JOHN-ANTOINE NAU

Au Seuil

de l'Espoir

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PARIS VANIER, LIBRAIRE-ÉDITEUR

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U.B.C. LIBRARY

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JOHX-AXTOINE NAU

Au Seuil

de l'Espoir

PARIS LEON VANIER, LIBRAIRE-EDITEUR

19, QUAI SAINT-MICHEL, I9 1897

POUR LOUIS BRISSET

Le musicien très génialement poète

^

Par la fenêtre grande ouverte à l'air marin, Sous le soleil tombant déjà, les dunes d'ambre. Le ciel, nacre volante et le fluide écrin De la lagune verte envahissent la chambre : Sur les murs chatoyants de blonds rayons tremblés Se jaspent les reflets de courants ondulés ; Toute une vie alerte aux fragrances salines S'éveille en palpitant, frôlant les meubles lourds Et les gaîtés du large incitent les plis gourds Des tentures au mol essor des mousselines.

* * *

Souple, ballante sur l'éclat glauque irisé Que pâlissent les longues plumes de la brise.

8 AU SLUIL DE l'espoir

Presque noire en ces clairs Troubles et trop précise,

Une branche berçant des fleurs de lait rosé,

Malgré l'inachevé mousseux de leurs pétales^

Le lumineux halo qui nimbe sa vigueur,

Evoque un autre Monde aux grâces plus brutales,

Peut-être hostile, car, en sa rude langueur.

L'éventail monstrueux semble agiter de l'ombre...

i

*

* *

La floraison rivale, épanouie au flot.

Plus intense mais plus éphémère, se clôt,

Fanée en un moment et se dissout et sombre..

*

* V

... Un grêle serpent d'or que l'on dirait mouillé, Glacial, rampe sur une dune houleuse... Et captit dans le cadre étroit et désolé De la fenêtre, va poindre un givre étoile. Le soir frissonne, comme une rose frileuse.

II

Les yeux encore pleins de grises visions :

Toits sombrement luisants massés en osts énormes Bombant contre le ciel leurs boucliers difformes,

Lames d'acier de minces horizons. Balcons suspendant leurs grilles de cimetière, Trouble eau de vitres miroite du mystère, Fils vibrants et muets glisse le Destin, Railleusement tendus en lyres fantaisistes.

Remous lassés de lentes foules tristes. Jour de limbes si pâle et comme si lointain ; Après des mois, des ans, de songe nostalgique L' « isolé » se réveille au grand souffle magique De l'Océan qui chante et roule sous l'éther :

Le -dolent crépuscule est divinement clair

i*

^

10 AU SKUIL DE L KSPOIR

Pour lui^ toujours hanté des funèbres soirées

de rousses lueurs tachaient les brouillards froids :

Horieur du lendemain, pressentiments sournois,

Remords, fébrile effroi de haines ignorées,

S'envolent dans l'air pur, divinement ami ;

Et la journée heureuse, oubliée à demi,

Douce et vague et toute rassurante, Se repeint comme sous un voile pailleté :

L'Avenue au frais matin bleuté Frémit de sa feuillée encore transparente ; Dans le havre, de lents bateaux comme engourdis. Noirs, laqués de soleil et les flancs rebondis Tanguent languissamment sur l'eau de perle verte... Puis une sente qui s'enfonce, recouverte

De sveltes branches en arceaux, Doit mener dans la nuit d'émeraude féerique Vers des clairières dorment de vieux châteaux

Dont le reflet tremble, mélancolique, Dans les regards d'étangs bruns cillés de roseaux.

* *

Mais la voûte s'élève en dôme que fleurissent

Des ajours de pervenche et voici que blondissent

AU SEUIL DE L ESPOIR IL

Les troncs d'écorce fauve écaillés d'or gemmé ; Et le dernier rideau de verdure flottante Se plisse en ondulant et vacille, allumé Par l'ocellement vif de la vague flambante.

Le château qui devait apparaître surgit D'un bouquet de genêts soufrés et d'églantines Licarnadines, dont le feu rose rougit Auprès de la pâleur bleuâtre des glycines : Pacifique manoir, sans herses et sans tours. Qui chauffe au bon soleil ses pierres mordorées. Abris tièdes, chers aux fleurettes bigarrées Et baigne au flot ses murs inoft'ensifs et lourds. ... Après, c'est la douceur des lentes découvertes Dans l'inculte jardin broussailleux de rosiers : Des herbes d'argent mat hérissent les sentiers D'où file un froissement soyeux d'ailes alertes : D'antres floraux cachés sous les massifs croulants Soufflent de forts parfums sucrés, comme brûlants Qui semblent répandre, en exquise inquiétude. Une trop capiteuse essence de bonheur Et comme exaspérer une musique rude D'insectes, tournoyant orchestre bourdonneur.

12 AU SEUIL DE L ESPOIR

* *

^

Au bout d'un long tunnel de lianes frôleuses,

Sous-bois de l'Equateur près des plages du Nord,

Scintille un orbe flou dont les verdeurs cuivreuses

Se nuancent d'agathe et d'étain vers le bord,

Mare torpide qui reflète l'ondoyance

De frondaisons que moire un frisselis furtif

Et des plantes au mol élancement passif:

Dans ce foisonnement feuillu, c'est comme une anse

De grand lac qui s'égrène en d'épaisses forêts

Et dont une autre gemme, au-delà des fourrés

De rameaux retombant en souples masses sombres.

Brille aussi doucement dans une demi-nuit.

Tandis qu'au loin, roulant ses flaves flots sans ombres

L'eau libre, sous un ciel inconnu, resplendit.

*

Puis la sylve n'est plus qu'un taillis de dentelles Qui se déchirent en lambeaux éparpillés ; Des gazons, plus poudrés de brillants que mouillés, Reçoivent de rochers, en minces cascatelles Les sources du « grand lac sauvage » disparu.

AU SEUIL DE L ESPOIR Ij

*

Voici qu'une prairie aux vagues prismatiques des gramens géants boulent sous le jour cru Submerge les vieux troncs de pommiers fantastiques Dont les branches, tels des reptiles écailleux Surgis par bonds grouillants des herbes bruissantes. De macabres chevaux cabrés et furieux Ou d'absurdes guerriers à poses menaçantes Se profilent sur un Jlano de cauchemar.

* * *

Avivé des soleils rouges des capucines,

Un faune décrépit, malignement camard,

Yeux plâtreux fin-clignés, narines en doucines.

Pommettes étirant le rictus craquelé,

Raille ces beaux décors de romans d'aventures :

Mais le nouveau-venu, dans le charme exhalé

Par l'air tiède frôlant les sachets des verdures,

Songe à d'autres regards, magiques mais éteints.

se mirèrent les savanes et l'eau triste

Et, dans la nuit des bois, les paillons des lointains ;

Aux lèvres closes dont le sourire persiste

14 AU SEUIL nn i. f.spoir

Sur les roses et sur les grains des lilas blancs; A celle dont la voix tinte en les sources pures. Dont la grâce lassée et les mouvements lents Ont ryihmé la langueur mouvante des ramures.

f

Et comme, tout là-bas, du bleu des floraisons Nuageuses s'encadre une haute fenêtre, Il pense qu'il est doux et cruel de connaître. Après bien des retours meurtriers des saisons, Les parcs abandonnés et les vieilles maisons Qui furent, pour les yeux charnels d'âmes aimées. D'ultimes visions maintenant déformées.

* *

L'allée ample qui mène au perron, lourd des pans D'un somptueux manteau traînant de sombre lierre, Jadis l'inévitable et lu si familière, Prolongement, clarté de la vie au-dedans. Dont l'aspect se mêlait aux intimes pensées De celle qui rêvait, le front près des carreaux, S'émiette entre les gros sillons des tombereaux En un chaos de cendre et de branches brisées...

AU SEUIL DE L ESPOIR

* * *

Puis, c'est l'angoisse froide et presque le remords. Quand la porte a cédé, sans cri, sans plainte basse, Muette comme pour l'indifférent qui passe

Devant lui, l'âpre évocateur des espoirs morts...

N'est-il pas plus brutal, plus sacrilège même, Lui qui revient troubler un souvenir qu'il aime Du seul amour banni du refuge apaisé, Du sanctuaire se recueille le passé, Qu'un rustre bestial à trogne curieuse Lacérant des crampons de sa botte boueuse Les coussins le pied céleste s'est posé ?

Ne sent-il pas un bras faible qui le repousse Impérieusement, lui seul ! et seul l'exclut. L'adorateur, jadis plus humble, et qui déplut?

Non, car une main tiède à la pression douce Plus gracile et pourtant la même qu'autrefois L'attire, croirait-il, ne quittant plus la sienne...

Leurre, aussi, les reflets de mer céruiéenne Et l'or vert du soleil tamisé par les bois

Qui baignent, s'épandant de croisée à croisée.

\(- AU SEUIL DE L ESPOIR

La chambre des lueurs étranges de ses yeux ? ... Mais bon leurre à jamais rassurant et joyeux Qui la ferait, non plus hautaine et courroucée Mais accueillnte à sa tendresse méprisée !

f

Bonheur ! Sa puérile et vague illusion

S'azure d'un rayon de folle certitude :

Plus d'interdit et plus de profanation !

L'Eden oublié dans sa fraîche solitude

Est à qui le voudra, pour des ans et des ans !

Voici l'asile offert avec la bienvenue

Entre l'abîme clair fuient, resplendissants,

Les libres horizons sans cesse renaissants

Et le secret des coins ombreux qui L'ont connue.

*

Et ce soir, revivant le jour qui s'écoula Sous la protection blmche d'ailes amies, (Le couchant effeuillant ses corolles blèmies) Il s'accoude à l'appui que « son » coude frôla Et plane dans le calme énorme et s'émerveille D'être le malheureux égaré de la veille,

AU SEUIL DE L E3P0IR

Guettant, haineux, la vie atroce, analysant.

Toujours atteint, malgré les ruses et les luttes, Le venin qui perlait aux pointes des minutes !

... Lui, doucement choyé par le moment présent.

Envahi, (par le bleu crépuscule idyllique),

De suave félicité mélancolique :

O vieillir dans les murs que son ombre a fleuris.

Ou, marchant dans ses pas^ en pèlerin fidèle.

Deviner sûrement les sites flivoris

A quelque grâce plus exquise émanant d'Elle !

Connaître ses réveils en le gris incertain, Aux sourires voilés du perfide matin, Sybillin prometteur au seuil de la journée ; Et ses recueillements sous le ciel qui s'éteint Q.uand la gerbe du clos diurne est moissonnée ; Suivre au-delà des flots son esprit anxieux,

Vers le large sublime, ne vont plus les yeux^ Et vibrer à sa trouble extase comme vibre. Aux rudes vagues d'Océans mystérieux. L'âpre élancement d'une aérienne guibre !

O ressassant bien lentement les longs chagrins, Si chers dans ce Présent et ce Futur sereins, Causer tout bas avec son âme retrouvée.

Dans la retraite qui dort aux soleils marins, Etrangement pareille à ce qu'il Ta rêvée !

^

III

/

Entre les genêts d'or citrin velouté, Cendrés par la lumière lourde et bleuâtre Et le mat hérissement crépu de l'âtre Araucaria, le flot d'été Se creuse en croupe de lapis fluide. C'est le matin sous le ciel déjà torride : L'hôte, à demi-couché dans le gazon profond Lit un livre fané par l'air mort des vitrines : Les feuillets piquetés du roux des mandarines Reflètent des lueurs molles se confond Un lilas d'aube avec des rais d'aiguës marines ; Les caractères fourmillants et bousculés Qui s'accrochent, pointus et comme barbelés. Semblent s'harmoniser, galopant sur la page Avec le rythme dur et le récit sauvage :

20 AU SHUIL D1-: L ESPOIR

C'est un poème tout fiuouche et violent.

Dans les sanglants brouillards des Sagas Skandinaves,

Aiguisé des exploits atroces des preux flaves

Qui brandissent un i^el d'acier rose en hurlant :

* * *

... Des hordes vont, par bonds, dans les hideurs polaires, Sous les nuages d'encre et le vol des corbeaux, Piétinant les vaincus dont la chair en lambeaux Se flétrit aux scabieuses crépusculaires...

* * *

Piii' kl livide horreur d'un jour d'étain,

Sur la mer couleur de saulaies, Des nefs barbares au flanc noir déteint Sillonné de dessins d'un vermillon de plaies,

Mâts brisés, cordages au vent Tournent, en cercle$ brefs, autour de gouff"res glauques S'entrechoquent avec fracas, s'enirecrevant : Et des grappes de corps d'où partent des cris rauques Flottent, roulent au flot turgide qui les tord,

AU SEUIL DE l'espoir 21-

Q_ui les brise d'un grand sursaut pesant et fort, Les éparpille en grains tourbillonnants et vite,

Les ensevelit d'un souple effort

Dans une nuit de pourpre subite

Derrière le rempart moussu de troncs grossiers

C'est l'affût sous la lune de jade Qui met un halo blême au cristal des glaciers ; Mais seuls, droits, accrochés aux griffes des ronciers Des squelettes raidis veillent dans l'embuscade.

Traîtreusement, à lents coups de gaffe prudents, Guettant, au petit jour, la bourgade ennemie, Brunâtre, sous ses toits de cuir sourd endormie Contre l'escarpement des rocs taillés en dents. Des fantômes velus, dans le fjord diabolique Dont les murs de falaise ont un éclat brutal, Dans l'aube; d'improbable et funèbre métal, Poussent, sur l'eau de bronze, un rampement oblique De barques plates, gisent^, cois, des guerriers . . Aux chocs mats des estocs centre les boucliers.

j

22 AU SEUIL DE 1,'esPOIR

Déjà le fond pierreux grince sous les carènes ; Chaque hutte apparaît avec ses ornements De nacre, d'ambre brut et de cornes de rennes, Fleuronnant un fronton lugubre d'ossements :

Debout, d'un coup de reins, sur les planches glissantes, Tout armés, les Northmen, les crins droits, l'œil -ailli Ploient leurs rudes jarrets de bêtes bondissantes...

