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BIBLIOTHEQUE
BRITANNIQUE,
o u HISTOIRE
DES OUVRAGES
DES SCAVANS DE LA
GRANDE-BRETAGNE:
Pour les Mois _
P^OCTOBRE, NOVEMBRE et DECEMBRE,
M D C C X L I. TO MR DIX-HUITIEME, PREMIERE PARTIE.
/I r ^ HATE,
Chez PIERRE DE HONDT, H DCC XLI.
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TABLE
DES
ARTICLES.
Art. I. \ >rR. ^e Dofteur Middle- j\X ton; fo7î Hifloire de la Vie de Ciceron; Second Extrait. pag. i.
II. Pierre de Valentia;
fes Académiques, Troifième & dernier Extrait, pour fervir de fuite à ceux des Académiques de
CiCERON. 60,
ÏIÎ. Mr. MicHAEL Maittai- re; fes Annales Typographiques Tome V. & dernier , comprenant la Table des quatre prem.iers To^
Art,
TABLES DES ARTICLES.
Akt . IV, Nouveau Voyage ^'Allemagne, de SuilFe, de toute Tltalie , & de quelques autres Pats de /'Europe, fait pendant les animées 1705. juf qu'en 1708 : Accompagné de Remarques Hifloriques , Géogra- phiques , Critiques & Littérai" res, 172.
BIBLIO-
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BIBLIOTHEQUE
BRITANNIQUE,
o u
HISTOIRE DES OUVRAGES DES SÇAVANS DE LA
GRANDE-BRETAGNE.
Pour les Mois d'Octobre, No- VEMB. etDecemb. MDCCXLI.
ARTICLE PREMIER.
The Hijlory of tbe Life ofM. T. Cf CERO, hy Dr. Middleton &c, Ceft-à-dire : Hiftoire de la Vie de C I c E R o N &c. Sccojîd Extrait.
ON fçait que Ciceron a vécu foixante- quatre ans, moins quelques jours; qu'il commença à briller dans le barreau Tome XVUL Pan. L A a
2 Bibliothèque Britannique,
à vingt -fix, qu'il fit une excurfion en Grèce & en Afie à vingt -huit, dont il ne revint que deux ans après; qu'à trente- un ans il entra dans les charges , d'abord Quéfteur, enfuite Edile, Préteur & enfin Conful à fa quarante - quatrième année ; que cinq ans après il céda aux menées de Clodius, fon Ennemi, & s'exila en quel- que forte de fa patrie ; où il ne fut rappelle que l'année fuivante; qu'en- fuite il fut envoyé en Cilicie en qualité de Proconful, d'où il ne revint que lorf- que tout étoit déjà en rumeur pour la Guerre civile : qu'après la mort de J. Céfar , ayant tourné toutes les armes de fon éloquence & de fon crédit con- tre Mctît ^jifom^, celui-ci, quoique battu & fugitif, trouva moyen de fc lier avec Lepidiis , & de former enfuite avec lui & avec Ôclavius ce fanglant Triumvirat, dont rOrateurfut la principale vidlime. Tout cela fournit la m.atière des XL premières Sections de cet Ouvrage, dont chacune a , pour ainfi dire , fon époque particulière.
La L commence, comme de raifon,à la Naijfance de celui qui en eft le Héros, & le conduit jufqu'à fa QuéJJure.'Ld. II. de la Quédure le mène jufq'a'au Confulat. La III. fe borne aux Ââcs du Confulat même, le plus brillant que le Soleil ait jamais vu. La IV. s'étend depuis la fin de fon Confulat jufqu'à fon Exil , &
con-
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74Î. 3
contient rcfpace de cinq ans. La V. comprend tout le tems de fon Exil juf- qu'à fon Rappel, un an & quelques mois. La VL nous inftruit de fon retour & de ce qui le fuivit, jufqu'à fon départ pour fon Gouvernement de Cificie; quatre ans & demi. La VIL comprend tout ce qu'il fit dans fa Province pendant un an^ fon retour à Rome, âz les commence- mens de la Guerre Civile jufqu'à la dé- faite de Pbarfale , en tout Tefpace de cinq ans. La VII L contient ce qui fe paiïa à Rome depuis cette fameufc jour- née jufqu'aux mémorables Ides de Mars, l'An de Rome DCCIX, que Céfar fut tué : trois ans ou environ. La IX. ce qui fuivit cette mort pendant le refte de l'année, jufqu'au premier de Janvier de la fuivante, que les nouveaux Confuls^ Hirtius & Panfa, entrèrent en charge. La X. les Ades mêmes des deux Con« fuis, ou plutôt de Ciceroiiy leur oracle, jufqu'à l'affaire de Modene , où ils péri- rent tous deux, dans le cinquième mois de leur Confulat. Enfin la XI. nous re- trace la fuite (ï Antoine j fon accord avec LepidiiS , le Triumvirat & la Profcription; &c. à peine l'efpace de fix mois. Cet Ouvrage eft deftiné à nous faire bien connoître Ciceron, & fi les principaux faits de l'Hiftoire de foa tems y paroif- fent amenez, ce n'eft que par rapport à lui , qu'on ne perd jamais de vue. Dans la XII. Sedlion il ne s'agit que du A 2. Ci"
4 Bibliothèque Britannique,
Caradère perfonnel de ce grand homme, de fes Vertus privées & du jugement qu'on doit faire de fes Ecrits; pour Tintelli- gence defquels on trouvera ici , d'un bout à l'autre, des fecon»*s également utiles & agréables. Voila en gros le plan & l'économie de cet Ouvrage : en- trons maintenant dans quelque détail, & bornons-nous pour cette fois aux 30. premières années d'une û belle Vie.
C I c E R o N naquit le 3. de Janvier fous le Confulat de Q. Servilius Cépio & de C. Atiiius Serrams , l'an de Rome DCXLVII. un peu plus d'un fiécle avant J. C. HeU via y fa Mère, étoit d'une famille riche & honorable , puifque fa fœur avoit époufé C. AcuUon , Chevalier Romain , intime de l'Orateur CraJJus & très-habile en Ju- risprudence; dans laquelle fe diflingue- rent aufïi éminemment fes deux fils. Con- fins-germains de notre Orateur. Ciceron ne nous dit rien de fa Mère, au moins dans ce qui nous refte de lui ; mais fon Frère Qiiintus, dans une petite lettre que Tiron nous a confervée, (c'eft la 26. du dernier Livre des Familiares) nous apprend ce trait finguHer de fon économie : Qu'el- le avoit grand foin de cachetter les bouteilles vuidcs , aujjî'bien que les bouteilles pleines ^ pour prévenir l'échappade ordinaire des Domelliques biberons 6c infidèles; Qii^il y en avoit déjà de vuides dans la cave. [Dans le bon tems de la République cette pré- eau-
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caution n'étoit pas néceflaire : les maîtres ne cachettoient rien; mais dans la fuite il falut tout fceller. Qiice fuit illa prifco- mm vita, dit-là-deiTus THiftorien de la Nature , qualis innocentia , in qua nihilfigna- haturl at nunc cibi quoque ^ potus annuîo yindicantur.Hiiï.Nzt. Lib. xxxiii. f. 5.] Pour ce qui efl de la famille de fon Père, Silius Italiens I3. fait defcendre des Rois; d'autres ne lui donnent qu'une ori- gine médian ique ; mais û nous l'en croyons lui-même dans fon premier Li- vre de Legibus , elle étoit ancienne & ho- norable, Jr/rp(? jn?/^w(//?m(^, <S2 du fécond Ordre de laRépublique. Sur quoi il faut remarquer, que cet Ordre, qui n'avoit rien d'analogue à notre Chevalerie , n'étoit fondé que fur le Cens , ou l'évaluation légale de leur bien, qui au moins dcvoit montera quatre-cens5(?/?^rr/a, ou grands Sefterces, c'eft-à-dire , félon le calcul de notre Auteur, à trois-mille deux -cens vingt-neuf Livres Sterling, à-peu-près looooo. Livres de France, fur le pied où elles font aujourd'hui: auquel cas ils étoient enregîtrez dans la lifte des Che- valiers , & acqueroient le droit de porter l'anneau d'or. Mais pour paffer à l'Or- dre fupérieur, & être admis au Sénat & aux charges de la République, il fa- loit pofleder le double. Les uns, alfez riches pour cela , en avoient l'ambition , ù, venoicnt s'établir à Rome pour folli- A 3 ci-
6 Bibliothèque Britannique,
citer-, d'autre?, non moins opulens, mais contensde l'héritage de leurs Pères , bor- îioient toute leur induftric à le faire va- loir fur les lieux, loin du tumulte &des cmbaras de la Capitale.
Ciceron avoue, que c'étoit le cas de fes Ancêtres, & en particulier de fon Père ^ de fonGrand-pere, dans le territoire d'Arpinum, ancienne Ville des Samni- tes, aujourd'hui ^r;?/, dans le Royaume de Naples, déjà fameufe par lanaiffancc de Marius ; ce qui fit dire publiquement à Pompée , que c^étoit à ce lieu que Rome étoit redevable de deux Citoyens , qui y chacun à fa manière, Vavoient fauvée. La maifon de Campagne de la famille n'en étoit qu'à une petite lieuë,dans une fituation des plus riantes? environnée de bocages & de berceaux, où l'on pouvoit fe pro- mener à l'ombre, & renfermant une pe- tite ille qu'y formoit le Fibrene, en fe partageant comme en deux bras pour l'embralTer ,& fe rejoignant enfuite après diverfes cafcades , pour fe perdre dans le Liris, Le Père de Ciceron, d'une fanté foiblc , & uniquement paffionné pour la retraite & pour la ledure, avoit embel- li cet endroit, <Sc notre Orateur s'y plai- ■foit alTez. Atticus en étoit û charmé, qu'il s'étonnoit que Ciceron pût fouffrif aucune de fes autres Campagnes, plus fomptueufcs fans doute , mais dont la magnificence artificielle n'avoit rien de
com-»
OCTOBo NOVEMB, ET DeCEMB. I741. 7
comparable à la beauté fimple & natu- relle de celle-ci. Il fuffit de dire, pour en rélever les agrémens, que les bons frères de S. Dominique s'y l'ont établis, & qu'ils y ont à préfent un Monaftère très-agréable, connu fous le nom de Vil- la di S. Dominico. Etrange révolution ! dit L'Hixlorien ; les portiques de Cicermi con- vertis en cellules monachales, c'eft-à- dire le fiége de la Raifon la plus polie & la plus raffinée, en une pépinière de fupcrftition, de bigotterie & d'enthou- fiafmeî Quel plaifir, ajoute-t-il, pour ces bons Pères Inquifitcurs , que de fouler aux pieds les ruines d'un homme , dont les Ecrits pleins de lumière & de bon- fens, en ouvrant les yeux au monde, ont déconcerté les efforts qu'ils font depuis tant de fiécles pour le mettre aux fers ! C'eft-là indubitablement où OYYronprit naiiïance , aulTi-bien que fon Frerc : Visne, lui dit Anicus, dans le Dialogue des LoiXj, in Infula, qua eft in Fibreno , fermoni reliqùo demus operam fedentes ? . . . Sanè quidem , répond Ion Am\ ^nam illo loco UbentiJJimè foleo uti y . , . . quia hcec eft mea , & hujiis fratris mei germana patria: bine cnim orti . . . hic facra , hic gens ^ hic majonim multa vcfli- gia, Ciceron étant né , fut bâtifé le neu- vième jour: qu'on ne s'effarouche point de l'expreffion : les peuples d'itaUeavoient alors leur B dtéi ne , comme nous avons le nôtre: l'Enfant étoit porté au Temple A 4 en
8 Bibliothèque Britannique,
en folemnité par les Parens & les Amis delà famille, & recommandé, après la Lullration devant les autels, à la protec- tion de quelque Divinité tutélaire. Ma- crobe y eîl exprès dans le premier Livre de fes Saturnales ; Èfl Nundina Romamrum Dea, à nono nafccntium die nuncupata, qui ïuflricus àiciîur, Efl ouîem dies luftricus^ quo infantes îuflrantur ^ nomen accipiunt: & comme il étoit le premier-né de la famille, il reçut, félon la coutume, le nom de fon Père & de fon Grand-pere , Marcus , qui palTa aufÏÏ jufqu'à fon Fils. C'étoit le nom propre & perfonnel, qui répond à celui de notre bâtême: Tullius étoit le nom de la famille; & Cicero, un de ces furnoms qui fervoient à diftin- guer les familles entr'elles , & qui tiroient leur origine, ou d'un exploit notable dans la guerre ou dans la paix , ou de quelque qualité diflinguée, ou fouvent d'un pur accident. Plutarque s'eft imagi- né, que celui de Ciccro fut donné primi- tivenient à un des Ancêtres de l'Orateur, à l'occafion d'une Verrue qu'il avoit au bout du nez de la figure d'un pois-chi- che, en Latin Cicer\ d'où quelques Pein- tres ignorans ont pris l'occafion de la rendre héréditaire dans la famille: mais il eft plus fur de s'en rapporter au Na- turalifte , qui nous fait entendre que tous ces noms Uguminaircs , Fabii , Lentuli (ajoutez-y Cicérones) ne furent impo-
fez
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fez à certaines perfonnes chefs de familles, que fur la réputation de telle ou de telle efpece d'Agriculture qui leur avoit réufli.
Le Grand-pere de Ciceron vivoit enco- re lorfque celui-ci vint au monde: il en parle comme d'un homme d'efprit & d'autorité, fort eftimé duConful Scaiirus, qui rayant ouï défendre vigoureufement les véritables intérêts de fa Ville , contre un autre qui vouloit que tout s'y fit par balottes. Pourquoi , lui dit-il , vous confiner, comme vous faites , dans une Ville municipa- le, au lieu de porter à Rome , fur te grand théâtre de la République , un efprit & des ta- îens tels que les vôtres'^ 11 infmue que l'obli- quité le choquoit beaucoup , fur-tout dans les perfonnes éclairées: Nos gens , difoit-il à ce propos, rejjemblent à ces Efclaves que nous tirons de Syrie ; plus ilsfçavcnt de Grec , plus ils font fripons.
Ce zélé patriote eut deux Fils, Mar- G u s , Père de Ciceron,^ Lucius, grand Ami de l'Orateur Antonius, &Pere d'un autre Lucius, jeune- homme d'une ver- tu fmguliere, dont il ne parle jamais qu'avec de grands lentimens de tendref- fe , [ & Lucius Cicero , f rater nofler , cogna- tione patruelis , amorc germanus , dit-il au commencement du V. Liv. de Finibus : plus bas, il loue fa modeflie & fon atta- chement pour le Philofophe Antiochus ^ par oppofition à Carnéade. Il y revient encore à la fin du Livre ; Ôc dans une A 5 let-
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lettre à fon bon Ami , c'eft la cinquième du premier Livre à Aiticus , il regrette d'une manière fort touchante la perte de ce cher Coufm.]
Pour ce qui efl de fon Père en parti- culier , il nous ie dépeint auiTi comme un homme de bien & d'un mérite diftingué, cptimi viri , chéri des premiers hommes de fon tems , comme d'un Caton , d'un CraJJlis, d'un L. Céfar : mais il ajoute ce que nous avons déjà infmué,que/e voyant d'une conflitution foible & délicate, il pajfa prefque toute fa vie àArpinum, dans une dou- ce & élégante retraite, au milieu de fes li- vres.
Comme il avoit deux Fils, Marcus & Qimiîus y6c qu'il pofTedoit de grands biens, il n'épargna quoi que ce foit pour leur donner une éducation noble, & qui les mît en état de fecouer, pour ainfi dire, Findolence de la famille, & d' afpirer aux premières charges. Ils furent donc éle- vez avec leurs Confins, les deux Acu- léons, fous la direclion de l'Orateur Crj/- fis , parfaitement au fait de ces fortes de chofes. La maxime des Romains en ce tems-Ià, pour la première éducation de leurs enfans encore à la braffiere, étoic de choifir dans leur parenté une Gouver- nante d'âge & de confiance , dont l'uni- que emploi étoit de former en eux ces premiers plis , ces premières habitudes de l'aclion & delà parole, de veiller fur
leurs
OCTOB.NOVEMB. ET DeCEMB. I741. Il
leurs paffions naiflantes , de les tourner vers leurs propres objets, d'empêcher que rien d'immodefte ou ^indécent n'en- trât dans leurs ébats; en un mot, d'avoir foin que leur ame , toûjor. s préfervce dans fon innocence & jamais dépravée par le goût des faux plaifirs> conservât en en- tier cette heureufe liberté de pourfui- vre tout ce qui eft lorable, & d'appli- quer toute fa vigucui à la profefïïon oii ils auroient en vûë d'exceller. Les uns prétendoient ^w'on ne devoitles iriftruire dans tes Lettres qu'à fept ans accomplis ; d'au- tres , meilleurs juges fans doute, étoient d'opinion, qu'il n'y avoir point de tems à perdre y & qu^ après trois ans il étoit tems , puifqu'ils commençoient à parler y de commen- cer à apprendre , & de telle forte, que l'inftrudion dans les Mœurs ne fût jam.ais feparée de l'inflrudlion dans les Lettres. Ils regardoient aufiî comme un point capi- tal , la précaution de ne parler devant eux que d'une manière fage &correâ:e,mrtx/- ma debstur pueris reverentia ; & pour cet ef- fet de Jes écarter des mauvais modèles qui pouvoient corrompre ou leur élocution, ou la pureté de leurs idées. Sur quoi no- tre Hiftorien n'oublie pas l'exemple des' deux Gracques, fi célébrez par fon Hé- ToSs qui dévoient, félon lui, à l'inllitu- tion de leur Mère, fille unique du pre- mier des africains, cette réputation d'élé- gance & de pureté qu'ils ont toujours partagée avec elle. Après
22 Bibliothèque Britannique, ,
Après cette éducation domeftique, la bafe , qu'on y prenne garde , de tout le refte, fon Per-i le mena à Rome, où il étoit aiïez opulent pour avoir une mai- fon à lui, c''eft-à-dire , félon le calcul de l'Auteur, la rente de plus de 200. Liv. Sterl. 6z le mit 'fous la difcipline d'un Maitre Grec, qui y enfeignoit publique- ment , & fous lequel il donna d'abord des marques fi brillantes de la fupériori- té de fes talens, que fes Condifciples , charmez d'ailleurs de la douceur & de la vivacité de fes manières , à force de le prôner chez eux, engagèrent enfin leurs Pères & leurs Mères à venir eux-mêmes par curiofité confiderer ce prodige.
Ce fut aulïï à-peu-près dans le même tems qu'un nommé Plotius , ouvrit à Ro- me une Ecole d'Eloquence, mais Latine, qui ne manqua pas de fuccès dans une ville déjà fi éclairée. Le jeune Ciceron auroitibien voulu en profiter; mais fes Diredeurs lui firent entendre , qu'il valoit mieux commencer par le Grec; que le Latin viendroit afTezde lui-même; qu'il faloit aller à la fource , & qu'à cet égard on ne pouvoit la coutelier aux Grecs. Un Poëte de cette nation s'y étoit aulTi nouvellement établi, avec une gran- de réputation de génie & de capacité dans fon Art. 11 fc nommoit Archias, fi con- nu denuis par la Harangue ou Plaidoyer que Ciceron prononça pour lui, & que
Patm
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74I. 13
Patru a traduite en François avec tant de fidélité. Il étoit logé alors & entre- tenu dans la famille de LucuUus : car les Grands de ce tems-là fe faifoient un plai- fir& un honneur déloger les Mufes, c'eft-à-dire d'avoir chez "eux , ou pour leur propre delaflement, ou pour Fin- ftruftion de leurs enfans, quelque Sçavant, ou Philofophe, ou Poète étranger, &de lui donner même la liberté d'y former une efpcce d'Auditoire ou d'Académie^ où leurs enfans , avec ceux de leurs A- mis, pour entretenir l'émulation, reçûf- fent les premières teintures des Sciences. Le Père ùtCiceron_, qui connoiiToit mieux que perfonne les talens naturels & l'ar- deur de fon Fils, prit cette occafion aux cheveux , & ne ménagea pas fes deniers, pour l'initier fous un fi habile Maître dans les aménitez Grecques & Attiques. Et de fon côté fon Fils répondit fi bien à fes vues , qu'à l'âge de onze ans il fut en état de compofer un petit Poème , intitulé Gtauciis Pontius, qui fubfiftoit encore du tems de Plutarquc. Ainfi voilà notre Ci- ceron déjà au nombre des Enfans célèbres. A dix-fept ans il prit la Robe virile félon la coutume, & fut mène en cérémonie dans le Forum, c'ell- à-dire dans le grand Quarré de la Capitale où fe tenoientles alfemblées du Peuple, où fe faifoient les Eledions , où étoit la Tribune aux Ha- rangues pro Rojlris, où fe plaidoient &c
fe
ï4 Bibliothèque Britannique,
fe jugeoient les Caufes les plus célèbres & fouvent les plus capitales, & où fe déter« minoicnc quelquefois définitivement les affaires les plus importantes de l'Etat: c'eft fur ce grand théâtre, ou plutôt dans cette Ecole fupérieure d'Eloquence, de Jurifprudence & de Politique, que les jeunes Romains , ayant quitté l'enfance ôc pris les enfeignes de la virilité , ac- compagnez de leurs Parens & de leurs Amis, fe voyoient introduits folemnelle- ment, & confiez à laprotedion particu- lière de quelque Sénateur diftingué, pour le laiiïer déformais conduire par fes avis, éclairer par fes inilrud:ions& former par fon exemple au ménagement des affaires. Ciceron, introduit au monde de cette manière, échut à Cl^Mucius Scevola, alors Augure, l'un des premiers Jurifconfultes & des plus grands hommes d'Etat de fon fiécle, qui avoit paiïe par toutes les char- ges de la République avec une réputation fmguliere d'intégrité & d'habileté ; mais déjà fort avancé en âge. Notre Orateur, dans les fréquens éloges qu'il enfait,nous apprend qu'il ne bougeait gueres d'auprès de lui , tant qu'il pouvoit , recueillant tout ce qui fortoit de fa bouche, comme au- tant d'oracles qui dévoient le foutenir dans la pénible & glorieufe carrière qu'il fe propcfoit de fournir. Après fa mort, il s'appliqua à un autre de la même fa- mille, nommé auffi Scevola, alors Sou- verain
OCTOB.NovEMB. etDecemb. I74I. 15 verain Pontife , & non moins refpedlable pour les mêmes qualitez que le précè- dent : Lequel, dit - il , fans faire profejflon à^enfeigner , donnoit généreufement fes avis & fes leçons à la JeuneJJe fludieufe , qui venait en foule les lui demander.
Ce fut fous ces grands Maîtres qu'il ac- quit une entière connoiflance desLoix, desUfages& des Cérémonies de fon païs^ bafe abfolument nécefîaire à quiconque fe propofoit d'entrer dans les charges , & à qui dès l'enfance même on avoit appris à réciter par cœur les Loix des XII. Ta- bles, ni plus ni moins que les plus beaux endroits de leurs Poètes & des autres Au- teurs Claffiques. Ciceron pénétra û bien cette étude, même à l'égard des cas les plus fmguliers & les plus diiîiciles , qu'il fe trouva bientôt en état, fur quelle quef- tion que ce fût, d'entrer en lice avecle.l plus habiles Légiftes ; jufques-là qu'il en badina lui-même un jour en plaidant con- tre S. Sulpicius , fon Ami & homme du métier , lui déclarant par manière de rail- lerie , que /'/"/ le provoquait , // ne demandait que trois jours pour fe mettre fur les rangs en qualité de Profeffeur es Loix,
Cette profeinon au refte, qui étoit né- ceflaire ^ fort honorable, étoit comme héréditaire dans plufieurg familles. Elle les diftinguoit dans le Forum y dans les Tri- bunaux, dans le Sénat, dans les Provin- ces , & quelquefois à l'Armée : elle leur
ou-
i6 Bibliothèque Britannique^^ ouvroit la porte aux premiers emplois «Si à la plus grande autorité dans toutes les affaires d'Etat, au moins tant que la République fut fur pied. On voyoit encore de fon tems, dit Ciceron, ces vé- nérables Sénateurs, aufli émiaens parleur fagefle qu'habiles par leur expérience , fe re^ndre tous les matins dans le Forum, & s'y promener d'un bouc à l'autre , pour répondre aux Confultes de leurs Citoyens, non feulement fur les cas les plus épineux de la Loi, mais même fur leurs affaires domeftiques & privées, fans exiger d'au- tre honoraire, que le plaifir de les avoir tirez d'embaras. Mais dans la fuite, par égard à leur âge ou à leurs infirmitez,on trouva plus à propos de les aller conful- ter chez eux aux mêmes heures , dans une falle ouverte à tout le monde, où féans fur une efpece de chaife double ou de trône , à la manière des Confef- feurs , ils donnoient accès & audience à quiconque la demandoit. Ce fut en par- ticulier le cas de Scévola l'Augare, dont l'hôtel étoit nommé communément /'Ora- cle de la Cité ; on remarqua que, durant le cours de la Guerre Sociale , quoique confumé de vieillefie & d'infirmitez , il ne difcontinua point d'admettre chez lui, dès qu'jl étoit jour, tous ceux qui v^e- noient reclamer fon confeil; jufques-là que pendant les deux années que dura
cette
OCI'OB.NOVKMB. ETDeCEMS. 1741. I;^
cette funefte guerre , aucun des Conful- tans ne le trouva jamais au lit.
Mais notre Cicenn ne fe bornoit pas à la connoiilance ou à réclairciiTemcnt des Loix: feG viiës étoient plus grandes & plus fublinies : il n'afpiroit pas à moins qu'à nu patronage univerf'-l ,û je puis m'ex- primer ainfi , qui enîbraifàt non feule- ment les biens & les forcunes, mais en- core les vies & les libcrtez de fes Com- patriotes. C'étoir la notion qu'il s'éroit faite d'un Orateur accompli: Il faloit qu'il piit s'énoncer avec juilefle & avec propriété, difpoler fes raifons avec or- dre & avec économie, & les pouffer avec Vi îiémence & avec plénitude, fur quel lujet que ce fût ; qu'ainfi fon Arc renfermoit en quelque forte l'eflentiel de tous les Arts libéraux, & ne pouvoit être porté à quelque perfeftion , iàns une connoifTance mûre ^ laifonnéc de tout ce qu'il y a de grand & de louable dans l'Univers. C'ell à quoi aboutit fon Traité de P Orateur : Nemo , dit-il y pote^ rit ejjeomni laude cumulatus Orator, nifi erit omnium magnarum reriirn & artiuni fcicn- tiam confecuîus. Telle étoit l'idée qu'il s'étoit formée lui-même de fon plan;& pour ce qui eft de la Jurifprudence, il ne l'envifageoit, com.m.e on l'a dit , que comme un des premiers fondemens d'un plus grand édifice. Ainfi, en écoutant Scévûla, il ne negligeoit pas le barreau , Tome XVUL Part. L B ni
i8 Bibliothèque Britannique,
ni les harangues publiques, ni la ledu- re, ni les exercices de la méditation & de la comporition ; obfervant tout , écri- vant tout, fe faifant des Mémoires de tout ce qu'il lifoit ou qu'il entendoit de plus beau. D'abord il s'étoit aiïujetti à la coutume de lire premièrement avec ap- plication un certain nombre de vers de quelque excellent Poëte , ou quelque morceau frappant d'une Oraifon eHi- mée, & enfuite d'en exprimer la teneur en d'autres termes avec toute l'élégance que fon efprit pouvoit lui fournir iur le champ : mais il s'apperçut bientôt de l'inutilité , pour ne pas dire de la vicio- fité de cette méthode: car, dit-il, com- me l'Auteur que je veux rendre m'a déjà enlevé les exprelTions qui défignent le mieux fa penfée , fi je ne fais que les repéter, qu'eft-ce que j'y gagne? Et fi à leur place j'en fubftitue de moins juftes, n'eft-il pas à craindre que mon ftile n'en foulïre ? [ £f'a/me auroit répondu, qu'on fe fait par-là à ce qu'il appelle copia verbo- mm ; ce qui peut avoir lieu dans laPoë- fie: mais l'Abbé Girard lui auroit répli- qué, que dans une profe correcte & fé- vère il n'y a point de termes absolument fynonimes.] Ciceron trouva mieux fon compte à traduire en Latin les Harangues choifies des Orateurs Grecs , parce que de cette manière, en fe rempliffant l'ef- prit des plus grandes idées, il fe raettoic
en
OCTOB.NOVEMB.ET DeCEMB. I74I. 10
en état de varier lon ftilc , & d'enrichir même fa langue de tours nouveaux^ d'exprelTions vives & harmonieufes, ou empruntées, ou dérivées, ou imitées de la Grecque.
Avec tout cela il ne negligeoit point la Poëfie,[pour laquelle il eut toujours, fans prétendre ici lui jetter la pierre, un aiïez grand foible. ] 11 traduifit alors en vers Latins les Phénomènes d'Aratus, dont il refte encore de bons fragmens. Il corn*» pofa auili à la louange de Marius, fon Compatriote, une efpece de Poëme Epi- que ou Héroïque, dont il rapporte lui- même un lambeau dans le premier Li-* vre de Ir Divination. Attiais en étoit char- mé: le moyen de ne pas s'intérefler à defi grands évenemens quis'étoient paf- fez dans leur enfance? Le bon Scévola, encore plus à portée des mêmes faits, y prenoit tant de goût, qu'il fit à l'hon- neur de cette compofition une efpece d'Epigramme, dont Ciceron nous a gon« fervé le dernier vers, dans le premier Livre ds Lcgibus: Eaque, ut ait Sccevold (c'eft Quintus qui parle) de fraths mst MARIO ,
Cane/cet fiectis innumerahiîihus.
