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Émile Wonns. “pa à Li ARCHIVES DES SIONS SCIENTIFIQUES ET LITTÉRAIRES. ”- L 4 « he s » + ARCHIVES | MISSIONS SCIENTIFIQUES È | ET LITTÉRAIRES. 1 M "+ + _ CHOIX DE RAPPORTS ET INSTRUCTIONS , & PUBLIÉS SOUS LES AUSPICES "DU MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. DEUXIÈME SÉRIE. « E TOME SEPTIÈME. PARIS. IMPRIMERIE NATIONALE. a M DCCC LXXII. FRS MINISTÈRE DE L'INSTRUCTION PUBLIQUE. Ce ARCHIVES DES MISSIONS SCIENTIFIQUES. RAPPORT SUR UNE MISSION AYANT POUR OBJET DE RECUEILLIR, _ DANS LES ARCAIVES DU ROYAUME DE BELGIQUE, LES PAPIERS D'ÉTAT DES XVI‘, XVII° ET XVIII‘ SIÈCLES, RELATIFS À L'HISTOIRE DE FRANCE, PAR M. E. BOUTARIC, MEMBRE DU COMITÉ DES TRAVAUX HISTORIQUES ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES. Monsieur le Ministre, Un de vos prédécesseurs a bien voulu me charger, en 1864, de rechercher dans les archives et les bibliothèques de Belgique les documents qui peuvent s'y trouver concernant l’histoire de France au moyen àge ; le résultat de mes recherches a été consigné dans un rapport étendu qui a été imprimé dans le tome IT de la pré- sente série des Archives des missions. En 1864, je me suis borné, conformément au programme qui m'avait été tracé, à recueillir les chartes, comptes, lettres missives et autres actes intéressant notre pays, antérieurs aux temps modernes; mais j'ai dès lors noté et si- gnalé dans mon rapport l'existence d’un nombre considérable de documents propres à jeter un grand jour sur notre histoire pen- dant les trois derniers siècles. Il était d'une grande importance de MISS. SCIENT, — VII. 1 e LIL Obi mettre à la disposition de nos historiens des notions suflisantes pour les guider dans l'exploration d’une source d'informations précieuse et facilement accessible. J'ai complété en 1868 mon tra- vail de 1864, en recherchant et en inventoriant sommairement les papiers d'État conservés aux archives générales du royaume de Belgique; c’est le résultat de cette seconde mission, accomplie pen- dant les mois de juillet et août, que je demande la permission de vous soumettre. Personne n'ignore avec quel soin le gouvernement espagnol conservait dès le moyen âge ses archives, principalement les do- cuments relatifs à ses rapports avec les puissances étrangères. II n’est pas besoin de parler des archives royales de Simancas qui ont fourni à l'Europe savante les informations les plus précises et les plus curieuses pour l'histoire du xvi° siècle. L'Espagne pro- duisit alors et le gouvernement espagnol eut à son service des hommes d'État éminents et des ambassadeurs qui ne le cèdent pas en finesse d'observation aux ambassadeurs vénitiens dont les dé- pêches ont été si heureusement mises à contribution. I suffit de nommer le cardinal de Granvelle, Simon Renard, Chantonnay, Ayala, le duc d’Albe, etc. Il y a donc intérêt à réunir tout ce qui émane de ces diplomates qui pendant longtemps prirent part à toutes les grandes affaires qui agitèrent l'Europe. Au xvi° siècle, la monarchie espagnole s'étendait sur les deux mondes, et quand elle alla en s’amoindrissant, sa diplomatie n'en continua pas moins de déployer une grande activité jusqu’au temps où la maison de Bourbon fut définitivement assise sur le trône d'Espagne. Mais ce n’est pas seulement dans la Péninsule qu’il faut cher- cher les papiers d'État de la monarchie espagnole : l'Autriche et la Belgique en conservent une grande quantité et non les moins authentiques ni les moins importants. Je n’ai à m'occuper que de ceux qui sont à Bruxelles. Je dois commencer à expliquer pour: quoi et comment ils se trouvent dans cette capitale. Les gouverneurs généraux des Pays-Bas espagnols étaient, au xvi° siècle, des princes de la maison d'Autriche; placés au centre de l'Europe, ils étaient admirablement situés pour être bien in- formés de ce qui se passait, surtout pendant les mouvements de la Réforme. Ils tenaient au courant, soit l'empereur Charles-Quint, soit Philippe IT, des moindres incidents qui se produisaient en br. M mb Europe, et le monarque leur transmettait souvent les dépèches qu'il. avait lui-même reçues de ses agents. Il en résulte que les archives des gouverneurs généraux des Pays-Bas espagnols, aujourd'hui à Bruxelles, contiennent à la fois et les dépêches qu'on leur adressait directement, ainsi que les minutes des lettres qu'ils écrivaient, mais encore un grand nombre de documents, lettres, rapports, etc. qui avaient été envoyés au roi d'Espagne et dont celui-ci leur donnait communication. Je signalerai même ce fait bizarre que pour un grand nombre de dépêches d’ambassadeurs en France, notamment Simon Renard et Chantonnay, les originaux sont à Bruxelles, tandis que les archives royales de Simancas ne possédaient que des copies et même des traductions de ces mêmes dépêches dont les originaux sont en langue française. À partir du traité de Vervins, les Pays-Bas espagnols formèrent une sorte de souveraineté sous la suzeraineté de l'Espagne avec un gouvernement intérieur autonome. Les gouverneurs eurent leurs représentants dans les cours étrangères. Je vais maintenant énumérer les divers fonds des archives des anciens gouverneurs des Pays-Bas, aujourd'hui conservés aux ar- chives du royaume de Belgique, qui recèlent des documents rela- tifs à la France. Tout d'abord j'ai un devoir à remplir : je déclare que, dans l’espace de temps restreint qui m'était accordé, il m'eüût été matériellement impossible de recueillir les renseignements que renferme ce rapport, si je n'avais trouvé dans l'administration des archives du royaume, je ne dirai pas seulement le plus libéral, mais encore le plus amical empressement à me tout montrer; on m'a même traité comme un collègue, et j'ai eu, par une faveur spéciale, accès dans les dépôts si bien tenus des archives de Bruxelles et où un travail incessant s'efforce d'accroître l’ordre et les moyens de recherche. Je ne saurais trop remercier M. Gachard, garde général des archives du royaume, qui a donné l'ordre de m'accorder toutes facilités, et à MM. Pinchart et Piaud, chefs de section, qui se sont mis personnellement à ma disposition avec le plus aimable empressement et dont je n'ai jamais pu lasser la patience. Le premier fonds qui me fut signalé comme devant être l'objet de mon examen fut celui de l’Audience. Ce fonds n’a pas reçu de numérotage courant; il en résulte que je désignerai les documents, soit individuellement, soit par petites séries. ee ARCHIVES DE L’'AUDIENCE. L'Audience était un dépôt où l’on conservait les papiers d'Etat, tels que dépêches d'ambassadeurs, lettres de gouverneurs de pro- vinces, minutes de la correspondance des gouverneurs généraux des Pays-Bas, etc. Ces documents sont rangés par ordre chrono- logique, toutes matières mêlées, dans un très-grand nombre de liasses, ou fardes, comme on dit en Belgique. C’est assez dire que les recherches y sont fort longues. Pour parer à cet inconvénient, l'administration autrichienne des Pays-Bas a, au xvnr° siècle, or- donné la formation de séries particulières, composées de papiers de même nature. Il en est résulié plusieurs collections , mais in- complètes et dont plusieurs ont un caractère trop vague pour beaucoup faciliter les recherches. Le gouvernement belge a fait relier ces collections, mesure excellente de conservation, mais qui offre le désavantage de consacrer un classement mauvais. Cepen- dant, si je suis bien informé, on songe aux archives de Bruxelles à ne pas regarder cet état de choses comme définitif, et l'on compte un jour ou l'autre procéder à une meilleure distribution des papiers de l’Audience. Quoi qu'il en soit, je vais énumérer les différentes séries of- ficiellement élablies dans le fonds de l’Audience, sans insister sur la grande série des minutes en liasses rangées chronologiquement qu’il faut toujours consulter pour combler les lacunes des collec- tions méthodiques. Tout d’abord nous trouvons une collection intitulée : Négocra- tions de France. Tome [*. Instructions diplomatiques. 1 vol. relié en maroquin rouge, renfermant les minutes originales des instructions données par l'em- pereur, le roi d'Espagne ou les gouverneurs généraux des Pays-Bas à leurs ambassadeurs à la cour de France. 21 septembre 1534. Instructions à Antoine Perrenot. 4 décembre 1541. Instruction pour le sieur de Crenalloy, envoyé en France. 8 novembre 1544. Instruction pour Charles, comte de Lalaing, et Guillaume Hangenart, pour négocier avec les ambassadeurs du roi de France à Cambrai. Original signé Charles. Lettres du roi François 1 à Charles-Quint pour le remercier des con- F — JD — doléinces que l'empereur lui avait adressées à“l'occasion de la mort du dauphin. Monsieur mon bon frere, J'ay receu voz lettres par le sieur de Molambeecz, avec la consolation que par luy il vous a pleu me donner, dont je vous mercie de très bon cueur, priant Dieu vous donner grace de n'avoir jamès besoyn d'estre consolé en tel endroyt, ny de sentir quelle douleur c’est que de la perte d’un filz, dont j'ay tel regret que un pere peut avoir non seulement pour mon intérest, ais encore pour le service que j'espéroye qu'il vous eust fait et à toute la crestienté, ainsi que le désiroit Vostre bon frere, cousyn et alyé. FRançoys. Cette lettre n’est pas autographe; elle est d'un secrétaire de la main, mais elle est signée par le roi. * 1545. 1° février. Instructions à Ponthus, seigneur de Bugnicourt, chevalier de l'ordre, à Philippe Negri, prévôt de Harlebecque, et à Guil- laume Hangenart, pour la conclusion du traité de Cambrai. 25 juillet 1551. Instructions à Jean Du Boys «de ce que aurez à faire à Dieppe, en Normandie, devers l'admiral ou son lieutenant illecq, ou autres ayant charge d'arrester ou de desarrester les navires des subjectz de par deça y arrivez.» 1999. Instructions au comte de Lalaing et à Philibert de Bruxelles, docteur es decrets, pour les negociations avec l'amiral de France touchant les prisonniers d'un côté et d'autre. Février 1559. Instructions à Ph. de Sainte-Aldegonde, au sujet des limites de l'Artois. 2 seplembre 1560. Instructions de Philippe II à don Antonio de To- ledo, prieur de Léon, envoyé en France. (En espagnol.) 12 août 1963. Instructions de Philippe IT à don Francès de Alava, envoyé en France. (En espagnol.) Mai 1569. « Instructions pour vous, monsieur de Havré, que j'envoye présentement vers le roy de France pour luy congratuler de la victoire que monsieur le duc d'Anjou, son frere, a obtenue sur le prince de Condé. (Bataille de Jarnac.) 9 avril 1572. «Instructions pour vous, messire Adrien d'Oingnyes, chevalier, seigneur de Villerval, de ce que vous aurez à faire vers le roy de France, où je vous envoye présentement demander des éclair- cissemens sur des réunions de vaisseaux à la Rochelle. » 9 août 1573. Instructions au sire de Gomiecourt, envoyé vers le roi de France, au sujet du rassemblement d'une armée française à Tilly-sur- Meuse. 1977. Instructions au sieur de Faulquenberghe au sujet de limpo- LS: RD sition d'un écu et demi sur chaque tonneau sortant du royaume. Négo- ciations y relatives. 1589. Instructions pour communiquer avec l'évêque d'Amiens, le sénéchal de Montélimart et autres des sieurs Colligez en France (Li- gueurs ). 1590. Instruction au sieur de Marles, gouverneur des ville et cité d'Arras «de ce que vous aurez à faire au voyage où vous envoyons de Îa part de Sa Majesté en France, tant vers monsieur le ducq de Mayenne que vers ceulx de la ville de Paris.» Mars 1599. Instructions pour le baron de Bassigun «de ce qu'il aura à faire et négocier au royaulme de France, où nous l'envoyons présen- tement. » Mémoire par forme d'instruction sur le fait du commerce avec la France, 8 mai 1595. Lettre de Philippe de Ayala à l'audiencier Verreyhey. Plainte à M. de La Bodderye, ambassadeur du roi de France, tou- chant les torts faicts à aucuns bourgeois et habitants de la ville de Sédan. 22 août 1600. Instructions au comte d'Aremberg, envoyé en France à l'occasion du mariage de Henri IV avec Marie de Médicis. Correspon- dance à ce sujet. Deux lettres de Henri IV, datées de Grenoble Île 26 septembre 1600, l'une à l'infante, l'autre à l'archiduc gouverneur des Pays-Bas, au sujet des marques d'amitié qu'ils lui ont données lors de son mariage. 22 août 1600. Instructions à Ph. d'Ayala, nommé agent résident en France à la place de M. de Tassis. 6 janvier 1607. Instruction pour Peckius, nommé résident du gou- verneur des Pays-Bas à Paris. 29 juillet 1610. Instructions à Charles de Longueval, comte de Buc- quoy, envoyé en France. 28 octobre 1016. Instructions au prince de Ligne, envoyé extraordi- naire en France. 23 décembre 1620. Instructions au comte deCantecroix , ambassadeur extraordinaire en France. Le premier volume des Négociations de France est donc, sauf quelques rares exceptions, consacré aux instructions données aux ambassadeurs et envoyés de l’empereur, du roi d'Espagne, puis des gouverneurs des Pays-Bas à la cour de France. Les volumes suivants renferment les correspondances diplomatiques. Tome If. Correspondance de 1535 à 1562. J'at remarqué dans ce volume, composé d'originaux, plusieurs L PARA E lettres diplomatiques relatives aux affaires de France, non en- voyées. Correspondance du fameux Simon Renard avec Charles Quint : dé- pêches en chiffres. Déchiffrement. Les lettres de Simon Renard, rédigées en français, sont très- remarquables; elles dénotent chez leur auteur une très-grande linesse d'observation et un esprit critique très-exercé. Les archives de Simancas ne possèdent que de pâles traductions en espagnol de ces curieuses lettres, mais il y a dans les archives de Bruxelles de fortes lacunes que l’on peut heureusement combler avec les traductions de Simancas. Les dépêches de Simon Renard conser- vées dans le fonds de Audience sont toutes de l’an 1556; je cite un échantillon du style de Simon Renard. 3 juin 1956. « Le dit sieur roy (Henri IT) fait finance de 500,000 escus, dont il fait paiement aux capitaines de chevaulx légers de douze moys que leur estoit deu, et aux hommes d'armes et capitaines d'infanterie. Et est venu en court Francisco Nase pour en payer une partie. Le dit seigneur doibt deux millions et demy d'or qui courent à interrest de seize pour cent. Les Etatz du royaume en particulier viennent de jour à autre pour supplier le dit sieur roy de les relever des grandes et extraor- dinaires contributions que l'on liève sur eulx, remontrant que le peuple ne le peut plus supporter, et se trouve conseillé le dit sieur roy de re- mettre le tallion ou autre charge extraordinaire. J'indiquerai plus loin un manuscrit de Bruxelles qui permet de compléter la correspondance originale de Simon Renard, dont une partie a malheureusement disparu. Je continue à analyser le tome I du fonds de lAudience. Correspondance de M. de Chantonnay, ambassadeur de Philippe I en France, de 1559 à 1563. M. de Chantonnay était de la famille du cardinal de Gran- velle, et écrivait en francais. Ses dépêches offrent un grand intérêt, eu égard à l’époque où il était à la cour de France. Elles renferment des détails de la plus haute importance sur la conjuration d’Am- boise; mais il y a de fortes lacunes, que l’on peut en partie faire disparaître à l’aide de copies faites au siècle dernier par ordre du gouvernement autrichien, que je signalerai plus bas. Aux lettres de M. de Chantonnay sont joints plusieurs autres documents, eu VPes entre autres plusieurs lettres de Catherine de Médicis à la duchesse de Parme. En voici une: Ma sœur, Je donné charge dès le commencement de noz troubles à Jehan Pierre Nei- grol, marchand Milanoiïs, demeurant à Paris, de faire venir d’Italye une bonne quantité d’armes, et jusques à cent caisses, tant harquebuz que corseletz et morions pour le service du roy monsieur mon fils , les quelles armes il devoit faire entrer par la Lorraine et les passer par la Champaigne, qui estoit lors l'endroit de ce royaume le plus paisible, pour les mener droict à Paris. Et pour ce que depuis, ledict pays de Champaigne est tombé au mesme ou plus grant trouble que les autres provinces du royaume, on leur fera prendre le chemin de Flandres pour les descendre à Amiens et de là à Paris. — Demande d'un passeport. — Escript au camp de Lazenay près Bourges, le xxv° jour d'aoust 1562.—- Signé Caterine, et contre-signé, Bourdin. Différentes lettres de divers personnages, mais pas de correspondance suivie. Tome LIL. 1602-1608. Extraits de la correspondance d' Ayala, résident du gouverneur des Pays-Bas en France, relatifs à la condamnation et à la mort du maréchal de Biron; curieux détails sur l'influence que le roi exerça sur les juges; texte de la requête de Biron: récit de l'exécution; mauvais effet produit par cette exécution sur le public. J'arrive à un véritable monument historique, à la correspon- dance de Peckius, successeur d'Ayala; cette correspondance com- mence le 18 juin 1607 : elle se compose de dépêches originales de Peckius et des minutes des réponses du gouverneur des Pays- Bas. Peckius était un homme d’un grand mérite, bon écrivain et d'une singulière pénétration ; il surveillait activement les rapports de Henri IV avec les Provinces-Unies, récemment soustraites au joug de l'Espagne. Ces dépêches sont souvent en chiffres, mais on y a joint le déchiffrement. Voici le récit d’une entrevue de Pec- kius avec Henri IV, qui se plaignit vivement de ce qu'on l'accusait d'empêcher la conclusion de la paix entre l’'archiduc et les Hol- landais : | 30 août 1607. «En l'audience que me donna le roy très-chrestien, le 28 de ce mois, après les complimens achevez sur le conjouyssement de sa convalescence, PEC souhait de longue continuation de santé et le tesmoignage que je luy rendis que Vostre Altesse en recepvroit toujours particulier contentement pour le grand estat qu'elle fait de son amytié, le roy, prenant subgect de sa response sur ceste déclaration AE d'amytié, me dit que je sçavois combien il avoit eu de bonne volonté à l'acheminement et avancement d'un accord perdurable de Vostre Altesse avec les Hollandois, mais qu'au lieu de faire cognoistre qu'icelle Vostre Altesse en tint compte et lui en sceust gré, l'on dit publicquement es Flandres que c'est luy qui veult empescher la paix et rompre le traitté, comme sil estoit si malheureux homme que de vouloir en ce tromper Vostre Altesse, contre la foy de la parolle qu'il luy en a faict donner tant par moy que par le sieur de Berny, resident pour son service en vostre cour. A « Sur quoy je lui représentai le plus modestement qu'il me fut possible que je ne sçavois ce que c'estoit du bruit dont il se plaignoit, mais que jestois bien asseuré quil n'est pas procedé de Vostre Altesse. Et le rov souldain répartit que telz bruïts n'ont accoustumé de prendre corps ni créance entre le peuple, s'ils ne viennent de la cour ou de la tolérance d'icelle. Disant néantmoins qu'il ne se plaignoït d’aucuns propos qu'eust tenu Vosire Altesse, mais bien de ce qu'en a dit le marquis de Spi- nola, dont il montroit de se ressentir avecque colere et impatience, comme aussi de ce que le pere commussaire Neyem, après avoir été huit jours où environ à Senlis, avoit passé par son royaume vers Es- paigne à la desrobée et desguisé en habit de gentilhomme, me de- mandant si c'est devant luy que ceulx venant de la part de Vostre Al- tesse se doibvent ainsi cacher, et quelle espece d'amytié il y avoit en cela; qu'il en eut bien empesché le moyne et veu s'il portoit couronne, sans l'advis de quelqu un de son conseil qui fait tous jours le doulx. À quoy il adjoustoit que, si l'on pense avancer les affaires de Vostre Altesse par telles voyes, il y a lieu de Fabus, et qu'en contraire l'on doibt con- sidérer que s'il voulloit empescher la paix, il en a le moyen et le pou- voir. Ce qu il me répéta jusqu à trois fois afin que je l'entendisse mieux ; mais que jusques à présent il ne l'a voulu faire pour ne desirer que le repos de la chrestienneté, quoyque ceulx qui jugent mal de ses intentions ayent opinion qu'il veuille nourrir la guerre en Hollande, pour tant mieulx maintenir le repos en son royaulme. Ce qu'à son discours sera bon à dire d'un petit prince voisin, mais non pas de luy qui est roy puis- sant d'un royaulme ung et si bien muny de toutes parts qu'il ne doibt rien craindre. Disant en oultre que s'il eust voullu contrepointer la paix, il n'eust pas envoyé en Hollande le président Janin, qui est bon catho- licque et paisible, mais eust donné cette charge à un huguenot. » (Nc- gocialions avec la France, \. WT, p. 33.) Autre extrait, d’un genre différent : 3 1 octobre 1607. « Plusieurs parlent ici de l'alliance du prince de Galles axeçque madame la fille aisnée du ray très chrestien, filleule de la sé- { { \ ( Le 0e rénissime infante , et que la jeune princesse parle souvent de ce prince, qu'elle nomme son serviteur, et fait quelquelois coucher son pourtraict avec soy : de quoy l'ambassadeur d'Angleterre, et sa femme, font ici grande levée; et, à leur dire, ceste alliance se fera, bien que le dit am- bassadeur n’ayt encore eu aucune charge d'en parler. Et je scey de bonne part que la royne en a depuis n'a guerres parlé fort froidement, et comme si elle n'y avoit point d'inclination. » L Autre extrait d'une dépêche secrète, en partie chiffrée, et qui prouve que Henri IV avait des traîtres auprès de sa personne : 8 décembre 1607. « Du temps que Jean B. de Tassis residoit ambas- sadeur en ceste cour, fut donnée pension de cent escuz par mois | ce qui suit est en chiffres] au president de Rouen, laquelle a depuis esté retranchée, et finalement révoquée par ordre de don Balthazar de Çu- niga, faulte d'advis d'importance. Cesty personnage, puis quelques mois en ça, est par diverses fois venu secretement vers moy se plaindre de la ditte révocation, et que par ses longs et fideles services faicts à ses des- pens excessifs tant en voyages, entretenemens d'amys et espions qu'au- trement, il avoit bien plus mérité que la dite pension, disant mesmement qu'il a des papiers en main qui luy ont beaucoup coulé à recouvrer, contenant les plus secretzadvis et résolutions prinses par le conseil d'Estat de par deça sur les affaires d'Espagne et des Pays-Bas, et qu'il les’ com- muniqueroit si on vouloit le traiter honnestement selon ses mérites... » «Ces jours passés il m'est encore venu rapporter que depuis peu de jours ença le roy très chrestien ayant receu une dépesche de Hollande avoit assemblé un conseil d'Estat à Fontainebleau et y a arresté choses grandement préjudiciables à Sa Majesté Catholicque et à Vostre Altesse, disant en esire si bien asseuré que s’il eust été présent à la consultation. » Nouvelles communications ; «mais le dict président ne s’est voulu éclairer de plus prez, si on ne luy promeltoit les grandes récompenses par luy prétendues. » 13 décembre 1607. Le chancelier lui a donné des renseignements coniraires à ceux du président sur le conseil; le roi veut la pax ; en effet, «il n'y auroit apparence de soubçonner le contraire, considérant que par ceste paix le roy très chrestien obtiendra ce à quoy il a visé, et aspiré par tous ses secours et assistances données aux dits Estats, à sçavoir qu'estant les dites provinces séparées de la souveraineté de Vostre Al- tesse , et conséquemment de Sa Majesté Catholicque, il n'aura plus d'om- brage de l'accroissement de la puissance d'icelle Majesté; ainsi, que ceste séparation sera cause d’un plus asseuré repos entre les deux couronnes d'Espaigne et de France, sans qu'il luy sera plus besoing d'envoyer ses deniers en Hollande, comme il l’a fait, à quoi il adjoutoit que, sans la ue Me dite paix il fait à craindre qu'a la longue la guerre des Pays-Bas ne se change en une autre plus grande à l’intérest et embrasement genéral de la chrestienneté. » Suivent des nouvelles plus ou moins exactes, l’'emprisonnement de Morgan, le baptème du fils de la marquise de Verneuil, le bruit de la conversion au catholicisme du duc de Sully et du duc de Bouillon. Je ne puis tout analyser, mais je signalerai de très- importants renseignements sur l'ambassade extraordinaire de don Pedro de Toledo, qui déplut fort à Henri IV, lequel ne s’en cacha pas à Peckius. La correspondan ce de Peckius forme deux volumes, les tomes ELE et IV de fa collection des négociations de France du fonds de l’Au- dience. Le premier volume commence, comme je l'ai dit, le 18 juin 1607 pour finir le 24 décembre 1608. Le second volume va du 1* février 1610 au 3 août 161 1. Renseignements les plus pré- cieux et les plus détaillés sur les préparatifs de la guerre de Ju- liers, la fuite du prince de Condé, etc. La dépêche où était racontée la mort de Henri IV est malheureusement en déficit. Il est du reste à remarquer que dans le fonds de FAudience les correspondances sur les événements les plus marquants ont disparu, maïs on en trouve souvent des copies dans d’autres fonds, aënsi que j'ai eu soin de le noter. Le tome V des négociations de France renferme : 1° Les dépêches du successeur de Peckius, Renou Le Bailly, années 1611-1612, 1614-1616; 2° Celles de M. de Bournonville, comte de Menin, en 1612. Le tome VI contient : la correspondance du résident Henri de Vicq, de 1625 à 1627. Le tome VII, celle de A. de Clerc, 1628-1635. Le fonds des correspondances exclusivement françaises trouve son complément dans une série de rapports dus à des àägents se- crets, qui forment trois volumes intitulés : Avis et correspondances secrètes de Paris. Tome I“. Années 1617-1627. IL. Année 1628. HT. Années 1629-1630. C'est une source de renseignements curieux sur la régence de Marie de Médicis et sur les débuts du ministère de Richelieu. nn or, . MO: J'ai noté aussi un volume intitulé : Ambassade du prince de Ligne en France, recueil composé par M. larchiviste général Ga- chard avec des documents des archives de Bruxelles auxquels il a joint une relation de cette ambassade conservée au ministère des affaires étrangères à Paris. Les papiers d'État de l’Audience renferment en outre un grand nombre de volumes de minutes reliées où l’on trouve des docu- ments sur l’histoire de France. Volume °. Etats des officiers des ducs de Bourgogne, années 1433 à 1437. Volume I. Ordonnance de Jean Sans Peur du 12 mars 1414 (ancien style) sur l'hôtel du comte et de la comtesse de Charolais , suivie d'extraits du compte de Jean Sarrotte, maître de la chambre aux deniers du comte, années 1415-1416. — Ordonnance de Philippe le Bon sur le gouver- nement de son hôtel et de celui de la duchesse. Renseignements fournis en 1504 par la chambre des comptes de Lille sur les dépenses de l'hôtel de Philippe le Bon, de la duchesse Isabelle de Portugal et de la duchesse Marguerite d'Yorck.— Correspondance de Marguerite de Parme et de Philippe IT, en partie imprimée par M. Gachard. Correspondance du duc d’Albe et de Philippe 11. 1° Minutes des lettres du duc d’Albe. Tome I. N'était pas en place. IL. Avril 1999—mars 1971. LIT. Mai 1571-décembre 1573. 2° Lettres originales du roi. Tome IV. Mai 1567-—décembre 1560. V. Janvier 1970—juin 1972. VI. Juillet 1572-—octobre 1573. Correspondance du prince de Parme avec Philippe Il et autres personnes, 1378-1581. Documents sur l’Artois. Correspondance de Philippe II avec les gouverneurs des Pays-Bas. Tome [*. 29 janvier 1585-22 décembre 1587. , IT. 7 janvier 15888 décembre 1589. IL. 6 janvier 1590-29 décembre 1505. IV. 25 janvier 15962 août 1598. Plus un inventaire des trois derniers registres. — 15 — Je remarque à la date du 25 avril 1589 : Lettres du rot au comte d'Olivarès d'empêcher l'ouverture du collége de Besancon , et d'en poursuivre la révocation, si aucun octroi n’en a été fait. Lettre du roi au pape sur le même sujet. Je transcris, sans pouvoir aflirmer qu'elle soit inédite, la lettre suivante relative à Gollut , l'auteur de la République Séquanoise : Mon bon nepveu, Combien je vous aye escript le 13° d'octobre 1587 sur ce que requéroit Louys Golut, docteur en droictz en mon conté de Bourgogne, touchant le livre qu'il avoit composé de la généalogie des comtes de Bourgogne mes prédécesseurs, afin qu'estant le dit livre visité, fissiez depescher octroy pour l'impression d'icelluy, faisant de plus secourrir l’autheur par voye extraordinaire pour lez fraiz de la mesme impression. Toutesfois a esté par decça presentée sur le mesme faict la requeste cy jointe qui contient le mesme et vous va adresser à ce que ÿ pourvoiiez selonc ce que contient ma premiere lettre. 25 avril 1589. Lettre adressée au duc de Lorraine par Philippe IT, 10 novembre 1989 : Mon bon frere et cousin, J'ay entendu bien particulierement vostre lettre du x1° aoust passé, et de quelle affection vous desirez la pacification des affaires de la France, dont véritablement j'ay le mesme ressentiment , mesme pour le faict de nostre saincte foy et religion catholique romaine que devons maintenir et advencer autant qu’en nous est. Et quand celluy que depescherez arrivera vers moy j'entendray bien voluntier ce qu'il aura en charge à me déclairer de vostre part, pour l'employer en ce que pourray à remettre le tout en ung meilleur estat. (T1 s’agit du comte de Champlite.) Lettres missives des princes, grands, etc. Ce sont des lettres adressées à la reine Marie et à d’autres, notamment au duc d’Arschot et au cardinal Granvelle. Tome I”. g mai 1536 -décembre 1540. IL. Avril 1541-—juin 1542. III. Juillet- décembre 1542. Lettres diverses adressées à la reine Marie. Tome I. Mai 1536—29 juin 1543. IL. 2 juillet 1543-15 novembre 1545. IT. 5 mars 1546-13 mai 1548. La composition de ces deux collections est tout à fait arbitraire : on n'aurait dû créer qu’un seul recueil par ordre chronologique. En 1862, le gouvernement autrichien restitua au gonverne- à M ment belge un grand nombre de documents qui avaient été, à la fin du siècle dernier, enlevés des archives de Bruxelles et trans- portés à Vienne; de ce nombre est un volume FRS Recueil de lettres et instructions, 1569-1572. Fol. 55. 1572. Touchant la défaite de quelques troupes près de Mons {20 juillet). Fol. 57. Nouvelles de France : détails sur la Saint-Barthélemy. Fol. 61. Récit de la Saint-Barthélemy. Je signalerai encore une collection factice, mais renfermant des documents du plus haut intérêt, intitulée : Lettres des seigneurs. Tome Autre collection de lettres de toutes sortes, dont beaucoup regardent la France, intitulée Tome 1° Année 1555. Année 1541-1542. 1542-1945. janvier 1551-—février 1552. mars 1552. mai— juillet 1552. juillet— septembre 1 552. septembre—octobre 1552. novembre—décembre 1552. janvier—mars 1558. avril—novembre 1553. janvier—-mai 1554. juin—août 1554. septembre—décembre 1554. 155. 1556. janvier—mars 1557. avril—mai 1557. juin—décembre 1557. janvier-juin 1558. juillet- décembre 1558. 19599. : Correspondance générale. 1556. LE à XIT. | one XII ù Année LOT Lettres missives. | Dans cette collection intitulée : Juin-décembre 1598, je re- marque des dépêches de de Vos, résident à Paris, et des lettres de Ph. de Croy sur la réception des seigneurs français chargés de la conclusion de la paix. Dans le volume de 1599, plusieurs lettres de J.-Baptiste de Tassis, résident à Paris, n° 234. Papiers saisis sur le sieur Charretier, secrétaire du duc d'Anjou. 1583. 1 volume. On trouve aussi des dépèches sur les affaires de France dans la collection ayant pour titre : Négociations d'Angleterre. Tome I”. Années 1518-1605 (Instructions). IE. 1526-1548 (Correspondances). III. 1560, 1564, 1563. IV. 1969-1572. V. 1969, 1974-1976. VI. 1599-1600. VIL. 1600. VII. 1604. IX. 1605-1615. Ke Mélanges. Les négociations de Rome, de 1582 à 1636 , remplissent 32 vo- lumes; mais elles sont presque toutes relatives à des affaires reli- gieuses intérieures. J'ai examiné rapidement 10 volumes intitulés : Correspondances historiques de l'an 1600 à l’an 1629. Je n’y ai pas trouvé grand'chose; j'ai noté pourtant en 1600 quelques lettres de de Vos sur les dispositions belliqueuses de ve Mas -HÉue" Henri IV (2 août). Une lettre du 15 mars 1614 de M. de Berlay- mont sur les affaires de France, des dépêches des 8 et 15 mars 1614, elc. On comprend combien la création de ces collections défec- tueuses, qui renferment toutes des documents de même ñature, rend les recherches difficiles. Cela est si vrai, que l'administration des archives de Belgique est, ainsi que je l’ai dit plus haut, dis- posée à supprimer ces collections factices et à leur substituer un classement logique. Abandonnons le fonds de l’AuDiENcE pour passer à un autre fonds, celui de la SECRÉTAIRERIE ESPAGNOLE. Encore un titre trom- peur, car l’Audience renferme un grand nombre de documents émanés des rois d'Espagne, et dans la Secrétairerie dite Espagnole, il y a des documents qui ne sont ni rédigés en langue espagnole, ni émanant d'Espagne. J'ai recueilli l'indication dans ce fonds d’un grand nombre de papiers qui intéressent vivement notre histoire nationale. Correspondance des gouverneurs généraux avec les ambassadeurs d'Espagne à Paris, tantôt en espagnol, tantôt en français. Origi- naux reliés en volumes. Tome F*. 22 février 1659-28 décembre 1660. IT. Janvier 1664-11 septembre 1665. IT. 6 décembre 1679-20 janvier 1682. (Duc de Villa -Her- mosa-Jovenazzo.) IV. 27 avril 1685-21 décembre 1686. (Marquis de Gastanaga. — Comte Del Val.) Correspondance très-curieuse. — Venue du doge de Gênes à Versailles. — Troubles que le gouvernement français cherche à exciter en Angle- terre. V. 16 mars 1687-10 juin 1688. — Procès entre le comte de Solre et le prince d'Orange. Louvois impérieux. L'am- bassadeur écrit : x On veut tout de nous et on ne veut rien faire pour nous.» 21 novembre 1687. — Détails sur le différend de Louis X[V avec la cour de Rome. — Janvier et février 1688. Immenses armements maritimes de la France. — Le comie de Solre, ayant perdu au conseil de Brabant le procès qu'il avait avec le prince d'Orange, Louvois envoie la lettre suivante, que je copie sur l'original : = F7 — Versailles, ce 18 avril 1688. Monsieur, Le Roy a apris avec surprise l'injustice que l'on a faite à monsieur le comte de Solre. Sa Majesté s'attend que monsieur de Gastanaga la fera réparer incessam- ment et m'a commandé de vous avertir que, si l’on ne donne pas satisfaction à monsieur le comte de Solre, Elle ne pourra se dispenser de le faire mettre en possession des biens des sujets du roy d'Espagne retirez dans les terres de son obéissance jusque à concurrence de ce que luyÿ doit monsieur le prince d'Orange. Je suis, Monsieur, vostre très humble et très affectionné serviteur, [ DE Louvois. En même temps Louis XIV confisquait les biens des Francs- Comtois au service de l'Espagne. Le roi d'Espagne protesta (8 mai 1688) : on ne tint aucun compte de sa protestation. On saisit par- faitement dans les dépêches de l'ambassadeur d'Espagne la haine, haine immense que Louis XIV soulevait en Europe. Le 26 mai 1688, l'envoyé des Pays-Bas écrivait : « Les menaces de cette cour n'auront jamais de fin : on s’en sert pour le moindre sujet et sans examiner s’il est juste ou point. On veut nous obliger à tort et à travers à faire les réparations qu'ils demandent. » À l'appui, voici une lettre de Louvoïis. A Maintenon, ce 20 mai 1688. Monsieur, Le Roy ayant été informé des chicanes que l’on fait à Bruges aux bateliers sujets de Sa Majesté, en voulant les obliger à y rompre charge, Sa Majesté m'a commandé de vous en demander réparation, sinon qu’elle sera obligée de les en faire desdommager aux despens de ceux d'Espagne. Je suis vostre très humble et très affectionné serviteur. DE Louvors. L'affaire de Solre continue : 16 mai 1688, ultimatum de Lou- vois; dans trente jours, la réparation doit être accordée. Le roi d'Angleterre intervient. Les ministres étrangers conseillent la mo- dération. La révolution se prépare en Angleterre. 28 juin 1688. Dépêche du secrétaire Sancey. « Une personne de supposition m a dit aujourd hui que le maréchal d'Estrées a ordre d’en- trer dans la Manche avec vingt vaisseaux de guerre pour se joindre aux Anglois et donner la chasse aux Hollandois, qui sont dans cette mer MISS. SCIENT, —— VII. 2 DAT PR Ses depuis quelque temps à dessein, à ce que lon dit icy, de susciter quel- que révolte en Angleterre. On parle très mal en cette cour de M. le prince d'Orange au sujet de cette affaire, et l’on dit qu'il a fait semer dans Lon- dres des médailles séditieuses pour invitér le peuple à se révolter contre le roy. La correspondance du secrétaire Sancey pendant les six derniers mois de l’année 1688 abonde en curieux détails, notamment sur les intrigues de Louis XIV pour l'élection du cardinal de Furstem- berg. Irritation du Roi contre l'Espagne. On fit défendre à Sancey de servir le roi d'Espagne , sous prétexte qu'il était né à Saint-Omer: il prouva que, né à Bruxelles, il était sujet espagnol. 18 octobre 1688. « La seule nouvelle que je puis mander aujourd'hui à Vostre Excellence de cette cour est que le Roy très-chrestien a ordonné au père de La Chaise d’escrire à tous les provinciaux des jésuites du royaume de ne plus reconnaître à l’avenir leur général qui est à Rome, sans doute parce quil est Espagnol et que l'on présume que ce bon père auroit contribué à fortifier le Pape dans ses sentiments contre la France; car icy on est sur un pied que, quand on ne réussit pas dans une entreprise, on s'en prend toujours à quelqu'un, à tort ou à droit.» Paris, 22 décembre 1688. Les affaires du roi d'Angleterre sont ruinées. « On appréhende extrêmement que les huguenots ne se re- muent ; il y en a encore plus d'un million en nee qui, s'ils étoient appuyés, pourroient donner bien de l'ouvrage et causer des guerres in- testines qui traverseroient beaucoup les affaires de ceste cour. » 27 décembre 1688. (Dépêche chiffrée). « On receut hier advis à Ver- sailles que le roy d'Angleterre s’estoit aussi évadé de Londres : les uns disent pour se retirer en [rlande, et les autres pour venir en France, qui est le plus vraysemblable ; de manière que, si cela est, comme on asseure, le prince d'Orange ne trouvera pas d'opposition à ses desseins. Puisqu'il est venu si avant, il seroit à souhaiter {la religion catholique à part), qu'il puisse les exécuter d'une manière qui puisse réprimer un peu l'arrogance de cette cour, de laquelle nous ne devons attendre aucune justice tant qu'on la laissera dans sa hauteur.» On ne saurait expliquer plus clairement la jalousie qu'excitait la prépondérance de Louis XIV en Europe. Je donne la liste de plusieurs collections de la Secrétairerie espagnole qui renferment des documents sur la France. ; (RS = Correspondance des gouverneurs des Pays-Bas avec le roi d'Es- pagne, de 1598 à 1701. Archiduc Albert et Philippe IT. Septembre 1598—juillet 1621 (10 vo- lumes). é Isabelle et Philippe IV. Juillet »621—-1633 (22 volumes). Marquis d'Aytona et Philippe IV. 1634 (1 volume). Cardinal Infant et Philippe IV. 1634-1644 (21 volumes). Marquis de Castel-Rodrigo et Philippe IV. Août 1644-—mai 1647 (6 volumes). Caravena. Février 1659-— octobre 1664 (13 volumes). Castel-Rodrigo. Octobre 1644-—mai 1667 (2 volumes). Comte de Monterey—Marie Anne. 1672-1675 (1 volume). Villa-Hermosa—Charles Il. Mars 1675-mars 1680 (2 volumes). Don Juan d'Autriche. Avril 1656—février 1659 (4 volumes). Docu- ments curieux sur la Fronde. Alexandre Farnèse. Septembre 1681-—mars 1682 (1 volume). Marquis de Grana. Juin 1682-novembre 1684 (4 volumes). Gastanaga. 1685-1692 (1 volume). Maximilien-Emmanuel. Avril 1692—mars 1701 (1 volume). Correspondance des gouverneurs généraux des Pays-Bas avec les gouverneurs, magistrats et autres autorités des provinces. Correspondance de Flandre, Artois, Lille et Tournay. Tomes let IT. Année 1555. IIL et IV. 1997- V. 1998—1990. VL. 1560-1561. VIL. 1562-1564. VII. 1565-1566. 15.4 1508. À 1568—1 569. XI. 1970. XIE. 1971. XIII. XIV. Hainaut et Cambrai. Tome E. | k IL | Année 1555. IT. IV. 1972. 1556-1557. 1558-1559. aie EE) des Correspondance des ambassadeurs espagnols à la Haye avec le roi d'Espagne, de 1648 à 1702. 74 volumes réliés en maroquin vert, en langue espagnole. Correspondance des ambassadeurs espagnols de la Haye avec les ambassadeurs d'Espagne à Paris. Liasses. Correspondance de Vincent Richard, secrétaire à la Haye, avec Mi- guel de Iturrieta, secrétaire de l'ambassade de Paris. Octobre 1660- 21 novembre 1661 (1 liasse). Correspondance de don Estevan de Gamarra, ambassadeur à la Haye, avec le marquis de Fuente et don Geronimo de Benavente y Guinones, ambassadeurs à Paris. 1662-1667 (7 liasses). Don Estevan de Gamarra et don Miguel de Iturrieta. 5 juin 1569— 14 juillet 1671 (1 liasse). Don Manuel F.de Lira et Miguel de Iturrieta. 1671-1673 (9 liasées). Don Manuel de Lira avec le marquis de los Balbases. 7 avril-8 sep- tembre 1679 (1 liasse). Don Balthazar de Fuenmayor avec le duc de Jovenazzo. 27 no- vembre 1679-30 juillet 1680. Letires du comte Del Va}, de Paris, à don Manuel Colonna, à la Haye. 19 septembre-—10 octobre 1687. IL y a aussi la correspondance des ambassadeurs espagnols à la Haye avec ceux de Rome, de Venise et d'Angleterre. Notons aussi les papiers du baron de Fonseca, qui fut agent de l'empereur à Paris pendant les premières années du règne de Louis XV. Papiers Fonseca. Correspondance avec l'empereur. 1728-1730 (2 volumes). Correspondance avec le comte de Zinzendorf. 1729-1730 (9 vo- lumes). Nouvelles de Hollande. du 19 volumes reliés renfermant des rapports d’espions envoyés à Vienne par M. de Cobeniz. En 1760, l'auteur de cette correspondance secrète était un nommé Kruynigen. (En français.) dis ici je n'ai PArRE de de documents officiels, de papiers d'État; j'ai maintenant à m'occuper de documents tout aussi inté- ressants, au point de vue historique, mais qui n'existent qu ’en copie et qui figurent dans un fonds appelé fonds des Cartulaires, où l'on a placé tous les volumes qui n’ont pas une provenance officielle. FONDS DES CARTULAIRES. En première ligne, je citerai une collection historique faite au xvin° siècle par ordre du gouvernement autrichien sur des originaux actuellement déposés à Bruxelles, ou à Vienne, ou bien encore disparus. Cette collection embrasse 18 volumes. Elle va de l'an 1347 à l’an 1633. Elle complète le fonds de l’Audience et comble des lacunes regrettables. Elle est par ordre chronologique. Mon attention a été particulièrement frappée par de précieux documents sur la captivité des enfants de François I”. (Tome IV, p. 333.) Mémoire des envoyés de France au sieur de Le Chaulx, ambassadeur de l'empereur, sur la captivité des enfants de ce roi (p. 34). Relation de l'huissier Bodin envoyé par le roi de France vers ses en- fants. (Extrait de la farde de la correspondance de Charles-Quint avec l'archiduchesse Marguerite. ) Tome VII. Relation de ce qui s'est passé au baptème d'Isabelle de Va- lois. 4 juillet 1546. (Dépêche de Simon Renard.) Avrit 1547. Curieuse dépêche sur Henri If, son caractère, ses habi- tudes. 22 mai 1949. Leltre de Simon Renard à l'empereur. Récit du bap- tême du duc d'Orléans à Saint-Germain le 19. «Avant le baptesme, il y eut un Turc qui donna passe-temps au roy et à l'assistance, qui dura depuis deux heures après midi jusques à cinq, voltigeant, saultant, dan- ceant, courant et faisant choses admirables sur la corde tendue, au mi- lieu de la cour de Saint-Germain , à la haulteur de terre d'environ 30 pas. (Tome VII, p. 1.) 12 juin 1549. Couronnement de la reine. 24 juin 1549. Récit satirique de l'entrée de Henri IT à Paris. (Lettre de S. Renard à l'empereur.) 1560. Sommaire de ce que l'ambassadeur de France dit en sa dernière audience au roi catholique, sur le fait du concile, que S. M.a voulu avoir par écrit. (Tome XI, p. 14.) Relations de ce qui s'est passé entre l'ambassadeur de France et Sa Majesté Catholique à Tolède, le 13 septembre 1 560. (Tome XI, p. 31.) L'ambassadeur dit au roi d'Espagne que la reine mère et le roi très-chré- tien le regardant , elle comme son fils, et lui comme son père, lui avaient ordonné de lui rendre compte du résultat de l'assemblée générale des à. % = 99 = grands, des prélats et du conseil à Fontainebleau; quil y avait été question des affaires de la religion et des intérêts de l'Etat. En résumé le roi de France demandait à Philippe IT des troupes pour servir en Champagne contre les rebelles. Je ne puis faire l’analyse de pièces importantes pour l’histoire de France que renferme cette collection; elles sont trop nombreuses, on les rencontre à chaque pas. Je signalerai pourtant dans le tome XV la correspondance du duc de Mayenne avec le duc de Parme et le comte de Mansfeld, ainsi que les instructions don- nées par Mayenne au sieur de La Planche, en l’envoyant vers le duc de Parme. Dans le tome XVI l'on trouve des extraits de la correspondance de d’Ayala, résident en France, surle mariage de Henri IV, sur un duel entre les ducs de Guise et d'Épernon empêché par le roi de France; des nouvelles du jour dues à la plume bien informée du même envoyé. 24 février 1610. (Tome VIIL) Curieuse lettre de Henri IV à lar- chiduc Albert, au sujet du prince de Condé qui s'était enfui à Bruxelles. H lui annonce l'envoi de M. de Cœuvres, lieutenant général de l'Ile-de- France, auquel il le prie d'ajouter foi comme à lui-même. Autre lettre du roi sur le même sujet à l’archiduc Albert, 19 avril 1610. Autre de même date à l'infante Isabelle. Autre lettre du 8 mai à l’archiduc Albert pour lui demander passage par ses États. Leitre d'Herman Ortemberg, auditeur de rote au secrétaire d'État de Praët, en date du 10 juillet 1610 pour lui donner des nouvelles de France. 26 février 1615. Lettre de Marie de Médicis à Louis XIII datée de Loches : « Monsieur mon fils, j'ay laissé longtemps opprimer mon hon- neur. » 10 mai 1619. Lettre de la même à Louis XIII datée d'Angoflèthel « Mon fils, je crois que personne n ‘approuvera les conseils que l’on vous donne. » 5 juillet 1620. Lettre du roi de France à sa mère, etc. Le cartulaire 190 renferme la correspondance complète de M. de Chantonnay : Détails curieux sur la conspiration d'Amboise. Voilà, Monsieur le Ministre, le résultat sommaire de mes re- cherches. Je me suis moins attaché à transcrire quelques documents QE CAES qu'à bien faire connaïtre les diverses collections des archives de Bruxelles qui peuvent éclairer notre histoire nationale. Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l’assurance de mon pro- fond respect. E. Bouraric. DESCRIPTION DES RESTES D'UN ANTIQUE ÉDIFICE A PALERME, PAR M. B. AUBÉ. PREMIER RAPPORT. Paris, le 24 mai 1870. Monsieur le Ministre, Chargé d’une mission scientifique à Palerme, j'ai honneur de soumettre à Votre Excellence, comme premier résultat de cette mission , le mémoire ci-joint, contenant : 1° La description détaillée d'une récente découverte d’un édi- fice antique faite à Palerme, sur la place de la Victoire; 2° La discussion et un essai d'interprétation d'une inscription à la pointe ou graffito, trouvée dans les fouilles qui ont été exécu- tées à cette occasion ; ; 3° Huit photographies qui peuvent servir à rendre plus claires et plus sensibles les explications écrites que je transmets à Votre Excellence, et un plan géométral du sol excavé. J'ose espérer, Monsieur le Ministre, que vous ne trouverez pas ce travail tout à fait indigne de votre attention. Mon prochain rapport sur l'instruction publique en Sicile, et particulièrement sur l’histoire de l’université de Palerme, vous sera remis très-prochainement. J'en achève en ce moment même la rédaction. Nul n'ignore que le vieux sol si tourmenté de la Sicile a depuis les âges historiques supporté successivement plusieurs civilisations et qu'il en garde encore çà et là de très-remarquables débris. Les Phéniciens, les Grecs, les Romains, les Arabes, les Normands, ont laissé en Sicile des traces plus ou moins nombreuses de leur CE ROE dane passage. Or il est certain que ce qu'on connaît parmi ces restes divers des temps anciens est fort peu de chose auprès de ce qui est encore caché et inconnu. Chaque glèbe de terre en Sicile ren- ferme, pour ainsi parler, quelque témoignage plus ou moins pré- cieux de l'antiquité, et l’on peut dire en vérité qu'aucun pays de l'Europe n'offre un champ plus riche et moins exploré aux investi- gations des archéologues et des artistes. Les commissions d’anti- quités et de beaux-arts ne manquent pas en Sicile; mais on sait que les commissions se contentent d'encourager les découvertes, de les enregistrer, d'en prendre officiellement possession. Les savants non plus ne manquent pas, n1 les amateurs éclairés capables de jouir délicatement de ce qu'ils ont sous les yeux, et même parfois de l'interpréter avec esprit. Le Sicilien, savant ou non, est généralement indolent, et, le plus qu'il peut, quand sa vanité n'y est pas intéressée vivement, il se dispense de tout mou- vement personnel. Ce qui fait ici défaut, ce sont les chercheurs actifs. Il semble que l'École d'Athènes, si elle voulait tourner ses études vers la Sicile, y trouverait de précieux filons à exploiter. Depuis plus de vingt ans, l'École française d'Athènes a étudié toutes les provinces et toutes les îles de la Grèce; elle a pendant cette période rendu à l'archéologie, aux arts et à l'histoire de grands et beaux services. Mais ia Grèce, si ardemment fouillée depuis si long- temps, a révélé peut-être ses plus intéressants secrets. La Sicile, au contraire, est un terrain neuf. Le duc Serra di Falco n’a ni tout vu ni tout dit. En ce moment même, on découvre de curieux restes gréco-romains dans l'antique ville phénicienne de Solunto, près de Baghéria, à trois lieues de Palerme. Et il y a certainement une moisson à cueillir en repassant sur les traces du savant archéologue sicilien à Ségeste et à Sélinonte. Comment ne vient-il à l'idée de personne, non de mettre quelque ordre au milieu de ces énormes masses confusément éparses et montrant clairement encore les ruines amoncelées de trois temples grecs, mais de rendre à la lu- mière les neuf ou onze marches du large escalier d’un de ces étonnants monuments, encore enfouies honteusement sous le sol? Et pourquoi même ne remettrait-on pas sur pied ces belles colonnes aux larges et peu profondes cannelures que quelque tremblement de terre a sans doute fait écrouler si régulièrement, et dont les morceaux couchés sur le sol ont glissé les uns sur les autres sans se détacher entièrement ? es DE = D'heureuses rencontres nous apprennent ce qu'on pourrait espérer du sol de la Sicile s’il était méthodiquement exploré. C'est d’une de cessurprisesarchéologiquesqu'ils’agitaujourd’hui. Au mois de décembre 1868, le prince Humbert et la princesse Marguerite, sa femme, étaient à Palerme. La ville leur donna un feu d'artifice dont les pièces furent préparées et installées en face du palais du Roi, sur la vaste place de la Victoire. Or, en plantant le support d'une de ces pièces on rencontra à un peu plus d’un mètre de profondeur comme la résistance d’un sous-sol de pierre. La pioche, en effet, avait donné sur un pavé de mosaïques. Aprèsles fêtes et le départ du prince royal, lorsqu'on put songer aux choses sérieuses , on commenca les fouilles. Elles ont été poursuivies jus- qu'à ces derniers temps avec une sage lenteur et ont donné des résultats aussi remarquables qu'imprévus. M. Saverio Cavallari, directeur des antiquités en Sicile, a présidé à ces recherches avec une rare intelligence ; mais on attend encore son rapport sur cette découverte due au hasard. Quelques comptes rendus locaux ont fait connaître ces mosaiques et en ont signalé l'importance ; mais ces notices, destinées à satisfaire la première curiosité, ont eu peu d’é- cho hors de l'enceinte de Palerme. La photographie a reproduit les morceaux les plus considérables de cet antique pavé ; mais ces photographies toutes récentes sont à peine connues. Aucune, je le crois, n'est encore entrée en France. En remontant la rue de Tolède, aujourd'hui Corso Vittorio- Emanuele, jusqu'à la place de la Victoire, on trouve à l'entrée de cette place, à gauche, à 50 pas du Corso et à 200 mètres à peu près au sud-est de la Porta-Nuova, une surface excavée qu’on achève en ce moment d’entourer d’une grille de fer. Cette surface forme un rectangle dont le plus grand côté, perpendicu- laire au Corso, a 63 mètres, et l’autre 21 mètres. On s'est guidé pour enclore ce vaste espace sur des traces de dallage en mo- saïiques, qu'on voit en effet aux deux bouts, et sur des restes de murs et de substructions antiques. Mais on ne peut assurer que cet espace de 1,323 mètres carrés ait appartenu à un seul édifice, et il est tout à fait certain que les objets récemment rendus à la lumière sont d'un inégal intérêt, et en même temps d'époques différentes et peut-être fort éloignées. Dans les plus anciens morceaux mêmes, d'antiques restaurations trahissent comme plusieurs àges superposés et au moins deux séries de Loi possesseurs, dont les derniers n’ont pas su réparer les ravages du temps, ou se sont peu souciés de le faire d’une manière harmo- nieuse et conforme aux modèles primitifs, soit incurie, soit faute d’habiles artistes. Les plus belles mosaïques ont été raccommo- dées et rapiécées à la façon des habits des mendiants siciliens, qui craignent fort peu, comme on sait, d'associer et de coudre ensemble les lambeaux les plus disparates. Au reste, de cette vaste surface excavée, la seule partie vraiment intéressante, au point de vue de l’art antique, ne comprend guère que la première moi- tié en venant par le Corso. Le sol antique est à 1”,40 en contre-bas du terre-plein de la place de la Victoire. À l'extrême droite et touchant au mur qu'on vient d'élever pour supporter la grille, on trouve une chambre ou peut-être deux chambres contiguës, car le pavage en mosaïques, bien que continu, change de dessin. À partir du mur, sur une longueur de 3 mètres et sur une largeur de 3",75, la mo- saique est formée de carrés alternés noirs et blancs, de 20 centi- mètres de côté. La mosaique se continue sur une longueur de 3 autres mètres, et sur la même largeur de 3,"75, en formant un dessin composé de petits rectangles allongés et de carrés cou- pés par des diagonales. Ce dessin qui a aussi été trouvé à Pom- péi, sétend à cet endroit et avec la même hauteur dans toute la largeur du terrain. Au milieu, il encadre à droite et à gauche, par une bande de 1”,40 de chaque côté, un sujet en mosaïques de couleur. Ce morceau par malheur est dans un si triste état qu'à première vue on ne peut rien distinguer. En yÿ regardant de plus près, on finit par discerner les roues d’un char, les pieds de deux chevaux relevés, comme d’animaux qui se cabrent ou s’emportent, entre ces pieds unetête de monstre marin; sur le char un person- nage, un héros qui paraît arc-bouté sur sa jambe droite et semble faire effort pour retenir ses chevaux. La pose du héros est ferme et naturelle. Le peu qui reste de cette composition permet d’aflir- mer que le sujet était magistralement traité. Ce sujet est la fin tragique d'Hippolyte, fils de Thésée. Quand on descend sur le terrain excavé, on trouve ce tableau dès l'entrée. Or ïil paraît peu probable qu'une composition de cette importance fût ainsi placée dès le seuil même d’une habitation antique. Il est permis de sup- poser que l'entrée de l'édifice était plus en arrière. Mais les fouilles sous ce rapport n'ont rien révélé. RTC | NE La salle d'Hippolyte communique directement par un seuil de marbre blanc, brisé en plusieurs endroits, avec une vaste pièce. Deux colonnes corinthiennes à l’entrée et deux autres à l’autre bout en face, de 5 ou 6 mètres de hauteur chacune, devaient sou- tenir le plafond. De ces colonnes il ne reste rien que deux bases en diagonale, encore enfoncées dans le sol et ayant au dehors une saillie de 20 à 25 centimètres. Leur diamètre fait supposer la hauteur dont nous parlons. Il reste aussi un beau chapiteau corin- thien dont les feuilles sont délicatement sculptées. Ce chapiteau et ces deux bases sont de marbre cipollin. On voit encore sur ces bases les profondes rainures où l'on coulait le plomb qui servait à souder l'armature de bronze des tambours qui s’appuyaient sur ces bases. Cette salle (œcus ou exedra?), délimitée à droite par un mur de soutenement presque partout rasé jusqu'au sol, compte 11",80 de long sur 8,70 de large. C’est le morceau capital de ces fouilles. Elle est encadrée par une bande de mosaïques en pierres blanches, de 2 mètres de largeur, qui règne tout autour, excepté du côté de la salle d'Hippolyte. À l'extrême droite de l'entrée, sur un espace de 2 mètres carrés, la mosaique blanche est remplacée par un tapis en pierres de couleur beaucoup plus fines, dont la disposition et le dessin rappellent les carrés de guipure qu’on brode à la main sur des canevas de filet tendu. Ce petit tapis avait son pendant en face à gauche. L'absence de la mosaïque blanche peut le faire sup- poser du moins. Il en reste une trace peu visible. Dans ce grand encadrement de mosaïque blanche est enfermé un vaste tableau à compartiments variés, de 9”,80 de longueur totale sur 4°,75 de largeur. Il est entouré de deux bordures de mosaïques de couleur, séparées par des bandes noires et blanches. Les dessins de ces bordures ont aussi été trouvés à Pompéi et sont décrits dans la seconde partie du grand ouvrage de Mazois. On les voit aussi dans plusieurs mosaïques antiques conservées au mu- sée du Vatican. La bordure extérieure, la plus large et la plus riche des deux, est composée de coupes évasées qui s’emboîtent les unes dans les autres. La seconde imite l'enroulement sans fin de deux càbles entrelacés, motif répété dans la bordure des médail- lons ronds et ovales dont nous parlerons tout à l'heure. Ce vaste tableau, en très-fines mosaïques, est divisé en compar- timents variés et réguliers. Des médaillons alternativement ovales RE vs et circulaires s'étendant dans le double sens de la longueur et de la largeur, et composant par leur arrangement des octogones dont les côtés sont des arcs de cercle, forment autant de cadres que la fantaisie de l'artiste a remplis de sujets diversement intéressants. Les médaillons ovales, qui ont la forme des plats de Bernard de Palissy, contiennent des dessins de poissons ; les médaillons circu- laires, des bustes ou des têtes ; les compartiments de forme octo- gonale, des têtes colossales ou des sujets à deux personnages. Au milieu est un tableau carré entre quatre lances qui s’entre-croisent au centre de quatre médaillons circulaires. Telle est la disposition de cette magnifique mosaique. Elle comprend, outre les portions de médaillons circulaires ou ovales qui portent sur la bordure de l'encadrement et qui sont décorées de petites étoiles, huit médail- lons ronds, vingt-trois médaiïllons ovales et vingt grands compar- timents octogonaux. Ce vaste champ, rempli comme le sont encore plusieurs de ses parties, etavant les maladroïites réparations et les inintelligents remplissages des temps postérieurs, devait former un merveilleux ensemble. Telle qu’elle est aujourd’hui, et quoi- qu'elle ait subila double injure du temps et de la barbarie, cette mosaique est assurément un des beaux débris que l'antiquité nous ait laissés en ce genre. On peut regretter à ce propos que le conseil municipal de Palerme, qui a voté très-libéralement une assez grosse somme pour faire entourer d'une grille et couvrir sans doute aussi d’une toiture ce précieux monument, n’ait pas mieux aimé le faire transporter dans une des vastes salles du mu- sée de la ville, dans celle, par exemple, où sont attachés à la mu- raille, entre des triglyphes très-heureusement imités, les fameuses métopes de Sélinonte. La grandeur du morceau n'était pas un sérieux obstacle. La mosaique des Athlètes du musée de Latran, quia été trouvée dans les thermes de Caracalla , moins belle assu- rément, est plus vaste. À Rome et à Naples, les monuments de cette espèce ont été très-sagement, à notre avis, placés à l'abri dans les musées. La pluie et le piétinement des curieux, malgré les précautions prises et les avertissements des custodes, ont déja en plusieurs endroits gâté la mosaique de Palerme. Des trois grands compartiments de la première ligne en entrant par la salle d'Hippolyte (voir photographie n° 1}, deux sont presque entièrement détruits. Le troisième n’est pas intact. C'est celui de gauche dont la partie inférieure a été restaurée ancienne- E ment. Ces restaurations, disons-le une fois pour toutes, ont con- sisté simplement à remplacer les petites pierres tombées ou détachées par des placages de mosaique blanche, égayée parfois d'étoiles en dés noirs ou rouges. Et ces dés sont toujours plus gros, moins serrés, d’une moins belle matière et d'un blanc moins pur. Ce compartiment octogonal de la première ligne à gauche représente un vieillard assis, les jambes croisées; d’une main il caresse sa longue barbe. La tête est inspirée, les yeux pleins de feu. À sa droite, deux volumina sont posés sur une sorte de fût de colonne; à sa gauche est un masque de théâtre. C’est sans doute un poëte, mais lequel? Épicharme, Aristophane, Sophocle? On ne sait. Eschyle qu'on a nommé était, dit-on, plus chauve. C'est peut-être s’aventurer quelque peu que de supposer que ces trois grands compartiments à huit côtés de la première ligne offraient l’image des trois grands tragiques d'Athènes, vu que des trois on n'en peut voir qu'un seul et qu'on ne peut dire certainement que ce soit un portrait. Ce qui est assuré, c’est que cette tête est d’une belle expression. | Les quatre médaillons circulaires qui sont aux deux lignes supérieures ont été moins maltraités. Un seul a disparu. Ils repré- sentent les quatre saisons sous la forme de têtes de femme. L'Hiver manque. Les trois autres têtes sont vraiment délicieuses. Le Prin- temps couronné de petites feuilles vertes est d'une douceur et d’une grâce toutes virginales. La tête de l’Automne a quelque chose de plus mâle et de plus hardi. On voit que c’est la saison des vendanges. Nous ne dirons rien des poissons. La forme ovale des médaillons imposait à l'artiste une certaine uniformité de types. Ils sont fort bien dessinés, mais n’ont ici qu'une valeur décorative et d'accompagnement. Les trois grands compartiments supérieurs ne sont pas égale- ment bien conservés. Celui de gauche seul est entier. C’est un de ces dessins obscènes, comme on en voit tant sur les vases italo- grecs. Il représente un faune amoureux qui poursuit et retient une bacchante peu vêtue, laquelle fuit sans se hâter. L’attitude de la femme est pleine de coquetterie. Sa tête est à demi tournée en arrière. D'une main elle soutient nonchalamment un thyrse qui porte sur son épaule; de l’autre elle semble agiter un instrument de musique. Le compartiment du milieu de cette même ligne est fort gâté. On n'y voit que le haut du corps d’une femme nue qui — 32 — regarde vers le ciel d’un air surpris et troublé. Ce ciel d’un coloris rosé laisse à peu près deviner son secret. C’est la pluie d'or qui tombe dans le sein de Danaé. La riche légende de J'upiter a aussi fourni le dernier sujet de cette ligne : Léda nue {la' moitié du corps manque), et s'avançant sur elle un cygne, le cou arrondi, la gorge renflée, les ailes relevées et frémissantes. Au-dessus, les trois mosaïques octogonales sont presque absolu- ment intactes. C’est le morceau le plus achevé de ce beau pavé. À droite et à gauche deux têtes colossales nues et couvertes d’une abondante chevelure. L'une (à gauche), jeune, imberbe, les yeux brillants, la bouche légèrement entr'ouverte, est radiée. C'est évi- demment un Apollon. L'autre, d'un aspect majestueux et sévère, les cheveux et la barbe blanchissants, est un Neptune. Le trident qui est à côté l'indique clairement. Ce sont deux superbes têtes et du dessin le plus large. L’Apollon n’a rien de divin si l'on veut, et, sans les rayons qui couronnent sa tête, on ne saurait quel est ce bel adolescent. Je ne sais aussi si les Grecs dans leurs pein- tures blanchissaient les cheveux et la barbe des grandes divinités. Mais il est incontestable que la puissance et la majesté résident sur cette grande figure de vieillard; sur l’autre, la force, la divine Jeunesse et sa sereine insouciance. Dans le tableau du milieu on voit un personnage assis sur un griffon ailé et galopant. Ses jambes sont pendantes et croisées. Il tient par son extrémité une flûte dont le gros bout repose sur sa cuisse. Qu'est-ce que ce groupe ? On pense involontairement à Persée courant au secours d'Andromède : mais tout d’abord, il faudrait changer la flûte en épée, le griffon en cheval et mettre quelque part la tête de Méduse. I est difficile de croire que l'artiste ait pris tant de liberté avec la tradition. D'autre part dire que ce tableau est un sujet de fantaisie ne semble pas satisfaisant. Car si un seul de ces sujets appartient à la légende des dieux ou des héros, on peut supposer-qu'il en est de même de tous. Peut-être est-ce encore un Apollon? On sait que le grif. fon lui était consacré. Les deux médaillons circulaires de la ligne supérieure con- tiennent des têtes d'hommes un peu plus grandes que nature: celle de gauche, barbue, l’autre imberbe; toutes deux avec de petites cornes droites et inclinées en arrière. On pourrait voir là un Ammon et un Bacchus. Voilà la meilleure partie de la mosaïque. Le reste est singu- — 33 — lièrement endommagé. Les trois grands sujets de la quatrième ligne se devinent facilement. Celui de gauche devait représenter une femme assise sur un cerf. On voit encore Île cou, la tête bien encornée, les jambes de devant et les pieds armés de petites na- geoires de l'animal; le bas de la robe et l'extrémité des jambes croisées de la femme. Dans le compartiment du milieu une femme debout à la tête d’un taureau blanc. On ne voit aussi que la par- tie inférieure de ce tableau dont le sujet est évidemment emprunté à la légende amoureuse de Jupiter. C'est Europe et le dieu mé- tamorphosé en taureau blanc. À gauche enfin une femme nue sur un hippocampe, Vénus Aphrodite ou quelque autre divinité marine. A la cinquième ligne des compartiments octogonaux, le tableau de gauche ne laisse voir qu'un bout de lance et un pied de biche. Peut-être l'artiste avait-il figuré-là une Pallas? Le tableau de droite est un peu mieux conservé. On y voit la tête d'une femme avec un diadème et un voile en arrière; des pattes d'oiseau ouvertes, des ailes déployées et le bout d’une queue de paon. C'était évidemment une Junon assise sur son oiseau sacré. Le compartiment qui formait le milieu de cette ligne a du contenir le motif le plus grand et le plus important de toute la composition. Des lances dont les fers se croisent au milieu des quatre médaillons circulaires ornés de grosses étoiles formaient un vaste tableau carré. On distingue encore aux deux points d'intersection inférieure de ces lances des corps d'hommes, dont les bras relevés et étendus devaient soutenir un sujet central. De ce sujet il ne reste rien. Ceux qui ont restaure dans les temps anciens les parties altérées de cette mosaïque ont remplacé ce sujet par un médaillon rond du même dessin que les autres, quoique d’un moins bon travail, avec une grosse étoile au milieu. Les deux médaillons circulaires qui sont au-dessus de ce carré (duquel je n'oserais assurer qu'il appartint au dessin primitif) portent deux têtes analogues à celles de la troisième ligne, si ce n'est quon n'y aperçoit pas de trace de cornes. On ne voit pas bien comment ces quatre têtes disposées de la sorte pouvaient se faire pendants. Les six grands compartiments supérieurs sont presque enlière- ment détruits. Celui de l'avant-dernière ligne à gauche est le moins saté. On y distingue très-nettement les pieds relevés, armés de MISS, SCIENT. — VII. 3 . | UE nageoires, la fine tête bridée et la queue en longues spirales d’un cheval marin; le bas de la robe et les pieds d'une femme. Sur celui du milieu on ne voit que l'extrémité d'une lance et une croupe de cheval. Sur celui de droite, comme une patte de lion (il semble qu'elle appartienne à la dépouille d’un lion plutôt qu'à une bête vivante) et un pied humain. Enfin le compartiment gauche de la dernière ligne montre tout en haut les deux pattes d’un lion ou plutôt d'une peau de lion liées ensemble. C'était sans doute la coiffure d'une tête d'Hercule. De ia grande salle que nous venons de décrire, en passant entre deux colonnes desquelles il ne reste rien qu'une base de marbre blanc, on entre dans une pièce carrée de 5 mètres au moins de côté dont le dallage n’a pas souffert. Par malheur, il n’a rien de rare ni de riche, étant composé de carrés alternativement noirs et blancs d’une mosaïque assez grossière. Il est bien probable qu'il est d’un travail très-postérieur. Les murailles qui entouraient cette pièce se voient encore, et ont en certains points près d’un mètre. À droite et à gauche de cette salle, on en trouve deux autres un peu plus petites, dont le dallage moins bien conservé est en mo- saiques d’un dessin plus élégant et plus varié, surtout celle de gauche. De cette pièce du milieu on a accès dans une vaste salle pavée de mosaïques de couleur. À l'entrée une base de colonne en pierre calcaire et un reste de seuil en marbre blanc. Un morceau de colonne cannelée avec un chapiteau dorien faisait peut-être partie de cet intercolonnio. Cette salle avec ses diverses bordures mesure 7,20 de longueur sur une largeur de 5",90. L'encadrement, com- posé de plusieurs lignes de mosaïques noires el blanches et d'une bande à double dent de scie (dessin trouvé aussi à Pompéi}), a 6*,75 de long sur 5°,45 de large. Le fond de la mosaïque est blanc. Dans le premier encadrement est un dessin de pierres de couleur: ce sont des arcs de cercles qui se coupent et forment comme des feuilles allongées, lesquelles reposent sur de petits cercles. Ce dessin décoratif s'étend jusqu’à un nouvel encadrement cordé qui est la bordure d’un véritable tableau. Ce tableau a 3,09 de long sur 2°,65 de large. Le fond est en petites pierres blanches. On voit au milieu de ce tableau un personnage de gran- deur naturelle ou peu s’en faut, vêtu d’une large tunique, le bon- net phrygien sur la tête, les pieds chaussés, assis sur un fragment de rocher. De la main gauche il tient une lyre ouverte à quatre cordes; de la droite, une sorte d'archet, un pleclrum. À sa gauche est un arbre, et tout autour de lui une véritable ménagerie d’a- nimaux divers. On en peut compter vingt : oiseaux, serpent, lion, léopard, bœuf, paon, lézard, tortue, etc. etc. Il n’est pas besoin de dire que l'artiste a voulu représenter Or- phée entouré des animaux que la douceur de ses chants a séduits et domptés. Ce tableau est d'une conservation parfaite. Le bœuf seul a une petite blessure. C'est l’effet du coup de pioche qui a fait découvrir toutes ces mosaïques. Il y a encore près du paon une petite trace de réparation. Le reste est tel qu'il est sorti des mains de l'artiste. On ne peut nier que ce tableau ne soit d'un grand effet décoratif. Mais sa valeur artistique est fort inférieure à la salle des Saisons, de l'Apollon radié et du Neptune. Il s’en faut qu'on y trouve la même largeur de dessin , la même sûreté d'exécution. Les animaux, bien que l'artiste ait donné à chacun un point d’ap- pui solide, ne se tiennent pas bien. L'arbre, qui seul est en l'air et ne porte sur rien, est un peu primitif. L'Orphée seul est d’un excellent dessin. Encore pourrait-on dire que sa lyre est posée un peu gauchement et qu'il présente son archet plus encore qu'il ne le tient. Il paraît évident au premier coup d'œil que la salle d'Or- phée n’est ni de la même main ni du même temps que la salle du Neptune. La salle d'Orphée est flanquée à droite et à gauche de deux pièces plus petites, dallées en mosaïques à dessins variés, noirs sur fond blanc, mais sans figures. Au delà s'étendait un atrium de 21 pas de long sur 13 de large. C'était sans doute la seconde cour ou cour intérieure. Elle devait être entourée de colonnes. On voit encore au coin à gauche deux füts unis sortant du sol de ho à 50 centimètres, qui soutenaient évidemment deux colonnes accouplées et formaient un des angles de cette cour ; et on compte à la partie supérieure cinq pierres carrées encore en place, à 2 mètres à peu près l’une de l’autre, qui servaient de bases à des colonnes. Au bout de ce long terrain on trouve encore les restes de trois pièces pavées en mosaïques. Celle de gauche ne présente plus que le dessin grossier d’un fer de lance en forme de cœur allongé. Les deux autres sont presque continues, mais de peu d'intérêt et fort dégradées. Au reste, toute cette partie du terrain, depuis la salle > JD, Lis sde. Be d'Orphée, garde des traces de constructions postérreures : une grande vasque, qui n’occupe pes le milieu de l’atrium; deux puits, dont l’un est creusé à l'angle de la salle d'Orphée, sont évidem- ment de date de beaucoup plus récente. De même sept ou huit tombeaux de 2 mètres de long sur 75 centimètres de large, les uns fermés sur les quatre côtés, les autres ouverts et formant comme un petit labyrinthe d'étroits couloirs contigus, sont plus modernes encore. On les a trouvés remplis d'ossements humains mêlés de terre, mous et friables comme les restes gélatineux qu'on tire encore des loculi des catacombes de Rome. Telle est l’exacte description de ce vaste sous-sol rendu aujour- d'hui à la lumière. Il contient dans la première partie dix chambres dallées en mosaïques, dont trois à sujets et à figures de couleur, un atrium et trois autres chambres, dont deux tout près de la grille qui forme en face de l'entrée l'extrémité des fouilles. Il est toujours fort aventureux de chercher à déterminer l’âge d’un monument par le style seul. Cependant, ce que nous savons de la rapide décadence de l’art dans l'empire romain et les com- paraisons que nous pouvons faire avec des restes de l'antiquité dont la date est certaine, comme ceux de Pompéi, nous peuvent permettre quelques inductions vraisemblables. Les dessins de la salle d’Orphée nous paraissent antérieurs au règne des Antonins, c’est-à- dire appartenir à la première moitié du n° siècle. M. Cavallari les croit du v° siècle. Il faut aller visiter les mosaïques des Gladia- teurs à la villa Borghèse, pour voir ce qu’on savait faire au v° siècle ou à la fin du siècle précédent. Or, on est obligé d'avouer qu'il y a loin du tableau de l’'Orphée de Palerme à ces barbares et gros- sières représentations. On sait que la légende d’Orphée recut de très-bonne heure droit de cité dans l'Église chrétienne. On avait écrit sous le nom d'Orphée des poésies où :l enseignait le monothéisme et s'expri- mait en disciple et en interprète de Moïse. Cela seul faisait de lui, aux yeux des chrétiens, comme un des patriarches et des pré- curseurs de la foi nouvelle. D'autre part, l'histoire de cet enchan- teur apprivoisant et attachant à ses pas les bêtes sauvages par la seule vertu de ses mélodieux accents paraissait faite pour exprimer d'une manière visible en quelque sorte l'influence de l'Évangile, son pacifique triomphe, la conversion et l'éducation d’âmes aveugles et farouches. Les plus ancieñnes parties des catacombes me 7 La de Rome ont donné trois représentations chrétiennes du mythe d'Orphée. La plus récente, trouvée par M. de Rossi dans le cime- üère de Saint-Calixte, est, selon le savant archéologue romain, du im siècle. On n'y voit pas Orphée apprivoisant des animaux; il joue de la lyre entre deux brebis. C’est une figure du bon pasteur !. Le symbole a disparu. Les deux autres, attribuées par le même savant à l'époque des Antonins, sont plus intéressantes pour notre sujet, parce qu'elles se rapprochent davantage de notre mosaique au point de vue de la composition. On les trouve dans la Rome souterraine de Bosio ?. Ce savant antiquaire les considé- rait comme faisant partie de la catacombe de Saint-Calixte. M. de Rossi les a rendues à la catacombe de Domitillaÿ. Le poëte enchan- teur y est assis sur un fragment de rocher entre deux arbres où sont posés divers oiseaux, comme dans le dessin de Palerme (où il n'y à qu'un arbre). Il est coiflé et vêtu de la même manière. Dans l’un des deux tableaux chrétiens il pince de la Îyre avec ses doigts; dans l'autre il tient par les cordes son instrument qui repose sur ses genoux, autre point de ressemblance avec notre mosaique; à droite sont deux lions, à gauche un bœuf avec des cornes en croissant et deux dromadaires. La position de la main, dont les doigts sont fermés à l'exception de l'index, est diffé- rente. Or, si l'on compare le dessin de la mosaïque de la place de la Victoire avec l’une ou l’autre de ces deux représentations chré- tiennes fort analogues, je crois qu'on n'aura pas de peine à con- clure qu'il est très-supérieur comme œuvre d'art, c'est-à-dire qu'il est plus ancien, autrement dit qu'il est antérieur aux temps des Antonins. Que cette mosaïque ait appartenu à un édifice paien, la chose n’est pas douteuse. D'abord parce que le mythe d'Orphée est païen d'origine et souvent mis en usage par les artisies dans la décoration des édifices privés et publics # En second lieu à cause de la proximité de la grande salle, dont les sujets sont presque tous empruntés à des légendes païennes et qu'il n'est pas douteux que ces deux salles aient fait partie d'un seul et même édifice. Un chrétien possesseur de cet édifice, qui eût fait dessiner LA 1 De Rossi, Roma sotterranea , tom. IT, table XVIIT. 2 Bosio, Roma subterr. lib. IT, cap. xxut1, p. 239 et 295. De Rossi, Roma sotterran. t. Il, p. 355 et suiv. Voir Lyson:, Reliquiæ Britanniæ Romane. M, ours le symbole de la conversion des âmes par la seule douceur de la parole, n'aurait pas, semble-t-il, laissé subsister dans le voisinage de cette pièce des peintures peu modestes, plus que profanes à ses yeux. Quant à la grande salle, j'oserais la considérer comme plus ancienne que les fresques et les mosaïques de Pompéi, ou tout au moins comme étant de la même époque. Trois ou quatre dessins de bordure ou d'encadrement sont identiques à des dessins de Pompéi. Ceci est peu de chose et prouve seulement que ces mo- dèles étaient d’un usage commun. Maïs si la mosaïque de la bataille d’Arbelles, trouvée à Pompéi, et qui est aujourd’hui au musée de Naples, a plus d'intérêt comme composition, on peut dire, à notre avis, qu’on n’a trouvé jusqu'ici à Pompéi aucune mosaïque qui ait autant de grandeur et de style que le Veptune, qui ait plus de beauté que l’Apollon radié, plus de fraicheur, de grâce et de vie que la tête blonde du Printemps et la tête brune de l’Automne. Dans le cimetière de Saint-Calixte, M. de Rossi a signalé aussi une repré- sentation des Saisons. Mais l’œuvre chrétienne n’a, pour la compo- sition, aucun rapport avec celle de Palerme. Elle est tout à fait insignifiante au point de vue de la valeur artistique. Une date consulaire authentique, nous le savons, vaudrait mieux que tous les raisonnements du monde pour déterminer l'âge de notre mosaique. Mais on n’a rien trouvé de semblable. Sur un fragment de colonne de plâtre peinte en vert qui devait faire partie d’une des belles chambres, on a découvert cependant une inscription gravée à la pointe, un graffito. Le voici décalqué aussi exactement que possible : Rise EE ae CHEN OT Aaron OR pad La ligne brisée À CB indique la fracture du morceau, la ligne G D une autre brisure, qui par bonheur n’a pas séparé le frag- L | B ci is ie RES Le ic mors "Gel dus 2 PSN er ment en deux morceaux et n'empêche pas de lire l'inscription, n'ayant altéré aucune des lettres. L'écriture n’est pas d’un mau- vais caractère, et tout fait supposer que l'inscription est entière. C'est l'opinion très-arrêtée de M. Joseph de Spuches, archéologue distingué et fort savant helléniste de Palerme. On la peut lire ainsi: EITAFHPAHMONHTYN. Pour que cette inscription ait un sens, il semble qu'il faille simplement suppléer une lettre à la fin, la lettre H. Alors, en séparant les mots, nous lirons : EITA FHPA H MONH FYNH ou bien EITA TFHPAH MONH TYNH Dans le premier cas, nous traduirons ainsi : Ita est; præmia, sola uxor, cest-a-dire en français : Oui certes, c’est un bienfait de n'avoir qu'une seule femme ; Dans le second : Oui, soit; qu'elle vieillisse cette femme, dans sa solitude. La première pensée nous semblerait, non pas un hommage rendu au principe grec et romain de la monogamie, mais une épi- gramme comme Euripide s'en est tant permis contre les femmes : Oui, on est bien heureux de n’avoir qu'une femme. On sait qu'Eu- ripide estimait qu'on était plus heureux de n’en pas avoir du tout. La seconde pensée ressemblerait à une parole échappée dans un mouvement de dépit amoureux. Nous inclinerions, pour notre part, vers la première manière de lire et d'interpréter ce graffito, l'expression yuvn paraissant impropre dans la seconde interpré- tation. Cette inscription, du reste, ne peut servir de rien pour fixer l'age de l'édifice et des mosaïques que nous venons de décrire. La Sicile fut, comme on sait, dans l'antiquité, un pays où trois langues étaient en usage: la langue punique, la langue grecque et la langue latine. Cette dernière était la langue politique et admi- nistrative. Le grec s’écrivit et se parla pendant de longs siècles et jusqu'au temps de la domination arabe. B. AugE. 4 4 — 0 — SECOND RAPPORT. Paris, le 14 jum 1870. Monsieur le Ministre, J'ai l'honneur de soumettre à Votre Excellence mon second rap- port de mission sur l’histoire de l'instruction publique en Sicile et son état présent. Je n'ai pas toujours trouvé les documents que j'eusse souhaités, et il n’a pas dépendu de moi que ce travail fût plus intéressant. Tout est antique en Sicile, si ce n'est les écoles, dont la plupart sont si récentes qu'elles n'ont pour ainsi dire pas d'histoire. Nous nous proposons, dansles pages quisuivent, d'étudier l'histoire de l'instruction publique en Sicile et particulièrement à Palerme. Et tout d’abord il convient de noter que le mot université a tou- jours gardé en Italie et en Sicile, et conserve encore aujourd’hui, le sens qu'il avait en France avant l'institution de 1808. II ne si- gnifie ni l'État enseignant ni le corps organisé et constitué qui dis- tribue l’instruction à tous ses degrés. L'enseignement y est réputé, comme partout, un grand intérêt public. I n'y est pas, autant qu'il l’a été en France jusqu'ici, chose et fonction d'État. D'autre part les écoles élémentaires, les instituts techniques, les gymnases, les lycées, tous les établissements, quels que soient leurs noms, où se donnent l'instruction primaire et secondaire, ne font pas partie des universités. | L'université s'entend pour désigner un ensemble ou corps de facultés qui distribuent l'instruction supérieure et confèrent des orades et des diplômes, suivant certaines conditions déterminées. Le royaume d'Italie, formé de plusieurs centres diversement bril- lants et surchargé du nombre de ses capitales, bien qu'il se plaigne de n'avoir pas encore celle qu'il souhaite !, compte vingt univer- ! Ceci était écrit en juin 1870, Nous ne nous doutions pas à ce moment des événements qui devaient avoir lieu deux mois plus tard et que rien ne pouvait faire prévoir mi présager. À la faveur de la guerre de la France avec la Prusse, peu après le départ de nos troupes de Rome, grâce aux embarras généraux et aux communes préoccupations , l'Italie a pris possession de la Ville éternelle et y a planté son dra- peau, presque sans coup férir. C’est une solution de fait de la question romaine, et peut-être en vaut-elle une autre. Quand il ne pourra plus faire autrement, le souverain pontife s'arrangera sans doute pour vivre avec ses puissants voisins. Il est parfois utile d’avoir la main forcée. — vole — sités, dont seize royales et d'État et quatre libres. Nul pays en Europe ne pourrait disputer à l'Italie la maitrise intellectuëlle, si la force et l’éclat de la haute culture dépendaient uniquement de la quantité des écoles et du nombre des chaires et des professeurs. Mais, comme on l'a souvent remarqué, l'efficacité du haut ensei- gnement et par suite le véritable succès des universités tiennent uniquement à la valeur et au mérite reconnu des maîtres. Il est permis de croire qu'aujourd'hui Fltalie est moins fière encore qu'embarrassée de ses vingt universités, et que les traditions plus ou moins anciennes dont elle a hérité, et que l'esprit municipal est trop porté à défendre, lui paraissent encore plus incommodes que glorieuses. Parmi les vingt universités du royaume, la Sicile en compte trois : celle de Catane, celle de Messine et celle de Palerme. Nous les nommons ici par ordre de date. Sans faire remonter l’origine de l’université de Catane jusqu’au législateur Charondas, qui, selon Diodore !, y institua des écoles publiques aux frais de la cité, mi jusqu'à Marcellus, qui, après la prise de Syracuse, fit, au rapport de Plutarque ?, relever le gymnase de Catane, il n'est pas contes- table que l’université de Catane est la plus ancienne de la Sicile. Elle avait un nom au temps du Tasse, qui en fait poétiquement mention dans sa Jérusalem délivrée $. De fait elle fut fondée par le roi Alphonse d'Aragon, qui l’accorda à la sollicitation d’un illustre jurisconsulte catanais, Pierre Rizzari, le 28 octobre 1434 *. Jean de Primi, abbé du Mont-Cassin, fut chargé d'obtenir de Reme la bulle d'institution. Diverses circonstances en empêchèrent lexpé- dition immédiate. Elle fut donnée par le pape . Eugène IV, le DE #2, ch, 14. ? Plutarque, Vie de Marcellus ; Fazello, Storia di Sicilia, dec. 2, ib. 5, cap. 2. * Le Tasse, faisant la revue des armées de Godefroid , nomme Catane et ajoute : Ove il sapere ha albergo. (Ch. 1, st. 7o.) Il nous paraît clair que cette mention se rapporte au temps du Tasse et non au temps de Godefroid de Bouillon et de la première croisade. Placeat Maestati vestræ providere et concedere quod studium generale fiat in civilate Catanæ cum civitas sit ad hoc aptissima et fertilis. Rescripsitque prin- ceps : Placet. — Panormi, 28 celobre 1 134. Voir Coco, Leges a Ferdinando HT late, p. 16; Amico, Catana illustrata, H, p. 290; Cordaro, Osservaziont sulla storia di Sicilia, WT, 203; Documenti per le storia di Catania, brochure in-8°, Catane, 1867. = 9e. 22 avril 1444, et reçut l’exequalur le 28 mai de la même année. L’anrée suivante, le roi Alphonse pourvoyait à l'entretien des pro- fesseurs en assignant à cet effet la somme de 7,600 onces !; et à la fin de cette année 1445, sur la mise en demeure du vice-roi Lupus Ximenes de Hurrea, l’université de Catane s’ouvrit et les cours publics furent inaugurés solennellement. Longtemps Catane fut en Sicile, sinon le siége unique d’un en- seignement supérieur, au moins la seule ville qui possédàt le pri- vilége de conférer des grades et de faire des docteurs. De bonne heure cependant Messine le lui disputa. Dès 1434 le sénat de Messine avait demandé au roi Alphonse l’institution d’une univer- sité. Le roi avait promis d'en écrire au souverain pontife. Mais soit qu'il füt occupé d'autres soins, soit que la cour de Rome, peu empressée de lui complaire, n'eüt pas accueilli sa demande, la promesse royale demeura sans effet. À la fin de l’année 1459, le sénat de Messine revint à la charge et le frère d’Alphonse, Jean, roi de Sicile, lui accorda le privilége qu’elle demandait. Ce privi- lége fut pendant près d’un siècle une lettre morte. Enfin en 1347, à la prière du vice-roi Jean de Véga, Ignace de Loyola envoya à Messine dix membres de la compagnie qu’il avait fondée, et obtint du pape Paul IIT la bulle qui instituait l’université, à la condition qu’elle füt placée sous le gouvernement et la direction de la compa- gnie. Cette bulle fut publiée en avril 1550. L'université de Mes- sine eut dès lors une existence officielle, mais Catane lui contesta longtemps, et plusieurs fois avec un plein succès, le droit précieux de conférer des diplômes ?. Ce n’est guère qu’à la fin du xvr° siècle (21 décembre 1596), qu'après bien des vicissitudes l’université de Messine s’ouvrit avec un certain éclat. L'université de Palerme est de beaucoup la plus récente. Dans l'annuaire italien de l'instruction publique de l'année 1864-1865, on dit qu'elle est ancienne et qu'on ignore l'époque précise de sa fondation. On ajoute qu'en 1637, par privilége de Philippe IV, confirmé en 1686, elle eut le droit de conférer des poisse de docteurs en philosophie et en théologie. H ne faut pas se méprendre d’abord sur l’origine des universités. Les plus anciennes eurent d'ordinaire d’assez chétifs commence- ! L'once équivaut à peu près à 12 fr. 50 cent. 2 Sul dritto che ha l archiginnasio di Catania di essere riconosciulto università di prima classe, brochure in-8°, Carnazza Amari, 1862, p. 20 et suiv. ; 1 | É NE ments. Aucune, on peut le dire, si ce n'est dans des temps relati- vement modernes, ne sortit de terre comme par un coup de ba- guette, entière et complète. Ni l’autorisation des souverains, ni les bulles pontificales n'eurent pareille vertu. Au xr° siècle un doc- teur de quelque réputation attirait autour de lui un groupe de. disciples avides de s'instruire. Le nombre en croissait avec leur célébrité; d'autres docteurs, trouvant un auditoire tout prêt, ve- saient dresser leurs chaires auprès de la sienne; et ainsi se trouvait fondée une école qu'on appelait studium, mais qui dès l’abord n'embrassait pas le corps entier des connaissances humaines. L'université de Paris commença par des écoles de théologie et de philosophie. L'école de Salerne, la plus ancienne de ftalie, ne fut jamais qu'une école médicale. L'université de Bologne, qui eut un si grand renom, qui compta jusqu'à quatre-vingts chaires, et où l'on vit jusqu à douze mille étudiants accourus de tous pays, ne fut d'abord qu'une école de droit romain. De même l’université de Padoue ne comprit au commencement que des chaires de droit. + On ne peut pas mettre évidemment l’université de Palerme à côté de l'université de Paris et des grandes écoles italiennes du moyen àge. Nul ne saurait lui trouver des titres de noblesse dans les temps reculés. Il est assuré qu’au xvu° siècle on cultivait à Palerme, sous des maîtres plus ou moins autorisés, plusieurs branches du savoir humain; mais on n’y trouvait pas un corps constitué ressemblant en rien soit à l’université de Naples, très- centralisée et très-jalouse de ses droits et de ses priviléges, soit aux universités des républiques de Fltalie centrale, plus libres en leurs allures, ouvertes à tous les talents, se recrutant à l'envi parmi les hommes les plus distingués de tous les pays, admettant l'en- seignement libre à côté de l'enseignement officiel, ayant des col- léges institués spécialement pour les examens et dont ne faisait pas partie le corps enseignant, et des colléges où vivaient réunis les étudiants des diverses nations, formant enfin comme une cor- poration autonome avec des priviléges particuliers et une juri- diction propre et exceptionnelle !. Il est possible cependant que certains docteurs de Palerme aient obtenu au xvn° siècle, en pas- Sulle condizioni della pubblica istruzione nel regno d'Italia. Relazione generale presentata al munistro dal consiglio superiore di Torino, in-4°, Milan, 1865. — Voir particulièrement la première partie, p. 9-44, due à la plume du très- regrettable M. Mateucci. == Rs sant et comme par exception, la faveur de conférer certains di- plômes. Cette faveur, fort ambitionnée ei pour l'honneur qui y était attaché et pour le profit qui s’y joignait par les taxes d'examen imposées aux candidats, fut parfois donnée ou retirée très-légè- rement. À Naples, par exemple, la faculté de conférer le diplôme de docteur eu droit et en médecine après un simulacre d'examen, et d’en percevoir les taxes, fut concédée un instant à la maison d'Avellino Garacciolo. Il est possible qu'avant l’année 1779, époque où s’éleva à Pa- lerme, douze ans après l'expulsion des jésuites et dans leur ancien collége Maxime, une sorte d'université laïque sous le nom d’Aca- démie royale des études, quelques docteurs et professeurs de Palerme aient joui du droit de conférer la laurea. Mais sur ce point Îles documents paraissent contradictoires et nous apprennent au moins que ce droit fut toujours quelque chose d'assez précaire, en ce qu'il dépendait du bon plaisir des souverains. L'ancienne loi, d’après laquelle on ne pouvait aspirer aux oflices publics sans avoir reçu la laurea à Catane, fut plusieurs fois opposée aux pré- tentions des professeurs de Messine et spécialement à ceux de Palerme avant même la création de lacadémie!. D'autre part nous voyons, par la liste des professeurs et fonctionnaires du collége Maxime, qu'avant 1767 il y avait une commission de quatre examinateurs chargés spécialement de conférer les grades de docteur en théologie et en philosophie à Palerme. Depuis qu'ils avaient été mis à la tête de l’université de Mes- sine, les jésuites avaient pullulé en Sicile. Au commencement du ! NH vicere Colonna fece opera che i dritti di Catania non soffrissero pregiu- dizio, ed il duca di Albuquerque richiamd in vigore l antica legge che 1 non laureati in Catania pubblici ufficii conseguir non potessero, la quale legge fu poscia confirmata da Carlo IT nel 1678, ordinando che per potere esercitare le professioni di legge o medicina era necessaria la laurea o licenza nella università | di Catania, o nelle tre principali di Spagna, Salamanca, Valladolid ed Alcalà. — | Percio che riguarda il dottorato trattandosi del pregiudizio del terzo che e Catania per la prerogativa che ne gode quella sua pubblica università degli studj non potere accordare quanto si chiedeva per grazia a favore di Palermo. {Dépêche royale du 25 juillet 1778.) Voir Coco, Leges a Ferdinando III latæ, p. 20; Cordaro, Osservaziont sopra la storia di Catania, v. AL, p. 1123 G. Carnazza Amari, Sul diritto che ha l'archi- ginnasio di Catania di essere riconosciuto università di prima classe, brochure in-8°, Catane, 1862. co RER ae xvin* siècle ils étaient, on peut le dire, en possession de lensei- gnement publie dans Pile entière. Outre leur collége Maxime de Palerme, où ils comptaient cinq préfets des études, vingt-quatre professeurs, quatre examinateurs pour la double laurea en théo- logie et en philosophie, ils possédaient encore vingt-quatre colléges dans l'île, parmi lesquels plusieurs comprenaient des chaires de droit, de médecine et de chirurgie; les moins bien pourvus, deux chaires seulement, une de rhetorique et une de grammaire. Mais si nulle part ailleurs les pères de la compagnie de Jésus n'étaient plus riches et plus honorés qu’en Sicile, nulle part aussi leur ac- tivité scientifique n'était moindre et leur enseignement plus ar- riéré. En dépit du mouvement puissant produit au siècle précédent par les travaux de Bacon et de Descartes, et en Italie par ceux de Galilée, ils étaient restés fidèles à la vieille scolastique d'autrefois. Il semblait que les critiques auxquelles elle était en butte depuis Ramus fussent non avenues et n’eussent pas ébranlé son empire. On passait trois années entières à étudier cette vaine philosophie qui faisait de subtils disputeurs, mais non des savants. Cependant d’autres compagnies religieuses vinrent secouer le zèle des pères de la société de Jésus en leur disputant l’ensei- gnement de la jeunesse. En 1728 les pères théatins, encouragés par quelques personnages pieux, fondèrent à Palerme un excellent séminaire pour l'éducation des fils des familles nobles. Les jésuites en fondèrent un aussi de leur côté. Un peu plus tard le père Gae- tano Cottone des théatins, après avoir pourvu à l'instruction des enfants de la noblesse, établit pour la bourgeoisie un collége dont la direction fut confiée aux pères des Écoles pieuses, et qui prit le titre de Collége de la Conception. En même temps, par les soins des archevêques de Palerme Rossi et Papiniano Cusani, s’éleva pour les ecclésiastiques un séminaire, où une théologie plus solide que celle des jésuites et surtout une philosophie et une physique moins surannées et plus vivantes furent enseignées par d'éminents professeurs appelés de Florence et de Turin. Enfin, en 1754, Fran- cesco Testa, archevèque de Monreale, fonda dans cette ville un séminaire qui devint bientôt pour toute la Sicile une école de sa- voir et de goût, et d’où sortirent nombre d’hommes véritablement distingués. Il est digne de remarque que la réaction qui se pro- duisit par toute la Sicile contre la compagnie de Jésus dans la première moitié du xvin° siècle, les efforts pour ouvrir çà et là de REA a nouvelles sources d'instruction et rajeunir même les sciences sa- crées et la théologie, eurent pour principaux auteurs et pour chefs des prélats et des dignitaires de l'Église. Mais ces réformes portèrent tout d’abord exclusivement sur l'enseignement théologique et littéraire. L'enseignement du droit et celui de la médecine étaient fort délaissés. Les théatins éta- blirent une chaire de droit civil dans leur séminaire de Palerme, et quelques illustres personnages ouvrirent des conférences et des cours particuliers de jurisprudence dans leurs maisons. Quant à la médecine, la municipalité de Palerme envoya à ses frais, en 1738, Joseph Mastiani à Paris pour y apprendre la chirurgie, et rapporter en Sicile les bonnes traditions et la saine méthode de cette illustre école. À son retour, Mastiani pouvant à son tour former des élèves, la commune de Palerme fonda un cours de chirurgie et un cours de médecine pratique dans l’hôpital public. Vers la moitié de ce même xvur° siècle, des bibliothèques lais- sées par de riches particuliers s’ouvraient au public à Palerme}, à Messine et à Catane; des compagnies littéraires se fondaient, parmi lesquelles 1l convient de citer l'académie du Bon goût; des musées s'élevaient à Catane par les soins des bénédictins, à Pa- lerme par ceux des jésuites, et aussi par le zèle éclairé de riches et savants particuliers, comme le prince de Biscari, à Catane. On commençait à s'occuper avec une curiosité éclairée des origines lointaines et des vicissitudes diverses de la Sicile; on travaillait à éclaircir les points obscurs de son histoire; on s'initiait à la con- naissance de l'archéologie et de la critique, qui n'est autre chose que la philosophie travaillant sur les données de l'histoire; on commençait à se dégoûter des formules vides, des stériles abstrac- tions et des discussions de vaines légendes pour s'appliquer aux sciences exactes ou à l’histoire. Sous ce dernier rapport, la patrie des saints, la fondation des églises, les priviléges des cités, avaient été les thèmes de controverses infinies et sans issue. On avait dis- puté à perdre haleine sur les lieux de naissance de sainte Sylvie et de sainte Agathe, sur le droit des églises à vanter leur origine * En 1760, la première grande bibliothèque publique, formée en grande par- tie de legs et de donations particulières, fut ouverte à Palerme. Ce fut le premier fonds de la bibliothèque commurale sitaée dans la Casa professa des pères de la compagnie de Jésus. 2 He apostolique et sur nombre d’autres traditions incertaines. L'esprit critique s’y affermit : ce fut le meilleur résultat de ces controverses ; mais ce réveil des intelligences ne renouvela pas les écoles. On voyait les meilleurs esprits travailler dans la seconde moitié de leur vie à se défaire de ce qu'ils avaient appris dans la première, et rejeter, une fois hors de page, toute la vaine science des écoles. Celles-ci ne changeaient pas pour cela. Les jésuites, maïtres de l'enseignement public, vivant séparés de la société, gardaient leurs opinions et leur méthode, et restaient attachés à la routine dont tous, autour d'eux, essayaient de se dégager !. En philoso- phie, les novateurs opposaient Démocrite à Aristote. Les idées de Descartes et de Leibnitz trouvaient des partisans, bien que les jé- suites essayassent de rendre ces principes suspects, les déclarant contraires à la religion, et en particulier le principe de la raison suffisante, destructif, disaient-ils, de {a liberté humaine. Ils flé- chirent cependant au temps avec souplesse, et dans leur séminaire des Nobles, ils commencèrent à enseigner les doctrines de Des- cartes au moment où elles avaient perdu leur crédit, sans aban- donner pourtant la scolastique dans leurs colléges. De la sorte, quand toute l'Europe savante était cartésienne, les jésuites res- taient attachés à la pure scolastique; et quand la philosophie de Leibnitz et celle de Wolf dominaient partout et avaient chassé le cartésianisme de toutes ses positions, les jésuites commençaient à adopter en partie les idées cartésiennes. Par crainte des nouveau- tés, ils se tenaient ainsi toujours à l'arrière-garde de l'esprit hu- main. En 1758, Tommaso Natale, marquis de Monterosato, ayant publié une exposition en vers intitulée Philosophie leibnitzienne, ! Eran solamente le scuole de’ gesuiti, che resisteano a questa salutare ri- forma, perciocchè segregati com’ erano dalla società e maestri solennissimi delle pubbliche scuole, tenaci si mostravano delle proprie opinioni, e del proprio in- segnamenlo , e abborrivano, come a loro ingiuriosa, e agli altri piena di pericoli, qualunque riforma, o novità, che da esso loro non fosse derivata. Ma le loro op- posizioni tornarono vane, perchè vaui riescono gli sforzi contro la verità che comincia la sua luce a mandar fuori. Ritennero, egli è vero, le scuole gesui- tiche la teologia scolastica e contenziosa, ma sul} entrar del 1950 e benedettini, e agostiniani, e domenicani unitamente ad alcuni della seuola del Quesnel si avventarono contro le loro opinioni, e tanto si alterco, ch’ ebbe finalmente luogo e prevalse il diritto metodo di studiar la teologia e le cose ecclesiastiche. (Dome- nico Scina, Prospetto della storia ltteraria di Siciliu nel secolo decinwttavo, 3 vol. in-8°, Palerme, 1824, t. 1, p. 206-205.) — SE — i adressée à l'académie de Leipsick !, et cet ouvrage ayant été reçu avec un grand applaudissement, les jésuites, sous prétexte que l'auteur avait représenté l'erreur avec le costume et sous l’accou- trement d’un frère, crièrent au scandale et l’accusèrent d'avoir tourné en dérision les choses saintes. Le tribunal de linquisition fut saisi par eux. La témérité du poëte fut àäprement reprise, toutes les copies du premier livre de son ouvrage supprimées et les quatre autres qui étaient prêtes pour l'impression ne purent voir le jour. Francesco Valenza, qui avait prêté ses presses et s'était ainsi rendu complice du scandale, fut mis en prison ?. Il convient de noter cependant que lejour même où la compagnie faisait cet appel à la peur et invoquait l'inquisition au secours de son enseignement menacé, les pères de Saint-Martin à Palerme, dans leur église du Saint-Esprit, ne craïgnaiïent pas de soutenir le système de Leibnitz dans des thèses publiques. L'arrèt de l'inquisition n'empêcha nullement les idées condam- nées de faire leur chemin en Sicile. Gambino se fit l'interprète des principes de Wolf dans le séminaire ecclésiastique de Catane, et toute cette ville, dégoütée de la barbarie scolastique, s'empressait avidement autour de lui: le roi l’attachait à J'université comme professeur de métaphysique à la place d'Augustin Giuffrida, dont la colère se déchaïnait vainement contre son successeur, ses maîtres et ses partisans. Les doctrines de Leibnitz et de Wolf pénétraient de même à Cephalù, à Messine, et surtout dans les trois séminaires de Monreale. Là, Miceli, vrai méditatif à la façon de Malebranche, essayait à cette même époque de fonder un système original et de rajeunir les antiques et fortes spéculations de Parménide, non sans encourir de quelques-uns le soupçon de spinozisme. Vers 1760, non-seulement la direction des esprits au dehors échappait à la société de Jésus, mais l'empire même de la théo- logie passait en d’autres mains, ou leur était vivement disputé par ! La Filosofia leibniziana esposta in verst toscant, t. I, lib. 1. De principü ai si- gnort dell” accademia di Lipsia. In Firenze nella stamperia di Matini (cioè in Palermo presso Francesco Valenza), in-4° piccolo. ; * Le 27 février 1:58, le tribunal du saint office donna un édit par lequel défense était faite de lire ou de garder le livre de la philosophie leibnitzienne de Tommaso Natale, sous les peines décrétées contre ceux qui lisent ou retiennent les ouvrages prohibés. On avait ordre de remettre tous les exemplaires du livre cendamneé entre les mains des inquisiteurs. [ls ne revirent le jour qu'après l’abo- htüon du tribunal du saint office. es M0 ue les dominicains et les bénédictins. Les querelles qui, un siècle au- paravant, avaient passionné les esprits en France et mis la plume aux mains de Pascal avaient alors comme un écho en Sicile. L'é- piscopat y était partout contraire à la compagnie *; d'où il résultait qu'ayant encore la direction des écoles laïques, les jésuites n'étaient presque nulle part en possession de l'éducation ecclésiastique. L'ins- truction du jeune clergé à Palerme, à Catane, à Messine, à Girgenti et à Syracuse, ne leur appartenait pas. Dans toutes ces maisons, qui relevaient directement des évêques, on suivait une méthode et on enseignait des doctrines qui n'étaient pas les leurs. On se gardait de les attaquer ouvertement, mais sans bruit on creusait labime où le colosse redouté allait s'enfoncer?. Ce n'est pas cependant l'animosité ou la jalousie des autres - ordres religieux, ni le mauvais vouloir des évêques, ni l’antipathie des hommes éclairés, qui précipita en Sicile la chute des jésuites. Leur expulsion fut simplement un coup de politique. La fameuse compagnie, depuis sa fondation, avait déjà traversé bien des vicissitudes diverses. Instituée vers le milieu du xvi‘ siècle, elle se voyait dans les dernières années de ce siècle bannie de . presque tous les pays de l'Europe : de Suède (1593), de France (1594), d'Angleterre (1602) et de Russie. On sait que cet exil dura peu. Au commencement du siècle suivant les bannis revin- rent sans fracas. De 1615 à 1715, la prospérité et l'influence de la compagnie allèrent toujours en croissant, Louis XIV, qui les avait partout soutenus, étant mort, le crédit des jésuites déclina. La Russie les chassa de nouveau en 1719. En Portugal, après une lutte de dix ans, ils succombèrent et furent expulsés en 1759. De même en France, peu après l'attentat de Damiens, l'ordre fut aboli (1764). Trois ans après, ils furent renvoyés d'Espagne (28 fé- vrier 1767). Or, depuis 1759, Charles IIT d'Espagne avait gardé la haute main sur les affaires des Deux-Siciles. Son fils Ferdinand IV, alors ? Le scuole gesuitiche e le loro scolastiche opinioni cadeano sempre più in discredito in tale stagione per opera de’ vescovi e dei benedittini, e de’ loro valo- rosi teologi i Di Blasi, Cordova, Settimo et Paternd Castello. (Domenico Seina, ouv. cité, t. IT, p. 301.) ? La signoria de gesuiti era, egli è certo, un colosso, che da ogni parte si ado- rava in Sicilia : ma in questo modo in luogo di attaccarlo apertamente, il che non era senza pericolo, gli si cavavano in segreto le fondamenta, per farlo da sè crol- lare e rovesciare. (Domenico Scina , ouv. cité, t. TT, p. 97.) MISS. SCIENT. —— VII. f ee DO mineur, se conduisait en tout d'après ses inspirations, et le ré- gent Tanucci recevait de Madrid les règles politiques suivant les- quelles il devait administrer le pays. Charles IIF, ayant aboli l'ordre des jésuites, prescrivit à son fils, dont la majorité venait d'être déclarée, et à son neveu le duc de Parme d'en faire autant. Les beaux considérants ne manquèrent pas au décret d’expul- sion de la compagnie. La paix publique, la sécurité et le bonheur des sujets furent invoqués. Le décret d'expulsion est des premiers jours de novembre 1767. Fogliani, marquis de Pellegrino, vice- roi et capitaine général du royaume de Sicile, le fit afficher partout. En voici les termes : FerpiNanDO IV, per la grazia di Dio re delle due Sicilie e Gerusa- lemme, etc, La quiete, la sicurezza et la felicità de nostri amatissimi popoli aven- doci obbligato ad uniformarci al parere concordemente propostoci dalla giunta degli abusi con rappresentanza del 25 del passato mese d'ottobre, e al sentimento di altre persone distinte per loro carattere ecclesiastico, e per la pietà e dottrina, abbiamo risoluto, e facendo uso di quella su- prema indipendente potestà economica che riconosciamo immediata- mente da Dio alla nostra sovranñà dalla sua omnipotenza inseparabil- mente unita pel governo e regolamento de nostri sudditi, vogliamo e comandiamo che la compagnia delta di Gesu sia per sempre abolita ed esclusa perpetuamente dalle Sicilie. I. Ordiniamo percio e comandiamo che tutti gl individui della com- pagnia suddetta, sacerdoti, diaconi e suddraconi, e tutti anche 1 chierici, -e novizü, e laïci, 1 quali vogliono ritenerne l'abito e seguirne l'istituto, siano espulsi dalle Sicilie. IL. Ordiniamo ancora e comandiamo che gli espulsi non possano mai piu ritornare ne nostri regni, sotto pena di esser trattati come rei di lesa maesta; ancorchè uscissero dall’ ordine con licenza formale del papa, lasciassero l'abito o passassero ad altro ordine. IT. Ordiniamo e comandiamo che tutti i beni temporali della com- pagnia suddetla cosi mobili come stabili, rendite ed altri effetti qualsi- vogliano, si occupino nel nostro real nome; riservandoci di farne colla nostra pietà e amore pe nostri popoli quell uso che stimeremo più utile e conveniente al ben pubblico. IV. E facendo uso della nostra real clemenza dichiariamo ed abbiamo ordinato, che a tutt i gesuiti nostri sudditi, che siano in sacris, si asse- guino ducati sei mensuali per ciascuno, vita loro durante, pel loro man- tanimento fuori de nostri regni : a qual effetto debba ciascun di loro EG costituire il parente più prossimo, o che sia idoneo, ad esigere la detta vitalizia prestazione, a cui si pagherà dal nostro erario e da cui ciascuno la riceverà. Non volendo che sieno compresi in questo atto di nostra real clemenza i novizai, i chierici e i laïci, i quali ultroneamente dopo la nostra real dichiarazione han voluto seguitar la compagnia. V. Ordiniamo e comandiamo che questa pensione vitalizia assegnata s'intenda subito cessata a tutti gl individui, nel momento in cui alcuno di essi o altri della loro compagnia, o con nome espresso, o con finto, o qualunque altra persona, anche fuori della compagnia, scrivesse o im- pugnasse con qualunque titolo di apologia o altro questa nostra reale determinazione. Ordiniamo percio e comandiamo a tutti e qualunque de’ nostri sudditi sotto pena d'incorrere nella nostra reale indegnazione, di non scrivere su questa nostra risoluzione, anche per lodarla e appro- varla, se non abbia l ordine espresso da noi. VI. Niuno de nostri sudditi o ecclesiastico o secolare potrà chiedere carte di fratellanza di questa compagnia, sotto pena di esser trattati come rei di lesa maestà e solto la stessa pena dovrà chiunque le abbia anterior- mente avule fra un mese esibirle ai capi de” tribunali di questa capitale, commissario di campagna o presidi delle provincie o governatori de’ ris- pettivi luoghi i quali debbono tenerne con riserva i nomi e rimettere le carte nella nostra real segretaria di stato. E perche contro di questa nostra legge non si possa da chicchesia al- legare causa d'ignoranza, e venga a notizia di tutti, ordiniamo e coman- diamo che si pubblichi ne luoghi soliti di questa fidelissima città e del regno, e per maggior comprovazione di questa nostra real determinazione sarà la presente da noi sotloscritta, munila da nostro real sugello vice- protonotario e la di lui vista autenticata dal nostro segretario nella camera di S. Chiara!. Napoli, li novembre 1767. FERDINANDO. BERNARDO T'ANUCCL. FerpinAnD IV, par la grâce de Dieu, roi des Deux-Siciles et de Jéru- salem, elc. etc. Le repos, la sécurité el le bonheur de nos très-aimés sujets nous ayant obligé de nous conformer à l'avis unanime proposé par la junte des abus le 25 du mois d'octobre dernier et au sentiment d’autres personnes distinguées par leur caractère ecclésiastique, leur piété et leur doctrine, nous avons résolu , faisant usage de celte puissance suprème el indépen- ! Extrait des archives de Palerme. La date du jour où cette loi a été signée manque sur la copie de la minute, mais on sait que cette pièce fut donnée dans les premiers jours de novembre 1767. dante que nous reconnaissons tenir immédiatement de Dieu et qui est inhérente à notre souveraineté, pour Île gouvernement et l'administra- tion de nos sujets, nous voulons et commandons que la compagnie dite de Jésus soit à jamais abolie et exclue perpétuellement des Deux- Siciles. ! I. Nous ordonnons donc el commandons que tous les individus de la susdite compagnie, prêtres, diacres et sous-diacres, et aussi tous les clercs, novices et laïques qui veulent en garder l'habit et suivre linsti- tut soient expulsés des Deux-Siciles. | IL. Ordonnons encore et commandons que lesdits expulsés ne puissent plus désormais rentrer dans nos États , sous peine d'être traités comme coupables de lèse-majesté, encore même qu ils sortiraient de l'ordre avec permission formelle du pape, en laisseraient l'habit et entreraient dans . un autre ordre. IL. Ordonnons et commandons que tous les biens temporels de la susdite compagnie, meubles, immeubles, rentes et autres propriétés quelles qu'elles soient, soient occupés en notre royal nom , nous réservant, dans notre affection et notre amour pour nos peuples, d'en faire l'usage que nous estimerons le plus utile et le plus expédient au bien public. IV. Et, faisant usage de notre royale clémence, déclarons et avons or- donné qu'à tous les jésuiles nos sujets, qui seraient dans les ordres sacrés, seront assignés six ducats mensuels à chacun, leur vie durant, pour leur entretien hors de nos royaumes. A cet effet, chacun d'eux devra constituer son parent le plus proche, ou une personne qui soit en posi- tion de toucher pour lui ladite assignation alimentaire, laquelle sera payée à notre trésor. Mais nous entendons que les novices, les clercs et les laïques, qui de propos délibéré, après notre royale détermination, auraient voulu suivre la compagnie, ne soient pas compris dans cet acte de notre royale clémence. V. Ordonnons et commandons que cette pension alimentaire cesse immédiatement à l'égard de tout individu, au moment même ou lui ou un de sa compagnie, sous son nom propre ou sous un nom simulé, ou quelque autre personne, même en dehors de la compagnie, se permet- trait d'écrire pour combattre sous un prétexte quelconque d'apologie ou autrement notre royale décision. Ordonnons par conséquent et com- mandons à tous et à chacun de nos sujets, sous peine d’encourir notre royale indignation, de se garder d'écrire au sujet de notre présente dé- termination, mème pour la louer et l'approuver, sans en avoir l'ordre exprès de notre part. VI. Aucun de nos sujets, ecclésiastiques ou séculiers, ne pourra de- mander d'être affilié à cette compagnie, sous peine d’être trailé comme coupable de lèse majesté, et, sous la même peine, quiconque y a été affilié antérieurement devra remettre son diplôme d’afhiliation dans er l'espace d'un mois aux chefs des tribunaux de cette capitale, commis- saires ou présidents des provinces ou gouverneurs des lieux respectifs, lesquels devront garder avec exactitude les noms et remettre lesdits papiers à notre royale secrétairerie d' État. Et, pour que personne ne puisse à l'encontre de notre loi alléguer cause d'ignorance et qu'elle vienne à connaissance de tous, nous ordon- nons et commandons qu elle soit publiée dans les lieux à ce affectés de notre très-fidèle cité et du royaume ; et, pour donner plus grande assu- rance de notre royale détermination, sera la présente souscrite par nous, munie de notre sceau royal, visée et authentiquée par notre pro- tonoiaire et attestée conforme par notre secrétaire dans la chambre de Sainte-Claire. Naples, le novembre 1 367. | Signé FERDINAND. Et au-dessous : BERNARD TaANuccr. Lorsque la proclamation royale parut, tous les membres trans- portables de la compagnie avaient déjà quitté la Sicile. Quand on lit les pièces o!licielles conservées aux archives de Pa- lerme au sujet de cet événement, et qu'on voit les minutieuses in- dications et les mesures stratégiqnes indiquées aux officiers civils et militaires à cette occasion, on se demande à quels hommes on avait affaire, quel était leur crime accompli ou projeté, et quel péril imminent ils faisaient courir à l'État. Jamais, je crois, cons- pirateurs avérés n'ont été traités avec un pareil luxe de précautions hostiles et une plus savante tactique policière. On les arrêta de nuit, on les conduisit par troupes et sous escorte à des ports d’em- barquement. La veille ils s'étaient endormis riches, honorés, en- viés aussi sans doute (c'est le sort de toutes les puissances), maîtres de nombreuses maisons pleines d'élèves et de novices. Quand Île soleil se leva, leurs papiers étaient saisis, leurs biens confisqués, et eux-mêmes traqués comme des criminels, et entassés dans des bâtiments de transport, conduits hors du royaume avec l'espé- rance précaire, s'ils ne se plaignaient pas, d'une pension alimen- taire que leur accorderait la clémence royale. On ne voit pas qu'au- cune protestation bruyante se soit élevée contre ce coup de surprise et de violence que couvrit seule la raison d’État. Cette suppression pour ainsi dire instantanée de la compagnie de Jésus laissait sans maîtres la plupart des écoles de la Sicile. I 1 LE ON eût convenu de rétablir ces écoles sur des bases plus larges et de les accommoder aux besoins nouveaux qui depuis longtemps | s'étaient fait jour de toute part. Mais une nouvelle organisation de l'enseignement ne pouvait s'improviser du jour au lendemain. L'État n'avait pas sous la main un plan organique tout fait ni un | personnel capable de relever le niveau des études. On s'occupa seulement de combler les vides qu'avait laissés le départ des jé- suites, et on eut le tort de se priver du secours des hommes les plus compétents en excluant systématiquement de l’enseignement, par une mesure de défiance que rien ne justifait, ceux qui appar- tenaient aux ordres réguliers !. Les jeunes gens ne pouvaient pas attendre. II fallait pourvoir à ce que les colléges ét les sénunaires ne fussent pas fermés ou se rouvrissent le plus vite possible. Le gouvernement fit à ce sujet appel au zèle des évêques, et les chaires enlevées aux jésuites furent remises à des laïques ou à des ecclésiastiques séculiers. En même temps une commission royale fut instituée avec la double charge d’administrer les biens des ex-jésuites et de veiller à la bonne direction des écoles. En 1778, cette commission fut abolie. Le tribunal du royal patrimoine eut l'administration des biens de la compagnie, et la surintendance des écoles et des études pu- bliques fut confiée à une junte composée de cinq membres : Salva- dor Ventimiglia, archevêque de Nicomédie; Alphonse Airoldi, archevêque d’Héraclée; Gabriel Lancellot Castello, prince de Tor- remuzza; Joseph Lanza, prince de Trabia, et Emmanuel Bo- nanno, duc de Misilmeri. Ce fut sous les auspices de ces commis- saires royaux que fut fondée et s'ouvrit en novembre 1779 l'université de Palerme, sous le nom modeste d'Académie des études. Sur les biens des jésuites, on assigna à la commission des études, pour le maintien de l'académie et des écoles du royaume, la somme de 5,930 onces. La commission ne dut dépendre que du vice-roi, gouverneur de la Sicile, et celui-ci même, auquel appar- tint le droit de nommer les professeurs, fut tenu de prendre l'avis * Si diede la cura delle scuole a magistrati legali. che distratti daghi affari civili poco o nulla attender poteano alle cose letterarie. Si esclusero di più dal!” inse- gnare nelle scuole gli uomini più culti che forse allora erano, cioè a dire tutti gli ecclesiastici e i regolari di ogni maniera. Sicchè cercandosi i maestri pubblici solamente tra i secolari non sempre si trovarono i più adatti. { Domenico Scina, ouv, cilé, t. ET, p. 4, en note.) de la commission et de ne disposer des chaires qu'après la présen- tation des candidats par le conseil. Les premières chaires qui constituèrent en novembre 1779 l'académie des études de Palerme furent les suivantes : 1° mathé- matiques; 2° théologie dogmatique; 3° histoire de l'Église et des conciles; 4° institutions civiles; 5° langue grecque et hébraïque; 6° physique expérimentale; 7° logique et métaphysique; 8° géo- métrie et algèbre; 9° médecine théorique; 10° médecine pratique; 11° chimie et pharmaceutique; 12° géométrie pratique, archi- tecture civile et hydraulique; 13° chirurgie et obstétrique ; 14° anatomie; 15° droit naturel et public; 16° économie, agri- culture et commerce; 17° histoire naturelle et botanique; 18° ins- titutions canoniques; 19° théologie morale; 20° dissection anato- mique et chirurgie pratique. Avec le temps et l'expérience, cette première fondation subit plusieurs modifications. C’est ainsi qu’en 1780, par arrêté vice- royal, une école de dessin fut annexée à l'Académie des études. De mème, sur la demande du sénat de Palerme, le roi ayant décidé (dépèche du 21 décembre 1781) que les étudiants de Palerme, qui auraient fait dans l'académie des études le cours triennal de droit ou de médecine, pussent obtenir la laurea à Catane, établit en conséquence une chaire où l'on commenterait les Pandectes et le code de Justinien (12 avril 1782). De même encore, sur la de- mande de la commission, le roi, par dépêche du 6 août 1785, institua une chaire pour l'enseignement de la langue arabe. L’an- née suivante, encore sur l'initiative de la commission, fut annexée à la chaire de physique expérimentale une chaire de mathéma- tiques supérieures et une chaire d'astronomie théorique et pra- tique !. Cette même année 1786, la chaire de botanique fut sépa- rée de la chaire d'histoire naturelle. Le jardin botanique avait été commencé en 1779, à la porte de Carini; en 1789, il fut trans- porté près de la villa Julia, où il se trouve encore aujourd'hui. La chaire d'agriculture fut également séparée en 1786 de celle de l'économie politique. En 1801, la médecine théorique fut aussi divisée en deux enseignements, ayant chacun sa chaire distincte: la physiologie et la pathologie. ? Mille onces annuelles, prises sur les biens du tribunal de linquisition, qu'en venait de supprimer, durent fournir aux frais de ces deux nouvelles chaires. RES us = 2 ne ee — 56 — L'académie des études avait hérité du musée d'antiquités, que la compagnie de Jésus avait fondé, en même temps que de leur riche et précieuse bibliothèque. Ces deux établissements, d'un si grand intérêt, le premier pour les études d'archéologie et d’his- toire, le second pour les progrès et la culture générale de l'esprit, furent considérablement augmentés et enrichis. En 1783, une donation particulière de Joseph Gioeni fut faite à l'académie, dans le but de fonder une chaire d'éthique et de philosophie naturelle, et de donner des prix aux étudiants les plus méritantis dans cette faculté et dans celle d'économie politique. Cetle chaire d'éthique faisant double emploi avec celle des ins- titutions de droit naturel, celle-ci fut supprimée par décret du 18 janvier 1787. Une chaire de haute éloquence, proposée par la commission, fut instituée par décret royal du 4 février 1787. Mais, après la mort du titulaire, l’abbé Domenico Salvagini, il ny fut pas pourvu et elle resta vacante. Sur la demande de la commission, la chaire d'hébreu fut sépa- rée de la chaire de grec (20 janvier 1806). Un décret du 20 mai 1810 décida que le professeur se restreindrait aux pures questions de philologie et de littérature hébraïques. On craignaïit que la libre critique ne se donnât carrière sous prétexte d’exégèse gram- maticale ou littéraire, et on ne l’aimait guère à cette date dans le royaume. 4 Par décret royal du 7 octobre 1789, une chaire de droit sici- lien fut établie; mais, comme la chaire de haute éloquence, elle n'eut qu'un titulaire. Cette même année 1789, on fonda aussi à Palerme un séminaire ou collége nautique pour fournir la marine marchande d'officiers et de pilotes, On voit que les besoins de l'instruction supérieure furent assez amplement satisfaits par ces diverses institutions, et que l’acadé- mie de Palerme, à défaut du nom, eut les cadres complets, ou peu s’en faut, d’une université. L’instruction secondaire, et surtout l'instruction primaire, ne furent pas aussi largement POUBHES Dans le collége Maxime, où les jésuites donnaient auparavant un enseignement mixte, c'est-à-dire supérieur et secondaire tout à la fois; à côté de ces nombreuses chaires comprenant en gros l’en- seignement de cinq facultes, bien que la division n’en fût pas faite précisément, on établit les cours inférieurs suivants : deux cours M po de rhétorique, deux cours d'humanités et trois classes de gram- maire. Tels furent les cours qu’il fallut traverser pour avoir accès aux chaires de l'université et être apte à y prendre des grades. Au dehors de la capitale, dans les vingt-quatre colléges occupés par les jésuites avant leur expulsion, on continua leur enseignement sans beaucoup le rajeunir. Quant à l'instruction primaire, on s'en inquiéta moins qu'il n'eût fallu. Un décret du 10 novembre 1778 chargea les frères d'enseigner la lecture, l'écriture et les premiers éléments de l’arith- métique. Mais ces écoles s’installèrent dans les seules villes où les Jésuites avaient laissé des places à prendre. En fait, elles man- quèrent dans le plus grand nombre des communes; l'instruction publique, assez libéralement distribuée aux classes éclairées, fit presque absolument défaut aux classes populaires, et la pyramide manqua de sa base nécessaire. L'institution de l'académie royale des études de Palerme donna en Sicile une forte impulsion aux études mathématiques et phy- siques, jusqu'alors assez négligées, On appela de France et d'Italie d'éminents mathématiciens. Lagrange, invité par le marquis Caracciolo à venir occuper la chaire d'analyse, refusa. On fut plus heureux auprès du théatin Joseph Piazzi, qui fonda l'obser- vatoire de Palerme, fit faire à l'astronomie physique de grands progrès, enrichit la science du ciel de nombreuses découvertes importantes, et fut, à la fin du xv° et au commencement du xx siècie, un des plus grands noms de la Sicile savante, On l’en- voya en France et en Angleterre pour qu’il se perfectionnàt dans la pratique des observations, prit connaissance des meilleurs instru- ments, et liât d'étroites relations avec les plus fameux astronomes du temps. Il vit à Londres Ramsden, le père et le rénovateur de l'astronomie instrumentale, sut se faire un ami de cet homme précieux et obtenir de lui, ce qui n’était pas chose facile, à cause de la mobilité de son caractère et de son esprit un peu fantasque, plusieurs instruments nouveaux dont aucun observatoire d'Europe n'était encore pourvu. En mai 1791, il les mit à profit pour com- mencer ses longues et si honorables observations que l'Institut de France couronna deux fois}. ! Les deux ouvrages du père Joseph Piazzi, couronnés par Institut, portent les titres suivants : Præcijuarum stellarum inerrantium posilioncs mediæ ineunte seculo X1IX ex obser- On invita de mème d'illustres savants à venir enseigner la phy- sique à Palerme. Le père Élisée, de la Conception de Naples, ac- cepta. Il apporta avec lui ses nombreux instruments; ses curieuses expériences attirèrent un public considérable à ses lècons, et dès lors on commença à Palerme à regarder la physique comme un élément important de la culture scientifique. Jean Méli, le pre- mier, introduisait en même temps à Palerme les nouveaux prin- cipes de Lavoisier, et fondait véritablement en Sicile l'enseigne- ment de la chimie. Avant la fin du siècle, la jeunesse studieuse avait un excellent guide à étudier dans la traduction commentée de la chimie de Fourcroy, par Joseph Miron, professeur de l’uni- versité de Catane !, Chose nouvelle aussi, cet ouvrage paraissait en italien. Cela seul était une espèce de révolution. L'institution de l'académie de Palerme eut ainsi de très-heureux résultats pour la Sicile tout entière. Les sciences physiques, natu- relles, médicales prirent partout un nouvel essor. L'université de Catane se releva. La philosophie du temps ne fut pas renouvelée, mais on tenta de lui ouvrir de nouvelles voies, en l’associant plus étroitement aux sciences expérimentales et en essayant de la fon- der sur l'anthropologie et sur l’histoire naturelle ?. La politique avait fait renvoyer la compagnie de Jésus, ia poli- tique la fit rappeler. Clément XIV, qui avait aboli l'ordre par le fameux bref Dominus ac Redemptor, le 27 juillet 17973, était mort l'année suivante, et plusieurs n'avaient pas manqué de voir, dans l'étrange et subite maladie qui l'emporta, une punition du ciel. Depuis ce temps, grâce à la protection de Pie VIT, la société avait pris de nouvelles racines en Europe. Le 7 mars 1801, sur la de- mande de Paul [”, empereur de Russie, le souverain pontife, par un bref, permit aux prêtres séculiers vivant en Russie de s’'asso- vationibus habitis in specula Panormitana ab anno 1792 ad annum 1802. Panormi, typis regiis, 1803, in-folio. Præcipuarum stellarum inerrantium positiones mediæ ineunte seculo x1x ex obser- vationibus habitis in specula Panormitana ab anno 1792 ad annum 18138. Panormi, ex reg. tÿpog. milit. 1814, in-folio. ! Filosofia chimica o verità fondamentali della chimica moderna disposte in un nuoro ordine dal sign. Fourcroy, corredata d'aggiunte ed illustrazioni ad uso della Reg. Università di Catania, da Giuseppe Mirone. In Catania presso Gioacchimo Pulejo, 1797, 2 vel. in-8°. ? On voit poindre cet effort dans un ouvrage de l’ex-jésuite Guarini de Palerme, intitulé Ragionamenti filosofici, 4 vol. in-4°, 1785. = 60 = cier sous la règle de saint Ignace, d'administrer les sacrements avec le consentement des ordinaires et d'élever des maisons d'ins- truction. Le roi des Deux-Siciles, Ferdinand, ayant demandé au pape d'étendre cette permission à son royaume, un bref fut donné à cet effet le 30 juillet 1804 !, lequel recut lexequalur le 7 août de la même année. Le leaders, 8 août, le secrétaire d'État Migho- rini donnait, de la part du roi, au prince de Cutô, lieutenant gé- néral en Sicile, les ordres nécessaires à la reintégration de la société. Trente-sept ans auparavant, on avait invoqué la raison du bien public pour expulser les jésuites. On alléguait alors la même raison pour les rappeler et leur rendre la direction de la jeunesse. « L'éducation publique, disait le ministre d’' État au commence- ment de sa dépêche, étant un des principaux objets des sollici- tudes paternelles de S. M. le roi, outre toutes les mesures qu'il a prises et toutes celles qu'il entend prendre pour ce but, 1l s'est déterminé à rappeler dans ses États la compagnie de Jésus, afin que par ses exemples et ses œuvres il puisse fournir à ses sujets une Voie sûre qui les achemine à la pratique des vertus chré- pennes. /:.% La volonté du roi est que la compagnie de Jésus, tant en ce royaume que dans celui de la Sicile, pour son honnête entretien, recouvre tous les biens qui lui demeurent encore, à condition seulement qu'elle soit obligée de satisfaire à toutes les charges qui lui incombent de par les ordres de Sa Majesté et de ses ministres, et sous lexpresse condition aussi que, par le fait de cette réinté- gration, la compagnie ne prétende en aucune façon être remise en possession de ces biens, qui, de fait, se trouvent aliénés, ven- dus, donnés ou distraits à un titre quelconque; la cession présente devant être considérée non comme une restitution, mais comme ! Nunc vero carissimus in Christo filius noster Ferdinandus, atriusque Siciliæ et Hieros. rex illustris, exponi nobis fecit videri sibi maxime in præsentium tem- porum circumstantiis profuturum ad regni sui juventutem bonis moribus infor- mandam et rectis salutaribusque doctrinis instruendam si, quemadmodum in Russiæ imperio , ita in suis dominiis constitueretur eadem congregatio societatis Jesu sub ipsa regula sancti Ignatii a laudato Paulo TITI pontifice confirmata, inter cujus præcipua munia sodalibus eidem adscriptis incumbentia illud recensetur adolescentes aut in collegiis altos aut propriis gymnasiis instruendi ac erudiendi. (Bref pontifical de Pie VIT, tiré des archives de Palerme.) 2! Gt une nouvelle concession ou une largesse à titre gracieux reçue de la bienveiliance souveraine du roi. Dans cette même pièce on attestait l'approbation du publie que la mesure royale avait partout rencontrée, et on déclarait ne pas douter « que les prélats, les ecclésiastiques et tous les autres ordres religieux ne fissent de leur côté le possible pour faciliter les vues du roi et aider à l'exécution du bref pontifical !. » On ne saurait affirmer que le public, j'entends l'opinion éclai- rée, fût partout dans le royaume des Deux-Siciles aussi favorable qu'on le disait à la nouvelle mesure. Dans le corps enseignant, il est bien assuré qu'elle ne fut pas vue de très-bon œil n1 reçue avec d'unanimes applaudissements. Nombre de positions occupées dans les colléges de Sicile et à Palerme même étaient menacées. L'aca- démie royale des études elle-même, installée depuis près de cinq ans dans le collége Maxime et se voyant dans la nécessité de le rendre, était inquiète de l'avenir, et la compagnie de Jésus élevait peut-être déjà la prétention de reprendre les chaires qu’elle accu- sait l'institution nouvelle d'avoir usurpées. Plusieurs mesures prises à ce moment eurent pour but de rassurer les inquiétudes légitimes et d’apaiser les ambitions sans mesure des revenants. Le roi, considérant les services rendus par l'académie des études, les progrès incontestables qu'elle avait fait faire à la culture générale, les habitudes studieuses qu'avait prises la jeunesse, grâce à son heureuse influence et à sa bonne direction, l'essor qu'elle avait donné aux sciences et l'honneur qui revenait au royaume des tra- vaux des hommes qui les premiers avaient rempli les chaires pu- bliques, consolida et consacra l'institution nouvelle en donnant à l'académie le titre envié d’Université royale des études. Le décret qui érigeait l'académie en université parut ie 3 septembre de l'année 1805. Le 19 juin précédent, un décret avait rendu à la compagnie de Jésus toutes les chaires qu'elle occupait avant son expulsion. Le collége Maxime, où l'académie donnait ses cours, avait été rendu en même temps à la compagnie. Les pères théa- tins cédèrent à la commission des études la maison où ils étaient installés, et l’université y prit place. Le musée et la bibliothèque furent également rendus aux jésuites. Ceux-ci durent payer an- ! Dépéche du ministre d'Etat Migliorui au prince de Cutd, du 8 août 1804. {Archives de Palerme.) nn er les LU mn ln ÉD dé ne math SES ce ÉÙ = nuellement, pour l'entretien de l'université et des écoles du royaume , la somme de 8,186 onces 7 carlins et 3 grains. D'autre part, le roi assigna à l'université le revenu des trois abbayes va- cantes de S. Salvador la Placa, de S. Philippe d’Argire et de S. Elia d'Ambola, qui montait à la somme de 1,764 onces. Pour empêcher autant que possible les réclamations et satis- faire au moins à celles qui étaient légitimes, les jésuites, en rem- plaçant dans tant d'établissements les professeurs en possession de leurs chaires depuis nombre d'années et qui avaient par leurs ser- vices bien mérité de l'État, furent obligés de leur payer la moitié du traitement qu'ils touchaicent, jusqu’à ce qu'ils fussent autre- ment et convenablement pourvus. La compagnie de Jésus avait la faveur royale. Elle avait de plus pour chef à Palerme, ou, pour parler plus exactement, pour procureur général, Gaetano Angiolini, esprit actif, plein d’habi- leté et de ressources. Pendant plusieurs années il sut tenir tête à la commission des études et frapper de stérilité nombre de récla- mations adressées au roi par l'intermédiaire de cette commission. Maintes traces de ces aigres débats subsistent encore dans les pa- piers conservés aux archives de Palerme. Non-seulement le père Angiolini se multipliait pour défendre la compagnie contre les attaques, mais avec un esprit souple et insinuant il travaillait à étendre ses attributions et cherchait à supplanter l'université dans l'enseignement philosophique. « L’affectueuse sollicitude, disait-il, avec laquelle Votre Majesté a daigné confier aux soins des jésuites l'éducation de la tendre jeunesse, espérance de l'État, pourrait facilement se trouver sans effet, si, par une étroite interprétation de vos commandements souverains, il arrivait que la jeunesse se dérobàt, pour l'étude de la philosophie, aux soins des jésuites. Le moment périlleux de la vie est principalement celui où, l'intelligence humaine se dévelop- pant, l'homme commence à penser par lui-même, à analyser ses propres pensées et à se former des maximes et des principes à l'instant où il sent le plus vivement la force des passions. Les études de logique et de métaphysique ont la plus étroite connexion avec la religion et fournissent une base à ses maximes. .. Or, les salu- taires principes de soumission à la loi de Dieu et à n loi de l'État, dans lesquels on élève le premier âge, pourront facilement s'al- térer et se changer en principes tout à fait opposés, si Votre Ma- ae: QE Jesté ne se hâte pas de proclamer que l'instruction et l'éducation des jeunes gens, pour toute l'étude de la philosophie, est particuliè- rement remise à la direction des jésuites. « Si donc, pour assurer et confirmer les principes de ses très-aimés et très-fidèles sujets, Sa Majesté adoptait cette résolution, elle ne porterait en cela aucune atteinte à l'honneur n1 aux prérogatives de l'université royale qu'elle a bien voulu instituer dans cette po- puleuse capitale. Sa Majesté s’est réservé la nomination des pro- fesseurs; qu'elle daigne nommer aux chaires de philosophie ceux que la compagnie aura choisis; elle les introduira de la sorte au sein de l’université elle-même. . ... De cette manière, Sa Majesté assurerait à l'université des maîtres habiles et de sûre et saine doctrine. .... « Les études de droit public, d'économie, de commerce, d'agri- culture conviennent peu à l’âge des jeunes gens qui fréquentent les écoles, et l'expérience na que trop montré que la mobilité des principes, la liberté effrénée de censurer les mesures du gouver- nement, les éloges trop absolus qu’on fait des établissements étran- gers, en un mot le dénigrement des choses présentes et le goût des nouveautés trouvent en ces écoles leur source ou leur soutien. « Gaetano Angiolini, procureur général de la compagnie de Jésus, en soumettant humblement à Sa Majesté ces considérations, se croit en droit de protester quil nest pas mü par une vue d'in- térêt particulier, mais par le seul désir de servir Sa Majesté !. » Cette supplique fut sans effet. L'université eut son enseignement et les jésuites le leur, et l'université ne fut pas soumise à l’humi- liante condition d'emprunter à la compagnie de Jésus ses profes- seurs de philosophie. De même, on ne voit pas que les chaires de droit et d'économie politique, d'agriculture et de commerce, et les autres qui n'étaient pas désignées expressément et qu’on accu- sait indirectement d'enseigner et de propager des principes sub- versifs, aient été réduites au silence. Entre les plaintes de ceux qui rappelaient au roi que les jésuites ne payaient pas les sommes dues à l'entretien des colléges et protestaient , deux et trois ans après leur réintégration en Sicile, que toutes les écoles étaient boulever- sées; et les jésuites qui, par la bouche de leur actif procureur gé- ! Lettre du procureur général de la compagnie de Jésus, Gaetano Angiolini, au roi Ferdinand I”. (Archives de Palerme, papiers manuscrits.) néral, demandaient qu'on restreignit, pour le bien de l'État, les prérogatives de l’université, le gouvernement s'efforça de garder une juste balance. Depuis 1814 cependant, on peut dire que la réaction contre les tendances libérales ne fit que se marquer de plus en plus. La multiplicité des commissions, l'intervention de la politique dans l'administration de linstruction publique à ses différents degrés, les plans d'organisation plusieurs fois demandés et jamais appliqués avec franchise ou fermeté, tout cela prouve que le gouvernement des Deux-Siciles, tout en sentant la nécessité de ce qu'il y avait à faire pour combattre l'ignorance et relever avec les lumières le niveau de la moralité, manqua de hardiesse et d'esprit de suite, et se défia surtout de l'esprit de liberté. À plu- sieurs reprises on s'enquit de la condition des établissements d’ins- truction publique, on demanda à des juntes de dresser la liste des réformes utiles. Mais on ne mit guère à profit les vues de ces com- missions, et la plupart des projets ou plans laborieusement dressés s'entassèrent dans les cartons des ministères, où ils furent oubliés. L'académie royale avait eu le privilége de décerner des diplômes, l'université royale en avait hérité. Un décret du 27 décembre 1815 retire ce privilége à Catane et à Palerme pour le laisser exclusive- ment à l'université de Naples. Le 22 janvier 1817 un autre dé- cret le leur restitue. En même temps, pour assurer l'unité dans l'enseignement, une commission d'instruction publique est insti- tuée, avec le prince de Malvagna comme président, en Sicile !. Les commissions se succèdent, mais toutes sont également dé- sarmées. L’intolérance du gouvernement et son esprit de défiance sont extrêmes. La science, la compétence, la capacité sont les con- ditions les moins importantes, semble-t-il, dans le choix des pro- fesseurs. On exige d'eux surtout la qualité politique. On ne les nomme qu'après attestation de la police; il leur faut un certificat de saine religion et de bonnes opinions. Cette inquisition descend des maîtres aux élèves. Les étudiants ne pourront aspirer aux examens ni obtenir leurs diplômes s'ils ont manqué, les jours de fêtes, à leurs devoirs religieux ?. 