Une clameur hideuse et sinistre jaillit

Des misérables toits, rugissante et navrée,

Glaçante de menace et de rage apeurée,

Qui vrille et stride, et gronde aux foudres des échos ;

Puis, c'est un pêle-mêle horrible de furies;

Et dans l'àtre prison des rochers verticaux

L'eau rousse sonne d'un long fracas de tueries.

*

En l'or serein du Soir, digne des Walhallas, Sur le ruissellement des flots de pierreries Aux brusques et bruissants éclats, De courts vaisseaux cambrés, hauts sur la vague brève, Montent vers l'horizon radieux Comme en triomphe et comme en rêve !

AU SEUIL DE l'espoir

A la proue, embellis d'un espoir orgueilleux, Penchés sur la splendeur qui fuit et se rétale Fulgurante, les durs Vikings rivent leurs yeux A des points bleus tachant la gloire occidentale :

... Chaine d'îles qui tend sa herse de récifs. Caps d'Erèbe dressant leurs formidables crêtes Ou molles plages aux festons persuasifs, Sinueux, découpant des rades toutes prêtes, Ces macules d'azur sur le couchant divin, Ce sont peut-être ces Terres des Prophéties, Obscurément, pendant des siècles, pressenties, Et qui se dérobaient comme un mirage vain Dans le brouillard strié de soleil des Légendes !...

* ■¥■

Est-ce le continent énorme et fastueux,

Monts d'améthyste ombrant les topazes des landes,

Qui constelle ses bois d'astres capricieux,

Fleurs de diamant rose et d'or mauve en guirlandes,

Quegardent, empennés d'éclairs, volants, rampants,

Tels que les dépeignait un candide grimoire,

Effroyables, moitié vautours, moitié serpents,

Des Etres d'airain rouge aux yeux de flamme noire ?

2 I AU SEUIL DE L ESPOIR

Est-ce le monde neuf, enfer et paradis les horames du Nord, fils des climats maudits. Fondant sur la Clarté, de l'aire aux nuits gélides, Conquerront, dans la lutte et les tourments prédits. L'ivresse du ciel pur et des Etés splendides?...

* *

Voici les points épars se grouper, se lier

En perles d'outremer d'un fabuleux collier

Qui se tasse en couronne énorme aux pointes dures,

Entamant l'horizon pâle, d'un or plus fin,

Blond, et comme glacé d'un souffle de froidures,

Monté du lent et long dentellement sans fin,

Ascendant, menaçant ! de la masse assombrie :

C'est le monde cherché, la future patrie :

La certitude, après l'ardente anxiété,

Naît de sa colossale et neuve étrangeté

Dont, insensiblement vite, le ciel s'encombre.

Et tandis qu'un relief fantastique de pics,

De promontoires, becs luisants dans la pénombre,

AU SEUIL DE L ESPOIR

De pointes basses qui se tordent en aspics,

D'écueils de jais, dressant de hautains monolithes,

Titans de Hell, debout sur le remous des eaux,

Impassibles et terrifiants Satellites,

Se projette, infrangible, au devant des vaisseaux,

Les Vikings, rués vers les avenirs sublimes,

Ivres, gardent au cœur le reflet d'or des cimes.

Qu'importent, maintenant, l'ouragan, les assauts Des nuits tragiques dont vibraient les coques frêles, La ronde en trombe des lames et le vortex Des écumes, blancheurs froides, surnaturelles^ Le mât strident crachant du feu comme un silex, Les chocs tintants et lourds d'épaves bondissantes, f\.dieuxet glas des nefs voisines, périssantes, ...

..;^Et tous ces compagnons vivaces et brutaux, !*leins de joie outrancière et d'appétits de bêtes, ^ui s'élançaient déjà vers les sauvages fêtes Du Triomphe, sur les pavois monumentaux, >aoûls de sang ruisselant, de plaintes savourées !

.. Et qui flottent parmi les poulpes, les calmars Vvidcs et gluants, monstres de cauchemars,

26 AU SEUIL DE l'eSPOIR

Par les troubles hauts-fonds d'algues enciievètrées, Au glauque et pers et flou crépuscule vitreux D'opalescentes émeraudes mordorées, Et vaguent, « dans la mort encore avenliireiix », Déchets humains, limon futur des îles vertes, Ou victimes aux dieux affreux des mers offertes !

Qu'importe ce qui flue et s'abîme, dissous, Dans les gouffres d'oubli des informes dessous, Quand s'affirme le but fuyant et séculaire !

Dans les esprits tendus vers le sol dévoilé Surgit la vision tumultueuse et claire Du rivage désert sonorement peuplé ; De ports, lançant leurs mâts en flèches lumineuses Vers les sommets plantés détours vertigineuses; D'entassements de toits irisés de soleil, Titanesques cités, montant dans l'air vermeil, Floraison de la Race et son apothéose ! . .

Sur le feuillet, poudré de micas scintillants, S'allume comme un bref et pur flamboiement rose Et le poème en vers de fer brut, sautelants :

^

AU SEUIL DE l'espoir 2"]

« Erik dans l'ocre du sable

« Jette son épée à pointe de givre

« A rugueuse garde rouge de cuivre,

« Qui se fiche, sans trembler, droite et stable, « Comme elle trouerait un roc ;

« Et clangore : A toi^ Terre 1 c'est un troc ! ('- A toi l'acier frigide et blanc « Aigu comme l'air des nuits de lune, « Gravé d'un occulte et puissant rune « Qui t'imprimera ma gloire au flanc, « Marque indélébile, sceau fatal !

« A moi tes trésors pour mes ours grondants « Qui descendent du Nord de cristal

<f Sur leurs icebergs craquants et fondants, « Flérissés de grisâtres aiguilles ! »

Vers les grèves aux lourds feuillages inconnus, Tandi ) que le flot baisse et découvre les quilles Des vaisseaux balafrés, vrais corps de guerriers nus, - Les Northmen, fascinés par la Nature neuve, S'égaillent comme un vol pillard d'éperviers roux ; Et la flotte minable et noire s'endort, veuve Des chants de forcenés et des vivants courroux,

28 AU SEUIL DF. l'eSPOIR

Toute plate au milieu des brisants et des flaques Qui miroitent aux longs rayons jaunes pleureurs, Sous l'effilement des sanguinolentes laques...

Au loin, dans l'épaisseur des bois, sur les hauteurs, Une clameur bondit et flotte et se prolonge, Martelant les échos rocheux^ de pic en pic : Et quand l'ultime cri se répercute et plonge Du dernier roc côtier dans les Terres de Songe, Il acclame le Jarl Erik : « Hurrah, Erik ! »

Erik ! L'hôte du calme eden feuillu des plages Pose le livre sur les ondes du gazon Qui chatoie aux émaux changeants de l'horizon Et rit tout bas, d'un rire acre d'anciennes rages : Erik 1 Le nom casqué, barbare et triomphant, Evocateur du sec frisson d'armes grinçantes, De noirceurs de sapins, arêtes rebroussantes Dans le gel^ aux appels d'un sauvage olifant, Aux cliquettements clairs des glaçons qui bleuissent, Des antennes de mâts crissantes, se hissent D'étranges flammes qui claquent dans le vent fioid ; De croisières cinglant dans les limbes polaires, Sous la fauve pâleur du soleil qui décroît !... Le nom de rauque gloire et de reflets stellaires

AU SEUIL DE L ESPOIR 29

...Et son nom de piteux poète bafoué. Victime d'un vain, d'un imbécile caprice !

Erik ! Tel fut l'absurde oriflamme cloué

Sur l'être souffreteux > de face inséductrice

Et grognonne, débile et gauche, un peu tortu^

L'écolier orgueilleux, brave et souvent battu,

Le timide, rêvant pour revanches futures

De lointaines, de surhumaines aventures

Et quasi-mort après quelques milliers de pas,

Le barde envasé dans d'immondes écritures

Par des brutes qui lui mesuraient ses repas.

Industrielles et commerciales hures !

Le tendre qui s'en fut, matelot par dégoût,

Singe paralysé des mâtures gluantes.

Voguer vers lldéal sur des barques puantes

Portant aux Noirs le « schnick » folâtre et W alougou »,

Le TibuUe raté qui rima des réclames

Pour le « Fard Virginal », le « Savon Trompe-Faim »

Ou les bonbons, fougueux ténors d'épithalames !

Le c( Vieux de quarante ans, » par hasard riche, enfin.

Exultant de l'accueil d'une morte fantasque.

Si dédaigneuse du chétif héros northman,

Jeannot, Hilarion, Barnabe, Lafleur, Basque,

Tartempion, Médor, soit! Mais Erik!... Vraiment ?...

Tout le passé renaît, humiliant et rude^

30 AU SEUIL DH L ESPOIR

Des transes de l'enfant aux rancœurs du vaincu, Avec, seuls rayons bleus du plat drame vécu. Après l'activité stérile et l'hébétude Dans l'empoisonnement des miasmes humains, Les heures de répit sur les altiers chemins De balsamique, de charmeuse solitude !

r

* * *

A-t-il même pleuré dignement, à l'écart. Gardant pur dans son cœur son lys brûlant et pâle Comme un vase sacré dans un pli de brocart ? Las ! Dans ce cœur plus d'un rampant souvenir râle, Toujours agonisant et jamais « achevé », Souillant la fleur mystique au douloureux pétale : Parfois même le monstre irradiant, lavé Par les flots d'or lustraux d'anciens soleils magiques Comme l'on n'en voit plus qu'en mémoire, froissa Le calice froissé de spires énergiques...

Alors, le seul amour véritable glissa Tout au fond de son être en goutte corrosive De suave parfum vénéneux, dissolvant Occultement la joie équivoque et naïve.

AU SEUIL DE L ESPOIR 3:

*

* *

Et sut-il seulement souffrir, en s'abreuva»' t De consolations grossières et factices ?

Voici qu'une douceur atroce l'amollit

Aux rappels d'un plaisir honteux qui l'avilit,

De Saturnales et d'idylles corruptrices !

Sont-ce les clairs reflets, âmes des joyaux pers

Recelés par les flots de lumière liquide

Qui, dans leur « va-et vient » désinvolte et languide.

Lui rapportent sa vie, éparse sur les mers

Et les continents le mirage fulgure,

La parant de leur prismatique diaprure ?..

... Il trouve un acre charme à ses oublis pervers

Et se raille, pleureur à douleur « malléable »,

Victime intermittente aux tourments si dosés,

Prosaïque martyr à peine misérable !..

i

... Car même aux jours tous espoirs semblaient brisés, Dégrisé des senteurs des bouquets délétères. Errant dans les ronciers de trop réelles terres,

y

^2 AU SEUIL DE L ESPOIR

Traînant ses remords las et ses pensers navrés Sous la menace des nuages bas^ cuivrés, N'osant pas plus songer à la neige odorante Des lys, des blancs rosiers de ses amours d'antan Qu'aux divines fraîcheurs de son âme d'enfant, N'a-t-il pas, tout à coup, respiré, pénétrante, Comme un soupir floral plein de compassion, Une haleine des temps chers d'adoration, Albe, emparadisante, oh ! jamais dissipée, Malgré la faim d'aimer assouvie et trompée !

Tels les effluves d'or tiède et de miel ambré

Des solaires genêts, dans les midis limpides,

S'émanent à regret, légers, presque timides.

Aux touffeurs des jasmins et de l'œillet poivré.

Et s'épandent en la nuit lorride, accablante.

Comme opaque, sans un sourire d'astre aux cieux,

Sapides et violemment délicieux.

Réexhalant, parmi la flore somnolente,

En fluide qu'on sent avoir été vermeil,

L'âme embaumée, et qui sait?... tendre?... du soleil.

Ém*

IV

1

La brume se déroule en troubles mousselines Lâches, d'argent fumeux broché de fleurs lilas Et lustre d'un brillant mouillé les cornalines Des branches fines, la blondeur des chaumes plats Et le satin crépu des croupes des collines :

En Técrin sombre des gros arbres arrondis

Qui retiennent la nuit sous leur velours, la baie

Semble, aux derniers frissons de la houle tombée

Un diamant vivant aux feux pâles verdis :

Dans le ciel veiné d'une opaline marbrure,

Le soleil transparaît en vitrail flou, teinté

De topaze mourante et de rubis lacté ;

La barque va, rayant Teau froide, comme dure.

>

34 AU SEUIL DE L ESPOIR

D'un sillage luisant et mince, au frisselis Coupant, d'où gicle, bref, un bouquet de paillettes.

De longs sentiers de bois aux voûtes violettes Pivotent, découvrant leurs lointains de taillis Devant le glissement de la yole filante.

Parfois, sous l'épaisseur moite des frondaisons,

Se devinent de noirs conciles de maisons ;

De loin en loin cligne une étoile vacillante.

Qui grandit, vitre d'or que sabrent des rameaux

Et qui jette un clinquant d'irradiants émaux

Sur quelques feuilles, dans la masse ténébreuse ;

Puis s'enfonce en cillant dans l'ombre vaporeuse.

Œil rouge et triste, ouvert aux soucis du matin,

De flamme plus vivante en sa mélancolie

Que le jour qui s'allume au vitrail incertain

La forêt fuit et c'est la folaise polie.

Rose à peina, et la plage étroite aux rocs pourprés

les tamaris nains tremblent et s'échevèlent,

S'entrefouettant de leurs ramilles qui s'emmêlent,

Fils de souple corail à reflets mordorés,

Sous les premiers rayons, obliques flèches molles.

Les flots crêtes de blanc bouillonnent à l'assaut Du cap qui vire, ainsi qu'un monstrueux vaisseau,

AU SEUIL DE L ESPOIR

A l'élan du canot qui le double et les folles Mouettes volent comme une écume de l'air, Défiant le géant qui déchire les vagues De son brusque éperon d'acier rougeâtre et clair.

