BJORNSTJERNE BJORNSON

Au=dessus 3S forces humaines

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Traducliofi» uulu^i^<c^ et approutérs par l'aulrur

l'AKlS ÉDITIONS DE LA REVUE BLANCHE

23. I«»III.KV.\KI) DES ITALIFNS. 23 lOOI

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Au=dessus des forces humaines

BJORNSTJERNE BJORNSON

Au=dessus des forces humaines

drame en six actes, en deux parties

i" PARTIE : deux actes. Traduit par le Comte Prozor

II* PARTIE : quatre actes. Traduit par M. Lugné-Poë

avec l'autorisation et l'approbation de l'auteur.

PARIS ÉDITIONS DE LA REVUE BLANCHE

23, BOULEVARD DES ITALIENS, 23 I9OI

JUSTIFICATION DU TIRAGE

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Paris le i" février ipoi.

Cette édition des deux parties réunies de mon drame " Au-dessus des forces humaines " est la seule édition française que j'approuve entière- ment.

Je suis heureux quelle paraisse sous la firme des Editions de la revue blanche dont la direc- tion s'est toujours montrée si hospitalière aux lettres de tous les pays, si soucieuse des droits des écrivains étrangers.

b

BjORNSTJERNE BjORNSON.

I" PARTIE

Représentée pour la pretoière fois au théâtre de VŒurre

(salle des Bouffes-Hu-S'ord), le l8 fé\Tier 1S9+ ;

reprise par X'Œuvre, le 14 janvier iSg7 (salle du S'ouveau-Thiâtre):

puis le 21 fé\Tier 1901 (salle du S'ouvtau-Thiâtre).

Remarque pour les acteurs de la 1" partie

LorMjne la pièce fut nionlie à Oiristiania sous la direction tncmc du poète, voici qu'elles furent les indications les plus géné- rales.

Sang, un homme fait aux manières ouvertes et à la démarche brusque d'un homme d'action. Il est d'un bout à l'autre litre au cœur simple et fidèle comme le sont les gens de la mer. U»e per- sonnalité exempte de sentimentalité et de pathos.

Clara Sang est nenruse et surexcitée dans ses mouvements dans le lit, sourrut elle s'efforce de déplacer ses oreillers ax-ec l'aide de sa saur.

Mais du moment oit l'action se tend entre le pire et ses enfants elle repose entièrement silencieuse. Seuls les yeux suizent tous les viouvonents. Dans ses regards on <;'■// iicviner l'iinxiètr ou le pressentiment de ce qui va se passer .

Elle et Rachel ont grandi l'un près <if i autre, ci <ie cela us ont pris comme l'habitude de -'ivre la main dans la main. S'il parle, elle le regarde, si elle parle il ne la quitte pas des yeux. D'ailleurs ils voient par leurs parents la marque du lien intime, de la confiance émue de ces quatre êtres les uns pour Us autres, rèsulttjt de la vie commune si intense là-haut dans la solitude. Elie est maladif et sensible, sans cependant aucune pleurnicherie.

La vieille veuve du fsisteur est une vénérable gloire, dont la vieillesse commande le respect.

Pour la scène des pasteurs : Aucun d'eux ne doit avoir un caractère trop particulier. Ils entrent lentement et se comportent avec simplicité et naturel. Leur envie et leur scepticisme, dans cette maison oii ils entrent pour la première fois leur permet une entrée d'un comique silencicu.v. Il doit s'écouler un temps az<ant qu'ils n'osent commencer à parler.

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ACTE PHKMIKH

.«• chamhrf ni' tbl^e. Murs (n charpente.

- A droilf, '1,111 jrri' ./. N. .1 t/auc/te. une porte.

Au jn'rmi.-r plan, rcis lii droilt', un lit. Le cftevel

!tr de la fuirlr. l'rt's du lit. une [tetitr

, de (tarons <f >/<• //(»/>■ t'nr rnmfndilr

./f> . /; ii-^rs^ etc.

scKNK pnK.Mii-iRr:

CI.Al^ \ '■ Manr, csl rouchée dans le lit soa« une

- HAN.NA -e iKiil iUIkuI «Icvnnt

IIANNA.

(iommo cVsl Ijoau, ce fouillac:»^ dans \o soleil î Comme ces feuilles de bouleau sont Unes et délicates.

(I.AP.A.

Tu ne sens pas une oifur do merisier .'

1

2 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

HANNA.

J'ai beau regarder, je ne vois pas de meri- siers.

CLARA .

Tu ne peux pas en voir d'ici, mais il y en a, et la brise du matin nous apporte leur parfum.

HANNA.

Je ne sens rien.

CLARA.

Oh ! après une pluie comme celle-ci, je sens la moindre odeur du dehors.

HANNA.

Et tu sens vraiment une odeur de merisier?

CLARA .

Oh ! si distinctement ! En tous cas, ferme la fenêtre d'en bas.

HANNA. .

Si tu veux.

Elle ferme la fenêtre.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 3

CLAR.\.

Qui t'a parlé créboiilement ?

H ANNA.

Le vieux batelier qui nous a amenés. Il pleuvait, il pleuvait! « C'est dangereux, » a-t-il dit, «quand il pleut si longtemps sur les mon- tagnes, cela finit par désagréger les rochers là-haut. y>

CLAFLV.

Je n'ai pensé qu'à cela toute la nuit. Il y a eu tant déboulements ici 1... Une fois... bien avant notre temps... un éboulement a détruit l'église.

L'église ?

IIANNA.

CLARA.

Pas elle se trouve aujourd'hui ! Elle s'élevait alors bien plus près de la montagne.

4 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

HANNA.

C'est à cause de cela cju'on l'a transportée ici, jusqu'au mur du jardin ?

CLARA.

Oui. En été, quand on enlève les fenêtres de l'église, je puis entendre de mon lit le chant d'Adolphe devant l'autel. Il faut naturellement C|ue les deux portes soient ouvertes, celle-ci et celle du salon... et la fenêtre aussi. C'est si beau son chant! Quand les deux portes sont ouvertes, je puis voir l'église d'où je suis. Regarde! C'e-st pour cela que le lit est à cette place.

HANNA, s'approchanl d'elle.

Chère Clara ! Pourquoi faut-il que je te retrouve ainsi ?

CLARA.

Hanna !

HANNA.

Pourquoi ne ni"as-tu pas écrit?

AI-DESSUS DES FORCES HUMAINES 5

CLARA.

D'abord, parce que 1" Amérique est si loin... et puis... Enfin !... je te dirai cela une autre fois.

H ANNA,

Je n'ai pas bien compris ce que tu m'as dit hier quand je t'ai parlé du médecin.

CLAR.\.

Je n'ai pas voulu répondre parce que Adolphe était là. Nous n'avons pas de méde- cin.

HANNA.

Pas de médecin ?

CL AR.\ .

Il venait tout le temps ce médecin... Il demeure très loin d'ici ... El cela ne menait à rien... Alors, après tout, un mois sans som- meil.

6 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

H ANNA.

Tout un mois sans sommeil? Est-ce pos- sible?...

CLARA,

Bientôt un mois et demi, Hanna 1 A quoi servait le médecin, n'est-ce pas? Mon mari lui a demandé ce que j'avais. Il a donné un nom à mon mal... un nom si laid. Adolphe n'a pas voulu me le dire. Depuis, nous ne l'avons pas envoyé chercher.

HANNA.

Tu ne devrais pas tant parler.

CLAR.V.

Il se passe des jours entiers sans que je dise un mot; d'autres fois, je parle tout le temps... sans pouvoir m'arrcter. Je dois parler...

Adolphe va bientôt rentrer de sa promenade du matin. Il m'apportera des fleurs.

HANNA.

Ne puis-je aller t'en cueillir, puisque tu les aimes tant ?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES ' 7

CLARA.

Non. Il y en a que je ne puis supporter. Lui les connaît.

Ecoute, Hanna. Tu ne m'as pas encore parlé de ta rencontre avec les enfants, sur le bateau. Je suis si impatiente de connaître les détails.

HANNA.

Je n'ai pu l'en donner hier au milieu de ce va-et-vient.

CLARA.

Vous étiez tous si fatigués. Pense donc. Les enfants dorment encore... de sept heures à sept heures. Oh 1 cette jeunesse !..

HANNA.

Ils en avaient grand besoin. (Juant à moi, je ne puis dormir d'un trait plus de quelques heures, et pourtant je ne suis pas fatiguée.

CLARA .

Tous ceux qui viennent ici à l'époque du soleil de minuit sont dans le même cas. On

8 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

est commo ôtourdi... Mais parlons des enfants, ils sont gentils, n'est-ce pas?

H ANNA.

Ils sont si innocents. Mais ils ne te ressem- blent pas, ni à Sang non plus, à vrai dire. Il n'y a que les yeux, à ce que j'ai remarqué depuis.

CLARA.

Oh ! parle, parle !

H ANNA.

S'ils vous avaient ressemblé à l'un ou à l'autre, je les aurais reconnus. La dernière fois que je vous ai vus, vous étiez jeunes, vous- mêmes, tu sais bien. Cependant, quand ils sont montés à bord, leur visagema frappée... Puis, je les ai encore revus quoiqu'ils voyageassent en seconde classe...

CLARA

Ils n'avaient pas de qi oi aller en première, les pauvres enfants ! . . .

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 9

HANNA.

... Et toujours sans les reconnaître... Entin. un matin, j'étais debout sur la passerelle et les voyais d'en haut marchant très vite pour se réchauffer. Chaque fois qu'ils tournaient le dos et s'éloignaient, je ne pouvais oublier leurs yeux. Ces yeux, je les connaissais. Des mouettes vinrent à passer criant et volant si près que Rachel, effrayée, fit un geste de la main comme pour se garer. Et ce geste de la main, c'était tout à fait le tien. Alors, je recon- nus aussi leurs yeux, c'étaient ceux de Sang.

CLARA.

Tu descendis aussitôt?

H ANNA.

Bien sûr! « \'ous vous appelez Sang? » leur demandai-je. Je n'attendis pas leur réponse, j'étais désormais sûre. Je suis tante Hanna d'Amérique, leur dis-je. Oh! nous avons été bien émus tous les trois.

Les deux sœurs pleurent, i.

10 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Rachel t'avait ccril pour te prier de venir, n'est-ce pas?

H ANNA.

El je lui en serai toujours reconnaissante. Comme elle était gentille! Je les fis aussitôt passer en première classe et l'enveloppai d'un grand chAle. Elle était gelée. Quant à lui. je lui donnai un plaid .

CLARA.

Chère Hanna !

H ANNA.

Oh! mais écoute la suite! Nous cntrAmes danslc fiord. Un vent froid s'engouiîra derrière nous, étendant sur leau une grande ombre noire... Au-dessus de nous s'élevait un rocher énorme gris et nu. Une nuée de mouettes s'envola, en criant, au-dessus de nos têtes. L'air était glacial. Sur la côte, on apercevait quelques misérables cabanes... Nous mar- châmes des heures sans en découvrir d'autres.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 11

Rien que des montagnes et des récifs. Voilà le Norland! pensai-je. C'est qu'ont été éle- vés ces pauvres èlres grelottants. Jamais je n'oublierai ce moment. C'était effrayant!

CLARA.

Pourquoi? Qu'y a-t-il d'effrayant?

H ANNA.

Clara ! Te souviens-tu de ce que tu étais jadis, toi que je vois là, dans ce lit de douleur? Comme tu étais fine et pimpante !

CLARA.

Je ne sais comment faire pour t'expliquer tout cela. Oh! mon Dieu!

HANNA.

Pourquoi ne m'as-tu pas appelée? J'ai la vie si facile là-bas et j'aurais pu si bien t'aider, tu ne te serais pas surmenée.

Pourquoi ne m'as-tu pas tout écrit? Tu m'avais caché la vérité. Je ne l'ai apprise que par Rachel.

12 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Oui, oui. C'est vrai, il le fallait.

MANN A.

Pourquoi?

CLARA.

Si j'avais écrit la vérité et si vous étiez tous accourus...

Je ne veux pas qu'on m'aide. On ne peut pas m'aider.

H ANNA.

Mais alors, tu as menti?

CLARA.

Naturellement. J'ai menti tout le temps... et à tout le monde. Comment aurais-je pu faire autrement?

HANNA .

Tout ce qui se passe ici est incompréhen- sible. Tout!

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AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 13

CLARA.

Ecoute, Hanna. Tu as parlé de « surme- nage »... As-tu jamais vu un être surmené demander secours? En as-tu vu résister?

HANNA .

Mais, tout au commencement, tu aurais pu...

CLARA.

Tu ne sais pas de quoi tu parles.

HANNA.

Explique-le-moi... si tu peux,

CLARA.

Non, pas maintenant. Plus tard, peut-être.

HANNA.

Dans le temps, (C'est même étrange que vous vous soyez aimés...) Tu n'étais pas croyante comme Sang... Est-ce de qu'est venu tout le mal ?

11 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Non! Oh! C'est une longue histoire! Mais ce n'est pas ça. Nous sommes si différents de nature, c'est vrai... Et pourtant ce n'est pas ça non phis. Si Sang avait été comme les autres hommes, s'il avait crié, tempêté... Oh ! alors, tout aurait marché, peut-être... ! Mais, longtemps avant de me connaître il avait voué au travail toute sa force... Et il a de la force, tu peux me croire. Elle était devenue amour, sacrifice et beauté, pure beauté ! Sais-tu que jusqu'à ce jour il n'y a pas une seule parole dure d'échangée entre nous ? Pas une scène. Et voici bientôt vingt ans que nous sommes mariés. Jamais une ombre sur son front. C'est un rayonnement, un dimanche per- pétuel !

HANNA.

Dieu, que tu l'aimes !

CLARA.

C'est peu de dire que je l'aime. Je n'existe pas sans lui. Et tu parles de résister?... Quel- quefois, il est vrai, quand cela allait trop loin,

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 15

quand c'était au-dessus des forces de nous tous...

HANNA.

Que veux-tu dire ?

CLARA.

Je te l'expliquerai plus tard. Mais qui donc peut résister à ce qui n'est que pure bonté, pur dévouement aux autres, pure joie? Qui peut résister à cette foi d'enfant et à ce pou- voir surnaturel qui entraînent tout le monde?

HANNA.

Surnaturel, dis-tu?

CLARA.

Comment ? Tu ne sais rien ? Les enfants ne t'ont pas raconté...

lIAiNNA.

Ouoi donc ?

16 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

... que Sang, en priant du fond de son âme, obtient tout ce qu'il demande ?

HANNA.

Veux-tu dire qu'il fait des miracles ?

CLARA.

Oui!

HANNA.

Sang ?

CLARA.

Les enfants ne te l'ont pas dit

HANNA.

Non!

CLARA.

C'est singulier !

HANNA.

Nous n'avons pas parlé de ces choses.

AU-DESSUS DKS FORCES HUMAINES 17

CLARA.

Mais alors... ils ne l'ont pas... Oh! ils croyaient que tu le savais ! C'est que Sang, vois-tu... C'est le « prêtre aux miracles »... Tout le pays le connaît ! Ils ont cru que tu le savais. Ils sont si modestes, les enfants.

H ANNA.

Comment ? Il fait des miracles ? des mira- cles ?

CLARA.

N'as-tu pas eu, en le voyant, l'impression de quelque chose de surnaturel ?

HANNA.

Je n'y aurais pas songé... mais maintenant que tu le dis... je trouve, en effet, qu'il pro- duit une impression de... comment dirai-je?... une impression de spiritualité... une impres- sion bien étrange... on dirait qu'il n'est pas de ce monde.

18 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Non, n'est-ce pas?

H ANNA.

Oui, c'est vrai !

CLARA.

Sais-tu que très souvent je suis prise d' une contraction qui me fait plier les genoux jus- que sur la poitrine... Mes bras.... non, je n'ose pas te les montrer, cela pourrait me repren- dre... Je reste ainsi des journées entières, quand il n'est pas là, sans pouvoir allonger mes membres... C'est horrible, tu comprends! Une fois qu'il était dans les montagnes... Oh! ces courses dans les montagnes!... Je suis res- tée dans cet état huit jours entiers, huit! Mais il n'avait pas plutôt franchi le seuil de celte chambre, je ne l'eus pas plutôt aperçu que la raideur commença à céder... Il vint passer la main sur moi... et, au bout d'un instant, j "étais couchée tout de mon long comme maintenant. Et c'est ainsi chaque fois, oui, chaque fois! sitôt qu'il entre dans ma chambre, mon mal cède.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES i9

'est élrange.

HANNA.

CLARA.

Et que diras-tu des malades?... Je parle de ceux> qui croient... Oli ! c'est arrivé non pas une fois, mais cent... des malades qui se sen- tent guéris dès qu'il entre et se met à prier.

HAXNA.

Guéris ?.

CLARA.

Entièrement guéris 1 Et d'autres à qui il se contente d'écrire, ne pouvant aller les trouver à cause de ces terribles distances I II leur an- nonce qu'il priera pour eux tel jour, à telle heure, et les engage à prier avec lui... Et à partir de l'heure indiquée leur mal prend un autre aspect, c'est vrai ! Je puis t'en citer une foule d'exemples.

HANNA.

Etrange ! Et tu ne me l'as jamais écrit !

20 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Je VOUS connais, vous autres ! Crois-tu que j'eusse voulu l'exposer à vos cloutes?

11 y a ici une veuve de prêtre... Oh ! il faut que tu la voies ! Elle demeure à côté de chez nous. On ne peut rien voir de plus vénérable. Il y avait quinze ans qu'elle était paralysée, quand Sang est venu dans cette paroisse. Vingt-cinq ans se sont écoulés depuis. Main- tenant elle va tons les dimanches à l église! Et elle a près de cent ans !

HANNA.

C'est lui qui l'a guérie ?

CLARA.

Rien qu'en priant pour elle et en la faisant prier ! C'est qu'il sait prier, lui ! Et Agathe Florvaghen donc ! C'est encore plus étrange. Tout le monde la croyait morte. Il prend une de ses mains dans la sienne, lui passe l'autre sur le cœur qu'il réchauffe et se met à respi- rer. Maintenant elle demeure avec la vieille veuve... tout à côté d'ici. Je pourrais t'en citer d'autres encore jusqu'à demain. Oh ! pour

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES :>l

des milliers de malades, Sang est mi saint, ils viennent jusqu'ici Tassaillir au point que nous n'avons plus un seul instant de repos.

H ANNA.

Il me sera donc donné de voir tout cela pen- dant mon séjour ici ?... loul ce que lu racontes?

CLARA.

Tu le verras, aussi vrai que tu me vois dans ce lit je ne puis que nie soulever sur mes coudés.

IIANNA.

Mais comment se fait-il, Clara, qu'il ne fasse pas de miracle pour toi ? Pourquoi ne t'a-t-il pas guérie depuis longtemps ?

CLARA.

... Oh 1 il y a une raison à cela...

H ANNA.

Tu peux bien me la dire.

22 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Non... OU plutôt si, mais plus tard... Rouvre une fenêtre, je t'en prie. Il commence à faire si étouffant. Plus cVair. Je t'en prie...

H ANNA.

Volontiers...

Elle ouvre la fenêtre d'en haut. CLARA'.

Il devrait bientôt rentrer. Il reste bien long- temps aujourd'hui. Si je pouvais seulement sentir ces fleurs! Il en sera venu beaucoup après la pluie. Il est bientôt sept heures.

HANNA, regardant sa montre.

Oui.

CLARA.

Depuis que je suis couchée, je sais toujours l'heure qu'il est... Je finirai pourtant par sentir de l'air frais, n'est-ce pas ? Le vent est tombé, bien sûr ? Tu ne me réponds pas ?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 23

HANNA.

Non. Je n'entends pas ce que tu dis. Je suis encore toute saisie.

CLARA.

Oui. c'est peut-être la cliose la plus extraor- dinaire de notre époque.

HANNA.

Mais que dit le peuple, que disent les pay- sans?

CLARA.

Je crois que cela ferait vingt fois, cent fois plus d'effet ailleurs. Ici cela semble tout naturel.

HANNA.

Que dis-tu? Mais un miracle est un mi- racle.

CLARA.

Pour nous, oui. [Mais il y a dans cette nature

24 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

quelque chose crétrange qui réveille ce que BOUS avons d'étrange en nous. Tout y est démesuré. Il fait nuit presque tout l'hiver. Pres- que tout Tété il fait clair, et le soleil reste jour et nuit à l'horizon. L'as-tu déjà vu la nuit ? Sais-tu qu'à travers le brouillard, il paraît trois fois, souvent quatre fois plus grand qu'ailleurs? Et comme il colore le ciel, les montagnes et la mer ! C'est une variété de tons allant du rouge le plus intense jusqu'au rose le plus tondre, le plus délicat. Et sur le ciel d'hiver, Tes jeux de l'aurore boréale ! quoique moins vifs, ils font de si fantastiques dessins. Il y a une telle inquiétude, ce sont des métamorphoses incessantes ! Et que d'autres 2:)rodiges ! Ces immenses nuées d'oiseaux, ces l)ancs de poissons, « longs comme de Paris à Strasbourg, » a dit quelqu'un. Tu vois ces rochers à pic sortant de la mer? Ils ne res- semblent pas à d'autres rochers. Et tout l'At- lantique vient se briser contre eux.

L'imagination populaire s'est façonnée d'après cela. Elle non plus ne connaît pas de mesurés. Des pays entassés les uns sur les autres, des montagnes de glace polaire roulées par dessus : voilà leurs mythes, leurs

AU-DESSUS DES FORCES IIUMALVES 25

légendes. Tu souris. Ecoute plutôt les contes d'ici. Et parle à ce peuple : tu verras tout de suite que le pasteur Adolphe Sang est un homme 'selon son cœur. Sa foi leur convient. Venu ici avec une grande fortune, il a presque tout distribué. Il le fallait, c'était le vrai chris- tianisme ! Et maintenant, quand il fait des lieues pour aller prier sur de pauvres malades, c'est comme si leur être s'ouvrait et recevait directement la lumière d'en haut 1 Quelquefois on le voit sur mer par un temps effroyable, dans un tout petit bateau, seul ou accompagné d'un de ses enfants, ou des deux, car il les prenait avec lui dès l'âge de six ans. Souvent il fait un miracle, puis repart pour un autre hameau de pêcheurs... et les miracles recom- mencent 1 On dirait qu'il s'y attend. Si je ne l'avais retenu, nous n'aurions pas de quoi AÙvre aujourd'hui. Il serait mort d'ailleurs, et peut-être aussi les enfants 1 Quant à moi, inu- tile d'en parler, je sais finie.

H ANNA.

Alors, tu n'as tout de même pas tenté de résister?...

2

26 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

On le croirait !... et cependant, .si ! Je n'agis pas par la persuasion... ce serait inutile ! Non, ce qu'il me faut, c'est inventer chaque fois quelque nouveau moyen de le retenir sans qu'il s'aperçoive de rien !... Oli ! c'est un vrai désespoir !

H ANNA.

Inventer, dis-tu?

CLARA.

Il lui manque un sens... le sens de la réalité... il ne voit que ce qu'il veut voir! Ainsi, il n'aper- çoit jamais le mal dans l'homme, ou plutôt, si, il l'aperçoit, mais n'y prend point garde : « Je parle à ce qu'il y a de bon en eux », dit-il. Et quand il leur parle, ils sont tous bons, en effet, tous, sans exception ! Qui donc ne le serait pas devant son regard d'enfant ? Mais cela finira mal, car il nous ruine pour ces gens-là !

De cette façon, vois-tu, il plane toujours au- dessus des choses de ce monde. 11 prendrait notre dernier sou, si on le laissait faire...

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 27

notre pain de demain : « Dieu nous le rendra, puisque c'est lui qui l'ordonne ! » dit-il.

Quand le plus habile marin n'ose affronter la tempête, il veut s'embarquer dans un petit bateau avec un des enfants ! Il lui est arrivé de traverser les montagnes par un épais brouillard et de marcher ainsi, sans boire ni manger, trois jours et trois nuits ; on chercha après lui et on dut le transporter chez des pay- sans, et la semaine d'après il voulait recom- mencer la même route, toujours par le brouil- lard, parce qu'un malade l'attendait.

HAXNA.

Mais a-t-il la force de supporter une telle vie?

CLARA.

Il supporte tout ! Il s'endort comme un en- fant fatigué et dort, et dort et dort ! Puis il se reveille, mange et reprend la même existence. Il vit en dehors des conditions ordinaires, car il est sans péché.

H ANNA.

Comme tu l'aimes !

28 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Oui, c'est tout ce qui me reste de moi- même. Cette lutte pour les enfants m'a dé- truite !

HANNA.

Pour les enfants ?

CLARA.

Tout cela, comprends-tu, leur faisait du mal. Il n'y avait autour d'eux rien de ferme, de régulier. Cela les déroutait ! Liberté com- plète de suivre leur inspiration, si le but sem- blait bon. Jamais de réflexion ! Toujours l'ins- piration! Ils étaient grands et c'est à peine s'ils savaient lire et écrire.

Comme j'ai lutté pour les envoyer loin d'ici. Et, plus tard, pour les tenir éloignés pendant cinq ans et les faire instruire !... Ah ! cela m'a coûté mes dernières forces. Maintenant c'est fini !

HANNA.

Chère, chère sœur!

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 29

CLARA.

Que veux-tu dire?... Tu ne songes pas à me plaindre au moins ? Moi qui ai traversé la vie aux côtés du meilleur des hommes, de la plus pure volonté qui soit au monde!

C'est vrai, on vit moins longtemps ainsi !... On ne peut tout avoir à la fois !

Mais changer?... Oh! non, chère.

H ANNA.

Ainsi, il vous aura tous surmenés et dé- truits ?

CLARA.

Oui. C'est-à-dire, non, pas tons ! Je ne Tai pas laissé faire, sans cela, il se serait détruit lui-même. Ce qu'il fait est au-dessus des forces humaines.

H ANNA.

Au-dessus des forces humaines. Comment? Ne fait-il pas tous les jours des miracles ? N'échappe-t-il pas à tous les dangers ?

2.

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30 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Ne crois-lii pas que, s'il fait des miracles, ce soil aux dépens de ses autres facultés?

UANNA.

Tu m'effraies, que veux-tu dire ?

CLARA.

Je veux (lire que tous les prophètes devaient être ainsi fails. Ceux des juifs comme ceux des païens I Ils pouvaient plus que nous, dans un cerlain sens, parce qu'il leur manquait beaucoup dans ious les autres. Oui, c'est mon idée.

UANNA .

Mais tu n'as donc pas la foi'1

CLARA.

La foi ? qu'enlends-lu par ? Nous sommes, toi et moi. d'une vieille race nerveuse dedou- teurs; j'ose dire d'une race intelligente!... J'admirais Sang. Il ne ressemblait pas aux autres hommes; il était meilleur qu'eux tous. Je l'admirais jusqu'à l'aimer. Mais ce n'était pas la foi qui m'a allachéc à lui. La foi, c'est

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AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

31

quelque chose qui lui apparlieiiL en propre... jusqu'à quel point je la partage?... Eh ! je n'en sais rien...

II ANNA.

Tu n'en sais rien !

CLARA .

Je suis lro[) à bout pour y penser. Je n'ai jamais eu le temps d'cclaircir les grands pro- blèmes... Jamais! le mal m'est venu trop soudain.

Je ne distingue plus le bien du mal: dans les grands aspects cela s'entend encore, mais dans les sens intimes profonds tout m'échappe... Pour la foi, c'est la même chose, je ne peux plus la dominer.

Le sait-il?

II.VNNA.

CLARA.

11 sait tout; crois-tu donc que je lui cache la moindre des choses.

H ANNA.

Mais ne s'est-il i)as elTorcé de le faire par-

tager sa foi?

30 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Ne crois-tu pas que, s'il fait des miracles, ce soit aux dépens de ses autres facultés?

HANNA.

Tu m 'effraies, que veux- tu dire ?

CLARA.

Je veux dire que tous les prophètes devaient être ainsi faits. Ceux des juifs comme ceux des païens 1 Ils pouvaient plus que nous, dans un cerlain sens, ])arce (ju'il leur manquait beaucoup dans lous les autres. Oui, c'est mon idée.

HANNA.

Mais lu n'as donc pas lu foil

CLARA.

La foi ? qu'entends-tu par ? Nous sommes, toi et moi, d'une vieille race nerveuse dedou- teurs; j'ose dire d'une race intelligente!... J'admirais Sang. Il ne ressemblait pas aux autres hommes; il éiait meilleur qu'eux tous. Je l'admirais jusqu'à l'aimer. Mais ce n'était pas la foi qui m'a attachée à lui. La foi, c'est

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 31

quelque chose qui lui appartient en propre... jusqu'il quel point jo la partage ?... Eh ! je n'en sais rien...

UANNA.

Tu n'en sais rien 1

CLARA .

Je suis trop à bout pour y penser. Je n'ai jamais eu le temps d'éclaircir les grands pro- blèmes... Jamais! le mal m'est venu trop soudain.

Je ne dislingue [)luslcbien du mal: dans les grands aspects cela s'entend encore, mais dans les sens intimes profonds tout m'échappe... Pour la foi, c'est la môme chose, je ne peux plus la dominer.

HANNA.

Le sait-il ?

CLARA.

Il sait tout; crois-tu donc que je lui cache la moindre des choses.

UANNA.

Mais ne s"est-il pas eiTorcé de le faire par- tager sa foi?

32 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Jamais! Il ne le fait ni avec moi ni avec d'autres. « La foi nous vient de Dieu, » dit-il. Notre affaire est d'être vrais en tout, et nous finirons par être croyants... dans ce monde ou dans l'autre ! Il est ainsi absolu.

HANNA.

Mais il travaille donc pour le prosélytisme de sa foi.

CLARA.

A sa manière, mais jamais par la violence. Il est aussi bon pour les uns que pour les autres. Il traite tout le monde avec les mêmes égards. Il n'y en a pas d'autre comme lui.

HANNA.

Tu le vois toujours comme aux premiers jours, et bien que tes yeux soient devenus vieux.

CLARA.

Et bien que mes yeux soient devenus vieux.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 33

H ANNA.

Mais ta croyance à ses miracles... Au fond, tu n'y crois pas.

CLARA.

Que dis-tu ? J'y crois plus qu'à tout au monde !

HANNA.

Cependant...

CLARA.

Je sais bien. . . je me contredis. . . ne sommes- nous pas tous faits de contradictions... D'ail- leurs, fînissons-en, je t'en prie !... Je n'en puis plus... Tout ce que je sais, c'est que, s'il vou- lait aujourd'hui prendre le pain des enfants pour le donner à de méchantes gens ou se tuer lui-même à force d'imprudences... telle que tu me vois, incapable de bouger, je me lèverais pour lui barrer le chemin... Oh ! j'en suis sûre... moi aussi je ferais des miracles, car je l'aime, lui et ses enfants !

Long silence.

31 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

HANNA.

Puis-je faire quelque chose pour toi ?

CLARA.

Frollc-nioi les tempes avec Teau de Cologne et (loiiiic-inoi le flacon à senlir... Celui que tu m"as donné hier. Un peu plus vite ! Tu ne peux pas (léhoucher le flacon? Voilà un tire- houchon. ! ! Et ouvre la fenêtre d'en bas ! Oui, celle d'en bas !

HANNA.

Oui... oui.

CLARA.

Merci !... S'il ne faisait pas si humide, après cette tcirible pluie, je voudrais sortir. Oh ! du jasmin !

HANNA.

Du jasmin ! Il n'y a pas de jasmin ici !

CLARA.

Du jasmin 1 du jasmin ! Oh ! c'est lui, je

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 35

l'entends. .. le voici!... Merci, mon Dieu! Je me sens calme aussitôt!... Calme ! Oli ! quelle b(^-nédiction ! Le voici !

Sang en Ire.

SCENE II Les Mêmes, SANG.

SANG.

Bonjour, encore une fois ! Bonjour, cll^^e Ilanna ! Dire que tu es là... non, vraiment! Dire que tu es ! Un matin comme celui-ci plein (le chants et de parfums. Vous n'en avez pas en Amérique, il n'y en a nulle })art !

CLARA.

Et mes fleurs ?

SANG.

Sais-tu ce qui m'est arrivé, Clara ?

CLARA.

Tu les as données ?

36 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

SANG.

Non I ha ! ha ! ha 1 non, vraiment tun y espas 1 que tu es méchante ! Cette pluie continuelle, cette horrible pluie, combien de fois ne Tavons- nous pas maudite! On craignait des éboule- ments, des effondrements... toute une sorte de désastres!... Et la pluie n'a accompli qu'une œuvre grande et bénie ! Quand je suis sorti ce matin, attiré parce beau soleil... Oh! quelle floraison j'ai trouvé là-haut ! Je n'en ai jamais trouvé de pareille les autres années. Je suis entré, vois-tu, dans un véritable royaume de parfums et de couleurs, et, tout à coup, j'ai eu le sentiment de mal faire en foulant aux pieds cette herbe fraîche et luxuriante qui me don- nait tant de joie. Alors, je me suis écarté et j'ai trouvé un sentier que j'ai suivi en regar- dant tous ces yeux humides, tu ne sais par quelle foule serrée il y avait là. Comme chaque être dans cette foule cherchait à se faire une place ! Que d'appétits ! que de désirs ! jus- qu'aux plus petits qui essayaient de tendre le cou vers le soleil ! Comme ils étaient épanouis et voraces !... Ah ! les petits vauriens ! Il y en avait de si avancés déjà que je les crois, en

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 37

vérité, capables d'envoyer avant ce soir leur pollen à la recherche d'une fiancée!... J'ai déjà rencontré quelques bourdons. Ils ne savaient donner de la tête entre tous ces torrents de parfums. Car il y avait des mil- liers d'êtres distillant à qui mieux mieux des odeurs et des effluves séducteurs. Des milliers de milliers ! Oui, voilà ce qui se passe. N'y a-t-il pas de l'individualité dans cette variété infinie ? Oh ! si ! Voilà pourquoi il m'a été impossible de cueillir une seule fleur 1

Mais aujourd'hui, j'ai quelque chose d'autre pour toi !

CLARA, qui, pendant qu'il parlait, a fait des signes à sa sœur.

Vraiment, qu'est-ce donc, cher?

SANG.

Au milieu de cet épanouissement, il y a un <;alice qui n'est pas encore ouvert. Il faut qu'il s'ouvre.

CLARA,

Que veux-tu dire ?

38 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

SANG.

Ah ! lu me crois incapable de dissimula- tion !... Eh bien, si! Je sais dissimuler au besoin.

CLARA.

J'ai remarqué depuis longtemps qu'il se passe quelque chose.

SANG.

En vérité ? J'ai été pourtant bien discret. Cette fois-ci, vois-tu, si ta maladie ne m'a pas épouvanté comme les autres, c'est que j'avais mes raisons.

CLARA.

Oh ! mais dis ce que c'est.

HANNA.

Oui, parle donc ! Tu vois comme elle est agitée !

SANG.

M'y voici ! Moi qui ai fait du bien à tant de

AU-DESSUS DES 1-OUCES HUMAINES 30

malades, pourquoi ne puis-je rien pour elle, celle récalcilranle? C'est que nous ne pouvons j)rier ensemble comme je le voudrais. Et je 11 ai aucun pouvoir sur les malades qui ne joi- gnent pas leurs prières aux miennes, s'ils sont en élat de le faire. Alors, j'ai fait venir nos enfants et, hier soir, en les accompagnant dans leurs chambres, je leur ai dit pourquoi ils devaient se retirer de si bonne heure. Je vou- lais qu'ils dormissent tout leur saoul pour venir maider ce matin à sept heures à pri<'r près du lit de leur mère !

CLARA.

Oh 1 mon aiiiir.

SANG.

Nous formerons autour de loi une chaîne tl<' prières. L'un à tes pieds, l'autre à Ion chevel, <l moi devant toi. El nous ne nous arrêterons que quand tu seras endormie, pas avanl ! jias .tvanll l-lt puis, nous, nous recommencerons jusqu'à ce que lu te lèves et marches au milieu de nous ! Oui, nous ferons cela !

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40 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Mon ami !

HANNA.

Qu'ont dit les enfants ?

SANG.

Oh ! tu aurais les voir ! Ils ont été* tout saisis ! Je t'assure qu'ils sont devenus pâles comme un linge et ils se sont regardés !

Alors, j'ai compris qu'il fallait les laisser seuls. Je vois que cela t'émeut ! Tu fermes les yeux. Toi aussi, peut-être, tu veux rester seule? Oui, nous aurons un hôte, un grand hôte ! Il faut se préparer. Quelle heure est-il ?

HANNA.

Sept heures passées !

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AU-DESSUS DES FORCES IIIMAIMCS II

H ANNA.

Je te doniandr i);ii(l(tii. jr Tai fait !

SANG.

Alors, tu raiiras mal iridiée, mon amio. Poii.\-tu croiro cjiio de iri'aiuls onfanls. ijui doi- vent |tri(M' )>rrs (lu lit d<' Icui' mère, ouldicnl riicuro on dormant .'

UANNA.

Je munlciai voir co ([u'ils font.

SANG.

Non. non. non. il faul !<■> hiisscr s<'uls [m-u- dant CCS di'iiiici's inslanls. Je connais cela.

HANNA.

Ils ne mVnlondroul |»a>. .le veux sculrmcnl

Voir ce (|u'ils font. Kilo >orl.)

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SAN<;.

Oh ! doucomcnl ! doucement !

40 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Mon ami !

HANNA.

Qu'ont dit les enfants ?

SANG.

Oh ! lu aurais les voir ! Ils ont été* tout saisis ! Je t'assure qu'ils sont devenus pâles comme un linge et ils se sont regardés !

Alors, j'ai compris qu'il fallait les laisser seuls. Je vois que cela t'émeut ! Tu fermes les yeux. Toi aussi, peut-être, tu veux rester seule? Oui, nous aurons un hôte, un grand hôte ! Il faut se préparer. Quelle heure est-il ?

HANNA.

Sept heures passées !

SANG.

Non, c'est impossible, ils seraient des- cendus ! on aura oublié de régler ta montre d'après l'heure d'ici.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES -Il

H ANNA.

Je te demande pardon, je l'ai fail !

SANG.

Alors, tu l'auras mal réglée, mon amie. Peux-tu croire que de grands enfants, qui doi- vent prier près du lit de leur mère, oublient l'heure en dormant?

HANNA.

Je monterai voir ce qu'ils l'ont,

SANG.

Non, non. non, il faul les laisser seuls pen- dant ces derniers instants. Je connais cela.

HANNA.

Ils ne m'entendront pas. Je veux seulement voir ce qu'ils font. (Elle sori.)

SANG.

Oh ! doucement ! doucement !

42 AU-DESSUS DKS FORCES HUMAINES

SCÈNE III SANG, CLARA.

SANG.

Cette excellente Hanna ! Comme elle prend part à tout cela !

CLARA.

Mon ami !

SANG.

Il y a tant de soucis dans ta voix ! Oli ! es- père ! espère ! Je n'ai jamais eu, je t'assure, autant de confiance en moi-môme. Et cette confiance, tu sais de qui elle me vient? Clara ! ma chère Clara ! (U s'agenouiiie devant son lit.) Avant que nous nous unissions dans cette grande prière, permets-moi de te dire merci ! J'ai re- mercié Dieu aujourd'hui, Dieu qui t'a donnée à moi. Au milieu de toutes ces splendeurs printanières, je lui ai adressé mes actions de grûces. Il y avait une telle allégresse autour de moi et en moi ! J'ai repensé à notre vie

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 43

commune. Sais-tu bien une chose ? L'insuffi- sance de ta foi ne fait qu'augmenter mon amour pour toi, car, grâce à elle, tu es tou- jours présente à ma pensée. Le dévouement que tu m'as voue est un dévouement de tout l'ôtre, de toute la volonté. Il n'a d'autre cause que lui-même.

Et puis, je suis fier de ce que tu sois restée si vraie en vivant près de moi. Quand je pense que tu m'as donné ta vie, sans partager ma foi !

CLARA.

Adolphe !

SANG.

Chut ! c'est à moi de parler. Oh ! c'est grand, ce que tu as fait !

Nous autres, nous avons donné notre foi, mais toi tu as donné ta vie. Quelle confiance tu dois avoir en moi! Que je t'aime!... Oui, l'ardeur de ma foi t'a souvent inquiétée. Sou- vent tu as tremblé pour moi ou pour l'avenir de nos enfants. Peut-être était-ce irréfléchi de ta part, mais ce n'est pas ta faute ! Je 1<î sais bien, tu ne pouvais tendre ta pensée... tu étais à bout de forces !

44 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Oh ! oui, à bout de forces !

SANG.

C'est moi qui suis le coupable, je n'ai pas su le ménager.

CLARA.

Adolphe !

SANG.

Oui, oui, je le sais, tu t'es sacrifiée morceau par morceau. Et cela, non pas par foi, non, rien que par amour ! Que je t'aime ! J'ai voulu te le dire aujourd'hui. Si Hanna n'était pas sortie, je l'aurais priée de nous laisser seuls un instant...