1 On dit dans les considérants de cette institution que les manières d’instruire et d'élever la jeunesse sont diverses et qu'on ne peut laisser à la volonté du pre- mier venu le droit de choisir plutôt l’une que Fautre. {Recueil des lois, décrets, règlements relatifs au royaume des Deux-Siciles, 1815-1850.) ? Décret du 15 juin 1821. ET de Avant 1817, on avait essayé d'introduire en Sicile la méthode dite de Lancastre ou d’enseignement mutuel; mais, faute d'argent, de maîtres expérimentés, de bon vouloir de la part du clergé, l’es- sai n'avait pas produit de suffisants résultats. Plusieurs voix s'étaient élevées pour se plaindre de l’état de langueur où on Haissait l’ins- truction. Ferdinand IT, pour y remédier et donner satisfaction aux plaintes légitimes, par décret du 10 janvier 1843, la plaça tout entière sous la main des autorités ecclésiastiques « desquelles, di- sait-il, il y a lieu d'attendre une plus grande sollicitude et plus de zèle !. » De ce jour et aux termes de ce décret, les évêques eurent le plein droit de nommer et de révoquer les instituteurs primaires, de choisir la méthode et les livres élémentaires. Ce décret fut abrogé par un autre en date du 19 avril 1848, lequel replaca l'instruc- tion primaire sous la dépendance du ministre de linstruction publique, et spécialement sous la direction de commissions provin- ciales. Cependant cette émancipation des écoles fut fort incom- plète. Dans un décret du 28 juin 1849, on disait, à l’article 4 : « Les archevêques et les évêques, dans leurs diocèses respectifs, sont les inspecteurs nés des colléges, des lycées, des instituts et de toute autre école d'enseignement public ou privé, pour tout ce qui regarde la partie religieuse et morale, tant scientifique que disci- plinaire. » On donna encore plus ample satisfaction aux évêques par le dé- cret du 18 octobre 1849, étendu à la Sicile le 16 novembre de la même année. «Considérant, dit ce décret, que le noble office de maître ne se doit confier qu'aux personnes qui sont vraiment instruites dans 1 Volendo riportare la istruzione primaria ne nostri reali dominj alla utilità cui questa istituzione è destinata; veduti 1 voti de’ consigli provinciali sul languore nel quale questo grado d’istruzione pubblica trovasi caduto attualmente; Considerande che in attribuire la istruzione primaria alle autorità ecclesias- tiche deve attendersi e cura e zelo maggiore, sulla proposizione, etc. Abbiamo risoluto di decretare e decretiamo quanto segue : L'istruzione primaria ne nostri reali dominii è affidata interamente a vescovi nelle rispettive diocesi, e messa sotto la esclusiva direzione di loro. Sono quindi autorizzati i vescovi a destinare i maestri delle scuole primarie , a sospenderli ed a rimuoverli, secondo le mancanze che commetteranno nell adempimento de’ loro doveri, dandone partecipazione all’ intendente della pro- vincia, come ancora a prescrivere l orario e la durata dell insegnamento che do- vrà esser praticato, secondo il metodo e co’ libri elementari approvati della pub- blica istruzione. {Décret du 10 janvier 1843.) O2 les sciences qu'elles professent, et que la base de tout enseignement doit être la religion catholique romaine, source de toute civilisa- ns. Quelle que soit la science qu'ils veuillent enseigner, ceux qui aspirent à professer devront subir un examen écrit en langue italienne sur le grand catéchisme de la doctrine chrétienne. Ils répondront d'autre part aux questions qui leur seront posées relativement aux rapports de la science qu'ils se proposent d’en- seigner avec la doctrine chrétienne. Cet examen sera passé devant la faculté de théologie de l’université, ou devant les ordinaires respectifs. | «Pour enseigner à lire et à écrire, on devra subir l'examen sur le catéchisme. « Les femmes qui aspirent aux fonctions d'institutrices devront subir aussi le même examen. « De même (art. 6) ceux qui enseignent les beaux-arts et les langues étrangères. « Sont exempts de cette condition ceux qui enseignent dans les séminaires ou lycées épiscopaux, sous la dépendance des ordinaires, et les corporations religieuses autorisées à instruire la jeunesse. » Pendant que par ce décret on soumettait en fait le personnel entier de l'instruction publique au clergé, les œuvres de l'esprit étaient placées sous la plus étroite surveillance. On ne pouvait rien publier sans autorisation expresse, rien im- primer qui n’eût passé sous les yeux de fonctionnaires spéciaux ap- pelés réviseurs, lesquels devaient tout lire et ne rien laisser paraître au jour qui füt capable de blesser qui que ce füt. La fameuse phrase de Figaro était vraie à la lettre dans le royaume des Deux- Siciles. IT s'était établi un système de liberté sur la vente des productions, qui s'étendait même à celles de la presse; et pourvu qu'on ne parlàt en ses écrits ni de l'autorité, ni du culte, ni de la politique, ni de la morale, ni des gens en place, ni des corps en crédit, ni de personne qui tint à quelque chose, on pouvait tout imprimer librement sous l'inspection de deux ou trois censeurs. Ils étaient non pas trois en Sicile, mais douze, et la présidence de cette commission était dévolue au président de la commission de l'instruction publique !. La liberté du blâme et de la critique fut ! L'autorizzatione verrà concessa per la stampa di tulte le opere o scritti che non offendono la religione e i suoï ministri, la pubblica morale , 1 dritti e le pre- MISS. SCIENT. — VII. J PR: retirée aux écrivains. On ne leur laissa pas même celle de la louange. Les éloges en vers ou en prose, dit la loi du 7 avril 1851, ne sont permis qu'avec le consentement de ceux qui en sont l'ob- jet. Le lodi in versi o in prosa non saranno permessi che col consen- timento di quelli che ne sono il soggetto. Les vieux livres eux-mêmes sont soumis à une sorte de censure rétroactive, Les ventes judi- ciaires de livres, dita même loi, ne pourront avoir lieu sans que la police en ait visé le catalogue. Avec ces entraves de toute sorte mises à la pensée sous toutes ses formes et ce régime d’inquisition laïque, tout aussi peu tolé- rante que l'inquisition ecclésiastique, on comprend que les hautes études devaient faire peu de progrès en Sicile. Là où la censure pèse sur les livres, la libre parole est naturellement enchaînée. Or, l’enseignement supérieur, sans les pleines franchises de la discussion sérieuse et des libres recherches, est condamné à la ba- nalité et à la platitude. L’érection de l'académie Caroline de Mes- sine en université royale par décret du 29 juillet 1828, et l’orga- nisation de ses cinq facultés, comprenant en tout vingt-huit. chaires, avait augmenté en Sicile le nombre des fonctionnaires, sans créer un nouveau foyer d'activité intellectuelle. La science surveillée, si nombreux qu’en soient les organes et les interprètes, est nécessairement stérile. Quant à l'instruction secondaire, l'idéal de son organisation fut, pour le gouvernement de Ferdinand II, le règlement publié par la compagnie de Jésus pour son collége des Nobles, dit collége Ferdinand, règlement approuvé par décret le 6 octobre 1851. Les études publiques, on peut le dire, étaient en Sicile dans l'état le plus précaire quand un coup de main donna à-la maison de Savoie cette belle province. Avant que la Sicile fût réguliè- rement annexée au nouveau royaume et entrât officiellement dans le mouvement de la vie nationale, elle traversa une période de transition. Nous voulons parler de la prodictature de M. Mordini, gouvernant au nom et par délégation du roi Victor-Emmanuel. rogative della sovranità, il governo, la forma di essi ed i suoi funzionarii, la di- gnità e le persone de’ regnanti anche stranieri, le loro famiglie ed i loro rappre- sentanti, e l onore di privati cittadini, e che non possano pregiudicare il regolare andamento del governo ne suoi rapporti cosi interni che esterni. (Décret du 19 janvier 1848. Voir aussi le décret du 3 août 1850, qui règle la même matière, et la loi du 7 avril 185:.) DRE CUS M. Mordini et ses ministres, MM. Amari, de Pretis et Ugdulena, eurent l'honneur d’inaugurer en Sicile un régime libéral. Ils ne pouvaient créer d’un seul coup l'instruction publique: c’est affaire au temps; ils s’efforcèrent de la régénérer. On doit reconnaitre qu'il règne dans les diverses mesures qu'ils prirent alors un sens pratique et un esprit libéral également inconnus au gouvernement déchu. Les universités de Naples et celles de Sicile étaient des corps fermés. La jeunesse y élait parquée, et il n’était au pouvoir de personne d'aller étudier là où il voudrait. Le lieu de naissance de chacun le faisait élève de telie ou telle université. Les jeunes gens des provinces de Palerme, de Trapani et de Girgenti de- vaient étudier dans l’université de Palerme; ceux des provinces de Catane, de Noto et de Caltanisetta, dans l’université de Catane; ceux de la province de Messine, dans l’université de Messine. Cette disposition datait du 13 mai 1849. Le gouvernement prodicta- torial se hâta de l’abroger. «Il est superflu de faire remarquer, disait M. Amari, les vices d’une telle mesure, qui, par défiance politique et par fausses idées d'économie publique, restreint sté- rilement la liberté des citoyens. » Un décret du 31 juillet 1860 établit que chacun serait libre de faire ses études dans l’université qu'il voudrait et pourrait y obtenir les grades académiques. On fit un pas de plus, « Le prodictateur, dit le décret du 18 août 1860, considérant que, pendant que les glorieuses entreprises du dicta- teur (Garibaldi) acheminent l'Italie à son unité politique sous Victor-Emmanuel, non-seulement il convient de faire œuvre d’as- similation dans toutes les parties de l'administration publique, mais encore de commencer cette unification morale et intellec- tuelle qui est si naturelle au génie italien. .... « Considérant que les services rendus à l'instruction publique tournent au profit de l'humanité entière, puisque l'intelligence humaine réunit les hommes en une seule famille et que la répu- blique des lettres associe en une vie commune les diverses nations, « Décrète : «1° Les grades académiques, les matricules, les licences et les laurea donnés dans toutes les autres universités, lycées ou colléges d'Italie, sont valables pour la Sicile. «2° Les études faites dans les lycées, colléges et universités d'Italie, prouvées par certificats légaux, donneront accès aux cours et examens qui se donnent dans les universités de l'ile. Fr Ù . + —— «3° Les services rendus ou mérites acquis dans un établisse- ment quelconque d'instruction publique des autres provinces d'Italie ou d'un pays étranger constituent un titre et forment un élément de jugement dans les concours d'instruction publique en Sicile. » Dès l’origine du gouvernement prodictatorial, une commission composée d'hommes nouveaux avait été chargée de proposer un plan d'organisation du lycée national. Le 19 octobre 1860, MM. Napoli, Nicolo Musmeci, G. Daità, membres de cette com- mission, soumirent leur travail à M. Ugdulena, secrétaire du département de l'instruction publique. « L’instruction secondaire en Sicile, y disait-on, avait besoin d'être créée, parce que le petit nombre d éléments de ce genre qui existent maintenant donnent de très-maigres et de très- pauvres résultats par manque d'organisation et défaut dans la méthode d'enseignement, comme aussi par absence de ces études d’une application et d’une utilité générale dans la pratique de la vie civile. « La réforme des écoles secondaires, desquelles dépend en si grande partie le niveau de la civilisation d’un pays, était depuis longtemps désirée parmi nous. On sentait généralement le défaut de nos écoles, où l'absolue prédominance des études de littérature latine, enseignée par des méthodes trop longues, ne laissait pas une place suffisante aux lettres italiennes et faisait mettre en oubli l'étude des sciences dites exactes et des sciences physiques, qui font partie intégrante de l'instruction dans les établissements se- condaires des pays renommés pour le savoir et les lumières. « En fait, quand en 1848, à la suite des événements politiques qui rendirent à la Sicile son autonomie, la compagnie de Jésus fut abolie et qu'on créa un lycée dans le local même où elle avait ses écoles, dans l’organisation de cet établissement furent compris en large mesure les études scientifiques, et cette organisation a pu servir utilement de point de départ pour former le projet que nous proposons aujourd'hui. « Toutefois, nous avons pensé que s’il y avait nécessité d’intro- duire dans l’enseignement secondaire les éléments des sciences exactes et naturelles, on ne devait pas pour cela sacrifier les études littéraires; qu'il fallait au contraire les maintenir et relever encore leur niveau. Dans cette pensée nous confirmaient les exemples des a PE établissements secondaires des autres pays et spécialement des lycées français et des gymnases allemands, dans lesquels aux fortes études scientifiques s'unissent de solides études de littérature nationale et latine. Nul en effet ne pourra jamais être considéré comme instruit et distingué s’il lui manque le culte et le goût de la littérature classique. « Parmi les modèles d'établissements secondaires nous avons encore étudié avec attention les instituts organisés en 1848 dans le Piémont sous le nom de collèges nationaux. « Le gymnase allemand, qui est le type le plus renommé parmi les établissements d'instruction secondaire, se divise en deux sec- tions, l'inférieure et la supérieure. Dans linférieure l’enseignement est disposé de manière à servir de préparation à la section supé- rieure, et forme en même temps un ensemble à part et jusqu’à un certain point indépendant; de façon que dans les localités où ül n'est pas possible d'établir un Iycée complet la section inférieure offre un établissement d'instruction d’un degré moins élevé, mais toutefois organisé méthodiquement, et l’on n’y trouve rien d’inu- tile ni de superflu. « La loi d'instruction secondaire qui a été récemment (1859) adoptée dans le royaume d'Italie le divise également en deux de- grés; mais ces deux degrés d'instruction sont distribués dans deux établissements tout à fait distincts, desquels l’inférieur prend le nom de gymnase et le supérieur celui de lycée. «* Pour nous, conservant la distinction des deux degrés, nous avons préféré le système prussien, parce que nous ne trouvons aucune raison qui conseille la division d'un institut secondaire complet en deux instituts de degré différent; outre que cette division exige une plus grande dépense pour les locaux, les direc- teurs et les fonctionnaires à demeure, sans pouvoir produire plus de profit. « Le lycée comprendra huit classes, desquelles cinq constituent la section inférieure et les autres la supérieure. Dans les pre- mières classes l'enseignement, outre qu'il est de fait élémentaire, se restreint à un petit nombre de matières, et les études scienti- fiques sont réservées aux classes supérieures, quand le développe- ment de l'intelligence permet aux élèves de les suivre avec fruit. « De plus, comme il y a beaucoup de jeunes gens qui se des- ünent aux carrières industrielles ou à d’autres carrières, dans ss Y() == lesquelles là connaissance de la littérature latine n’est d'aucune utilité pratique, et que souvent les pères de famille demandent que leurs fils soient dispensés de les étudier, nous avons cru qu'il convenait de ne pas rendre l'étude des lettres latines obligatoire et d'y substituer, pour ceux qui ne veulent pas s'y adonner, d’autres études plus profitables dans le commerce et l’industrie. «Nous n’avons pas négligé l'enseignement religieux, qui est un élément essentiel de l'éducation publique, et pour cela il y aura dans le Iycée un professeur de religion (professore di religione), lequel, dans les classes même élémentaires, sous forme de leçons ou de conférences sur la religion, expliquera la doctrine chré- tienne. Nous avons en outre estimé opportun pis le professeur de philosophie fasse chaque semaine, sur les principes fonda- mentaux de la religion, une leçon aux jeunes gens qui fréquentent, la dernière année, le cours du lycée; et s'applique à réfuter les systèmes de philosophie antireligieux et les doctrines anticatho- liques (e si occupi a confutare i sistemi di filosofia irreligiosi e le dottrine acatoliche). | « Pareïillement, l’amour de la patrie et l’attachement aux institu- tions libérales devant faire partie de l'éducation publique, laquelle a pour but, non-seulement de former des citoyens honnêtes et instruits, mais encore des citoyens dévoués aux libertés publiques, nous avons estimé qu'il convenait que, dans la quatrième et la cinquième classe de la section inférieure, le professeur de littéra- ture italienne enseignàt un jour par semaine, en forme de caté- chisme, les notions fondamentales du statut constitutionnel (insegni in forma catechistica le nozioni fondamentali intorno allo statuto costituzionale) , et, dans la section supérieure, le professeur d’éco- nomie politique donnât une lecon hebdomadaire sur les principes du droit constitutionnel et du gouvernement représentatif. «Enfin, suivant l'exemple des établissements secondaires les plus renommés de l’Europe, nous avons ajouté à l'éducation intel- lectuelle et religieuse l'éducation physique, en introduisant dans les écoles les exercices militaires et la gymnastique. En effet, ça été la coutume de tous lés peuples civilisés d'élever les jeunes gé- nérations en cultivant leur intelligence et en développant en même temps par des exercices leur vigueur corporelle. Cette coutume nous convient d'autant mieux, à nous Italiens, que nous avons à peine accompli l'œuvre de la restauration nationale, et que nous D ne pourrons la maintenir si nous ne sommes en mesure de la dé- fendre contre toute attaque. « Alors qu'un établissement d'instruction secondaire ne pourra avoir toutes ces huit classes que comprend notre plan organique du lycée, il devra au moins embrasser les cinq classes de la sec- tion inférieure, qui forme un tout et peut se suffire à elle-même (che puo star da sè), et alors il formera un institut secondaire du premier degré qui portera le nom de gymnase. » M. Ugdulena, par une lettre du 20, approuva les principes énoncés : « Formée selon de telles maximes, disait-il avec un accès d’en- thousiasme un peu déclamatoire, la génération nouvelle montera plus cultivée et plus vertueuse au faite où, selon les vues de la Providence, la nation italienne doit s'élever. » La Sicile faisant partie du royaume d'Italie, une des premières conséquences de cette annexion était d'étendre à ce pays le régime légal auquel était soumise l'instruction publique dans le royaume. C’est ce qui eut lieu. Dès le mois d'octobre 1860, un décret pro- dictatorial décida que la loi sur l'instruction publique promulguée à Turin le 13 novembre 1859 serait applicable à la Sicile, sauf les modifications contenues dans les articles suivants, qui pourront être plus tard décretées. « L'instruction publique est, sous la dépendance du ministre, gouvernée par un conseil supérieur d'instruction publique rési- dant à Palerme, composé d’un président, qui exercera en même temps les fonctions d’inspecteur général des études, et de six membres à la nomination du roi, dont un, nommé par le roi, sera vice-président. Ces conseillers resteront en charge trois ans; deux seront renouvelés chaque année par ordre d'ancienneté. » Cet article fut abrogé et devait l'être. La Sicile, n'étant pas un royaume à part, mais formant diverses provinces, n'eut pas une administration d'instruction supérieure à part, mais plusieurs conseils provinciaux. « À l'administration locale de l'instruction publique préside : « En chaque université, le recteur; « En tout chef-lieu de province, un inspecteur provincial des études secondaires, techniques et élémentaires, lequel exercera encore les fonctions de proviseur (provveditore), et un conseil pour les écoles. — 72 — « Dans les chefs-lieux de circonscription, des inspecteurs choisis par le secrétaire d'État. » Cet article est encore en vigueur. Cependant la première auto- rité des écoles provinciales est un conseil qui a pour président le préfet de la province, pour vice-président le proviseur royal des études, el six membres. Un inspecteur par circonscription ou ar- rondissement (ispettori scolastici circondariali), et pour chaque canton un directeur ou délégué pour les écoles (direttori, delegati scolastici mandamentali). Les circonscriptions scolastiques répondent aux circonscriptions politiques. | Les trois universités ont pour siége les trois grandes villes de la Sicile. Les lycées, gymnases, instituts et écoles techniques sont distribués dans les chefs-lieux de province ou d'arrondissement. «Les universités de Palerme, Catane et Messine sont mainte- nues, avec leurs cinq facultés et les colléges des beaux-arts qui y sont adjoints. » | Ces cinq facultés portent en Italie les noms suivants : faculté de théologie; faculté de jurisprudence; faculté de médecine et chirurgie, avec clinique et école de pharmacie; faculté de sciences physiques , mathématiques et naturelles; faculté de philosophie et lettres. Or, l’université de Catane ne compte guère la faculté de théo- logie que pour mémoire. Elle n’a qu’une seule chaire, dont le titre est : Théologie dogmatique. Parmi les établissements scienti- fiques de l’université ne figure pas de collége des beaux-arts. L'université de Messine ne comprend pas de faculté de théo- logie; moins riche en établissements scientifiques que celle de Caiane, elle a un collége des beaux-arts. Celle de Palerme est la plus complète. La faculté de théologie Y compte trois chaires; celle de jurisprudence, douze; celle de médecine et chirurgie, dix-neuf, avec quatre cliniques annexées et une école de pharmacie; celle des sciences physiques, mathé- matiques et naturelles, quinze, avec une école d'application pour les ingénieurs; celle de philosophie et lettres, enfin, dix. En tout cinquante-quatre professeurs payés par l'État. Les établissements scientifiques annexés à l’université de Pa- lerme sont les suivants : Collége des beaux-arts; musée de zoologie et d'anatomie com- A DE parée; musée de minéralogie et de géologie; cabinet de physique; cabinet et laboratoire anatomico-pathologique; laboratoire de chi- mie générale et école pratique de chimie; cabinet et laboratoire de chimie pharmaceutique, toxicologie et histoire naturelle des mé- dicaments; cabinet de physiologie; cabinet de matière médicale; jardin botanique ; observatoire astronomique et météréologique. «À la faculté des sciences physiques et mathématiques de l'université de Palerme sera annexée une école d'application dont les enseignements répondront à ceux indiqués dans larticle 53 de la loi du 13 novembre 1859.» Cet article a reçu son exécution. « Le traitement des professeurs ordinaires est fixé, dans luni- versité de Palerme, à 3,500 francs, et à 3,000 francs dans celles de Catane et de Messine. » Cet article a été modifié. Les revenus particuliers des univer- sités ayant fait retour à l'État, et le produit des taxes pour les divers examens étant versé dans les caisses publiques, le traite- ment des professeurs ordinaires dans les six universités de pre- mière classe, parmi lesquelles on compte Palerme, est de 5,000 et 6,000 francs; et dans les universités de seconde classe, parmi lesquelles sont rangées celles de Catane et de Messine, de 3,600 et de 3,000 francs 2. « Les taxes d’immatriculation, d'inscription aux cours de droit, d'examen et de diplômes dans les universités de Sicile sont ré- duites à la moitié de ce qui, dans la loi du 13 novembre 1859, est prescrit pour l'université de Turin. » ! Ces revenus, composés d'anciennes dotations ou d’assignations sur les Aziende Gesuitiche , montaient, pour l’université de Catane, à 58,738 fr. 46 cent., sans le produit des taxes, qui, en moyenne, avait donné, de 1849 à 1859, 42,950 francs; pour l'université de Messine à 27,681 fr. 56 cent. environ; pour l’université de Palerme, sans compter le produit des taxes, dont la moyenne des cinq dernières années (jusqu'à 1864) a donné 39,439 fr. 76 cent., la somme de 104,698 fr. 70 cent. (Matteucci, Sulle condiziont, etc. ouvrage cité.) ? Voir la loi sur les taxes universitaires de 1862. Les professeurs ordinaires de Bologne, Naples, Palerme, Pavie, Pise et Turin, qui comptent dix ans ou plus de service, ont 6,000 francs, les autres 5,000. Ceux de Gênes, Catane, Messine , Cagliari, Modène, Parme et Sienne, dans le premier cas 3,600 francs, et dans le second 3,000. Ce traitement s'accroît d’un dixième par chaque cinq ans de service effectif dans l'enseignement, en comptant la période quinquen- nale à commencer du 1° janvier 1863. En aucun cas, le traitement ne pourra dépasser la somme de 8,000 francs. (Art. 2.) Er — Cet article paraît abrogé; il n’en est tenu nul compte dans la loi du 31 juillet 1862, où les universités siciliennes, sous le rap- port des taxes, sont traitées comme les autres. | « L'enseignement privé est libre, mais il n'aura pas la même valeur légale que celui des cours officiels, s’il n’est pas donné selon les règles prescrites par la loi !. « La direction administrative et l'inspection académique de chaque université est dévolue au recteur et aux présidents des facultés, assistés du secrétaire chancelier. « L'office de secrétaire chancelier est maintenu selon les règle- ments en vigueur en Sicile. Dans la répartition des taxes, il sera assimilé aux professeurs des facultés respectives, il restera en exer- cice cinq ans, et sera nommé par le roi parmi les professeurs de l’université, sur une liste de trois candidats proposés par le conseil supérieur. » Ce dernier article n’est plus en vigueur. « Les présidents des facultés sont nommés par les facultés res- pectives, à la pluralité des voix. « La chaire d'astronomie à l’observatoire et celle de paléographie et de diplomatique aux Grandes Archives sont conservées et assi- milées aux chaires de l’université. | « L'enseignement secondaire classique comprend deux degrés. Il est complet dans les lycées qui sont divisés en deux sections et se borne, dans les gymnases, au premier degré. Les lycées com- prenant trois divisions ou trois classes sont distincts des gymnases, qui en comprennent cinq au moins en Sicile, À Naples, il ya deux établissements appelés lycei ginnasiali; il y en a quelques autres en ltalie, à Foggia et à Capoue, par exemple. Mais en Si- cile (bien qu'à Catane et à Trapani le lycée et le gymnase portent le même nom, et bien qu'a Palerme ils soient dans le même local) ce sont deux instituts séparés, chacun avec sa direction et son personnel. | «Il y aura un lycée dans chaque chef-lieu de province, un gymnase dans chaque cheflieu d'arrondissement, et dans toute ville dont la population dépasse 20,000 âmes. Les communes pourront transformer leur gymnase en lycée. » Les sept provinces de la Sicile ont en effet chacune un lycée * Voir l'article 6 de la loi du 31 juillet 1862. _— äu chef-lieu de la province : Caltanisetta, Catane, Girgenti, Mes- sine, Palerme, Syracuse et Trapani. La province de Catane en à un second, c’est le lycée Secusio, assimilé aux lycées royaux par décret ministériel du 18 juin 1865. Mais on compte en Sicile plusieurs chefs-lieux de canton fort peuplés qui n'ont pas de gym- nases, par exemple Salemi et Castelvetrano. Le nombre des gym- nases s'élève à vingt-neuf. « L'enseignement secondaire est provisoirement gratuit { per ora gratuito ). » Article maintenu, ou mieux, devenu définitif. « Dans tout chef-lieu de circonscription, il y aura des écoles techniques, qui formeront le premier degré de l’enseignement spécial; elles pourront être annexées aux établissements secon- daires classiques, ou séparées. | « Palerme, Catane et Messine seront le siége d’instituts tech- niques supérieurs ; il y aura spécialement un institut d’arts et mé- tiers et une école nautique à Palerme; nautique et commerciale à Messine; agronomique et vétérinaire à Catane. » L'éducation spéciale et, comme on dit, professionnelle, date à peine de dix ans en Italie et en Sicile. Ces deux articles du prodic- tateur étaient donc une nouveauté; mais elle était impérieusement réclamée par la condition du temps et répondait aux désirs de tous. C'était une véritable nécessité de donner satisfaction à ces désirs légitimes et d’accommoder l'instruction aux nécessités des professions dites à tort illibérales. Les établissements secondaires classiques en Italie et en Sicile dépassaient et dépassent encore de beaucoup les besoins. C’est un luxe, et le budget italien en porte le poids. C’est une vérité de sens commun que le nombre des lycées et colléges est déterminé par les besoins généraux, lesquels ont pour criterium ou pour signe le nombre des élèves. Si les élèves manquent aux écoles, les écoles sont un luxe absurde. Or, l'érection des établissements d’instruc- tion spéciale et professionnelle répondait à une véritable nécessité contemporaine. Le nombre des élèves qui les fréquentent est plus considérable, relativement au nombre de ces instituts, que celui des élèves des lycées ou gymnases. En 1864, on comptait en Sicile 7 lycées, 29 gymnases et 18 écoles techniques. Les lycées sont fréquentés par 120 élèves, c’est-à-dire que chaque classe de chacun d’eux a en moyenne 6 élèves à peu près. Re QE ue Les gymmases sont fréquentés par 1,095 élèves, c'est-à-dire que chacune des cinq classes dont chaque gymnase se compose compte en moyenne 8 élèves environ. Les écoles techniques sont fréquentées par 521 élèves, c’est- à-dire que chacune des trois classes que comprend chaque école compte en moyenne environ 10 élèves. | Que si même on considère les instituts techniques supérieurs, l'école de minéralogie de Caltanisetta compte 22 élèves. L'institut technique de Catane, qui est particulièrement une école d’agronomie, en compte 71. L'institut technique de Girgenti, qui est une école d'agronomie et de commerce, en compte 21. Celui de Messine {école nautique), agronomie, mécanique, construction, commerce et administration, 52. Celui de Palerme {institut de marine marchande), 82. De même de Palerme {institut technique), agronomie, méca- nique et construction, commerce et administration, 101. Celui de Modica (institut technique), agronomie, mécanique et construction, commerce et administration, 43. Ce qui donne un total de 4oo élèves et un peu plus de 19 élèves 400 en moyenne par chaque classe, = — Partout les écoles techniques en Italie sont exemptes de taxes, et l’enseignement professionnel y est lout à fait gratuit. Mais ce n'est pas ce qui peut faire leur vogue en Sicile, puisque, par lar- ticle précité du décret prodictatorial du 17 octobre, l'enseignement classique est également gratuit. Cette vogue s'explique donc uni- quement par le caractère local et les besoins particuliers du pays. C'est par le commerce et l'industrie seulement que la naissante petite bourgeoisie sicilienne pourra arriver à la fortune et à l'indé- pendance, qui en est le plus précieux fruit. Elle n’a que faire pour le moment du luxe des études classiques. H lui faut une culture générale suffisante et des connaissances spéciales qu'elle puisse appliquer le plus tôt possible. Nous donnons ici un tableau statistique des grands instituts techniques siciliens. Les chiffres qu'on y trouvera se rapportent à l'année scolaire 1868-1869. clo‘ge | çar‘oL | ror‘yg | ÿac‘ycr | got [ard VAS QQ OCT c9 Q££ 007 COQ Le ‘OÙ me IVTO (“onbrugooy jminsur) 000°€ ll 090‘4€ | 0g0‘ce ll (1 ÿt QT gt (] cy cy VE [ae a D RS A CN (‘opueqgoreu eureuwu op puynsu] ) ” çqi'L oot‘ôt |ecc‘oc 06 1 ll 1! ll o) &Q 06 CU | Pa où CO EP NNV EE (‘onbrugooy anynsur) k 1 000'c QLe‘ze | gcôtrr | goc‘yy ] 1 cu Are or ! LOS) TOR MOTS A Re ER ES AVE 1 à (‘ourreux ap 21099 39 onbiugooy gnynsur) {ooc'gtr | OGÇ'It oc6‘o o0€‘08 OT 0] L ÿ (ex 4 cc 6z CON OMIS “esp D PL" NISERIL (“onbiugay innisur) | | c0o°L ocç‘o oc‘ |oot‘yt 1 1 I ll O8 L VA 18 Da IEbse DRM 2e TENTE TM : (“onbrugooy juynsur) 1 ocLl'g |oo!‘ÿ |ocy‘rit a li 1 ll TL 182-200 1L GE Eee Re Eve | (“oSopeouru ep 2109 ) 1 o96‘c tyc‘y C10 PR NACCo'C l ce À" ll 1 Ç Gt cc GO Lee Le TV MASIENAEVr) | | | | | | s |& , : tr = »ÿ e = a 1e Q je ES Re Gil 5 = Éolsez > ” 8 = che eo 2 œ 5 58 B © ds = Ei- 3 © " > = & 4 me EI B & | E. 3 À g Es & ss 5 ST 8 À mr 2 È EL [EEE] S $ 5 |eë = Fi Led @ nt ES Æ 3 o En | 4e Do lee) ä 8 © “LOLTISNIT HA AIS | 25% à g E ; D |A” ; Ê 8, 2 B PP jure = © | —— | SUAODNOD 3 *LNANANOIISNEA ALUAS UVA SHAY'IH SIA AUANON | à « [1 y aura à Palerme une académie des beaux-arts et un collége de musique. ; « Le jardin botanique de Palerme sera agrandi et amélioré, en- richi d'un champ d’expérimentation et d’acclimatation pour les plantes utiles. « Toute commune aura au moins une école d'instruction élé- mentaire du degré inférieur pour les garçons et une autre pour les filles. Si la population dépasse 5,000 âmes, il y aura une école pour l'instruction élémentaire supérieure des deux sexes. « L'instruction élémentaire est toute à la charge des communes, sauf les exceptions marquées par la loi. L'instruction élémentaire est essentiellement gratuite. Elle est obligatoire pour toutes les classes de citoyens. La loi pourvoira à rendre cette obligation efi- cace. Des écoles normales pour les élèves-maïîtres et maïtresses seront établies à Palerme, Catane et Messine. » Telle est la partie du décret prodictatorial qui regarde linstruc- tion primaire. Déjà, par un décret précédent, en date du 27 sep- tembre de la même année 1860, le même gouvernement avait décidé l'institution des salles d’asile pour l'éducation du premier âge. « Jl y en aura au moins quatre à Palerme, disait-on dans l'ar- ticle 2, deux à Messine et à Catane, et une dans chaque chef-lieu de province et d'arrondissement, le nombre devant s’en accroître selon qu’on en aura les moyens. Elles seront à la charge de la cha- rité privée, ou, à son défaut, à celle des communes. On appliquera aussi à leur entretien les legs de bienfaisance sans détermination précise- te On sait l'objet des écoles normales, appelées aussi en Italie écoles magistrales (scuole normali e magistrali). Elles ont pour objet de former des instituteurs et des institutrices. L'enseigne- ment comprend : 1° la religion et la morale; 2° la pédagogie; 3° la langue italienne et les règles de la composition; 4° la géogra- phie et l’histoire nationale; 5° les principes des sciences physiques et naturelles et les règles élémentaires de l'hygiène; 6° la calligra- phie; 7° le dessin linéaire; 8° le chant choral!. L'enseignement est gratuit dans les écoles normales de l'État. Il comprend un cours de trois années, organisé de telle sorte : les deux premières pré- 1 Voir les instructions et programmes pour les écoles normales et magistrales, approuvés par décret royal du 10 octobre 1867. US AUS parent les élèves à obtenir la patente de maitre ou maitresse du degré inférieur, et les trois, celle de maïtre ou maitresse du degré supérieur. On n'y est admis qu'a l’âge de seize ans pour les gar- cons et de quinze pour les filles. On ne peut aspirer à la patente du degré inférieur qu'à dix-huit ans pour les hommes et dix-sept pour les femmes. Un an de plus est exigé pour le degré supérieur. Ces patentes ne s'obtiennent qu'après un examen, et il n’est pas besoin pour le subir d’avoir passé dans les écoles de l'État. Catane a une école normale pour les femmes avec internat {con- vitto). Il y en a une semblable à Girgenti et à Palerme. Ce sont les trois de l'État. I y en à une autre à Messine, assimilée à celles de l'État ; une autre encore à Palerme dans le même cas; à Noto et à Trapani. En tout, sept écoles normales ou magistrales en Sicile pour former des institutrices. Pour les jeunes gens, une à Mes- sine, une à Palerme. En tout, neuf écoles normales pour les aspi- rants ou aspirantes aux fonctions d’instituteurs ou d’institutrices. Le nombre des écoles élémentaires en Sicile est de 1,659, et celui des élèves qui les fréquentent de 56,284. Ces seuls chiffres prouvent que l’article qui déclare que l’ins- truction élémentaire est obligatoire est demeuré une lettre morte; car, sur une population de 2,512,126 àmes, laquelle suppose près de 420,000 enfants des deux sexes, de six ans à quatorze, le chiffre de 56,284 est comme 1 est à 4. Encore ce chiffre d'enfants fré- quentant les écoles, donné par la statistique, paraît-il un peu exagéré. En 1861, il y avait sur 100 habitants 89 illettrés (analfabeti) hommes, et sur 100 femmes, 95. En 1866, 83 conscrits sur 100 ne savaient ni lire ni écrire. Mais ces chiffres accusent surtout le gouvernement des Bourbons et justifient hautement les reproches d'incurie systématique que le prodictateur ne lui épargne pas dans ses décrets de 1860. Ces terribles moyennes de 89/100 et de 95/100 supposent en effet un chiffre d'enfants présents aux écoles bien inférieur à celui de 56,284, qui est celui de l'année 1868. Quant à l'obligation, si contestée en France, et qui encore au- jourd'hui divise de fort bons esprits, il ne paraït pas qu'elle soit encore applicable à la Sicile. Ce régime, en effet, demande, à ce qu'il semble, une division de la propriété et une répartition géné- rale de la richesse publique qu'on ne trouve pas dans ce pays, où he ee" manquent encore à tel point les voies de communication, les seuls véhicules naturels du commerce et de l'industrie. Avant de songer à l'instruction, il faut que la vie de chaque jour et le pain quoti- dien soient assurés pour tous. Or, il s’en faut bien qu’on en soit là dans l'Italie méridionale, et particulièrement en Sicile, où la men- dicité vient moins encore de la paresse que de l'extrême dénü- ment et du manque de débouchés à l'activité humaine. Que le nombre des propriétaires s'accroisse en Sicile, et le chiffre, actuei- lement suffisant, de 1,659 écoles, qui, pour 56,284 élèves, sup- pose en moyenne 35 élèves par école, s’accroitra fort rapide- ment. « L'enseignement universitaire classique et les établissements qui en dépendent sont tous à la charge de l'État, L'enseignement secondaire classique, les instituts techniques supérieurs et les écoles normales sont également à la charge de l'État pour le trai- tement des professeurs et le matériel scientifique; pour le reste, à la charge des provinces et des communes. » Il nous reste à dire quelques mots des académies littéraires ou scientifiques, des musées et des bibliothèques; car ces établisse- ments, ou font en Sicile partie des universités, ou sont un des élé- ments les plus importants et en même temps un des plus puissants instruments de la haute culture. Dans les règlements relatifs à l'université avant 1817, on trouve tout un projet pour une académie littéraire et scientifique à Pa- lerme, une sorte d'académie régie administrativement. La Sicile aujourd'hui compte plusieurs de ces instituts plus ou moins flo- rissants. Il Y en a deux à Acireale, dans la province de Catane : L'académie des sciences, leltres et arts, dite des Zelanti (acca- demia di scienze, lettere ed arti degli Zelanti), Et l’académie de Daphné des lettres et des beaux-arts (accade- mia Dafnica di lettere e belle arti). | L’académie de Gioeni des sciences naturelles {accademia Gioe- nia di scienze naturali) siège à Catane. L'académie Lilybéenne des sciences et lettres (accademia Lihibe- tana di scienze e lettere) siége à Marsala. L'académie royale Peloritaine à Messine (R. accademia Pelori- tana). Il y en a quatre à Palerme : La société d'histoire nationale {assemblea di storia patria) ; SO L'académie des sciences et des lettres (accademia di scienze e lettere) ; L'académie royale des sciences médicales (R. accademia delle scienze mediche) ; L’académie homéopathique (accademia omiopatica). I y a en Sicile deux colléges des beaux-arts, un à Messine et un à Palerme, et un collége de musique, dit du Bon-Pasteur (del Buon-Pastore), à Palerme. L'université, qui en avait, en 1778, hérité des jésuites, avait au collége Maxime, à Palerme, un musée d'antiquités. Il fut rendu aux jésuites lors de leur réintégration en 1804. Il y est resté long- temps. L'université cependant fut en 1831 et plus tard enrichie de précieux restes de l'antiquité : les magnifiques métopes de Séli- nonte, trouvées en partie et décrites par le duc Serra di Falco; onze très-beaux vases siculo-grecs provenant la plupart de Géla et de Girgenti, et un certain nombre d'intéressantes terres cuites. Les collections s’accroissant, ces objets et beaucoup d’autres, provenant de fouilles récentes et qui se continuent encore à Solonto et ail- leurs, furent transportés dans un local spécial et approprié. On l'appelle le Musée royal. I est en ce moment à peine organisé. On y voit de nombreux sarcophages sculptés, représentant pour la plu- part des scènes de carnage et sentant l’art étrusque; les célèbres métopes de Sélinonte , encastrées dans la muraille d’une belle et vaste salle, entre les triglyphes anciens, ou heureusement imités d'apres les modèles antiques; des vases siculo-grecs, dont quelques-uns d’une grande beauté et ornés d'admirables dessins qui ne dépare- raient pas le musée de Naples; un grand nombre de petits bronzes entre lesquels une sorte de lavabo antique en marbre blanc, sur- monté d’un sujet en bronze (Hercule et le cerf qu'il a terrassé et tient renversé sous son genou), trouvé à Pompéi; un beau bélier de bronze venant, dit-on, de Corinthe, le pendant a été détruit dans une émeute par la populace; beaucoup de terres cuites, une rare collection de médailles siciliennes ; enfin une galerie de tableaux dans laquelle on admire un triptyque de Van Eyck, don du prince de Malvagna, du travail le plus exquis et de la plus suave expres- sion. C’est le bijou de la Pinacothèque de Palerme, et il serait l'or- nement d'un de nos grands musées d'Europe. Je ne sais même s’il y a rien de supérieur à Bruges. Palerme est le siége d'une commission centrale des antiquités et MISS. SCIENT. — VII. 6 des beaux-arts, qui se ramifie en sous-commissions dans les villes suivantes : Girgenti, Taormine, Patti, pour les antiquités de Tin- dari; Calatifimi, pour celles de Ségeste; Castelvetrano, pour celles de Sélinonte; Palazzolo, pour celles d’Acre; Santa-Flavia, pour celles de Solonto; Catane, Centorbi, Syracuse, Cephalù, Termini, Messine, Terranova, Marsala et Piazza-Armerina. Dans plusieurs de ces villes sont de précieux restes de l'antiquité et des musées ou collections particulières plus ou moins remarquables. Le musée des Bénédictins et le musée Biscari à Catane méritent d'être cités entre tous. Le musée de Syracuse contient de beaux morceaux, entre autres une Vénus qui le dispute en beauté à celle du Capitole (par malheur, la tête manque); mais il ne répond pas à ce quon semble pouvoir attendre d'un des plus grands centres de civilisa- tion des temps antiques, et la salle où ces fragments sont entassés est véritablement misérable. Il reste à mentionner les bibliothèques siciliennes. Elles sont nombreuses, quelques-unes fort riches, toutes fort libéralement ouvertes au public studieux. Après la France, qui compte dans ses diverses bibliothèques h,389,000 volumes, l'Italie, sous ce rapport, est le pays le plus riche. Elle possède 4,149,281 volumes. Par rapport au nombre des habitants, elle est de beaucoup la mieux pourvue; car le nombre précédent donne 19,5 volumes par cent habitants, tandis que la proportion en France est de 11,7!. La plupart des bibliothèques de la Sicile doivent leur origine à des fondations privées. Beaucoup proviennent d'anciennes con- grégations religieuses; de là la grande quantité d'ouvrages de théologie et le petit nombre relatif de livres de science et d’ou- vrages étrangers. Sur les deux cent dix bibliothèques du royaume d'Italie {sans compter la Vénétie), la Sicile en compte vingt-huit qui con- ! Il convient de noter que Paris seul possède plus du tiers des volumes des bi- bliothèques de France. Dans ce calcul, ne figurent ni la Vénétie, ni les États - Romains pour l'Italie. Or, la Vénétie seule possède quarante-six bibliothèques avec 905,899 volumes; ce qui, ajouté aux 4,149,281 volumes existant dans les autres bibliothèques du royaume, forme un total de 5,055,1796 volumes, chiffre notablement supé- rieur au nombre des livres qui existent dans les bibliothèques publiques de la France. ss DD 2 tiennent ensemble 335,872 volumes. Sur ces vingt-huit biblio- thèques, dix-sept tiennent un registre des lecteurs. Dans l’année 1863, le total des ouvrages donnés en lecture s’est élevé à 120,152, dont le plus grand nombre (31,776) étaient des ouvrages de ma- thématiques ou de sciences physiques et naturelles. On ne sera peut-être pas fâché de trouver ici quelques détails statistiques sur les bibliothèques siciliennes. Caltanisetta. — La province de Caltanisetta contient : Une bibliothèque à Piazza-Armerina. Elle est communale; fon- dée en 1859; comprend 772 volumes et 133 ouvrages. Catane. — Dans la province de Catane se trouvent les biblio- thèques suivantes : 1° À Acireale (dite degli Zelanti), fondée en 1795 par François Miron (ecclésiastique) : 6,412 vol., et une bibliothèque commu- nale postérieure à l'année 1863; 2° À Agira, fondée par Mineo (Pierre), en 1799 : 5,096 vol. ; 3° À Caltagirone (communale), fondée en 1660 : 14,521 vol.; 4° À Catane, bibliothèque de lAthénée sicilien, fondée par Hector Fanois en 1846 : 1,545 vol.; Bibliothèque de l’université, fondée en 1750 : 33,257 vol.; Ventimigliana, fondé par Salvador Ventimiglia, évêque de Ca- tane, en 1783 : 11,011 vol.; 5° À Centuripe, fondée par le chanoine di Benedetto en 1841; contient 1,175 vol.; 6° A Nicosia (communale), fondée en 1848 : 9,579 vol.; 7° À Vizzini (communale), fondée par plusieurs habitants de la ville en 1835 : 2,496 vol. Girgenti. — La province de Girgenti comprend les biblio- thèques suivantes : À Girgenti (communale), fondée par le comte André Lucchesi en 1765 : 9,200 vol.; À Naro (dite des Franciscains), fondée par Melchior Milazzo en 1704 : 5,120 vol.; À Palma-Montechiaro, (dite Roca), du nom de son fondateur, l'archevêque Balthazar Roca, fondée en 1797 : 653 vol. Messine. — La province de Messine comprend aussi trois biblio- thèques : À Messine, bibliothèque de l’université, fondée par Jacques Lonzo en 1783 : 17,120 vol.; En — À Motta-d'Affermo {communale}, fondée par le prieur Jean Castelli en 1808 : 597 vol.; À Patti (du séminaire), fondée par l'évêque Charles Mineo en 1750 : 4,000 vol. of Noto. — La province de Noto en comprend deux : À Noto (communale), fondée en 1847 : 8,212 vol.; | À Syracuse (du séminaire), fondée par l’évêque Jean-Baptiste Alagona en 1780 : 7,020 vol. Palerme. — La province de Palerme en contient cinq : À Cephalù (du séminaire): contient 2,040 vol. ; À Palerme (communale), fondée par Alexandre Vaceni en 1759: contient 100,000 vol. ; | Nationale, fondée par les jésuites: contient 46,643 vol. ; Saint-Philippe de Neri, fondée par François Sclafani (ecclésias- tique): contient 22,400 vol.; À Termini-Imerese (dite Licinienne), fondée par Joseph Lipri (ecclésiastique) en 1800 : 7,000 vol. Trapani. — La province de Trapani, enfin, en contient quatre : À Castelvetrano (communale), fondée par divers citoyens en 1847: contient 732 vol. ; À Marsala (communale), fondée également par divers citoyens en 1836: contient 2,235 vol.; À Salemi (communale), fondée en 1860: contient 2,038 vol. ; À Trapani (Fardellana), du nom de son fondateur, Jean-Baptiste Fardella, en 1836 : 12,000 vol. On voit quelles ressources possède l'instruction publique en Sicile. Trois grandes universités, avec de nombreux établissements scientifiques, propagent la haute culture et confèrent des diplômes et des grades académiques. Les professeurs y sont nombreux; leur talent et leur zèle incontestables. Les résultats sont petits. Les trois universités comptaient ensemble, d'après l'annuaire officiel 1868- 1869, un total de 492 éludiants ou auditeurs inscrits, à savoir : 118 dans l’université de Catane: 64 dans celle de Messine, et 280 dans celle de Palerme. Or, si l'on additionne les dépenses du personnel et du matériel des trois universités, on arrive à la somme de 627,547 francs, qui donne une moyenne énorme pour ce que coûte chaque étudiant. D'autre part, Catane compte 31 professeurs pour ses 148 auditeurs; ce qui donne une moyenne d’un professeur Re pour moins de cinq auditeurs; Messine, 32 prolesseurs pour ses 64 étudiants; ce qui donne en moyenne un professeur pour deux étudiants, et Palerme 54 professeurs; ce qui donne un professeur pour cinq étudiants à peu près. Il convient d'ajouter que ce calcul ne porte que sur les étudiants et auditeurs inscrits, et en second lieu que les nombres marqués plus haut ne sont pas invariables. Pa- lerme, dans l'année scolaire 1858-1859, vit les cours de son uni- versité fréquentés par 1,119 auditeurs. Cette même année, on en comptait à Catane 637 et à Messine 174. Mais ces chiffres, dans la période de ces quinze dernières années 1855-1870, sont des chiffres maxima. On ne les a atteints qu'une fois, et il semble que la diminution se marque chaque année davantage. Pour les cours de théologie, même en prenant la période des dix dernières an- nées, on arrive à un total d'étudiants et d’auditeurs inscrits si ché- tif, qu’ils ne forment pas même deux élèves pour chaque année. Cette observation sort donc elle-même des faits : à savoir que l'instruction supérieure en Sicile présente des cadres magnifiques, mails que ces cadres sont mal remplis et que les trois universités sont pour le royaume un luxe très-onéreux. On en pourrait dire autant des établissements d'instruction se- condaire classique, lycées et gymnases !. Si l'on considère, en effet, que chaque classe d’un lycée peut comprendre 4o élèves, un lycée suffirait en Sicile aux 120 élèves, tandis que ces 120 élèves en 1864 étaient répartis entre sept ly- cées, ce qui donnait une moyenne de 6 élèves pour chaque classe. De même, en prenant la même moyenne de 4o élèves pour les symnases, les vingt-neuf gymnases, qui, en 1864, comprenaient 1,095 élèves, pourraient facilement être réduits à dix. Ainsi, le nombre des établissements secondaires en Sicile est un peu plus du quadruple de ce qui suffirait amplement aux besoins de la jeu- nesse. Pour l’enseignement primaire, malgré les prodigieux pro- grès qu'il a faits depuis l'annexion de la Sicile au royaume d'Italie, on peut dire que les écoles manquent encore aux élèves. Mais, pour les études secondaires et pour l'instruction supérieure, ce sont les élèves qui manquent aux écoles. Nul ne saurait conseiller à un pays de faire des économies sur l'instruction publique. Il n’est ! Voir Sulla condizione della pubblica istruzione del regno d'Iialia, Relazione generale presentata al ministro dal consiglio superiore di Torino. 1 vol, in-4°, Milan, 1865. Ouvrage déjà cité, —— 60 — nulle part de dépense plus utile et plus fructueuse; mais peut- être pourrait-on répartir plus sagement les sommes considérables qu'on applique chaque année à ce département. S'il y a luxe quelque part, que ce soit pour l'enseignement primairé, quitte à retrancher comme des branches parasites certaines facultés dé- sertes des universités qui ne répondent pas à des besoins généraux et occasionnent des frais stériles. B. Au. RAPPORT SUR UNE MISSION EN ANGLETERRE, PAR M. ARSÈNE DARMESTETER. Monsieur le Ministre, Chargé par Votre Excellence d'étudier des gloses françaises de la fin du xr siècle, dans des manuscrits hébreux qui se trouvent aux bibliothèques de Londres, Oxford et Cambridge, j'ai l'honneur de vous adresser le rapport suivant sur le caractère et les résultats de mes recherches. Ces gloses ont pour auteur le docteur juif Rabbi Schelomo Isâki (R. Salomo Isacides), connu vulgairement sous le nom de Raschi!. Raschi, né à Troyes en Champagne en 1045, et mort dans cette ville en 1105, a composé des commentaires sur la Bible, le livre des Chroniques excepté, et sur presque tout le Talmud. La langue de ces commentaires est l'hébreu rabbinique. Mais l'auteur, man- quant parfois d'expressions précises pour expliquer tel passage du texte, a eu recours au français. De là ces nombreuses gloses fran- çaises, transcrites en caractères hébreux, qu'il a insérées dans ses commentaires. Ce ne sont point des gloses marginales ou interli- néaires, mais elles font partie intégrante du texte. Elles sont au nombre d'environ 3,200; mais comme souvent certaines de ces _gloses se répetent dans plusieurs passages, on peut en tirer un index d'environ 2,000 mots différents. Cet index , assez considérable par l'étendue, comme on le voit, offre, sous plusieurs rapports, un grand intérêt. Car, tandis que les rares monuments que nous pos- sédons de la langue d'oïl du x1° siècle appartiennent tous au dia- ! Ce nom est formé, suivant un usage juif, des initiales Ra(bbi) Sch(elomo) I(säki). is. Rat lecte normand et à la langue poétique, nos gloses, écrites en Champagne, nous présentent le pur dialecte français; d'un autre côté, elles appartiennent à la langue populaire, car elles désignent pour la plupart des objets d'un usage journalier. Enfin la trans- cription hébraïque permet de fixer d'une manière bien plus rigou- reuse la prononciation de l’époque. La science philologique a donc là d'importants matériaux pour l'histoire de la langue dans une de ses plus anciennes périodes. Les commentaires de Raschi ont été souvent imprimés, et c’est d’après les éditions que j'ai fait le recueil des gloses. Mais celles-ci ont été fort maltraitées par les éditeurs, qui le plus souvent ne les comprenaient pas, et il était absolument nécessaire de recourir aux manuscrits pour en donner un texte critique. À cet effet, Votre Excellence a bien voulu me charger d'examiner les biblio- thèques de l'Angleterre. J'ai vu la Bodleian library à Oxford, l'University library à Cambridge et le British Museum à Londres. La bibliothèque d'Oxford est de beaucoup la plus riche des trois. C'est par elle que je commence. Je dois d’abord dire que le catalogue des manuscrits hébreux de la Bodléienne n'est pas encore publié. Je dois la connaissance des nombreux manuscrits de Raschi qu'elle possède à l'obligeance de mon ami, M. Neubauer, occupé en ce moment à dresser ce cata- logue. Il m'a livré 48 manuscrits, dont voici les numéros : Fonds Oppenheim : 2,6, 7, 8, 14, 16, 34, 35, 36, 97, 248, 249, 387, 726, 738. Fonds Michel : 154, 237, 311, 381, 507, 521, 522, 554, 613, Ga, 628, 629. Fonds Oppenheim addition : 3, 22,23, A7, 52,53, 77, 78. Fonds Huntinghton: 389, 391, 425, 445. Fonds Laud : 126, 154, 318. Fonds Canonici orientalia : 35, 60, 62. Fonds Bodley : 18, 107. Fonds Pococke : 127. En voici la description : I. COMMENTAIRES DE RASCHI SUR LES LIVRES BIBLIQUES. 1° Opp. 34. Commentaires de Raschi sur la Bible (moins le livre des Chroniques), grand in-4° vélin. Ecriture du xrn° siècle, de l'Allemagne du nord-ouest ou de la France du nord-est. Ce manuscrit renferme des gloses assez nombreuses de R. Joseph Kara, disciple de Raschi, notamment dans le commentaire sur Isaïe. T1 renferme en outre le commentaire de ce même Kara sur Job et un commentaire plus récent sur les Chroniques. La plus grande partie des mots français sont ponctués. Le manuscrit est excellent. 2° Opp. 14. Le Pentateuque avec la paraphrase chaldaïique d'Onkelos et le commentaire de Raschi. Les cinq Meghillôth avec le commentaire de Raschi et les Haphtarôth!, grand in-4° vélin. Écriture allemande. À la fin du manuscrit on lit une notice nous apprenant que le manuscrit a été écrit par Salomon, fils d’ Éliézer Hayym Cohen, le scribe, pour R. Mosché, fils de R. Judah, et qu'il a été achevé en 5100 (— 1340). 3° Michel 381. Raschi sur fe Pentateuque. Écrit par Meïr, fils de Mosché, pour son maître R. Benjamin, fils d'Isaac. Achevé d'écrire en schevath 5159 (= janvier 1379), à Camarino. Écri- ture méridionale. Vélin moyen, in-4°. 4° Michel 521. Raschi sur le Pentateuque et les cinq Meghil- lôth, moyen in-4° vélin. Écriture allemande, Le manuscrit est daté de 5148 (— 1388). Le scribe à omis un nombre considé- rable de gloses. 5° Opp. 35. Commentaire de Raschi sur le Pentateuque, moyen in-4° vélin. Écriture allemande. Le livre est daté de l'an 5169 (— 1409) et signé Isaac Judah. 6° Opp. add. in-4° 53. Raschi sur le Pentateuque. Achevé d'écrire le vendredi 8 heschwan 5227 (— octobre 1467). Copié par Samuel, fils de Schabbathaï; écriture méridionale. 7° Canon. orient. 62. Le Pentateuque avec la paraphrase chal- daïque d'Onkelos et le commentaire de Raschi. Les cinq Meghil- lôth avec le commentaire de Raschi sur Esther, le Cantique des Cantiques et le commencement de lEcclésiaste. Le livre de Ruth ! On désigne sous le nom de Meghillôth les livres d'Esther, Ruth, Cantique des Cantiques, Lamentations de Jérémie et Ecclésiaste, Quant aux Haphtarôth, ce sont divers chapitres des prophètes, qui se lisent à la synagogue les samedis et les jours de fête, après la lecture de la Loi. Raschi n’a pas composé de commen- taires particuliers sur les Haphtarôth. Ce sont les scribes qui ont extrait de ses commentaires sur les prophètes les parties se rapportant au texte des Haphtarôth. D. et les Lamentations de Jérémie sont accompagnés d'un commen- taire d'un autre auteur. Suivent les Haphtarôth. À la fin du Pen- tateuque on lit une note dont voici la traduction : « Moi, le scribe Barchiel, fils d'Ezéchias Raphael Traboth, j'ai achevé ce Penta- teuque pour Abraham le maître, le dimanche 22 tamouz 5322 (= juillet 1472).» Ce manuscrit, chef-d'œuvre de calligraphie, n'offre rien pour l’objet de nos recherches. Les gloses y sont sys- tématiquement supprimées. Les 10 ou 12 (sur 265) qui restent y semblent avoir été oubliées. Moyen 1in-4° vélin. 8° Opp. add. 47. Pentateuque accompagné de la paraphrase chaldaiïque d'Onkelos et du commentaire de Raschi. Suivent les Haphtarôth et les cinq Meghillôth, sans aucun commentaire. Ecri- ture allemande du xur° siècle. 9° Opp. add. 77. Raschi sur le Pentateuque, vélin in-8°. Écriture espagnole du commencement du xiv° siècle. 10° Opp. add. 78. Raschi sur le Pentateuque, vélin in-6°. Écriture espagnole du xiv° siècle. 11° Canon. orient. 35. Raschi sur le Pentateuque. Belle écri- ture espagnole du xiv° siècle. Moyen in-4° vélin. Manque le der- nier feuillet. 12° Opp. 36. Raschi sur le Pentateuque, les Haphtarôth et les cinq Meghillôth, in-4° moyen, vélin. Belle écriture allemande du xiv° siècle. 13° Michel 154. Raschi sur le Pentateuque. Belle écriture espagnole du xv° siècle. Ce manuscrit offre, pour l'écriture et de même pour l'orthographe des gloses, une certaine parenté avec Opp. add. 53. 14° Bodi. 107. Les Nombres et le Deutéronome, accompagnées du commentaire de Raschi et des Haphtarôth. Manquent quelques feuillets au commencement. Vélin, petit in-8°. Ecriture allemande du xrv° siècle. 15° Hunt. 425. Raschi sur les deux derniers livres de Moïse. Écriture de la Syrie, du xrrr° siècle. Moyen in-8°, papier oriental. Le manuscrit a été mouillé, et dans un grand nombre d’endroits l'écriture est effacée. 16° Hunt. 445. Raschi sur le Pentateuque. Commence au mi- lieu du verset 13 du chapitre xx du Lévitique et s'arrête à Deutér. xxx. Papier oriental. Quelques feuillets vélin, Écriture de la Syrie, du xrv° siècle. = cha 17° Hunt. 389. Raschi sur les Nombres. Petit in-4°, papier oriental. Gloses systématiquement supprimées. Ecriture de la Syrie, du xrv° siècle. 18° Hunt. 391. Raschi sur le Pentateuque. Ne contient que le premier livre et la première sidrah ou section du second livre (jusqu'à Exode vi). Écriture de la Syrie, du xv° siècle. Nombre de feuillets qui manquaient dans le manuscrit primitif ont été rem— placés à différentes dates. Dans ces feuillets plus récents les gloses manquent généralement. 19° Michel 628. Raschi sur le Deutéronome, les Meghillôth et les Haphtarôth. Folio vélin, xrv° siècle. Écriture allemande. 20° Michel 522. Raschi sur les Haphtarôth. Petit in-8° vélin. Écriture allemande du x1v° siècle. Les gloses françaises y sont sys- tématiquement supprimées. 21° Laud 154. Les cinq Meghillôth, accompagnées pour les livres de Ruth, Cantique des Cantiques et Ecclésiaste (jusqu'à vir.4), des commentaires de Raschi et d'Ibn-Ezra. Les Haphtarôth. Le manuscrit a été copié par Jacob, fils de Nathan Mièvre, et achevé le vendredi 1* adar 5107 (— février 1347). 22° Opp. 2. Les premiers et les derniers prophètes, avec le commentaire de Raschi aux marges latérales. Grand folio vélin. Écriture allemande du commencement du xm° siècle. II manque un ou deux feuillets à la fin. 23° Pococke 127. Commentaire de Raschi sur les premiers et les derniers prophètes. Vélin moyen in-4°. Écriture de la Turquie d'Europe. Sur le dernier feuillet se lit un acte de vente du ma- nuscrit daté de 1271. Le manuscrit semble êire de la fin du xu° siècle ou du commencement du xrrr°. 24° OpP- add. 22. Ce manuscrit contient les commentaires de Raschi : 1° sur Ézéchiel ; manquent le commencement et quelques . feuillets au milieu; 2° sur Isaïe; manquent quelques feuillets au milieu et à la fin; 3° sur les douze petits prophètes; manquent Amos, Joël, une partie d'Osée, Nahum, et la fin de Maleachi; 4° sur les Psaumes; manquent les deux premiers; 5° sur les Pro- verbes; 6° le commentaire de R. Joseph Kara sur Job; 7° le com- mentaire de Raschi sur Daniel, Ezra, Nehemia et les cinq Me- D: Écriture allemande du xur siècle. Folio vélin. ° Michel 554. Commentaire de R. David Kamchi, dit Redak, sur Le douze petits prophètes, [saïe, Jérémie et Ézéchiel , ACCOM- EE | ‘EE pagné du texte biblique aux marges supérieures, et du commen- taire de Raschi aux marges latérales et inférieures. Moyen in-4° papier. Écriture allemande du xv° siècle. Cette copie a été faite, dit le scribe, d’après un uncien manuscrit. Il manque'au milieu du manuscrit un feuillet contenant le dernier chapitre d'Ézéchiel. 56° Opp- 16. Ézéchiel, Isaïe et les douze petits prophètes, ac- compagnés du commentaire de Raschi. Écriture allemande du xru° siècle. Il manque cà et là quelques feuillets contenant la fin d'Isaie, le commencement et le milieu d'Osée. Nombreuses in- corrections. L'écriture, très-précipitée, rend souvent les mots fran- çais illisibles. | 27° Laud 126. Raschi sur Isaïe et Jérémie. Petit in-4°, papier et vélin. Écriture allemande du xv° siècle. 28° Canonici orientalia 60. Commentaire de Raschi sur les Psaumes, les Proverbes et sur le premier chapitre de Job. Écri- ture allemande du xrv° siècle. Moyen in-4° vélin. 29° Opp. add. 52. Ce manuscrit contient : 1° les commentaires de Raschi sur les Psaumes; 2° de Joseph Kara sur Job; 3° de Raschi sur les Proverbes; 4° d’un anonyme sur Ruth; 5° de Raschi sur le Cantique; 6° de Joseph Kara sur l'Ecclésiaste; 7° de Raschi sur les Lamentations de Jérémie; 8° d’un anonyme sur Esther ; 9° de Saaddyyah sur Daniel; et 10° le commencement d'un com- mentaire anonyme sur Ezra. Moyen in-4° vélin. Écriture allemande du xiv° siècle. 30° Michel 629. Les Psaumes, Job, Daniel, Ezra et Néhémia avec Raschi; Chroniques sans commentaire; Proverbes jusqu'a xxIx.2. avec Raschi; le tout accompagné de la Grande et de la Petite Massorah. Écriture allemande du x1v° siècle. 31° Bodi. 18. Les Psaumes, accompagnés du commentaire de Raschi. Petit vélin. Écriture allemande du xrv° siècle. IT. COMMENTAIRES DE RASCHI SUR LES LIVRES TALMUDIQUES. 32° Opp. add. 23. Raschi sur Eroubîm et Betsah. Écriture espagnole du xiv° siècle. In-4° papier. 33° Laud 318. Raschi sur Jomah. Écriture espagnole du x1v° siècle. Vélin. | 34° Opp. 248. Traités de Jebamoth et de Kiddouschin, avec Les Se les notes additionnelles des Thosaphistes, le commentaire de Raschi et celui de Mordochaï. Écriture allemande du nord-ouest ou française du nord-est. Vélin petit in-4°. 35° Opp. 97. Raschi sur le traité Kethouboth. Grand in-4° vélin. Écriture allemande du xrv° siècle. Deux signatures de 1668 et 1678. 36° Opp. 738. Traité de Ghittin avec le commentaire de Raschi. La plus grande partie des feuillets sont enlevés; quelques-uns sont découpés. Dans plusieurs passages l'écriture effacée est devenue illisible. Sur les 90 gloses françaises que contient le commentaire de Raschi, il n’en reste plus dans ce fragment de manuscrit qu'une douzaine. Grand in-4° vélin. Écriture allemande du xrv° siècle. 37° Opp- 387. Thosaphoth sur Baba Kama, Raschi sur Baba Meisia, anciennes Thosaphoth sur Jebamoth. Le commentaire de Raschi s'étend du folio 39 au folio 135. Vélin in-4°. Écriture alle- mande de la fin du xrv° siècle. 38° Opp. 249. Traité de Baba Bathra avec Raschi. Le manus- crit commence au feuillet 11° des éditions imprimées et continue jusqu'au milieu du chapitre v. Raschi a arrêté son commentaire sur ce traité au troisième chapitre. Cest son petit-fils, R. Sche- mouel ben Meiïr, connu sous le nom de Raschbam, qui l’a achevé. Notre manuscrit ne donne qu'un abrégé du commentaire de Raschbam. Moyen in-4° vélin. Ecriture allemande du xv° siècle. 30° Michel 237. Traité Houlin, avec le commentaire de Raschi. Petit in-4° papier. Ecriture allemande du xvin° siècle. Ce manus- crit, tout à fait moderne, semble avoir été copié sur d'anciens manuscrits, car il offre pour les gloses françaises quelques va- nantes intéressantes, en petit nombre il est vrai. 4o° Opp. 726. Traité Tamid avec le commentaire de R. Sche- mayah; traité Erechin, avec le commentaire de Raschi; traités Schekalim et Meiïlah, avec le commentaire de R. Schemayah. Le texte de Raschi s'étend de 47° à 116. Petit in-4° vélin, xiv'siècle. 41° Michel 311. Ce manuscrit contient divers opuscules rab- biniques. Du folio 1 au folio 57, le commentaire de Raschi sur le traité Aboth; moyen in-8° papier. Achevé d'écrire par Abigdor, fils de Joseph le Cohen, en 5183, mardi 12 Ab. (Août 1423.) 42° Michel 507. Raschi et Maïmonides sur le traité Aboth, beau manuscrit vélin, moyen in-8°. Écriture allemande. Quelques feuillets d'écriture méridionale. Achevé en 1477, par Mardochée, se ee fils de Lévy Halphan, pour R. Noé, fils d'Emmanuel Menortsi. M Le commentaire de Raschi s'étend de 1 à 35. Manuscrit très- fautif. Raschi sur l'Alfazi. Âu xr° siècle, Rabbi Isaac du Fez, connu sous le nom d’Alfazi, publia un abrégé du Talmud. Cet abrégé est accompagné, dans les manuscrits et dans les éditions imprimées, d’un commentaire de Raschi. Raschi n’a évidemment pas composé de commentaire sur l’Alfazi, son contemporain. Mais les scribes ont extrait de son œuvre les passages qui se rapportent au texte de l'abrégé. Ils ont agi de même pour les Haphtarôth. Ces extraits contiennent moins de gloses françaises que le texte de Raschi qu'ils repro- duisent, parce que les scribes, choisissant un peu à leur gré dans le texte, étaient plus libres de les transcrire ou de les omettre. Il a dü y avoir et il y a eu diverses rédactions de ces Pseudo-Raschi. Celles que possèdent les bibliothèques de l'Angleterre ressemblent aux éditions imprimées. Comme dans ces dernières, on y trouve nombre de mots traduits en allemand; car, comme ces dernières, elles proviennent de l'Allemagne. Quelques manuscrits de la Bi- bliothèque nationale à Paris, d'écriture méridionale, présentent certaines différences, et l’on y trouve un nombre plus considé- rable de gloses. | Les manuscrits de l’Alfazi que possède la Bodléienne sont : Opp. 6, 7 et 8. 3 vol. grand in-folio vélin, écriture allemande du xiv* siècle. Alfazi avec Raschi, Thosaphoth et Mordochaï. | 43° Opp. 6 contient : Berachoth, Yomah, Soukah, Moed Katan, Pesachim, Eroubim, Sabbath, Betsah, Taanith, Rosch Hasch- Schanah. 44° Opp. 7 contient : Synhédrin, Schebouoth, Abodah Zarah, 1 Baba Kama, manque le premier feuillet; Baba Metsia, Baba Ba- thra, Niddah et les Hilchoth Tsitsith, Thephilin, etc. - 45° Opp. 8 contient : Jebamoth, Kethouboth, Kiddouschin, Ghittin, Choulin. Michel 613 et 621. Alfazi avec Raschi et Mordochaï, vélin folio, écriture française du nord, xiv° siècle. h6° Michel 613 contient : Choulin, Niddah, Abodah Zarah, Synhédrin, Makkoth, Betsah, Meghillah, Moed Katan, Hilchoth Tsitsith. . 47° Michel 621 contient : Kiddouschin, Jebamoth, Kethou- both, Ghittin. Suivent les questions casuistiques {(Schaaloth ou Theschouboth) du Meram (folios 107-189). Signé : Jonathan, fils de Schabbathaï, a fait ce livre pour Isaac, fils de Zacharie. 48° Opp. add. 3. Midrasch, sur le Pentateuque, accompagné du commentaire de Raschi sur le Midrasch de la Genèse. Folio papier, écriture espagnole du xv° siècle. À ces 48 manuscrits il faut ajouter l'édition princeps du Talmud (22 vol. in-fol. publiés par Bomberg, d'Anvers. Venise, 1520- 1522), dont j'ai collationné les gloses françaises. Cette collation m'a permis de rétablir le texte d’une quarantaine de gloses dans des Mesechtoth ou traités dont les copies manuscrites font défaut. Tels sont les textes que j'ai étudiés à Oxford. Comme on le voit, il ya 31 manuscrits sur les diverses parties de la Bible. Ils se décomposent ainsi : Pour la Genèse, qui contient 66 gloses, 14 manuscrits. — l'Exode, qui contient 84 gloses, 13 manuscrits, sans compter Hunt. 391, qui ne contient qu'un chapitre de l'Exode. — le Lévitique, qui contient 52 gloses, 13 manuscrits. Nous omet- tons Hunt. 445 contenant seulement quelques chapitres. — les Nombres, qui contiennent 29 gloses, 16 manuscrits. — le Deutéronome, qui contient 34 gloses, 17 manuscrits. Le texte des gloses du Pentaieuque peut donc être considéré comme définitivement fixé, avec un choix si abondant de manus- crits de provenances si diverses. Pour les livres de Josué, des Juges, de Samuel et des Rois, con- tenant 140 gloses, 3 manuscrits, tous trois excellents {xu° siècle et commencement du xtn°) : .. . .. contenant 104 gloses, 7 manuscrits. — Jérémie LU 4 BIG, 8 — 81 — D — D Meme... .... 0: — 70 — 6 — — les 12 petits prophètes. . — 71 — 6 — — les 5 Meghilléth...... _ bo, — 6! — = les Praumes.i.1..... … SE b8 :— 6. — “les Proverbes ........ > hr — 6, — hu at — D3, —, 2 , — — Daniel, Ezra et Néhémia = D oo Ne ! Dont deux fragmentaires. EE ——— — TS Les manuscrits sur les prophètes et les hagiographes sont gé- néralement excellents. Si l’on joint à ces documents les 6 ma- auscrits que possède la Bibliothèque nationale à Paris, sur les Psaumes et les Proverbes, et les 2 manuscrits qu'elle possède sur Job, Daniel, Ezra et Néhémie, on voit que les matériaux sont amplement suffisants pour arrêter d'une manière définitive le texte des 1,037 gloses françaises du commentaire de Raschi sur la Bible. Devant ces résultats, j'ai jugé inutile d'examiner à Cambridge et à Londres les manuscrits, d’ailleurs assez récents (les plus an- ciens datent de la fin du xrn° siècle), que l'University library et le Brüish Museum possèdent des commentaires bibliques de Raschi. Je n'ai fait d'exception que pour un manuscrit des prophètes du British Museum. Au British Museum, MM. Wright et Riou m'ont donné la liste des manuscrits de Raschi et le catalogue (encore manuscrit) des manuscrits hébreux de la bibliothèque. J'ai étudié les volumes sui- vants : Additional : 16577, 17050, 19944, 27125, 27196; Harley : 150, 5585; Orientalia : 73. 49° Harley 150, moyen in-4°. Ce manuscrit est composé de deux parties. Les folios 1-27 contiennent le commentaire de Raschi sur les 5 Meghillôth; les folios 29-210 contiennent ses commen- taires sur les premiers et sur les derniers prophètes. La première partie est datée de 1504 et n'offre aucun intérêt. La seconde, da- tée de 1257, forme le plus ancien manuscrit que le British Mu- seum possède des commentaires bibliques de Raschi. La plupart des mots français y sont ponctués. C’est le seul des manuscrits de la Bible qui présente quelque intérêt. | 50° Harley, 5585. Raschi sur Baba Kama, moyen in-8° vélin, écriture allemande de la fin du xm° siècle. 51° Add. 27196. Raschi sur Baba Kama (fol. 1-9o0!), sur Baba Metsia (fol. 91°-195*). Le scribe attribue à tort le commen- taire de Raschi sur Baba Metsia à son petit-fils, R. Samuel, dit Raschbam. De 195? à la fin se trouve un commentaire de R. Ger- son sur Baba Bathra. Écriture espagnole de la fin du xrv° siècle ou du commencement du xv°. 52° Orient. 73. Moyen in-4°, papier oriental. Raschi sur Baba SR on Metsia. On lit à la fin du manuscrit une note en _partie déchirée et dont voici la traduction littérale : Est terminé le traité Baba Metsia avec l’aide de celui qui trône dans..... Pour notre prince David, chef de la captivité. Que s'étonne. . ... Et son trône à jamais soit affermi. Selah. Que s'accomplisse pour lui... .. Et pour faire tomber ses ennemis à ses pieds, et même. .... Nissan 503 de l'ère des contrats. .... L'ère des contrats désigne chez les Juifs l'ère des Séleucides. Cette date nous reporte donc à avril 1192. Ce manuscrit est le plus ancien que je connaisse des manus- crits de Raschi. Écrit quatre-vingts ans à peine après sa mort pour un Resch Galoutha, sans doute David de Mossoul, il prouve la ra- pidité avec laquelle l'œuvre du rabbin français se répandit dans le monde juif. Il manque au commencement du manuscrit des feuillets corres- pondant aux 22 premières feuilles des éditions imprimées. 53° Add. 17050. Vélin folio. Alfazi sur les traités Naschim et Nezikim. Daté du 11 yiar 5146 (— mai 1386). Contient : Kiddouschin, Jebamoth, Ghittin, Baba Kama, Baba Metsia, Baba Bathra, Abodah Zarah, Synhédrin, Schebouoth. ° Add. 19944. Folio vélin. Splendide manuscrit richement enluminé. Écriture méridionale du xv° siècle. Machzor (c'est-à- dire recueil des prières pour toutes les fêtes) selon le rite italien. Du folio 112° à 139° on trouve le traité Aboth avec les © commen- taires de Raschi et de Maimonides. 55° Add. 27125. Moyen in-{° papier. Écriture PR du xv° siècle. Contient divers ouvrages talmudiques, entre autres le _ commentaire de Raschi sur Aboth, folio 17° à 47°. 96° Add. 16577. Machzor italien. Splendide manuscrit riche- ment enluminé. Grand in-{° vélin. Écriture italienne de la fin du x1v° ou du commencement du xv° siècle. Contient le chapitre de R. Meïr avec le commentaire de Raschi, folio 105° à 107°. À Cambridge, MM. Bradshaw et Schiller m'ont remis les ma- nuscrits suivants : 57° Addition 477.9. Petit in-4°, papier oriental et vélin. Raschi sur le traité Rosch Hasch-Schanah. A la fin on lit la notice sui- vante : « Avéc ce chapitre finit le commentaire de Rosch Hasch- MISS. SCIENT. —— VII. 7 Dee Schanah, composé par R. Schelomo, de France. J'ai achevé la copie au mois de kislew 214 (— décembre 1454). Moi, Eliah, fils de Schabbathaï, fils d'Éliézer le médecin, de Candie. » 58° Addition 478.ç. Grand in-4° vélin. Écriture espagnole du commencement du xv° siècle ou de la fin du xiv°. Commentaire de Raschi sur Baba Kama et sur Baba Metsia. Manquent quelques pages à la fin. Ce manuscrit offre une certaine parenté avec le manuscrit du Br. Mus. add. 27106. 59° Addition 479.@. Grand in-4° papier. Raschi sur Sche- bouoth. Écriture du xv° siècle. Tels sont les manuscrits que J'ai étudiés. De ces 59 numéros, si nous laissons de côté les 31 contenant les commentaires sur la. Bible, il en reste 28 pour les livres talmudiques, contenant les 16 traités suivants : Éroubim eee FOUT SES ac NS OR NES 73 gloses. JON EE PMR CPR RS PV NL ER ER 31 — BÉFSANEMR SPRRES PURLERS RER RME TRE 69 — Rosch Hasch:Schariahiéss OU, DRAC IEEE ER D'HUA EEE Jebamoth#é Gun : (UN, be (AGE Ua) LE 38 — Katboubothéit milliards 2. RO, HE D2 — Ghitlin, fragment qui, sur go gloses, en donne... 13 : — Kiddouschin 2.44. 102 à PES Ve Eu MT A DUREE BAD RAA. Se Pac a ri Eee 76 — Daiba MelSIR, UE 200 Sr mn PriL ee QE ta 2. l'OL EE Baba Bathra REMe EE PMP ASE AR I PRE 20. Schebouoth 20e. CS Re AR RCE ARE PACE 8 — ÉLoulES), PR, MS LA RS SL OO EN PS 223 — Erechin tie cé DRD VIBRRENS ANR PONS ARR 2 RE 18 — Abothae.# ue st EGROE FHCKEEN TAUR ERIARRR 2D — MidraschiBereschith:t160..toilalt tot. nt 72 — et donnant un total de 895 gloses. Il reste les 20 traités suivants sans manuscrits : Berachothiccontenant eme on Sara re RES 92 gloses. Pesachim , == M a) RE CEE CT A À aus d'u 1 g4 — Soukah, = RS LL ë 88 — Taanith, EN MNO ICE ÉCRIN 9. 2 1. LORS EEE . Meghillah, (0 FER REA CRUE GENE 1/ — Moëck Ralah. 20e FRANS EN ET DA Haghighah, LE nicinse rot et Col. ire: doc de l-7a Ti = (9 — Nedarim, contenant............... ietucxt 9 gloses. : Nazir, EC és 2: alor VE PRET | 10, — Sotah, binniacls et AM R TE ET | EN JO. —= Synhedrin, «. —7 ,:...... RE 2 0 ru DE Makkoth, © :L'FTAFRE Re: BAT ME SS . 10 — D . .. ..... SR Re ANR de 145 — Horaioth, = RTS NE Ra Ne - don RE Menachoth LT NP FR. 27 — Bekoroth, RC ren RON IE, |! k 56 E— Dhemourah. — ........ KE 2 RECU RS RE Ho — Kerithoth, AM RS NUE MAITRE, à: ee 7 — Meilah, ER An An no Niddah ‘ =>; ae En PE ass De . 66 — Ce qui fait un total de 796 gloses. À ce nombre il faut ajouter 77 gloses qui manquent dans Bodi. Opp. 738; car ce fragment du traité Ghittin ne donne que 13 gloses sur les 90 qui se trouvent dans le traité entier, et il faut de l’autre retrancher 54 gloses que les manuscrits de l'Alfazi donnent ensemble pour 9 des 20 traités précédents. Restent en définitive 819 gloses, pour lesquelles nous n'avons pas eu de manuscrits. Remarquons que de ces 819 gloses bon nombre se trouvent répétées, soit dans les commentaires sur la Bible, soit dans ceux des traités du Talmud où les manuscrits ne font pas défaut, ce qui diminue encore le nombre des gloses, pour la lecture desquelles nous sommes réduits à la seule autorité de l'édition princeps du Talmud. Ainsi, sur les 3,227 gloses fran- çaises ? qu'on rencontre dans les œuvres de Raschi, plus de 2,500 ont une orthographe fixée. Tel est le résultat de nos recherches dans les bibliothèques de l'Angleterre. Espérons que des recherches ultérieures dans les bibliothèques de l'Allemagne et de l'Italie nous 1 Nous ne comptons pas les traités Schabbath et Zebachim, contenant le pre- mier 385, le second 37 gloses, et pour lesquels la Bibliothèque nationale à Paris nous fournit deux manuscrits. ? Ce nombre se décompose ainsi : min dns run int 1,037 DT 16 trous manuscrits... 5... eee 895 20 traités dont nous n'avons pas eu d'exemplaires manuscrits : ENTER SN RE EE 873 Les denx traités Sabbath et Zabachim (mss. de la B. N.)... 422 FOUR: 3,227 — 100 — permettront de fixer la lecture des autres d’une manière rigoureu- sement scientifique. L'orthographe de ces 3,227 gloses une fois "4 établie, nous aurons là d'importants documents pour l'étude que nous nous proposons d'entreprendre sur la langue française du x1° siècle. : Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, etc. | | Arsène DARMESTETER. PREMIER RAPPORT SUR UNE MISSION EN BRETAGNE, DE RECUEILLIR LES TRADITIONS ORALES POUVANT SERVIR À .L'ÉTUDE COMPARÉE DE L'HISTOIRE, DE LA PHILOLOGIE ET DE LA MYTHOLOGIE ( DES DIFFÉRENTS PEUPLES D'ORIGINE GELTIQUE , PAR M. F.-M. LUZEL. . Plouaret, le 6 septembre 1 869. Monsieur le Ministre, J'ai l'honneur de venir rendre compte à Votre Excellence du ré- sultat de mes recherches, dans la mission que le Ministre de lins- truction publique , votre prédécesseur, avait bien voulu me confier dans la basse Bretagne, par décision du 20 octobre 1868. Cette mission avait pour objet de recueillir dans la partie bre- tonnante de notre ancienne province toutes les traditions orales pouvant servir à l'étude de lhistoire, de la philologie et de la mythologie comparées des différents peuples d'origine celtique. Un grand mouvement s'est produit, depuis quelques années, dans toute l'Europe, en faveur des traditions orales du peuple, trop négligées jusqu'alors. Chants populaires, contes, récits de toute nature, proverbes, superstitions, on recherche tout avec un soin minutieux, et souvent un simple refrain, un conte de vieille femme, ont fourni des renseignements précieux à la science moderne. La France, qui s'était laissé devancer un moment dans ces études ‘ par l'Allemagne et l'Angleterre, semble le regretter aujourd’hui et vouloir marcher de pair avec ces deux grandes nations dans toutes les voies de la science. — 102 — Les chants populaires des Bretons-Armoricains avaient déja fixé l'attention des savants et des lettrés, bien que peu fidèlement re- produits dans un recueil célèbre, mais peu critique. Mais nos contes de veillées, les récits merveilleux de la muse rustique, étaient, jusqu’aujourd'hui, restés confinés dans nos campagnes bretonnes, où personne ne songeait à les aller chercher. Et pour- tant on soupconnait qu'il devait se trouver là un trésor de rensei- gnements intéressants pour les critiques et les savants qui s’oc- cupent de littérature comparée; l’on pressentait aussi que ces traditions devaient présenter une importance particulière chez un peuple dont l'étroite parenté avec les anciens Celtes ne peut plus être contestée. M. Émile Souvestre, dans ses Derniers Bretons, et plus spécialement dans son Foyer breton; M. Corentin Tranois, dans ses charmants récits de la Revue de Bretagne, celle de 1833-34, et celle de 1839-40; et plus récemment M. Du Laurens de La Barre, dans ses Veillées de l'Armor, et M. le docteur Fouquet dans ses Légendes, contes et chansons populaires du Morbihan, avaient laissé entrevoir, plus ou moins, ce que pouvaient étre nos contes bretons. Mais tout le monde sentait bien, tout en aimant ces poé- tiques et charmants récils, que ce n’était pas là de vrais contes bretons, purs de toute altération et tels qu’on les trouve au foyer de la veillée dans nos manoirs et dans nos fermes. Tout cela était remanié et arrangé dans le cabinet, il y avait trop de détails de convention, de mise en scène; en un mot, l'écrivain se substi- tuait trop souvent au narrateur rustique. Et puis, aucun de ces conteurs n'a recueilli les textes bretons, et dès lors, aucune ga- rantie de fidélité rigoureuse. Il faut dire aussi qu'a l’époque où écrivaient E. Souvestre et C. Tranois on n'attachait pas aux tradi- tions orales du peuple l'importance qu'on leur accorde aujourd’hui ; c'était pure affaire d'amusement et quelquefois, mais plus rare- ment, .de littérature et d'esthétique. Mais personne ne songeait alors à comparer les récits d’un peuple à ceux d’un autre peuple, ni à faire ressortir les rapports, les ressemblances ou les diffé rences, à expliquer les mythes et les symboles. C’est là une science qui ne date, chez nous, que de la nouvelle école critique, c'est-à- dire de quelques années seulement. | J'ai pensé que les contes des Bretons méritaient, sous tous les rapports, le même intérêt que leurs chants populaires ou les contes des autres peuples, et j'ai ambitionné l'honneur de faire | — 1035 — pour eux, dans les limites de mon pouvoir et de mes connaissances et sans rien exagérer, ce que les deux Grimm ont fait pour les contes de l'Allemagne; Glinski, Erben et Bogéna Nemcova!, pour ceux des différents peuples slaves. Comme dans mon recueil de chants populaires de la basse Bretagne, publié l'année dernière , et que l'Académie des inscriptions et belles-lettres vient d’honorer d’une de ses médailles, les principes et les exigences de la nou- velle école critique ont dirigé toutes mes recherches sur les contes populaires bretons, je me suis appliqué à donner avec une fidélité scrupuleuse les récits mêmes des conteurs rustiques; j'ai tout re- cueilli dans leur langue, c’est-à-dire en breton, écrivant sous leur dictée, les arrêtant souvent et leur faisant répéter certains pas- sages, afin de pouvoir saisir le mouvement, les nuances, les expressions mêmes. Souvent j'ai recueilli plusieurs versions du même conte, quand elles m'ont paru présenter des variantes in- téressantes. Enfin, j'ai choisi mes conteurs avec soin. Tous les conteurs ne se ressemblent pas: chacun a sa manière et appartient à un système, à une école, et il n’est pas indifférent de s'adresser à tel ou à tel autre. Les uns sont prolixes, diffus, prodigues de gestes, de déclamations et de mise en scène. Ils introduisent dans leurs récits des noms de lieux du pays, des personnes connues, quelquefois présentes dans l'auditoire, leur y font jouer un rôle, honorable ou coupable et honteux, suivant leur intérêt, leur ca- price ou leurs passions. Souvent aussi, pour allonger, ils emprun- tent des épisodes entiers à d’autres récits et mélangent ainsi deux ou trois contes. C’est ce qu'ils appellent : rei tro, cest-à-dire donner du tour, autrement se donner carrière. Du reste, ceux-là ont sou- vent deux manières de débiter le même conte, et plus d’une fois des conteurs m'ont demandé s'il fallait rei tro, se donner carrière, ou conter tout simplement, evel anr holl, comme tout le monde. Ce sont la les plus généralement recherchés , mais ce ne sont sûrement pas les meilleurs. | D’autres, plus calmes, plus sobres, mystérieux et ayant lair de croire à ce qu'ils disent, y croyant même parfois, vont droit au - but et n'embarrassent pas leurs récits de réflexions ni d'épisodes étrangers. On dirait qu'ils récitent exactement une leçon apprise L Et bien d'autres encore, puisqué M. Alex. Chodzko dit qu'on en a déja publié plus de quarante recneils dans le courant du siècle actuel. — 104 — par cœur. C’est toujours ceux-là que j'ai consultés de préférence. Ils ont mieux conservé la fable originelle et y ont mêlé moins d'éléments hétérogènes. Chaque conteur a aussi, ordinairement, une formule invariable pour commencer et une autre pour finir ses narrations. Celles-ci se terminent presque toutes par le mariage du héros et de lhé— roine, ou tout autre dénouement heureux qui amène nécessaire- ment des festins pantagruéliques dans la description desquels son imagination se donne carrière à l'infini. Ces descriptions drolatiques sont le plus souvent rimées. Pauvres gens qui, presque toujours, à leur dernier repas, ont eu pour tout régal des pommes de terre ou de la bouillie d'avoine, et qui se dédommagent de leur maigre chère par de séduisantes illusions! _ La seule saison de l’année où l’on conte habituellement, c’est l'hiver, durant les longues veillées. Chaque foyer, que ce soit dans un manoir, une ferme riche ou une pauvre chaumière, a alors ses chanteurs et ses conteurs; tout le monde s’en mêle. Je me rappelle encore, avec charme, les veillées du manoir paternel, à Keram- borgne, quand j'étais enfant. Après le repas du soir ét les prières dites en commun, on faisait un feu énorme dans la vaste cheminée de la cuisine. Alors les domestiques, qui, toute la journée, avaient travaillé aux champs, sous la neige ou la pluie, se pressaient autour de ce feu joyeux, pour sécher leurs habits mouillés. Les servantes, assises à leurs rouets, au fond de l'appartement, commencaient par chanter des gwerziou fantastiques ou dramatiques, ou des soniou amoureux. Puis venaient des histoires de revenants, de fantômes et d'apparitions de toutes sortes, ou des contes remplis de merveilles, d'enchantements et d'aventures prodigieuses qui tenaient l’audi- toire attentif et charmé jusqu'à dix heures. Il était rare que chacun n’eût pas quelque chose à chanter ou à conter. Parfois aussi, outre le personnel ordinaire de la maison, il arrivait quelque chanteur ou conteur renommé, un charpentier, un couvreur, un maçon, ou quelque mendiant ambulant. Alors tous les voisins étaient avertis et, après leur souper, ils arrivaient des villages environnants, puis s'en retournaient vers dix heures, en chantant à haute voix, ou en révant des merveilles, des enchantements el des métamorphoses dont ils venaient d'entendre le récit. Un des meilleurs conteurs du pays était le vieux Garandel, du Vieux-Marché, surnommé Compa- gnon l'Aveugle. Celuià était le bienvenu partout où il arrivait pour À — 105 — . passer la veïllée. Souvent on le retenait d'avance, dans fes bonnes - maisons, pour venir deux ou trois fois par semaine occuper l'es- cabeau du conteur. Sa mémoire était une mine inépuisable de Vieux gwerziou, de soniou et de récits de toute nature, et J y ai largement puisé pour ma collection de chants populaires. Dans tous les manoirs et les fermes d'alors, il en était un peu comme à Keramborgne, et les plus humbles foyers avaient aussi leur Sché- hérazade et leur Homère en sabots. J'avais conservé un vague et doux souvenir de ces récits des veillées de mon enfance; mais comme les conteurs de ce temps heureux étaient presque tous ou morts, ou dispersés de côté et d'autre, je craignais bien de ne plus en retrouver qu’une faible partie. Eh bien! J'ai été très-agréablement surpris de les retrouver presque tous; non pas tous les conteurs, mais leurs contes, dans d’autres bouches et très-peu ou point altérés, si j'en puis juger par mes anciens souvenirs; et ceux que je n'ai pu recueillir encore, je finirai par les retrouver aussi; j'en ai presque la certitude. Oui, l’on chante et l’on conte encore dans notre vieil évêché de Tréguier, et, en cherchant bien, je crois qu’il est possible d'y re- trouver presque toutes les traditions orales de nos pères. H faut convenir cependant que le nombre de ceux qui leur sont restés fidèles diminue tous les jours. Les chemins de fer et l'instruction, plus répandue , ont produit ce résultat, et si la génération qui nous succédera conserve encore quelques souvenirs de notre passé lit- téraire, 1ls commenceront à devenir bien rares, je le crains bien, chez nos arrière-neveux. Déjà les détestables refrains venus de la France ont souvent frappé mes oreilles, en parcourant nos cam- pagnes, et plus d’une fois aussi, dans nos fermes, j'ai rencontré les journaux et les romans à 10 et à 20 centimes de Paris, là où naguère j'étais habitué à ne trouver que la Vie des saints, les gwer- ziou, les soniou et les kantikhou, imprimés à Lannion, à Morlaix ou à Quimper, sur de gros papier roussàtre. L'esprit ancien lutte encore, mais faiblement, et par le terrain qu'il perd tous les jours, depuis quelques années surtout, il est facile de prévoir qu’il sera vaincu, dans un avenir non bien lointain, ou qu'il sera forcé de se réfugier, comme dans un dernier retranchement, dans les soli- tudes de la Cornouailles et les roches des Montagnes Noires et de VArez. Il est donc urgent de recueillir les derniers vestiges qui en subsistent encore sur le sol armoricain. | 2 106 | Quoique connaissant bien ma Bretagne et l'ayant parcouruesou- M | vent dans tous les sens, mais dans des buts différents, tantôt pour 4 rechercher des chants populaires, tantôt pour étudier la langue , dans ses différents dialectes, d’autres fois aussi par püre curiosité et pour admirer:les différents aspects de sa nature si variée, | j'ai dü faire à nouveau une tournée presque générale, afin de pouvoir choisir, à bon escient, le centre le plus avantageux pour l'objet spécial de ma mission, qui était, cette fois, les contes et gé- | néralement toutes les traditions orales non rimées. Il s’est trouvé que c’est l'évêché de Tréguier, c'est-à-dire tout l'arrondissement de à Lannion et une partie de celui de Guingamp, qui est de beaucoup le plus riche en contes et récits traditionnels de toute nature, comme aussi en chants populaires. Je ne sais comment expliquer cela historiquement ; mais toujours est1l que l'esprit du Trécorrois est plus littéraire, plus vif et plus ouvert aux choses de la poésie et de l'imagination que celui du Cornouaillais et surtout celui du Léo- nard. C’est là véritablement l’Attique de la basse Bretagne. Le Léonard conte peu, ordinairement, et ne chante guère davan- tage. Les récits que j'ai pu entendre dans son pays étaient tous plus ou moins incomplets, mêlés d'épisodes étrangers et prove- naient le plus souvent, au rapport même des conteurs, du pays de Tréguier et quelquefois aussi de la Cornouailles. Is avaient été importés dans le Léon par des matelots, des douaniers, des pilla- wers (chiffonniers) ou des mendiants ambulants. Ce qui semble être le fonds propre du Léonard, en fait de récits, est souvent grave- leux et sent le Rabelais dans ses plus mauvais endroits. Jai aussi trouvé chez eux des souvenirs des Contes de La Fontaine, et même des épisodes de la Guerre des Dieux de Parny. Le conteur débite tout cela avec un calme et un sang-froid imperturbables, et Paudi- loire sourit à peine. Cette veine licencieuse est assez rare en Tré- guier; du moins tout y est-il voilé et dit d’une manière convenable. Le Cornouaïllais chante et conte un peu plus que le Léonard; mais ses récits sont aussi souvent incomplets et son imagination est moins féconde et plus sombre que celle du Trécorrois. Cela doit tenir un peu à la nature du sol qu'il habite, terre ingrate, sté- rile trop souvent, recouverte de bruyères et de maigres ajoncs et parsemée d'énormes blocs de granit. Le héros ordinaire de ses ré- cits est le diable, le diable du moyen âge, avec lequel on faisait de fréquents pactes, tantôt pour avoir de l'argent, tantôt pour bâtir _— 107 — des ponts, des châteaux, des églises même, et qui, en définitive, se trouvait être presque toujours berné et dupé. Ainsi, au moment de recevoir le prix du pacte, on le forçait à fuir, en l'aspergeant d'eau bénite, ou bien encore on lui livrait un chat ou un chien, lorsqu il comptait sur une àme humaine. L'élément mythologique, géants, nains, fées, enchantements, métamorphoses, est encore moins abondant là que dans le pays de Tréguier. Ils ont aussi, pourtant, plusieurs traditions très-intéressantes , sur les nains sur’ tout, et je me propose de les étudier de plus près, car les conteurs et les chanteurs trécorrois m'ont plus spécialement occupé jusqu'à présent. : Parmi les personnes à qui je dois Le plus dans mes recherches, je citerai d’abord Marc'harit Fulup, du village de Pont-an-C'hlan, auprès du bourg de Pluzunet, dans l'arrondissement de Lannion. Je veux m'y arrêter un peu, parce que c’est un type rare et un véritable trésor de traditions orales de toute nature, chants popu- lares, contes, légendes, récits, superstitions. Je la recommande aux personnes désireuses de recourir elles-mêmes aux sources po- pulaires ou de contrôler l'exactitude de la reproduction de mes versions. Je commence par dire qu'elle ne sait pas lire et que, par conséquent, sa science est toute traditionnelle et ne doit rien aux livres. Ce n’est pas une vieille femme, comme on se figure ordi- nairement les conteuses : c’est une fille d’une trentaine d'années. Je lui avais déjà de grandes obligations pour les nombreux chants populaires qu'elle m'a fournis (j’évalue à 150 , au moins, le nombre de ceux qu’elle possède) ; et pour les contes et les récits de toute nature, elle ne m'a pas été moins utile. Différentes circonstances se réunissent pour faire d'elle un type intéressant. Elle est née dans la commune de Plouguiel, tout près de la ville de Tréguier. Sa mère, morte aujourd’hui, était filandière et chantait constamment sur son rouet, ou racontait à sa fille les légendes et les traditions qui avaient cours dans le pays, et Margue- rite les apprit toutes, de bonne heure. Son père et son frère Fanch sont tailleurs. Dans nos campagnes, les tailleurs vont travailler à domicile, dans les fermes. Ce sont, en quelque sorte, les gazetiers et les porteurs de nouvelles de nos communes rurales. Ce sont aussi, presque toujours, d’habiles chanteurs et conteurs, au cou- rant de toutes les traditions locales. Dans chaque commune, on en trouve ainsi deux ou trois qui possèdent à peu près la somme 1 == 108 complète des traditions de la localité, et c'est à eux qu'il faut s'adresser de préférence pour être bien renseigné sur ce sujet. Le père et le frère de Marguerite sont des chanteurs et des con- teurs renommés dans leur commune. Depuis douze äns environ, ils ont quitté Plouguiel et sont venus s'établir à Pluzunet, plus avant dans les terres, vers le Menez-Bre. C’est ainsi que la famille Fulup possède les traditions de presque tout l'arrondissement de Lannion et celles d'une partie de l’arrondissement de Guingamp, la portion de la Bretagne où les anciens souvenirs se sont le mieux conservés. Mais Marguerite ne connaît pas seulement les chansons et les contes de l’ancien évêché de Tréguier; elle en sait aussi beaucoup de la Cornouailles et du Léon. Infirme d’une main (elle a la main droite paralysée), elle ne peut ni coudre, ni exécuter les travaux que nécessite la position d’une servante dans nos fermes. Alors, pour apporter aussi son petit contingent dans Îa pauvre chaumière, autant qu’elle le peut (ils sont très-pauvres), elle fait pour autrui des pèlerinages, mincement rétribués, a toutes les places dévotes de la Bretagne. Chez nous, chaque saint a sa spé- cialité comme médecin du corps ou de lame et est invoqué pour quelque affliction morale ou quelque maladie, tant des animaux que des hommes. De la sorte, Marguerite Fulup est presque cons- tamment sur les routes de la Bretagne, dans toutes les directions, et, dans ses pérégrinations, elle ne manque jamais une occasion d'apprendre un gwerz, un sone, un conte, une légende qu'elle ne con- naissait pas encore. Elle est douée d’une mémoire merveilleuse qui ne lui fait jamais défaut, ni pour Fair ni pour les paroles. Elle conte simplement et n’est pas de l’école de ceux qui aiment à reï tro, donner carrière à leur langue. Pour toutes ces raisons, je le répète, Marc'harit Fulup est un type rare et une source de ren- seignements précieux dans la recherche d’un passé littéraire presque entièrement évanoui. | Après Marc’harit Fulup, j'indiquerai comme conteusede la bonne école, à quije dois aussi plusieurs contes, des contes mythologiques pour la plupart, Barba Tassel, mendiante âgée de soixante ans et habitant le bourg de Plouaret. Je citerai encore, comme type de l’école opposée, celle qui aime à se donner libre carrière, Garandel, tailleur au Vieux-Marché. Beaucoup d’autres m'ont fourni tantôt un, tantôt deux ou trois récits, ou même davantage. J'ai loujours eu soin de donner leurs — 109 — noms et leur adresse, autant que possible, car c’étaient quelque- fois des sabotiers et des bücherons nomades ou des mendiants am- bulants. Nos contes, les contes mythologiques surtout, sont incontesta- blement plus anciens que nos chants populaires; ils sont aussi plus dans le courant des vieilles traditions de la race; en un mot, ils sont plus foncièrement celtiques. Le merveilleux et l'aventure, le désir de pénétrer l'inconnu et de s'élancer par delà les limites des horizons terrestres, forment Je fond et le caracière principal de nos contes bretons. C'est aussi dans cette soif toujours persistante et toujours inassouvie d'idéal et d'inconnu qu'un écrivain breton croit trouver, sinon l’excuse, du moins l'explication de ce penchant irrésistible des Bretons à ivresse. « Ne dites pas, ajoute-t-il, que c'est appétit de jouissance grossière, Car jamais peuple ne fut d'ailleurs plus sobre et plus détaché de toute sensualité. Non, les Bretons cherchaient dans l’hydromel ce qu'Owenn, saint Brandan et Pérédur poursuivaient à leur manière, la vision du monde invisible 1, » | Ce qui nous frappe en second lieu dans ces traditions, c’est la place qu'y tiennent les animaux transformés par l'imagination en créatures intelligentes et presque toujours bienveillantes et se- courables à l’homme. Aucune race ne conversa aussi intimement que la race celtique avec les êtres inférieurs et ne leur accorda une aussi large part de vie morale. La mansuétude envers les animaux compte au nombre des vertus théologales des Brahmanes. Dans ces narrations étranges, l’homme et l'animal vivent ordinairement en communion de sentiments et d'intérêts. [ls conversent ensemble, ils sont amis, presque frères et se rendent des services réciproques. . Tel personnage se présente à nous successivement sous les formes les plus diverses, tour à tour homme, quadrupède, fourmi, o1i- seau, poisson, arbre, flamme, fontaine, comme le Protée de J.-B. Rousseau ; et il est peu de contes où le héros ne soit l'obligé d’un animal quelconque, depuis le lion et l'aigle, jusqu’à la fourmi _et au roitelet; depuis la baleine, jusqu'au moindre petit poisson. C'est un naturalisme sans bornes. Ce sentiment de mansuétude et de sympathie pour les animaux doit provenir de la croyance des anciens Celtes à la métempsycose. 1 M. Renan, La poésie des races celtiques. — 110 — C'est aussi l'opinion de M. Adolphe Pictet, si bien exprimée dans les lignes qui suivent. « L'humanité et la nature sont sœurs; filles d’un même principe, elle se mélent sans cesse par une transformation mutuelle, et l'homme d'aujourd'hui, en rentrant par la mort dans les cinq élé- ments, peut renaître demain plante ou animal. De là, d’une part, cet esprit de douceur, de bienveillance, de commisération envers les êtres naturels qui caractérise à un si haut degré l'esprit in- dien , et, de l'autre, ce penchant à la sentimentalité contemplative qui jette une teinte de mélancolie sur la nature entière !. » | Nos contes bretons présentent des rapports nombreux et éton- nants parfois avec les contes irlandais, allemands et surtout les contes slaves que nous connaissons par le recueil de M. Alexandre Chodzko, Contes des paysans et des pétres slaves. Comment expli- quer ces ressemblances qui, certainement, ne sont pas fortuites? Quelques critiques ont essayé de les expliquer en disant que l'ima- gination humaine, comme tout le reste, a aussi ses limites, qu’elle se meut dans un certain cercle et que dès lors 1l ne doit pas pa- raître si étonnant de rencontrer souvent les mêmes fables, les mêmes ressorts, les mêmes aventures et les mêmes héros chez des peuples que séparent quelquefois de très-grandes distances et qui paraissent avoir toujours été parfaitement étrangers les uns aux autres. Cette explication, qui peut être vraie en certains cas et jusqu’à un certain point, ne me paraît pas suflisante. Pour moi, je pense que beaucoup de ces, traditions orales, venues jusqu’à nous de gé- nération en génération et sans le secours de Pécriture, faisaient partie d'un fonds commun que tous les peuples d’origine celtique emportèrent, à des époques différentes, de l'Asie, dans les diverses . parties de l’Europe où ils s'établirent successivement. Les rapports qui existent entre les contes des Bretons-Armoricains et ceux des différents peuples slaves sont si nombreux et de telle nature, que je ne puis mieux définir les premiers qu’en reproduisant les lignes suivantes que M. Alexandre Chodzko consacre aux seconds: «Les conteurs slaves racontent monts et merveilles des chars aériens, des chevaux à la crinière d’or, des magiciens et des magi- ! M. Adolphe Pictet, Etude sur l'épopée indienne. (Revue de Paris, 1° août : 856.) L… mn —… + dd St de. dé. os \ — Il — ciennes mythiques, des géants, des nains, des poissons et des oi- seaux qui parlent, des dragons pourvus d'ailes et vomissant du feu, des oiseaux de flamme dont une seule plume suflit pour éclairer la nuit, du breuvage de l’immortalité que des corbeaux apportent à leurs protégés, des pelotes dont le fil, comme celui d'Ariane , fait traverser aux héros les labyrinthes les plus inextri- cables; 1l y a des mots et des formules d’une puissance tout aussi infaillible que celle des Mantras indiens; il y a des ermites péni- tents qui, en vrais richis indiens, ne vivent que pour mourir, ab- sorbés dans l'union avec Dieu; il y a des génies malfaisants et bienfaisants qui servent l’homme, des luths harmonieux qui jouent sans qu'on y touche; il y a tout un monde de créatures ensorce- lées, dont il faut briser le charme pour les rappeler à leur vie nor- male.....!l.» Tout cela se retrouve dans les contes bretons. Le nombre des contes et récits de toute nature que j'ai recueillis jusqu'aujourd'hui va jusqu'à cent; en y comprenant quelquefois deux et trois versions d’une même fable, avec des variantes sou- vent importantes. Tous sont curieux, sous quelque rapport, et quelques-uns sont très-importants. Je crois avoir retrouvé les pro- totypes de trois ou quatre des contes de Perrault et des échos de quelques fables grecques, comme, par exemple, celle d'Atalante et d'Hippomène, et celle de Thésée et du Minotaure. Les récits de différente nature que j'ai recueillis peuvent se par- tager en trois catégories : 1° Contes mythologiques; 2° Contes légendaires chrétiens : 3° Récits facétieux et plaisants. Les contes mythologiques me paraissent être les plus impor- tants, par leur ancienneté, par leurs rapports frappants avec les contes des autres peuples d'origine celtique et par les rensei- ognements précieux qu'ils peuvent fournir à la mythologie com- parée de ces peuples. Ces contes sont encore nombreux dans l'an- cien évêché de Tréguier. J'ai compris sous la dénomination de contes légendaires chré- tiens ceux qui sont fondés sur des croyances catholiques plus ou moins corrompues et où interviennent comme principaux agents l Contes des paysans el pâtres slaves, p. 4o2. — 112 — Jésus-Christ, ses apôtres, la sainte Vierge, les anges, les saints, le diable, l'enfer et le paradis. | Enfin, viennent les récits facétieux et plaisants, bâtis sur des ressorts moins merveilleux; ce sont tantôt les tours et les malices d'un paysan finaud aux prises avec un seigneur riche et bête, comme dans Bilz; ou l'odyssée d’un personnage grotesque que l'on prend comme le type de la bêtise du pays et sur le compte duquel on accumule les aventures les plus drolatiques et les plus extravagantes. D’autres fois, ce sont encore des personnages (des moines et des prêtres assez souvent) surpris dans des rendez-vous d'amour, qui ne sont ordinairement que des pièges grossiers, et obligés de subir les plus grandes humiliations et des épreuves qui vont quelquefois jusqu’à la mort. Dans ce genre de récits, J'ai trouvé aussi un Avocat Patelin breton. Je vais analyser ici, rapidement, un conte mythologique, afin de donner une idée de ce genre de narrations chez nous; puis je donnerai deux textes bretons, un de chacune des deux autres caté- gories, Lels que je les ai recueillis sous la dictée des conteurs, LE CORPS SANS ÂME. Un roi de France avait un fils qui aimait beaucoup la chasse. Un jour qu il rentrait d'assez mauvaise humeur, parce qu'il n'avait rien pris ,il vit un corbeau’ qui paraissait le narguer. Il tira dessus, et le blessa. L'oi- seau courut se cacher sous une grosse pierre (un dolmen?) qui se trou- vait près de là. Le prince le suivit; mais comme il cherchait le corbeau sous la, grande pierre, tout à coup la terre s’effondra sous ses pieds et 1l tomba , après plus d'une heure de descente, dans une grande avenue de vieux arbres, où il vit un géant qui se promenait. — Ah! c’est toi, lui dit le géant, qui as voulu tuer mon corbeau? Mais apprends que mon corbeau n'est pas si aisé à tuer. Que ferai-je de toi? Veux-tu être mon domestique ? — Je le veux bien, répondit le prince tremblant de frayeur. — Eh bien! viens avec moi à mon château, pour que je te montre tout ce que tu auras à faire chaque jour. Il le conduisit d'abord à l'écurie. — Voici mes chevaux, dont il faudra avoir bien soin; tu leur donneras du foin et de l’avoine à discré- tion, puis tu les promèneras dans le bois. Quant à cette rosse qui est là derrière la porte, pour toute nourriture tu lui donneras, soir et matin, une volée de coups de bâton. Voici le bâton. Et frappe dur! ! Dans une autre version, c’est un lapin blanc, au lieu d’un corbeau. — 115 — Puis il le conduisit dans une chambre devant un coffre plein de pis- tolets. — Voici des pistolets qu'il faudra fourbir tous les jours et tenir luisants à sy mirer; malheur à toi s'il y a la moindre tache de rouille! Passant alors dans une autre chambre , où il y avait cinquante cages rem- plies d'oiseaux de toute sorte, il lui dit : Voici maintenant mes oiseaux. Tous les jours il faudra renouveler leur nourriture, leur eau et prendre bien garde qu'il n'arrive du mal à aucun d'eux. Demain matin je partira pour un long voyage, d'où je ne reviendrai que dans un an et un jour. Du reste, rien ne te manquera ici. Voici une serviette qui pourvoira à tous tes besoins. Quand tu désireras quelque chose, étends-la sur une table ou sur la terre, n'importe, puis dis : Serviette, fais ton devoir! Et aussitôt tu seras servi. Le lendemain matin, le maitre du château partit de bonne heure et le prince commença sa journée par les oiseaux. Tout en renouvelant leur nourriture et leur eau, il en remarqua un tout triste et qui pa- raissait malade. Il le prend avec la main, le retire de sa cage et voit avec étonnement une épingle qui lui traverse la tête de part en part. Il sempresse de retirer l'épingle , et aussitôt l'oiseau se change en une belle princesse qui lui parle ainsi: Je suis la fille d'un roi puissant, retenue ici sous un charme par le maître de ce château. Beaucoup de princes, de ducs, de barons ont tenté de me délivrer ; mais ils ont tous échoué et tous ils ont été changés en chevaux, en oiseaux ou en pistolets. Vous- même vous aurez, je le crains bien, le même sort. Et pourtant, si vous voulez m obéir et faire exactement ce que je vous dirai, vous pouvez me délivrer et, avec moi, tous ceux qui sont retenus ici enchantés; et pour vous récompenser, je vous épouserai. — Que faut-il faire pour cela ? dit le prince. — Rien ne presse encore; le maître n'arrivera que dans un an et un jour, et en attendant, nous pouvons vivre sans souci dans ce château, anis où rien ne manque. L'année écoulée, la veille de l'arrivée du maître, la princesse dit au prince : C'est demain que doit arriver le maïître. Voici ce qu'il vous faudra faire; écoutez bien. Dès en arrivant, il ira voir ses chevaux, ses oiseaux et ses pistolets, et comme il sera satisfait de la manière dont vous vous serez acquitté de votre devoir, il vous proposera de vous faire don d'un cheval, d'un oiseau et d'un pistolet et vous dira de faire votre choix en chaque chose. Il vous coûduira d'abord à l'écurie. Choisissez le cheval maigre et décharné qu'il vous avait commandé de battre sans pitié. C'est mon frère. Il vous dira que vous êtes un sot de prendre une rosse quand il y a là de si beaux chevaux. Mais ne l’écoutez pas. I vons conduira ensuite dans la chambre des oiseaux et 1l vous dira encore d'en choisir un. Vous n'oublierez pas demain matin, des que le jour pa- raîtra, de me remettre l’épingle dans la tête, et aussitôt je redeviendrai oiseau, triste et souffrant comme devant, ct vous m'introduirez dans ma MISS, SCIENT. —— VII. & EN on cage. Choisissez-moi, et prenez bien garde de vous tromper, et surtout ne suivez pas son conseil, quand il insistera pour vous en faire choisir un autre plus beau et mieux portant. Enfin il vous mènera au bahut où sont les pistolets, et vous dira d'en choisir encore un. Vous prendrez le moins beau, le plus simple, celui sur lequel vous verrez une petite tache de rouille , car c’est là ma femme de chambre. Quand vous le tien- drez, vous le déchargerez sur une tête de cuivre qui est au-dessus de la porte; et aussitôt le château s'écroulera avec un bruit épouvantable sur son maitre et l’écrasera sous ses ruines. Alors tous ceux et toutes celles qui sont retenus ici sous des charmes seront délivrés et partiront dans toutes les directions, en vous remerciant. Quant à nous deux, nous mon- terons dans le carrosse du géant, qui nous transportera, à travers les airs, jusque chez votre père. Quand nous ÿ arriverons, vos parents et vos amis seront tous réunis dans un banquet, pour y célébrer votre an- niversaire , car 1l ÿ aura juste un jour et un an que vous serez parti, et tout le monde vous croit mort. La joie succédera à la tristesse en vous voyant, et tous accourront pour vous embrasser. Mais ne vous laissez embrasser par aucune femme, autrement le Corps sans âme descendra aussitôt dans son char, du haut des airs, et m'emportera dans son chà- leau qui est retenu entre le ciel et la mer par quatre chaînes d'or, et vous ne me reverrez jamais plus! Bref, le prince fait tout exactement comme il lui a été recommandé par la princesse, et tout se passe pour le mieux. Le voila donc qui arrive au palais de son père, avec sa belle compagne. Aussitôt tout le monde accourt pour l'embrasser; il se défend de son mieux des femmes , mais une jeune cousine, se cachant derrière les autres, lui saute au cou à l'improviste, et li dérobe un baiser. Aussitôt le Corps sans âme descend d'un nuage et enlève la princesse, sous les yeux de tous. Douleur du prince. [1 part sur-le-champ à sa recherche et jure de ne s'arrêter que lorsqu il l'aura retrouvée. Il va, il va... personne ne peut lui donner des nouvelles du château du Corps sans âme. Surpris par la nuit dans un grand bois ,il se dirige sur une petite lumière qu'il aper- çoil et arrive à une hutte faite de branches et de feuillage. Il pousse la porte, et voit un vieillard à grande barbe blanche en prière. C'était un ermite. — Que demandez-vous, mon fils ? — L'hospitalité pour là nuit. I passe la nuit dans la hutte de l’ermite, il partage son frugal repas, lui raconte ses aventures et lui demande s'il ne pourrait lui donner des nou- velles du Corps sans âme. — Hélas! mon fils, voilà bien longtemps que je vis dans ce bois et je n’ai jamais entendu parler du Corps sans âme. Je regrette de ne pouvoir vous renseigner à ce sujet; je veux pourtant vous être utile en quelque chose. Voici une serviette, et quand vous au- rez faim ou soif, vous n'aurez qu'à l'étendre par terre, en disant : Ser- viette , fais ton devoir ! Et aussitôt une table servie se trouvera devant vous. — 119 Plus loin, dans le bois, vous trouverez un autre ermite, qui est plus vieux et plus savant que moi, et peut-être pourratil vous donner quel- que bon conseil. Il remercie l'ermite, et se remel en route. En traversant une grande lande, il voit des fourmis grandes comme des lièvres qui se dirigent sur lui, et en si grand nombre, qu'il a peur. Deux d'entre elles sont grosses comme des chèvres: Je vais être dévoré par ces bêtes! se dit-il en lui- même. Mais heureusement il songe à sa serviette et s'empresse de dire : Serviette, fais ton devoir! Et aussitôt voilà du pain blanc, de la viande et même du sucre! Il en jette partout autour de lui. Et les fourmis de se régaler! Quand elles furent rassasiées, les deux qui étaient grandes comme des chèvres lui dirent : Nous sommes le roi et la reine des fourmis. Si jamais Lu as besoin de notre aide, appelle et tu nous trou- veras. Puis elles s’en vont, et lui il continue aussi sa route. Il arrive à la hutte du second ermite. Il y passe la nuit, comme chez le premier. Celui-ci savait quelque chose du château du Corps sans âme. Mais c'était bien loin encore! et puis, si haut, si haut, que l'aigle même ne pouvait atteindre jusque là! — Je suis maître, ajouta-t-il, sur tous les oiseaux ; si jamais vous avez besoin de moi, appelez et j'arriverai. Il remercie le vieil ermite, et reprend sa route. Après avoir marché longtemps, longtemps, il arrive au bord de la mer. En allant le long du rivage, sur la grève, 1l aperçoit un petit poisson hors de l'eau et près de mourir. Il s'empresse de le remettre à l'eau. — Merci! lui dit le petit poisson; je suis le roi des poissons; si jamais vous avez besoin de moi, appelez, et j'arriverai. — Allons! c'est bien, dit le prince; j'ai toujours pour moi les chers animaux du bon Dieu! J1 continue de marcher le long du rivage et voit enfin les chaînes d’or qui retiennent le château au-dessus de la mer; mais il ne voit pas le chà- teau, tant il est haut! Il s'arrête à considérer les chaines d'or et se demande : Comment monter jusqu'au château ? Le second ermile nva dit que l'aigle lui-même n'y peut atteindre!.., Mais peut-être bien qu'une fourmi pourrait y arriver, en grimpant le long des chaines ?. Il appelle à son secours le roi des fourmis. Il arrive aussitôt, — Qu y a-t-il pour votre service? dit-il. — Je voudrais être changé en fourmi pour pouvoir grimper jusqu'au château du Corps sans âme, le long d'une de ces chaînes. — Qu'il soit fait comme vous le désirez, dit le roi des fourmis. Et aussitôt voilà le prince changé en fourmi. Et de grimper, de grimper ! Il arrive enfin au château, 1l pénètre (toujours en fourmi) dans la chambre de la princesse. Celle-ci jouait aux cartes avec le Corps sans âme. À minuit, le géant va se coucher dans sa chambre, et la princesse reste seule. — Je voudrais redevenir homme! dit alors la fourmi. Et la voilà encore homme. Étonnement de la princesse. — Pañtons! Partons! dit le prmce., — Impossible ! il faudrait tuer le géant 8, — 116 — pour cela. — Eh bien, je le tuerai! — Que dis-tu la ? ve ami; Mais sa vie, à celui-là, ne réside pas dans son corps ? — Et où diable est-elle donc? — Demain je te le ferai dire par lui-même. Tu seras dans ma manche, sous forme de fourmi, et écoute bien ce qu'il dira. Is passent la nuit ensemble. Tout le jour suivant le prince fut bit La nuit venue , après le souper, pendant que la princesse jouait aux cartes avec le géant, selon son ha- bitude, 1l se glissa dans sa manche. — Si vous saviez le singulier rêve que jai fait? dit la princesse au géant. — Et qu'avez-vous donc rèvé? — J'ai rèvé qu'un jeune prince ” était monté jusqu'ici et qu'il vous avait tué et qu'ensuite il m'avait em- menée chez son père, pour m épouser. Un sot rêve, n'est-ce pas ? — Oui certainement, un sot rêve. D'abord, moi je ne puis pas être tué. — Et pourquoi donc ? — Pourquoi? parce que ma vie n'est pas dans mon corps. — Et où donc est-elle ? — Je ne l'ai jamais dit à personne, mais je vais vous le dire à vous. Ma vie, à moi, est dans un œuf; cet œuf est dans une colombe ; cette colombe, dans un lièvre; ce lièvre, dansun loup À et le loup est dans un coffre de fer au fond de la mer. Et qui pensez-vous maintenant qui puisse me tuer ?— Oh! personne, assurément. Le prince, qui était sous la forme d'une fourmi dans la manche de la princesse, prêtait bien l'oreille, je vous prie de croire. À minuit, le géant alla encore se coucher, dans sa chambre, et la prin- cesse resta seule. Aussitôt la fourmi redevint homme. — As-tu bien en- tendu ? lui dit la princesse. — Oui, parfaitement. — Et tu penses encore qu'il est possible d'avoir sa vie? — Peut-être; je veux toujours essayer. Je vais redescendre sur la terre et je ne reviendrai qu'avec l'œuf où est sa vie. Le prince redescend donc, sous la forme d’une fourmi , le long d'une des chaînes d'or. En touchant la terre , il redevient homme et il appelle aussitôt le roi des poissons. Celui-ci s'empresse d’accourir et sortant sa petite tête de l'eau : — Qu'y a-til pour votre service, prince? — Gon- naissez-vous, quelque part au fond de la mer, le coffre de fer qui ren- ferme la vie du Corps sans âme ? — Je ne le connais pas, mais quelqu'un de mes sujets saura certainement le trouver. — Et il appelle tous les poissons, chacun par son nom. Aucun n'avait vu le coffre. Enfin arrive, après tous les autres, un tout petit poisson qui en donne des nouvelles. On envoie la baleine avec lui, pour le prendre. Le coffre est apporté. On l'ouvre. Un loup énorme s’en élance aussitôt. Le loup est tué et éventré. Un lièvre en sort. Le lièvre est également pris et ouvert, et la colombe s'envole, Le prince prend aussi la colombe et en retire l'œuf. Cependant le géant était couché sur son lit, malade: À chaque animal tué , 11 faiblissait à vue d'œil. | | - Le prince remonte au château, avec l'œuf. H pénètre dans la chambre 2 du géant, sous sa forme d'homme, cette fois. Le géant écume de rage et fait un effort suprême pour s’élancer sur lui ; mais le prince lui brise l'œuf sur le front, et il expire à l'instant. Aussitôt les chaînes se rompent, et le château s'abime au fond de la mer. Le prince et la princesse montent dans le char du Corps sans âme, qui voyageait à travers l'air, et ils arrivent en un instant à la cour du roi de France. Ils se marièrent alors et les festins, les jeux, les danses du- rèrent un mois entier. Voici maintenant un récit légendaire chrétien, où Jésus-Christ est représenté voyageant en basse Bretagne, accompagné de saint Pierre et de saint Jean. Je le donne en breton, comme le récit facétieux qui le suit, tel que je l'ai recueilli sous la dictée de la conteuse Marc'harit Fulup, dont j'ai parlé plus haut. Jezuz-K risr EN BREIZ-IZEL. [. Hon Zalwer Jezuz-Krist a oa deut da ober un dro en Breiz-izel gant sant Pezr ha sant [ann. Mont a reent dre-holl, da di ar paour evel da di ar pinvik, hag a prezegent en ilizo, er chapello hag alies en dachenno, dirag ar bopl dastumet. Un dez, en kreiz ann hanv, a oant o sevel ur c'hreac'h hir ha zonn. Tomm a oa ann heaul ha zec'het ho defoa, ha na gavent ket a zour. Digwèêt war-lein ar chreach, a weljont un ti bihan zoul, war vord ann hent. | — Eomp ama da c'houlenn dour, a läraz sant Per. Pa oent êt en ti, weljont ur vroac'hig koz azeet war men ann oaled, ha war ar bank-dosal, e-kichenn ar gwele, a oa ur c'havr o roi da ur bugel-bihan da dena. — Ur bannech dour, mar plij, Mamm-goz? a lâras sant Pezr. — Ja sur, aotrone, dour am euz, dour mad; met n'am euz ket kalz tra ouspenn iwe. Diskenn a rez ur skudellad dour euz ar picher, hag ac'h evjont ho zri. Neuze a tostajont da welet ar bugel-bihan a oa o tena ar c'havr. — N'eo ket d'ach ar bugel-man, Mamm-goz? a lâras hon Zalwer. — Nann sur; ha koulzgoude ech eo evel pa vije d'in. D’am merc'h eo, ar bugelig kez; met marw eo he vamm, och c'henel anehan, hag ac'h eo chommet war ma diouvrec h. — Hag he dad? — He dad a 20 beo, ha bemde, kerkent ann de, ec'h à da deweziata — 118 — da un ti pinvik à zo en-kichenn ; hag a chône eiz gwennek bemdez bag he voued: ha setu holl ar pez hon euz ewit bewa hon zr1. — Ha mar ho pefe ur vuch? a lâras hon Zalwer. — Oh! mar hon befe ur vuc'h, neuze a vefemp evuruz; me ac'h afe da vesaa anehi dre ann hentjo, hag hon befe leaz hag amann da gas d'ar marc’ had: met n’am bo bikenn ur vuc’h. — Ma! roët d'in ho pàz un tammig, Mamm-g0r. Hon Zalwer a gommerras baz ar vroac’h-koz, hag a skoas gant-hi un tol war ven ann oaled, ha kerkent a savas achane ur vuc'h-vriz ar c'haera, ha leaz gant-hi a-leiz he zez! — Jezuz-Maria! a lâras ann hini goz, penoz eo digwêt ar vuc’h-se ama ? — Dre c'hraz Doue, Mamm-gor. — Bennoz Doue war-n-och, aotrone geiz! me a bedo ewit-och, bep-beure ha bep-noz. Hag ech ejont are ho zri en hent. — Ann hini goz, chommet ich unan, na skuize ket o sellet euz he buc'h: — Kaera da vuc’h! ha ‘vel ma 0 leaz gant-hi! Met penoz eo digwêt aman iwe? O skei un tol gant ma bàz war ven ann oaled! Ar vàz a zo chommet ganen, ar men oaled a zo aze bepred iwe... Mar am befe ur vuc’h-all evel homan a-vad! mar- teze n'am euz nelra da ober ewit-se nemet skei gant ma bàz war ar men oaled ? gwelomp. Hag a skoas un tol gant he bäz war ar men oaled... ha kerkent a tilampas a-chane ur pikol bleiz, pehini a dàgas ar vuc'h vriz war al lec'h ! Hag ann hini goz e-meaz ann ti, ha da redek warlerch ann tri dre- meniad, ha da grial : — Aotronez! Aotronez! — Evel na oant ket êt pell choa, a klewjont hag a c hortozjont anehi. — Petra a zo choarveet, Mammig-koz? a lâras hon Zalwer. — Allas! ur bleiz braz a zo digwèêt bars ma zi, kerkent ha mazoch bet êt-kuit, hag hen euz taget ma buch vriz ! — la, pa och euz galwet anehan, Mamm-goz. Distroït d'ar gèr, hag a kavfet c'hoaz ho puch beo hag iaeh. Met beet furoch en amzer da dont, ha na c'hoantaït ken ober ar pez na c'hell nemet Doue he-unan. Hag a tistroas d’ar gèr, hag a kavas he buch beo hag iach, hag a ana- veas neuze penoz à oa ann ao!ro Doue he-unan a oa bet en he zi! FE: Ür wez-all a oant are ho zrt en hent. Digwêt a oa wardro diou heur goude kreizdez, hag evel n’ho defoa debret tamm a-bed a-boe ar beure, ho defoa naoun. Pa oant 6 tremen a-biou un ti, war vord ann hent, a weljont, war dreuzou ann or, ur vates o verrad toaz ewit ober krampoer. e — 119 — — Eomp en ti ma, a lâras sant Pezr, hag hon bô krampoez. Mont a reont ho zri bars ann ti. F — Demad d’ac’h holl bars ann ti-ma. — Ha d'ac'h iwe. — Ni a 0 tri zremeniad, pell a zo en hent, hag a zo skuiz, hag hon euz naoun : kavoud a raëmp un draïg bennag da debri, ewit arc’hant? PSE — [a sur, a lâras ar vestres; eman ar vates o verrad ann toaz, ha bre- maig a vo krampoez. — Mar be bolante Doue a gredan a ve mad da làret, eme hon Zalwer. — Oh! a lâras neuze ar vates, gret eo ann toaz, ha krampoez à vô sur. — Ma! eme hon Zalwer. Hag ec'h azejont da c'hortoz. — Ar vates a lakaas neuze daou drebez war ann oaled, hag a rez tan indan-he. Goude a krogas er varac'h a oa ann toaz en-hi, wit hi zostaad d'ann oaled. Met setu ma tifonz ar va- rach, ha skuillet war ann douar holl ar pez a oa en-hi! — Hag ar vates da estlammi ; hag ar vestres da grozal : — Brema, aotronez, emehi, ech challet mont da glask krampoez el lec'h-all, rag ewit ama na vo ket a grampoez fete ! — Eo! eo! gant graz Doue, a läras hon Zalver. Ha gant penn he vaz a stokas ar varach, a oa êt a bezio, ha setu-hi1 da dont are en ur pez, hag ann toaz en-hi! — Ha souezet braz holl dud ann ti! — Hag a oe gret krampoez, hag a tebrjont, hag ech ejont goude en hent are. Met a-rok mont-kuit, hon Zalwer a laras d’ar vates: — Ha dalc hit sonj mad, ma flach, ez eo mad lâret bepred : — Mar be bolante Doue. Dans le récit qui va suivre, et qui est de la troisième catégorie, Récits facétieux et plaisants, nous voyons un meunier, pauvre, mais malin, aux prises avec son seigneur, riche, mais bête. Le victoire, comme on.doit s’y attendre, reste au meunier. AR MILINER HAG HE AO%RO. Pewar bloaz à oa n'hen defoa ket paeet he aotro. Paour a-walch oa ! Un dez ann aotro o retorn euz ar chasé, drouk en-han dre ma n’he doa tapet netra, a dennas war vuch ar Meliner, a gavas en he hent, hag a lac has anehi. Groeg ar Meliner a welas ann tol, hag a deuas d'ar gèr o estlammi : — Allas! allas! glac haret a-walc’h omp ann dro-ma; setu lachet hon buch gant ann aotro! — Ar Meliner na lâras netra; met drouk a oa en-han memeuz tra. Epad ann noz a kignaz he vuc'h, hag ec h eaz neuze da werza he chroc henn da Wengamp. Evel m'hen defoa pell da ober hag hen defoa c'hoant da veza beure-mad en kear, a partias war dro anter noz. Digwet en ur c'hoad lech ma larer a vije laeron braz a teuas aoun d'chan, hag a pignas war ur wezenn, da c'hortoz ann de. — 120 — Enbezr ec h arruas indan ar wezenn:se ur bagad laeron, da bartaj ann arc'hant. Ha chikan, ha trouz; na oant ket ewit em glewet. — Jezuz ma c'halfenn-me kaout ann arc'hant-se! a lâre ar Meliner en-han he-unan. — Hag hen o sonjal teurel krochenn he vuch en ho c'hreiz, ewit ho sponta. Al laeron, o welet ar c'hernio hag ar chroc henn du:se, rag du a oa ar vuc'h, a sonjas d’he a oa arru ann Diaoul d'ho cherc had; ha da skara, du-man ha du-hont, hag 6 leuskel eno oc h holl archant! — Ar Meliner a diskennas neuze diwar he wezenn, a bakas ann holl arc’hant en kroc'henn he vuch, ha d'ar gèr. Beteg ann noz a chommas he vroeg hag hen da gonta archant; met na oant ket wit dont a-benn da ober kont vad a-bed , re a oa euz a arc'hant. | Ann de warlerch ar beure, ar Meliner a läras d'he vroeg mont da di ann aotro da c'houlenn un anterenn da vuzura ann arc'hant. Mout a ra ar vroeg. — Da betra oc h euz-c'hui ezomm ann antierrenn ?— Da vuzura arc'hant sur. — Da vuzura arc hant? Ober goap ouzin a fell d'ach, me gred. — Nann ma Doue, aotro keiz, deut ganen, hag a welfet. — Dont a ra ann aotro gant-hi. Pa wel taol ar Meliner goloët a bezio daou-skoed, ez eo souezet braz, hag a lär d'ehan : — A-be-lech a t'euz-te bet ann arc'hant-se ? — Ewit kroc henn ma buch, am euz gwerzet en Gwengamp, am euz bet an-he, aotro. — Ewit krochenn da vuch! gwall-ger eo ar c'hrec’henn neuze ? — [a sur, aotro; rekouret oc'h euz an-on o vea lac'het ma buc'h. . Hag ann aotro d'ar gèr, d'ar red, hag oc'h ober lacha he holl zaout, hag ho c'higna doch-tu. Ann dewarlerc'h ar beure, a kas ur mewel en kèr gant ar chrechenn, a oa an-he samm un aneval, hag a lâr d'ehan goulenn un anterrenn arc hant ewit pep-hini. Mont a ra ar mewel gant ar chrec henn. — Pégement pep kroc'henn ? — a c'houlenn ur chevijer. — Un anterrem arc hant! — Allons! na ra ket a voap; pégement pep- kroc'henn ? — Un anterrenn arc’hant a läran d’ac'h. — Ha ‘vel ma lâre ar memeuz tra d'ann holl, ech eaz drouk er gevijerrienn, hag a oe bac'hatet gant-he, ruillet ha diruillet war ar pave, ha lemet c'hoaz he grec henn digant-han. Pa arruas er gèr : — Pelec'h eman ann arc hant ? — a lâras ann aotro d'ehan. — Ja da! arc’hant en eeün! N'am euz bet nemet tolio-treid ha bac hado, ha ma c'horf paour a zo brewet holl. — Bourdet on gant ar Meliner! a lâras neuze ann aotro, ha drouk en-han:; met na euz forz, ma zro a deuio 1we. Ar Meliner a rez un tammig fest gant ar vuc'h a oa bet lac’het d’ehan, hag a lâras d'he vroeg mont da bedi ann otro da dont iwe. Mont a ra ar velineres, ober a ra he fedenn. — Petra, dont da ober goap ouzin choaz! — Jezuz! aotro keiz, ober goap ouzoc’h? Na me na ma den na gretfe bikenn sonjal ober se. — Ma! mont a rin, koulzgoude, hag a komzin gant ar Meliner, a sonj gant-han bea finoc’h ewiton marteze. — 121 — Dont a ra ann aotro d'he goan d’ar vilinn. Friko a oa, kig-sall, rost euz ar béer, zistr ha gwinn iwe. En divez ar pred, pa oa arru tomm ar penno, ar meliner a lâras d'ann aotro : — Ma! aotro, ann holl a oar ez och ur paotr fin, ha koulzgoude ez on kontant da ober ur pari na refet ket ar pez a rinn-me. — Petra eta? — Lacha ma groeg dira-z- och holl ama, bag hi ressussita are, o c hoari gant ur violouz am euz aze. — Pari ugent skoed na ri ket se. — Ugent bed a rinn. — Gwe- lomp eta, eme ann holl. — Hag ar Meliner o kommer ur gontel, o lampad war he vroeg, hag oc h ober van da droc ha he goûk d'ehi. Met na droc has nemet ur vouellenn leun a wad hen defoa paket en-dro d'he goük. Ann aotro, pehini na wie ket ann dro, a heuze o welet ar gwad 0 lampad. Ar Vroeg a gouezas d'ann douar, evel pa vije marw-mik. Ar Meliner a gommer neuze he violonz, hag a em laka da zoon. Hag ar vroeg da zevel kerkent ha da zansal, evel unan penn-follet. Ma chommas ann aotro da sellet, digor he c'heno gant-han. — Ro d'in da violonz, a lâras d’ar Miliner, ha me a lezo ar vilinn ganid daou vloaz ewit netra. Setu gret ar marc had. Hag ann aotro d'ar gèr, gant he violonz, ha stad en-han.— Ma groeg, a lâre en-han he-unan, o vont, a zo un tammig koz, ha mar gallan hi iaouankaad.... Pa arru er gèr, a kav he vroeg kousket mad en he gwele. — À zo mad, emehan, evel-se na oufeo netra. Tapout a ra ur gontel er geginn, hag a troc h he goûk d'ehi. Ha da zoon neuze gant he violouz! Met kaer hen defoa soon, ar vroeg paour na zanse ha na flache; marw-mik a oa! — Sota den eo ar Meliner-se! emehan ; laket an-on da lac ha ma groeg, ha kaer am euz soon, na zeu ket a vuhe en-hi! Réd eo hen defe ankouet un dra bennag! ec h an prim da glewet gant- han. Redek a ra d’ar vilinn. Pa arruas, a welas ar Meliner en korf he rochet, ur skourjez gant- han en he zorn, hag hen o skourjata ur pod-houarn braz a oa en kreiz ar porz, hag ann dour o virwi en-han (a-newe diskennet à oa diwar ann tan). — Chomm a ra da zellet, digor gant-han he c'heno, hag ankouet he vroeg. — Petra a rezte aze evel-se, Meliner ? — Lakad ar zoubenn da virwi, ma aotro; deut da welet evel na verw. — Ia a-vad. Ha gant da skourjez eo a rez d'ehi birwi evel-se ? — Ia sur, aotro; ar c’hoad à zo ker, haga ve re goustuz d'in. — Gwir a-walc'h a lâres. Ro d'in da skourjez, hæ me a lezo ganid ar vilinn daou vloaz-all ewid mann. — Pa eo chui eo, aotro, setu-han aze. Hag ann aotro d'ar gèr gaut he skourjez; hag o tont, a lâre d'ehan he-unan : — Breman a lakaïn diskar ar c’hoad diwar ma holl douaro, hag am bo kalz a arc'hant ewit-he. — Goerza a ra ar c'hoad holl diwar he zouaro. — Aotro, na euz ken un tamm koad, na keuneud; penoz a rinn ewit poazet ar boued? — a läras d'ehan ar gegineres, ur sadorn da noz. — Me à oufeo mad penoz ober, kegineres; n'ho pet ket a vorc hed gant kement-se. » — 122 — Ann dewarlerc'h ar beure, a oa ur zul, a läras da holl dud he di, me- welienn ha mitiienn, mont d'ann oferenn-bred, nemet ann Vraz, he vewel kenta, a chomje gant-han er gèr. — Ha lein, piou hen aozo? a oe läret d'ehan. — N'ho pêt ket a nec hamant gaut kement-se, hag il holl, pa läran d'ac h. Setu-int partiet holl d’ar bourk. Ann aotro a lâras neuze da lann Vraz digas ar podhouarn braz en kreiz ar porz, hag hen leunia a zour. Neuze a lakaas ebars kig-sall, kig-bewinn, kaol , irvinn, pep, holenn, holl ke- ment a zo rèd da gaout ewit ober soubenn vad. Goude a tiwiskas he chu- penn, a kommerras skourjez ar Miüliner, ha da skourjata ar podhouarn | Met kaer hen defoa skei, ann dour a chomme ien bepred. — Petra a ret iwe, aotro ? a läras Jann Vraz souezet. — Ro peuch, genaouek, brema- soudenn a weli. — Hag hen da skourjata are. À wez ann amzer a voute he viz er pot-houarn; bepred a oa ien ann dour! — Pa oe skuiz o ske, a paouezas iwe, hag a lâras : — Arsa, ar Meliner, ‘m euz aoun, a ra goap ouzin ? — Ja, goap a ra ouzoc'h sur, aotro. — Ma! na euz forz, na euz- nemet ar maro ewit han. — Larda anehan er-fad gant he skourjez, me Nann, nann, ar maro! ober goap ouzm-me! gred a vo awalc h aotro. Eomp buhan d'ar vilinn ha digas ganid ur zach, ma vo boutet ebars ha tolet da veuzi er Stank. lann Vraz a gommer ur zac‘h goullo war he skoaz, hag ec h eont d'ar vilinn. Boutet eo ar Miliner paour ar zach ha sammet war ar march- porté ewit en kas d’ar stank. Pa oant o vont, a weljont o tont gant ann hent ur marchadour pini a ée da foar Wengamp, ha gant-han tri a gezek sammet. Ma teuas aoun d’ann aotro. — Eomp da em guza dreg ar c’hleuz, emehan, ken a vo tremenet ar marc'hadour-se. Mont a reont dreist ar chleuz, er park. Ar Meliner, en he zach, a oe harpet euz ar c hleuz. Pa glewas trouz kezek ar marc hadour, o tremen a-biou d’ehan, a em lakaas da grial : — Nann, na gommerrin ket anehi! na gommerrin ket aneh1! — Ar marc hadour, souezet, a dostaas d’ar zac’ h : — Sell! sell! emehan, petra eo kement-ma ? un den en ur zach! — Egile a grie bepred : — Na -gommerrin ket anehi! na gommerrin ket anehi! — Na gommerri ket piou? a lâras ar marc hadour d'ehan. — Penheres un aotro pinvik-pinvik, a deuz bet ur bugel, hag a fell d'he zad ober d'in hi c'hommer. — Ha gwir eo pinvik braz? — Ja, pinvik-pinwik. — Ma! me a zo kontant d'hi chommer. — Deut ama neuze buhan er zac h, ha me aio e-mèz. — Mont a ra ar marc'hadour er zac’h, ar Meliner a skoulm warnehan, neuze a kommer he skourjez hag ec'h a etrezeg Gwengamp, gant ann tri march sammet. Pa oe êt-kuit, ann aotro hag Tann Vraz à retornas d'ho zâc h. — Me a gommerro anehil me a gommerro anehi! a em lakaas neuze da grial ar marc hadour en he zac’h. — A gommerro piou ? a läras d'ehan ann aotro. -— Ho merch, aotro. — Ah! mab ar gast! Kerz da glask anehi neuze — 1925 — en fonz ar stank! — Hag a oe tolet er stank, hag a-boe na eo ket bet gwelet. … Ann aotro hag he vewel [ann Vraz a eaz ann dewarlerc'h da foar Wen- gamp. Pa oant o sellet euz ar staliou kaer a oa eno, a oent souezet-braz o welet ar Meliner eno gant ur stàl aourfredour, unan ar c'haera. — Petra, Miliner, eme ann aotro, te eo a zo aze? — Ja ‘’vad, ma aotro; deut och da brena un dra bennag diganen, michanz? — Penoz, n'out ket chommet er stank eta? — Evel ma welet, ma aotro; na em gaven ket mad eno; ha koulzgoude a trugarekaan anoc'h, rag a-c'hane eo deut ganen ann holl dreo-kaer a welet aman. — Ha gwir? — Evel ma lâran d'ach, aotro; n'am euz keun nemet da un dra, hag a eo dre ma n’ho poa ma zolet un tammig pelloch; neuze a vijenn kouezet el-lec'h ma na euz nemet treo aour. — ÂArsa! Arsa! piou hen dije kredet? Eomp d’ar gèr buhan, Iann Vraz. Hag ann aotro hag he vewel d'ar gèr, ha d'ar stank! Tann Vraz a lampas da genta en dour, hag evel ma oa braz kaer, a save c’hoaz he dorn war-choure ann dour. — Sell! diskouez a ra d'in gant he zorn lampad pelloc'h, a lâre ann aotro d'ehan he unam ; — michanz na eo ket êt bete ann aour. — Hag a kommerras ann aotro he lanz, hag a lampas pella ma c'hallas. Hag a-boe na euz bet kezlo a-bed anezhe. Ha setu aze kaoz ar Meliner hag he aotro. Kontet gant Barba Tassel, a vourk Plouaret. Kerdu 1868. Dans les Contes bretons que je rédige présentement, en vue de la publication, j'ai cru devoir me montrer très-sobre de com- mentaires et d'explications. La critique et les savants viendront à leur tour et sauront faire les rapprochements, étudier la pro- venance, le degré d'originalité ou d'imitation, signaler les altéra- tions, les interpolations, le mélange de plusieurs fables et décou- vrir les allégories et les symboles là où il s’en trouvera. Pour moi, je crois devoir me contenter du rôle de collecteur exact et cons- ciencieux. Je demande la permission de reproduire ici, à ce propos, les paroles d’un des maîtres de la critique et de la philologie mo- dernes, rendant compte, dans le Journal des Débats du 4 sep- tembre 1868, de mon recueil de Chants populaires de la basse Bre- tagne. « Pour fonder chez nous les études celtiques, deux conditions sont indispensables : au fond des pays où vivent encore les langues celtiques, de zélés et consciencieux chercheurs apportant modes- tement leur pierre à l'édifice futur; à Paris, un enseignement élevé — 124 — où la théorie philologique et historique soit dressée, avec l’aide que fournit la comparaison des branches de la science plus avan- cées, et d’après les méthodes qui ont fait faire aux autres parties de la philologie et de la critique de si admirables progrès. M. Luzel remplit parfaitement le premier de ces devoirs. Son livre le place à côté de M. de La Villemarqué, parmi ceux qui ont le plus con- tribué à sauver de la destruction un monde presque évanoui !. » F.