Déjà le large étreint la barque de ses vagues Chatoiements bleus qui font des halos indécis Liquidement glissants, embrouillés en lacis Arachnéens de rais éblouissants qui dansent Comme élastiques, se calment et se rélancent Sur le blanc miroitant du bordage verni, Au clapotis fantasque et berceur de la houle Dont le scintillement ruisselle, mousse et roule Glaçant l'azur de rets souples d'argent bruni.

35

L'hôte est bien seul dans l'air acre et libre qui saoule, Sous sa voile qui bat et s'enfle en se plaignant; Là-bas, une île est comme un flocon qui s'irise ; Un grand voilier spectral oscille en cheminant, Dressant de hautes tentes bises dans la brise ; La terre proche est un cristal s'illuminant Comme en songe ; pourtant, au creux d'une « valkuse « Plus précise avec ses arbres d'un vert épais.

f

36 AU SEUIL DI: l'espoir

La brume fume encore en fantômes drapés

De longues traînes de gaze mauve, onduleuse;

Et lorsque le dernier monte dans la tiédeur

Diaphane, nacrant l'exubérante brèche

Qui taille et blottit, dans l'humide profondeur

Des fervides rochers, comme une oasis fraîche,

La forme lente qui se diapré au soleil

Et flotte, évoluant sous un nimbe pareil

A ceux des Saintes, aux Sanctuaires mystiques,

Prend la langueur et les grâces énigmatiques

De Celle qui voulut, pour requiem, le chant

Inconsolablement serein de l'Océan

Et pour lieu de repos les bois mouvants des plages :

Peut-être a-t-elle aimé ce coin d'ombre frôlé

D'un souffle d'Inconnu, le Soir vert des feuillages,

Dans le sauvage éclat du grand Vide perlé !...

Va-t-il, en abordant à la falaise accore, Savoir l'occulte Sens de l'apparition Pourquoi vaine -^ Cueillir avec dilection Quelque secret qui la rendra plus chère encore ?

Vers la faille au bosquet marin qui le ravit Laissant porter sa barque au flux vif des vaguettes le ciel onde sous des béryls en aigrettes, 11 accoste aux parois de granit et gravit

AU SEUIL DE L ESPOIR 37

La sente en pleins blocs bruts, cliquette une source Qui bouillonne et sautelle et rejoint dans sa course Poudroyante, le vol des embruns lumineux. Pus haut, la mousse frise et tapisse les pentes Sous les verdures aux tiédeurs enveloppantes D'où filtre en tournoyants paillons, l'or bruineux Des Espaces.

Au cœur d'un bouquet de fougères Qui s'empanachent courts palmiers moins plumuleux, Une case de chaume et de lattes légères. Telle qu'on rêve, en son isolement joyeux, La paillette de l'Inde ou des forêts malaises. Se tapit en la sylve étroite des falaises, A l'abri du galop balourd et saugrenu Des bestiaux errants et des brutes humaines.

La porte basse, sous les liserons amènes. Larges yeux bleus, riants pour l'hôte bienvenu, A cédé sous l'effort des bises hibernales Qui raclent les ravins en trombes infernales.

Pourtant, l'air semble encore alourdi des parfums Qui hantaient ses cheveux aux profonds ambres bruns. Toute la pièce exhale une atmosphère intime Qu'il a connue : Il sent qu'il peut aller, sans crime,

3

38 AU SKUiL DE L ESPOIR

Aux rares meubles qui sont presque des amis :

Qu'il vit ailleurs, brillants d'une bourgeoise aurore

Et qu'il retrouve doux, fanés, comme blêmis .

Au divan de rotang tressé de Bengalore

Ou du Coromandel; au fauteuil \ semis

De roses naines dont les graciles pétales

S'effacent, éraillés dans le tissu blafard,

Papillons morts tombant très loin dans un brouillard,

A la table de faux santal, aux nacres pâles,

Dont le tiroir gardait ses livres préférés.

Et qui boîte, les pieds gonflés de vieilles pluies,

Tordus, rongés et leurs sculptures en bouillies.

Vraiment à plaindre, avec ses membres perforés,

Tant la ruine semble humaniser les choses,

Ajouter de tristesse à leur ennui muet

Et même de souffrance à leurs métamorphoses !

Pensif, il reconnaît jusqu'au bronze fluet

Dont le socle verdi cachait la clef menue

Qui dort encore, comme attendant sa venue,

Un peu rouillée en son sachet de velours noir :

Voici reliés de souple maroquin mauve, Tranche « pensée » avec un givre d'argent fauve. Signets d'hyacinthe, une améth3'ste au fermoir, Les Maîtres qnelle aimait pour leur mélancolie Et qu'elle appelait ses « poètes violets » :

AU SEUIL DE l'espoir 39

Ceux dont l'effusion lointaine et recueillie

A l'âpre exquisité de tels sombres œillets

Dans le soir pourpre, sous le tremblement stellairc

Délicieusement triste^ pleurs contenus :

André Lemoyne, Dierx, le divin Baudelaire,

L'ange déchu Verlaine aux tourments ingénus

Et le magicien Poictevin, dont la prose

Est un vers plus fluide à l'orient troublant

Qui surprendrait l'émoi nuancé, tressaillant

De la rosée au cœur d'aurore d'une rose

Ou la musique des rayons sur un cristal.

Il prend chaque subtil et précieux volume

Et tourne les feuillets comme un exilé hume

Les senteurs qui jadis montaient du Sol natal...

Seul, demeure en un coin du tiroir, tout livide, Tout froissé, tavelé des rouilles de la mer, Gardant, après des ans, comme un reflet humide D'abîme gris, béant sous la pâleur de l'air. Un gros cahier rugueux qui sort d'une enveloppe, Bien brillante pour lui ! de moire héliotrope : L'écriture indécise et brusque, il la connaît ; Et c'est tout un passé bizarre qui renaît:

vjO AU SEUIL DI-; L ESPOIR

\

Car ce poème qn'il a rêvé loin d'Europe,

Sous les nipas tagals ou les rôniers géants

De Guinée, aux frissons des pennes des Antilles,

Sur les grands orbes clairs, mouvants, des Océans,

Il l'écrivit au jour douteux des écoutilles,

Aux oscillations d'une lampe de bord.

Ou dans quelque « roumnh » de fantastique port

Presque invisible à deux cents brasses des mouillages

Sous les cascades, les miielstroms de feuillages.

Au milieu des buveurs au teint de bronze huileux

Rougi par la lueur de couchant nébuleux

Des lampes de « klapa » qui fumaient, grésillantes,

Cuivrant les hanchements lourds et les torsions

Fauves des bustes nus des servantes dolentes.

*

O le triste poème et les obsessions Qu'il réveille dans les fraîcheurs de la valleuse ! Quels bouges a frôlé l'Idylle ! Comme il sent Que son âme eût été moins atroce, oublieuse, Toute livrée au bas pittoresque et laissant

AU SEUIL DE L ESPOIR j\l

L'ame blanche au jardin des édslweiss mystiques,

Moins neigeux, roses de Ses pudeurs extatiques,

Dans l'exquisité d'une atmosphère de ciel,

Qu'en évoquant, par ces vapeurs de beuveries,

Parmi les rires sourds et les agaceries

Des gouges brunes, son rêve immatériel,

La pure vision d'aube vierge d'aurore,

Qu'il osa contempler et qu'il « voulut » encore,

En son inconsciente et lâche abjection,

Emue et souriante à cette passion

Triomphante du philtre « enchanteur » des relâches !

C'est ce papier souillé sur les tréteaux poisseux

De borgnes cabarets sumatrains ou malgaches

Qu'elle a placé, paré de soie auprès de Ceux

Qui de leur mélodie ample, aux blandices sûres

Bercèrent son spleen ou ses tendresses obscures !

O déchirer le vil cahier blasphémateur.

Le crasseux monument de plate effronterie,

Insultant et naïf et sincère et menteur !...

Comme il brandit la loque adornée et flétrie, Un vol papillotant de fins papier lilas Palpitants, retombant comme des oiseaux las S'éparpille, jonchant le plancher qui se ronge Des feuilles mortes d'un tendre automne de songe.

42 AU SEUIL DE l'eSPOIR

Qu'il recueille, non sans malaise et sans remords, Commentaires soigneux, écrits d'une encre étrange. D'un vert bengalisé de turquoises et d'ors, Qui semble refléter SES yeux pers, sous leur frange De cils de soleil brun septembral, triste et doux

>

Ces notes ont creusé, vers par vers, le poème, Inquiètes du sens occulte, des « dessous », Disant ce qu'eût voulu dire V « ctiivre » elle-même, La comblant des trésors de mille illusions. Prêtant un sens charmant aux grossières emphases. Fleurissant de bouquets discrets d'allusions Le désert spécieux des phrases, rien que phrases !

Il croit revoir « sa » tête inclinée : Elle a Relire bien souvent chaque strophe incertaine Dans le mystère vert de son ravin perdu ! La voici : L'index mat à la tempe châtaine. Son index rose-thé que le frêle incarnat De l'ongle à l'orient teinté d'un lait grenat

AU SEUIL D!- l'espoir 43

Nacre du chatoiement d'une perle florale ;

Les cils tremblent, baissés, sous la ligne augurale

Des sourcils d'un châtain plus sombre, duveteux :

L'éclat du ciel marin que la vitre tamise,

Adouci du frisson des feuilles dans la brise,

Poudre de jours cendrés diaphanement bleus

Et d'un smaragdin faible et flou la crespelure

Indomptable de sa mousseuse chevelure.

La bouche détend l'arc ferme, à peine charnu.

De ses lèvres d'un rose intense d'azalées,

Ou l'affine encore en un sourire menu.

Son nez cambré, mince, aux narines ciselées

Dans un ivoire aux tons camélia, gonflées

Imperceptiblement, subodore au lointain

L'insinuant parfum des forêts tropicales

Qu'il décrivit, pompeux, au hasard des escales.

Sa poitrine que moule un bizarre satin

Presque terne, malgré d'évanescentes flammes

Qui courent dans l'étofie, ondulantes, en lames

Phantasmatiquement serpentines de kriss,

Et qui rappelleraient les reflets indicibles

Des brasiers d'un couchant voilé sur des iris,

Se soulève, battante, aux passages terribles

De tempêtes, de durs traitements et de faim,...

O routes de retour que l'un cherchait en vain,

44 ■'^^ SEUIL DE L ESPOIR

Gouvernail arraché, mâts rasés, toile au diable, Entre la vague opaque et la brume insondable 1...

Il la détaille si nettement, l'œil mi-clos

Tout brillante de la rosée adamantine

De larmes qu'un rayon d'horizon clair lutine,

Le regard vers un point de 1' « au-delà » des flots, ...

... Une bouclette aérienne, un rien qui frise,

Enroulement de jour soyeux, presque irréel

Qui caresse le front d'un soupçon d'arc-en-ciel,

... Ce veloutis de pêche ombrant la nuque exquise,

... Et ce lacis d'azur faible sur le bras nu

Qui s'enchâsse d'un lourd bracelet inconnu

Comme ce collier fait d'opales lilacées,

De crépuscule tiède et triste nuancées

Et cette robe au feu violâtre dormant,...

Il la retrouve si semblable et si « nouvelle d,

Avec sa langueur grave, et dans son œil aimant

Quelque chose d' « atteint » qui n'était pas en elle.

Qu'il ne sait plus s'il la « veut », passionnément,

Présente dans la case son rêve l'appelle,

Ou si pris en pitié par un Monde ignoré

Mais toujours ambiant et « présent » dans l'espace.

Il n'est pas le jouet complaisamment leurré

De quelque bienveillant fantôme trop fugace!...

É^

AU SEUIL DE I.'l-SPOIR 45

Il est bien seul avec le vent du large, amer, Pénétrant les cloisons de l'haleine marine ; Et sur le manuscrit micacé d'eau saline Miroitent les yeux pers et railleurs de la Mer.

*

Mais, ensevelissant la lointaine relique

Dans le frêle tombeau du vieux meuble effondré

Il découvre ces vers d'un feuillet égaré

Que cerne un trait puissant de l'encre chimérique :

« Si l'amour qui franchit les gouffres est menteur « Quand il hante, plaintif, l'âme qui le repousse « C'est un perfide, aussi, que l'oiseau migrateur « Qui fuit les bois du Sud et la floraison douce « Des bosquets roses vont giter les ramiers « Et la feuille roulée en nid qui le recueille, « Cherchant au Nord pâli les vieux murs coutumiers « Et la fenêtre amie bat le chèvrefeuille, « Et le lierre noir bruissant du frôlis

« Des églantiers grimpants et des volubilis »

3'

46 AU SEUIL DE l'espoir

Lui-même vient répondre à sa propre détresse

Et l'emphatique trait dit qu' Elle a deviné

Le pauvre cœur privé de réelle tendresse

Et que n'ignorant rien elle a tout pardonné.

* *

Il reviendra parfois dans l'étroite cabane

tiennent les lueurs de l'énorme Océan,

Le Vent, dur pourvoyeur de Tabîme béant,

Tout ce qui flotte et sombre avec tout ce qui plane,

Et bien humble, mêlée aux tragiques combats

Des Forces folles, dans la ruée emportée,

Parcelle de l'embrun qui flotte ici, là-bas,

Vers le Vague^ sa vie entière reflétée ;

Et dans ce cadre fruste et naguère choyé

Pourtant, paré de fleurs dont telle jardinière,

Malgré les Ouragans hurlant dans la chaumière,

Conserve encore un fil roux de tige^ noyé

Au mince flot d'oubli montant de la poussière.

Dans ce cadre infléchi qui dure en s'eff'ritant,

Vieillot à souhait, plein de souvenirs d'antan,

Il revivra sa trop berçante adolescence

Et sa maussade enfance, et sa maturité

Trop précoce, de fruit gaulé, meurtri, gâté

■jLééU

AU SEUIL DE l'];SPOIR

47

Par les doux créanciers de sa reconnaissance, En relisant ses vers dont la sincérité S'affirme en la si chère et lointaine Présence.

