- mission scientifique envoyée à Santorin par le gouvernement grec, pour y suivre la marche de l’éruption. M. Christomannos, ayant visité par hasard cette localité, aperçut — 230 — les pans de murailles qui faisaient saillie au-dessus du sol, au fond des carrières où avait lieu lexploitation de la pouzzolane. Dès le premier moment, il crut et affirma, sans hésitation, que les constructions qu'il avait sous les yeux étaient antérieures à la for- mation du tuf ponceux. Il y avait néanmoins bien des objections à faire à cette opinion, ou au moins avait-on besoin de faire effec- tuer des fouilles pour la démontrer d’une façon convaincante. On pouvait croire, en effet, que ce lieu était un champ de sépulture, et alors, si ces constructions étaient des tombeaux , elles pouvaient fort bien avoir été creusées dans le tuf ponceux comme des sortes de catacombes, et être, par conséquent, postérieures de beaucoup à la formation de ce tuf. Notons, en passant, que des monu- ments funèbres d'époque hellénique ont été trouvés plusieurs fois dans une semblable position, à la base du tuf ponceux, soit à Santorin, soit à Therasia , et l’un de ces tombeaux sous-jacent à la couche tufacée de Santorin a même été vu et décrit par Bory Saint-Vincent. On pouvait donc être tombé sur un cas semblable à celui-là. Ainsi, l’on avait à constater d’abord positivement si ces débris de murailles appartenaient à des caveaux funéraires ou à des habitations. En second lieu , en supposant cette première question résolue, en admettant comme démontré que ces constructions avaient été élevées à l'air libre pour servir de demeures, il restait à examiner si le tuf ponceux, sous lequel on les trouve ensevelies, occupe en- core maintenant la position qu'il a prise en retombant au sortir du volcan, s’il est en place, ou si, au contraire, ce n’est pas un ébou- lement accidentel ou un entrainement par les eaux, qui l’a en- tassé sur les habitations, comme cela pourrait arriver aujourd'hui à des maisons bâties au pied de certaines falaises, et, par exemple, à celles du débarcadère de Phira {ville principale de Santorin), qui sont déjà à moitié recouvertes par les éboulements. Les fouilles opérées jusqu’à présent ont été faites exclusive- ment sur le terrain appartenant à l’un des propriétaires du pays, M. Alafousos: une seule des nombreuses constructions, dont on voit les affleurements sur le sol des carrières en exploitation a été à peu près complétement mise à découvert, et cependant déjà l'on possède des données plus que suffisantes pour résoudre les deux questions précédemment posées. Ces constructions ont été bien réellement bâties à l'air libre, le tuf qui les remplit n’a pas — 9231 — été remanié; elles sont antérieures à la grande éruption ponceuse de Santorin. C'est ce qui va ressortir, je l'espère, avec évidence de l'examen des faits que j’ai maintenant à décrire. Les fouilles ont été commencées par M. le docteur Nomicos, médecin distingué de Santorin, et continuées ensuite par le propriétaire du terrain, M. Alafousos. Le bâtiment qu'elles ont mis à découvert se compose de plusieurs pièces d'inégale gran- deur. La plus grande , À, située au midi, a six mètres de long sur cinq de large; elle présente, en outre, vers l’ouest un prolongement B formant une sorte de petite chambre carrée de 2",50 de côté. La pièce À et son annexe B sont séparées du reste de lédifice par un mur transversal. è De l’autre côte de ce mur, on trouve en allant de l’ouest à l’est, 1° Une pièce C, longue de 6 mètres, large de 2,50; 2° Une pièce D, de mêmes dimensions que la précédente; 3° Deux pièces E et F, séparées par une cloison transversale et ayant, la première 3”,80 sur 3 mètres, la seconde 3”,80 sur 2",50. MM. Nomicos et Alafousos avaient tenté d’abord de dégager par extérieur la partie orientale des constructions, mais ils ont été arrêtés par la crainte des éboulements, et se sont bornés à opérer un déblayement intérieur. Ils ont ainsi effectué l'extraction com- plète de tous les matériaux qui remplissaient les pièces D,EetF, dégagé à moitié la pièce C, et aux trois quarts environ la pièce À. Voulant ensuite voir ce qui pouvait se trouver en dehors de la construction primitivement découverte, ils ont suivi une muraille d'enceinte extérieure, qui forme d’abord sur une longueur de 8 mètres le prolongement en ligne assez régulière du mur nord de l'édifice, puis tourne en suivant une ligne flexueuse vers le sud-ouest et s’interrompt enfin à 18 mètres du sommet de l’angle pour laisser une ouverture d'entrée de ce côté. L'angle nord-est de | cette enceinte est occupé par une maçonnerie cylindrique G, of- frant une cavité intérieure d'environ 80 centimètres, et élevée d’un mètre au-dessus du niveau du sol. Enfin, à 24 mètres du bâti- ment principal, ils en ont trouvé un plus petit composé d’une seule pièce, et prés de là, un mur s'enfonçant sous le tuf pon- ceux. Le mode de construction de l'édifice est tout différent de celui qui est actuellement en usage à Therasia et à Santorin. Les mu- — 232 — railles vues du côté de l'intérieur des pièces paraissent entière- ment composées de blocs de laves irréguliers, non taillés, super- posés sans ordre, et réunis par une matière terreuse, rougeûtre, mêlées de substances végétales. On ne voit nulle part aucun em- ploi de la chaux, soit pure, soit mélangée avec la pouzzolane. Entre les pierres s’allongent de tous côtés de longues pièces de de bois, de diamètre variable, formées par de grosses branches d'olivier sauvage, revêtues encore de leur écorce. Le bois qu'on trouve ainsi dans l'épaisseur des murs est généralement dans un état de décomposition fort avancé ; en perdant une partie de ses éléments chimiques, il est devenu noir, friable, comme carbonisé; le plus souvent, le plus léger contact suffit pour le réduire en poudre. La paroi intérieure des chambres ne me paraït avoir été recouverte d'aucun enduit calcaire, mais simplement revêtue d’une couche de la même matière terreuse, qui lie entre eux les blocs de la maçonnerie. Le toit était formé d’une couche de terre et de pierres d'environ 30 centimètres d'épaisseur, soutenue par de nombreuses traverses de bois. Dans toutes les parties fouillées par MM. Nomicos et Alafousos , le toit était effondré , et ses débris se trouvaient entassés pêèle-mêle avec du tuf ponceux fortement ag- gloméré. Malgré cela, il était facile de voir, d’après le mode de terminaison des murs à leur partie supérieure, que le toit devait avoir dans chaque pièce la forme d’une voûte simple surbaissée. Dans la pièce À seulement, le plafond paraît avoir été disposé d’une façon un peu différente : on a trouvé, au milieu de cette chambre, une pierre taillée en forme arrondie, à face supérieure plane, d'environ 30 centimètres de diamètre, laquelle semble avoir été la base d’une colonne destinée à soutenir le toit, et ce qui tend à confirmer cette idée, c’est que tous les morceaux de bois enfoncés dans les murs de la pièce À se relèvent uniformé- ment vers l'intérieur de cette pièce, comme s'ils devaient se ren- contrer en son milieu et s’y appuyer sur le sommet de la colonne supposée. La pièce C présente aussi quelque chose de particulier. On y trouve à mi-hauteur, enfoncés dans les murs, des morceaux de bois qui devaient y constituer un plancher. Il est donc très-pro- pable que cette pièce possédait un étage au-dessus de son rez-de- chaussée , tandis qu'aucune des autres pièces n'offre une pareille disposition. | EN: je Partout, les angles des murs sont arrondis en dedans des chambres. Ce fait s'observe surtout avec évidence dans le petit bâ- timent isolé trouvé à 24 mètres de l'édifice principal; on le re- marque également dans celui-ci, mais d’une façon moins nette. Cette particularité doit être attribuée certainement à la grossièreté originaire de la construction, mais beaucoup plus encore au tassement qui s’est opéré à la longue par l'écrasement des mor- ceaux de bois décomposés. L’altération des pièces de bois a produit encore un autre effet. Partout où il existait des portes et des fenêtres, les chambranles en bois se sont affaissés sous le poids des murs, et les ouvertures se sont trouvées obstruées par les matériaux éboulés, aussi est-il difficile d'en reconnaître l'emplacement. Cependant, entre les pièces C et D, M. Nomicos a découvert une porte avec deux marches pour descendre de la première pièce dans la seconde, et dans le mur occidental de celle-ci, tout près du toit, une petite fenêtre garnie latéralement de pierres grossièrement taiflées. Au fond de toutes les pièces on rencontre partout le banc de lave scoriacée sous-jacent à la couche de tuf. Outre les constatations des particularités curieuses offertes par la disposition et par le mode de construction de l'antique édifice, les fouilles opérées ont amené la découverte, dans son intérieur, d’une foule d'objets en pierre ou en terre cuite aussi remarquables par leurs formes que par la matière qui les constitue. On a égale- ment trouvé des amas d'orge et d’autres grains, soit disposés sur le sol en tas au pied des cloisons qui séparent les chambres, soit, plus souvent, renfermées dans des vases de forme et d’ornemen- tation diverses , dont les plus grands n'avaient pas moins de cent btres de capacité. Il est à remarquer que dans toutes les pièces du bâtiment on n'a découvert aucun ob'et en métal, et pas même l'indice d’un seul clou dans un des nombreux morceaux de bois provenant de débris de la toiture. Au contraire, on a trouvé des poids en lave, des meules, des augets et d’autres objets en pierre, une pointe de lance d'environ huit centimètres de longueur et une petite scie en silex de cinq centimètres de long. En un mot, tous les instruments trouvés sont des instruments en pierre. Enfin, dans la pièce À, près de l'entrée de la petite pièce B, on a découvert un squelette humain, dont on n’a conservé malheu- reusement que la machoire inférieure et quelques fragments des MISS. SCIENT. —-- IV. 16 == OM os plats et du bassin. Le reste avait été écrasé par la chute du toit. Malgré le peu de soin apporté par les ouvriers dans le tra- vail de déblayement, on a pu cependant s'assurer de la position occupée par le squelette au moment de la découverte, et constater qu'il semblait affaissé sur lui-même, et non étendu comme il l'aurait été probablement dans le cas d’une sépulture. La mâchoire inférieure, que le savant M. de Hahn, consul d'Autriche à Syra, s'occupe actuellement de faire mouler, ne-m'a paru offrir aucun caractère ethnologique spécial, si ce n’est peut-être l’aplatissement dans le sens vertical de ses deux branches latérales. Les dents qui y sont implantées ont été usées par la mastication; les tuber- cules sont entièrement effacés, mais les dents ne sont ni cariées, ni plombées, comme on l'a cru. Le squelette était certainement celui d’un homme âgé et de moyenne taille. Lorsque j'ai visité pour la première fois, dans le courant du mois de mars, le siége de ces importantes découvertes, j'ai senti sur-le-champ lutilité de continuer les fouilles entreprises par MM. Nomicos et Alafousos. J'ai commencé par faire creuser un fossé profond tout le long de la façade septentrionale du bàtiment, de manière à en découvrir les fondations sur une grande lon- gueur, puis J'ai fait prolonger cette excavation en suivant à l’ex- térieur la muraille qui limite l'enceinte de la cour adjacente. L'opération, ainsi conduite, avait principalement pour but de vé- rifier si réellement les fondations des constructions reposaient sur la lave. Elle devaient en outre permettre de constater s’il existait de ce côté des ouvertures ayant servi à faire communiquer l'inté- rieur du bâtiment avec le dehors. J'ai reconnu ainsi que les fon- dations de l'édifice avaient leur base à une très-petite profondeur au-dessous du niveau du sol de l'intérieur des pièces, de sorte que les murs sont pour ainsi dire posés sur le banc de lave sous- jacent et non appuyés sur de véritables fondations. Nulle part il n’y a interposition de tuf ponceux. Dans les portions de murailles correspondant aux deux pièces D et E se sont trouvées deux fenêtres pratiquées à environ un mètre au-dessus du sol, c'est-à-dire à un niveau beaucoup plus bas que celui de la fenêtre découverle dans la pièce CG par M. Nomicos. Aucune pierre taillée n'entre dans la maçonnerie qui en forme les embrasures. Gelles-ci sont grossièrement cin- Eu trées l; leur hauteur est d'environ 60 centimètres et leur largeur de 50. Le mur septentrional de l'édifice, vu par sa face extérieure, paraît bien mieux construit qu'on n'aurait pu le penser d'après son aspect à l'intérieur. Il est constitué, à la vérité, dans presque toute son étendue, par des fragments de laves irréguliers, super- posés sans ordre, mais l’irrégularité et le désordre sont moindres que sur la face interne de la muraille; et, en outre, aux deux angles qui le terminent, le mur est formé de blocs parfaitement taillés, souvent volumineux, superposés en assises horizontales. Le bloc le plus élevé à l'angle nord-est présente même sur sa face supérieure une excavation cylindrique d'environ cinq centimètres de profondeur, et sur sa face nord des traits qui sont peut-être des caractères. Les deux fenêtres trouvées de ce côté du bâtiment montrent que l'on à affaire là à une habitation et non à une sépulture, comme on aurait pu le penser, si l’on n'avait trouvé que la seule ouverture de la pièce C. Elles prouvent en outre, de même que la position des fondations sur la lave, que Ia construction dont elles font partie est antérieure à la formation du tuf ponceux, car elles sont dirigées du côté de la montagne, et il est évident que, si habitation eût été élevée au pied d’un escarpement ponceux, les fenêtres en auraient été ouvertes du côté de la mer et non du côté de l’escarpement. Enfin , l'observation du tuf ponceux montre qu’il n’a subi au- cun remaniement et spécialement qu'il n’a été ni entraîné ni roulé par les eaux depuis l’époque de son premier dépôt. Celui qu'on trouve entassé dans l’intérieur des chambres est composé de fragments anguleux, qui tous ont conservé leurs arêtes vives, comme au jour de leur chute. Il en est de même pour celui qu'on trouve au dehors dans le voisinage, dont les lignes de stra- tification sont sensiblement horizontales ou présentent seulement une légère inclinaison comme le terrain qu’elles ont recouvert. Ces lignes de stratification du tuf peuvent être suivies sur une grande longueur le long de la falaise, elles passent au-dessus des cons- ! La partie supérieure en était soutenue par une pièce de bois transversale, de sorte que la forme cintrée tient probablement à un éboulement des pierres du milieu. 1G. 7,4 — 236 — tructions sans se déprimer ; lune d'elles, située à deux mètres en- viron au-dessus du sommet des murs est même assez nette pour qu'on lait prise pour une couche de terre végétale, mais cette dernière hypothèse n'est pas justifiée par l'observation. La colora- lion jaunâtre de cette petite bande de tuf est due à un change- ment dans la composilion de la matière qui le forme, changement tellement faible qu'il est à peine appréciable par l’analyse chi- mique. Le dépôt ponceux situé au-dessus est tout aussi bien en place que celui qu'on observe au-dessous ; toute cette masse de. tuf fait partie d’une même assise et a été formée du même coup par une éruplion volcanique qui a pu durer quelque temps, mais sans interruption notable. Dans l’intérieur de l'habitation et dans la cour qui l'avoisine , on remarque, au milieu des fragments de lave scoriacée qui cons- tituent le sol, une cendre volcanique rougeâtre provenant de la décomposition des laves et identique à la matière terreuse, qui a servi de ciment pour la construction des murs. Cette cendre vol- canique compose très-certainement la véritable terre végétale qui recouvrait le sol à l’époque où ont été élevés les bâtiments que nous retrouvons aujourd'hui enfouis sous le tuf ponceux: elle est située au-dessous de la masse entière du tuf. Du reste, une autre observation dont je parle plus loin conduit encore à la même conclusion, savoir : qu'il existe au-dessous du tuf ponceux, dans les îles actuelles du pourtour de la baie, une couche bien net- tement caractérisée de terre végétale. De tous ces faits, nous pouvons donc déduire sûrement que les constructions remises au jour par les fouilles de MM. Nomicos et Alafousos et par les miennes sont bien réellement des habi- tations antérieures à la grande éruption ponceuse et ensevelies, dans le cours de cette éruption, sous l’amas de tuf projeté alors par le volcan. Fout ce que nous avons à dire maintenant ne fait que confir- ner cette asseriion; je n'y insisterai pas davantage et me conten- terai de continuer à consigner et à discuter ici les principaux ré- sultats obtenus dans la suite de mes recherches. Après avoir longé extérieurement tout le côté nord: de l'édifice, j'ai fait poursuivre les fouilles le long de la façade occidentale, sous le tuf ponceux encore intact. En opérant ce travail, nous avons vu tout d'abord que le mur septentrional du bâtiment était Be: réuni à sa partie inférieure avec un autre mur moins élevé qui s'enfonçait à l’ouest sous la masse de tuf, et après avoir franchi ce dernier, nous avons pénétré dans une grande chambre voûtée, dont la paroi s'incline du côté nord. J'ai fait déblayer cet espace sur une longueur de six mètres, sans être arrêté par aucun obs- tacle. À gauche de l'entrée que j'avais fait pratiquer pour péné- trer en ce point, s'est présenté à nous un tronçon volumineux de colonne encore debout, quoique légèrement incliné vers le sud- ouest. Deux blocs de lave prismatique, à section carrée, ayant chacun un mètre de hauteur et 50 centimètres de diamètre, par- faitement taillés et superposés très-regulièrement, constituent cette espèce de piédestal, qui repose sur un soubassement peu élevé, grossièrement arrondi. Un peu plus loin, nous avons encore ren- contré d’autres débris de mur, mais trop éboulés pour que j'aie pu me faire une idée de la forme de la construction dont ils font partie; ce que je puis affirmer, c'est. que le tronçon de colonne en est parfaitement indépendant; il est tout à fait isolé. La crainte des éboulements m'a fait renoncer à regret à pour- suivre mes recherches de ce côté; j'ai dirigé alors les travailleurs vers l'angle sud-ouest de l'habitation. En creusant toujours en de- hors des murs, j'ai fait dégager extérieurement l'angle rentrant compris entre l’annexe B et le mur occidental de la pièce À, et nuis à découvert l’angle sud-ouest de cette pièce, qui, comme les autres angles de l'édifice, est formé de pierres régulièrement snperposées et parfaitement taillées. La façade méridionale mise ensuite à dé- couvert était moins bien conservée que les autres portions du mur extérieur; j'attribue cet effet à l'existence probable, au milieu même de cette façade, d’une porte dont l’écroulement aurait amené le désordre qui semble régner dans la muraille. Tout me porte, en effet, à penser que là était la principale entrée de la maison. Le mur de la cour, dont j'ai fait découvrir également les fon- dations, repose, comme tout le reste, sur le banc de lave et ne présente rien de particulier, si ce n’est son entrée lournée vers le sud-est, à laquelle on trouve deux marches descendantes sui- vies de deux autres marches plus étroites, qui remontent en sens inverse vers la partie la plus élevée du terrain. Ces marches peu régulières, surtout les deux dernières, ont été faites en grande partie en prolitant des accidents de la roche qui compose le sol. — 238 — J'en dirai autant de deux autres marches qu'on observe à l'angle nord-ouest de la cour, en contact avec la muraille du batiment principal. Quant à la construction cylindrique, qui occupe l'angle nord- est, j'ai tenté d'en faire excaver l’intérieur, comme M. Nomicos avait déjà essayé de le faire avant moi. Mais je n’ai pu y faire creuser qu'à une profondeur d'environ deux mètres. L'étroitesse de l'ouverture et le manque d'outils convenables ont empêché les ouvriers de continuer; je ne puis donc résoudre avec certitude la question intéressante de savoir quel rôle a pu jouer cette pe- tite construction. Malgré sa forme, je ne crois pas que ce soit un puits, car la couche de lave qui se trouve en ce point au niveau du sol, et dont les inégalités n’ont jamais une grande profondeur, constitue une roche d’une grande dureté et d’une épaisseur con- sidérable et pour trouver une couche aquifère, il aurait évidem- ment fallu la traverser. Or je doute qu'avec des instruments en pierre on ait pu songer à affectuer un pareil travail; el, dans l'hypothèse d’une crevasse naturelle de la couche de lave en cet endroit, rien ne prouve l’existence d’une nappe d’eau dans le con- glomérat sous-jacent. L'hypothèse d’une citerne convient encore moins , car le niveau de la cour s’abaisse vers l’ouest; l’habitation en occupe la partie la plus déclive, et entre le sol de la pièce G et celui de la petite construction G, il existe une différence de ni- veau d'environ 5 mètres; l’eau de pluie tombée sur Îles toits de la maison ou sur le sol de la cour n'aurait donc pu se rendre dans une citerne creusée précisement au point le plus élevé de tout ce terrain. Enfin il faudrait supposer, comme dans l'hypothèse d’un puits, que l’on à pu pratiquer une excavation dans la lave, ou que l’on y a trouvé une grande cavité naturelle, ce que je re- garde comme égalemeut improbable. Je ne puis donc admettre que ce mur cylindrique soit l’orifice d’une construction souter- raine, etje penche bien plutôt vers l'opinion que c’est la base d’un petit édifice élevé en dehors du sol, d'autant plus qu'en faisant fouiller les parties les plus superficielles M. Nomicos y a trouvé de nombreux débris de poteries, tandis qu’en creusant plus pro- fondément j'en ai rencontré de moins en moins, et à la faible profondeur à laquelle j'ai cessé de creuser, on ne rencontrait déjà plus que des morceaux de lave se distinguant peu de la ma- connerie environnante. site, GE ceci J'ajouterai ici, comme renseignements qui pourront être utiles pour discerner le rôle de cette singulière construction, 1° Qu'à l'extérieur, lorsqu'on en veut dégager les fondations, on est bientôt arrêté par la couche de lave; 2° Qu'on ne trouve aucun fragment de bois dans la maçonne- rie, qu'on n'y voit non plus aucun bloc taillé; 3° Qu'au devant s'étendent trois marches basses et très-larges : ces marches ont en moyenne 12 à 195 centimètres de hauteur et environ 80 centimètres de largeur. Après avoir exploré tout l'extérieur de lhabitation, j'ai fait continuer, dans l'intérieur des chambres, le travail d'extraction du tuf commencé par MM. Nomicos et Alafousos. En achevant de nettoyer la pièce GC, j'ai trouvé un grand nombre de débris de vases semblables à ceux que les précédents explorateurs yÿ avaient déjà rencontrés. Parmi ces vases, quelques-uns paraissaient vides, la plupart contenaient de l'orge carbonisé ou d'autres substances moins faciles à reconnaître. Dans la petite pièce B, qui forme comme un recoin de la pièce À et qui n'avait pas été fouillée auparavant, le toit était en- tier, non-éboulé; j'ai pu facilement observer sa forme de voûte sur- baissée. Les objets qui y ont été découverts sont assez nombreux ; ce sont : 1° Des vases en terre cuite ou des fragments de vase analogues à ceux qui ont été trouvés dans les autres parties de la maison; quelques-uns, en poterie grossière, renfermaient de la paille fine- ment hachée, destinée évidemment à l'alimentation des animaux. 2° Deux meules en lave formées chacune de deux calottes hé- misphériques superposées par leur face plane et de dimensions inégales, la meule inférieure ayant 15 à 20 centimètres de dia- mètre et 6 centimètres d'épaisseur, la supérieure ayant seulement 12 à 12 centimètres de diamètre et 4 d'épaisseur. 3° Trois poids en lave de 250 grammes, de 750 et de 3 kilo- grammes environ. 4° Un disque elliptique en lave de 12 centimètres sur 15 de diamètre et de 5 centimètres d'épaisseur, percé en son centre d’un trou de la grosseur du doigt. Ce trou devait donner passage à une corde ou à un lien flexible par lequel le disque était suspendu. On voit, en effet, sur ses deux faces, deux sillons de la largeur du doigt, parallèles lun à l’autre, allant du centre à la circonférence — 210 — el tracés certainement par le frottement du lien à la surface de la pierre, du côté opposé à la position que prend son centre de gravité, lorsqu'on la suspend par son milieu. 5° Un vase en lave long de 30 centimètres, large de 20, pourvu d’une cavité dont la profondeur n’excède pas 3 centimètres, et présentant à sa face inférieure de gros tubércules cylindriques, très-courts, qui font l'office de pieds. 6° Deux autres vases en lave ayant la forme d'augets. Ces vases dont le diamètre est de 20 à 25 centimètres ont une cavité profonde de 8. Leur fond, épais d'au moins 20 centimètres et non laillé, montre qu’ils devaient être enfoncés en terre. Un vase semblable, un peu plus srand, a été trouvé à l'entrée de la cour. 7° Des ossements très-abondants de ruminant {mouton ou chèvre). Ces os appartenaient à trois animaux différents, les mêmes pièces du squelette se trouvant fréquemment trois fois. Beaucoup d’autres objets du même genre ont été découverts avant moi, dans les autres pièces du bâtiment, par MM. Nomicos et Alafousos. Parmi les objets que j'ai vus dans leur collection, je si- gnalerai seulement un morceaux de bois de 10 centimètres de diamètre revêtu encore de son écorce et portant à sa base une échancrure à angle droit, faite avec un instrument tranchant, et deux mortaises parallèles, de 5 centimètres de longueur, 15 mil- limètres de largeur et 3 centimètres de profondeur, aussi régu- lières et aussi bien creusées que si elles avaient été taillées avec un ciseau en acier. Enfin, j'ajouterai encore un mot sur mes recherches dans la partie la plus orientale de la pièce À. L'objet le plus curieux que j y aie trouvé est un grand vase en lave, creusé d’une cavité co- nique de 4o centimètres de diamètre intérieur, profonde de 30 cen- timètres. Au fond est pratiqué un trou, qui communique au de- hors par une étroite rigole et qui débouche au-dessus d’un auget en lave destiné évidemment à recevoir les liquides provenant du vase précédent. La paroi intérieure de ce vase est usée par le frot- tement et les gens du pays n'ont pas hésité à dire que c'était un moulin à l'huile. Tels sont les principaux résultats des fouilles que J'ai fait exé- cuter à Therasia. Elles sont loin d’avoir mis au jour tout ce qui existe de la même époque en cet endroit. I} y a là tout un village ante-historique, composé d’un grand nombre d'habitations, dont — 941 — on aperçoit le sommet des murs à la surface du sol. Je ne doute pas que des recherches postérieures n'y conduisent aux découvertes les plus intéressantes. Il me reste à parler maintenant d’autres fouilles que j'ai opé- rées moi-même ou fait effectuer dans l’ile de Santorin, et qui m'ont fourni la plupart des vases et des autres objets que j'ai rapportés à la fin de mon voyage. Mes recherches géologiques m'ayant amené à plusieurs reprises dans la partie méridionale de file, aux environs du village d'Acrotiri, j'eus l’occasion de m'y enqué- rir si l'on ne trouvait pas de ce côté des traces de constructions antiques. Un paysan me conduisit dans un ravin où il me montra des pans de muraille qui s’élevaient dans le tuf ponceux. J'aurais désiré faire découvrir ces constructions ressemblant fort à celles de Therasia, afin de savoir quelle était la position exacte de leurs fondations, mais un malentendu avec le propriétaire du terrain m'en a empêché. Cependant m'a curiosité était éveillée par ce fait, et J'ai voulu visiter avec soin tous les ravins du voisinage, dans lesquels les dénudations opérées par les eaux permettent d’aper- cevoir des coupes naturelles du terrain. Dans le ravin même, où j'avais vu les constructions précédentes, au-dessus du tuf ponceux, mais sous une épaisseur d'environ 3 à 4 mètres de cailloux roulés et de terre végétale, j'ai reconnu l'existence d’une couche très- étendue, d'environ 30 centimètres d'épaisseur, formée presque en- tièrement de débris de vases. Quelques heures de fouilles dans cette couche m'ont fourni une quantité considérable de fragments de toute espèce, que J'ai rapprochés plus tard et avec lesquels j'ai pu recomposer des vases plus ou moins entiers. Dans un autre ravin, plus à l’est, on m'a montré dans la couche de cendre ferrugineuse assez compacte, située immédiatement au- dessous du tuf ponceux, deux tombeaux voütés et munis seulement d'une étroite ouverture vers le haut. Ces tombeaux, d'environ 2 mètres de diamètre sur 2 mètres de hauteur, ont été fouillés il y a longtemps. Je n’y ai trouvé autre chose qu'une monnaie byzantine, ce qui leur assignerait une date peu reculée, si l’on ne savait que les mêmes monuments ont souvent servi de sépulture à des générations d'époques fort différentes. À une petite distance de là, sous le tuf ponceux, J'ai aperçu une couche de cendre volcanique, pulvérulente, rougeatre, de quelques centimètres d'épaisseur seulement, dont la ressei:blance — 2192 — avec la matière terreuse de l’ancien sol des constructions de The- rasia m'a frappé sur-le-champ. La calcination d’une petite quan- tité de cette terre m'a prouvé rapidemment que c'était une ancienne couche de terre végétale. Dès lors, j'ai fait tous mes efforts pour la suivre le long du ravin et rechercher ce qu’elle pouvait contenir. Outre plusieurs fragments de vases semblables à ceux de Therasia, jy ai découvert divers petits instruments en obsidienne, et le paysan qui m'accompagnait a pu ensuite m'en procurer d’autres identiques à ceux-ci, ainsi que deux petits anneaux d’or trouvés dans la même couche. Les instruments en obsidienne ont deux formes différentes. Le plus souvent, ils ont l'apparence de petites lames de couteau al- longées, et ont alors 5 à 6 centimètres de long sur 1 centimètre de large. Ils présentent, d’un côté, une face plane ou légèrement concave dans le sens de la longueur, et de l’autre, deux faces in- clinées en toit avec une troncature sur l’arête de séparation, tron- cature qui est ordinairement fort étroite, mais qui, exceptionnel- lement dans certains échantillons, est au contraire très -large, de manière à faire disparaître presque entièrement les deux faces la- térales. j L'autre forme est celle de pointe de flèche. Les pierres de cette : espèce sont triangulaires; elles ont à peu près 1 centimètre de longueur et une largeur un peu moindre. Les deux petits anneaux sont en or très-pur; je les ai fait bouillir dans l'acide nitrique sans dissoudre aucune trace d'argent ou de cuivre. Leur diamètre est de 3 millimètres. Le métal qui les forme ne présente aucune soudure, ils ont été fabriqués à l’aide d’une petite masse d'or natif, qui a été aplatie à l'aide d’un mar- telage, transformée en une petite lame circulaire, puis retournée par une opération semblable à celle qui est connue dans l'industrie sous le nom de repoussage. Les deux bords de la lamelle rappro- chés ainsi du côté interne de l'anneau n'arrivent pas jusqu'au con- tact; il reste entre eux une petite gouttière. La matière de chaque anneau est donc creuse et évidée vers l’intérieur. Aux deux extré- mités d’un même diamètre, le métal est en outre percé de petits trous de la grosseur d'une aiguille à coudre ordinaire; d'un côté il n'y a qu'un trou, du côté opposé, il y en a deux très-rapprochés. Le diamètre étroit des anneaux et l'existence des trous qu’on y ob- serve montrent qu'il faisaient partie d'un collier. ET ve Les vases et débris de vases trouvés à Therasia et ceux qui proviennent des ravins d’Acrotiri sont façonnés avec les mêmes terres. Aucun n'est fait à la main, tous sont fabriqués à l’aide du tour. On dirait que les vases analogues des deux localités sont l'œuvre du même ouvrier; il est impossible de reconnaitre entre eux aucune différence, bien que les uns, trouvés au-dessous du tuf, soient antérieurs à la grande éruption ponceuse, tandis que les autres, trouvés au-dessus, sont postérieurs à cet événement. Avant d'essayer d'expliquer ce fait en apparence extraordinaire, puisque ces objets ont appartenu à deux populations dont l’une a remplacé l’autre après son anéantissement complet par la terrible éruption, nous allons dire quelques mots des formes principales présentées par ces vases, en les groupant d’après l'apparence de la terre dont ils sont composés et d'après leur genre d’ornemen- tation. | Un certain nombre, dont je formerai un premier groupe, sont faits d’une terre fine, légèrement jaunâtre, évidemment très-plas- tique. Ils sont ornés de bandes circulaires séparées par des traits verticaux ou- légèrement inclinés, régulièrement espacés. La ma- tière colorante, d’un rouge brunätre plus ou moins foncé, a été appliquée à l'état de liquide très-clair; elle était formée certaine- ment à l’aide d’une argile ferrugineuse delayée dans de l'eau. Le plus grand de ces vases, que j'ai pu recomposer presque en entier, a 24 centimètres de haut; son orifice à 17 centimètres de diamètre, il est muni de deux anses et d’un goulot. Un autre, de forme très-élégante et décoré de même, a 12 cen- timètres de haut, et lorifice a 7 centimètres de diamètre. Enfin, les nombreux fragments d’ornementation analogue qui ont été receuillis soit par M. Nomicos, soit par moi, montrent que ce genre de vases était assez commun. À côté de ces poteries ayant ordinairement d'assez grandes di- mensions, jen placerai d’autres généralemeut plus petites, qui paraissent fabriquées avec une terre jaunätre un peu moins fine. Je les regarde comme formant un second groupe très-distinct. Elles sont couvertes de dessins brunâtres d’un goût tout différent de celui qui a présidé à l'ornementation des précédentes. Ces des- sins sont composés de points et de lignes courbes mélangés avec art; quelquefois même ils représentent des guirlandes de feuillage. Un des vases de ce groupe, le seul entre tous qui m’ait offert cette — 244 — particularité , est recouvert intérieurement d'un enduit brunâtre chiné. Je ne possède aucun vase entier de cette espèce. Une troisième catégorie comprend des vases fabriqués à l’aide d’une terre blanche, très-fine et très-plastique. Ces vases offrent des formes extrêmement curieuses ; la plus commune, dont je pos- sède plusieurs exemplaires à peu près entiers, est une imitatation singulière de la pose et de la conformation de la femme. Ces vases présentent, en effet, une partie antérieure, renflée en avant, une sorte de ventre surmonté d’un goulot étroit renversé en arrière; au devant et en haut du renfiement antérieur se trouvent deux mamelons colorés en brun, entourés d’un cercle de points de même couleur figurant l'auréole du sein. Autour du goulot sont deux autres cercles de points inclinés en avant et représentant deux colliers ; et enfin, plus haut, des pendants d'oreilles sont figurés de .chaque côté par des bandes elliptiques concentriques, colorées en brun comme le reste de l’ornementation. Ces vases ont de 18 à 25 centimètres de hauteur. Ün autre vase de la même terre possède une forme très-diffé- rente de celle-ci, mais qui mérite également d’être mentionnée. Il est à peu près cylindrique; la hauteur en est de 15 centimètres, le diamètre de 8. Près du bord supérieur, il présente deux anses ayant la forme de deux petites tablettes rectangulaires pleines, appliquées de chaque côté par leur tranche et évidées seulement un peu sur leurs contours extérieurs. À la surface, il n'existe au- cune espèce d'ornement. Dans un quatrième groupe, Je rangerai des poteries fabriquées avec une terre rouge très-ferrugineuse. Ces vases n’offrent Jamais de dessins à leur surface. Leur forme et leur grandeur varient beaucoup. L'un de ceux que j'ai rapportés est une espèce d'é- cuelle évasée, avec une seule anse très-petite près du bord. D’autres ont la forme de tasses, avec ou sans anses. Enfin, on trouve en grande quantité de petites coupes peu profondes, dont Jai pu rappor ter une douzaine d'exemplaires. Un ne né groupe comprend toutes les Pons es communes, faites à l’aide d’une terre rosée, dans laquelle j'ai pu distinguer des fragments de feldspath incomplétement décomposés. Les plus remarquables d’entre elles sont ces grands vases d'au moins cent litres de capacité , dont trois ont été trouvés entiers à Therasia, et dont j'ai découvert des fragments à Acroltiri. Ces vases sont FOR 2 Br — vus d’un épais rebord autour de leur orifice et présentent un peu plus bas, au-dessous du col, un ornement étroit en saillie qui fait le tour du vase et offre une série de parties déprimées très- rapprochées les unes des autres. Il faut peut-être rapporter, au premier des groupes que je viens d'établir, des entonnoirs fabriqués avec une terre jaunâtre, dont j'ai trouvé trois exemplaires dans le premier ravin d’Acrotiri, deux à demi brisés, le troisième en parfait état de conservation. Ces entonnoirs sont cependant beaucoup plus épais de paroi que les vases dont j'ai fait une première classe, et, en outre, 1ls sont re- couverts d’un enduit ferrugineux uniforme très-mince, ce qu'on n’observe jamais dans ceux-ci. Ils sont munis d’une petite anse et d’un rebord faisant une légère saillie autour de leur grand orifice, qui a 8 centimètres de diamètre; le petit n'a qu'un millimètre. Leur longueur est de 15 centimètres. Enfin, M. Nomicos a trouvé à Therasia les débris d’un vase dont il m'a donné plusieurs fragments, et que je ne saurais rattacher à aucune des catégories précédentes. En effet, cette poterie est faite avec une terre grisàtre, très-fine; elle est recouverte d’un enduit d'un gris presque noir, semé de dessins blancs, qui représentent des feuillages. C’est le seul vase sur lequel j'aie vu deux couleurs appliquées l’une sur l'autre. Après avoir décrit en détail les constructions de Therasia et les objets qui y ont été trouvés ainsi qu'à Acrotiri, voyons les indica- tions que l’on en peut tirer sur le degré de civilisation auquel était parvenue l'humanité dans les îles du sud de Archipel, à l’époque de l’éruption du tuf ponceux. L'absence d'instruments formés de métaux usuels nous montre d’abord qu'on en était encore à l’âge de la pierre; les deux petits bijoux d’or, que j'ai rapportés d’Acrotiri, sont les seuls objets mé- talliques de cette époque, que l’on ait trouvés jusqu’à présent dans les îles du pourtour de la baie de Santorin, et leur mode de fabrication, ainsi que la pureté de l'or qui les forme, prouve qu’a- lors la métallurgie n'existait réellement pas. Cependant, la déli- catesse des instruments en pierre que lon a découverts montre déjà une adresse singulière chezlesindividus qui les façonnaient; ces petits outils sont , en effet, bien plus soignés que les instruments en pierre qu'on rencontre si fréquemment en France. Les seuls instruments de cette espèce qui pourraient leur être comparés, 066 20 sont ceux qui ont été découverts au Mexique, et qui s'y fabri- quaient encore à l’époque de la conquête espagnole. Les pierres taillées qui se voient aux angles de la grande cons- truction de Therasia, et la pierre de la colonne prismatique voisine, indiquent également une certaine habileté chez les ou vriers qui ont élevé ce bâtiment, surtout quand on pense à la nature des outils qu'ils employaient. Mais les preuves d’une haute industrie et d’une finesse de goût extraordinaire sont surtout four- nies par les vases fabriqués au tour comme nos poteries modernes, et si remarquables par la beauté de leurs formes et par leur décoration. La plupart de ces vases n’ont pas été fabriqués sur le sol où ils viennent d'être retrouvés; ils ont été apportés du dehors, car à Santorin, pas plus qu'à Therasia, on n'aperçoit aucune matière argileuse propre à la confection des vases. Au premier abord, j'ai cru, à la vérité, que certaines couches de cendres volcaniques de Santorin pouvaient avoir fourni la matière nécessaire à cette fabri- calion , bien que ces cendres, délayées dans l’eau, formassent une pâte presque entièrement dépourvue de plasticité; mais, en dosant comparativement la silice contenue dans un fragment de vase et celle qui entre dans la composition d’une cendre de même colo- ration, j ai constaté de suite qu'il y avait une telle différence qu'on ne pouvait raisonnablement regarder les vases comme façonnés avec la cendre (le fragment de vase que j'ai analysé contenait AS pour 100 de silice, et l'échantillon de cendre 57 pour 100). Ainsi donc, les poteries que l’on trouve si abondamment sous le tuf ponceux de Santorin et de Therasia provenaient en grande partie de l’extérieur. On pourrait, tout au plus, regarder les plus communes d’entre elles comme fabriquées avec un mélange de cendre volcanique prise sur place avec de l'argile importée, mais cette hypothèse même est peu propable, et il me semblerait beau- coup plus naturel de les regarder comme venant de certaines îles voisines et particulièrement de Milo, où l’on en fait encore au- jourd'hui de semblables. Les poteries rouges {quatrième groupe) peuvent avoir été apportées d'Anaphe, autre île du voisinage, d’où l'on tire maintenant des vases de même apparence comme ma- tière, sinon comme forme. Mais, quant aux vases des trois pre- mières catégories, bien qu’on ait pu trouver en Grèce l'argile né- cessaire à leur fabrication, je suis fort tenté de leur croire une TS PNR OURS SP I OS I NO PE NE SE EE = origine plus éloignée. Ils ne ressemblent en rien aux vases grecs que nous connaissons ; ils ne ressemblent pas davantage aux vases étrusques ou égyptiens, et, au contraire, des fragments de pote- rie rapportés par M. de Saulcy du désert moabite, et actuellement déposés au musée Napoléon II, au Louvre, offrent une grande analogie de décoration avec ceux dont J'ai fait un premier groupe. Par suite, si l’on s’en rapporte à cette indication, unique à la vé- rité, on doit conclure que les vases les plus curieux parmi ceux qui ont été trouvés soit à Therasia, soit à Acrotiri, ont été fabri- qués en Orient; ce qui supposerait , à l’âge de pierre, l'existence d’une navigation avancée, et d’un commerce étendu dans cette partie du bassin de la Méditerranée. Les deux petits anneaux d'or découverts à Acrotiri prouvent seulement des relations avec Îles continents voisins et probable- ment avec l'Asie Mineure, dont certains fleuves ont été célèbres dans l'antiquité par la quantité d'or qu'ils charniaient. Il est cer- lain, dans tous les cas, que l'or n’a jamais été trouvé ni à Santorin, mi dans aucune des iles volcaniques du voisinage. Enfin, on pourrait penser peut-être que les instruments en silex et en obsidienne ont été fabriqués dans la grande île qui existait avant l’effondrement, car maintenant, d’une part, à San- torin, près du village d'Acrotiri, on trouve des meulières et des concrétions siliceuses, et, d'autre part, les laves de Santorin et de Therasia ont une grande tendance à prendre l'apparence vitreuse qui caractérise l’obsidienne. Cependant un examen attentif me fait encore admettre que les objets en silex et en obsidienne trou- vés par M: Nomicos et par moi, ont été, comme les vases , ap- portés du dehors. En effet, la meulière de Santorin est toujours imparfaite. Bien que j'aie parcouru pas à pas la région d’Acrotiri, je n'ai jamais trouvé aucun échantillon siliceux qui füt capable de four- nir une pierre jaunàtre, translucide, homogène comme celle qui forme la petite scie provenant des fouilles opérées par M. Nomi- cos; et, d’un autre côté, la lave de Santorin, même lorsqu'elle prend lapparence vitreuse, n’acquiert jamais une translucidité comparable à celle de la véritable obsidienne, et de plus, elle est ordinairement émaillée de petits cristaux blancs de feldspath, qu'on n'observe pas dans la matière des instruments que j'ai rap- portés. I faut aller à Milo pour trouver une roche volcanique qui — 248 — puisse avoir fourni l’obsidienne des couteaux et des pointes de flèche d’Acrotiri. L'examen des instruments en pierre prouve donc aussi bien que celui des vases et des objets en or, l'existence d’un commerce maritime contemporain de l’âge de pierre. Ces renseignements ne sont pas les seuls que nous possédions sur les habitudes et le genre de vie des anciens habitants de la orande île. Nous savons qu'ils cultivaient les céréales; j'ai recueilli moi-même, en grande quantité, de l'orge carbonisé, dans l’habi- tation de Therasia, et d’après M. Decigalla, médecin de Santorin, on y aurait rencontré, en outre, des pois chiches , des semences de coriandre et de l’anis. Je n'ai pas trouvé de blé et je ne crois pas non plus que MM. Nomicos et Alafousos en aient recueilli; par conséquent, je pense que cette céréale était inconnue. Le grain ré- colté était conservé soit en tas, soit dans des vases de grande ca- pacité. Les petites meules, dont on a découvert plusieurs paires, montrent que l’on connaissait la fabrication de la farine et propa- blement celle du pain. On pratiquait l'extraction de l’huile des olives, on élevait du bétail et l’on savait peut-être faire du fro- mage, comme on pourrait l’affirmer, si l’on regarde comme tel une matière pâteuse trouvée dans un vase par M. Nomicos. On connais- sait l'usage des poids, ce qui suppose qu'on possédait un système de numération. La balance employée était, je pense, l’instrument connu aujourd'hui sous le nom de peson ou balance romaine. Ce qui me porte à adopter cette idée, c'est la découverte, dans les fouilles de Therasia, des disques en lave percés d’un trou, dont j'ai donné précédemment la description. La forme de ces objets s’ex- plique tout naturellement si on les regarde comme ayant servi de contre-poids dans lemploi du peson, et cette hypothèse n’a rien d’impropable, puisqu'on les trouve toujours avec les poids. Les ouvriers que j'ai employés donnent néanmoins à l’usage de ces disques une autre interprétation-qui n’est pas moins curieuse. Ils pensent qu'ils ont servi à tendre sur le métier la trame de tis- sus en voie de fabrication, parce que de semblables pierres servent encore aujourd'hui pour cet usage aux lisserands de Santorin et de Therasia. Si l’on admet cetie opinion, on devra voir dans ces objets la preuve qu’on savait tisser et confectionner des étoffes à l'époque où l'usage des métaux était encore inconnu. Enfin, l'abondance des morceaux de bois d’olivier et de mastic — 249 — trouvés dans les ruines de l'édifice de Therasia prouvent qu'alors l'ile était très-boisée et que ses habitants étaient des agriculteurs ou des bergers et non des vignerons comme à présent. Ces données sur le genre de vie des anciens habitants de l'île une fois acquises, achevons d'exposer ici les renseignements que nous possédons sur la catastrophe qui a donné naissance à la baïe de Santorin. D'abord nous pouvons démontrer que la grande éruption pon- .ceuse a précédé l'effondrement du centre de l'ile, car le tuf qui couvre les falaises actuelles de Santorin et de Therasia est coupé à pic comme les laves sous-jacentes, ce qui ne peut s'expliquer qu'en supposant qu'il a été entaillé par l'effondrement tout comme le reste. Mais, il est extrêmement probable que ces deux faits, entre lesquels on ne trouve aucun autre événement géologique , se sont suivis à court intervalle, car il serait difficile, sinon im- possible, de concevoir l'indépendance de deux phénomènes aussi considérables ayant eu leur siége au même point. Quant à l'érup- tion ponceuse elle-même, elle ne parait pas avoir été précédée, comme on aurait pu le penser, par aucune secousse violente de tremblement de terre, car, dans ce cas, l'habitation de Therasia eût été certainement renversée et nous n'aurions trouvé debout aucune de ses murailles, Ce fait est d'autant plus remarquable, que le mode de construction des bâtiments nouvellement décou- verts prouve que sol de l’île était déjà auparavant sujet aux trem- blements de terre, les pièces de bois interposées dans l'épaisseur des murs n'ayant pas d'autre emploi que d'empêcher les effets désastreux des secousses du sol (cet usage est encore maintenant en vigueur dans toutes les îles de l’Archipel, et précisément pour ce même but). S'il y a eu des ébranlements considérables du sol pendant l’éruption, ils n'ont dü se produire que lorsque les mai- sons de Therasia étaient déjà remplies par la pierre ponce, et leurs habitants écrasés sous les ruines de leurs demeures. La population tout entière de l'ile a été anéantie dès le début du grand événement, et les îles actuelles n'ont été repeuplées que plus tard par des étrangers. Cette seconde colonisation s’est effectuée cependant peu de temps après la catastrophe, puisque les nouveaux venus paraissent avoir eu la même civilisation et les mêmes relations extérieures que leurs prédécesseurs, conclusion à laquelle on arrive forcément quand on remarque l'identité des MISS. SCIENT. —— IV. 17 — 950 — vases trouvés à Acrotiri, sur le tuf ponceux, avec ceux qu’on décou- vre au-dessous à Therasia. Reste maintenant une question à laquelle je n'ose répondre qu'avec de grandes réserves ; je veux parler de la date de l’effon- drement. La formation de la partie volcanique de la grande île n’a guère commencé qu'à la fin du dépôt du terrain tertiaire pliocène. La durée de son accroissement, mesurée par le temps nécessaire à la production des assises de lave dont on voit la coupe le long des falaises de Santorin, n’a pas été moindre que toute la durée de la période quaternaire. On arrive donc ainsi à penser que l'effondrement, dans la manière de compter le temps employée habituellement par les géologues, est un phénomène moderne. Mais la période géologique actuelle correspond encore à des mil- liers d'années ; nous devons essayer de préciser davantage notre réponse et d'établir au moins la date la plus rapprochée de nous à laquelle l’éruption ponceuse ait pu s’accomplir. Des phéno- mènes géologiques plus récents que l'effondrement vont servir de base à notre calcul. Le premier fait sur lequel je m'appuierai est emprunté à Pob- servation des ilots du centre de la baie. Après l'effondrement et les terribles phénomènes qui l'avaient précédé , il y a eu certai- nement une longue période d’assoupissement : c’est seulement 196 ans avant Jésus-Christ qu'une éruption nouvelle a produit l'ilot nommé Palæa-Kameni. À partir de cette date, des éruptions successives ont eu lieu pendant les premiers siècles de l’ère chré- tienne et ont agrandi l’ilot nouvellement formé. Une seconde pé- riode de calme relatif a rempli tout le moyen âge, et ce n’est qu’à partir du xv° siècle que les éruptions ont repris leur fréquence et leur énergie, et engendré de nouveaux îlots. La seconde période de calme ayant eu une durée de dix siècles environ, on peut, sans témérité, attribuer à la première une durée minima double de celle-ci, surtout quand on compare l'intensité si différente des phénomènes volcaniques auxquels ils ont succédé. D'après cette considération, la formation de la baie remonterait à environ deux mille ans avant J. C. Le second fait que j'invoquerai pour arriver à la même con- clusion est le suivant : À la pointe nord de Therasia et sur la portion de Santorin si- — 251 — tuée en face, le tuf ponceux est recouvert d’une couche de cailloux roulés, d'environ 15 à 20 mètres d'épaisseur, renfermant des coquilles marines. Sur la côte orientale de Santorin, près de Ko- lumbo, mon savant compagnon de voyage, M. de Verneuil et moi, nous avons encore constaté le même fait. Tous ces points ont donc été, après la formation du tuf ponceux, pendant un certain temps au-dessous du niveau de la mer, puis, relevés par un mou- vement d’exhaussement probablement lent. Or, sur la partie de Therasia ainsi relevée , il existe des constructions antiques avec des inscriptions, qui ont permis à M. F. Lenormant d’en fixer la date au vn° siècle avant notre ère. Ces constructions ont été bâties à une époque où l’exhaussement était même plus marqué qu'au- jourd’hui, car une partie d’entre elles sont actuellement au-des- sous du niveau de la mer. Or la formation de la couche marine qui les supporte et son relèvement, qui sont par conséquent an- térieurs au vr° siècle avant notre ère, ont exigé une durée que je ne crains pas d'évaluer au moins à dix ou douze siècles. On retombe donc à peu près sur la date que j'ai fixée précédemment pour l’âge du tuf ponceux. Enfin, les faits historiques confirment encore cette manière de voir, car on sait, d'après des données positives, que l’invasion des Phéniciens dans lesiles du sud de l’Archipel date du xv° siècle avant notre ère. Or les constructions, les instruments et les vases de ces peuples et de ceux qui les ont remplacés plus tard sur le même sol sont entièrement différents de tout ce qui a été découvert à Therasia et à Acrotiri. Les populations contemporaines de l’effon- drement de la baie de Santorin ont donc occupé lile avant les Phéniciens, et par conséquent antérieurement au xv° siècle avant Jésus-Christ; et comme la grandeur des ruines de leurs habita- tions, l’abondance et la variété des poteries, dont nous retrouvons les débris en des points éloignés l’un de l’autre, montrent qu’elles y ont eu des établissements stables, on est en droit de penser qu'elles y ont vécu pendant plusieurs siècles, et, par suite, qu’elles pouvaient y habiter 2000 ans avant notre ère. Ces considérations sur l’époque de leffondrement de la baie de Santorin sont la conclusion de mes recherches relatives à cette question. Les fouilles que j'ai fait effectuer n’ont mis au jour qu'une bien minime partie des trésors archéologiques que recèle le sol de Santorin et de Therasia, mais quelque peu étendues 17: — 252 — qu'elles aient été, j'espère que Votre Excellence les jugera dignes d'intérêt. | - Je suis avec respect, Monsieur le Ministre , de Votre Excellence, le très-humble et très-obéissant serviteur, F. Fouque. Archives des missions scien tJig ues, Tome pages 272 a 245. CARTE NIHOLNVS ‘I RES DEN TAN NAN NN ESS mu > Es nn » 5 TDTEY SO] M'Elie IR Line RE un ANA. LR 0 Pme 2 EE d RTS ee Neo Kaïmemi EntréeSud SANTORIN. C. Akrotert C-Exomiti LAspro ipiti Imprimerie Impériale. LN Fou F La". . 1 ' Û & | k Eu 1 ". M ni LS NAIL AE UE rue LT L'ILE r MN LT Paie ME Je ri A A Ve RME Let à LE en F u 1 h < À à gt #0 ï ; il "a l.& à 5 \: / . ee ‘set t rt ( l ÿ f À | | ï Ÿ (l La Ï = pages 2 , me IV. ù figues. TL te USSLONS SCC es des n Arcliv x La br riale ë Imp Mmpr1 InmeTr1e ! L Archives des missions seterdt/iques, lome , pages 245, 244, 245. L Imprimerie limpériale Archives des missions scienti iques, Tome IF. page 242. Jnprimerie Impériale et vo “pneu sneuuduy œgouor C6 902 se VISYUHHL 4Q {AT sonb 1107SIU-9YUE SUOTFN ANS UO) S9P NV'Td ? }0DJU? ænoouod. An} DA TD er ve . . _ 2 À a . 2. Me / à 2 7 2 7 DUU0O)O) Le DOS | 7 a, D be nr = ET Ta me ne LR NACRE. à CNRS | NT + VER Fe } re: (4 É Che D cfa sobpd # J 1u07 onbifruons SUOISSNU SOP SDATIAFT n « . . . . SORT SEEN Cap Tripit Imprimerie Impériale. 1 Jrhives des HASSIONS sctondifiqus tome IW pages 242 à 245. | Aves / | Coupe de la falaise de Therasia | à l'endroit des constructions ante-historiques Profil gcologique de la cote sud de Therasia. Cap Kimina Cap Pripiti Es Tuf'ponceur. sr] Lave. ESS = Conglomérat et cendre Constructions. Échelle 15000 —_—_—— ——— = 1 _—| ï 2 ur 4 ce o 77) E777 7 00 où dou zou dou goe Jour vtr Hprimerie Impériale. RAPPORT SUR UNE MISSION DANS L'ILE DE SAMOTHRACE, PAR M. GUSTAVE DEVILLE, ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE D'ATHÈNES, DOCTEUR ÈS LETTRES. 9 avril 1867. Monsieur le Ministre, Le rapport que j'adresse à Votre Excellence a pour objet de lui rendre compte de la mission épigraphique et archéologique dans île de Samothrace, dont M. Coquart, architecte, ancien pension- naire de l’Académie de France à Rome, et moi, nous avons eu l'honneur d’être chargés. Je commencerai par rappeler à Votre Excellence que, confor- mément à nos instructions, nous nous rendimes d’abord à Prévéza, en Épire , afin de consulter M. Champoiseau, vice-consul de France à Janina, sur les antiquités de l’ile de Samothrace, qu'il avait ex- plorée précédemment, et aussi afin de voir s’il y aurait lieu d’en- treprendre des fouilles à Nicopolis et à Dodone. Voici pour quels motifs nous avons renoncé à cette dernière recherche. Nicopolis est un emplacement très-vaste. Pour y obtenir des ré- sultats de quelque importance, il aurait fallu y faire des fouilles considérables, et cela nous était impossible avec le peu de temps dont nous disposions en dehors de l’exploration de Samothrace, notre objet principal. J’ajouterai que les ruines de Nicopolis sont exclusivement romaines et byzantines, ce qui leur ôte une grande part d'intérêt. Pour Dodone, aucun texte ancien ne détermine l'emplacement soit de la ville, soit du sancluaire, et aucun indice local n’a jusqu'à présent fourni à cet égard de données authentiques. H fau- JE ee en conclure que, si la ville et le sanctuaire ont laisse des traces, elles sont insignifiantes, et que ce serait chercher une ombre que de chercher Dodone aujourd'hui. Nous crûmes donc devoir con- tinuer notre route sur Samothrace. Cette île avait été déjà l’objet de deux explorations : celle de A. Conze, en 1858, dont il a rendu compte dans un mémoire excellent intitulé Reise auf den Inseln des Thrakischen Meeres, et celle de M. Champoiseau en 1863, qui commença des fouilles et qui a envoyé au Louvre une Victoire et des marbres divers pro- venant de cette île. Ce sont même les rapports de M. Champoi- seau qui ont déterminé la mission dont nous avons été chargés. Ces rapports faisaient beaucoup trop présumer des résultats. La vérité à cette égard a besoin d’être rétablie; je le fais en peu de mots. D'abord, par suite de violents tremblements de terre, les édi- fices se sont écroulés entièrement. Mais ce n’est là qu’un faible mal en comparaison des dévastations accomplies par les hommes, soit pour tirer de ces décombres des matériaux tout prêts, soit pour élever à la même place de nouvelles constructions. On voit en effet que tout a été bouleversé, et que ces ruines ont été pen- dant des siècles une carrière de pierre et de marbre. L'existence de deux grands fours à chaux qui travallaient en- core ces dernières années ne peut laisser de doutes sur la dispa- rition des marbres de petite dimension, c’est-à-dire, précisément des inscriptions et des bas-reliefs ; car ceux que M. Champoiseau a envoyés au Louvre, et que d’ailleurs Conze avait fait connaître dans son mémoire dès 1860, se trouvaient placés dans des murs appartenant à des constructions diverses, et c'est cette circonstance qui les à sauvés. Voilà, Monsieur le Ministre, sur quel terrain ravagé et un peu ingrat la mission avait à opérer. Maintenant que ce point a été établi, j'entre dans le détail de notre exploration. L’ile de Samothrace est située: au nord de l’Archipel, devant la côte de Thrace, et au sud-ouest des bouches de l'Hèbre. Elle est à environ douze lieues, par mer d'Enos, petite ville de Thrace, où l’on s’'embarque ordinairement pour passer dans lile. — 255 — Enos, ancienne cité d’origine éolienne, est placée sur la rive gauche de lHèbre, à son embouchure. Par suite des atterrisse- ments du fleuve, cette ville, qui avait autrefois un port, se trouve maintenant à une lieue de la mer, derrière des lagunes. C’est à Enos que tous les blés d’Andrinople vont s’embarquer pour l’Europe. On sait que la Thrace a toujours été célèbre pour ses céréales; il y a précisément un éloge du blé d’Enos dans Pline l'Ancien (liv. XVII, ch. x11). Les antiquités d'Enos ne consistent qu'en débris fort insigni- fiants d'inscriptions et de bas-reliefs qui ornent çà et là des murs de maisons. Nous avons remarqué un chapiteau et une.colonne, dont le style conviendrait à l'époque de Vespasien. Une forteresse génoise (car Enos a appartenu à des Génois du xrv° au xv° siècle) dresse ses tours au centre de la ville; cette forteresse, dont les matériaux sont en grande partie antiques, paraît occuper l'empla- cement d'une acropole. Elle renferme aujourd'hui le quartier turc et la mosquée, qui est une ancienne église byzantine assez bien conservée. | La ville s'est étendue davantage autrefois, car nous avons trouvé à l’est, dans des terrains non habités, des traces évidentes de maisons et de tombeaux. Nous avons trouvé aussi de ce côté deux cimetières turcs tout remplis de marbres, mais dont aucun ne portait d'inscription. On voit autour d'Enos deux ou trois tumulus; l’un d'eux est peut-être celui du Troyen Polydore (Pline, liv. IV, ch. xviu). Le pays est triste. D’un côté, c’est une plaine qui fuit à perte de vue vers le nord entre deux lignes de montagnes lointaines : cette plaine est celle de Doriscus, où Xerxès passa en revue son armée. De l’autre, c'est l'embouchure de l'Hèbre, avec ses marécages et ses lagunes, et la mer. On dirait presque un paysage du Nord, vaste et mélancolique. D'Enos, on aperçoit nettement Samothrace, qui n'en est qu'à quelques heures. L'aspect de cette ile est imposant. Elle ressemble à une mon- tagne qui se serait élevée au milieu de la mer d’un seul jet. Je ne sais quoi de calme et de grave dans ses formes lui donne une ma- Jesté qui dut frapper les anciens navigateurs d’une sorte d’im- pression religieuse, et peut-être même les détermina à y placer un sanctuaire, Elle est large et haute; le mont Athos seul la surpasse — 256 — dans ces parages. Ses flancs, loin d'être dépouillés comme ceux de la plupart des îles grecques, sont couverts de forêts. Les côtes sont inhabitées, et son premier aspect est celui d’une île vierge et déserte. Elle n’a ni port ni escale, mais seulement quelques anses mauvaises. Elle n’a qu'un village, qu'on ne peut apercevoir de la mer, parce qu'il est placé à une heure et demie du rivage dans un repli des montagnes, au-dessous de la cime du Phengari, position choisie sans doute afin d'échapper aux pirates. Ge village se compose de quelques centaines de maisons qui s'étagent en demi-cercle sur les flancs d’un ravin; elles sont basses et petites; leurs toits plats servent de terrasse. À l'entrée du village, sur une roche droite et carrée comme un piédestal, s'offre une ruine : c’est un ancien château génois du xiv° ou du xv° siècle; car, à cette époque, Samothrace, comme Enos, appartenait à des Génois. Ce qui est plus curieux, c’est qu’au pied de cette même roche se voit un reste de substruction cyclopéenne. Ce point aurait donc été habité dès les premiers temps. | Le village compte au plus deux mille habitants, et, comme il est seul, c'est toute la population de l'île. Ce sont des Grecs; mais je doute, avec Conze, qu'ils soient indigènes ; car ils n’ont ni type ni dialecte, à part le patois des bergers, qui, du reste, n'of- fre aucun intérêt à la philologie. Comme l'ile, après avoir pris les armes lors de la guerre de lindépendance, fut mise à feu et à sang par les Turcs, il est plus que probable que la population actuelle, sauf ces bergers, est venue du dehors. Cette population est douce et paisible ; elle nous fournit pour nos fouilles d’intelligents et laborieux ouvriers. Le village est situé vers la pointe occidentale de lile nommée Acrotiri, qui est le seul coin cultivé de Samothrace. Cette pointe, basse et plate, présente au sud une échancrure qui pourrait bien avoir été le port Demetrium que Tite-Live indique «en un cer- tain promontoire de Samothrace » {liv. XVI, ch. vr). Le reste de l'île n’est qu'une montagne inculte ét sauvage qui vient jusqu’au bord de la mer, et qui n’est fréquentée que par des bergers, des chasseurs et des bûcherons. La partie sud est aride; les eaux y tarissent en été. La partie nord est boisée, el riche en torrents et en sources. C’est dans cette partie que se trouvent les bains et les jardins. Les bains sont des = 267 — eaux minérales, sulfureuses et alcalines, que l’on a commencé à venir prendre d'Enos, de Thasos et de Cavala. Les jardins sont des vergers situés dans le voisinage, où l'on recueille beaucoup de fruits. Un peu au-dessus de ces deux localités, au milieu d'un bois magnifique, sont les ruines du couvent Chrisios, où j'ai revu les inscriptions que Conze y avait copiées en 1858. Cette île ne possède point de bateaux, et c'est à peine si elle a quelques relations avec les îles ou les continents voisins. L'été, des barques y amènent des familles pour les bains ou viennent char- ger du charbon de bois et des fruits. L'hiver, la violence du vent qui souffle sur cette mer, et le manque de ports tout le long de ses côtes , la rendent inabordable; elle reste durant quatre mois dans un isolement absolu. Cette île fut-elle jamais très-habitée et très-prospère? Cela pa- rait douteux, d'autant plus qu'on ne voit de ruines antiques que sur un seul point, à Paleopoli, qu'ainsi il n’y aurait jamais eu qu'une seule ville à Samothrace. Il Les ruines de Paleopoli sont situées au nord-ouest de Pile, sur la côte qui regarde la Thrace. Elles comprennent sous ce nom, ancienne ville, une cité et un sanctuaire. 1° La ville. — La ville était placée au bord de la mer. Elle oc- cupait une espèce d'amphithéätre formé par la base d’un versant très-incliné, qui se détache des montagnes de l’île. À l'est, ce ver- sant est défendu par des escarpements à pic, et à l'ouest par des pentes plus ou moins accessibles que garnit, depuis le sommet jusqu'au bord de la mer, une muraille cyclopéenne de plus d’une demi-lieue. Il faut se représenter cette muraille massive suspen- due dans le haut du versant, sur une pente d'au moins 45 degrés, pour apprécier la hardiesse et la grandeur de louvrage. Ce sont bien les mœnia antiqua Corybantum dont a parlé un poëte ancien (Priscien, Periegesis, v. 516). Cette muraille enfermait plus d'espace que la ville n’en occu- pait, car la pente dans le haut du versant est si roide, qu’elle n'a jamais pu recevoir d'habitation ; mais il fallut absolument l’enfer- mer dans la ville, parce que cette position la commande, et que de là on aurait pu l'écraser.- — 258 — La partie la moins bien conservée de la muraille est celle qui avoisine la mer ; elle est détruite de ce côté en plusieurs endroits, Mais, sur la hauteur, elle ne présente pas d'interruption. Seule- ment, le haut du mur est tombé partout en dedans : c'est sans doute l'effet d’un tremblement de terre. Dans cette partie, nous avons reconnu trois portes et deux tours carrées. L’une des tours est hellénique, l’autre est cyclopéenne. Des trois portes, celle qui est la plus rapprochée de la mer se distingue par un curieux détail de construction : ce sont des côtés qui s’avancent en dehors du mur, et qui ont leurs antes en appa- reil hellénique. Il est probable que nous avons là la grande porte de la ville, et même la porte sacrée, c’est-à-dire celle par laquelle les processions solennelles des initiés se rendaient au sanctuaire, dont elle se trouve justement la porte la plus voisine. Tout au sommet du versant, on est surpris de voir, jusque sur les derniers rochers qui le couronnent, des restes de fortifications. C'était un poste d'observation, d’où l'œil embrasse, du mont Athos à la Chersonèse, un horizon de cinquante lieues. Cette muraille cyclopéenne est malheureusement presque tout ce qui subsiste de l'ancienne ville. Les fouilles que nous avons faites sur l'emplacement de celle-ci n'ont eu à peu près aucun résultat. On reconnaît seulement des débris appartenant à des époques différentes. Ainsi le sol, que le temps a couvert partout d’une végétation abondante et d'arbres séculaires, est jonché de morceaux de poteries grossières, qu'on ne peut attribuer qu'au moyen âge, ainsi que les décombres de quelques églises. À l’an- tiquité appartiennent des pans de substructions cyclopéennes qui servaient à soutenir des édifices sur la pente du terrain. Mais l'ob- jet le plus remarquable est une haute tour carrée, placée à un angle de la ville, et qui faisait partie d’un château dont le reste est en ruines. C’est encore une construction génoise. Gette tour, et ce qui reste en outre du château, se composent de matériaux antiques, la plupart en marbre; je signale entre autres quelques fragments d’un petit ordre dorique. Nous croyons que cette ville a eu un port. En effet, au pied de l'emplacement qu’elle occupait, on remarque un espace en forme de baie, dont le fond est couvert d'arbres et de broussailles. On sait combien les rivages se transforment par l’action de la mer, des rivières, des torrents. Ici, ce sont les eaux des montagnes et — 259 — un torrent dont on peut suivre le lit, qui ont sans doute comblé cette baie. Du reste, ouverte au vent et peu profonde, elle ne dut jamais faire un port sûr, ce qui expliquerait comment le géo- graphe Scylax dit que Samothrace avait un port, et comment de son côté Pline appelle cette île importuosissima (livre IV, ch. 23.) Cette ville s'appelait Samothrace; c'est Étienne de Byzance qui le dit; son texte est formel à cet égard : « Samothrace, île avec une ville du même nom. » Je sais qu'on a proposé un autre nom, et cela d’après un texte du même auteur; mais, selon moi, ce der- nier texte est fautif, ou a été mal interprété. 2° Le sanctuaire. — En sortant de l'enceinte cyclopéenne par la porte dont j'ai parlé précédemment, on descend à l’ouest dans un vallon dont le terrain inégal est couvert d’une végétation vi- goureuse; trois ravins le partagent, mais se réunissent ensuite en un seul en approchant de la mer. C'est là que sont les ruines du sanctuaire. Sur la rive droite du premier ravin, en sortant de la ville, s'offre une plate-forme carrée, portée sur un soubassement que traverse un passage voûté. L'édifice qui la couvrait s’est écroulé entière- ment. Cette ruine est appelée Phylaki. Après avoir traversé le ravin, on gravit une éminence qui s'abaisse bientôt vers un second ravin, sur la rive droite duquel se voit encore une plate-forme; mais celle-ci est circulaire, et sou- tenait comme la première un édifice dont il ne reste que des dé- bris écroulés. En remontant un peu le ravin, on aperçoit sur une espèce d'ilot bas un amas de marbres qui appartiennent à un temple dorique entièrement renversé. Enfin, en traversant ce second ravin, on trouve sur la rive gauche un terrain élevé, où les ruines deviennent considérables. Ce sont principalement celles de deux édifices, construits en cal- caire coquillier, dont l’un est un grand temple dorique. On ren- contre aussi des restes de moindre importance, entre autres ceux du petit monument d’où provient la Victoire envoyée au Louvre par M. Champoiseau. Telles sont les ruines dont se compose le sanctuaire. Nous al- lons les reprendre en détail, en commençant par celles des deux grands édifices en calcairé coquillier, à cause de leur importance et de leur ancienneté. Le premier est un grand temple dorique. L'espace sur lequel D il s'élevait ne présente aujourd’hui qu'un champ de blocs renver- sés, confondus, déplacés, sur lequel on ne trouve plus ni dallage ni soubassement, comme si ces dalles et ces pierres avaient été enlevées avant qu'un dernier tremblement de terre vint ache- ver la ruine commencée de lédifice. De plus, des constructions dont il serait difficile de préciser la nature ont été élevées à une époque postérieure sur l'emplacement même du monument, avec ses propres matériaux; ce qui a rendu singulièrement obscures les traces du plan primitif. Des fouilles faites à plusieurs places nous ont fourni quelques données sur les dimensions générales du temple. Il nous a paru en particulier d’une longueur extraordinaire; cé qui peut s'expliquer, du reste, par lexistence à la partie postérieure, soit d’un trésor, soit d'habitations réservées aux prêtres et au personnel du sanc- tuaire. Les.débris, dont l’architecture est encore reconnaissable malgré l’action du temps, sont d’un style ancien et sévère. Les matériaux témoignent aussi de l'ancienneté de l'édifice; il est sans doute d’une époque où l’on n’employait pas encore le marbre, qui d’ail- leurs est étranger à l'ile. C'était là évidemment le grand temple de Samothrace. Sa position est en rapport avec son importance : elle domine tout le vallon. Le second édifice forme à peu près un carré. Des murs qui le composent, deux sont parallèles et de construction antique; les deux autres ont été remaniés et offrent des traces de ciment. Il ne reste plus que les premières assises; leur épaisseur fait juger que les murs devaient être élevés. L'espace contenu entre ces quatre grands murs est occupé au centre par un cercle de pierres posées de champ, dont il est im- possible de deviner l'usage, tandis que des bouts de murs bas, les uns droits, les autres courbes, s'appuient çà et là aux quatre murs principaux. Cette disposition est inexplicable; mais d’après la ma- nière dont ces petits murs sont construits, on ne peut guère sup- poser qu'elle soit antique. Ses matériaux sont les mêmes que ceux du grand temple, et il est à croire que les deux édifices sont contemporains. Il est placé sur la colline en contre-bas et comme dans la dépendance du grand temple. L'état actuel de l'édifice ne permet point d'en recon- naître le dessin primitif; mais les mystères qui se célébraient à = Samothrace font penser que ce pouvait être une sorte d'enceinte sacrée, réservée aux cérémonies de l'initiation. Ses dimensions, qui sont grandes, donnent l’idée d'une salle destinée, comme le grand temple d'Éleusis, à recevoir une foule nombreuse de pré- tres et d'initiés. À côté de cet édifice, sur le bord même du ravin, des restes de plate-forme indiquent la place d’un autre monument. D’après les débris qui ont roulé dans le ravin, c'était un édifice d'ordre ionique en marbre blanc. Nous n'avons rien à en dire de particulier. Avant de quitter cette colline, je signalerai le monument d’où provient la Victoire qui est au Louvre. Ce monument est en ar- rière du grand temple dorique, au sud-est. C’est une sorte de chambre carrée, creusée à ciel ouvert dans la colline. Nous n'y avons trouvé aucune inscription. Plusieurs grands blocs de mar- bre, renversés et même enfouis en partie, formaient la construc- lion au-dessus de laquelle s'élevait la statue. Ces marbres sont d'une mauvaise exécution; la Victoire n’est elle-même qu'une mé- diocre figure décorative. Le tout parait ètre d’une basse époque. Nous traversons maintenant le ravin, et nous revenons à Îla plate-forme circulaire déjà signalée sur la rive droite, afin de dé- crire le monument qui s'y élevait, et dont les debris sont nom- breux, bien conservés et intéressants. Nous en avons retrouvé un bon nombre en faisant fouiller profondément; le reste gisait pêle- mêle dans les broussailles, sur les berges du ravin. Parmi ces dé- bris, tous en marbre blanc, il en est qui méritent une description. Ce sont des blocs rectangulaires, à double parement, el ornés sur chaque parement de bucranes, de patères, de rosaces en re- lief. D'autres, en forme de piliers étroits, portent de face une demi-colonnette corinthienne engagée, et de côté une rainure profonde. Il y a aussi des fragments de frises, avec fleurs, rin- ceaux et palmettes en relief, dans le goût ionique, et enfin des triglyphes. Tous ces fragments appartiennent au même édifice, et, quoiqu'on ne soit pas habitué à trouver dans l’art grec ce mélange des divers ordres d'architecture, le soin général de exécution, la finesse et l'élégance de certains détails témoignent que l’œuvre est grecque, el même d’une bonne époque. D'après l'examen de ces fragments, voici l’idée générale qu'on peut se faire de l'édifice. I était rond, car tous les fragments ont leurs surfaces curvilignes. Il avait 17 mètres de diamètre inté- — 2062 — rieur ; il devait être éclairé par des ouvertures placées dans la partie supérieure sur le pourtour. Les marbres à bucranes et les marbres à colonnettes servaient d'encadrement à ces ouvertures, ce qui explique le double parement des premiers, destinés à être vus de l'intérieur et de l'extérieur, et les rainures latérales des seconds, faites pour recevoir des châssis. Conze ne s’est pas rendu compte de cette disposition, qui est curieuse et assez imprévue. Ce n’est pas tout. Je crois pouvoir indiquer d'une manière cer- taine la date du monument et le nom de son fondateur. C’est une inscription déjà vue par Conze, mais dont il n’avait pas saisi l'im- portance, qui m'a mis sur la voie. Cette inscription est une dédicace en deux lignes que je lis ainsi : La fille de Ptolémée Aux Grands Dieux. Comme nous avons trouvé cette insciption juste sur la plate- forme où s'élevait le monument, on ne doit pas douter que ce ne soit la dédicace du monument lui-même, qui, par conséquent, était un temple des Cabires; car ce sont eux que l’on désignait sous ce nom de Grands Dieux. | Le nom de Ptolémée est de ma part une conjecture, car le com- mencement du mot manque dans l'inscription; mais Je crois la restitution certaine. Or nous savons qu'une princesse d'Égypte, Arsinoé, fille de Ptolémée I”, se réfugia à Samothrace. Elle avait épousé Lysimaque, roi de Thrace, puis Ptolémée Ceraunus. Celui-ci ayant égorgé les fils qu’elle avait eus de Lysimaque, c’est alors qu’elle s'enfuit à Samothrace, asile interdit, comme on sait, aux meurtriers. Plus tard elle épousa son frère Ptolémée IT Phila- delphe , et devint ainsi reine d'Égypte. Tout indique que c’est elle qui fit élever ce temple aux Cabires, afin de leur témoigner sa reconnaissance. Ce résultat est intéressant pour l’histoire de l’art grec; car, en attribuant cet édifice à la fille de Ptolémée [°', nous faisons re- monter jusqu'à la première moitié du mm‘ siècle avant notre ère une construction dont on n'aurait pas cru peut-être que la forme et les caractères pussent convenir à une époque relativement aussi ancienne. On pourra, du reste, juger de ce curieux mo- nument sur une restauration dont M. Coquart a réuni les éléments. J'ai signalé sur un îlot bas, en amont de la plate-forme circu- ET laire, un amas de marbres appartenant à un temple dorique. Cet édifice paraît être aussi de l’époque postérieure à Alexandre, mais l'exécution est pleine de roïdeur et de sécheresse. Les fouilles faites sur ce point n’ont eu aucun résultat intéressant. Le dernier monument dont il me reste à parler est la Phylakr. Comme je l'ai dit, ce n’est plus aujourd’hui qu’une plate-forme carrée, portée par un soubassement que traverse un couloir voûté et légèrement de biais. Ce couloir, avec ses portes basses et cintrées, donne assez à cette ruine un air de prison, comme le dit ce nom de Phylaki, que les habitants lui ont donné. L'édifice que sup- portait cette plate-forme s’est écroulé ; mais il a laissé des débris, et, parmi ces débris, une architrave portant une inscription dédica- toire où se lit le nom de Ptolémée. Je m'étonne que Conze n’ait pas été frappé de cette inscription ; car c’est évidemment la dédicace du monument qui couronnait la plate-forme, et de plus, ce Ptolémée doit être un roi d'Égypte. En effet, les Pibléaiéé ont, à une cer- taine époque, possédé plusieurs points de la côte de Thrace, entre autres Enos. Or il est naturel que, se trouvant aussi voisins d’une ile dont le sanctuaire était si fréquenté et si célèbre, ils aient eu la pensée d’orner ce sanctuaire d'un monument dû à leur piété. Ce Ptolémée ne peut être que Ptolémée II Évergète, ou Ptolémée IV Philopator, attendu que les acquisitions des Ptolémée en Thrace datent seulement du premier, et qu’elles furent perdues aussitôt après le règne du second, sous la régence de Ptolomée V. Ainsi, la Phylaki remonterait à la seconde moitié du 3° siècle avant notre ère, et la voûte qui traverse le soubassement serait un tra- vail hellénique. Malheureusement, les débris existants ne donnent point l’idée de ce que pouvait être l'édifice. Voilà, dans leurs principaux détails, les monuments qui com- posaient le sanctuaire de Samothrace. J'ai encore, en ce qui les concerne, deux remarques importantes à faire. La première, c'est que, comme ils étaient séparés les uns des autres par des ravins où l'eau des torrents coule l'hiver, ils de- vaient être reliés par des ponts, l'un, sur le premier ravin, entre la Phylaki et le temple rond; le second, sur le deuxième ravin, entre le temple rond et la colline du sanctuaire. C’est précisé- ment ce que l'examen des lieux confirme ; car on voit aux berges du premier et du second ravin des arrachements qui correspon- dent sans doute à d'anciens ponts placés précisément comme je — 264 — l'indiquais. Il y a même dans le lit du second ravin des restes de maçonnerie qui font voir qu'un pont génois ou byzantin à existé aussi en cet endroit. La seconde observation est relative à la voie sacrée de Samo- thrace. En effet, nous avons retrouvé des fragments de caïlloutis, d’abord sur l’éminence qui s'élève entre le premier et le second ravin, auprès d'un rocher qui offre des entailles destinées pro- bablement à recevoir des ex-voto, et ensuite sur la colline du sanc- tuaire, à deux pas de lédifice carré. Ces deux fragments de cail- loutis, placés ainsi à des endroits où les processions devaient passer certainement, me paraissent être des vestiges de l’ancienne voie sacrée de Samothrace. Quelques sépultures que nous avons découvertes nous font pen- ser que la voie funéraire était située à l’ouest de la ville, le long du grand mur cyclopéen, et prenait naissance au bord de la mer, où s'élève aujourd’hui une chapelle d'Haghia Paraskévi. Ce sont, du reste, de simples fosses creusées dans le flanc de la colline. Nous y avons trouvé des ossements, des fioles de verre, des par- celles d’or provenant du bandeau que l’on plaçait sur le front du mort, Du reste, ni inscriptions, ni médailles, ni signes d'aucune sorte. Nous pensons que ces sépultures datent des plus bas temps du paganisme. Nous avons rapporté de nos fouilles de Samothrace un certain nombre d'objets dont voici le détail : ° Trois morceaux d'architecture appartenant au temple rond : un marbre rectangulaire à double parement, avec bucranes; un pilier de marbre avec demi-colonnette corinthienne engagée; un morceau de frise de style ionique. 2° Deux caisses renfermant divers fragments de même pro- venance, tels que chêneaux, antéfixes, tête de lion, etc. 3° Un morceau d'angle de fronton, très-ancien, trouvé sur l'emplacement du sanctuaire; 4° Des fioles de verre, des parcelles d’or provenant des tombes que nous avons découvertes. Afin d'éviter que les marbres ne souffrissent après notre dé- part de Samothrace, nous les avons transportés nous-mêmes à Enos, et nous les avons déposés entre les mains de M. J. Sapet, notre agent consulaire, qui les tient à la disposition du gouverne- ment français, — 265 — Nous avons recueilli également quelques inscriptions inédites tant à Gallipoli que sur la côte de Thrace. Enfin, M. Coquart rapporte une série de plans, de vues et de dessins pris sur les lieux. Il se propose d'y joindre une restaura- tion du temple rond des Cabires, et une vue d'ensemble de la ville et du sanctuaire avec les cinq grands édifices qui le compo- saient. à Pour être complet sur cette première partie de notre voyage, Jindique en terminant les points de la côte de Thrace que nous avons touchés après avoir quitté Samothrace : 1° Dédé-Agatch : tchifflick bulgare situé à l’ouest d'Enos, à la naissance des montagnes qui ferment la plaine de l'Hèbre. Nous y avons trouvé une inscription très-fruste et d’une basse époque, une moitié de stèle représentant un repas funèbre, et un petit tumulus qui avait été fouillé. 2° Makri : village grec auprès du cap Serrhium, à l’est. Rien à signaler si ce n’est quelques degrés taillés dans le roc, au bord de la mer. 3° Maronia : village grec, placé sur les hauteurs de l’ancien Ismaros, au-dessus de la plaine de Gumourjina. La ville ancienne était au bord de la mer. Elle formait un rectangle dont l'enceinte a laissé quelques traces, moitié romaines, moitié byzantines. Tout le reste est rasé. Nous y avons trouvé deux inscriptions de l’époque romaine. 4° Kara-Agatch, ou Porto-Lagos : petit port situé dans une baie profonde, au-dessus de l’ancien lac Bistonis, et à peu de dis- tance de Boulousra, l’ancienne Abdère. Ce fut, Monsieur le Ministre, le dernier point que nous pûmes visiter. Car, malgré notre désir d’explorér l'emplacement d’Abdère, les chaleurs commençaient à rendre insalubre et dangereuse toute cette côte de la Thrace. Nous espérons, Monsieur le Ministre, que vous apprécierez avec bienveillance les premiers résultats que nous avons obtenus. Daignez agréer, je vous prie, les assurances du profond respect avec lequel j'ai l'honneur d'être, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence le très-humble et très-obéissant serviteur, GusraAve DEVILLE. MISS, SCIENT, —— IV. 16 17 NOTE EXPLICATIVE ACCOMPAGNÉE DE PLANS ET DESSINS ET FAISANT SUITE AU RAPPORT DE M. GUSTAVE DEVILLE, PAR M. E. COQUART, ANCIEN PENSIONNAIRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE À ROME. — "> (——————— Monsieur le Ministre, J'ai l'honneur de joindre au rapport de M. Gustave Deville, avec une note explicative, qui me parait en être le complément indispensable, 1° Un plan général de la ville et du sanctuaire de Samo- thrace; 2° Un plan particulier de Samothrace et du sanctuaire dans leur état actuel; 3° Une vue de la porte principale de Samothrace ; 4° Un fragment du monument principal du sanctuaire. Votre Excellence pourra mieux apprécier, par ce moyen, l'éten- due du champ de notre travail, l'importance de nos recherches et les difficultés que nous avons pu rencontrer, tant à cause de la nature même du terrain qu'en raison des bouleversements dont il a été le théatre. NOTICE EXPLICATIVE DES PLANS (JOINTE AU RAPPORT DU 9 AVRIL 1867). En A'A’À", l'enceinte de la ville antique (Samothrace , aujourd’hui Pa- léopolis), très-ruinée vers la mer, est très-bien conservée à parür du monument M. Elle a beaucoup souflert vers les hauteurs de l’acro- polis A”. Les blocs énormes qui la composent sont tombés vers le nord-ouest, plus particulièrement vers le nord. Il est évident qu'un tremblement de terre seul a pu renverser de sem- blables masses de construction , et l’on peut suivre la trace des convul- sions du sol, non-seulement à la muraille, mais encore au monument M. au temple circulaire D, au temple dorique E, au grand sanctuaire A. Il semble qu'il y ait eu un grand affaissement dans le ravin qui sépare la colline du vieux sanctuaire À des autres collines situées à l’est. C’est vers ce ravin que sont renversées toutes les constructions. I est curieux d'observer que cette dernière destruction n’est arrivée qu'après beaucoup d’autres. Dans tous les édifices , d'énormes blocs sont entassés pêle-mêle comme les a jetés la secousse, et jamais, en les dé- plaçant, nous n'avons retrouvé au-dessous aucun pavement de pierre ou de marbre. Les monuments étaient déja dépouillés à cette époque. La construction de la muraille est admirable. Elle est composée de blocs polygonaux irréguliers, qui varient en moyenne entre 0",80 et 1",20, formant deux parements, un intérieur, l’autre extérieur. L'inter- valle est rempli avec des blocs plus petits et de gros cailloux, prove- nant de la montagne même. Cette muraïlle, qui probablement ne s’éle- vait pas à une grande hauteur, si Fon en juge par son épaisseur, 2°,30 en moyenne, était bâtie sur une crête de rochers qui suit presque tout son parcours. Dans la partie haute, l'inclinaison du sol est PE à A5 degrés. On ne saurait trop admirer le choix des matériaux, la régularité des joints, qui, quoique larges, n’ont souffert ni des effets du temps ni de ceux de la végétation. Nous estimons que c’est un des plus anciens et des plus beaux exemples de construction dite cyclopéenne. Les murailles étaient probablement couronnées par des créneaux. Il n’en existe plus. Les escaliers ont aussi disparu. Les portes (à l'exception de celle marquée À sur le plan général, — 269 — évidemment la principale et la seule qui conduisit aux temples) s'ouvrent sur des pentes trop rapides pour avoir jamais servi à un passage con- tinuel. La vue que nous donnons de la porte principale est prise dans l'in- térieur de la ville, et offre la particularité d'une entaille verticale {or- mant chambranle. Les deux antes du côté extérieur sont à peine vi- sibles. Les tours de construction cyclopéenne sont contemporaines des mu- railles, tandis que la tour de construction hellénique, en assises horizon- tales et à joints obliques, paraît être du même temps que les adjonctions extérieures de la grande porte. L'acropolis À" offre quelques traces de murailles qui obviaient à l'in- terruption des rochers. En outre, on y distingue d’autres fortifications ruinées, dont il est impossible de reconnaïtre la disposition primitive. Le côté est de la ville est défendu naturellement par son escarpement. Quelques pans de muraille, aujourd'hui renversés jusqu'à leurs fonde- ments, complétaient l'enceinte inabordable que les fondateurs de Sa- mothrace avaient su choisir avec un discernement qui étonne. * I n'y a pas trace d'habitations dans l'intérieur de la ville, depuis le sommet jusqu'à moitié de la hauteur de l’espace compris entre les murailles. La partie inférieure, aujourd'hui transformée en une véritable forêt, est un sol composé de décombres pulvérisés, de débris de tuiles et de poteries , de caïlloux et de pierres roulées d'en haut. [1 y eut là pendant de longues années des fabriques de poteries grossières, comme on en retrouve encore dans les îles voisines et sur le littoral. C’est inutilement que nous avons tenté des fouilles sur tous les points qui semblaient devoir renfermer quelques ruines. La grande quantité de blocs épars ça et la montre que des murailles de construction cyclopéenne {dont il reste quelques parties indiquées sur le plan général) maintenaient de petiles terrasses sur lesquelles s’é- chelonnaïent les habitations. Tout a disparu, à l'exception des quelques points {marqués d'une croix sur le plan), où beaucoup plus tard s'étaient établis des églises et des couvents byzantins, attestés seulement par des monceaux de décombres pour ainsi dire pulvérisés. À l’une de ces ruines, on voit encore un autel et quelques bases de colonnes sans aucun intérêt. Au-dessous des deux tours génoises Z, au pied d’un pan de muraille cyclopéenne en Z, nous avons pratiqué une fouille profonde pour dé- couvrir jusqu au sol une abside byzantine, assez bien construite, mais dont les briques ne portent aucune marque; nous retrouvâmes le mur de séparation du sanctuaire et de la nef avec ses portes, l'emplacement de l'autel, des murs dépouillés de toute ornementation, une petite mé — 270 — daille de Constantin en bronze; près de l'abside, deux ou trois cham- bres appartenant au couvent. Tout auprès gisait à moitié hors du sol un petit chapiteau dorique en marbre, qui semble se rapporter à l'entablement dorique encastré dans la base de l’une des deux tours génoises. Un pied de table ou d’autel, cannelé, circulaire, et de la forme de eux que l'on retrouve dans toute la Grèce, quelques petits fragments en marbre, proviennent d'un édifice probablement établi à l'emplacement des tours. L'ancienne enceinte de Paléopolis est encore le but constant des dé- prédations des habitants. Le sol y est remué çà et là inutilement pour en tirer quelques marbres informes que l'on réduit en moellons ou en chaux. On n’y a jamais rien trouvé d'intéressant. Aussi sommes-nous restés convaincus de la destruction totale de l'ancienne cité par les villes qui lui ont succédé dans les temps byzantins ou turcs, et de l'inutilité d'y prolonger plus iongtemps nos recherches. En Z deux tours génoises, construites avec des matériaux antiques, des assises en marbre provenant des temples, et particulièrement avec celles qui formaient les degrés ou les murs; plus encore avec les assises en pierre rougâtre des murs de fondation des édifices du sanctuaire. À la base de ces tours sont encastrés deux ou trois morceaux assez considérables d’entablement en marbre à triglyphe, des tronçons de co- lonnes cannelées, probablement ioniques, et dans la partie haute de la grande tour on voit deux morceaux d’architrave en marbre, ornés d’oves d'une très-mauvaise exécution. De grands corbeaux en marbre, formant machicoulis, et la plate-forme de la plus grande des tours, existent encore. Les escaliers sont complé- tement écroulés. Les deux tours sont reliées par des constructions basses, espèce de casemates effondrées et remplies de décombres. Au-dessous, du côté de la mer, un rempart construit avec des maté- riaux antiques n'offre aucun intérêt, Ïl ne paraît pas que ces ouvrages eussent jamais eu grande importance. Du côté ouest des tours, existe un chemin en pente, renferme entre deux murs de soutenement, qui descendait à la mer en contournant le rocher à pic. I est dépavé, couvert par la chute des pierres et par la vé- gétation. Un des deux murs, celui qui soutient la base des tours, n'est . point antique, quoique au premier coup d'œil on puisse le croire. Il est fait avec des matériaux antiques replacés avec soin; les assises sont ré- gulières et suivent la pente du chemin. La démolition des deux tours a été très-regrettable et inutile. Il est difficile de supposer que les marbres employés à leur construction portas- sent ou inscriptions ou bas-reliefs : car c'est leur ancien parement exté- — 271 — rieur qui sert encore aujourd hui. Is sont de petite dimension. Il n'y en a pas dans l'intérieur des murs. Le seul bas-relief qui y était encastré ‘était ex posé extérieurement. (I en a été arraché.) On sait que les Génois recherchaient avec som tout ce qui pouvait servir à l'ornementation de leurs édifices. Sur la plage, dans le petit bois qui s'étend au-dessous des deux tours en Z, il y a quelques fuüts de colonnes doriques, des assises de pierre déplacées que nous avons fait dégager. On trouve aussi un chapiteau corinthien , pilastre fort laid. C’est le seul débris romain que nous ayons rencontré à Samothrace. À l'ouest, au pied de l’autre colline, qui, avec celle des deux tours, renfermait le port antique, nous avons remarqué une petite plate-forme en pierre N. I! y avait la un petit édifice. Sur la colline on trouve deux monticules formés de débris de tuiles et de poteries grossières. Les murailles cyclopéennes n'existent plus. Les blocs gisent épars dans le bois. Le cours d'eau qui se jette dans la mer, entre les deux collines, est la cause probable de la disparition complète du port antique, accusé très- clairement par la configuration du terrain. La mer est venue apporter un nouveau rivage de galets, une végétation séculaire s'est établie dessus. Le torrent a entrainé une quantité considérable de terre végétale, de pierres, de tuiles, de poteries modernes réduites en poussière. Aucun témoignage antique ne s'y rencontre, tandis qu'au contraire, dans les ravins du sanctuaire en dehors de la ville, on retrouve des éclats de verre, de petits fragments de terre cuite et de vases anciens. En M plate-forme d'un temple, aujourd'hui nommée Œu2axr (Phylaki), construite en belles assises régulières de pierre calcaire rougeätre, très- dure, posées sans ciment. Le parement extérieur n'a pas été ravalé. Le passage vouté, légèrement de biais, qui traverse le soubassement de la plate-forme de part en part, est très-bien construit. L’arc en plein cintre est bien appareillé. 