Merci, c'est aujourd'hui ton grand jour. Les enfants ne peuvent tarder à venir!...

Ah ! laisse-moi t'embrasser comme le tout premier jour !

Hanna rcnlrc.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 45

SCÈxNE IV SANG, CLARA, HANNA.

SANG.

Eh bien?

HANNA.

Il est sept heures passées.

CLARA.

Je le savais.

SANG.

Sept heures passées! Et les enfants?

II ANNA.

Ils (Jormaicnl.

CLARA.

Je le savais.

HANNA.

Elic était habillé. Il >'élail jeté sur son lit

3.

46 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

comme pour se reposer un instant, mais le sommeil l'a pris. Rachel dormait, les mains jointes sur sa couverture; elle n'entendait rien.

SANG.

J'ai trop exigé des enfants, je ne m'en cor- rigerai jamais.

HANNA.

Il y avait quarante-huit heures qu'ils n'avaient presque pas dormi. Depuis notre rencontre.

SANG.

Mais quelle était donc l'intention de Dieu en m'envoyant une telle force justement au- jourd'hui ?... En me rendant si sûr de moi- même?... J'essaierai de le savoir!... (Se dirigeant vers la porte.) Excuscz-moi un instant, mes amis ! . . . Pourquoi justement aujourd'hui?

Il sort.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 47

SCÈNE V CLARA, HANNA, ÉLIE.

CLARA.

Tu les as réveillés.

HANNA.

Naturellement... Sais-tu ce que je suppose

CLARA.

Je crois bien! Oh! je tremble déjà!

HANNA.

Que faire?

CLARA.

Rien. J'essaierai d'amortir le choc. Oh! hier, quand ils sont rentrés, j'ai vu quelque chose dans leurs yeux!... Maintenant je comprends ce que c'était.

HANNA.

Ils n'ont plus la foi de leur père.

48 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CLARA.

Ils n'ont plus la foi de leur père. Comme ils ont lutter et souffrir, les pauvres enfants ! Eux qui l'aiment et le vénèrent par-dessus tout!

HANNA.

C'est pour cela qu'ils étaient silencieux hier.

CLARA.

C'est pour cela qu'ils étaient émus de la moindre chose! Oh! c'est pour cela que Rachel t'a écrit de venir. Elle voulait avoir quel- qu'un... Seule, elle n'osait pas.

HANNA.

Oui, tu as raison. Quelle lutte ont-ils soutenir !

CLARA.

Les pauvres enfants! Les pauvres enfants!

HANNA.

Voici Élie !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 49

CLAFL\.

Élie?

ELIE se jette à genoux devant le lit de sa mère et se couvre le visage de ses mains.

Oh! luèrel

CLARA.

Oui, oui 1 Je sais tout 1

ÉLIE.

Tu sais tout? C'est ce qui pouvait arriver de pire.

CLARA.

Oui, tuas raison.

ÉLIE.

Quand il nous a dit hier soir que ce matin à sept heures...

CLARA.

Tais-toi. Je ne supporterai pas cela.

50 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

H ANNA.

Ta mère ne supporterait pas cela.

ÉLTE.

Non, non!... Je savais bien que cela devait arriver. D\ine façon ou d'une autre, cela devait finir ainsi.

UANNA.

Supporteras-tu cette explication?

CLARA.

Il faut que je sache tout. Dis-moi?

HANNA.

Quoi?

CLARA.

Elle... tu es ?

ÉLIE.

Me voici, mère.

CLARA.

Rachel ?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 51

ÉLIE. Que veux-lu dire, mère ?

CLARA.

est Racliel?

é;lie.

Elle se lève. Rachel a veillé avec moi jus- qu'à minuit. Elle n'en pouvait plus.

CLARA.

Comment, enfants 1 Oh 1 comment est-ce arrivé ?

ÉLIE.

Comment nous avons perdu la foi do noire père ?

CLARA.

Oui, enfants ! comment vous avez perdu la foi de votre père ?

52 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

SCÈNE VI Les Mêmes, SAXG.

SANG.

Vous avez perdu votre foi ?... mon fils, tu as perdu ta Toi ?

IIANNA.

Regarde Clara ! Clara !

SANG ^c prccipile vers elle et lui impose les mains.

Cela s'arrête. Cela ne viendra pas, Dieu soit loué !

CLARA.

Cela... passe... Mais tiens-moi, Adolphe.

SANG.

Je te tiendrai.

CLARA.

Et ne me laisse pas pleurer ! Oh !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES o3

SANG. Non ! Non ! Pas pleurer ! {Il se penche sur elle et

rembrasse.) Sois forte ! Clara ! Bien ! Il ne faut pas te chagriner. Il faut te souvenir de leur chagrin à eux. Au milieu de leur douleur et de leur angoisse, ils ont voulu nous épargner. Ne les épargnerons-nous pas à notre tour ?

CLARA.

Si.

SANG.

Et c'est pour cela que tu as eu cette crise. Il fallait quelque chose qui nous fît réfléchir. Autrement nous nous serions peut-être mon- trés durs envers eux. Moi, surtout, j'aurais pu n'écouter que mon zèle. est Rachel ?

HANNA.

Elle va descendre. Elle a veillé jusqu'à minuit avec Elie.

SANG.

Oh ! ces enfants ! ces enfants ! Comment

51 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

nvcz-vous pu?... Xon, non. je ne veux pas le savoir ! Tu as loujours clé honnête, dès lors lu (le\ais...

ÉLIE.

Oui, je devais lout dire... Mais cela a été terri bk'.

SANG.

La foi Triait venue lio[) facilement grâce à moi. Jr n(> suis ([uun homme de sentimenl... Peut-être est-ce une crise nécessaire ? Pcut- ètre esl-ce le chemin de la vraie foi, celle qui ne se |)(Md jamais plu-; ([uand on l'a con- (piise.

i:i.n:.

.le me sens comme un criminel... et pour- lanl je n'ai rien à me re])rocher.

SANG.

Crois-tu que jeu doute un seul instant, mon fils? Ne l'y I rompe pas en me voyant inca[)able de maîtriser mon émotion. J'avais ])ù\'\ lanl d'(^spérances avec votre foi! Alors,

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 55

il me faut du temps pour... Non, non, non! Pardonne-moi, Elie ! Ce n'est vraiment pas la

faute ! (Rachel entre, mais elle recule aussitôt de quelques pas vers le fond. Il l'aperçoit.) Rachel ! oll ! Ra-

chel ! Dès ta plus tendre enfance tu m'as enseigne la foi mieux que tous les livres.

Elle vaincue ! Comment est-ce possible ? Non, il faut que je le sache ! Pour qu'on ait pu te prendre à moi. . .

RACHEL.

Me prendre à toi, père ! Ne dis pas cela !

SANG.

Pardonne-moi ! oh I je ne voulais pas te

blesser. Viens à moi. (Elle se jette dans ses bras.;

Je vous promets, mes enfants, qu'à l'avenir je n'en parlerai plus. Mais il me faut savoir d'abord, cela ne peut vous surprendre, com- ment cela s'est passé.

ÉLIE.

Nous en parlerions des jours entiers, père, que je n'aurais pas fini.

56 AU-DFSSUS DES FORCES HUMAINES

SANG.

Xon. non. (•(> n'r->{ pas mon alTaire. ,]c no vaux rien |M)ur disculcr la foi. Je ne m'y entends pas.

î;i.ii:. Mai-> In tloi> ni"(''(()ulci' au moins.

Si cela prui le souiat^rr. parle! .Mais ne peux-lii me diic cria en deux mois, mon enfant.'

KI.IR.

Si, jf !<• le dii'ai en dru\ mois: Rachel et moi, nous n'avions lrou\<'' nulle part les elii'*'*- liens donl lu nous avais parlé.

SA.NG.

Mais, mes enfants...

ÉLIE.

Tu nous avais envoyés vers les meilleurs.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 57

Et, pourtant, nous n'avons pas tardé à nous en apercevoir... Rachel l'a dit la première : « Il n'y a qu'un vrai chrétien, et c'est père ! )>

SANG.

Oh ! mes enfants !

ÉLIE.

Tous les autres accommodent le christia- nisme aux conditions régnantes. Ce ne sont pas de vrais chrétiens.

SANG.

Vous me paraissez bien sévères. Mais cette différence ne vous regarde pas, mes en- fants. Pensez cela, mais ne jugez pas. Qu'ap- pelles-tu chrétien, mon fils?

ÉLIE.

Celui à qui Jésus a révélé le secret de la perfection et qui y tient par-dessus tout.

SANG.

Que cette définition me plaît ! Tu as quel-

.<S AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

que chose du sens délieal de la mère ! Oh ! nu>n |dus beau rêve clail de te voir un jour... ?soii, non. iioiil Je vous ai promis, mes en- lauls, cl je tiendrai ma promesse. Tu disais?... Oui, lu [)arhtisd(' perfection.

Mais, mon Mis, chacun a h> droit d'essayer d'('-tir (•Ii'(''tirn. VA. pour peu (pTon y tende (h* l(tul .son co'ur, de toutes ses forces, on sera aid(' cl Ton aura hi foi.

Éi.n:.

Pri-c. il n'y a ipic loi... loi seul... <Juant aux .lulio. (h- deux choses l'une: ou ils rejet- lent une partie ilu fardeau poui' qu'il no leui" [)èse pas ti-op lourdement... ou ils sont sin- cères, se surmènent ol se tuent. Oui, c'est le mot !

RACUKL,

Oui. père chcri, c'est le mol. Alors, nous nous sommes dit que, si aujourd'hui encore, après des siècles d'essai, cet idéal dépasse les forces humaines... c'est qu'il ne vient pas de celui (pu connaît nos Ames et sait ce qu'elles peuvent supporter.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 59

SANG.

Tu as dit cela, toi?

ÉLIE.

Oui, père, et le doute de Racliel ne nous a plus quittés. Nous avons étudié, remonté le cours de Tliistoire pour arriver jusqu'à la source de cet idéal...

RACHEL.

Sais-tii, père, qu'il est plus ancien que notre foi? Le sais-tu?

SANG. *

Je le sais, mes enfants.

ÉLIE.

Bien avant la naissance du christianisme, des âmes exaltées...

SANG.

Oui, oui, en Orient, en Grèce, partout, dans les temps de trouble et de désespérance, les

f/i AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

àinos oxallres ont voulu fuir ce monde... cher- cher uiK' autre terre... une terre de rénovation, fuii", fuir! Oui. mes enfants, je le sais.

['^1 voilà ce qui vous arrête ! Mais, pour être un rêve d'Orient, extrèmemenl vieux, la terre de rénovation, le règne millénaire seraient-ils d()nc(rin<'alisahlcschimères?...Oui,ils scsonl l'ail allfiidi'c, mais qu'est-ce que cela prouve?

Piicn eonlrf la doeti-ine, mais beaucoup contre les maîtres... Oui, beaucoup contre les maili'es !

\ oye/, pIuliM (■<• (|ni m'es! arrivé à moi- même, ,1c \()yais le christianisme ramper timi- dement sur le ventre. (Iliaque pli de terrain paraissait l'arrèler ri je me demandais pour- (juoi .' "i ;i-l-il une l'oice si puissante qu'en se dressant elle ferait sortir le monde de ses £i'onds ? Ou ne sont-ce pas plutôt les hommes qui n'osent pas ?

Et s'il en était un qui osait ? D'autres limi- teraient à coup sûr. Alors je sentis le devoir d'être cet homme, d'essayer. Je sentis que chaque croyant devait en faire autant. Car croire, c'est savoir que rien n'est impossible à la foi. (>'lle foi, il faut (ju'on la montre et c'est ce que j'ai fait.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 61

En disant cela, je ne me glorifie pas. Au contraire, je m'accuse, car moi à qui une telle grâce a été accordée, j'ai fini par tomber dans le doute, loin de Dieu.

Oui, j'ai douté. Il me paraissait impossible de la sauver, elle, à moi tout seul. J'ai appelé d'autres à mon secours.

Et ce secours. Dieu me l'a ôté. Il a permis que, vous aussi, vous vous heurtiez à l'impos- sible et veniez me le raconter; c'est ainsi que son heure est préparée. Maintenant, il nous montrera à tous ce qui est possible.

Oh ! j'étais là, écoutant sans comprendre. Maintenant, je comprends, je vais faire cela, seul. J'ai reçu l'ordre, je puis agir.

De là, ce mouvement de la grâce que j'ai ressenti aujourd'hui. Tout cela s'enchaîne.

Entends-tu, Clara ? Ce n'est plus moi qui parle. C'est la grande certitude, et tu sais de

qui elle vient. (Il sogenouille devant elle.)

Clara, mon adorable amie, ne serais-tu pas aussi chère à Dieu qu'une autre dont la foi est entière? Comme si Dieu n'était pas le père- de tous ?

L'amour de Dieu n'est pas un privilège des croyants. Le privilège des croyants, c'est de

4

62 AU-DESSUS DUS l'ORCUS IIUMALNES

sentir son amour ot d'y trouver leur joie et de faire, en son nom, l'impossible, possible.

Olî ! loi. la patience, toi, la fidèle! Mainte- n;riil. je nirloiiiiie de toi, ]>our tenter cette œuvre, n «iu rciircsbc.)

Oui, j)our tenter cela! Je vais à l'église, en- t'aids. .le veux être seul. Je n'en rcssortirai pas aviuil diivoir obtenu des jnains de Dieu le souuneit de volj-e mère, et après le sonuneil la santé. alin qu'elle selèvc et marche parmi nous.

Ne soyez pas effrayés! Je sens qu'il le veut! Il ne me l'accordera pas tout de suite, car, cette lois-ci, j'ai douté ; mais je persisterai c\ jatlendiai la présence du seigneur très sévère

et très bon. Adieu ! (il sagenouille Uevont le m et s pciiclie sur Clara en faisaiil une courte prière.)

Adieu ! 11 rciiibrassc. Elle demeure immobile. Il se lève.)

Merci, mes enfants! Vous m'aurez aidé tout de même! Et plus qu'on n'eût pu le croire !

Je sonnerai moi-même ma prière. Vous sau- rez donc, au premier coup de cloche, que je commence à prier pour votre mère. Que la paix soit avec vous !

llanna. d'un mouvement spontané, va ouvrir la portée devant lui. Sang sort.

HANNA.

Oh ! C est, C est... ^ne fond en larmes.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 63

ÉLIE.

Je veux... je veux le voir entrer à l'église.

Il sort. RACHEL, ovpc élan.

Mère ! Oh I mère !

HANNA.

Ne lui parle pas ! Elle te regarde, mais ne lui parle pas !

RACHEL.

J'ai peur !

HANNA.

Je vois d'ici ton père. 11 s'approche de l'église. Viens voir.

RACHEL.

Non, non! Je n'y tiendrai pas ! J'ai si peur ! Mère ! Elle me regarde, mais ne me repond pas. Mère !

HANNA.

Tais-toi, Rachcl !

On entend la cloclie."

RACHEL tombe à genoux. Au bout d'un instant, elle dit avec un cri étouffé.

Dieu, Hanna !

114

AU-i'Hssus i»l;s forces iilmaines

IIANNA.

Ou'v a-l-il ?

j\A(;m:i..

.Mri'r s'fSl ciuloi'lllir 1

Hllr .loil •>

Kllr .l..rl :

\ riiiiiK'iil .'..

IIANNA.

nACilKI..

IIANNA.

IIACIIKL.

Il fiml (iiir j'nillr lrouv(M- Klio... 11 faut qiio ie di.sc à KUc I...

lîllc s»rl.

IIANNA.

Elle ilori coinine un rnfant. Oh ! Dieu !

Kilo tombe à genoux. On cnlcnil cornine un roulement fie tonnerre continu et de plus en plus \>ro{tM\i\. Il grandit t-t devient effrayant. Cris au (kliors, La maison tremble. Le bruit grandit toujours.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 65

RACHEL, (lu dehors.

Le fiaell s'éboule ! (On lentend crier, puis elle se pré- cipite dans la chambre.) Le fiaell s'éboule sur l'église! sur nous ! Droit sur l'église ! sur nous ! sur père ! sur nous ! Ça roule, ça fume, il fait

noir

Elle s'incline et détourne la tète.

ÉLIE, du dehors.

Père, père ! oh !

HANNA, penchée sur le lit de sa sœur.

Cela vient sur nous ! Cela vient sur nous !

Le bruit atteint sa plus grande intensité. Puis peu à peu, il décroît et s'éteint. On entend de nouveau la cloche de l'église.

HANNA, se redressant d'un bond.

La cloche ! il vit !

RACHEL.

Il vit ! .

ÉLIE, du dehors.

Père vit! (Plus près.) L église est debout! en

4.

..'. AL'-[)ESSUS DES KORC.ES IllMAINES

cnho.; Léglisecsl doboiil 1 Père vit, léboulcmonl a (Irvir ! (Vc>[ venu loiit près, puis cela a loiirnè à Liaiiclir. 11 vil. il fait sonner laeloeliel Oh : Di(Mi 1

U se prioipitc vers le lil ilc >n nurc et se penclie sur elle. RACIIKL.

Élie, Mèn>:...

II \NNA.

Eii^' (I..11 :

Kl. H", se redressant vivement.

i;ile (lorl .'

RACIIEL.

Oui. elle dorl.

On entend de nouveau la cloche. 1IANN.\.

Elle dorl (ou jours li-anquillemcnL mOEAU.

ACTE DEUXIÈME

Une peîile pièce aux murs en charpente. Au fond, une porte grande ouverte donnant sur un long balcon couvert, au-delà duquel on aperçoit un paysage en- caissé par un fiaell aride. A droite, une porte. A gauche, une grande fenêtre. Au-dessus de la porte donnant sur le balcon, un crucifix doré est sus- pendu dans une gaîne de bois vitré. Au premier plan, à gauche, un sofa. - Devant le sofa, une table chargée de quelques livres. Le long des murs, des chaises.

SCÈNE PREMIÈRE

ÉLIE, RACHEL.

Élie entre, venant du balcon. Son allure est inquiète et pressée. _ Il est sans chapeau, vêtu d'une chemise de llanelle et d un pantalon de toile, et chaussé de savates. - 11 s'arrête, s ap- proche de la fenêtre et écoute. -On entend distinctement, au loin, un hymne chanté par une voix d'homme. - Elie parait très ému. -Rachel entre doucement par la porte de droite, qu'elle referme derrière elle. - Son frère lui fait signe de s'arrêter et d'écouter.

RACHEL également émue, dit à voix basse.

Laisse-moi ouvrir la porlc de la chambre de mère.

08 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

Ci

ÉLIE, bas.

Mère se serait^elle réveillée ?

RACHEL.

Non, mai-s tout de môme elle entendra

père. (Elle disparait par la droite, puis rentre doucement, et laisse la porte ouverte derrière elle.) (Doucement.) Klle a

souri.

ÉLIE, bas.

Oh ! Rachcl !

R.VCHEL, émue.

Elle... Ne dis rien... Je ne puis le sup- porter...

ÉLIE.

Regarde par la fenêtre, Racliel ! Peut-on voir quelque chose de plus beau? Autour de Tcglise, des centaines d'hommes immobiles et silencieux, et là, dans le sanctuaire, lui seul, ])i'iant et chantant, sans se douter de leur présence. Les fenêtres sont ouvertes, mais trop hautes pour qu'il puisse les voir.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 69

Et tout ce monde tremble d'être entendu, de troubler sa prière !... Regarde ! Il parlait d'une chaîne de prières. Tous ces gens autour de l'église... Voilà la chaîne !

RACHEL.

Oui. (Us tenderit l'oreille pour mieux entendre, mais en ce moment le chant cesse.) Il cliantc SOUVCUt, aujour- d'hui.

ÉLIE.

Ferme les portes 1 J'ai tant de choses à te dire... Deux fois, je suis venu te chercher ici.

RACHEL sort doucement par la porte de droite, rentre, et ferme la porte derrière elle. D'uno voix plus haute:

Il est encore venu du monde cet après-midi.

ÉLIE.

Il en vient sans cesse, de plusieurs lieues à la ronde ! Tu ne peux les voir tous. Il y en a beaucoup dans les bois qui écoulent les pré- dicateurs libres. A celte dislance, ils ne peu- vent troubler père. Cela fait un va-cl-vienl entre l'église et le bois. Oh ! mais, regarde là-bas, sur la crrève !...

:o M-DESSUS DES FORCES IILMAINES

RACIIFI..

nli ; Uu'csl-co qui se passo? La gr(>vo ost noire (le inondo ! Ou'csl-ro que c'est?

KLIK.

('.'e>! if Itnlrnu dr la mission qui a jclc laiicrc ici.

i! \(;ui:f.. Le Ijaleau de la mission?

î:i.ii;.

Ne snis-lu pas que hmles les paroisses de ILsl ont lou('- nu vapeur {)our se rendre à la ville el prendre pari à la réunion des pasteurs qui doit avoir lieu? Les voici qui amarrent dans le fjord.

Ici?

Oui, ici.

RAcnn:!..

ELIE.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 71

RACHEL.

Que viennent-ils faire ?

ÉLIE.

Ils viennent voir le miracle. Quand nos deux délégués, le pasteur Krœyer et un autre, sont allés prendre le bateau là-bas, devant la côte...

RACHEL.

Oui?

ÉLIE.

... Et leur ont dit ce qui s'est passé ici hier et que père était encore à Téglise, plongé dans la prière...

RACHEL.

Je comprends!

ÉLIE.

... Personne n'a voulu continuer. Tous tenaient à descendre ici. L'Inspecteur et

72 AU-DESSLS DES FORCES HUMAINES

les prêtres ont ou l)cau leur rappeler riieure (le la réunion, ils n'ont pas voulu en dé- mordre. Les autres ont céder et... lesvoicil

HACIIKL.

Les pasteur< ;Hi<<i ?

ÉLIE.

Les jcisteui's et l'Inspecleur ' i ... naturel- lement I

RACUKL.

Ils ne viendront pas ici, au moins! 11 fau- drait llialùUei" un j)eu.

Ki.ii:. < icla m esl iinpossilde.

Impossible?..

HACHEL

EI.IE.

Les habits me IjrCdenl. Et j)uis j'ai une envie... une envie de fendre les airs. Je ne

1 Lo lilro (Ylnaperleur ccclésiasl'ujue correspond chez nous à celui û'EvOque.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 73

puis te décrire ce que je ressens. Mais il me semble, par instants, que je pourrais m'élever dans les airs.

RACHEL.

Voyons, Élie !...

ÉLIE.

Le voici, le voici qui marche !

RACHEL.

Qui ?. . . Cet homme ?

ÉLlE.

C'est bien lui?... Oui, c'est lui!... On l'a appointé ici ce matin malade, oh ! si malade ! Et le voici qui marche! Tiens! le vois-tu?... C'était aujourd'hui, pendant que père chan- tait son premier hymne. Personne ne s'y attendait, et nous nous mîmes tous à pleurer. Alors le malade se leva de son propre mouve- ment. Nous ne l'avions pas encore remarqué qu'il marchait déjà au milieu de nous. Mère aussi va se lever, Rachel ! Il me semble la voir déjà !...

5

:i AL-DESSl-. m < lUUCLS lILMAINi:s

l; \(;ili;(..

(lui. cil.' >(• l«'vcr;t (ruii uioiiiciil à laulro. Je iiiy alleiitls... Ali!... iiinis j'en lr(>iiil.)lc d'inniicr 1... Tu inc rciiardos, Klio?

î;i.ii:.

( lui. car il nio sfuiMc quaud lu parles, cjue 1rs |»ai-()lr-. snnl i-vlliuirrs. l'',l (luaiid les aulres parjciil , i\'-[ la ummut cliosc

r, \<.ni.i..

Puis, ]»ai' luoiueu'.s niainlcnanl, par exemple, je ucuhMids (|ue des sons, sans aucun .sens, car. en même lenips, j'enlends (|uelque chose... cpichpK' chose d'autre que ce (pu sedit...

R.\CIIEL.

(.^ uelque chose dauli-e .'

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 75

ÉLIE.

Le plus souvent, j'entends père m'appeler... m'appeler par mon nom, comme hier matin. (Avec émotion.) 11 a cu Une idée en me baptisant de ce nom. Cela sonne comme une plainte et comme une accusation... et c'est sa voix qui m'accuse.

Quelquefois cela me poursuit sans répit ! Et, alors, j'éprouve le besoin de me précipiter au-devant de quelque grand danger. Je suis sûr que j'en réchapperais. Non î n'aie pas peur !... il n'y a pas de danger ici.

RACHEL.

Viens, Elie; asseyons-nous près de notre mère. Il y a de la paix autour d'elle.

ÉLIE.

Je ne peux pas... Racliel, réponds-moi devant Dieu ! Va jusqu'au fond le plus intime de ton doute, et réponds-moi : ce que nous

avons vu ici, sont-ce bien des miracles ?

f

:>) AL-DLï^SLS Di:s FORCES IIL.MAINLS

HACIIKL.

<>Ii! |)irnl l'ilic ! I^oui'(|U(>i toujours celle

(|lH'sli(»li ?

M;ii-^ u'csl-cc ji;is nflreiix (|iie nous, ses eurjiiils. Ndvons pcul-clre les dciMiiers el les seuls ;i doulci" .' .le (1< dincriiis iu;i \\c |)<»ui' une crrlilud''.

H\(iii;i .

A>se/.. j-]lic, ;i>><'/., \r [Cu |tri(' I

KI.IK.

Dis-moi seuleuienl coque lu crois !... Cet éhoulonienl .'... (l'esl trop grand pour être un hasard, n'esl-ce pas? l'^l le soniuieil de mère? A peine eut-il sonne... le sommeil! Malgré réboulemenl... elle dort !

N'esl-ce pas un miracle, cela? Et tout le reste aussi?... Pourquoi n'en serait-ce pas un... et un grand miracle?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 77

RACHEL.

Oui, Elie, je crois presque que c'en est un...

ÉLIE.

Tu crois ?

RACHEL.

Mais je n'en ai pas moins peur pour cela.

ÉLlE.

Peur? Si c'est un miracle? Mais, en ce cas, tu ne crois pas au miracle.

RACHEL.

ELIE.

S'il guérit les hommes, ce n'est pas seule- ment en vertu d'une force magnétique ? ou de la puissance supérieure de son être? N'est-ce pas ? 11 y a plus que cela ! Est-ce un miracle ? En es-tu sûre ?

:■< Ar-i»i:ssLs dts i-orces iiimainks

nvr.iiEL.

.]r uc puis y jicnscr ni ce iiioiiionl. CVst pour IroMvrr 1,1 |»;ii\ (juc jo uif suis rrl'uc:i(''o chez niriT. Il y ;i t.iul tl»- frinuliisf i'('>paii(luo aulour do MK-ir. L aliiH>spli( rc eu esl ploiuo. L'ospril s'npnise cl ru- ■>(• imi-^c jilus de (•••s (picstious. .Maiiiieuaiil . \'A\r. il s at,»"!! il auli'c cliose.

I) aulif llin«>r ?

liiir.

l; \t III.

I]l a|ir<'> .'... (Jii ad\ iriHira-l-il apr^s ?... <^lii;mil iMi'i'r sr Ncia Irvi'c .' (iac cc uo snra pas

l»»ll| , .. I]ll lin (Ir cnjuplr...

KI.IK. l'.ll iill il<' Cnlillilc .'. . .

UArUKL. Il \ \.i <|r >a VU' !... l-;ilf fiinil 011 !armc>i.

KF.ir:. Uaclu'l ?... Oh ' Dieu :

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 79

RACHEL.

Mère n'aura plus la force de résister. Et il voudra continuer, lui. Maintenant plus que iamais.

ÉLIE.

Continuer... quoi ?

RACHEL.

La même chose... de quelque nom que tu l'appelles.

ÉLIE.

Mais si c'est un miracle ! Racliel, pourquoi en avoir peur ?

RACHEL.

Ah ! mais je pense aux suites... Ou'advien- dra-t-il de père, de mère, de nous tous ? Tu ne me comprends pas ?

ÉLIE.

Non.

8<»

AL -KKSSl S I»[:S FOUCES ML MAINES

n vciiKi,

l'^Ii ! (juc m'iiiiporto i-r (|iir c'osl ! Tout vc ([lie je sais, c'est que cela nous tuera tous à I;i lin!

Kp III uni If '

KM F..

n \< \i\:\

()\\\, oui . Ce n'est pas un*- l>(''ii«''(liction, c'est unr i''jHHI\ ;mlr !... Mlic !..

Kllr 1 iTilralnc fin fini'l >lt' la chanilirc.

Ou'y a-t-il'.'

Kl.IF.

It \riii;i .

Il va un lionune (hnant la fen<^tre. qui n*- trardc... In lioiiinif rfranL^e !... Ouil est

KLIR.

! en liahil boulonin'-.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 81

RACHEL.

Oui... (Avec un cri étouffé.) Le voici dans la

chambre ! (Elle recule comme devant un spectre, et s'enfuit chez sa mère.)

ÉLIE.

Dans la chambre ? Ici ?

Au même instant, à peine Rachel a-t-elle disparu, que Brait, venant du côté gauciie du balcon, franchit le seuil, s'ar- rête et regarde autour de lui.

SCENE II ÉLIE, BRATT.

ÉLIE, apercevant Bratt

Mais le voici !

BR.\TT.

Vous permettez?

ÉLIE.

Qui êtes-vous?

s2 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

BRATT.

Qu'importe?

ÉLIE.

Je vous vois ici depuis hier.

BRATT.

Oui, je suis venu par la montagne.

ELIE.

Par la montagne?

BRATT.

De là-haul j"ai vu Téboulement.

ÉI.IE.

^ rai ment?

BRATT.

Puis, j'ai entendu la cloche sonner. Et au- jourd'hui, pendant que votre père chantait, j'ai vu la malade se levier. Maintenant, dites- nioi : est-ce que dort votre mère?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 83

É\AE.

Oui. Mais pas dans la première chambre; dans l'autre.

nHATT.

Mais, si elle se lève... elle viendra ici, n'est- ce pas? Pour le rejoindre à l'église... il faut qu'elle passe par ici, n'est-ce pas?

ÉLIK.

Eh bien?

nnATT.

Eh bien ! je vous le demande... je vous en prie... Puis-je venir ici? Allendre ici?... \'oir?... Je l'ai si longlemiis, si ardemment désiré! Ah! c'est plus fort que moi! Tant que je pourrai résister, je n'entrerai pas. Je ne veux pas rester ici, jucndre la place, gêner... Mais si le besoin d'entrer, d'attendre, de voir, devient trop grand... cela me sera-l-iJ permis?

É! IK,

Uui.

81 Al-IŒSSLS DES FORCES HUMAINES

l'.n ATT.

Mort'i! Je iif NOUS (lir;ii (jiio cela. O jour (l«''ci(l(Ta (Ir nui \ i(\

Il re<:ii<:iif le Imlron, lonrne ;i dniile i-( disparail.

s<;i:m-: m

1:1.11:. piMs KM(*:VKH. i:i.iE.

(]♦' )(>lir (Iccidrr.'l (le ma \l('. Ki mvir entre, vcnanl du cote g.Tiiclie du l.iilr.in. Ivrd'VOr, aS-lu VU Cf'l

honiinc?... Colui (|ul s'rloiii-iio là. à (Irf)ilo? Oui. Oui t'^l-co?

KI.IK.

Tu no le connais pas?

KHOEYKR.

Non.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

ÉLIE.

C'est certainement un homme étrange... « Ce jour décidera de moi. » Oui, c'est bien vrai! Oh! mon Dieu! voilà le mot que j'ai cherché.

KHOEYEH.

Je savais bien, Élie, que ce jour serait un grand jour pour toi.

Et qui donc peut résister à ce qui se passe ici?

Rien que ces centaines d'hommes en prière autour de l'église et là, dans son enceinte, cet homme, seul, ignorant de ce qui se passe. Je ne puis me figurer rien de plus beau.

ÉLIE.

N'est-ce pas?... Oh! je veux rejeter loin de moi l'angoisse et le doute !... « Ce jour déci- dera » quelles paroles !

J'ai lutté et souffert sans avancer d'un pas. Or, voilà que cela m'est accordé. Et jo me sens aussitôt plus calme. Oh! parlons-en 1

\i M -<i>- M-- r(inr.i:> iiim \im;^

k\ua:\ II;. \ I Cl- iiioiiirnl... .!<' -^iii^ i-liitri;»''

lie If <lr|ii;uiil»T (|lir|(|l|f «'IlO-^r.

\ III' '1 I tl- l.l |l.ll I I II' 1 [IM

KH'H Vil;. .1' -III- i'\"iiii ni ;i\ccli's i^eiiN tir l;i iiii.s-

1.1 IK.

Kmn;vi;n.

L lu.s|>t( lilir (•(•(•|«'->i;i>ll<|nr ri Ir-, |»rrlrrs «lriii;iiitlriit la |iriiiiissiun (rocciipri" crll*' ciiailllirr |ir|l<laiil lllir lirlirr.

iiii:.

I 'niiri|n<ii '

ll> \rulriil se coiicrrler sur l'alliliido à

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 87

prendre vis-à-vis de ce qui se passe ici. Et je ne sais pas d'autre endroit nous puissions être seuls. Que cela ne t'étonne pas. Nous autres, prédicateurs, gens du métier, nous devons tâcher d'y voir plus clair que tout le monde, comprends-tu ?

ÉLIE.

Mais cela fera une vilaine dissonance ?

KRŒYER.

Qui finira en harmonie. Comment résister au miracle ?

ÉLIE.

Tu as raison !... Oui. mais ici, dans cette chambre ? Les introduire entre père et mère ?. . . Et si père recommence à chanter? Nous ne pourrions plus ouvrir la porte de la chambre de mère.

KROEYER.

Que croîs-tu que ton père ou ta mère leur auraient répondu?

•m I >> ii( M \l^^>^

KI.IK

lU nurairnl dit : oui. sans «louU*. Tu as rai- •hi'ils virnuciil' M.u-^ rpaiync-inui

KH«f VK.H.

.1 arran^*'rni loul. l)ii rôl«- ■''• ' (U'iix porlrs sont frriniVs?

I I I I I ' I'

Oui

Il n»' in«" r«'s|i- ilmn (|n ;i frriiifr rrllr fc-

n<'tli" »l ;i rrfiTIIHT «•«•Mr |in||r (liMT

M TMMT rUX :

IM.IK.

(hii, <|ii lU - iM> i iiMiil I. .Iiini rlirrclicr «le la svm|>;itliir <Im/. |r^ i,'«Mi> <|iii alNMuiriil

(li'liul-^ II- (ilil frrMMIlHIil illtrixlll CV <|lll \ .1

ijotinl liiii. Lriif ;illrij|«' n<' srra

j'i'i- l'jiil^uc, j'cspërc.

Il ««; «llrijic vcr^ In porte. Krcrrcr le -«Mil.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 89

KRŒYER.

Nous prierons, Elie, pour qu'il en soit ainsi, n'est-ce pas ?

ÉLIE.

Oui, maintenant, j'essaierai.

Ils sortent parle balcon et prennent à gauche.

SCENE IV

KROEYER, BLANK, l'Inspecteur ecclésiastique, BREY, FALK, JEXSEN, les Prêtres, puis ÉLIE, LA Veuve du Prêtre, AGATHE, BBATT.

KRŒYER rentre, venant degauche (i).

V^euilleZ entrer. (Il va fermer la fenêtre. Pendant ce lenjps, entrent l'Inspecteur et les prêtres. Krœyer va refermer la porte après eux.)

RLANK, voix traînante, léger bégaiement.

Vous qui connaissez les êtres, trouveriez-

(i) Pour cette scène jusqu'à l'entrée du pasteur Brait, nous donnons ici la traduction littérale. A la scène cer- taines modifications ont été apportées, indiquées elles- mêmes par l'auteur.

M-DESSIS I)i:s FolttKS MLMAINKS

\ ou» mm'X (Il (Ir iioii» |inHiir»'r un j»cu «Ir nour rilii!

.NoU'» )<»U(»ii-> 1111 i"!"' tiiiii t(iun«(U'' ' M;ii»

|ii>ll> .i\(ili-- m llll lii.ll (!»• lU'T rlTl'c »\ .llilc. lUiF ^ Knil»"» monl(e« en corn*.

I INsl'KCTKtr».

Muliii. iiuus rlinn> airi\«''s «mi v.wi cnlnu', ri I Ml) ;ill;«il ju»l«'UM-nl uou-^ fau'«' l;i ('iM>inr...

I . I ; I >

tjii.iiiM M- Il 1 1 1 .!< Il- oi \ mil III )ii S >nr|»r<'inlr<'.

I \ I i< . I )i(-u i|r i hi-u (jui- i .'li fjiini !

KlUHVEn.

.r.ii |H III- (jur |MT>()nno, ici, n'ait songé au

(liiH-r. Mai» i»' \ais vitir.

Il sort

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 91

JENSEN.

J'ai de vraies hallucinations de manger. J'ai lu quelque chose là-dessus. Mais on lit tant de choses auxquelles on ne croit pas... Il me semble voir des perdreaux.

FALK.

Des perdreaux?

JENSEN. ^

J'en sens même le fumet... Des perdreaux rôtis.

BLANK.

Des perdreaux?

PLUSIEURS VOIX.

Nous aurons des perdreaux ?

KRŒYER rentre, et dit en ouvrant la porte.

Hélas ! jai parcouru la cuisine et la salle à manger. Personne, et tout est vide !

'.>2 Al Itf^SSlS IiKS FOnCKS IHMAlNKS

imKV. ( )niM ! l'.i- iiiic ilmo .'

IM.K

hini (|r f )ifii (|iic j";ii fnim '

I i\si'i:< I Mit. \'(>yons. iiu'^ niiii--. iir l'iii^uns pjis imo li-op

Il f.'iiil initi>> ii'>-ii:in'|- cl I (>|»r('ii(lr<> coiirjiirp...

\ riiillr/ \ un-, .•|>-^^•(»i|•.

(Il s ii^Nifd Mil" II." sofa. 1rs prrlrr** sur ilr» rliniscs.)

I']n (ni«-l<ni«'>, mois cl sniis hniil, car nous s;i\(iii- ijii il y ;i mu- iiiiil.nlc dniis l;i iii.ii-^oii. ciiIciii|miis-iioii> sur IiiIIiIikIc ;i ol).~.»TV('r ^i>-;^-\i-^ de ce i|iii se passe ici.

.] -.w loIljo^lr•^ "'II' il a\ is (pr«'ii pn''s«Mic«' d'un niou\ riiH'iit ilf crllr ('^|irc(' l(^ pr(Mro (loil. on rrt;l«' ^M'-m'-ralr. i,'ardcr la lu-ulialilô. Ni jiour. ni «onlir. ju>(|u à ce <pic le luoiivcinont se soil suflisaiiiiuciil taliin'' |>uur (luOii puisse juger en liherh''.

.VusNi russé-je d»''sir('- de loiil mon cd-ui' ne pas altordcr iei. Mais nous n avons pas |)U y (M liapper.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 93

LES PRÊTRES, nuinniuanl entre eux.

INous n'avons pas pu y échapper. Non ! nous n'avons pas pu y échapper.

l'inspecteur.

C'est ici, pour ainsi dire, le siège présumé du miracle. C'est ici qu'ils ont tous voulu des- cendre. Et je ne leur en fais pas un reproche ! . . . Mais, puisque nous sommes et que nous fai- sons la traversée à bord du mcme bateau, on voudra connaître notre opinion. L'assemblée aussi voudra la connaître. Quelle est notre opinion ?

krœyer.

Permettez-moi d'exprimer mon humble avis. Ou nous croyons au miracle et agissons en conséquence, ou nous n'y croyons pas, et agissons aussi en conséquence.

l'inspecteur.

Hem!... il y a encore une tangente, mon jeune ami.

i \r-i)Kssrs i)i:s forces m m\im:s

1 i:^ IMU^TIlKS, miirmiirniil entre ont.

(Mii. il V M uni' l;iiiij:»'ult'. s;in< ;nniiii (loiil<\ il y <ii ;) iiiif.

I I \ -l'i 1 I ) I II.

IMii-' on \ i. mil , pm- «mi ^.i^mk' rii cxurrionro, nliiN on ;i tir tliflii iill/' ;i >f fnniicr mu- (-(iiivif-

litUl, siirluiil ni (1- illli culirrllir je ^liriKll II l'cl . i'.'*'^\ ;'i |iriiir, tr;iillriil>. ?>i. iI;iiin !<' <;is |>r(''- •-••lil, Ir t«Mil|»s tl II-; rirmilshiiUTS pcMMIirl- llilHIll UIW r||<|Wrlr. |']l >IH»|M>S«'/, (|IH* IlOUS

ii|Miiili->>ioii-, ;i (|»-,.i\i-> (lilTrn'nIs 7 (^)iirl clïcl

|i|im|iiii;iiI . <II <■'•-> l"lll|f> <lf ilolllr, IIIH' ijlH'-

ii'llr t|f |ii<'lrr^ -siir l.'i t|iic^l idii (1rs miiMcIfs ? ^ ;i-l-il ou ii"\ .i-l-il |i;is (!«« rniriu-lfs ;i I'Ik-iht (jii'ii «>>l >iir Irl |ioiiit doiiin'' «lu Norrljimi?... JfMois (|iif r>l;iiiU ilciiiaïKJr I;) jiarolc ?... Pai'lc,

mon \irii\ !