* *

Au « Noroît )) qui se lève, estompant le bleu vif

Du ciel plus froid que gagne une buée ailée,

La barque « hanche » sous la voile regonflée :

La côte se referme en rampart agressif

Dont les pointes de roc, rouge denture avide

Se tendent méchamment pour happer les vaisseaux^

Et les vallons boisés, refuges des oiseaux

Et des rêves lassés des essors dans le vide.

Comme l'herbe et la lande astrale des ajoncs

Ne sont plus qu'une mousse aux flancs d'âpres donjons.

1

* * *

Dans la lagune étroite et profonde l'eau gronde,

D'un olivâtre vert glacial sous le grain

Et s'enfle en galopant, roulante et furibonde,

Se flagellant de ses crinières de poudrin,

Enlacé des varechs que le flux brusque entraîne.

Un brick noir fourvoyé rourne au bout de sa chaîne

48 AU SEUIL DE l'espoir

Giinçinte en les naseaux de fer des écubiers.

Et les moutons errants qui paissent sur la dune

Se tassent à l'abri frissonnant des halliers,

Sous le vent rebroussant leur toison beiire ou brune.

ï

Clairsemés, des pêcheurs aux « cirages » battants Que l'on ne voit qu'aux jours farouches de bourrasques, Toujours enfuis aux bleus perlés et miroitants. Courant sur les bancs clairs des croisières fantasques, Ou terrés dans la nuit fumeuse des taudis, Sur les buttes de sable, incrustés et roidis, Surveillent leurs bateaux mouillés loin dans les passes. Et comme le canot range les pointes basses. Rasant les coteaux bis piqués de joncs marins D'où se détachent sur étain les silhouettes Claquantes des guetteurs obstinés et chagrins. Sinistres sous le vol livide des mouettes, L' « isolé » qui bataille avec son foc mouillé, Songe, naïf_, que ces haillonneuscs statues Le devinent, peut-être, et prennent en pitié L'équivoque rôdeur des ravines perdues, Ou qu'une Seule a « 5"// », qui n'a pas oublié

AU SKUIL DE L ESPOIR * 49

Et ne guette que lui, débile, dans son cotre,

Spectre vengeur, gardien du mystère d' « Un autre ».

Et souriant un peu du lugubre roman

Eclos dans son caprice à la hideur sournoise

Des nuages en deuil qui font, se déformant,

Glisser sur l'eau de fiel des vampires d'ardoise,

Et ne sont plus bientôt qu'un crêpe diapré

Dont l'écharpe s'effrange aux rondeurs irisées

Des collines riant de leur vert relustré,

Il voit monter son toit dans les masses boisées

Et luire les clins d'œil changeants de ses croisées

Inviteurs sous leurs cils, de glycine alourdis.

Si vermeille aux dardants soleils d'après-midis,

Dans la rouge chaleur, sommolente et joyeuse,

La vieille maison semble en la jauneur crayeuse

D'un timide rayon comme convalescent

Que filtre un cumulus d'ocre bleuâtre et brune

Serti d'un fil d'or violet, opalescent.

Un logis d'enchanteur sous un rayon de lune.

* «

Et malgré sa douceur de gîte reconnu. Tendant son perron bas au flot qui le ramène, L' « hôte » la sent pareille à ce carbet chenu Qui se meurt, là-haut, de tristesse surhumaine :

50 AU SEUIL DE L ESPOIR

Deux moribonds n'ayant qu'une âme pour eux deux

Le charme condamné de SA mélancolie

Et qu'une expression dans la vie abolie,

Qu'y fixèrent de longs regards des mêmes yeux.

\

Flave, le dieu Matin chante aux crêtes feuillues Et s'envole, semant son duvet de brillants

Sur le mateur des lys et les joufflues Pivoines, aux teints irradiants. Et sur les scabieuses moroses. Dans le ré^'eil suave des jardins,

A l'haleine rose des roses Et des encens incarnadins Qui montent de la chair de blondes des jacinthes. Divinement, labialement plus roses.

*

Sur les vaguettes radieuses et ceintes D'un sable qu'on dirait en poussière de fleurs

5 2 AU SEUIL DE l'hSPOIR

Voici que le coma nocturne se dissipe

Des miroitements et des couleurs.

De protéennes transparences de tulipe, De géranium-feu, d'œillet, de fuchsia De crocus de safran, de verveine sanglante, Jouent et fulgurent dans la trame sautelante De souple cristal l'indienne Maïa

A broché ses fantasmagories.

L'eau des fonds rocheux s'agathe de stries Serpentines, aux embrasements sourds vacillent d'étranges longues tours De mosaïques et de pierreries.

Sur le banc mouvant d'algues, agité

De tremblements faibles qu'on devine Dans la verte diaphanéité

Qu'un feu de Bengale illumine, Le brick noir appareille, ancres aux bossoirs Et sa fine guibre se dresse et se cambre Aux souffles, tulles des infinis miroirs, Qui halètent si doucement dans la chambre !

Entre les bleuâtres échevèlements Flottants des lianes minces des glycines, L'hôte réjouit ses yeux des ondoiements Des alacres coruscations prasines

AU SEUIL DE L ESPOIR 5^

Sur la carène en cuivre pnsmatisé

Et sur le sombre arc-en-ciel de la membrure

se dilue en parure Le noir, de fluescents joyaux attisé.

Aux mâts claquète la voilure bise

Les gros câbles sonnent dans la mer,

Zébrant de balafres d'outremer Le clair brasier vert que souffle la brise.

Et toute la baie étroite retentit D'un émiettement de verre qui se brise

En sonore poussière qui resplendit Joyeux, aux tintements lents et longs d'échos tristes, montent et plongent des accords de harpistes.

Dans un passé bizarrement regretté, En l'extrême matin^ par des jours semblables, Mais plus affolants de limpide beauté. Par les fraîcheurs tièdes inoubliables. En la pénombre adamantine dont l'éclat

Etemt les vitreux midis d'Europe, Quand les mornes de sombre grenat Et d'émeraude noire à cîme héliotrope

54 AU SEUIL DE l'espoir

Laissant darder à peine un javelot doré De l'exultant soleil à l'armure aveuglante, Combien de fois, pour lui, n'a-t-elle pas vibré

La plainte grave (et pourquoi consolante ?) Qui sourd sous l'énervante exquisité Des rires cruels des eaux réveillées, Dans le rade, bois lumineux, planté De mouvantes mâtures effilées ?

Des canots allaient et venaient, dans le remous De bien plus immenses gerbes florales Aux pétales translucides et mous Qu'allumaient les courtes flammes astrales; Chargés de noirs, leurs faces de jaïet Ruisselantes d'une mordorure...

Le flot couraient les formes s'éparpillait En la jaillissante bigarrure Des écumes d'argent améthysé, D'opales roses, d'aventurines, Autour des gros trois-mâts, dans l'air vaporisé Des adorablement tristes saveurs marines.

AU SEUIL DE l'espoir 55

Tout près, à terre à l'arôme acidulé Des oranges vertes et des mangotines Poivré de goyave et de vétiver mêlé, Sous le crépuscule embaumé du haut feuillage En dômes aigrettes de cocotiers ténus

Des dalles bruissaient sous des pieds nus, Par le demi-sommeil du Marché du Mouillage, la fontaine chantonnait tout bas. Gazouillante et purement frissonnante.

Dans la myrrhe d'aurorales Sabas, Des reines brunes à gaule traînante. Aux madras teints de solaires gaîtés, Couronnes de luisantes chevelures, Dont fuyaient de fins anneaux révoltés Sortaient processionnellement des verdures.

Guettant leurs lentes ondulations De lianes aux brises rhytmiques Les lisses et rondes flexions Des cols, nacre de bronze, aux colorations Plus chaudes que les tons éclatants des tuniques, Il les suivait, d'un œil complice, un long momem En leur nonchalante mutinerie Vers leurs cases qui bordaient l'eau fleurie, Tout en regardant douloureusement

5 6 AU SEUIL DE l'espoir

En lui-même une image plus précise, Plus présente, au-delà des mers du Nord voilé Que les belles du Sud dont la troupe indécise Déjà houlait dans un « voisin lointain » perlé.

\

Il « la )) revoyait, en un tel exil de son île

lui tentait de la rappeler en esprit, La pâle châtaine forte et gracile Errant près de l'Océan qu'assombrit

Le regret céruléen des flots des Tropiques, Sous les pins revôches, hérissés De leurs âpres deuils métalliques,

Grandie un peu dans ses souvenirs tout grisés Par la jeunesse des matins féeriques^

Et si sereinement chagrine, en sa beauté De rêve nimbée et sertie.

Faite de grâce éteinte et comme ralentie,

Elle dont l'œil profond au charme contrasté. Aux troublantes lueurs vertes et bleues, Mieux qu'une prunelle de soleil noir, Occultement, à des milliers de lieues, Surnaturel et mystique miroir

AU SEUIL DE L ESPOIR 57

Reflétait l'âme violemment harmonique, Ardemment douce, et les sortilèges secrets

De la mer Caraïbe et des forêts De l'envoûtante, alliciante Martinique !

*

Et comme s'affirmait sa vision Ciselant et peignant la délicate amie. Si cruelle à sa passion, De courts battements clairs sur la rade accalmie Tombaient en un éclaboussement musical... Un sillage de neige en traîne pétillante, Aux dessous brodés par l'Océan tropical De confus œils de paon sur soie étincelante

Rasait la muraille noire oscillante :

Une yole ramaient deux coolees de Karikal Et le vieux patron câpre à figure placide Filait le long du bord, tressautante et rapide. Décrivait des circuits planants de tiercelet. Puis resserrait son vol glissant, toute frôleuse, Et fascinante, d'un rose un rien violet, Enlaçant les trois mâts de sa spire enjôleuse :

'jS AU SEUIL DE l'espoir

A rarrière, cambrée en un svelte abandon

Grande et fine en sa « gaule » orange à fleurs pourprées.

Calme Ariane ou très consolable Didon,

Ses yeux vagues perdus au large, aux Empyrées^

Gemmes au velouté sombre des nuits astrées,

Vagues et si hautains, et ne daignant rien voir,

Ni rien, Dieu merci ! daigner vouloir, Alizia, la moins cruelle des « vincibles », « Zaza », Mylitta des satrapes du long-cours, Idole parfumée aux fulgurants atours.

Promenait ses grâces impassibles.

Etait-ce, vraiment, tout à fait la même Que la Brusque au sourire adorable et méchant

Q.ui caquetait, le regard aguichant,

Ses bras fauves nus et le diadème Hiératique du madras en coup de vent Simulant un bonnet de folie les cornes De quelque diablotin plutôt mal embouché ; Qui débitait d'un air mi-sucré, mi-fâché

Des « horreurs à faire éclater les homes », A déhancher sous les sourcils froncés des mornes

'--^''^-

AU SEUIL DE l'espoir 59

Le phare assez grincheux de la Place Bertin ? Que Zaza, la (( brune » au teinr ravenelle A la peau fraîche comme un bouquet, au matin, A l'âme d'arc-en-ciel trouble de gitanelle. Ou de fée ivre des suavités de l'air.

Qui pleurait pour une chanson « trop belle » Ou se convulsait, pour un mot, d'un rire amer Que ponctuaient des cris aigus de rage toile ?.. Que la gamine qui fuyait comme s'envole La libellule, au ras des touffes de roseaux, Dans la cour aux murs bas dominant les « accores » |

Aux gros pavés de « roche » ivorins et sonores 1

dansait le reflet bleu, tremblotant, des eaux, se répercutaient, la nuit, les chocs des lames, Et là, dans la blancheur frénétique des flammes Tombant du ciel, montant du sol éblouissant,

s'évaporait le cobalt pulvérescent

Des ombres d'un balisier, flottantes,

Exaspérait les trajectoires éclatantes

Desanolis, bijoux d'or vert incandescent, Ou criait d'amicales injures

Qui ricochaient languidement sur la tiédeur

Lisse et lourde des flots solaires en torpeur

Vers les voiliers mastocs aux inertes mâtures Endormis sous l'éternel Eté,

Dans le demi- jour frais par les tentes bluté,

6o AU SEUIL DK l'eSPOIR

Sur le remous des lentes moirures. Tandis que jouaient, en éclairs nonchalants, Sur la sombre glace des coques lustrées

Des scintillements d'astres fluents ?

Ou même la triste aux chants ensorcelants Sur des paroles enfiévrées ?

Comme elle semblait loin dans les vieilles soirées Dans les Midis vibrants et défunts, Sous ses tuiles capucine aux ors bruns, La case de bois fraîche, bleue et grise,

Comme diaphane et si discrète, pourtant,

Ouverte aux parfums rôdeurs de la brise,

Loin dans la veille et dans le lendemain latent,

La case toute proche, entre ces deux palmistes

Un peu roides, aux troncs bulbeux, aux lisses fûts Emplumés de peluches fantaisistes,

« A toucher t> le beaupré dont les cercles confus La griffent doucement, tant l'air limjide Partout également hyalin Abolit la distance et le vide. La porte bat faiblement et se plaint

Au souffle vif qui fait houler de longues pennes

Et les crêpes clairs des filaos affligés ;

Le balisier sauvage aux satins eflrangés

AU SEUIL DE l'espoir 6i

Frôle sèchement les minces persiennes

criaille une voix de fausset. Toute la vie éparse aux frêles boiseries Chante, voisine pour une oreille qui sait.

Et tournoyante en ses agaceries

La fine yole si longue à revenir L'emporte, bruissante, et chère, et familière, Peut-être aux gouffres gris et flous du souvenir: Flous, non pas, —voici, nette en la demi-lumière Chaude, que filtrent les lamelles des volets

Qui s'embrasent, comme en cornaline, Comme en pétales de chrysoprasins œillets, La chambre tout embaumée et câline :

Voici les meubles aux reflets sourds de cobras, Le lit bas, ouragan dans les neiges. Les gaules, les foulards qui fleurissent les siège; Et tels qu'un vénéneux parfum dedaturas, Après tant de mortelles années, Ce doute frigide et consumant, Cette inquiétude en les charmeuses journées. Tout cet « Incertain » de pressentiment

\

62 AU SEUIL DE l'eSPOIR

Qu'importe ! Le soleil tombe droit sur Saint-Pierre,

Comme s'abat le vert des végétations

Croulant des mornes en mascarets de mystère:

Là-haut, l'éther anhèle aux palpitations De la terre moite et brûlante,

Terrible de splendeur et de fécondité !