-M. Luze.. 1 Ernest Renan. DEUXIÈME RAPPORT SUR UNE MISSION EN BASSE BRETAGNE, PAR M. F.-M. LUZEL. —— — — Plouaret, le 2 août 1870. Monsieur le Ministre, J'ai l'honneur de venir rendre compte à Votre Excellence du résultat de mes dernières recherches sur les traditions orales du peuple en basse Bretagne. J'ai exploré dans ces derniers temps une grande partie de la Cornouailles, et principalement les montagnes d’Arez. Les voyages du genre de celui que j'ai entrepris sont souvent assez pénibles dans ces régions perdues et étrangères encore aux changements et aux améliorations matérielles, fort sensibles déjà dans les parties de la Bretagne qui avoisinent les voies ferrées, ainsi que sur les côtes. Je connaissais depuis longtemps la Cornouailles, et je ne me faisais pas illusion sur les désagréments de toute nature qui m'y attendaient : longues marches, par un soleil brûlant, sur des routes très-accidentées et des landes sans abris: triste confortable des auberges de nos bourgs bretons, lits aux gros draps de chanvre, où l’on est dévoré par des puces faméliques et enragées. Je comp- tais bien sur tout cela. Mais ce à quoi je ne m'attendais pas, mal- gré tout, c'est à coucher dehors. Et c'est pourtant ce qui m'est arrivé. M'étant égaré sur de grandes landes et des terrains vagues, où je ne trouvais personne pour me remettre sur la bonne route, j'arrivai enfin, à onze heures de nuit, au petit bourg de Kymerc’h. Je frappai successivement à toutes les portes du village : pas une ne s’ouvrit, malgré mes instances et mes prières. Je me résignai alors, en maugréant {car j'étais fatigué), à continuer de marcher vers Braspartz, comptant y arriver au point du jour. Mais, après avoir fait deux ou trois kilomètres, je me trouvai dans un carre- — 126 — four, et je ne savais quelle direction prendre. J’entrai alors dans un champ, au bord de la route, et je me couchai parmi les fou- gères et les bruyères pour attendre le jour. Heureusement que la nuit était belle, l'air tiède et le ciel étoilé. Au premier chant de l'alouette, je repris mon bâton de voyage; je pus lire {a direction de Braspartz sur le poteau du carrefour, et je me remis en marche; et tout en marchant, au sifflement des merles et des grives, j'écri- vis une pièce de vers bretons sur mon aventure de la nuit. Jar- rivai à Braspartz vers sept heures. J'avais toujours pensé que Braspartz, situé au milieu des mon- tagnes, non loin du mont Saint-Michel, le point le plus élevé de la chaîne de l’Arez, était un excellent centre pour un collecteur de vieilles traditions populaires. Eh bien, je me trompais, au moins de moitié. On croit généralement que c’est dans les mon- tagnes, les lieux isolés et privés de commerce et de tout contact avec les étrangers, que les traditions, vieux chants et contes po- pulaires, se sont le mieux conservées; et c'est une erreur, du moins pour la basse Bretagne. En effet, la région des montagnes est d’une pauvreté notable sous ce rapport, comparée avec les côtes d’une partie du Léon, et surtout la partie bretonnante des Côtes-du-Nord, c'est-à-dire presque tout l’ancien évêché de Tréguier. Je me suis souvent demandé quelle pouvait être la cause d'une différence si sensible, et la raison la plus plausible que jy ai trouvée me semble être celle-ci : | Plus j'étudie les récits traditionnels du peuple breton, plus je suis frappé des ressemblances nombreuses qu'ils présentent avec les productions analogues des autres peuples, des Gallois, des Écossais, des Irlandais, des Anglais, des Allemands, des Danois et des différents peuples slaves surtout. Il est vraisemblable que de ces traditions, les contes mythologiques principalement, peu sont nées sur le sol où nous les trouvons présentement, et que ce sont, pour la plupart, des importations, des échanges réciproques de peuple à peuple, et datant ordinairement de très-loin. S'il en est ainsi, il est naturel que les populations de nos rivages, constam- ment en rapport avec les îles Britanniques et les peuples qui avoi- sinent la mer Baltique et la mer du Nord, aient un plus riche trésor de ces traditions, qui leur sont communes avec ces pays, que les montagnards de la Cornouailles, isolés du reste du monde. — 127 — Quant aux chants populaires, j'ai encore remarqué que, chez nous, plus le pays est cultivé et riche, plus il s'y trouve de vieux châteaux et de manoirs nobles, plus on y chante aussi, plus les gwerziou et les soniou ÿ sont abondants. Or les vieux châteaux et les manoirs nobles sont assez clair-semés dans la Cornouaille, tan- dis qu'ils sont très-nombreux dans tout l’ancien évêché de Tre- guier. Le thème le plus ordinaire de nos gwerziou est emprunté aux querelles, aux violences et aux exactions de toute nature des nobles et des gentilshommes du pays. L'histoire générale y est pour une part très-minime, Tant 1l est vrai, comme la très- bien remarqué M. Renan, que les héros de l’histoire sont rarement ceux du peuple. Mon séjour à Braspartz, bien que n'ayant pas été aussi fructueux que je m y attendais, n'a cependant pas été sans quelques résul- tats utiles. Je m'adressai, en arrivant, au tambour de l'endroit, et je fis bannir, un dimanche, à la sortie de la grand'messe, que je rémunérerais généreusement toutes les personnes qui me four- niraient des gwerziou, des soniou, qui n'eussent jamais été sur papier (imprimés), et des contes de veillées. Il se présenta peu de chanteurs. Les conteurs furent plus nom- breux. Après en avoir écouté quelques-uns, je vis clairement qu'ils étaient inférieurs, de tout point, aux conteurs du pays de Tréguier, et que leurs récits n'étaient généralement que des ver- sions incomplètes et confuses de ceux que j'avais déjà entendus dans l'arrondissement de Lannion. Je recueillis pourtant quelques contes qui me parurent assez intéressants. En voici un, qui me paraît surtout curieux par la ressemblance qu’il offre, dans sa dernière partie, avec la légende de saint Grégoire le Grand, où un écrivain du xn° siècle met en scène ce grand prélat d'une façon bien étrange. | CELUI QUI RACHETA SON PÈRE ET SA MÈRE DE L’ENFER. Au temps jadis, il y avait au château de Kerjean, en mé) jai un riche et puissant seigneur _. avait trois fils. Quand moururent leur père et leur mère, les trois jeunes seigneurs menèrent joyeuse vie, et bientôt ils eurent mangé tout ce que leur avaient laissé leurs parents. L'ainé, qui s'appelait François, voulut alors quitter le pays et voyager pour chercher fortune. Il fit donc ses adieux à ses deux frères et partit. — 128 — Il rencontra bientôt sur sa route un vieillard à mine vénérable, qui lui demanda : — Que cherchez-vous, jeune homme ? — Je cherche du travail pour gagner ma vie, répondit-il. — Vous ne me paraissez guère avoir l'habitude du travail. — J'ai été riche, mais j'ai follement dépensé tout ce que m'avaient laissé mes parents, et à présent, il me faut travailler pour vivre. — Eh bien, venez avec moi; je verrai ce que je pourrai faire de vous. > Et le jeune homme suivit le vieillard. Celui-ci l'emmena dans un beau château, le fit manger et le conduisit ensuite à son lit, en lui disant qu'il n’aurait pas besoin de se lever le lendemain matin, jusqu'à ce qu'il entendit sonner la cloche; il ajouta qu'il lui ferait connaître, le lende- main , les conditions de son engagement; puis il s'en alla. François dormit on ne peut mieux, et se réveilla vers six heures, le lendemain matin. Comme il n'entendait sonner aucune cloche, il s’en- nuya dans son lit et se leva à sept heures et descendit. Le vieillard, en le voyant, lui dit : — Je vous avais recommandé de ne vous lever que lorsque vous en- tendriez sonner la cloche; est-ce que vous ne vous trouviez pas bien dans votre lit? — Si sûrement, maître; mais, une fois éveillé le matin, je n'aime pas à rester au lit; je n'ai pas cru mal faire en me levant à sept heures. — C'est bien; déjeunez toujours, puis je vous indiquerai Jotre travail de la journée. François déjeuna, et quand il eut fini, le vieillard lui fit signe d le suivre. 11 le conduisit dans une vaste cour, où il y avail un grand trou- peau de moutons, et il lui dit : — Voilà un troupeau de moutons que vous aurez à garder tous les jours jusqu'au coucher du soleil, et au bout de l'année, si je suis con- _tent de vous, vous recevrez cent écus. — Cela me convient, répondit François; ce n’est pas la un travail bien difficile. — Je dois vous dire encore, reprit le vieillard, que vous ne devez jamais mentir; car, au premier mensonge, je vous renverrai sans le sou. — C’est entendu, maître; mais où faut-il conduire les moutons ? : — Vous n'avez qu'à les laisser marcher devant vous el à les suivre, ils savent bien où ils doivent aller. Quand ils s’arrêteront, vous vous ar- rêterez aussi, el, au coucher du soleil, vous les ramènerez. — C'est bien, maitre, je ferai exaclement comme vous dites. Et les moutons sortirent alors de la cour, un grand bélier en tête du troupeau, et François les suivit. Ils passèrent, tôt après, auprès d’une fontaine, Les moutons continuèrent de marcher sans s’arrêler. François, — 129 — en voyant l'eau limpide et claire, se dit : Voilà de l'eau qui doit être bien bonne! II faut que j'en boive, pour voir. Et il en but en effet. Puis il se mit encore à suivre les moutons qui al- laient toujours. Peu après, ils passèrent auprès d'une fontaine remplie de lait. Les moutons continuèrent de marcher sans. s'arrêter. Mais François s'arrêta, tout étonné, et s’écria : Tiens, une fontaine de lait! Jamais je n'ai vu pareille chose. Il faut que j'y goûte. Et il en but encore, et de courir ensuite après ses moutons qui allaient toujours. Îls arrivèrent alors à une troisième fontaine, qui était pleine de vin rouge. Les moutons continuèrent leur marche; mais François s'arrêta encore et but à la fontaine de vin rouge, comme aux deux autres, et il en but même tant qu'il se trouva ivre et s’endormit sur le gazon auprès. Quand il se réveilla , le soleil était couché, et 11 vit les moutons qui ren- traient. Il ne savait où ils avaient été, et il se remit à les suivre. Quand il arriva dans la cour du château, le vieillard l’attendait et lui dit : — Vous voilà de retour ? — Oui, maître, comme vous me l'aviez dit, au coucher du soleil. — C'est bien. Et qu'avez-vous vu d'exlraordinaire ? — Ma foi, j'ai d'abord vu une fontaine dont l’eau était bien Hmpide et bien claire. — Et vous en avez bu? — Oui, j'en ai bu; j'avais soif. — Et après ? — Après, j'ai vu une autre fontaine pleine de lait, ce que je n'avais jamais vu encore. - — Et vous en avez encore bu? — Oui, j'en ai bu aussi. — Et après ? — Après, j'ai vu une troisième fontaine pleine de vin rouge. — Et vous y avez bu comme aux autres ? — Non, je n'ai pas bu à celle-là. — Vous y avez bu, et vous vous êtes même enivré et n’avez pu suivre les moutons plus loin, Vous avez menti. Vous connaissez nos conditions ; allez-vous-en et retournez chez vous. Et il lui fallut s’en retourner sans le sou. Il revint vers ses frères, en un état fort piteux, et leur raconta ce qui lui était arrivé. — Eh bien, moi je veux partir aussi, dit alors le second frère, qui s'appelait Yves, et j'espère bien ne pas men retourner dans un aussi triste état. Et il partit en effet, et ne fut pas plus heureux que son frère aîné. Il lui arriva absolument comme à celui-ci. Il rencontra le même vieillard, alla avec lui à son château, but aux trois fontaines, s'enivra à la der- nière, mentit et fut aussi renvoyé sans le sou. MISS, SCIENT, -— VIl. 9 — 150 — En le voyant revenir dans un aussi triste état que François, le cadet, qui avait nom Jean, voulut partir aussi à son tour. 4 Il rencontra le même vieillard que les deux autres et alla aussi avec lui à son château. Le lendemain matin, il altendit pour se lever que ia cloche fût sonnée, et, au moment de partir avec les moutons, le vieil- lard lui fit les mêmes recommandations qu'à ses frères. Il sortit alors de la cour du château et suivit le troupeau. Il arriva bientôt à la fontaine d'eau, et en la voyant il s'agenouilla et dit: Si cette fontaine était faite. avec les larmes que répandit la sainte Vierge, quand son divin Fils mourut pour nous sur la croix ? Et il récita cinq Pater et cinq Ave; puis il se releva et se remit à suivre ses moutons. Arrivé à la fontaine de lait, il dit : Si cette fontaine était faite avec le lait que fournit la mère de Notre Sauveur pour nourrir son divin Fils ? Et il s’agenouilla encore et récita cinq Pater et cinq Ave; puis il se remit à suivre ses moutons. Ils trouvèrent alors la fontaine de vin rouge. Jean s'agenouilla pour la troisième fois et dit : Si cette fontaine était faite avec le sang que répandit Notre divin Sauveur sur la Croix ? Et il s'agenouilla encore et récita cinq Pater et cinq Ave. Les moutons s'arrêtaient pendant qu'il priait. Îls arrivèrent alors a un grand château, d'une forme étrange. La porte de la cour en était grande ei et les moutons y es et se couchèrent sur le pavé. Jean entra aussi à leur suite. [l fut étonné de ne voir aucune porte ne en- trer dans le château, ni personne à qui parler. Une échelle était appuyée contre la muraille d'une grosse tour et atteignait jusqu'au sommet. Il monta à cette échelle et regarda dans l'intérieur de la tour par la fenêtre du premier étage. Il vit une vaste salle remplie de feu, et au milieu du feu, une infinité d'hommes et de femmes de tout âge et de toute condition, torturés par des diables hor- ribles. Il recula d’effroi et d'horreur. Mais comme il lui avait semblé reconnaître dans la fournaise ardente son père, sa mère et sa tante, il regarda encore, et s’assura que c’étaient bien eux. Il leur cria alors : — N'est-il pas possible de vous délivrer de 1à, à quelque prix que ce soit ? | — Hélas! non, répondirent-ils, car nous sommes ici dans l'enfer. Et il monta alors plus haut, l'âme navrée de douleur, et regarda par une autre fenêtre placée au-dessus de la première. Et il vit une autre fournaise ardente, immense et pleine aussi d'hommes et de femmes de tout âge et de toute condition, et il en reconnut même plusieurs. Et tous ces malheureux tendaient vers lui leurs mains suppliantes et lui criaient : — Tirez-nous d'ici! tirez-nous d'ici! — Et comment pourrais-je le faire ? — En priant Dieu et en faisant dure pénitence. — 151 — — Je le ferai, pauvres malheureux ! Et il monta plus haut encore, et, par une troisième fenêtre, 1l vit un jardin délicieux , plein de belles fleurs, de musique et d'anges radieux. Il y reconnut aussi son maître, le vieillard à qui appartenaient les mou- tons. Et celui-ci lui dit de faire une demande, et il la lui accorderait, quelle quelle püt être, parce qu'il était content de lui. — Eh bien, maître, puisque vous avez cette bonté, je vous demande de vouloir bien mettre un terme aux peines de mon père, de ma mère et de ma tante. — Hélas! mon enfant, cela ne se peut pas, car ils sont dans l'enfer. — O mon bon maitre! ne repoussez pas ma prière; exigez de moi telle pénitence qu'il vous plaira; quelque dure qu'elle puisse être, j'aurai le courage de tout souffrir pour délivrer mon père, ma mère et ma tante. . — Eh bien, j y consens, tant ta foi et ta charité sont grandes. Ecoute donc à quel prix tu peux les délivrer. Tu ceindras autour de ton corps nu une ceinture de cuir garnie de clous dont les pointes aiguës, tournées en dedans, te déchireront la chair; je fermerai cette ceinture avec une petite clef d'or, que je jetterai ensuite au fond de la mer, et ton sup- plice ne finira que lorsque tu retrouveras cette clef. Tu te retireras dans quelque forêt, où tu vivras comme tu pourras de racines et de fruits sau- vages. Vois si tu te sens assez de courage et de force pour accomplir jusqu'au bout une telle pénitence. — Oui, maitre, je l'accomplirai, avec l'aide de Dieu. Aussitôt fut apportée une ceinture de cuir garnie de clous aux pointes aiguës et tournées en dedans; on la lui mit sur son corps nu et on la ferma avec une petite clef d'or, qui fut jetée au fond de la mer. Puis on lui dit de retourner dans son pays et d'y chercher quelque forêt pour accomplir sa pénitence. Jean, après une marche longue et pénible, arriva auprès de ses frères, qui ne le reconnurent pas d’abord, tant il était maigre et dé- charné. Deux ans s'étaient écoulés depuis le jour de son départ. Il leur raconta tout ce qui lui était arrivé et ce qu'il avait vu. François et Yves, en apprenant que leur père, leur mère et leur tante étaient damnés dans l'enfer, mais que néanmoins le Seigneur voulait bien rendre leur déli- vrance possible, se vouèrent aussi à la pénitence. Leur vie n'avait jamais été exemplaire, loin de 1à, et le récit de leur frère les avait effrayés pour eux-mêmes. L'un d'eux se retira dans le bois du Crannou, l’autre dans le bois du Fréau. Jean établit son ermitage dans le bois de Huelgoat. Après plusieurs années de cette vie, que pratiquaient seuls les saints des anciens temps, un jour que Jean était en prières, selon son ordi- naire, il entendit une voix du ciel qui lui disait d'aller trouver ses deux frères, afin de se rendre avec eux dans la ville de Morlaix; Dieu le vou- lait ainsi. — 132 — Les trois frères ermites prirent ensemble la route de Morlaix, et, en les voyant passer sur les chemins, les habitants du pays s'effrayaient et se demandaient si ce n'étaient pas trois morts sortis de quelque cime- tière. En arrivant dans la ville de Morlaix, comme ils traversaient le marché aux poissons, deux femmes se querellaient au sujet d'une petite clef d'or qui venait d'être trouvée dans le ventre d'un poisson, et à la possession de laquelle elles prétendaient toutes les deux. Il y avait un grand rassemblement autour d'elles. — Rapportez-vous-en, dit quelqu'un, au jugement de ces trois saints hommes qui passent. Les deux femmes y consentirent, et on pria les trois ermites de s’ap- procher. On leur expliqua le sujet de la querelle, et on leur présenta la clef d'or. Jean reconnut sur-le-champ la clef de sa ceinture. Il la prit, la mit dans la serrure et l'ouvrit facilement. Aussitôt il s’affaissa sur lui- même et mourut sur la place. Et l'on vit alors deux anges blancs qui descendirent du ciel et qui l'emportèrent au paradis. Quant à ses deux, frères, ils moururent aussi peu après, et allèrent comme lui droit au paradis, où ils retrouvèrent leur père, leur mère et leur tante qu'ils avaient délivrés de l'enfer. Conté par Guillaume Le Goff, laboureur au bourg de Braspartz (Finistère). La leçon morale qui ressort de ce conte, c'est la toute-puis- sance de la foi et de la pénitence. Cette morale était chère aux écrivains du moyen âge. C'est aussi celle de la légende de saint Grégoire le Grand, dont la fin ressemble au conte breton. En voici une analyse très-sommaire : Grégoire, d’après cette légende, est le fruit de l'union inces- tueuse d’un frère et d'une sœur. La fatalité, qui le poursuit comme OEdipe, lui fait plus tard épouser sa propre mère, sans le sa- voir. Lorsqu'il découvre l'horrible vérité, il s'enfuit secrètement, vêtu de haïllons. I erre au hasard et arrive sur le bord de la mer. Il demande lhospitalité à un pêcheur. Celui le repousse grossièrement et plaisante sur son embonpoint, qu'il trouve étrange chez un mendiant. La femme du pêcheur intercède pour l'étranger, et on lui permet de passer la nuit dans la cabane sur la paille. Pendant le repas, Grégoire ne veut accepter qu'un mor- ceau de pain d'orge. Le pêcheur continue de railler son hôte. Il lui conseille de se faire ermite. Grégoire répond qu'il cherche précisément un lieu qui lui convienne. Le pêcheur lui propose une roche abrupte et aride qu'il connaît sur la côte. « J'ai même — 133 — là, ajoute-til, de bons fers que je vous mettrai aux pieds, si vous voulez. » Grégoire accepte. Le pêcheur le conduit alors à la roche, l’y enchaîne solidement, puis il jette la clef à la mer en disant : « Quand cette clef se retrouvera, vous sortirez d'ici. » Grégoire de- meure sur la roche dix-sept ans, n'ayant pour toute nourriture que les coquillages que le flot y apporte parfois à ses pieds. Il est nu, exposé au soleil, au froid, à la tempête, à toutes les intem- péries des saisons. | Les dix-sept ans écoulés, des ambassadeurs romains arrivent à la cabane du pêcheur. Ils sont à la recherche d’un pénitent nommé Grégoire, qui vit sur une roche solitaire au bord de l'Océan. Un ange les a avertis de donner ce pénitent pour successeur au sou- verain pontife qui vient de mourir. Le pêcheur leur dit qu’il con- naît la retraite de celui qu'ils cherchent. On trouve dans le ventre du poisson qui est servi au repas la clef qui a été jetée à la mer, il y a dix-sept ans. Au matin, les ambassadeurs se font conduire au rocher. Ils aperçoivent Grégoire, décharné, « velu et chenu. » Ils lui annoncent qu'ils viennent le chercher pour lélever au saint siége de Rome. Grégoire repousse leurs instances; il finit par s'écrier : «Je ne quitterai ce lieu que lorsqu'on me rapportera la clef des fers que j'ai aux pieds. » Les ambassadeurs lui présentent alors la clef, et Grégoire cesse de se défendre. C'est ainsi que ce « fort pécheur » devint le chef de l'Église et le vicaire du Christ. Cependant sa mère, avancée en âge, vient à Rome demander l’'absolution de ses péchés. La mère et le fils se reconnaissent. La mère entre dans un couvent, où le saint père vient souvent la visi- ter. Tous deux meurent saintement. À Lannéderen, à Loqueffret, je n'ai trouvé ni chanteurs n1 con- teurs. Je ne parlerai plus du triste confortable des auberges des montagnes. Arrivé à Loqueffret le jour du pardon, il m'a fallu lo- ger dans une auberge pleine de buveurs, tous plus ivres les uns que les autres, et qui faisaient un beau vacarme!' Il ne fallait pas leur parler de contes, mais de chopines; et quant aux lambeaux de refrains à danser qu'ils braillaient à tue-tête, ils ne méritaient pas la peine d'être recueillis. À Plounevez-du-Faou, j'ai été plus heureux. J’ai trouvé là deux ou trois sones assez gracieux et quelques contes, dont un fort inté- ressant. Je le donne plus loin. C’est aussi à Plounevez-du-Faou — 134 — que j'ai trouvé pour la première fois le nom de Merlin, non altéré, dans la bouche des gens du peuple. Un laboureur, nommé Jean Le Ny, me dit avoir su autrefois un conte où il était question de lui, et il prononça nettement son nom, Merlinn. Je le pressai vivement de me dire ce qu'il avait retenu de ce conte, et voici tout ce que je pus tirer de lui : Merlin avait dit qu'il ne serait pris que par une jeune fille. Et, “en effet, le héros (ou plutôt l'héroïne) du conte est une jeune fille déguisée en homme, et crue tel. Après s’être déjà tirée à son hon- neur de deux autres épreuves, elle fut envoyée, en troisième lieu, pour s'emparer de Merlin, avec menace de mort si elle n’y réus- sissait. Elle fit fabriquer un lit de fer, un lit clos, qui devait se fermer de lui-même sur toute personne qui y entrerait, et l'y prendre comme dans une vraie boite de fer. Elle fit porter le lit sous un grand arbre, dans la forêt qu’habitait Merlin. Puis elle monta sur l’arbre emportant des poulets rôtis, des gâteaux et plu- sieurs flacons de bon vin. Quand Merlin vint à passer sous l'arbre, elle lui jeta gäteaux, poulets et vin. N'étant pas habitué, dans sa forêt, à de semblables friandises, il mangea et but, si bien quil se trouva ivre. Apercevant alors le lit, il y entra. Les ressorts Jouèrent d'eux-mêmes, et le voilà prisonnier. La jeune fille des- cendit aussitôt de l'arbre, attela quatre chevaux au lit et condui- sit Merlin au palais du roi... On le voit, cela est loin de la fable du roman français; mais dans d’autres versions j'ai trouvé des épisodes qui s’en rapprochent davantage. Interrogé sur la nature de Merlin, si c'était un homme ou un animal, un monstre quelconque, mon conteur répondit quil l'ignorait, mais qu'il pensait pourtant que c'était un animal re- doutable. | À Collorec, je trouvai un charpentier, nommé Jean Couchen- nec, qui me dit qu'il savait aussi le conte de Merlig (il l'appelait ainsi); mais malheureusement il était de baptême, par conséquent ivre, et devait l'être encore le lendemain et peut-être le surlende- main. Je compte retourner le voir, car il m'a affirmé qu'il sait plusieurs autres contes. Et, en effet, je me suis assuré qu'il a dans le pays la réputation d’un maître conteur. Dans le pays de Tréguier, j'avais trouvé le nom de Erlinn dans un conte où une jeune fille, également déguisée en homme, est — 135 — aussi envoyée, comme troisième et dernière épreuve, pour s'em- parer d’un animal qui habite une forêt, et qui est la terreur de tout le pays. 3 Dans une autre version, dont la fable est construite sur les mêmes ressorts, l'animal s'appelle Santirinn, et des armées en- tières envoyées contre lui ont été complétement détruites. Ce qui me fait croire que la Sanlirine est encore une altération du nom de Merlin, qui, comme on sait, prenait telle forme qu'il lui plaisait, c'est que je trouve dans le conte breton un épisode qui est aussi, presque mot pour mot, dans le roman français de Mer- lin, de Robert de Borron. < Quand la Santirine est prise et qu'elle suit docilement, sous la forme d’un poulain, la jeune fille qui l'amène à la cour du roi de France {du roi Vortigern, dans le roman francais), ils ren- contrent en route le convoi d’un enfant, que l’on porte en grand deuil au cimetière. Le bedeau chante devant le cercueil, et le père, ou du moins celui qui est cru tel, pleure par derrière. Tout le monde est triste. La Santirine se met à rire bruyamment. Inter- rogée par la jeune fille pourquoi elle rit quand les'autres pleurent, elle répond : Je ris de voir le vrai père qui chante devant (le be- deau), et cet imbécile, qui n’est que le père nourricier, sa femme le sait bien, qui pleure par derrière! La Santirine fait encore plusieurs autres révélations semblables. Je trouve souvent dans nos contes bretons des souvenirs des romans français du moyen âge, comme Huon de Bordeaux, Orson et Valentin, les Quatre fils Aymon, etc... Ces romans étaient lus dans les chateaux, et de là ils descendaient dans le peuple, qui les arrangeait et les modifiait à sa guise, les altérant, les interpo- lant et les mêlant à d’autres fables populaires. C’est sans doute de cette manière que le nom de Merlin s’est conservé dans les récits de nos paysans; dans la poésie, je ne l'ai jamais rencontré. Voici la traduction d’un conte que j'ai recueilli à Plounevez-du- Faou, et qui me paraît curieux sous plus d'un rapport : LA VIE DU DOCTEUR COATHALEC. Au temps jadis, il y avait à Kermeno-Coathalec, en la commune de Plougonver - Chapelle - Neuve, un seigneur qui avait trois fils. Sa dame était morte. Les deux aïn£s, de plusieurs années plus âgés que le troi- sième, furent envoyés à l'école, et ils apprenaient tout ce qu'ils vou — 136 — laient. Ils étaient si savants, que l’un d'eux devint évêque de nie et l'autre, évêque de Tréguier. Le plus jeune fut aussi envoyé à l'école, à Sant Brieuc , quand il eut atteint l'âge de douze ans. Mais, comme il n'apprenait rien, son père pensa que la faute en était à ses maîtres, et il l'envoya à Ba Une fois par an il venait à la maison, au mois d'août, et quand son père voulait s'assurer des progrès quil avait faits, il était désespéré de voir qu'il n'apprenail rien. En effet, ii avait déja seize ans accomplis, et ül en était encore à sa croix-de-Dieu (abécédaire). — Comment, lui disait le vieux seigneur en colère, tu seras donc toujours un âne? Toi qui as deux frères évêques, n’as-tu pas honte? — Je ne suis peut-être pas aussi âne que vous croyez, mon père, ré- pondit un jour l'enfant, ou plutôt le jeune homme. Et la preuve, c'est que je vais demander les ordres sacrés à mon frère, l'évêque de Kemper. — Les ordres sacrés! Mais ou tu ne sais pas ce que tu dis, ou tu te moques de moi. — Non, mon père, je sais bien ce que je dis, et je ne me moque pas de vous. Âu revoir, et que Dieu vous garde en bonne santé! Et il prit un penn-baz de chêne et se mit en route à pied. En arrivant à Kemper, il alla tout droit au palais épiscopal et de- manda à voir l'évêque. — Que demandez-vous, jeune homme ? lui dit l'évêque , quand il fut introduit en sa présence. Il ne le reconnaissait pas. — Je viens vous demander les ordres sacrés, Monseigneur. — Oui? Mais il faut voir ce que vous savez, d'abord. — Je le veux bien; voici mon livre, Monseigneur. Et 1l présenta a l'évêque son livre de croix-de-Dieu (abécédaire). — Comment, c'est la votre livre? dit l'évêque étonné, et croyant alors qu'il avait affaire à quelque pauvre innocent (idiot). — Oui, c'est là mon livre; jamais je n'en ai eu d'autre. — C'est bien; allez chercher votre logement en ville, puis venez sou- per avec moi ce soir, à six heures. Le jeune homme s'assura d'un logement pour la nuit; puis, à six heures sonnant, il revint à l'évêché. L'évêque, qui voulait s'amuser à ses dépens, avait invité à souper tous ses chanoines el plusieurs notables de la ville. Quand tous les invités furent arrivés, chacun prit sa place à table, et le jeune Coathalec s’aperçut alors qu'il n'en restait aucune pour lui. Il ne se déconcerta pas pour si peu, et, prenant un tabouret, il s’as- sit à une petite table qui était dans un coin de la salle, en disant qu'il serait très-bien là et qu'il se contenterait d'un peu de pain et de beurre, avec un verre de cidre. Vers ia fin du repas, l'évêque dit à ses convives qu'il les avait invités — 137 — pour assister à l'examen d'un jeune savant qui était venu lui demander les ordres sacrés. S'adressant alors à Coathalec : — Levez-vous, jeune docteur, et venez me présenter vos livres, pour que je vous interroge. Coathalec savança avec assurance et présenta son abécédaire à l'évêque. — Voyez, Messeigneurs, dit celui-ci, en présentant le livre à ses cha- noines, voila le seul livre qu'ait jamais connu notre jeune docteur. Et de rire, comme vous pensez bien. — Et tu oses encore venir me demander les ordres, imbécile, âne! — Pas aussi imbécile et aussi âne que vous, peut-être, répliqua Coathalec; interrogez-moi. — Eh bien ! Messeigneurs, que chacun de vous lui adresse une ques- tion, et nous verrons sil peut répondre à une seule. Et chacun lui adressa une question ou une devinaille, et il ne répon- dit à aucune. Et les mots âne, imbécile, idiot, pleuvaient sur lui comme grêle, et l'on riait, vous pouvez m'en croire. — Je demande à mon tour, dit alors Coathalec, sans se laisser inti- mider, à adresser aussi une question à chacun de vous, et nous verrons alors qui sera le plus âue. On s'empressa d'accepter. Coathalec proposa une devinaille à chacun de ceux qui étaient là, et pas un ne put donner le mot de celle qui s adressait à lui. On commençait à ne plus rire autant. — Eh bien, reprit alors Coathalec, je vais vous donner le mot de chaque devinaille et la réponse à chaque question, non-seulement pour celles que je vous ai adressées, mais aussi pour les vôtres. Et il fit, en effet, comme il venait de dire, sans se tromper une seule fois. On ne riait plus du tout, et l'on se regardait d'un air étonné. Alors il proposa aussi une devinaille à l’évêque, et, comme les autres, l'évêque resta court; si bien que, pour se tirer d'embarras, il dit à Coathalec : — Je consens à vous conférer les ordres, car, comme je le vois, vous en savez plus long que vous ne paraissez. _— Moi, accepter les ordres d’un âne comme vous! J'en serais bien fâché, dit alors Coathalec, avec dédain. Et il s'en alla, les laissant tous plus élonnés les uns que les autres. Il revint tout droit à la maison. Quand il y arriva, son père lui de- manda : — Eh bien! mon fils, as-tu vu ton frère, l'évèque de Kemper, et que t'a-t-il dit? — Oui, mon père, jai vu mon frère, l'évêque de Kemper, et, en vérité, j'ai vu peu d'ânes de sa force. — Dieu! mon fils, que dis-tu Ja? parler ainsi d'un évêque! — 138 — — Je ne dis que la vérité, mon père. Mais je veux, à présent, aller voir mon autre frère, l'évêque de Tréguier; peut-être sait-1l quelque chose, celui-là. Et il prit la route de Tréguier, son penn-baz à la main. A Tréguier, il lui arriva de point en point comme à Kemper, et je crois inutile de répéter ce que j'ai dit déja. Le docteur (car à présent on l’appelait docteur) revint encore à la maison. | — Eh bien! mon fils, lui demanda son père, en le revoyant, com- ment se porte ton frère, l’évèque de Tréguier ? — ll est en bonne santé, mon père, mais tout aussi âne que l'évêque de Kemper; Je n'ai pu rien lirer de bon de lui. Je veux, à présent, sor- tir de la Bretagne et voyager au loin, pour voir si je lrouverai quelque part des hommes d'esprit et des hommes qui savent quelque chose. Et il fit ses adieux à son père et repartit à pied et son penn-baz à la main. À force de marcher, il se trouva loin, bien loin de son pays. Un jour il s'assit sur les marches d'une croix, dans un carrefour, pour se délas- ser un peu. Presque aussitôt il vit arriver un autre voyageur, qui le salua ains! : — Bonjour, pays. — Comment cela ? — Oui, je suis aussi de la basse Bretagne, comme vous. — Et quel est votre nom, alors ? — Le Drégon; et vous ? — Moi, je m'appelle le docteur Coathalec, de Kermeno, commune de Plougonver:Chapelle-Neuve. — Et que cherchez-vous dans ce pays-c1? — Je cherche quelqu un pour se mesurer avec moi. — C'est précisément ce que je cherche aussi, moi. — C'est à merveille, alors; asseyez-vous là à côté de moi, mangeons toujours un morceau et buvons un coup, puis nous verrons. Et ils mangèrent et burent, comme deux vieux amis, puis le combat commenca. Îls disputèrent pendant trois heures entières. Enlin le doc- teur Coathalec adressa à Le Drégon une question à laquelle il ne put jamais répondre. — Si tu n'en sais pas plus long, lui dit-il alors, il n'était pas néces- saire, je pense, de venir si loin de ton pays pour trouver ton maître. Je reconnais pourtant que tu sais quelque chose. Reste avec moi, cherchons deux places de secrétaires chez quelque savant, où nous pourrons ap- prendre encore quelque chose, et nous serons alors deux fameux gaillards. Le Drégon accepla avec empressement, et ils se remirent en route, ensemble, à la recherche d’un savant qui aurait besoin de deux secré- O6 taires. Ils ne tardèrent pas à rencontrer un seigneur bien mis, sur un beau cheval noir. — Que cherchez-vous, les gars ? leur demanda le seigneur en s’avan- çant vers eux. — Nous cherchons deux places d'écrivains chez quelque savant. — Tout juste mon affaire! Combien demandez-vous pour vos gages ? — Cent écus par an, chacun. — C'est entendu, venez ayec moi. Puis 1l écrivit quelque chose sur un parchemin et le présenta d'abord au Drégon, en lui disant : — Signez ceci. Le Drégon lut ce qui était écrit sur le parchemin et dit alors : — Je ne signerai pas. — Pourquoi ? {ui demanda le docteur Coathalec. — Il est marqué ici que le dernier qui sera dans son cabinet, une fois l’année terminée, restera avec lui à tout jamais; et je ne veux pas signer cela. Et le docteur prit le parchemin des mains de Le Drégon, lut, puis il dit : | — Bah! signons quand même. Et ils signèrent tous les deux, avec leur sang, et suivirent le seigneur inconnu. Celui-ci les conduisit dans un grand vieux château qui parais- sait abandonné. Le lendemain matin, le maître du château leur dit : Je vais partir pour un long voyage et je ne reviendrai pas avant un an et un jour. Mais. rien ne vous manquera ici, pendant ce temps. Si cependant vous aviez besoin de moi, frappez à cette porte que voici, et j'arriverai sur-le- champ. Puis il les conduisit dans son cabinet et leur indiqua leur travail pendant son absence. Il partit alors. Le Drégon entra le premier dans le cabinet, car ils ne devaient y en- trer qu à tour de rôle. Il y avait là toutes sortes de livres de sorcellerie et de magie, qu'il ne put lire sans horreur, mais où il apprit aussi maints secrets. Quand il eut été trois mois dans le cabinet, il en sortit et dit au docteur Coathalec : — À votre tour, à présent. Nous sommes mal tombés ici et je crains bien que nous n'en sortions plus. — Bah! nous verrons bien cela, répondit le docteur, sans s'elfraver. Et il entra dans le cabinet. Il y resla aussi trois mois, étudiant constam- ment, et, les trois mois accomplis, il dit a Le Drégon. — À votre tour de rentrer dans le cabinet. Mais Le Drégon ne voulait plus y rentrer; il craignait d'y être pris le dernier. Voyant cela, le docteur, qui n'avait peur de rien, y rentra et il y resta encore six mois. Jugez de ce qu'il devait savoir à présent, lui qui — 140 —- était déjà si savant auparavant! La veille du jour où le maître devait ar- river, il appela Le Drégon et lui donna une baguette blanche, en lui disant : — Demain matin, le maître arrivera. Moi, je resterai ici pour lat- tendre. Pour vous, prenez cette baguette blanche, frappez-en un coup sur la terre en disant : — Par la vertu de ma baguette blanche, que je sois transporté dans le carrefour où j'ai rencontré le docteur Coathalec ! — Et aussitôt vous y serez transporté; et là, vous m'attendrez. Si je ny suis pas arrivé à midi juste, demain, c'est que je n'arriverai pas; et alors vous pourrez vous en aller où bon vous semblera: mais comptez sur moi. Le Drégon prit la baguette blanche, en frappa un coup sur la terre en prononçant les paroles voulues, et aussitôt il se trouva dans le carre- four. Le docteur rentra alors dans le cabinet et attendit. Le lendemain matin, le maïtre arriva juste à l'heure où il était parti, il y avait un an et un jour. Il alla aussitôt à son cabinet. — Ah! cest toi, dit-il au docteur, qui es-là ? — Oui, c'est moi, maïtre, répondit celui-ci; et il se leva pour sortir. — Pas si vite, attends un peu; où est ton camarade ? — Îlest parti. — Déja ? Eh bien! tu sais nos conventions ; le dernier dans mon ca- binet doit me rester. ‘ — C'est vrai, mais ce n'est pas moi le dernier. — Et qui donc, alors ? — Le voilà, gardez-le, si vous voulez. Le docteur était sur le seuil de la porte; le soleil donnait du côté op- posé et projelail son ombre dans l'intérieur du cabinet, et c'est elle qu'il montrait au maître du château comme devant lui rester. Celui-ci, se voyant joué, poussa un cri terrible, et, dans sa rage, il se jeta sur l'ombre et la retint. Le docteur partit en riant aux éclats; mais il n'avait plus d'ombre! Il se rendit, vite, au carrefour et y trouva Le Drégon qui l'attendait. Celui-ci fut bien content de le revoir; mais il lui demanda : — Apportez-vous l'argent de nos gages? — Ma foi, non, j'ai oublié de le réclamer; mais que cela ne vous tourmente pas, je saurai bien le rattraper encore. Donnez-moi cette ba- guette. Et il prit la baguette blanche des mains de Le Drégon, traça avec elle un demi-cercle contre la tige de la croix, prononça quelques paroles, et aussitôt le maître du château apparat dans ce demi-cercle et dit : — Que me veux-tu ? — Il me faut, pour mon camarade, un bon cheval, qui n'ait jamais besoin de manger, puis de beaux habits neufs, qui ne s’usent jamais, et enfin les cent écus de ses gages. — Al — — Ta! tal ta! fit l'autre. — Si tout cela n'est pas rendu ici quand j'aurai fini de bourrer ma pipe, nous verrons..... _ Et le docteur se mit à bourrer tranquillement sa pipe. Mais il n'avait pas terminé, que tout ce quil avait demandé pour son camarade était rendu dans le demi-cercle. — C'est bien, dit le docteur ; quant à moi, je ne demande rien pour moi; ma baguette blanche et les secrets que j'ai appris dans ton cabinet me sufhsent. Tu peux, à présent, t'en aller. Et 1l défit le demi-cercle avec sa baguette, et le magicien disparut alors. — À présent, nous allons nous séparer, dit le docteur Goathalec à Le Drégon; nous n'avons plus besoin l'un de l'autre pour voyager har- diment en lout pays, sans avoir rien à craindre de personne, tout en fai- sant à peu près tout ce qu'il nous plaira. Et ils se séparèrent. Le docteur Coathalec revint alors à Kermeno-Coathalec, et, grâce à sa baguette blanche, il y fut vite rendu. Quand il arriva, il vit le vieux manoir tout tendu de noir. — Mon père est mort! se dit-il aussitôt. Il entra et demanda aux domestiques : — Est-ce que le vieux seigneur est mort ? Personne ne le reconnaissait. — Il nest pas encore mort, lui répondit-on; mais autant vaudrait qu il le füt; au moins ne Er pas comme il le fait. C'est pitié de le voir, notre pauvre maitre! Tous les médecins, à dix lieues à la ronde, ont été le voir, et aucun d'eux ne connaît quelque chose à sa maladie. — Que lui est-il donc arrivé? — Il a été mordu par une vipère. — Laissez-moi aller le voir aussi, peut-être pourrai-je lui apporter quelque soulagement. — Un ignorant comme vous (il avait pris des habits de paysan) lors- que les plus habiles docteurs n’y peuvent rien! — N'importe, demandez-lui s’il veut me recevoir. On en parla au vieillard, qui ordonna de laisser monter cet étranger que personne ne connaissait. Coathalec trouva son père dans un bien triste état. Tout son corps était démesurément enflé et ressemblait à un tonneau. — Voulez-vous permettre, Monseigneur, de vous laisser transporter sur un matelas dans la cour du manoir? lui demanda le docteur, après l'avoir examiné. — Transportez-moi où vous voudrez, répondit le vieillard ; je souffre tant, que je ne souffrirai jamais davantage, quoi qu'il puisse m'arriver. me id 28 Quatre domestiques l'enlevèrent alors sur un matelas et le transpor- tèrent dans la cour du manoir. Le docteur se mit alors à siffler, en di- rigeantsa baguette dans tous les sens. Aussitôt une infinité de cou- leuvres de toutes espèces et de toutes dimensions sorlirent des vieux murs, des étables, pénétrèrent dans ia cour par-dessous la porte, et toutes s’approchaient du vieillard, qui était étendu tout nu sur son ma- telas, léchaient son corps, puis s'en relournaient à leurs trous. Et le corps désenflait à vue d'œil, à mesure que les couleuvres léchaiïent le venin. Toutes étaient venues, exceplé une seule, celle qui avait fait tout le mal, et sans elle la guérison était impossible. Elle était dans un trou de muraille et ne voulait pas en sortir. Mais le docteur, qui savait bien où elle était, alla jusqu à son trou, frappa avec sa baguette sur la muraille, en disan tit, malgré elle, lé- cha aussi la jambe du vieillard, à l'endroit de la morsure, et enleva tout ce qu'il restait de venin dans son corps. Aussitôt le vieux seigneur se trouva guéri, comme par enchantement. Il ouvrit les yeux, et reconnaissant son fils, îl s'écria : — C'est donc à toi, mon fils, que je dois ma guérison ? — Oui, mon père, c'est à moi. — Tu es donc devenu bien savant? — J'ai, en effet, appris quelque chose depuis que j'ai quitté ie pays. Et il se leva de son matelas, embrassa son fils et lai promit de lui acheter un habit neuf. Cependant le vieillard mourut peu de temps après, quand il plut à Dieu de l'appeler là-haut. IL laissa par testament son manoir de Ker- meno à son plus jeune fils, le docteur. Quelque temps après la mort de son père, s'ennuyant d'être seul, malgré tout son savoir, le docteur Coathalec dit à son valet d'écurie, qui était son ami : — Je veux me marier. Et comme il faisait à peu près lout ce qu'il‘ voulait, loutes les nuits il s'élevait en l'air avec lui et allait, par ce chemun, faire sa cour à la fille du roi d'Angleterre. Dans le trajet, ils passaient par-dessus le manoir d'un autre docteur, très-savant aussi, nommé le docteur Coatarstank. Celui-ci avait une jeune fille, la plus belle créature qu'il füt possible de voir, et, toutes ies nuits, quand elle était dans son lit, elle entendait le bruit que faisaient le docteur Coathalec et son valet d'écurie en passant au-dessus du manoir. Elle ne pouvait s'expliquer ce qui pouvait causer ce bruit, et elle demanda un matin à son père : — Dites-moi donc, mon père, ce que c’est que ce bruit que j'entends toules les nuits au-dessus du manoir, depuis quelque temps, comme d'un oiseau géant qui passerait ? DR Te — Ma lille, cest le docteur Coathalec qui passe avec son valet d'écu- rie pour aller faire sa cour à la fille du roi d'Angleterre. — Le docteur Coathalec? J'ai entendu parler de lui souvent et je voudrais bien le voir. — Rien n'est plus facile, ma fille, et je le ferai descendre pour vous souhaiter le bonsoir. C'est vers minuit que le docteur Coathalec passait ordinairement. Le docteur Coatarstank se mit à sa fenêtre, et le voyant traverser l'air, ül lui cria : — Hé! confrère, docteur Coathalec, où allez-vous ainsi? Descendez donc un peu pour nous souhaiter le bonsoir; ce n'est pas bien à vous de passer ainsi, toutes les nuits, sans vous arrêter un peu pour causer; entre gens du même métier on se doit plus d'égards ; descendez une mi- nute, je vous prie. — Je n'en ai pas le temps à présent, je suis pressé; ce sera pour quand je retournerai. Et il étendit sa baguette blanche vers la fenêtre, prononça quelques paroles, et aussitôt la tête du docteur Coatarstank s’enfla et devint si grosse qu'il ne put jamais, malgré tous ses efforts, la retirer de la fe- nêtre. Le docteur Coathalec continua sa route, en riant. Au point du jour, quand il repassa, son pauvre confrère avait encore sa grosse tête dehors. et il pleurait et brayait comme un âne. — Eh bien, docteur Coatarstank, n'est-il pas temps d'aller se coucher ? lui demanda-t:l. — Pardon! pardon ! grand docteur Coathalec; mettez un terme à mon supplice, je vous en conjure. — Allez vous coucher, docteur Coatarstank, et une autre fois ne soyez pas si curieux, car Vous n'êtes qu'un àne. » Le docteur Coathalec étendit sa baguette vers son infortuné confrère, prononca quelques paroles, et aussitôt sa tête se désenfla et il put la rentrer. Et dans la suite il n'essaya plus d'arrêter son confrère quand il passait. | Coathalec continua ses visites à la fille du roi d'Angleterre. Un jour il demanda aussi sa main à son père, qui la lui refusa net. Alors le docteur prit la princesse sous son bras, s’éleva avec elle en l'air et l’'emmena à son manoir de Kermeno. Le roi anglais, outré de colère, vint bientôt à Plougonver-Chapelle- Neuve, avec une armée, pour réclamer sa fille et punir le ravisseur. Il demanda où demeurait le docteur Coathalec, et on le conduisit à Ker- meno. Arrivé dans l'avenue du manoir, il vit sa fille à une fenêtre, em- brassant le docteur. Furieux, il envahit le manoir avec ses soldats; mais ils eurent beau chercher et fouiller partout, jusque dans les moindres — 14 — recoins , ils ne trouvèrent ni la princesse ni son ravisseur. Ils revinrent alors dans l'avenue et les virent encore qui s embrassaient à la même fenêtre. Et ils se précipitèrent à nouveau dans le manoir, et leurs re- cherches furent aussi vaines que la première fois. Trois fois ils recom- mencèrent leurs perquisitions , et toujours en vain. Comprenant alors qu'il y avait de la sorcellerie dans late et quon se moquait de lui, le roi d'Angleterre s' s'en retourna, tout honteux, dans son royaume. Le docteur Coathalec conduisit alors sa fiancée au bourg de Plougon- ver par un souterrain quil avait fait creuser du manoir de Kermeno jusqu'à l'église. Ce souterrain existe encore, et tous les gens du pays pourront vous l’affirmer, car tout ceci est vrai et non pas un conte rem- pli de mensonges *. Le recteur les maria devant Dieu et les saints, et c'est ainsi que le docteur Coathalec épousa la fille du roi d'Angleterre. Quelque temps après, le docteur, qui étudiait toujours, crut avoir trouvé le moyen de se rendre immortel, car il n y avait qu'une chose au monde qu'il craignît, la mort. Il donna ses instructions à son valet d'é- curie, son meilleur ami, pour l'aider dans cette dificile épreuve. Il lui dit : — À minuit sonnant, tu te rendras à l'église de Plougonver; tu verras sur les marches de l'autel un cercueil ouvert. Marche droit à ce cercueil et embrasse trois lois de suite ce que tu verras dedans, quelque hideux, quelque horrible qu'il puisse être. Et n'aie pas peur, il ne t'arrivera au- cun mal, car c'est moi-même qui serai dans le cercueil. Le feras-tu ? — Je le ferai, répondit le valet d'écurie, qui n’était pas peureux et qui avait une confiance illimitée dans son maître. — Rappelle-toi bien que c'est trois fois que tu devras embrasser ce que tu verras dans le cercueil. Si le courage te fait défaut la première nuit, tu retourneras la nuit suivante, puis la suivante encore, si tu fai blis aussi la seconde. Maïs après cette troisième nuit, si tu manques de courage, si tu ne donnes pas les trois baisers, tout sera fini; je serai mort et damné à tout jamais! Si au contraire tu vas jusqu'au bout sans faillir, je me relèverai du cercueil et je reviendrai à la maison avec toi, et je serai immortel, je ne mourrai jamais! Puis je te rendrai aussi im- mortel, comme moi-même. Dis-moi, te sens-tu le courage nécessaire pour faire ce que je te demande? — Oui, je le ferai, j'embrasserai trois fois de suite ce qui sera dans le cercueil, et quand ce serait le diable. Le docteur Coathalec disparut alors et personne ne sut ce qu'il était devenu. Il ne s'était confié qu'à son valet d'écurie, et, avant de partir, 1 avait même changé sa femme en belette, sa femme de chambre en vipère ? Mon conteur croyait, en effet, à la réalité de tout ce qu'il me racontait. —— 145 — et son valet de chambre en crapaud, dans la crainte qu'ils ne vinssent à dérober son secret à son valet d'écurie et à lui faire peur. À minuit sonnant, le valet entrait dans l'église de Plougonver. Il marcha droit et résolu vers le cercueil, quil vit sur les marches de l'autel, comme le lui avait dit le docteur. Mais au premier coup d'œil quil y jeta, il recula d'horreur. Il y avait dedans un énorme crapaud, humide et gonflé de venin, et qui le remplissait jusqu'aux bords. Ras- semblant tout son courage, il lui donna un baiser, puis un second, en détournant la tête; mais il ne put jamais aller jusqu'au troisième. Il sortit tout pale et se reprochant sa faiblesse. Le lendemain, personne ne vit le docteur. e La nuit suivante, à minuit sonnant, le valet entrait encore dans l'église de Plougonver, avec une grande résolution. Cette fois, il vit dans le cer- cueil, non le crapaud de la veille, mais une énorme couleuvre, sifflante et furieuse. Il donna deux baisers à la couleuvre et ne put encore aller jusqu'au troisième. Enfin , la troisième nuit, il trouva dans le cercueil une salamandre monstrueuse, et quoiqu il fut bien résolu à mourir sur la place plutôt que de faillir, cette fois, il ne put encore l'embrasser que deux fois. Son cœur se soulevait, quand il s'approchait de l'horrible bête et tout son courage l'abandonnait. Il revint à Kermeno, furieux. En arrivant, il saisit un grand couteau sur la table de la cuisine, se jeta sur la cuisinière qui dormait dans son lit, lui coupa la gorge et recueillit plein une bouteille de son sang. Il boucha bien la bouteille et l'enfouit dans un tas de fumier de cheval. Puis il fit chercher dans tout le pays sept nourrices qui devaient, nuit et jour, sans discontinuer et chacune à son tour, répandre le lait de leurs seins sur le fumier, à lendroit où se trouvait la bouteille, et cela pen- dant trois mois entiers. : Le docteur lui avait dit que, s'il manquait l'épreuve du cercueil, il pourrait encore le sauver en agissant ainsi. Cependant il ne restait plus d'habitants à Kermeno que le valet d'écu- rie avec les sept nourrices, tous les autres ayant été métamorphosés, comme je l'ai dit plus haut, en belette, en vipère et en crapaud. Cette disparition paraissait étrange, et les soupçons et les commérages allaient leur train, comme bien vous pensez. L'on se demandait aussi avec mys- tère ce que pouvaient faire là les sept nourrices. On accusait communé:- ment le valet d'écurie d'avoir assassiné le docteur pour s emparer de ses biens et de ses secrets magiques, et les autres, pour s'assurer leur silence. Enfin on écrivit à Saint-Brieuc, et les gens de la justice se trans- portèrent jusqu à Kermeno. Le valet d'écurie était bien embarrassé et bien inquiet, je vous prie de le croire. Pressé de questions et menacé d'être pendu, il révéla tout. MISS, SCIENT. — VI]. 10 — 146 — On retira alors la bouteille du fumier et l'on vit dedans un petit homme qui la remplissait déja et qui ressemblait parfaitement au doc- teur Coathalec. Si les nourrices l'avaient encore arrosé de leur lait pen- dant trois jours seulement, il serait sorli de la bouteïlle plein de vie, de jeunesse, de force, et immortel! Mais Dieu ne le permit pas. Le juge lança la bouteille contre un mur, où elle se brisa, et le petit homme se colla contre les pierres comme une pomme cuite. C'en était fini du docteur Coathalec, qui avait voulu se rendre immortel. Dieu seul est immortel. Quant à sa femme, la fille et le valet de chambre, qui avaient été mé- tamorphosés en belette, en vipère et en crapaud," ils restèrent sous ces figures, le docteur n'étant plus la pour les rappeler à leurs formes pre- mières. Conté par Jean Le Ny, laboureur à Plounevez-du-Faou (Finistère). La fin de ce conte me paraît un peu confuse et doit être quel- que peu altérée. En effet, il semble contraire à toutes les lois, même celles de la sorcellerie et de la magie, que d’une bouteille du sang de sa cuisinière püt renaïitre le docteur Coathalec. Dans un autre conte, qui a plus d’une ressemblance avec celui- ci, et que J'ai publié dans la Revue celtique, le héros, Coadalan, essaye aussi, mais sans plus de succès, de se rendre immortel. I se fait mettre à mort, puis son corps ayant été haché menu comme chair à saucisses, tous les morceaux, avec le sang, en sont réunis dans une grande terrine, que l’on enfouit aussi dans du fumier de cheval. Üne nourrice doit, pendant six mois, trois heures par jour, répandre le lait de ses seins au-dessus de la ter- rine. Elle s'endort sur le fumier, trois jours avant l'expiration des six mois, et l'épreuve manque. Quand on retira la terrine du fu- mier, le corps de Coadalan était déjà entièrement reconstitué, mais la vie n'y était pas encore revenue. À Huelgoat, à Berrien, à la Feuillée, à Plouneour-Menez, que je visitai ensuite, partout jai recueilli quelques renseignements précieux, bien que moins abondants et moins complets que dans les Côtes-du-Nord, sous le rapport des chants populaires princi- palement. Une des pièces les plus importantes du pe -Breiz, de M. de La Villemarqué, c'est celle des Séries (Ar Rannou) qui ouvre le recueil. Suivant sa méthode bien connue de tout expliquer en = lee faveur d'opinions préconçues et systématiques, et de n'être jamais arrêté par aucune difficulté, le savant académicien croit décou- vrir dans cette pièce célèbre une sorte de récapitulation des doc- trines druidiques sur le destin, la cosmogonie, la géographie, la chronologie, l'astronomie, la magie, la médecine, la métempsy- cose. Partout où je passe, je ne néglige jamais de recueillir toutes les versions, toutes les variantes que je trouve de ce chant bizarre, et J'en parlerai ailleurs plus longuement, lorsque mes recherches seront terminées sur ce sujet. Mon intention est d'explorer, à présent, les côtes du haut et du bas Léon, à pied et à petites journées, en suivant toutes les sinuosités du rivage, depuis Morlaix jusqu'à Brest. Puis, dans les mois de novembre, décembre et janvier, l'époque des longues veillées et des récits merveilleux autour du foyer do- mestique, je retournerai dans la Cornouaïilles, et je compléterai mes perquisitions dans la région des montagnes. Ce sera l'objet de deux autres rapports que j'aurai l'honneur d'adresser à Votre Excellence. F.-M. Luzer. 10. TROISIÈME RAPPORT SUR UNE MISSION EN BASSE BRETAGNE, AYANT POUR OBJET DE RECHERCHER LES TRADITIONS ORALES DES BRELONS ARMORICAINS, CONTES ET RÉCITS POPULAIRES, PAR M. F.-M. LUZEL. | Plouaret, le 4 novembre 1870. Monsieur le Ministre, Dans mon rapport du 2 août dernier, j'ai eu lhonneur de rendre compte à Votre Excellence du résultat de mes recherches sur nos anciennes traditions orales, dans la Cornouailles, et plus particulièrement dans les montagnes d’Arez. Les graves et funestes événements qui se sont accomplis depuis ont, un moment, interrompu mes perquisitions. Puis, malgré les légitimes angoisses qu'éprouve aujourd’hui tout cœur français, après avoir vainement tenté de m'enrôler dans la garde nationale de Paris; après avoir écrit quelques chants patriotiques, dans notre vieille langue nationale, pour ranimer le courage de nos paysans bretons et les appeler aux armes contre les hordes bar- bares qui envahissent et ravagent le sol sacré de la patrie, — comme aux temps d’Attila et de ses Huns,— j'ai repris mon bâton de voyage. Je viens de rentrer d’une tournée dans le pays de Léon, que j'ai parcouru pour la troisième fois. Comme dans mes excursions précédentes, j'ai constaté que les vieilles traditions populaires s’y sont bien moins conservées que dans le département des Côtes-du-Nord, et plus spécialement dans l’ancien évêché de Tréguier. J'ai pourtant recueilli presque partout où j'ai passé quelque renseignement, utile, quelque cu- rieux document qui, tous, trouveront leur place dans l'ouvrage D — 150 — que je prépare sous le titre de : Contes et récits populaires des Bre- tons-Armoricains. | Je suis donc revenu dans la partie bretonnante du département des Côtes-du-Nord, cette terre classique de notre vieiïlle littérature bretonne, et je compte y passer la première partie de l’hiver qui vient, afin d’épuiser la mine, autant que possible, ou du moins de laisser peu de chose à faire, comme collecteurs, à ceux qui me succéderont dans ce genre de recherches. Comme me l'écrivait dernièrement un membre de l'Institut, bien compétent en pareille matière !, je crois faire une œuvre vrai- ment utile et scientifique, et travailler à préparer des matériaux pour l'histoire des origines de notre eivilisation. Cette histoire, nos petits-fils l’écriront un jour, grace-à l'industrie de leurs pères. Voici l’époque des longues veillées qui arrive, et je vais reprendre ma place au foyer de nos fermes et de nos manoirs bretons, pour y recueillir, avec toute l'exactitude possible, les récits "merveilleux et les légendes si poétiques et si intéressantes de nos fileuses, de nos laboureurs et de nos mendiants. Pauvres gens qui ne savent pas lire et dont la mémoire nous a conservé, de génération en génération, pendant une longue suite de siècles, ces fables sédui- santes, ces consolantes imaginations qui les aident à supporter la triste réalité, les peines et les déceptions de chaque jour! Les récits populaires qui ont cours dans nos campagnes peuvent se partager, comme Je l'ai déjà fait remarquer dans un rapport précédent, en trois classes : 1° Contes mythologiques; 2° Contes légendaires chrétiens; 3° Contes plaisants et facétieux. Ja cherché, ailleurs, à établir le caractère dominant de cha- cune de ces divisions, ainsi qu’à éclaircir la question de provenance de ces récits, en général, et de leur conservation chez nous, et plus particulièrement dans l’ancien évêché de Tréguier. Aujour- d'hui je donnerai la traduction d’un récit de chaque genre, sans les accompagner de commentaires, sauf à revenir plus tard sur les questions d’origine et d’analogie avec les traditions des autres peuples. Je commencerai par un conte mythologique, pris au hasard s jo M. Ed. Laboulave. — 151 — dans mes cahiers. Cest la branche la plus fertile et aussi la plus importante, au point de vue scientifique. *" BEHANIC ET L'OGRE. CONTE MYTHOLOGIQUE. Un vieux pêcheur de Douarnenez était resté veuf avec trois fils , jeunes encore. Il n'avait pour tout bien que sa barque et ses filets. Tous les jours il allait en mer avec ses trois fils, et ils vivaient ainsi, tant bien que mal, du produit de leur pêche. Mais le vieillard vint à mourir, quand Dieu jugea que son heure était venue, et les trois frères restèrent sans appui el sans autre ressource que la petite barque et les filets que leur laissait leur père. Ils continuèrent d'aller tous les jours en mer, comme devant, quel que füt le temps. Mais hélas! manquant encore d'expérience dans le métier, ils ne prenaient presque rien. Un jour, leur barque fut jetée en pleine mer, par un coup de vent, el, par un temps affreux, ils passèrent la nuit dehors, à la grâce de Dieu. Au matin, le vent tomba et ils abordèrent à une terre inconnue d'eux. C'était une île. Comme ïils y cherchaient quelque habitation, ils arrivèrent devant un vieux château ceint de hautes murailles. Mais ils avaient beau tourner autour, ils ne trouvaient pas de porte. Comment faire pour y entrer? Ils élaient bien embarrassés. Alors le plus jeune des trois, qui avait nom Bihanic (le petit}, grimpa sur un grand chène- qui était contre le mur, puis, se glissant le long d'une branche, il descen- dit dans un grand jardin rempli de belles fleurs et de fruits de toute sorte. Une fois dans le jardin, ‘il jeta des poires, des pommes, des oranges, des pèches àses frères, par-dessus le mur. Après quoi et quand il en eut mangé lui-même son content, il voulut aussi visiler l'intérieur du château. Les portes en ftaieni grandes ouvertes et il entra. Il arriva dans la cuisine et n'y trou.1 personne. Mais il vit un bœuf entier qui cuisait à la broche, et sur 11 table il y avait un tas de miches de pain blanc tout frais. I en prit quelques-unes et se hâta de les aller jeter à ses frères, par-dessus ie mur. Puis il revint à la cuisine du château, coupa une tranche de bœuf et se mit à la manger tranquillement, comme s'il eût été chez soi. Tôt après, il entendit quelqu'un qui descendait lentement et lourdement l'escalier de pierre, comme s'il avait un poids de deux cents livres à chaque pied. Il se cacha vite sous a table et vit arriver un Ogre qui avait bien dix pieds de haut et cinq ou six en lar- geur. L'Ogre débrocha le bœuf qui rôtissait devant le feu et le posa sur la table. Puis il alla à son cellier et en rapporta une barrique de vin sous son bras. Ii posa la barrique à terre, sur un bout, la défonça et com- menca alors à manger et à boire. Et il mangeait et buvait, il fallait vor — 152 — comme! Tout à coup il lächa une pétarade telle, qu'on aurait dit une demi-douzaine de coups de canon! Bihanic en fut balayé par le veat jus- qu’au fond de la cuisine. Ilse releva lestement, se présenta devant l'Ogre, son bonnet à la main, et lui dit d'un air dégagé : — Bonjour, mon père! e — Comment, ton père, avorton ? répondit l'Ogre, surpris de le voir; d'où viens-tu ? | — De votre ventre, mon père. — Comment cela ? — Oui vraiment vous êtes bien mon père, el vous venez de me mettre au monde dans la pétarade de tout à l'heure. N’avez-vous donc rien senti d'extraordinaire ? — Il est vrai que je ne me souviens pas avoir jamais fait aulant de bruit, et 1l devait y avoir quelque chose d'extraordinaire là-dedans. — C'était moi! — Quoique tu sois bien petit, je suis bien aise de t'avoir pour me tenir société; du moins je ne serai plus seul à présent dans cet immense château où je m'ennuie parfois. Assieds-toi en face de moi et mange et bois. Bihanic s'assit en face de l'Ogre et mangea et bul, un peu rassuré. Quand il ne resta plus rien du bœuf, que les os, l'Ogre lui dit : — À présent, je vais en voyage, pour faire la chasse aux hommes, et il se peut que je sois absent quelque temps; mais ne ten inquiète pas, car tu ne manqueras de rien ici; tu trouveras à boire et à manger à dis- crélion, et le jardin est rempli de fruits délicie®x de toute sorte. Je te laisse ma chienne pour te tenir compagnie. Voici encore, pour tamu- ser, les clefs de tous les appartements du château. Il ÿ en a soixante-dix, et elles sont toutes de diamant. Avec elles, tu pourras tout visiter et te promener partout. Îl n'y a qu'une seule clef dont tu ne pourras trouver l'emploi. L'Ogre partit alors. Bihanic commença par s assurer si ses frères étaient restés à l'attendre ; mais ceux-ci, ne le voyant pas revenir, s'étaient dit, au bout de quelque temps : « Bihanic aura été, sûrement, mangé par l'Ogre qui habite dans ce château, » et ils s’en étaient allés. 1 Bihanic, muni de son trousseau de clefs, se mit à parcourir toutes les salles et les chambres du château, et il allait de surprise en surprise, d'admiration en admiration, car partout il trouvait des monceaux d'ar- geni, d'or, de diamants et des merveilles de toute sorte. Par ailleurs, mi homme ni bête. Il lui restait encore une clef qui n'avait pas servi, el il avait beau chercher, il ne trouvait pas la serrure de celte soixante- dixième clef. Il en était très-contrarié, lorsqu'il vit la chienne, qui le suivait partout, appuyer ses deux pattes de devant contre la muraille, — 153 — en aboyant et en le regardant comme pour lui faire signe. 1 examina bien l'endroit et apercut un trou de serrure auquel sa soixante-dixième clef s'ajustait parfaitement. Il l'y introduisit, ouvrit et vit, dans une cachette, un coffre tout garni de diamants. Il ouvrit ce coffre, car la clef était dans la serrure, et y trouva un diamant beaucoup plus grand et plus brillant que tous ceux qu'il avait vus jusqu'alors; et à l'intérieur du coffre, sur une des parois, il put lire ces mots : « Celui qui possédera ce diamant n'aura qu’à dire : «Par la vertu de mon dia- «mant, que telle ou telle chose arrive! » et aussitôt tous ses désirs, quels qu'ils soient, seront réalisés. » — À merveille! se dit Bihanic. Et il prit le diamant dans sa main et prononça les mots suivants : «Par la verlu de mon diamant, que nous soyons transportés à Paris, la chienne et moi!» (Cette chienne-là était la reine de tous les chiens.) En un instant la chienne et lui furent transportés à Paris, à travers les airs. Ils y arrivèrent de nuit, devant le palais du roi. Alors Bihanic dit encore : « Par la vertu de mon diamant, je demande qu'il y ait ici un château magnifique, bien plus beau que celui du roi!» Et aussitôt il se trouva sur la place un château comme il l'avait de- mandé. Les murailles en étaient d'argent, les fenêires d'or, et sur le toit il y avait un diamant à la place de chaque ardoise. Le lendemain matin, quand le soleil levant parut dessus, tous les yeux en étaient éblouis, et nul ne pouvait le regarder longtemps. Quand le vieux roi se réveilla, il mit la tête à la fenêtre et faïlit êlre aveuglé par l'éclat de la lumière. — Qu'est ceci? s’écria-t-il, en colere. Et il appela son premier général et lui dit : — Qui donc a eu l'audace d'élever un pareil châleau en présence du mien, pour m'aveugler ? — Hélas! Sire, nul ne le sait et nous en sommes tous aussi étonnés et aussi indignés que vous. Cela s'est fait pendant la nuit et par quelque art magique, sans doute. — Allez vite dire au maître de ce château de venir me trouver sur l'heure. Le général se dirigea vers le château, avec des troupes et des canons. Bihanic, en les voyant venir, s'avança à leur rencontre. — Est-ce vous, lui demanda le général, qui avez eu l'audace d'élever ce château, pour offusquer celui de mon roi? — C'est bien moi, ne vous déplaise, général. — Eh! bien, venez trouver mon maïtre, el venez vite, ou il n'y a que la mort pour vous. — Doucement , mon général! Dites à votre roi que s'il veut me par- ler, il vienne lui-mème me trouver, chez moi. Lu Nos — Quelle insolence! Nous allons canonner votre château et le dé- truire entièrement, si vous ne voulez nous suivre à l'instant. — Comme il vous plaira, général; mais pour moi, je ne suis nulle- ment décidé à vous suivre. Alors les canons furent braqués contre le château et la ‘canonnade commença. Mais les boulets, loin de causer quelque dommage au chà- teau de Bihanic, rebondissaient et venaient tuer les soidats qui les lan- çaient et renverser leurs pièces. Voyant cela, ie générat comprit qu'il y avait quelque sorcellerie dans l'affaire et qu'il aurait tort de s'opiniâtrer à vouloir lutter contre un pouvoir qui se moquait de lui et de ses ca- nons. Il s’en retourna vers son roi, tout penaud, et jui conta la chose. Le vieux roi aussi crut devoir agir plus prudemment, et il alla lui-même prier linconnu de vouloir bien accepter à diner, dans son palais. Biha- nic s'empressa d'accepter. Il fut placé à table à côté de la fille unique du roi, jeune princesse d'une beauté merveilleuse. Il devint amoureux d'elle sitôt qu'il la vit, et la demanda en mariage à son père. Celui-ci se garda bien de refuser un prince si galant et qui avait un si beau château, et les noces furent célébrées huit jours après. Il y eut à cette occasion de grands festins et des réjouissances publiques dans tout le royaume. Les deux frères de Bihanic furent aussi de la noce, etils quiitèrent, dès ce moment, leur barque et leurs filets pour habiter le château de leur frère cadel. Une fois les réjouissances et les festins terminés, c'est-à-dire au bout d'un mois environ, les trois frères allaient souvent chasser ensemble dans une forêt voisine, qui abondait de gibier de toute sorte. Bibanic laissait son talisman au château quand il allait à la chasse el n'avait aucune in- quiétude à son sujet, car sa femme seule savait où il le mettait, encore n'en connaissait-elle pas la vertu magique. Cependant lOgre était rentré dans son château tôt après le départ de Bihanic. Inconsolable de la perte de son talisman et de sa chienne, il passa plusieurs jours à se lamenter et à faire retentir tous Îes environs de cris et de hurlemenis effrayants. Puis il partit à la recherche du ra- visseur. Voici de quel stratagème il s’avisa pour le retrouver. Son chà- teau, comme nous l'avons dit, abondaïit de diamants de toute dimen- sion et de toute valeur. Il en remplit un sac, le chargea sur ses épaules et se mit en route, visitant tous les pays et criant partout où il passait : «Deux diamants neufs pour un vieux! Qui veut deux diamants neufs pour un vieux?» Au bout d'un mois, il arriva aussi à Paris, et il se mit à parcourir la ville en criant : «Deux diamants neufs pour un vieux | Qui veut deux diamants neufs pour un vieux?» Tous ceux qui avaient de vieux diamants les échangeaient contre des diamants neufs. Bihanic était à la chasse avec ses deux frères. Mais sa femme, en en- — 155 — tendant crier : Deux diamants neufs pour un vieux! fil comme tout le monde. Elle prit le diamant de son mari, qui lui semblait être vieux, et courut l'échanger contre deux diamants neufs. Dès que l'Ogre vit son talisman , il le reconnut, le saisit avec empres- sement, et jetant là son sac avec tout ce qu'il contenait, il s'enfuit au plus vite. Quand Bihanic rentra de la chasse, sa femme ne lui dit rien de l'échange quelle avait fait. Il soupa, puis il alla se coucher, comme à l'ordinaire, sans souci de rien. Mais au milieu de la nuit, 1l eut froid et se réveilla. Grand fut son étonnement de voir les étoiles du ciel et de se trouver couché sur la terre nue, en plein air, à côté de sa femme. J1 se frotta les yeux en se disant: — Certainement je rêve. Mais hélas! il ne rêvait pas et il lui fallut bien reconnaitre la triste réalité. Avec son talisman , son châleau et tout ce qu'il renfermait s'en élait allé comme 1l était venu! Quand le vieux roi, le lendemain matin, vit revenir sa fille tout en pleurs et grelottante de froid, et qu'il apprit d'elle comment son mari avait perdu son château et qu'il la faisait coucher à la belle étoile : « Je me doutais bien, dit-il, furieux, que c'était quelque aventurier du- quel on ne devait s'attendre à rien de bon. Qu'on le jette en prison, pour attendre le moment de monter à l'échafaud !» Et Bihanic fut jeté en prison. Cependant la chienne élait allée au palais du vieux roi, et là elle écoutait lout ce qui se disait. Un jour, ayant entendu dire que son maitre serait exécuté à dix heures, le lendemain matin, elle trouva moyen de se rendre auprès de lui dans sa prison, et lui parla de la sorte (car elle était aussi sorcière) : «Mon maitre, le roi veut vous faire mourir de- main malin. Mais soyez sans inquiétude, je saurai vous lirer de danger. Je vais faire un voyage pendant la nuit, et pour demain matin je serai de retour pour vous sauver, au moment où vous monterez à l'échafaud. Je vous ie répète, soyez sans inquiétude. » Bihanic embrassa la chienne, avec reconnaissance, et elle partit aussi- tôt pour son voyage mystérieux. Elle se rendit auprès de la reine des chats, lui conta l'affaire et la pria de lui venir en aide. — Je ne puis rien, par moi-même, pour vous lirer d’embarras, lui dit la reine des chats; mais allons trouver la reine des rats, el je pense qu'elle saura nous être utile. Elles allèrent toutes les deux trouver la reine des rats et lui exposèrent le cas, en la priant de vouloir bien leur prêter son assistance, promel- tant de lui rendre ce service à l’occasion. « L'Ogre, ajouta la reine des chiens, depuis qu'il a retrouvé son talisman, le porte dans une grande molaire creuse qu'il a, et c’est la qu'il faut le lui prendre!» — 156 — La reine des rats réfléchit un peu, puis elle dit : — Soyez tranquille, je vous rapporterai le diamant, el voici comment je m'y prendrai. Je ferai un mélange de vinaigre, de sel, de poivre et de jus de tabac; j'y tremperai ma queue, puis, la nuit venue, je me glisserai dans la chambre de l'Ogre, par un lrou que je connais dans la muraille, et je la lui passerai deux ou trois fois par la bouche, pendant qu'il dormira. Il élernuera alors si fort, qu'il rejettera le diamant. Je m'en emparerai aussitôt et vous l'apporterai dans la cour du château, où vous m'attendrez. Le siratagème fut trouvé excellent. On fit la mixture désignée, la reine des rats y trempa sa queue, quand elle entendit ronfler l'Ogre, qui, comme à l'ordinaire, avait mangé un bœuf entier à son souper et bu sa barrique de vin; puis elle pénétra dans sa chambre, et tout réussit à souhait. Quand la queue eut été passée pour la troisième fois par la bouche de l'Ogre, celui-ci éternua trois fois à faire trembler tout le château. À la troisième fois, le diamant jaillit de sa dent creuse sur le plancher de la chambre. La reine des rats s’en empara aussitôt, le rap- porta à la chienne, qui attendait dans la cour et qui reprit aussitôt la route de Paris en toute hâte. Elle y arriva au moment où son maître montait à l'échafaud. Il était temps! Bihanic, en la voyant venir, reprit courage (car il commençait à désespérer), et se tournant vers le roi, qui était la, assis sur un siége doré, il lui dit : — Je vous demande, Sire, comme dernière grace, de me permettre d'embrasser ma chienne, que je vois venir là-bas, et qui est restée fidèle à son maitre jusqu à sa dernière heure. | Le roi fit signe de la tête qu'il consentait, et on monta la chienne sur l'échafaud. Bihanic l’embrassa et lui prit en même temps le diamant qu'elle portait dans sa bouche. Quand il le tint dans sa main, il dit : — « Par la verlu de mon diamant, je veux que tous ceux qui sont venus ici, comme à une fête, pour me voir trancher la tête, s'enfoncent en terre jusqu'au coul» Ce qui fut fait aussitôt. Prenant alors le grand sabre du premier gé- néral, il trancha la tête à tous ceux qui lui avaient désiré du mal et laissa vivre les autres. Puis, à l’aide de son talisman, il fit revenir son château en face du palais du roi, comme devant. La chienne se changea alors en une belle princesse. Il l'épousa et vécut heureux avec elle, dans ce beau château, le reste de ses jours. Conté par Jean-Marie Le Ny, laboureur à Plounevez-du-Faou (Finistère), le 15 juin 1870. On trouve dans nos campagnes bretonnes tout un cycle de lé- gendes et de récits intéressants sur un prétendu voyage de Notre — 157 — . Seigneur Jésus-Christ en basse Bretagne; car nos paysans sont bien persuadés qu'il a aussi visité leur pays, comme, du reste, toute la terre, — quand Il faisait le iour du monde, — disent-1ls. Le récit suivant est un des plus curieux de cette classe. PORPANT. RÉCIT LÉGENDAIRE CHRÉTIEN. IL y avait une fois {c'était du temps que Notre Sauveur Jésus-Christ voyageait en basse Bretagne, accompagné de saint Pierre el de saint Jean), un homme riche, qui n'aimait que l'argent, et cette passion avait endurci son cœur et en avait fait une pierre, pour ainsi dire. Son nom élait Porpant. Notre Sauveur allait prêchant partout la charité et la tolérance. Or, : Porpant l'ayant entendu dire, dans un de ses sermons, que celui qui donnerait aux pauvres en serait, un jour, récompensé au triple, c'est-à- dire que celui qui donnerait un denier en recevrait trois, celui qui en donnerait trois en recevrait neuf, et ainsi de suite, il prêta l'oreille el se dit en lui-même : — Voilà mon affaire! J'ai, dans un coin de mon armoire, soixante écus dont je ne fais rien, et j'aimerais bien à en avoir trois fois autant : cent quatre-vingts écus, c'est une johe somme cela! Je vais donc distribuer mes soixante écus aux pauvres, puisque ce pro- phète, de l'avis de tout le monde, ne dit jamais que la vérité et fait tous les jours des miracies. Et il fit publier par le pays que tous les pauvres étaient invités à se rendre chez lui, le lendemain, et quil avait soixante écus à leur dis- tribuer. Tout le monde fut bien étonné. Comme bien vous pensez, les pauvres ne manquêrent pas. Îl en vint de tous les côtés, de tout âge et de toute misère. Et Porpant leur dis- tribua ses soixante écus, jusqu'au dernier liard. Puis il attendit, plein de confiance. Le lendemain matin, en se levant, il courut à son armoire, pour voir si l'argent promis élait arrivé. Mais rien n'était venu. — Ce sera sans doute pour demain, se dit-il. Mais le lendemain, rien encore, et le troisième jour pas davantage. Si bien que Porpant était déjà fort inquiet et- qu'il se demandait : — Est-ce que cet homme-là m'aurait trompé? Oui, sans doute. Ah! je suis ruiné alors; je suis le plus malheureux des hommes! Mais il faut que je le retrouve, ce faux prophète! Et il se mit à la recherche du prédicateur étranger. Il le rencontre qui se rendait à un bourg , sur une hauteur, avec ses deux compagnons. Un agneau blanc, dont on leur avait fait présent dans un village voisin, les suivait. s — 158 — Porpant alla droit à Notre Sauveur et l'apostropha d'un air fâché : — Vous avez dit, dans votre sermon de l'autre jour, que celui qui donnerait aux pauvres recevrait trois fois autant qu'il aurait donné. J'avais à la maison soixante écus, dans un coin de mon armoire: jai toul dis- tribué aux pauvres et je n'ai encore rien recu; et pourtant, voici le qua- trième jour depuis que jai donné mon argent. Est-ce que vous vous seriez moqué de moi? — Non, Porpant, lui répondit Jésus avec douceur ; mais patientez un peu, et ma promesse s'accomplira; n'ayez point d'inquiétude, votre ar- gent vous sera rendu. Emmenez, en attendant, cet agneau, faites-le cuire et, ce soir, nous irons le manger dans votre maison. — À la bonne heure! répondit Porpant. Et il revint à la maison, rassuré et emmenant l'agneau, pendant que les trois autres allaient prêcher la parole de Dieu dans un bourg voisin. Porpant, de retour à la maison, tua l'agneau, l’écorcha, puis il le mit à Ja broche devant un bon feu. Il était tendre et appétissant. — Cet agneau doit être excellent, se disait-il en le regardant cuire, j'en aurai aussi ma part, sans doule. Quand il le crut cuit à point, il le retira du feu, le débrocha et le déposa sur un plat. Et il se léchait les doigts et l'eau lui en venait à la bouche en le regardant. — Et quand jen mangerais un morceau, pour voir s'il est cuit à point? se disait-il. Je m'y prendrai, du reste, de telle façon qu'ils n’en sauront rien. Tiens! voici précisément un morceau détaché qui me pa- raît être bien bon. Et il le mangea. C'était le cœur. Peu de temps après arrivèrent les trois étrangers. L'appétit était bon, car ils avaient beaucoup marché. Aussi se mit-on tout de suite à table. Porpant fut aussi invité à partager le repas. Chacun taillait et décou- pait où il lui plaisait, et l'on faisait honneur à la cuisine de Porpant. Notre Sauveur, seul, paraissait triste et ne mangeait pas. — Eh bien, vous ne mangez donc pas, vous? lui dit Porpant. — Si, si, je vais manger aussi. Et il cherchait quelque chose dans le plat et paraissait conlrarié de ne pas trouver ce qu'il cherchait. — Que cherchez-vous donc? reprit Porpant. — Le cœur; j'aime beaucoup le cœur, moi. — Le cœur? Je n'ai pas vu de cœur; il n'avait pas de cœur cet agneau-la. — Sauf votre grâce, Porpant, il devait avoir un cœur, comme tous les autres agneaux, car Dieu n'a créé ni homme ni animal sans cœur. — Je vous assure qu'il n'avait pas de cœur! reprit Porpant avec vivacité. | — 159 — Pendant qu'ils étaient encore à table, arriva une dame riche, d'un château voisin, et qui avait perdu la vue. Elle avait consulté des méde- cins et des savants renommés, et nul ne pouvait la guérir. Elle se jeta, en pleurant , aux pieds de Notre Sauveur et lui promit une somme d'ar- gent considérable s'il lui rendait la vue. Sa douleur était grande. Notre Sauveur en fut touché. Il la prit par la main et la releva. Puis, mettant sa main droite sous la semelle de sa chaussure, il la retira aussitôt, la passa légèrement sur Îles paupières de la dame, et la vue lui fut rendue. Dans sa joie et son bonheur de revoir la lumière du soleil béni, elle voulait donner toute sa fortune à celui qui l'avait guérie. Notre Sauveur lui prit cent écus seulement. Porpant ne put sempêcher de dire : — Cette dame est très-riche; que ne lui demandiez-vous cinq ou six mille écus ? Elle vous les eût donnés aussi bien. — Bah! c'est assez pour la peine que j'ai eue; vous avez vu comme cela m'a été facile. : Quand la dame fut partie, Notre Sauveur dit : — Je vais, à présent, partager cet argent entre nous quatre. Il en fit cinq paris et mit vingt écus dans chacune. Porpani, voyant cela, dit : — Ce nest pas bien parlagé comme cela; nous ne sommes que quaire; pourquoi faire cinq parts ? — Celui qui a mangé le cœur de l'agreau aura deux parts, répondit Notre Sauveur. — C'est moi! c'est moi! s'écria aussitôt Porpant. — Comment, Porpant, vous m'aviez assuré que vous ne l'aviez pas mangé. — Si! si! je l'ai mangé; c'est bien moi! — Alors, prenez deux parts. Et Porpant prit deux parts. Puis les trois étrangers se remirent en roule. Porpant avait observé, avec beaucoup d'attention, comment Noire Sauveur s'y était pris pour rendre la vue à la dame aveugle, et 11 se disait : — N'est-ce que cela? C'est bien. Je suis sûr, à présent, de gagner autant d'argent que je voudrai, et cela sans mal. Je vais me mettre à voyager pour rendre la vue aux riches marchands, aux nobles, aux princes el aux rois qui en sont privés , el en peu de temps je deviendrai très-riche. Ft il se rendit tout droit à Paris. Dès le lendemain de son arrivée, il fit publier par toute la ville qu’un médecin étranger était arrivé qui rendait la vue à lous ceux qui en étaient privés, que ce fût de naissance ou par accident, et cela sans leur causer la moindre douleur. I se trouvait que la fille du rot avait les yeux malades depuis quelque — 160 — lemps el qu'elle était menacée de perdre la vue complétement. Tous les médecins et les chirurgiens du royaume l'avaient visitée sans pou- voir lui apporter aucun sou}agement. On fit venir Porpant el on lui promit de l'argent et de l'or, autant qu'il en voudrait, s'il guérissait la princesse. — C'est bien commencer, se disait Porpant en lui-mêrne, tant il se croyail sûr du succès. Il examina les yeux de la princesse comme s'il s'y connaissait, et dit avec une grande assurance : — Ce n'est que cela? Et vos médecins ne peuvent pas guérir un mal si légér ? Ah! vraiment ce sont des ânes. Vous allez voir comme c'est facile. Et il passa sa main droite sous sa chaussure, comme 11 l'avait vu faire à Notre Sauveur, puis il en frotta les yeux de la princesse. — Vous devez voir à présent ? lui dit-il alors. | — Non, je ne vois pas mieux. Et 1l passa encore la main sous sa chaussure et frotta plus fortement les yeux de la princesse. — Vous voyez à présent ? lui dit-il encore. — Hélas ! non. Et le voila de frotter de nouveau les yeux de la malade, et si rude- ment que, n y pouvant plus tenir, ellé criait : — Assez! Cessez, je vous prie! Vous m'avez rendue tout À fait aveugle | Et en effet, si elle voyait peu auparavant, à présent elle ne voyait plus du tout. Jugez de la colère du roi. Porpant fut jeté dans une basse fosse, en attendant qu'on le fit mourir le lendemain. Un peu avant l'heure fixée pour son supplice, le prédicateur étranger (Notre Sauveur) arriva au palais avec ses deux compagnons, et il dit au roi : — Mettez en liberié l'homme que vous avez fait jeter en prison hier, et je rendrai la vue à la princesse votre fille. — Commencez par rendre la vue à ma fille, car je n’ai plus aucune confiance en la science des médecins, répondit le roi. Noire Sauveur se conlenta de toucher de la main les yeux de la prin- cesse, en lui disant : — Regardez; la vue vous est rendue. — Oui, je vois ! je vois! s'écria-t-elle aussitôt. Et la joie succéda à la douleur dans tout le palais. Porpant fut remis en liberté, et Notre Sauveur lui dit : — Retournez chez vous, Porpant; soyez charitable envers les pauvres et n° essayez plus j jamais de faire ce que nul autre que Dieu ne peut faire. — Et mes soixante écus? dit-il encore. — 161 — — Vous les retrouverez dans votre armoire, à l'endroit ou ils étaient auparavant. | Porpant retourna a la maison, un peu confus, el son premier soin, en arrivant, fut de voir si son argent était aussi de retour. Il retrouva ses soixante écus dans son armoire, et ce fut alors seulement qu'il reconnut que le prédicateur étranger n'était autre que le bon Dieu lui-même. Conté par Marguerite Pairirre, de Pluzunet (Côtes-du-Nord ). Le conte qui va suivre, Jean de Ploubezre, est une version bretonne du Jean-Béte connu dans tous les pays. Ce récit a pour correspondant, chez nous, Jean et Jeanne, où c'est une femme qui remplit le rôle que joue ici Jean, avec des épisodes différents, mais dans le même ordre d'idées. IH ne faut pas trop s'étonner de l'épisode où Jean de Ploubezre, improvisé prêtre, comme on le verra, veut dire la messe d’une facon si singulière. Dans un grand nombre de nos contes plai- sants, nos rustiques conteurs parlent assez irrévérencieusement de leurs prêtres, malgré le respect qu'ils ont généralement pour eux, dans la vie pratique, et leur prêtent parfois des aventures bien étranges. JEAN DE PLOUBEZRE. CONTE PLAISANT. Il y avait autrefois au bourg de Ploubezre, près de Lannion, une pauvre femme et son homme, qui avaient un fils nommé Jean. L'homme était laboureur de terre de son élat. Il travaillait à la journée dans les fermes du pays et il gagnait six sols par jour et sa nourriture. La femme était fileuse et on la voyait toujours au seuii de sa petite chaumièere, sur le bord de la route, tournant son rouet d'une main agile, lout en chantant de vieux gwerziou et des refrains de danse. Quant à Jean, il se contentait d'écouter les contes et les chansons de sa mère, quand le temps était mauvais, el de vagabonder sur les routes et par les champs, au premier rayon de soleil. Il avait déjà dix-sept ou dix-huit ans et n'élail propre à rien, quoique vigoureux et bien portant. C'est que le pauvre garçon élait aussi court d'esprit qu'il était long de corps, car il étail grand pour son âge. Souvent il allait aussi mendier en ville, cou- vert de guenilles et de loques, et les gamins et les portefaix, sur le quai, s'amusaient fort à ses dépens. Tout le monde le connaissait, a Lannion, et on l'avait surnommé Jean de Ploubezre. MISS. SCIENT. — VII. 11 — 162 — Un jour, sa mére dit à Jean : Lies que tu ailles chercher du aa mon fils, car ilnyena pas un morceau à la maison. — C'est bien, mère, répondit Jean. Et il partit. Il entra dans la première maison dont 1l trouva la porte ouverte. Il n'y avait personne pour le moment, mais il vit sur la planche deux bonnes miches de pain de seigle et il les prit et les apporta à sa mère. — Voici du pain, mère, dit-il en arrivant. Pendant que le pain dura, Jean ne bougea pas de Le malsOn, car c'était au plus fort de l'hiver. Sa mère lait sur son rouet et jui dormait sur le banc, contre le lit. Au bout de quelques jours, la vieille de encore à son hls : — Il faut aller chercher votre diner quelque part, Jean, car nous n'avons plus guère de pain. — C'est bien, mère; mais où irai-je ? — Allez chez le maire de la commune, mon fils; là il y a tous les jours, à diner, de la bonne bouillie au lait. — Oui, mère; j'aime bien la bouillie au lait. Et il partit. : Il était environ dix heures. Quand il arriva chez le maire, la bouillie était sur le feu et la servante, restée seule à la maison, la mélait avec le baz-iod (bâton à bouillie). — Moi j'aurai de la bouillie aussi! dit Jean en entrant. — Ah! c'est vous, Jean ? lui répondit la servante. Approchez-vous du feu pour vous chauffer, car il fait bien froid, et quand les gens de la maison auront fini de manger, vous vous approcherez aussi à voire tour de la bassine. Jean s’assit sur un escabeau au coin du foyer, et l'eau lui venait à la bouche en regardant la bouillie qui cuisait sur le feu. Quand celle-ct fut cuile à point, la servante l'enleva du feu et la déposa sur le marc'h-10d ” Puis elle remplit de lait une trentaine d’écuelles et alla alors, avec un grand coquillage, corner les laboureurs qui retournaient les sillons pour semer de l’avoine. Pendant ce temps, Jean était resté seul dans la maison. Aussitôt la servante sortie, il s’approcha de la bassine et se mit à manger de la 1 Le marc'h-iod, mot à mot cheval à bouillie, est un fort cercle en bois sou- tenu par trois pieds, à environ un mètre de terre, et sur lequel on dépose la bassine pleine de bouillie autour de laquelle se rangent les domestiques de nos fermes bretonnes, ayant chacun une cuiller de bois et une écuüelle remplie de lait. à — do — i bouillie et à boire du lait, et il fallait voir comme 1l mangeait et buvait. 1] engloutit bien la part d’une demi-douzaine, puis il partit avant que Ta servante fût de retour. En arrivant à la maison, 1} dil à sa mère : — J'ai mangé de la bouillie, mère, toul mon content; voyez mon ventre, comme il en est gros! \ — Eh bien, mon fils, puisque vous avez bien diné, allez à présent | porter cette boisselée d'avoine au moulin, et ne revenez que lorsqu'elle sera moulue ; et surlout surveillez bien le meunier et rapportez-moi bonne mesure de farine. — C'est bien, mère, répondit Jean. Etil chargea le sac sur son épaule et partit. Et comme il avait la mé- moire courle, pour ne pas oublier la recommandation de sa mère, il disait tout le long de la route : — Une die mesure de farine ! Une bonne mesure de Érine ! Comme il descendait la côte de Buzulzo, il vit une charrette chargée" de sacs de farine et attelée de quatre forts chevaux, qui montait vers Ploubezre. La côte est la très-diflicile, comme vous le savez, et le char- retier avait beau jurer et exciter ses chevaux, et jouer du fouet, la char- relte n'avançait pas. Jean passa, en disant loujours : — Une bonne mesure de farine ! Une bonne mesure de farine! Le charrelier eutendit le pauvre innocent”, et convaincu qu'il moquait de lui : k — Que dis-tu là, morveux: ? — Une bonne mesure de farine! Une bonne mesure de farine! ré- pétail toujours Jean. Et le charretier de le cingler de son fouet, en criant : LA — Ah! vraiment, une bonne mesure d'avoine! Je 'apprendrai, moi, | 4 a parler autrement. 4 — Et que dirai-je donc? criait le pauvre garçon en pleurant. È — Dis: Dieu veuille qu'ils mordent! (Tirent bien.) " Et Jean de dire alors : È — Dieu veuille qu'ils mordent! Dieu veuille qu'ils mordent! en ‘A continuant de descendre la côte. Uu peu plus loin, il rencontra des gens armés de bâtons et de four- ches de fer qui couraient après deux chiens enragés. — Dieu veuille qu'ils mordent! Dieu veuille qu'ils mordent! répé- tait-il loujours en passant auprès d'eux. — Entendez-vous ce que dit celui-là ? demanda quelqu'un. | — Dieu veuille qu'ils mordent! Dieu veuille qu'ils mordent! conti- nuait Jean. ! En basse Bretagne, on donne le nom d’innocents aux idiots et aux pauvres d'esprit en général, — 164 — Et les voilà tous de menacer Jean de leurs bâtons et de leurs fourches. — Que dirai-je donc ? — Dis : Dieu veuille qu'ils soient pris ! imbécile. Et il continua sa route en disant : " — Dieu veuille qu'ils soient pris ! Dieu veuille qu'ils soient pris! Au moment ou il passait devant la prison, deux prisonniers venaient de s'échapper et ils montaient la rue en courant. En entendant Jean qui répétait : — Dieu veuille qu'ils soient pris! Dieu veuille qu'ils soient pris! Un d'eux lui donna un grand coup de poing, en disant : — Tais-toi, ou je te. tue! — Que faut:il donc dire? demanda encore Jean en pleurant. — Rien! Et voilà Jean de poursuivre sa route en répétant : — Rien! Rien! Rien! En passant par le marché au blé, il mit son sac à terre el se üint à côlé, comme il voyait faire aux aulres personnes qui étaient là. Vint un boulanger qui examina son avoine et lui dit : — Combien ce sac d'avoine ? — Rien! répondit Jean. — Vous ne me comprenez donc pas ? Je vous demande combien vous voulez vendre votre avoine ? : — Rien ! répondit-il encore. — C'est un pauvre innocent! dit le boulanger. Et il alla plus loin. Jean rechargea alors son sac sur son épaule et se rendit au moulin. Le meunier était absent, mais la porte du moulin était ouverte, et il entra. Il jela son sac dans la trémie et s’assit dessus pour attendre le meunier. Le moulin était au repos. Il s'endormit. La nuit vint. Il fut réveillé par quelque bruit de cuisine. Il leva la têle et vit la meunière mettre une nappe blanche sur la table, puis servir dessus des œufs, du poisson frit, du vin et du cidre. Il regardait faire et ne disait rien. Un moment après la porte du moulin s’entr'ouvrit, une tête s avanca avec précaution, regarda à droite, à gauche; puis il vit entrer, tout douce- ment, un prêtre. La meunière vint à sa rencontre et le rassura. Il re- connut alors le recteur de sa commune, le recteur de Ploubezre! Que venait-il faire au moulin à cette heure ? Voilà Jean bien intrigué. La meunière et le recteur se mirent à table. Ils mangèrent et burent ; ils rirent, ils plaisantèrent, ils s'embrassèrent; puis. .... ils se désha- billèrent et entrèrent dans le lit clos, le seul qui füt dans Île moulin. Jean était tout étonné; il ouvrait de grands yeux et ne comprenait pas grand'chose à ce qu’il voyait. Mais il remarqua qu'il restait encore des œufs et du poisson frit sur la table, et du vin aussi. LÈT. — 165 — — C'est bien, se dit-il, puisqu'ils n'ont pas tout mangé et tout bu, à mon tour, à présent que les voila couchés. Mais en voulant sortir de la trémie il la renversa, et voilà un beau vacarme. Bouroudoudouf! ! — Le diable! cria le recteur. Et il sauta hors du lit et se sauva en chemise. La meunière courut après lui, aussi peu vêtue. — C'est bien, se dit Jean sans s'émouvoir; à présent je me régalerai tout à mon aise. Et, après avoir vidé les plats et les bouteilles, se sentant pris de sommeil, il se coucha dans le lit que venaient de quitter le recteur et la meunière, et dormit jusqu au lendemain, qui était un dimanche. En se levant, il trouva la soutane et le chapeau de son recteur sur le banc, auprès du lit. 4 — Quelle chance! se ditAl; voici un habit et un chapeau qui m'iront à merveille pour faire le beau aujourd hui à Ploubezre. Et il revètit la soutane et se mit le chapeau à tricorne sur la tête. Chargeant alors son sac d'avoine sur ses épaules, il se dirigea vers le bourg de Ploubezre, tout fier de son accoutrement. Il y arriva vers l'heure de la grand messe. Il se rendit directement dans le cimetière, y déposa son sac à terre et s’assit dessus. Tout le monde se rassembla autour de lui, les enfants surtout; on l'examinait avec curiosité, et l’on se disait : — D'où vient donc ce prêtre étranger ? Quel drôle de prêtre! — Il ressemble à Jean de Ploubezre! remarqua aussi quelqu'un. Jean, incommodé de ce rassemblement qui allail toujours gran- dissant autour de lui, rechargea son sac sur ses épaules et entra dans l'église. Là encore il déposa son sac à terre, derrière un pilier, et s’assit dessus. à Cependant l'heure de la grand'messe était passée et le recteur n'ar- rivait pas. Sa servante, consultée sur ce retard, dit qu'il n'avait pas passé la dernière nuit au presbytère et qu'elle était fort inquiète de lui. Nul ne savait ce qu'il était devenu. Grande rumeur dans la foule. Il était onze heures passées et les cloches ne sonnaïent pas. — Que l'on aille prier le prètre étranger qui vient d'arriver de vou- loir bien nous dire la messe, dit quelqu un. Le sacristain alla trouver le prêtre étranger, toujours assis sur son sac dans l'église, lui raconta le cas et le pria, au nom de tous les pa- roissiens, de vouloir bien célébrer la sainte messe. — Je le veux bien, répondit Jean. Et il se rendit à la sacrislie et s’habilla. Puis, prenant à part un jeune enfant de chœur, il lui dit : — Je suis un prêtre étranger, du fond de la Cornouailles, et je me — 166 — sais pas si la messe se dit ici tout à fait comme dans mon pays; et puis, la mémoire aussi me fait souvent défaut; il faut donc que tu ‘me viennes en aide. — Comment cela? répondit l'enfant. | — En me soufflant, quand j jem ‘arrêterai. — Mais tout le monde s’en apercevra et l'on dira que vous êtes un mauvais prètre ou que vous êtes ivre. — Nous nous arrangerons de manière que l’on ne s’aperçoive de rien; je tattacherai avec une corde sous ma soutane, qui est large, comme lu le vois, et tu me souflleras ce qu'il faudra faire et dire; et de la sorte personne ne le verra ni l’entendra. — Je veux bien, répondit l'enfant. Et Jean l’attacha, avec une corde, sous sa soulane. Puis il se revètit du surplis et de létole, el monta à l'autel. Il avait l'air bien lourd et gauche. — C'est sans doute un prêtre de la Cornauailles, se disait- -on. Jean ne savait guère que Dominus vobiscum, et il commenca par pro- noncer ces mots trois fois de suite. Puis 1l demanda à l'enfant Fe chœur : — Et après? — Comme les autres, répondit celui-ci. — Comme les autres! répéta Jean à haute voix. Et les assistants de rire. — Qu'est-ce qu'il dit ? se demandait-on à l'oreille; quel singulier prêtre | Tout à coup l'enfant de chœur dit : — Je vais tomber, la corde ne tient plus! — Je vais tomber, la corde ne tient plus! répéta Jean à haute voix. — Cest pour sûr un échappé de Lanmeur’, se disaient les pa- roissiens. — La corde est cassée! dit un instant après l'enfant de chœur. Et en effet il tomba sur les degrés de l'antel, se releva et courut à la sacristie. Jugez des rires et du vacarme qu'il y eut alors dans l'église. Quant à Jean, ne pouvant plus continuer, il descendit tranquillement de l'autel, vêtu comme il l'était, rechargea son sac sur ses épaules et prit de chemin de la maison. Tout le monde en resta ébahi. Comme il iraversait un taillis, un homme en chemise s’élança sou- dainement sur lui en criant : — Tu as mes habits sur Loi; il faut que lu me les rendes ! C'était en effet le recteur de Ploubezre qui était blotti dans les brous- salles el y attendait la nuit, pour pouvoir rentrer dans son presbytère. 1 À Lanmeur il ÿ avait un hôpital d'aliénés au dernier siècle. — 167 — Comment, comment, c'est donc vous qui couchez avec la pie meunière ? répondit Jean. — Rends-moi mes habits sur-le-champ, coquin ! — Oh! que non, monsieur le recteur, ils me vont trop bien pour cela. ; Le prêtre, furieux, s'élança alors sur Jean. — Doucement, monsieur le recteur ! s’écria celui-ci. Et il le roula à terre et le batlit tant et lant, a coups de poings, à coups de pieds, qu'il le tua, ma foi! Voyant qu'il ne bougeait ni ne respirait plus, il n’en fut nullement chagriné ; mais il le chargea sur son dos par-dessus son sac d'avoine et l'emporta chez sa mère. — Dieu, mon fils! s’écria la vieille en reconnaissant son recteur mort, qu'as-tu fait 1à? Tu as tué M. le recteur ! — Ah! dam, tant pis pour lui; pourquoi voulait-il aussi m’enlever mes habits de recteur, qui me vont si bien? Regardez-moi donc, mère, comment me trouvez-vous comme cela ? — Mon Dieu, mon Dieu , nous sommes perdus ! Que faire, à présent ? — Il faut le jeter dans le puits ! Et Jean jeta le corps de son recteur dans le puits. Le lendemain, la vieille dit à son füls : — [n'ya plus le sou à la maison. Voici une pièce de toile faite avec le fil que j'ai filé si péniblement; va la vendre à la ville, et sur le prix que lu en recevras, achète-moi un trépied, dont j'ai grand besoin. — C'est bien, mère, répondit Jean. Et il partit, emportant la pièce de loile. Le lemps élail très-froid. Sur le bord de la route qui menait à la ville, il y avait une chapelle de Saint-Jean, et ïl n'y passait jamais sans faire visite à son patron. Il y entra donc, suivant son habitude. Il s’agenouilla devant le saint pour faire sa prière, et il lui sembla le voir grelotter de froid. Il est ordinai- rement peu vêtu dans les images qu'on en voit dans nos chapelles et nos églises. — Mon pauvre patron! dit-il; voyez comme il a froid! Et personne ne l’'habillera mieux que cela ? Mais je vais le faire, mot. Et il roula toute sa pièce de toile autour de la statue vermoulue de son saint patron. — Ah! dit-il ensuite en le regardant d'un air de satisfaction, n’êtes- vous pas mieux comme cela, monseigneur saint Jean Et il crut le voir lui sourire pour le remercier. Près de saint Jean se trouvait, dans sa niche, je ne sais quel autre saint qui avait Ja main tendue, comme pour demander l’aumône. Une bonne femme qui priait à genoux devant lui mil un sou dans sa main, avant de se retirer. — 168 — — Ma foi, se dit Jean, comme j'ai un trépied à acheter à ma mère, je ne puis pas donner ma toile tout à fait pour rien; celui-ci payera pour mon parrain. | Et il prit le sou que le sant avait dans sa main, puis il sortit. En arrivant en ville, il alla directement chez un quincaillier, choisit un lrépied et dit : — Ma mère m'a dit de lui acheter un trépied ; celui-ci me convient et je le prends; voilà de l'argent. Et il jeta son sou sur le bureau du marchand. — Avez-vous perdu l'esprit, lui dit celui-ci, ou plaisantez-vous ? Un trépied pour un sou! — Ma foi, c'est tout ce que j'ai d'argent, ei il me faut un trépied pour ma mère. Et il sortit aussitôt, emportant son trépied, et se mit à Courir à toutes jambes, Le marchand eut beau crier au voleur, personne ne put l'atteindre. En gravissant la côte de Buzulzo, comine il était fatigué de sa course, Jean posa son trépied à terre, au milieu de la roule, en disant : — Il faut que je sois bien bête de porler ainsi qui a trois pieds, tandis que moi je n’en ai que deux. Viens-l'en comme tu voudras, suis- moi si Lu veux, car pour moi je ne te porlerai pas plus longtemps. Et il continua de marcher, laissant son trépied au milieu de la grande roule. Quand il arriva à la maison, sa mère, le voyant venir les mains vides, lui dit : — Eh bien, et mon trépied, ou est-il resté ? — Est-ce qu'il n'est pas encore arrivé? — Et comment veux-tu qu'il soit arrivé ? — Ma foi, j'élais fatigué de le porter, el comme il a trois pieds et que moi je n'en ai que deux, je l'ai mis à terre sur la grande roule, en lui disant de me suivre. — Âllons, décidément tu n'es bon à rien, mon pauvre fils! Retourne vite sur tes pas et ne reviens pas sans Île trépied. Et Jean retourna sur ses pas à la recherche de son trépied. Il ren- contra bientôt des charbonniers de la forêt de Cout-an-noz, et il re- connut son trépied entre les mains d'un d'eux. H alla droit à celui-là et lui dit : L — Ce trépied-la est à moi; il faut me le rendre. Le charbonnier ne fit pas de difficulté de le lui rendre, et Jean revint à la maison avec son trépied. — Et l'argent de la toile ? lui demanda alors sa mère ? — Ma foi! je n'ai pas eu d'argent de la toile, mère, le pauvre saint n'en avait pas. — 169 — — Et qu'en as-tu donc fait ? — Je suis entré, selon mon habitude, dans la chapelle de mon pa- tron , le seigneur saint Jean-Baptiste, et, le voyant grelotter de froid dans sa niche, j'ai eu pitié de lui, et je lui ai donné ma toile pour s'habiller plus chaudement. — Allons! allons! je ne puis être que pauvre avec loi, mon fils ! Cependant on recherchait partout le recteur de Ploubezre. Les gen- darmes étaient en campagne et s'enquéraient de lui partout. Rencon- trant Jean sur leur route, ils lui demandèrent : — Est-ce que tu ne pourrais pas nous donner des nouvelles du rec- teur de Ploubezre, Jean ? — Mais si; il est dans le puits de ma mère. — Vraiment, dans le puits de ta mère ? — Oui, dans le puits de ma mère. — Veux-tu nous aider à l'en retirer ? — Oui sûrement, si cela vous fait plaisir. Et les gendarmes, guidés par Jean, se rendirent chez sa mère. Mais la vieille, craignant l'indiscrélion de son fils, avait déjà retiré le corps du curé du puits. Elle l'avait enterré dans son courtil, derrière sa maison, et une chèvre noire avait été jetée à sa place. Arrivé près du puits avec les gendarmes, Jean leur dit : — Voilà ou est M. le recteur; descendez là-dedans et vous l'y trou- verez. Et comme les gendarmes hésilaient à entrer dans le puits, Jean y descendit lui-même. La chèvre noire surnageait sur l'eau; il la saisit par les poils et s'écria aussitôt : — Tiens! tiens! comme c’est drôle; il lui a poussé des cornes sur la tête , et du poil sur tout le corps! Il ressemble au diable! Vous allez voir. Et il amena la chèvre hors du puits. Les gendarmes, trouvant une chèvre au lieu du recteur de Ploubezre, se dirent : — Nous avons eu lort de croire aux paroles de ce pauvre innocent. Continuons nos recherches plus loin. Et ils partirent. Le lendemain, la vieille dit à Jean : — Va-ten aider ton père, qui est allé chercher du bois mort dans la forêt. — C'est bien, mère, réponditil. Et il partit. Il rencontra son père qui s’en retournait, ployant sous son faix. — Donnez-moi ca, mon père, lui dit-il. Et il soulagea le vieillard de son fardeau, qu'il chargea sur ses épaules. Puis il marcha vers la maison. Mais il allait d'un tel pas que son père ne pouvail le suivre. Ce que voyant, 1l s'arrêta et lui dit : — 170 — — Venez, mon père, que je vous melle dans le milieu de mon fagot, el je vous porterai aussi sur mon dos. Le bonhomme se laissa faire, et comme alors la corde se trouvait être un peu trop courte, Jean la serra si fort qu'il l’étouffa. En l’enten- dant crier et râler, il lui disait encore : — Ne vous plaignez donc pas tant; il me semble que vous devriez être au contraire bien content d’être ainsi porté. En arrivant à la maison, Jean jela sa charge: terre en disant : — Ouf! Voila de quoi faire du feu , mère. — Où est resté ton père ? lui demanda la vieille. — Mon père ? il est aussi la-dedans. Comme il ne pouvait pas me suivre, je l'ai serré dans mon fasot. Cherchez-le, il est là-dedans. Elle dénoua la corde et trouva son mari au milieu du fagot; mais hélas ! 1l était mort. — Ah! malheureux, tu as tué ton père ! s’écria la bonne femme. Et la voilà de se lamenter et de jeter les hauts cris. Jean, lui, ne pleurail pas et n'avait pas l'air de regrelter son père, ni même de comprendre quel grand mal il y avait à être mort. La vieille ensevelit elle-même le corps, puis, le lendemain, elle dit à Jean d’aller chercher du monde pour le porter en terre. — Pourquoi aller chercher du monde, mère? Je le porterai bien moi-même. | Et en effet, Jean chargea le cercueil sur son épaule et le porta à l'église de la commune, et le bonhomme fut enterré comme on enterre les pauvres, sans la grande croix et sans grande cérémonie. Sa veuve seule et son fils l’'accompagnèrent jusqu a sa dernière demeure. Cependant la mère de Jean était bien embarrassée de son fils. Il n'était vraiment bon à rien, et elle ne savait que faire de lui. Le maire de la commune lui dit un jour : — Le roi a besoin de soldats pour faire la guerre ; Jean est un beau corps, ma foi, et si vous voulez le vendre pour aller à l'armée, vous en aurez une bonne somme d'argent. Le soir du même jour, la veuve dit à son fils : -— Le roi te demande, mon fils Jean ; il a besoin de toi pour aller a l'armée et combattre contre les Anglais. — Ça me va, mère, dit Jean. Quel bonheur d’avoir un beau cheval à moi, un grand sabre, et de pouvoir combattre contre les Anglais ! Et Jean alla 1ôt après à l’armée, laissant tout son argent à sa vieille mère, qui put alors avoir une vache et réparer sa vieille chaumière qui tombait en ruines. Et depuis, on n'a pas eu de ses nouvelles. Personne ne sait sil mourut à la guerre ou s’il devint capilaine, ou roi peut-être ? Conté par Barbe Tasssz. Plouaret, 1869. — 171 — Dans un quatrième rapport, J'aurai lhonneur d'exposer à Votre Excellence le résultat général de mes recherches sur les vieilles traditions orales de nos campagnes bretonnes. J'y énumé- rerai les documents nombreux et intéressants que j'ai pu re- cueïllir; je les classerai et les résumerai succinctement et aussi fidèlement qu'il me sera possible. Je prépare sur la matière une publication importante, qui paraïtra aussitôt que le permettront les événements funestes que nous traversons, et qui sont si peu favorables au calme et à la tranquillité d'esprit qu'exigent les études de ce genre. Dieu veuille que ce soit bientôt! Agréez, Monsieur le Ministre, etc. F.-M. Luzer. QUATRIÈME RAPPORT SUR UNE MISSION EN BASSE BRETAGNE, AYANT POUR OBJET DE RECHERCHER LES TRADITIONS ORALES DES BRETONS-ARMORICAINS, CONTES ET RÉCITS POPULAIRES, PAR M. F.-M. LUZEL. Plouaret, le 1° août 1871. Monsieur le Ministre, Dans ce quatrième rapport, je mefforcerai de présenter un aperçu plus détaillé des résultats de la mission qui m'a été confiée, en donnant une classification et des analyses succinctes d’une partie des matériaux que j'ai rassemblés. J'y joindrai un tableau du merveilleux et des machines et des ressorts ordinaires des contes répandus dans nos campagnes. Je n'ose les appeler contes bretons, persuadé que je suis que, pour le plus grand nombre, ils nous sont communs avec d'autres peuples, souvent très-éloignés, et que plusieurs d’entre eux nous viennent même, quant au fond, des bords de lIndus et du Gange, et des pays où fut placé le berceau des différents peuples d'origine celtique qui, à des époques loin- taines et peu connues, vinrent successivement s'établir dans presque toute l'Europe. Des chants de nourrice, des contes merveilleux que l’on écou- tait assis en rond autour d’un feu rustique, feu de pâtres ou de soldats au bivouac, voilà, selon toute apparence, la première litté- rature des peuples naïissants, et la seule peut-être qui soit vraiment sûre de limmortalité. Qui pourrait dire l’âge de quelques-unes de ces fables qui font encore le charme de nos chaumières et de nos manoirs, durant les longues nuits d'hiver? Je croirais volontiers = ie que plusieurs d’entre elles sont aussi anciennes que l'humanité même, et qu'elles vivront aussi longtemps qu’elle. Ce serait une grave erreur que de croire que des peuples au- jourd’hui parvenus à un haut degré de civilisation n'étaient occu- pés, à l'origine et à l’état de barbarie, ou du moins de'demi-bar- barie, où ils vécurent longtemps, qu'à satisfaire leurs passions sensuelles et leurs appétits grossiers; que l'esprit et l'imagination n'avaient aucune part à leur existence et que la Muse ne les visi- tait pas aussi à leur heure. ... Non teligere camenæ. Ils chantaient et contaient comme nous, plus que nous, et leurs chants et leurs récits offraient plus d'intérêt à leurs auditeurs qu'à ceux d’aujour- d’hui, parce qu'ils étaient plus spontanés, plus simples, plus na- turels, qu'ils retraçaient les croyances communes, souvent sous des formes symboliques, et les épisodes de la vie vécue ensemble, sous la tente des pasteurs ou sur les routes des longues migrations. Il faut ajouter aussi qu'ils ne connaissaient pas les entraves des poésies et des prosodies modernes, et que leur imagination dé- ployait ses ailes en toute liberté. : Tous les pays ont eu leur époque poétique, et ce n'est pas aux époques de progrès et de civilisation que les Muses ont le plus souvent honoré les humains de leurs visites. Un état de demi-civili- sation, ou même de barbarie relative, ne me semble nullement défavorable à la floraison de la vraie poésie. Charles Nodier, qui s'était beaucoup occupé de littérature popu- laire, a écrit sur la poésie des âges primitifs et les traditions de la Muse populaire une page charmante et sensée que je demande la permission de citer 1ci : LUE Pourquoi la légende pieuse et touchante fut-elle relé- guée à la veillée des vieilles femmes et des enfants, comme indigne d'occuper les loisirs d’un esprit délicat et d’un auditoire choisi ? C'est ce qui ne peut guère s'expliquer que par laltération progres- sive de cette précieuse naïveté dont les âges primitifs tiraient leurs plus pures jouissances, et sans laquelle il n’y a plus de poésie véritable. « La poésie d'une époque se compose, en effet, de deux éléments essentiels, la foi sincère de l'homme d'imagination qui croit ce qu'il raconte, et la foi sincère de l'homme de sentiment qui croit ce quil entend raconter. Hors de cet état de confiance et de sym- _pathie réciproques où viennent se confondre des organisations - — 175 — bien assorties, la poésie n’est qu'un vain nom, l'art stérile et insi- gnifiant de mesurer en rhythmes compassés quelques syllabes sonores. Voilà pourquoi nous‘n’avons plus de poésie, dans le sens naïf et original de ce mot, et pourquoi nous n'en aurons pas de longtemps, si nous en avons Jamais. « Pour en retrouver de faibles vestiges, il faut feuilleter les vieux livres qui ont été écrits par des hommes simples, ou s'asseoir dans quelque village écarté, au coin du foyer des bonnes gens. C'est là que se retrouvent de touchantes et magnifiques traditions dont per- sonne ne s’est jamais avisé de contester l'autorité, et qui passent de génération en génération, comme un pieux héritage, sur la parole infaillible et respectée des vieillards. « Là ne sauraient prévaloir les objections ricaneuses de la demi- instruction, si revêche, si maussade et si sotte, qui ne sait rien à fond, mais qui ne veut rien croire, parce qu'en cherchant la vérité qui est interdite à notre nature, elle n’a gagné que le doute. Les récits qu'on y fait, voyez-vous, ne peuvent donner matière à au- cune discussion; ils défient la critique d’une raison exigeante qui rétrécit l'âme, et d’une philosophie dédaigneuse qui la flétrit; ils ne sont pas tenus de se renfermer dans les bornes des vraisem- blances communes, dans les bornes même de la possibilité, . . .. Les faits qu'on vous rapporte n’ont pas besoin, d'ailleurs, de tant d'éclaircissements : n'ont-ils pas le témoignage du vieil aïeul qui les savait de son aïeul, comme celui-ci d’un autre vieillard qui en a été le témoin oculaire? Et dans cette longue succession de pa- triarches nourris dans l'horreur du péché, s'en est-il jamais ren- contré un seul qui ait menti? Raucl.- Hâtons-nous d'écouter les délicieuses histoires du peuple, avant qu'il les ait oubliées, avant qu'il en ait rougi, et que sa chaste poésie, honteuse d’être nue, se soit couverte d’un voile, comme Eve exilée du Paradis ! ! » Aujourd'hui, après avoir usé et abusé de tous les genres et de toutes les formes, par ennui, par satiété ou par dégoût des trivia- lités et des monstruosités à la mode, on sent comme un besoin instinctif de remonter les courants que l’on a trop longtemps des- cendus, et l'on recherche avec intérêt les sources jaillissantes et pures, les chants et les contes de nourrice, ou de vieilles femmes, ! Charles Nodier, la Légende de sœur Béatrix. — 176 — qui ont bercé notre enfance et qui, après les vains efforts que nous avons faits pour les oublier, se réveillent encore au fond de nos vieilles mémoires. Ainsi les vases qui ont renfermé une liqueur généreuse et salutaire en gardent longtemps le parfum. On dirait que l’humanité, malade et caduque, voudrait re- trouver cette merveilleuse fontaine de Jouvence dont il est souvent question dans les contes du peuple. C’est aux paysans, restés tou- jours en communion directe avec la nature, c’est aux pâtres, aux bücherons, aux sabotiers, aux mendiants errants de nos campagnes, qu'il faut aujourd'hui demander tout ce qu'il est possible de re- trouver encore de ces naïves et poétiques traditions orales, trop longtemps dédaignées des savants et des faiseurs de livres. C’est là la vraie source de Jouvence, toujours jaillissante et inépuisable. Tous les peuples d’origine celtique, doués naturellement de poésie et d'imagination, sont conteurs. Le nombre des recueils de contes publiés chez les peuples slaves seulement, depuis le com- mencement de ce siècle, s'élève à plus de quarante, nous affirme M. Alexandre Chodzko. Le pays de Galles, l'Irlande !, l'Écosse ont fourni également de nombreuses et importantes publications de ce genre, dans ces der- niers temps, et les Bretons-Armoricains tiendront aussi un rang très-honorable parmi les conteurs, quand ils pourront enfin pro- duire à la lumière tous les récits, toutes les anciennes traditions éparses dans leurs chaumières; car c'est sous le toit des pauvres gens surtout que se sont le mieux conservés ces précieux trésors d’un autre âge. Les Grecs aussi aimaient les contes de fées?, et je croirais vo- lontiers que les fables anciennes dont le cycle constilue leur my- thologie étaient, à l'origine, autant de contes de nourrice et de vieilles femmes, remplis de charme et d'intérêt. Ces contes ne 1 M. Patrick Kennedy a publié dernièrement, à Dublin, sous le titre de : The frreside stories of Ireland (Contes du coin du feu de l'Irlande), un volume très- intéressant de contes populaires irlandais. H se trouve peu de fables dans ce re- cueïl que je n'aie retrouvées en basse Bretagne, plus développées et plus com- plètes, ordinairement. — En 1860-62. M. F.-J. Campbell a publié à Édimbourg quatre volumes non moins importants sur les Traditions populaires des Gaëls de l'Écosse occidentale (Popular tales of the West Highlands orally collected with a translation). ? Le mot fée s'exprime en breton par grac h, qui signifie vieille femme, comme le mot grec ypaîa, d'où il vient, probablement. Le JP seraient devenus ennuyeux et peu intelligibles pour les enfants que depuis que les savants et surtout les pédants se sont avisés de les présenter sous cette forme sèche et peu attrayante qu'ils ont géné- ralement dans le Pantheum mythologicum de Pomey, le Diction- naire de la Fable de Noël, et autres livres de ce genre. Si ces fables, généralement gracieuses et poétiques, étaient présentées aux en- fants de nos lycées sous leur forme primitive, je suis persuadé que, loin d'en être rebutés, is y prendraient un plaisir extrême, comme à la lecture de Peau d'âne, du Petit Poucet, et de tout le recueil de contes de Perrault. C'est aussi l'avis de M. Georges Cox, qui, dans un livre très-recommandable, a tenté de présenter les fables grecques sous leur forme originelle, celle de contes de fées et de récits de veillées. Le merveilleux et l'aventure sont les deux éléments les plus essentiels des contes des peuples d'origine celtique. Le merveilleux celtique a un caractère qui lui est propre; il a été parfaitement défini par M. Ernest Renan, dans le passage suivant : « .... Dans les poèmes carlovingiens, le merveilleux est timide et conforme à la foi chrétienne: Le surnaturel est produit immédiatement par Dieu ou ses envoyés. Chez les Kymris, au contraire, le principe de la merveille est dans la nature elle-même, dans ses forces cachées, dans son inépuisable fécondité. C’est un cygne mystérieux, un oiseau fatidique, une main qui apparaït tout à coup, un géant, un tyran noir, un brouillard magique, un dragon, un cri qu’on en- tend et qui fait mourir d’effroi, un objet aux propriétés extraor- dinaires. Rien de la conception monothéiste, où le merveilleux n'est que le miracle, une dérogation à des lois établies. Rien non plus de ces séries d'êtres personnifiant la vie de la nature, qui forment le fond des mythologies de la Grèce et de l'Inde. Ici c'est le naturalisme parfait, la foi indéfinie dans le possible, la croyance à l'existence d'êtres indépendants et portant en eux-mêmes le prin- cipe de leur force mystérieuse : idée tout à fait contraire au chris- tianisme, qui, dans de pareils êtres, voit nécessairement des anges ou des démons. Aussi ces individus étranges sont-ils toujours pré- sentés comme en dehors de l’église, et quand le chevalier de la Table ronde les a vaincus, il leur impose d’aller rendre hommage à Genièvre et se faire baptiser. « Or, s'il est en poésie un merveilleux que nous puissions accepter, c'est assurément celui-là. La mythologie classique, prise dans sa MISS. SCIENT. — VIT. 12 — 178 — naïveté première, est trop hardie; prise comme simple figure de rhétorique, trop fade pour nous satisfaire. Quant au merveilleux chrétien, Boïleau a raison : il n’y a pas de fiction possible avec un tel dogmatisme. Reste donc le merveilleux purement naturaliste, la nature s'intéressant à l’action et devenant acteur pour sa part, le grand mystère de la fatalité se dévoilant par la conspiration se- crète de tous les êtres, comme dans Shakspeare et lPArioste. Il se- rait curieux de rechercher ce qu'il y a de celtique dans le premier de ces poëtes; quant à l’Arioste, c’est le poëte breton par excel. lence. Toutes ses machines, tous ses types de femmes, toutes ses aventures, sont empruntés aux romans bretons !. » J'ai cherché, dans le tableau qui suit, d’après les documents re- cueillis par moi-même, à dresser une liste des principaux agents merveilleux employés dans nos contes populaires, les contes my- thologiques surtout : Talismans de toute sorte, qui font du héros une espèce de demi-dieu pour qui presque tout est possible. Chars, manteaux, boîtes, bâtons, etc. qui font voyager le héros à tra- vers l'air et le transportent ou il veut. i Instruments de musique, biniou, flûtes, cloches, elc. qui jouent ou sonnent d'eux-mêmes. . Bâtons renfermant 500 soldats, chacun dans sa niche, et qui en sortent et y rentrent à commandement. Serviettes qui procurent, à volonté, à manger et a boire. Manteaux qui rendent invisibles ou donnent une beauté merveilieuse, suivant qu'on les porte à l'envers ou à l'endroit. Baguelles au moyen desquelles tout s'ouvre, s’érige, tombe, etc. Fruits qui font pousser des cornes sur le front, et d’autres qui les font choir. Oiseaux dont le cœur mangé par le héros lui fait trouver de l'or sous sa tête, tous les matins, en se levant. Hommes ou femmes qui se changent, à volonté, en épervier, en co- lombe, en loup, en cheval, en serpent, en renard, en chèvre, etc. Petits poissons qui rapportent du fond de la mer clefs, bagues, dia- . manis, elc. Métamorphoses de toute sorte, en animaux, arbres, flammes, fumée, fontaines, pierres, etc. ! Ernest Renan, La poésie des races celtiques, — Essais de morale et de cri- üqne, p. 445-446. — 179 — Lions, ours, fourmis, aigles, oies, roitelets, etc. qui viennent au se- cours du héros dans ses épreuves. Biniou, violons, flûtes, etc. qui forcent à danser, même les morts. Géants ou magiciens qui descendent sur des nuages, pour enlever prin- cesses, jeunes garcons, etc. Habits couleur du soleil, de la lune, des étoiles, etc. Voyages jusqu'au soleil, pour lui adresser différentes questions. Princes, princesses, etc. enchantés, sous toules les formes possibles, dans des châteaux souvent enchantés eux-mêmes. Châteaux d'or, d'argent, de cuivre, d'acier, etc. Puits si profonds qu'ils conduisent dans d'autres mondes. Géants dont l'âme ou la vie ne réside pas dans leurs corps, ou Corps sans âme. Boules d'ermites qui roulent d’elles-mêmes devant le héros, pour le conduire. Ermites vivant dans les bois depuis plusieurs centaines d'années et dont les uns commandent à tous les animaux à poils, d’autres à ceux à plumes, etc. Châteaux de magiciens retenus au-dessus de la mer par des chaînes d'or ou d'argent. Hommes changés en statues de pierre, qu'il faut arroser avec le sang d'un enfant nouvellement assassiné, pour les délivrer. Bottes, guêtres de sept lieues et davantage. Arbres qui pleurent ou qui saignent quand le héros meurt. Oiseaux de la vérité, pommes qui chantent, eaux qui rient, etc. Plumes d'oiseaux ou mèches de cheveux d'or qui éclairent dans l'obs- curité et tiennent lieu de lampes. Femmes-cygnes qui déposent leurs plumes pour se baigner et qui s'élèvent en l'air. Dragons qui vomissent du feu et dont les têtes repoussent à mesure qu'on les abat. Mains invisibles qui servent le héros. Princes à tête d'or, à mains d'or; princesses aux cheveux d’or, aux pieds d'argent, etc. Intelligence du langage des animaux. Tous les animaux, et même les plantes el les minéraux, parlent. Licornes qui transpercent avec leur corne unique neuf troncs de chènes de rang. Eaux de mort qui tuent; eaux de vie qui ressuscitent et rajeunissent. Epées qui combattent d'elles-mèmes. Merles, coqs et poules d'or ou d'argent et qui parlent. Animaux dont l'haleine ou le regard tue. Fontaines qui teignent les cheveux en couleur d'or. — 180 — Soleils et vents affamés quand ils rentrent, le soir, chez leurs mères. Voyages sur le dos des vents. Pommades et baumes qui guérissent toutes les blessures et ressuscitent même les morts, etc. etc. Ce tableau est loin d’être complet; il suffira néanmoins pour donner une idée du naturalisme sans bornes qui règne dans nos . contes populaires et des machines et des instruments tout-puissants dont disposent les héros. La nature entière est à leur service; elle n’a ni secrets ni rigueurs pour eux. Tous les animaux à peu près sont leurs amis, presque leurs frères; ils s'aiment et se rendent des services réciproques. De là cette grande et touchante mansuétude envers tous les êtres de la création. Je l'ai déjà dit, nos récits populaires se divisent en trois caté- oories : | 1° Les contes mythologiques, où l’on rencontre toutes les machines, tous les agents merveilleux que je viens d’énumérer. Ce sont les plus nombreux et aussi les plus importants au point de vue de la science, de la littérature et de la mythologie comparées. J'en ai re- cueilli cent et quelques. 2° Les contes légendaires chrétiens. — Ces contes sont fondés sur des croyances catholiques plus ou moins altérées et ont pour agents et ressorts ordinaires : Dieu, la sainte Vierge, les apôtres, les saints, les anges, le diable, les àmes en peine, l'enfer, le purgatoire, le paradis, etc. Il existe dans nos campagnes bre- tonnes tout un cycle de légendes intéressantes et poétiques où l’on raconte les aventures et les rencontres de Jésus-Christ voyageant en basse Bretagne, accompagné ordinairement de saint Pierre et de saint Jean. 3° Les contes ou récits facétieux et plaisants. — Ce sont, pour la plupart, des récits ou des anecdotes vraies, ou du moins vraisem- blables, et qui, ordinairement, n'ont rien de merveilleux. Les prêtres, les moines, les juges, y sont souvent mis en scène, dans des situations critiques et généralement dans des aventures galantes. Quelquefois aussi ce sont de vives satires où l’on met en relief les vices, les défauts et les travers de certains métiers ou de certains individus. Ce sont souvent des imitations de fabliaux français. J’ai trouvé dans ce genre un Avocat Patelin breton. Les contes mythologiques peuvent donner lieu à plusieurs sub- divisions, comme par exemple : — 181 — 1° Voyages chez le soleil ou chez la mère des vents: 2° Hommes-animaux ; 3° Corps sans àme ; 4° Apprentis et valets de magiciens; 5° Contes à talismanis: 6° Petits Poucets ou cadets de famille et pauvres d'esprit; 7° Souvenirs ou imitations des romans de la Table ronde et des romans Carlovingiens. J'aurais voulu pouvoir donner ici un conte ou un récit de chaque division et subdivision; mais cela me mènerait trop loin et dépas- serait les limites ordinaires d'un rapport. Je me bornerai donc à quelques analyses et à des renvois aux contes publiés dans mes rapports précédents. 1° Voyages chez le soleil. — Le héros va trouver le soleil, pour lui adresser différentes questions, ou la mère des vents, pour la prier d'obtenir d’un de ses fils qu'il consente à le porter sur son dos jusqu'à quelque château de magicien qui, ordinairement, a enlevé quelque princesse qu'il est chargé de retrouver. Quelquefois le soleil est remplacé par le Père Eternel. C’est alors la légende chrétienne qui a été substituée à la légende païenne, cas qui se présente assez souvent dans nos contes populaires. Trégont-à-Baris, que je vais analyser, suffira pour donner une idée des contes de ce genre. TRÉGONT-A-BARIS :. Pendant que Jésus-Christ voyageait en basse Bretagne , avec saint Pierre, ils trouvèrent un jour un enfant nouveau-né, abandonné au bord d'un chemin. Ils le recueillirent et le confèrent à une nourrice, en lui recom- mandant de le bien soigner. Quand l'enfant eut seize ans, il voulut voyager. Il alla tout droit à Paris et devint valet d'écurie à la cour du roi. Comme ses chevaux étaient toujours les plus beaux des écuries royales, le monarque le distingua et le félicita, ce qui excita la jalousie des autres valets, qui cherchèrent les moyens de le perdre. Un d'eux alla un jour dire au roi que Trégont-à-Baris s'était vanté d'être capable d'aller jusqu'au soleil pour lui demander pourquoi il est si rouge quand il se 1 Ce conte est un exemple de ceux où la légende chrétienne est mélée à la lé- gende païenne, par le caprice des conteurs sans doute , qui se permettent souvent des interpolations et des modifications regrettables. Je ne sais comment expliquer ce nom bizarre de Trégont-à-Baris, qui signifie : Trente-de-Paris. — 182 — lève le matin. Le roi fit venir Trégont-à-Baris et lui dit qu'il fallait qu'il tint sa parole. Il eut beau nier qu'il eût jamais tenu un propos si in- sensé, ce fut en vain; le roi ne voulut pas entendre raison. Il se mit done en route, à la grâce de Dieu. À peine fut-l sorti de la cour du palais, qu'il trouva à la porte une belle jument blanche qui lui dit de monter sur son dos. Ils partent à travers l'air. Au coucher du soleil, ils descendent et demandent l'hospitalité dans un château, au loin. Le seigneur de ce château demande à Trégont-à-Baris ou il va. — Je vais, lui dit-il, demander au soleil pourquoi il est si rouge quand il se lève le matin. — Eh bien, reprit le seigneur, demandez-lui aussi ce qui est cause que mon père est malade et qu'aucun médecin ne peut le guérir. — Il promet de faire la commission, et le lendemain, au point du jour, il se remet en route avec sa jument blanche. Ils passent la seconde nuit dans un autre château dont le maître charge aussi Trégont-à-Baris de demander au soleil ce qui est cause qu'un poirier qu'il a dans son jardin fleurit et donne des fruits d’un côté, tous les ans, pendant que l'autre côté reste stérile. Ils partent encore au point du jour et arrivent à un bras de mer. La jument reste sur le rivage, et Trégont-à-Baris est conduit de l’autre côté par un passeur qui se trouve là. Celui-ci le prie aussi de demander au soleil pourquoi il le retient là depuis cinq cents ans et ce qu'il doit faire, pour être délivré. Il arrive alors devant un pa- lais magnifique et si brillant, qu'il en est ébloui. C'est le palais du so- leil. Celui-ci est sur le point de se lever, et il crie à notre voyageur : Retire-toi, ou je te brülerai! — Je ne me retirerai pas avant que vous m'ayez dit pourquoi vous êtes si rouge quand vous vous levez le matin. — C'est parce qu'en me levant je rencontre tout d'abord le palais de la princesse au château d'or. Retire-toi à présent, car il est temps que je me lève. — Dites-moi encore, auparavant, pourquoi le père du seigneur chez qui j'ai passé la première nuit en venant ici est malade depuis si long- iemps et ce qu'il faut faire pour qu'il guérisse ? — Ce seigneur est malade, parce qu'il y a un crapaud sous le pied gauche de son lit : qu'on tue le crapaud, et aussilôt il reviendra à la santé”. Mais retire-toi vite, car je suis en retard. ! Dans une autre version bretonne, c’est la fille d’un roi qui est malade, parce que le jour de sa première communion, en se mettant au lit, elle a vomi la sainte Uostie. Un crapaud est alors sorti de dessous le lit et l'a avalée, puis ïl s’est en- core retiré dans son trou, sous un pied du lit. [ faut tuer le crapaud , en exlraire l'hostie et la faire manger de nouveau à la jeune princesse, pour qu'elle recouvre la santé. — 183 — — Puisque j y suis, il faut que vous me disiez encore pourquoi un poirier qui est dans le jardin du second château où j'ai couché en ve- nant ici fleurit et porte des fruits, tous les ans, d'un côté, pendant que le côté opposé reste stérile ? — C'est qu'il y a une barrique d'argent enfouie sous l’arbre, et le côté où se trouve l'argent restera stérile aussi longtemps qu'il y sera. _ Mais retire-toi, pour que je me lève; retire-toi vite, te dis-je, ou je te rôtirai ! — Encore un mot, et je me retirerai aussitôt. Pourquoi retenez-vous depuis cinq cents ans le passeur qui est sur le bras de mer que j'ai tra. versé en venant ici, et que faut-il qu'il fasse pour être délivré ? — C'est un sot : il n'a qu'à remettre ses rames au premier qui se pré- sentera pour passer l'eau, et il sera délivré, et l'autre restera à sa place. Mais va-t'en, va-l'en vite, si Lu ne veux être brülé, car je suis en retard ? Trégont-a-Baris revient alors sur ses pas, salisfait d'avoir obtenu ré- ponse à chacune de ses questions. Il ne fait connaître au passeur celle qui le concerne que lorsqu'il est de l’autre côté de l'eau, pour n'être pas retenu à sa place. IL retrouve sa jument blanche, il remonte dessus et ils partent. Il s'arrête dans les deux châteaux où il avait passé en venant, dit au maître de l'un pourquoi son poirier ne porte de fruits que d’un côté ; à l'autre, ce qui est cause que sa fille est malade, et s'en retourne, comblé de présents. En arrivant à la porte du palais du roi, la jument blanche le quitte, en lui disant qu'il la retrouvera encore, au besoin. il fait connaitre la réponse du soleil au roi. Quelque -temps après, le monarque, qui ne rêvait plus que de la prin- cesse au château d'or, dit encore à Trégont-à-Baris qu'il fallait la lui amener, sous peine de mort. Notre héros, le lendemain matin, retrouve sa jument blanche à la porte du palais. Il monte dessus, et ils partent. Ils arrivent sur le rivage de la mer. Un petit poisson était la resté à sec sur la grève. et près de mourir. Sur le conseil de sa jument, Trégont-à- Baris le remet dans l'eau, et le petit poisson lui dit alors : — Merci à toi, Trégont-à-Baris! Si jamais tu as besoin de mon aide, appelle-moi, et j'arriverai : je suis le roi de tous les poissons de la mer. IL poursuit sa route et arrive au château de la princesse, dans une île. Il y passe la nuit, et le lendemain matin, il l'amène à Paris. En passant la mer, elle y jette sa clef. Ils retrouvent la jument blanche sur le rivage, montent dessus tous les deux et sont bientôt rendus à Paris. Le vieux roi veut se marier avec la princesse du château d'or. Celle-ci demande qu'on lui apporte, auparavant, son château à Paris. Trégont-a-Baris est encore chargé de ce travail. Il fait transporter le palais par quatre lions à qui il avait rendu service. Mais il v manque la clef, une clef de diamant qui, seule, peut l'ouvrir, et la princesse l'a laissée tomber au fond de la mer. La clef est retrouvée, grâce au petit poisson à qui notre héros avait sauvé — 184 — la vie. Trégont-à-Baris est donc au bout de ses travaux ? Pas encore. La princesse demande à présent qu'on lui apporte de l’eau de mort et de l'eau de vie, afin de rajeunir le vieux roi, avant de l'épouser. Trégont-a-Baris se rend aux fontaines merveilleuses, accompagné des quatre lions qui ont déjà apporté à Paris le château de la princesse. Chacune des deux sources est gardée par deux lions. Mais les lions de notre héros les ter- rassent, et il peut alors remplir deux fioles des eaux demandées, puis il retourne à Paris. Le vieux roi est mis à mort avec quelques gouttes de l’eau de mort; mais la princesse ne veut pas le ressusciter, en versant sur son corps de l'eau de vie, et elle épouse Trégont-à-Baris. Il y eut à cette occasion de grandes fêtes. Pendant le repas des noces, on fut étonné de voir arriver dans la salle du festin une femme d'une beauté surhumaine et que personne ne connaissait. Elle s'avança vers le nouveau marié et lui parla ainsi : «Je suis la vierge Marie. Dieu m'avait envoyée vers toi, sous la forme d'une jument blanche, pour te tirer de toutes les épreuves qui t'ont ébi imposées. Adieu, vis en honnète homme, et tu me reverras un jour, dans le ciel!» Ayant dit ces paroles , elle disparut, sans qu'on sût comment, laissant tout le monde étonné. Chez les peuples slaves, on a recueilli plusieurs versions de ce conte, et M. Alexandre Chodzko, dans son très-intéressant livre : Contes des paysans et des pâtres slaves, en a douné une fort curieuse, sous le titre de: Le Soleil, ou les trois cheveux d’or du vieillard Vsévède. Les ressemblances avec le conte breton y sont nombreuses et frappantes. 