Si )"iu ItMii «omiM-is N'oliT (Iraudoiir, la priii- rij)alo alTain- n'r-,! pas t\r décidor sil y a ini- rnclo on non. Il ji'v a «juc Dieu, notre Père, t|iii puisse If savoir.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 95

l'inspecteur.

II n'y a que lui. .Merci, vieux, tu as dit le mot !

BLANK.

A mon avis, les miracles, comme toutes choses, sont soumis à la loi. Seulement, cette loi, nous ne la voyons pas. Je partage là- dessus l'opinion du professeur Petersen.

FALK.

Exprimée dans ce fameux livre qui continue à ne pas paraître.

BLANK.

Mais qui paraîlra dans quelques années. Mais, s'il en est ainsi, quelle importance peut bien avoir un miracle, pris à part, que nous puissions, ou non, le voir avec notre courte vue ?... Si la communauté croit le voir, nous nous joindrons à elle pour chanter les louanges du Seigneur.

\l I>I;SSI > DKS FOHt.FS IlLMAINKï^

I INSI'Kt lEl h.

Tu \<ii\ (Imif t|m' nnu-> r<'<(Miii;u>>i(»ii^ lr imi'.trli- .'

m \M\.

.\oii«. Il ;i\(tii^ ni ,1 II- r<( t iiiii.nl rr, ni ;i nrji;i>. lr rtMoiiiiailir. .\(»ii> u»tii^ j<>ii,riioii.s ;i la pn- ini>si> |M»iir tlianlrr |r> l«)iiai»}4:«*'^ «lu Sri^iu'iii*.

ri \ < 1 1 1 ;'i 1 1 1 II I !

I INSrKt.lKlM.

\li ! iiioii \nil ami Illank, immjs iir sointiics [•lii> (I acc(»r<l, n<»ii-, nr n()ii> <'ii lircrons pas a\ !•< ilr> cliaiil-^.

I.KS pni^TFlKS, niurmtimnl entre cm.

Nmii^ in- ni»ii> m lirri-uii> pas ixm'C des ciianU. Non, iimh-, ne ii<jti> rn lircrons pas :\\ri- i\r^ ( lianl>.

I.'lNSPF.r.TF.rR. L:i |>.'Uoi«^ est à M. l'rry.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 97

BREY.

Je ne comprends vraiment pas ce qui nous empêche de reconnaître immédiatement le miracle. Qu'y a-t-il de si rare? Je vois des miracles sans cesse. Nous y sommes si accou- tumés, dans ma paroisse, que l'étrange serait de ne pas en voir.

FALK.

Brey n'aurait-il pas la bonté de nous décrire quelques-uns des miracles qui arrivent dans sa paroisse?

l'inspecteur.

Non, cela nous égarerait. Vous vous êtes levé. Demandez-vous la parole?

JENSEN.

Oui. Tout dépend, dans l'espèce, du fait que nous avons devant nous. . . Y a-t-il un miracle, peut-être plusieurs, ou pas de miracle du tout?

6

AL-DLSSLS liL.s I ()K(;K.s lUMAINfclS

KHni:vi;[5. C/csl Itini cri;!.

.ll^N^KN.

(',li;ii|iir iiiinirlr doit ('•|i<' r\nmiii«''. Mais, |i(>ll|- cri;!, il f.iiil (I ;il)ni<l miC r\|>('rl IS(> hx'li- iin|iir, puis iiiH- r\|(ril !->•• iiii''<lic;ilc ; |M'ul-(''lr«" r.iiidr.iil-il iiH'iiif un Ikiii juiiscoiisiillc |t(»iii' ('•l;i|ilir 1.1 \;ilriir i|(-> l('-in«»i^iia!4"os.

Aloi-, m.ii^ al(»rs sciilrmciit, le pn-lrc poiiiia (•iilrrjiirmlrc ;i\cc coiitiaiicr son exporlisc spi- lihn'llc. ( JuiiihI jr dis sjiifiliicllc, je iio pai"l«' p;i> dr ••»• <pic dtdtih'ld i<i les pr(Mlical(Hirs iiliir> cl .lulro pcisoiiii.igTs soi-(lis;uil iiis|>i- ri's. cxMlIt's.

Je parle, roiiimc loiijoni-s, d'une vr-rili'' vr- <4idirir, ((tinpaclf ri x'-rhc, d aillant plus )''i('vé<' «pi (die rsl |dii> n'-fj^ulièrc, jdiis eoin-

parlf cl plii^ -..'•«lie.

I Ar.K. Kcduir/. 1

.IKNSCN.

l*riil-(-ln' se li-ouvciaii-il, alors, qu'ici,

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 99

par exemple, il n'arrive jamais de miracles, jamais !...

Ils n'arrivent pas, en effet, à l'appel de la foule, pour répondre à l'attention fiévreuse de centaines, peut-être de milliers d'hommes échauffés par la curiosité...

Oui, par la curiosité !...

Non, les miracles sont produits régulière- ment, calmement, sèchement, par des gens autorisés, calmes et secs.

FALK.

Voilà des paroles selon mon cœur !

KROEYER.

Si Falk le permet, je ferai toutefois une remarque. Depuis que je suis prêtre ici, j'ai observé que les gens les plus secs sont sou- vent les premières victimes delà superstition.

BLANK.

J'ai fait exactement la même observation !

KRŒYER.

Pleins de méfiance, ils commencent par nier ce qui saute aux yeux de tous. Mais voici

iiMj \(-i>i:ssi S rtns i oncKs immmnfs

t|ii<', tout ;"i cDUi», mil" IciTcur iii<'\|ilif;iltl(' Nifiil. f'u (|iirl(|ii.> -.oilr. 1rs surproudiT |»;ir ilfrrirrp. I*iiis lU ^c l.ii>>t'iil \;iiiicrc j>;>r des s»iiij>iil<v-i (liMil nous IIP (If'iin'-loii^ pas la caiiso. Jo inr s^li>^ Mil >oii\riil (jiir le Itrsoiii (In snr- n.ihiifl ('liiil à lr| |)(>iiil iii'it'-dilair.' rlicz I li(iMuni- i|in', si iMMi-> lin iZ-NiNlon-; «liin»' faroii...

l'.l \\K.

Il ^r nianifcslf (rniic anlrr... c'esl oxar-

Irnirnt (•»• (|nr Ji- [ifllv.ii^. I M K.

<'iii. M.iis ([IIP ce soi! >«''»liprossp ou suc- culonrc, jr \()n(lrais sa\oir. m (oui cas, s'il nous fani \iainicnl irnoiicrr ilrsorniais à

lunl (1- (|nf ii<Mi>^ a\i»ii> i^aL"^!!»' ddrdrc cl d<' riarl»' ilan^ !<• ^imn de I Mirlisr \\iu\v nons r<'nifl I II' à ri'-\ a-^>rf ((nnnif drs liiltonx en

IrVltr..

nm:v.

l'^^l-cr à moi (jiic \on>. faites allnsion ?

Rires (•iinilTos dfs priircs.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 101

l'inspecteur. Ch...ch...chut I N'oublions pas la malade!

FALK.

Le besoin du miracle est une excroissance sur l'arbre de la foi, ce qu'est le prêche libre à la révélation, un désordre, une maladie, un fait d'atavisme, une excrétion! (Les prcires

rient en sourdine, ce qui les fait tousser.)

l'inspecteur. Ch...ch...chut !

FALK.

Un miracle qui nest pas reconnu par les prêtres et consacré par le synode ecclésias- tique présidé par S. M. le Roi me fait l'efTet d'un vagabond, d'un rôdeur, dun larron.

(L Inspecteur rit tout doucement. Les prêtres en font autant, les

yeux flxés sur rinspecteur.^ Il est permis d'être naïf: je l'ai été moi-même. Mais quand on exerce le ministère dans une grande ville, qu'à une heure on pleure sur une tombe avec les affligés, qu'à trois, on se réjouit avec un

G.

M- 1 .ii;rl- III \l \|\|.>

^.^l iiJilf^M- (Ir iHji t>. -- (|ii ;M|U;ili'f liourcs, on «^sl |M'ul-rlr«' ;iii clicv»'! (11111 iiiorilioiitl pour ;ill«'r dîm^i' mm jtnl.-iis ;i riii(|. on liiiil |»;ii' (••miiitil iil>lr>sr liiimaiin'. \.\

l'on .'iiTi lii'f iiioin-i ;iii\ indi-

N'idlis (|ii ;ni\ 1 11^: 1 1 m i' >ns .

niiaiitl If iiiir.ulf s'en inc"!»'. loiilc in-^liln- lioii >^'«>ITon(lr»' il;ni»i nno j'\|ilo>ion de >(Mli-

UM II'

^ « .illioli<|Mt' .i-l-clic cssjiyr d«'

i.i... I ,. lui-iiK'-ni»'. Hii<> inslihdion.

M.iis cri;! lui .1 f;iil pi-ldrc l'rsIiMlc dr jolis

I' - i:''ns rais(>nn;ddf-«. cl l;i von i r<'-dnilr aux ^ini|d«'S ri aux inlrn'Nsr-

Jr u\f lr(»n\aiN. nii joui-, daii> nnc socict»'- on il ii'v :i\ ni iHi Mlle \iiiL.Mainr de danios ri moi I lit- t\r it's danw's fui

pn^f d unr allatpn" df m rfs. An^Nilid uim- aiihi- «'Il fid iilli-inlr. piii^, uiir IroiNirinr, six

m loiil. t.i,,,ii-.i..|,s., (Jn ai-ji- fail ? J'ai |>ris

iinr rarafr. o\ arros/^ d'.dM.ji! (•»•> six «lanjrs, Innr a|»;/-s l'anli piii'^ ipichpirs

anin's rnroii lio>.( -, |;i s<' Lrairnonl.

Hirc Bcnéral.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 103

l'inspecteur, revenant à lui le premier.

Ch... cil... ch... chut ! (Il éclate de rire une seconiie fois. Les autres l'imitent. Il s'arrête.)

Chchchclichut !

FALK.

C'est là, je crois, le parti le plus sain. De l'eau froide !

On rit de nouveau, et l'on tousse dans les mouchoirs de poche. Quelques-uns le remercient avec effusion.

KROEYER.

Nous connaissons tous Falk et le savons brave homme, malgré ses singulières façons. Je suis sûr que, s'il voyait, par exemple, notre vieille veuve de prêtre (elle a près de cent ans), il serait le dernier à lui jeter de Teau froide au visage. Et cependant elle est là, au milieu de nous, comme un miracle vivant, et répand autour d'elle la contagion de sa foi. Il en est de même d'Agathe Flor- vagen, une jeune fille qui soigne la vieille veuve. J'ai vu moi-même, et bien d'autres avec moi, le miracle qui l'a réveillée. A en croire nos yeux et nos mains, elle était

|0| Al -Il LSSr^ hl - l<»|{(.i:s lilMAlXKS

iiHiilc «'t (U''j;i Ironie, ii j^ria sur ollo. la pril f'[itrt' >«'s luas c[ la lit asseoir. Nous devez croirr au léinoij4:nap;«' d'un IioihkMo lioinine.

(Mouvernenldclonnemenl.) Elles S(»lll là. (jcvaill la frilrhv.

l'I.LSIKl 1'.^ VOIX,

|-:il.- -oui ifi

lvl'.l>« \\ Il

i 'rlll-ci I <• \ Mliliflil -rllr^ M|. Mlles >e (Ji-

iii,'eiil \fi> l.i maison. ;i |ia-> leiil>, il <'->l \rai. La Nieille \eiil \(tir. Mlle \enl \<»ir celle (|iie I ('•Itoiileiiietil n'a [ia> r(''\cill<'e.

lill lueil ! leLTaide/. celle \ieille. |'a|-|e/.-llli ! l'aiIe/. à la jeune lille qni la -^nil ! \ ous ohtien- dre/. de> re|»on->e> inlle-> el \ t'iid i<|iies. coniinc rexpresMuii de lenI•-^ haiK el in>|iiranl loni anlaid de conliancc. (*.ela nous mènera |tlns loin (|ne |nnle-> nos eunlr(»\ crscs.

( !e n e>| pa^ une crili<|ne (|U<' je fais. Je nonsais coninn' vons avant de \enir dans celle paroisse, l'er^onne n'a serdi aussi dou- loureuseuieid cpn- nn»i la dt-l'aile cpie i"I',]ij^lise est ohli^ée d'avonei- ici «-t la j)laliludo des doctrines, le soplii^nw des inlorprélations

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 105

derrière lesquelles nous nous retranchons. Nous sommes pauvres, sans prodiges, sans courage pour en implorer et voulons paraître dédaigneux, ou faire semblant d'en avoir à notre secours, d'en être riches!...

Je vous connais tous, et je sais que, si vous osiez... oui, si vous étiez absolument cer- tains de voir ici un de ces grands miracles dont TEcriture dit que : <( tous ceux qui les virent eurent la foi », s'il en était ainsi, malgré toutes les faiblesses que vous pouvez avoir, vous deviendriez comme des enfants, vous vous livreriez entièrement, vous consacreriez tous les jours qui vous restent à le proclamer !

(Mouvement, surloiil parmi les vieux prèlres.)

J'ose le déclarer en votre nom, mes frères, moi qui ai franchi ce cercle spirituel qui exclut toute hésitation, car il faut être d'un côté ou de l'autre : quand on a fait le pas, tous les plats sophismes s'évanouissent et l'on ose enfin confesser la vérité. Qu'est-ce qui reste du christianisme, si l'Eglise est dépouillée du miracle?

ÉLIE, L'iilraiit.

Excusez-moi I \'oici une personne qui dé-

ItlTlir

- DES FOR(.r> IKMMNJ S m;) nu' i ' 1 1.1 \ iiillr N fii\ •• (lu

la porte la veiivr

i...rii' do (truite t'I

(••. ont rfciilc

\»'ll\ «'lir -^rul»*...

|..i->s»'' ji.'ir iri... ( !'rsl I fiic*- h fnctv.. M.iis

ri t;nnlg retourne

I -Lui l)l;ilU'llC... l»'S|tl<'ii-

nl»' «l»' lil.iiulirur... j'en «'lais siIit

ci.is.iiio rilc ilorl (oiiimi- im rnf.inl

M;iiriliii vu <»ii.||c liimii'Tf. . . ;ili 1

«|n<-llr liMiii» 1 XumUm', 'I'' III ;i\oir

A«, M III.

Mais rtais-lii viaiiiuiil s«ii|p .'

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 107 LA VEUVE.

Toute seule... Personne que moi... Elle était toute blanche.

Elle disparail avec Agathe. ÉLIE, venant de droite.

J'ai refermé les deux portes, et maintenant je fermerai celle-ci.

U s'en va. Les prêtres restent immobiles. KROEYER.

Vous ne lui avez pas parlé ?

l'inspecteur. Non.

KROEYER.

Il y a un rayon sur tous les visages. Sa- vez-vous pourquoi?... Lorsque le miracle a lui, les visages en gardent le reflet... Parlons- en ! (Les prêtres se remettent et se rassoient.)

JENSEN.

Puis-je faire une question? Ne considé-

i 1>I.>>1 > |t|> I (t|;(.L> III MAINKS

iT/.-\<'ii~- I''- 'i ' <'!i\ <i«si(»i) coiiiiuc ;ulini- r.-.l.l. ;

lx!;<H VKU.

(!<• (|in- \\i>\\> ;i|t|ii|(iiis le miiiicl»' do la con- vf'r>ii»ii |iriil (•Ire flmlir- |i^\tliul()i;i(Hiom('nl cl;iii> lnii> -I ■> ilt-l.iils. < '.•• \\'f>\ (loiir |»as un iiiiiMcli- ' '^1 lin |)Ih''11(»iii»'mic <|ui a ses

nii.ilH^rj,.^ il.iii> lr> ;mlip>> ijrandos religions. I.a iuii\ ••i>i(iii rrliL:i<'ii>f in- dilTrrf pas. au >ui|dus, de lit coiiNci^iuii >iiii[il<'mciil iiioralf, liirii (|n I lie s'acroinplissr [dii^ doucoiiK'iit. y\:\\> i|in' d<\ inidi .ni II' 1 liri>lMiii>iii('. ccWr

r»'|iij|nii li.ixf >-ii|- le iJillMi If, SI. il;tM> lrC(Mir>

dr-> lriii|i->. il pfidail ^;i forco iiiiiacidciix'. Il

di'\ Il [Il I l'.i 1 1 1 1 1 1 II M II' 1 1 1 ' 1 1 II ii':i le . i AI.K.

Ce i|iii di--l iiii:uo If (•|ii'isli;inisinf>. co n'es! pa>. Ir iiiii-.irjr. mai-- l;i fui eu la rÔMirrcclioii.

Kr.in:vKn.

Ino foi c'Miiiiiiiiir ;'i loulfN les grandes rc- liui<>n>^ !... à Ions h-s li(»ininos doués de senli- niriiU icliuicnx !...

AU-DESSUS DES FORCES HUMALNES lu!)

FALK.

... mais pas de sentiments semblables à ceux d'un enfant pour un père.

KROEYER.

C'est vrai.

FALK.

... paiconséquenl, pas de folie de dévouo-

men ' .

KROEYER.

Non, ce nesl [)lus vrai!... La folie du mar- tyre est-elle née avec le christianisme?... l.e bonheur ineffable de vivre et de mourir pour ce qu'on aime, est-ee lechristiauisme qui nous l'a révélé?,.. Il était sur la terre avant le christianisme. Aujourd'hui encore, et à (-«dé du christianisme, nous le voyons sous toub\s les formes.

l'inspecteur. Ou'entejKJe/.-vous i)ar chri'ili'inisme :^

Kssus ni:s r()H(:i:;> m maim;-

iviuncYKi;.

l'oiir iiiui. Il- rliii''li;uiiMm- (>■^l iiiliiiiiiiriil |»lii"> (|n un («nlr (le morale. .N(»iis m li'(»u\i>iis cl <lr |ilii> lirlics. ri tic plus sulililrs. ail- jfuis »|Ui' tiaiis le .\«ui\<'au Irslaun-Ml. Pour uioi. il <'sl iuliiiiiiMMil |ilu> (|ur la l'aculh' de > y aliaudnmior ! ou hicii. si je un- lroui|i«'.

i'aulrcs religions seraicul |»lu> (pu- lui!

( hi Ir cliri-^liaiiisuu" t'sl uur \ ir m Dieu, au- tlrjà du nioii'lc ri de loulrs les [U'cscri |il i(Mis. ..

Ml il n'es! pas lo clirisliaiiiMnr. ( )u il rsl plus ipillll d(''\ ouruH-id |iour une id •'-•-. iiK-inr iiu nioudr iiou\)-au, un uiiraclc... ou il ii Ol pas

le clirisliailisiur. Il t'uilx- ns-i«, .imi-r, tl iiniirniir.-.;

.l'aNais (Micoïc la ni dr rjioscs à dire. mais... je

iii- piii-- plu-. . .

I "i\-^1'i;m i.i M.

Huaud vous èles venu à liord. j'ai vu cjuo vous élir/. surnienr ri malade ; il eu osl de uièmo pour Ion- ceux (pii sui\f'nl le pnsleur Sang.

Kiilie lJr;iU(i).

I \ :r lu iiolo |>;igi' V).

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 111

l'inspecteur.

Brait ! C/esl loi ?

LES AUTRES.

Le pasteur Bratt.

l'inspecteur.

Tu n'es pas venu avec nous? Commenl es-tu ici?

BRATT.

Je suis venu par la uionlagne.

l'inspecteur. Par la monlagne 1... Tu no vas pas à la

mission

bratt. Non. Je voulais venir ici.

l'inspecteur. Je te comprends.

::s i-our.Ks m \i \i\i:

i:i;\I T.

.1 m iiiiriiilc. .Ir ^iii^ ;iiri\<'- liirr ,\\\

molli) iil liirlIK' lit' I l'-limilriiirlil . .1 ('Uus |;i-

IkiiiI. I ;ii loiil \ii. .\ ;\\ cnlciKlii l.i cIucIk" soii- iicr. I!l. tlrinii^, \i- ^iii> ni. < .«'I a|>rrs-nii(li, i'jii vu un luJihnlr |iuilt' ;'i 1 i'i;lisr sur uiir

ri\ii-|r. \|,li-> ilILlIid II- (•r<-|ic ,1 cllMUl»'. «cl

lioiiiiin - I--I li\(-. ;i icuifriir- Ilii'u cl >'i'n

II!

' lis, JO Slli>^ un IlUlIlllH'

eu (lilri---i ijui \ hii! \ oiis (Iriii.indrr srr<)ur>.

I ' I \ ~ I I ( I il r. .

I ',1 II''/ I II" M I ,11111.

lîl'.AI 1

Je liir i\l^ . \]r Xnii'l Clllill l'H | tlf'SOUi '• <l Ull

uiiroclc. I-]l riii^l.inl <1 iijur^. je doulf...

AU-DESSUS DES FORCES IIUMAUXES 113

(^ar ce u'esl pas le premier endroit miracu- leux où je viens... Je suis revenu déçu de tous les lieux de pèlerinage de l'Europe. Ici, il est vrai, la foi est plus grande et plus simple. Cet homme est grand. Ce que j'ai vu ici m'a saisi avec une puissance surnatu- relle. Mais, l'instant d'après, le doute est revenu. C'est ma malédiction, voyez-vous!... Je me la suis attirée en promettant, durant mes sept années de sacerdoce, un miracle aux croyants, en le leur ])rometlant parce (jue c'est écrit et sans y croire moi-même, car jamais je n'avais vu de miracle accordé à la foi !

Sept années durant, j'ai annoncé une chose sans y croire... Oh! j'ai prié avec ardeur, pendant ces sept années! J'ai passé bien des jours cruels, bien des nuits sans sommeil, à demander : « est donc la puis- sance miraculeuse promiseàtes croyants?... »

(Il loiiil cil larmes.)

l'inspecteur.

Oli! lu dis ce (jue tu as sur le comu-, toi! Tu l'as toujours fjiil.

s DKS FORCES IUMMXKS

MUAIT.

< il\ (|(ll rroiiiil, ,t-l-il (lll. ;imnlil II'

|»(tii\ oir tin iiiiracl' 'Mii. il I a dil.

" Ils ffroiiJ mrllH*(l•>^^ rlu>>^r-; |tliis rrr;m(los que Ion! rc (|u'm Inil l«^ V\\<> Ar riioiiHn»\ "f'.osdiit (If for! t -s |);ir(»|ps.«'l (If- |);irnl»^s([ni m 5^0^:0111 . . Ui'i rv|-«>ll(> <|(inc. crllr luriT iiiii;t(nl(Mi>«' '. . (^Uioi ! ;i| 'mil «mmiK iiii'^. Dieu nnurîMl

|»;is riir(»|-f n nu ->;i |»;ir«>l<' ?. . . ( .r m'»'».! jtoiirl.'iiil p;l^ iiiif 1.1 loi -oil iiiullr... Il es! \r;ii (|\ic. I.i' i|i> liiniirr'(\ elle r^l |»Im>

le. l^OS.'ldl Miil |t|||> |»l<''ci«MIS('S.

Il i.iiii les |»;i\' ' II» -; \itl<'iil: jiulrfmonl

" '■• Il fiiiil 1111 U''m<»iL;ii.iLro.

' uni I «iilic i->]\

La ri'liifion u <-l pln^ riini<|iic idt-iil <lr-> lioiumos.

Si »'ll«' (lf\;iil I iliv. il liimliMil le l(Mir prou- ver. Hiii, ils jH'iivrnl ciuorc poiii" ce qu iU nimcnl... palrir... raiiiillo... coiiviflioii, vivre on iiionrii- ! N'oilà co<|n il y n tie plus (''levé, ce (|ni e-^l prof(>n(|(''inenl insiMil il.in» lesliiiiilesdii Dahirel; mais \eu\-lii |eni- moiilrer (piflcpir eliose ireiu'ore \A\\^ haut. (|uel<jne cliose d '/// flelà (le Ionien les limites... .Mois, moidi«^-leiir \o iniraclf 1

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 115

FALK, se levant.

Il y a quelque part une parole de colère à l'adresse d'une race qui ne croit pas aux ié- moignages.

BRATT.

Et savez-vous ce qu'elle répond, la race : u Nous ne demandons qu'à voir ce que Dieu a promis aux croyants. Ou n'y a-t-il plus de croyants parmi vous? Que nous voulez-vous en ce cas?... » ^'oilà ce que répond la race!

Eh bien! non, ce n'est pas la foi qui nous manque : c'est 1^ miracle. Les germes de la foi sont, au contraire, plus vivaces que jamais. Et la preuve, c'est que, à défaut de vrai, la foi des hommes va au faux. N'est-ce pas vrai? J'en appelle à vous, pasteurs de la ville, qui connaissez l'homme civilisé.

PLUSIEURS A'OIX, doucement.

Si, si, c'est vrai, c'est vrai !

RRATT.

Ah ! s'il arrivait un miracle parmi vous, un

'•'^ Tiiir;iclPN si iiTi'i'ii'l-- tiin' Ions cnix <|iii il l;i foi. coniiiir lU ;ir»(»iiri;H(Mil I' I- par iiuilioii ' iiOI ji.i^ l;i foi (|iii leur

iu.iii(|Mr. iiKijs If liurat Ir! ... I .iliord. criix <|(ii \i\<iil (JjuiN !<• Iif-^oinrl iispiiriil ;i un mrilloiir Noil: «••Mix «lu'»)!! Miiillr.iili-, rnix <|iroii o|>|niin»'. rriix <|iii ^onlTniil <l i|riii;iii(ii>iil J.lsl:,

> II'. .i[>|>ri i II II 11 1 i|in il- i"i\.iiiiiH' ilf I)n'ii I - ' ' !i i.( m \ i-,i i ; .li->i I inlii -m I,i I rlTr . . . coni MU"

'\r^ l.irmt'N (!<*

\A. lors imiiii i|iir jr I iii'iiiiii serai!

! Il" ilaii'_" ■iiiiM- lU |»i('-IV'r«'rai«Mil

li . I , . , -iir ccllr ^ . -!• t|llc *lr \ l\ ir Niir llll(• .|^lt (• ' .. . Soriniil (Ir jriirs \ iljrs, (le lfiii>% cliaii- 'S, <lr |riir> lils. n.ninH' lU sf Iraiin-i-aicni |iis(|i(':iii liru ><i\ l>i' ni maiiilVsh-.

Mais iU \\r -^riaK m j>,i- 1rs soûls!... Oiii- (•oii(|iif clicrciic jr \ rai sur la hrr»' 1rs siii\ rail. I'!i> liMo. les csiiriU If^ [ilii^ a-.«>oilT('-s (\r vi'vWr. |r^ tiirri JH'iirs sérieux «•! |tr<»fonils, 1rs haules uilellit;eiiees '. . . Leiu" anliiir seiail la |)lii> belle, leiw foi la jiIun solide, (le <|ui leur niaiu|ue, ea n e>l pa^ |r l»es(»in «hi vrai, ee u e>.| pas la laculU' do croire... e'eNl le miracle!...

Tous douinndenl la rrriiinde el la |iaix.

AU-DESSUS DES FORCES HUMALXES 117

alors qu'il s'agit des plus grands problèmes de ce monde. Même les gens légers, ceux ([ui ont rejeté ce souci comme inutile et infructueux, tous ont, au fond, un besoin inas- souvi de quelque chose de plus que ce qu'ils savent... c'est-à-dire un besoin clefoi... .

Mais il leur faut un gage!... un gage de la vérité de la Révélation!... un gage, attestant (|ue ce qui semble vrai aux uns est réellement vrai pour tous, que nous sommes plus que des Mahométans, des Juifs, des Bouddhistes, que votre vérité est universelle!...

Yoilh ce que je demande, voilà ce qui nous fut promis!... Ce gage, cette preuve, on me Ta promise !...

Oh, Dieu! mon Dieu! j'en suis à ma der- nière tentative î

l'inspecteliî. lirait!... Bratt!...

BRATÏ.

Oui. ma dernière tentative, car la lutte dé- passe mes forces ! Je dis adieu au sacerdoce, adieu à l'église, adieu à la foi! si. si. si... !

Il relaie CI» san^lols i

7.

\|..,| .Im-

•m i:S lUMMNKS

\o ijiir

|rV<>US»«'ll |HH*

t ar, s'il 11 y .1 |»;is tir

iilllr pnri ' ( irl lioiilliir

~ Mil fcs. i '."rsl r«"'lrr Ir

il polir ' l 11»' loi

iir •oiiinir' l;i loi

;iir;irU*.s <|ii on lui in <• ijirii y rii .1 In ni

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 119

BRATT.

Et peut-être aurions-nous nous dire le contraire, le miracle étant l'essence même de la loi. En tout cas, vis-à-vis de cet homme qui a tout sacrifié aux autres, nous n'aurions pas nous armer de doute professionnel. Sa charité et sa foi auraient nous rendre plus humbles. Je m'en accuse en ce moment, moi qui ai fait comme les autres et, du fond de mon cœur, je lui en demande pardon.

TOUS LES PRÈTRIiS, sans exceplioii.

Moi aussi 1... moi aussi !...

BRATT.

Il est le meilleur homme que nous connais- sions, il n'y a pas de croyance plus ferme que la sienne... et si c'était ici le siège du mi- racle ?

Mouvement. .lENSEN, à voix basse.

Voyez cette croix au-dessus de la porte ? Est-ce un effet de crépuscule, ou bien ?

III M \l\l>

Ji- Il «Il >-.ii-« inii. \l.ii-> ^MM / rrriains iHH'. >, il ,iiti\r un iiiir.i' !••. il va i'-i loiilr imr fouir

lOlls p«.

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fjllt I»- Vr f :

i : Il ne

'■Il t^^lro. iimi^ .ni^Ni ! ! iN'nsr/. «ion»'. 0\ro Lrrninl «p'- '■■•■- .-.mix la foi : il lioiiiit' )l<' \r \ oii

|to-.sili|r. ' m jH)>«.Ujif, alor«».

No -.ans j.iiK ill<

1rs .-lus... M

\li I (jiiaii' 1(1 ri roi

de Iliolicltos

1 iiiu' !jrrA«"c iiiii<|iir,

liuMH>N. noil> set ioliv

I liijiiiiijr fovrr.

Il iiriiiriul (JIH- «les cri-»

lis ; Ir rr^nr <lr hini a

plaiiH- li'iliir. dans un

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 121

pays fréquenté, sous le grand soleil d'Orient ; quelle révélation s'il allait renaître, avec toute sa splendeur, dans ce coin reculé, dans ce pauvre pays voisin des glaces éternelles...!

FALK se lève,pàle comme unmorl. el dit à voix basse:

Oui, oui !

d'autres. Oui, oui !

BRATT .

Et je me dis : Oui, cela doit être !... Il faut que le miracle s'opère !

Tous se sont levés. l'inspecteur, doucement.

Oli ! s'il m'était donné, à moi, pauvre vieil- lard, de le voir avant de mourir 1

BLANK.

Oui, si nous pouvions être tous entraînés par

la foi. (Le vieux Blank tombe à genoux; les autres l'imitent.)

Non que nous en soyons dignes, mais parce que nous en avons besoin.

i m.\im;>

. <lii doit iir-

I il .Il -, 1111-

I 11 \ .Hir.iil

\l...-. I.

Il y aiirnit Iniil rp|n,..

\ . ^ \ > 1

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 123

droite, court à la fenêtre, l'ouvre et appelle de toutes ses forces.) Elie ! I Elle se jette en arriére. Krœyer tend les bras et l'cm- pèchede tomber. Elle éclate en sanglots, mais se redresse aussi- tôt avec une e.xpression dépouvante et indique du doigt la cbambre

de sa mère.) ! ... !.. . Elle n'est plus seule ! . . . Regardez donc... Regardez!... (Tous se sont levés.

A ce moment Elie apparaît sur le balcon. Rachel se dégage aus- sitôt et court au-devant de luii. Mère !... Mère 1...

ÉI.IE.

Elle s'est levée.

Oui! Oui

RACIIEL.

ELIE.

Elle marche !

RACIIEL.

Oui, mais elle n'est pas seule !

ÉLlE.

Il faut que tout le monde le sache !

RACHEL.

Xe va pas chez père !

\L-i)ESt^is in:s i-(»m.i:s m \i\im:s

.Nuli. U liilll llltiiitcr ;iil tItM'Iiri". sullIH'l' \:\ 1 1 1 1 1 I \ I 1 II ' 1 1 1 1 1 1 1 ili I II ' 1 ' 1 1 I 1 1 ' r

.Miil^ hi II il- |i;i> (1 crliclli

I I Nsi-KCTEl I

1 llnni'i .' . ... I Urliiin .' Mlrliu'i!... M /rima!

lit loiii :.

Il .;iii luui :

Mi'iil. fil i'licmi"*c Mnnrlif, I ll<- •* nrn'lc cl letnl le-* V irnt If «h;!!!!

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 125

TOUS LES PRETRES chaulent en sourdine.

.4 lleliiia !. . . A lleliiia !. . . .4 lleluia .'... A lleluia !. . .

L,es cloches sonnent. Tout le peuple clianteavec Sang. On (lirait des millions de voix, tant l'alléj^resse est puissante. Léchant grandit de plus en plus. Ceu.x qui étaient dans les l>ois accourent se joindre aux autres. Un moment l'exaltation est telle, que les alléluia semblent devoir enle- ver la maison. Sang apparaît dans la porte, le visage Oclairé par les rayons du crépuscule. Tous se lèvent et reculent. Il tend les bras à Clara qui est arrivée jus- lu'au milieu de la chambre. Elle lui tend les siens. Il s'avance, il l'élreint et la tient embrassée. Le chant retentit autour d'eux. La chambre se remplit de monde, ainsi que le balcon. Foule compacte. Quelques- uns montent sur le rebord de la fenêtre. Peu à peu, Clara s'affaise dans les bras de Sang. Le chant cesse, seule la cloche continue %sonner. Clara fait un effort pourse ressaisir et se redresser, et y réussit à moitié. Elle parvient à lever la tète et à fixer les yeux sur le vi- sage de Sang.

CLARA.

ïu étais lumineux... en enlranl... mon bien-

ainié ! (Sa IC-te retombe, ses bras cèdent, tout son corps s'affaisse.)

SANG met la main sur le cœur de Clara qu'il soutient, se pejiche sur elle étonné, puis lève les yeux au ciel, et dit d'un ton en- fantin :

Mais ce n'était pas cela? (ii pHc un genou et y

;ii M \IM<

1 Icrrc «ver \|;ns Ci' n'i'^l.iil |);i->

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I ^ Il I 1 1

\Iôi I -I iinj»'»'i«^il«l<' !

DEUXIÈME PARTIE

REPRÉSELNTÉE POUR LA PREMIÈRE FOIS

AU THEATRE DE l'OEUVRE LE 26 JANVIER 1897

ET REPRISE LE 28 FÉVRIER iqOl

l'i-i i;ii;i 1 M «N

1901

M. l»t>>nM«»S.

M "' DmAisY. \IM r.v>ini.

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f.f 11 Vlll>. Il V> \HIII-

(.11 VHP.:» IX. lUi ni-\Aii>.

>Imsi\.

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<.M\I'I i>. f.MMll.U.ll.

15 \i r,n-VAl.l^f.

M Ut M \ . <il IK VI II.

.M "* Kai^sîam . MM. S(,nF.i.i.ni.

Ln,st-h)t:.

Dvvr.jiY.

ACTE PREMIER

Un profond ravin (/ni loiirne sur I2 droile. Tout à fait au fond on voit scintiller la mer. Des deux côlés du ravin sont de petites maisons placées çà el là. Quelques-unes de ces maisons consistent seule- ment en cahutes de bateliers, d'autres ne sont que la partie arrière d'embarcations. On voit des maisons de deux étages dont les escaliers vont du premier au deuxième el sont ménarjés au dehors. D'autres mai- sons sont construites sur les murs de roc, mais de façon que le deuxième étage repose sur une autre route, laquelle a sa propre issue sur cette roule. Une place est libre dans le milieu, ornée d'un puits de source, très ancien, des maisons entourent la place. Tout à fait à droile, une maison en ruines avec des vitres brisées, la porte est à moitié par terre. Un écriteau avec l'inscription : « .1 l'Enfer » est suspendu à une perche cachée et est presque déchiré. D'en haut, retentit le gronde- ment a/faibli, mais continuel d'un pont de fer qui traverse le ravin. Au loin, el plus près résonne le sifflet aigu d'une locomotive et de temps à autre éclate le fracas d'un train traversant le pont de fer. Puis la trépidation du roulement des wagons et des freins sabols.

- r>Ks r«)nt;i> iumaino

s(:i:m-: |'|{i:mii:i;i

' '■ . Iiiiiiié- i tcr<"iicil fcinirii'H 'ir>< rlm- .<•>.. plcu-

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. d<- In iiiiiirxiii

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|iii>i fniro.

H >l <<iir ks

l'iur, r-tl l^olé

Mil, i|ii| c«l prn-

•liihl le» vèl«'iiiciit«t

<r> |i*-lr r«| forlc fl

l'Iinii»»,»!', i>rl»menl I -.1 mu^'c rrarlnlc, - lilfiiicH. Il V nvniirc 'liTi' I homme n"«sis îiri' \erH lui lonic- ,. ! I. '.Mivc-

iniirmiiri'.

|;i <1<'1mi|-> ! Ill'l

AU-DESSUS DES FORCES IIU.MAUXES 131

OTTO HERRE.

Modeste mulot ! Te voici devant ton trou ! plongé dans de profondes pensées !

LE MULOT, murmurant .

11 a déjà pris quelque chose aujourd'hui...

OTTO HERRE, lyri(iuc.

Tes fenêtres sont brisées ! L'enseigne pend mélancolique. . . comme un verre de marc qui se vide goutte à goutte 1 L'escalier a été emporté par l'ouragan lancé sur l'Océan de ton sort ! El toi. tu te cramponnes à l'épave de ton

existence. (Le Mulotparaîlsouriresilencieuscmenl).

Et la porte! Cette porte qui vit entrer tant de mendiants et sortir tant de rois ! Elle s'agrippe encore comme un ivrogne qu'on flanque à la rue ! Tel est le sort d'un lieu désigné et frappé par la main vengeresse de la vortu.

LE MULOT.

Même au violon on apprend les potins.

1 :e \r-i>i;<>i s i>i;s i »>iu.i;s iiim.\i\i;s

<>\\'> III Kiti:. [)i' Ir-^ |ii<-||Im< - .... .1 t;iil (l«'S «iMlfs |)^()uill^•-^ !

Trs\<'ri<'> «'1 l<'> I)()iiI«mIIi>> m<''l;uii(>r|>li()--t''->

r-n tl;i!l^^rlll'> fjiisMiriil de-, | >;i-^ |u\cil\ i\\\ <ll-

<|l|rli>. (Il- ICIII> [H'<>|»r<'>. -^(>I|-^.

I'itikU M;,n|r. 1.,,, .1. . Il \ ,1

nicorc (1rs Ic^isous,

iii.i;i;i:.

l'.l l»'s luIilM'îUlX pleine tlrmi-dr-N ic ?

I |t'-l;i-- '. "111. Mi>:! 1 "i<-ii, < nii

OTTO m:m'.L.

( )ii lésa roiil(''s «Irliors. Ils en oui lai! des <;ascail(.'s. sur ronlrc pasloral !

Oui. P,r;,il iiiaiiilail.

h lu-, (1,1 il i.i iil'l I II

Iioiivcs, ri coin-

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES l:«

OTTO HERRE.

Un y a donc plus aucune autorité supérieure ici ? Sont-ils tous insoumis aux lois les gens de « l'Enfer » d'ici ? Ne t'es-tu pas plaint?.

LE MULOT.

Durant la grève ils étaient tous comme pos- sédés ! Si je m'étais plaint, ils m'auraient mis en pièces; il s'en est fallu de peu. Ils m'avaient déjà jeté à terre lorsque Bratt est survenu.

OTTO HERRE.

Et tout cela parce que iNIarie, la brave et bonne Marie, est devenue folle?

LE -MULOT, se soukvanl.

Qu'y pouvais-je faire ?

OTTO HERRE.

Marie qui tua ses deux enfants ! Ne les ai-je pas vus ici, pieds nus, sautant autour de moi, avec leurs cheveux bouclés ? Ali ! ce que c'est que la vie !

8

Ml AU-DESSUS l»l> I nn< KS IILMAINKS

l.i. Ml lui.

El oUr les liia oilo-inOme .' Oui. cllc-momc ?

oin» lll.lïKK.

(hii. rllr-iiKMiir 1 |);i|i(»i<l 1rs cnfanls, |iMis «'lli'-mônu' ! < luiiiiiii' Mi'il('r. l.i uriindc Mcdéc.