Il publia encore une efpece de Recueil de Poëfies, qu'il intitula le Pré, ou ta» Prairie^ Le i m on en Grec, & en La^
B a m
20 BîBUO'PHÏQUE BRITANNTQtJl ,
tin Linwn. Suétone , dans la Vie de Tcrence (qu'on artnbuc ici à Donat) nous en a conicrvé quatre vers, qui ne font nas infiniment admirables, mais qui prou- vent pourtant Teftime générale q 'on faifoit alors des produdions de cet illu- flre Aifranchi.
Mais tous ces exercices de Littérature & de Poéfie n'empéchoien^ pas* qu'^1 ne s'appliquât aufli à tout le lerieux de la Philofbphie. Les vers n'éroient que Ton délairement: nihis la recherche du vrai, la iTiédiration des principes & des rai- fons des chofes, etoient Ton occupation favorite, & cùm minime videbnmur , dit-il lui-même, twn maxime philofopbabamur ; dans le tems que je paroifTois occupé de tout autre chofe, c'eft alors que je phi- lofophois le plus. D'abord il s'attacha à Phédrus l'Epicurien , qu'on ne nomme ainfi que pour le diftinguer duFabuhfbe; mais dès qu'il eut acquis plus d'expé- rience & de maturité, il fe dégoûta tout- à-fait des principes de cette Seftc , & Î>our la Phyfique ôz pour la Morale; ans préjudice néanmoins de l'eflime & de l'amitié qu'il avoit conçue pour la probité, l'humanité & la politefle de ce premier Maître.
Dans le tems que Ciceron s'avançoit ainfi à grands pas dans le vafle champ des Sciences, l'iralie é^oir toute en feu par une Guerre domeitiquc , qu'on
nom-
OCTOË. NOVEMB. ET DeCEMB. I74I SI nom'Tia Sociale y ou M'irfique, ou Italique ^ parce qu'elle dévoie Ion origine au fou- levement des principales Villes d'Icalie. Elles avoient demande juHq l'alors inuti- lement le droit de Bourgeoifie Romaine, qu'elles croyoien: avoir bien acheté par de longs & laborieux fervices, dont la Capitale feule, difoient-elks , avoit fait fon profit. Le Tribun Dr'fus , qui ap- proiivoit leur demanda , leur avoit fait efpérer quelque juitice fur ce fujet; mais il fut aiïairmé dans le moment même qu'il fe préparoit à effedtuer fa pro- meiTe dans le Forum. De-là le défefpoir, la confédération des Villes, & les hor- reurs d'une guerre des plus fanglantes. Elle dura plus de deux ans, également rude de part & d'autre. Deux Confuls Romains y furent tuez , & leurs armées fouvcnc défaites, jufqu'à ce qu'enfin les Alliez, atFoiblis par de fréquentes per- tes & par la -iéfertion fucceiTive de plu- fieurs Villes, fe virent forcez de fe foû- mettre à la fortune de Rome: & comme durant le fort de la guerre le barreau fe trouva défert , chacun cherchant à fe fignaler contre des ennemis fi proches, Hortenjliis y]twx\ç. Orateur déjà en grande réputation, ne dédaigna point d'y fervir comme volontaire durant la première
Campagne; mais dans la féconde il fut
prépofe à la têre d'une' efpcce de
Régiment ou de Brigade , en qualité de
É q Tri-»
^2 Bibliothèque Britannique, Tribun Militaire ; primo anno miles , altero Tribunus miîitum. Ciceron, de fon côté, fit anlTi une Campagne avec le Coniul Cn. Pompcius Strabo , le père du grand 'Pompée: en quoi il fe conformoit à l'ufage régnant, qui vouloit que ceux qui af- piroient aux Charges, fiflent de bonne- heure un apprenriiïagc fi nécefiaire fous quelque Général de réputation, afin qu'à rifTuë de la Précure ou du Confular , ils fûflent en état de commander dans leur Province les divers Corps de leur dépar- tement.
Ctcercn nous inflruit lui-même d'une conférence où il fut préfent, & qui fe pafTa entre le même Conful & Vetîius , Général des Marfes, qui avoit battu les Romains l'année précédente. Sextus Pom- peiv.Sy frerc du Conful & ancien Ami de V^ttlus y partit exprès de Rom.e pour y afpfter, & prêter fon miniftère à la pa- cificadon de fa patrie. Après le premier abord, 6c des foupirs refpetfh'fs fur la trille occalicn qui les affembloit, Sexms de- manda à F<:///i/j-, fur quel pied il vozùciî qu'il U Jaiuât y GU comme Ami , ou comimc Eimemi? ■ Am.i par inclination, répondit le Confédé- ré, mais Ennemi par nécejpiîé.
Marins & Syîla fervoient alors en qua- lité de Lieutenans Généraux fous les Confuls, & comm.andoient des Corps fe- parez. Le premier, déjà vieux, & plus çirconfped après tant dç victoires &:
de
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. T741. a^
de triomphes, fembloit borner toute fa gloire à ne fe laiiTer pas entamer : mais l'autre, plus jeune &plus adif, ne cher- choit qu'à fe fignaler^pour aller plus ra- pidement au Confulat. Il brilla en effet en diverfes occafions, emporta plufieurs villes d'aUaut,& en démolit quelques au- tres. Etant devant Noie , un ferpent qui fe trouva au pied de l'autel lorf- qu'on alloit facrifier, fe retira aulïï-tôt; ce qui fut interprété par l'Harufpice comme un augure des plus favorables. C'étoit juflement ce que le Général de- mandoit. Ainfi, fans perdre de tems, Sylla attaqua les Samnites dans leur Camp, & l'emporta, quoiqu'ils fûlîent retranchez fous les murs de la ville. Ci- ceron nous apprend lui-même, qu'il fut préfent à cette adion vigoureufe , & qui fut trouvée i\ glorieufe pour le Vainqueur, qu'il la fit peindre dans la fuite dans fa Tufcuhnc, [la même qui fut vendue de- puis, &palfa dans lapoffelîion deCkeron, pour être plus fûrement immortalifée par ces Entretims Pbilofophiqucs de même nom , parce qu'ils y furent méditez & compofez, fur la mort, ù\r les douleurs^ fur les affiâioiis, fur les charmes de la vertu -f que nous lifons encore aujour- d'hui avec émotion , & qu'on lira fans fin & fans celfe, tant que le Monde fera fur pied. Ainfi la Peinture paiTe, mais la Philofophie rcfle. )
B 4 Dès
^4 BiELioTHKOuï Britannique,
Dès le cor mencement de la Guerre, les Romaifis accordèrent le droit de BourgeoUie aux Villes qui leur avoient été fidèles, & à la fin, pour s'afTurer d'une paix durable, à toutes les autres: ce qui produint une grande confufion dans la Capitale , fur-tout dans les Eledions , où déformais toute l'Italie devoit avoir part , les loix & la difci- pîine n'étant pas fuffifantes pour conte- r>ir dans Tordre un û grand peuple : û bien que depuis ce lems-là tout fe déci^ doit à Rome d'urc manière alfez tumul- tueufe , le nombre ëc la violence y ayj.nt plus de part que l'intérêt public. A peine cette guerre fut-elle terminée qu'il s'en allumia une autre, à une plus grande diilance, il e(l vrai, mais des plus difficiles & des plus meurcrieres; c'efr celle de Miîhndate ^ Roi de Pont, Prince m. rtial, fier & inquiet, qui ou- tré de fe voir rcferré par les Romains dans les bonnes de fon domaine héré- ditaire, rompit tout à-coup la br^rriere q-i'on lui avoit oppofée, inonda comme lin torrent toute l'Afie mineure, & en un feul jour fir raafTacrer de fang froid quatre- vingt mille C'tcyens Romains qui s'y étoient établis, ou qui s'y trouvoicnt ^iors pour vaquer à leurs affaires : du refte , muni d'une armée proriigieufe, d'une flotte de 4co. voiles d: de toutes.
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74T. ^5
fortes -;e provifioiiS pour une k-ngue réfii>ance.
Syllii , qui venoit d'être fait Conful; fut chargé, comme de x"ailon,de larro- vince Aùatique, éc par conf.quent de la 9,aerre contre ce formidable ennemi. Cette préférence déplu l à Marins, qui fouleva ciel & terre dans Rome pour la traverfer. Sylla é:oi: alori à N-^le, occupé à éteindre les relies de la iedi- tion ; mais fur la nouvelle de ces défor- dres il voia à Rome, perça dans la Ville, malgré 1r refifcaiice des mutins, & avec fes gens il força l^Larius Ôz fes adhérans à prendre la fuite. Ce fut-là le commen- cement de la première guerre Civile qu'on eut vue dr.ns Rome. Le Tribun Sulpicius , créature de Marins , y fut tué, & Marins lui-même, pour fauver la vie, fe vit obligé dans fa retraite de s'enfon- cer jufqu'au cou dans les m>srais deMin- turnum, & enfuite de palier à la dcio- bée jufqu'en Afrique.
Syila vidorieux, ayant pacifié la Ville & profcrit feulement un petit nombre de fes principaux oppofans , fe mit en chemin contre Mithridott : mais à peine fur-il parti , qu'il s'éleva de nouvelles brouilleries entre les deux Confuls, qui dégénérèrent bientôt en hoftilitez dans les formes. Ciceron nomme cette guerre. Belhim Oânvjanwn , parce qu'OiL',vius , l'un des Confuls, fur ce que Qm:.: fon B 5 Col-
26 Bibliothèque Britannique ,
Collègue vouloir abolir les Ades , c'eft- à-dire les reglemens deS}'//rz,& troubler la République, le prit à partielle chaf- fa de ia Ville, lui & ûx de fes Tribuns, 6z fit caiïer fon Confuîat. Cinna fe vo- yant dépouille , amaiïe du monde de tous cotez , rappelle Mo.rius, rentre avec lui dans Rome le fer à la main & la ra- ge dans le cœur , & pa/Te au fil de l'é- pee tous les amis de Syîïa , fans diftinc- tion d'âge ni de dignité. Entre autres tê- tes vénérables tombèrent alors le Con- ful Oâavius , les deux frères Luciiis & Cahis Céfar , l'un Confulaire & l'autre Orateur, [que je nomme ainfi , pour ne pas le confondre avec le Didateur , com- me on a fait jufqu'ici puérilement à la fin de fes Commcnuiircj , où les faillies fpirituelles du premier, rapportées par Cîceron , font , par un anachronifme de près de 40. ans , mifes fur le compte de l'au- tre, fans que Davifius ni le Dr. Clarkt fe foient donné la peine de fupprimer cette bevué dans leurs belles Editions.] Ajoutez-y P. Croffus , M. Antoine l'Ora- teur, ce Confulaire vénérable, dont la ttte, dit Ciceron , fut ficl:éc fur cette même tribune aux huningucs ,yvo Roflris , où il a- voit fi /cuvent (!f fi vigoureufement défendu VEtat , ^ fauve celles de tant de Citoyens : Prefientiment lamentable du fort qui l'at- tendoit lui-même de la part du petit-fils de cet excellent Citoyen. Ajoutez en- core
OCTOB. NOVEMB.ET DeCEMB. I74I. 2/
core Q,. Catuîus , le Père de l'Académi- cien , quoiqu'il eût étc: Collègue de Ma- rins dans le Ccnfula: &; dans fes victoi- res fur ks Cimbres : confideration qu'ef- fayerent inutilement fes amis de faire valoir auprès de ce nionftre , fans en pouvoir arracher d'autre parole qu'un Moriatur piuQeurs fois repécé , ^Qj'Mt meure, qu'il meure ! ce qui obligea entin l'infortuné Confulaire à fe délivrer lui- même de la vie.
Ciceron, qui fut témoin de toute cette tragédie", comme il l'avoit été de l'entrée de Marius, nous le rçpréfente dans ce tem^s-là comme vigoureux Ôz alerte, malgré fon grand âge , comme û l'ef- poir de la vengeance lui eût rendu tou- tes fes forces. Ayant ainfi repris le def- fus, Marins & Cinrm fe déclarèrent eux- mêm.es Confuls : mais le premier fe vit à peine environné des faifceaux, qu'il mourut fubitement le 13.de janvier, dans fa foixant£-&-dixième année , d'une efpe- ce de Pleureiie, encore aujourd'hui aiïez commjane dans Rome , & connue fous le nom de Puntura. Voici le portrait qu'on nous donne ici de ce fameux guerrier.
Sa nailTance étoit obfcure ,& fon édu- cation purement Ibldatefque: ilavoitfait fon apprentiiTage dans les armes fous un grand'maitre , Scipion Emilianus , le deicruc- teurdeCarchage & de Numance, jufqu'à ce que par fes longs Services , fa bravou-
ftS BlBLIOTHlQUl BrITANNIQUI,
re, fon adiviré , fa patience & fon en- durcifTement fous la difcipline, il s'avan- ça pied-à-pied & graduellement jufqu'aux premiers polies. L'oblcurité de fon ex- traction , qui le rendoit méprifable aux yerix des Nobles, l'elcvoit aux yeux du peuple, qui, dans fcs plus grands périls, ne cherchoit <Sc ne vorloit d'autre libéra- teur que lui ; & en effet il le délivra deux fois d'une fitua'ion des plus défefpérees. Scipion y donr nous venons de parler, en fit le proiiOilic : foupant un jour avec fes Officiers devant Numance, fur ce qu'on lui demandoit , quel Chef la République pour- roit employer , fi malbeureufen:en! on venoit à le perdre ? Cet K o m m e l à , repliqua- t-il, en indiquant Mcrius, qui étoit au bout de la table. En campagne toujours attentif & circonfpedj dans le tcms qu'il épioit l'occafion de faire un beau coup , il affedoit toujours de prendre fes mcfu- res avec les Devins , l'es Augures & les Harufpices, & ne livroit jam.ais bataille qu'en confequence de quelque prétendu préfage ou avertiflement d'cn-haut : fl bien que fes gens n'alloient jamais aux coups, qu'ils ne fûifent comme alTurcz- de la vidoire , que les étrangers le redou- toient comme un homme au defTus de l'humanité, & qu'amis & ennemis, quel- que deffein qu'il eût, quelque entreprife qu'il exécutât, le croyoient toujours in- ipiré. Cependant tout fon mérite étoit
ren-
OCTOB. NoVFMB. ET DfCEMB, I74I. Sp
renfermé car.s i'Art deia guerre , parfai- terrtDt df^flitiu- de roure anrrelrmlere ou orrf ment fpiritnel , qu'il ^Iftifloir de mé- priser: comme s'il eue voulu conrraller avec Ton ilîuitre Ccmpatrio'-e. Ainfi il ne tir aucune figure dans la robe, n'ayant d'autre appui de ;on autorité que la fa- Teur du peuple & fa jaloufie contre le Sénat j fe flattant que par la prédiledion de Tun il fe verroit toujours à la tête de l'autre. Aufll étoit-il fort attentif à la mé- nager, non en vue du bien public , car il n'avoit rien de l'Homme d'Etat ou du Patriote, mais uniquement pour l'avan- cement de Tes intérêts & de fa gloire ; en un mot, il étoit rufé, cruel, avare Ôc perfide , d'un tempérament & d'une ca- pacité utile au dehors, mais turbulente & dangereufe au dedans ; ennemi impla- cable des Nobles, cherchant toujours l'occafion de les mortifier, & prêt de fa- crifier la République même, qu'il avoit fauvée, à fon ambition & à fa vergean- ce. Après une vie confumée en travaux perpétuels de guerres étrangères ou do- meftiques, il mourut à la fin dans fon lit, dans un âge avancé, vainqueur de tousfes ennemis, dans fon feptieme Confulat, honneur où aucun Romain n'étoit enco- re parvenu, & fournit ainfi à l'Académi- cien de la Nature des Dieux une efpc- ce d'objedion contre l'exiftence d'une Providence divine.
CL
30 Bibliothèque Britannique,
Ciceron, qui n'avoit alors que vingr-&= un ans, voyant Tinterraption des procé- dures du barreau par toutes ces diifen- tions inteftines, prit ce Lems pour tra- vailler à fe? ElTais de Rhétorique de In- ventiom, qui écbaperen: à fa jcunejje , dit Qiiinîilien , & qu'il defapprouva dans un âge plus mjr. Ce fut auîfi à- peu -près dans le même teras que P/;/7on, Philofo- phede la nouvelle Académie, avec quan- tité d'autres, fe réfugièrent à Rome, loin de la fureur de Mitbridate, qui s'étoit ren- du maître d'Athènes & du pais d'alen- tou-, & qui n'étoit pas homme à fe payer d'argumcns ou de diftinclions. Dès que Cîccrcn l'eût accroché, il prit avec lui de fortes liaifons. [ Il avoit été difci- plede Clitomaque , comme celui-ci l'avoit été de Carnéade, dont l'éloquence & la fabtilité, depuis rAmbaflTade célèbre des trois Chefs de Seflcavoient laiffé dans Rome de fi vives imprefTions. Ainfi il fe vit à portée d'en apprendre les parti- cularité z les plus intereffantes, comme les principes & les raifonnemens les plus captieux ; véritable viande d'appétit pour la pâture de fon ame. Le caractère de PhiJoyi étoit dcja connu dans la famille de Catuîus: pour fes principes , ils te- noient le milieu entre le Pyrrhonifme u- niverfel d'JrcéjVas & la certitude de Ze- non , qui prétendoit faifir l'Evidence aulïï fûrement qu'il pouvoir ferrer le poing.
Pbi-
OCTOB.NOVEMB. ET DtCEMB. 1741. 3I
Phiîon croyoit , & Ciceron après lui , qu'il y avoit une infinité de véritez réelles, non feulement en elles-mêmes, ce qui ne peut gueres être contefté de perfonne , mais même par rapport à nous, dans les idées que nous en avons : mais il y met- toit cette claufe imguliere , que dans tous les cas imaginables , nous ne pouvions- nous aiïurer d'aucune. Philofophie qui fe trouva d'autant plus du goût de notre Orateur , qu'elle lui fourniflbit ces vues diverfes, ces afpeds dilfércns, ces éva- fions fubtiles, ces probabilitez apparen- tes , qui font d'un fi grand ufage dans l'Art oratoire. Car enfin , fi on peut dou- ter de ce qu'on voit, de ce qu'on en- tend, de ce qu'on touche, & chercher des prétextes fpécieux pour colorer tou- te efpece de doute ; à plus forte raifon pourra-t-on difputer fur des faits paflez, obfcurs , éloignez , litigieux , diverfement rapportez ou atteliez &c. Il en fait lui- même l'aveu : ce n'eft point à Phcolc des Rhétoricier.s qiCil eft devenu Orateur , dit-il, s'il eft Orateur: il rCeft devenu ce qu'ail ejl, quel qu'il puijfe être , que dans les efpaceSy dans les allées , dans les promenades de P Aca- démie.]
Cinna ayant repris les rênes du gou- vernement, pendant que Sylia étoit oc- cupé avec Mithridate , il y eut ceîTation d'armes & tranquillité dans la Ville pen- dant trois ans, ou environ, C^ les procé- dures
32 BinLIOTHEQUE BRITANNIQUE,
dures du barreau reprirent leur cours. Molon le Rhodien, grand maître dans l'Art de la parole , eut occafion de venir à Rome & d'y faire quelque féjour 5 c'cil ce qui engagea notre jeune Orateur Phi- lofophe à le partager entre ces deux hommes célèbres , & fans négliger les fubrilicez de l'un, de pourfuivre les a- grémens & la fublimité de l'autre. Mais le plus vif aiguillon dont il confelïe avoir refienti les atteintes, ce fut la grande réputation d'HcrtrnfiiiS , qui régnoit alors dans le barreau, êz laiiîoit à peine à fon futur Emi;le le tem.s de dormir. Four donner plus de force à fon éloquence , Ciceron trouva à propos de Tarmer en- core de VùDiakriujutyqm n'efl elle-même qu'une Eloquence contrade, comme l'E- loquence n'eft qu'une Dialedique dilatée : pour cet effet il prit chez lui Diodote le Stoïcien, car chacun fçait que la Dia- If clique étcit le fort de cette Sede, & iren prit des leçons qui ne lui fu- rent pas inutiles. Avec tout cela , il continuoit toujours fes exercices Ora- toires : M. Pifcn & Q.. Pompeius , tous deux un peu plus âgez que lui, s'exer- çoient avec lui fousks mêmes maîtres, Ôi declanioient tour-à-tour, tantôt en La- tin & tantôt en Grec, mais le plus lou- vent dans cetre dernière langue, pour la railon <iue nous avoiis touchée plus haut, & aufii parce que leurs Maîtres, Grecs
d'ori-î
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74Î. g^
d'origine, n'étoient gueres à portée de les corriger autrement.
Durant cet intervalle Syîla fc figna- îoit avec éclat contre Mithridate , qu'il chaflâ de la Grèce & de l'Afie Mineure, àc repaulTabien avant jufques dans fon propre territoire : mais ayant appris que Cinna l'avoit fait déclarer ennemi de l'Etat , c.: décréter la confîrcaticn de fes biens, touché de cette infuîte, il fe hâta de conclure la paix avec Mithridate , pour courir a la vengeance dans le fein de fa République; &en même tem.siié- crivit une lettre au Sénat, dans laquelle ayant expofé Tes longs fervices & l'in- gratitude dont il les voyoit payez, il leur donnoit avis qu'il alioit (e mietrre en marche pour venger l'Etat, 6c fe rendre juftice à lui-même contre les auteurs de ces violences. Cette lettre répandit la terreur & la conilernation dans Rome : on fe figura , non fans fondement , de voir bieTitôt répéter Thorrible tragédie qui venoit d'être jouée fous Marins, Cin^ na fut tué dans une émeute par fes pro- pres foldats, dans le tems qu'il les raf- îembloit pour fa défenfe. Sylîa débar- qua à Brundifium , où fe rendirent auiïî- tôt que lui la fleur de la Noblede Ro- maine, pour lui offrir leurs fervices , & entr'autres le jeune Po7?îpée,qui n'ayant alors que 23. ans, fans caraéère ni com- miilion publique, lui amenoit trois belles Tome XFIIL Part, L C lé-
^ Bibliothèque Britannique ,
légions , toutes compofées de Vétérans qui avoienc fervi fous fon Père. Avec ce fecoui's , qui fut très-bien reçu, 5>7/r. s'avance contre la fadion contraire, défait Norhamsy l'un des Confuls , & à l'égard de l'autre , qui étoit Scipion VAfia^ tique, fous prétexte de traiter enfemble, il corrompt fa troupe , & l'attire dans fon parti , en faifant grâce de la vie à leur Chef, qui s'exile volontairement à Marfeille. C. Marins le fils & Cn. Papi- rius Ca-rhoy fubftituez aux précedens Con- fuls, ne purent tenir contre la fortune du vainqueur : Marins fe tua lui-même dans Prénefte, & Carho, atteint par Pompée dans la Sicile , y perdit la tête , qui fut en- voyée à Rome. Mais5y//d, ayant ainil fur- monté tous fes Ennemis, s'oublia lui-mê- me dans fa vengeance , remit en ufage cette odieufe profcription qu'il avoit in- ventée, & la rendit fi générale dans tou- tes les villes d'Italie, qu'on ne vit jamais tant de gens tuez de fang froid , avec tant d'inhumanité ni tant d'injuftice. Il fufnfoit d'avoir quelque bien ou quel- ques terres pour devenir la proye & la victime tout enfemble de fes fatellites, ou de fes favoris. Le jeune Céfar , alors dans fa dix-feptième année, eut bien de là peine à échaper. Il étoit allié d'alfez près au vieux Marins , & il avoit cpoufé lui-même la fille de Cinruiy qu'il refufoit obilinément de répudier. Ainfi, privé
de
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de la dot qu'il en avoit reçu , & de fou facerdoce , il fe vit encore dans la trifte néccflité de changer perpétuellement de cachette, & de fe racheter même par ar- gent de la main des Perquifiteurs , lorf- qu'enfin , aux prières inftantes des Vefta- les, de Mamercus Emilius & de quelques autres, 5y//a gagné par tant d'importuni- tez , le laifla aller, mais à regret; en leur déclarant , qu'ils s'en repcntiroient les premiers, & que dans celui pour la vie duquel ils s'intéreiïbient avec tant d'ar- deur , il y avoit plufieurs Marins. Vince^ rent,ac ftbi haberent : dummodo /cirent , eum^ qiiem in:ohimem tanto opère cuperent , quan- dôque Optimatum partibus .... exitio fu- titrum : nam Ccefari muttos Mario s inejfe. Les profcriptions étant finies , L. Flac" eus y élu Interrex , déclara Sylla Dida- teur , fans aucune limitation de tems oii depuiiïance, pour régler l'Etat & rati- fier non feulement tout ce qu'il avoit déjà fait , mais encore tout ce qu'il fe- roit à l'avenir , avec le pouvoir de punir capitalement , & fans autre forme de procès , quiconque lui feroit fufpe ce. Surquoi il faut fe fouvenir, que la char- ge de Diftateur , qui avoit été d'un grand. Hfage dans certaines conjondures, étoit devenu odieufe à la République , com- me d'une confcquencc fatale à la liberté, & par cette raifon difcontinuée depuis plus d'un Siècle, Ainfi on regarda com- C 2 me
36 Bibliothèque BiiiTANNiQtJi>
me une violence , ce que Flaccus you- loit faire paffcr pour un remède falutai- re. Sylla néanmoins fit de bons réglc- mcns, réleva l'autorité du Sénat fur cel- le du Peuple ,ôta aux Chevaliers les Tri- bunaux de judicature , dont ils étoient cnpoflcflion depuis les Gracques, pour les rendre aux Sénateurs , priva encore le Peuple du droit de choifir les Prêtres , dont il rétablit le Collège dans fa pre- mière fplendeur^ mais fur-tout il rogna le pouvoir exorbitant des Tribuns, les dé- clara inhabiles à toute autre Magiflrature après celle-là, reftraignit la liberté d'en appeller à eux, leur ôta le privilège de propofer de nouvelles loix, & ne leur laifla que celui de la contradidlion oude la négative à celles qui feroient propo- fées ; c'eil-à-dire, comme Ciceron l'inter- prète, le pouvoir de faire quelque bien, fans avoir la faculté de faire aucun mal. Du reftc, pour n'être pas foupçonné de tendre à une Tyrannie perpétuelle , il permit qu'on procédât à l'éledion des Confuls comme à l'ordinaire , & leur confervaaufTi l'adminiflration des affaires communes , comme auparavant. Ain(î toutes chofes reprirent leur cours, & le barreau commença à retleurir. Mo/on , député de fa République, vint à Rome «pour la deuxième fois , & Ciceron de pro- fiter des avis d'un û grand maître , le leul de tous les Etrangers à qui il fût
per-
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permis de haranguer le Sénat en fa lan7 gue naturelle , fans interprête : ce qui fait connoître, & le cas qu'on faifoit de fa perfonne, & la facilité qu'on avoit à Pcntendrc , & les progrès fcnfibles qu'a- voient déjà fait à Rome l'amour ôc l'étu- de de la langue Grecque, r Jufqu'ici Ctceron avoit à-peu-près rem- pli fon idée : c'eft-à-dire qu'il s'étoit rompu univerfellement dans toutes les branches de fa profefÏÏon. Il avoit été éle- vé chez lui avec un foin extrême , fous les yeux d'un Perc très-éclairé & très- vertueux; il avoit été mené à Rome dès l'âge de fix ou fept ans, & y avoit ap- pris les Elcmens de la littérature fous les meilleurs maîtres; il avoit adouci & en- richi fa langue par une étude appliquée de toutes les grâces & de toute l'éner- gie de la Grecque , il avoit été inftruit des principes de Philofophie de chaque Sede , & en avoit écrémé la fubftance ; il n'avoit pas négligé la Dialedique , û néceiïaire à l'évidence du raifonnemenr. Il avoit étudié Taclion de l'Orateur fous Rof:ius. Platon en particulier , Ariflote , dont SyUa avoit rapporté de Grèce l'ex- emplaire le plus complet alors exiftant dans le monde , Toêophrafle , Clitomaque , & quantité d'autres lui avoient appris tout ce qu'il y a de plus elTentiel dans la Rhé- torique , dans laPoéfie, dans la Politi- que, dans la Phyfique, dans l'Aftronomie C ^ mê-
3S Bibliothèque Britannique,
Tnême & dans la Morale. Les deux Sce- Fioles l'avoient fuffifamment irnbû de la connoifTance des loix , des ufagcs,des cérémonies & du détail des libertcz &des privilèges de fon pais , tant pour le ci- vil , .que pour le facré & pour le militai- re. Enfin il n'avoit pas même négligé la converfation des Dames , tant pour fe former l'oreille & la prononciation, que pour parvenir à cette douceur de mœurs <Si de manières , que tous les préceptes lie donnent point , & qui ne s'acquiert gueres qu'avec elles. Ayant, dis-je, à- peu- près rempli fon idée par rapport à toutes les connoiilances néceflaires à un Dcfenfeur univerfel de la Patrie, tel qu'il fe propofci: toujours d'être , il fe pré- fenta au barreau dès l'âge de vingt-fix ans ; non comme la foule des afpirans , d'.ns une ignorance complette dclapro- fefli on qu'ils ont ambitionnée, mais com- me dans un pais connu, où rien ne de- voit le furprendre ni l'embaralTer , & où tout ce qui le préfenteroit ne pouvoic contribuer qu'à rélever fon m.érite.