L'aveuglement de la blondeur ruisselante

L'écrasement d'affolante sérénité^

Pénètrent, clarté molle et volupté

Délicieusement énervante et morbide^

La sieste de la case s'éveille, sapide,

Insinuant et comme en ondoiements subtils,

Un arôme de mangue et de roses musquées...

Ses yeux flambant noir sous les paupières arquées Illuminant le jais soyeux des cils, Ses petites dents d'amande laiteuse S'enclîâssant d'une rose pulpe de fruit, Se balançant à faible et rythmique bruit,

Le buste, demi-nu, roulant sur la beiceuse,

Zaza chantonne tout bas et tout doucem.ent D'une voix charmante et bizarre sonnent mélancoliquement Comme des notes graves de cithare....

AU SEUIL DE l'hSPOIR 63

O Zaza, c'est aussi l'acre et divin passé Qui sonne et pleure avec des sanglots de cithare Au souvenir de Tair tendre et bizarre Si douloureusement nuancé, Tout l'atroce, cher, inoubliable Passé !

1

«Zaza, chantez-moi votre beau chant triste « revivaient des fleurs défleuries « Et de lointaines, d'inretrouvables patries « Dont un pressentiment nostalgique subsiste (( Seul, dans nos souvenances flétries.

cf Voyez, l'ombre indigo plus ardente, consume « Le blanc des pierres sous les hauts lauriers graciles « Que si radieusement allume, « A l'approche des ténèbres hostiles, « La constellation d'étoiles de chair rose,

« le dernier vol, tremblant, se pose « Des papillotants papillons solaires.

^

64 AU SEUIL DE l'espoir

« Il flotte du regret dans l'air qui nous embaume « Et sous les diamants pourpre massés en dôme « Des brèves apothéoses crépusculaires, f< Poudrant de feux les bruns sabliers des savanes, « Les tentures et les aigrettes somptueuses « Des forêts, dais mouvants aux myrrhes capiteuses, « Bientôt vont bourdonner les nocturnes dianes « Du réveil de la vie occulte:

« Abeilles-tambourins, fifres-cigales « Vrombiront, strideront, pour quelles Saturnales ? « Rappels inconscients, mystères de quel culte « Qui couve, agonisant, dans les troubles mémoires « Et qu'un frisson d' « ailleurs » attise aux heures noires, « Dans la sylve épaisse, au flanc du morne complice ?

« Chantez de votre voix si chaude, si vibrante « Et si rare ! C'est le mystique instant propice « A l'évocation de l'Ame Unique errante « Qui se révèle en nous révélant et replonge « Au gouff"re aveuglant des clartés trop radieuses^ « Nous relivrant aux semblances insidieuses, « Nous, ses parcelles, nous ses avatars de Songe, « Menus brillants noyés du collier de lumière...

AU SEUIL DE L ESPOIR

...« Sur l'éclat dur du ciel ont fui, le temps d'un rêve, c( Des pollens de jacinthe et de rose-trémière : « L'écho des bois secrets va mourir sur la grève « En ses cadences trop parlantes et si vagues ! « Qui s'enseveliront aux roulements des vagues

« Mais votre chant « prenant » et magique s'élève, « Plus inquiétant^ plus adorablement triste « En se mêlant avec des douceurs affolantes « Au court deuil vespéral de fluide améthyse, « Aux secs lamentos des palmes volantes...

(

^< O l'incantation du tympanon barbare

« Et des flûtes ironiques, hululantes

« Qu'attire votre voix perverse qui s'égare

« Au-delà des seuils fastes de l'extase.

« La voici bruire en l'intime de la case

(.( Et loin, au profond de ncus-même^

66 AU SEUIL DE l'espoir

« Et que dit le frisson sonore qui s'empare

« De nos terreurs d'espoir ? (... Des cuivrures si blêmes

« Glissent sous votre teint de fleur-topaze, « Vos )^eux sont des nuits si fauvement constellées !.. « ... Et le chant bien connu, prévu phrase par phrase « Se transfigure sur les strideurs modulées. « De même tels parfums d'outre-siècle, torpides, « Epars aux limbes froids des senteurs-chrysalides « Doivent se réveiller^ toutes neuves fragrances, ft En d'indicibles mais précises ambiances, « Emanations des mêmes heures passées. )

« Brise acre, soufflant d'amères corolles « Et volatilisants les langes des paroles,

Laissant flotter, au plus, des gazes irisées « Sur le sous-sens du lent motif qui se déroule

« Il dit, ce frisson qui vous enfièvre « Et qui cuivre le brun corail de votre lèvre, « Les transes d'une morte et renaissante foule, « Les aff'res d'un a jadis » d'atrocités obscures, « Dans le vertige des ténèbres délétères, (( Et les degrés de feu d'ascensions futures!...

AU SEUIL DE L ESPOIR 6?

« Voici de mornes, d'immenses terres « Qui montent dans des ciels de mirage « courent des fantômes de villes, « Géantes, livides sous l'orage, « De vaisseaux monstrueux et d'effroyables îles « Menaçantes, sur un Océan qui rougeoie.

(( C'est sous un poudroiemeiît de lumière brutale « Le moutonnement flou des forêts qui s'étale

« Dans l'air souplement vitreux qui les noie « Et les rebrousse comme un vert remous d'écumes,

« Des forêts parlantes, Delphes et Cumes « D'un monde qu'écrase une énigme formidable « Et folle : Atteint au cœur alors qu'impénétrable !

« Sereins et protégés par des milliers de lieues

« De nuit sylvestre, les grands lacs, vasques d'abîmes

« Aux profondeurs paradisiaquement bleues,

« Recèlent des reflets d'épopée et de crimes,

« Comme les mines dans l'ignoré des barathres

« Aveugles des Sierras aux masses sépulcrales

(( Détiennent en secret les miroirs et les âtres

« flamboieront l'Ether et les splendeurs astrales

68 AU SEUIL DE l'espoir

\

« Dans l'horreur du Centre inaccessible, « Dominant les hauteurs calcinées « Que dévorent les roches ravinées « Qui semblent crever le ciel impassible, « En bouquets de lances confondues « En rudes jets de palmes neigeuses, « Daidantes, les sources éperdues « Jaillissent tonitruamment fougueuses « Du tronc unique de cristal tors des Eaux Mères « Qui se ruent, en roulant leurs sèves organiques « Par les plaines, jusqu'aux limpidités amères

« Des flottants Inconnus Océaniques « Qu'elles troublent du sang superflu des vallées.

* * *

... « Et sur un versant, morne en ses angoisses lasses, « Emergeant à demi des noires terres grasses « Qui la continuent, gît, les mamelles gonflées, « Les vastes flancs battants, la sombre génitrice, « Source des Sources, Mère éternelle et nourrice

AU SEUIL DE l'espoir 69

« D'un Monde qui la fuit et qu'elle renouvelle, « Force vive que capte un lointain sol vorace.

« Et tandis que le flux gaspillé de sa race

c S'épanche de son sein, grandit et ruisselle

« Sur la brousse qui cède et la moisson qui germe,

« Elle pressent, triste et réluctante marâtre,

« Sous le mur de vapeurs miroitantes qui ferme

c L'Incertain houleux et bleuâtre, « Le navire de proie atrocement rapide, « Le ravisseur ailé, guetteur de chair humaine, « Chair à labeur, chair à carcan, toute tépide, (f Engrais à prix réduit pour un coûteux domaine.

* * *

« Et sous la laque pourpre et grêle des sillages « Des chaînes d'ossements ont relié les plages

* *

« Les voix des tambourins, rauquantes et cuivreuses (.( Grondent comme la mer contre les cales creuses...

70 AU SEUIL DR L ESPOIR

f

« Apres cordes des titanesques Ivres c( Les étais chantent dans le bleu frais de la brise ; « Et la grande voile crémeuse frise « En un délire de sifflants rires « Le béryl volant qui se vaporise.

« Sur le pont lisse sous la rosée^ « Telle une pulpe de noix rosée, « De fins poissons vêtus d'un satin d'émeraude « Et de sombres saphirs qui s'étirent en soie « Frissonnante comme un corsage de ribaude « Tombent dans la lumineuse joie ; « Et débiles après l'envolée « Et les exultants efforts insanes « Se débattent_, froissant leurs ailes diaphanes.

« Les marins, toute toile larguée,

« Etendus près des souples mâtures

« Goûtent la radiance tiède et gaie

« Dans Texquisité des vitesses sûres.

AU SEUIL DE l'espoir yi

« Sous la mince paroi de planches résonnantes, « Frôlant presque le calme élyséen des siestes, « En la nuit oppressive aux épaisseurs gluantes « fermentent les malarias et les pestes, « Toute une humanisé, pêle-mêle enfouie, « Qu'amalgame l'Etroit de la sinistre caque, « Inerte et rompue et de noirceur éblouie (( S'affole dans l'horreur pesante de l'Opaque.

« DeTair ! dujour ! » Mais les bourreaux? La peur Qu'importe « Respirer ! Voirl » Après?... «c Tant pis! La fusillade! « Les buissons flamboyants des piques ! La noyade ! « L'angoisse a jugulé la peur, la peur est morte ! »

« Et la « pâte » de corps tassés, un instant forte

« De la cohésion d'affres exaspérées,

« Flot nocturne de poings^ de genoux et de têtes,

« Lame de fond de sourdes tempêtes, « Bondit vers les clartés brusquement espérées.

<( Le lourd panneau scellant le cachot se soulève « A l'assaut déferlant qui défonce et qui brise ; « Voici luire un fil d'azur tremblant de brise, « Qui contient toute béatitude et tout rêve, c Une bare menue, un rivulet, un fleuve « Du divin Bleu vital, source des Energies

72 AU SEUIL DE L ESPOIR

« Et des Fois, rayonnant ainsi qu'une âme neuve.

« L'air vierge inonde les poitrines élargies :

« O fraîcheur de l'ardent Soleil marin qu'on hume

« Comme un fluide d'or dont s'abreuve tout l'Etre!...

« ... Un déchirement sec qui claque !... Le pont fume;

« ... Un bref, inconscient combat dans le bien-être

« Du ciel retrouvé, du céruléen délire !...|

« Et les masses de bois et de plomb se rabattent

« Sur un tas d'os craquants des crânes éclatent...

<( ... Et^ sous les Alizés berceurs, un grand navire

« Tout blanc de voiles jouent des nimbes candides

« S'en va, hurlant de sourdes plaintes furieuses,

« Dans la gloire du Sud^ vers des îles heureuses !...

« Par les senteurs résineuses, humides « Et brûlantes du grand bois qui s'attriste, « Dans l'ombre rousse grandissante, « les éventails de fougère et de palmiste

« Concentrent le trouble des parfums rauques^ « Seule. sondant la nuit verte de chaque sente « Sous les fourrés bas qui s'attisent d'éclairs glauques,

AU SEUIL DE L ESPOIR 73

« Se coulant dans la brousse et fuvant les clairières,

« La « première évadée » avance à pas timides

« Et s'épouvante de voletantes lumières,

* ... Torches de poursuivants aux manœuvres perfides,

« Ou zigzags de feu pâle et vert des lucioles ?

« Au cœur de la forêt, protégé par des roches,

« Un abri tapissé d'herbes sèches et molles

« Se niche sur un tertre à l'affût des appproches ;

(( Et les arbres, serrés en ronde colonnade,

(( Se sont fondus si bien, troncs, lianes et pousses

« Qu'on dirait une tour d'écojces et de mousses..

i

« Après la longue route et la dure escakide

« La fugitive dort sous les rameaux qui chantent :

& Chers fantômes et présentes tristesses « En rêve, tour à tour, la glacent et l'enchantent.

74 AU SEUIL DE L ESPOIR

* *

\

« O sous les rôniers, robustes sveltesses,

« La lande rose iiux fins bambous, près de l'eau bleue 1

« O les bananiers sur le rucher des cabanes,

(( Et dans les élaïs bruissants des savanes

« Le vol des loris et des paille-en-queue ! « O les lentes musiques vespérales, « Quiètes, des mortiers de bois sonore « Tandis que crisse, frit, flûte et clangore

« L'orchestre des criquets de bois et des cigales !

« ... Le calme des guerriers protecteurs et superbes

« Torses d'airain noir, lances barbelées « Chatoyants dans le frisselis des hautes herbes^ « Au réveil, sous l'air mauve aux flèches ondulées « Qui chargent les gramens de moissons cristallines ! « Les petits dieux guerriers, difformes dans leurs niches « Et la danse sacrée aux cadences câlines, « Dans le vert de la nuit, sous les arbres fétiches.

AU SEUIL DE L ESPOIR 75

* *

« Oh quand fumaient, au loin, le soir, les huttes brunes,

« En le trouble hyalin qui montait des lagunes,

« La chaleur au cœur de se sentir attendue !...

« ... La pression des bons vieux bras qui vous étreignent,

« La douceur d'être aimée et d'être défendue !...

« ... Les intimes parfums du foyer dont s'imprègnent, « Comme d'une âme tiède, amie et rassurante « Les objets familiers qui meublent la mémoire !...

« La futaie isolée, âcrement odorante

« D'une exquise senteur étrange et « comme noire »

« se hasardent seuls les prêtres et les vierges,

« volète, à grand bruit, un esprit invisible

ft Qui sème, dans un jour d'abîme, sur les berges

« D'un lac nocturne tremble un astre noir, terrible,

« La noire fleur au suc de pourpre violette,

« Philtre vivant qui rend la peuplade invincible ?...