7/ ■/(,,- -"/'-■'.•ià;, (I, Ti'xv' £;£0p£'i/5tU.7',V,

c( /Oo'jv xat x'XT£;xvO-/;v zovo;;,

7T£iç,ai ivêyxoù; £v Toxot; àX-ft;5'jvx; 1

II. \| I I I . , |ii. rrilfininriil.

( Hi'v ]»t>ii\ ;ii--|' LUI ;

dlK» lli.i;l;i:.

Miilol (II- iii;illiciir! di» l;i vrrilé dt'vaiil l;i loiiii.c onv.'ilr : {{.■•l;i^ '.... (Jc\;ml trois luinltos oiivcrifs ' (/:'//(' ni'iiil ac/ielr l eaii-dc-vic chez loi! VA\r sr irris.i |ioiir inoir le cournij;»' do

^()W ;ifT''<'il -^1 :mI h i!i

Il En v;iiii. je voii- ;ii imuiii-. ù ciifiiiiU. on v.iin, j'ai ~<.u(Tcrl flj'.ti tHéôi>uisrf.l.' soulTr.uiros. supiiorUinl .ivcc '■■iiiioge <lo nide^ peines pour mr> enfnnls.

(KsciiYLr. Médée.)

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 135

LE MULOT.

Pouvais-je deviner à quoi elle se prépa- rait!... Je suis aussi pur, aussi innocent que la chemise d'un enfant.

OTTO HEP.RE.

Ne pleure pas, Mulot! Gela ne sied, ni à ton sexe, ni à ta position.

Je t'assure que, si j'avais été libre... je veux dire... si j'avais été ici, ça ne serait pas arrivé !

Mais les hommes ne sont-ils pas revenus à eux, lorsqu'ils ont vu rouler leau-de-vie ? Laisser couler l'eau-de-vie !

LE MULOT.

Elle coulait comme un ruisseau d'eau claire, mon ami.

OTTO UERRE.

Et ils ne se sont pas couchés sur le ventre? Ils ne l'ont pas bue? Ils n'en ont pas puisé dans le creux de leurs mains? Ils ne se sont pas précipités avec des tasses et des cuves?

1.^. \r-iti:ssL"s i>i:s innci-s ikmaixks

Il Mil (>l .

Le |>;l•^l^•ll^ rn ;i\;iil Jiim|ii ,ui\ jniiilxvs. - ( ',rl;i (luil (-'lie niiisi. (liNjiil-il.

niiu iii;isi;i..

I>i;itl i'>l |»iiiss;iiil ! iii;n> il \ ;i loiilclois (les liinilcs ! l'^lr.iii^r <'\ ('•iK-mciil ! Snnhlaldo

;'l 1111 I Ifllllilriilriil (le |clT<'! |-]sl-cc (|llc lîrall r^l Kl le Imiii | )irii. I II il i II I ri i:i 1 1 1 !

Il Ml loi .

Ail ! le lioii |)nMi nji jjiiiiiiis rii (hiiis voiro l'iiilir iiiir |iiiiss;iiHr (•^nlo ;"i ccllr de co |>;i->lciir.

•1 in:iii;i..

Il M ;i<Momitat;n;iit pns \r coiiNoi de .Marie. .!<• r.iiir.iis volonlifrs saliH- 1 Nous avons rlr (•niii;ir.ii|rs {{c classes.

I i: MI i.oi Non. il resic iiii Itiifciiii.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 137

OTTO HERRE.

Au bureau ? Il n'est donc plus pasteur?

LE MULOT.

Non, au bureau de la grève. Il a donné l'impulsion à toute la grève et il encaisse l'argent.

Else, surnommée Polochon (ou peau de cochon;, apparaît. Cheveux roux.

LE MULOT.

Tiens ! voici Polochon.

OTTO HERRE.

Bonjour à toi, café chaud du matin! Tu exhales un parfum qui trouble mes sens. Que cherches-tu ici ?

ELSE I .

Qu'est-ce que cela peut te fiche, mon gros (2)?

Te voilà donc sorti ?...

<

OTTO HERRE.

J'ai rencontré le convoi, mais je n'y ai pas

(il En dialecte de Bergen. fa) Ou « grande purée ! »

138 AU-i»i:ssi"s in:- i-.n» i:- ih.maixks

vu la trie de chiiii ni-.. l,,ii( rEufor suivail, oxcojtU'- loi. F;ii-;ii->-!ii (l/i-i .l.'>. nHaircs ce malin? Ilciii !

El. si:.

AI If'/. ! Aile/. ! coeinMi ' . .. Poiii «jiHti (ine loi lu n'étais ]ias au|tn's de .Maiie el >es enfants! Elle l'-tait si i)()une poui- loi. cl elle ne réiail pas a\('c moi.

oiro !ii:i;iu:.

Hiii. lionne Marie 1 .. . l*oiiri|iioi je ne l'ai pas accom|»ai;u(''e à sa dernière denn'ure? .levais le !(.' dire loul IVaindiemenl... Si j'y a\ais <''lé. j aurais [»arl('-. . . J'aurais fait di>parailre de leur iniayinalion le >oleil. la lune el le> (Hoiles de leurs illusirtn>! ,|«^ n'aur.ns |ias pu me taire. J'aurais dit : ( '.e n esl point toi «pii r(^pose là. luave et I raxailleuse .Marie, ce n e>l pas loi «pii a> lui' le> enlanisl (le n'esl ])as toi <pii les liapp(''e duiu' main crimiiu'Ile. Non. ce sont eux, là-haut, les cannihales^ «|ui t'ont luéc. ( '.e sont eux. les mauiieiu's d lionmn^s de la ixrande Aille cpii font d(''vorée. loi el tes enl'anls. ()ui. la urè\(" lui esl montée à la tète :

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 1.7.»

c'est cela qui l'a rendue folle; elle devail à son àme nerveuse cette conscience qui manque à ses meurtriers. Elle n'eut pas le courage d'accepter l'existence, de laisser ses deux filles affamées et abaissées. Elle pensa que la vie était une bète de proie, elle voulut les sauver, les sauver tant que...

Ils [ileiirenl. PZLSE ou Poloclion, se inaitrisanl.

Dieu! que c'est édifiant de t'entendre parler comme ça ! Tu parles si bien que..,

OTTO HElîRE.

Tu es une brave fille, Polochon. Tu as le cœur bien placé.

I:;lse.

Ça ne finira que lorsqu'ils nous auront tous mangés.

UNE VOIX RUDE DHOMME, <1 en hnul, à u'aiiche.

Si nous ne les boulottons pas!

lin M-DF.Ssrs |)i;s l(iH(;i> lllMAl.NKS

OTTO HKI'.liK.

Uuel est celespi-il de la uioiiInLiiie? Ouelque pi'oplu'le <[ui clianic l'aM'iiii'? In cri davcr- lisscmciil (les liiillrsaii l'iiàloau?

KI.SK, \<i\< au Miilul

.Ir suis \eiiue jioiir le dire de picndrf^ uarde.

Il-: MLI.OT. Ui\-.

<iiaiid l)i('iil (lu'v a-l-il de iioiivoaii! Ne |t('ii\rid-ds |>as me laisser en paix?...

lil.Si;. timiiiR- jMipjiiMx ;inl.

J'ai i<-iicoidn'' <'ii liaiil la polifc qui ma de- iiiaiidt' si c'osl \rai (juc lu as iiiie g-j-osse bou- U"illcd"(aii-(l('-\ i(" dans la [loclic.

i.i; Mii.oi. .\<m. non. ce n esl pas \rai!

Il porte s;i iiiain litiiiiTc <oii dos. I-"I.SK, [i;u'i-ill(iiuiil .

El si c'est vrai ({iir lu en \riids chez loi dan> les coins.

AU-DESSUb DES FORCES HUMAINES 141

LE MULOT, se levant tout hors de lui.

Mais, vous voyez 1 Jls veulent me ruiner.

OTTO HERRE, devant lui, veut le faire tourner.

Est-ce vrai? En as-tu, en as-tu vraiment?

LE MULOT, le repoussant.

Non, laisse-moi! laisse-moi! Je te dis. lii, hi ! Je suis si chatouilleux, hi, lii !

OTTO HERRE.

C'est derrière!... Quand tu bouges, cela décrit un grand cercle... Polochon.

LE MULOT.

Ce n'est pas vrai.

ELSE.

.le vais la prendre, moi.

LE MULOT.

Ne me touche pas! Je crie.

142 AU-L)E<SL"s L)l-S FOlîCES HUMAINES

ELSE.

T'ainios niioux que ce soit la police qui la prenne el loi pai-dessus le niarelié?

UNE VOIX I»E FEMME DU PEUPLE, d en haut, à droite.

Oiié ([lie \()iis faites au .Mulol ? 11 piaule?

I.E MULOT.

Ah... non. non. ah non !

Otto lierre tire un iiros llnron de la poclie du Mulol. LE MULOT.

C'est uue commission, entends-tu, c'est une commande 1 ça ne m'appartienl plus.

OT'I'O IIEIil'.E. Mui =' I»" ii'ic li>ni4'Je gorgée.

Oiif celn rnppai-licnn*' ou pns, ■h' ne in'(>ii lournuMilo pas.

ELSE.

Du diable ! laisse-m'en un peu.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 143

OTTO IIERRE, qui a bu de nouveau.

L'excellent breuvage Qui glisse en ce passage .

ELSE.

Donne-m'en, donne-moi la bouteille i

nOTTO HERRE.

Tiens encore une gorgée Pour ton âme altérée.

LE MULOT.

Mais c'est le vol le plus infecl I

ELSE.

De ma vie je n'ai bu quelque chose d'aussi bon I

OTTO HERRE.

Et. voyez-vous, ceux de là-haut, ils vou- laient nous l'interdire ce nectar divin.

LE Ml' LOT.

Vous buvez le gain de plusieurs journées!

144 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

OTTO HKHP.r:.

Bois avoc nous, mon pauvi-e ml 1

KLSi:. bas.

Sais-lu à (|U()i jai sou\ent pensé ces dei- niors lenips ? i-;ii<.' s.-ippn.ciH' plus près.)

Pouripjoi n'allondrlons-nous pas une nuil dorage pour niellro le IVu à loute la grande ville? Oh ! y niellre le IVu !

or lu UKHIîK.

IJali ! Tout le pacpiet se sauverait dans les (■liam{)S.

Xon ! M>>itiii,iistimni., Il V a dans la ville les anciennes galeries de mines, (jui jadis con- duisaient au loin le lleuve. Ici, nous sommes mainlenant... cesl le lit du fleuve... Car tout i'Iud'er que nous hahilons a clé cons- truit dans le lit de l'ancien fleuve. Ces vieilles galeries peuvent élre retrouvées. On les rem- plira de poudre el de dynamite... un fil élec- trique là dedans ali ! ah ! ah ! Alors quelle sale el puante e.\hibition d'entrailles.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 145

ELSE.

Chouette! Nom de D...!

Elle arrache la bouteille du Mulot, et en prend une longue gorgée.

LE MULOT.

Oui, mais nous sauterons aussi dans les airs?

ELSE, donnanl ki Ijouteille à Uerre.

Nous sauterons.

OTTO lîERRE boil, puis les regarde de haut en bas, tout en rendant la bouteille au Mulot.

Quel plus beau sort peut-on souhaiter?... Quand, moi. Otto Berg Herre, je me suis représenté parfois une heureuse fin, voilà comme je me la suis dépeinte. Oh! entrer en communauté avec des milliers dètres par la porte auréale de l'immortalité ! A mon com- mandement, semblables aux esclaves obéis- sant à l'ordre de lour Seigneur oriental, ils dépouilleront tous leurs vêlements et suivront ardemment le cortège.

Après une existence pleine de grandes aspi-

9

lir, AU-DESSUS l)i:S FORCES HUMAINES

râlions, mais lourde de fardeaux et de dé- Iresses, après avoir ét«'' eomplètement mc- eoiinu. alleindre eiiliii le hul de ses désirs !... au moment de niourii-. dans un mortel éclair, monter sur uu lione pareil ! Penser que le monde eulier lira votre nom inscrit en lettres de l'eu 1 Sasseoir dans une Sedi<t ciwiiliscon^- Iruile av(M' les échines courbées des million- naires!... aha 1... alia...l les })ieds sur le ta- bouret de leui's sacs d"or! Les malédictions et radmiration des lionnnes vous emportant au- tour de soi. i;roudaul comme un orchestre, nuf'i oc<''an de li-ioinp!ie !... ahaha !

lA N'OIX \)K FJ^MMK tle li>ut .i riicurc. d'en haut, à droite.

Ils revieiuienl maiidenaid.

Oui ?

I.F MULOT, ovcc crointe.

Kl. SE, en même temps.

; ■)

Oui

OTTO HERRK, en mêmclemps. Oui vieni ?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 147

LA VOIX DE FEMME.

Le convoi ! Oui, il est encore là-Iiaut.

ELSE.

Ah ! il y a le temps...

LE MULOT, bas.

Mais ces couloirs souterrains, oui, j'en ai beaucoup entendu parler, ils doivent être inaccessibles?

OTTO HERRE.

Ah ! VOUS voilà bien... vous voilà bien !

LE MULOT.

Quelques-uns sont pleins d'eau et d'autres de débris.

ELSE.

C'est vrai, je l'ai entendu dire.

OTTO HERRE.

Voilà bien la race des esclaves ! Un léger

118

Al -DESSUS I)I-:S lOIÎC.ES HUMAINES

obstacle, un i)cu dcau, quelques coins ensa- blés, c'est assez pour donner des ailes à leurs idées de vengeance, pour faire l'uii' leurs nobles aspira lions vci's la libei'té !... -^

LA \ (H.\ 1)1. I L..MMI::.

Le pas leur esl avec eux 1

OTTO UEI'JU-,. l'M 111 ,\v ri^unlo.

Le pasteui'I Le pnsleur Bratt?

LA \()L\.

\on. Inulie, le vrni Pasleur.

LI-: .ML LOT.

Falk...

OTTO lIi:itf!K

Ah I celui-là I (resl un charlatan. Je le lui dirai chaque l'ois que je pourrai, en face. I>ui, je le connais, depuis l'époque nous élions étudiants.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 149

ELSE.

Alors, je vais partir.

OTTO lÏERRE, bas.

Je viens.

LE MULOT.

Dis donc ?.. Dirais-tu cela au Pasteur?

OTTO HEURE.

Quoi ?

LE MULOT.

Ce que tu as dit tout à l'heure... comme tu l'as appelé.

OTTO HERRE.

Charlatan? Oui, veux-tu que je lui dise...

LE MULOT.

\'eux-lu. veux-tu réellemenl lui dire? Je te donnerai vingt sous! Par Dieu, tu les auras !

150 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

OTTO IIKRRE.

Alh'nds... (loiinc-moi une avance 1

.\...oii

iJiîhourso

II-: MILOT.

OTTO iiFiiru-:.

I.K MII.OT.

M.ii- •>! lu lie If lui (lis jias ?

oiiu iii:iîi;k.

J'irai <lroil, à lui. <■! If lui dirai. Ma parole dhonnour ! Doiiiif-iiioi une avance !...

I.i; MLLOT.

Tu en auras la moilif... là...

Le corlci-'c l'iinùltie conimence ;i descendre. On cnlend lin Irain (|iii Iraversc le pont.

FAI-K, en vèlciiienls civils, arrive le derni'îr, el un peu après les iuilres. lierre va à sa rencontre et se tourne de son côté.

Mais oui, n'est-ce pas Ollo Hcrre, noli'f " mar/isli'i' bibendi ".

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 151 OTTO IIERRE.

Oui, votre Seigneurie ! C'est-à-dire ! ... ce qui en reste !

FALK, à part.

Grand Dieu !

H cherche dans sa poche. OTTO HERRE.

Et pourtant... si on considère l'objet à la lumière... peut-être est-ce la meilleure partie; mais les temps n'ont pas été cléments, votre Seigneurie !

FALK.

Oui, je le vois. (Ras.) Venez me voir quand vous ne savez oîi trouver assistance ! Aujourd'hui j'ai... oui, j'ai vraiment donne le peu que j'avais. Voici seulement cinquante centimes.

OTTO IIERRE.

Merci, votre Seigneurie, mille fois merci! J'ai toujours dit aux gens d'ici que vous aviez tous les dons du cœur.

II s'éloigne.

152 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

I.E MULOT, qui s'élail traino derrière une maison placée plus liMiit, réparait an n)onienl lierre veut cnnlinuer à monter.

Mais... mais?

OTTO IlKl'.l'.i:.

Tu no m'avais donné (|ik' la moilié!

Il M joigne par le liaul.

SCKXK 11

1 ALK, à Ilaii- liraa.

\'oulez-vous Mrcn croire, ce! homme-là dans son état normal esl vraimenl digne de secours. Si j'a\ ais eu des malheurs comme lui, jaurais aussi Uni j)ar hoii'e.

IIANS lîIiAA.

Oui, oui, cesl vrai, nous l'avons souvent remarqué.

lALK.

11 esl comme une rose de Jéricho, dessé-

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 153

cliée par le vent, qui, déposée dans l'eau re- naît et sourit au soleil du jour.

Oui, mes chers amis, là-haut je songeais, enparlanl devant les tombes, que j'avais quel- que chose sur le cœur qu'il serait plus conve- nable de dire ici. ll monte sur l'escalier et ils s'assemblent autour de lui.)

Les mots par lesquels j'ai commencé là-haut et par lesquels aussi j'ai fini, étaient : Ne jugez pas Marie. Celui-là seul peut le faire qui con- naît le fond de nos cœurs. Paix. i)aix à son âme altérée! Que la paix s'étende sur son nom.

Le plus grand malheur de cette grève est qu'elle jette tant de gens dans le désespoir. Ce sont les faibles, dit-on, qui sont atteints ! Non ceux-là qui sont les plus délicats, qui se sen- tent la plus lourde responsabilité, les .eil- leurs enfin, sont aussi accablés, car ce sont toujours les bons qui souffrent le plus, ils acceptent les plus gi ands sacrifices et ce sont eux <pii expient la faute des autres. (On voit

(juc les ouvriers sont daccord là-dessus.) JcUC veUX aCCU-

ser personne, mais beaucoup d'entre vous savent déjà combien il est dur d'entendre les enfants venir dire à leurs mères : « Du pain, ah! donne-moi donc du pain ! »

Mouvement.

154 AU-DESSUS DKS lORCES HUMAINES

FAI.K, lias.

Pour ma pari, cliaiiuo jour, je donne mon ol)ole.

voix DANS LA FOULi:, basse.

Oui. lu as jjon eu'ur.

IM.USIKUlîS, (le nicmc.

Oui, c'est vrai !

1 AI.K.

Sinon, oserais-jc Nciiii' ici et vous parler? Mais mon conseil doit portei- plus loin. Une i^rève j);u'eille. aussi im|)orlaide la plusim- porlante (|ue nous ayons encore eue. ne peul ])as se prolongei-. Des dons imporlanls, inallendus. ont alHué, mais nous sommes trop nombreu.x j)Our èlrc l'assasiés. il y en a déjà beaucoup (pii connaissent les souffrances de la l'aim. et ils les connaîtront encore davantage. Rien de plus contagieux que le désespoir, i)en- sez-y. Bientôt viendra le moment et plutôt que beaucoup d'entre vous ne se l'imaginent l'on ne jiourra plus mettre de frein à la

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 155

fureur des exaspérés. Je vois des indices, j'en- tends gronder les exhortations de ceux qui rê- vent d'attentats... qui veulent recourir à la violence...

l'aveugle anders. Oui, des attentats... de la violence.

FALK.

Que dis-tu, vieux?

H AN s BRAA.

Anders? Oh ! celui-là, il répète toujours la même chose ! . . .

FALK.

Laisse-le parler.

l'aveugle ANDERS.

C'est... ce qui est arrivé à la plus malheu- reuse de mes filles...

FALK.

Je le sais. Puisque nous sommes allés en- semble.

loi; AU-DESSIS E»i:s |()|;(,i:s iiimainf.s

i/avkuglk \m»i:i!S.

Non. ( '(' nCsl pas de Ti'-n (jiio je |)arl<\ •lavais iiiir jilns jiMiiu' lillc Elle csl ^TIUlc en villo, dans uiir liclu' maison. l']l là. elle a r\r \ ioiro.

I AI.K.

Oui, oui, jo nie son^i<•ns. mais nous no par- lons pas (lo ra. Anilt'r>.

I. A\ i:i <.i.i. A\i>i:ns.

\'ous pallie/ allrnlals cl \iol(M]ccs », cl oa ("élail de la violener. I-'IN- en fui si honteuse quelle en est morte (V<'s\ donc un meurtre. Dieu nous console et noii> aide !

lAI.K.

ÎNous le savons, mon cher Andcrs. (Un ins- lani tic silence.) Pour rcvcnir à notre sujet, le dé- sespoir est un dangereux compagnon; il s'est déjà rencontré j)armi vou>. Nous devez faire en sorte de ne pas encourir plus de responsa- bilité que vous ne le désirez vous-mêmes.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 157

H ANS BRAA.

Ceux de là-haut, dans la grande ville, sont responsables.

FALK.

Le passé, Hans Braa, est sans doute plus criminel que le présent, mais ceux qui ont tort, aujourd'hui, doivent, en bonne justice, être recherchés des deux côtés.

HANS BRAA.

N^on, ceux de là-haut ont tous les torts.

FALK.

Pas tous !

PLUSIEURS.

Oui, oui, tous.

FALK.

Osez-vous prétendre que vous êtes exempts de faute?

15S AU-DESSUS DKS lOHCES HUMAINES

( )iii. oui

TOUS.

FAI.K.

\ Oiis ('-les <\\;isi)ér<''s j);irc(* (|ue vous stuil- fi'c/.. Je lu' (lirai |)lii> litMi sui' (.'O siijel, mais si vous voulez ciilrcrcn concilialion, elTorcez- vous {.\r ne |ias c(»u>i(.l(''rcr 1rs autres cxclusi- Ncnicul conunr (.les voleurs.

II\N> \:\\\\. ( !e ue sont [la^ <le^ \ oltMH'S ?

IM.USliaiîS.

Oui, ce soni dos voleurs, oui !

I \I.K.

Dos \()Ieui's SUI' la croix, |>eul-èli'0? Les

^■oleU|•S aus^i peilNeul se ie|iejllir.

i'Kl; s IL' A.

De vi'ais oiseaux «le [uuic, voilà ce qu'ils sou! !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 159 FALK.

Ecoutez-moi. Vous devez laisser aux riches le défi et la menace ! Ils ont la force et se sont habitués à employer la violence pour arriver à leur but. Ne soyez pas assez étourdis pour les imiter. L'indigence possède des qualités que la richesse ne pourra jamais acquérir. La pauvreté, elle aussi, a ses bénédictions...

HANS BRAA.

Les avez-vous goûtées, monsieur le pas- teur?

FALK.

Je connais les riches aussi bien que les pauvres! et les pauvres ont toujours avantage sur les riches.

HANS OLSEN.

Oui, les haillons et les poux!

FALK.

Tu en as fait l'expérience. (On ni.) Je vais te

ICO AL-l»i:sSL"S 1)F:S IORCKS IirMAIXI£S

(lire ce qui. dans mon esprit, |)lacc les pau- vres au-dessus des riclies. Les pauvres se conlenlent de peu: ils ont bon cœur entre eux. ils se saci'ifient dune manière inexpri- iiialilc. ils son! patients, indulgents.

IM-; l'.lDK \0\\ Ii'uO.MMK l"iil en hniil, ^^ur la luiiileiir.

\ a dire ca aux riciics.

r.H!- Ii'vriil II- \.ii\ .I.Mi^ l:i ilireclion lie la colline. I AI.K.

.le i';ii fait. Aux iin>> coiniiic aux aiili'es je dis la \(''riir\

l.A l;l m. \()IX.

Boni Mais nous en avons assez de toutes ce^ uKUuei'ies de IVocard.

l.A VOIX DE FE.MMI-: DU l'ElI'LE, <le |iki- haiil. cnliaNl sur la (Iroilc.

J'u ferais mieux d'écoulei", toi. grande pouil- lasse ! Tu es l»ien le plus sale démon de lenfor !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 161

LA RUDE VOIX.

Ta gueule, grognasse !

FALK.

Ètes-vous sur de vos énergies si le déses- poir vous frappe? Pas plus que vous ne pour- riez commander à la merl...

Aussi, voilà ce que je tiens à vous dire : Il y en a beaucoup parmi vous ils sont ve- nus chez moi qui reprendraient volontiers le travail.

PEP, STUA.

Oui, ils peuvent essayer.

PLUSIEURS, l'un après laiilre.

Esl-ce vrai ?

FALK.

C'est vrai !

PRESQUE TOUS. Oui, qu'ils essayent 1 (.Profonde ciuolion. Ils le

16J AU-itF:ssi:s i>i:s îoiîcks iiimainrs [laieronl cher 1 (Jiii .sonl-ils? Nommez-les.

{Finalcmenl, Lii-emlilc. cciutnc une UKli'iiie. NoilimCZ-lcs 1 KALK '''il un sjiriic t!'iicrf:i«|iii' (le la main cl le silence se rclal>lil.

Déj;! \()iis jionsc/. ii tm allriilal ! Si ^■^»us l«^s connaissiez, ^()us cnijiloiei'iez contre eux la l'orcc <l rn ani\ci'iç/. ;ni mcui'lre. Gian.i si- lence). Comme il s'en lrou\crail parmi \ous (|ui (T'iidraienl lenr \ ie à jamais malheureuse I el celle (le leilis eliraiiU. (le leurs paUM'CS en- l'anls !...

1. Avi:r<;i.i: am>i:hs.

t Mii. i;a e>l \ i;ii.

I1AXS fU:AA.

Ceux (le à-liaiil en iiuraienl |;i res|)onsalti lit.'-.

lAI.K.

Oui. iMclie/ (le leur persuader!... AiiLsi...

pf;f>. stua. Muils y p(Misenl !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES UïA

ASPELHUXD.

Un jour viendra ils y seront bien forcés.

FALK.

Mais vous ne pouvez pas l'attendre. Vous devez prendre les hommes tels qu'ils sont et aussi les circonstances. L'eau ne court pas plus vite que ne le permet la force de son cou- rant. Puisque le Seigneur le réclame, mes yeux voient que vous devez pratiquer la pa- tience ; alors son heure viendra, peut-être au moment nous nous y attendrons le moins. . .

LA RUDE VOIX, d'en haut. ;"i gauche.

Va donc au diable et ferme ça !

FALK.

On ne va pas loin lorsqu'on appelle à soi le démon, mes chers amis. Vous devez plutôt vous tourner vers celui qui fait patiemment briller son soleil sur les bons et sur les mé- chants...

ii;i .\L'-i)!:ssL"s DES I ()i{c.i;s ihmaim:.-

I.A VOIX I)i; IKMML; du PKLPLI:, «liu luuil. à -raiiclK

\ oiri 1 )i;il I (|iii ;ll•|•i^■e.

M l -11;! i;>.

i:>l-cr lui .>

MANS IU;VA.

( >iii. i! ;i |)ri)iiii> de \riiir nu joiinlliui.

l'N I> r;i \. '|iii c?t c;ulir (l;iii> k' k>iiil, en ba<.

< Mii, Ir \ oici.

Tous se rcloiirncnl, il se fail un leimic-nirnui.'c. Quelques- uns voiilvers l;i liiiulfiir. l)cnui-oup !(.■< >uivonl cl bienlol |rm>. cxci-plc Iri'is vieilles foninies du peuple.

I \I.K.

I!li liirii! n'y ;illoz-voiis pnsaiissi ?

UNK ni;s TKMMKS UL' l'KLI'l.i:. iM.iilensc.

Non. lu rs trop hou.

1 AI.K.

Trois! c'est peu. iiuiis c'est une preuve «piCIlcs soûl sincères.

Il (ICM-Cllil.

AU-DESSUS DES FORCES IIUMALXES K.ô

H AN S BRAA.

Hourra! Vive Brait! Bratl!

Bruyantes acclamations. On voit Brait qui l'ait avec la main un signe pour que l'on s'écarte. Il s'approche de l'escalier, fêté par la foule. Pro- testations (le dévouement.

SCENE III

Les Mêmes, BRATT.

BRATT monte sur les marches. Silence.

De là-haut jetais placé, j"ai entendu la fin du discours démon prédécesseur. II a fini par dire que le Seigneur fait briller patiem- ment son soleil sur les bons comme sur les méchants.

Moi, je commencerai par vous dire que le soleil ne brille jamais ici, en bas!

Éclats de l'ire. On répète ces paroles. Bli.VTT.

J'ai rencontré bien des gens, qui ignorent que nous habitons ici le fond d'un Ileuve

1 \r-i)i;ssrs i>i:s iouc.es humaines

|.iu|oii(l. Lf llt'iivc, ;i\;uil (le sr j(>lei' dans la mer. l'oiiiiail iiiir cliulf. j>uis l'eau creusa de jilus eu plus sou lit. C/esl ainsi f[ue se l'oruia le ravin dans leipiel iu)us vivons. C'est ainsi i|ue fuieid découvertes sur les deux rives les rieliessc- dt> la uioulaiziie. Alors l'eau fui dé- loiuiu'e. 1)11 coniuieiira lf l'ouillai»e des udues. cl. liràce à ce lra\ail, la ^lande ville s'éleva sur l;i liaideur. Mais, pour remercier l'ou- \ rier d a\(>ii- l'ail naître les ti-(''Soi'S enfouis à |;i luiliiérr du soleij, on le |-ejr|;i ici. daUS |r^ l('iié|ire>. l,à-li.iul ils devinreid si ri(dies (|iir II- Iiti;mii v e^l li'op cliri- [)oin' l'ouvrier. H l.iiil \i\ic ici. ( '.cllr ciivc a été donnée pour rien, mais le soleil uv lirille jamais 1

Les ouvrier'; rniiscnl entre eux. U\N> l!l;A.\.

( >iii . l'c-^i .iiii'^i ipir c;i > e>l j>ass(''.

l'Al.K. >'i\;iiil <lf [iiirlir.

Prenez. iiard<' à ce que VOUS dilcs, Brall ! P.liATT, nprés asoir coiisitléré Falk, reprencl.

('.'est allé si loin. (pu\ peu à peu, tous ceux

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 167

qui vivaient là-haut dans la grande ville, et à qui sont survenus des revers, ont été rejetés en bas.

HANS BRAA.

La digestion des riches, quoi !

BRATT.

Oui, « dans 1" En fer >. comme ce lieu a été bientôt surnommé. Ici, il fait sombre et froid. Ici, bien peu travaillent avec espoir, personne avec plaisir. Les enfants même ne s'y plaisent pas, ils préfèrent s'en éloigner pour aller à la mer, ou en haut, à la lumière du jour. Ils veu- lent du soleil ! ^lais ils y restent quelques ins- tants, puis y renoncent, ils apprennent à con- cevoir que celui qui a été une fois rejeté ici peut bien rarement s'arracher de l'enfer et remonter.

PLUSIEURS.

Oui, c'est vrai !

RRATT.

Et nous sommes ici! IMais ceux qui sont là-

les .\L-lii:s>L s |)t:s F-ORC.KS IILMAIXLS

liiiiil cl ;iii\i|ii<'l> a|t[t;iilir'nl In vasle plaine oiisf)lcill<'-c. \iciiii(Mil lie nous r(''pondro (pic nous nv aurons jamais aucune part 1 Là-lraul sur la c«"»lc. s^)nimeille la vieille forteresse, el lluli;cr a fail construire son nouveau eliàleau. Mciiwi.iLtii.) Là-l»as, dans son chàlcau. |c> (l('I/'^iu''s (les l'ahricanls de loule la con- \vrt' NonI sasscnddcr. Ils se eoncerleroni siu' les nioyciis de nous lenir sous le joug' pour ipie ii()n> iK- piii^^ions jaiiKiis plus revoii' le

ciel :...

I \ l'.ini-: \ <ii\ ■!'■ u.ui.iif. ( >ii ils e>>ayenl !

l'I.L >l l-l l;S j >;iii- c.\cf|ilii)ii, Lti iMjre (IX'sccikIii.

< >u il> l'oNaN cul !

ni! \ ir.

.le NOUS en pri<', j>ou!- lainour de Dieu, laissez-les paisiblement s assemJiler là-bas. de (diàleau a élc conslruil. comme par déll à la misère pressa nie du pays. (Test de (piils nous r('*pondenl 1 Un ma même dil que le elià- leau illiimimMJ ce soir.

AU-DEShiUS DES FORCES HUMAINES [CjU

LA RUDE VOIX.

Qu'ils essayent !

TOUS.

Qu'ils essayent ! qu'ils essayent !

Sans exception, avec une rage croissante, comme plu;^ liaut.

Mais ne pensez-vous pas, mes chers amis, que cela doit nous être utile ? Aujourd'hui justement, alors que Marie et ses deux en- fants viennent d'être portés à leur dernière demeure...

l'aveugle AXDERS,avec un sentiment dépouvanle.

Oh! Marie:...

ERATT.

... Les voici qui illuminent ! (Agitation de révolte. Ne les empêchez pas de manifester ! Cela nous amènera beaucoup d'amis ([uc nous n'avions pas à ce jour. Oui, car beaucoup auront peur de ce Dieu que l'on dédaigne . Qu'ils illuminent donc ! Eux, qui vous ont pris

le soleil ! IMurmures.)

10

170 AL-DEbSUS DES iOUCES 11U>L\L\ES

Sachez bien qiio tout ce qui porte en soi un iierin<' de contagion s'épanouit mieux à l'endroit le soleil ne luit jamais... Le soleil lue les microI»es du coi'ps et ceux de 1 àme. Le soleil donne la force et la fécondité, le soleil est la Société, le soleil donne la Foi ! Les riches de là-haut le savent trop bien, ils rapprcinK-ul à IT-colc. et. malgré cela, ils vous ont fait vivre ici gronillent la ver- mine et la contagion, les enfants pAlissent et les [lensées deviennent sombres, les es- prits moisissent comme les vêtements. Ils pos- srdcid des |)rcli'es et des ('"glises. font des ])rières et chantent des hymnes pieux; ils ont une charité limitée. Mais ils n'ont pas de Dieu I Mouvement.) Eh hicu! faut-il altendreqii'ils ;iient uu Dieu? Laisser des générations l'une ajjrès l'autre s'égarer dans la misère et le pé- ché, comme cela est ari'ivé ici. il y a trois jours? Pour (pii sonne le glas des cloches, au- jourd'hui ? l'^t vous me demandez encore si on l>eut attendre? Une < haumièrede travailleurs, càet là, peut-elle pourvoir aux besoins de mil- liers d'êtres? Et qu'est-ce qui empêche que votre sort ne s'améliore ?...

Leur jeunesse ?... t]coulcz ce que cette

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 171

jeunesse elle-même répond : Nous voulons nous amuser! Leurs livres?... Car, la jeu- nesse et les livres, n'est-ce pas l'avenir?... Que disent les livres?... « Amusez-vous! La lumière et le plaisir de la vie. les cou- leurs et la joie m'appartiennent 1 » Voici ce que dit la jeunesse, voici ce que répondent leurs livres. lisent raison 1 Tout ça leur appartient Aucune loi ne leur interdit de prendre le soleil et la lumière dévie aux misé- reux, car ce sont ceux qui jouissent du soleil qui ont fait la loi!... Il s'agit maintenant de savoir si nous pouvons grimper assez haut pour participer à la rédaction d'une nou- velle loi. (Les acclamations éclatent comme un coup de

tonnerre.) 11 sufflt qu'unc génération frappe un grand coup qui élèvera toutes les générations fului'es à cette l)ienfaisanlo lumière du soleil.

TOUT.

Oui ! oui !

BRATT.

Mais chaque génération a toujours rejeté cette mission sur la suivante. C'est à nous d'assumer le sacrifice, jusqu'aux tourments,

Ai"-i»i;<srs i)i:s roijci:- m maim:s

jiixiuà 1.1 mort, l ne iiuulc (Icvjiil nous ■-(•i\ ir (r<'\fin|)l('. Saclio/.-l*'. In inoil a rl<'> fé- ( iiiidr. Sun (|i''^i'S|H>ir a n'-x cilli' l(*s osprils. .lamais les soroiiiv^ |M>tir l;i iiir\r lie so sont acciii^ (■(•iiiinr IiitT r\ ;nij(»iii-(l liiii. beaucoup ont (loiiin- i\r i,M(»«,>Nr^ .-«()[iimr>. l iir sriilo per- somif anjouid liiii a verse'- Irois mille francs.

(Irondc joif. I.AViaci i; \Mii;it>. «mil.

Ah ! iiiuii Dieu '...

I ; I ; \ I I .

\ (tiis(le\e7. penser à celle (|iii s Csl sacriliéo ;i >;i (lonleiii-, à son angoisse! aux lanionla- lions (pie nous devons faire «csser. aux cris ilr ilitr<S>(' lie |;i raee <|iil pf-ril !

( h\\. oui !

TOI

lUîATI

lÙTlOlirtll.

Donc, linhiluons-nous Ions an sacrifice. Pour moi. je me contcnle mainlenanl de la moili('' df mes re\eiius. I*ei>onne ne connaît

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 173

la durée de notre épreuve. J'ai obtenu que beaucoup de mes amis agissent comme moi. Vous dites aussi que vous vous sentez tou- chés de la grâce du sacrifice?... Je la sens, tandis que je suis devant vous, mes mains sont pleines de feu, un tressaillement inconnu agite tout mon être. Mes nerfs sont plus sen- sibles, mes désirs s'élèvent, se dissolvent dans la joie du sacrifice.

Habituez-vous aux privations. Quand vous serez maître de vous-mêmes, alors, vous serez les maîtres des autres. Vous serez les vrais directeurs !

Du courage ! Chaque jour qui s'écoule nous apporte de nouvelles adhésions de tous côtés. Jamais les ouvriers n'ont été plus près du but. Jamais nous n'avons été si solidement unis. Jamais nous n'avons eu une telle force ni des appuis si puissants !... Ah ! s'il était accordé à notre génération,... s'il nous était permis d'arracher à jamais aux œuvres de ténèbres les ouvriers du pays, de les soulever de leurs caves pour las réchauffer au soleil de la vie ! . . . (ÉmoUon générale. Bas.) Maintéuan t montez au bureau do la grève. On a ordonné, de payer (Mouvement de joie.) et, qu \nd vous aurez

10.

171

AU-DESSUS 1>LS r()l{(l> lllMAINES

reçu vos |i;iils, rhoi.sissoz le coinilr (jui devra aujoiird liiii Irnilcr avec Holirer. \ oiis savez (|iril vous doit une réponse aujourd'hui !...

Lniolioii <:t-iirralc. Ik-iuicoiip voni ;'i Brall lui serrer In ninin peinhinl ijn'il tliï^ceml 1 osi;iliir. Diricussion en vue ilîtller PII villt'. An riionionl '"«m Rrull v;i enfin pnrlir* nrrive l'Aie ilosceiuljiiil il iinu iiKiismi de «Iroilc.

lirall :

scim: \\

DliAIT, KI.li: \:UE.

l;i; vil. l^llc ! Il >em|ir<--r il aller .'i >,i reiiconirc el |i' iiiéne

.iev;u)i i;i mhim- Enfin ! as-lu rlé ? Au monionl nous avions le jtius Ijesoin de loi, lu as (Ii-|iaru.

1.1 ii:.

Moi aussi, j aceoni|dissais ma lâche.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 17ô

BRATT.

Penscs-tu que j'en doute?

ÉLIE. Soudan l.

Du reste, tu m"as vu.

BRATT.

Sans le savoir?

ÉLIE.

Oui. Mais... que me voulais-tu?

BRATT.

Avant tout, j'avais peur quune grande partie de l'argent qui nous arrive en abon- dance, ne vînt de toi. Je voulais t'avertir. Élie.

ÉLIE.

Grand merci ! Sais-tu qui a été le dernier à qui ^larie a parlé ?

BRATT.

Toi?

170 AU-DKSSUS DES FORCES HUMAINES

KLIE.

< )iii. moi !

HKATT.

nua-l-rllc (lit?... (;('>lai( liion du d(^scspoir?

EI.IK.

Mlle ma dit ; niicl(|u"un doil moiiiir, >inon ils Ile pi'eudronl pas ijardi' à nous.

ru; ATT.

l'aile a |ironoiR'é ces mois .' Alors, cosi une \"i;ii<' in;t!l\ l'c ' . . , Xc le crois-lu pas ?

\A.\K.

.le le crois.

nn.\TT.

.Mais ])irn des martyrs a\aieid lespril éiiarc''.

ÊIAE.

Eu efTrl.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 177

BRATT.

Et l'eau- de-vie ? Elle en avait bu. Tout le monde le dit?...

ÉLIE.

Pour se donner du cœur ! C'est encore une preuve.

BRATT.

Pourquoi n'a-t-elle pas réclamé de l'aide?... On l'aurait secourue !

ÉLIE.

Moi aussi, je lui ai offert.

BRATT.

Eh bien ?

ÉLIE.