La première Caufe importante qu'il eut à plaider, fur celle de Qiiinâius , qu'on a encore , & ce fut Rofdus , Adeur célèbre , fon ami oc beau-frere de Qinnâius,qm l'obli- gea de s'en charger. La partie adverfe étoit un de ces Crieurs publics, nommiez Pr^- cones , qui ne manquoit pas d'appui , 6z avoic entr'ûutres le fameux f/or;r;V^î// pour Avo-^
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cat & pour Patron. Il s'agiabit pour- tant de toute la fortune de Qjthiciius y contre lequel on avoit obtenu un décrec de faifie de tous fes biens & de vente publique. Envain Ciceron^x. entendre à Rofcius , qu'il n'étoit pas de la pruden- ce à un jeune-homme comm.e lui , de fe mefurer avec Hortenf.us, dé'j:i aguerri dans le métier, & dont les talens Sz la véhé- mence avoient quelque chofe d'atterrant: qu'il étoit à craindre, que quand il vien- droit à plaider contre lui, il ne lui arri- vât ce qui ne manqueroit pas d'arriver à un Adeur novice qui auroit à pa- roitre fur la fcène devant Rofcius : Ccn- feti' me verbumullum potitijje prcicqui ? Le fin connoiiïeur ne fe paya pas de cette dé- faite , & lui fit entendre par bonnes rai- fons , que perfonne n'écoit plus capable que lui de fe tirer à fon honneur d'une caufe fi defefpérée , & contre un adver- faire fi rufé & fi formidable : [ tant il efi: vrai que les bons Ouvriers fe connoiiTertp 6z que fi les Ciccrons peuvent juger perti- nemment d'un Rcfciiis , les liofcus font juges compétens d'an Ciceron. ]
L'année fuivante il fe chargea d'une défenfe plus capitale : il avoit alors vingt- fept ans, juilement l'âge ohDénio- flhène commença à briller. Le Père d'un certain Rofcius d'Ameria ( tout autre que le précèdent ) avoit été tué dans la derniè- re profcription de S)'lta ,& tous fes biens , C 4 éva-
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évaluez ici jufqu'à la valeur de foixante mille pièces, avoient été vendus, par- mi les autres effets des^ profcrits , pour une bagatelle , au pronc de L. Cornélius Chryfogone , jeune Efclave favori de Sylla, mais nouvellement atfranchi : qui, pour s'afTurer la poîTeirion tranquille d'un fi grand bien , accufoit Rofcius du meurtre de Ton propre Père , &; avoit déjà prépa- ré fes témoins : Si bien que le jeune-hom- me étoit fur le point de fe voir dépouil- lé, non feulement de toutes fes fortunes, mais encore , par une infamie des plus criantes, &,de fon honneur, & de fa vie. Tous les Avocats refufoient de fe char- ger d'une Caufe , dont le détail ne pou- voit être qu'une dédudion des violences ôc des artiiices de la profcription , ou du moins de fes miniftres ; ce qui rejail- liroit vifiblement fur celui qui en étoit le premier auteur, ôc qui n'etoit pas un homme fort difficile à irriter. Mais Q- ccrcn , d'une ame plus grande oc plusgé- néreufe , l'entreprit avec joye , & regar- da cette occafion commue la plus propre à donnera fes concitoyens une idée pure 6c fmccrc de l'affedion qu'il leur avoit dé- vouée pour jamais. La Caufe fut débat- tue , & Rofcius abfous , au grand étonne- ment de toute la République , & à l'hon- neur particulier du jeune Dcfemeur, qui nous apprend lui-même , que dès ce ip.oment , avec un ap; iaiidlifeinen: uni- ver-
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verfel , il fut jugé digne des plus gran- des Caufes.
Cette Défcnfe brille de certaines beau- tez qui paroiiTent réfervées à un âge plus mùr. 11 y a bien quelques traits de dé- clamation , fur-tout dans cet endroit où il s'étend fur le fupplice des Parrici- des félon les loix Romaines, mais ces; traits , qui furcTit û bien écoutez du peuple, ont une beauté réelle dans l'eflai d'un jeune- homme qui parle devant une aiTémblée des plus nombrcufes. D'ail- leurs , fes railleries contre Cbryfogonc font réjoui (Tantes, & les touches mêmes qui regardent les Profcripteurs ne font nullement grolTieres. On y voit un hom- me adroit, qui fçait tourner les chofes du côté du 'jour qui leur convient , & en ménageant les perfonnes & les cir- conftances , aller toujours à fon but , c'eit- à-dire au bien de la patrie , à la dé- fenfe des innocens & des opprimiez, & à la fureté des biens & des vies de tous, les membres de la Société, Cette Pièce lui fit tant d'honneur, & du coté de la choie, & du côté de la manière, m.ais fur-toutpar rapport au grand défintérefie- inent qu'il y fit paroître à fes rifques ôc fortunes , qu'il ne put s'empêcher dans les dernières calamiitcz de fa vie, lorfqu'il touchoit au bout de fa carrière , ôc qu'il n'avoit d'autre confolation que le té- iTioigna^e de fa confcience , d'en rappel- C 5^ * lef
^^ Bibliothèque Buitannique ,
ier la gloire à /on FiiS;, comme un puif- lant aiguillon pour le porter aux mê- -znes vertus : Ut nos , lui dit-il, & fœpe aîiàs, & adolefcentes, contra L. Syîlœ domi- nantis opes pro S, Rofcio jlmerino fecimus. Que de Pères parmi les Grands, qui fe- roicnt bien embaraflez à tenir un pareil langage ? Il y en a , j'en conviens , qui fçavent écrire à leurs Enfans de fort belles Lettres : niais la Lettre édi- fie ik l'exemple détruit.
Vînt arque dit , qu'aufïï-tôt après, C/rc- ron prit cette occafion pour voyager hors .de fonPaïs, fous prétexte de ménager fa fanté , mais en ei&t pour éviter le reflentiment d.e S)Via , en quoi il a été fuivi par le P. Rapin. Mais notre Au- teur foutient, que le départ de Ciceron ne fut point ïi précipité, qu'il refta en- core un an à Rome, qu'il y plaida di- verfes Càufes ; <& qu'ainfi il eft plus na- turel de l'en croire lui-même fur les raifons qu'il donne de fon voyage dacs fon Z)rî:n<j, uniquement fondées fur l'é- tat de fa fanté, les confeils de fa Fa- mille & l'avis des Médecins, & qui font d'ailleurs connues de tout le monde,
11 avoit vingt-luîit ans lorfqu'il partit pour la Grèce" & pour l'Afie. D'abord il tomba dans Athènes , & fe logea phi- ïofophiquement, je veux dire chez An- tiochus / à\[ci^\t de Philon , mais défer- teur de la nouvelle Académie , comme
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il étoit lui - même déFerteur de l'an- cienne.
[C'étoit un Philofophe d'une douceur, infinie, qui avoit vieilli dans la recher- che de la Vérité, & qui enfin, dégoû- té des incertitudes ou des chicanes de Philon, s'étoit rapproché' de l'Evidence & du Portique. Ciceron eut tout le tems de pénétrer fes raifons , qu'il étala dans la fuite & réfuta dans fon Lucul" lus premièrement , & enfuite dans fes Académiques ].
Ici il retrouva auflî fjn ancien Cama- rade , T. Pcmponius Atticus , avec qui il re- nouvella & fortifia tellement les nœuds d'une ancienne amitié , qu'elle fubfifta toujours , également vive , jùlqu'à la mort. Atticus, o^wï étoit dans les principes fpéculatifs à'Epicure, fans préjudice d'u- ne conduite irréprochable , aimoit à fe détacher Quelquefois de la converfarion de fon Hôte, pour lui procurer celle de Phed'i'us ôz de Zenon , les Coryphées de fa Sede, dans l'efpérance d'en faire im nouveau conv^erti : mais tout le con- traire arriva. Ciceron rendit juflice à leurs vertus perfonelles , mais il trouva leurs principes de Phyfique û mal foute- ims,& leurs principes de Morale fi con- tradidoires, qu'il fe fiatta de pouvoir les battre en ruine : ce qu'il exécuta depuis çjans les deu:x premiers Livres de Finihus,
où
44 Bibliothèque Britannique, où il y a tant de douceur & de Mora- le, & une û grande fineiTe de raifonne- jnent.
Ce fiit aufli probablement dans ce pre- mier voyage d'Arhenes qu'il fc fit initier dans les MyfJères d'hlr.ifrae , car quoique la date n'en foît pas certaine, le fait, félon notre Auteur, efl avéré. Il par- le de ces Myftères avec refpect, & il en indique même le but, qui étoit fans doute d'inculquer dans les Initiez le grand principe de l'Unité de Dieu & de rimm-ortalité de i'ame. Rcwinifccrc , dit-il dans la première Tofcuiane, quoniam es initiatus,qiice tradinitur Myfleriis , tiim dcniquè quàm hoc latè patent intei liges : & dans le fécond Livre de Finibus 4. Initiaque , ut appellanîur , ità refera principia vit ce cogno- vimus , neque folùm curn lœîitia Vivendi ratio- nem acceptmus , fed etiom ciimfpe mcîiore mo" riendi , Ce dernier paiTage fuppofe aufii- bien que le premier , les idées primor- diales de la Religion. Mais comme un très -habile homme a approfondi cette matière dans la première partie de fa Légation divine de Moïfe , notre Auteur ne s'y arrête pas.
D'Athènes C/Jf ro;i palTa en A fie, tou- jours accompagné de Pvhéteurs & de Philofophes , ôc occupé également à polir fon efprit 6: à fortifier fa raifon. A Rhodes il fe remit encore fous la difciplme de Molon^ oà celui-ci, de re- tour
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tour dans fa patrie , enfeignoit toujours avec une grande réputation d'habileté j, tant pour le débit que pour la compo- fition, mais fur-tout pour la corredion de fes Elevés dans l'un & dans l'autre. Il y donna aufu une partie de fon loi- fir au Philofophe Fefîdonius, un dts Pi- liers du Portique, pour qui Pompée lui- même eut tant d'égard dans la fuite , • lorfqu'il l'alla voir environné de fes Lideurs 61 de fes Faifceaux, qu'il ordon- na à fes gens de ne heurter à fa porte qu'avec toute la modeflie d'un Etran- ger, ou plutôt d'un Difciple. Ciceron en parle toujours avec refped & avec a- mitié, cet attachement à la Philofophie faifoit bien voir , qu'il ne regardoit pas l'Eloquence comme le principe de la Sagelfe, mais qu'il regardoit la SageiTe comme le vrai principe de l'Eloquence^ «S*: qu'il étoit perfiiadé que la féconde ne devoit emprunter fes ornemens que de la première. C'cll fans doute fur ce principe que, déclamant un jour devant Molon, dans la Langue même qu'on par- loit à Rhodes , il ravit en admiration tous ceux qui érôient piéfens, & mor- tifia le Fwhéceur à un point que fon déf- ordre parut : & comme Ciceron paroif^ foit furpris d'un filence & d'un refroi- diifement fi à contre-tems. Ne vous al- îarmez pas, Ckercn , lui dit -il, je vous unds toute la jiijlice qui vous eji due, & je
vous
4^ Bibliothèque Britannique,
vous admire: mais je déplore te fort de !a Grèce. JufquHci je m^étois flatté qu'on nous Uijjeroi't au moins en pojfejfion de V Eloquen- ce & des Beaux- Art s ; mais de Pair que vous y allez, je vois bien qvJ'ils vont prendre a- vec vous le chemin de Rome. Qui jamais a voyagé avec tant d'intelligence & tant de fuccès ? Ciceron de retour chez ' lui , y rapporta les Sciences ôz les Beaux -Arts: on n'oferoit dire ce que nos jeunes gens y rapportent aujour- d'hui.
Durant cet intervalle de tems, Pom- pée de retour d'Afrique, où les refies de la guerre l'avoient attiré, fut reçu dans la Capitale avec de grands honneurs de la part de Sylla, qui vivoit encore, & qui, à la tête de toute la Noblefle, vint au devant de lui & le falua du titre de Magnusy qui lui refta depuis & à fa Famille. Non content de ces diftinc- tions, il demanda encore le Triomphe, qui lui fut décrété, non fans répugnan- ce, parce qu'il étoit fans exemple qu'on l'eût accordé à un fimple Chevalier Romain, qui n'avoit paffé encore par au- cune charge publique, au lieu que tous fes prédecefleurs en pareil cas avoient é- té Confuls , ou du moins Pm^^z^rj". Cepen- dant à force de foUicitations on pafTa par defTus, ôz il triompha fur un Char traîné par des Elephans, fmgularité tou- te nouvelle, fuivie d'une troifième, en-'
corr
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core plus fenfible à tout le Peuple ; c'eft qu'après avoir triomphé avec tant ds pompe, on le vit defcendre de fon Char, & fe couler modeftement dans la fou- le des Chevaliers.
"Jules Céfar, plus jeune que lui de fix ans, donnoit auiïî des preuves de fon courage fous Thermus , au fiége de Myti- lène, Ville de Lesbos , qui avoit eu la lâcheté de livrer Aquiîius à Mitlmclaîe. Il avoit été envoyé en Ambaiïade au- près de ce Prince, & après la défaite des Romains, il s'étoit fauve dans cet- te Ifle. Miîhridate le men^ en triomphe fur un âne, le forçant à déclarer tout haut, qu'il et oit Aquillj.s, la principale caii- Je de la guerre. Du refte Pvlitylène paya cher cette trahifon, Thermus la prit par affaut , & la rafa, quoique dans la fuite elle fut rebâtie par Pompée. Dans ce fiége le jeune Céfar obtint de fon Gé- néral la Couronne Civique ^ qui, pour n'ê- tre compofée que de feuilles de chêne, n'en étoit que plus honorable, & que, pour la mériter, il falloit avoir fauve la vie à un Citoyen , & en même tems l'avoir ôtée à un Ennemi.
Syîla mourut dans le tems que Ciceron étoit encore à Athènes , après avoir dé- pofé volontairement la Didlature, ren- du la République à elle-même, &, a- vec une grandeur d'ame des plus ex- traordinaires , vécu encore plufieur^
mois
4è BiBLioTfiBQUï Britannique, mois comme fimple Sénateur, avec u=» ne entière fécurité, dans une Ville qu'il avoic inondée de tant de fang , & maî- trifée avec la plus cruelle barbarie. Ce qu'on admire le plus en lui, durant les trois années que l'occupa la guerre Afia- tique, lorfquc les créatures de Marins é" toient les maîtres, & dans Rome, & dans le refte de l'Italie , c'efl que d'un côté il ne diffimula jamais la réfolution où il étoit de les garder pour la bonne bouche, & que , de" l'autre, il ne négligea en aucune façon tous les détails d'une guerre labo- rieufe,dont il s'étoit chargé contre le plus grand Roi qu'il y eut eu fur lafcène du Monde depuis Alexandre: difant hau- tem.ent, qu'il étoit de V or are & du devoir, premièrement de châtier un Ennemi étranger, (f enfui te de punir des Citoyens.
Sa Famille étoit noble & patricien- ne, miais par indolence déchue de Ton ancienne fplendeur. Ami de la Scien- ce & des Lettres Grecques & Rornai- Bes, il fe lailFa, par une certaine incli- nation pour les gens de Théâtre, en- traîner dans l'amour du pîaiûr & de la débauche, jufques-là que Marins, alors occupé contre Jugiirtha en Afrique, fe plaignit d'abord , qu'on lui avoit donné un Quefteur des plus délicats. Cepen- dant, ou réveillé par de tels reproches, ou animé par l'ex^emple d'an tel Chef, itl furmonta enfin fa molelle, ik fe for- ma
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ma peu-à-peu à toute la vigilance & Tadivité d'un grand Capitaine. Marins, qui l'avoit méprifé , le connut mieux dans la fuite. Il avoit un art fingulier de cacher fes palTions & fes defTeins, & il étoit û différent de lui-même en certains cas, qu'on eût dit qu'il y avoic en lui plus d'un homme. Nul homme, en eiFet, ne fut jamais plus modéré que lui avant la vidoire, ni plus violent après l'avoir obtenue. Second Mariui en fait de préfages & d'augures, il a- voit la coutume de carefler, fur -tout à la vue des Soldats , une petite Statut d'Apollon, qu'il avoit enlevée du Tem- ple de Delphes, & toutes les fois qu'il avoit réfolu de livrer bataille, fes ca- reiïes étoient encore plus vives & plus publiques : Sic decipiuntur parvuli. Ses fuccès non interrompus lui firent pren- dre le furnom de Félix, encore incon- nu aux Romiains; & en eifet il auroit été heureux, dit Paterciiîus , fi fa vie eût été terminée avec fes vidtoires. Pline envifage ce dernier titre comme une in- fulte nouvelle au fang de tant de Ci- toyens, & à la défolation de fa Patrie, & il croit que la poilerité le regardera comme plus malheureux que ceux qu'il a mis à mort : mais félon le Dr. Middîe- ton, on ne peut lui contefter au moins un certain genre de félicité; c'cft qu'il eft le feul homme dans l'Hiiloire, en qui l'o- Tome XFllL Part, L D ëieu.%
50 . Bibliothèque Britannique o dieux de la cruauté & de la tyrannie ait été effacé par la gloire de fes belles àdions & de fes hauts faits, Ciceron, qui avoit bonne opinion de fa caufe, détefte par- tout fes excès , & ne parle de lui que comme d'un monflre de lu- xure , d'avarice & d'inhumanité. Peu de tems avant fa mort il fit lui-même fon Epitaphe , dont le fens revient à ceci: Que perf orme ne fit jamais tant de bien à fes Amis , ni tant de mal à fes Ennemis.
A peine Sylla eut-il fermé les yeux , que
les vieilles diflenfions fe rallumèrent fous
les deux Confuls Q.. Catulus £> M. Lepidus.
Celui-ci avoit formé le defTein de caCTer les
ades de Sylla , & de rappeller les Exilez
du parti de Marins: mais cette entreprife,
quoique plaufible en elle - même , ne
pouvant que bouleverfer la République,
qui n'avoit befoin que de repos pour fe
remettre , parut fi féditieufe à Carulus,
bon patriote & grand homme d'Etat, &
outre cela lils de ce Catulus qui avoit é-
té la victime lamentable de Marins , qu'il
crut devoir s'y oppofer de toutes fes
forces. Lepidus fe voyant rembarré dans
Rome, fe retira dans fon Gouvernement
des Gaules, dans la vue d'y rallembler
allez de forces, pour obtenir par l'épée
ce qu'il n'avoit pu gagner par la brigue.
Le Sénat , averti de fes defTein s, abrogea
fa cornmiiTion. Néanmoins, pourfuivanc
fa pointe, il rentra en Italie à la tête d'u-
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îie grolTe armée , & fe rendit maître de la Tofcane fans aucune oppofition. Il avoic avec lui tout ce qu'il avoit pu ramafTer des débris de la fad:ion de Marins, Surquoi le Sénat , dans ce prefTant danger , crut ne pouvoir mieux faire que d'oppofer à cet ambitieux le même Catuîus qui avoit déjà déconcer- té fes premières mefures; mais comme fon Confulat venoit d'expirer, on lui en prolongea les honneurs, par l'autorité Proconfulaire qu'on lui mit en main pour la défenfe de la Patrie, en luî aflbciant dans la même commilïïon le jeune Pompée, déjà grand dans les ar- mes de nom & d'effet. Les deux armées fe trouvèrent en préfence proche du Pont Milvius, à deux pas des murs de' la Ville , où Lepidus fut taillé en pièces, & toutes fes troupes difperfées. Ce- pendant comme la Gaule Cifalpine é- toit encore entre les mains de fou Lieutenant Général Marcus Brutus, le Père du meurtrier de Cêfar, Pompée fe mit en marche contre lui, l'affiégea dans Modene , s'en rendit le maître , & peu de tems après lui ôta la vie.. Pour Lepidus, il fe fauva dans la Sardaigne, oii il mourut de regret , félon notre Auteur , de voir fes efpérances évanouies , & toute fa fortune renverfée, f Ajou- tez-y le chagrin domeftique des galan- teries de fon Epoufe , qu'il avoic déjà, D % re^
52 Bibliothèque Britannique, répudiée , il eft vrai , fur diverfes Let-» très qu'il avoit furprifes dans fa caffette , mais qu'il aimoic encore,. quoique loin d'elle & peu content de fa conduite: Marcus Lepidus Aputeiœ uxoris cantate pojî repudium obiit. Peu après, il lui attribue encore toute l'inquiétude d'un Mari qui aime, même fans être aimé, & après le déchirement d'un divorce qui a éclaté; Quem divortii anxietate diximus mortuum. L'exemple eft rare fans doute, & c'eft dommage que quelqu'un de nos Poètes n'en ait fait le fujet d'une Tragédie ]. C'eft cette guerre , qu'on nomme de de Lepidus , qui , toute courte qu'elle fut , mérita d'occuper la plume de l'Hif- torien Saîufle ; mais il n'en refte que des fragmens. Pour ce qui eft de Ciceron, Pliitarque nous dit, qu'à fon retour de Grèce il confulta l'Oracle de Delphes fur les moyens de parvenir au comble de la gloire. A quoi on i^pondit : En fuivant pour guide votre propre génie , 65' non Popi^ nion du Peuple. Mais ,. félon notre Hilto- rien , Ciceron étoit trop fenfé pour aller confulter des fourbes , lorfqu'il portoit l'oracle dans fon propre cœur. D'ail- leurs la manière dont il parle du pauvre Apollon dans fcs Philofophiques , ne mar- que pas qu'il en eût une idée fort avantageufe. S'il y fut, comme lacho- fe eft poffible , ce fut apparemment comme Mr. Addi£on, revenant de Ro- me.-.
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me, fut à Notre-Dame de Lorette , pour y voir un amas prodigieux 6c parfaite- ment inutile de dons confacrez.
A l'âge de vingt neuf ans Ciceron, par- faitement rétabli à tous égards , & plus maître de lui dans fa prononciation, plai- da encore en faveur de Rofcius, non pas & Amena y mais de l'Adleur de Théâtre, qui lui avoit déjà donné de l'occupation pour Qiiinâius. Le fait étoit celui-ci: un certain Fannius avoit cédé, ou plu- tôt engagé un jeune Efclave à Rofcius, pour être formé par lui à la profelTioa Théâtrale, en ce tems-là dés plus lucra- tives, à condition de partager entr'eux les profits, ou pour mieux dire les fueurs du jeune Apprentif , lorfqu'il feroit ad- mis à la pratic^ue. Dans la fuite du tems l'Efclave fut tué , & Rofcius pourfuivit le meurtrier pour domages & intérêts, & obtint par compofition une efpece de ferme, qui lui rapportoit environ la va- leur de huit -cens pièces, pour fa por- tion particulière. Fannius pourfuivit aufli de fon côté feparement fes préten- tions , & tira du coupable, aufli par compofition, à -peu -près autant: mais diffimulant fon accord, & niant même d'avoir rien reçu, il prit à parti Rofcius pour la moitié de la ferme. Ciceron le défendit, & comme une ame généreufc ne fait jamais mieux que quand l'amitié î'aninae , on ell furpris de trouver ici D 3 ée§
54 BiBÏ-IOTHEQUE BRITANNIQUE,
des traits que la petitefTe du fujet ne femble point promettre. C'eft peu que de voir ici un Adeur élevé, par la bou- che de fon Elevé, au defTus de tous les Aâ:eur3 paflez, préfens & à venir; de lui voir gagner par jour, toutes les fois qu'il paroît fur la Scène, mille deniers Romains , ou autour de 30. Guinées ; c'eil peu de le voir jouir d'un Revenu an- nuel de plus de 5000. pièces; c'eft en- core peu que fon nom foit paffe en pro- verbe, &:que, toutes les fois qu'on veut exprimer un Ouvrier qui excelle, on s'écrie c'eft un Rofciiis : mais ce qui fur- prend, c'efl de voir un Comédien, qui n'a rien d'hypocrite que le nom , qui a l'ame auffi grande que les Héros qu'il repréfente , & qui efl û peu intérelTé , qu'a- près avoir amafle une grande fortune fur Ja Scène, il continue de faire l'Adeur gratis, au profit du Peuple: enfin ce qui étonne, c'en qu'étant reconnu univerfel- lernent pour le premier & le plus habile de roussies Adeurs , il foit encore plus homme de bien qu'excellent Comédien , &" plus digne par fa modération & par .fon intégrité de briller dans un Sénat, que de triompher fur un Théâtre.
Il y avoit en ce tems-là à Rome deux
Orateurs qui primoient, Comï & Horten-
Jtîls , tous deux de naiffance 6c de grande
autorité , mais d 2 différens caradlères dans
leur art. L'adlio'n de Cotta étoit douce &
OCTOB.NOVEMB. ET DeCEîVLB. lj/{l, 55
naturelle, & fa compofition coulante .& élégante ; mais la prononciation d'iiTor- tenftus éroit vive & animée , & fon iliie répondoit, &pour les termes, o: pour les chofes , à cette véhémence. C'eft celui que Ciceron envifagea d'abord com- me fon grand modèle , & enfuite com- me fon Emule & fon Rival de gloire. Du refte,la profeffion n'étoit point alors mercenaire: ces grandes Ames fe fai- foient un honneur & un devoir d'em- ployer à la défenfe de leurs citoyens tout ce qu'ils avoient reçu de talens de la nature & de l'éducation ; mais dans la fuite l'avarice s'en mêla , & on efi rougit. Un Tribun zélé pour le bien de fon pais publia contre cette bafiefle une loi févère, qui défendoit aux Séna- teurs , fous de grolTes peines , de rece- voir de l'argent ou des préfens pour quelque confuke ou défenfe que ce fût. Elle pafTa , & le Public s'en trouva mieux. Ce n'eil pas que le zèle de ces fages Orateurs fût abfoîument dés- in^érelfé ; ils fçavoient bien que tôt ou tard ces fémcnces généreufes produi- roient une récoke d'une abondance proportionnée à -leurs foins: ils ailoienc par-là à rafieclion générale des cito- yens, véritables diftributeurs des Digni- tez Rom.aines dans le bon tems. Ainfi l'année fuivante nos trois Orateurs par excellence furent pourvus : Cona fut D 4 (dcT
5<5 Bibliothèque Britannique,
défigné Conful, Hortenftus Edile, ôz Ci* ceron Quéfleur. Cicero?i eut Thonncur en particulier d'être choifi unanimement parmi le nombre de fes compétiteurs, & précifément dans fon année légitime, fçayoir la trente -unième.
La méthode de Mr. Miâdïeton eft, d'expliquer en pafiant , ou dans le tex- te, ou dans les notes, les Antiquitez Ro- maines qui demandent quelque éclair- ciflement. Les Qiiéjleurs étoient comme les Receveurs ou les Tréforiers de l'E- tat, dont le nombre s'étoit augm.enté à proportion de la République. Sylla , confiderant l'étendue de la République , en avoit réglé le nombre à vingt. On les envoyoit chacun dans fa Province avec le Proconful ou le Gouverneur défigné , & fi leur autorité étoit infé- rieure à la fienne, elle étoit pourtant confiderable. Ils avoient des Lideurs & des Faifceaux , & les autres enfeignes de la fuprême Magiflrature : mais ils les quittoient hors de leur Province, ce que ne faifoient pas les Proconfuls. Ou- tre le foin de recouvrer les deniers de l'Etat , ils étoient encore chargez de l'intendance des Vivres, tant par rap- port à la confommation des armées au dehors, qu'aux befoins de l'Italie & de la Capitale au dedans.
[Un illuftre Seigneur Anglcis , aufïï
dif-
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diftingué durant fa vie par fes lumières, que par fa bravoure 6c fa capacité clans le Confeil, confultoit, il y a du tems, un Académicien François fur l'âge lé- gitime & le droit d'entrer au Sénat : & il en reçut une réponfe ,qui a paru dans un même volume conjointement avec fa lettre.] Selon Mr. Middleton, la Quéf- ture dignement remplie, étoit la vraye porte pour entrer dans cette Augufte AiTemblee. Ainfi à leur retour, ou à l'expiration de leur charge, ils entroient naturellement dans la lille des Pères Confcripts; & de cette manière on a- voit chaque année de quoi en remplir les vuides, par des perfonnes d'un âge mûr & déjà rompues dans le manîment des affaires.
Les Confuîs de cette année étoient Cn. Oâavhi's & C Scribonius Curio-, le premier, ami de Ciceron & perfonnage d'une humanité llnguliere, mais cruelle- ment affligé de la goûte: l'autre, moins Orateur qu'Avocat, & grand Purifte de profeirion,mais d'un gefte û Dizare, qu'il fe jettoit, en déclamant, tantôt d'ua côté & tantôt de l'autre , [ce qui fie dire un jour à Céfar l'Orateur, mais non pas au Didlateur, comme on l'a cru> q\C apparemment il avoit appris à déclamer dans un hatteau. ] Avec tout cela ils é- toient tous deux bons Magiftrats, bien incentionnez pour le bien public , atta- D 5 chez
58 Bibliothèque Britannique, chez au Sénat & aux ades de Sylla, Au contraire le Tribun Sicinius, homme fé- ditieux & hardi , travailloit avec fes 'Collègues à les renverfer. Ils afTemble- rent le Peuple, citèrent les Confuls , d: le turbulent Tribun les fomma de décla- rer leur opinion fur la révocation qu'ils demandoient , & la reflauration en par- ticulier de la puiiTance Tribunicienne : ce qui fit le grand objet du zèle & de l'attention des citoyens. Curioyi s'éleva contre la propofition avec fa véhémen- ce & fon agitation accoutumées, tandis Q}i'Oâavius, enveloppé de Ta flanelle & cie fes cataplâmes , fe contcntoit d'ap- plaudir en filence. Quand fon Collègue eût fini, le Tribun fe tournant du côté du Magiftrat goûteux; £72 vérité, lui dit- il, vous ne pourrez jamais recomioître le fer- fDice que votre Collègue vient de vous reri- .dre'y car s^il ii'avoit eu grand foin de chajfer tes mouches de dejjus votre corps, à coup fur elles vous auroient dévoré. Cependant cette faillie lui coûta cher : Sicinius fut expédié peu après , probablement par le ménagement* de Ciiricn, dans un tu- multe qu'il avoit lui-même exciré. C'eft Ctceron qui nous fait part de tous ces pe- tits faits, que notre Hiftorien a recueil- lis ci & là dans fes ouvrages, & qui rendent le fien fi agréable.