1 est difficile de supposer ce monument de l'épo- que des Romains De l'architecture du temple, il ne nous reste que quelques assises en marbre, jetées dans le ravin, décorées extérieurement de légers refends, deux morceaux d'architrave sur l'un desquels un fragment d'inscription dédicatoire, de petits débris d’oves et des cannelures d'un style ionique. Auprès du temple, et principalement sur la rive opposée, on voit des arrachements que nous croyons appartenir à un pont, construit en mêmes matériaux que la plate-forme, de la même manière et de la même époque. Sur la rive opposée à la plate-forme en M, quelques entailles ont été faites dans le rocher pour y placer des monuments votifs, et près de là, M', on remarque une partie importante de parement en cailloutis, posé "V8 me sur une couche de ciment qui appartenait à un édifice aujourd'hui com- plétement disparu. | Enfin, près de la plate-forme de Phylaki, on trouve un four à chaux, qui servit a l'entière destruction des marbres. Sur la même colline que le temple précité, a peu de distance en se dirigeant vers la mer, s'élèvent les ruines assez importantes d’une église byzantine, dont le plan, quoique vaste, n'offre rien d'intéressant. Sa mauvaise construction indique une basse époque; on n'y voit aucun dé- bris intéressant. Elle était établie sur un mur de soutenement en appa- reil irrégulier contemporain des murailles, qui, fort détruites en cet endroit, avaient peut-être une porte de sortie. On ne saurait l’affirmer. Suivant la marche adoptée dans notre rapport, on rencontre sur la colline opposée un monument circulaire D, un temple dorique E, un édi- fice carré B, et enfin le sanctuaire principal A. En À, le temple principal, vieux sancluaire, ou plutôt la plate-forme sur laquelle il s'élevait. Elle est soutenue par des murs IITITT, construits en appareil irré- gulier polygonal, très-anciens, qui, s'étageant depuis le fond du ravin, formaient des terrasses successives. Ces murs, aujourd'hui peu élevés, sont fort ruinés. Derrière l'édifice, deux autres murs JJ, se coupant presque à angle droit, retenaient les premières pentes de la colline qui, continuant à s'élever, se relie aux flancs de la montagne. Ces deux murs, en appareil irrégulier (la base de l’un deux est très-visible), sont renversés pêle-mêle avec les débris d’un édifice postérieur élevé sur l'emplacement du tem- ple. On y a employé beaucoup de ses matériaux. Il en existe encore quelques murs, indiqués en gris clair sur le plan particulier, ainsi qu'une chambre rectangulaire a, qui semble avoir été une tour. C'est avec grande peine que nous avons fait les constatations néces- sares pour déterminer le périmètre de l'édifice. Il était impossible de débarrasser le terrain complétement des blocs énormes et nombreux entassés les uns sur les autres ; mais la partie antérieure de la plate-forme vers le nord, légèrement plus élevée dans son milieu, et traversée par des murs modernes construits avec des assises antiques posées de champ, était très-reconnaissable. Sous une couche de terre végétale peu épaisse, elle porte encore un cours presque complet de libages en calcaire rou- geâtre, lesquels, placés sous les premières assises ou degrés, nous don- nent la largeur probable du temple AA. C'est là une donnée positive qu'il s'agit d'accorder avec le diamètre connu des colonnes pour retrouver le nombre des entre-colonnements, Du côté est, ces libages se prolongent en droite ligne A. Les assises employées ont 0",30 ou 0",35 d'épaisseur, 0",70 de lon- gueur et 0",60 de largeur. — 273 — Au milieu des débris de toute sorte qui couvrent le terrain, déplacés, employés à d’autres usages, nous avons retrouvé divers morceaux d’ar- chitrave, de triglyphes a', de corniche dorique &', provenant d'un grand ordre dorique, dont on voit de nombreux tambours de colonne, et d’au- tres morceaux très-mutilés d'un petit ordre dorique. L'angle d’un petit fronton , qui semble se rapporter à ce dernier ordre, a été recueilli pré- cieusement. Quoique mutilé, il restera le dernier témoignage authen- tique des sanctuaires historiques de Samothrace. La pierre employée à la construction de cet édifice est un calcaire co- quillier, verdâtre, très-dur et très-grossier. Le style de l'architecture est assez pur et très-ancien. [1 est probable que l'édifice tout entier était recouvert de stucs, qui n'existent plus. C'est donc ici que nous devons reconnaître le sanctuairé primitif, contemporain des plus anciens temples de la Grece. Il y avait plus qu'un temple : car les constructions se prolongeaient d'une manière inusitée, mais il est impossible d'affirmer ce qu'elles étaient. En B un édifice carré établi environ 5 mètres en contre-bas du sanc- tuaire principal. Les deux murs parallèles (indiqués sur le plan en noir foncé) sont seuls antiques. Les deux autres ont été remaniés, et sur la base qu'ils formaient se sont élevées d’autres constructions; car on y re- marque des matériaux différents et du mortier très-grossier dans les rem- plissages. Construits en même pierre que l'édifice précédent, débités dans les mêmes dimensions, ils ont 1°,85 d'épaisseur et ne conservent que les deux premières assises au-dessus des fondations. La première assise, formée , à la manière dite hellénique, de blocs rectangulaires posés de champ, estreliée par la seconde, dont les blocs sont posés en boutisses. L'intervalle est rempli avec de gros cailloux sans ciment. Extérieurement deux contre-murs (indiqués en gris clair) b’ b’servent d'épaulement à la base des deux murs est et ouest. En b", il y a comme l'apparence d'un petit escalier. On ne remarque aucune trace de portes, quoiqu'il y ait quatre brè- ches dans les quatre faces de l'édifice. Les divisions intérieures sont inexplicables (voir le plan détaillé) ; sont-elles de l'époque du sanctuaire ou plus modernes ? Nous ne saurions le préciser. Ce sont de petits murs hauts de 70 centimètres, de 85 cen- timètres d'épaisseur , formés de blocs en calcaire, les mêmes qu'au sanctuaire, posés de champ. L'intervalle est rempli, comme dans les autres murailles , avec de gros cailloux sans ciment. Ces constructions ne repo- sent sur aucune assise horizontale, tantôt sur le rocher, tantôt sur le bon sol, tantôt sur le mauvais. ne Nos recherches n'ont pu donner aucun éclaircissement sur l'usage au- quel elles étaient destinées. Dans les deux édifices dont nous venons de parler et dans l'intervalle qui les sépare, nous avons fait creuser de nombreux trous ainsi que des sondages, pour déterminer d'une manière précise les traces visibles. À très-peu de profondeur, nous avons toujours rencontré le bon sol ou le rocher. Les principales fouilles sont indiquées sur le plan ; les petits dégage- ments partiels, les excavations utiles à nos constatations ne sont pas indi- qués. À l'est en C, un temple ionique. Le terrain, nivelé, conservait, sous une légère couche de terre végé- tale, des parties considérables d'un pavement en petits cailloux, d'environ 9 centimètres d'épaisseur, posés de champ, très-serrés et noyés dans une épaisseur de ciment de 7 centimètres. Ce travail, exécuié avec grand soin, appartenait à l'area du temple, dont l'existence nous était révélée par des débris de corniche c’, des füts de colonnes brisées jetés sur le versant du ravin. Quelques autres morceaux furent retrouvés épars dans l'area , mais aucun à sa place. Recherchant des traces du temple au moyen de prises fouilles, nous déterminons sa largeur et son orientation par les premières assises des libages, encore en te au-dessous du sol actuel. Sur la colline opposée en D, temple circulaire. Une plate-forme demi-circulaire en apparence, des débris de marbre amoncelés sur la pente du ravin, nous firent porter notre attention sur ce point important. Des fouilles profondes, reprises à plusieurs fois, nous ont permis de déterminer les dimensions (20 mètres) et la forme parfaitement circu- laire d’un édifice que nous avons cru d'abord un tombeau. L'inscription rapportée par M. Conse est retrouvée sur le lieu même; la découverte de nombreux marbres annulaires, ornés sur leurs faces concaves et con- vexes de bucranes, de patères, de bases de colonnes; une frise ornée de "palmettes et fleurons, d'une très-bonne exécution, répétée sur la con- vexité du même morceau de marbre ; la présence répétée de paliers ,antes à l'extérieur, portant un petit ordre corinthien engagé dans sa face inté- rieure, el sur ses côtés une profonde rainure; une corniche intérieure concave, correspondant, par sa finesse el ses dimensions, au petit ordre corinthien, prise dans la hauteur d’une assise qui forme architrave do- rique : sur l’autre face; enfin la dimension intérieure, 17 mètres, nous firent croire à un véritable temple circulaire, et rejeter l'idée d'un tom- beau, trop voisin du grand sanctuaire. Tous les débris proviennent de ce même et seul édifice. Plus tard nous découvrimes des fragments d’un grand chéneau orné de rinceaux et de têtes de lion, une de ces têtes, quoique mutilée, a été rapportée, une belle miles deux morceaux, évidemment de la couverture, espèce de cône orné de feuilles d'eau et — 275 — d'écailles, et qui servait d'amortissement au tholus ou toit de l’édifice, quelques petits fragments du mur extérieur du temple, orné de refends très-peu profonds. La plate-forme, en pierre calcaire rougeâtre, engagée dans la pente du terrain, se dégage sur le versant du ravin. (Elle est indiquée en noir foncé.) Un mur circulaire, remplacé par un mur moderne, soutient der- rière le temple la colline, qui s'élève beaucoup plus haut. Nous avons cherché à de grandes profondeurs les restes d'autres édi- lices que nous supposions établis sur cette colline. Le seul témoignage que nous puissions en avoir est une feuille de chapiteau corinthien, en marbre, très-bien exécutée. C'est en faisant quelques pas encore vers l'est, que l’on voit les entailles des monuments votifs et les débris de pavement signalés déjà. Tous les détails de ce temple circulaire ont été mesurés et dessinés avec soin. La donnée de sa décoration, dorique à l'extérieur, cormthienne à l’intérieur ; la beauté de sa construction, le soin de l'exécution, la sim- plicité du goût qui a présidé à l'invention de ses ornements, nous ont paru mériter une étude complete. Il semble avoir eu une certaine analogie avec l'édifice vulgairement nommé Tour-des-Vents, à Athènes. On y chercherait vainement l'influence romaine, qui, du reste, ne semble pas avoir pénétré à Samothrace. Il na jamais eu de voûte appareillée en claveaux : on n’en retrouve aucun. Il était probablement couvert d'une manière analogue à l'édifice d'Athènes, avec de grandes dalles soutenant une toiture conique; les débris, d'un emploi facile, ont dà disparaître complétement. Le petit ordre et ses antes, formant trumeaux à l'extérieur, portés sur la frise courante, au dehors comme au dedans, occupaient dans l'édifice une place analogue à celle que décorent les figures des vents dans le monument précité. C'est dans la hauteur de cet ordre et par son en- tre-colonnement que pénétrait la lumière dans la cella, où l’on entrait au moyen d'une porte placée au-dessous, mais dont malheureusement aucun fragment n'est parvenu jusqu'à nous. s Le pavé du temple n'existe plus. | Lorsque tous les détails auront été dessinés et réunis avec soin, nous pourrons d'une manière plus certaine reconstituer l'ensemble de l'édi- fice. Nous ne croyons pas qu'il s’'écarte beaucoup de l’idée générale que nous ayons exprimée. En D, un four à chaux. En E, temple dorique. On voit un amas considérable de débris en marbre blanc, de nom- breux fûts de colonnes doriques, plusieurs chapiteaux, des triglyphes avec leurs métopes sans sculptures, des morceaux de caissons, divers blocs ornés de moulures appartenant à la même ordonnance dorique. — 276 — Nous avons cherché à déterminer le plan de l'édifice au moyen de sondages, lorsqu'ils étaient possibles, en déplaçant avec peine des blocs de marbre énormes. Nous n'avons retrouvé qu'une plate-forme en pierre rougeàtre, établie sous les premières assises ou degrés sur lesquels re- posaient les colonnes. Cette plate-forme était soulevée presque dans toute son étendue; de nombreuses excavations y avaient été pratiquées, rem- plies de débris, de décombres de terre végétale et comme mises sens dessus dessous. Quelques dalles de marbre se sont trouvées au-dessous de celles en pierre. C'est ici qu'on peut voir clairement que le temple était déjà fort ruiné et privé de son pavement lors de sa ruine totale. Un seul morceau d'un des degrés en marbre ,e, est encore à sa place. Beauccup de petits détails ont disparu. Le terrain, couvert d’éclats de marbre, de recoupes, a servi évidemment de chantier pour la taille des marbres que l’on prenait à cette carrière. Aujourd'hui encore, c’est ici que les paysans s’approvisionnent de moellons et de chaux. Nous avons pratiqué un large déblayement dans ie milieu de l’édifice, afin d'en découvrir la disposition intérieure, mais inutilement. Îl a été impossible de déterminer la limite postérieure du temple, en- louie sous une végétation vigoureuse et sous un terrain horriblement bouleversé. Les détails que nous avons mesurés et dessinés peuvent servir à re- conslituer l'ordre et l'aspect extérieur du temple, qui à d'autres égards ne mérite pas grand intérêt. L’exécution de la sculpture est médiocre et sèche; le goût, pauvre, est d’une époque relativement basse. Les mou- lures cependant ont encore le caractère et rappellent le style des exem- ples les plus avérés de la Grèce. Le mode de construction est grec. Il serail difficile d'y reconnaître rien de ce qui caractérise les édifices élevés par les Romains. Ce sanctuaire, l'un des derniers de Samothrace, était construit sur un ilot, au fond du ravin, 20 mètres environ plus bas que le sanctuaire principal. Il devait être inabordable en hiver. Il est probable qu'une rai- son de tradition a obligé les constructeurs à s'établir dans un endroit déjà consacré. Cette considération s'appuie sur ce qu'en avant du tem- ple, vers la mer, à l'extrémité de l'ilot, comme l'indique le plan parti- culier en F, une plate-forme, élevée d'environ 2 mètres, nous repré- sente un ancien sanctuaire. Les murs qui la portent, construits en blocs irréguliers, sont contemporains des murailles de la ville; ils sont fort épais et très-bien construits. Il y avait là peut-être seulement un autel. Nous y avons trouvé un tout pelit fragment de bas-relief; la jambe d’une danseuse avec quelques plis flottants de sa robe. | Des oliviers, des ronces, des buis séculaires recouvrent complétement celte plate-forme abandonnée depuis longtemps. — 977 En G, un pont de construction génoise. Pont qénois, construit avec des débris de loule sorte, espèce de blo- cage. Un de ses massifs, celui qui s'appuie au monument circulaire, est élevé sur d'anciennes substructions en blocs irréguliers. Une portion considérable de la voûte est tombée au milieu du torrent. Il est impos- sible de reconnaître son ancienne forme, dont la bizarrerie ne peut s’ex- pliquer que par ce motif qu'on a voulu en rendre l'accès difhcile. Cette dernière observation esi venue se rapporter à l'idée que nous avions déjà que les hauteurs de l'ancien sanctuaire furent converties en un lieu foruhé, dont le monument circulaire, transformé en une tour ronde, défendait l'entrée. Ces exemples sont nombreux au moyen âge, et nous expliquerions ainsi bien des contradictions. Près du pont en K , un contre-fort en arrachement, construit en belles assises de pierre rougeâtre , descend jusqu au fond du ravin. Il apparte- pait à une construction qui reliait les deux rives. En H, monument excavé où fut trouvée la Victoire du Louvre, figure décorative d'une époque assez basse. Nous avons voulu déterminer à quel édifice elle appartenait. Quatre murs, disposés en carré, formaient une chambre divisée en deux par un cinquième mur. Îl ne reste plus que les deux murs appuyés à la colline et la base des autres. Construits en appareïl régulier de petite dimension, ils sont évidemment plus mo- dernes que les autres constructions du sanctuaire. Plusieurs grands blocs de marbre, ornés de moulures d'un goût brutal, avec de grands amor- tissements qui se rattachaient au couronnement de l'édifice où figurait la Victoire, de petits débris de stuc rouge et bleu, quelques petits frag- ments insignifiants en terre cuite, sont tous les renseignements que nous avons pu obtenir sur ce monument, d’ailleurs sans intérêt. Nous espérions trouver dans son voisinage la nécropole. Des fouilles profondes furent faites mutilement à la suite h', au-dessous k, dans les flancs du ravin qui regardent la mer, et même à une assez grande dis- tance, sans autre résultat que de rencontrer des conduits d’eau en terre cuite , très-probablement établis par les Génois. Tombeaux. La recherche des tombeaux fut poursuivie activement de divers côtés. C'est seulement alors que, pour le transport de nos mar- bres, nous fimes pratiquer un chemin vers la mer à travers le bois et sous les murailles de la ville, non loin de l'église moderne de Paraskevi, que nous en découvrimes cinq placés côte à côte. Le premier, sous une dalle grossière que nous fimes lever, était une simple tombe, construite en cailloux, en moellons et mortier, recouverte intérieurement d’un stuc assez beau et très-bien conservé malgré l'état d'humidité du terrain. Aucune décoration, aucun signe, aucune inscrip- tion, ne nous est venu en aide pour juger de l'époque de leur cons- truction. — 278 — Les quatre autres étaient semblables à celui-ci, sauf qu'ils étaient re- couverts avec de grandes tuiles, légèrement concaves, posées deux à deux, et qu'ils étaient protégés encore du poids des terres supérieures par un amas de grosses pierres. Nous y avons trouvé des débris hu- mains, des fioles en verre, des tasses, quelques-unes encore entières et que nous avons rapportées , des fragments de bandeaux en or très-mince, placés sur la tête des morts. Les petits objets de verre étaient le plus généralement à la droite du cadavre. Plus près de l'église, dit-on, on a trouvé des tombeaux byzantins. La trace de ces tombeaux fut perdue, nous n’en avons pu découvrir d'autres. Du reste, nous croyons ceux-ci d'une très-basse époque. Les constructions que l’on trouve aux Bains ou sources d'eau miné- rales, à 2 heures de marche environ de Paléopolis, ne sont pas antiques. Vainement nous avons cherché de ce côté les traces des anciens:onn'’en connait pas. 4 L'une des sources verse ses eaux dans un bassin de construction by- zantine de 3 mètres X 6 mètres. Entourée d’un mur moderne, dont la base est peut-être byzantine, elle était recouverte d'une toiture aujour- d'hui détruite. L'autre source s'échappe du sommet d'un petit monticule formé par une action volcanique. On y a creusé de petites excavations reliées par de tout petits canaux, pour pouvoir baigner plus facilement les parties malades. Ce travail n’est point antique. Les constructions du village de Samotraki sont faites, suivant le mode employé dans cette partie de l'Orient, en terre, en cailloux et mortier, reliées par des traverses en bois. Presque toutes couvertes en terrasse, elles n'offrent pas un grand intérêt. Le château génois, élevé à l'entrée du village, est d'une construction grossière, cailloux, moellons et mortier. On n'y trouve rien de remar- quable que les inscriptions rapportées par M. Conse. À la base du rocher, on voit un pan de mur de construction cyclo- péenne très-ancienne. Les blocs sont bruts, posés sans ciment. Il soute- nait un terrassement. Du reste, tout cet emplacement a dû être occupé dès l'antiquité la plus reculée; les rochers, taillés naturellement en ter- rasses, offraient une base très-sûre aux constructions. On peut se con- vaincre de l'existence d’un établissement antérieur par les traces qu'on retrouve ça et la. Dans l'ile, les constructions des couvents et des églises grecques n'attestent aucune particularité. E. Coquarr. A b , 7% Ne . : ( .. s FA: 1e À À mi As hd dre role Fa le, 1 ( l KDE N CA AN AR Gé SERRE RS BUT f à Re? 2 Spies al le Mie AD ne te een dents | POP TOR T0 à | iii j tp 0 P l À [er Pis 4 AT | LE pi” | à (l Ÿ À où à # \ À Eee [l L 1 VILLE ET SANCA | 4 4 POUN, “) 1 ” 10 — ts (\Z AW ques, Tome 1T fi Le 2727721 28 HUSSLONS SU Archives di PAT) f} OU HAL OITEN IH { 1111 HI 7 / DE SAMOTHRACE. il LL (0 2 MY ND MON À S dir tite LE mi ne a (beat il rs tnt ( [ 1 Ï \N | KN \ 7% Ga Ca7f NN KK ANNE ; CAC RAT hi ET é OP fo" ge 4 ÿ 4 4 DL he PT PLAIT in 1 LOT TTTTIER I lg 7) 0} Éd I) fr cn tt mprim er] E Ep 1 S". “ 400 mere. 300 7 #4 Fe | Pre # L } hineu Arr dur missions nsentifiques, Tome 4 RE DE SAMOTHRACE. Porte prineipale ! 140 ; AM AENTIN pi épibRs (at Le u _ : ÿ + ! ; CR CU biens TURN ET E ES gt 1 CARRE PORTER CREED EP ETS CPE PEN SES A +. y f ‘: [pi vb} N : ‘ { PA | mA h Ü NET 1 À ." 4 ? } ù Le. dubai A. 1 à d A A LL La L ÿ te TR t L \ wir … À CEA 1 Ë 1e: é LP | MONT : : k 1 ‘4 L or ES ; # + L 7 | ï (: À * ; y F À « . is L x dj , \ + Mb LÉ ‘ + ARTE * 2 - À il ‘ ÿ: - 7 * f [ALS 2 . VAS | NA: _ 44 { ï y k s . ve JL L à i i ' \ ; ' , D ” l L] Archives des missions setentifiques, Tome [7 SAMOTHRACE PLAN DE D NL qi A FN A ce «qu ae AA au AA EE ait Al ll K \ 7, Cm — D RAS lily (0 4 / A ( fl (ll W au 2 AU ui S Se dE AS A { ù ARE | EL | \ D ; DID e | \ N à D / (| \\K (111177 } dA KE il qi LÉ ji | LT PT £E. Coquart 1866. v d'un fronton, Fe NT SSS SSSR WT HA X NS TUE U JAN à GE ET AL (ri “ I Ac \ € %, 5 FA V \ ei \ | à “4 AMIE NN ANR ON C7 CAES | SG : FRE Fr 22 CM Se My NAS arte: FAUX nn ci #nL [UHR \! 4 \\ ‘ . J 2 EN | ; - a ss UN À Li TOR NER ee RR E EN <} _ rer NN ac LRU fl - Pot:Gendis NN, mA SN LIRE \ AL, } ES x 2 | , “ \ LL Edifice circulaire "1 “ f : Imprimerie Impériale | : ; [4 . ‘ . 0 f Murs reconstruits avec des matertattc antiques à une époque relativement moderne. Wudées en 186. | | Pas 1 | | | | | | Archives des nusstons st engfiques Zone: HF ES A RER ne LS NUL IX \ {l >. Pont Cenois| G) e Ka De L C E Coguert 1866 | : TIpr ëri BE T] Wir antiques. L Murs reconvéruies Yu 1 Aie rh is avce des matériunr antiques ee rantinues demobo CT ee e Murs autrui x de mors grande ” une coque relativement moderne —- TLQUNT7 77" à ‘ fl lées en 1066. = figues, Tome 11 l L8S1ons SCLen Archives des mt M — PORTE PAIN Coquart 9 AMOR ACE. le. 2 Irapéria erle Faprire Î ra 4 # * , de 4 Î fur "v î ‘ Û : n= + U # 0 | } “ai: ! À Ê y Ce. # a 4 1 LA ï me 11 Archives des misstons scientifiques 7e PORDE PRINCIPALE SAMOTHRACE, Imprimerie Impériale Archives des missions scentifiques, Tome 117 Æ RE Ge POV en De TRAVERS rés Ces fragments ont ête trou dans les fouilles avec beaucoup d'autres appartenant au même édifice: partie supérieure de l'ordre avec son chapiteau, entablement chaineau, têtes de lion, ante- Îxes. fragments de couverture en marbre. E.Coquart del. 1866 fragment en marbre, J portant bas-reliefs sur ses deux faces concave et convexe ument circulaire on t du M du Sanctuaire Ja provena de Samothrace €. Imprimerie Impérial rehives des missions suentifiques, Tome 117 ge 5 Ces fragments ont éte dans les fouilles avec beaucoup d'autres Fragment en marbre, appartenant au même édifice: partie a portant bas-rehefs deux NCav nvex supérieure de l'ordre avec son. chapiteau, A provenant du Monument circulaire entableme ê able ‘ent Chaineau, têtes de lion, ante- du Sanctuaire de Samothr. ace fixes, fragmen es, fragments de couverture en marbre. ECoquart del] ‘ Imprimerie Impériale. LAURE EU EN 0 Le D la 4 RAPPORTS SUR LES MANUSCRITS DE LA GÉOGRAPHIE DE PTOLÉMÉE, PAR M. CHARLES MÜLLER. © PREMIER RAPPORT. Rome, 12 août 1866. Monsieur Le Ministre, Chargé par Votre Excellence de collationner les manuscrits grecs de la géographie de Ptolémée, afin de réunir les matériaux nécessaires pour une édition critique de cet ouvrage, j'ai l’honneur de vous adresser un premier rapport sur mon travail. Le nombre des manuscrits dont je puis constater l'existence s'élève à quarante-deux. Il s’en trouve dix à la Bibliothèque im- périale de Paris, un au British Museum de Londres, trois à la Bodleiana d'Oxford, un à la Bibliothèque impériale de Vienne, trois à la Marciana de Venise, deux à l'Ambrosiana de Milan, cinq à la Laurentiana de Florence, un à Bologne, douze à la Vaticana, à la Barberina et au monastère de Saint-Grégoire à Rome , un à l’Escurial, un à Tolède, un dans un couvent du mont Athos, un à Constantinople. Les manuscrits que j'ai examinés et collationnés, soit en entier, soit en partie, sont les suivants : NUMÉRO. A. 11° 12; 14. MARQUE. NL O8 BIBLIOTHÈQUE. MATIÈRE. Cod. Panisin. 4/01 PRO RERER Parchemin. Led. Paie os. 20e Papier. Cod. Panisin. Suppl 1191.11... Papier. Cod. Parisin. 14027. 2 LPLI A CE .: Parchemin. Cod. Parisin, 1409200, 00e CAE Papier. Cod. Parisin. Coislin 339........ Papier. Cod:-Parisins 24997: CL LOMN Papier. Cod Parismiado.: 4. Mcens Papier. GCodParnismeniates, come nes Papier. CGodaParsimy2osth ati: ce Papier. God Pénisin 2300 pe Les nr Papier. Londin. Mus. Britan. 19,391...... Parchemin. Cod: Oxon: Seldi IE, 46. .: 4,0, Papier. Cod Oxon. Seld: 1128 002 4 RECE Papier et parchemin. God: :Oxon: Laudan. 55 .: 1. .448 Papier. FORMAT. Sa + AE INR 5 6) 59 | 43 30 | 22 20 | 14 60 | 42 28 | 19 23 | 14 25 | 16 2410019 20 | 15 20 | 14 25 | 18 34 | 26 25 | 16 2028 32 | 21 AGE xv° sièt| CONTENU. Eav. I-VIIT. Liv. I-VII, c. v. | Liv. I-VIIT. Lav. I-VII. iv. VIEIL, c. 1-1x, xv-xvui. . €. XX, XXIII, XXVIII-XXX. Lav. I-VIIT, c. xxrx. Mlav. EVIL, ec. xxvri. Deux fragments : Liv. I, c. vu-xxiv, S 7. Liv. IL, c. v; HIT init. Extraits du livre VIIT : | Hepi rüv puy AREIpEY. | Copie du ms. 1407. | Live É, ec. xxur. Extraits du livre VIII. pi GIVAXWY TS OXOUMÉVNS. iv. VII et VIII, c. 1-1v. À Liv. IVIIL, c. xxvrrr. Liv. I-VIIT. de M I-VIT, c. v; VIIT, r'et x. partie théorique de l’ouvrage de imée , accompagnée d’un commen- de Nicephorus Grégoras. ue ! | MISS. SCIENT. — 281 — CARTES. 27 cartes. I! 3 cartes terminées. 2 cartes commencées. Des feuilles laissées en blanc pour recevoir les autres cartes. [21 1. Carte générale. 2. Carte des iles Brilann. 3. La moitié de la carte de l'Espagne. [4 fl OBSERVATIONS. Écrit en Italie , probablement à Flo- |} rence. La projection et le dessin des cartes different de celles qu’on trouve dans les autres mss. Écrit à la fin du xv° ou au commen- cement du xvi° siecle, après les mss. E et Z, qui tous les deux ont été écrits || en Italie par Apostoles de Byzance. La premiere feuille manque. Écrit en Italie , probablement à Flo- rence. Ecrit en Italie par Michael À postoles de Byzance , après l'édition latine de Ptolémée, publiée à Vicenze en 1475 || par Angelo Vadius. Provient du monasière de Sainte- |} Laura du mont Athos. Mañuscrit mutilé d’origine incer- taine. LA Ecrit ou provenant d’un ms. écrit | dans la partie méridionale de l'Asie Mineure. Fragment d’un ms. provenant d’un | monastère du mont Athos. Provenant du couvent de la Sainte- Trinité de l’île de Chalce, dans la mer de Marmara. Copie du ms. de Vienne {M}, faite à Bude, en Hongrie, en 1482, par un certain Jean Athesinos. Écrit à Venise , au couvent de Saint- Georges, par Antoine Episypopoulos de Cydonie. NUMÉRO. OS Le Oil 1 11. 12° 15. 14. MARQUE. D. = L — 280 — BIBLIOTHÈQUE. Cod. Parisin. 1401 Cod. Parisin. Cod. Cod. Parisin. Parisin. God. Parisin. Cod. Parisin. Cod. Parisin. Cod. Parisin: 1407..." "0" Cod. Cod. Cod. Parisin. 1411 Paris 20274" 00u0t Parisin. Londin. Mus. Britan. 19,992... ... Cod. Oxon. Seld. IL, 46........ Cod. Oxon. Seld. IT, 45... Cod. Oxon. Laudan. 52 MATIÈRE. Parchemin, Papier. Papier. Parchemin. Papier. Papier. Papier. Papier. Papier: Papier. Papier. Parchemin. Papier: Papier et parchemin: Papier: ! HAUTEUR en centimètres. LES L=X 2 L=2 20 60 28 23 25 27 20 20 25 34 25 29 LARGEUR en centimètres. l = 9 22 là 42 | Il 1 9 Li 6 19 1 3 14 l 2 [ ] 2 8 6 6 8 = AGK, CONTENU. | sil Liv. VII MED Liv. VIT, c. x X'sièal Liv. EVIIT. xvid Liv. I-MII. Liv. VIEIL, ec. 1-IX, XV-XVIII. M A ce. xx, XXII, XXVITI-XXX: xy sibel Liv. I-VIIT, c. xxx. (après? ADS Liv. VII, c. xxvimr. x sil Deux fragments : n. Div. L, c. vo-xuiv, $ 7: d Div, IL, e. v; finit. AUS Extraits du livre VII : {De l'an il \ spi Toy Tpid nTE por. xyré sidi Copie du ms. 1407. xp site Liv. I, c. xxx. Extraits du livre VIIT. Tépiaivaxon ris oixoUHÉVNS. xs sidu SUUS Li. VIL et VIT, c, r-1v. a sil Liv, ÉVITE, e. xxvur. jbele ë Hu OO LiLvir. siècle HMS QUE ©: V3 VIIL, x ebur. Wie Uiéorique de l'ouvrage de ea agnce d' Mompagnée d'un commen: &ephorus Grégoras, Puy Lite ns — 281 — CARTES. OBSERVATIONS. 27 cartes. 1l 3 cartes terminées. 2 cartes commencées. Des feuilles laissées en blanc poun recevoir les autres cartes. Il ll 1. Carte générale. 2. Carte des iles Blann: 3. La moitié de la carte de l'Espagne. (14 # ll < MISS. SCIENT, — IV: Écriten Italie, probablement à Rlo- rence Laprojection elle dessin des cantes différent de celles qu'on trouve dans lessautresmss. Écrit à la fin duexv® ou an commen- cement du xvis siecle, après les mss: E etZ}, qui tous les deux ont été écrils en ltaliepar Apostoles de Byzance, Lapremièrefeuillemonque. Écrit en Italie » probablement \Elo- rence. Écnibentalieparn Michael Apostoles de Byzance apres Jédition latine.de Rlolémée,-publice à Viceoze en 1475 par Angelo Vadius. Provient"dumonaslère de Sainte Daura du-montAllios. Maruscritemutiiédloniginenincer taine, Écril ou provenant d'un. ms:éerit dans lawpartie méridionale de lMAsie Miieure» Eragment d'unsms provenantdiun mobastère dumont Athos: ProvenanL lu couvent delaSainte= Trinité de l'ile de Chalce, dans la monde Marmara Copicrdums de Miennc(M)}; faite à Bude, en Hongrie, en 1482, par tn certain Jean AUhesinos. Écrit à Venise, au couvent de Sainl= Georges, par Antoine Episypopoulos delCydonies ! NUMERO. BIBLIOTHÈQUE. MATIÈRE. HAUTEUR LARGEUR en centimetres = C0 . Vindobonensis 1 Parchemin. xv° siècle: | (De Van 1454 xv° siècle. = © . Venetus 388 Parchemin. 19 ms . Venetus 516 Papier. xIv° siècle xv° siècle, ms QT . Venetus 103 Papier. . Mediolanens. D. 527 Papier. . Mediolanens. N. 289 Papier. . Vatican. Papier. . Vatican. | Papier. x1v° sièclé . Vatican. Papier. xIv° siècle} . Vatican. Papier. xrir° siècle . Vatican. 193 Papier. xv° siècle, . Vatican.-Palatin. 374 Papier. xv' siècle. . Vatican.-Palatin. 388 Papier. xY° siècle) } . Urbinates 82 Cod. Urbinates 83 1er. 3 | xvr° sièck Cod. Christinæ Reginæ 82 XVI‘ siècle | Cod. Bibl. Barberinæ 1 28 xvi‘ siècle} Cod. Bibl. monasterii Sancti-Gregori À in monte Cælio, n° 15 Papier. : XY° ES CONTENU. D RL mm Liv. I-VIIT. Liv. I-VIIL. Liv. I-VTIT. Liv. IE ,e. x. Description de la Grèce. Liv. I-VIIE. v. I-VIL, ec, v; VIII ,ret 1. Là Q Q \ccompagne du commentaire de Ni- orus Gregoras. v. I-VII, ce. v; VIII, ret rr. vec le commentaire de Nicephorus goras. Liv. I-VIIT. Rav. VIE, c. 2v,$ 13. Êt quelques extraits du hvre VIII. Liv. I-VIIL. Ï; VIE, ec. v; VIII, c.r et ri. \vec le commentaire de Nicephorus igoras. | Liv. I-VIIS, c. xxx. Liv. I-VHT. Liv. I-VIT. Liv. I-VIIT. Liv. I-VIIT. Liv. I-VIIT. Liv. I-VIIE — 283 CARTES. 27 cartes. 27 cartes. 22 cartes. 68 cartes. Cartes. | Cartes comme au ms. S. OBSERVATIONS. Écrit à Florence , par Johannes Thes- salus Scutariota. Original du ms. O. Copie du Codex Vaticanus 177 (V), faite par ordre du cardinal Bessarion. Écrit par Andreas Telountas, natif || de Nauplia. Ptolémée y est représenté dans le costume d’un prince oriental. Provient du monastère de Saint- |} George, dans l’île de Zacynthe. « Ex Chio insula adveclus anro 1606. Fuit Manuelis Sophiant. » Provient du monastère de Chore, à || Constantinople. Probablement copié sur un ms. écrit |f dans une ville de la Mesie inférieure |f ou de Macédoine. Écrit par le même Michael Apos- |} toles de Byzance, qui a écrit le ms. E. Ecrit par Jean de Raguse. Proche É parent du ms. maintenant perdu , qui appartenait à l'ettich, médecin à In- || golstadt, et sur lequel a été faite la première édition grecque de Ptolémée, publiée à Bâle en 1535. Ce ms. de la Valicana ne se trouve pas à sa place. Jusqu’à présent toutes |À les recherches faites pour le retrouver ont ele infructueuses. Copie du ms. S. Copie du ms. S, mais sans cartes. 1Q. | 1 | ! A ( ; w BIBLIOTHÈQUE. NUMÉRO. MARQUE. Vindobonensis 1 Venetus 388 Venetus 516 Venetus 103 Mediolanens. D. 527 Mediolanens. N. 289 Vatican. 176 Vatican. 177 Vatican.-Palatin. 314 Vatican.-Palatin. 388 Urbinates 82 Uxbinates 83 Christinæ Reginæ 82 Bibl. Barberinæ 128 Cod. Bibl. monasterii Saneti-Gregori in monte Cœlio, n° 15 Parchemin- FORMAT. | HAUTEUR en centimètres. LARGEUR en centimètres. | 60 | 43 59 | 43 30 | 21 Le] [=] _— LA A1 | 28 24 | 16 27 | 16 28 | 19 36 | 24 41 | 28 33 | 22 19 | 15 40 | 28 OBSERVATIONS. a Écrit à Florenée » par Johannes Thes- salus Seatariota. Original du ms. O. Copie du Codex Vaticanus 177 (V), faite par ordre du cardinal Bessarion. Écrit par Andreas Telountos, natif de Nauplia. Ptolémée y est représenté dans le costume d'un prineu oriental. Liv. IL, ce. x1v. Fu 4 Proviont du monostèro de Saint- Description de la Grèce. Goorge, dans l'ile de Zacynthe, « Ex Chio insula advectus anno 1606. Fait Manuelis Sophiant. » Liv. I-VIL, e, v; VIII ,xetxr. Atompagné du commentaire de Ni- teplorus Gregoras: À Liv. LVIL, e. vs VIIL, retur. Avec le commentaire de Nicephorus Provient du monastère de Chore, à Liv. I-VIL, c. 1v, S 13. Et quelques extraits du livre VIII, Probablementicopié sur nn ns derit dans une villo de la Mésio inférieure ,c. v; VIT, c.retur. ou de Macédoine. Avec le commentaire de Nicephorus Liv. I-VILI 3 C» XXIX. Écrit par le même Michael Apos- toles de Byzance, qui a écrit lo ms, E, Écrit par Jean do Roguse. Proche parent du ms. maintenant appartenait à Fottich, mé golstadi, et sur lequol a dté faite la première édition grecque de Piolémée, publiée à Bâle en 1585. Ce ms. de la Vaticaua ne s0 trouve as à sa placo. Jusqu'à présent toutes s recherches faites pour le retrouver ont été infructueuses. Cartes comme au ms. S: Copie du ms, S: Copie du ms. S, mais sans caries, — 284 — MANUSCRITS QUI N'ONT PAS ENCORE ÊTÉ COLLATIONNÉS. 33. Codex Florentinus Laurentianæ. Plutei, XXVIIT, n° 6, in- FA xy° siècle. 34. Idem. XXVIIT, n° 38 ,in-4°, xv° siècle. 35. Idem. XXVIIT, n° 42,1in-4°, xv° siècle. 36. Idem. XXVIIT, n° 40, in-fol. xrv° siècle. 37. Codex Filorentinus Abbatiæ. 38. Codex Bononmiensis bibliothecæ canonicorum Sancti-Salvatoris. 39. Codex Scorialensis. A0. Codex Toletanus. A1. Codex Constantinopolitanus. 42. Codex d'un monastère du mont Athos, que M. Sebastianoff a reproduit par la photographie. Quant au manuscrit du mont Athos, dont la copie photogra- phique sera mise à la disposition de M. Firmin Didot par la bien- veillance de M. Sebastianoff, j'en ai vu et collationné, il y a quel- ques années déjà, les premières feuilles, d'après lesquelles ce manuscrit se rattache, par son texte, aux manuscrits parisiens D et F, dont le dernier provient, lui aussi, d’un monastère de V’Athos. Parmi les cinq manuscrits de Florence, il y en a quatre (n% 9, 38, 42, 49) qui, d’après l'examen fugitif que j'en ai fait lors de mon passage dans cette ville, appartiennent évidemment à la famille des manuscrits E et S. Il ne reste donc que six manus- crits sur la valeur desquels je ne sais jusqu’à présent absolument rien. Il est cependant peu probable que l'examen de ces quelques manuscrits modifie essentiellement le résultat général obtenu par les collations faites jusqu’à présent. La grande majorité de nos manuscrits date des x1v° et xv° siè- cles; aucun ne dépasse le xim°, et aucun ne se distingue, par l’in- tégrité de son texte, de manière qu'on puisse se passer de tous les autres. En effet, des le rv° ou v° siècle de notre ère, la géographie de Ptolémée, composée eu majeure partie de listes de noms pro- pres et de chiffres, doit avoir subi dans certaines copies de notables altérations. Cela résulte assez clairement des Périples de Marcien d'Héraclée. Cet ouvrage, extrait de la géographie d’un certain Protarche, qui lui-même avait basé son travail sur la géographie de Ptolémée, offre des altérations évidentes de noms de lieux et des mesures que nous retrouvons en grande partie dans les ma- nuscrits de Ptolémée E, Z, G, et dans celui qui, aujourd’hui perdu, forme le fond de l'édition latine de Ptolémée, publiée à — 289 — Strasbourg en 1313. Il s'ensuit, d'un côté, que ces altérations se trouvaient déja dans le manuscrit de Ptolémée dont s’est servi Protarche, et, de l’autre côté, que les origines de la famille des manuscrits E, Z, G, et de celui de l'édition de Strasbourg, re- montent au moins au v° siècle après J. C. Mais il n’y a pas de sa- gacité capable de retracer exactement l'histoire de notre texte de Ptolémée pendant les huit ou neuf siècles qui, à partir de là, se sont écoulés jusqu’à l’époque de nos plus anciens manuscrits. Nous sommes réduit à classer ces manuscrits, selon leurs affi- nités, en certaines catégories ou familles dont voici le tableau sy- noptique. (‘1130 1'afIIIA , £A ‘o CIJA £J ‘AUT) ‘oowopoiq 2p o8eJANO,f 9p er HE oraed ef onb Juouuorquoo où ‘SW oxyenb san) (-bbs 1x ‘o CA ‘art) ‘uTewu apuo9sos oaun æ 971199 “onaed a1gtuap vf suep Fyoyr ‘sueq 4 ee EN LYBET { O TR ———— AUOUTD UT] ['adouruesuon] [y oopeqn) (‘x souiv) "c6t QYA: "6gz [IN soqiy] ‘ruosoun) *ecI "eg! 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La plupart des autres semblent avoir été écrits par des Grecs réfugiés en Italie peu de temps après la prise de Cons- tantinople. Un indice concernant la source commune de tous est fourni par les manuscrits À, C,D,F,M,N,O, P,R, V, W, li, es LE, qui, dans le sommaire placé en tête du second livre de Ptolémée, mettent, à côté du titre de chaque chapitre, des chiffres de pages, p. e. lovepvias voov Bperlavmÿs oeAÎd os’ lomavias Bairinÿs........ oeAid @Ÿ, etc. Ces chiffres doivent se rapporter à la pagination du manuscrit qui est le prototype de toute cette famille. Par un calcul facile à faire, on voit que le manuscrit en question avait à peu près trente lignes par page, et que chaque page contenait en moyenne autant de texte qu'une page et six lignes de l'édition de Tauchnitz. Du reste, pour donner une idée de la simplicité des copistes, aux- quels nous devons cette notice, je fais remarquer que, dans le manuscrit O, le copiste reproduit {liv. VIIT, c. xxix) avec la même naïveté une longue série de chiffres qui se rapportent aux pages du manuscrit M, dont le manuscrit O est une copie. Les manuscrits fragmentaires L, Q, 4, U, Ÿ ne contiennent pas le sommaire du livre Il; mais, par d’autres indices puisés dans la conformation de leur texte, il devient non moins évident qu'ils appartiennent à cette même famille byzantine. Il faut y ajouter encore le manuscrit d’'Ingolstadt, d’après lequel Érasme publia à Bâle (1533) la première édition grecque, répétée ensuite, sans notables améliorations, par Wechel (Paris, 1546), par Montanus (Francfort et Amstelod. 1601) et par Bertius {Amstelod. 1618). L'âge du manuscrit prototype de ce groupe ne saurait être fixé d’une manière suffisante. Probablement il remonte assez haut. En tout cas nous devons supposer qu'un bon nombre de copies, main- tenant perdues, le séparent des manuscrits conservés, dont la filia- tion ne peut être établie que fort rarement. Nous savons seulement que les manuscrits O et P sont des copies des manuscrits M et V, que la dernière partie du manuscrit B provient du manuscrit P, Tr, et que les manuscrits F et N descendent d’un manuscrit où ül y avait une feuille transposée et d’autres irrégularités propagées par la stupidité des copistes. Tous les autres, quelque grande que soit leur affinité, présentent cependant en même temps trop de diffé- rences pour qu'on puisse prétendre que tel soit la copie de tel autre. [Il y en a dont le texte est apparemment un mélange fait à l'aide de plusieurs manuscrits fort différents. C’est ainsi que le manuscrit de la Barberina (Æ), dans ses onze premières feuillets, concorde jusqu'aux moindres détails avec le manuscrit de Vienne (M), pendant que la partie suivante, jusqu'aux premiers chapitres du livre VITE, a été copiée sur un manuscrit conforme à notre ma- auscrit D; puis les chapitres 1n-xxvirr du livre VIIE, qui, dans D, sont fort défectueux, ont été empruntés à quelque autre manus- crit. De même le manuscrit B est non-seulement écrit par deux mains, mais encore chaque main a suivi un manuscrit différent. L'auteur du manuscrit R déclare expressément avoir eu sous ses yeux beaucoup de manuscrits (dvréyoæa mo1à xefueva). Enfin l'emploi de plusieurs manuscrits peut avoir eu lieu partout où nous trouvons à côté du texte des variantes écrites de première main. Dans le manuscrit À, cela se manifeste par la manière dont différentes leçons de noms géographiques se trouvent placées dans le texte même, les unes à côté des autres, par exemple VIE, 1, p. 154, ed. Nobbe : Nivavéypapua (ainsi la plupart des manus- crits), ÿ Néypaupa (ainsi R, V). VII, 1, p. 154, ed. Nobbe : OpeéGavra (ainsi la plupart des manus- crits), 4 OppoGavrra (ainsi W). Du reste, il résulte de l’ensemble de nos manuscrits que cette famille byzantine représente le texte de Ptolémée dans sa forme la plus jeune et la moins authentique, et qu'elle a le plus grand nombre de lacunes, de leçons variantes et de gloses. Les merlleurs manuscrits de cette classe sont F, N, D, €, L. Dans le manus- crit À, le plus splendide de tous, nous possédons moins la copie d'un bon original qu'une nouvelle recension de l’ouvrage, dont l'auteur s’est permis tant de libertés dans le maniement du texte, que la valeur intrinsèque de ce manuscrit est fort loin de répondre à sa magnificence extérieure, Quant à la seconde famille, je l’ai appelée asiatique, parce que — 289 — deux de ses manuscrits (S et H) proviennent de l'Asie Mineure. Elle se compose d'un petit nombre de manuscrits, parmi lesquels ©, À, B ne figurent qu'à titre de copies dont nous connaissons les originaux. Les manuscrits G, H, K, ne contiennent que des fragments et des extraits. Les manuscrits E, Z, écrits tous les deux par Michael Apostoles de Byzance et découlant d'une source commune, ne représentent qu'un seul manuscrit. Notre connais- sance du manuscrit grec qui forme le fond de l'édition latine de Strasbourg, est nécessairement fort incomplète. Enfin, dans le manuscrit S, le texte de Ptolémée a été maltraité sous plu- sieurs rapports. Pendant que Piolémée énumère les villes mé- diterranéennes des provinces, tantôt en allant du nord au sud, tantôt en procédant de l’ouest à l’est, l’auteur du manuscrit S semble avoir eu l'intention d'introduire partout l'ordre qui pro- cède de l’ouest à l’est. En effet, c'est dans ce sens qu’il a reformé toutes les listes qui concernent les villes d'Espagne (Liv. IF, c. rv sw). Dans la description de la Gaule {liv. IEF, c. vr sw) cela ne se pou- vait pas sans bouleverser le texte presque entier, et c'est par cette raison, je suppose, que S y a conservé l’ordre ancien. Il le change de nouveau dans toutes les listes des villes d'Italie et de Corse. Ensuite 1l semble avoir abandonné son projet. L'ordre vulgaire n'a plus éié changé, excepté dans trois passages {V, c. xv, p. 371 et 381, et VI, c. v, p. 4oo, éd. Wilbg.). Ces manières cavalières se montrent encore ailleurs. Fort souvent notre auteur façonne la phrase de Ptolémée à sa guise; quelquefois il refait la disposition et la rédaction de tout un chapitre (par exemple IE, c. 1x; IT, c. x). Enfin il subdivise les vingt-six cartes dont Ptolémée lui-même (VII, C. ur sqq.) trace les cadres en soixante-trois cartes spéciales, qu'il distribue entre les chapitres des livres II-VIT, en accompagnant chacune de la particule correspondante du texte du livre VIIT. Ce petit nombre de manuscrits et leurs défectuosités consti- tuent ie côté faible de cette famille, qui, heureusement, se trouve amplement compensé par ses bonnes qualités. Ces modestes vo- lumes ont des titres de noblesse qui manquent aux splendides manuscrits byzantins : car l’origine de cette famille, comme je l'ai déjà dit plus haut, remonte pour le moins au 1v° ou v° siècle de notre ère, et, des trois manuscrits les plus anciens que nous ayons, il y en a deux {S, G) qui appartiennent à cette même famille, pendant que le troisième {X) représente à lui seul une — 290 — famille différente !. Si celte considération chronologique nous prévient en leur faveur, notre attente n'est point trompée par l'examen du texte fourni par ces manuscrits. Certes il s'y trouve des fautes qu'on ne rencontre pas dans les manuscrits byzantins; mais, en général, le texte y est plus complet, plus correct et moins interpolé. La première place parmi ces manuscrits revient au manuscrit S; car, abstraction faite des altérations ci-dessus mentionnées, ce manuscrit est la copie d’un excellent original, qui nous met en état de remplir des lacunes et de corriger bien des passages où les autres manuscrits nous font défaut. Quant à l’origine asiatique de S, elle est attestée par la notice écrite en tête du volume, d’après laquelle -ce manuscrit a été apporté en Italie de l'ile de Chios par Maurocordatos, en 1606. En outre, le texte du manuscrit indique qu'il a été écrit par quelqu'un qui connaissait les contrées du continent opposé assez bien pour se croire autorisé à corriger, dans le chapitre x du livre V, beau- coup de positions assignées par Ptolémée aux villes de la Carie et de la Lydie. Dans le manuscrit H, les extraits sont entremélés de quelques notices historiques qui toutes se rapportent aux princes de certaines provinces de l'Asie Mineure. Nous y lisons : AÿTr n Érapyxia (SC. à idlws Âcia) nv TOÙ Zapydve ua rod Airiyn. De même il y est dit de la Lycie : #v æote rômos Toù Mavrayia; et de la Pamphylie : 9v æote rod Taxd; et de la Phrygie : ñ» æote roù Kapmidvou xai rod Xauÿrn; et de la Lycaonie : éoi» roù Ka- paudyou. Ces notices écrites en 1438 trahissent l’origine asiatique du manuscrit; elles se rapportent à l’état.de choses qui, en Asie Mineure, existait entre 1430 et 1473. Le manuscrit X (Cod. Vatican. 191) est jusqu'a présent le seul représentant d’une famille que je regarde comme étant la plus ancienne de toutes. II date du xim° siècle, sauf quelques feuilles qui ont été suppléées à une époque postérieure. Par une note du copiste, placée à la fin de l'ouvrage tel qu'il est dans ce manus- crit (c'est-à-dire après le chapitre xxvir du livre VII de nos édi- ! Le manuscritS , qui, après la Géographie de Ptolémée, contient la Périégèse de Denys, donne à la fin du volume le chiffre apré (1185), qui semble avoir in- duit quelques savants à assigner ce manuscrit au xn° siècle; mais ce chiflre n'indique autre chose que le nombre des vers de la Périégèse. D'ailleurs, dans un manuscrit grec du xr° siècle, on aurait compté les années à partir de la création du monde et non pas d'après l'ère chrétienne. — 291 — tions), nous apprenons que le manuscrit X provient d'un autre manuscrit dans lequel, au lieu des vingt-six cartes de Ptolémée, il y en avait vingt-sept, parce que la dixième carte de l'Europe, destinée, selon la distribution indiquée par Ptolémée, à la Macé- doine et à la Grèce, avait été divisée en deux pour donner à plus grande échelle, dans l’une la Macédoine, et dans l’autre la Grèce. Il est permis d'en conclure que fort probablement ce prototype avait été écrit dans l’une ou dans l’autre de ces deux contrées, et tout porte à croire que ce fut en Macédoine. La description de ce pays se distingue dans X par les formes correctes des noms de lieux là où elles sont corrompues dans tous les autres manuscrits. Ainsi, par exemple, le manuscrit X, p. 220, 1, éd. Wilberg. donne Èrdyespa au lieu de la leçon corrompue Zrévrespa ou Zrévripa des autres manuscrits; de même, p. 220, 24, l'rywvis äxpa au lieu de Éyavis où Hyavis; p. 222, 3, Kavdaouior dpécr au lieu de Kavæhouiwr dpéwr; p. 223, 6, Aocîpœor au lieu de Aïcpaor. Dans la province Orestis, où tous les autres manuscrits ne mentionnent que la seule ville d’Amantia, le manuscrit X nomme en outre la ville d'Ardaute, Enfin nous lisons p. 221 : Eymids äxpa 91° 45°. 34° 15’. Praia Go, O1 A0. 94° 19. À moins qu'on ne suppose une erreur dans les chiffres, cette Prato axpa, inconnue d’ailleurs et ne se trouvant que dans noire manuscrit, ne saurait être différente de la Xnrras äxpa. Nous au- rions donc ici une de ces gloses qui, mentionnant le nom moderne d’une localité ancienne, se trouvaient primitivement à la marge d'un manuscrit et passaent ensuite dans le texte. Et, comme il est notoire que ces gloses isolées sont les indices les plus sûrs du pays d'où un manuscrit provient, on peut supposer que celui dont il s’agit ici a été écrit en Macédoine. I y a cependant encore une autre glose dans X qui ne me paraît pas moins significative. À la fin du chapitre qui contient la description de la Mésie inférieure (IL, c. x, p. 214), le glossateur dit que, vis-à-vis de Noviodunum, sur la rive gauche du Danube, se trouve une ville des Goths nom- mée Aliobrix (dmévarte Noouvsodoÿvou æépar Toù Aavoÿéews ol: æodis Tv V'éO 0er À u08piË). Comme cette remarque ne se lit pas à la marge du manuscrit, mais dans le texte, où elle est placée peu convenablement après la mention des îles situées près de la — 292 — côte de la Mésie, l'écrivain de notre manuscrit ne l'aura pas faite, mais l'aura trouvée dans le manuscrit qu’il copiait, et ce manus- crit ou son prototype avait été probablement écrit dans la contrée semi-barbare du Bas-Danube; on le croirait d'autant plus volon- tiers que l'orthographe des noms géographiques se trouve dans X fort souvent viciée par d’étranges métathèses, qui ont quelque chose de barbare et ne se rencontrent que dans ce manuscrit. Néanmoins le manuscrit X est, sans aucun doute, le meilleur de tous. Il tient et de la famille byzantine et de la famille asiatique, en s’approchant davantage de celle-ci. Il n’est pas exempt de la- cunes; mais, le plus souvent, il nous indique celles des autres manuscrits. Si l’on excepte les deux gloses mentionnées plus haut, le texte est pur de tout élément étranger. Si certaines corruptions de l’orthographe des noms géographiques y sont fréquentes, il faut dire aussi qu’en beaucoup d’endroits ce manuscrit est le seul qui en ait conservé les formes authentiques. Plus donc ce manus- crit est précieux, plus il est à regretter qu'a partir du chapitre xu du cinquième livre, les colonnes destinées aux chiffres des degrés aient été laissées en blanc. En résumé, quel est le résultat de la collation des manuscrits dont je viens d'indiquer les différentes classes et leur valeur rela- tive? C’est, je crois, de nous mettre en état de donner un texte de Ptolémée considérablement amélioré et complété par l'accession de beaucoup de données nouvelles et purgé des gloses et des hors- d'œuvre qui, jusqu’à présent, passaient pour des parties intégrantes de l'ouvrage de Ptolémée. En outre, le nombre des scholies sera augmenté, principalement par le commentaire de Nicephorus Gregoras et par un traité d'Isaac Argyros. Daignez agréer, Monsieur le Ministre, hommage du plus pro- fond respect avec lequel j'ai l’honneur d’être, de Votre Excel- lence, le très-humble et très-obéissant serviteur. Charles MüLzer. — 295 — SECOND RAPPORT. Paris, 9 décembre 1866. Monsieur le Ministre, Après avoir terminé la collation des manuscrits de Rome, je suis allé à Florence pour m'y occuper de ceux de la bibliothèque Laurentienne. Ils sont au nombre de cinq; je les désignerai par les lettres À, EX, D, Y, Q : Hauteur. Largeur. ÆCod. Abbatiz.. . .. 2380, en parchemin; 59 cent. 45 cent. x1v° s°; 27 cartes. È Plutei XX VIII cod. 9, en papier; 29 29 xv° s° ® Plutei XXVIII cod. 38,en parchemin ; 24 16 xv°rst sans (1445) cartes, # Plutei XXVIIT cod. 42, en papier; 29 21 > a à Q Plutei XXVIITI cod. 49, en parchemin; 34 27 xv° s°; 64 cartes. Tous ces manuscrits contiennent l'ouvrage de Ptolémée en en- tier, ainsi que certains hors-d'œuvre qu'on trouve aussi dans d’au- tres manuscrits. Ce sont : 1° Dans À, >, ®, Ÿ, Q, les douze signes du zodiaque et les noms des douze mois correspondants selon les calendriers grec et égyptien. Cette liste était originairement inscrite sur le dessin d’une sphère. Elle est précédée d'une notice intitulée : Ta æpo- ypaQôueva Éwber rod Cwdiaxod êmi ris xpuxwTis oPaipas, c'est-à- dire : « Ce qui est écrit en tête et en dehors du dessin représentant le zodiaque sur une sphère armillaire. » Cette notice se trouve aussi dans nos éditions de Ptolémée; mais elle y est disposée d’une ma- nière qui la rend inintelligible. ; 2° Dans À, un chapitre inscrit : Éxbeous pnxous xai ædrous éxdolou æivaxos. « Définition de la longueur et de la largeur de chaque carte. » Dans nos éditions ce morceau figure comme dernier chapitre du livre VIIL. 3° Dans À, ®, F, Q, un épitome du livre VIT ou une descrip- tion abrégée de l'Inde. Manuscrit A. \ Le manuscrit À, avant d’être incorporé à la Laurentienne, ap- partenait au monastère de Sainte-Marie ou à l’abbaye de Florence, _ 204 ses à laquelle Antonio Corbinelli, par testament daté de l'an 1424, avait légué tous ses manuscrits grecs et latins, et parmi eux ce manuscrit de Ptolémée, comme l'indiquent les initiales À. C. dans la notice qu'on lit sur la première page du volume : ste liber est monasterii S. Mariæ sive abbatiæ de Florentia. Lxxx. À. C. Par son texte le manuscrit À fait partie de la classe que, dans mon premier rapport, j'ai appelée famille byzantine. 1 y tient une place distinguée; car, sans nul doute, c'est sur lui qu'en 1454 a été copié, par Jean le Scutariote, calligraphe vivant à Florence, le grand et beau manuscrit de Vienne (M), qui, à son tour, est l'original dont la copie se trouve à la Bodleiana d'Oxford (O). Les deux manuscrits de Florence et de Vienne ont les mêmes lacunes et les mêmes leçons, sauf quelques minimes différences qu’on doit mettre sur le compte du copiste; ils ont en outre les mêmes scholies, dont quelques-unes ne se trouvent que dans ces deux manuscrits, les mêmes addidamenta à la fin du livre VII et les mêmes cartes. Furia, dans le Supplementum alterum Catalogi Bibl. Laurent. p. 290, pense que peut-être le manuscrit de Florence a été écrit par le même Jean qui est l’auteur du manuscrit de Vienne. « À Joanne Scutariota, ditil, fortasse nostrum quoque codicem scriplum arbitror, ut ex aliis græcis codicibus ab eodem calligrapho descriptis et in hac nostra bibliotheca servatis erui potest, quorum scriptura unius ejusdemque manus cum 1lla hujus voluminis esse videtur. » Je ne saurais partager cette opinion du savant bibliothécaire. Les quatre manuscrits de la Laurentienne qui portent la signa- ture de Jean le Scutariote {Cod. Plut. 32, n° 18, Homeri Jlias, écrite en 1452; Cod. Plut. 28, n° 37, Arati Phænomena, de l'an 1464; Cod. Plut. 60, n°5, Arrianus in Epictet. de l'an 1485; Cod. Plut. 81, n°6, Aristotelis Politica, écrit en 1494), ont une écriture semblable à celle du manuscrit de Ptolémée, mais elle ne me semble pas être la même. Et d’ailleurs estil vraisemblable que ce Jean qui, en 1494, copia un ouvrage d’Aristote, ait copié notre manuscrit de Ptolémée avant 1424) | Quant aux cartes du manuscrit À, elles ont servi de modèle non-seulement à celles du manuscrit de Vienne, mais encore à celles du manuscrit 1402 de Paris, du manuscrit 388 de Venise (dont le texte est. une copie du Codex Vatican. 177), et, pour le — 9295 — dessin des contours, à celles des beaux manusrits de la traduction latine du Florentin Jacques Angelo, qu'on voit dans les biblio- thèques de Florence, de Milan, de Paris {n°* 1801, 1803, 1804) et ailleurs. Le texte du manuscrit À entre pour beaucoup dans le travail de ceux qui, à l'aide des manuscrits de Florence, ont composé les deux grands manuscrits 1401 (À) et 1402 (D) de la Bibliothèque impériale. À lui-même semble provenir d'un manuscrit ayant à la marge, ou entre les lignes du texte, des variantes dont une s’est glissée dans le texte du manuscrit À, où on lit (p. 90, éd. Wil- berg) : Kai dn mpooexGaldvTes Tv mn aûrÿs Ts K À [év ÊTÉpOIS dvreypdQos: dm” aûrTis drohaubdves de où nv H À] rür aÿrôr poa', etc. Manuscrit Q. Les quatre autres manuscrits de la Laurentienne appartiennent tous à la famille que j'ai appelée asiatique. Le plus important est celui qui porte le n° 49 (Q). L'examen le plus rapide suffit pour y faire reconnaître un parent du célèbre manuscrit de Milan (S). Dans lun et dans l’autre se trouvent la même rédaction du texte, les mêmes soixante-trois cartes spéciales dessinées et distribuées de la même manière, et, après le huitième livre, les mêmes æœüépepya et les mêmes scholies. De l’autre côté il y a de notables différences. Le manuscrit © donne les livres VIT et VII sans chan- ger en rien la disposition ordinaire et primitive des chapitres, pendant que dans S cette partie de l'ouvrage a été arrangée d’une manière tout autre, mais qui est loin d’être heureuse. Puis le ma- nuscrit S donne, après les cartes spéciales, cinq cartes d'ensemble dont le manuscrit © ne fournit que la prémière, représentant l'écumène de Ptolémée. Malgré ces différences, je suis d'avis que le manuscrit S est au fond une copie du manuscrit Q; que les malencontreuses transpositions de certaines parties sont l’œuvre de l'écrivain du manuscrit S, et que les cinq cartes d'ensemble étaient originairement aussi dans le manuscrit Q , mais que quatre en ont été détachées avant que le volume vint en Italie et y re- çût sa reliure florentine. Ce qui, dans cette question, me semble être d'une importance décisive, c'est qu’une perturbation du texte dans S s'explique par la disposition du même passage dans Q. Au milieu de la liste des villes de POmbrie (iv. HE, c. 1, p. 182, éd. — 296 — Wilberg) et après le nom et la position d’Iquvium, le manuscrit S interpose les Prétutiens, voisins des Marses, et leurs villes Beregra et Interamnia. Ce passage, qui devrait se trouver vingt-neuf lignes plus loin, après la mention des Marses, a été omis dans le texte du manuscrit Q (fol. 28 verso), mais suppléé à la marge infé- rieure, au-dessous des mots Lyoso» Xe. my, 46, qui forment la der- nière ligne de la première colonne du texte de cette page. Or, comme l’auteur a oublié d'indiquer par quelque signe l'endroit où ce supplément doit être placé dans le texte, on comprend com- ment un copiste inattentif a pu l’insérer après les mots lyévror Xe. ay, 46", et nous sommes pour ainsi dire forcés d'admettre que c'était notre manuscrit Q@ et pas un autre qu'avait devant les yeux celui qui a écrit le manuscrit S. Ajoutons que les petites différences exis- tant entre les textes des deux manuscrits sont telles, que Q paraît être l'original et S la copie; car Q est correct là où S est fautif; les leçons qui, en quelques endroits, ont été notées de seconde main à la marge du manuscrit Q (par exemple p. 31, 1; 49, 13; 275, 5 et 16, éd. Wilberg), se trouvent, comme autant de corrections, dans le texte de S; dans Q les scholies ont été ajoutées de se- conde main, tandis que dans S la même main a écrit et le texte et les scholies; enfin dans Q la seconde main a rempli le vide des dernières pages du volume par une série de notices extraites de la Meyékn Etvraëis de Ptolémée et n'ayant que des rapports éloignés avec la géographie; elles se trouvent aussi dans S, ex- cepté les huit dernières lignes qui dans Q@ sont peu lisibles, et que, par cette raison même, le copiste a omises. Enfin, dans la notice sur le zodiaque, les manuscrits @ et S omettent les noms égyp- tiens des mois de juin et de juillet; mais avec cette différence que dans S la lacune est latente, tandis que dans Q elle est indi- quée par des espaces laissés en blanc et jadis remplis d'écriture, qu’on a fait disparaître à l'aide du grattoir. Du reste, cette même lacune se trouve encore dans les manuscrits florentins À, ®, #, qui, en outre, donnent le texte de la description abrégée de l'Inde tellement conforme à celui du manuscrit Q@, que ce dernier ma- nuscrit semble avoir été l’original auquel ils ont emprunté ces deux appendices du livre VIT. Manuscrits Ÿ, D, Y. Les trois manuscrits >, D, Ÿ (Plutei XXVIIT, n° 9, 38, 42), — 297 — probablement tous les trois écrits à Florence, sont trois copies d’un même original maintenant perdu. Le texte de la géographie y diffère en bien des endroits de celui des autres manuscrits de a famille asiatique, où ces trois manuscrits forment un groupe par- ticulier, auquel il faut joindre les deux fragments fournis par le n° 2423 de Paris (G) et le manuscrit perdu que Picus de Mirandola envoya de l'Italie à Strasbourg pour y servir de base à l'édition latine publiée en 1513. L’original des manuscrits 2, D, #, doit avoir été en quelques endroits endommagé ou du moins illisible, puisque, par-ci par-là, les trois copies ont les mêmes lacunes de quelques syllabes ou de quelques mots, indiquées par des espaces laissés en blanc. Dans les listes des villes, le manuscrit 2 seul semble rendre fidèlement les défectuosités de loriginal. Ainsi, par exemple, les noms des villes de Narnia et d'Ocriculum (p. 182, 26, éd. Wilberg) et leurs positions sont omis dans Ÿ, ka pen- dant que 2 donne : EL. nt TEL ADI Le ANT TT dns in6,s, De même nous avons, p. 197, 17, dans À une ligne tronquée : que ® et suppriment. (Le nom qui manque est Méxe)o, donné par les manuscrits E et Z, omis par tous les autres.) Les lacunes latentes qui sont communes à ces trois manuscrits, lacunes dont le nombre est assez considérable, se trouvent presque partout aussi dans le manuscrit de l'édition de Strasbourg et dans les fragments du manuscrit de la Bibliothèque impériale. Elles re- montent donc pour la plupart au prototype de tous ces manus- crits. Les fautes dues à la négligence de chacun des trois copistes sont relativement rares, et la comparaison des copies entre elles et avec d’autres manuscrits nous met le plus souvent à même de rétablir la leçon de l'original. Dans Z et ® la marge fournit quel- ques variantes écrites d’une main récente. Sur le manuscrit À l'auteur du manuscrit de la Barberina (Æ) à copié le huitième livre de la Géographie et ses appendices. Cela résulte avant tout de ce que le désordre d’un passage du manuscrit £ s'explique par la disposition des écritures dans le manuscrit Z. Quant à la valeur scientifique de tout ce groupe des manus- MI1SS, SCIENT, — IV. 20 — 298 — crits 2, ®, F, G et du manuscrit de l'édition de Strasbourg, je suis d'avis qu’elle est inférieure à celle des autres manuscrits de la famille asiatique. | De Florence je suis allé à Bologne pour y examiner un manus- crit de Ptolémée conservé à la bibliothèque des Canonici regolari di S. Salvatore. C’est un volume en papier, ayant 33 centimètres de hauteur sur 23 de largeur et portant le n° 305. Il y est mentionné qu'il a été écrit, en 1528, sur l’ordre du père Peregrinus, par Valerianus, natif de Forli, à Venise, dans le monastère de Saint- Antoine. Il n’a ni cartes ni scholies. Le texte accuse un manuscrit de la famille byzantine. La collation de quelques pages n'offre aucune variante nouvelle. Je n’ai donc pas jugé à propos de rester à Bologne pour y consacrer quelques semaines à une collation complète, et cela d'autant moins que messieurs les chanoines semblent disposés à envoyer ce manuscrit sur la demande de Votre Excellence. ÿ De même M. Gerlach, bibliothécaire de l’université de Bale, m'a assuré qu'il s'empresserait d'envoyer à Paris le manuscrit la- tin de Ptolémée conservé à la bibliothèque de l’Université et con- tenant à la marge des variantes tirées de trois manuscrits grecs. De retour à Paris, j'y ai trouvé les photolithographies du ma- nuscrit athonite de Vatopédi, que le public savant devra à l'obli- geance de M. Sewastianoff et aux soins de M. Ambr. Firmin Didot. Je regrette de ne les avoir pas vues plus tôt, lorsqu'il était encore lemps de prendre des mesures afin d'y ajouter les huit feuilles qui actuellement y manquent; car ces feuilles existent encore; ce sont les mêmes qu'en 1853 M. Simonides a vendues au British Museum de Londres, où je les ai vues et collationnées. Quoique je n’aie pas encore eu le loisir de m'occuper du manuscrit litho- graphié, je sais cependant, par la lecture des feuilles conservées à Londres, que ce manuscrit est un des meilleurs représentants de la famille byzantine et le proche parent du manuscrit coisli- nien 337 de la Bibliothèque impériale, qui, lui aussi, provient d'un des monastères du mont Athos. Agréez, Monsieur le Ministre, l'hommage du plus profond res- pect avec lequel j'ai l'honneur d’être, de Votre Excellence, le trés-humble et très-obéissant serviteur. Charles MüLLer. VENISE ET LE BAS-EMPIRE. HISTOIRE DES RELATIONS DE VENISE AVEC L’EMPIRE D'ORIENT DEPUIS LA FONDATION DE LA RÉPUBLIQUE + à. JUSQU’À LA PRISE DE CONSTANTINOPLE AU XIII SIÈCLE, PAR M. J. ARMINGAUD, MEMBRE DE L'ÉCOLE FRANÇAISE D'ATHÈNES EN 1864. INTRODUCTION. Je me suis proposé l'étude des rapports de Venise et de Cons- tantinople pendant la période primitive. Remontant à l'origine de la république et au règne de Justinien, j'ai pris pour limite la conquête de l’empire, au commencement du xm° siècle, par les Vénitiens et les Francs. C'est à Venise que les matériaux du présent mémoire ont été recueillis; c’est à Athènes qu’ils ont été mis en œuvre. Un voyage à Constantinople m'a permis d'expliquer sur les lieux certains passages difficiles des chrysobulles impériaux. * La bibliothèque Saint-Marc, et surtout les archives des Frari, m'ont fourni mes principales sources. Beaucoup de documents du livre des Patti sont commentés dans ce travail pour la première fois, et, si l’activité des savants allemands m'a devancé de quelques années, Jai pu cependant trouver, après eux, plusieurs pièces inédites qui sont insérées plus loin. Je signalerai entre autres la Commission donnée aux ambassadeurs vénitiens par le doge Enrico MISS: SCIENT. — 1V 21 — 300 — Pandolo (1198), qui fait époque dans l’histoire de la diplomatie vénitienne. Mon but a été d’ailleurs de composer un tableau d’en- semble, en profitant des travaux allemands et italiens, publiés récemment ou peu connus en France. Sans prétendre indiquer ici toutes mes autorités, je citerai : La Collection byzantine !; — les Chroniques de Dandolo ? et de Sagor- nino$; — le xn° volume des Fonies rerum Austriacarum, publication importante faite par MM. Tafel et Thomas sous les auspices de l’aca- démie de Vienne; — l'Histoire de Venise, par S. Romanin (Storia documentatla di Venezia)*, monument élevé à la gloire de sa patrie par un homme qui fut à la fois un esprit patient, prodigieusement érudit et un héroïque martyr de la science. Cette histoire de la république vénitienne depuis Attila jusqu’à Bonaparte est puisée aux sources les plus authentiques, avec un soin et une exactitude dont mes recherches personnelles aux archives m'ont donné de fréquentes preuves, et cependant elle est presque inconnue chez nous. — M. Amari, J. Diplomi arabi del R. Archivio fiorentino, Fi- renze, Le Monnier, 1863, in-4°, précédés d’une introduction his- torique sur le commerce des républiques italiennes. — Müller, Diplômes grecs (chrysobulles impériaux tirés des Archives d’Ita- lie). Firenze, Le Monnier, 1864, in-/4°. Les recherches particulières des savants vénitiens consignées dans les Mémoires de l'Institut royal des sciences, lettres et arts et dans ceux de l’Afhénée Vénitien m'ont été du plus grand secours. Les ouvrages vénitiens, déjà anciens sur la matière, m'ont fourni également des renseignements considérables sur les mœurs, les coutumes, le commerce. Les plus importants sont : C. A. Ma- rin, Storia civile e politica del commercio dei Veneziani*; — For- maleoni, Storia della navigazione nel mar Nero; — (Giacomo Filiasi, Veneti primi e secondi. Padova, Seminario, 1811-1814, 7 vol. in-8°; — Morosini, Imprese dei Veneziani in Terra Santa, 1 Corpus scriplorum historiæ byzantinæ , editio consilio B. G. Niebuhriüi instituta ; Bonna, impensis ed. Weberi; 1828 et ann. seqq. in-8°. ? Andreæ Danduli, Venetorum ducis, Chronicon Venelum a pontificalu saneti Marci ad annum 1889, apud Muratori, Scriptores rerum ltalicarum , t. XI, in-fol. 3% Chronicon Venetum Johanni Sagornino tributum. Venetüis, Francesco Zanetti, 1765, in-8°. - * Venezia, Naratovitch, in-8°, 1849-1863. 5 Venezia, Coleti, 1798-1808, volumi otto, in-8°. 5 Ibid. 1788, 2 vol. in-8°. — 301 — Venezia, Pinelli, 1627, in-4°; — Mutinelli, Del commercio dei Ve- neziant, Venezia, 1835, 1 vol. in-8°. Il me reste un devoir bien doux à remplir; c’est d'exprimer ici ma vive reconnaissance pour la haute bienveillance dont S. Exc. M. le Ministre de l'Instruction publique m'a donné tant de témoi- gnages. Je lui dois d’avoir pu commencer et poursuivre à Venise mes études et mes recherches. Par une protection éclairée S. Exc. M. le Ministre est venu doubler la dette contractée par son élève envers le meilleur et le plus aimé des maîtres : mon cœur n'ou- bliera ni l’ancienne ni la nouvelle. L'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres voudra bien aussi, je l'espère, agréer l'hommage que je suis heureux de lui rendre au début de ce travail. Tous les membres de la Commission, dont l'École d'Athènes connaît depuis quinze ans la direction salutaire, m'ont donné au départ d'excellents conseils dont mes voyages ont grandement profité. MM. Egger et Miller m'ont prodigué le secours de leur vaste et aimable érudition. Qu'ils me permettent de leur en témoigner toute ma reconnaissance. CHAPITRE PREMIER. DE LA PART QUI REVIENT AUX EMPEREURS GREGS DANS LA FONDATION ET LES PROGRÈS DE LA RÉPUBLIQUE VEÉNITIENNE. Les rapports de Venise avec les Grecs sont contemporains de ses origines, aussi bien que de sa puissance. La république, qui occupe dans l'histoire le premier rang par la durée, doit l'existence au plus féroce des rois barbares, et les bienfaits d'une longue tutelle aux Césars de la décadence. En maintenant sur Ftalie des prétentions surannées, ces princes ne réussirent guère dans leurs vues, mais ils contribuèrent, sans le vouloir toujours, à l’affer- missement et aux progrès d'une démocratie naissante. Si leurs expéditions ne purent rétablir la domination impériale dans la péninsule, elles y prévinrent, du moins, la constitution d'une mo- narchie barbare. La fragilité des puissances gothique et lombarde prépara l’humble ville des lagunes à devenir un jour la reine de Adriatique. Venise grandit inaperçue au milieu des bouleverse- ments dont les pays voisins étaient le théâtre. Les catastrophes de l'invasion, si fatales à d’autres, lui profitèrent, Née d’un premier désastre au temps d’Attila, elle s’accrut à la faveur de ceux qui 21. — 302 — suivirent. Elle hérita des cités détruites, de leur population , de leur richesse. Des ruines commencèrent sa fortune !. Théodoric fut, en Italie, le premier instrument des Grecs. Zénon n'osait pas entreprendre lui-même la conquête de la pé- ninsule; mais, en faisant passer les Alpes au roi des Goths, ül éloignait le plus incommode des amis et rétablissait une supré- matie nominale sur la moins soumise de ses provinces. L’invasion de Théodoric, qui entraïnait avec lui tout un peuple?, produisit dans le nord de l'Italie un grand désordre. À tous les malheureux qu'eile dépouillait de leurs biens ou faisait trem- bler pour leur vie un refuge était ouvert. Si la terre était partout pleine de périls, l’art de l’homme élevait au milieu des lagunes de l’Adriatique une ville bâtie tout entière sur pilotis, séparée du continent par la ceinture protectrice des eaux et dont la fondation même semblait un double défi jeté aux barbares qui ne pouvaient l'atteindre, et à la mer qui la portait. Ce n'étaient encore que d’humbles cabanes de pêcheurs, où régnait l'égalité de la misère”, mais aussi l'égalité du travail, de l'industrie et de la patience“. La étaient accourus les habitants des cités voisines épouvantés par les Huns, là venaient en foule les survivants d’Aquilée, et cet asile inviolable avait été respecté d’Attila. La confusion sanglante qui attrista les derniers jours de l'empire d'Occident fit de ce mouve- ment une émigration régulière qui grossit encore à l'approche des Ostrogoths. 1 Les Vénitiens exploitèrent largement les ruines d'Aquilée. Nous reviendrons sur ce fait qui intéresse au plus haut degré l'histoire de l'art. 2 Oeudépiyos dè nobeis Th Éno0Muy, els Iradiar er, nai aër® 6 Tv l'orbwy Xews cirero, maîidds Te nai yuvainas év Tais dudëous évbémevor nai Tà Ëmmla, Üoa Péperr oioi re oav. (Procope, De Bello gothico, éd. Bonn, I, 1, p. 7.) * « Habitatio similis universa concludit. Nesciunt de pœnatibus invidere, » (Cas- siodori Variæ Epistolæ, Kb. XIF, epist. 4, éd. J. Garetius, Rothomagi, 1679; t. [, p. 198 à 199. | * Les Vénitiens n'employaient alors qu'une petite monnaie courante : moneta victualis, dit Cassiodore. — Zeno (Origine di Venezia, 1557) dit : «Oltre di ed bandirono 1 Veneziani l'oro e la moneta, non volendo che si battesse se non quella picciola per lo giornale spendere accadeva.» — Giulio Fareldo (Annali Veneti, Venezia, 1977, p.17), émet la même opinion : « Hora regnando Teodo- RCD: :E, e bandinno l'uso dell oro e ogni sorte di moncta eccetto 1 denarini di rame per la commutazione delle cose eo — V. F. Schweitzer, Serie delle monete e medaglie d'Aquileja e di Venezia. Trieste, Papsch e ER tipografi del Lloyd Austriaco, 1848-1852, 2 vol. in-8°, — 9303 — Venise avait hérité d'Aquilée, cette seconde Rome, qui tenait ouverte la communication entre la mer Noire et l’Adriatique par la voie des fleuves, Isonzo, Tagliamento, Save, Danube !; de Pa- doue qu’enrichissait à l'époque romaine un commerce considé- rable de draps et autres manufactures ?. Mais une autre ville pros- père s'était maintenue à travers les malheurs sans nombre du v° siècle. Ravenne, que les successeurs d'Honorius préféraient à Rome et où ils établirent leur capitale, était toujours le principal lieu d'échange entre les deux empires, entre l'Occident et l'Orient. La vie de saint Néon, archevêque de Ravenne, vers 450, renferme une preuve éclatante de ces antiques relations. Un marchand de cette ville, ayant emprunté 300 sous d'or, partit aussitôt pour tra- fiquer de côté et d'autre. Lorsqu'il eût quadruplé cette somme, il parvint à Constantinople, et, voyant que l'argent multipliait dans ses mains, il ne voulait pas retourner dans sa patrieÿ. Cette nouvelle métropole de l'Italie eut beaucoup à souffrir de l'expédition de Théodoric. Elle soutint un siége et un blocus de trois ans, qui portèrent les plus rudes atteintes à son ‘commerce. Venise, quoique très-près encôre de sa naissance, était déjà pré- parée à de lointains voyages“, et peu lui coûta de faire elle-même les opérations de transit, dont Ravenne assiégée n'était plus ca- pable. Théodoric, si utile aux Vénitiens pendant la guerre, leur devint presque fatal pendant la paix. Le rétablissement de l’ordre, le retour de la confiance étaient pour eux de véritables malheurs, car la sécurité arrêtait l’émigration dont ils profitaient tous les jours. Le même roi barbare, qui rendait à l'ltalie une prospérité ! Strabon, ap. Marin , 1, p. 60 ? Ausone dit : Non erat iste locus, merito tamen aucta recenti, Nona inter claras, Aquileja, cieberis urbes, ltala ad illyricos objecta colonia montes, Moænibus et portu celeberrima. . . . ... ( De Claris urbibns, VI). La colonie dont parle le poëte était fort ançienne. Elle datait de l'an 180 avant Jésus-Christ. % G. Zanetti, Dell origine di alcune arti principali appresso à Veneziani, ibri due. Venezia, Orlandini, 1758, in-4°, p. 17. — Fleury (t. VI, p. 538) l'appelle Néo- nas et mentionne une lettre du pape à ce prélat (458). * «Estote ergo promplissimi ad vicina, qui sæpe spatia transmillitis (trans- mealtis?)} infinita. » (Cassiodore, Var. XIE, 24.) — 304 — depuis longtemps inconnue, ne gardait pas rancune à Ravenne d’avoir abrité la résistance de ses ennemis et d’avoir tenu troïs ans l'empire incertain entre lui et le roi des Hérules. IT lui restituait son rang de capitale, et, en ranimant son commerce d'échange entre l'Occident et l'Orient, il enlevait à ses rivaux les résultats heureux de la dernière invasion. Cependant l'impulsion était donnée, la route ouverte et le mouve- ment devait survivre aux causes qui Favaient fait naître. Si Ravenne reprenait son rôle politique et commercial, les Vénitiens conser- vaient les nombreux bâliments qu'ils avaient construits pendant le siége pour répondre à des exigences plus grandes!. Théodoric lui-même les employait au transport des marchandises. Cassiodore adressait à leurs tribuns maritimes une lettre remarquable, qui est le premier monument de l’histoire de cette république et le témoignage le plus ancien de sa prospérité?. Le ministre du con- quérant, faisant appel à leur marine pour le transit des denrées istriennes, les félicite de parcourir des espaces infinis $, parole vague, mais qui doit désigner la Méditerranée orientale. Il remarque l'importance de leurs salines* et du trafic qu’elles alimentaient. Enfin Ravenne elle-même, tout en redevenant l'entrepôt de l'Orient, ne pouvait dédaigner le concours d’une puissance née de ses malheurs, car elle avait besoin des barques vénitiennes pour répandre ses marchandises dans la haute Italie et l'Allemagne méridionale. L’Adige, la Brenta, l’Isonzo et tant d’autres voies fluviales ouvertes aux habitants des lagunes les rendaient cons- tamment nécessaires à leurs rivaux eux-mêmes. Zénon n'avait fait que rappeler à Ftalie les prétentions im- périales. Justinien entreprit de la reconquérir. La guerre qui éclata bientôt entre les Ostrogoths et les Grecs fut encore plus favorable que la précédente aux développements de Venise. Elle renversa la domination qui se fondait dans la péninsule et à la- quelle le génie de son auteur semblait donner les chances les plus ! «Vos qui numerosa navigia possidetis. » (Cassiodore, Var. XXIT, 24.) 3 C’est la lettre XXIV du douzième livre, écrite vers 537, et dont nous avons cité plusieurs passages. (Voy. l’Appendice n° L.) $ Voy. p. 303, note 4. * «In salinis autem exercendis tota contentio est ....... Potest aurum aliquis nimium quærcre, nemo est qui salem non desideret mvenire; merito quando isti debet omnis cibus, qui potest esse gratissimus. » ({Cassiodore , loco laudato.) — 305 — sérieuses de durée. Elle substitua aux Ostrogoths le règne impuis- sant et éphémère des empereurs grecs ; elle prolongea cette période d’anarchie, où la jeune république put grandir sans craindre qu'un roi barbare ne l’étouffàt au berceau. En ramenant le dé- sordre dans le nord de l'Italie, elle ranima l’émigration interrompue qui avait peuplé les lagunes, et commencé de les enrichir. Les Ostrogoths appelèrent à leur secours des alliés plus destructeurs qu'ils ne l’étaient eux-mêmes. Les Franks commirent, en effet, de tels ravages, que la terreur revint, comme au temps d'Attila, sur les bords du Pô, et que Venise ouvrit ses canaux à de nouveaux réfugiés. Ces événements eurent aussi pour résultat de mettre les Grecs et les Vénitiens en contact. Le mouvement d'hommes, de vivres, qu'ils amenèrent dans le golfe Adriatique, ne put s’opérer sans le concours des bâtiments de la république. Entre les Ostrogoths restés barbares et les Grecs mal préparés, même aux expéditions qu’ils méditaient depuis longtemps, les Vénitiens, munis de bar- ques de transport, peu éloignés du théâtre des opérations, de- vaient être recherchés des deux partis et ils le furent. Ils agirent en hommes qui sentaient leur importance et qui voulaient en tirer . profit. Ils furent d’abord les alliés des Ostrogoths, et, quand le roi de ce peuple, Théodat, allait être assiégé dans Ravenne, ils intro- duisirent dans la ville du blé et des provisions de tout genre!. Mais ils passèrent bientôt du côté des Grecs : là étaient leurs sympa- thies et les plus grandes chances de victoire. Ils leur fournirent des secours d'hommes, de vivres et de transports?. Pour la pre- mière fois Grecs et Vénitiens se trouvaient en présence. Quand Bélisaire vint assiéger Ravenne, il obtint de ceux-ci un grand nombre de barques qui empéchèrent les Goths de ravitailler [a ville par mer ?. En même temps il envoyait Vitalios occuper la Vénétie maritime dont les ports devaient servir de relàche à sa flotte. On trouve à cette époque des navires et des soldats grecs 1 C’est ce qui ressort de cette lettre XXIV du livre douzième, écrite aux tri- buns maritimes pour obtenir d'eux cet important service. La lettre XXVI du même livre n’est pas moins curieuse : en raison de la stérilité de l'année, Cassio- dore, préfet du prétoire, remet aux Vénitiens les contributions en nature qu'il avait réclamées de leur province et pourvoit à leur approvisionnement, { Voy. l’Ap- pendice, n° [et IL.) ? Marin, t. [, p. 91. 4ossi, Storia di Ravenna, ap. Marin , tt. f, P. 36. — 306 — mentionnés à Grado; la mer Adriatique, les îles, l’fstrie, la Dal- matie en leur pouvoir !. Si les Vénitiens contribuèrent puissam- ment à la chute de Ravenne, les Dalmates combattirent, au milieu de la flotte impériale, à la bataille d’Ancône. Lorsque Bél- saire, après sa disgrâce, fut renvoyé en Italie pour arrêter Totila dans le cours de ses victoires et reconquérir la péninsule, c'est à Pola même qu'il aborda ?. Le successeur de Bélisaire, Narsès, avait concentré le gros de son armée à Saloneÿ, Il ne pouvait prendre la route de terre à cause des Franks, qui auraient barré le passage de la Vénétie continentale; il n'avait pas assez de navires pour opérer par mer le transport de toutes ses troupes. Jean, neveu de Vitalios, lui proposa de suivre la voie de la lagune peu gardée en raison même des fleuves et des marais qui la faisaient croire im- praticable. Cette détermination le tira d’un grand embarras. De- : puis l’époque romaine il y avait un passage régulièrement établi par la lagune de Grado à Ravenne. Narsès réunit chez les Véni- tiens les nombreuses barques qui lui étaient nécessaires, cons- truisit des ponts, et arriva sans obstacle dans la capitale de l’exar- chat. Il laissa Constantianos derrière lui, avec l’ordre d'occuper _les îles de la Vénétie. Ce furent encore les petits bâtiments véni- tiens qui permirent à Narsès de faire arriver par les fleuves de la haute Italie 12,000 Lombards auxiliaires #. Les soldats du Bas- Empire restèrent dans ces régions jusqu’à la fin du vr° siècle, et leur présence à Grado nous est attestée par les pierres qui portent leurs noms et le témoignage de leurs offrandes à l’église de Sainte-Euphémie. Les rapports entre les deux peuples étaient devenus intimes et l'alliance établie sur des intérêts communs, lorsque l'arrivée de deux vicaires impériaux resserra ces nouveaux liens. Quelques années après la dernière défaite des Ostrogoths, Narsès débarquait à Venise. Il y fut reçu avec enthousiasme. Une députa- tion des Padouans vint l'y trouver. Ceux-ci reprochaient aux Vé- ! Romanin, Storia documentata di Venezia, t. I, ch. 1, p. 33. ? Du Roure, Histoire de Théodoric le Grand, t. Il, p. 474. Paris, 1846. * Procope, De Bello gothico, liv. IF et [TT , xxx. — Cf. Filiasi, t. V, p. 207. Marin, t. I, p. 119. Filiasi, Memorie storiche dei Veneti prune second, t. VIT, p. 17. Rossi, Liv. VE. Ap. Marin, t. [, p. 120. — Cf. B. Giustiniano, in-fol. div. VE. Venetuis, 1408. 4 5 6 — 907 — nitiens de s'être approprié Malamocco, port de Padoue, de leur avoir enlevé toute communication avec la mer, d’avoir occupé et fortifié les embouchures de tous les fleuves. Ils demandaient à être remis en possession de leurs anciens droits. Les Vénitiens répondaient que le port de Malamocco avait été pris par eux à l'époque de la grande invasion, que Padoue n'y avait point pré- tendu au temps de Théodoric, et qu'elle avait moins que jamais le droit d'y prétendre. Les lagunes appartenaient à ceux qui avaient eu le courage de les peupler, qui les sillonnaient de leurs barques, qui les arrachaient aux barbares. Narsès tint la sentence en suspens et se contenta d'exhorter les deux peuples à la modération et à la concorde. La Chronique d’Altino chante les louanges de Narsès. Il aurait été le bienfaiteur de tous, il aurait fondé de nombreuses églises, deux près du palais des chefs de la république, une autre en l'honneur du martyr saint Théodore, ornée de pierres et de co- lonnes précieuses; il aurait créé une bibliothèque publique ! (560). La visite du successeur de Narsès, l’exarque Longin, est encore plus digne de remarque, car s’il faut en croire la Chronique d’Al- tüino?, elle aurait eu de plus grands résultats politiques. Avant la mort de Narsès, Longin aurait fait dire aux Vénitiens : « Si votre chef et vous consentez à me recevoir, si vous êtes vous- mêmes disposés à venir à Constantinople, j'irai chez vous. J'ai été annoncé comme vice-roi à l'Italie. Cependant, si vous voulez bien faire hommage à l'empire, je ne vous astreindrai pas au serment de fidélité, je me contenterai d’un engagement que prendra votre chef d’être dévoué à l'empire et de faire pour lui la guerre, en cas de nécessité. Votre chef m'accompagnera à Constantinople. Dé- clarez par écrit vos sentiments à l'égard de l’empereur et je m'en- gage à vous obtenir de mon côté un acte solennel qui vous assure de sa protection. Ceux d’entre vous qui voyagent jusqu’à Antioche, et dont les navires marchands parcourent toutes les parties de l'empire, pourront s’adonner au commerce en toute sécurtié. » Le chef du peuple et le peuple lui-même accueillirent ces offres avec joie. On envoya à Constantinople une ambassade ex- traordinaire qui devait prier Longin de se rendre à Venise. Le doge , Narsès, les tribuns, une foule immense d'habitants et d'é- 1 Voy. la Chr. d'Altino. Arch, Storico italiano, App. n° 19, p: 113. 2 Ibid. HE, p. 114 et suiv. — 308 — trangers, répandue sur les embarcations les plus diverses, allèrent à sa rencontre. Comme si l’empereur lui-même était venu, on fit retentir les chants d’allégresse, les cloches et les instruments de musique. Aux portes de l’église de Saint-Théodore, cinquante prêtres, revêtus des ornements sacerdotaux et entonnant les can- t'ques sacrés, le reçurent avec les plus grandes marques d’hon- neur. Au retour de l’église, le chef du peuple le retint dans son palais. Les tribuns, la foule entière, composée d'habitants et d'étrangers, s’y rendirent également pe voir l’envoyé de l'em- pereur; tous y avaient été convoqués à cause de lui. Longin leur parla en ces termes : « Vous êtes assurément un des peuples les plus heureux du monde par l'excellente position que vous occupez. Vous jouissez, dans vos lagunes, d’une sécurité parfaite, et aucun souverain du monde ne pourrait ni vous in- quiéter, ni vous atteindre. Je vous dis donc: si vous voulez faire hommage à l’empereur, exposez vos dispositions par écrit. J'espère conduire auprès du prince les choses à bonne fin ct à la satisfac- tion de vous tous.» Le chef du peuple, suivi des principaux de la noblesse, accompagna l’exarque à Constantinople. Quand il fut en présence de son souverain, Longin exposa les résultats de sa mission. Les autres firent acte de dévouement à l’empereur, et ce prince s’engagea, en retour, à donner aux Vénitiens une protection perpétuelle dans toute l'étendue de ses États. Ce récit éclaire vivement les premiers rapports de Venise avec 1! On se demande s’il est permis d'admettre tous les détails de cette narration. Nous croyons que l'événement est incontestable si les détails ne le sont pas. L’au- thenticité de la Chr onique d'Altino, d'où ce récit est tiré, est reconnue par les sa- vants les plus autorisés. Écrite au 1x° siècle, elle est assez rapprochée de cette époque pour en être le fidèle écho. Le voyage de Longin à Venise et les résultats politiques qui en découlent est d’ailleurs attesté par d’autres documents. Citons, entre autres, la Chronique Barbaro : « Longino impetrd che questi isolani fossero Jigh dell Impero con ampla facoltà di poter negoziare, mercantare e praticare in tutti i luoghi dell Impero soggetti, liberamente et con sicurtà e senza alcuna difficoltà o impedimenti cosi della persona come delle cose.» Nous croyons qu’il faut admettre dans le passage que nous venons d'extraire de la Chronique d'Altino, non-seulement le fait principal, mais l’ensemble du récit. L’amplification n'en reste pas moins évidente dans le double discours de Longin avant et après son arrivée à Venise. Le style est d’ailleurs tellement barbare qu'il en devient parfois inimtelligible. Aussi n’avons-nous pas donné une traduction complète, qui eût été aussi incertaine que fastidieuse. Nous avons préféré un extrait, où nous n'avons conservé que les parties dont le sens a paru suffisamment clair. — 309 — Constantinople. 11 établit une sorte de protectorat impérial sur la république, protectorat fondé par un exarque, accepté par la première ambassade vénitienne qui ait paru sur le Bosphore. Une dépendance nominale, une reconnaissance officielle de la suprématie byzantine, tel a été le prix dont Venise acheta, dès le début, les immunités que son commerce réclamait dans tout l'Orient. Elle accorda plus tard les mêmes hommages aux em- pereurs d'Occident et y gagna la même sécurité en Allemagne. Avec les maïtres du Bas-Empire, le lien fut plus étroit et les re- lations plus intimes. Les historiens vénitiens !, animés d’un pa- triotisme fort honorable, ont mis une certaine vivacité à défendre l'indépendance originelle de leur patrie. Il est certain que Venise n'a jamais été soumise d’une façon effective à un prince étranger, et que ses chefs primitifs s'intitulaient à juste titre : Nous, tri- buns des Lagunes Maritimes, nommés par elles. Mais les Vénitiens n'assuraient leur autonomie et leur tranquillité intérieure qu’en respectant les droits, nouvellement rétablis, de l'empire grec sur la péninsule entière. L'exarque dé Ravenne prétendait être un véritable vice-roi d'Italie, et les Vénitiens comprenaient trop bien les avantages qu’ils tiraient de son alliance pour choquer une am- bition aussi absolue qu’inoffensive. Ils avaient autrefois reconnu les rois germains d'Italie, Odoacre et Théodorik. Pourquoi au- raient ils refusé à une domination faible, lointaine, amie, les égards et les titres qu'ils n'avaient point contestés à un roi puis- sant, Voisin, ennemi? Les Justinien et les Héraclius, dans toute leur gloire, ne leur causaient pas les mêmes inquiétudes que le moins grand des fils d'Odin. Les prétentions surannées que la cour de Constantinople éle- vait sur l'Italie tout entière étaient même pour ces marins encore ignorés un principe de force et d'indépendance. Ils n'aspiraient pas, ils ne pouvaient songer pour eux-mêmes à la possession de l'Italie du nord et de l'Italie centrale. Ils devaient donc encourager le maintien de ces droits anciens, qui entachaient d’usurpation toutes les monarchies germaniques si menaçantes pour leur liberté. Ils devaient défendre à leurs portes un débris d'état gréco- romain qui était pour les Lombards un danger permanent, sans qu'il püt le devenir pour eux-mêmes. Ils devaient prolonger une ! Voy. surtout B. Giustinrano, fiv. VE - — 310 — agonie qui favorisait leurs progrès, et qui laissait l'Italie comme dise entre plusieurs héritiers barbares. Au temps des Lombards, Venise développe sa rl et resserre son alliance déjà séculaire. La lutte de l'empire byzantin contre les nouveaux envahisseurs fut longue, sanglante et mal- heureuse. Elle lui rendit les Vénitiens plus nécessaires que par le passé, et de protégés qu'ils étaient, elle les éleva presque au rang de protecteurs. Leurs embarcations servirent, comme autrefois, à transporter les troupes grecques et à remonter les fleuves !. Des secours d'hommes permirent à celles-ci de s'emparer de Bressello ?. Tant de services rendaient les successeurs de Justinien chaque jour plus bienveillants. Si l’on en croit le chroniqueur Sagornino, la ville d’Eraclea aurait été construite par Héraclius. I est probable qu'il exagère; mais on doit admettre que les Opiterginiens #, chassés de leur ville, détraite par Rotharis, roi des Lombards, reçurent de cet empereur des sommes d’argent, et que, si les fugitifs, gui- dés par leur évêque Magnus, donnèrent à leur nouvel asile le nom d'Eraclea, c'est qu’ils voyaient dans Héraclius un souverain et un bienfaiteur * La munificence de ce prince ne fut pas moins éclatante à l'égard du légitime patriarche de Grado. Fortunato, patriarche d’Aquilée, élu par les Lombards au mépris des lois canoniques, avait dépouillé Grado de ses trésors, grâce aux forces que lui avait fournies le duc de Frioul. Le pieux empereur rendit à Primigenius, patriarche, victime de cette polis ans bien au delà de ses pertes ®. En faisant cause commune avec les Grecs, Venise s'était expo- sée aux incursions presque annuelles des Lombards. La terre ferme, jalouse des lagunes, excitait encore les barbares. Les pé- rils constants qui menaçaient la république l’obligèrent à fortifier ! Nicola Zeno, Dell origine de’ barbari che distrussero per tutto il mondo l'im- perio di Roma, onde ebbe principio la città di Venezia. Venezia, 1557, ap. Marin, t. I, p. 144 et suiv. 3 Id. ibid. Bressello, Brixellum, peute ville située à l'embouchure de la Parma dans le P6. $ Oderzo, Opitergium , à 26 kil. N. E. de Venise, sur le Manticano. * «Hic (Rotharis) Opitergium oppidum infestum , quia Romans suberat, expu- gnavit et diruit. Tune Magaus sv civitatem construxit, quam sub impe- ratoris nomine Heracliam vocavit. » (A. Dandolo, p. 115). Cf. Marin, t. [, p. 145. 5 Marin, loco laudato. — JII — chez elle le gouvernement, changèrent sa constitution intérieure et son avenir. La magistrature des tribuns maritimes, qui avait sufli à des débuts presque toujours paisibles, fléchissait sous le poids d’une défense quotidienne et laborieuse. Elle fit place à l'institution d’un duc, chef militaire dont l’idée et le nom furent empruntés aux Lombards qu’il devait combattre. Ce duc prit avec le temps un caractère plus pacifique; son titre s’altéra ; mais le doge de Venise resta longtemps à la tête des forces publiques. Une attaque simultanée des Lombards sur les lagunes, des pirates dal- mates sur un convoi venu du Levant, réunit les Vénitiens pour le choix du premier doge (697). L'élection de Paoluccio Anafesto fut notifiée au pape et à l'empereur d'Orient !. Si l'institution et le nom du chef de la république vénitienne sont dus aux Lombards, une partie du cérémonial adopté pour la nouvelle magistrature est d'importation byzantine. L’habillement ducal reproduisait certains détails du costume des exarques, des consuls et des empereurs. Le doge portait, dans les premiers temps, un manteau de soie avec ornements et bossette d’or; sous le manteau, une soutane à manchettes étroites et haut rabat, col- let de peau et chaussures rouges. On priait pour lui dans les églises selon la formule grecque. Lorsqu'il mourait, on observait, dans les funérailles, un cérémonial qui tenait à la fois du byzantin et du lombard?. Ces usages ne furent pas les seuls que les Vénitiens de cette époque empruntérent à leurs ennemis ou à leurs alliés. Is leur prirent aussi certaines peines atroces, comme celles qui consistaient à couper les mains et à crever les yeux. Le supplice de Giovanni Fabriciazio, que le peuple aveugla, rappelle une des scènes si fréquentes à Constantinople (742). Le règne de Léon IT lIsaurien marque l’époque la plus glo- tieuse de l'union gréco-vénitienne contre les Lombards. Le fana- tisme iconoclaste de ce prince amena une rupture entre lui et le pape, qui trouva de l'appui à Milan. L'édit contre les images (726), promulgué en Italie, souleva dans l’exarchat de Ravenne, et surtout à Rome, une opposition violente, que Luitprand sut ex- ploiter. Tandis que les officiers impériaux commettaient sur la personne du pape un attentat aussi odieux qu'impolitique, le roi ! Romanin, t. 1, p. 102. — A. Dandolo, 1. VIF, cb. 1. | ? Romanin, t. |, p. 102 et 117. Voy. chapitre vit, p. 433. : — 312 — lombard envahissait la Pentapole !, s'en rendait maître, dégageait Rome, un instant cernée par les forces ennemies ?, entrait vic- torieux dans Ravenne, mettait en fuite le vicaire impérial. C’est à Venise que l’exarque Paul se réfugia. Les Vénitiens voyaient leurs lagunes, qui n'avaient d’abord abrité que leur indépendance nationale, devenir l'asile du représentant des Césars. Ils proté- geaient leurs protecteurs. Paul leur exposa vivement les motifs qui les obligeaient à con- fondre leur cause avec celle de l'empire. Deux partis se for- mérent : l’un dévoué aux Grecs, l’autre penchant vers la neutra- lité ou l'alliance lombarde. Mais le parti grec, qui avait le doge pour lui, l’emporta sur son rival. Les Vénitiens, sans obéir au fanatisme du prince iconoclaste, ne pouvaient se laisser enve- lopper par une domination barbare. Le pape, effrayé des succès menaçants dé ses alliés, encouragea la résistance. Une flotte véni- tienne, commandée par Orso, le troisième doge de la république, surprit Ravenne et l’emporta malgré la vigoureuse défense de Hil- debrand, neveu du roi lombard, et de Peredeo, duc de Vicence, qui succomba sous les murs de la ville assiégée. Paul rentra dans sa capitale à la suite de ses alliés victorieux, et la cour de By- zance, si absolue dans ses prétentions, si fière dans son langage, dut aux pêcheurs, naguère inconnus de l’Adriatique, le rétablisse- ment d’une autorité qu’elle était impuissante à maintenirè (727). Tels étaient les progrès étonnants d’une république, si faible à son origine, mais destinée à étendre dans tout l'Orient son commerce, son influence et même son empire. Les promesses de l’exarque fugitif furent tenues après la vic- toire. Malgré l'absence de documents authentiques, on est en droit d'affirmer que de grands priviléges furent accordées aux Vénitiens dans l’exarchat de Ravenne, car, un demi-siècle plus tard, on les y retrouve établis en assez grand nombre pour attirer l'atten- tion et les rigueurs de Charlemagne. Le pape Adrien [® écrit à l'empereur que, pour se conformer à la volonté souveraine, il a publié l’ordre d'expulsion donné contre les Vénitiens qui trafiquent ! La Pentapole comprenait les cinq villes de Rimini, Pesaro, Simigaglia, Fano et Ancône. | ? Anastase le bibliothécaire. Éd. vén. p. 37: # Marin, & [, p. 176-177. — Romanin, E, p. 117-120. Cf. Daru, éd. in-18°. Paris, 1826, 1. 