« J'arracherais le pain de la bouche des autres, » voilà ce qu'elle m'a dit.

118 AU-DESSUS DES lORCES HUMAINES

Jîr.ATT

C/csl vrai !... Oui, crlnit le désinlércssc- monl absolu que telle feuune... Si grande!... 11 V a hieii des ennirs nobles, ici, parmi ces pauvres i>ens. Ainsi, elle ses! saeriliée, e'esl sar ?

î:i.ii:. 11 n'y a pas à rn ddiilri'.

l;l; A I I .

.le y()'\> que eellf mort l'a profondéinenl inipressionnée ! I-Ik' i.nt un -.'sitMio-^scniimeniTu pa- rais nialbeui'cux. Tu«I('\rais aller cliezRachel, la xi'ur. Las-iii-vur ces derniers temps ?

Kl ir:.

I*as depuis plusieurs joui's.

Te i'a|>pelles-lu ces deux singuliers jeunes gens (pii élaienl venus (die/ elle, les enfants de SoniuKM" .'

lîr.ATi .

rierlainejnenl ! (Comment pourrait-on les oublier?...

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 179

ÉLIE.

Eh bien ! ils n'y sont plus.

BRATT.

Qu'est-ce que cela signifie ? Pourtant ta sœur les avait acceptés ?

ÉLIE.

Oui, mais leur oncle les a retirés.

BRATT.

Holger ? Mais les dernières paroles de Som- mer avaient été pour que ta sœur les gardât !

.''ELIE.

Ça n'a servi à rien. Maintenant, leur oncle les a retirés. Les parents étant morts, a-t-il dit, je dois à présent leur en tenir lieu. Ils se- ront mes légataires universels, et élevés sui- vant mes désirs.

BRATT.

Suivant ses désirs ! Peut-être veut-il aussi qu'ils deviennent les bourreaux de l'ouvrier !...

180 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

KLIE.

NnluroIlcmoMl ! Os gens nous ôlonl même l'espoir dans lavenir ! OIte pensée m'ob- sède jour et nuit, bien plus encore que le sui- eide dr Morio 1 ^."cs/ bien /lire! Pense donc! Nous cnlcxcr niriiir l"rs|>oiren l'avenir!

r'.TîATT, lo fixniil.

Des seidinu'nls jiaiT'ils, on les met en ac- tions, Klie.

i-I.IE, rciirontrnnl son regard. N'en (loiilc |»;is !

l'.l; \ri . i:li-.-;\ril •^nii lnns «uis rtliii d'I^lic.

Tf .souviriis-lii (lu jour vous m'avez rejoiid, ta so'ur et loi ?

i':lif. Que c'est (''li-anue ?

lUiATT.

Que trouves-tu rli'anac !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 181

ÉLIE.

Oue tu dises cela I J'y ai pensé toute la journée !

BRATT.

Tu étais radieux ; tu avais hérité de ta tante dAmériquc. Tu étais devenu riche.

ÉLlE.

Et nous sommes venus savoir ce que nous devions faire.

BRATT.

.le vous montrai mon anure. Ta sœur ne voulut pas s'y intéresser; c'était trop inconnu pour elle. Elle acheta un terrain là-haut, elle fit construire l'hôpital. Mais tu...

ELIE, lui |ni.-.aiit la main sur les -icniics.

.le préférai rester auprès de loi.

BRATT.

El comme lu fus heuieux. le jour lu as acheté la misérahle petite maison d'ici !

Il iniliqueà droite l'cndroll il'oi'i Elic est verni ,

11

182 AU-DESSUS [)ES FORCES HUMAINES

ÉLIE.

Je ne l'ai pas rogrellé un soûl jour. C'est pour moi la seule existence, ([ui récompense de vivre.

nUATT, sùiicuscmeiit.

Mais alors, Elle, pourquoi y a-t-il désaccord entre nous ?

l'-LlI:;.

(Jue (lis-tu ?

liltATI .

J'écoule le sou de ta voix, mais j'ai vu, avant, que tu aies dit un mol. (jue (pielqu'un t'avait détourné de moi !

KLIli. fraiiclifiiieiil .

Personne ne le peut ! Personne... que la mort !

BRAÏT.

T'cst-il arrivé (pielque chose?

AU-DESSUS DES lOIiCES HUMAINES \A:^

ÉLIE.

Oui, il est arrivé qucl(iuo chose.

BRATT, inquiet.

Qu'est-ce donc ?

ELIE, après une courte réflexion.

Tu m'adresses tant de questions... Puis-je t'en faire une seule?

HRATT.

GlierElie!... laquelle?

I-;LIE, avec une einiiliasc parliculicn.-.

Oui, nous pensons bien tous deux (juc Dieu est quelque chose, que nous devons trouver en nous-mrme...

HRATT.

Certainement 1

EUE.

... qu'il est l'ordonnateur élerneldu monde.

isl AL-DKSSUS l)l> lOHCES IIUMAIXKS

((iril sigailio pour riiuiiianité : .Inslico. rie iiollc Justice?

K\ l.oulrl

Br.ATT.

Ki.ii:.

Alors, il n'osl |)as o}>posé à la gucri'c'Ml ne ;"eii lieiil pas à récari?

BRAIT.

niM'llf; qiiesUoil !...

l'.i.ii;. r»('"ponils !

Bl'iATT, aprc-- ^;>■^oil• coiisiiU'iv

il \- a liiiil (rrsprcO'-. (le H'uorrcN !

i;i.ii-;

,1e \"eux (liic celle Ion s"onV(> soi-même (Ml saci'iiiec, alin (rani'-anlir ccu\ ([u\ \eulenl le mal.

AU-DESSUS DKS FORCES HUMAINES iSo

m '.ATT.

Tu parles de la guerre pour le règue de la Justice?

î;lii£. Oui.

Un hoMinic liuliillo <Ic brun s'est approche fiirlivemenl sans ini'oii le remarque, interpose son visage, en ce mo- mcnl. eiilre Klicet DrnU en fixant ce dernier.

i'.r..\TT.

Fi doue! Uuesl-ce que cela? Pounpioi s'approche-l-il loujoursà la dérobée !

L IIO.MME lIAlULLl': 1)K BliLN s accroupit <lans un coin, les mains sur les genou.x, cl rit haut.

Ah: Ah: Ah: .vh : Ah:

Il saule. Puis, sur un >ii:ne il lilie. il disparail. liP.ATT.

Ou ne peiil jamais {c parler sans lavoir là, enlre soi ?

KI.IK.

(Jtie piiis-je y l'aire? 11 s'est allaelu' à moi.

l.sc, Ai:-I»KSSIS DKS FORCES IIUMAIXKS

Ccsl son soûl l)()nliciir en ce monde. Dois-je le chasser ?

nu AIT.

Non. je ne le \o demande pas. mais ne pourrais-lu Ir déshabituer de se faufiler ainsi, entre les ijens. dincpie l'ois que quel((u'un le parle ?

i;i.iF..

Il croil <pi<' cCsl dn")le. Laisse-le l'aire. 11 souffre lieaucoup. .le viens de lui promettre juijourd liui (pie nous vivrions et mourrions <'nsend)le.

liiiATT.

(Ju'est-ce que cela veut dire ?

îxii:.

Il a parfois des moments très lucides, et j'ai le lui pi-omelli-o...

BP.ATT. ^

Tu es Iroi) hou. l'-^lie.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 187

lÎLIE.

Non, je ne suis pas trop bon, mais les maux des hommes sont trop grands. Lui aussi est un de ceux dont Holger s'est débarrassé, parce qu'il avait souscrit à notre liste : c'en était trop pour lui, il en fut brisé.

BUATT.

Je le sais.

ÉLIE.

Depuis ce moment, il me suit partout, s'arrêtant je m'arrête, s'asseyant devant ma porte comme un chien. Alors, je le laisse entrer.

BP.ATT.

Mais si lu accueilles chacun de celte ma- nière, tu affaiblis ta force d'action pour tous...

ÉLIE.

Pardonne-moi de t'interrompre ! Aujour- d'hui, je suis si nerveux ! Je ne puis rester ici, oisif, à t'écouter. J'ai si peu de temps ! Adiré

18S AU-L)l-:SSLS,l»i:S 1-ORCES HUMAINES

vrai, je ne suis venu que pour te voir. Je vou- lais le voir vile.

F.I'.ATT.

Mais ce dont nous parlions tout à Thcurc, Élie?

HLii:. N'en parlons j)lus ! .

lîl! \TT.

Nen jilus parler?

ÉI.IE.

Plus tard, lu comj)rendras mieux, .le ne puis supporter la vue de tant de maux 1 Je ne puis entendre dire que les uns doivent vaincre les autres.

BRATT.

Doivent vaincre les autres. En es-tu là, de croire cela un seul instant?

l'LlE. Oui, j'en suis là, oui. ;n *e tient la tête dans U-s

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES lsi>

mains.) Toi, je l'aiiiic pour lout ce que tuas été pour moi. Pour ton accueil ici autrefois, . . . pour ta stupeur en cette minute.

BRATT.

Oui, Elie, lu...

HLIE.

Laisse-moi parler en ce moment. Je l'aime, comme celui qui a toujours le courage de croire el aussi de conformer ses actes à sa foi! Tu agis, afin que tout le pays tressaille. Tu cries dans nos consciences : courage 1 ce qui pour la jeunesse signifie : en avant ! encore plus loin !

lîP.ATT, eflroyo.

Mais ce plus loin. Klie, cela s'appelle: à présent !...

ÉlAE.

Ne dis plus un mol ! el je ne dirai plus rien 1

Il le prend linns ses liras, le presse sur sa poitrine, ensuite lui prend la lèlc el l'embrasse deux fois, puis, le nuillanl. retourne vers la hauleur, par oîi il est venu.

11.

liMl

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

ni! ATT.

Elic?... {Laiipilaiil lie toutes ses forces, pendant que le rideau tombe. ) Élic 1... Elicl... CCOlllc!...

Il IDE AU

ACTE DEUXIEME

Une salle de bibliolhèque à haut plafond, artislique- menl arrangée. Un rideau courre loul Varrière- plan. A gauche, une fenêtre à ogive allant du plan- cher au plafond. Aux deux côtés de la fenêtre des rangées de livres, (/ui vont également du plancher au plafond. A droite, juste en face de la fenêtre, se trouve une porte à ogive. Des deux côtés de la porte des rangées de livres. A gauche, sur le premier plan, une table sur laquelle se trouvent des plans de bâtiments.

SCENE PREMIERE

IIOLGEIi, ilans un larjic fauteuil derrière la labié, le dos appuyé contre la première bibliollièque plus haut décrite.

Il n'y a donc quo les sous-sols à changer?

UALDIiN, debout.

Oui, ceci csl peu important, mais nous avons encore l'annexe.

192 AU-DESSUS DES EORCES HUMAINES

1101. GKR. Lannexc ? <>ii n'en fera jias. ai-jo ()ulili('' i\c vous \o dire ?

IIM.DKN.

Oui.

iioi.(^.i:r.

LaiiiH'xc ôlail dcsIiiKM' aii.x onfanls do ma sd'ur. dans lliypolliôse qu'ils oussonl désiré roslor auprès d<' Mjidcuioiscdlc Saiii^.

UAi iti:.\.

Ils lie ic^lcidiil |diis aupirs de Madouioiscllo Sa nu- !

uoi,(.i:i!. Xon. ils \-onl \i\i'r' chez moi.

Temps. IIAI.DKX.

Alors, il n'y a [)lus lien à faii-o?

IIOLGtin.

Dès lors, Mademoiselle Sang peul emmé- iiac:ei-. Ouoi ?

AU-DESSUS DES FORGES HUMAINES lici

HALDEN.

S] j'ai bien compris, elle veut emménager de suite.

HOLGER, le fi.vanl.

Vous ne lui avez pas parlé?

IIALDEN, sans regarder Holger.

Il y a longtemps que je ne lui ai parlé.

On frappe, Uakk-n sempresse daller à la porte. IIOLGER, se levant de suite et savançant.

C'est elle, peut-être ?

Halden ouvre. I5RAA. ilerrière la porte.

Monsieur Ilolger est-il ici?

IIOLGER. si.sscyant

Oui.

HALDEN.

C'est une dépulation des ouvriers.

Ai-HEssus i>i;s i(»iî( r:s iilmainhs

llOI.GEr..

.!<• renlciuls.,

iiAi i>]:n. I*ciivciil-ils culrci' ?

IlOlJ.Klî.

( liTiU cillfcill

I.'ans nr;i;i. A^iirliiinl, le vieux Aiidcrs Iluel, Ilcnrik Sein. Ilims Ilolson cl Pcr Sliia.

s(:i:m-: ii

ne»l.(.i:P.. a>sis.

Uni c-l rc vieil aveiiiilc ?

lili \ A.

(Tosl Aiidcrs Hool. le |M''ie de

lIOI.dKU.

Travaillc-l-il dans (]uol({iio fabrique de celle ville?

; urf^

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 195

BRAA.

Non, pas lui, mais ses enfants.

HOLGER.

Je ne traite qu'avec les ouvriers des fa- briques.

BRAA.

C'est le père de ]Marie que nous avons en- terrée aujourd'hui, elle et ses deux enfants. Nous avons pensé quil était essentiel qu'il soit avec nous pour. . .

HOLGER.

Très possible. Menez cet homme dehors !

Personne neboii£;e... Personne ne répond. ANDERS HOEL.

On veut me mettre à la porte ?

IJRAA.

Oui, il le dit.

19G AU-DESSUS DES FORU-ES IIU>EMNES

ANOEP.S IIOKL, bas.

'l a-l-il (jii('l([iriin (jiii ])iiisso mioux rondi'O com|)l(' (|nr moi de la drlrcssc d'en l)as?

lil'.A \.

.Mai> il iK- le \rul pas. lu Tas jiicn oïdcudu.

ANDLl-.S IlOKI..

Il m- me vciil |)ns? Il sail bien (|ue Mario n"(•^l pas la seule lillr ([U(\j"ai pei'due !

iiOE(;i;ii.

Sorlc/ rhôiuuie. afin qu'on juiiss*^ coni- nieneer. l']sl-ee hienlùl l'ail ? Ouoi ?

iiAi.ni.N, \ iens. Anders. moi. je l'aiderai.

ANDERS HOEL.

Oui es-lu? Je crois reconnaître la voix.

U Vl.DEN.

De ce côlé, Anders.

AU-UESSUS DES EORCES HUMAINES l'..7

ANDERS IIOEL.

Non, je ne sortirai pas ? J'ai été choisi 1

PLUSIEURS, en même temps.

Il faut que tu sortes.

BRAA.

Autrement, nous ne pourrons rien arranger, comprends-tu ?

ANDERS IIOEL.

Vous ne pourrez rien arranger ? Ali !.. . Aloi's oui 1 Mais, avant, je veux dire deux mots.

UALDEN.

Ah ! non. Andors I

PLUSIEURS.

Ali uon 1

ANDERS IIOEL.

Vous ne voulez pas ? Je veux cependant parler ; ma plus jeune fille, la pauvre Tea, si ello était ici... elle.

l'.is AL-ni:SSLS DKS lOUCES IIIMAIXES

HOf.GKn. stlaii.-aiil.

Alloz-vou-^-oii loiis! (',;\ vaiulrn mieux! (Juoi?

A^i'i;i iM).

Tu l'.i- l'iilriidu. il |i;irl(' ^-<'t^ cl cCsl nous

<|ui iilli.ii-- cil ]>()i'lcr l;i |tciii('.

Ilolgor se rassied.

\M)I r.S ll()i:i..

Alui-^ ii(»ii> scions (|iiill<\s ! car i ai assez |i;iVi'' |Miill' \()ll>.

Il \i.i>i:n.

\ ()y(Ui>. >uis r;ii>(>miiiitlc, Aiulcrs 1 \ icns .ivcr moi 1

WliLl;-- lloi:i.. Oui c-^-lu «loiic ?

P.I'.AA.

(ypsl Jlaldcii, lu le sai-. liicii 1

AMii.i;-- iioi.i.. Ali! c'c^l llaMcn ? Ali oui, ce doit èiro un

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 109

brave homme. Oui, oui, je vais avec Halden.

IIALDEN

C'est bien ! on te paiera une petite conso- lation.

AND EUS HOEL.

Nous sommes bien ici chez cet Holger.

HALDEN.

Oui.

ANDERS HOEL.

il y a deux jours que je n'ai rien mangé... mais plutôt que d'avaler un morceau chez lui... qui soit à lui... d'y prendre une goutte de liquide, j'aimerais mieux faire ce qu'ont fait mes fdles.

HALDEN.

Je te donnerai du mien.

ANDERS HOEL.

Oui... bon... oui... alors...

:.'(M. AL-i»i:ssLs \n:< i"(Ui(:i:s MrMAi\i:s

Pailoiis.

IIAI.DKN,

\M>i:r.s iioii

(>ni. Iioiir ca |)ai'l<»Il>. Il l:ul un pns el -o relournc.)

Mais il laiil <|nr je dise un mol à IIoluoi'... 11 csl a>>is là. ii'csl-co pas?

iM.i>ii;ri!S. Noii.\a-rcii inaiiilriiaiil . .\ii(l<'is.

\\|ii:i'.s IIOKI,, rriiinl .1 Ils . l'Hir.lir.

l-]||r> a\ai('lil (1rs sciililiKMiils |ilil> liohics (|iir lui <■! les paiT'ils. .Maiiil'iianl je veux |iarlii\ .1 ai dil.

Il <oil U-nl«-menl. iippiivc sur le liras de Iliiiiloii. IIOIJ.I.I;.

l'.li Iticii ! (|iic voiil('/.-\()iis ?

r.RAA.

("/(-si le jour convenu j»our nous préscnler

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 201

IIOLGER.

Ah 1 oui, c'est vrai. Je lavais oublié.

BRAA.

Nous vous avons cherché en ville et Ton nous a dit que vous étiez ici.

Pause. nOLGER.

\'ous savez certainement que j'ai reçu plein pouvoir des patrons. Quoi?

ASPELUND.

El nous des ouvriers. Donc, quant à cela loul est en règle.

Poiise. nOLGER.

Avez-vous une proposition ?

BRAA.

Oui.

ASPELUND.

Xous en avons une.

■2i)i AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

IIOLGER.

l'A (• (-

iir.AA.

Oiic ii()ii> choisissions rr('iprof(uciiU'iil un ail)ili"('.

Unifier ne répond i)as.

liliAA.

Nous voudi'ious (|uc uoli'c proposition do vicnno unr loi. pour lavcnir. Ou'cllc serve de loi. (•onipr(Mi('/-vous ?

Huilier ir.'irde le silence.

I!I;A \,

Nous iuilres ou\ rici-s. nous y voyons comme un avenir.

HOLGi:n.

.Mais j)as noi

ASPELUM).

Non? vous ne voulez j)as (jue quelquun s'inlerpose entre nous?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES :-'i)3

IIOLGER, sans l'airo atlenlioii à la (lueslion.

Avcz-vous d'autres propositions à faire ?

BRAA.

Nous avons tous pouvoirs, au cas vous nous en feriez, vous.

HOLGER.

Des propositions? Xon.

RRAA.

Tout doit rester connue autrefois?

noLGEl!.

Non, pas du louf.

ASPELUXn, «luiio viiix l),i~>o cl peiiiée.

Y a-l-il un peu de nouveau?

UOEGER.

Aucune proposition, nous ne faisons aucune proposition. Quoi ?

;'ii| AU-DESSUS DllS lOllCllS HUMAINES

BRAA, siiicxcilc.

Ail ! mais alors. (jiiVsl-cc ([ur ^'Ous voulez?

llOLGKIi.

I*osf'r (les coiidilious. f

lUiAA. apros ;n oir rci-nrdr lc> i>ii\ rici-s. à \ oi.v liiisse. ri'llt-cliic.

I{1 |)ollVoll^-lloiis ,ip|il('ll(|l(' <|ll('ll(>s SOIll ce

comlilioiis ".'

HOI.GKr..

\ Oli'c liirvc nCsl pascncore Iciiniiiéc. ces! «loue iimlilc.

I.cs ouvriers cuisciil cnscnilile. lîiiAA.

Mai> j>iiis(|ii<' MOUS ainiciious lous à cou- naîliT celle coudilioii !

uoî.(u;i!. La coudiliou ? J'ai dil /es...

AU-DESSUS DES rORCES HUMAINES 205

ASPELUND, dune voix loul h lait allérée.

Ail! ce soiû les... Yaurail-il un inconvénient à nous les dire de suite ? Mieux vnul mainte- nant que plus tard.

IIOLGER.

11 y a cet inconvénient : nous autres, indus- triels de la ville, sommes parfaitement d'ac- cord, mais nous désirons que tous les fabri- cants du pays le soient avec nous. Nous tiendrons ce soir une assemblée générale. \()us voulons aussi d'ailieui-s former une as- sfMiiblée régionale.

nuAA.

(lest ce que nous avons entendu dire. Mais cela n'empêche [)as que nous jirenions connais- sance des conditions, ipii en somme ne regar- (\ri\\ (pie nous.

ASrKI.lM).

( )ui. c'est aussi mon a\ is.

2u(i .\u-i)i:ssu^:^ Di:s i ()U( es humaines

IIENRIK SKM.

VA le mien.

IIANS OLSEN.

E\ le mien.

Si vous voiilc/. Lit |)i('ini(M(' condiliou c^\ (lUMUcui) Irovaillciir des l'nltriiiues ne fera ]t;nii(^ (lu Syndical l*i;ill (»n de loulc autre asso- eialion (|ui ne sérail |ias à noire convenance.

Les ouvriers s'eiilre-reL^ir.l 'iil -ilencieusemenl sans rien l.ii<sci' p;>raUre.

n()i.(i[:n.

La deuxième condiliou est que vous ne lirez désormais ni le journal dlOlie ni les autres j(jurnaux qui ne nous conviennent pas.

UANs oi,si:n. l*eul-(Mre nous devrons aussi aller à réalise?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 207

BRAA.

Et qu"cst-ce que nous aurons si nous ac- ceptons ?

nOLGER.

Ce que vous avez ou jusqu'ici. Quoi? Je tiens à vous dire encore que ce ne sont pas les seules conditions.

ASPKLUND.

Je crois que. si jetais à votre place, j'es- sayerais de prendre une autre roule... de nous rendre un peu plus heureux.

HOLGER.

Il n'est pas en notre pouvoir de vous rendre heureux.

ASPELUND.

Si, c'est en votre pouvoir. Donnez- nous une part sur les bénéfices et des terrains à bâtir, ici en haut.

20S AU-L)KSSUS DKS FORCFiS HUMAIXRS

IIOLGER.

Los liTMis (]iii aspirent à la possession du bien dauli'iii ne seront jamais heureux.

li AXS OLSEN.

Mais ceux (|ui onl le bien (i'auh'ui el l'eni- |)Ocb('nl soni |»()ni'lanl parfailenienl heui'cux.

n()L(;i:P.. mcllanlsn in.-iin sur hi Inlilc.

Esl-ee (|n(> j'ompoclie le bien d'autrui? Que seriez-vous si je n'cxislais pas? Quoi ? Oui a ci'ér loul cela, vous ou moi ?

II ANS OLSKX.

Chacun en a ci'rr un })eu. el depuis le dr- but des milliers vous y aidenl maintcnanl.

IIOLGER.

Aider? Mon oncricr aussi m'a aidé. Les forces moiriccs, les machines, le télégraphe, les navires el les ouvriers, tout cela nous a aidés. Je nomme les ouvriers les derniers, parce qu'ils s'efforcent de tout détruire. L'en-

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 209

crier comme les machines, la force molricc comme le lélégraphe, sont au moins plus intel- ligents qu'eux,

ASPELUND.

V^ous jouez un jeu serré, permettez-moi de vous le dire.

HOLGER.

On devrait jouer bien plus serré ! Quoi ? Cela permettrait peut-être au génie et au capital de régler les conditions d'existence des ouvriers.

IIANS OLSEN.

Oui! là-bas dans l'enfer ! Ali oui !

BRAA, à Hans OIsen.

. Ah non ! nous n'en sortirons pas si on parle ainsi.

ASPELUND.

Si vraiment, il en sort du malheur !

Mais, mon Dieu, venez donc un peu cJiez nous, et voyez vous-même comme tout ça est conditionné là-bas.

210 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

HOLGER.

Pourquoi vous meltcz-vous en grève? Vous gâehez plus de force qu'il n'en faudrait pour vous secourir.

BRAA.

Pourquoi n'avez-vous rien fait pour préve- nir notre grève.

ASPELUND.

Ou bien, à présent, faites quelque chose! et tout sera fini.

HOLGER.

Vous voulez peut-être que je place mon argent dans la caisse de la grève. Quoi?

Cette fois, vous supporterez toutes les con- sécjuences de votre erreur. . . Moi, je commande à présent ! j

BRAA. aux autres.

11 me semble que nous ferions aussi bien de partir, nous n'arrangerons rien ici.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 211

ASPELUND.

C'est vrai, l'avoiiglo Aiulers, qui est assis dehors, a arrangé la cliose tout aussi bien que nous.

nOLGER.

.lo crois (juo nous n'avons [)lus rien de nou- veau i\ nous dire. Revenez quand vous en aurez terminé avec loulc cette histoire de grève... quoi?

IJI'.AA.

Vous voulez nous écraser. Mais prenez garde, ça pourrait mal louiuer.

ASPELUND.

Nous aussi, nous avons noire petit hon- neur, comme disait Anders,

UANS OlIEX.

(Jue dis-lu ! Nous (1(> llionneur .* Mais non, eux seuls en ont. Ils subornent nos femmes et les envoient ensuite en Amérique.

212 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

HOLGER.

Bien que ceci nail j'ien à faire avec la grève et ne me touche pas, je tiens pourtant à vous répondre. C'est la deuxième fois que vous y revenez, et votre journal en parle continuelle- ment. Toutes les classes de la société ont leur honneur. Et c'est à la vertu des femmes que nous estimons Thonneur. Tant est la vertu, tant vaut l'honneur!

ASPEI.UXn.

Oui, ea se peut.

HOLGER.

Et si vos femmes se laissent cueillir comme de jeunes oiseaux tombés du nid, je vous laisse à juger comment donc est conditionné votre honneur.

PER STUA, qui n'a rien dit jiis<iu'à présent.

Que le diable m'emporte, si je me laisse dire chose pareille !

Il se penclic sur la table. Holger se lève en face de lui et l'écarle de In table; en même temps, Braa et Aspelund se précipitent de chaque coté.

AL-DESSUS I)i:S FORCES HUMAINES 21:

BIÎAA.

Finissez donc.

Hs se hichc-iil. ASPKI.UNl).

Attendez un peu I Votre tour viendra 1

HOLGER.

Maintenant sorlez !

UAI.nKN ^e prccipile dans la pièce.

Qu'y a-l-il ?

ASPELUM).

Rien; ils se l);illai«Mil an sujet de leur honneur.

II AN s OLSEN, ému

Ces grands personnages ont tant de fils hVbas en Amérique dont ils ne veulent pas ôtre reconnus ! Aucun d'eux ne reviendra donc pour leur apprendre ce que c'est (pie l'honneur.

214 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

IIOLGER, qui a remis son vèlemeul eu ordre, s'avançant.

La porte. Ilaldon ! Ouoi ?

P.r.AA, s'npprocliaui île llolger.

Je veux vous dire encore quelque chose.

IIOLGER.

Les autres, soiiez 1

IIANS OLSEN.

Dieu me pardonne, nous n'avons pas de raison pour nous al larder ici! (ii pan.)

PER STUA.

Nous reviendrons... Mais d'une autre façon.

BRAA.

Ah I va-t-en maintenant,

Per Slua sort. ASPELUND, l)ns, en sortant.

Oui ! oui ! vous jouez un jeu dangereux.

Il sort,

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 215

lIOLGEPi, «lurcnient à I5r;ia.

Que voulez-vous ?

nnw.

Vous le voyez vous-mônie. 11 y a en bas (les hommes qu'on ne pourra plus retenir. 11 sérail prudonl d'en prendre note.

HOI.GKU.

Eh bien 1 i)rcncz-en noie vous-inènie ! (Juoi ?

lîI'.AA.

Il peut nous survenir, ici, qucluue chose de terrible, et nous devons tous prier Dieu de nous en j)rés('rvcr.

nOLGKM.

Moi, je uo lr()nv(^ pns, il ne pcul sui'venir que du mieux.

HUAA.

El (pie bien des milliers d'èlres...

;'in AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

IIOLGER.

IMiis il V en aura, iiiieux ça vaudra.

BRAA.

Je n'ai jamais rion entendu de pareil.

HOI.fiKIS.

(Juoi ? \'()us èles montés Irop haul. 11 faut (|u"enfin nous soyons débarrassés de tout ça, pour une génération. Ce sera remisé dans le placard cpii vous est réservé. i;i. d'ici là, il surgira bien (pn'bjue ebosc.

n]i\ A. Bon ! je n'ai plus rien à dire.

-^ ^ llsorl.

noLGIilî, il Hal.lcn.

Onand je considèn^ ce gaillai'd, je [)cnsc toujours qu'il a du sang de maîlre dans les veines. J'en dirai autant de Per Slua. Tous ceux qui risquent quelque cbose, qui osent tenter de se révolter ont du bon sang dans les veines, de notre sang. Un croisement inq)rudent, llabbni !

AU-DESSUS Di:s lOIlCUS IIU.MALXES m

IIALDEN. le l'Cgardanl prolonilcineiil pour lu première fois;.

Oui, imprudent !

HOLGEH.

J'ai une certaine sympathie pour eux, jiar- liculicremcnt pour ce gars qui s'est jeté sur moi. Je voudrais bien savoir quel est son père, ou son grand-père ! Sang de patron celui-là, je dois connaître son nez. Quoi ? Les autres sont des esclaves, nés esclaves, leur sang n'est point mélangé. Vous désirez autre chose, Halden?

IIAI.DKX.

M"'' Sang attend deliors depuis quelques instants.

ii()i.(;i;iî. Pourquoi ne me l'avez-vous pas dit toul de

suite? Quoi? fU s'einpre<;-c daller ;i la porto, louvre: comme il ne la voit pas. il sort, mais on entend bientôt sa voix

du deliors.) Ne croycz pas que ce soit de ma faute. Quoi? car. si j'en avais eu seulement le pressentiment!...

13

218 AU-DESSUS DES FORfiES HUMAINES l'.ACllEL. Los premiers mots sont pioiioncés derrière la porte.

Halden voiilail m'aiinoncer. Mais je ne vou- lais, loiilefois, pas interrompre votre entre- tien avec les ouvriers.

lis se trouvent maintenant dans la chambre, IlOLCxER.

Oui, ils m'ont un peu servi du vin aigre ([ui fermente dans votre journal. (Rachei tressaille,

il n'y lait pas altenlion, la conduit à un sicye, cl s'assied lui-

nirnie auprès d elle.) J'ai les écouter me dire qu'ils étaient les créateurs de ma fortune, et partani delà que j'étais un voleur. Ouoi ? (^esl grotesfjue, en vérité ! J'ai créé ici un marché pour le travail, qui occupe des milliers d'ouvriers. (Ajoutez à cela le nombre de gens (pii en vivent.) C'est devenu une ville, et un beau jour, avant que ma tâche soit terminée, ils se retournent contre moi et prétendent que tout leur appartient I Quoi ? Et, comme je ne suis pas disposé à en convenir sur-le-champ, ils se révoltent ouvertement. Je leur pardonne, tout s'arrange; malheureusement, il survient der- rière eux un pasteur insensé leur promettant la justice de Dieu. La justice de Dieu ! Elle con- siste en ceci : que tout doit être à l'envers.

AU-F)ESSUS DES FORCES IFL'.MAI.NES :?I9

Nous ne devons plus, parail-il, construire comme il nous plaîl, parce que nous leur prenons le soleil. D'après eux, leurs demeures devraient être bûties dans « la plaine enso- leillée ». « La plaine ensoleillée ! » C'est-à- dire le lieu qui est l'orgueil et le plaisir de toute la ville. Pourquoi ne réclament-ils pas en même temps que nous les logions dans nos maisons? Et puisque c'est « la justice de Dieu »>, pourquoi ne pas les loger tout <le suite au ciel? (Juoi? [U se lève.)

Je vous latlirme. Mademoiselle Rachel, si on leur livrait tout ce qu on possède, avant un an tout le commerce des fahi-iques serait perdu, et les immeuldcs transformés en hos- pices de pauvres. Ouoi ?

Mais pardonnez-moi, chèi-e .Mademoiselle. Il sassieii.) Je VOUS parle uii langage aussi aigre (|ue le leur. C'est sans doute le fond du môme breuvage, mais seulement tiré d'un autre ton- neau. Mademoiselle, excusez-moi, il y a peu de [lersonnes que je respecte autant ([ue \ous, seulement j'ai gardé de cette entrevue un mouvement d'humeur qui m'a emporté; ils m'ont fait faire une réelle provision de bile pendant leur entretien, tout à rhcur(\

220 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES RACIIEL, souriant.

Oh! J'ni un peu entendu les deux parties!

IIOLGER.

.le vous croyais déjà eniménagée, Made- moiselle Rachel. Je suis venu ici pour vous remettre les titres de propriété. Ils ont été

hier publiés au Tribunal, (.n prend sur lalal.le une st- rie (le (locunuius.) Maintenant, le parc et la maison vous a|)partiennent légalement; c'est pour moi un honneur et un plaisir que de vous remettre ces actes.

Tous deux se lèvcnl. liACHEL.

\'oilà la vraie bienfaisance I Je serais très au-dessous de ma tâche si la vie de mon hôpital nétait assurée dès maintenant. Je vous remercie de tout mon cœur, Holger.

Elle lui prend les moins. HOLGER.

Prenez le i)lan ; un travail d'artiste comme

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 221

VOUS voiTcz ! C'est Haldcn qui la exécuté, naturellement.

RACIIEL loiivrc.

Oui, en effet! il fera bien, encadré et sus- pendu au-dessus de l'entrée; encore tous mes remerciements, (ils s'incUnent tous deux.) Mais les papiers sont à mon nom?

HOLGER.

Naturellement.

HACHEL.

Le don esl pourtant fait à riiù[tilal.

HOLGER.

Le don est fait ù vous ! et vous n'avez qu'à en user comme il vous plail.

RACHEL.

Ail ! si mon projet était réalisalde par mes seuls moyens !

222 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

IIOLGER.

Vous }»oiiiTcz (>e que vous voulez ! Ouand pensez-vous cuiménager ?

P.ACHEL.

Mais tout de suite si vous n'avez pas d'objection ?

UOLGER.

.J'ai encoi-e quelques livres ici que je vais emporter; c'est très sinqile.

RACIIEL.

^'ous ne sauriez croire combien tous mes malades se sont réjouis ! Aujourd'hui nous avons pratiqué une ouverture dans le mur qui sépare l'hôpital du parc, et tous ceux qui pouvaient se lever y sont allés pour regarder.

UOLGER.

Vous avez bien des choses à mettre en ordre; aussi Halden et moi, nous allons vous laisser.

AU-DESSUS DES FORCES lIUxMALNES 223

P.ACHEL.

Ah ! encore une question, liolger. Bien que vous n'aimiez pas vous entretenir à ce sujet; si je vous en priais, ..

HOLGER.

Il n'existe rien, absolument rien,- que je ne fasse pour vous être agréable, (n ui prie de sasscoir.) Eh bien ! qu'est-ce donc ?

n s'ossied hii-mCmc. RACIIEL.

La grande assemblée des délégués ne doit- elle pas avoir lieu au château ? Ne donnez pas cette fête dont on })arle, n'illuminez pas le château !

HOLGER.

Le chûteau est un des plus beaux bâti- ments de la contrée, cl la vieille forteresse sur laquelle il se trouve est admirablement située, (juoi ?

RACHEI..

Sans doute la conslruclion fail le plus

■2>\ AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

grand honneur à monsieur Halden. Tout le monde est d'accord là-dessus, mais...

nOLGKR.

Ah 1 oui ! Les ouvriers ont décrété que ce donjon leur était une insulte.

RACUEL.

Bien des événements cruels se sont pas- sés dans cette forteresse.

HOLGER.

Maintenant ils sont voilés par tant de beauté. Il n'y a rien de criminel. Quoi?

RACUEL.

L'époque misérable pendant laquelle le château a été construit...

HOLGER.

L'époque? Mais c'est à cette époque qu'on a fait surgir du travail pour les malheureux. encore y a-t-il quelque chose de cri- minel ?

AL-DtSSUS DES FORCES HUMAINES 225 RACHEL.

Il y eut un malentendu. Rappelez-vous ce qui s'est passé aux fêtes d'inauguration !

nOLGER-

Une pastille de dynamite, quoi ? Tentative impuissante ! Les vieux et larges fossés de la citadelle empêchent les gens i\o pénétrer.

RACHEL.

Prenez garde que cela ne recommence.

HOLGER.

Il n y aura pas que des illuminations; non. j'aurai en outre trois groupes de musiciens sur la grande...

RACHEL.

Ail 1 non ! ne faites pas cela !

HOLGEn, selcvjiiil.

Comment cela? Il nous faudrait nous écar- ter (le notre chemin ;N cause des tentatives

13.

226 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

ennemies ? Ali ! non, du moins aussi longtemps que je commanderai. Aujourd'hui comme autrefois les châteaux doivent donner à réflé- chir au peuple. L"avez-vous vu la première fois qu'il fut illuminé?

RACHEL.

Non, je ne voulus pas sortir.

nOLGER. ^'0US avez eu tort. (Uva au fond de la pièce, an-ière-

idan.) Heureusement, j'avais ici un peintre qui a retracé tout l'éclat de cette soirée. Un peintre hahile I \ oyez ceci 1

Il .soulève le grand rideau du fond. On voit une splendide peinture qui recouvre tout le mur. Elle représente une forteresse du moyen âge, garnie de tours et de créneaux, des murailles dentelées, et un large fossé de château-fort. Un donjon rayonne des feux éleclritpies, tout le reste est illumiué. Au bas de la hauteur est située la ville avec un port, séparé de la ville par un m(Me. Le môle est également éclairé à l'électricité. Tout paraît illuminé en un clair crépuscule d'une soirée d'automne.

RACHEL, qui s est levée.

Oui, c'est magnifique ! Réellement c'est magnifique !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 227 irOLGER.

N'est-ce pas? C'est ainsi que sera la vie, ({uand (le nouveau il y aura sur la terre place pour les hautes personnalités qui ont le cou- rage et la force de se faire valoir! Quand nous aurons laissé bien loin derrière nous ces époques de fourmis et de fantastiques mille- pattes, qui nous gênent. Alors nous retour- nerons aux génies el aux grandes volontés I

RACHEL.

Surprenant.

nOLGER.

L'essentiel dans ce combat est à mon sens de donner de l'essor h la Personnalité. Vous voyez une construction élevée aux temps cette force était dominante. Ici régnent les tours, des murs massifs, d'une portée et d'une forme qui démontrent la puissance et la fierté. (Juoi ?

Désirez-vous que ce tableau reste ici, ou qu'il soit enlevé?

RACHEL.

Je préfère qu'il soit enlevé.

228 AU-DESSUS DES FORflES MUMAIXES HOLGER, olleiiso.

Vous le désirez ?

RAr.HEL.

Oui.

HOLGER, à Hahifii.

Vous avez entendu. Avez la bonté de faire enlever cette peinture, (umdcn fait signe quii aparfai-

Icment compris.) De Suitc... Ouoi ?

Geste d'Halden comme auparavant.il sort.

HOLGER.

Cet homme est une énigme pour moi.

RACHEL.

Vous avez quelque chose contre Halden?

HOLGER.

Vous l'avez remarqué ?

RACHEL.

Oui^, le premier soir je vous ai vus tous les deux ensemble.

AU-DESSUS DES FORCES FIUMAINES 2-J'.i

IIOLGER.

Ail! oui. Oh! ça n'a rien d'étonnant. Votre liôpital s'élevait ici contigu au parc. Ayant entendu dire qu'une jeune femme y consa- crait sa fortune, je fus envieux de la connaître. (Juoi ? Un beau jour j'entre directement dans le nouveau bâtiment. Qui est-ce que je trouve en votre compagnie ? Halden ! Il était votre architecte, et il ne m'en avait pas souf- llé mot!

RACHEL.

Il parle peu.

HOLGER.

Qui lui a donc scellé les lèvres ?

RACIIEI..

Moi, je l'ignore. C'est sa seule volonlé sans doute.

HOLGER.

Nous connaissons cela, nous aussi.

230 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES RACHEL.

L'Amérique rend plus rude celui qui y a vécu.

IIOLGER.

Comment se fait-il qu'il soit devenu votre architecte ?

l'.ACHEL.

11 le désirait et a entrepris la chose gratui- tement,

HOLGER.

Entièrement gratis?

RACHEL.

Oui. enlièremcnt.

HOLGER, parcouranl ilciix l'ois la largeur de la pièce.

Est-il venu lui-même vous offrir ses ser- vices?...

RACHEL.

Non, il m'adressa quelqu'un dans ce }3ut.