« O la futaie aux troncs carbonisés, squelette « De futaie, le feu de l'Oricha sinistre.

\

76 AU SEUIL DE 1/ ESPOIR

c Chango, se déroula par une nuit sans astres, « En lugubres anneaux de serpent rouge et bistre, « Douze lunes avant l'âtre flux des Désastres... tt Quand, au-delà du bleu ruban de la lagune, « Douze pointes de mâts dominèrent la dune !...

« Les huttes ?.. Cendre rose et par le sang durcie !.. « ... Voici que claquent les voiles des Blancs-Vampires... «... Des cris ?... Les bêlements de la herde éclaircie « Bourrée à coups d'anspec dans les quatre navires !...

(( Et le vol des gerfauts marins fend l'air humide, « Qui fuse faiblement dans les cales bondées, « Assez pour raviver chaque ferment putride, a ... Et se hâte vers les halles achalandées...

« Des mois ! Et le plafond de la prison se crève :

« L'air brûle les poumons des survivants étiques,

« Trop pur ! trop riche ! Et c'est enfin le port, la grève !

t O l'horreur sans nom de frondaisons fantastiques, « Des végétations, elles aussi Vampires!...

AU SEUIL DE L ESPOIR 77

« Point d'espaces ouverts au ciel, point de clairières

« le vital soleil égayé de sourires

« Les sillons, rides d'or des terres nourricières :

« se cache le sol sous ces rampements mornes,

« Ces bonds et ces sursauts et ces aériennes

« Explosions du Vert dont éclatent les Mornes ?

« Fond-il, vénéneux, en bourbes paludéennes,

« S'écaille-t il sous des lèpres exaspérées ?

« N'est-ce qu'un terrain traître aux surfaces pliantes,

« Gouffre dédalien d'herbes enchevêtrées,

a l'homme enlinceulé sert de pâture aux plantes ?..

*

« O radieux enfer, splendide et formidable, « On l'a bientôt connu, ton « sol ronge » si rude, « Ta couche d'humus riche et gras, trop insondable, « Mine d'or végétal, de fièvre et d'hébétude !

78 AU SEUIL DE l'espoir

* ¥■

^

« Tout semble irréel, fou, dans tes forêts magiques

« Au jour d'intérieur d'émeraude changeante

« les oiseaux connus deviennent chimériques

« Joyaux volants, rubis et perle chatoyante !

« Mais dans le flot planant des branches et des palmes

« Des fleurs géantes, des lianes flexueuscs,

« Tel calice ou rameau des époques heureuses

« Qui vivait isolé dans des flores plus calmes,

« Telle senteur qui tut moins brusque et plus précise,

« Qui tut l'accent parlant et net d'un "paysage

« Et s'accuse, même en la toufTcur indivise,

« Est comme un familier et consolant présage

« Pour les simples esprits à logique ignorante :

c Puisque des grains de teire ont traversé l'abîme « Et projeté dans la nature différente « L'immuable produit de leur essence intime, " Puisque leur floraison jaillit, plus vigoureuse « Dans le pullulement des espèces hostiles, « Pourquoi la Race neuve, éprouvée et séveuse

AU SEUIL DE L ESPOIR 79

« Périrait-elle au cœur de régions fertiles,

« Débordantes de vie et presque inhabitées

« germe un souvenir des plaines regrettées ?

■*

« Et quand les écrasants labeurs et la torture « Ont broyé sa passive et robuste endurance, « La fugitive admis sa dernière espérance « Dans un occulte appel de la neuve nature.

*

« Au réveil, des oiseaux dont la voix est la même « Que celle des chanteurs des sylves délaissées « Redisent de vieux airs qu'elle sait et qu'elle aime « Et tissent de gaîtés les brousses hérissées :

« Sous les mystérieux mahoganys dont l'ombre

« Brille à midi, du vol gemmé des oiseaux mouches,

SO AU SEUIL DE l'eSPOIR

« Sur le bûuillonnc'iient des corolles sombre « L'ossuaire fécond des centenaires souches, « Dominant des hauts pieds de leurs sinistres coupes « Le flot vil et charmant des espèces banales, « Des calices de jais, se détachant par groupes, « Semblent verser la nuit sur les houles florales :

ï

« Une étreinte a tordu son cœur : Elle s'élance !..

« C'est la senteur farouche et la sève qui brûle...

« C'est la plante du lac d'éternel crépuscule,

« Le talisman de Règne et d'Ombre et de Silence !

« Chasseurs d'hommes, valets à faces de corsaires, « Agitez dans les bois les comètes des torches ; « Molosses que des osts peureux de belluaires « Chassent à coups de pied de la fraîcheur des porches, « Roulez sous le ciel noir vos yeux de flamme rouge, « Fouillez le vent de vos naseaux jaunis de bave^ « Doubles canons hideux frottés de sang d'esclave, « Happez et retraînez la fugitive au bouge!..

AU SEUIL r)£ L ESPOIR

« Après ?... Elle a reçu de la Nature-Mère

« Le féerique dictame et le royal fluide

« Qui fait du droit brutal des Forts une chimère,

« Qui s'insinue en le sort trouble et qui décide 1

«... Douloureux, le retour enchaîné^ par 1 allé

« Rose de grenadiers sous l'or verdi des palmes,

« Les bambous fluctueux à frissonnance ailée

« Les bienfaisants manguiers, les artocarpes aimes ?

« Douloureux ? . . . Exultant de muette ironie

« Triomphale ! Ces pieds scarifiés d'épines

« Pèseront sur des fronts hautains à l'agonie ;

« Ces mains qu'excoria le fer d'ignominie

« Volatiliseront l'or des lentes rapines,

« Ce torse qu'éraillaient les lanières cloutées

« Eraillera les fiers satins, les nuageuses

« Mousselines, halo des épaules neigeuses,

« Et les dédaignera, défroques rejetées

« Voici, dans la douceur des pénombres bleutées, « La maison blanche aux fins piliers, au stuc d'ivoire,

5*

1

82 AU SEUIL DE l'eSPOIR

« Reflétant l'arc-en-ciel velouté des parterres, « Les portiques dallés de pierre rose et noire « Que garde l'aloës aux courbes cimeterres ; « La vérandah légère aux stores de feuillage, « Abri parfumé des songeuses esseulées, « En face du sordide et cahotant village « Des ajoupas, murs noirs, toitures dépaillées :

« Moins belle qu'aujourd'hui, mais lourde de parures,

« Jeune du charme heureux de celles qui dominent,

« Vengeresse avisée aux sagaces luxures,

« Dont les haines par sûrs fauchages s'éliminent,

« Elle se sent déjà la maîtresse ignorée,

« Celle qui fuit la tourbe et les lustres des fêtes

« Et qui préside à tout, absente et désirée :

« Celle dont l'âpre grâce et les formes parfaites

« Hantent les beaux danseurs pressant des tailles souples,

« Dont l'évocation brusque disjoint les couples

« Qui tournaient, corps fondn:, aux musiques lascives ;

AU SEUIL DE L*ESrolR S3

« Q.u'on chercherait en vain aux heures vaporeuses « Qui groupent en plein air, aux brises suggestives « Le bouquet pâle et blond des belles langoureuses ; « Mais que les regards froids des étoiles pensives « Suivent complaisamment dans les galas nocturnes, » Reine mystérieuse inspectant son domaine, « Sous l'éblouissement des blancheurs taciturnes, « Des reflets d'astres plein le brocard de sa traîne :

« Que l'ample volupté bleue, emparadisante,

« Des torrides Midis pénètre de sa flamme

« Terrible, qui se fait, pour elle, caressante,

« Tempérant la brûlure adorable et cuisante

« Du brasier de bonheur sauvage de son âme,

c. Tandis qu'au plus profond de la fraîcheur obscure

c( Avides de « non-voir », les siestes obstinées

« Maudissent la fureur des Beautés déchaînées

« Dont l'excès est en haine à l'w humaine nature ; »

« Et qu'elle, éperdue en les gloires diaphanes, « S'exalte de régner aux féeriques savanes, « Royaume fou d'ardent diamant qui s'azure.

AU SEUIL Di; L ESPOIR

\

« Et quand elle aura bien grisé sa fantaisie

« Par la possession des mornes et des plaines,

« Quand la brise, jouant sur les santals d'Asie

« Qui boisent les couloirs de leurs colonnes pleines

« Ne la frôlera plus que de fades haleines ;

« Quand l'exquis vétiver dont s'embaument les nattes

« Agacera son pied délicat que mordoré

« Le filigrane de sa babouche d'Indore,

« Quand marbre, ivoires blonds, ébène et failles mates

« Irriteront ses yeux pleins de « lointains » fluides

(I Et de houlemcnts clairs de feuilles dans l'air libre,

« Quand le tintement dur de la cloche qui vibre

« Aux lourds plis de damas des courtines placides

« Et harcèle l'essaim bousculé des Ilotes,

« Dans le gris-bleu d'aube rien encore ne bouge

« Martèlera son cœur d'un battant de fer rouge,

« Les refrains menaçants des complaintes griotes

« Résonneront tout bas, en elle, tyranniques ;

« Et l'Oricha qui l'a suivie et qui la hante

AU SËUlL DE L*ESPOIR 8)

(' Enlacera, parmi les clameurs d'épouvante, (I De couresses (i) de feu les piliers ioniques.

il: * *

« Et longtemps, des pitons lourds de bois qui dominent

« Le sol carbonisé des plantations mortes,

a. Seul aride et maudit, cerné des terres fortes

« Que les mauves plumets de cannes illuminent,

« D'innombrables yeux, noirs d'une noirceur solaire,

c( Refléreront, brillants de haine radieuse,

« Les décombres broyés par l'occulte colère ;

« Et s'aiguiseront d'une espérance railleuse

« A contempler, dans les cendres expiatoires,

« Les monticules d'os roussis, crânes et côtes,

« Que perceront, par jets, insolentes et hautes,

« Les aigrettes de deuil triomphal des Fleurs Noires !

1

* :J

« Et comme son cœur s'ouvre à la vie épandue « En la blondeur qui fuse à travers la futaie,

(i) Couresses, en créole, couleuvres.

f

86 AU SEUIL DH l'i^SPOIR

a Aux parfums, seuls tyrans absorbant l'Etendue, « A l'âme d' a: Inconnu » par les airs emportée « Dans un sauvage élan de liberté sapide, « senteurs, espace et lumière se confondent « En cieux intérieurs à l'Etre qu'ils inondent « D'immense bonheur vert et bleu dans l'or tépide, ce Un doux frémissement torturant lui rappelle « L'existence étrangère et liée à la sienne, « Chère, et qui s'imposa par la force cruelle, « Qu'elle accepte sans joie et conçut dans la haine, « Germe éclos de sa sève et d'une sève hostile :

« Et sous les bouquets noirs en sinistres fusées

« Voici pencher, blancheurs lividement rosées,

(( Eloraison maigre, exsangue et comme contractile

« Dont les plantes de jais étreignent l'atonie

« Dans un embrassement aux mortelles brûlures,

« Des corolles gardant d'exquises ciselures

« Jusqu'en le reploiement et jusqu'en l'agonie :

« Mais là-haut, effleurant les cimes des verdures, « S'épanouissent de prodigieux calices, « Nés du rapprochement des bulbes ennemies, « Captant les feux du ciel de leurs pétales lisses « Qui ne tamisent plus que des clartés blêmies,

AU SEUIL DE l'espoir 87

« Affinant, en la joie et l'ampleur conquérantes « La troublante vigueur des puissants lys nocturnes, « Des formes pures des mates fleurs expirantes, « Etinctlants de leur parure symbolique a De bronze et de soleil ! »

*

Dans l'air mélancolique Q.u'ont fui les derniers lilas diurnes Monte le chant voilé d'anonymes aèdes Avec le balsamique adieu des jardins tièdes ;

Mais les paroles insidieuses Mentent au sens obscur de l'âpre mélodie. Qu'écrivent, stances mystérieuses, Les signes scintillants dont le ciel s'irradie :

4

Tout s'adoucit au lent rythme des tamarins Bleuis par la lune qui gagne ;

gS AU SEUIL DE l'hSPOIK

Le vent chasse l'appel grondant des tambourins Loin dans le noir de la montagne,

Et la chanson n'est plus qu'un poème plaintif sanglotent des amours vaines,

s'instille l'espoir douloureux et craintif

Comme une ardeur triste en les veines :

^

... « Doudou vioin » allé au bail... c( Dans l'ombre chaude, sous les floraisons pourprées,

« Dans l'ombre rose, au fond du val^ « Hanchaient les grâces des muKîtresses dorées

« Et doudou moin » allé au bal : « Les fleurs rouges tombaient, sang des larmes pleurées

L'ami traître a souffert, lui-même; il reviendra « Auprès de son aimée ancienne ;

AU SEUIL DE l'espoir 89

« Et ses yeux questionnant mes yeux, il comprendra « due la place si triste en mon cœur est la sienne : L'ami traître et doux reviendra.

*

* *

« L'ami menteur a dit de plus tendres paroles « A la « brune » qui l'a grisé :

« (La nuit de ses regards brûlait de lucioles,) « Mais '/ connaît^ moin doux passé » !

Un trouble frémit sur les moires d'argent claires ; Des voiles vont glisser dans les gouffres stellaires : « / qiCa parti, hélas ! hélas ! C'est poii' toujours ! »

Un souffle semble ouvrir les forêts invisibles, Tremblantes du fracas plus rauque des tambours, Et court, échevelant les cocotiers flexibles...

\

90 AU SEUIL DE l'espoir

Sur l'onde de brillants tiuides dans l'azur Plein de frissonnements ruisselants et sur Les nuages baignés des nacres de la lune. Passent, flottants en lents et houlants défilés, Caraïbes, guerriers d'Erik, Ardrahs, mêlés,

Fondus en transparence brune, Osts sans armes, sortis, au bruit, des Walhallas, Lutteurs unis dans les splendeurs, de haines las,

Attirés par la même grève, Effeuillant des sommets de leur félicité. Sous forme d'une exquise et nouvelle beauté.