1, p. 35. H y traduit la lettre du pape au doge. — D135 — à Ravenne et dans la Pentapole. Il à enjoint à l'archevèque de chasser de son territoire ceux qui y possèdent des biens et des châteaux forts. Les Vénitiens n'étaient donc pas là de simples mar- chands. Les châteaux forts mentionnés par le pontife indiquent un établissement politique et militaire dont la concession fut arra- chée à la détresse des Grecs un siècle plus tôt, mais dont la na- ture inquiétait l'empereur, le pontife et peut-être l'archevêque lui-même!. La cour de Byzance voulut, en outre, témoigner sa reconnaissance au doge Orso, qui avait eu le commandement de la flotte victorieuse. Elle lui accorda un des titres honorifiques dont le prestige avait survécu, même chez les barbares, à celui de l'empire romain, et qui lui permettaient de maintenir, à peu de frais, une influence sérieuse et un air de protection qui dé- guisait sa faiblesse. Orso obtint la dignité de Üraros?. Il est resté connu sous le nom d'Orso Hypato. Ainsi, le troisième doge de la république prenait rang dans la noblesse impériale. Un des maîtres des soldats, magistrats annuels qui remplacérent les doges pen- dant quelques années, Gioviano Cipario (737-742) reçut la même distinction, soit qu'il eüt fourni à Constantin Copronyme, suc- cesseur de Léon l'Isaurien, quelque secours contre les Arabes ou le rebelle Artabase, soit que la nécessité, chaque jour plus grande où se trouvaient les empereurs de ménager l'alliance vénitienne, leur fit déjà prendre l'habitude de ces libéralités peu coûteuses ÿ. Entre Léon l'Isaurien et Charlemagne s'étend une période de 40 ans, qui présente beaucoup de désordre et de confusion. Rome et Constantinople se font une guerre tantôt sourde, tantôt décla- rée. L'une s'appuie sur les Franks, Pautre sur les Lombards. Venise ! Cod. Carolinus. Epist. LxxxIV Adriani pontificis ad Carolum magnum : «Ad aures clementissimæ regalis Excellentiæ intimantes innotescimus quia dum vestra regalis in triumphis victoria præcipiendum emisit, ut a partibus Ravenne seu Pentapoleos expellerentur Venetici ad negotiandum , nos illico in partibus illis emi- simus, vestram adimplentes regalem voluntatem. Insuper ad Archiepiscopum præceptum direximus ut in quodlibet (sic) territorio nostro et jure sanctæ Raven- natis ecclesiæ ipsi Venetici præsidia atque possessiones haberent , omnino eos exinde eæpelleret et sic ecclesiæ suæ jura manibus suis teneret. » 2? Ÿraros désignait la fonction des consuls qui furent maintenus à Constanti- nople, jusqu’au règne de Justinien. Mais, au temps d'Orso, ce n'était plus qu'un titre honorifique que l'on donnait aux préfets des villes et qu'on prodigua beau- coup. (Voy. plus loin ch. vit, p. 483, 434.) % Romanin, t. [, p. 117. Voy. Lebeau, Bas-Empire, t. XIE, p. 188-195, et, sur les massacres de Ravenne, le même auteur, 1bid. p. 16 et 76. — 14 — semble surtout préoccupée d'étendre son commerce même chez ses ennemis, et de remplacer les Grecs, chaque jour déclinant, sur l’Adriatique. Elle avait succédé définitivement à Ravenne, et, lors- qu'elle délivrait sa rivale des Lombards, elle n avait plus à craindre de concurrence commerciale ou politique. Peu de villes ont été plus éprouvées que Ravenne pendant quel- ques siècles de puissance. Prise et saccagée par les premiers bar- bares, restaurée par Théodorick, qui l'avait d’abord appauvrie, elle vit tout le monde réuni contre sa grandeur renaissante; elle n’eut pas de plus cruels ennemis que ses maïîtres. C’est d’un empereur byzantin qu'elle reçut les coups les plus redoutables. En 709, Jus- tüinien IT envoya contre cette capitale indocile le patrice Théodoros, qui la prit et la mit au pillage. L'année suivante, une nouvelle révolte éclata contre le patrice Rizocopos. L'ordre ne fut rétabli que vers la fin du règne. Prise par les Lombards, reprise par les Vénitiens, Ravenne retomba sous la domination grecque sans re- trouver l’ordre et la paix. L'exarque Paul n'était pas plutôt ramené par la flotte victorieuse, què l’édit de Léon lfsaurien portait ses fruits. La ville se divisait en deux factions, l’une proscrivant, l’autre défendant le culte des images. Au milieu de troubles sanglants, Paal était massacré (727). Eutychios, envoyé de Constantinople pour le remplacer, n'exerça plus qu'une ombre de pouvoir jus- qu’au jour où Ravenne tomba sous les coups du pape, des Franks et des Lombards (751)1. Justinien IT ne s'était pas contenté de prendre et de chaätier la ville rebelle : il l'avait presque dépeuplée. Il lui avait extorqué ses richesses, il avait transporté ses nobles sur les rivages de la mer Noire?. Même en temps ordinaire, le poids de la domination grecque était lourd. L'autorité de l’exarque n'était contenue par aucun frein légal, et, en matière d'impôts, elle s'exerçait avec toute la rigueur inhérente à la fiscalité impériale. Beaucoup d’ar- tisans et d’industriels, ruinés par un despotisme aux abois, imite- rent, au vrn' siècle, les fugitifs qui, pendant le v° et le vi‘, étaient allés demander aux lagunes vénitiennes un asile contre les bar- bares. Ils trouvaient à Venise un gouvernement intelligent, jaloux de favoriser le travail et l'industrie. Ravenne, privée par ses mai- 1 Romanin, t. |, p: 120 et suiv. 2 Rossi, S“ di Ravenna. Ap. Marin, te 1, p.277: — 315 — ires eux-mêmes de la partie la plus riche ou la plus active de sa po- pulation, abandonnait à sa rivale cet empire de l’Adriatique, que celle-ci devait conserver pendant tant de siècles. Orso Hypato en- couragea ses compatriotes à construire des navires fort légers, comme ceux des pirates liburniens. Les maïtres venus de la Pen- tapole, unis à ceux que Felice Cornicola appela de l’'Esclavonie, de lIstrie et de la Pouille, perfectionnèrent cette science chez les Vé- nitiens. Le même doge s'occupa de leur donner l'usage des armes, et ces hommes qui n'avaient été jusque-là que des mercenaires im- périaux, commencèrent à former le noyau d'une armée indépen- dante et nationale !. ‘ Aux Lombards succédèrent les F:anks dans la domination de Vlialie, aux Alboin, aux Luitprand, les Pépin et les Charle- magne. Quand le glorieux roi des Franks eut triomphé des derniers barbares et mis sur sa tête la couronne des empereurs latins, la paix sembla rétablie dans l'Occident bouleversé depuis plusieurs siècles. Ce furent de belles années dans l’histoire de la civilisation. L'unité romaine n'était plus, mais l’on voyait deux groupes se dé- gager du chaos : l'Occident germanique avec Charlemagne, l'Orient grec avec Irène. Un instant même les deux mondes se rapprochent, leurs chefs apprennent à se connaïtre, à s’estimer ; il semble qu'ils vont s'unir et se donner la main. Ordre éphémère, mais imposant, rehaussé par le contraste de la confusion qui l'avait précédé, de l'anarchie plus profonde encore qui devait le suivre ! Il y eut un point où les deux empires qui se partageaient la Chrétienté se touchèrent, une ville qui devint le théâtre de leur lutte, mais qui sut échapper à l’un et à l’autre. Venise joua, entre les maîtres de l'Occident et ceux de l'Orient, un rôle indépendant et glorieux. Depuis la conquête de la Lombardie et de lexarchat, l'empire frank confinait aux lagunes vénitiennes. Mais, sur la rive orien- tale de lAdriatique, lstrie et la Dalmatie appartenaient au Bas-Empire. Venise restait seule entre deux grandes monarchies rivales : elle devint l’objet d'une compétition qui devait dégénérer en guerre ouverte. Un parti grec s’y était formé depuis un demi- siècle. Il datait du jour où l’exarque Paul avait obtenu asile et pro- 1 Voy. Marin, [, p. 200-230 et passum. MISS. SCIENT, — 1Y. 2:2 — 310 — tection, où Ravenne avait été reprise sur les Lombards par une flotte vénitienne, où le doge avait joint à son titre légal celui d’une dignité monarchique. Orso Hypato en était le chef. Par lui l'in- fluence byzantine tendait à se répandre dans la politique et jusque dans les formes extérieures du gouvernement. Le doge avait à peine reçu de Constantinople un honneur nouveau dans les an- nales de son pays, qu'il affecta un luxe et un orgueil extraor- dinaires !. Les républicains s’alarmaient. L'institution des doges fut suspendue pendant quelque temps et fit place à celle des Maîtres des soldats. Vingt ans plus tard, au nombre des factions véni- tiennes on retrouve les amis des Grecs. Enrico Barbaromano oc- cupe, avec le secours de ceux-ci, les Lidi Remondini, delle Pinete, de la Piave, de la Livenza jusqu'à Grado ?. Mais il est vaincu par Galagaulo, qui représente le parti contraire et qui usurpe un instant la dignité ducale (755). Des haines intestines devaient aggraver ces conflits. Deux villes se disputaient, dans les lagunes, le gouvernement de l’État. Eraclea avait été pendant longtemps la résidence des doges. Quoiqu'elle eût perdu ce privilége, elle n'en conservait pas moins la suprématie. Tous les doges étaient tirés de son sein. Les autres villes, [esolo en tête, voyaient avec jalousie cette prépondérance. De là, deux partis acharnés, comme on en trouve au commencement des petites républiques, les Hé- racléens et les Iesolaniens. Venise était donc préparée à une riva- lité d'influence, et la dualité qui se manifestait au dehors existait depuis quelque temps en elle-même *. À la fin du vr° siècle, les Héracléens avaient le pouvoir par le moyen des Galbaj, que laffection du peuple perpétuait dans l’au- lorité ducale. Les Galbaj penchaient pour les Grecs. Maurizio Galbaio, devenu vieux, imitait les usages byzantins en s’associant Giovanni, son fils. Celui-ci, devenu le second doge en 787, ren- contra une vive opposition dans le patriarche, qui avait le même L Marin, t. [, p. 190. ? Lido, lio, désigne une portion du rivage dans la région des lagunes. Les Lidi Remondini et delle Pinete sont situés entre l'embouchure de la Brenta et celle de la Piave. Grado (2200 h.}), à 22 kil. S. S. O. de Goriz, a un petit port qui com- munique avec Aquilée (1500 h.) par un canal, et est bâtie sur une île, près de l'embouchure de la Natisa. Barbaromano accupait donc toute la lagune, depuis Venise jusqu'au fond de l’Adriatique. * Sagornimo et B. Giustiniano, De origine urbis Venetiarum, lib. XV. Venetus, 1498. Ap. Marin, t. 1, p. 197. — 917 — nom, mais qui, sujet de Charlemagne avant son élévation, se déclara le chef du parti frank et gagna les Iesolaniens à sa cause. Les deux factions ordinaires de la république arboraient le dra- peau des deux empires qui s'y disputaient l'influence: Un événe- ment imprévu les mit aux prises !. En 797, l'évêque d’ Olivolo?, Obelerio, vint à mourir. La cour de Constantinople, par l’entremise des marchands vénitiens qui tra- fiquaient dans ses états, communiqua aux Galbaj son vif désir de voir nommer au siége vacant un jeune Grec, Christophoros. Les doges se rendirent à ces instances et firent agréer du synode na- tional la promotion du candidat. Ce choix souleva une vive op- position chez les Iesolaniens et les chefs du parti frank. Saisissant cette occasion d'exercer ses droits de métropolitain et de montrer son dévouement aux intérêts de Charlemagne, le patriarche de Grado, Giovanni, lança l’excommunication contre les doges et refusa de reconnaitre l'élection. Ceux-ci répondirent à leurs en- nemis par des mesures énergiques. Giovanni Galbaio envoya son fils, le jeune Maurice, qu'il s'était associé, assiéger Grado avec des forces considérables. Grado fut pris et le PArRArENE précipité du haut d’une tour. Une sorte de terreur régna à la suite de cette cruelle exécution. Mais une réaction se manifesta bientôt en faveur de la victime. Contraints de donner satisfaction aux sentiments populaires, les vainqueurs laissèrent porter au patriarcat Fortunato, neveu de Giovanni. Le nouvel élu n’eut qu’une passion : venger son oncle. L'inondation des lagunes, qui suivit de près, accrut encore le mé- contentement. Fortunato crut le moment venu d'exécuter ses pro- Jets. Il ourdit avec plusieurs chefs de familles tribunitiennes une conspiration contre les Galbaj. Les Franks devaient aider à les renverser, mais le complot fut découvert à temps. Les doges en- voyèrent contre Grado une nouvelle flotte. Fortunato fut obligé _de prendre la fuite avec ses complices Obelerio, tribun de Mala- mocco, Felice Tribuno, Demetrio Mariniano, Gregorio et un cer- tain nombre d’autres nobles Vénitiens. Les conjurés se retirerent à Trévise où 1ls continuèrent leurs ! Le récit qui va suivre est tiré des Chroniques de Dandolo (1. VIT, ch. xn, x, XIV, et D. VIII, ch. 1, p. 143-164), et de Sagornino. (Ap. Marin, t E, p. 216-260.) ? C'est-à-dire de Rivoalto ou Rialto. — 518 — intrigues. Leur chef, Fortunato, alla trouver Charlemagne à Salz et mit son parti sous cette protection puissante, II lui représenta les Galbaj comme les instruments de la politique byzantine et les ennemis déclarés des Franks. En même temps, les conjurés qui étaient demeurés à Trévise proclamaient doge Obelerio, tribun de Malamocco. Débordés à Venise même par un parti qui ne cessait de grandir et qu'ils renonçaient à comprimer, les Galbaj abandon- nèrent le champ de bataille. Ils se retirèrent à Mantoue et lais- sèrent Obelerio maître du gouvernement (804). Ils auraient voulu disputer à leurs adversaires le patronage de Charlemagne; mais, convaincus bientôt que la place était prise, ils s’adressèrent à leur allié naturel, Nicéphore!, et, comme la première faction avait demandé l'appui des Franks, l’autre, vaincue à son tour, appela les Grecs. La rivalité sourde du parti frank et du parti byzantin éclatait donc au dehors et allait mettre aux prises les deux empires. Ve- nise semblait être le prix de la lutte entre Nicéphore et Charle- magne. | Les Franks, ayant pour eux Obelerio, son frère Beato et For- tunato rétabli sur son siége, obtiennent d’abord l'avantage. Les doges paraissent même décidés à faire de leur patrie une province franke. Une conspiration dirigée contre leurs projets ne réussit pas. En 805, Obelerio et Beato, le duc et l’évêque de Jadra, dé- putés dalmates, allèrent trouver Charlemagne. D’après Éginhard, l'empereur aurait réglé les affaires de Vénétie et de Dalmatie, et peut-être accordé aux doges une sorte d’investiture ?. Mais, si les chefs de la république étaient d'un côté, la nation tout entière était de l’autre. Tant qu'il ne s'agissait que d’une uvalité entre deux factions amies, l’une des Franks, l’autre des Grecs, le désaccord était possible. Les Vénitiens pouvaient être gagnés à l’une ou ramenés à l’autre par les intrigues heureuses des vaincus, par les excès mêmes des vainqueurs. La réaction contre : Empereur de 802 à 811. ? Eginhard : « Venerunt Willeri et Beatus, duces Venetiæ, nec non et Paulus, dux Jadræ, atque Donatus, ejusdem civitatis episcopus, legati Dalmaticorum , ad præsentiam imperatoris cum magnis donis. Et facta est ib1 ordinatio ab impera- tore de ducibus et populis tam Venetiæ quam Dalmatiæ.» (Ann. 806. Ap. Du- chesne, t. IT, p. 253. Cf. Annales Francorum auctiores, ibid. p. 20, et Annales rerum Francorum (incertis auctoribus), tbid. p. 43.) — 319 — de cruelles vengeances emportait les amis des Grecs, élevait les amis des Franks. Lorsque la question se posa entre la domination franke et la suprématie byzantine, les Vénitiens, à l'exception de quelques meneurs, furent unanimes. Tous les témoignages con- cordent à le prouver. Dandolo assure que les Vénitiens étaient dé- voués en masse à la cause de l'empire grec !. Le pape lui-même, un ami de Charlemagne, reconnait le fait dans une lettre à ce prince. Léon I dit en parlant de lexil de Fortunato : «Il a fui devant la persécution des Grecs ou des Vénitiens ?. » Jamais sentiments ne furent plus naturels et plus justes. Que représentait pour les Vénitiens l'alliance franke? La perte assurée de leur indépendance, la soumission à un prince aussi redoutable que malveillant pour eux. Ils n'oubliaient pas que Charlemagne avait chassé leurs marchands de la Pentapole, où les empereurs d'Orient les avaient admis si largement et dotés de précieuses franchises. Ils avaient devant eux l'exemple des Lombards, de tant de peuples, qui avaient succombé sous les coups du conqué- rant et qui étaient venus se perdre dans ce monde germanique, moins digne pour Venise d’admiration que de mépris. Ne pou- vant aflirmer absolument son indépendance, obligé d’arborer le drapeau de l’une des deux monarchies qui se partageaient la Chrétienté, ce peuple courageux se rangea sous la bannière grecque; elle signifiait pour lui le développement de sa prospé- rité commerciale, l'exploitation prochaine d’un empire immense et dégénéré, le maintien de sa nationalité sous une suprématie qui devenait souvent protectrice sans jamais cesser d’être inof- fensive. Telles sont les causes qui expliquent l'attachement des Vénitiens à celte alliance, leur fermeté inébranlable devant les promesses ou les menaces de Charlemagne, et jusqu’à l’héroïsme déployé pour des amis qui ne méritaient guère de l’'inspirer à personne. | Lorsque le doge Obelerio et ses collègues prétèrent hommage au maître de l'Occident, la cour de Constantinople ne tarda pas à sémouvoir. Dans le traité conclu en 802 entre Nicéphore et Charles, Venise avait été laissée aux Grecs, bien que la Dalmatie ? « Veneti, qui Constantinopolitano imperio totaliter adhærere videbantur. » (Chron. p. #53.) 2 «Propter perseculionem Græcorum seu Veneticorum exul esse dignoseitur. » (Baronius, 1. XIV, p. 380.) = Bab appartint aux Franks !. L'empereur d'Orient vit donc dans la ré- ception d'Obelerio une sorte de rupture. Bien renseigné sur les véritables dispositions de la majorité des Vénitiens, il résolut de les faire éclater par une démonstration maritime. Il envoya dans l'Adriatique une flotte commandée par le patrice? Nicétas$. A son approche, les villes de la Dalmatie, un instant détachées de l'empire, rentrèrent dans l’ordre. À Venise, l’arrivée de Nicétas causa une véritable révolution. Le parti grec s’enhardit; le peu- ple, mécontent du gouvernement, fit une opposition menaçante. Les doges se trouvèrent alors dans le plus grand embarras. Inca- pables de tenir tête à l'opinion publique et aux forces maritimes du patrice, ils prirent la prudente détermination de céder au courant populaire. Un d'eux, Beato, avait eu une secrète inclina- tion pour les Grecs. Le moment était venu de la déclarer et de forcer la main à son oncle. Obelerio déserta l'alliance des Franks. L'avenir montra que cette conversion n'était pas sincère, mais ce brusque revirement chez le chef du parti contraire montre la force de l'influence byzantine mieux encore que n’eût pu faire un changement de personnes : car on n’y saurait voir autre chose qu'un hommage forcé des gouvernants à une opinion presque unanime. Nicétas fut reçu avec enthousiasme. Devant ces manifestations, le patriarche Fortunato se résigna : il s'enfuit une seconde fois et se retira en France. À la suite de longues délibérations, les Véni- tiens conclurent un traité avec Nicéphore. La république promet- tait de garder fidèlement la neutralité qui avait été reconnue quelques années plus tôt par Irène et Charlemagne. Le doge Beato irait lui-même à Constantinople assurer l’empereur de son dévoue- ment. On avait décidé que l’évêque Ghristophoros, le tribun Félix et d’autres personnages seraient remis à l'amiral, et que ces ôtages répondraient de la sincère exécution du traité. Quant au rétablis- sement des doges Galbaj, que Nicétas avait réclamé, la république ! «Aique Dalmatiam exceptis maritimis civitatibus quas ob amicitiam et junc- tum cum eo fœdus constantinopolitanum imperatorem habere permisit.» (Egin- hardus, Vita Karol Magni, ap. Duchesne, Historiæ Francorum Scriptores , 1636, in-P°, t. II, p. 99). — Cf. Paulus Æmilius, trad. française, Paris, 1498, p. 128. ? Le patriciat était une dignité élevée et donnée, dans l'origine, à ceux qui avaient rempli toutes les charges et étaient arrivés au sommet de la hiérarchie administrative. (Voy. plus loin, ch. vu, p. 434.) * Annales Francorum (Eginhard), ann. 806, ap. Duchesne, t. IF, p. 253. EN" 7 ne pouvait condescendre à cette demande sans violer sa propre- constitution. Le patrice céda sur le dernier point; il conféra même à son ancien adversaire Obelerio la dignité de Dpwroomrabépios ?, au nom de Nicéphore, et partit avec Beato et les otages. Nicétas n'avait pas rétabli les doges grecs, mais il avait grécisé les doges. franks. C'était pour la politique de son maïtre une plus grande victoire. Cependant les intrigues patientes de Fortunato préparaient une lutte plus vive. Satisfait de l'hommage qu'il avait reçu, Charlemagne n'était pas encore décidé à intervenir. Pour intéresser davantage les Franks aux affaires de Venise, Fortunato proposa à Pépin, roi d'Italie, la conquête des villes maritimes de la Dalmatie. Il lui persuada de demander aux Vénitiens leur concours : c'était mettre la république en demeure de rompre avec l’empereur d'Orient, souverain légitime de la Dalmatie. De son côté, Beato ne restait pas inactif à Constantinople; il décida Nicéphore à envoyer de nou- velles forces aux Vénitiens. Avant que les projets de Pépin eussent été divulgués, deux flottes parurent, l’une dans la mer Tyrrhé- mienne, où elle prit et dévasta Populonia, l’autre dans l’'Adriatique, où elle reçut un renfort de Dalmates et de Vénitiens. La première était commandée par le patrice Nicétas, l’autre par Paul Cesphe- ranos, préfet de Céphallénie. L’amiral grec hiverna à Venise (809)?. Au printemps, il fit une tentative sur Comacchio. D’après certains chroniqueurs , une bataille navale se serait engagée entre les Franks et les Gréco-Vénitiens, sans que des témoignages contraires per- mettent d'établir de quel côté aurait été la victoire. La mésintel- ligence ne tarda point à se manifester entre Cespheranos et Obe- lerio; celui-ci cherchait tous les moyens de refuser aux Grecs la flotte auxiliaire que le peuple avait décrétée ; il fit échouer leurs négociations avec le roi d'Italie. L’amiral se retira sans avoir atteint le but de sa mission. Presque au même moment, Beato revenait de Constantinople avec le titre de Üraros; il se mit à la tête du parti grec, et la discorde fut bientôt en permanence dans le gou- vernement. Valentino, un troisième doge qu'on adjoignit aux deux autres, ne réussit pas à les réconcilier. ! Hpwrocraläpos, le premier des spathaires (ordfa, major gladius), grand écuyer, si toutes les assimilations de ce genre n'étaient pas à côté de la vérité, Sur cette question difficile des dignités byzantines , voy. notre ch. vit, p. 434. ? Annales Francorum, ann. 809, ap. Duchesne, t. IT, p. 255. : — 322 — Telle était la situation de la république lorsque lui parvinrent les offres de Pépin au sujet de la Dalmatie. Jamais proposition plus insidieuse ne lui avait été faite. Accepter, c'était perdre les avantages dus à une vieille alliance, compromettre les intérêts et peut-être la vie de tant de concitoyens répandus dans l'Orient, tarir une source abondante de richesses. Mais le refus semblait plus dangereux encore : il allait provoquer un souverain qu’on n'insultait pas impunément, sacrifier des intérêts presque aussi importants que les autres en amenant l’expulsion des Véniliens qui trafiquaient dans la vaste monarchie de Charlemagne; on verrait toutes les bouches des fleuves de la Vénétie fermées par des forces supérieures, Ravenne elle-même armée contre son antique rivale et le faible État vénitien exposé aux derniers hasards. Malgré la gravité du péril, la proposition de Pépin fut rejetée. Un ambas- sadeur alla lui exposer l'obligation où se trouvait la république d'observer ses anciens traités avec l'empire grec, et l’assurer de son dévouement toutes les fois que l'honneur et la foi jurée ne s’y opposeraient pas. Selon d’autres, fatigué d'attendre la réponse des Vénitiens, Pépin rompit les négociations et envoya une innom- brable armée de Lombards attaquer leur pays. | La fermeté des Vénitiens fut admirable. Après les prières pu- bliques , les jeûnes, les aumônes et autres démonstrations reli- gieuses, ils commencèrent de sérieux préparatifs de défense, Is avertirent leurs concitoyens établis en Occident de se mettre en sûreté; ils envoyèrent à Constantinople demander des secours; ils fermèrent l'entrée des canaux, fortifièrent les principaux passages de terre et atiendirent bravement l’ennemi. Cependant Pépin marchait contre eux; il entraînait avec lui les gens de Rimini, de Comacchio, de Ferrare, de Ravenne, tous rivaux des Vénitiens, heureux de leur porter le coup fatal. Le roi dTtalie sempara facilement de toutes les terres ; il prit même, après de grandes difficultés, quelques îles ainsi que les ports de Brondolo!, Chioggia et Palestrina. Tei les versions diffèrent; ce qui est certain, c’est que Pépin ne réussit pas dans ses projets, et que les Vénitiens résistèrent dans Rialto ?. Mais leurs chroniqueurs na- Brondolo, plage en face de la grande île de Chioggia. Palestrina est à peu de distance de Brondolo. 2 D'après les conseils d'Angelo Partecipazio, 1ls transportèrent toute la popu- lation dans Rialto et abandonnèrent Malamocco, — 323 — tionaux vont plus loin. Les Franks auraient épouvé une défaite totale, et le règne de Charlemagne devrait enregistrer un second . désastre de Roncevaux. Maîtresse de Malamocco, l’armée franke s'était engagée dans le grand canal pour attaquer Rivoalto; mais les Vénitiens s'étaient placés en face d’elle pour mettre lile à l'abri d’un coup de main. Le vent, l’inexpérience des lieux, le nombre excessif des vaisseaux de l'ennemi, tout conspirait à sa perte. Les Vénitiens lattirèrent au point le plus étroit du canal afin d’y tenir tête à des forces su- périeures. L'avantage de leur position les enhardit : ils tentèrent une vigoureuse attaque contre les embarcations frankes. Celles-ci, surprises, reculèrent. Les marais voisins leur devinrent funestes. La retraite de l’avantgarde porta la confusion dans le reste de la flotte. Réduite par le désordre même à l'incapacité de se mouvoir, elle tomba presque sans défense sous les coups des Vénitiens. Le massacre fut général et les vainqueurs, excités par le fanatisme national, rougirent du sang français les eaux de leur grand canal, à qui cette terrible extermination aurait fait donner le nom de canale Orfano !. Pépin se sauva avec quelques-uns des siens sur un point voisin du littoral, voyant ses forces entièrement dé- truites. Et, comme le dit Sagornino, Dieu donna aux Vénitiens une victoire complète sur leurs ennemis. Les Annales des Franks nient complétement ces faits. Les autres chroniqueurs de la même origine et du même parti ont reproduit les exagérations d'Éginhard. Pépin aurait triomphé et forcé un peuple orgueilleux à-reconnaitre les lois de l’empire ?. Un troisième récit, celui des chroniqueurs byzantins, nous semble rejeter les illusions nationales des deux autres et concilier des témoignages contradictoires. « Le roi Pépin marcha contre’ les Vénitiens avec de grandes forces; il s'établit sur le continent, près du passage des iles vénitiennes qui s'appelle Aïbolas (Albiola). Les Vénitiens, voyant leur adversaire prêt à occuper avec des chevaux l'ile de Malamocco, voisine du continent, barrèrent le passage en y jetant des vergues. L'armée franke, arrêtée par un obstacle insurmontable, se vit assiégée pendant six mois par les ! De op@avos. à Éginhard, Ann. 810, ap. Duchesne, t. IT, p. 256 : «Subactaque Venetia, ac Ducibus ejus in deditionem acceptis.» (Cf. Annales rerum Francorum (incertis auctoribus). Ap. Duchesne , t. IT, p. 47.) — 324 — Véniiens, avec lesquels elle avait chaque jour des engagements. Ceux-ci, du haut de leurs navires, se protégeaient derrière les vergues qu’ils avaient jetées. Pépin et son armée se tenaient sur le rivage. Les Vénitiens, lançant des flèches et toute sorte de traits, les empêchaient de passer dans l'ile. Pépin, à bout de moyens, leur criait : « Vous êtes mes sujets, car vous êtes de mon pays et de mon empire. » Ils répondaient : « C’est à l’empe- reur des Romains-que nous voulons obéir; à toi, jamais. » Cepen- dant, las de se voir harcelés sans cesse, ils furent contraints de faire la paix avec Pépin. Ils lui promirent des tributs considé- rables, qui furent diminués chaque année à partir de cette épo- que, quoiqu’ils subsistent encore aujourd’hui. Cette république paye au roi d'Italie ou de Pavie un tribut annuel de 36 livres d'argent non monnayé. C'est ainsi que se termina la guerre entre les Vénitiens et les Franks ! Ge récit a tous les caractères de la vraisemblance. Les Vénitiens s'opposent héroïquement au passage de leurs canaux et empêchent l'ennemi de débarquer dans leurs îles. Pépin les bloque à Rialto sans pouvoir les atteindre; les deux partis, fatigués d’une longue lutte, en viennent à un arrangement. Tous ces faits sont dans la nature des choses, dans les données historiques de la situation. Quant au tribut que subirent les Vénitiens, malgré leur heureuse résistance, ce peuple, pratique avant tout et très-marchand, n'y attachait aucune idée d’humiliation. Plus tard nous le voyons acheter, au prix d’une contribution annuelle, la sécurité que son commerce réclamait dans l’Adriatique. Il eût pu réduire les pi- rates qui infestaient ces parages; il trouva moins coûteux de les désintéresser. Il aura de même, au 1x° siècle, désarmé le puissant ‘roi d'Italie en lui payant la reconnaissance de son autonomie et de ses franchises. Une flotte, commandée par Cesphéranos, approchait des rivages de la Vénétie. Pépin mourut à Milan à ce moment même. Une ambassade grecque avait ouvert avec lui des négociations qu’elle continua avec Charlemagne, et qui rétablirent la paix entre les ! Constantin Porphyrogénète : Ispi dpyñs, xe@adhuoy un: dmophoas oùv à phË ILirivos ere DE Toùs Beverixous ts Ümo Thy Épy yeipa nai mpoyouy yinsaiss émeudn dm Tfs eus Rapas nai éÉouoias éolé: oi 0è Bevérinor dyrékeyor aÿr@ Ôri mueis dodo: Séhouer eivas To Bacihéws Popatwor xai oÛyi œoû. (Éd. Bonn, t. II, p.124.) #06 — deux États. Le traité de 810 renouvela, en le précisant, celui de 802. L'empire grec stipulait au nom de Ja république, dont il était le protecteur et le représentant !. C’est à Nicéphore que les Franks restituaient les franchises des Vénitiens; c’est à lui que Charlemagne rendait Venise?. Obelerio, abandonné par les Franks, fut relégué à Constantinople. L'influence byzantine triomphait au dedans comme au dehors. Ce traité portait les plus heureuses promesses pour l'avenir. Il inaugurait la forte neutralité qui a préservé la reine de l’Adria- tique de tant de crises, où les petits états succombent. C’est par le maintien de cette politique qu'elle échappera pendant huit siècles à tant de chances de ruine. C’est à un précieux isolement qu’elle devra le développement et l'originalité de ses institutions. Qu'on cherche dans tout l'Occident, on ne trouvera pas d'autre pays qui soit resté pur de linvasion au v° siècle et de la conquête franke au vir°. Partout les Germains ont pénétré, un peu plus tôt, un peu plus tard; partout ils ont dominé, ou laissé quelques traces durables de leur passage. Les cités mêmes qui ont con- servé, au moyen âge, les institutions municipales de Rome, ont eu à subir, pendant une période plus ou moins longue de leur existence, le poids de quelque monarchie barbare ou issue de la barbarie. Celles qui n'avaient pas connu les premiers envahisseurs n'échappèrent ni à Charlemagne, ni au régime qui lui succéda, c'est-à-dire à la féodalité. Ce système a régné jusqu’au xv° siècle sur l'Europe entière. On le retrouve à l’origine de toutes les na- tions actuellement florissantes, et c’est sur ses ruines que se sont élevés les gouvernements modernes. Seule Venise resta une sorte de terre vierge et de monde à part. Le jour où elle fut déclarée indépendante de l'empire germanique décida de sa destinée. Charlemagne à Venise, c'étaient, pour cinquante ans, les ducs impériaux, les missi dominici, l'administration, grossière encore, mais intelligente du conquérant; c'étaient aussi, pour cinq à six siècles, l'anarchie féodale, les guerres sans fin, les violences, 1 « Venetiæ urbes, quæ in devotione imperü (d'Orient) illibatæ perstiterant , ab imperio occidentali nequaquam debeant molestari, invadi vel minorari. » (A. Dan- dolo, p. 155.) : * ? « Venetiam Nicephoro censuit relinquendam, » (Dandolo, p. 158).—Eginhard dit même : «Nicephoro Venetiam reddidit.» (Ann. 810, ap. Duchesne, t. IT, p. 296.) — 326 — la misère, l'ignorance, l’immobilité dans le désordre. Si elle n’a traversé ni ce régime destructeur, ni la série des révolutions po- litiques qui ont transformé tous les pays de l’Europe occidentale, sans en excepter le reste de l'Italie, si elle n’a connu ni royauté, ni féodalité, ni communes, si enfin son gouvernement présente un caractère unique dans l’histoire moderne, un développement régulier de treize siècles, elle le doit aux événements qui larra- chèrent à la main puissante de Charlemagne, à l'empreinte ger- manique et féodale dont ce redoutable organisateur allait marquer l’Europe entière. L'honneur en revient aux Vénitiens eux-mêmes, et, après eux, aux empereurs grecs qui les défendirent avec une constance victorieuse. On doit donc attribuer une part considérable aux héritiers de Constantin dans la fondation et les premiers développements de la république vénitienne. Justinien l’a sauvée au temps des Goths; ses successeurs, au temps des Lombards, en combattant les rois barbares qui devaient l’étouffer au berceau. Justinien IT et Léon II l'ont enrichie des dépouilles de Ravenne, leur capitale italienne. Nicéphore lui a prêté contre Charlemagne le secours de ses flottes et de son‘influence diplomatique. Les Césars byzantins l'ont laissé grandir inapercue sous leur protection: et, quand l'heure est ve- nue, ils l'ont produite au jour en faisant reconnaïtre son indépen- dance. Venise, de son côté, resta leur alliée fidèle pendant cette longue période. Elle aida à la conquête de Ftalie par Bélisaire, elle soutint la domination chancelante des exarques, elle ramena triomphant dans Ravenne le vicaire impérial qui était venu lui demander asile. Dès l’origine elle accepta la suprématie et les usages byzantins. Elle vit d’un bon œil ses chefs suprêmes recevoir les dignités auliques et prendre rang dans l'aristocratie de Cons- tantinople. Enfin, lorsqu'un ennemi redoutable lui proposa de trahir ses alliés séculaires, elle ne craignit pas d'affronter les périls d’un refus et d’une guerre, où elle devait succomber. Défendant avec héroïsme une alliance qui représentait pour eux l’autonomie sous un utile protectorat, les Vénitiens rendirent à lempire grec un glorieux témoignage le jour où, pressés jusque dans leurs îles par une nombreuse armée, ils répondirent aux sommations du fils de Charlemagne : « Ce n’est pas à toi, c'est à l’empereur des Ro- mains que nous voulons appartenir. » — 327 — CHAPITRE IL TROIS SIÈCLES D’INTIME ALLIANCE. Avec le règne de Nicéphore finit le protectorat byzantin sur Venise naissante. De Nicéphore à Manuel Comnène s'étend une période nouvelle. Malgré les témoignages de subordination donnés par la république aux empereurs, on voit deux états indépendants qui traitent librement de leurs intérêts réciproques, qui s’envoient de fréquentes ambassades, s'unissent contre le même ennemi. Les Vénitiens mettent leurs flottes au service de l'empire, et entre- prennent, pour son compte, toutes les guerres maritimes dont il est affligé. En même temps celui-ci ouvre un champ immense à leurs affaires et à leur activité; il leur ouvre ses ports innombrables, et leur abandonne presque tout le commerce de l'Orient. La vieille civilisation byzantine, moins stérile qu’on ne l’a dit, pénètre au fond des lagunes et transforme Venise par linfluence de l’art, des usages, de la religion. Les hardis marins, qui vont dans les pa- rages de la Grèce et jusqu'au fond de la mer Noire porter les produits de l’industrie nationale et les denrées de l'Occident, ne chargent pas seulement les marchandises de la Romanie, de la Perse ou de l’Inde; ils rapportent également quelques débris de l'art grec ou byzantin. Ils mettent au fond de leur navire un bas- relief, une colonne antique, et chaque voyage sert à l’ornement de Venise, comme au développement de sa richesse. L'esprit mercantile, mais religieux, de la nation se tourne aussi vers d’autres trésors, les plus précieux aux époques de croyance. Les reliques des saints d'Orient excitent en elle une pieuse avidité, qui les disputera au culte jaloux des Grecs, où à l’ombrageux mépris des musulmans. La civilisation gréco-vénitienne se ressentira sans nul doute des effets d’une imitation constante et parfois servile. Honorant d’une véritable superstition le pays de leurs spéculations et de leurs courses, ces marchands, qui étaient souvent des corsaires, ont tout saisi, sans tout comprendre, ni tout respecter. Pour eux rien qui ne füt de bonne prise : denrées, colonnes, statues, re- liques, coutumes, mots et formes mêmes du langage. De là cet entassement un peu étrange de marbres arrachés à l'Orient, cet engouement pour des saints étrangers, ce faste imitateur de Cons- — 328 — tantinople, ces modes empruntées, ces termes mal entendus, ces locutions mal comprises et transportées violemment du grec dans le dialecte national. Mais Venise n’en a pas moins la gloire d’avoir échappé à ces ténèbres profondes où des villes, aujourd’hui sa- vantes, sont restées ensevelies. Cette dette, contractée envers la Grèce du moyen àge, n'est-elle pas écrite sur la place merveil- leuse qui a été le forum de Venise et est encore son incompa- rable salon? Les centaines de colonnes qui soutiennent où qui décorent l’église nationale ne viennent-elles pas en grande partie de l'Orient ? Les coupoles, que l'étranger aperçoit de la mer der- rière la facade du palais Ducal, ne sont-elles pas une imitation de l'art byzantin, l'œuvre peut-être de mains byzantines ? Et n'est- ce pas dans une illustre métropole de l’église grecque que les na- vires vénitiens sont allés chercher les restes précieux de saint Marc, patron vénéré de la république, dont ïl personnifie la puissance ? Le premier fait qui atteste l'intimité croissante des Grecs et des Vénitiens au 1x° siècle, c’est la régularité de leurs rapports diplo- matiques. L’avénement d’un empereur ou d’un doge fournissait à Venise l’occasion d'envoyer un représentant à Constantinople, soit qu'elle eût à féliciter le nouveau prince, soit qu'elle voulüt noti- fier au prince régnant l'élection de son nouveau magistrat. Presque toujours l'ambassadeur était le fils même du doge. Ces relations commencèrent au lendemain du traité qui avait terminé si glo- rieusement la lutte avec Charlemagne. Le successeur d'Obelerio, Angelo Partecipazio (812-827) envoya son fils Giustiniano com- plimenter Léon l’Arménien (813) !. Quand celui-ci fut remplacé par Michel et Théophile, le même doge leur adressa son petit- fils Angelo, qui avait épousé une femme grecque (821) ?. Le fils d'Orso Partecipazio IT (912-932) * et celui de Pietro Candiano II (932-939)* allèrent féliciter Constantin et Alexandre. Tous ces princes reçurent au lendemain de leur avénement un ambassa- deur vénitien du plus haut rang. Si, dans certaines circonstances, 1 Dandolo, Chron. p. 164, et Caroldo, 1. IT. ? Dandolo, Chron. p. 167. «His enim imperio sublimatis duces Venetiarum Angelum Giustiniani natum, cui nobilis fœmina, Romana nomine, uxor erat, legationis causa Constantinopolim direxerunt. » % Dandolo, Chron. p. 198 et Caroldo, 1. IT. À Dandolo, Chron, p. 201. — 329 — un fils ou un collègue du doge n'est pas venu à Constantinople rendre hommage à de nouveaux souverains, c'est que la répu- blique aura eu quelque empêchement ou quelque raison de s'abs- tenir !. | De leur côté, les empereurs aimaient à reconnaitre les égards qu'on leur témoignait. Rarement l'ambassadeur vénitien partait sans recevoir une marque de leur estime et de leur bienveillance. À défaut des grands cordons qui sont de mode à notre époque, il obtenait un de ces titres pompeux si recherchés des Occidentaux. C'était la monnaie dont Byzance aimait à rembourser les sub- sides. Elle eût bien voulu n’en pas dépenser d’autre; mais l’obs- ünation patiente de ses alliés l'obligera à des contributions plus sérieuses. | La dignité de consul (ÿmaros)? est la première en date. Nous l'avons vue décernée trois fois avant la période qui nous occupe : au troisième doge, Orso Hypato (727), à un maître des soldats, Gioviano Cipario (737), à un collègue de doge, Beato (804). Guistiniano Participazio la reçut, à Constantinople, de l’empereur Léon l'Arménien (813). La dignité la plus fréquente aux n° et x° siècles, est celle de protospathaire (æpwroomaldpios) 3. Pietro Tradonico l’obtint du patrice Théodose, qui vint la fui conférer à Venise (841); Orso Partecipazio, des mandataires de Basile ["#, dont il avait épousé la petite-fille. Pietro Tribuno en fut honoré après sa grande victoire d’Albiola sur les envahisseurs hongrois. Le fils de Partecipazio IT (912) et celui de Pietro Candiano Il (932) allèrent la chercher sur le Bosphore. L'empressement des doges et des fils de doges, la libéralité des empereurs, provenaient de plusieurs causes. Il y avait des deux parts beaucoup de vanité, mais encore plus de politique. Les uns conservaient à peu de frais un air de protection et une influence réelle. Les autres, en revêtant des dignités étrangères et monar- chiques, donnaient à leur autorité une nouvelle consécration. A Venise, ils imposaient au peuple; au dehors, ils inspiraient le respect et parfois l’obéissance à certaines nations qui restaient ? Marin, t. IT, p. 14-15. 2? Voy. plus loin ch. vir, p. 433, 434. 3 Ibid, «Ursus, dux Venetiarum , per apocrisarios Basilii fmperatoris protospatharius efectus, magnis etiam muneribus ditatus est.» (Dandolo, p. 187.) — 330 — encore sous la dépendance nominale de l'empire. Les peuples républicains se prennent parfois d'un véritable engouement pour les dehors monarchiques. Quand le jeune fils de doge revenait de Constantinople avec un titre et une sorte d'investiture impériale, la faveur populaire lui était acquise, comme si l'honneur qu'il venait d'obtenir eût rejailli sur la république entière. On lui recon- naissait une sorte de caractère public : il semblait qu'après cette prise de possession il lui fût impossible de rentrer dans la vie pri- vée. Jaloux de perpétuer le pouvoir dans leur famille, les doges saisissaient cette occasion de s'associer leurs fils. Le peuple, pen- dant plus de deux siècles, ne fit pas opposition, et laissa la magis- trature suprême de la république usurper, à la faveur et à limi- tation de l'empire grec, le plus important privilége de la royauté. L'association des fils de doges au pouvoir devient très-commune aux ix° et x° siècles. Cette coutume avait commencé au vin°, avec les Galbaj et les premières ambassades qu’on eût envoyées sur le Bosphore. Elle se répandit aux siècles suivants avec l'usage plus fréquent de ces ambassades. Les deux faits se tiennent à tel point, que tous les fils de doges associés à leur père ont été préalable- ment revêtus d’une dignité byzantine. Angelo Partecipazio avait d’abord appelé au partage du pouvoir son fils aîné, Giovanni. Mais quand le second Giustiniano revint d'Orient avec le titre de Üraros, il réclama comme un droit la place de son frère, et l’obtint sans beaucoup de peine, malgré la vive affection que le père por- tait à Giovanni. Giustiniano succède à Angelo. Il s'associe à son tour Giovanni qu'il rappelle de Constantinople, et qui devient, deux ans après, son successeur. Malgré la primauté d'age, Gio- vanni n’a régné que le second, parce qu'il n'a été que le second à Constantinople. La capitale de l'empire grec commençait à devenir, pour les Vénitiens, une seconde patrie, hospitalière dans les bons comme dans les mauvais jours. Si elle recevait les fils de doges dans tout l'éclat d’une ambassade solennelle, elle était aussi l’honorable séjour de leur exil, le refuge destiné aux victimes de l’ostracisme vénitien. Chassé à l’époque de l'invasion franke et abandonné par Charlemagne, Obelerio fut relégué dans cette ville. Il y vécut tranquille et la cour n’inquiéta pas ce chef d’un parti ennemi des Grecs. Giovanni, fils d’Angelo, y fut renvoyé à son tour, lorsque son frère Giustiniano, venu de la même résidence, alla le rem- — 3351 — placer auprès de son père. Cet éloignement ne parait pas lui avoir fait tort, puisque son frère lui-même Île rappela à la mort d'An- gelo, et l’associa au pouvoir. Obelerio n’en eût pas souffert non plus, s’il n’eût cédé aux conseils de l’ambition. Voulant reprendre par la force l'exercice de l'autorité, il choisit, pour y réussir, l’avénement même de Giovanni, qu'il avait pu rencontrer et con- naître dans son exil. Mais le nouveau doge fut impitoyable envers son ancien compagnon. Après une lutte qui resta quelque temps incertaine, Giovanni s’empara d'Obelerio et le fit décapiter aux environs de Mestre !. Les exemples de doges déposés qui furent relégués à Constantinople et qui en revinrent, soit d'eux-mêmes, soit à la suite d’un rappel, ne feront que se multiplier aux époques suivantes. | Les relations étroites que les doges entretenaient avec le Bas- Empire ne servaient pas moins les intérêts de la république au dehors, que leur pouvoir politique à l'intérieur. [ls ne se conten- taient pas de porter chez eux les insignes de leurs dignités byzan- tines :; ils mentionnaient celles-ci en tête des décrets et des traités. Déjà en 829, Giustiniano s'intitule : Dux Venetiarum atque Hypatus imperialis?. Dans le codex Trevisani*, Orso Partecipazio se nomme : Ursus, divino fultus auæilio, impertialis protospatharius et Venetiarum dux. Nous verrons les doges s’introduire, à la faveur de cette dé- pendance honorable, dans un pays voisin, la Dalmatie, longtemps soumise à l'empire, s'insinuer peu à peu dans l'affection des ha- bitants, plutôt comme vicaires impériaux que conime souverains, et faire concourir toutes les habitudes créées par les Grecs à l’avé- nement d’une domination nouvelle. Les successeurs de Constantin ressemblaient chaque jour davan- tage à des rois fainéants qui ne sauraient défendre par eux-mêmes une monarchie trop grande pour leur faiblesse, Les Vénitiens, en devenant leurs hommes d'affaires, se préparaient à recueillir leur succession. Aussi voit-on ces habiles marchands multiplier leurs marques de soumission à l'empire, en raison même de son impuis- sance. [ls acceptent, sans répugnance, les ambitieuses formules du cérémonial byzantin. Le nom du souverain, l'année de son ! Mestre, petite ville, située en face de Venise, dont elle est séparée par la lagune. ? Tafel et Thomas, Fontes rerum Austriacarum , t. XEX, p. 2. 3 A la Bibliothèque Saint-Marc. MISS. SCIENT. — 1, 9 9 — 332 — règne, figurent en tète des actes publics : traités intervenus entre la république et les empereurs, décrets relatifs aux affaires po- litiques et commerciales de l'Orient !, lois ou documents d'intérêt local. Le compte rendu d’un concile présidé par le patriarche de Grado se termine par ces mots : {mperante Tiberio Cesare Augusto ©. Mais un titre du x° siècle est encore plus explicite. Une concession de terre, faite par le doge au monastère de Saint-George, com- mence ainsi : «In nomine Domini Dei et Salvatoris mer Jesu Christi, anno ab Incarnatione ejusdem redemptoris Daccezxxxn, Imperantibus dominis nostris Basilio et Constantino fratribus, filiis Romani, magistris et pacificis imperatoribus, anno autem imperii eorum post obitum Johannis Zimiskis undecimo, mense decembri $. » Il n’y avait là qu'un acte de donation, et cependant on y rappelait le nom des empereurs régnants, l’année de leur règne, la circonstance la plus grave de leur avénement. Venise ne marchanda jamais à l’orgueil impérial les satisfactions peu eoû- teuses. Cette dépendance nominale des Vénitiens contrastait singulie- rement avec leur influence croissante. À ne voir que la lettre des documents, les ambassades officielles, les collations de titres, on les croirait à la merci de l'empire. Si l'on considère attentivement les faits, c’est l'empire qui ne saurait se passer d'eux, et qui les traite en hommes nécessaires. Les plus redoutables ennemis de la monarchie byzantine étaient les Arabes, que le fanatisme national et religieux avait poussés, en moins d’un siècle, de la Mecque aux bords de l’Indus, de la Mecque aux Pyrénées. Elle avait perdu, avec une rapidité sur- prenante, l'Égypte, la Syrie, une partie de l'Asie Mineure. Au commencement du vi siècle, les flottes musulmanes parurent en vue de Constantinople, et plusieurs fois la menacèrent d’une ruine qui semblait certaine. Aux 1x° et x° siècles, l'élan de la con- quête s'était ralenti, ou plutôt l’activité merveilleuse de la race arabe avait pris une direction différence. Tandis que les envahis- seurs de la Syrie et de l'Espagne s’adonnaient aux-arts de la paix ; ! Tous les actes cités plus loin rentrent dans cette catégorie. ? Patti, 1, p. 54. Aux archives des Frari à Venise, $ Patti, I, p. 51. Ibid. Basile et Constantin, fils de Romain Il, petits-fils de Constantin Porphyrogénète, successeurs de Jean Zimiscès, montèrent sur le trône en 976. | — 333 — ceux de l'Afrique tournaient vers la mer, qui leur restait seule ou- verte, leur courage et leur esprit d'aventures : ils devinrent des marins ou des pirates. Ils infestèrent les côtes de la Provence et de l'Italie ; ils conquirent les îles de la Méditerranée occidentale. Sur ce champ nouveau ils rencontraient non-seulement les Grecs, mais les républiques maritimes de Vltalie, contre lesquelles ils ne purent jamais prévaloir. | Les empereurs, en conservant Naples et Sicile, s'étaient réservé une possession onéreuse. Ce fut une lourde tâche que de la dé- fendre contre l’acharnement des Arabes. Michel le Bègue !, dès les premiers jours de son règne, envoya une armée en Sicile. La faiblesse des Grecs ne tarda pas à se révéler. Alors Michel eut recours à ses alliés ordinaires. Giustiniano Partecipazio répondit à cet appel et confia une flolte vénitienne au patrice Théodat : une seconde expédition aurait même eu lieu sur de nouvelles ins- tances de l’empereur. Toutes les deux échouèrent ?. Sous Pietro Tradonico (836), Théophile envoya le patrice Théo: dose demander encore assistance. La république hésita quelque temps au souvenir des revers passés, et avec le vague pressentiment des revers futurs. Cependant les traditions et surtout les intérêts communs l’'emportèrent. Gagné par le titre de protospathaire que lui avait apporté Théodose, le doge défendit et fit décider lexpé- dition. On arma soixante navires, montés chacun par deux cents hommes. La floite vénitienne s’unit à la flotte grecque. Mais le succès lui fut encore refusé. Les Arabes, vainqueurs, pénétrèrent jusqu'au fond de l’Adriatique, et répandirent la terreur dans les lagunes. Ils parvinrent à Porto Hadriense*. Ils incendièrent Ossaro, Ancône, et, à leur sortie du golfe, capturèrent un assez grand nombre de navires vénitiens qui revenaient de Sicile ou d'Orient. Le règne d'Orso Partecipazio (864) commence à voir des jours meilleurs. Les deux empereurs Louis d'Occident et Basile d'O- rient, unis par des liens de famille, avaient combiné une vigou- reuse attaque contre les Arabes. Ils informèrent la république de leurs projets, et l'invitèrent à s'y associer. Louis mit le siége 1 Michel le Bègue, premier empereur de la maison phrygienne, régna de 820 à 829. ? «Iterum imperatore efflagitante exercitum ad Siciliam præparaverunt qui etiam reversus est sine triumpho. » (Sagornino, ap. Marin, {. IT, p. 22.) % Emplacement de l’ancienne Hadria. 29. — 334 — devant Bari, tandis que la flotte grecque bloquait la ville par mer. En même temps la flotte vénitienne rencontrait l'ennemi dans les eaux de Tarente, et remportait une victoire complète. Bari fut pris (871) et les ennemis de la foi repoussés !. Mais les deux sou- verains cessèrent bientôt de s'entendre, cette ligue éphémère se dénoua, et la lutte avec les Arabes fut encore à recommencer. Pour maintenir les Vénitiens dans une alliance aussi coûteuse, il ne fallait rien moins que l'intérêt de leur commerce. La fortune et l'avenir de la république étaient à Gonstantinople. Dès que les réfugiés des lagunes purent affronter les périls d’une navigation lointaine, l'Orient vit apparaître leurs voiles. Du v° au x° siècle, la continuité de ces opérations commerciales nous est attestée par de nombreux écrivains. Au temps de Théodorik, Cassiodore félicite les Vénitiens de parcourir des espaces immenses. Ces mots qui s’op- posent à l’Adriatique, doivent indiquer la Méditerranée orien- tale. Un siècle plus tard, l’exarque Longin offre la protection im- périale aux Vénitiens qui trafiquent dans les environs d’Antioche et dans tout l'Orient. Au temps de‘Charlemagne nous avons un témoignage plus précieux et plus explicite. Le moine de Saint- Gall raconte que Charlemagne, se trouvant à Forum Julii (Civi- dale, dans le Frioul), proposa à ses fidèles une chasse dans les environs. L'Empereur ne portait qu'une peau de brebis, mais la simplicité du maitre n'avait guère d'imitateurs. « La plupart des grands, arrivés de Pavie, où les Vénitiens avaient apporté récem- ment des contrées d'outre-mer toutes les richesses de l'Orient, étaient, comme dans les jours fériés, surchargés de peaux d'oiseaux de Phénicie, garnies de soie, de plumes naïssantes du cou, du dos et de la queue des paons, enrichies de la pourpre de Tyr, et de franges d'écorce de cèdre; sur quelques-uns brillaient des étoffes piquées; sur d’autres, des fourrures de loir. » «Cæteri vero, utpote feriatis diebus, et qui modo de Papia ve- nissent, ad quam nuper Venetci de transmarinis partibus omnes Orientalium divitias advectassent, phœnicum pellibus avium serico circumdatis, et pavonum collis cum tergo, et clunis mox fiorescere incipientibus, tyria purpura vel diacedrina litra decoratis, ali de lodicibus, quidam de gliribus circumamicti procedebant ?. » ! Bandolo, p. 184. ? Monachi S. Gallensis De rebus gestis Caroli magni lbri duo, ap. Duchesne, t, Ip: 492: — 335 — Le soir, Charlemagne invita les grands à se sécher auprès du feu. Le lendemain, ceux-ci virent avec dépit ces fines étofles, qui s’é- taient plissées très-vite, se rompre et craquer comme des baguettes sèches. Charlemagne, qui s'était contenté de faire frotter sa peau de brebis, et qui la trouvait aussi belle que la veille, l'éleva devant l'assemblée. I saisit, pour faire un sermon, l'occasion qui se pré- sentait, et que le moine de Saint-Gall ne lui laisse jamais man- quer : « O les plus insensés de hommes! quelle est maintenant la plus utile des peaux? Celle-ci, qui me coûte un sou, ou les autres, que vous avez payées, non-seulement des livres d'argent, maïs des talents?» Au x° siècle, l’histoire du commerce vénitien enregistre la curieuse mission d'un Germain à Byzance. Lother, roi d'Italie, et beau-frère de Romain Il !, résolut d’en- voyer une ambassade à ce dernier prince. Luitprand s’embarqua à Rialto sur un navire vénitien, qui atteignit en vingt-trois jours le Bosphore. I était accompagné d’un chambellan grec envoyé à sa rencontre. La relation de Luitprand atteste létonnement que lui causa la vue de Constantinople, l’'opulence de cette capitale, le faste tout oriental qui régnait à la cour avec un système de merveilles apprêtées et de puérilités ambitieuses. Ce rude enfant de l'Occident dut se prosterner jusqu’à terre devant l’empereur. Le irône impérial, étincelant d'or, était supporté par deux lions qu'on entendait rugir, et disparaissait sous les branches d’un arbre de cuivre doré, dont les oiseaux chantaient à force de ressorts. Mais le passage le plus important de son récit est sa réponse à des Grecs qui voulaient gêner la liberté de ses achats. Ceux-ci lui dé- fendaient d'acquérir, dans leur ville, certains habillements de luxe. Luitprand leur répliqua que les objets dont ils prétendaient le priver n'étaient pas rares en Occident, grâce aux gers d'Amalfi et de Venise, qui gagnaient leur vie en les portant à l'Allemagne. Ve- nise était donc, au milieu du x° siècle, abondamment pourvue des objets les plus rares que püt confectionner lindustrie byzantine. ! Empereur dix ans plus tard, de 959 à 963. ? Cette mission de Luitprand eut lieu la sixième année du règne de Pietro Candiano IT, c’est-à-dire en 948. % «À Veneticis et Amalfitanis institutoribus qui nostris ex victualibus hæc fe- rendo nobis vitam nutriunt suam. » (Luitprand, 1,6.) Ap. Filiasi, t. VI, p.195-6, et Marin, t. IT, p. 112-5. — 336 — Déjà même elle s’habituait à les fabriquer elle-même, et pouvait se passer de ses orgueilleux devanciers dans les arts utiles. Ces relations d’affaires, dont nous venons d’attester l'existence, même pendant les siècles les plus obscurs, étaient facilitées par tout un système d'immunités et de priviléges. Dès l’origine, les empereurs firent aux Vénitiens une position unique et meilleure que celle des Grecs eux-mêmes. Ils leur accordaient une bulle d’or, qui était traduite en latin, conservée précieusement dans les archives de la république, et qui devenait la charte de leur commerce dans tout l'Orient. Le premier chrysobulle dont on ait, non le texte grec, mais la traduction latine conservée à Venise dans le livre des Patti, et à Vienne dans le Liber Albus, appartient à la fin du x° siècle. Nul doute cependant qu'il n'ait été précédé de beaucoup d’autres. Ceux-ci auront été brülés, comme tant de précieux documents, dans l'incendie qui consuma une partie des archives vénitiennes au moyen âge. La preuve en est a priori dans l'impossibilité même d’un trafic lointain qui eût manqué de garanties. Mais elle ressort aussi du premier chryso- bulle qui, en invoquant les antiques usages, ne fait que les con- firmer ou les étendre !. En l'absence de charte commerciale, antérieure à l’année 991, nous avons, aux Ix° et x° siècles, certains actes relatifs au com- merce de l'Orient qui émanent des doges, mais sont inspirés par les empereurs. Ces décrets, dont la majorité est restrictive, at- testent l'étendue des affaires qu'ils ont pour but de limiter. À toutes les époques, l'esprit mercantile est dominé par les intérêts matériels; il est prêt à leur sacrifier le fanatisme religieux, les répugnances nationales, et, trop souvent, l'humanité. Aussi a-t-il toujours été pour le progrès moral un puissant secours, et un redoutable péril. Il a rapproché les peuples en abaiïssant ies bar- rières de l'intolérance ou d’un patriotisme exclusif; mais il a trop de fois oublié que, s’il peut toucher aux richesses de la nature, aux productions de l'homme, il est un bien d’une espèce supé- rieure qu'il doit toujours respecter, c'est l'homme lui-même. Les Vénitiens ont rendu les mêmes services et cédé aux mêmes en- traînements que toutes les nations commerçantes du monde. ! Chrys. de 991. «Quæ antiquitus fecerunt; — secundum antiquas consuetu- dines; — secundum quod ab antiquo fuit consuetudo. ». — 3317 — Tandis que l'Europe chrétienne maudissait le nom riusulman, et qu'une haine mutuelle séparait deux grandes races, les Vénitiens allaient répandre sur les rivages mahométans les produits de la chrétienté et rapporter aux Chrétiens les produits de l'isla- nisme. Mais ces relations nouvelles blessaient à la fois les intérêts des souverains grecs et l'esprit religieux du temps. Aussi voit-on pendant deux siècles les doges céder aux réclamations simultanées de Constantinople et de Rome, et promulguer dans leur répu- blique les interdictions décrétées dans l'empire. A côté de transactions salutaires qui multipliaient les rapports, d’ailleurs si rares, entre deux mondes, se manifestait le goût d’un honteux trafic, que notre époque a mission de détruire. L’esclavage avait survécu au paganisme dans l'Europe chrétienne; mais l’église romaine, aidée de la cour schismatique de Byzance, en poursui- vait avec ardeur l'abolition. Les Vénitiens, au contraire, n'étaient que trop porlés à un commerce lucratif dont ils avaient le mono- pole. Ils éludaient les défenses venues des deux capitales, et adop- tées par les doges. Les édits montrent la force d’un mal qui résis- tait à tant de persévérance , et dont les remèdes répétés attestent le développement. | Entre 814 et 820, « les lieux saints de Jérusalem étant profanés, Léon et son fils, empereurs augustes, rendirent un décret interdi- sant à leurs sujets les côtes de Syrie et d'Égypte. Les ducs catho- liques de Venise, partageant les vues de ces princes, promul- guèrent la même défense !. » Ce premier témoignage, qui indique seulement la profanution des lieux saints, est vague. Maïs ceux qui suivent deviennent plus précis et plus amples. Le commerce des esclaves fut prohibé, en 876, par le doge Orso Partecipazio. « À cette époque les commerçants vénitiens, cédant à l'appàt du gain, achetaient aux pirates et aux brigands des esclaves dont ils faisaient le transport. Les doges, voulant mettre un terme au scandale, défendirent pieusement aux clercs et au peuple tout commerce ou-toute admission d'esclaves dans les navires vénitiens. Les châtiments les plus sévères furent infligés aux délinquants ?. » ! Dandolo, Chron. p- 167. ? Id. ibid. p. 186. — 338 — Ün demi-siècle plus tard, le même abus appelle la même ré- forme. Cette fois de simples particuliers prennent l'initiative. En 945, les frères Molini et d’autres signent une résolution, bientôt publique, qui défend le commerce d'esclaves et le port des lettres d'Occident en Orient, sans le consentement de l'État !. « La quatorzième année du règne de l'enipereur Romanos,le doge Pietro Candiano IV, de concert avec le patriarche Bon, Pierre, évêque d'Olivolo, Jean, évêque de Torcello, et les autres prélats, donnèrent, en présence du peuple et du clergé de Venise, une sanction nouvelle au décret d'Orso. ils interdirent le commerce des esclaves chrétiens, le transport des lettres que les Italiens ou les Allemands envoyaient aux Grecs ou à leur souverain, et infli- gerent aux délinquants une peine spirituelle et temporelle ?. » Le décret même, rendu à Rüialto, porte la même date que le passage de Dandolo : «Imperante Romano gloriosissimo impera- iore, anno autem imperii ejus x1v. » Il rappelle la bonne consti- tution d'Orso, mais constate qu’elle a été violée sans cesse. Il la remet en vigueur et la place sous la double sauvegarde de l'au- torité politique et de l’autorité religieuse. Défense d'acheter ou de vendre des esclaves, d'engager ses fonds dans ce genre de trafic, d'employer sur son navire aucune de ces victimes, venant de Venise, d’Istrie, de Dalmatie ou d’ail- leurs. Des Grecs d'Orient et de Bénévent sont particulièrement si- gnalés comme coupables de ce monstrueux commerce. La loi apporte cependant une restriction à ses défenses, dans le cas d'intérêt pu- blic ou de salut personnel, lorsque le Vénitien aura besoin de se racheter lui-même de captivité. C'était assez pour encourager Îla contrebande. Les dangers que présentait le transport des lettres d'Italie et d'Allemagne à Constantinople ne sont pas clairement indiqués dans le texte barbare du décret. Il semble que les doges aient voulu se réserver les communications écrites avec l'Orient, fermer au Bas-Empire toute espèce d’ouverturé du côté de l'Occident, et l'isoler dans leur alliance *. La pénalité est de deux sortes, comme l'autorité d'où émane la ! Cod. lat. S. Marc. C1. x1v, c. 39. 2 Dandolo, Chron. p. 206. . 3 Cod. Trevisani, fol. 56, à la bibliothèque Sarnt-Mare 29 — loi : temporelle et spirituelle. Le transgresseur payera au palais du doge 5 livres d’or; celui qui n’aura pas de quoi payer perdra la vie et les membres; ses biens seront confisqués au profit du trésor public. De plus, le patriarche et tous les évêques déclarent qu'il sera mis hors de la communion chrétienne dans cette vie et brülé dans éternité. L'exagération des peines atteste l'impuissance présumée de la loi. Malgré cette constitution et tant d’autres, l'esclavage fut main- tenu à Venise pendant toute la durée du moyen äge. C'était dans le port d'Ostie, à quelques lieues des foudres pontificales, que les Vénitiens chargeaient les esclaves sur leurs navires. Rome elle- même avait été pendant longtemps un des principaux marchés de ce genre, et l’on voit un pape délivrer de sa main les victimes sur une des places de sa capitale. À Venise, cette funeste coutume prit de tels développements, qu’elle fut reconnue et réglée par les lois. En 1270, le Grand Conseil ordonne que tout citoyen coupable d’avoir tiré un esclave de la maison de son maître, ou de l'avoir accueilli, payera une amende de 50 livres; s’il ne peut l'acquitter, il sera mis en prison; s’il cherche à fuir, banni à per- pétuité. Deux siècles plus tard, un décret du sénat, assimilant les esclaves aux autres marchandises, imposait un droit de 5 ducats sur chacun d’eux, à l'exportation. L’esclavage est, dans cette ré- ‘publique, une institution : il y eut une existence légale, et une longue histoire !. Pietro Candiano IV proscrivit de même le commerce avec les Sarrasins (971). Il céda aux instances des empereurs de Cons- tantinople. Dandolo dit que le doge voulait satisfaire ces princes qui avaient proposé le recouvrement de la Terre-Sainte?. Le préambule de l'acte est plus explicite : « In nomine Dei et Salvatoris nostri Jesu Christi, imperante do- mino [ohanne, magno imperalore, anno autem 1mperu ejus secundo, mense Julio, indictione decima quarta. Rivoalto. » « Les envoyés des très-saints empereurs Jean, Basile et Cons- ? I n'entre pas dans notre plan d'écrire cette histoire. Nous renvoyons au savant opuscule de M. Vicenzo Lazari, qui a présenté un aperçu des plus inté- ressants et des plus nouveaux sur l'esclavage à Venise dans son Diritto Servile (Mémoires de l'Athénée Vénitien). ? «Cupientes Constantinopolitanis imperatoribus satisfacere, qui ad recupe- randam terram sanctam operam dare proposuerant, » (Dandolo, Chron. p. 210.) fs lantin, sont venus se plaindre à nous des armes et du bois que les nôtres fournissent aux Sarrasins; ils nous ont déclaré, au nom de leurs très-glorieux souverains, que, si de pareils faits se renou- velaient, au détriment de l’empire et du peuple chrétien, les empereurs ordonneraient de brüler vaisseaux, hommes et char- gements. » Le décret émane de l'assemblée populaire convoquée par le doge et par Vital, patriarche, Marin, évêque d’Olivolo et les autres évêques. Il est sévère comme le précédent; mais il présente assez de restrictions calculées pour épargner un commerce qui enrichis- sait la république. Nul ne devra porter d'armes dans le pays des Sarrasins, les leur vendre ou donner : point de casques, d’écus, d’épées, de lances; point de bois destiné aux constructions navales et pouvant nuire à la cause chrétienne. Le bâtiment aura seulement la quantité d'armes nécessaires à la défense de l’équipage. Le commerce de transit au profit des Sarrasins est également défendu. Mais on permet la vente des tables de frêne longues de cinq pieds et larges d’un demi, des conques, des plats, des verres de bois, des écuelles. Une exception est faite encore en faveur de trois navires partis avant l’arrivée des ambassadeurs impériaux; toute liberté leur est laissée en raison de la pauvreté de leurs patrons. Les transgresseurs seront punis d’une amende de 100 livres qu'ils payeront au doge, à défaut de quoi ils devront subir la peine capitale. Si les voyages d'Orient mettaient le Vénitien en rapport avec les infidèles, ils le portaient au milieu de pays autrefois chrétiens et nourrissaient le pieux enthousiasme de cet âge. Bien des courses, entreprises dans un intérêt mercantile, se terminaient par la conquête de quelque relique ou de quelques débris sacrés. Les maîtres de Byzance, avant et après le schisme, favorisèrent les fondations catholiques; ils laissèrent, plus d’une fois, les restes des saints les plus vénérés de lOrient abandonner leurs États, atteindre les rives de l’Adriatique et y recevoir un fervent accueil avec les honneurs d'un culte nouveau. ; En 814, Giustiniano obtint de Léon l'Arménien le corps du prophète saint Zaccharie, une partie du bois de la vraie croix, des vêtements du Christ et de la Vierge. II fonda, près de son palais, un monastère de femmes sous le vocable de S. Zac- D DER net or D nes 2 — 341 — charie. I] lui donna les reliques et lui concéda les terres et les eaux voisines |. Le doge obéissait aux conseils et même aux ordres précis de Léon l’'Arménien. La proclamation qui annonce cette libé- ralité est un des actes qui attestent le plus clairement la sa matie au moins > dti des empereurs grecs sur les doges véni- tiens. «....... Nous, hypatos impérial et doge de Venise, voulant nous conformer à la révélation du Dieu tout-puissant et à la volonté du souverain et sérénissime empereur Léon, protecteur du monde entier et notre bienfaiteur constant, avons fondé ce monastère de vierges à Venise, d’après les ordres de l’empereur, qui l’a fait élever aux frais du trésor impérial, et qui nous a fait tenir tout l'or et tout l'argent. « Aujourd'hui nous lui devons encore les reliques de saint Zac- charie, prophète, un morceau du bois de la croix du Seigneur, des vêtements de la sainte Vierge et du Sauveur et d’autres reliques des saints qu’il nous a donnés pour consacrer cette église. « Voulant satisfaire aux exigences de cette œuvre et la conduire plus rapidement, il nous a envoyés des maitres et a décidé qu’une fois le travail achevé, la sainte congrégation prierait constamment pour le salut de l’empereur et de ses héritiers. « Quant au trésor et à tous les dons qu'il renferme et que sa charte en lettres d’or fait connaître, nous l’avons déposé dans notre palais en toute sûreté. | « En outre, nous avons voulu que la charte elle-même restat à perpétuité dans notre palais, afin que personne ne püût dire que ce monastère de S. Zaccharie a été construit aux frais d’un autre que du tres-saint empereur Léon, notre maitre ?. ! Dandolo, Chron. p. 165. ? «Cognitum sit omnibus Christi et sancti romani imperii fidelibus, tam presentibus, quam et illis qui post nos futuri. erunt, tam ducibus, quam pa- triarchis atque episcopis seu ceteris primatibus, quia ego Justinianus, imperialis hypathus et Venetiarum dux , per revelationem domini nostri omnipotentis et jus- sione domint serenissimi imperatoris seu et conservatoris totius mundi, Leonis, post multa nobis beneficia concessa , feci hoc monasterium virginum hic in Venetia, secundum quod ipse jussit edificare de propria camera imperiali, et secundum quod jussit mih statim cuncta necessarti auri sive argenti dar. « Tunc etiam nobis reliquias sancti Zacchariæ prophetæ et lignum crucis Domini — 342 — Le plus grand événement religieux de l’époque est dùü à lim- lative de quelques marins. En 828, Buono de Malamocco et Rustico de Castello se rendaient à Alexandrie pour leur com- merce. Leurs navires faisaient partie d’un convoi assez considé- rable. Pendant qu'ils s’occupaient d’affaires, ils entendirent par- ler d’un trésor qui était renfermé dans l’église de Saint-Marc d'Alexandrie. Les reliques du saint y étaient encore oubliées depuis plusieurs siècles et dérobées aux profanations des infi- dèles. Le nom de saint Marc était, à Venise, déjà populaire et vénéré. Des traditions fort anciennes racontaient que lapôtre avait été le premier archevêque d’Aquilée; il était venu à Rialto, il y avait entendu la voix d’un ange : « Paix à toi, Marc : c'est ici que reposeront tes os. » Posséder les restes de saint Marc était donc une espérance nationale. Saint Théodore avait, jusqu’à cette époque, protégé la république, mais Venise attendait un plus haut patron. Buono de Malamocco et Rustico de Castello gardèrent soigneu- sement le secret de leur découverte; avec une habileté digne de contrebandiers, ils ravirent aux gardiens de l’église la chässe du saint, la dérobèrent aux recherches des musulmans et la couvri- rent de chair de porc. L’horreur que ressentirent à cette vue les fidèles sectateurs du Prophète fit le succès du pieux stratagème. Buono et Rustico mirent à la voile en toute hâte. Mais, avant d’en- trer dans leur port natal, ils avertirent le gouvernement. Celui-ci appréciant le service rendu à l'État et les difficultés de l’entre- prise, pardonna aux marchands leur commerce illicite avec les Sarrasins. Sans cette formalité, le corps du patron de Venise en- trait chez elle en contrebande. Une foule immense vint recevoir la atque sanctæ Mariæ pannum, sive de vestimentis Salvatoris et alias reliquias Sanctorum nobis ad ecclesiam sanctam consecrandam dari fecit. «Ad necessaria hujus operis etiam magistros tribuit, ut citius opus explerent, et expleto opere congregatio sancla incessanter pro salate serenissimi Imperatoris et suorum heredum oraret. «De thesauro vero, quod mantifestat sua carta cum litteris aureis, et totum do- num, quod in hoc loco ipse transmisit, in ipsa camera salvum esse statuimus. «Tamen ipsam cartam in camera nostri palatii volumus ut semper perma- neat, et ut non valeat aliquis hoc dicere, quod üllud monasterium sancti Zac- chariæ de alicujus thesauro esset constructum, nist de sanctissimi domini nostri imperatoris Leonis.» (Tafel, t. XIT, p. 2.) — Cf. Dandolo apud Muratori, t. XIT, p. 4165: — 343 — chàsse de saint Marc!. À partir de ce jour saint Théodore n'occupa plus que le second rang dans le culte national des Vénitiens. Saint Marc prit et garda le premier. Son nom retentit dans les batailles comme celui de la patrie. L'église qu'on lui dédia, merveille de foi, de patience et d'amour, fut l’œuvre de tout un peuple et de plusieurs siècles. Autour de saint Marc se réunirent désormais les assemblées populaires. Cette place antique a été le forum de Ve- nise : saint Marc rappelle aux enfants de cette république une vie glorieuse de dix siècles et l'honneur d’une belle mort. CHAPITRE IE. LES ORSEOLI (991-1030). Les derniers débris de la domination grecque dans Italie méridionale excitaient de puissantes convoitises. Depuis qu’un roi de Germanie était venu ceindre à Rome la couronne de Char- lemagne, la péninsule entière devenait l’objet des prétentions allemandes. Sous le doge Tribuno Memo (979-991), Otton Il entreprit une expédition contre les Grecs de Calabre. Venise, bravant le maître de l'Occident, secourut ses alliés ordinaires, comme l’atteste un document des empereurs Basile et Cons- tantin, qui mentionne honorablement ses services ?. Otton II battit en retraite jusqu'à Vérone, où il se hâta de préparer une nouvelle guerre, Sa colère parut si menaçante qu’on lui envoya trois ambassadeurs Pietro Morosini, moine, Pietro Andreadi, tribun, et Badoerio Nocli. Ceux-ci furent traités avec hauteur et sommés de produire les diplômes impériaux qui reconnais- saient leur république. Otton consentit à les renouveler. Mais, peu de temps après, sa haine et son ambition se réveillèrent. Une trahison faillit les rendre funestes aux Vénitiens. Ces défen- ! Dandolo, p. 170-171. — $. Niccold, S" Barbara, S. Pantaléon et tant d’autres furent transportés de même à Venise, des églises fondées sous leur vo- cable, et des cérémonies particulières instituées pour leur culte. Les Vénitiens poussèrent si loin ce goût pour les saints d'Orient, que leurs voisins de terre ferme, et les Italiens en général en furent quelque peu scandalisés, et se ven- gèrent par des raïlleries et des sobriquets. ? Romanin, t. [, p. 259 — Jhh — seurs constants du Bas-Empire compromettaient une seconde fois pour lui leur indépendance. Les Allemands étaient à peine chassés de l'Italie méridionale que les infidèles y recommençaient leurs incursions. Les Sarrasins repa- rurent sur les côtes des Calabres, et assiégèrent dans Bari le gé- néral Gregorios (1002). Basile et Constantin, à l'exemple de leurs prédécesseurs, invoquaient lalliance vénitienne. Le doge conduisit une flotte considérable devant la ville calabraise. Les Vénitiens débarquèrent vaillamment en présence de l’ennemi. Les Sarrasins tentèrent vainement de les jeter à la mer, et virent bientôt leurs lignes forcées par les assiégeanis. L'entrée des vainqueurs dans Bari devint un véritable triomphe, et le doge fut porté solennelle- ment au palais du gouverneur. Attaqués par terre et par mer, les Sarrasins soutinrent une lutte acharnée de trois jours, après la- quelle ils se retirèrent. Pietro Orseolo revint à Rialto au milieu des acclamations de tout un peuple *. D’aussi importants services devaient obtenir leur prix, et He: Vénitiens étaient trop pratiques pour remporter de stériles vic- toires. Pietro Orseolo fit payer à la cour byzantine les secours qu’elle avait reçus de son prédécesseur contre les Allemands, de lui-même contre les Arabes. Après la défaite d'Otton en Calabre, Tribuno Memo avait en- voyé à Constantinople son fils Maurizio. Nul doute que cet ambas- sadeur n'ait ouvert les premières négociations qui aboutirent plus tard. Mais à la mort de son père il retourna dans son pays et laissa au nouveau doge l’honneur de les terminer. À peine arrivé au pouvoir, Pietro Orseolo continua ces relations avec Basile et Cons- tantin. Ces princes signèrent un acte solennel qui augmentait les priviléges des Vénitiens. C’est le premier chrysobulle qui nous ait été conservé, au moins dans la traduction latine : il devait servir de base à tous les autres (991). Les commerçants vénitiens auront seuls le bénéfice d'une ré- duction des droits. Chaque navire payera 2 solidi à l'entrée et 15 à la sortie, de telle sorte que la somme acquittée ne dépassera point 17 solidi ?. ! Dandolo, Chron. 1. IX, ch. 1. De ducatu Petri Ursioh, p. 223-235. ? «Solidus, nummus aureus. » {Voy. Du Cange, Glossarium ad scriptores mediæ el infimæ græcitalis.) — 315 — Is obtiennent, en outre, une grande liberté, garantie contre les habitudes tyranniques des ofliciers impériaux, et une juridiction spéciale, destinée à leur épargner les vexations subalternes. Le xompepadpuos | ne pourra les retenir plus de trois Jours dans les villes où ils auront fait escale, et d'où ils voudront partir. L'ins- pection de leurs navires, la décision des affaires pendantes entre eux et les Grecs, sont enlevées à tous les agents inférieurs et ré- servées au logothète impérial?, magistrat assez élevé pour assurer la justice à leurs négociants, la célérité à leurs affaires. Les officiers de second rang qui voudraient les soumettre à la loi commune et leur imposer les mêmes visites qu'aux autres commerçants, sont menacés des peines les plus sévères. Une seule restriction est mise à leurs priviléges. Il leur est in- terdit d'importer, à l’aide de leur monopole, les marchandises étrangères et notamment celles d'Amalf, des Juifs, des Lombards de Bari. S'ils essayent de ce genre de contrebande, ces marchan- dises seront saisies et leurs produits nationaux confisqués $. Ces concessions livraient aux Vénitiens tout le commerce de l'Orient, car elles rendaient aux autres peuples la concurrence impossible. Pietro Orseolo ne se contenta pas d'enrichir sa patrie; il la fortifia encore aux dépens des Grecs. La cour de Byzance dé- pendait tellement des Vénitiens qu'elle ferma les yeux sur leurs empiétements. La république grandissait tous les jours sans avoir une étendue de côtes proportionnée à sa puissance maritime. Elle étouffait dans ces lagunes qui avaient abrité son berceau. Mais, en face d'elle, sur lAdriatique, une ancienne province grecque offrait de longs rivages à sa nouvelle ambition. Le traité de 802, confirmé en 810, laissait aux empereurs la Dalmatie maritime. Mais le gouvernement de ces princes était trop faible pour exercer les droits que leur habile diplomatie savait encore maintenir. Leur souveraineté, re- présentée à Zara par des ducs ou vicaires, ne put s'implanter dans un pays qui leur demandait vainement l'ordre, la prospérité inté- rieure et une protection efficace contre les pirates. La Dalmatie maritime, livrée à elle-même, comme l'avoue Constantin Porphy- ! Fonctionnaire préposé aux douanes. Voy. plus loin ch. vir, P- 422. 2. Voy. ch. vit, p. 422. * Tel est, du moins, le sens que nous donnons au passage fort tourmenté du chrys. d'accord avec Marin, t. IF, p: 917 — 3410 — rogénète !, se morcela en petites républiques indépendantes, Elle se donna des lois, des magistrats indigènes; elle dut à l'abandon de ses maîtres la renaissance de ses libertés municipales. Mais les di- visions, qui en furent la suite, l'affaiblirent encore devant l'ennemi commun. Les Narentans, qui avaient à Lissa leur repaire, la rui- naient par des attaques aussi imprévues que fréquentes. Contre ces féroces brigands elle invoquait tour à tour Constantinople, qui restait sourde à son appel, et Venise, qui attendit le règne d'Orseolo pour y répondre. Celle-ci, voulant soustraire son commerce aux vexations d’un insaisissable ennemi, s'était résignée à lui payer un tribut annuel. Le doge, qui plantait sur les murs de Bari le drapeau de saint Marc, ne pouvait souffrir une pareille honte à ses portes. Pietro Orseolo mit Badoario, dit Bragadino, à la tête d’une flotte puissante, qui donna la chasse aux Narentans dans toute l’Adriatique. La mer était libre; mais il fallait atteindre, détruire le nid des pirates. Les Vénitiens débarquèrent à Lissa, la ville fut prise et rasée; les femmes et les enfants emmenés captifs à Rialto. Cependant beaucoup d'hommes avaient échappé. Leur défaite les rendit plus acharnés à de nouvelles déprédations, plus avides de nouveaux massacres. Unis aux Croates, ils se jetèrent sur la Dalmatie maritime, qui, incapable de se défendre elle-même, ap- pela les Vénitiens. Une ambassade solennelle demanda la protection de la répu- blique. Orseolo réunit l'assemblée populaire qui donnait son avis sur les affaires importantes, et contrôlait les résolutions du gou- vernement. Il ne se borna point à démontrer les avantages poli- tiques et commerciaux de l’entreprise; il ménagea la dignité de l'empire et les scrupules de son peuple. Basile et Constantin, ne pouvant défendre eux-mêmes la Dalmatie, verraient avec plaisir leurs alliés se charger de cette mission. Ces princes ne sauraient préférer au protectorat vénitien la tyrannie narentane ou sarra- sine?, On voit qu'il y avait toujours une opinion favorable à lal- ! Ilepi dpyñs, xe@dhouov ab’. (Éd. Bonn, t. IT, p. 128.) ? Romanin, t. [, p. 275. — «Qua de causa Veneti, ab illis evocati, cum per- missione Basilii et Constantini, Imp. C. politanorum, a quibus reges ili sceptrum antiquitus recognoverant, dominium Dalmatiæ primitus acceperunt ut historia, quam reperimus in antiquissimis Græcorum et Venetorum codicibus..... seriose declarat.» (Dandolo, p. 227.) — 347 — liance grecque, et que le doge évitait de la froisser mème dans les affaires les plus nationales. Orseolo demanda aux deux souverains la permission de secourir les Dalmates. Les Vénitiens prétendaient obéir à l'empire d'Orient lors même qu'ils prenaient sa nie ils ne le dépouillaient que pour le servir. L'expédition conduite par le doge en personne, fut un long triomphe. Parenzo, Pola, tout le Quarner, les iles de Cherso et d'Ossaro, Zara, Veglia, Arbe, le reçurent en libérateur. Les habi- tants slaves ou grecs sortaient à sa rencontre et lui prêtaient serment !. Mais l'empereur conserva son prestige en perdant son autorité. Ce prince était le maître légitime dans les idées du temps et du pays; les Vénitiens respectèrent les sentiments et les habitudes de tout un peuple. Orseolo tint parole à ses conci- toyens. Au dessus du nouveau pouvoir, il laissa planer la vieille souveraineté byzantine; il usurpa avec les dehors de la fidélité; il s’'annonça non comme le successeur des Césars, mais comme leur vicaire. Son titre même lui donnait ce caractère aux yeux des habi- tants, qui ne distinguaient pas le duc de Venise, ami de l'empereur, et les ducs impériaux, lieutenants du prince. On priait pour le doge dans les églises de Dalmatie, mais c'était selon la formule grecque. On entonnait l'hymne Exaudi Christe, comme à Constantinople. Cette invocation en faveur d'un nouveau maïtre ne supprimait pas les louanges de l'ancien, et les Dalmates ne s'ene gageaient à « glori- «fier le nom du doge, qu'après celui de l'empereur ?.» Ils unis- saient dans leurs prières le représentant du souverain au souverain lui-même. La Dalmatie ne s’'attachait à la république vénitienne que par les liens assez larges du vasselage. Les principales villes de la province, comme celles de lIstrie, devaient envoyer chaque année, à Venise, une contribution en nature fort modérée, diffé- rente pour chacune d'elles, et qui semblait être plutôt leur part dans les charges de l'État, que le signe humiliant de la dépen- dance. Mais cette domination, déguisée à l’origine sous les formes du protectorat et d’une sorte de délégation impériale, s’appesantit sur i « Non modo cives, verum omnes de finitimis tam Piomanorum quam Scla- vorum castellis convenienies et sacramentis ab omuibus pactis sub illius principis poiestate manere deereverunt.» (Sagornino, ap. Romanin, t. I, p. 277.) ? «Quod istius principis nomen post imperatorem glorificarent.» (Sagornino, ap. Romanin, t. I, p. 277.) Cf. Dandolo, p. 227-230. MISS. SCIENT. — IV. 21 — 318 — le pays, et secoua la suzeraineté étrangère. Otton Orseolo, fils du doge, fut envoyé à Spalatro; Domenico Polani, à Trau; Giovanni Cornaro, à Sebenico; Vital Michieli, à Belgrade; Mattia_Gius- tinian, à Zara; Marin Memo, à Curzola. Ces agents du doge affectèrent d’abord le caractère de consuls et s’effacèrent devant les prieurs, juges et antres magistrats indigènes; mais le temps les rendit maîtres de la province. Les révoltes que les villes dal- mates, Zara entre autres, opposèrent plus tard à la lente invasion de cetie tyrannie, la consolidèrent et démasquèrent l'hypocrisie de la conquête. En accordant au doge et à ses successeurs le titre de duc de Dalmatie et l'inscription de leurs noms sur les décrets publics et les médailles, les Dalmates signaient l'acte de leur prochain asservissement (998) !. Les Vénitiens comprirent et céiébrèrent ce nouveau succès de leur politique. Ils prirent possession, non-seulement de la Dal- matie, mais de la mer, dont les deux rives étaient désormais leur domaine. La ville des lagunes devenait la reine de l'Adriatique. Quant Pietro Orseolo rentra vainqueur à Rialto, des acclama- tions enthousiastes l’accueillirent. L'assemblée populaire sanc- tionna d’une voix unanime son nouveau titre?. À partir de ce jour, tous les décrets des doges portent invariablement : Nos N. N. Dei Gralia Venetie et Dalmatiæ dux. Mais ce n’était pas assez de mon- trer le prix qu'ils attachaient à la Dalmatie. Les Vénitiens, avec une parfaite intelligence du présent, un profond sentiment de l'avenir, choisirent ce grand jour pour fonder la cérémonie qui consacrait leur puissance maritime. L'institution dut sa forme et son nom historiques au pape Alexandre IT et au doge Ziani, deux siècles plus tard : c’est alors qu’elle devient il Sposalizio del Mare ou le Mariage de l’Adrialique. Mais l'origine de cette coutume re- monte à l’année 999, au conquérant de la Dalmatie, à l'assem- blée qui acclama son glorieux retour. « Les Vénitiens décidèrent que le doge se rendrait chaque année, le jour de l'Ascension , au Lido, pour faire hommage à la mer... On ! «A populo decretum est ut non Venetiarum modo in publicis litteris et tabellis sed et Dalmatiæ dux ipse ac deinceps reliqui principes in posterum inscriberentur. » (Savoreo, De reb. Dalmat. cod. alla Marciana ap. Romanin, t. [, p. 279.) 2? «Inde dux predictas civitates repetendo remeavit; pari omnium consensu du- cem Dalmatiæ se primitus nominavit, et ad Venetiam tandem cum tali trrumpho regressus est. » (Dandolo, p. 230.) — 349 ER préparait de bon matin une barque dite piatto, couverte d'un drap d’or; elle portait un bassin d’eau, un vase de sel pour la consacrer et un goupillon fait de branches d'olivier; les chanoines et les clercs y entraient et se dirigeaient vers le canal de S. Niccolo du Lido. Là ils attendaient le navire du doge, qu’on appela plus tard le Bucintoro. Deux chanoines entonnaient l'Exaudi nos Donune, et, une fois les litanies terminées, l’évêque se levait et prononçait en latin avec un grand recueillement les paroles suivantes : « Daigne faire, Seigneur, que cette mer soit pour nous, comme pour tous ceux qui naviguent dans ses eaux, tranquille et favorable; voilà notre prière : exauce nous!» Alors l’evèque bénissait l’eau, et, arrivé à S. Niccolo, avant de s’avancer dans la mer, il s'approchait de la barque du doge, et le primicier disait : « Asperge-moi, Seigneur, avec l’hysope, et je serai pur. » Alors l’évêque aspergeait le doge et ses compagnons, et finissait en versant le reste de l’eau dans la mer!.» Telle était, empreinte de grandeur dans sa simplicité même, la cérémonie primitive qui inaugura et consacra chaque année l'empire de Venise sur l’Adriatique. La possession de la Dalmatie assurait de précieuses ressources à l'alimentation et au trafic. Cette province fournissait, soit par ellemême, soit par les pays environnants, les denrées de pre- mière nécessité, les grains de Hongrie, le vin, les viandes fraîches et salées, les fruits secs et enfin le sel, branche importante du commerce de la république, et les bois de construction si néces- saires au développement de sa marine. Mais la Dalmatie n’offrait pas seulement de précieux produits; elle tenait les clefs d'une importante voie de communication, celle de la Save et du Da- nube, qui n'avait jamais été abandonnée, même des barbares, que les Vénitiens sillonnaient depuis longtemps, mais dont les abords leur appartenaient pour la première fois. Ceux-ci pou- vaient fonder des établissements à Zara et recevoir les arrivages de terre et de mer. Leurs marchands échangeaient la juridiction grecque contre celle de leurs propres magistrats et s'empa- raient de toutes les affaires du pays. L'Etat, de son côté, s’en- richissait par la perception des droits d'octroi et de mouillage; les bois de construction, d’une abondance rare, lui étaient four- nis sous forme de contribution annuelle. La forêt de Curzola, ! Romanmm,t.1,p. 281-282. "4 De = — 3950 — dont l'exploitation élait pour une nation maritime une véritable fortune, fit bientôt baisser le prix du bois de construction qu'on tirait auparavant des provinces de Trévise et de Bellune et qu'on achetait à des conditions onéreuses. L'Etat, les particuliers, le commerce, la marine, Venise entière trouvait d'immenses prolits à cette conquête. | Tels étaient, sous Pietro Orseolo, les résultats de Palliance grecque : liberté de navigation dans toute la Romanie, grâce au chrysobulle de 491, acquisition d’un pays qui donnait les denrées de première nécessité et des revenus nouveaux, ouverture d’une orande voie de commerce terrestre, possession des deux rives de l'Adriatique dont, pour la première fois, la république assumait l'empire. À ; | En gérant bien les affaires de l'État, Orseolo n'oublia point les intérêts de sa famille. Il y avait entre les doges ambitieux et la cour de Byzance une sorte de sympathie, qui commençait par flatter les Vénitiens et finissait par leur porter ombrage. Les Orseoli, engagés dans cette voie, devaient, comme leurs prédé- cesseurs, y trouver tour à tour l'approbation et les ressentiments populaires. Après la reprise de Bari, Basile et Constantin voulurent donner au doge qui avait conduit l'expédition des témoignages personnels de leur reconnaissance. Ils l'invitèrent pour la seconde fois! à leur envoyer son fils Giovanni (997). Le jeune Vénitien, accom- pagné de son frère Otton, reçut à Constantinople J'accueil le plus honorable. On lui donna en mariage une princesse du sang impérial, Marie, fille d’un noble personnage, Argyropoulos, nièce de Basile, sœur de Romanos, qui régna plus tard?. Cedrenos * ob- serve que Basile espérait s'attacher plus fortement la nation vé- i «Interea iste dux Johannem filium requisitus a Basilio et Costantino impera- toribus misit Constantinopolim, qui honore et muneribus ab eis decoratus ad pa- trem rednt.» (Dand. p. 226.) Ce fait eut lieu dans les premières années du règne de Pietro Orseolo. ? Romain III Argyre épousa Zoë, fille de Constantin VIF, et succéda à celui-ci en 1028. Basile IT, frère et-collègne de Constantin VIT, était, comme lui, petit- fils de Constantin VI Porphyrogénète. | 3 Tore xai r& dpyovr Bevetias yÜvaxa voor Édwner Ô Baoiheds Tiv Suyaæ- répa Toù Âpyvpoÿ, ddeDhr dè Pœouavoÿ roù perd raÿra Baoiketoavros, rd Efvos oÙTws Üromorwoÿueros. (G. Cedreni Historiæ Compendium, coll. byz. éd. Bonn, 1839, t. IT, p. 452.) — 391 — milienne par le prestigé de cette haute alliance. Les noces furent célébrées avec magnificence, et les empereurs mirent sur la tête des deux époux une double couronne d’or. Les fêtes durèrent trois jours. Giovanni avait hâte de partir, mais les souverains le retin- rent dans le palais que la princesse Marie reçut en dot avec une somme considérable. 11 dut attendre le retour de Basile, qui l'avait quitté pour repousser les Bulgares. Lorsque ce prince fut revenu, il conféra solennellement à Giovanni la dignité de patrice. Puis il ‘accorda aux pieuses instances de Marie le corps de sainte Barbe, fille de Dioscore. Giovanni rentra dans sa patrie avec sa royale épouse et son frère. Le. peuple leur ménagea une brillante ova- tion, et la précieuse relique fut placée dans la chapelle ducale. Le cortège de barques qui vinrent à leur rencontre, les fêtes que l'on célébra pendant de longs jours, firent oublier l'éclat de toutes les réjouissances passées (1004) !. Cette union princière ne fut pas heureuse. Pietro Orseolo, qui l'avait vue s’'accomplir avec tant de joie, voulut tenir lui-même sur les fonts baptismaux le fils de Giovanni et de Marie, Basile. Le vieux doge avait même manifesté son contentement par une fondation charitable, lorsqu'une peste terrible, apportée d'Orient par les navires véniliens, lui enleva son fils, sa belle-fille et leur enfant. Un même tombeau réunit les dépouilles de Giovanni et de Marie dans le monastère de S. Zaccaria. Le peuple, au milieu même de son deuil et des terreurs qui l’accablaient, eut pitié de l'infortune de son chef, et, pour y apporter quelque soulagement, lui permit de s’adjoindre comme collègue, à la place de Giovanni, ! « Post ducis reditum (après Bari) Johannem ducem cum Otione fratre Cons- tantinopolim (misit) ad Basilium et Costantimum imperatores, qui cum honore suscipientes 1llum Mariam ex sorore neptem, filiam nobilis viri Argyropuli satis splendide dotatam , sibi m conjugem tradidere, statutoque die nuptiarum conjuges in capella imperiali a patriarcha Constantinopolitano munus benedictionis et ab imperatoribus aurea diademata capitibus suis suscepere. Celebratis itaque cum honore nuptus , Johannes ad repatriandum dispositus rogatu Basilii euntis contra Bulgaros usque ad ejus reversionem in urbe cum uxore remansit. Reversus quoque Basilius Johannem ducem patricium fecit, et supplicanti nepti corpus sanctæ Barbaræ, filiæ Dioscori, gratiose concessit. Quibus obtentis Johannes cum uxore et fratre Venetias redit, a patre et Venetis cum gaudio receptus, et in capella ducali corpus sanctæ Barbaræ deposuit. Cujus conjux filium in Constantinopolim conceptum peperit, avunculi sui Basilii nomine vocatum.» (Dandolo, Chron. p. 233) — Voy. Marin, t. IT, p. 265, et Romanin, t. I, p. 288. — 352 — son autre fils, Olton, qui était encore fort Jeune !. Lorsque, trois ans plus tard, le vieil Orseolo s’éteignit pieusement, il put voir son dernier enfant déjà préparé à l'exercice du pouvoir et prêt à recueillir l'héritage paternel. Ces fils de doges puissants associés à leur père n'avaient jamais réussi. Le peuple, cédant tout d’abord à un entraînement favo- rable, revenait bien vite à ses défiances. Le doge, qui avait mé- nagé la transmission de l’autorité dans sa famille, trouvait bien rarement un fils aussi habile et sachant, comme lui, déguiser sous les dehors les plus modestes, l'illégalité de cette lente usur- pation monarchique. Les Orseoli eureni le sort des Galbaj et de toutes les autres maisons ducales auxquelles l'alliance byzantine avait fait concevoir la chimère de l’hérédité. Ferme et heureux dans sa politique extérieure, Otton Orseolo manqua de modération à Venise. En face d’un parti naissant qui menaçait la grandeur de sa famille, il ne sut ni garder la ré- serve nécessaire ni se maintenir la faveur du peuple. Il justifia les suppositions hostiles par son mariage avec une princesse d’un sang royal, sœur de saint Étienne de Hongrie. L’empressement inconsidéré qu'il mit à pourvoir ses parents des plus hautes charges éveilla les craintes les plus vives. Un de ses frères devint évêque de Torcello, l’autre, patriarche de Grado. L'esprit républi- cain s’alarma lorsqu'on vit la première autorité religieuse entrer dans la famille qui exerçait déjà le pouvoir suprême ?. = Un aventurier batailleur entré dans les ordres, mais fidèle à ses anciennes habitudes, souleva les ressentiments secrets qu'il se flattait d'exploiter. C'était Poppon, patriarche d’Aquilée. Il excita jes esprits contre Orso Orseolo, son collègue, avec un acharne- ment et une perfidie qui réussirent. Le patriarche de Grado et ! Dandolo dit que la mortalité était grande à Venise comme parlout et que l'on manquait de tombeaux. Il ajoute : « Et inter cæteros Joannes dux cum uxore sua Maria sexdecim dierum spatio in sancti Zachariæ monasterio uno sepulchro clausi sunt. Veneti quoque ut tantis malis quoddam præsidium adesset consola- tionis , pariter Ottonem ducis genitum , ælatis XIV annorum, conducem constitue- runt.» (Chron. p. 234.) Félicia, une autre fille d'Orseolo, qui devint abbesse du cloître de Saint- Jean de Torcello, obtint que le corps de sainte Barbe, rapporté de Constantinople par sa belle-sœur Marie et placé dans la chapelle ducale de Saint-Marc fût transféré dans ce monastère. (Dandolo, p. 234-255.) 2 Dandolo, Chron. 1. IX, ch. 1. De ducatu Ottonis Ursiolo, p: 299-299. SR son frère Otton se réfugièrent en Hstrie. L'audacieux prélat s'enhardit à cette nouvelle; il s'empare de Grado, pille la ville et y laisse une forte garnison. Les Vénitiens, voyant qu'ils s'étaient donné un inaître beaucoup plus dangereux que leur chef légi- time, rappelèrent les Orseoli. Otton releva les fortifications de Grado et se mainlint quelque temps à Riaïto. Mais le parti con- traire, fortifié par l'alliance de la puissante famille des F labianici, reprit bientôt l'avantage. Otton tomba au pouvoir de ses ennemis. Il fut tondu et relégué à Constantinople, où lui et son frère avaient paru avec tant d'éclat, où les doges de la république vénitienne semblaient devoir accomplir tour à tour leur triomphe et leur exil (1026). Mais l'influence grecque, qui causait indirectement leur chute, était assez forte pour les rétablir. Remplacé par Pietro Centra- nice !, Otton trouva dans le nouveau César Romanos Argyre un ardent protecteur. Ce prince, beau-frère de Giovanni Orseolo?, te- nait au doge fugitif par des liens trop étroits pour l’abandonner dans son malheur, et les troubles de la république vénitienne y favorisaient l’action d’une puissance étrangère. lien n’était plus facile à un empereur que de faire sentir son mécontentement aux Vénitiens : il suffisait de laisser leurs intérêts en souffrance dans tout l'Orient. Quatre ans s’élaient à peine écoulés que leurs marchands se plaignaient amèrement et demandaient la reprise des relations amicales avec la cour byzantine. Une puissante réaction éclata bientôt contre les adversaires des Orseoli. Pietro Centranico fut à son tour déposé, rasé et envoyé à Constantinople. En même temps, Otton était proclamé de nouveau; l'administration de l’E- tat, confiée provisoirement à son frère, le patriarche Orso, qu’on avait rappelé de sa retraite. Une ambassade solennelle allait rendre au doge exilé sa couronne. Mais, quand elle arriva dans la capitale de l'empire, celui qu’elle y cherchait n'était plus ? (1030). À cette nouvelle, Orso Orseolo abdiqua la régence et fit pro- céder à une élection régulière. L’interrègne parut favorable à un autre Orseolo, Domenico, pour usurper le pouvoir et rétablir en sa personne le droit héréditaire que revendiquait sa famille. Cette ! Dandolo, Chron. 1. IX ,ch. 11, p. 239. Voy. p. 350. ? Dandolo, Chron. 1. IX, c. 1v, p. 240. LA — 304 — tentative coupable échoua !; mais les conséquences politiques qui en résultèrent furent beaucoup plus grandes que l'événement lui- même. Ë Le peuple, indigné de l'attentat, sentit se ranimer en lui toute son ardeur républicaine. Il ne se contenta pas de chasser l’usurpa- teur, qui alla se cacher à Ravenne, et d'élever au rang suprême un mortel ennemi de sa maison, Domenico Flabianico; 11 rendit un décret qui prévenait toute nouvelle entreprise des Orseoli ;*et les déclara incapables d'exercer à l'avenir aucune fonction poli- tique. La réaction n'atteignit pas seulement une famille entière, elle suspecta toutes celles qui pourraient obtenir la première ma- gistrature de l’état. Justement jaloux de ses libertés, le peuple vénitien, frappa, dans la personne des Orseoli, tous les doges im- bus d'idées et de prétentions dynastiques. Une loi nouvelle interdit à ceux-ci de s'associer leurs fils et détruisit une coutume qui tendait à faire dégénérer la république en monarchie héréditaire. L'institution ducale elle-même, ra- menée au principe électif, parut trop puissante pour un état démocratique. Le doge fut obligé de consulter, dans les affaires les plus importantes, les principaux citoyens, et on lui adjoignit, pour les affaires courantes, deux conseillers qui devaient limiter son pouvoir. Cette réforme renfermait le germe d’une institution capitale, le conseil des Pregadi, qui prit deux siècles plus tard, sous le doge Jacopo Tiepolo, une forme définitive et durable ?. Telle est la série des révolutions qui suivirent la mort du plus grand des Orseoli et peut-être de tous les doges. Tandis que l'alliance grecque assurait à cette nation de marins et de mar- chands un commerce immense et l'empire de lAdriatique, Pimi- tation des usages de Byzance entraïnait ses chefs dans une voie périlleuse où la faveur populaire ne les suivait qu'un instant. Séduite d’abord par le prestige de titres antiques et par la pompe orientale, la foule encourageait des prétentions à l’hérédité. Mais bientôt la crainte succédait à la confiance excessive des premiers temps. Le fils devenait aussi odieux que le père avait été popu- laire, et l'opinion publique, qui avait permis certains empiète- ments au fondateur d’une glorieuse famille; se réveillait mena- l Dandolo, Chron. 