AU-DESSLS DliS FORCflS IILMAI.NLS .';{1 HOLGER, dchoul, arrclc.

Pouvez-vous mo dire?... Ouoi .'... Oiullr était ccito personne?

RACHKI..

Sans doiile. C'était mon IVri-c?

nOLGER.

llaldcn fréquente votre i'rère?

RACHEL.

Oui, non, je ne saisi... Mon livrcMU^' trans- mit son otTre; e'est tout ce que je sais.

noi.GKR.

Je nip suis souvent creusé la lcl(^ pour savoir avecqui cet homme pouvait s'entretenir. ..Dans lousles cas, ce ne fut jamais avec moi. [Hoi^'cr

|iicn<l son chapeau.)

RAtllEL.

Oui... .Te ne sais rien de \)\u>.

x'32 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES IIOLGEI!.

... Mademoiselle, considérez-vous ici chez vous, aussi bien que vos malades.

RACHEL.

Mille remerciements! Aussitôt que tout sera emménagé, venez nous voir, afin que tous puissent vous remercier.

HOLGEFî.

(Test entendu...

RACHEL, se ra|>|ii'oclunil do lui.

Je n'ai pas fait du tort à Ilaldenen vous disant qu'il est en relations avec mon frère ? car je ne le sais vraiment pas.

nOLGElt.

Vous semblez porter bien de l'intérêt à Halden.

RACHEE.

Je serais si désolée de faire du tort à n'im- porte qui.

AIM»:SSLS DES TORCIIS l!lMAl\i:s .>33 HOLGER.

Tranquilliscz-vous.

RACHEL.

Et l'autre chose pour laquelle je vous ai |»rié ? Me l'accordez-vous, Ilolger, pour le hion lie tous les hommes qui pourraient ôlre lentes (le faire...

HOI.GEP..

.le vous ai léponcUi loul à l'heure : je n'es- liuie personne aulanlque vous. Mais vous le savez, vous et moi nous avons des religions (liflerentes.

HACHEL.

(Certains oui si peur. On dit qu'il existe de eilles £ leresse.

vieilles galeries de mines en-dessous delà for-

IIOLGER.

Oui, ainsi que sous la plus grande parlic k\o la villr.

231 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

i;achel. ... Oli! s'ils essayaient?...

IIOI.GKIÎ, ^'éloignant d tllc.

Ce serait meilleure chose qui j)uisse

arriver.

RACHEL, ^^ (lélournanl do lui.

Vous èles terrible !

UOLGER.

La religion des maîtres, mademoiselle Kacliel :

RACUEL.

Et VOUS voulez enseigner cela aux enfants de votre sœur?

IIOLGER.

Evidemment je le ferai I Je leur enseignerai tout ce qui peut nous sauver.

AU-DKSSUS Di:S TOHCES IILMAI.XKS .'<•;

HACHEL, cnergiqiiement.

Vous commeltrcz alors une graiido, graiitlr faute !... Puis, vous n'avez |>as ce droit 1

HOLGER.

Je n'ai pas ce droit? Moi. qui abandonne à ces jeunes gens tout ce que je possède ?

nA( IIKL.

Leur donneriez-vous dix l'ois plus. Ilolticr, c(ue vous n'auricv, |)as ledroil de |»i-eiidre Iciu's âmes.

HOLGEH.

.I<^ n'ai jamais entendu pareille chose de nui vie... Huoi ?

RACIIEL.

Mes paroles ont-elles moins de force pour cela? Prendre à ces pauvres enfants tout ce qui leur appartient en i)ropre: connaissances et volontés ? \'ous n'en avez pas le droit.

■im AL'-DESSUS DES FOKCES HLIMAINES

HOLGEH.

Pour leur donner en échange ce qui vaut bien mieux.

RACHEI,.

\ ous les haïssez donc tous deux, Holger. Personne n'a le droit de disposer de l'avenir parla \iolence. Oui, par la violence, Holger!

HOLGEi;.

Oue la Ijalaille décide...

HACUEL.

Vous n'avez pas le droil de prendre ces en- lanls à leurs parents.

nOLGEIi.

Leurs parents sont morls.

RACIIEL.

Les parents morts emportent avec eux leurs droits sur leurs enfants.

AU-DESSUS i)i:s ioi5(:i:s iilmaim:s -^v

IlOLGEH.

Et c'est pour cria que je devrais respecter les fantasques idées des parents? leurs extrava- gances?— « Credo. Spera, » des parents qui nomment leurs enfants Credo et Spera! Quoi ?

HACHEL.

« Je crois... lu dois espérer. » Est-ce si extravagant? Avant que les enfants fussent nés, les parents leur avaient déjà maripié leur destinée. Il faul la respecter, Ilolger.

Respecter ces folies? (Juelles sont ces croyances et ces espéranccs?(Gaicinoni ) En ce monde, ce ne sont pas les derniers qui seront les premiers, et les premiers les derniers, mademoiselle Racliel !

i5A(;ni;i..

Vous n'en savez rien, Ilolger. L'avenir appartient à des millions d'individus. .V des millions !

2;îK AU-DESSUS DES FORCIES HUMAINES

IIOLGER.

Hum ! que la bataille décide!...

RACHEL.

il y a des torrents que l'on ne peut endi-

iXUOW

nOLGER, iiaictiiciil.

En tous les cas. j'éloigne ces enfants de la proxiinil(' du torrent...

RACIIEL.

\'()us osez le ris([uer, Ilolger?

nOEGER.

Oui, je le risque ! Et je vous prie de ne pas me troubler à ce sujet !

RACHEL.

Vous avez refusé de me laisser les enfants, je me résigne; mais vous ne pouvez pas me refuser de leur donner mes conseils.

AU-DESSUS DUS FORCKS HUMAINES 239

IIOLGER.

Puis-je le permelire ? (Juoi ? Los enl'ants m'obéiraient-il.s, quoi? Il vaut inioux qu'ils parlent !

RACIIEL, errn.ycc.

Eux partir! Ces enfants au loin! Kinue.) llolgcr ! Vous atteignez donc votre but, de nous rendre tous trois aiïreusonicnl malheu- reux î Vous ajoutez cela à la perte douloureuse (|u'ils ont faite !... Xon ! vous ne le ferez pas!

nOI.GKl!.

Je ne le ferai pas? C"est-à-dire (|ue je vais le faire sur-le-champ, malgré la peine que j'éprouve à vous refuser quelque chose. \ ous m'y contraignez.

liACUKI..

Chaque l'ois que je vous adresse une de- mande, vous me la refusez, et m'assurez chaque l'ois en être désolé !

IIOLGEH.

Si vous n'étiez pas ce que vous êtes, je

LMO AU-])ESSLS HKS l'OIlCRS HUMAINES

n'aurais })as la haiile opinion que jai de vous. Veuillez, je vous prie, m'accorder le môme honneur.

Mademoiselle Kachel !

Il sort. Elle s'ossieci avi fond cl pleure.

SCENE III

HACHEL, seule, puis CREDO et SPERA.

On frappe à la grande fenêtre. Rachel s'en approche. Ses Irait?- se transfigurent.

P.ACHEL.

Dois-je ouvrir ?

ïllle ouvre et s écrie.

RACHEL.

Xon ! non I non ! n'entrez pas.

Elle recule.

CREDO, iS ans. il entre en faisant un saut.

Bonjour, Hachel !

SPERA, i-J à ]8 ans. entrant de même.

Bonjour! bonjouj- !

AU-iJi:ssLs i)i:s ioiî(;i:s iilmaim:s 211

CREDO .

Pourquoi os-lu si Iristc?

RACHEL.

Vous lavez remarqué?

r.REDO.

Oui, c'est facile è voir.

RACHEL.

Naturellement, i!» cause de vous, pour vous !

CREUO.

11 nous a défendu do venir chez loi.

SPERA.

... Mais ca ne sert à r'ww 1

RACHEL.

Il y a pis. 11 vcul vous envoyer ailleurs, vous éloigner de moi.

14

2i> AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES CREDO.

Il veut nous éloigner?

RACHEL, émue.

Pour que vous cessiez de me voir.

Elle les prend dans ses bras. CREDO.

11 n'y réussira pas !

s FERA.

Ouanl à ça, nous ne lui obéirons jamais...

CREDO.

Ali ! quel malheur que nous ne sachions voler clans les airs !

Sl'ERA.

S'il nous défend de nous servir de la poste, nous enverrons des pigeons, et chaque jour nous écrirons une page de mémoires qui sera pour toi.

AU-DESSUS DES l-OIU'.ES HUMAINES m

RACHEL.

Oui, oui !

CREDO.

Et tu viendras souvent nous voir, lu le pourras, n'est-ce pas? Tu viendras ?

RACHEL.

Si je viendrai...? Oui. n'imporle vous serez !

Ils se serrent k-s uns conlrc les autres. CREDO.

Je découvrirai quclijiu' cliose (|ui ri'pélera distincleuKMil nos voix connue le lait le mi- crophone, mais celui-ci ne répète pas la voix, il ne donne qu'un semblant, qu'un elTet. Je l'ai l)ien étudié, je sais est le vice de cet appareil. Alors, tu nous entendras parler depuis ta chambre! Tu sentiras noire présciu(>, Rachel, riachel !

RACHEL.

Chaquejour, vous recevrez des télégrammes, des lettres de moi ! je vous le promets.

244 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

CREDO.

Jusqu'à ce qu'il reconnaisse qu'il est inu- tile de nous séparer !

SPERA.

Et qu'il nous laisse de nouveau vivre en- semble, n'est-ce pas?

RACHEL.

Votre présence m'avait apporté le bonheur cl la joie. Je ne puis plus m'en passer.

ÏOrS DEUX.

Et nous ne pouvons nous séparer de toi.

Ils entendent la sonnerie de la porlCi RACHEL.

Personne ne doit vous voir ici.

SPERA, courant à la lenêlre.

Au revoir !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 245

CREDO, prenant de 1 clan.

Hurrah 1 Tu es la plus jolie femme de la terre!

(Ils disparaissent.)

On frappe.

RACHEL.

Entrez !

SCENE IV

Les Mêmes, ÉLIE.

Elie entre.

R.VCIIEL, allant vers lui.

Elie ! Enfin !

ÉLIE, courant à cllr.

Rachel ! Ah ! Rachel !

Ils s'embrassent Ions dcn.x «ans parler. RACHEL, Itii caressant les cheveux.

Comme tu es devonu pAle cl comme lu parais fatigué, Elie ! Qu'as-(u ?

14.

246 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

ÉLIE, souriant,.

Rude époque et manque d'endurance 1

RACUEL.

Nous ne nous sommes pas vus depuis long- temps.

ÉLIE.

Justemenl [)ourccs raisons... J'étais à bout !

RACHEL.

Je le vois, tu as abusé de les forces.

ÉLIE.

Surtout depuis que je travaille la nuit.

RACUEL.

Tu travailles aussi la nui! ?

ÉLIE.

Et nous ne mangeons pas à notre faim.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES J17

RACIIEL.

Mais, cher Elic... dans quel but ces pi-i- valions?

ÉLIE.

Nous tlevons nous lialjilucr au sacrifice, a dit Bratt. II a raison, mais le résultat a été bien inallendu .

RACUEL.

Poui'cjuoi ne dors-tu pas?

ÉLIE.

Tu habiles donc ici, Bachel 1 11 ta donné celle demeure ? Pendant cjuil nous refuse loul.

r.ACUEL.

Il la donn<'C à rhù[>ilal. Les malades pour- ront se remet Ire ici.

I;T,IE, se promenaiil ••iiiloiif lie 1;i pièce.

11 agit ainsi maintenant. Comme si on ne

2i^ AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

lui avait pas fait d'autres réclamations ! Tu demeureras ici, Rachel ! dans cette chambre ?

RACHEL.

Oui, ou plutôt dans la chambre tu viens de passer.

ÉLIE.

Tu as choisi la paix. Rachel ?

RACHEL.

Pas entièrement la paix, Elle. J'ai une grande responsabilité et beaucoup de travail.

ÉLTE.

Je le sais, Rachel, je le sais. Je voulais dire.. Je ne comprends pas que quelqu'un ait une demeure comme la sienne dans cette pro- priété, qu'il l'ose même alors que d'autres... Tu as sans doute entendu parler de Marie et de ses deux enfants !

RACHEL.

Oui, oui, je sais tout ce qui arrive. Ah!

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 249

Elle, que n'ai-je été constamment près de toi ces derniers temps !

ÉLIE.

J'ai bien soulYert du mal du pays, je pensais au temps nous vivions avec père et mère. Jamais je n'avais éprouvé de tristesse pareille.

RACHEL.

Je comprends ta soufTrance. Dis-moi, Elie, as-tu confiance en la grève ?

ÉLIE, la regar(ianl il abonl.

El loi?

Rachel seconda lèle. ÉLIE, porcilleiiicnl.

Ce sera un épouvanlable désastre. Marie Maug était clairvoyante. Bien d'autres morts suivront la sienne !

RAflIEL.

Tu souffres, È\io\ Je \v vois à ton visaffc.

250 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES ÉLIE.

Ceux de la ville, Rachel, ont une autre conscience que la notre. Il faut d'autres évé- nemenls pour les secouer.

RACHEL.

Bratt se rend-il compte de cela, lui? (Éiie se- eoue la lèie.) Depuis quand as-tu vu clair?

ÉLIE.

Du jour (pu^ je vous ai quittés, toi et lui.

RACHEL, affligée.

Tu ne vois plus Bratt?

ÉLIE.

Je ne lui ai parlé qu'aujourd'hui.

RACHEL.

De tout cela?

ÉLIE.

Non!

Mais laissons cela!... Veux-tu que nous revivions un peu de notre enfance, Rachel?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 251 RACHEL.

Oui, je le comprends.

ÉLIE.

Assieds-toi près de moi. Causons de nos vieux et chers souvenirs. Je le l'ai dit, je souffre tant du mal du j>ays.

RACHEL.

Élie, veux-lu que nous allions là-bas dans le Nord? Revoir les lieux de notre enfance ? Le fjord, les montagnes de roches nues, les nuits pûles. le cimetière de la paroisse? El l'église? Aux lieux de l'éboulemenl Tlierbe doit avoir j)Oussé comme sur tant d'autres choses. Quel beau voyage ce serait ! La nature nous réap- l)araîtiait pleine de mélancolie, mais toujours fidèle et grande : et les souvenirs! si purs, si nobles qu'ont laissés noire père et noire mère, LMe. nous irions revoir ia maison paternelle, lu le peux mainlenanl. Tu es lil)re cl si sur- mené, Elie!

252 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

ÉLIE.

Je ne suis pas libre, Rachel.

RACHEL.

Si, tu es libre, puisque ta présence est inutile.

ÉLlE.

Ce n'est pas sûr, Rachel.

RACHEL.

Ah oui! Les aider de ton argent, mais tu peux le faire aussi bien par Tentremise de Bratt. Ah ! Élie, partons !

ÉLIE.

Quelle proposition, Rachel !

RACHEL.

Cela te guérira.

ÉLIE.

Demain je te ferai connaître ma réponse.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 253 RACHEL.

Nous reveiTons tous les endroits nous avons joué !

ÉLIE.

C'est à cela que j'ai le plus pensé pendant mes nuits d'insomnie.

HACUEL.

Te souviens-tu de ce qu'on disait autour de nous, on ne nous voyait jamais l'un sans l'autre, et la main dans la main ?

ÉLIE.

Et nous babillions sans cesse ! on nous entendait de loin.

RACUEI..

Te rappelles-lu toutes les fantaisies que nous avions ? Que n'imaginais-lu pas, Élie !

Éi.ii;.

Mais toi, tu étais mon guide, au fond tu m'as

15

254 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

toujours dirigé jusqu'au moment nous nous sommes séparés.

liAflIEL.

Te souviens-tu des eiders comme ils s'appri- voisaient avec nous?

ÉLIE.

Nous en avions soin, nous leur apportions de la nourriture dans leurs nids, et, quand les petits commençaient à suivre leur mère en voletant, nous les suivions dans le canot.

RACUEL.

Notre père jouait avec nous. 11 était aussi enfant que nous-mêmes.

ÉLIE.

Il nous encourageait toujours et d'une pa- role dirigeait vers le bien nos actions et nos pensées I Le ciel, la terre étaient unis. Les miracles les reliaient comme un arc-en-ciel. Nos yeux voyaient le Paradis...

AU-DESSLS DES lORCFS HUMAINES 255 nAClIEf-.

... Avec père et mère au milieu, entre les anges, ou mieux les anges sur la terre au milieu d'eux. C'était notre conviction.

ÉLIE.

Et le bon Dieu nous parlait. Si quelque événement survenait, c'était un message de Dieu. Le beau temps, la tempête, les éclairs, les fleurs, tout co que nous voyions, tout ve- nait de lui. Si nous élions en prière, nous croyions être l'ace à l'ace avec lui. Nous lapercovions aussi dans l'océan, sur les monts, dans les cieux. Tout était lui.

liAt.llKI..

Te souviont-il. lorsque les cloclios linlaienl ? Nous pensions fermement que les anges diri- geaient les sons à Iravers les airs, invilanl les hommes à venir.

i':i u- .

Ah! Hachei ! celui qui a vécu celle exis- tence se sent plus tard comme un exilé dans la vie.

2bù AU-DESSL'S DES FORCES HUMAINES RACIIEL.

Oui, un exilé, tu as raison.

ÉLIE.

Rien ne le contente plus. A peine avons- nous eu quitté le foyer que ce monde nous est apparu froid et vide.

Ensuite, le doute ! Mainlenanl je vais te dire ce qui survit seul de tout cela, je vais te le dire : le désir de l'Au-delà.

RACUEL.

Pour toi peut-être ! Moi, je fuis cette pen-^ sée. Te souviens-tu après la mort de nos pa- rents, comme la débâcle s'est faite tout autour de nous 1 Tu voulais fuir tout le monde.

ÉF.IE.

Oui, nous nous sommes serrés l'un contre l'autre. Nous ne pouvions ajouter foi à ce (|ue nous voyions.

RACUEL.

Nous avions peur...

AL-i)i:ssrs hi:> i urces humaines 257

ÉLIE.

C'est vrai, tu sais bien.

RACHEL.

... Que les gens tiennent de méchants propos sur nos parents quand ils nous apercevaienl.

HLIE.

... Parce qu'ils ne les avaient pas compris ! Et après la mort de tante Hanna, après ce grand héritage, comme en nous ce désir de l'Au-delà surgit tout à coup !

r.ACUEL.

Oui, oui, lu as raison ! il réveilla ce senti- ment qu'il n'y avait pas de limites pour nous.

KLIE.

Alors, nous allâmes chercher Brall,ol près de lui cette pensée s'accrut et depuis cette époque elle est devenue de plus en plus vi- vante.

,>5N AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES UACHEL.

Pour loi, mais pas pour moi. J'éprouve une sainte frayeur à y songer, mais aucun l)onhcur.

KLIE.

Vouloir la fuir ne sert à rien, Rachel; cette pensée réside en nous et malgré nous.

RACHEL.

La terre trouve sa route à travers Tinfini. Pourquoi ne la trouverions-nous pas nous aussi'?

ÉLIE.

Parfois,Racliel,jai le sentiment que je suis emporté sur des ailes! Plus de limite alors vers l'Au-delà.

p.ACHEL.

La mort, Élic, est la limite.

ÉLlE, ^<-' levant.

Non, c'est elle; c'est cette limite qu'il faut franchir, c'est elle surtout.

AU-DFSSLS l)i;S innCKs HLMAIXES 259

lîACHtL, -L- kvonl,

(Juo veux- lu dire?

ELIE, emUnrrossé.

Que toul ce que nous désirons faire vivre doit forcément passer par la mort !

R-VCIIEL.

Par la mort ?

¥A.\E.

La vie exige la mort. Le Christianisme a tiré sa vie de la croix; la patrie, de ses ca- davres. Toute résurrection ne s'est faite que par la mort !

RACHEL.

Selon toi, il faut que les ouvriers meuroni pouraiTiver fi leur fin ?

Ki.ii:.

S'ils l'osaient, leur cause serait gagnée! Ils triompheraient sur-le-clianij).

260 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

UACHEL.

Mais ce sera la rcvolulion?...

ÉLIE.

Pauvres ouvriers, grand Dieu ! Le grand dimanche des ouvriers !

Quel jour sommes-nous aujourd'hui ? Lundi! Dimanche n'est donc pas demain. Une longue semaine encore, toute une vie doit peiner jusque-là !

RACHEL.

Il ny a qu'un travail profitable, Elle, c'est l'exemple, le bon exemple.

ÉLIE, se détournant d elle.

Si tu te doutais comme tu dis vrai !... (Sadies sant à elle.) L'exemple pour franchir les limites, comprends-lu ? Leur donner Texomple !

RACHEL.

Franchir les limites de la vie?

ÉLIE.

Un les franchit cVahord, le premier, puis un

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES -'(il

second; c'est ainsi que cola a commencé, n'est-ce pas? puis dix, puis cent, puis enfin des milliers. Car il en faut des milliers, avant que des millions osent faire le grand saul. Alors ils sont irrésistibles ! Voilà le grand dimanche, l'alléluia, le triomphe !

D'abord Jean, puis Jésus, puis les douze, les soixante-dix, puis des centaines, des milliers, et maintenant tous ceux qui le veulent. La vie de la résurrection ne saurait être recon- quise à meilleur compte.

HM.UEL.

Les hommes sont forts et tenaces, mais il faut bien que l'existence poursuive aussi sa courbe, comme la terre suit la sienne.

'" ELIE.

Non, les plus forts sont ceux qui veulent du nouveau! Le feu éternel, la force! la seule, est chez les pionniers d'idées. Tout dé- pend d'eux ! Plus ils seront audacieux, plus nombreux seront leurs adeptes !

15.

:i62 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES RACHEL.

Dans la moii ?

KLIE.

// n existe pas d'antre route ! On ne croit que celui qui s'aventure dans la mort, sortons de la vie, sortons-en, et ils nous croiront ! Regarde autour de toi ! En qui a-t-on confiance maintenant ? Ceux qui sont près de Bratt croient en lui, c'est vrai, mais ceux qui en sont éloignés, ceux qui justement devraient être convertis, ne se donnent même pas la peine de l'écouter. Il peut venir à bout de les émou- voir. Il est juste assez fort pour fomenter un peu d'agitation... mais ils ne s'en soucient pas et laissent à la police le soin de rétablir l'ordre.

RACHEL.

Tu as raison, c'est ainsi.

ÉLIE.

Mais, vienne une voix d'au-delà de la vie, ils l'écouteront ! Toutes les paroles venant de l'Au-delà acquièrent de la force et trouvent de

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 2G3

l'écho ici-bas. Si los forts veulent être en- tendus, ils doivent passer de ce côté. C'est de cette tribune qu'on doit parler à la vie. C'est de qu'il faut proclamer les lois au monde, et les plus sourds les entendront.

RACIIFI..

Mais cette doctrine est terrible.

ÉlAE.

Terrible !

nAcniii.. .le veux dire qu'elle conduit à des atrocités.

î:i.ii:.

Rien ne peut être plus atroce que le présent, l^achel. C'est la religion des martyrs que je l'annonce ici.

RACHEL.

Sans doute, cette morale est grande en elle- même...

264 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

ÉLIE.

Si elle te prend, tu n'en connaîtras plus d'autre.

RACHEL.

C'est depuis cett*^ révélation que tu as perdu ta confiance en la grève?

ÉLIE.

Pour elle, j'ai fait mon possible, n'en doute pas.

RACHEL. Je n'en doute pas. (Lui entourant le cou de ses bras)

Mais j'ai souci de toi, Elie. Là-bas, cet enfer, ce n'est pas ta place.

ÉLIE.

C'est le seul endroit je dois être.

RACHEL, lui entourant toujours le cou de ses bras.

Viens donc avec moi revoir la maison pater- nelle, tout de suite, comprends-tu, s'en aller

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES :<><

seuls, tous les deux, respirer l'air de la mer, Elie ! Comme on pense et comme on sent dilTércmment là-bas ! Et combien de souve- nirs renaîtront pour nous pendant le voyage.

ÉLIE, qui pendant loul le temps l'a regardée d'une manière pénétrante.

En dépit de toutes les métamorphoses, lu n'as pas changé, Rachel. Tu pourrais, encore aujourd'hui, reprendre nos jeux avec les oi- ders.

l'.ACHEL.

Oui, si tu étais avec moi.

Ah

ELIE.

RACHEL.

Élie!

ELIE, 1 attiiMiit il lui.

Laisse-moi te regarder.

2GC. AU-DESSUS DES FORCES HUMALXES

RACIIEL. Élic !

ELIE, lie iiRiiic.

Ton àiiic csl douce comme le duvet des eiders ! Racliel, le souviens-tu quand nous saisissions leurs petites plumes, nous nous étonnions souvent de ce que les petits aient pu quitter leur nid ?

RACIIEL.

Oui, et pourtant ils s'étaient envolés.

ÉLIE.

Ils s'étaient envolés. (Bas.) Au revoir, Racliel !

l'.ACIlEL.

Tu veux déjà partir ?

ÉLIE.

Je dois partir, mais il me semble que je ne puis t'abandonncr.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 267

RACIIEL.

Alors, reste.

ÉLIE.

Il y a dans la vie une joie que nous n'avons goûtée ni l'un ni l'autre.

RACHEL.

Ce qui nous est échu en partage était beau- coup plus beau.

ÉLIE. ^

Tout de même parfois je nie pi-ends à re- gretter un bonheur que je n'ai pas connu !...

RACHEL.

Faiblesse !

ÉLIE.

Oui, faiblesse! (U ^embl•as^l■.) Dans ce baiser, j'embrasse ce bonheur que je n'ai pas connu. Et puis, je l'embrasse toi, seulement toi ! iii rem.

Iirassc lontrueineiil.)

Adieu, Rachel ! :

268 AU-DESSUS DES FORGES HUMAINES BACH EL.

Demain?

ÉLIE.

Demain, tu sauras...

RACHEL.

Tu viendras toi-même?

ÉLlE.

Si je puis ; ali ! caresse des eiders. (iirenioure

de ses bras, l'embrasse, reste debout à la porte.) RACHEL.

Que dis-tu, Élie?

Élie fait un mouvement de la main et sort. Rachel reste immobile regardant la porte ; comme on frappe à la fendre, elle se retourne, va à la fenêtre et l'ouvre.

SCÈNE V

RACHEL, SPERA, CREDO.

SPERA entre en courant.

Qui était-ce, Rachel?

AU DESSUS DES FORCES HUMAINES -'09

CREDO, eiilianl de nu"ine.

Ton IVcre, n'est-ce pas?

HACHEL.

Oui.

s FERA.

Il a un gros chagrin ?

RACHEL.

Tu l'as vu.

CREDO.

Ah ! que voul-il ?

SPERA.

Quelque chose de grand ?...

CREDO.

El va-l-il?

SPERA.

Loin, très loin, n'est-ce pas?

:?70 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES RACIIEL.

Nous irons ensemble.

TOUS DEUX.

? Quand ?

l'.ACHEL.

Dans noire pays de Norland. Peut-être demain d<''jà. . .

CREDO.

]Mais pourquoi t"a-t-il fait un tel adieu ?

SI'EUA.

(lomme sil ne devait jamais te revoir?

RACHEL.

Vous croyez?... vous vous trompez. Il est ainsi, toujours, lorsqu'il est malheureux. Alors, il ne peut plus me quitter.

On sonne. Tous deux se souvent par la fenêtre que Racliel ferme. On frappe.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 271

SCÈNE VI RACHEL, BRATÏ.

RACHEL.

Entrez !

Brait se précipite dans la pièce, agité, hors d'Laleinc.

Il n'est pas ici ?

RACHEL.

... Vous pensez à mon frère? (Vivemcut.) Il n'es! rien arrivé?

BRATT.

Élail-ilici?

RACHEL.

Mais oui... No ravez-vous pas renconlrc ?

BRATT.

Il est venu ici? Oui, cest celai Qu'a-l-il dil ? Que voulait-il ?

272 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES RACIIEL.

Vous demandez ce qu'il veut faire?

RRATT.

Vous ne savez rien ; je le vois, il ne vous a rien, rien confié?

RACHEL.

Non. 11 reviendra demain.

BHATT, vile.

Demain?

RACHEL.

Ou bien il me donnera des nouvelles.

BRATT.

Que veut dire cela ? 'a eiie.) Vous a-t-il parlé de moi. Kacliel ?

RACHEL.

Non. Oui, c'est possible. Un peu inci- demment!

AU-DESSUS DES l'OKCES HUMAINES 2;:i BRATT.

Seulement ainsi?... Oui, il nio cache quelque chose !

RACUEL.

Il m'a dit que, sauf aujourd'luii, vous ne vous étiez pas vus depuis longtemps.

nr.ATT.

\'ous a-t-il dit que je l'avais vu sans le reconnaître. Vous l'a-t-il dit?... et cela parce qu'il était déguisé fi)?

RACHEL, soiiiiaiil.

l'^lic?... Je ne puis vous croire.

HP. ATT.

l'inliii, il n'est jamais chez lui la nuil 1

''racheu

!l ma bien dit cela. .l'ai pensé que c'élail causé par des insomnies.

Mais, mon Dieu. BratI, qu'y a-l-il?

\i:. S.-cnl. : en mineur. N. du Tiod.)

274 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES r.RATT.

Je ne puis vous le dire tout d'un coup. Vous ne le comprendriez pas. D'ailleurs, rien de précis qui me renseigne. Des prévisions, aucun acte.

RACUEL.

Si vous n'avez aucune...

r.RATT.

Oui, oui !... cependant c'est certain !... Ah 1 ([u une fois encore je..

Oui, attendez, je vais vous expliquer pour- quoi... je suis ici

Comme nous nous sommes aimés cepen- dant ! Ce qu'il fut pour moi, Racliel, ce qu'il a été poui* moi !

liACUEL.

Est-ce donc fini?

RRATT.

(Juelqiian me Va pris?

AU-DESSUS DES lOUCES liL.MAI.NES >^;.0

HACHEL.

Oiio (lilcs-vous ?

IJHATT.

Je n'y [)uis rien coinprondro. ('ommcnl pourrais-je le comprendre. Elie ? Ce n'est <liraujourd'liui que noiisnous sommes revus. . . Je m'en suis de suite aperçu, et plus il parlai!, plus ma conviflion s'al'lirniait.

Je ne comprends pas ce qui s'est passé.

HRATT.

Oiielfjii'iin me l'a j)ris.

(^est aussi sur i(ue jrlé deviendra l'au- tomne et cpie l'automne finira.

A ses illusions démesurées, ii son besoin indomptable de se signaliM-, de son étal d'excitation nen-euse, je l'ai compris! (!om- ment |K)urrait-il vivre [jarmi vous? Il r^'vait de tenlcM' (piehpic chose d'extraordinaire, une seule l'ois, i\o porter nu iiia'id coup !

n \t:Ui;i., .umoissi-e. l'^l ce S(>i'ilit ?

■2:(\ AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES BRATT.

11 esl si facile d'entraîner Elie, il est de bonne foi.

RACHKI,.

Oui, oui ! mais qui Ta...

RRATT.

Quelqu'un (|ui lui a représeulé la grève comme un procédé sans action... comme un malentendu ou quelque chose de pire. L'hor- reur l'a saisi, les plus afîreux remords de l'inac- tion. et il n'a pu supporter la misère qu'il voit lout autour de lui... Voilà comment ça a commencer.

Alors il aura voulu réparer... réparer dans un noble but, faire quelque chose afin que les yeux s'ouvrent sur notre détresse 1 Quelque chose de nouveau, quelque chose d'inouï ! Voilà comment ça a se passer.

RACHEL, en une ongois-st- croissnnle.

JMais quoi, quoi donc?

AU-DESSUS DLS l'OHCES IK MAIXKS :i77

BI'.ATT.

Un, inslaiil je vous prie, il fjiiil <|U(' jf vous raconte tout, aulronioiit vous comprcndrioz mal, car ce n'est pas sa faute.

Il ne m'a pas dit un mot ! Bien ({ue nous ayons la même responsabilité, que nous commettions la même fante, pas un mot de leproche; il a voulu réparer pour le bien lui seul, tout seul... se sacrifier 1 II nous a déjà aiiandoimé toute sa fortune.

rachel. i;ii<" 1 Toute sa fortune ?

nn.\TT.

Lu mol ([ui lui est écha[>pé ma tout révélé. -Maintenant, ma conviction est faite. C'est mnsi. Il nous a donné jusqu'à son dernier sou. Hier il avait encore 2.000 francs, nujourdluii il nous a tout donné.

IVVC.nKl.. lorlinuiil cimic.

Il lie soulTrira pa> delà pauvreté.

10

2:8 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

BRATT.

Ce n'est pas cela ! Mais il nous a trompé ; il nous a chaque jour du nord et du sud, de Test ou de l'ouest, fait envoyer de l'argent, si bien que nous avons cru à de nombreuses adhésions ; demain tout s'effondrera ! Nous ne pourrons secourir que les plus nécessiteux, et pendant peu de temps, ensuite plus rien ! rien que la misère, ))lus grande qu'nui»aravant.

P.ACHEL.

Pauvre Bratl 1

liRATT.

Oui. VOUS le pouvez dire. Car Élie n'est en rien fautif. Le coupable, c'est moi, je dois donc m'expliquer.

p. A CM EL.

Parlez.

BP.ATT.

Jusqu'à ces derniers jours, j'avais conservé une confiance inébranlable dans mes propres

AU-DESSL'S DES FOUCES HUMAINES 270

vues, je croyais fermement que Dieu (''lait avec moi ? J'y étais amené par la force et la con- liance que les autres me concédaient, rien ne me semblait plus beau! Mais Élie est venu, et, avant que je n'aie pu m'en apercevoir, le sol s'est dérobé sous mes pas.

RACHEL.

Pauvre ami !

BRATT.

Aussi, comment l'homme qui a vécu une vie telle que la mienne a-t-il pu enfin avoir la Foi et se dire encore de nouveau : \o'ûh la vérité. Je ne me trompe pas !

n se cache le visage. RACHEL.

Mon ami. mon pauvre ami !

BRATT. l;i rcpanlont avec une profonde f-motlon.

Parfois je croyais voir une lij,airc devant moi qui me demandait: Es-lu capable de

2S0 AU-DESSUS DES rORCES IIUMAL\ES

liouver la bonne roule? Peux-tu conduire les autres sur le vrai chemin?

Rocliel fait un pas en arrière. 15RATT. la suivant.

Diles-le-moi maintenant, vous doutiez-vous aussi ?

UACUEL.

Oui.

lîRATT.

C'est à cause de cela que vous vous èles éloignée de moi.

ii.\riiEL. Oui.

BRATT. se rapprocliant loul piès d'elle ; elle recule devant lui.

Je n'aide ])as les hommes, je les séduis. Je ne les conduis pas, je les égare.

Toujours je fais le contraire de ce que je veux, ne dépassant pas le but auquel j'aspire, je suis la cause d'ébranlements et de déses-

I

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 281

poirs. Est-ce vrai? Cela doit finir ainsi, je tomberai là, el dos milliers de malheureux penchés sur moi me condamneront.

RACHEL, se rapprochant de lui.

Un hasard peut se produire... vous m'êtes si cher, vous me l'avez été depuis la première heure.

BRATT.

Et vous vous êtes éloignée de moi ?

RACHEL.

Vous avez un noble et grand caractère, mais près de vous je perds mon énergie.

BRATT.

Vous l'avouez !

RACHEL.

Oui, vous prenez mes forces au point que je ne me reconnais plus.

nR\TT.

C'est ainsi !

16.

282 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES RACIIEL.

Gela vient de voire nature. Vous n"y pouvez

rien.

BRATT,

Croyez-vous que, si dès mon enfance on m'avait inculqué de saines pensées, j'aurais ainsi désorienté les plus robustes natures.

RACHEL.

Non!

BRATT.

Mais voilà. Nous sortons en chancelant de siècles d obscurité et nous voulons sauver le monde. Il s"est accompli déjà tant d'évolu- tions alors que nous n'existions pas encore, nous ne pouvons en saisir toutes les nuances. Notre cerveau en est incapable...

L'exaltation de nos rêveries, la surexcitation de notre volonté, tout cela brise les forces qui sont en nous.

Nous avons vu des hommes monter le ciel, en des chariots de feu, notre esprit a aperçu les anges dans les nuages et le démon

AU-DESSU;3 DES 1 (JHCES HUMAINES ;i83

dans le feu éternel, nous avons un besoin ai- dent de merveilles, notre cerveau n'est pas satisfait et nous ne pouvons nous contenter de l'existence naturelle. Non, non ! Nous gé- missons, Rachel ! Nous jugeons mal et nous nous précipitons h l'aventure dans le monde. La conscience n'est point un gouvernail sur lequel nous pouvons compter, sa demeure n'est ni sur terre, ni dans le temps présent. Nous nous perdons dans les utopies... nous nous égarons dans l'infini...

nACUEL.

Dans l'inlini ?

BRATT.

Comprenez-vous mnintenani ?

RACHEI,.

Élio !

nR.\TT.

Oui.

284 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

J'ai eu sur lui une funeste influence ! Je n'ai pas compris qu'un tempérament comme le sien n'aurait jamais èlre mêlé à notre cause.

Jamais !

RACHEL.

BRAIT.

Et maintenant il se précipite dans l'infini et nous avec lui.

L'heure horrible approche! Il s'est déjà dépouillé de toute sa fortune et bientôt lui- même se sacrifiera.

RACHEL.

Lui-môme ? Elie?

BRATT.

Il se sacrifiera lui-même pour en tuer des centaines d'autres ! Il doit s'y être préparé depuis longtemps ; mais à présent, c'est immi- nent ! Comprenez-vous ?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 28.

RACHEL,

Non.

BRATT. Vous ne le comprenez pas. (Rachel jette un grand

cri et tombe.) Ah ! tomber, tombera tes côtés et ne plus se réveiller!

Le rideau baisse, on le voit à genoux près de son corps. RIDEAU.

ACTE TROISIÈME

Un grand hall. .1 gauche une espèce de fauleuil-lrône.

Au milieu des bancs solides, avec de hauts dos- siers richement sculptés, qui sont placés le long des trois côtés. Au lever du rideau, des chaises sont éparpillées dans la chambre. Au second plan, des fenêtres à ogives très grandes ; parmi les bancs des deux côtés, mais tout à fait dans le fond, sont des portes d'entrée du mém^ style que les fenêtres. Le pla- fond est beau et richement sculpté. Les murs sont ornés de lapis, d'écussons et de drapeaux, et aussi de feuillages frais comme pour un jour de fête.

SCENE PREMIERE

Ilolgcr est assis sur le fauteuil, ayant une polile table placée ilevanl lui; sur les bancs et les chaises sont assis les député-: tle toutes les fabriques du pays. Dans les embrasures des deux perles on en voit d'antres se tenant debout. Ils viennent précipitanmient'dans le hall, dès que la discussion e-.l plus vive, puis s'éclipsent. Des domestiques, en livrées de style Moyen Age, apportent, d'une façon empressée, des rafraîchissement-: dans des grandes coupes et des verres.

28S AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

ANKER, se tenant sur une petite estrade avec une table juste au- tlessousdu président. A di'oite, se trouve encore une table auprès de laquelle -;ont assis deux secrétaires.

11 est dit dans le Saint Livre : Tu ne chas- seras pas Belzébuth par Belzébuth. Mes actes doivent être conformes à ma religion. C'est en fait et non en apparence que nous devons donner le bien aux malheureux. Si nous ne le faisons pas, nous ne construirons rien, nous ne posséderons pas l'avenir.

n descend. Profond silence. HOLGEP..

La parole est à M. Mo.

MO. n monte à la tribune, ceux qui se tiennent à la cantonade, hors des portes, se pressent pour entrer dans la salle.

J'ai riionneur, au nom des quatorze manu- lacturiers de ma ville natale, je dis des qua- torze, de me rallier à la proposition de M. IIol- gor. Et je le fais de tout mon cœur. (Écoutez,

écoulez.)

Si les ouvriers forment un syndicat contre nous, eh bien! nous en formerons un contre

eux. (Ecoutez, écoulez !)

Nous donnons notre assentiment à la propo- sition entière et approuvons chaque paragraphe.

.\i;-i)i:ssis i)i;s i(»i'.< i;s iil.maim.- .!s:>

Je suis cxlraoriliiiairomciil suri)ris du dis- cours de M. Ankor. CIuKjue l'abricanl devrait comprendre ravaiilai^e (jui ressort de l'union générale de lous les fabricants à l'heure du danger commun. Tous devraient apercevoir le côté pratique ([ui en résullerait pour eux, si les grèves avaient à compter avec une commis- sion organisée, dont le chef suprême réuni- rait en sa personne tous les pouvoirs. Ce que Jious perdrons en liberté, nous le retrouverons en sécurité. Nous adoptons cette proposition de tout notre cœur. Puissent les ouvriers comprendre que, toutes les fois qu'ils s'insur- geront, sans nous émouvoir nous les rédui- rons par notre autorité. Ils deviendront ainsi plus accommodants; ce qu'il fallait démontrer.