Un regret sur l'Ile de rêve !

VI

4

Il se souvient : Déjà la première fraîcheur

Qui fait trembler le ciel aux brillants des pétales

Meurt dans l'embrasement bleu, vague âme d'opales :

La rue étroite se consume de blancheur : Crêtant un mur fluide en l'onde lumineuse. Guettent la grâce triste et la carnation Sanglante et pure des Fleurs de la Passion, Gloires souffrantes dans l'ambiance rieuse.

AU SEUIL DE L ESPOfR

\

La Savane du Fort monte vers les Grands Bois, Alignant ses manguiers aux pesantes verdures Que lustre le matin de liquides moirures : Des femmes noires vont, se cambrant sous le poids De hauts vases renflés en amphores indiennes :

*

4

.... Se coulant à l'abri touffu des bananiers

Et fuyant les regards clignotants des persiennes,

De fauves Malabars cachent dans leurs paniers

Le court sabre en demi-croissant des coupe-cannes,

Djinns bronzés des ravins et des mauvais fourrés^

Reflétant, dans leurs yeux de braise, les arcanes

Des sentiers inconnus qui percent les forêts :

AU SEUIL DH L ESPOIR 93

Le pont bas : Des filets d'eau chantent sur les pierres ; De gros arbres touffus, arqués vers le courant, Hument les brises plus vives et plus légères

La ruelle tournante lux parois micacées

Semble engaîner un long kandjiar de saphir...

Et voici le sommet : Les maisons espacées

Qu'enchâssent des bosquets luisants de myrtacées

D'où jaillit, en vibrant, comme prêt à férir

Le trait, grêle-empenné d'un palmier des Guyanes,

S'égayent du frôlis envolé des lianes.

9^ AU SEUIL DE l'espoir

f

Et plus claire, baignant dans la fête du ciel

L'éclat chaud de son toit de tuiles oranf^ées

En le serein oubli des choses inchangées,

Derrière les genêts du Cap < dV et de miel »,

Les vakois exilés d' « une grâce endormie »,

Les durs « cactus boulets » dardant leurs piquants roux.

Les cachimans natifs et les élaïs Krous,

Celle grandit la douce et la « distante » amie

Est un albe sourire en un demi-sommeil :

Son palmiste d' « alors » aux « langueurs si mourantes » Eparpille toujours ses plumes transparentes Sous l'écran des pics d'un vert blond dans le soleil

.Art^lÉ

AU SEUIL DE L ESPOIR 9;

Et SOUS l'auvent frêle la vanille se Joue, Plus haut que la veilleuse jaunit un grenat, En leurs niches de fleurs de neige et d'incarnat, La sainte Vierge et Saint-Antoine de Padoue, Bons protecteurs aimés qu'on choie et qu'on avoue Veillent dans le rougeâtre et tremblotant éclat.

Ces bancs, à l'ombre, ont su ses espoirs de fillette; Cette branche cribla d'étoiles ses cheveux. Que de rêves fanés, d'espoirs, de secrets vœux S'associèrent à la tiédeur aigrelette Qui flotte dans l'encens poivré des goyaviers. La source a pleuré sa complainte cristalline Lorsqu'au petit jour bleu plein de gaité câline Ses pas d'oiseau crissaient sur les roses graviers.

96 AU SEUIL DE LhSPOlR

f

Au mur, le brusque arrêt d'or glauque fantastique D'autres anolis morts, d'éclair comme ceux-ci, Tordit, un moment, pour son puéril souci, Des chiffres fulgurants en bizarre gothique.

Ses yeux pers ont brillé derrière ces volets,

Voletant, comme deux lucioles diurnes.

Des vifs froufroutements de duveteux rubis

De l'oiseau-mouche aux verts rayons des colibris.

Près des fleurs recelant des nectars dans leurs urnes.

Suivant, dans la pénombre, en les glacis lustrés.

Les glissements du jour soyeux sur les feuillées.

Les éclipses de gros insectes mordorés

Sous le bronze terni d'écorces fendillées,

Ou les rampements lents, étirés et félins

AU SEUIL DE L ESPOIR 97

Des petits noirs, traînant leurs pieds gonflés et lisses

Sur l'allée ample aux chauds carreaux incarnadins,

Suivant le soleil et buvant avec délices,

De la bouche, des yeux d'émail noir grands ouverts.

De tous les pores de leurs narines de faunes,

La grande flamme douce aux enchantements jaunes.

Elle a su le parfum distinct de chaque fleur ; Et lorsque leurs muettes voix chantaient unies Le sens profond de leurs suaves symphonies.

Ce coin tiède a vécu tout entier dans son cœur

Et mourante, loin, sous Tombre d'exil des ormes, Aux longs frissons d'appel ami des mornes ifs. Aux « jamais plus » grondés par les vagues énormes, Comme il a hanter ses malaises pensifs,

6

yS AU SEUIL DE l'espoir

Le coin d'enfance, rassurant, inatteingible ! Comme il a se peindre en elle, tout paré De jeunes souvenirs et de joie éclairé. Comme elle a tenter de briser 1'» Infrangible » Pour s'enfuir,, en âme, aux tendresses de « là-bas »

>

*

Et lui, bien ignorant des futures tristesses. Qui la savait heureuse et reine sans combats, Divinité plus haute au milieu de déesses, Dans l'Olympe sublime et brumeux de Paris, Comme le site calme aux gaîtés caressantes L'a comme brusquement repoussé, tout surpris. Glacé, le cœur étreint d'une crainte angoissante, Comme il a descendu le morne à pas lassés, Trouvant des cruautés dans les bleus impassibles, Ciel et mer fondus en grands nimbes irisés, Souffrant d'une ironie en les chansons paisibles Qui montaient des élans courbés des gabarriers, Des prompts sillages blancs des barquettes pointues Des wharfs mirant dans l'eau de flageolants piliers Aux reflets épandus en zébrures « dentues »,

AU SEUIL DE L ESPOIR 99

Tandis que troublant le liquide nonchaloir

Eclataient, dans les feux et les neiges solaires

Des bonds et des plongeons tintants de cuivre noir.

Quelle brise née aux enfers d'acier polaires

A pâli les satins floches et pailletés

Des droits palmistes sur les pitons aigrettes ?.

^

Près des accores qui flambaient et dans la rue Du Mouillage, sous les gros arbres du Marché Comme en une clairière, aux bois vierges, caché. filtraient, par endroits, des rais de blondeur crue. Dans l'éblouissement des astres biaarrés, ff Fraises-pays », piments et bananes citrines. Tas d'oranges aux verts intimement ambrés, Bouquets de soleil jaune et d'aubes purpurines,

li

100 AU SEUIL DE L ESPOIR

Dans la fraîcheur adamantine des jets d'eaux,

Dans la subtile odeur exquisement charnelle

Des mangues, musc floral discret de brunes peaux,

Le jasmin orangé de la pomme-cannelle

Et la verveine acide et franche des citrons,

Quel souffle glacial, lugubre et prophétique

Apporta, tout-à-coup, à travers l'Atlantique

Cette émanation d'heures nous pleurons,

Qui monte de la nuit de silence des pierres,

Innomable, sournoise et que nous respirons

Sous l'amère saveur du buis des cimetières?...

vn

1

Zaza songe : En ses yeux humides, agathés De fins rais de soleil bruni, passent des ombres : Oiseaux de deuil planant aux couchants des étés, Cendrons noirs, envolés d'éblouissants décombres ?

Sa bouche, pourpre et bronze et perles de jasmin, Mord une fleur dont la rougeur de sang se cuivre Près de la chaude ravenelle de sa main ; Son petit pied nerveux et battant semble suivre Le rythme des marteaux qui sonncnr sur le pcit.

6'

I02 AU SEUIL DE L ESPOIR

>

Par les écartements des minces jalousies

Entrent toute la rade, avec l'arôme fort

Des navires, des monts boisés, les frénésies

Des rhums brûlés, luttant avec les vétivers,

L'encens des herbes dans les savanes désertes,

La douceur fraîche qui sort des cocos ouverts.

Le cordial « aiguisé » des flots d'oranges vertes,

Et la tiédeur sucrée au baume évanescent.

Fuyant comme l'éclair d'un sillage d'ondines,

Toute fluette sous le corossol puissant.

Timide haleine des énormes barbadines.

La mer semble un mur bleu qui touche les volets Filtrant des infinis lumineux et voilés ; Et les trois- mâts montant de la plage aux' nuages Sous le bois lamelle, gracile, aérien^

AU SEUIL DE l'espoir IO3

Font que la pièce ombreuse et solaire contient Toute l'angoisse ivre et large des longs voyages

*

Dans la chaude langueur de l'éternel beau temps. Zaza songe, les yeux plus noirs et mécontents : Voici voler sa fleur mordillée et tordue^ Cornme un oiseau de feu qui tombe dans la rue. Le geste entr'ouvre la gaule rouge et safran Qui tenait faiblement sur son épaule lisse ; Sous la chemise, blanc nuage transparent le jour radieux câlinement se glisse En amoureux, les seins délicats et hardis Bombent leur nacre brune aux ronds luisants blondis Qu'auréolent, au bout, deux nimbes scabieuse, Sombre pourpre expirant en un halo lilas...

... Et cette floraison vague et mystérieuse

Ne l'a t-il pas surprise ailleurs, bien loin, là-bas,

104 -^U SEUIL DE L ESPOIR

Sous la lueur d'hiver mélancolique et rousse, Aux temps dans son cœur, frère du ciel éteint, L'amertume d'aimer fut si chère et si douce ?

Paiement brune sous le crespelé châtain De ses cheveux piqués de lent soleil jaunâtre Faible comme un tison qui se meurt dans son âtre, « Elle » sourit, captant ses yeux avec « ses » yeux sourdent les forêts et l'Océan torrides :

Parfois un chaud rayon noir et capricieux

Qui sombre comme un grain de quartz dans les rapides

Avive le saphir et le béryl splendides,

Reflet troublant, de quel monde étrange venu ?

AU SEUIL DE L ESPOIR 10$

Sar la bouche entr'ouverte en rose épanouie

Le sourire éclatant se teinte d'inconnu

Et le carmin suave s'allume la vie,

Qui suit la lèvre arquée et fine sans minceur.

Se fonce, en s'effilant sur la courbe fluette.

De mordoré mauve et finit dans la douceur

D'une naissante et fugitive violette...

4

Dans la lourdeur des nuits de juillet, autrefois, Ne Tentendit-il pas chanter à demi -voix, La cruelle charmeuse aux intimités fières, Dans les bosquets piqués d'astres, loin des lumières, Moins chanter qu'expirer aux brises de minuit Qui coulent sans froisser la feuille qui bruit A peine, cet air lent et plein de transes mortes, Sur des paroles plus naïves et plus fortes ?

]06 AU SEUIL DE L ESPOIR

\

« Par le soir chaud, fragrant de parfums de mango, « Vous alliez, brune et fine, au long de la Savane^ (( Sous les longs tulles des filaos, diaphanes, « Que la lune semait de paillons indigo.

« Des bamboulas lointains vibraient aux flancs des mornes « Et des flûtes stridaient sous les feuillages noirs^ « Comme vous alliez, lente et leste, en vos espoirs « D'avenirs éclatants sous vos cieux clairs et mornes.

« Tout près, la mer boulait son chant de diamants ;

« Des blancheurs couraient sur le phosphore des vagues ;

« Vous étiez reine, avec des astres bleus pour bagues,

AU SEUIL DE L ESPOIR 107

« Reine des salons d'or aux orchestres dormants,

« Comme oppressés d'amour pour vous ; mais, terrifique,

« Là-haut clamait l'étrange et triste âme d'Afrique !

La brume d'étain monte avec le vent salé Et voile la falaise fument des fascines Sur l'horizon marin sauvage et désolé... Froides sur son fient, les caresses des glycines Sans fleurs, disent le Nord frissonnant, inquiet : Le grain d'Ouest a fraîchi tandis que s'effeuillait Le genêt blond, jonchant l'herbe de soleil pâle : La vague sonne dans les grottes, au lointain : Des vols de poëlands tournent au vent qui « bâle i> Et dans la passe « brise » un ressac argentin... C'est le premier sanglot de l'automne qui râb.

I08 AU SEUIL DE l'eSPOIR

O cocotiers enfuis dans les rêves passés, Dans le bleu des ardeurs estivales constantesj Aux plages de mirage atrocement distantes, Contre l'or vert mouvant des pitons élancés. Voici, sous le coupant des bises aigrelettes, Et les effilements des nuages ouatés, La roide charge de vos fières silhouettes : Les pins marins aux noirs parasols déjetés Près des fins peupliers, ces grisâtres squelettes !

i

Case torridement fraîche aux auvents ombreux Qui reflétaient la mer lente : Amour savoureux, Chaud comme les parfums poivrés de Tlle ardente. Ile des îles dans les zones de saphir. Mine de bonheur plus rutilante qu'Ophir, Tendresse fausse de deux fous, point dégradante, Vestiges de Ceux qui mêlèrent un moment Les maturités de leurs jeunesses précoces,

AU SEUIL DE L ESPOIR 10')

Ravenelle d'or^ O Zaza ! les ans féroces,

Quelle cendre ont-ils fait de ce qui fut charmant ?

En l'éclat lumineux qui baigne les accores

Par le trouble flambant des Midis enchantés,

Dans l'aube changeante, aux frissonnantes gaîtés,

Et les soirs, aux chansons amples des flots sonores,

Près de l'anse séchaient les grands filets ballants.

Souple givre irisé de trame aérienne,

N'est-il plus sous les gros sabliers indolents.

Une poussière, un rien volant qui se souvienne ?

A.