1. IX, ch. v, p. 240. 2 Romanin!, + T, p- 296. ' — 995 — çante pour ses descendants. Le peuple ne se bornait pas à re- prendre sur eux tout le terrain perdu, il les faisait reculer à son tour et contenait ses chefs par de nouvelles lois. C’est ainsi qu'en voulant accroître leur puissance, les doges l’eurent bien vite affai- blie. L'influence monarchique du Bas-Empire provoqua contre ses imilateurs la réaction républicaine, qui les subordonna d'abord à la multitude et plus tard à l’oligarchie. CHAPITRE IV. LES NORMANDS ET LE CHRYSOBULLE D’ALEXIS. S'il est vrai que Fltalie entière ait expié sa grandeur antique par une douloureuse succession de conquêtes, Naples et la Sicile semblent avoir été destinées, entre toutes les provinces italiennes, à devenir la proie d’envahisseurs hétérogènes. En s’obstinant à maintenir sur le sol si mouvant de ltalie méridionale les restes d'une domination chancelante dès l’origine, les successeurs de Justinien s'exposaient aux attaques de tous les aventuriers du Sud et du Nord, de l'Orient et de l'Occident. On n’a pas tant d’ennemis sans être à la merci de ses alliés. Les Vénitiens le comprirent. Sur cette terre où les Grecs avaient combattu les Goths, les Lombards et les Arabes, l'esprit d'aventure conduisait, au com- mencement du xr° siècle, un plus habile ennemi. Fléaux de toutes les populations maritimes de l'empire carolingien, et plus tard de la Neustrie et de l'Angleterre, les derniers venus des barbares de l'Occident tournèrent leur convoitise vers ces belles provinces napolitaines, dont mille récits enchanteurs leur vantaient la ri- chesse. Quelques gentilshommes Normands, au milieu de la con- fusion qui régnait dans cette contrée, se rendirent redoutables aux Grecs, aux princes lombards, aux républiques, aux Sarrasins qui se disputaient la possession du pays. Maîtres de l'ancienne Apulie, ils inquiétaient l'empereur d'Orient déjà dépouillé par eux , le pape dont leur voisinage menaçait les États, la République vénitienne elle-même, qui voyait poindre une de ces fortes monar- chies dont elle avait toujours empêché l'établissement dans la pé- ninsule. C'est de Rome que partit le cri d'alarme. Il ne fallut rien moins — 356 — - que la voix de Léon IX pour tirer de leur sommeil les souverains dégradés de l'Orient. La cour de Constantinople dorina à son général Argyros un titre pompeux, celui de duc d'Italie, mais peu de sol- dats. Léon IX se transporta en Allemagne, à Venise, pour former une ligue contre les ennemis communs. S'il ne réussit guère auprès de l’empereur germanique, il obtint dans les lagunes un accueil chaleureux et des promesses de secours. Tous ces efforts n'empé- chèrent pas le pontife d’être battu et pris à Civitella! (1053) par Robert Guiscard, et les hommages que les vainqueurs s’empres- sèrent de lui rendre n'étaient pas de nature à le consoler de sa défaite. Argyros.était vaincu à Spolète; il n’échappait que par la fuite à une mort certaine. Robert Guiscard étendait son autorité au delà même de la Pouille, sur toutes les Calabres. Roger con- quérait la Sicile, et la royauté normande était fondée. La cour de Constantinople se sentait encore une fois trop faible pour défendre ses possessions italiennes sans le secours de ses alliés ordinaires. Aussi prépara-t-elle de longue main leur inter- vention contre les Normands. Pendant la période où elle fut ré- duile à ses propres forces, elle prodigua les égards qu’elle avait l'habitude de témoigner aux chefs de la république. Loin de leur garder rancune du renversement des Orseoli, elle fit bon visage aux nouvelles familles, et noua avec celles ci les mêmes rapports qu’elle avait entretenus avec l’autre. L'intérêt politique dominait tous les sentiments personnels et resserrait l'alliance gréco-véni- tienne au moment même où elle paraissait rompue. Dans un acte officiel de l’année 1049, le doge Domenico Con- tarini s'intitule Patrice Impérial et Protosevastos ?. Jamais empe- reur n'avait été si libéral avec les premiers magistrats de Venise. Domenico Selvo, successeur de Contarini, devint Protohèdre Im- périal$. Il eut, de plus, en mariage une jeune grecque, fille, selon les uns, de Constantin Ducas#, selon les autres, de Nicé- 1 I y a beaucoup de villages qui portent ce nom en Toscane, dans les États de T Éolise et dans le royaume de Naples. Il s’agit ici de Civitella dans Ja Gapitanate, presque à égale distance de éopas au N. E. et de Bénévent au S, ©. ? Romanin, t. [, p. 305. Pour ces deux dignités byzantines, voy. ch. vu, p- 434. # Comme l’atteste un document de 1075. {Voyez Tafel, t. XII, p. 41.) Dignité byzantine, ch. vir, p. 435. ! Constantin X, empereur de 1059 à 1067. — 357 — phore Botoniate!, qui ceignit plus tard la couronne impériale. Le luxe asiatique déployé à Venise par cette princesse étonna beau- coup les contemporains. Elle fit scandale en attendant d’être un modèle. Les chroniqueurs vénitiens? rappellent les eaux parfu- mées qu'elle employait à sa toilette, les cuillers d’or dont elle se servait pour porter les aliments à sa bouche, l'odeur balsamique qu'exhalaient ses vêtements, les gants qui ne lui laissaient jamais les mains nues. Chaque matin ses nombreux serviteurs recueillaient la rosée, dont elle s’humectait pour donner une plus grande frai- cheur à son teint. L'abus des essences lui devint si funeste que la décomposition de son corps éloignait d'elle tout le monde. Une seule servante lui resta fidèle, et ce ne ful pas sans le secours des par- fums. Encore avait-elle soin d'approcher vite et de s'éloigner en cou- rant. C’est Pierre Damien qui nous apprend ces derniers détails $. L'indignation crédule du pieux écrivain a de quoi nous faire sou- rire; mais elle n’est pas moins instructive que plaisante. Quand il constate avec étonnement que la princesse ne touchait pas les mets avec les mains, qu’elle les faisait couper par les eunuques en petits morceaux et qu’elle les approchait de ses lèvres avec des cuillers d'or et des fourchettes*, il ne nous donne pas la plus haute idée des manières de ses contemporains; et, tout en rendant justice au x1° siècle, on se demande s’il ne vaut pas mieux vivre au xix° et surtout y diner. Les Vénitiens appréciaient à leur juste valeur les bons procédés et les hautes alliances; mais, pour leur faire prendre les armes contre un Robert Guiscard, il fallait un intérêt ou un danger grave. En 1075, la hardiesse des corsaires normands donna nais- sance à l’un et à l’autre. Les conquérants de l'Italie méridionale tournaient les yeux vers l’Adriatique et débarquaient sur les côtes de la Dalmatie. Domenico Selvo les chassa de cette région, puis exigea des habitants la promesse solennelle de leur en fermer l'entrée. Les Dalmates, qui avaient appelé autrefois les Vénitiens ? Nicephore III Botoniate ou Botaniate, empereur de 1078 à 1081. ? Voy. Romanin, t. I, p. 311. 3 Petri Damiani Opera omnia, collecta studio ac labore Const. Cajetani. Venetiis, Jos. Corona, 4 t. en 2 vol. 1743. Insututio Monialis, opusc. L, c. xr, De Veneti ducis uxore, que prius nimium delicata, demum toto corpore computruit. (Voy. App. n° [IL.) * Voy. App. n° IL. * «In quo tempore Normani Dalmatinorum fines invadunt et destruunt, Dux — 358 — contre les pirates du Quarner, invoquaient l’appui des Normands contre leurs anciens libérateurs. Un acte solennel imposé à la Dalmatie et signé par les magistrats des principales villes du pays, reconnut Selvo comme duc de Venise, duc et seigneur de Dal- matie, protohèdre impérial, Il frappa des peines les plus sévères, la mort et la confiscation, ceux qui appelleraient les Normands ou favoriseraient leur invasion !. Les Vénitiens se bornèrent à reven- diquer ainsi les droits qu’ils possédaient depuis près d’un siècle sur cette province. L'anarchie qui désola le Bas-Empire pendant les six années suivantes ne les encourageait pas à le défendre. Comment trouver, au milieu de rivalités sanglantes et de règnes éphémères, un prince capable de leur inspirer confiance? La Dalmatie était sauvée et, avant d'affronter les armes normandes, Venise attendait qu'elles fussent devenues plus menaçantes et les promesses des Grecs plus précises. L'audace de Robert Guiscard, qui croissait avec la faiblesse de Byzance, rendit l’intervention nécessaire. L'héroïque aventurier résolut de franchir l’Adriatique et de porter la guerre sur le ter- ritoire ennemi. Pour justifier son entreprise et mettre à profit la confusion qui régnait en Orient, il maria sa fille à Constantin, fils de Michel Parapinace”?, et se présenta comme le soutien du prince légitime contre les usurpateurs. Il partit de Brindes avec igitur egressus eos abire coegit, et ab incolis solidam fidelitatem cum promis- sione non adducendos Normannos in Dalmatiam suscepit. » (A. Dandolo, p. 248.) 1 _«Promittimus......... vobis Dominico Silvio, duci Venetiæ et Dalmatiæ ac Imperiali protohedro et seniori nostro, ut ab hac die in antea, quarum nullus nostrorum civium audeat adducere Normannos aut extraneos in Dalmatiam aut per se ipsum , vel quovis ingenio. «Si quis autem hujus HE prævaricator inventus fuerit et se legitimé excu- sare non poterit, amitlat vitam suam , et quidquid possidet in hoc seculo, medie- tatem in camera ducis, et medietatem civibus, qua in civitate prævaricator inven- tus fuerit per judicem et per romanam legem quæ in præsenti pagina scripta esse videatur in quarto capitulo ejusdem legis. «Quia, si quis inimicos infra provinciam invitaverit aut introduxerit, animæ suæ incurrat periculum et res ejus inferantur.» (Tafel, t. XIT, p. 43.) ? Michel VIT, dit Parapinace, fils de Constantin Ducas, empereur en 1071. La révolte de Nicéphore Botaniate le découragea. Michel abdiqua et le rebelle devint Nicéphore III (1078). D'après Dandolo, ces concessions auraient fait l'objet d’un premier chryse- bulle, antérieur d'une année à celui qui est si connu sous le nom de chrysobulle d'Aleris et que nous analyserons plus loin. (V. Dandolo, p. 241.) — 359 — cent soixante bâtiments, prit Corfou et, malgré une violente tem- pête qui détruisit une partie de sa \ flotte, vint mettre le siège de- vant Durazzo !. | La monarchie de Justinien ne combattait plus pour ses posses- sions italiennes, pour les restes de sa grandeur passée : elle dé- fendait cette fois sa propre existence. Dans la foule des préten- dants, un maitre s'était levé, Alexis Comnène ?, qui avait conquis, avec l'empire, la redoutable mission de le sauver. Il se tourna de tous côtés pour demander assistance. Il fit appel au pape, à l'empereur d'Occident; il prit à sa solde des Waranges et des Tures, et montra que le peuple énervé dont il était le chef comp- tait sur les alliés les plus lointains beaucoup plus que sur lui même. Dans la détresse où l'avait jeté la marche audacieuse de Robert Guiscard, il frappait à toutes les portes sans avoir grande chance d'être entendu. Mais il ÿY eut un point sur lequel se diri- gèrent les plus grands efforts de sa politique aux abois : Venise était le dernier espoir de Byzance (1081). Alexis eut la sagesse de comprendre qu'il fallait proportion- ner les sacrifices à la gravité de la situation et à l'importance des secours. «Il ne ménagea, dit Anne Comnène, ni les dons, ni les promesses pour décider les hardis marins de PAdriatique à préparer toutes leurs forces navales, à faire voile vers Durazzo, à chercher et à combattre Robert Guiscard. Qu'ils dussent, avec l’aide de Dieu, remporter la victoire ou tout au contraire avoir le des- sous, ils obtiendraient les bénéfices du traité. En outre, tout ce qu'ils pourraient désirer de l'État romain sauvé par eux serait garanti par des bulles d’or. Ceux-ci ayant recu ces offres trans- mirent au prince toutes leurs demandes, par le moyen de leurs ambassadeurs, ét l'on sanctionna les engagements réciproques. » L Sur ces événements, voy. Ann. Comnène, Alex. 1. IV et V. (Éd. Bonn, p- 158-267.) ? Alexis Comnène, d'une illustre famille, s'était disungué par son courage et ses services sous les règnes de Michel VIT et de Nicéphore II. Quand les mi- nistres de celui-ci complotèr ent sa perte, il sortit de Constantinople, se fit a clamer par les soldats et prit la place de Botaniate [108 1). 3 Ann. Comnène. Alex. 1. IV, c. 117, éd. Bonn, P-191-192: À }d xai roùs Beve- Téxous mpoonaketro di ÜrooyÉcEwr nai dwpoy... Tà èv ÉnayyEtAdEvOs, Tà O ai GpoTEiVwy NON, El mOvOY SEANTAEY TO VAUTIXOY ATAONS TS xwpas aÿr®v éÉorhioai 7 ai région eis To Auppayior naralaGeir, é@' & roÿro pèr @uAdËeu, perd dÈ roû oÎdov roù Pouréproy xaprepôr ousTÎncacfa môdeuor. Kaï ei xara rà diaunvuféyra — 360 — Dans l'hypothèse des succès comme dans celle des revers, les Vénitiens assuraient leurs intérêts : vaincus, il obtenaient au moins le remboursement des frais de l'expédition; vainqueurs, ils acqué- raient par un nouveau chrysobulle l'extension des faveurs que l'empire d'Orient accordait à leur commerce. Ce peuple avisé s’en- gageail à coup sûr dans une expédition qui, par elle-même, pré- sentait des chances fort incertaines. | La guerre qui résulta de ces négociations eut de nombreuses péripéties, et, si l’empereur n'avait pas marchandé à ses alliés les récompenses, ceux-ci ne lui mesurèrent pas les services. Üne flotte de 36 bâtiments de transport, de 14 trirèmes et de 9 galées !, mit à la voile sous le commandement du doge Domenico Selvo. Elle occupa bientôt Pallia, à trois milles de Durazzo, que défendait le général Georges Paléologue. De là, les Vénitiens apercevaient l’armée des Normands campée hors des murs et leur flotte qui se déployait dans le port même de Durazzo. Robert en- voya au doge son fils Bohémond pour ouvrir des négociations et l'engager vivement à abandonner la cause d’Alexis. Domenico Selvo fit mine d'écouter favorablement ces propositions, et invita le jeune prince à revenir le lendemain. Cependant la plus grande activité régnait dans le camp des Vé- nitiens. [ls passèrent toute la nuit en préparatifs de bataille. Les navires, attachés l’un à l'autre, présentèrent un front inex- pugnable aux assaillants. Des tours furent élevées à côté des mâts, et des soldats s’y établirent pour accabler les Normands de flèches. Des poutres garnies de croix en fer étaient mises en mou- vement par des machines, et destinées à saisir et à submerger les bâtiments ennemis. Quand Bohémond reparut le lendemain matin, espérant rece- voir la soumission du doge au fantôme d’empereur que son père mettait en avant ?, il fut aussi effrayé que surpris à la vue de cette auTois mounoouev, eiTe SeoÙ ÉénaphyovTos Tv vuxdoav oyoîer, cite... mr Inbeter, éxeiva aûra Amorta narTà Tà Ünecynuéva, GomEp ei XATÈ XPÈTOS Évixnoùv. À1a xai Orooa Tüvy SeknpéToy aûTor ph émoPaÂñ Tÿ TÔv Pouaiov dpxn ciev, dnomÀn- polnñoonrar, &ià ypuooBoihwr Àoywr éuredwbérra. ! Navires plats et larges qui servaient le plus souvent à l’embarquement des chevaux (irraywyot). Villehardouin parle de vuissiers et de galées-vuissières dans le même sens. ? Michel Parapinace. — 961 — ordonnance de combat. Les matelots vénitiens l'accueillirent par des huées. Le Normand, furieux, commanda l'attaque et dirigea le bâtiment qu'il commandait sur la galère capitane. Dahiasénd et les siens s’élançaient bravement à l’abordage, lorsqu'une de ces poutres mobiles, dont les navires vénitiens s'étaient munis, frappa la galère du prince avec une telle violence qu'elle se brisa en morceaux. Bohémond eut grand peine à se réfugier sur les bâti- ments qui suivaient. Encouragés par le succès, les vainqueurs mirent en fuite la flotte normande et délivrèrent Durazzo du côté de la mer. Voyant le moment favorable, les Grecs assiégés firent une sortie vigoureuse, et les Vénitiens, débarquant aussitôt, atta- quèrent le camp ennemi. La. victoire ne paraît pas avoir été aussi complète que sur mer; mais les Normands furent repoussés à quelques milles, et les approches de Durazzo dégagées même par terre. Les Vénitiens avaient tenu parole, et Alexis, plein de re- connaissance pour ses vaillants alliés, leur a les plus riches présents. Robert Guiscard n'était pas homme à se résigner après une défaite. I recommença la lutte avec plus d’ardeur. Malgré la flotte vénitienne qui croisait dans l’Adriatique , il reçut d'Ttalie des vivres et des renforts. L'empereur, enhardi par la victoire et par une épidémie qui ravageait le camp des Normands, partit de Constantinople avec une puissante armée, et, après une marche de deux mois, vint camper sous les hauteurs de Durazzo. Il ap- pela presque aussitôt à lui Paléologue, qui vint unir sa petite armée à celle de son maïtre. Impatient, présomptueux, Alexis négligea le sage conseil du général qui lui recommandait d'éviter une ba- taille rangée, de serrer les Normands entre son armée et la ville et de les réduire par la famine. Il n’écouta que sa propre fougue et celle des jeunes officiers qu’il avait amenés de Constantinople. La bataille fut engagéé par son ordre. Robert Guiscard ne deman- dait pas autre chose, et les Normands saisirent l'avantage qu'ils avaient toujours conservé, même sur les peuples aguerris de l'Oc- cident. Ce fut un désastre pour les Grecs et pour les Vénitiens qui combattaient avec eux. L'empereur prit la fuite, abandonnant à Paléologue le soin de la retraite et la défense de Durazzo. Les habitants résistèrent quelque temps avec bravoure. Un Vé- nitien, Domenico, les aurait trahis et aurait favorisé une attaque des Normands. Ceux-ci ne furent repoussés qu'à grande peine et — 362 — restèrent maitres de plusieurs positions importantes. Les Véni- üiens, qui s'étaient renfermés dans la ville, rivalisèrent de courage avec les Grecs. Mais le départ de la flotte alliée, linflexible obsti- nation de Robert, qui se montrait prêt à tout sacrifice, répan- dirent dans la ville assiégée le découragement et la terreur. Les colons amallitains et vénitiens, songeant à leurs intérêts, propo- sèrent de capituler. Une assemblée des principaux citoyens se réunit, et, après une discussion qui ne fut pas longue, tous con- vinrent que le seul parti à prendre était d'ouvrir les portes à Ro- bert Guiscard. Les Normands entrèrent dans Durazzo !. Alexis racheta sa témérité par une remarquable énergie. Il en- voya à la monnaie son argenterie et celle de la famille impériale ; il invita les principaux citoyens à suivre son exemple. IL obtint du clergé des subsides pour la guerre. Enfin il fit un nouvel appel à l'Empereur d'Occident et aux Vénitiens. Ceux-ci répondirent avec leur activité habituelle. Ils rencontrèrent la flotte des Nor- mands à la hauteur de Cassopo? et la défirent dans un combat acharné qui se renouvela pendant trois jours. Croyant celle-ci détruite, ils se relirèrent sur les côtes d’Albamie, et s’abandon- nèrent à une extrême confiance. Robert saisit celte occasion pour les surprendre. Leurs bâtiments ne tardèrent pas à se nuire les uns aux autres à cause de leur poids et de l’incohérence des manœuvres; malgré une vigoureuse résistance, l'ennemi les aborda et fit un grand carnage. La plupart des prisonniers furent traités avec barbarie. Quant le vainqueur proposa aux autres d’entrer à son service, ils répondirent : « Sache, 6 duc Robert, que si nous voyions nos femmes et nos fils massacrés sous nos yeux, nous ne pourrions, même alors, violer la foi que nous avons jurée à l’em- pereur Alexis.» Plein d’'admiration pour tant de fermeté, le duc de Pouille et de Calabre consentit au rachat de ces captifs. La nouvelle de cette défaite produisit à Venise un grand tu- multe, qui fut suivi d'une espèce de révolution. La douleur causée par lhumiliation nationale, la perspective de la grandeur crois- sante des Normands, tout conspirait à perdre Domenico Selvo, dont le règne avait été, malgré la délivrance éphémère de Du- razzo, funeste aux armes de la république. Une démonstration !.Romanin, t. I, p. 318-325. Lebeau, t. XV, p. 132-139. * Petite ville de l'ile de Corfou; elle donne son nom au golfe formé par la mer [onienne entre l'ile et la côte d’Albanie. PT violente éclata, et le peuple, excité ou soudoyé par Vitale Falier, exigea du vieux doge son abdication et sa retraite dans un mo- nastère. Le changement de personne devint favorable à la cause véni- tienne, et Vitale Falier, arrivé au but de son ambition, tint les promesses qu'il avait faites (1085). Il commença par envoyer à l'empereur Alexis une nouvelle ambassade composée d’Andrea Michieli, de Domenico Dandolo et de Jacopo Aurio; ceux-ci re- curent l’accueil le plus honorable. Alexis leur exposa le besoin qu'il avait de nouveaux secours; il promit, en échange, les privi- léges les plus larges et s’'engagea à reconnaitre d’une manière ex- plicite le titre de duc de Dalmatie et de Croatie. Il conféra au doge la dignité de Protosevastos *. Les Vénitiens consentirent à pour- suivre la guerre contre les Normands, jusqu'à la délivrance du territoire grec. Ils équipèrent une flotte plus considérable que les précédentes et détruisirent celle de Robert Guiscard dans les eaux de Corfou et de Butrinto*?. Cetie année, d’ailleurs, la mort combattit pour eux. Prompt à se relever d’une défaite, Robert Guiscard assiégeait Céphal- lénie, lorsqu'une épidémie qui s'était déclarée dans son armée l'emporta lui-même {juillet 1085). Pour les Grecs et les Véni- tiens, cet événement valait mieux qu'une victoire : c'était la fin de la guerre. Les dissensions qui éclatèrent entre les deux fils de ce prince, Roger et Bohémond, permirent aux Grecs de recou- vrer les terres quils avaient perdues, entre autres Durazzo, qu'ils rachetèrent aux Vénitiens, établis dans cette ville. Délivré de son redoutable adversaire, Alexis remplit ses enga- gagements envers ses amis. C’est après la victoire de Butrinto et la mort de Robert Guiscard quil leur accorda le chrysobulle qui porle son nom. Le texte latin de cet acte nous a été conservé dans le Libro dei Patu* et le liber Albus*. Lorsque les empereurs re- nouvelaient des priviléges conférés un demi-siècle ou un siècle ! HpwrocéSaoTos, le premier des vénérables (oé6ao7oi), dignité byzantine créée par Alexis Comnène. {Voy. ch. vir, p. 433.) ? Ville d'Albanie, située en face de Corfou, sumle détroit de ce nom. { Voy. sur ces faits et ceux qui suivent Ann. Comnène, Alex. 1, V et VI. Cf. Dandolo, P- 247-249.) 3 Aux archives des Frari à Venise. # À Vienne. MISS. SCIENT. —- 1Y. 2) = 304 — plus tôt, leur chancellerie reproduisait tout au long les chryso- bulles antérieurs qu'il s'agissait de confirmer. On ne craignait pas de répéter plusieurs fois dans le nouvel acte des textes différents par la date, mais identiques dans la forme. C’est ainsi que le chry- sobulle de 1085 a pu être extrait de celui de 1187, où il est in- séré comme celui de 1146. Le décret impérial commence, ainsi que tous les actes byzan- üns, par un préambule sentencieux, vague et solennel. Il semble qu'une majesté toute puissante laisse tomber ses grâces sur les fidèles Vénitiens, dont elle veut bien rappeler le dévouement à Durazzo. Ces dehors pompeux cachent mal la contrainte et la dépendance du donateur. Si la cour de Byzance a le stérile plaisir d'écrire le préambule, Venise a dicté les articles. Doge et patriarche, Répu- blique et Église, Vénitiens de Venise et Vénitiens de Constanti- nople, tous viennent à la curée de l'empire. Les titres conférés depuis si longtemps aux chefs politiques et religieux de la République deviennent un attribut de leurs fonc- tions, au lieu d'être un honneur individuel et viager. La qualité de Protosevastos est attaché perpétuellement au pouvoir ducal !, comme celle de Hypertimos au patriarcat?. De plus, ces dignités cessent d’être purement honorifiques. Elles donnent droit toutes les deux à un traitement annuel qui, pour la seconde, est fixé à 20 livres. Les églises de la République recevront un don annuel d’égale valeur. Quant à la mère de toutes les églises vénitiennes, l'Em- pereur lui réserve des priviléges spéciaux : « Saint-Marc aura pour tributaires tous les Amalfitains qui ont des comptoirs dans la capitale et dans toute l'étendue de la Romanie. » Les Vénitiens obtinrent tout un quartier de Constantinople. Leur colonie, jusqu'alors faible et dispersée, s'établit fortement et se développe dans cette grande cité, en attendant le jour où elle 1 «Non in persona vero ipsius determinavit honorem ; sed indesinentem esse atque perpetuum et per successiones lis qui secundum deinceps fuerint, ducibus transmitti definitivis in urbe...» ? «Et hunc vero honorem per successionem in eos, qui deinceps fuerint, patriar- chas transmisit, ut hic quoque sit indesinens atque perpetuus, — et non tantum personæ ejus.» (Tafel, t. XIT, p. 52.) Trépriuos, titre conféré aux Métropolitains. { Voy. ch. var, p. 434.) % «Numismata tria.» Les Amalfitains payeront à Saint-Marc 3 deniers ( Numis- mala ). — 365 — en ouvrira les portes à la flotte conquérante de Dandolo. L'article le plus important du chrysobulle, comme le remarque Anne Comnène, leur donne la faculté de fréquenter les ports de l'em- pire, et les exempte de toutes les taxes et de toutes les Juridic- tions onéreuses qui pesaient sur les étrangers. Déjà Basile et Constantin avaient commencé ce régime de faveur en abaissant les droits; mais Alexis les supprimait entièrement et inaugurait, pour le commerce vénitien, l'ère de la franchise et de la liberté absolues !. L'alliance grecque avait donné aux Vénitiens tous les profits qu'ils en pouvaient attendre. Prêts à s'armer pour le compte de leurs faibles amis, non moins prompts à toucher les frais de la guerre, ils s'étaient moins préoccupés de remporter des victoires, que de n'en pas gagner de stériles. Heureux ou malheureux, leurs services recevaient une récompense, et Constantinople en était ré- duite à leur payer ses défaites aussi cher que ses triomphes. Ils avaient mis sur l'ambition aveugle, sur la vaine gloire des succes- seurs de Justinien, un impôt de très-bon rapport. La chimère de la domination grecque en Italie avait pour eux des résultats pra- tiques. Parvenus au point de supplanter dans les ports de la Grèce les Grecs eux-mêmes, de déposséder les Byzantins d’une partie de Byzance, que pouvaient-ils esperer encore de leurs vieux alliés? Pour étendre de si grandes acquisitions, ou seulement pour les maintenir, la paix offrira moins de ressources que la guerre. Ce ne sera plus assez d'exploiter l'empire d'Orient : dans lintérêt même de lexploitation, il faudra le conquérir. ! «Non præbentibus omnino, pro qualibet propria negotiatione, quid libet commerci gratia vel cujusvis alius conditionis, quæ demosio infertur.» (Tafel, t. XXIT, p. 53.) | To dè ôn uetéoy Tnv éuropiav aÿr@v démpiov émoinoer Ép mdoaus Tauis ÜTÔ TU» SÉovoiay Poualwy xopous, &ole duérws éunopeteobar, nai xarà TÔ aûroïs (BouAn- TOv, pire pv Ürèp noppepuiou À ÉTépas Tivds elompaËecws Tà Onuooiw eivxomoué- vns mapéyeir dypt nai Géohoù évos, AAX EËw maons eivou Popainñs éÉovotns (A: Comnène, éd. Bonn, t. 1, p. 287). s DS je CHAPITRE V. LES CROISADES. ÉTABLISSEMENTS DES VENITIENS DANS LES ROYAUMES CHRETIENS D'ORIENT. La lutte, imminente entre les Grecs et les Vénitiens, fut ajour- née par les croisades. L'Europe chrétienne, ardente dans sa foi, imposante dans son unité, docile à la grande voix de l'Église, s'ar- mait tout entière pour la délivrance du Saint-Sépulcre. L'enthou- siasme religieux réunissait dans de communes entreprises les peuples les plus divisés, poussait vers de lointains rivages les hommes les plus fortement attachés à leur château ou à leur glèbe, et préci- pitait sur la Palestine des flots de pèlerins et de pieux soldats. Tandis que les autres nations occidentales ne connaissaient l'O- rient musulman que pour le maudire, ne le visitaient que pour le combattre, les Vénitiens nouaient des relations avec les Sarrasins, signaient des traités avec leurs princes, naviguaient, trafiquaient en pays infidèle. Une ère nouvelle s'ouvrait avec les croisades; au lieu de rapports difficiles, compromis à tout moment par un fana- tisme réciproque, allaient commencer des communications fré- quentes, régulières. Des royaumes chrétiens allaient succéder aux dominations mahométanes. Le commerce avec les régions de Îa Méditerranée orientale ne serait plus une impiété. La conscience des marchands serait tranquille et leurs affaires plus actives. Les Vénitiens laissèrent donc aux nations militaires de FOcei- dent le premier rôle dans ces expéditions religieuses. Ils se gardèrent d'assumer, en le prenant, la responsabilité et les périls des revers, de se fermer toute chance de retour auprès des princes musul- mans. Les comptoirs vénitiens avaient précédé les établissements de la féodalité sur les rivages de la Syrie chrétienne : ils devaient également leur survivre. | Les croisades entraînaient un mouvement considérable d'hommes et de matériel. Si une grande partie des croisés, cédant à l’aveu- glement de l'enthousiasme, allèrent devant eux, sans se préoccu- per des fatigues, des obstacles, des trahisons, les plus sages son- gèrent tout d'abord à se faire transporter par mer, Les pèlerins qui, même entre deux croisades, visitaient la Terre-Sainte, préféraient presque tous cette dernière voie. Mais les rois les plus puissants \ — 307 — de l'époque n'avaient pas de vaisseaux. La marine était alors un monopole réservé à quelques républiques de l'Italie, en première ligne à Venise. Dans les croisades comme dans les guerres byzan- tines, les Vénitiens devaient être des auxiliaires indispensables, voyant venir à eux les princes, les guerriers, les pèlerins, appe- lés, implorés partout, faisant désirer et acheter leur concours. Malgré les expéditions glorieuses dont ils partagèrent l'honneur, ils furent moins les soldats que les marins, les marchands, les pourvoyeurs de la croisade. Leur flotte n'était pas moins nécessaire aux croisés dans le cours de la guerre que dans le passage. Après les avoir débarqués, elle servait à les nourrir. Elle secondait puissamment leurs opérations, en permettant de combiner une double attaque sur les villes du littoral; elle offrait, à tout hasard, un refuge aux vaincus, qui n'auraient trouvé devant eux que les Sarrasins, ou le désert, plus terrible que l'ennemi. Dès le principe, le pape Urbain IT s'adressa aux trois répu- bliques maritimes de Ftalie, pour obtenir d'elles le transport des croisés. Le silence des historiens de Venise n'empêche pas d’affir- mer, d’après d’autres documents !, que cet appel y fut entendu. Mais les détails nous manquent absolument sur les deux premières années de la croisade. C'est après le siége d’Antioche {juin 1098) que lon voit repa- raître les Vénitiens. Les croisés, s'étant arrêtés au siége du château d'Arca?, virent approcher leurs navires vénitiens et grees*, qui por- taient du blé, du vin et de l'orge. La bonne intelligence se main- tenait encore avec les deux marines, mais l'accueil fait par Alexis Comnène aux croisés montre que les Grecs ne venaient qu'à contre-Cœur. Peu de temps après la première croisade, Vitale Michieli propo- sait à l'assemblée du peuple une grande expédition en Palestine. Tout en alléguant les motifs religieux qui devaient toucher des l Acta Dai per Francos, p. 89, ap. Romanin, t. II, p. 10. ? La colline d’Arca, célèbre dans l’histoire des croisades par sa citadelle, connue dans l'antiquité sous le nom de Cæsurea Liban, s'élève à peu de distance de l'embouchure du Nahr el-Bared (le fleuve froid), sur la route de Tripoli à Hamah, à quatre heures trente minutes de Tripoli, et à vingt-deux heures de Hamah. (A. Joanne, Ttinéraire de l'Orient, p. 625.) ® Romanin,t, I, p. 11. — 368 — chrétiens, il faisait valoir de préférence l'intérêt politique et com- mercial. Les Pisans et les Génois avaient pris de ce côté l’avan- tage : les Vénitiens ne pouvaient le souffrir plus longtemps. L’as- semblée partagea les vues de son président. Une flotte imposante mit à la voile. Elle avait pour amiral Giovanni Michieli, fils de Vitale, et pour chef spirituel Enrico Contarini, fils de Domenico, second prédécesseur du doge régnant. Lorsque la flotte fut parvenue dans les eaux d'Orient, Alexis Comnène remplaça son concours effectif par une neutralité sym- pathique en apparence, mais-au fond malveillante et hostile. Il ne négligea rien pour persuadér aux Vénitiens de renoncer à l'entre- prise. Tantôt il leur prodiguait les conseils, affectant de vouloir leur épargner les mécomptes d’une guerre aventureuse; tantôt il leur suscitait des obstacles en leur rendant presque impossible le ravitaillement de leur flotte. Sa politique fut secondée par les Pisans, qui, jaloux du déploiement des forces vénitiennes, leur déclarèrent la guerre. C’est alors qu’eut lieu la première rencontre entre ces deux peuples dans les mers d'Orient. Les Vénitiens eurent l'avantage à la hauteur de Rhodes, prirent 20 vaisseaux et firent 5,000 prisonniers !. Victorieux des intrigues byzantines et des armes pisanes, ceux-ci parvinrent à Jaffa. Ils y trouvèrent Godefroi de Bouillon revenant d'une expédition, heureuse contre le sultan de Damas, mais atteint d'une maladie mortelle. L'amiral lui offrit des présents au nom de la république. On résolut d’assiéger en commun le château de Caïffa, au pied du Carmel. La flotte était devant cette place, que les croisés menaçaient par terre, lorsque la mort de Godefroi interrompit les opérations et rappela les croisés à Jérusalem. Les Vénitiens reprirent bientôt le siége, et l’aide des machines à lancer les traits ou les pierres? décida la chute de la forteresse. La flotte retourna triomphante à Venise. Peu importait à la république d'achever ses conquêtes : elle ne voulait que montrer son pavillon sur ces mers lointaines, où des rivaux auraient pu la supplanter et s'acquérir un titre aux faveurs des royaumes chrétiens dont elle convoitait le commerce. La poli- tique l'emportait tellement sur l'intérêt religieux, que les Véni- Aa 1. E p. 106. * On les appelait WManganelles. — 369 — tiens, deux ans plus tard, combattaient Bohémond, prince d’An- tioche, soutenu par les Pisans, et s'unissaient aux Grecs contre ces nouveaux ennemis. Bohémond, malgré la flotte alliée, attaqua les îles de Samos et de Cos!, mais il fut contraint de se retirer de- vant le feu grégeois. L'empereur d'Orient lui imposa la paix. En 1104, les Vénitiens cèdent à l'invitation du roi de Jérusa- lem, Baudouin. Ils envoient en Asie une flotte de cent voiles, qui contribue à la victoire de Jaffa et à la conquête de Sidon. Les vainqueurs purgent la mer des pirates, et rendent le passage libre aux pêlerins. De toutes ces expéditions de Palestine, la plus glorieuse fut con- duite par Domenico Michieli (1118-1130). Ce fut celle où les dé- fiances des empereurs aboutirent aux hostilités et où les Vénitiens triomphèrent à la fois des Musulmans et des Grecs. Les prières du pape Calixte IL et de Baudouin IT décidèrent le doge à convoquer une assemblée solennelle dans l'église Saint- Marc, et de proposer une nouvelle croisade ?. Domenico Michieli prit lui-même le commandement de la flotte (1123). À Bari, ül fut informé des mauvais traitements que souffraient ses compa- triotes dans les États du successeur d’Alexis, Jean Comnèneÿ. Ces nouvelles le décidèrent à mettre le siége devant Corfou. Au prin- temps, il ravagea les îles grecques : Chios, Lesbos, Rhodes, Chypre. De Chypre, il fit voile vers Ascalon # pour y rencontrer les Égyp- tiens. Michieli tint un conseil de guerre. On y résolut de former deux escadres : l’une se dirigerait vers Joppé, afin d'attirer de ce côté l'attention de l'ennemi; l'autre prendrait le large et chercherait à se donner l'air d’une petite flotte marchande. Les Sarrasins, à la vue de celle-ci, la considérèrent comme une proie certaine, et, joyeux, coururent à sa rencontre. Les Vénitiens, affectant la crainte d'en venir aux mains, reculèrent assez pour rejoindre Île gros de leurs forces. Le jour se levait et éclairait de ses premiers 1 Cos, aujourd'hui Co ou Stanco, à l'entrée du golfe de Cos, qui plonge dans la presqu'île d'Asie Mineure , au nord de Rhodes. ? Voy. le discours de Michieli dans l'Histoire de Venise, par Daru, t. I, p. 114. 3% Fils d'Alexis et frère d'Anne Comnène, empereur de 1118 à 1143. * Ascalon (Askalän), sur la côte méridionale de Syrie, entre Jafa et Gaza, pré- sente encore d'imposantes ruines. { Voy. A. Joanne, p. 852). Dandolo, L. IX, c. x11, p. 267-275. — 310 — rayons une mer tranquille, ridée par une brise légère, lorsque les Musulmans virent en face d'eux la puissante flotte des chré- tiens. Alors on entend le bruit confus des cris qui s'élèvent de toutes parts : les ennemis courent aux armes, et se préparent à la bataille, mais dans tout le désordre d’une surprise. La galère qui portait le doge, et qui tenait le premier rang, alla donner contre celle de lamiral sarrasin, et la submergea presque entièrement. Les autres navires vénitiens accoururent, le combat devint général et si acharné que la mer paraissait, à une assez grande distance, rouge de sang, et que les cadavres, portés au rivage par le mouvement des eaux, infectaient l'air. La lutte se prolongea de navire à navire, d'homme à homme. Les Vénitiens triomphèrent et mirent l'ennemi en fuite, après s'être emparés de quatre galères et d’un grand vaisseau. Ils prirent aussi beaucoup de bâtiments qu'ils rencontrèrent en chemin, chargés de pré- cieuses marchandises, d’'habits de soie, de bois de construction, de poivre, de drogues et aromes. Ils en brülèrent un certain nombre; ils emmenèrent les autres avec eux à Ptolémais. Le chef des Mu- sulmans périt dans le combat, et laide divine, écrit Guillaume de Tyr, donna aux Vénitiens un triomphe d’éternelle mémoire !. À la nouvelle de cette victoire et de l’arrivée du doge à Ptolé- mais, les principaux personnages laïques ou ecclésiastiques du royaume de Jérusalem se réunirent en conseil; des ambassadeurs furent chargés de lui offrir leurs félicitations. Ils reçurent de lui le meilleur accueil. Domenico leur dit que le constant désir de sa vie avait été de visiter avec un profond respect les lieux sanc- tifiés par la rédemption du genre humain, et que rien ne pouvait lui être plus doux que d'aller accomplir son vœu en compagnie d'aussi illustres barons et seigneurs. Laissant la flotte sous un bon commandement, il se rendit à Jérusalem, où le patriarche et les autres dignitaires lui prodiguèrent les hommages; il s’acquitta de son vœu et célébra en outre la fête de Noël dans la ville sainte. Non content d’honorer le tombeau du Christ, il adopta avec en- thousiasme le projet d'entreprendre une expédition nouvelle, digne de son nom et de sa gloire. Le conseil de guerre qui fut tenu à cette occasion hésita long- temps entre le siége de Tyr et celui d'Ascalon. Les habitants de Guillaume de Tvyr ap. Romanin, t. IL, D: 39. — 311 — Jérusalem, de Damas et des pays voisins avaient d'excellentes rai- _sons pour choisir Ascalon, ville assez voisine, peu fortifiée, dont la prise demanderait moins de temps et de dépense. Les habitants de Ptolémais, de Nazareth et des côtes, n'avaient pas de moins bons arguments pour soutenir la nécessité du siége de Tyr. La chute de cette place forte et riche entraïnerait la soumission de toutes les autres, tandis que, si on la négligeait, les ennemis auraient les moyens de regagner le terrain perdu. Le débat prit bientôt une telle animation, qu'on en vint aux armes. Pour couper court à ces funestes dissentiments, on remit au sort la décision. On jeta dans une urne les deux noms de Tyr et d’Ascalon. Un enfant tira le premier. « Tyr, sans être la cité opulente de la Phénicie, dont Isaïe com- parait les habitants à autant de princes, occupait néanmoins en Syrie le premier rang par la population et le commerce. Elle s'élevait au milieu d'une riche campagne, arrosée d'eaux abon- dantes et distribuées avec art, renommée avant tout pour ses cannes à sucre, pour l'industrie du verre et de la pourpre. Elle était dans une position très-forte, entourée par mer d’une double muraille et de tours nombreuses, défendue du côté de la terre par un triple rang de murs, par un système de tours plus hautes et par une ligne de circonvallation. Deux longues jetées s’avançaient au milieu des flots et enfermaient, comme entre deux bras gigan- tesques, un port à l'abri des tempêtes !. » Les Vénitiens commencèrent l'attaque par mer, afin d’intercep- ter les communications des Musulmans avec leurs alliés d'Égypte. En même temps l'armée franque bloquait la ville par terre. On employa toutes les machines de guerre que le moyen âge avait em- pruntées à l'antiquité, sans trop en comprendre l'usage. Du haut d'une. tour très-élevée qu'ils avaient construite, les assaillants jetaient par-dessus les murs d'énormes pierres, qui tombaient sur les toits des maisons, écrasaient les habitants. Les Sarrasins répon- daïent par une grêle de projectiles, par une nuée de flèches qui, lancées par d'habiles archers et arbalétriers, ne laissaient pas aux Francs un moment de répit. L'arrivée des secours qu'amenait le comte de Tripoli donna un nouveau courage aux chrétiens, et ré- pandit l'abattement chez les Musulmans, désolés par la famine, ! Fomaun, t. IT, p. 44. — 372 — divisés par les discordes qui éclataient entre les soldats de Damas et les Egyptiens. | Cependant les Sarrasins d’Ascalon préparaient une diversion qui pouvait changer la face des choses. Sachant que le siége de Tyr absorbait la plus grande partie des forces franques, ils conçurent l'audacieux projet de prendre, par un coup de main, la capitale du royaume chrétien dégarnie de défenseurs. Ils fondirent à l'im- proviste sur les campagnes voisines de Jérusalem, pillèrent, mas- sacrèrent, emmenèrent un certain nombre de chrétiens en capti- vité. Mais les habitants se remirent bientôt de cette terrible alerte; on s’'arma dans la ville sainte, on courut à la rencontre des infi- : dèles, qui, trompés dans leurs espérances, durent battre en retraite devant les soldats de la croix. Tout à coup l’on apprit dans le camp des Chrétiens que Damas dirigeait sur Tyr une grande armée musulmane. En même temps le bruit courait qu'on ne tarderait pas.à voir arriver les Egyp- tiens. Les affaires des Francs commençaient à mal tourner, et, comme il arrive toujours entre alliés, l'union s’en allait avec la bonne fortune. On disait que les Vénitiens se retireraient à l’ap- proche de l'ennemi et que, réfugiés sur leurs navires, ils aban- donneraient leurs frères aux coups redoublés des infidèles. Informé de ces soupçons injurieux, le doge fit porter au camp les voiles et tous les agrès de la flotte, déclarant que les Vénitiens se fermaient volontairement tout retour qui pût ressembler à une fuite ou à une trahison, ramenant, par ses paroles magnanimes, le bon accord, la confiance, et ne laissant aux détracteurs de son peuple que la honte de leur calomnie. Les alliés se distribuèrent les rôles dans la défense commune. Le comte de Tripoli et Guillaume Buris, connétable, durent tenir tête aux troupes qui venaient de Damas. Michieli alla chercher la flotte égyptienne, tandis qu'une partie des siens restaient occupés au siége avec le gros de l’armée franque. Le double mouvement du comte de Tripoli et du doge suffit pour éloigner le péril qui mena- çait les assiégeants par terre et par mer. Le connétable et le comte de Tripoli s'étaient à peine mis en marche que les Damascènés s'arrêtèrent et retournèrent dans leur ville. De son côté, la flotte vénitienne parvint en vue d'Alexandrie sans avoir rencontré l'en- nemi. Elle s'empressa, comme l'armée du connétable, de regagner EE Sos tee ae — ee ses positions devant Tyr. Tous les efforts des Chrétiens se concen- trèrent sur cette place. Le siége fut repris avec une nouvelle ardeur. Les Tyriens ne comptaient plus que sur quelques ‘sorties désespérées. Dans l'une des attaques audacieuses qu'ils tentèrent, ils mirent le feu à la grande tour qui leur causait tant de dommages. Un Français, en dépit des pierres et des flammes, se hissa jusqu'au sommet et put éteindre l'incendie. De nouvelles machines, construites avec plus d'art par un Arménien, réduisirent les Tyriens à la dernière extrémité. Une lettre du roi de Damas, placée sous l'aile d’une colombe fidèle, leur annonçait de prochains secours et s’effor- çait de leur rendre courage. Mais la messagère ailée tomba au pouvoir des Chrétiens, qui remplacèrent la dépêche par un avis tout contraire. La colombe, devenue linstrument de la ruse ennemie, apprenait aux assiégeants, de la part du roi allié, qu'il ne pouvait leur venir en aide, et leur enlevait jusqu'à l’espé- rance. C'est alors que les défenseurs de Tyr, à bout de ressources, pressés par la famine, envoyèrent des ambassadeurs au camp des Chrétiens. En rendant la ville aux vainqueurs, ils obtenaient la permission de se retirer avec la vie et les propriétés sauves. Les soldats chrétiens qui s'étaient promis du pillage un riche butin furent déçus dans leur coupable attente. Mais les murmures et les désordres n'empêchèrent pas l'exécution du traité, et l’on vit bien- tôt flotter sur les murs de Tyr l’étendard royal de Jérusalem et la bannière de Saint-Marc!. Après cette glorieuse campagne, les expéditions en Palestine deviennent rares. Elles ne se renouvellent qu'à des intervalles éloignés; et si les Vénitiens effectuent avec les Pisans et les Génois le transport des croisés de 1147, aucune de leurs entreprises ne s'élève plus à un très-haut degré d'importance ni d'éclat. Le refroidissement de cette ardeur guerrière, pendant la seconde moitié du xu° siècle, n'est pas dû seulement à l'hostilité des Pisans et des Génois, qui rendent aux Vénitiens l'accès de la Palestine plus difficile, et à la perfidie des empereurs grecs qui les occupent ailleurs; si nos marchands se reposent, c'est que leur but est atteint. Le temps des sacrifices est passé, celui des profits com- mence. ! Dandolo, p. 270. — 374 — Les croisades enrichissaient la république de deux manières. Elles amenaient à Rialto un mouvement continu de pèlerins et de passagers, qui alimentaient sa marine; elles établissaient d’une facon durable ses négociants dans les royaumes chrétiens de Palestine, et concentraient dans leurs mains le commerce de ces contrées avec l'Occident. Venise était, même avant les croisades, la principale ville d’em- barquement pour les rares voyageurs qui visitaient l'Orient. C’est de Rialto que Luitprand partit pour Constantinople au 1x° siècle. Conrad le Salique (1024-1039), voulant envoyer Warner, évêque de Strasbourg, avec une brillante suite, à l'empereur Michel IV (1034-1041), ne trouvait nulle part ailleurs les moyens d'embar- quer tant de passagers de distinction. Le nombre des esclaves, des chevaux, des domestiques qui prirent place sur les navires de Rialto était tel, qu’ils formaient une petite armée et que le roi de Hongrie, justement inquiet, leur avait interdit le passage sur ses terres. La marine vénitienne suffit à une suite assez nombreuse pour étonner les contemporains et pour faire scandale, au dire des Grecs!. Les croisades multiplièrent ces voyages et augmentèrent laf- fluence des passagers. Il s'établit alors une communication ré- gulière entre l’Adriatique et les ports de la Palestine. De tous les points de l'Occident, et même d’une partie de la Grèce, on venait s'embarquer à Venise. Le concours des pèlerins fut tel qu'on ordonna une cérémonie religieuse en leur honneur. Dans la fête du Corpus Domini, l'usage s'établit de mettre, à côté d'un noble, un pèlerin qui recevait de lui un cierge et obtenait la première place. Plus tard les pèlerinages cessèrent, mais lins- titution fut conservée : un pauvre à côté du noble représentait le pèlerin. Une législation bienveillante protégeait et attirait les pieux voyageurs. Une classe spéciale d'entrepreneurs, les sensali, devait leur procurer toutes les choses nécessaires. Ces fournisseurs attitrés prétaient serment : «Je jure sur les saints Évangiles de n'avoir affaire à aucun marchand, sachant bien que j'ai mission de trali- quer seulement avec les pèlerins, les clercs et les chevaliers; je prends l'engagement d'être loyal et fidèle à les conseiller, à les ! Fihasi, Memorte storiche dei Veneti primi e secondi, 1. VE, p. 80. — 975 — conduire, à les aider, etc. ! » Une magistrature tutélaire les défen- dait mieux qu'un serment mille fois violé, contre les fraudes des sensali, leur procurait des logements à leur arrivée dans la ville, et, au moment du départ, les mettait en rapport avec les capi- taines des navires. L'amende d'un demi-ducat punissait les sensali coupables de grossièreté à leur égard. Voici les nobles considérants de la loi. « Nous le faisons pour le respect et la gloire de Dieu, pour l'honneur de notre république; nous ne voulons pas que les princes et les maitres de ce monde aient à se plaindre de nous; nous voulons que les Vénitiens et tous nos sujets, qui tra- fiquent dans les différentes parties du monde, n'aient à subir ni châtiment ni dommage en expiation des injustices commises; que les pèlerins et passagers, de retour auprès de leurs seigneurs et au sein de leur patrie, puissent rendre témoignage de la ma- mière dont les Vénitiens les ont accueillis et embarqués, suivant les intentions et les usages constants de notre République et dans l'esprit où a été écrite la parole divine de l’Exode : « Tu n'opprime- « T'AS pas té te souvenant que, toi aussi, tu fus étranger sur « la terre d'Égypte ?. Ces marchands connaissaient les vrais éléments de la richesse et comprenaient la vraie gloire! Dans un âge barbare, où lop- pression du faible par le fort était la loi commune, où l'ignorance 1 «Zuro a hi santi Evangeli de Dio che non anderd con alcun mercante sa- piando a io fare mercado solo cum e chienri e cavalieri. E quelli con bona fè, e senza fraude consiglierd condurd , ajuterd , etc. » (Codex Peregrinorum, ap. Fihiasi, t. VI, p. 80.) 2 « À laude e-reverentia di Dio, ed onor del Dominio nostro, ed a ciù che principi, e signori del mondo non habino cause da lamentarsene de noi; ed etiam accid che i Venetiani ed 1 fideli nostri, che praticano per le parti del mondo non habino a partir pena, e detrimento per le enormità predicte. UE perchè li pellegrini, e viandanti quando tornano alla presentia di loro signori e maggiori, ed alle loro patrie, possano referir, che a Venetia sono stati ben trattati ed expediti, come n'è l'intention del Dominio nostro, e sempre fu; — maxime attendendo alle parole de Cristo nell'Exodo descritte : Advenam non contristabis. Advena et tu fuisti in terra Egypti.» (Codex Peregrinorum, ap. Fiiasi, t. VI, p: 80.) Une doi de 1190, rapportée dans ce manuscrit, dit qu'en raison des abus com- mis par les sensali, «resta ordinado che de cetero nessun ardisca, ne presuma per alcun modo, via, e forma, dirsi villania vel parole disoneste e vergognose l'uno all altro e ne da tresso ne da bon senso quando son congregadi insieme. » Le Codice di Marina (L. 127) renferme également une loi protectrice des Chré- tiens de Syrie (1225). (Voy. Filiasi, Memorte storiche dei Veneti primi e second, t. VI, p. 80.) — 3760 — faisait croire à tous qu'on ne pouvait s'enrichir qu'au détriment d'autrui, les Vénitiens étaient arrivés à entrevoir les avantages de la fraternité humaine, et à pressentir la solidarité des peuples. Ils s'étaient élevés à l'intelligence supérieure et à la moralité du haut commerce, qui trouve dans la confiance et dans le respect des engagements les seules bases d'une prospérité durable. En Terre-Sainte, chacune de leurs expéditions avait été mar- quée par la conquête d'une garantie ou d’un privilége, par la ces- sion d'une partie des villes principales, où séjournaient leurs né- sociants. Dans les royaumes chrétiens de Palestine, comme dans l'empire d'Orient, ils n'eurent pas seulement des immunités, mais des établissements fixes, de véritables colonies. Les princes d'An- tioche et les rois de Jérusalem semblaient rivaliser de complai- - sance à leur égard, et ces faibles souverains avaient trop souvent besoin de secours étrangers pour ne pas subir les exigences d’alliés toujours fidèles, mais jamais désintéressés. ‘Les princes d'Antioche leur accordèrent dès le principe plusieurs chartes qui sont rappelées dans les actes postérieurs encore existants. Baudouin [* (1098-99) signa la première !. Tancrède {1103-11 12)?, Bohémond (1126-1131) 5, administrateurs du royaume, la renou- velèrent. C'est le premier document de cette nature qui nous ait été conservé “. | Le prince accorde une liberté complète de circulation terrestre ct maritime dans toute l'étendue de ses États. La sécurité dont jouissent les marchands vénitiens ne saurait être troublée en aucun cas, quels que soient les méfaits dont leurs compatriotes se rendent coupables en mer. S'ils échouent sur la terre du prince ou sur celle de ses barons, ils ne perdront rien de leurs biens, et pourront recueillir en toute sûreté le navire et les débris du naufrage. ! «Omnes consuetudines illas, quas Antiocheni principes, Bohamundus. ..….. ilis condonaverunt et auctoritate privilegü sui confirmaverunt.» (Acte de 1153, analysé plus bas.) | ? «Omnes consuetudines illas, quas Antiocheni principes, Bohamundus pri- mus et Tancredus illis condonaverunt et auctoritate privilegii sui confirmave- runt. » (Jbid.) 3 « Bohamundus primus et secundus, Tancredus, etc.» {Ibid.) Raymond, prince d'Antioche, suivit l'exemple de Bohémond en 1140. # Archivio dei Frari, Liber pactorum, IT, 10. 5 On sait que, d’après le droit barbare de Bris et d' Épave, le navire naufrage ap- partenait, avec les débris de la cargaison, au seigneur de la côte où il avait échoué. a MONS Raymond leur accorde en outre deux chevaux de charge (soma- rl) au lieu d’un chameau dans le port de Suidin ?, un territoire, un jardin, des maisons en toute propriété. Si les Vénitiens se ren- dent coupables, dans ses terres, d’un délit qui les amène devant la justice, ils seront jugés par des juges vénitiens et d'après la loi vénitienne$. Tous leurs priviléges antérieurs sont confirmés. En 1153, Rainald, prince, et Constantia, princesse d'Antioche, établissent définitivement une cour de justice vénitienne dans leur capitale“. Les Vénitiens obtiennent en outre une réduction de droits (4 p. 0/0 au lieu de 5 p. 0/0) sur les étoffes de soie et de lin et (5 p. 0/0 au lieu de 7 p. o/o) sur tous les autres articles. À la sortie des portes d'Antioche le droit de 1 besant 5 et 8 deniers mis sur le somarius est réduit à 1 bezant, celui de 2 besants et demi, sur le chameau, à 2 besants 6. - Bohémond IIT confirme ces concessions (1167) 7. Seize ans plus tard, il en fait de plus grandes. Les droits établis sur les mar- chandises sont ramenés à un taux unique, et réduits, pour tous les autres articles que les Vénitiens vendront dans les États d'An- 1 Somarius désigne une bête de somme d'une façon générale : Jumentum sarcinale, dit Du Cange. Dans le passage qui oppose les deux somaru à camelus , il s’agit évidemment de chevaux. ? Autrefois Séleucie, aujourd’hui Sueidiyeh, près des bouches de l'Oronte, à 6 heures 30 m. d’Antioche. C’est la ville de Seleucia Pieria, fondée par Séleucus Nicator, qui y fut enterré, ancien port d'Antioche, une des quatre villes de la Tetrapole Séleucide. Le village de Sueidiyeh est à une heure des ruines de Séleu- cie, au S. E. H s'élève dans une plaine fertile et présente de gracieuses habitations et de délicieux jardins. Les ruines de Séleucie consistent en une porte occupant l'angle S. E. d’une enceinte qui mesurait environ 6 kilom. de circuit, en un vaste bassin ovale, et en deux canaux, dont l’un creusé dans le roc, partie à ciel ouvert, partie en forme de tunnel, mettait la ville en communication avec la mer, (A. Joanne, Itinéraire de l'Orient, p. 619.) 3 « Lege et judicio Venetiarum judicentur. » # «Preterea concedimus ipsis Veneticis tenere curiam suam Sancti Marci in fun- ditio suo in Antiochia, et facere judicia sua libere et quiete secundum legem et statuta eorum, éisdem indicantibus de quacunque querela, a quibuscunque in causam provocabuntur : nec alicui nostrorum licebit perturbare aut inquietare ipsos judicantes aut judicia eorum; nec alibi per totam nostram terram, nisi in curia sua Sancti Marci sua respondere cogentur. » 5 Le besant est une monnaie d'or sans valeur fixe. Le mot vient de Byzance, où elle était frappée. 5 Archivio dei Frari, Libro dei Patti, I, 10. 7 Ibid. F, 261. — 378 — tioche, à 1 p. o/o. Cette nouvelle faveur est accordée sur la demande du doge Aurio! Mastropiero et de son mandataire Jacopo Gradenigo (1183). Assurance et sécurité générale pour leur commerce, liberté de circulation, concession territoriale, juridiction nationale dans les États d’un prince souverain, réduction des droits qui frappaient les marchandises à l'entrée et à la sortie, tels sont les priviléges des Vénitiens dans la principauté d’Antioche. À Jérusalem leurs progrès furent d'autant plus rapides que leurs victoires avaient été plus éclatantes; en 1100, Godefroy de Bouillon leur accorda des immunités après la prise de Caïffa ?. Baudouin [”, secouru par eux au siége de Ptolémais, les renouvela (1101-1104 )°. Après la prise de Sidon (1110), ce prince les augmentait encore. «Le roi de Jérusalem, dit Andrea Dandolo, reconnaissant leurs services, accorda une église, une place, une rue, des poids et mesures, les droits de haute et basse justice {merum et mixtum imperium“) pour les Vénitiens résidant à Achon’, et d’autres im- munités dans son royaume. » Quelques années plus tard {1111}, 1 On écrit aussi : Orio. Mais les médailles portent AVRIO DVX. ? «Caipham deinde quæ alio nomine Porphyriu dicitur, in littore maris sub prima parte montis Carmeli, quatuor distantem stadiis et nono milliario ab Acon, conformiter acceperunt. Postea immunitatem obtento privilèqio, jam mortuo Goti- fredo, Venetias redeunt.» (And. Dandolo, Chron. p. 258). | 3 C’est du moins ce que les savants éditeurs des Fontes rerum Austriacarum iufèrent d’un passage de Dandolo, p. 259. (Voy. Fontes, etc. t. XIL, p. 66.) “ La basse justice donnait le droit de connaître de la police, des dégâts causés par les animaux, des injures légères, et d’autres délits qui ne pouvaient être punis d’une amende de plus de dix sols parisis. Telle est du moins la dé- finition de Claude de Ferrière dans son Dictionnaire de Droit. La haute justice ajoutait à tous les droits de la basse le droit de glaive (jus gladii) ou droit de punir les malfaiteurs. {Voy. Chéruel, Dictionnaire des institutions, mœurs et cou- tumes de la France, t. IT, p. 638.) L'expression de merum et mixium imperium de- signe le plus souvent la haute et la basse justice, et quelquefois la justice civile et la justice criminelle, comme le remarque Du Cange. C’est le premier sens qui est le plus féodal et le plus conforme aux institutions du royaume chrétien de Jé- susaless 5 Achon, Accho, Acco, Aco, sur la côte de Syrie, an nord de Caïffa et du Mont-Carmel, ville phénicienne, reçut des Lagides le nom de Ptolémais, et des Chrétiens celui de Saint-Jean -d'Acre. $ «Quorum rex opera expertus, ecclesiam, rugam, plateam, pondera et men- suras ac merum et mixtum imperium inter Venetos in Achon residentes et alias immunitates in Hierosolymitano regno ipsis concessit. » (A. Dandolo, Chron. p.261.) — 379 — l'église Saint-Marc obtenait des faveurs analogues de Pontino, comte de Tripoli !. Ce prince abandonne au bienheureux évan- géliste Marc une maison de Tripoli ape Daru, et située près du port de la ville. Mais la concession la plus avantageuse est celle que le doge Mi- de mérita par sa glorieuse expédition et par la prise de Tyr (1199-1025). La grandeur du péril qui menaçait l'état chrétien ?, la solennité même de l'ambassade envoyée à Venise #, la prudence ds Vénitiens, qui ne s'engageaient point dans de si grands hasards sans des pro- messes formelles *, l'importance et l'éclat de la victoire, tout devait contribuer à rendre le roi de Jérusalem généreux envers ses alliés, et il le fut. Le doge débattit les conditions avec les hauts dignitaires du royaume avant le siége de Tyr. Ceux-ci les signèrent 5, en l'absence de Baudouin prisonnier (1123). Deux ans plustard,leroi, rendu à la liberté, confirme les priviléges accordés en son nom (1125)6. Ces deux actes, identiques, sauf dans le préambule, sont con- ! Dandolo, Chron. p. 167. Libro dei Patti, I, p. 218. ? Michaud, Bibliothèque des Croisades t. T1, p. 39. 3 «Quo tempore ad papam Calixtum et ducem Venetiarum, post calamitatem quæ Rogerio principi Antiochiæ contigit , in Orientali ecclesia continuis Turchorum et Saracenorum bellis inquietati Antiochenus et Hierosolymitarum patriarcha, et Balduinus , secundus rex Hierusalem , legatos misere.» (A. Dandolo, p. 269.) — Muratori, t. XIT, p. 269. Codex Ambrostanus, in margine : «Alibi legitur ponti- ficem misisse ad Venetos vexillum cum imagine divi Petri, in quo dux Veneto- rum insignia conjunxit, quod in hostes iturus explicaret. » £ Après la victoire d’Ascalon, lorsqu'on tira au sort les noms d'Ascalon et de Tyr pour savoir quelle ville on assiégerait, les Vénitiens firent signer aux princi- paux barons chrétiens un projet qui fixait par avance leur part dans la ville con- quise, et qui servit de base à la concession définitive. (Guillaume de Tyr dans les Gesta Dei per Francos, éd. Bongars, [, p. 820.) 5 4 Nos quidem Warmundus, gratia Dei-sanctæ civitatis Jerusalem patriarcha, cum nostræ ecclesiæ confratribus suffraganeis Domino, Villelmo de Buris consta- bulario et pagano cancellario, nobiscum totius regni Jerusalem socia baronum militia conjuncta Achon in ecclesia Sanctæ Crucis convenientes, ejusdem regis Balduini promissiones secundum litterarum suarum et nuntiorum prolocutiones, quas eidem Veneticorum duci suos pernuntios usque Venetiam ipse rex manda- verat, propria nostra, et episcoporum sive cancellarii manu pacisque osculo, prout ordo noster exigit, datis; omnes vero barones quarum nomina subscripta sunt..... simul statuentes.» (Libro dei Patü, t. I, p. 31-35.) ® L'engagement que les barons de Jérusalem avaient pris était irrévocable même par le roi; les signataires avaient promis de le lui faire signer, et d'empêcher MISS. SCIENT, — 1IY. 20 — 380 — servés à la Bibliothèque Saint-Marc !, à l’Archivio generale de Ve- nise? et à Vienne*. Leur importance a frappé tous les historiens des croisades : Andrea Dandolo #, Marin-Sanuto, Guillaume de Tyr5, Foulquer de Chartres f, les ont eus presque tous sous les yeux, et en donnent une analyse fidèle. Les chroniques arabes? les men- tionnent, et un chapitre des Assises de Jérusalem 8 sert à les com- menter et à les éclaircir. Les Vénitiens sont établis dans toutes les villes de l'État appar- tenant au roi ou à ses barons : ils y obtiennent les priviléges qu'ils avaient dans Achon depuis douze ans. L'acte de 1111 leur avait ouvert une cité; ceux de 1123 et de 1125 leur ouvraient un royaume. Dans chaque ville, ils auront à eux une église, une rue entière, une place, un lieu pour se baigner, un four, toutes propriétés héré- ditaires, exemptes de droits, aussi franches que les propriétés royales ?. À Jérusalem ils partageront la place avec le roi. Une seule obligation leur est imposée dans Achon, c’est de permettre l'usage d'arriver au trône quiconque, parmi ses successeurs, refuserait de renouveler le privilége. « Universaliter igitur supradictas conventiones ipsum regem Deo auxiliante, si aliquando egressurus de captivitate est, nos Warmundus Jerusalem patriarcha, confirmare per Evangelium faciemus; si vero alter ad Jerosolimitanum regnum in regem promovendus advenerit, aut superius ordinatas promissiones, antequam promoveatur, sicut ante dictum est, ipsum firmare faciemus ; aloquin ipsum nullo modo ad regnum provehi assentiemus, Similiter easdem et eodem modo confirmationes barones successores et novi futuri barones facient. (Libro dei Patti, t. [, p. 31-35. Voy. aussi ibid. p. 97 et 170.) 1 Cod. S. Marci, laüni, el. x1v. Cod. £xxr. ? Libro dei Patti, t. 1, A6 et 48. 3 Liber albus, fol. 148-150. Chron. p. 270. 5 Secreta fidehum crucis 3,6, 10, dans les Gesta dei per Francos, éd. Bon- gars, t. IT, p. 158. Guillaume de Tyr, 12, 13, 14, 24; dans Bongars, t. I. $ De Gestis peregrinantium Francorum, c. z1v, Bongars, t. |, p. 436. 7 Trad. Reinaud, XF, p. 46. 8 Comte Beugnot, t. If, Assises de la cour des Bourgeois. Paris, 1843. Introd. P- XXI et p. 100, 101. % «In omnibus scilicet supradicti regis ejusque successorum sub dominio atque omnium suorum baronum civitatibus, ipsi Venetici ecclesiam et integram ru- gam unamque plateam sive balneum, nec non et furnum habeant, jure here- ditario in perpetuum possidenda, ab omni exacticne libera, sicut sunt regis propria. Verum in platea Jerusalem tantum ad proprium habeant, quantum rex babere solitus est.» ( Libro dei Patti, 1. T, 46.) ; — 381 — de leur four, de leur moulin, de leurs balances aux habitants, qui en useront comme d’un four, d’un moulin ou de balances royales. Les villes de Tyr et d’Ascalon, reconquises sur les infidèles par la république, sont divisées avec leur territoire en trois parties : le roi en garde deux pour lui; la dernière appartiendra aux Vénitiens en toute souveraineté ?. Leurs marchandises, à l'entrée, à la sortie, dans l'intérieur du royaume, passent librement, sans vexation, sans impôt. Un seul chargement est excepté de ce régime d’immunité absolue. L'homme n'est pas admis en franchise, comme les produits de son industrie, et les pèlerins sont moins favorisés que les marchandises. Les Vé- nitiens qui transportent ces pieux voyageurs devront payer au roi, selon la coutume, le tiers du prix du passage $. En retour de cette concession, celui-ci s'engage à compter au doge la somme de 300 besants sarrasins®. Le payement aura lieu chaque année à la fête de saint Pierre et saint Paul. Les Vénitiens ne seront soumis entre eux qu'à la juridiction de la cour vénitienne instituée dans chaque ville du royaume. Si un d'eux attaque en justice un individu d'une autre nationalité, la cour royale sera compétente. Les Assises de Jérusalem confirment l'acte ! «Denique duarum civitatum, Tyri et Ascalonis, tertiam partem cum suis per- tinencis, et tertiam partem terrarum omnium sibi pertinencium a die sancti Petri Sarracenis tantum servientium, que non sunt in Francorum manibus, al- teram quarum , vel, si Deo auxiliante utramque per eorum auxilium aut aliquod imgenium im Christianorum potestatem Spiritus Sanctus tradere voluerit, illam inquam tertiam partem , sicut dictum est, libere et regaliter, sicut rex alias duas, Venetici habituri in perpetuum, sine alicujus contradictionis impeditione , jure hereditario possideant. » (Libro dei Patti, t. I, 48.) ? Cette partie de Tyr, avec quelques-uns des autres priviléges cessa, à la fin du xu° siècle, d’appartenir à la république vénitienne pour devenir la propriété de l'église Saint-Marc. (Act. de 1164, 1167, 1175, ap. Tafel, tome XIT, pages 144, 148,1 67.) % Sarracenatt Byzanti. Le besant sarrasin désigne la monnaie d’or des sultans d'Iconium, mais ne paraît pas avoir de valeur fixe. Nous avons dit plus haut qu'il en était de même du besant. # « Ad hæc Venetici nullam penitus dationem vel secundum usum vel secundum ullam rationem, videlicet nullo modo intrando, stando, vendendo, comparando, vel morando aut exeundo de nulla penitus causa aliquam dationem persolvere debent, nisi solum, quando veniunt aut exeunt cum suis navibus peregrinos por- tantes. Tunc quippe secundum regis consuetudinem tertiam partem ipsi regi dare debent. » * «Si vero aliquod placitum vel alicujus negoti ligitationem Veneticus erga Ve- 26, — 382 — de 1123-1125, en reconnaissant aux communes vénitiennes, gé- noises, pisanes, la juridiction commerciale et le droit de condamner à la confiscation et à la prison. Toutefois ce pouvoir est limité aux contestations qui s'élèvent entre Vénitiens, et, même dans ce cas, à certaines affaires; les communes ne peuvent connaître des crimes les plus graves, n1 porter la peine capitale. Elles sont même incompétentes dans les actions immobilières !. Si un Vénitien meurt sans testament, ses biens seront dévolus à ses compatriotes, à la commune vénitienne. Le Vénitien naufragé ne souffrira aucun dommage, et, s'il périt dans le naufrage, ses biens passeront à ses héritiers, ou, à leur défaut, à la commune?. Les échanges entre Vénitiens et étrangers sont soumis à la même règle que leurs procès. Quand les Vénitiens vendent à des compa- triotes ou même à des étrangers, on emploie leurs poids et mesures. Mais s'ils achètent à des étrangers, ce sont les mesures royales qui ont cours. | I y avait dans ces lois favorables les éléments nécessaires à la neticum habuerit, in curia Veneticorum diffiniatur; vel si aliquis versus Vene- ticum querellam aut litigationem se habere crediderit, in eadem Veneticorum curia determine!ur. Verum si Veneticus super quemlibet alium hominem quam Veneticum clamorem fecerit, in curia regis emendetur. » ! Les Assises de Jérusalem fournissent, à cet égard, un rapprochement cu- rieuUX : | «Bien sachés que nule des conmunes, si conme sont Veneciens et Genevés et Pisans, ne deivent avec nule cort entre jaus, se non de leurs gens meysmes, qui ent contrest ensemble de vente ou d'achet, ni d'aucunes autres convenances qu'ils ont ensemble. Bien les pevent condampner leur conceles de l'aver, ce il le for- font, et metre en leur prison. Mais bien sachés que nule conmune n’a cort de sanc, ce est de cop aparant, ni de nul meurtre ni de larecin ni de trayson ni de herezerie, si-eome est patelin {renégat) ou herege, ni de vente de maison, ni de terre, ni de vigne, ni de jardin, ni de casau, mais toutes ces choses se deivent juger et finer et vendre en la cort Réau , et autre part ne se peut faire par dreit ne par l’assise de Jérusalem. Et se nul des comunes juget ou faiset juger entre iaus nules de ces choses qui sont desus defendues, si ne deit riens valer, par dreit ne par l'assise; et le deit tout defaire la cort Réau, et ne deivent souffrir le tort de la couronne, » { Comte Beugnot, Assises de Jérusalem , t. IL. Assises de la cour des Bour- geois, p. 100-101). ? «Insuper, si Veneticus ordinatus vel inordinatus (testatus aut itestatus, dans le texte de 11 25), quod nos sine lingua dicimus, obierit, res suæ in potestatem Veneticorum reducantur. — Si vero aliquis Veneticus naufragium passus fuerit, nullum de suis rebus patiatur damnum. Si naufragio mortuus fuerit, suis here- dibus aut ais Veneticis res suæ remanentes reddantur. » 3 Libro dei Patti, 1, 46. “ — I83 — constitution de colonies durables, actives, indépendantes : dans chaque ville du royaume chrétien, une commune vénitienne avec un quartier à elle, une cour de justice, une vie propre et libre; dans les principales, le partage de la propriété avec le roi, partout l'entrée et la sortie franches des marchandises. La Terre-Sainte réservait à l'activité de nos marins des conquêtes d’une autre nature. En 1102, les Vénitiens, vainqueurs des Pisans, hivernèrent dans les ports de Grèce. Au printemps ils reprirent la mer. En vue de la ville de Myra !, l'évêque Enrico Contarini, chef spirituel de la flotte, ordonna de jeter l'ancre. Avant son départ de Venise, il avait visité l'église de Saint-Niccold du Lido, demandant la grâce de rapporter le corps du saint, à son retour. Les Vénitiens s’'arrêtèrent devant Myra à la voix de l'évêque. On apprit, par les hommes envoyés à la découverte, que les dévasta- tions des Turcs avaient presque fait de la ville un désert. Aussitôt l'équipage débarqua. Arrivés à l'église de Saint-Niccold, les Vé- nitiens cherchaient avec une ardeur qui n'était pas toujours res- pectueuse : ils remuaient, brisaient tout. Dans leur impatience, ils mirent quatre gardiens à la torture. De guerre lasse, ne vou- lant pas revenir les mains vides, ils recueillirent le corps de deux autres saints, saint Théodore martyr, et saint Niccold le jeune. À défaut de la relique de l'oncle, ils emportaient au moins celle du neveu. Cependant l'évêque ne cessait de prier et de pleurer à genoux : il implorait une révélation d'en haut, et commençait à perdre espoir lorsqu'un doux parfum se répandit tout à coup, guida ses recherches et le conduisit sous un autel. On creusa en cet endroit et l’on trouva le corps de saint Niccolô. Dans la joie de cette découverte, les prisonniers pisans furent mis en liberté. Les Vénitiens chargèrent ces précieux restes sur un de leurs na- vires et appareïllèrent sans délai. Un véritable triomphe les atten- dait dans leur patrie. Les reliques du saint, reçues. avec une pieuse allégresse, furent placées dans le monastère du Lido ?. La flotte qui aida Alexis Comnène à combattre Bohémond ne 1 Myra, aujourd'hui Dembré, sur la côte méridionale d’Aratolie, qui s’avance entre les golfes de Macri, à l'ouest, et d’Adalia, à l'est, et à peu de distance des ruines d'Antiphellos (Andiphil). On trouve encore à Dembré les ruines du théâtre antique de Myra, et, au sud de Dembré, le couvent de Saint-Nicolas. 2 F. Corner, Nouizie storiche delle chiese Venete. — Ab. Canonicus, ap. Ro- _manin, t. I, p.15. — 384 — fut pas moins heureuse. L'équipage enleva le corps de saint Étienne sous l'autel d'une église byzantine. Les Grecs se lamentaient à la vug de cette fraude qui les dépouillait d’un objet vénéré, mais n'osaient en venir aux mains avec les ravisseurs. Ceux-ci se hâtèrent de transporter sur leurs navires ce butin d'un nouveau genre. Une voix mystérieuse les ayant avertis d'un proche danger, ils se retirèrent dans le golfe compris entre les caps Malée et Ma- tapan, se mirent à genoux et se recommandèrent au saint. Sauvés par l'intercession de leur protecteur, ils arrivèrent à Venise. Le doge vint à leur rencontre en grand appareil, et soutint lui-même la châsse, pendant qu'on la transbordait sur le Bucentaure. Toutes les églises se disputèrent l'honneur de la posséder. On la déposa dans le monastère de Saint-Georges-Majeur !, on institua sous le vocable du saint une confrérie et un oratoire {scuola }?, où le chef de l'État dut chaque année offrir ses hommages, accompagné de tous les magistrats et entouré de toutes les pompes de la répu- blique * (1110). | De ses glorieuses expéditions, Domenico Michieli rapportait, avec des marbres splendides et de précieuses étoffes, les reliques de saint Isidore et de saint Donato. On consacra aux unes une cha- pelle spéciale, aux autres la cathédrale de Murano. Le doge fut également obligé de leur faire une visite annuelle #, Au moyen âge tous les peuples avaient la foi, même les plus commerçants et les plus jaloux de leurs intérêts matériels. L’élan unanime des croisades transportait les moins enthousiastes. Aussi chaque voyage ramenait-il dans la première des cités marchandes un vénérable souvenir des courses lointaines, et un saint trophée. Cependant le caractère national marquait de son empreinte ces religieuses aventures. Les hommages rendus à d'antiques autels ne restaient pas sans profit, et la ferveur du pèlerinage n'empêèchait pas de gaaigner. Si d’autres passagers se contentaient de revenir 1 Saint-Georges-Majeur, île située en face le palais ducal et l'église Saint- Marc. | ? Scuola, ou Confraternita ou Fraternita, où Compagnia laïcale désignent des congrégations particulières ou unions de personnes pieuses, sous l’invocation de quelque saint protecteur. Scuola désigne aussi l’oratoire ou la petite église fondée par cette congrégation et dédiée au saint. Ces monuments sont très-nombreux à Venise; le plus remarquable est la Scuola di San Rocco. 3 Romanin,t, IT, p. 30. 4 Jd. ibid. ET d'Orient avec la mémoire du saint sépulcre et l'image vivante du Christ, les Vénitiens tenaient à rapporter, dans leur navire, un trésor tout au moins spirituel. Plus il avait fallu de labeur et d'in- vention pour le trouver, d'audace, au besoin, pour le ravir, plus grande était la joie du pieux corsaire, plus vives les acclamations qui l’accueillaient au retour. CHAPITRE VE LUTTE DES VENITIENS ET DES GRECS AU XI1° SIÈCLE. Les alliances, qui ont pour but de rapprocher les princes et les peuples, ont souvent pour effet de les rendre ennemis. Le plus puissant, ou le plus riche, doit mettre autant de mesure dans ses bons procédés que dans ses exigences. Il arrive un moment où la continuité des services pèse au plus faible tout autant que la con- tinuité des injures. L'union dégénère en protectorat d'un côté, en vasselage de l’autre, les secours trop répétés mettent à nu la dé- pendance de lobligé, et lui coûtent par cela même bien au delà de leur valeur. Quand cette heure est venue, il n'y a plus d’alliés. Plus le bienfait est grand, plus l’'ingratitude devient éclatante. Car, si les princes, si les peuples n'aiment pas qu'on ait pu les aider à vaincre, comment pardonneraient-ils à ceux qui les sauvent? L’his- toire a montré que, pour rester en bons rapports avec une nation étrangère, il vaut souvent mieux s’exposer à la combattre qu'au périlleux honneur de la défendre, et que certains bienfaits lui sont plus amers qu’un outrage. Les Vénitiens firent, au xn° siècle, l'expérience de cette vérité politique. Depuis de longues années, ils étaient les marins, les auxiliaires des empereurs grecs. Leurs services, quoique déjà trop grands, étaient encore de ceux qui peuvent se faire oublier. Mais, à Durazzo, ils passèrent les bornes en devenant des libérateurs. L'orgueil se joignit à l'avidité pour les rendre odieux à leurs anciens amis. Après les concessions excessives d’Alexis, ils ne surent plus dissimuler leur àpreté commerciale. Ils: oublièrent qu'en pays étranger, s’il est bon de s'enrichir, il est dangereux de s'enrichir trop, et surtout de le paraître; que les peuples paresseux souffrent assez volontiers qu'on prenne leur place, mais jamais qu'on s'en fasse gloire aux dépens de leur amour- propre. — 9386 — « Affranchis par une faveur unique de tout décime, ils firent bien vite, dit Cinnamos, des fortunes immenses et leur arrogance n'eut plus de bornes. Ils traitaient les citoyens comme des esclaves, et leur dédain n'atteignait pas seulement les hommes du peuple, mais les personnages investis de la dignité de vénérables ou des plus hautes dignités romaines. — Ils ne se contentaient plus, dit Nicétas, d'agir en ennemis des Romains : ils bravaient les menaces et les édits impériaux !, » Ces plaintes, exagérées sans doute, montrent l'impression que la sranceur et la richesse des Vénitiens, chaque jour croissantes, pro- duisaient dans les villes impériales. Il y eut un mouvement général de jalousie et de haine contre ces alliés trop heureux, qui venaient déposséder les Grecs dans la Grèce même et dont la fortune n'était pas seulement immodérée, mais insultante. Les empereurs, trop clairvoyants pour ne pas pressentir les cffets de cette pacifique invasion, et trop faibles pour les conju- rer, songèrent moins à expulser les Vénitiens qu'à leur susciter ces rivaux. Les Pisans et les Génois, prompts à suivre leurs prédé- cesseurs dans les mers d'Orient, et tout prêts à les supplanter, réclamèrent la concession des mêmes faveurs. L'Empire, que l'exemple des Vénitiens n'encourageait guère à se donner de nou- veaux hôtes, n'avait espoir que dans la rivalité des républiques maritimes ; il accueillait volontiers des demandes qui allaient aug- menter le nombre des amis suspects, mais neutraliser leurs forces. Habitués au privilége, les Vénitiens ne pouvaient souffrir même l'idée d'un partage. Aussi les efforts que fit la politique byzantine pour les contenir, n'eurent-ils d’autres résultats que d'allumer leur ressentiment, et d'ajouter aux excitations de l'orgueil celles de la vengeance. Depuis la fin du x1° siècle, la bonne intelligence ne se conservait 1 Moôvoi te Tüy dmdvrwv did roro Très xaT” éumoplay dendras oÿdév Popaiwy &E éxeivou mapéoyovro. Toivur nai To douuuérpws évreiley mhoureiv TayÙ ës dhado- velay aÛTOÙS NPEV. Âvôpi uévrot mohirn do nai dvoparddw mpoceïyov, d\NV'oÙy Onws rôv moÀGy ins ual dmuorindr, dAAd xdy Tes émi cebaoldrnre ÉPpover, xè» Eni peiêoy mn mpoñne rüv œapà Pœuaios oeuv@v. (Cinnamos, VI, 10, éd. Bonn. p. 281.) Oùxodv ai mepiGadopevor mhoûrov wo)dv aüladerdy re nai dvaideuu perediwnor, ds un uôvoy dvapoluws Eyerv Pœpalors dAXQ nai rôv Paoilin@y dvemolpoQws drelür re xai évroAdy. {Nicetas Choniata, Manuel, V, 9, éd. Bonn. p. 223.) — 387 — qu'avec peine !. L'empereur Jean Comnène avait-renoncé aux mé- nagements quegardait Alexis, et Domenico Michieli, avant d'aborder en Terre-Sainte, avait enlevé aux Grecs l'ile de Chios, ravagé celles de Rhodes et de Lesbos?. Au retour d'Ascalon et de Tyr, la lutte, sus- pendue par les glorieuses victoires de Palestine, fut reprise avec une nouvelle ardeur. Les déprédations des Vénitiens nuisaient beaucoup aux Grecs #, habitués depuis longtemps à confier le soin de leurs ar- mements maritimes au même peuple qu’ils devaient aujourd'hui com- battre (1125). L'année suivante, le doge repartit de Venise àlatête de quatorze galées dirigées uniquement contre les Grecs. Il s'empara de Céphallénie, et croisa dans les eaux voisines. Les négociants vémitiens étaient en partie chassés de l'empire; les autres ne s’y maintenaient qu'en subissant mille infractions à leurs priviléges séculaires. On ne leur épargnait aucun genre de vexations et d’ava- nies. On en vint jusqu’à leur interdire de porter la barbe, et on les obligeait à se raser 5. La république envoyait dans les mers d'Orient des flottes nombreuses, dont la présence contenait l'hostilité des Grecs; mais cette protection des intérêts nationaux était aussi oné- reuse que peu efficace. Les Vénitiens souhaitaient donc le réta- blissement d'une paix si nécessaire à leur commerce. Vivement inquiété par leurs pirateries, et incapable de résister à leur marine, Jean Comnène la désirait également. Une nécessité commune rap- procha les deux adversaires 6. ! Voyez plus haut ch. v. 2 ÉQ ois xahemnvas Ô faoikeds lodyvns, x modûy Ts Pœopualwy aÿrods éromaouro mourelas. Evredler dubracho Pouaious did omovdÿs aÿroïs v. Erohov oÙy rexrnvduevor veëv, tour énfX0ov rn yÿ * Êre d Xiov ve eihov, nai Pédou nai Aéo6ou vnowv xarédpauoy évouaoläv. (Cinnamos, loc. laudato.) Jean Comnène régna de 1118 à 1143. Tv y Sahdoom re ueridvres Anolelay oÿdeuiay oi nanodaiuoves dvOpéror éAap6avoy Qeids. (Cinnamos, loc. laudato.) * «Anno ducis nono stolus x1v galearum contra Imperatorem Constantinopoli- tanum et ad Venetorum tuitionem egressus, oppidum Cephaloniæ secus Epirum capit.» (A. Dandolo, p. 273.) Cf. Daru : «Jamais homme (D. Michieli) ne mérita mieux son épitaphe : TErRoR GRÆcORUM JAGET mic.» (T. 1, p. 125.) 5 « Hujus astutiam Vencetis odientibus dux reparans galeas assidue pro tutela navigantium miltit, mutuisque offensionibus ,aucto jam schismate decretum fuit, . ut Veneti qui hucusque nutriverant barbas, de cetero imberbes effictantur (sic). » (A. Dandolo, p. 274.) ® « Tandem Augustus ad cor rediens ducem requirit, ut sibi legatos mittat, pol- licens chrysobolium Veneticum plenius solito condonare. Ideoque dux annuens per suos nuntios oblata obtinuit, et {œdus redintegratur.» (A. Dandolo, p. 274.) — 388 — L'orgueil byzantin voulut déguiser une réconciliation forcée sous les apparences du pardon, et affecta de recevoir avec clémence le retour de ses anciens sujets qu'une révolte d’un jour avait égarés. L'empereur daignait, en considération des services antérieurs, jeter un voile sur le présent, et, sensible à la conversion des cœurs, ou- vrait aux enfants prodigues des bras paternels. Il voulait bien accep- ter le serment des Vénitiens; il rétablissait, sur leur demande, le chrysobulle octroyé par son père, mais justement infirmé par leurs fautes !. Les différentes stipulations de l'acte de 1082 étaient expressément renouvelées. On abolissait les droits perçus depuis quelques années sur les marchandises vénitiennes, et l’on remettait la franchise en vigueur, comme au temps d'Alexis Comnène?. Les Vénitiens, de leur côté, juraient solennellement de rester fidèles à la paix et à la cause de l'empire (1126). Il est plus facile de renouer des relations interrompues que de rendre à deux peuples une confiance réciproque. Jusque-là les chry- sobulles impériaux avaient été achetés par des services. Pour la pre- mière fois, Venise les arrachait par la force. Les armes employées si longtemps à défendre l'empire venaient de le combattre et de l'humilier. Le traité laissait les uns irrités par là défaite, les autres, 1 «Solet multociens antiquior fides atque benivolentia posteriorem malivolen- tiam contegere ac delere, victis dominis et amicis memoria prioris subjectorum et amicorum bonitatis; velut nunc quoque in Veneticos contigit. Reminiscens enim imperium meum antiquæ eorum benivolentiæ et fidei, quam erga semper memo- rabilem Imperatorem et dilectissimum patrem ejus ostenderunt, objicientes se periculis toto animo pro Romania, et cum strenuitate indubitanter, certantes contra inimicos, qui tum éxercitum eduxerant contra eam, quæ paulo ante ab eis male gesta sunt, non reputavit et conversionem eorum accepit et nutum eis os- tendit hilarem , et accedentes in ulnas suas suscepit, et consequenter quidem in- dulgentia hos dignos habuit, ut nequaquam jam lesioni cujusvis subjicerentur, quantumlibet super quibus imperium et Romaniam offenderunt {ex demoniaca sicut videtur violentia}, sed perpetuo indulgentiam haberent imperii mei, quæ per presens chrysobullion donata est, sicut promittentibus rursusque toto animo pro Romania pugnare et omni sub imperio meo christiano ordine...... »(Chrys. de 1126, extr. de celle de 1148, L. Patu, I, 99.) ? «Definit per presens chrysobullion , nullum eéorum qui sub potestate imperti nostri Grecis negociantibus cum Veneticis in omnibus regionibus Romaniæ, vel quando vendit ad eos vel quando emit ab aliquo eorum, dare pro commercio quidlibet, vel per altera quavis exactione; sed ut excusentur et ipsi, sicut et hu qui cum commerciis negociantur. » (Chrys. de 1126, extr. de celle de 1148, Lib. Patti, T, 99.) \ 7 stimulés par la victoire : il ne pourra contenir ni les ressentiments des vaincus, ni l'ambition croissante des vainqueurs. Une dernière alliance réunit les deux nations contre les Nor- mands, alliance fragile et moins durable que le danger commun. Au milieu du x siècle, les Normands reprirent leurs projets hardis du x. Roger II, fils du comte Roger et neveu de Robert Guiscard, suivit les traces de son oncle et le dépassa. Les côtes de Dalmatie, protégées dès le début par les forces vénitiennes, échap- pèrent aux ravages. Mais la Grèce entière semblait ouverte. Modon!, Corfou *, Céphallénie tombèrent aux mains des barbares. Corinthe, Thèbes, Athènes, Négrepont furent saccagées $. Le roi normand rapporta de son expédition d'immenses trésors, de nombreux ou- vriers habiles dans la fabrication des étoffes de soie“, industrie qu'il implanta en Sicile au grand préjudice des Grecs, toute une popu- lation d'hommes, d'enfants, de femmes, qu'il répartit dans les ré- sions abandonnées de son royaume. La Grèce se dépeupla au profit de la Sicile (1145-1146). Inquiétés en Dalmatie même par les flottes normandes, les Vénitiens accueïllirent favorablement les premières propositions de Manuel Comnène. Mais, avant de rien commencer, ils prirent leurs précautions et leurs gages. Domenico Morosini et Andrea Zeno se rendirent à Céphallénie : de là ils devaient négocier et obtenir de nouvelles concessions (1147). En même temps, les colonies vénitiennes de Constantinople et des autres villes re- cevaient l'ordre de se ranger en toute hâte sous les drapeaux de l'empire. Pietro Polani se mit à la tête de la flotte. Mais, parvenu à Caorle*, il tomba malade, et remit le commandement à son frère Jean et à 1 Otho Frising. De Gestis Fred. 1, I, c. xxxtxt. Ap. Du Cange, in Cinnamum notæ (ed. Bonn, p. 336). 2 Voy. id. ibid. la ruse dont se servit Roger pour tromper les Grecs et entrer à Corfou ; il se fit passer pour mort, et les guerriers qui portaient son cadavre occu- pèrent la citadelle par surprise. 3 Cinnamos, 1. HIT, c. 11, éd. Bonn, p. 192. — Nicétas, Manuel, 1. IF, c. 1-v, éd. Bonn, p. 98 et suiv. # «Opifices etiam qui sericos pannos texere solent. (Otho Frising. loc. laudato.) — Cf. Nicétas, Manuel, 1. I, c. vu. * Petite ville à 45 kilom. N. E. de Venise, à 17 kilom. S. de Porto-Gruaro, bâtie sur l'emplacement de la Caprula des Romains. Elle n’a aujourd'hui que 1,900 habitants; mais elle était florissante au moyen âge. Sa position sur une île — 390 — son fils Renier. Pietro reprit le chemin de Venise, où il mourut bientôt. Le ralentissement des opérations laissa le champ libre aux Normands qui avaient poussé jusqu'aux rivages de Constantinople. Les audacieux envahisseurs lançaïent des traits enflammés sur les édifices de la capitale!, | L'avénement de Domenico Morosini (1148) donna un nouvel élan à la marine vénitienne. Après avoir rallié une escadre byzan- tine, Jean et Renier Polani rencontrèrent les Normands en vue du cap Malée. Abandonnés lâchement des Grecs, ils n'en remportèrent pas moins la victoire après une lutte acharnée. Quarante vaisseaux furent pris, beaucoup d’autres coulés ou poursuivis jusque sur les côtes de Sicile?. À la demande de Manuel, successeur de Jean Com- nène, les vainqueurs appareiïllèrent sur Corfou, qui restait encore au pouxor de l'ennemi. Le siége de la ville, entrepris en commun, ne tard pas à faire éclater la mésintelligence des Vénitiens et des Grecs$. Tout d’abord, les alliés se montrèrent une si grande défiance, que l'on crut prudent de les séparer. Les deux flottes eurent chacune un mouillage *. On voulait prévenir l'explosion des haines qui dataient de loin, mais que la trahison de la dernière bataille avait encore envenimées. Toutes les précautions furent inutiles. Les soldats des deux nations, débarqués, et établis autour de la ville, se ren- voyaient les provocations et les injures. On en vint aux mains : et cette guerre nouvelle fit oublier les Normards. Les Vénitiens combattaient les Grecs avec un acharnement extrême. Leur fu- reur, dit Nicétas, résistait aux prières, aux menaces des chefs les plus influents. Cédant au nombre, ils se retirèrent sur leurs navires, ardents encore et altérés de vengeance. Maîtres de l'île basse et malsaine du Frioul explique en partie sa décadence. Elle est le siège d'un évêché suffragant du patriarcat de Venise, et son port voit partir encore quelques navires de pêche. — Sur ces événements, voy. Romanin, t. IT, p. 62 et Suiv, 1 Cinnamos, LIT, v (éd Bonn, p. 101). H ajoute qu'ils furent repoussés hon- teusement et qu'ils éprouvèrent de grandes pertes. ? Fasello, De reb. Sicil. ap. Romanin, t. II, p. 63. * Cinnamos, 1. HT, c. v (éd. Bonn, p. 98). Nicétas, Manuel, 1. IL, c. 11 (éd. Bonn, p. 103 et suiv.). La ville était sur un promoutoire inaccessible qui plongeait dans une mer pro- fonde et bordée de rochers escarpés. Lebeau signale avec raison la ressemblance de la description d'Homère et de celle de Nicétas. (T. XVI, p. 122.) — 391 — d’Asteris !, ils la mirent à feu et à sang. Une galère romaine, tom- bée en leur pouvoir, leur servit à outrager les Grecs et la Majesté impériale. Ils étendirent à la poupe des tapis d’une grande finesse, jetèrent le manteau de pourpre sur le dos d’un esclave éthiopien laid et difforme, lui mirent sur la tête une couronne, et prodi- guèrent les railleries les plus cruelles à cette représentation inju- rieuse de l'empereur ?. Manuel avait encore trop besoin des Vénitiens pour ne pas fer- mer les yeux sur leurs insultes. Il leur envoya quelques hommes de leur nation restés fidèles et les décida à rejoindre la flotte. La politique byzantine dissimula pour ne compromettre ni ses succès présents, ni sa vengeance à venir. Corfou tomba au pouvoir des assiégeants après une longue résis- tance. La flotte grecque, contrariée par le mauvais temps, ne put opérer en Sicile le débarquement projeté. Mais Grecs et Vénitiens rencontrèrent, dans la mer lonienne, les Normands, qui revenaient de leur course audacieuse dans la Propontide. Ceux-ci perdirent dix-neuf galères, et Roger se retira dans son île, où la mort l’attei- onit peu de temps après (1154). Les corsaires dalmates étaient privés de leur allié naturel : les vainqueurs les surprirent et les accablèrent. La Dalmatie qui avait voulu s'affranchir du protectorat des Vénitiens, tomba sous leur domination. Avant la victoire, Manuel avait signé deux chrysobulles, l’un en faveur de la république, l'autre en faveur des Vénitiens établis à Constantinople et dans tout l'empire (1147-1148). Le premier consacrait, selon l'usage, les chrysobulles antérieurs, ceux d’Alexis et de Jean Comnène; il mettait en vigueur le régime de la franchise commerciale dans la ville de Mégalopolis, et dans les îles de Chypre ou de Crète, où des circonstances particulières l'avaient réduit à 1 Nicetas Choniata, IT, c. v et suiv. p. 113 et suiv. L'île d'Astéris est située entre les îles d’fthaque et de Céphallénie, dans le détroit qui les sépare. C'est Nicétas lui-même qui nous l'apprend : H Âo7epis aÿrn oîuai &oiv, fv Quoi» oi: mé ueïolar éco Îddxns nai ris rôv KeQalñvwr rerpanéews. (Manuel, 1. I], ce. v, éd. Bonn, p. 114.) Cf. Wordsworth. La Grèce pittoresque et historique, tr. Regnault , ap. Joanne, Itinéraire de l'Orient, p. 252, 1° col. «Vis-à-vis (du port de Polis, sur la côte nord-ouest de Thiaki) est l’ilôt de Dascalio; c'est le seul ro- cher qui se rencontre dans le détroit de Céphallénie, et par conséquent ce doit être Astéris, où se cachèrent les prétendants pour surprendre Télémaque à son retour de Pylos. » 2 Nicetas Chomiata, IT, loc. laudato. — 392 — état de lettre morte!. Le second ? cédait à la colonie vénitienne des terrains # considérables à Constantinople, affectant de voir dans la prise d'armes des sujets vénitiens l'élan spontané de leurs cœurs, et non l'ordre officiel de leur gouvernement. | Si Venise maintenait encore avec les Grecs une paix incertaine et chancelante, mais nécessaire à son commerce, elle ne voulait plus s’exposer pour eux au péril de nouveaux combats. La dernière ouerre ne lui avait. pas inspiré moins d'estime pour ses ennemis que de mépris pour ses perfides alliés. La monarchie normande, par le fait même de son établissement, avait changé de caractère. Ce n'était plus un nid de pirates incorrigibles, qu'il fallait exter- miner à tout prix; c'était un royaume riche, bien que barbare, à conquérir à la civilisation et au commerce, une mine nouvelle à exploiter, quand l'ancienne menaçait de ne plus s'ouvrir. Enfin, contre les Grecs, hostiles, tout prêts à la trahison, on se ménageait un recours dans les fils de Robert Guiscard. L'intérêt commercial et l'intérêt politique commandaient aux Vénitiens de traiter avec les Normands : ils traitérent. Les succès obtenus sur mer et la mort de Roger IT facilitèrent les négociations que Domenico Morosini entama avec le fils de ce prince, Guillaume LE”. La paix fut rétablie entre les deux États. Le roi rendait les prisonniers et les terres enlevés aux Vénitiens de Ra- guse. La république abandonnait ceux de ses sujets qui étaient restés fidèles à l'empereur * dans la guerre que continuait Guillaume F°". C'était signer une déclaration de neutralité favorable aux Normands et malveillante pour les Grecs (1154). Deux ans plus tard, le suc- cesseur de Domenico Morosini, Vitale Michieli IT assistait indifférent à la lutte de Guillaume et de Manuel, et restait sourd à l’un de ces appels qui partaient de Constantinople, et auxquels Venise avait toujours répondu (1156) ° 1 Libro dei Patti, t. I, 107. ? Ce document est extrait du chrysobulle d'Isaac l'Ange, où il est inséré in extenso. (Libro dei Patti, T,t. 110). * Voyez plus loin, chapitre VIT, p. 418. 