Enfin ce fut cette même année que viac au monde la célèbre TuIIie , fille
de
OCTOB, NOVEMH. ET DeCEMB. I741. ^C^
de notre Orateur & de Terentia fon E- poufe. On n'a point parlé jufau'ici de fon mariage , parce qu'on n'a aucun mé- moire là-deffus : mais de la date du ma- riage de la iilie , qui eil connue , on conjedure celle de la naiflance & de fon âge nubile, qui doit au m.oins avoir été de treize ans : & de la naiffance de la fille, on conclut probablement l'année du mariage de la Mère , c'eil-à-dire lorfque Ciccrcn avoit déjà vingt- neuf â trente ans. C'eft tout ce qu'on peut dire de plus poiitif fur un fujet dans le fond peu important. Il paroit par fon nom, que cette femme étoit de famille; quand on ne le fçauroit pas d'ailleurs par le caradère de fa fœur Fabiat qui étoit une des Veftales.
Ici je m'arrête 5 content d'avoir ex- pofé aux yeux du Public le modèle d'u- ne Education accomplie, qui influe na- tuieilement fur tout le refce; dans la fuite nous ferons plus rapides, fur- tout dans les endroits connus. La Vignette qui fert de Frontifpice à cette première fedion, nous repréfente la Mai/on de Campagne de l'Orateur près d'Jrpinum, avec fes bofquets & fes cafcades^ & le petit GV^rû/2 dans les bras de fa nourrice, que l'on porte au Temple en famille , pour lui donner la luflration au pied des au- tels: le Cul de lampe qui eft à la fin, îious otFçe en trois Médailles le vrai Por-
traii-
6o Bibliothèque Britannique,
trait de Sflh , 6c fes trophées à droite & à gauche.
ARTICLE IL
A C A D E M I C A , ^'j^ ^^ judicio erga Ferum , ex ipjis primis fontibus , operâ Pétri Valentiae, Zafrenjîs , in Extrema- Bœtica. Editio nova emen- datior. C'elt-à-dire, Acade'miques de P. DE Valentia.&c. 8'. à Lon- dres chez Bovjyer ^ pag. 112. fans la Dédicace, TroiJième «& dernier Ex- trait des Académiques.
LORSQUE Mr. Durand fit réimpri-" mer ici cet excellent Ouvrage , il ne fçavoitnen de pofitif fur la perConne de l'Auteur, & voilà pourquoi il n'en a dit que très-peu de chofe dans fa Préfa- ce: mais ayant eu depuis, par la poli-
tefle de Monfr. de S communication
de la grande (*) Bibliothèque Efpagnole , il y a trouvé un article allez inflrudif fur le chapitre de ce Philofophe :
Pierre de Va lent 1 a naquit à Cordoue en 1554- quoiqu'originaire de Zafra , à l'extrémité méridionale de l'Ef-
tre-
(*) Bihiîstb. m/panica, en 3 voll. fol.
OCTOB.NOVEMB.ET DeCEMB. I74I. 6t
tremadure , jolie ville , dont il femblc avoir aimé & préféré le féjour à fon lieu natal: car on voit qu'il fe dit Za^ frenfis à la tête de ce Commentaire , & la Dédicace eft datée du même en- droit; ce qui femble fuppofer q.u'il y é- toit établi. Dès fon enfance il s'appliqua aux belles-Lettres, & fe rendit bientôt très -familières la langue Latine & la langue Grecque, non en les écorchanc avec un Maître mal-habile , mais en les étudiant à fond dans les bons Auteurs; & com.me il parvint de bonne-heure à la connoiflance ôi à l'amitié d'^mj Mon- îanus , 6z qu'il eut pour lui un attachement ëz une vénération extraordinaires ,jufqu'à le nommer en toute occafion,&pendant fa vie , 6c après fa mort, fon Père & fon Maître, &' Patrem 6f Dominum , il ne faut pas demander fi l'Hébreu fut de la partie : car le m.oyen de fe ranger fous la difcipline d'un 'tel Polyglotte, & d'é- tudier avec lui Moïfe & les Prophètes , fans fe familiarifer aufli avec leur langue, d'ailleurs fi ancienne & û refpedable ? Cependant l'inclination du Difcipîe le portoit plutôt du côté du Grec & des Ecrits du N. Teflament, à l'illuftration defquels il rapportoit en grande partie ce qu'il lifoit dans les Anciens , tant Ec- cléfiaftiques que Profanes , jufqu'à noter avec foin , dans le tems qu'il les étu • d.oic , les méprifes allez fréquentes de
leurs
02 Bibliothèque Britannique, .
leurs Traducteurs , fur-tout pour le Grec, De cette manière il fit des progrès éton- Bans , non feulement dans leur Philofo- phie , mais aufll dans la Théologie Chrétienne : car des mots on va aux fhofes , & il ne fe peut gueres qu'un ef- prit méthodique & pénétrant , comme étoit le fien , en puifant ainfi aux four- ces , ne fe mette parfaitement au fait de l'une & de l'autre. A l'égard de la Philofophie , la chofe eft claire par le Livre même dont il s'agit ; & pour ce qui eft de la Théologie &de la Politique, on verra ci-deflbus , par le catalogue des compofitions qu'il a laifîees , qu'il étoit conmlté comme un Oracle dans fon pais , non de la part de quelques hom- mes vulgaires , mais du Prince même , des Grands , des plus dignes Prélats du- Royaume, & même de cet Arias Mon^ tenus à qui il devoit tant. Ainfi les gens fages fçavent tirer du fruit des plantes qu'ils ont cultivées, & un habile diCçi- ple peut devenir à fon tour le flambeau de celui qui l'a éclairé. Dans la Dédica- ce de ces Académique; il fe donne pour Avocat; & à la fin du Livre, pour un homme affez occupé ; mais le Cenfeiir d'Anvers, où il fut imprimé , jugeant dé l'Auteur par la matière qu'il a fous les yeux, & qu'il trouve des plus épineufes, le traite de Philofophe infigne , i7\figni Philofopho. Le Jéfuite Vdlafquez , dansla Préf. de
fon
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. T74I. <5J.
fon Commentaire fur VEp. aux Philippîens , en parle comme d'un Sçavant du premier ordre, qui a très-bien mérité de la Rép, des Lettres & aflbcié une pieté folide avec une rare érudition : Summce erudi- tionis atque pietaîis virum , dcque re titteraria optimè meritum.
Avec un mérite fi diftingué il n'étoit pas naturel que Vaîentia reflàt fans avan- cement dans un pais comme le fien , & dans un tems où les Lettres n'y étoient pas encore tombées dans cet abâtardif- fement qu'on y a vu depuis , & dont elles femblent aujourd'hui vouloir fe rélever. Il y a apparence que fon premier Mé- cénas fut ce Dom Garde de Figueroa , Chambellan du jeune PhiHppe , héritier préfomptif de la Couronne, à qui il dé- dia fes Académiques en 1590 , lorfqu'il couroit fa 36. année. Cependant je ne fçais pourquoi elles ne furent approuvées que cinq ans après, & imprimées l'année fuivante. Il faut qu'on n'en ait tiré que. peu d'Exemplaires, car le Livre étoitfort rare avant cette nouvelle Edition : mais quoi qu'il en foit , il n'y perdit pas tout- à-fait fon huile ni fa peine / puifqu'en cherchant le Critérium de la Vérité , il trouva celui de la Faveur, Le vieux Philippe mourut en Septembre 1598. & Philippe fon fils , IIÏ. du nom , ne fut pas plutôt monté fur le trône , que le Fa- vori, qui ne croyoit pas que l'efprit &
le
64 Bibliothèque Britannique,
le fçavoir deshonoraflent la naiiïancc , fc fouvint du Philofophe. Le Roi lui-mê- me , touché de la renommée du perfon- nage , voulue l'avoir auprès de lui, &fe l'attacha en effet fous le titre de (on Hiltoriographe , non pour l'occuper à compiler des faits à l'ufage du Public , mais pour être plus à portée de profiter lui-même de fes lumières 6i de fes con- feils. Ce fut dans ce beau poite, auprès de fon Roi , de fon Mécenas 6c dans la capitale , qu'il palTa agréablement avec fa famille le refte de fes jours , conflam- ment aimé,&conruité mième des plus fa- ges. 11 mourut en loio , dans fa 65, année, laiffant deux fils entr'auires, dont l'ainé , Mekbior , fut Confeilier du Roi & héritier des papiers de ion père ; & Jean fon cadet, à quiparvinrent les mêmes pa- piers : nous en parlerons à la fin de cet Article.
Pour venir maintenant au Livre même, débute par une efpece iïintroduâion à l'Hileoire de la PhilofopLie. Tous les Peuples, félon lui, ont eu leurs Sages, les uns plus tôt, les autres plus tard, mais toujours à mefure qu'ils acquéroienr quel- que*^ efpece de itabilité : car le moyen de philofopher dans le tems qu'on eft occupé, ou à rcpouiïer l'ennemi, ou à chercher dans le brigandage ou dans la piraterie la fubfifiance dont on a befoin ? [fiiuation où fc trouvoicnc , félon Thu-
0'-
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74T. 65
cydide , les plus anciennes peuplades. ] Les Grecs , qui prétendirent bientôt à la louange d'avoir les premiers cultivé la SageiTe , n'y étoient encore que des en- fans par rapport à d'autres peuples beau- coup plus anciens , comme un Prêtre d'Egypte le fait remarquer à Soion dans le Timée, Ainfi il eil probable que de tems immémorial , les Philofophes , fous divers noms, ont commencé à paroitre &à dogmatifer, principalement à la Cour des Princes ou des Grands, où ils fça- voient que leurs denrées pouvoient être d'utilité réciproque : car enfin les Beaux- efprits ne vivent pas de fageffe, & tes mou* ches ne vonJ^ gueres chercher les cuifines froides , dit mon Auteur. Les premiers Sages des . Grecs furent ceux qu'ils nommèrent leurs Théologiens yC't^'ii'divQ leurs Poètes, parce qu'ils s'occapoient à chanter & à vendre les Généalogies & les avantures de leurs Dieux , dans lefquelles on ne trouve qu'un tiflu d'abfurditez , avec une Politique fardée & déguifée fous l'enve- loppe des Fables. Après ceux-ci fe dif- tinguerent de la foule ceux qu'on nom- ma P%7a^wj, parce qu'ils fe bornoient à l'étude & à la contemplation de la Nature. Anaxagore , le dernier de tous, ne fut pas le moins illuftre, non feulement par lui- même , mais principalement pour avoir formé Socrate , le plus fage de tous les Grecs , & le fondateur de la véritable Tome XVUL Part, L E Phi^
66 Bibliothèque BftiTANNiQtJE ,
Philofophie. Après lui, fes fuccefleurs don- nèrent une efpece de forme à leur Art, & partagèrent leurs réflexions en trois parties , la Logique , la Phyjlque & la Mg- raie : quelques-uns y ajoutèrent la Po/m- que, & y enclavèrent la Religio?! , qui en fait une partie eflTentielle. A l'égard de la Logique & de la Morale , les préde- cefTeurs de Socrate n'en connoiiToient pas même le nom : à la vérité on recueilloit de leur bouche certaines Sentences ou Apophtegmes qui avoient les mœurs pour objet ; mais rien n'y fentoit l'art ni le fyftème. Ce n'efl pas qu'ils ne raifon- nafTent entr'eux & avec leurs difciples , car la raifon eft naturelle à l'homme ; mais ce qu'on appelle proprement Dia^ Icâique , fçavoir l'Art de diflinguer les chofes , de les énoncer , de juger & de conclure par une fuite de raifonnemens, ne leur étoit jamais venue dans l'efprit. Pour Socrate, il n'étoit pas homme à rien entreprendre fans art. Il trouva que la vie étoit courte, & cependant aflfez longue & affez expofée pour avoir be- foin de régies. Ainfi ayant formé le def- fein de bien conduire la fienne , & de di- riger même, autant qu'en lui étoit , cel- le de fes concitoyens, il laiflTa-là cette curieufe fpéculation des myftères de la Nature, pour fe donner tout entier à l'u- tile objet de la Raifon pratique & des Moeurs ^ 6; à cet égard on ne peut lui
con-
ÔCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I741, 6'f
contefter la gloire d'avoir été un grand maître. [ On peut voir , dans Xenophon * , & les raifons qu'il allègue contre fespré- decefleurs , qui avoient prétendu pénétrer les premières caufes des chofes & n'a- voient enfanté que des contradidions , & enfuite les fages confeils qu'il diftribue aux divers membres de la Société , pour leur rendre à tous faciles & agréables des devoirs abfolument nécelTaires. Dans Platon, il eft plus fubtil & comme il a affaire à des Sophifles , dont le caradère n'étoit point la modeftie , lui , fans rien affirmer ] prend à tache de chercher tou- jours , de ne décider jamais , ajoutant qa'/7 ne fçait rien , excepté cela même , difpofé pourtant à examiner toute bonne inftrudion qu'on voudra lui départir* DilTimulation qui a porté fes Difciples ou fes Sedèateurs , foit qu'ils n'en comprîf- fent pasl'efprit, ou qu'ils rinterprétaifent chacun à leur manière, à fe partager en divers fentimens : & en effet, de tous ceux qui eurent l'avantage de l'ouïr & de le fuivre, il ne s'en eft pas trouvé deux qui foient convenus des mêmes principes. Déjà du côté de la partie Phy-» llque t j oii Socrate n'avoit point tou- ché, ils ne fe font point accordez; nida côté de la Judicative ^ ^ de judicio erga
verum-^
* Memorabîlîa Socratis, t njpi oifx*^^ » de Principiis. \ Um xffimûv T)Ï9 «Aîî^îtots y de Judicio ver?^ E s
68 Bibliothèque Britakniqus ,
ruerum ; ni enfin du côté de la Morale*, de Finibus bonorumoc maîorum.
Vakntia ne fe propofe point d'entrer dans le détail de ces divers fyftèmes ; Fouvrage feroit long & peu agréable : il fe borne uniquement à fuivre ce pe- tit ruifîeau , àe duhitaiiom Sapientis, de la fufpenfion du Sage , qui ayant pris fa fource dans les principes de Socrate , a coulé, parunefucceflîon non interrom- pue dans V Académie jufqu'à Ciceron , avec lequel il s'eft évanoui : à moins qu'on ne veuille qu'il ait reparu, comme il arrive à certaines rivières après quel- que intervalle , dans un Favorinus , ou dans un Plutarque , mais non pas avec le même murmure , ni la même clarté. Et fi on lui demande à quel propos il s'attache à cette branche particulière plutôt qu'à une autre , il répond , [ outre ce qu'il a dit dans fa Dédicace, que c'efliciwn ouvrage de commande de la part du Cham- bellan du Prince ] que faute d'un pareil fecourson nefçauroit gueres bien enten- dre laPhilofophie de Ciceron , &entr'au- tres fon Lucullus; fans compter que la queflion en elle-même , qui roule fur te Critère de la Vérité , a toujours intérelfé les gens fages : [ & en effet, c'eflle fonde- ment des Sciences, fi elles en ont un. ] Platon peut être compté pour le Prince des difciples de Socrate, Les uns
le
^ TItpi eiyêtûan nul xccx,u'>t , dc bonJS & IHEliS»
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. 1741. 6^
le tiennent pour Dogmatique , c'eil-à-dire qui admet des dogmes, des véritez certai- nes , bien conçues & bien comprifes ; d'au- tres le regardent com.me Sceptique , c'efl- à-dire qui doute de tout & n'aiîirme ja- mais rien. Il y en a qui prétendent qu'il joue également bien ces deux perfonna- ges.Mais quoiqu'il en foit, voici fapenfée fur le Critérium : car un Sceptique peut avoir fes maximes & fes décrets, quoiqu'il ne les regarde pas comme des perceptions, mais feulement comme des probabilitez. Il prétend donc que nous jugeons des cho- fes par le m.oyen de l'Efprit , c'eil-à-dire par l'Intelligence conduite parla Raifon. Mais comme les chofes tombent en par- tie fous rintelligence & en partie fous les Sens, il établit en quelque forte une double Raifon humaine iqu'ainfi à l'égard des chofes fenfibles , ce n'efl que la Raifon opinatrice qui en juge ; jugement néanmoins qu'elle ne doit évaluer que pour des opinions , ou fimples jentimens , ^otfijv: au lieu que pour celles qui tom- bent fous l'Entendement, elles font con- çues par la Raifonfcientifique, tcjT eV/ci^/xoviHaT hoyoù , & forment en nous ce qu'on peut nommer Science, £V/;-viVviv. Il admet pour- tant, dans les chofes fenfibles, une cer- taine perfpicuité ou évidence, lorfque la Raifon s'en accommode : non que la fcience s'en enfuive ; mais au moins cette opinion nous rappelle en mémoire la fcience des chofes qui font vrayes. Nous E 3 jugeons
70 Bibliothèque Britannique,
jugeons donc, félon lui, des chofes fcn-? fibles par le moyen de nos Sens , conjoin- tement avec la Raifon opinatrice , & des chofes intelligibles par V Entendement, de concert avec la Raifon fcientifique.
Mais quelles font ces chofes intelligi- bles ? Ce font les Idées : & ces idées que font-elles? Certaines formes confiantes Ù éternelles des chofes qui exiftem véritable^ ment , ou , comme il le dit , qui exiflent dans ce qui efî. Comme cette Métaphyfi- que eft un peu fublime , écoutons -le parler lui-même dans fon Timée : Il y a, dit-il ;, quelque chofe qui eft , 6° qui n' eft point produit : il y a aufft quelque chofe qui eft pro- duit, mais qui n'eft pas véritablement. Le premier eft compréhenfible par P Intelligence raifonnable , parce qu'il eft toujours de même forte, [ c'elî-à-dire que l'idée eft toujours uniforme & invariable } au lieu que Vautre rCeft que Vobjet de Vopinion & du fenîiment , (jf par confequcnt opinable , produit , périffa- lie , & jamais véritablement Etre. Si on trouve de l'obfcurité dans ces paroles , peut-être que Ciceron les éclaircira dans le fragment qui nous refte de fa première Académique, où il introduit Varron , qui Platonize en ces termes : „ A l'égard de „ la Vé-rité, les premiers Académiciens ne gj reconnoiiïbient d'autre juge compétent s, que VEfprit, comme le feul digne de X, notre confiance , par la raifon qu'il n'y s, a point d'autre principe en nous qui ' ^ ^ ,, puiiTê
OCTOB.NOVEMB. ET DeCEMB. I741. 71
„ puifîe difcerner ce qui ell fimple , ce „ qui eft un , ce qui eil toujours le mê- „ me , & l'envifager tel qu'il eft en effet. „ C'eft cet objet de notre efprit qu'ils „ nommoient Idée d'après Platon , & „ que nous ne pouvons gueres exprimer „ en notre langue que par le terme de „ forme ou cfe/pece idéale. Pour ce qui „ eft des Sens y ils les dégradoient comme „ foibles, pefans, tardifs, incapables de „ pénétrer en aucune façon les chofes „ mêmes qui paroiiTent être de leur „ reflbrt; parce qu'elles font, ou fi pe^- „ tites qu'elles leur échapent , pu li „ mobiles & fi agitées qu'elles ne fçau- „ roient refter un moment dans un étac „ de ftabilité,ni même d'identité: tout ce „ qui eft corps & matière fe trouvant „ aiïujetti à des changemens ou écoule- „ mens perpétuels; d'où ils concluoient, „ que toute cette partie de nos connoif- „ fances , qui n'eft fondée que fur leur „ rapport, ne fçauroit être qu'opinion ou ,y conjedure. Pour ce qui eft de la 55 Science proprement dite , ils ne la 9y croyoient nulle part, excepté dans les ^y notions de Pâme, déduites & dévelop- 3, pées par le raifonnement : nijt in animi „ notionibus & rationibus ". [ Mr. Davies , pour le dire en paftant, vouloit qu'on lût motionibus ; mais ici la Philofophie prête f?, lumière à la Critique. Il s'agit des Idées de Platon , animi notionibus ; 6c non E 4 dçs
72 Bibliothèque Britannique,
des moiivemens de l'ame ; du fyftème des premiers Académiciens , & non de celui des Cyrénaïques, ] Galien , qui étoit Platonicien, diftingue nettement ces deux principes , aWôvjo-r; )icii yva/xv^v , la fen- fation & rintelligence : & les Pcripatéti- ciens , abfolument les mêmes , félon Varron , que les Académiciens primitifs, ne s'éloignèrent pas de ce fentiment; fi ce n'efl qu'A r i s t o t e rejetca ces idées Platoniques, pour leur fubfutuer fes Uni- ver/aux , c'eft-à-dire ces notions univerfel- îes des chofes qui n'exiftent proprement que dans les cnofes mêmes , mais que l'on en fepare par abflradion , pour les confiderer comme fimples & perpé- tuelles , au lieu que les Etres fmguliers font caducs & périffables. [ Â pré- fcnt vous concevez la différence entre la dodrine du Maître & celle du Difci- ple : les Idées de l'un étoient des Etres réels, \qs Univerfcmx de l'autre, dépures abftraftions. Du refte , û vous êtes curieux de voir avec quelle urbanité le Difciple a réfuté fon Maître fur fes Idées, vous pouvez confulter ^n"^ Morale Livre i. ] Speujtppc , neveu de Platon , & Xe- nocrate , qui lui fuccederent dans l'Aca- démie , avec les autres Académiciens jufqu'à 'Arcefilcs , fuivirent à - peu - près les idées de leur Fondateur. Sextus en
con-
* Ad Nicotnacbumi
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I741. 73
convient , & Ciceron le iuppofe dans fon Lucullus , quoique Numenius le Pythago- ricien , dans Eufehe , les accufe d'avoir décliné peU'à-pcu , les uns plus tôt , les autres plus tard , ou par imprudence ou par ambition, des premiers décrets de leur commun Maître,
Polcmon fucceda à Xenocrate 61 main- tint les mêmes idées : mais entre Zenon & Arcésilas , deuxdefes difciples, il y eut beaucoup de grabuge. [ C'eil dom- mage qu'il n'y ait eu un Pape parmi eux , pour éteindre le Schifme dès fa nailTance ; mais comme la Philofopbxic n'en rcconnoît point , & que la ville d'Athènes accordoit à fes Citoyens une aflez grande liberté de difculîion, lorfque fes autels n'y écoient pas direelemcnt intéreflez, la querelle dégénéra en rup- ture , & il s'en forma deux Sedes qu'on regarda comme nouvelles ^ le Portique & la. nouvelle Académie. Zenon fonda la pre- mière , & fon Emule la féconde. ]
Si l'on en croit les Stoïciens, & pref- que tous les autres Phiiofophes , Arcéjllas étoit dans le tort : c'étoit un Novateur , un Perturbateur f un Sophifte , une vraye Pejîe en Philofophie, qui necherchoit qu'à ébranler , ou plutôt à renverfer des dé- crets bien établis , c'eil-à-dire toute la doâ:rine de Platon & de fes difciples : c'efl fur ce pied -là qu'^n^iorto l'attaque par la bouche de Lucullus dans Ciceron: 9} Ou n'efl-ce pas plutôt , dit-il , dans E 5 »; 1^
74 Bibliothèque Britannique, „ le tems que les deux principales * „ Secles des Pliilofophes étoienc déjà „ tout formées , qu'il s'eft élevé; à-peu- „ près comme parmi nous s'éleva un „ Tib. Graccbus , premier Perturbateur „ d'une excellente République, un autre „ perturbateur en fon genre , un Arcéjlhis , „ pour renverfer la Philofophie déjà fi 9, bien fondée, & fe mettre à l'abri de „ nos reproches , fous l'autorité de ces Si illuflres , qu'on fuppofe avoir nié toute „ efpece de connoilTance ou de per- ., ception?"
Pour entendre ces dernières paroles , Juh antiquorum auâoritate delitejcere voluiJJTe, qu'il prétendoit fe mettre à Vabri de tout reproSe fous ^autorité des Anciens , il faut fçavoir qu-'Arceftlas fe voyant traité de Novateur ambitieux , qui ne cherchoit qu'à chicaner fes prédecelTeurs , ne trou- va point de meilleur moyen pour re- pouiFer les traits de l'envie , que d'en appeller, comme on a toujours fait depuis , à la première Antiquité ; en faifant voir que non feulement il ne s'eloignoit pas des maximes de Socrate & de Platon , qu'il reconnoiflbit pour fes maîtres, mais mê- me qu'il avoit pour lui , au fujet de ce IDoute qu'on luireprochoit , le confente- pient de la plus grande partie des an- ciens
* Les Académiciens & les Péripaîéticiens , que Lucullus ne confcndoic pas.
OCTOB.NOVEMB. ET DSCEMB. 174!. 75
ciens Phyficiens , antérieurs à Socrate & inventeurs dt ces mêmes armes, qu'il hérita d'eux , & qu'il employa depuis contre la Certitude. Arcejtlas , non content de ce retranchement , remontoit encore plus haut , c'ell-à-dire jufqu'à Homère 6z à Héfiode.'Nous avons allégué le paffage d'i^o- n^cre dans notre premier Extrait; & voici celui dCHéfadc aans un paiïage d'Eufebe, ( Prép, Ev. Liv. 14. ) que nous rappor- terons en François , pour nous mettre à portée de toutes fortes de Ledeurs. On dit qu'à Polemon fuc céda Arc qûIrs , le fon- dateur, à ce qiC on prétend y d'une certaine Aca- démie étrangère & nouvelle , qu'ils nomnien% la féconde. C'efl lui qui , après avoir aban- ' donné les maximes J^ Platon , difoit tout haut ^ qu'il falloit retenir notre affention en toutes cbofes ; que tout éîoit incompréhenfble ; qus tout argument de part & d'autre eft d'un poids égal ; que nos Sens font trompeurs , & que notre Raifcn n'eft pas plus fidèle. Du reflç il faifoit grand cas de cette fentence d'Hé- fiode :
Les Dieux par devers eux réfervant
la Science , N'accordent aux Humains que la fim-
pie apparence.
Les Stoïciens traitoient toutes ces au- toritez de pures calomnies, forgées uni- quement pouç jetter de la poudre aux
yeuxs
76 Bibliothèque Britannique,
yeux; mais CicerGn juflifie fon cher /^r- ceftlas y ù, par rapport à la chofe même , & par rapport au motif qui le faifoit agir : c'eil dans la première Académique.
„ Arceftlas , dit- il , en vouloit princi- „ paiement à Zéncn ; non par opiniâtre- „ té , ou par vaine gloire , au moins à „ ce qui m'en femble , mais en confe- „ quence de cette obfcurité qu'il trouvoit „ dans les choies mêmes , & qui avoit „ amené Socrate de gre ou de force à la „ confelTion de fon ignorance , & avant „ Socrate , tous fes avant - coureurs en „ Philofophie , un Démocrite , un Jna- „ xagcre , un Empédoik , en un mot „ prefque tous les Anciens , qui d'une „ commune voix ont prononcé , que „ nous ne connoijfîons rien , que nous ne con^ „ cevions rien , que nous nQfçavions rien ; „ que nos fens font étroits , nos ejprits foi- 9y hîes , la vie courte , & la vérité noyée , 9, comme difoit Démocrite , dans le fond „ du puits : que tout ell rempli d^opinions 99 & de préjugez , à tel point que nous 9f ne tenons rien, & qu'il n'y a plus de Heu 99 pour la vérité ; qu'enfin tout eft offufqué ,y 6f enveloppé de ténèbres. Sur ce pied-là „ il nioit abfolument qu'il y eût rien au n monde qui pût être fçu , pas même 99 le feul article que Socrate * s'étoit
» ré-
* C'efl-à-dire que Socrate pofoit un rfo^-- weendifant, hoc unum scio quoi nibil Jcio :
ce
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„ réfervé:en un mot, il étoit û perfuadé ,, que tout eft caché pour nous , qu'il „ ne croyoit pas qu'il fût en notre puif- „ fance de difcerner ou de comprendre „ quoi que ce foit. D'où il inféroit natu- „ rellement , que loin de profefler ou „ d'affirmer quelque chofe , nous devions „ tout au contraire, de peur de quelque „ faux pas , aller bride en main , & repri- „ mer notre témérité naturelle ; qui de- „ vient iniigne dès que nous donnons no- „ tre acquiefcement à une chofe faiijfe , „ ou même à une chofe inconnue : que „ rien n'efl plus honteux qu'un pareil „ renverfement, puifquec'efl faire courir „ l'approbation avant la connoiflance „ ou la perception des chofes. Imbû de ff ces principes , il les fuivoit dans tou- „ tes fes converfations , difputant con- „ tre tous, & partageant, pourainli dire, „ toutes fes heures entre tous les Philo- „ fophes , dont il attaquoit les divers „ fyftèmes ; afin qu'ayant trouvé fur la „ même queftion des raifons d''un poids „ égal , les uns & les autres fùflent ra- „ menez plus facilement à la confe- f, quence , qui eft de fufpendre fort juge* „ ment, C'eft ce qu'ils nomment la woit- f, velle Académie, qui eft plutôt V ancienne ,^ fi à mon avis , au moins fi dans celle-ci i> il faut comprendre Platon '\ Plutar-
que,
ce qn^ArceCilas vouloit éviter. Voyez Bayle dans fa première Lettre à Mr. Minutoli,
jÈ Bibliothèque Britannique,
que, qui étoit aufli Académicien, juflifîe a fa manière PAntagonifte de Zenon, & fait voir à Cohtès TEpicurien, qu'il é- toit mal informé des faits, qu'il n'y a eu proprement qu'une feule Académie , & qu'^r- ceftlas n'a fait que fuivre à ta trace les i- dées de fes PrédeceJJeurs,
Toute l'innovation qu'on peut lui at- tribuer, difoit l'Académie, c'eft d'avoir enlacé Zenon dans fes propres filets. Celui-ci avoit pris pour maxime, que te Sage ne doit point opiner , c'eil-à-dire qu'il ne doit confentir à rien, qu'il ne l'ait bien compris : [ en un mot , la pre- mière régie de la méthode de Des-Car^ tes y qui lui a fait tant d'honneur en ces derniers tems]. Arcejîîas adopte cette maxime ; mais il y joint celle qu'il pré- tendoit être de Socrate , de Platon Se de leurs Maîtres communs , fçavoir , Qiie rien ne peut être compris. Or pofé ces deux maximes, d'un côté, celle de Zér non y Que le Sage n'opinera jamais; & de l'autre , celle de Socrate , que rien ne peut être compris, il en réfulte nécelTai- rement la fameufe 'Ezo%v\^ c'eft- à- dire Id, fufpenfon , P arrêt Pbilofophique , comme on l'a nommé ailleurs. Laâance, qui ne manquoit ni d'efprit, ni de lumières, a fait valoir le même argument contre toute la Sagefle des Gentils : Car fi on ne peut rien fçavoir , dit -il , comme Socrate fa enfeignéf ^ quUl nef oit point permis d'opi-
nsrf
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ner , comme Zenon Va cru, adieu toute là Philofophie,^ Ainfi voilà la fameufe Suf-^ penlion, 'Eto^ii, introduite par Arceji^ tas dans l'Ecole de Platon, Car quoi- que les Vieux Académiciens , au dire des Nouveaux, fuflent convenus que rien ne peut être compris, cependant comme ils ne défendoient pas d'opiner , ils n'avoient que faire de fiijpenficn.