2° Hommes-animaux. — Ce sont des hommes enchantés à qui différentes formes d'animaux (chevaux, loups, crapauds, etc.) ont été imposées, par des magiciens ou des fées, jusqu’à l’accomplisse- ment de certaines conditions mises à leur délivrance, comme par exemple, jusqu’à ce qu'ils aient trouvé une jeune fille qui con- sente à les épouser sous leur forme animale. Voici l'analyse d’un conte de ce genre. L'HAOMME-POULAIN. Il y avait autrefois au château de Kerouez, en Loguivi-Plougras, un seigneur riche et puissant qui avait un fils unique. Ce fils était venu au monde avec une tête de poulain, ce dont ses parents étaient désolés. Quand il fut parvenu à l'âge de dix-huit ans, 1l dit à sa mère qu'il voulait se marier, el il fa pria d'aller lui demander une des filles de son fermier le plus voisin, qui avait trois jolies filles. La dame va trouver sa fer- miére, et lui explique le motif de sa visite. — 185 — — Marier ma fille à un homme qui a une tête de bête! s’écria-t-elle. — Que voulez-vous ? reprit la dame, c'est Dieu qui l'a voulu ainsi, et il est assez malheureux, le pauvre enfant! Du reste, c’est la douceur et la bonté mêmes, et votre fille ne serait pas malheureuse avec lui. — Enfin, je vais consulter mes filles, répondit la fermière. Elle s'adresse d'abord à sa fille ainée. — Je veux bien l’épouser, dit celle-ci; il est riche, et avec de l’ar- gent on a tout ce qu'on désire. La dame revient au château, heureuse d'apporter la bonne nouvelle à son fils. On s'occupe aussitôt des préparatifs de la noce. Un jour, la jeune fiancée était au bord de l'étang, à regarder les servantes du château qui lavaient le linge, causant et riant avec elles. Quelqu’une lui dit : — Comment pouvez-vous prendre pour mari un homme qui a une tête de poulain, une jolie fille comme vous? — Bah! répondit-elle, il est riche; et puis, soyez tranquilles, il ne sera pas longtemps mon mari, car la première nuit de mes noces je lui couperai le cou! En ce moment vinl à passer un seigneur inconnu, qui s'arrêta pour les écouter et qui dit : — Vous avez là une singulière conversation! Puis il se dirigea vers le château. Le jour des noces arrive : grande réjouissance au château et grands festins. L'heure venue, les filles d'honneur conduisent la jeune mariée à la chambre nuptiale, la déshabillent, la couchent, puis elles se retirent. Le jeune époux arrive alors, brillant et beau comme un prince, car il n'avait plus sa tête de poulain; il court au lit nuptial, se penche sur sa Trois mois après, l'envie de se marier reprend lhomme-poulain. II envoie encore sa mère demander la seconde fille du fermier. Celle-ci, bien que connaissant le sort de sa sœur, accepte à son tour d'épouser l'homme-poulain, à cause de ses grands biens. Il lui arriva absolument comme à sa sœur; même rencontre au bord de l'étang, pendant qu'elle causait avec les lavandières ; même mort tragique, la première nuit de ses noces. Trois mois après, le jeune seigneur à la tète de poulain dit encore à sa mère d'aller lui demander la troisième fille du fermier. Le père et la mére font des difficultés, cette fois; mais on leur offre de leur céder la métairie, et la jeune fille dit : —- Je le prendrai, ma mère. Si mes sœurs ont perdu la vie, c'est leur langue qui en est la cause; je serai plus sage qu'elles. On fait, pour la troisième fois, des préparatifs de noces dans le chà- teau. La jeune fiancée va, comme ses sœurs, causer avec les lavandières sur l'étang. — 186 — —- Comment, lui disaient celles-ci, vous consentiriez à vous maricr avec quelqu'un qui a une tête de poulain? avec un animal? et cela après ce qui est arrivé à vos deux sœurs! | — Oui, oui, répondit-elle; je n'ai pas peur qu'il m'arrive comme à mes sœurs, moi; S1l leur est arrivé malheur, c'est leur langue qui en est la cause. En ce moment vint à passer le même seigneur que les deux autres fois, qui entendit la conversation, et disparut sans rien dire. Les noces ont lieu, réjouissances, jeux de toute sorte, festins, comme précédemment; la seule différence fut que le lendemain la jeune mariée vivait encore. Pendant neuf mois, elle vécut heureuse avec son mari. Celui-ci n'avait sa tête de poulain que pendant le jour. Le soleil couché, il devenait un beau jeune homme jusqu'au lendemain matin. Au bout de neuf mois, la jeune femme eut un fils, bien constitué et sans tête de poulain. Au moment de partir pour faire baptiser l'enfant, le père dit à la mère : — J'avais été condamné à porter une tête de poulain, jusqu à ce que j eusse eu un enfant: à présent, je vais être délivré, car une fois l'enfant baptisé, je redeviendrai semblable aux autres hommes. Mais ne dites rien de tout ceci à qui que ce soit, jusqu'à ce que les cloches du baptème aient cessé de sonner: si vous en parlez, même à votre mère, je dispa- raîtrai aussitôt, et vous ne me reverrez plus. I part là-dessus, pour faire baptiser son enfant. La mère entend les cloches de son lit, et son cœur en tressaille de joie. Mais hélas! dans l'impatience d'annoncer la bonne nouvelle à sa mère, restée auprès de son lit, elle ne peut attendre jusqu'à ce qu’elles aient cessé de se faire entendre. Son mari arrive aussitôt, couvert de boue, et fort en colère : — Ah! malheureuse femme, qu'as-tu fait ? s'écrie-t-il, en entrant. À présent, il me faut te quitter, et tu ne me reverras plus jamais! Et il part aussitôt. Sa lemme se lève et court après lui. — Ne me suis pas, lui crie-t-1l. Mais elle ne l'écoute pas, et court toujours après lui. Elle allait l’at- teindre, elle était sur ses talons. Il se détourne alors et lui donne un coup de poing en pleine figure. Le sang jaillit jusque sur sa chemise et y fait trois taches. — Puissent ces taches ne jamais s’effacer jusqu'a ce que j'arrive moi- même pour les enlever! cria-t-elle alors. — Et toi, répondit l’autre, tu ne me retrouveras que lorsque tu auras usé trois paires de chaussures d'acier à me chercher *. ! Dans une autre version, le mari, poursuivi par sa femme, lui jette successi- vement trois pommes d’or, afin de ralentir sa course. On dirait un écho de la fable grecque d'Atalante et d'Hippomène, sauf le coup de poing. — 187 — Pendant que le sang qui coulait en abondance du nez de la jeune - femme l'empêchait de poursuivre son mari, celui-ci continua de courir, et elle l'eut bientôt perdu de vue. Alors elle se fit faire des chaussures d'acier et se remit aussitôt à sa recherche. Elle allait, elle allait, au hasard, ne sachant quelle direction elle devait prendre. Après avoir marché cons- tamment pendant dix ans, sa troisième paire de chaussures d'acier était presque usée, quand elle arriva, un jour, auprès d’un château où des servantes étaient à laver du linge, sur un étang. Elle s’y arrêta un peu, pour se reposer, et entendit une des lavandières dire : — La voici encore, la chemise ensorcelée! Elle se présente à toutes les buées, et jai beau la frotter avec du savon et la battre avec mon battoir, je ne puis enlever les trois taches de sang qui s'y trouvent; et demain pourtant le seigneur en aura besoin pour aller se marier, à l’église. car c'est sa plus belle chemise! La jeune femme écoutait de toutes ses oreilles. Elle s’approcha de la lavandière qui parlait ainsi, et lui dit : — Confiez-moi un peu cette chemise, je vous prie; peut-être réussi- rai-je à faire disparaitre les trois taches de sang. On lui donna la chemise; elle cracha sur les trois taches, la trempa dans l'eau, puis la frotta, et voila les taches enlevées. — Je vous remercie, lui dit la lavandière; allez au château, demandez à loger, et tantôt, quand j'arriverai, je vous ferai bien souper. Elle se dirigea donc vers le château; mais avant d’y entrer, elle chan- gea de vêtements, dans le bois, derrière un buisson (elle avait emporté un paquet de vêtements de la maison), et s’habilla proprement. Elle était fort belle encore. On la mit à coucher dans un cabinet où elle n'était séparée de son mari que par une cloison de planches. Elle frappa avec son doigt sur la cloison, et se fit connaître. Son mari s'empressa de ve- nir la rejoindre. Jugez s'ils furent heureux de se retrouver! Il était temps, car le lendemain même 1l devait se marier avec la fille du maître de ce château. Le lendemain matin, au moment de partir pour l'église, il fit remettre la cérémonie, sous je ne sais quel prétexte. Mais comme le banquet était tout prèt et que les invités étaient tous arrivés, on se mit à table, et la jeune étrangère fut aussi invitée et présentée à la société par le fiancé. Vers la fin du repas, celui-ci parla de la sorte à son futur beau-père : — Beau-père, j'ai un conseil à vous demander : je possède un joli coffre dont j'avais perdu la clef; j'ai fait faire une autre clef, et je viens de retrouver la première. De laquelle des deux dois-je me servir, à présent 2 — Respect est dû toujours à ce qui est ancien, répondit le vieillard. — C'est aussi mon avis, reprit l’autre; eh-bien! voici ma première femme que je viens de retrouver (el il montrait l’'étrangère), et comme — 188 — je l'aime toujours, je crois qu'il me convient de la reprendre, comme vous venez de le dire vous-même. Alors il prit sa femme par la main et s'en retourna avec elle dans son pays, au grand étonnement de tout le monde. L 3° Corps sans âme. — Ce sont des géants magiciens dont l'âme, ou la vie, ne réside pas dans leur corps. Elle est ordinairement dans un œuf, lequel œuf est dans une colombe, laquelle colombe est dans un lièvre, le lièvre dans un loup, le loup dans un lion, et le lion dans un coffre de fer au fond de la mer. I faut tuer successivement ces différents animaux renfermés les uns dans les autres, se procurer l’œuf et le briser sur le front du géant, qui expire aussitôt. Dans un autre conte, la vie du Corps-sans-àème réside dans la maitresse racine d’un arbre de buis qui se trouve dans le jardin de son château !; ailleurs, elle est dans un livre magique qu’il faut jeter dans le feu. Quand le livre est consumé, on voit un loup sortir du feu; on éventre le loup, et il en sort un lièvre, et du lièvre il sort une colombe dans laquelle on trouve l'œuf où réside la vie du magicien. Voir le Corps sans me, dans mon premier rapport. 4° Apprentis et valets de magiciens. — Dans les contes de ce senre, le héros entre en condition chez un magicien. Celui-ci s’ab- sente, après avoir indiqué à son nouveau valet son travail de chaque jour, et en lui laissant les clefs de toutes les chambres du château, avec la hberté de les visiter, hors une seule, dont l'entrée lui est interdite. Mais lé valet, ou l'apprenti, poussé par la curio- sité, pénètre dans la chambre défendue, et y trouve les livres du magicien. Ïl les étudie et y découvre tous ses secrets. Puis, à la veille de l’arrivée du maître, il s'enfuit, emmenant une princesse retenue enchantée dans le chäteau, sous la forme de quelque animal, une jument le plus souvent. Les contes de ce genre sont assez nombreux et le fond de la fable varie peu. Quelquefois, au lieu du magicien, c’est le Diable que l’on trouve, probablement par suite de la substitution de la légende chrétienne à la légende païenne, comme je l'ai déjà signalé à propos du conte de Trégont-à-Baris. Pour ne pas allon- ger démesurément ce rapport, je renvoie le lecteur au conte de ! Dans le poëme persan, le Schah-Nameh, de Firdousi, Rustem se bat contre un héros, Isfendiar, dont la vic est également atlachée à une branche d'orme. — 189 — Coadalan, que j'ai publié dans le premier numéro de la Revue celtique. 5° Contes à talismans. — Ces contes se divisent ordinairement en deux parties. Dans la première partie, le héros, au prix de travaux prodigieux, conquiert le talisman, par la vertu duquel 1 fait à peu près tout ce qu'il veut. Puis il le perd, et la seconde partie du conte est remplie par les voyages et les travaux plus pro- digieux encore qu'il lui faut accomplir pour le recouvrer. La princesse de Tréménézaour, que l'on trouvera plus loin, don- nera une idée des voyages et des travaux dont je viens de parler. Pour ce qui est des talismans, voir Bihanic et l’Ogre, dans mon second rapport. 6° Petits Poucets ou cadets de famille, et pauvres d'esprit. — Ce sont des cadets de famille, des disgraciés de la nature, bossus, boiteux, etc., ou des pauvres d'esprit, des innocents, comme disent nos paysans, qui sont les héros de merveilleuses aventures. C'est une idée familière et chère aux peuples de race celtique, que de concentrer toutes leurs sympathies, toutes leurs affections sur les faibles, les humbles et les petits. Les contes où l’on rencontre ces êtres sympathiques sont très-nombreux. Le Petit Poucet de Per- rault peut en donner une assez juste idée. 7° Souvenirs des romans de la Tuble ronde et du cycle carlovin- gien. — On rencontre aussi fréquemment dans les récits de nos paysans des souvenirs des romans de la Table ronde et du cycle carlovingien, comme par exemple : Merlin, Charlemagne et ses douze pairs, Orson et Valentin, Obéron, Huon de Bordeaux, etc. Ce dernier surtout a dû être très-populaire en Bretagne, durant le moyen âge, et J'en rencontre fréquemment des traces et des épi- sodes entiers dans nos contes. Il a aussi fourni le sujet d’un mys- tère breton, que l’on représentait encore dans le siècle dernier. Le conte d'Obéron est trop long pour que je l'analyse ici, mais il me paraît évident que c'est Huon de Bordeaux qui en a fourni les principaux ressorts et épisodes. On trouvera des exemples de contes légendaires chrétiens dans Jésus-Christ en basse Bretagne, de mon premier rapport, et dans Porpant, du troisième rapport. Voir également, pour les récits facétieux et plaisants, Le Meunier et son seigneur, du premier rapport, et Jean de Ploubezre, du troi- sième. — 190 — Je terminerai ce résumé général des matériaux que j'ai rassem- blés jusqu’aujourd'hui par le conte : La princesse de Tréménézaour, qui pourra servir de type de nos contes mythologiques, et qu'il sera curieux de comparer avec le conte slave de Glinski, qui se trouve sous le titre de Impérissable dans le recueil de M. Alexandre Chodzko dont j'ai déjà parlé. On ne peut nier l'identité de la fable, ainsi que de la plupart des épisodes et des ressorts des deux contes. LA PRINCESSE DE TRÉMÉNÉZAOUR, CONTE MYTHOLOGIQUE. I y avait une fois un jeune garcon resté sans père ni mère, et qui mendiait son pain de porte en porte. Il avait déjà quatorze ou quinze ans, et on commençait à se lasser de lui donner et on lui disait : — N'as-tu pas honte de faire ce métier de fainéant, à ton âge, et bien portant et fort comme tu l'es ? Tu vois bien que nous travaillons tous, nous autres; fais comme nous, et tu ne manqueras ni de pain ni de vêtements. Un jour que l'on faisait ce reproche à Gwilherm (il s'appelait Gwil- herm), à la porte d'un moulin, il répondit : — Je ne demande pas mieux que de travailler, pour gagner mon pain, et si vous voulez me prendre chez vous comme garcon de moulin, je ferai mon possible pour vous contenter. Le meunier le prit au mot. Il lui donna un fouet avec une jument poussive et si maigre, qu elle n'avait guère que les os et la peau. Et voila notre gars courant le pays avec sa rosse, pour porter la farine aux pra- tiques, et faisant claquer son fouet sur les chemins, heureux et fier et se croyant quelque chose. Il aimait sa jument et en avait grand soin, et il la caressait et lui parlait comme si elle le comprenait. Au bout de quelque temps, la jument eut une petite pouliche. Gwil- herm en fut tout heureux, et il la soigna et l’aima comme faisait sa mère. II l'emmenait avec lui dans ses tournées, et ils couraient et jouaient en- semble comme deux frères. La pouliche grandissait et engraissait à vue d'œil. Un jour, le meunier gronda si fort Gwilherm, pour je ne sais quelle négligence, que le gars dit à son maitre de chercher un autre garçon et de lui solder ses gages, parce qu'il ne voulait plus rester à son service. Le meunier, qui ne débat pas facilement les cordons de sa bourse, chicanait sur la somme. ; — Eh bien! lui dit alors Gwilherm, donnez-moi la petite pouliche avec sa mère, el Je ne vous demande pas autre chose. — 191 — Le meunier n'avait jamais vu la pouliche, et, convaincu que ce ne pouvait être qu'un avorton bon à rien, il dit, en avançant sa main : — Tope là, mon garçon, c'est marché conclu. Gwilherm quitta aussitôt le moulin, heureux de n'être pas obligé de se séparer de sa pouliche chérie et de sa vieille jument. IL prit avec elles la route de Paris. Après quelques jours de marche, ils arrivèrent à un bras de mer, et les voilà arrètés. Ils voyaient à quelque distance une ile où l'herbe était haute et abondante, et où 1l y avait des arbres chargés de fruits de toute sorte. La jument fit signe à son maître de monter sur son dos. Gwilherm lui obéit et l'animal entra dans l'eau et nagea vers l'île, suivie de la pouliche. Ils ÿ abordèrent heureusement tous les trois. Près du rivage, ils trouvèrent une fontaine. — C'est bien, dit Gwilherm, vous ne manquerez de rien ici, puis- qu'il y a de l'eau douce et de l'herbe à discrétion. Je vais vous laisser dans cette île, puisque vous y êtes bien; je continuerai ma route vers Paris, et, lorsque j y aurai trouvé une bonne place, je reviendrai vous prendre, et nous ne nous séparerons plus alors. I fit donc ses adieux à sa pouliche et à la mère, les embrassa tendre- ment, puis il repassa à la terre ferme, car, dans les basses marées, on y pouvait aller à pied sec. À force de marcher, il arriva enfin à Paris, et il alla tout droit au palais du roi. I demanda si l'on n'y avait pas besoin d’un garçon de bonne volonté, pour quelque travail que ce fût. — Ma foi, lui répondit le portier, il est parti ce matin même un valet d'écurie, et si vous voulez prendre sa place ?.... — Cela ne pouvait tomber mieux, j'aime les chevaux et je sais les soigner, répondit Gvwilherm. On le prit donc comme valet d'écurie. On lui confia douze chevaux, vieux, fourbus et on ne peut plus maigres. Mais il les soigna si bien, qu'au bout de quelque temps il en fit des chevaux magnifiques, gras, luisants et fringants. Tout le monde était étonné d'un pareil résultat, et le roi le félicita publiquement et le prit en affection, ce qui lui valut la jalousie des autres valets d'écurie. Quelque temps après, quand il se sentit bien en cour, il demanda un congé de quelques jours pour faire un voyage. On le lui accorda sans difficulté, et il se rendit dans l'ile où il avait laissé la vieille jument et la pouliche. Quel ne fut pas son étonnement d'y trouver quatre chevaux superbes et la pouliche qui tétait encore sa mère ‘? La pouliche était si fringante et si souple que, quand elle avait tété d'un côté, elle sautait d'un bond par-dessus la jument, pour la téter de l’autre côté. Dès qu’elle 1 ñ aperçut Gwilherm, elle s'avança au-devant de lui, le salua et lui dit : LH doit ÿ aVOIr 1CI une petite lacune, car le conte m'explique ui le rôle ni la présence des quatre chevaux dans Pile. — 192 — — Bonjour, mon maître. —— Comment, tu parles donc comme un homme ? lui demanda Gwil- herm, étonné. + — Oui, je parle aussi le langage des hommes. Écoutez-moi et faites ce que je vais vous dire. Il vous faudra tuer ma mère et les quatre chevaux et jeter leurs corps à la mer, afin que tout le pâturage de l'ile soit pour moi seule. Puis, vous retournerez à la cour du roi de France, et vous re- viendrez me voir dans cinq ans. Vous serez étonné de voir quel superbe animal je serai alors. .. — Tuer ta mère qui ta nourrie jusqu à présent et ie ] ‘aime tant! et tuer aussi ces quatre chevaux magnifiques, dont j'aurais voulu faire don au roi de France, qui m'en aurait si bien récompensé ? — Faites ce que je vous dis, mon maitre, et vous verrez, plus tard, que vous n'aurez pas lieu de vous en repentir. Gwilherm trouva si étrange de voir un animal lui parler tout comme un homme raisonnable, qu'il n’osa pas lui désobéir. Il tua donc les quatre chevaux, puis, sa vieille jument qu'il aimait tant, il jeta leurs corps dans la mer et retourna ensuite à la cour du roi de France. Il y resta encore cinq ans, et, au bout de ce temps, il demanda un nouveau congé, qui lui fut accordé comme le premier, car il était toujours dans les bonnes grâces du roi. Il se hâta de se rendre dans l'ile. La pouliche était à présent une cavale magnifique, pleine de feu, de vigueur et d’agi- lité; enfin, il n'avait jamais vu sa pareille. Elle était seule maitresse de l'île. Gwilherm était rempli de joie de la retrouver ainsi, et il se dispo- sait à lui mettre une bride en tête pour l'emmener à la cour du roi, quand la cavale lui parla de la sorte : — Pas encore, mon maitre; il ne me manque plus qu'une année de séjour ici pour devenir la plus belle et la plus forte de toutes les cavales du monde; laissez-moi donc encore un an ici. — Je te trouve assez belle et assez forte comme cela, et le roi n'a pas ta pareille dans ses écuries : il n'y a pas à dire, il faut que je t'em- mène. — Vous le regretterez un jour, mon maître; mais hélas! il sera trop tard alors. - — Ta! ta! 1l faut que tu viennes avec moi. Et Gwilherm lui passa une bride, monta sur son dos et reprit la route de Paris, lout fier de sa cavale et félicité ou envié de tous ceux qui le voyaient passer. Le soleil était couché depuis quelque temps et l'obscurité se en quand, en passant près d'une forêt qui bordait la route, il aperçut par terre quelque chose qui brillait comme une flamme. — Qu'est cela? dit-il. — Rien, répondit la cavale. — 195 — — Comment rien ? Il faut que je voie ce que c'est. — Poursuivez votre route, mon maître, et laissez cela, ou vous vous en repentirez un jour. Mais Gwilherm était déjà à terre; il alla droit à la lumière et fut étonné de trouver une mèche de cheveux d’or! — Laissez ces cheveux-là, mon maître, lui dit encore la cavale. — Je ne serai pas si sot, répondit-il. Et il prit la mèche de cheveux d’or et la mit dans sa poche. Puis il remonta sur son cheval el poursuivit sa route. [l arriva à Paris, et tout le monde le suivait par les rues à cause de sa monture : on n'avait jamais vu une semblable merveille. Je vous demande si Gwilherm était fier et heureux, surtout quand il entra dans la cour du palais! Le roi, averti, accourut, et Gwilherm mit pied à terre et, s'avançant vers lui, il le pria d'accepter l'hommage de ce superbe animal, la plus belle cavale qui fût au monde. Le roi fut si content de ce procédé, qu'il invita Gwilherm à manger à sa table, ce jour-là, et il voulut même le retirer des écuries pour lui donner un plus haut emploi. Mais Gwilherm s'excusa en disant quil n'avait pas d'ambilion et que, habitué à vivre avec ses chevaux, il serait malheureux si un autre prenait sa place auprès d'eux. Il resta donc dans les écuries. Une nuit quil voulut se lever, selon son habitude, pour voir si ses bêtes ne manquaient de rien, il s’aperçut que sa lampe manquait d'huile et qu'il n'en avait pas pour y mettre; et il en était très-contrarié. Com- ment faire ? — Tiens! se dit-il tout à coup, la mèche de cheveux d’or que j'ai ra- massée sur la route luisait dans l'obscurité comme un flambeau ; pourquoi ne m éclairerait-elle pas ici également? Voyons! Et il tira la mèche de cheveux d’or d'un petit coffre ou il l'avait ren- fermée, et aussitôt elle répandit une lumière éclatante et éclaira son écurie bien mieux qu'une lampe. — À la bonne heure! se dit-il; et ma cavale qui me conseillait de lais- ser celle mèche merveilleuse sur la route où je l'ai trouvée! J'ai bien fait de ne pas lui obéir. À partir de ce moment, Gwiiherm n'eut pas d'autre lumière dans son écurie. Cependant les autres valets, qui élaient jaloux parce que ses chevaux étuent mieux soignés et plus beaux que les leurs, et que le roi n'avait pour lui que des compliments, cherchaient les moyens de le perdre. En voyant par les fenêtres la fumière extraordinaire qui éclairait toutes les nuits son écurie, un d'eux alla un jour trouver le roi et lui parla de la sorle : — Vous parlez souvent, Sire, de la princesse de Tréménézaour, et si vous saviez ce qui se passe dans votre palais ?.... MASS. SCIENT. — VII. | — Re — Quoi donc? Qu'est-ce qui se passe d’extraordinaire dans mon pa- lais ? demanda le roi, intrigue. — Gvwilherm a tondu la princesse , et il possède sa chevelure d'or! — Ce n’est pas possible! — Rien n'est pourtant plus vrai, Sire, et, toutes les nuils, il éclaire son écurie avec les cheveux de la princesse. — Vraiment? Vous m'étonnez beaucoup. — Pour vous en assurer, vous n’avez qu'a vous meltre à votre fenêtre, vers minuit, et vous jugerez si la lumière qui éclaire son écurie est une lumière naturelle. = Le vieux roi était fort intrigué de ce qu'il venait d'entendre. Aussi se promit-il de surveiller l'écurie de Gwilherm, la nuit venue. À onze heures, il était à sa fenètre en observation. Fôt après 1l mit l'écurie s'éclairer d’une lumière si brillante, que ce ne pouvait ètre celle d'une lampe. Il descendit promptement, sans faire de bruit, et arriva à la porte de l'écurie, qui était entre-bâillée, et il l'ouvrit d'un coup de pied. Gwilherm, surpris, essaya de cacher la mèche de cheveux d'or; mais le roi l'arrèta, en lui disant : — Que signifie ceci? D'où tiens-tu ce singulier flambeau ? — Sire, excusez-moi, je l'ai trouvé sur la route, en me rendant à votre palais, avec ma cavale. — Mensonge! Mensonge! Ce sont là les cheveux de la princesse de Tréménézaour, et il faut que tu me les donnes et m'amènes à ma cour la princesse elle-même! — Comment, Sire, pourrai-je jamais faire cela, un pauvre garcon comme moi ? — Ïl faut que tu le fasses, ou il n'y a que la mort pour toi. — Je ne sais seulement pas quel pays elle habite. — Tu dois le savoir, puisqu'elle t'a donné une mèche de ses che- veux, | Et le roi partit là-dessus, emportant la mèche de cheveux d’or. Le pauvre Gwilherm resta atterré de ce qu'il venait d'entendre. Sa ca- vale, qui avait tout entendu, comme son maitre, lui dit alors : — Je vous avais bien dit, mon maître, que celte mèche de cheveux, que vous avez emportée malgré mes conseils, serait pour nous une source de pénibles travaux et de cruelles inquiétudes, car ceci n'est que le commencement. Quoi qu'il en soit, il faut nous occuper de satisfaire le roi. Nous partirons demain matin à la recherche de la princesse de Tréménézaour, et, à nous deux, si vous m'obéissez de point en point, nous pourrons peul-être mener l'aventure à bien. Le lendemain matin, Gwilherm et sa cavale se mirent en route, l'une portant l'autre. Après une longue journée de marche, ils arrivèrent au bord de la mer. Là Gwilherm apercut sur le sable un petit poisson laissé — 195 . à sec par la marée, en se retirant. Il allait mourir, et c'est à peine s’il remuait encore un peu la queue. — Prenez vite ce petit poisson, dit la cavale à son maitre, et remet- tez-le dans l'eau. Gwilherm prit le petit poisson et le remit dans l'eau. Il plongea un instant, puis, élevant sa petite tête au-dessus de l'eau, il parla ainsi : — Je te remercie, Gwilherm, tu m'as sauvé la vie. Si jamais tu as be- soin de moi ou des miens, appelle-moi au bord de la mer, en quelque lieu que ce soit, et j'arriverai aussitôt. Je suis le roi des poissons de la mer. n Avant dit ces paroles, il replongea et disparut. — Un barbillon comme ca le roi des poissons de la mer!...se disait Gwilherm, peu confiant dans les paroles du petit poisson. Et ils se remirent en route, sa cavale et lui, en suivant la côte. A force d'aller et de battre du chemin, nuit et jour, ils arrivèrent enfin devant le château de la princesse de Tréménézaour. Trois avenues de grands chènes y conduisaient. Au plus grand des arbres d'une de ces avenues était attaché un géant énorme, par deux grosses chaînes de fer. Le géant faisait de grands ef- forts pour se délivrer de ses chaînes , et, quelque gros et élevé que füt l'arbre, sa tête venait toucher la terre à chaque secousse qu'il lui don- nait. La cavale dit à Gwilherm : — Vous voyez ce géant? Eh bien, il vous faudra le délivrer de ses chaînes, avant d'entrer dans le château. — Comment pourrai-je jamais faire cela ? — Voici comment : marchez droit à lui el n'ayez pas peur. Tâchez de faire en sorte que ses deux chaînes se croisent, et alors frappez dessus avec votre sabre, et elles se briseront comme du verre. Gwilherm marcha vers le géant, assez peu rassuré. Il parvint à croiser ses deux chaînes, il frappa dessus alors avec son sabre, et elles se rom- pirent aussitôt avec un grand bruit. Le géant était libre, et il dit à Gwil- herm : — Merci à Loi, qui que tu sois, car tu m'as délivré! Depuis cinq cents | ans j étais retenu enchaîné à cet arbre. Si jamais tu as besoin de mon 4 secours , appelle le roi des géants (car je suis le roi des géants), et j'ar- | riverai aussitôt. Et, ayant dit cela, il parlit. — À la bonne heure! dit Gwilherm, voilà un gaillard qui pourra me donner un coup de main, au besoin. Il revint alors vers sa cavale, qui lui dit : À — À présent, atlachez-moi ici à un arbre et allez ensuite frapper à la 1 Expression bretonne, dorna hent. — 196 — por Le du château. La princesse de Fréménézaour elle-même viendra vous | ouvrir. Elle vous demandera qui vous êles, el vous répondrez que vous êtes un messager du roi d'Espagne. Elle vous invitera alors à entrer dans son château et à diner à sa table. Vous accepterez. Après le repas, elle vous proposera une partie de boules. Acceptez encore. Elle vous de- mandera quel sera l'enjeu, de l'argent ou une des trois avenues de son château, si vous gagnez? Dites que vous ne voulez pas jouer de l'argent et que vous préférez l’autre enjeu. Elle vous mènera dans son jardin, et vous jouerez avec des boules d'or. Vous perdrez. Dites alors que vous aimez mieux jouer dans les avenues; eïle y consenlira, et vous choisirez celle où vous me verrez; et n'y manquez pas, car autrement tout sera perdu. Gwilherm altacha donc sa cavale à un arbre de l'avenue dans laquelle ils sc trouvaient, puis il se dirigea vers le château, souleva le marteau de la porte et le laissa retomber. La porte s'ouvrit aussilôt, et il se trouva en présence d'une princesse si belle, si belle, qu'il en fut d'abord tout ébloui et interdil. — Qui êtes-vous ? lui demanda la princesse. — Un messager du roi d'Espagne, réponditAl. — Soyez le bienvenu alors et entrez. La princesse, qui était la maitresse du roi d'Espagne, l'introduisit dans son château, lui en fit les honneurs, et, quand lheure du diner fut venue, elle l'invita à s'asseoir à sa table. Après le repas, elle lui dit : — Voulez-vous faire une partie de boules avec moi, dans mon jardin ? — Très-volontiers, princesse, répondit Gwilherm. Et ils allèrent jouer dans le jardin, avec des boules d'or. Gwilherm perdait à tout coup, el la princesse le plaisantaït, si bien qu'il lui dit : — Ïl me semble que, si nous allions jouer dans les avenues du chà- teau, je serais plus heureux. — Allons-y, répondit la princesse. Gwilherm la conduisit tout droit dans l'avenue où il avait laissé sa ca- vale. — Of! le magnifique cheval! s'écria-t-elle, dès qu'elle la vit. Et en effet, la cavale avait bien changé depuis que son maïtre l'avait quittée : elle avait, à présent, alternativement un poil d'or et un poil d'argent, et de même de ses crins et de sa queue. — À qui appartient-elle ? demanda la princesse, qui ne se lassait pas de l’admirer. — À moi, princesse, répondit Gwilherm. — Et vous l'avez laissée ici? Pourquoi ne l'avez-vous pas amenée au château ? Je voudr ais bien la monter. — À vos ordres, belle princesse; c’est, du reste, un animal fort doux; n'ayez aucune crainte. 2 TN 2 Et Gwilherm aida la princesse à monter sur sa cavale. Mais, dès que celle-ci la sentit sur son dos, elle commença à ruer et à se dresser sur ses deux pieds de derrière. La princesse eut peur et se mil à crier : — Au secours! au secours! Gwilherm sauta lestement auprès d'elle, et aussitôt la cavale partit au grand galop, les emportant tous les deux. Elle allait aussi bien par mer que par terre; rien ne l'arrêtait. Comme ils passaient au-dessus de la mer, la princesse y laissa tomber sa bague de diamant. — Ah! mon Dieu, s'écria-t-elle, mon diamant est tombé dans la mer! La cavale allait toujours avec la rapidité du vent. Ils arrivèrent bientôt à Paris. Le vieux roi fut si ravi de voir la princesse de Tréménézaour dans son palais, qu'il s'écria : — Je suis le roi le plus heureux de la terre! Il ne me reste plus rien à souhaiter dans celte vie, Ô princesse incomparable, si vous consentez à devenir mon épouse et à régner avec moi sur mes sujets ? — Je m'en trouverais très-honorte, répondit la rusée princesse; mais il faudra, auparavant, me rapporter mon diamant que j'ai laissé tomber dans la mer, en venant ici. — ]l vous sera rapporté, répondit le roi, et quand je devrais y perdre la moitié de mes sujets. Cependant il ne savait comment s'y prendre, et cela le tourmentait beaucoup. Il songea naturellement à Gwilherm. — Puisqu'il m'a amené la princesse, se disait-il, il pourra peut-être bien me rapporter aussi son diamant. Je ne vois que lui dans tout mon royaume en qui je puisse avoir quelque espoir. Et il fit appeler Gwilherm. Gwilherm vint en se grattant l'oreille et soupçonnant qu'on allait en- core exiger de lui quelque chose d'impossible. — Bonjour, Gwilherm, mon ami, lui dit le roi. — Bonjour, mon roi, répondit Gwilherm. — Tu mas amené la princesse de Tréménézaour, et je t'en sais beau- coup de gré; mais il y a autre chose : en passant, pour venir ici, au- dessus de la mer, la princesse y a laissé tomber sa bague en diamant, et il faut la lui retrouver. Je ne connais que toi, dans tout mon royaume, de capable de rapporter son anneau à la princesse. — C'est me demander l'impossible, Sire; comment voulez-vous ?...….. — I nya pas à dire, il faut que tu rapportes son anneau à la prin- cesse, ou il n'y a que la mort pour toi! Et le roi le congédia sur ces mots. Le pauvre Gwilherm , triste et inquiet, revint faire part à sa cavale des ordres du roi. — Hélas! lui dit l'animal, je ne puis rien en cette affaire, et si Je pelit poisson à qui vous avez naguëre sauvé la vie ne vous vient en aide, — 198 — nous 5s0mImMeSs perdus. 11 faut donc nous rendre, sans perdre de temps, au bord de la mer, et l'appeler à notre secours. Ïls partirent pour se rendre au bord de la mer. Quand ils y furent arrivés, Gwilherm s’avança jusqu'à l'eau et dit : Petit poisson, accours, accours, Viens vite, vite, à mon secours! À peine eut-il prononcé ces mots, que le petit poisson éleva sa têle hors de l’eau et dit : — Qu'y a-t-il pour votre service, ami Gwilherm ? Gwilherm lui conta son embarras et ce qu'il attendait de lui. — C'est bien, attendez-moi la, lui dit le petit poisson. Et il replongea sous l'eau. Il se rendit à son palais {car c'était le roi des poissons de la mer) au fond de la mer, et, appelant son trompette, il lux dit de soul- fler dans sa trompe, qui était un grand bigorn (coquillage), pour con- voquer lous $es sujets. Le trompette fit retentir son bigorn dans toutes les directions, et aussitôt les poissons, grands et petits, d’accourir en foule, de tous les côtés. Le roi élait sur son trône, tenant un grand registre ou se trouvaient les noms de tous ses sujets. Il les appelait par ordre alphabétique, et chacun se présentait quand son nom était prononcé, et le roi lui de- mandait s'il n'avait pas vu quelque part l'anneau de ia princesse de Tréménézaour. Personne ne l'avait vu. Il n’y avait plus que la Vieille qui n'avait pas répondu à l'appel de son nom. — Où donc est encore restée la Vieille ? demanda le roi avec humeur ; elle est toujours en retard. Et il l’appela à nouveau, de sa voix la plus claire. — Me voici! me voici, mon roi! répondit enfin Ja Vieille, en arrivant tout essoufflée. — Où donc étiez-vous restée encore? Vous êtes toujours la dernière à répondre à l'appel! — Excusez-moi, mon roi, j étais restée à admirer ume merveille que jai trouvée au fond de l’eau et qui y brillait comme un rayon de soleil. — Qu'est-ce donc que cette merveille? — Je ne sais, mon roi, mais je vous l'ai apportée : la voici! Et la Vieille déposa aux pieds du roi un anneau qu'elle avait dans sa bouche. — C'est l'anneau de la princesse de Tréménézaour! s'écria le roi, dès qu'il le vit. Et il le prit et alla lui-mème le porter à Gwilherm, qui attendait sur le rivage. Quand Gwilherm tint le diamant, il remonta sur sa cavale et ils re- prirent la route de Paris. —. HE — Grande fut la joie du vieux roi de voir revenir Gwilherm avec l'an- neau. 11 courut aussitôt à la chambre de la princesse, et lui dit, en le lui montrant, d'un air triomphant : — N'est-ce pas la votre anneau, princesse ? — Oui vraiment, répondit-elle, en le mettant à son doigt. — J'espère que rien ne s'oppose plus, à présent, à ce que nous nous IWariions , sans autre relard. — C'est juste; et pourtant il me reste encore un souhait à former, ais cest si peu de chose..... — Quoi donc, princesse ? dites, vite. — Je voudrais qu'on me fit venir aussi mon cheval, qui n'a pas son pareil au monde, pour me porter à l'église le jour de nos noces. Cela ne vous sera pas difficile, Sire, après tout ce que vous avez déjà fail pour moi. — Vous l'aurez, princesse, répondit le roi. Et il fit encore appeler Gwilherm. Celui-ci se rendit auprès du roi, triste et soucieux et se doutant bien qu'on allait encore le soumettre à quelque terrible épreuve. — Bonjour, ami Gwilherm, lui dit le roi. — Bonjour, mon roi, répondit Gwilherm. — Je tai de grandes obligations, Gwilherm; tu m'as déjà amené à ma cour la princesse de Tréménézaour, puis, tu as retrouvé son anneau au fond de la mer ; tu n'as pas ton pareil dans tout mon royaume. J'ai en- core un petit service à te demander; mais cela ne sera qu'un jeu pour toi. — Parlez, mon roi, dit Gwilherm, impatient de savoir quelle impos- sibilité on allait encore lui demander. — La princesse voudrait, à présent, avoir son cheval, le plus beau cheval qui soit au monde, dit-elle. — Vous l'aurez, mon roi, si la chose est possible à un homme. Gwilherm revint vers sa cavale et lui fit part des ordres du roi. — Hélas! répondit la cavale, c'est ici la plus terrible, la plus difhcile des épreuves! Si vous m'aviez laissée une année encore dans l'île, rien ne m aurait été plus facile; mais à présent, je ne puis répondre de rien. Le cheval de la princesse de ‘Fréménézaour est le plus beau et le plus fort de tous les chevaux qui sont sur la terre. Il me faudra le combattre et le vaincre avant de pouvoir l’amener ici, et je crains d'y succomber. N'importe, je combattrai le cheval de la princesse. Ecoutez bien et faites de point en point ce que je vais vous dire. Allez d'abord trouver le roi, et dites-lui qu'il vous faut beaucoup d'or et d'argent, pour entreprendre ce voyage. Il vous donnera tout ce que vous lui demanderez. Achetez alors vingt bœufs, puis cherchez des bouchers pour les tuer et les écor- cher. Vous coudrez les vingt peaux de bœufs autour de moi et en gar- nirez principalement mes flancs. Après cela, vous me ferez ferrer à neuf. È 2 — 200 — Vous chercherez des maréchaux capables de me faire quatre fers de cinq cents livres chacun, et chaque fer devra être attaché avec huit clous de cent livres chacun. Après cela, nous irons livrer le combat au cheval de la princesse. Gwilherm alla donc trouver le roi, qui lui donna tout l'argent dont il avait besoin. Il acheta vingt bœufs, les fit tuer et écorcher, puis 11 garnit de leurs peaux le corps de sa cavale. Il acheta ensuite tout le fer quil put trouver dans le pays, et vingt-cinq maréchaux travaillèrent nuit et jour, pendant huit jours, à confectionner quatre fers de cinq cents livres chacun et irente-deux clous de cent livres. Lorsque la cavale fut ferrée et bien garnie de peaux, Gwilherm monta sur son dos et ils partirent. Quand ils arrivèrent devant le château de la princesse, ils virent son cheval qui paissait dans une grande prairie, auprès. Gwilherm frémit à son aspect, tant il était grand et paraissait vigoureux. —— Allez vite au château, lui dit alors sa cavale, et entrez dans l'écurie, dont vous trouverez la porte ouverte. Vous verrez là trois brides accro- chées au mur, une d'or, une d'argent, et la troisième de cuir. Ne prenez ni la bride d'or, ni la bride d'argent, mais la bride de cuir. Vous en- tendez bien, la bride de cuir? — J'entends bien, répondit Gwilherm, la bride de cuir. Il se rendit donc à l'écurie du château et y vit les trois brides accro- chées au mur: il fut bien tenté de prendre la bride d’or, qui était si belle, si brillante; il prit néanmoins la bride de cuir et revint avec elle vers sa cavale. — C'est bien, lui dit celle-ci, montez à présent sur ce grand chène que voilà, pour être témoin du combat. Si vous voyez que j'ai l'avantage, si le cheval de la princesse tombe à genoux devant moi, descendez aus- sitôt, passez-lui la bride et il vous suivra comme un agneau. Gwilherm monta sur l'arbre, tenant sa bride de cuir, et sa cavale marcha alors vers le cheval de la princesse de Tréménézaour. Celui-ci, la voyant venir, s'avança aussi à sa rencontre, en poussant un hennisse- ment qu'on entendit à plusieurs lieues à ia ronde. Le combat commenca aussitôt. Le cheval de la princesse portait de terribles ruades à l'autre; mais ses coups étaient amortis par les peaux de bœufs. Quand la cavale de Gwilherm l'atteignait, elle emportait à chaque fois un lambeau de chair. Le combat dura plus d'une heure. La terre tremblait, et tous les animaux, saisis de frayeur, fuyaient et se cachaïent à plusieurs lieues à la ronde. C'étaient des hennissements et des cris épouvantables! Gwil- herm n'était rien moins que rassuré sur son arbre. Enfin le cheval de la princesse tomba à genoux et s’avoua vaincu. Aussitôt Gwilherm descendit de son arbre et lui mit sa bride de cuir en tête, sans aucune difficulté. — Âttachez-le à ma queue, lui dit sa cavale, et n'avez pas peur qu'il essaye de s'échapper. — 201 — Et, en cffet, il se laissa faire sans la moindre résistance , et ils reprirent tous les trois la route de Paris. Quand ils arrivèrent à la cour, le roi se hâta de venir les recevoir, avec la princesse de Fréménézaour. Le cheval de ceile-ci se mit à genoux devant sa maîtresse, sitôt qu'il la vit. — N'est-ce pas là votre cheval, princesse ? demanda le roi, lout fier et tout heureux. — Je ne puis le nier, Sire, c'est bien lui. — J'espère que vous devez être satisfaite el que rien ne s'oppose plus à notre mariage ? — C'est de toute justice, Sire, que je tienne ma promesse, puisque vous avez accompli tous mes désirs. Et voila le vieux roi bien heureux. Mais, le lendemain matin, quand 1l parla à la princesse de fixer Île jour des noces, elle lui dit : ; — Pour me rendre tout à fait heureuse, Sire, el combler tous mes souhaits, je vous demanderai encore de me faire venir mon château ici, en face du vôtre, avec'ses trois avenues de grands chênes et le pré ou paissait mon cheval. — Ne trouvez-vous donc pas que mon château est assez beau pour vous recevoir, princesse ? — Certainement votre château est fort beau, Sire; mais, si vous voyiez le mien! Et puis cela vous sera si facile, après tout ce que vous avez déja fait pour moi! Le vieux roi promit, et il fit appeler encore Gwiiherm. — Décidément, se disait celui-ci, en se rendant auprès du roi, on ne me laissera de repos que lorsque je serai mort! — Qu'y a-t-1l pour votre service, mon roi? demanda:t-il, en se pré- sentant devant le vieux monarque. — Il faut que tu me fasses encore un plaisir, mon ami Gwilherm; ce sera du reste la fin de tes travaux; après cela je te promets de te laisser en repos. La princesse demande, avant de m'épouser, qu'on lui apporte son château, avec ses avenues et la grande prairie où paissait son cheval. — Ah! décidément c'est ma mort que vous voulez, mon roi! Com- ment pouvez-vous me demander une chose si déraisonnable, puisque je ne suis ni sorcier ni Magicien D — Allons! pars à l'instant et fais ce que je te demande, ou il n'ya que la mort pour toi! Gwilherm revint vers sa cavale, plus triste et plus désolé que jamais, et lui fit connaitre la demande déraisonnabie du roi. — Te rappelles-tu, lui dit la cavale, le géant qui élait attaché à un — 202 — grand chène, dans l'avenue du château de la princesse, et que tu as dé- livré ? — Oui, je me le rappelle. — Eh! bien, il n'y a que lui au monde qui puisse nous tirer d'em- barras en ce moment; appelle-le. donc à ton secours. Et Gwilherm appela le géant de cette façon : Roi des géants, vene7 me secourir, Ou, pour le coup, 1l me faudra mourir! Le roi des géants arriva sur-le-champ, et il dit à Gwilherm, en le sa- Juan : — J'étais à cinq cents lieues d'ici, quand j'ai entendu votre voix qui im'appelait. Qu'y a-til pour votre service? — Le roi me menace de la mort, si je ne lui fais venir devant son palais le château de la princesse de Tréménézaour, avec ses trois grandes ave- nues ct la prairie où paissait son cheval. — N'est-ce que cela? Ce ne sera pas long, comme vous allez le voir. Et le géant partit aussitôt. C'était la nuit. Il faisait un beau clair de lune. Gwilherm et sa cavale attendaient avec inquiétude, car 1ls savaient que c'était la dernière épreuve. Tout à coup le ciel s’obscurcit, comme si un nuage bien noir passait sur la lune. Ils levèrent les yeux el virent que ce qui occasionnait cette -obscurité subite, c'était le géant qui arrivait, portant sur son dos le châleau de la princesse de Tréménézaour, avec ses avenues et la grande prairie. — Voilà! leur dit-il, en déposant son fardeau à terre. Gwilherm le remercia, et il s’en alla. Le lendemain matin, quand le roi se leva, il mit le nez à la fenêtre et resta ébahi en voyant cette merveille devant son palais. Et il courut à la chambre de la princesse de Tréménézaour en criant : — Levez-vous vite, princesse venez voir! venez voir! votre château est arrivé! La princesse se leva à la hâte, et se mit à la fenêtre. — Est-ce bien là votre château ? lui demanda le roi. — Oui, c'est bien lui! répondit-elle, étonnée. Avouez, Sire, que Île vôtre est bien peu de chose à côté de lui. — J'espère que vous n'avez plus aucune raison pour retarder notre inariage ? — Îl est vrai que rien ne s y oppose plus, désormais. | Le vieux roi était si pressé, que le jour des noces fut fixé au lende- main même !. 1 Dans une autre version, le héros, pour dernière épreuve, doit aller cher- cher deux fioies de l'eau de vie et de l'eau de mort, pour rajeunir le vieux roi. ==. Le soir, comme Gwilherm garnissait de foin le râtelier.de sa cavale, celle-ci lui dit : — C'est demain que le roi se marie avec la princesse de Tréméné- zaour : nous aussi nous nous marierons demain. — Comment cela ? demanda Gwilherm, étonné. — Eh bien, c'est moi qui serai votre femme. — Vous plaisantez, certainement ? — Je ne plaisante nullement, comme vous le verrez bien. Le lendemain, comme le roi et la princesse de Tréménézaour, dans leurs plus beaux atours et suivis d'un nombreux cortége de princes, de princesses et de seigneurs, se rendaient à l'église, pour la cérémonie rehgieuse, Gwilherm, monté sur sa cavale, venait aussi par derrière. Il entra ainsi jusque dans le cimetière qui entourait l'église. — Est-ce qu'il entrera aussi dans l'église, avec sa cavale ? se deman- dait-on. Il entra dans l'église, sur sa cavale, et s'avança jusqu'aux balustres du chœur. — Dehors les bêtes! cria l'archevêque en colère. Pour cela, conseillé par son cheval, il conduit celui-ci dans un bois, où il le tue et l'éventre. Puis 1l se cache derrière un buisson, tout auprès. Alors un roitelet descend d’un arbre sur les entrailles encore chaudes du cheval. La blessure béante se referme sur lui, et le voilà prisonnier, Le maitre du cheval prend l'oi- seau , et aussitôt deux autres roitelets viennent volliger autour de lui en criant : — Rends-nous notre roi! rends-nous notre roi! — Oui, si vous m’apportez deux fioles de l’eau de mort et de l’eau de vie? leur répond-il. — Nous te les apporterons, disent les oiseaux. Il attache alors une petite fiole au cou de chacun des deux roitelets, et ils partent. Quand ils revinrent, apportant les deux fioles pleines, ils étaient dans un bien triste état. Leurs plumes étaient toutes brülées par les feux que lançaient les dragons gardiens des deux sources merveilleuses: ils étaient tout nus; c'était pitié de les voir! Le roi convoqua alors tous ses sujets et leur dit : — Vous donnerez tous chacun une de vos plumes, pour revêtir ces deux oi- seaux qui se sont dévoués pour votre roi. Tous les oiseaux y consentirent de bon cœur, à l'exception du hibou, qui dit : — Moi, je ne veux donner aucune de mes plumes; l'hiver approche, et je crains d'avoir froid. — Eh bien, lui dit alors le roi, toi, hbibou , tu seras, à partir de ce jour, le plus malheureux des oiseaux ; tu auras toujours froid , tu ne pourras sortir de ton trou que da nuit, et si tu te montres le jour, tous les autres oiseaux te pourchasseront et te persécuteront, sans trêve ni paix. Et c'est à partir de ce moment qu'on entend toujours le hibou crier : hou! hou! hou! hou! comme s'il était près de mourir de froid. Le roitelel est un des oiseaux Îles plus acharnés à la poursuite du hibou. — JDE Mais ils n y firent aucune altention, n1 lui ni sa cavale, pas plus que s'ils n'avaient pas entendu. La cérémonie s'accomplit, et le roi passa l'anneau nuptial au doigt de la princesse de Tréménézaour. — Il faut me marier aussi, dit alors Gwilherm à l’archevèque. — Où est voire fiancée ? lui demanda le prélat. — La voici, sous moi, répondit:l, en désignant sa monture. — C'est un pauvre innocent”, dit alors l'archevèque; qu'on le chasse du temple, lui et son cheval. ( — Faites ce qu'il vous demande, dit le roi à l'archevèque. Et l'archevèque, n osant pas désobéir à son roi, commença Ja céré- monie. Il avait à peine murmuré quelques prières en latin, et d'assez inauvais gré, que la tête de la cavale s'était déja changée en la tète d’une belle princesse, et, à mesure qu'il avançait dans sa messe, la cavale se changeait graduellement en femme. Au moment de l'élévation, ja femme paraissait jusqu’à ia ceinture; quand la messe finit, il n'y avait plus rien de la cavale, une princesse d’une beauté merveilleuse l'avait remplacée. Elie s'avança vers la princesse de Tréménézaour et lui dit : — Me reconnaissez-vous, princesse de Tréménézaour ? — Non vraiment, répondit celle-ci. — Eh bien, je suis la sœur du roi d'Espagne, et vous me teniez en- chantée et métamorphosée en cavale, depuis dix-huit ans, parce que je ne voulais pas que mon frère vous épousât. Ayant dit ces paroles, elle sortit de l'église, et Gwilherm la suivit. Elle s’arracha alors un cheveu de la tête, souffla dessus, et ce cheveu devint sur-le-champ un carrosse magnifique. Ils ÿ montèrent tous les deux. Le carrosse s'éleva en l'air et les transporta, en un instant, à la cour d'Espagne. La princesse s’empressa de tout conter à son frère. Le roi, heureux de revoir sa sœur qu'il croyait perdue à tout jamais, la recut avec des larmes de joie, et, comme il était las des grandeurs de la terre, il céda sa couronne à son mari. Et voila comment Gwilherm devint roi d'Espagne, de mendiant et de garçon meunier que nous l'avons vu au commencement. Vous dire les festins , les fêtes et les jeux qu'il y eut alors à la cour d'Espagne et dans tout le royaume, me serait impossible, quand bien même je parlerais jusqu'à demain malin. Conté par Gwilherm Garandel, Tailleur au Vieux-Marché ( Côtes-du-Nord). Je n'ai pas recueilli tous les contes et récits populaires qu'il est encore possible de trouver en basse Bretagne; un pareil travail exige beaucoup de temps et de voyages; mais ce que j'en possède L En basse Bretagne, on appelle les idiots et les fous des innocents. 205 — déjà (environ cent cinquante pièces de tout genre) est suflisant pour faire juger de la richesse et de l'importance de ces vieilles tradi- tions du peuple dont on ne paraissait même pas soupçonner l'existence, ou du moins la conservation. Je suis persuadé que, en cherchant bien, on trouverait chez nos paysans bretons, soit à l'état de fragments et d'épisodes mélangés, sans beaucoup d'art, le plus souvent; soit à l’état de narrations plus suivies et plus com- plètes; on trouverait, dis-je, presque tous les éléments, les ma- chines et les ressorts des fables connues dans le reste de l'Europe et même dans l'Asie. Mais il est grand temps de s'occuper sérieu- sement de les recueillir. Il n’est pas encore trop tard, pour qui- conque connaît bien le pays, les gens et les bons endroils. Les mémoires sont bonnes et tenaces chez le peuple breton, et plus d’une fois j'ai été vraiment émerveillé de la quantité de vieilles traditions de toute sorte que possède la même personne, quoique sans aucune instruction ni culture intellectuelle. Il faut pourtant se hâter, car je crains fort que_ la génération qui nous succédera n'ait que du dédain et du mépris pour ces gracieuses créations et ces rêves enchantés qui, en même temps qu'ils nous rappellent la religion et les croyances de nos premiers pères et les climats heureux où ils vécurent, sont aussi pour nous un charme et une consolation au milieu des déceptions et des tristesses de la vie réelle !. _ F.-M. Luzez. l Ayant l'espoir, et même ia certitude, d'augmenter ma collection pendant l'hiver prochain, je crois devoir remettre à plus tard lénumération générale que jai promise dans mon rapport précédent. MISSIONS DONNÉES DEPUIS LE 1°° JANVIER 1868 JUSQU'AU 1% NOVEMBRE 1871. 1868. MM. Ler£BURE (Gabriel). — Mission en Egypte. Etudes anthropologiques. (Arrêté du 7 janvier 1868.) Warrin (Le docteur E.). — Mission scientifique dans l'Arabie orien- tale et dans le golfe Persique. Etudes géologiques et météorologiques. (Arrêté du 24 janvier 1868.) NeuBauer (A.). — Mission ayant pour objet de rechercher et d'étudier les manuscrits hébreux dans les bibliothèques de l'Espagne et du Portugal. (Arrêté du 25 janvier 1868.) Foucarr (Paul), ancien membre de l'école française d'Athènes. — Mis- sion en Grèce, à l'effet d'y recueillir des documents épigraphiques. (Arrêté du 28 janvier 1868.) La Ferrière (Comte DE), membre non résidant du comité des travaux historiques. _— Prolongation de la mission scientifique en Allemagne qui lui a été donnée le 18 novembre 1865. (Arrêté du 10 février 1868.) Sacuor (Octave). — Mission en Egypte, à l'effet d'y étudier l'état des sciences et des lettres et celui de l'instruction publique à ses divers degrés. (Arrêté du 11 février 1868.) Lueg (Siméon), archiviste paléographe. — Mission en Angleterre, en Italie, en Allemagne et dans les Pays-Bas, relative aux manuscrits de Froissart. (Arrêté du 26 février 1868.) 208 — je MM. JANSsEN. — Mission scientifique, à l'effet d'aller étudier dans les Indes l'éclipse totale de soleil du 18 août 1868. | (Arrêté du g mars 1868.) BourGuicnaT. — Mission dans les Alpes-Maritimes. Recherches archéo- logiques et paléontologiques. (Arrêté du 30 mars 1868.) Renou (E.). — Mission dans le midi de la France, à l'effet d'y étudier les établissements météorologiques publics ou particuliers. (Arrêté du 15 avril 1868.) SIMONIN, ingénieur civil des mines. — Mission dans l'Amérique du Nord. Etudes d'histoire naturelle, d’ anthropologie, d'ethnologie et de linguistique. (Arrêté du 23 avril 1868.) KaLczyski. — Pecherches et observations astronomiques effectuées en 1867 à Papéiti (iles Marquises). (Arrête du 27 avril 1868.) DescLoirzeaux. — Etude des collections minéralogiques des établisse- ments scientifiques de la Russie et de la Suède. (Arrété du 26 mai 1868.) Hégerr, professeur de la faculté des sciences de Paris. — Mission scien- tifique à l'effet d'explorer, au point de vue géologique, l'Allemagne centrale et méridionale, les Carpathes et une partie du Danemark et de la Scanic. (Arrêté du 30 mai :868.) CocuEris. — Mission en Suisse, à l'effet de rechercher dans le couvent de Saint-Maurice d' Agaune les chartes inédites se rapportant à l'his- toire de France. (Arrêté du 2 juin 1868.) Marance (DE). — Mission en Allemagne, à l'effet d'étudier l'état de l'enseignement administratif dans les universités de Bonn, Berlin, Mannheim, Tubingue et Munich. (Arrêté du 2 juin 1868.) ss JD MM. Wurrz, doyen de la faculté de médecine de Paris. — Mission en Alle- magne, à l'effet d'y visiter et d'y étudier les établissements scienti- fiques des principales universités. (Arrêté du 5 juin 1868.) CHAB1RAN. — Mission scientifique ayant pour objet l'observation de l'éclipse de soleil du 18 août 1868 sur la côte orientale du golfe de Siam. (Arrêté du 9 juin 1868.) Bouraric, archiviste aux Archives de l'Empire. — Etude, aux archives royales de BruxeHes, d'une collection de documents diplomatiques relatifs à l'histoire de France. (Arrêté du 6 juillet 1868.) Hauverre-BEsnauzT. — Mission à Londres, à l'effet d'étudier plusieurs documents sanscrits existant au British Museum et à l India Office. (Arrêté du 10 juillet 1868.) Gaipoz. — Mission dans la Grande-Bretagne et en Irlande, à l'effet d'étudier l'état de 14 langue et de la littérature celtiques. Arrêté du 30 juillet 1 868. J Rexou, membre du comité des travaux historiques. — Etude des éta- blissements météorologiques en Autriche, en Bavière et en Suisse. (Arrêté du 31 août 1868.) CamBouziu, professeur à la faculté des lettres de Montpellier. — ‘Frans- cription d'un manuscrit catalan conservé à la bibliothèque de l'Es- curial. (Arrêté du 8 septembre 1868.) Meyer (Paul), membre du comité des travaux historiques. — Etude, en Angleterre, des documents relatifs à la littérature française. (Arrêté du 10 septembre 1865.) Han, voyageur naturaliste, — Mission à la Martinique. Collections botaniques. (Arrêté du 11 septembre 1868.) MISS, SCIENT. — VII, 1/4 mn jer MM. Martré-Davy, astronome à l'Observatoire. — Etude des établissements météorologiques en Hongrie, en Turquie, en Grèce et en Italie. (Arrêté du 19 septembre 1 868.) ARCELIN. — Études géologiques, paléontologiques et archéologiques en Égypte et en Syrie. (Arrêté du 25 septembre 1868.) Luzez. — Recherche, en Bretagne, de documents historiques, philolo- giques et mythologiques relatifs aux peuples celtiques. (Arrêté du 20 octobre 1868.) 1869. Bouvier (A. et Cessac (Léon DE). — Recherches concernant l'histoire naturelle et la géologie des îles du Cap-Vert. (Arrêté du 6 février 1869.) JANSSEN. — Observations de physique céleste sur les plateaux de la haute Asie. (Arrêté du 6 février 1860.) æ Tucauzr (Alfred). — Étude des différents dialectes malais. (Arrêté du 27 février 1869.) Renou, membre du comité des travaux historiques. —— Visite des éta- blissements météorologiques du nord et du nord-est de la France. Ç (Arrêté du 29 avril 1869.) Ugianr. — Recherches sur l'histoire des populations chrétiennes de la Turquie. (Arrêté du 22 mai 1869.) Worms, professeur à la faculté de droit de Rennes. — Recherche, en Hollande, de travaux concernant l'enseignement public. (Arrêté du 6 juillet 1 869.) Hégenrr, professeur à la faculté des sciences de Paris. — Explor ation géologique du Danemark, du Tyrol et de la Sicile. (Arrête du 6 j uillet 1869.) — 211 — MM. DumaresQ (Armand).—Etude, en Hollande, des méthodes d'enseigne- ment pour le dessin, la scul pture et l'architecture. # (Arrêté du 31 juillet 1869.) Waxrevilze (Le baron DE). — Etudes relatives à l'enseignement et à l'instruction du peuple en Hollande. (Arrêté du 31 juillet 1869.) QuarrerAGEs (De), membre de l'Institut. — Visite des collections an- thropologiques de Copenhague, Stockholm, Bruxelles, Amsterdam, Saint-Pétersbourg, Vienne et Munich. (Arrêté du 5 août 1869.) DARMESTETER (Arsène). — Recherche de gloses françaises du x1° siècle à Oxford, Cambridge et Londres. (Arrêté du 12 août 1869.) Léouzox-Lenuc. — Mission en Danemark, Suède et Norwége. (Arrêté du 19 août 1869.) Là. ’ : CHABAs. — Étude des monuments et papyrus égyptiens dans les musées d'Italie. (Arrêté du 2 septembre 1869.) Hazévy (Joseph). — Relevé des inscriptions himyarites de l’'Yémen. (Arrêté du 6 septembre 18609.) Ercuuorr. — Étude de l'organisation de l'enseignement spécial dans les écoles de Berlin, Leipzick, Vienne et Munich: (Arrêté du 25 septembre 1869.) CHaBouiLceT, conservateur des Médailles et Antiques à la Bibliothèque impériale, — Étude des collections archéologiques des principaux musées d'Halie. (Arrêté du 15 novembre 1869.) RATISBONNE (Louis), — Étude de l'état de l'instruction publique et de la littérature en Italie. (Arrêté du 20 novembre 1869.) — 212 — MM. Augé, professeur de philosophie au lycée Bonaparte. — Etude de l'his- toire de l’université de Palerme. (Arrêté du 6 décembre 1869.) 1870. Goperroy (Frédéric). — Recherche, à Rome, d'anciens documents fran- çais pouvant servir à l'étude de l’ancienne langue française. (Arrêté du 14 février 1870.) Luzez. — Recherches historiques, philologiques et mythologiques en basse Bretagne. (Arrété du 14 février 1870.) Simonin (L.). — Études d'histoire naturelle, d'anthropologie et d’eth- nologie dans l'Amérique du Nord. (Arrêté du 14 février 1870.) TreverRer. — Mission en Espagne. (Arrêté du 16 février 1870.) Gukrin (Victor), ancien membre de l'école française d'Athènes. — Etudes historiques, géographiques et archéologiques en Palestine. (Arrêté du 18 février 1870.) Dumonr (Albert), ancien membre de l'école francaise d'Athènes. — Relevé, à Athènes et à Constantinople, des monuments figurés et des inscriptions éphébiques. (Arrêté du 18 février 1870.) CHAPLAIN, ancien pensionnaire de l'école de France à Rome. — Ad- P joint à la mission précédente comme dessinateur. (Arrêté du 3 mars 1870.) Revoiz (Henri), membre non résidant du comité des travaux histo- . = , . . riques. — Étude des monuments de l’époque carlovingienne en Al- lemagne. (Arrêté du 3 mars 1870.) _. — 213 — MAI. HENnegerT (Le capitaine). — Exploration relative à l'histoire du pas- sage d'Annibal dans les Alpes. (Arrêté du 3 mars 1870.) DeyrozLe (Th.), naturaliste. — Etudes d'histoire naturelle et d'archéo- logie dans la Turquie d'Asie. (Arrêté du 10 mars 1870.) DurauriEerR, membre de l'Institut. — Recherche, à Rome, de documents relatifs à l'histoire des croisades. (Arrêté du 7 avril 1870.) Linas (Ch. pe), membre non résidant du comité des travaux historiques. LA — Etudes archéologiques dans les musées de la Bavière, de la Bohème, de l'Autriche et de la Hongrie. (Arrêté du 5 mai 1870.) GirarD DE Riazze. — Etude, en Allemagne, des travaux modernes sur la Perse antique. | (Arrêté du 10 mai 1830.) Poucxer (Georges). — Recherches spéciales, à Concarneau, sur l’em- bryogénie histologique du système nerveux des poissons. (Arrêté du 11 mai 1870.) CLÉMENT (Félix). — Étude, dans le midi de la France, de documents relatifs à la partie hiératique de l'art musical, (Arrêté du 11 ma 1870.) Mouron (E.). — Étude du droit criminel et de la législation pénale en Scandinavie. (Arrêté du 11 mai 1870.) AzLAIN (Emile). — Recherches dans le pays vénitien de documents re- latifs au cadastre des possessions vénitiennes en Grèce. (Arrêté du 12 mai 1870.) Rapau. — Etude, dans les universités d'Allemagne, de l’enseignement scientifique. (Arrêté du 12 mai 1870.) — 214 — MM, GEnriz (Arthur). — Études comparatives de l'art grec en Grèce et en Sicile. (Arrêté du 28 mai 1870.) Demarsy (Arthur pe), archiviste paléographe. — Recherche d'inscrip- tions conservées dans la bibliothèque de Bonn. (Arrêté du 25 juin 1870.) Janssex. — Etude, en Danemark, Suède et Norwége, des phénomènes auroraux. (Arrêté du 18 juillet 1870.) Marox (H.).— Étude de l'enseignement des langues vivantes en Russie. (Arrêté du 29 juillet 1870.) PEerRoT (G.), ancien membre de l’école française d'Athènes. — Mission pour assister au congrès archéologique préhistorique tenu à Bologne en septembre 1870. \ (Arrêté du 31 juillet 1870.) MEYER (Paul), membre du comité des travaux historiques. — Etude des monuments de l'ancienne littérature française en Angleterre. (Arrêté du 3 août 1870.) Dumoxr (Albert), ancien membre de l'école française d'Athènes. — Étude, au British Museum, des marbres et monuments figurés. (Arrêté du 6 août 1870.) ZLOTENBERG, employé aux manuscrits de la Bibliothèque nationale. — Étude des manuscrits syriaques et éthiopiens du British Museum. (Arrêté du 7 septembre 1870.) 1871. Uzsacux (Louis). — Recherches dans les papiers de Saint-Simon dépo- sés aux Affaires Étrangères. (Arrêté du 10 janvier 1871.) JANXSSEN. — Observations astronomiques et météorologiques en Angle- terre. {Arrêté du 15 mai 1871.) — 215 MM. CrouzzeBois (Marcel). — Expériences et travaux d'optique en Angle- terre. (Arrêté du 6 juin 1871.) Devarsy (Arthur), archiviste paléographe. — Estampage d'inscriptions en Hollande, en Belgique et dans la haute Italie, pour la commission de topographie des Gaules. (Arrêté du 14 juillet 1871.) FONSSAGRIVES, professeur à la facullé de médecine de Montpellier. — Etude, en Suisse, de l'hygiène scolaire, des jardins Fræbel, etc. a (Arrêté du 21 juillet 1871.) Rivière (Le docteur). — Exploration des cavernes de Baoussé-Roussé , dans la commune de Grimaldi, province de Vintimiglia (Italie). (Arrêté du 21 juillet 1871.) Bracuer (A.). — Étude de l'organisation de l’enseignement de la phi- lologie romane dans les universités anglaises. (Arrêté du 5 août 1871.) Huc (Th.), professeur à la faculté de droit de Toulouse. — Étude du fonctionnement des établissements municipaux d'instruction primaire et d'instruction supérieure en Italie. (Arrêté du 5 août 1871.) SILBERMANN, préparateur au collége de France. — Mission pour assister au congrès international des sciences géographiques, cosmographiques et commerciales, à Anvers, en août 1871 (Arrêtés des 7 et 16 août 1871.) LEvassEuR, membre de l'Institut et du comité des travaux historiques. — Mème mission que la précédente. (Arrêté du 16 août 1871.) Caussane (Francois pe), bibliothécaire au Louvre. — Etude de manus- crits du xvi° siècle, pour une nouvelle édition des œuvres d'Agrippa d'Aubigné, à Genève (Arrêté du 29 août 1871 4 to MM. Rue (Em.). — Recherche, à l'Escurial, de textes inédits relatifs à la musique ancienne. (Arrêté du 5 octobre 1871.) JANssEN. — Observation, dans l'Inde, de l'éclipse totale de soleil du 11 décembre 1871. (Arrêté du 7 octobre 1871.) FAIDHERBE (Général). — Mission pour recherches historiques et archéo- logiques en Egypte. (Arrêté du 14 octobre 1871.) "1 É y ë #1 3 > # f PR à es ec "CS 01; : 2 4 rs LT …;: + Pa LS - A _+ Fri MS À #7. | } ME at “x te (Vous o E fiques, tome VIT. SStOnSs sCtenlt les Missi vues « Arch met. © - à L 1 $ he di û Cm RAPPORT SUR UN VOYAGE AÉRONAUTIQUE DU VOLTA, ENTREPRIS LE 2 DÉCEMBRE 1870, PAR M. J. JANSSEN. + 28 août 1071. On sait que l'application des nouvelles méthodes fondées sur l'analyse de la lumière a fait entrer l'étude des phénomènes des éclipses dans une phase nouvelle. Parmi ces phénomènes, deux ont principalement attiré jusqu'ici l'attention des observateurs. D'une part, ces manifestations lumineuses si singulières, qu'on a nommées les protubérances, et, d'autre part, la magnifique cou- ronne de lumière qui entoure le soleil éclipsé, et qu'on désigne gé- néralement sous le nom d’auréole. Lorsque, à l'occasion de la grande éclipse du 18 août 1868, qui eut lieu en Asie, on appliqua, pour la première fois, l'analyse spectrale à l'étude de ces objets, c’est aux protubérances qu'on s’attacha d'abord, comme étant le phé- nomène le plus simple, et se rattachant le plus immédiatement au soleil. Alors on découvrit la véritable nature de ces expansions solaires et le moyen de les étudier journellement. L'auréole fut donc nécessairement négligée et réservée pour une étude ultérieure. Depuis, les occasions d'aborder ce nouvel objet n'ont pas été favo- rables; aussi, l'éclipse du 22 décembre dernier, qui avait lieu si près de nous, dans le bassin de la Méditerranée, offrait-elle une occasion qu'il importait de ne pas négliger. Les nations savantes en jugèrent ainsi, et, de toutes parts, on se préparait à l'observa- tion d’un phénomène qui pouvait nous faire faire un pas nouveau et décisif sur la constitution du soleil et des régions qui l'entourent. En France, le Bureau des iongitudes s'était déjà préoccupé de MISS. SCIENT. — VII. 1) oise se faire représenter en cette circonstance, et m avait fait l'honneur de me désigner pour faire partie de la commission qu'il devait envoyer ; mais la guerre déclarée depuis semblait devoir faire aban- donner ces projets, et le blocus rigoureux de Paris ajoutait encore aux difficultés. | Cependant, dans une pensée de dévouement à la science, et jugeant que, dans les circonstances présentes, il était bon que la France n'abdiquât aucun rôle, surtout dans l'ordre intellectuel, je m'offris à l’Académie des sciences et au Bureau des longitudes pour accomplir ce voyage; et, alin de n'avoir rien à solliciter de la puissance qui nous faisait une guerre si persistante et si impi- toyable, je proposai de suivre la voie aérienne pour traverser les lignes prussiennes. Cette proposition fut accueillie. À la demande de l'Académie et du Bureau, le Ministre de l'Instruction publique voulut bien me charger de cette mission, et y ajouta le don du ballon qui devait me transporter. , Je n'avais jamais fait d'ascension libre, et depuis longtemps Paris n’avait plus d'aéronaute expérimenté à envoyer en province: mais je ne crus pas devoir m'arrêter devant cette difficulté, et, convaincu que des connaissances théoriques mürement acquises et l’expérience des voyages suffiraient à me donner le sang-froid et les inspirations nécessaires à la bonne conduite de mon aérostat, j'en pris la direction. Je pense que le résultat m'a donné raison. Le ballon qui devait m'emporter fut nommé le Volta; à jau- geait 2,000 mètres cubes et sortait des ateliers que M. Godard dirigeait à la gare d'Orléans. Quoique construit d’une manière ra- pide , il présentait des garanties suffisantes de solidité et d’imper- méabilité. Gonflé depuis plusieurs semaines, il n'avait pas éprouvé de pertes sensibles. Le filet, la nacelle, les agrès m'ont paru dans d'excellentes conditions de solidité et d’agencement. Fo M. Godard m'avait proposé d'ajouter au ballon une disposition dont il revendique l'invention, et qu'on pourrait appeler le para- chute équatorial. C'est une bande d’étoffe, de un mètre de large environ, qui court autour de l'équateur du ballon, ayant son bord intérieur fixé à celui-ci, et le bord extérieur retenu de distance en distance par des fils qui le relient à la partie inférieure du filet. Dans les mouvements de descente, cette bande se gonfle et forme parachute. Sans doute la surface qu'elle présente ne serait pas — 219 — sufhisante pour enrayer complétement une chute rapide, mais son action modératrice paraît fort utile, soit pour ralentir des mou- vements brusques de descente, soit pour solliciter l’aérostat à res- ter dans la couche aérienne où il accomplit son voyage. On sait que les ballons qui furent envoyés pendant.le siége de Paris ont tous été gonflés au gaz d'éclairage, dont la densité est beaucoup plus grande que celle de hydrogène. L'hydrogène peut donner une force ascensionnelle de 1,200 grammes environ par mètre cube; celle du gaz est très-variable suivant sa provenance, elle est en général à peine les + de celle de hydrogène. | Le Volta avait une force ascensionnelle d'environ 1,400 kilo- grammes répartie ainsi : Poids de l’enve‘oppe du ballon , du filet, de la nacelle, des agres. 520"! PP RAT CR SO OER S < 160 EU res ee het + 190 A EDS 0 A, PME OU 970 1,400"! Mes instruments comprenaient ! : 1° Un télescope de 37 centimètres d'ouverture, réduit à ses organes essentiels ; 2° Un télescope de 16 centimètres complet; ’ 3° Une lunette de 108 millimètres d'ouverture: 4° Une collection d'appareils spectroscopiques, construits spé- cialement en vue de l'étude de l'auréole solaire: des polarimètres, baromètres, etc. ‘ Une difficulté, qui paraissait même insurmontable aux yeux de personnes très-autorisées, était celle de faire voyager par ballon des instruments d'astronomie suffisamment puissants pour l'étude es phénomènes que nous avions à aborder. On me faisait remar- quer que le transport d’un grand télescope ou d'une puissante lu- nette exigerait la construction d’un aérostat bien volumineux et bien dispendieux ; et ensuite, ajoutait-on, que deviendront les or- ganes si précis et si délicats de ces appareils, au milieu des chocs ei des péripéties de l'atterrissage ? Voici comment je tourna ces difficultés. | Je réduisis les instruments à leurs organes essentiels, réservant 1 La plupart de ces instruments sortatent des ateliers de MM. Bardou père et fils. — 9220 — de les faire compléter dans une grande ville, sur le chemin de la station. Mais les appareils furent montés entièrement à Paris, et tout fut disposé de manière que les parties à compléter fussent d’une exécution très-simple et en quelque sorte grossière. En outre, une collection très-complète d'outils et de garnitures de rechange devait-permettre de remédier à tout accident. Cha- cune des caisses ne contenait que ce qui était relatif à un même instrument. Tous les organes y étaient emballés séparément et noyés dans un milieu de rognures de papier fortement tassées. Ces caisses en bois tres-épais, vissées, cerclées de fer et cous- sinées exlérieurement, auraient pu supporter une chute d'une dizaine de mètres sur le sol, sans que le contenu füt compromis. Le bagage était arrimé autour de la nacelle, et un peu au-dessus du fond de celle-ci, de manière à ne pas porter dans les chocs. Dans ce voyage, j'étais accompagné d’un marin, le nommé Cha- pelain, matelot-fusilier de la Zénobie, détaché au moment du siége au fort de Montrouge. Le départ du Volta eut lieu le 2 décembre, à six heures du ma- un, de la gare d'Orléans. M. Dumas, secrétaire perpétuel de PA- cadémie des sciences, me fit l'honneur d'y assister, ainsi que MM. Ch. Sainte-Claire Deville, Hervé-Mangon, Gostynski, Le- roux, etc. 6 heures. — Le signal est donné, le ballon s'élève lentement. Nous dûmes jeter successivement la valeur de quatre sacs! pour lui faire atteindre l'altitude de go0o mètres, minimum indispen- sable en présence de l'ennemi. Je ne jugeai pas à propos d’alléger davantage; le temps était beau, le soleil allait se lever et apporter bientôt l'appoint de ses rayons pour compléter notre hauteur. Cependant l'aube commençait à paraitre et colorait déjà les ré- gions de l'orient d'une teiute blanchâtre qui s'élevait rapidement. Mais cette lueur n'existait que pour nous : Paris était encore dans l'obscurité et ne se révélait que par les lignes ponctuées de feu qui en traçaient les grandes artères. L'opposition d'impression que produisaient alors les basses ré- gions avec les nôtres était saisissante; à nos pieds, au fond d’une atmosphère lourde et obscure, l'appareil de nuit d’une grande cite À J ë : / RAT: ! Nos sacs pesaient de 20 à 30 kilogrammes. C’est un poids trop considérable à soulever pendant les manœuvres. Il serait à propos de donner à tous les sacs de lest un poids uniforme de 10 kilogrammes. Le HR dont les feux rougeatres et volcaniques éveillaient l'idée d'un'monde inférieur avec ses appétits, ses passions, ses violencesgses misères. Et quelle coïncidence! Paris ne se débattait-il pas en ce moment même dans les étreintes ardentes d’ennemis poussés par les plus détestables instincts de domination et d'orgueil? Mais si, rompant avec ces idées, on reportait la vue dans nos régions pures, dia- phanes, déjà inondées des lueurs matinales de l'aurore, quel con- traste el quel soulagement! On se sentait allégé et pénétré d'un sentiment de pureté indéfinissable qui entraînait doucement la pensée dans un ordre d'idées extra-terrestres. Mais il fallait se dérober à ces impressions et songer à la direc- tion du ballon. Prenant le centre de l'arc lumineux de laube, et comparant avec Paris qui fuyait rapidement derrière nous, j'en conclus, d’a- près la connaissance du lever du soleil en décembre, que le bal- lon était poussé vers le sud-ouest. Notre altitude était alors d’en- viron 1,100 mètres; Chapelain venait de jeter peu à peu le sable d'un cinquième sac. | 6% 30%. — L'horizon s'empourpre et la lumière gagne. Paris se perd dans les feux de l'aurore. 715". — Le jour est très-nettement accusé, nous pouvons lire facilement les instruments. Le baromètre marque 646 millimètres, le thermomètre 1 degré sous zéro; le ballon semble avancer à peine, mais sa marche est plus prononcée vers l’ouest. Bientôt nous passons au-dessus d'une rivière, l'Eure, au nord de Chartres, laissant au sud de belles forêts qui apparaissent comme dans un plan en relief. Le baromètre marque 642 millimètres. 735". — Le soleil se lève, le ciel est splendide. Quand le disque est entièrement dégagé, l’air se refroidit rapidement, le thermomètre tombe à 7 degrés sous zéro. L'aérostat descend, ei même assez vite. Le baromètre, qui tout à l'heure (7" 15") mar- quait 642 millimètres, remonte maintenant à 652 millimètres. On jette un peu de lest pour maintenir la hauteur; le baromètre accuse alors 639 millimètres, et le thermomètre 8 degrés sous ZÉTO. Ainsi, par un effet remarquable, mais qui s'explique parfaite- ment, l'apparition du soleil, qui semblait devoir être pour le bal- lon une cause d’échauffement, et, par suite d’ascension, se tra- duisit au contraire par un mouvement de descente très-prononcé. — 292 — C'est que le rayonnement solaire eut d'abord pour effet de dissiper les vapeurs atmosphériques et d'augmenter, par là, dans une pro- portion considérable le rayonnement du ballon vers les espaces cé- lestes. Cette perte l'emporta tout d'abord sur le gain du rayonne- ment direct de l’astre, d’où résulta le refroidissement de laérostat, et par suite son mouvement de descente. Il est digne d'attention qu’au moment du lever du soleil, la température de nos couches aériennes se soit abaissée aussi rapi- dement et soit descendue jusqu'à 8 degrés au-dessous de zéro. C'est là un remarquable effet de rayonnement atmosphérique vers les espaces célestes, rayonnement provoqué par la transparence de l’at- mosphère devenue tout à coup beaucoup plus grande, ainsi queje lai constaté, quand les premiers rayons solaires eurent dissipé les va- peurs qui formaient comme un voile léger au-dessus de nous. On a observé bien souvent les effets du rayonnement nocturne à la surface du sol, mais celui de l'atmosphère elle-même ne pouvait être observé qu'au sein de cette atmosphère et à une hauteur qui mit hors de cause les effets du sol et des objets qui s’y trouvent. Maintenant, si nous remarquons que les corps solides rayonnent beaucoup plus énergiquement que les gaz, nous serons amenés à conclure que le ballon a dü perdre, par cette cause, encore plus que le milieu où 1l était plongé, et devait, dès lors, descendre comme le baromètre l'a indiqué. Il n’est pas impossible, en outre, que l'abaissement de la température n'ait amené un dépôt de rosée sur la paroi interne du ballon, le gaz aérostatique pouvant n'être pas absolument sec; cet effet a pu avoir une part dans le mouve- ment de descente, mais ce n’est pas lui qui l’a provoqué. Gette action des premiers rayons solaires sur les vapeurs atmo- sphériques constatée d’une manière si nette, et dans les régions mêmes où elle s’est produite, est une preuve toute nouvelle et très-forte en faveur de l'opinion qui attribue à la lune le pouvoir de dissiper des vapeurs et des nuages légers. À cet égard, le dire de nos cultivateurs sur les effets de la lune d'avril, celui des Hin- dous relativement à l'intervention des astres dans la production nocturne de la glace au Bengale, et d’autres opinions analogues que j'ai rencontrées dans mes voyages , me semblent beaucoup plus près de la vérité que l’on n'a voulu l’admettre jusqu'ici dans la science. La lune doit être beaucoup plus qu’un témoin de la sérénité des nuits où elle se montre, et sil est vrai que ses rayons ne gèlent — 2235 pas directement les plantes où ne congèlent pas l'eau, ne doivent- ils pas être considérés comme les auteurs de ces effets s'ils ont pu déchirer le voile atmosphérique protecteur de la végétation et con- servateur de la chaleur terrestre 1? En appelant l'attention des physiciens et des météorologistes sur ce point, je voudrais recommander, comme très-propres à ré- soudre la question, des observations de transparence de l’atmo- sphère au moment des éclipses de lune, quand le phénomène se produit par de belles nuits. 8 heures. — Depuis un quart d'heure, le soleil est tout à fait levé, et son action calorifique devient plus puissante, elle com- mence à se faire sentir sur l'enveloppe du ballon; celle-ci se tend visiblement, nous remontions. {Baromètre : 634 millimètres ; ther- momètre : 7°,5 sous zéro.) En cet instant, nous passons à la pointe sud d'une vaste forêt. 8*5". — L'effet du rayonnement se prononce de plus en plus, et, quoique la température de l'air soit toujours vers 8 degrés sous zéro, le ballon continue son ascension. (Baromètre, 629 milli- mètres.) Mouvements giratoires. — Un mouvement sensible de giration se produit, déterminé sans doute par l’échauffement du soleil portant exclusivement sur un des hémisphères du ballon. Un défaut de symétrie dans la répartition de la charge de la nacelle est également une des causes qui peuvent amener le mouvement giratoire de l'aérostat. On y remédie en rétablissant l'équilibre et en veillant à ce qu’il soit maintenu; aussi, quand on aura une dépense de lest à faire, je conseillerais d'emprunter ce lest à des points symétriquement placés par rapport au centre de la nacelle. Il est également important que laéronaute s’abstienne autant que possible de se déplacer pendant la marche. Ces déplacements déterminent des mouvements pendulaires très-gênants pour les observations qui doivent donner la direction et la vitesse de laé- rostat. Direction de l'aérostat. — Quand laéronaute dispose d'une 1 Dans les effets de ce genre, il faut considérer non-seulement l'intensité des vapeurs et brouillards, mais encore leur nature, qui est variable, comme on sait. =, 0e carte topographique à grande échelle, reproduisant assez fidè- lement la physionomie du pays pour qu'il lui soit facile de re- connaître les points au-dessus desquels il passe, le problème n'offre aucune difficulté; il suffit de marquer sur la carte les points successifs de la route en notant l'heure. On en conclut im- médiatement la direction et la vitesse de l’aérostat. Mais si la carte ne présente pas les détails suffisants pour la reconnaissance du terrain, ce qui est le cas le plus général, il faut alors recourir aux instruments. J'ai donné ici!, en note, la des- cription d’un appareil que j'ai imaginé, depuis ce voyage, dans cette intention; mais déjà, à bord du Volta, j'ai pu employer la boussole à la détermination de ma route. Voici comment. Je me servais de l’une des pointes de l'ancre suspendue à la nacelle, comme d’aiguille indicatrice, cette pointe traçait sur le terrain une ligne très-facile à suivre, et sur laquelle j’alignais le côté de la boîte carrée de ma boussole. La position de laiguille donnait alors l'angle de la route avec le méridien magnétique. Il restait à corriger de la déclinaison. 8" 17%. — La température remonte lentement {6 degrés sous zéro); la route est à l’ouest-quart-sud. Le temps est admirable. Les mouvements de giration et de ba- lancement sont tout à fait éteints. Il semble que nous sommes dans une immobilité absolue dans l’espace tout baigné de lumière qui nous entoure, et cependant nous faisons près de 80 kilomètres à l'heure! La contrée nous apparaït dans tous ses détails : forêts, cours d’eau, routes, chemins de fer, maisons, habitants même, car je me sers d'une lunette tout à mon aise. D'après mes observations, je signale ici ce fait important, qu'il serait de la plus grande facilité de se servir d'un sextant muni d'un niveau à bulle d’air, qui permettrait d'obtenir les hau- teurs du soleil. Botte L Bar, 46inee: themmhe 6e Sa 2 Bir-2600 4 therme 166 8" Ao®. — Bar., 617%, 5. Léger mouvement de descente. 8" 48". — Nous passons au nord du Mans. Le plan de la ville, les routes, les chemins de fer dont les lignes serpentantes ou brisées sillonnent le grand tapis, la forêt de Bazoges, qui forme Voir les séances des 27 février et 13 mars 1871. — 225 — comme une toison d’un vert sombre attaché aux collines élevées que j'apercois au nord, tout ce paysage enfin est si pur, si lumineux, l'aérostat est d’une immobilité apparente si complète, que, sans aucun doute, on réussirait ici une photographie rapide. En faveur de la possibilité d'obtenir ces épreuves il faut remarquer que, dans un aérostat, la chambre photographique regarde la terre dan$ une direction normale, circonstance qui diminue beaucoup le temps de pose. On sait, en effet, que la pleine lune se photo- graphie dans un temps incomparablement plus court que ses phases. Ces photographies auraient une bien grande valeur topogra- phique. Il appartient à la France, qui a créé l’aérostation, de doter la science de cette branche nouvelle si pleine d’avenir!. 9! 7%. — Bar., 594". Le mouvement de descente de 8" 40" n était qu'accidentel. 9! 25%. — Bar., 589"". Le mouvement ascendant général se continue. 9° 45". — Bar., 584"%. Nous sommes au point le plus élevé atteint par laérostat, à 2,000 mètres à fort peu près. (Au départ, le baromètre marquait 770 millimètres.) On se rappelle qu’au départ, le ballon s'était élevé à 1,100 mè- tres par abandon de lest. Il est maintenant à une hauteur double, et cette surélévation si considérable est due tout entière à l’é- chauffement du gaz de l’aérostat. J'insisterai sur le mécanisme de cet échauffement, qui ne peut s'expliquer d’une manière ration- nelle qu’à l’aide des propriétés ele diathermanéité du gaz. C'est l'enveloppe qui a été l'intermédiaire et la cause de cette grande élévation de température du gaz aérostatique; sans elle, cette masse gazeuse de 2,000 mètres cubes eût été traversée par le rayonnement solaire sans échauffement bien sensible. [| y a même plus : avec un gaz plus diathermane que l'air, le gain eût été en faveur de celui-ci, de telle sorte que si l’on imagine une masse gazeuse en équilibre de pression, au sein de l'atmosphère, cette masse s'élèvera ou s’abaissera en présence du soleil, suivant que son pouvoir absorbant sera plus grand ou plus petit que celui du milieu ambiant. Mais l'existence de l'enveloppe amène des phéno- mènes tout différents. Sous l’action du rayonnement solaire, celle-ci 1 M. Nadar s’est déjà occupé de cette question. — 226 — s’échauffe rapidement et énergiquement, par la raison très-simple qu’elle arrête, à titre de corps peu réfléchissant et peu trans- parent, la presque totalité des radiations qui la frappent. Echauffée, cette enveloppe rayonne à son tour, mais elle rayonne une chaleur très-obscure ou à grande longueur d'onde, chaleur éminemment absorbable par le gaz intérieur, et qui élève sa tem- pérature jusqu’à ce que celui-ci se soit mis en équilibre calorifique avec elle. Par l'intermédiaire de son enveloppe, le gaz aérosta- tique a acquis ainsi la même température que s'il eût été doué du pouvoir absorbant d'un corps solide, ce qui explique alors sa grande dilatation et la surélévation considérable du ballon. 9" 45%. — Nous passens au-dessus d’un camp fortifié. Il me semble que j'ai sous les yeux un de ces plans de nos villes exposés dans les combles de lhôtel des Invalides. Les fortifications, leur artillerie, le camp avec ses baraques et ses tentes s'apercçoivent dans tous leurs détails. | Nous entendons une sonnerie française, mais si distinctement, que Je suis tenté de chercher le clairon autour de moi. Éviden:- ment il n y a point accord entre la pureté, l'intensité des sons et l'éloignement de la source sonore. Le rapport qui existe à la sur- face de la terre entre ces deux termes est profondément modifié dans ces régions aériennes. 10} 30%. — Bar., 588%", Nous descendons un peu. 10° 4o®. — Bar., 595". Ce mouvement se continue. Il paraît dû à l'air qui s’échauffe actuellement plus que le ballon; le ther- momètre indique 1 degré au-dessus de zéro. En ce moment, le ballon se trouve au-dessus de Château-Gon- tier, dont j'aperçois la cathédrale. Des troupes font l'exercice sur une grande place, au sud-est de la ville. En même temps, un bruit confus de voix parvient jusqu’à nous, et ma lunette me montre une grande agitation sur la place. Sans doute nous avons été aperçus, et l’on acclame le messager aérien qui apporte des nouvelles de Paris. Je distingue, dans ce bruit, quelques éclats de voix, des parties de mots très-intelligibles. Nul doute que si, au milieu du silence des autres, un de ces hommes m'eût adressé la parole en articulant avec lenteur et avec force, je l'eusse compris. C’est un nouvel exemple de la facilité singulière avec laquelle les bruits de terre sont perçus en ballon. Il y aura à revenir sur la cause de ce remarquable phénomène. | — 227 — 11 heures. — Bar., 592; therm., + 0,8. Est-ce ce petit re- froidissement de l'air qui cause notre léger mouvement d’as- cension ) | Nous sommes dans une région de lacs. Le temps est toujours magnifique. | 121%10%. — Bien que me sachant fort en dehors des régions envahies, je laisse le ballon continuer son beau voyage et gagner les voies ferrées du littoral de l’ouest. Mais je me tiens fort attentif, car divers symptômes m'indiquent l'approche de la mer : les lacs deviennent nombreux et marécageux, les rivières accusent, par l'élargissement de leurs lits, un pays plat et bas. Sur le fond vert sombre du tapis, leurs méandres argentés courent presque parallèlement vers le sud, et paraissent se perdre dans une large traînée lumineuse, toute scintillante de points brillants que j'aperçois dans les vapeurs de l'horizon. Je traverse évidemment le réseau des affluents d’un grand fleuve près de son embouchure, et, d’après ma route, ce fleuve ne peut être que la Loire. En même temps j'aperçois, à travers les brumes du lointain, une petite découpure fort nette, dont la teinte tranche sur le fond général. À droite et à gauche, ses contours se perdent dans les vapeurs. Je juge aussitôt que cette découpure doit être une portion de côte visible à travers une éclaircie. Nous arrivons donc sur la mer, il faut descendre sans perdre un instant; ayant l'œil au baromètre, je fais ouvrir la soupape que Chapelain main- tient béante; le ballon tombe, laiguille barométrique marche vivement et va atteindre 700 millimètres quand je fais fermer. C’est une chute verticale de 1,500 mètres, dont la rapidité est né- cessaire en présence de la mer, mais bien dangereuse si on ne l’enrayait pas. Aussi fais-je délester immédiatement. Au troisième sac, notre vitesse de chute est éteinte, le ballon remonte même lé- géerement. Nous sommes alors entre 4oo et 500 mètres du sol. On reprend la descente. À 200 mètres, on déleste encore jusqu à lé- quilibre. N'ayant plus qu’une petite hauteur à franchir, et tout à fait dé- gagés de la préoccupation d'arrêter la vitesse acquise, nos con- ditions d'atterrissage sont excellentes. Je quitte alors le baromètre pour surveiller les banderoles et — 228 — la terre. Un coup de soupape nous procure une descente qui, douce d’abord, s'accélère bientôt; les objets se rapprochent rapi- dement, il semble que la terre se soulève et arrive vers nous à grande vitesse. On jette la valeur de deux sacs, le mouvement mol- lit. À 5o mètres, je fais couper le filin qui retient les 300 mètres de grosse corde du guide-rope; il tombe en tournoyant, et la meilleure partie du gros rouleau vient frapper le sol. À linstant, une ondulation ascendante se produit, bientôt suivie d’une des- cente molle et très-oblique, car le vent de terre était fort. Nous sommes emportés au-dessus d'une prairie qui défile rapidement sous nos pieds. Tout à coup un clocher se dresse devant nous! il faut l'éviter à tout prix; chacun lance un sac, et, d’un bond nous le franchissons ; la course reprend dans un verger coupé de haïes; ces obstacles sont favorables, c'est ici qu’il faut atterrir. Chapelain jette l'ancre et ouvre la soupape, nous sentons une violente se- cousse, l'ancre a cassé! et le ballon, quoique très-dégonflé, nous emporte encore; nous enfonçons quelques haies, brisons quelques branches, puis un arbre nous arrête, mais un instant seulement, car le ballon roulant de côté et d’autre se dégage et repart. Ce- pendant la vitesse du trainage diminue sensiblement, grâce au frottement énergique de notre guide-rope de 300 mètres. Arrêté de nouveau, je crie aux paysans, qui nous suivaient en courant, de se saisir de la corde que nous traînions; ils se précipitent; en un instant, le guide-rope devient une grappe humaine que nous ne saurions emporter. La nacelle est entourée et maintenue, nous en sortons alors, et nous courons à la soupape, que nous ouvrons béante pour achever le dégonfiement. Notre atterrissage avait été heureux, surtout en raison du grand ? La partie la plus difficile et la plus dangereuse des voyages aéronautiques est l'atterrissage, à cause de la grande vitesse dont l'aérostat est doué la plupart du temps en arrivant à terre. Or, si l’on se rapporte à l’histoire des principales ascensions, on demeure convaincu que l'emploi de l'ancre a été la cause d’ac- cidents très-nombreux. Si l'ancre casse, l’aérostai se trouve livré à lui-même et ne peut attendre son satut que dans les obstacles qu'il rencontrera, et contre les- quels il pourra se briser ; si au contraire l'ancre tient, il en résulte pour la nacelle une secousse si violente, que les dangers sont peut-être encore plus grands. Le principe doit être d'obtenir un arrêt non pas brusque, mais progressif; cet arrêt doit être, suivant moi, demandé au guide-rope. Dans l'atterrissage du Volta, l'ancre a cassé, et c'est le guide-rope dont j'avais fait tripler la longueur ( 300 mètres) qui nous a sauvés, car nous arrivions à terre — 229 — vent qui régnait alors; nous n'étions pas blessés, et les instruments étaient intacts !. Cependant les paysans arrivent de tous côtés, et nous sommes en un instant au milieu d'une foule qui se presse et nous étouffe. Ces braves gens n'avaient jamais vu de ballon. Ils nous accablent de questions : « Ah! c'estdoncça, un ballon, Monsieur? — Nous vous voyions bien là-haut, mais nous ne savions pas ce que c'était; vous n'étiez pas plus gros qu'un pois. — Monsieur, vous venez de Paris, souffre-t-il beaucoup? a-t-il des vivres pour longtemps? — Vous apportez sûrement des lettres, Monsieur? en avez-vous pour moi, je m'appelle un tel)... etc. etc.» Je satisfaisais de mon mieux à leur curiosité, quand je fus abordé par un propriétaire de la localité, M. Paul Serrant, qui se mit à ma disposition pour faire transporter l’aérostat à la gare prochaine, et me pria d'accepter l'hospitalité chez lui. I m’apprit que nous étions au village de Briche-Blanc, commune de Beuvron, arrondissement de Saint-Nazaire. M. Serrant était à cheval, faisant une tournée dans les environs, quand il nous aperçut; il avait lancé sa monture pour nous suivre, mais nous l’avions devancé de beaucoup. Après lui arrivèrent successivement des cavaliers et des piétons qui nous suivaient depuis longtemps; car il paraît que nous avions été aperçus de toutes les communes envi- ronnantes, et qu'on courait après nous de toutes parts. On m'ap- prit aussi que le télégraphe avait signalé notre passage au- dessus de la ville du Mans. Avant de songer à nous, nous devions nous occuper du ballon. Il était alors dans un endroit marécageux; je l'en fis tirer et avec une vitesse de 8o kilomètres! Le guide-rope agit par son frottement contre le sol; or, pour rendre ce frottement plus efficace, je propose d'insérer dans la corde des rognures de tôle courbées sur elles-mêmes, de manière que, dans le traïînage, ces rognures puissent se charger de terre, de broussailles, etc. L'action d’une semblable corde serait extrêmement énergique, et d'autant plus grande que le traînage serait plus rapide. Le ballon serait bientôt arrêté en raison de l'énorme quantité de corps étrangers dont le guide-rope se chargerait. Quand l'arrêt est presque obtenu, on peut utilement employer une ancre légère pour se fixer tout à fait, mais, je le répète, l'emploi de l'ancre au début me paraît on ne peut plus dangereux. 1 C’est par erreur que les journaux ont annoncé que nos instruments avaient été brisés en atterrissant. — 230 — porter dans une prairie. On l'y étendit, on le dégagea de son filet qui fut mis à part. Pour le dégonfler complétement, on tira l’en- veloppe par ses extrémités inférieure et supérieure, de manière à la tendre fortement; et en même temps on chassait le gaz vers les ouvertures. Lorsque les deux hémisphères s’'appliquèrent exactement lun sur l’autre, on plia létoffe dans le sens de la hauteur du ballon, disposant les plis comme ceux d'un éventail. L'enveloppe formait ainsi une bande d’un mètre environ de large, épaisse de tous les plis donnés à létoffe. Cette bande fut roulée sur elle-même et placée dans la nacelle, préalablement garnie de paille; le filet fut placé par-dessus. Les cordages, le guide-rope, l’ancre formèrent un ballot séparé. Mais déjà les charrettes étaient arrivées, elles furent chargées et partirent pour la station. C’est alors que nous pümes nous occuper de nous. Notre hôte nous conduisit à sa demeure, où la maîtresse de la maison nous fit l'accueil le plus gracieux et le plus sympathique. Ï était alors deux heures de Paprès-midi, et je n'avais presque rien pris depuis la veille, aussi étais-je dans les meilleures dispo- sitions à l'égard du déjeuner, qui en était un pour moi, dans l’acception rigoureuse du mot. Ce déjeuner avait en outre un mérite que devait apprécier un Parisien, le 2 décembre 1870; 1l y figurait des œufs, du beurre, de la volaille. Il est vrai que j'eus peu le loisir de savourer ces raretés gastronomiques : le bruit de notre descente s était promptement répandu. M. le maire, M. le curé, le buraliste de la poste, les parents, les amis de la maison se succédaient sans interruption, et, tout en s’en excusant, chacun m'accablait de questions. Mais il ÿ avait tant de sym- pathie pour moi, tant d’anxiété patriotique dans ces informations sur l’étatde Paris , ce grand Paris qu’on admirait, sur les souffrances de ses habitants, sur les chances de salut de la France, que j'oubliai bientôt le besoin physique et me laissai aller à ces sentiments que Je partageais, du reste, si profondément. Ces préoccupations pa- triotiques de notre vieille Bretagne, et les sacrifices si grands quelle faisait alors incessamment pour repousser l'invasion , té- moignaient de tout ce qu’on eût pu obtenir de la France si on eût su lui parler, l’entraîner et surtout l'organiser. Mais je fus bientôt tiré de ces réflexions : l'heure du départ se — 231 — passait, la voiture de M. Serrant nous attendait, et, après avoir pris congé de mes hôtes, nous nous dirigeàmes rapidement vers la gare. | Le ballon nous ÿ attendait, et les braves paysans qui l'avaient apporté refusèrent patriotiquement toute rémunération. Un train spécial me conduisit à Nantes, et de là je me rendis à Tours, où j'arrivai à onze heures du soir. J'étais parti de Paris à six heures du matin. De Tours, je me dirigeai vers Bordeaux et Marseille, où je m'embarquai pour Oran. En résumé, le voyage du Volta à prouvé la possibilité de trans- porter par les voies aériennes des instruments lourds et délicats; mais c'est surtout au point de vue des questions physiques de Pat- mosphère qu'il me semblera intéressant, s’il peut contribuer à dé- montrer combien les voyages aéronautiques peuvent ouvrir des horizons nouveaux à la science, élargir la sphère de nos études, et contribuer puissamment à résoudre tant de problèmes impor tants sur la physique du globe et la météorologie, FR OUR eu: ILE mue : taie dE gps so 89 ns à; ë ir. 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Monsieur le Ministre, À la date du 6 septembre 1869, le Ministre de l’Instruction publique ayant accueilli le projet que l'Académie des inscriptions et belles-lettres lui avait présenté, en vue de la publication d’un Corpus inscriptionum semiticarum, m'a chargé d'une mission dans le Yémen, afin de rechercher et de copier les inscriptions sabéennes ou himyarites existant dans le pays. Cette mission vient de s’accomplir, et je demande la permission de vous rendre compte de cette entreprise scientifique, en me te- nant strictement aux instructions que j'ai reçues de l’Académie. Je suis heureux de constater que l'exploration que je viens d’effec- tuer au péril de ma vie, dans des contrées barbares où aucun Européen n'avait jamais pénétré, a produit un résultat très-satis- faisant, soit qu on le considère au point de vue purement archéo- logique, soit que l’on envisage l'intérêt pratique qui s'attache à une connaissance plus étendue de la péninsule arabe. Je ne toucherai ici que le point de vue archéologique, objet principal de ma mission , et j'exposerai sommairement l’utilité des textes recueillis et des éclaircissements qu’ils sont appelés à fournir, non-seulement sur la civilisation sabéenne en particulier, mais sur la civilisation des peuples sémitiques en général. En effet, le nombre si restreint de documents authentiques a rendu l'étude du sémitisme extrêmement difficile et obscure. Les Phéniciens sont, sous ce rapport, les plus favorisés de tous les MISS. SCIENT, — VII. 10 ON RE ‘ peuples sémitiques : ce peuple marchand et navigateur, que de fré- quentes relations ont mis en contact avec tout l’ancien monde, s’est fait connaître ainsi aux auteurs classiques, qui ont fourni de nom- breux renseignements sur cette race industrieuse. Des inscriptions découvertes dans la mère patrie des Phéniciens et dans leurs nom- breuses colonies ont aussi agrandi le cercle de nos connais- sances ; et cependant combien de lacunes encore à combler, que de problèmes à résoudre! À plus forte raison peut-on constater combien nous sommes peu renseignés en ce qui concerne les autres peuples sémitiques, et particulièrement les Sabéens ou Himyarites, sur le compte desquels les historiens grecs et latins ont à peine quelques faits à relater, tandis que de leur côté les auteurs arabes, que l’on pou- vait supposer être bien informés de ce qui s’est passé chez une race sœur et Voisine, n'ont su conserver que quelques maigres listes de prétendus rois de Himyar et une foule de fables absurdes. L'insuffisance des textes sabéens a fait également échouer toute tentative d'interprétation, car, à défaut de bilingues, il est impos- sible de comprendre des inscriptions rédigées dans une langue inconnue sans le secours de nombreuses comparaisons et de locu- tions parallèles. Or ce moyen suprême a manqué jusqu'ici à la philologie sabéenne, qui du reste s’attaquait à des textes mutilés et peu sûrs. Mon voyage aura eu l'utilité, je l'espère, d'apporter un puissant secours pour élucider la grande question sémitique. Les documents himyarites récemment découverts sont appelés à nous éclairer sur ce qui constitue le vrai sémitisme, car on ue peut pas nier que le Yémen ne soit un pays sémitique par excellence. Ajoutons encore que le peuple sabéen, séparé du reste du monde par une vaste ceinture de déserts, n’est guère connu en Europe que depuis l'expédition du général romain Ælius Gallus en l'an 24 avant l'ère chrétienne, expédition avortée et de courte durée. À aucune époque de l'antiquité, les Sabéens n’ont subi le joug d’une domi- nation étrangère. Par conséquent, c'est chez eux que se perpétua inaltéré cet esprit sémitique si intéressant à connaître. Que la science étudie résolûäment les nombreuses pièces himyarites que je mets à sa disposition, et elle ne tardera pas à en tirer son profit. Après ce préambule, j'aborde directement ma tâche : je don- neral en premier lieu un récit succinct de mon itinéraire, puis — 235 — ensuite je noterai pour chaque inscription l'endroit précis où elle a été trouvée et toutes les circonstances matérielles qui peuvent présenter quelque intérêt. 1 ITINERAIRE. La ville d’Aden, le seul point de l'Arabie qui soit en communi- cation régulière avec l'Europe, me servit de base d'opération pour reconnaître le pays, et c'est par ce côté que J'ai tout d’abord tenté de pénétrer jusqu'à Sand. Dans cette intention, je me rendis à Labadj ( 2) , Ville située à six heures d’Aden et dont le sultan , vassal intéressé des Anglais, se montre bien disposé envers les Européens. Malheureusement, son autorité ne s'étend pas très-loin. Sa capi- tale même est tenue en continuelle alerte par les Houseybou ou Hawäsib, tribu belliqueuse qui rancçonne les villages du sultan et intercepte les caravanes à destination d’Aden. Après avoir fait une marche de quatre heures au nord de Lahadj, j'ai été obligé de rebrousser chemin pour ne pas tomber dans une embuscade dont on vint nous avertir. Mais avant de retourner dans la ville anglaise, jai pu m'assurer qu'il n'existait aucun vestige de l’antiquité dans le territoire appartenant au sultan de Lahadj. À Aden, j'eus l'avantage de faire la connaissance de plusieurs hommes éminents, entre lesquels j'aime à signaler M. le capitaine Miles, juge de paix de la colonie, savant distingué qui porte un vif intérêt à l'épigraphie himyarite. Grâce à sa bienveillance, je pris copie de plusieurs inscriptions sabéennes, dont quelques-unes présentent un système graphique tout particulier et semblent être conçues dans une langue différente du sabéen ordinaire. Muni de lettres de recommandation d’honorables négociants israélites d'Aden, je me suis embarqué pour Hodeyda, d'où je partis immédiatement pour le Safàn, une des trois provinces gou- vernées par le Dai, vice-roi issu de la souche des Makârémé, chefs religieux et politiques du Wedjrän, qui ont fait de grandes con- quêtes en Arabie dans le cours des deux derniers siècles. Ces pro-* vinces, qui jouissent d'une tranquillité fort rare en Arabie, onten revanche pour le voyageur le grand inconvénient d’être un pays très-montagneux et d’un accès extrêmement difficile. Voulant tout examiner et tout voir de mes propres yeux, j'ai souvent couru le 10. — 236 — danger de tomber dans des abîmes insondables du haut d’un vieux château en ruines, dont les pierres, cédant sous le poids de mon corps, se délachaient à chaque instant sous mes pas et allaient se précipiter avec fracas sur les flancs granitiques de la montagne. Après bien des fatigues dans cette Suisse arabe, fatigues qui ont eu des suites funestes pour ma santé, j'eus la douleur de ne pas découvrir une seule inscription parmi tant de débris anciens qui sont indubitablement d'origine himyarite. En arrivant à Sanà, capitale du Yémen, je n’ai pas de à me ressentir des mauvais effets du climat brumeux du Harràz. Une fièvre cruelle, accompagnée d’une céphalalgie des plus violentes, m'a mis à deux doigts de la mort. Pendant un mois, j'ai été con- damné à rester sur le lit de douleur sans pouvoir sortir. Après cet intervalle, je me suis efforcé de visiter la ville et de copier les ins- criptions qui s’y trouvaient. Un jour, je me suis même hasardé à gravir le mont Nouqgoum en face de la ville pour voir le fort Be- räsch, autrement nommé le chéteau de Sem fils de Noë, au sujet duquel les Arabes racontent plusieurs fables. Ma peine a été tout à fait infructueuse au point de vue paléographique, et en revenant chez moi, j'ai essuyé une affreuse rechute et j'ai été obligé de garder le lit pendant dix jours. Vous voyez, Monsieur le Ministre, que mon voyage s’inaugura sous des auspices peu favorables. Cependant une excursion que, malgré ma faiblesse, j'ai effectuée à Ghäyman, territoire des Beni-Behloul (Khaoulân }, où j'ai découvert un certain nombre d'inscriptions, me fit concevoir l'espérance d'en trouver d’autres ailleurs. Mais, pour mener la recherche à bonne fin, il fallait lui donner une direction raisonnable et adopter un plan de voyage déterminé. J'avais le pressentiment que le pays situé à l’est de Sanä et qui formait anciennement le noyau de l’empire sabéen devait avoir conservé plus de vestiges de l'antiquité que toute autre province; il fallait donc me décider entre deux plans : ou aller directement à Mâreb, en suivant la même route que Th. Arnaud, et de là chercher à passer dans les autres parties du Djaouf; ou bien pénétrer dans le Djaouf par une autre voie et explorer le pays situé entre le Nedj- râan et Märeb, en réservant pour-le retour la visite de cette der- nière localité. Le premier plan était le plus facile à effectuer, car les caravanes portant du sel de Mâreb ne manquent jamais à Sanà, et le voya- sx 88 geur peut trouver à chaque instant un chamelier qui consent à l'y mener pour une faible somme. Le second plan paraissait au contraire moins praticable et pré- sentait des dangers sérieux d’après l'avis de quelques amis que j'ai consultés. Ce pays problématique, qu'on désigne par l'épithète Djaouf (contrée creuse), ignoré de nos cartes géographiques, est également inconnu des habitants de Sanà, qui ne cessent de dé- biter des récits effrayants sur la férocité des populations demi-no- mades qui habitent la lisière du désert. Selon eux, le Djaouf serait un vrai charnier pour les étrangers, qui n’en reviennent jamais. Cependant l'attrait de l'inconnu, l'espoir de découvrir l'emplace- ment de certaines anciennes villes mentionnées par les auteurs classiques et de suivre peut-être même la marche de l’armée ro- maine commandée par Ælius Gallus, tout cela me fit pencher pour le second plan; j'ajoutais du reste une foi médiocre aux dires des Arabes citadins, qui ont notoirement une haine implacable contre les Bédouins, et j'étais résolu à prendre cette route quand même. En un mot, j'espérais qu'avec l’aide de Dieu et un peu de savoir-faire je pourrais surmonter tous les obstacles. Ma santé s'étant améliorée sensiblement, j'ai loué une bourrique avec un-guide juif pour aller à la découverte du Yémen oriental. Afin de donner un motif plausible à mon voyage, j'ai demandé au rabbinat de Sanà des lettres de recommandation à l'adresse des communautés juives établies dans les tribus républicaines. Revêtir le costume israélite, cacher mes cheveux à l'exception de deux boucles suspendues à chaque tempe, coiffure indispensable pour faire reconnaitre les sectateurs du judaïsme; mettre bas pantalon et souliers et les remplacer par une pièce de toile bleue autour des reins, et par des babouches impossibles adaptées tant bien que mal à mes pieds, toute cette toilette fut l'affaire d’une demi-heure. Dans cet accoutrement étrange, j'ai quitté Sanà le 20 février à quatre heures du soir. Les passants eurent la mauvaise grâce de me faire descendre à chaque instant de ma monture en proférant de grossières insultes, de sorte que, pour mettre fin à ces vexations, Je me vis obligé de marcher à pied, ce qui au début fut très-pénible pour moi; j'ai pourtant fini par m'y habituer. En trois jours j'ai exploré les belles plaines de Raouda, de Zoubeyrät et de Rahaba, où j'ai trouvé quelques inscriptions fragmentaires, et je suis arrivé à Schira, territoire des Arhab, passablement bien portant, mais Li ER ayant les pieds dans un état pitoyable. J'étais décidé à y rester quelque temps afin d'explorer les environs qui me paraissaient intéressants. Un certain nombre d'inscriptions découvertes en partie dans la ville même et en partie sur la montagne située _en face m'auraient facilement consolé de mes souffrances, sans le scheikh de l'endroit. I me confondit avec un personnage qui se fait passer pour le Messie auprès des juifs du Yémen et qui inspire une folle terreur aux musulmans. Retenu prisonnier pen- dant huit jours, j'ai été relàché par l’intercession des israélites qui sont arrivés à convaincre le scheikh de son erreur. Ma prochaine étape était la ville El-Médid dans le territoire de Nehm. Là le peuple m'a généralement traité avec bienveillance. J'ai aussi visité les alentours jusqu'au village de Daboua, où J'ai re- cueilli quelques inscriptions. Je découvris en outre des graffiti sur les rochers du Djebel Scheyhän, en allant à Awdiän ou Milh. Les environs de cette ville forment le point de ralliement pour les tri- bus nomades qui y font paître leurs troupeaux à certaines époques de l’année. | L'espace qui sépare Awdiän du Djaouf est très-accidenté et très- aride. Des maraudeurs de la pire espèce le parcourent, en y exer- çant leur coupable métier. J'ai eu la plus grande difficulté à trouver un guide. Les communications entre ces deux pays sont rares et se font principalement par les artisans juifs qui vont travailler chez les Bédouins. Comme la Päque était proche, aucun israëlite ne voulut entreprendre un voyage qui le retiendrait loin de sa famille pendant cette grande fête. Je fus contraint de me faire accompagner par un Arabe d'assez mauvaise réputation. Pourtant l'aspect inoffensif de ma personne, et ma prétendue qualité de Qoudsi (habitant de Jérusalem) , inspirèrent à mon guide quelques bons sentiments à mon égard, et je suis arrivé sans grands incon- vénients à El-Ghéyl, le seul établissement sédentaire du Djaouf inférieur. | Les habitants du Djaouf inférieur tiennent les israélites dans la plus dure servitude; aussi ces pauvres coreligionnaires, en dépit de leur bonne volonté, n’ont-ils pu me prêter ouvertement leurs services pour explorer la contrée. Ils m'ont néanmoins donné les meilleures indications sur la position des ruines, et, comme ils me croyaient fort versé dans les sciences occultes, ils souhaitèrent bonne chance à mon entreprise, qui consistait, d'après eux, à tirer — 259 — des trésors cachés sous le sol des ruines, et gardés par une armée invisible de djinns. Ces israélites pauvres, mais extrêmement hospitaliers, voulurent me retenir chez eux pour les Pâques; mais comme je savais qu’à une distance de trois heures au nord il existait de grandes ruines, dont ils m'avaient raconté des merveilles, je ne pus résister au désir de m'y rendre le plus tôt possible. Je me suis séparé de ces braves gens les larmes aux yeux, en leur promettant toutefois de repasser après quelques jours. Avant d'arriver à l'endroit indiqué, j'ai eu la satisfaction de découvrir un cours d'eau considérable, qui ne tarit jamais, chose inouie en Arabie, car nous étions en plein été et il régnait une grande sécheresse. À la vue de cette nappe limpide, je profitai de l'occasion pour prendre un bain froid, malgré la crainte sérieuse que m'inspiraient les pâtres arabes qui y venaient de toutes parts pour abreuver leur chameaux. Après le bain, vint l'appétit; il était d'autant plus difficile à dompter que les beaux poissons à gros * ventre qui jouaient en foule sur la surface de l’eau semblaient si doux et avaient l'air si confiant qu'on croyait pouvoir les prendre avec les mains. Nous nous étions bientôt mis à la pêche. Nous ne serions peut-être pas arrivés au résultat que nous souhaitions si les dames bédouines, qui nous avaient vu faire assez maladroitement notre besogne, n'étaient pas venues à notre secours. Le diner fut joyeux, et comme mes compagnons cle voyage voulaient emporter des poissons chez eux, je fus obligé de passer la nuit au bord de la rivière. Au point du jour, nous continuions notre chemin. La découverte inattendue de cette rivière me fit penser que j élais en bonne voie, car je me trouvais enfin au cœur du Wadi Saba, et j'entrevis que les grands centres de population d'autrefois devaient être situés à proximité de ce cours d’eau. Je me rappelais alors que Strabon parle effectivement d’une rivière où l'armée romaine campa à son arrivée dans le pays des Sabéens. J'avais la certitude de fouler une terre classique, et je sentis revivre en moi une énergie assez grande pour braver les dangers de la situation. Mes réflexions furent bientôt interrompues par la vue du monti- cule sur lequel se trouve une ancienne ruine, rebâtie plusieurs fois, nommée Medinet-el-Haram, et plus communément el-Fer. Je me mis aussitôt à l’inspecter, sans m'arrêter dans aucune des maisons habitées. Ayant atteint le point culminant du mamelon, — 240 — j'eus un admirable coup d'œil sur toute la plaine. Du côté sud- ouest, on voyait la veine argentée du Khdrid, ainsi s'appelle la rivière dont il a été question plus haut, reflétant les rayons em- brasés du soleil. L’est et le sud-est ne montrent que des plaines sablonneuses et arides, sans autre végétation que quelques brous- sailles rabougries et de chétifs mimosas. Au nord, la vue présen- tait, au contraire, un aspect grandiose et varié : là s'étendait le Djebel-Laoud, courant de l’est à l’ouest, pour former un angle presque droit avec le Djebel Silydm, boulevard un peu détaché du Djebel Yäm, qui limite le Wadi Saba de ce côté, et semble se continuer jusque dans le Hadramaout. Mais cette vue, si agréable qu’elle füt, s’est bientôt effacée de- vant le plaisir que j'éprouvai en apercevant, à cinq minutes seu- lement en descendant de la ruine, le reste d’une porte en pierre, précédée de seize stèies, que les Arabes appellent binät Ad, cons- tructions des Adites. J'ai cependant dù modérer mon impatience d'y courir à toutes jambes, en voyant une multitude de jeunes Arabes s’y exercer au tir, et se faire un plaisir de grimper sur Îes stèles. En y arrivant, je feignis d'être très-fatigué, je m'assis en face de la première stèle, couverte de caractères admirablement gravés. Lorsque j'eus satisfait la curiosité des assistants, je m'en- veloppai de mon habit en faisant semblant de dormir. Dans l'in- tervalle, les Arabes commencaient à s'éloigner afin de soigner leurs chevaux, qui paissaient dans les broussailles. F’ai profité de leur absence pour copier l'inscription. La chaleur du soleil m'ayant enfin obligé de chercher un abri, je me suis hâté d'entrer dans la ville, appelée el Hazm, chef-lieu du Beled Hamdän, ou Djaouf moyen. Un bijoutier israélite, nommé Salem ibn Saïd, homme d’une intelligence peu commune, m'a offert la plus large hospita- lité. Grâce à son concours, j'ai pu explorer minutieusement tout le Wadi. Cette exploration, reprise de nouveau après mon retour du Nedjrän, m'a coûté plus de deux mois, car il me fallait user de la plus grande précaution pour ne pas me faire surprendre des Arabes, lorsque j'étais sur les ruines et que je prenais des copies. Le Djaouf inférieur et le Djaouf moyen contiennent, à ma con- naissance, plus de vestiges de l'antiquité que tout autre pays arabe. Entre ces différentes ruines, la plus importante au point de vue de l’histoire ancienne est, sans contredit, celle qui porle en- core aujourd'hui le nom de Mein, représentant indubitablement — 241 — la capitale des Minéens, la gens magna de l'Arabie, d’après les auteurs classiques. Un coup d'œil jeté sur les inscriptions que j'y ai recueillies m'a bientôt prouvé que le peuple minéen possédait deux autres villes importantes, ce qui m'a déterminé à faire tous mes efforts pour les découvrir. J’ai eu le bonheur de retrouver la deuxième ville minéenne mentionnée dans les inscriptions, et dont l’ancien nom est déjà tombé dans l'oubli. Mais ce n’est qu'après une longue recherche , et par un hasard singulier, que j'ai rencontré les traces de la troisième ville minéenne, qui m'a livré le plus riche butin épigraphique. La population minéenne occupait une place à part parmi les tribus sabéennes. Les inscriptions de ces trois villes sont toutes conçues dans un dialecte particulier, peut-être identique à celui qui figure sur les monuments provenant du Hadramaout. La science aura à se prononcer un jour sur la question de savoir si ce sont les Minéens qui ont peuplé le Hadramaout, ou si, au con- traire, ce sont les Hadramotites qui ont colonisé en partie le Wadi Saba. Quelle que soit du reste l'opinion à laquelle on devra s’ar- rêter, il est déja hors de doute que le noyau de l'empire sabéen se composait au moins de deux peuples, parlant autant de dialectes. D’autres ruines avaient aussi attiré mon attention: j'en ai visité une dizaine; mais trois seulement ont donné un résultat épigra- phique, car les autres étaient dans un tel état de destruction qu'il n'en restait pas une pierre intacte. Ces ruines sont généralement situées entre le Khärid et le Djebel Laoud. Celles dont l’emplace- ment est éloigné de la rivière étaient anciennement irriguées par un réseau de canaux régulièrement creusés, lesquels, entretenus avec soin par les Sabéens, ont procuré la nourriture et le bien-être à d'immenses populations. Même à présent que tous ces canaux sont obstrués et comblés, il suffit qu'une pluie abondante vienne à temps pour fournir trois moissons par an. Quand je crus n’avoir plus rien à découvrir dans le Djaouf moyen, je me décidai à aller à Nedjrän. J'ai pris la route orientale avec l'intention de retourner au Beled Hamdän, par le Djaouf supérieur. J'ai voulu ainsi reconnaïtre les deux routes différentes que le général romain aurait prises, d'après le récit de Strabon, en allant de Nagara à Saba, et en retournant du pays des Sabéens. Comme d’après l'écrivain grec la première route était la plus — 9242 — longue, et conduisait par des déserts arides, où l'eau manquait souvent, je conclus de là que cela devait être la route orientale; tandis que la route occidentale, qui passe par le pays du Djaouf supérieur, assez bien peuplé aujourd'hui même, devait présenter moins de difficultés pour l'armée romaine. Cette considération me parut logique; je pouvais me tromper, mais j'étais décidé à faire des recherches sérieuses. Le Djebel Laoud, vers lequel nous nous dirigeàmes, offre d’abord un passage très-commode, mais, à mesure que l’on s’avance vers le nord, le terrain devient plus acci- . denté, surtout à l'endroit où s'élève la cime granitique du Dyebel Qadm. Nous avons péniblement traversé cette rangée de mon- tagnes pour atteindre, à midi, le village de Meläh. Au point du jour nous primes une direction plus à l’ouest, afin d'éviter la:ren- contre des guerriers Dou Eloussein, qui revenaient d’une expédi- tion dans le Beled Hamdän, expédition à laquelle j'ai forcément assisté et qui a failli me coûter cher. Vers trois heures du soir, nous fimes notre entrée dans la belle oasis de Khab, cultivée avec un soin extrême, malgré le manque complet d’eau courante. L'oasis con- tient un grand nombre de villages; les israélites, qui sont les seuls artisans du pays, sont presque tous dans l’aisance et beaucoup mieux traités que dans le Djaouf, de sorte que j'ai pu visiter les villages sans être molesté. Quant aux inscriptions, je n’en ai vu, ni sur les constructions encore debout, ni sur celles qui sont déjà tombées en ruine, à l'exception toutefois d’une seule, consistant primitivement en trois lignes, tracée sur un rocher, près d’un puits, et de laquelle je n’ai pu prendre copie, à cause du mau- vais vouloir des Bédouins. D'ailleurs tout me porte à supposer que l'oasis de Khab n’a reçu de population sédentaire que depuis une date très-récente. De là, il y a encore quatre journées de marche jusqu’à Nedjràn. Mon guide Housséyni, bien qu’il eüt été payé pour tout le trajet, me quitta néanmoins après une journée, en face de la chaîne el Hatbe, qui limite le territoire de sa tribu. Tourmenté par la soif au milieu de ce terrible désert hérissé de dunes de sable mouvant, force me fut de joindre un campement nomade, à trois heures sud-est de la montagne, sur la route du Hadramaout. Le campe- ment comptait une cinquantaine de tentes noires, dont les habi- tants se nourrissaient presque exclusivement de lait de chamelles, le dourra étant trop cher et rarement importé. Ignorante, mais — 243 — peu fanatique, la population se montre indifférente aux questions religieuses; quelques jeunes gens pourtant insistèrent pour que je répétasse leur symbole de foi, mais ils le faisaient seulement pour s'amuser et pour éprouver ma constance. On m'apportait du lait en abondance, mais cela me nourrissait si peu que je mourais de faim. Aussi les Arabes étaient-ils fort étonnés de voir mon impla- cable appétit, et semblaient-ils arriver à la conclusion que les hommes de Jérusalem sont, en général, très-gloutons. Dans ce camp nomade vivait un homme du Nedjrän, person- nage d’une taille herculéenne et aux traits tout européens. Après beaucoup de pourparlers, il consentit à m'amener dans son pays natal. Par malheur, le caractère de cet homme était en contradic- tion avec son agréable extérieur. Dur, exigeant et sauvage, il ne m'a épargné aucun tourment chemin faisant. Il ne se contentait pas de prendre tout ce que j'avais en fait d'habillement et d'argent, il me menaçait même de la mort, sans la moindre provocation de ma part. La fatalité a voulu que nous fussions rejoints par la ca- ravane du Hadramaout, et les chameliers se sont fait le cruel plaisir de m'infliger toutes les peines imaginables. Je me suis efforcé de faire bonne contenance et de me montrer indifférent à leurs menaces. Ils se sont enfin lassés, et le dernier jour du voyage j'ai été débarrassé de la caravane, qui prit la route du Wadi Habaouna, tandis que, de notre côté, nous nous engagions dans le wadi qui forme l'entrée du fameux Beled Nedjrän. Cette vallée étroite, entre deux chaînes de montagnes, s'appelle à son début el-Hadra, et contient une tour moderne et un puits intarissable. Les rochers des deux côtés portent quelques traces d'inscriptions, effacées pour la plupart. Le cœur gonflé d'émotion, je fis halte au milieu d'un verger de dattiers qui entoure la ville nommée Makhläf. Reçu d’abord chez deux frères juifs, qui exercent le métier de tailleurs, J'ai été bientôt conduit auprès d’un autre coreligionnaire établi dans la ville de Ridjla, située du côté opposé du wadi, qui a une largeur d'environ trois cents mètres. Cette ville est construite au milieu d’une forêt de dattiers, comime le sont du reste toutes les villes de ce beau wadi. C'était la veille du samedi, et immédiatement ensuite tombait la Pentecôte juive, de sorte que nous avions devant nous trois jours de fêtes, pendant lesquels les israélites ne travaillent pas; J'avais, par conséquent, assez de loisir pour prendre de mes — 24h — hôtes toutes les informations que je désirais. Pour rendre hommage à la vérité, je dois signaler que j'avais complétement tort de me méfier du bon peuple du Nedjrän, car, nulle part en Arabie, l'is- raélite ne jouit de plus d'estime et de liberté. Ma prétendue qualité de rabbin de Jérusalem m'acquit bientôt la bienveillance de plu- sieurs savants du Nedjrän, qui m'ont souvent invité chez eux. Après le repas, nous nous entretenions de questions historiques, géographiques, et surtout métaphysiques. La connaissance que J'ai faite du qadi Mohammed ibn Lougha, qui demeure à Qiryat- el-Qabil, m'a été fort précieuse. Je l'ai trouvé très-versé dans la littérature arabe, et aristotélicien enragé. Comme il est en même temps un des secrétaires du chef de l’État, dit Makrémi, qui réside à Bedr, il a été à même de me fournir des renseignements exacts sur les ressources du pays et sur les relations qu’entretient le gou- vernement avec les peuples voisins. Mes excursions dans le wadi ont été bien récompensées par la découverte des ruines de Nagara Metropolis. Les Arabes les nomment actuellement Medinet-el-Khoudoud, prononciation incor- recte, au lieu de el-Oukhdoud, nom qui se trouve dans le Qoran, et que les commentateurs ont à tort identifié avec Nedjrän. Le peuple ne connaît pas du tout la prétendue barbarie du roi judéo- himyarite, Dou Nowas, qui, d’après quelques écrivains du moyen âge, aurait jeté vingt mille chrétiens dans des fossés remplis de feu. La tradition populaire est on ne peut plus favorable aux juifs, car, d’après le dire des savants du Nedjràn, il n’y aurait au monde que deux races nobles : la première, ce serait la leur, celle des vrais descendants d’Ismaël; l’autre serait représentée par la posté- rité d'Isaac, le peuple israélite. Du reste, ni le judaïsme, ni le christianisme, n'ont laissé la moindre trace de leur existence à Nedjrän; les quelques inscriptions que j’y ai trouvées proviennent presque toutes de Nagara, et portent un caractère païen. Le seul endroit qui peut être de quelque intérêt pour l'histoire ecclésias- tique est la mosquée du côté est des ruines de l’ancienne ville. Cette mosquée, que le peuple dit élevée sur le tombeau d’Abd- Allah ibn Tâmir, le premier apôtre musulman dans ce pays, ap- partiendrait, d’après l’assertion des savants du Nedjrän, à un saint personnage de l'époque anté-islamique. Il serait possible que ce fût le tombeau de Harit, le gouverneur chrétien de Negra. À une petite journée au nord de Nedjrân, j'ai pu voir rapide- — 245 — ment le wadi Habaouna, également fort productif. J'étais même sur le point de me rendre dans le Beled Dawäsir, situé sur la route qui conduit à Riad, capitale actuelle du fameux chef 1bn Saéud, le wahabite. J'ai fait la connaissance de plusieurs Daväsir habitant Nedjran, et entretenant des relations commerciales avec le Nedjd, et J'ai été étonné de ne pas entendre parler des Wahabites comme d'une secte religieuse différente des autres fractions mahométanes. D'après mes informations, les fameux Wahabites, loin d’être les protestants de l’islamisme, appartiennent simplement à la secte orthodoxe des Schawäféi, dont le rite est professé par un bon nombre de tribus du Nedjrän, bien que la doctrine dominante soit Hanifia. Les Arabes sont généralement mauvais juges pour les conviclions religieuses qui ne sont pas les leurs. Is inclinent tou- Jours à voir dans la plus insignifiante nuance rituelle une religion à part. Aussi les habitants du Nedjrän sont-ils considérés dans toute l'Arabie comme formant une secte particulière, ayant des pratiques mystérieuses, obscènes et sentant le christianisme. De- puis, J'ai eu l’occasion d'exposer à M. Guarmani, voyageur dans le Nedjd, actuellement consul de France à Aden, mes doutes à propos de la réformation musulmane, si magnifiquement décrite par M. Palgrave. M. Guarmani n'a pas hésité à me dire que ses propres expériences sont en parfait accord avec les miennes au sujet de la secte de l’ancien antagoniste des Turcs. Je persiste donc à croire, Jusqu'à preuve du contraire, à la non-existence du wa- habisme. Ayant ainsi atteint la limite septentrionale de mon expédition, il fallait penser à revenir au Wadi Saba, par le Djaouf supérieur. Notre chemin, prenant une direction sud-ouest, passa par des contrées fort montagneuses. Ces différents pays, si intéressants sous le rapport de la géographie, n’ont rien donné en fait d’ins- criptions, ce qui confirme du reste l'observation, faite ailleurs, que les habitants des plaines arrivent plus facilement à la civili- sation que les habitants des montagnes, dont l’activité suffit à peine pour vaincre les obstacles matériels. Harassé de fatigues, je suis arrivé au Djaouf supérieur à l'époque la plus chaude de l'année, et je me suis arrêté à ez-Zähir, où se tient une foire assez importante, Le Djaouf supérieur n’a conservé que de très-faibles vestiges de son ancienne splendeur. D’innombrables ruines couvrent le sol, 2 M surtout dans le voisinage du Khärid, qui a ici une respectable lar- geur. La destruction des monuments sabéens a été plus complète ici que dans le Beled Hamdän : peu d'édifices restent debout, tout a été démoli de fond en comble, et je m'estime heureux d’avoir pu sauver quelques fragments épigraphiques. Ce sont principale- ment les environs du mont Silyàäm, qui ont donné un nombre sa- tisfaisant d'inscriptions. On peut en dire autant de tout l’espace qui sépare le Djaouf supérieur du Djaouf inférieur. Le nombre des ruines qui couvrent la plaine le long du wadi Médeb est incal- culable, Outre les fréquents tell qui représentent les maisons de campagne des anciens Sabéens, on aperçoit des traces de villes importantes. Il n'est même pas rare de voir des stèles affreusement tronquées surgir du sable, qui menace de les engloutir. En fouil- lant le sol pour mettre à nu l'inscription d’une pierre, j'ai trouvé une marque en airain percée à jour portant les caractères Labbah. Les Arabes connaissent aussi cet endroit sous le nom de Djér-el- Labbd. Cette exploration présentait trop de danger pour être complète. Nous étions dans le mois d'août, époque à laquelle la famine règne ordinairement dans le Djaouf, et où les habitants, dépour- vus de ressources, vont sur les grandes routes pour piller et déva- liser les rares voyageurs. Nous avons été souvent obligés de nous priver de nos provisions de bouche pour les distribuer entre ces hordes de maraudeurs exténués de faim. Jusqu'à cette date, 1l n'était pas tombé une goutte de pluie dans le Djaouf supérieur; une grande partie du bétail était mort d'inanition; mais, à mesure que nous avancions vers le sud, nous rencontrions plus de végé- tation et de prés verdoyants, car ici les premières pluies d’au- tomne avaient déjà mouillé la terre. Me trouvant de nouveau à el-Ghayl, j'ai entendu les israélites parler d'une ancienne ville juive, nommée Berdgqisch (us) ) 3 dont ils me firent une description extravagante. Ils m'ont méme montré un contrat daté de cette ville, qui m'a prouvé qu'elle n’a été abandonnée des israélites que depuis environ un siècle. Je me suis décidé à y aller, en compagnie d’un coreligionnaire, qui croyait faire œuvre pieuse en m'accompagnant avec l'intention de ürer de loubli les noms des pieux rabbins indiqués sur les pierres sépulcrales. Quelle ne fut pas ma surprise en voyant, au lieu d’un hameau juif, des restes imposants d’une cité sabéenne, et juste- = ie ment celle que je cherchais depuis longtemps comme devant être la troisième ville des Minéens! Les parties du mur d'enceinte en- core existantes sont littéralement couvertes d'inscriptions artiste- ment gravées. L'intérieur est moins bien conservé, et les dé- combres de grossières huttes en terre cachent les magnifiques restes d'édifices de l’époque anté-islamique. À voir les nombreux débris de stèles qui gisent partout, on ne peut s'empêcher de penser que ce devait être une ville religieuse par excellence, un lieu de pèlerinage pour les Sabéens. Dans les inscriptions, la ville porte le nom de Ytoul, lt&l 189, nom apparemment inconnu des auteurs grecs et arabes. . Ma présence dans le Beled Hamdan commença déjà à éveiller le soupcon des Arabes; il était temps d'aller explorer le territoire de Märeb. N'ayant pu trouver un homme pour m'y conduire di- rectement, J'ai dû me contenter d’un guide qui était sur le point de se rendre à un village nomade, à une demi-journée de Märeb. Les préparatifs de départ ont été faits dans le camp de mon con- ducteur, à quatre heures à l'est de el-Hazm Hamdän. J'y suis resté trois jours, pendant lesquels j'ai de nouveau visité Mein et quatre autres ruines dépourvues d'inscriptions. Une d’entre elles a pour nom /nab4, qui rappelle involontairement l’Inapha de Ptolémée. ? La nature du terrain que nous traversions ressemblait complé- tement à celui sur lequel on passe en allant de Khab à Nedjràn : partout les mêmes dunes de sable mouvant, la même aridité. Notre route, qui courait parallèlement au Djebel Yäm, avait presque toujours la direction sud-sud-est. Bientôt les dernières chaînes du Djebel Eaoud disparurent derrière nous, et mon guide avait souvent besoin de s'arrêter pour se retrouver. Vers midi, nous aperçûmes quelques collines détachées en face de nous, et mon compagnon de voyage fit voir sa satisfaction d’être sur la bonne route. En passant entre les collines, j'ai remarqué des dé- bris de stèles en marbre blanc, avec quelques lignes d'inscription dont j'ai pris copie. L’Arabe nomma cet endroit Ed-Däbir. Le reste de la journée fut employé pour traverser l'espace qui nous séparait de Raghwän, petite ville toute moderne, où nous ne sommes pas entrés, parce que mon conducteur craignait la ven- geance des habitants qui étaient en dette de sang avec sa tribu. Nous primes la direction sud-est, en marchant péniblement sur — 248 — les sables, où nous nous enfoncions jusqu'aux genoux. Ayant besoin de repos, nous nous arrêtämes près d’une maison ruinée, d'où j'ai pu nettement distinguer un mamelon ayant la forme d’une ruine. Je fis tant d’instances et de promesses à mon guide qu'il me permit dy aller, en me recommandant toutefois de m'absenter quelques minutes seulement, afin, dit-il, de ne pas m'exposer trop aux malins esprits qui hantent ces endroits déserts. Je m'y rendis en courant; je vis bientôt que j'avais devant moi une ancienne ville, dont les murs d'enceinte, en grande partie intacts, sont ensevelis dans le sable. Comme je ne pouvais pas penser à les déblayer pour voir s'ils portent des inscriptions, j'ai dû me contenter d'examiner les restes d’antiquités dans l'intérieur, qui forme un amas confus de décombres. Je trouvai enfin quelques stèles avec des inscriptions; mais ces recherches, quoiqu’elles fussent rapides et incomplètes, ont demandé plus de temps qu'il ne m'était accordé. Mon Arabe, furieux du retard, vint me cher- cher à la ruine et laissa libre cours à son indignation, en profé- rant des paroles injurieuses. Je ne pus faire autrement que de quitter la place, où 1l doit exister d'importantes choses à décou- vrir. Le lendemain, notre marche ne fut pas moins pénible. Nous avons souvent perdu le chemin, qu'aucune trace d'hommes et d'animaux n'indiquait. Après avoir longlemps erré, nous attel- gnimes à la nuit tombante El-Falia, campement des Beni Sched- dàd, près d'une tour construite avec des matériaux anciens comme l'attestent les quelques inscriptions qui s’y voient encore. Cette localité touche au wadi qui conduit en une journée à la plaine dé- serte où les Arabes exploitent une mine de sel gemme, dont üls font un irafic considérable avec Sanà et le Hadramaout. J'ai trouvé le pays dans un état de grands troubles. Les Abida, tribu puissante et propriétaire de la mine, sont en pleine révolte contre le schérif Abd-er-Rahmän, maître de Märeb, qui impose une lourde douane sur tout chargement de sel qui entre dans sa capitale. Pour se venger des affronts subis depuis longtemps, ils avaient tout récemment mis la ville de Mâreb à sac. Le schérif, ayant trouvé le moyen de se sauver, était allé au Djaouf chercher des cavaliers, afin de tomber à l’improviste sur les Abida. Ceux-ci se doutant de l'intention de l'ennemi, étaient sur leurs gardes et avaient eu soin de placer des sentinelles sur les hauteurs, afin de = sa : surveiller les mouvements de leurs adversaires. À cause de cet état de choses, je dus rester à El-Fatia plusieurs jours, pendant lesquels j'ai étudié les mœurs de cette tribu turbulente, qu'Arnaud a présentée sous un jour défavorable. Quant à moi, j'avoue que Je ne puis que louer la manière dont ils se sont comportés à mon égard : hommes et femmes ont rivalisé de générosité pour me rendre le séjour aussi agréable que possible. Il y avait même cer- tains procédés délicats dans leur hospitalité qui m'ont profondé- ment touché, et dont je me rappellerai toujours avec reconnais- sance. k Après cet arrêt forcé, je déclarai mon désir de me rendre à Märeb, malgré les remontrances amicales de mes hôtes. Voyant ma résolution, ils m'ont fait accompagner par quelques guerriers se rendant dans un campement voisin, sis sur la limite de leur territoire, mais ils me déclarèrent franchement qu’au delà de cet endroit ils n’assumaient plus la responsabilité de ma sécurité per- sonnelle. Sur les deux heures de laprès-midi, je quittai El-Fatia en compagnie de seize guerriers, dont quatre cavaliers, qui étaient prêts à toute éventualité. Arrivés au campement par un soleil ardent, nous primes avec avidité l'indispensable lait de cha- melle que nous offraient les Bédouins, et, les salutations d'amitié une fois échangées, on se hâta de tenir un conseil de guerre. H m'a été permis d'assister à tous les débats. Le jour baissait déjà, et je voulais à tout prix quitter ce terrain si exposé aux vicissitudes de la guerre. Les hommes du camp, tout en refusant de m'accompagner, n'ont pas manqué de m'indi- quer le chemin que je devais prendre. Pour point de direction, ils me montrèrent de loin une tour sise sur une colline, au sud- ouest. Je m'empressai d'y arriver, en me frayant un chemin au milieu des broussailles qui couvraient les abords des wadis. Ayant atteint la tour indiquée, je reconnus bientôt les vestiges d’une ruine. J'aurais volontiers passé la nuit dans cet endroit, afin de l'examiner le matin à mon aise s'il ne s’y était pas trouvé un homme de mauvaise mine que les partisans du schérif ont posté là pour qu'il espionne les positions des Abida. Ce personnage s’est tout d’abord hâté de me prendre tout ce qui lui parut de valeur, ensuite, il m'obligea à quitter aussitôt la tour. Il eut cependant soin d'envoyer avec moi son fils, pour qu'il m'accompagnät jus- qu'au village. À moitié chemin, mon jeune guide me laissa seul, MISS. SCIENT. — VIT. no? — 250 — à ma grande satisfaction. Je pus examiner à mon aise quelques restes de maisons antiques, qui portaient parfois des inscriptions, et j'entrai dans Él-Hizma à une heure très-avancée de la nuit. D'El-Hizma à Mèreb, il n'y a qu'une distance de trois heures. La plaine abonde en tamaris, dont la verdure réjouit les yeux fatigués par la monotonie du désert. Le lit du wadi Schibwän ou Dana, qui touche la colline sur laquelle Märeb est assise, est assez large, mais l’eau ne s’y trouve qu'à une grande profondeur. Connaïssant le caractère méfiant des habitants de cette ancienne capitale sa- béenne, j'ai cru urgent de visiter les environs avant d'entrer dans la ville. Le résultat n'a pas répondu à mon attente : la ruine est bien immense, et montre une profusion de colonnes de marbre que je n’ai vue nulle part, mais, en fait de textes épigraphiques, il y avait peu de choses à ajouter aux copies déjà prises par les voyageurs qui m'ont précédé. Les Arabes donnent à la ruine le nom de Medinet-en-Nehas, la ville de bronze, probablement à cause des tablettes en ce métal que l’on y découvrait autrefois; le nom de Màreb n’est appliqué qu'à la ville présente, sise sur la colline. Au lieu d’entrer dans la ville, par la porte est, je fis le tour du mur jusqu'à la porte opposée. Cela donna moins d'éveil à la popu- lation habituée à voir des hommes arriver du côté de Sanà. Jai ainsi évité des questions qui pouvaient m'attirer des conséquences fâcheuses, si l'on savait que je venais de chez les Abida. J’ai trouvé la ville plongée dans la consternation, chacun déplorait les pertes qu'il avait faites par le récent pillage. Je me suis assis près de la maison du schérif dans lespoir que quelqu'un m'accueillerait chez lui, car je manquais de vivres, et l’on ne trouvait absolument rien à acheter au marché. Cependant un citoyen qui me vit assis au soleil m'offrit l'hospitalité pour le reste de la journée, maïs ül n'avait pas dechambre pour me coucher, et je fus obligé d’aller passer la nuit à la mosquée de Salomon hors du mur d'enceinte, en bas de la porte occidentale. Le lendemain matin le son des tambours se fit entendre et la ville présentait une grande animation : c’étaient les troupes du schérif qui arrivaient; elles étaient au nombre de oo hommes environ et commandées par un parent du schérif. Ils étaient trop absorbés par leurs propres affaires pour s'inquiéter de ma présence, car les israélites des contrées limitrophes visitent souvent la foire et s'y établissent même quelquefois. Je me croyais ; — 251 — tout à fait en sécurité, et j'allais chercher un logement pour m'y installer pendant quelques jours, quand un accident imprévu m'a empêché d’y rester autant que je l’eusse désiré. La cause de ce désagrément était un certain moussellil, agent d’un négociant indien converti à l’islamisme et domicilié à Sanà. L'Indien vend ordinairement aux Anglais d'Aden des objets d’anti- quité qu'il fait enlever de Màreb par son agent moussellil. Ce der- nier a donc intérêt d’éloigner les Européens de Märeb, aussi ne cesse-t-1il de les dénigrer aux yeux de la population en leur attri- buant les intentions les plus coupables. Lorsqu'il m’eut rencontré, il soupçonna aussitôt le but de mon voyage. En toute autre occa- sion, il se serait bien hâté de me faire du mal à l'instant même; mais heureusement le temps lui manquait pour s'occuper de moi, car en sa qualité de chef de caravane il devait quitter Màreb dans le cours de la journée pour mettre les chameaux et leurs charge- ments en süreté. Il se contenta donc de recommander à un de ses amis de me surveiller de près et il partit un Jour avant moi, ayant différé sa vengeance jusqu’à ma rentrée à Sanà. Quoique je fusse matériellement moins maltraité par mon nou- veau gardien , il m'était impossible de me débarrasser de sa com- pagnie. Îl ne me laissait jamais seul, il épiait tous mes mouve- ments, il tenait surlout à m'empêcher de prendre copie des inscriptions existant à l'endroit où se tient le marché. Du reste, même sans le mauvais vouloir de cet homme, il aurait été plus que téméraire d'écrire devant la farouche multitude qui remplis- sait la place publique. Convaincu enfin de linutilité d’un séjour prolongé à Märeb, je me suis décidé à aborder la route qui conduit à la fameuse digue de Saba ou Sidd el-Arem. La route est prati- quée au milieu d’un immense cimetière, le sol paraît pétri d'osse- ments broyés et l’on aperçoit partout des tombeaux dont la forme diffère de ceux qui sont en usage dans les autres pays musulmans; une partie des pierres tumulaires provient des édifices de Märeb et porte parfois des inscriptions. On voit aussi un bon nombre de maisons ruinées des deux côtés de la route. Au milieu des tas de pierres renversées qui jonchent le terrain, j'ai remarqué un débris d'une statue en marbre blanc qui devait être colossale. Le frag- ment faisait voir les doigts du pied admirablement sculptés, mais il était trop lourd pour qu'on püt l'emporter. Le Sidd est éloigné d'environ deux heures à l'ouest de Màreb et LT =. 