4 «Dux postea pacis fervidus, cum Guglielmo rege ad pacem devenit, terrasque Venetorum a Ragusio infra et eos simüiter, exceptis illis, quos in favorem Cons- tantinopolitani Imperatoris inveniret, securos reddit et immunitates plurimas in suo regno negotiatoribus indulsit. » (A. Dandolo, Ghron. p. 286.) * « Emanuel Imperator Constantinopolitanus suis nuntiis cum Guglielmo rege pacem composuit, et vinculo juramenti Mariam ejus genitam regi in uxorem pro- — 393 — Le refus de Vitale Michieli fut d'autant plus pénible à l'empe- reur que ce n'était pas le premier dont ce prince essuyàät lhumi- lation. Avant d'implorer les Vénitiens, Manuel s'était adressé au roi des Normands. Il n'avait pu lui faire accepter ni son alliance ni la main de sa fille. Aussi la colère de l'empereur s’était-elle ac- crue de sa déception même, et sa vengeance avait-elle à laver un double échec et une double injure. Délivré des embarras et des périls qui avaient compromis la première partie de son règne, Manuel donna libre carrière à son ressentiment ct aux rêves hardis de son ambition. Doué d'une énergie que l'on ne supposait plus aux maîtres de Byzance, ca- pable de différer l'exécution de ses plans, mais non de les aban- donner, il regardait les républiques et les rois de l'Occident du haut de ce trône oriental, où le prince était ébloui par la profusion de la pourpre et de l'or, enivré par les adorations des courtisans, et par le servilisme d’un empire. Le mépris qu’il avait pour les autres hommes, il l'étendait aux vertus humaines. Souple et patient, il savait plier et attendre; mais quand l'heure était venue, sa main n'hésitait pas à frapper. Les moyens lui étaient indifférents : la honte ne coûtait pas plus à son orgueil que la perfidie ne pesait à sa conscience. D'ailleurs, plus chimérique que pervers, il voulait étendre une domination encore trop vaste et depuis longtemps chan- celante. Une grande lutte agitait l'Italie et la tenait comme suspendue entre l'Empereur et le Pape, entre le despotisme de Barberousse et les libertés des villes lombardes, entre la domination germa- nique et l’indépendance. Manuel résolut de prendre part à ces combats de géants que les Romains de Constantinople ne con- naissaient plus. Il tourna ses vues du côté de l'Italie orientale, et s’efforça de rétablir la domination grecque dans l’exarchat de Ravenne, où elle s'était si longlemps maintenue. Il encouragea la résistance d’Ancône, qui fermait ses portes à Frédéric. Une de ses flottes parut dans l’Adriatique, sous le commandement d’un personnage qui portait le titre pompeux de domestique de l'Orient misit ; sed cum desisteret, schisma inter eos denuo reviviscit. Tunc Emanuel tres legatos cum tribus galeis mittens ducem requirit, ut solitum subsidium pro im- perii tutela mittere velit. Dux autem pacem cum Guglielmo servare cupiens, et maxime intuitu Ecclesiæ, id facere recusavit : quod Emanuel grave ferens, erga Venetos malum in corde concepit.» (A. Dandolo, Chron. p. 291.) — 394 — et de l'Occident !. La république de SaintMarc, qui avait déjà fait échouer (1149) une première expédition d’Ancône?, para- lysa l’action des Grecs dans cette mer, où elle ne voulait plus voir d'autre marine que la sienne (1163-1164). Nicéphore Ca- louphos, envoyé par Manuel, parla aux Vénitiens le langage d’un maître superbe et d’un allié besoigneux. Il affecta une confiance que ni son.souverain ni lui ne pouvaient avoir en leur dévoue- ment. Il les encouragea en rappelant leurs succès près de Milan. Refusant à Frédéric tout droit à ce titre d'empereur des Romains dont Manuel Comnène se montrait si jaloux, il pressa les Véni- tiens de s'unir aux Grecs et de leur ménager le concours des villes lombardes et liguriennes. Sa harangue, ou celle que lui prête Cinnamos, atteste à la fois l'habileté des Byzantins et leurs prétentions surannées, leur déplorable faiblesse et leurs folles 1llu- sions. La République écouta leur beau discours sans céder à leurs instances. Nicéphore Calouphos n’obtint d'elle que des promesses dérisoires ÿ. Cependant la diplomatie de Manuel that en Dalmatie. Cette province, impatiente de la domination vénitienne, rentra presque tout entière sous l'autorité de lempereur#. En même temps les pirates anconitains, soudoyés par lui, sortaient de leur port pour inquiéter la marine ennemie, et des concessions oppor- tunes rattachaient au parti grec les Pisans et les Génois, rivaux na- turels des Vénitiens ?. La République arma contre les Anconitains, dont les principaux bâtiments furent pris, et les chefs pendus. Mais elle ne trouva contre Manuel d'autre vengeance que de suspendre toute relation commerciale avec les sujets de ce prince‘. C'était frapper l'ennemi, mais se blesser soi-même. Manuel affecta de ressentir le coup vi- 1 Dans la hiérarchie byzantine, le Grand domestique occupait un des premiers rang après le Sébastocrator, le Despote et le César. Cantacuzène, avant son éléva- tion à l'empire, gouyerna longtemps avec le titre de Grand domestique. Le domes- tique de l'Orient et de l'Occident devait être à peu près du même ordre. Ce titre fut sans doute créé pour la circonstance. (Voy. chap. vir, p. 434.) ? Voy. Cinnamos, 1. IIT, c. vi (éd. Bonn, p. 102); IV, c. xrv (tb. P- ya % Cinnamos, 1. V, c. 1x (éd. Bonn, p. mr 230 el 237.) * Lucius (De rcbus Dalmat, t. If). Ap. Romanin , t. IF, p. 81. Cinnamos, VF, XVH, p. 249. 5 Romanin, t. IT, p. 82. ° Cron. Altin. ap. Romanin, t. IT, p. 8», — 395 — vement. Il fit porter aux Vénitiens de bonnes paroles et leur per- suada de reprendre leurs affaires interrompues. La confiance était à peine rétablie, que des bruits sinistres com- mencèrent à transpirer en Orient. Les négociants véniliens adres- saient à leur patrie des rapports empreints des craintes les plus vives; on soupçonnait vaguement l'existence d’un complot tramé contre leurs biens et leurs vies. Le doge envoya deux ambassadeurs à Manuel pour lui demander des explications. Amenés en présence de l'empereur, Sebastiano Ziani et Aurio Malipiero s’exprimèrent en ces termes : «Nous avons entendu dire, souverain seigneur, que tu avais des intentions hostiles à l'égard des nôtres; mais nous ne le croyons pas.» Manuel les rassura; un édit impérial déclara que toute offense à un Vénitien serait punie de mort !. Cependant les troupes grecques se rassemblaient autour de la capitale. Des mouvements inaccoutumés se manifestaient dans les principales villes de l'empire. Le 21 mars 1171, tous les Véni- tiens qui habitaient Constantinople et la Romanie furent arrêtés et jetés en prison; leurs biens confisqués ? : des ordres secrets expédiés par Manuel avaient permis d'exécuter le même jour cette insigne trahison sur tous les points de ses Etats. Les victimes furent répar- ties dans les prisons ou dans les monastères. Tel est le célèbre guet-apens, dont les causes inspirent aux chroniqueurs vénitiens et grecs une égale préoccupation et des jugements si contraires. Dandolo accuse l'ambition et les ressenti- ments de Manuel, qui n'avait pardonné aux Vénitiens, ni leur neutralité dans la guerre normande, ni leur opposition à sa poli- tique italienne. Nicétas et Cinnamos voient dans cet attentat les justes représailles de Manuel contre une race perfide, envahissante, qui s'attaquait aux parents mêmes de l'empereur et osait épouser les femmes les plus nobles de l'empire, qui bravait jusque dans Constantinople les ordres du roi suprême et dépouillait les colons lombards que celui-ci couvrait de sa protection. Condamnés à rebâtir les maisons qu'ils avaient brülées, à rendre le butin qui était le fruit de leur pillage, ils refusaient d’obéir et menaçaient les Grecs de leur infliger le même traitement qu'aux Lombards. 1 Cron. Altin. ap. Romanin, IT, p. 83. — Ant. Sabellicus, Res Venctæ , 1. VII. ? Cinnamos, 1. VI, 10 (éd. Bonn, p. 280-282). Nicétas, Manuel, 1. V, 9 (éd. Bonn, p. 222 et suiv.). Dandolo, 1. IX, c. xv (p. 291 et suiv. ), L Av à Baorkeds èmi roïs GPOTÉPOIS aÿToÿs mpocnuäuevos Emi u&À)Ov ÉËñper dÀ- MISS. SCIENT. — IV. 27 — 3960 — Les auteurs vénitiens ont raison, et les auteurs grecs n'ont pas tort. Les ressentiments de Manuel furent l'origine du mal; mais ls trouvèrent un redoutable appui dans la haine que da pros- périté et la hauteur des Vénitiens inspiraient à la Romanie tout entière. Cette animosité des Grecs contre les Vénitiens les entrainait | aux plus violentes exagérations, aux insultes les plus grossières. Nicétas et Cinnamos semblent pousser l'expression du mépris aovstas nai rÜQou. Atladeus yèp xaroploür dOËaca eis drovorar éxQépeobou oder. Über nai moddoïs Tôv ed yeyovorur Paordet re ua0’ alua mpoonxdvTwy mAmyds Te eméQevro nai d\wS mixpôrara êr aërods épiouv. Auyov pévrot émi rois aÿrois oÙy fuola nai ri rôv MavounÀ Baorkéws ypôvwy, yuvuËt Te Pœuaiaus Éaurods ouvorxlt- doyres nai oinlas rais aÛÜTOv, WOmEO OÙ &ÀXct Pœuaïor ÉÉcw vis x Bacihéws dedoué- ns aÿrois avaoTpeQouevor diarpibis. À uyxéri Géper Éywvy aûrds dinas émridévar rü» duapravouévor cOloiw drApésro. Toùs pévro: év Budartiw dunpérous «ÜT@v Tüv ar éuroplar mapabxhdvror Oiervérwr émodiehdp Boupyeclous rÿ Aurivwr éxdlece Quri, mioleis aÿré dedwndras cd ebyvwuooÛvr Pœpaioss dià Biou rnpioerv rd do- lov. Toÿro yâp épunveter aÿroës To dvoua Bodreru. OÙ æodd rù év péow, nai Ogévveros Aaurdpdois unvicavres dre yvœuys drobpayelor ris aÿrér éravéoÎnodr re abroïs xai très oinlas els ÉduQos nafehdvres éni ueylolous aÿroûs éénpiwoav. Oller nai x) dénny aÿrods xaXéous 6 Baciheds Très oinias elcaülis Aaprdpdots éyeïpar édi- xalov, ou re o@ior dimpraolo aûrixa droddova. À à Ovévveros oùte mparlew oùdér aÿrv 0ehon nai nrelkour ye Poualors duueola dpacers , dvapupymoxovrtes &y être Baorëws Éodysou TEpiOvTos épydcœwro. Tadra curry Ô Paorheds unxér: diauéXery éyvw. Toivur nai ds év œavdypw Toûrous Émi ris aûris ouhabeï» dia- vonbeis ypégpara dravrayñ Ts Pouaiwr Eéreure yñs, d &v Tois Très dpyès dE- rouor dÿov TÔv ypôvoy éroiet, xaÛ’ dv abrods yeipas Ovevvérous émBahety éder. Kai doimdr nat raërèv oi n Bu£avtiw roïs duà rès écyarids tüs Pouaiwy n{cxovTo yis’ @poupai re nai iepà Toûrous édéyorro Opovriolnpra nœupoÿ Toévur diayevouévov, émaudfmep év oùrw peydhw 1 UE: clevoywpeïodar ouvébaive ras @poupüs, Oüévyero: (one yàp évÜporwv dneyvwxOTwr dvouaydrepor eivas pndër) roudde ruvà éréaunour. Aërds énaoTos ürèp éndolou Cepéyyuor Éaurôr Baoikeï mapacyovtes duelñva Tôv Opoupär loyvour. y dé ris év aÿrots yéver Te GaQarns xai mAOÛTE SinQéproy. OÙros péya T1 veds y pue vai oïiov oùdére év Bulavtlo xaThpe xpnu- Toy T@ Onpooit dnnurwAnre mo}. Obev nai rnv aûrod ériuékerar mpès Baoiéws émrerpaunévos cuveboiAeuser Ovevvérous, éuGdyras airg mhuwieoÿar vunros ni Tir arôv. Oi dè ro» Xdyoy dprécayres, émPopou ToÙ MYEULOTOS YEYOVOTOS, EÏCETN- Snoa» ér aÿrd ua AoëmdY WYOvTO dTIOVTES. Pœuaïor Oè aiofomevor xarômiw arr 2NwËar, éyylouvtés Te aürois, mepi mou Tr À Gidou yeyovdres mopludr Mn mupi ChéËerw dievoobvro. ÀAN éneîvor, dre Tr Pouainür édddes émirndeuuarw», œihous Tivos dEer DEPIOEUOUVTES roûtous Te mâoay mepietAn@OTEs Tv vaUv é01€À- 2ovro SapoaXéor. Pouator rolvuy érerdù pnoër dvÜcetv ciyov (rù yàp wÙp moppurére, ñ éxpñr éni Tv Päpir duoyrièdueror, à oùdè ëbauer, à xai meÂdoauy Toîs miAots drocTpeQouevor xa0' ddrwy Éobévvuro meoôv), dmpaxror dveypnouv. (Cinna- mos, VI, éd. Bonn, coll. byzantine, p. 281 sq.) — 397 — jusqu'au ridicule. Eustathios, dans un discours à l’empereur Ma- nuel, les traite de serpents amphibies et leur prodigue les aménités de ce genre sans parvenir à se montrer aussi rassuré qu'il voudrait bien le paraître. Il injurie, mais il a peur}. Cependant le nombre des captifs ne laissait pas d’être embar- rassant. Manuel ne savait comment les garder. Aussi les élargit-il au bout de quelque temps. Les Grecs eux-mêmes y aidèrent, en consentant à leur servir de caution. Mais on exigea, en les relà- chant, qu'ils se soumetitraient aux ordres de l’empereur. Cette condition leur pesait beaucoup, et voici comment ils évitèrent de la subir. Un noble Vénitien, fort riche, établi en Grèce, venait de vendre à la république un navire de dimensions inouïes. Dans la nuit qui suivit le guet-apens, il avertit la colonie de s'embarquer en toute hâte sur cette ville flottante. Il voit bientôt se réunir à lui ses com- patriotes , qui saisissent avec Joie cette chance de salut. On court au navire : le vent favorise la fuite. Les Grecs leur donnèrent la chasse jusqu'au détroit d’Abydos?, où ils voulurent brûler le bâti- ment au moyen du feu grégeois. Mais les Vénitiens connaissaient les moyens de s’en préserver : ils déjouèrent les tentatives de l’en- nemi. La nouvelle, vague et incertaine, était parvenue à Venise. Elle y causa d'abord plus d'étonnement que de colère. Le peuple ne croyait pas, et surtout ne voulait pas croire. Mais l'arrivée des fagitifs dissipa tous les doutes. L’indignation devint générale; des cris de vengeance retentirent sur la place Saint-Marc. Venise e: uère demanda la guerre. Des milliers de bras s'armérent. Un décret rappela les citoyens absents dans leur patrie. Un autre somma les Istriens et les Dalmates de fournir leurs contingents de troupes et de navires. L’arsenal et tous-les chantiers déployèrent 1 Éxbooua dà mpds œhareiar dQhynoiv xai.doù À Âdptav mouQorvË, à yép- ovdpos Qus, Ô reuarwdms Bérpayos, pdliola pèv oùv (iva pr x rôv duoluynpares mpocovoudow roùs dvdpas) dou rù wetparmmdr éfvos 76 Ë Âdprddos, rù Üroukor, TÔ xaxoBouxov, éÉoukedoaro uèv, émeive dà eis àTpaxToy" AG ‘ÉVEXULOYNOE HLÈY, oÿx érehec@ôpnoe dè aXd eis nevdy doive, al éunyaroaro pèv, oÿ movoy dè eis réhos ÉÉeGlSace, ahAd ai émixaraoTpaQeious aûré Très umyavds Édedoaro, ris re dÀ- Aayoÿ, ua daus d Àyudy aÿroïs dvravéalpeÿe. (De Thessalonica ejusque agro, p- 412, ap. Tafel et Thomas, p. 160.) ? Abydos, aujourd'hui Nagara-Bouroun, est situé à l'endroit le plus resserré des Dardanelles, vis-à-vis de Sestos, qui est sur la côte d'Europe. " pa En. une merveilleuse activité. Les routes, les fleuves, les canaux trans- portaient les bois de la province de Bellune, et tous les matériaux nécessaires aux constructions navales. En six mois, cent galées! et vingt grands navires furent mis à flot. Tout un peuple s'était levé au seul mot de vengeance. La difficulté était de subvenir aux dépenses de ces préparatifs imprévus. Le gouvernement eut recours à un système qui resta longtemps en vigueur. On décréta l'emprunt forcé. Des inquisi- teurs eurent mission de rechercher la fortune de chacun, et pré- levèrent 1 p. 0/0. L'État se constituait débiteur, et servait un intérêt de 4 p. o/o, hypothéqué sur les rentes de la commune, avec échéance tous les six mois, en mars et en septembre. La Chambre des Préts (Camera degli Imprestidi) fut instituée à l'effet de re- cueillir les sommes prêtées, et d'en payer les intérêts. Trois col- lecteurs et payeurs, désignés sous le nom d'officiers de la Chambre des Prêts, se transportaient dans les six quartiers (sestieri) que l'on forma à cette occasion, et qui furent comme les circonscrip- tions financières de la ville ?. | Les titres donnés aux créanciers de l'État purent s'acheter, se vendre, se négocier comme de nos jours. C’étaient des Obligations d'État qu'on remboursait au moyen d’amortissements réguliers et dont le cours variait avec les succès ou les revers de la république. Venise, au xu° siècle, était donc amenée à trouver le mode de rem- boursement que les gouvernements et les compagnies de chemins de fer ont tant multiplié au xix°. Sous le coup des événements d'Orient, elle inaugurait d’une main encore inexpérimentée la puis- sance du crédit public, et créait une véritable caisse d'amortisse- ment, la première qui füt en Europe. Au mois de septembre 1171, la flotte vénitienne mit à la voile. Vitale Michieli I laissa le gouvernement à son fils Leonardo avec le titre de vice-doge, et prit lui-même le commandement de l'expé- dition. On appareilla sur Négrepontÿ, et on assiégea la capitale, Chalcis. Alors commencèrent de longues négociations, de continuelles ambassades. Le doge y montra une indécision, une faiblesse qu'il ! Les galées étaient de petits bâtiments ayant un seul rang de rameurs et très- rapides à la course. ? Romanin, t. IT, p. 84. * Cinnamos, VI, 10, p. 283. — Nicétas, Manuel, V, 9, p. 2°4. — 999 — expia cruellement plus tard; Manuel, une souplesse, une perfidie qui lui permirent de jouer quelque temps les Vénitiens, mais qui, en fin de compte, ne sauvèrent pas l'empire. Michieli était devant Chalcis, lorsque le commandant de la place lui fit dire que l'empereur, répugnant à une guerre de cette nature, voulait se réconcilier avec les Vénitiens et les priait d’en- voyer à Constantinople des ambassadeurs. Le doge accueillit cette invitation avec la bonhomie naïve qui lui était ordinaire. Il choisit pour représentants Manasse Badoer et l'évêque Pasquale, homme très-versé dans la connaissance de la langue grecque. Manuel les reçut, mais ne leur donna que des paroles. | Cependant Vitale Michieli n'était plus dans les parages de Chal- cis. D'après Cinnamos, il fut repoussé par la-forte garnison que l'empereur avait eu soin d'y établir !. Nicétas avoue, au contraire, qu'il parvint à s'emparer d'une partie de l'Euripe, et qu'il mit le feu aux maisons dont il était maître ?. Dandolo ne donne aucune raison du départ de la flotte vénitienne ?. Mais tous les trois s'ac- cordent à dire qu'elle se dirigea vers Chios. D'après les chroniqueurs vénitiens l'ile se soumit tout entière. Le doge, croyant à la paix, répartit les marins dans leurs quar- tiers d'hiver, et leur défendit de faire aucun dommage aux sujets de l'empereur “. Cinnamos nous représente les événements sous un tout autre jour. Selon lui, les Vénitiens avaient débarqué dans l'ile pour la ravager. Mais ils rencontrèrent, une fois de plus, les valeureux soldats que la prévoyance souveraine envoyait sur tous les points de l'empire. Ils battirent en retraite, et revinrent à leurs navires °. l Ême) dè dmexpoionoar, Baoiléws oTpariwräy @poupès droypoous rais rfde æéheoty émolñoavros. (Cinnamos, VI, 10, éd. Bonn, p. 283.) 2 Kara de Toy émovra éviaurdv o10)0v HPATUÜVAYTES TÈS VAOOUS ÉTAPYOVTG, EËS de rh EdSorar eiondesdoavres émolidpuour rdv Eÿpirov nai pépos Ti Toûrou xara- dxeîiv dedurmuévo œüûp Toïs oixomédois 1Ofÿar. (Nicétas, Manuel, V, 9, éd. Bonn, p- 224.) 3 Voy. Chron. p. 291. 4 «Exinde dux abiens Chium navigavit, et urbem cum tota insula per deditio- nem accepit, et ibi suorum nuntiorum reditum expectans, hiemare disposuit. Et de pace confidens suos à læsione imperii abstinere fecit.» (A. Dandolo, Chron. P. 291.) 5 Éxi rmv vfoov éCénovro Xiov, évrala re Très vaÜs dvehxÿouvtes éri xaradpo- us ris xapas SÉpeoay. À Ad duvdusor névraÿ0a wepiruxdvres mpounleix Baorhéws êmi Thv vñoov duabaonus, émetonmep ets XEtpus Alov , wooÿs Te Ty c@erepwr = OO —— Cependant Vitale Michieli attendait le retour de ses envoyés. Le pauvre doge était aveuglé par son humeur pacifique. On n'avait jamais vu un Vénitien de ce caractère. Le peuple le plus défiant et le plus politique du monde avait pour chef le plus crédule et le plus simple des hommes. Connaissant la longanimité de son adversaire, Manuel traïnait les négociations de jour en jour. De guerre lasse, Mänasse Badoer et l'évêque Pasquale s’apprêtaient à partir. Un message de Michieli les retint. Manuel consentit à leur adjoindre un plénipotentiaire chargé de les suivre à Chios et de porter ses propositions au doge. C'était un moyen d’ajourñer encore, et de connaïtre en détail ‘état de la flotte vénitienne. Le ministre de Manuel persuada à Michieli de renvoyer ses ambassadeurs à Constantinople. On croit rêver en voyant les Vénitiens promenés ainsi du Bosphore à Chios, de Chios au Bosphore; on se demande comment le doge pouvait se laisser jouer à ce point par un ennemi, dont la ruse n'avait même plus besoin d'être fine. Michieli, dans son amour de la paix, en était venu à tout croire et à tout souffrir. I! renvoie les premiers ambassadeurs, assistés de Filippo Greco!. Après deux tentatives infructueuses, et la perte d’un temps précieux, sa crédulité stupide attendait en- core. | L'expiation ne fut pas longue. Une peste terrible se répandit bientôt dans l'armée vénitenne. En quelques jours mille hommes périrent. On attribuait le mal à l'eau empoisonnée par un ordre secret de Manuel. En même temps, 150 navires, commandés par Andronicos Contostephanos, s'armaient à la hâte, et appa- reillaient sur Chios. Beaucoup mieux préparés que les Grecs, et aidés par les navires auxiliaires des Esclavons, les Vénitiens firent dméGahor moheuoÿvyres nai dmiod6punTo: mi rès vads éywpnoar. (Cinnamos, VI, 10, p- 283-284.) ? «Quod Imperator cognoscens Ducales nuncios dolose simulationibus trahebat in longum. Sed ülli, a Duce admoniti, cum vellent recedere, de pace fienda ab Imperatore fiduciam susceperunt. Imperator quidem cum legatis redeuntibus nuntium mittit, non ad pacem, sed ad moram, et ut conditionem exercitus inte- griter persentiret. Qui ficte Ducem alliciens illi persuasit ut secum legatos remit- teret; qui pacis avidus, quos primo miserat, et Philippum Greco legatos remisit. » (Dandolo, p. 291.) Cf. Codice degli ambasciatort alla marciana : «Manasse Badoer, Pasquale Olivolense, Philippo Greco, 1171, all imperatore Manuele per trattar la pace,» - — HO bonne contenance!. Cinnamos attribue leur salut à la trahison du commandant des Waranges {dx0)oubos)*, Aaron, homme orgueil- leux, accusé de magie, hostile à l'empereur, dont il combat- tait les projets, et remplissait perfidement les missions. C'est lui qui leur révéla les plans de son maitre. La flotte grecque sem- blait gouverner sur le cap Malée: mais elle voulait surprendre l'ennemi, vaincu dans l'ile par les troupes de terre. Avertis par le traître, les Vénitiens levèrent l'ancre un soir et échappèrent à sa poursuite. Dandolo leur attribue une autre station *. Renonçant enfin à ses illusions, Michieli passa de l'ile de Chios dans l’île de Panagia, où il espérait arrêter par le changement d’air le progrès de la contagion. Il rapportait de Chios des reliques et d’autres trésors. Le mal ne fut pas moins meurtrier dans le nouveau mouillage. Informé de l'état de ses ennemis, l'empereur refusa d'écouter les ambassadeurs, qui attendaient vainement à sa porte. I les renvoya avec son ministre et chargea ce plénipotentiaire de faire sentir la gravité des torts que les Vénitiens avaient commis à son égard °. La lettre qu'il y ajoutait était écrite sur le ton de la colère et de l’insulte ©. Comment le doge répondit-il à un acte qui ne laissait plus de doute, même aux plus aveugles, sur les inten- 1 «Cum igitur hæc agerentur, pessima pestis in tantum invaliuit, ut, paucis in- terjectis diebus, fere mille homines perempti sint; quod creditur advenisse ex usu aquarum , quas Imperator fecerat venenari. » (Dandolo, loc. cit.) 2 Âxodoubos n’est pas pris ici dans le sens le plus fréquent de valet ou bien encore d'acolyte. Il désigne le chef ou préfet des Waranges, un des corps les plus célèbres parmi les mercenaires qu'entretenait la cour de Byzance et celui qui formait la garde de l'Empereur. (Voy. Ducange, In Historiam Joannis Ciumnami notæ , éd. Bonn, p. 329). 3 Érei dé œU0orro raÿra à Paoikeds Mavouñà, oléler Tôy uéyav doûna, Tor Kovrooré@avoy Âvdponnor , wepi'aou tTès ÉnaTdy al mevThnovTa Tpipeis Éyovra ru undè rôv Bevetixwr 6 olohds ÿv évdeéolepos, À &AAwWS TÔ xareoroudacuévor éyowv nai un xarnxpiSwuévor év maot. IIpôs ydp dywvya péyav nai dvraywrralas Poualous éromuacduevor ed dravrayd0er ñpudcônoar, nai cumpæyidas oûx dXyas vas érfyovro dmd Ts Toy Zbhabivwy éxropioleioas ywpas énelvois. (Nicétas, loc. cit.) Z0)a6ivwr (Sclavini) désigne les Esclavons et non les Sthlubiniens , peuple nouveau et imaginaire dont l'existence paraïîtrait résulter de la traduction latine de Tafel et Thomas, Fontes rerum Austriacorum , t. XIT, p. 150 et suiv. ! Cinnamos, p. 284. 5 Sa version parait confirmée par celle de Nicétas, qui, sans être aussi précis que lui, nous les représente fuyant d'ile en île. & Haha pèv yèp dira nai mevix dervds natoyor eis Th Popaivr eiceppunxores aodumelan,, .., (Voy, Cinnamos, loc. laudato , p. 285). NN = tions de Manuel? Qui le croirait? Par une nouvelle ambassade pacifique !. Enrico Dandolo partit avec Philippo Greco pour Constantinople?. En même temps la flotte abandonnaiït le mouillage de Panagia pour ceux de Mételin *, de Stalimène‘, et enfin de Scyros®. Malgré tous les soins et tous les déplacements, la peste continuait ses ravages. C'est en vain qu'on brülait les navires infectés ou qu'on les coulait à fond 6. Le mal résistait à tous les efforts. Les plus braves citoyens tombaient sans gloire, en face d’un ennemi perfide que l’imbécillité du doge ne leur avait point permis de châtier avant de mourir. Des familles entières étaient emportées. Les Gustiniani, qui étaient partis en masse, au nombre d'une centaine, eurent le sort de la gens antique des Fabius, dont ils avaient imité le dévouement. Le fléau les enleva tous. Aussi le moine Niccold Giustinian, dernier rejeton de la famille, s'empressa-t-il de quitter le cloître et de prendre femme. Il épousa Anne Michieli, fille du doge, et en eut plusieurs fils. Après quoi, voyant son œuvre patriotique achevée, il revint au monastère d’où il n’était sorti que pour laccomplir. Sa femme l'imita; et tous deux furent récompensés de leur piété par les honneurs de la canonisation ?. La flotte vénitienne, dans les parages de Lemnos, voyait périr chaque jour de nouvelles victimes. Les Grecs étaient à sa re- cherche : ils latteignirent au moment où elle se disposait à prendre la direction de Scyros. Cinnamos et Nicétas attestent tous les deux qu'elle fut vaincuef; beaucoup de bâtiments pris et coulés avec les équipages. Elle échappa, par une fuite rapide, à un dé- sastre, et parvint à Scyros. C’est là qu'elle passa les fêtes de Pâques, dans la consternation et dans le deuil?. Le grand-duc An- dronicos Contostephanos la délogea de cette nouvelle retraite, et 1 A Dandolo, Chron. loc. cit. ? «Tunc prudentum consilio pro obtinenda pace Henricus Dandulo et Philippus Greco cum illo pariter remittuntur. » (Dandolo, loc. cit.) * Mételin ou Castro (autrefois Mityhn), capitale de l’île de Mételin ( Lesbos). “ Stalimène (autrefois Myrine), capitale de l'ile de Stalimène (Lemnos). 5 Skiro (Scyros), dans l’île du même nom, à 8 milles à l'est de Négrepont. Syra (Syros) est beaucoup plus au sud, au milieu des Cyclades. 5 Romanin, t. II, p. 88. 7 Id. ibid. p. 89. 5 Nicétas, loc. cit. Cinnamos, loc. cit. : * «Tbique invalescente peste in luctu pascalia festa peregit. » (Dandolo, loc, cit.) 1 — 03 — lui donna la chasse jusqu’au cap Malée. La supériorité des Véni- tiens dans l’art de la navigation, la légèreté de leurs navires, les dérobèrent aux Grecs, qui, renonçant à les atteindre, rentrèrent à Constantinople !. Michieli, de son côté, ramenait à Venise une flotte abattue par l’inaction et les revers, troublée par la révolte des équipages, décimée par la contagion?. Où était la brillante expédition que la république avait confiée à son chef suprême? Qu'avait-il fait de sa mission? Qu'étaient devenus tant de sacrifices, et les espérances de tout un peuple? Jusqu'alors les navires que Venise envoyait en Orient étaient revenus avec des dépouilles et des trophées. Michieli ne rappor- tait à sa patrie que l'humiliation et les horreurs de la peste. Il avait ajouté de nouveaux affronts à celui qu'il devait laver dans le sang des Grecs. I1 s'était laissé jouer indignement par un prince per- fide; il avait mis la république aux pieds de Manuel en mendiant une paix qu'il n'était plus permis de désirer; il avait montré la plus grande timidité devant la guerre, la plus triste constance devant les refus et les outrages. Venise lui demanda compte de son honneur et de sa vengeance. Le peuple, exaspéré, s’attroupa dans un grand tumulte. Des cla- meurs redoutables s'élevèrent contre l’auteur des calamités pu- bliques. Michieli tenta vainement de se justifier devant l'assemblée qu'il avait réunie dans le palais ducal. Les cris et les menaces re- doublaient. L'infortuné doge, se voyant perdu, prit la fuite. Mais les meneurs, furieux, ne lui laissèrent pas gagner le monastère de S. Zacaria, où il allait chercher un asile. Ils l’atteignirent et l’égor- gèrent à peu de distance des murs protecteurs (28 mai 1172). Ces tristes événements montrèrent la nécessité d’une réforme politique. Les affaires d'Orient causèrent, comme au temps des Or-_ seohi, l'affaiblissement de lautorité suprême. Mais l'on n'avait pas moins à se plaindre des violences populaires que de lomnipotence ducale. Aussi le peuple subit-il, autant que le doge, les effets de la réaction. On institua 12 électeurs, deux par quartier, qui choisissaient chacun 48 citoyens. Les élus formaient un conseil de 576 mem- bres, qui se renouvelait chaque année à la Saint-Michel et qui 1 Cinnamos et Nicétas, loc. cit. > Romanin, t. IT, p. 89. ‘Id. ibid. — 02 — tons de Manuel? Qui le croirait? Par une nouvelle ambassade pacifique !. Enrico Dandolo partit avec Philippo Greco pour Constantinople?. En même temps la flotte abandonnait le mouillage de Panagia pour ceux de Mételin Ÿ, de Stalimène‘, et enfin de Scyros®. Malgré tous les soins et tous les déplacements, la peste continuait ses ravages. C'est en vain qu'on brülait les navires infectés ou qu'on les coulait à fond 6. Le mal résistait à tous les efforts. Les plus braves citoyens tombaient sans gloire, en face d’un ennemi perfide que l’imbécillité du doge ne leur avait point permis de châtier avant de mourir. Des familles entières étaient emportées. Les Gustiniani, qui étaient partis en masse, au nombre d'une centaine, eurent le sort de la gens antique des Fabius, dont ils avaient imité le dévouement. Le fléau les enleva tous. Aussi le moine Niccold Giustinian, dernier rejeton de la famille, s'empressa-t-il de quitter le cloître et de prendre femme. Il épousa Anne Michieli, fille du doge, et en eut plusieurs fils. Après quoi, voyant son œuvre patriotique achevée, il revint au monastère d'où il n’était sorti que pour l'accomplir. Sa femme l'imita; et tous deux furent récompensés de leur piété par les honneurs de la canonisation ?. La flotte vénitienne, dans les parages de Lemnos, voyait périr chaque jour de nouvelles victimes. Les Grecs étaient à sa re- cherche : ils latteignirent au moment où elle se disposait à prendre la direction de Scyros. Cinnamos et Nicétas attestent tous les deux qu'elle fut vaincuef; beaucoup de bâtiments pris et coulés avec les équipages. Elle échappa, par une fuite rapide, à un dé- sastre, et parvint à Scyros. C’est là qu'elle passa les fêtes de Pâques, dans la consternation et dans le deuil?. Le grand-duc An- dronicos Contostephanos la délogea de cette nouvelle retraite, et 1 A Dandolo, Chron. loc. cit. ? «Tunc prudentum consilio pro obtinenda pace Henricus Dandulo et Philippus Greco cum illo pariter remittuntur. » (Dandolo, loc. cit.) * Mételin ou Castro (autrefois Mityhn), capitale de l’île de Mételin ( Lesbos). # Stalimène (autrefois Myrine), capilale de l'ile de Stalimène ( Lemnos). 5 Skiro (Scyros), dans l’île du même nom, à 8 milles à l'est de Négrepont. Syra (Syros) est beaucoup plus au sud, au milieu des Cyclades. 5 Romanin, t. II, p. 58. 7 Id. ibid. p. 89. $ Nicétas, loc. cit. Cinnamos, loc. cu. * «Tbique invalescente peste in luctu pascalia festa peregit. » (Dandolo, loc. cit.) — 10 — lui donna la chasse jusqu’au cap Malée. La supériorité des Véni- tiens dans l’art de la navigation, la légèreté de leurs navires, les dérobèrent aux Grecs, qui, renonçant à les atteindre, rentrèrent à Constantinople. Michieli, de son côté, ramenait à Venise une flotte abattue par linaction et les revers, troublée par la révolte des équipages, décimée par la contagion ?. Où était la brillante expédition que la république avait confiée à son chef suprême? Qu'avait-il fait de sa mission? Qu'étaient devenus tant de sacrifices, et les espérances de tout un peuple? Jusqu'alors les navires que Venise envoyait en Orient étaient revenus avec des dépouilles et des trophées. Michieli ne rappor- tait à sa patrie que l'humiliation et les horreurs de la peste. Il avait ajouté de nouveaux affronts à celui qu'il devait laver dans le sang des Grecs. 11 s'était laissé jouer indignement par un prince per- fide; il avait mis la république aux pieds de Manuel en mendiant une paix qu'il n'était plus permis de désirer; il avait montré la plus grande timidité devant la guerre, la plus triste constance devant les refus et les outrages. Venise lui demanda compte de son honneur et de sa vengeance. Le peuple, exaspéré, s’attroupa dans un grand tumulte. Des cla- meurs redoutables s'élevèrent contre l'auteur des calamités pu- bliques. Michiehi tenta vainement de se justifier devant l'assemblée qu'il avait réunie dans le palais ducal. Les cris et les menaces re- doublaient. L'infortuné doge, se voyant perdu, prit la fuite. Mais les meneurs, furieux, ne lui laissèrent pas gagner le monastère de S. Zacaria, où il allait chercher un asile. Ils l’atteignirent et l’égor- gèrent à peu de distance des murs protecteurs? (28 mai 1172). Ces tristes événements montrèrent la nécessité d’une réforme politique. Les affaires d'Orient causèrent, comme au temps des Or- seoli, l'affaiblissement de lautorité suprême. Mais l'on n'avait pas moins à se plaindre des violences populaires que de l’omnipotence ducale. Aussi le peuple subit-il, autant que le doge, les effets de la réaction. On institua 12 électeurs, deux par quartier, qui choisissaient chacun 48 citoyens. Les élus formaient un conseil de 576 mem- bres, qui se renouvelait chaque année à la Saint-Michel et qui 1 Cinnamos et Nicétas, loc. cit. ? Romanin, t. IT, p. 89. 3 Id, ibid. — 106 — pereur ne connût plus de bornes, et voulût faire aux Vénitiens une srande renommée de patience. Cependant le doge reprit ses négociations avec le roi des Deux- Siciles, et cette fois les conduisit à bon terme. Aurio Mastropiero et Aurio Dauro se rendirent à la cour du roi Guillaume IL Les envoyés impériaux furent stupéfaits de cette nouvelle. Venise était tombée si bas dans cette malheureuse campagne diplomatique que le réveil de son énergie devenait un événement. Les Grecs chan- gèrent de ton, et obtinrent le départ d'une nouvelle ambassade com- posée de Leonardo Michieli, de Marin Michieli et de Filippo Greco. Ceux-ci rapportèrent de Constantinople un traité vague et défec- tueux. Mais les négociations ouvertes dans les Deux-Siciles ne furent pas interrompues. Elles aboutirent à un traité de commerce et d'alliance qui fit regagner à Venise le terrain perdu. Le doge ren- voya les ministres grecs, à la grande satisfaction de son peuple !. Guillaume IT accordait sécurité, protection, franchise au com- merce vénitien dans toute l'étendue de ses états. Les droits mo- dérés qui frappaient leurs marchandises à l'entrée et à la sortie depuis les concessions de Roger et de Guillaume I‘, étaient encore réduits de moitié?. Sont exceptés des bénéfices du traité les cor- saires vénitiens au service de l'empereur : Guillaume II se réserve tous ses droits de les combattre et Venise les abandonne. Les flottes combinées de Guillaume et de la république blo- quèrent Ancone, afin d'enlever cette place importante à Manuel. Des corsaires normands et vénitiens portèrent la désolation dans les villes maritimes de l'empire. La marine grecque ne pouvait réprimer ces brigandages. Après deux ans de guerre, Manuel revint sincèrement à des idées pacifiques“. Sa politique chercha d'abord 1 A. Dandolo, p. 299-300. ? «De justitis, quas temporibus domini gloriosissimi regis Roger ,avi nostri, et domini magnificentissimi, regis Villelmi, patris nostri beatæ memoriæ, dare soliti sint, amodo non nisi medietatem tantum dent de hoc, quod hactenus dare soliti sunt. In Messana vero et Panormo et alüs terris Siciliæ dent medietatem de hoc, quod hactenus dare soliti sunt in Messana; et hoc donec pax et amicitia inter nos et ipsos fuerit. » * Ces diverses stipulations sont consignées dans deux actes séparés : le pre- mier, relatif à la paix et à la sécurité des Vénitiens, est inséré dans le Libro dei Patti, t. IT, fol. 1173 le second relatif à Pabaissement des droits, s’y trouve égale- ment, t. IL, fol. 123. * Nicétas, Manuel, V, 9, éd. Bonn, p. 222-229. Dandolo (p. 301). L'alliance de Rimini servit beaucoup aux Vénitiens, dans leur lutte avec Ancône. EN de à détacher les Vénitiens de l'alliance normande; mais, voyant l'inutilité de ses efforts, il se contenta de se réconcilier avec les anciens auxiliaires de Byzance. Les priviléges antérieurs furent expressément renouvelés, et les Vénitiens obtinrent, en compen- sation des dommages reçus, une indemnité de 1500 livres d'argent (2277). La même année, Frédéric Barberousse traitait également avec Venise et les villes lombardes. Le Lido devenait le centre du con- grès, où l'empereur, le pape et les communes allaient débattre les conditions de la paix. Alexandre et Barberousse se rencontraient sous les voûtes de Saint-Marc, et le forum de la république véni- tienne voyait la réconciliation solennelle des deux puissances de lltalie et du moyen âge, la papauté et l'empire ?. Au 1x° siècle les pêcheurs des lagunes échappaient à l'ambition de l'Occident par leur courage, à celle de l'Orient par leur poli- tique. Au xu°, ils imposaient la paix à l'un et à l’autre, après avoir épuisé et Barberousse et Manuel. Le Bas-Empire devenait de plus en plus faible et perdait chaque jour la conscience de sa faiblesse. Il était en proie à ce vertige qui annonce les grandes chutes. La mort de Manuel Comnène donna le signal des malheurs (1180). Alexis IT fut proclamé à la mort de son père et lui succéda sous la tutelle de sa mère Irène et bien- tôt de son parent Andronicos Comnène. Celui-ci ne tarda pas à convoiter la place de son pupille. Un matin Alexis fut étranglé par les ordres d’Andronicos. Ne voulant pas ajouter au danger des ré- volutions intérieures celui d’une guerre étrangère, l'usurpateur ne négligea rien pour s'assurer l'amitié des Vénitiens. Il délivra les marchands qui n'avaient pas encore eu les bénéfices du traité de paix, et s'engagea à payer chaque année l'indemnité consentie par Manuel *. Andronicos, arrivé par le crime, professa quelque temps la 1 Nicétas, loc. cit. ? Voy. Romanin , t. IT p. 105-112. Dandolo, p. 301-305. # Voyez plus haut p. 315 et suiv. le rôle de Venise entre Nicéphore et Char- . lemagne. # « Emanuel angustiatus, denique moriens, Alexium Porphyrogenitum heredem imperii tuitioni Andronici commisit; qui, spreto juramento, postea illum suffo- cavit, et imperator factus est. Hic pro firmitate imperiü, ut Venetos sibi favora- biles exhiberet, mercatores per Emanuelem captos, requirente Duce, liberavit, et de resarciendis damnis annuatim promisit.» (A. Dandolo, Chron. p. 309.) ue. MR justice pour se maintenir. Mais la perversité de sa nature eut bientôt levé tous les masques. L'abominable tyran trouva des instruments terribles dans la troupe indisciplinée de Paphlago- niens qui l'avaient porté sur les degrés du palais et du trône. Entrés avec lui à Constantinople, les farouches mercenaires enva- hirent la Corne-d'Or et se jetèrent sur les Latins !. C'est alors qu'eurent lieu les sanglants massacres dont la quatrième croïsade devait être l'expiation. Au carnage succéda l'incendie. Quelques Latins échappèrent et allèrent implorer l'Occident et même l'Orient chrétien. À Antioche, à Jérusalem , à Aix-la-Chapelle , à Paris, à Pesth , à Rome, à Palerme, à Venise, ils appelèrent la vengeance des catholiques sur la tête d'Andronicos et de ses soldats. Deux peuples seuls répondirent, les Vénitiens et les Normands. Guillaume IT fut le premier à se mettre en campagne. Il dé- barqua sur les côtes d'Illyrie, prit Durazzo, et poussa jusqu'à Thessalonique. En même temps les Vénitiens mettaient à feu et à sang les côtes de la Propontide et de l'Hellespont. Thessalonique fut traitée avec autant de barbarie que la Corne-d'Or. Les Normands rivalisèrent de cruauté avec les Paphlagoniens. Les Vénitiens les imitaient sur les rivages de la mer de Marmara. Grecs et Latins revenaient à la barbarie ?. La capitale fut bientôt menacée par les hordes du roi Guillaume. On aurait cru que c'en était fait de l'empire. Mais une nouvelle révolution changea la face des choses. L'avénement d'Andronicos avait mis Constantinople à deux doigts de sa perte; la chute du même prince la sauva ÿ. Isaac Comnène, plus connu sous le nom d’'Isaac l'Ange, n'eut pas plus tôt renversé l’usurpateur, qu'il prit des mesures habiles pour repousser l'ennemi. Les Latins s'étaient avancés jusqu'aux portes de la capitale; mais le mépris que leur inspiraient les Grecs leur fit négliger les précautions les plus vulgaires de la prudence. Is étaient divisés en plusieurs corps et répandus dans toute la cam- pagne. Le général grec Branas tomba sur eux et profita de leur dé- ! Tafel, Komnenen, p. 97. ? Cf. Nicetas, loc. cit. L'historien byzantin déplore amèrement ces désordres; x y voit avec raison l'origine des malheurs qui plus tard ont frappé sa patrie, et un sentiment de vive douleur éclate à travers ses métaphores ambitieuses. 3 Romanin, loc. cit. Î È — 09 — sordre pour les accabler. Thessalonique fut reprise sans tirer l'épée. Les Siciliens périrent ou prirent la fuite !. Isaac ne se laissa pas éblouir par cette victoire. I saisit l'occasion de traiter avec les Vénitiens, qui avaient continué leurs ravages, et dont la flotte appuyait les opérations des Normands. De son côté la république n'avait jamais l'humeur si pacifique qu'au moment où elle était forcée de faire la guerre. Le successeur de Sebastiano Ziani, Aurio Mastropiero (1178-1192), ancien am- bassadeur à Constantinople, envoya Ottaviano Querini?, Pietro et Giovanni Michieli à l’empereur Isaac qui les accueillit avec une grande bienveillance. Après avoir reçu leurs compliments, ce prince s'engagea à ne plus ajourner les réparations promises. Dome- mico Memo, procurateur de Saint-Marc, et Pietro Corner allèrent rejoindre les précédents et obtinrent pleine satisfaction # (1186). Les chrysobulles que l'empereur Isaac lAnge signa en cette circonstance sont au nombre de quatre (1187-1189). Les deux premiers ne font que renouveler les concessions antérieures : l'un 5 en faveur de la république, l'autre © en faveur des Vénitiens de Constantinople et de Romanie. Ils reproduisent tout au long les chrysobulles d'Alexis, de Jean et de Manuel, et ne s’en distinguent que par le ton moins orgueilleux du préambule. La chancellerie byzantine, sans rompre encore avec ses traditions d’arrogance, commençait à ménager la susceptibilité d'un peuple qui avait fait sentir aux Grecs et le prix de son amitié et le poids de sa haine. Les deux autres chrysobulles méritent au plus haut degré l'attention de l'historien. Ils sont, de la part des Grecs, l’'aveu le plus éclatant de leur faiblesse, et comme la justification de la conquête vénitienne, qu'ils semblaient appeler eux-mêmes. Par le premier de ces actes, l'empereur se mettait à la merci des Vénitiens en les prenant pour ses marins ordinaires; par le second, il su- bissait toutes leurs réclamations, et, sous prétexte de les indem- niser, devenait en réalité leur tributaire. Les Vénitiens s'engagent à être les alliés fidèles de l'empire et à LRomanin, t. If, p. 126. ? Voy. Codice degli ambasciatori. (Bibliothèque Saint-Marc.) 3 Romain, t. Il, p. 126. * Romanin, t. IF, p. 126. Cf. Dandolo, p. 314. 5 Libro dei Patti, 1, 105. ® Romanin, t. [f, p. 110. DL er AO prendre sa défense contre tous ses ennemis. Une exception est faite en faveur du roi de Germanie, et du roi des Deux-Siciles jusqu'au moment où expirera le traité qui engage la république envers « ces princes. Si même, dans l'espace de sept ans que doit durer l'alliance vénitienne avec les Deux-Siciles, le roi de ce pays atta- quait le premier l'empire, les Vénitiens, quatre mois après la noti- fication officielle, seraient obligés de fournir à l'empereur un se- cours de 15 galées !. | Dans toutes les guerres qui pourront s'élever entre l'empire et un autre état, la république enverra, dans le délai de six mois, un contingent dont le minimum sera de Ao navires, et le maxi- mum de 100. Ces bâtiments seront armés à Venise aux frais du trésor impérial. Les équipages seront composés d'hommes ayant l'expérience de la mer. Venise fournira un capitaine pour l’'arme- ment de cinq navires ?. Chaque commandant jurera que le navire renferme 140 hommes, moins les morts ou déserteurs inconnus, qui seront remplacés le plus tôt possible. Les capitaines et officiers vénitiens promettront de conduire l'expédition pour le plus grand avantage de l'empire. Si, avant d'opérer leur jonction avec la flotte impériale, ils rencontrent la flotte ennemie, ils la combattront de bonne foi$. La jonction faite, ils compteront les hommes dans chaque navire et rempliront les vides. Ils prêteront deux nouveaux serments, l’un de fidélité à l'em- pereur, l'autre d'obéissance à l'amiral nommé par lui. Ils s’enga- geront à « poursuivre sincèrement la flotte ennemie jusqu'au point où les impériaux la poursuivront de bonne foi *. » | | * « Verumtamen et contra regem Siciliæ, quandocunque ipse argumentabitur offendere Romaniam infra annos conventionis inter eos factæ, venient Venetici infra quatuor menses post datam de hoc noticiam Duci ab imperio corum Ve- netæ ad adjuvandum Romaniam et defendendum eam cum galeis quindecim bona fide. » ? «Cum galeis quadraginta, vel pluribus usque ad centum.. . .. .. Hujusmodi vero galeæ debent Venetiæ fieri et parari a Veneticis cum universo apparatu earum per pecuniam illis missam ab imperio eorum, vel inventam ibi a parte celsitudinis eorum, Veneticis dare debentibus homines aptos, ut unusquisque presit preparationi quinque galearum......» Ces capitaines recevront de l’empe- renr la somme de 6o Hyperperi. : * «Et si stolus noster, antequam imperii eorum stolo uniatur, aliquem stolum inimici eorum invenerit, et eum offenderet vel expugnare voluerit, faciet sine fraude et malo ingenio aliquo. h 4 «Et quod una cum stolo imperti eorum persequentur stolum inimici majes- — All — Après la fin de la campagne, on renverra à Venise autant de navires que le gouvernement vénitien le demandera en conscience. Mais ils doivent repartir pour Constantinople au premier mot de l'empereur, montés par les mêmes hommes qui recevront une paye proportionnée à la longueur du service, ou bien avec d'autres équipages. Ils peuvent être également tenus en réserve à Venise, sur la demande de l'empereur et à ses frais !. Les Vénitiens établis à Constantinople et en Romanie prenaient part à ce service maritime dans des conditions particulières. L’em- pereur pouvait les enrôler dans les équipages des 100 navires ré- glementaires, à condition de ne lever que 3 hommes sur 4, ayant plus de 20 ans et moins de 60. Cette faculté devenait même un droit toutes les fois que les navires, rappelés de Venise, ne reve- naient pas à Constantinople dans le délai fixé, ou que l’empereur attaqué par une force de plus de 4o navires, ne pouvait demander le contingent vénitien en temps utile?. Dans ces différentes cir- constances, le gouvernement grec pouvait enrôler, aux conditions qui précèdent, les Vénitiens habitant la capitale et les environs jusqu'à Abydos, Philadelphie et Andrinopleÿ, tatis eorum, sive cristiani sint, sive pagani, et ledent et expugnabunt eum et expellent, inferentque ei malum quod poterunt, bona fide, sine fraude ct malo ingenio, et impugnabunt eum quousque et stolus imperatoriæ sublimitatis eum impug- nabit bona fide et sine fraude. » 1 «Et si voluerit eas Venetia custodiri, custodientur ad honorem Jmperii eorum, ac si essent propriæ Venetiæ, sed tamen cum imperiali expensa. » ? «Item et, si imperium eorum voluerit in numero hujusmodi centum galea- rum servitium Veneticorum in tota Romania inventorum, debet illud habere cum tot scilicet galeis quot armari poterunt de inventis Venetis, ex quatuor tribus in galeas mductis secundum numerum inventorum Veneticorum cum et mani- festa roga. Verumtamen non cogentur galeas ingredi viginti annorum homines et infra, neque sexaginta annorum et ultra. » Le texte ne signifie donc pas, comme le prétend à tort Romanin (If, p. 127, n. 3), que les Vénitiens de Constantinople, levés à raison de 3 sur 4, remplissaient à eux seuls les cadres des 100 navires, ce qui constituerait une population de 14,000 hommes en état de porter les armes, mais qu'ils seraient versés dans autant de navires qu'ils en pourraient remplir étant levés à raison de 3 sur 4, et que ces navires montés par eux seraient compris dans le contingent réglemen- taire des 100 bâtiments. Le tout étant plus grand que la partie, il est évident que les navires ainsi montés par les Vénitiens de Romanie étaient d’un nombre inférieur à 100, sans qu'on puisse dire ce qu'il était. . % «[tem, si imperio eorum expedit auxilium ad defensionem terræ celsitudinis eorum ob aliquem inimicorum in Romamtam ingressurum cum galeis quadra- MISS. SCIENT. — 1V. 28 — 12 — L'Empereur se réserve à Venise même d'autres facilités pour le passage des troupes de terre qu'il pourrait lever en Occident. Les soldats qu'il enrôlerait en Lombardie et voudrait transporter en Romanie par Venise auraient droit au passage et à la protection armée de la république, si toutefois ils n'étaient pas levés contre elle, et s’il n’y avait pas d'empêchement majeur ! En récompense de ces services l'empereur donne aux Vénitiens recours contre le fisc ou les sujets grecs dont ils sont créanciers depuis l'époque de Manuel ; il leur promet la restitution des biens que l'attentat de 1171 leur a fait perdre, ou le payement d’une in- demnité équivalente. Il s'engage à maintenir leurs anciens privi- léges, à les défendre contre l'agression, à ne pas traiter sans eux avec l'ennemi commun ?. De son côté, les doges de Venise lui jureront fidélité, selon la formule du serment qu'a prêté le doge régnant Aurio Mastropiero, Protosevastos impérial$ (1187). Les réparations pécuniaires, admises en principe, devenaient deux ans plus tard l’objet d'un acte nouveau. Les Vénitiens n'avaient touché que 100 livres d'argent sur les 1500 fixées par le traité de 1178. Le chrysobulle de 1189 rap- pelle les différents ambassadeurs qui sont venus en réclamer le payement intégral, d'abord P. et J. Michieli, et Ottaviano Querimi#, ensuite Pietro Corner et Domenico Memo, procurateur de Saint- ginta vel pluribus , et nequiverit Venetiam mittere pro adjutorio, debet impera- toria celsitudo inducere ad defensionem terræ imperü eorum contra hujusmodi inimicum Veneticos, in magna urbe videlicet et circa eam existentes versus ortum et versus occasum , et ab ea usque Abidum et in eadem civitate similiter inventos, necnon et in terris, quæ infra sunt usque ad Philadelphiam et in ipsa civitate, et usque Andrianopolim et in ea similiter existentes, de quatuor tres, cum tot scili- cet galeis quot armare poterunt, inventi secundum supradictum ordinem, cum et este roga.» — Philadelphie est une ville de Lydie. «Item, si imperium eorum voluerit homines aut vestiaria Venetiam mittere, gratia conducendi milites a Lombardia vel ab alia terra, et dispensandi ea quæ se honorem et utilitatemi terræ spectant celsitudinis eorum, licite faciet hoc, si hoc non est contra Venetiam. » ? Voy. la dernière page du document Libro: dei Patti, 1, 113. Tafel a publié ces différents documents (Fontes , t. XIT, p. 178-203), après Marin (t. IT, p. 263 293 et suiv.). * «Nobilissimo et imperii nostri fidelissimo Duci Venetiæ, Aurio Magistro Petro, qui dignitate protosevasti a nostra sublimitate decoratus est.» (Chrys. de 1187, préambule, Patti ,4:,:103.) * Voy. plus haut, p. 409. — 13 — Marc!. Accédant à leurs légitimes réclamations, l'empereur leur promet le payement des 1400 livres encore dues au moyen d'un versement de 200 livres comptant et de six annuiïtés. Il y ajoute 100 livres comptant, une indemnité annuelle de 50 livres. Un revenu égal leur est assuré sur les Échelles franque et allemande qu'il leur‘concède à Constantinople. Ils auront recours contre leurs débiteurs, y compris le fisc. Aucun agent public ne pourra percevoir de droits sur les revenus nouveaux que l'empereur leur accorde dans sa capitale?. Ces derniers traités qui avaient pour but le rétablissement de l'alliance, sont au contraire les signes les plus éclatants d’une lutte inévitable, En promettant aux Vénitiens les plus larges indemnités, Isaac l'Ange prenait un engagement dérisoire ou dangereux. En les enrôlant dans ses flottes, il mettait Constantinople et sa propre per- sonne à leur merci. Et d’ailleurs ce prince téméraire et prodigue avait-il au moins l'avantage d'une longue LR et le mérite de la sincérité? Était-il bien assis sur * trône d’où il faisait pleuvoir tant de grâces ? Avait-il foi en ses alliés et en lui-même? Rien de tout cela. Cher- chant à tout prix des soutiens, Isaac offrait ce qu'il n'aurait pu don- ner : il n'était libéral que du bien d'autrui. Le jour où il eût réel- lement possédé l'empire, il eût été le premier à le défendre contre d'insatiables convoitises. L'empereur, pas plus que le doge, ne croyait à la durée d’une réconciliation qui pesait aux deux parties. Entre Vénitiens et Grecs on avait ramené la paix; on ne pouvait rétablir la con- fiance. Une répulsion invincible paralysait tous les efforts de la politique, et la plus vive antipathie se cachait sous l'excès même des démonstrations amicales. Isaac lAnge avait beau dire que les Vénitiens n'étaient pas pour lui des étrangers, « qu'il les considérait comme des Grecs indigènes, qu'ils souffraient pour la Romanie comme les Romains eux-mêmes, qu'ils lui étaient dévoués comme à la mère patrie,» et que ces sentiments leur donnaient droit à tous les priviléges des Romains. Vainement espérait-il sous les ! Ces ambassadeurs furent envoyés en 1183. Cf. Godice delli ambasciatort (aila Marciana ). ? Libro dei Patti, I, 133. Tafel (ouvr. cité, p. 203). % «Quanquam enim grave nostræ celsitudini videtur, latitudinem infra magnam urbem gentibus exhibére; verumtamen, quia, non ut alienigenas, verum ut abe- 28 - PMNE 55e faux dehors de l'amitié dissimuler aux autres et à lui-même les tristes nécessités de la dépendance. Les Vénitiens n'étaient pas plus que lui dupes de cette illusion volontaire. La crainte de la guerre perçait à travers tous les articles d’un traité destiné à conclure une intime alliance. Les serments se multipliaient avec les mensonges; on faisait jurer aux Vénitiens la fidélité; on n'attendait d’eux que la trahison. Menacé d'une ruine prochaine, le Bas-Empire, cherchait à prolonger par une làcheté suprême sa misérable exis- tence. Ambitieuse, mais prudente et timide encore dans son am- bition, Venise remplissait de ses marins les flottes impériales, avant d'accabler l'empire. CHAPITRE VIT. LES VÉNITIENS EN ROMANIE; LES GRECS ET LEUR INFLUENCE À VENISE VERS LA FIN DU xXII° SIÈCLE. Depuis l'époque de Justinien , une pacifique et mutuelle invasion avait établi les Vénitiens dans toute l'étendue de la Romanie, et introduit à Venise l'influence, les usages et les arts de la Grèce byzantine. Avant de se combattre, les deux peuples avaient appris à se connaitre et à s'imiter; ils s'étaient unis par les mariages, par l'échange des produits et des idées, par la communauté des travaux et des habitudes. Le jour où une haine réciproque les mit aux prises, ils donnèrent un sanglant démenti à une amitié sept fois sé- culaire, et affrontèrent l'horreur d’une guerre presque fratricide. Avant de raconter la conquête du Bas-Empire par la répu- blique de Saint-Marc, il importe d'exposer les résultats de ces longs rapports entre les deux états les plus civilisés du moyen âge. Le commerce qui reliait Venise à Constantinople était de plu- sieurs natures. La reine de l’Adriatique ne se contentait pas des échanges directs avec les Byzantins. Elle apportait à ses alliés les produits de ftalie et de l'Allemagne, et distribuait à toutes ces régions les denrées et les riches travaux de la Romanie. qui étaient souvent des manufactures vénitiennes, fabriqués par la colonie rigines Romanos genus Veneticorum nostra serenitas reputat, tantumque pro Romania quantum et ipsi Romani, tantumque et erga: eam habent devotionem, quantum et erga terram, quæ eos emisit, non eis tantum quantum Romaniæ lar- giendum esse videtur, quantumeumque eis largiatur. » (Patti, T, 103.) : | | | . | 1 | | À 1 — 15 — de Péra. Le grand commerce d'Orient alimentait un transport très- actif en Europe. Les petits fleuves de la Vénétie étaient sillonnés par les barques des Vénitiens comme l’Adriatique et l’Archipel l'étaient par leurs navires. Ces marins infatigables restèrent les facteurs universels, jusqu’au moment où des rivaux sortis de Pise et de Gênes les forcèrent au partage. Les produits nationaux étaient les objets les moins importants de leur commerce avec l'Orient. Le sel, que Venise avait recherché dès les premiers jours de son existence et dont elle tendait à se réserver le monopole, passait en première ligne. Il donnait naissance à un autre genre de trafic, le poisson salé. On exportait aussi beaucoup de lin et de chanvre. Quant à l'industrie vénitienne, elle excellait dans les travaux de bois gros ou fins, destinés au service des bâtiments ou à l'usage domestique, dans la préparation des solives, planches, écuelles, plats, conques, vases et verres. Elle savait fondre certains métaux. Le doge Orso Partecipazio [°° (864-881), à la demande de l'empe- reur Basile !, lui envoya alors douze cloches. Celui-ci les fit mettre dans une église nouvellement construite, et c’est depuis cette époque que les Grecs commencèrent à avoir des cloches ?. Venise tirait de l'Italie, de la Germanie, de la Hongrie, de lHly- rie, de la Dalmatie et autres contrées, des marchandises de toute espèce, qu'elle répandait en Orient. C'étaient d’abord les esclaves, hommes, femmes, enfants, eu- nuques. Les efforts communs des empereurs et des doges pour in- terdire ce commerce témoignent de la faveur dont 11 jouissait chez les deux peuples $. Les manufactures d'Italie et d'Allemagne n'é- taient guère moins recherchées à Constantinople que celles de l'Orient ne l'étaient dans les régions occidentales. Venaient ensuite les fruits secs et les salaisons, les métaux bruts et travaillés, fer, cuivre, plomb, étain, vif-argent ; les cordages, les pelleteries de tout genre ; les bois de construction soit pour les navires, soit pour la bâtisse: les travaux de bois et de terre cuite; les toiles de chanvre et de lin, la laine et les draps de laine. Toutes les marchandises, 1 Basile [*, le Macédonien , empereur en 867. { Voy. Dandolo, p. 183.) 2 Dandolo : «Qui honoris suscepti (Protospatharius!effectus) non ingratus XII magni ponderis campanas imperatori delegavit, et ex illo tempore Græci cam- panis uti cœperunt.» {Chron. p. 187.) 3 Voyez Patti, 1,99; IF, 157. — 16 tirées des ports de FÂdriatique ou arrivées de l'Allemagne, par la Save, l'Isonzo, la Brenta, la Piave, étaient transportées par les Véni- tiens dans les îles et sur les côtes de la mer lonienne, de l'Archipel, de la mer Noire, en Europe, en Asie, en Afrique. Si l'empire grec recevait M il Pau rendre avec usure. Son opulente capitale, qui avait survécu à tant de désastres, exerçait un invincible prestige sur l'Occident, resté barbare. Elle était pour cette partie du monde comme pour Fautre la souveraine de. la mode et du goût. Les pays du Nord et de l'Occident recherchaïent par l'intermédiaire des Vénitiens les merveilles de son industrie : habits de luxe, draps de soie brodés d’or et d'argent, riches manu- factures, objets de fantaisie en tout genre. Si Constantinople four- nissait les articles en vogue, la mer Noire donnait le poisson salé, la Tauride les grains; l'Asie Mineure et les îles de lArchipel, les vins précieux, le baume, les drogues et parfums, lencens, les différentes espèces de gomme, la casse et autres médicaments, les denrées ou les manufactures importées de l'Inde, les draps de soie et de coton, les draps de Damas et de Bagdad, les perles, le corail, l'or et Fargent monnayés ou bruts, les fantaisies de Phénicie. Les îles de l'Archipel, ainsi que la Sicile, exportaient l'huile, le vin, la manne, le mastic. Tous ces produits passaient par les mains des Vénitiens, qui en approvisionnaient l'Italie, l'Allemagne méridionale et les deux rives du Danube. Lorsque ces habiles marins allaient trafiquer dans les mers loin- taines d'Orient, ils employaient un mode particulier de naviga- tion. Ils formaient un convoi de plusieurs navires destinés à la même échelle. Sous le règne de Giovanni Partecipazio (829-836), un convoi de bâtiments vénitiens, parti des environs de Bénévent, tombe aux mains des Slaves. Quelques siècles plus tard, sous les doges Gradenighi, d’autres convois venus de Syrie et chargés de marchandises furent pris par les Sarrasinsi. Ce système avait un double but. Il donnait aux commerçants menacés par les pirates la force de l'association et du nombre. Il permettait en outre de réunir une quantité considérable de marchandises et de répondre aux besoins de la place que l’on allait servir. Grâce aux corres- pondances entretenues avec elle, on proportionnait l'offre à la de- mande et on évitait le risque de ramener le chargement. Tout cet ? Marin, t. 11. p. 106, — 17 — ensemble de dispositions atteste la prévoyance des marchands vé- nitiens et la continuité des rapports qu'ils conservaient avec ceux d'Orient. Au xu° siècle, les colonies vénitiennes étaient répandues dans: tout l'empire. Elles l’enveloppaient d'un vaste réseau depuis les frontières de la Dalmatie jusqu’à celles de l’Asie Mineure. Sur tous les rivages et sur toutes les iles flottait au nom du commerce l’éten- dard de la république, en attendant le jour où elle y régnerait par le droit de la conquête. Les chrysobulles qui ouvraient la Romanie aux Vénitiens ne: faisaient pas de distinction entre les différentes villes de cette vaste contrée. Ils leur avaient conféré un privilége en quelque sorte uni- versel. On peut dire que tous les ports fréquentés, tous les centres. importants de l'intérieur recevaient la visite de leurs marchands. Mais, si les actes impériaux ne mettaient aucune limite à cette mer- veilleuse activité, ils indiquent d’une façon explicite les points où. elle se déployait avec le plus de confiance. L'étude attentive de ces. textes nous donne la géographie politique des colonies vénitiennes. Une des plus considérables était établie sur la rive orientale de lAdriatique, àDurazzo, assez puissante pour défendre la ville contre les Normands, et pour la revendre aux Grecs après la victoire. Elle y possédait, en vertu de la donation d'Alexis, l'église de Saint-André et autres édifices impériaux, à l'exception des fournitures qui s'y trouvaient renfermées. En Épire, Aulon, Bonditza; en Macédoine.. Thessalonique!, Chrysopolis; en Thessalie, Almira {Volo), dont ils. partageaient la possession avec les Pisans depuis 1178°?; dans la Thrace et la Romanie propre, Peritheorion, Abydos, Rodosto, Andrinople, Apron, Héraclée, Sélymbrie ; dans la Grèce centrale, Demetrias, Chalcis sur l'Euripe, Thèbes, Athènes; dans le Pélopo- nèse, Méthone, Coron, Nauplie, Corinthe, Mégalopolis; dans les iles, Chios et, peut-être, Pathmos; en Cilicie, Antioche près des bouches du Pyramos, Mamistra, Adatia ou Adana, Tarse; en 3 Thessalonique, située au centre de la Via Egnatia, avait un port sûr et tran- quille. Une foire s’y tenait au mois d’ octobre, le jour de la fête de saint Dimitri, patron de la ville, et attirait des négociants de tous les points du monde : Égyp- tiens, Syriens, Danubiens, Grecs dé Constantinople, Français, Espagnols, Por- tugais, Îtaliens. (Tafel, Thess. p. 20.) 2 G. B. Fannucci, Storia dei tre celebri popoli marittimi dell Htalia, Veneziant, Genovesi e Pisani e delle loro navigaziont, e comumercio net bassi secoli. Pisa, 1817. HT. 105.) H confond Volo avec Larisse, — 18 — Éolide, Phocée; en Isaurie, Attalie; en Lycie, Strobilos; en Sy- rie, Latakié (Laodicia magna ou maritima), sont les villes que les Vénitiens fréquentaient le plus et qui obtiennent une mention spé- ciale dans les chrysobulles!. D’autres documents nous permettent d'affirmer qu'ils étaient établis, dès cette époque, dans File de Chypre, qui devait être l’un des trois royaumes soumis à la répu- blique?. Ils y formèrent cette partie de la population que lon désigna plus tard sous le nom de « Vénitiens blancs. » Villehardouin *, au commencement du xm° siècle, signale une nombreuse population de Latins dans la ville de l'Espigat, en Bithynie. Mais c'est dans la capitale même de l'empire et aux environs que les Vénitiens étaient le mieux établis. Is y avaient fondé, avec les autres colonies italiennes, une ville à part, qui se perpétua sous la domination turque et qui a donné naissance au quartier euro- péen de Constantinople. Des rivaux moins habiles les avaient précédés sur le Bosphore. Les Amalfitains, dont la colonie prospéra jusqu’à la fin du x siècle, reçurent en Orient le contre-coup de la guerre normande. Cédant à la menace d'ennemis voisins et redoutables, la république d'Amalfi avait renvoyé les ducs grecs dont elle reconnaissait la su- prématie, et s'était donnée aux Normands pour n'avoir pas à les combattre. L'empereur Alexis se vengea de cette défection en ren- dant les Amalfitains de Romanie tributaires de l'église Saint-Marc, et en assignant aux Vénitiens la première place à Constantinople. En vertu du chrysobulle de 1082, ceux-ci occupaient dans Île port de la capitale {Perama) tout ce qui s'étendait depuis Vigla jusqu'à « l'Échelle juive, » et trois Echelles maritimes situées dans la même région. Perama était la Corne-d'Or“, qu'il fallait traverser pour aller de la ville à l’autre rive (æepdr), ou, comme l'on dirait aujourd’hui, de Stamboul à Galata. Vigla s'appelle actuellement Zindan-Kapoussi5. Quant à Échelle juive, il ne faut pas la con- ! Voy. Tafel,t. XIT, p. 1 18-119. La mention de Pathmos, sous le nom de Theo- logos, est tout à fait incertaine. 2? Füliasi, t. VI, p. 45. % Villehardouin, c. xxvr. L’Espigat, sur ta mer de Marmara, à dix lieues envi- ron à l'O. de Cyzique. { Voy. P. Päris, notes, p. 307.) # On sait que la Corne-d’Or est le golfe qui sert de port à Constantinople et qui la sépare de ses faubourgs Péra et Galata. ( Voy. Du Cange, Constantinopolis chris- tiana. Paris, 1680, P- 9.) 5 La Porte des Prisons. — IG — fondre avec le quartier des Juifs. Les Juifs habitaient hors de la ville, à Péra, du côté du Bosphore. Quand ils voulaient se rendre dans la ville, ils devaient traverser la Corne-d'Or dans sa plus grande largeur, au point où elle se confond avec la mer de Mar- mara et le Bosphore, c'est-à-dire vis-à-vis de la Pointe-du-Sérail. C’est à peu de distance de là que le plan de Buondelmonti (1422) indique une porte juive sous le nom de « porta Judæa!,» Aujour- d’hui même on trouve, en face du pont Validé la Porte-des-Juifs { Tchifout- K apou), qui occupe encore le même emplacement. Les Vénitiens habitaient donc à Constantinople un quartier dont la situation, à l'entrée de la Corne-d'Or, était des plus favorables, l'accès facile aux navires, et l'étendue assez grande pour permettre au doge Vitale Falier d'en donner une partie au couvent de Saint- Georges-Majeur ?. Cette concession ne tarda pas à devenir insuffisante. Soixante et dix ans plus tard les réclamations des Vénitiens, qui s’y trouvaient à l'étroit, arrachèrent à l’empereur Manuel un chrysobulle qui élargit et fixa d’une facon précise les limites de leur établisse- ment. Isaac l'Ange confirma expressément le décret de son prédé- cesseur en 1187. La position des Vénitiens n'était pas à l'abri des attaques ni des ! «Constituit vero imperium meum et sanctissimam ecclesiam sancti apostoli et evangelistæ Marci, qui est in Venetia, ab unoquoque in magna civitate et omni Romania tenentium ergasteria Amalphitanorum omnium, qui sunt sub potestate ejus quidem patriciatus, accipere per unumquemque annum numismata tria. Ad hoc donat eis et ergasteria, quæ sunt in embolo Peramatis cum solariis suis, quæ habent introitum et exitum id totum, quod procedit ab Ebraica usque ad Viglan, quæque habitantur et quæ non habitantur, et in quibus Venetici permanent et Græci sicut ergasteriis; et maritimas 111 scalas, quæ in prædicto spatio termi- nantur. (Patu, 1, 99-) Voy. Du Cange, Constantinopolis christiana, p. 58. Son interprétation de l'Échelle juive nous a paru contredite par le plan même de Buondelmonti, qu'il donne au commencement du Constantinopols christiana. Zindan-Kapoussi et la Porte-des-Juifs sont indiquées, sur toutes les cartes de Contantinople, entre la pointe du Sérail et le premier pont ( Validé), qui traverse le Bosphore. Tf pévro: mr Gvopars rod eûayyeloloù (xai dmooldhou Madpnou éxx}noig Üro- Copous äravras roùs éx MéAQns [1. 54 Âpa)@ns), éy Kwvolavrivourdler épyaoTñpra HATÉYOUTAS, MEROINUE , XAÏTA ÉTÔ TS DAÀÂUAS ÉGpains oudhas LÉypr Tis xaoupé- vns BéyXas dfrovra épyaolnpia nai ràs évrds roûrou éumepieyopévas oudÂus édtw- phoaro. ( Anna Comnena, VI, 5, éd. Bonn t. [. p. 285.) 2 Tafel et Thomas, Fontes rerum Austriacarum, t. XIT, p. 187. DID p. 111, 119. — 120 — périls. Elle excitait l'envie des autres colonies italiennes, génoises et pisanes, et celle des Grecs eux-mêmes. Dès le commencement du xn° siècle, les rivaux maritimes des Vénitiens surent obtenir par les menaces ou par les promesses des concessions de terrain ou des priviléges commerciaux !, Les Pisans voulaient avoir au- tant que les Vénitiens, les Génois autant que les Pisans. Les uns et les autres, entrés en possession de leur quartier respectif, ne savaient pas sy contenir. En‘1162, les Pisans envahissent l'éta- blissement des Génois, que ceux-ci défendent avec courage. Mais les agresseurs sont exposés eux-mêmes à un grand danger par la politique de leur métropole, qui combat celle de Manuel en Italie. Ils perdent leur ancien quartier situé dans l'intérieur, et en reçoivent un autre en face de la ville. On ignore si c'était à Galata ou à Scutari. Dans tous les cas, la position était moins fa- vorable. Les Génois, au nombre de 300, avaient bravement ré- sisté le premier jour aux forces pisanes, trois fois supérieures. Mais, le second jour, les Vénitiens et la population grecque firent cause commune avec les Pisans. Les Génois durent céder la place avec une perte de 10,000 livres d’argent?. En général, les Véni- tiens gardent la neutralité dans ces querelles; mais, lorsqu'ils y prennent part, c'est pour se déclarer contre les Génois, leurs en- nemis naturels, destinés à les supplanter un jour. Cependant l’activité des Vénitiens avait franchi le Bosphore. Depuis longtemps ils exercaient le droit exclusif du commerce dans la mer Noire. Leur apparition sur ces rivages remontait à l'époque des empereurs Basile et Constantin. Les croisades accrurent leurs priviléges et donnèrent les plus grands développements à leurs opérations #. Mais ces mêmes événements les forcèrent à par- tager sur ce nouveau théâtre avec les Pisans et les Génois. Les. premiers avaient fondé sous le nom de Portus Pisanus un établis- sement prospère, qui rivalisait avec la colonie génoise de Tana. < ! Voy. Tafel et Thomas, Fontes rerum Austriacarum, t. XIL. p. 189. Ambassade de Basilios Mesimeri à Pise en 1111. Les Pisans promettent de cesser leurs pirateries et de prendre en toute occasion fait et cause pour l’empe- reur. — Ambassade pisane à Constantinople et chrysobulle en faveur des Pisans,. 1112. Traité de Manuel avec Gênes, 1155. * G. B. Fannucci, ouvrage cité, t, I, p. 25 et suiv. ? Voy. Marin, t. TT, p. 28"et 50. L * Pegolotüi, Pratica della mercatura, p, 39. Ap. Pardessus, Lois maritimes, +, Ip — Do — La mer Noire ouvrait aux Vénitiens les lointaines régions que les liens du commerce rattachaient, depuis Alexandre, à la Grèce et à l'Europe orientale. Ils suivaient les voies que les Grecs, les Romains et les négociants de Byzance avaient prises pour tra- verser l'Asie centrale. L'Jtinéraire du Juif Benjamin de Tudela, écrit dans la seconde moitié du xu° siècle, est le document le plus ancien qui nous reste sur les voyages des Vénitiens et des autres peuples commerçants de l'Europe à travers ce vaste pays. Il est douteux que Benjamin ait visité toutes les contrées dont il parle; mais on peut croire quil a recueilli ce que d’autres avaient vu par eux-mêmes et ce qu'ils lui avaient appris; car, à côté de nom- breuses fables, la Relation de ses voyages offre des notions dont les voyageurs des siècles suivants ont confirmé l'exactitude !. Dans les ports de la mer Noire affluaient les marchandises de la Russie et de l'Asie. Rubruquis atteste qu'au xur° siècle les Russes y apportaient des fourrures et autres productions nationales, en échange desquelles ils recevaient des tissus de coton, de soie, des épiceries. Déjà au xu° les expéditions des Vénitiens pour ce pays étaient tres-actives ?, et l'Europe septentrionale leur était redevable de ses communications avec le Midi et l'Orient. La sécurité et l'indépendance des colonies vénitiennes étaient défendues dans tout l'empire par les bailes ou consuls que la répu- blique avait institués. Dès le x1° siècle le gouvernement vénitien s'était réservé la faculté d'en envoyer à Constantinople. Au xr°, il en eut à Soudak* dans la mer Noire et dans toutes les villes de Terre-Sainte. Théophile Zen est le premier consul vénitien qui ait laissé trace de son existence dans ces parages (1217). Mais rien n'indique qu'il n'ait pas eu de prédécesseur #. Les consuls ou baïles eurent d’abord pour unique mission de juger les différends entre leurs compatriotes, sans aucune inter- vention des magistrats impériaux. Mais leur influence s'était tellement accrue pendant le xn° siècle qu'ils en vinrent à con- 1 Pardessus, Lois maritimes, t, II, p. x3, xu. 2 Id. ibid. p. xxiv. 3 Id. ibid. Marin, t. VI, p. 69. # «Ma il fatto è ancora più manifesto in Teofilo Zeno, che comministrava in Soria questouflizio (di console) nel 1117, come si cava da uno stromento; ne ivi si dice che fosse il primo. » (M. Foscarini, Della letteratura italiana, p. 25.) Fosca- rini s'est trompe d’un siècle. L'erreur est aujourd'hui reconnue par les archivistes de Venise. — 1922 — naître même des contestations que les Vénitiens auraient avec des sujets grecs. C'était un privilége inouï dans les annales du droit des gens, et dont la faiblesse di un empire aux abois peut seule expli- quer la concession. : Avant l'établissement de cette juridiction nationale, les chryso- bulles de 991 et de 1082, confirmés par les suivants, soumettaient les Vénitiens au logothète impérial. Mais ce magistrat supérieur les jugeait d’après leurs propres lois. C'était rester fidèle à l'esprit des institutions romaines, qui laissaient le Prætor peregrinus rendre justice aux étrangers conformément à leur droit propre ou aux principes du droit naturel et des gens. En outre, toutes les autres juridictions étaient rigoureusement écartées. Il en était de même des droits onéreux qui pesaient sur le commerce extérieur dans tous les ports de l'empire et. dont les chrysobulles nous donnent la curieuse énumération. Les navires payaient une contribution particulière (æepi Évkoxahduou), un droit pour séjourner dans le port (Asuevarimôv), pour débarquer et transporter les marchandises (æoprarixôv), des honoraires (xav{ox:ov), un impôt de six oboles (é6d@oXor), un droit aux commandants des ports (épxovréuor) et autres tributs qu'ils sont dans l'usage d’acquüter. Les officiers im- périaux, avec lesquels ils devaient traiter, n'étaient pas moins nom- breux que les tributs. C'étaient l’éparque du rivage (Ërapyos æapa- Daracaiou), le receveur général (é\eordpoyos yevsxôs) les percepteurs des droits mis sur les marchandises (xouuepxitpios), les rédacteurs des registres (xaprou\dpros), les vérificateurs de comptes publics (Üxo- Aoyou) et tous ceux qui appartiennent à cette classe de fonctionnaires |, Toutes ces juridictions inférieures supprimées pour les Vénitiens, ! Cette énumération est tirée du chrysobulle d’Alexis et des chrysobulles pos- térieurs, qui le reproduisent. Ce sont, à vrai dire, des données officielles sur les impôts et offices maritimes de l'empire grec. Kav{oxov, honoraires (canistrum ). Du Cange : «Sumitur porro hæc vox apud recentiores Græculos pro sportula, hono- rario, dono, quia dona in canistris deferri solent.» Voy. les exemples qu'il donne Glossarium ad scriptores mediæ et infimæ græcitatis, t. 1, p. 575. — ÉÉd@o) 207, un droit de six oboles : péAa, Poa, @cans, follis, obolus. Koppepriäpior, receveurs des droits mis sur les marchandises : xoppépxier si- gnifie tribut, droit mis sur les marchandises. — Xaprouhdpior, ceux qui conser- vent et rédigent les registres. Beaucoup de fonctionnaires portaient ce titre dans l'empire grec, à la cour, à la ville et dans les provinces. Il s’agit ici des yaæprouad- pro Tv mhowiu@v, selon toute probabilité. { Voy. Du Cange.) — ŸYréAoyor, comp- tables, mais dans le sens de vérificateurs et AN car nous avons sh vu les percepteurs et les receveurs. — 123 — s'effaçaient devant celie du logothète où du consul national. Tous les droits imposés aux navires étrangers étaient abolis pour un peuple qui s'était ménagé, dans un âge de prohibition impitoyable, les priviléges du libre échange. L'indépendance dont jouissaient les colonies vénitiennes n'était point compromise par le serment de fidélité et de dévouement qu'elles prêtaient à l'Empereur. Jamais la métropole n'avait refusé cette satisfaction à la vanité des maïîtres de l'Orient, et jamais sa liberté n'en avait souffert. Les Vénitiens de Romanie suivirent cet exemple. Ils acceptérent même, sous le nom de Bovo- yéctor! (bourgeois, citoyens de l'empire), une sorte d'organisation, moitié féodale, moitié communale, qui les attachait à l'Empereur par les liens d’un vasselage apparent. Quand Jean et Manuel Comnène voulurent rendre cette dépendance effective, ces princes s'attirèrent une vive opposition, et des guerres désastreuses?. Les Vénitiens de Romanie ne servaient dans les armées impériales qu'à de longs intervalles. Ils avaient obtenu des conditions presque aussi favorables que les contingents maritimes fournis par la république elle-même. Enfin la protection constante de leur gouvernement les accompagnait sur la terre étrangère, et ajoutait à la garantie qu'ils trouvaient dans leur nombre celle d’une magistrature tuté- aire et d’une juridiction nationale. À côté des bailes et des consuls, dont la compétence était surtout commerciale, les ambassadeurs exerçaient à Constantinople leurs fonctions politiques. La quantité même des missions qui leur furent confiées montre que ces ministres de la république n'étaient pas accrédités en permanence auprès des empereurs. Les baïles, qui avaient dans les principales villes, et surtout dans la capitale, une résidence fixe, pourvoyaient aux exigences de la politique courante et donnaient à leur gouvernement les renseignements nécessaires. Les ambassadeurs, ordinairement au nombre de trois, n'étaient dépêchés que pour traiter d'une affaire spéciale; c'étaient des envoyés extraordinaires, mais si fréquemment employés au xu° siècle, que Venise eut en eux une représentation presque continue. À Constantinople était née cette diplomatie vénitienne qui de- ! Cinnamos (éd. Bonn, p. 282 et commentaire de Du Cange, op. cit. p. 390). ? Voy. le ch. vi. VEN. D. 417. — 124 — vait jeter de si profonds regards sur toutes les cours de l'Europe, et laisser aux historiens modernes de précieux matériaux qui sont les témoignages durables de son génie. Cest à qu'elle prit les habitudes.d'une observation pénétrante, d’une activité infatigable, d’une régularité merveilleuse. On trouve en vigueur au xn° siècle les principaux usages qu'elle suivit plus tard avec une si grande exactitude, et auxquels elle dut à la fois la sûreté de sa marche et l'abondance de ses informations. Déjà le doge remettait aux ambassadeurs ces commissions écrites que le sénat vénitien dicta avec une netteté et une force qui ne se démentirent pas pen- dant des siècles. Les bailes et les ambassadeurs envoyaient les relations et les dépéches, où lon trouvait à la fois la situation géné- rale d’un pays, et son histoire quotidienne. La distinction entre les deux genres de communications diplomatiques n'était pas aussi rigoureusement marquée qu'elle le fut dans la suite; mais déjà les représentants vénitiens acquéraient les qualités nécessaires à l’un et à l’autre. | L'incendie déplorable qui a consumé au moyen âge toute l'histoire primitive de Venise n'a respecté aucune des relations envoyées par les bailes de Constantinople au xn° siècle. Mais nous avons trouvé une commission donnée par le doge Enrico Dandolo (1198)! aux ambassadeurs qu'il envoyait dans la capitale de l'empire. «Nous, Henri Dandolo, par la grace de Dieu duc de Venise, de Dalmatie et de Croatie, « Donnons à vous H. Navigaioso et À. Donat?, nos ministres, la commission suivante : « Après avoir salué l'empereur, vous lui présenterez nos lettres, et ürerez le commencement de votre discours des premières pa- roles qu'il vous dira, en suivant l'inspiration de votre sagesse. Puis vous en viendrez au but de votre mission. S'il veut que l'accord soit juré tel qu'il a été conclu, soit. Mais, s'il abordait le chapitre du roi de Sicile, qui s’y trouve contenu, s’il disait que le temps fixé ! Archivio dei Frari, commissioni, 1. Cf. Dandolo, Chron. p. 318-319. « Dux enim requisitionibus imperialibus assentiens, Henricum Navigajoso, Andream Donato, et Benedicitum Galliono Alexio remittit. Et hi non concordes cum Pro- tosevasto Joanne Monucopulo legato redeunt.» ? Dandolo mentionne un troisième ambassadeur, Benoît Galliono {Chron. p. 319). Alexis, successeur d'Isaac, les accueillit froidement. Dandolo constate linsuccès de leur mission. — 25 est déjà passé et voulait établir catégoriquement que nous devrions le secourir contre la Sicile et l'Apulie!, dites que nous n'avons pas songé à ce point là et que par suite vous n'avez pas d'instructions à cet égard et ne pouvez rien résoudre. S'il consent au traité en faisant quelque proposition relative à cette question de Sicile et d'Apulie, soit; sinon, non. Au cas où il le voudrait à d’autres con- ditions, ayez l'habileté de nous amener ses plénipotentiaires. S'il élevait quelque objection sur l’article qui regarde l'empereur d’Al- lemagne?, et voulait le supprimer, vous répondriez que nous vous avons envoyé loyalement, sans arrière-pensée, et que nous n'avons point songé à cette difficulté, que nous ne vous en avons pas dit davantage et que vous ne pouvez pas faire autrement qu'on ne vous a dit. S'il n'accepte ie traité qu’à la condition de supprimer cet article, n'y consentez pas, mais efforcez-vous de nous amener ses plénipotentiaires. S'il adopte le traité dans sa teneur, jurez en notre nom, vous et les autres envoyés présents; à leur défaut, jurez vous seul comme il est d'usage de jurer de bonne foi, que nous conclurons l'accord par le moyen de mandataires autorisés, et que nous l'observerons. Cependant, s’il envoie avec vous ses plénipoten- tiaires, et s'il nous transmet par leur ministère des chrysobulles contenant la sanction de nos droits et relatant les actes antérieurs qui renferment nos autres priviléges, s’il vous donne, ou si ses en- voyés nous apportent 4oo livres d'Hyperperi$ qu’il nous doit pour deux années, si même, ne voulant pas payer toute la somme, il donne ou envoie au moins 200 livres, concluez. Si même il refu- sait de donner cette dernière somme, mais accordait les chryso- bulles qui doivent sanctionner nos droits, acceptez encore et ne laissez pas les choses en suspens. ! Henri VI, empereur d'Allemagne, était devenu roi des Deux-Siciles (1189) par le fait de son mariage avec Constance, fille de Roger IT. Son frère, Philippe de Souabe , avait épousé la seconde fille d'Isaac Ange, que l’empereur régnant, Alexis l'Ange, avait dépossédé et fait aveugler. — Les traités antérieurs obli- geaient les Vénitiens à servir l'empire grec en cas d’attaque du roi des Deux- Siciles. ( Voy. la fin du chap. vi.) ? Voy. la note précédente. ÿ Yreprüipoy, hyperperum, désignait une monnaie d’or, ainsi appelée parce que le métal avait été longtemps passé au feu (æûp). D'après Gunther (Hist. Hier. e. vi) elle valait le quart d’un marc, c’est-à-dire li huitième partie d'une hvre. La dette dont il estici question avait été reconnue par un des chrysobulles d'Isaac; mais ce prince n’en avait acquitté qu'une partie. { Voy. la fin du chap. vr.) se RÉ «En outre, voici une autre recommandation. Si l'affaire des Pisans parait rendre quelque dépense nécessaire, prenez l'avis des hommes sages qui seront à Constantinople et auront juré de porter à cet égard un jugement sincère et loyal; versez sur le pro- duit nouveau et ancien des douanes la somme que vous jugerez convenable de concert avec eux. S'ilest question d’un arrangement entre les Pisans et nous, réunissez les capitaines de la flotte qui sont encore à notre service, prenez leur avis et celui des notables qui auront prêté serment en nombre suffisant, et vous aurez pouvoir de statuer avec leur concours sur ce qui vous paraîtra utile et opportun. Mais si les capitaines étaient déjà partis, et qu'on vint néanmoins à parler de la paix, décidez avec le seul concours des notables qui auront prêté serment !. » «Nos, H. Dandolus, Dei gratia Venetiæ, Dalmatiæ atque Croatiæ dux, com- mittimus vobis H. Navigaioso et À. Donato legatis nostris , ut, facta salutatione do- mino imperatori et nostris litteris presentatis, factoque sermonis vestri exordio de introitu ejus sicut vobis providentia vestra suaserit, cum veneritis ad legationis radicem, si ipse voluerit quod simphonia sicut facta fuit jurari debeat, fiat. Si vero de capitulo regis Siciliæ quod continetur in ea verbum moveret et diceret quod tempus illud jam transit et vellet ponere nomimatim quod contra Siciliam et Apuliam deberemus eum juvare, dicite quod nos super verbo ïllo non cogita- vimus et nihil inde vobis dedimus in commissum ; unde non possetis in re aliquid facere ; sed si vult eam proposito verbo illo de facto Siciliæ et Apuliæ, fiat. Aliter autem, non. Et sive aliter eam vellet, sapienter curetis trahere nuntios suos ad nos. Si autem de capitulo imperatoris Alamaniæ faceret intentionem, et vellet ca- pitulum ilud subtrahere, dicetis quod pure vos misimus et sine fraude, nec po- suimus mentem ad ista , nec inde vobis aliquid diximus. Quare non aliter possetis facere nisi sicut dicitur, et sive eam aliter vellet nisi capitulo illo extracto non fa- ciatis, sed curetis trahere ad nos missos suos. Si vero consenserit et voluerit eam sicut est dictum, jurate vos, verbo nostro, et nuntii alii si ibi erunt , et si non, vos soli quod nos simphoniam ipsam per homines (meritos) faciemus , sicut solet jurari bona fide, et observabimus illam. Si tamen ipse miserit vobiscum nuntios suos, et miserit nobis per eos chrysobula sua ad hoc quod ea debeamus habere continentia ea quæ alia continent quæ habemus, et dederit vobis vel miserit pa- riter per nuntios illos suos quadringentas libras yperperorum , qui nobis dari de- bent pro annis duobus, et si nollet mittere aut dare quadringentas, si saltem du- centas dederit vel miserit, faciatis. Quod si nec etiam ipsas ducentas dare vellet nec mittere, si nobis chrysobula miserit ad hoc quod ea debeamus habere, nec rema- neat propter hoc. « Preterea committimus vobis , ut si pro facto Pisanorum apparuerit necessarium aliquod expensare cum consilio prudentum virorum qui erunt in Constantino- pol, qui sacramento districti sint super facto illo fideliter et sine fraude tractare, expendite de introitu dati veteris atque novi quod apparuerit vobis et ilhis, et si verbum fieret de concordia facienda inter nos et ipsos stantibus capitaneis stoli Ve. . Ce remarquable document présente déjà tous les caractères qui ne cessèrent de distinguer la diplomatie vénitienne : netteté, pre- cision, sentiment juste de ses propres forces, connaissance profonde des hommes et des choses, prévoyance de toutes les éventualités, pénétration de l'avenir. L'abondance des recommandations atteste l'activité d'esprit du gouvernement qui les dictait et l'attention merveilleuse qu'il prêtait non-seulement aux événements, mais aux circonstances probables, aux hypothèses. L'ambassadeur, do- cile instrument du doge, obéissait à l'impulsion partie du centre, et son action, contenue dans de précises limites, n'était jamais exposée à se produire au hasard ou à contre-temps. La république se défait de ses représentants presque à légal de ses alliés, et Venise, par l'effort de sa vigilance et de sa politique, était à Constantinople invisible et présente. À côté des consuls et des ambassadeurs, les évêques vénitiens jouaient en Romanie un rôle considérable. Si les Commissions ! fai- saient des uns les agents fidèles de la république, une dépendance rigoureuse rattachait les autres à la hiérarchie de la métropole. Le patriarche de Grado avait reçu au milieu du xr° siècle les pouvoirs les plus étendus du pape Adrien IV?. En vertu d’une bulle (sic) adhuc in servitio nostro , cum eorum consilio et aliorum prudentum virorum sicut apparuerit vobis in quantitate numeri qui districti sint, sacramento super facto illo potestatem habeatis faciendum cum eis quod visum fuerit vobis et illis. Si vero capitanei ipsi jam recessissent et verbum fieret de facienda concordia, vos sicut bonum vobis videbitur et ilis quos districtos habueritis ad consilium , facite. » — Les Pisans avaient déclaré la guerre aux Vénitiens quelque temps auparavant. La flotte vénitienne dont il est ici question est probablement celle qui était mouillée à Abydos en 1196. À cette époque elle était restée dans ces parages malgré le gouvernement vénitien, afin de protéger la colonie de Constantinople. Un acte, publié par Tafel, Fontes, t. XII, p. 216, nous en donne le dénombre- ment. 1 L'importance de ces documents ne fit que s’accroître avec le temps: Aux x1v° et xvy° siècles, les relations des baïles vénitiens en permanence à Constan- tinople constituent la plus authentique histoire des derniers jours de l'empire grec. ? Voici le texte du document que nous croyons inédit : «Adrianus episcopus, servus servorum Dei, venerabili fratri Henrico Gradensi patriarchæ, salutem et apostolicam benedictionem. « Inter omnia cœli sidera quæ ad decorem mundi et usus hominum in principio sapientia divina formavit, solem voluit claritate luminis præminere, cujus ortus et diem terris infunderet et noctis tenebras propuilsaret. Conveniens enim fuerat quod eo præstantius ceteris sideribus haberetur, quo spectantius in ipso forma- MISS. SCIENT. —-- IV. . 20 — 128 — obtenue en 1157, il ordonnait les évêques vénitiens, non-seule- ment à Constantinople, mais dans toutes les villes de l'empire où la colonie était assez nombreuse pour donner lieu à la création d'un diocèse. Cette importante juridiction ne supprimait pas en principe l'autorité souveraine de l’église de Rome, mais ne lui lais- sait aucune occasion de s'exercer. L’excommunication pontificale garantissait les priviléges extraordinaires du patriarche. tionis exordio, ut singulariter præesset diei, de superioris munere conditoris ac- cepit. Si nimirum redemptor noster, cum ecclesias, vel ut micantes stellas, in diversa mundi climata latius propagasset sacrosanctas, quarum beatus Petrus Apostolorum princeps extitit gubernator, tanquam splendidus sol, omnibus voluit superesse et singulas in ecclesias utpote membra suo capiti statuit sub- jacere. Quod ex illius verbis manifestius declaratur, quibus eumdem Petrum est dominus allocutus : « Sidiligis me, pasce oves meas: » et alibi : « Tu es Petrus : et «super hanc petram edificabo ecclesiam m'eam.» Petra super quam legitur esse fundata nullas scissuras recepit, nullas patitur secticnes. Hoc idem rursus de- monstratur cum dicitur : «Quodcumque ligaveris super terram erit ligatum et in «cœlis : et quodcumque solveris super terram erit solutum et in cœlis.» [pse quoque et sufficientiam propriæ et confirmationem suscepit fidei alienæ, quando a magistro meruit audire : «Ego pro te rogavi, Petre, ut non deficiat fides tua, «et tu aliquando conversus confirma fratres tuos.» Istis utique et alüis rationibus sancta et apostolica ecclesia quæ cœælesti privilegio mter omnes obtinet princi- patum tantam ab ipso capite domino Jesu Christo prærogativam accepit ut auc- toritatem habeat singularem universis per orbem terrarum ecclesiis providere, et discreta in eis consideratione statuere quæ cognoverit statuenda. «Nobis igitur, qui, licet insuflicientibus meritis, vices apostolorum princrpis in sancta ee suscepimus exequendas, providendum imminet attentius et agen- dum ut secundum uniuscujusque dignitatem et statutum ecclesiæ honor ei debitus impendatur et cum salute populi fratribus nostris provida sollicitudine deferatur. « Hac si quidem consideratione, venerabilis in Christo frater, Henrice patriarcha , inducti justis postulationibus tuis gratum impartimur assensum; et tam devo- tioni tuæ quam honori et utilitati Crest ecclesiæ cui Deo auctore proesse dig- nosceris defferre volentes, tibi et successoribus tuis, auctoritate apostolica duxi- mus concedendum , ut in Constantinopolitana urbe, et in als itidem cwvitatibus in Constantinopolitano duntaxat imperio constitutis, in quibus Veneti complures habent ecclesias ubi videlicet ipsorum multitudo consuevit assidue convenire, liceat vobis epi- scopum ordinare et absque alicujus contradictione munus et consecrationis impendere. «Ut igitur hæc nostra concessio perpetuis temporibus inviolabiliter chservetis, eam auctoritatis nostræ præsidio roboramus et præsentis scripti patrocinio com- munimus, statuentes ut nulli omnino hominum liceat hanc paginam nostræ con- cessionis et confirmationis infringere, salva apostolicæ sedis auctoritate. Quo- cunque autem ecclesiastiea secularisve persona, sciens contra eam temere ve- nire tentaverit; secundo tertiove commonita, nisi reatum suum congrua casti- gatione correxerit, potestatis honorisque sui dignitate careat, reamque se divino — 29 — Alexandre IIL, successeur d’Adrien {V !, confirma l'acte de son prédécesseur (1139-1181). Cette seconde bulle, plus explicite que la première, interdisait à tout évêque toute immixtion et toute fonction religieuse dans l'intérieur des églises qui dépendaient du judicio de perpetrata iniquitate cognoscat, et a sacratissimo corpore ac sanguine Dei et Domini redemptoris nostri Jesu Christi aliena fiat, atque in extremo exa- mine destrictæ ultioni subjaceat. Cunctis autem servantibus, hoc sit pax Domini nostri Jesu Chnisti, quatenus et hic fructum bonæ actionis percipiant, et apud districtum judicem præmia æternæ pacis inveniant. - «Ego Adrianus catholicæ ecclesiæ episcopus. Amen. « Signavi. » (Libro dei Patu, IV, P- 191.) ! «Privilegium papale pro honorificentis patriarchæ Gradensis. «Ceterum tum [devotioni tuæ quam honori et utilitati Gradensis ecclesiæ, cui auctore domino præesse dignosceris defferre volentes, bonæ memoriæ Adriani papæ, predecessoris nostri, vestigis inherentes, tibi et tuis successoribus auctori- tate apostolica duximus concedendum , ut in Constantinopolitana urbe et aliis itidem cuttatibus in Constantinopolitano imperto duntaxat consututis , in quibus Veneti plures habent ecclesias ubt videlicet eorum multitudo consuevit assidue convenire , liceat vobis episcopum ordinare et absque alicujus contradictione munus ei consecrationis impen- dere. « Statuimus etiam ut quæcumque bona quascumque possessiones eadem Gra- densis ecclesia in presentia juste et canonice possidet, aut in futurum justis modis Deo propitio poterit adipisci, firma tibi tuisque successoribus et illibata perma- neant. Porro ecclesias a religiosis viris canonice 1ipsi ecclesiæ Gradensis oblatas per episcopatus tuos institutas, tibi tuisque successoribus libere confirmamus, ita ut nulli episcopo absque tuo assensu in eis liceat consecrationes celebrare , aut sacerdotibus in eisdem dominio servientibus, donec in locis ipsis fueris, divina officia prohibere. (De) ceterum ergo, ut nulli omnino hominum liceat præfatam ecclesiam temere perturbare aut ejus possessiones auferre vel ablatas retinere, -minuere seu quibuslibet vexationibus fatigare, sed omnia integra conserventur eorum pro quorum gubernatione ac sustentatione concessa sunt usibus omni- modis profutura. Salva sedis apostolicæ auctoritate. «Si qua igitur im futurum ecclesiastica secularisve persona hanc nostram consti- tutionis sciens contra eam temere venire tentaverit; secundo tertiove commonmita, misi reatum suum digna satisfactione correxerit, potestatis honorisque sui digni- tate careat reamque se divino judicio existere de perpetrata iniquitate cognoscat et a sacratissimo corpore ac sanguine Dei, et domini redemptoris nostri Jesu Christi aliena fiat, atque in extremo examine divinæ ultioni subjaceat. Cunctis autem eodem loco sua jura servantibus sit pax domini nostri Jesu Christi : Quatenus et hi fructum bonæ actionis percipiant et apud districtum Judicem præemia æternæ pacis inveniant. Amen. « Ego Alexander catholicæ ecclesiæ episcopus. {Libro dei Patti, IV, 20.) 