Pour nous mettre à portée de juger encore mieux du vrai point de la dif-^ pute , on introduit fur la fcène les deux Antagoniiles , & on les fait entrer en lice à la manière de l'Ecole.
Zenon. Ma maxime eft , que le Sage n^o» pine point ; JQ veux dire qu'il ne donne fon confentem.ent qu'à ce qu'il a bien conçu & bien compris.
Arcefilas. Quoique la maxime foit af- fez nouvelle parmi nous, cependant je l'approuve, & je la trouve digne de la gravité du Sage : feulement j'exige de vous , que vous admettiez aulfi celle que j'y vais joindre , & qui n'en eil qu'une confequence naturelle, c'eft que le Sage ne donnera fon confentement à rien : autre- ment il faudra, s'il vous plait, en dé- coudre.
Zenon, Je nie la confequence, & s'il faut fe battre , à la bonne -heure, je me défendrai.
Arcefilas, Hé bien , prenez garde à ce trait. Vous fçavez que nos gens , avanc
que
8o Bibliothèque Britannique,
que de livrer bataille, jettent un tifon ardent au milieu de l'ennemi ; voici le mien :
Le Sage ne donnera fon confentement qu'à ce qu'il a bien conçu & bien com- pris.
Or il n'y a rien qu'on puifTe conce- voir:
Donc le Sage ne donnera fon confen- tement à rien , c'elt-à-dire qu'il fe tien- dra colé à l'Epoque.
Zenon. Je nie la mineure: vous dites que rien ne peut être compris; & moi je vous foutiens qu'il y a des chofes que l'on comprend.
Arcefilas. Quoi, par exemple?
Zenon. Certains objets qui fe préfen- tent à notre efprit , en notre Langue ^cL'jTCLtjiiti^ des idées qui fe forment dans notre ame , & qui répondent aux chofes mêmes.
Arcefilas. Toute idée qui fe préfente à notre efprit eft-elle véritable pour cela ?
Zenon. Non, il faut que Qtt^t idée, pour être vériuable & bien comprife, foit exprimée dans notre ame de la part de ce qui ejl, de ta manicre qii'il ejî , & telle qu'el- te ne peut lui venir de la pari de ce qui n'efl point. A ces conditions je dis qu'elle eft bien conçue ^^ bien comprife.
Arcefilas. L'c:fprit de difpute ne m'en impofe point, j'accepte la détinition , &
je
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}Q ne crois pas qu'on puifle mieux dé- erire une idée prétendue vraye. Le malheur efl, que je n'en connois point de telle: en effet, donnez -moi telle idée qu'il vous plaira, fuppofée par vous venir de ce qui eft, je vous ferai voir qu'une autre toute femhlabie , & que vous ne fçauriez di [cerner dt la première, 01x010» Tûi.T/i '/.ai ûihxAfiiToç^ peut venir du faux, c'ell-à-d:re de ce qui n'eit point: com- ment ferez -vous pour les diflinguer ?
Il n'eil pas néceffaire de les faire par- ler davantage, on voit alfez où ils fe fe- parent. Ils conviennent qu'il faut rete- nir fon aiïention fur tout objet inconnu; qu'il ne faut point opiner; mais ils dif- putent fur VEvideyice , que l'un admet & que l'autre nie. Zenon la trouve dans les objets de notre efprit , lorfqu'ila nous viennent des chofes mêmes, qu'ils font tels que les chofes mêmes, & tels qu'il» ne fçauroient venir de ce qui n'eft point. Arcefiîas réplique, que ne pouvant pas nous affurer , fi l'idée nous vient de ce qui eft, ou de ce qui n'eft point, nous n'avons point d'Evidence, ni par confe- quent de Vérité : d'où il eft clair qu'il faut revenir à la. fufpenjton univerfelle. . • S'il en faut croire S. Auguflin, la eau- fc d'ArcefJas & des Académiciens eft bien plus honorable. C'eft une efpece de. fecret qu'il révèle paftoralement à fes Néophytes -dans • fes Dialogues adverjl Tome XFIIL Part. I. F M-
82 Bibliothèque Bri-tannique ,
Acaàemicos y L. 1. ch. 20. Bien loin de regarder ces Philofophes , qu'il y atta- que , comme Ennemis de la Vérité , il nous les donne comme les vrais Suppôts de la plus fainte Orthodoxie y c'en -à- dire des idées de Platon, qu'ils entretenoient foigneu- fement .entr'eux, mais qu'ils n'ofoient répandre publiquement , de peur des fuites; que cependant, indignez contre Zenon , qui venoit d'énerver ces idées par cette matérialité univerfeile qu'il vouloir introduire, ils s'aviferent, pour l'en punir, de le fecouer fans quartier fur fon Evidence, & de le réduire à VOpina- tion , qu'il faifoit profeflion de mepri- fer. Mais quelle preuve a-t-il, lui 5, Auguflin , qa^Arceftlas & fes SuccefTeurs fûffent in petto dans toutes ces belles i- dées, qui avoifinent de.fi près l'Ortho- doxie Chrétienne ? Pas d'autre , que ces paroles de Cicero^i, d'une de fes Â- cadémiques que nous n'avons plus;fçavoir ^ue ceux de cette Sed:e ,, ne le dé- r9 couvroient fur leurs véritables prin- 99 cipes, qu'à ceux d'entr'eux qui étoient 5, parvenus dans leur Ecole à un âge a- vancé : Nec ea aperire folercnt al lis , quàm qui fesum ad feneâiitem ufqUe vixijfcnt.
[Ilsavoient donc leurs myfteres,com- ine ceux d'Eleufts, & des myllères parfai- tement orthodoxes ; un Dieu efprit 6z fouverainement parfait, une Providence adorable , une Vie à venir , des Recompen-
fci
OCTÔB. NOVEMB. ETDECEMB.I74r. 83
Tes & des Peines futures : & parce que Zenon avoit infirmé tout cela avec fes idées corporelles , Arcefilas le prit à p^tie , & avec le doute de Socrate d'un côté, & fon onti-ophyon de Tautre, il lui fit voir du cheipjn.
Crcâlmus? an qui amant ipjl fibi fomnid fing'uiu ! ]
Mais ce qui détruit cette belle con- jedure , félon Valentia , c'eft qn^Arcefi- las a toujours pafle pour un franc Pyr- rhonien. Sextus n'en difconvient pas, Numcniv.s y foufcrit, & Ciceron Tinfi- nue dans le grand paflage que Ton a allégué, où il met en toute queition'les raifons égales de part & d'autre : au lieu que les Académiciens ont toujours tenu pour le probable ; ils difoient bien •que, par rapport à la perception pro- prement dite, le poids des raifons pou- voir être égal, mais que, par rapport à la probabilité, il y âvoit des chofes plus probables les unes que les autres, & des rarfons préférables à d^aiiires. D'ail- leurs fi rOrateur Romain a jugé favora- "blement des motifs à' Arcefilas , les fié- cles fuivans ne lui ont pas rendu fi bon témoignage. Lnâancc en parle fort mal en divers endroits, & ne dit rien de Cù, ■prérendue Orthodoxie. Numenius dans EufebCi le traite > lui (Se fon Antagonifte,
F 2 d€
g4 Bibliothèque Britannique ,
de vrais Ergoteurs, qui^ quoiqu'élevô/. dans la même Ecole , s'enflamerent Vun contre Vautre par un pur efprit de jalôujie ; qvCJfcefJas en parciculier, voyant qu'il avait trouvé en Zenon wi Rival digne de lui, prie à tâche de le contredire fur tout, & particulièrement fur cette définition du vrai qu'on a rapportée, qui faifoit bruit dans Athènes, & qui véritablement eft magnifique; qu'il le mit en devoir de lui arracoer ce drapeau ; qu'en effet il le défarma & ie réduifit au filence , de* meurant maître du champ de bataille, & fa- brant impitoyablement^ & le ténmgmge des fens, ^ celui des loix , & celui de la cou- tume , en un mot , toute efpece de corn- preheufton, jufqu'à ce qu'enfin il s'éleva du fond du Portique un Vengeur fameux qui en réleva les colomnes. C'eft Chry- siPPE dont il veut parler. „ En effet ,y ce fut un coup du Ciel , difent les „ Stoïciens dans Plutarque , qui fufci- „ ta ce nouvel Athlète , & qui le pla- „ ça précifément entre Arceftlas êc „ Carnéade; d'un côté, pour abbatre les „ trophées du premier , & de l'autre , „ pour prévenir les irruptions du fe- „ cond & lui fermer fi bien les ave- „ nues y' qu'il ne pût plus faire les mê- „ mes ravages que fon prédeccffeur a- „ voit faits ". La chofe parmi eu:?: paffa en Proverbe : Si Chryftppe n'eût été , il n'y aurait plus de Portique. Telle étoit
ndeè
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ridée qu'ils le formèrent de leur redouta- ble Hecror.
Mais Cl vous écoutez les Académi- ciens, il en faut bien rabattre : loin de prêter du fecours au témoignage des fens & de la raifon , il fit comme ces Médecins mal-habiles, qui aggravent la maladie & la rendent défefpéVée , au lieu de la guérir. Il ne crut pas que ce fût afTez pour lui de répondre aux objec- tions d'ArccftIas ; il s'avifa d'en cher- cher lui-même de tous cotez , pour, faire étalage de fon efprit dans les répon- fes , félon lui vidorieufes , qu'il y pré- paroit: mais au lieu de réuiïïr contre les unes ou contre les autres , il ne nt que s'embrouiller & s'embaralTer da- vantage, jnfques-là qu'après toutes fes fueurs, on le" trouva fort inférieur à kii- riiême , inférieur dans fes réponfes , quoique fupérieur dans les obje(^.ions. Canieade, qui vint après lui, le regarda du haut de fon efpric , & en eut pitié ; & à mefure qu'il parcouroit fes difficul- tez , il lui appliquoit de tems en tem? ce vers d'Homère:
AxiiXO'JlS , (p^fjci (Tê 7(3 C70V flivOÇ '
Mifer ! îkj te pcrâst vis.
Hélas! Infortuné, ta valeur re perdra!
F 3 Esi
f;6 Bibliothèque Britannique >
En effet, c'eft Andromaque , qui parle ainfi à fon Epoux dans V Iliade. Les Stoïciens avoienc dit à la louange de leur Héros : Si Chryfippe n'eût été , le Portique ne fercit point, Carnéade leur renvoyoit la baie par cette efpece de parodie : Si Chryfippe ireût été , je ne fe- rais pas non plus; comme pour dire, que toute la réputation de leur Hector na- voit fervi qu'à rélever la fienne pro- pre, c'eft- à-dire qu'à faire de lui r^4- chille des Académiciens, Ciceron ajoute , ,j que les Stoïciens mêmes fe plai- „ gnoient entr'eux , qu'en cherchant <k. j, en remuant tant de difficultez contre ,, les fens & contre l'évidence, C7;ry- fffppettoit devenu inférieur à lui-mè- 9, me , (Si qu'au lieu de prévenir Carnéa- „ de , il n'avoit fait que lui fournir de ,, nouvelles armes: Itaque ab eo armaîwn fc, Carnéade m.
Pour revenir à Ar ce filas y V aient ia con- clut qu'il étoit Pyrrhonien ; autrement, dit- il, que ferons -nous de la différen- ce qu'on a mife entre les trois Acadé- mies , la I. Vêtus y l'Ancienne, qui re- garde Platon 6z fes Difciples; la 2. Me- dia, la Moyenne, qui apartient propre- ment à Arcefilas ; & la 3. Nova , la Nouvel- le, qu'ils attribuent à Carnéade"^. Quoique Plutarque & Ciceron , après Philwi, n'en re- connûffent qu'une feule : [ Profeâam à So- çra,te, repetitam ab Ar cQiildi , confurnmatam
^" ' ' k
OCTOB. NOVEMB. ET DECEMB. I74T. S/
â Carneade]. Avec tout cela Sextus a rc- juRvqué, qn'^ Arc eft h s nedonnoitpas dans toutes les idées de Pyrrhon , puifque dans la conduite de la vie il étoit pour le probable, comme l'unique voye de la félicité, entendue à fa manière , beatitate cd qucc homini contingere potefl , dit S, Au^ giifîin; au lieu que , félon Pyrrhon , une chofen'eft pas plus probable que l'autre. Mais en rangeant cet Arcejlîas parmi les Pyrrhoniens, il étoit naturel que Valenîia nous indiquât l'efprit de cette fecle, puifqu'aufÏÏ bien elle étoit Coufi- ne- germaine de l'Académie. Diogène La'érce en dit quelque chofe dans l'arti- cle de Pyrrhon , & Sextus s'y étend beau- coup; mais voici un paiïage d^AriJlocks de MeiTene, qu' Eufibe nous a confervé, qui expédie la chofe en très -peu de mots. Il dit donc que Pyrrhon n'a rien laijjé par écrit ; mais que Timon , l'un de fes Difciples, nous a délivré tes trois Régies qu'il propofoit à quiconque veut ^tre heureux : La première efl , de confiderer de queïîsl nature font les chof es mêmes '^ La fé- conde, comment nous devons être difpofcz à leur égard? Et la troifièmxe, ce que ga- gnent ceux qui entrent comme il faut dans cette difpofitiojt. A l'égard des chofes mê- mes, il dit qu'elles lui paroiilént égale- ment indifférentes , (^ de telle forte , qu'acnés ir^ font fufceptibles ni de mefure , ni de jugement: Qu'ainfi ni nos fcns, ni notre inteWgeiice , F 4 w^
SS Bibliothèque Britannique,
ïie s'appercevant ni de la vérité^ ni de ^Sifauffeté, il faut bien fe garder de leur a^ jouter foi , mais fe tejiir ferme âf immobih dans ta rejeâion univerfeîle de toute opi- nion , difant fur chaque ehofe , quV/- fe n'efi pas plus certaine qu"* incertaine , puifqu'il n'y a pas plus de raifcn à dire qiCelle eft , qu'à dire qu'elle n'efl pas. Ti- 7720M ajoute, qu'à ceux qui jonifTent d'un tel efprit font refervez deux grands a- vantages; premièrement une commode Aphafe^tn vertu de laquelle ils ne prennent ni i'afîirmative ,' ni la négative • fur rien: en fécond lieu, une heureufc Ataraxie , qui les délivre de toute efpe- ee de trouble. JEnefidemc y en ajoute un troifième, comme réfultant des au- tres, fçavoir la Volupté y _V,à-Vy,
Les Sceptiques , dit Vakntia , diilin- guoient deux fortes de chofes ; celles qui paroiifent & tombent fous les fens , ^;^/vo>cv/;i , & celles qui ne font apper- çuës que par l'efprit ; V58a5v;.'= Or ils prétendoient que la Scepfe, ou faculté fceptique , confiiloit à les mettre en oppofition & en contradiclrion les unes avec k-^ autres; d'où réfultoit l'incon- fiftence de nos idées & tout le décail du Pyrrhonifme. Sur quoi il faut pourcaat re^ rnarqucr, que ies Pyrrhoniens ne nioient pas les apparences , ni les fentimens in-- teneurs. Us n'auroient pas nié ,^ par exemple 5 devant un. bon feu y qu'ils, ne
fen-
l A
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fentiflent de la chaleur ; ni expofez à la bize dans le cœur de l'hyver, qu'ils ne fentilTent du froid : fenlemenc ils rejet- toient ce qu'on appelle un Dogme , une Affirmation en fait dePliiiofophie, c'eft-à- dire le confentemenc de notre efprit à u- ne propofition doutetlfe & controv^erfée dans les ScienceSo Ils ne difputoienc donc pas fur les apparences des ■ choies ; mais fur la caufe & la n.^n^r^? de ces phéno- mènes. Par exemple, à l'égard diiMiel, ils convenoient bien que cet aliment a~ voit dans notre bouche un certain goût de douceur ; mais ils demandoient, fi le Miel en lui-même, & indépendamment de notre palais , pouvoit être nommé doux? [Ce qui revient aux ouvertures de Dcfoartes fur nos fenfat ions]. Appli- quez cette réflexion au fyflème des A- cadémiciens: ils ne nioient pas la réalité des chofes , ni celle des fenfations; mais ils contelloient les définitions des che- fes , confiderées en elles - mêmes. S. Auguflin y efl: exprès : Nam if Academicis plaçait , nec homini Scient iam poJJ'e cont ingère , earuni dumtaxat rerum quos ad Philofo- phiarn pertinent : nam cetera curare fe Carneades negabat, ■ [ Ces paroles font très- notables; car elles déchargent les Académiciens, 6t Ciceron par coniequent^ d'une grande partie des abfurditez qu'on leur impute. On en parlera dans VAnti- Académique ]. - ^ i F 5 Mail
ço Bibliothèque Britannique ,
Mais û les Sceptiques n'étendoient leurs doutes que lur les quellions de Phyfique, ou de Morale, ou de Dialeifti- que, lur quoi fe régioient-ils pour le commerce de la vie ? Sur ces mêmes Apparences qui nous environnent , fur ces mêmes Senfations qui nous détermi- nent. Ainfi ils repartiiroient toute leur difcipline en quatre branches, i. L'inf- crudion de la Nature qui nous donne le fens & l'intelligence. 2. Les Pajjiuns n:T- îurclies, comme la faim, la foif, le froid, le chaud , qui nous obligent à chercher ies moyens de les prévenir, ou de les appaiier. 3. Les Loix 6c les ufages du pais, qui nous mènent à certains de- voirs, tant pofitifs que négatifs. 4. Et enfin les Arts qui nous occupent, ou par néceiTîté , ou par obieélation. N'en demandez pas davantage à un Pyrrho- nien ; car li vous le jettez fur ce qu'on peut nommer une Qiiejlion , ou fur le Vuide, ou fur le Plein , ou fur le Mou- vement, ou fur le Syilème du Monde, ou fur la Morale, ou fur les Mathéma- tiques , ou généralement fur tout ce qui eft intelleduel, il vous répondra avec fa réferve ordinaire, ^'/J^ttoixcil^ je confidere^ iTTJ'^io', je Jufpcns mon jugement; ôvh'cv ôpiXo^^ je ne définis rien, car tout efl défini; ôv^èv fxàKKov , rien de ceci ou de cela qui foit préférable; '^uvri }.ôyui hôyoç ko; â'jTiAsircity à tome rai Jon pojéc , raijciioppcft'e; 6^ d'au- tres
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74T. ^I
très formules de cette efpece qu'on pourra voir dans Sextus.
[Au reile Vaïentia n'eil pas le feul qui ait touché les conformitez & les différences des deux Sedes : un ancien Critique, qu'on lira toujours avecplaifir, quand ce ne feroit que pour la clarté naïve de la didion , aufii - bien que pour l'air de probité qui régne dans tout ce qu'il écrit, nous a laifle un article cu- rieux fur ce.fujet, c'efl le 5. du XI. Li- vre de les Veilles /iniques, Nodes Atti- Ccc, ou, fi vous voulez, Aulu~Gcl!iana, Il y établit d'abord la notion générale du Fyrrlîonifme telle que_ nous "l'avons in- diquée , renvoyant fes Ledeurs , pour u- rie plus ample information, à l'Ouvrage de fon cher Favorinus , de qui il avoic tant appris : Super qua re Favorinus quo^ que fubtiliJJ'iu.} argutijjïmèque decem Libros. compcfuit, q'uos Uvù^càVcîoyj rpc^co-j infcripjJt, Après quoi il continue ainfi: Du refce, c'èit une queflion aifez ancienne , en quoi & juiqu'où s'étend la différence des Académiciens d'avec les Pyrrho- niens? Car les uns & les autres font également, défignez par les noms de Sceptiques, d'Epheâiques & d'Jporetiques , qui n'affirment & n'admettent rien de compréhenfîble , foutenant que toutes les idées qui nous viennent des chofes , ne nous viennent pas telles qu'elles exiftent en effet dans la Nature, mais
fe«
cfi Bibliothèque Britannique,
fclon rafFediion ou la difpoiition d'ef- prit ou de corps de ceux à qui elles par- viennent, \^ûà moàum rccipientis]; ce qui fait qu'on ne peut les confiderer raifon-' nablement que par relation, twv tt-^ôç tu c'efl-à-fiirê , qu'il n'y a abfolument aucun Etre fmgulier , qui conftitue en lui-même fa propre eilence, ou qui pof- fede fa force ou fa nature en propre, mais que tout fe rapporte à quelque chofe d'autre ;ôi que fi certaines cho- fes nous paronlent telles, ce n'eft que fous l'apparence où nous les voyons lorfqu'elles parviennent à nos fens, & telles qu'elles font en effet dans les lieux d^où elles partent]. Or comme les A- cadémiciens tiennent à cet égard le mê- me largage que les Pyrrboniens; on de- mande en quoi git la différence? ,r En „ ceci, ajoute -t-il, que les Académi- 99 ciens fcmblent avoir compris leur m.a- „ ximiC favorite, que rien ne peut être corn- 9 1 pris, & avoir comme déterminé leur „ décret, que rien ne peut être déterminé: „ au lieu que les Pyrrhoniens avouent ,, V incertitude de cette maxime, par la i, rai l'en que rien ne leur p-arpit cer- S9 tain " Ainfi, au rapport de Gellius, les /Académiciens n'eiquivoient pas tout- à-tait le Dcgwe. Mais Valchtia \m oppofe le témoignage de Ciccron dans le Lucu/lus, jDÙ il offure en propres termes, que leuf ciecrç^ même fur Fincomipréhenfibiiitp , * " ilsl
ÔCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. 1741. Çf
ils le rangeoient , comme bien d'autres chofes , dans la claffe des probabilitez ; [ tant il efl vrai, & j'ai intérêt qu'on s'en fou-^ vienne, qu'il eit aifé de prendre le change fur des matières il fubtiies,, même parmi ceux qui ont le mieux étudié Ciceron ; & qui l'avoit mieux étudié que Gelîiusy. La vraye différence entre les uns & les au- tres , c'eil que l'Académie ne fupprimoit ni la vérité, ni la faufieté dans les chofes, ni même dans nos idées, qu'ils regardoienc ou comme vrâyes, ou comme faufles^au lieu que les i-'yrrhoniens traitoient tout Ct\2i d'une égale indifférence f éV/cvî; âhà(pcpciç^ Mais cela iufflt pour la revue du camp & des forces (ïArcefifas: voyons à pré- fent celles de Zenon & du Portique.
Les Stoïciens, qui fe donnoient aufll pour DiR'iples de Socrate & de P/a- ton, 6c qui prétendoient avoir raffiné fur tout , débutoient par un principe aiïez étrange, c'efl que /cw; étoit corporeh No- tre Ame même n'étoit qu'w?i certain e/prit chaud y né avec nous, qui penétroit toutes les parties du corps , & qui y refloit tant que Is corps en étoit agité ^ gouverné : & comme cette Ame n'etoit point immatérielle, il leur étoit permis de la divifer. Ils lui donnoient donc huit parties. La i. & la principale avoit la place d'honneur; ils la nommoient Hegemoniccn ( la Direc- trice) celle qui formoit nos fens, nos appétits, nos idées, nos afîentions, nos
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'04 Bibliothèque Britak^^ique ,
Taifoanemens ; ce qui lui faifoit donner en- 'corc le nom de Logifmos ( le priîîcipe du rai- ■fonnemeat). De cette Diredrice, comme *d'unc tige commune , naifToient les autres parties , &s'étendoient jurqu'aux extr^- ïnirez du corps, à -peu -près comnn.e les bras du Polype, ou les jambes de l'Arai- gnée. Cinq de ces parties compoibient nos iens, la Vue, VOuie ,VOdoraî\\ç: Goût ^ le Tcu-cber. La Vvë c'étoiti'efpritqui de la Di- fedrice s'étend jufqu'aux yeux ; VQuïe , le îTiérne efprit, qui de la Direclrice s'étend julqu'aux oreilles; V Odorat , le même ef- prit, qui de la Direftrice s'étend jufqu'à la pellicule des Narines; le Goût , le même efprit, qui delà Diredrice parvient juf- qu'à la langue; le Toucher» le même ef- prit, qui de la Diredrice s'allonge jufqu'à ia fuperricie du Corps. Des deux au* tî^es parties, la première eft fcabreufe: ReJiquanwi partium altéra dicHur Semen, ■que eft ctiam Spiritus pertingcm ab Hegemoni- co ad Parcftatcs -^ & la dernière , que Zenon nommoit Phonâen , c'efl-à-dire "voccih^ou. fimplement P/jonm, c'eft encore le même efprit , qui de laDiredrice atteint jufqu'au gofier & aux autres organes de la voix. Pour revenir à la Direârice, qu'ils nom- rnoient auiTi Diokeiay la Gouvernante, ou Dianoia , la Judicatrice, elle avoit fon fiége dans le cœur, ou autour du cœur , ou dans le centre même du cœur, d'où , comme au- tant de rayons du même cercle, partoient
lês
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les divers Sens dont nous venons de parler. Dans cette Direiflrice, ou principale par- tie de l'anie , ils luppofoient comme une Membrane délicate, ou fe peignoient, ou plutôt s'imprimoient les images , les idées 3 les notions, e-^vom, & cela par le moyen des Sens: c'étoit leur Scnforium. Pour les Sens, ou la Senfation , ils la nom- moient ^'/^Avt/c> c'étoit le Saifijfemeni , ou Yappréhcnjlon des chofcs qui fe fait: dans îe Senforiwn: ou par les Sens, comme lorf- qu'il s'agit des couleurs, du blanc, du iioir, de Tàpre , du poli, &c. Ou par là Raifon, comme lorfqu'il s'agit de com- parer les idées entr'elies , de diftinguer^ déjuger, de raifonner ou de démontrer quelle vérité que ce foit. Pour Fldée, ils la nomm.oient Phantafia, comme qui diroit Apparence, Objet, & ils la définif- fôient, une cenaine affèâiGn produite dans Vaine, <iui fi montre elle-même ave: la caufe gui la produit. Ainû quand nous voyons du blanc , il fe palTe dans notre ame u- ne certiaine émotion, qui lui dépeint le blatic qui Ta csufée. Car le terme de (W.raçm vient de ^Pw;, lumière, & com- n'ie la lumière fe montre elle-même a- vec ce gui l'environne, de même la fan- tailie nous préfente une certaine image, avec l'original qui l'a caufée & les cho- fes qui l'environnent. Zenon avoit défi- ni Vidée, rvTuriv év ^v^vj , une imprefjlon dans rame ; Ct'ryfippe, qui prétendoit ê-
tre
§6 Bibliothèque Britannique ^ tre plus fubcil , changea le mot dUmpref^ jlon en celui d' immutation , âX\oiu7iç , par la raifon que plulieurs fortes d'impref- fions ne fe font point fur une même ci- re^ [comme fi, en changeant les mots, on reparoit les brèches d'un Syflème: & les Sons comment fe confervcnt-iïs fur cette membrane?]