36 2 est placé à l'entrée de la vallée rétrécie entre les monts Balaq, qui atteignent une hauteur absolue de 1,200 mètres environ. Les restes de cette digue font voir que c'était un grand bassin destiné à rece- voir l'eau du torrent pendant la saison des pluies. En été, on ver- sait l’eau du réservoir, grâce à des écluses que l’on pouvait ouvrir et fermer à volonté, dans des canaux massivement bâtis. pour ar- roser les champs voisins. Il reste encore une partie du bassin et des écluses. La construction en est très-solide et d’une parfaite symétrie, Le batiment qui s’est conservé presque intact, sur le dos de la montagne à gauche, présente un travail fini et peut se comparer avec les meilleures constructions des peuples modernes; mais il s'en faut beaucoup qu'il ait le caractère extraordinaire que lui at- tribuent les récits exagérés des Arabes. C'est l'utilité seule qui a produit cette architecture simple, grandiose peut-être, mais raison- nable; pas de proportions gigantesques, pas de traces d’une exal- tation religieuse pareiïlle à celle que l’on remarque dans les travaux publics des Égyptiens. Je passai la nuit à la belle étoile, à quel- ques pas de la sortie de la vallée, car le village bédouin était encore loin. Le matin je voulus atteindre l'endroit qu'Arnaud appelle Kharibé, nom dans lequel Fresnel a cru voir le Caripeta de Pline. Par malheur le mot Kharibé n’est que l'épithète de tout lieu ruiné; le nom propre de l'endroit en question est, aujourd'hui comme autrefois, Strwdh. J'y serais arrivé de bonne heure, si je n'avais pas été rejoint par deux jeunes Arabes de Harib qui ne cessaient de me tourmenter en route. Deux fois ils avaient déjà fouillé mon sac de voyage et pris tout ce qu'ils voulaient, et malgré cela ils m'ont toujours suivi et observé strictement : ils espéraient peut-être qu'en cherchant mieux ils finiraient par trouver de l'argent. Après quatre heures passées en très-mauvaise compagnie, j'ai eu la consolation de me trouver devant le fort (housn) de Sirwàäh situé sur une hauteur à gauche et à quelques minutes seulement de la ruine. Mes malen- _contreux compagnons y entrèrent en même temps que moi, se firent donner du pain et voulurent m'entraïner à partir avec eux. Je ne bougeai pas, et ils prirent le parti de s’en aller seuls. La famille chez laquelle je m'étais installé me traita avec froi- deur, et comme c'était un vendredi et qu'il est notoire chez les Arabes que les israélites ne voyagent pas le samedi, j'ai demandé — 253 — la permission d'y rester le lendemain. Dans ce pays où la religion est tout, on aime mieux avoir affaire à un hétérodoxe dévot, qu'à un libre penseur ou seulement à un indifférent. Après m'être re- posé un peu, je descendis le monticule pour aller voir la ruine. C'était évidemment dans l'antiquité une place fort importante, mais elle a été détruite jusqu'à ses fondements. Il est curieux de remarquer que ce sont les monuments religieux qui ont mieux résisté à la destruction que les édifices civils le plus solidement bâtis, et, pour les temples enx-mêmes, ce sont presque toujours les stèles fragiles qui restent debout, tandis qu'on ne voit plus trace des murs. Sur notre ruine on aperçoit également deux rangées de stèles appartenant cert:inement à un grand temple, plusieurs renversées, mutilées et enfouies dans le sable; elles con- sistent pour la plupart en marbre de diverses nuances, et con- tiennent les plus longues inscriptions que j'aie vues dans le Yémen. Par suite d'un incident malheureux que je raconterai plus loin, jai dû me contenter d'en copier quelques-unes en partie seule- ment et d'en laisser d’autres sans en prendre copie du tout. L'emplacement de ces colonnades est désigné par les habitants sous le nom de Arsch Bilkis (le trône de Bilkis), la prétendue femme de Salomon. En y retournant le lendemain, j'ai trouvé nombre d'Arabes oc- cupés au lavage de l'or dont ils tirent quelquefois un bon profit. L'or se trouve en forme de grain dans le sable, tant dans le lit du torrent que dans la plaine riveraine. Force me fut de me cacher et de rester couché une partie de la journée aux pieds des stèles sans bouger, afin de n'être pas remarqué par les Arabes. Le sur- lendemain, ce fut bien pis, par suite de plusieurs caravanes qui vinrent y stationner, et qui, soit par curiosité, soit par malice, me retinrent dans leur milieu en me faisant des questions insidieuses. Un séid arrivé de Schibwa , homme très-mal disposé contre les juifs, qui s'était installé dans la maison où je logeais, a encore augmenté mes souffrances. Il m'assura que dans son pays, ainsi que dans le Hadramaout, tout israélite est impitoyablement tué, s'il est reconnu. J'ai pourtant trouvé le moyen de le faire parler de sa ville natale et du pays environnant. Ces renseignements obtenus de lui m'ont un peu dédommagé des vexations qu'il me faisait subir à chaque instant. Cependant il était devenu évident que je ne pourrais pas rester 254 — plus longtemps dans cet endroit où je ne rencontrais que du mé- pris et de la malveillance. Mes provisions de bouche étaient aussi épuisées par suite de la distribution que j'en avais faite à la fa- mille de mon hôte, de sorte qu'il fallait que je me décidasse à partir. Mais, avant de m'en aller, j'ai voulu copier l’autre moitié de l'inscription que le voyageur Arnaud a vue dans la maison de pâtre que je connaissais extérieurement. Comme j'avais un pres- sentiment de la scène désagréable qui allait arriver, j'ai eu l’heu- reuse inspiration d'assurer mes copies contre les accidents fächeux. J'ai caché mes papiers à quinze minutes de la ruine sous un mi- mosa que j'ai rendu méconnaissable par une grosse branche de tamaris placée dessus. Cette précaution prise, je me hasardai d’en- trer dans la maison où se trouvait l'inscription, étant muni d’un crayon et d’une petite bande de papier cachés dans la manche de ma chemise. La maison est bâtie en pierres grossièrement superposées et toute contigué à l'Arsch-Bilkis, dont les colonnades se voient de la cour. Les hommes étaient occupés à tisser des courtines de lame noire qui servent à couvrir des tentes, les femmes se tenaient debout devant une longue pierre placée au milieu de la cour et sur laquelle elles lavaient leur linge; tous avaient une mine anti- pathique, et semblaient désagréablement surpris de me voir. Je me suis efforcé de dissimuler mon émotion, et en jetant un coup d'œil sur la pierre, j'ai aussitôt remarqué que la face opposée à la porte contenait une inscription plus longue que celle qu'on voit en entrant et qu'Arnaud a transcrite en partie. Je me mis à l'œuvre, mais à peine eus-je le temps de copier la deuxième ligne (la pre- mière est trop endommagée pour être transcrite à la hâte et dans des circonstances pareilles) que je fus brutalement inter- rompu par de nouveaux venus qui connaissaient ma visite à Märeb. Ils commencèrent par débiter toutes les calomnies sans nom que les mercenaires de l’Indien renégat répandent partout contre les Européens. Ils m’accablèrent d’injures, qu’ils accompagnèrent de gestes affreux; je restai impassible devant leurs menaces, ce qui redoubla leur rage. Déjà le cri de sahir (sorcier) fut poussé par une quinzaine de gosiers; les femmes affolées de terreur hurlaient comme de vraies furies et les hommes armés, qui de fusils, qui de piquets de tentes, se ruèrent sur moi en proférant de gros ju- rons; c'en était fait de moi, si Je n'avais pas conservé assez de — 255 — presence d'esprit pour leur faire comprendre qu'étant citoyen de la ville sainte de Jérusalem, ma mort porterait infailliblement malheur à eux, à leurs enfants et à leurs troupeaux. Cette menace produisit un effet immédiat sur mes agresseurs. Ils se mirent à délibérer entre eux devant la porte de la maison. Je profitai de cette trêve subite pour transcrire six autres lignes de l'inscription, mais seulement en caractères hébreux cursifs afin de finir plus vite. Malheureusement, je fus fouillé quelques instants après, et les Arabes s'emparèrent de la copie avec l'intention de la présenter au qadi de Sanà chez lequel ils avaient décidé de me renvoyer pour qu'il prononcçat sur mon sort. N'ayant pas trouvé sur moi d'autres -papiers compromettants, ils finirent par s’apaiser peu à peu. Un d’entre eux, précisément celui qui m'avait tourmenté plus que les autres, éprouvant peut-être quelques remords, m'invita même chez lui à déjeuner. Le repas fini, on me remit à un Arabe de Habäb qui allait se rendre à Sanà, et on lui enjoignit de ne pas me relà- cher jusqu’à ce qu'il m'eût consigné auprès du scheykh. Lorsque les maisons de Sirwàah eurent disparu derrière moi, mon premier soin fut de me débarrasser du guide qu'on m'avait fait accepter malgré moi. Comme cet homme avait de pressantes affaires à terminer chez lui et que son village est écarté de la route, il ne tenait pas tant à me garder. Il accepta une petite somme que je lui offris et me laissa continuer seul mon chemin. Me voyant en liberté, je n'ai rien eu de plus pressant à faire que de retourner sur mes pas jusqu’à l'endroit où j'avais caché mes papiers, et les ayant retrouvés, je fis une marche forcée afin de m'éloigner autant que possible du théâtre du danger. Aucun village ne se fit aperce- voir sur la route; je craignis d’ailleurs d’avoir à essuyer d'autres désagréments, si je me faufilais dans quelque campement bé- douin; j'ai donc préféré passer la nuit dans un creux sur une colline. J'étais exténué de fatigue par suite des émotions de la journée; mon sommeil fut bien long; je ne me suis éveillé qu’à une heure bien avancée de-la matinée. Rien ne vint déranger ma marche jusqu'à Harib, village situé en vue du mont T'ayäl dont le sommet affecte la forme d’une gi- gantesque colonnade. Les événements prirent une tournure très- désagréable lorsque j'arrivai au pied de la montée dite Neqgil Schedjà ( LE }e$). Les caravanes venant de Mâreb, qui étaient res- tées le jour de la foire à Harib, faisaient leur sieste dans la vallée, — 256 — et parmi elles se trouvait aussi le moussellil de Märeb qui /m'ayant vite reconnu, commença ses insupportables vexations. Je fus con- traint de m'arrêter au milieu d'eux et de subir d'interminables interrogatoires. Pendant quatre heures, j'ai été affreusement tour- menté. Pourtant lorsque je suis arrivé à l'endroit le plus abrupt de la montée où les chameaux avaient grand’peine à marcher, J'ai hâté le pas et, dérobé par l'obscurité à la vue de mon persécuteur, j'atteignis un des hameaux du wadi Schéréfa habité par des israé- lites. | | Au lieu de prendre la grande route qui conduit par le wadi Sirr à Sanà, je m'acheminai dans la direction sud, afin d'éviter la ren- contre des caravanes. Après cinq heures d'une marche très-pénible, la contrée étant hérissée de montagnes, je fis mon entrée dans Tinäm, ville ancienne tres-déchue, autrefois fameuse par sa crande population de juifs guerriers. Aujourd’hui la communauté est peu nombreuse et elle est une des plus ignorantes du Yémen. À deux heures plus au sud, sur un monticule d’un accès difficile, s'étend la ruine de Sabal, que l'on croit avoir été jadis peuplée seu- lement d’israélites. Je n°y ai trouvé ni restes d'édifices de l'époque himyarite, ni trace d'inscriptions. Le territoire de Khaoulan, malgré son sol très-accidenté, est un des mieux cultivés de l'Arabie, et les villages se suivent à peu d'intervalle; le pays abonde en céréales et en fruits. Il paraît même y exister un hon nombre de ruines, mais les habitants se distinguent par un sauvage fanatisme nourri par la foule des sché- rifs qui peuplent plusieurs villages. C’est là que se rassemblent annuellement les caravanes de pèlerinage pour la Mecque. Aussi tout le long du chemin les passants n'ont-ils pas manqué de me faire des misères, de sorte que je me suis vu obligé de m'arrêter le soir à Där Sälem et de n’entrer à Sanà qu’au point du jour. Le champ de mon exploration archéologique s'arrête ici. Inutile de faire le récit des poignantes angoisses que j'ai éprouvées à Sand et à Menädkha jusqu'au moment où je me suis vu en possession de mes papiers, que jai échelonnés pour ainsi dire aux principales stations de mon parcours. Après une longue attente entrecoupée d'épisodes très-douloureux, j'ai eu la satisfaction de constater que la collection épigraphique obtenue au prix de tant de peines et de souffrances était fort considérable. J'ai seulement regretté et je regrette encore que les circonstances ne m'aient pas permis d'ex- — 257 — plorer les autres parties de l'Arabie méridionale, où l’on peut es- pérer faire une récolte épigraphique non moins riche et non moins variée. Je ne peux qu'exprimer le désir que d’autres voyageurs veuillent continuer, avec tout le sérieux que comporte cette tache ardue, l'œuvre d'investigation que j'ai entreprise avec mes faibles forces et des ressources insufBsantes. IT. CLASSEMENT DES INSCRIPTIONS. Les inscriptions ayant été recueillies dans un grand nombre de localités, il me semble nécessaire de les classer, afin d'éviter la confusion. On aura ainsi une idée nette et claire de ce qui est propre à chaque grande portion du territoire yéménite, et les futurs voyageurs auront toutes les facilités pour contrôler mes copies. Quelques-unes d’entre elles, surtout celles qui se trouvent sur des hauteurs, ou celles qui sont négligemment tracées, demandent assurément de notables corrections; l'incertitude ne disparaitra complétement qu’au moment où on en aura des estampages. Mais pour les six septièmes des inscriptions, je puis garantir la plus ri- goureuse exactitude , et je ne crains pas d'affirmer qu'il est tout à fait inutile d’en faire des estampages, opération inexécutable d’ailleurs, vu la nature des édifices et la longueur démesurée de plusieurs de ces textes. Voici le relevé général des inscriptions qui forment ma collec- tion. INSCRIPTIONS DE SAN ET DE SES ENVIRONS. Rte te D en die dater à) 2 12 A dit de se ne cg SEE Le 4 dns rugies gate 1 LL 107 INSCRIPTIONS DU BELED KHAOULÂN. NE à. AAA, SLT ANA Pt De LA DEAN SLA EL La 24 RP sut nie conte dou ERP RRELES € SE RARE 21 45 RL. 25 OR SO PER ET CP RN 29 AN INSCRIPTIONS DU BELED NEHM. a. Route de El-Médid à Dabouà................ b. Graffiti du PI MISE SE Era een e. DiFerda me. PE ae More CR De As LT INSCRIPTIONS DU BELED HAMDÂN ORIENTAL OÙ DJAOUF MOYEN. 4 WMedinetiel Haram. tm Me ORNE ER ROnR : b'HHIÉÉazn Maman, eee CERCLE CEE EEE Cu NRA. 0 UE PNR Ver MANS et ER Meet ne ne RSA ZA cac ue RAR ie: INSCRIPTIONS DU DJAOUF INFÉRIEUR. LME GRANT der e Me seine va EE À Er b. Kamnä:...... UNE PERS RE Let RTL ET cLElBeydin!. Hagens ee Ste HO At le Un IS SU MERS EE A 2e RE ere eBETAUSCh ee DNA ME Le Dans tee SEE INSCRIPTIONS DU BELED NEDJRÂN. MA UTA Lee e ee ee cecc C b:Mediret‘el:Khoudoude FPE EORCMMNEE SE c. El-Koubaybât............................. INSCRIPTIONS DU DJAOUF SUPÉRIEUR, a. Ez-Zähoistr es Les MUR ANLS A ap EMA MENT b. Re Le UN NS DR c. Eizmet Abou TOUT. te M eee. LS EI LE d. -Beyt Nina ee US MR A DR REC E e. Djâr el-Labbä...... RE HS ARE EE DROLE Re PS AE ee O0 ee TU INSCRIPTIONS DU WADI RAHABA. a. Hd DADIE ce PEL UT RAT DE SC OU ie 2er ce M te EN RE M CPE FANA Re CREER . ee « ee. 00 4, © « ee CR a" ral INSCRIPTIONS DU WADI ABIDA. nohommel-Dierädän.......:..4....4........ l A ne ne de Nas dde dar cut 3 an di on one e4 ce JU à 12 Hmmetière?. .......... A AT 7H 7 ie MT 10 PES ERNEST AE 9 39 On nn ce Diane de da 8 RÉCAPITULATION : Ant étERVIrONL) E PEMENMA NYC € 17 M hRhiouln!. sise. Rubi 45 BE can js CL. 25 CR mn ue D À UMR cle 56 PR RIdan ne AO SE ue cotes 129 Brouimiernieur ee, F0 2200, CIEL EX 311 Beled Nedjrân. ........ SINPMETE PS PAT ECE : 13 Pnpdluinériebrs . morts sse à Givi < 32 Damr Rahaba.. ...;..:..." SCA SEE 20 ER AL AL AP RS tue 35 LATE ES allons Dr dre Er range ds Pad 8 685 En somme, six cent quatre-vingt-cinq inscriptions sabéennes provenant d'au moins trente-sept localités différentes du Yémen oriental. De ces inscriptions, une quinzaine seulement ont été déjà co- piées par d’autres voyageurs; les six cent soixante et dix autres sont inédites. Ainsi donc le chiffre des textes himyarites de ma collection est bien six fois plus considérable que celui des documents, dans cette même langue, découverts par d’autres voyageurs; il forme plus du double des textes phéniciens et dépasse apparemment le nombre de toutes les inscriptions sémitiques connues jusqu'à ce jour. IL. INDICATION DÉTAILLÉE DES INSCRIPTIONS. Remarque 1. Dans la description détaillée qui suit, j'ai cru né- cessaire d'indiquer, sauf incertitude ou erreur : 1° La position géographique des lieux où les inscriptions ont été trouvées: 2° La nature de l'édifice qui porte l'inscription; 3° Si l'inscription est sur une stèle ou sur une pierre détachée; 4° Si la pierre est placée comme il faut ou si elle est renver- sée, de sorte que l'écriture apparaisse à l'envers ; 5° Si l'écriture se dirige, par exception, de gauche à droite, ou bien dans un sens boustrophédon, la direction régulière étant de droite à gauche; 6° Le nombre des lignes lisibles, et parfois aussi le nombre de celles qui paraissent manquer. ; Remarque 2. Les lettres douteuses sont surmontées d’un point. Le point a été de plus employé pour dénoter la place où se trouve une lettre ou un signe de séparation méconnaissables, et dans ce cas Jai mis autant de points qu'il me semblait y avoir de signes effacés. Toutefois ce procédé n’était pas toujours exécutable avec la même précision, à cause de l’état délabré des monuments, et il était souvent impossible de s'assurer si l'inscription était com- plète ou mutilée. I. — SAN ET SES ENVIRONS. a. Sanà. Capitale du Yémen. Cette ville, la plus belle et la plus propre de l'Arabie, est à moitié ruinée. Le quartier Bir Azeb (où étaient les maisons de plaisance et les jardins des ci-devant imàm) ainsi que le fameux qasr Ghoumdän ne contiennent presque plus d’ha- bitants. Je n’ai pas trouvé de constructions de l’époque anté-isla- mique. Quelques pierres portant des inscriptions se voient sur cer- tains édifices et sur les principales portes de la ville. 1. Deux lignes. Cette inscription, ainsi que les trois suivantes, est tracée sur des pierres enclavées ensemble dans le mur d'une maison si- tuée dans une étroite ruelle nommée Talha. Une couche de chaux qui couvre les pierres rend la transcription très-diffcile. Le OR € 2. Deux lignes. 3. Quatre lignes. A. Trois lignes lisibles : la quatrième est méconnaissable. 5. Une ligne sur le Bab Sabäh, porte orientale. 6. Une ligne près de la même porte. 7- Quatre lignes tronquées montrant, à droite, quelques lettres dispo- sées d'une façon singulière et bordées d'un trait de séparation. 8. Trois lignes, dont la dernière est illisible au commencement, sur une grande mosquée. | 9. Une ligne. 10. Deux lignes, sur une mosquée. 11. Quatre lignes très-frustes. Pierre transposée et renversée. 12. Deux lignes. Maison démolie en dehors de la porte de Scheoub. b. Soubeyrz. Village situé dans la plaine de Raoudà beled Harit; quelques vestiges de constructions antiques; dans la cour d’une mosquée oisent des débris de colonnes. 1. Six lettres. 2. Neuf lettres. 3. Une ligne mutilée. 4h. Huit lettres. c. Djiràs. Montagne blanche à quelques heures à l'est de Sanà, sur la route du wadi Sirr. 1. Une ligne tronquée. 15. — BELED KHAOULAN. a. Ghäymäan. Petite ville avec un château sis sur une colline, à cinq heures sud-est de Sanà. Territoire des Beni Bahloul (Khaoulan). Vestiges d'un antique mur d'enceinte. 1. Quatre lettres courant de gauche à droite. 2. Quatre lignes frustes sur une maison en dehors du château. 3. Sept lettres écrites de gauche à droite. Neuf lettres. . Une ligne; rue devant la porte. Une ligne. Une ligne. Quatre lettres. DA 0 =] — 262 — 9. Sept lettres. 10. Six lettres, sur une pierre renversée; elles sont précédées d'un monogramme. 11. Une ligne, avec monogramme, écrite de gauche à droite. 12. Deux lignes. 13. Deux lignes, sur une maison. 14. Cinq lettres. 15. Sept lettres. 16. Sept lettres courant de gauche à droite. 17. Sept lettres, sur une pierre transposée. 18. Deux lignes, sur une pierre transposée. 19. Deux lignes précédées d'un monogramme. 20. Six lettres. 21. Quatre lettres, sur une pierre transposée. 22. Cinq lettres. Pierre transposée et renverséé. 23. Une ligne, sur une mosquée. 24. Huit lettres. b. Sirwäh. Grande ruine dans le territoire des Beni Djebr (Khaoulän), à une journée à l’ouest de Märeb. On y signale un grand nombre de stèles, en partie debout et en partie renversées, portant de très- longues inscriptions. La colonnade principale est appelée par les Arabes Arsch Bilkis, le trône de Bilkis, la reine supposée de Saba, dont la légende fait la femme de Salomon. D’autres inscriptions se trouvent sur la muraille de la maison de pâtre qui touche les co- lonnades. Le château, assis sur un monticule, en face des ruines, contient aussi quelques pierres avec des inscriptions. 1. Deux lignes au-dessus de la porte du château susindiqué. C'est la que se trouvent également les deux inscriptions suivantes. 2. Quatre lignes, sur le mur occidental opposé à la porte. 3. Trois lignes, sur une pierre enchâssée dans la muraille d’une ché- tive étable basse, en dehors de la porte cochère. . Une ligne, . Deux lignes. . Neuf leitres. . Treize lignes. Stèle. LI Qt EE . Dix-sept lignes ; la dernière ne montre qu'un seul groupe de lettres lisibles. 9. Une ligne courant le long d'un mur de construction antique faisant face au sud, PT ET EP PT ER 263 — 10. Vingt et une lignes faisant partie d'une inscription d'une cin quantaine de lignes gravées sur une des stèles de l'Arsch Bilkis. 11. Une ligne. | 12. Cinq lettres. 13. Huit lettres. 14. Une ligne. 15. Six lettres. 16. Sept lettres. 17. Une ligne. 18. Une ligne. 19. Sept lettres. 20. Une ligne. 21. Vingt lignes, inégalement conservées, sur une stèle III. — BELED ARHAB. Schirà. Petite ville du territoire des Beni Arhab, à une demi-journée . est de Sanà. Des inscriptions très-frustes se trouvent en partie sur les constructions, dans l’intérieur de la ville, et en partie autour d’une grotte située sur la montagne d'en face. Les caractères sont négligemment taillés dans le roc, manquent de symétrie et con- tiennent une multitude de signes incompréhensibles. 1. Huit lignes, sur la pierre angulaire d'une maison voisine de la sy- nagogue. 2. Neuf lettres. 3. Deux lignes. A. Deux lignes. b. Huit lettres. 6. Huit lettres. 7. Une ligne. 8. Neuf lettres. 9. Quatre lettres. 10. Une ligne. 11. Deux lignes. 12. Cinq lignes. 13. Trois lignes mutilées. 14. Six courtes lignes, sur un rocher à gauche de la grotte. 19. Deux lignes. 16. Trois lignes. 17. Cinq lettres. 15. Six lettres. — 9264 — 19. Deux lignes tronquées. 20. Trois lignes, sur le rocher en face de la grotte. 21. Quatre lignes. 22. Cinq lignes. 23. Trois lignes, les deux premières assez longues; la troisième ne consiste qu'en trois caractères, sur le seuil de la grotte. 24. Une ligne, en bas de l'inscription précédente. 25. Deux lignes. IV. — BELED NEHM. a. Entre El-Médid et Dabouà. Les inscriptions suivantes figurent sur des pierres très-frustes qui se voient dans la masure des maisons ruinées, le long de la route qui conduit de El-Médid à Dabouà, territoire Nehm. EI-Mé- did est à une bonne journée à l’est de Sana. 1. Deux lignes. 2. Quatre lignes. 3. Une ligne. A. Deux lignes, sur une pierre {ransposée. 9. Sept lettres. 6. Quatre lettres. 7. Trois lignes. 8. Une ligne. 9. Quatre lettres. Pierre transposée. 10. Cinq lettres. 11. Cinq lettres. 12. Deux lignes. 13. Deux lignes. 14. Deux lignes précédées d'un monogramme. 19. Trois lignes sur une pierre transposée. 16. Six lettres. Pierre transposée. 17. Une ligne. Pierre transposée. 18. Une ligne. 19. Deux lignes. 20. Quatre lettres. 21. Trois lettres. 22. Deux lignes. 23. Trois lignes. 24. Deux lignes. 25. Deux lignes. — 265 — b. Djebel Scheyhan. Les rochers du Djebel Scheyhän, à moitié chemin entre El- Médid et Aoudiyan ou Melh, Nehm oriental, portent de nombreux graffiti mal conservés. L'accès en est très-difficile. Deux lignes. Une ligne. Trois lignes. Trois lignes. Trois lignes. Deux lignes. Deux lignes. Huit lettres. 9. Neuf lettres. 10. Cinq lettres. 11. Trois lignes. 12. Deux lignes. 13. Sept lettres courant de gauche à droite. 14. Cinq lettres. 15. Cinq lettres. 16. Cinq lettres. 17. Une ligne. 18. Huit lettres, sur la paroi de la montagne. 19. Cinq lettres. 20. Deux lignes. 21. Deux lignes. 22. Cinq lettres. 23. Neuf lettres. 24. Quatre lettres. 25. Deux lignes. 26. Trois lignes. 27. Sept lettres. 28. Trois lignes, près de la riviere. 29. Trois lignes. 30. Six lettres. œuonEwe = c. El-Ferda. Défilé étroit, à la descente du plateau qui forme la limite occi- dentale du Djaouf, environ trois heures à l’ouest de Medjzer. + Cinq lettres légèrement tracées sur un rocher. MISS. SCIENT. — VII, 16 — 266 — BELED HAMDÂN ORIENTAL. V. a. Medinet el-Haram. Ruine d'une ville rebatie plusieurs fois, s'étendant sur un monticule d'environ 250 mètres de longueur sur une largeur de 180 mètres. Rien ne reste debout, si ce n’est un fragment de stèle sans inscriptions et quelques pierres détachées ou entassées dans les constructions modernes. À cinq minutes en descendant la col- line se trouvent seize stèles, dont l’une brisée, formant deux ran- gées et aboutissant à une porte en pierre. Les stèles s'élèvent gé- néralement à 2”,60 au-dessus du sol; leur largeur est à peu près de 55 centimètres sur 25 d'épaisseur. La plupart d’entre elles portent une ou même deux inscriptions, dont la plus belle figure sur la première à gauche, en face de la ruine. Malheureusement les stèles servent ordinairement de point de mire aux francs-ti- reurs arabes, ce qui contribue à la mutilation de ces restes précieux de l'antiquité, et plusieurs gisent déjà ensevelies sous le sable. Les Arabes donnent à l'emplacement des colonnades le nom de El- Haram, tandis qu'ils désignent la ruine sur la colline par lappel- lation de El-Fer. 1. Inscriptions des stèles dites Binät Ad. Dix lignes complètes. Sept lignes complètes. 3. Sept lignes complètes. Cette inscription ressemble à la précédente, sauf le deuxième groupe de la quatrième ligne. k. Onze lignes gravées en petits caractères, en bas de l'inscription qui précède. > Treize lignes. . Seize lignes tracées en petits caractères au bas de l'inscription pré- nn Le # et le Y prennent quelquefois une direction tournée np. On voit également changer À et R- 7. Dix lignes intactes. 8. Dix-sept lignes complètes, 9. Dix-sept lignes. La première ligne est difhcile à lire. Il a fallu creuser la terre au pied de la stèle pour découvrir les cinq dernières lignes; la soudaine arrivée des Arabes a empèché de mettre à jour celles qui paraissent suivre encore. 10. Neuf lignes, [l manque une lettre au commencement de la der- nière ligne. — 267 — 11. Vingt-sept lignes. Plusieurs lettres sont détruites par les balles. 12. Dix lignes. Quelques lettres effacées. 13. Onze lignes mutilées des deux côtés. 14. Six lignes tronquées. 15. Onze lignes affreusement détruites. Cette inscription parait iden- tique avec le numéro 13. 16. Huit lignes, dont la plupart sont mutilées à la fin. 17. Cinq lignes. 18. Cinq lignes; en tout semblables aux précédentes. 19. Deux lignes. Fragment de stèle. 20. Deux lignes. Fragment de stèle. 21. Une ligne, tracée à côté de la porte, en caractères ornés. 22. Une ligne. La même inscription, gravée en lettres ordinaires, de l'autre côté de la porte. >. El-Fer. 23. Trois lignes. 24. Deux lignes. 29. Trois lignes. 26. Deux lignes. Pierre formant le seuil d'une boutique appartenant à un boutiquier juif. 27. Cinq lignes. Pierre détachée. 28. Cinq lignes. Pierre enclavée dans la mosquée. b. El-Hazm Hamdän. Ville importante, capilale du Beled Hamdän oriental ou Djaouf moyen, à quatre heures au nord-est de El-Ghayl et à une quart d'heure au nord de Medinet el-Haram ou El-Fer. Constructions en briques non cuites; tours nombreuses. Les inscriptions se trouvent sur des pierres enchâssées dans les édifices. 1. Trois lignes. Trois lettres, très-gros caractères. Cinq lignes tronquées vers la fin. . Quatre lignes fragmentaires. Cinq lignes : les deux premières sont intactes; les deux suivantes laissent à désirer vers la fin; tandis que la dernière est mutilée des deux bouts. 6. Une ligne. 7. Une ligne; il se peut qu elle fasse partie de l'inscription précédente. UE op — 268 — -c. Merâni. Petit hameau situé à une heure au sud-est de El-Hazm. Les en- virons offrent des vestiges d'anciennes maisons. Une ligne mutilée, fragment d'une inscription plus grande. Deux lignes tronquées et transposées. Trois lignes. Pierre transposée. Deux lignes fragmentaires. Trois lignes. Pierre cassée et transposée. Quatre lettres. Pierre transposée. Six lettres. Pierre transposée. . Deux lignes comptant huit lettres. Le signe & se répète trois fois. La lettre initiale de la deuxième ligne fait voir un petit anneau annexé à la base du trait vertical. © 1 DOE&UWE e. Mein. Ruine des plus importantes, probablement l’ancienne capitale des Minéens. Elle est assise sur une colline fortifiée d'environ 380 mètres de long sur 240 de large, et éloignée d’une heure et demie à l’est d'El-Hazm Hamdän. Une bonne partie des murs d’en- ceinte et des quelques tours qui se trouvent près des portes oppo- sées de l’est et de l’ouest sont couvertes d'inscriptions. Outre force pierres détachées, on trouve des textes épigraphiques sur des stèles, tantôt entières, tantôt brisées, que l’on voit aussi bien dans l'intérieur que hors de la ville. À vingt minutes du côté oriental, au milieu d'une plaine enfoncée, que les Arabes appellent El- Mihyar, se voit le reste d’une porte ancienne, plus grande que celle de El-Haram, suivie des deux côtés par de nombreuses stèles for- mant deux rangées parallèles. Quelques-unes sont pourvues d’ins- criptions plus ou moins bien conservées. Des débris de pierres soi- gneusement taillées et unies témoignent de l’ancienne splendeur de ce temple, dont les épigraphes nous révèlent la divinité à la- quelle il était consacré. Un petit temple, également pourvu de stèles, se trouve dans l'intérieur de l'enceinte, mais seulement la stèle qui fait face à l'entrée porte de l'écriture. 1. Trois lignes courant le long du mur oriental. 2. Cinq lignes, même mur. 3. Une ligne, plus au sud. 4. Quinze lignes, au milieu d'une stèle. =. si 5. Quatre lignes. 6. Trois lignes très-longues. 7. Deux lignes , au nord de la partie orientale. 8. Deux lignes. Pierre détachée. 9. Dix lignes. Fragment de stèle. 10. Quinze lignes. Stèle. 11. Deux lignes mutilées. 12. Quatre lettres. 13. Trois lignes courant le long du mur, près de la porte ouest. 14. Deux lignes tracées de gauche à droite sur une pierre trans- 15. Deux lignes boustrophédon. 16. Deux longues lignes écrites de gauche à droite. 17. Deux lignes. 18. Deux lignes. Pierre transposée. 19. Trois lignes fragmentaires, hors la ville. 20. Une ligne. 21. Une ligne. 22. Deux lignes. Reste de mur. 23. Deux lignes. 24. Cinq lignes. 29. Quatre lettres. Pierre transposée. 26. Une ligne. 27. Six lettres. 28. Sept lettres. 29. Deux lignes, près d'une fenêtre. 30. Une ligne. 31. Une ligne. 32. Une ligne. 33. Deux lignes. Pierre transposée. 34. Six lettres. 39. Quatre lignes. Pierre transposée. 36. Quatre lignes. 37. Trois lignes. Pierre renversée. 38. Trois lignes. Mur oriental. 39. Deux lignes. Pierre transposée. ko. Une ligne. 41. Sept lettres. Pierre cachée sous le sable. 42. Quatre lignes. 43. Deux lignes. kh. Une ligne. Pierre transposée. 45. Dix lignes, dont la dernière est effacée, sauf la lettre initiale. 46. Deux lignes. A7. — 270 — Douze lignes, dont la neuvième ne laisse reconnaitre que deux lettres. Stèle. A8. . Cinq lettres. . Deux lignes, en tout neuf lettres, précédées d'un monogramme. . Dix lignes, près de la porte sud. . Dix lignes. Mur. . Une ligne. . Quinze lignes. Stèle. . Deux lignes. . Huit lignes. Stèle. . Dix-huit lignes. Stèle. . Deux lignes. Pierre transposée. . Quatre lignes. . Deux lignes. . Trois lignes. ; . Deux lignes. Pierre transposée. . Deux lignes. Pierre transposée. . Une ligne. . Deux lignes. Pierre transposée. . Onze lignes. Stèle devant la porte sud. . Onze lignes. Même endroit. . Sept lettres. . Quatre lignes. Mur. . Deux lignes. 71. Onze lignes. Stèle. Trois lignes , en gros caractères, tracées au- -dessus de la por te du temple, à El-Mihyar. 72: Quatre groupes de lettres, gravés au bout des quatre rangées de pierres placées horizontalement en haut de la même porte. 73. Sept lignes figurant sur une stèle faisant face à l'entrée d'un petit temple, dans l'intérieur du mur d'enceinte. . Trois lignes. . Deux lignes. . Deux lignes. . Deux lignes. . Cinq lettres. . Huit lettres. . Sept lettres. VI. -— DJAOUF INFÉRIEUR. a. El-Ghayl. Seul établissement notable dans le Djaouf inférieur. Il n°y a CR aucune trace d'inscriptions, ni dans la ville, n1 aux alentours im- 1 . . . . LE] . ! médiats. Les deux inscriptions que j'y ai trouvées figurent sur des objets d'art en possession des israélites. 1. Une ligne tracée sur trois côtés d'un creuset de pierre. 2. Quatre lettres gravées sur un fragment de bracelet d'argent. b. Kamnà. Ruine située à une bonne heure de marche nord-est de El-Ghayl, Djaouf inférieur. Détruite de fond en comble et cachée par des mimosas. 1. Cinq lettres. Gros caractères. Cinq lettres. Trois lignes mutilées. Deux lignes complètes. Cinq lignes inégalement tronquées. La lettre initiale est 4 ou #. Une ligne fragmentaire. Deux lignes seules conservées. Deux lignes. | Une ligne mutilée des deux bouts. 0. Quatre lignes. Eu UE c. E1-Beydà. La ruine a cela de particulier, qu'au lieu d’être assise sur une colline comme toutes les autres, elle s'étend sur une plaine sa- blonneuse et unie. Une bonne partie du mur existe encore, prin- cipalement du côté est et sud-est. La citadelle est plus grande que celle de Mein, ayant un diamètre de 4oo à 5oo mètres. Elle est située à peu de distance du Khärid et à deux heures au nord de Kamnà, sur la route du Djaouf supérieur. 1. Six lignes. Pierre détachée. 3. Une ligne courant le long du mur. Gros caracteres. D'ici jusqu'au numéro 48, a l'exception seulement du numéro 35, ainsi qu'aux numé- ros DO, 53, 4, 62, 50, nons avons visiblement la répétition plus ou moins bien conservée d'une seule formule. 3. Une ligne. 4. Une ligne. 5. Une ligne. 6. Une ligne. 7: Une ligne. — 272 — 8. Une ligne. 9. Une ligne. 10. Huit lettres. 11. Une ligne. 12. Une ligne. 13. Huit lettres. 14. Une ligne. 15. Six lettres. 16. Quatre lettres. ‘17. Une ligne. 18. Neuf lettres. 19. Une ligne. 20. Une ligne. 21. Une ligne. 292. Quatre lettres. 23. Huit lettres. 24. Quatre lettres. 25. Une ligne. 26. Une ligne. 27. Une ligne. 28. Une ligne. 29. Huit lettres. 30. Une ligne. 31. Une ligne. 32. Huit lettres. 33. Huit lettres. 34. Une ligne. 35. Huit lettres. 36. Une ligne. 37. Six lettres. 38. Une ligne. 39. Une ligne. ho. Une ligne. ha. Une ligne. 2. Quatre lettres. 43. Une ligne. Ah. Neuf lettres. A5. Quatre lettres, dont la dernière est douteuse. A6. Une ligne tronquée vers la fin. La première lettre du second groupe est [] ou H; celle du troisième groupe est $ ou ff, h7. Une ligne. A8. Une ligne. 49. Quatre lignes; la première est seule complète. — JT — bo. Une ligne. 51. Sept lettres. Ce fragment, ainsi que le numéro suivant, semble être la répétition du numéro 49. 52. Une ligne. 53. Une ligne. 54. Une ligne. 55. Une ligne, plusieurs lettres oblitérées au milieu. 56. Huit lignes. Pierre renversée. 57. Une ligne. L'écriture court de gauche à droite, ce qui parait in- diquer qu'il manque au moins une ligne précédente. 58. Une ligne. 59. Sept lettres. 60. Une ligne. 61. Une ligne. Ces deux inscriptions, apparemment identiques, se complètent mutuellement. 62. Une ligne. 63. Deux lignes. Pierre détachée, en dehors de la citadelle. 64. Quatre lignes boustrophédon. Il manque au moins une ligne au commencement. Fragment de stèle. 65. Sept lignes Fragment de stèle. - 66. Trente lignes mutilées. Manque visible au commencement et à 67. Sept lignes. Fragment de stèle. 68. Dix lignes. Fragment de stèle dans la citadelle. 69. Sept lettres. 70. Sept lettres. 71. Treize lignes. Stèle hors de la citadelle. 72. Neuf lettres. 73. Quatre lettres. 74. Quatre lignes. d. Es-Soud. Ruine non moins étendue que El-Beydà, mais assise sur une - colline, à une heure au nord-est de cette ruine. On reconnaît faci- lement que c’est par le feu que fut anéantie cette ville splendide, qui devait former un grand centre d'industrie, surtout pour le tra- vail des métaux; car d'immenses tas de scories jonchent le sol calciné. Quelques faibles restes du mur d'enceinte et de rares fragments de stèles sont tout ce que le temps a épargné. Les ins- criptions, presque toutes fragmentaires, sont néanmoins assez nombreuses, et quelques-unes se trouvent hors de l'enceinte. 1. Dix lignes, le long du mur, à l'intérieur. — 9274 — 2. Cinq lignes dehors. 3. Huit lettres sur une pierre transposée et renversée. 4. Deux lignes. 9. Deux lignes. 6. Quatre lettres. 7. Sept lignes. 8. Une ligne. Pierre transposée et renversée. 9. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. 10. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. 11. Quatre lignes. 12. Sept lettres. 13. Trois lignes. 14. Une ligne. 15. Deux lignes sur une pierre transposée et renversée. 16. Huit lettres. 17e Une ligne. 18. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. 19. Neuf lignes. Fragment de stèle transposé et renverse. 20. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. 31. Sept lignes. 22. Quatre lignes sur une pierre transposée et renversée. 23. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. 24. Sept lettres. 25. Deux lignes. 26. Trois lettres. 27. Deux lignes dans l'intérieur. 28. Trois lignes. 29. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. 30. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. 31. Deux lignes. 32. Cinq lignes. 33. Cinq lignes. Monogramme en tête. 34. Quatre lignes. 35. Trois lignes. 36. Cinq lettres. 37. Six lignes. 38. Cinq lettres. 3g- Six lettres. ho. Six lettres. 41. Une ligne. Pierre transposée et renversée. 42. Deux lignes, Pierre transposée et renversée. 43. Trois lignes. h4. Deux lignes. — 275 — 45. Deux lignes. 46. Une ligne. L7. Deux lignes sur une pierre transposée et renversée. 48. Deux lignes. Lg. Quatre lignes. 50. Une ligne. 91. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. 52. Sept lignes. Pierre transposée et renversée. 53. Trois lignes. 54. Trois lignes. 55. Six lettres. 56. Deux lignes. Il manque plusieurs lettres au milieu de la première 57. Quatre lignes. 58. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. 59. Sept lignes, hors de la ville. 6o. Cinq lignes, hors de la ville. 61. Deux lignes. 62. Deux lignes. 63. Une ligne. Pierre transposée et renversée. 64. Deux lignes. 65. Deux lignes. 66. Neuf lignes. 67. Dix lignes. Fragment de stèle transposé et renversé. 68. Quatre lettres. 69. Quatre lettres. 70. Sept lettres. 71. Cinq lignes. e. Beràqisch. Ruine fort imposante, quoique de moindre étendue que Mein. Le mur d'enceinte est en grande partie conservé et porte de nom- breuses inscriptions. Des fragments de stèles se voient à profu- sion, aussi bien dans l’intérieur que hors de la ville. Les édifices publics ne forment qu'un tas de décombres. On sent pourtant que c'était une ville religieuse par excellence, car les vestiges de temples, reconnaissables par les débris des portes et par la disposition des stèles, abondent de tous les côtés. Cette ruine est à une demi- Journée de marche à l’ouest de El-Ghayl et à deux heures de Medjzer. 1. Une ligne courant le long du mur. — 276 — 2. Trois lignes. 3. Deux lignes. 4. Deux lignes. 5. Deux lignes. 6. Deux lignes sur une pierre renversée et transposée. 7. Deux lignes. 8. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. 9. Quatre lignes boustrophédon. 10. Cinq lettres. 11. Cinq lettres. 12. Deux lignes. 13. Deux lignes. 14. Deux lignes. 15. Deux lignes. 16. Quatre lignes. 17. Quatre lignes. 18. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. 19. Deux lignes. 20. Deux lignes. 21. Deux lignes. 22. Deux lignes. 23. Quatre lignes. Pierre transposée et renversée. 24. Quatre lignes. 25. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. 26. Trois lignes. 27. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. 28. Quatre lignes. 29. Trois lignes. 30. Quatre lignes. 31. Une ligne. 32. Deux lignes. 33. Trois lignes. 934 Quatre lignes. 39. Une ligne. à 36. Quatre lignes. Pierre transposée et renversée. 37. Une ligne. 38. Six lettres. 39. Quatre lignes. ho. Une ligne. A1. Huit lettres. 42. Trois lignes immenses courant le long d'un mur. 43. Quatre lignes. 44. Trois lignes, — 277 — 45. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. 46. Trois lignes. 47. Une ligne. 48. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. 49. Deux lignes. 50. Deux lignes sur une pierre transposée et renversée. 51. Huit lignes inégales. 52. Une ligne. 53. Trois lignes. 54. Trois lignes. 55. Dix-sept lignes inégales précédées d'un monogramme. 56. Deux lignes. Peut-être font-elles partie de la précédente ins- cription. 97. Quatre lignes avec un monogramme en tête. Pierre transposée et renversée. 58. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. 99. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. 60. Deux lignes. 61. Quatorze lignes sur une stèle, 62. Huit lignes très-longues. 63. Quatre lettres avec un monogramme. 64. Deux lignes. 65. Deux lignes. 66. Sept lettres. 67. Trois lignes. 68. Deux lignes. 6g. Cinq lettres. 70. Deux lignes. 71. Deux lignes. 72. Deux lignes. 75. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. 74. Deux lignes. 79. Neuf lettres. 76. Deux lignes. 77. Deux lignes. 78. Deux lignes sur une pierre transposée et renversée. 79. Deux lignes. 80. Sept lettres. 81. Quatre longues lignes sur le mur. 82. Trois lignes fragmentaires. 83. Trois lignes. 84. Trois lignes. 85. Deux lignes. Pierre transposée el renversée — 278 — Une ligne très-longue. Huit lignes. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. Quatre lignes. Pierre transposée et renversée. Quatre lignes tronquées. Sept lettres. Neuf lettres. Quatre lignes. Trois lignes. Cinq lettres. Quatre lettres précédées d'un signe. 97. Vingt-deux lignes sur une stèle, 98. 99: Trois lignes. Une ligne mutilée. Trois lignes sur une pierre transposée et renversée. Trois lignes. Trois lignes. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. Deux lignes. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. . Deux lignes. Quaire lignes. Deux lignes. Trois lignes sur une pierre transposée et renversée. Trois lignes. Neuf lignes. Quatre lignes extrêmement longues autour du mur d'enceinte. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. Une ligne. Deux lignes. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. Deux lignes. . Trois lignes. Deux lignes. Neuf lettres. Trois lettres. Pierre transposée el renversée. Six lettres. Pierre transposée et renversée. Trois lignes. Deux lignes. Sept lettres. Quatre lettres. Deux lignes. Pierre transposée el renversée. … — 279 — 120. Trois lignes. Pierre transposée el renversée. Trois lignes. 130. TO. 132. Lo. #4: +30: 130. 137. 138. 139. 1/0. 41. 142. 143. 144. 145. 146. 147. 148. 149 150. DIF. È 192. Une ligne. Trois lignes. Deux lignes. Pierre transposée et renversée. Neuf lettres. Cinq lettres. Cinq lettres. Trois lignes. Trois lignes. Trois lignes. Trois lignes. Trois lignes. Une ligne. Une ligne. Huit lettres Deux lignes sur une pierre transposée et renversée. Quatre lettres. Pierre transposée et renversée. Trois lignes. Pierre transposée et renversée. Trois lign es . Pierre transposée et renversée. Cinq lettres. Trois lignes . Pierre transposée et renversée, Deux lignes. Une ligne. 193. Quatre lignes. 194. Une ligne effacée au milieu. VIT, — BELED NEDJRÂN. Vallée délicieuse s'étendant de l'est à l’ouest, entre deux chaînes de montagnes, et située à trois journées de marche au nord-est de Sada. a. El- Hadrà (à l'entrée du wadi, du côté de l’est). 1. Quaire lettres gravées sur un rocher. b. Medinet-el-Khoudoud. Grande ruine représentant la Nagara metropolis de Ptolémée, située à une heure à l’ouest de Ridjla, du côté méridional du tor- rent. La partie sud et ouest du mur d'enceinte est moins détruite que les autres. Ce mur est construit avec du granit très-dur et manque d'élégance. 1. Quatre lettres. — 90 — 2. Ginq lettres. 3. Trois lettres. 4. Cinq lettres avec une bordure autour. 5. Quatre lettres. 6. Six lettres. . Quatre lettres identiques au numéro 5 et séparées en deux groupes, Ps alle représente un lion terrassant un taureau; au-dessus, un ser- pent sinueux. 8. Une ligne. 9. Une ligne. La pierre a une fissure au milieu. 10. Une ligne visiblement tronquée à la fin. . Deux Lane entourées d’une bordure. c. El-Koubaybät. Une ligne tracée en gros caractères sur une pierre couchée hori- zontalement, longue d'environ 2 mètres sur 30 centimètres de largeur et presque autant d'épaisseur. Cette pierre isolée git sur la rive droite du wadi, entre Qiryat-el-Qäbil et Tahdà, non loin d'un groupe de mai- sons qui ont pour nom Æl-Koubaybät. VIII. — DJAOUF SUPÉRIEUR. Pays situé à une journée et demie au nord de El-Ghayl. Beau- coup d'établissements sédentaires habités par la puissante tribu Dou-Housseyn. Nombreuses ruines complétement détruites. Monu- ments gravés assez rares. La plus grande partie des inscriptions se trouve sur la route du Djaouf inférieur et dans le voisinage du mont Silyam. a. Ez-Zàähir. Six lettres. Pierre enclavée dans la muraille d'une maison habitée par un israélite. b. Eswed-el-Wazei. Ruine éloignée d’une heure de marche au sud-est de Ez-Zähir. Sept lettres. 2. Sept lettres. 3. Six lettres. c. Hizmet Abou Taour. Ruine peu étendue, à trois heures et demie au sud-est de la ruine précédente, tout près du Khärid. Sept lignes tracées sur la muraille d’un château en ruine. A. Un d. Beyt Nimran. . Petite ruine dans le voisinage de la précédente. 1. Quatre lettres. e. Djàr el-Labbà. Assemblage confus de maisons de campagne détruites de fond en comble, à une heure à l’ouest de El-Beyäd. 1. Huit lignes gravées sur la face nord d'une stèle brisée qui surgit du milieu de la plaine. 2. Dix lignes. Mème stèle; face sud. 3. Onze lignes; face étroite tournée vers l'orient. 4. Cinq lignes tracées sur la face large d'un fragment de stèle ren- versée, à une vingtaine de pas de la première. 5. Dix lignes. Face large opposée. 6. Dix lignes. Face étroite. 7. Sept lignes. Face étroite opposée. 8. Quatre lettres. Pierre cassée. 9. Trois lettres, percées à jour, sur une marque en bronze découverte en fouillant le sable. f- Silyäm. Montagne détachée formant le rempart du Djebel Yäm, qui limite le Djaouf du côté de l’ouest. Les inscriptions, négligem- ment tracées et très-endommagées, figurent tantôt sur des pierres renversées, tantôt sur des restes d’édifices dont la forme originelle est devenue méconnaissable. 1. Quatre lignes. Trois lignes. Cinq lettres. Deux lignes. Cinq lettres. Quatre lettres. . Deux lignes. Une ligne. 9. Trente-six lignes mutilées courant du haut en bas d'une muraille. y a peut-être plusieurs inscriptions différentes. 10. Cinq lettres. 11. Trois lettres. 12. Trois lettres. 13. Trois lettres. D . œupuEe J — MISS. SCIENT. — VII. 19 ee . Quatre lettres. . Cinq lettres. L Six lettres. . Trois lettres. IX. -— WADI RAHABA. a. Ed-Däbir. Lieu désert, près de monticules, à moitié chemin entre El-Hazm- Hamdän et Raghwän. On y voit des débris de colonnes en marbre blanc enfouis dans le sable et portant des inscriptions. On aperçoit aussi les fondements qui appartenaient probablement à un temple isolé, car je n'ai pu découvrir les vesliges d'aucun autre édifice. (ie Deux lignes. 2. Sept lettres. Sn l Trois lignes. Trois lignes. b. Es-Seoùd. Ville en ruines sise sur un monticule, à une heure de marche à l’est de Raghwän et à une journée au nord-est de Märeb. Les murs d'enceinte, presque tous conservés, sont couverts de sable. L'intérieur ne présente que des décombres et des débris. On y trouve pourtant quelques stèles qui portent des inscriptions. 1. Sept lignes sur une stèle. L'écriture est dirigée dans le sens bou- strophédon. NE . Quatre lignes, même direction. Fragment de stèle. . Dix lignes. Fragment de stèle. Dix lignes. Fragment de stèle, du côté sud. . Sept lignes. Fragment de stèle, du côté ouest. . Deux lignes. . Une ligne se dirigeant gauche à à droite. Une ligne. Même direction. Huit lettres. 10. Neuf lettres sur une pierre transposée et renversée. 11. Une ligne. cl Fatia. Château délabré situé près du wadi qui aboutit à 1 plaine aride où les Arabes exploitent une riche mine de sel gemme, le seul produit de ce pays désert. Autour du château on voit les tentes noires des Beni-Scheddàd, qui s'occupent principalement — 2835 — du transport du sel. J'ai trouvé quelques inscriptions sur des pierres enchàässées dans la paroi du château, comme aussi sur quelques pierres renversées dans les environs. El-Fatia est à peu près à quatre heures de marche au nord-est de El-Eizma et à six heures à l’est de Màreb. 1. Trois lignes. 2. Huit lettres. 3. Huit lettres sur une pierre transposée et renversée. 4. Une ligne. Pierre détachée. 5. Trois lignes. X. — WADI ABÏDA. a. Housn-el-Djeràdàn. Château inhabité, assis sur une colline, autour de laquelle s'étend la ruine d’une ancienne ville. Quelques fragments de stèles témoignent de l'existence d'un temple. Le château lui-même pa- raît être un édifice antique, au moins la partie inférieure. Cette ruine se trouve à moitié chemin entre El-Fatia et El-Hizma. 1. Six lettres. 2. Deux lignes. Fragmeni de stèle. 3. Sept lettres sur une pierre détachée. h. Une ligne sur le seuil de la porte du château. Trois autres lignes suivent encore, mais je n'ai pu les copier. b. El-Hizma. Petite ville située à trois heures de marche à l'est de Märeb. Elle paraît avoir une origine toute récente, mais les environs montrent des vestiges de constructions anciennes. à. Cinq lignes. 2. Neuf lettres. 3. Trois lignes. c. Märeb, Ancienne capitale du royaume sabéen, actuellement détruite de fond en comble, à l'exception de la partie sise sur la colline qui forme la ville moderne de Mâreb, entourée d’un mur en pierres assez solide. La ruine qui s'étend le long du wadi Schibwân ou Dana, autour de la colline, peut mesurer environ 500 mètres de diamètre. Au milieu des décombres surgissent de nombreuses 19. D, lee colonnes en marbre, dont la plupart sont décapitées. Elles pré- sentent plusieurs faces; la forme octogonale domine, mais la forme cylindrique est des plus rares. Sous le rapport de l’épigraphie, Märeb est loin de répondre à l'attente de l’investigateur : mes re- cherches ajoutent peu de textes à ceux qu'on connaît déjà. I faut cependant constater que les circonstances ne m'ont pas permis de faire une exploration complète du terrain; je n'ai pas même pu copier les stèles que j'avais entrevues au marché. Un futur voya- geur pourra avoir meilleure chance. 1. Deux lignes. 2. Une ligne. 3. Treize lignes tracées de gauche a droite sur une stèle. h. Deux lignes iracées de gauche à droite sur une stèle. 5. Huit lettres se dirigeant de gauche à droite. Six lettres. Se . 7. Deux lignes lisibles au seuil d'une maison; la troisième ligne est effacée. 8. Une ligne sur une maison en face de la précédente. 9. Six lettres ; même endroit. 10. Sept lettres sur le mur d'enceinte, à droite de la porte -occiden- tale. 11. Quatre lignes. 12. Quatre lignes. d. Cimetière de Màreb. Le cimetière s'étend des deux côtés de la route qui conduit à la digue. Le sol paraît pétri d’ossements broyés, et les pierres sépul- crales affectent une disposition qu’on ne voit pas ailleurs. On voit aussi un bon nombre de maisons isolées tombées en ruine. 1. Huit lettres. Deux lignes. Une ligne. Six lettres. Trois lignes. Deux lignes. Une ligne. SRE XE I e. Digue de Märeb. Cette digue est située à trois heures de marche à l’ouest de Mà- reb, à l'entrée de la vallée étroite enfermée entre les monts Balaq et formant le lit du wadi Schibwän ou Dana. La partie conservée 2. Me dans la plaine fait voir les restes du môle avec plusieurs écluses. Du côté opposé, c'est-à-dire vers le sud-ouest, on signale un grand édifice en pierre de taille d’une admirable construction, adossé à la colline et s'appuyant sur un roc gigantesque. La recherche des inscriptions a été faite d’une manière fort incomplète, à cause de quelques Arabes qui, s'étant attachés à mes traces, ne m'ont pas laissé le temps nécessaire pour remplir cette tâche aussi bien que Je l'aurais désiré. 1. Une ligne. Neuf lettres. Une ligne. Deux lignes tracées de gauche à droite. Deux lignes tracées de gauche à droite. Huit lettres. Huit lettres. Une ligne. Deux lignes de gauche à droite, inégalement conservées. Le] FRA VS ù o @- oo IX, —— INSCRIPTIONS DE PROVENANCE INCERTAINE COPIÉES À ADEN. 1. Une ligne. 2. Deux lignes. 3. Huit lignes, sur une tablette de bronze. 4. Neuf lignes, sur une tablette de bronze. Au bas on voit un grouf.e de petits caractères peu lisibles. 5. Quatorze lignes. Cette inscription, ainsi que les deux suivantes, est concue dans un alphabet différent des autres textes sabéens. 6. Six lignes. 7. Quatre lignes. 8. Six lignes, en caractères ornés, sur une plaque de marbre qui me paraît provenir de Kaoukebän. 3 Veuillez agréer, Monsieur le Ministre, l'assurance de la haute Es considération avec laquelle j'ai l'honneur d’être, de Votre Excel- lence, le très-humble et obéissant serviteur, Joseph HaLEvy. Paris, le 19 octobre 1871. Le Secrétaire perpétuel de l'Académie des inscriptions et belles- = ES — lettres certifie que ce qui suit est extrait du registre des délibe- rations de l’Académie, séance du vendredi 13 octobre 1871 : M. Renan a la parole, en qualité de rapporteur de la commission chargée par l'Académie, sur la demande de M. le Ministre de linstruc- tion publique, d'examiner le rapport de M. Halévy, relatif à la mission scientifique qui lui avait été confiée en 1869, d'après la recommanda- tion de la compagnie, à l'effet d'explorer | Yémen et d'y rechercher les inscriptions dites himyaritiques, aussi importantes qu'imparfaitement connues jusqu ici. « La Commission, dit M. Renan, est tombée d'accord, à l'unanimité, sur la haute valeur des recherches exécutées par le courageux voyageur. Avec des ressources très-limitées, M. Halévy a réussi à pénétrer dans des pays que jamais Européen n'avait visités depuis le consul Ælius Gallus , au temps d'Auguste, lors de son expédition, aussi funeste pour lui que stérile pour la science. La force d'âme avec laquelle notre mo- deste missionnaire a supporté les fatigues et les périls de son entreprise, ainsi que les privations inévitables au milieu de populations pauvres, rapaces et soupçonneuses, est au-dessus de tout éloge. Avec une patience des plus rares, il est parvenu à réunir environ six cent quatre-vingts textes épigraphiques, tous inconnus jusqu'ici. Plusieurs de ces textes sont de peu d’étendue ou à peine lisibles; mais la plupart ont un déve- loppement plus où moins considérable. Les plus modernes ne peuvent guère descendre au-dessous du 1° siècle de notre ère, et tous, par un côté ou par un autre, sont d'un sérieux intérèt pour la philologie sémi- tique et pour l'histoire ancienne de l'Arabie. Les circonstances ont rendu impossible à M. Halévy de rapporter des empreintes des monuments qu'il a découverts : du moins s'est-il appliqué à en prendre des copies exactement figurées. Ici, du reste, la nature presque monumentale du caractère himyarite rendait le manque d’estampages moins regrettable que sil se füt agi d'un système d'écriture tant soit peu cursive. En exa- minant les résultats du travail si considérable ét si minutieux à la fois que nous avons eu sous les yeux, en tenant compte des énormes diffi- cultés qua eues à surmonter le voyageur pour mener à fin son entre- prise, nous nous sommes dit plus d'une fois qu'un Israélite oriental réunissant toutes les qualités propres à sa race, la persévérance, la so- briété et d'autres encore, indépendamment de l'étendue et de la solidité de son instruction, y pouvait seul réussir. « La Commission estime donc que M. Halévy, non-seulement a bien rempli le programme qui lui avait été tracé, mais qu'il a dépassé les meilleures espérances que nous pussions concevoir. C'est avec une pleine confiance que nous réclamons pour lui le complément de l'indemnité originairement affectée à sa mission, c'est-à-dire une somme de 22: AA 3,000 francs, égale à celle qui lui avait été allouée, à son départ, sur les fonds de l'Académie et dont le Ministère lui a tenu compte dans Île règlement du budget de 1869. «En terminant son rapport, la Commission exprime le vœu que les minutes ou copies authentiques des inscriplions himyarites dues à M. Halévy soient déposées au secrétariat de l'Institut, pour servir à la rédaction du Corpus inscriptionum semiticarum , et réunies aux autres do- cuments que la commission permanente de l'Académie des inscriptions et belles-lettres rassemble successivement dans l'intérêt de ce recueil, qui pourra faire tant d'honneur à l'érudition française. » L'Académie, après avoir entendu ce rapport, en adopte les conclu- sions. Il sera transmis à M. le Ministre de l'instruction publique par le Secrétaire perpétuel, avec prière de le faire insérer dans les Archives des Missions , à la suite de celui de M. Halévy qui en est la matière. Ont signé à la minute : MM. MouL, De LONGPÉRIER , RENAN, DE SLANE, membres de la Commission, et GUIGNIAUT, secré- taire perpétuel. Pour copie conforme : Le Secrétaire perpétuel de l’Académie des inscriptions et belles-lettres , M. GuicniaurT: P.5S. Le lendemain mème de la lecture de ce rapport, le Secrétaire perpétuel a été informé que M. Halévy avait déjà reçu au Ministère le montant de la seconde moitié de l'indemnité à lui allouée pour la mis- sion dont il est question ci-dessus. M. le Ministre avait rempli d'avance le vœu exprimé par l'Académie. CONGRÈS INTERNATIONAL D’'ARCHÉOLOGIE ET D’ANTHROPOLOGIE PRÉHISTORIQUES TENU À BOLOGNE (ITALIE) DU 1* AU 8 OCTOBRE 1871, SOUS LE PROTECTORAT DE S. A. R. LE PRINCE HUMBERT ET SOUS LA PRÉSIDENCE DE M. LE SÉNATEUR COMTE GOZZADINI. Secrétaire general, M. le professeur CAPELLINI. Secrétaires : MM. Cazazis DE FonpoucEe, CARTHAILHAC, Garriçou ET DEMARSY. Compiègne, le 12 novembre 1871. Monsieur le Ministre, En attendant la publication, qui ne sera pas faite avant un an au moins, du compte rendu du congrès d'archéologie et d’anthro- pologie préhistoriques de Bologne, je crois utile de vous adresser, pour la Commission de topographie de la Gaule ou les archives du musée de Saint-Germain, un résumé des discussions scientifiques qui ont eu lieu au sein de cette assemblée, les fonctions de secré- taire auxquelles j'ai été élu m'ayant permis de réunir des notes complètes. Je passe tout ce qui est relatif aux discours officiels ou de simple forme, et ce qui concerne les excursions faites pour vi- siter les fouilles de Marzabotto, de Montale et de la Certosa, des brochures accompagnées de planches ayant rempli beaucoup plus complétement que je ne pourrais le faire le but que je désire at- tendre. , — 290 — De même, pour l'exposition italienne d'archéologie prébisto- rique qui a été réunie à Bologne à l’occasion du congrès, un des savants dont le nom fait le plus autorité dans la science, M. de ‘Mortillet, a pu en donner à la Commission un aperçu complet, et je me bornerai à joindre à ce rapport un certain nombre de brochures rédigées par quelques-uns des exposants et faisant res- sortir l’importance de leurs découvertes. Je vous prie, Monsieur le Ministre, de vouloir bien accepter ces brochures pour la bibliothèque du musée de Saint-Germain. En terminant, je me permettrai d'appeler l'attention de la Commission sur un travail rédigé avec soin et qu'il serait très- important de pouvoir faire pour la France sur le même plan. C’est la Bibliografia paleoetnologica italiana dal 1850 a 1871 de M. Luigi Pigorini, à laquelle j'ai cru devoir ajouter en note quel- ques ouvrages publiés depuis l'impression de cette brochure. Je suis, avec le plus profond respect, Monsieur le Ministre, votre très-humble et obéissant serviteur, À. Demarsy, Chargé d’une mission scientifique du Ministère de l'instruction publique en litalie, correspondant de la Commission de topographie de la Gaule. DIMANCHE 1% OCTOBRE 1871. (Séance de jour.) Discours d'ouverture de M. le comte Gozzadini. Discours de M. le préfet de la province de Bologne. Discours de M. le conseiller d'Etat Worsaae, de Copenhague. DIMANCHE !* OCTOBRE 1871. (Séance du soir.) Constitution du bureau. Election des vice-présidents, secrétaires, secrétaires adjoints, etc. ER LUNDI 2 OCTOBRE 1871. (Séance de jour.) PRÉSIDENCE DE M. DESOR, DE NEUFCHÂTEL. M. le chevalier Nicolucci, de Naples, lit un mémoire sur les découvertes préhistoriques dans les provinces napolitaines. Le nombre d'objets recueillis est considérable, et, pour la diversité, les objets rencontrés ne laissent rien à envier aux découvertes faites dans les autres contrées du royaume. Les objets de jaspe figurent d’abord; puis, dans la vallée de la Vibrata, on a recueilli une flèche en obsidienne vert-bouteille; mais elle doit provenir d’Au- triche ou de Ténériffe. Les blocs erratiques de granit, fréquents dans les Apennins, ont été mis en œuvre. Les matériaux fournis par les Calabres sont la serpentine, le porphyre, la diorite et lionite. Les armes paraissent provenir surtout des Calabres. Parmi les instruments polis, il en existe en une pierre verdàtre qui ne provient ni de la Calabre ni des Apennins et qui a dü être apportée de l'Asie centrale. À Cataglieri, dans des terrains d’alluvions, on a rencontré des haches et des outils travaillés à grand éclat. À Sora, à 1,60 de profondeur, j'ai rencontré un grand nombre d'objets à grand éclat, et j'ai cru pouvoir fixer dans ce lieu un atelier. On a recueilli aussi des dents, des os de cerf et même quelques débris du Cervus giganteus. Les représentants de l’âge du renne n'ont pas par exemple encore été trouvés en Italie. Dans une grotte, près de Casimo, on a rencontré des outils, des dents de rhinocéros, des défenses d’éléphant et des bois de cerf. La plus grande partie ont été recueillis avec des débris in- formes qui décèlent l'existence d'ateliers. Ailleurs, des charbons et des débris d'ossements ont montré évidemment que l’on était sur le sol d’une cabane. Enfin quelques découvertes ont été effectuées dans des cavernes et des grottes qui auraient pu servir à l’habitation de l'homme. On na pas encore exploré les cavernes des provinces napolitaines. Répondant à une question de M. Vogt, M. Nicolucci dit que, sur — 292 — les ossements d'éléphant et de rhinocéros, on n’a pas reconnu les vestiges du travail de l'homme. M. le commandeur Ponzi, de Rome, trace le tableau de lhis- toire de l’homme préhistorique mis en regard de la géologie dans l'Italie centrale, et principalement dans le bassin de Rome. La première apparition de l’homme correspond au dépôt des trans- ports des alluvions, c’est-à-dire à la première époque quaternaire. Les volcans ont empêché la formation des glaciers; l’homme a alors habité les montagnes, dans les cavernes. Plus tard apparaît notre race d'hommes, et enfin arrive la grande civilisation du bronze, après laquelle il est facile de suivre la chronologie hu- mainé jusqu à l'époque des Romains. M. Dupont, conservateur du musée d'histoire naturelle de Bruxelles, signale pour la faune quaternaire en Belgique les trois aspects suivants offerts par les terrains quaternaires : 1° Les alluvions fluviatiles dans les vallées, surmontées souvent de dépôts de cailloux anguleux; 2° Les formations tourbeuses; 3° Les alluvions aqueuses. M. de Mortillet résume un travail de M. Roujou sur ies terrains quaternaires de la Seine. M. Roujou, n'admettant pas la division de M. Belgrand en trois couches : diluvium des plateaux, graviers et limons des hauts niveaux, alluvions des bas niveaux, propose la division suivante en cinq dépôts : 1° Dépôts des blocs; première action glaciaire, polissage et stries qui marquent les glaciers reconnus sur les blocs de Fontai- nebleau ; 2° Graviers et limons des hauts plateaux, dépôts fluviatiles, matériaux qui ne viennent pas de très-loin et ne renferment pas de roches primitives ; dépôt interglaciaire, Élephas meridionalis et an- tiquus; pas de rhinocéros (dépôt de Montreuil); 3° Dépôt de roches anguleuses cimentées par un ciment rouge sur lalluvion fluviatile; deuxième action glaciaire, pas du tout de coquilles ; 4° Dépôt des fonds des vallées, mammouth, renne, Ursus, chat des cavernes, coquilles abondantes; _— 4 7 5° Enfin pseudo-diluvium, dépôt d'eaux tranquilles, argile sa- bleuse; plus de faune antique, mais la faune actuelle; plus de mammouth. M. Roujou admet l'homme miocène, mais il ne l'a trouvé qu'au quatrième dépôt avec des objets analogues à ceux de Saint-Acheul, à ceux d'Angleterre et à ceux rencontrés par M. Scarabelli. M. Garrigou dit qu'aux Pyrénées il a trouvé des faits qui con- cordent avec les opinions de M. Roujou dans les fouilles faites par lui et M. Magnan; c'est d'abord un dépôt miocène et un autre dé- pèt plus ancien à la base même du miocène. M. Gastaldi a signalé en 1867 à la Société géologique l'existence de dépôts analogues en Italie. M. Garrigou dit que, pour les deux époques glaciaires signalées par M. Roujou, il faudrait s'entendre. Pour certains géo- logues, les glaciers auraient remonté à une certaine époque, puis seraient redescendus. M. Garrigou a abandonné cette idée. La di- vision des alluvions de M. Roujou ne sé retrouve pas aux Pvyré- nées, mais elle existe au loin dans la plaine. M. Vogt, de Genève, signale le danger qu'il y à à vouloir trop chercher des analogies complètes entre les terrains des diverses vallées. Il ne voit pas pourquoi, si on peut distinguer cinq terrains dans le bassin de la Seine, on doit les rechercher partout. Il ajoute qu'il y a dans toute formation trois éléments à distinguer : 1° Les glaciers et leurs phénomènes près des montagnes; 2° Les eaux dans les vallées; 3° Enfin, ailleurs, l’action volcanique. Ces trois élémeuts ont agi d’une manière différente en même temps et produit des résultats différents. M. Vogt ne voit pas non plus la différence entre le terrain mio- cène et le quaternaire. On n'en voit pas la séparation. Ils sont le plus souvent enveloppés lun dans l’autre sans qu'on puisse les démèéler. Le point de vue le plus important est celui de l'appari- tion de l’homme dans une localité, et cette apparition est très-va- riable; l’homme est arrivé plus ou moins vite dans les terrains au-dessus de la Méditerranée. M. Vogt, en dernier lieu, signale encore le danger qu’il y a à chercher quand même un parallélisme qui bien souvent n'existe pas. — 294 — M. issel, de Gênes, dit que l'existence des glaciers miocènes admise, par M. Roujou est fort importante, mais ne lui paraît pas démontrée. La faune miocène correspond à la faune actuelle de la mer Rouge : il y a un parallélisme presque complet, non d'espèces, mais de genres. Il me semble impossible d'admettre l'existence de glaciers dans une faune analogue à celle de la mer Rouge, ou il faut admettre qu'il y a eu un immense soulèvement qui a porté les plaines à une hauteur considérable pour que, dans des condi- tions de chaleur, les glaciers aient pu se former. — M. de Mortillet, parlant des restes humains du miocène, atiribuait aux haches tra- vaillées et taillées une antiquité plus grande qu'aux haches polies. Je ne puis l’admettre. I faut tenir compte des matériaux originaux d’abord. Les silex sont toujours taillés, les diorites et les serpen- tines polies, et pourtant on les trouve dans les mêmes cavernes, à la même époque; il faut donc en conclure qu'il y a, non deux époques différentes, mais deux manières de travailler. M. de Mortillet répond qu'il partage les idées de M. Issel de préférence à celles de M. Roujou. Il rappelle que, dans la faune du Piémont, l'Helix qu'on trouve à Gênes et qui a disparu du Piémont s'y retrouve dans la faune quaternaire. Il lui semble aussi extraordinaire que les glaciers aient choisi les endroits les plus chauds pour se former. Quant aux haches, les matériaux ont assurément leur influence, mais il faut distinguer des époques de travail. Dans la vallée de la Somme, par exemple, toutes les haches sont faites d’une même espèce de silex, et, suivant les couches, on trouve des manières différentes de travailler, la taille et le polissage. À. Issel reconnaît que, dans les localités où le silex manque, il a été de tout temps nécessaire d'employer les roches dures, et que, comme ces roches ne peuvent être taillées, il a fallu les polir. On trouve en ltalie beaucoup de localités où manque le silex et où l’on a des haches en pierre dure polie de diverses époques. D'abord le polissage est plus grossier, mais il existe dès l’origine. M. le docteur Joly, de Toulouse, rappelle que dans la Haute-Ga- ronne on a trouvé des roches taillées, nullement polies, et qui élaient mélées à des ossements d’éléphant. — 295 — M. le docteur Garrigou dit que les silex taillés existent exclu- sivement dans les cavernes de l’époque de l'ours. Jamais il n'y a d'objets polis. Les quartz y ont été taillés; les serpentines mêmes ont été taillées dans les Pyrénées. M. Tardy, ingénieur, signale les cailloux roulés en grand nombre des environs de Turin, qui viennent, suivant lui, former une quatrième époque glaciaire, les trois premières étant les mo- raines hors des vallées, dans les vallées, et remontant au-dessus des vallées. M. le professeur Gervais, du Muséum de Paris, présente, au nom de M. Reboux, une suite de tableaux et de fossiles se rappor- tant aux ierrains quaternaires de la Seine. M. Reboux distingue trois époques : 1° L'époque paléolithique ; 2° L'époque mezzolithique; 3° L'époque néolithique. M. Rivière lit un mémoire sur les fouilles qu'il exécute près de Menton, dans la commune de Grimaldi, dans les sept cavernes de Baoussé-Roussé, sous les auspices de M. le Ministre de l’ins- truction publique de France, sur le territoire italien. Les premiers résultats des recherches de M. Rivière ont été rapportés dans une note insérée dans les Comptes rendas de l’Académie des sciences, séance du 31 juillet 1871. M. Rivière avait apporté à l'exposition une parlie des objets recueillis dans ces fouilles. MM. Garrigou et Capellini entreni à ce propos dans une discussion sur les caractères de l'Ursus spelœus et sur l'existence d’un autre Ursus plus petit que le spelœus et que l'on rencontre à la Spezzia. M. Desor, au nom de M. le professeur Fraas, de Stuttgard, présente le résumé des découvertes faites à la grotte de Hohen- felds, en Wurtemberg. La caverne de Hohenfelds est une des plus spacieuses de la Souabe, à laquelle on arrive par une allée de k mètres de large et 2",33 de haut. Plus loin, on entre dans une vaste salle surmontée d’une voûte de 16,66 de hauteur. On a trouvé là des ossements en quantité telle, qu'on à pu en remplir des wagons entiers. Les plus importants sont les os et les griffes D es d'un grand chat, que M. Fraas considère comme un lion, mais qu'on pourrait aussi bien prendre pour un tigre; une antilope, qui n’est ni un chamois ni l'antilope des montagnes Rocheuses, mais rappelle l'espèce décrite par Pomel et trouvée dans les ter- rains diluviens du Puy-de-Dôme; des os d'oiseaux, de ‘cygne et d’oies sauvages, de renard bleu, de loup et de renard vulgaire; trois espèces d'ours, deux grandes et une petite; le cheval à petit corps et grande tête, se rapprochant de la race irlandaise, qui figu- rait ici comme gibier, ainsi que M. Lartet l'avait déjà avancé rela- tivement au cheval trouvé dans les grottes du sud de la France. On ne irouve à Hohenfelds ni cerf ni chevreuil et un seul échan- tillon de lièvre. On pourrait croire qu'on est dans une caverne habitée par des ours, en voyant la grande quantité d'ossements; mais il faut ad- mettre, en les examinant, que ces animaux sont tombés sous les coups de l’homme. Cette caverne devait être la demeure d’une race troglodyte, vivant de la chasse et ne craignant pas de se me- surer avec les plus forts quadrupèdes. On n'a pas trouvé de dé- bris de squelettes humains, mais la présence de l’homme est attestée par des empreintes et des entailles que portent les os. Les rangces de trous creusés dans quelques-uns indiquent l'emploi d'un instrument grossier, qui n’était autre qu'une mâchoire d'ours, dans laquelle on avait laissé plantée la dent de devant. Enfin on a trouvé également quelques débris de poterie et des couteaux en silex. M. Fraas attribue cette grotte à la fin de la période tertiaire, ce qui semblerait indiquer que l’homme vivait déjà à l’époque où l'Europe centrale n'avait pas sa forme actuelle. Plus tard, cette race primitive s’est retirée avec le renne dans les régions arctiques en même temps que disparaissaient le mammouth et le rhino- Céros. M. Zawiska rend compte des fouilles qu'il vient de faire en Po- logne, à Oisso, près de Cracovie, dans des cavernes analogues à celles de M. Fraas. Ces cavernes sont au nombre de cinq. Dans la première, dite des ours, à cause de la grande quantité de leurs ossements, sous une couche de guano, j'ai trouvé le cheval, le sanglier, le bœuf et le cerf. Comme ustensiles humains, un cou- teau en corne et une corne de cerf qui servait probablement de — 297 — crochet. Trois autres offrent des ossements analogues. Dans la cin- quième, à 30 pieds au-dessus de la vallée, j'ai découvert un foyer et autour des instruments en silex de toute espèce, une clef et un fragment cassé de coin en silex poli. Dans cette localité, j'ai cher- ché en vain l'ours sans le trouver. Les corridors sont comme des labyrinthes très-tortueux, et l’on ne pourrait s'y retrouver sans un fil. M. le comte Przezdziecki dit qu'il y a encore en Pologne des cavernes avec des ossements de mammouth, et que le savant qui les a découvertes prépare sur elles une notice depuis 1852. M. Dupont donne une liste des espèces de la faune quaternaire en Belgique. Il distingue les espèces perdues et les espèces émi- grées. Parmi ces dernières, les unes ont émigré au sud : ce sont le lion (Fels leo), l’hyène; à l’est, l'antilope; trois ne se trouvent plus qu'en Amérique, l'Ursus ferox, le Cervus Canadensis et le Bos moschatus ; aux régions boréales, le glouton et le renard bleu. Les espèces émigrées en altitude sont le chamois et la marmotte; les espèces restées caractéristiques des régions tempérées, la loutre et le chevreuil. Quelle est la signification de cette faune étrange ? La présence de l'hippopotame est extraordinaire, coïncidant avec celle du renard bleu et du glouton. Elle suffit pour prouver que nous ne pouvions avoir d'hivers aussi rigoureux que celui de l'année dernière; et la présence des animaux du nord, que l’on n'avait pas d'étés aussi chauds que celui de 1871. I faudrait donc admettre une température moyenne peu variable. En hiver, les vents d'est et nord-est donnent un froid sec, et, en été, les mêmes vents nous donnent ce temps sec et si chaud dont nous souffrons. Je suppose que, à l'époque quaternaire, la mer allait jusqu'au cinquante-deuxième degré en Russie, le nord de l'Allemagne était sous l'eau; car si nous avons à l’est et au nord une mer, nous n'avons plus les grands froids de lhiver ni les grandes chaleurs de l'été. M. Vogt, revenant à la question de l’émigration des races, se demande sil n’y a pas eu plus souvent des séparations, si des MISS. SCIENT. — VII. 20 — 298 — pays n'ont pas élé coupés, si certaines espèces n’ont pas été éteintes dans des couches et s'il n'y a pas eu extinction partielle. D'autre part, il ne faut pas poser de règles trop étroites dans ces questions; certains animaux ont pu subir des modifications : ainsi, aujourd'hui on a la preuve que, dans le nord, les éléphants . et les rhinocéros qui vivaient à l’époque glaciaire étaient velus: pourquoi ne trouverait-on pas un jour l’hippopotame velu? Le tigre vient encore aujourd'hui, l’hiver, sur les rives de l'Amour à la température où le mercure gèle, et l'antilope des montagnes Rocheuses habite une région suffisamment froide. Une discussion, que je ne crois pas devoir reproduire, continue entre MM. Gervais, Vogt, Desor, Garrigou et Dupont, sur les ca- ractères de divers animaux à l'époque quaternaire. LUNDI 2 OCTOBRE 1871. (Séance du soir.) PRÉSIDENCE DE M. CARL VOGT, DE GENÈVE. M. le docteur Garrigou soumet une série d’os cassés, qui lui paraissent pouvoir servir à indiquer les moyens successifs employés par l’homme pour les entamer. | Il présente ensuite une coupe et une série de détails sur les ca- vernes de Soudour, de Bouchedal, etc., dans les Pyrénées. M. le conseiller d’État Steenstrup, Danois, expose ses idées sur les os cassés par la main de l'homme, et dit qu'il ne trouve presque sur aucun des os exposés par M. Garrigou les traces qui, pour lui, décèlent le travail humain : ce sont des ecchymoses ou des cavités conchoïdales du côté où la main a porté le choc. Ces traces sont les seules qui semblent évidentes. Toutefois, elles peuvent ne pas se trouver si l'os a été cassé sur une plus grande longueur et plus tard brisé. On a prétendu, dit M. Steenstrup, que les os ont été brisés pour prendre la moelle, et je crois que j'ai été malheureusement Re un des premiers à le dire. Je reconnais aujourd'hui que c'est une erreur, car on à brisé souvent beaucoup d'os qui n’ont pas de moelle, et notamment les os de rhinocéros; en Belgique, on a brisé ceux de mammouth et d’éléphant; les os ont été brisés pour avoir des éclats et faire des outils. M. de Mortillet partage l'avis de M. Sieenstrup. On a beaucoup abusé de la théorie des os cassés pour la moelle. Mais 1l ne partagé pas l'avis de M. Steenstrup sur la casse des os, car on a le plus souvent‘fait éclater les os en les frappant par le bout contre un corps dur, de manière à amener un contre-coup, par un procédé analogue à celui qu'emploient les charlatans pour casser des cail- loux les uns contre les autres. -M. Gervais dit qu'une partie des os présentés par M. Garrigou provient de terrains marneux, et que souvent Îles ossements re- cueillis dans ces terrains, s'ils sont enlevés par des naturalistes maladroits, se cassent lors de leur extraction. M. Garrigou reconnait qu’il existe des os à cassure fraîche, mais que cette dernière est facile à reconnaitre. M. Steenstrup pense que l'idée de M. de Mortillet est plus ingé- nieuse que juste; et, reprenant un des os qui ont été pris pour type par M. de Mortillet, il dit que c'est un de ceux qui renferment le plus de moelle, et qu'il est encore chez les Groenlandais et les Lapons offert de préférence aux chefs et aux hôtes. Discussion entre MM. de Mortillet et Steenstrup sur le moyen de casser les os à l’aide des percuteurs ronds trouvés en France. M. de Mortillet déclare que l’on ne peut, à l’aide de ces marteaux, obtenir une cassure longue. Discussion sur les ossements brisés d'oiseaux trouvés dans les kjœækkenmæddings et dans les cavernes de Belgique. M. le professeur Joly signale les fentes naturelles qui se pro- duisent au bout d’un certain temps dans les mâchoires par suite de la disparition du nerf dentaire : une cavité considérable se pro- 20. — 300 — duit, et il suffit de l'humidité ou du moindre choc pour que l'os se brise. M. le docteur Garrigou dit que la remarque de M. Joly ne peut être admise qu'à l’état d'exception. M. le comte de Wuombrand lit un mémoire sur les palalittes de la haute Autriche et la découverte faite par lui l'an dernier à la station de Suwalkeim. Les objets trouvés sont analogues à ceux qui sont dans les premières habitations lacustres de la Suisse. La difficulté est considérable pour faire des recherches, car les pilotis sont recouverts de 5o centimètres de gravier. On a trouvé une grande masse d'outils en os, d'objets travaillés, cent cinquante haches, des pierres à aiguiser et à polir, de la poterie grossière peu brülée et mêlée de spath, des fragments de houille qui servaient à fabriquer des objets de parure, peu d’ornements en bronze et un seul en fer, et, dit M. de Wuombrand, je regarde ces derniers objets comme introduits par le commerce. M. Desor signale à l'attention un vase provenant de ces pala- fittes qui est très-remarquable. On n'en a encore que cinq ou six de ce genre en Suisse, deux dans la collection du docteur Clé- ment, deux appartenant à M. Desor. Ces vases sont très-grossiers, ventrus et à fond plat, caractères qui distinguent les poteries de l'âge de pierre ainsi que la protubérance à umbo, tandis qu’à l’âge de bronze la base est conique. Une autre pièce curieuse est le marteau de pierre très-dure percé d’un trou. On a longtemps dis- cuté sur la manière de percer ces trous sans métal, et on a voulu qu'ils fussent percés avec un instrument de métal et reportés à âge de bronze. Aujourd’hui, MM. Keller et Forel en ont percé à l'aide d’un roseau ou d’un cylindre de corne et d’'émeri. On pose la corne debout, on la maintient à l’aide d’un archet de tourneur, on perce rapidement un trou dans la pierre la plus dure. MM. Worsaae, de Wuombrand et Morel Fatio présentent suc- cessivement des pierres percées par ce procédé. M. de Wuombrand montre en outre des haches en serpentine imitées. [l a pris, dit-il, pour type les haches à demi faites, les a — 301 — enlamées avec du quartz, puis, en moins de vingt-quatre heures, les a polies sur les pierres trouvées dans les habitations. MARDI 5 OCTOBRE 1871. Excursion à Modène et aux terramares de Montale. MERCREDI 4 OCTOBRE 1871. (Séance de jour.) PRÉSIDENCE D'HONNEUR DE S. A. R. LE PRINCE DE PIEMONT. PRÉSIDENCE DE M. WORSAAE. M. Pigorini lit un compte rendu de l’excursion faite la veille aux terramares de Montale, près de Modène. Je ne reproduis pas ce résumé, qui se trouve fait d'une manière plus étendue et ac- compagné de planches dans la brochure de MM. Boni et Generali publié sous ce titre : T'erremare Modenesi, 1870, in-8°, brochure dont je joins un exemplaire à ce rapport. M. le comte Conestabile, de Pérouse, expose ensuite ses idées sur les populations successives qui ont habité les terramares. Mettant à profit les recherches philologiques de M. Pictet, il dis- tingue quatre grandes immigrations en Europe, parties toutes de l'Asie, et particulièrement de la région comprise entre la mer Cas- 3° et l'Himalaya. Ces immigrations sont : ° Les Celtes, allant vers le Caucase, le Danube, et qui ont ere l'Occident; c'est la plus ancienne immigration; 2° La deuxième, qui est presque contemporaine de celle-ci, est celle des Aryo-Pélasgiques venus par le Khorassan en Asie Mineure, puis en Grèce : c’est celle qui nous intéresse; 3° La branche germanique : elle suivit la même voie que les premiers Jusqu'à la Baltique ; 4° Enfin les Lithuano-Slaves, qui, prenant le nord de la mer Caspienne, ont occupé la Sarmatie, la Russie, la Lithuanie, la Bohême, le Monténégro, la Servie, etc. Revenons à la deuxième : M. Pictet et d'autres lui ont assigné — 302 — comme date initiale environ trente siècles avant l'ère chrétienne, et comme dernière époque vingt siècles. Ces immigrations peuvent remonter au xxvr° ou xxvii° siècle environ. Ces populations ont d’abord occupé la Grèce, puis, poussées naturellement par le dé- sir d'aller en avant, se sont’ portées en Europe et jusqu’au pied des Alpes. Maintenant, si nous arrivons aux immigrations spé- ciales à l’Ttalie, nous trouvons : 1° La population aborigène, qui occupe tout le centre de lIta- lie et dont on parle comme d'êtres mystérieux. Leurs traces sont étendues en Italie. 2° La deuxième immigration est représentée par deux groupes, les Latins et les Ombriens. Ces immigrations sont continentales. Le groupe latin a occupé la partie occidentale et les plaines; le groupe ombrien, les montagnes et la partie centrale, puis méridionale de l'Italie. Nous avons des traces des luttes des Ombriens et des Abo- rigènes. Les Aborigènes, repoussés, sont devenus les Mésapiens, habitants des provinces de Pouille et d'Otrante, car Mommsen n’a pu les rattacher à aucun des groupes italiques. La troisième immigration est maritime : c'est celle des Pélasges qui sont venus et débarquèrent sur trois points différents, sur la côte orientale, chez les Mésapiens; à l'occident et au nord, du côté d’Adria et de Spina. Les Pélasges entrèrent en lutte avec les Ombriens; ils bâtirent les grandes murailles élevées dans plu- sieurs endroits de l'Italie, appelées cyclopiques, et qui sont sem- blables aux constructions que l’on retrouve en Grèce et ailleurs. Les Pélasges finirent par occuper le territoire des Ombriens après de nombreuses victoires. Nous connaissons les coutumes religieuses des Pélasges, leurs magiciens, et, en dernier lieu, la décadence-de leur empire. 4° Les colonies venues de la Lycie et de l'Asie Mineure. C’est à celles-ci qu'on rattache l'origine de l'empire étrusque, qui a remplacé l'empire pélasgique. Cette époque peut se rapporter au xv° ou xvi° siècle avant J.-C. L'empire étrusque forme la confédé- ration des douze villes; il s'étend soit vers le Latium et la Cam- panie, soit du côté du nord, et cest ce qui forme la triple confé- dération étrusque. L'empire étrusque forme la confédération de l'Étrurie septentrionale; il a fait de Bologne, appelée Felsina, la capitale de cette confédération, dont nous ne coñnaissons que quatre ou cinq villes, Modène, Adria, Spina, etc. — 3035 — Une inscription, trouvée récemment à Karnak par M. Mariette- Bey, annonce que le fils de Ramsès IT, vers 1500, fut attaqué par une confédération des peuples des îles de la mer. L'inscription nomme les Sardes, les Sicules, les Achéens, les Lybiens et les Fuschens, que nous appelons Étrusques.- Pour que, à cette époque, les Étrusques aient pris part à cette expédition, il fallait qu'ils fussent déjà forts, et, ce qui est plus remarquable encore, le chef de l’expédition était un Étrusque. Les dernières découvertes faites en Europe ont offert de l’analo- gie avec les monuments étrusques. Ne pouvant attribuer ces ob- jets aux peuples du nord, quelques savants ont cherché au midi et, sur cette question, la majorité penche pour l'aflirmative. Main- tenant, la civilisation représentée par le bronze dans le nord doit- elle être attribuée aux Étrusques, ou faut-il seulement leur attri- buér ce qui appartient au premier âge de fer? Comme monuments des Etrusques, nous n'avons que des tom- beaux, et ces tombeaux ne remontent qu'aux vin° et ix° siècles : monuments de Cortone et de Villanova. Ici Je m'arrête : c'est à ceux qui s'occupent de ces stations et des populations qui les habi- taient à voir sils peuvent fournir quelques renseignements, en les rapprochant par exemple des terramares que beaucoup de per- sonnes ne veulent pas attribuer aux Étrusques. Est-il un autre peuple de Ftalie à qui on puisse les donner? Je ne le crois pas. À d’autres de faire la comparaison et la critique, de démontrer que de fltalie est partie l'influence représentée par le bronze dans le nord. . M. Desor se demande si l’on ne pourrait pas étendre hors de l'Italie les recherches sur les Étrusques, et sil n’y aurait pas au delà des Alpes des liens à chercher, une influence à étudier. C'est à l'époque de l’âge de bronze qu'il faudrait pour cela se reporter. Mais d'abord il importe de constater qu'on comprend sous cette dénomination d’äge de bronze plusieurs époques que je ne veux pas circonscrire, mais seulement énumérer. Ce sont : les terra- mares, les palalittes de Suisse, les cimetières de Saint-Jean de Maurienne et de Haldstadt, les tumuli de l'Allemagne, les mottes de la Bourgogne. J'aurais voulu fixer des limites à ces époques, mais j'y renonce. Je me borne à quelques observations compara- tives : à Montale, près de Modène, les terramares ont formé une — J04 — colline artificielle. Cela semble étrange à première vue, mais il est facile de reconnaître que des travaux, même lents, finissent par amener des résultats considérables. Dans les palafittes, il y a des îles entières, et notamment l'ile des Roses, sur le lac de Starnberg; qui ne sont que des noyaux à l'instar des terramares. Ainsi de l'ile Nita, en Lombardie, qui est aussi artificielle. On re- connait donc de prime abord une certaine analogie entre les pala- fittes et les terramares. Si l'on examine les vitrines de Modène et de Parme {terramares) et qu'on les compare avec celles de Villanova (nécropoles étrusques), il n'y a pas de ressemblance. Une impression générale montre que les gens qui habitaient les terramares et les palafittes étaient modestes, humbles, continuant le même genre de vie qu’à l’âge de pierre, allant chercher des coquilles {Unio) pour les manger, comme le faisaient au nord les habitants des kjæœkkenmæddings et ceux des palafittes. C'étaient des gens se rattachant au passé, des gens essentellement conservateurs. Si nous arrivons à Villanova, nous voyons au contraire des gens qui avaient du loisir et lemployaient à l'art. En examinant les armes et les outils, on trouve le sentiment artistique. Ün type se crée. Chacun doit se pénétrer du type de Villanova et l’étudier. Nous y trouvons certaines formes, certains dessins qui se retrouvent dans une foule d’endroits, à Haldstadt et dans les tombelles de Suisse et de Franche-Comté notamment. On m'objectera que l’on a trouvé à Genève et à Zurich des moules dans lesquels on a coulé ces objets, et qu’on ne peut ainsi leur attribuer une origine étrangère; mais les objets coulés dans ces moules ne sont que des objets très-simples, des haches et des couteaux, qu'à force de faire on arrive à obtenir presque iden- tiques, car ils répondent aux mêmes besoins. Il n’en est pas ainsi quand il s’agit de dessins, de détails d'imagi- nation, de formes capricieuses; on ne peut supposer que la même figure, le même dessin, le même méandre puisse se reproduire spontanément en Ombrie, en Irlande et en Scandinavie. Il y a nécessairement un lien ethnologique qui amène à supposer un centre. Mais où est ce centre? Telle est la question qu’à Copenhague déjà chacun se posait, sans vouloir rien affirmer. C’est en Italie, au pied des Apennins, que nous devons le retrouver. . Villanova est un type qui doit devenir un jalon définitif. Mais — 305 — quelle est sa date? D'après ce que nous a montré M. Conestabile, il appartient à un peuple actif, riche et qui pouvait fabriquer et faire par lui ou par ses voisins un commerce d'exportation. Ce peuple est bien antérieur à celui qui a habité Marzabotto. Il est antérieur à la grande fédération étrusque, mais il a avec elle de grands liens de parenté; il n’y a pas d'identité, mais les grandes lignes se retrouvent, et nous sommes ainsi reportés, avec l’âge de bronze, à plus de quinze siècles avant J.-C. Maintenant, il y a bronze et bronze. Ce qu'à Vienne on qualifie bronze est l’équi- valent de Villanova, c'est-à-dire un ensemble de stations riches en beaux objets. En Hongrie et en Scandinavie on a eu, non pas des objets exportés, mais des modèles qui ont été recopiés sur les lieux. En terminant, M. Desor signale l'importance des terramares et demande que toute la sollicitude de l'Administration soit appelée sur les fouilles et la conservation de ces dépôts. M. Worsaae signale la différence qu'il y a lieu d'établir dans le nortl entre les deux ages de bronze. Les ressemblances prononcées entre le nord et Villanova ne s’ap- pliquent qu'au second àge. De plus, il est étonnant qu’on ne trouve pas au midi certains objets que le nord renferme en grand nombre, tels que boucliers, épées, trompettes, colliers et diadèmes. Quant à la question d'art au nord, l’art le plus pur est le plus ancien, et la décadence se montre à la deuxième époque. Pour comparer utilement ces objets, il faudrait réunir les trouvailles d'Europe et d'Asie. L'Europe a été peuplée par les émigrations asiatiques; je par- tage l'opinion émise à ce sujet par M. Conestabile. Le centre de l'Asie est le point de départ commun de la civilisation de divers peuples; la civilisation asiatique est arrivée en Grèce, en Hongrie, par le Danube, et, tout doucement, elle s’est avancée vers le nord, laissant à chaque peuple un cachet particulier. Aussi l'archéologie de la Hongrie diffère-t-elle de celle de la Gaule, du nord, etc. C'est surtout quand elle est arrivée sur les côtes de la Baltique que cette civilisation a commencé à prendre des formes particu- hères et qu’elle est arrivée à la hauteur où nous la voyons. Dans le midi, la civilisation la plus ancienne, détruite par une plus élevée, a été portée au nord, mais elle y est restée. — 906 — Les plus anciennes civilisations sont celles qui ont eu dans le nord le plus de durée, et c'est ce qui s’est encore conservé de nos jours. C’est ainsi que lislande a conservé les traditions mytholo- oiques, les chansons aujourd'hui perdues en Danemark. M. Virchow, membre du parlement allemand, donne des ren- seignements sur des monticules très-fréquents dans le nord de l'Allemagne et qui ont servi d'habitations. Ils offrent certaine ana- logie avec les terramares. Les recherches ne font que commencer : on y trouve des résidus analogues à ceux de Montale, surtout des ossements. Les objets métalliques y sont très-rares, parce que la nature chimique du sol attaque et détruit rapidement les métaux. Il y a aussi quelques bronzes, mais ils sont rares et plus modernes. IL n’est pas possible de fixer la date de ces amas; ils sont anciens pour l'Allemagne, mais notre période historique ne remonte guère à plus de dix siècles. Les historiens danois seuls nous fournissent quelques renseignements antérieurs. Nous commençons aussi à trouver en Poméranie et dans le Bran- debourg des sortes de terramares sur le bord des rivières navi- gables, des habitations lacustres très-nombreuses; mais ce n'est que dans une autre réunion que je pourrai faire connaître le ré- sultat des recherches, encore trop peu avancées. M. Carl Vogt pose cette question : Quelles sont les races hu- maines qui ont habité les terramares? On n'a pas trouvé de restes humains dans les terramares d’Ita- lie; on n'en a pas trouvé plus d’une douzaine dans les palafittes; dans le Palatinat seulement, M. Lindenschmidt a trouvé des tom- beaux de lâge des palafittes. C’est ce qui reste à trouver en Italie, à côté des terramares, les tombeaux de leur époque. Comment les hommes des terramares sont-ils venus de la rive gauche du Pô et comment l’ont-ils traversé? À quelle époque? Nous trouvons dans les palafittes de Suisse l’ancienne agricul- iure égyptienne et ses plans économiques. Nous savons que les mélaux étaient connus en Égypte cinquante siècles avant J.-C. ; les habitants des palafittes n’ont eu aucune connaissance des mé- taux; leurs seuls instruments sont en os et en pierre. Nous pou- vons en conclure que ces habitants des palafittes, connaissant l’agriculture égyptienne, ont dû quitter l'Égypte antérieurement à — 307 — l'introduction des métaux, ce qui nous reporte bien au delà des émigrations aryennes. Lors de leur première émigration en Italie, les Aryens connais- saient non-seulement le bronze, mais le fer; les Sémites et les ha- bitants du nord de l'Afrique connaissaient ces deux métaux. Tu- balcaïim, cousin de Noé était, avant le déluge, maïître en bronze et en fer. Il faudrait conclure de ceci, que si nous avons eu une époque de bronze indépendante antérieure aux Etrusques, elle doit être reportée à une époque très-éloignée où l’on ne connaissait pas les différents métaux. Maintenant, est-il juste de faire cette distinction de fer et de bronze? Cela me semble bien difficile; ces deux métaux n'avaient pas la même destination. Les héros d'Homère ne parlent jamais de fer pour leurs armes. On ne se servait de fer que pour les ins- truments et les ornements. Le bouclier d'Achille a un anneau de fer. S'il y a une époque du bronze indépendante de celle du fer, c'est celle des terramares. Quant aux langues, les inductions tirées de l'examen des crânes qui, chez les races nègres, sont exactes, n’ont aucune valeur chez les races aryennes. De plus, des peuples peuvent avoir une langue toute différente de leur origine, soit parce qu’un vainqueur leur impose la sienne, soit parce qu'au contraire il adopte celle du peuple conquis. Dans les terramares, on ne trouve aucun objet religieux, aucun objet de culte; mais nous ne savons pas quels objets pouvaient ser- vir à ce culte que nous ne connaissons pas. Actuellement nous ne supposons pas de religion sans culte, sans signes visibles; mais, plus nous remontons dans l'antiquité, plus ces objets deviennent obscurs, et cela parce que, dans les peuples antiques, l’homme est le positif et Dieu le superlatif, et que si nous ne connaissons pas le positif, nous ignorons forcément le superlatif. Discours officiels de MM. Worsaae et Correnti, ministre de l'instruction publique d'Italie. — 308 — MERCREDI 4 OCTOBRE 1871. (Séance du soir.) —— PRÉSIDENCE DE M. DUPONT, DE BRUXELLES. M. Dirks, de Leuwarden, présente un tableau des antiquités préhistoriques de la Frise et du nord de la Hollande. I signale notamment des monticules artificiels appelés wierden ou terpen, qui offrent de l’analogie avec les terramares et dans lesquels on trouve des couches accumulées d'objets de toutes les époques. M. Hildebrandt, de Stockholm, donne de nouveaux détails sur les caractères distinctifs des bronzes et sur les différences que pré- sentent les formes du nord et celles du midi. MM. Carthailhac et Garrigou signalent, à l’occasion des terra- mares, des mottes qui en France peuvent jusqu’à un certain point leur être comparées, par exemple celles de Pibrac, de Cruzel, de Mont-Gaillard dans le haut Languedoc. M. Garrigou lit une note de MM. Massenat et Lalande, sur une ‘station de l’âge du moustier, à Saint-Cernin (Corrèze). JEUDI 5 OCTOBRE 1871. Excursion à Marzabotto. Visite de la nécropole étrusque, chez M. le chevalier Aria. Fouilles. | VENDREDI 6 OCTOBRE 1871. (Séance de jour.) PRÉSIDENCE DE M. DE MORTILLET, DE SAINT-GERMAIN. M. Nicolucci donne le résultat de ses recherches sur l’existence de l’homme préhistorique en Italie. . — 309 — L'apparition de l’homme est très-ancienne. Je le trouve dans les couches dites miocéniques, mais qu'avec M. Ponzi j'appelle pre- mières quaiernaires. Depuis cette première apparition, il subit un développement graduel; le type primitif se modifie et s’est déjà ennobli à l’époque oolithique. Il se rapproche beaucoup du type actuel. M. Mantegazza demande que l’on n’attribue pas trop vite à un crane le titre de préhistorique. Il recommande aux étrangers de se méfier des types dits de l’époque préhistorique et de ses limites. Où un cràne cesse-t-il d'être préhistorique pour devenir très-ancien ? Tout ce qu'on a écrit sur les races anciennes de l'Italie doit être suivi de nombreux points d'interrogation. Il ÿ a par exemple plu- sieurs types chez les Etrusques. Celui de Marzabotto me paraît être le plus étrusque; celui de la Certosa l’est moins, mais offre encore beaucoup d’analogie avec les types étrusques de Chiusi. J'ai une collection de crânes bolonais modernes; ils se rapportent presque à ceux des Étrusques anciens. En Sardaigne, on trouve aussi des types très-variés. Dans une grotte, le chanoine Spanno à trouvé, avec des monnaies de la première guerre punique, deux crànes, l’un phénicien, l’autre latin. À l'ile del Iago, en Sardaigne, on trouve aussi une race qui parle la langue africaine et dont le type est égyptien. Autres exemples cités par M. Mantegazza, qui conseille, en terminant, les plus grandes précautions. M. Vogt lit un mémoire sur l’anthropophagie et les sacrifices hu- mains. [| examine surtout la question de l’anthropophagie au point de vue religieux. On mange son ennemi pour s'en attribuer les qualités. On arrive ainsi à l’anthropophagie symbolique, on mange son Dieu pour s'identifier à lui. L'auteur fait de longs em- prunts aux traditions recueillies chez les peuples sauvages. Je n’analyse pas ce mémoire très-étendu, dont je pourrais re- mettre un résumé détaillé si la Commission le désirait. M. le comte Conestabile résume l’excursion faite à Marzabotto:; il signale l'intérêt des découvertes faites et celui, encore plus grand peut-être, de celles qui restent à faire. On y trouve les preuves d’une civilisation très-avancée. M. Conestabile signale deux bronzes : — 910 — l'un, une Vénus, divinité asiatique qui, par son style, peut re- monter au n° ou mr siècle de Rome et qui, malgré son type ar- chaïque, est exécutée avec grand soin; l’autre est un groupe de Mars embrassant Vénus, qui, aux caractères un peu éloignés de l'art étrusque, joint le plus grand HENPIDpEREnE de l'art. En n’examinant que les têtes, on se croirait à l'art grec. On s'est Dore du commerce des vases étrusques en Étru- rie; ce commerce n’a commencé que vers le m° siècle de Rome. On a trouvé aussi beaucoup d'objets de fer, et notamment des épées en fer; c'est une preuve d’une époque avancée; car, à Villa- nova par exemple, le fer n'est employé que comme métal pré- cieux, pour des bracelets, etc. Les constructions des tombeaux sont très-remarquables; il en reste un notamment dont 1l n’y a que le soubassement et trois ou quatre marches. On n’y a rien trouvé; ce pouvait être un monument préparé pou faire un tombeau, comme on en trouve dans l'Étrurie centrale, où ils présentent des caractères doriques que l'on nomme l’ordre toscan. La nécropole s'étend en partie dans le parc de M. Aria, en partie dans la plaine. Près du fleuve, on trouve d’autres monuments rectangulaires. M. Gozzadini dit qu'ils appar- tiennent encore à la nécropole et appuie cette assertion sur des raisons respectables. Pourtant j'ai l'idée de quelque chose de plus que des tombeaux, je pense à la ville à laquelle ces tombeaux ap- partiennent. Près de la nécropole, il faut voir la ville, et je crois qu'on lentrevoit. Elle serait en grande partie couverte par le lit du fleuve. Îl y a une rue bordée de fondements d'habitations, rue large de 5",50. À l'entrée, on trouve de grandes dalles pour tra- verser comme à Pompéi. Toutefois, ce qui m'embarrasse un peu, c'est que, au milieu de ces fondations, on a trouvé des puits funé- raires. C'est une question à étudier. Je crois que l’on peut fixer la date de Marzabotio du 1° au 1v° siècle de Rome. Pourquoi n’a-t-on trouvé que très-peu d'inscriptions? C’est parce que l’on se trouve en Étrurie centrale et que, sauf dans les loca- lités maritimes, les inscriptions ne doivent y être rapportées qu’au v° siècle de Rome, et par conséquent postérieurement à Marza- botio.. La Certosa me parait à peu près contemporaine de Marza- botto. Villanova peut se placer au vin® ou 1x° siècle avant l'ère chré- tienne. On a contesté l'antiquité de Villanova; mais les monuments du — JI1 — Fyrol sont analogues, et ils portent, comme ceux de Villanova, de courtes inscriptions sur des dalles. Quand les Gaulois envahirent l'Étrurie, les Élrusques allèrent dans les Alpes, où ils avaient déjà des établissements, et dans l'Italie centrale. Les tombeaux de Ravina en Tyrol que j'ai publiés sont une preuve de létruscisme de ceux de Villanova et offrent les mêmes caractères. Quant aux terramares, Jen vois d’antérieures aux Étrusques ; d’autres qu'on peut rapporter à l’époque des Étrusques ou à des peuples en relations avec eux; d’autres enfin sont postérieures aux Étrusques. Maintenant, à quel peuple appartiennent les terramares antérieures aux Étrusques ? Latins, Ombriens? En somme, il faut étudier quelle influence le midi a exercée sur le nord, et réciproquement. M. le comte Gozzadini présente les arguments suivants contre l'hypothèse émise par M. le comte Conestabile de l'existence d’une ville étrusque à Marzabotto : 1°. La capacité des cellules de Marzabotto est convenable pour des morts, mais insuffisante pour des vivants; 2° Les tuiles plates qui y sont trouvées n'ont pu servir pour des toitures; 3° Il n'y a pas de communications entre les cellules ; 4° Pas de traces d'ouvertures dans le mur au-dessus du sol; Supposerait-on que les habitanis de Marzabotto passaient par- dessus le mur pour rentrer chez eux? M. Desor essaye de tracer un tableau comparatif des époques relatives de Marzabotto, la Certosa et Villanova : il signale les ob- jets qui manquent d’un côté et existent de l’autre. Une question, qu'il signale à l'attention générale, est celle de l'absence de toute poterie peinte au delà des Alpes, alors qu'on y trouve tant d'autres objets empruntés aux Étrusques. Il se de- mande si, à l'époque où les Étrusques avaient leur grand com- merce d'exportation, l’industrie des vases peints n'avait pas cessé d'y être exercée, ou s'il ne serait pas possible d'admettre que ces vases n'aient pas été fabriqués en Étrurie, mais apportés aux Étrusques de la grande Grèce. M. Desor recommande que l'on fouille les anciens gués avec le plus grand soin. Il cite les bons résultats que l’on peut obtenir — 312 — par ces recherches. T1 y a, à Besançon notamment, une collection nombreuse et de diverses époques qui a été recueillie en entier par ce procédé. | M. le comte Conestabile dit que l'Étrurie septentrionale était déjà tombée à l’époque où a commencé le commerce des vases peints. Il y a du reste une grande inégalité dans la dispersion de ces vases. Il n’y a pas de traces de ce commerce à une date anté- rieure au vi‘ siècle avant J.-C. Mais je crois, en outre, que les Étrusques ne les auraient pas transportés. Les Phéniciens, qui ont fait le commerce de l'ambre et d’autres matières avec le nord, n'y ont jamais porté non plus de vases. M. Chierici compare Marzabotto aux autres villes étrusques et en conclut qu'il y a nécessairement à Marzabotto une ville à côté de la nécropole. M. Montelius, de Stockholm, lit un mémoire sur l’âge du bronze en Scandinavie : il présente une suite de planches gravées repré- sentant les caractères distinctifs des principales époques. VENDREDI 6 OCTOBRE 1871. (Séance du soir.) es PRÉSIDENCE DE M. LE COMTE GCONESTABILE, DE PÉROUSE. Discussion administrative sur la question de savoir où le con- grès se réunira l’an prochain, et si les congrès devront à l'avenir avoir lieu annuellement ou seulement tous les deux ans, proposi- tion renvoyée à l’an prochain, en Belgique, où aura lieu la réu- nion de 1872, sous la présidence de M. d'Omalius d'Halloy. Le congrès adopte ensuite la proposition qui lui est faite, d'adopter pour toutes ses sessions, à l'avenir, la langue française exclusive- ment et de l’employer dans ses publications. M. Morel Fatio, répondant à une interrogation de M. Desor, — 313 — sur la question de savoir si l'on trouve des vases peints au delà des Alpes, répond affirmativement en ce sens que, dans trois localités du canton de Vaud, Avranches, Nyons et Orbe, on a recueilli, non des vases, mais des fragments en petit nombre. M. Morel Fatio est porté à croire que quelques personnes aimant les productions remarquables ont remporté d'Italie en Suisse, à l'état d'exception, quelques-uns de ces vases aujourd'hui en morceaux. M. le comte de Wuombrand propose la création d’un recueil périodique publié sous les auspices du bureau du congrès et qui, dans l'intervalle des sessions, tiendrait les sociétaires au courant des découvertes nouvelles. Cette proposition est renvoyée, conformément au règlement, à la session de 1872. M. le chevalier da Silva, de Lisbonne, signale les recherches faites en Portugal, où l’on commence à s'occuper des études pré- historiques. Il à fait fouiller deux cavernes dans une montagne de la province d’'Estramadure, sur l'ancienne route de Lisbonne à Porto. On a fait aussi des fouilles au dolmen de Cintra, dans l'Es- tramadure ; une des pierres de la table de ce dolmen s’est détachée lors du tremblement de terre de 1755. Autre découverte : hache en bronze. M. da Silva termine en parlant de l'intérêt que la reine de Portugal porte à ces découvertes. M. Garrigou signale l'importance qu'il y a à observer, dans l'étude des cavernes, le niveau de la caverne par rapport au ni- veau des vallées. On en tire de prime abord des conséquences pour la présence de l'ours, qui n'existe jamais que dans les cavernes d'un niveau très-élevé. | M. de Mortillet rend compte d'une note de M. Roujou sur une station près Choisy-le-Roi, et d’une de M. de la Cigala, sur les phé- nomènes de Santorin. On y a trouvé des habitations analogues à Marzabotto, des poteries peintes à fleurs jaunes, à dessins blancs, des outils de pierre, elc. M. Chantre présente les planches de ses publications sur les stations de Page de bronze en Suisse et en Italie, et sur les pala- hittes du lac de Paladru. MASS, SCIENT. — VII. » 0 : À — In M. Desor signale l'importance que présente la découverte par M. Chantre de palafittes carlovingiennes. M. Cazalis de Fondouce lit une note sur les caractères artistiques des objets de l’âge du renne, l'endroit où lon trouve le renneet l'époque où on le trouve. Énumération des ossements dans les grottes de plusieurs départements; os gravés avec des représenta- tions d'animaux. M. le comte Przezdziecki, de Varsovie, présente un projet de cartes archéologiques. Ces cartes, à grande échelle, seraient faites par chacun sur des cartes muettes. On inscrirait, à l'aide de signes mnémoniques ,au nombre de vingt-deux, et avec des impressions de couleurs différentes, toutes les découvertes qui se rapportent à l'époque préhistorique. à Au point de vue pratique, les deux faits à signaler sont ceux- ci : emploi de poinçons gravés en acier, imprimés sur la carte à laide de papiers chimiques de différentes couleurs, remplaçant les'encres d'imprimerie. Le même jour, dans la matinée, excursion aux fouilles de la Certosa, à Bologne. Sépultures. SAMEDI 7 OCTOBRE 1871. Excursion à Ravenne. Restes du palais de Théodoric. Tombeau de Théodoric. Monuments religieux : Saint-Vital, Saint-Apollinaire in cita et Saint-Apollinaire in classe. DIMANCHE 8 OCTOBRE 1871. (Séance de clôture.) —_— PRÉSIDENCE DE M. WORSAAE. M. Cazalis de Fondouce analyse un travail de M. Roujou, sur un silex se rapportant au type du moutis trouvé près de Melun. = TD —— M. Carthaïlhac lit un travail de M. Ch. White, traduit par M. Marcou, sur les amas de coquilles ou kjækkenmæddings de l'Amérique du nord. À la suite se trouve une bibliographie des travaux publiés à ce sujet en Amérique. M. le comte Conestabile hit une note de M. le professeur Deo Gratias, sur la découverte, aux environs de Savone, d'un squelette humain. Cette découverte avait déjà été exposée au congrès de 1867, par M. le professeur Issel, mais avec des détails inexacts. M. C. Vogt analyse un mémoire de M. Aspelin, sur la position archéologique de la Finlande. Ce travail, écrit en allemand, est accompagné d'un grand nombre de dessins. L'auteur signale Île nombre considérable d'objets en pierre trouvés en Finlande. Il en a six cents à l’université d'Helsingfors, et plus de deux cents dans diverses collections. I] n'y a pas de silex, la Finlande n'en produisant pas. Quelques-uns cependant sont exportés de Scandi- navie. Les objets sont en serpentine, en diorite ou en schiste ar- gileux. Les objets de bronze sont peu nombreux, et tous sont im- portés de Scandinavie. La première époque de fer est très-bien représentée. Il y à beaucoup de tumuli dans l'ile d'Abo et le long des côtes. En quel- ques endroits, on trouve des fortifications très-anciennes, analogues aux mottes de l'Allemagne du nord; elles n'ont pas encore été étu- diées soigneusement. M. Hildebrandt présente quelques observations sur ce mémoire. La première époque de fer est, dit-il, ce que vous nommez le q dernier développement du bronze. C’est une nouvelle civilisation qui arrive. Les objets d'or et de bronze trouvés en Finlande res- semblent à ceux de la Suede. M. Hunfalvy, de Pesth, présente des considérations sur les Jan- gues préhistoriques qu'on ne connaît pas. Il demande qu'on ne leur applique pas les qualifications de touraniennes ou de finnoises et qu'on se borne à les appeler anaryennes. 11 développe aussi diverses observations relativement aux con- clusions du mémoire de M. de Quatrefages sur la race prus- sienne. — 316 — M. Desor rappelle que l’un des squelettes qui figurent dans la galerie de M. Aria est armé d’une épée de fer large, à longue soie, en forme de feuille de saule et analogue à celles que Diodore de Sicile attribue aux Gaulois, et d’une lance en fer. | J'ai été très-frappé en voyant ce squelette avec ces armes en fer, et je me suis dit Si ailleurs une autorité venait me dire: voici ce que j'ai trouvé ensemble, je n’hésiterais pas à dire que c’est gau- lois. Cette épée et cette lance sont le pendant des armes trouvées! en Suisse, à la station de la Tène, au cimetière de la Tiefenau, près Berne, et aux fouilles de l'Empereur à Alise-Sainte-Reine. Nous trouvons ces armes au milieu d’une nécropole étrusque. Comment ce mort se trouve-t1l 1à | M. le comte Conestabile. — La forme de cette épée se retrouve très-fréquemment dans les fouilles étrusques. J'en ai trouvé de même longueur et de forme analogue près de Pérouse; d’autres en divers: ‘endroits de la Toscane. On en a trouvé avec des statues étrusques: Il me semble que ces comparaisons sont suffisantes pour dire que ces objets présentent des caractères d'analogie, mais qu'elles ne: permettent pas d'établir qu'ils soient gaulois. L'examen de ces cadavres à fait éliminer leur origine gauloise. Si l’on examine les objets des musées de France, il ÿY en a qui présentent des analo- oies, mais on ne peut dire que les uns et les autres soient forcé: ment étrusques ou gaulois. Aussi qualifierai-je ces armes du nom: d’épées étrusques, maïs de forme gauloise. Discours de clôture de M. le comte Gozzadini, de MM. Capel- lini, Gervais, Dognée, etc. M. Desor demande que les regrets du congrès soient exprimés à l’occasion de la mort de M. Lartet, A. DEmarsy. NOTE DE M. NICOD LAPLANCHE, VICE-CONSUL DE FRANCE À BOLOGNE, SUR LE CONGRÈS INTERNATIONAL TENU DANS CETTE VILLE. Bologne, le 19 octobre 1871. Monsieur le Ministre : Le 1% octobre 1871 s’est ouvert, à Bologne, un congrès d’ar- chéologie et d'anthropologie préhistoriques, présidé par le comte Gozzadini, sénateur du royaume. Un assez grand nombre de savants étrangers, près de soixante, sétait rendu à l'appel du comité d'organisation; dans le nombre se trouvaient vingt Français, parmi lesquels MM. de Quatrefages, membre de linstitut, Paul Gervais, professeur au Muséum, de Mortillet, etc. Parmi les autres nations étrangères, le Danemark, la Suède, la Belgique et la Suisse avaient fourni le plus nombreux contingent. Le premier Jour a eu lieu, à l'Université, la séance d'ouverture dans laquelle des discours officiels ont été prononcés par le prési- dent, le préfet de la province de Bologne et M. le conseiller d'État Worsaæ, Danois. Les séances se sont succédé les lundi, mercredi, vendredi; on y a entendu de nombreuses communications relatives à l'archéologie et l'anthropologie comparées des divers peuples qui ont successi- vement habité l'Italie centrale, et principalement des Étrusques. | Il serait trop long de citer les noms des membres du congrès qui ont présenté successivement l'exposé de leurs recherches sur les terramares, où amas de coquilles, qui se trouvent dans les en- — JS18 — virons de Bologne, et offrent une certaine analogie avec les kjouk- kenmæddings du Danemark, sur les différentes faunes des terrains géologiques de l'Italie et sur la comparaison des espèces correspon- dantes dans les terrains équivalents de France, de Suisse et de Bel- gique. Les sépultures trouvées à Villanova, à la Certosa de Bologne et à Marzabotto ont fourni également le sujet de nombreux dis- cours. S. À. R. le prince Humbert, qui avait accepté le titre de pro- tecteur du congrès, a cru devoir lui donner une preuve active de son intérêt pour les travaux qui réunissaient à Bologne les archéo- logues et les géologues de ces divers pays, en venant assister à la séance du mercredi 4 courant, et en prenant part à l’excursion organisée le lendemain. chez M. le chancelier Aria, à Marzabotto. Les jours qui n'étaient pas occupés par des séances ont été con- sacrés à des excursions dans les environs de Bologne. Les munici- palités de Modène et de Ravenne ont tenu à recevoir avec les plus grandes démonstrations de sympathie les membres du congrès. Des fêtes avaient été organisées dans ce but, et partout les membres ont trouvé la plus cordiale et la plus brillante réception. Les banquets donnés dans ces circonstances ont fourni l'occa- sion de nombreux ioasts, dans lesquels les orateurs ont le plus souvent bu à lunité et à la prospérité de l'Italie, et où de nom- breuses allusions ont été faites aux liens qui allaient resserrer la France et l'Italie par suite du percement du mont Cenis. Un fait, auquel on a eu le tort d’attacher quelque importance dans les journaux de la localité, se résume à l'échange, entre MM. de Quatrefages et le docteur Virchow, membre du parlement. allemand, de quelques paroles aussi dignes que mal interprétées par le public. M. Virchow a proposé à M. de Quatrefages d'être unis dans la science et d'oublier les questions de nationalité, proposition à la- quelle M. de Quatrefages a répondu en disant que, au point de vue de la science, il ne pouvait y avoir entre eux que la plus complète entente pour la voir progresser, mais que, au point de vue de la fraternité des nations, il n'en pouvait être question, au lendemain des. revers que nous venions d’é éprouver. Le congrès a été clos le 8 et s’est ajourné à ee prochaine, en Belgique, pour la sixième session de cette réunion, dont la deuxième avait été tenue en 1867 à Paris, Par une décision prise | — 319 — la veille, le congrès avait décidé qu'à l'avenir la langue fran- çaise, qui n'avait été adoptée que provisoirement, serait la seule employée pour les communications et publications du congrès. Une riche exposition préhistorique avait été organisée avec le concours de l'État, et réunissait les plus beaux spécimens des col- lections publiques et privées de toute Fftalie. Nicod LAPLANGHE. RAPPORT UN SÉNATUS-CONSULTE INÉDIT DE L'ANNÉE 170 RELATIF A LA VILLE DE THISBÉ, PAR M. P. FOUCART. L'inscription est la traduction grecque d’un sénatus-consulte de l'année 170 avant notre ère, en réponse à une ambassade de la ville de Thishé en Béotie. La découverte de ce monument est due à M. Blondel, ancien membre de l'École française d'Athènes, qui en avait commencé la copie. Pendant la mission dont j'ai été chargé en 1868, M. Blon- del, désirant consacrer tous ses soins à l'importante publication du manuscrit de Makarios Magnès, a bien voulu renoncer en ma faveur aux droits que lui donnait la priorité de sa découverte. Je n'ai pu obtenir que des renseignements assez vagues sur l'en- droit où le marbre a été trouvé: il a été découvert, m'a-t-on dit, il y a une dizaine d'années, dans une vigne voisine du village; mais on n'a pas pu ou l'on n'a pas voulu m'indiquer l'endroit précis. Ce qui est certain d’ailleurs par la nature même du mo- nument, c'est quil provient des ruines de Thisbé. Le marbre est conservé en entier; il ne manque rien ni au commencement ni à la fin. Pour plusieurs parties et surtout pour le milieu des lignes, la lecture est difficile; aussi ai-je dû consa- crer beaucoup de temps et d'étude à la transcription. La première copie, qui mavait occupé toute une Journée, laissant à désirer. je suis retourné au village de Kakosi, ét j'ai passé plusieurs heures — 322 — pour la corriger et la compléter. Enfin un estampage satisfaisant, que j'ai obtenu après des essuis répétés, m'a permis de contrôler ma copie. En étudiant avec patience la pierre et l’estampage, je suis arrivé à établir le texte plus complétement que je ne n'avais pu l'espérer tout d’abord. Sur soixante lignes, aucune ne manque en entier; les lacunes les plus considérables sont de quatre ou cinq lettres, et leur étendue exactement indiquée donne une base solide aux restitutions. On ne trouvera pas ces soins trop minutieux, si l'on veut bien considérer l'importance du monument et l'intérêt que lui donnent a la fois l'époque historique à laquelle 11 se rapporte et la rareté des actes officiels conservés d’une manière authentique. J'ai dressé la liste, malheureusement bien courte, des sénatus- consultes appartenant à l'époque de la république : En 186, le monument appelé sénatus-consulle des Baccha- nales !. De la même année date un fragment très-court d’un séna- tus-consulte adressé aux Delphiens dans une lettre du préteur Spurius Postumius ?; En 136, sénatus-consulte relatif aux contestations entre Îles habitants de Priène et de Samos; | 3° En 105, fin d'un sénatus-consulte en réponse à une dépu- tation d'Astypalæa #. L'original à péri, et le document n'est connu que par une copie incomplète et défectueuse; 4° En 78, sénatus-consulte relatif à Asclépiade, de Clazomène *. Toute la traduction grecque et une partie de l'original latin sont conservées ; 5° Vers 56, fragment d'un sénatus- aol relatif aux habi- tants d'Aphrodisias 5; 6° Sénatus-consulte adressé, sous forme de lettre, aux Tibur- tins 7. La date n’a pas été Jusqu'ici fixée d'une manière certaine. Cette simple énumération suffit pour montrer quelle est la va- leur d’un sénatus-consulte de l’année 170, conservé dans son inté- 1 Corpus inscr. lat. n° 196. ? Le Bas, n° 852 b. 3 Le Bas et Waddington, Inscri iptions d'Asie dar n° 199-198. Corpus inscr. gr. n° 2485. Corpus inscr. lat. n° 203. Le Bas et Waddington, Inscriptions d'Asie Mineure , n° 1267. 7 Corpus inscr. lat. n° 201.— Voyer:, pour la date, la page 341. A 5 — 69 grité et dont les soixante lignes n'offrent pas de lacunes considé- rables. La première question à examiner est celle-ci : Quelle est la va- leur de ces traductions grecques des sénatus-consultes? On n'hé- sitera pas à leur reconnaitre la même autorité qu'aux originaux, s1l est prouvé qu'elles ont été faites à Rome et qu'elles sont tout à fait littérales. Suivant Josèphe, César ordonna d'exposer au Capitole et dans plusieurs villes de Judée et de Phénicie les tables de bronze con- tenant ses décisions à l'égard des Juifs, en latin et en grec !. Les faits que nous connaissons sont d'accord avec le témoignage de l'historien juif, pour prouver que les actes officiels des Romains, relatifs aux Orientaux, étaient gravés en grec et en latin. Il n'y a pas de doute pour le sénatus-consulte d’Asclépiade. La table de bronze, sur laquelle il est gravé, a été retrouvée à Rome et contient, outre la traduction grecque, la fin de l'original latin. Cet exemple certain permet de croire qu'il en fut de même pour les quatre autres, quoiqu'on en connaisse seulement la traduction grecque et qu'on l'ait trouvée dans les villes auxquelles les sénatus- consultes étaient relatifs. À cette probabilité j'ajouterai un argument qui me paraît déci- sif : l'emploi constant de la langue commune et l'identité dans la traduction des formules latines. De quelque endroit que proviennent ces traduclions grecques, Delphes, Thisbé, Astypalæa, Priène, Aphrodisias, elles sont rédi- gées dans la langue commune, et non dans le dialecte de la ville à laquelle les actes sont adressés. L'exemple le plus frappant est ce- lui d’Astypalæa; le sénatus-consulte, écrit en langue vulgaire, est suivi d'un décret en dialecte dorien. À Thishbé, comme dans le reste de la Béotie, le dialecte béotien, très-mitigé, était encore en usage à l'époque où le sénatus-consulte fut gravé, et cependant il est traduit dans la langue commune. 11 y a quelques exceptions qu'il faut attribuer au graveur béotien : deux fois æ« est substitué a n, ar |. A8; déxar |. 5o; mais dans tous les autres exemples, et ils sont nombreux, cette substitution n’a pas eu lieu : olparn- 1 Avyarebñva dE nai yakxñv déÂrtoy raÿra mepiéyousar êv te 75 Kamerwäiw nai Zudäm xai Tip nai èv Âoudkwvt nai êv rois vaots, éyYXELapayÉVNY YpÉpuast . LA ‘ K, « 2" LI 4 Pounixots re xai ÉAAnrexote. (Josephe, Ant. Jud, XIV, 10, 3.) — 324 — y6s, TÀ nuerépa, dnuociwr, elc. La forme dialectique la plus no: table est &r)0ocav pour érñA0or. Ahrens avait déjà reconnu que cette forme en oo était celle de laoriste second en Béotie, et cité quelques exemples tirés de l'Etym. Magnum. Outre d77À0o- ga», j'ai trouvé dans une inscription inédite de Thebes , de la même époque, l'aoriste dehd6orar. L'erreur du graveur s'explique donc naturellement par l'usage fréquent de cette forme dans ie dialecte auquel il était habitué. Mais ces trois irrégularités n'empêchent pas que le monument tout entier soit rédigé dans la langue com- mune. La même observation s'applique aux formules. Si l'original latin avait été traduit en grec dans les villes auxquelles il était adressé, et non pas à Rome, il y aurait une certaine variété dans la traduc- tion. On verra, au contraire, dans les exemples cités ci-dessous, qu'elle est identique et paraît empruntée à un modèle commun : senalum consuluit œuvebouketaarto Tÿ ovyxAntw. D'TH:PR:ASC. scribendo adfuerunt ypaDouéve mapñoar. D'TH:PR:ASC:APHR. quod verba fecerunt | mepi œv Àdyous érowmoavto. TH:PR:ASC, de ea re ia placuit mepi roûTou To mpdyuaros oÙrws ëdoËev. TH:PR:AST : ASC. ia uti e re publica fideque sua videretur. (Cic. Ph. IH, 15.) xabos x Tüv dnuocilwr mpayudror ai ris idlas miolews Qaivyrai ou doxÿ. TH*AST:ASC. | Dans tous les paragraphes, la mention du vote (censuere) est traduite par &doëe. De ces deux preuves unies à l'exemple du monument d'Asclé- piade, on peut légitimement conclure que ces traductions des sé- natus-consultes ont toutes été faites à Rome. Il est vraisemblable que ce soin était confié à des Romains, probablement à des em- ployés des questeurs. ! Abrens, De dialecta Æolica, p. 210. — 9525 — On acceplera cette opinion encore plus volontiers en lisant l'inscription de Thisbé. Il est curieux de comparer le grec employé _dans les sénatus-consultes à celui de quatre lettres (195-140) écrites par les généraux romains à des cités grecques. On peut reconnaître dans le ton, dans la tournure de quelques phrases ou l'emploi de quelques expressions, que ces lettres n’ont pas été écrites par des Grecs, mais cependant la langue n’a rien de bar- bare. Il n’en est pas de même pour les sénatus-consultes; le tra- ducteur est préoccupé de rendre non-seulement les idées, mais même les tournures latines el les expressions, sans aucun souci du génie de la langue grecque. La traduction des formules a déjà pu donner une idée de cette langue étrange; la lecture d’un seul pa- ragraphe Ja rendra encore plus vive, et, dans le commentaire, j'aurai à signaler quelques expressions qui n’ont pu être employées que par un Romain. 20 25 — 320 — KOINTOZMAINIOETITOYYIOEETPATHTOETHIEYNK AH TOIEYNEBOYAEYEATOENKOMETIQITPOHME AB) .NETTAEIAYOQNOKTOMBPIQNTPADOMEN Q@4} TAPHEANMANIOEAKIAIOEMANIOYYIOZOATE.M ATITOZENOMISIOETITOYYIOEMEPIQNOIES RE] EIZAOTOYEENOIHEANTONMEPITONK AO A Y 7} OYENPATMATONOITINEZENTHIDIAIAIT HA) HMETEPAIENEMEINANOTQEAYTOI....O0QZ£.M) .IETAKAOGAYTOYENPATMATAE..HPFHEQNTAITEPITON) TOYTOYNMPAFMATOZOYTAOZSEAO=ENOTOQEKolIN To} MAINIOEETPATHFOETONEKTHEEYNKAHTOY.. . ENTEARHOTAZ=HIOIANAYTOIEKTONAHMOZIQNTIPAÀ .MATONKAITHEIAIAESTIETEREHAINQNTAIEA0O:E) ..TPOTEPAIEIAYQNOKTOMBPIQNTPADOMENQITA PH! SANTOIMAIOEMOYKIOEKOINTOYYIOEMAAPKOEK À A Ÿ| AIOEMAAPKOYYIOEMANIOEEEPTIOZMANIOYYI0Z | QEAYTOESTEPIQNOIAYTOIAOTOYEETOIHEANTONMEPIXQPAZ) .AITEPI..ME.QNKAITPOEOAQNKAITEPIOPEQN.AYTONE..M) .IEISANTAYTAHM.NMENENEKENEXEINEZEINAEAQ = ENTEPIAPXONKAITEPIIEPONKAITPOZ0AQNOMQEAYT ON} .YPIEYQZITEPITOYTOYTOYIPATMATOEOYTOEEA0=EN OITINEZEIETHN®IAIANTHNHMETEPANTIPOTOYHTAIOEAOKPE) TIOZTOZTPATONEAONTPOETHNIMOAINOIEBAZTPOEHT A FENOTQZOYTOIETHAEKATOE.Ë.EITAKYPIEYQZINEAOZ. M) TEPIXQPAZOIKIQNKAITONYITAPXONTONAYTOIEOYMOTE. .LAYT@ONTETONENOTQE..EAYTONAYTOISEXEINE=HI| EAOZENQEAYTOETEPIQNOIAYTOIAOTOYEETTOIHE ANTOON.. .IAYTOMOAOIOIIAIOIEKEIDYTAAEZONTEZ THNAKPANAYTOISONQ EI) TEIXISAIEZHIKAIEKEI...O1KQZINOYTOIKAOOTIENEbANIZANOY TRZEAOZENOTNQSEKEIKATOIKQZINKAITOYTOTEIXIZQZINEAOÏ ZENTHNITOAINTEIXISAIOYKEAO=ENQEAYTOSITEPIQNOIAYT. M AOTOYEETTOIHEANTOXPYEIONOEYNHNETKANEIEETE®ANONA .. SEIETOKAITETQAIONSTEDANONKATAEKEYAZQZINTOYTOIEKAO 10 15 20 25 30 — 321 — Kôivros Malvios Tirou vids oTparyyds rt ouvxA- Tui ouveGovAstoaro êv Kouetiwt, mpù nLEp- [&]» émrà Eidvr Oxrwubpiwr, ypapouéver œapijoar Mévios Âxfkios Mariou vids OArel[uwi-| a, Téros Nopioios Térou viôs: Ilepi dv O1a6- eis À6yous émouoavro mepi r@v xaÛ' ar- OÙs mpayuäTwr, olrives Év The GuAiar Te muerépar évéuevar, dmws aûroi |[d16p]0wo|:w] [elis rà xa0° adrods modyuara élio]nyswvrar, wepl ToU- TOU TOÙ pdyuaros, oÙùTws ÈdOËEv Oœws Kôivros Maivios oTparyyds T@v Éx Ts ouvxAñrou [ävdpas] [ælévre dmordËm oi dv arr Ex Tüv Onpooiwr wpa- {yluéron nai rs idias mioléws Gaivwvrar. KôoËs. [Ëu] œporépu Eldvér OxrwuBoiwr, ypaGouévar Dapñ- œav Tôraos Moÿx:os Koïvrou uids, Ma&xpxos KAa- dos Madpxou vids, Mavios Sépyios Maviou viôs. Qorvrws epi dv oi aûToi }6 VOUS ÉTOIOarTO mEpi YwpAs [ajæi mepi [Adué[rlwr xai mpoobdwr nai mepi dpéwr [élaurér, é[rei] [äp|soar raira, Hu[&\r pêèv Évexer £yerv, SËeuv, à Edo- Éey ‘mepi dpy@v nai mepi ispüv al Gpoabdwy, Ürws aÿroi [xlupevwor, mepi roûrou roù mpdyuaros oùrws EdoËsr oïruwes sis Tyv Quhiav Tv muerépar mpoù Toù ÿ l'éios Aoxpé- rios Tù oTlparômedor mpôs Tyv wo Olobas wpooi/ya- yev, dmws obrou ty déxa rd é[o]é[mJerra xvpisdwoiv. ÉdoË[er]. Ilepi ywpas, obu@vy nai Tv Üümapyovrwv aürois, oùnote [we-| [p]i atr@v yéyover dmws [ra] éaurdy adrois Éyev éËÿr. ÉdoËer. Qoabruws mepi dv oi aÿroi Ad yous émomjoavro ôm[6c-| [o]e aürôpohor oi lô1or Ener Quyddes dvres ryv äxpar aÿrois Ünws retyiou SE nai net [xar|omorv, odror, xaÜOTI ÉveGévioar, où- rws ÉdoËEr OÜmws ÊLET HATOIXGGIV HA TOÛTO TEtx{owoir. ÉSo- Éev. Tyv mOÀW reryiou oùx Edo0Ëev. Écatrws Gepi &v oi adr/oi] « Adyous émomoavro xpuolor à cuvyveyuar eis oTéQavov, [ô-] [mwls eis rd Karerwlor oTéGavor xaraoxevdowatr, roûrois, xa[6] 39 ho 45 6o 5 TOYTOYTIPATMATOZEANKPITAZAABEINBOYAONTAITOYTOIEKPITAZ. 0! t she ses Pelé > se à | LENEDANIEANOTIQEAYTolEAToA0GHo ETOYTONTONETERANONER] : Plane "0 ..QEOYTOIKATEXQNTAITIEPITOYTOYTOYIPATMATOEKAOQEANK. “| .IMAINIQISTPATHTQIEKTONAHMOZIONTIPATMATONKAITHEIAIAZTIR ET EUX A ORAN TOEROE NES . AOOEANKAIOYXITTPOETOKHP....... . HFOYTTAPETENONT0O0oTTOD} .HEISTAZ INRATATOPEYONTAITEPI TOY Te PAT MAT2EPSEAYAG] LETIAIONYTATONTPAMMATAATOZTEIAAIEAOZENOTOEITEPITOY TO!) No, NITPOEEXHIKAOQEANAYTRIEKTONAHMOZIQNTIPAT MATONK À . HEIAIASNISTEQSÉAINHTAIEAOZEN QSAYTOENTEPIQNOIAYTOIAOTOYEEMOIHE ANTON. | .NAIKQNZENOTTIOIA0Z . . . MNAZIAOZOTIQSEKXAAKIAOZA@EO NE KAIAAMOKPITAAIONYEIOYEKOHBQNAYTATTEPITOYTONTONTIPAT . || enr o emmnenennsemme LEAYTOETEPIOYTAYTAETAZTYNAIKAZYBP...AIKANE. ETONETPATHTONENET KEINEITIAZIANTEPITOYTOYTOYTIPAF) .E..0TEPONENANTITAIOYAOKPETIOYBOYAEYEAZOAIEAO. .AYTOESTTEPIQNOIAYTOIOIEBEISENE6ANISANTIEPISITOYKAIE. … .AYTOIZKOINQNIANTIPOSFNAIONTTANAOEINONTElONENAITIEP .. À .AIEAOZENQEAYTOESTTEPIQNOIAYTOIAOTOYEETMOIHEANTOITEPI TI FPAMMATAAOYNAIOIEBEYEINEIZAITOAIANKAIOKIAATIEPITOYT0) TOYTTPATMATOSOIZBEYEIKAIKOPONÉYEINEIZAITOAIANKAIDO | AAKAIEANTIOYEIEAAAAETIOAEIEBOYAQNTAITPAMMATAGIA AN OPATTAAOYNAIEAOZEN | ET [rle ÉveGanioav, dmws avrois dm0006ÿ d[mw]s roùrov Tv oTéGavor sis 35 [r]d KamerwAo» naTracusvaowoir, oùTws àmodoüva &SoËer. Ooaÿ- [rlws, mepi dv oi adroi Àdyous éromoavro ävfpwmous oïrives dmev|av-] [rila rois Omuootois mpdyuror rois uerépos nai rois Éaurr eiow, [ômles odror aTéywwrat, mepi roirou roù mpéyuaros xaËds àv K[oiv-] / [rœæ]e Mouvior oToarnyét £x Tv Onuooiwy mpayudrwr rai Ts idias mi- olews douÿ, oùTws moeir EdoËsv. Oirives sis 4À as mOÀeIs d- [æ#]lAdooav nai oùyi mods rù yp[uyua roi] o[Tpar]nyoù mapeyévorro, bnws [u]n sis TdËiv xararopedwvra, mepi robtrou Toù mpdyuaros mods AÙov [Olo7élov drardr ypépuata àmoolethar EdoËer, Dmws DEpi TOUT vo[ü]r moocéyn xabds dv adrTét x TO Opuooiwr mpayudTowv xai [r\ñs idéas miolews Gaivprou. ÉDoËew. Ooatrws GEpi wv Où 4ÜTO} À6yous STOWjOa4vTO G|epil [r]r dmy Esvomtbidos [nai] Mvacidos, dmws x Xahxldos dGe0wot xai AxLOHXDITA doiétos Ex OyÉdry aûTa, mepi TOUTwY Ty moay|ud-| roy dGeivar SSoËsr, ua mas sis OioBas un xarTÉé\Owotw ÉDoËcr. Qoaÿrws mepi où Tatras ras yuvaixas U6p[ews] déxar e[ivar] [æpd]s rdv oToaryydr éveyueiv èmi déiav, mepi roûrou roù mpdy|ua-| [rols [&e]orepor évarre V'aïou Aouperiou BouAstoactar édo|Ésv.] [Qolaurws mepi dv oi aÿroi O1o6ets éveGénioar wepi oirou nai é[ ai] [ou] aûroës xoivwviar mods l'yaïov Iavdooiwov yeyovévu, mep|i roi-] TOU TOÙ mpdyuaros, éav upiras AaGeiv BoÿAwyTa, roûrois xprras [d]o[ÿ:| [vla Sd0Ëer. Qoaÿrws mepi dv oi adroi \dyous éronjoarTo Geo Td Voduuara doüvar O1obeior sis Airwlar nai Poxida, mepi TOUTOU TOù mpdyparos uoÉsdot xai Kopæveotr eis Airwlar aai Po[xi-]| da nai Say mou sis LA as mors BovAwvTat, ypépuara Grhdv- , Dpwra dodvar 2d0Ëev. MISSY SCIENT. — VE, LS) — 330 — TRADUCTION. «E — Quintus Mænius, fils de Titus, préteur, a consulté le sé- «nat dans le Comitium, le sept des ides d'octobre; assistarent à la «rédaction : Manius Acihus, fils de Manius [de la tribu Veltiais «Titus Numisius, fils de Titus. «Considérant que les Thisbéens ont exposé qu'étant restés «fidèles à notre amitié, ils doivent pouvoir proposer les moyens «d'améliorer leurs affaires intérieures ; «Sur ce sujet, il a été décidé de la manière suivante : Quintus «Mænius, préteur, désignera cinq sénateurs qu'il choisira selon «l’intérêt public et sa conscience. — Adopté. QI. — Le premier jour des ides d'octobre, assistaient à la ré- * «daction : Publius Mucius, fils de Quintus:; Marcus Claudius, fils «de Marcus; Manius Sergius, fils de Sergius. «$ 1. — De même, considérant ce qu'ont dit les mêmes députés «au sujet de leur territoire, au sujet des ports et de leurs revenus, «au sujet des montagnes qui leur appartiennent, attendu qu'ils en «ont fait Pabandon, ils demandent à les posséder dans le présent «et pour l'avenir, avec notre permission, selon ce qui a été décidé; « Au sujet dessmagistratures, au sujet des temples et de leurs re-” «venus, ils demandent à décider souverainement. « Sur cette affaire 1l à été décidé de la manière suivante : « Tous ceux 'qui se sont déclarés pour notre alliance avant « le temps où Gaius Lucrétius à établi son camp devant la ville de «Thisbé, ceux-là pourront décider souverainement, pendant dix «ans, à partir du moment présent. — Adopté. « Pour le territoire, les constructions et leurs biens, 1l n’y à ja- «mais rien eu qui leur permit de posséder ces choses en toute pro- DOI 1e 4 « priété. — Adopté. «$ 2. — De même, considérant que les mêmes députés de- «mandent pour ceux de leur parti qui ont passé du côté des Ro- «mains, et qui sont là-bas à l'état de bannis, la permission d’en- 1) Là s «tourer de murs la hauteur et de s’y établir; «Il a été décidé que ces hommes, conformément à leur décla- «ration, pourront s'établir dans cet endroit et l'entourer de murs; «Il a été décidé que la ville ne serait pas fortiliée. «$ 3. — De même, considérant que les mêmes députés de- — 331 — «mandent que l'or qu'ils ont réuni pour une couronne, afin de la «consacrer au Capitole, on le leur remette, comme ils l'ont déclaré, « pour consacrer cette couronne au Capitole, il a été décidé qu’on «le leur remettrait à cette condition. «$ 4. — De même, considérant que les mêmes députés de- « mandent que les hommes opposés aux intérêts publics, aussi bien «aux nôtres qu'a ceux de leur cité, soient retenus [à Rome]; «Sur cette affaire, il a été décidé d'agir comme le préteur « Quintus Mænius pourra juger bon d’après l'intérêt public et sa « conscience. «Au sujet de ceux qui sont partis pour d’autres villes et qui «n'ont pas répondu à la proclamation du préteur, ils demandent « qu'ils ne puissent pas revenir et reprendre leur rang; « Sur cette affaire, il a été décidé d'envoyer une lettre au consul « Aulus Hostilius, afin qu'il s'occupe de ces choses, et qu'il décide « selon l'intérêt public et sa conscience. — Adopté. « $ 5.