Aussitôt que les possesseurs de fabriques des autres pays auront fondé pareille union, nous nous y joindrons. Finalement on cons- tituera un syndicat global pour tous les pays civilisés. La proposition de M. Ilolgcr est grandiose. Et moi (So lomiiani vois Ankcr , je n'en redoute pas les conséquences. M. Anker a dit : (( C'est la plus j>etite partie du monde luttant contre la jikis forte. » M. Ankcr s'abuse, s'abuse par un argument archi-lau\ 1

i:

2'JO AU-DESSUS DES FOIîCES IIU^UVLXES

Il n'y a pas dans le monde que des manufac- Uiriers et des ouvriers de fabrique ! 11 y a d'autres individus ! Et sans aucun doute ceux- ont intérêt à nous protéger, aider, plutôt que les ouvriers. (Écoulez, ccouiez.) Tous réunis nous représentons l'Etat. L'Etat, c'est nous ! 11 a été nous, il restera nous! J'adhère donc de tout cœur à la proposition de M. Holger.

(Écoulez, écoulez, écoulez.)

Il descend, applaudissement r('|)él('"^ el dialogues animés.

nOLGER.

M. Johan Sverd a la parole.

UN d'eux. Votons !

BEAUCOUP.

Oui, oui, volons !

DAVANTAGE.

Votons, volons !

JOHAN S\'ERD moule à la Iribaue avec une servielle qu'il ouvre devaiil lui.

Honorables collègues, il n'est pas besoin

AU-DFSSUS DKS FORCES III MAINES 291

(.le inanifesler si fort. J'ai pris l'air de la réu- nion. Je suis chimiste et comme tel habitué

aux analyses. (Il nalre. Explosion de rire.) Si, malgré

vos cris, je monte à la tribune, c'est que je veu.x vous exposer les vues des collègues que j'ai l'honneur de représenter el auxquels j'ai fait des promesses.

UN d'eux. Oue vous leur avez dictées.

UN AUTRE.

Dictateur !

JOIIAN svi:i\D.

Si j'exerce une dictature, ce doit èlrc colle de la persuasion !

MO.

Et vous voulez nous en l'aire tâter !

JOH.\N SVERD, gaienicnl.

Avec voire très honorée |»ermission, oui, je le veux. Jai mémo un argumenl tout prêt, auquel aucune inl<»lligence ne pourra résister.

292 AU-DESSUS DHS FORCES HUMAINES l'I.USIEURS.

Ah ! Ail !

.lOlI.W SVERD.

M'y voici ! Xos fabriques sont situées, comme le sait riionorable assemblée, à la campagne : oi\ nous avons accordé à nos ou- vriers, sur Icui' demande, presque tout ce rjui est la cause de la f/rcve d'ici.

liUerniplion. TOUS.

Oui, mais Iiors la ville! Ce n'est pas la même chose.

UNE VOIX, plus l'orlc que les aulres.

C'est très différent.. . tout à fait.

MO.

Montrez vos livres !

JOH.W SVERD, monlrant sa scrvietle.

J'ai apporté ici le bilan légalisé de l'année écoulée. Il est modeste, mais il y a encore des bénéfices.

I

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 293 QUELQUES-UNS.

Modestes, oui !

JOIIAN SVERD.

Oui, nous savons nous contenter d'un ren- dement modeste... et c'est peut-être toute la difîérence entre ces très honorés messieurs o\ nous ?

PLUSIEUIÎS.

Ah ! Oh !

UNE VOIX.

iMelez-vous de ce qui vous regarde !

.lOHAX SVEl;l).

J'ajouterai que tous uos ouvriers sont membres de V Union si/ndicale du pasteur Brait, et reçoivent le journal d'Klie Sang! Eh hien, mon Dieu ! malgré cela, les montagnes près desquelles nous vivons, nos chutes d'eau n'en gardent pas moius leurs aspects

291 AI-DESSUS DES FORCES HUMAINES

agréables el rafraîchissants ! Enfin le pire, c'estquc nous autres, possesseurs de fabriques, nous sommes aussi membres du Syndical de Brcdt et abonnés...

Briiyaiilo inlcrruplion . TOUS.

Ne l'écoulez pas ! Oue venez-vous faire ici, alors? Socialiste ! Anarchiste! Allez-vous-en! Taisez-vous !

lOUAN SVF.RD.

Je crains (juilny ait pas ici les gens intel- ligents que je m'attendais à rencontrer!

Explosion lie rires, entremêlés de cris furieux. MO, 'lime voix assourdissaiilc.

Vous êtes un insolentl

UX D EUX, il une voix étourdissante.

C'est pas de sa faute! Il appartient à une famillo {\o locs-locs

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 293 JOIIAN SVERD.

Oui, et si j'appartiens à une famille de tocs- tocs (i), j'ai beaucoup de parents ici. (Explo- sion de rires.) Je ticus bcaucoup à ma famille et j'espère qu'elle a une très bonne opinion de moi. Permettez-moi donc une courte critique sur la proposition de M. Holger... Je veux dire d'abord qu'un syndicat des industriels du pays, à plus forte raison de ceux du monde entier, ne peut aboutir que si tous les indus- triels eux-mêmes y adhèrent.

MO.

N'ayez crainte.

UN d'eux. On vous forcera à y adhérer.

ANKER.

Pas de contrainte.

(i) Plaisanterie inlrodiii^ible.

29G AL-L)t;SSLS DES FOIUIES HUMAINES

DEAUCOUP.

Si. On vous y contraindra.

\\< (lisculeiit entre eux.

JonAX svi:rd. Monsieur le Présidenl !

Ccliii-(ri rcslc assis sans s'émouvoir. AMvf:i'.. ^rcri.iiit

Mais si les banques veulent les aider?

P.KAUCOri'.

Elles n'oseront pas ! Elles le regretteraient !

.lOHAX SNKRU.

Fa les commissionnaires ?

LES MÊMES.

Oh! oui! qu'ils essayent!

.JOUAX SVERD.

Alors nous aurons deux autres syndicats, celui des !)anquiers et celui des commission- naires.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 297 MO.

Nous bo}'Cotterons les premiers et achète- rons les autres.

JOHAN SVEP.D.

Très bien ! excellent et nouvel emploi des fonds de garantie. Et que devient le parti libéral? L'affaire tournera à la politique.

MO.

Elle y a tourné et depuis déjà longtemps.

JOHAN SVERD.

Non, mais voilà du vrai nouveau ! Le syn- dicat des industriels obligé de réduire les ou- vriers, boycottant les banques, en lutte avec les commissionnaires, avec les compagnies de transport, etc., etc.. Ce sera tout à fait nouveau !

ANKER.

Ça n'ira jamais.

17.

298 Al'-DESSUS DES FORCES HUMAINES BEAUCOUP, cxaspOrés.

Ça ira ! ca ira I

.lOUAN SVERD, vivcmcnl.

Bion !... .radmcls (juc vous réussissiez... inOine l)riIIauiiiiont ! que vous commandiez le marche, les ouvriers, les fabricants ! Indirec- tement donc l'administration et l'Etat! Et ajjrès? Les très honorés industriels empiéte- ronl aux [)remiers symptômes de révolte, car toute puissance est la somxe des abus ? Nous en viendrons aux i^uerres, exaspérés comme aux temps des querelles religieuses de nos ancêtres. Et en serons-nous plus avancés? Nous retournerons à ces temps de sauvagerie tous les instruments de travail étaient mis en pièces, les fabriques incendiées, et les directeurs massacrés! Tout cela, d'ailleurs, n'est pas loin d'arriver, car nous en sommes déjà à des escarmouches d'avant-postes.

ANKER.

C'est

vi'ai :

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 2D9

JOII.W SVERD.

Et qui donc sera atteint dans une pareille guerre ? Les deux camps ! Messieurs les In- dustriels comme les ouvriers. Vous pouvez faire infiniment mieux et atteindre le même résultat... Que chacun reste tranquillement xihez soi, puis à un coup de cloche convenu vous mettrez le feu à tous vos biens, et les ouvriers en feront autant de leur côté. C'est beaucoup plus simple, plus simple que l'incendie pour lequel vous travaillez et qui dévorera la ville et le pays.

Approbation involontaire. MO.

Dites donc cela aux ouvriers !

.lOHAN SVERD.

On doit dire aux deux partis qu'ils se heur- tent à l'impossible et agissent contre les lois naturelles ! CVst une impulsion aveugle, héréditaire, un besoin de grandeur et d'inconnu en dehors de la nature, mais je vous rafiirmc, Messieurs, le jour viendra les hommes

300 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

découvriront qu'il y a plus do grandeur et de poésie à suivre les lois naturelles et possibles, quelles que soient leurs piètres apparences, qu'à servir l'extraordinaire, et il en a toujours été ainsi depuis les temps du culte du Soleil jusqu'aux derniers sermons de nos pasteurs. Si, à l'heure actuelle, les deux adversaires s'en tenaient à la simple réalité, que décou- vriraient-ils? Que l'ennemi dangereux à tous est hors de nos atteintes. Il s'augmente de ce (jue nous nous ruinons les uns les autres ! Il nous tient réciproquement par sa force ! Cet ennemi, c'est le capital.

UNE VOIX DE FAUSSET.

Ne parlez pas du capital !

JOIIAN SVERD.

Pourquoi, très honoré monsieur, ne parle- rais-je pas du capital devant tous? Alors que, tous, nous savons que dans ce pays indus- triel la plupart des gens travaillent avec de l'argent emprunté, et dont ils voudraient bien se libérer? Mais le capital...

AL-Dn:ssus dks rouerais hlmaixes 301

LA VOIX DE FAUSSET.

Ne parlez pas du capital !

JOHAN SVERD, i'ur le iiR-mc Ion.

Serait-il sacro-saint, par hasard ?

Rircsi. MO.

.Je ne veux pas dire cela. Mais ces récrimi- nations contre le capital...

JOHAN SVERD, pendant ((iic Mo parle encore.

Récriminations contre le capital?

LA VOIX DE FAUSSET.

Ne parlez pas du capital !

Immense e.\plosi"ii «le rires fous. .lOlIAX SVERD.

Monsieur le Président, voulcz-voiis taire cesser ces enfantillages .'

Holger n'y prête pas altenlinn.— E.vplo-i'>n de rires. Cris : <i Bravo »!

JOIIAN SVE15D.

Je constate que la liberté de la parole n'est

302 au-I)p:ssi:s des fou<:es humaines

pas respecléc ici ! Je conslate que ni le Pré- sident, ni l'assemblée ne garantissent la liberté de la tribune.

Ecoutez 1 Rires, huées. .lOHAX SVERl», sec et aniiisau I.

.l'en avais le pressentiment, aussi j'avais amené un slénographe.

Il s'élève une lenipéU' de cris.

rois.

(Ji'esl interdit I [.es débats sont secrets. On ne doit l'aire aucune publication.

.lOHAX s VER!).

Si la liberté des débats est violée, on doit en appeler au public. (Cris.) J'ai d'ailleurs aussi apporté un phonographe.

Il iliîsceiul en rinni, un plan sous son bras. TOUS.

Méphisto !... Prestidigitateur!... C'était bien évident !... et vous parlez de liberté !...

IIOUGER, laii(lis(|ue hms ci-ient d'une manière assourdissante.

La parole est à M. Kelil.

Cris, jjravos et bans.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES iOS

KETIL, qui se trouve lout à fait tlerricre, dit àJoliaii Sverd.sur le point de (iiiiUer la discussion, et que deux hommes sui- vent, dont lun porte une petite caisse.

Vous partez ?

.lOII.VN SVERD, gaiement.

Oui!

KETIL.

Mais je vous voulais juslcment répondre.

.lOUAN SVERD.

Il y a encore assez de monde i)Our s'amu- ser avec vous.

U salue cl part. On ril beaucoup. KETIL, ironique, nionlc à la IrilMinc.

Nous venons d'entendre qu'il est horrible- ment dangereux de faire ce que les ouvriers ont fait depuis longtemps.

PLUSIEURS.

lîlcoutez ! Écoutez !

301 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

KETH..

Xous savions déjà de longtemps que nous n'avons aucun recours contre les ouvriers, mais ce qui est plus neuf, c'est que nous ne puissions faire ce qu'ils ont déjà fait. (Hilarité,) Il ne nous reste plus qu'à leur obéir. Toute autre chose est dangereuse.

Il nous faut donc augmenter leurs salaires, alin qu'ils puissent se soûler davantage.

il'Ixplosiori de rires el... Ecoulez, écoutez '.) Je ne VCUX paS

vous ennuyer longtemps à ce sujet, j'ai voulu attirer votre attention sur ce fait que les ou- vriers devant avoir un intérêt sur les profits, surtout quand il n'y en a pas (Grande hilarité.), il s'ensuit naturellement qu'ils deviennent nos associés et que les banques seront très dispo- sées à nous ouvrir leurs crédits ! (Hilarité.) Précisément à cet instant la concur- rence devient de plus en plus aiguë, nous ferons bien de partager la direction et les bénéfices. Nous pouvons en être certains, les affaires marcheront à souhait!

Hilarité générale, croissante* et prolongée.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 305

KETII..

Oue signifie donc le pouvoir centralisé sans la servitude pour les autres? IVon, ce prin- cipe est faux. Personne n'aura le pouvoir, mais chacun sera malheureux, voilà l'idéal !

(Rires de plus en plus bruyants.) La liberté nC pSUt paS

aller de compagnie avec la puissance de l'ar- gent. Misère et liberté : voilà l'idéal ! (Hiiariié

croissante.)

M. Anker, qui est un homme selon Dieu, vient de nous parler, dune manière saisis- sante, des vices inhérents à la richesse ou à ceux qui ont la possibilité de devenir riches. Il nous a nommé : la paresse, la dissipation, l'amour de la bonne chère, la débauche et l'ambition. Et les vices des ouvriers? Il nous est encore heureusement permis de les recon- naître et nous pouvons admettre qu'ils sont beaux à côté des nôtres, si les ouvriers en ont aussi. Ils sont sales, paresseux, serviles, en- vieux, ivrognes, voleurs, violents et souvent meurtriers. Et davantage aujourd'hui l'anarchie les rend des théoriciens du meurtre.

•le n'irai pas jusqu'à dire: je préfère les vices des riches à ceux des classes infé-

300 AU-DKSSLS l)i:s FORCES IIL AIAIXES

rieures, mais je trouve bon de faire remarquer qu'en somme chacun a bien les siens. Mais on ne signale que ceux des riches, peut-être parce que ceux des ouvriers sont bien plus déli- cats. (Rires el oppliiiidissements.) M. Ankcr. qui est Ull

homme selon Dieu, croit-il que les vices dis- paraîtront lorsque les ouvriers auront une part dans les bénéfices? S'il le croit, les béné- fices remettent les péchés ici comme là.

Permettez-moi de vous le dire, une pareille pensée émane d'un cerveau légèrement affai- bli. 'Nouveaux rires.) H en cst de même de toutes ces belles idées qu'on nous sert pour de la morale, sit(M (pie nous voulons entreprendre quelque chose de sensé. (Oui: Oui!) C'est cette fausse morale, dont on nous entrave, qui nous empêche d'agir et de défendre l'Etat et la Patrie, tels qu'ils nous ont été transmis et tels que nous devons les transmettre à nos enfants.

Aussi, pour les détendre, pour que ce soit gravé dans les mémoires, pour que personne ne puisse jamais y toucher, nous devons déci- der de suite que nous ne transigerons pas pour obtenir la paix.

U descend an milieu de liruyanles ovations. On s'est levé eloii lui iKU'Ic j\cr .iiiinialion.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES :io7 HOLGER,? fl"<''"t' 1<T première tmolion s'est un peu calmée.

M. Anker demande de nouveau la parole.

UN d'eux. Encore du Anker?

BEAUCOUP.

Assez d' Anker!

UN AUTRK.

Nous on avons vraiment soupe d'Anker !

Rites bruyants. UN TROISIÈME.

Nous préférerions (juclquc chose de plus frais.

UN QUATRIÈME.

Non, rien du loul ! \'olons!

UN PLUS GRAND NOMBRE.

Aux voix 1

■.m AU-DESSUS DKS FORCES IIU^UMXES

ANKER. -t^ liis-;n]l :'i la tribune.

Mais non, goûlcz encore un peu de mon Anker. Si le vin qu'on vient de vous servir moussait en abondance, il m"a paru d'une léiièret('' un peu par trop catholique. Nous venons d'apprendre (pie Ton pouvait faire

mousser leau clair<\ Ah l.ali ; IMusicurs (iniUent la salle en cnuranl,)

Des temps nouveaux r(''(lamenr<le nouvelles conditions sociales, et. ([u'on le veuille ou non. nous en sommes là, qu'il ne doit plus y avoir richesse excessi\e ou misère pro- londe. Une vie moyenne apparaît entre ces deux états, il faut racce[)tei-, et plus nous en approcherons, plus les vices disparaîtront, cortège des riches, couvées des pauvres.

Puissiez-vous être éclairés à temps, vous vous éviteriez de nond)reux et terribles chocs !

Un des orateurs a <lit qu'il y avait une case de dérangée dans nos méthodes de concevoir ■f-arle bon sens semblait s'être évanoui de nos discussions. Le bon sens, a-t-il sans doute vou- lu dire, est au-dessus de nos forces!... 11 avait raison, à mon avis. Chacun de nous a ses raisons intimes et propres, qui sont celles de

_j

AU-DESSUS DES lOliCKS HUMAINES 301)

son voisin, et la liimicrc disparaît. Le poids des guerres féroces, les écrasants budgets des Etats, les prodigalités de vivre des particu- liers m'en sont témoins. La Force dirige l'exis- tence d'un chacun: mais disparaisse la Force, disparaît l'anarchie devenue impossible!

L'ignorance de la responsabilité, l'incons- cience des riches dissipant leurs millions dans la noce, comme s'il n'existait personne d'autres qu'eux-mêmes et ceux qui les leur gagnent, voilà la véritable anarchie, la ré- volte contre les lois divines et humaines! Ils jettent à chacun le mot d'ordre : « Agis à ta guise et fais ce que tu veux. ■>

KETIL. se levaiil.

Je demande la parole.

L'oraleur lui fnilun gesle. On s'en nmiise. ANKER.

Quant à la littérature des riches, de ceux qui ont du bien, la soi-disant littérature des cerveaux organisés, elle est adéquate à leurs actions. Elle déborde d'individualisme exas- péré, elle bafoue, excite aux violences contre les lois et les bonnes mœurs ! Xe vous étonnez

;^10 AU-DESSUS DES EORCES HUMAINES

donc plus de ranarcliie qui tue par la dyna- mite ! C'est une autre anarchie, voilà tout !

UNE VOIX.

Monsieur le Président, nous nous écartons des faits.

BEAUCOUP,

Au fait! Au fait!

PLUSIEURS.

Notons ! Votons!

BEAUCOUP rentrent dans la salle et se joignent avec des cris

V'olons ! Votons !

ANKEH.

Personne n'a le droit de faire ce qu'il veut avec son argent.

UN d'eux. C'est cependant naturel.

ANKER.

Ce n'est pas naturel. Nous avons pour nous

AU-Di:ssL's J»i:s i'oi{(;i:> iirM\i\i:s :ui

saLivegarder des lois écrites el non rcriirs. EIi I)ien! vous vous léserez les uns les autres en .i^téant aux mesures coercilives développées dans la motion Ilolger.

PLUSIEURS, entre eux, npros une seconde de rcflexion.

Nous ne nous laisserons pas intimider.

ANKI.IÎ.

Encore un mot. Je Iiuunc révoltantes les conditions que vous imposez aux ouvriers ! (l'est une violation des lois écrites et natu- relles.

Je suis certain que beaucoup parmi vous pensent comme moi.

Il de^reiul. nOLGKlî.

Nous pouvons en l'aire Icprenve.

TOI s

Oui ! Oui !

Tous crient ensemble, même ceux qui >e trouvent dans la pièce voisine.

noLGi.iî. Oue tous ceux qui parlassent l'opinion d*'

•M-2 AU-DESSUS DES 1 ORCES HUMAINES

M. Anker veuillent bien se déclarer ? (SiicncL général.) Je vcux dire : se faire entendre.

Silence, puis (inniement explosion de rires. UX IIOMMF-], d une voi.\ craintive.

Je pense comme M. Anker.

Bruyants éclats de rires. IIOI.GER.

Ainsi, une seule personne.

Joie générale, trépignements continuels. ANKEIl.

Puisqu'il en est ainsi, je vous prie, Mes- sieurs, de m'excuser de vous avoir retenu si longtemps.

n part avec son adhérent. U.N DEUX,

Bon voyage 1

ANKER, dejiuis la perle.

Je n'ose pas vous faire le même souhait.

Il sort.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 313

HOLGER.

On a proposé de voter.

Oui ! Oui!

TOUS.

IIOLGER.

L'assemblée no veut-elle plus entendre M. Ketil?

TOUS.

Si, si, si !

On appliuidil.

IIOUGER.

Toutefois, M. Dloni doit avoir la parole avant M. Kelil.

nLo>i.

Un Monsieur grave, loul habillé de noir, élégant, se lève. l\ n'a pris jusqu'ici aucune pari aux démonslralions. On l'a vu , se lever plusieurs fois comme s'il voulait parler, mais sans être remarqué. Enfin, durant la dernière péroraison dAnker. avant que Kélil ait eu la parole, il a réussi à loblcnir.

IS

314 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES IIOLGER.

Permettez ! Je présume tout d'abord que vous acquiescez à la proposition.

BLOM.

Oui.

HOLGER.

La parole est à M. Blom.

BLOM, monlanl à la Uilniiic.

Oserai-je vous prier de me faire donner un verre d'eau ?

IIOLGER regarde autour de lui, le- autre? membres font de même.

est le domestique .

PLUSIEURS s'empressent d'aller aux deux porles, regarder en dehors.

MO.

En voici un !

Il fait sin-ne. Uu domestique vient.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES :{15 BLOM .

Puis-je avoir un verre d'eau bien fraîciie!

Sorlie du domc^lique. BLOM.

Messieurs, noire pays a déjà perdu des mil- lions. Je dis des millions. Les bénéfices an- nuels des fabriques sont dérisoires et j'ajoute- rais...

IN d'kux. Quoi donc ?

BLOM, avec courtoisie.

J'ajouterai que : « La légèreté, pour no pas dire le ton frivole, oui, le Ion irivole, qui a régné dans cette assemblée, m'a vivement blessé.

UN D'r:u.\. Ab ! bail ! si vivement ?

BLOM, >ivoc cointiii-io.

CertainemenL Nous no souliondrons collo

316 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

crise qui vient d'éclater que par la retenue et la discipline.

UN d'eux. ... la discipline...

BLOM. :ivec coiirloisio.

Oui, la discipline. iRires.i Cest le seul moyen pour nous de mettre la force de notre côté et de sortir vainqueurs de la lutte ; par la disci- pline nous gagnerons l'appui de la puissance la plus grande. Je veux dire...

Le domestique arrive avec une magnili(|nc carafe cl une coupe pareille sur un plateau, la coupe est remplie et il la présenic.

BLOM, prenant le vcno et he liuvant.

•le veux dire...

UN d'eux. Ou'est-ce que tu veux dire ?

un autre L'armée ?

AU-DESSUS DES FORCES IJL'.M AINES 317 UX TROISIÈME.

Le roi ?

UN QUATRIÈME.

Les électeurs ?

UN CINQUIÈME.

Les femmes ?

Explosion de rires.

UN SIXIEME.

L'argent?

Nouveaux rire?.

BLOM, replaçant le verre.

Je veux dire l'Église.

Ah ! L'Eglise!

PLUSIEURS.

ni.OM.

Oui, l'Église. En acceptant de nous disci- pliner, nous l'aurons de notre côté.

18.

318 AU-DESSUS DES EORCES HUMAINES UN DEUX.

.. . de notre côté...

RLOM, avec coinloisie.

De notre côté.

UN DEUX, assis ton I ù l'ait, à l'arrière plan.

Puisque l'Eglise ne fait pas peur aux ou- vriers, que diable pouvons-nous faire avec elle ?

PLUSIEURS.

Écoutez ! Ecoutez î

UN TROISIÈME.

Oui, que dial)le vient-elle faire ici ?

BLOM, sans s'émouvoir.

L'Eglise n'est pas du côté des ouvriers. Nous le savons, nous le savons, mais elle n'ose pas s'allier ouvertement avec nous parce que les bonnes mœurs et la discipline ne nous font dé- faut, et que nous exigeons ces qualités des ou-

AU-DESSUS i)i;s I oncKs m main es um

vriers. Si nous pratiquions ces vertus, l'Eglise nous aidcrail.

i:.N u"f:ux. ... nous aiderait...

1U,0M, nvec courtoisie.

Oui, elle nous aiderait. J'accepte la motion proposée, mais si nous ne recherchons pas l'appui de TKglise, il nous sera impossible de fairo al)Oulir noire j)rojel.

UN d'eux.

... de faire aboutir notre projet...

ni.OM, nvec courloisie.

De faire aboutir notre projet. C'est mon opinion.

Il descend do la Iribunc. IIOLGEH.

M. Ketil a la parole !

Applaudisscnienls unanimes, tous se précipitent.

3:20 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

KETIL, montant à la tribune pendant que durent les ovations.

Donc, nous manquons de discipline ! (Éclats de

rires. Écoulez! écoulez !)

Et l'Eglise, la malheureuse Eglise ne sait ({uc faire ! Elle ne peut nous aider parce que nous manquons de discipline et de bonnes mœurs! (On rit; écoutez!) Mais pourquoi donc alors l'Eglise est-elle toujours si fidèle à ceux (|ui détiennent le pouvoir. Est-ce qu'ils sont toujours, eux aussi, de bonnes mœurs et disci- plinés ! (Vives acclamations.)

Emparons-nous du pouvoir et nous pourrons compter absolument sur l'appui de l'Eglise !

(.\cclaniations.)

Il en est de même avec les ouvriers. Après que le Gouvernement de Paris, en 1871, eut tusillé une dizaine de mille des pires agita- teurs, il obtint de longues années de paix. Cela prouve qu'une saignée de temps à autre

n'est pas inutile. (Éclats de rires. Ecoutez! écoutez! Ils discourent entie eu.x.)

Bientôt il en faudra en faire une là-bas

dessous. (Explosion de rires.)

Peut-être ne serons-nous pas obligés d'en arriver là. Il nous suffit de prendre posses-

AL-DESSUS DES FORCES HUMAINES 321

siou tlu pouvoir, de montrer que nous sommes un corps dans l'Etat et que nous prétendons assurer l'ordre et la tranquillité, et tout mar- chera bien, j'en suis sûr. (Rires bruyants. Écoulez!)

On a dit ici que nous blAmions l'anarchie des autres, mais que nous avions aussi notre anarchie, et que nous ruinions le pays. Oui, mais peut-on comparer la folie d'un riche dilapidant son argent aux ruines causées par une grève de deux semaines comme cela s'est vu en Angleterre et plus particulièrement en Amérique ? Quand les grévistes brisent le ma- tériel nécessaire à la fabrication, ils en dé- truisent pour des millions, arrêtent toutes les branches d'industrie et troublent les marchés du monde entier! Et c'est avec la bète féroce, qui se cache dans tout ouvrier, même dans le meilleur, que nous devrions partager les béné- (iccs? C'est à lui que nous devrions aban- donner toute la direction des afTaires ?... Quelle serait notre garantie ? Devant de pareilles créatures, nous devons bien rélléchir avant de nous laisser arracher notre pouvoir et aller jusqu'au bout pour le bien de tous ?

(Biiiynnls applaudissements.)

Ce n'est pas seulemeni sui- chaque para-

322 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

graphe que je suis (.raccord avec la proposi- tion de M. Holger, non, ce que j'exige, c'est

le vote absolu , en bloc. (Il ilescenci au milieu d'une

tempête d'applaudissements.)

Tous se lèvent, à l'exception de Blom.

UN d'eux.

Par acclamations !

TOUS.

Oui ! Oui !

On frappe des mains. MO.

Vive M. Holger ! Vive notre grand direc- teur ! Hourra !

Toute l'assemblée semble unie.— M. Blom aussi est debout.

AXKER.

Il apparaît entre les deux portes avec son adhérent, dei)oul, inopinément.

Excusez-moi, monsieur le Président, mais nous ne pouvons pas sortir.

HOLGER.

Vous ne pouvez pas sortir ?

AU-DESSUS DES FORCES II LM AINES 323 ANKER.

Toutes les portes sont barrées.

HOLGER.

Et le garde de la porte, est-il ?

ANKER.

Le garde de la porte esl introuvable.

HOLGER.

Comnicnt ? sont les domestiques ? (Juoi ?

ANKEIî.

Nous n'avons rencontré aucun donicslique.

IiKliiictudc. MO.

Tout i\ l'heure, un d'eux était encore ici ?

Plusieurs s'empressent d'aller vers les portes et regardoal au dehors.

3 24 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

Le voici.

UN D EUX,

Il l'ait signe. Le domestique vieiil.

IIOLGER.

Tiens 1 cesl un des domesLiques supplé- mentaires ! (Audomeslique.) Mcnez ces messieuFs

dehors. (Le domestique regarde sa montre, puis s'en va, accompagnant les deux messieurs.)

Et cherchez donc le garde de la porte ? quoi ?

Messieurs, vous pouvez être absolument tranquilles. J'ai donné l'ordre de tout fermer pour que personne ne puisse nous troubler. La police est en dehors. Les domestiques sont sans doute réunis à préparer le dîner.

PLUSIEURS, dont les visages s'éclaircissenl.

Ah ! c'est cela !

IIOLGER.

Cette interruption m'a empêché de vous remercier, ainsi que je l'eusse désiré, des marques de dévouement que vous m'avez témoigné et de la confiance dont vous m'a- vez honoré en acceptant ma proposition.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES .Î.T)

.le VOUS remercie aussi de uravoii- dispensé de prendre part aux débals dans lesquels nous nous sommes égarés d'une façon si inal- lendue. fKcouicz!) C'est le défaut de notre époque, de vouloir toujours jouer au parlement. Toutes les idées doivent être défigurées, les plus nobles aspirations nivelées. Il n'en peut pas être autrement de ce qui dépasse les médiocres.

(Écoulez, écoulez.)

Messieurs, veuillez vous asseoir, je vous

prie. (Quelques-uns s'asseyenl, le plus grand nombre reslenl

•lehout.) Je tiens pour décisif ce qui vient (Tôlro accepté ici. C'est un grand événement, (pii, d'ailleurs, fut le but de ma vie.

Peu de temps avant que j'eusse l'honneur irenlreteuir mes collègues, j'ai eu une entre- vue avec les ouvriers, et j'ai leur en- lendre dire que c'étaient eux qui avaient construit les fabriques et nous avaient amassé l'argent dont nous vivons. A les on croire, ils ont bâti l'Etat et le maintiennent tiebout. Nous, nous vivons du produit de leur travail !

Mais le travail dispersé n'a jamais ou loi |)Ouvoir. C'est à peine s'il peut subvenir aux propres besoins do vie do celui qui l'exerce.

19

Sm AU-DESSUS DES FORr.ES HUMAINES

Seul, le travail collectif concentré et orga- nisé a pu produire des résultats.

Or ce travail a été dirigé par les grands pro- priétaires unis en sociétés. Ces Puissances sont donc les agents créateurs du bien-être public. Les guerres y ont contribué, parfois l'ont détruit. Ainsi lit aussi l'Eglise, tour h tour aide, ou destructrice.

C'est nous les béri tiers delà noblesse et des grandes corporations. C'est nous qui repré- sentons en ces temps nouveaux le travail or- ganisé. Nous sommes à présent les fondateurs des grandes fortunes. Par nous, la ville et le paysconstruisenl. Parnouslesouvriers vivent. De nous provient le bien-être C{ue procurent

les sciences et les arts. :Tempcte (racclamalions iniu- lerrompiie. :

Aussi longtemps que les grandes fortunes resteront dans nos mains, la vie sera indivi- duelle, renouvelée et féconde. Chacun sui- vra son goût suivant sa fantaisie.

Maintenant, au lieu de nous, imaginez-vous l'état futur, l'état communal : un seuldirecteur, un seul acheteur et un seul goût, puisque tout le monde sera inscrit dans le même angle. Ce sera le véritable Enfer. Toutel'année

AU-DESSUS Di:S rOHCI^S HUMAINES :ii'7

sera lugubre comme un (limjuiclie à Lonilrcs. (On lit.) Les hommes se ressembleront peu à peu les uns les autres, au point qu'il n'y aura plus de différence entre eux, qu'ils vivent dans telle ou telle autre fourmilière. On se recon- naîtra à l'odeur, peut-èlre, comme les toutous!... (Onrii.) Jusqu'au jour oi^il odeur elle-même de- viendra commune ! Quoi? Omit ilavoiitage.)

Aux autres qui vous crient que le pouvoir doit leur revenir parce qu'ils sont la majorilé, et ils sont la majorité, hélas ! nous répon- drons : « Les insectes aussi sont la majorité ! »

Et, si jamais une telle majorité, par le vole oudetoulc façon, arrivai! au liouvernail, sans les traditions des hommes de pouvoir, sans leur ardeur pour le luxe, cette noble ardeur l)Our les lois bien ordonnées, solidiliérs par les siècles et éprouvées en grand comme en détail, nous, tranquilles, fermes, devrions alors répondre : « Amenez les canons ! »

Les asslstnnls se ilrossciit. crient, applaudissent, tiiliiou- siasmés, cl l'cnlourcnl.

iu)LGi;r.. Et maintenant. Messieurs, la fête peiil ( om-

niencer! ,U KClournc, aiipnlo SIM- un iMjiilon ; an môniu ins-

:y2S AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

laiil éclate un coup de feu. puis deux autres, cl on entend le pré- lude d'un orchestre commandé en l'honneur de la fête.)

Permettez-moi, Messieurs, devons conduire à table.

Il se dh'ige vevA M. Kelil et lui offre le bras. Les autres membres de l'Assemblée en font autant et se mettent en ordre, deux par deux.

ANKER reparaît a\co son adhérent, dans le milieu de la chambre, entre les deux portes.

Nous ne pouvons pas sortir! (Tous sarrètent en

silence.) Nous ne pouvous même plus descendre ! Nous avons visité toutes les issues,

IIOLGER.

Faites sauter les portes!

ANKEIÎ.

Nous avons découvert que les portes sont barricadées du dehors avec des tiges de fer.

HOLGER, abandonnant le bras de son hôte.

Que signifie cela ? est le domestique ?

AXKER.

11 a disparu.

Signes d'infjniéturtc parmi l'assemblée.

AL"-I)I;SSIS DES rORCKS IHMAI.NKS :;-.»

MO,

i\on, le voilà !

Il le (Ji'sigiic. IIOLGER, s'adrcssonl à lui.

Venez ici !

PLUSIEURS.

Que signifie cela? (Juy a-l-il donc?

nOLGER, liiinquilk-. tes repoussant. Silence ! l'I snlsil Ic bras du domeslii|uc cl s'avance avor

lui.) Explique-moi ce que cela signifie?

BEAUCOUl', M*'' ^^0 sonl avancés on iiiènie leiii|is iiue Ilolgcr, se lournenl à présent <lu cote du iloniesliiiue.

Oui, ((u'est-ce que cela signilie?

LE DOMESTIQUE.

Likhez-nioi ! ;On ic làchc.i Vous voulez savoir ce que cela veut dire?

TOUS.

Oui.

Le domestique monte à la tribune des orateurs.

330 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES TOUS.

11 monlc à la tribune !

LE L)OMESTI^)UE.

\'oiis desirez savoir ce qu'il y a !

TOUS.

Oui.

LE DOMESTIQUE.

Xous sommes emprisonnés.

nOLGER.

Mais le portier, les domestiques?,..

LE DOMESTIQUE.

Ils sont partis.

IIOLGER.

Volontairement... ou non.

LE DOMESTIQUE.

Un ne sait trop. Les premiers ont pris soin

AL-i)i:ssrs Di.s forces iilmainks .;.;i

(les seconds, à [)réscnl. il n'y a plus personne ici.

Silence, frayeur. TOUS.

Mais la police? La police ! Appelez donc la police !

D'abord, quel(|iiesuns courent ù la fenêtre, puis beaucoup d'entre eux. Ils ouvrent brusquement la fenêtre et se penchent au debors.

IX d'eux. On ne dislinguc aucune police.

l'I.USUXRS.

Personne. Il n'y a personne dehors.

TOUS.

(Juoi ! Nous sommes enfermés ?

MO, sur le premier phui, criant d'une fo<^on assourdissante.

K\pli(|iie-loi ! IMus de [)olice ici ! On ne voit plus iime tpii vive dehors !

On se serre de nouveau autour do lui.

332 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

KETIL.

Avez-Yous donc éloigné la police?

LE DOMESTIQUE.

Oui. Le cordon de police est plus loin main- tenant.

IlOLGER.

Mais je n'en ai pas donné l'ordre?

LE DOMESTIQUE.

.Je l'ai fait en votre nom.

TOUS.

Il;< se sont nJunis en plus graiiil nombre.

C'est infernal!... Ou'allons-nous faire!... Nous sommes trahis !... Que va-t-il arriver?...

MO grimpe sur une chaise.

Silence ! laisez-vous tous ! (Au domesiique.)

Voyons, Cju'y a-t-iI?(Tous se taisent soudain. On entend distinctement Torchestre jouer une marche triomphale.) I\e

peut-on pas faire taire celte musique imbé- cile ? (Il fait signe des hras.)

AU-Di:ssLs Dtis I OR(;i:s humaines

PLUSIEURS.

Faites taire la musique !

TOUS.

Faites taire la musique !

BLOM, criniil, le corps penché hors >Ie la fenêtre.

! la musique ! Assez ! Silence ! enten- dez-vous ?

Allcule générale. La marche Irionipliale conlintic à résonner. MO, désespérénicnl.

Personne ne peut donc faire taire là-haul .'

nOLGEP,.

11 faut envoyer quelqu'un.

KETIL.

C'est déjà fait.

Tous sont (le nouveau silencieux. On entend I orcUeslrc. MO.

Ils continuent! Mes cliers amis, envoyez encore quelqu'un là-haut.

Trois ou ((ualre des assistants courent dehors

19.

334 AU-DESSUS DES FORCES IIUMAIXES

LA VOIX DE FAUSSET, s'adressanl à Blom qui s'est de nouveau avancé sur le premier plan.

Comme ils jouent faux!

HLOM.

Non, je ne trouve pas, je ne trouve pas, mais ils sont crispants !

L'orchestre se tait. liLOM.

Eu tin !

PLUSIEURS.

Dieu soit loué !

MO, i»ii domestique.

Voulez-vous répondre maintenant? Qu'est- ce que cela signifie ?

(Silence.) ÉLIE.

Ouelqu'un hurle après vous !

Profond silence : à la Un. MO, dune voix basse et faible.

Oui? Qui?

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 335 LE DOMESTIQUE.

Marie Ilaiig', que nous avons enterrée au- jourd'liui. Elle veut que vous la suiviez ! (Siicncc.)

MO, <liii est toujours debout sur une chaise.

Quoi ? que voulez-vous dire ?

LE DOMESTIQUE.

Autrefois, quand on a construit le château, on a posé un fil électrique jusque sous la voûte des galeries des mines ({ui sont ici, en dessous de nous. Eh bien ! on a rendu cette galerie praticable, et durant la nuit dernière, on la remplie de dynaniilo.

Profond siloacc. nOLGER, qui n'a pas fait un mouvement pendant tout le temps.

Oui a fait cela ?

LE DOMESTIQUE.

Le même qui avait posé le lil.

HOLGER.

Est-il ici ?

336 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES LE DOMESTIQUE.

Non. il a encore du travail.

MO, ovec force.

Alors, loi, qui es-tu?

LE DOMESTIQUE.

C'est indifférent.

Je n'ai pas d'ambilion à riinmortalilé.

MO. Tuons-le I ill saule de sa cliuisc.)

BEAUCOUP se prtjcipitent vers le domestique.

Scélérat 1 Assassin !

IIOLGER, se plaranl ciilre eu.\ .

Non, non ! Attendez ! attendez, vous dis-je !

(Une certaine détente se produit.)

Je veux causer un instant, seul, avec cet homme? (Au domestifiue.) Voulcz-vous descendre et me parler.

AU-DESSUS DIJS FORCKS HUMAFXr-S m

LE DOMESTIQUE, regardant encore sa montre.

Soyez bref, alors. (II .lescen.l, se dh-ige vers Uolj,.c,. tous deux sont sur le premier pl.-.n. Ilolger fait signe à ceux ".ui -mt les plus proches davoir à se retirer ; ce quils font.)

HOLGER.

Uuel prix demandez-vous pour nous faire sortir ? Demandez ce que vous voulez.

La garanlio que vous voudrez ? Sortez-nous 'I ICI : aujourd'hui, secrètement nous partirons par un paquebot affrété spécialement. Ré- pondez ?