2Ù : — 130 — patriarche. Elle assurait à celles-ci la libre et franche jouissance de leurs biens. Sous la juridiction unique du patriarche de Grado, les églises vénitiennes de Romanie assimilées à celles des lagunes, éprouvè- rent les bienfaits d'une protection constanteet bravèrent les périls de l'éloignement. En même temps les concessions de terres qu’elles obtinrent des Grecs multiplièrent leurs rapports avec ce peuple et développèrent leur richesse. Ainsi, les églises de Romanie étaient reliées à Venise par la hiérarchie; les églises de Venise’ rapprochées de la Romanie par les intérêts. Les concessions de ce genre sont assez nombreuses, et conservées pour la plupart dans les archives du Patriarcat ou du monastère de Saint-Georges. | En 1136 Michel, archevèque de Lemnos, cède au monastère de Saint-Georges -Majeur l'oratoire de Saint-Blaise et les dépen- dances, à condition que les moines vénitiens bâtissent une église en l'honneur du saint, et payent comme redevance un tribut d'huile à l'archevêque !. En 1145, Pietro Polani avait conféré certains priviléges à l'église que le monastère de Saint-Georges-Majeur possédait à Rodisto?. Les Vénitiens établis dans cette ville refusèrent de payer les taxes perçues au nom du prieur. Les ambassadeurs Domenico Morosini, À. Zeno et autres, furent chargés de résoudre le litige. En 1147, ils citèrent devant eux à Constantinople le prieur et les principaux négociants vémitiens de Rodisto. L'abbe alléguait la violation de la charte ducale. Les laïques se récriaient contre les abus. Les ambas- sadeurs prirent un arrèté qui obligeait l'église à avoir des mesures régulières, et fixait la somme que les Vénitiens devaient lui payer à chaque vente, d'après l'estimation du volume vendu. Les droits étaient doubles pour les Grecs. Toute infraction était punie d'une amende payable à la cour du doge *. En 1150, Étienne Capello déclare avoir reçu du prieur de Saint- ! Archives da monastère de Saint-Georges-Majeur. — F1. Cornelius, Ecclesiæ Venetæ antiquis monumentis nunc etiam primum editis tllustratæ, ac in decades distri- batæ. Venetns. Pasquali, 1749, tom. XI, in-4°, dec. XI, p. post. p. 210. ? Rodisto, Rodesto, Rodosto { Rhœædestus, Bisanthe, Tékir-Dagh) , sur la mer de Marmara, presque à égale distance des Dardanelles et du Bosphore, de Gallipoli et de Constantinople, * «Quibus Jitigantibus manum ambarum partium tulimus ut quicquid super hoc concorditer dicere velimus, utraque pars obediens foret : metra {metreta vas En : jee Marc à Verise une certaine somme d'argent. Il fui donne en paye- ment des terres situées à Volo en Thessalie. Le texte de Pacte ac- cuse un intérêt exorbitant. Peu après Capello vend au prieur d’autres terres à Constantinople même !. En 1156, Natalis Betani donne à l'église et au prieur de Saint- Georges-Majeur un édifice qu’il avait fait construire à Volo?. En 1157, Ugo, abbé de Sainte-Marie d’Andrinople, cède au même monastère l’église de Sainte-Marie à Rodisto, située dans la rue des Francs, hors les murs de la ville 5. En 1183, Domenico Jubiano promet à Enrico Dandolo, pa- triarche de Grado, une redevance annuelle pour une terre située à Constantinople“. À la suite des colonies commerçantes l'église vénilienne faisait en Romanie de lentes et silencieuses conquêtes. Dans la capitale, dans les provinces, dans les îles, elle fondait des évêchés, des mo- nastères, triomphait de la haine que l'église grecque nourrissait contre elle, et grandissait sous les yeux d'une implacable rivale. Commerce, politique, religion, tout contribuait donc à favo- crat ad mensuram continens centum et viginti libras aquæ vel vini) quibus ct ru- bos et stateras ibi supra scripta ecclesia habeat, sicut in concessionis carta domini nostri ducis continetur. « Ad hæc statuentes statuimus ut Veneticus pro uno quoque miliario (nempe pondere mille librarum) suprascripto priori, et qui per successiones ibidem fuerint duos stamines (parva moneta ænea) persolvat et Græcus quattuor tam de statera, quam et de rubo et miliare olei; si vero necesse fuerit, habeat Ve- neticus medium metrum et rubum apud se, et cum ipso vendat usque ed quinquaginta libras vendere voluerit, tollat metrum de predicta ecclesia et pro unoquoque metro persolvat ei unum telartaro [monnaie de cuivre, quatrième partie du denier, reraprnpdr), et si pensaverit per minutum ultra quinquaginta libras, debeat de ecclesia suprascripta tollere rubum, et dare sicut per racio- nem advenerit, stamines duos per miliare absque omni contentione. » {Tafc}, t. XIT, p. 108.) L'acte est signé des ambassadeurs de Venise : «Dominicus Maurocenus, Au- dreas Geno, Rainerius Eutius, Marcus Maurocenus, Otto Contarenus, Stephanus Pantaleo ,» enregistré par un notaire d’après leur ordre, et daté de Constanti- nople, septembre 1147. ? Archives du monastère de Saint-Georges-Majeur à Venise, — F1. Cornelius, Ecclesiæ Venetæ, dec. XI, p. post. p. 223 sq. ? Id. ibid, p. 227. Volo (Pagases, Almirus) au fond du golfe circulaire ( Paga- sétique) qui porte aujourd’hui son nom. % Id. ibid, p. 228-229. # Archives du Patriareat à Venise, — F1, Cornelius, ouvrage cité, dec IV, p. 81. »- — 1932 — riser la présence des Vénitiens en Romanie, et à protéger leurs intérêts dans ce vaste empire. Ils occupaient un quartier dans la capitale, une rue dans les principales villes. Ils formaient une po- pulation nombreuse, fortement établie dans le pays par sa ri- chesse, par ses hautes alliances, par les intérêts, comme par les affections privées, rattachée à la mère patrie par les liens du com- merce, par la jouissance d’une législation nationale, par l'autorité de ses consuls et de ses ambassadeurs; par la juridiction suprême du chef de son église, assez hellénisée-pour faire une rapide fortune en Grèce, trop vénitienné pour jamais oublier Venise. Si de Constantinople nous revenons au milieu des lagunes, un spectacle non moins curieux frappera nos regards : après les Vénitiens de Romanie, les Grecs de Venise; après la coloni- sation vénitienne en Grèce, la transformation de Venise par les By- zantins. La colonie grecque ! de cette ville, si nombreuse encore de nos jours, a une origine très-ancienne, et qu'il est impossible de pé- nétrer. Elle n’a d'histoire qu’à partir de la prise de Constantinople (1204); elle doit ses développements et non sa naissance au malheur même qui frappa la mère patrie. Mais la présence des Grecs n'était rien en comparaison de leur influence. Les Vénitiens eux-mêmes semblaient presque aussi byzantins que les enfants de Byzance. La communauté d’usages et de costume chez les deux peuples étonnait les Occidentaux, qui ne les distinguaient pas toujours les uns desautres. Les Vénitiens étaient pris pour des Grecs, et en por- taient le nom dans une foule de traités et de documents. I y a un acte où les Istriens se félicitent d’avoir secoué la domination des Grecs et se donnent au patriarche d'Aquilée. La suite des faits et du texte montre qu'il s'agit des Vénitiens, qui avaient effective- ment succédé aux empereurs dans ces régions, et que les habitants confondaient avec leurs prédécesseurs dans une commune aver- sion. Les assimilations de ce genre se reproduisent fréquemment du vn° au xn° siècle?. ' M. Veludo, sous-directeur de la bibliothèque Saint-Mare à Venise, ct Veni- tien d’origine grecque, a écrit avec beaucoup de science l'histoire de cette colo- nie, à partir de 1204 ( Venezia e le sue lagune , Venezia, in-4°, 1846). ? Jacopo Filiasi, Memorie storiche dei Veneti print e secondi, Padova, 1812, in-8°, & VI. P: 92. PR ion La méprise, dans le costume même, était facile. Les Vénitiens s’habfllaient à la grecque. Les nobles portaient un manteau agrafé par des bossettes d’or, et un bonnet sur le devant duquel deux rubans se coupaient en forme de croix; les dames de haut rang, une robe de soie, descendant jusqu'à terre, décolletée, mais fer- mée à partir du cou, bien adaptée au corps, ornée de broderies; au-dessus de la robe, un large manteau galonné d’or et quelque peu trainant en forme de queue. Elles se coiffaient, comme les hommes, d’un bonnet, avec bordure d’or, qui laissait tomber une chevelure riche et bouclée !. L'habillement du doge, que nous avons déjà fait connaitre ?, était emprunté en grande partie aux exarques, aux consuls et même aux empereurs. On priait pour lui selon la formule grecque. Üne partie du chœur chantait : Exauce-nous, 6 Christ, eæauce-nous ; 6 Christ, règne; 6 Christ, triomphe; 6 Christ, commande. Et l’autre répondait : Au Sérénissime et Excellentissime prince el seigneur, par la grâce de Dieu, illustre duc de Venise, salut, honneur, vie et victoire perpétuelle. De même, dans les funérailles du magis- trat suprême de la République, on observait un usage imité des Grecs et des Lombards, mais surtout des Grecs. Le doge dé- funt était exposé sur un lit de parade, entouré d’une multitude de torches et de cierges allumés ; il était veillé par des personnages de distinction, et l'on voyait renversés à ses pieds les éperons, l’écu et les autres insignes de la chevalerie militaire $. L'adoption du cérémonial byzantin était d'autant plus naturelle que les doges figuraient presque tous parmi les dignitaires de la cour d'Orient. Nous avons indiqué dans l’ordre chronologique les différents titres qu'ils reçurent des empereurs et expliqué leurs sollicitations par un singulier mélange de vanité et de politique. Mais l’une et l’autre eurent-elles raison d’être satisfaites? À quel rang ces faveurs successives plaçaient-elles les chefs du peuple vénitien dans cette hiérarchie que les successeurs de Constantin appelaient divine, et où l'histoire impartiale voit une preuve nou- velle de l’orgueil et de la servilité humaine? Les doges portèrent les titres suivants : Üraros, mpwroomaba- pros, mpwrosébaolos, œaropluios, æpéedpos, æpwrompéedpos. Les ! Mutinelli, Del costume Veneziano, & 4, p. 67. PNY pri. 5 Romanin, t. 1, p. 162. — 134 — patriarches obtinrent celui de ÿréprmpos. À partir du xn° siècle, le titre de æpwroomädapros et celui de Ürépriuos dévinreñt des attributions permanentes du pouvoir ducal et du patriarcat!. Yraros est le nom grec des consuls. La république romaine ne connaissait rien de supérieur à cette magistrature. Les empereurs n'osèrent pas la supprimer; ils l’abaissèrent en la donnant à des candidats indignes ou en la prenant pour eux-mêmes. Justinien l’'abolit. Mais le titre survécut à la fonction. On ie conféra d’abord, avec quelque mesure, à des hommes importants; mais, quelques siecles plus tard, on n'en faisait plus le moindre cas, et la gran- deur passée du consulat ne servait qu'à rendre plus visible son déplorable avilissement Le patriciat avait été institué par Constantin. Un patrice était censé le père de la chose publique, de l'empereur lui-méme : Iarpt- 4105, olwvet marnp ToÙ xouvod. « Patricii, ut qui patres Imperatoris haberentur et compellarentur. » — Les rois barbares et Charle- magne lui-même recherchèrent cette dignité, que l’on devait prodiguer comme les autres. La qualification de vénérable, auguste (aé6acîos), réservée aux souverains, se prit d'abord dans son véritable sens; elle le conserve même au x1r siècle dans un traité de Bohémond et d’Alexis Com- nène. Mais, à partir de ce prince, le titre de cé6aolos sera telle- ment répandu parmi les grands personnages qu'il faudra le rele- ver par des superlatifs. Ifowrocé6aoîos est assurément l’un des plus modestes, car il n’est que le premier degré d’une échelle qui s’élèvera plus tard jusqu’au warvreprpwrooebaclourépraros! Dé- lire de la vanité et de la grammaire! Les spathaires (omabdp:o:), sorte d’écuyers portant un long glaive, avaient au-dessus d'eux les premiers des spathaires (pwro- omæabapious) qui occupaient le dernier rang parmi les llustres. La dignité de æpéedpos fut instituée par Nicéphore Phocas et donnée aux gouverneurs et juges des provinces. Les premiers des æpéedpor (æpwTrompéedpo:) formaient une nouvelle classe, supérieure à la première. Avant Nicéphore ce mot désignait surtout les évêques : œpéedpor Tüv éuxAnoudv. Enfin le titre de Ürépreuos (très-honorable) est conféré en général aux archevêques métropolitains ? L'Voy. eh: vv, p. 36%: 2? Voy. Du Cange, Glossartum ad scriptores mediæ et infimæ græcrtatis, Lugduni, 1688, 2 vol. in-fol. — 135 — On voit que ces différentes distinctions perdirent beaucoup de leur valeur avec le temps. Les doges les portèrent pendant plu- sieurs siècles en y attachant le même honneur, et furent quel- quefois dupes de leur vanité et de leur ambition. La chaise dorée sur laquelle ils prenaient place annonçait aux Vénitiens un consul, la longue épée un protospathaire de Byzance. Ces insignes impo- saient au peuple pendant le xu° siècle; malgré la création continue de dignités nouvelles, les plus anciennes conservaient un reste de leur éclat, et la hiérarchie byzantine n'était pas encore la foule inoombrable dont Codinus n’énuméra tous les rangs qu’à la con- dition d'écrire un volume !. Plus d’une coutume domestique rappelait aussi l'Orient sur les rives de l’Adriatique. Les femmes, revêtues du costume byzantin, étaient traitées à l'orientale et ne connaissaient guère la liberté que le christianisme avait apportée à leur sexe dans les différents pays catholiques. Renfermées sévèrement dans la maison, où les retenait la jalouse surveillance du père ou de l'époux, elles ne sortaient qu'à de rares intervalles , et couvertes d’un voile qui de- vait dérober leurs traits aux regards de ious?. Les Vénitiens du moyen âge avaient appris à Constantinople cette maxime que voir, c'est avoir, el devançaient dans leurs précautions tyranniques la naïve et brutale jalousie des Turcs. Une institution qui a toujours été florissante en Orient au temps des Grecs, comme au temps de leurs vainqueurs, sous la loi du Christ et sous la loi de Mahomet, consacrait la servitude des femmes. Venise depuis longtemps n’enviait plus les eunuques de Byzance : elle en avait d’indigènes. Cette coutume avait été transportée par les Grecs en Occident, où elle obtint quelque faveur. La loi salique inflige une amende de 100 sous d’or à celui qui mutilera un homme libre. Dans un traité conclu entre l’em- pereur Lothaire et la république on lit : « Quiconque à l'avenir, suivant l'usage illicite qui est en vigueur, osera faire eunuque un Vénitien, sera condamné à payer une grosse amende ou à subir le même sort. » La princesse grecque dont Damien flétrit la mol- lesse est servie à table par des eunuquesÿ. Des lois postérieures l Au xv° siècle. ? Filiasi, ouvrage cité, p. 68. 3 « Sed ab eunuchis eJus alimenta quæque minulius concidebantur in frusta.» (Moy. ch. 1v, p. 357, et App. n° IT, p. 443.) — 156 — attestent la permanence du mal qu’elles s’efforcèrent de com- battre !. L'usage des noms de famille, que les Vénitiens furent les pre- miers à porter en Îtalie, était également emprunté aux Grecs. Les monnaies byzantines circulaient chez eux comme celles de la ré- publique. Non contents de donner cours aux besants de cuivre et d’or qu'ils recevaient des Grecs dans leurs fréquents échanges, ils en frappèrent eux-mêmes dans leur ville, et l'effigie des empereurs d'Orient supplantait le lion de Saint-Marc jusque dans les salles de la Monnaie vénitienne La langue subissait, comme tout Île reste, l'influence byzantine. Les rapports, parfois intimes de la langue grecque et du dialecte vénitien sont plus dignes d'attention qu’on ne le croit généra- lement. | Dans cette question philologique nous distinguerons, 1° cer- tains traits généraux de ressemblance entre les deux idiomes; 2° des locutions particulières empruntées au grec par le dialecte vénilien. Les uns sont en quelque sorte des faits primitifs dus à une parenté originelle entre les deux races et les deux langues. Les autres proviennent des relations politiques et commerciales qui se sont établies plus tard et dont nous venons d’exposer l’histoire. La douceur proverbiale du dialecte vénitien le rapproche, à première vue, de celui des dialectes grecs qui se distingue parmi tous les autres par le même caractère. Il a avec l’ionien une res- semblance évidente, et Ponticus Virunius ?, qui florissait au xv° siècle, en était frappé et l’attribuait aux rapports fréquents que les Vénitiens entretenaient avec Smyrne. Les deux accentuations offrent une similitude non moins curieuse. Quiconque a visité l'Italie et la Grèce et a parlé la langue de lun et l’autre pays a été frappé de la différence qui règne entre deux idiomes, presque également harmonieux. L'italien, tout en accentuant différentes syllabes, a cependant une préférence bien marquée pour la pé- nultième, et une sorte de répugnance pour la dernière. À part certaines classes de substantifs (citta, civiltà, caffè, virtu, etc.) el quelques temps des verbes (fard, diro, etc.), la prononciation ita- lenne passe rapidement sur la dernière syllabe; et, si elle appuie L. Fiat, pb, ? Commentarnt alla grammatica qreca del Guarino, p.47 et97. — 137 — assez fréquemment sur l’antépénultième (machina, Africa, etc.) la grande majorité des mots sont accentués sur l’avant-dernière. De là cet éclat, cette sonorité, mais aussi une certaine monotonie, une modulation moins parfaite que dans le grec. Cette langue offre, en effet, un système d’accentuation beaucoup plus varié, et par suite beaucoup plus difficile à saisir pour les étrangers. Les mots s’accentuent à la dernière, à la pénultième, à lantépénul- tième dans une proportion presqu'égale. Beaucoup se terminent par des consonnes, contrairement à l'usage de l'italien. Cette dif. férence, nettement marquée, entre le grec et l'italien, s’efface entre la première de ces langues et le dialecte vénitien, qui sup- prime la voyelle finale dans un grand nombre de substantifs et multiplie le nombre des mots se terminant par une consonne et s'accentuant sur la dernière syilabe: mar pour mare, padron pour padrone, etc. Il en résulte qu'il perd le trait caractéristique de la prononciation italienne, et se rapproche beaucoup de la physio- nomie de la langue grecque. Il a comme celle-ci moins de sono- rité, de retentissement et de majesté que la langue italienne, mais 1l a une marche plus vive, une allure plus dégagée, un tour plus rapide. À côté de ces ressemblances générales, on remarque daas ie vocabulaire des emprunts particuliers qui sont encore plus cu- rieux. S'il est un mot que l'on entende fréquemment à Venise, c'est le mot magari!. On l'emploie comme formule de souhait, dans tous les sens d’utinam. Magari sia vero, plaise à Dieu que ce soit vrai ! Cette expression a un autre sens. Elle exprime la pos- sibilité d’une chose et signifie : peut-être, à l'occasion. În sto pa- lazzo ghe podaria star magart un principe, dans ce palais un prince ‘au besoin pourrait loger. Magari indique encore l'affirmation et une sorte de serment: ma foi, par ma foi. T'e quitaro anca mi, magari. Je t'aiderai, moi aussi, par ma foi. Ce terme, qu’on ne retrouve ni en Toscane, n1 dans aucune autre partie de Vitale, est tout à fait grec d’origine (maxdp:os). On peut dire que c’est à Venise un des mots les plus importants de la langue, car les Vé- nitiens l’emploient à tout moment, et l'étranger est presque fa- tigué de l'entendre. 1 V, G. Bocrio, Disionario del dialetto Veneziano, 2° ediz. Venezia, 1864, G. Cecchini, in-4°. — 138 — Ün certain nombre de termes et de locutions proviennent de la même origine. Ex. piron, fourchette, d'où dérivent pironada, pironcin, et l'expression venir su la cama del piron arriver au mo- ment opportun, et qui est le même mot que les Grecs modernes emploient æipobre; cogoli (x8Xa&Ë), grosses pierres employées dans la construction des routes, et aussi dans les batailles navales pour faire couler les vaisseaux ennemis. Mais ce qui est assurément le plus remarquable, ce sont des locutions grecques transportées tout entières dans le dialecte véni- tien, avec une certaine confusion dans l’ordre des mots et quel- ques changements de terminaison destinés à leur donner une physionomie italienne. L'imprécation grecque xarapar pod vœ yñs devint vénitienne en changeant de terminaison, et, dans des chants populaires que l’on entend encore aujourd'hui, on retrouve des vers grecs entiers dont la terminaison est à peine altérée et qui sont comme perdus dans la suite des vers italiens. Les analogies que nous venons de signaler ont deux causes principales : la parénté primitive entre les deux langues, et les rapports fréquents des deux peuples au moyen âge. La langue que parlaient les anciens Vénètes, originaires de la Paphlagonie, était un idiome dérivé du grec, et très-rapproché du dialecte pa- phlagonien. Modifiée par la conquête romaine, elle paraît cepen- dant avoir conservé certains de ses caractères indigènes. Rien n'empêche que le dialecte vénilien, parvenu à sa formation, ait présenté avec le grec des ressemblances générales , et que même certains mpts aient eu, daus les deux langues, une origine com- mune. Mais les termes spéciaux ou les locutions toutes faites n'ont pu être que des emprunts postérieurs, qui datent du moyen âge et des fréquents voyages des Vénitiens sur le Bosphore. L'industrie vénitienne devait sa naissance à l'Orient, resté grec ou devenu musulman. L'art de fabriquer le verre et le cristal, une des gloires de la République, un des restes de sa grandeur, fut emprunté au Bas-Empire. Pendant le moyen àge, on voit les Grecs donner aux souverains occidentaux des lasses et autres verreriles. En 687, beaucoup d'artisans grecs habiles dans ce genre d’indus: trie passèrent dans le royaume des Francs. D’autres sans nul doute s'établirent à Venise. Le moine Théophile (xr° siècle) traite du procédé à suivre pour donner au verre blanc l'apparence du cristal et vante l’habileté des Grecs dans ce genre de travail. Au xn' siècle. — 139 — cette industrie était florissante à Venise, sans qu'on puisse donner une date précise à sa première apparition !, Le nombre d'arts utiles que les provinces del'empiregrecavaient appris aux Vénitiens est véritablement prodigieux. C'est à l'Orient qu'ils durent la fabrication des glaces, la confection des objets d'optique, l'horlogerie, les manufactures de soie, la pharmacie, la chimie pratique, la parfumerie, la teinturerie, la confiserie et tant d’autres. Au xu° siècle, Venise était pleine de boutiques d’horlogers, de teinturiers, de doreurs, de parfumeurs, de pharma- ciens, de marchands de couleurs, de glaces. Ces différentes es- pèces d’industriels formaient des corporations ou écoles, ayant leurs lois, leurs statuts, leurs magistrats particuliers ?. C’est à Constantinople que Grégoire, prêtre vénitien, s'était initié à la fabrication des orgues. Il rapporta cet art nouveau dans les lagunes au commencement du 1x° siècle, et l'exerça avec un: succès qui le fit bientôt connaître à l'étranger. Balderik, duc de Frioul, connaissant l’habileté de Grégoire, l'invita à sa cour. La réputation de Grégoire y devint si grande, que le duc le conduisit à Aix-la-Chapelle et le présenta à Louis le Débonnaire. L’empe- reur l’accueillit avec distinction, le retint à son service, et lui donna en France une riche abbaye. À Rocca (Syrie), les Véni- tiens avaient appris la préparation de l’alun; à Foschia (Natolie), celle du borax; à Damas, celle des étoffes damassées; à Constanti- nople, Alep, Alexandrie, celle de livoire“. D’autres manufactures également florissantes et célèbres dans toute l'Europe provenaient aussi de l'Orient; c’étaient celles de cinabre, de savon, de cire, de sublimate. L'art de dorer les peaux et les cuirs, que les Vénitiens connaissaient depuis leurs premiers voyages, s'était développé chez eux au point d'alimenter un grand commerce avec l'Espagne et le Levant. Tout l'Occident recherchait avec passion leurs étoffes teintes et leurs damas rouges, dont la perfection n'a jamais été surpassée. Enfin l'Eubée et la Thessalie leur avaient fourni les ar- 1 Filiasi, Sagqio sull antico stato delle arti presso 1 Veneztani, p. 148. Cf. For- maleoni, 2° vol. passim. ? Filiasi, ouvrage cité, et Formalconi, passim. 3 Filiasi, ouvrage cité, p. 145. * En y98, le doge Orseolo fit présent à l'empereur Otton d'une chaise d'ivoire travaillée avec beaucoup d’art. 5 Ce commerce leur donnait 100,000 ducats par an. SE Re tisans habiles à mêler la soie avec Fargent ou l'or dans des dessins aussi corrects qu'élégants. Cette acquisition était due à l'invasion de la Grèce au xrr° siècle. Les Vénitiens étaient alors en compagnie des Normands. Pendant que ceux-ci dévastaient les campagnes et pillaient les habitations, leurs alliés avaient fait main basse sur les ouvriers grecs capables d'enrichir leur patrie d’un art précieux et s'étaient embarqués avec ce butin d’un nouveau genre. Après ces nombreux emprunts dans le domaine des artsutiles, que dire de lart lui-même? Venise était au x siècle, plus encore qu’elle ne l’est aujourd'hui, riche en monuments byzan- ins, et Saint-Marc, qui s'était élevé lentement depuis trois siècles, était comme une église de Justinien transportée au milieu des lagunes. Ses gracieuses coupoles, vues de la mer, rappelaient, avec moins de grandeur, la perspective de Sainte-Sophie. La richesse orientale brillait dans les mille colonnes où le marbre, ie jaspe, le porphyre étalaient leurs splendeurs. L'art byzantin se montrait dans la variété et l'éclat de l’ornementation, dans la perfection des charmants détails, dans l’immobilité recueillie et contemplative des figures, dans la naïve expression des mosaïques religieuses, qui, après avoir fait passer sous les yeux du néophyte la repré- sentation vivante de l’ancienne loi, transportent le fidèle au milieu des grands mystères de la nouvelle. Et Saint-Marc n'est à Venise que la première des églises byzantines. Torcello et Murano ont encore leurs dômes, que le voyageur, mollement couché dans sa gondole, voit avec ravissement sortir du sein de la mer. Les monu- ments épars au milieu des lagunes lui semblent, comme ceux de la ville elle-même, l'apparition merveilleuse d’un monde lointain. La fantaisie, la couleur, la vie, la lumière, tout lui rappelle l'art enchanteur et le beau ciel de l'Orient. APPENDICE. I. La lettre de Cassiodore, dont nous citons plusieurs passages dans le premier chapitre, renferme, sur la construction de Venise et la vie de ses habitants, des détails qui sont très-dignes d'intérêt. Aussi avons-nous jugé convenable de la reproduire in extenso. Le comte Daru en a donné la traduction, quelque peu incomplète, dans le premier livre de son Histoire de Venise (3° éd. in-18, Paris, Endot, 1020, t. [, p. 21). TRIBUNIS MARITIMORUM SENATOR PRÆFECTUS PRÆTORIO. Data prima jussione censuimus , ut [stria vini et olei species, quarum presenti anno copia indulta perfruitur, ad Ravennatem feliciter dirigeret mansionem. Sed vos, qui munerosa navigia in ejus confinio possidetis, pari devotionis gratia providete, ut quod illa parata est iradere, vos studeatis sub celeritate portare; similis erit quippe utrisque gratia per- fectionis: quando unum ex his dissociatum impleri non permittit effec- tum. Estote ergo promptissimi ad vicina qui sæpe spatia transmittitis (peut-être faut-il lire transmeatis) infinita. Per hospitia quodammodo vestra discurritis, qui per pairiam navigatis. Accedit etiam commodis vestris, quod vobis aliud iter aperitur perpetua securitate tranquillum. ‘Nam cum ventis sævientibus mare fuerit clausum via vobis panditur per amœænissima fluviorum. Carinæ vestræ flatus asperos non pavescunt : terram cum summa felicitate contingunt ; et perire nesciunt, quæ fre- quenter impingunt. Putantur eminus quasi per prata ferri, cum eorum contingit alveum non videri. Tractæ funibus ambulant quæ stare ruden- tibus consueverunt, et conditione mutata. pedibus juvant homines naves suas; vectrices sine labore trahunt, et pro favore velorum utuntur passu prosperiore nautarum. Juvat referre, quemadmodum habitationes vestras sitas esse prospeximus. Venetiæ prædicabiles quondam plenæ nobilibus, ab Austro Ravenam Padumque contingunt, ab Oriente jucunditate Tonii littoris perfruuntur : ubi alternus æstus egrediens modo claudit, modo aperit faciem reciproca inundatione camporum. Hic vobis aquatilium avium more domus est. Nam qui nunc terrestris, modo cernitur insu- laris; ut illic magis æstimes esse Cycladas, ubi subito locorum facies — 42 — respicis immutatas. Éarum quippe similitudine per æquora longe pa- tentia domicilia videntur sparsa, quæ natura protulit, sed hominum cura fundavit. Viminibus enim flexibilibus illigatis terrena illic congre- gata soliditas aggregatur, et marino fluctui tam fragilis munitio non du- bitatur opponi : scilicet quando vadosum littus moles ejicere nescit unda- rum; et sine viribus fertur, quod altitudinis auxilio non juvatur. Habi- tatoribus igitur una copia est, ut solis piscibus expleantur. Paupertas ibicum divitibus sub æqualitate convivit; unus cibus omnes reficit : ha- bitatio similis universa concludit : nesciunt de penatibus invidere et sub hac mensura degentes evadunt vitium, cui mundum constat esse ob- noxium. In salinis autem exercendis tota contentio est : pro aratris, pro falcibus cylindros volvitis : inde vobis fructus omnis enascitur quando in ipsis et quæ non facitis possidetis. Moneta illic quodammodo percu- titur victualis. Arti vestræ omnis fluctus (var. fructus) addictus est. Po- test aurum aliquis minus (nimium) quærere; nemo est qui salem non desideret invenire; merito quando isti (var. debetur qui) debet omnis cibus, quod (qui) potest esse gratissimus. Proinde naves, quas more ani- malium vestris paratibus illigastis, diligenti cura reficite, ut, cum vos vir experientissimus Laurentius, qui ad procurandas species directus est commonere tentaverit, festinatis excurrere, quatenus expensas necessa- rias nulla difficultate tardetis, qui pro qualitate aëris compendium vobis eligere potestis itineris. (Cassiodori Variarum lib. XII, ep. xx1v. Ex editioni Joannis Gareti, Rothomagi, 1697, 2 vol. in-fol. t. I, p. 198 et 199.) IL. Voici un extrait de la seconde lettre par laquelle Cassiodore fait remise aux Vénitiens de leurs contributions en nature et de l'obligation des transports. PAULO , VIRO STRENUO, SENATOR PRÆFECTUS PRÆTOR!O. Succurit libenter, et gratis Venetis inopia ob anni sterilitatem laborantibus tributa remittendo, et annonas concedendo. | ... Veniens itaque vir venerabilis Augustinus, vita clarus et nomine, Venetum nobis necessitates flebili allegatione declaravit, non vini, non tritici, non panici species apud ipsos fuisse procreatas : asserens ad tantam penuriam Provincialium pervenisse fortunas, ut vitæ pericula sustinere possint nisi eis pietas regalis solita humanitate prospexerit. Quod nobis crudele visum est, aliquid a petentibus postulare; et illud sperare, quo provincia cognoscitur indigere. Et ideo..... vinum et — 43 — triticum, quod nos in apparatu exercitus ex Concordiense, Aquileiense et Forojuliense civitatibus colligere feceramus, præsenti autoritate re- mittimus : carnes tantum , sicut brevis vobis datus continet, exinde pro- videntes. Huic enim cum necesse fuerit, sufficientem tritici speciem destinamus. Et quoniam in Istria vinum abunde natum esse comperi- mus, exinde, quantum de supradictis civitatibus speratum est, postulate. Te ele 2004 = où ne sn ve + 0 l'en «ne 6 % + + nee CE DC DC CR UN 0 OR On payera exactement les Istriens, et les Vénètes n'auront rien à don- ner pour cette grâce qui leur est faite. (Cassiodori Variarum lib. XII, ep. xxvr. Éd. citée, t. I, p- 200-201). TEL. Voici le chapitre de Damien, dans son opuscule intitulé Insti- tutio Monialis, et qui porte le numéro L. DE VENETI DUCIS UXORE, QUÆ PRIUS NIMIUM DELICATA, DEMUM TOTO CORPORE COMPUTRUIT. Veracis itaque et honesti viri didici relatione quod narro : Dux Venetiarum Constantinopolitanæ urbis civem habebat uxorem, quæ ni- mirum tam tenere, tam delicate vivebat, et non modo superstitiosa sed artificiosa , ut ita loquar, sese jucunditate mulcebat, ut etiam communibus se aquis dedignaretur abluere; sed ejus servi rorem cœli satagebant undecumque colligere; ex quo sibi laboriosum satis balneum procura- rent. Cibos quoque suos manibus non tangebat, sed ab eunuchis ejus alimenta quæque minutius concidebantur in frusta : quæ mox illa qui- busdam fuscinulis aureis atque bidentibus ori suo, liguriens, adhibebat. Ejus porro cubiculum tot thymiamatum, aromatumque generibus redo- lebat, ut et nobis narrare tantum dedecus fæteat, et auditor forte non credat. Sed omnipotenti Deo quantum hujus feminæ fuerit exosa super- bia, manifesta docuit ulciscendo censura. Vibrato quippe super eam divini mucrone judicii, corpus ejus omne computruit, ita ut membra corporis undique cuncta marcescerent, totumque cubiéulum intolerabili prorsus fœtore complerent : nec quispiam tantam perferre narium inju- riam potuit, non cosmeta, non servulus, vix una dumtaxat ancilla, non sine speciei redolentis auxilio, in ejus obsequii sedulitate permansit. Eadem tamen raptim accedebat; et protinus fugiens abscedebat. Diutius hoc igitur languore decocta, et miserabiliter cruciata, amicis quoque lætantibus, diem clausit extremum. (Petrus Damianus, Inst. Monialis, c. x1. Dans le recueil des œuvres complètes, t. IT, p. 340.) MISS, SCIENT. — IV, 30 Ce né don et Air } saheuge À RPC EP LEE RES F%h #4 r "+ , 1 Lie RUE # & 3#% étre | | Ps LÉ sufutx Ke F x ® ; d He le Se j À A 4 ae SE j QUE NAT à ICE 7. "à | 1 CAUCM 7'ri à | me snivavs Sad HR hard tte ont ps à lès s * Le . NC ve; | 6 hs TER HA PA ete MDN à : " s TEL . , Late VA 3 NE A pr ee LA TL 2 4 | à % ds Larae ex 2riit K seal À ral, Rage WE s UU }'RIe À ; j . « x das. ‘ti 4 es Le - | y MES 4e “high ls Li ip à 4 D à eur se cd sn fut L pole Mt PU | Leds 2 TR PA LT LE JL At A * ; tra AS ra : * HEAR RER k R PAL. it } ( VE AIS ÿ À # Ke $ :1 CA DEEUR . (S . x Le LUT UETN 1 FLkeS C RE UE à LL p » ia 1 ù > # "7e 2 ti " ELA @ “AL 4 Dr - " x ë j Vo ee à r 4 L TE die : k : 167 A+ ; 1: F0 Fi £ iz 1 . « KL EX D DE. PT ni Er A Sp octi ra cit HANTL EE 4! à L° 4 A ee LS FRERE : ya ir tx YEt RARE [r Fr | wi FC tro ve FA doi a ter En CARE : T4 2 ts 2 ÿ. ne ‘4 PORC PE PR NE “a 14e nai orale “RSI CPS 1 sf i PE ? RE y | FRENAE FA. mrbiéert ts atALT" ACER # Sly 20 " | tré KI mn CRE 54 ot À | si sind php cie tarots. CAMES ns hételemés tés. 2x Dr OT LL É RAR AIUN 1 308 "6 LS AN ARNO À 4 À 2 à - x CE IT ES + 4 ñ k ; RP Ti | Eau | FRA ie BEA eAPES ere 4 UT à te rat Pt 1 { Ag Pre se % { ni N fie 4 HUE ; J ? ji Cu CR: r "e 7 À) NE RAPITE LUCE" FAT NES SENTE H : _ 4 j £ : ë #1 É î |: ‘A, ’ sv s p À | F LOUE PAP As ONE R | PEUR dt SET OMAN LEE ICE MBPS US 16% ae ï RATE ETES Los à COURS PPT | i î él OT er. désesiy HO PISE nÉSOE ; | tie tirs ,b pr Lo on PLU di = Ru ren È WATT. EP ; À Ka ahf 5 Ali éinn « | APTE TE AN f "14 'YGRPETTÉ pre SE À POULET 2 UE Ai EE mn PE Le bete »: LA #1 & » ‘ d l (Us rs 7 k rATS ui: fan) HEititié 18% et ET EE, PTE NF Le " # œ LEE Ah RER Se PT nat à MERS MIT sr EC DATA FCFA PU IME TE ET pivot AG Li it +E shanon dl re d'u JE247 SREYLR : £ î ve. UT A se fi CRT A ; ALL EST 3 ; xls en uv de A. cuir A D PO TO lle Rae sy D 119537 is eu x te " ba Tux À CR © he { nt ©, 00m “À : ” RAPPORT SUR LES TREMBLEMENTS DE TERRE DE CÉPHALONIE ET DE MÉTELIN EN 1867. PAR M. FOUQUÉ. Paris, 15 juillet 1867. Monsieur le Ministre, Au commencement de cette année, pendant que j'accomplissais à Santorin les études scientifiques dont votre Excellence avait dai- gné me charger, des événements géologiques d'une haute gravité se sont produits à court intervalle, à peu de distance du volcan que j'avais mission d'observer. Des tremblements de terre d’une grande violence sont venus coup sur coup ravager et ruiner les deux îles de Céphalonie et de Mételin (l'ancienne Lesbos). La liaison généralement admise entre les phénomènes de ce genre et ceux qui caractérisent les éruptions volcaniques, le rap- prochement des lieux qui en étaient le théâtre et de l'île de San- torin où je me trouvais alors me faisaient un devoir de ne pas quitter le sol hellénique avant d’avoir été, sur place, constater les effets de ces terribles secousses. J'espérais, en outre, qu'une obser- vation minutieuse des circonstances particulières qui ont accom- pagné leur production , pourrait peut-être me fournir des indications nouvelles sur la cause particulière qui préside au développement de chacun de ces mystérieux phénomènes, et sur la cause plus géné- rale qui , depuis deux années, ébranle le sol de plusieurs des régions _ du bassin de la Méditerranée. | Des deux localités en question, Mételin est celle que j'ai d’abord | visitée. Les premières secousses de tremblement de terre y avaient _eu lieu peu de temps avant le moment où j'ai pu m'y rendre, et 2 90. — 46 — chaque jour des commotions plus faibles s'y produisaient encore; c'est pourquoi je pensais arriver à temps pour pouvoir non-seule- ment apprécier leurs effets, mais encore acquérir quelques notions sur les conditions de leur manifestation. Telles sont les raisons qui m'ont décidé à me rendre d'abord à Mételin, bien que les désastres de Céphalonie fussent antérieurs de près d’un mois. D'après les renseignements qui m'ont été donnés, la première secousse ressentie à Mételin a eu lieu le 6 mars à 6 heures et demie du soir. Pendant la journée l'atmosphère avait été calme, le baro- mètre indiquait une pression supérieure à 760, la température était d'environ 10 degrés en moyenne, et le vent nord-est faible. La première commotion a été de beaucoup la plus forte, elle a duré de 30 à Ao secondes. Dans la ville de Mételin, où elle a été le mieux observée, elle était composée de mouvements oscillatoires très- énergiques pendant les premières secondes, plus faibles pendant les secondes suivantes, et de nouveau très-marqués pendant les der- niers instants. La secousse, très-violente au début, a donc eu une recrudescence vers la fin de sa durée. La première impression qu'elle à produite a été celle d’un choc vertical comme celui qui serait résulté d'une explosion souterraine, mais presque aussitôt elle s'est transformée en un mouvement oscillatoire horizontal, orienté sensiblement dans la direction N. 10° E. à S. 10° O. Cha- cune de ses oscillations était composée de deux mouvements en sens inverse d'inégale intensité, l'un, que j'appellerai mouvement en avant, était produit par une impulsion dirigée du N. 10° E. au S. 10° O0, et beaucoup plus énergique que le mouvement de recul de sens opposé. À dix heures du soir, une nouvelle secousse beaucoup moins forte que la première a duré environ 20 secondes. Dans la nuit, des ébranlements plus ou moins forts se sont succédé à des intervalles très-rapprochés et, les jours suivants, les commotions ont continué en présentant toujours un faible degré d'énergie et en diminuant de plus en plus de fréquence. À la fin du mois de mars et dans les premiers jours d'avril, il s'en produisait encore deux ou trois par vingt-quatre heures. Avant d'entrer dans aucune considération générale sur ce trem- blement de terre, je vais d’abord présenter une énumération rapide de ses effets dans les villes et dans les différents villages de l'ile, de manière à pouvoir en conclure ensuite, d'une manière certaine, — 7 — l'étendue du terrain ébranlé par l'onde séismique, et en déduire la position probable du centre d'ébranlement. DISTRICT DE MÉTELIN. 2,500 maisons ; VILLE DE MÉTELIN....4 1,000 sont entièrement renyersées ; 700 sont inhabitables. Il y a eu 150 morts et un nombre considérable de blessés. La ville de Mételin est le point de l'ile où le tremblement de terre me paraît avoir agi avec la plus grande énergie, bien que dans beaucoup de villages la destruction ait été plus complète. S'il est resté dans cette ville environ trois cents maisons encore à peu près habitables, cela tient à la bonne construction de la plupart d’entre elles. Il n’en serait certainement pas resté une seule debout, si elles n'avaient pas été plus solidement bâties que celles des villages du nord et du centre de l'ile. Des murs d’une grande épaisseur, peu élevés et formés d’une bonne maconnerie, y ont été renversés lorsque leur alignement était dirigé de l'est à l'ouest, c’est-à-dire lorsqu'ils présentaient leur façade aux secousses venant, comme nous l'avons dit plus haut, du nord au sud. L'église catholique, nouvellement bâtie et avec de bons matériaux, a eu ainsi chacune de ses deux murailles latérales renversée vers le sud, comme d’une seule pièce. J'ai vu des murs épais, élevés simplement à hauteur d'appui, ren- versés de même dans cette direction. Mais, c'est surtout d’après les effets produits dans l'intérieur des habitations que l'on peut appré- cier la direction dominante des secousses. Chez M. Bargigli, consul d'Autriche, dont la maison était construite sur une petite éminence située près du port, les murailles de l'habitation ont résisté, malgré l'énergie des mouvements du sol, qui permettaient à peine de se tenir debout, mais tous les meubles ont été violemment projetés vers le sud; quelques-uns, scellés dans les parois, ont été arrachés; d’autres, d’un volume ou d'un poids considérable, transportés à l'extrémité opposée des pièces dans lesquelles ils étaient placés; un baromètre, suspendu dans une chambre contre un mur du côté nord, a été lancé dans le jardin. par une fenêtre ouverte du côté opposé. Enfin, dans une autre pièce, une fenêtre murée vers le — 18 — nord s’est brusquement rouverte; la maçonnerie qui la garnissait et qui était formée de gros blocs de pierre soigneusement cimentés, s'est détachée d’un seul morceau et a été projetée à l’autre bout de la chambre. Dans le jardin de la même habitation, un mur sur- monté d'une grille et dirigé à peu près du nord-est au sud-ouest est resté debout, grâce à la direction de son alignement et à sa bonne construction, mais une vingtaine de pots de fleurs placés sur les poteaux en pierre qui soutiennent la grille, ont tous été projetés à plusieurs mètres de distance vers le sud. Près de là, l'antique forteresse de Mételin bâtie par les Génois et garnie de murs d’une épaisseur énorme a souffert également, sur- tout dans sa partie méridionale. Les murailles ont été tellement lé- zardées et renversées même dans certaines parties que les forçats turcs renfermés dans l'intérieur ont pu s'évader par les brèches. 180 maisons; AÂTHALONA. .........4 destruction complète; 80 morts. Ce village est un de ceux qui ont éprouvé les plus grands dom- mages, parce que le feu s’est mis dans les débris des toitures effon- drées et un grand nombre de blessés ont été brülés vifs sous les dé- combres. 200. MAISONS ; 190 ruinées ; 24 morts. Hire AMIS: A 180 Maisons ; destruction complete ; ho morts. EE Hagia-ManiNa....... 6o détruites ; pas de morts. CHA PTANRE Se cr te 200 MAISONS ; 160 détruites ; 20 morts. MESTICNA, CEE er 150 maisons ; MOREA. . ..........4{" destruction complete; 10 morts. 80 maisons ; AGROTEEL 2, VIRE ..{ une vingtaine, ruinées; pas de morts. — 49 — 5o maisons; PLYGONIE . .........4 pas de dommages importants; quelques blessés. 80 maisons ; Barta. ............4{ une vingtaine, ruinées; 10 morts. Il DISTRICT DE MOLIVO. 700 maisons ; 90 détruites ; 2 morts. 1... .. (ancienne Methymne) 135 maisons; destruction complète ; 14 morts. 2 65 maisons ; destruction complète ; 2 morts. RD, . . . 300 maisons; la moitié, détruites ; 14 morts. nt 0. une seule reste debout : 20 morts. PsILOMETYPON....... 300 maisons ; il n'en reste que 30 debout, 20 morts. RS | 60 maisons ; bo ruinées: 3 morts. PRRAGIO. .. . _ .. . .. 80 maisons: Lo détruites ; 3 morts. | 200 maisons ; PARMIONAS .. ...... j IH DISTRICT DE PORT-OLIVIER. 180 Maisons ; POIL 7. . ...... ..+ destruction complete ; 19 morts, — 150 — 180 maisons : Hrprios sit .....4 destruction complète; 20 morts. 150 maisons ; LEouNpA: +0. 6488 60 détruites ; pas de morts, quelques blessés. 280 maisons; la moitié, renversées : pas de morts, beaucoup de blessés. KATOTRITOS. :. 5. 20 250 maisons ; bo détruites ; . 2 morts. | | | FE | | | PAPADOS EE QUE cer Pazæo-KyPros.......4 5o détruites: 2 morts. 80 maisons; 60 détruites ; pas de morts. PrAGADOS SL LR oo maisons: très-peu de dommages; - pas de morts. DCDPEL OZ: Louer on 300 maisons ; très-peu de dommages; pas de morts. MEsSAVORO: «21.47. IV DISTRICT DE CALONIE. 130 maisons ; CorLomebAbo,..-. 000 destruction complète ; 91 morts. 670 maisons; 5oo détruites ; 52 morts. HaGra-PARASKEVI . .,. destruction complète, h morts. ABS A SH TSTAPLE RP 52. maisons ; destruction complète ; 6 morts. CHoumMouriA..." 140 | 70 maisons; — AS1 — 292 Maisons ; destruction complète; 60 morts ACHERONA. . . . . tit: 76 maisons, Ben. ........ destruction complète ; | 6 morts. 07 maisons ; destruction complète ; 3 morts. ÉAPAINAS |... . .. Re 48 maisons : destruction complète ; 1 mort. | | | Eu | | | | | iii #01 OT MI SRS 1) C'ONRREENSEREERS une vingtaine, renversées ; 2 morts. 312 maisons : 6o détruites ; pas de morts. Ds 2 mL os 199 maisons : 80 détruites ; 2 morts. RCA 2 1. 160 maisons; 100 détruites : 2 morts. LESBORION . . ... 86 maisons; la moitié, détruites ; ‘ pas de morts. AMPELIco et VOURCOS. 55 maisons; une trentaine, ruinées ; pas de morts. 11.1 1. HOT RER 600 maisons: POLYCHNEITIS. . . .. ...4{ une cinquantaine, ruinées ; pas de morts. L'énumération que nous venons de faire, et qui représente sen- siblement toute l'étendue des désastres, montre que le tremblement de terre s’est fait sentir très-inégalement dans les différentes parties de l'ile de Mételin. Si l'on imagine, en effet, une ligne droite partant de l'angle nord-ouest de la baie de Calonie et allant de là rejoindre la côte nord de l'île, un peu à l'ouest du golfe de Petra, en passant par les villages de Phyllia et de Staro, toute la partie de File située — 152 — à l’ouest de cette ligne peut être regardée comme ayant été à peine ébranlée par le mouvement séismique, tandis que, même près de cette limite, un grand nombre de villages de la région orientale de l'île ont été complétement détruits. Mais de ce côté les désastres ont encore été très-inégalement distribués. Dans la vaste presqu'ile comprise entre les deux baies de Calonie et de Port-Olivier, les villages situés à peu de distance des rivages des deux baies ont seuls éprouvé des dommages sérieux. Sur le sommet du mont Olympe, qui forme le point culminant de l'ile et qui s'élève précisément au milieu de cette région, à une hauteur de 1,032 mètres au-dessus du niveau de la mer, les secousses ont été très-faiblement ressenties; la petite chapelle élevée au sommet de la montagne est restée parfaitement intacte; un pan de mur en pierres sèches qui s’est écroulé et quelques fragments de rochers qui se sont détachés, du côté du sud principalement, prouvent seuls que le tremblement de terre s’y est fait sentir. La ville d'Hagia-Sou, située au pied de l'Olympe, à une hauteur d'environ 600 mètres au-dessus du niveau de la mer, n'a également éprouvé que des dommages presque insignifiants ; une lourde corniche surplombante au-dessus du portail de la cour de l'église principale et quelques masures déjà à moitié ruinées par l'action du temps ont seules cédé plus ou moins complétement à l’action des secousses, et cepen- dant, chacune des commotions du sol ressenties dans les autres parties de l’île y avaient leur contre-coup. Je me trouvais dans cette ville, le 30 mars, lorsque le soir, à huit heures et demie, ïl s’est pro- duit une secousse, qui a été, à ce qu'il paraît, assez forte dans les districts de Mételin et de Molivo. À Hagia-Sou, l'impression que j'ai ressentie a été celle d'une trépidation rapide, d'amplitude très- petite, qui a duré environ dix secondes; les oscillations se sont faites à peu près dans la direction nord-est à sud-ouest. La secousse a été accompagnée d'un bruit sourd, qui m'a paru commencer seulement une ou deux secondes après la première vibration du sol. D’après les renseignements qui m'ont été donnés à Hagia-Sou, toutes les commotions souterraines ressenties dans cette localité ont ressemblé beaucoup à celle que je viens de décrire. Les villages populeux situés dans les ravins creusés au pied mé- ridional de la montagne, comme Acrasi, Potamos, Plumaria, Tri- gona, ont encore éprouvé moins fortement que la ville d'Hagia-Sou les effets du tremblement de terre, et cependant la plupart de ces | | | | — 153 — villages sont misérablement construits; un grand nombre d'habita- tions ne sont que des huttes bâties en pierres sèches à peine taillées, que le moindre ébranlement aurait facilement jetées par terre. Quelques villages sont situés sur le bord de la mer, tandis que d’autres sont à une altitude de plusieurs centaines de mètres. Le mont Olympe les a tous également protégés par son interposition entre eux et le centre d’ébranlement. L'action préservatrice exercée par la montagne semble s'être étendue aussi jusqu’à une certaine distance du côté de l'est; car, de ce côté, tandis que les villages de Palæo-Kypos, Papados, Placados, ont-beaucoup souffert, deux villages très-voisins de ceux-ci, Scopelo et Messavoro, situés un peu plus haut sur les contre-fortsde l'Olympe, n'ont éprouvé que très-peu de dommages. La zone qui a le plus vivement ressenti les effets du tremblement de terre forme une longue bande étendue du nord-ouest au sud-est, depuis Petra jusqu'à la pointe sud-est de l'ile, et large d'environ quatre à cinq kilomètres. Sur cet espace nous remarquerons une foule de localités qui ont été entièrement ruinées, telles sont: Petra, Clapados, Psilometypon, Acherona, Keramia, Colomdados, Hagia- Paraskevi, Katotritos, Hagia-Marina, Loutra, Mételin. Le centre de cette zone est occupé par une haute chaïîne de pics trachytiques qui en suit la direction et qui se termine à l’ouest précisément un peu au delà de Petra, c'est-à-dire à la limite occidentale de la région bouleversée par le tremblement de terre. Les villages de Staro et de Phyllia sont bâtis sur les confins de cette région. Plus à l’ouest, il existe encore des sommets élevés de roches trachytiques, mais ces sommets sont alignés du nord-est au sud-ouest, c'est-à-dire à peu près perpendiculairement aux précédents et séparés d'eux par une profonde vallée. Les villages bâtis sur l'une des chaïnes sont en ruines, tandis que ceux qui s'élèvent sur l’autre n’ont éprouvé au- cun dommage. L'indépendance des deux alignements orographiques explique peut-être l'affaiblissement considérable et subit de l'ébran- lement séismique à partir de leur limite de séparation. Quant au mont Olympe et à la région circonvoisine, une cause géologique analogue semble aussi les avoir protégés, car le sol y est constitué par des roches entièrement différentes de celles de la zone bouleversée environnante. La base de l'Olympe et ses contre-forts orientaux sont formés par des schistes argileux plus ou moins mé- tamorphosés ; son sommet qui s'élève sous la forme d’un dôme 6 DRE —— d'une éclatante blancheur, est constitué par un marbre saccharoïde riche en veines de dolomie et de fer spathique. À l'ouest, la montagne est bordée par une large zone de serpentine, et enfin, on ne re- trouve les roches volcaniques et quelques lambeaux de terrains ré- cents soulevés par les trachytes que sur les bords des deux baies de Calonie et de Port-Olivier, là précisément où les effets du tremble- ment de terre se sont fait sentir. Ainsi, dans la partie orientale de l'ile de Mételin, tandis que les villages de la zone volcanique ont été bouleversés et ruinés par les secousses, ceux qui, dans la même région, s'élèvent sur les schistes et les marbres, n’ont éprouvé aucun désastre. La contrée serpentineuse n'est pas cultivée; on n’y observe que quelques rares habitations, mais aucune de ces constructions n’a été renversée, ni même sérieusement endommagée. Toute la partie centrale de la presqu'ile comprise entre les deux baies de Ca- lonie et de Port-Olivier paraît donc avoir été mise à l'abri des dé- sastres du tremblement de terre par la constitution géologique du terrain dont elle est formée. Nous venons d'examiner et de discuter la cause probable pour laquelle certaines localités paraissent avoir été préservées des effets des secousses, nous devons aussi indiquer certaines circonstances qui paraissent, en d'autres points, avoir aggravé l'intensité du fléau. Certains villages ont été cruellement éprouvés à cause du mode défectueux de construction qui y était adopté. Tels sont, par exemple, les villages du fond de la baie de Calonie et quelques-uns des bords de la baie de Port-Olivier. Les murs du rez-de-chaussée de chaque habitation y étaient composés de blocs prismatiques de boue desséchés, superposés, et, au-dessus, s'élevait un premier étage en bois qui faisait saillie au dehors dans toutes les directions. Dans certains villages des pièces de bois plus ou moins longues étaient en outre interposées dans l'épaisseur des murs en terre pour leur don- ner un peu plus de cohésion, mais ce moyen est peu efficace, comme l'événement est venu le démontrer. La première secousse du tremblement de terre a généralement renversé et broyé les mu- railles en terre formant les rez-de-chaussée, et le reste de la maison s'est trouvé, par suite, entrainé dans la chute. Le plus souvent la construction en bois du premier étage a été brisée et mise en pièces en tombant. J'ai vu, au couvent d'Hagia-Marina, près de Daphia, les ruines provenant d'un grand bâtiment de ce genre. Les débris de Ta toiture, des planchers et des murs formaient un amias de dé- — 155 — combres indescriptible, sous lequel plusieurs religieuses ont été re- trouvées écrasées. Dans les villages d’Acheronà, de Papiana, d'Ariana, beaucoup de premiers étages en bois ont été jetés aussi dans la rue tout d'une pièce avec leurs habitants. Quelques-uns de ces fragiles édifices ont eu, en petit nombre, la chance de n'être pas brisés dans leur écroulement, mais la plupart ont été mis en pièces. L'emplacement mauvais de quelques centres de population a été aussi une cause aggravante dans beaucoup de cas. Plusieurs vil- lages de l'ile de Mételin sont bâtis sur un sol d’alluvion; ainsi, ceux de la plaine de Calonie sont édifiés sur un terrain meuble formé par une argile sableuse qui provient de la décomposition des tra- chytes du voisinage. Or, dans de pareilles conditions, les moindres mouvements du sol y amènent des tassements éminemment défavo- rables à la solidité des murailles qui s'élèvent au-dessus et qui y prennent leur point d'appui. C'est, sans doute, pour cette cause, que, parmi plusieurs villages voisins, les plus maltraités sont ordi- nairement les plus rapprochés du bord de la mer. Quelques villages situés sur le penchant de collines fortement inclinées ont souffert de graves dommages par suite de leur posi- tion, les maisons les plus élevées s'étant écroulées sur celles qui étaient placées au-dessous. C’est ce que l’on a observé, par exemple, à Clapados, petit hameau placé sur le versant sud de la chaîne volcanique du centre de File. Enfin, toutes choses égales d’ailleurs, un fait qui m'a vivement frappé, c'est que les villages habités exclusivement par les Turcs ont incomparablement plus souffert que ceux qui sont peuplés par les Grecs, et dans les villages mixtes, la même différence se re- marque pour les habitations appartenant aux individus des deux races. Cela tient, je crois, à ce que les maisons des Turcs sont vieilles et mal entretenues, tandis que celles des chrétiens sont, en grande partie, plus récemment bâties ou restaurées. Les détails dans lesquels je viens d'entrer permettent de se faire une idée fort exacte de l'étendue et de l'intensité de l'action séis- mique dans l’île de Mételin; il me reste pour compléter ces consi- dérations à indiquer quelle a été en chaque point la direction prin- cipale des secousses. La disposition des ruines dans chaque localité fournit facilement ces indications. Nous avons déjà vu qu’à Mételin les secousses les plus fortes semblaient venir dans la direction N. — 156 — 10°E. — $S. 10° O.; dans les autres centres de population princi- paux, dont j'ai visité un certain nombre, on a observé les direc- tions moyennes suivantes : PERS Re AU .. NN. 00 D — 5 00 0 Laphiona...... Pere esech ON 00 1 DT Achéronaz: ei rs HUE MN AOTE. IS AMO M Hagia-Paraskevi.......... N. 4o° E. —S,. 40° O. Eésborion:: sein. sas NN: 4o°Æ:2 Sent Bañilicags: Alt st. . _N. 4o° E. ——S. 4o° O. Katotritos...... da …2N.: 30° E:—5$S. 300}: Louira.....; ....; ct 100 AS OR Hagia-Marina. ........... N. 20° E. —S, 20° O. L'ensemble de toutes ces directions que j'ai représentées sur la carte ci-jointe semble indiquer que le tremblement de terre a eu 1 1000000” ÎLE DE MÉTELIN, À L'ÉCHELLE DE Partie de l'ile ruinée par le tremblement de terre. = Partie de l’île épargnée par le tremblement de terre. son centre d'ébranlement au nord-est de l'ile de Mételin et proba- blement à une petite distance de l’île. Les secousses ont été ressen- ties sur toute la côte voisine de l'Asie Mineure, et, dans la ville d'Aïvali, il y a eu même quelques maisons renversées. À Smyrne, il n’y a eu aucun désastre à déplorer, mais néanmoins la première commotion a été assez forte. Dans cette ville on a observé le baro- — 157 — mètre avant et après l'ébranlement, et l'on n'a constaté aucune va- riation brusque dans la hauteur de la colonne mercurielle. Pendant la durée de mon séjour dans l’île de Mételin, du 27 mars au 1% avril, j'ai eu plusieurs fois occasion de sentir des secousses peu intenses, je n'en signalerai qu'une seule plus forte que les autres que j'ai ressentie au village de Laphiona. Elle a duré environ dix secondes et a été accompagnée d'un bruit intense comparable au roulement du tonnerre. Je n'ai pas distingué d'intervalle entre le commencement de la secousse et le moment où j'ai d’abord en- tendu le son. Étant en marche en cet instant, je n'ai pu apprécier même approximativement la direction des mouvements vibratoires du sol. Malgré le peu de temps que j'ai passé dans l'ile de Mételin, il m'a été possible de traverser dans plusieurs directions toute la ré- sion bouleversée par le tremblement de terre. Je n'y ai vu aucune apparence de phénomènes volcaniques de nouvelle formation, je n'ai observé nulle part aucune élévation extraordinaire de tempéra- ture, aucun dégagement de gaz ou de vapeurs; les fentes que j'ai vues en plusieurs points près du bord de la mer au fond de la baie de Calonie, principalement au bord des ruisseaux qui s’y jettent, sont dues à des tassements dans le sable argileux de la plage, et l'eau qui en sort provient d’une sorte d'expression de l'humidité qui imbibe le sol. Les fentes, assez nombreuses, que j'ai observées dans la montagne entre Acherona et Laphiona n'ont rien non plus de particulier, elles se voient près du bord des ravins, et il est évident qu'elles sont produites par un affaissement du terrain causé par les secousses et qui aurait pu tout aussi bien survenir à la suite des pluies, d’un dégel, ou de toute autre cause semblable. J'en dirai autant de la chute des quartiers de roche souvent volumineux qui se sont, en beaucoup de points, détachés du sommet des montagnes, et qui ont roulé le long des pentes en brisant les arbres et labourant la sur- face du terrain. Ce sont là des effets du tremblement de terre, mais aucun de ces phénomènes n'est lié nécessairement à la cause des ébranlements du sol. Enfin, non-seulement il n'y a pas eu à Mételin apparition de phénomènes volcaniques nouveaux, mais encore les eaux minérales qui sont assez communes dans l'île et qu’on peut regarder comme des manifestations éloignées des puissantes éruptions de date anté- historique, n’ont elles-mêmes éprouvé aucune modification considé- — 158 — rable, soit dans leur température, soit dans leurs autres propriétés. Les eaux chaudes de Therma et de Thermini, dans le district de Mételin, celles de Telonia près de Molivo, les eaux froides et pur- gatives de Liota près de Stipsi et de Loutra, n’ont présenté aucun changement. L'eau chaude de Polychnitis a coulé plus abondam- ment sans varier sensiblement de température; celle de Trifti, près de Plumaria, a, au contraire, légèrement diminué de débit. Quant aux eaux douces, elles sont devenues troubles tout le long de la chaine volcanique du centre de l'ile; elles l'étaient encore quand j'ai pu les observer, et déposaient un sédiment blanchatre très- abondant. La matière de ces dépôts présente la même composition chimique que de grands amas de trachyte altéré, que l’on peut ob- server au fond de quelques ravins de la montagne. Il est donc ex- trêmement probable que tout le centre de la chaîne est occupé à une certaine profondeur par des amas semblables. Le tremblement - de terre, en bouleversant profondément le sol, a obstrué les voies souterraines parcourues habituellement par les eaux des sources; celles-ci ont été obligées de suivre des chemins nouveaux au travers des masses de trachyte décomposé; elles doivent donc, sur leur parcours, s'être chargées de matières kaoliniques. L'obstruction plus ou moins complète de leurs anciens conduits est aussi proba- blement la cause pour laquelle il s’est produit des variations dans le débit ordinaire de leurs sources. La coloration blanchâtre des eaux douces et les changements observés dans le volume de quel- ques sources s'expliquent donc tout naturellement comme de simples conséquences du tremblement de terre. En somme, nous voyons que le tremblement de terre de Mételin ne nous fournit aucune indication pute sur la cause générale de ce mystérieux phénomène. Considérons maintenant celui de Céphalonie. C’est le 11 février, à six heures du matin, que celui-ci a eu lieu. Pendant la nuit, il était tombé une forte pluie et même de la grêle sur quelques points de l'île. Cependant le vent était nord-est, la pression barométrique dé- passait 760, et la température moyenne avait été d'environ 6 de- grés pendant la nuit. La première secousse a été forte; elle a duré à peu près trente secondes. Vers sept heures, il s'en est produit une seconde presque aussi intense que la première, et qui a fait beaucoup plus de dom- mages dans les constructions que celle-ci, à cause de l’ébranlement A TE A D M nt 4 D — 159 — déjà subi. Trois ou quatre commotions plus faibles ont suivi; puis, à dix heures, a eu lieu une nouvelle secousse comparable aux deux premières par son énergie. Celle-ci a achevé de renverser la plupart des habitations qui avaient souffert notablement des deux premières commotions. Depuis lors, jusqu'au mois d'avril, il ne s'est pas passé un seul jour sans qu'on ait ressenti plusieurs secousses, mais toutes n’ont plus offert qu'un médiocre intérêt. L'énumération sui- vante, que j'emprunte en grande partie aux rapports officiels de l'administration hellénique, et que des renseignements recueillis sur place m'ont permis de compléter, va nous permettre de juger de l'étendue de terrain ravagée par le tremblement de terre et de déterminer aussi, approximativement, la position du centre de lé- branlement. Il DISTRICT D’ARGOSTOLI. La ville d'Argostoli, située sur le bord de la mer, au fond d’un golfe, n'a que médiocrement souffert, malgré sa position sur un sol d’alluvion. Cependant la plupart des constructions y ont été plus ou moins endommagées, quoique en général elles fussent neuves et bien bâties. Les édifices publics, comme la Douane, la Maison d'arrêt, la Banque, le Palais de justice, ont même été assez ébranlés pour nécessiter des réparations urgentes. Les corniches volumi- neuses qui garnissaient le haut des façades des principales habita- tions ont été presque partout jetées en bas; quelques pans de murs ont été renversés, mais, en général, les constructions bien établies n'ont été que lézardées. Néanmoins les secousses ont été assez fortes pour renverser les parapets du pont qui traverse le port et pour faire tourner d'environ 30 degrés vers l’est, sur son piédestal, la statue en bronze d'un gouverneur anglais, élevée au milieu d’une place, à l'entrée de la ville. Il n’y a pas eu de morts. DISTRICT DE LIBATO. 250 maisons; PARXTHRA....... ...< les deux tiers, ruinées; pas de morts. 70 maisons ; KARANDINATA .......4 complétement détruites; pas de morts. MISS. SCIENT. — IV. 51 — 60 — .{ 180 maisons, la plupart très-bien bâties ; HORTANA LU. ARR complétement détruites ; 1 mort. 60 maisons ; Focaté. cu: RTE .{ complétement détruites ; pas de morts ; Les autres villages du district n’ont que très-peu souffert. DISTRICT D'EICOSIMIA. LOURDATA. . dites sa out la moitié, renversées. 12 Maisons; SORA TA Es «nude j 3 renversées : | les autres menacent ruine. | PORIARATA . ... .. | 24 maisons ; | 13 sont renversées. 22 Maisons; | MONOAïTA 00, RE MT 5 sont renversées ; les autres sont fort endommagées. BTAGHATA SE, HS, A3 raisons; | toutes ont beaucoup souffert. I y a eu quelques blessés dans ces villages, mais aucune mort à déplorer. DISTRICTS DE SCALA, DE KATELIOS, D'HÉRACLÉE. Pas de dommages sensibles. DISTRICT D’OMALA. Le village de Troïanata a eu environ 30 maisons renversées. DISTRICT D’EPANO-ERISO. Plusieurs villages ont beaucoup souffert. Un mort. DISTRICT DE PYRGI. Le village de Karacti a eu beaucoup de maisons ruinées. DISTRICT DE SAMOS. La ville basse de Samos et les deux villages de Zerbata et de Ka- tapodata ont éprouvé de grands dommages. Il y a eu deux morts. — 61 — DISTRICT D’ASSO. Dans la ville d'Asso, plusieurs maisons ont été renversées. Il y a eu deux morts. Dans la ville de Bryone, 11 maisons ont été renversées, 86 ont beaucoup souffert. DISTRICT DE PHALACRA. Dans le village de Phalacra, composé de 400 maisons, il y a eu 25 maisons renversées et Ao très-endommagées. Les villages de Razata et de Procopata, voisins de celui-ci, n'ont aucunement souffert. DISTRICT DE DELINITA. 700 maisons ; 15 sont renversées ; DELINI DAT + 9 x v.4'/#7e ! _ Hu is 60 sont fortement endommagées ; pas de morts. : ï 150 maisons ; PANGATA. L.. : MIE ë ruine complète. Il ne reste que quinze maisons debout; pas de morts. Près de ce village, il s'est produit une fente au pied de la montapne de Sainte- Dynatie, mais il est faux qu'il en soit sorti des flammes, comme on l'a dit. { So maisons: ÉRARSS 00.... . .. à us | une dizaine ont beaucoup soulfert. 65 maisons : CONROUCLATA . . ... ..{ destruction complète; 1] mori. DISTRICT DE TINEAS. 125 maisons ; CoNToGOURATA . . ....{ destruction complète; ([ 3 morts. 70 maisons ; . .. une dizaine seulement restent debout; 2 morts. | | - . | — 62 — 120 MAISONS ; 20 seulement restent encore debout : 1 mort. DARDAGATA 5 LOU 60 maisons: il n'en reste debout que dix; pas de morts. FU PR NU | ANCONA........:...4 100 renversées: 9 morts. O maisons ; PATRICATA . ...... 4 e 80 renversées. * > n . Nue bus sb seche LOTS à il en reste à peine dix. 45 maisons; PORN D Se ER URL SNS : : destruction complète. | | 200 maisons; | Il n'y a pas eu de morts dans ces trois derniers villages. DISTRICT DES ANOGÈTES. 220 MAISONS; HaGra-Tnecra ......4 destruction complète; 1 morts. 200 Maisons; Ripnret DAMOULIANATAS destruction complète ; 63 morts. 85 maisons; SKINEA . -,...:,..-4 destruction complète; 10 morts, 4 blessés très-grièvement. Le campanile de l'église, qui était très-bien construit, a été renversé du côté sud-ouest. 85 maisons; CoNTOGENADA. ,.....4 il n'en est resté debout que 9; 2 morts. 20 MAISONS ; DEMATORA...... ....4 destruction complète; pas de morts. 56 maisons; CABANE NEC ; destruction complète. Pas de morts; quatre personnes grièvement blessées. — 163 — DISTRICT DES MÉSOGÈTES. Lessons... .. environ 2,000 Maisons. La moitié sont plus ou moins complétement ruinées, le campa- nile de l'église Saint-Sauveur est resté penché vers le nord-est. Le long du ruisseau qui traverse la ville, il s’est produit, près de la place publique, par suite d’un tassement du sol, une fente d’un mètre de large environ dans sa partie la plus ouverte et de 100 mè- tres de longueur. Il y a eu 35 morts. 230 MAISONS ; CAUMAMA. de. destruction presque entière ; 1 mort. 30 maisons; RPM... 1... DE 5 , destruction complète, ; 35 maisons; DRE NEN. .. ., . .. destruction complète. 30 maisons ; MPANDUGATA.. . . .. ... ‘ destruction complète. Il n'y a pas eu de morts dans ces trois derniers villages. 20 MAISONS ; DIÉLLAPORTATA : : . . .. destruction complète ; D morts. 140 maisons; - destruction complète ; 6 morts. CAMINARATA . . ... Leu 140 maisons; les deux tiers sont en ruines; 3 morts. MoxoPorarA........ les deux tiers sont en ruines; pas de morts. PARISArA US, ©... pe) 30 maisons ; destruction complète ; pas de morts. BOUKERATA. . . .... de 160 maisons ; destruction complete ; 19 morts. DOURAGArE. .. : :... ns | Cl. — DISTRICT DES CATOGÈTES. 4o maisons; MiCHALITZATA. . . . . .. AS les neuf dixièmes sont en ruines. 200 maisons ; destruction complète ; 4 morts. HEAROSL ESC LU | 120 MAISONS ; MANZABINATA . ,..,.. destruction complète ; | 7 morts. 6o maisons; destruction complète: 4 morts. Bounr. 44e. aa 31 maisons ; BLICATA 0e destruction complète ; 1 mort. 110 Maisons : CABRIATAT LE LEUR destruction complète ; l morts. L'examen du tableau qui vient d’être dressé montre que le trem- blement de terre de Céphalonie s’est fait sentir très-inégalement dans les différentes parties de l'ile. Tandis que la région occidentale, comprenant les trois districts des Anogètes, des Mésogètes et des Catogètes, a été extrêmement maltraitée, la région orientale de l'ile n'a subi que des dommages relativement très-faibles, et même, de ce côté, les secousses n'ont été réellement facheuses que pour les districts situés dans le voisinage du golfe de Lexouri. La portion E. de l’île est traversée du nord au sud par une haute chaîne de cal- caire métamorphique qui semble avoir arrêté, en grande partie, l’ébranlement, puisque, sur son versant oriental, les désastres ont été presque nuls, et que même les districts du sud de ce côté n'ont éprouvé aucun dommage sensible. Ainsi donc le centre de l'ébran- lement séismique se trouvait du côté occidental de l'ile. On peut même penser qu'il se trouvait précisément au milieu des deux vil- lages de Riphi et de Damoulianata, En effet, en observant dans les différents villages les directions dans lesquelles l'écroulement des maisons s'est opéré, on peut, en chaque point, déterminer la di- rection principale des secousses du tremblement de terre, et, si lon fait cette opération, on s'aperçoit facilement que toutes ces di- — 165 — rections convergent sensiblement vers la partie du district des Ano- cètes sur laquelle s'élèvent les deux villages en question. Comme exemples je citerai quelques-unes de ces observations de directions du mouvement vibratoire : à ..N. 20° O: — S120° E. Hour -.. . .. MP dance N,30° 0 — S 20° +: Hilaro, Mantzabinata, Bouni.. N. 20° O. — S. 20° E. Typaldata, Catarélata, ....... N°50 0: —75"50 Le: D NAS O0 "SAUCE : US SP n N. 30° O0. — S. 50° E. Phanenlalatas ... ....... ONF Dans le district de Tineas les secousses ont eu lieu aussi dans la direction ouest-est. Enfin l'opinion que je viens d'émettre sur la position du centre d'ébranlement se trouve surtout légitimée par la disposition des ruines des deux villages de Riphi et de Damoulianata. Là, l'écrou- lement des maisons s'est opéré dans tous les sens; il n'y a plus de direction nettement visible; il semble que les secousses aient été exclusivement verticales ; les moulins à vent qui s'élèvent au sommet - de la colline sont effondrés sur eux-mêmes, comme si les pierres de leurs murailles avaient été lancées en haut par un choc souterrain, et si elles étaient ensuite retombées verticalement. Il est à remarquer que les villages de Riphi et de Damoulianata sont situés au sommet d'un plateau de calcaire métamorphique; les constructions y repo- saient donc sur un excellent sol de fondation, et beaucoup d’entre elles étaient bâties avec soin. Aucune des conditions défavorables que nous avons énumérées en décrivant le tremblement de Mételin ne’se rencontrait donc ici. Par conséquent, il faut attribuer le boule-. versement complet de ces deux villages uniquement à l’action des secousses ayant agi, en ce point, directement de bas en haut. Les deux villages de Skinea et d'Hagia-Thecla situés près de ceux- ci, n'ont été guère moins maltraités; cependant on y distingue déjà une direction plus régulière dans la disposition des ruines, et l'on peut voir que les secousses s'y sont fait surtout sentir dans la direc- tion ouest-est. Le village d'Hagia-Thecla, appliqué, pour ainsi dire, contre les flanes de la colline escarpée qui porte à son sommet les villages de Riphiet de Damoulianata, a eu son désastre singulièrement aggravé —) O — par la pente du terrain sur lequel il était construit, car les maisons en s'écroulant se sont écrasées les unes les autres. La partie basse des districts des Mesogètes et des Catogètes a dü également à la nature géologique de son sol une augmentation dans les dommages qu'elle a éprouvés. On y trouve une couche épaisse d'argile que l'eau délaye très-facilement. Au-dessus s'étale une assise assez mince cle sable calcaire sans consistance, rempli de fossiles de l'époque tertiaire pliocène. Sur un pareil sol les fonda- tions des constructions ne peuvent présenter une grande solidité. Il est même arrivé en quelques points que des masses considérables 1 1000000" ÎLE DE CÉPHALONIE, À L’ÉCHELLE DE A Partie de l’île ruince par le tremblement de terre. P C7] Partie de l’ile épargnée par le tremblement de terre. e pargnee p de ce sol meuble se sont détachées tout d’une pièce et ont glissé par l'effet du tremblement de terre. Ainsi, à Hagios-Stephanos, près d'Hilaros, une masse d'argile de plusieurs milliers de mètres cubes s'est détachée sur une longueur de 200 mêtres, en creusant entre elle et la partie restée en place, une sorte de fossé d'environ 8 mètres de profondeur sur 3 mètres de largeur. | En un autre point, près de Coubalata, un cours d’eau souterrain, dérangé de sa voie habituelle par lelfet des secousses, est venu sourdre au milieu d'un champ, en délayant une portion considé- — 167 — rable du sol argileux environnant, de manière à former une large fondrière. | En beaucoup d’autres endroits, le terrain a été crevassé, mais ce sont là autant d'effets du tremblement de terre qui n’ont rien de particulier. Nous devons ajouter qu'il n'existe dans l'ile de Céphalonie aucune roche éruptive, et qu'on n'y observe non plus aucun phénomène qui tienne de près ou de loin à l’action volcanique. Supposer dans ce cas une poussée souterraine, une sorte d'éruption volcanique avortée, me semble donc extrêmement hypothétique. Faut-il alors recourir de préférence à l’action de l’eau et suppo- ser, dans les profondeurs du terrain, des éboulements produits par les infiltrations ? Bien que le foyer du tremblement de terre soit certainement à une grande profondeur, et de plus qu'il ait son centre au-dessous d'une région occupée par des roches compactes régulièrement stra- fées, néanmoins on ne peut nier que cette hypothèse ne présente quelque chose de séduisant dans le cas en question. Il existe, en effet, à Céphalonie, à l'entrée du port d'Argostoli, un phénomène géologique des plus curieux, qui, jusqu'à présent, a toujours été regardé comme une énigme insoluble et qui prouve certainement que, dans certaines parties au moins, le sol de Pile est criblé pro- fondément de larges cavités. Je veux parler de ces courants rapides qui précipitent l'eau de la mer entre les rochers de la côte d’Argos- toli avec une force suffisante pour faire marcher deux moulins. L'eau qui fait tourner les roues de ces moulins se perd dans des trous au milieu des rochers du rivage, et, jusqu'à présent au moins, on ne connaît pas encore les points où elle vient reparaïtre au jour. Quoi qu'il en soit, il est évident qu'elle circule dans de profondes cavités souterraines et que le sol de cette portion de l’île est creux au moins sur un Certain espace. Par suite, on comprend fort bien que des éboulements puissent avoir lieu dans ces cavités, dont les parois sont lavées sans cesse par le passage des courants d’eau, et qu'il puisse en résulter dans les couches superficielles du sol des mouvements vibratoires d'une grande intensité. Des objections puissantes peuvent être cependant opposées à cette hypothèse, car, comme nous venons de le dire plus haut, le centre d’ébranlement se trouve non pas au-dessous des couches tertiaires de l'ile, qui pa- raissent être le siége de ces anfractuosités souterraines, mais au- TT dessous d'un calcaire plus ancien, compacte et divisé en couches régulièrement stratifiées, dans lequel il est peu probable qu'il existe de grandes excavations; et, dans tous les cas, le centre des deux phé- . nomènes ne parait pas être le même, puisque l'engouffrement des eaux s'opère sur la rive orientale du golfe de Lexouri, tandis que le centre d'ébranlement séismique était certainement au-dessous de la portion occidentale de l'ile, de l'autre côté du golfe. Enfin, si des éboulements s'étaient opérés dans les conditions conformes à lhypo- thèse précédente, des modifications subites auraient dû se produire, au moment du tremblement de terre, dans la rapidité des courants qui viennent s'engoulfrer sur les bords de la côte d'Argostoli. Or, rien de pareil n’a été observé ; il semble, au contraire, y avoir une indépendance complète entre les deux phénomènes. On ne peut donc raisonnablement regarder l'un comme la cause de l'autre. Par conséquent, si le tremblement de terre de Céphalonie est dû à un éboulement souterrain, cet éboulement s'est opéré dans des portions du sol plus profondes que celles dans lesquelles a lieu la circula- ion d'eau ci-dessus mentionnée. Quand on compare les deux tremblements de terre de Céphalonie et de Mételin, on remarque entre leurs effets des différences très- intéressantes. À Céphalonie les villages ont été bien plus compléte- ment ruinés qu'à Mételin, quoique généralement ils fussent com- posés de maisons assez bien bâties. Dans certains villages, comme Riphi, Damoulianata, Hagia-Thecla, Skinea, la destruction a été telle que chacun d'eux n'est plus qu'un monceau de décombres, et qu'aucun village de Mételin, même parmi les plus maltraités, ne présente une ruine aussi complète. Au contraire, le nombre des morts à Mételin est de 700 environ, tandis qu'à Céphalonie il ne s'est pas élevé à 250; la mortalité a donc été incomparablement plus grande dans la première des deux îles que dans la seconde, malzré la différence en sens inverse des désastres matériels. Ce ré- sultat doit paraître encore plus surprenant, si l'on songe que la population de Mételin n'est pas le quart de celle de Céphalome, et si lon considère que la première secousse de Mételin est arrivée à la fin de la journée à une heure où un grand nombre de personnes étaient encore occupées au dehors de leurs habitations, tandis que celui de Céphalonie survenu à six heures du matin, au commence- ment du mois de février, a surpris presque tous les habitants de l'ile dans l'intérieur de leurs maisons. — 169 — Ces faits, contradictoires en apparence, trouvent une explication rationnelle dans l’ordre et dans le degré d'intensité relatif des se- cousses principales des deux tremblements de terre. À Mételin, la première secousse a été très-forte, incomparable- ment plus violente que toutes les secousses qui l'ont suivie. C'est elle qui a produit tous les malheurs et tous les désastres que lon a eu à déplorer dans cette île. Sa soudaineté et son intensité ex- pliquent la grande mortalité qu'elle a causée. Les secousses posté- rieures n'ont eu que des effets négligibles. À Céphalonie, il y a eu dans la première journée trois secousses violentes, l'une à 6 heures du matin, l'autre à 7, et la troisième à 10 heures. La première secousse était beaucoup moins forte que celle de Mételin; aussi, bien qu'elle ait eu lieu à une heure où peu de personnes étaient encore sorties de leur habitation, elle a fait beaucoup moins de victimes que la première secousse de l'autre tremblement de terre. Les deux secousses de 7 heures et de 1 0 heures ont trouvé tout le monde en alerte, les maisons étaient abandonnées; aussi ces deux nouvelles commotions ont-elles été très-peu meur- trières ; en revanche, elles ont achevé de démolir et de jeter par terre les constructions ébranlées. Ainsi donc, les différences dans les effets observés à Mételin et à Céphalonie tiennent principalement à ce que, dans tout tremblement de terre, la mortalité dépend sur- tout de l'intensité de la première secousse, tandis que les désastres matériels résultent à la fois de l'intensité et de la fréquence des secousses successives. Voyons maintenant si les faits que je viens d'exposer apportent un appui à quelqu une des théories qui ont été proposées en grand nombre, pour rendre compte des tremblements de terre. Parmi ces théories, quelques-unes sont aujourd'hui regardées eomme inadmissibles et abandonnées de tout le monde; telle est celle d’une atmosphère sous-jacente à l'écorce terrestre, celle de vagues gigantesques venant battre la face profonde de cette écorce, celle d'orages électriques souterrains. Je mets de côté ces hypothèses purement gratuites, et je rejette particulièrement toute interven- tion de l'électricité dans le phénomène, car dans aucun des deux tremblements de terre que j'ai étudiés il n'y a eu de variations brusques de l'aiguille aimantée au moment des secousses. Le développement brusque de vapeurs aqueuses dans le sein de la terre à une très-haute température a été invoqué par l'abbé Nolet à — 70 — et plus tard par le professeur Bischoff pour expliquer les tremble- ments de terre. Une telle explication pourrait peut-être être adoptée pour les secousses qui se produisent dans le voisinage des volcans, principalement au début des éruptions, mais dans la très-grande majorité des cas elle est insuffisante et dénuée de vraisemblance. L'immense étendue de certains ébranlements séismiques a fait penser à beaucoup de géologues que les convulsions intérieures de notre planète étaient dues à des mouvements de la zone terrestre, qui se trouve à l'état de fusion ignée. Léopold de Buch et Hum- boldt ont appuyé cette manière de voir de leur grande autorité scien- tifique, et c'est encore aujourd’hui la théorie la plus accréditée, bien qu'à présent un grand nombre de personnes n'aient plus, sur la constitution intérieure du globe terrestre, les idées qui étaient géné- ralement admises à l'époque où ces deux illustres savants ont publié leurs travaux. Le plus grave reproche que j’adresserai à cette théo- rie, c'est de reculer la question au lieu de la résoudre. Connait-on, en effet, la nature des mouvements du fluide igné sous-jacent à l'écorce solide de la terre ? Possède-t-on même quelque notion un peu positive sur l'épaisseur de la zone occupée par ce liquide? Enfin, comment comprendre qu'il puisse, en se mouvant, occasionner, à longs intervalles, des secousses purement locales en quelques points ? L'action attractive de la lune et du soleil peut y occasionner des marées et celles-ci augmenter la fréquence des tremblements de terre à certaines époques de l’année, mais il est impossible d'y voir la cause véritable d’un phénomène essentiellement brusque, irrégulier et fréquent, surtout dans certaines zones de la surface terrestre plus ou moins éloignées de l'équateur. J’ajouterai, en outre, que, dans les deux tremblements de terre de Céphalonie et de Mételin, les lois posées par M. Perrey ne se trouvent que très-impar- faitement vérifiées, l'une des deux commotions ayant eu lieu, à la vérité, à l'époque d’une syzygie conformément à la théorie qui re- pose sur la considération des marées souterraines, mais l’autre s'est produite pendant une quadrature, c’est-à-dire contrairement à la même théorie. De plus, ces deux tremblements de terre se sont manifestés pendant l'hiver, mais à une époque assez éloignée du solstice. Les marées souterraines ne peuvent donc avoir eu là qu'une action très-faible. En admettant l'existence d’une zone liquide 1in- candescente au-dessous de l'écorce superficielle du globe, en sup- posant même ce liquide doué de mouvements lents et périodiques, — 71 — comme ceux que pourraient lui communiquer les corps célestes, on ne peut même encore rendre compte, d'une manière satisfai- sante, de la production des tremblements de terre. Il me reste à parler d'une théorie que j'ai déjà précédemment attaquée, mais sur laquelle je dois insister encore, parce qu'elle est probablement vraie dans certains cas particuliers. C’est celle des écroulements souterrains. Cette théorie adoptée par Boussingault, Darwin, Virlet, Volger, Necker et beaucoup d’autres savants, est celle qui vient tout naturellement à l'esprit quand on ressent une secousse de tremblement de terre et qu’on entend le sol gronder sous ses pieds. J'ai éprouvé moi-même cette impression involon- taire. Quand on réfléchit, on est encore porté volontiers à l'admettre à cause du siége de prédilection des ébranlements séismiques. En effet, les régions ravagées habituellement par les tremblements de terre ne sont pas nécessairement des régions volcaniques, mais ce sont toujours des contrées dont le sol a été profondément fracturé et bouleversé et qui, par conséquent, sont sujettes, plus que d’autres, à des éboulements au milieu des matériaux disloqués qui en constituent la charpente. Dans cette hypothèse, les ravinements continuels opérés par les cours d’eau souterrains seraient la cause principale des écroulements, qui s’opèrent dans les profondeurs du sol et des secousses qui en sont la conséquence. Des tremblements de terre très-locaux, comme ceux qui se sont produits dans quelques vallées de la Suisse et du Jura, à la suite d'infiltration d'eaux, n’ont probablement pas une autre origine, et jadmettrais même assez volontiers que beaucoup de secousses res- senties dans un champ restreint peuvent être expliquées de la sorte, mais les deux tremblements de terre de Mételin et de Céphalonie ne peuvent être regardés comme des manifestations isolées. Ils sont vraisemblablement liés l'un à l’autre, ainsi qu'à celui qui, peu de mois auparavant, a ravagé l'Algérie ; enfin, il est difficile de les re- garder comme indépendants des éruptions volcaniques de l'Etna, du Vésuve et du Santorin, qui se succèdent, à si court intervalle, depuis quelque temps. Cette considération acquiert surtout une haute importance, si l'on remarque qu'un grand cercle tracé par les centres d'ébranlement de Mételin et de Céphalonie vient passer, lorsqu'on le prolonge, par l'Etna, l'emplacement de l'île Julia et le centre d’ébranlement de l'Algérie. Ce grand cercle a été désigné, il y a longtemps déjà, par M. Élie de Beaumont, sous le nom d'’axe — 172 — volcanique de la Méditerranée. Il est l'un des grands cercles dodé- caédriques rhomboïdaux qui font partie du réseau pentagonal géné- ral. Il est très-remarquable de voir que les trois grands tremblements de terre de cette année ont leur centre précisément sur cette ligne. Il est donc impossible de regarder ces phénomènes comme des faits isolés, indépendants. Chacun d’eux peut avoir une cause secondaire particulière et locale, mais au-dessus de tout cela règne une cause plus générale dont le secret nous échappe. Quant à la cause secon- daire, doit-on la voir dans des éboulements souterrains ? C’est ce que je n'oserais même affirmer d’après l'examen des faits observés à Cé- phalonie et à Mételin, ainsi que l'ai précédemment établi. En somme, l'étude attentive des tremblements de terre survenus dans ces deux îles, au commencement de cette année, ne fournit aucun document nouveau capable de donner un peu de solidité aux nombreuses hypothèses émises sur la cause générale des tremble- ments de terre. Renonçant ainsi à l'espoir de faire progresser la question théo- rique, il me reste à présent à m'occuper d’un problème beaucoup plus modeste, auquel son caractère pratique donne une importance réelle, c'est celui du mode de construction qui doit être adopté de préférence dans les pays sujets aux tremblements de terre. Les ob- servations nombreuses que j'ai faites sur cette matière, tant à Cé- phalonie qu’à Mételin, vont me permettre d'établir certaines règles rationnelles dont l'emploi peut être de quelque utilité. J'examinerai successivement les constructions dans lesquelles prédominent la pierre et le bois. CONSTRUCTIONS EN PIERRE. Ce sont de beaucoup les plus ordinaires dans les pays sujets aux tremblements de terre, car ces pays sont généralement montagneux ; les roches cristallines ou métamorphiques, qui forment d'excellents matériaux de construction, y sont très-communes et le plus souvent à découvert : la pierre y est donc d’une exploitation facile. Au con- traire, fréquemment le bois y est rare; dans la zone méditer- ranéenne, par exemple, le déboisement est général et il est impos- sible d'espérer qu'un jour les montägnes y seront recouvertes de forêts comme autrefois, car la terre végétale y a disparu entraînée — 173 — par les pluies; le bois ne peut donc y être que d'un emploi restreint; et, quant au fer, il n'a été jusqu'à présent, et ne sera encore de longtemps que d’un usage fort secondaire. Pour toutes ces raisons, les maisons en pierre sont les plus communes. Choix des matériaux pierreux. Lorsqu'on peut choisir entre des pierres de composition et de propriétés différentes, on doit prendre de préférence celles qui offrent la plus grande ténacité, la densité la plus considérable, et qui peuvent être extraites des carrières en blocs volumineux. La raison de ce choix s'explique par les considérations suivantes : lorsqu'une muraille est lézardée par une secousse, il arrive souvent que l'ouverture tend à se prolonger soit pendant cette secousse, soit pendant les secousses suivantes. Or, dans le cas où la fente vient à rencontrer dans la composition du mur un bloc volumineux et suf- fisamment résistant, elle se trouve arrêtée par cet obstacle et cesse de s'étendre. Dans le cas contraire, elle peut se prolonger tout au travers de la maçonnerie jusqu'à sa base. Il est donc avantageux d'employer des blocs de grand volume et aussi résistants que pos- sible. Les matériaux d’une grande densité doivent être également recherchés, parce qu’en les taillant de manière à ce que leurs sur- faces de jonction restent rugueuses, ils pressent énergiquement les uns sur les autres en vertu de leur poids considérable; leurs aspé- rités superficielles engrènent les unes entre les autres, et les blocs ne peuvent plus que difficilement glisser et se détacher, même sous l'influence d’oscillations énergiques. Les roches volcaniques offrant souvent à la fois une ténacité et une densité considérables, pouvant, en outre, presque toujours, être taillées en gros blocs, doivent, en général, être préférées aux roches d'origine sédimentaire, même à celles qui sont métamorphisées, car celles-ci sont ordinairement cassantes et d’une densité moindre. Les roches éruptives dans lesquelles la päte prédomine sur la partie cristalline, doivent être aussi choisies de préférence aux roches dont la cristallisation est plus développée, car leur ténacité est plus forte que celle de ces dernières. Emplacement des constructions. Les terrains d’alluvion et tous les sols meubles ou facilement dé- layables par l'eau doivent être évités autant que possible. 1 faut — jh — également éviter de construire sur de fortes pentes. J'ai précédem-. ment indiqué des exemples qui mettent en relief la vérité de cette règle. | - On ne doit pas rechercher l'isolement complet des édifices, quels qu'en soient l'usage et l'importance. Plusieurs bâtiments réunis par des murs mitoyens se soutiennent mutuellement et résistent bien mieux à l’action des secousses que ceux qui sont séparés les uns des autres. L'isolement des églises, des mosquées et des autres édifices publics de Mételin et de Céphalonie a souvent été cause que la ruine en a été plus complète que celle des habitations particulières, bien que la construction en fût incomparablement plus soignée. Mode de construction. Partout, généralement, on taille les pierres sous forme de paral- lélipipèdes rectangles et on les superpose de manière à en former des assises horizontales. Cette disposition offre des inconvénients qui sont d'autant plus graves que la construction est plus soignée, car, si les pierres composant une assise horizontale sont taillées avec soin , elles peuvent, sous l'influence d’une secousse normale à la di- rection de la muraille, se détacher toutes ensemble et glisser au delà de assise qui les supporte. Plusieurs maisons de Lexouri bâties de la sorte, avec des blocs de calcaires parfaitement taillés, ont eu ainsi les assises supérieures de leurs murailles chassées sans déplace- ment des assises inférieures. Par conséquent, au lieu de composer les murailles d'assises régulières horizontales, il me paraît bien pré- férable de les former de blocs irréguliers, enchevêtrés avec soin, comme on le faisait autrefois dans les édifices cyclopéens et comme on lepratique encore aujourd'hui principalement dans les construc- tions en meulière. Dans des murs ainsi bâtis, les fissures ne peuvent se prolonger, surtout quand les pierres de la maçonnerie sont réunies par un bon ciment, et, quelle que soit la direction de l'ébranlement, les blocs de pierre d’une construction de ce genre sont tellement encastrés les uns dans les autres qu'ils ne peuvent être séparés même par des secousses d'une grande énergie. C'est sans doute pour cette raison qu'en Grèce, pays classique des tremblements de terre, les murs cyclopéens sont encore si nombreux et si bien conservés, malgré leur antiquité reculée et malgré leur défaut de ciment, landis qu'il reste relativement peu de monuments de la grande — 175 — époque architecturale hellénique, au moins dans un pareil état de conservation. Les constructions destinées à résister aux secousses souterraines doivent encore remplir quelques autres conditions que je vais énumérer. | | 1° Elles doivent être, autant que possible, homogènes, c'est-à-dire bâties avec des matériaux de même nature dans toute leur étendue. J'ai vu à Mételin des murailles en ruine, qui étaient composées de morceaux de marbre mélangés cà et là de blocs d'origine volcanique, et plusieurs fois j'ai pu m'assurer que leur chute était due surtout à l'inégal déplacement que ces pierres, de densité différente, avaient subi sous l'influence d’une même secousse. Dans le village de Basi- lica, à Mételin, un mur, formé de deux espèces de roches volcani- ques de densités très-diverses, est resté debout après les secousses, mais les blocs de la roche la plus dense sont demeurés en saillie de plusieurs centimètres en dehors de la muraille et tranchent aussi bien par leur relief que par leur coloration noire sur les blocs gri- satres restés en arrière. 2° Les corniches et tous les ornements plus ou moins volumineux dont on charge souvent la partie supérieure des bâtiments privés ou publics doivent être sévèrement proscrits. Presque tous les bâti- ments construits par les Anglais dans les deux villes d’Argostoli et de Lexouri étaient garnis à leur partie supérieure de corniches énormes qui se sont détachées avec fracas à la première secousse, entraînant quelquefois avec elles la portion contiguëé des murs. Les campaniles des églises, leurs façades, celles des édifices de la Banque et du Palais de Justice d'Argostoli doivent à ce motif une grande partie des dommages qu'ils ont éprouvés. 3° Les colonnes ne résistent convenablement à l’action des trem- blements de terre qu'à la condition d'être volumineuses, composées de blocs rugueux sur leurs surfaces de superposition et réunies à leur partie supérieure par un entablement commun d’un volume et d’un poids convenablement proportionnés au leur. Celles qui entouraient le Palais de Justice de Lexouri ont beaucoup souffert, faute de remplir ces conditions. 4° Les charpentes doivent être légères et fixées à la partie supé- rieure des murs sur une étendue aussi grande que possible, car la quantité de mouvement que leur communique une secousse n'étant pas la même que celle qui est imprimée aux murs, il en résulte né- MISS. SCIENT. — 1V. 32 — 176 — cessairement, dans les points d'attache, des chocs assez forts qu'il me parait impossible d'éviter complétement, mais dont on peut chercher à atténuer l'effet. La fixité des pièces de la charpente est donc une condition qu'on doit chercher à réaliser par tous les moyens possibles; quand ces pièces sont mobiles, elles sont pous- sées au delà des murs qui les soutiennent par les oscillations hori- zontales, où soulevées par les chocs verticaux. Dans les deux cas, elles sont bientôt brisées et s’effondrent dans Pintérieur des habi- tations. Un grand nombre de victimes des deux tremblements de terre de Céphalonie et de Mételin ont été écrasées dans leurs mai- sons par la chute de charpentes, qui ne satisfaisaient pas à cette condition de stabilité. 