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Avec ses yeux mi-clos éteints entre U cils. Ses sourcils abaissant leurs pointes va les tempes, Son sourire plus grave aux mystères irtils. Son teint plus mat à la froide lueur es lampes, Malgré la gaule ocre et le madras ro^e-sang. Zaza prend un iiiux air des « rrivusesi d'estampes, (Les amoureuses ou les mystiques, ^is^ant, Exquis charmes pervers ou suavités ^ntes, Dans leurs doigts fuselés des lys ou es ucinches)..

Et cette mousse d'or noir d'un fr- ■* ^ :. D'un plus intense et d'un moins c . '.et !

Folie, aveuglement, consci;

Il ne sait qu'à présent comme elle râpe .1::

Charmeusement et si cruellement/ Amie I

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Avec ses yeux mi-clos éteints entre les cils, Ses sourcils abaissant leurs pointes vers les tempes, Son sourire plus grave aux mystères subtils, Son teint plus mat à la froide lueur des lampes, Malgré la gaule ocre et le madras rouge-sang^ Zaza prend un faux air des « rêveuses » d'estampes, (Les amoureuses ou les mystiques, froissant, Exquis charmes pervers ou suavités saintes, Dans leurs doigts fuselés des lys ou des jacinthes).

Et cette mousse d'or noir d'un frison follet, D'un plus intense et d'un moins occulte reflet !

Folie, aveuglement, conscience endormie ! Il ne sait qu'à présent comme elle rappelait Charmeusement et si craellement, l'Amie !

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I

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IX

Et d'autres terres se précisent, un instant. Moins chères, moins harmonieuses à son âme Mais dont il sentit la douceur en les quittant, Comparable à tel lourd mais enivrant dictame :

Voici la côte aux durs pitons enchevêtrés, Poussant leurs bois géants et noirs jusqu'aux nuages. Et les volcans éteints penchant sur les mouillages Leurs gros rocs diaboliquement éclairés :

Des maisons naines dans la formidable baie tout paraît énorme et tassé par les mains D'âtres Titans, sauf les frêles abris humains. Semblent, au bord du vert miroir, des grains de craie

De près, sous les rameaux en voûtes réunis. De hautes cases à vérandahs s'étiolent

Entre les céïbas et les mahoganys. Contre les murs taillés à pic qui les isolent

7'

I r^ AU SEUIL DE l'espoir

De tous chemins hormis des routes de la mer :

Des môles vacillants tendant leurs marches hautes, Aux vides ouverts sur Tabîme glauque et clair, Pourrissent en repos, gravis de rares hôtes, Allongeant leurs balcons glissants et périlleux Au-dessus des fourrés de mangliers saumâtres :

A terre, sous le poids des feuillages houleux Montent les fûts luisants de colonnes brunâtres, Frôlés des éventails rêches des lataniers,

Des fils de chatoyant métal des orchidées Et des fins boucliers cafres des bananiers.

Dans le frissonnement lourd des feuilles, bordées De minces liserés d'or fuyant, au plus fort De l'Océan mouvant des profondes verdures le rouge sentier s'enfonce avec effort, Comme moite du sang frais des essences dures, Dans l'odeur de résine aux baumes concentrés Qui fuse des fourrés sauvages, invisibles, Une porte baillant aux brises msensibles Montre une chambre calme en l'épais des forêts :

C'est qu'il a connu les bizarres tendresses

De femmes noires aux souplesses de cobra.

Aux yeux brûlants et fous, sorcières ou prêtresses,

Aux torses nus frottés de musc et de koprah ;

AU SEUIL DE L ESPOIR II

Les nuits d'extase ardente et presque douloureuse,

Par les bruissements des sylves en émoi,

Le vertige hors du possible et hors du Soi,

Entre les bras de la satanique amoureuse,

L'étouffement sous une haleine de brasier,

Tandis qu'horrifiant, ivre de frénésie

Ou d'une atroce et monstrueuse jalousie,

Le dieu-cerpent bondit dans son temple d'osier !

fraîches des tons charmants et faux des porcelaines, Les maisonnettes d'un faubourg australien, Loin de la cité-monstre, orgueil des claires plaines S'égrènent sous un ciel toujours aprilien, Le long des « lanes » tout fleuris de bosquets roses.

Les feuillages pointus et les tours grandioses Des gommiers blancs vêtus d'un métal satiné Montent dans le cristal de l'air illuminé. Riant de force jeune et d'allègre vaillance : Des arbustes, bouquets de souples fers de lance Retombent, archets des glaces des « how-windows », Qui vibrent, musique hyaline en le silence

7**

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AU SEUJL Di; L i:SPÛIR

I

Sous les coiivolvulus grimpants des Barbados Qui nimbent Miss Jessie au teint rose de Chine, Menue en ses surahs dont le rose se chine D'un bleu de lin pareil à celui de ses yeux Si purs. perdus en la transparence amollie De la voûte sans brume et sans mélancolie^ Si virginaux sous l'or frisé des cils soyeux ; Miss Jessie, effarée aux mots brutaux et tendres. Et dédaigneuse des trop précieux méandres la houle florale ondule de serpents, Miss Jessie, aux regards chastes, enveloppants. Qui précisa sa moue hardie et volontaire. Et brusque, s'approchant du marin ébloui. Lui noua les bras au cou pour le faire taire, Bien fort, et conjura le scandale d'un: oui !

Combien passent d'exquis ou d'étranges visages Mêlés, dans son esprit, à de nets paysages, A d'acres parfums, tout à-coup ressuscites. Qui le frôlent de ce malaise énigmatique D' « alors », presque oublié dans les immensités

1

AU SEUIL Dr. L LSrOIR

117

i

Des villages marins de ligne fantastisque

Filent sur l'eau profonde, à même les brisants,

Rotangs barbarement peints de sang et de soufre.

Planchers à claire-voie en secs bambous cassants

le pêcheur noir dort au souffle bleu du gouffre:

Arfaks ou Papouahs, goules au crâne étroit,

Des femmes de jais fauve aux cheveux de crin droit

Dont lesplendide corps nu, bestial, inspire

Une admiration qui se teinte d'effroi

Et dont miroitent les grands ongles de vampire.

Les yeux torridement sombres et scintillants

De cruauté tendre ont, (vaguement aiguisée ?)

La dent trop blanche en la gencive lilacée...

(f

Nacre de perle glauque aux fuyants orients Pâles, et doucement ondulés d'hyacinthe,

1 f6 AU SEUiL Di; l'k^i'oir

Sous les convolvulus grimpants des Barbados Qui nimbent Miss Jessic au teint rose de Cliine, Menue en ses surahs dont le rose se chine D'un bleu de lin pareil à celui de ses yeux Si purs, perdus en la transparence amollie De la voûte sans brume et sans mélancolie, Si virginaux sous l'or trisé des cils soyeux ; Miss Jessie, eftarée aux mots brutaux et tendres, Et dédaigneuse des trop précieux méandres la houle florale ondule de serpents, Miss Jessie, aux regards chastes, enveloppants. Qui précisa sa moue hardie et volontaire. Et brusque, s'approchant du marin ébloui, Lui noua les bras au cou pour le faire taire, Bien fort, et conjura le scandale d'un : oui !

Combien passent d'exquis ou d'étranges visages Mêlés, dans son esprit, à de nets paysages, A d'acres parfums, tout à-coup ressuscites. Qui le frôlent de ce malaise énigmatique D' « alors », presque oublié dans les immensités

AU SEUIL Dr. L LSrOIR II'

Des villages marins de ligne fantastisque

Filent sur l'eau profonde, à même les brisants,

Rotangs barbarement peints de sang et de soufre.

Planchers à claire-voie en secs bambous cassants

le pêcheur noir dort nu souffle bleu dugouiîre:

Arfaks ou Papouahs, goules au crâne étroit,

Des femmes de jais fauve aux cheveux de crin droit

Dont lesplendide corps nu, bestial, inspire

Une admiration qui se teinte d'effroi

Et dont miroitent les grands ongles de vampire.

Les yeux torridement sombres et scintillants

De cruauté tendre ont, (vaguement aiguisée ?)

La dent trop blanche en la gencive lilacée...

i

Nacre de perle glauque aux fuyants orients Pâles, et doucement ondulés d'hyacinthe,

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Il8 AU SEUIL DH L'rSPOlR

Délicieusement triste au midi cendré,

Le golfe roule au loin ses flots laiteux d'absinthe :

Dans les sculptures du palais rose ajouré, Plus mignonnement fine et d'un travail plus rare, Ses boucles d'ambre et ses narines de Zingare Frisantes au long vent d'automne du Lido, Donna Lisa s'encadre et les plis du rideau...

... Mais le rêveur sent bien que sa raison s'égare Et que ses souvenirs et ses rêves fondus En un nuage si beau que l'éther s'oublie L'entraînent aux charmants royaumes éperdus l'aspiration s'azure de folie...

Mais toutes, qu'elles aient fleuri dans le Réel Ou viennent d'un Eden encore inabordable. Conservent en leur « être » un trait essentiel De la divine, de la froide Inoubliable : Chacune est un détail de sa perfection ; Même celles qui n'ont qu'une grâce brutale Ravivent sa tristesse avec sa passion Par quelque pureté de la pure « Fatale » ;

AU SEUIL DE L ESPOIR 119

Ne fût-ce qu'un reflet d'un seul point de ses yeux.

Le frêle de son ris de fauveite sauvage,

Le rappel taussé d'un beau geste somptueux

Qui riva, plus pesant, plus cher, son esclavage,

Une nuance, une ombre, ou même... (impiété ! )

Par un bizarre rien, accent de sa beauté,

Un imprécis défaut qu'il aimait, qu'il adore

Et dont l'exquisité trouble le hante encore :

Signe brun dans l'ivoire ou contour un peu dur,

Ou cette ligne si charmeusement lassée.,. ^

Ou la trèmeur qui fit plus douce, il en est sûr, M

La voix chaude, vibrante et lente, un peu brisée !

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X

I

Et maintenant qu'elle est si loin dans le Passé Et le Futur (?)... après les saules et les marbres !... Ne sait- il pas qu'elle a, plus loin, si loin ! glissé Dans le frisson des fleurs et le rythme des arbres. En cet or nuageux d'autres limbes, aux jours son cœur s'éveillait aux premières musiques. Jours de vague bonheur séculairement courts, Avant l'éveil complet des tristesses physiques, Par un éternel et berçant après-midi, Quand son âme nageait en les tiédeurs sereines D'un lucide sommeil, de parfums engourdi, Dans l'enfance uvoyanle » !

Et plus tard, les sirènes De la fièvre, en ces nuits de martyre exalté

^

122 AU SEUIL DE L ESPOIR

Qu'on se rappelle avec une âpre volupté,

L'ont souvent porté vers la Reine de leurs reines

Jusquà leur gouffre aux flots de harpe murmurants,

Leur Océan de perle en du soleil dissoute...

Et c'était ELLE encore, Elle aux yeux transparents

Plus sévères et plus lointains, mais elle toute

Et même en ce moment, contemplant le cap d'or

Blond et rougeàtre, aux pins sombres que le vent tord,

Dont l'autre versant cache un secret de sa vie

Et dont un rai d'automne auréole un sommet,

Ne sent-il pas en lui, le seul qui l'ait suivie

Après la mort, sous les grands arbres qu'elle aimait

Qu'elle lui parle bas de sa voix adorable

Plus divine qu'aux jours enfuis, mais immuable;

Et qu'en l'éclat solaire adouci des murs vieux

Qui réchauffent, après tous les deuils des parterres

La ravenelle rousse et les pariétaires,

Sous les figuiers aux troncs blanchâtres et soyeux

Dont le feuillage cher aux pâleurs de la lune

Aux sourires d'étoile ou de soleil levant,

D'un lustre si profond près du songe mouvant

De l'endormeuse, de la magique lagune,

S'envole des gazons secs en poussière brune.

Sous l'adieu des géants Ormes tout dépouillés,

Elle redit des mots connus mais oubliés,

AU SEUIL DE L ESPOIR I

Evocateurs d'hiers pleins de grisante extase

Trop éphémère, qui meurt en s'insinuant

Et plus inexplicable en son charme fuyant

Q,u'un chant rose, embaumé, dans des brumes de gaze.

Il sent qu'il l'a, mais quand f vue avec d'autres yeux Que ceux qu'a fait pleurer si tendresse hautaine, Par quels albes éclairs de rêves merveilleux ? Dans quelle délirante atmosphère incertaine ?

Est-ce elle qui nimbait ses bonheurs décoller

Au vague sentier bleu troublant et familier,,

Sous les dômes de fleurs de jardins improbables.

Devant les Océans aux houles de clarté

voguaient comme des corolles adorables

Les nefs de ses désirs vers le port enchanté ?

Est-ce elle qu'il suivit dans la mélancolie

D'espaces planaient des regrets imprécis

Comme de lents oiseaux par vols las, éclaircis.

Reflétés aux remous de fleuves d'eau pâlie ?...

Qu'il rencontra, debout, au seuil des vergers noirs

D'où glissent des touffeurs si douces et traîtresses,

Près de lacs d'oubli, purs et sommeillants miroirs

Dont ensorcellent les captieuses tristesses,

Dans le vertige, au bord de gouffres opalins

les vapeurs de grèbe aux tournoiements câlins

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m AU SEfiL DL LLSPOIR

Semblaient prendre son âme en leurs molles :-pirales Et l'engloutissaient, si voluptueusement ! Dans un demi « iionétre », en des candeurs astrales?

En elle pressent-il le lien et l'aimant Entre ce monde enclos et les extrêmes grèves, Entre le vouloir morne, abrupt et déprimant Et la suave mort s'achèvent les rêves Baignés de bleu mystique en l'immuable été, Dans l'immense pitié de l'Immense Bonté?...

... Car levant les yeux vers la voix qui le caresse Et vers l'infini clair tout étoile d'espoir L' « Isolé » voit briller tes regards d'allégresse Et ton sourire, Aimée, en le ciel du beau soir.

Carteret, mars 1896 . Màlaga, janvier 1897,

FIN

Iraprimeiie DESTEiNAY, Bissière frères. ïiaiiit-.Vniand (Cber;

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