LE DOMESTIQUE, le laissant seul, debout, monte ^ur le fauteuil du Président de l'assemblée.

Je prends le commandement ! Voire voya»-,. va s'effectuer h mon gré, mais tenez-vous bien, la mer sera mauvaise.

Expressions épouvantables, chuchotements.

KETIL.

Une question, je vous prie. Commandant .>

LE DOMESTIQUE, rcgardanl sa montre.

Allez, vite !

m AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES KETII..

donc... donc tout cela nous mè- nera-t-il ?

LE DOMESTIQUE.

A vovai>cr dans les airs !

KETIL.

Oui, mais dans quoi l>ul?

LE DOMESTIQUE.

C'est un avcrlisscmenl.

PLUSIEURS répélenl en cliucIiolauL

Avertissement ?

KETIL.

Bon! eh bien, cet avertissement vous coû- tera plus cher qu'à nous.

LE DOMESTIQUE.

Ah ! mais après celui-là, d'autres suivront le bloc sera utile.

AU-DESSUS DES FOnCKS HUMAINES :{.3J

L'avertissement éblouira comme le soleil ! Réjouissez-vous de cet honneur immérité de linir comme des soleils.

HOLGEU.

C'est maintenant ?

LE DOMESTIQUE.

Oui, très honorés amisdu soleil. Cosl maiii- lenant, attention !

Il saule «le son siège pour se diriger vers le fonil. IIOLGER.

Wi ne donneras toujours i)as le sii^nal !

l'rompls comme l'éclair, quatre -coups de revolver se

font enlcnJrc.

LE DOMESTIQUE, qui avait fait un pas, se lient derai-rcn- vcrsé, il se saisit la poitrine. Alors, levant les deux mains au- dessus de sa tète, il s'écrie.

Ah !... Merci, c'(^sl l»icn !

Il tombe en roulant sur 1 avant-scène, llolger la suivi et est placé de telle façon que le domestique semlde être tombé à ses pieds. Tous accourent pour voir le mal- heureux, quelques-uns gravissent la tribune des orateurs, d autres le siège présidentiel, beaucoup sont debout sur les sièges, pour voir au-dessus des tètes deccux qui ï<ont placés devant eux. Ils sont entassés autour du mort, quand iU'rive siiluleineut

340 AL-DESSUS DES FORCES HUMAINES

l'homme brun.

Meiilioimé dans la scène du i" acte.

Ah : Al) ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah ! Ah !

Il se blotti I dans un coin, puis s'agenouille près du corps, se relève d un saut, puis s'enfuit, comme une flèche qui se détend, du côté droit, pendant que Holger lui envoie deu.v coups (le pistolet.

MO, avec une peur terrible.

11 y en a daulres. ici ?

TOUS.

Sans (loulo 1... 11 y cii a encore d'aulfcs !... Que va-t-il arriver i\ présent?

Grande émotion.

MO, M'ii involontairement a couru se placer derrière: s'arrête immobile.

Chut ! Chili !

OUEL<;)UES-UNS.

Quya-Ur?

MO.

Chut! (;hut! 11 m'a semblé que quelqu'un nous appelait du dehors ?

Il se penche en dehors d'une fenêtre.

il

Al -DESSUS DES FORCES FFUMAINES 341 BEAUCOUP, pleins de joie.

On vient à noire secours?

Ils courent aux fenclres. MO.

Silence, vous dis-jc? C'est une femme <l<> l'autre côte des fossés de la citadelle. Ecou- lez ! Voyez !

UN d'eux. Elle fait des signes.

MO.

Silence !

l'i-ofond silcnoo. l'NE VOIX DE FEMME, tlan^; le loiiUain, d un Ion désespéii.

Dépèclioz-vous do sorlii! Le château ol miné.

LE D0MF8Tl(^>Li:.

HaclK'!

312 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

HOLGER, qui se trouve encore placé près de lui, bas. Il vil?

PLUSIEURS crient ou dehors, dans l'air du soir.

Nous ne pouvons pas sortir!

MO, il crie.

(Ju'un seul crie à la fois!... Nous ne pou- vons pas sortir!... Envoyez quelqu'un pour nous ouvrir.

PLUSIEURS.

Envoyez quelqu'un pour ouvrir.

LES AUTRES, qui sont encore debout dans la salle, accourent aux fenêtres pour suivre des yeux.

MO.

Pstt! silence î

On fait silence. LA voix DE FEMME.

Personne ne peut entrer. Le pont-levis est levé.

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 313 LE DOMESTIQUE.

Rachel !

IlOLGER, immobile, au mOme eiidroil, bas.

Est-ce son frère?

TOUS scloigncnl de la feiièlrc, se précipitent ù lavant-scène, pendant qu'ils se crient les uns aux autres.

Le pont-levis est levé! Enfermés! Que faire maintenant? Si on avait des cordes ou des échelles pour se laisser glisser jusqu'en bas!

UN AUTRE, répétant alToic.

Si on avait des cordes ou des échelles pour se laisser glisser jusqu'en bas!

IIOI.GHR.

Je crains qu'il n y en ait pas ici. Tout est neuf.

MO.

De par le ciel ! Pourquoi nous ave/.-vous, alors, enfermés ici?

344 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES UN DEUX.

Un repaire d'assassins.

PLUSIEURS.

Vous n'auriez qas dû... Tout ça est votre faute !

BEAUCOUP.

Si nous mourons, vous en êtes respon- sable.

MO. Votre vanité colossale... (Les mots se perdenl.;

Votre arrogance...

PRESQUE TOUS.

Vous devez nous faire sortir d'ici!... Vous saviez bien que cette place était dangereuse!... Mais c'est liorrible! Nous nous sommes con- fiés à vous, maintenant faites votre devoir!

nOLGER, tranniiillement.

Messieurs, je vous prie, un peu de calme.

II

AL-DESSUS DLS rOUCIiS IILMAIM > :î4r.

lâchons d'envisager les choses avec cainie. (Considérez que l'explosion ne peul atteindre lout le château, c'est, impossible. Rélléchissez aussi que celui qui devait donner le signal est étendu ici.

Le domestique essaye, à ces mois, de se relever.

UN d'eux sécrie. Il vit?

TOUS.

Il vit?

Ils s'assemblent de nouveau autour de lui. Le domcstiiiuc ne peut plus que soulever la tète.

I.E l'HEMIi:!'..

Il veut dire quelque chose; chul !

LE DOMESTIQUE.

Je... je ne suis pas seul.

Il laisse retomber sa tète. UN D EUX chuchotant.

Oîi sont les autres?

340 AU-DESSUS DES EORCES HUMAINES PLUSIEURS, à voix basse.

sont les autres? doit éclater la mine?

OUELOUES-UNS.

Ce doit être ici!

d'autres. Oui, elle doit être là!

beaucoup. Oui. ici! C'est tout à fait sûr, ici!

MO, (''«■'i;il;u)l il'iiii i-ire de l'on.

l'ourquoi n'y ai-je pas plus tôt pensé? Ah! Ah ! Ah ! Ah! Ah î Ah ! Ah ! (u se précipite à un'^

(les l'enêlres, cl, avuni (|ue quelqu'un ail pu l'en empêcher, il lo l'rancliil d'un Ijond.)

BEAUCOUP, courant aux fenêtres, reculent alors tpouvantcs.

Ecrasé sur les pavés ! la tôte fracassée.

Us le crient aux autres qui ne l'ont pas vu. On entend les plus diverses exclamations -. « Abominable ! Qu'allons-nous devenir? » Un deuxième veut encore se jeter par la fenêtre, les autres luttent corps à corps avec lui. pour l'en empêcher.

AL-DliSSLS DKS loUCI.S llL.MAI\h> UT

IIOLGER, tl une voix rolenlissanle.

Prenez garde ! Le désespoir est contagieux !

PI.USIELT.S.

Oui, oui, il est contagieux, prenez garde !

IIOLGER.

Essayez (renvisager lirrémcdiable avec di- gnité. Nous devons tous mourir un jour, et notre mort, telle qu'elle nous est oflerte en ce moment, servira mieux que notre vie, lût- elle très longue, les intérêts du pays. Ouant à ceux qui agissent aussi traîtreuse- ment envers nous, jamais le pouvoir ne leur appartiendra ! Soyez-en certains. Xous (levons mourir heureux de celle pensée ! Notre mort prêtera h nos concitoyens le courage et l'indignation (pii peuvent encore sauver la société ! \'ive la société !

Toulc rassemblée est on rumeur. Au mémo iuslanl, le calme se rélalilil. mais on erileml retentir unaiïreux rire à droite, en deliors.

L"N i)"i:rx. ('est oucore lui, nalu rellement !

n court apri'-^ lo rieur.

8J8 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES PLUSIEURS.

C'est lui !

Ils soricnt. BEAUCOUP.

C'est lui ! attrapons-le

Ils sortcnl. TOUS.

Cest lui ! Empoignez-le ! ïuez-lc !

Tous se précipitent furieux, dehors, du côté didit. Dloni les suit lentement.

SCENE II HOLGER, ANKER, KETIL.

KETIL, à HolKcr.

ils ne savent plus ce qu'ils fonl.

HOLGEPi, (jui avait suivi les l'uyards des yeux.

Oui, ils veulent se sauver, nalurellement !

AU-DEssLs i)i:s r"OHCi:s iii"m.\im> -.h'.}

ANKER, allendri.

Oui, mes amis, à présenl... il ne nous reste plus qu'à nous recommander à la miséricorde (le Dieu !

KETIL.

Faites-le, mon jeune ami ! Je suis un vieux marin. J'ai souvent vu la mort en face.

Auker s'agenouille à gauche et reste plongé en prières.

IIOLGER marche en long et en large. En passant il examine le domestique.

Tous se taisent un inslanl.

KETir..

Il n'y a aucun moyen d'échapper?

HOLGER, distrait et sans rester ininiohik ,

Impossible !

KHTU..

Cela devait arriver, je l'ai souvent pensé.. Si ces masses se mettent jamais i\ s'ébranler....

Eh bien, ma foi ! je m'assieds ici, et je ne l>ouge plus, advienne que pourra!

350 AU-DESSUS DES FORCES liUMAlNES

ANKER. louriianl la lète de son cùlc.

Abdiquez votre orgueil, cher, cher ami! Venez prier pour le salut de votre âme !

KHTIL.

Quand bien même je croirais, à quoi ce serait-il bon ! Lame est ce qu'elle est. Elle ne se métamorphose pas si soudainement. S'il existe quelqu'un qui doive nous rece- voir... il ne se laissera pas convaincre par les quelques mots que je puis encore maintenant lui adresser.

Un rire bruyanl résonne aii-dessns fl'enx. Puis on entend du bruit et les cris de ceux qui poursuivent. Cela semble se raiiprocher.

1101. GKR, après une pause.

Tout de même, j'aurais voulu vivre encore un peu.

ANKER, les yeux biillanls de sa prière, s'adressant à eux.

Ah! prions pour nos enfants! ('omme ils souffriront. Ils verront des jours terribles ! Prions, pour qu'ils vivent dans une époque meilleure ! Ali ! prions pour cela !

_i

Ai'-i'i.>>i > iJi.s roRCKs nuMAi.\i;> ,t)i

On entend niainlenant un rire l'iuyant « jiauclie, puis plus prés. Au loin, du bruil ot des liurlemcnis, les cris se rapprochent de plus en plus, alors de gauche apparaît toute la troupe bondissant... sauvage; elle traverse et s'engoulTre à droite. Bloin suit lentement.

IIOLGER s'arrête et considère ces gens pris de vertige.

En bas ou ici, canailles encore!

KETIL.

Oui, il faudiail des hommes éneii^iques.

noi.GER. Un seul suflirait et il viendra !

ANKER.

Hàlez-vous mainlenanl de prier avec moi ! Ah ! priez avec moi, cjne Dieu aide les bons et fasse repentir les méchants. Dieu sauve la patrie... Dieu...

On distingue un gioudonienl souterrain it des cris de « au secours! «, poussés par des centaines de gens. Kclil est soulevé, projeté en l'air, avec son siège, et disparaît.. Uolger est culbute et on ne le voit plus. Un nuage «le poussière voile tout. On dirait que Anker a disparu dans le mur, jus(iu'à ce qu'on entenile en dernier lieu

352 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

ANKER.

Dieu protège la Patrie ! Dieu protège...

liJDEA U.

ACTE QUATRIÈME

Sous les arbres du grand parc. Sous les tjros arbres, des bancs circulaires. Avant le lever du rideau on dislingue dans le lointain le bruil d'une musique mélancolique . Quelques instants après, on entend au loin un chœur de voix.

SCENE PREMIERE

RACHEL, HALDEN

Rachcl arrive Icnleineiit, accompagnoo d'IIaldon. Pctulanl l'en- tretien qui suit. Racliel va et vient, llalden s'appuie fréqucm- menl contre un arhre.

TWCUEL. Je vous remercie ! (EUe regarde autour dVUc.)

Comme c'est agréal)le de posséder ce parc. Ces chemins qui paraissent monter au ciel, cet air prinlanierl Ah ! cchi fail du l)ien !

20.

354 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES IIALDEX.

Oui, la nature console de bien des maux.

P.ACHEL, se considérant.

Sans toutefois comme les hommes chercher à chasser notre chagrin. Elle se contente de se montrer à nous avec son impérissable puis- sance, avec le souvenir de ce qui. ..(Bas.) ...de ce qui survit,

IIALDEX.

Il faut lutter. Le chagrin s'évanouit en fumée, et cependant c'est de lui que naîtra le progrès.

RACHEL.

Ne vous fâchez })as, je vous en prie, si dans ma douleur je veux rester avec lui. Dans la vie je n'ai pu le suivre, et le soir de nos adieux je l'ai laissé partir parce que je ne l'avais pas compris.

HALDEN.

S'il vivait, il vous dirait : N'aie pas de cha- grin pour moi, mais seulement...

AL-DESSL'S DES FOUCES IIIMAINKS 3ôô

l'.ACIlKL, riiiU-n..i,.|..MM.

•Je vous sais gré de ces paroles 1 11 dirait cela, c'est vrai. Il est mort comme il a vécu. \m, pour les autres.

Oh ! cet homme qui l'a conduit h sa perle !

11 est écrit : » Quiconque scandalisera l'un de ces petits qui croient en moi, il lui vau- drait mieux qu'on lui mil une pierre de meule autour de son cou et qu'on le jelàl dans la mer. » Mais alors que fera-t-on à celui qui égare la plus noble ardrur d'un homme?

H.VLDEN.

Si pourtant ce qui vient d'arriver réveillait enfin les consciences?

i!A(.ni:r..

Élie disait toujours ce mot !... celaient ses propres paroles : réveiller les consciences ? Après un millier d'années i'amiliales et reli- gieuses, ne [>cul-ou réveiller les consciences sans... sans...?

Vous, grands cl silencieux lémoius qui m'écoulez sans répondre cl allirez nu s ntiards

356 AL-UUSSUS DES .ORCES HUMAINES

vers VOUS rien ne se rélUle pou«,uoi me

,..ae..ous c.ns ;e are™, u .^^^

lequel je m'égare.

IIALDEN.

Là-haul est le progrès.

UACHEL.

N'espérons plus... Nous sommes plongés aelTau^slabarbane. Toute a^p.^^^^^^^ vers le bonheur et le progrès etétemt

nréscnt Voyez et comprenez !... )-» P'"- réro;ltëcon:é.p.eneecleeetlelo.lee.p^o^^^^^^^^

ce ne sont ni les morts, m ceux qu. les pieu re,nt c est qu-elle tue en nous le courage. La rslr^cle^cUsparu. Tous crient venge^^^^^^^^

::at::r.:rt.eterrecommedestau^s^ «evoil plus que cadavres mut.les, lances le néant. El les hommes se cachent

Peut-on faire de plus profondes blessu.es

AU-DESSLS Di:s FOUCLS HUMAINES :io7

aux hommes. La mort n'est rien auprès d'une vie sans la joie de vivre.

El maintenant Holger. le seul qui ail ('té sauvé, est silencieux, paralysé, lui, l'homme au courage effrayant, et les ouvriers rappro- chent encore pour lui demander grîlce. eux qui voulaient le tuer autrefois!... Et depuis cette affreuse soirée le soleil n'a pas cessé de luire ; les jours ont succédé aux nuits, et la nature s'est parée des splendeurs d'un ciel inaltérable comme nous n'en avons pas eu autrefois.

Honte à vous !... Honte à vous!... semble nous dire toute cette nature. Vous souillez mes feuilles de sang et vous profanez ma beauté par les râles des mourants ! \'oilà ce qu'elle nous dit ! Vous contaminez mon prin- lemps ! Vos maladies, vos méchantes pensées sinfdtrent, se glissent dans les bois et sur les champs. Partout ! partout s'étend la misère que vous avez laissé pénétrer dangereuse comme de l'eau corrompue. Voilà ce que la nature nous dit !

Notre ardeur de posséder, votre jalousie sont de terribles sœurs jumelles qui dès leur nais- sance voulurent combattre. A peine m'avez-

:!r.y AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

VOUS laissé ma montagne immense, mes steppes de sable et mes glaciers !... partout ailleurs coule à flots le sang que vous avez répandu, et l'écho répète vos cris furieux. Vous avez assombri ma clarté pour imaginer un enfer que vous peuplez de vos impuretés ; vous qui devriez tendre à la perfection, vous vous plaisez dans nos vices et vous ne méritez que des malédictions. Voilà ce que la nature nous dit.

Ah ! pouvoir encore une fois crier mon cha- grin après avoir tant écouté celui des autres et les avoir secourus, je me suis tue. Je me suis cachée, et j'avais pour raison de penser quici tout mon chagrin se retrouverait !

HALDEN.

Votre douleur est grande puisqu'elle vous a faite si injuste.

RACUEL ,

Et cependant elle me soulage au point que bientôt je ne pourrai plus pleurer.

Mais vous ayez raison, le chagrin est égoïste, j'abuse de votre bonté.

il

AU-DESSUS DES FORCES IIIMAINKS 35'.i lIALDIiX.

Ne dites pas cola !

RACHEL.

Dans le peu qui vous échappe je pressens quelque chose... quelque chose... Je hais l.i doctrine des exemples. Elle écrase les faibles si cependanl elle aboiitil à la rcdcmplion. Je hais rinhumanilé.

N'est-ce pas horrible? De mou cùlô, Élie a -ouiïert de ma lâcheté devant le merveilleux. v{ d'aulre part il a Irébuché dans la liarbarir des théories...

Oui, jo vois ce qui sVsl |)assé.

Ou a capté son imaginai ion pni- un acic (pi'on lui a déclaré ^i-and. parmi les \)U\s grands. El il fut dupé jusqu'à l'inlini. On ne lenle pas l'Au-delà .

Ouel([u"un doit avoir (bovine comm<' il ébiii facile de séduire le fils du Paslcnir S;uil>' d;iu-« le sens du surhumain.

n Ai.niN, Non! Cela n'a pu se [tasser ainsi.

360 AU-DESSUS DES FOIICES HUMAINES RACIIEI..

Je ne juge personne; moi, la sœur d'Elie Sang', je n'en ai pas le droit.

Mais,dites-nioi,Halden,si la Bonté apparaît à travers les éclats delà dj^namite, oii se trouve le bien, se trouve le mal?... La Bonté ne se nianifeste-t-elle pas davantage par la produc- tion et la créât ion. En s'épanouissant elle donne la joie, e superflu même aux désirs du prochain. Mais si elle tue ! Ah î par quel mal- heur Elle est-il devenu le bras d'êtres féroces.

J'étais sur les remparts lorsque le château sauta dans les airs. J'étais debout, là-bas près de Bratt. Nous fûmes jetés à terre ! Quand Bratt se releva, il était fou ! Je le serais moi- même aujourd'hui, si les soins dont je dus entourer Bratt ne m'avaient sauvé. Croyez- vous que, si Elle nous eût vu là-bas, tous deux, il eût exécuté son projet.

Le dernier soir, près de moi, son visage exprimait la plus profonde détresse. Je m'en souviens à présent.

UALDKX.

... Je vous en prie... ne parlez plus !...

AU-DESSUS DES FORCES Hi; MA INES 361 RACIIEL.

Je ne puis pas me laire.

Que je souffre... si je pouvais pleurer !...

S'il ('îtait ici celui qui exalta mon frère, s'il entendait mes cris de douleur, ne dislingue- lait-il pas dans mes gémissements ceux de milliers d'êtres qui s'y confondent.

Je ne lui adresserais cependant pas une pa- role méchante. Les hommes vivent dans un brouillard d'illusions. Ils sont aveuglés. Notre éducation en est cause, je n'accuse personne.

Mais Dieu veut que nous souffrions afin de nous rapprocher de lui, afin de comprendre mieux son infinie bonté, sa beauté éternelle.

lïlt plus nos plaintes sont longues cl répé- tées, plus Dieu les ressent et les souffre pro- l'ondément.

Ta mort, Elie, aura l'ail son œuvre 1 ISon pas selon les théories du monstre qui l'a armé, mais parce que lu as frayé des roules à la douleur, et que rien ne nous appartient sans que la douleur ne l'ait louché. Nous ne comprenons aucun idéal si le chagrin ne nous a effleurés. Nous ne saisissons rien (les choses, si nous n"n\(^ns «''lé visités

21

mi AU-DESSUS DES FORCES !IU>iAIXES

par le inallicur. Notre àiiie est comme une chambre encombrée de visiteurs importuns, elle ne devient véritablement nôtre que lors- que, sournois ou brutal, le malheur y pénètre. Alors, seulement nous sommes chez nous !

Elie 1 Elie ! à présent seulement je te com- prends comme tu le mérites. Maintenant, je ne le quitte plus, non plus que la cause pour laquelle tu es mort ; notre douleur la purifiera, la sanctifiera, et nos larmes la ren- dront éclatante de lumière.

HALDEN. \ oici Holg'Cr 1 iHalden se retire à gnuche.)

RACHEL.

Le malheureux fait sa promenade du matin.

HaUlen se i-elire à ijauclie. de manière à n'èlre pas vu d Holger.

SCÈNE II

RACHEL. HOLGER. Ilolger porte sur un l'auteuil de malade par deux domestiques. 11 a la tète entourée de bandages, et le cùlù droit paralysé.

RACHEL, elle prend la main gnuche dllolgcr dans les siennes.

Il désire sarrètor un dcu ici.

il

AU-DESSUS DES FORCES IIIM AINES 3fi3 Les tlomesliqiK's le «lépo-^enl.

IIOLGEH, Taisant un elTorl imilile pour lever la main di-oile.

J'oublie toujours quo je ne puis agiter la main droite. Je voulais faire signe aux servi- teurs de s'éloigner.

HACHEL, i|"' '^ c^' l>enrhée snr lui, dit :\ux sLTvil(;uis.

Laissez-le, je vous prie, un moment.

Les serviteurs se relireul. HOLGER, à voi.^ basse.

J'ai <pielque chose à vous dire.

RACHEL.

Ou'cst-ce, mon cher lioiger?

noi.GEH.

Lorsiiu'on ma rclin'' de ilessitu> les ruines, on a vu que jrlais le seul survivant... alors vous m'avez ofTert de prendre soin de moi.

RACHEL.

Oui.

m AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES IIOLGER.

Aussi... c'est un peu malgré moi si je suis ici. si je suis le premier malade qui soit entré dans cette maison et dans ce parc que je vous ai donné.

RACHEL, agenouillée à ses cùlés.

Cela vous chagrine, Holger. Cela vous est- il désagréable?

UOLGEi;.

Non... Mais.., jetais trop malade pour VOUS dire...

RACHEI..

Oue...

^ Une i)iuise.

UOLGEI!.

A-l-on retrouvé le corps de voire frère?

RACUEI..

Oui, on ne l'a reconnu qu'avec peine.

AL-DESSUS DES FORCES HUMAINES Mib

nOLGER.

Aucune trace ne laissait deviner... de qucIN; manièiv il est mort?

RACIIEL, allonlive.

Est-il mort d'une autre façon que les aulres .'

IlOLGEK.

Il nous a parlé... Il nous a dit (|U il devail donner le signal pour mettre le feu aux mines. Alors on le lua.

RACniil.. près de délaillir.

On l'a tué.'...

HOLGER.

Jo ne lai pas reconnu.

RACIIEL, se rclevoni Ijiusqiicmcnt.

(l'esl VOUS qui lavez lue!

nOLGER.

Je ne lai pas reconnu... J'ignorais qu'il li'il votre IVère !...

360 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

El, si je l'avais su d'ailleurs, je crains bien (|iio j'eusse agi de même.

R.VCHEL, munmiraiil.

Ah! c'est épouvantable!... épouvantable!

nOLGER.

Il mourut en héros... quelques minutes après le coup de pistolet, il prononça ces mots : Ah î merci ! c'est bien !

RACHEL.

Onil a (lu souftVir !...

nOLGER.

11 vous a entendu appeler, il prononça votre nom... vous avez appelé deux fois, et deux fois il répéta votre nom.

RACHEL.

Élie ! Éiie !

nOLGER.

Me condamnez-vous?

AU-DESSUS DKS FOIKIKS IIIMAINES 307

RACIIEI., periliuil la raison. Non ! . . , Non ! . . . (Au mûme instant elle fond en larmes.)

Maintenant je puis pleurer! Maintenant jo puis pleurer ! Je puis dire comme lui : oli !

merci, c'est bien! (Elle sanglote, puis se relève.) Elie!...

I^]lie ! lu m'as caclH' ta dc^tressc... Maintenant In libères la mienne.

HOLGER.

Venez, venez, transportez-moi ailleurs !

Les serviteurs accourent cl le Iransportciil Itnicnient vers la ilroito et sortent avec lui.

RACIIEI..

Il a prononcé mon nom I Depuis «pic je \o sais... Depuis que j'ai entendu cela...

Elle recommence à pleurer, elie s'assied, Ilalden s'avance, s'arrête et s'afrenouille devant elle, il lui tend les mains el semble supplier. Racliel ne voit pas le mouvement d'abord, mais à peine l a-l-elle vu (juclle fait comn-e un mouvement de recul.

HALDEN, les mains joinlt-.

(Vesl VOUS qui avez raison.

RACIIEI., le voyant à peine. (JllC (lilcs-\ OUS?

368 AU-DESSIS DES FORCES HUMAINES HALDEN.

C'est VOUS qui avez raison. Je m'incline devant vous...

RACUEL, bas.

Qu'est-ce que cela signifie?

HALDEN.

Plus que vous ne pensez.

n se lève et reste debout. Racliel le regarde et au même instant on entend Bruit au fond. Halden le désigne et s'en va vers la gauche.

BRATT, parlant;! une personne imaginaire près de lui.

Ainsi !... que dites-vous... hein ?.., Ah! oui... oui...

RACHEL, le regardant s'éloigner.

Que voulait-il dire ?. . . Je ne sais pas lire dans le cœur des autres. Vous î cher Bratl !

I

AU-DESSLS Di:s TORCKS HUMAINES -Wj BPiATT, I i'ii' iiii-(;ial)le. parlant (rnin \ ..,\ -.,,,1.1. ^-i,. ni.-

Oui... Et Monsieur Knii Marx... Jf puis vous le présenter... Karl Marx.

Il s'incline A droite et à gauche. lîAr.HEL.

Vous me l'avez déjà souvent présenté.

RP.ATT.

Oui, peut-être, mais ce n'était pas à mjus que je voulais le présenter, mais au jeune monsieur Holger, n'était-il pas ici, à la mi- nute ?

RACHEL.

Le jeune llolgei?... llaklen?... X'raimenI !... En effet, ils se ressemblent. Vous disiez le jeune Holger.

lut ATI .

Oui... celui qui mit le l'eu au lil.

HACHEI,, tressautant, puis l>ns

Que dites-vous ?... (Eiucrie Halden ! Sorail- ce Halden ?

21.

JTu AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES P.RATT, reculant de deux pas.

Vous moffra3'ez !

RACHEL.

Oui était ici ?

BRATT.

Lui... le... le...

RACHEL.

C.elui qui se tenait là... Oui était-ce ?

BRATT.

Oui... oui... qui était-ce ? Il me semble par- lois que je ne puis...

RACHEL, i^e ropprochanl de lui, douce.

Dites, qui était la personne qui se tenait là?

BRATT,

Laissez-moi le demander à M. Karl Marx.

AL-DESSi;s Dl-S lOlK.lls m MAINKS 37!

f'.ACIlKL. . , l'oiir linir.

' Hii, (lnn;»n(lcz-l('-liii ?

BRAl r, s iricliiiaiil à droiit- et ;i yaiuln.'.

Dites-moi. Monsieur Miux, qui était-ce vrai- jiKMil... qui se tenait là... sur les ruines ?

RACUKI..

Ail!... oui 1... (Kiif s assied. Xon. ce nesl pas possiMo, ce |tnuvre Iioninif^ne peu! v'\cn snvoir.

BRATT, se inpprtichonl tlulk-.

Il csl (le mode aujourd'hui de parlei' d»'

/7///2('.S'.

RACUKI..

Allez-vous lous les jours sur les l'uiues du

cil à I (NUI ?

URATT.

Oui... là. a disparu ce ([ue je tdier( lie

i;\(, 111:1., Coniineiil nous senhv.-vous aiijourd Inii '

372 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES BRATT,

Oui, je VOUS remercie... bien. S'il n'y avait pas... ce qui a disparu, que je ne pourrais

jamais retrouver, (Debout, il tient sa main gauche contre sa joue gauche et regarde par terre devant lui à sespieds.)

Ce que j'ai cherclié tant d'années. Je ne puis même me le rappeler maintenant, c'est pé- nible?

RACHEL, allant vers lui, le calme et semble s'efforcer à laider de démêler sa pensée.

Cher Bratt, chez moi vous serez toujours bien.

BRATT.

Oui, je sais bien... si ce n'est seulement que je ne peux pas me souvenir.

RACHEL.

Karl !Marx viendra à votre aide.

BRATT.

Il dit que nous devons chercher sous des ruines.

AL-ULSSLS DES FORCES IILMAIXLS .,.., RACHEL.

Oui, c'est qu'il a disparu.

BRATT.

qu'il a disparu?

RACHEL.

Voulez-vous y aller, maintenant?

BRATT .

Oui... oui... si monsieur Karl Marx... oui...

oui, bonne santé. (Il pan en paraissant écouter. |iiel<iu un.

Vous pensez... je vous affirme, je cherche tou- jours et je ne puis le découvrir.

On enlond les derniers mots dans la coulisse. RACHEL.

.le n'ai pas la force de me partager, et j<' ne le ferais pas même si je le pouvais.

Revenez sombres pensées qui m'entourez de vos ailes noires !

Klie, j'aurais di'i être pour toi <e que noire mère fut pour ce pauvre frère. Elle avait du courage, l'esprit de sacrifice. Moi, je n'en étais

.ni AU-DESSUS DES FORCES IJUMALXES

pas assez pourvue. Tu gémissais sur moi dans les derniers moments, lu m'appelais dans les spasmes de Ion agonie, et ta plainte soupirait après tout ce qui restait inachevé. Maintenant ton regard me suit [partout. Je te vois tel que tu étais lorsque tu exhalais ta suprême plainte. Tu étais couché là-has abandonné de tous et tu m'appelais pour que je reçoive ton dernier soupir.

Il en est ainsi de moi, la vie m'abandonne el je t'appelle.

Elle semble prise de verligc, se laissant aller à une vision et retombe assise. La musique qui jusque-là accompa- gnait ses plaintes, se transforme et devient plus douce et légère dans la scène suivante.

SCENE III.

CREDO, SPERA.

Ils entrent tous deux rapidement. En la voyant ils s'arrêtent puis s'avancent lentement de chaque côté d'elle et s'age- nouiUenl.

RACIIEL .

\'^ous ici ?

Elle les attire contre elle.

Et je vous avais oublié ! Merci d'être venus

AU-DESSUS DCS FORCKS IIL.MAINKS 375 Merci! Merci! (Elle éclaleen sanglols.) 0)1 ^()ll^ i\

donc permis de venir?

TOUS DEUX.

Oui !

Sl'KUA, douce.

Nous sommes venus voir nolro oncle...

CREDO, de nuiiu-.

... au moment nous arrivions...

SPEHA.

... à cet instant.. .

CREDO.

... il nous a dil qu'à ravcnii...

SPERA, ;■' Civ.ln

... nous resterions près de loi.

RACHEL.

11 a dit cela?

376 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

SPERA, à Credo.

Et il a ajouté qu'il ferait bâtir ici un pavil- lon pour nous !

RACHEL.

Ah ! c'est le premier espoir !

SPERA.

... il a ajouté que tout sera

TOUS DEUX.

... comme Iule souhaites.

RAUUEL, les serrant contre elle.

Mes chers enfants.

Silence

SPERA, avec une douceur nouvelle.

Nous n'avons parlé que de toi pendant notre absence. . .

CREDO, «le même.

... et de ce que nous te dirions lorsqu'on te reverrait.

il

AL-DESSLS DES 1 ORCES HUMAINES :i7;

SPERA.

Nous avions si peur que tu ne veuilles plus parler à personne!

CREDO.

(Jue cela le lût trop pénible 1

Il.VCHEL.

Oui.

Elle |)leure. Tous deux la liennciit coiiire eux, parla;.'onl son chagrin cl altendeiit.

SPERA, bas.

Nous comprenons que pour toi nous ne le remplaçons pas, mais nous voulons essayer.

CREDO, «le mi-mc.

Nous serons ce que lu désireras que nous soyons. Nous partagerons tout ce qui arri- vera.

SPERA.

Nos parents nous ont habilués t\ cela.

878 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES CREDO.

Nous travaillerons ensemble.

RACHKL.

i\on ! Non ! il n'y a plus d'à venir pour moi.

TOUS DEUX.

El nous ?

S PEU A.

Ton avenir est le nôtre.

RACHEr,.

Oui, le monde s'ouvre devant vous !

SPERA.

Mais toi, Rachel, qui donne l'avenir au cœur de tant de malheureux!

CREDO.

Toi, si bonne pour tous !

RACUEL.

•le ne le puis même plus. J'ai essayé en vain,

AL-DESSUS DES FORCES HUMAINES 3:<t

et môme si je le pouvais, quelle en serait

rutiiiié:

SPERA.

Rendre les hommes gais et heureux 1

CREDO.

Il n'y a pas de but plus élevé sur terre !

SPERA.

Te souviens-tu de ce que disait père !

CREDO.

Ouand il parlait de vaincre ce qu'il nommait <- le désespoir du peuple ».

RACHEL, écoiitnnt avec surprise.

Le désespoir du peuple?

CREDO, avec douceur.

... Pour lequel est mort ton frère.

RACHEL, en elle-iui-nie.

Le désespoir du peuple 1

m) AL'-DESSUS DES FORCES HUMAINES SPERA, doucement.

Et (lui l'a entièrement pris.

RACHEL.

Etrange 1 E\ que disait votre père à ce sujet?

CREDO.

Il considérait ce désespoir comme notre pire malheur et disait que Ton devait réagir contre ces infortunées tendances.

SPERA.

Nous vivrons dans ce but.

RACUEL.

Par quel moyen voulait-il réagir?

TOUS DEUX.

Par les découvertes et les inventions,

SPERA.

D abord 1

AU-DESSUS DES FORCES HUMAIXKS 381 CREDO.

El il nous a donné confiance.

SPERA.

(h*edo a tout compris !

CREDO.

Oui, el j'y pense des journées entières.

RACHEL.

Mais quelles seraient ces invonlions?...

CREDO.

... Pour rendre les hommes heureux! leur rendre la vie plus équitable, el en la leur allé- geanl.

81'ERA.

Puisque l'on sait quedeux moires carrés de lorre suffisent à sa vie.

RACIIEI..

KsI-ce possible?

:5^«2 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES CREDO.

Quand on pourra faire des vêtements avec des feuilles et des herbes, de la soie sans vers à soie . de la laine sans les moutons, quand les maisons seront construites vingt fois meil- leur marché et chaufïées sans frais, tout cela ne constituera-t-il pas cet étal de bonheur ?

SPERA.

El les clicmiiis de fer. Credo?

CREDO.

Ouand on sera arrivé à percer crénormes masses de rochers aussi facilement que de lerre, et à tirer des rails d'une matière plus commune que le fer, ou que nous produirons le fer à meilleur compte quà présent, quand nous posséderons une force motrice ne cou- lant presque rien, alors les chemins defei- sil- lonneronl les rues; les transports seront gin- luils. les dislances n existeront plus.

s FERA.

l']l les ballons dirigeables, Credo !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES :i83

CREDO.

Oui, Kachol, saclie encore que bienlOt nous pourrons nous diriger dans les airs. comme sur l'océan.

SPERA.

C'est la découverte de Credo, tu verras !

CREDO.

Voyager, ne coûte plus rien 1 La vie de- viendra heureuse !

SPERA.

On ne souIÏVira plus, ni de la i'aim, ni ilu froid, de la tristesse ou du découragement !

CREDO.

Raconte-nous, Spera, ce que lu veux faire !

SPERA.

Non, toi d'abord !

<:redo. •le veux fonder une union de la .Jeunesse !

384 AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES

RACHEL.

(Comment?

CREDO.

On commencera dans les écoles la jeu- nesse s'y préparera, Ton s'habituera à vivre les uns pour les autres. Une école se mettra en rapport avec une autre, chacune aura son initiative, cependant que toutes y seront associées : toute pour une, une pour toutes. Elles seront fortes alors d'un but com- mun auquel tout le pays sera intéressé... Maintenant, à loi Spera !

SPRRA, lii>:i(iniiciil.

Moi, j'aimerais à pouvoir dire aux femmes (jue dès l'école elles doivent avoir un but de vivre. Ainsi une ou plusieurs jeunes filles prendraient soin d'une petite fille, qui devien- drait comme leur enfant, comprends-tu?

l'.ACUET..

Ah ! chère petite amie chérie, laisse-moi l'embrasser, (Eiic lembrasse.) Ta vue seule me

AL-DESSUS DP:S FOHCI'S HIMAINKS :m

t'ail penser que tu es l'élue de l'Élernelle Ré- novation.

CREDO.

Ouc sont nos épreuves auprès {\o celles des hommes d'autrefois ?

SPERA.

Ils furent victorieux cependaul. mais doré- navant le droit prévaudra :

RACHEI..

Ali ! ma chère fille 1

CREDO,

Sais-tu ce que disait pèi'c ? Si seulement lous ceux qui vivent de la guerre étaient con- Iraints de travailler avec nous, quel progrès on pourrait faire, et quel bien-élre se répnndrnil.

SPERA.

Mais il ajoulail.. .

3SG AL-DESSLS DES FORCES HUMAINES C.FiEDO, lui faisant ^igiie «le se taire.

Ce ne scrail i)as à comparer à ce qui arrive- rait si tous les hommes se reprenaient de nouveau à la terre ! à la vie réelle !

SPERA.

Oiie le ciel soit ici ! disait-il. Dans notre })io[>re cœur. Voilà le ciel !

CREDO.

Dans l'aveiur, dans tout ce que nous aurons l'ail pour Faveiiir. VoWh le ciel !

HACUEL.

Le ci<'l au(|uel Ions les hommes aspirent !

CREDO.

Parce (pi'ils aspii-ciil ions au mieux, el c'est la iiieilleurc pi-ruNo d'uii l)oidiear futur.

liACIIEI..

J'entends votre j)cre. (juand vous parlez !

AU-DESSUS DES FORCES HUMAINES 387

CREDO.

Sais-lii quels sont maiutonaiiL nos rclaliojis avec nos parents?

SPERA.

Dans la persévérance de leur œuvre.

RACHEL.

El moi, je dois poursuivre leur œuvre au- près de vous?...

CREDO, se lcv;ml.

Allons voir Holger et le remercier de ce bonheur !

Les deux enlanl» se iéveul. CREDO.

Tous les trois.

SPERA, iiiliniiilée. la serrant dans ses lu-as.

Nous irons tous les quatre.

RACHEL les ciiil>ra>se.

Merci ! tous les quatre ! et savcz-vous ce que nous ferons?

388 Al -1)KSSL>; Di;S FORCES IIU.MAIXRS

< RHDO.

Xon :

SPERA,

(Juoi donc ?

Nous le prierons de reprendre les ouvi-iers.

TOUTES DEUX.

Oui : Oui :

l'.ACUEL.

Oui 1 Ouol(|u'un doit donner l'exemple du pardon.

TOUTES DEUX, ;i voix basse.

Oui 1 Qu('l(|u"un doit donner l'exemple du pardon.

Ils sorleni ensemble à ilroile. La musique les accompague dans le lointain sans interruption et comme le souffle <le lavenir.

H IDE AU.

J

I

23-n.i. TOin~. tMn. e. aisrault et c".

I

*«R -^s

r

Extrait du CataîoQue des Éditions de la revue

23, BOULI.V.AKD DES iTAl.lHNS, PARIS

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PT Bjomson, Bjomstjerne 8816 ^u-dessus des forces

09F7 humaines 1901

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