5° Les couvertures en tuiles adoptées généralement dans les îles de la Grèce et de la Turquie sont extrémement dangereuses dans les cas de tremblements de terre; les tuiles se détachent sous laction des secousses et viennent blesser grièvement ou tuer les habitants des maisons au moment où, aveuglés par la peur, ils se précipitent au dehors pour échapper à la mort qui les menace dans l'intérieur de leurs maisons. Je n'exagère pas en disant qu'un tiers des victimes des deux tremblements de terre de Céphalonie et de Mételin ont péri de la sorte. Renoncer à l'emploi des tuiles serait donc une ex- cellente mesure dans les pays où les mouvements du sol sont fré- quents et énergiques; malheureusement, la chose n'est guère possible que là où l'on peut fabriquer économiquement des ciments d’une solidité toute particulière. Quand on est obligé de conserver l'emploi des briques, on peut au moins rendre leur chute moins dangereuse en perçant les portes et les fenêtres des habitations dans les pignons. C’est la disposition que présentent plusieurs anciennes maisons de Céphalonie qui, du reste, ont déjà résisté à beaucoup de tremblements de terre et qui viennent encore de sortir intactes de celui-ci. Parmi ces vieilles maisons, les unes ont seulement un rez-de-chaussée; d’autres ont un étage. Elles sont faites en pierres grossièrement taillées, solidement cimentées. Les portes et les fe- nêtres sont ouvertes dans les pignons, dont la maçonnerie ne monte que jusqu'à la partie inférieure du toit. La partie supérieure est formée par la charpente. Distribution intérieure des habitations. Des pièces nombreuses et petites, séparées par des cloisons en — 177 — pierre solidement bâties, comme les murs extérieurs, me parais- sent offrir le mode de distribution intérieure le plus convenable au point de vue qui m'occupe. Les cloisons intérieures soutiennent et consolident les murailles et les empêchent de céder à l'effort des secousses, quelle que soit la direction de celles-ci. Elles n'offrent d’ailleurs, par elles-mêmes, aucun surcroît de danger, comme l'a prouvé la conservation parfaite des vieilles maisons de Céphalonie dont j'ai parlé tout à l'heure, lesquelles présentent ce genre de division. Constructions en béton, Outre les constructions ordinaires en pierre, dont je viens de discuter les conditions, il en existe d’autres qui réalisent tous les avantages que l'on peut désirer dans des pays chauds et sujets aux tremblements de terre. Ce sont les constructions en béton ou en ciment volcanique qui fournissent une fraîcheur agréable pendant l'été, sont imperméables aux pluies de l'hiver et à peu près complé- tement à l'abri des effets des tremblements de terre Les plus terribles. À Santorin, toutes les maisons, toutes les évlises sont bâties de la sorte depuis une haute antiquité. Les habitations sont composées de vastes chambres recouvertes chacune par une voûte en ciment volcanique comme les murs qui la soutiennent. Chaque bâtiment est, pour ainsi dire, d’un seul morceau; aussi, lorsqu'il arrive dans l'ile de violents tremblements, comme en 1857, par exemple, on observe bien quelques dommages dans les constructions, mais ces dommages, toujours sans gravité, ne font que prouver la force de la commotion souterraine. Lorsque, par hasard, de larges voûtes s'entr'ouvrent par leur milieu sur de grandes longueurs, comme cela est arrivé en 1857 dans le dortoir de l'établissement des sœurs de charité, les deux moitiés de la voûte entr'ouverte restent en place de chaque côté sans qu'il s'en détache un seul fragment. Je ne saurais donc recommander trop vivement l'emploi du béton et surtout celui du ciment à base de pouzzolane, dans tous les cas où l’on peut craindre les ébranlements du sol. j FT CONSTRUCTIONS EN BOIS. On peut se regarder, dans les maisons en bois, comme parfaite- 32. — 78 — ment à l'abri des dangers ordinaires des tremblements de terre, à la condition que ces maisons ne reposent sur aucun soubassement en pierre élevé au-dessus du sol, et qu'aucune pièce de maçonnerie ne soit interposée entre les pièces de bois principales de la construc- tion. Dans les cas où les maisons en bois reposent sur des soubasse- ments en pierre élevés au-dessus du sol, s’il survient une secousse un peu forte, elles sont infailliblement jetées par terre et souvent bri- sées. Quand il y a des parties en pierre entre les pièces de bois de la construction, les pierres se détachent sous l'influence des secousses et peuvent être projetées dans l'intérieur de l'habitation. Un mortier d'argile ou de plâtre doit donc seul remplir les intervalles compris entre les pièces de bois. Le fer pourrait être employé avantageuse- ment en même temps que le bois, mais la pierre doit être entière- ment proscrite de ce genre de construction. Telles sont les conséquences pratiques auxquelles j'ai été conduit par l'étude des deux tremblements de terre de Céphalonie et de Mételin. Quant à la partie purement géologique de ce travail, bien qu'il ne m'ait pas été possible de la clore par des conclusions posi- tives, je la crois de nature à fournir des documents utiles à ceux qui, plus tard, aborderont la question, encore aujourd'hui si obscure, de la cause générale des tremblements de terre. NOTE SUR LES GOUFFRES ABSORBANTS DE CÉPHALONIE. Le phénomène si curieux de lengouffrement des courants ma- rins du golfe d'Argostoli, que j'ai décrit dans le mémoire précédent, mériterait d’être l'objet d'observations suivies. Bien que le peu de temps de mon séjour dans File de Céphalonie m'ait empêché d'en faire une étude aussi complète que je l'aurais désiré, je crois pou- voir, sans trop de témérité, proposer une explication rationnelle de ce fait intéressant. D'abord, je crois pouvoir démontrer qu'il est dû à une circulation continue et non à une simple pénétration d’eau dans des cavités qui, d'abord pleines de gaz, finiraient avec le temps par se remplir de liquide. En effet, ce Joie existait déjà dans NUQUE et les tra: ditions conservées à Céphalonie attestent qu'il n'a jamais subi d’in- terruption , depuis qu'ilest connu. Or, sous la roue de l’un des deux moulins, le courant, qui est endigué en ce point, fournit en vingt- — 179 — _ quatre heures, une quantité d'eau d'à peu près mille mêtres cubes. La masse d’eau qui a pénétré ainsi dans le sol, depuis vingt siècles, est donc” tellement considérable, qu'il est impossible de penser qu'elle s'enfonce dans des cavités souterraines pour n'en plus res- sortir. D'ailleurs, l'air ou les gaz chassés par l'arrivée du liquide devraient s'échapper quelque part dans le voisinage, au fur et à mesure de leur expulsion par l’eau, et l'on ne connaît aucun déga- gement gazeux pareil ni à Céphalonie, ni dans la région voisine. I faut aller sur le sol de la Grèce continentale pour observer des dégagements continus d'air au milieu des rochers de certaines mon- tagnes, et encore, ces dégagements d'air ou d’autres gaz plus ou moins chauds trouvent-ils une explication parfaitement rationnelle dans certaines circonstances locales toutes particulières. Enfin, lorsque les écluses des moulins que les courants mettent ordinai- rement en mouvement se trouvent fermées, les trous dans lesquels Veau s'engouffre après leur passage sous les roues ne se vident pas, le niveau de l'eau s'y maintient à environ 1",50 au-dessous du niveau de la mer, ce qui ne pourrait arriver si l’eau des courants tombait dans des cavités remplies d'air ou d'autres gaz; dans ce cas, l'écoulement de l’eau ne s’arréterait pas, le niveau continue- rait à baisser à l'entrée des bouches absorbantes. Pour ces diverses raisons, nous admettons donc que l'eau, qui pénètre au milieu des rochers de la côte d’Argostoli, va ressortir plus loin, de manière à offrir une circulation continue. Cherchons maintenant à expliquer ce phénomène. S'il existait dans l'île de Céphalonie, dans une des îles voisines, ou près de là sur la terre ferme, quelque plaine basse située au- dessous du niveau de la mer , des sources salées pourraient y sourdre et y amener, par l’action seule de la pesanteur, l'eau de la mer engouffrée sur la côte d'Argostoli, sans que cette eau eût subi au- cune modification dans ses propriétés physiques ou chimiques. Le liquide ainsi amené à la surface du sol disparaitrait par évaporation., à l'air libre, en déposant les matières salines qu'il tient en. dissolu- tion. Mais il n'existe rien de pareil ni à Céphalonie, ni en aucun autre point du voisinage; on ne peut donc s'arrêter sérieusement à une pareille hypothèse, ni comparer, comme on la fait, les gouffres de Céphalonie aux Catavothra du Peloponèse et de Ja Béotie. L'eau des courants d'Argostoli, après sa pénétration dans les profondeurs du sol ne ressort pas sur une terre émergée; ses ori- fices de sortie se trouvent au fond de la mer et l'on peut même affirmer qu'ils existent dans l’intérieur du golfe de Lexouri. Les preuves de ce fait sont les suivantes : nous venons de voir plus haut que, lorsque les écluses des moulins étaient fermées, le niveau de l'eau à l'entrée des bouches devenait stationnaire à 1,50 environ au-dessous du niveau de la mer et qu'il s'établissait ainsi dans l’ap- pareil de circulation d’eau souterraine un équilibre hydrostatique; or, les marées qui font varier le niveau de la mer d'environ 8 cen- timètres, deux fois par jour, sur la côte de Géphalonie, amènent une variation égale et simultanée dans le niveau de l’eau des bouches d’engouffrement, de telle sorte que la hauteur de la chute d’eau reste constante pendant une même journée, malgré les varia- tions causées par la marée. En outre, lorsque le vent du sud élève le niveau de la mer dans Fintérieur du golfe, ou au contraire, lorsque le vent du nord y amène une dépression sensible, les mêmes changements s'observent aussitôt dans la hauteur du niveau de l'eau à l'entrée des bouches. L’élévation de niveau produite par les vents du sud, est particulièrement très-marquée, elle est sou- vent de plusieurs décimètres, et toujours elle s’observe également des deux côtés. Dans tous les cas, 1l existe ainsi une relation si in- time entre la hauteur du niveau de la mer dans l’intérieur du solfe de Lexouri et celui de l'eau à Pentrée des bouches, qu'il est impossible de douter qu'il n'y ait une communication souterraine facile entre l'eau de la mer dans l'intérieur du golfe et celle qui pénètre dans les goulfres. Le système hydraulique formé par la partie souterraine des cou- rants de la côte de Céphalonie, forme donc ce qu'on désigne en physique sous le nom de vase communiquant, c'est-à-dire, un appa- reil composé de deux conduits verticaux réunis par une partie hori- zontale. Dans le cas de l'équilibre qui se trouve réalisé lorsque l’on ferme les écluses des moulins, la colonne d'eau contenue dans la branche descendante fait équilibre à la colonne d’eau de la branche ascendante. Or, la surface supérieure de celle-ci se trouve au niveau de la mer, tandis que l’autre se termine en haut à un niveau plus bas de 1°,50. H faut done que la différence de hauteur. cle eau dans les deux branches soit compensée par une différence inverse dans la densité des liquides. Cette différence de densité peut provenir de deux causes, soit de ce que l'eau de la colonne descen- — h81l — dante possède une température inférieure à celle de l'eau de la co- lonne ascendante, soit de ce que cette dernière se trouve mélangée sur son parcours avec de l’eau douce, qui en diminue la pesanteur spécifique. Théoriquement ces deux cas sont également possibles, et, pour trancher la question, il faudrait, en versant une matière colorante dans l'eau des gouffres, en découvrir le point de sortie et s'assurer si, à son émergence, l'eau de retour a diminué de densité par une élévation de température ou par une diminution dans la salure. Cette expérience a été faite, il y a plusieurs années, par les propriétaires des moulins, mais avec une quantité de matière colo- rante insu fBsante; elle n’a fourni aucun résultat. Je n'ai pu la répé- ter, el cependant, je hasarderai une opinion sur la valeur probable des deux causes capables de diminuer la densité du courant as- cendant. : La différence de température des deux colonnes d'eau ascendante et descendante peut amener une circulation d’eau souterraine; non- seulement la chose est possible, mais il existe à Milo un exemple incontestable d’un fait pareil; néanmoins, je ne pense pas que ce cas soit celui de Céphalonie, parce que dans lintérieur de la baie de Lexouri on ne connaît aucun point où l’eau de la mer présente une élévation de température sensible et que, d’ailleurs, le sol de l'ile n'étant pas volcanique, on ne doit guère s'attendre à ce qu'il y existe des sources considérables de chaleur à une faible profon- deur. Au contraire, l'hypothèse d'un mélange de l'eau de mer avec de l'eau douce dans la branche ascendante a pour elle les plus grandes probabilités. En effet, ce qui le prouve, c'est qu'en hiver el surtout dans les années très-pluvieuses, le niveau de l'eau s’abaisse à l'ori- _fice des bouches d'engouffrement et l'on profite même de cette baisse pour nettoyer l'entrée des conduits souterrains. Ainsi, la dif- férence entre le niveau de l’eau à lentrée des bouches et celui de l'eau de la mer dans l’intérieur de la baie devient toujours plus grande après les fortes pluies, ce qui ne peut guère s'expliquer qu'en admettant un mélange de eau douce en plus forte proportion qu'ordinairement dans l’eau de la colonne ascendante, de manière que, la pression de celle-ci étant devenue moindre, la colonne des- cendante peut lui faire équilibre en présentant une moins grande hauteur. Enfin, je dois ajouter ici qu'il existe au nord de Lexouri, près du village de Samali, sur le bord de la mer, des sources très- — 182 — abondantes d’eau saumâtre, que ces sources se prolongent dans la mer, près du rivage voisin, de manière que la salure de leau soit sensiblement diminuée et que ce sont probablement là les ori- fices de sortie de l’eau engouffrée sur la côte d’'Argostoli. - L’explication que je viens de présenter, en l’appuyant sur un certain nombre de preuves tirées de l'observation des faits, ne sera parfaitement démontrée que lorsqu'on aura réussi dans lexpé- rience dont j'ai parlé plus haut; mais, en attendant, elle a le mérite de rendre compte de toutes les particularités du phénomène et d’être parfaitement d'accord avec les lois de la physique. Je suis, avec respect, monsieur le Ministre, de votre Excellence, le très-humble et très-obéissant serviteur. . F. Fouaus. LA@T D 54491 9p JUSUISIqQUEA 8] red Sseumy Ke (HINOTVHdHO) IHAOX AT HA SNOSIVN | \ / 7 {7 ouor ‘vonbgurrs sU01$8Nu S0D 8207177 LAN PM 27 é 252 2 T4}; : ‘L9QT D 818? 9p JUSUISTqUEA ef ed sesumy (HINOTVHAHO) THAOYET HA SNOSIVN / “ererdo dur strourtadur : Les | 17 ouor vonbifpuass suorssnu #2p sang | A1 aug vonbfjunss suorenu op sen 2 RECUEIL D’INSCRIPTIONS INÉDITES DE BÉOTIE, PAR M. P. DECHARME, ANCIEN MEMBRE DE L'ÉCOLE D’ATHÈNES, Athènes, mai 1866. Si l'on excepte l’Attique, il n’est pas une contrée de la Grèce qui ait été plus étudiée que la Béotie sous le rapport épigraphique. Les inscriptions béotiennes réunies dans le Corpus sont précédées d’une longue introduction : Bæœckh y résume les renseignements que l’épigraphie, rapprochée des textes des historiens et des gram- mairiens, nous donne sur la constitution politique de la Béotie et sur le caractère du dialecte qui s’y parlait. Après Bæœckh , K. Keil publiait en 1847, sous le titre de Sylloge Inscriptionum Bœotica- rum, un recueil composé d’un certain nombre d'inscriptions nou- velles, où il augmentait et modifiait parfois les observations de son devancier; il rassemblait en même temps les éléments d’une Onomatologie béotienne. Enfin, en 1863, le même savant faisait paraître dans un recueil philologique de l'Allemagne (Jahrbücher für classiche Philologie) un travail (Zur Sylloge Inscript. Bœot.) qui est la suite et le complément du précédent. Cette succession de savants travaux sur l'épigraphie béotienne s'explique naturellement par les divers genres d'intérêt que cette étude présente. Peut-on nier en effet que les inscriptions ne nous aient donné des renseignements précieux sur la fédération béo- tienne, sur la composition du conseil béotien, sur les magistrats civils et religieux des différentes villes de Béotie? Il est même cer- tains détails de vie publique que les inscriptions seules nous ap- prennent. Le Béotien Plutarque, en divers passages peu explicites de ses œuvres, nous parle de l'amour de ses compatriotes pour les cérémonies et pour les fêtes, On eût pu croire qu'une fête héa- es MN tienne se passait uniquement en luttes athlétiques et en copieux banquets. Les catalogues agonistiques trouvés dans les ruines des villes de Béotie nous apprennent au contraire qu'il n’était pas de pays où la poésie et la musique fussent plus en honneur. Les jeux des Muses dans l'Hélicon, ceux des Charites à Orchomène, beaucoup d’autres encore, dont la renommée s’étendait jusqu’en Éolide sur les côtes d'Asie, et dont la tradition ne se perdit qu’aux derniers temps de l'empire romain, témoignent encore aujourd'hui des goûts littéraires et artistiques d’un peuple que l’on a coutume de juger sommairement sur le témoignage de ses ennemis. Mais les inscriptions sont surtout utiles pour la connaissance du dialecte béotien. De courts fragments de Corinne, quelques vers des Acharniens d’Aristophane, les remarques empruntées aux grammairiens anciens, à Héraclidès, à Apollonios, à Héro- dianus, ne peuvent suflire pour l'étude du dialecte béotien. Les inscriptions sont donc la source principale de cette étude. À con- sidérer ce dialecte en général, la gravité de l'accent, qui n'était pas sans analogie avec l'accent romain, une certaine lourdeur, produite par le changement de voyeiles en diphthongues, des mots particuliers, on peut trouver, si l’on veut, un certain rapport entre le gras parler béotien et l'esprit même du peuple et la phy- sionomie du pays. Mais l'étude du dialecte a une plus haute uti- lité que ces rapports généraux, toujours hypothétiques, faute de suffisantes informations. La langue béotienne est, comme celle de Lesbos et des villes voisines sur la côte d'Asie, une branche du dialecte éolien primitif, le plus ancien de tous les dialectes grecs : elle s’en rapproche même plus que toute autre, puisque Lesbos et les villes d'Éolide ne sont que des colonies béotiennes. Le dia- lecte béotien est donc le plus intéressant de tous à étudier au point de vue de la philologie comparative. Ge recueil se compose de cinquante-trois inscriptions, inédites sauf deux dont nous donnons une édition nouvelle et plus cor- recte (n° 15,a; 25). Ces inscriptions sont le fruit de-trois voyages entrepris à des époques différentes en Béotie. Six d’entre elles n® 48-53) sont le résultat des fouilles que nous avons commen- cées sur l'emplacement de l'hiéron des Muses dans l'Hélicon. — 85 — L. INSCRIPTIONS D'ORCHOMENE. Les quatre inscriptions qui suivent sont gravées sur un grand. autel cylindrique en marbre gris, placé aujourd'hui dans la cour du monastère de la Panagia Theotokos, au pied de l'acropole des Minyens. Cet autel est orné de quatre têtes de cerfs à longue ra- mure, symétriquement disposées et reliées par des bandelettes de lin, au bout desquelles pend la fleur du lotus. Le seul motif de cette décoration indique la divinité à qui était consacré l'autel. À quelques heures d’Orchomène, près de la ville de Tithorée, il y avait un grand sanctuaire d'Isis, dont Pausanias parle en détail. « Les gens riches, dit-il, sacrifient à la déesse des bœufs et des cerfs.» Il ajoute qu'avant d'immoler les victimes, on les lie avec des bandelettes de lin ou de byssus. L’autel d'Orchomène était donc consacré à Isis; il l'était aussi à Sérapis, comme nous l’apprend le texte des inscriptions. Pausanias ne dit rien du culte de Sérapis et Isis à Orchomène. Mais ce culte nous était déjà connu par une inscription encastrée dans le mur du monastère et ainsi conçue : Aducwy Eÿapidao dpôus xn iaperretons apr, Îoe, Avoée. Il est à remarquer qu'à Or- chomène, comme dans plusieurs autres endroits de la Grèce, le culte de Sérapis paraît avoir remplacé celui d'Asklépios, dont l'existence à Orchomëne nous est également révélée par une ins- cription ?. On trouve aussi des traces de cette succession ou de ce mélange des deux cultes à Pergame et à Hermione $. C'est là un fait mythologique curieux, intéressant surtout pour létude de l'influence des divinités égyptiennes sur les divinités grecques. Les inscriptions que nous publions sont des actes d’affranchis- sement d'esclaves. Le nombre des documents de ce genre s’est beaucoup accru depuis quelques années. Il semble surtout que, depuis la découverte du mur méridional du temple d’Apollon à Delphes, il ne soit plus possible d'ajouter aucun détail nouveau à cette partie de l’histoire de l’esclavage antique. Cependant, même après le travail considérable de MM. Wescher et Foucart, fes ins- l Pausanias, X, 52. ? Rangabé, Ant. Tlellen. n° 898 : Buôs: rui ouvebdhovha év rdv Teavpoy TÀ Âsuam. ® V. Welcker, Griech, Gotterlehre, , p. 749. — 186 — criptions d'Orchomène offrent encore quelque intérêt. En effet, ce m'est plus, comme à Delphes, l'affranchissement par forme de vente à une divinité, c'est une consécration, une offrande, un don fait au dieu. Il ne s’agit pas d’un contrat aussi avantageux au maïtre qu’à l’esclave, mais d’un acte purement et exclusivement religieux. Ces inscriptions, qui sont les premières de ce genre trouvées à Orchomène, confirment en outre un fait déjà signalé par Cur- tius ! : c'est que les villes où l’on a jusqu’à présent découvert des actes d’affranchissement, Tithorée, Daulis, Chéronée, Coronée, Stiris, etc. se groupent toutes autour du Parnasse et forment une sorte de cercle dont Delphes est le centre. L'autel de Sérapis et Isis était tout entier couvert d'inscriptions gravées dans les intervalles qui séparent les têtes de cerf en relief; mais le monument est devenu très-fruste, et la moitié seulement de la circonférence est lisible. Encore n’ai-je pu réussir à ce dé- chiffrement partiel qu’au prix d’une longue patience et à force de rapprochements entre les trois premières inscriptions qui sont de la même époque, de la même langue, et qui portent les mêmes formules. La hauteur des lettres pour les numéros 1, 2, 3 est de 1 cen- umètre. Les lettres de l'inscription numéro 4 n'ont que 7 milli- mètres. L'inégalité dans la longueur des lignes provient du plus ou moins d'espace laissé par les circuits des bandelettes. N°. 1. MIN À AO APXON 2. TOESMPESAAAONTOZEANTI 3. WNIOEEOKRPATÂZEIAPAPXO h. JWNATElANYOESOYVBPAKOZ b. AE QASIBIOTOYOIAZZOSZ 6. ANTIOEITIOIRONAAMATPIXZ 7. WJONFIAIONFYKETANAKPIZÆION 8. IAPONEIMENTOZSAPATIOZKHTA 9. ZZ£IOZKHMEIEZEIMENMEI 10. OENIEHATITEZTZMEIAEKA 41. TAAOYAIÏITTASTHHAEKATISEHDbA 12. PF TEITHSŸOYPIOSEZSTOOIAPEY=EKHTY 19. IAPAPXHKHTYESOYNEAPYEOYAONNTEZKH 14. AAMIQONTESZS l Anccd. Delphic. p: 22. — 187 — Transcription. [Avrrye|vidao &pyov- . =T05, [ia]pe[r]ddonros Âvr:- -[yélreos Ewupar[1o]s, ixpapyô- -[rrw]r Àyelodé]r[dp]o Zoÿ6paxos [x] Zwot$iw Ioub{X[Arlos . dyriberrt Oiwv Aaprarpix[i]- [ao rlo» Fidion Fuxérav Âxpiotor . lapôy eluev T& Éapäamios x» Tä- -[o Ïloros, un uèt éÉeiuer uer- 10. -Sév: ÉGénTeol(n] petdè a- 11. -radouT To în ÿ dE nd ris ÉGd- 12. -mieTy, [x]Joupios oo d iapeds x Td 13. iapapyy xy TÙ covvedpu oovÂdvTEs x 14. damiwovres. =) à UE WE » Antigenidas étant archonte; Antigenès, fils de Socrate, exerçant la prêtrise; Agésander, fils de Sybrax, et Sosibios, fils de Pythillès, étant hiérarques , Théon, fils de Damatrichios, offre et consacre à Sérapis et à Isis son propre serviteur Acrisios, et il n'est permis à personne de mettre la main sur Acrisios ni de l'asservir. Que si quelqu'un met la main sur lui, il appartient au prêtre et aux hiérarques et aux membres du conseil de délivrer Acrisios et de punir le coupable d'une amende. | On peut fixer approximativement la date de ce document. Nous savons que le culte de Sérapis fut apporté d’ Égypte : à Athènes sous le règne de Ptolémée Philadelphe !, qui régna de 276 à 247 avant l'ère chrétienne. Bien qu’on ignore la date exacte de l'importation en Grèce du culte de Sérapis, il est vraisemblable que ce culte n’a été définitivement établi à Athènes, et en Béotie surtout, que vers la fin du règne de Ptolémée Philadelphe, c'est-à-dire vers 250 avant Jésus-Christ. D'autre part, notre inscription est écrite en dialecte béotien. Or les Thespiens emploient déjà la langue vul- gaire dans les documents publics avant la 135° olympiade ?; à Orchomène, le dialecte persiste, mais 1l a complétement disparu à la 145° olympiade. On peut donc placer la date de cette ins- cription entre 250 et 200 environ avant Jésus-Christ. Elle est an- térieure aux documents analogues de Delphes, qui appartiennent tous au commencement du 11° siècle avant notre ère. 1 Pausan. I, xvut, 4; Bœckh. ad Corp. Inscr. 120. 2? Voy. Bæckh, ad Corp. Inscr. 1590. T7 Essayons de préciser le caractère de ce document : Si on le compare aux inscriptions delphiques, on s'aperçoit qu'il en diffère essentiellement. « À Delphes, dit M. Foucart!, l'acte, dans sa forme la plus simple, contient le nom du vendeur et de son père, le plus souvent sa patrie, le sexe et le nom de l’esclave, son origine, quand elle est connue, et le prix de la vente. » À Orchomène il n’y à pas de vendeur, parce qu'il n'y a pas de vente; c'est une consécration, comme l’exprime le mot dyréberre?. Par suite il n’y est pas fait mention comme à Delphes du Beéaco- Tip Ou garant des conditions de la vente, ni des témoins, LdpTu- pes. À Delphes, quand la liberté de l’affranchi était menacée, il pouvait se défendre lui-même par la force, et le premier venu avait le droit de venir à son secours. Ici, au contraire, ce rôle ap- partient au prétre d’abord, aux hiérarques ensuite, en troisième iieu seulement aux membres du conseii. C’est l'autorité religieuse qui protége surtout le nouvel affranchi. Enfin sa liberté n’est sou- mise à aucune de ces restrictions et de ces obligations onéreuses qui sont mentionnées dans les actes delphiques. Il devient com- plétement indépendant de son maître, qui l’a consacré à titre d’of- frande à la divinité; et, quand ce changement de condition n’est pas l'entière liberté, du moins son sort est-il bien adouci. Il passe du service du maître à celui du dieu, de la douXeia à l'iepodou- : }eia. Le même caractère d'affranchissement pur et gratuit, par forme de consécration à une divinité, se retrouve dans les inscriptions analogues de Chéronée, de Coronée, de Daulis, de Stiris$. Passons maintenant à l'examen, surtout grammatical, des dé- 1 Dans son excellent Mémoire sur l'affranchissement des escluves par forme de vente & une divinité. Paris, 1867. ? Le mot dyéômue se rencontre cependant deux ou trois fois dans les actes del- phiques où il s’agit toujours d’une vente. Ÿ M. Foucart va bien loin dans ses conclusions (p. 42 du mémoire cité plus haut) quand ïl affirme «que ces affranchissements n’ont été inspirés ni par une. idée morale, ni par un sentiment religieux.» Cela peut être vrai pour Delphes; ce n’est plus exact pour Orchomène ni pour les villes voisines. Je ne sais si c'était un sentiment d'équité naturelle qui poussait les maîtres à affranchir gratuitement leurs esclaves; mais, à coup sûr, il faut voir un acie religieux dans cette consé- cration, dans cette offrande faite à la divinité. Une pareïlle coutume était excel- lente en elle-même, quel qu'en fût le motif, et elle adoucissait en bien des en- droits les rigueurs de l'esclavage. — 189 — tails. Le dialecte béotien étant aujourd'hui suffisamment connu, je me contenterai de noter. les formes rares ou .tout à fait nou- velles, me bornant, pour l'interprétation du reste, à la traduction du texte béotien en langue ordinaire. Lignes 1 à 5. Avrryevidao dpyovros, lapetdddovros Âvriyévios Zwxpérios, iapapy6v- Toy Ayetcdvdpe Eotépauos x} Swci6lw MMovb{Alos.….. Traduction. Âwrryevidou äpyovros, ispedgovros Avriyévous Ewnpérous, iepapxôv- rwv Hynoérdpou ZU6pauos, nai EwoiSiou HubiAXous. Le mot iapesdodeur, mot purement béotien et ayant le même sens que iEpareveuv, nous était déjà connu par une inscription du Corpus (n° 1568). On remarquera l'absence de la forme dialec- tique Zavxodrios au lieu de Zwxparsos. Sur les hiérarques, ma- gistrats préposés à l'administration financière du temple, à l’entre- tien des constructions et des offrandes, on peut lire l'introduction de Bæckh aux Inscriptions de Béotie !. À yeurdydpeo me paraît restitué avec certitude; car il est impos- sible de former un autre mot avec les lettres lisibles sur la pierre et d’ailleurs c’est un nom propre béotien et même orchoménien. Quant au mot Zov6paxos, forme béotienne pour Zvépaxos, gé- nitif de Zv6paË, il est nouveau. On ne connaissait en effet jusqu'ici que l'adjectif ou6aË, axos. L'insertion du p est à noter. On en trouve des exemples dans les mots suivants, dérivés de la même racine : Zv6épidu, nom d’un dême de l'Attique; ov6pof, adjectif (Hésychius) et ovéprdler (— oubapiter) qu'Hésychius explique par : cobapederoi, rpu@ä. L'adjectif ou6paË, devenu nom propre, a un sens analogue à celui de rpÜgaë. Iovdéns est une forme nouvelle du nom propre IluÿéXos déjà connu. Tous deux appartiennent à la catégorie des mots tirés des surnoms d’Apollon. : Lignes 6-7. Avriberre Olwy Aauarpryio rdv Fidiov Fuxéra» Âxpiotor. Traduction en langue vulgaire. Avariüyre Oéwy Aauarpryiou rdv idov oixéT nv. ‘ Corp. Inscr, 1, p. 731; voir aussi ad. Corp, Inscr. 1570. — 90 — À»-riderre, apocope pour dva-r{err:. De même iepévecus pour iepà dvdbleois dans une inscription de Tithorée!; &v0euer pour dvdbeuer dans des inscriptions de Mégare*?, sans compter d’autres exemples. Ce n’est donc pas un fait particulier au dialecte béotien. L'expression Tô» id:ov oixérnv ne se rencontre pas dans les ins- criptions delphiques. On y lit ordinairement, pour désigner le sexe de l’esclave, des mots comme oûua yuvouxeior, oûua dvdpeior. Mais quelle est la valeur de l'expression Tô» #90»? En tenant compte de la distinction qui existe entre le mot oixérns et le mot doùhos, on serait assez disposé à entendre par ce premier mot l’es- clave particulier attaché au service de la personne, supérieur par conséquent à ceux qui travaillent au dehors. Mais, dans les ins- criptions de Chéronée, nous trouvons à la fois les expressions ro» idiov Spemrdr et rdv idiov doùXov. Il faut donc renoncer à attacher au mot {dos plus de sens qu’il n’en a en réalité. Il n’a évidemment ici que la valeur d’un possessif, Cette expression semble un détail local; car on ne la rencontre que dans les actes d’affranchissement appartenant à la Béotie. Lignes 8-11. iapôv siuev T@ Sapérios xn Tâs lotos uy pei éÉsiuer ueudévr ÉCérleoi, peidè xaradouiT Toy. Traduction. ispdy eivar roù Zapdamos nai Tÿs loidos nai un éÉcivar ydén ÉGén- Tea, uydë xaradouArT To Ou. La substitution du 0 au à dans le mot erdére est fréquente. Ce changement s'explique facilement par le contact de l'aspiration pndë Le De même on trouve dans une inscription © Épuñs pour bd” Épuÿs. On rencontre des exemples nombreux de cette subs- titution dans les inscriptions des villes de Phocide voisines d'Or- chomène, à Daulis, à Tithorée surtout, où l’on écrit tour à tour undeis et pnôeis. Les formes oûbeis, unô&s, eic. primitivement ‘ Rhein. Mus. 1843, Titul. Tithor. IV, 32. ? Ephémér. archéol. n° 1399-1330. * Bæckh, Corp. Inser. t. 1, p. 32. — 91 — éoliennes !, passèrent dans la langue commune vers l’époque ma- cédonienne ?. On trouve ici pour la premuère fois le 7 substitué au 0, à la termi- naison des infinitifs &@drleoTas et xaradourläotau. Il est difficile de croire à une erreur du lapicide; car la même orthographe se re- produit dans les inscriptions qui suivent. C’est donc un détail nouveau de dialecte béotien et qui trouve sans doute sa raison d’être dans la prononciation. Le 7 et le 0 devaient avoir à Orchomène à peu près la même valeur phonétique; car nous lisons oœuveGthovÜo pour ouvebdlovro dans une autre inscription orchoménienne. Lignes Pat. dE ad ris ÉGarlerry, xoUpLos Éd Tw à iapeds uy TÙ ixpapyy x TÙ ooÙ- VEÏDU GOUÂGYTES X7 DALIWOVTES. Traduction. ai dé xd ris ÉDarlmra, xüpros law à iepeds nai oi ispapyat ai oi ov- vedpor ovAdytes nai Cmioÿvres. Les oÿvedpos sont les membres du conseil ou du sénat, œuvédpior ayant en Béotie le même sens qu'ailleurs le mot Bou. Il faut remarquer la concision du verbe ovAdw, qui a le sens du latin « in libertatem vindicare, » et qui équivaut à l'expression at- tique déarpetoba eis éheubepiar. Dans les inscriptions delphiques, le mot ovAéw est déterminé par d’autres : ouAéw» ws é\eÿdepor, ou bien ér” éheubepiar. | Le participe ovldvres est contracté; à la ligne suivante dœréc ne l'est pas : c'est une preuve de l'incertitude grammaticale qui règne dans les monuments du dialecte béotien, à une époque où il va disparaître pour faire place à la langue commune. Remarquons en outre l'allongement de la dernière voyelle du radical dœucs- ovtes pour dapô-ovtes. Cette erreur, qui se répète dans les ins- criptions suivantes, lient peut-être à une confusion entre l'accent qui est sur le premier o et la quantité de la voyelle. ! Eustath. p- 1841. Philemon, v. oÿoè év. ? V. Franz, Elément. cpigr. gr. p. 151. $ Rangabé, Ant. 11. n° 898. s 2 MISS. SCIENT. -— ]V. Je — 192 — N°9. . WPAPXONTONEQKPAZM . KAPISOANPOAPIETIONOZE APIETIONOEAN TZ MINI AFAOAETIXAPZAA OZAP . WENAYTHT CÉ/MWMW . KAEIOZSAŸAOONOZST AY . FIAIANOEPA . FHNANNIOYZONZ . APANEIMENTOZEAPYTZOS re] OS DIDIER » Cr pt 12. KHTAZSISIOEKHMEIZZE | MZZ 13. MEIOENINIOYMOEE4ŸTTEEYXZ 14. MEIAEKATAAO YPATTAGZHH AE 16. KHAMZAPAZXHKHTYEOY EM 17. LOYAONTEEKHAAMIO 18. ONTEZ 1. [TS Ôeivos àpyovvos, 2. iapetdèovros T& deivos, 3. ia]oapyovrwy Ewxpä[rios] 4. KaGicodwpw, ÀpioT{wvos 5. Apioliwvos, àvr|iferri] 6. Ayaña Émiyap[ij}ao [æ]a[p6r- 7. vols aûrÿ Tœ[o|u|ié] KalAi]- 8. nxActos À yébwvos rar 9. Fidiar Sepa- 10. -myvay Niou[p]owr [il- 11. -apdv einer T@ Zap[é]r|r]os 12. xy Täs louos xy pei [8Ë]siu[er] 13. peién Nroupds éGérleo|1r| 14. perdè naradou| Mlr7äo|7y|" » dé [ua vus 19. éGanlery, xoUpios ÈGTw Ô iapeds] 16. x [rù ilapa[p]yn xy Tù oobr[edpu] 17. GovÂDyTES y dau 18. -OVTES. Comme cette inscription se termine par les mêmes formules que la précédente, je me contenterai d’en traduire et d’en com- menter la première partie jusqu'a la ligne 12. Un tel étant archonte, un tel exerçant la prêétrise, Socrate, fils de — M9E — Cephisodoros, Aristion, fils d'Aristion, étant hiérarques, Agatha, fille d'Epicharilas, consacre, du consentement de son fils Calliclès, fils d’A- gathon, sa propre servante Nioumo à Sérapis et à Isis, etc. Ici, la personne qui consacre est une femme. Or la femme ne pouvait faire aucun acte public sans le consentement de ceux qui avaient sur elle autorité. Ordinairement c’est le mari qui intervient pour permettre à sa femme l'affranchissement d’un esclave; ici c’est le fils, par suite de l'absence ou de la mort du mari. La for- mule DAPOVTOS..…. se retrouve dans les inscriptions de Chéronée, wais plus développée : æapérros xai ouvevapeoloüvros. À Delphes on employait une expression analogue : ouveudoueévrer Tv det- vœv. Cette formule ne se rencontre pas seulement dans les actes d’affranchissement faits par des femmes. L’affranchissement fait par l’homme lui-même n'était devenu légitime qu'avec l'adhésion des fils, des parents, des héritiers, de tous ceux qui pouvaient avoir un droit quelconque à intervenir. Traduction en langue vulgaire des lignes 3 à 12. lspapybvror Suwxpärous Ky@ioodwpou, ÀpioTiwvos Âpioliwvos, &vart- Oyre Àyalà Émiyapiha, @apovros adrÿ Toù vioù KaAxkous Àyéfevos, Tv Iran Sepémouvar Niouudr ispdr eivar rod Sapémios nai Tÿs loidos… La troisième édition du Dictionnaire de Pape ne donne pas À yabd, mais seulement À ya0 comme nom propre de femme. Niouuw, génitif Nrouuoÿs, béotien Niouu®s, est un nom de femme et d’esclave tout à fait nouveau. N° 3. \. LATVIA PXONTOSIA PE >. VLLDIX RW EWWIN AR 3. XIONT ONZZ4M/APAOETIZAPIOSE Y AZ h. AAMOQNOZANTIOEITIAOANOANPOEAOP 5. ZAAIOZSTANFIAIANOEPARTNANEAP 6. AAMANIAPANEIMENTOZAPATIOSKH 7. TAZ£ISIOZKHMEIEZEIMENMEIOENI 8. KAPAAMAZEEHATTEZSTHMEIAE 9. KATAAOYAITTAZTHHAEKATI£E 10. HATTEITHKOYPIOSEETOQO! 11. APEYEKHTYIAPAPXHKHTY£EOY 12. NEAPYEOYAONNTEZSKHAA 13. MOONTEZ 33. a PR . [Fo deîvos] àpyovros, iaple:addo- -vros Ev]yap{et]os [Edx|A0a0, [ixpap-] -xubvrwr.. .. dpao Émiy]épios Éva[p{ôao] Adpwvos, dvriderre AGavédwpos Aop- -[AA os Tdv Fidiar Separrar Kép- dapay iapdr eluev T& Eapdrios x râs lotos, xy el SÉeiuer etdém . Käpdauas éGamleolm, perde . xaTadov}urräo ln" dé xd ris E- . -Gänleiry, xoûpios oo à i- . -apeds x7 TÙ lapapyr AY TÙ coÙ- . -vedpu oovAdyTes 17 da- ui jet be D M OS DuIQUE WE = 13. -HIWOVTES. Un tel étant archonte , Eucharès, fils d'Euclidas, exerçant la prêtrise, un tel, fils d'Épicharès, et Evaridas, fils de Damon, étant hiérarques , Athénodore, fils de Dorillès, offre et consacre à Sérapis et à Isis sa propre servante Cardama , etc. Cette inscription ne contient aucune formule ni aucune condition nouvelle d’affranchissement. Mais, au point de vue philologique, on remarquera dans le mot iapapy:6vTaw, forme béotienne pour icpapxouyrwr, la substitution de l’: à le devant o et l'absence de contraction. Le verbe d'où est dérivé ce participe est éepapyéw, tandis que dans les inscriptions précédentes c'était iepdpys. IT faut aussi noter les noms propres nouveaux : AopthAns et Käpdaua. Aopéhkns appartient à la catégorie des noms propres tirés du mot dopi. Kdpdaua ne s'était rencontré jusqu'alors que comme nom de lieu. N° 4. Sur le même monument, mais au-dessous des inscriptions précédentes et en lettres plus petites. XAPEIZZAAOYAPXONTOZIEPHTEYONTOZ bIAOZENOYEYNOMOYKATOTZZE YONT OO YPNOZŸTOYANTIFTENEIAOYPYOIAAOYE ZOMWMOYANATIOEAZSINIEPOKAHEZYOIAZ IX AYPIPTINAKADIEOAQPOYKZ/Y"Y . KAEIAIEPOKAEOYETHNIAIANOEPATAINAN . LQAELONIEPANEINAITOYEAPOTIAOZKAIZ . WE\AOETAPAMEIN ZE NE O0E//PO 9. FAElKA MDN EXPIANTOZIEANZZ 10. AATAPAMNE IN ZM 11. ÂAZE=ZOYSIAESTOI een! DOTE & R ls ee ot À A — 195 — Xapei[reladou äpyovros, iepyretortos DrloËévou Edvouou, xarom|im|evovræw|v] rvo[dé|rou Âvrryeveidou, HubÉXXouS [Elw[oéluov, dvariéaoi lepoxAÿs [H]u9A[À] [ous], Xapimmiva KaÇioodwpou, K[aA Ai] x}eta leponAéous Tv idian Sepdmauvasr Zwor iepdv elvar Toÿ Eapomridos ai [Ti- -s Îoidos: mapausir|m dé] Swows [ie]po- [a] Aë xai [Xammiva] néypr àv ÉGoi"édr [ds un] mapaueivr. ..... Fe CU : ....ééovoia ÉoTwr. OP unes», mn — Les deux dernières lignes supposent une formule analogue à celles qu'on rencontre dans les inscriptions delphiques : ééouo {ar ét Ô deiva, émitiméwr TpÔr® @ Sos xÜpios ÉoTw à detva Emi- Tuuécoy nai paolryowr mhayais dœivéous, etc. Mais ici la formule de même sens devait être beaucoup plus brève; car l’espace manque sur la pierre, si l'on veut restituer : lepoxaet ÉTFUTUMÉOUTE Tpômrw @ Séhor, ééoucia ÉoTo. Cette inscription peut se traduire ainsi : Charitiadès étant archonte, Philoxenos, fils d'Eunomos, exerçant la prêtrise, Hypnodotos, fils d'Antigenidès, et Pythillès, fils de Sosimos, étant catoptes, Hiérociès, fils de Pythillès, Ghærippina, fille de Cephi- sodoros, Callicleia, fille d'Hiéroclès, consacrent leur propre servante Soso à Sérapis et à Isis. Soso doit rester auprès d'Hiéroclès et de Chæ- rippina tant qu'ils vivront ; que si elle ne reste pas, qu'il soit permis (à Hiéroclès de la châtier ?). Cette inscription est d’une époque postérieure aux trois pre- mières, puisqu'elle est écrite en langue vulgaire. On peut en fixer la date au commencement du 11° ou à Ja fin du n° siècle avant l'ère chrétienne. Les conditions mêmes de laffranchissement em- pêchent qu'on ne puisse songer iei à l'éepodoÿhesa. L'esclave, en effet, doit rester auprès de ses maîtres et continuer à les servir jus- qu'à leur mort, condition qui serait incompatible avec le service du dieu. La langue n’est pas la seule preuve de la différence de temps qui sépare cette inscription des trois autres. En effet, après les noms du prètre et de l’archonte, nous ne trouvons pas ceux des hiérarques, mais bien des xaromla. Les xaromlas sont, comme on. — 496 — le sait, des magistrats particuliers aux Béotiens. Leur nom se trouvait déjà dans une inscription d'Orchomène ! et dans un dé- cret de la fédération béotienne?. Hésychius et Suidas expliquent le mot xaromîÎns par xardoxomos, érurnpntns. Ce sont des inspec- teurs et des contrôleurs. Leur rôle est sans doute analogue à ceux des érécuorrot de Rhodes *. Dans le décret béotien, publié au Cor- pus sous le n° 1570, les xarômîœ sont distincts des iepapyai. Mais, dans l'inscription qui nous occupe, les xarémlas paraissent avoir remplacé, à quelques olympiades de distance, les hiérarques. Cela ue semble-t-il pas indiquer qu'à Orchomène, du moins, les hié- rarques et les xaro0mîa remplissaient des fonctions à peu près ana- logues? Ligne 2. — Il semblerait naturel de lire xaromreuorrer, d’où le substantif xarômîns. Mais la lacune qui existe sur la pierre est certainement de deux lettres; et si le composé xarommelw ne se trouve pas dans ke Thesaurus, le simple mere existe. Malgré la défiance qui doit accueillir des mots nouveaux, je crois pouvoir accepter le verbe xaromemelw comme une forme nouvelle et pro- bablement locale de xaromlete. Ligne 3. — Le nom propre Yrvédoros paraît ici pour la pre- mière fois. Mais il est légitime. Il appartient en effet à la catégorie des noms propres terminés en doros et dérivés de noms de dieux, comme Osédoros, EioiSoros, Nuu@édoros. Ÿrvos est une divinité ovr6wuos des Mie héliconiennes. Ligne 4. — dvariéaou, forme attique et ionienne qu'on ren- contre plusieurs fois chez Hérodote * Ligne 8. — Le nom de femme esclave Zwow est fréquent dans fes inscriptions delphiques publiées par MM. Wescher et Foucart. On s'étonne de lire ici : mapaueivn dè Ewows. La présence du s à la fin du nom propre ne peut s'expliquer que par une raison eu- phonique, Zwow étant suivi du mot lepoxaeï. Mais le s euphonique est d'autant plus surprenant qu’à la ligne suivante nous lisons pé- xpt äv Coaor édv, quand nous devrions lire Cüoer, par la même raison d’euphonie. Cette inscription parait d’ailleurs avoir été tracée avec négli- ! Corp. Inscr. n° 156g a, 1, 2. ? Ibid. n° 1570. 3 Cf. Ross, /nser, gr. iméd. UT, 275. £ LV a NS — 197 — gence; car à la dernière ligne on lit éoTwr pour ëc1w, faute qui se rencontre quelquefois sur les monuments épigraphiques !. N° 5 Au même endroit, sur un fragment d’architrave long de 2°,45 , large de 0",32. Hauteur des lettres, 0”,04. YTOAAOANPOENIKONOETATPOOYPAKHTOETINAKAESTOSEZ Aro \6dw pos Néxwvos Tà mp6bupa x Tos mivanas Tr E[epameiw® émeonetacer|. Cette inscription a été trouvée à côté des précédentes. L'archi- trave est d'ordre ionique, et en marbre gris comme l'autel de Sé- rapis et Isis. Il s’agit de la dédicace d’une partie d’un temple, et, comme la lettre Z est d'une lecture certaine, probablement d’un temple de Sérapis. | La restitution r® Zeoareiw peut cependant inspirer quelques doutes. En effet, r& æpobupa n’est pas une expression qui appar- tienne au vocabulaire de l'architecture des temples grecs. Les Grecs, dit Vitruve?, appellent æpébupa les vestibules qui sont de- vant la porte. Vitruve entend parler des maisons privées et non des édifices publics. J. Pollux $ sé sert des mots eioodos, æpoxi- Àaa pour désigner tout ce qui précède le væés. Il est vrai qu’en parlant de la maison “ il confond les mots æpébupa et & porta, œvAüya et Supôva. Mais, de ce qu'on employait indistinctement ces mots pour indiquer l'entrée d'une maison privée, il n’en ré- sulte pas nécessairement qu’il en fût de même pour les temples. Il serait donc plus rigoureux de lire 7à æp6bupa x Ts œivanas Tos [év....] et de supposer qu'il s’agit d'autre chose que d’un temple, d'un gymnase par exemple, pour lequel on peut employer les mots Spas et æpobupas. Malgré cette difficulté, il semble cependant raisonnable de sup- poser qu'il s’agit d'une construction dédiée à Sérapis. Peut-être l'expression ne sert-elle à désigner un genre de construction particulière aux temples des es égyptiennes. En Égypte, 1 CF. éééoleu ap. Ross, Inscr. gr. iméd. III, p. 37. NE 3 Onom. I, 6. # Ibid. 77. 3 Éphémér. arch. n° 3062. Inscription de Thisbé : dyéfnxer tir 91oûùy nai nv cioodoy xai Tàs Süpas Épu, HpaxXet xaÏ T} MOÀEL. — 98 — en effet, 1e naos ou temple proprement dit était précédé de plu- sieurs portes isolées, « placées en avant l’une de l’autre, depuis da première, qui formait l'entrée de l'hiéron dont elle ouvrait l’en- ceinte l.» Ces constructions étaient indépendantes du temple lui- même et lui étaient postérieures par leur date. Il est remarquable que ce mode de construction égyptienne semble s'être introduit en Grèce avec le culte de Sérapis. On lit en effet dans une inscription d'Ambryssos? qu'un personnage avait consacré à Sérapis, à Isis, à Anubis, rdv æaoldda ua TO æpôrvor, le portique et le propylée. Le mot æpélupa serait donc synonyme de æpérudor, et il servirait à désigner toutes les constructions qui précédaient le temple lui- même. C'était sans doute dans cette première partie du Sérapéum qu’élaient placés les tableaux, æévaxes, consacrés par Apollodore, fils de Nicon. N°6. Sur une stèle funcbre, dans la cour du monastère. blAOKPATHE DbIAOKPATOYE £SIAONIOZ eux rosaces. 1. OYNOOBONEKMPOTEPOŸOHIAOKPATESHNESASHBZ 2. £EIOBIOYTTINYTAIEOHMTOMENOZETTIPATTIEIN 3. HTAPATOPPATAZMEMEAHMENOZSHEETIKOYPOY h. AOTMAZSINEY=YNETOISZŸEZEMISAAIKIAZ b, ÂAYOITYXHEAOIAKIFAAIMITAANEOZBIOTOIO 6. EIKONENMINYAIEHOTAZETAOAOKOMEZSZ 7. KETEAIAATXOOITMAIAOZEOYYAYONMEAEEZEIN 8. AIMENOSEKIOASEIETPOOANONTAMOAQN Comme on en peut juger par ce fac-simile#, la partie métrique de cette inscription est sravée avec négligence. Les mêmes lettres y affectent tour à tour des dimensions et même des formes diflérentes. C’est ainsi que & est rendu par 6 et par ©, & par F et par TT, os par £ et par >. Il semble que les distiques ne sont pas de la même main qui à gravé le nom du mort et sa palrie. ! Letronne, Inscr. de l'Égyp. 6 1, pat ? Evhémér. arch. n° 830. 3 Les caractères d'impression ne peuvent le reproduire exactement. — 199 Voici la transcription du texte épigraphique : Proxparys PrAoxpdrous ZÔdwvLos Où v6ov ëx mpotépo|1|o, DiAdxpares, jvecas [ar] Seio Fiav, DIVUTAÏS SYYOUEVOS Gpariov: ñ yap, md mpdras, meusAmuévos ÿs Émixoÿpou Adypaoiv edEvvérois, [os [&]épus, dlimias” Ad TÜyns d olau maliumhavéos (BiôToro Eixwr, év Mivuais Gurds émaUkonouë|]s Keîoat à dyy00 maudds éod, Vadwr ehésoouw, Âduévos Ex Éwûs sis wpobavévra polwr. C'est, comme on le voit, l’épitaphe d’un Grec de Sidon, secta- teur d'Épicure, amené à Orchomène par les hasards de la fortune et enseveli auprès de son fils mort avant lui. Cette dernière idée est exprimée d’une façon simple et touchante. Mais l’épitaphe en- lière est d’une poésie médiocre et d’un style pénible. Si je com. prends bien les deux premiers vers, l’accent moral qui y règne semble indiquer que Philocrate vivait au temps des successeurs immédiats d'Épicure, qui n'avaient pas encore altéré la pureté de la doctrine du maître. Cette inscription peut donc se rapporter à la fin du second siècle avant l’ère chrétienne. C’est ce que con- firment les caractères épigraphiques eux-mêmes , qui annoncent la première époque de la domination romaine. | Je propose la tradustion suivante : Philocrate, fils de Philocrate, de Sidon. Dès le début de ta vie, Ô Philocrate, tu t'es Su dans une conduite légitime, et tu as obéi à de sages pensées. Ta première jeunesse, en ef- fet, s'est nourrie, comme elle le devait, des savants principes d'Épicure. Ensuite, obéissant au gouvernail de la fortune et aux hasards d'une vie errante, tu es venu chez les Minyens, où tu couronnais les vainqueurs des jeux. Cependant tu reposes auprès de ton enfant; tes membres touchent les siens; tu es sorti de la vie sans peine pour aller rejoindre celui qui ta précédé dans la mort. Le texte peut prêter à plusieurs remarques philologiques. A la fin du premier vers j'ai restitué le mot #6» avec sa forme dorienne, pour me conformer à la langue de l'inscription. L’ex- E / ce! FRE 49 A “ , : pression »6/os #6n est nouvelle et mérite d’être expliquée. Le mot »O0os, qui s'oppose à yvwouos, ne s'applique ordinairement qu'aux — 500 — personnes. On trouve cependant plusieurs exemples de »600s em- ployé comme qualificatif de mots abstraits. C’est ainsi que »600s Xoyiouos désigne un raisonnement bâtard, illégitime, c’est-à-dire non conforme aux lois qui règlent l’enchaînement des idées. Pla- ton !, en parlant des étrangers qu'il ne faut pas introduire dans la cité, se sert de l'expression »60n æoœudia memadeumérous, « qui ont reçu une éducation bâtarde, » c’est-à-dire étrangère aux lois qui ré- gissent l’État. Néfos se rapproche ainsi du sens de Éévos, comme l'explique Suidas. Mais »600s #6n a un sens différent de l’expres- sion de Platon. Il ne s’agit pas en effet de lois civiles, mais de lois morales; il s’agit des principes mêmes de la philosophie d'Épicure ; auxquels Philocrate-a su conformer la conduite de sa jeunesse. Vers 1. — yveoas. Le verbe aiveï a ici le sens de ofépyesw ou de xaTadéyeo ba. Hésychius explique œivyoouer par XATAÏÉÉLIVTO. Vers 6. — é&v Mevvaïs, chez les Minyens d'Orchomène. Mevar est l’ethnique de Meta, ville de Thessalie. Orchomène de Béotie n'est jamais désignée par le mot Meta, mais par ceux de Opxo- uevds Tv Mrevucoy. Érafoxopetr ne se trouve pas dans le Thesaurus. C’est un mot nouveau, régulièrement formé du substantif #ra/)or et du verbe xoueir, qui entre de même dans la composition de plusieurs mots, tels que : vocoxoueïr, immonoueir, elc. Il faut remarquer en outre que érabhoxoueïr est actif et qu'il a pour régime @wrds. La charge que ce mot désigne est celle de juge dans les concours gymniques et musicaux. Ces concours étaient au nombre de quatre à Orcho- mène : les Dionysia, les Homoloia, les Minyeia et les Charitesia, qui sont les plus célèbres. | Vers 8. — La substitution du € au © dans le mot dêuévos n’est pas une forme dialectique, mais la simple traduction épigraphique de la prononciation dure du & devant le y. La langue de cette épitaphe est un mélange de formes éoliennes et de formes doriennes. Ffoorépo:o, Biôrouo appartiennent au dia- lecte éolien; æpàdras, dAtxlas, Cwäs sont du dialecte dorien. Ce mélange des deux formes n’a rien qui doive étonner. À l’époque probable de cette inscription, le dialecte béotien se parlait encore à Orchomène, mais il venait de disparaître des documents pu- blics, et depuis longtemps la poésie ne s’en servait plus. Corinna l Lois, lv. V, p.741 a. — 901 — de Tanagre et Myrtis d'Anthédon étaient les derniers poëtes qui eussent écrit en dialecte béotien. Depuis Pindare, la langue de la poésie en Béotie était Le dialecte dorien mêlé de quelques éolismes. IL INSCRIPTIONS DE THÈBES. N° 7. Au village d'Hag. Theodoros, près de Thèbes. 1. APIETOTEAEIEOMATEIPrOYOOTITZZMATE IZZZ7%: 2. JOOINZ=ZANTOISOEOIZ Cette inscription est gravée sur une pierre dure et grisatre, qui sert maintenant de marche d'escalier à l'enceinte de l'église d'Hag. Theodoros. Les lettres sont grandes et belles, mais à demi effacées, exposées qu elles sont depuis longtemps à l’action de l'atmosphère. La comparaison de mon estampage avec ma copie ne me laisse cependant aucun doute sur la lecture de ce fragment que je trans- Cris ainsi : | Âpioloréheis ômareip, Ilov0oyir[wv]| uéyei[pos], [é]doév[n|Ëav rois Seots. Cette inscription est en dialecte béotien , comme l'indiquent les terminaisons ets pour "5, Etp pour np et la diphthongue ov substi- tuée à lu du nom propre Pythogiton. Mais, comme il arrive sou- vent dans les inscriptions de Béotie, à côté de ces formes de dia- lecte se rencontre la forme de la langue vulgaire roïs Sreoïs. Le mot ôrareip est nouveau. Comme la lecture n’en est pas douteuse, nous n'hésitons pas à l’accepter. Il est d’ailleurs de for- mation régulière et de même racine que les mots analogues èxa- dés et ômaontnp. Le Thesaurus doit s’en enrichir. Le changement du & en E à l'aoriste du verbe Sorvéw est à re- marquer. Îl se rencontre pour la première fois dans le dialecte béotien. Mais on en trouve des exemples dans les autres dialectes, et particulièrement dans le dialecte dorien !, qui a avec le béotien plus d'un trait commun. Quant au verbe lui-même, il a sa signi- fication la moins fréquente, celle de préparer et d'offrir un festin. Essayons maintenant de préciser le sens de cette inscription. Nous n'avons ici évidemment qu'un fragment, que la fin d’une l Ahrens, Dial. dor. 11. — 502 — énumération comprenant les noms des différents personnages qui avaient une fonction dans les sacrifices. Celui qui est appelé ici OTATN remplissait sans doute un rôle analogue à celui du diduovos, cité quelquefois dans les listes des serviteurs du culte !, ou, pour se rapprocher de la racine du mot, ce devait être la même chose que l'ôxadés, sorte d'assistant ou d'acolyte du prêtre. Quant au cuisinier, il ne faut pas le confondre avec Île sacrificateur ou éepo- Oürns. Une inscription d’Anactorion ? nous apprend à distinguer ces deux personnages. Le pdyespos est celui qui coupe la victime en morceaux, après qu'elle a été immolée, qui fait cuire les viandes du sacrifice, qui prépare les gâteaux, qui préside en un mot à tous les détails de la cuisine sacrée. Le cuisinier, nous ap- prend Athénée ÿ, remplit une partie du rôle religieux que jouait le héraut des temps primitifs. Alexandre, écrivant à Olympias, la priait de lui envoyer un cuisinier « qui eût l'expérience des sacri- fices #. » — « Ne sais-tu pas, dit un personnage de comédie’, que la cuisine est de tous les arts celui qui a été le plus utile à la reli- gion ?» Notre inscription est un témoignage encore plus précis, en ce qu'il nous montre le cuisinier comme faisant officiellement partie du Fur du culte. Le nom du péyespos se trouvait déjà dans trois inscriptions du Corpus® et dans trois inscriptions sparliates publiées par l'Éphé- méride archéologique d'Athènes, où il vient à la suite d’autres fonctionnaires d'ordre secondaire, tels que le devin, le théophore, le crieur, etc. Quant au sacrifice dont cette inscription était destinée à per- pétuer le souvenir, l'expression générale Toïs Seoïs semble indi- quer qu'il s’agit d’une théoxénie, ou fête commune à tous les dieux $. Ces fêtes étaient assez rares et donnaient ordinairement lieu à un festin public ou Onuobouvta, offert au peuple par le ma- gistrat chargé des fonctions sacrées ?. ! Corp. inscr. Addend. n° 1793 b. ? Corp. inscr. Addend. n° 1793 c. * XIV, p. 660 a. 4 Athén. XIV, p. 660 a. 5 Athén. XIV, p. 660 «. 5 N° 1798; Addend. n° 1793, b; 1649, c. N°*%5x03-3165. Hésychius : OsoËevta nouvn Éoprth mât Tois eoîs. * Inscription de Paros, Corp. inscr. t. IE, p. 1075. si 2) le — N° 8. Au village de Pyri, à un kilomètre de Thèbes. EYMEDEZZ Evuéde{is] Ce nom propre se trouve au-dessus d’un bas-relief d’un très- beau travail, qui représente Hercule vainqueur d'Achéloüs et rap- portant comme trophée à Æneos, roi de Calydon, use des cornes du fleuve-taureau. | Le nom d'Eumèdes est-il celui de l'artiste ou celui du person- nage qui avait consacré ce travail, c’est ce qu'on ne saurait déci- der. Qu'on lise Eÿuéders ou Evuédssos, ces deux formes appar- tiennent au dialecte béotien. Il est à remarquer que la forme épigraphique du À, D, est an- térieure à la 80° olympiade. Mais peut-être ne faut-il voir là qu'une ingénieuse supercherie pour donner à une œuvre d’art, remarquable d'ailleurs, un caractère de haute antiquité. Si le bas-relief était du même àge que la forme D de cette inscription, il serait antérieur à Phidias, de l’époque de Calamis ou d’Aristo- mèdes et de Socrates, artistes thébains contemporains de Pindare. Or le style de ce bas-relief, très-élégant, n’a rien d’archaïque. N° 9. Thèbes. — Dans la cour d'une maison, près de l'agora. Pierre qui sert maintenant de marche d'escalier AQ Dans une couronne de laurier, TONAA OZZK ON € le mot : AOA (BAZIAEIA) TONOYION ÉCEPIEER AEONMEAAEZ , EPOHZAN ù .Â& rdv AdOxOv Es loû Baoiherx Tv ovi0v Awpiwy, Aéwy, Mélas TOO. Comme on le voit, cette inscription, malheureusement incom- — 504 — plète, est gravée sur la base d’une statue élevée par des parents à leur fils vainqueur aux jeux des Basileia. Il ÿ avait en Grèce deux concours agonistiques de ce nom : l’un en Eubée, s'il faut en croire le scholiaste de Pindare !; l’autre en Béotie, à Lébadée. Ce dernier était de beaucoup le plus célèbre. Diodore? nous apprend que les Bates furent instiltuées après la victoire de Leuctres, en l’honneur de Jupiter roi, et qu'à cette occasion il y avait à Lébadée une panégyrie qui réunissait toute la Béotie. Comme le vainqueur dont il est question ici est un Thébain, il est permis de croire que ce sont bien les Bacikera de Lébadée dont il s’agit. C’est pour la seconde fois seulement que le nom des BaofAga se rencontre dans les monuments épigraphiques *. Cette inscription est en dialecte béotien, ce qui permet d'en fixer approximativement la date. On peut la placer après la vic- toire de Leuctres! et avant la 135° olympiade, époque où le dia- lecte commence à disparaître en Béotie pour faire place à la langue vulgaire. Les noms de Dorion, Léon et Mélas, doivent s'ajouter à la liste des sculpteurs thébains. Léon est peut-être le Léon qui est cité par PlineS comme auteur d’athlètes, d'hommes armés, de chas- seurs, de sacrificateurs, renseignement qui est d'accord avec notre inscription. On remarquera aussi la collaboration de trois artistes à une même statue, fait qui n’est pas rare dans l’histoire de la sculpture thébaine. Le nom propre À Sévumos ne se trouve pas dans le Lexique de Pape, mais on le rencontre dans une inscription publiée par Le- bas; et avec une différence d'orthographe, Âdérsxos, dans V'Éphé- méride archéologique 7. 1 Ad. Isthm. E, 11. Cf. Bœckh, Explcat. p. 176. 2 KXN 9! * Voir une inscription d'Arcadie, Corp. inser. n° 1515, b 15. * Deuxième année de la 102° olympiade. ® XXXIV, 19, 4o. 5 N° 685. TIN° oo. EU N° 10. Thèbes. — Sur une stèle funèbre, dans une maison. ETTI Érri TITAKQ T. Iaxw- NIAXPH -via Ypy- 29 -OTÿ. T. est le sigle ordinaire de Téxos. Ici donc il désigne un des noms de femmes formés de T/ros, soit Teredva, soit Terévea. Ila- xaviæ est un nom d'époque romaine. On le rencontre, sous sa forme masculine, dans une inscription publiée par l'Éphéméride archéologique ! : Mdoxos Taxcvios Aréhdas ?. NPPIE Thèbes. — Fragment de stèle, dans une maison. en Éri ANTONIWPOY Avrwviow Poÿ- (010) -Za. N° 11 bus. Au même endroit. ETIBAAEPIZ ÉTi Bacpila| NEIKH Neïxy. Ces inscriptions, de basse époque, sont un témoignage de la persistance de la formule béotienne éré sur les monuments fu- nébres. N° 12 Thisbé (village moderne de Kakosia). — Au-dessus d'un bas-relief grossier, encastré dans le mur de l’église. — Lettres très-frustes. ETIKAAAIGNI Éri Ka] on. Tombeau de Callion. r N° 15923. ? M. Foucart me fait remarquer que la personne dont il est question ici était probablement une affranchie de la famille romaine de Paconius Agrippinus. — 506 — N°18: Sur une stèle funèbre, dans une maison du village. ENI ET: ABPONIHPOI ÀGowvt fpur. Tombeau d'Abron. IT INSCRIPTIONS DE PLATÉE. N°14: Deyant l’église d'Hag. Nikolaos. — Pierre de forme carrée, qui avait servi de base à une colonne byzantine. La surface inscrite est usée et les lettres sont gravées peu profondément. Hauteur des lettres, 1 centimètre. . OT IIIDP À THE À © ZM, 1 2. ANAPAE ZW 3. WIINIAEKANAONO ZM L. PAIAAE AO 5. FMDIENHEAPAKONTOE AE, 6. ANAPAEAOA EI 7. HOAY=ZENOZGSONY=EENOY ZM 8. PAIAAEETAALZ/MW 0. WW X 0 TOWN ON © EU 10. AFENEIOYE ZW 11. WANAPOSAAEZANAP ZM 12. ANAPAE MM 13. YMTHEMOEXIOWYPI”INU [Ewormpdlrys ÀGy[vodwpo] . PER évdpàs æ[vyuyv] où mar, où mayapérios [KAc}rwias Kd]Awvos... Gaidas d0]|1yo»] [Oeay]érys Apdxovros À[Gyvatos] dvdpàs 6 yo]. [I]oAHËeros [I]oAvÉévou À[xooiQGreus] maidas oTdd[10v]. 9. nra]oyos (?) [Alo[pa]Aiou (?) Gelomevs] O; dyeveious o[T4d10»| 11. [Eülardpos À cËdrdpolv]. EUR: 19: dvdpàs o[Tddor] 13. [Mevexpä]|rys Mocyiwlvos......... EE © NN » CG M Pour la restitution des noms propres, j'ai tenu compile de la — 507 — place des letires sur la pierre, choisissant de préférence, dans les cas douteux, un mot appartenant à la nomenclature béotienne !. À la ligne 5 et à la ligne 7, on peut alternativement substituer ApaiQuels ou héneros. À la ligne 9, je ne donne que sous toutes réserves le nom propre Aopdluos, qui serait un nom nou- veau. La restitution @elomevs] me paraît certaine; car @e [Baïos] serait d’une époque bien antérieure à celle qu'indique la forme des lettres de cette inscription. Ce fragment de catalogue agonistique qui, dans le détail, n'offre rien dlétéseant, doit se rapporter aux jeux des ÉXeudépua., dont l'origine remontait aux guerres médiques, et qui se célébraient encore tous les cinq ans au temps de Pausanias?. Suivant l’expres- sion du poëte comique Posidippe, Platée,, qui n'était ordinaire- ment qu'un désert, devenait une ville à la fête des Éleuthéries $. Les prix principaux étaient ceux de la course, renseignement qui s'accorde avec le texte de notre inscription. Il y avait aussi à Pla- tée d’autres jeux consacrés non plus à Jupiter, mais à Dionysios Eleutheros “. Ces jeux n'étaient pas gymniques, mais poétiques et musicaux. N° 15. Platée. — Sur deux fragments d'un tombeau chrétien, devant l'église d'Hag. Nikolaos, au village de Kôükla. €. THCAENATPHETADOLOLAEIACZENONENTOELEEPTI XPYCHNEKENTIANHNKPICECONAAAKINOOY /AHAAHGHEMOTEGWNEIMEPANYZEXPIAKATENITEI . AAAENTIP# WW IIUIIIENN ZONOGENZYPAHMATITOAE E CG à mi 1. Ts de wérpys TaGos Üode GrA6ËEVOr évrds éépyt 2 Xpuoÿv Exerliavyv, Xpiooova À wo : 3. [M]n Adôys poyéwr, eimep ävuËs ypia: uaremiyer A 0. unes fpari TOÛE.. Cette première partie de l'inscription a été déjà publiée par M. Keïl5, mais d'après la copie de Ross, qui est inexacte. Ross ! Voir le Nomenclator bœoticus qui est à la fin du Sylloge de M. Keil. A, E, 0. % Fragm. comic. gr. éd. Didot, p. 695 : rù æoAù pèy durn, rois à ÉAeubepious Os. “ Keil, Zur Sylloge, n° 7. 5 Sylloge, n° 64. MISS. SCIENT. — IV: JA — 508 — : donne à le la forme épigraphique €; qui ne se trouve nulle part dans cette inscription. Il écrit à la première ligne GrA6cevor au lieu de Qi\dËevor ; à la deuxième, xpéoæova au lieu de xpiocova, corruption d'orthographe qu'il faut maintenir comme témoignage | de la prononciation. A la troisième ligne, au lieu de dyvées, Keil | écrit y ce, parce que l’u manque dans la copie. Enfin, à la qua- trième ligne, après le mot Supa, Ross place deux & qui n’existent pas sur la pierre, ce qui lui donne Süpas onuar: réde au lieu de Süpa fuars TOde. À la deuxième ligne, je crois, contre l’autorité de Keïil, que xpvoÿ n'est pas un nom propre, mais bien un adjectif ayant peut- être le sens de æ2oÿoua. C’est ce que confirme la seconde ligne de l'inscription b. Le nom propre Zxemlsavn se rencontre dans une inscription du Corpus !. La riche Sceptiané est ici déclarée supé- rieure à Alcinoüs, et par ses richesses, et par l'hospitalité qu'elle exerçait. On remarquera ce souvenir homérique dans une inscrip- tion chrétienne. La ligne 3 à, si Je ne me trompe, le sens de : « Ne te cache pas pour pleurer, si tu en éprouves le besoin. » À ver pour dvolyeuv, et ypia pour ypeia, sont des formes indiquées dans le Glossaire de Du GCange. Le sens de la quatrième ligne nous échappe. Ce serait d’ailleurs peine perdue que d'essayer à restituer une inscription écrite dans une langue aussi barbare. Ye TICTTAATAIANCYAHEENTICUAECENOPMONAEANTU)I . OYNEKENENTIAPAAILGUEYNAGANATOICAAXEKAHPOL ELAOCZZZAMMUTITII\G)POLÉOIAOETONAIE Cette seconde partie de linscription, qui ne semble pas faire suite immédiate à la première, est inédite, Mais elle est d’une langue et d'une métrique déplorables. Le sens géntral est celui-ci : 1,.N°p36, b. EKETITIANHNTITAUT EY/AGTAOZEINONKAIOTAOXPIETEZ AYTHKAITOZZZ/ZON,EZYZATOTAbON 1. ...7ts IÂdraay od]oëy, ris WAeoev......, 2: Exerliavyv mAwreda ? GrhdËeivor nai G0yp101|0»| 34 oùveuer év mapadiow oÙùv dÜavdrois Adye xÀÿpos ä. aûTy nai mO[ois] TOvŸE. . ........ .. . TADoY 5. ARS S AE ANR ne AMEN Mere mwpùs, GidoTois. — 509 — « Si l'on ravage, si Fon détruit Platée (que l'on respecte le tombeau de?) la riche Sceptianè, la femme hospitalière, aimée du Christ, ellé qui a obtenu le paradis avec les immortels, etc. » Le commen- cernenñt : is oÙAnGër, Tus wheoev, rappelle la forme des impréca- tions païennes contre les violateurs des sépultures. kowreua est sans doute uñé forme barbare pour æXoÿota», et qui explique le sens dé l'épithèté Zpovo7 appliquée à Sceptianè dans la première partie de Finseription.: Le caractère des lettres et la barbarie du langage semblent indi- quer que cette inscription est postérieure au 1v° siècle de l'ère chrétienne. On sait que Platée fut d'assez bonne heure le siége d’un évêché. Fabricius ! cite un Plutarque, évêque de Platée au milieu du v° siècle. Une inscription, publiée par Keil en 1864 ?; nous ap- prend Fexistence d'un autre évêque de Platée, du nom de Dionysios. IV INSCRIPTIONS DE CHERONÉE. N°’ F6: AFAGHI TYXHI 1. PAABIANAANEIKANTHNAPXIEPEAN >. AIABIOYTOYTEKOINOYBOIWT(WNTHC 3. ITUNIACAGHNACKAITOYKOINOYO(GR 4. KEWNESNOYCKAITHCOMONCIACTUWN 5. EAANHONITAPATOTPObHONIWTHN 6. AFNOTATHNIEPADOPONTHCATIACEICI 7. AOCIEPEIANAIABIOYTHCATIOCEIPIAACC 8. EICIAOCOBOIUWTAPXHCTOTKAIAPXIEPEYC 9- AIABIOYT(WNCEBACT(HNKAITHCAAMTIPOT- 10. XAIPGNEUWNTITOAEWCAOFICTHCTNKOYP 11. AELITNTIOCTHNTEYKYTATHNMHTEPAMNH 12. MHCAPICTHCEINEKAEKTHCKATATAC 13. AIAOHKACENTOAHC EE A Cette inscription $ est gravée sur une pierre tumulaire découverte, il Ya un an, dans des travaux de terrassement exécutés par des 1 Bubl. gr. V, p. 198. ? Zur Sylloge, n° 10. 3 L'impression n’a pas reproduit les ligatures qui se trouvent en trois où quatre endroits de celte inscriplion. 34. — 510 — paysans près du village de Kaprena, qui remplace l'ancienne Ché- ronée. Quand je n'arrêtai à Chéronée, la pierre était encore au même endroit où elle a été trouvée, c'est-à-dire à gauche de la route qui vient de Livadie, un peu avant l'entrée du village, et à une centaine de mèêtres des débris du Lion colossal. Cette position semble indiquer la présence d'une voie des tombeaux. Des fouilles exécutées en cet endroit et parallèlement à la route amèneraient probablement la découverte de beaucoup d’autres-monuments du même genre. Quant à l’âge de l'inscription, la mention des Ze6xolof nous re- porte à une époque postérieure à l’avénement de Marc-Aurèle et de L. Vérus, les premiers Augustes qui gouvernèrent simultanément l'empire romain. Ayaôÿ Toyy. DAabiar Aaveiuar Ty dpytépear dd Giou TOÛTE xOIVOÙ BotwToY Tÿs ÎIrwvias ÀOaväs xai roù xowwod Po- xéwr ëfvous, nai Tÿs Ouovoias Tr ÉAyror mapà 7& TpoGwviw, Tyv dyvoréryv iepaGooov Ts dyias Eiot- dos, iepéiar dià Biou ris dmd Zerprdos . Étoidos, ô Borwrépyns Tù y, xai dpyiepeds 9. di Biou rüv Sebaolüv nai Tÿs Aaumpor.[àtys] 10. Xapwrécwr moAews Aoyiolÿs Fr(dos) Koup(ros) 11. AéËmmos Tv yAuxuTéTyv pyTÉpA uvy- js uns dpiolns eivena, éx Tijs aTd Tàs 13. dabyuas évTroÀÿs. WnQiouart) BlouAÿs xai) A(fuou). SYEwe © +1 Traduction, À la bonne fortune. À Flavia Lanica, grande prêtresse à vie de la confédération béotienne de Minerve Itonia, et de la confédération des Phocidiens et de la con- corde des Grecs, qui se réunit près de Trophonios , très-chaste hiéra- phore de la sainte Isis, prêtresse à vie d'Isis de Sirias; Cneïus Curius Dexippos, bœotarque pour la troisième fois, grand prêtre à vie des Au- gustes et curateur de l'illustre ville des Chéronéens; à sa mère chérie, en souvenir excellent, selon la recommandation contenue dans le testa- ment. Par décret du sénat et du peuple. — dil — Cette inscription, communiquée lors de sa découverte à M. Hen- zen, a déjà été commentée par lui dans les Annales de l’Institut archéologique de Rome (1866). Nous ne pouvons que renvoyer, pour la partie historique du commentaire, au travail du savant épigraphiste, avec lequel nous avons été heureux de nous trouver d'accord. Ligne 1.— Le nom propre Aaveixa ne se trouve pas dans Île Dictionnaire de Pape; mais on y rencontre Aavéun, qui est le même mot sous une autre forme. Âœ pour À«o, forme béotienne !. De même : Aadduas, Aaxpérns, Aacbévns. Aavixn est donc pour Âao- véxn. Le masculin Aaôvmos existe. À pyrépean est un dorisme qu'on s'étonne de rencontrer ici. Peut-être est-ce une erreur du la- picide, car plus bas, à la ligne 7, on lit la forme ordinare iepérær. Lignes 2-3. — Toù re xosvoù Borwrdr Ts Îrovtas ÀOnv&s. Ce conseil, qui remonte aux origines de la fédération béotienne, exis- tait donc encore, au moins pour la forme, à l'époque des Antonins. C'est ce qu'on pouvait déjà supposer d’après un texte de Pausanias?; c'est ce que confirme une inscription du Corpus, qui date de Marc- Aurèle et où l'on trouve cité rà xowdv Ilau6oswrér œuvédpuor. Quant aux attributions de ce conseil, rien n'indique qu'elles fussent très-étendues. I est probable que cette réunion était surtout. une panégyrie religieuse en l'honneur d'Athéné Itonia, une des plus anciennes divinités et des plus vénérées de la Béotie$. Cette réu- nion , qui avait lieu dans la vaste plaine qui s'étend entre Alalco- mènes et Coronée *, se terminait sans doute par les jeux équestres connus sous le nom de TlauGorwrie. Quant à la confédération des Phocidiens, son existence sous l'empire romain nous était déjà connue par un texte de Strabon ‘; et Pausanias, dans sa description de la Phocide 5, fait mention d'un édifice situé près de Daulis, sur la route de Delphes, où se réunis- saient les députés de chaque cité. Flavia Lanica était à la fois prêtresse de la confédération béo- ! V. Abrens, Dual. dor. p. 522. 2 IX, 34 a, &s TÔv xoivoy ouviaoiv évraÿda oi Borwroi oùAÀoyov, 3 V, Pausanias, loc. cit. et l'ingénicuse étude de Forchhammer dans ses Helle- nike. f Pausanmias , IX, 34. 9 [X,3,19 : xovdr oÙoTnua Tv Dunéwr. 2e. UE — 512 — tienne el de la confédération phocidienne. De même, à une époque voisine de celle-ci, le même homme était à la fois ou tour à tour Borwräpyns et Owxdpyns !. Malgré la distinction que semble établir l'expression Doxéwr Ëvos, la Béotie et la Phocide étaient confon- dues ensemble sous la domination romaine. Lignes 4-5. — Tÿs Ouovoias rôv ÉX vw» map rà TpoQavieo. — Une inscription béotienne ? de l'époque d'Adrien nous apprend qu'il ÿ avait à Platée un culte et une statue de la Concorde des Grecs. Cette statue était placée auprès de celle de Jupiter libérateur. Lei il s'agit du même culte à un autre endroit de la Grèce : wap T® TpoGwr es. Or, Trophonios était honoré en Béotie à Oropos, à Lé- badée surtout. C'est probablement dans cette dernière ville qu'était aussi l'hiéron de la Concorde. Près de là se réunissait une panégy- rie, si toutefois, comme le pense M. Henzen, le mot éxôvos indique l'union de deux ou plusieurs états grecs et une confédération in- connue jusqu'ici, analogue aux deux confédérations citées plus haut. Ligne 6. — Àyvordrnr iepa@opor. À yon est une épithète d'Isis elle-même, appliquée par extension à sa prêtresse. Les fonctions précises des hiéraphores nous sont mal connues. Nous savons seule- ment par Plutarque qu’elles différaient peu de celles des hiéros- toles. Les hiéraphores et les hiérostoles étaient probablement des personnages religieux qui avaient le premier rang, après la pré- tresse elle-même, dans les pompes d'Isis. Car cette dignité, pour être mentionnée dans notre inscription, doit avoir eu une certaine importance. Parmi le personnel du culte d’Isis 1l faut citer aussi les mélanéphores, qui sont connus par une inscription de Délos“, et qui portaient en pompe le péplum ou le voile noir d'Isis. Les méla- néphores faisaient donc partie de la catégorie générale des hiéra- phores, ou porteurs des objets sacrés. Ligne 7. — Les mots dd oerpuddos sont assez dificiles à expli- quer. M. Henzen a conjecturé que le mot oespiés pourrait être le nom donné par les Grecs à la période de Sirius *, mais sans pré- 1 Corp. inscr, n° 1738. ? Corp. inscr. n° 1624. * De Isid. et Osir. p. 352 b : roïës dAndÿs nai dinaiws ispaÇopois ai iepooldous TpOGXyOPEVOHLEVOIS. * Corp. inscr. n° 2203. "CE. Ouprits, Nepets, opus. — 915 — tendre résoudre la difficulté. Voici l'explication à laquelle je m'étais d'abord arrêté. En lisant éroseptdos , on trouve dans ce composé le nom de la divinité égyptienne si intimement liée avec Isis, Ocrpes où Ocerpus. Le nom de ce dieu forme un adjectif qui existe, ôcespuds, ddos. Reste à expliquer la présence de &7 au commencement du mot. En parcourant la liste des divinités égyptiennes, on trouve des mots composés de deux , quelquefois même de trois noms de dieux : Ep- mdvoubis, Ardupror, Octparis, etc. On peut donc supposer un mot composé de Ars et Ooipis, qui devient Arécipis où Arôcet- pus, d'où l'adjectif dmooEupis, ddos. Quant au sens de lépithète appliquée à Isis, elle désignerait que cette déesse a pour oÿrvao: Apis et Osiris. Mais une note insérée par M. Gustave Wolff dans le journal ar- chéologique de Gerhard! me fait renoncer à ma conjecture et ne me laisse plus de doute sur le vrai sens des mots dmè Xerprddos. D'après un passage de Denys le Périégète ? et un passage de Pline ÿ cités par M. Wolff, le Nil, au-dessus de Syènes, portait le nom de Zipis. Le pays baigné par cette partie du Nil pouvait donc s'appeler Zupris. Or le centre du culte d'Isis était à Philæ et aux environs, et les mots dmà Zespuddos désignent la provenance de la divinité. Ligne 10. — Aoy:oîys. Ce mot désigne ordinairement la magis- trature qui reçoit et qui apure les comptes. Il y avait différents noms pour indiquer cette fonction. Aristote # en cite quatre : xa- AoÙar dè TouTous oi uêèv eübyvous, oi dé Xoytolds, où dÈ éésraolds, où dè œuvnyépous. Les inscriptions et les textes des orateurs font fréquemment mention du Aoysoîys. À l'époque des empereurs, ce mot n'est que la traduction de curator ÿ. Ligne 11. — Aééimros appartient spécialement à l'onomatolo- gie béotienne, et se lit surtout dans les inscriptions de Lébadée. 1 Denkiraler und Forschungen , juin 1867. 2 923. E Vas 54. # Polit. VI, 5. * Voir à ce sujet le commentaire de M. Henzen. — 914 — Ne 7e Au même endroit que la précédente, Fragment. “ WRATH AZ 2, WE\AIQEOPET TZ 3. WIN ANOEZINTOIOMEZZ [Aoxovros T@ delvos, MELVÔS. . . . DÉVTE AY 1. de] xéry Ila[oiwr? Tr Devos. . . évriberri c. To]s idiws SpenT[ods. ......iapoès eîuev T@ Sapémios 3. Ty] dvfeow wowbuelvos di Tr oouvedpico xarTdv v6uor]. : N° 16. Sur la même pierre et faisant suite à la précédente. Fragment. . ALEKATHKAIEOAON PP . WANYTHTOANAPOZZ 1 2 3. WJAPTEMONAIAPONZZ 4. FANEAPIOKATTONNOZZ 1 [Apyxovros T® deivos, MÉIVÔS. . . . DÉVTE Hi 1. dJexdry, KaGioodwpla r& deivos.. .mapôvros] 2. aûTÿ T& dvdpo[o....dvrébeure TÔv idion S-pemTdr] 3. Apréuwva iapdv [eîuer T& Sapéios, wotbpevos Tnv ävÜeoi h. dit T& oov]vedpiw uaTTdv v6[ mov]. Ces deux fragments ont été trouvés en même temps que lins- cription précédente. Pour la restitution, je me suis aidé des inscriptions de Chéronée du même genre, déjà publiées par M. Preller !, et qui commencent en effet par le nom de larchonte et la date de la consécration au dieu Sérapis, qui est le quinzième jour du mois Homoloios, nvos OpoXwiou mévre na) dendrn. — La restitution de la première ligne des deux fragments me paraît évidente; car Éxdrn n'existe pas comme nom propre de femme. Au premier fragment je restitue Tacéwr ou [laoias, qui sont tous deux des noms propres de Lé- badée ?. On trouve en effet, dans les inscriptions déjà publiées, des habitants de Lébadée qui consacrent des esclaves au dieu Sérapis honoré à Chéronée. Ces deux fragments se distinguent des inscriptions chéronéennes ! Berichte der Süchs. Gesell, d. Wiss. 1854, p. 198. 2 Cor ) ñ x 0 E b< ’orp. Inser, n° 1575. 515 du même genre, en ce qu'ils sont écrits en dialecte béotien, par conséquent plus anciens. On y retrouve cependant la formule ordi- naire di Tà couvedpiw, par l'intermédiaire du conseil ou du sénat. L'apocope de xard devant l’article, xar16v, est fréquente dans le dialecte béotien. Mais il faut remarquer la forme æosôuevos pour æosoÿuevos. C'est là un fait purement local et non une règle dialec- tique, car le dialecte béotien repoussant en général la contraction, nous devrions lire ici æosôuevos. Cette orthographe trouvait sans doute sa raison d'être dans la prononciation. V INSCRIPTIONS DE LEUCTRES. Les six inscriptions qui suivent sont gravées sur des fragments de pierre et de marbre, aujourd’hui encastrés dans le mur de la petite église d'Hag. Petros, située à dix minutes à l'ouest des ha- meaux de Parapoungia. ï N° 19. ETTINEIKIAHPOQI Éri Neria oct. Tombeau de Nicias. La formule é7£ avec le datif, et le sens du mot fpws dans Îles inscriptions funéraires de Béotie, sont trop connus pour qu’il soit nécessaire d'en parler ici. N° 20. Au-dessus d’un bas-relief grossier, représentant un cavalier au galop, 8 galop la chlamyde au vent, ETTIC es WTAIPHOHPUI du cavalier, APE / Ua Emi SwtTaipo pet. Tombeau de Soter. L'orthographe du nom propre est une preuve de a confusion qui existait entre # et la diphthongue &: dans la prononciation béo- tienne. La terminaison même du mot semble défectueuse; car on devrait lire ou Zwrypr ou Zwrnpiw. La forme des lettres indique d’ailleurs une époque assez basse. | ! Syllog. inscr, bœol, n° 37, p. 153. — 916 — N° .21. Fragment. YOOINA [E]ü0oiva. Ce nom appartient à l'onomatologie béotienne. C’est celui d'une femme de Coronée !. N° 22. TIMOKRATEZ Tipoxpärys. > L'absence de lÿ, aussi bien que les caractères épigraphiques, annonce une époque antérieure à l’archontat d'Euclide. On doit re- marquer en outre que ce mot n'est pas écrit en dialecte béotien, car il faudrait lire Feuoxpdrers. N72. OIOO0" Dior. Par l'absence de l'oméga, cette inscription est antérieure à la 94° olympiade. De plus, les formes du @ et du » semblent devoir la faire placer avant la 86° olympiade. Dur est la même chose que le nom propre béotien Péfwr déjà connu ?, qui donne naissance au composé Pidélaos. On remarquera ici la substitution du & au d, fait dont nous avons déjà trouvé des exemples dans les inscrip- tions d'Orchomène. Nova ASIKASSTOS AMOS Cette inscription semble avoir été gravée à la pointe sur le mar- bre. C’est ce qui explique pourquoi les lettres se rapprochent des caractères qu'on lit sur les vases de terre, les cratères d’airain, les lames de plomb et les objets analogues. À première vue cette ins- cription doit être très-ancienne. Ce n’est pas la première d’ailleurs trouvée dans ce canton qui ait ce haut caractère d’antiquité. Ul- richs$ signale à l'église d'Hag. Paraskevi, près Parapoungia, une pierre avec le nom de TAyrTceuos « en lettres très-anciennes. » ! Keil, Sylloge, n° 58. ? Id. Zur Sylloge, p. 553. * Reise und Forsch. IT, p. 105. La lecture de ce fragment n'est pas sans difficulté. Essayons ce- pendant d'en donner une explication probable. Remarquons d’abord que les neuf premières lettres de ce frag- ment, cofédauos, indiquent qu'ici, comme dans les inscriptions précédentes, nous avons affaire à un nom propre. Le redoublement du & devant le 7 est un fait fréquent dans le dialecte éolien comme dans le dialecte dorien. Mais comment transcrire les premières lettres? La pierre étant incomplète sur le côté gauche, il est raison- nable de supposer que nous avons devant les yeux non pas un mot unique, mais la fin d’un mot suivie d’un mot entier. Si je sépare donc les deux premières lettres, j'obtiens &s, terminaison d’un grand nombre de noms propres béotiens. Les deux signes qui sui- vent le &, bien que séparés l’un de l’autre, I, me paraissent avoir une grande analogie avec le IC, #, des anciennes inscriptions de Théra. On peut donc considérer ces deux signes comme faisant partie d'une même iettre et lire ..as Kacoïodauos Mais Kacaïédauos est-il un nom propre possible? Si nous décom- posons ce mot, nous y trouvons la racine xad, qui entre dans la composition de plusieurs noms propres connus, que les grammairiens anciens font dériver du verbe xd@w, parfait xéxaduas où xéxaopuau, avec le sens d'ornement, de beauté, d'éclat. C’est ainsi que, dans le Grand étymologique, se trouve expliqué le nom de Castor : Kao- TOp, Dapà Tù do — xoouÉw. Les deux fontaines de Delphes Kac- tahio et Kaoaoïis semblent avoir la même étymologie; ces deux mots veulent dire : la belle, la brillante, et par suite la pure source !. Mais ce qui est surtout remarquable, c'est qu'à part les trois noms que je viens de citer et qui sont peut-être d'origine dorienne, tous les noms propres où entre la racine xad appartiennent à la race éolienne qui a peuplé la Béotie. Citons d’abord Kdduos, dieu des Pélages de Béotie, identique avec Kddprhos ou Kéopros, un des Cabires. Les noms d'Érixdoln d' loxdon appartiennent en propre au cycle des légendes thébaines. Axaoos est un fils de Pé- lias, roi d’Iolcos, c'est-à-dire du pays même : d'où , soixante ans après la guerre de Troie, suivant Thucydide, partirent les Éoliens-Béo- tiens pour venir s'établir dans le pays de Thèbes. Âxdoîn est une ! Curtius, Griech. etymol. 1, 128, rapproche Kao7akia de xaÿ-apo-s, xallaip-w, xAPapors. Sanscrit : cudh, cudhämi, purifico, lustro. O1 — fille de Thétis et de l'Océan, citée dans la Théogonie !. Kaoaverpa est citée dans l’{liade ? comme une des femmes de Priam. Enfin, pour sortir de la mythologie, le nom propre Ânao1(das , cité dans une inscription attique 5, est celui d'un Béotien : Âxao7{das KAeou- vdolou Boswrés. Tous ces exemples permettent de supposer l’exis- tence d’un adjectif éolien primitif xdoos, qui se retrouverait, avec une nuance de sens différent, dans le latin castus (cas-tu-s pour cad-tu-s). Il en résulte, pour l'inscription qui nous occupe, que le nom propre Kacoîédauos est non-seulement possible, mais très-pro- bable. Il correspond, dans cette vieille inscription éolienne, aux noms propres d'époque postérieure KaXidauos et Âpiolédauos, dont le sens est analogue. Les murs de l'église d'Hag. Petros contiennent plusieurs autres fragments composés seulement de deux ou trois lettres. La présence de ces nombreuses inscriptions confirme l'opinion d'Ulrichs 4, qui place le dème de Leuctres sur l'emplacement même des trois ha- meaux de Parapoungia. Les inscriptions que nous publions étant des époques les plus différentes, il en ressort que Leuctres ne fut pas seulement un champ de bataille, mais qu'il y eut pendant plu- sieurs siècles de suite un dème à cet endroit. VI INSCRIPTIONS DE THESPIES ET DE SES ENVIRONS. L'inscription qui suit a déjà été publiée par M. Keïl°, mais d'après une copie assez inexacte. Nous croyons donc nécessaire, vu l'impor- tance du document, de la publier de nouveau. Elle est gravée sur un fragment de marbre gris encastré dans le mur d’une maison à une certaine hauteur qu'il faut atteindre avec une échelle, ce qui rend la transcription difficile et l'estampage à peu près impossible. Les caractères d’ailleurs sont très-frustes, et il manque sur le côté droit un ensemble de lettres considérables. L Vers 356. ?, NET, 969, * Rangabé, Ant. hellén. IL, n° 692. ! Reise und Forsch. t. I, p. 105. * Zur Sylloge inser. bœot, n° XIX. — 519 — Na. 1. ZA GONT 0 MMM TT OT . NA MT TI UNUIÉSP SM, . ENTOI ZA T OE/MMMTONT OYTONIHZZ NTIXOZ TZX5 AO ZM) ET TI . VANITOEMBAZIAZZNTAHPAKAEINSTAIAPAT . ENTOIAAMATPQOIMEINIEKAZŸETAENIAYTAnZZ . ONAYOINNETINAZKAAAPXAAOKIMAAAEIKZ . KHTAMPPOZZTATANNOBEAONYMEPEKZZZY4Y 9. APAXMANHAEKATIZSEMBAZTAETPOSTA 4 10. XPEIEAZKAOIÏIZTAEIE ZX AS EMBASIAZZZ 11. ŸÂTAENTOAEYKAMAEZMANY lÉAPXAE ZZSD 12. BAAAEITANEMBAZINENTOITETPAMMENOZ7ZZ 13. TANEMBAZINKHAYTONKHTASPPOE TZ 14. KAÏANEYPEITOMPPOTÉNEMBANTAENTOZZZZ 19. FAZEHEIMIOAIOIAEKATANZEYOIT ZI 16. AEINIBOINTANHEPEMENEIETIFTOAIOZ KkHOZZZ 17. FWWJONTETOTTANAPXA NZ EM 18. TETPAMMENAAAEMBAE MU Di 19. VON APE DU USE & E . [@]edc: éfri à[pylovros [r@ deivos, iapapyovrwr . [Mracrylérios Aowmoldwpe [un ré delvos, édoËe. .. .] De leumoio)r D. à 2. D fondue sde ee [Mead-] . -vriyos, Et[parwvo]s ÀGa[via]o é[ypaupéreuel....... . avro épBaoia.... T@ HpaxAsiws Tr iap@ . éy Toi Aaparpoi metvi éxd[o]|o7ew éviauro ... .Ovoiv Golivds na à doyà donmadder . un Tu mpooolaräwr Ü6eÀdy ÜrÈp....,......... 9. dpayuäv ÿ dé nd ris ÉuGds T&s mpooläl[ras 10. ypetéas xabioläet Ës. ......,.. éuGacia[s 11. ...év TÔ Aebxœwpua é[yyp]dÿr à dpyà, éQ [d....... 12. fée rar ÉpBaoiv év Toi yeypamuévols peuwi]..... 13. Tv Eubaoiv x avTdv x T@s wpool[aras|......... 14. ....ebper tou mp&rlolv éuédvra Év Tù (iapov]....... 1). yäs é@ eiwoior dendrar [wpolo[Géplouro...... 16. [uy]dervi Borwräv Gepéuer ei mi môluos.....,.,... 17. ....OÙTE @OTIàv dpyàv MR GT l Er & à ÉUSGGIS. . se. ons sur snes lé dpyloural.2... can à diehs et mans Si Shane je ee) + DIDUE WE = N'a etale rate ne: + L'objet de ce décret, dont les détails nous échappent, mais dont — 520 — on peut saisir le sens général, est de régler les conditions auxquelles il était permis de pénétrer dans lhiéron d'Héraclès à Thespies. On ne pouvait y entrer que pendant le mois Damatrios de chaque an- née et en payant une somme d'argent déterminée. Une amende punissait les violateurs de la loi. Ce document, tout imcomplet qu'il est, a cependant son impor- tance; car il est unique jusqu'à présent dans son genre. On savait bien en effet par différents textes ! qu'il y avait en Grèce des sanc- tuaires où il n'était permis de pénétrer qu'à des époques de fêtes déterminées, mais on ne possédait encore aucun décret qui réglàt la question. Malheureusement la plupart des détails de cette ins- cription sont pour nous lettre close. Le savant éditeur du Sylloge lascriptionum Bœoticarum, M. Keïl, s'est contenté d’un commen- taire philologique et a renoncé à la restitution de ce document mu- tilé, que la découverte d'une inscription analogue peut seule ex- pliquer complétement. Il y aurait témérité de notre part à hasarder des conjectures sur ce sujet. Les corrections que ma copie apporte à celle du docteur Schillbach me permettent seulement de marquer les divisions principales de ce décret. Les lignes 1-4, dans lédition de Keil, ne sont pas transcrites, parce qu'elles ne se composent que de quelques lettres. Pour nous, cette première partie du décret renferme, 1° la formule brève Oeés et non Ouôs roûyar dyabér, formule plus développée qui ne se trouve pas sur la pierre; 2° le nom de l'archonte ér? &pY0vTos; 3° les noms des hiérarques, restitution presque certaine puisqu'il s'agit du règlement d’une question religieuse; 4° probablement les noms des secrétaires ou greffiers. Vient ensuite, de la ligne 5 à la ligne 9, l'énonciation de la lot, c'est-à-dire la permission d'entrer dans l’hiéron pendant le mois Damatrios de chaque année, avec un détail ou une restriction qui nous échappe à la ligne 7, et le chiffre de la somme à payer aux prostates ou préposés à l'administration du temple et de ses revenus ?. La troisième partie du décret commence à la ligne 9 par les mots 7 dÉ ud Tis éubds$. C’est probablement une clause établissant que, si l’on contracte une dette à l'égard du trésor sacré, cette dette sera inscrite par l'autorité sur le registre (é» Tù Aeüxœua) avec la date 1 Cf. Hermann, Gott. Al. S 19, p. 104; Schômann, Gr. Alt. 11, p. 185. ? Sur les &posTäru, voir Keil, Zur Sylloge, p- 517. * Keïl lit dpaypär ñ déxa, ce qui dénature le sens. — 521 — de l'entrée pendant le mois détermine, le nom du débiteur, les _noms des proslates, etc. La quatrième partie, lignes 14-15, me parait fixer une amende pour les violateurs de la loi. Cette amende était relativement consi- dérable, puisqu'elle consistait en la dime de la terre, plus la moitié de cette même dîme, yäs é@ eiuioXlos dexdrar !. Le sens des der- nières lignes nous échappe. Ce temple, où il n'était permis d'entrer que pendant un mois de l'année, devait être l'objet d’une particulière vénération. C'était en effet l'hiéron d'Héraklès, dieu béotien par excellence, et qui avait à Thespies sa légende locale. L'existence de son culte à Thespies nous était déjà connue. On sait en effet par Pausanias que le dieu avait pour prètresse une femme obligée de rester vierge jusqu’à sa mort : xœ} HoæxXéous Oecriedou éolir Éepôv: iepäro dé aûr æaplévos, EoT dv mdr Td ypedv aûryr ?. Diodore 5 nous apprend que de son temps il y avait encore à Thespies une famille qui prétendait des- cendre de l'union d'Hercule avec les cinquante Thestiades. C'était sans doute dans cette famille qu'étaient choisies les prêtresses du dieu. Le culte d’Héraklès était aussi répandu dans les villes thes- piennes de Thisbé et de Tipha*. Cette inscription est en dialecte béotien et parait très-antérieure à la 135° olympiade. Il est inutile de répéter ie1 les remarques phi- lologiques déjà faites par M. Keil sur les détails de cette inscription. Bornons-nous à signaler à la ligne 8 : 86e6s, mot béotien, pour 660- )6s. Il y a en effet sur le sens du mot 6e)és un passage de Plutarque caractéristique. « Les anciens, dit1l5, se servaient probablement d'éÉeAlouo: de fer ou d’airain comme monnaies. De là vient qu’on donne le nom d'é600f à la petite monnaie. » Kivduvever dé xat rd maurav dpyaior oÙTws Eyes, d6ekGuOIS YpomÉvar vontouaot o10n- pois, évlov d8è Xæuoïs* iQ wv mapayéver los Ëre xat vdr XEP- uoTor 660)oùs xaheïioar. Ce témoignage est confirmé par un autre passage du même auteur. Plutarque® raconte qu'à la mort d'Épa- minondas on ne trouva chez lui qu'un é6ekioxos : Oüdër yàp ofxoc ! Ici Keil hit seulement &Q eiwoktor. 2, Paus: IX, xxvrr, 5. SN, REX. MPa EX ,; xxx1E, 2. 5 Vie. Lysandr, c. xxvr. & Vat. Fab. cap. xxvrr. TeheuryoavTos etoebñvar mr 6e loxor œidnpoÿr Xéyouor. Le mot à6eXiouos dans le sens de petite monnaie ne se rencontrant que dans ces deux passages de Plutarque, on peut en conclure que ce mot était surtout en usage en Béotie. L'é6e)6s, qui avait sans doute plus de valeur que Pééelioxos, était, comme nous le voyons d’après notre inscription, une division de la monnaie usitée à Thespies. OGeXés est done comme 86e /oxos un mot béotien. Stèle brisée en deux morceaux, qui se trouvent dans deux maisons différentes . APFEIOYTPAMMATEYONTOZAMÉIKAE ZZ4Y — 522 — N° 26. du village d’Erimo-Kastro !. TENONOZAPXONTOZATONOOETOYNTOZTO AENYTEPONKAEAINETOYTOYANZIOMEMIMMIERE OETONMOYEONTOAYKPATIAOYE/YHAEINOYA PFOXE RONTEXNLECN HOYKAEAINETOYPYPROPOYNTOZK ZW TOYTOYAAZIOYOINIKHEANTEZTAMZW OIAE FO TA EU PO sOZANOPT BAKXIOZBAKXIOYAOHNAIOZ EAAPTI EYE . HAOAPNOZMEAANOIOYOETTAAOZAMOKIZPIOY KHPYZ= HPOIAHEEOKPATZ4YOHBAIOZ ETONTOIHTHE . MHETOPMHETOPOZHOKAIEYE PAYQIAOZ . ZEOANPOEPTYOINNOZ AOHNAIOZ AYAHTHE lrEPICTENHEZZRKAElAOYKYTIKHINOZ ATVNOMNADOE 2, À PAT ONE PA IMONOr EI A CENTS KTONPEETHE . AFOAADAOTOZAHMEOYAYKIOZEAMTOZ=ZANOOZ KIOAPQOQIAOZ . AHMHTPIOZAMAAQDIOYAIOAEYEATOMYPINHZ 2 ATP IONT'OTATHEZ . APAAAZTIMONOZAOHNAIOZ YPOKPITHEPAAAIAEZMT QIAIAZ . PIAOKPATHEOEORANIOYOHBAIOZ ZTrOKPITHEPTAAAIAZEK OM EM, . HWIKAPXOEHPOAOTOYKOPO MM a seconde partie de cette inscription, à parur de la ligne 11, m'a été com- l D — 523 — Tran scription. ZLévwvos äpyovros, &ywvodetovros Tù deUTEpor KAgavérou Toù Aaclou, mi icpé- -ws Toy Movoüv IloAvxparidou[s E]tBaervoÿ, à- -DÙ dÈ Tv TEYVITU Âpyeioo ypauuaretovros ÂuQix}si[dous Tloù KAewvérov, mupBopoüvros KA[ecuvé]- -TOU TOÙ Aaociou, oi vrxpoavres Tà M[ouceia] oids 9: DOINTYS FPOTOIOU 10. Bdxyros Baxyiou ÀÜmvaïos: 12. oalmio|Tys] 12. .... Saovos Mekavblou OeTTa)ds dd Krepiou: 15. XNQUË | 14. Hpwidms Zwxpär|ous| Oy6aios 19. ÈTUY TOITS 16. Mio7wp Mnolopos Gunatss : 17: paÿwdds 18. [@]s6dwpos Iludéwvos ÀGyvaïos : 19. aÿANTS 20. Ilepryévns []paxAsdou Kudeyvôs Ce aÜAwÔÔS 22. Erodrwr Erpérwvos Etdwvios : 29. xÜapioTns 24. ÂmoXA6doTos Ayuéou Abxios &md Eav0[v|' r xtOapwdds 26. Amuÿrptos Aualwiou Atokeds md Mvupévys : CYR CATUPUY DOLTIS 28. Âpdas Tiuwvos ÀOyvatos: 29. drouprrÿs m'alaias [rpay]|wôias 30. Drloxpärns OecoPaviou Oy6aios 31. [ü]moxprrns mahaias xwu|wôlas] 32. Évapyos Hpod6rou Kopulveus]. dat et à 2 à « Sous l'archontat de Zénon, Cleænetos, fils de Dasios, présidant les ‘jeux pour la seconde fois, Polycratidès, fils d'Euphaeinos, exerçant la prêtrise des Muses et membre de la corporation des artistes; « Argeios, fils d'Amphiclidès, petit-fils de Cleænetos, étant éiee. muniquée par M. Blondel , mon collègue à l'école d'Athènes, qui, dans un voyage postérieur au mien, est parvenu à obtenir des paysans ce que leur mauvaise vo- lonté m'avait refusé. MISS. SCIENT, — 1V. 35 — 524 — et Cleænetos, fils de Dasios pyrphore, les vainqueurs aux concours des Muses ont été les suivants : «Auteur du prosodion, Bacchios, fils de Bacchios, Athénien; joueur de trompette, .:..... fils de Mélanthios, Thessalien de Kiérion; hé- raut, Heroïdès, fils de Socrate, Thébain; poëte épique, Mestor, fils de Mestor, Phocidien; rhapsode, Théodoros, fils de Pythion, Athénien; joueur de flûte, Perigenes, fils d'Héraklidès, de Cyzique; aulède, Stra- | ton, fils de Straton, de Sidon; cithariste, Apollodotos, fils de Deméas, | Lycien de Xanthos; citharède, Demetrios, fils d'Hamaloïos, Æolien de Myrinè; auteur de drames satyriques, Aradas, fils de Timon, Athénien; acteur de l’ancienne tragédie, Philocratès, fils de Théophanios, Thé- bain; acteur de l'ancienne comédie, Évarchos , fils d'Hérodote, de Co- ronée. » Nous avons sous les yeux un catalogue agonistique contenant les noms des vainqueurs aux concours des Mouceïæ, qui se célébraient tous les cinq ans avec éclat près du bois sacré des Muses, dans || l'Hélicon !. On ne connaissait jusqu'alors que deux monuments du même genre, les numéros 1585 et 1586 du Corpus, et encore ces inscriptions appartiennent-elles à l’époque des empereurs, de Sep- time Sévère ou de Caracalla, quand la forme primitive de ces luttes poétiques et musicales s'était nécessairement altérée. Le catalogue que nous publions est antérieur, par sa date, à la conquête romaine; on doit donc y trouver certains détails qui ont disparu dans les mo- numents d'époque postérieure. Ici le nom de l’archonte est le premier, comme dans tous les actes publics de la Grèce. Plus tard, quand les jeux des Muses s’appel- lent ra ueydha Kacapña Sebaolña Mouceïa?, le premier nom est celui de l'agonothète, qui est un Romain; on y retrouve encore les noms du æup@ôpos et du ypauuareus, mai celui du prêtre des Muses a disparu. Les mots dû dé Tv Teyvérev, placés à la suite du nom du prêtre, indiquent que ce dernier personnage faisait partie de las- sociation ou corporation des artistes. Peut-être même Polycratidès. avait-il été élevé par les artistes eux-mêmes à la dignité de prêtre des Muses. H n’est pas sans exemple en effet que des artistes aient ! Plutarch. Amat. p. 748, f : À youoi yèp dydva mevraernpindr, domrep nai Tais Moÿoous xai rà Épor: Qukoripos mdyv nai laurpäs. (Cf. Pansan. IX, xxxt, b.) * Corp. inscr. 1586. LÉ — nommé les magistrats religieux ou civils qui présidaient aux con- cours. Dans une inscription de Téos, qui est un décret de la cor- _poration des artistes dionysiaques de Flonie et de lHellespont !, nous lisons qu'un certain Craton, joueur de flûte, avait été élu par ses confrères prêtre de Dionysos et agonothète, en récompense des services qu'il avait rendus à l'association. Il y a sans doute une dis- tinction à établir entre les artistes dionysiaques attachés au service régulier des théâtres et ceux qui fréquentaient à des intervalles de quatre ou cinq ans les jeux de la Grèce. Mais le texte de notre inscription nous autorise à croire que ceux-ci formaient, comme ceux-là, des sociétés, des corporations. Si cette idée est exacte, il suit que la corporation dont il est question devait avoir son centre en Béotie. Les théâtres de Thèbes, de Thespies, etc. les concours musicaux, plus nombreux en cette . province qu'en aucune autre, pouvaient suffire à leur activité. C'est ce que confirme d’ailleurs la comparaison de notre catalogue avec un catalogue des Charitesia d'Orchomène, où se retrouvent les noms de quatre des vainqueurs cités 1c1. Corp. inscr. 1383 : Lignes 9-10 : moeitas Mÿo7wo Molopos Donaeus. Lignes 14-15 : aÿAeiras Ilepryéveis HoaxAdao Kougmmyvôs. Lignes 19-20 : x@aoû Fudos Aaudrpios Apakwiw ÂÀ1okeds dm Moupivas. Lignes 25-26 : ra émiviuia xwuaFudos Ebapyos Eipoddrw Kopwyeus. Cette comparaison nous fournit en même temps la date des deux documents. Celui d'Orchomène est écrit en dialecte béotien ; celui de Thespies en langue vulgaire. Ils sont cependant à peu près de la même époque, puisque les mêmes artistes y figurent. Or le dialecte ne disparait des actes publics de Thespies que vers la 135° olympiade ; il persiste à Orchomène jusque vers la 145°. C’est dans cet intervalle de dix olympiades que se place la date des deux catalogues. Les exercices litéraires et musicaux énumérés ici sont déjà connus par d'autres inscriptions. Il nous suffira de faire quelques observa- tions grammaticales de détail. Ligne 2. — Adoios appartient à la catégorie des noms propres ! Corp. inscr. 3067, 3068. — 526 — adjectifs. Suidas l'explique par à daous. Je ne sais pourquoi le commentateur Küster propose de lire Adozos, car Ada1os se trouve à son ordre et à son rang dans le lexique de Suidas. La leçon déovos me paraît certaine, car la forme À est très-nette sur le marbre aux lignes 2 et 7 de notre inscription. Il est vrai que Adozos est très- rare comme nom propre; on le trouve cependant deux fois dans Appien ! appliqué à deux personnages d’origine grecque, l'un d’Ar- gyrippa en Daunie, l'autre de Salapia en Apulie. Adozos est devenu un cognomen romain ?. Ligne 3. — EiQaervod. EÿOans et Daesvôs étaient seuls connus. Le diminutif EÿGaewos est nouveau. Ligne 12. — abapvos. Il est bien difficile de trouver dans ce mot un nom propre grec; peut-être faut-il lire micbapvos. Kréouor, n'est autre que l'antique Arné de Thessalie, parente de l’Arné béo- tienneÿ. Cette ville nous est connue par les monnaies et par plu- sieurs inscriptions *, Ligne 28. — ÀÂpddus est un nom propre nouveau. Il appartient à la catégorie des noms formée d’un verbe et d’un suffixe &s. Le verbe ici est âpad-év. De même du verbe dkeÿw le nom propre À Xevas, de Boiw, Bpüas, etc. N° 27 Au village d'Erimo-Kastro. — Sur une stèle qui était un Hermès. (On voit encore à la partie supérieure l'extrémité des mèches de cheveux.) Au-dessous de l'ins- cription et au milieu de la stèle est représenté un phallus. ORRIMA DA Obééda ANEOEKZ . dvéOmu[a] TOZHERMA rô [:] Épu. Peut-être faut-il considérer le mot Opprudda comme un accusatif d'un substantif nouveau, Oppuds , ddos, qui dériverait du subs- tantif ô6p0os, dont le sens est obscène. Cette supposition est au moins d'accord avec la représentation du phallus et la religion d'Hermès. 1 De bell. Anntb. 31, 2; 45. ? M. Postumius Dasius, Inscr. ap. Gruter. 986, 1 2. 3 Steph. Byz. v° À pyn. # Lebas, Inscr. gr. n° 1187; 1189, 1. 5,1. 14. N° 28. Au village d'Erimo-Kastro. Sur une stèle brisée par le haut. KA MINI Fe MOT DR Une YNTATEPAIAIT TZ [œ]uyarépa DrAirr|ar| APTEMIAIEIAEIOYIA Âprépudr EiletOuie. Un père et une mère consacrent leur fille, mariée probablement, à Artémis Ilithya. Les exemples de ces consécrations aux divinités sont fréquents. | N° 29. A l'église du monastère d'Evangelistria, dans l'Hélicon. EZTHPIKAIKTISTHI Xl wlrioe xai xTioTm AYTOKPATOPIAAPIANAI adroxpäaropt À dprdver OAYMPIAI Oluprriqoi MPEPTHETANAYTOKPAT ÜTEO TŸS TOY AÜTOXDAT- OPANNIKHEKAIY ZX -0 por vixys nai dy[1eias]. Ce marbre ne provient probablement pas des ruines de Thes- pies, situées à cinq heures de là, mais plutôt de celles d'Haliarte ou du dème d'Îrréræ, que Plutarque place entre Thespies et Coronée. On ne trouve dans cette inscription que les épithètes ordinairement appliquées à Adrien. N° 50. Aux ruines de l'église d'Hag. Georgios, à deux kilomètres de Néochor près du chemin de Thespies. Marbre incomplet sur le côté gauche. 1. NINON IOYAIANAOMNANCEBACTHZZ 2, MIOY FYNAIKAAYTOKPATOPOC 3. AKOC ACENTIMIOYCEBHPOY A. NIKOY FMEPTINAKOCAPABIKOYAAZ 2. TOPOC BHNIKOYKAIMHTEPAMAPKOZ 6. AYPHAIOYANTWUNINOYKAICAPOZ — 1. [M. Âvpÿlion Âvrwl]rivor louAlar Aôuvar Xe6aoTy[»] 2. Kaioapa vidr À. Xentijuiovu yuvaïna adroxpéropos 3. [Ze6yoov Iepriv|auos A. Zenliuiou Xe6rpou A. [Âpa&ixoÿ ÂdiaBy|vexoë eprivaxos À pa&toÿ À da] 5. [aÿroxpd|ropos. 2 Bnvenod nai unrépa [Mdpxov] 6. Avoyiou ÀÂvTovivou Kaicapols|. Cette inscription, en l'honneur de Caracalla et de sa mère Julia Domna, n'offre rien de nouveau !. NYSE Les trois inscriptions qui suivent appartiennent à une nécropole récemment découverte, à l’ouest de l'emplacement de Thespies, près des bords de la rivière que les Grecs modernes appellent Ka- navari (Vancien Thespios). Les fouilles commencées ont été aban- données par les paysans, parce qu'ils n'ont pas trouvé dans ces tombeaux les objets précieux qu'ils espéraient y rencontrer. Les monuments qui sont sortis de ces fouilles sont : 1° un marbre funèbre représentant, en demi-relief et de grandeur naturelle, une femme assise et un enfant qui lui tend les bras; 2° un fronton d'ordre dorique en terre cuite, qui faisait évidemment partie d’un tombeau ou héroon en forme de temple. Ce morceau est d’un assez beau travail. L’habileté des Thespiens dans l'art céramique est en core attestée aujourd'hui par le grand nombre de vases et de sta- tuettes que les paysans trouvent chaque année dans le vallon de Fhespies. Sur une stèle, sans bas-relief. ETTI Eri MAPKQIAEKMOY Mäprwt Aëxprou VON viol. Tombeau de Marcos, fils de Decimos. : On sait que Aéxuos est une abréviation de Aéuyos, qui traduit le nom romain Decimus. On remarquera aussi, à la suite du nom du père, le mot vi&, qui se rencontre ici pour la première fois sur les monuments funèbres de Béotie et qui, si Je ne me trompe, est rare partout. L'inscription est tracée avec négligence. Les noms romains et le 1 CE Corp. inscr. n° 1075, 1618, 1619, etc. — 529 — caractère des lettres permettent de rapporter cette inscription au premier siècle de l'ère chrétienne. N° 32. Nécropole de Thespies; au même endroit que la précédente. Inscriptions gravées sur un bas-relief funèbre, représentant une femme et un enfant. Au-dessus de la pierre et à gauche de la figure de la femme on lit : ZOrTYPA Zomdpa. Plus bas, en lettres martelées. ErI ÉTi DPA=E IpaËc. N° 55. Au même endroit. Sur une stèle surmontée d’un acrotère. ErI Éri EPFIKTH£EIAI Érixryoid EPTITEAOYSE . Émrédous FYNAIKIAE yuvaxi dE £QTHPIXZY Zwrypiy|[olv. Tombeau d'Epictésis, fille d'Epitelès et femme de Sotérichos. Cette épitaphe est remarquable. Ordinairement en effet, sur les monuments funèbres de Béotie, le nom de la femme est indiqué seul ou accompagné du nom du père; les marbres ne portent ja- mais à la fois le nom du père et celui du mari. La formule yuvaœrxi dé est nouvelle en Béotie et rare partout !. Nous en trouvons plus loin un second exemple dans une inscription funèbre qui provient également du canton de Thespies. N°04. Sur une pierre sépulcrale, dans une maison du village d'Érimo-Kastro. AQPIMAXE Awpiuaye XAIPE xa0e. Dorimaque, adieu. L'orthographe du mot Awpéuayos est à remarquer. On la trou- ! On la rencontre dans deux inscriptions thessaliennes, (Corp. inscr. 