Les Stoïciens diflribuoient leurs idées en diverfes claiTes; en Rationellesy Uyiv.a.) , qui ne conviennent qu'aux ani- maux douez de raifon , & Irrationelles , pour les brutes. , Les premières étoient aufli nommées ■vy/tcreiQ , conceptions de Fefprit ou de l'Intelligence. Ils diflin- guoient encore les idées fenjttives., àia^viTi-AûLç , qui nous viennent par l'organe des Sens, des non-fenfitives , qui font le. produit de la Raifon : les arttfi dettes. ^ rex'^iy.cii^ qui font l'effet de l'art, des in- artificiettes , kTsyyoi , où l'art n'entre point. Ainfi y difoient - ils , autre efl le coup d'œil d'un Artifan habile , qui confidere un tableau... ou une ftatué de main de maître ,' & autre celui d'un Ignorant qui c'y connoit rien : ce qui faifoit dire à la Sedc, que ta où tes Sens nous manr- quent y it faut emptoyer les Jrts , qui font conwie, de nouveaux Sens; & que les Aca- démiciens, au tieu de tes accufer , comme ils faifçient, pour énerver leur témoi- gnage , auroient dû au contraire emptoyer toute leur induj'ine à tes aider, à les cultivet-
&
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& à les orner: „ Suppofé donc, difoic „ Luculhis , qu'on joigne à la nature „ l'habitude & les régies de l'art, com- ,, me dans la Peinture, par exemple, & 99 dans la Mufique, pour que l'une fe » rende maîtreile de nos yeux, & l'autre ,9 de nos oreilles , qui ne conçoit pas 99 la force qui eil dans les Sens ? Ils divifoient encore nos idées en vrayes & enfauffcs: mais leur principale diftinc- tion était celle qu'on a déjà touchée plus haut , en faifant difputer les deux Antagonifles: c'eil que les unes étoient comprchcnfivcs , n:irci}i^i:riiixi , & les au- tres non, ^jf;iT^Av!TT£i; ; mais qu'eft-ce qu'une idée compréhenfive ? Celle qui ejî imprimée en nous de la pan de ce qui efî , de la manière qu'il eft , tf telle qiCelle ne fçauroit jamais l'être de la part de ce qui n'ejl point. Ainfi les idées vrayes étoient compréhenfives, & les autres, non.
A l'égard des Sens , ou des Senfationst ils foutenoient qu'elles étoient toutes vrayes & bien comprifes , puifqu'elles ne font proprement que des com.pré- henfions & même des aiïentions : car lorfque je regarde du blanc, je com* r>rens en même tems, difoicnt - ils , <&: je conviens que c'eit du blanc, autre- ment je ne le vei'rois pas. Ce moyen eft employé par LuouHus contre les A- cadémiciens. Il prétend que la percep- tion des idées fenfitives emporte une
Tcm XyiJrl Parf, L G Te-
98 Bibliothèque BRiTANNiouEr
véritable alTention. Il veut encore que' nos Appétits foient des approbations & des àflentions. Mais Stobée nous avertit, que les autres Philoiophes ne fegardoient là fenfation que comme une nue & fimplc affection de la fantaifie , que V Appétit ne fuivoit pas toujours, & encore moins l'approbation; Autrement, difoient -ils , VAjjentîon ne jerdit point en notre puijjance. Mais les Stoïciens s'obftirioient à ne point feparer ces deux chofes , la Scnfa- tion à V Approbation , & par la même raifon, V Appétit 6i VAJJ'ention: Car, di- foient-ils, comment appéter telle ou tel- le chofe, û vous ne convenez, fi voi:& ne confentez qu'elle eft convenable à votre nature? [Il femble qu'il y ait ici du mal- entendu: les Stoïciens pou- voient diflinguer entre une AJJention naturelle & une AJfenticn raifonnable : Video Tiwliora f prohoque ; voilà là Raifon : détériora fequor-y voilà la Nature.] Cependant Plutarque nous apprend , qu'ils appuyoient beaucoup fur la raifon qu'on vient d'al- léguer ; mais qu'enfin avec tous leurs . efforts & toutes leurs déclamations, ils ne purent jamais ébranler VEpoque , ou V Arrêt Philûfophique , qui laiffe à notre liberté la confideration & la détermina- tion ; & il ajoute , qu^on n^avoit qu^à leur eppojer cette tête de Médxife , c'eft-à-dire VEpoque y pour les réduire aujtlence. Dès que nos idées étoient une fois lo«
géôâ'
ÔctOB. NoVEMBr ET DeCEMB. 17-ifl. ǧ
gées , ou empreintes dans l'ame , les Stoï- ciens les nommoient ewotxt^ des Notions.^ & fi elles s'y fixoient, elles formoicnt en nous ce qu'ils appelloient /xw^/x^» le Souvsnir, la Mémoire, qu'il faut bien diftinguer de la Fantaifie. Je vois du blanc, c'eft un objet, c'eft une Fantaifie, ou plutôt une Emphafis , une Apparence: mais ôtez ce blanc de devant moi, l'idée m'en refte; & ainfi des autres chofes : t'eil la Mémoire. Et fi dans cette Mé- moire vous réunifier une multitude de Souvenirs homogènes , c'eft- à- dire de mê- me genre, alors c'eft Vufage, ou Vexpé^ ricnce, ou l'^r^* ce qui fait dire à LucultCf dans Ciceron, qntVArtne réfuïte pas d^une ou de deux perceptions , înais d^une multitude de perceptions: ce qu'il fait beaucoup va- loir en faveur de la compréhenfîve. Mais il y a encore ici uiie diftindion à faire, c'eft que de ces notions les unes ibnt naturelles & inartificielles -, cpvri'^aiy & reçoivent le nom de T^oKy-r^siç ^ Pro- tepfes , Anticipations , premières notions des chofes; ce qu'ils exprimoient enco- re par leur èyjoiu (J)'j7;nvi t8 y.a^QKov^ notitid natuniîis univcrforum , comrrie celle d'un homme, d'un cheval, du blanc, du noir ^ &c : au lieu que les autres font artificiel^ ^'^s , TêyjAy.àt hvoiçii, le fruit de l'art, de rérude ëz de la difcipline. Pour Ciceron, îl nomme indifféremment les unes & les siutrês noîitias, des notions. Mais quoi Q 2 qu'il
lôo Bibliothèque Britannique, qu'il en foit ; de raflemblage de ces premières notions fe formoit en nous, dès râgc de fept ans , la faculté de raifonner , qu'ils nommoient Aoyoç, car c'efl alors, difoient-ils , qu'en confide- rant toutes ces notions diverfes , & les comparant enfemble , nous commen- çons à juger, à raifonner , à conclure.
Nous avons dit que le Critère de P/a- ton étoit fes Idées-, celui de Pyrrhon, les Apparences ; celui d'Anefilas , la Probabili- té ^ celui de Zenon étoit la Compréhenfi- ve , ^cL'nciGLTi narxX)^rTi'A'/iV , un objet compréhenfif , ou qui comprend , qui embrafTe ce dont il s'agit. Cicercn le définit, Vifum , impreJfum^efficîwnqvLg ex eo quod efl , quale ejfe noii pctej} ex co qucd non ej}. En quoi il oublie le fécond mem- bre de la définition : car après ex eo quod eft, il falloit ajouter , y?tu/ efi ipfum quod efl ; car ce n'eft pas aflez que l'idée nous vienne de la part de ce qui eft; il faut qu'elle fe préfente telle que la chofe efl, Mais il y a apparence que les Copiftes, n'en- tendant pas la définition , l'ont tronquée. ]
Si définir étoit prouver, il y a long- tems que les Stoïciens auroient gagné leur procès: car il n'y a perfonne qui ait plus admiré cette définition que les Académiciens. Le malheur eit , difoient- iîs, qu'il n'y a nulle idée qui y répon- de, ni de la part des fens, ni de la part des ufages & de la coutume ^ ni de la part
de
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de la raifon. Ainfi c'étoit-là le grand point de la controverfe entre les deux Sedes; jufques-là que Favorin, dont on a parlé , outre fes dix Volumes des Alcdes Pyrrhoniens , en avoit oppofé trois autres à la prétendue Compréhenjîve , & que Carnéade, fi Gallien en eft cru, étoit quelquefois d'afTez mauvaife hu- meur pour harceler ce grand axiome : Que deux chofes, dont chacune eft égale à w- ne troijîème , font égales entre elles. Ciceron même, dans le Lucullus, contelle à Eu- clide fes définitions y dans l'aiïurance que fi on l'arrête d'abord fur cet article, il ne pourra plus avancer d'un travers de doigt. [Mais û leurs objections en Géo- métrie n'éroient pas plus fortes que leurs difficultez en Dialedique , nous pouvons en fapporter la perte avec plus de réfi- gnation, ]
Pour revenir aux Stoïciens, prenez garde à la liaifon de leur Syftème. Dès que notre efprit fe trouve frappé d'un objet, inflruit qu'il eft de toutes ces no- tions diverfes, & de l'ufage de Télocu- tion, il énonce en lui-même ce que c'eft : ceci eft du blanc , ceci eft du noir : l'efprit auflltôt le conçoit , & il y acquiefce ; & fi cette conception lui vient de l'organe des fens , il lui donne le nom de Sens ou de Senfation : & û ce qu'il vient d'appercevoir & d'approuver lui parojt convenable à fa nature, il G 3 eft
Î02 Bibliothèque Britannique ,
en réfulte aulfi-tôt Vappetif, cyx^ , tmpetus animi ad aliquid ; & li au contraire il y répugne , c'eft i<î)5pa,vj , ou Ia'^Kitiç , la/u/- te, la decUncàfon, animi declinatus , ac fugai mais il y a un appétit raifonnablejXîyr/vf cù^\^ c'efl h mouvemcîU de Vame vers une àe ces chcjes qui confiftent dans Vaâion , ou , félon Chryfippe , une raifon qui commande à r homme une certaine aâion , ou , félon d'au- tres , un appétit pratique , donc ils mar- quoient les divers degrez par les ex^ preiTions fuivantes, propofttum , intentio, praparatio , conitus ^ confilium & voîun-. tas : le tout pour parvenir à la Scien- ce , qui cfl le but de la vie, le port de- firé de notre navigation , & la Cité des bienheureux.
Ils en donnoient diverfes définitions , qui aboutifToient à la même chofe. Ce- toit U7ie certaine collection de connoiffances ar- tificielles, qui tenoit toute fa fermeté d'elle- même, ^ que rien ne poiivoit ébranler ; à-peu- près comme un Edifice complet , bien appuyé de tous cotez , <5i bien entendu. Du refle , c'étoit une des grandes ma- ximes du Portique, que la Sageffe confifle dans la poJTeJïïcn des vertus , & que ces ver- tus n'habitent que dons le Sage, In quibus virtutibus foîis ineffe etiam fcientiam dicimus , dit LucuUus, quam nos non comprehenfio- nem modo rerwn , fed etiaw^ flabiicm atque fmmutabilem effe ccrfcmus. Voilà donc la ^çi^nce 3 cjui confifle proprement dans les
feules
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feules vertus; & dont la compréhenfion doit être Jlable & immuable. Ainfi tout ce qui étoit dans le Sage étoit bon ; mais dans les autres, rien de pareil. Ils pouvoient avoir leurs qualitez louables ; mais ce n'étoit que chofes moyennes: dans le Sage tous les devoirs étoient accom- plis & portez à la perfeftion , c'eft le xavTo^ôwa;^ des Offices de Ctceron ; c'ell ici où Fa kîUi a Comble promettre un Traité de Morale Stoïcienne : /^(i ^e /;/.f , ajoute- t-il , alius erii dicendi îocus. { il n'en pa- roît rien dans fes papiers. ]
Ppéfentement vous voyez par quels degrcz on arrive au fouverain bien ; Tobjet , (^u'jTucîa^ les notices , ou les no- tions des chofes, les prolepfes ou les pre- mières anticipations , les vovjtsiç , ou ?2o- tîons raifonnabîes y la mémoire de ces no- tions 5 Vufage , Vart ,Je îogQS ou la Dia- kâique encore plus parfaite , qui de ces notions diverfes compofe fespropofitions & fes raifonnemens ; ce qui eft commun au Sage & au non-Sage , jufqu'à ce qu'en- fin , en exerçant toutes les facultez naturelles ëc acquifes , il arrive à cet état fortuné , o\\ nulle défechiofité ne peut avoir lieu; à cette ame parfaite, à cette fapience fouveraineyk cet éiat divin, on égal à celui de la Divinité, à cette fcience déga- gée de toute opinion, à cette habitude im^ jnuable ; quoiqu'auparavant il ne lui man^ qnit aucune imperfedion , & que tout- G 4 i'
104 Bibliothèque Britannique , à-coup d'un homme vil & ordinaire il- fe trouve transfonné en Héros, ou plutôt en Dieu. Car celui qui tient la SagelTe du Portique, difoient- ils , peut fe dire à lui-même; Souhaite ce que tu voudras, ^ il te viendra à volonté. Ce font les paroles de Plutarquè , dans ce difcours où il met en parallèle les Stotciens avec les Poètes y & donne l'avantage aux derniers. 11 fe moque encore d'eux dans un autre endroit , où , après avoir étalé leurs notions^ leurs prolepfes , \tnrs fouvcnirs , leur fcimce ferme & immuable , il s'étonne du fonde- ment ridicule qu'ils prêtent à tout cela, en compofant la fubttance de leur ame d'un û/> , ou à'MXi Jouffle léger, fx tcnui aura compaâum. Cependant à entendre Zêmn , rien de plus inébranlable que leur fcience : » Car quand, en étendant les s, doigts, il montroit le dedans de la main; ,, rO/yV^,difoit-il,^y? de telle forte: enfuite, „ quand il reiïerroit un peu les doigts; „ c'ejl ainfty difoit-il, qu'eji rA^ention, ou „ V Acquiejcement : après cela les ayant bien „ ferrez & fermé le poing , il difoit que ff c\toit'là la Comprébenfion : enfin , quand il „ portoitla main gauche fur la droite, & „ qu'il en ferroit le poing de toute fa force; 5, Telle ejl la Science , difoit-il , dont il w'y ^i a perfonne qui foit en pojfejjlon , excepté le f, Sage. C'eft Ciceron qui parle à la fin >> de fon Lucullus. Mais fi la fcience eft le premier & le
plus
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plus grand de tous les biens , quelle en peut être Futilité, û perfonne n'y peut parvenir ? Où font ces Sages , on ceux qui font été ? ajoute Ciceron aux paroles que nous venons d'alléguer, c'eft ce quyis ne nous apprennent point ; ils n'en parlent pas même entre eux , ils n'en allèguent aucun exemple. Il eft vrai que Pofidonius, l'un de fes Maîtres , concluoit qu'on pouvoit atteindre jw/^u'à la Vertu tf à la Sagejfe, de ce qu'un Socrate , un Diogène, un A- riflhène y avoient fait de grands progrès : mais après tout il falut avouer , que perfonne n'avoit encore mis le pied dans cette terre promife. Qiiel efl donc le Sage ? demande Plutarque; Uhomme qu'on n'a jamais vu, répond-il. En quoi il faut cor- venir pourtant , que les nations les plus éclairées ont foufcrit à la confeflion in- génue des Stoïciens. 11 y a eu des Sages qui ont dit , que non feulement perfonne ffétoit encore parvenu à la Sageffe , mais même qu'// n'étoit pas donné à Pkomme d'y pouvoir atteindre : Sublimité pour nous par confequent tout-à-fait defefperée, & à la- quelle on pourroit appliquer le bon mot du Poète , Pennis non homini datis : Déjà les Chrétiens y foufcriront après S. Paul, Neminem ad perfeâum adduxit lex : la loi n'a amené perfonne à la perfedion : ici la Philofophie peut tenir lieu de Loi ; car n'ayant point de Loi révélée , les Philo- fophes font Loi à eux-mêmes. Mais en G 5 voilà
ïo6 Bibliothèque Britannique,
voilà afTez , & peut-être trop , fur le Critère des Stoïciens ; il efl tems qu'enfin nous venions à Caméade , le Héros de Ciceron & le Confommat^ur de là nou- velle Acadén:iie.
AnejVas étant mort , Lacyâes lui fucce^ da dans ia chaire Académique , & la ré- figna de Ton vivant à Telede & à Evan- drcy tous deux Phocéens. A ce dernier fucccda Hegejinus de Pergame , & à celui- ci Caméade de Cyrène. Il eut pour fuc^ cefTeur Clitomaque le Carthaginois, hom- me d'efprit & ' grand Ecrivain , au lieu que Caméade n'avoit rien lailTé par écrit. Pbilon de LariiTe (on ne fçait de laquel- le ) fucceda à Clitomaque , ' & enfeigna long- rems en Grèce & en Italie. Il eut plulieurs difciples, dont les plus illuflres furent Jntiochus & Ciceron. Il eft vrai qu Jnticchis iâaus la fuite, abjura les prin- cipes de fon Maitre , & fe rangea avec les Stoïciens fous le drapeau de l'Evidence, au lieu que Ciceron , fon ami, prit tout le contrepied, & fe détermina pour les Idées de Pbilon. [On parlera bientôt des uns & des antres: ce qu'on en dit ici, n'efl que pour montrer une fuite desPhi- lofophes Académiciens depuis Arcefilas jufqu'à Cicercn. Si d' Arcefilas on veut re- monter jufqu'à Socraîe , le chemin n'eft pas long, comme on Ta vu ci deifus. Ain- fi de Socrate jufqu'à Ciceron inciufivement, on ne compte gueres que douze perfonnes.
On
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Onobjeftoit à l'Orateur Romain , que de fontems la Sedleétoit comme tombée. Sa réponfe eft bien notable ; Ce n'eft pas, dit- il, la mort des particuliers qui fait tomber les fentimens : tout au plus ils perdent des défenfeurs,qui leurprêtoient le luftre & la célébrité de leur nom : l'A- cadémie, qui fe propofe de combattre tou- tes les opinions, & de ne décider pour au- cune, a été en vigueur avant notre tems; &z û aujourd'hui elle eft comme abandon- née, dans le pais même où elle a pris naiffance, ce n'eft pas fa faute, à mon a- vis, mais plutôt celle du fiécle, je veux dire la pefanteur & la nonchalance des génies d'à préfent. Car s'il eft difficile de bien pénétrer toutes les parties d'un fyftème , combien ne le fera-t-il pas de les pénétrer tous, & de s'en rendre éga- lement le maître ? Or c'eft ce qu'il faut que faffent nécelTairementceux qui, pour trouver la vérité,fepropofent d'attaquer ^ de défendre tous les partis. Ce n'eft pas que je me donne pour être parvenu à ce haut point de capacité qui deman- de tant de travail & tant de veilles; mais j'avoue, ingénument que j'y ai tou- jours vifé. Ainfi il voulut être VIfmaei de la Philofophie , le Carnéaâe des Ro- mains, comme il en étoit déjà le Démof- tkene. John/on convient du dernier article, sn^is non pas du premier.]
io8 Bibliothèque Britankïc^e,
Carnéade fçut joindre à une grande fubtilité philofophique [une éloquence fupérie^ire & atterrante, dont Ciceronfa.it de grands éloges , & quoiqu'il ne publiât rien, fon nom devint fi fameux, qu'^- tbenes lui fit l'honneur de le choifir pour un de fes Arabafladeurs auprès de laRép. Romaine, & elle fe flatta, que celui qu'oa nommoit communément le tyran des opi- nions, qui n^aîtaquoit jamais rien qu'il ne ren^ vsrfât , £îf ne défendoit jamais rien qu'il ne réle^ vdt, étoit le plus propre de tous fes Su- jets à obtenir du Sénat les adouciflfemens qu'on avoit à lui demander. Mais com- me il ne s'agit point ici d'Eloquence, mais de Philolbphie , tâchons de donner "une jufte idée de fes fentimens. C'cll ici où Vaîentia s'efl furpaffé].
Ar ce filas y toujours ferré dans la difpute , ne démordoit gueres de la rigidité Pyr- rhonienne; Carnéade y plus traicable, s'é- mancipoit quelquefois jufqu'à TOpina- tion ; mais ce n'étoit que pour mieux prêter le collet à l'Adverfaire; car, au rapport de Numenius , cette grande faci- lité qu'il aîFedoit alors , n'étoit qu'un raffinement de l'art; à -peu -près comme dans ces Athlètes, difons mieux, comme dans ces hêtes féroces , qui femblent vouloir reculer, mais qui en effet ne font un pas en arrière , que pour fe lancer avec plus Hfimpé^ îuofité fur VEnnemi. Ses fentimens étoient une Acatalepfie ,
une
OCTOB. NOVEMB.ET DeCEMB. I741. lOp
une incompréhenfibilité univerfelle, non par la faute des chofes mêmes , qui font ce qu'elles font indépendamment de nous, mais par la foibleiTe ds nos orga- nes 6c de nos facultez: qu'ainfi fur quel • fujet que ce puiffe être qu'on affirme ou qu'on nie, nos propofitions font toujours vrayes ou fauffes , au moins à parte rei , comme diftinguent fagement nos Sco--- laftiques ; mais par rapport à nous , à parte inteîleâûs , nulle diilindion du vrai ou du faux. Pour nos idées, qui font comme les images des chofes, i^avrciTlai ^ il convenoit bien qu'elles peuvent être •vrayes; mais il ajoutoit, que comme el- les nous viennent de dehors, il étoit à craindre que le meflage ne fût pas tou- jours fidèle ; qu'il y avoit de vrayes & de fauffes idées , mais que les vrayes n'ont aucune marque de leur autenti- cité: qu'il falloit pourtant, dans le cours de la vie, fc déterminer pour les plus probables , fous peine de fe voir réduit
Au pénible fardeau de tC avoir rien à faire.
Voilà en gros fon idée & fon Critère ; mais il faut l'éplucher avec quelque at- tention , & écouter fes raifons ; car en- fin je voudrois bien comprendre , dit notre Avocat, comment, félon la nouvel- le Académie, rien ne peut être compris,
lé^% chofes hors de nous, font ce qu'el- les
îio Bibliothèque BritanniOùe ,
îes font en elles -mêmes ; & il ne ticn^ pas à elles qu'elles ne foient connues; mais la Nature n'a accordé aux hommes aucun initrument pour parvcHir au vrai , non Vlmaginatim , ^uvrccafx , puifqu'ellc peut nous tromper , ôc qu'en effet elle nous trompe fouvent: non VAme même, ou notre Efprit, qui ne peut raifonner fur les objets, ou fur les idées que TI- maginacion s'en forme. Or toutes ce5 notices, ces notions, ces conceptions nous doivent être fufpeéles; elles tirent toute leur * origine des fens ; elles forment notre langage, nos énoncez, nos argumens : la DÏaledique même , qui nous enfeigne à arranger tout cela, n'en peut faire qu'un compofé de fuppoîl- rions douteufes, dont la plupart fe con- tredifent. Ainù voilà déjà une aflez grande différence entre nos deux Cham- pions. Carnéade n'admettoit l'incompré- henfibilité que de la part de l'homme, au lieu qu' ArcéJilaSy également injurieux à la Nature & à fon Auteur, s'en pre- noit à l'homme & aux chofes mêmes. Carnéade né s'en prenoit qu'à l'humanité : Veri aliquid ejje non negamus , percipi poJTe negamus: Nous ne difconvenons pas, difoit Ciceroriy qu'il n'y ait quelque chofè de vrai , mais nous nions qu'on le puiiïe concevoir.
Pour » Ceci efl réfuté dans VArt ds penfiré
I
OCTOB.NOVEMB. ET DeCEMB^ I74I. lit
Pour bien faire, dilbit Phîlon Juif^ il faudroit que les deux fortes de Juge- inens ou de Tribunaux que nous avons par devers nous , les Sens & V Intelligence ^ fûflent tous deux intègres & incorruptibles -^ que d'un côté le premier ne nous offrît que des images fidèles y & de l'autre, que le fécond nous indiquât à point nommé célies qu'il faut admettre & celles qu'il faut rejetter: alors nous ferions heureux 5 parce que nous aurions la Science. Mais comme nous éprouvons tous les jours que nous fommes diverfement affedez des mêmes chofes, nous ne pouvons pro- noncer rien de jtable fur quoi que ce foit.... Ce raifonnement fe trouve dans le Traité de PTvreJfe, & il faut avouer que ce Platonicien de la Synagogue , qui n'étoit rien moins qu'ignorant , fe plaît beaucoup à Caméader. Il y étale tout au long en quatre grandes pages de l'E- dition de Genève, la plupart des moyens de contradidion, que Sextus a dévelop- pez depuis, & qui fe trouvent dans plu- fieurs livres.
Mais quoi qu'il en foit de nos difpofi- tions intérieures , Carnéade foutenoit, que les idées vrayes étoient û fembla- bles aux faufles, qu'il n'y avoit pas moyen de les difcerner. C'eft ce que fôn Avocat prétend rendre fenfble par cet exemple : J'ai vu, dit -il, plufieurs. têtes de Jules-Cisar le Di(^aceur; j'en
â'î
ÏI2 Bibliothèque Britannique,
ai vil en or, en argent, en bronze, en marbre & en pierres gravées : je cher- che la plus reflèmblante,<5i pour cet ef- fet je fais à part moi mes conjedures & mes raifonnemens fur celles qu'on me prtfente , & je me détermine : mais où ell le Stoïcien qui ofera me foutenir que celle que je préfère , par telle ou telle raifon, çfl en effet la plus reffem- blante ? De riiême à l'égard de nos idées, elles ne font point ce qu'elles repréfen- tent, elles n'en font quelles images, dont la multitude ne fait que rendre douteufe la reiïemblance.
' II y a des imaginations vrayes , & il y en a de faujjes-y les unes font fidèles , & les autres non; comment ferons -nous pour les discerner? De deux objets qui Je rejfembïent , ëc entre îefquels il n'y a nulle différence , pouvons-nous dire que nous concevons l'un & non pas l'autre? Or entre nos imaginations fauifes & nos imaginations vrayes il n'y a nulle diffé- rence, au moins par rapport à nous; donc nulle compréhenfion. Epicure fou- tenoit, qu'il n'y avoit point d'imagination faufie , par la raifon qu'il eil abiurde de fuppoler un effet fans une caufe qui le produife ; mais les Stoïciens , les vrais Anîagmifles de Carnéade y plus fmceres à cet égard, avouoient la dette \k s'éle- ■ voient en commun , & avec Caniécde , & avec Ciccixin, 6z avec tous les Académi- ciens ,
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ciens, contre cet Ignorant, ce Babillard» Blateronem, qui fe plaifoit à chicaner fur les maximes les plus reçues. Pour vous, Zenon , difoit Carnéade , vous convenez que le faux ne peut être conçu ; c'cft un de vos décrets: or de deux idées, Tune fiiufTe & l'autre vraye, mais toutes deux fifemblables qu'on ne peut les difcerncr, comment pouvez -vous foutenir qu'on peut concevoir l'une, <& l'autre non ?Ici, comme on voit, les Stoïciens fe trou- voient forcez de chercher dans les i- âéts vrayes un jlgne évident, une mar^ que certaine, qui en fit la différence à notre contemplation.
Ils reprochoient à Carnéade une efpece de contradidion , que Ciceron n'a pas oubliée : Vous dfftinguez d'abord , dit LucuJ/us, nos idées en vrayes & en fauffes; c'efl y admettre de la différence : mais dans la fuite vous oubliez votre diflinc- tion ; vous dites ^n'il n'y a entre elles aU" tune différence : n'efl-ce pas fe contredire vifiblement? ,, L'Objedion Teroit jufce, 5, réplique Ciceron , fi nous fupprimions „ toute vérité; nous n'avons garde, car jy nous voyons des chofes vrayes, & nous „ en voyons de fauffes: apparence de >, probabilité en beaucoup de chofes, t, nul ligne de perception": c'efl- à-dire, que les chofes font ce qu'elles fontà^ar» te rei , mais par rapport à nous & à no- Cire intelligence , elles n'ont point de Tonie XVUL Part, L H m&r^
114 Bibliothèque Britannique,
marque ojjurée , elles ne font que p'obd" hles , puifque rien ne peut nous venir de la part du vrai, qui ne puifîe nous ve- nir de la part du faux. Sur quoi ils rap-» portoient une multitude d'exemples.
Les uns étoient empruntez de la Na- ture, les autres de TArt , les autres du cours de la vie humaine , ou de la vie Phi- lofophique. Dans la Nature, la refîem- blance des œufs, des abeilles , des cheveux, des jumeaux; les imaginations de ceux qui dorment, qui révent, qui font en dé- mence, ou dans le vin: dans les Arts, la reffemblance des flatuës , des hufles , des portraits , des imprejjlons. A ces exemples généraux ils en ajoutoient de plus Phi- lofophiques: D^m'i d'Héraclée, difoient- ils, étant encore Stoïcien, foutenoit dé- terminément, Qu''il n'y avait d^autre bien que rhonnéte ; mais dans la fuite, tourmen- té du mal des yeux, il abandonna le Portique, pour paffer dans les Jardins û'Epicure , 6c changea tout - à - fait de principes. Sur quoi Antiochus , alors Difciple de Pbilon & encore Carnéa- déen, demandoit en riant. Ce qu'étoit deve- nue cette marque injïgne de vérité, qu'il a- voit trouvée fi long-tems dans le dog- me Stoïque, Qu'il n'y a d'autre bien que Vhonnéte? Mais les Académiciens dans la fuite, & Ciceron avec eux, voyant le même 4ntiockus pafler de l'Académie
fous
OCTQJ^, NOVEMB. ET DeCEMB. I74I. ÎI^
fous le drapeau des Stoïciens, demandè- rent auûi à leur to.ur , Depuis quand, & jbiis quel beau Soleil , il s'étoit apperçu de cette marque certaine & irréfragable qu'il avoiç conteftée û long-tems dans le dogme en queflion?
Sur Fillulion afTez ordinaire des Ju- meaux, ils propofoient un autre exem- ple» Perfée le Philofophe , pour con- vaincre Ariflon le Stoïcien de la reiïcm- blance des images faufles avec les ima- ges vrayes , s'avifa de cet innocent arti- fice. Il envoya un Jumeau de fa con- noifiance mettre en dépôt chez Ariflon une fomme d'argent reftituable à deman- de ; èz quelque tems après, il envo'/a l'autre Jumeau, c'eft-à-dire le frère du premier, redemander le dépôt, qui fut reflitué fur le champ, mais à celui à qui il n'apartenoit pas. Hé bienl lui dit Perfée en "lui dévoilant le myflère, qv^efl devenue votre marque de comprébenfl- bilité? Un objet faux, avec toutes les livrées du véritable, vous a trompé, pour vous apprendre que de deux idées qui fe reilemblent , il efl abfurde de foutenir qu'on peut concevoir l'une 6c non pas l^autre.