— De même, considérant ce qu'ont dit les mêmes députés «au sujet des arrêts prononcés touchant Xénopithis et Mnasis, «afin qu'on les laisse partir de Chalcis, et qu'on laisse partir aussi « de Thèbes Damocrita, fille de Dionysios ; « Sur ces affaires, il a été décidé que ces personnes seraient re- « lächées et aussi qu'elles ne rentreraient pas à Thisbé. — Adopté. «$ 6. — De même, considérant quils demandent pour ces « femmes la permission d'intenter au préteur une action de vio- « lence , afin de le faire condamner à une amende; « Sur cette affaire, 1l a été décidé de délibérer d’abord en pré- « sence de Caius Lucrétius. — Adopté. __«$ 7. — De même, considérant les déclarations des mêmes « Thisbéens au sujet d'un contrat de société fait entre eux et Cnæus « Pandosinus, au sujet de blé et d'huile; « Sur cette affaire, s'ils veulent prendre des juges il a été décidé « de leur donner des juges. — Adopté. « $ 8. — De même, considérant que les mêmes députés de- «mandent qu'on donne des lettres aux Thisbéens pour l'Étolie et « la Phocide ; « Sur cette affaire, 1l a été décidé de donner des lettres de re- « commandation aux Thisbéens et aux Coronéens pour PEtolie et « la Phocide, et pour d'autres pays, s'ils le désirent. — Adopté. ) — 332 — L'étude de ce document se divise naturellement en deux parties. Dans la première, j'examinerai les questions relatives aux ma- gislrats et aux sénateurs nommés comme témoins, les formules des sénatus-consultes et les conséquences que l’on peut en tirer pour fixer les dates des monuments de cette nature. Dans la seconde, j'étudierai l'acte en lui-même, c'est-à-dire les demandes des députés et les décisions du sénat. PREMIÈRE PARTIE. La date n’est pas douteuse. Le consul Aulus Hostilius, nomme à la ligne 43, exerça cette charge pendant l'année 170. En outre on sait par Tite-Live que Q. Mænius fut préteur dans la même année. Le mois et le jour sont indiqués dans le sénatus-consulte. La première séance eut lieu le 7 avant les ides d'octobre; la se- conde, le-premier jour des ides !. Le magistrat qui consulte l'assemblée porte le titre de ofparnyés, sans addition des mots xar& mode ou ér) Ever 2. Le chapitre de Tite-Live qui contenait les noms des préteurs élus et la désigna- tion de leurs fonctions est un de ceux qui ont disparu, mais il est facile de voir, dans la suite de son récit, qu'en l’année 170 M. Ræcius exerça la préture urbaine et que Q. Mænius fut præltor peregrinus ÿ. Le droit de convoquer et le droit de consulter le sel étaient ! La forme Oxrépépros ne figure pas dans le Thesaurus ; dans le Dictionnaire de Pape, elle est indiquée comme une ADN En effet, on ne l'avait ren- contrée que dans des inscriptions d'assez basse époque. ! Mais elle se trouve deux fois dans ce texte, et très-lisible; elle est donc moins barbare et plus ancienne qu'on ne l'avait cru jusqu'ici. ? Dans les actes officiels de cette époque, le préteur, qu'il soit urbanus ou pere- gr'nus, est désigné par ie ütre de préteur.— Lettre aux habitants de Téos adressée par le prætor peregrinus en 193 : Mépxos Oüaddpios oTparnyds. (Le Bas et Wad- dington, Inscriptions d'Asie Mineure, n° Go.) — Lettre aux Tiburtins : L. Corne- lius Cn. f. pr. sen. cons. (Corpus inscr. lat. n° 201.) — Sénatus-consulte sur les rhéteurs, cité par Aulu-Gelle (XV, 11) : M. Pomponius prælor senatum consuluit. — De même, dans les deux premiers sénatus-consultes relatifs aux Juifs{Josèphe, Antiq. Jud. XIIT, 9 et XIV, 8). La désignation du titre du préteur se trouve dans les deux sénatus-consultes de 105 et de 78, non pas dans le corps de l'acte, mais dans l'intitulé. $ «M. Ræcio prætori mandatum ut edicto senatores omnes ex tota’Ltalia , nisi qui reipublicæ causa abessent, Roman revocaret. » {Livius, XLIIT , 1 1.) Ce soin ne pou- — 333 — distincts !. Comme le seul magistrat nommé dans celte affaire est Q. Mænius, il est évident que c’est lui qui convoqua et qui con- sulta l'assemblée. Les préteurs avaient ce droit, mais ils ne l’exer- aient d'ordinaire qu'en labsence des consuls. Or, à cette époque, Aulus Hostilius était à l’armée de Macédoine, et Atilius en Li- gurie. Un passage de Varron, cité par Aulu-Gelle, à fait penser à M. Becker ? que le préteur urbain, comme occupant le premier rang, pouvait seul consulter le sénat, en l'absence des consuls. On voit, par l'exemple de Q. Mænius, que la règle n’était pas aussi r'i- goureuse, et qu'en l'absence des consuls le sénat était convoqué et consulté par le prætor urbanus ou le prætor peregrinus, selon la na- ture des affaires. Le lieu des séances est appelé le Comitium , év Kouerior. La même désignation est employée dans les sénatus-consultes de 136, de 78 et dans le premier des Juifs, tous trois relatifs à des étrangers. On est généralement d'accord pour reconnaitre que, dans ce cas, le Co- milium désigne, non pas l’espace découvert qui se trouvait près des Rostres et où la foule avait accès, mais la Curia Hostilia qui tou- chait au Comitium. On voit, par plusieurs passages de Tite-Live, que les députés étrangers venaient dans le Comilium s'adresser aux magistrats et demander audience au sénat; c'est là qu'ils attendaient la réponse. Quand les décisions avaient été formulées dans un sé- vait être confié qu'au préteur urbain. D'un autre côté, Q. Mænius fut chargé d'introduire les députés des villes étrangères, Abdère, Lampsaque, Chalcis, de leur répondre au nom du sénat et d'exécuter les décisions de l'assemblée. { Livius, XLIIF, 4,6,8.) On peut en conclure que Q. Mænius était prætor peregrinus. l Te ouvuñTer ouveSouAetoaro. La forme moyenne est également employée dans les sénatus-consultes de 186 (Le Bas, n° 852 b), de 136, et dans le second sénatus-consulte des Juifs. I faut donc, dans le sénatus-consulte d’Asclépiade, restituer cuveGouAstoaro plutôt que cuveboÿAeuce. ? Antiquités romanes , t. Il, p. 184 et 404. * Les députés de Locres se présentèrent aux consuls qui étaient assis dans le Comitium ; 1ls leur firent connaïtire leur patrie, le sujet de leur ambassade et demaudèrent à être recus dans le sénat. Après qu’ils eurent été admis et qu'ils eurent prononcé leur discours, on les fit sortir de la curie pendant la délibération. (livius, XXIX , 16.) — Après la défaite de Persée, les Rhodiens restèrent debout dans le Comitiun, pendant que le consul demandait au sénat s'il voulait les re- cevoir. Posiquam consulti ab M. Junio consule patres, stantibus in Comitio legatis.… Le consul sortit de la curie pour leur annoncer le refus du sénat. Egressus e curia consul... pronuntiat... (Livius, XLV, 10.) : —— 04 — natus-consulle, tantôt le magistrat qui avait convoqué l'assemblée venait les lire dans le Comitium, tantôt on faisait rentrer les dé- putés dans la Curie !. De là l'usage général de délibérer sur lestaf- faires relatives aux étrangers dans la Curia Hostilia, et d'indiquer dans les actes officiels, non la Curie où la délibération avait eu lieu , mais le Comilium qui en était voisin et où les députés étrangers attendaient la réponse. - Deux sénateurs assistèrent à la rédaction du premier sénalus- consulte. Mavios Auxthios Maviou uios. M' Acilius M f. Glabrio. Il y avait, à cette époque, deux branches de la gens Acilia, les Glabrion et les Balbus. Dans la branche des Balbus, on connait un M’ Acilius, consul en 150, mais son père avait pour prénom Lucius. Dans la branche des Glabrion, le fils du vainqueur des Thermopyles fut consul en 154. M° Acilius M’ f. C. n. Glabrio?. Ce personnage est évidemment le témoin du sénatus-consulte. Il fut édile curule en 167%, l'année de la représentation de l'Andrienne. En 170, il avait donc seulement exercé la questure #. Le nom de ce personnage est suivi de quelques lettres peu dis- tinctes OATE | A; la première, la deuxième et la dernière sont certaines, la troisième et la quatrième, douteuses; le nombre des letires qui ont disparu avant A est incertain, parce que le mot est coupé à la fin d’une ligne. On ne peut y voir un cognomen, car on n’en trouve dans aucun acte officiel avant l’année 78, et d’ailleurs, il n’est jamais indiqué, sauf pour les magistrats éponymes, qu'après la tribu. Je pense donc que c’est le nom de la tribu Vollinia®. Peut- 1 « Indigna res visa senatui, decreveruntque eadem de Abderitis, quæ de Coro- næis decreverant priore anno eademque pro concione edicere Q. Mænium prætorem jusserunt.» (Livius, XLIIL, 4.) — « Vocatis in curiam legatis, recitatum est se- natus consultum:» (Livius, XLIIT, 2 ). ? Corpus inscr. lat. Fast consulares. 3 Id. Fasti consulares. * Peut-être faut-il lui attribuer une monnaie trouvée en Sicile et décrite par M. Mommsen (Geschichte des Rômischen Münzwesens, p. 374, note 27). M: ACILI:Q: Suivant M. Mommsen, la forme du L et la mention de la questure prouvent que cette pièce date de la république. Si elle doit être attribuée à ce M Acilius, elle serait antérieure à l'année 170. 5 Dans les sénatus-consultes de 136 et 38, le nom de la tribu est écrit sans cadscrit. — 339 — , - être, en la mentionnant ici par exception, a-t-on voulu distinguer M Acilius Glabrio de M Acilius Balbus qui pouvait être sénateur à la même époque. Tiros Nouisios Térou vios. Titus Numisius Tarquinmiensis. Il fut l’un des dix députés envoyés par le sénat pour régler l'état de la Macédoine, après la défaite de Persée. Tite-Live ! rappelle les vrandes magistratures exercées par chacun des députés ,-censure, consulat ou préture. Son silence à l'égard de T. Numisius Tarqui- miensis prouve qu'en 168, et à plus forte raison en 170, il n'avait pas encore dépassé la questure; ce qui explique comment il est ici placé après M’ Acilius. Trois témoins assistèérent à la rédaction du second sénatus-con- sulte. IôorÀos Mouxos KoïvTou vios. _ P. Mucius Q. f. Scævola. Ce sénateur est l’un des personnages les plus considérables de Rome à cette époque, P. Mucius Q. f. P. n. Sgævola?. En 179, ül fut nommé préteur en même temps que son frère Quintus et dé- signé pour la préture urbaine. [Prætores] hi facti Q. et P. Mucir Q. f. Scævole..... P. Mucius urbanam sortitus provinciam est $. En 179, il fut consul et, l'année suivante, triompha des Ligures et des Gaulois *. Si, comme il est vraisemblable, les témoins qui ont as- sisté à la rédaction du sénatus -consulte étaient ceux-la méme que le préteur avait choisis pour examiner les demandes des Thispéens, il est tout naturel que P. Mucius Scævola , personnage consulaire, honoré du triomphe, eut été choisi le premier, et inscrit le premier dans la liste des témoins. Maxoxos KAaÿôros Maioxo yios *. M. Claudius M. f. Marcellus. Ce personnage appartient à la famille des Marcellus; car les 1 Luvius, XLV, 17. ? Corpus inscr. lat. Fasti consulares. 3 Livius, XL, 44. ‘ Id. XLI, 19. — Corpus inscr. lat. Fasti triumphales. * L'orthographe MAAPKOZ et MAAPKOY montre que la gémination de — 336 — Claudius plébéiens furent les seuls qui portèrent le prénom de Marcus. dé | En 170, nous connaissons deux personnages portant les mêmes noms. Le premier est M. Claudius Marcellus, préteur urbain en 1881, et mort à la fin de l'année 169?. Le prénom de son père n'est pas connu; c'est la seule raison, pour ne pas le reconnaître comme le témoin du sénatus-consulte. Le second Marcellus est le petit-fils du grand Marcellus, l'adver- saire d’Annibal. Son père, Marcus Claudius Marcellus, fils de Mar- cus, petit-fils de Marcus, fut préteuren 199, consul pour la première fois en 196, et la même année pontife, triomphateur; censeur en 168, consul pour la seconde fois en 183.11 mourut en 177, etson fils Marcus le remplaça comme pontife 5. C’est ce fils qui figure ici comme témoin du sénatus-consulte. Par une coïncidence singulière, son père figure aussi comme témoin dans le seul sénatus-consulte que l'on connaisse avant celui de Thisbé, celui des Bacchanales. En 170, M. Claudius Marcellus n'avait pas encore été préteur, il fut élu l’année suivante. Trois fois consul 166, 155 et 192, il obtint deux fois les honneurs df triomphe. Mavios Sépyios Maviou uios. M' Sergius M f. Silus. Tite-Live (XXXII, 28) parle d'un M Sergius Silus qui fut pre- teur urbain en 197. Il est douteux que ce soit Le témoin du sénatus- consulte; car on aurait placé son nom avant celui de M. Claudius Marcellus qui n'avait pas encore exercé la préture. — En 165, un corps de l'armée de Paul-Émile était commandé par un M Sergius Silus avec le titre de legatus*. Souvent d'anciens préteurs ou d’an- ciens consuls étaient chargés de ces fonctions. Mais d'ordinaire Tite-Live rappelle la charge qu'ils avaient exercée, comme il la l'& est beaucoup plus ancienne qu'on ne l'a cru jusqu'ici. — Dans l'inscription des proxènes de Delphes, gravée vers la même époque, on trouve également MAAPKOZ et MAAPKOY.M.G. Boissier, dans un article de la Revue archéo- logique (1869, Il, p. 42) a montré que cette réforme, attribuée au poëte Atüus, fut probablement due à l'influence des Grecs aussi bien qu'à celle des Osques. | Livius, XXXVIIT, 35. 2 LIL IN me 3 Jd: XL 8 LL MREXS F0: — 937 — fait dans lun des chapitres précédents pour Sulpicius Gallus. C. Sulpicius Gallus tribunus nulitum secundeæ legionis qui prætor su- periore anno fuerat. (XLIV, 37.) L'absence de cette mention pour M' Sergius Silus autorise à croire que le légat de Paul-Emile était non pas le préteur urbain de 197, mais son fils, et que ce fils est le témoin du sénatus-consulte. En 170, il pouvait très-bien avoir exercé la questure qui lui ouvrit l'accès du sénat !. La mention de ce personnage dans le monument de Thisbé permet de déterminer la date, jusqu'ici incertaine, d’une des plus anciennes inscriptions de l'Espagne citérieure. Elle est gravée sur une borne milliaire trouvée aux environs de Barcelone?. MW:SERGI-MW:f PROCOS XXI Aucun M'Sergius ne figure dans la liste des consuls. M. Mominsen a levé cette difficulté en rappelant que Paul-Emile, préteur, fut enyoyé en Espagne avec le pouvoir proconsulaire ÿ. Mais l'auteur, tout en reconnaissant que l'inscription doit être assez ancienne, dit qu'on peut seulement affirmer qu'elle est antérieure à l'époque d'Auguste. On peut, je crois, admettre que le M Sergius MF. de inscription d'Espagne est le même que le M Sergius M’. f. témoin du sénatus-consulte. En effet, le prænomen et le .nom du père sont les mêmes ; l'absence de cognomen dans leg deux monuments est un nouvel indice qui achève de rendre cette identification très-probable. La date de sa préture, pendant laquelle il fut envoyé dans PEs- pagne citérieure avec la puissance proconsulaire, est incertaine. On connaït par Tite-Live les noms des préteurs jusqu'à l’année 167; M Sergius Silus n'avait pas encore obtenu cette charge à cette époque; en 164,il fut chargé d'une ambassade en Orient et en Grèce *. Sans pouvoir fixer l’année précise de la préture de M Ser- gius, on ne peut, en tout cas, la placer après la première moitié du second siècle avant notre ère. ! On connaît une monnaie frappée pendant la questure d'un M Sergius Silus. (Mommsen, Geschichte des Rôümischen Münzwesens, p. 953, n°162. — Corpus user, lat. n° 365.) Au verso : « Roma ex s. ce.» — «Au revers : M. Sergi. Silus, Q.» ? Corpus anscr. lat. n° 1486. 3 Plutarch, Paul-Enule, 4. : Polyb. XXXI, 1x, 6. 390 — Cette date est importante pour l'histoire de la domination ro- maine en Espagne. Polvhbe dit que, de son temps, les Romains avaient mesuré exactement la route jusqu’à Carthagène et avaient. marqué les milles !. Cette borne milliaire confirme l’assertion de l'historien grec. Elle prouve même plus. En publiant de nouveau. l'inscription, M. Hübner, d’après le nombre des milles et l'endroit où la borne fut trouvée, montre qu'elle ne peut appartenir à la route appelée plus tard Via Augusta, qui descendait des Pyrénées, ni à la route maritime d'Emporiæ; elle provient probablement de la route de Barcinone à Ilerda?. On pourra donc conclure de ce monument que, entre les années 167 et 150, les Romains avaient non-seulement achevé la voie principale jusqu'à Carthagène, mais encore commencé les voies secondaires. Ainsi se trouve confirmée l'assertion de Polybe, et l’on a un nouvel exemple de la promp- titude avec laquelle les Romains se hâtaient d'ouvrir des routes dans les pays conquis. MANIÈRE DE DATER. La manière de dater les sénatus-consultes a varié plusieurs fôis pendant le vi‘ et le vn° siècle. On peut maintenant fixer avec cer- titude ces modifications et en marquer l’époque. I. Jusqu'en 136.— Les consuls ne sont pas nommés dans les sénatus-consultes des Bacchanales (186), de Thisbé (170), de Priène (136); Dans les deux monuments de 186 et de 136,ce sont les deux consuls où lun des consuls qui prennent la parole; on pourrait donc croire que cette mention a paru suflisante pour fixer la date et quon n'a pas cru nécessaire de répéter leurs noms. Mais le sé- natus-consulte de Thisbé fait voir qu'il n’en est pas ainsi, et quà cette époque l'usage d'inscrire le nom des consuls en tête de l’acte n'était pas encore établi. En effet, le magistrat qui consulte le sénat est un préteur, et si l’un des consuls, Aulus Hostilius, est nommé, c'est seulement d’une manière incidente et à la ligne 43. IL. 105-78. — Les sénatus-consultes d’Astypalæa (105) et d’As- clépiade (78) sont datés non-seulement par les noms des consuls, mais aussi par ceux des deux préleurs urbanus et peregrinus. ! Polyb. IT, 59. ? Corpus inscr. lat. t. I, n° 4956. — 939 — HI. 56. — Dans le fragment de lannée 56, les consuls seuls sont nommés, et cet usage a été conservé dans les monuments pos- térieurs. Le mois, le jour et le lieu de la séance sont indiqués dans tous les monuments. TÉMOINS. Après la date, on inscrit le nom des témoins qui ont assisté à la rédaction du sénatus-consulte. Les témoins sont au nombre de trois dans les sénatus-consultes des Bacchanales, de Priène, d’As- clépiade, dans la seconde séance du monument de Thisbé. Deux sénateurs même suffisaient, comme le prouve la première séance. Cicéron raconte le marché fait entre deux candidats au consulat et les consuls de l’année 54. Ceux-ci devaient favoriser leur élection, et, en revanche, les candidats s'engageaient, sous peine d’une in- demnité considérable, à trouver deux consulaires qui affirmeraient avoir assisté à la rédaction d'un sénatus-consulte qui n'avait jamais été rendu !. On voit, d’après ce passage, que deux témoins suflisaient pour assurer l'authenticité d’un sénatus-consulte, même dans les der- mères années de la république. Mais , à cette époque, l'usage avait prévalu de faire assister à la rédaction un nombre de témoins beaucoup plus grand, et peut-être les fraudes comme celle que rapporte Cicéron avaient contribué à le faire établir. Ainsi dans le monument de l’année 56, dans les auctoritates de 51, dans le troi- sième sénatus-consulte pour les Juifs, les témoins sont de neuf à douze. | NOMS DES TEMOINS. Pour les noms des personnages, les nouveaux documents de Thisbé et de Priène permettent de compléter et de modifier l'opinion de M. Mommsen. L'auteur, d’après les monuments connus à Pé- poque où il a publié son travail, établissait comme règle que la mention de la tribu et du cognomen dans les actes officiels n’était pas antérieure à l'époque de Sylla. Voici quelles additions on peut apporter à cette thèse, en ne prenant pour base que les sénatus- consultes. 1_« Duo consulares qui se dicerent im ornandis provinciis consularibus seribendo adfuisse quum omnino ne senatus quidem co die fuisset. » (Ad Atticum , IV, 18, 2.) — 340 — D'abord, l'usage n'a pas été le même pour les magistrats Épo- nymes et pour les sénateurs qui servent de témoins. I y a eu une grande irrégularité pour les noms des consuls et des préteurs. En 136, la tribu seule est ajoutée au nom du consul; en 103, elle n’est plus indiquée; en 78, le cognomen est ajouté: mais il ne l’est plus dans le fragment de 56. Il reparaît dans les sénatus-consultes sur les aqueducs. Au contraire, il n'y a rien d’irrégulier pour les noms des séna- teurs qui assistent à la rédaction d’un sénatus-consulte, et on peut élablir une règle assez sure. 186. Ni tribu ni cognomen. — De même dans le fragment de Delphes. 170. Ni tribu ni cognomen, sauf une seule exception, douteuse, pour M Acilius. 136,78. La tribu est indiquée, mais non le cognomen. En 56 et dans les auctoritates de b1, on mentionne à la fois la hibu et le cognomen. On voit donc que la mention de la tribu et du cognomen à suimi une marche très-régulière pour les noms des sénateurs témoins des sénatus-consultes. La tribu et le cognomen n’ont pas été ajoutés en même lemps, mais d'abord la tribu seule, au moins jusqu'en l’année 78, puis le cognomen entre 78 et 56. Je crois prudent, pour le moment, de nous borner à cette série de monuments qui sont de même nature, et encore dans cette série, de prendre pour base le nom des témoins et non celui des magistrats. Dans les autres actes, les irrégularités sont trop nom- breuses pour qu'on puisse établir une règle. I suflira d'en citer quelques exemples. Dans la gens Æmilia, les Lepidus semblent avoir eu l'habitude d'ajouter leur cognomen dès une époque très- ancienne : M. Ænulhius M. f. M. n. Lepidus cos !, et dans l'inscription des proxènes de Delphes : Méapuos Ainvuos Aémedos Matpnou viôs ”. Au contraire, à la même époque, la branche des Paulus ne men- L Corpus anscr, lat. n° 535-537. à Inscriptions recueillies à Delphes, n° 18,1. 118. — SU] — tionnait pas son cognomen, comme le prouve l'inscription récem- ment découverte en Espagne : L. Æoulius L. f. impeirator ‘. Dans cette même liste des proxènes de Delphes, sur cinq Ro- mains, deux seulement ont le cognomen; trois ne l'ont pas. Un dé- cret inédit de la même époque en l'honneur d’un Romain, patron de Delphes, porte : Aevxsos Y Auos Aevxlou uiés. En général, ce qui domine dans la première moitié du second siècle avant notre ère, c’est l'absence du cognomen, mais cela n'est pas une règle absolue. Ainsi, sur les monnaies frappées entre 200 et 1542, sept magistrats sur cinquante-six ont le cognomen; à partir de 154, la mention est aussi fréquente que l’omission. II est donc plus prudent, je le répète, de s'en tenir aux noms des témoins dans les sénatus-consultes, puisque nous avons pu établir dans les actes de cette nature une règle assurée. On peut faire une application immédiate de cette règle pour fixer la date encore indécise d'un monument important et contrôler la valeur des sénatus-consultes conservés seulement par les écri- Vains. Dans le sénatus-consulte adressé sous forme de lettre aux Ti- burtins, le seul magistrat nommé est le préteur L. Cornelius Cn. f M. Ritschl pense que ce préteur est le même que le consul de année 156. Visconti plaçait ce monument beaucoup plus bas, à l’époque de la guerre sociale; M. Mommsen incline à croire que c'est le préteur L. Cornelius Sisenna nommé dans le sénatus-con- sulte d’Asclépiade en 76. D'après les observations faites précédem- ment, on voit que l'opinion de M. Ritschl est beaucoup plus pro- bable. En effet, les consuls de l’année ne sont pas nommés, les té- moins ne sont qu'au nombre de trois; enfin, ce qui me paraît une raison décisive, ni la tribu ni le cognomen ne sont indiqués pour aucun de ces quatre personnages. Ce sénatus-consulte est donc an- térieur à celui de l'année 136. D'un autre côté, l'orthographe montre qu'il est postérieur au sénatus-consulte des Bacchanales, en 186. Entre ces deux dates, 186 et 136, on connaît un L. Cor- nélius Cn. f. Lentulus qui fut consul en 156. Il est donc très-pro- Hermès, t. IT, p. 245. 3 Corpus uiscr. lat. n° 250 et st[- — 312 — bable que c’est lui qui adressa, comme préteur, la décision du sénat aux Tiburtins; par conséquent il faut placer ce monument quel- ques années avant 190. Cette étude nous permet de comprendre les altérations que Jo- sèphe ! a fait subir aux sénatus-consultes cités dans son ouvrage. Pour les formules, labréviation de quelques détails et l'orthographe de quelques mots montrent évidemment que le copiste n'a pas eu sous les yeux la traduction grecque officielle, mais loriginal latin qu'il a abrégé en grec. En effet, ouynyæye n'est pas la tra- duction usitée de consuluit, toujours rendu par cuvebouAstoaro. Ou, s'il y avait dans l'original latin le mot coegil, qui ne se trouve dans aucun des monuments conservés, il a oublié de traduire le mot consuluit qui n'est jamais omis. [læporros est seulement un équiva- lent de scribendo adfuerunt, formule toujours traduite par ypa@o- pévo waoñoar. Dans la transcription des noms propres, Komréw, Nouxtou, ont été copiés sur le latin et non sur le grec, car à l'époque de ce sénatus-consulte , on écrivait Koueréw, Neuxiou; c'est plus tard que les Grecs ont employé ov pour rendre u de Lucius. Quant au corps même du sénatus-consulte, le copiste ne l'a pas reproduit en entier ; il en a fait une analyse et un résumé. En effet, il à réuni toutes les demandes des Juifs, quoiqu'elles portassent sur des points différents; il n’a cité de la réponse du sénat que la partie qui confirmait la thèse soutenue dans le livre des Antiquités; le reste est seulement analysé. On voit, au contraire, par le sénatus- consulte de Thisbé, que chacune des demandes était reprise dans un paragraphe spécial, et suivie de la décision du sénat, avec la mention du vote. Ï D'un autre côté, la comparaison avec les monuments épigraphi- ques, au moins en ce. qui concerne les formules, est toute en faveur de l'authenticité du monument cité par Josèphe, et de la date que lui assigne M. Hübner, entre 129 et 106. En effet, il n’est pas date par les noms des consuls, quoique ces magistrats ne soient pas nommés dans le reste du sénatus-consulte. Cette mention n'était pas encore usitée en 136 , tandis qu'elle était déjà établie en 105. Les deux témoins sont désignés seulement par le nom du père et ! Davos Mapuou vids oTparnyds Bouhñr ouvyyaye rpd dur® Eid@r Debpouapiwr év Koyutiw, mapôyros Aouxiou Mavviou Aouxiou vioù Mevriva, nai T'aiou Eeurow- viou Hesvaiou (pour Tyafou) vioë Daképva. (Josèphe, Ant. Jud. XI, 9, 2.) us PAGE la tribu, mais non par le cognomen; il en est de même dans Île monument de 136. Pour le second sénatus-consulte , on a reconnu depuis longtemps que Josèphe avait commis une erreur en lattribuant à Hyrcan IF. Il est du temps d'Hyrcan I, comme le précédent, et donne lieu aux mêmes observations !. | Le troisième est de l'année 44. Au moins, d’après les formules, il n'y à pas lieu de douter de son authenticité. Les témoins sont au nombre de onze. Nous avons vu qu'en général, à l'époque de Ci- céron , ils étaient beaucoup plus nombreux. La tribu est toujours indiquée ; si le nom du père et le cognomen manquent pour quel- ques-uns, c'est un oubli du copiste, car jamais le nom du père n'a été omis dans aucun acte, et le cognomen manque seulement pour les derniers témoins. Deux sénatus-consultes ont été cités par Aulu-Gelle (XV, 11}. Le préambule du premier (161) n'a pas été copié exactement. C'est l’auteur qui a ajouté le noi des consuls avec le cognomen, afin de préciser la date. Cette mention ne pouvait se trouver sur l'original, car nous avons vu qu'en 170 et en 136 on ne datait pas les actes par les noms des consuls. En revanche, on n'omettait jamais la mention du jour et du mois, qui manque dans sa copie. Il y à en- core d'autres inexactitudes. M. Pomponius prætor; il est certain que le père était nommé. Quod verba facta sunt; on n’employait pas cette tournure générale, mais on nommait celui qui avait pris la parole. La sentence elle-même paraît avoir été copiée plus exac- tement. Pour le second (99), l'auteur a également indiqué la date par le nom des consuls, mais il a émis le mois, le jour, le lieu de la séance, le magistrat qui a consulté le sénat. SECONDE PARTIE. Avant d'entrer dans l'examen des différentes parties du sénatus- consulte, 1l est bon de rappeler quel était l'état de la Béotie et des partis qui se disputaient le pouvoir. Thisbé n'est qu'une petite ville, mais son histoire reflète les ré- l Aeÿruos Oÿaaspios Aeuxlou vids oTparnyos gsuveGouhstoarto Tÿ ouyxAntw Kidoïs AcxeuGpius éy r® ris Ouovoins vaÿ. TpaQouére T& ddypars mapñoar Aeixos Kuw- mämos Aeuxiou vios Ko)Aiva, nai Haripios Kupiva. (Josèphe, Ant. Jud. XIN,8, 5 à — 3hh — volutions et les divisions qui agitaient alors la confédération béo- lienne et le monde grec tout entier. On y peut apprécier, soit lx politique romaine à l'égard des villes grecques et la conduite des généraux de la république, soit l'état de ces malheureuses cités et les factions qui les divisaient. Dans cette guerre, où périt définitivement lié enine de la Grèce, deux partis se disputaient le pouvoir dans la Béotie, et la lulte se poursuivait dans chacune des villes, ardente, implacable ; les vainqueurs d’un moment exilant ou mettant à mort les vain- cus; les bannis errant en troupes nombreuses, guettant le mo- ment de ressaisir le pouvoir et de se venger de leurs adversaires. D'un côté, le parti démocratique, ayant pour chefs un certain nombre de nobles, voulait le maintien de la confédération et l’al- liance avec Persée, pour repousser la domination romaine; de l'autre, l’oligarchie se déclarait pour Rome, acceptant, souhaitant même la déssohtitis de la confédération afin d'assurer son pouvoir dans chacune des villes isolées. Tite-Live, probablement d’après Polybe, à retracé dans son XLIF livre les alternatives de cette lutte acharnée et les brusques révolutions qui donnaient la puissance à l'un ou à l'autre parti. Pendant l'hiver de 172 à 171, deux ambassadeurs romains par- couraient la Béotie pour relever Poligarchie, alors abattue. Leur habileté et aussi la faiblesse des Béotiens amena la dissolution de la confédération !. Pendant l'été de 171, les ambassades de Per- sée, et surtout les échecs du consul Licinius en Macédoine, pro- voquèrent une réaction. Thèbes, quoique mécontente des Ro- mains, n'osa se déclarer; mais Haliarte et Coronte prirent les armes. Le siège d'Haliarte retint pendant longtemps le préteur Lu- crétius; après une résistance désespérée, la ville fut prise et rasée, les habitants vendus?. Malgré ces rigueurs, la Béotie était loin d’être soumise, et les instances de l'oligarchie thébaine, menacée par les Coronéens, décidèrent le consul Licinius à venir prendre ses quartiers d'hiver en Béotie *. Pendant l'hiver de 171 à 170, le consul et le préteur Lucrétius parcoururent le pays avec leurs armées. | Le récit de cette campagne occupait une partie du XLHI livre : Livius, XLII, 38,44, — Pelyb. XXVIT, 1. > Polyb. XXVIE, 9.-— Livius, XLIT, 46. ? Livius, XLIE, 63. — 9345 — de Tite-Live; c'est au moins ce qu'atteste l'Épitome. P. Licinius Crassus proconsul complures in Græcia urbes expugnavit et crudeliter diripuit. I n'est pas question dans l’Epitome du préteur Lucrétius; mais une phrase incidente du cinquième chapitre montre qu'il avait joué le même rôle que le consul. L'auteur, après avoir parlé de la modération du préteur qui avait pacifié l'Espagne, ajoute : Hec lenitas prætoris... eo gratior plebt patribusque fuit quo crudelius avariusque in Græcia bellatum et ab consule Licinio etab Lucretio præ- tore erat. Une partie considérable du XLITI livre a donc péri. C'est précisément dans cette lacune qu'étaient racontés les faits dont il est question dans le sénatus-consulte, et ce monument épigra- phique permettra de suppléer, pour une petite partie, au récit perdu de l'historien latin. Tous les faits dont il est question dans l'ambassade sont anté- rieurs de plusieurs mois à la date du sénatus-consulte. En effet, la soumission de Thisbé avait eu lieu dans l'hiver de 171-170; de même la prise de Coronée; et cependant les députés de cette ville ne partirent de Rome qu'au mois d'octobre, avec les Thisbéens (1. 58). Comment expliquer ce retard? La députation de Thisbé venait se plaindre de plusieurs actes du préteur Lucrétius; elle n'avait donc pu partir tant qu'il était en Grèce, c'est-à-dire avant le printemps, car son successeur Hortensius n'arriva qu'à cette époque. Peut-être attendaient-ils des nouveaux magistrats quelque soulagement à leur sort; mais quand ils virent le consul Hostilius trop occupé des affaires de Macédoine pour songer à eux, et le préteur Hortensius piller, à lexemple de Lucrétius, ils se déci- dèrent à réclamer auprès du sénat. Peut-être celui-ci, assailli de tous côtés par des ambassades, ne put leur donner audience qu'a- près un long délai; peut-être aussi n'étaitil pas pressé de recevoir ces députés, qui venaient le fatiguer de leurs affaires et apporter des plaintes contre des membres de la noblesse. Pour une cause ou pour une autre, les deux députations de Coronée et de Thishbé, envoyées pour des faits relatifs à lhiver de 171-170, ne virent leurs affaires traitées que vers la fin de septembre 170. Les Thisbéens n'assistèrent pas à la délibération du sénat. Selon l'usage suivi à l'égard des députations étrangeres, le préteur Q. Mænius résume seulement leur discours, et, d'après les opi- nions exprimées dans les débats, propose à l'assemblée une réso- lution qui est adoptée. MISS. SCIENT, — VII. 29 — 5h66 — a députation était envoyée, non par tous les habitants dé. Fhisbé, mais par les partisans des Romains! Nous avons vu plus haut que la faction oligarchique avait ressaisi le pouvoir à l'approche de l'armée romaine; le parti macédonien et démocra- tique, qui avait dominé jusque-là dans la ville, était abattu, ses chefs transportés en Italie {1 38) ou avaient pris la fuite (1.41). Ceux-là, du reste, étaient des ennemis vaincus; ils n'avaient rien à demander, rien à espérer. Les partisans de l'oligarchie, qui avaient hâté de leurs vœux, aidé de leur influence le triomphe de Rome, n'avaient pas eu à se louer de cette révolution ; ils -s’adres- sent donc au sénat, et après avoir invoqué la bienveillance de las- semblée au nom de leur fidélité, après avoir exposé l’état de leurs affaires, ils demandent la permission d'exposer les movens de les rétablir ?. Le préteur propose donc au sénat de décider non sur les récla- mations elles-mêmes, mais sur la demande des Thisbéens d'expo- ser tes moyens de relever l'état de leurs affaires. La réponse est favorable. Le sénat charge le préteur Q. Mænius de désigner cinq sénateurs pour examiner leurs réclamations. Assaïlli de tous côtés par les députations des ailiés ou des vaincus, il ne pouvait ins- truire toutes les affaires, examiner les griefs , entendre les témoins. I est donc probable que, comme dans nos assemblées modernes, on avait l'habitude de confier ce travail préparatoire à une com- ‘ission et de voter sur les conclusions qu’elle présentait. Le séna- tus-consulte de Thisbé est le premier qui offre un exemple certain de cette manière de procéder. Les membres de la commission ne sont pas nommés; le soin de les désigner était remis au préteur, qui n'avait qu'à consulter sa conscience et l'intérêt public, selon la formule employée, toutes L Orives éy 7% QuAla nuerépa évépervar. ? Tel est le sens que je propose pour ce passage. Il faut pour cela admettre la restitution dopÜworw ; voici les seuies lettres lisibles : Z ...OQZ.. La pre- mière peut appartenir à un À ou à un 2; je crois distinguer avant le &, B; mais la panse inférieure me semble moins être un trait qu'un défaut de la pierre. Les éléments qui subsistent de ce mot permettent la restitution ddpÜwot. Pour !& sens, il est d'accord avec les demandes de la députation; 1l se rapproche des mots doplwrhs, éravophwris, titres donnés plus tard aux magistrats que les empereurs envoyèrent dans les provinces pour rétablir l'ordre dans les allaires des villes libres. On peut donc restituer ainsi ce membre de phrase : xws aÿroi [Gpl0wc{rv eils rà xaf'airods mpdypara [io ]nyowvror. — 9347 — les lois que le sénat s'adressait à un des grands magistrats, st vi- deatur e re publica et e fide sua. C’est ainsi que, l'année précédente, le sénat, averti que le consul Cassius avait, de sa propre autorité, quitté sa province pour se diriger par terre vers la Macédoine, et voulant le rappeler, avait chargé le préteur urbain de nommer trois sénateurs pour cette mission : Decernunt frequentes ut C. Sul- picius prætor tres ex senatu nominet legalos À. Dans Fun et l'autre cas, deux choses seulement étaient déter- minées : le nombre des membres à choisir et l'obligation de les prendre dans le sénat. L'inscription ne mentionne pas les séna- teurs que le préteur désigna pour cette enquête; il est fort pro- bable que ce furent les cinq sénateurs qui assistèrent comme te- moins à la rédaction des deux sénatus-consultes. Il était naturel, en effet, que celte rédaction fût confiée à ceux qui avaient préparé les résolutions sur lesquelles le sénat prononça. Le mot édoËe, censuere, ajouté à la phrase d'une manière indé- pendante, prouve que la résolution proposée par le préteur fut soumise à un vote; il en fut de même pour toutes les autres réso- lutions. | Dans la seconde séance, le sénat décida sur chacune des de- mandes présentées par l'ambassade. $ I. — Quelle était alors la condition légale des Thisbéens? La ville ne s'était pas déclarée sans contrainte pour les Ro- mains: il avait fallu que le préteur Lucrétius vint camper sous ses murs avec une armée, æp0 Toù # L'dios Noupérios TÔ o'Îparôme- don æpès Tir mûr Oloas wpoonyayer. (L. 22-24.) Thisbé avait donc dû se rendre, se dedere, aux Romains: car c'était, comme latteste Tite-Live, la seule manière dont ïls voulaient accepter une soumission : « Mos vetustus erat Romanis, cum quo nec fœ- dere, nec æquis legibus jungeretur amicitia, non prius imperio in eum tanquam pacatum uti, quam omnia divina humanaque dedidisset, obsides accepti, arma adempta, præsidia urbibus im- posita forent ?. » Il n'est question dans l'inscription ni de fœdus ni de leges æque, et certes les députés n'auraient pas manqué de les rappeler s'ils - avaient pu alléguer ces titres, Au contraire, nous voyons que le L Livius, XLIIF, 1. > Hd. XXVIII, 34 "Tube préteur avait envoyé à Rome un certain nombre d'habitants (1. 38); et si la ville n'avait pas reçu de garnison romaine, du moins ses murs avaient été renversés (1. 31). On peut donc en conclure que la condition des Thishbéens était, en droit, celle des dedititii. Pour comprendre leurs demandes et la réponse du ‘sénat, il est bon de rappeler ce qu'était la deditio. La formule la plus ancienne a été conservée par Tite-Live : « Deditisne vos populumaue Col- latinum, urbem, agros, aquam, terminos, delubra, utensilia, divina humanaque omnia in meam populique Romani ditio- nem L » Polybe avait expliqué le sens et la valeur de la deditio dans deux passages de son hisioire, Le premier, où il traitait la ma- tière tout au long, a péri; je rapporterai ici le second, qui, du reste, est assez explicite : | . «J'ai déjà expliqué précédemment ce qui concerne la deditio; mais il faut encore maintenant le rappeler sommairement. Ceux qui se livrent à la discrétion des Romains leur donnent d'abord le territoire qui leur appartenait, les villes qui sont sur ce terri- toire, et avec cela toutes les personnes, hommes et femmes, qui habitent sur le territoire et dans les villes; de même les fleuves, les ports, les temples, les tombeaux, tout, en un mot, de telle facon que les Romains sont maîtres absolus de tout, et que ceux qui se rendent ne le sont plus de rien ?. » D’après cette formule de 1a deditio, tout appartenait aux Ro- mains; mais ils n'usaient pas en général de leur droit dans toute sa rigueur. On comprend donc que les Thisbéens soient obligés de demander au sénat les concessions qu'ils désirent, et en même temps qu'ils aient l'espoir de les obtenir. La requête des députés comprend deux parties tout à fait dis- tinctes. La première est relative au territoire, aux ports et à leurs revenus, aux montagnes, mepi xwoas x&l wep} \iuÉvar xaù DpOSOd \ Nos 7 AL DEpt OPECY. tLivius, 1, 98: cf, Var 2 Polyb. XXXVI, 2. , 5 Cicéron, Verr. 111, 6. «Perpaucæ Siciliæ civitates sunt bello a majoribus no- stris subactæ; quarum ager, quum esset publicus populi Roman factus, tamen illis est redditus.» — Polybe (XXXVI, 2) cite l'exemple même de Carthage. — Am- bracie, obligée de se livrer à M. Fulvius (Livius, XXXVTIT, 9), avait vu son sort adouci par un sénatus-consulte (XXX VIIT, 44). — 349 — 1° yæpa est la traduction du mot latin ager; il faut l'entendre ici, non du territoire tout entier, mais de la partie du territoire qui était susceptible de culture. 2° La restitution Ar]ué!»]ær est certaine. Le seul mot qui rem- plirait également la lacune est relue[v]®r. Mais il est question des temples dans la seconde partie : il faut donc écarter cette restitu- tion. Thisbé, comme toutes les villes dont la fondation remontait à l'époque homérique, n'était pas sur le bord de la mer, mais à une certaine distance dans l'intérieur des terres. « Thisbé s'appelle waintenant Thisbæ; la ville, bâtie à une petite distance de la mer, et dont le territoire confine à celui de Thespies et de Co- ronée, est également située au pied de PHélicon, du côté du sud. Elle a un port entouré de rochers remplis de pigeons, c’est pour- quoi le poëte l'appelle : Thisbé aux nombreux pigeons !. » Kai æpocddwr. Le mot &poséduwr n’étani point précédé de la pré- position æepé, qui est répétée toutes les fois qu'il s'agit d’une chose distincte, désigne non les revenus de la ville en général, mais les revenus des ports. Même construction à la ligne 20, DEpi iEpér xat &posodwv. Les principaux revenus des ports consistaient dans les droits perçus sur les marchandises à lPenirée et à la sortie. Nous savons qu'à Athènes ces droits étaient d’un cinquantième, æer- : ! Strabon emploie ézévetor au singulier. Le pluriel Aéro est certain; il y a plusieurs manières de le justifier. Sur la carte de l'état-major, la baie de Dom- bréna (l'ancien port de Thisbé} est découpée en plusieurs baies, et chacune d'elles porte un nom particulier : port Bathy, port Lousa, port Plaka. Si l'on ne veut pas que, dans l'antiquité comme dans les temps modernes, chacune de ces baies ait été considérée comme un port séparé, il faut chercher à l'ouest ou à l’est. Dans cette dernière direction, on rencontre d’abord le port de Siphæ, puis celui de Créusis. Ce dernier avait une assez grande importance; c'est 1à que Île préleur Lucrétius débarqua pour se rendre plus rapidement à Chalcis, en tra- versant la Béotie. Mais tous les auteurs anciens s'accordent pour attribuer ce port à Thespies: Siphæ est également indiqué comme ayant appartenu à cette ville. Toutefois 11 est possible que ce dernier port, situé à l'extrémité orientale de la baie de Dombréna, ait, à une certaine époque, dépendu de Thisbé, car il est plus voisin de cette ville que de Thespies; mais aucun texte ancien n'autorise cette supposition, quoiqu'elie reste acceptable. À l'ouest, à l'extrémité d’une étroite vallée, était le port de Khorsiæ, aujourd’hui port Sarandi. La ville de Khorsiæ ne paraît pas avoir été imdépendante, mais plutôt avoir fait partie du territoire de Thisbé. Le pluriel Agévwr parait donc suffisamment justifié, soit qu'on l'entende des trois ports de la baie de Dombréna, soit qu'il désigne ces trois ports et celui de Sarandi. — 350 — tnx001%. Is existaient probablement dans tous les États grecs. Pour quelques-uns, nous en avons la preuve dans les décrets par les- quels les villes accordaient à leurs proxènes l'exemption de cet impôll. En 187, le sénat, voulant adoucir la condition des habi- tants d’Ambracie, maltraités par Fulvius, leur avait rendu entre autres droits : « Portoria quæ vellent terra marique caperentur, dun eorum immunes Romani ac socii nominis Latini essent ?. » La même concession avait été faite aux habitants de Termessus, avec la même exception en faveur des publicains?. | Ces portoria, ou droits perçus sur les cargaisons à l'entrée et à la sortie, paraissent avoir constitué le pnéibl revenu des, ports. Il y en avait encore d’autres, moins connus, comme Îe droit de stationner, &\Asuéviov. Se Leo) dpécy éaury. Le mot épéwr est très-lisible; on ne peut le confondre avec ôpwy, qui signifie fines ou termini. Il faut donc entendre : au sujet des montagnes qui leur appartiennent. Cette expression désigne la partie montagneuse du territoire de Thisbé, par opposition à xæwpa, ager, les terrains cultivés en blés, oliviers et vignes. Le territoire de Thisbé comprenait le sud-est de l'Héli- con depuis les limites de Coronée jusquà la mer. Les paturages appartenaient d'ordinaire à la ville et non aux particuliers. L’u- sage de ces biens était réservé aux citoyens; les étrangers en étaient exclus où n’y étaient admis que moyennant une redevance. Quel- quefois la cité accordait comme un privilége à ses proxènes le droit de pàturage, érivopia. D'après les explications précédentes, on voit que la demande des Thisbéens portait sur trois choses : 1° l'ager; 2° les ports et icurs revenus; 3° les montagnes. Il n'y a sur ce point aucune obs- curilé; mais il n’en est pas de même pour la demande. Elle nous offre d'abord une lacune de quelques lettres; puis la construction 1h Gap inscr. gr. n° 258 : Ârékera Gy dv eicdywor nai éÉdywo1 nai narà yñr zai xarè Sdharrav. — Le Bas et Waddington, Inscriptions d'Asie Mineure, n° 39. Ârélaia œdvror ypnudrov nai elouywyis nai éÉxywyñs. — Siephani, Mélanges gréco-romans , t. [, p. 210. Ârfera mdvrwy xpPNUTHY, du àv aÿrôs elodym uai SEdyn. — Le Bas et Foucart, Inscriptions de la Grèce, n° 228 b. Eïuey dè aÿroïs Lai dTéÂsuay xai eloayontors uai éEayovrous. Cf. Tissot, Des proxénies grecques , don ? Livius, XXXVIIL, 44. % 2 [e] ‘ Corpus inscrlat. n° 204. — 3951 — des mots présente des difficultés. Voiet comment je propose de lire ce membre de phrase : 2 w # 1 So € D \ / 7 &£ AI 2) Ëe . élmet dv|esoav | TaôTa, julo]r uëv Évexer Éyeir, ÉGesv, & ÉDOGEr. Les mots nur uë» Évexer doivent-ils se rattacher à ce qui pré- cède ou à ce qui suit? Dans le premier cas, 1l faudrait entendre : Puisqu'ils ont fait l'abandon de ces choses en notre faveur; sens assez plausible à la rigueur; mais la phrase grecque ne correspond. à aueune cles locutions latines employées pour désigner la deditio : Se permiltere in fidem, se detere in ditionem populi Romani. De plus, on ne tiendrait ainsi aucun compte de la particule gév». Dans cette phrase, elle est employée d’une manière assez rare en grec, car elle n'a pas comme corrélatif dé ou une particule analogue. On la comprend mieux en la traduisant par quidem, qui indique une restriction. Or cette restriction ne peut porter que sur le verbe éyewr. Cette locution : nur uév Évexer Eyes s'oppose mieux à la réponse du sénat : rd éaur@r œûToïs Eyes, suas res sibi habere. Il faut donc traduire : Îls demandent à posséder, avec notre permission. Les Thisbéens auront la possession du territoire, des ports et de leurs revenus, des montagnes, mais non la propriété absolue, et mêmeils ne l'auroni que comme représentants du peuple romain. La conséquence évidente, c'est que le peuple romain sera maître, lorsqu'il le jugera convenable, de reprendre sa chose, d'imposer telles conditions qu'il lui plaira. Par exemple, il pourra accorder ou refuser la permission de fortifier telle ou telle partie du terri- toire, comme nous Île verrons au paragraphe suivant; il aura le droit d'imposer des contributions, de s’attribuer une partie des revenus ou, comme il l'a fait pour Ambracie, de stipuler l'exemp- tion des portoria pour les citoyens romains et les alliés italiens. Les mots & &d0Ësv, qui viennent après Éyesw, LEerv, indiquent que le préteur Lucrétius avait déjà pris une décision sur ce point; mais cette décision n'était que provisoire et ne devenait définitive qu'après l'approbation du sénat. ! Il ne reste de la conjonction que la première letire: é[reé] me paraît répondre au sens général, et, de plus, se construit avec l'indicatif, Quant au verbe, il manque deux lettres; la seconde semble être un ». La terminaison &cav, assez rare à l'aoriste, doit appartenir à un composé de im. Dans ces conditions, dyer- gay est le mot qui me parait être le plus satisfaisant, et l'on a le sens suivant : Attendu qu'ils ont fait l'abandon de ces choses. — 9952 — La seconde demande se traduit sans difficulté : «Pour les magistratures, pour les temples et leurs revenus, ils demandent à décider souverainement. » Les différentes magistratures de Thisbé ne nous sont pas con- nues directement. Dans deux inscriptions inédites que j'ai copiées dans cette ville, l’éponyme a le titre d'archonte; c’est le seul ma- gistrat connu jusqu'ici par les textes épigraphiques. Mais la ville faisait partie de la confédération béotienne, et le gouvernement de toutes ces cités était uniforme. En effet, ce sont les mêmes ma- cistratures que l'on trouve à Thèbes, Thespies, Orchomène, Acré- phies, Copæ. Deux textes nouveaux de Mégare que j'ai publiés prouvent même que les villes qui entraient dans la confédération devaient renoncer à leurs anciennes magistratures pour prendre celles des cités béotiennes !. Thisbé devait donc avoir, outre l'ar- chonte éponyme, trois polémarques, probablement semestriels, et un secrétaire des polémarques; l'expression dpyai comprend éga- lement le sénat, dont les membres portaient en Béotie le titre de œÜvedpos. | Les Thisbéens demandaient à conserver ces magistratures, dont l'existence constituait la cité. La conquête romaine pouvait entraf- ner Ja destruction complète de la ville : tel avait été le sort d'Ha- Jiarte, prise et rasée par Lucrétius. Si la ville subsistait, la cite était supprimée, comme on l'avait fait pour Capoue : « Geterum habitari tantum tanquam urbem Capuam frequentarique placuit; corpus nullum civitalis, nec senatus nec plebis concilium, nec magistratus esse ?. » Le mot dpyai, employé par les députés, dé- signe donc tout ce qui constituait une cité; sa suppression aurait réduit Fhisbé à l'état de ville sujette. De lepôr. Les édifices sacrés et leurs revenus. Les temples eux- mêmes n'avaient rien à craindre, et les Romains ne songeaent pas à les renverser; mais ils renfermaient des offrandes nom- breuses, des statues, des tableaux que les généraux romains com- mençaient à rechercher et à piller. En 189, M. Fulvius avait com- plétement dépouillé la ville d'Ambracie: « Signa ærea marmoreaque et tabulæ piclæ sublata omnia avectaque %. » Et les plaintes des habitants montrent qu'il n'avait pas davantage respecté les temples : ! Le Bas et Foucart, Inscriptions de la Grèce, note du n° 34 4. 2 Livius, XXVI, 16. ITR VE O. n — 353 — « Templa tota urbe spoliata ornamentis; simulacra deum, deos imo ipsos, convulsos ex sedibus suis ablatos esse; parietes pos- tesque nudatos, quos adorent, ad quos precentur ei supplicent, Ambraciensibus superesse !.» Dans la ville alliée de Chalcis, le préteur Lucrétius, en 171, et son successeur Hortensius dépouil- laient également les temples : « Apud se templa omnibus orna- mentis spoliata compilataque sacrilegiis C. Lucretium navibus Antium devexisse 2. » Outre ces œuvres d'art, tableaux et statues, il y avait encore toutes ces offrandes déposées dans les temples grecs, et dont nous avons une idée par les inventaires du Parthé- non à Athènes, du sanctuaire d'Amphiaraüs à Orope, de Tropho- nius à Lébadée. oocéder. Ce mot, comme nous l'avons vu un peu plus haut, ne se rapporte qu'à éepr et désigne les revenus des temples. Sur ce point encore, les inscriptions nous font connaitre quelles étaient les richesses des temples grecs capables de produire des revenus : 1° Les intérêts des sommes prêtes aux villes ou aux particu- liers 3; le produit des amendes prononcées pour punir les entre- prises sacriléges contre les biens ou les personnes appartenant aux dieux *; - 2% Les locations des immeubles, maisons, ateliers, terrains, vignes, paturages consacrés aux dieux par de pieux donateurs, ou confisqués sur des débiteurs insolvables ÿ; 3° Le produit des troupeaux de gros et de petit bétail. 1 Livius, XXX VIII, 43. Id. XLIIT, 7. Corpus inscr. gr. n° 158, $ 2. Aïde Tv mohewr Toû Tuxou dmédooar. — S 3, 12 "3 Ofde rôv idiwräy roù roxou dmédooa». * Corpus inscr. gr. n° 158, S 4. Êx rôv évexÜpur Tür d@AnxoTwr Tès dinas. — $ 9. Ofde or Ankwy doeGeius. S Corpus inscr. gr. n° 158, $ 4. Moûwoeis reuev@v x Pyvetas. — Mioloes ve- uevdy &y Amhou. — Oixdr piodwoeis. — $ 10. Oixiar Ep Ando iepai roù  row vos. Cf. n° 103, 1690. À Héracléc, dans la Grande-Grèce, délimitation et loca- tion de terres sacrées appartenant à Dionysos et à Athéné (Corpus inscr. gr. n° 5774-5 ); à Olymos, série d'actes relatifs à la location ou à l'achat de terres appartenant aux temples. (Le Bas et Waddington, Inscriptions d'Asie Mineure, n° 323 et sq.) . Hpécodov Ârddwvr 2x Tv dyEADY ai TREUUATOL drouataolhvar dei (We- scher, Inscription amphictyonique , 1 56, Mémoires présentés par divers savants & l'Académie des Inscriptions , 1. VITE.) — : Se — Cette distinction entre la premiére et la seconde demande ñe doit pas faire croire que les Thisbéens eussent oblenu des condi- lions différentes. Tous ces biens, sacrés ou profanes, humana. divi- naque omnia, étaient compris dans la deditio. C’est également à titre de concession que les députés demandent la jouissance des uns et la décision souveraine pour les autres. Le sénat répond d’abord à la seconde demande : « Pour les ma: gistratures, les temples et leurs revenus, ils décideront souverai nement, » Les mots æepi dpy&v, elc. exprimés dans la demande ne sont pas reproduits dans la réponse qu suil immédiatement ; mais la répétition du même verbe AU PEU rend toute ÉqaIPaUS impossible. Le maintien des magistratures laissait subsister Thishbé comme cité jouissant de son indépendance. Quant aux temples et à leurs revenus, les Romains avaient toujours professé un grand respect pour les propriétés des dieux. Plus tard même, lorsque la Béotie fut soumise à un tribut, les censeurs, en affermant l'impôt aux publicains, exceptèrent les temples des dieux immortels ! Le sénal n'usait donc pas à la rigueur de tous ses droits, et la concession qu'il faisait était importante. Mais il la restreignait et pour le temps et pour les personnes. Ceux-là seuls pouvaient en profiter qui s'étaient déclarés pour Rome avant l’arrivée de Lucré- tius. Les députés ne pouvaient sen plaindre; leurs adversaires, cest-à-dire les partisans de la faction démocratique et macédo- nienne, étaient exclus de la participation aux affaires, de l’accèsaux magistratures et aux sacerdoces, de l'administration des richesses sacrées. Mais cette concession, récompense de leur zèle, était ré- duite, même pour les partisans de Rome, à une durée de dix années ?. ! À cette époque, les publicains se firent tout à coup les disciples de certains théologiens et prétendirent qu'on ne pouvait appeler dieux immortels ceux qui avaient été hommes. Cicéron ne nous dit pas quel fut le succès de cette thèse my- thologique , mais elle avait une grande importance pour la Béotie, où les temples d'Hercule étaient nombreux, où deux des plus riches sancluaires étaient consacrés à Tr ophonius et à Amphiaraüs. EE” De nat. deor. IIT, 19.) ? Le mot qui suit érn déxa n’est pas lisible en entier. TOË.E. EITA. Les dernières lettres sont certaines ; on ne peut donc suppléer un complément de xupretwoiy qui se construit avec le génitif. La restitution rù écérera comble exac- tement la lacune et traduit la locution in posterum, pour l'avenir, à parür du mo- ment présent. — 93959 — La réponse sur le premier point était encore plus dure. Les dé putés avaient reconnu qu'ils avaient fait Pabandon de leur terri- toire, de leurs ports avec leurs revenus et de leurs montagnes; ils demandaient à en conserver la jouissance au nom des Romains. L'énumération n'avait point paru assez complète au sénat, il la ré- pète en ajoutant à Xwpas le mot oéxrv, ædificia, les constructions ; il l'étend à tout ce qui pouvait avoir été omis, par cette expression générale : xai Tv Ürapyévrwr aÿroïs. Les députés avaient invoqué les décisions déjà prises, et paru s’en faire un titre. Le sénat répond qu'ils ont mal compris, et qu'il n'y à jamais rien eu qui les autorisàt à posséder leurs biens en leur propre nom. Cette déclaration fait voir que les Grecs ne comprenaient toujours pas bien la valeur des for- mules latines qu'ils employaient !, Quant à la décision du sénat, elle ne paraît pas répondre à la demande des députés. Je pense cepen- dant qu'on leur accorde ce qu'ils demandent, mais en aïfirmant plus fortement la propriété du peuple romain sur tous les biens de la cité. $ IT. — La construction de la phrase est très-embarraséée et le sens de la demande n'est pas clair?. Je crois qu’il faut construire : Iepè dv oi aûro Xéyous érouoavro dmws 8Ëÿ aÿroïs, Ômécos aûro- | modos où iduou êuet Quyddes dvres, Tesx io Tv dxpar xai xaTouncD- ou éxet. Il n'y à pas de difficulté pour une partie de la phrase: les députés demandent la permission de fortifier la ville haute et de s'y établir. | ! Polybe en cite un eurieux exemple. Les députés étoliens viennent, au nom de la nation, se remettre à la foi de M Acüius. Le général, après leur avoir fait répéter la formule, leur impose des conditions qu'ils repoussent comme contraires aux usages des Grecs. Manius, pour les humilier, leur répond en faisant apporter des chaînes et leur apprend que, en se remettant à sa foi, ils se sont livrés à la merci des Romains. {Polyb. XX, 9-10.) ? Les lettres qui subsistent à la fin de là ligne 27 et au commencement de la ligne 28 se prêtent à deux restitutions : #7[ws o]i ou 6m[000|1. La seconde est préférable. En effet, éxws serait employé deux fois dans le même membre de phrase et serait inutile la seconde fois. De plus, cette locution : æepi &v Adyous éroroavro mes , est employée sept fois dans le sénatus-consulte, et jamais drws n'est placé immédiatement après Adyous émoufoavro; il en est séparé par un membre de phrase indiquant les personnes ou les choses dont il est question. — La phrase grecque est irrégulière. Le verbe dont 6xda est le sujet a été oublié dans la tra- duction. À la ligne 23, j'ai déjà signalé une omission d'un même genre, ou bien la phrase à été mal traduite , et on a mis le participe présent gyres au lieu de l'indicatif. — 356 — Pour qui cette autorisation? Le texte les désigne ainsi : ômooo: aÿTomoho: où tduor êuet Quyddes dvres. Le mot aÿrouoho: a d'ordinaire un sens défavorable; il s'applique aux transfuges et aux esclaves fugitifs. Mais cette acception fàcheuse ne dérive pas nécessairement des éléments qui composent le mot : aûros-uoei» ; l'un indiquant la spontanéité, l’autre un simple mouvement. Le mot aÿroumohos peut donc désigner celui qui, de son plein gré, est passé d’un camp dans l’autre, sans aucune idée de blâme. Diodore de Sieïle a cHpiase le verbe dans ce sens. re did Tv A TÂS je Où TE PRapActe aa ai moders ua ouvAXNSONL Tà ÉOvn wpùs TN Pour yeuoviav nürouélnoar !. Il est évident que dans cette phrase le verbe aÿrouokéw n'implique aucune idée de trahison. Je donne le même sens au mot aürôuolo: dans le passage qui nous occupe. Oi Zdror, les amis, les partisans. J'explique donc : Tous ceux de leurs partisans qui, de leur plein gré, ont passé dans le camp des Romains. Ainsi, dans le parti romain à Thisbé, il faut distinguer deux ca- tégories, Les uns sont restés dans la ville, attendant l’occasion de faire prévaloir l'alliance romaine. Ce sont eux qui envoient la dé- putation et que le texte désigne à deux reprises différentes par ces mots : oftives y Th Qulia Th nueréoa évéuervar. Les seconds se sont compromis davantage, ils ont quitté la ville de Thisbé, où dominait la faction macédonienne, et sont passés dans le camp des Romains pour les servir les armes à la main. Nous savons qu'avant l’arrivée du préteur Lucrétius le léss P. Lentulus avait entrepris le siége d'Haliarte avec les Béotiens qui tenaient pour l'alliance romaine?. Il est probable que, parmi ces Béotiens, se trouvaient des habitants de Thisbé; ce sont ceux que je crois reconnaitre ici, désignés par cette expression : «ÿrôuoos où idvor. Plusieurs passages de Tite-Live font voir cette division de la faction oligarchique et romaine en deux classes. Ainsi, pendant que les exilés entouraient les députés romains qui siégeaient à Chalcis, leurs partisans qui. étaient restés dans la ville de Thèbes faisaient, par leur influence, prévaloir l'alliance romaine ÿ. Dans ! Diodor. Sicil. Excerpt. p. 590. ? «Bæœotorum juventute, quæ pars cum Romanis stabat, eam rem legatus ag- gressus. » (Livius, XLIT, 56.) « Constantia principum docentium cladibus Philipp Antiochique quanta essel vis et fortuna imperii Romani victa eadem multitudo.» (Livius, XLIT, 4.) ur Le un autre passage, l’auteur distingue également les partisans de Rome qui étaient restés dans la ville et ceux qui avaient été exilés !. Il en était de même sans doute pour les autres cités béotiennes et pour Thisbé en particulier. Parmi les partisans de Rome, les plus ardents avaient quitté la ville pour servir dans le camp romain. Le parti macédonien, qui dominait alors, les avait condamnés à l'exil. C’est ce que veulent dire les députés en ajoutant: of êxet Qu- yddes dvtes. Quand ils étaient revenus avec l’armée romaine, ils étaient encore à l’état d’exilés:; la confiscation et la vente de leurs biens avaient été une conséquence du bannissement. Ces exilés, de retour à Thisbé, étaient donc sans demeure. De plus, ils étaient exposés à la vengeance de leurs adversaires, si un succès de Persée rendait la confiance et la force à la faction macédonienne. Lés dé- putés, pour protéger ceux de leurs partisans qui s'étaient ainsi compromis, demandaient donc qu’on leur permit de s'établir dans la ville haute et de l'entourer de murailles. Le sénat ne pouvait que consentir à une requête aussi Juste et favorable à ses intérêts, car elle donnait à ses partisans les plus déclarés le moyen de tenir tête à une tentative de leurs adversaires. Mais, tout en consentant, 1l prenait ses précautions. Ils pourront s'établir et se fortifier sur la hauteur, mais conformément à leur déclaration, c'est-à-dire en n’admettant dans cette position forte que ces exilés qui avaient passé dans le camp des Romains. Pour mieux préciser et empêcher qu'on n'étendit trop loin la conces- sion, le sénatus-consulte ajoutait : « I n’a pas été accordé de for- tüifier la ville. » | La distinction entre &xpa et mous est facile à établir d'après les ruines de Thisbé. és, c'est la ville basse, celle qui s'élevait à l'endroit même où est aujourd'hui le village de Kakosi. Au- dessus du village, entre Kakosi et Dombréna, est une hauteur sur laquelle subsistent des restes considérables de murs helléniques, en pierres de taille, appareillées sans ciment, et avec des tours. C'est la ville haute, &xpa, où le sénat permettait aux exilés, ses partisans, de s'établir et d'élever des murailles. De cette demande, il faut conclure ou que précédemment la ville haute elle-même 1 «Inde Thebas ductus exercitus; quibus sine certamine receptis, urbem tra- didit exsulibus et qui Romanorum partis erant.» (Livius, XLII, 63.) == 508 — 'élail pas forlifiée, ce qui est peu probable; ou plutôt que des Romains, selon leur usage!, avaient commencé par raser les forti- fications. En tout cas, les murs helléniques de Kakosi, dont des débris sont considérables et en assez bon état, datent de l'année 170. C'est une dale précise, et par là même intéressante ee l'étude de l'architecture militaire chez les Grecs. $ IL. — Les députés demandent Îa restitution de l'or qu'ils avaient réuni pour consacrer une couronne au Capitole. Cette consécration d'une couronne, faite par les peuples alliés, était une des plus anciennes coutumes de Rome, et Tite-Live en rapporte de nombreux exemples. Dès l’année 495, les Latins ap- portent une couronne d'or?. En 340, la députalion carthaginoise chargée de féliciter le peuple romain, vainqueur des Samnites, consacre au Capitole une couronne de 25 livres. Cette coutume devint en quelque sorte une obligation pour les peuples qui ve- naient solliciter amitié ou la bienveillance des Romaïns. Ainsi, cette année même, 170, les députés de Lampsaque et d'Alabanda obtinrent la permission d'offrir une couronne d'or à Jupiter Capi- tolin et de sacrifier dans son temple #. L. 32. ypuoior, et non XpUTÔS, s'applique surtout à l'or mon- nayé; la valeur de la couronne est le plus souvent marquée par le poids; mais quelquefois on indiquait le nombre des pièces qui avaient été fondues pour la faire. « Pamphylüi legati coronam auream ex vigint millibus Philippeorum factam in curiam intulerunt®?. » De même Polybe, parlant de la couronne offerte par le roi Eumène, dit qu'il avait fait fondre 15,000 pièces d'or6. Ges exemples justi- fient l'emploi du mot ypuotor. Zuvnveyxas est la traduction de contulerunt, et signifie non pas l'or qu'ils ont apporté avec euæ, mais qu'ils ont réuni par contri- bution. Karaoxevdowou, verbe souvent employé pour les offrandes con- sacrées aux dieux. La construction es ro Kamerwuo est à remar- 1 Pouato: dè &s énpdrnoav 7 modëue, mapelaoyto uèr nai Tv dAXwy AA rw rà émÂa nai Telyn mepieihor, dou Tereiyiouévu moes hou». (Pausanias, IE, 1, 2.) 2. 'Lavius AE, +25: Id, IT, 38. Id XTATIONG » Id, XLIV, 14. 5 Polyb. XXIV, =} — 359 — queér: Matthiæ ! à réuni un grand nombre d'exemples dans les- quels des verbes n'exprimant pas par eux-mêmes le mouvement, prennent ce sens par suite de leur construction avec la préposition eis. Il est certain que, pour consacrer la couronne au Capitole, il fallait l'y porter, et cette idée de mouvement suffirait pour expli- quer l’accusatif. Mais il est peut-être plus juste d'y voir un exemple de la construction de in dans l’ancienne langue latine, Suivant Aulu-Gelle (1, 7) cette préposition se construisait indifféremment avee l’ablatif ou laccusatif, qu'il y eût ou non changement de lieu. La construction eis rù KarerawAro, qui suppose dans l'original . latin: in Capitolium, prouverait donc l'exactitude de lassertion d'Aulu-Gelle, et montrerait en même temps combien la traduction erecque a été faite littéralement. _ Les Thisbéens s'étaient conformés à la coutume en réunissant Vor nécessaire pour consacrer une couronne au Capitole. Mais, au moment où les députés se présentèrent devant le sénat, cet or m'était plus en leur possession. Le texte n'indique pas s’ils l'avaient, à leur arrivée, déposé entre les mains des questeurs, si cette somme leur avait été enlevée par un magistrat romain, ou si elle avait été saisie comme appartenant aux vainqueurs, de même que tous les autres biens des Thisbéens. Pour en obtenir la restitution, ils dé- elarèrent que l'or était destiné à consacrer une couronne au Capi- tole. Le sénat décida qu'il leur serait remis; maïs, en même temps, il prit acte de leur déclaration, c'est-à-dire de l’engage- ment de employer à la consécration d’une couronne. $ IV.— Nous voici arrivés à la seconde partie des demandes géné- rales. La première concernait les partisans des Romains, les uns qui avaient été exilés par la faction démocratique et qui étaient reve- nus avec l’armée de Lucrétius; les autres qui, moins compromis, avaient pu rester dans la ville. Dans la seconde partie, les députés de Thisbé, représentant le parti romain, demandent au sénat de statuer selon leurs désirs sur le sort de leurs adversaires. Il n'est pas question du peuple; à Thisbé comme dans toute la Grèce, 1 s'était déclaré pour le roi de Macédoine; mais, à l'approche des armées romaines, sa mobilité, som manque de courage l'avaient fait retomber sous l'influence de la faction oligarchique. Ceux qu'elle poursuit iei, ce sont les ! Matiliæ, 5 5 70, 4 — 360 — nobles qui s'étaient mis à la tête du parti démocratique et macé- donien, et qui, vaincus maintenant, avaient été transportés à Rome ou avaient pris la fuite. Les demandes des députés ont pour but de les maintenir hors de la cité et d'assurer ainsi leur propre prépon- dérance. C'était le seul fruit de leur victoire: ils avaient sacrifié l’in- dépendance de leur patrie, son territoire, ses revenus; c'était bien le moins que, dans cette ville ainsi asservie, ils possédassent en toute sécurité un pouvoir payé si cher. Tite-Live lui-même apprécie avec une juste sévérité la conduite de ces partisans de Rome : «Plures, ita, si præcipuam operam navassent, potentes sese in ci- vitatibus suis futuros rati!.» Et dans un autre passage, après la défaite de Persée : «Sibi privatim opes oppressis faciebant civitati- bus..... Secundis rebus elati Romanorum, partis ejus fautores soli tum in magistratibus, soli in legationibus erant?. » Pour désigner ces vaincus, partisans de la démocratie et de la Macédoine, les députés les représentent comme les adversaires com- muns de leur république et de la république romaine : Avpwrous oiTives ÜmrevayTia Tois OmuoTLous Dpiyuaot TOis fETÉoOus x TOs éaurér eiou, et ils demandent qu'ils soient retenus à Rome. Tel est le sens que je donne au verbe xaréywvrœ, d'après l'usage cons- tant de Polybe. En effet, à plusieurs reprises, l’auteur se sert de cette expression : of xareyôuevor, en parlant des Achéens transportés et retenus en Italie*. Une autre preuve, c'est la réponse du sénat, qui confie cette affaire au préteur Q. Mænius. Évidemment, on n'aurait pas choisi ce magistrat, si les Thisbéens dont il s’agit n'avaient pas été à Rome en ce moment ÿ. | 1 Lavius, XEIT., 30. RENE: * L'expression Ürevavria eloiy est singulière. Pour la construction régulière, il faudrait ÿrevavrior au masculin ou, après le verbe eioiy, un participe gouver- nant ce neutre. Ï1 reste, à la fin de la ligne 37, un petit espace vide; mais ïl n'y aurait place que pour deux ou trois lettres; je ne distingue rien sur l’estampage, et je n'ai rien noté sur ma copie. # Polyb. XXXI, 1. — XXXIII, 8, 5. * Le prætor peregrinus était chargé de veiller sur les étrangers que les magis- trats ou les généraux romains envoyaient à Rome pour répondre à des accusations. On le voit clairement dans la lettre adressée aux magistrats de Dymæ par le proconsul Q. Fabius Maximus. Après avoir prononcé la peine de mort contre deux coupables, Fabius ajoute : «Quant à Timothéos, fils de Nicias, qui a été no- mographe avec Sosos, comme il semblait avoir commis des fautes moins graves, 27) Jai ordonné de le conduire à Rome, et je lui ai fait prêter serment qu'il y serait — 361 — Comment se trouvaient-ils en Italie? On ne peut supposer qu'ils avaient été condamnés par un arrêt du préteur Lucrétius; car les députés n'auraient pas manqué de le rappeler; et, délivrés de leurs adversaires par une condamnation prononcée, ils n'auraient pas eu besoin de demander au sénat de les retenir. Mais il est probable que les chefs du parti démocratique de Thisbé avaient été transportés en ltalie, soit pour servir d'olages, soit pour présenter leur défense. Ce fut le moyen que le sénat, apres la défaite de Persée, employa pour s'assurer de ses adversaires; 11 le mit en pratique même avant cette époque. Ainsi on avait transporté à Rome deux chefs du parti macédonien en Étolie!, et Lyciscus signalait au député romain les autres ennemis du sénat. Dans l'Acarnanie, dans l'Achaiïe, les partisans des Romains ne cessaient de dénoncer leurs ennemis; ce furent eux, après la défaite de Persée, qui pressèrent le plus les dix députés romains de les débarrasser de leurs adversaires. « Implevere aures decem legatorum; non eos tantum qui se pro- palam per vanitatem jactassent tanquam hospites et amicos Per- sei, sed multo plures alios ex occulto favisse, reliquos per speciem tuendæ libertatis in conciliis adversus Romanos omnia instruxisse ;: nec aliter eas mansuras in fide gentes, nisi fractis animis partium aleretur confirmareturque auctoritas eorum, qui nihil præter im- perium Romanum spectarent. Ab his editis nominibus, evocati hitteris imperatoris ex Ætolia, Acarnaniaque et Epiro et Bœotia, qui Romam ad causam dicendam sequerentur ?. » Les partisans de loligarchie à Thisbé s'étaient faits de même les délateurs des chefs du parti opposé; un certain nombre de ceux- c1 avaient été transportés à Rome pour rendre compte de leur con- duite; les députés demandaient qu'il ne fût pas mis un terme à cette transportation. Ainsi les Romains trouvaient dans les villes grecques des ministres de leurs vengeances, des dénonciateurs prêts à exciter et à servir leur colère. Rome opprima cruellement la dans la nouvelle lune du mois présent; J'ai fait prévenir le pretor pereyrinus de ne pas le laisser revenir dans sa demeure avant... » Tuobeop dè Nixia Tôv per où Ewaoy [yeyovolra vouoypdQor, mel Élaoaov éQaivero noixnuws, é[xékeuca| apodye sis Punv, 6pxicas &Q' à ri vouunvia rod éveol@ro]s Élu éneï, xai EuPavicas Tr énli rôv Éévwr 01parn|yS®, Onwl]s dy [un m\porepor éndveiols wpdls 23 FA \ éd . : ; =, = 1 - i oixov, [ay un]... (Corpus inscr. gr. 1543, 1. 23-28.) L Polyb. XXVIIT, 3, 4. 2 Livius, XLV, 31. MISS. SCIENT, —— VII. 2 / — 362 — Grece, mais, 11 faut le dire à la honte des Grecs, la faute n'en fut pas moins aux opprimés qu'aux oppresseurs. La réponse du sénat est vraiment digne d'attention, car ellé laisse entrevoir cette politique qui, plus tard, retint trente ans Îes Achéens transportés en lialie, sans vouloir ni les juger ni les re- lâcher. « Sur cette affaire il a été décidé de faire ce que le préteur Q. Mænius jugera convenable selon sa conscience et selon lin- térêt public. » En réalité, c'était un ajournement indéfini. En re- fusant de prononcer d'une manière définitive, le sénat se réservait le moyen de tenir en bride ses partisans comme ses adversaires. Mais tous les chefs du parti démocratique n'avaient pas attendu l'entrée du préteur Lucrétius à Thisbé. Plusieurs s'étaient réfugiés dans d’autres villes , et ne s'étaient point présentés après la citation du préteur. Ce préteur n'est pas nommé, mais sans aucun doute il s'agit de Lucrétius, le seul dont il ait été fait mention. Il est dé- signé par le titre de olparnyôs, quoiqu'il n'exerçat plus cette charge depuis plusieurs mois, parce qu'il s'agit de faits accomplis pendant sa préture. C'est ainsi que Tite-Live, résumant la réponse du sénat aux plaintes des habitants de Chalcis dit : « Quæ facta a C, Lucretio fierique ab L. Hortensio prætoribus populi Romani querantur !.» Lucrétius cependant n'était plus préteur, mais il l'était à l’époque où il avait pillé la ville de Chalcis. Les adversaires du parti oligar- chique de Thisbé n'étaient pas à craindre pour le moment, ils étaient en fuite; mais la guerre avec Persée était loin d’être terminée; un succès du roi de Macédoine pouvait provoquer un changement dans les dispositions du peuple. Les députés, pour prévenir ce danger et assurer la puissance de leur parti, en ne laissant pas de chef à la démocratie, demandent mes un eis TéËiv xaramopelwrrau. Ces expressions ne présentent pas un sens très-clair dans le grec. Le verbe xaramopetouæ signifie revenir, et en particulier, revenir d’exil. Mais que veut dire eis Té£ir) TéËrs est la traduction littérale de ordo. Les mots grecs semblent donc correspondre à l'expression latine ne in ordinem regrediantur. Le sens est probablement qu'ils ne puissent revenir et reprendre leur rang dans la cité. Sur ce point également, le sénat refuse de s'engager. Il décide d'envoyer une lettre au consul Aulus Hostilius pour qu'il s'occupe de cette affaire selon sa conscience et l'intérêt public. Le consul r Bivius XIE: — 363 — Hostilius était alors à la tête de l'armée de Macédoine; mais son pouvoir s'étendait également sur la Grèce et sur le préteur de la flotte. La formule selon sa conscience et l'intérét public, constam- ment employée à l'égard des consuls et des préteurs, n’excluait pas un ordre formel. Dans le sénatus-consulte relatif à l'expulsion des rhéteurs , il est décidé uti M. Pomponius prætor animadvertat uti ei e re publica fideque sua videatur; mais on ajoute immédiatement : uti ne Rome essent. Si donc il n'y a pas 1c1 une décision plus pré- cise, c'est que le sénat ne voulait pas s'engager dans ces affaires si compliquées des villes grecques; il préférait remettre au consul plus voisin de leurs agitations le soin de décider d'après la situa- tion des affaires; et aussi 1l se réservait la possibilité de prendre parti selon les événements et de rendre sa protection plus long- temps nécessaire à ses partisans. Après le mot &00Ëev, il y a un espace vide jusqu'à la fin de la ligne 45; on ne distingue aucune trace de lettre, et le sens ne présente pas de lacune. Ce vide à donc été laissé pour marquer une différence entre les sujets traités Jusqu'à cette ligne et ceux qui suivent. En effet, dans la première partie, ce sont des ques- tions générales relatives aux choses ou aux personnes; dans la se- conde, il est question de réclamations particulières concernant les individus. $ V. — Les députés demandent la mise en liberté de trois femmes. Leur patrie n'est pas indiquée; c’est évidemment Thisbé. Le nom de Æevorrbés est nouveau; c'est la forme féminine de Æsvoreiôns. Dans les deux autres, Mvacis et Aapoxpita, on a conservé le chan- gement de ln en æ, usité chez les Béotiens; le voisinage de ces deux formes dialectiques explique lerreur du lapicide, qui a gravé aÿræ au lieu de aûry. Le père de la troisième est seul nommé. Lo #47: Ilep} Tor dixdv. Ces femmes avaient été condamnées : le texte ne dit pas par qui ni pourquoi, mais il est certain que l'ar- rêt na pu être prononcé que par le préteur Lucrétius. En effet, si elles avaient été condamnées par les Thisbéens, il n'y aurait pas heu de réclamer devant le sénat. Ensuite elles auraient été rete- nues dans la prison de Thisbé, et non à Thebes et à Chalcis. En- fin, la demande contenue dans le paragraphe suivant ne s’'expli- querait pas. Il suit de là que le préteur Lucrétius, après la reddition de Thisbé, s'était arrêté dans la ville pendant quelques 24, = SOUL jours, qu'il avait prononcé des arrêts et sans doute fait une enquête contre les partisans de la Macédoine. Le paragraphe précédent, où il est question de ceux qui ont pris la fuite et n'ont pas répondu à la citation du préteur, confirme cette assertion, Quel était le crime de ces trois femmes? Le sénatus-consulte était fort clair pour le sénat comme pour les Thisbéens, car il ré- sumait une affaire également connue de ceux qui réclamaient et de ceux qui décidaient; mais ce résumé est bien court pour notre curiosité. Voici cependant ce qu'on peut tirer du texte : 1° Ces trois affaires avaient été jugées séparément, car dans la décision du sénat on emploie le pluriel &ep} roltwr Tôv &payudros au lieu du singulier, dont l'usage est constant dans tous les autres para- oraphes. 2° La peine prononcée par le préteur était l'expulsion de Fhisbé et la prison; Xénopithis et Mnasis étaient gardées à Chal- cis, Damocrita à Thèbes. Thèbes, dès le début de la guerre, avait élé occupée par une garnison de 300 soldats italiens. Chalcis, al- liée des Romains, était le quartier général de la flotte romaine et du préteur Lucrétius. 3° La cause ou le prétexte des condamna- tions prononcées à cette époque par le général romain ne peut être que le crime d’avoir favorisé le parti de Persée. Plusieurs passages de Tite-Live et de Polybe montrent que les femmes avaient pris part à ces dissensions qui déchiraient les cités grecques; mais, dans cette supposition, comment expliquer que les députés de la faclion oligarchique réclament en faveur de femmes qui avaient embrassé le parti opposé? J'ai montré plus haut que les chefs du parti démocratique appartenaient également à la noblesse; mais la haine entre les deux factions n'avait éclaté dans toute sa violence qu'après le commencement des hostilités entre Rome et Persée. Ces femmes pouvaient donc, par leur naissance, appartenir au parti oligarchique et avoir été données en mariage à des nobles qui, plus tard, se déclarèrent pour la Macédoine. Dans celte hy- pothèse, il était tout naturel que leurs familles demandassent qu'on leur rendit la liberté. Le sénat décide qu’elles seront mises en liberté, preuve que la condamnation prononcée par Lucrélius était injuste; mais en même temps il leur interdit de revenir à Thisbé. Cette restriction fait supposer qu’elles avaient favorisé le parti de Persée et que leur influence pouvait encore être dangereuse, ou plutôt le sénat voulait éviter que leurs plaintes contre les injures du préteur, da — 365 — peinture des maux qu'elles avaient souflerts vinssent indisposer les habitants contre la domination romaine. $ VI. — Celle intéressante affaire est encore l'objet d'une récla- mation des députés; malheureusement leur demande est résumée avec brièveté : « Ils ont demandé que ces femmes pussent intenter contre le préteur une action de violence, pour une amende. » Il faut justifier la restitution et Fexplication de ce passage. À la fin de la ligne 50, quelques lettres ne sont pas lisibles; on distingue les quatre lettres Y B PH. Yépeus remplit exactement la lacune. Du mot déxar, la seconde syllabe est lisible, les deux pre- mières lettres sont moins certaines; la substitution de la forme dialectique déxar à dixnr se conçoit facilement de la part d'un gra- veur béotien. À la ligne 48, il y a une erreur analogue et d'une lecture certaine : aûrd. L'expression @éperr déxnr Ü6pews donne un sens satisfaisant !, | Ioos ro» ere Le préteur ici désigné est Lucrétius comme plus haut, 1. 41, et la réponse du sénat ne laisse aucun doute. Ér) délay. Le mot aË/x signilie également peine et amende. Le dernier sens m'a paru préférable, parce que nous voyons dans Tite-Live que Lucrétius, accusé par les tribuns pour ses violences à Chalcis, fut condamné par le peuple à une amende. Le mot DÉpews, vis, a un sens très-général; mais on comprend de quelle violence il s’agit ici, si l’on songe que deux de ces fenimes furent retenues à Chalcis et la troisième à Thèbes, et que le pré- teur Lucrétius séjourna longtemps dans ces deux villes. Les plaintes des habitants de Chalcis montrent quelle était, même chez des alliés, la conduite du général et de ses soldats : « Libera corpora in servitutem abrepta... versari inter se, conjuges liberos- que suos, quibus nihil neque dicere pensi sit, neque facere?.» H est naturel de songer à Verrès en parlant de Lucrétius, qui fut son digne prédécesseur. On connait, par le magnifique récit de Cicé- ron, l'attentat de Verrès à Lampsaque sur la fille de son hôte et toutes les scènes de débauches et de violences de la préture de Si- cile : « Scitote oppidum esse in Sicilia nullum ex üs oppidis, in ! La construction æepi 09 avec l'infinitif est singulière. Je suppose qu'il est régi par les mots Àdyous éromouvro, qui sont exprimés dans toutes les autres de- mandes, mais qui, dans ce paragraphe, auraient été sous-cntendus où omis par le graveur. 2 Livius, XLHEIT, « — 366 — quibus cosistere prætores et conventum agere soleant, quo in Op- pido non isti ex aliqua familia non ignobili delecta ad libidinem mulier esset !. » L’insolence des préteurs romains ne date pas de Verrès; dès les premières conquêtes, ils se crurent tout permis à l'égard des vaincus et des alliés. Ce texte montre que, pour accuser nn magistr at romain , il fal- lait l'autorisation du sénat; mais que de questions auxquelles fa brièveté de cette inscription ne permet pas de répondre! Le droit d’accuser un préteur pouvait donc être accordé à des étrangers, à des femmes. Il semble qu'il en ait été ainsi, puisque le sénat ne repousse pas cette demande comme contraire aux lois de la répu- blique. Mais si lautorisalion était accordée, devant quels juges l'accusation était-elle portée, puisqu à cette époque les quæstiones perpetuæ n'avaient pas encore été établies? Ces femmes auraient- elles pu intenter en leur nom, et directement, une accusation contre le préteur ? La réponse du sénat trahit son embarras et le désir d’étoufter cette affaire. C'est qu'il ne songeait pas seulement aux députés de Thisbé, mais surtout au peuple de Rome et aux tribuns. Les pre- miers chapitres du livre XLITI de Fite-Live olfrent un triste spec- tacle pour ces deux années 171 et 170. De tous côtés arrivent des plaintes contre l'avarice et l’insolence des magistrats romains. I vient des députés de l'Espagne qui se jettent à genoux et implorent le se- cours du sénat contre les préteurs; il en vient du nord de Fltalie, des petits rois des Gaulois et des peuples de Flstrie, qui se plaignent que le consul Cassius se soit jeté sur eux sans raison et les ait iraités en ennemis; il en vient surtout de la Grèce, où la guerre contre Persée a ouvert un nouveau champ aux rapines et aux mo- lences des généraux : dans la même année 170, Coronée, Thisbé, Abdère, Chaleis. Le peuple commençait à s'émouvoir à la vue de ces ambassadeurs qui venaient pleurer dans le Comitium et im- plorer secours et protection; 1l sentait instinctivement et les tri- buns lui répétaient que les nobles prenaient dans leurs comman- dements des habitudes de tyrannie qu'ils rapporteraient à Rome, et que le peuple aurait plus tard à supporter ces violences et ces injustices auxquelles on s’essayait sur les alliés. Dans ces circonstances, la position était difficile pour le sénat; { Cicér. Verr. V, 28 — 907 — l'insolence et l'incapacité de la noblesse éclataient de toutes parts ; il voulait dérober aux yeux du peuple ce spectacle fàcheux. Un mot que Tite-Live applique à une affaire”particulière caractérise très-bien sa politique : lta præteritis silentio obliteratis, in futurum tamen consultum. Le sénat n’entendait pas tolérer les excès des ima- oistrats, mais il voulait encore moins poursuivre des coupables qui appartenaient à la noblesse, et dont la condamnation Île dé- criait aux yeux du peuple. Aussi multipliait-il les lettres aux con- suls et aux préteurs, l’envoi de députations, les”décisions pour protéger à l'avenir les alliés ou les vaincus. Mais s'il fallait en ve- nir à des poursuites, quand les crimes étaient trop évidents, ‘comme pour les Espagnols, les juges étaient ‘pris dans le sénat, trainaient le procès en longueur, remettaient plusieurs fois la dé- cision pour laisser aux accusés le temps de s’exiler volontaire- ment. Les patrons choisis par les Espagnols, et c'étaient cependant les hommes les plus honnètes du sénat, intervenaient pour arrêter leurs clients; enfin le préteur chargé d’instruire l'affaire partait brusquement pour sa province. On comprend dans quel embarras la demande des députés meltait le sénat. Les griefs de ces lrois femmes étaient trop fon- dés; 1l était impossible de repousser leur demande par un refus absolu. D'un autre côté, permettre de poursuivre un préteur, c’é- tait amener un éclat facheux pour toute la noblesse; c'était donner matière aux récriminations des tribuns, aux colères du peuple. Gétait précisément ce Lucrétius que les tribuns poursuivaient avec le plus d'ardeur, celui dont ils dénonçaient sans cesse l’inca- pacité et les violences. - Le sénat saisit un prétexte pour ne point prononcer sur le fond de la demande. Lucrétius était absent : le sénat décida qu'on déli- bérerait sur cette question quand il serait présent. Ce prétexte avait déjà servi pour répondre à d’autres ambassades, et en parti- culier pour éluder les plaintes d'autres villes et les accusations des tribuns contre Lucrétius. « Lucretium tribuni plebis assiduis con- cionibus lacerabant, quum reipublicæ causa abésse excusaretur; sed tum adeo vicina erant inexplorata, ut is eo tempore in agro suo Antiati esset, aquamque manubiis Antium ex flumine Lora- cina duceret. Id opus centum triginta millibus æris locasse dicitur. Tabulis quoque pictis ex præda fanum Æsculapii exornavit!. » l Livius, XLITT, 4. — 368 — I me parait difficile d'admettre que le sénat crüt que Lucrétius était absent pour le service de la république. Le second sénatus- consulte est daté des ides d'octobre. Lucrétius avait prolongé son séjour en Grèce jusqu'à l'arrivée de son successeur Hortensius; mais évidemment, à la fin de septembre, il devait être de retour en Italie; cela n'était douteux pour personne dans le sénat. Je croi- rais volontiers qu'on lui avait conseillé de ne pas revenir à Rome: c'était un moyen commode d'ajourner la réponse, de déclarer qu'on délibérerait quand il serait présent. Les députés de Thisbé pa- raissent avoir compris qu'il n'y avait rien à espérer; car, dans la même séance, ils demandèrent et obtinrent des lettres de recom- mandation pour leur retour. Cette réponse, qui avait déjà réussi deux fois, parut si bonne au sénat qu'il l'opposa une troisième fois aux plaintes des députés de Chalecis; mais ce ne fut plus avec le même succès. Le chef de la députation, malgré ses souffrances, se fit porter en litière jusque dans le sénat. Un tel spectacle avait frappé l'imagination populaire. Deux tribuns forcèrent le sénat à faire enfin comparaître Lucrétius; ils le citèrent devant le peuple, et les trente-cinq tribus le condamnèrent à l'unanimité |. $ VIE.— La dernière réclamation des députés porte sur un con- trat fait avec un certain Cnæus Pandosinus. Nous chercherons plus loin quelle était la nature de ce contrat; mais tout d'abord nous avons à constater ce fait curieux d'une opéralion commer- ciale faite par les Grecs avec un lialien. Évidemment les This- béens avaient à s'en plaindre, puisqu'ils en font l'objet d’une ré- clamation; évidemment aussi, le sénat pensait que leurs griefs n'étaient pas sans fondement, puisqu'il proposait de leur donner des juges s'ils en voulaient. C'est là un fait intéressant et qui montre avec quelle promptitude les negotialores romains ou ita- liens fondaient sur les pays occupés par les légions. Les inscrip- tions nous font connaître l'existence de ces negoliatores à Délos, à Argos, à Mantinée?. Mais avant l'établissement de ces compa- gnies, et dès la première apparition des armées romaines dans la Grèce, le pays fut exploité en même temps que conquis. Un pas- sage de Tite-Live fait voir que les soldats de la république n'étaient pas seulement de vaillants combattants, mais aussi d’àpres et ha- ! Havius, XLIIT, 6. ? Le Bas et Foucart, Inscriptions de la Grèce, note du n° 1259 «. — 369 — biles commercants. En 196, aussitôt après la défaite de Philippe, pendant que l'armée de Flamininus campait à Élatée, les soldats partaient avec des congés pour parcourir les villes de la Béotie et y négocier; il faut croire que les habitants eurent à se plaindre d'eux, car un grand nombre furent assassinés : « Postremo non tan- tum ab odio, sed etiam aviditate prædæ facinora fiebant, quia ne- gotiandi ferme causa argentum in zonis habentes in commeatibus erant\.» | En 171, l'armée romaine avait de nouveau pénétré en Béotie, et déjà des negotiatores exploitaient les vaincus et les alliés; déjà les villes grecques se plaignaient de leurs exactions. Ils s'empa- raient partout des affaires, et l'on peut appliquer à cette époque et à tous les pays conquis par Rome ce que Cicéron disait de la Gaule au temps de Fonteius : Nemo Gallorum sine cive Romano negotium gerit (ch. 4). Qu'était ce Cnæus Pandosinus? Ün Italien, comme son nom l'in- dique. Havdoouvos est l'ethnique de Tardooia, petite ville du Brut- tium. Comme le père de cet homme n'est pas nommé, il est pro- bable que c'était un affranchi; son nom même porte à le croire. On sait que souvent les esclaves publics d’une ville qui recevaient la liberté prenaient comme nom l'ethnique de cette ville, en y ajoutant un prénom ?. Cnæus Pandosinus parait donc avoir été un affranchi de la ville de Pandosia. Les équipages de la flotte de Lu- crétius étaient composés de socii navales, et il les avait débarqués pour ses opérations militaires en Béotie. La liste des proxènes de Delphes montre quelle était l'impor- tance de ces Italiens qui accompagnaient les armées romaines. On trouve dans cette liste le titre de proxène décerné à deux Italiens : Zahouos Tayvrlos Tayihou vids À pyvpérmavos et Paios Zrarwpros Païou viès Bpevreoivos$. -Ces deux Italiens reçoivent le titre de proxène dans le second semestre de l’archontat de Phainis (191-190). À cette époque les armées romaines occupaient la Grèce, et Manius Acilius sé- Journa un certain temps à Delphes pour réorganiser l'assemblée ® Livius, XLIIT, 29. 7 Dans le Recueil des inscriptions du royaume de Naples, publié par M. Momm- sen, on trouve cinq Campanius, sept Venafranus, Amiternius (n° 5806), Æserni- nus (n° 5050 ). ? Inscriptions inédites recueillies à Delphes, n° 18, 1. 64 et Gg. — 370 — amphictyonique et fixer les limites du territoire sacré. Il est done permis de supposer que ces deux Italiens, nommés tous deux à la fois proxènes à cette époque, étaient, comme Cnæus Pandosinus, deux negotiatores qui suivaient l'armée romaine, et que les Del- phiens cherchèrent, par cet honneur de la proxénie, à se concilier leur bienveillance ou à les remercier de services rendus pendant le séjour de Manius Acilius dans leur ville. _ Pour l'affaire elle-même, il est difficile d'établir avec sûreté en quoi elle consistait. D'après le texte, on voit qu'elle était relative au blé et à l'huile; mais plusieurs explications sont possibles. Peut-être s’agissait-il des impôts à paver aux Romains sur le blé et l'huile. Dans la province de Sicile, ces denrées supportaient une dime dont la perception était pour les traitants la source d'é- normes prolits !. Les villes concluaient avec eux des contrats, pac- liones, ici xowvwviæ, qui laissaient place à bien des exactions. Fout un livre des Verrines est consacré à exposer les rapines auxquelles donnaient lieu la perception de cette dime et les contrats avec les traitants. [l est donc possible que la ville de Thisbé euùt conclu avec Cnæus Pandosinus un pacte analogue et qu’elle eût à se plaindre soit des clauses mêmes du contrat, fait au moment de la soumission de la ville, soit des fraudes et des violences de la per- ception. Voici maintenant pourquoi cette interprétation ne me sa- tisfait pas complétement : 1° s'il s'agissait d’une dîme, on aurait dû la désigner par un mot autre que xoswvwvéa; 2° il y avait six mois à peine que Thisbé s'étail soumise aux Romains, la guerre n’était pas finie, et un état de choses aussi régulier n'avait guère pu être établi; 3° s’il s'agissait d’un impôt à percevoir, et non d'une affaire passagère, le sénat aurait probablement renvoyé la décision au consul Hostilius, comme il l'avait fait pour les exilés qui n'avaient pas répondu à la citation du préteur. Si l’on veut admettre que xowwvia n'ait pas le sens de société durant un certain temps, mais que cette expression peut s’appli- quer à un contrat, voici une autre interprétation qui me parait s’accorder mieux avec la suite des idées et ce que nous savons des habitudes des généraux romains. Toutes les affaires dont les dépu- tés ont entretenu le sénat sont relatives à l'état de choses établi par le préteur Lucrétius. Dans les deux paragraphes précédents, il PMCic. Verre UE — 911 — élait question des violences commises par le préteur contre les personnes; il est naturel de rencontrer ensuite une plainte contre les exactions qu'il avait favorisées au profit de ses agents. Les réquisitions des généraux romains dans ces deux années 171 et 170 donnaient une ample matière à ces rapines. On voit dans Tite-Live à quel point ils abusaient de ces réquisitions, dont la guerre était la cause ou le prétexte. Par exemple, les Athéniens avaient offert leur flotte au consul et au préteur; ceux-ci l'avaient renvoyée, et ils avaient exigé une fourniture de 100,000 boisseaux de blé d’un pays qui n’en produisait même pas assez pour lui- même !. Si les cités libres et alliées étaient ainsi traitées, quelle devait être la conduite des généraux à légard des villes que leurs sympathies pour la Macédoine livraient à leur discrétion? Le mal devint si grand, les exactions si criantes, que le sénat crut néces- saire, à un moment où la lutte était encore douteuse, de ménager et de rassurer les villes grecques. Un sénatus-consulte spécial fut rendu pour défendre aux généraux d'exiger des réquisitions en de- hors de celles que le sénat avait autorisées. Des députés furent char- gés de parcourir la Grèce pour faire connaître cette décision; ils commencèrent par Thèbes, preuve que la Béotie avait eu à souf- frir de ce mal. Les généraux romains, pour couper court aux re- tards et aux réclamations que leurs exigences provoquaient , avaient recours à la terreur. Au moment même où les Thisbéens venaient se plaindre de Lucrétius, son successeur Hortensius pil- lait la ville d'Abdère, qui avait demandé un délai, faisait frapper de la hache les principaux citoyens et vendre les autres ?. Il peut bien s'agir ici d’une affaire analogue, quoiqu'elle n'ait pas été poussée aux mêmes extrémités. Le préteur Lucrétius, avec son armée, avait campé devant Thisbé; 1} avait séjourné pendant quelques jours dans la ville pour condamner les partisans de la Macédoine. Pour subvenir aux besoins des soldats, il put imposer à la ville une fourniture de blé et d'huile. Les habitants savaient à quels excès le préteur était capable de se porter si lon tardait à ? « Athenienses se quod navium habuerint militumque P. Licinio consuli et C. Lucretio prætori misisse exposuerunt, quibus eos non usos frumenti sibi cen- tum millia imperasse, quod, quanquam sterilem terram arent, ipsosque etiam agrestes peregrino frumento alcrent, tamen ne deessent oflicio, confecisse. » (11- vius, XLIII, 6.) 2 Livius, XLITIE , 4. me obéir. Cependant on n'avait pas les denrées requises; l'argent manquait pour les acheter. Dans cet embarras, on eut recours à ce Cnæus Pandosinus, qui se chargea de fournir les réquisitions exi- gées par le préteur; naturellement on ne pouvait discuter les con- ditions d'un contrat qu'on était obligé de subir. Voilà comment je suppose que les choses se passèrent. Une curieuse inscription, trouvée en 1864 à-Gythium, ajoute quelque vraisemblance à la conjecture proposée. Pendant les années qui suivirent la bataille de Philippes, les généraux romains frappèrent la ville libre de Gythium de réquisitions; l’un avait exigé du blé, l'autre des vête- ments, Antoine de l'argent !. La ville, aux abois, avait eu recours aux deux frères Cloatius, qui lui avaient prêté de l'argent à AS p. 0/0. Mais les prêteurs, proxènes et bienfaiteurs de la ville, avaient été généreux, ils avaient consenti à réduire l'intérêt de moitié, à faire abandon même d'une partie de leur créance. Cette générosité avait provoqué de la ville de Gythium un décret en leur honneur. Thisbé avait été moins heureuse avec Cnæus Pan-. dosinus, et les députés venaient prier le sénat de remédier aux dommages que leur causait un contrat trop onéreux. Le sénat ne décide pas sur le fond de l'affaire; mais, reconnais- sant que les Thisbéens avaient droit de se plaindre, il leur offrit de leur donner des juges sils en voulaient ?. Aucune mention particulière n'étant ajoutée, ces juges devaient être donnés d'après l'usage général, qu'un exemple contemporain nous fait connaître (171). Les Espagnols étaient venus se plaindre des vols des préteurs ; les faits étaient évidents. Le sénat décida que le préteur chargé de la province d'Espagne choisirait parmi les sénateurs cinq juges appelés reciperatores $. La décision relative aux l Émrdéayros r& moe: dur V'aiou V'eXAtou oîroy nai Koïvrou À yyapiou india... Ôte Âvrwmos mapeyéveto, ypelar Éyoboas Täs méÀsws diafopwr nai umbevds &\ Aou Séoyros ouvahAaËæ. {L. 26 et suiv.) ? La restitution [d|o[dr|æ est certaine, car elle est la traduction exacte de la formule latine, telle que nous la voyons dans l’édit de Verres, relatif aux contes- tations entre les percepteurs de la dîme et les Siciliens : St uter volet, jucices dare. (Cic. Verr. Act.) ! «Quum et alia indigna quererentur, manifestum autem esset pecunias cap- tas, L. Canuleïo prætori, qui Hispaniam sorlitus erat, n egotium datum est, ut im singulos, a quibus Hispani pecunias repeterent, quinos reciperatores ex ordine senatorio daret, patronosque, quos vellent, sumendi potestatem faceret.» (Li- vius, XLIIF, 2.) — 973 — Thishéens n'est pas aussi précise, parce qu'on ne leur donne pas encore des juges, mais seulement la faculté d'en avoir s'ils le dé- sirent. Il semble, du reste, que les députés mettaient peu d'espoir dans les décisions de ce tribunal, car ils renoncèrent à Ja faculté que leur offrait le sénat et, dans la même audience, demandèrent des lettres pour leur retour. $ VIII. — Le dernier paragraphe ne présente aucune difficulté. Les députés demandent qu'on leur donne des lettres pour l'Étolie et la Phocide. Cette requête prouve qu'ils croyaient leur mission terminée; ils n'avaient cependant pas une réponse définitive sur tous les points et ils n'avaient pas lieu d’être très-satisfaits des dé- cisions du sénat. Leur fidélité à la cause romaine n'avait pas obtenu la récompense qu'ils avaient pu espérer; on les traitait déjà en sujets, et les concessions qu'on leur faisait étaient res- treintes à un petit nombre d'années. Ils n'avaient même pas la sa- tisfaction d’avoir fait rendre contre leurs adversaires une sentence définitive. Quant à attendre le retour de Lucrétius pour poursuivre contre lui leur demande d'accusation, quant à accepter les juges qu'on leur proposait pour le contrat avec Cnæus Pandosinus, ils semblaient n'y pas songer et comprendre que ces réponses n'étaient qu'un moyen d'éluder. Ils se proposaient de retourner dans leur patrie par la route de terre, en traversant l’Étolie et la Phocide. La faction romaine l'a- vait emporté dans ces contrées, ét ils désiraient s'assurer l'amitié des chefs de l'oligarchie dans ces deux pays. C’est la seule raison qui pût leur faire préférer cette route, longue, difficile, peut-être dangereuse, à la route de mer, qui, par le golfe de Corinthe, les conduisait jusqu’au port de Thisbé. La réponse du sénat ne pouvait être que favorable. C'était un usage de donner des lettres de ce genre aux députés qui partaient de Rome pour retourner dans leur patrie : nous en avons un exemple dans Île sénatus-consulte des Juifs: ils demandent et ob- tiennent « qu'on leur donne des lettres pour les rois et les peuples libres afin d'assurer leur retour dans leur patrie EL. » De même ici, pour les Thisbéens, le sénat décide « de donner aux Thisbéens et aux Coronéens des lettres bienveillantes pour il Ô # > … ! Ve N'a ONE 2) 0E à / = d& ; HWS TE AUTO! GDfp0s TE ÉAOIAEIS HO ONUOUS EAEU Epous YPAHHATA ŒOOIU CIS doQaherur 1fs sis oixov émavodou. | Josephe, Ant. Jud. XIIT, 9, 2.) : OUI l'Étolie et la Phocide ,et pour d'autres villes, s'ils le désirent. » Cette bienveillance empressée à leur accorder des lettres pour leur re- tour, à leur en offrir même pour d'autres pays, «s'ils le désirent, » accuse une certaine hâte de voir partir ces deux députations, dont les plaintes et les réclamations fatiguaient le sénat et, l'inquié- taient. La mention des Coronéens est importante, parce qu’elle permet de corriger une erreur de Tite-Live. L'auteur, après avoir rapporté les plaintes des Abdéritains contre le préteur Hortensius, ajoute : «Indigna res senatui visa, decreveruntque eadem de Abderitis quæ de Coronœæis decreverant priore anno, eademque pro concione edicere Q. Mænium prætorem jusserunt !. » Priore anno est une erreur évidente de l’auteur ou une faute du copiste, car le sénat s'occupa la même année 170 de ces deux af- faires. En effet, c'est le même préteur Q. Mænius qui fut chargé de répondre aux Abdéritains et qui présida la séance dans laquelle on accorda des lettres de recommandation aux députés de Coronée. L'inscription prouve que les Coronéens étaient encore à Rome en même temps que les Thishéens, c'est-à-dire aux kalendes d'oc- tobre. La députation de Coronée avait dû être reçue par le sénat fort peu de temps avant celle de Thisbé, peut-être même dans l'intervalle des deux séances consacrées à cette dernière. D’après le récit même de Tite-Live, on aurait pu relever cette erreur. En ef- fet, au commencement de l'hiver de 171, Coronée était encore en armes, puisque les craintes qu'elle inspirait à l’oligarchie de Thèbes décidèrent le consul Licinius à prendre ses quartiers d'hiver en Béotie, Coronée ne fut donc prise que pendant cette saison. La sou- mission de Thisbé est de la même époque. Les deux députations arrivèrent en même temps, et elles partirent ensemble de Rome. Cette date d'octobre, établie sûrement par l'inscription, per- met de fixer avec plus de précision la date des autres ambassades rappelées par Tite-Live dans l'année 170. L'affaire des Abdéritains est postérieure à celle de Coronée, puisque la réponse du sénat fut la même que celle qui avait été faite aux Coronéens?. La dé- putation de Chalcis est évidemment postérieure à celle de Thisbé, puisque nous avons vu que le sénat se contenta de répondre que LoEivius XIE 5° 2 TRI TT EN LE Lucrétius était absent, tandis que les plaintes des Chalcidiens for- cèrent enfin le sénat à le mander à Rome !. « Voici donc les dates que l’on peut fixer pour ces diverses am- bassades : Coronée et Thisbé dans le mois de septembre, Abdère et Chalcis dans les trois derniers mois de l’année 1 70. On peut même aller plus loin. La députation d’Abdère est ra- contée au chapitre 1v, celle de Chalcis au chapitre vrr. I est vrai- semblable que Tite-Live à suivi l'ordre des temps dans les cha- pitres intermédiaires, et quelques mots du texte le prouvent. Ch. v : « Eodem tempore de €. Cassio. » — Ch. vr : « Multarum si- mul Græciæ Asiæque civitatum legati Romam convenerunt. Primi Athenienses introducti.» — «Et ex Africa legati simul Carthaginiensium. » — Ch. vi : « Cretensibus cum hoc responso dimissis, Chalcidenses vocati. » Toutes ces ambassades sont pos- térieures aux kalendes d'octobre et antérieures à la fin de l’année. Le sénat, dans les trois derniers mois de 170, eut donc à donner audience et à répondre aux députations des villes et des peuples suivants : Abdere, les Gaulois des Alpes, les Carniens, les Istriens, les Japydes, Athènes, Milet, Alabanda, Lampsaque, les Carthagi- nois, Massinissa, les Crétois, Chalcis, c'est-à-dire treize affaires différentes à examiner en moins de trois mois. Nous avons vu que la seule affaire de Thisbé revint à deux séances et provoqua une enquête de cinq jours. Chacune des autres députations donna lieu à des discours, à une délibération, à une réponse du sénat; plusieurs rendirent nécessaire l'envoi de lettres aux magistrats ou même de députés pris dans le sénat. Enfin , comme dernière conséquence à tirer de ce sénatus-con- sulte, on peut déterminer l'étendue de la lacune du XL livre de Tite-Laive; elle est considérable. La partie perdue comprenait le récit des événements accomplis depuis l'arrivée du consul Licinius en Béotie, c'est-a-dire depuis l'hiver de 171, jusqu'au mois d'oc- tobre 170. Reste à résumer ce que ce monument nous fait connaître : 1° pour le rôle du prætor peregrinus et pour la manière de traiter les affaires; 2° pour la politique du sénat à légard des cités grecques. À une époque de guerres continuelles, où les consuls étaient L Bivius, XLIIT, 7 et 8. — 370 — presque loujours absents, l'importance du pr@tor peregrinus était considérable. Dans cette affaire en particulier, c'est Jui qui con- voque et consulte le sénat; il choisit les membres de la commission qui doit examiner la requête des Thisbéens, et probablement il la préside; il résume les demandes de la députation et propose les décisions préparées par la commission; il est chargé de conserver ou de renvoyer les Thisbéens transportés à Rome. Pour toutes ces affaires, le sénat ne lui trace pas la conduite à suivre; il doit seu- lement agir selon sa conscience et l'intérêt public. D’après le récit de Tite-Live relatif à cette même année, il est probable qu'il en était de même pour tous les rapports avec les cités étrangères. Pour la forme, ce monument est un modèle d'ordre et de clarté. Nous avons eu souvent à regretter de ne pas trouver plus de détails, de ne pouvoir déterminer que par conjecture la nature des affaires en question. Mais l'obscurité existe seulement pour nous; pour le sénat comme pour les députés, toutes les décisions étaient parfaitement claires. Les affaires sont traitées dans un ordre très-logique; d’abord les questions générales sur les choses : condition de Thisbé, territoire, revenus, magistratures et temples, $ 1; puis sur Îles personnes : les partisans de Rome, $ 2; les adver- saires, ceux qui ont été transportés en ltalie et ceux qui ont pris la fuite, $ 3 et 4. — Dans la seconde partie, les questions particu- lières, les plaintes des Thisbéens relatives aux personnes, $$ 5 et 6, et aux choses, $ 7. Chacune des questions est traitée séparément. D'abord la de- mande des députés est résumée avec concision; puis la sentence du sénat reprend les termes de la demande, les étend, les précise, pour ne laisser aucune obscurité. Chacune des résolutions est l'ob- jet d'un vote séparé. Dans cette manière de procéder, on reconnaît la méthode et le langage d’une assemblée habituée à traiter les grandes affaires. Les jurisconsultes romains ont été les maîtres des modernes; il est precieux de retrouver, dans un monument authentique de l'année 170, les qualités propres au génie romain. Pour la politique du sénat à l'égard des villes grecques, il est intéressant de comparer le sénatus-consulte de Thisbé à trois mo- numents officiels, contemporains de la guerre contre Philippe; ce rapprochement montrera clairement quel changement avait eu lieu‘dans la politique des Romains. — 377 — Il est nécessaire de citer au moins en partie ces trois docu- ments. Le préteur M. Valérius répond en ces termes aux habitants de Téos, qui demandaient que l’on reconnût à leur ville le droit d’a- sile : « Que nous fassions toujours le plus grand cas de la piété envers . les dieux, c'est ce que l'on peut induire de la bienveillance même que pour cela le ciel nous a montrée. Toutefois, nous voulons qu'il y ait d’autres preuves évidentes pour tous de notre déférence particulière envers la divinité. À cette cause, et à cause de vous et en considération de votre ambassadeur, nous décidons que votre ville et son territoire demeurent sacrés comme ils sont aujourd'hui, ayant droit d'asile, avec immunité de tout tribut envers les Romains. Nous nous efforcerons d’ajou- ter aux honneurs du dieu et aux priviléges des hommes tant que vous conserverez, pour l'avenir, les mêmes sentiments d'amitié à notre égard !. » | Titus Quinctius Flamininus écrit aux habitants de Kyréties en Thessalie pour donner à leur ville une partie des biens qui avaient été confisqués. I saisit cette occasion de protester contre les accu- sations des Étoliens et de faire profession, au nom des Romains, des sentiments les plus généreux : « C'est afin ne vous connaissiez par là notre générosité et que vous sachiez qu’en aucune façon nous n'avons voulu être avides d'argent, mais que nous mettons avant tout l'honneur et la re- connaissance ?. » Dans une troisième lettre adressée, en 188, aux habitants d'Hé- 1 Üre mèv d éXou mheciolov Àdyoy motoÿuevor Giarehoduer Ts mpôs Toùs SeoÙs etoeGelas, pdluoT dy ris oloydbouro êx Ts cuvavrwuévns muiv eûuevelus did radra mapa ro dupoviou où unr dd nai £Ë dAwy mheovwr wenelouela ouuQarÿ yeyo- véva Tilv Muerépar eis TO Seioy mporiiav, d0 nai did Te Tadra nai did Tv mpôs dus edvorar nai did Tôy nÉtwpévor wpeobeuriv upivouer Tv Du xal Ty ywpar iepay, uaÜds ai vov éoliv, nai éovhov uai aPopohoynrTov dmù Toù duou Toù Po- ualwv nai ré re eis roy Sedv Tipua nai rà eis Duâs QradyÜpwna metpacouela muve- madËerv, iurnpoiyrwy Judy nai eis TÔ perd radra ryv mpôs nuäs elvorar. (Le Bas et Waddington, Inscriptions d'Asie Mineure, n° 60. — Cf. Egger, Études sur les traités publics chez les Grecs et les Liomains, p. 157 et suiv.) 1 Ürws nai ép ToUrous udfnre Thv xalouayaliay ne, ai OTe TEËwS Ev oùbevi Prhapyvpiou pc cit mepi mhelolou mooëpevor yépira xai PrAodoËlay. { Cor- pus inscr. gr. n° 1770.) MISS, SCIENT, —- VII ; 2 QT — 378 — raclée du Latmus, qui s'étaient livrés aux Romains par deditio, comme les Thisbéens, le général romain s'exprime en ces termes : « Vous savez bien que nous avons des dispositions bienveïllantes à l'égard de tous les Grecs. Nous nous efforcerons donc, puisque vous vous êtes déclarés de notre parti, de vous montrer notre amitié en vous procurant toujours quelque bien. Nous vous ac- cordons la liberté, comme à toutes les autres villes qui se sont remises à notre foi, pour que vous vous gouverniez dans toutes vos affaires selon vos lois, et dans les autres choses, nous nous eorcerons de vous être utiles en vous procurant toujours quelque bien... Nous avons envoyé vers vous Lucius Orbius pour qu'il veille sur votre ville et votre territoire, afin que per- sonne ne vous cause aucun dommage !. » Ces trois lettres, dans le fond comme dans la forme, sont pleines de bienveillance pour Îes Grecs. Les Romains se pré- sentent comme des bienfaiteurs, des protecteurs, peu soucieux de leur intérêt propre, mais seulement de leur bonne renommée et de la reconnaissance des Grecs, pleins de respect pour les pro- priétés et les priviléges des dieux, pour l'indépendance des villes. Encore mal assurés de leur triomphe, ils ne croyaient pas le moment venu de parler en maïtres. Ils saisissaient toutes les oc- casions de rappeler leur désintéressement, leur bienveillance ; peut-être même ne songeaent-ils alors qu'à établir leur protecto- rat et non leur domination. En 170, cette politique de ménagementis n'était plus nécessaire. Rome, par deux épreuves, savait quelle ne rencontrerait en Orient aucun adversaire redoutable: la lutte avec Persée traînait en longueur, mais le résultat ne pouvait être douteux. Le mo- l L'éditeur du Corpus avait à tort attribué cette inscription à la ville d'Héraclée dans le Pont (n° 3800). M. Waddington a ji le texte d'une manière beau- coup plus correcte. Ês muës ed elddres mpôs œdvras tods ÉAnvas eÜvdws dianciué- vous. Hueïs pv oÙy nai DEEE re Üu®r eis Tv iresé eue aipe- ci, mpôvoiay moiiobar Tv Évdcyouévnr, dei tivos dyaÜod mapairior yevouevor. Evyywpoèuer dE Üuir rhv re éheubepiay, alor: nai rais dus moeow, dou fuir Ty émirponny Édwrav, Épouoir Tà mpdyuara Tà aûrûu molurelecle xaTà Toùs Üue- Tépous vôuous nai y Toïs dois meipacôuela elypnolodvres Üuiy del rivos dyaboù EUR yéveoûoui dnodeyoueba d nai rà 50 ÉRoE Qrdyfpwra nai Très wioles, nai aÿroi dè mapacouela undsvds Xeireooi éy ydpiros dxoddoes. ÂreoldAuauer dE Gpôs juês Action Opéor rdv ÉmueAnoduevor Tÿs môecws nai ris yOpas Ênws un- deis du&s maperoyAÿ. (Le Bas et Waddincton, Inscr: Iplions d'Asie Mineure , n° 583,) — 379 — ment de la conquète était venu. Thisbé n'était qu'une petite cité de Béotie, incapable de servir très-utilement les Romains ou de leur nuire sérieusement ; mais le sénatus-consulte qui la concerne n'est que l'application d’une politique arrêtée pour toute la Grèce. On laisse encore aux partisans de Rome la propriété de leurs temples, mais cest une concession, une récompense pour leurs services, et cette concession est limitée à dix ans. De même pour les magistratures. En 188, les Romains avaient accordé la liberté à toutes les villes d'Asie Mineure qui se rendaient à eux. En 170, Thisbé s'était de même rendue, et le sénat déclare que le terri- toire, les constructions, les ports, les revenus sont la propriété du peuple romain; la jouissance seule de ces biens est accordée aux habitants. On leur permet, pour se protéger, de fortifier la cita- delle, mais non la ville. Pour mieux tenir en bride ses propres partisans , le sénat refuse de statuer sur le sort de leurs adversaires et tient ainsi les deux partis dans sa dépendance par le besoin et par la crainte. Quant aux injustices commises, la réparation n'est donnée qu'à demi ou éludée. Les trois femmes injustement condamnées sont remises en liberté, mais elles n'ont pas le droit de rentrer dans leur patrie. Pour la demande d'accusation contre le préteur Lucré- tius, pour le contrat avec Cnæus Pandosinus, le sénat n’oppose pas un refus, mais un ajournement qui équivaut à un refus. Les députés le comprennent si bien qu'ils partent de Rome sans pour- suivre davantage ces deux affaires. Le contraste entre cette sentence et les trois lettres citées plus haut paraîtra encore plus frappant si l’on songe que les demandes des Thisbéens ne sont pas faites par des ennemis ou des adver- saires, mais par les partisans de Rome restés fidèles à son amitié, et dont quelques-uns même avaient, pour cette cause, encouru le bännissement. Il est donc impossible, d'après ce monument, de douter qu'en 170 les Romains n'eussent la volonté arrêtée d’éta- blir dans la Grèce, non plus leur protectorat, mais leur domi- nation. ‘OL 2OUUJ/— UOSTPLOT) , à JA 21407 connues SUOZSSTUL 27 SOON LFT TOPOGRAPHIQUE PLAN DIET il \ KHIRBET-MI et de ses environs. _" +. \ 200 neb'es. L ' i S- (l Pc 2 : 1 Ur ! ! 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V. GUÉRIN, AGRÉGÉ ET DOCTEUR ËS LETTRES, MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ DE GÉOGRAPHIE DE PARIS ET DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DE FRANCE, PREMIER RAPPORT. Jérusalem, le 19 mai 1870. Monsieur le Ministre, Chargé par Son Exc. M. Segris, alors Ministre de l’Instruction publique, d’une nouvelle mission scientifique en Palestine, afin d'y poursuivre les recherches que j'y avais commencées, et notam- ment afin d'y étudier la Samarie et la Galilée avec le même soin et dans les mêmes détails que j'avais auparavant exploré la J udée , J ai débarqué à Jaffa le 30 mars; le lendemain j'étais à Jérusalem. Depuis les fouilles importantes pratiquées par la commission anglaise autour et au dedans de la Ville Sainte, j'avais hâte d’en venir examiner sur les lieux mêmes les résultats, pour en déduire les conséquences qu’une étude attentive pourrait faire naître dans mon esprit. J'étais d'autant plus désireux de voir les excavations faites par les Anglais, que des problèmes d'un grand intérêt au point de vue de la topographie, de l'histoire et de l'archéologie s’y trouvent rattachés, problèmes qui depuis longtemps partagent en des opinions très-divergentes des savants éminents et laissent encore la critique flottante et indécise. J'espérais découvrir dans les flancs des tranchées béantes ouvertes par le lieutenant Warren, directeur de ces fouilles, et dans le fond des puits et des galeries souterraines dus à ses laborieux efforts et aux ressources pécu- niaires sans cesse renaissantes envoyées par le comité de Londres, ï — 382 — la solution cachée et la clef véritable de ces divers problèmes. Malheureusement, au moment de mon arrivée à Jérusalem, le lieutenant Warren, ayant épuisé le crédit qui lui avait été alloué, se disposait à quitter la Palestine, et il avait déjà comblé presque toutes les excavations qu'il avait pratiquées, en sorte que les belles découvertes qu'il avait faites se trouvaient de nouveau ensevelies sous des monceaux énormes de décombres. Je regrettai beaucoup ce contre-temps ét je dus me borner, comme dans mes voyages précédents, à examiner seulement la partie qui émergeait au-dessus du sol des constructions attribuées par les uns à l'époque de Salomon et des rois qui l’ont suivi, et par d’autres à une époque bien pos- térieure. La Jérusalem primitive, entrevue sur certains points par la commission anglaise sous une accumulation de débris qui dé- passe souvent 30 mètres de profondeur, est ainsi rentrée dans son tombeau, et, pour l'en exhumer une seconde fois, il faudrait presque les mêmes sommes que celles dont disposait le lieutenant Warren, c'est-à-dire plusieurs centaines de mille francs. Les plans seuls et les explications fournies par cet officier pourront donc plus tard, quand le comité de Londres les aura publiés dans un ouvrage d'ensemble, jeter une nouvelle et vive lumière sur ces questions obscures. Un autre problème bien plus important encore, à mon sens, que les précédents, puisqu'il intéresse non-seulement les archéo- logues, mais encore le monde chrétien tout entier, est celui qui touche à l'authenticité du Saint-Sépulcre et du Calvaire. Cette authenticité, très-combattue par plusieurs savants au moyen d’ar- guments qui pouvaient paraitre plausibles autrefois, lorsque l’on ignorait le tracé véritable du troisième mur d'enceinte, est, je crois, prouvée scientifiquement aujourd'hui, indépendamment de la continuité de la tradition religieuse à ce sujet, par la décou- verte d'un nouveau tronçon du second mur d'enceinte, dont un premier fragment avait déjà été trouvé, lors de mon voyage de 1863. Comme le Golgotha était en dehors de la ville antique, telle qu’elle existait du temps de Jésus-Christ, il faut que le second mur qui seul alors environnait Jérusalem de ce côté, la troisième muraille étant postérieure à Notre-Seigneur, se soit élevé en deçà de l’église actuelle du Saint-Sépulcre, qui renferme à la fois dans son enceinte et le Calvaire et le tombeau du Christ. On comprend iout de suite combien une pareille question est capitale. Depuis — 383 — Constantin, 1l est vrai, le Saint-Sépulcre et le Golgotha ont cons- tamment été vénérés, là où ils le sont encore de nos jours. Cette tradition même remonte plus haut encore, puisque Adrien, pour détourner les premiers fidèles d'y venir prier, y avait érigé deux temples, l’un en l'honneur de Vénus, l’autre consacré à J upiter. Une fois ces temples païens renversés, de dessous leurs ruines re- parurent soudain à la clarté du jour et le tombeau sacré et la roche ensanglantée du Calvaire. À partir de ce moment la piété des peuples ne cessa de s'y donner un continuel rendez-vous. Plus tard, pour reconquérir ces précieux sanctuaires, l'Occident presque tout entier s'est précipité sur l'Orient, et encore aujourd’hui, bien que l'enthousiasme religieux du monde chrétien se soit singulière- ment refroidi, aucune des grandes nations néanmoins n’a encore déserté la question des Lieux Saints. On n’ignore pas que la re- construction de la coupole du Saint-Sépulcre a pris dernièrement l'importance d'un grand événement politique et a occupé pendant plusieurs années les principaux cabinets de l'Europe, et spéciale- ment la France, la Russie et la Turquie. Cependant, à la tradition chrétienne primitive, à la croyance enthousiaste et non interrompue du moyen àge, aux préoccupations moins ardentes, mais sérieuses néanmoins, de la politique contemporaine elle-même, qui n’a pas cru s’agiter pour un vain fantôme en traitant l'affaire de la cou- pole, un certain nombre d’archéologues, dont je ne suspecte nul- lement les intentions, opposaient dans toute la sincérité de leur conviction une fin de non-recevoir en apparence bien spécieuse. D'après eux, le troisième mur d’enceinte de l'époque d'Agrippa débordait bien au delà vers le nord du mur actuel, et 1ls étaient alors entraînés comme fatalement à comprendre tout le quartier du Saint-Sépulcre dans le périmètre de la seconde enceinte; et comme cette seconde enceinte est antérieure à Jésus-Christ, 1l s’en- suivait à leurs yeux que le Golgotha actuel et le Saint-Sépulcre devaient être regardés comme apocryphes, puisqu'ils étaient situés au dedans du tracé présumé de cette seconde enceinte. Mais la dé- couverte des véritables Caves Royales, confondues à tort autrefois avec les Kobour-el-Molouk, et l'étude plus attentive du sol ont prouvé depuis péremptoirement que le troisième mur élevé par Agrippa suivait, à peu de chose près, vers le nord, la ligne du mur actuel qu'il ne dépassait pas, et dès lors le second mur devait être cherché en deçà de cette enceinte. En arrivant à Jérusalem, — 984 — l'une de mes premières pensées était d'engager le Heutenant Warren à pratiquer dans un certain sens une suite d’excavations, de manière à retrouver, s’il était possible, de distance en distance, le tracé de cette deuxième muraille, Car, à en juger par les rap- ports publiés jusqu'ici par le comité de Londres, il me semblait que si, relativement à l'enceinte extérieure du temple, relative- ment aussi à la muraille d'Ophel et à d’autres parties de la ville antique, l'officier anglais avait dirigé ses fouilles avec autant d’ha- bileté que de bonheur, en ce qui concerne la seconde enceinte, il avait fait fausse route en ouvrant ses puits là où il n’y avait pas de chance de retrouver les vestiges de ce mur. J'inclinais beaucoup à croire que, s’il avait poussé ses fouilles dans une autre direction, il aurait de ce côté réussi davantage et résolu définitivement, à son immense honneur, l’un des plus importants problèmes que puisse présenter la topographie de Jérusalem. Mais, ainsi que je l'ai déjà dit, il avait achevé de dépenser les sommes mises à sa disposition et se préparait à partir. Quoi qu'il en soit, les deux tronçons de la seconde enceinte, tant celui qui était déjà découvert avant 1863, que celui qui a été trouvé depuis, suffisent, selon moi, pour dé- montrer victorieusement, par leur position en deçà du Saint- Sépulcre, l'authenticité de cette tombe sacrée et, par suite, celle du Calvaire. Ces quelques assises encore debout, si on-les étudie sans parti pris et en dehors de toute idée préconçue, réconcilieront, je n’en doute pas, sur ce point avec la foi chrétienne des théories contradictoires fondées sur des arguments topographiques que d’autres arguments du même genre feront eux-mêmes tomber. Que si, en effet, les sanctuaires de Jérusalem peuvent être partagés en trois catégories différentes , les uns étant vrais, les autres douteux et les troisièmes apocryphes, et si cette distinction doit être faite avec une respectueuse indépendance d'esprit qui ne se laisse aveu- gler ni par un scepticisme superbe, ni par une foi naïve et peu éclairée, il Y a néanmoins dans cette ville deux sanctuaires prin- cipaux qui me semblent maintenant plus que jamais, en vertu des découvertes récentes de l'archéologie et de l'étude plus complète et plus scrupuleuse des trois enceintes, s'élever triomphalement au-dessus de toute critique, ce sont le Saint-Sépulcre et le Cal- vaire. Là tous les esprits de bonne foi qui ne cherchent que la vérité doivent se réunir dans une même affirmation; là doivent se donner fraternellement la main la science et la religion. — 389 — Après avoir jeté un nouveau coup d'œil sur la Ville Sainte, je la quittai quelques jours après mon arrivée pour commencer mes explorations, et d'abord je résolus d'étudier toute la vallée du Jourdain depuis l'embouchure de ce fleuve dans la mer Morte jus- qu'à Beisan, l'antique Scythopolis. J'avais l'intention d'arrêter là vers le nord mes premières re- cherches, afin de ne pas dépasser de ce côté les limites de lan- cienne Samarie que je devais parcourir tout entière, avant d’explo- rer la Galilée. Je me rendis donc à Jéricho par la voie que suivent d'ordinaire les pèlerins et en compagnie de quelques Français alors à Jérusalem; j'étudiai les divers emplacements qu’a occupés celte ville célèbre, celui de Gilgal, actuellement Tell Djeldjoul, celui aussi de Beth-Hogla, aujourd’hui Kasr-Hadjla, les ruines de plusieurs anciens monastères éparses le long du Jourdain, les nombreuses grottes et les divers sanctuaires de la montagne dite de la Quarantaine, ainsi que les restes de la citadelle antique qui en couronnail le sommet. Je revins ensuite à Jérusalem pour y passer les derniers Jours de la semaine sainte, et en même temps pour me trouver dans cette ville lors de l’arrivée des deux capitaines d'état-major fran- çais, MM. Mieulet et Derrien, chargés par Son Exec. M. le Ministre de la guerre de faire la carte de la Palestine. D'ailleurs, j'avais été assailli par des pluies torrentielles qui à Jérusalem s'étaient trans- formées en une neige tellement épaisse, que les vieillards ne se rappelaient pas en avoir vu jamais de semblable, surtout au mois d'avril. Du haut des terrasses du couvent latin où j'étais logé, le regard n’apercevait au loin qu’une immense nappe de neige qui couvrait les montagnes de la Judée, de la Samarie et de la Moabi- tide. Cette neige qui, à une pareille époque de l’année, était un événement extraordinaire pour la Palestine, fut saluée avec enthou- siasme par les habitants, car l'hiver avait été d’une sécheresse extrême; la plupart des puits et des citernes étaient taris; à Jéru- salem , l'eau commençait à coûter un prix exorbitant; les villes et les villages qui possédaient des sources étaient assiégés par des foules impatientes, et des rixes y avaient souvent lieu; en même temps des nuages de sauterelles recommençaient à tourbillonner en beaucoup d’endroits, au grand effroi des malheureux cultiva- teurs dont les récoltes étaient ainsi menacées. Pour en revenir à MM. Mieulet et Derrien, 1ls me communi- er quèrent leurs instructions, el nous comprimes tout d'abord que nous ue pouvions pas combiner ensemble nos recherches. Ces deux officiers devaient, en effet, commencer leurs opérations par le nord, afin de poursuivre méthodiquement les travaux de leurs devanciers qui s'étaient arrêtés à la hauteur de Sidon dans la carte de la Syrie; en outre, ils avaient deux ans environ pour accomplir leur mission, et moi seulement quelques mois; en troisième lieu, il ne leur était pas nécessaire de pénétrer dans les villages ni de visiter les ruines éparses sur leur route; ils devaient seulement en indiquer les noms et en fixer la position ; la topographie seule, en un mot, devait absorber leur attention et leur temps, ce qui, du reste, était déjà une assez lourde tache dans un pays aussi acci- denté que la Palestine et dont la configuration est tellement diffi- cile à saisir et à représenter, à cause de la multiplicité prodigieuse des ravins qui déchirent en tout sens ce sol tourmentié. Moi, au contraire, après avoir étudié la Judée en 1863, je devais natu- rellement explorer d’abord la Samarie et ensuite la Galilée, afin que mes travaux eussent de la suite et de l’ensemble; je devais, en second lieu, non-seulement me faire indiquer d’un endroit élevé les noms des villages et des ruines environnant ce point cul- minant, mais il me fallait les visiter, afin d'y chercher les traces que l'antiquité a pu y laisser, et de l’état actuel remonter par l’his- toire et par la tradition à l’état ancien. J'aurais ainsi à chaque instant entravé la marche de ces messieurs: dans d’autres cas, ils auraient arrêté la mienne. I valait donc mieux nous séparer dès le principe, puisque nous ne pouvions pas, sans nous gêner réci- proquement et nuire aux résultats de notre propre mission, mener de front et en voyageant ensemble des travaux différents. Après avoir passé quelques jours avec eux, jours pendant lesquels je me fis un devoir et un plaisir de leur monirer les principaux monu- ments d’une ville qui commençait à me devenir bien familière, je les quittai le lundi de Pâques pour redescendre dans la vallée du Jourdain et commencer définitivement mon exploration de la Sa- marie. Pour eux, ils prirent le même jour ie chemin de Nazareth, qui devait devenir pour la première année le centre de leurs opérations. Comme je connaissais déjà deux des routes qui conduisent à Jéricho, je me rendis dans cette localité par une troisième, celle de Thayebeh, l'antique Ophra où Éphrem, qui me permit de visiter — 367 — à l'est de ce village des ruines fort peu connues, désignées sous le nom de Khirbet Kilia et de Khirbet Samieh. Kilia occupe le sommet d'une haute montagne; j'y trouvai sur un bloc une fort ancienne sculp- ture représentant le fameux chandelier à sept branches. Samich, situé dans une vallée profonde que fertilise une source abondante, offre les restes de constructions considérables, Cette ancienne ville nest plus habitée que par quelques bergers et un certain nombre de fellahs qui vivent dans des cavernes. Une fois de retour sur les ruines de Jéricho, je dus traiter avec le cheikh Kablan qui commande au delà du Jourdain à la grande tribu des Adouan, mais dont l'autorité est reconnue sur les deux rives, avant de songer à pousser plus avant vers le nord. Je ne pouvais pas, en effet, avec mon drogman et le seul bachibouzouk d’escorte que m'avait donné le pacha de Jérusalem, m'aventurer impunément dans cette immense vallée du Jourdain, où, au dela du misérable hameau d'Er-Riba, il n’y a pas jusqu’à Beisan un seul village habité et que parcourent sans cesse des bandes de Bédouins nomades. Le cheikh Kablan me donna lun de ses neveux nommé Ahmed, à la fois comme guide et comme sauve-garde, et pendant les vingt jours que ce dernier resta avec moi, non-seulement je battis en tous sens la plaine du Jourdain, depuis Er-Riha au sud jusqu'à Beisan au nord, mais encore je fis une reconnaissance com- plète de toutes les vallées latérales qui y aboutissent et de toutes les montagnes qui la bordent vers l’ouest. Il m'est impossible, Monsieur le Ministre, sans trop dépasser les limites d'un simple rapport, d'analyser à Votre Excellence, même sommairement, toutes les notes que j'ai recueillies chemin faisant. D'ailleurs, après trois ou quatre jours de repos dont j'ai besoin pour me remettre un peu des fatigues de ma dernière tour- née qui a duré un mois, j'ai hâte de repartir, avant que les cha- leurs ne deviennent plus fortes, afin d'explorer toute la partie occidentale de la Samarie dont je viens de parcourir la zone orientale. Plus tard toutes ces notes seront rédigées et développées avec soin dans un ouvrage qui fera suite à mon étude de la Judée. Que Votre Excellence me pardonne donc si je me contente aujourd'hui de lui transmettre un résumé extrêmement rapide et écrit au courant de la plume, pour qu'il puisse partir par le courrier de demain. La vallée du Jourdain, comme on le sait, est bordée à droite et — 388 — à gauche de montagnes qui s'abaissent vers le nord mais qui sont très-hautes vers le sud, là où la dépression de cette vallée au- dessous de la Méditerranée atteint près de 4oo mètres. Elle doit à ces circonstances un climat réellement tropical, et pendant l'hiver même un printemps perpétuel y règne. Le thermomètre y descend rarement plus bas que 12 degrés au-dessus de zéro; et il monte souvent à 30 degrés dès la fin de mars, entre midi et trois heures. En quittant Thayebeh le 21 avril, j'avais le matin ressenti un froid assez vif dans ce village situé sur une haute montagne; le soir en arrivant à Jéricho, je trouvai que mon thermomètre marquait, après le coucher du soleil, 25 degrés centigrades. Les trois jours suivants, bien que les dernières pluies eussent rafraïchi singuliè- rement l’atmosphère, j'ai eu constamment à l'ombre de 30 à 35 degrés centigrades; bientôt même, sous l'influence du rhamsin ou vent du sud qui se mit à souffler, mon thermomètre s'éleva sous ma tente à 44 degrés centigrades, ce qui dura trois jours, demidi à trois heures; pendant la nuit, j'avais 38 degrés; l'air était comme embrasé; une vapeur chaude montait de Ia vallée. Le vent du sud fut ensuite remplacé par le vent d’ouest et la tem- pérature devint aussitôt plus supportable; mon thermomètre ne marquait plus dans la journée que 35 degrés. On conçoit qu'avec un pareil climat la vallée du Jourdain puisse produire toutes les plantes des tropiques. Effectivement nous savons qu'autrefois elle abondait en forêts de palmiers; les baumiers composaient aussi l’une de ses principales richesses , et plus tard de belles plantations de cannes à sucre y réussirent merveilleusement. Actuellement palmiers et cannes à sucre ont complétement disparu, et quant aux baumiers, ils ne croissent plus qu’à l’état d’arbustes sauvages. Ce n'est pas néanmoins, comme on pourrait se le figurer, que cette vallée soit fertilisée par le fleuve qui la sillonne. Le Jourdain en effet roule ses eaux jaunâtres et rapides comme celles d’un torrent dans un lit profond et terreux, dont il déchire et ravine constamment les bords; une lisière assez étroite de roseaux gigan- tesques, de tamaris, de peupliers et d’autres arbres ou arbustes, en suit le cours sinueux et serpente comme une bande verdoyante autour de ses nombreux replis. Ce fourré abonde en sangliers et de jolis oiseaux y gazouillent en voltigeant d'arbre en arbre. Quand le fleuve déborde à l'époque des grandes pluies et de la fonte des neiges du Liban, il inonde ce même fourré; quelquefois il se Hg répand un peu au delà et arrose les terrains d’alentour; mais la zone basse au milieu de laquelle il coule est très-étroite, resser- rée qu'elle est, à droite et à gauche, entre une double chaîne de mamelons blanchâtres et nus qui étincellent aux rayons du soleil et enferment cette partie inférieure de la vallée dans des limites assez restreintes. Au delà de ces deux chaînes parallèles, dont la blancheur éclatante contraste avec la verdoyante bordure dont j'ai parlé, la vallée se relève immédiatement et de plus en plus, à mesure quon se rapproche davantage des montagnes voisines. Toute cette zone supérieure de la vallée, qui est en général beau- coup plus large que la précédente, serait condamnée par la cha- leur même du climat à une extrême sécheresse et par conséquent à la stérilité la plus grande, pendant les trois quarts de l’année, si de distance en distance la nature ne l'avait pourvue de sources précieuses et intarissables découlant du flanc des montagnes qui la surplombent et qui autrefois, au moyen de canaux, d’aqueducs et d'innombrables rigoles, répandaient partout la fécondité et la vie. Chacune d'elles avait déterminé dans son voisinage la fondation de villes et de villages; ainsi Jéricho et son territoire étaient arro- sés par l'Ain el-Soulthan et l'Ain Douk; Phasaélis devait la richesse de ses vergers et la beaute de ses palmiers à l'Ain Fasail; Archélaïs jouissait des mêmes avantages, grace à l'A’in-el-Fara'a; Soukkoth voyait ses champs fécondés par l’A’in el-Malen et l'Ain es-Sakkout. Scythopolis était si riche en sources, qu'aucune auire ville de Palestine ne pouvait lui être comparée sous ce rapport. De nos jours toutes ces sources coulent encore, mais les villes et les villages qui leur devaient leur existence et leur prospérité ne sont plus que des ruines. Jéricho, rebâtie par Hérode et embellie par ce prince de plusieurs palais, contient à peine 300 habitants qui vivent dans de pauvres huttes ; Phasaëlis est un monceau de décombres ; un grand bassin à moitié comblé et un canal sont les seuls restes encore un peu intacts de cette ville, qui, fondée par Hérode en l'honneur de son frère Phasaël, fut donnée par lui à sa sœur Salomé, laquelle la légua ensuite à Livie, femme d'Auguste. Archélais, qui dut son nom et son origine à Archélaüs, est rasée presque de fond en comble. À égale distance à peu près de ces deux dernières villes s'élevait sur une très-haute montagne ap- pelée maintenant Kourneïn Sourtabeh, le Sartabah de l'antiquité, une grande et puissante forteresse dont les débris sont encore — 390 — très-imposants. De là le regard aperçoit au sud une partie du massif des montagnes d'Hébron et au nord on distingue parfaite- ment les cimes neigeuses du grand Hermon, c'est-à-dire toute la longueur de a Palestine d’une extrémité à l'autre. Au delà du Jourdain, à l'est, les montagnes de Moab, de ’Ammonitide, du pays de Galaad et de la Gaulonitide apparaissent dans un lointain immense ; à l’ouest, lhorizon est plus borné, quoique encore assez étendu. On concoit l’importance d’une pareïlle position. Aussi y ai-je trouvé les vestiges d’un château fort construit en magnifiques pierres de taille. Scythopolis, dont la population est aujourd’hui réduite à 350 habitants au plus, avait jadis près de 4 kilo- mètres de circonférence. On y admire encore les restes d’un beau théâtre bâti en pierres basaltiques de grandes dimensions et bien appareillées, ainsi qu'une trentaine de colonnes de marbre éparses cà et là et qui jadis ornaient des temples ou des palais détruits. Parvenu à Beisan, limite de mes recherches vers le nord, du moins pour le moment, je tournai mes pas vers l’ouest, et trou- vant devant moi le massif des monts Gelboë, si célèbres par la mort de Saül et par l'élégie funèbre de David, j'en fis le tour