1779 , 1789.) — 530 — vait déjà dans une inscription de Théra !. On lit également Awpi- x)60s au lieu de Aopéxleos sur un marbre de l’île de Lissa?. Dans les deux cas, Bæœckh observe qu'il faut lire un 0 à la place de l'w. La correction de Bœckh repose sur une défiance très-naturelle à l'égard des copies dont il s’est servi. Mais, comme l’inscription que nous publions est très-nette, et comme la lecture en est certaine, pourquoi ne pas maintenir au nom propre Awptuayos l'orthographe qu’il a sur la pierre? L’w ne remplace-til pas quelquefois la diph- thongue ov dans le dialecte dorien? Si Aopéuayos vient du mot dopy, pourquoi Awpiuayos ou Aovpiuayos ne dériveraitil pas du subs- tantif Joupés ou doupé, très-usité dans la langue poétique? Nous pro- posons donc de conserver l’w, quand on le rencontre, dans les noms propres Awotuayos et AwprxXñs, N° 35, Sur une pierre sépulcrale, dans une maison. EYbPOSYNE EtGpoouve XPHEME xpnoTÈ XAIPE Xaipe. uphrosinos, homme excellent, adieu. N°96: Dans ne maison. OZ ..0S NIKHEAZEMOYEAIZ vuuyoas Movouis. Consécration aux Muses par un vainqueur aux concours de l'Hé- licon. NS 7 Au village de Vaïa, près de Thespies. — Au-dessus d’un bas-relief funèbre, encasiré dans le mur de l'église d'Hag. Trias. ENINMAPAMONQ] ETINPOZAOKIMAQ RTE / sn 7 Eri Ilapauwve Eri Ioocdoxiuo. Tombeau de Paramonos et de Prosdokimos. Les deux personnages dont il est question ici sont sans doute le père et le fils, car le bas-relief représente un homme et un enfant. ! Corp. inscr, n° 2458. 3 Ibid. n° 1835. — 531 — Ilapouovos est un nom propre fréquent sur les monuments épi- graphiques de Béotie !. Nous maintenons l'orthographe Tapanare qui est sur la pierre, u@vos pour pôvos étant une forme dorienne, et peut-être béotienne aussi. Remarquons les deux formes épigra- phiques simultanées de le: E et €. N°38. Au village de Kaskavéli, sur un marbre provenant de la nécropole de Thespies. RON RQ N Le nom propre I45Gpœr est un nom nouveau dont s'enrichira la prochaine édition du Lexique de Pape. N° 39. Au même endroit. Même provenance. PPOYNIZKOZ Doouricxos est une forme béotienne pour Dpuricxos, nom propre connu. N° 40. Au même endroit. Même provenance. ArOorLO DoPoz Âmo\)6dw00s. N° 41. Au même endroit. Même provenance. |bELISTA [Ô]GEX io Ta ? N° 42. Au village de Néochori. — Sur une stèle provenant des ruines de l’église d'Hag. Georgios , située à deux kilomètres de Neochori, à droite du chemin qui vient de Thespies. | Er! Emi MENANAPOIAOPKYAOY Mevavdow Aopxü}o KAI xœi TIMOZENAOAYMMIXOY TipoËéva OAvuriyou FYNAIKIAE yuvarni dE AOANIOYTOYEY=ENOY ÀGaviou roù Et£évov. Tombeau de Ménandros, fils de Dorkylos; et de Timoxéna, fille d'Olympichos , et femme d’Athanios, fils d'Euxenos. 1 Voy. l'Onomatol. de Keïl. — 532 — Voici un nouvel exemple de la formule émi... yuvœxt dé sur les monuments funèbres de Béotie !. Cette épitaphe a en outre ceci de remarquable qu’elle réunit deux personnages dont les liens de pa- renté ne sont point indiqués. Quels rapports avaient uni pendant leur vie Ménandros et Timoxéna, c'est ce qu’on ne saurait deviner d’après le texte de l'inscription. | AGpxvhos est un nom nouveau. N° 45. Au même endroit, Même provenance. Sur une stèle, avec rosace. PISTIE Ilo7is XAIPE XAIPE. Pistis, adieu. - N° 44. Au village de Palæo-Panagia. Même provenance. Au-dessus d’un bas-relief grossier qui représente un cavalier. eni EIPANO ET: Eipdve. Tombeau d’Iranos. Le nom propre Eipdvos est nouveau. On rencontre seulement ‘dans le Lexique de Pape la forme féminine Eipdva. N°5: Au village de Palæo-Panagia. Sur une stèle représentant un cavalier. ATAGFIOAIXAIPO Àyadomoû yaipeo. On remarquera, dans cette inscription de basse époque, l'emploi inaccoutumé du verbe yaitpw dans le sens de XOUPETIC&, au lieu de la formule ordinaire : yæioe. MINT 46% Aux ruines dites Episcopi, entre Palæo-Panagia et Ascra. Sur un marbre funèbre, enI Éri IEY=INNG LevËirrw 1 Voy, plus haut, n° 33. — 533 — | N° 47. Dans les ruines de l'église d'Hag. Christos, près d'Ascra. WWAËEMEINQ [Emi] loucivé Iouervos est une forme dialectique pour Icunvés, mot qui appar- tient en propre à l’onomatologie béotienne. On sait en effet que l’Isménos est une rivière thébaine. VII INSCRIPTIONS DE L’HIÉRON DES MUSES DANS L’'HÉLICON 1. N° 48. Dans les ruines de l’église d'Hag. Trias. 8 8 KOINONMATNHTONENAHMATPIAAI TPIZ3HPAKAEIAENOHBAIZTETPAKIZENXAA KIAIAEIBIAHATPIZKAIZAPHAENTANAMPATPIZ ÉORMONGEEZSANOGNENNAAPELMBAAIZEPOTI AHATPIZ xouwdy Mayvyÿrwv év Ayuyrpiéd Tps, Hpdxca év Oyais rerpdus, év Xa)- -xidr AcGidma rois, Kaiodpma èv Tavdypa Tois, notwdr OeooaÀür év Aapeloy dis, Épori- Ôna Trois. Nous n'avons sous les yeux que la seconde partie d’une inscrip- tion destinée à rappeler une consécration faite aux Muses par un ar- tiste ou par un athlète vainqueur dans différents jeux de la Grèce. La première partie renfermait sans doute une formule analogue à celle-ci : 6 deïva dvéfnxe tais Moÿoas vixnoas... et l'inscription peut se traduire ainsi : Un tel a consacré ce monument aux Muses, après avoir été vainqueur trois fois a la panégyrie des Magnètes dans la ville de Démétrias, quatre fois aux Heracleia de Thèbes, trois fois aux Lividia de Chalcis, trois fois aux Cæsarea de Tanagre, deux fois à la panégyrie des Thessaliens dans la ville de Larisse, deux fois aux Erotidia. Le seul de ces concours qui nous soit bien connu est celui des ! Sur les fouilles d’où proviennent ces inscriptions, voir notre Notice sur les ruines de l'hiéron des Muses , dans les Archives des Missions, t. IV, p. 169. — 534 — Erotidia, qui se célébraient tous les cinq ans à Thespies *. D'apres Pausanias?, c'était un concours à la fois 2 ag | ne et musical : Ayovor dè xai Ti É part , 40)a où uovornÿs môvor &\)1à nat dOn- tas Tuévres. Il reste donc incertain si le consécrateur de ce monu- ment était un artiste ou un athlète, Bien que cette inscription pro- vienne du sanctuaire des Muses, il ne faudrait pas s'étonner qu’un athlète ait songé à y élever un monument commémoratif de ses victoires. Le concours des Erotidia semble en effet s’être confondu à une certaine époque avec celui des Movoeïa, de même que le culte d’Eros était associé avec celui des Muses dans l’Hélicon *. On connait d’ailleurs les liens qui unissent la religion des Muses avec les cultes d'Hermès et d'Héraclès, considérés comme divinités ago- nistiques *. Les expressions xouw0» Mayvyrewr, xoëwdr Oecoakdr désignent une de ces grandes réunions ou panégyries où s’est complu le peuple grec aux différentes périodes de son existence. Les mêmes expres- sions se rencontrent Heu dans les catalogues agonistiques d'Asie Mineure : xoiwov Zupias év Avrioxela, xotvdv Kiuxias TapohS; nouwa Âclas êv DrhadeQeia, nouvdv Berduvias &v Nexo- undeta 5, etc. Le concours des Hodxkera empruntait son nom au dieu prin- cipal et æpôuayos de Thèbes. À une certaine époque cette fête prit le nom de foXdia. Les vainqueurs cles jeux recevaient des couronnes de myrte ? Les Aer6idna de Chalcis ne nous étaient connus jusqu’à présent ni par les textes ni par les inscriptions. Ce furent probablement des jeux institués en l'honneur de Livie$. De même, à Tanagre, les Kaodpna, qui remplacèrent peut-être les jeux en l'honneur de Jupiter cités dans une inscription du Corpus ?. Plus tard, cette ha- ! Plut. Amat. p. 748 f. 2 IX, xxxr, b. 3 Plut. Amat. À yovoi yûp dy@va mevrTaernpinov, donep nai Tais Movoous xai To Épur.. # Corp. inscr. 2214, 3059, 1. 22: 5 Ibid. 2810. 5 Ibid, 3428. 7 Schol. Pind. Isthm. IV : Mupoivns oTeQavors êv OnGais oTeQavodvyra oi vuxdv- res Tà lodia. $ En grec AelGra. L': long est souvent exprimé par Er: Âvtoveivos, Teiros (Corp. imscr. 189, 190). N°1582 : KpuË muñous xaov dy@va Atos. Fu — 9939 — bitude de donner aux fêtes et aux Jeux le nom des empereurs devint générale. Les À Spudvera se célébraient à la fois à Athènes! et à Ephèse?; les Toaïdvesæ à Pergame*. L'adulation grecque alla si loin, qu'à Ephèse l’une de ces fêtes porta le nom d’un astrologue de Vespasien, Barbillos *. ' N° 49. Au même endroit. Lettres très-frustes. OAHMOZSPTOMTAIONSEZ=TION KAAZZINON MOYEAMIS à duos Homatov SéÉriov KaA......9 Motoous. La base où est gravée cette inscription était celle d’une statue élevée par les Thespiens dans le sanctuaire des Muses en l'honneur d'un personnage romain, Publius Sextius..... qui leur avait sans doute rendu d'importants services. Les inscriptions nous offrent des exemples fréquents de ces statues élevées dans une enceinte sa- crée, et pour ainsi dire consacrées aux divinités. N° 50. Au même endroit. ZAHMOYEOEE | IZX4 EQONAYTOKPATOPA KAIZEAPAOEOYYIONTON ZOTHPAKAIEYEPTETHAN MOYZAIZ [0] duos soi] ÉwY aÜTOXPATOPA Kaicapa Seoù vidr TÜv CWTÿoN HA EUEPYÉTNV Movouis lette inscription était gravée sur la base d’une statue d’Auguste. | Corp. inscr. 248 , 283. 2 Ibid. 2810, 3428. 3 Ibid. 3428. 4 Ibid. 2810, 3675 : Bap6taana. CF. Dio Cassius, LxVI, 9. — 536 — La qualification de Seoù viôs qui lui est appliquée ici se rencontre plusieurs fois sur les monuments épigraphiques !. Jules César lui- même est qualifié de Sreés er dans une ist du Corpus? : Ô duos Tor KapÜaréwv To Sedv xai abroxpdropa rai owripa Ths oixouuévns T'éio lofksor Kaicapa. On sait que le titre de dieu fut décerné à César après la bataille de Munda. Li NOÉ: y Au même endroit. Sur une grande base rectangulaire. (O) = | HZHNOZAIITONAETOAYMNIANEKTAPOZZTMON MEMT.O THNO ZIANTAT PITINOYEAXAPHN (S] E A H Zmvds Au rovds [loAduria véuxrapos [d]rudr éurew, Tv doimr marpi Tivouoa ydpuv. lille de Jupiter, Polymnie, j'envoie à Jupiter ce parfum de nectar pour m'acquitter envers mon père de mon devoir sacré. Ce distique était gravé sur la base d’une statue de Polymnie. L'expression Tévde véxtapos drTu6r semble indiquer que l'artiste avait donné à Polymnie l'attitude d’une personne qui offre une libation. Cette Muse était ordinairement représentée dans une at- titude silencieuse et méditative, comme nous lapprend une épi- gramne de lAnthologte *. Zryd Goeyyouéry malus SeXËiGpova makpdr vebuar: Govpeooav dmayyéAÀovOa o1wmYY. On remarquera la forme inaccoutumée Se/ pour Se0f, forme qui s'explique par la prononciation identique à une certaine époque de la diphthongue os et de l’iota; et la forme ionienne ôœiyr pour OT Ia. ! CF. Corp. inscr. 2087, 2325. ? N° 2360. 3 Éd. Jacobs. 1x, 505. — 537 — N°: 52. Au même endroit. Sur une base. Le côté droit est incomplet. TEPFINOPA E E Z1ESOZTEPYIXOPHIBPOMIQIAETP EXZZXZ“"4%z WW, THIMENINENOEOZHTOIAINATE PT NZ" EAU Ÿ Teplry0pa é[uynr] e[déduevos]? Klioods Tep1y607 Bpouiw d mpos[rdes äyakua ?] Tÿ pèv iv évbeos n, T@ d lva répmvla Gépon ?] oTov. Cette inscription n'est pas sans difficulté. Nous ne proposons que sous toutes réserves la formule : eyn» eÉduEvos OU EUXNV ÉTOINDE pour expliquer le sigle E E qui ne se rencontre qu'une fois, à notre connaissance, sur une inscription grecque d'époque romaine. Dans cette hypothèse, l'inscription est incomplète, et, avant la première ligne, il faut suppléer à deïva dvéônxe. Quant aux lettres clou de la cinquième ligne, il n’y faut pas chercher la fin d'un mot dont il n’y a pas trace sur le marbre, mais un sigle dont nous ne trouvons point d'explication probable. Le distique peut se traduire ainsi : Le lierre est un ornement qui convient et à Terpsichore et à Bro- mios; à l'une pour qu'elle soit inspirée, à l’autre pour qu'il soit animé d'une douce joie. = Cette inscription est intéressante en ce qu'elle confirme les rap- ports déja connus du culte des Muses avec celui de Bacchus ?. Dionysos eXrôueros était le dieu de l'enthousiasme inspiré, par conséquent le chef et le conducteur des Muses, rôle que remplit plus souvent Apollon. Sa statue, œuvre célèbre de Myron, était placée dans l’'Hélicon, à côté de celles des Muses *. | € E — eüynv éroince in Ti. Rom. ap. Marin. Act. Frat. Arv. If, p- 972; cf. Franz, Élém. épigr. gr. p. 335. 2 Cf Plut. Symp. ILE, 4, 8; VIT, proœm. Diodor. IV, p. 148 , d. 3 Pausan. IX, xxx, 1. — 538 — Quant au lierre, c'est la plante particulièrement consacrée à Dionysos; elle était considérée comme tempérant chez le dieu la chaleur du vin et modérant en lui les fureurs de l'ivresse, ce qui explique les expressions {va Téprva @éon de notre inscription. De même qu’Apollon est ordinairement couronné de laurier, Dionysos est couronné de lierre, d’où les épithètes de x:ioooyairns et xioco- x0ouns qui lui sont souvent appliquées. Le lierre était également doué d’une propriété inspiratrice : t» &v0eos à. Sur plusieurs monuments antiques, les Muses ont des feuilles de lierre dans la chevelure !, Les poëtes et Apollon lui- même se couronnaient de lierre ?. N° 53. Dans les ruines de l’église d'Hag. Catherina. Stèle incomplète sur le côté gauche. ANAETHEANTAKOAPATON HNTHPAIKAIKAMAT NW AMEIBOMENOC#IAOTHTOC POIMNHMAAPETHÉEAIKIWN ZA NOYTOYAICTYMNA OECPIAAOY Les quatre premières lignes formaient deux distiques qu'on peut restituer de la manière suivante * : [rôv réuevos T00e mp6oÛer] dvaolñoavra Kodpäror [Moïp’ édduaooe Àligv ynpaï xai xaudra: [adrd dè mp6Gpwr nai] duebôuevos GuAdTrnTos [évooas is] pot pv àperÿs Emo. Le À de la cinquième ligne suppose un Ÿ sur le côté gauche de la pierre et la formule W{n@iouar:] Almuov]. | Quant aux deux dernières lignes, elles contenaient peut-être le nom du magistrat éponyme, de l’archonte, ou plutôt du prêtre, ! Elit. Céramog. IE, pl. 70, etc. Æsch. ap. Macrob. 1, xvux, 6 : Ô xuoceds ÂrdAdwy», 6 Baxyeîos, à pdvyris. — Hom. Hymn. xxv1, 9 : Kiooëÿ nai ddQun menvaaouévos. * Cette restitution m'est suggérée et proposée sous toute réserve par M. Egger. — 539 — puisqu'il s'agit d’un monument élevé dans une enceinte sacrée. Je lirais donc : [èmi iepéws Eÿboi]vou roù dis yupva- [-ciapynoavros] Osoriddou. Cette inscription est la dédicace d’un monument (statue ou her- mès) élevé en l'honneur d’un certain Quadratus par son ami Hé- licon. L'érection de ce monument avait dü être autorisée par un décret du peuple, bien qu'un particulier en eût seul supporté les frais. De même, à Athènes, à l'époque des empereurs, les citoyens qui voulaient dédier des statues ou des monuments à leurs parents et à leurs amis avaient besoin d'y être autorisés par l'aréopage ou par le sénat des Cinq-Cents ou par le peuple !. Le nom propre grécisé Quadratus aussi bien que les caracteres épigraphiques ? annoncent l’époque des empereurs. Cette inscrip- tion d’ailleurs n'a pas grande importance parmi les nombreux do- cuments du même genre que nous offrent les ruines des villes grecques. ! Corp. inscr. 379, 395 , 4o2, 2586, 2443, etc. | ? On remarquera que le sigma est rendu dans la première partie de l’inscrip- tion par L, et dans la seconde par C. C’est un fait qui se présente quelquefois sur les monuments épigraphiques. Il n’y a pas là une raison suffisante pour croire que la seconde partie de l'inscription soit d’une époque postérieure à la première. MI1SS, SCIENT. —— 1Ÿ. 36 INDEX DES MOTS ET DES FORMES LES PLUS REMARQUABLES. Numéros * des inscriptions. Lig GCuÉDAS 1. 4 …. AE SE RE Mr 6 OALIDOVTES. . . ... entend ARR et TN AGGIDES QU: US AREA EN RL ELA 26 AOPATES IR MUR RTE RL Le ME ES 3 AODHUROE OU. Fe rc dt cr le M 0 42 Awpiuayos. ..... RL Ed pr LRO 3/4 HFPODOS PEN, PONT CREER JE ULR FUN 2 TA ÉTAPAOROQE DL EN EN DR RE A 2 6 EdGasivôs, ou .......... Léa te RBe D 'ÉMEMÉRCRRRES 26 éCériecin, inhinitif, 010 DRES MR OTESR CERN Pr 1 1 I90Ppwr. . .... PME Ke GR RON, BRAS Jane RS À - 38 Kdpdapa, as..... doll ah Av ab ira md dns Dhs PR RE 3 6- KaooTodauos........ Mers à. 0 Mod ns à 24 HOATADOUAUT 16 1, ANHBILU. . 2.0. An. 1-2 11-1 HATOMITEUUPTEP. 0, CR TR NME NE ITR L l Never PU DE RL TTTRN AREAS ca À nt: 16 Aeiblôma. 2... AT Ne A RPM AE JE SO E A8 Niovu, &s . LAN RE der HR TR HER ce 2 10O-1 ÊGLAGS p. HÉ0A GS. me EE ER EURE EEE 2 OTOTEIPE EE ER NRC ENTER LR 7 OppuAGS ADO AD)S JÉLRE ere LRU EREE TT HouO ESS U0S CR RD OU NE NE . 1 ZEIpie ADO EE RTE AE Ce M SS 16 Zod6paË, anos...... MAR PA RE RE AU 1 FUAÉTED. te Le Ne Ed DR Ep LE cc RER ; 1 Trpbb0r be CE RE RAR és LEE h RAPPORT SUR UNE MISSION EN ITALIE, DANS LES ALPES ET EN GRÈCE, CGONGERNANT L’ÉTUDE DE PLUSIEURS QUESTIONS DE PHYSIQUE CÉLESTE, PAR M. JANSSEN. Monsieur le Ministre, Vous avez bien voulu me confier, à diverses reprises, des muis- sions scientifiques en Italie, aux Alpes, en Grèce. Ces missions avaient pour but d'étudier sous un ciel favorable plusieurs ques- tions de physique céleste que les récents progrès de la science per- mettaient d'aborder avec succès. J'ai l'honneur de vous adresser un rapport général sur ces études. Ce rapport se divise en plusieurs parties. Dans la première, je rends compte à Votre Excellence du ré- sultat de mes observations à Rome (1862-1863). Ces observations m'ont conduit à définir le rôle de notre atmosphère dans la cons- titution des spectres solaire et stellaires. Ils forment la base et le point de départ de mes recherches ultérièures sur la composition des atmosphères planétaires. Cette première partie contient aussi l'analyse d’une observation faite pendant le même voyage, et qui m'a conduit à admettre la présence de sodium dans l'atmosphère d’une étoile de la constel- lation d'Orion. Ce résultat constituait alors un des premiers faits tendant à démontrer l'unité des éléments matériels du système du monde. Il a depuis été confirmé par MM. Miller et Huggins. 36. — 942 — La seconde partie de ce rapport est relative au voyage dans les Alpes (automne de 1864). Les travaux exécutés pendant ce voyage forment la suite et le développement de ceux d'Italie. L'action d'absorption élective de notre atmosphère, établie et définie par mes études à Paris et à Rome, avait donné lieu anté- rieurement à de longues controverses parmi les physiciens et les astronomes ; 1l était donc nécessaire d'en donner les preuves les plus décisives. C’est ainsi que j'ai été conduit à l'analyse de la lu- mière solaire sur le sommet d’une haute montagne {le Faulhorn), analyse qui a montré, conformément aux prévisions de la théorie, que les phénomènes d'absorption élective diminuent à mesure que l'observateur s'élève dans l'atmosphère. Mais le résultat le plus important de ce voyage est celui qui a été fourni par l'expérience directe exécutée sur le lac de Genève (octobre 1864), expérience qui a donné la démonstration directe et définitive du pouvoir d'absorption qui nous occupe. Après l'étude des effets de l'atmosphère considérée dans son en- semble, il restait à faire la part des divers éléments qui la cons- tituent; c’est le sujet de la troisième partie de ce rapport. J’y expose comment les observations conduisent à attribuer la majeure partie du phénomène à la vapeur d’eau répandue dans latmos- phère, et, par suite, comment j'ai été amené à la découverte du spectre de cette vapeur, découverte qui me permit ensuite de chercher la présence de cet élément si important dans les atmos- phères planétaires. Cette dernière recherche a été faite au sommet de l’Etna et continuée aux observatoires de Palerme et de Marseille. Mais, avant de commencer l'analyse de ces divers travaux, per- mettez-moi, Monsieur le Ministre, de présenter ici quelques con- sidérations générales sur l'analyse spectrale, son origine, son but et les découvertes dont la science lui était redevable au moment où j'ai commencé ce travail; ces considérations me paraissent former une introduction nécessaire à des études très-spéciales, et qui reposent sur des notions encore peu répandues, Agréez, Monsieur le Ministre, l'hommage de mes sentiments respectueux. JANSSEN. INTRODUCTION. Une nouvelle méthode de recherche, fondée sur l'analyse de la lumière, vient de se constituer définitivement. L'emploi de cette méthode est appelé à produire une véritable révolution dans le système de nos connaissances astronomiques, physiques et chi- miques. _ On sait que l'astronomie est basée en dernière analyse sur la connaissance de la position des astres, que la lumière seule nous révèle. Sur ces données, les astronomes ont édifié la science du ciel. Or, ne semblait-il pas que, lorsque l'intelligence humaine s'était élevée jusqu'à la connaissance des masses, des distances res- pectives, et surtout jusqu'à la loi générale qui préside aux mou- vements de ces corps si prodigieusement éloignés de nous, ne semblait-1l pas, dis-je, qu'elle était arrivée au dernier terme qu'il lui fût donné d'atteindre. Et cependant, voici que les nouvelles découvertes sur la lumière viennent nous instruire encore sur la nature intime des astres, sur leur constitution physique, sur la composition de leurs atmosphères, sur leur température propre, etc. En un mot, à l’ancienne astronomie, qui ne consistait à pro- prement parler, qu'en une mécanique des cieux, vient s'ajouter tout à coup une science nouvelle; la physique céleste. Et l’astro- nomie ne sera pas la seule à recevoir une grande impulsion de ces découvertes sur la lumière ; la chimie lui doit déjà une mé- thode simple et pratique d'analyse, et la découverte de plusieurs métaux; la physique, la physiologie lui sont également redevables d'importants progrès qui seront sans doute bientôt dépassés par les services que ces sciences sont en droit d'en attendre. La nouvelle méthode se nomme l'analyse spectrale; elle à pour but de nous faire connaître la nature chimique et physique des corps par l'analyse de la lumière qui en émane, Voici comment : Considérons la flamme d’une lumière artificielle, par exemple celle d’un bec de gaz. La lumière de cette flamme reçue sur une feuille de papier blanc la fera paraître sous cette couleur. A cause de cette circonstance, on dit que la lumière émise par la flamme , est de la lumière blanche. Mais forçons une portion de cette lumière à traverser un prisme Fr formé d’une substance pure et transparente. La lumière blanche sera décomposée ; reçue maintenant sur la feuille de papier, elle y produira une image colorée où l’on remarquera la succession des couleurs rouge, jaune, vert, bleu, violet, avec des nuances inter- médiaires plus ou moins accusées suivant les cas. Or, cette image est dite l’image prismatique ou le spectre de la flamme; elle ré- sulte de la séparation par le prisme, des divers rayons dont la lu- mière était formée. Réunis, tous ces rayons donnent la sensation de la lumière blanche; séparés, ils donnent individuellement les sensations spéciales de couleur que chacun d’eux comporte. Supposons maintenant qu'on introduise une petite quantité d'un sel de soude dans cette flamme; celle-ci prendra aussitôt un aspect plus jaune, et son image prismatique présentera une modi- fication très-remarquable. On verra dans la région du jaune une portion tres-limitée, mais très-brillante; le spectre aura reçu en ce point un accroissement considérable de lumière. Avec un sel de lithine, l'accroissement se serait produit dans une portion déterminée de la région rouge: un sel de cuivre eût donné des renforcements dans le vert, etc. Or, ces accroissements de lumière se reproduisent constamment avec les mêmes caractères, dans les mêmes circonstances: leur situation dans le spectre est fixe et déterminée pour une même substance portée aux mêmes températures. Au contraire, deux substances différentes produisent toujours des accroissements lumi- neux situés différemment. On peut donc conclure, de l'existence de ces régions brillantes dans l’image prismatique d’une flamme, à la présence dans cette flamme, des corps qui leur donnent naïs- sance. | Tel est le principe de l’analyse spectrale. Dès le début de ces études, on avait entrevu des rapports entre la constitution des spectres des flammes et la nature des corps qui y sont en ignition. John Herschel (1822), Talbot (1836), Miller (1845) firent les premiers travaux dans celte direction. En 1835, M. Wheatstone, en étudiant les spectres des métaux volatilisés dans létincelle électrique, montre la variation des spectres obtenus avec la nature des métaux employés. Masson, en France, parvenait à des résultats analogues, M. Foucault en 18/49 signalait le fait si important de l'absorption par Parc voltaique des rayons solaires appartenant à la raie D. — 945 — On doit encore à MM. Angstrôm, Swan, et surtout à M. Plücker, d'importantes études sur ce sujet. Cependant , tous ces résultats, malgré ce qu'ils présentaient de remarquable, n'avaient pas encore constitué l'analyse spectrale en méthode de recherche générale et pratique; c'est ce que surent faire MM. Kirchhoff et Bunsen, et leurs travaux (1839 à 1862) firent alors une grande sensation. Dans les mains des deux savants d’Heidelberg, l'analyse spec- trale révéla aussitôt son admirable puissance. À peine était-elle constituée, qu'elle procurait la découverte de deux métaux nou- veaux, le cœsium et le rhubidium, et permettait d’assigner la composition de l'atmosphère du soleil, malgré l'énorme distance qui nous sépare de cet astre. Ces grands résultats devaient être bientôt dépassés. Du soleil, on passait aux étoiles, et l'analyse de leur lumière montra que les corps simples que nous rencontrons sur notre terre, comme dernier terme de nos analyses, se retrouvent dans la plupart d'entre elles. C'était la démonstration d’un grand principe : l'unité de com- position des éléments matériels du monde. Des étoiles, on s'élança jusqu'aux nébuleuses, et là encore , on acquit de précieuses notions sur la constitution mystérieuse de ces astres si éloignés. L'Allemagne a donc la gloire d’avoir constitué l'analyse spec- trale; mais la France et l'Angleterre lui ont fourni d’indispensa- bles éléments. Cependant, depuis sa découverte, on s’occupait peu, en France, de la nouvelle méthode, tandis qu’elle recevait ailleurs de rapides développements. Pour ma part, pénétré de l'importance des travaux qui restaient à faire dans une voie si féconde, j'ai cherché, dans la mesure de mes forces, à suivre ce grand mouvement scientifique. Au mo- ment où jai commencé ces travaux , l'analyse spectrale ne s’appli- quait qu'à l'étude des flammes et des vapeurs métalliques incan- descentes ; ainsi, c'est grâce à l'énorme température de l'atmosphère solaire et des étoiles, qu’on avait pu en faire l'analyse. Mais les at- mosphères des planètes, et en général les milieux célestes non in- candescents échappaient à la nouvelle méthode. J'ai cherché à combler cette lacune, et à rendre Fanalyse par la lumière appli- cable à tous les cas. — 546 — Le point de départ de mes études a été l'atmosphère de la terre. L'illustre et vénérable M. Brewster avait découvert, en 1853, dans le spectre solaire, des modifications qui indiquaient une action d'absorption de notre atmosphère sur la lumière. Ces modifica- tions consistaient dans l'apparition de bandes obscures dont le spectre solaire s'enrichissait au lever et au coucher de l’astre. Mais le phénomène disparaissant quand l’astre avait une certaine hau- teur, on ne pouvait considérer sa production par l'atmosphère ter- restre comme démontrée. Une expérience directe, dans laquelle MM. Brewster et Gladstone cherchèrent à reproduire directement ce phénomène d'absorption, donna un résultat négatif. J'ai repris la suite de ces travaux. Employant de puissants instruments d'analyse et des disposi- tions optiques nouvelles, je suis arrivé d’abord à résoudre en raies fines, les bandes observées par MM. Brewster et Gladstone. De plus, jai pu suivre ces fines raies, et constater que leur intensité est sans cesse variable. Elles acquièrent leur plus grande valeur au lever et au coucher du soleil; la plus faible, au contraire, correspond au passage de l’astre au méridien. Mais dans tous les cas, ces raies ne disparaissent jamais du spectre. Ce double caractère démontre leur origine atmosphérique. £ Ainsi, notre atmosphère absorbe énergiquement certains rayons solaires, tandis qu'elle laisse passer, sans les atteindre sensiblement, les rayons très-voisins de ceux-ci comme couleur ou réfrangibilité; il en résulte la production de ces raies fines dont nous parlons. Or toute la nouvelle méthode d'analyse par la lumière est fondée sur l'existence de ces fines raies brillantes ou obscures. Ce fait avait donc une grande importance; il indiquait que les gaz et les vapeurs à basse température agissent électivement sur la lumière, comme les gaz et vapeurs incandescents de latmosphère solaire, et que la nouvelle analyse peut s'appliquer aux uns comme aux autres. Mais comme l’action d'absorption élective de l'atmosphère ter- restre sur la lumière, était alors très-contestée, malgré les travaux des hommes éminents qui s'en étaient occupés, je jugeai indis- pensable de donner du nouveau fait les démonstrations les plus irrécusables; c'est ainsi que j'ai été amené à exécuter la suite des travaux dont voici une très-rapide analyse. Si un gaz, ou en général un milieu matériel quelconque agit sur les rayons lumineux qui le traversent, 1l est évident que cette ac- — 947 — tion doit augmenter avec l'épaisseur du milieu. Or les rayons so- laires traversent des épaisseurs très-variables de notre atmosphère aux diverses heures du jour. Quand le soleil passe au méridien, cette épaisseur est la plus petite, et elle augmente à mesure que l'astre descend; au coucher, elle atteint sa plus grande valeur, qui est alors environ quinze fois plus grande que pour le passage au méridien dans les longs jours. Il résulte de cette circonstance que le premier caractère de cette absorption doit être de s’accuser beaucoup plus au coucher du soleil ou à son lever; c’est ce qui a été vérifié tout d'abord. Mais on peut pousser plus loin ces véri- fications. Ainsi, l'ascension d’une haute montagne permettant de laisser au-dessous de soi, une portion importante de l'atmosphère, doit avoir pour effet de diminuer encore le phénomène d’absorp- tion qui nous occupe; c'est ce que j'ai observé en 1864. Pendant le séjour d’une semaine, que j'ai fait sur le sommet du Faulhorn, à près de 3,000 mètres d'altitude , j'ai constaté, dans le spectre solaire, la diminution générale de toutes les raies obscures d’ori- gine terrestre. Dans ces hautes régions, la composition de. la lu- mière solaire se rapproche beaucoup de celle qu'elle possède avant l'entrée dans notre atmosphère, Jusqu'ici, nous n'avons considéré que la lumière du sojeil et les modifications qu’elle éprouve en traversant des épaisseurs atmos- phériques variées; mais la nature de la lumière est une, et le phé- nomène d'absorption en question doit se retrouver pour les autres astres. Malheureusement, en dehors de la lune et des planètes qui ne nous réfléchissent que de la lumière solaire, nous ne pouvons étudier que les étoiles dont la lumière est bien faible pour des observations de ce genre. Cependant des études comparatives, faites sur la belle étoile Sirius à son lever et à son passage au méridien, m'ont permis de constater les mêmes phénomènes que le soleil m'avait présentés. Arrivé à ce terme, on pouvait considérer l'action de latmos- phère comme démontrée; cependant une dernière épreuve était nécessaire pour donner au fait, son dernier degré d'évidence. Jus- qu'alors, en effet, on avait opéré sur les lumières célestes qui ne nous parviennent que déjà très-modifiées par les milieux de na- ture plus ou moins inconnue qu'elles ont à traverser avant de par- venir jusqu'à nous. N'était-1l pas à craindre que ces modifications, en venant compliquer laction de l'atmosphère terrestre, ne ren- de OS == dissent celle-ci moins évidente? Au contraire, si en prenant une lumière artificielle, vierge encore de toute action de ce genre, et lui faisant traverser une épaisseur suffisante d’air atmosphérique, elle acquérait les modifications précitées, il était alors de toute évidence que l’action était due au milieu interposé. Cette expérience décisive a été exécutée à Genève, en octobre 18064. La flamme d'un grand bûcher de sapin placé sur la jetée de Nyon a été étudiée à Genève, du clocher de l’église Saint-Pierre. De près, cette flamme ne présentait aucune modification spectrale par-° ticulière; son spectre était parfaitement continu et uniforme, tan- dis qu'à Genève, à 21 kilomètres du bücher de Nyon, ce spectre présentait les bandes observées par M. Brewster, au soieiïl couchant, et que j'avais retrouvées pour la lumière de Sirius dans les mêmes circonstances. | L'action de notre atmosphère était donc incontestablement dé- montrée. | ke Je me suis demandé alors à quels éléments de cette atmosphère on devait attribuer ce phénomène remarquable. Dans le cours de ces études javais été conduit, par des remar- ques particulières , à attribuer une grande part du phénomène à la vapeur d’eau répandue dans notre atmosphère. Des comparai- sons longuement suivies en été et en hiver, lorsque la quantité d'eau dissoute dans l'air est extrêmement différente, avaient même formé ma conviction à cet égard ; mais il restait encore à faire une expérience directe, pour donner à ces prévisions force de dé- monstration. Cette expérience présentait de grandes difficultés; elle exigeait l'emploi d’un appareil de dimensions considérables; aussi, ne put- elle être réalisée aussitôt que je l'eusse’ désiré. Enfin, la Compagnie parisienne du gaz d'éclairage voulut bien mettre à ma disposition en août 1866, les ressources de sa grande usine de la Villette. Un tube en tôle, de 37 mètres de long, noyé dans une caisse pleine de sciure de bois, et fermé à ses extrémités par de fortes glaces, fut rempli, par une chaudière de l'usine, de vapeur d’eau à 7 atmosphères de pression. Les dispositions prises empêchèrent la condensation de la vapeur, sans qu'on füt obligé de chauffer directement, et cette vapeur conserva sa transparence. Un fais- — 549 — ceau lumineux fourni par une rampe de 16 becs de gaz, traver- sait l’axe du tube, et pouvait être analysé à sa sortie. Or, la vapeur produisit sur la lumière la plupart des modifications constatées avec l'atmosphère terrestre. Avant son passage dans le tube, le spectre de ces flammes de gaz était parfaitement continu ; après le passage dans le tube, ce spectre rappelait par son aspect celui du soleil couchant. J'ai nommé spectre de la vapeur d’eau l’ensemble des modifica- tions spectrales que ce corps imprime à la lumière. La découverte du spectre de la vapeur d’eau servait non-seu- lement à démontrer que c’est à l’action de cette vapeur que notre atmosphère doit la majeure partie de son action sur la lumière, mais de plus elle fournissait un moyen certain d’en reconnaître la présence dans les corps célestes. J'ai constaté d’abord que l'atmosphère solaire n’en contenait point; sans doute que la haute température de la photosphère ne permet point aux éléments de l’eau de s'associer dans latmos- phère de cet astre. Mais l'application la plus intéressante de la nouvelle découverte se trouvait dans létude des atmosphères planétaires. On sait que l’ensemble des études astronomiques indique comme extrêmement probable, la présence d'une atmosphère autour de ces astres, mais la science ne possédait aucune donnée certaine sur la nature et la composition de ces atmosphères. Pour la planète Mars, on avait bien remarqué que des taches blanchà- tres paraissent augmenter et diminuer alternativement, suivant que le pôle considéré se présente ou se dérobe aux rayons solaires. On en avait conclu, avec beaucoup de vraisemblance, que lat- mosphère de la planète devait contenir une vapeur condensable par l’action du froid, car le phénomène rappelait beaucoup l'accumulation périodique des glaces aux deux pôles de notre Terre. Aujourd'hui, la découverte de cette propriété optique de la vapeur d'eau nous permet enfin de savoir si cet élément indis- pensable à la vie organique, telle qu'elle existe sur notre terre, se retrouve dans les autres mondes. J'ai déjà étudié plusieurs planètes à cet égard. Dans le cours de ma derniére mission en Italie et en Grèce, j'ai observé sur le sommet de lEtna, c'est-à-dire dans des conditions où lPinfluence — 550 — de l'atmosphère terrestre se trouvait sensiblement annulée. Ces observations et celles que j'ai faites ensuite aux observatoires de Palerme et de Marseille, avec les plus puissants instruments, indiquent déjà la présence de la vapeur d’eau dans les atmos- phères de Mars et de Saturne. Aux analogies si étroites qui unissent les planètes de notre système, vient s'ajouter encore un caractère nouveau el important. Toutes ces planètes forment donc comme une même famille; elles circulent autour du même foyer central qui leur distribue la chaleur et la lumière. Elles ont chacune une année, des saisons, une atmosphère, et dans cette atmosphère même des nuages remarqués sur plusieurs d’entre elles. Enfin l’eau, qui joue un rôle si immense dans l’économie de toute organisation, l’eau est encore un élément qui leur est com- mun. Que de puissantes raisons de penser que la vie n'est pas le privilése exclusif de notre petite terre, sœur cadette de la grande famille planétaire. 1 DES RAIES TELLURIQUES DU SPECTRE SOLAIRE. 1. —- HISTORIQUE. Depuis longtemps on avait remarqué des modifications parti- culières dans la constitution du spectre solaire quand l’astre est abaissé sur l'horizon. Dans les instruments de faible dispersion, l'image prismatique se charge alors de bandes obscures distribuées principalement dans sa portion la inoins réfrangible, c’est-à-dire dans le rouge, l’orangé, le jaune et le vert. Ge fait, observé par plusieurs physiciens, a été signalé et discute pour la première fois, à ma connaissance, par M. Brewster, dans un beau mémoire paru en 1833, dans les Transactions philoso- phiques d'Édimbourg. Le célèbre physicien avait découvert, peu d'années auparavant, l’action si remarquable du gaz acide hypoazotique sur la lumière ; il avait constaté qu'un faisceau lumineux, qui a traversé de faibles épaisseurs de ce gaz, donne une image prismatique sillonnée de bandes obscures fort nombreuses et très-prononcées, Rapprochant ce phénomène et celui que présentait le spectre du soleil levant el couchant, il en conclut, avec beaucoup de sagacité, que les 551 deux manifestations pourraient bien reconnaître une origine semblable; notre atmosphère agissant alors à la manière du gaz acide hypoazotique, et devenant la cause des bandes observées dans le spectre solaire. Cette explication si juste rencontrait malheureusement une difficulté grave qui s’opposa toujours à son admission définitive. En effet, les bandes obscures disparaissaient presque toujours du spectre lorsque, le soleil s'étant élevé, l’astre se trouvait dans la région méridienne. Or cette disparition était évidemment en désaccord avec l'hypothèse d’une cause atmosphérique dont l’ac- tion, quoique à des degrés divers, devait toujours se faire sentir. C'est ainsi que cette importante question, posée dès 1833 par la découverte de M. David Brewster, resta longtemps indécise. En 1858, M. Piazzi Smith publia, dans les Transactions philo- sophiques de la Société royale de Londres, des observations faites au pic de Ténériffe sur les raies atmosphériques. Ces observations faisaient partie d'un programme d'astronomie et de physique très-étendu ; aussi l’auteur ne paraît-il pas avoir pu donner à cette question tout le temps qu’elle réclamait, et ses cartes, bien que présentant des groupes de raies très-accusées, sont-elles peu com- parables entre elles. Néanmoins, ces résultats sont dignes d’in- térêt. | Enfin, en 1860, parut dans le célèbre recueil que je viens de citer un grand mémoire de MM. Brewster et Gladstone sur le spectre solaire et les bandes atmosphériques qu'il présente. M. Gladstone résume en quelque sorte dans ce travail tous les travaux de M. Brewster fondus avec ses propres observations. Parmi les cartes spectrales qui accompagnent ce mémoire, figure une carte des bandes atmosphériques. Cette carte, quoique très-réduite, me paraît avoir beaucoup de mérite pour le moment où elle parut. Quant à la cause qui produit ces bandes obscures, les auteurs ne se prononcent pas à cet égard. On lit, en effet, dans le mé- moire : « In calling them atmospheric, nothing more is meant to be expressed by the term than the more fact that there lines or bands become much more visible as the sun’s rays pass through an increasing amount of atmosphère. — En les appelant atmosphé- riques, nous n'entendons rien de plus que d'exprimer simple- ment le fait que ces lignes ou bandes deviennent beaucoup plus 552 visibles quand les rayons du soleil passent à travers une grande épaisseur d’atmosphère. » j Ainsi, en 1860, bien que le fait de la présence des bandes sombres nouvelles dans le spectre solaire à lhorizon fût surabon- damment démontre, la cause de ce fait restait encore indécise. Des discussions prolongées avaient eu lieu à cet égard, et beaucoup de physiciens s’accordaient à rejeter l’action de l'atmosphère comme cause de ce singulier phénomène. Tel était l'état de la question en 1860. Je dois dire ici qu'au moment où J'ai commencé à m'occuper du spectre, c'est-à-dire en 1862, jignorais les travaux de M. David Brewster; ce sont les découvertes de l'Allemagne en analyse spectrale, qui ont attiré mon attention sur ce sujet. Voici comment : Le mémoire de MM. Bunsen et Kirchhoff faisait alors, dans le monde scientifique, une grande et légitime sensation. Les travaux des savants d'Heidelberg venaient, en effet, de constituer défini- tivement la méthode d'analyse par le spectre, et cette méthode donnait aussitôt d'admirables résultats : c'était la découverte de métaux nouveaux, l'explication enfin trouvée des mystérieuses raies du spectre solaire, et l'analvse même de l'atmosphère de cet astre, dans laquelle on retrouvait un grand nombre de nos métaux. Frappé, comme tout le monde, de la beauté de ces résul- tats, je construisis un spectroscope et répétai les principales expériences. | Or, eu réfléchissant sur l'explication des raies du spectre, telle que M. Kirchhoff la proposait, c’est-à-dire par l’action d’ab- sorption élective des vapeurs métalliques de l'atmosphère solaire, _je fus amené à penser que l’atmosphère de la terre pourrait bien produire une action de ce genre. L’énorme différence de tempéra- ture entre ces deux atmosphères ne me parut pas une raison suffisante pour exclure toute action. Le phénomène des raies solaires me semblait devoir être attribué beaucoup plus à l’état gazeux des métaux de l'atmosphère solaire qu’à la température absolue de ces vapeurs. Si cette idée était Juste, notre atmosphère devait avoir sa part d'action sur la lumière solaire. Le caractère de cette action devait être nécessairement, de produire dans le spectre des phénomènes d'absorption variables avec les épaisseurs atmosphériques traversées, c’est-à-dire variables aux diverses 553 — heures du jour, et en général beaucoup plus accusées au lever et au coucher du soleil. J'étudiai le spectre solaire à ce point de vue. Je crus d'abord remarquer dans la région jaune quelques raies qui me parurent plus foncées dans l'après-midi; mais les résultats n'étaient pas assez accusés pour en rien conclure. Afin d'obtenir des effets plus tranchés, je cherchai à obtenir le spectre du soleil à lhorizon. Le 30 avril 1862, j'observai le lever de cet astre, du belvédère de ma maison. Le spectre présentait alors une constitution bien remarquable. Les régions du rouge, de l’orangé, du jaune, du vert étaient sillonnées de nombreuses bandes sombres très-accu- sées, qui s’'évanouissaient peu à peu, à mesure que l'astre s'élevait. Deux ou trois heures après le lever, il n’en restait plus de traces sensibles. C'était, comme on voit, l'observation que M. David Brewster avait faite vingt-neuf ans auparavant, et que je venais de répéter sans la connaître. Aussi cette observation, dont la priorité appar- tient tout entière à M. David Brewster, n'est-elle rapportée ici que pour montrer comment J'ai été amené à continuer les travaux de l'illustre physicien. On se rappelle que les bandes de sir David Brewster n'étaient pas visibles au méridien. Cette circonstance me parut tenir à l'in- tensité lumineuse du spectre, trop grande pendant le milieu du jour, surtout dans l'instrument du physicien anglais, qui ne por- tait qu'un prisme d’une grande ouverture. [Il me parut qu'en employant cet excès de lumière à faire du grossissement, on aug- menterait beaucoup les chances de visibilité des raies ; c'est ainsi que jai été conduit à l'emploi de spectroscopes à plusieurs prismes. Je constatai alors que les bandes obscures observées à l’ho- rizon étaient réellement formées d'une multitude de fines lignes, aussi intenses et plus nombreuses que les raies solaires dans les régions où elles se montraient. Ces lignes suivies avec beau- coup de soin, à partir du lever du soleil, présentaient des in- tensités constamment décroissantes; à midi, quoique fort pâles pour la plupart, elles étaient encore visibles. À partir de ce mo- ment, leur aspect repassa par les mêmes phases jusqu'au coucher du Soleil. Je soumis alors ces faits à M. Babinet. Ce savant, si profondé- — 554 — ment versé dans la théorie des PPS optiques, voulut bien leur accorder de l'importance, et m'appuyer auprès du Ministre d'État. Je reçus alors la mission de continuer ces études en ftalie, sous un ciel pi favorable que le nôtre. Pendant le séjour de six mois ue je fis à Rome, ; 'étudiai dans leurs détails les faits découverts à Paris, et je m'’attachai à cons- truire des cartes qui les représentassent fidèlement. Disons d’abord un mot des instruments et des méthodes d’ob- servation. II. — INSTRUMENTS D’ANALYSE, SPECTROSCOPES. Le spectroscope qui a principalement servi pour ces recherches offre une extension du principe employé par M. Dubosq, dans son petil spectroscope monoprisme pour la chimie. Imaginons qu’à la suite d'une lunette qui porte la fente et qui sert de colli- mateur, on dispose une série de prismes mobiles sur des platines qui permettent de leur donner les mouvements convenables, et qu'on termine cette série par un prisme à 30° dont la face pos- térieure soit étamée; le faisceau, après avoir traversé la série des prismes, pénétrera dans le prisme à 30°, et tombera normalement sur la face étamée. Là, il subira une réflexion qui le fera revenir sur lui-même et traverser de nouveau la série des prismes, puis rentrer dans le collimateur où il rencontrera un prisme réflecteur à 45°, qui le rejettera finalement sur un oculaire disposé latéra- lement. Dans cette disposition, le faisceau, avant de revenir sur lui- même, peut décrire facilement les trois quarts d’une circonférence, ce qui donne une circonférence et demie pour la réfraction totale. On peut donc obtenir une dispersion correspondante à cette énorme réfraction, tandis que dans les spectroscopes à deux lu- nettes, il devient difficile de réfracter le faisceau de beaucoup plus d’une demi-circonférence. Il est vrai qu'on a construit des spectroscopes en hélice, mais il est visible que cette disposition, où le faisceau lumineux change continuellement de plan, est dé- fectueuse au point de vue optique. Un autre avantage de notre spectroscope, c’est le faible volume de l’instrument qui, à puis- sance égale, est toujours moitié d’un spectroscope à deux lu- nettes. En résumé, et sans penser pour cela que dans des circonstances — 9595 — déterminées on ne puisse employer avec avantage d’autres dispo- sitions, je pense que le spectroscope avec retour du rayon, en raison de sa facile construction, de sa grande puissance et de son pelit volume, est appelé à rendre de grands services à la spectrologie, spécialement lorsqu'il s'agira de voyages scienti- fiques. M. Littrow fils, de Vienne, a fait connaître, en 1862, un spec- troscope fondé sur le même principe que celui que je viens de décrire. Quant à moi, je dois dire que j'ai employé cette disposi- tion dès le mois de mai 1862, pour l'étude des raies telluriques, et j'ai établi cette antériorité de construction (voir Comptes rendus de l’Académie des Sciences, 26 janvier 1863). Mais je pense qu'il est tout à fait inutile de soulever une question de priorité à cet égard, et que nous devons être satisfaits, M. Littrow et moi, si nous avons donné un analyseur qui puisse être de quelque utilité à la science. Au commencement de ces recherches, j'ai fait usage d’une se- conde fente plus large, placée à quelques décimètres de la pre- mière; cette deuxième fente, en définissant le pinceau incident sur la première, donne une pureté plus grande au spectre, et c'est même à ce moyen combiné avec l'association des prismes que J'ai dû de pouvoir constater la présence des raies telluriques à midi. Aujourd'hui, je me sers souvent d’un autre artifice qui me paraît devoir être recommandé pour les analyses spectrales qui exigent un spectre d’une très-grande pureté. Voici en quoi consiste ce dispositif fondé sur le principe des décompositions suc- cessives. Je suppose qu’au moyen d’un bon objectif de même longueur focale que celui de la lunette du spectroscope, on fasse tomber une image du soleil sur la fente de l’instrument {voir la note publiée dans les Comples rendus de l’Académie des Sciences le 18 mai 1863), et que vers le milieu de la distance qui sépare cet objectif de la fente, on place un prisme d’Amici (prisme formé d'un flint et de deux crown opposés au flint par le sommet, système qui est construit de manière à disperser sans dévier l'axe du faisceau), le faisceau se trouvera décomposé sans être dévié sensiblement. Alors, au lieu de l'image unique du disque solaire, on aura sur la fente une série d'images monochromatiques; ces images empiéteront les unes sur les autres, de sorte que la lumière qui pénétrera dans MISS. SCIENT. LV. 97 — 556 — la fente proviendra des disques voisins qui se trouvent plus ou moins coupés par celle-ci. Cette lumière décomposée dans l’instru- ment formera donc une portion très-limitée du spectre, et toute lumière étrangère à cette portion sera éliminée; il en résultera une pureté et une intensité toutes nouvelles pour le spectre. J'ai obtenu, par cette disposition, des résultats inespérés, et elle me paraît susceptible de beaucoup d'avenir pour les analyses qui exigent une très-grande pureté spectrale et une grande précision. Lorsqu'on n'emploie pas de prisme à dispersion, et qu’on se contente de faire tomber l’image du soleil sur la fente de l'instru- ment, on obtient un spectre où les lignes transversales (parallèles aux raies) sont formées par des rayons qui viennent des différents points d'un diamètre du disque solaire (voir Comptes rendus de l’Académie, 18 mai 1863); c'est une forme d'analyse qui doit être employée quand on veut faire des études comparatives sur la lumière provenant des divers points de la surface du soleil. Je développerai ailleurs les résultats que j'ai déjà obtenus sur ce nouveau sujet. III. — MÉTHODES D’'OBSERYATION. La position des raies du spectre a été obtenue par la méthode des micromètres oculaires. Üne échelle gravée sur verre, placée au foyer commun de l'objectif et de l’oculaire de la lunette explo- ratrice donnait immédiatement la position de toutesles raies de la révion spectrale comprise dans le champ. Au moyen de la vis qui agit sur les prismes, on faisait ensuite passer les raies du spectre, jusqu'à ce que la dernière raie notée devint la première sur l'é- chelle; on répétait alors les mêmes mesures pour les groupes sui- vants qui se trouvaient ainsi liés au premier, et ainsi de suite. Ces déterminations ont été prises avec tout le soin désirable ; elles n’ont pas toutefois l’importance qu’on serait tenté de leur attribuer tout d'abord. Le coefficient de dispersion d’un prisme est variable pour les diverses parties du spectre, et dans le passage d’un prisme à un autre, ces parties ne sont pas dilatées ou contractées dans le même rapport; il en résulte que la position des raies varie avec les instruments. Mais heureusement de semblables mesures ne sont pas indispensables pour qu'on puisse retrouver et identifier les lignes d’une carte. En effet, l'examen attentif du spectre solaire dans les grands instruments montre que les diverses raies qui y figurent, sont différenciées entre elles par leur intensité, leur — 991 — largeur, souvent par un aspect particulier; de plus, elles forment presque toujours des groupes distincts, ayant une physionomie qui permet de les retrouver facilement. Ainsi qu’on l’a déjà re- marqué, la configuration de ces groupes dans le spectre rappelle celle des constellations dans le ciel étoilé, et 11 y aura certainement grand avantage à tenir compte de cette analogie, quand on s’oc- cupera de la nomenclature des raies du spectre solaire. Quant aux mesures d'intensité, les procédés photométriques dont on dispose me paraissent, quant à présent, impraticables. Les résultats les plus satisfaisants m'ont été donnés par la compa- raison des raies du spectre avec des échelles présentant des lignes de largeurs et d’intensités graduées. Un tire-ligne, dont l'écartement des branches se réglait au moyen d’une vis à tête divisée, permettait d'obtenir une série de lignes de largeurs déterminées; pour re- produire ensuite la même série en teintes graduées, on se servait de liqueurs contenant un principe colorant noir, dont les quantités, pour un même volume de mélange, croissaient comme les nombres 1,9, etc. Une disposition très-avantageuse consiste à reproduire plusieurs fois, à diverses valeurs, un groupe tellurique tout entier avec ses lignes et ses couleurs. Une semblable échelle permet d’estimer de suite l’intensité de toute une région tellurique; elle met en évi- dence, de la manière la plus nette, le fait de la variation d’inten- sité des raies de ces régions, et donne même, d'une manière approximative, la mesure de cette variation. Tels étaient les moyens d'estimer la variation d'intensité des raies du spectre so- laire; voici maintenant comment les cartes ont été construites. Après avoir réglé le spectroscope de manière à obtenir le spectre dans sa plus grande pureté, on notait, pour la portion à étudier, les positions respectives des raies à l’aide du micromètre. On prenait aussi leurs largeurs, leurs intensités au moyen des échelles; en s’attachant surtout à reproduire sur la carte la phy- sionomie exacte des groupes, ce qui donne une très-grande ga- rantie de l’exactitude des valeurs relatives; on passait alors à la région voisine, reliée à la première, comme il a été expliqué. La hauteur du soleil au moment de l'observation était prise au théo- dolite, ou déduite de l'heure. Les diverses circonstances atmosphé- riques étaient aussi indiquées, afin de posséder tous les éléments de discussion. 2 CE — 508 — La carte spectrale résultant de ce premier travail était repro- duite à l'encre de Chine, puis comparée avec le spectre, retouchée et reproduite de nouveau, jusqu'à ce que le résultat fût Jugé sa- tisfaisant. Malgré tous ces soins, il est bien difficile qu'un travail de cette nature ne présente pas quelques imperfections. Le grand nombre de raies telluriques, leur diversité de valeur, d'aspect, et surtout leur variabilité même pendant l'observation en sont les causes principales. Pour atténuer les conséquences de ces imperfections, j'ai jugé indispensable de donner, de ces phénomènes, des représentations variées. On trouvera donc accompagnant ce rapport plusieurs cartes relatives aux mêmes régions spectrales. La région C D du spectre, la plus intéressante en raison des beaux groupes tellu- riques qu’elle renferme, a été reproduite notamment à quatre échelles différentes : avec un petit spectroscope à vision directe, puis avec des spectroscopes à un, à cinq et à neuf prismes. Ces représentations multipliées ont un autre avantage : elles permettront aux observateurs futurs, quels que soient les instru- ments qu'ils auront entre les mains, de tirer un parti utile de nos travaux. IV. — RÉSULTATS, CONCLUSIONS. Le spectre solaire a été l'objet d’études constantes pendant toute la durée de mon voyage en lialie. À Rome, je l’aisuivi pen- dant près de six mois; il a été observé encore à Turin, Gênes, Pise, Florence et Naples. Ces études m'ont conduit à la constatation des faits suivants : 1. Les bandes de MM. Brewster et Gladstone sont résolubles en raies fines comparables aux raies solaires proprement dites. Ces raies, que j'ai nommées telluriques !, sont plus nombreuses que les raies solaires dans les régions du rouge, de l’orangé et du jaune. Les régions bleue et violette du spectre solaire s’assombrissent d’une manière plus uniforme. Quand le soleil est près de l'horizon, on y remarque bien quelques bandes, mais celles-ci sont beaucoup ! J'ai proposé de nommer ces lignes lignes ou raies lelluriques pour rappeler leur origine terrestre et les distinguer des raies solaires proprement dites. — 5959 — plus difficilement résolubles en raies distinctes. Néanmoins, il ne me paraît pas douteux ‘que le phénomène ne soit ici du même ordre que pour les régions moins réfrangibles. 2. Les raies telluriques sont constamment visibles dans le spec- tre. Quelques raies, il est vrai, semblent disparaître quand le so- leil est très-élevé, mais ce n’est là qu’un phénomène apparent qua s'explique facilement. En effet, l'intensité d’une raie tellurique observée à l'horizon est au moins quinze fois plus considérable qu'au méridien. Il en résulte qu'une raie qui à lhorizon n’a pas une intensité suffisante devient invisible vers midi; mais cette in- visibilité n’est que relative; elle n’a lieu que pour les raies placées à la limite de la puissance des instruments. Une des preuves les plus manifestes de la présence , dans le spectre, d'un système de raies d'intensité variable, consiste dans le fait de l’interversion d'intensité que j'ai observé entre des raies solaires et des raies telluriques voisines, fait très-fréquent dans toutes les régions étudiées. Par exemple, dans Île groupe tellurique de D, la ligne & (303 à l'échelle; elle se dédouble dans les grands spectroscopes), qui, à midi, est beaucoup plus faible que ses deux voisines solaires (30, 8; 304, 3), devient au contraire plus foncée que celles-ci vers le coucher. La ligne (306 à l’echelle) qui, à midi, est beaucoup plus fon- cée que ses voisines, se trouve au contraire écrasée au coucher ou au lever par les raïes telluriques de cette région ; notamment celles du greupe » de D. On pourrait beaucoup multiplier ces exemples. Ces considérations montrent qu'on ne saurait expliquer l'aug- mentation d'intensité des raies telluriques le soir et le matin par la diminution de la lumière solaire; car, si un elfet de ce genre pouvait influer sur l'aspect du spectre, il porterait évidemment d'une manière égale sur les raies très-voisines et ne pourrait pro- duire les interversions en question. Dans les diverses stations où j'ai étudié, les groupes telluriques se sont offerts avec la même configuration. Ils occupent les mêmes places dans le spectre. Ainsi, sans nier la possibilité de modifica- tions lecales, il y a nécessairement, de la part de l'atmosphère ter restre, une action générale et commune. En résumé, et comme conclusion, les observations précédentes — 560 — montrent que l'atmosphère terrestre fait naître dans le spectre un système de raies qui lui sont propres, et sous ce rapport, mal- gré l'énorme différence des températures, son action est tout à fait comparable à celle que M. Kirchhoff attribue à l'atmosphère solaire. LÉGENDE POUR LES CARTES. La planche qui accompagne cette première partie du rapport contient trois cartes : La première (figure I) est une reproduction d’une carte des bandes telluriques du spectre solaire, tirée du mémoire de MM. Brewster et Gladstone (Phil. Trans. 1860). J'ai pensé qu’il y aurait intérêt à placer sous les yeux du lecteur cette carte impor- tante qui forme le point de départ des miennes. On remarquera que les bandes telluriques se sont offertes aux auteurs sous forme non résolue. Ces bandes sont désignées dans la carte par les lettres grecques. j La seconde carte (figure IT) représente la région C D du spectre, étudiée avec un spectroscope à cinq prismes. Elle offre la résolu- tion en raies fines des bandes de M. Brewster. Cette carte est double. La partie supérieure présente le spectre observé vers le passage du soleil au méridien en été, à plus de 60 degrés de hauteur. La partie inférieure donne le même spectre vers le coucher du soleil (5 degrés de hauteur environ). Cétte hauteur a paru la plus convenable : les raies telluriques s’accusent déjà nettement, et la lumière solaire conserve encore assez d'intensité pour sup- porter la grande dispersion du spectroscope employé. Les raies telluriques s’accusent par la différence de leur inten- sité dans les deux spectres; les raies solaires proprement dites sont au contraire de même teinte. Les parties ombrées représentent des bandes non encore résolues. | De C à D, on remarque trois régions telluriques importantes. Une première, près et au delà de C; on pourrait nommer les raies telluriques de cette région, groupe C. Dans ce groupe, se re- marquent les sous-groupes &, 8, y, d, e, €, ete. par ordre d’im- portance. La seconde région se trouve située entre C et D, plus près — 561 — de C; on pourrait le nommer groupe C’; elle renferme les sous-- groupes æ, B, y. La troisième entoure D; c’est la plus remarquable. «, B, y, d, e, sont des sous-groupes qui, dans les petits instruments appa- raissent sous forme de lignes simples. Dans les grands spectro- scopes, les raies de ce groupe sont très-nombreuses. La figure HI présente la comparaison des spectres du soleil et de Sirius, au méridien et à l'horizon. Voir plus bas : Des bandes telluriques dans le spectre de Sirius. Nous ferons remarquer enfin, d’une manière générale, que les parties ombrées du spectre, ou les lignes spectrales de faible inten- sité on! dù être reproduites en gravure par de très-fines lignes, visibles seulement à la loupe, et qui ne doivent pas être conside- rées comme des lignes spectrales dinctinctes; celles-ci s’individua- lisent à la vue simple. DU SPECTRE DE LA LUNE ET DES, ÉTOILES. Quand il s'agit d'étudier la lumière de la une et des étoiles dont l'intensité est incomparablement plus faible que celle du so- leil, l'emploi de spectroscopes spéciaux devient nécessaire. Dans mes études en Italie, je me suis servi, pour cet objet, du spectroscope à vision directe que j'ai présenté à l’Académie des sciences, le 6 octobre 1862. Voici la description de cet instru- ment, extraite des Comptes rendus. « Le second instrument est un spectroscope de poche; il est éga- lement à vision directe, et forme une très-petite lunette qui peut se replier sur elle-même. Le redressement du faisceau est obtenu au moyen d'un prisme composé, construit sur le principe de celui de M. Amici, qui est formé, comme on sait, d’un prisme central en flint très-dispersif, accolé à deux prismes de crown à sommets opposés, et qui redressent le faisceau. Cette ingénieuse disposition a seulement l'inconvénient de ne pas donner une dispersion aussi énergique qu’on pourrait le désirer, à cause de l’action des prismes de crown, qui tendent à achromatiser le faisceau. Pour remédier à ce défaut, sans augmenter démesurément la longueur de la lunette, j'ai employé deux prismes de flint extra-dispersif à 90 degrés, faisant corps avec trois prismes de crown taillés sous les angles convenables pour procurer le redressement du faisceau. Ce svs- — 902 — tème jouit d’un pouvoir dispersif considérable, et conserve au fais- ceau presque tout son pouvoir lumineux, à cause de la faiblewa- leur des réflexions intérieures. La lunette qui sert à explorer le spectre porte deux objectifs placés à faible distance l’un de l’autre. Cette disposition, qui augmente beaucoup le champ de la lunette, permet d'embrasser le spectre d’un coup d'œil. Enfin, une échelle gravée sur verre sert à mesurer la position des raies dans les spec- tres qu'on étudie. « Avec ce petit instrument, on peut voir le spectre solaire pour ainsi dire en tout temps, car la plus faible lumière diffuse suffit pour l'obtenir. Il devient très-facile de suivre les progrès des bandes obscures que l'atmosphère terrestre fait naître dans le spectre so- laire à mesure que cet astre descend sur l'horizon. En substituant ce spectroscope à l’oculaire d’une lunette de quelques pouces d’ou- verture, et dirigeant l'instrument sur la lune, on obtient un spec- tre lunaire dans lequel on peut reconnaître les raies de Fraünho- fer, et même quelques bandes atmosphériques terrestres. « Mais c’est surtout pour l'analyse des flammes que ce petit ins- trument me paraît appelé à rendre des services. Je citerai comme exemple la flamme d’une bougie, dans laquelle on reconnait de suite la raie du sodium et celles que donne le gaz oxyde de carbone en brûlant dans l'oxygène. « J'ai fait aussi construire un modèle plus grand de cet instrument pour les expériences qui exigent une dilatalion plus considérable du spectre. J’ajouterai, en terminant, que tous ces instruments sor- tent des ateliers de M. Hoffmann, qui en a soigné beaucoup la par- lie optique. R « Un des spectroscopes décrits dans cette note est mis sous les yeux de l’Académie par M. Babinet.» (Comptes rendus de l'Aca- démie des Sciences, 1862, 2° semestre, p. 576.) Ce spectroscope a donné avec les lunettes équatoriales des ob- servatoires d'Italie, des spectres stellaires d’une grande beauté, qui l'emportaient de beaucoup sur les spectres obtenus jusqu'alors. Par exemple, les spectres des cartes de M. Donati, les plus ré- cents au moment où je faisais ces études, ne contiennent que quatre à cinq raies généralement, tandis que les mêmes spectres dans notre instrument en présentaient de douze à dix-huit, et se montraient beaucoup plus étendus, surtout du côté du rouge. Lorsqu'il s’agit de la lune, il n’est point nécessaire de recourir — 2635 — aux grandes lunettes des observatoires; un objectif de quelques pouces d'ouverture suffit À Rome j'ai obtenu ainsi un spectre lunaire où j'ai retrouvé toutes les raies solaires que le même ins- trument montrait dans la journée, et les mesures prises à l’échelle accusaient une concordance parfaite. Je n'ai pu y découvrir aucune bande ou raie nouvelle. L'analyse spectrale parait donc s’accorder ici avec les indications astronomiques pour refuser à notre satellite une atmosphère de quelque importance. Du reste, pour décider la question d’une manière plus certaine et plus con- forme aux principes de la nouvelle analyse, je propose d'examiner avec de puissants spectromètres, les rayons solaires qui raseront le globe lunaire à la prochaine éclipse de soleil!. Je me propose aussi d'étudier à ce point de vue, et par des moyens spéciaux, la lumière qui émane des bords du disque de notre satellite et de la comparer à celle du centre. J’ajouterai que le spectre de la lune a été étudié aussi lorsque cet astre était fort près de l'horizon, et que j'y ai constaté, comme cela devait être, les mêmes bandes obscures que dans le spectre solaire pris dans les mêmes circons- tances. Ce résultat confirme les observations de MM. Brewster et Gladstone. DES BANDES TELLURIQUES DANS LE SPECTRE DE SIRIUS. Au point de vue de l’origine des raies particulières du spectre solaire dont nous nous occupons ici, il était extrêmement impor- tant de chercher si une lumière différente de celle du soleil pré- senterait les mêmes modifications à l'horizon et au méridien. La lumière des étoiles me parut précieuse pour cette recherche, et Sirius, la plus belle étoile du ciel par son éclat, semblait tout à fait indiquée. Cette étoile se prêtait d'autant mieux à l'expérience délicate que j'avais en vue, que son spectre propre ne présente point de bandes ni de lignes fortes dans les régions du rouge et du jaune, où les raies telluriques devaient se montrer. Le spectre de Sirius a donc été examiné lorsque l'étoile, se déga- geant de vapeurs de l'horizon, envoyait une quantité de lumière suffisante pour l'observation. Le moyen d'analyse était celui qui a déjà été décrit dans le journal de l'Observatoire du collége ro- l Voyez Comptes rendus de l'Académie des scicnces, 18 mai 1865. — 564 — main, c’est-à-dire que la fente du spectromètre était placée près du . tion des bandes, et de les comparer à celles du spectre solaire observées pendant la journée; j'ai remarqué alors dans le spectre de l'étoile où les couleurs étaient d’ailleurs très-vives, des bandes obscures qui, d’après les mesures, correspondaient avec celles que le même instrument montrait dans le spectre du soleil à l'horizon. (Voir la planche I, fig. 3.) La bande tellurique nommée à dans les cartes publiées par MM. Brewster et Gladstone a été vue no- tamment dans deux observations différentes. J’ai suivi ensuite l'étoile à mesure qu'elle s'élevait; les bandes telluriques s'éva- nouissaient peu à peu, et quand l'étoile passait au méridien son spectre n’en présentait plus de traces sensibles!. Cette observation confirmait pleinement l'origine terrestre assignée à ces bandes. SUR LA PRÉSENCE DU SODIUM DANS L’ÉTOILE @ DE LA CONSTELLATION D’ORION. Parmi les spectres stellaires que j'ai étudiés à Observatoire du collége romain, le spectre de &æ d’Orion doit être cité comme un des plus remarquables. Ce spectre présente des lacunes-considé- rables et très-nombreuses qui se répartissent dans toute son étendue. J'avais remarqué que la raie située entre le jaune et le vert paraissait occuper la place de la raie D du spectre solaire. Pour vérilier cette conjecture, j'armai le spectroscope d’un prisme à réflexion devant la fente; le tube qui portait Pinstrument fut percé d’une petite ouverture correspondante, et l’on disposa en face une petite lumière donnant la raie du sodium en excès parmi les autres rayons. On avait ainsi deux spectres superposés : celui de l'étoile avec ses raies noires et espaces obscurs, et celui de la petite flamme artificielle avec la raie jaune du sodium, bril- ‘ H faut bien remarquer qu'il s’agit de bandes et non de raies, parce que l'ins- trument d'analyse approprié à l'intensité lumineuse de l'étoile ne pouvait résoudre en raies fines ces bandes telluriques. Dans la carte (fig. 3), ces bandes sont dési- gnées par les nombres 1, 2, 3. On voit qu’elles sont communes aux spectres du soleil et de Sirius observés à l'horizon. Le spectre solaire, ici représenté, est celui que donne Île petit spectroscope à vision directe. PP TEE Ps es Do En A Hip DE 5 Da D «TE 20REE 230 230) 2Lo 248 1 0 “€ TE œ e Y h Le Groupe Cou B de M° BREWSTER Groÿi : L « ET - Spectre de au Mer id à LM Fier. 5. Spectre au Mer id à l'A — 065 — ant sur le fond du spectre. Or, j'ai pu constater, à plusieurs eprises, une coïncidence parfaite entre la raie D de la flamme et raie noire de l'étoile. Suivant la théorie de M. Kirchhoff, si Le possède une atmosphère, elle doit compter le sodium au ” nombre des vapeurs métalliques qu’elle contient. Avant d'affirmer _ définitivement un fait de cette importance, il est peut-être pru- É dent d’attendre que nous soyons en état de produire des spectres plus dilatés qui permettent de voir la raie D double, ainsi qu’elle est réellement constituée. Dans tous les cas, il y a là une coïnci- _ dence bien remarquable, et il m'a paru convenable de signaler un fait qui est sans doute notre premier pas dans l'étude de la _ constitution chimique de notre nébuleuse. _ L’exactitude de cette conclusion a depuis été confirmée par les travaux de MM.'Miller et Huggins (1865). Au moment où je l'ai faite, cette observation constituait un des premiers faits sur l'unité des éléments matériels du système du monde. 4 'æs Ca" WF VU mn } LA = | fonts dt ie Cort tee Ve M Lreuulét d' flo rspsiertinl (Core ete CT PE OCDE Fi ) R Lo sr 13088 / VE 5 A ler Fa vost (LL) PA 22 / fe Lu. LI ï | JL carre DRE ATe . ET # | | ; + | 1 10" ,) _ Ù CE . ee ML LUS 44 ” “ "e: LE Hée À pau les ou SE à Ÿ k. id ee ali ne” Er Rae sb. sfdsasiaes. CET UT bo lee ouh a. ne eapfs. na Les à tes MU : das “stesties seb 9B 6 sitisés Lite 8 gts torts sf Fin faisait “nr pa De: 10 1 tte AT ivre Po ‘ 1 autant : AE Hé He in à f L: Ta FAITS DIVERS RELATIFS AUX MISSIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES. ë M. Alfred Grandidier, qui a accompli sur les côtes sud et sud-ouest de l'île de Madagascar une exploration de quatre années, vient d'être chargé d'une nouvelle mission pour continuer et compléter ses études dans cette contrée encore si peu connue. Nous extrayons des mémoires qu'il a adressés au Ministre sur son premier voyage, et qui formeront plus tard un travail d'ensemble fort étendu, quelques renseignements propres à donner une idée sommaire de l'objet et des résultats de ses recherches : « Aperçu geographique. — La région australe, n'ayant pas été explorée jusqu à présent, m'a offert dans mon dernier voyage une série d'études et de recherches nouvelles. J'ai pu constater combien les cartes publiées aujour- d'hui sont erronées. Madagascar n'est pas, comme on l’a souvent écrit, divisée dans toute sa longueur par une chaîne de montagnes. Au sud de la masse centrale, s'étendent de vastes plaines sablonneuses dont l'al- titude moyenne ne dépasse pas 150 mètres et qui sont de formation madréporique toute moderne. — Les rivières sont peu nombreuses ; il en existe moins que ne le disent les géographes. D'Andrahoumbe (près de Fort-Dauphin) jusqu'à la baie Saint-Augustin, il n'y a que la seule rivière de Machikora. Les cours d’eau sont plus nombreux vers le nord, mais ils sont généralement mal placés et mal dénommés. Entre autres erreurs, je citerai celle qui concerne le Mangouke ou Saint-Vincent. Cette rivière est 36 milles plus nord qu'on ne l'a cru jusqu'aujourd'hui; c'est cependant la troisième de toute l'ile par son importance. Dans la baie de Fsingwilifih, où on la faisait déboucher, on ne trouve mème pas le plus petit ruisseau d'eau douce. — La rivière de Saint-Augustin , dont j'ai suivi le cours jusqu à 120 milles de la côte , ne traverse qu'un pays plat, sablonneux, peu habité; aussi à cette distance de la mer, est-elle aussi importante qu'à son embouchure même. « Histoire naturelle. — Cette région a une physionomie zoologique et botanique toute distincte de celle des régions fertiles parcourues jusqu'à ce jour. Entre tous les animaux curieux que j'y ai découverts, je citerai parmi les mammifères : 1° le Propithecus Verreauæt, un des lémuridés les plus intéressants par sa conformation; 2° le Lepilemur ruficaudatus, espèce qui, avec les Hapalemurs , semble relier la tribu des Indris à celle — 568 — des Lemurs; 3° le Potamochærus Edwarsi, le seul pachyderme indigène à Madagascar que l'on connaisse jusqu'à ce jour. — Parmi les oiseaux, je dois noter les quatre espèces nouvelles de Couas que j'en ai rappor- tées. Le genre indien Princa n'avait pas été trouvé dans la grande ile africaine avant ma dernière exploration. — Les reptiles m'ont aussi offert un sujet intéressant d'études. J'appellerai l'attention sur le genre Dume- riliu, dont le seul représentant est la grosse tortue que j ai pêchée dans le Mouroundara, et les deux genres de sauriens, le Geckolepis (Gecko- tien à écailles comme les Scincoïdiens) et le Pygomeles. J'ai trouvé deux chéloniens, sept sauriens et un ophidien d'espèces nouvelles, — En in- sectes, j'ai découvert quatre lépidoptères encore inconnus; j'ai de plus constaté que Madagascar était la patrie du Papilio Antenor, décrit depuis le siècle dernier et qu'on croyait originaire de Tombouctou. Quelques coléoptères et quelques aranéides méritent aussi l'attention. — Parmi les plantes nouvelles, je citerai une grande euphorbiacée arborescente qui est très-commune dans les régions sablonneuses du sud. — Je ne parlerai ni des poissons, ni des coquilles, dont le classement définitif n'est pas terminé; on y rencontre aussi des nouveautés. «Tous ces curieux animaux prouvent, ainsi qu'on peut aussi le déduire de la constitution géologique de l’île, que Madagascar faisait partie autre- fois d’un vaste continent s'étendant vers l'Asie. « Commerce. — Les relations commerciales qu'entretient l'ile de la Réunion avec la côte sud-ouest de Madagascar sont assez fructueuses. Quatre navires et plusieurs goëlettes sont engagés dans le transport de l'orseille (lichen tinctorial), des bœufs, des salaisons, des haricots du Cap, ete. Les importations consistent en poudre, tôleries, marmites de fonte, etc. Il s'exporte à Marseille pour plus d'un million de francs d'or- seille. Le trafic n'est pas sans danger, et les traitants ne sont jamais sûrs de l'issue de leurs négociations dans un pays où les habitants sont inso- lents et voleurs, et pour lesquels les traités avec la France sont lettre morte. Ges critiques ne s'appliquent qu'aux Malgaches de la côte et non à ceux de l'intérieur. «Il est sur toute la côte de Mouroundara à la baie de Saint-Augustin un certain nombre de ports mconnus au commerce européen; je signale- rai surtout Mourounbé qui est une fort belle rade, aussi grande et aussi sûre que celle de Fullear. Depuis Mourounbé jusqu'a Mouroundara, on peut mouiller sur toute la côte à une distance de deux à trois milles, mais la mer y est quelquefois très-houleuse, et certains vents forcent à appareïller. » M. Siméon Luce, archiviste paléographe, chargé par la Société de l'Histoire de France de publier une nouvelle édition de Froissart, a recu — 569 — en 1867, de M. le Ministre de l'Instruction publique, la mission d'aller éludier en Angleterre, en Belgique, en Hollande et en Suisse les manus- crits de l'illustre chroniqueur existant ou pouvant exister dans les bi- bliothèques de ces différents pays. À la suite de cette mission, M. Siméon Luce a adressé à Son Excellence un rapport qui contient les passages suivants : « Le British Museum est, après notre Bibliothèque impériale, le dé- pôt public le plus intéressant de l'Europe pour un éditeur de Froissart : il contient quatre manuscrits du célèbre chroniqueur. La description détaillée et minutieuse de ces quatre manuscrits, ainsi que de tous les autres manuscrits de Froissart, a sa place marquée dans un volume spé- cial qui sera joint à l'édition publiée sous les auspices de la Société de l'Histoire de France. Le résultat général et sommaire des recherches auxquelles je me suis livré mérite seul de solliciter ici l'attention de Votre Excellence. « Des quatre manuscrits du Briush Museum, le manuscrit du fonds Arundel , inscrit sous le n° 67, est de beaucoup le plus important, du moins au point de vue de l'établissement du texte de Froissart; il con- tient pour les années 1350 à 1356 la fameuse leçon originale que l'on n'avait rencontrée jusqu'à présent que dans trois manuscrits de la Bi- bliothèque impériale, signalés pour la première fois par M. Dacier. Cette leçon est placée en variante et comme appendice à la fin du pre- mier volume du manuscrit Arundel : particularité d'autant plus remar- quable que ce manuscrit a dû être exécuté pendant les premières années du xv° siècle, puisqu'il a appartenu à Henri V, dont les armes et la devise couvrent les marges du premier folio du deuxième volume. J'ai consacré plusieurs jours à collationner attentivement le texte publié par Buchon d'après une copie achetée à M. Dacier avec cette partie si pré- cieuse du manuscrit Arundel. « Mon collègue et ami M. Paul Meyer m'avait signalé l'existence de deux manuscrits de Froissart dans la célèbre collection de lord Ahsbur- nham. Ayant obtenu li nsigne faveur d'avoir accès à Ahsburnham-Palace, j'ai pu reconnaitre que l’un des deux manuscrits de lord Ahsburnham est une copie sur papier du quatrième livre des Chroniques qui n'offre qu'une médiocre importance ; l’autre manuscrit, en revanche, n’est pas indigne de figurer au milieu des merveilles de cette collection incom- parable. Le deuxième livre des Chroniques ne commence’ dans ce manus- crit qu'au quarante-deuxième chapitre de l'édition de Buachon, et l'on remarque à la fin de ce même livre une addition au texte ordinaire. J'ai pu prendre copie de cette curieuse addition , tout en profitant de la bonne hospitalité de lord Ahsburnham , qui m'a fait les honneurs, non-seulement de sa collection, mais encére de sa belle résidence avec celte courtoisie * magnifique qui distingue l'aristocratie anglaise. — 570 — « Un jour m'a sufh pour apprécier la valeur relative du manuscrit de la Bibliothèque royale de Bruxelles inscrit sous le n° 20786, qui n'est qu'un abrégé des quatre livres des Chroniques. Après une courte halte à la Haye, il me tardait d'arriver à Leyde où je savais que je trouverais deux manuscrits de Froissart ayant appartenu à Isaac Vossius, qui furent indiqués vers la fin du dernier siècle à Dacier par Dutens, histo- riographe du roi d'Angleterre. Ces deux manuscrits sont conservés à la bibliothèque de l'Université dans le fonds de Vossius; mais c’est à tort qu'ils sont inscrits sous la même cote. Tout diffère dans ces deux ma- nuscrits, dont l’un contient le premier et l’autre le deuxième livre des Chroniques. «Le manuscrit du premier livre, plus moderne que le manuscrit du deuxième livre, est à peu près insignifiant. Le manuscrit du deuxième livre, au contraire, doit être mis tout à fait hors de pair. De tous les textes du deuxième livre des Chroniques que nous connaissons, ce ma- nuscril est incontestablement celui qui présente les caractères de la plus haute antiquité. L'écriture est certainement antérieure à 1400 et proba- blement à 1300; elle affecte des allures assez cursives ; et le format in-4°, plus maniable, plus portatif, plus commode que le grand in-folio des ma- nuscrits ordinaires, semblerait indiquer que le manuscrit de Leyde n’a pas été exécuté par un copiste de profession. Il esl écrit sur une seule colonne; il n'a point de titres de chapitres insérés dans le texte; il n’a point non plus de miniatures ; enfin, il est rédigé en dialecte wallon ou picard avec beaucoup de soin et de correction : autant de caractères qui assurent à ce manuscrit presque le même degré d'importance et d’au- thenlicité qu'a un manuscrit autographe. J'ajoute qu'on conserve aux Archives de la ville de Valenciennes des comples de la deuxième moitié du x1v° siècle, qui m'ont été obligeamment communiqués par l'archiviste M. Caffaux , et dont l'écriture ressemble singulièrement à celle du ma- nuscrit de Leyde. «Dans ce précieux manuscrit, comme dans le manuscrit Arundel du British Museum et dans le manuscrit d'Ahsburnham-Palace dont nous parlions tout à l'heure, comme aussi dans quelques manuscrits de notre Bibliothèque impériale, le deuxième livre des Chroniques ne commence qu'au quarante-deuxième chapitre de l'édition de Buchon, et la fin de ce même livre renferme une addition au texte suivi dans les autres ma- nuscrits. Celte double particularité est un des caractères distinctifs aux- quels on reconnaît la rédaction la plus ancienne du deuxième livre des Chroniques, dont le manuscrit de la bibliothèque de l’Université de Leyde doit être considéré comme’le type le-plus authentique à tous les points de vue ”. ! Ces remarques, qui sont le résultat d’un travail personne], avaient été faites avant nous par M. le baron Kervyn de Lettenhove dans une notice lue à l'Académie de Belgique — 971 — « Le savant conservateur de la bibliothèque de l'Université de Leyde. M. Durieu, qui est en même temps professeur à cette Université, et qui descend d'une de ces familles françaises réfugiées auxquelles le Lyon des Batuves doit la fondation de ses fabriques et le développement de son industrie, m'a fait espérer que je pourrais obtenir par la voie diploma- tique le prêt de ce manuscrit d'une importance vraiment capitale. « À mon retour de Hollande, je me suis arrêté à Mons où j'avais l'in- tention d'examiner un manuscrit, signalé depuis longtemps , qui renferme le troisième livre des Chroniques ; au moment de mon passage dans celte ville, ce manuscrit se trouvait entre les mains de M. le baron Kervyn de Lettenhove, qui publie, comme on sait, sous Îles auspices de l'Académie de Belgique, une édition de Froissart, dont les deux premiers volumes ont déjà paru. «Grâce à l'extrême obligeance de M. Caffiaux , j'ai pu collationner en quelques jours l'édition donnée par Buchon du manuscrit conservé dans la bibliothèque communale de cette ville, si justement fière d’avoir vu naître Froissart. Ce manuscrit n'est, à mon avis, qu'une copie abrégée du manuscrit d'Amiens, sauf quelques passages fort rares, par exemple les chapitres relatifs à l'investiture d' Édouard III comme vicaire de l'Em- pire, où le manuscrit de Valenciennes ajoule certains détails et des dé- veloppements originaux. Quoi qu'il en soit, j'ai pu constaler certaine- ment que ces deux manuscrits ont la même provenance et qu'ils ont été exécutés l'un et l’autre pour l’illustre maison de Croy. En effet, de même qu'on voit au bas de la vignette du premier folio du manuscrit d'Amiens les armes de Jean de Croy, comte de Chimay, on lit entre les jambages de la première lettrine du manuscrit de Valenciennes la signature au- iographe d’un Crovy. « J'ai terminé la mission dont vous m'aviez chargé, Monsieur le Mi- nistre, par un examen des manuscrits de Berne et de Besançon. Le manuscrit de Berne est de la fin du xv‘ siècle et n'offre rien qui mérite d'être signalé à Votre Excellence. Quant au manuscrit de Besançon, il a été trop bien décrit par mon confrère et ami M. Castan, pour que je recommence un travail fait de main de maître. » Parmi les renseignements fournis par M. Alfred Demersay dans un des rapports qu'il a adressés au Ministre de l'mstruction publique sur ses recherches dans les bibliothèques et les archives de l'Espagne, en 1867, nous croyons devoir mentionner le passage suivant : too 2! Il est consolant pour les amis de l'Espagne de voir un pays, et dont un tirage à part enrichit maintenant le manuscrit de Leyde auquel il est annexé et où nous l'avons lu pour la première fois, Cette communauté de vues avec un savant si compétent donne à nos propres observations une autorité inespérée, MISS. SCIENT. — IV. 36 — 972 — déchiré depuis tant d'années par la guerre civile, se souvenir de loin en loin du rôle glorieux qu'il a joué au xvi siècle, et consacrer les res- sources modiques de son budget à l'accroissement de ses richesses scientifiques et littéraires. Aussi faut-il Jouer avec empressement le mar- quis de La Vega de Armijo, un des membres du dernier cabinet présidé par le maréchal O'Donnel, d'avoir acquis la précieuse collection que l'on vient d'installer provisoirement dans les salles insuffisantes du mi- nistère de Fomento, en attendant sa réunion à la bibliothèque nationale de Madrid, dans le palais que l’on élève à grands frais sur la promée- nade du Prado. «C'est à Palma de Mayorque que cette collection considérable d'ou- vrages rares fut réunie par les soins de dom Pedro Caro y Sureda, marquis de la Romana, capitaine général et commandant en chef des lroupes espagnoles en Danemark, dans les premières années de ce siècle. Vers 1811, le marquis, homme de goût et très-lettré, mourut, et les livres qu'il avait rassemblés avec tant de zèle et de sacrifices furent négligés pendant de longues années par ses héritiers. Beaucoup se perdirent, d'autres devinrent la proie des vers. Enfin, les héritiers son- gèrent à tirer parti des richesses qu'il avait laissées, et, en 1860, sa bibliothèque fut transportée à Madrid et mise en vente. On en dressa lant bien que mal un catalogue, et au moment où les principaux h: braires d'Angleterre et de France répondaient à l'appel qu'on leur avait adressé, le ministre de Fomento, au nom du gouvernement espagnol, s’en rendit acquéreur moyennant 20,000 duros (105,000 francs). «Sans avoir l'intention d'énumérer ici les principales raretés biblio- graphiques que rénferme le fonds du marquis de La Romana, je cède au désir d'en citer au moins quelques-unes. «Ainsi, on y trouve : « La première édition du livre intitulé : De Trintatis erroribus, par Miguel Servet, médecin catalan ; «Les Meditationes, de Turrecremata (Rome, 1467), ouvrage dont on ne connait encore que trois exemplaires ; La deuxième édition des Bocudos de Oro (Valladolid, décembre 1527); «La première édition des œuvres complètes d'Homère, 1 vol. in-folio, imprimé à Florence en 1488 sur papier d'une conservation admirable, avec grandes marges et magnifiquement relié en parchemin. À tous ces mérites il convient d'en ajouter un autre qui, à mes yeux, double le prix de ce beau livre. Il a appartenu à Hernando Colomb , le fils ainé du grand amiral, qui légua, on le sait, sa bibliothèque au chapitre de Sé- ville, avec une somme considérable pour son entretien !. Sur le dernier feuillet, on lit cette note écrite de la main du savant qui consacra sa vie ? Elle existe loujours dans la capitale de l'Andalousie, sous le nom de Bibliothèque colombüne. Sd D É ELEL d — 573 — ‘ à l'étude des lettres, et dédaigna les richesses du Nouveau-Monde, si ardemment convoilées par ses contemporains : « Este libro costo en Roma 440 quatrines ané 1512 por Set‘ (septembre). —- Vale un ducado de oro 307 quatrines. « Esta registrado 4004 (sur son catalogue). « Enfin de nombreuses et belles éditions du xv° siècle et des premières années du xvi°, en caractères gothiques très-bien conservés, avec riches reliures de l'époque ; des ouvrages en grand nombre, sortis des presses les plus célèbres de l'Europe, ou faisant partie des collections plus répandues, mais encore fort estimées, dites Variorum et Ad usum Delphini. « Pour achever l'historique de cette intéressante collection, je dois, Monsieur le ministre, consacrer quelques lignes au catalogue que l'on composa dans le but seulement d'en rendre la vente plus facile et plus profitable. « Les ouvrages distingués, en manuscrits et en imprimés , y sont classés dans six grandes sections, divisées et subdivisées d'une manière très- confuse, Ainsi, dans chacune d'elles, loin de suivre l'ordre alphabé- tique, soit pour les titres des volumes, soit pour les noms des auteurs, _on les a rangés d'après leur format. Le moindre inconvénient de cette classification est de séparer les éditions, souvent très-nombreuses, d'un même ouvrage. à « Tel qu'il est et malgré ses imperfections, le catalogue du fonds de La Romana m a paru de nature à intéresser les bibliophiles et les cher- cheurs, que des études spéciales pourraient entrainer à consulter les auteurs dont les noms figurent dans ses colonnes, et j'ai l'honneur d'en adresser à Votre Excellence un exemplaire destiné à prendre place sur les rayons de la Bibliothèque impériale de Paris, déjà si riche en com- pilations de cette nature. » 58 ÿ es "s ( ARUEOÉ 2:24 3% Ed At sé DE" allée ‘af se A, fr nuyépiädit: si ; Ep. ÉUIT OLA NPA AE) FR cuites HAS AËS dit fre Saruss duva D. sL 2 à " d ie À n à dt b pr MECTEN xp. it 1 anaÿibazalisd, “vence tx æ à ar (atqn At aNE. sapiens evene haÀ pe” Lite - ss bé parures PTLPE Po rt si Late le RULES rés Li ti DES MORE TE me TEAM OR oui, aa seen RS ua 16 * Le BA TIT A dose EU RÉRANVIEUO abla ; ét pe A jve À mob ‘ ei varie vai dé + (in \ya, /RSES re’ int, RNA, ax LE tué Lies -QÙE ot ain Gonna: ue ai è sl Fil RE Hs 0 WE F4 pa er ‘0 out silos still Vs teralsh: 90 eus EURE 4e Su bet Lsañeriites ta root. RE #1 CÆL > à ï sh ET RRQ NDRE. MAR RENE L . à til xt a” er ivre saut A PA ET 221 1e At y CN } « EE + ; ; ee 1 ses S Li ms ë L 274528, L à LR - =" d - 4 st Et AITIT UE é «VEUT # « 5. h pee vote : } (5 MIEIT LE + [a « 4 x 2h À JE L EN SEE à e À x vu ù os: ab a J [ RE © 4e AU Ê $ EL } HENRI E LES - û PA ARTE: : ro 1H. 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Demersay (Alfred). — Mission ayant pour objet de rechercher dans les bibliothèques et les archives de l'Espagne et du Portugal les divers documents relatifs à l'histoire de la domination de ces deux pays en Amérique. (Arrêté du 5 mars 1866.) G. Devise et E. CoquartT. — Mission épigraphique ét archéologique dans l'île de Samothrace. | (Arrêté du 26 mars 1866.) CHAMPOIsEAU. — Mission scientifique à l'effet d'étudier les anciens mo- numents de Nicopolis, de relever le plan d’un stade existant encore dans cette ville et de rechercher les objets d'art qui peuvent y être enfouis. (Arrêté du 12 décembre 1866.) MüzLer (Charles). — Examen et collation d'un certain nombre de ma- nuscrits de Ptolémée dans la bibliothèque dite des Paléoloques à Cons- tantinople, afin de compléter les travaux préparatoires d'une nouvelle édition de cet auteur. (Arrêté du 7 janvier 1867.) FouquÉ. — Observations sur les phénomènes volcaniques de l'ile de Santorin et des îles circonvoisines, et études des constructions ar- chaïques récemment découvertes dans ces parages. (Arrêté du 10 janvier 1867). 0) 1 ee MM. JANSSEN. — Etude sur l'éruption volcanique des îles Santorin au point de vue des phénomènes physiques. (Arrêté du 7 février 1867.) Le R. P. Davin. — Recherches dans l'empire Chinois concernant l'his- toire naturelle, particulièrement la botanique et la zoologie. (Arrêté du 7 février 1867.) Manev. — Études des laboratoires, instruments et procédés en usage dans les divers établissements scientifiques du royaume de Hollande et de l'Allemagne, notamment à Utrecht, à Berlin, à Leipzig et a Heidelberg. (Arrêté du 22 mars 1867.) ZOTENBERG. — Examen et collation au British Museum et dans quel- ques autres bibliothèques d'Angleterre des manuscrits syriaques, coptes et éthiopiens existants dans ces divers dépôts. (Arrêté du 8 avril 1867.) DE FLaux. — Mission en Espagne et en Portugal à l'effet de rechercher dans les principales bibliothèques et archives de la péninsule ibérique les documents pouvant servir à une étude comparative de la langue, de la littérature et des mœurs de l'Espagne et de la France, depuis l'époque de Charlemagne jusqu'à la Restauration. (Arrêté du 18 mai 1867.) Léouzon Lepuc. — Mission en Danemark, en Suède, en Norvége et en Finlande à l'effet de rechercher dans les archives, bibliothèques et autres élablissements publics de ces contrées, les documents qui se rattachent à l’histoire, à l’ethnologie, à la linguistique, ainsi qu'à l'archéologie. (Arrêté du 29 juin 1867.) SAINTE -CLAIRE-DeEvizze (Charles), membre de l'Institut. — Mission géologique aux îles Açores. (Arrêté du 10 juillet 1867.) MM. CazLANDREAU. — Mission littéraire en Italie à l'effet d'y étudier divers documents pour la publication d'un ouvrage intitulé : Essai sur lu maison romaine dans l'antiquité, le moyen äge et la renaissance. (Arrêté du 26 juillet 1867.) Meyer (Paul). — Mission à Oxford et Ashburnham-Palace pour y con- tinuer la copie et la collation de diverses chansons de gestes destinées au recueil des «anciens poëtes de la France, » publié sous les auspices du Ministère de l'instruction publique. (Arrêté du 26 juillet 1867.) Luce (Siméon). — Mission en Angleterre et en Belgique a l'effet d'y faire des recherches et des études relatives aux manuscrits de Frois- sart. (Arrêté du 30 juillet 1867.) L'abbé TourouDe. — Mission en Belgique et en Hollande à l'effet d'y recueillir les anciens chants et les poésies sacrées de la Gaule. (Arrêté du 31 juillet 1867.) Fiervizze. — Étude des manuscrits relatifs aux œuvres de Quintilien et de Salluste existants dans la bibliothèque de la ville de Carcassonne. (Arrêté du 8 août 1867.) Bouvier (Aimé). — Exploration de l'archipel du cap Vert au point de vue de l'histoire naturelle. (Arrêté du 28 septembre 1867.) - GRaxDinier (Alfred). — Exploration des côtes occidentales et méridio- nales de l'ile de Madagascar au point de vue de la géographie, de l'anthropologie et de l'histoire naturelle en général. [Arrêté du 0 octobre 1867.) — 978 — MM. BourGoix Dp'OrLi. — Mission au Brésil à l'effet dy faire des recherches sur l'archéologie et la linguistique de cet empire. (Arrêté du 6 décembre 1867.) Liver (Charles). — Recherches dans les établissements publics et dans les collections particulières du Portugal des documents pouvant servir aux travaux préparatoires d'une histoire de l'influence française dans le midi de l'Europe. (Arrêté du 26 décembre 1867.) TABLE DES MATIÈRES SUIVANT L’ORDRE DANS LEQUET, ELLES SONT PLACÉES DANS CE VOLUME. Troisième rapport sur les recherches faites à la Bibliothèque impériale de Saint-Pétersbourg, concernant les lettres originales et les manuscrits français sortis de France, par M. le comte Hector pr La FERRIÈRE, membre non résident du comité impérial des travaux historiques et des sociétés savantes. ..... Re PRE RS UE DS Lee AE Deuxième rapport sur une mission littéraire en Angleterre et en Écosse par M. Paul Meyer, membre du comité impérial des travaux histo- Notice sur les ruines de l’hiéron des Muses dans l’'Hélicon, par M. P. Des- Rapport sur une mission archéologique et épigraphique en Moldavie et en Valachie, par M. Gustave Boissière . ..... da HA TON ETS Premier rapport sur une mission scientifique à l'ile Santorin, par M.F. a Sn RAR due D Na HAT SI LR par M. Gustave Devis ce ; Note explicative, accompagnée de plans et dessins et faisant suite au r'ap- port de M. Gustave Deville, par M. E, Coquarrt, ancien pensionnaire Venise et le Bas-Empire. — Histoire des relations de Venise avec l'empire d'Orient, depuis la fondation de la République jusqu’à la prise de Cons- tantinople au xH° siècle, par M. J. ARMINGAUD, ancien membre de l'Ecole française d'Athènes . PT NS a dur qua ne ST SE ER Rapport sur les tremblements de terre de Céphalonie et Mételin en 1867, par M. Fouqué...... AN EN RU CPAS CERN : e Béotie, par M. P. DecHar de l'Ecole française d'Athènes. . . LR Peu ME, membre l'étude de plusieurs questions de physique céleste, par M. Janssen. . .. Faits divers relatifs aux Msaione 220 2: > Pages, 249 _ FAR 38 LAN NAN AN ANASANA SANS ASRANASAISAS/SASSNSASSLSASA ANNEES DAS M Les ARCHIVES DES MIssiONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES NAN se vendent au prix de 9 francs le volume. ts ON SOUSCRIT A PARIS, cez FRANCK, RUE RICHELIEU, N° 67; ET GHEZ À. DURAND. RUE CusAS, N° FE AAA ARS Ü TA EVE A6à l | EEE “H000000009000909001900€ SSSR RS COS BUONDUTOCON OS OUEN CÉ CE CCUEN * 1 1 1 “ il # PAU ŒL f ' \ + [es pe N ir MA I { Ü . d CEA 1 + L'ANA Le LUE 3 9088 01298 7798