Sur le chapitre des fonges, des vifions , des extafes, des accès de frénéfie, il feroit fuperflu d'entrer dans le détail, ils ne tarilToienc point fur cet article. Envain les Stoïciens repliquoient , que H 2 ces
Îi6 Bibliothèque BnitANNiQUE , ces gens en démence, ou en liqueur, ré- futoient eux-mêmes dans la fuite la va- nité de leurs imaginations; cette réponfe paroÎL à Ciceron la foiblefle même: Il ni 5^ agit pas de fç avoir y dit -il, quelle efpece de foiiVenir fuccede à ces tranfports ; maii quelle forte de fenfaîion a été la leur, dans Je tems même qu'ils étaient agftez. Ce font fes propres paroles dans le Lucullus.
Valentia, qui nage ici en grande eau, va encore plus loin. Il ne pouvoit igno- rer, lui qui avoit tout lu, que TertuÙien , d'un côté , dans fon Traité de rAme, s'é- lève avec beaucoup de véhémence, & comme Philofophe, & comme Chrétien , contre la nouvelle Académie; & que, de l'autre, S. AuguJJin , déjà converti, a- voit, dans un âge mûr & par zèle de Religion, Deo juvante ac miferante , com- me il le dit lui-même ♦ vers la fin de fa vie, compofé trois Dialogues adverfus Aco.deir.icos y où vraifemblablement un bon Ca'holique , comme Valentia , devoit chercher des folutions fatisfaifantes. En effet, il ne les négligea point; & voici le jugement qu'il en porte : Qiiorum ( Aca- dcmicorum) aliqua argumenta Tertullianus in libro de Anima, & D. Auguitinus ad- verfus Academicos libro tertio, reîukrunt&
lot-
* A la té te de fes ^etrci&aîions ou Eclaircif-
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74I. II7
folvcrefe crechmr ; c'eil-à-dire, que ces deux Pères on/ rapporté quelques-unes de leurs rai" fins , à" qu'ils fe flattent de les avoir réfutées^ V^oilà tout. A l'égard de Tertullien, on peut voir la note du Commentateur dans notre premier Extrait : il feroit inutile d'y reve- nir : nous dirons feulement par voye d'ap- pendice, que plus on y refléchit, plus on trouve inconcevable que Tertullien s^avi- fe d'aller infulter l'Académie, {Académie ce procaciffîme y lui dit -il) dans le tems qu'il va reveiller une idée, celle du Vin, en tant que mémorial du Sang de J. C. , qu'on pouvoit fi aifement rétorquer contre lui, Ainfi Valcnîm a évité l'écueil, & a é:e plus fage.
Cependant les Stoïciens nefe rendoient pas à tant d'exemples d'illufions; ils fou- tenoient toujours qu'il y avoit une Evi- demey êvûiçjyeici ^ une' certaine perfpicuité au deiïus de tous les difcours. Lucullus nous apprend , qu'il y avoit même des Philofophes qui ne vouloient pas qu'on en difputât , parce que tout ce qu'on pouvoit dire fur ce fujet, étoit au delTous de l'Evidence même ; Qjucquid dixerisinfra^ D'autres foutenoient qu'il y avoit de U folie y 6c peut-être de la mauvaife-foi à la coutelier. Quoi ! difoit Epiacte à 5, V Académicien , vous ne comprenez pas ,, à préfent que vous veillez! NoUy dit- ,, il; car lors même que je dors y il me fem* ^f bl£ aujjl que je Vieille. Il n'y a donc, H 3 f^ i^^
Il8 BifeLIOTHEQUE BRITANNIQUE ,
„ félon VOUS, aucune différence entre ,> ces deux idées? Aucune. . , . Après „ cela, ajoute -t- il, comment raifonner „ avec un tel homme ! quel tifon , quel „ fer ardent lui appliquerai -je, pour le „ convaincre qu'il eft dans un état de „ mort? Il fent, & avec tout cela il „ diflimule le fentiment: à mon avis il „ eft pire qu'un trépaiïe. [ Ces paroles, qui font d\i Commciitaire d'Arricn, ne font point tombées à terre : Mr. Locke , dans ce Chapitre où il traite des degrez de la Connoiffance , Liv. IV. de fon EnrenJ. Hu- main, fait ufage de ce même feu con- tre les Sceptiques: Vous doutez Jî fuous ne dormez pas , fi vous ne fongez pas. Eh bien! pour vous réveiller, mettez la main dans U feu. Quoi î n'y aurait - il point de différence entre fonger qu'on eft dans h feu , & y être ejfeâivement ? Un fonge BOUS fait voir la flame & craindre la brûlure , mais il ne nous rôtit point. Hob- heSy dans fon Léviathan , imagine une au- tre folution qui vaut de l'or ; car il eft permis de recueillir des pailles d'or ex ftercore Ennii : En veillant , dit - il , je vie rappelle parfaitement bien le dcfordre , la confufion, Vinconfiftcnce des idées qui m'' ont cccupé en dormant ; &' en fongeant , je ne me fouvicns pas que je me fois jamais rappelle Vordre & Véconomàe des réflexions que j''ai faites pendant la journée, Valentia ne ré- pond point aupremierexemple,& je ne
vois
OCTOB, NOVEMB, ET DEGEMB. 1741. II9
vois pas ce qu'on peutoppofer au fécond. Le refte dans VAnti- académique:]
Voici un autre afîaut d'Epiâete dans le même livre , qui n'eft pas moins vif: „ Si j'étois , difoit-il , au fervice de quel- ,y qu'un de ces Philofophes, quand je „ fçaurois devoir être roué de coups tous f> les jours de la vie, à chaque fois qu'il „ me demanderoit de V Huile, je lui ap- „ porterois conftamment du Garum ( e/- „ pece de Sauce à Robert , ) Ce s'il me di- ,, foit , Comment ! ne f ai- je pas dit dem^oppor^ ,9 ter de P Huile? . . . Oui , lui répondrois- „je, vous me r avez dit y lUciis ayant vil „ du Gcirum, f image de l'Huile , toute pà" y« reille ^ indifcernable ( ôixcioTaroç nui àhtâ^ 9i y.piToç ) s^ejl pré/entée à mon efprit , & jn^a „ trompé» De même à l'égard des au- M très chofes , je le régalerois tous les „ jours fur le même pied: & û deux ou „ trois de fes Efciavesvouloient bien s'en- „ tendre là-defTus, je ne doute point ,> qu'à la lin il ne s'en pendit , ou du 9, moins qu'il ne renonçât à l'Académie.
[Il faut que la raillerie ne foit pas tout-à-fait deflituée de fel , puifque Fa^ tentia ne Fa pas jugée indigne d'une ré- ponfe : ] Et moi, dit -il, d Epidtete , ^ fétois à la place de ton maître , je voudrois faire une expérience , fç avoir qui Je lajjeroi't le plutôt de fon train , ou toi , de recevoir les étrivieres , ou moi , de te les do'nner. [ Pour répondre en Philofophe, il falloit a- H 4 vouer
Ï20 Bibliothèque Britannique, vouer de bonne-foi , qu'il y a une infinité de chofes dans la vie ft dip.incîes ^ fi aifées à difcerner , que celui qui s'avife de les confondre , mérite la repréhenfion d'un Efclave.
Les Stoïciï'NS appuyoient encore leur Evidence fur cette maxime, que chaque choje a fon genre \ que rien n'efl égat à autre chofe , ôc qu'ainfi la marque eft réelle.
Plutarque fe récrie fur ce principe : Quoi l dit - il , point de Pigeons qui fe r^/- Jerribicnt , ni à! Abeilles , ni de Figues, ni de Grains , ni de Semences ! J'en appel- le au fuffrage univerjel du Genre himmin. Cîceron répond plus modeflement , que cette maxime, pour être Stoïcienne, n'en eft pas plus croyable; maiSt ajou* te-t-il, ne cent efwns point , il ne s'' agit pas proprement de Jçûvcir , fi entre de pareils objets il n^y a point de différence ; m.ais feu- lement ft , en fuppofant qu'il y en ait , elle foit telle que nous n'y foyons point trompez. (Cette réponfe me parcît foible; car s'il y a de la différence, & qu'elle foie 'importante, c'eft à nous à la chercher & à la trouver: autrement la Sauce à Robert reviendra fur k rspis.]
Après les fens, vient la Diakâique & l'Art de raifonuer, Ici les objedions de Carnéade ne font pas fi fortes: Vatentia en convient; Ea, dit -il, quibus Diah" ftifcn oppugnant Academici , valdè funt infir- ma,,
OCTOC. NOVEMB. ET DeCF.MB, I74T. 121
ma. Ainfi on ne s'y arrêtera point; on en a dit ion fenriment dans une Addition particulière à la Préface des Académiques. Cependant Valentia , pour conloler Carnéûde de cet échec, s'en venge lur îa Dialedique de St. Auguftin. Entre eux le débat: paflbns à la Probabilité.
Les Stoïciens difoient , qu'/7 y a des objets qui peuvent être compris , ^ d"* autres non : mais Carnéade àiioit , q}i\ntre tes divers objets qui s'^ offrent à notre efprit , il y en a qui font probables , ^ d'^autres non, Ainfi toutes nos objedions , difoit Clitc- niaque y comrç les fens, contre l'éviden- ce àc. tombent fur la diilindion des Stoïciens ; mais pour la nôtre, elle ne louffre aucune difficulté: ce fi nous man- <5Uons à' évidence, il nous reJJe ajjez de rai- Jons pour nous déterminer pour tel ou tel objet y fur tout dans les aftaires de la vie. Car il ferait contre la Nature qu'il n'y eût rien de probable. Le Critère des Académi- ciens eil donc Improbabilité-, 61 celui du Portique , V Evidence.
Si on objeétoit aux premiers, qu'aU moins le décret de l'Académie , ou'// faut fe contenter du probable y devoit êtie certain & compréhenfible , & parconCe- quent renverfer leur hypoîhèfe; ils répli- quoient , félon Clitomaque , q.Q f cenaiis objets éîoieîit probables , (y d'autres non, cela ne fi'fffoit pas pour pouvoir dire. , que les uns fouvoiejit être compris, & non pas les autres^ H 5 f-^^'^i
Î22 Bibliothèque Britannique ,
parce qiî'il y cl beaucoup de chofes probables qui fom fauffes , & que le faux ne peut être compris: d'où ils concluoient, que leur Critère même ne s^ étendait point au-delà de la Probabilité. Ils ne difoient donc pas , tel ou tel objet eft probable ; mais feulement, il nous paroît tel ; cela peut être ; il y a apparence -, s'il failoit fe déterminer & a- gir, nous ne délibérerions pas long- rems , mais la compréhenfion nous man- que.
Cependant St. Auguflin ne laiiïe pas d'imliler fur cette vraifemblance : Le vraijcmblable , dit-il , eft ce qui rejfemble eu vrai ; comment donc pouvez-vous dire qu'une chofe eft femblabh à ce que vous ne connoijjez point ? Cette objedion, dit Volcntia, n'a pas befoin d'un Carnéade pour être réfolue : elle n'eft fondée que fur l'expreflion Latine, vero fimile , qui a pafTé dans notre langue , au lieu que les Grecs ufent communément du icéu-^ov^ & les Latins le plus fouvent de leur probabile. Il eft vrai que Ciceron employé quelquefois lèvera finiile; mais le dernier Editeur des Académiques a remarqué là-defîus, que ce n'eft pas fans précau- tion ; car il a dit une fois ^ quasi ve- ro fiiiùle : ce qui auroit dû prévenir î'objedion de St. Auguftin. Vakntia fubfti- tue à vraije:i:hlable y Perspicuo simile, qui approche de la perfpicuité , ou qui lui feflembh : [ en quoi il me paroît qu'il for- ■^ ~ ti£c
OcTOB.NovEriiB. ET Decemb. 1741. 123 tifie robjed:ion. Le plus court à , mon avis, feroit de demander aux Académi- ciens, Pourquoi il fe déterminent pour un cbjet probable , plutôt que pour un autre ? Ou ils ne diront rien , ou ils donneront à entendre, que cet objet leur paroît le plus approckant de la vérité : d'autant plus qu'ils admettent des idées vrayes, aufii bien que des idées faujjes ; feule- ment ils ne font pas fûrs de l'applica- tion du principe , lors même qu'il eft bien appliqué.
On leur objedloit encore la mémoire, les arts y les régies & les maximes de cha- que Difcipline : mais à l'égard de la Mé- moire, fi l'argument étoit bon, il prou- veroittrop:car il fuivroitde-là, qu'ayant retenu dansfon efprit les raifonsd'un fyf- tème particulier, comme de celui d^Epicu" re par exemple , le fyftème feroit vrai & bien compris; ce qui eftabfurde, fur-tout pour les Stoïciens, qui n'ènconnoiffbient point de plus faux ; & pour ce qui eit des Arts y chacun fçait qu'il y en a dé diverfes fortes : les uns tiennent de là Charlatanerie , les autres de la Conjeâure, & pour ceux qui palTent pour les plus nécejfaires , ils varient en tant de façons, qu'il n'eft nullement befoin de la Corn- préhenlive pour les exercer.
Mais s'il y a des chofes probables, la probabilité n'eft pas toujours égale. Carnéade en diftinguoit de divers or- dres ; les unes étoient fimplement proba- bles^
ti4 Bibliothèque Britanntquk,
blés , Ti^ci-^cii , les autres non feulement probables , mais en même tems débaraf- jfées , Indijiraâce , TikuvM yiui xz^plcnçaqui : d'autres , qu'il nommoit parcourues ou ar- ccnfl^mciées , c'efl-à-dire , qu'étant envi- fagees dans toutes leurs circonilances, rien n'apportoit obftacle à l'approba- tion, 7rfpt^Ssvf.-Jjxt v\ éicaS3UJ.çvc£/, Cicercn, qui évitoit tant qu'il pouvoit les termes fcientiiiques ; exprime leur idée par cir- conlocution , ex circurifpeâiione S accurata confide-raticne, &' qiiiB nm impediatur: don»* EoiiS des exemples des unes & des au- tres.
La probabilité eil déharaffée , fî, en confiderant un objet dans fa totalité, tout concourt au même jugement: je vois venir à moi un Fieiilard vénérable; je juge à fon air, à fa taille, à fa dé- marche 6l à tous fes traits que c'efl So- crate ; & comme tout ce que je vois ne contredit point cette idée,la.probabiliré n'en eft point embarailante. iMais il ar- rive quelquefois que , malgré le con- cours des vraifemblances , il me refte dans l'efprit quelque préjugé qui me la rend fufpecle. Menelas arrivé au Phare, y voit Hélène fon Epoufe -, ma s il ne la reconnoît pas, parce qu'il s'imagine de l'avoir laidee dans le vaiffeau. En ce ras la probabilité fe trouve ernbarajfée. Mais fi le préjugé ne s'en mêle point, & Que routes les circonftances de tems,
de
OCTÔB. NOVEMB. ETDeCEMB. 174t. 125
de lieu & d'objet fe réuniifent , alors c'eft une probabilité dcbaraffée & circon- flanciée.
Quand il s'agit d*an objet , dit l'Aca- démie , il faut confiderer bien des cho- ies : I. VInflrument même dont on fe fert pour en juger , fçavoir nos yeux , ou notre vue, ou nos autres /^nx, s'ils font en bon état & propres à obferver? 2. La Ckofe mêrae,fi elle efl proporrior- née à la portée de nos yeux ou non? Car fi rc)bjet efl trop mince , ou trop petit , ou trop grand , on pourroit s'y tromper. 3. Les Imerflices ; fi un air obfcur , ou nébuleux , ou trop éclatant ne s'y interpofe point ; fi rintervalle n'efl ni trop grand, ni trop petit? 4. Le Lieu où l'objet eft placé; s'il ed plan^ ou concdiVQ , ou cannelé , ou bigarré; fous un vrai, ou fous un faux jour, qui pourroit en altérer l'image? 5. Y em- ployer un Tems raifonnable , & ne pas faire les chofes à la volée. 6. Etre fur de r Objet fur lequel on raifonne <^c. Enfin tant d'autres précautions, qui va- rient à l'infini. Quand toutes ces con- ditions ont été bien obfervées, la pro- babilité eil dans les formes , bien conftde- rée & bien débarajjée : & cependant, a- près toures ces précautions, il peut arri- ver au Sage, dit Ciceron, de manquer la vérité. Lucullus objedc, que fi cela efl, /s Nuitwe ns nous a donné aucuns régie pour
aller
126 ÇiBLIOTUEQUE BRITANNIQUE,
aller au vrai. Efl-ce ma faute ? Réplique rAcadémicien : accommodez-vous com- me vous pourrez; utere concejjis, prenez toujours ce qu'on vous donne ; û vous n'avez pas de certitude, au moins vous jouilfez du probable.
Remarquez, que la probabilité peut être circonflandée fans être débarajfée. Akeftey déjà morte & enterrée depuis quelques jours, ayant été rendue à la vie par Hercule, et Héros la mène à fon Mari, & la lui donne en garde comme une au- tre femme. Admcte , frappé de la vue de fon Epoufe, l'ayant bien confiderée, rappelle fes idées avec toute l'attention poffible : tout s'accorde , la taille , les yeux, les traits, le foùrire & la ten- drelTe conjugale : mais la probabilité y manque ; car comment pourroit-il fe perfuader, que c'eft la même perfonne qu'il a enterrée depuis peu? Elle lui reflemble fans doute, mais ce ne peut être la même. Ainfi il y a 4. fortes de probabilitez , la Jlmple , la débarajfée , la circonfianciée , & la circcnftanciée fans em- haras. Tout cela peut avoir fon uti- lité.
Numcnius, dans Eufebe , donne à en- tendre, que Carnéade n'admettoit point V Epoque univerfellement ; p^nT, difoit-il, qu'il n'eft pas pojjible à Phomme de retenir fon affemion fur toutes chef es: & Pbilon & Métrodore ajoutent, qu'il ne foutenoit
la
OCTOS. NOVEMB. ET DECEMB.I74I. I27
la Sufpenllun que par voye de difpute , & pour étaler fes taie n s , animi gratid. Mais Vatenîia aime mieux s'en rapporter à Cliîomaque & à Ciceron , qui afrurent: pofitivement le contraire. D'ailleurs, quelle néceflité avoit Carnéaâe de forrir d'un fi bon pofte , pour confentir à ce qui eft inconnu? Ne vauî-iîpas mieux , di- foit l'Orateur Romain , quand même il y auroit quelque chofe qu'on pût concevoir , de fe tenir toujours fur fes gardes - depeur qu'yen fe donnant la licence d'opiner , on ne tombe kur^ dément dans une pente fi dangereufe ? Le vrai moyen d'éviter le parjure , c'efl de ne jurer jamais; de même, pour évi- ter Terreur, écueil honteux & fouvent fatal , il ne faut jamais opiner. En vertu de cette régie, on cenfure ici ce- lui qui l'a- préfcrite, de ce que, dans le tems qu'il va plaider la caufe de V Epoque, qui eit celle de fon Carnéade & la fienne propre, il débute, dans fon Lucullus ^ par cette confeflion ingénue: „ Je ne ,y fuis pourtant point de ceux qui ue „ bazardent jamais , qui n'opinent ja- „ mais: mais ici il eft queftion du Sage: „ pour moi, je fuis grand Opinateur. Je „ ne me donne point pour Sage; je di- „ rige mes penfées , non du côté de ?, cette petite-Ourfe
f, Noâ:urne,& cependant condudri- ce tidelie
128 BlBLTOTHKQUE BRITANNIQUE,
y. Du Nocher Tyrien , qui fe guide fur elle:
,, Mais plutôt du côté de la grande- j, Ourfe i de ces Etoiles brillantes qui ,> compofent le Chariot, c'clr-à-dire de >, ces raifons d'une grande latitude : & » voilà pourquoi je m'tgare li fouvent M à droite & à gauche. Mais encore 5> une fois, il s'agit du Sage . & non pas M de moi : car à l'égard des Objets, dès $i qu'ils ont frappé vivement mon ef- „ prit & mes feus, je les reçois , & quel- „ quefois même j'y acquiefce; cependant „ je ne les conçois point : car je ne ,> crois pas qu'on puiffe rien concevoir: „ je ne fuis point ce Sage que nous „ cherchons; c'eft pourquoi je cède aux „ apparences , <^: je n'y puis refifter ". Va- lentia répond, que c'eft lâcher le pied, cedentis eft ; & que, quoiqu'on ne foie point un Sage , il faut pourtant être PH- /o/op/'f , s'étudier à la vraye Sngefle, & y faire de continuels progrès , & que les Stoïciens mêmes, qui n'attendoient que de leur Sage des devoirs parfaits , cxigeoient pourtant des autres des de- Voirsm//, dont l'un des plus gra:dséroit la fuite de Vopiiuition & de )a ^cmévité.
Une autre objeclion des Stoïciens con- tre V Arrêt Pkîhjopbiqiie ,c'cii qu'il en dé- coule deux inconveniens ; VJibaJîe, du CÔtéduDifcoursi^r4p^ax;>,du côte de
nos
OCTOB NOVEMB. ET DeCEMB. T74I. 12$
iios Devoirs. Mais Ciceron y répond aved fa clarté ordinaire : premièrement fut' VJphafte , que pour garder la loi de VE^ poque , on n'en devient pas muet; qu'à la vérité il faut fufpendre fon jugement définitif , mais que , fans préjudice de cette réferve , on peut dire modeilement fa penfée fur quel objet qui fe préfente , pourvu qu'on ne forte pas des termes de la probabilité: i^urVApraxie , il eft enco- re plus étendu, il fait voir au long, que dans le cours des chofes humaines nous fomîTies tous Académiciens; nous entre- prenons tout > & nous ne fommes fûrs de rien. L'un fe marie pour être con- tent ; l'autre , pour avoir un héritier ; un autre fème fon champ ou plante fa vi- gne dans l'efpérance de la récolte; un autre s'embarque pour faire fortune ; un autre s'engage dans les armes pour fe faire un nom; un autre fait des expé- riences pour épier la Nature; tous agif- fent & fe remuent , & cependant nul n'eft alTuré du fuccès. D'ailleurs il n'efi pas vrai que ces trois chofes foicnt né« ceffaircment liées, comme le prétendenê les Stoïciens , Vidée , V Appétit & VAffention : ridée n'eft que la fimple image des cho- fes .'l'Appétit peut s'en enfuivre, félon les rapports de convenance entre nous & l'objet; m.ais nous fommes les maU très de l'Affention , autrement rien ne feroit en notre puiifance: ce qui ren-^ Toms XVllh Pan. L t Yêr-
1^0 Bibliothèque Britannique,
verferoit en partie le fyftème du Porti- que, qui fe vante de fubjuguer les paf- fions defpotiquement.
Ciceron, dans une de fes Lettres à At^ ticus f c'eft la 21. du XIII. Liv. , parle d'une certaine comparaifon qu'il avoit employée dans le Catulus , pour nous repréfenter l'adion ou l'office de V Arrêt : c'étoit celle du Nautonnier , qui oppofe la rame au mouvement de fa barque; mais dans la fuite, n'en étant pas content, il fe détermina pour celle du Lutteur qui préfente le poing , mais qui ne frappe pas, de peur de manquer fon coup; ou pour celle du Conduâeur qui, au lieu de lâcher les rênes à fes chevaux dans une pente difficile , les retient d'une main vigoureufe, de peur qu'ils ne fe précipitent. C'efl, dit-il, la comparai- fon de Lucilius,
Sujlineat curfiim , ut bonu' fape Agîîa^ $or, equofque,
A juger des Académiciens par cette Sufpenfton , on s'imagineroit peut-être , que defefpérant de parvenir au vrai , la langueur & l'oifivcté doivent être leur caradère. Rien moins , au dire de Ciceron : leur grande paflion étoit la recherclie de cette même vérité tant defirée, à l'ac- quifition de laquelle ils n'épargnoient ni foins, ni veilles, ni expériences, Aufll
leur
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. 1741. I3Ï
leur grande maxime étoit de difputer pour & contre, afin que, comme dans le cours ordinaire de la Juftice on ne juge les parties qu'après les avoir ouïs contradidoirement , de même eîi fait de fedes de Philofophes , on ne fe dé- terminât pour aucune, qu'après les avoir écoutées toutes avec une patience & une impartialité de véritables juges.
Enfin û on reprochoit aux Académi- ciens, qu'ils av oient, comme les autres, certains fentimens de prédiledion , cer-? taines maximes favorites , comme ils en avoient fans doute fur îa liberté , fur te fouverain bien &c. ils répondoient , qu'ils ne prétendoient pas pour cela prononcer des Oracles & avoir trouvé la vérité, mais uniquement ce qui leur fembloit de plus probable , provifionelle-^ ment Ô* en attendant mieux. C'eft ainli qn'Horace fe dépeint lui-même dans une de fes Epîtres , où l'on a fait voir dans l'Extraie précèdent qu'il pille Ciceron :
Ac ne forte roges quo me duce , que lare
îuter , Nullius addiâus jurare in verha Magi-
Qub me cunque rapif tempeftas deferor hofpes,
A Carnêcde fucceda Clitomachus , Ca-r^ thaginois ^ homme d'efprit^ non qu'il
132 Bibliothèque Britannique ; fut le premier entre fes Difciples ; car c'étoit Menpor de Bythinie qui avoit cet honneur : mais celui-ci ayant été furpris avec MetîJJe, la Concubine de fon Maître, par fon Maître même , il fut chafle par lui de fon Ecole ^ & exclus de la fuc- cefïïon : ce qui fait croire à Vatentia , que la Probabilité étoit plus que circon- flanciée, & qu'il y avoit de la Compréheri' five : CoMPREHENDENTEM phantafian fuijfe illam , non probabilem modo , Car- neades fateatur oportet. On voit par- là que notre Avocat avoit bien lu fon Ci- ceron de Oratore , & qu'il fçavoit rejouir TAudience quand la matière l'y invi- toit. Cependant il faut avouer qu'il n'a pas la paire des gands de la raille- rie; on la trouve d?insEufèbe, attribuée à NumenhiS en très -bon Grec , où^ viro 'pn^uv^iÇ CùuvTuciciç âç ^è fxâ)tçci cr/çftîwv -ryi o-^£i y.yj y.ctTcihci^à^ Non jam vifo tanîùm probabili, at fuis maxime credens ocuîiSjeum- que verè comprehcndcns. Apres cela on ne s'étonne plus de voir le Difciple fe dé- chaîner contre fon Prlaître, & foutenir à cor <:^ à cri tout le refle de fes jours , qii'il y avoit un Critère de vérité.
Entre les Difciples de Clitoma'que , Philon de Lariife fut un des plus illu- ftres. Il brilla principalement durant la guerre de Mithridate ; qui s'étant rendu maître d'Athènes, l'obligea de fe réfu- gier à Rome, où Cicérone encore jeune >
fit
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fit connoiiïance avec lui, & goûta fibiea fes leçons , qu'ilne s'en départit jamais. Ea effet, peu de tems avant fa mort, en en- voyant fes grandes ^^t^^^'m/^wfj- à î-^arron, il lui déclare dans fa lettre , que s'il lui a donné à foutenir,dans ces Entretiens,- le fyftème d'Antiocbus, qu'il approuvoit, il a pris pour lui celui de Philon. Cependant comme nous avons perdu, & le Canilus ^ où PNlon étoit fort concerné , & pref- que toutes les grandes Académiques, Va- lentia a eu plus de peine à déchiffrer fon caractère, que celai des autres Aca- démiciens. Tout ce qu'on peut inférer en gros de ce qui nous en relie, & de quel- ques autres témoignages de l'Antiquité , c'ell que probablement il étoit dans les mêmes idées que fon Difciple^c'efl- à-dire que Ciceron même, qui s'ctoit chargé, comme il le dit, de la défenfe de fes fentimens; Ttbi dedi partes Anîiochi , mihi fumfi Philonis.
D'abord il faut convenir qu'il s'écarta un peu du point fixe de la doctrine de fes maîtres. Nimenius nous apprend, qu'il ne perfévéra pas dans la. fermeté de C/7/o- maque : Sexws , qu'il forma une efpece de quatrième Académie ; ce qui n'auroic aucun feus, fi on nefuppofoit de fa parc quelque innovation: Lucullus l'en accufe formellement , Nova qucedam commovijje , quod ea fuflinere vix peter at , qw:e contra -Academicorum pertinaciam diceremur. Un I 3 des
Ï34 Bibliothèque Britannique , des grands principes de l'Académie étoit la Siifpenjton : Numenius prétend , qu'il robfervoit fî mal , qu'il ne défendoic point au Sage d'opiner.
Il croyoit qu'on pouvoit comprendre beaucoup de chofes dans la Nature , mais non pas dans le fens du Portique , d'une manière ferme & inébranlable; jufquesr là que , fi Zenon s'étoit contenté de dire , que l'objet eft vrai lorfquUl nous vient de ta part de ce qui efl , fans y ajouter cette queue , âf tel quHl ne fçauroit venir de la part de ce qui n'efl point , Phiîon n'aaroit eu aucun procès avec lui; ce qui, comme on voit , le rapprochoit des Péripatéti- ciens, qui diflinguoient les chofes connues^ des inconrtues, & admettoient une infinité d'alTentions.