complet et j'en gravis ensuite les principaux sommets. Plusieurs villages, dont l’un porte encore le nom de Gelbon, en occupent les pentes ou les points culminants. Je les visitai les uns après les autres, notant soigneusement toutes les traces d'antiquité qu'ils renferment. Celui qu'on appelle Beit-Ilfa est regardé par quelques voyageurs comme étant l’ancienne Béthulie, qu'ont immortalisée le siége d'Holopherne et le courageux dévouement de Judith ; mais, comme je le montrerai, si quelques circonstances semblent plaider en faveur de cette opinion, beaucoup d’autres la réfutent victorieusement. De là je me rendis à Zeraïn, l'ancienne Jezraël, et ensuite à Djenin, l’En-Gannim de la Bible, la Ginea de Josèphe. À l'est de cette petite ville, des montagnes jusqu'ici peu explorées ont été l’objet de mes investigations. Redescendant ensuite au sud vers Sanour, où, jusqu à nouvel ordre et jusqu'a plus amples recherches, je crois, avec quelques archéologues, qu'il faut placer Béthulie, je me dirigeai de nouveau vers les montagnes de l'est, pour y visiter Teiasir, jadis Aser, et Foubas , l’antique Thebez. Plus au sud, je gravis la hauteur de Toullouza, l’ancienne — 9391 — Thirza. Non loin de là, près des rives de l'Oued-el-Bidan, je dé- couvris les débris d'une ville considérable appelée aujourd'hui Khirbet Faroua. Arrivé à Naplouse, j'examinai toutes les mosquées de cette cité importante, ce que je n'avais pu faire en 1863 ; trois d'entre elles sont d'anciennes églises chrétiennes, et toutes renferment des co- lonnes de granit gris ou même de granit rose enlevées à des monu- ments antiques. Le mont Garizim m'était déjà connu ; néanmoins j'en fis de nouveau l'ascension afin d'étudier plus complétement que je ne l'avais fait précédemment les ruines qui le couvrent. Des fouilles pratiquées par les Anglais depuis mon dernier voyage m'ont permis d'avoir une idée plus nette qu'auparavant de la forme exacte de l'édifice sacré que contenait l’intérieur de la grande enceinte connue sous le nom de Kala'h, le Château. Ce sont là, je pense, les restes de l'ancienne église de Sainte-Marie élevée sous Justinien, et qui avait elle-même succédé sur le même emplace- ment au fameux temple des Samaritains fondé par Sanaballek. De Naplouse, j'allai à Akrabeb, jadis Acrabi, capitale de l’Acra- batène. De là je poussai vers l'est jusqu'aux ruines d'Yanoun, l’ancienne Janohah ; puis je me rendis à Medjdel, l’une des Mig- dal de la Bible, et ensuite à Daumeh, autrefois FEdumia. Les fellahs de ce village m’indiquèrent sur les montagnes voisines plusieurs ruines importantes que je visitai tour à tour. Revenant vers l’ouest, je m'arrêtai quelques instants à Kariout, jadis Coreæ, et de là je descendis à Siloun, la fameuse Siloh des Livres Saints, dont j'étudiai la nécropole et les ruines avec le plus grand soin. Les beaux débris de son ancienne synagogue élevée sur l'emplacement où avait jadis reposé l’Arche d'alliance et trans- formée plus tard par les musulmans en mosquée, puis par les croisés en forteresse, attirèrent surtout mon attention. Comme je me trouvais près de Kariout, un problème se posait naturellement devant moi : c'était celui de savoir où était l’an- cienne Alexandrium , fondée par Alexandre Jannée, qui lui donna son nom, et dont son fils et son petit-fils, Aristobule £* et Alexandre, se servirent comme de leur principale place forte dans leurs guerres contre les Romains et contre le parti du grand prêtre Hyrcan. Nous savons en effet, par un passage de Josèphe !, que Autiq. Jud. XIV ,v,52 392 — celte citadelle était voisine de Coreæ. Un autre passage de cet his- torien nous apprend qu’elle était sur le sommet d’une montagne !. Pour la découvrir, je gravis donc successivement, dans un rayon de 8 à 10 kilomètres autour de Kariout, toutes les montagnes qui environnent cette localité. Presque toutes m'offrirent-des ruines plus ou moins importantes, dont la plus considérable porte actuel- lement le nom de Khirbet Ghraba et n’a été, je crois, signalée encore par personne. C'est donc là que j'incline à placer Alexan- drium de préférence à Kefr Istounah , comme le veulent quelques voyageurs. Kefr Istounah, il est vrai, présente les débris d’un ancien palais fortifié, à 7 kilomètres au plus au sud-est de Kariout; mais, d’un autre côté, la colline de Kefr Istounah est facilement accessible et n’a qu’une faible élévation, tandis que le Khirbet Ghraba, qui offre également les vestiges d’une très-grande et très- puissante construction en grosses pierres de taille, couronne, à 6 kilomètres au sud-ouest du même village de Kariout, une mon- tagne assez escarpée, qu'environnent de profonds ravins. Le même jour, plus au sud, je trouvai sur une autre mon- tagne, aujourd’hui couverte de figuiers et de vignes, les débris d’une ville antique appelée actuellement Khirbet-Kefr-Ana, nom qui rappelle celui d'Ono. De là je me rendis à Djifneh, l’ancienne Gophna, puis je repris la route de Jérusalem. Telle est en résumé, Monsieur le Ministre, l'analyse très-suc- cincte de ma première tournée, qui a embrassé toute la zone orien- tale de la Samarie, y compris la vallée du Jourdain depuis l'em- bouchure de ce fleuve dans la mer Morte jusqu’à la hauteur de Beisan ou Scythopolis. Je vais actuellement me disposer à repartir pour étudier toute la partie occidentale de cette même province. Dans un mois probablement, au plus tard, je serai de retour à Jérusalem et j'aurai alors l'honneur de vous envoyer un second rapport qui résumera ma deuxième tournée. Quand j'aurai achevé l'exploration de la Samarie, je me rendrai directement à Nazareth, qui deviendra le centre de mes recherches en Galilée. En terminant ce rapport, je prierai Votre Excellence de vouloir bien le communiquer à l’Académie des inscriptions et belles- lettres qui a daigné s'intéresser à ma dernière mission en Palestine, l'Antiqg. Jud. XIX, nr, S4. | à — 393 — et qui, je l'espère, montrera aussi quelque intérêt pour celle-ci. Je ne fais, en eflet, qu'exécuter, en le développant, le programme qu'elle m'avait elle-même tracé. Ce que je n'ai pu accomplir en 1863, à cause des troubles qui agitaient alors le pays, le long des bords du Jourdain, et de la maladie qui coupa court à mes investigations, je vais m'efforcer de le réaliser cette année, les routes étant maintenant plus sûres et ma santé bien meilleure. Je pousserai mes explorations aussi loin et anssi longtemps que me le permettront mes forces et les ressources qu'on a bien voulu m'allouer. J'ai l'honneur d'être, Monsieur le Ministre, avec le plus pro- fond respect, le très-humble serviteur de Votre Excellence, V. GUERIN. DEUXIÈME RAPPORT. Jérusalem, le 1° juillet 1870. Monsieur le Ministre, | Je viens d'achever l'exploration de toute la partie occidentale de l'ancienne Samarie dont j'avais étudié précédemment la zone orientale, et de retour à Jérusalem après une tournée qui a duré un peu plus d’un mois et pendant laquelle j'ai voyagé en moyenne presque sans interruption sept heures par jour, je m'empresse, avant de prendre la route de la Galilée, de rendre compte à Votre Excellence des principaux résultats de mes nouvelles investiga- tions, en la priant de vouloir bien communiquer ce rapport, de même que le premier, à l’Académie des inscriptions et belles- lettres. Et d'abord, Monsieur le Ministre, je vais vous entretenir de la dernière découverte que je viens de faire le 27 juin, et pour laquelle je désire prendre date immédiatement, comme pour le tombeau de Josué que j'avais trouvé pendant ma mission de 1663. Votre Excellence appréciera elle-même limportance de cette découverte, quand Elle saura qu'il s’agit du fameux mausolée de la famille des Macchabées, cherché en vain depuis longtemps par tous les voyageurs qui mont précédé et que j'ai en partie exhumé MISS. SCIENT, — VII. 26 a * ONOUL. ee de terre au moyen de fouilles que j'ai exécutées au Khirbet-el- Medieh il y a à peine quatre Jours. Jusqu'à l'année 1866, les archéologues plaçaient Modin, la patrie de cette famille célèbre, soit à Souba, qui depuis plusieurs siècles était généralement en possession de cette gloire usurpée, soit à Kastoul, soit à. El-Koubab, soit enfin à Lathroun. Moi- même, en 1863,]J avais, par une erreur que je me hâte de réparer aujourd'hui, adopté, faute de mieux, l'opinion du docte Robinson, qui reconnait dans cette dernière localité l'emplacement pro- bable de Modin. Un passage de l'Écriture ! nous apprend que cette ville était située sur une montagne. Un autre passage du même livre ? nous dit que Simon érigea à Modin sur le sépulcre de son père, de sa mère et de ses frères un haut édifice en pierres polies devant et derrière. Ce monument était orné de sept pyramides placées l’une devant l’autre, et à l’entour s’élevaient de grandes colonnes décorées elles-mêmes de trophées d’armes et de vaisseaux sculptés, faits pour être vus de tous ceux qui naviguaient sur la mer. Ce mausolée, ajoute le texte sacré, est encore debout aujourd'hui. Modin, comme nous l'indique un troisième passage de ce même livre, était peu éloignée de la grande plaine, c’est-à-dire de la plaine de Saron, car nous y lisons que Cendébée promenant le ravage dans cette plaine autour d'Iamnia, Simon envoya contre lui ses deux fils Juda et Jean. Ceux-ci, à la tête d’une nombreuse armée, partirent de Jérusalem et passèrent la nuit à Modin; puis, le lendemain matin, ils descendirent dans la plaine, où la lutte s’engagea avec l'ennemi sur les bords d’un torrent. Recueïllons maintenant dans Josèphe les renseignements rela- tifs à cette ville. Dans les Antiquités Judaiques*, cet historien nous dit que Modin, qu'il écrit Modietu, était un bourg de la Judée. Ailleurs © il décrit ainsi le mausolée élevé par Simon à Modin, / sa patrie : L Macch. ch. 11, v. 1. , 'IdJCh, A V2 74400: 8 Id. ch. xvi, v. 4 et 5. # Ant. Jud. 1. XII, cb. vi, S 1. » Id. iv. XIE, ch. vi, S 5. — 995 — . «Simon érigea un très-grand monument funèbre en l'honneur - de son père et de ses frères et le construisit en pierre blanche et polie. Il l'éleva à une hauteur considérable pour être vu de loin, et alentour il l’orna de portiques soutenus par des colonnes mo- nolithes, ouvrage qui provoquait l'admiration. En outre, il bâtit sept pyramides pour ses parents et pour ses frères, une pour chacun d'eux, et faites pour frapper d'étonnement tant par leur orandeur que par leur beauté; elles sont encore debout aujour- d’hui. » Enfin nous lisons dans l'Onomasticon d'Eusèbe, au mot Modeiu : « Modin, bourg près de Diospolis, d’où étaient originaires les Macchabées, dont les tombeaux y sont encore montrés de nos jours. » | Saint Jérôme traduit ce passage sans le modifier : «Modeeim, vicus juxta Diospolim, unde fuerunt Macchabæi, quorum hodieque ibidem sepulcra monstrantur. » Par conséquent, à l'époque où écrivait ce Père de l'Église, ce monument était intact. De tous ces différents textes, 1l résulte que Modin était un bourg de la Judée situé sur une hauteur, non loin de la plaine et dans le voisinage de Lydda, et que, du temps de saint Jérôme, on y montrait encore le magnifique mausolée érigé par Simon à la mémoire de son père, de sa mère et de ses frères. En 1863, lors de mon dernier voyage en Palestine, je m'étais beaucoup préoccupé de cette question, et Modin avait été l’une des villes dont j'avais recherché avec soin l'emplacement. Après avoir réfuté les raisons de ceux qui la placent à Souba, à El-Koubab ou à Kastoul, je m'étais, comme j'ai eu l'honneur de vous le dire, arrêté à l'opinion de Robinson, qui fixait Modin à Lathroun. Lathroun, en effet, occupe le sommet d’une colline éloignée de 10 kilomètres seulement de Lydda et qui s'élève au seuil des montagnes de la Judée, à l'entrée de la grande plaine; et un monument, tel que le décrivent le livre 1 des Macchabées et l’histo- rien Josèphe, qui aurait couronné le plateau supérieur de La- throun aurait été parfaitement apercu de la mer ; mais ce n'était là qu'une simple conjecture, car au milieu des ruines de Lathroun on ne remarque aucune trace de ce mausolée, et en outre le nom de Lathroun n'offre pas la moindre analogie avec celui de Modin. J'avais embrassé cette hypothèse, faute de trouver dans le voisi- 20. — 396 — nage de Lydda une autre localité qui convint mieux pour y placer Modin. Mais, de retour en France, en ouvrant un jour dans le courant de l'année 1866 un numéro du journal le Monde, j y rencontrai la note suivante : «Le R. P. Emmanuel, religieux franciscain, en se rendant à Lydda, a passé par le petit village d'El-Medieh. Là il a trouvé des ruines qui lui paraissent être celles de lantique Modin, le nom d'El-Medieh lui ayant offert une ressemblance frappante avec celui de Modin, el ensuite ce village n'étant qu'à deux heures de Lydda ; or on sait, par Eusèbe et par saint Jérôme, que la patrie des Macchabées était dans le voisinage de cette dernière ville. » J'avais aussitôt recueilli ce précieux renseignement, me pro- mettant bien, si j avais un Jour l’occasion de retourner en Pales- tine, de ne pas manquer aller vérifier sur place l’assertion de ce perspicace religieux que j'avais eu l'honneur de connaître lorsqu'il était curé de Bethléem ; il est actuellement chargé de la paroisse latine de Damas. Aussi dernièrement, quand j'eus fini de parcourir la partie orientale de la Samarie et que je commencçai à er explorer la partie occidentale, je me dirigeai droit, le 27 mai, vers le village d'ElMedieh , où le frère Liévin, du couvent de Saint-Sauveur à Jéru- salem, qui l'avait visité également, me dit de même que je trou- verais les ruines de Modin. Cette localité, d'après ce qu'il m'a ap- pris , avait été pareïllement examinée, il ÿ a deux ans, par un R. P. jésuite attaché à la mission de Damas dont il avait oublié le nom. Mais le premier, m'affirmaitil, qui avait, après avoir tra- versé ce village, émis la conjecture que c'était là la patrie des Macchabées était le R. P. Emmanuel Forner. C'est donc à ce reli- gieux que doit revenir l’honneur d’avoir préparé la découverte de Modin, et:je me fais un devoir de le reconnaitre hautement. Quoi qu’il en soit, en arrivant à El-Medieh, le 27 mai dermier, je n'y trouvai qu'un misérable village de 140 habitants au plus, vivant dans .de pauvres masures fort mal bâties. Quelques citernes antiques sont éparses çà et là. À une faible distance du village, sur une colline couverte d'oliviers et du sommet de laquelle on distingue parfaitement la mer, et où j'espérais trouver les vestiges du monument des Macchabées, je n’aperçus rien quun amas confus de pierres provenant de constructions entièrement renver- = SOR=== sées. Pendant que je considérais avec un peu de désappointement, comme on le pense bien, ce chaos de débris sans forme et sans date assignable, un vieillard de lendroit me dit: « As-tu examiné au delà de l'Oued que voici, vers l’ouest, les ruines qui couvrent le sol? — Oui, lui répondis-je ; je viens de les étudier tout à l'heure ; elles m'ont été désignées sous les noms de Khirbet-el-Yehoud, de Khirbet-el-Hammam et de Khirbet-el- Gherbaouï. — Ces trois ruines, continua-t-1l, ne forment qu'un même ensemble et elles appartiennent"à une seule ville que de père en fils nous appelons Khirbet-el-Medieh ; quant à notre vil- lage, il s'appelait primitivement El-Minieh. » Ce renseignement fut un trait de lumière pour moi, et les trois ruines précédentes que j'avais étudiées avec beaucoup d'intérêt, mais dont le guide qui m'avait accompagné avait fait trois localités distinctes, m'apparurent soudain sous un jour nouveau, quand Jappris que, dans la tradition immémoriale des habitants du vil- lage le plus rapprocné, elles portaient le nom de Khirbet-el-Medieh (ruines de Medieh). C’est donc là et non au village même ainsi désigné qu'il faut chercher le site et les débris de l'antique Modin. Cette ville s'étendait sur un plateau onduleux entre deux nécro- poles situées l’une au sud et l’autre au nord. Elle pouvait avoir 3 ki- lomètres de pourtour en y comprenant ces deux cimetières. Le premier renferme encore maintenant vingt-quatre tombes creu- sées dans le roc. À côté de l’une de ces tombes, j'ai remarqué un ancien pressoir divisé en trois compartiments taillés de même dans le roc : le premier où l’on foulait le raisin, le second où s'écoulait le jus des raisins, et le troisième qui recueillait, par une ouverture ménagée dans le précédent, le vin déjà un peu reposé et comme filtré. Pour en revenir aux tombeaux que J'ai signalés, ils consistent en de grandes fosses rectangulaires pratiquées per- pendiculairement dans le roc et au fond desquelles, à droite et à gauche, on remarque un arcosolium cintré recouvrant une auge sépulcrale dont les rebords sont ménagés dans l'épaisseur du roc évidé. Chacun de ces tombeaux contenait ainsi deux cadavres: ils étaient recouverts dans leur partie supérieure par un immense bloc fermant hermétiquement la fosse et engagé dans une rainure. Ils ont été creusés pour la plupart sur deux bandes de rochers pa- rallèles qui s’inclinent de l'ouest à l'est. Aucune trace de construc- tion ne se remarque autour de ces belles excavations funéraires ; — 398 — le sol d’ailleurs est partout inégal et rocheux, et d’assez vastes ear- rières y ont seules été jadis pratiquées concurremment avec ces tombeaux. Les énormes couvercles d'une dizaine de ceux-ci sont encore en place, déconcertant par leur masse gigantesque les. ef- forts de ceux qui voudraient violer ces antiques sépultures. Ce sont elles qui ont fait donner à cette partie de l’ancienne cité le nom de Khirbet-el-Yehoud (ruines des Juifs) ou de Kobour-el-Ye- houd (tombeaux des Juifs). Au delà de ces tombeaüx, vers le nord, se déroule un plateau accidenté, depuis longtemps livré à la culture par les habitants du village d'El-Medieh , et que j'ai trouvé couvert de moissons de blé, la première fois que je le visitai, c'est-à-dire le 27 mai dernier. Ces moissons même encore debout m'empêchèrent d'examiner comme je l'aurais voulu les ruines qu'elles cachaient, et je conçus immédiatement le projet de revenir dans cette localité quand les blés seraient fauchés. Ces ruines, que j'ai revues depuis, sont ac- tuellement peu importantes, la charrue ayant passé et repassé sur l'emplacement qu'elles occupaient. Néanmoins on distingue en- core sur le sol les arasements de quelques anciennes constructions en pierre de taille qui percent à travers un amas confus de maté- riaux divers. J'ai ramassé ca et là des cubes de mosaïque, de dif- férentes dimensions. D’antiques citernes creusées dans le roc datent peut-être de la fondation même de Modin. À l'extrémité occidentale de ce plateau , on remarque, près d’un birket ou bassin en partie pratiqué dans le roc, mais en plus grande partie construit, les restes d’une bâtisse en blocage qui ne m'a pas paru extrêmement ancienne et où les habitants d'El-Medieh voient les débris d’un bain, d’où le nom de Khirbet-el-Hammam (ruines du Bain) donné par eux au plateau tout entier, c'est-à-dire à l'emplacement proprement dit de la cité antique. En continuant à s’avancer vers le nord, on traverse un petit ravin; puis on monte sur une colline rocheuse exploitée jadis comme carrière et que couronne un petit oualy musulman connu sous le nom de El-Gherbaouï, d’où celui de Khirbet-el-Gherbaoui que portent les ruines de cette colline, Ges ruines consistent en celles d'un petit hameau musulman actuellement renversé et désert. À côté de ces débris d'habitations toutes modernes, on remarque sur une belle plate-forme les arasements d'un grand édifice rectangulaire mesurant 25",77 de long sur 6",71 de large. — 399 — Un certain nombre de magnifiques blocs encore en place servent à délimiter cette enceinte et permettent d'en déterminer l'étendue. Les Arabes l’appellent El-Kala’h {le château). Tout l'intérieur de ce rectangle est rempli par un amas confus de terre et de maté- riaux divers formant une surface supérieure inégale, et sur le haut de laquelle j'ai remarqué un certain nombre de dépressions succes- sives et régulières dont je ne compris pas tout d’abord l'origine, mais qui plus tard, comme je le montrerai tout à l'heure, devinrent très-significatives à mes yeux. À l'extrémité orientale de cet édi- fice, ou plutôt de ce monceau oblong de terre et de pierres ainsi délimité, se trouve une chambre construite en magnifiques blocs parfaitement appareillés et dont toute la partie antérieure est dé- truite ; le mur du fond mesure 2 mètres de large et les murs latéraux n'ont plus que 1*,40; mais ils devaient être plus larges. Sur l'assise supérieure de ces murs reposent d’admi- : rables blocs taillés en quart de rond et formant une saillie inté- rieure d'environ 30 centimètres ; eux-mêmes sont recouverts par d'immenses dalles mesurant 2,20 de long sur 60 centimètres de large, et qui constituaient le plafond de cette petite chambre. La première fois que je la vis, elle était encombrée de pierres; néan- moins la partie visible suffisait pour me démontrer que j'avais là sous mes yeux une chambre antique et, selon toute apparence, soit le vestibule d'un grand mausolée, soit une chambre sépul- crale isolée. La pensée qui me vint tout d'abord à l'esprit fut qu'en débarrassant cette petite pièce, je trouverais, dans la partie inférieure et centrale du mur de fond, une porte étroite donnant entrée dans une grande crypte pratiquée dans le roc sous le mo- nument rectangulaire dont j'ai parlé et renfermant soit sept fours à cercueil, un pour chacun des Macchabées, soit sept sarcophages plus ou moins mutilés. . Mais ce jour-là, je n'avais pas le moyen de ue une fouille en cet endroit, me trouvant avec un seul fellah devant ce monument et sans instruments pour soulever d'énormes blocs entassés. Je remis donc cette fouille à une époque ultérieure, et, rejoignant mon drogman qui se trouvait avec ma tente à 7 ou 8 kilomètres de là, j'accomplis ma tournée de la partie occidentale de la Sa- marie. Je sillonnai en tous sens la contrée, gravissant tour à tour toutes les hauteurs qui constituent ce grand massif montagneux, étudiant de nouveau la nécropole de Tibneh et en particulier Île — 100 — beau tombeau de Josue, dont malheureusement depuis trois ans le vestibule a été en partie détruit; explorant ensuite avec grand soin la nécropole d'Aboud , l'une des plus intéressantes de la Palestine, à cause des anciennes peintures murales qui ornent intérieure- ment deux magnifiques tombeaux, ce qui n'a été encore signalé par personne; retrouvant chemin faisant les restes d’une soixan- taine au moins de localités ou de magnifiques couvents datant des premiers siècles du christianisme et élevés tous comme ceux de Deir-el-Kala’h et de Deir-es-Seman , que j'ai déjà décrits en 1863, sur des hauteurs très-considérables; en un mot, fouillant le pays dans toutes les directions, pour compléter les recherches de mes devanciers et celles que j'avais moi-même exécutées précédem- ment dans la même région. Je parcourus également en long et en large tout le massif du Carmel, qui était jadis très-cultivé et très- peuplé, et sur le sommet duquel, outre plusieurs petits villages encore habités, je rencontrai au milieu d’épaisses broussailles, refuge de nombreuses panthères, les restes de plusieurs villes an- tiques et entre autres de celle que Pline appelle Carmel, comme la montagne elle-même, et qui portait pareillement le nom d’Ecba- tane ; ailleurs, les vestiges d'un temple paiïen orné d'une jolie porte rectangulaire à crossettes attirèrent mon attention. J'y remar- quai un assez curieux bas-relief représentant une biche et un lion, à droite et à gauche de ce que je suppose être un autel, car ce bas-relief est très-mutilé, et flanqués de deux croissants encadrés dans des triangles. Après avoir exploré toute la partie monta- gneuse de la Samarie occidentale, ÿ compris la chaîne du Carmel, je revins le long de la côte, afin d'étudier de nouveau les ruines que j'avais déjà examinées autrefois d’Athlit, de Dora et de Cé- sarée. Î n'est impossible, Monsieur ie Ministre, à cause du cour- rier qui doit partir aujourd’hui, de vous donner en ce moment sur toutes ces explorations des détails plus circonstanciés, etje me hâte de ramener Votre Excellence auprès du mausolée des Mac- chabées devant lequel j'étais moi-même, pour la deuxième fois, le 23 juin dernier. Un nouvel examen de ce monument acheva de me prouver que mes premières conjectures étaient fondées. J'étais convaincu plus que jamais que j'avais sous les yeux les restes du fameux monument funèbre des Macchabées et que à priori, avant toute fouille, j'avais le droit de laffirmer. Mais, pour le prouver à tout le monde, je résolus définitivement d'y prati- > 6 pd on de ft D uk cr Ms à ‘HS cl dE LS D Se à — OL — quer quelques excavations. Pour cela, il me fallait préalablement revenir à Jérusalem, que j'avais quittée le 25 mai, afin d’y chercher les instruments qui me manquaient. À peine arrivé dans cette ville, je communiquai ma découverte et mes projets à M. le con- sul de France. M. Ganneau, qui était là présent, me dit : «Mais M. Sandreczki, attaché à la mission anglicane de Palestine, prétend également avoir retrouvé le tombeau des Macchabées; si vous le voulez, allons ensemble chez lui; il vous expliquera lui-même mieux que moi en quoi consiste sa découverte. » Un quart d'heure après, j'étais chez M. Sandreczki. « Effective- ment, me dit-il, j'ai découvert le tombeau des Macchabées à El- Medieh, et voici le dernier numéro d’une revue anglaise où ma trouvaille est constatée. » En même temps, il me remit ce numéro intitulé : Palestine exploration fund; quarterly statement n° V. Ja- nuary À to march 51, 1870. Je commençais à être un peu inquiet au sujet de ma découverte; mais Je fus immédiatement rassuré, lorsqu'il ajouta : « Ce mausolée, actuellement complétement dé- truit, comprenait dans son enceinte les sept plus remarquables ex- cavations funéraires qui se trouvent au sud du Khirbet-el-Medieh. C'est moi, poursuvit-il, qui ai dernièrement signalé ces tom- beaux au docteur Kiepert lors de son passage à Jérusalem, et il a dû , sur mes indications, aller les visiter à El-Medieh et constater ma découverte. » Comme j'étais parfaitement certain qu'aucun des tombeaux situés dans la partie méridionale du Khirbet-el-Medieh n'avait pu renfermer les cendres des Macchabées, attendu, comme j'ai déjà eu l'honneur de vous le dire, qu'on ne remarque autour de ces tombeaux aucune trace de monument construit, qu'étant creusés sur des rochers inclinés et renfermant chacun d'ailleurs place pour deux corps, par conséquent ayant dû contenir à eux sept qua- torze cadavres , ils ne pouvaient ni avoir été environnés de portiques, ni avoir été surmontés de pyramides, ni convenir à la demeure funèbre d’une famille bornée uniquement à sept membres, je vis que ma découverte restait intacte et entière, et que le mausolée tant cherché n'était point là où M. Sandreczki le plaçait, au Khirbet- el-Yehoud, mais bien au Khirbet-el-Gherbaouïi dans l'enceinte rectangulaire que je vous ai signalée. Le 27 juin, à 6 heures du matin, je me trouvais pour la troi- sième fois devant cette enceinte avec les instruments dont j'avais er NOR besoin et que J'avais apportés de Jérusalem et avec un certain nombre de paysans que j'avais sur ma route ramassés soit à Gimzou, soit à El-Medieh. Quand j'eus dégagé de toutes les pierres et de toute la terre qui l'encombrait la chambre de lest, je vis que, contrairement à ma première supposition, elle n’avait point d’issue dans le fond, et que, par conséquent, elle ne donnait pas entrée dans une crypte pratiquée dans le roc et s'étendant sous ce monument, comme je l'avais d'abord pensé, mais qu’elle avait dû étre isolée. Était-ce alors une chambre sépulcrale distincte? Je l'ignorais encore, et ma préoccupation était vive, car si elle n'avait point eu elle-même une destination funéraire, n'étant point d’ailleurs le vestibule d'une crypte, puisqu'elle était sans issue, toutes mes supposilions croulaient à l'instant, ma décou- verte s'évanouissait comme un beau rêve, ce monument cessait d'être le tombeau des Macchabées, et peut-être, par contre-coup, le Khirbet-el-Medieh n'était-il plus l'antique Modin et n’avait-il de commun avec cette ville célèbre que la parité de deux consonnes. En effet, si le nom de Medieh contribue à prouver que le mau- solée que je fouillais était celui des Macchabées, il faut convenir aussi qu'un pareil monument, en admettant qu’il renfermat sept tombes, était un argument triomphant en faveur de l'identité de Medieh avec Modin. Quelques coups de pioche encore et je fus tiré d'inquiétude. En creusant plus avant, mes travailleurs déga- gèrent un rebord qui me parut aussitôt être celui d'une auge sépulcrale pratiquée dans le roc. La dalle qui s’appuyait dessus autrefois, et qui formait en même temps le parquet de la chambre et le couvercle de la tombe, avait été enlevée sans doute depuis longtemps, et par conséquent la dépouille précieuse qui avait été déposée dans cette fosse avait dü être profanée et jetée au vent. Néanmoins en faisant vider cette fosse, J'examinai avec attention la terre et les débris divers qui en furent retirés, mais Je n'y remar- quai aucun ossement. Quand mes travailleurs eurent achevé ce déblai, je vis que le fond de cette fosse était tapissé de petits cubes de mosaïque blancs, noirs et rouges. encastrés dans une épaisse couche de chaux, et qu’elle mesurait environ 2 mètres de long, 1",08 de large et 70 centimètres de profondeur. Je mis ensuite à nu la surface extérieure des immenses blocs qui reposent sur les magnifiques pierres taillées en quart de rond dont j'ai parlé, etaprès avoir fait enlever Ja terre qui les recouvrait, je reconnus qu'ils mb te te MÉDE D ee. MS.. dé codés. © — 03 — portaient la trace d’entailles très-marquées, et que, servant de pla- fond à la chambre sépulcrale, ils avaient en même temps formé la base d’une construction supérieure, et par conséquent d'une pyra- mide. Dès lors, le plan de tout l'édifice se révéla très-nettement à mon esprit et à mes yeux. Il était tourné de l'est à l’ouest, et sept chambres sépulcrales contiguës, construites en belles pierres de taille et contenant chacune une auge sépulcrale pratiquée dans le roc dont le fond était tapissé de petits cubes de mosaïque, étaient surmontées d’une série de sept pyramides dressées sur la même ligne et qui reposaient chacune sur le plafond plat de chaque chambre. Le rectangle, long de 27”,77, que constituait cette suite de chambres parallèles, était lui-même environné d'un portique soutenu sur des colonnes monolithes que déco- raient les ornements dont parle le livre des Macchabées. Il était midi ; la chaleur était accablante; mes ouvriers avaient besoin de nourriture et de repos; je leur donnai l’une et l’autre , et n'ayant plus à diriger leurs travaux, je me mis à errer autour du monument qui me préoccupait tout entier et me rendait insen- sible aux rayons d'un soleil dévorant. Grande fut ma joie, lorsqu’en furetant à travers les ruines des habitations musulmanes qui s'étaient élevées près de cet édifice, jy trouvai une dizaine de troncons de colonnes monolithes très-mutilées, ayant tous le même diamètre, soit 47 centimètres. C’étaient là les restes de la belle colonnade de mon portique. Je cherchai partout pour voir si je ne découvrirais pas par hasard quelque fragment de sculpture représentant un vaisseau ; mais J'avoue que rien de pareil ne se présenta à ma vue. C'élait d’ailleurs trop demander à ma bonne étoile ou plutôt à la Providence, et j'aurais été bien ingrat si je ne l'avais pas remerciée d'une pareille découverte. En effet, il n’y avait pas de doute possible : j'avais définitivement retrouvé le tombeau des Macchabées, et la fosse que j'avais découverte avait probablement reçu les cendres de l’héroïque et saint vieillard Ma- thathias, qui, étant mort le premier, avait dû également occuper la première chambre sépulcrale du mausolée. Les habitants d'El- Medieh m'ont bien dit avoir eux-mêmes détruit il y a quinze ou vingt ans une chambre analogue à celle que je venais de dégager, et à l’est de celle-ci; mais ils n’ont pas pu me dire si elle recou- vrait une auge sépulcrale; c'était peut-être un vestibule. Dans le cas contraire, la chambre que je suppose avoir été celle de Ma- — Où — thathias aurait été celle de sa femme; car l’Écriture nous dit en parlant de Simon : «Et statuit sextem pyramidas, patri et matri et quatuor fra- tribus. » Ce qui pourrait faire penser que dans la série de tombes, en commencant par l'orient se trouvait d'abord celle de Matha- thias, puis celle de la pieuse et illustre mère des Macchabées. À une heure, je fis reprendre les travaux; le soir, le soleil en se couchant me forca de les interrompre ; mais avant de raser de ses feux mourants les restes du mausolée dont il avait autrefois illuminé la belle colonnade, il me permit de distinguer au fond d’une nouvelle cuve sépulcrale taillée dans le roc quelques osse- ments épars. Je les recueillis avec,respect, etils sont maintenant en ma possession. Duquel des vaillants fils de Mathathias avais-je la les faibles restes échappés à la fureur de ceux qui avaient violé cette tombe, comme l'indiquaient et l'enlèvement de la dalle funé- raire et l’arrachement de la plupart des petits cubes de mosaique qui tapissaient le fond de cette deuxième cuve ? Je l'ignore. Dans tous les cas, cette tombe se trouve à 10 mètres environ à l'ouest” de ia première, et par conséquent dans la partie occidentale du mausolée. Le lendemain 28 juin, je fis achever la fouille de cette tombe ; la chambre sépulcrale qui l'avait recouverte était en grande partie détruite, sauf le mur de fond ; mais sur les assises supérieures de ce mur Je distinguai encore des encastrements qui me parurent être ceux d’une pyramide. Il m'eüt été facile de faire fouiller toutes les autres tombes, mais je craignis, en les mettant toutes à nu, d'achever moi-même la ruine de ce monument; car déjà les fel- labs que j'employais considéraient avec des yeux de convoitise les belles pierres de taille que j'avais exhumées en pratiquant ces exca- vations, et déjà plusieurs d'entre eux parlaient d'aller les vendre à Lydda, comme eux ou leurs pères avaient vendu les colonnes et les beaux blocs qu'ils avaient trouvés en cet endroit, ainsi qu'ils me le racontaient eux-mêmes. Quant aux autres cuves sépulcrales, elles renfermaient peut-être aussi quelque noble relique de cette vaillante famille de héros. Je préférai donc ne plus ouvrir d'autre fosse, n1 troubler davantage la paix de ce tombeau; et voici la pensée qui surgit tout d’abord dans mon esprit : Je me dis : Voici le tombeau des Macchabées retrouvé après tant de siècles d'oubli; il la été par un enfant de la France, Île . | — 05 — 27 juin 1870; il faut qu'il devienne propriété française et que, en passant entre les mains tutélaires de mon pays, il échappe à la des- truction entière dont il est menacé maintenant. Les fellahs que j'ai employés s'imaginent qu'il renferme quelque trésor; car ils ne peuvent pas supposer que j'aie fait des fouilles dans un autre but que celui d'y découvrir quelque somme d'argent enfouie ; il faut donc larracher à leur convoitise ; il faut aussi empêcher qu’au- cune autre nation ne se l’approprie, et pour cela se hâter d’ac- quérir au nom de la France la parcelle de terre qu’il occupe sur cette colline solitaire, l’environner ensuite d’un petit mur d’en- ceinte, et enfin achever lentement et méthodiquement la fouille que J'ai commencée à la hâte. Avant mes fouilles, ce petit coin de terrain n'avait aucune valeur; depuis, les habitants d'El-Medieh seront plus exigeants. Néanmoins, si l’on n'attend pas que cette découverte transpire trop et sollicite de la part des Juifs ou de quelque puissance européenne le désir d'acquérir les restes incon- testables du tombeau des Macchabées, l'achat du terrain qu'ils recouvrent ne sera pas fort onéreux. Pour cela, il n'y a pas une minute à perdre, et je conjure Votre Excellence de prendre en sérieuse considération la proposition que j'ai l'honneur de lui faire. Je suis tellement convaincu que le mausolée que J'ai retrouvé est celui des Macchabées, je suis aussi tellement désireux d'en assu- rer la possession à mon pays, que si aucun Ministère en France ne trouvait de fonds pour faire ce que je propose, c’est-à-dire : 1° acheter le terrain; 2° l’entourer d'un petit mur d'enceinte; 3° achever les fouilles de ce précieux mausolée qui sera ainsi à la fois complétement dégagé et sauvé de la ruine, je serais prêt à . abandonner dans ce but les 3,000 francs qui me restent de Fal- location qui m'a été faite et à renoncer aux découvertes qui m'at- tendent peut-être en Galilée. En effet, avec 5,000 francs on pourrait, je crois, faire maintenant ces trois choses ; plus tard la valeur du terrain aura décuplé et l'acquisition deviendra très-coû- teuse. M. Mauss, l'habile architecte chargé par le gouvernement de la restauration de l’église Sainte-Anne, va partir pour lever le plan de ce mausolée; il se chargerait très-volontiers de faire le mur et de diriger les fouilles, afin que les moindres vestiges du monument antique fussent fidèlement conservés. Je termine, Monsieur le Ministre, car le courrier m'attend, et je vous prie de vouloir bien excuser mon griffonnage ; mais j'ai eu — O6 — à peine le temps matériel de vous écrire ce rapport, que je vou- drais faire partir sans faute aujourd'hui. Je vais actuellement me diriger vers la Galilée, et commencer l'exploration de la partie orientale de cette province : maïs si une dépêche de votre part, qui me serait aussitôt transmise par M. le consul de France, me rappelait à Jérusalem pour employer les fonds qui me restent à la grande affaire dont je vous ai parlé, je reviendrais immédiatement pour remettre entre les mains de M. le consul de France tout l'argent que j'aurais encore en ma posses- sion, afin de procurer à mon pays l’un des monuments de la Pa- lestine qui rappelle les souvenirs nationaux les plus glorieux, et auquel s'attache le nom immortel des Macchabées. J'ai l’honneur d'être, Monsieur le Ministre, avec le plus pro- fond respect, votre très-humble et très-soumis serviteur , V. GuERIN. D'après le commandant Gélis, l'altitude de Jérusalem au-des- sus de la Méditerranée est de....... sr Puel CRE 783,00 cote prise à la porte de Jaffa. D’après un nivellement approximatif fait par nous le 5 juillet 1870, entre El-Medieh et Jérusalem, nous trouvons entre ces deux points une différence de.... 564 ,00 La différence. ... 220 ,00 L'identification faite par M. le docteur Kiepert et publiée récemment dans un journal d'Europe, d’une forteresse visitée par lui, aux environs de Lydda, avec les ruines de Modin, ne peut s'appliquer au Khirbet-el-Medieh, attendu que M. Kiepert donne pour l'altitude de cette forteresse 1,010 pieds, — soit en 1,010 0,309 rence entre le point signalé par le docteur Kiepert et le Khirbet- el-Medieh serait ainsi de 111 mètres — 364 pieds. Les ruines du tombeau du Khirbet-el-Medieh peuvent parfaite- ment s'appliquer au tombeau des Macchabées, tel qu'il est décrit dans les auteurs. métres — 331",31. Si ce sont des pieds anglais, la diffe- — 1h07 — Le Khirbet-el-Medieh est à 1 heure 3 quarts du village de Koubab et à 2 heures environ de Lydda. Du petit plateau sur lequel est assis le tombeau, on domine toute la plaine de Ramleh ; on découvre facilement la ville de Lydda, la ville de Ramleh et au loin celle de Jaffa, surtout au lever du soleil. On embrasse une portion de la mer qui peut aller de Gaza jusque bien au delà de Jaffa. Cela répond parfaitement aux descriptions du tombeau. Le tombeau dont on voit les ruines en cet endroit est complé- tement isolé. Ce n’est qu’à une certaine distance dans les envi- rons qu'on en retrouve d’autres taillés dans le roc. L'importance des ruines permet de supposer qu'il a appartenu à une famille puissante dans le pays. Il devait avoir un aspect mo- numental à en juger par les dimensions de ce qui a été conservé. Il y a place pour sept tombes, ainsi qu'on peut s’en assurer par l'examen du plan. J'ai supposé à l'extrémité occidentale du rec- tangle un sépulcre double comme celui de l'extrémité est. Si l'hypothèse est juste, on peut facilement, dans l'intervalle, placer trois autres sépulcres simples, qui pourraient avoir chacun un vestibule ou corridor de dégagement. J'ai constaté et mesuré au-dessus de deux pierres qui arasent le mur découvert par M. Guérin, à l’excavation n° 3, un encas- trement de 1",80 qui peut avoir servi à recevoir la base d’une des pyramides mentionnées par l'histoire. Cet encastrement est presque dans l’axe longitudinal du rectangle. Une autre portion d'encastrement existe à l’une des dalles qui recouvrent le sépulcre double de l'extrémité est. Cet encastrement ne se trouve pas dans l’axe du rectangle. L'histoire mentionne aussi un portique formé par des colonnes monolithes. Dans l’état de la ruine, 1l est difficile de reconstituer ce portique. Une fouille bien dirigée pourrait résoüdre cette partie du pro- blème. Cependant on trouve aux environs de la ruine sept ou huit tronçons de colonnes, qui indiquent qu'il y avait là un monument orné de colonnes et qui mesurent tous de 0”,45 à 0,48 de dia— mètre. En résumé, je crois que, vu l’importance de la découverte historique de M. Guérin, il serait à désirer qu'on püt le mettre à même de faire une fouille générale de ces ruines. Ce ne serait ni 408 — difficile ni fort coûteux. Les habitants seraient tout disposés à entreprendre ce travail, à forfait ou à la journée, ce qui serait préférable pour l'étude. Il me 17 impossible de pouvoir identifier les Kbour Yahoud, qui sont à 1 kilomètre vers le sud, avec le tombeau des Mac- chabées : jé 1° Parce que ces kbour sont au nombre de quatorze ou quinze; Parce qu'ils sont doubles et donnent, pour le chiffre des personnes enterrées, vingt-huit ou trente ; 3° Parce qu'ils sont tous parfaitement distancés les uns des autres et n’ont jamais été faits pour être réunis en un seul et même tombeau ; 4° Parce qu'enfin l'orientation n'est pas la même pipe chacun de ces sépulcres : la plupart sont orientés à peu près de l’est à l’ouest; un d’eux est orienté du nord au sud. Mauss, architecte. TROISIEME RAPPORT. Paris, le) juinmopne Monsieur le Ministre, Les grands et terribles événements qui se sont accomplis en France, et notamment à Paris, depuis mon retour de Palestine m'ont empêché jusqu'ici de remettre à Votre Excellence mon troi- sième rapport sur la mission scientifique dont j'avais été chargé dans la Terre-Sainte. Maintenant que le calme est rétabli, je ne veux pas différer davantage à vous rendre compte des principaux résultats de ma dernière tournée en Galilée. Dans mon second rapport, j'ai eu l'honneur de vous annoncer que j'avais terminé l'exploration de la Samarie par la découverte du célèbre tombeau des Macchabées au Khirbet el-Medieh, l'antique Modin, patrie de cette Dire famille. Après avoir résumé à Votre Excellence quelques-uns des argu- ments qui prouvent que ce Khirbet doit revendiquer la gloire, usurpée jusqu'à présent par plusieurs autres localités, d’avoir jadis donné le jour à Mathathias et à ses fils, et d’avoir ensuite possédé ; | 4 | — 109 — leur tombeau ; après avoir aussi dit quelques mots des fouilles que j'avais pratiquées en cet endroit et qui m'avaient permis d’exhu- mer deux des sept tombes que renfermait le mausolée monumental érigé par Simon à la mémoire de son père et de ses frères, j'ajou- tais qu'il m'eût été facile avec une somme assez minime d’achever ces fouilles et de retrouver les cinq autres tombes. Mais je com- pris tout de suite que si je poursuivais mes excavations avant d’avoir acquis le terrain où je les exécutais et de l'avoir environné d'un mur pour le donner à la France, et le mettre ainsi à l'abri de la rapacité des indigènes ou même de l’indiscrète curiosité des étrangers, les sépulcres enfouis que j'aurais de cette sorte rendus à la lumière seraient après mon départ infailliblement violés, les cendres illustres qu'ils pourraient encore contenir seraient jetées au vent ou emportées , et les débris des chambres funéraires recouvrant les fossés creusés dans le roc et ces chambres mêmes bâties en belles pierres de taille, disparaïtraient peut-être bientôt entièrement pour être transportés à Lydda ou à Ramleh comme matériaux de cons- truction. Je m'exposais par conséquent à hàter plus que personne, sans le vouloir, la ruine complète de ce monument, dont les arase- ments existent encore en partie sous les amas de décombres qui les cachent et les préservent en même temps. Ma première pensée fut donc de renoncer à ma mission de Galilée et de consacrer à l'achat du terrain, à la construction du mur en question et à l’achève- ment méthodique des fouilles la somme qui me restait. «il ne faut pas, me disais-je, perdre un instant pour acheter, au nom de mon pays, l'emplacement d’un édifice qui rappelle autant de souvenirs que celui-là. Maintenant que ma découverte n'est point ébruitée, le sol qui la recèle n’a qu'une faible valeur; mais quand on viendra à savoir que le petit coin de terre que je désire acquérir pour la France renferme, sous les débris informes qui le recou- vrent, les derniers et authentiques vestiges du fameux mausolée des Macchabées, nul doute que la valeur n'en augmente singulière- ment par suite des enchères qui ne manqueront pas d'avoir lieu. Déjà les Arabes du village d'El-Medieh se répètent les uns aux autres qu'un trésor doit être caché en cet endroit, puisqu'un étranger y pratique des fouilles avec tant d’ardeur. Jusqu'où n'ira pas leur convoitise, lorsque plusieurs acquéreurs appartenant à différentes communions chrétiennes ou à la nation juive se pré- senteront pour se disputer la même possession ? » MISS, SCIENT. — VII. 27 = ji 2e D'un autre côté, je n’ignorais pas combien, en Orient et en Palestine plus encore qu'ailleurs, les acquisitions de biens im- meubles sont longues et difficiles pour un étranger. Souvent, lors- qu’on croit n'avoir affaire qu à un seul propriétaire, d’autres co- propriétaires surgissent soudain, qui entravent ou compliquent les négociations entamées, et pour réussir à se démêler au milieu de tant d'intrigues et à faire rédiger un acte d'acquisition qui soit à l'abri de toute revendication ultérieure, il faut malheureusement s'adresser à des juges dont la conscience est d'ordinaire vénale, et qui ne vous rendent justice que si, préalablement, vous avez capté leur bienveillance par des présents. En outre, comme c'était pour la France que je voulais faire cette acquisition et que c'était entre les mains de M. le consul général de France à Jérusalem que je désirais remettre les clefs de l'enceinte dont je comptais entourer ce terrain devenu pour mon pays propriété nationale, je devais naturellement le prier d'intervenir dans cet achat, afin que, plus tard, il ne püt être contesté; mais, pour que le consul de France entamäât cette affaire et püt déclarer propriété française le terrain une fois acquis, il avait besoin lui-même d’une autorisation formelle de M. le Ministre des affaires étrangères. Enfin, devais-je, moi aussi, sans y être autorisé par Votre Excel- lence, après avoir reçu les fonds qui m'avaient été alloués pour explorer non-seulement la Samarie, mais encore la Galilée, re- noncer de mon chef à l'une de ces deux explorations, afin d’ap- pliquer à un autre but, même très-légitime et très-avouable, un argent qui ne m'appartenait point et qui m'avait été remis pour un objet spéciai et différent? Ces considérations m'empéchèrent de céder à ma première ins- piration, et je me mis immédiatement en marche pour la Galilée, laissant derrière moi, non sans un vif regret, mes fouilles com- mencées et mon projet ajourné, mais espérant que mon second rapport serait bientôt suivi d'une dépêche télégraphique, émanée de Votre Excellence, qui viendrait m'arrêter au milieu de mes nouvelles recherches et me ramener auprès du mausolée mémo- rable, dont Je souhaitais tant pour mon pays l'acquisition. Témoin des agrandissements non interrompus de la Russie, de l'Angleterre et de la Prusse en Palestine, j’ambitionnais l'honneur d'ajouter, pour ma part, quelque chose aux possessions de la France dans celle même contrée, en rattachant pour toujours à ma nation Île / . | ] ] \ ==. BRIE nom immortel des Macchabées, dont le tombeau, retrouvé par un Français après tant de siècles d’oubli, serait désormais placé sous la sauvegarde tutélaire de la bannière française, J'ignorais alors qu'une guerre à jamais funeste était sur le point d’éclater entre la Prusse et la France, et que les préoccupations les plus graves al- laient empêcher Votre Excellence de donner suite à cette affaire. Le 6 juillet, je pris la route directe de Jérusalem à Nazareth, en traversant rapidement du sud au nord toute la Samarie, dont je venais d'explorer minutieusement les divers districts. Parvenu à Nazareth, je fis, pendant quelque temps, de cette petite ville, si célèbre dans les annales du christianisme, le centre de nombreuses excursions. Tous les villages qui l'entourent furent tour à tour visités par moi; les environs du Thabor, les ruines qui couronnent cette belle montagne, de sainte et impérissable mémoire; les restes de Naïm, d'Endor, de Sounem, au bas et sur les flancs du Petit Hermon et où se pressent tant de souvenirs, soit de l'Ancien, soit du Nouveau Testament; la curieuse nécropole du Khirbet-Malouf, et les diverses ruines, habitées ou désertes, qui sont éparses sur la cime et sur les pentes de cette chaine de hauteurs, appelée aujourd'hui Djebel-Dahy, attirèrent successi- vement mes pas et mon examen. De l'extrémité orientale du Djebel-Dahy, je me dirigeai droit vers l'est. À Kaukab el-Haoua, je remarquai les débris d’une grande forteresse connue , à l'époque des croisades, sous le nom de Belvoir. De ce point élevé, prédestiné en quelque sorte par la nature à être fortifié par l'homme, on domine au loin la vallée du Jourdain. J'avais exploré cette vallée fameuse depuis l'embouchure, dans la mer Morte, du fleuve qui la sillonne jusqu'à Beisan, au nord; il me restait maintenant à la remonter jusqu'aux sources de ce même fleuve, à Tell el-Kadhy et à Banias. Arrivé à l'endroit où le Jourdain sort du lac de Tibériade, j'as- sistai à une très-grande invasion de Bédouins appartenant à difié- rentes tribus, quelques-unes assez éloignées, que l'extrême séche- resse qui désolait depuis plusieurs mois les contrées transjordanes chassaït de leur pays, et qui traversaient par masses confuses, avec leurs chameaux et leurs bestiaux, les gués du fleuve pour passer sur la rive occidentale. Ils inondaient ensuite les plaines voisines, au grand effroi des habitants qui voyaient leurs sources tarir et leurs pâturages s'épuiser rapidement, à mesure que s'avançaient ces 27e — 12 — hordes sauvages, dont les troupeaux affamés dévoraient tout sur leur passage. Le lac de Tibériade, par les immortels souvenirs qui semblent planer au-dessus de ses ondes ou sur ses bords, par la beauté des sites qui l'entourent et la grande quantité de ruines que l’on trouve le long de’ses rives, nécessitait de ma part une étude sérieuse. J'en fis le tour complet : sur la rive orientale, j'examinai au sud les restes d'Hippos, identifiés généralement avec le Khirbet es-Soumrah ; puis, m'avançant vers le nord, je gravis la hauteur de Gamala. Cette ville importante, depuis longtemps déserte et désignée ac- tuellement par les Arabes sous le nom de Kalat el-Hasen, est assise sur le plateau d’une montagne escarpée de presque tous les côtés et hérissée le long de ses flancs d'énormes roches basaltiques. Jadis fortifiée, elle était environnée d’un mur d'enceinte, dont quelques parties sont encore debout. Plusieurs beaux édifices l’or- naient ; ils étaient décorés de colonnes monolithes, soit en basalte, soit en granit, aujourd'hui gisantes à terre avec leurs chapiteaux, les uns ioniques, les autres corinthiens. On y rencontre aussi les vestiges d'une ancienne basilique chrétienne à trois nefs, mais aucune trace de mosquée, ce qui m'incline à conclure que Gamala a cessé d’être habitée à partir de l'occupation musulmane. 5 kilomètres plus au nord, près de la plage et de l'embouchure de l’'Oued es-Semakh , un village renversé, appelé Khirbet el-Kerseh et construit en pierres basaltiques, doit occuper l'emplacement de Gerasa, où Notre-Seigneur guérit deux possédés du démon ! : « Et cum venisset trans fretum in regionem Gerasenorum, occurrerunt ei duo habentes dæmonia, de monumentis exeuntes. » En continuant à s’avancer vers le nord, et après avoir dépassé d’autres ruines, on atteint l'extrémité septentrionale du lac. À kilomètres plus loin, vers le nord-nord-ouest, s'élève une col- line qui a autrefois servi d’assiette à une ville, dont les faibles débris, appelés Khirbet et-Tell, paraissent être ceux de Bethsaïda- Julias. Cette colline domine une plaine extrêmement fertile, ar- rosée par de nombreux ruisseaux et bordée à l'ouest par le Jourdain. Aujourd'hui, ces ruisseaux n'étant plus canalisés, elle est très- marécageuse et couverte de joncs, de lauriers-roses et de hautes herbes; dans quelques endroits néanmoins, elle est cultivée. Quant 1 Saint Matthieu, ch. virr, v. 28. — gr à la ville, qui avait été bâtie sur les pentes et sur le sommet du Tell, elle a été entièrement détruite et il n'en subsiste plus que des blocs entassés ou dispersés et plusieurs citernes à moitié com- blées. Çà et là croissent de vieux sycomores et des acacias mimosas,. Sur une partie de l'emplacement de cette antique cité s’est établi un misérable village arabe, dont les masures en pierres sèches ne sont habitées que pendant l'hiver. Au delà du Jourdain, et sur la rive occidentale du lac, le voya- weur, en marchant du nord au sud, salue tour à tour les ruines de Corozain, de Capharnaüm, de Bethsaïda, de Magdala, de Tibé- riade, de Hammath et de Tarichée. Corozaïn a conservé son nom antique dans celui de Khirbet el-Kerazeh, qui est attaché à un amas de décombres considérables, restes de maisons et d’édifices renversés. Je les décrirai plus tard avec quelques détails. Dans l’analyse, naturellement fort succincte, que j'esquisse en ce moment à Votre Excellence, je me contenterai de vous signaler les débris d'une belle synagogue, bâtie en ma- gnifiques blocs basaltiques et divisée en trois nefs par des colonnes, dont plusieurs tronçons mutilés sont épars sur le sol. On se rappelle la malédiction de Notre-Seigneur sur cette ville cou- pable! : « Væ tibi Corozaïn, væ tibi Bethsaïda; quia si in Tyro et Sidone factæ essent virtutes, quæ factæ sunt in vobis, om in cilicio et cinere pœnitentiam egissent. » Cette prédiction ne s’est, hélas ! que trop fidèlement accomplie ! À Tell-Houm, emplacement de Capharnaüm, les ruines sont encore plus confuses. Tout y est bouleversé de fond en comble, sauf quelques masures arabes et une tour qui semble également de date musulmane, mais qui a été construite entièrement avec de superbes blocs calcaires provenant d’un édifice plus ancien et, selon toute apparence, de la synagogue dont je vais parler. Celle-ci est presque totalement démolie; toutefois, grâce aux fouilles exé- cutées il y a peu d'années par une commission anglaise, le plan général en est facile à saisir. Cet édifice, tourné du sud au nord, comme les autres monuments de ce genre en Palestine, mesurait 30 pas de long sur 20 de large et formait un rectangle divisé inté- rieurement en cinq nefs, au moyen de quatre rangées de sept co- 2 Saint Matthieu, ch. x1, v, 21. 2. Mie lonnes chacune. Plusieurs de ces colonnes sont encore gisantes sur le sol avec leurs bases et leurs chapiteaux corinthiens. Les énormes pieds-droits de la principale porte d'entrée et le linteau non moins gigantesque qui les couronnait sont également renversés par terre et l'on ne peut se lasser d'admirer les riches sculptures qui les décorent, telles que guirlandes de fleurs, rosaces, grappes de raisin, etc. Malheureusement, les beaux restes de cette splendide synagogue, qui avait été tout entière construite en marbre blanc, disparaissent de Jour en jour et sont sans cesse transportés par lambeaux à Tibériade. À cet édifice était attenant, vers l'est, un second, dont quel- ques arasements ont été pareillement déterrés par les Anglais. Les assises, encore en place, consistent de même en blocs calcaires très- bien appareillés, mais de dimensions moins considérables que ceux de l'édifice précédent. À une faible distance en dehors de la ville, vers l'ouest, est un beau caveau funéraire, actuellement en partie obstrué. IL est à voûte cintrée et construit en pierres de taille; recouvert d'une plate-forme dallée, il était jadis surmonté d’un petit monument, peut-être de forme pyramidale, dont il ne subsiste plus que trois ou quatre gros blocs déplacés. Ces diverses ruines attestent l’ancienne magnificence de Ca- pharnaüm. Tout le monde connaît les paroles prophétiques de Notre-Seigneur, condamnant l'orgueil de cette ville quil avait habitée et prédisant sa chute ! : « Et tu, Capharnaüm, numquid usque in cœlum exaltaberis ? usque in infernum descendes; quia si in Sodomis factæ fuissent virtutes, quæ factæ sunt in te, forte mansissent usque in hanc diem. » " Si l’on continue à suivre vers le sud les bords occidentaux du lac, on arrive à l’A’in et-Tabiga, la fontaine de Capharnaüm signa- liée par Josèphe; puis le voyageur fait halte auprès d’une autre fontaine, l'Ain et-Tin, dont les eaux se perdent dans une petite anse, aujourd'hui aux trois quarts comblée ou transformée en ma- rais, et qui jadis devait servir de port. De là est venu aux ruines et au khan musulman qui l'avoisine le nom de Khirbet khan el- Minieh (les ruines du khan du Petit-Port). ! Saint Matthieu, ch. x13 v. 25. | — 15 — En ce lieu s'élevait autrefois Bethsaida, distincte de Bethsaïda- Julias, qui occupait l'emplacement de Khirbet et-Tell au delà du Jourdain. Sauf quelques fondations, elle est presque totalement effacée du sol, tant la cité proprement dite, qui était située dans la plaine, que lacropole qui la dominait vers le nord et qui est désignée actuellement sous la dénomination de Tell el-\’reumeb. Comprise par Notre-Seigneur dans la même malédiction que Co- rozain (væ tibi Corozaïin, væ tibi Bethsaïda), elle a subi une dé- vasiation beaucoup plus complète encore que celle-ci, parce que, étant assise sur les bords du lac dont Corozaïn est éloignée de > kilomètres, les matériaux provenant de ses édifices et de ses maisons pouvaient être facilement transportés par barques à Tibériade. On traverse ensuite la fertile plaine de Génézareth, le Rhoueïr de nos jours, qu'arrosent plusieurs sources abondantes et à l'extré- mité méridionale de laquelle est le village de Medjdel, qui à conserve le nom et la position de l’ancienne Magdala. Au sud de Medjdel s'élève Tabarieh. Je ne décrirai ici la ville de Tibériade, ni dans son abaissement actuel, ni dans l’état de splendeur qu’elle devait offrir autrefois, lorsqu'elle était sous Hé- rode Antipas lune des plus belles villes de la Palestine et la capi- tale de la tétrarchie de ce prince. Qu'il me suflise de dire à Votre Excellence que j'ai parcouru en tous sens, en dehors des limites très-réduites qu’elle occupe aujourd’hui, l'emplacement bien plus vaste qu'elle couvrait jadis de ses édifices publics et de ses nom- breuses habitations. De ses palais et de ses temples il ne subsiste plus que des amas de décombres, quelques assises à peine visibles et une trentaine de fûts de colonnes intacts ou mutilés. Le pourtour de son ancien mur d'enceinte est encore facilement reconnais- sable; si, du côté du lac, il est presque partout rasé à fleur du sol, vers l’ouest et principalement sur les pentes escarpées d’une haute coiline rocheuse dont le sommet est couronné par les restes d’une citadelle, on en retrouve des pans entiers, épais de 2 mètres et qui sont peut-être dus à Josèphe. Cet écrivain, en effet, lors du soulèvement des Juifs contre les Romains, fortifia en Galilée un érand nombre de villes, et entre autres Tibériade. Au sud de cette cité s'étendent immédiatement après, le long du lac, les restes d'une autre ville moins importante et appelée autrefois Hammath ou Emimaüs, à cause des eaux thermales qui y coulent de quatre — LI6 — sources et qui y étaient utilisées pour des établissements de bains et le sont encore. Enfin, à l'extrémité sud-ouest du lac se trouvent les ruines, ou pour mieux dire, l'emplacement de Tarichée, aujourd'hui Khirbet el-Kerak. Telles sont les principales villes qui formaient autour du lac de Tibériade une ceinture presque continue et dont j'essayerai plus tard de faire revivre l'histoire et de décrire avec soin les débris, que Île temps et les hommes achèvent de détruire chaque jour davantage. Avant de continuer à suivre le Jourdain jusqu'à ses sources, et de monter dans la haute Galilée, je crus plus rationnel de visiter préalablement la basse Galilée, comprise tout entière entre le lac de Tibériade à l’est, et la baie de Saint-Jean-d’Acre à l’ouest. Je me rendis d'abord aux fameuses grottes d’Arbed, l'antique Beth-Arbel ou Arbela; elles sont creusées non loin de Magdala à l'ouest, dans les flancs rocheux et abrupts de lOued el-Hamam ; à l'époque de la guerre des Juifs, elles servirent de refuge contre les Romains à d'intrépides patriotes qui s’y retranchèrent quelque temps, protégés à la fois et par l'escarpement naturel des lieux et par les fortifications que Josèphe y avait ajoutées. En examinant ces travaux de défense, je remarquai que plusieurs de ces grottes avaient été reliées entre elles au moyen de corridors dont les voütes sont les unes cintrées, les autres légèrement ogi- vales; néanmoins elles paraissent dater de la même époque, ce qui prouve que l'emploi de logive est antérieur à la date qu'on lui assigne ordinairement. Jai eu plusieurs fois en Palestine l’oc- casion de constater le même fait, je veux dire la coexistence et l'emploi simultané du plein cintre et de l'ogive bien avant le moyen âge. Quant à la ville de Beth-Arbel, elle était située sur le plateau supérieur de la montagne dont les grottes que je viens de signaler percent les flancs. Aujourd'hui renversée et déserte, elle renferme comme particulièrement dignes d'intérêt les restes d’une antique synagogue ornée jadis de colonnes, les unes corinthiennes, les autres ioniques, et qui gisent mutilées sur le sol; elle a été plus tard transformée en mosquée, comme lindique un mihrab assez grossièrement construil. Quelques kilomètres à l’ouest-sud-ouest du Khirbet Arbed s'élève la célèbre montagne de Hattin, vénérée par les chrétiens comme — 17 — étant celle où Notre-Seigneur prêcha les huit Béatitudes, et qui, en 1187, fut témoin de la désastreuse bataille dans laquelle suc- comba, avec Lusignan, le royaume latin de Palestine. Son plateau à été jadis environné d’un épais mur d'enceinte. En me rapprochant de Nazareth, j’observai au village de Sadjera les vestiges d’un édifice que décoraient des colonnes calcaires mo- nolithes et qui semble avoir été primilivement une synagogue, puis une église, puis enfin une mosquée. Au sud-ouest de Nazareth, Maloul m'offrit {es beaux restes d’un magnifique mausolée, présentant extérieurement l'apparence d’un dé carré, flanqué de pilastres et de demi-colonnes et construit en pierres de taille d’un appareil très-régulier. Les diverses faces en sont malheureusement très-dégradées. L'intérieur renferme une chambre voütée en plein cintre qui, sous quatre enfoncements rectangulaires, devait contenir jadis autant de sarcophages. De là je gagnai Djebata, l’ancienne Gabatha, puis Semounieh, la Simonias mentionnée par Josèphe. À Zebda, l'antique Zebed, Je remarquai un assez grand nombre de tombeaux pratiqués dans le roc et de sarcophages monolithes avec leurs couvercles en dos d’ane se terminant en cornes aux quatre angles. Une pareille nécropole prouve l'importance de Zebed, qui n’est plus maintenant qu'un misérable village. Cheikh Abreiïk, sur sa haute colline entourée de tous côtés par des vallées, a succédé à une antique cité, dont il subsiste seule- ment six colonnes monolithes gisantes à terre ou encore en place, les traces d'un monument bàti en belles pierres de taille et des fragments de sarcophages brisés. Beit-Lehem, la Bethléhem de la tribu de Zabulon, qu'il faut distinguer de la Bethiéhem de Juda, me présenta de même les arasements d’un édifice bouleversé de fond en comble et dont la porte regardait le sud, ce qui m'incline à penser que c'était une synagogue. J'y distinguai également les vestiges d'une ancienne église chrétienne, partagée en trois nefs au moyen de deux rangées de colonnes monolithes, dont quelques troncons sont épars sur le sol ou encore en place. Parvenu à Caïpha, l'antique Hepha, au pied du mont Carmel, je sillonnai en iout sens la grande plaine qui sépare cette ville de Saint-Jeanu-d'Acre et au milieu de laquelle s'élèvent plusieurs tells considérables en partie factices et couverts de débris. L'une de — HIS — ces collines, appelée Tell el-Kerdaneh, avoisine un marais assez profond, signalé par Pline sous le nom de palus Cendevia. C’est la où prend sa source le Nahr Naman, le célèbre Belus qui, après un cours de quelques kilomètres, va se jeter à la mer un peu au sud de Saint-Jean-d'Acre. C’est sur les bords de cette petite rivière que plusieurs écrivains anciens, et entre autres Pline, placent l'invention du verre par les Phéniciens, qui se servaient avanla- geusement pour cette fabrication du sable fin et profond dont ses rives sont couvertes. | Saint-Jean-d'Acre n’occupe plus maintenant qu'un tiers environ de l'emplacement que remplissait autrefois Acca où Âccho. Cette antique cité a toujours été très-importante. Je lai étudiée avec soin, ainsi que les collines qui l’avoisinent vers l'est et où les en- nemis, qui sont tour à tour venus l'assiéger, ont successivement dressé leur camp. Elle est actuellement renfermée dans une double enceinte, construite avec les débris de ses anciens monuments ou avec les énormes blocs à bossage provenant des ruines d'Athlii, le Castellum Peregrinorum de l’époque des croisades. Ces deux remparts sont environnés chacun d’un fossé et flanqués de tours et de bastions qui sont armés de 225 canons ou mortiers, dont une quinzaine sont d'origine française et portent les dates de 1766, 1787 et 1765; 1ls remontent ainsi à l'échec que subit devant cette place, en 1799, la gloire militaire de Bonaparte, qui se vit enle- ver par sir Sidney Smith ses plus grosses pièces de siége. À Pest et au nord du second fossé, les traces de l'enceinte antique sont encore reconnaissables sur certains points, à 7 ou 800 mètres de l’enceinte actuelle. Avant d'y parvenir on rencontre à chaque pas d'anciennes citernes, des débris de murs, quelques colonnes éparses et une quantité énorme d’excavations pratiquées pour ex- traire du sol des matériaux de construction. Le rôle considérable qu'a joué Saint-Jean-d’Acre dans l’antiquté et plus encore au moyen âge, à l'époque des croisades, les fameux siéges qu’elle a soutenus, les monuments dont elle était ornée, les tristes restes de son ancienne magnificence, ses deux ports intérieur et extérieur, ses mosquées, ses bazars, ses caravansérails, tout cela mériterait de ma part de longs développements que je ne puis donner pour le moment, resserré que je suis dans les limites, naturellement fort étroites, d’un simple rapport. De Saint-Jean-l’Acre, je retournai vers l’est, afin de traverser ESS RE 1 — 19 — de nouveau, mais par des routes différentes, toute la longueur de la basse Galilée. Dans l'impossibilité où je suis de citer ici toutes les localités que je visitai, je mentionnerai seulement Ca- boul, qui a conservé son nom primitif et quelques vestiges d’an- _ tiquité; Damoun, Chefa-Amar, Abilin, Koukab, Kefer Menda, dans la fertile plaine d’El-Batthouf; Kana el-Djelil, regardée par quelques-uns comme étant la Cana de Galilée où Notre-Seigneur fit son premier miracle; les ruines de Djefat, l’ancienne lotapala, si célèbre par la résistance énergique qu'elle opposa aux Romains; Sokhnin, jadis Sogane; le Khirbet Bir el-Bedaouïeh où, sous les débris d'un ancien édifice en blocs de grandes dimensions, je trouvai une crypte construite également en belles pierres de Laille et dont les voûtes sont les unes cintrées et les autres légèrement ogivales, bien qu'elles semblent pareillement antiques et contem- poraines; Safourieh, autrefois Sepphoris ou Diocésarée, l’une des plus fortes places de la Galilée inférieure; on y voit quelques ves- tiges d’un mur d'enceinte en belles pierres de taille qui environ- naït son acropole , emplacement d’une ancienne synagogue presque entièrement rasée, les trois absides encore debout d’une assez grande église dédiée à saint Joachim et à sainte Anne, de nom- breux sarcophages, la plupart mutilés, et partout de gros blocs bien équarris, provenant d’antiques constructions et engagés dans des masures arabes; le Khirbet Rouma, village musulman com- plétement renversé qui avait remplacé une petite ville judaïque du même nom: Roummaneh, l'une des Rimmon de la Bible, au- jourd’hui misérable hameau; Kefer Kenna, que la tradition des chrétiens indigènes, tant grecs que catholiques, identifie avec la Cana de l'Évangile: Arrabeh, l'antique Araba; le Khirbet Hazour, lune des Hazor de la Palestine, mais celle-ci non mentionnée par la Bible. Enfin, après avoir examiné beaucoup d'autres villages ren- versés ou encore habités, je montai à Safed dans la haute Galilée. Malgré le terrible tremblement de terre de 1837, qui a détruit alors à Safed un grand nombre de maisons et fait périr sous leurs débris plusieurs mulliers d'habitants, cette ville est encore actuel- lement l’une des plus peuplées de la Palestine, parce que les. Juifs l’affectionnent d’une manière toute parliculière. Comme à diffé- rentes reprises elle s’est relevée de ses ruines, les vestiges de ses anciennes constructions ont presque entièrement disparu. La srande ciladelle qui, à l'époque des croisates, la défendait et qui, = mo = peut-être, avait succédé à une autre plus ancienne, est devenue depuis longtemps une véritable carrière de pierres toutes taillées, que l’on extrait des épaisses murailles qui l’entouraient et des tours dont elle était flanquée. Le revêtement:en a été ainsi complétement enlevé. Une tradition veut que Safed soit la célèbre Béthulie, pa- trie de Judith, qui triompha de l’armée d'Holopherne; mais, à mon avis, il faut l'identifier plutôt avec la ville de Sephet, men- tionnée dans le verset suivant du livre de Tobie (ch. r, v. 1) : « Tobias ex tribu et civitate Nephthali quæ est in superioribus Galilææ supra Naasson, post viam quæ ducit ad occidentem, in sinistro habens civitatem Sephet. » Aux environs de Saphed, plusieurs localités importantes solli- citent l'attention du voyageur, telles que Meiroun avec sa nécro- pole et les restes de son ancienne synagogue; El-Djich, l'antique Giscala, dont l’acropole, aujourd'hui couverte de vignes et de figuiers, était jadis environnée d’une enceinte en belles pierres de taille, comme le prouvent un certain nombre d'assises encore en place; Kefer Birim et Nabarteïin avec leurs synagogues renversées ; le Khirbet Akbara, ville autrefois fortifiée, actuellement simple hameau. De là, je redescendis dans la vallée du Jourdain et j'exa- minai dans la direction du nord-nord-est, puis du nord, une suite de ruines, situées soit le long du fleuve, soit sur les collines qui le bordent vers l’ouest. À Kasioun, sur une colline à l’ouest du lac El-Houleh, l’ancien lac Mérom ou Semechonitis, je copiai une inscription grecque au milieu des ruines d'une synagogue. Les débris de cet édifice, et notamment les colonnes qui l’ornaient, ont servi plus tard à bâtir à côté une église chrétienne, elle-même détruite. Le savant Robinson a identifié Hazor de Nephthali, la capitale du roi Jabin qui fut vaincu par Josué, avec les ruines dites EI- Khoureibeh; mais cette hypothèse me parait peu fondée, et Je crois que ce Voyageur y aurait renoncé lui-même, s'il avait gravi les flancs escarpés du Tell el-Harraouy, à l'extrémité nord-ouest du lac El-Houleh. Nous savons par la Bible que Jabin, roi de Hazor, rassembla près des eaux de Mérom, pour combattre Josué, toutes les forces des rois dont il était comme le suzerain ! : ToJosuertehexT iv... | un Me « Conveneruntque omnes reges isii in unum ad aquas Merom, ut pugnarent contra Israël. » Les eaux de Mérom sont désignées par Josèphe sous le nom de lac Semechonitis. Cet historien ajoute! que la capitale de Jabin était située au-dessus du lac. ÉE Âcwpou moÀcws- adry dé dmepueira vis Seueywviridos Aluvns. Or, le Tell el-Harraouy surplombe précisément le lac Houleh, identique lui-même avec les eaux de Mérom ou lac Semechonitis, tandis que le Tell el-Khoureibeh en est éloigné d'au moins 4 kilo- mètres. En outre, on y trouve des ruines beaucoup plus impor- tantes. Parvenu au sommet du Tell el-Harraouy, c'est-à-dire à la hauteur d'au moins 300 mètres au-dessus du lac El-Houleh, j'y découvris les restes d’une enceinte fortifiée et flanquée de tours en gros blocs assez mal équarris et reposant sans ciment les uns sur les autres. 8o mètres au-dessous de cette acropole, vers l'est, s'étendait la ville proprement dite, sur un plateau à différents étages dont les terrasses étaient soutenues par de puissants murs. Ces ruines, qui paraissent avoir échappé à l'attention de tous les voyageurs qui m'ont précédé, ne peuvent être, à mon sens, que celles de Hazor. Aucun autre emplacement, en effet, ne répond plus exactement que celui-là à la position assignée par Josèphe à cette ville. Assise sur le Tell el-Harraouy, Hazor était à la fois dé- fendue par la nature et par l’art, et commandait tout le lac Mé- rom, Ürepxeras Ths Deueywvitidos Auvns. À ses pieds, non loin du lac, coule une source extrêmement abondante appelée aujour- d'hui Aïn el-Mellaha; c'est irès-vraisemblablement l’En-Hazor de la Bible. ._De là, je me dirigeai au nord vers Kades, qui a conservé son nom primitif. Réduite maintenant à une population de trois cents habitants au plus, cette ville a dû être jadis assez peuplée et fort remarquable. Elle occupait deux collines qui s'arrondissent en demi-cercle autour d’une fontaine. À l'est, dans la plaine, les restes de plusieurs beaux monuments en pierres de taille, ainsi qu'un certain nombre de superbes sarcophages, prouvent l'importance de cette antique cité, aujourd'hui pauvre village qui végète misé- rablement. ! Antiquités Judaïques, 1. V, ch. v, S 1. ni En continuant à m'avancer vers le nord, je franchis le Nahr el-Hasbany, l’un des principaux affluents du Jourdain, au pont dit Djisr el-Rhadjar, et j'arrivai bientôt ensuite à Tell el-Kadhy. Les ruines qui couvrent cette colline sont celles de Dan, qui formait vers le nord la limite de la Palestine, de même que Bersabée en était le point extrême vers le sud. Deux sources très-abondantes et d’une fraicheur extraordinaire coulent l’une presque au centre et l’autre au pied occidental du Tell; la première jaillit au milieu d’un épais fourré de figuiers, de platanes, de vignes grimpantes, de roseaux gigantesques et d’arbustes épineux, à travers lesquels elle s'ouvre un passage pour former un ruisseau qui se précipite vers le sud; la seconde se répand d'abord dans un grand bassin, d’où sort également un ruisseau très-rapide qui, de même que le précédent, se ramifie en des bras multipliés, afin de pouvoir ar- roser, dans presque toute sa largeur, la magnifique plaine qui s'é- tend vers le sud. Rien n’égale la fertilité de cette vallée; le sol en est un limon noir et profond. Sillonnée en tout sens par des ruis- seaux éternellement murmurants, elle se couvre, là où elle est cultivée, d'admirables moissons. Je l'ai parcourue pendant plu- sieurs heures, séduit par ia beauté de cet éden et errant à travers des champs de maïs et de sorgho. Gà et là s'élèvent quelques tells, où croissent de vieux chères; l’un de ces monticules a gardé le nom de Tell Dafneb. On sait qu’une localité ainsi appelée est si- gnalée par l’historien Josèphe dans le voisinage de Dan !. Les nom- breux ruisseaux dont j'ai parlé dérivent des deux sources de Tell el-Kadhy et d’une troisième que je mentionnerai tout à l'heure et qui descend de Banias; ils se réunissent ensuite dans un même lit, auquel le Nahr el-Hasbany apporte pareillement le tribut de ses eaux. À ce lit unique est attaché le nom à jamais célèbre de Jourdain. À une heure de marche à l'est de Tell el-Kadhy, on rencontre Banias, l'antique Paneas ou Césarée de Philippe. Assise dans une position charmante, cette ville était jadis ornée de monuments splendides, dont il ne subsiste plus que d'informes débris et un grand nombre de colonnes et de pierres de taille dispersées çà et là. L'enceinte fortiñée, dont on voit encore des restes considé- rables et qui renfermait l'acropole de la ville, a duü subir d'impor- À Guüerredes Jus UNE tch 4 56e RE CE — 23 — tants remaniements de Îa part des croisés et des musulmans; elle sert actuellement de refuge à la population de Banias qui compte 600 âmes. Quant à l’ancienne cité proprement dite, elle est en- vahie, ainsi qu'une partie de cette acropole ellemèême, par des plantations de figuiers et de müriers, auxquels se mélent par in- tervalle des térébinthes et des chênes. Délimitée par des oueds assez profonds, elle est en outre traversée par les deux bras d'un troisième oued, appelé Oued Banias, où coule en cascade dans un ht bordé de peupliers, de saules, de figuiers et de lauriers-roses, une eau limpide et abondante. La source de cet oued jaillit au- devant d'une grotte consacrée jadis au dieu Pan et dont toute la partie antérieure est détruite, par suite de divers tremblements de terre qui ont ébranlé la montagne dans les flancs de laquelle elle s'enfonce. Jadis, comme nous le savons par un passage de l’histo- rien Josèphe !, elle renfermait un gouffre’abrupt plein d’eau et d'une profondeur inconnue, car aucune sonde, dit cet écrivain, n'en pouvait atteindre le fond. « Des grottes placées à l'extérieur et à la racine même de la montagne jaillissent, ajoute-t-1l, des sources abondantes, et c'est de la que sort le Jourdain, ainsi que le croient beaucoup de personnes. » Mais pour Josèphe la véritable source de ce fleuve était au lac Phiala, actuellement Birket er- Ram, et le Paneïon ou grotte de Pan n'était que la source appa- rente de ce fleuve, qui y débouchait seulement au moyen d'un canal souterrain établi entre cette caverne et le lac. Aujourd'hui aspect des lieux a bien changé. D’énormes blocs, détachés des voûtes du Paneïon, gisent sur le sol, et la partie de la grotte que les tremblements de terre ont respectée ne contient plus aucun gouffre, comme du temps de Josèphe. À droite de celle-ci, plu- sieurs niches et un petit sacellum pratiqués dans les parois de la montagne devaient renfermer des statues. On y voit encore quel- ques inscriptions aujourd'hui très-effacées, dont j'ai copié les par- ties lisibles. Le nom du dieu Pan sv trouve reproduit deux fois, ce qui justifie la désignation de Paneïon donnée par Josèphe à la grotte. Hérode le Grand avait élevé près de la source ainsi appelée un temple magnifique en marbre blanc en l'honneur de l'empe- reur Auguste. Cet édifice est complétement détruit. Banias est dominé au N. E. par une haute montagne que cou- L Guerre des Juifs, 1. 1, ch. xxx, $ à. es DE ronnent les ruines gigantesques d'une immense forteresse. Le pla- teau inégal sur laquelle elle s'élève s'étend de l'O. S. O. à l'E. N.E. Des ravins extrêmement profonds l'environnent de plusieurs côtés. Les murs d'enceinte sont très-épais et flanqués de nombreuses tours ; ils sont bâtis intérieurement en blocage et revêtus à l’ex- rieur de blocs soit parfaitement équarris, soit relevés en bossage et la plupart de dimensions très-considérables. Courtines et tours reposent sur le roc et sont construites en talus. L'intérieur de la forteresse est bouleversé de fond en comble; néanmoins plusieurs salles sont encore assez bien conservées. Les voûtes en sont lésè- rement ogivales ; il en est de même de celles d'une grande citerne. L’extrémité culminante du plateau vers l'E. N. E. est occupée par le donjon qui forme au-dessus de la forteresse une seconde forte- resse supérieure plus inexpugnable encore que la première. Il est actuellement très-difficile de parcourir ce donjon, hérissé qu'il est d’épaisses broussailles et d’un fourré de térébinthes et de chênes verts qui ont pris racine au milieu de l'énorme amas de ruines qu'il présente. Un problème curieux se présente ici. Quelle date faut-il assi- gner à cette puissante citadelle qui a dû coûter des sommes et des travaux si considérables? Les inscriptions arabes que lon aperçoit en plusieurs endroits, et dont quelques-unes portent la date de l'année 625 de l'hégire qui correspond à l'an 1227 de notre ère, semblent d'abord autoriser à conclure que l’on a devant les yeux des constructions musulmanes; en outre les voûtes sont presque partout ogivales, ce qui paraît accuser un travail musul- man ou chrétien. Mais, d'un autre côté, comment supposer que les anciens, à l’époque de la plus grande splendeur de cette con- trée, aient négligé un point aussi important? Comment attribuer ensuite soit aux croisés, soit aux musulmans la taille de ces im- menses blocs et la fondation première de ces constructions colos- sales qui dans leurs ruines frappent encore maintenant d’admira- tion tous ceux qui les visitent ? N'est-il pas plus rationnel d’ad- mettre qu'ils n'ont fait que remanier les uns et les autres, quand ils s'emparèrent de cette forteresse, les parties endommagées ? Les inscriptions arabes, comme je m'en suis convaincu plusieurs fois en Palestine, sont souvent mensongères, en affirmant que tels ou tels sultans ou pachas ont construit des khans, des mosquées ou des forteresses qu'ils n'avaient tout au plus fait que réparer. Ainsi, MR par exemple, comme je l'ai montré !, la fondation de la grande mosquée de Ramleh est attribuée, d'après une inscription arabe placée au-dessus de la porte d'entrée, au sultan Ketbogha, l'an 697 de lhégire (1298 de J. C.). Or c'est là une allégation contre laquelle protestent la forme même de ce monument et le carac- tère de son architecture. On est, en effet, d’une manière incontes- table en présence d’une église chrétienne parfaitement conservée, et non point d'un édifice bâti sur le plan d’une mosquée. Seule- ment, à l'époque marquée dans l'inscription, cette église consacrée primitivement à saint Jean à pu subir quelques réparations et modifications. Je pourrais aussi, à propos de la forme ogivale des voûtes dans la forteresse de Banias, faire remarquer que cette forme est probablement plus ancienne qu'on ne le croit générale- ment; car, ainsi que je l'ai dit plus haut, J'ai trouvé dans les grottes d'Arbed et dans la crypte du Khirbet-Bir-el-Bedaouieh le plein cintre et l'ogive se mariant ensemble dans des voûtes qui sont, sans contredit, bien antérieures au moyen âge. Mais ce n’est pas en ce moment le temps de prolonger une discussion à laquelle je donnerai plus tard de plus amples développements. 3 De Banias, en se dirigeant vers l'E. S. E., on atteint au bout de deux heures de marche le Birket er-Ram, que d’autres pronon- cent Birket er-Ran, l'ancien lac Phiala mentionné par Josèphe. Ce grand bassin de forme ovale mesure un peu plus de 2 kilo- mètres de pourtour. La hauteur des berges qui l'environnent est de 35 à 4o mètres au-dessus de la surface de l’eau. Il ressemble au cratère d’un volcan. Les eaux du lac sont stagnantes et cou- vertes d'herbes aquatiques, ce qui indique leur peu de profondeur au moins sur les bords ; car au centre où les herbes ne se mon- trent plus, elles doivent être plus profondes. À en croire Josèphe, ce lac communiquerait souterrainement avec la source du Paneion et ce serait ainsi la véritable origine du Nahr-Banias, l'un des principaux ruisseaux qui, avec le Nabr-Tell el-Kadhy et le Nahr el-Hasbany, concourent à constituer le Jourdain. Mais, comme d'autres voyageurs avant moi Font déja montré, c'est là une tra- dition qui s'est complétement perdue depuis fort longtemps dans le pays, et qui ne paraît reposer sur aucun fondement certain. De retour à Banias, après avoir chemin faisant étudié les ruines | Description archéologique , historique et géographique de la Judée, t.T, p.38. MISS. SCIENT, —— VIl. 28 —— pue de deux localités antiques, je franchis de nouveau le Nahr el-Has- bany au Djisr el-Rhadjar, et j'explorai le fertile district connu sous le nom de Merdj Ayoun, à cause des sources qui l'arrosent. Sans citer ici les divers villages qui s'y rencontrent et que je visitai, qu'il me suflise de signaler les ruines de Tell-Dibbin, l'antique Ahion , selon toute probabilité, et celles d'Abil, jadis Beth-Maacha, ravagées l’une et l’autre autrefois par Benadad, roi de Syrie !. Puis je montai à Hounin, village assis sur une montagne dont le sommet est occupé par les restes de deux forteresses ; l’une est bien antérieure à l'autre, bien qu'elle ait subi, elle aussi, de nom:- breux remaniements de la part des musulmans. Au N. O. de Hounin gisent sur une montagne voisine les dé- bris de nombreuses maisons renversées. Cet amas informe de décombres porte le nom de Khirbet-Ksaf, qu'il faut probablement identifier avec celui d’Achsaf, ville mentionnée dans le livre de Josué comme étant le siége d’un roi Cananéen ?. Non loin de là, près des bords escarpés du Nahr-Litany, le Léontès de l'antiquité, le village d'Almin renferme des ruines an- tiques, et le nom qu'il porte doit certainement aussi être ancien; car dans une autre partie de la Palestine, au nombre des villes de la ibu de Benjamin, la Bible en mentionne une appelée Almon ÿ. Au delà du Nahr-Litany, vers le nord, les restes imposants de Kalat ech-Choukif, le Beaufort de l'époque des croisades, riva- lisent de beauté, sinon de grandeur, avec ceux de la forteresse. de Banias. Construit sur un plateau élevé, long de 200 pas environ, sur une largeur qui varie entre 60 et 80, 1l surplombe à l'est les profondeurs effrayantes de l'Oued-Litany ; des autres côtés, il est environné de larges fossés et de réservoirs pratiqués dans le roc. Il se compose de trois étages superposés de salles, de chambres et de corridors dont les voûtes sont cintrées ou légèrement ogivales ; le tout est renfermé dans une enceinte de murs gigantesques flan- qués de tours en talus. Celles-ci, ainsi que les courtines qui les relient, ont été bâties primitivement avec des pierres d'un grand appareil et la plupart taillées en bossage ; des réparations en moel- lons ont été pratiquées à une époque postérieure. à 1 Rois, 1. IT, ch. xv, v. 20. ? Josué, XI, 1; XIT, 20. 3 Josué, XXI, 18. TE — 127 — De Kalat ech-Choukif, en m'avançant dans la direction du N. E. à travers un assez grand nombre de villages où je notai avec soin tous les débris antiques qui y attirèrent mon attention, je me rendis à Saïda. Gette ville n'occupe actuellement qu'un tiers à peine de l’em- placement que la fameuse Sidon, dont elle n'est plus que l'ombre, remplissait autrefois de ses arsenaux, de ses temples et de ses édi- fices privés. Elle à été naturellement de ma part l’objet d’une étude sérieuse, ainsi que sa nécropole , si riche en sarcophages, et ses trois ports, deux ouverts et un fermé. J'ai parcouru ensuite tous les villages qui appartenaient à la banlieue de Sidon et qui trouveront place dans la description que je donnerai de cette ville. En descendant la côte au sud de Saïda, j'arrivai bientôt aux ruines de Sarfend, l’antique Sarepta. Cette ville, célèbre par les deux miracles qu'y accomplit Élie en faveur d’une pauvré veuve !, est maintenant rasée de fond en comble. Les fondations même de ses édifices et de ses maisons ont été fouillées, et on ne rencontre plus sur l'emplacement qu'elle occupait que des pierres éparses ou entassées, quelques tronçons de colonnes et un certain nombre de citernes et de puits. Un aqueduc, dont il subsiste encore çà et là des vestiges, amenait autrefois à Sarepta les eaux d'une source abondante qui coule plus au nord dans un endroit appelé El- Bourak. Au sud du Khirbet-Sarfend, j'examinai le long de la côte le Khirbet-Khaizaran, et plus au sud encore les ruines d’Adloun, Si la ville dont elles offrent les débris est, comme celle de Sarepta, complétement rasée, sa belle nécropole, pratiquée dans les flancs de la montagne qui la domine vers l’est, est assez bien conservée. Seulement toutes les tombes ont été ouvertes, et les cendres qu’elles renfermaient ont été profanées. Après avoir franchi le Nahr el-Kasmieh, le même qui plus à l'est s'appelle Nahr-Litany, j'explorai, sur une haute colline qui commande l'embouchure de ce fleuve vers le sud, les restes d’une ancienne forteresse nommée Bordj el-Haoua. Les soubassements de cette puissante construction sont en blocs énormes ét datent peut-être d’une époque très-reculée ; mais elle a été ensuite réparée avec des pierres d’un appareil bien moins considérable. À quel- 1 Rois, 1. HE, ch. xvrr. ee DIN EE ques pas de ce vieux château, plusieurs magnifiques sarcophages élégamment sculptés sont les uns mutilés et les autres intacts. Avant de parvenir à Sour, je rayonnaiï à travers toutes les mon- tagnes qui bordent vers le nord la plaine où elle s'élève. Les ruines abondent dans les différents villages que j'y ai visités. Sour, la Tsour des livres saints, la Tyr des Grecs et des Ro- mains, a subi, comme Sidon, une décadence lamentable. On se demande en la parcourant si c'est bien là cette ville tant vantée dans l'antiquité, et qui a rempli la terre de son nom; mais ensuite on se rappelle toutes les prophéties où sa ruine est annoncée, et l'on ne doute plus qu'on foule dans sa tombe l’une des cités les plus mortes aujourd'hui, mais autrefois les plus vivantes de l’an- cien monde. Âu moyen âge encore, à l'époque des croisades, elle avait recouvré quelque importance. Actuellement, son abaissement est complet. Une foule de questions intéressantes se rattachent soit à la topo- graphie, soit à l'histoire de l’ancienne Tyr; j'essayerai plus tard d’en élucider quelques-unes en donnant une monographie de cette ville et de sa banlieue. Au sud de la plaine de Sour, les montagnes se rapprochent de la mer et se terminent en un promontoire appelé maintenant Ras el- Abyad et jadis Scala Tyriorum, parce que la route qui serpentait le long des flancs de ce cap était pratiquée en escalier dans le roc. En gravissant les flancs supérieurs de la montagne dont le Ras el-Abyad n'est que l'appendice occidental, on rencontre des ruines considérables qui doivent remonter à une haute antiquité. Plus loin sur un point culminant appelé Tell-Armets et inaccessible de deux côtés, gisent au milieu d'un fourré de lentisques, de chênes verts et de térébinthes, les débris d'une antique cité jadis fortifiée. Plus à l’ouest et en descendant vers la plage, on traverse les ves- tiges de Scanderouna, jadis Alexandroschene, mentionnée dans l'itinéraire de Bordeaux. Si de là on poursuit sa route vers le sud, on trouve d’autres ruines plus importantes, désignées actuellement sous la dénomina- tion de Khirbet-Oumm el-Aouamid, à cause de plusieurs colonnes encore debout qui ornaient deux édifices depuis longtemps ren- versés et qui de loin provoquent les regards des voyageurs. Le nom antique de la cité qui s'élevait en cet endroit doit se chercher, à mon avis, dans celui de l’Aïn-Hamoul qui coule près de là et , | d — 129 — dont le nom, sauf une légère altération, est le même que celui de Hammon donné par l'historien sacré à une ville appartenant à la tribu d’Aser !. Toutes ces ruines, que je ne fais qu'indiquer en ce moment, mé- ritent des descriptions détaillées que je donnerai plus tard. Je me contente également de signaler celles de Maasoub et du Kalat- el-Kern que je visitai ensuite. Ces dernières, situées sur une colline de difficile accès au-dessus de l'Oued el-Kern, sont celles du célèbre château de Montfort de l’époque des croisades. De retour à Saint-Jean-d’Acre, j'appris de la bouche de M. le vice-consul de France que, d’après des rumeurs encore vagues parvenues jusqu'à lui, des revers inouïs pour nos armes avaient abattu notre drapeau dans les premières batailles que nous avions livrées aux Prussiens. Le contre-coup de ces funestes événements se faisait déja sentir en Orient, et tandis que les Maronites et les Latins, placés depuis de longs siècles sous la protection de la France, étaient effrayés de voir soudain pälir notre étoile dont l'éclat les avait jusque-là éblouis et rassurés, les Grecs schisma- tiques, au contraire, les Druses et toutes les autres populations dont l'Angleterre, la Russie et la Prusse ont adopté le patronage, se réjouissaient de nos malheurs et commencaient à insulter notre pavillon. Dans de pareilles circonstances, je ne pouvais pas songer à solliciter de Votre Excellence de nouveaux fonds, afin d'achever l'exploration de la Galilée dont il me restait encore quelques dis- tricts à étudier. J'avais, en effet, depuis près de deux mois par- couru en divers sens cette contrée, sans trêve ni repos. Néan- moins elle est si riche en ruines, et le sol en est tellement accidenté, que je n'avais pu l'explorer tout entière. Les chaleurs extraordinaires qui avaient constamment embrasé l'atmosphère avaient en épuisant mes forces épuisé en même temps mes res- sources ; car le cheval que montait mon guide et celui qui portait mon bagage avaient succombé lun et l'autre à des insolations répétées, et il avait fallu les remplacer. Comme il ne me restait plus guère que la somme dont j'avais besoin pour revenir en France, je m'acheminai vers Jérusalem. Là M. le consul de France me confirma les tristes nouvelles qui m'avaient été communi- quées à Saint-Jean-d’Acre, et je quittai immédiatement la Ville 1 Josué, XIX, 25. mn D î Sainte pour aller m'embarquer à Jaffa. Le $ septembre, j'étais à Alexandrie, où j'appris la fatale capitulation de Sedan. Depuis quelques jours, la fièvre qui me travaillait sourdement, à la suite de mes longues et incessantes pérégrinations par des chaleurs sou- vent intolérables, avait pris tout à coup un caractère alarmant, et c'est grâce aux soins assidus et au traitement énergique du méde- cin installé à bord du paquebot qui me ramena en France, que je pus revoir mon infortunée patrie. Hélas! dans quel état la retrou- vai-je! Avant de terminer ce rapport, je vais résumer en deux mots les résultats de ma mission : | * 1° Exploration à peu près complète de la Samarie; fouilles commencées à El-Medieh et découverte du tombeau des Maccha- bées ; 2° Étude très-détaillée de la vallée du Jourdain, depuis l’em- bouchure de ce fleuve dans la mer Morte jusqu'à ses deux sources principales, à Tell-el-Kadhy et à Banias; | 3° Exploration des trois quarts de la Galilée; le temps et les ressources m'ont manqué pour achever de la parcourir entière- ment ou pour étudier avec plus de loisir certaines localités que Je n'ai fait que traverser rapidement. J'ose espérer, Monsieur le Ministre, que mes trois rapports et surtout les grands développements que je leur donnerai plus tard vous prouveront que j'ai consciencieusement rempli la tâche labo- rieuse dont J'avais été chargé, et que je ne pouvais pas faire da- vantage avec les fonds qui m'avaient été confiés. J'ai l'honneur d’être, Monsieur le Ministre, avec le plus profond respect, le très-humble serviteur de Votre Excellence, V. GUÉRIN. RAPPORT . | UNE MISSION DANS L’AMÉRIQUE DU NORD, PAR M. ARMAND DUMARESQ. Mai 1870. Monsieur le Ministre, Par un arrêté en date du 4 avril 1870, Votre Excellence a bien voulu me charger d'une mission ayant pour objet d'étudier , dans les établissements d'instruction primaire, secondaire et technique de l'Amérique du Nord, les différentes méthodes de l’enseigne- ment du dessin et de ses applications aux arts et à l'industrie. Pour remplir les intentions de Votre Excellence, dès mon arrivée à New-York, je me suis mis en rapport avec M. de la Forest, con- sul général de France aux États-Unis; avec MM. Huntington et Gray, présidents de l'Académie nationale de dessin, et, à Washing- ton, avec M. le général Eaton, commissaire d'éducation, qui m'ac- compagna dans mon inspection de l’école navale d’Annapolis. Ces messieurs ont facilité mes recherches dans toute l'étendue de leurs moyens. ; Aux États-Unis, point de centralisation; l'éducation est entre les mains de tout le monde; chaque État en règle l'application par . des lois qui lui sont propres; en dehors des écoles créées aux frais de l'État s'élèvent des établissements résultant de la munificence particuhière; ces fondations sont fières et jalouses de leur indé- pendance. Chargé d'une mission émanant de vous, Monsieur le Ministre, j'ai toujours trouvé un bon accueil et le plus grand em- pressement à me fournir les renseignements sur ces écoles et tous les rapports publiés à la fin de l'exercice scolaire. Ils sont fort utiles pour bien voir et bien comprendre, et m'ont permis de me rendre compte de l'influence que la France exerce. Dans beaucoup d’éta- — 132 — blissements j'ai rencontré de jeunes professeurs qui étaient heu- reux de me dire qu'ils avaient travaillé à la même école que moi, mais si longtemps après que je ne les avais pas connus; d’autres avaient fait leurs études en France; c’est un tel titre pour eux, que, dès leur retour, ils obtiennent des positions importantes. La supériorité de l’école française est reconnue partout: ce n’est qu'à Paris qu’un artiste, un professeur ou une méthode reçoivent leur consécration; j'en ai trouvé la preuve même dans les applica- üons de l’art à l’industrie; à Washington, dans les ateliers de gra- vure et d'imprimerie du trésor pour la fabrication des billets de banque, les chefs d'atelier sont Français; il en est de même dans de grandes fabriques d’orfévrerie et de bijouterie de New-York. À côté pourtant se trouve l'influence de la race anglo-saxonne, qui vient faire un vigoureux contraste. Ce sont ces deux principes, marchant parallèlement, qui forment, en se confondant, l'esprit de la nation américaine nuancé à l'infini par linitiative indivi- duelle. L L'initiative individuelle, une des nécessités de tout peuple qui s'organise et qui à été presque la loi fondamentale de la société américaine du haut en bas de i'échelle socialeet gouvernementale, commence à avoir bien des antagonistes dans les vieux États de l'Union; bien des esprits sentent le besoin d’une centralisation qui puisse prévenir un nouveau déchirement. Mais comment arriver à ce résultat avec une confédération de trente-sept États qui ont entre eux de si grandes différences de climat, de culture, de pro- duits, de besoins. Cette œuvre serait de longue haleine; elle est difficile avec un gouvernement qui est appelé par sa constitulion à se renouveler tous les quatre ans. Il est impossibie de suivre dans ces conditions une ligne de conduite uniforme. C'est par l'éducation que l'on compte en Amérique amener ce changement dans les mœurs et les idées d’une jeune ces qui devra s'agréger plus fortement. La question de l'éducation est donc une de celles qui sont le plus à l'ordre du jour ; très-avancée quant à l'instruction primaire, elle l'est moins pour ce qui est de l'instruction secondaire, et à l’état d’enfantement quant à l'instruction supérieure ; c'est une imitation de nos écoles entre les mains de professeurs dévoués mais isolés, que rien ne rattache, marchant sous la direction de gens riches qui croient avoir beaucoup fait en donnant leur fortune pour fon- < — 133 — der de vastes monuments. J'ai vu les programmes des cours, ils sont très-étudiés et peut-être, si l’on avait un reproche à leur faire, un peu trop surchargés pour être bien à la portée des élèves. Aussi malgré les efforts qui se font pour améliorer les études de droit, de médecine, de science, d'architecture, de musique, de dessin, bien des élèves préfèrent venir en Europe gagner un di- plôme faisant foi à leur retour. Les grandes écoles du gouvernement sont les mieux installées que j'aie vues en Amérique : West-Point, pour la guerre, forme des officiers du génie, d'artillerie, d'état-major, d'infanterie et de cava- lerie; tous les élèves pendant la durée des quatre années d’études suivent les mêmes cours. À Annapolis, pour la marine, la ques- tion est plus simple; pourtant il sort de cet établissement des officiers de marine, des ingénieurs maritimes et hydrographes et des mécaniciens; évidemment si bonnes que soient les études, pour en profiter il faut des qualités tout exceptionnelles. Nous voici loin de l'instruction gratuite et obligatoire; elle n’est gratuite que dans les écoles primaires, ces écoles étant subvention- nées par les différents États : mais on n'est pas tenu d'y envoyer ses enfants, et la bourgeoisie les instruit chez elle ou les envoie dans les écoles payantes dans lesquelles ils sont plus soignés et avec des enfants mieux élevés. Quant aux lois coercitives qui punis- sent d'une amende de 20 dollars {cent francs) les parents qui veulent se servir de leurs enfants au lieu de les envoyer à l'école, elles n'existent que dans un ou deux États, tels que le Massa- chusetts, et elles ne sont pas appliquées. Les seules lois qui soient en vigueur sont celles qui punissent le vagabondage et celles qui ne permeltent pas aux enfants de travailler trop jeunes dans les ateliers ou les fabriques. Elles ont le grand avantage de suppri- mer presque entièrement la mendicité. L'étude du dessin vient d’être rendue obligatoire dans le pro- gramme des écoles du Connecticut ; il ne s’agit que du dessin élé- mentaire et géométrique, le-seul que l’on enseigne dans l'instruc- tion primaire. Nous parlerons plus loin de l’enseignement du dessin artistique. En résumé, au point de vue de l’art, il se fait en Amérique un grand mouvement; je viens d'assister à son enfantement; cela m'a rappelé ce que j'ai vu l’année dernière en Hollande, où je me trou- vais en mission avec M. le baron de Watteville pour étudier Les ré- - — AA — sultats des écoles néerlandaises, et où nous avons constaté de grands efforts pour améliorer le goût dans les différentes fabrications que l'on cherche à opposer aux produits français. Pour arriver à ce résultat, l'étranger nous a emprunté nos ouvriers, nos méthodes, nos modèles, nos artistes, il cherche par tous les moyens à nous faire une concurrence sérieuse : c'est une tendance qui s'étend et se généralise. À Washington, le bureau de léducation est une division du ministère de l'intérieur; le général Eaton vient d'être appelé à le diriger: c’est un homme intelligent, distingué, observateur ; 1l sait mêler de la politique à son administration; il relèvera et accroitra l'importance de son département, qui s'en allait mourant sous une direction par trop scientifique. Le général Eaton est l'ami de tous les gens actuellement au pouvoir, et en particulier du président, qui en fait le plus grand cas. Il admire beaucoup les rouages de l'administration française, et sent combien il y aurait à gagner à centraliser les moyens d'instruction; nous avons eu à cet égard de longues conversations, et précisément, pendant mon séjour à Washington, il soutenait, en qualité de commissaire du gouverne- ment, des projets de nouvelles lois centralisatrices devant le Con- grès et le Sénat. Le général Eaton, par une lettre en date du 12 mai 1870, a demandé au ministère de l'instruction publique un échange entre les deux gouvernements : il désirerait notamment recevoir les sta- ustiques et le Bulletin de l'instruction publique. Il m'a prié d'ap- puyer sa demande auprès de vous, Monsieur le Ministre. Je suis heureux que Votre Excellence ait bien voulu y faire droit. Cette mesure amènera un rapprochement favorable pour les deux admi- nistrations. NEW - YORK. L'académie nationale de dessin de New-York a été fondée par M. Morse, qui, abandonnant la palette et les pinceaux pour ne s’oc- cuper que de science, nous est surtout connu comme l'inventeur du télégraphe auquel il a donné son nom. Ce fut par souscription que l'académie fut construite; elle est bâtie sur un plan qui rap- pelle le palais des doges à Venise : au premier sont de jolies salles éclairées par en haut, destinées à des expositions annuelles; au- dessous sont les salles de conseil, et au rez-de-chaussée, les ateliers — 135 — pour les élèves; ils travaillent d’après l'antique et d’après nature, sous la direction de professeurs faisant partie de l’Académie et nommés chaque année par le président. On compte de 15 à. 20 élèves; l'instruction est la même que dans toutes les écoles des beaux-arts, à cette différence qu’il n’y a pas de limite d'âge pour y être admis. L'institut Cooper, qui porte lenom de son généreux fondateur, est une de ces créations entièrement dues à linitiative individuelle comme plusieurs autres qui se sont élevées depuis quelques années aux États-Unis. L'édifice est spacieux. Le rez-de-chaussée est con- sacré à des boutiques dont le revenu appartient à l'institution et lui crée une fortune. Au premier étage est une vaste bibliothèque, ou l'on trouve, en plus des salles de travail, une galerie consacrée à la lecture des journaux quotidiens; c'est un usage généralement imité partout. Au second étage est l’école de dessin. Les cours, uni- quement réservés aux femmes, sont dirigés par M. le D' Rimmer; il me montra la classe d’après la bosse, l’atelier de modelage et de gravure sur bois, les salles de démonstrations qui se font sur le tableau noir, et l'amphithéâtre des conférences. Là, pour me donner une idée de son enseignement, M. Rimmer se mit au tableau : il dessina avec une facilité charmante une tête de chim- panzé, passa au type des nègres et arriva à la race caucasique, puis, parcourant les modifications que subit la tête de l’homme depuis son enfance, les différences de la tête de l'homme à celle de la femmeé, il arriva enfin à la tête de la femme qui, avec l’âge, prend un caractère masculin. Tous ces dessins sont exécutés en même temps qu'il en donne la description ; cette démonstration, preuves en main, est charmante et on ne peut plus profitable pour des élèves, surtout dans un pays où les exigences religieuses sont très-grandes, où létude de la nature est défendue aux femmes en dehors de la tête et des extrémités: il fallait une méthode théorique, c'était une grande difficulté à vaincre; en voyant les résultats obtenus par ses élèves, qui arrivent à modeler de grandes statues nues bien composées et fort savantes comme anatomie, on ne peut nier qu'il n'y ait là un problème difficile, presque irréalisable, de résolu. Nous eùmes de longues conver- sations : Je voulais qu'il m'exposät sa théorie; il ne l'avait jamais formulée; pour lui, l'idée jaillit suivant le besoin du moment; sa méthode est basée sur l'étude approfondie de l'antique et de L ss la nature, ainsi que sur les maïtres italiens; de ses observations il s’est fait des règles. M. Rimmer est un professeur vraiment épris de son art; je lui fis tous mes compliments, et je n'hésite pas à dire que je serais heureux de voir un semblable professeur en France; son enseignement laisse peu de lacunes et elles seraient faciles à combler. L'université de la ville de New-York est un grand et sévère bâti- ment sur le square Washington. J'eus le regret de trouver les élèves en vacances quand je me présentai pour le visiter; je ne pus que voir les salles des différents cours. L’impression résultant de cette visite, c'est le petit nombre d'élèves qui suit chaque cours, à en juger par l'espace qui leur est attribué. Ainsi, pour la médecine j'ai compté de 25 à 30 places, 6 ou 8 pour les cours de génie civil et d'architecture, et une douzaine dans la section des sciences et des lettres. | Le collége Columbia a trois établissements différents dans la ville de New-York : l'école de médecine, l'école de droit et le col- lége joint à l’école des mines. C'est là que je fus recu par M. Bar- nard le président, qui m'en fit les honneurs; il me montra la galerie de minéralogie, celle des modèles et les laboratoires destinés aux élèves ; je fus étonné de ce que je voyais, en me rappelant cer- taines descriptions pompeuses que j'avais lues récemmeut de cet établissement, de ses vastes laboratoires et des grandes salles de Columbia College. Cette école est installée provisoirement, m'at- on dit, dans une série de petites vieilles maisons reliées entre elles; nous étions ainsi que les élèves au milieu des menuisiers et des maçons qui travaillaient à l'aménagement intérieur ; ici on perçait une porte, là on posait une cloison, rien n’était prêt, rien m'était terminé. | | M. Barnard me présenta plusieurs professeurs, tous élèves de l'École des mines de Paris: M. Egliston, professeur de météorolo- gie; M. Newberry, professeur de géologie, et M. Vinton, qui a toute la partie graphique sous sa direction. Me renfermant le plus pos- sible dans ma mission, je visitai particulièrement les cours de dessin : on me montra des projets de construction et d'exploita- tion; chaque dessin, dans un concours, est appuyé d'un mémoire. La création de l'école est récente, elle date de novembre 1864; la durée des cours est de trois ans; le premier diplôme de capacité fut délivré en 1867. Les examens sont sévères, mais l'élève qui bon 3 De ne réussit pas à la fin de sa troisième année n’est pas exclu et peut continuer à suivre les cours. Le nombre des diplômes délivrés jusqu'ici est de 21. Il y a en ce moment 30 élèves. C'est un bon résultat pour une école aussi nouvelle et qui a beaucoup d'avenir par suite des chances de placement avantageux pour ceux qui en sortent. | L'école normale des institutrices est une création nouvelle; elle a onze cents élèves; c’est aussi une installation provisoire, in- telligente, surtout dans la grande salle qui contient mille élèves; elle est construite de façon à pouvoir à volonté se diviser en dix salles séparées au moyen de cloisons sur coulisses d’un usage très-facile et que l'on utilise comme tableaux noirs, ou à ne pré- senter qu'une seule salle pour un cours s'appliquant à tous les élèves en même temps. J'avais été amené par M. Gray, président de l'académie, qui voulait savoir ce que je pensais de la méthode élémentaire de M. Bail; elle est très-pratique et se ressent de son origine allemande; c'est du dessin géométrique élémentaire allant jusqu'aux principes de la perspective. Le professeur faisait sa première lecon , nous y avons assisté. Cet établissement a, je crois, beaucoup d'avenir. BOSTON. Le collége Harward, à Cambridge, près de Boston, m'attira tout d’abord par sa grande réputation; je croyais y trouver des cours de dessin, je fus désappointé; il n’en est pas question. Je rendis visite au savant professeur de botanique, M. Aza Gray, qui me montra sa collection, le musée Agasis, l'observatoire, et me permit d'assister à l’une de ses leçons. L'institut de technologie à Boston a été fondé en 1865; il est destiné à former des architectes et en général à montrer les appli- cations des arts à l'industrie. Je {us présenté à M. R. Ware, qui a organisé le cours d'architecture et le dirige depuis 1868; il a une vingtaine d'élèves; les salles de travail, en même temps servant aux cours, sont bien comprises; elles sont entourées de tableaux noirs qui permettent aux élèves de chercher et de se rendre compte de leurs idées, sans crainte de s'engager dans un dessin définitif; cette mesure me paraît bonne et pratique; J'engagerais à en mul- tiplier l'usage autant que possible dans nos écoles. L'institut -de technologie, appelé à un bel avenir, est encore tellement nouveau , * — 133 — que je ne crois pas qu'il y ait lieu de porter sur lui un jugement définitif. L'institut Lowell, où je fus conduit par M. Ch. Perkins, membre correspondant de l'Académie des beaux-arts de Paris, a des cours de dessin appliqué à l'industrie; ils ont lieu le soir et sont gra- tuits; il faut avoir dix-huit ans pour y être admis et adresser une demande écrite à la section de la Faculté; on y fait des conférences sur la chimie, la minéralogie, la littérature, l'histoire anglaise, la physiologie et la langue française; près de cinq cents élèves sont inscrits, mais les salles ne pourraient pas recevoir un nombre semblable, et pour le dessin, il n’y en a que quinze à vingt. L’Athénée a une bibliothèque avec salle de lecture pour les Journaux; c’est la partie la plus fréquentée. Au-dessus est une ga- lerie contenant des tableaux anciens et servant également pour les expositions des artistes contemporains. Dans un projet qui s’élabore actuellement, cette collection doit former le noyau d'un nouveau musée. Il y a une seconde bibliothèque publique dans la ville; c'est là que M. Appleton a donné sa collection de gravures. Le Conservatoire de musique a une salle pouvant contenir deux mille cinq cents auditeurs; c'est le lieu où se donnent les concerts de Ja ville; au fond, vis-à-vis de l'orchestre, est un orgue superbe indiquant suffisamment la part réservée à la musique religieuse. On y donne des leçons de solfége, de composition et de contre- point. Il ÿ a un établissement semblable, pourvu en plus d’une belle bibliothèque artistique, dans la ville de Baltimore: il a été offert à ses concitoyens par M. Peabody qui lui a donné son nom: on peut les réunir dans une même description. Ce dont on m'a beaucoup parlé à Boston, c’est du projet de construction d'un musée des beaux-arts, auquel la plupart des fon- dateurs s'engagent à léguer leurs richesses artistiques; les tableaux de l’Athénée y seront apportés. Là devront s'établir des cours de dessin, de peinture et de modelage; ce sera une véritable Acadé- mie des beaux-arts. NEW-HAVEN. Le collége de Yale à New-Haven est un de ceux qui jouissent de la plus grande réputation aux États-Unis. Je me rendis dès mon arri- vée au musée; j'y trouvai M. Weir, qui dirige le département des beaux-arts. Il a six élèves seulement pour la peinture; il fait six / — DD — conférences sur l'esthétique à trois cents élèves des classes de science et de philosophie; son enseignement est surtout oral. Le maître de dessin est M. Bail, il a cent trente élèves; J'ai pu constater que tous les modèles employés venaient du cours publié par Gou- pil, qui a obtenu la grande médaille d'honneur en 1869 à l'ex- position universelle d'Amsterdam. Les cours de dessin et de pein- ture se divisent à Yale en deux termes de quatre mois chacun. Le premier dure du 15 octobre au 28 février, avec vacances de quinze jours à Noël. Le terme d'été commence au 1° mars et finit au 30 juin; c'est alors qu'a lieu lexposition des œuvres d'art, du 30 juin au 2 septembre. Le prix des cours est de 400 francs par an pour le dessin, et de 600 francs par an pour la peinture. Les élèves ne peuvent être admis dans ces classes qu'en appor- tant un dessin comme preuve d'aptitude, et ne peuvent passer au cours supérieur, la peinture, sans subir une nouvelle épreuve devant le conseil de la Faculté. WASHINGTON. Je visita, avec M. le général Eaton, le département des terres publiques; c'est au moyen de concessions de terrain que se cou- vrent en partie les dépenses des écoles primaires ; les autres frais sont supportés par les taxes que s'imposent les différents États; ainsi on arrive à avoir des écoles dans presque tous les villages, surtout près des grands centres et sur le littoral. Le bureau des patentes et la galerie des modèles brevetés donnent un peu l’idée d’une exposition permanente, beaucoup de commis ou de préposés étant auprès des vitrines pour donner des explica- tions au public, et même pour vendre quand ce sont des objets portalifs. L'institut Smithsonian, fondé par M. Smithson, dans le but d'augmenter et de répandre les connaissances scientifiques, est installé d’une facon charmante au milieu d’un beau parc qui en- toure la ville de Washington. Il renferme des galeries de minéra- logie, de paléontologie et d'histoire naturelle, très-riches au point de vue des produits américains. L'administration a fondé une bi- bliothèque nationale au Capitole et est en rapport avec tous les savants et les sociétés savantes du monde; elle recueille tous les L2 — A0 — documents qu'on lui envoie, même ceux qui ne lui sont pas desti- nés, et les expédie à leur destination. C'est le seul établissement en Amérique qui centralise les correspondances; il jouit presque partout de la franchise, à la poste, sur les bateaux à vapeur et sur les chemins de fer, même dans ses rapports avec l'Europe. Son ambition, c'est de devenir le centre des échanges scientifiques de l'univers. | ECOLE NAVALE D’ANNAPOLIS. En visitant cette école, j'appris que l'élève en entrant déclare sous la foi du serment son nom, ses prénoms, le lieu et la date de sa naissance. Îl n'y a pas de concours; les candidats sont présentés par un membre du Congrès, au nom de chaque État qui a droit à une place d'élève. Le district de Columbia en fait autant pour un élève au moins et dix au plus. Les candidats doivent avoir de quatorze à dix-huit ans. L’exa- men d'admission porte sur la lecture, l'écriture, l’art d’épeler, l’'arithmétique, la géographie et la grammaire anglaise; ainsi ils doivent lire sans hésiter dans un livre de narration anglaise, écrire sous la dictée et pouvoir épeler les mots à haute voix; en arith- métique, on les questionne jusqu'à la règle de trois inclusive- ment; en géographie, on s’en tient aux éléments; en grammaire, une connaissance complète de l'orthographe anglaise. Aussitôt l’exa- men passé, en ças de réception, l'élève reçoit son traitement comme midshipman; il est indemnisé de ses frais de route; il signe un engagement de huit ans dans la marine de l'État, ses années d'école sont comprises comme service actif. L’élève s’habille à ses frais et apporte son trousseau; il doit de plus déposer avant son entrée 100 dollars entre les mains de l'officier payeur pour couvrir ses frais d'acquisition de livres, etc. La durée des études est de quatre années : pendant les deux premières, les élèves acquierent à peu près les connaissances exi- gées en France pour l'admission à l'école navale; pendant les deux dernières, ils suivent à peu près les cours de nos écoles. Les cours de dessin changent de nature suivant les différentes périodes de l'éducation; les premiers six mois de la deuxième année, ils font du eroquis de paysage et de marine; la seconde partie de l’année, du dessin de machines; la troisième et la quatrième année, du croquis de machines d'après des modèles en relief-et en nature, en k — al — dehors de la direction du maître. I y a trois professeurs, qui ont chacun trente élèves. BALTIMORE. L'institut de Maryland à Baltimore a pour professeur M. Wood- -worth; c’est une école libre entièrement destinée à l'étude des beaux-arts. On y fait des cours du jour et du soir; il y a dix pro- fesseurs adjoints à M. Woodworth; il m'a déclaré cinq cents élèves hommes et soixante élèves femmes; j'ai vu un des ateliers, grand et bien éclairé; on y travaillait d’après la bosse. L'entretien des professeurs et de l’école est payé par le revenu de la donation du fondateur , par les entrées de l'exposition et par les cotisations des élèves. C'est la plus nombreuse école de ce genre que j'aie rencon- trée en Amérique; elle pourrait acquérir une grande importance. À la fin de l’année, on délivre un diplôme de capacité à. ceux qui sont assez habiles pour fournir un dessin original sur des sujets se rapportant à l’art ou à l’industrie. Je joins à mon rapport le prix des leçons et le programme de l'école. PHILADELPHIE. Les préparatifs d’une exposition ne me permirent pas de visiter l’Académie des beaux-arts de cette ville. WEST-POINT. West-Point, l'École militaire des États-Unis, a fourni tous les officiers qui sont devenus célèbres dans la dernière guerre. Elle est construite sur les bords de l’'Hudson, à deux heures de New- York par le chemin de fer. L'école est dirigée par le général Pitcher. Je visitai la galerie des modèles contenant des spécimens de mécanique, de construc- tion, de fortification pour le génie militaire; l'arsenal, riche en souvenirs historiques. et en armes offensives, pourtant bien moins important que je ne l'aurais supposé; la bibliothèque, la chapelle, puis l’école de dessin. Les élèves restent quatre ans; ils suivent les cours de dessin pendant la seconde et la troisième année, M. Weer, le professeur, me déclara en avoir quatre-vingt-treize. Il y a une galerie où a lieu, à la fin de l’année, Fexposition des meilleurs dessins et où se trouvent conservés les travaux qui ont été récom- pensés précédemment. MISS. SCIENT. — VII. 20 cn Cette école, quoique tenue militairement , diffère complétement des nôtres par son aspect et par son installation. C’est une réunion de grandes constructions, les unes servant d’amphithéätre ou ren- fermant des galeries de modèles; les autres, des logements pour les élèves ou les professeurs; le tout sans mur d'enceinte, sans un poste, sans un concierge; on circule partout comme dans une pe- tite ville. En dehors des heures de cours, les cadets étudient dans leurs chambres où en se promenant; ils ont déjà la liberté dont jouissent les officiers. J'ai retrouvé cette même organisation au collége Harward et à celui de Yale; ce qui est encore plus frap- pant, ces universités étant installées au milieu d’une ville. Je joins à ce rapport : 1° Une brochure publiée à la Haye, sur l'organisation des écoles moyennes; | | 2° Le catalogue annuel de l'institut de Massachusetts ; 3° Le catalogue du collége de Yale à New-Haven ; 4° Le prospectus des cours de dessin de l'institut de Maryland , à Baltimore, et différentes autres pièces. Je suis avec respect, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence, le très-humble et très-obéissant serviteur, Armand Dumarese. — NAS — ERRATUM. Dans l'interprétation du grafito cité à la fin de l'article intitulé Descriplion des restes d'un édifice antique à Palerme, on a proposé deux lectures et marqué qu’on inclinerait à adopter plutôt la première EITA THPA H MONH FYNH Ita est; præmia sola uxor. Mais, pour que cette lecture soit valable, il faut supposer que FHPA est pour F'EPA. Or si la substitution de la lettre double H à la lettre simple E n’est pas sans exemple, elle est cependant fort rare. La seconde lecture indiquée, EITA FHPAH MONH TYNH Ita est, senescat sola mulier. Eh bien! Qu'elle vieillisse donc dans son isolement. ne demande aucune substitution de lettres, et, pour cette seule raison, doit être - préférée. Le sens aussi en est plus naturel et plus familier. C’est à cette dernière lecture qu'on croit devoir s'arrêter décidément. n B. Aupé. Ana sécténess WE SAT RO tt MG TRONS FER 20 CvÆ $ k LTÉE LEUU LR ET de + dé" Fe i EURE) ti ie “ # S+à 1 4 = ji votre gai 4 (ete tubes sbsolost gli te Fine Late EC <. HO ab TT LES & assiof xuoh.) boue à m0: Man es : NM 4. sl us LÉ FAT a PR ES NS ER LEO ES peste ic pén si Toi et ner à LA Te | \ Tue + sta RS 40 te Ad : dé West pe: ji, stdetar. Jiaë #7 re 24. hat JE slqenia qula tu à Hs 9 Hrob sl nl al HA à MEL fol Eat | 74 fe TE FE es A HA L'HMOM. HAG4H AT fs aîve Jhierenns nr" PT PE x Horoleir wox aol" sal arailhans ds ot TU à Mob, dit Murs 91119 186 . j4 us id soit urbadud 7, vdi lus $ Ro) rails mis 13 Janet Lis ea te us s iuA: à x, ; RAPPORTS SUR UNE MISSION A MADAGASCAR, PAR M. ALFRED GRANDIDIER. _ PREMIER RAPPORT: Antananarivou, Îe 1°* octobre 1860. Monsieur le Ministre, Chargé d’une mission scientifique par votre arrêté en date du 9 octobre 1867 à l'effet de continuer à Madagascar les recherches de géographie, d’ethnologie et d'histoire naturelle que jy avais en- treprises en 1865 et 1866 sous les auspices de votre ministère, et dont les résultats ont été consignés dans un rapport précédent, j'ai quitté la France le 9 novembre de la même année. Le vapeur des Messageries impériales l'Émirne m'a déposé à l’île de la Réunion au commencement du mois suivant. J'ai jugé prudent d'attendre la fin de l’hivernage avant de me rendre à la grande île africaine, et ce n’est qu'en mai 1868 que j'ai mis sous voile pour la côte ouest de Madagascar, à bord du trois-mâts barque l’Infatigable. Ce navire devait toucher à Yaviboule, port que fréquentent de temps en temps des caboteurs de la Réunion. Craignant de dépa- ler à cause des courants violents qui portent au sud dans ces pa- rages, nous vinmes atierrir à la bouche de la petite rivière de Farafangane; j'ai pu, grâce à cette circonstance, constater par des observations méridiennes prises au sextant que les embou- chures de toutes les rivières situées entre Farafangane et le fort 1 Pour les rapports adressés au Ministre par M. Grandidicr sur son premier voyage à Madagascar, voir le tome IV des Archives des Missions scientifiques, page 567. MISS. SCIENT. — VII. 30 LS on II ee Dauphin étaient mal placées sur les cartes; J'ai rectifié ces erreurs et recueilli avec soin les noms malgaches des diverses localités que j'ai visitées. À Les capitaines des navires envoyés à Madagascar ignorent sou- vent la position géographique du lieu de leur destination; les noms de la plupart des ports secondaires sont en effet ou faux ou mal placés sur les cartes, et les marins qui sont depuis longtemps habi- tués à cette navigation se gardent bien, dans un but d'égoïsme blämable, de communiquer à leurs collègues les résultats de leur expérience; aussi y a-t-il souvent grande perte de temps pour trouver le port où doit s’opérer le chargement. J'ai jugé utile pour la science, comme pour le commerce, de relever ces erreurs. Le capitaine de l’Infatigable, vieux praticien de la côte sud-ouest, n'avait jamais été sur la côte est, et nous avons eu quelques dififi- cultés à trouver le point où nous devions relàcher. Voici le résultat de mes observations : L’embouchure de la rivière d'Andranambé est par 22° 30’ lat. S. de Farafangane 22° D3' de Ménanare 20 121 de Massianake 20 2 D —— de Mananboundre 23 1900 de Sandravinany NES de Yaviboule 24° 15’ de Mananténa 24° 30! D'Yaviboule, nous avons fait route directement pour Tulléar, ville que j'avais choisie pour être, pendant quelques anois, le centre de mes opérations. J'y suis arrivé le 20 juin 1868. Mon premier soin fut d'aller visiter le roi de Fihérénane Lahimerisa, que j'avais connu dans mes voyages précédents et avec qui je con- tractai le fatidra ou serment du sang; je savais que le peuple saka- lave m'avait donné, en 1866, la réputation de sorcier dangereux, et je voulais mettre le roi du pays dans mes intérêts à force de cadeaux, Bien m'en prit, car j'eus, pendant mon séjour à Fihéré- nane, de nombreux kabars ou procès publics, sous la prévention de sorcellerie, et ce ne fut que grâce à la protection royale que je pus en sortir sain et sauf. Je dois dire à Votre Excellence, Monsieur le Ministre, qu'aucune accusation n'est plus dangereuse dans ces contrées sauvages que — 47 — celle de sorcellerie; si le prétendu crime est prouvé, une mort im- médiate est la punition du coupable. Il n’y a pas de peuple au monde plus stupidement superstitieux que les Malgaches. Pour les Saka- laves comme pour les autres tribus, aucun fait n'arrive naturelle- ment ; bonheur et malheur, tout est dû aux sorts et aux talismans. Que de tracas et d’ennuis incessants j'ai endurés sur toute la côte ouest, à cause des craintes absurdes que les habitants éprouvent contre les sorciers! or est sorcier tout individu qui se distingue d'autrui par ses actions et par ses paroles. Je me suis étendu sur ce sujet parce qu'il serait impossible au- trement de comprendre les difficultés que j'ai éprouvées, en cer- tains cas, à poursuivre mes études et les obstacles insurmontables qui, en d’autres circonstances, mont empêché d'arriver au but que je poursuivais avec persévérance. Si l'intérêt n'était le motif le plus puissant des actions des Malgaches, j'eusse été certaine- ment réduit à l’impüuissance la plus complète. En revenant du village situé sur le bord du Manoumbe où réside le roi, le hasard fit tomber, pendant la veillée, la conversa- tion sur un animal nommé soungahoumbé, animal dont on parle dans tout Madagascar, mais que personne n'a vu, et dont je met- tais l'existence en doute. « Il y a encore là des ossements témoins irrécusables de l'existence de cet animal, » me dit l'oncle de Lahi- merisa, en me montrant une plaine non loin de notre campement. Je m'empressai de me rendre sur les lieux le lendemain matin, et je fis, au grand scandale du peuple sakalave, des fouilles qui amenèrent la découverte d’ossements subfossiles d’un grand in- térêt. Voici les pièces principales des collections que j'ai pu former à Amboulintsatre : 1° Un fémur, un tibia, un péroné, deux vertèbres d’Epiornis maæimus et deux fémurs d'espèces d'Epiornis plus petites (Ep. medius et Ep. modestus). J'ai aussi recueilli dans cet endroit, ainsi que sur divers points de la côte entre le cap Sainte-Marie et Etséré, des fragments d'œufs, parmi lesquels j'ai distingué plusieurs espèces très-distinctes par la conformation des trous d'air ainsi que par l'épaisseur de la coquille; j'en ai même un en ma possession qui n’est pas plus épais que celui d’un œuf d’autruche; 2° Les débris d'environ cinquante hippopotames d’une espèce nouvelle (Hippopotamus Lemerlei, nob.) qui prouvent qu'à une 30. — 48 — époque rapprochée il existait à Madagascar, contrairement à ce qu’on avait cru jusqu'à ce jour, des pachydermes voisins de ceux de l'Afrique; 3° Le plastron, le bassin et l'omoplate d’une tortue terrestre d'espèce nouvelle ( Testudo abrupta, nob.); | 4° Divers débris d'un crocodile d’espèce nouvelle (C. robustus). À Etséré, j'ai aussi découvert, enterrés dans le sable, les restes d'une émyde colossale que j'ai inscrite dans nos catalogues zoolo- giques sous le nom d'Emys gigantea. De retour à Tulléar, je me suis occupé de lever le plan de la baie de Saint-Augustin; j'avais à mesurer une base qui püt me servir de point de départ pour les relèvements trigonométriques que je me proposais de faire en traversant Madagascar de l’ouest à l'est, et aucun lieu ne pouvait mieux me convenir pour cette me- sure. Ce travail terminé, j'entrepris l'hydrographie de la rivière Saint-Augustin jusqu'à une distance de 30 lieues environ de son embouchure; je me suis servi de la méthode des signaux naturels si habilement mise en pratique par M. Antoine d’Abbadie. Malheureusement j'ai été arrêté dans mon voyage par la guerre qui éclata, en septembre 1868, entre les Antanosses et les Bares. Les Antanosses émigrés étaient le seul peuple chez qui je pouvais trouver des porteurs et sur lequel je pusse compter pour m'accom- pagner jusqu'à la côte est. Les Bares, les Mahafales et les Antan- drouïs sont des tribus adonnées au vol, au pillage, au meurtre, et me mettre entre leurs mains avec mes marchandises de troc et mes instruments de géodésie, c'eût été signer mon arrêt de mort. J'en puis parler par expérience, ayant été pillé par les Mahafales et ne m'étant pas retiré de leurs mains sans peine ni sans danger. À Je restai quelques semaines chez les Antanosses : j’espérais voir le pays se pacifier; mais rien ne changea dans l'état des choses, et la fièvre m’ayant beaucoup affaibli, il fallut me résigner à rega- gner au plus vite la ville de Tulléar, où je pouvais trouver quel- ques secours à bord des navires de commerce. Ainsi se termina malheureusement, par suite des circonstances fâcheuses que je viens d'exposer, ce premier voyage pendant lequel j'ai pu toute- fois faire le relevé du cours d’une des principales rivières de Ma- dagascar. Ce n'est qu'après une assez longue convalescence qu'il m'a été os indé his TNT NC TES — 49 — possible de reprendre mes travaux géodésiques. Je suis allé d’abord reconnaître l'existence du grand lac salé de Mananpetsoutse qui est situé à 3 lieues de la côte mahafale; ce lac, dont la pointe nord _est par 24° de latitude environ, s'étend jusqu'à 30 milles dans le sud. Jai ensuite essayé de faire l'hydrographie de la rivière de Fihérénane; à mon grand regret et malgré les ordres formels du roi, les chefs du pays ont arrêté mes travaux à 20 milles environ de la côte. Pendant mon séjour dans les États de Fihérénane, j'ai fait de nombreuses collections parmi lesquelles je citerai trois mammi- fères d'espèce nouvelle : | 1° Le Chirogalus Samati; 2° le Chirogalus gliroides; 3° l'Echi- nops Mivarti; Et onze reptiles de l’ordre des sauriens, également nouveaux : 1° Le Platydactylus mutabilis ; 2° lOplurus montanus; 3° l'Oplurus saxicola; 4° lOplurus Fiherenensis; 5° le Gerrhosaurus Kerstenü ; 6° le Gerrhosaurus laticaudatus ; 7° le Tracheloptychus Petersii; 8°TEu- prepes bilineatus ; 9° le Gongylus Pollenü; 10°le Scelotes Fiherenensis ; 11° l’Acontias rubrocaudatus. | Je n'avais plus rien à faire sur ces côtes inhospitalières, et je les ai quittées, au mois de février 1869, pour me rendre au Ménabé. Tout le long du voyage j'ai pris de nombreuses latitudes de manière à rectifier la position des villages et des points les plus ‘importants, et j'ai noté avec soin les noms des baies et des criques. Pendand la saison pluvieuse, il m'a fallu hiverner à l’embou- chure du Mouroundava dont j'ai tracé le cours jusqu a Mahabou, fort ova très-important. Au Ménabé, j'ai recueilli les mammifères nouveaux suivants : 1° Le Nyctinomus leucogaster; 2° l'Hypogeomys antimena; 3° le Galidictis vittata rufa, var. nouv. En outre de ces espèces nouvelles, j'ai collectionné une grande quantité d'animaux en peau, en squelette et dans l'alcool, ani- maux que je savais être intéressants pour le Muséum d'histoire naturelle, ou utiles pour les études anatomiques. À la fin des pluies, j'ai recommencé mes travaux géographiques, et j'ai fait lhydrographie du Tsidsoubon et du Mananboule, deux des plus grandes rivières de la côte ouest, jusqu'à une quinzaine de lieues dans l'intérieur; il m'a été impossible, malgré les ca- — 50 — deaux que j'ai libéralement distribués au roi et aux chefs, de pousser plus avant. Je n'ai donc malheureusement pas visité le grand lac d’Andranoumène qui est situé sur la rive droite du Tsidsoubon , à une distance de 20 lieues de la côte. Le Tsidsoubon, qui est navigable pour les pirogues jusqu'à 30 lieues environ dans l'intérieur, sera plus tard d'une grande importance pour le commerce. En m'avançant vers le nord, j'ai éprouvé de grandes difficultés, et il m'a été complétement impossible de pénétrer dans l'intérieur du Mahilak, du Marah et du Milanza, trois peus États indépen- dants compris entre le cap Saint-André et 18° 20 de latitude sud. Ma réputation de sorcier dangereux m'avait précédé dans ces pays, et je m'y trouvai en butte aux hostilités des négriers arabes qui font la traite sur cette côte et nourrissent une haine profonde contre les Européens, aussi bien qu’à celles des Sakalaves du nord qui obéissent à leur influence. Force me fut de me rendre direc- tement à Madsanga, dans la baie de Bombétok, pour monter à Tananarive. Je n’en ai pas moins étudié la côte , et j'ai pu recueillir un certain nombre de renseignements intéressants sur ces contrées inconnues. La route qui conduit de Madsanga à Tananarive passe par les pays les plus désolés, les plus stériles et les plus déserts qu’on puisse imaginer. On marche d'abord pendant cinq à six jours à travers des plaines de terrain secondaire qui sont arides et cou- vertes d’arbustes rachitiques, mais qui néanmoins présentent, çà et là, quelques petits bois; dès qu’on atteint la chaîne granitique qui s'étend obliquement du sud d'Imérine jusqu'à Anourountsan- gane, on ne trouve plus pendant dix à douze jours qu'une mer de montagnes, sans un arbre et sans une plante, sauf une herbe gros- sière. Ce pays n’est pas et ne peut pas être peuplé; les Ovas ont ce- pendant quelques postes échelonnés sur la route pour la facilité des communications avec Madsanga. La rivière du Betsibouka, qui tombe dans la baïe dé Bombétok et que j'ai suivie pendant une partie de la route, ne peut pas se remonter au delà d’Amparibé à cause des rapides qui y existent en grand nombre. Un affluent du Betsibouka, l’Ikioupa, est navigable quelques lieues plus au sud jusqu'à Maévatanane, mais il faut encore de huit à neuf jours de marche pour se rendre de cette ville à Tananarive. Des diverses routes qui rayonnent de la capi- — 51 — tale ova vers l'est et l’ouest, celle qui est la plus courte est certes celle d'Andouvourante, et on la rendrait par quelques travaux d'art plus facilement praticable que n'importe quelle autre; elle est du reste la seule où l'on trouve à chaque pas des villages et par conséquent des vivres. Tracer une bonne route du côté de l’ouest serait un travail gigantesque, et encore ne faudrait-il pas choisir celle de Madsanga, mais celle du Mananboule qui passe par le fort ova d'Ankavandre. À Jai fait avec soin, minute par minute, le tracé de la route de Madsanga à Tananarive; mon itinéraire donnera des notions nou- velles sur cette partie de l'ile de Madagascar. Toute la région sud et ouest de Madagascar, comprise entre les montagnes granitiques qui longent la côte est, le pays des Betsiléos et la grande chaîne plutonique qui existe à 100 milles environ de la côte occidentale, appartient au terrain jurassique. Dans toute cette vaste étendue, le sol n’est cultivable et le pays par conséquent n'est habité que le long des cours d’eau assez rares qui l’arrosent. La limite nord des terrains secondaires me paraît être la côte sud de la baie de Narinda. Le reste de file, sauf la région située en face de Nousibé, et peut-être le pays des Betsiléos où il y a des montagnes micaschisteuses, est granitique; toute la partie ouest de cet immense massif est à peu près stérile, la partie orientale offre au contraire des vallées fertiles et une ligne non interrompue du nord au sud de forêts assez belles, mais étroites, qui se relient a celles de la côte ouest. Voici le résumé succinct des travaux que j'ai pu faire en ce qui concerne la physique du globe : J'ai, jusqu’à ce jour, fixé la latitude de quatre-vingt-un villages par des observations circumméridiennes au théodolite : j'ai toujours retourné l'instrument à chaque observation; je compte soixante, quatre-vingts et méme cent observations pour les villes les plus importantes. J'ai obtenu les longitudes de quatre localités par des occultations d'étoiles par la lune, de dix par des angles horaires de lune, de cinq par des distances lunaires. Pour l'hydrographie des rivières de Saint-Augustin et de Fihérénane, j'ai fait au théo- dolite soixante-treize tours d'horizon, comprenant un total de. mille relèvements. En outre de ces travaux géodésiques, J'ai tenu, aussi régulière- ment que le permettent les hasards des voyages, un registre où PSE ES sont consignées trois fois par jour, à neuf heures du matin, à midi el à quatre heures du soir, les observations du baromètre, du thermomètre et du psychromètre, avec indication du vent, des nuages et des températures maximum et minimum. Pour l'étude du magnétisme à Madagascar, J'ai déterminé jus- qu'à ce jour, en douze endroits différents, la déclinaison, lincli- naison et l'intensité absolue de l'aiguille aimantée. Malheureuse- ment les instruments dont je disposais étaient loin d’être parfaits. Pour ce qui regarde l’histoire naturelle, j'ai réuni des collections de mammifères, d'oiseaux, de reptiles, de poissons et d'insectes des divers ordres, de plantes et de bois. Je me suis aussi occupé de prendre des mensurations sur des individus de tribus diverses, autant que Îles superstitions me l'ont permis, et j'ai rapporté une série de types, obtenus au moyen d’un appareil photographique, pour l'étude de l'anthropologie à Madagascar; je n'ai pas non plus négligé d'étudier dans tous leurs détails les mœurs, les langues, la religion et les traditions orales des diverses peuplades parmi lesquelles j'ai vécu. _ Voilà, Monsieur le Ministre: le résumé de mes derniers travaux. Toutes mes collections, au fur et à mesure, sont expédiées en France au Muséum d'histoire naturelle de Paris. Je conserve par devers moi les divers registres où sont consi- gnées mes observations astronomiques, magnétiques et météoro- logiques pour en faire plus tard le calcul et dresser une carte plus exacte que celles de fantaisie qui ont paru jusqu'à ce jour. Je pars dans quelques jours pour aller déterminer la position géographique du grand lac d’Antsianake; à mon retour, je me rendrai à la côte ouest par la route de Mouroundava pour mieux fixer la direction générale des principales chaînes de montagnes qui traversent Madagascar du sud au nord. Je me propose ensuite de terminer mes recherches dans la grande île africaine, en la traversant de l’ouest à l’est à travers É pays des Betsiléos. J'ai l'honneur d’être, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence, le très-humble et très-dévoué serviteur, Alfred GRANDIDIER. — 53 — SECOND RAPPORT. Paris, Le 15 juillet 1871. Monsieur le Ministre, Les explorations que j'ai entreprises dans l’ile de Madagascar, sous les auspices du ministère de l'instruction publique, sont ter- “minées. J'ai fait trois voyages successifs dans cette île, lun en 1865 sur la côte nord-est, l'autre en 1866 sur les côtes sud et sud-ouest, le troisième de 1868 à 1870 ; pendant ces dernières années, j'ai réussi à traverser trois fois l'ile de l’ouest à l’est, et j'ai complété mes observations d'hydrographie sur les côtes ouest, nord-ouest et sud-est. Jai déja envoyé plusieurs rapports sur les travaux de géographie et d'histoire naturelle que j'ai faits à Madagascar; je résumerai aujourd'hui les résultats de mes études qui jettent un jour nouveau sur cette île inconnue. Des obstacles insurmontables avaient, jusqu’à ces dernières années, empêché toute exploration sérieuse et méthodique à Ma- dagascar. Les relations qu'ont publiées divers auteurs ne méritent pas la confiance qu'on leur a accordée jusqu’à ce jour; elles sont le plus souvent inexactes. L'histoire de Madagascar, par Flacourt, est la seule qui porte le cachet de la vérité; ce que le gouverneur du fort Dauphin écri- vait en 1645 sur la peuplade des Antanosses est vrai encore de nos jours. L'History of Madagascar d’Ellis n’est que lhistoire du peuple ova ; le premier volume, où sont décrits les mœurs et les usages de cette tribu, est véridique, mais, dans Ja partie historique, il règne une partialité évidente en faveur du roi Radama [”, auquel l'écri- vain, dans l'intérêt de la mission protestante, a voulu concilier, souvent au détriment de la vérité, les sympathies des Anglais. On pourrait s'attendre à voir citer à la suite des deux ouvrages précédents les Visites a Madagascar par M. Leguevel de Lacombe. Cet auteur raconte qu'il a traversé à diverses reprises l’île du nord au sud, de Fest à Fouest, et il donne les détails les plus précis sur ses voyages; il a menti audacieusement, et c'est de son imagination que sont tirés les récits auxquels les géographes ont attaché tant d'importance que les cartes de Madagascar sont faites, jusqu'à ce Due jour encore, sur les données topographiques puisées dans ce: où- vrage. M. Leguevel de Lacombe n'a jamais quitté le petit district de Tamatave. Parlerai-je maintenant des nombreuses relations qui nous font voyager avec leurs auteurs de Tamatave à la capitale? Certes, ces notices donnent avec détail les noms des villages où l’on déjeune et de ceux où l’on couche, mais quant aux distances entre les diverses étapes, quant à la description physique du pays, quant aux mœurs des habitants, j'ai de nombreuses restrictions à faire. Qu'il me suffise pour le moment de faire remarquer que tous les voya- geurs ont placé Tananarive au centre même de File, à 120 milles de la côte; cetle ville n’est pourtant pas éloignée d’Andouvourante de plus de trente-cinq lieues environ. Il m'est impossible de donner à présent les positions absolues des points principaux de Mada- gascar, ni de tracer d’une manière définitive les routes que j'ai suivies à travers le pays; il me faut plusieurs mois pour faire le calcul de mes nombreuses observations !, et ce ne sera qu’à la fin de mon travail que je pourrai soumettre à Votre Excellence une carte exacte des parties de l'île que j'ai visitées. Je me contenterai ici de dessiner à grands traits la physionomie de cette île qui a donné lieu à tant d'erreurs et de contradictions, en y joignant une esquisse de mes itinéraires, faite à la hâte, d’ après les renseigne- ments de mon journal de route. DR cette esquisse à la main, les divers voyages que j'ai faits à Madagascar, avant d'exposer les conclusions auxquelles m'ont mené mes études. Votre Excellence jugera ainsi de la con- fiance qu'elle pourra accorder au tableau général que je vais tra- cer d’un pays qui est resté inconnu jusqu'à ce jour. En 1866, après avoir visité lile Sainte-Marie, j'ai voyagé et collectionné pendant six mois sur la partie de côte comprise entre la Pointe-à-Larrée et la baie d’Antongil. En 1867, j'aiatterri au cap Sainte-Marie, la pointe extrême sud 1 J'ai fixé la latitude de 188 points par des séries de hauteurs circumméri- - diennes et la longitude de 29 villes, les plus importantes, par des occultations d'étoiles par la lune, les autres par des angles horaires de lune ou par des dis- tances lunaires. J'ai observé en outre de nombreux angles horaires de soleil pour avoir heure précise du lieu. J'ai, dans mes diverses opéraons trigonométriques , pris plus de 1,500 relèvements au théodolite, et j'ai relevé à la boussole mes di- verses routes, qui ont un développement de 5,500 kilomètres. PET PT RCI = D) — de l'ile, et j'ai exploré toute la côte sud-ouest jusque par les 20° de latitude, faisant de fréquentes incursions dans l'intérieur. En 1868, l'importance de mes travaux précédents me détermina à retourner à Madagascar. J'ai alors étudié la côte sud-est du vingt-quatrième au vingt-cinquième degré, puis, j'ai réexploré la côte ouest entre 24° et 13° de latitude, et j'ai fait l'hydrographie de la rivière Saint-Augustin jusqu’à trente lieues de la côte, celle du Fihérénane jusqu'à huit lieues, et celle du Tsidsoubon et du Manan- boule jusqu'à une distance à peu près égale. J'ai ensuite traversé trois fois l'ile dans toute sa largeur, une fois de Madzanga à Tamatave en passant par l'ananarive, une autre fois de Mouroundava à Maha- nourou en repassant par la capitale ova, et enfin de Matsérouké à Manandzarine. J'ai aussi suivi la plaine d’Ankaye pour aller explorer le lac d’Antsianake dont j'ai pu faire le plan, et je suis revenu à la capitale par une autre route. J’ai terminé mon voyage en parcourant les parties de la côte est comprises entre 20° et 22° 1/2 et entre 19° et 17° de latitude. Telles sont les explorations que j'ai faites à Madagascar et dont je viens en quelques mots con- signer ici le résultat général. DESCRIPTION GÉOGRAPHIQUE, PHYSIQUE ET OROGRAPHIQUE. Madagascar comprend deux parties distinctes, la partie orien- tale qui est toute montagneuse, la partie occidentale qui est re- lativement plate. J'ai reconnu l'existence de cinq chaînes de montagnes, qui ont toutes plus ou moins la même direction et coupent l'ile soit du nord au sud, soit du nord-nord-est au sud- sud-ouest. La première chaîne qu'on rencontre, en allant de l’ouest à l’est, est comprise entre 21° et 25° de latitude. La seconde chaïne, celle du Bemaraha, s'étend du seizième au vingt-cinquième degré; d'abord étroite, elle forme entre elle et la précédente un vaste pla- teau à partir du vingt-unième degré vers le sud. La troisième com- mence vers le vimgt-unième degré et va jusqu'au vingt-quatrième environ. Enfin la quatrième, le Boungou-Lava va de 22° 1/2 à 14°. Ces diverses chaînes sont toutes séparées les unes des autres par des plaines sablonneuses et arides. . Dès qu'on a gravi la quatrième chaîne, on entre dans une région montagneuse tourmentée, dont le niveau général peu élevé ne mesure que 1,000 à 1,200 mètres; il n'y existe d'autre terrain plat — 456 — que quelques petites vallées qu’utilisent les indigènes pour la cul- ture du riz. Depuis le quarante-troisième degré et demi de longi- tude jusqu’à l'océan Indien, on ne trouve qu’une vaste mer de montagnes. En étudiant cetle zone si tourmentée, on y distingue au moins deux chaînes bien distinctes qui ne semblent 'pas con- temporaines. | Les trois premières chaînes, ainsi que les plaines adjacentes, se rattachent à la formation secondaire. Le Boungou-Lava et toute la masse de montagnes à l’est sont dus à un soulèvement grani- tique. On y remarque çà et là des massifs micaschisteux. Le plateau d’'Ankaye, la vallée d’Antsianake, etc., séparent net- tement le Boungou-Lava de la seconde chaîne granitique qui va du fort Dauphin au quatorzième degré de latitude nord; c’est celle-c1 dont on aperçoit les cimes au loin dans les terres, en venant du large, entre Tamatave et Anousi; le Boungou-Lava finit dans le sud vers les 23° environ de latitude, et au delà on ne trouve que des plaines secondaires peu accidentées. On voit donc qu'on est loin de cette arête centrale de montagnes qui aurait divisé l'ile en deux parties à peu près égales et qu'on avait établie sur de simples hypothèses. La montagne la plus élevée de Madagascar est celle d’Ankaratre, qui ne dépasse guère une altitude de 2,000 mètres environ. Elle se trouve à 30 milles dans le sud-sud-ouest de Tananarive. I y à à Madagascar deux versants principaux : le versant de l'est, qui est peu étendu et n’a guère plus de 20 lieues de largeur de la mer vers l’intérieur, et celui de l’ouest qui au contraire donne naissance à des rivières importantes par la longueur de leur cours et par leur volume d’eau. Ce sont les sommets les plus orientaux du grand massif grani- tique central qui forment la limite de ces versants. Sur la côte orientale, la rivière la plus remarquable est le Man- gourou, qui, prenant sa source par 18° dans le sud des montagnes qui séparent le plateau d’Ankaye de la vallée d'Antsianake, coule parallèlement à la mer entre les deux chaînes granitiques jusque par 20°, et là, s’ouvrant un chemin tortueux à travers les mon- tagnes, va se jeter dans la mer à Amboudiharine, à 9 miles au sud du port de Mahanourou. Malheureusement son cours est coupé de rapides et d’ilots de roches, et on ne peut le remonter à plus de quelques milles de son embouchure. Aucune rivière du reste 2 RL | es V0} se de cette côte est n’est navigable, même pour les petites pirogues, au delà de 10 à 12 milles ouest de la côte. Ces rivières sont remarquables par la foule de petits chenaux, larges tantôt de 100 à 200 mètres, tantôt de 2 à 3 mètres seule- ment, et formant quelquefois des lagunes de 2 à 3;kilomètres, qui réunissent plusieurs d’entre elles. De Foulepointe à Matétanane, on peut presque faire le trajel en pirogue; il n’y a que, çà et là, des isthmes variables de 1 à 10 kilomètres, qu'il serait facile de réunir par des canaux creusés de main d'homme dans les marais qui se trouvent presque partout auprès de ces isthmes. Ces canaux sont dus à ce que la mer, amoncelant continuellement du sable sur la plage, ferme les embouchures toutes les fois que le courant des ri- vières est peu rapide. Cette barrière force alors les eaux à se ré- pandre à droite el à gauche, et comme le terrain immédiatement contigu à la plage est bas, il se forme des canaux plus ou moins larges qui réunissent plusieurs rivières ensemble. Beaucoup de ces rivières ont, outre ces barres mobiles de sable, des roches qui em- pêchent les pirogues d'y entrer. Sur la côte ouest, plusieurs rivières sont navigables à 10 et 15 lieues de la côte, surlout à l'époque des pluies ; nous citerons parmi les plus importantes celle du Tsidsoubon, au Ménabé, qu’on peut remonter en pirogue presque Jusqu'au pied du Boungou-Lava, celle de Betsibouka qui se jette dans la mer à Madzanga et que des boutres remontent lors des crues d’eau jusqu’à Maévatanane : en prenant son affluent, l'Ikioupa, on peut arriver même jusque près d’Andriba. Enfin le Mangoukou ou Saint-Vincent se remonte aussi à une grande journée de la mer. Les rivières de l'ouest, près de la mer, courant dans un terrain plat, font peu de détours, et il n’y a pas de perte de chemin comme dans les rivières sinueuses de l’est. Tandis que la côte orientale est coupée à chaque pas par des cours d’eau qui, à leur bouche, sinon à quelques milles plus ouest, paraissent importants par leur largeur, et que la côte nord-ouest est aussi assez riche sous ce rapport, il n’en est pas de même sur les côtes sud et ouest. En partant du fort Dauphin vers l'ouest, on ne trouve que les rivières suivantes : 1° Le Mandréré; 2° Le Manambouvou:; 3° Le Manoumbahy; 4° Le Menarandrane: — 58 — 5° L'Ilinta qui se jette dans la baie de Masikoura et est très- souvent à sec ; 6° Le Saint-Augustin (de lTlinta au Saint-Augustin, il n'existe aucun ruisseau sur une étendue de côte de plus de 50 lieues) ; 7° Le Fihérénane; | 8° Le Manoumbe; g° Le Kitoumbou et le Mangoukou (entre le Manoumbe et Le Ki- toumbou, il n'y a aucun ruisseau sur une étendue de 4o lieues); 10° Le Maitampak el deux autres petits ruisseaux à petite dis- tance; 11° Le Mouroundava; 12° L’Andranoumène ; 13° Le Tsidsoubon et le Mananboule, deux branches d’une même rivière, le Mania. Au nord de cette dernière rivière, les cours d'eau deviennent plus nombreux, et je n’en donnerai pas 1ci le détail, ce qui allon- gerait trop ce rapport. J'ai rectifié la position géographique de la majeure partie des embouchures des rivières de Madagascar, qui étaient mal placées sur la plupart des cartes, et j'ai fixé leurs noms. Madagascar est peu riche en lacs; on peut citer celui d'Antsia- nake, qui est situé à 75 milles environ de la côte est, celui de Tasy, à 20 lieues ouest de Tananarive, les lagunes de Nousivé, de Rasouabé, de Rasouamasay, de Rangazavake, à Mahéla, de Namou- roune et quelques autres moins grandes qui sont, comme ül a été dit, des élargissements momentanés de chenaux parallèles à la côte, les lacs salés de Mananpetsoutse, chez les Mahafales, et d'Héoutry, à Fihérénane, le premier situé à 5 milles, le deuxième à 12 milles de la côte ouest, enfin le lac de Ranoumène, situé sur la rive gauche du Tsidsoubon , au Ménabé. Il y en a encore quelques autres chez les Sakalaves, mais ils sont de moindre importance. HISTOIRE NATURELLE. ‘ile de Madagascar est formée de terrains micaschisteux qu'en- toure vers l’ouest et le sud une vaste zone de formation secon- daire. En certains points de la côte est, malgré les nombreux boule- versements successifs auxquels ce pays a été en proie, j'ai reconnu que le terrain crétacé apparaissait par tache au milieu des détritus micaschisteux. — 159 — Il semble probable qu'autour d'un puissant noyau micaschis- teux s’est jadis développé une immense étendue de terrain secon- daire, formant peut-être un vaste continent dont il ne reste plus que la ceinture occidentale qui peut avoir une largeur moyenne d'une quarantaine de lieues. Cette ceinture s'étend sans disconti- nuité du bord sud de la baie de Narrinda au versant ouest des montagnes granitiques auxquelles est adossé le fort Dauphin. Ce terrain, comme nous l'avons dit, est plat; trois chaines de mon- tagnes, de même formation, qui courent nord et sud, divisent ces plaines en trois bandes parallèles. Quant aux terrains micaschis- teux, ils ont été bouleversés par les chaines granitiques; on les retrouve, çà et là, comme témoins. Il est du reste difficile le plus souvent, à moins de recherches patientes, de se rendre compte quel était le terrain primitif. J'ai constaté l'existence de belles mines de cuivre et de plomb dans les massifs micaschisteux situés à 20 lieues au sud-ouest de Tananarive; nul doute qu'il n’y en existe beaucoup d’autres qui deviendront un jour une source de richesses pour ces contrées. Mais les lois sévères qui sont édictées contre ceux qui recherchent les minerais étant encore en vigueur, il est difficile de réunir des renseignements complets à cet égard. J’ai aussi connaissance de plusieurs mines de lignite; mais on n'a pas, jusqu'à présent, découvert d’autres gisements houillers exploitables que ceux de la baie d'Ambavatoubi et de ses environs immédiats. On a aussi constaté tout récemment la présence de poudre d'or dans le sable d'un des petits torrents qui se jettent dans l'Ikioupa du côté de Maéva- tanane; je ne pense pas que l'exploitation puisse en être fructueuse. Il y a en outre, à Imérine, des mines de manganèse et des gise- ments de plombagine. Je n'ai pas à parler du minerai de fer oligiste qui se trouve à chaque pas dans la partie montagneuse. Le beau cristal de roche ne se trouve que dans les environs de Vouhimarine. Le marbre blanc est commun dans les massifs mica- schisteux du centre de File. Dans les audiences que m'ont accordées la reine de Madagascar et le premier ministre, je me suis efforcé de leur faire comprendre toute lutilité qu'aurait pour leur commerce intérieur et extérieur l'exploitation des mines de cuivre, de plomb et de houille; je me suis efforcé de leur prouver qu'il n’y avait point à craindre une invasion d’'émigrants européens, tant qu'il ne s'agissait pas de = One placers, car l’histoire de la Californie a éveillé chez eux de justes susceptibilités, et j'ai obtenu de Rainilaïiarivouny la promesse qu'il s'occuperait sérieusement de cette question. Jai l'espoir que dans un temps peu éloigné des ingénieurs européens seront appelés par le gouvernement ova pour étudier les mines et en diriger lex- ploitation. La flore de Madagascar est fort riche en formes nouvelles in- connues aux autres contrées. Les forêts n’y sont pas cependant nombreuses. L'ile est enveloppée d’une ceinture continue de bois qui est large de cinq à dix lieues suivant les endroits, et qui est le plus généralement à une petite distance de la côte; mais l'inté- rieur n'est qu'un pays nu, aride, dont les montagnes, formées d'une terre argileuse rouge, impropre à toute culture, ne sont ombragées par aucun abri; à la source des ruisseaux seulement, apparaissent çà et là quelques petits bouquets isolés, vrais îlots de verdure perdus dans cet océan de montagnes. Qu'on aille du nord au sud, de l’est à l'ouest, ce n'est qu’auprès de la mer qu'apparaît la végétation; partout ailleurs il n’y a qu'un sol dur comme la pierre où pousse à peine un chétif et maigre gazon; pas d'arbustes, pas de fleurs. Les fonds marécageux des vallons toujours très-étroits qui séparent ces montagnes {les vallées de Ta- nanarive, de Lalanghine et de Bétafou chez les Betsiléos, seules, ont une certaine étendue) sont convertis par le travail de l’homme en riches rizières: mais les versants et les sommets sont aban- donnés à leur stérilité. Lorsque par hasard, aux portes de quel- ques villages, les indigènes viennent à planter, avec force engrais, des maniocs, des patates, du coton, seules plantes dont la rusti- cité peut jusqu'à un certain point s'accommoder de ce sol, on n'ob- tient que de tristes produits bien propres à décourager le tra- vailleur. Il est certain que la moitié de l’île peut être considérée comme entièrement impropre à la culture, au moins dans l’état actuel de la population et avec les moyens de travail et d’amende- ment dont elle dispose. Le reste de l'ile est moins ingrat; mais, si l'on excepte la partie nord-est qui s'étend de la Pointe-à-Larrée au nord de la baie d’Antongil, il faudrait encore que les colons fissent bien attention au choix des terrains où ils voudraient éta- blir leurs plantations. Je crois que la culture du café aurait chance de réussir dans le nord-est, sur les montagnes de la côte; mais la canne à sucre — AGl — pousse trop vite dans ces régions inondées par des pluies conti- nuelles, et la végétation y est trop luxuriante pour que le vesou soit assez épais et donne un rendement suffisant. Le coton pourrait être cultivé avec chance de succès en beaucoup d’endroits de la côte est et de la côte ouest, ainsi que le sésame et l’arachide. Malheu- reusement les Européens n'ont pas encore le droit de propriété à Madagascar, et en outre ils ne peuvent compter sur les travailleurs qu'ils engageraient à l’année, puisque la reine et ses gouverneurs ont, d'après les traités, le pouvoir de requérir pour la corvée, quand c'est leur bon plaisir, ces travailleurs à gages et de briser violemment leur contrat; la moindre querelle avec le chef de la province sufhirait pour ruiner une entreprise sérieusement établie. Sur la côte ouest et dans le sud de l'ile, où la sécheresse est continuelle , les cultures ne peuvent guère se faire que le long des rivières et des cours d’eau, et comme ceux-ci sont relativement rares, cette partie de l'ile ne parait pas appelée à un grand avenir. La flore de Madagascar a deux physionomies distinctes; celle des côtes est et nord-est est la plus riche, et a déjà été étudiée avec soin par de nombreux savants. Celle des côtes sud-est, sud et ouest est moins variée: elle est aussi bien connue du reste ct il n'y a plus beaucoup de découvertes à faire dans le règne végétal. La flore de l'intérieur est pour ainsi dire nuile, puisqu'on n’y voit que quelques herbes et quelques humbles plantes dont les fleurs dépassent à peine les prairies environnantes. La faune de Madagascar abonde en espèces et en genres parti- culiers à cette ile. Les formes curieuses qu'on y rencontre presqu'à chaque pas donnent à ce pays une physionomie plutôt polynésienne qu'africaine. Ainsi dans l’ordre des lémuriens on retrouve, comme dans celui des marsupiaux, une série parallèle aux mamuifères des autres continents. Les félins s’y présentent sous une forme plantigrade qu’on n’a encore trouvée nulle part ailleurs; les insec- tivores ont aussi un aspect qui leur est propre. Les oiseaux ont du rapport avec ceux de l'Australie; dans ces deux pays en effet, comme le fait remarquer M. Hartlaub, on ne trouve pas un seul représentant de la famille des pics, si répandue en Afrique et en Asie; les perroquets noirs sont particuliers à ces deux contrées, débris de vastes continents de l'âge secondaire qui ont été en partie engloutis par des bouleversements subséquents. Voici la liste des animaux nouveaux que j'ai découverts dans AIISS. SCIENT. — VII. 31 — 02 — mes voyages et que j'ai décrits. Quant aux invertébrés, leur étude n'a pu encore être faite d'une manière assez complète pour que j'en donne ici l'énumération. MAMMIFÈRES : 1° Propithecus Verreauxi (nob.). 2° P. Edwardsii (nob.). | 3° P. sericeus (A. Milne Edwards et À. Grandidier). 4° Lepilemur ruficaudatus (nob.). 5° Chirogalus gliroïdes {nob.). 6° C. Samati (nob.). 7° C. Crossleyi (nob.). 8 Nyclinomus leucogaster (nob.). 9° N. Miarensis (nob.). 10° Vespertilio silvicola (nob.). 11° Felis Cafra, var. Madagascariensis (nob.). 19° Galidictis vittata, var. rufa (nob.). 13° Echinops Mivarti (nob.). 14° Hypogeomys Antimena (nob.). 15° Oryzorictes Ova (nob.). 16° Geogale auritus (A. Milne Edwards et Grandidier ). 17° Choiropolamus Edwardsii (nob.). 18° Hippopotamus Lemerleü (nob.) (fossile). OISEAUX : 1° Ellisia Lantzü (nob.). 9° Prinia chloropetoides (nob.). 3° Bernieria Crossleyi (nob.). h° Coua Coquerelii (nob.). 5° Coua Verreauxii (nob.). 6° Coua cristata, var. pyrrhopyga (nob.). 7° Couu cursor (nob.). 8 Epiornis medius (Alph. Milne Edwards et Grandidier} (fossile). 9° E. modestus (Alph. Mine Edwards et Grandidier) (fossile). REPTILES : 1° T'estudo desertorum (nob.). 2° T. planicauda ([nob.). — 63 — Testudo abrupta {fossile ) (nob.). Dumerilia Madagascariensis (nob.). Emys gigantea (nob.) (fossile). Crocodilus Madagascariensis (nob.). C. robustus (Grandidier et Vaillant) (fossile). Chamaæleo Antimena (nob.). C. Labordei (nob.). C. Campant (nob.). Platydactylus mutabilis (nob.). Hemidactylus Vorimo (nob.). Phyllodactylus Androyensis (nob.). Geckolepis typicus (nob.). Oplurus montanus (nob.). O. saxicola (nob.). O. Fiherenensis (nob.). Gerrhosaurus 4-lineatus (nob.). G. laticaudatus (nob.). G. Kerstenii (nob.). G. æœreus (nob.). Tracheloptychus Petersi (nob.). Euprepes bilineatus (nob.). E. aureo-punctatus (nob.). Gongylus igneo-caudatus (nob. ). G. Pollenii (nob.). G. splendidus (nob.). G. Mouroundavæ (nob.). Scelotes Fiherenensis (nob.). Pygomeles Braconnierit (nob.). Acontias rubro-caudatus (nob.). Psammophis Mahafalensis (nob.). Eucnemis Antanosi (nob.). E. Betsileo (nob.). Dendrobates Madagascariensis (nob.). D. Betsileo (nob.). Phrynoides insularis (nob.). POISSONS. 1° Gobius Grandidierit (Playfair ). — 64 — 2° Xiphogadus Madagascariensis (Playfair). J'ai, en outre, rapporté des spécimens d'animaux adultes qui avaient été imparfaitement décrits sur de jeunes sujets, tels que le Cryptoprocta ferox, l'Eupleres Goudotü, le Propithecus Coquerelu, le Coua Madagascariensis, etc. etc., qui m'ont donné ou me donneront l’occasion d'en étudier l'anatomie. Tous ces animaux ont été collectionnés en peau, en squelette et dans l'alcool, de manière à ce que l'étude puisse en être faite aussi complétement que possible. CLIMAT. Le climat de Madagascar est variable suivant les localités. Tandis que la côte orientale est inondée de pluies conlinuelles durant les moussons du sud-est, l'intérieur de l'île et la côte ouest sont à cette époque dans une sécheresse complète. Lors des moussons du nord-est, les pluies tombent au contraire avec violence dans l’in- térieur de l'ile et sur la côte nord-ouest; la partie est jouit compa- rativement à l’autre saison d'un ciel pur, quoique la plupart des après-midi soient marquées par des orages accompagnés d'éclairs et de tonnerre. La côte occidentale est sujette aux pluies à cette même époque, mais elles n’y sont jamais très-abondantes, et la côte sud est le plus souvent en proie à des sécheresses qui durent des années et ren- dent très-malheureux les Mahañfales et les Antandrouïs, habitants de cette région. Les moussons, plus ou moins déviées, il est vrai, de leur direction réelle par la configuration des côtes, règnent d’une manière régulière dans ce pays, et les brises de sud et d’est y sont souvent très-violentes. € En résumé, le climat de cette île, sur la côte comme dans l'intérieur, n’est pas si malsain qu'on l'a souvent dit, si l’on excepte certaines des baies couvertes de palétuviers et de maré- cages qui se trouvent sur les côtes nord-est et nord-ouest. Je ne puis même qu'exprimer mon étonnement de ce qu'avec la vie de paresse et de débauche à laquelle se livrent beaucoup de traitants européens ou créoles, il n’y ait pas plus de malheurs à déplorer; les décès sont relativement rares, et souvent on attribue à des accès pernicieux des morts dont on devrait chercher la raison dans une tout autre cause. Le danger, toutefois, est plus grand pour les créoles au sang vicié ei à la constitution débile, qu'une — 165 — nourriture mauvaise à affaiblis depuis leur enfance, ou pour les jeunes soldats qui, arrachés à vingt ans à leur foyer, sont trans- portés d’un coup, sans noviciat, dans ces pays tropicaux auxquels ils ne sont päs habitués , que pour des vétérans qui n'auraient pas, je crois, à redouter beaucoup les atteintes de ce climat, si leur vie était régulière. La maladie locale la plus grave est le téty ou koulaha, maladie qui présente tous les symptômes d’une affection syphilitique du deuxième degré avec condylômes parfaitement caractérisés, et qui est certainement indigène. Elle se communique non-seule- ment d'homme à femme, mais d'enfant à enfant par le simple contact dans les jeux. Elle est générale dans tout Madagascar; peu d'individus y échappent, et ils ont des moyens curatifs qui en triomphent à la longue; il s'opère toutefois une décoloration curieuse de la peau aux pieds et aux mains de la plupart de ceux qui en ont été atteints. Une autre maladie très-commune à Imérine, où elle est can- tonnée chez les Ovas, c’est la pierre , qui y fait de nombreuses vic- times. J'ai vu un enfant de huit ans à qui on avait enlevé par la taille un calcul gros comme un œuf de poule. Un enfant encore à la mamelle a dû être opéré pendant mon séjour à Tananarive; le calcul avait la dimension d’un œuf de pigeon. ll y a un médecin anglais attaché à l'hôpital de la Mission indé- pendante ; ce médecin, par sa libre entrée chez les grands du pays et par les services qu'il rend à toutes les familles, exerce une grande influence. Pourquoi n’attacherions-nous pas aussi à notre consulat et à la Mission catholique un. médecin capable qui n’au- rait pas de peine à se concilier, par son savoir et sa conduite, toutes les sympathies et ferait beaucoup pour l'influence française? DIVISION POLITIQUE ACTUELLE. L'ile de Madagascar se divise aujourd'hui en deux parties dis- tincles qui sont à peu près d’égale grandeur, la partie dépendante des Ovas et la partie indépendante, Toute la région située à l’est du 44° degré de longitude et au nord du 22° degré de latitude appartient aujourd’hui aux Ovas qui sous Andrianampouinimérine, Radama I et Ranavaloune l"° se sont successivement rendus mai- tres des diverses provinces comprises dans ces limites. Disons — 166 — toutefois que les habitants de la portion de côte comprise entre Ma- nafiafe et la rivière Ménanare {par 23° 22° de latitude sud environ) se sont révoltés contre leurs oppresseurs et ont secoué le joug; ils sont indépendants. Sont aussi indépendantes les peuplades saka- laves qui habitent les baies de Narinda et de Madsamba et la côte voisine. | Toute la partie ouest et sud de l’île n’a pu encore être sou- mise par. les Ovas et est gouvernée par une foule de chefs, sauf le sud du Ménabé, qui est sous la protection de la reine Rana- valoune. | | Avant le commencement de ce siècle, la division politique du pays était tout autre. La population de Madagascar peut se diviser en quinze tribus qui sont, en suivant la côte du nord au sud et remontant ensuite au nord : 1° Les Antankares; 2° Les Betsimisarakes dont une partie porte le nom de Béta- nimènes ; 3° Les Antambahouakes, gouvernés par les zafi Raminia du nord : h° Les Antéimoures; 5° Les Antéisakes et autres peuplades voisines peu importantes ; 6° Les Antanosses, gouvernés par les zali Raminia du sud ; 7° Les Antandrouïis, comprenant les Tsihénembalales ; 8° Les Mahafales ; | 9° Les Sakalaves, qui se divisaient et se divisent encore en : Antifihérénanes, Antimènes, Antimahilakes, Antimarahas, An- timilanzas, Antamboungos, Antibouénis. Les peuples de l'intérieur sont: 10° Les Antankays du nord {tribu de Sakalaves) ; 11° Les Antantsianakes; 12° Les Ovas; 13° Les Bezanouzanes (nommés souvent aussi Antankayes du sud) = | 14° Les Betsiléos: 19° Les Bares. I ne faut pas croire que chacune de ces peuplades était jadis constituée en nation, obéissant à un souverain unique. Toutes avaient plusieurs chefs qui, quoique parents, étaient le plus sou- — 67 — vent en guerre les uns avec les autres; c'était une féodalité sans suzerain, À la côte orientale surtout, on peut dire que chaque village était un petit État à part; chaque famille avait son chef parfaite- ment indépendant de tous ses voisins. À la côte occidentale, les rois sakalaves réunissaient plus de sujets sous leurs ordres que les autres chefs. Cette division à l'infini des tribus était du reste de peu d’impor- tance, tant que les Ovas n'ont pas cherché à les conquérir; elles ne se faisaient la guerre que pour voler quelques bœufs, ou piller quelques petits hameaux : c'étaient de simples escarmouches d’une nuit, après lesquelles les attaquants, qui étaient invariablement les vainqueurs, retournaient chez eux avec leur butin. Quelque temps après, les vaincus à leur tour allaient les surprendre et se venger. On voit d’après cet état de choses, sans qu’il me soit besoin de m’étendre sur leur histoire, ce qui m'entrainerait trop loin, com- bien il a dû être facile à Radama [°° d'agrandir son petit royaume. Ce vaillant conquérant à fait dans Madagascar une promenade triomphale où chacun à l'envi venait se prosterner à ses pieds et faire acte de vasselage. S'il à souvent perdu beaucoup de monde dans ses expéditions, c’est à la famine, aux maladies qu'il faut l'attribuer, car aucune précaution n'était prise pour l'alimentation de ces armées de 50 à 60,000 hommes qui souvent parcouraient des pays dépeuplés, nus et incultes. Les peuplades qui sont indépendantes sont les Sakalaves (sauf les Antimènes du sud et une partie des Antibouenis), les Mahafales, les Antandrouïs, les Bares et les Antanosses émigrés. Mais si la moitié de l'ile seulement appartient aux Ovas, c'est de beaucoup la plus belle, la plus riche et la plus cultivable. Di- sons aussi que les habitants de cette moitié forment environ les 7/8 de la population totale. HABITANTS. On ne peut avoir aucune idée exacte du chiffre de la population totale de Madagascar. Cependant je ne crois pas qu'on puisse l'évaluer au delà de 4 millions; le canton d'Imérine contient près d’un million d'Ovas, et dans le pays de leurs voisins et alliés, les Betsiléos, il peut y avoir 600,000 habitants. Près de 2 millions 2 # — 68 — habitent l'est de l'ile; quant aux Sakalaves, aux Mahafales, aux Antandrouïs et aux Bares, ils n'atteignent pas 500,000 âmes. Tandis que la population des peuplades de la côte va diminuant de jour en jour, celle des Ovas s'accroît au contraire dans une proportion remarquable. Il ne serait pas étonnant qu’elle doublàt en moins d’un demi-siècle, aujourd'hui que la paix est rétablie; chez les Betsiléos et les Antéimoures seuls, les femmes peuvent rivaliser avec les femmes ovas sous le rapport de la fécondité. Toutes les tribus que nous avons énumérées n'ont pas, à abso- lument parler, les mêmes mœurs; il y a cependant de telles res- semblances entre elles qu'on peut esquisser à grands traits leurs principales lois sociales et religieuses qui s’appliqueront à tous les habitants de l'ile. Les Malgaches ont une religion, quoi qu'aient pu écrire de nombreux auteurs. Ils croient en un Dieu tout-puissant, créateur de toutes choses et maître des destinées des hommes; ce Dieu est adoré et invoqué dans toutes les actions de la vie. Auprès de ce Dieu, viennent se ranger les âmes des ancêtres qui tantôt servent d'intermédiaires entre la divinité et les hommes, tantôt sont.censées exercer par elles-mêmes une certaine influence sur le bonheur de leurs parents. Dans les actes les plus ordinaires de la vie, les Malgaches invoquent Dieu ou leurs ancêtres. I nest jamais question chez eux de la lutte du principe du bien contre le principe du mal. Leur religion vient probablement des Juifs, etils y ont grelfé le culte des mânes des ancêtres qui, d'après mes re- cherches, me semble avoir précédé l’introduction du culte plus pur de ce Dieu qu'on adore sans temples et sans représentation di- recte. S'il s'agit d'actes importants, c’est à Dieu lui-même que le Mal- gache s'adresse, sans oublier toutefois de nommer ensuile ses razanes (ancêtres), et il offre alors en sacrifice un bœuf vivant sur lequel il fait sa prière; de ce bœuf, certains morceaux sont cuits pour être offerts aux ancêtres, leurs anges gardiens. Quand leur prière n'a trait qu'aux petits détails journaliers de la vie, ils invoquent directement leurs razanes et déposent pour eux une offrande de riz cuit ou de rhum. | Leur esprit superstitieux, avide de merveilles, les a disposés à accueillir favorablement les prédictions des devins qui font métier de dévoiler l'avenir: mais s'ils admettent comme véridique lex- — 469 — plication qu'on tire de la disposition fortuite des graines avec les- quelles ils tirent la bonne aventure, le sikidi, c’est qu'ils attri- buent à la main de Dieu l’arrangement de ces graines. Ils ont aussi une grande confiance dans des talismans divers sur lesquels ils ont appelé la protection divine et auxquels ils attribuent cer- taine puissance particulière. Dieu se retrouve dans toutes leurs prières et dans toutes leurs pratiques journalières. Le mariage est peut-être le seul acte de la vie privée qui ne soit pas le plus souvent accompagné de prières; en effet, une jeune fille a droit de disposer d'elle-même à son gré, jusqu’au jour où, de son propre consentement, un de ses amants, de même rang qu'elle, fait la demande officielle à la famille de sa maîtresse. Si le mariage est sortable, il suffit du pur et simple consentement du père devant témoins pour qu'il soit valable. La femme peut alors être mise à l’amende par son mari pour cause d'inconduite, et elle ne peut plus se remarier sans que le divorce n'ait été con- senti par son époux, eüt-elle quitté la maison conjugale depuis des années. Toutefois ce n’est encore qu’un concubinage suivant nos idées, et l'union ne devient plus indissoluble, plus resserrée qu'à la naissance d’un enfant ; c'est alors seulement qu'on adresse des prières à Dieu et aux ancêtres, c'est alors seulement que les biens de la femme se confondent avec ceux du mari; jusque-là, l'épouse remet entre les mains du chef de sa famille tout ce qu’elle peut posséder ou gagner. À la mort comme à la naissance , et comme à la circoncision , il y a des prières et des sacrifices de bœufs ou de taureaux. Les Ovas, les Betsiléos et les Antantsianakes sont les seuls peuples de Madagascar qui n'aient point une frayeur exagérée des cime- tières ; ils disposent les tombes de leurs parents le long des che- mins. Tous les autres Malgaches les cachent dans des endroits dé- serts où ils n'osent mettre les pieds que pour enterrer un membre de la famille. Tous, du reste, lorsqu'ils veulent adresser leurs prières aux mânes des ancêtres, ne font ni leurs offrandes ni leurs sacrifices aux tombeaux eux-mêmes, ils les font soit à des pierres isolées, élevées en des places quelconques au choix de chaque. famille, soit, comme chez les Sakalaves, aux débris de vieilles mai- sons qu'habitaient leurs parents morts, vrais autels où ils déposent leur riz et versent du rhum. Les peuples malgaches sont fréquemment atteints de maladies 22e MG 7 convulsives qu'ils croient dues à la possession des individus par des esprits ou démons. Ils ont des incantations et un traitement spécial assez curieux par lequel ils pensent guérir le malade. Mais je n'étendrai pas le cadre de ces remarques sur les mœurs qui seront traitées longuement dans la partie ethnologique de mon ouvrage. VILLES. À Madagascar, on ne compte que cinq villes importantes : Tana- narive (75,000 àmes), Fianarantsoua (10,000 àmes), Tamatave (7,500 âmes), Madsanga (6,000 âmes) et Foulepointe (4,000 âmes). Toutes les autres villes ne sont à proprement parler que des bourgs occupés par une seule et même famille; les villages les plus importants ne comptent pas un millier d'habitants, et la plupart n’atteignent certainement pas le nombre de 20 feux. C'est du reste un pays très-peu peuplé, si l’on excepte la vallée d'Imérine, celle d’Antsianake, et quelques parties du pays des Betsiléos. On marche souvent une journée entière sans rencontrer une malheu- reuse bourgade, et il est des endroits, comme sur la route de Mad- sanga à Tananarive, où lon est quelquefois quatre Jours sans trou- ver une seule maison, ou comme sur celle de Manza à Moudounghy, où j'ai dû dormir sept nuits consécutives en plein désert. J'ai eu de nombreuses rectifications à faire sur la position des ports des côtes est et ouest. Il est réellement incroyable que de- puis le temps que ces parages sont fréquentés par des navires de guerre et des bâtiments de commerce, il y ait des points très-im- portants dont les positions sont affectées d'erreurs allant quelque- fois jusqu'à 30 milles. Ces erreurs sont très-préjudiciables au commerce, soit que, la position étant marquée plus sud qu'elle n'est réellement, les navires se trouvent, après vérification de l’er- reur, obligés de louvoyer pendant une ou deux semaines pour gagner leur port de destination, tant à cause des vents contraires que des courants très-violents qui portent sud, soit que les capi- taines, trop confiants dans les travaux hydrographiques publiés, s'obstinent à vouloir atterrir au point fixé sur la carte, et risquent leur vie et celle de leurs matelots sur ces côtes inhospitalières, où les canots n’abordent jamais sans danger. Les routes ne sont nullement entretenues; ce sont de simples sentiers tracés par les pieds des voyageurs, où il est le plus souvent — 7] — impossible à deux personnes de marcher de front. Le pays pour- rait toutefois être facilement sillonné de routes carrossables; car s’il est montagneux, on monte graduellement et l'altitude totale nest nulle part très-grande; le sol argileux est dur, et en macada- misant avec les roches voisines, il serait aisé d'établir de belles et bonnes voies de communication. Toutefois, la meilleure, la plus facile et la plus courte des routes pour se rendre à Imérine, sera toujours celle d'Andouvourante à Tananarive. De la côte ouest, il serait facile de remonter pendant quelque lieues des rivières, telles que le Tsidsoubon ou le Betsibouka; mais on n'y aurait aucun avantage, la route qui resterait à parcourir par terre étant encore beaucoup plus longue. que celle suivie de nos jours et pas- sant à travers des déserts où l’on ne peut se procurer de vivres. GOUVERNEMENT. Le gouvernement ova est un gouvernement absolu qui réside tout entier entre les mains du premier ministre depuis que le trône est occupé par une reine. Néanmoins, malgré la toute-puis- sance dont il dispose, il lui faut consulter les deux ou trois person- nages principaux du royaume dont il craint toujours les menées sourdes. La famille de Rainiharou qui a donné les premiers mi- nistres de Ranavalanoune [", de Rasouhérimanjaka et de Ranava- loune II sort des rangs du peuple; mais elle est, depuis un demi- siècle, la plus riche et la plus influente de l’île : on a toujours eu soin d'écarter des hauts emplois du gouvernement les nobles qui, par suile de leur parenté avec la reine, pourraient à un moment donné renverser le souverain établi et usurper le trône savs dif- ficulté; mais ces premiers ministres ont toujours eu des ennemis dans les membres même les plus proches de leur famille, ce qui les oblige souvent par prudence à prendre les avis de leur entourage et à les suivre. - Les Ovas, trés-défiants par instinct de race, le sont devenus plus encorc depuis leurs rapporis avec les Européens; il n’en pouvait être autrement. D'une part, en effet, ils voyaient les Anglais, dont ils connaissent parfaitement l'histoire coloniale, chercher à simplanter dans leur pays par tous les moyens possibles; d'autre part, ils entendaient les Français revendiquer hautement à chaque instant leurs droits sur Madagascar. Aussi leur politique at-elle — 172 — toujours été de temporiser et de ne céder que si on ne se laissait pas intimider par leurs accès de jactance. On a trop souvent manqué de données exactes sur le caractère de ce peuple qu'on a voulu juger sur ses dehors. Dans la partie indépendante de Madagascar, il y a. aussi une foule de petits rois qui exercent. une autorité absolue sur leurs sujets ; ils ne font du reste rien par eux-mêmes, et prennent dans toute affaire l'avis des principaux du pays. Ils sont, en effet, obligés de flatter les chefs dont ils ne peuvent contrôler les actes et qui sont d'autant plus redoutables pour leur seigneur et maître qu'ils passent facilement à l'ennemi avec famille, clients et esclaves: ces défections ont lieu journellement. _ Les peuples indépendants n'ont pas d'armée régulière : tout homme libre ou esclave ne sort jamais qu'armé de son mousquet et de sa sagaye; quand il y a guerre, ils se réunissent en corps ir- régulier et font leurs attaques de nuit ; ils n'ont jamais pensé et ne pensent encore aujourd'hui qu'à enlever du butin et non à agrandir leur territoire par le sort des armes. Les Ovas, qui ont recu des Européens quelques notions sur l'or- ganisation des armées et sur la tactique militaire, sont très-supé- rieurs aux autres peuplades dont ils sont, pour cette raison, très- redoutés. Les Sakalaves de la côte ouest seuls ont pu résister à Radama [f, parce que, se cachant pendant des mois dans les forêts, ils sont parvenus à dépister leurs ennemis. L'armée des Ovas est de A5,000 hommes : mais, comme aucun soldat ni aucun officier n’est payé et que chacun d’eux est obligé pour vivre de cultiver ses champs ou de faire du commerce, il serait impossible de réunir, à un moment donné, l'armée tout entière. Elle serait du reste d'autant moins capable de résister à un corps d'expédition européen que, malgré la discipline sévère à laquelle elle est soumise et qui a été la cause de sa supériorité incontestée à Madagascar, la plupart des soldats, las de l'oppression iÿrannique sous laquelle ils sont courbés, seraient heureux au moindre échec de déserter et de se joindre aux ennemis. J'ai visité la plupart des forts ovas; il n'en est aucun qui puisse résister une heure à quelques obusiers de montagne. Ils sont néanmoins très-suffisants pour protéger la garnison ova, qui est toujours très-peu nombreuse, contre un coup de main des indi- gènes. — 173 — Puisque nous n'avons pas su profiter des diverses circonstances où la justice et l'honneur national exigeaient une intervention ar- mée, il me semble juste, et même avantageux, d'accepter aujour- d’hui les conséquences de nos fautes et de protéger franchement les Ovas dans l'œuvre de civilisation qu’ils ont commencée, et dans l'extension de leur autorité sur toute l'île. Nous ne devons peut- être point abandonner officiellement des droits qui sont imprescrip- tibles pour être toujours à même de nous opposer, en temps et lieu, à toute tentative d'invasion étrangère, mais je ne pense pas qu'il serait utile de coloniser ce pays dont nous n'avons pas voulu, lorsque nous n'avions qu'à nous présenter pour en devenir les maitres. Iln'y a pas à regretter, du reste, que Madagascar ne soit pas au nombre de nos colonies; je crois que cette île eût été pour nous une charge lourde et ne nous eût apporté, même dans l'avenir, aucune des compensations auxquelles on a droit de s'attendre en fondant des établissements dans un pays lointain. La race mal- gache proprement dite des côtes et des districts fertiles est trop insouciante, trop paresseuse, trop indépendante de caractère pour que nous en eussions jamais tiré parti. La race ova est au con- traire appelée dans l'état politique actuel à régénérer la face du pays ; avec l'esprit de persévérance, de travail et d'économie qui la caractérise, elle réussira dans ces terrains ingrats d’où nous n’eus- sions pu rien tirer sans d'immenses dépenses qui n’eussent Jamais été rémunératrices pour nous. Dans un pays si vaste et si peu peuplé, qu'eussent pu faire les quelques soldats et gouvernants que la métropole eût semés, çà et là, pour dompter lincurie et la paresse des peuples soumis à la force de nos armes ? La race ova, par son intelligence, par l'accroissement rapide de sa population , par son travail énergique, par son esprit d'économie, est certainement destinée à régénérer et à civiliser le pays. Avant peu de temps, je n’en doute pas, esclavage et corvée sont appelés à disparaître, et ce sera un grand bienfait. Les esclaves d’Imérine sont une race laborieuse et sobre; depuis l'adoption générale des idées chrétiennes, ils connaissent leurs droits d'hommes, et le jour approche où il faudra compter avec eux. Le pays deviendra riche ct prospère le jour où chacun travaillera pour son compte, le jour surtout où la corvée n’accablera plus pen- dant des mois, pour des œuvres inutiles, des milliers d'hommes, — 7h — et où chacun entreprendra sans crainte des travaux qu'il saura pouvoir mener à bonne fin. Si la corvée avait été utilisée pour des œuvres d'utilité générale, telles que routes, canaux, etc., le mal -ne serait pas grand, mais elle ne sert qu'à la construction des maisons que font élever la reine et les grands. Il serait bien préférable de remplacer cette corvée par un impôt en argent ou en nature, au gré et suivant les moyens du contribuable; le trésor pourrait alors commencer à payer les soldats et les offi- ciers, et la concussion, la corruption, l'immixtion fâcheuse dans le commerce des principaux personnages de la cour pourrait dispa- raître peu à peu. Il est à souhaiter que les gouvernements fran- çais et anglais unissent dès maintenant leurs efforts pour obtenir l'abolition de la corvée qui entrainerait peu après et sans se- cousse, pour ce pays où l’esclave est réellement indépendant, la suppression de l'esclavage. Mais, au lieu de tendre à un but si philanthropique et si utile à la prospérité de Madagascar, la plupart des missionnaires an- glais, obéissant peut-être à leurs intérêts privés, ne semblent pas faire tous leurs efforts pour arriver à une solution si désirable. Ils ont même fait ajouter à la corvée de la reine la corvée de Dieu, que les Malgaches ont dénommée la corvée des Anglais, fanom- poana angilisy. Aujourd'hui en effet, depuis l'an dernier, Îles officiers ovas exercent dans toute l'étendue de l'ile qui est sou- mise à leur autorité une persécution religieuse déplorable. A l'esclavage du corps qui atteint quelques-uns des membres de la société malgache, est venu s ajouter l'esclavage de l'âme, l'esclavage religieux qui atteint toute la population, et c'est à des Anglais, à des membres de l'église indépendante, cette église libérale par- dessus toutes, qu'on a à reprocher d’être plus intolérants que les plus intolérants des inquisiteurs espagnols du moyen âge. Ces apôtres d’une religion toute d'amour et de liberté permettent qu'on pousse, la menace à la bouche, le fouet à la main, des populations entières dans les temples, où on ne devrait entendre que des paroles de charité et de pardon. C’est bien en effet, Monsieur le Ministre, la menace à la bouche, le fouet à la main, qu’on mène les Malgaches aux temples. Votre Excellence pourra en juger par quelques exemples pris entre mille. Les traités conclus à Madagascar avec les Anglais et les Français ont stipulé la liberté des cultes. Cet article est violé tous les Jours. — 175 — Sans remonter aux causes politiques et autres qui ont jeté le pre- mier ministre et la reine dans le sein de léglise indépendante, qu'il me suflise de dire que tous les hauts personnages ovas appar- tiennent à cette secte. La corruption avait fait à la nouvelle reli- gion de nombreux prosélytes ; le chef de l'État a pensé devoir se . Jeter dans ce parti puissant pour en être la tête, et dès lors il a songé à créer une religion d'État. En effet, au Jour peu éloigné où la reine a été baptisée, il a été donné des ordres à tous les commandants des diverses provinces pour que chaque dimanche tout le peuple se réunit dans une maison d’assemblée spéciale où il devrait prier pour la reine. Ce jour de dimanche, per- sonne ne devait travailler, personne ne devait ni vendre, ni acheter même les objets les plus nécessaires à la vie. Par suite d'ordres venus de la capitale, les commandants ont sinon ouvertement menacé de peines sévères ceux qui manqueraient à cette loi, du moins, 1ls ont toujours trouvé des prétextes pour infliger des amendes et même des chàtiments à ceux qui s'étaient abstenus de paraître au prêche. Près de Tananarive, il y a eu durant mon séjour des mpitory teny ou prédicateurs malgaches qui ont poussé le fanatisme jusqu’à fouetter publiquement ceux des catholiques qui ne venaient pas assister à leurs prédications. Dans quelques autres villages, les plus dures corvées sont réservées à ces queux de catholiques. J'ai vu aussi des villages entiers qui étaient venus chercher les pères pour recevoir l'instruction et le baptême et qui s'étaient de leur propre gré réunis pour construire des églises, être mandés chez les grands du royaume et y être invités, sous peine de voir leurs chefs mis aux fers, à abandonner lidolàtrie catholique. Les luthériens norwégiens, qui ont commencé à jeter racine dans le pays Betsiléo, éprouvent des persécutions semblables qui les forceront sous peu à quitter le pays ; les ministres anglicans de la côte orientale peuvent aussi témoigner d’actes prouvant la viola- ‘tion journalière des traités. Les indépendants d'Imérine vont jusqu'à menacer l’évêque anglican qu'on veut nommer à Londres pour Madagascar d’un procès, s'il met les pieds dans ce pays, sous le fallacieux prétexte qu'il y a eu convention verbale entre Pévêque de Maurice et Ellis, qu Imérine serait abandonné pour un certain temps aux indépendants et que les anglicans se confineraient mo- mentanément à laicôte est. Ils savent bien en effet, ces imission- = oi naires indépendants, ce qui les attend si leur conduite était dé- voilée par un homme du savoir et du caractère d’un évêque. Disons, en terminant, un mot du commerce européen. Le com- merce de la côte orientale a toujours eu une grande importance pour Maurice, Bourbon et les Seychellés. Les bœufs et le riz importés de Madagascar sont indispensables à ces colonies. En tant qu’ar- ticles de commerce direct pour l'Europe, on ne peut guère compter que le caoutchouc, les peaux de bœufs et le copal; la production du caoutchouc depuis deux ans prend un grand développement ; son exploitation a été l'année dernière de plus de 250 tonneaux, d’une valeur de 1 million. Avant peu, j'ai l'espérance de voir le commerce des bois libre ; il y aura alors, surtout sur la côte nord-est, de grandes et avanta- geuses exploitations à faire. Le commerce de la côte ouest est important ; la quantité consi- dérable de peaux de bœufs, d'orseille, de tortues, de pois du Cap, d'ébène, de palissandre, de cire qui s’exportent et s’échangent contre des cotonnades, indiennes, faïence, poudre, etc., mérite d'être prise en considération; chaque année cette exportation s’'augmente dans une proportion notable, et notre colonie de Nou- sibé qui, comme le montrent à Votre Excellence les statistiques annuelles, prend chaque jour une importance nouvelle, est appelée à un grand avenir. Mayotte l'emporte au point de vue des plantations de canne à sucre, mais ses impôts ne suffisent pas à équilibrer son budget, tandis que si l'ile de Nousibé était laissée à elle-même, elle se suffi- rait largement. On reproche dans cette colonie au gouvernement supérieur de ne pas prendre en considération cette différence de production et de ne pas même en instruire le ministère. Je ne sais si Nousibé par son commerce, par ses distilleries qui donnent un revenu important à cause des Malgaches de la grande terre qui s y approvisionnent, ne mériterait pas plutôt que Mayotte d'être le centre du gouvernement, au cas où on ne voudrait pas - mettre un commandant particulier relevant du ministère dans chacune de ces deux îles, ce qui serait peut-être préférable. D’après l'exposé que je viens de faire sur l'ile de Madagascar, si rapide qu'il soit, il est facile de voir que ce pays a un aspect physique et un sol bien différents de ce qu'on a écrit jusqu'à ce jour. ou Lan A7 ; ie Reese JL + ete MN 7 ne op allonger ce rapport, je réserve les détails és pour la monographie que je vais publier et - HR me propose dé demander le patronage de Votre | HE r d’être, Monsieur le Ministre, de Votre Excellence, : M le et très-Tévoué serviteur, ; Alfred GraANpipigr. ARS | Fe ‘ \ - À À 32 L.| Mur M ans de NE à | k | RAPPORT SUR UNE MISSION ARCHÉOLOGIQUE EN GRÈCE, PAR M. ALBERT DUMONT. Athènes, 5 iuin 1872. Monsieur le Ministre, J'ai l'honneur de vous adresser, en mon nom et au nom de M. Chaplain, ancien pensionnaire de lAcadémie de France à Rome, un premier rapport sommaire sur le voyage dont vous nous avez chargés. Les travaux qui devaient nous occuper étaient de deux sortes : recherches épigraphiques, études d'archéologie figurée. Votre département a décidé en 1869 l'impression d’un ouvrage qui doit paraître en deux volumes sous ce titre : Essaï sur l Éphébie attique. Le tome premier contient l'histoire de l'Éphébie: le tome second, les textes épigraphiques récemment découverts qui per- mettent de retrouver cette histoire. Avant de donner le recueil des textes , il fallait revoir toutes les inscriptions publiées, examiner devant les marbres originaux les restitutions ou les variantes de lectures proposées, copier les monuments inédits qui se rap- portent au même sujet. L’Éphébie était un noviciat polilique, mi- litaire et religieux que la république d'Athènes imposait à tous les jeunes gens arrivés à l’âge de dix-huit ans : ils restaient une année dans le collége, dirigés par des maïtres que l'État nommait et sur- veïllait, soumis à des lois dont le peuple et le sénat réglaient les moindres dispositions. Quelques chapitres de mon travail ont déjà paru dans le Journal des Savants et dans les Comptes rendus de l’Acadénue des inscriptions et belles-lettres. L’impression des deux volumes marche activement, ellé sera terminée dans quelques mois. Les inscriptions déja publiées et qu'il fallait revoir étaient au 2 22, — 180 — nombre de cent deux; Jai copié plus de cinquante inscriptions inédites. Ces textes sont le plus souvent très-étendus. Réunis et imprimés en caractères courants, ils formeront un volume de quatre cents pages in-octavo. La chronologie des archontes éponymes est pour: l’histoire d'Athènes ce que sont pour l’histoire de Rome les fastes consu- laires. Les listes d’archontes, à partir de la CXXIT olympiade, sont encore très-incomplètes. J'ai essayé, dans un récent ouvrage, en profitant de documents nouveaux, de classer les archontes de cette période, qui a fait à ce point de vue l’objet de si nombreuses recherches. C'est là une étude toujours ouverte à de nouvelles investigations et qu'il est difficile d'abandonner quand une fois on s'en est occupé avec quelque soin. Il m'a paru utile de profiter de mon séjour à Athènes pour copier les marbres inédits qui per- mettent d'ajouter des archontes nouveaux aux listes; mon cata- logue, en tenant compte de quelques textes déjà connus qui m'avaient échappé comme à tous mes prédécesseurs, s’est enrichi de trente-deux éponymes. L’archéologie figurée devait tenir la première place dans notre voyage. Nous avons formé une collection d'environ cinq cents des- sins ; ils se divisent ainsi qu'il suit : 1° Vases de la Grèce propre; 2° Terres cuites: 3° Monuments de bronze: h° Monuments métrologiques: 5° Marbres: 6° Objets divers. ; Les vases de la grande Grèce ont été souvent étudiés; ceux de la Grèce propre, si l'on excepte la céramique de Corinthe, sont encore très-mal connus. Sans croire qu'il soit possible de faire aujourd’hui sur les vases qu’on trouve en Attique, en Béotie, dans le Péloponèse et dans les Cyclades un ouvrage d'ensemble , comme ceux que nous possédons sur les céramiques gréco-italiennes, il y a la du moins un sujet de recherches encore très-neuf et dont l'importance n'échappera à aucun antiquaire. C'est ce qui a été bien compris tout récemment par deux savants, M. Heinrich Hey- demann et M. Otto Benndorf, qui viennent de publier lun et l'autre un ouvrage consacré aux céramiques de la Grèce propre. PI A VS LR. at fi D ER dé nt mt à oi débats di ec nrèrs stréiet bent 1 — AS1 — Le premier de ces livres n'est qu'un essai peu étendu ; u second est resté inachevé. En visitant les musées publics et surtout les collections particu- HoreR. nous avons voulu : È ° Recueillir les plus beaux spécimens inédits; montrer ainsi que les vases de la Grèce égalent en beauté ceux de l'Italie; qu'ils ont souvent un genre de distinction et un mérite original que la grande Grèce n’a pas connus; 2° Classer les types, les formes, les procédés par pays, étudier des séries de vases qui n’ont encore aucune place dans la science; 3° Faire le catalogue des sujets, des scènes mytholseiques d’a- bord, ensuite et surtout des scènes empruntées à la vie privée; 4° Établir une chronologie des procédés de fabrication ; 5° Enfin réunir les faits qui intéressent l’histoire des rapports de la céramique grecque et de la céramique gréco-italienne. Les dessins recueillis pour éclairer ces questions sont au nombre de cent soixante. Un catalogue descriptif des monuments qui rentrent dans chaque catégorie accompagnent les exemples que nous avons choisis comme types. Les terres cuites de la Grèce propre, en particulier celles de la Béotie et de l’Attique, sont souvent des œuvres d'art achevées. M. Chaplain en a dessiné quatre-vingt-douze, plus encore pour l'instruction des artistes que pour celle des archéologues : on y retrouve toute la perfection de la grande époque; beaucoup du reste ne sont sans doute que la copie de statues célèbres, aujour- d'hui perdues. Un nombre égal de dessins fait connaître les types populaires, d'une exécution moins soignée; ces terres cuites ont été classées par époque et par pays. Dans la série des bronzes, je signalerai : 1° Un miroir corinthien orné de dessins au trait, œuvre ex- cellente du 1v° siècle, pièce de premier ordre pour larchéologie, puisque nous ne connaissons encore que deux autres monuments du même genre ; 2° D'intéressants spécimens de gravure au trait sur métal; 3° Quatre statuettes archaïques. Une collection d'armes complète cette série. : En 1867, les métrologistes n'avaient étudié que quatre mesures orecques de capacité: nous avons pu en jauger et en dessiner dix- huit. — 182 — Les bas-reliefs de marbre d'Athènes ont été souvent étudiés: nous devions donc laisser de côté toutes les scènes connues. Nous avons dessiné : | -1° Les stèles peintes ou sculptées qui étaient inédites ou n’a- vaient fait l'objet que de publications insuffisantes, et tout d’abord les monuments qui doivent trouver place dans un ouvrage cou- ronné par l’Académie des belles-lettres sous ce titre : Catalogue descriptif et explication des stèles représentant la scène connue sous le nom de REPAS FUNÉBRE; 2° Les ex-voto, et en particulier ceux qui représentent des divi- nités à table; 3° Un certain nombre de bas-reliefs qui surmontaient des dé- crets athéniens, morceaux de sculpture dont nous savons la date à une année près et qui sont précieux pour la chronologie de l’art: 4° Les bustes des cosmètes; ce sont des portraits qui nous con- servent les types principaux de l'aristocratie athénienne sous l'empire; l'ethnographie les étudiera avec profit; 5° Les bas-reliefs qui commentent l'histoire de l'Éphébie. Sous le titre d'objets divers, il faut ranger surtout les petits mo- numents de terre cuite qui complètent mon volume des Inscrip- lions céramiques de la Grèce, les types principaux des armes de pierre trouvées jusqu'ici en Grèce, les amulettes et tout ce qui fait l’objet de la muséographie. Dans le choix de ces documents, j'ai surtout été guidé par mes études antérieures. Le voyage que nous avons fait en Dalmatie, en Albanie et en Épire, nos études sur les rapports de la peinture byzantine et de la peinture occidentale, feront l'objet d'un second rapport. Aussi bien le programme arrêté pour ces dernières recherches d'archéologie comparée est-il loin d’être rempli. Pour nous borner aux travaux qui nous ont occupés en Grèce, nous avons eu un double but: nous avons voulu former un recueil de dessins qui, par la nouveauté et la perfection des pièces, püt intéresser Îles artistes, et dans cet ordre choisir surtout des œuvres de la Grèce propre; copier à Athènes tous les monuments inédits qui peuvent contribuer aux progrès de l'archéologie. Le succès de la mission pour jes études’ d'archéologie figurée dépendait en grande partie de l'artiste qui avait bien voulu inter- rompre ses travaux pour m'accompagner. M. Chaplain s'est im- “ EUR ss Le f 4 f GÙ nn 2 , A ee + x To © vd ES ES € FT NS v'ER } de « _— , = ne — puleuse exactitude; il n'a voulu ni interpréter, ents qu'il reproduisait ; c'est la vérité vivante qu'elle a de plus délicat et de plus attique. er, Monsieur le Ministre, mes sentiments de pro- < Albert Dumont. les maîtres jugeront, je crois, qu ‘il a rendu cette £ RAPPORT SUR UNE MISSION SCIENTIFIQUE EN ITALIE, PAR M. ÉMILE RIVIÈRE. 3 août 1872. Les cavernes des Baoussé-Roussé ou des Rochers rouges, en Ita- lie, plus généralement connues sous le nom de grottes de Menton}, ont été maintes fois explorées et par de nombreux savants. D'après un mémoire de M. E. Chantre, intitulé Études paléo- ethnologiques, et publié dans les Annales de la Société des sciences industrielles de Lyon?, ce fut M. Antonio Grand, de Lyon, qui, le premier, en 1845, étudia les cavernes de Menton : «Il y re- cueillit une quantité considérable de silex taillés, plusieurs mor- ceaux de sanguine et de sulfure d’antimoine, qu'il considère comme ayant dû servir aux habitants de ces cavernes pour se ta- touer le corps. À l'appui de cette idée, il a trouvé, et j'ai recueilli moi-même , 1l y a quelques années dans ces stations, ajoute M. E. Chantre, des pointerolles en agate assez effilées pour servir à cette opération. » Fournet, dans son ouvrage sur l'influence du mineur sur la ci- vilisation *, dit, en parlant des ateliers de fabrication des silex éta- blis dans certaines stations ou grottes, « que depuis longtemps les cavernes de Menton étaient connues des habitants du pays, à cause de leurs amoncellements de débris, dont déjà avant 1848 le prince de Monaco avait fait expédier à Paris une caisse pleine. Son 1 Du nom de la ville à laquelle elles appartenaient avant l’annexion de Menton à la France, en 1860. ? Lyon, 1867, p. 138-139. ? Fournet, Du nuneur, son rôle et son influence sur les progrès de la civilisation , d’après les données actuelles de l'archéologie et de la géologie. Lyon, 1862. — 186 — contenu ne fut l’objet d'aucune explication !. » Passant ensuite aux fouilles faites par M. Antonio Grand, il en analyse ainsi les ré- sultats : « Tous les instruments sont rudimentaires, grossiers, et remontent par conséquent au début de l'art. Cependant, parmi les silex se trouvaient quelques agates qui, à mon avis, dit-il, pro- viennent très-certainement des environs de Fréjus, et avec elles se rencontrent des quartz hyalins en prismes, terminés par deux pyramides ordinaires. Il est permis d'imaginer que ces cristaux, du genre des diamants de Meylan, près de Grenoble, n'étaient pas là au hasard, et que leurs pointes dures devaient servir à ef fectuer des perforations, en les employant emmanchées en guise de pointes de foreis. » Mais il n’est parlé pour la première fois des grottes de Menton que par M. F. Forel, de Morges en Suisse, dans une lettre en date du 27 février 1858, puis, peu de temps après, dans lintéressante noce? qu'il publia sur ses recherches dans lesdites cavernes. « Lorsque je pénétrai pour la première fois dans les grottes, dit - le savant président de la Société d'histoire de la Suisse romande, je fus frappé par la présence de quelques éclats de silex, qui me firent aussitôt soupconner l'existence d'instruments de l’âge de la pierre. Mon attente ne fut pas trompée, car, en remuant le sol, jy découvris un grand nombre de silex évidemment façonnés par la main des hommes. J’y irouvai en même temps une grande quantité d’ossements brisés, de dents d'animaux, de coquillages, de débris de crustacés et de morceaux de charbon qui me paru- rent y avoir été déposés à la même époque. J'étais, à n'en pouvoir douter, dans une des demeures occupées jadis par les premiers habitants de la Ligurie. » Mais la faune trouvée par M. F. Forel est encore peu nombreuse et ne comprend, sauf le Bos primige- nius, que des espèces encore actuellement vivantes. Ce sont : ° Parmi les carnassiers, le loup, Canis lupus; le renard, Canis ne le chat sauvage, Felis calus ; 2° Parmi les pachydermes, le cheval, Equus caballus, reconnu seulement par deux dents molaires, et le sanglier, Sus scro/a; 3° Parmi les rongeurs, le lapin, Lepus cuniculus; A° Parmi les ruminants, un bœuf, le Bos primigenius; le cerf 1 Aucune trace de cet envoi n'existe au Muséum d'histoire naturelle de Paris, 2 F. Forel, Notice sur les instruments en silex et les ossements trouvés, en 1858, dans les grottes de Menton. — 187 — commun, Cervus elaphus; le chevreuil, Cervus capreolus; un rumi- nant analogue à l’antilope, et un autre animal appartenant, dit- il, au «genre mouton, Ovis, signalé par la présence d’un grand nombre de molaires et de fragments de màchoires d'une grande dimension. » Cet Ovis a été considéré par le professeur Rutimeyer, de Bâle, comme présentant de grandes analogies avec le mouflon, Ovis musimon ; mais il n’est autre qu’un grand caprin, la capra dési- gnée par M. le professeur Gervais dans sa paléontologie générale ! sous le nom de Capra primigenia. Elle avait été déjà trouvée en 1839 par M. Marcel de Serres, qui l'a indiquée sous le nom de Capra ægagrus ou egagre ?. M. Forel signale également un animal de l'ordre des célacés, peut-être un cachalot, dont il a recueilli un fragment de vertèbre, très-incomplet, « fragment, dit-il, qui doit avoir été apporté par les hommes, car on ne trouve rien qui in- dique que la mer ait pénétré dans les grottes à l'époque où les dé- bris y ont été déposés.» Quant aux mollusques recueillis par M. Forel, ils sont nombreux, mais se réduisent aux espèces sui- vantes, encore actuellement vivantes : Dentalium elephantinam, ou dentale; Patella punctata, ou patelle, Pecten Jacobœus, ou peigne; Pectunculus glycimeris, ou pétoncle, une espèce de monodonte et des moules. | Mais il ajoute «qu'il n’a pas trouvé de vestiges de l'ours, de lhyène des cavernes et des autres grands animaux qui caractérisent la faune de l'époque précédente. Cela peut tenir à ce que les grottes de Menton étaient trop éclairées pour avoir servi de retraite à des animaux qui recherchaiïent l'obscurité et qui auraient trouvé dans le voisinage des tanières mieux appropriées à leurs habitudes. Il est possible aussi que les vestiges des animaux qui ont précédé le séjour de l’homme aient été enlevés, ou qu'ils se trouvent ensevelis dans le sol des cavernes, à une profondeur à laquelle nos fouilles ne sont point parvenues Ÿ. » : Ün peu plus tard, M. Gény, de Nice, recueille également des instruments en silex, des osseménts et des coquilles. Puis M. le docteur Pérès explore à son tour les cavernes, et, «non moins heureux que son prédécesseur, collectionne armes et 1 Paul Gervais, Zoologqu et paléontologie générales, 1863-1869, P: 91-92. * Marcel de Serres, Notice sur les cavernes à ossements du département de l'Aude. Montpellier, 1839, p. 88 et 89 et pl. IV, fig. 6 et 7. 5 F. Forel, loc. cit. T7 — 88 — outils en pierre,.de formes très-variées, ainsi que plusieurs objets en terre cuite et en os, le tout aggloméré avec des ossements, des coquilles et des éclats de silex et de jaspe !. » Quelques-uns de ces objets ont été déposés au musée de l'Université de Gênes, où je me suis arrêté à mon retour du congrès international d'anthropo- logie et d'archéologie préhistoriques de Bologne, afin de les étu- dier. Ils indiquent, pour les grottes de Menton, deux époques, non plus seulement celle de la pierre taillée, mais encore un âge plus récent, l'age de la pierre polie. Malheureusement, les indications concernant la caverne et le niveau où ils ont été trouvés font com- plétement défaut. En tout cas, ces derniers objets ne pourraient avoir été découverts qu'à la partie supérieure. Je citerai parmi eux quatre haches entières en diorite et en ser- penline, une hache à demi brisée, en serpentine également; deux pierres à aiguiser, pietra per affilare; une pierre de fronde, pietra da fronda?; une fusaiole, fusaruola, semblable à celles des habita- tions lacustres de la Suisse; un disque non percé d’un trou, et deux pesons de filets; ces quatre dernières pièces sont en terre cuite. Avant les fouilles du docteur Pérès, la présence de l’homme, à l'époque de la pierre polie, dans les grottes des Baoussé-Roussé, n'avait pas été signalée. J'ai également trouvé moi-même, à la sur- face de la quatrième caverne, un fragment de disque perforé, en terre cuite. Parmi les objets caractérisant l’âge de la pierre taillée, qui com- posent la collection Pérès, je citerai une vingtaine de pointes de flèches plus ou moins bien taillées, des couteaux, des grattoirs en silex, puis une aiguille en os, entière, ayant encore son chas, par- faitement conservée et fabriquée, dit l'inscription qui laccom- pagne, dans un tibia de ruminant. M. Bontils, de Menton, a aussi recueilli pendant plusieurs an- nées un grand nombre d'ossements et de silex dans ces cavernes. Enfin, M. Môggridge, naturaliste anglais, a fait également quel- ques recherches aux Baoussé-Roussé. Mais toutes ces fouilles n'avaient atteint qu'une profondeur re- lativement très-faible et au-dessous de la couche à laquelle elles l Issel, Résumé des recherches concernant l'ancienneté de l'homme en Ligurie. 1867. 2? Trois nummulites sont aussi indiquées comme ayant pu servir de pierres de fronde, . TN étaient parvenues, lun des explorateurs qui m'ont précédé, M. F. Forel, déclare n'avoir trouvé aucun objet qui mérite d’être signalé. L'étude de ces cavernes n'aurait donc jamais dépassé probablement les recherches faites par les savants dont j'ai cité les noms, et auxquels il conviendrait d'ajouter aussi M. le docteur Broca et M. le comte Costa de Beauregard, si le chemin de fer de Gênes à Menton n'avait, en passant au-devant et au pied même de quel- ques-unes de ces grottes, nécessité une tranchée considérable de 8 à 10 mètres de profondeur pour l'établissement de la voie ferrée. Cette tranchée, en coupant le plateau qui s'étendait de ces ca- vernes au bord de la mer par une pente prononcée, m'a révélé les nouveaux gisements ossifères si riches en matériaux utiles à l'étude de l'antiquité de l’homme. Les cavernes des Baoussé-Roussé sont situées en Italie, dans la province de Porto-Maurizio, commune de Vintimiglia, le long de la Méditerranée, à 27 mètres environ au-dessus du niveau de la mer. Elles sont au nombre de neuf, deux nouvelles grottes ayant été découvertes pendant le cours de ma mission. Celles d’entre elles qui portent les numéros d'ordre 2, 6 et 8 sont bien plus des abris sous roche que des cavernes. Celle marquée du numéro 9 n'est pas une grotle à ossements et à silex taillés, c'est-à-dire dans laquelle l’homme aurait vécu, mais seulement une grotte à osse- ments d'animaux de l'époque quaternaire. La première est située à 350 mètres du ravin de Saint-Louis, qui sépare la France de l'Italie ; la dernière, ou neuvième, à 800 mètres; elles s'étendent toutes ainsi sur un espace de 450 mètres environ. Elles sont presque toutes situées sur le même plan; seules, la cinquième et la sixième sont plus rapprochées du bord de la mer. Failles larges et naturelles de la montagne connue sous le nom dé montagne des Rochers rouges, laquelle est traversée au-dessus des groltes par la route de la Corniche italienne, elles sont creu- sées dans un calcaire compacte, par places très-fortement coloré en rouge, que MM. Élie de Beaumont et Dufrénoy, dans la Carte géologique de France, ont rapporté à la craie inférieure. Elles n'ont aucune communication entre elles. Un plateau, couvert d'euphorbes et formé par un conglomérat de cailloux roulés, de fragments de roches brisées et de terre rou- geätre provenant des éboulements supérieurs de la montagne et — 190 — cimentés par un dépôt calcaire des eaux d'infiltration, s'étendait, avant les travaux du chemin de fer d'Italie, de ces cavernes au bord de la mer. Ce plateau, d’une largeur variant, selon les en- droits, de 15 à 35 mètres, est traversé dans toute son étendue par un sentier assez étroit correspondant à l'ancienne voie. romaine, indiquée par les historiens sous le nom de Via Julia Augusta. ne reste plus actuellement que quelques rares vestiges de cette voie 1, La tranchée qui coupe ledit plateau forme, au-devant des quatre premières cavernes, un talus de 8 à 10 mètres de hauteur. Au-de- vant de la septième caverne et à 14 mètres au-dessous du sol, j'ai trouvé, dans les fouilles nécessitées par la construction d’un viaduc, deux dents molaires appartenant au rhinocéros tichorhinus; puis, à quelques centimètres au-dessous, un banc coquillier d’une épais- seur qu'il ne m'a pas été possible d'évaluer. Neuvième caverne. — La neuvième caverne n'est précédée d’au- cun plateau, mais est coupée à pic par le chemin de fer. J'ai dû la faire creuser dès qu'elle a été découverte, les dangers d’éboule- ments quelle présentait nécessitant qu’elle fût promptement mu- rée. Ses dimensions étaient de 2 mètres de largeur à l'entrée sur 2,50 de profondeur. Elle était située à o mètres environ au-des- sus de la voie ferrée. Sa voûte était formée par des blocs juxta- posés. Point de stalactites aux parois, point de stalagmites à la surface du sol; celui-ci est formé par une sorte de diluvium gris et sablonneux, au milieu duquel on trouve quelques rares cailloux roulés et peu ou point de fragments de roches brisées. On n’y ren- contre la trace d'aucun foyer; point de cendres, point de charbon. Je n'ai pas pu faire fouiller cette caverne sur une épaisseur de plus d'un mètre environ, un accident dont je faillis être victime m'ayant malheureusement forcé à y discontinuer mes recherches au bout de peu de temps. En effet, je venais à peine de quitter cette grotte, que les ouvriers commençaient à murer, par ordre des ingénieurs italiens, lorsqu'un bloc de rocher, du volume d’au moins 2 mètres cubes, s'en détachant, tombait sur la voie ferrée, brisait les échafaudages dressés contre la muraille pour parvenir 1 Comte de Cessole, Notice sur la Turbie, monument des trophées d'Auguste, et sur la voie Julia Augusta. Nice, 1843. — 91 — dans la grotte, blessait très-grièvement dans sa chute un ouvrier, mettant ses jours en danger, et me couvrait de nombreux éclats, par suite, de quelques contusions. | Cette caverne ne présente aucune trace du passage de l’homme et ne contient aucun instrument en os, aucun silex taillé. Les os- sements que j y ai recueillis sont extrêmement fragiles; ils offrent une teinte d'un gris blanchètre; la plupart sont brisés, soit natu- rellement dans le sol, soit accidentellement et par l’extraction. Quelques-uns portent l'empreinte de dents qui les auraient rongés ou mordus; ce sont ceux de petits ruminants. Les dents sont géné- ralement entières; quelques-unes sont des dents de lait et appar- tiennent soit au Sus scrofa, soit à quelques animaux du genre Cervus. J'ai trouvé aussi quelques coprolithes d’hyène. Il est vive- ment à regretter, d'après les échantillons recueillis, que le peu de solidité des parois de cette grotte ne m'ait pas permis d’y continuer mes fouilles. La faune de cette cäverne se compose des animaux suivants, déterminés avec le bienveillant concours de M. le docteur Séné- chal, conservateur des galeries du Muséun d'histoire naturelle de Paris : MAMMIFÈRES. 1° Carnassiers : Ursus spelœus, Ursus arctos, Felis spelæa, Hyæna spelæa, Canis lupus, Canis plus petit que le loup, Canis vulpes, Lynx, Mustella; | 2° Pachydermes : Sus scrofa; aucune trace du cheval; 3° Ruminants : Bos primigenius, Cervus elaphus, Cervus capreo- lus, Capra primigenia ; 4° Rongeurs : Arctomys primigenia, Lepus cuniculus, Mus. OISEAUX. | 1° Passereaux : pie; 2° Gallinacés : perdrix, pigeon. Je n'ai trouvé dans cette caverne aucun débris de mollusque marin ou terrestre. Septième et huitième caverne. — La seplième et la huitième caverne n’ont pas pu être étudiées; cette dernière (considérée comme un abri sous roche), en raison de son escarpement qui — 492 — en rendait lPaccès impossible; la septième, dont le sol est entière- ment couvert de stalagmites, à cause de lopposition que fit son propriétaire à toutes recherches. Sixième caverne. — La sixième caverne, située sur, un plan beaucoup plus rapproché du bord de la mer, est également un abri sous roche; elle mesure g mètres de largeur à l'entrée et 7,90 de profondeur. Le sol est formé, à la surface, par un con- glomérat rougeàtre, que la pioche entame sans trop de difficultés, et d’une épaisseur de plus de 1 mètre; au-dessous de cette couche, j'ai trouvé un certain nombre d’ossements et de dents d'animaux, de silex, plusieurs patelles et plusieurs mytilus, ainsi que quelques instruments en os {des poinçons) mêlés à de la cendre et à des pierres brisées. Les foyers de celte caverne étaient fort peu riches en débris, du moins à la profondeur de 1°,80 à laquelle je suis parvenu. Cinquième caverne. — La cinquième caverne, la plus profonde de toutes, 2 mètres, mais très-peu large, puisque, à l'ouverture, elle n'offre que 6,60 et va se rétrécissant rapidement jusqu’à ne plus laisser qu'un passage de 2°,50, a été étudiée par moi dans toute son étendue et creusée de 1 mètre environ. Elle est dépour- vue de stalactites et de stalagmites; le sol est formé par un mé- lange de terre noire et humide et de pierres brisées, au milieu desquelles j'ai recueilli un grand nombre de silex, soit taillés et en forme de flèche, de pointe de lance ou de grattoir, soit à Pétat d'éclat, indiquant qu'il y a eu fabrication dans l’intérieur même de la caverne. Par contre, je n'y ai trouvé que deux poinçons en os, l'un à peu près entier et dont la pointe est intacte, l’autre à l'état de fragment. Les débris osseux et dentaires, ossements pour la plupart brisés de main d'homme, sont en assez grand nombre; ils constituent des débris de cuisine analogues aux kjôkkenmôd- dings du Danemark. La faune de cette caverne se compose des animaux suivants : 1° Carnassiers : Hyœna spelæa, Canis vulpes; 2° Pachydermes : Æquus caballus, Sus scrofa, un autre Sus, reconnu par M. le professeur A. Gaudry comme faisant partie du groupe larvalus; le maxillaire supérieur présente la saillie qu’on remarque sur l'échantillon placé au Muséum d'histoire naturelle — 193 ps de Paris et découvert, en 1869, près de Florence, au val d'Arno, par-la marquise Polucci ; | 3° Ruminants : Bos primigenius, Cervus elaphus, Cervus capreo- lus, Capra primigenia; 4° Rongeurs : Lepus cuniculus. Parmi les mollusques, je citerai : la Patella vulgata, le Mytilus edulis, le Pectunculus glycimeris, quelques fragments de Dentale et de Pecten Jacobœus. Quatrième caverne. — La quatrième caverne, où caverne du cavillon, est de toutes la plus importante, tant par la profondeur à laquelle mes fouilles ont été portées que par les nombreux ob- jets que j'y ai recueillis, et surtout par la découverte du squelette d’un homme fossile. Mais, avant d'en aborder l'étude, je terminerai la description des trois autres cavernes dont il me reste à parler. Troisième caverne. — La troisième caverne est très-largement ouverte sur la mer; ses dimensions sont de 9",40 de largeur à l'en- trée, largeur qu'elle conserve dans presque toute son étendue, et de :7 mètres de profondeur. De plus, elle présente au fond une arrière-cavité, ou anfractuosité naturelle, profonde de 13 mètres et située à 3,50 au-dessus du sol. Dans les recherches que j'ai faites dans cette caverne, j'ai trouvé à peu près la même faune que dans la cinquième grotte, sauf le Sus Polucci et lHyæna spelæa. Jy ai également recueilli un certain nombre de silex taillés, mais aucun instrument en os. Deuxième caverne. — La deuxième caverne, qui est, de même que la sixième et la huitième, un abri sous roche, est large à l'ouverture de 10 mètres et profonde de 6",10. Le sol, couvert de broussailles, est formé par le conglomérat rougeûtre du plateau. Dans les fouilles que j'y ai fait faire dans le courant du mois de mars , fouilles qui ont cependant atteint près de 2 mètres de pro- fondeur, je n’ai absolument trouvé qu'une dizaine de dents de cerf, le Cervus eluphus, et quelques rares éclats de silex; et pour- tant aucune recherche n'avait été faite dans cette grotte avant mes travaux d'exploration. Première caverne. — La première caverne est la plus rappro- MISS. SCIENT. — VII. 33 — 194 — chée de la frontière française; elle mesure 8",70 de largeur à l'entrée et 14",10 de profondeur. Elle a été creusée autrefois près de son ouverture pour y établir un four à chaux, lequel n’a jamais été depuis lors entièrement comblé. C'est donc en arrière de ce four que j'ai du lexplorer; je l’ai fait creuser sur toute sa largeur et sur une épaisseur de 1*,50 environ. J’y ai recueilli de nom- breux ossements d'animaux, identiques à ceux trouvés dans la troisième et dans la cinquième caverne, ainsi que quelques an- douillers de cerf. La faune qui y prédomine est constituée par le Sus scrofa et par les ruminants, genre Cervus et Capra. Les co- quilles et les silex y sont en nombre beaucoup moins considérable que dans les autres cavernes. C'est dans cette grotte que j'ai trouvé un fragment d'encrine, lequel a pu servir d'ornement, soit qu'il ait.été porté seul, soit qu'il ait fait partie d’un collier. Quatrième caverne. — La quatrième caverne, ou Barma dou cavillou !, est ainsi nommée parce que, depuis un temps immémo- rial, on apercevait à son sommel un morceau de bois ou cheville placé transversalement. À l'entrée, il se trouvait aussi autrefois un immense caroubier dont le feuillage cachait complétement la ca- verne. Il fut arraché au commencement du siècle pour la cons- truction d’un four à chaux, qui fut comblé au bout de peu d’an- nées. Cette caverne ne présente n1 stalagmites à la surface du sol, ni stalactites à la voûte ou aux parois. Son niveau avait déjà subi quelques modifications par suite de fouilles antérieures aux miennes. Elle mesure environ 7 mètres de largeur à l'entrée, 18",90 de profondeur et 15 à 16 mètres de hauteur. Elle se ter- mine au fond par une arrière-cavité très-étroite et peu profonde. Peu ou point d’anfractuosités dans les parois, recouvertes, en cer- tains endroits et principalement dans la partie la plus reculée, de quelques incrustations calcaires, dans lesquelles .on retrouve en- core à une certaine hauteur des fragments osseux et des coquilles à demi-brisées, des traces de cendre et de charbon ainsi que quel- ques éclats de silex. Le sol est formé par un mélange de cendres et de terre demi-compacte, humide et noirâtre seulement sur les parties latérales et dans le fond, là où tombent, goutte à goutte, les ! Barma dou cavillon signifie, en patois piémontais, baume ou grotte de la che- ville. FA is -d'hfé > | "+ ee — 95 — eaux d'infiltration, plus ou moins chargées de principes calcaires. En dehors de la caverne et à l'entrée, des pierres éboulées; plus loin et en dedans, quelques blocs détachés de la voûte ou des pa- rois, le long desquelles ils ont glissé, gisent à des profondeurs va- riables. La nature du sol, presque exclusivement formé de cendre, je le répète, et de débris de cuisine, et les dimensions exiguës de cer- tains instruments en os et en silex ont rendu ici les fouilles longues et minutieuses, et nécessité que toute la masse constitutive du foyer füt passée au crible au fur et à mesure que la pioche la mettait à nu et la divisait. C’est à ces soins que je dois du reste d'avoir pu découvrir, sans le briser, le squelette humain dont je parlerai plus loin, et d’avoir recueilli un assez grand nombre de pointes et de pointerolles en silex, qui, sans ce mode d'opérer, eussent été emportées dans les déblais et par suite perdues pour l'étude des objets fabriqués par l’homme préhistorique. Depuis plus de trois mois, j'étudiais le sol de la quatrième ca- verne, faisant chaque jour creuser plus profondément et recueil- lant de nombreux objets tels que dents, mächoires, bois et osse- ments d'animaux, coquilles de mollusques et instruments en silex et en os. J'étais parvenu à une profondeur de 6",55 lorsque, dans la journée du 26 mars dernier, je découvris les ossements d'un pied appartenant à un squelette humain. Jusqu'alors aucun osse- _ ment d'homme n'avait été trouvé dans les cavernes des Baoussé- Roussé. Ce squelette, dont le dégagement entier des cendres qui le re- couvraient n’a pu étre terminé qu'après huit jours d’un travail non interrompu {travail pour lequel je ne me fiai qu'à moi-même), était couché sur le côté gauche, décubitus latéral gauche, dans le sens longitudinal de la caverne, à 7 mètres environ de l'entrée, près de la paroi latérale droite, et dirigé du sud au nord. Son atti- tude était celle du repos, celle d'un homme qu'une mort subite et sans aucune agonie aurait surpris pendant le sommeil. Au-devant de la bouche et des fosses nasales, à 6 centimètres environ de ces ouvertures, était creusé un sillon parfaitement régulier, long de 18 centimètres, large de 4 et profond de 35 millimètres. Ce sillon était rempli par une matière d’un gris brillant, qui n'était autre que du fer oligiste en poudre, fer que je n'ai jamais trouvé ail- leurs, et par parcelles brillantes, qu'à la surface des os dudit — 96 — squelette, auquel il a donné une coloration rouge très-marquée. La tête, un peu plus élevée que le reste du corps et lésèrement inclinée en bas, regardait le fond de la caverne; elle reposait sur le sol par la partie latérale gauche du cräne et de la face; le. maxillaire inférieur était appuyé sur les dernières phalanges de la main gauche. La base du crane, ainsi que la région postérieure du tronc jusqu’au bassin, était appuyée contre quelques pierres plus ou. moins volumineuses, non taillées et de formes irrégulières, paraissant avoir servi de point d'appui au corps pendant le som- meil. Ce squelette, le premier de cette époque qui ait été trouvé aussi entier, est, j'oserai dire, complet; il ne lui manque qu'une phalange unguéale de la main droite; l'extrémité inférieure du tibia gauche et l'extrémité postérieure du calcanéum du même côté (lesquels ont été brisés par le coup de pioche qui a révélé pour la première fois la présence de l’homme fossile dans les cavernes des Baoussé-Roussé); la tête du péroné gauche, ainsi que quelques ossements des pieds. Le pied droit se compose du calcanéum, de l’astragale, du scaphoïde, des trois cunéiformes, des trois premiers métatarsiens et de la première phalange du gros ortel. Le pied gauche se compose du calcanéum , de l’astragale , du scaphoide, du cuboïde, d’un os cunéiforme et du premier métatarsien. La mensuration aussi approximative que possible des pièces les plus importantes du squelette, que j'ai comparées aux ossements modernes d’un homme d'une taille un peu au-dessus de la moyenne, m'a permis de dresser le tableau suivant : — 197 — UELETTE | SQUELETTE |k OSSEMENTS. sh Q FOSSILE, MODERNE. | | | LT SE Ne 0,342 Cubitus Oo ,283 | Radius o ,263 eue ,158 : 464 Tibia... Péroné Calcanéum .. Premier métatarsien Première phalange du gros orteil Ainsi qu'on je voit ici, la longueur des ossements de l’homme fossile l'emporte notablement sur la longueur des os d’un squelette moderne. Si, suivant le procédé employé par M. le docteur Broca et relaté dans son mémoire Sur les proportions relatives du bras, de l’avant- bras et de la clavicule chez les nègres et les Européens |, je compare les pièces du squelette entre elles, j'obtiens les résultats suivants : L'humérus étant représenté par 100, la longueur du radius donne 76,90; tandis que chez les nègres la moyenne est pour l’homme de 79,43, pour la femme de 79,35, et pour les deux sexes de 79,39; chez les Européens, la moyenne est pour l’homme de 73,82, pour la femme de 74,02, et la moyenne pour les deux sexes de 73,92. La clavicule affectant également des differences de longueur ! Bulletin de la Société d'anthropologie de Paris , t. HIT ; 2° fascicule, 1862. — 198 — selon les races, J'ai comparé aussi cet os à l'humérus, représenté toujours par 100, et j'ai obtenu le chiffre de 46,19; chez les nègres, la moyenne trouvée par le docteur Broca était de 45,89 pour l'homme, de 47,40 pour la femme, et la moyenne pour les deux sexes de 46,65; tandis que chez les Européens, la moyenne pour l’homme est de 44,32, pour la femme de 45,04, et la moyenne pour les deux sexes de 44,68. | Dans le squelette moderne que j'ai eu à ma disposition, le ré- sultat de la mensuration m'a donné pour le radius 73,6: et pour la clavicule 45,39, chiffres peu différents des moyennes indiquées par le docteur Broca. | | Quant aux dimensions exactes du crâne, bien que celui-ci ait à peu près conservé sa forme, il ne m'a pas été possible de les prendre en raison des fractures au niveau de l'occipital avec che- vauchement, et au niveau du frontal avec léger renversement latéral de la boîte crânienne de gauche à droite et de haut en bas sur les os de la face. Le crâne est allongé, très-dolichocéphale, bombé au sommet, moins volumineux que le crâne n° 1 {crâne de vieillard), trouvé à Cro-Magnon en Périgord, en 1868, avec lequel il offre cependant le plus d’analogie; il est beaucoup moins large aussi à la région postérieure ou occipitale; le front est également un peu plus étroit; les tempes sont aplaties. Parmi les sutures du crâne, toutes soudées, seules sont apparentes la suture sagittale, le commence- ment de la suture lambdoïde, et la suture temporo-pariétale. La suture fronto-pariétale est cachée par la croûte ferrugineuse épaisse qui recouvre la surface du crane !. Le trou pariétal est très- apparent. L’orbiie est extrêmement remarquable par sa forme, qui rapproche le plus le crâne auquel elle appartient du cràne n° 1 de Cro-Magnon. Elle présente comme celui-ci un diamètre transverse très-étendu, tandis que le diamètre vertical est fort réduit; leur rapport est de 0",043 à 0”,027 : ce qui donne un indice de 62,79. Sur le squelette moderne les diamètres étaient de 0,037 el 0,032, d'où un indice orbitaire de 86,48. Sur le crâne de Cro-Magnon les diamètres étaient de 0°,044 et 0",027, d'ou indice orbitaire représenté par le chiffre de 61,36. On peut, par * Toutes ces indications se rapportent plus généralemeut à la moitié latérale droite du crâne et de la face. — 199 — ce dernier chiffre, voir qu'il y a similitude presque complète dans cette forme allongée des orbites chez l’homme de Cro-Magnon et l'homme des Baoussé-Roussé; forme qui devait donner à la phy- sionomie un aspect singulier. Le bord orbitaire supérieur est mince et tranchant, moins cependant que sur le n° 1 de Cro-Magnon; de même le bord orbitaire inférieur est moins épais que sur ce der- nier. La fosse canine du maxillaire supérieur est très-peu profonde. La face ne présente aucun prognathisme. La branche montante du maxillaire inférieur est très-peu inclinée; l'apophyse coronoïde est à peine saillante, l’échancrure sigmoïde est large et peu pro- fonde, le condyle du maxillaire est assez épais, l’angle de la mâchoire est arrondi. : Toutes les dents que la position de Ja tête permet de voir, c’est- à-dire celles du maxillaire supérieur droit, et celles de la moitié droite du maxillaire inférieur, existent et sans aucune carie. Elles sont extrêmement remarquables; leur surface triturante ne pré- sente ni saillies, ni tubercules, mais est complétement rasée, par- faitement plane, sans aucune obliquité, non plus sur les incisives et les canines que sur les molaires, non plus sur les inférieures que sur les supérieures. Cette usure est-elle lindicé d’un àge avancé? L'aspect des sutures du crane, bien que soudées, semble s’y opposer. Estelle un caractère de race? ou bien le résultat d’une alimentation plus végétale qu'animale? La quantité énorme d'osse- ments d'animaux trouvés dans la caverne et brisés par l’homme, ossements qui ne sont pour la plupart que des débris de cuisine, parait devoir faire repousser cette idée. Et cependant la brièveté de l’apophyse coronoïde du maxillaire inférieur devait per- mettre des mouvements très-étendus de cet os sur les maxillaires supérieurs. | Le crâne était orné d’une parure formée par un très-grand nom- bre de coquilles méditerranéennes perforées de main d'homme, la Nassa ou Cyclonassa neritea !, et par vingt-deux dents canines de cerf (le Cervus elaphus), également perforées par l'homme; ces dernières se trouvaient principalement appliquées contre la région temporale droite; cette parure devait être comme une véritable résille sur la tête. À Venise, dit-on, queiques femmes du peuple portent encore sur la tête une coiffure exclusivement composée ! J'en ai recueilli plus de deux cents. — 500 — de coquilles enfilées, remplaçant le jais ou les perles. De plus, un instrument ou arme en 05, long de 0”,173, était appliqué contre le crâne, en travers du front; taillé dans un radius de cerf dont une facette articulaire est encore visible à l'extrémité la plus large, extrémité à la fois aplatie, il présente la forme d’un poi- gnard se terminant cylindriquement par une pointe très-bien con- servée. Il pourrait être comparé à une de ces grandes épingles dont les femmes se servaient 1l y a quelques années pour retenir leur chevelure. En arrière du crâne et contre l'occipital étaient placées deux lames triangulaires en silex, toutes deux brisées à la base, à pointe à peu près intacte, et à bords accidentellement dentelés. La plus grande mesurait 0",095 de longueur, l’autre 0,083. Ces lames et le poignard décrit ci-dessus devaient, par la position qu'ils affectaient sur la tête, compléter la parure du crane. Passant maintenant à la description des autres parties du sque- lette, je citerai la longueur des clavicules, et le peu de courbure de leurs extrémités; la longueur de l’humérus et la non-perfora- tion de la cavité olécrânienne; la fracture consolidée du radius gauche au tiers inférieur de cet os avec déformation et incurvation de la portion fracturée; fracture survenue pendant la vie ainsi que l'indique le cal osseux. J'avais primitivement indiqué ! cette frac- ture comme intéressant les deux os de l’avant-bras, mais après la consolidation du squelette par M. Stabl, dont le procédé conser- vateur est si remarquable, j'ai pu dégager plus complétement les pièces osseuses, dégagement qui m'a permis de reconnaïtre que le radius seul avait été atteint. Les membres supérieurs présentent une flexion prononcée des os de l’avant-bras sur le bras, lesquels sont ramencs vers le cou; la main droite retombe sur l’avant:bras gauche, tandis que la main gauche semble encore soutenir la tête. Le thorax est complétement écrasé, et les côtes plus ou moins brisées, accident inévitable en raison de la compression due à la hauteur des foyers qui recouvraient le squelette. L’appendice xyphoïde du sternum a disparu. Les vertèbres cervicales sont très- bien conservées et dans leur position normale; les vertèbres dor- sales sont masquées par les côtes; les lombaires sont plus ou moins écrasées. À la région lombaire est encore adhérente une © Première communication sur le squelette humain des Baoussé-Roussé. {Aca- démie des sciences, 29 avril 1872.) — 501 — astragale de cerf Île Cervus elaphus). Le sacrum est entier, ses surfaces articulaires ne sont plus en rapport immédiat avec les surfaces correspondantes des os iliaques, mais en sont légèrement éloignées. Les os iliaques très-friables ont quelque peu souffert, et pré- sentent quelques fractures surtout au niveau du pubis; aussi le bassin n'a-t:l pas pu être mesuré, en raison de sa déformation due à l'attitude du corps et à la compression qu'il a subie. Les membres inférieurs à demi-fléchis s’entrecroisent légère- ment et reposent l’un sur l’autre. Les fémurs sont bien conservés, ils sont longs et forts, et présentent une courbure de torsion assez marquée, tandis que la courbure antéro-postérieure est à peu près normale. Le col est court, sa briéveté a fait croire à un écrase- Ment; les trochanters ont un volume normal; la ligne âpre est très-accentuée, sa lèvre externe surtout est saillante. Les condyles sont forts et leur épaisseur est de 0",084. Les rotules sont bien développées et sont restées accolées à l'extrémité inférieure des fémurs. Les tibias sont massifs, et fortes sont leurs extrémitésinférieures, | et supérieures surtout; l'extrémité inférieure du tibia gauche, comme je l'ai dit plus haut, a disparu, brisée qu'elle a été par un coup de pioche. Leur face externe est assez fortement incurvée el creusée plus profondément qu’on ne le remarque d'habitude; sa profondeur étant en raison directe du volume du muscle jambier antérieur, auquel elle donne attache dans toute son étendue, celui-ci devait étre puissamment fort. Ces tibias présentent la forme en lame de sabre qu'on avait déjà remarquée sur ceux qui appar- tiennent au squelette de Cro-Magnon déposé au Muséum. Les péronés sont également volumineux; l'extrémité inférieure qui forme la malléole externe est plus massive, plus arrondie et moins triangulairé qu’elle ne l’est ordinairement. Les os des extré- mités inférieures donnaient donc certainement altache à des muscles puissants, en rapport avec les exercices de marche aux- quels devaient se livrer les peuplades dont faisait partie l’homme fossile des Baoussé-Roussé. Au-dessous de l'extrémité supérieure du tibia et du péroné gauches, c'est-à-dire sur le vivant au niveau du jarret, j'ai recueilli 41 coquilles perforées de main d'homme; ces coquilles, les mêmes Nassa ou Cyclonassa nerilea trouvées sur la tête, devaient former un bracelet de la jambe ou jambelet. _— 502 — Le pied est grand, fort et bien développé; ce qu'indique par- faitement, dans le tableau de mensuration, la longueur des diffé- rentes pièces osseuses qui le composent !, longueur d'ensemble qui donne une mesure de 0*,34. Le talon est haut (la hauteur la plus grande du calcanéum est de 0",045), sa face postérieure est presque droite, verticale, et présente à la partie moyenne comme un bourrelet formé par des rugosités d’insertions musculaires tres- marquées. | En résumé, l’homme fossile auquel appartient le squelette que ‘e viens de décrire devait être d’une grande taille, taille dont Je crois pouvoir approximativement fixer le minimum à 1,85, peut-être même à 1”,90. Il devait être dans la force de l’âge, bien que certaines épiphyses, telles que la tête de l’humérus et la tête du fémur aient paru, aux yeux de certains savants, incom- plétement soudées au corps de l'os. L'angle facial est beau, et doit se rapprocher du chiffre de 85 degrés. Ge squelette n'offre aucun des caractères du singe, avec lequel il n’est en quoi que ce soit comparable; et les seuls squelettes avec lesquels il ait quelque affinité sont les squelettes découverts à Cro-Magnon en Périgord, en 1868. Après avoir été ramené à Paris avec une partie du sol sur lequel il reposait, et dans un état de conservation aussi parfait que pos- sible, malgré les grandes difficultés d'extraction auxquelles j'ai eu affaire, malgré les dangers d’un transport en chemin de fer, le squelette a été consolidé par M. Stahl et placé dans les galeries d'anthropologie du Muséum d'histoire naturelle.” L'étude des objets trouvés dans la quatrième caverne, et prin- cipalement des débris osseux ou dentaires, comprend deux par- ties : la première, les pièces recueillies dans le voisinage le plus im- médiat de l'homme, lesquelles, en indiquant s1 contemporanéité et celle de certaines espèces animales, permettent d'établir avec une assez grande exactitude l'époque géologique à laquelle cet homme a vécu; la seconde, les pièces provenant des recherches que j'ai faites antérieurement à la découverte du squelette. Dans cette étude, M. le professeur Gervais et M. le docteur Sénéchal pour les animaux, M. le professeur Deshayes pour les 1 Non compris les phalanges unguéales qui font défaut. — 505 — coquilles, ont bien voulu me prêter le plus bienveillant con- cours. La faune trouvée immédiatement au-dessus, au-dessous ou à lentour de l'homme se compose de : 1° Carnassiers. Felis spelæœa, deux phalanges. Ursus spelœus, une phalange incinérée. Ursus (de petite taille, qui pourrait être l’ursus arclos), une phalange. Canis lupus, une phalange. Erinaceus, un maxillaire inférieur dépourvu de ses dents. 2° Pachydermes. Rhinoceros, un fragment de dent molaire. Equus caballus, une dent molaire. Sus serofa, plusieurs dents. 5. Rongeurs. Lepus cuniculus, un maxillaire inférieur gauche avec ses quatre preuières dents molaires. 4° Ruminants. Bos primigenius, deux dents molaires, trois incisives. Extrénuté supérieure d’un métacarpien. Côte et vertèbre. Cervus alces, une première molaire supérieure droite. Cervus elaphus, maxillaire supérieur gauche contenant la série presque entière des molaires, la première dent seule fait défaut; fragment de maxillaire inférieur avec les trois premières molaires. Trois dents molaires dont une de lait. Trois dents incisives. Deux fragments de maxillaire supérieur renfermant encore une prémo- laire. Un fragment de bois incinéré. Portion supérieure d’un avant- bras gauche. Un assez grand nombre de phalanges. Deux os métatarsiens. Un os cubo-scaphoïde. Cervus canadensis!, fragment de maxillaire inférieur avec deux molaires. Un fragment de maxillaire inférieur avec sa dernière molaire. Deux astragales. Trois métatarsiens. Deux phalanges. Une tête de fémur. ! Lequel ne diffère de l’élaphe que par des dimensions supérieures. — 950Ù — Cervus, plus petit que lélaphe, peut-être le cervus corsicanus. Quatre fragments de maxillaires supérieurs et inférieurs avec leurs dents molaires. Quelques dents molaires brisées. Cervus capreolus, un fragment de maxillaire inférieur contenant les deux dernières molaires. Une dent molaire supérieure. Une rotule. Une phalange unguéale. Capra primigenia, vingt-deux dents molaires. Six maxillaires inférieurs et supérieurs plus ou moins brisés. Deux astragales. Extrémité inférieure d’un métatarsien. Extrémité inférieure d’un radius. Portion d’omoplate. Calcanéum. Cinq phalanges. Deux phalanges unguéales. Deux extrémités inférieures d’humérus. Antilope rupicapra où Chamois, un fragment de maxillaire infé- rieur présentant la 1", la 2° et la 3° dent molaire avec ses trois collines, la 4° et une partie de la 5°. Un fragment de maxillaire inférieur présentant également la 3° molaire avec ses trois collines et la 4° molaire. Une astragale. | J'ai aussi recueilli auprès du squelette quelques autres osse- ments d'animaux brisés par la main de l’homme, mais ils étaient trop incomplets pour pouvoir être déterminés. Parmi les divers animaux dont je viens de faire l’'énumération, trois surtout par leur présence auprès du squelette, le grand Felis ou Felis spelæa, l'Ursus spelœus et le Rhinocéros, présence que J'avais déjà constatée dans la même caverne et à un niveau supé- rieur à celui où j'ai trouvé cet homme fossile, démontrent la haute antiquité de l’homme des Baoussé-Roussé !. Quant au renne, il n'existe pas dans les cavernes de Menton, il paraît également faire défaut dans toutes les autres cavernes de l'Italie. Vivait-il cependant à la même époque, mais en d’autres parties de l’Europe, principalement en France et en\Angleterre, où il paraït avoir persisté plus longtemps que la plupart des autres espèces caractéristiques de cet âge? « Dans la grotte d'Arcy, M. de Vibraye la signalé principalement dans l’assise moyenne où l’on ne trouve plus les restes de lhyène, du grand ours ?, etc. » « Dans aucun cas, dit également M. le professeur Gervais, dans 1 J'avais trouvé également, à un niveau supérieur, non-seulement des dents de V'Hyæna spelæa, dont quelques-unes ont subi l'action du feu, mais encore trois coprolithes du même animal. ? E. Lartet, L'homme fossile dans La Haute-Garonne, 1863. — 505 — une communicalion qu'il fit à la Société géologique de France !, le renve, soit utilisé par l’homme, soit mort à l'état sauvage et représenté alors par des ossements intacts et non transformés en instruments, n'a encore été signalé avec certitude parmi les fos- siles préhistoriques observés en Italie. » Les mollusques trouvés auprès de l'homme se composent de : 1° Cardium tuberculatum, quatre coquilles dont une est per- forée de main d'homme. 2° Pecten Jacobæus, six fragments de coquilles. 3° Peclen maximus, un seul fragment. Cette espèce ne se trouve pas dans les eaux de la Méditerranée et paraît provenir de l'Océan. 4° Pectunculus glycimeris, une coquille. 5° Mytiilus edulis, sept coquilles dont deux sont brisées. 6° Nassa neritea, deux coquilles, toutes deux perforées par l'homme. Elles ne présentent pas la coloration rouge due à l’oxyde de fer, comme celles trouvées soit à la surface du crâne, soit au- dessous de l'articulation fémoro-tibiale gauche. Elles ont été re- cueillies toutes deux un peu au-dessus du squelette et au niveau de la région dorsale. | Quant aux instruments soit en os, soit en silex qui se trouvaient aussi près du squelette humain, ce sont : 1° Le poignard en os déjà décrit; deux poinçons également en os à pointe à peu près intacte; 2° Un grand nombre de silex taillés {plus de cent cinquante) sous forme de grattoirs, de pointes de lances ou de flèches, de pointerolles et de lames, ainsi que quelques nuclei. Parmi les lames je citerai principalement celles accolées à l’occipital, que j'ai déjà indiquées en décrivant le crâne de l'homme. Ces deux instruments, ainsi que le poignard en os, les canines de cerf perforées, les nassa neritea du crâne et du jambelet, pré- sentent la coloration rouge que j'ai signalée sur toutes les pièces du squelette et principalement sur la tête. Cette coloration est due au peroxyde de fer, peroxyde formé par l'hydratation du fer: oligiste, dont toute la surface du corps avait été recouverte après la mort, et indique une inhumation de l’homme fossile, mais sans aucun déplacement du corps. En effet, l'attitude du squelette 1 Paul Gervais, Coup d'œil sur les mammifères fossiles de l'Italie. (Bulletin de la Société géologique de France, 1872, 2° série, L XXIX.) démontre parfaitement que lhomme, sujet de cette étude, est mort aux lieu et place où Je l'ai découvert, c'est-à-dire sur un sol formé de cendres, de charbon et de pierres calcinées, au milieu d'un véritable foyer, entouré des détritus de la vie de chaque jour. Il a dû mourir pendant son sommeil (ainsi tend à le prouver, je le répète, l'attitude du repos que J'ai été assez heureux pour lui conserver en le rapportant à Paris), soit qu'il se soit réfugié dans sa caverne à la suite d'une blessure, soit qu'il ait succombé à une maladie mais sans agonié violente, soit enfin qu'il ait été surpris par une mort subite. Je n'ai trouvé aucune trace d'éboule- ment, el la série de pierres contre lesquelles la résion postérieure du crâne et du tronc se trouvait placée indique une disposition intentionnelle afin de servir de point d'appui au corps pendant le sommeil. Quant aux divers objets trouvés dans la quatrième caverne pendant mes recherches antérieures à la découverte du squelette humain, ils composent pour les animaux une faune considérable. Les carnassiers y sont assez nombreux, mais chacun d'eux n’a laissé que fort peu de débris; parmi les pachydermes, le sus et le cheval n'ont fourni que des dents et des fragments de mà- choire, mais très-peu d'ossements, le rhinocéros quelques dents : seulement. Par contre, j'ai recueilli un nombre très-important d'ossements, de màchoires, de dents et quelques bois appartenant à des animaux de l’ordre des ruminants et principalement au cer- vus elaphus et à la capra primigenia. Chez les rongeurs, c'est Le lapin qui prédomine. Les oiseaux ont aussi fourni quelques ossements; quant aux poissons, je n’ai trouvé encore que deux petites ver- ièbres, et deux supports épineux de nageoire dorsale; les crustacés m'ont donné un seul fragment impossible à déterminer. FAUNE DE LA QUATRIÈME CAVERNE. A. — MAMMIFÈRES. 1° Carnassiers. Ursus spelœus, dents. Ürsus arctos, dents. | Hyæna spelea, dents et coprolithes; l’une des canines sembie — 907 — se rapprocher par une arête plus tranchante des canines du Felis machairodus. Felis antiqua, un maxillaire supérieur gauche avec deux dents molaires. l'elis spelæa, ossements. l'elis lynx ou Lynx, phalanges. L'elis catus ou Chat sauvage, un fragment de maxillaire inférieur avec deux dents molaires; un fragment d'humérus représenté par l'extrémité inférieure avec la cavité olécranienne perforée. Canis lupus ou Loup, dents et ossements. Canis vulpes où Renard, màchoires, dents et ossements. Mustela ou Belette, màchoire. 2° Pachydermes. Fhinoceros tichorhinus, quelques dents. | Equus caballus, dents nombreuses et quelques ossements; un métacarpien gauche principal a été percé d'un trou un peu au- dessus de l'extrémité inférieure pour être porté, suspendu au cou, probablement comme bâton de commandement. Sus scrofa, dents et machoires. 3° Pon geurs. Arciomys primigenia où Marmotte, un squelcite à peu près entier; quelques ossements et machoires séparés. Lepus cuniculus, un grand nombre d’ossements, de mächoires et de dents. - Mus tectorum, mâàchoires. Mus arvalis, machoires. Mus muscardinus, demi-mâchoire inféricure. 4° Ruminants. Bos primigenius, un grand nombre de dents molaires et inci- sives, de machoires et quelques rares ossements. Cervus alces ou Élan, deux fragments de maxillaire supérieur avec leurs deux premières dents molaires; deux mélacarpiens latéraux d’inégale grandeur et dont l'extrémité inférieure à été parfaitement travaillée pour en faire des poinçons. Cervus elaphus, dents, mâchoires, ossements et bois en quantité considérable. — 508 — Cervus canadensis, dents, ossements et machoires. Cervus, plus petit que l’élaphe, intermédiaire comme taille entre celui-ci et le chevreuil, peut-être le Cervus corsicanus; des dents, des màchoires et des ossements. Cervus capreolus ou Chevreuil, dents, mächoires, ossements et bois en assez grand nombre. Capra primigenia, une grande quantité de débris osseux ou dentaires et deux cornes, dont une incinérée. B. — OISEAUX. ° Rapaces. = Falco (aigle), deux phalanges unguéales; extrémité inférieure d’un fémur gauche à demi-incinéré. 2° Passereaux. Les passereaux sont représentés par un assez grand nombre d’os- sements appartenant à un oïseau de la famille des corvidés, très- probablement la pie. 3° Gallinacés. Les gallinacés dont j'ai recueilli les ossements peuvent se di- viser en gallinacés proprement dits, représentés par la perdriæ, et en columbidés représentés par le pigeon. C. — POISSONS. Ainsi que je l'ai fait remarquer plus haut, je n’ai trouvé jusqu'à présent que deux vertèbres pouvant appartenir à un poisson de petite dimension, et deux supports épineux de nageoire dorsale provenant certainement d’un poisson de la taille d'un grand saumon. D. — CRUSTACÉS. Le seul caen de crustacé que j'ai trouvé est beaucoup trop informe pour qu'on pee déterminer lanimal auquel il appar- tenait. E. — MOLLUSQUES. Les mollusques recueillis dans la quatrième caverne sont en É 1 N ‘1 d L : — 509 — quantité considérable et forment un grand nombre d'espèces. Ils devaient servir pour la plupart à la nourriture de l’homme. Ils se divisent en mollusques marins et en mollusques terrestres. Parmi les premiers quelques coquilles ont été perforées par l’homme pour être très-probablement portées comme objets de parure; ce sont : la patella cærulea, la patella vulgata, le pectun- culus glycimeris, le pecten Jacobœæus, le cardium edule, le trochus Jussieut, le trochus erythroleucus, le cerithium vulgatum, la turritella communis, la natica maculata, la nassa mutabilis, la nassa neritea, la nassa reticulata, la nassa gibbosu, la nassa incrassata, la cassis sulcala, le conus mediterraneus, le buccinum corniculum, la cyprœa spurca, la cypræa coccinella. Quelques coquilles présentent cette particularité qu'elles sont des coquilles de l'Océan, et n'ont jamais été trouvées dans la Méditerranée, telles que le pecten maximus, dont j'ai recueilli deux fragments, et le cerithium cornucopiæ, qui a été déterminé par M. le professeur Deshayes comme ne pouvant provenir que des environs de Valognes. Comment ces coquilles sont-elles arrivées jusque dans les cavernes des Baoussé-Roussé, en Italie, au bord de la Méditerranée? Serait-ce le résultat d'échanges commerciaux entre diverses peuplades habitant à cette époque certaines parties de la France et de l'Italie? Serait-ce le résultat d’'émigrations ou de voyages? Je ne puis actuellement que poser la question sans la résoudre. Les mollusques, dont j'ai recueilli les coquilles entières ou brisées, se composent des espèces suivantes, marines d'abord, terrestres ensuite, toutes déterminées avec le concours bienveil- lant de M. le professeur Deshayes : 1° Coquilles marines. Pecten Jacobæus. Haliotis lamellosa. maximus. Cardium rusticum. Pectunculus glycimeris. edule. .Mytilus edulis. Dentalium rectum. Patella ferruginea. er Tirentinum: Safiana. novemcostatum. ———— Ulyssiponensis. Turbo rugosus. cœærulea. Trochus turbinatus. _ vulgata. tessellatus. 22 Lusitanica. Jussieui. MISS. SCIENT. — VII. 31 Trochus Richardi. erythroleucus. Chenopus Pespelecani. Turbinella lignaria. Columbella rustica. Cerithium vulgatum. reticulatum. fuscatum. Scalaria communis. Turritella communis. Cassidaria echinophora. Cassis sulcata. Saburon. Littorina littoralis. Fusus rudis ? Conus mediterraneus. Natica...? — D10 — Natica nitida. maculata. Nassa neritea. mutabilis. reliculata. gibbosa. incrassata. Buccinum corniculum. Cypræa spurca. pyrum . —— \coccinella: Mitre.,. (sa columelle). Purpura lapillus. Nummulrtes perforata. Cerithium cornucopiæ. Pleurotoma unditiruga. Polypier. .... à 2° Coquiiles terrestres. Cyclostoma sulcatum. Helix rufescens. Helix vermiculata. conspurcata. aspersa. Niciensis. candidissima. Bulimus decollatus. cespitum. Pupa similis. elegans. quadridens. Les instruments trouvés dans la quatrième caverne sont en os, en bois de cerf ou en pierre. A. — Les instruments en os et en bois de cerf sont relative- ment peu nombreux, à moins que l'on ne veuille considérer comme instruments tous les ossements brisés de main d'homme qui présentent une extrémité effilée et terminée en pointe. Je m’ai sur aucun d'eux trouvé la moindre trace de dessin ou de gravure. Seul un fragment osseux indéterminable, fendu dans le sens lon- gitudinal, long d’un peu plus de 0",06 et brisé aux deux extré- mités, présente deux séries de trois traits transversaux et paral- lèles, séparées l'une de l’autre par un intervalle de 0",017.: Les instruments en os que j’ai recueillis peuvent se diviser en : 1° Flèches. — Généralement mal taillées et plus ébauchées que finies. F 2° Poinçons. — Ceux-ci sont fort beaux pour la plupart, ils sont aussi les plus nombreux; quelques-uns sont cylindriques dans toute leur longueur, d’autres ont une extrémité aplatie, — SI — tandis que l'extrémité opposée est cylindrique et pointue; Pun d'eux, long de 0",05 environ forme un double poinçon, c'est-à- dire que, large à la partie moyenne, il se termine des deux côtés par une extrémité effilée et pointue. Un poinçon fabriqué dans un andouiller de cerf est très-grossièrement taillé, sa pointe est mousse, il a 0",16 de longueur. Deux autres poinçons en os ont été taillés dans des métacarpiens latéraux de cervus alces ou élan. Leur extrémité supérieure articulaire forme manche et est in- tacte; le plus grand mesure 0",115 de longueur, il est parfaite- ment appointi; 1l a été coupé dans les 2/5 supérieurs de los; je l'ai trouvé à 6",35 de profondeur. Le second, de même forme que le premier, ne s’en distingue absolument que par sa longueur beaucoup moindre, puisqu'elle n’est plus que de 0",072. Le mé- tacarpien qui a servi à sa fabrication semble avoir subi un arrêt de développement dans le sens longitudinal; il a été trouvé à 5°,20 de profondeur. 3° Aiguilles. — Aucune d'elles n’est entière, aucune n’a son chas, l'extrémité la plus large est brisée, la pointe seule en est intacte et des mieux acérées. h° Ciseaux. — Le ciseau est un os parfaitement cylindrique dans toute son étendue, mais d'un cylindre plus volumineux que celui du poinçon, et qui se termine en se rétrécissant un peu, et en s’aplatissant en forme de lame épaisse et arrondie. 5° Lissoir. — Cet instrument, considéré comme ayant pu servir à aplatir les coutures faites aux peaux de bête, a été fabriqué avec un andouiller de cerf, dont la pointe seule a été travaillée de façon à offrir une surface plane d’un côté, large de près d’un cen- timètre carré, une surface arrondie de l'autre, le reste de l’an- douiller conservant sa forme naturelle. 6° Bäton de commandement. — Celui-ci, dont j'ai dejà dit quelques mots en énumérant les divers pachydermes trouvés dans la quatrième caverne, n'est autre qu'un métacarpien principal gauche, appartenant à l’equus caballus. perforé par l'homme un peu au-dessus des surfaces articulaires qui forment poulie. Il devait être porté suspendu au cou comme insigne. Il est entier et intact; sa longueur est de 0",21, la circonférence externe du trou pré- sente un diamètre de 0",031 d’un côté et de 0",034 de l’autre, la circonférence interne la plus petile a un diamètre de 0",018. Cette perforation est irrégulièrement circulaire. Fai trouvé ce 2 / OA. — 512 — | bâton à 6%,40 de profondeur, c’est-à-dire à 0",15 environ du squelette de l'homme fossile au milieu d'ossements de toute na- ture, de cendres et de charbon; il ne porte aucun dessin, ni gra- vure ni entaille. B.— Les instruments en pierre, de beaucoup les plus nom- breux, ne se comptent plus par centaines mais par milliers, si l'on veut y comprendre les éclats et les nucleï. Ils sont générale- ment bien conservés et souvent entiers; la forme qui prédomine est celle en grattoir ou racloir; les nuances en sont des plus variées, indiquant des différences d'origine, silex de la. craie, silex- agates, etc. etc. J'ai pu réunir sur une même planche photogra- phique une cinquantaine de grattoirs différant complétement les uns des autres par la couleur. À très-peu d’exceptions près, les silex trouvés dans les cavernes des Baoussé-Roussé sont de petite taille; les plus grands atteignent la dimension exceptionnelle de 9 à 10 centimètres de longueur. Ils sont assez généralement gros- sièrement taillés et remontent à l'époque de la pierre la plus an- ciennement connue, l'époque, comme le dit M. G. de Mortillet dans son Essai de classification !, où les instruments en os sont rares, et où par contre les instruments en silex prédominent considérablement, en un mot l'époque de la faune la plus ancienne. Quelques-uns de ces instruments, des grattoirs et des pointerolles, sont plus finement retouchés sur les bords. Les instruments en silex que j'ai recueillis peuvent se diviser en gralloirs ou racloirs; en poinçons, les formes en sont assez variées; en pointes de flèches ou de lances, présentant deux types différents, le type du Moustiers ?, caractérisé par une taille en amande ou en langue de chat, et le type de Solutré; ici l’instru- ment est retaillé sur ses deux faces: en pointerolles très-effilées et assez bien finies, retaillées sur leurs bords et aux deux extré- mités; en disques et en lames de couteaux, et autres, assez grossière- ment taillés. De plus, j'ai trouvé dans cette même caverne et à 1°,80 de pro- fondeur un galet roulé long de 0",18, ovoïde, parfaitement ar- rondi, en serpentine, et dont les deux extrémités ont dü servir 1 G. de Mortllet, Essai d'une classification des cavernes et des stations sous abri foulée sur les produits de l'industrie humaine, 1869. ? Du nom de la grotte située dans la commune de Peyzac, en Dordogne. 3 Du nom de Îa station préhistorique située près de Mâcon (Saône-et-Loire). — 515 — alternativement de pilon pour broyer diverses substances, et entre autres la poudre de fer oligiste; en effet, il a conservé, à l’une de ses extrémités principalement, une teinte rouge due à l’oxyde de fer qui s’est logé dans les érosions de la pierre. J'ai trouvé égale- ment un autre galet plus plat, de forme moins ovoide, entier, et que M. le professeur Daubrée a reconnu être de la jadéite; il por- tait aussi des traces de chocs en divers endroits. Quant aux objets en terre cuite, je n'ai découvert jusqu’à présent qu'un seul spécimen; c'est un fragment de disque brisé et percé d'un trou; sa couleur est d’un noir très-foncé, sa forme est aplatie et circulaire; la distance qui sépare le cercle intérieur du cercle extérieur donne un rayon de 0",033 de longueur; son épaisseur est de 0”,005 à 0,006. Il a été trouvé à la partie supérieure de la caverne auprès du four à chaux et dès le commencement de mes fouilles. Je joins ici, avant de terminer cette étude, le résultat de plu- sieurs analyses chimiques que M. Terreil, aide-naturaliste de chimie inorganique au Muséum d'histoire naturelle de Paris a bien voulu faire, ainsi que le résultat de quelques recherches micro- scopiques faites avec le bienveillant concours de M. Gérardin, docteur ès sciences et professeur agrégé de l'Université. ANALYSE D'UN OSSEMENT HUMAIN. (Phalange du pied.) Cet os, débarrassé de sa partie extérieure ainsi que du dépôt de carbonate de chaux cristallisé qui s'était formé dans le tube interne, a pour composilion ; DC déichade 7. CN, CNE A7, 28 56,76 Pahhatede tmapmésias]. 1. 2.1.2 ., 2938. 1,71 nnnalede chaux... & à lors Leslie ponte tos Gil 25,00 a er pd sie. 0,06 es se traces. Me arsanique azotée. . . :....4..:,..2,2, 4,07 POI JE, RENAN), VER APE 11,68 Tor. J/LCIBUME Er 99,28 PARTIE SPONGIEUSE INTERNE DU CALCANEUM. Cette partie spongieuse du calcanéum est entièrement recouverte MT ra de carbonate de chaux cristallisé d’une teinte ocreuse; on aperçoit par partie des espaces remplis d’une matière siliceuse très-blanche, mais non cristalline; cette matière se retrouve dans l'analyse, dans la partie insoluble, dans les acides. et après calcination elle semble avoir éprouvé une demi-fusion. Cette partie d'os, comme l'os précédent, dégage, lorsqu'on le calcine, l'odeur des matières organiques azotées et le papier de tournesol rouge bleuit forte- ment dans les vapeurs qui se dégagent. L'analyse lui assigne la composition suivante : Phosphitedechus.. Le tte oi 17,12 PRGSPRALE dE MARÉES DINAN NEC ERRESS 0,60 Carbonateide chaux. UMR NORME TERMES 64,33 DCE Et are le derutineuse, LL AU IR RACE 6,04 Manèretorganique azotéers , 2 LI). 12. TION à APE. 2,19 Raul PEL CIE CE MEME à TT TT RES 6,37 Toi LEA 02 LL 99,22 MATIÈRE FERRUGINEUSE TROUVÉE DANS UN SILLON AU-DEVANT DE LA BOUCHE ET DES FOSSES NASALES. Cette matière se compose de fer oligiste sous forme spéculaire, mélangé à de l'argile, à du carbonate de chaux et à des traces de phosphate de chaux. De plus, lorsqu'on calcine cette substance, elle dégage des vapeurs fortement ammoniacales qui indiquent la présence d’une matière organique azotée ou d’un sel ammoniacal. PATINE RECOUVRANT LE CRÂNE. Cette matière, d’un rouge ocreux, devient noire lorsqu'on la calcine; elle dégage en même temps beaucoup d'eau et des ma- tières ammoniacales, indices de la présence de matières orga- niques azotées ; elle est formée d'argile très-ferrugineuse, de carbo- nate de chaux et de traces de phosphates terreux. TERRE TROUVÉE À CINQ CENTIMÈTRES AU-DESSOUS DE LA TÊTE. Cette matière, d'apparence calcaire, est formée de carbonate et de phosphate de chaux, d'argile ferrugineuse et de matière orga- nique azotée; elle est très-hydratée. L'examen au microscope d'un certain nombre d'échantillons de terre recueillis soit au contact du squelette humain, soit en divers — 915 — autres endroits de la quatrième caverne, examen que M. le pro- fesseur Gérardin a bien voulu m'aider à faire, m'a donné les re- sultats suivants. La terre de la caverne renferme une grande quantité d'os pul- vérisés et quelques débris d'insectes. Dans les échantillons recueillis au contact du crâne, à la base du crâne et à la région cervicale on observe des fibres végétales semblant provenir de radicelles. Je rappellerai à ce sujet ce que C1 D Je . ' CE . . : jai déjà dit au commencement de cette étude, qu'il existait au- trefois à l'entrée de la quatrième caverne un grand caroubier dont les racines devaient plonger à une grande profondeur. Les échantillons pris contre le dos et le bassin présentent des parcelles d'épiderme en quantité notable. Celui pris au niveau de la région dorsale renferme de nombreux fragments de poils. Ces poils ont un diamètre égal au quart ou au cinquième d’un cheveu. Ces fragments d'épiderme et de poils diffèrent de lépiderme et des poils humains récents; on ne peut les attribuer qu'à quelque peau de bête étendue sur le foyer sur lequel l'homme fossile des Baoussé-Roussé a succombé, ou qui lui aurait servi de vêtement. Emile RIVIÈRE. RAPPORT Sur LE CONGRÈS INTERNATIONAL DE STATISTIQUE DE SAINT-PÉTERSBOURG PAR M. ÉMILE WORMS. Paris, le 23 septembre 1872. Monsieur le Ministre, En me déléguant à la huitième session du Congrès internatio- nal de statistique, tenu à Saint-Pétersbourg, comme vos émi- nents prédécesseurs depuis M. Duruy m'avaient délégué déjà aux sessions antérieures du même Congrès, vous avez affirmé à nou- veau, avec l'autorité qui vous appartient, l'importance majeure qu'il y a pour nous à tenir notre place dans ces sortes d’assem- blées. Cette importance est indéniable, même au point de vue purement politique, et grandit encore à certaines époques trou- blées de notre histoire. Ce n’est pas assurément que les discus- sions du Congrès désertassent jamais le terrain scientifique, et même plus qu'autrefois il s'était établi cette fois entre les assis- tants comme un accord tacite pour en bannir sévèrement toute réflexion étrangère au domaine de la statistique et de nature à ré- veiller des souvenirs pénibles, à blesser des susceptibilités légi- times, à entretenir des dissentiments funestes; mais comment mé- connaître que le fait seul pour la France d’être représentée permet aux éléments sympathiques des autres pays de se grouper autour des représentants du nôtre d’une façon qui, pour être réservée et silencieuse, n'en est ni moins saisissable, ni moins expressive, ni moins profitable à nos intérêts comme nation; sans compter que, quand une contrée a, comme la nôtre, la prétention souvent té- méraire d'être le porte-drapeau de la civilisation, c'est bien le moins qu'on la voie, sinon à la têle, au moins dans les rangs des — 518 — pionniers incontestables du progrès social. Donc le Gouvernement français, en s'inspirant de ces considérations élevées, a agi et agira toujours sagement en accréditant des délégués en quantité et qualité suffisantes auprès du Congrès de statistique, et il a d’ailleurs recueilli les fruits de sa détermination à Saint-Péters- bourg même, quand, à la dernière des séances générales, le délé- gué de Ja Prusse, M. Engel, dans un mouvement du cœur qui l'honore, et qui est certainement la marque d’un esprit supérieur, signala le rapprochement heureux, opéré sous les auspices de la science, entre deux puissances engagées naguère dans une lutte à outrance, et rendit hommage à la modération et à la bienveillance des Français présents, aux applaudissements de la réunion tout entière, heureuse de l'occasion qui s’offrait de manifester décem- ment pour notre chère patrie une prédilection que nos malheurs et nos fautes n'ont pas encore, grâce à Dieu, trop compromise! À pari ces résultats généraux, les Congrès de statistique en procurent d’autres dont tous les pays indistinctement sont appelés à bénéficier, et qui proviennent de la nature même des recherches auxquelles ils se vouent. Ces résultats, il faut le dire avec quelque regret, sont en général moins bien appréciés par le commun des hommes que par les gouvernements eux-mêmes, auxquels on at- tribue trop souvent le dessein de vouloir faire la nuït autour de leurs agissements, et ce n’a pas été un des moindres attraits de la session moscovite d'entendre son Président d'honneur, le grand- duc Constantin, s'exprimer sur le compte de la statistique de ma- pière à montrer combien il était, lui le frère de l'Empereur de ioutes les Russies, pénétré de la portée considérable de cette branche nouvelle des investigations huinaines. « Que la statistique, disait-1l par exemple dans son discours d'ouverture, soit une science, un art ou une méthode, il est in- contestable qu’elle existe pour le bien de l'humanité! Quel est son but? À quoi tendent les travaux de ceux qui lui ont consacré leurs efforts? À rechercher sous l'empire de quelles lois et de quelles institutions, dans quelles conditions physiques et écono- miques le bien-être de l'homme est le plus complet, et à trouver la source du mal qui arrête l'humanité dans ses progrès. Le con- seil et l’enseignement donné par le Sage de l'antiquité à l'homme : Connais-loi toi-méme, s'adresse mainlenant à la société entière. De plus, comme l’homme ne saurait atteindre son développe- + — 519 — ment complet que dans la société organisée, la statistique se pré- sente comme l'auxiliaire indispensable de tout organe de la vie politique et sociale. Ce n’est point, Messieurs, d’une conviction théorique que je m'inspire, mais bien d’une expérience person- nelle et toute pratique que j'ai acquise comme Président du Con- seil de l'Empire. Ma qualité de marin me suggère ici une compa- raison : celle des enseignements que nous offre la statistique avec les fanaux. Comment le pilote pourrait-il éviter les bas-fonds, les récifs, les naufrages, sans ces feux sauveurs qui jettent du rivage leur clarté préservatrice? Il ‘est vrai que pendant longtemps ces fanaux de la science n’ont lui à l'humauité que d'une manière vacillante et incertaine. Cependant ici, comme partout ailleurs, un certain progrès ne manque pas de se manifester : à l'heure qu'il est, tous les gouvernements ont reconnu la valeur de la sta- tistique et ne reculent plus devant les moyens d'améliorer les ins- ütutions statistiques, non plus que d'élargir la sphère des investi gations de cette science. L'institution du Congrès a fixé sur cette science une attention toute spéciale des gouvernements; aspirant au but fécond de lunification des recherches statistiques et l'ayant déjà atteint à plus d'un titre, les travaux du Congrès ont toujours été le stimulant par excellence du développement des opérations et des recherches statistiques dans ceux des pays qui ont eu l'honneur de recevoir le Congrès, etc...» Avec un président aussi bien disposé, secondé d’ailleurs par un organisateur habile comme le Directeur de la statistique de l'Empire russe, M. de Séménow, la huitième session de Saint-Pé- tersbourg ne pouvait manquer d'apporter sa pierre au monument qu'il est dans la mission du Congrès international de statistique d'élever à la science. Vous n’attendez pas de moi, Monsieur le Ministre, que je vous présente l'analyse détaillée des travaux accomplis dans le cours de cette session, d'autant plus qu'ils formeront l'objet d’un compte rendu in exlenso qui passera sous vos yeux lors de sa publica- tion. Il peut suflire de retracer le cadre, en dedans duquel devait se mouvoir notre activité. Ce cadre, arrêté par la Commission d'organisation russe, a été maintenu par l'avant-congrès, qui n’est traditionnellement composé que de délégués officiels et des grandes notabilités scientifiques, et à qui échéait la tâche non- seulement de déterminer le mode de réalisation des œuvres de , — 9520 — statistique internationale et comparée résolues pour la première fois à la Haye et de prescrire un règlement pour la durée de la session, mais encore d'assigner définitivement au Congrès, qui reuvit les statisticiens amateurs aux délégués, en attribuant aux uns ei aux autres des droits égaux, les matières qu'il devait sou- mettre à son élaboration. Or, en conformité des arrangements pris, le Congrès devait se subdiviser en cinq sections seulement, affectées, la première et la seconde, aux recensements et aux re- gistres de la population; la troisième, à la statistique de l'indus- trie, des mines et usines; la quatrième, à la statistique du com- merce et des relations postales, et enfin, la cinquième, à la statistique de la justice criminelle. On avait à dessein, contraire- ment à ce qui s'était passé antérieurement, réduit le plus pos- sible le nombre des sections, afin de permettre aux délégués offi- ciels de prendre part, s’ils le jugeaient convenable, aux opérations de plusieurs d’entre elles; mais, sous l'empire de cette préoccu- pation, certains sujets avaient été éliminés qui méritaient bien aussi la sollicitude du Congrès, et qui ne pourront avoir leur tour que plus tard. Le regret que j'exprime ne s'applique toute- fois pas en particulier à la statistique de l'instruction, malgré l'intérêt qu’elle présente pour l'Administration à la tête de la- quelle vous êtes placé, Monsieur le Ministre, et pour celui que vous aviez chargé de ses intérêts à Saint-Pétersbourg. D'une part, en effet, quelle que soit la nature des recherches confiées à une des sessions du Congrès, la place d'un délégué du Ministère de l'ins- traction publique, choisi dans les rangs de l'armée universitaire, y est toujours marquée, car si ses communications ne doivent pas porter sur le milieu dans lequel il vit, sur les pratiques jour- nalières auxquelles sa position l’associe, elles seront au moins le plus souvent provoquées par les matières telles quelles portées à l'ordre du jour et se liant soit à celles qu’il enseigne, soit à celles qu’il voit enseigner autour de lui. C’est ainsi qu'il m'a été donné jusqu'ici de suivre en connaissance de cause les débats relatifs à la statistique commerciale, judiciaire, etc. Et qui pourrait douter qu’il y ait quelque profit à tirer du concours d'hommes ayant contracté de longue main des habitudes d'ordre et de méthode, et poussés par la pente même de leur esprit à imprimer un ca- chet scientifique, à donner le plus grand caractère de certitude et de précision à des travaux prétendant justement à une valeur — 521 — scientifique et ne pouvant la tenir que de la rigueur des données qu'ils fournissent? D'ailleurs, là où il s’agit de prendre des déci- sions, obligatoires, au moins moralement, pour les gouverne- ments, convient-il de laisser le champ absolument libre à des gens peut-être un peu routiniers, à des employés quelquefois su- balternes, pouvant obéir à des suggestions d'état, et de fermer la porte aux hommes de science, opinant avec l'indépendance de leur situation et de leur esprit, et qui, tandis que les statisticiens de profession ne sont que des collectionneurs de chiffres, en sont eux les véritables consommateurs, connaissant les besoins réels, puisqu'ils sont généralement les premiers à les éprouver, et sou- cieux dès lors de les satisfaire de la façon la plus sûre? Or, s’il en est ainsi, c'est au département de l'instruction publique, qui doit disposer des grandes lumières du pays, qu'il appartient, quand il est jaloux de ses prérogatives, jaloux du rang de son pays dans le monde, de doter les congrès de ce contingent indis- pensable, et il faut reconnaître d’ailleurs que, chez nous au moins, il n'a cessé, depuis longtemps déjà, de répondre à ces vues avec le plus louable empressement. Au surplus, j'aurai peut- être à revenir sur cet ordre d'idées dans le cours du présent rap- port. D'autre part, Monsieur le Ministre, l'absence à Saint-Pé- tersbourg d'une section destinée aux questions d'enseignement ne saurait être attribuée à une indifférence fàcheuse, mais bien plu- tôt à la nécessité d'appeler successivement l'attention du Congrès sur des points restés encore jusque-là plus ou moins compléte- ment en souffrance. En effet, à plusieurs reprises déjà, ce qui touche à l'instruction publique, aux sciences et aux arts avait, sous le rapport statistique, fixé l'attention et provoqué les résolu- tions du Congrès, et s’il subsiste encore des lacunes, si la marche des temps amène des modifications ou des additions, on peut compter sur l’ardeur de ses membres pour faire face à toutes les exigences. J'ai personnellement provoqué, à l’avant-dernière