Mais il y a plus ; c'efl qu'en cela il ne prétendoit s'éloigner ni de Carnéade, ni de V Académie, ni de Platon, foutenant dans un ouvrage ex profejfo, que toutfe réduifoit à une feule ^ même Académie : ce qui in- difpola contre lui , non feulement Catulus le Père, qui lui en donna le démenti en face , mais encore Antiochus , fon ancien Difciple, qui auffi le réfuta dans un Traité exprès qu'il dédia à Sofus , fon compa- triote & fon ami , & d'ailleurs Stoïcien comme lui. [Il arriva donc à Ptilon, ce qui eft arrivé depuis à nos Conciliateurs en fait de Religion ; en voulant mettre la paix entre les partis , il les ont tous
déf-
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défobligez. ] Car d'un côté les Acadé- miciens véritables lui. reprochèrent de par- ler contre fa confcience ; & de Fautrç les Stoïciens , de fe contredire , en n'ad- mettant que la moitié de leur définition. Vous vous rapprochez de nous, lui difoit- on, en admettant la Compréhmfive , mais en rejettant la claufe, vous retombez dans l'Acatalepfie : car û l'idée peut venir du faux , telle qu'elle vient du vrai , où eft la compréhenfion ? Ainfi , en voulant éviter recueil , il y retomboit , félon Lucu/lus, Numcnius ajoute, que Philon, qui vécut long-tems , s'appercevantàlalongue que fon Epoque n'en pouvait plus , & que V Evi- dence &la Concorde de nos idées réiteroient leurs aiïauts , il fe trouva fi frappé & fi accablé de leur poids , que fa confcien- ce , déjà convaincue , ne cherchoit plus qu'un prétexte honnête, une conférence par exemple avec un habile homme ,pour tourner cafaque : [ à -peu -près comme certains profélytes de notre tems, qui déjà gagnez dans le cœur, font bien-aife de fe faire affiéger dans les formes , pour éviter le reproche de légèreté. ]
Phiîon eut pour auditeur pendant lon- gues années, ce même Antiochus^A'^- loniîe , qui l'abandonna, & qui écrivit même contre lui. 11 fut aufli un des maîtres de Ciceron , pendant le féjour qu'il ûtd.Athê' fies , fur- tout pour la Dialeâique, qui étoit le fort des Stoïciens. L'Orateur fe loue I 4 beau-
ï3<5 Bibliothèque Britankique, beaucoup de fa probité , de fa douceur & de fes mnnières. Il ne lui reproche que fon changement de Phihfopbie : car ayant été long-tems Académicien , il aban- donna enfin , Ciccrûn dit que ce fut par vanité , & LucuHus par conviclion , les principes de fon maître , pour fe ranger avec tous les Dogmatiques du côté de l'Evidence , & la défendre déformais de vive voix & par écrit ; fans renoncer au nom à^ Académicien , qu'il croyoit aparcc-» nir aux vrais Difciples de Platon, Sz de Xénocrate , c'eiî- à-dire aux vieux Acadé- micicns, Ainfi , à fon dire , il n'etoit pas fini de chez lui, mais il y étoit rentré; migrajje dicehat quafi è nova in veterem do- mum ; il n'était pas le Déferceur , mais le Reftaurateur de la véritable Académie, Pour fon Critère, c'étoit celui des Stoï- ciens, qu'il admiroit & qu'il défendoit prefqu'en tout : nifi perpauca mutaviffct , germanijpnms Stoïcus , dit Ciceron en réfu- tant fes principes ; cependant, dans une de fes Lettres, il convient que fes rai-^ fonnemens font bien probables ; illa An- iiccbea funt valdè 'Hi^y.-jà.. Par- là il ama-» douoit /^''(îrrcTî, à qui Atticus montroit Tes Lettres , & qui étoit pour Antiocbus, Te-» moin ce Volume qu'il compofa enfin vers la lin de fa vie , &. qu'il intitula as Phiîofipbia , [ qu'il ne faut pas confondre avec VHortcuJJus de Ciceron, quiavoit aufïï Iç m.ême titre, y un ôc l'autre ont péri,
ou
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OU par malice , ou par négligence ; mais 5^ Augiijiin, dans la Gté de Dieu & ail- leurs, en parle avec eftime;da premier, comme tout Antiochéen , ik de l'autre , comme d'un chef-d'œuvre y auquelil devoic en grande partie fa converfion.
Voilà en gros le Commentaire Philofo- phique de Vakmia fur les Académiques de Ciceron. Avec ce fecours on n'aura pas beloin pour les entendre de beaucoup de notes : on pourra mêmefe pafTer de con- fulter l'article des Académiciens dans la grande Hiitoire de Stanley : car il s'en faut bien que cette matière y foit déve- loppée avec Texaélitude que l'on trouve ici ; ce qui foit dit pourtant fans préju- dice du grand cas que je fais avec le Public de ce dode répertoire.
Valentia, pour rendre fon Traite plus complet, y joint deux Additions, l'une furie Critcrium des Cyrt72^7/^z^ri, quibor- noierit toutes leurs connoifTances aux émotions intérieures , rt gardant comme incertain, & feulement apparent ,tout ce qui eit hors de nous; à-peu-près comme une ville alTiégée , qui fçait ce qui fe pafTe au dedans de fes murs, mais qui n'a que des apparences fur la manœuvre des aiiiégeans : & l'autre far le Criteritim d'£p/j:ire, qui prenant tout le contre-pied rcmettoit ies Sens en honneur , jullilioit de fon mieux leur 7?(^é//;i?, ôc les difculpoit àcs arcurs de l'opinion.
i 5 Mais
138 Bibliothèque Britannique,
Mais comme cet Extrait n'eft déjà que trop étendu , il vaut mieux renvoyer nos Lecteurs à Sextus pour les Cyrénaïques , & pour Epicure à Pilluflre Gajfendi , qui n'a Tien oublié fur la matière , & qui , pour venger fon Héros des railleries des Aca- démiciens , ne laifTe point pafler Tocca- fion de leur porter quelques petites at- teintes. Par exemple ( & ceci n'eft point étranger à notre fujet) après avoir expofé fon idée fur nos connoiifances , & fur la manière de les acquérir & de les dé- montrer , il s'addreiïe à eux & leur pro- pofe ce dilemme : „ Ou vous concevez „ ce que c'ell qu'une démonflration , ou 99 vous ne le concevez pas ; fi vous le 99 concevez , vous en avez donc la notion ; 99 il y a donc une démonftration : & fi vous 99 ne le concevez pas, commuent exigez- ,> vous de moi une chofe dont vous 9i n'avez pas feulement l'idée? ]
La Conclufion de VaUntia , qu'il ne faut pas omettre , c'eft que puifque les Grecs , avec tout leur bel-efprit , en cher- chant pour eux la Sagefle & la promettant aux autres-, ne l'ont ni trouvée , ni dé- livrée dans leurs Ecrits , c'efl à nous à De la chercher ni parmi eux , ni parmi les hommes , mais à îa demander à Dieu, qui la donne libcralcment à tout efprit humble. Je foufcris de tout mon cœur à une conclufion fi fage, & je confeille à mes Ledeurs de fe défier également de U
Pré*
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. 174T. I^^
Préfomption du Portique , & de la * Pithano^ kgie des Académiciens.
NOTICE
Des Ouvrages de Valentia,
Academica yfive de Judicio erga Verum , ex ipjts primis fontibus: &c,
C'eft celui dont on vient de lire TEx- trait. La première Ed. parut i Anvers chez Plantin :\a. Dédicace eft datée du mois de Fé- vrier 1590 ; V Approbation du mois de Mars , "^SQSf & le Livre même de Tannée fui- vante. C'efl un 8. de 128. pagg. du caradère de cette Bibliothèque,
La 2. Ed. eft celle de Londres, à la fuite des Académiques de C/cfrow , aulTi in 8. mais d'un caradère plus petit que la premiè- re, chez Bowyer, 1740.
La dernière Ed. eft de Paris , à la fuite des Philofophiques de Ciceron, in 4. d'un caradère plus petit que les précédentes. On en a retranché la Dédicace & V Ap- probation , & à l'égard des partages Grecs , on s'eft contenté d'en rapporter les premiers mots avec un &c. mai? en confervant le Latin,
Ceft
et Ti6elf>,
14^ Bibliothèque Britannique, - C'efl le feul Ouvrage de Vaientia qui ait vu le jour: les autres font encore en MS. répandus en diverfes Bibliothèques. Meh'bior de Valemia , qui en avoit hérité 5 les lailFaen mourant à Ton Cadet, qui ap- paremment n'en a pas fait le cas qu'il au- roit du. Quoi qu'il en foit, il s'eft trouvé un Seigneur à Madrid, D. Gafpar deSvan^ nez de Scgovie , Marquis ^^ Agropoli , qui en connoilFant le mérite, en a recouvré une bonne partie. Voici le Catalogue de ceux qu'il poilede:
Dijfertatio ad Paulum V. Pontificem Max. lit Fejîum Stï. Pauli inEcc/efta conflimaîur^
/idvcrîencias a cerca de la Imprefflon de ta Parapkrafis Chaldaïca âel Padre Andres de Léon.
Ccnfura fopre Îqs Conimentarios de Gero- >fiMo DE Prado y Juan Baptista Vil- LALPAND o /o/'r^ Ezechiel.
RcfpucJJa \i Arias - Montano fibre unos îiigores del Genefis.
Adveruncias para declarncion de una gran pane de la Hijîoria Apoflolica en los Aâos y Epijîola ad Galatas. [ Comme l'Auteur étoit grand admirateur de St. Paul , il s'étoit fort appliqué à en développer l'Hiitoire , fur- tout par rapport à la conciliation de St, Luc , dans les A(fl:es, avec St. Paul lui - même , dans fon Epître aux Galates. 11 parle de ce Traité avec beaucoup de prédileclion dans plufieurs de fes Lettres.]
Dif-
DCTOB.NOVEMB. ET DeCEMB. 1741.141 . Dijcurfo fobre et acrecemamiento de labor tie h tterra, al Rty D. Felipe III. Rien de plus utile qu'une pareille Diflertation en Efpagne, où la plus grande partie des terres font négligées & abandon- nées , fur - tout dans i'Arragon , où d*ail- îeurs il croît le plus beau blé qui fe puiiTe voir. ]
Dijcurfo contra ta Ociojiâaâ.
Difcurfo fobre inftruir un Grande de Ef- pana en la mat cria de Eflado,
Difcurfo fobre que deben communicar los fobre s a tas ricos las dotes de ta doârina y ew tendimicnîo.
Difcurfo de ta Tafa det Pan : fur la taxe du pain.
Difcurfo contra et Cardinal Baronio fobre la vcnida de San - lago à Efpana.
Difcurfo fobre que non fe pungan Cruces en lugares fucios y indécentes.
Difcurfo a Su Mageftad, para que no fe cargue tanto a los Reims con impoficiones,
Difcurfo para et guberno publico de los tugares de Efpana a donde ay pefle.
Difcurfo en materia de Guerra y Eflado , compueflo con fentencias y palabras de Demo- flhenes , juntas y traducidas dcl Griego.
Tratado de Luciano , que non fe a de dar credito facilmente a lacalumnia, tra- ducido de Griego en CaflcUano.
Refpuefla a tas argumentos que fe openen al parecer del ^Autor a cerca de ta admiffion y ileccion de los Çokgiaïes naturaks y forafleros
del
1 42 Bibliothèque Britannique ,
del Cotlegio de San Bernardo de Oropefa.
Defenfa de la Memoria de Arias - Mon- tano.
Juizio fopre las fotedades y Polyfemo de D. Luis de Gongora.
Oatre ces divers Traitez fur des ma- tières , comme on voit , aflez importan- tes, le même Seigneur pofTede un af- fez bon nombre de Lettres de Vaîentia,
Une au Dr. Sanchez de Oropefa , fobre ta Interpretacion de un îugar de Hippocra- tes. [Cefl peut-être ce fameux pafla- ge d'Hippocrate, dont il eft parlé dans la Continuation des Penfées de Mr. Bayîe y Ôc dans le Panthéiflicon de Toland,]
Une au Dr. Terrones , contenant TElo- ge d' Arias ' Montanus , Alabanza de Arias- Montano.
Une à D. Pedro Garzia de Galarza , E- vêque de Coria dans VEftremadure , fur k mot Grec, 'Et/ûi^V/ov, qu'on Ut dans VOrai" fin Dominicale, 6f que t'Interprète Latin a rendu par Quotidianum , notre Pain quoti^ dien, [Feu Mr. Elie Saurin traduifoit: Donne-nous aujourdlmi notre pain de demain , & Tentendoit du pain fpirituel. Il y en a qui l'entendent de l'un & de l'autre pain. Certainement le palfage eft difficile : car fi vous l'entendez des chofes néccjfai^ Tes à la vie 6c pour le lendemain, J. C. nous a défendu ailleurs de nous en in- quiéter; à moins qu'on ne dife, que c'eit précifement pour calmer nos inquiétudes
là*
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74I. 143
là-defTus , que J. C. nous commande de demander à Dieu le néceflaire pour l'a- venir, afin de le fervir avec plus de courage & de confiance.]
Une à Fra72C, Jofeph de Sigiienza, fur unpajfage du LIII.Chap.d'Ifaîe.[D2ins cet- te Lettre il parle d'un Traité qu'il a compofé autrefois del Odio de tos Pueblos Hehreo y Gentil y y de la PaZ Chrifliana , ad M. Franc. Martin de Paraza, Catedra- tico de Biblia en Salamanca.]
Une à D. Pedro Gonzalez de Jcevedo, Obifpo de Plafencia , fur quelques Paffa- ges de St. Chryfoftome, & fur Iq fameux Paffagê de TEpître aux Philippiens : Non rapinam arhitratus efl, (fc.
Une autre au même , fur le jour de la Célébration de la Paque.
Une au Dr. Ferdinand Boan, Chanoine de Badajox , en que haze Juïzio de los Anna- les del Cardinal Baronio.
Une autre au même, fur un PafTage de Baruch, fohre que efcrivio el P. Martin ÛQ RoB. en el Lib. q, Singulariwny Cap. IX, & X. al M. Curiel.
Trois Lettres à M. Franc, de Médina, Chanoine de Seville : deux fur la difficul- té d^ expliquer PJpocalypfe , & la 3. à la louange des Vers de D. Juan de Arguijo, Cav aller 0 Sevillano.
Une au Licencié Montero, où Von fait voir que hs 3'jbilks m font point Propbé-
Une
144 Bibliothèque Britannique,
Une à Michel Ferrer , Secrétaire du Duc de Bejar y fur la Leâure de VHifioire, Une autre à D. Pedro Gonzalez de Acevc- do , Obifpo de Plafencia , fur le même Paf- fage de P Epîtrc aux PhJlipppiens , ûz ^pxty» fxàv v,yy,(TS(.TQ , "tiOTî rapinam arhiîraîus ejt , &c. [C'eft dans cette Lettre où il don- ne à entendre , qu'il a fait des Remarques &: des Corrections fur les Tradudions ce prefque tous les Auteurs Grecs. ]i
Quatre Lettres au P. Louis det Aka' Zar ,fur V Explication de VApocalypfe.
Une Lettre à Franc, jfofeph de Siguenza , fur les Hcmélies de St. Macaire, [dans la* quelle il fait entendre , qu'il a traduit en Efpâgnol huit de ces Homélies. Ce qui eil une nouvelle preuve de fa pieté, ]
Une au Dr. Terrones, fur une Edition corrphtte de toutes Us Oeuvres J'Arias- Montanus.
Une al Racioncro Paulo de Cefpcdes , fohre îos Syros, furies Syriens, fçavoir s'ils font nommez Araméens, ailleurs que dans les Ecrits Sacrez?
Toutes ces Lettres, & quantité d'au- tres moins iniportantes, font entre les mains de Mr. ic Marquis à^ Agropoli, ajoutez.
Deux Differtaîions : l'une fur les Morifqucs d'Efpagîie, avant leur expulfion en lôio; & l'autre fur les Sorcières , addrciïee à D. Bernard de Roxas & Sandoval , Archevê- que de Tolède: toutes deux entre les
mains
OcTOB. NovemB. et Decemb* 1741. 14§ mains de , l'Auteur de la Bibliot^eca Hi" fpanica. Joignit 'Y , -, ^ .-
Explication de àîux Pajfagès de S. Paul, Pun, I Cor. IV. 9. Nos novijjtmos Apoflo'- hrum fecit Dominus, ut morti traderet, & Speâaculum faâi fumiis Deo £îf Hominibus % & Tautre , Eph. II. Comités Dei & Dôme". ftici ejus, [Martin Vafquez Simela, Por.tio- naire de l'Eglife de Seville, aflure avoir vu ce Traité -la quelque part,]
Remarques fur V Ecriture Sainte y addref- fées à rÂrchevêque de Tolède, le mê- me que ci -deflus. [Ces Remarques fpnt aâiuellemcnt dans la Bibliothèque du Roi d'Efpagne, à TEfcurial.]
De Sacris Granatenfium Cimetiis : àd eun^ dem Archiepifcopum Toletanum, L'Auteur de la Bibliothèque Efpagnole a vu ce MS , mais il ne dit pas où.
Tratado del Linage de Sepuî^edas, C'efl un Mémoire touchant la Famille des Sepulvedes, cité par Roder ic Mendez Siîva,, en fu Mémorial de los Sepulvedas , comme un Ouvrage du Dr. Vaîentia , HiJîoriO" graphe dé Philippe IL [ Il veut dire Phi- lippe III. ]
C'cft tout ce que notre Auteur a pu recueillir de plus certain fur ce qu'il ref- te de Vaîentia: mais il ne faut paâ ou- blier le jugement qu'il en porte. // fe- roit à Souhaiter , dit-il, qu/on rajjémhlât avec foin toutes ces Pièces, ^ d"* autres même, fi on en peut trouver de ce fçavant homme y. Tome KFIIL Part, L ' K p^if
14(5 Bibliothèque Britannique,
'pour Us rendre publiques par Vimprejfion, Ce qui ferait bien plus édifiant , aue de faire gémir nos preffes , commi on fait tous [ks jours , de tant de fottifes fouvent fi pernicieux Ses.
ARTICLE IV.
MiCHAELïs Mai'ttaire, A. M> Jnnalium Typographicormn Tomus Ouifi" tus Èf uhimus y Indicem in Tomos qua- tuor praeunîes complet; cns. Londini , apud Guillelmum Darres & Cl. du Bofc, 1741, in 4, 2. Partibus; Fars -^» 53^ î(^gg\ ^^ 'i^^rb 572.
PERSONNE n'a peut-être jamais au- tant témoigné de Zèle & d'Aifedtion pour aucune Science ou pour aucun Art> que Monfieur Maittaire en a fait paroi- tre pour le bel Art de Tlmprimerie : &le Public lui efl redevable à ce feul Egard de quantité d'Ouvrages curieux , non feulement agréables & intérelTans , mais même utiles & néceflaires:
DÈS l'Année 1709, il nous avoit donné fon Hiporia Stephanomm ; imprimée à Londres , chés Benjamin Motte, 8 ; & qui cor- tient la Vie & le Catalogue des Editior^ de tous les Particuliers de cette illuftrc Famille , fans cli excepter même Marner P
Va-
OCTOB.NOVEMB, ET DeCEMB, Î74I. Î47
Patijfon y le fécond Mari de la Veuve de Tun d'entre eux , & le Direfteur de l'Im- î5rimerie[de Robert Etienne \1\,<[q ce Nom, En 1717, il y avoit ajouté , comme une cfpece de fécond Volume , fon Hijîoha Typograpborum aîiquoî PariJtenJJum;impnméQ à Londres, chés Guillaume Bowyer, in 8 ; & qui contient la Vie & le Catalogue des Edi-- tions de Simon de Colines , fécond Mari de la Veuve de Henri Etienne I du Nom, Père de tous les Etiemies, de Michel F^af- cofan, d'Adrien Turnebe , de Jean Bien-né, & de tous les Morels , tant ceux de Nor- mandie, que ceux de Champagne. Et c omme û ce n'avoient été-là que de foibîes Preuves de fa grande Aifedion pour ce beî Art , il forma de plus le Deflein d'en écri- re une Hiftoire entière : &c'efl ce qu'il a auffi heûreufement que réellement exé- cuté dans un Ouvrage confidérable , au- quel il a donné le Titre général d'Annales Typograpl)ici , ab Artis inventœ Origine , ad Annum M. DC.LXIV. En 1719,* il nous en donna le I. Volume , imprimé à la Haye chés Ifaac Vaillant, in 4; dans lequel il fait non feulement l'Hiiloire de l'Ori- gine & des Progrès de l'Imprimerie, depuis l'An 1440 jufqu'à la fin du XV; Siècle , mais encore celle de tous les Imprimeurs qui s'y font particulièrement , & quelquefois même affez médiocrement diflingués , pendant ce même efpace de Tems, . En 1722, il y joignit un II. Vo=- K % ' lume^
I4S Bibliothèque Britannique ; lume, divifé en deux Parties , & qui s'étend depuis 1501 , jufqu'en 1536. En 1725. il y en ajouta encore un III , divifé . de même en deux Parties ; s'étcndant depuis 1537 jufqu'en 1557, l'Année fé- culaire de la première Edition certaine- ment exrftante , favoir le Codex P/almo- rum, imprimé à Maïcnce, par Jean Fuji £jf Pierre Schoiffer , en 1457 , in folio ; & finilTant par un très long Appendix d'Editions plus nouvelles. Cet Appendix n'eft propre- ment qu'un Supplément à fon Hifloria StephanoiiAm , & à fon Hijloria Typographo^ rum ûliquot Pariftenftum , indiquées ci^ deflus : car, les Editions de ces célèbres Imprimeurs font prefque les feules qu'il y indique; &il les conduit jufqu'en 1664. Ce n. & ce III. Volumes font imprimez de mcrrie à la Haye , cbés tes Frères Vaillant, in 4. En 1733 , encouragé par l'heureux Succès de fon Ouvrage , & pour le rendre encore plus utile, tant par les nouvelles Découvertes qu'il avoit faites, que par celles qui lui avoient été communiquées d'ailleurs, il en donna un nouveau Volu- me , imprimé à Amflerdam , chés Pierre Humbert , en deux Parties in 4. Outre routes les anciennes Editions indiquées dans fon I Volume, celui-ci contient un très ample & très curieux Supplément , tant d'Editions du XV. Siècle, que de Remar- ques qui en font connoitre la Qualité & le Mérite 3 &, par cette Raifon, devroit
na-"
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. 1741. 149
naturellement être le II de tout l'Ouvra- ge , n'étant proprement & réellement qu'un Supplémmt au I. Cependant, l'Au- teur le regardoit comme le IV , & fon Deiïein et oit de le publier comme tel. Mais le Libraire , de fa propre Autorité , & contre le Gré de l'Auteur , a trouvé bon d'en faire le I ; infinuant tacitement par-là , que celui, qui l'étoit réellement Ôi de fait, étoit devenu abfolument inu- tile. C'étoit néanmoins û peu-là la Pen- fée de l'Auteur , que , par une Précaution tout-à-fait fmguliere,& peut-être unique, il a confervé , autant qu'il lui a été poflîble , dans ce prétendu I. Volume, l'Ufage & la Néceirité de celui qui l'efl elïedlivcmenr, «& que, pour cet effet, il y renvoie très fréquemment fesLedeurs.
Gomme ces IV. divers Volumes font fuffifamment connua dans la République des Lettres, tant par l'Ouvrage même, qui y a été parfaitement bien reçu , que par les différens Extraits, qui ont été donnez du I, daTi^ les Aâa Eruditorum Lipfier.Jia , Année 1719 , pages 478-481 : dans les Nouvelles Littéraires , Tome X. pages 1-18 : dans le Journal des Sçavans , en Mars 1720, pages 219-226, & en Fé- vrier 1725, pages 213-225 (^) : du II,
dans
( *■ ) On ne comprend pas par quelle Raifon les
Auteurs de ce Journal oîzt ainfi donné deux difr
K3 /f-
xjo Bibliothèque Britannique ,
dans les Jâa Eniditorum Lipftenfia y Tome VIII. de leurs Supplémens, pages 104-107 : des III. premiers, dans la Bibliothèque ' Ancienne & Moderne , Tome XI , pages .152-372 ; Tome XVIII, pages 39S-407; Tome XXV, pages 72-88: & du IV, ou prétendu I, dans le Journal Hijhrique de la République des Lettres, Tome II, pages 248-257 : nous n'y infifterons pas davan- tage, & nous paiïerons au V. & dernier, que nous venons d'annoncer, ôc dont il s'agit ici de rendre compte.
I L commence par une Préface , dans la-- quelle , après une courte Ëxpofition diî Flan générnl , & de la Dirpolition dé l'Ouvrage , & quelques Plaintes aflez
vives
férens ExtTàits du même VolurtiB , à cinq Ans de dijiance l'un ds- Vautre. Peut-être avoient-ils cid'lié le ■premier , ou peut-être l'avoient ils trouvé trop peu mîérejjant , ou même trop peu éxadi ; comme lorfoiion y fait dire à f Auteur contre fk Penfee : Les Carafteres , dont les Inventeurs fe fervirent pouf l'Iraprefllon du Catbolicen , étoient de Bois , & gravez fur des Planches -, de forte qu'il falloit faire autant de Carafteres qu'il y avoit de Lettres da.^s l'Ouvrage. Quoi qu'il en foit , ils paroijfent n'azcir fait le fécond Extrait , que paur fervir à' IntroduBion à ceux au ils pvofmîi oient du II. ^ du III. P''olumes des "Annales : ^ ce qu'il y a du bien fngulier , c'eji qu'ils ne les ont point donntz- Comme on le va "1:0^ - Mr. le Clerc a mie:ix rempli fa Tâche,
OCTOB. NOVËMB. ET DeCEMB. I74I, ï^l
vives du Dérangement qu'y a apporté le Libraire du IV. Volume, l'Auteur inftruit en particulier fes Ledeurs du But & de VUfagc de celui-ci. Son But eft d'y don- ner , non feulement une Récapitulation utile, mais même un Supplément nécefTai- re, de fon Ouvrage ; & pour cet effet il y a difpofé , par Ordre Alphabétique , & fous le Nom propre de chaque Auteur, ou , pour les Ecrits anonimes , fous le Mot le plus propre à bien défigner la Matière dont ils traitent , non feulement toutes les Editions comprifes dans les IV. premiers Volumes, avec leurs Circonftances les plus intéreffantes , telles que la Ville où elles ont été fabriquées, V Imprimeur qm les a imprimées , V Année en laquelle elles ont été publiées , la Forme qu'on leur a don- née, aiïez fouvent les Caraâeres qu'on y a emploies , en un mot tout ce qui peut contribuer à faire exadement con- noitre des Editions ; mais de plus, il y a encore ajouté les nouvelles Découvertes qu'il a eu occafion de faire depuis la Pu- biication de ces premiers Volumes : & VUfage , qu'il prefcrit du dernier , eft celui-ci. Les Chiffres Romains I , I *, II , ^ II 1 , mis au bout de chaque Article ;, indieiuent I, le premier ou quatrième Volume, I*, le premier, publié en 1719, 11, le fécond, &IIÎ, le troifiéme : les Chiffres Arabes, qui y font joints , marquent les Pa^es fur les quelles fe trouvent ces K 4 Ar
132 Bibliothèque Britannique j
Articles ; & cette f > niife au devant d'une très grande Quantité d'entre eux , défigné ceux qui font nouvellement ajoutez à rOuvrage, & fait voir en même tems, qu'il eft ic; très confidérablement augmen- té. Ainfi ; d'un fimple coup d'œil , on voit d'abord réiini, dans un très court Efpace, tout ce qui concerne un même Sujet. ■ 'Cet Indice général Alphabétique des Auteurs 6* des Matières eftfuivi d'un fécond Indice Chronologique des Lieux où fe font faites les Editions , & des Imprimeurs qui les y ont faites :& peut-être n'auroit-il point été inutile d'y en ajouter de fem- blables Alphabétiques , s'il ne s'en trouvoit de tels dans le milieu du I. ou IV. Volu- me, mais qui feroient peut-être plus commodément ici, outre qu'ils feroient plus complets. '
Et comme, pendant le Cours de l'Im- prefîlon de ces Indices , l'Auteur a encore eu occafion d'acquérir de nouvelles Lumiè- res, il a ajouté à la fin de ceV. Tome deux nouveaux Supplémcns à fon Ouvrage.
Le I,' intitulé Appendix Alphabetica ^ JLibroni?:i aliquot Ediricnes in prseuntibus ïndicibus omiffas , exhihcns , s'étend depuis la page 491. jufqu'àla 562. delà 1}. Partie de ce Volume, àconfirie principalement en nouveaux Articles, tirez du Liber fm- guîaris de Origine C^' Inrrementis Typographies Lipftenfts de Monfieur Jean-Henri Leichius , imprimé à Leipfts chés
0CTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I741. 153
'éreitkopf, en 1740, m 4 ; & de VHifloire de r Origine ^ des premiers Progrès de V Im- primerie de Mr. P r o s p e r Mar- chand, imprimée à la Haye , chés la Veuve Levier , en 1740, in 4: & ces Arti- cles font exactement diftingués par les Let- tres L & M, & accompagnés de Chiifre's renvoïans aux pages de ces deux HilloL- res. Quant à ceux au delTous defquels on ne voit Amplement que des Chiffres , ils font la plupart pris d'un autre Catalo- gue d"* anciennes Edition i communiqué autre- fois à l'Auteur par le rriême Mr. Mar- chand, &■ imprimé à la fin de fon IV ou I. Volume, pages 772-791.
Le il de ces Sup pi émens , intitxAé Spi- cilegium aliquot Editionum & Obfervaiioniun quœ priùs deftderabantur , s'étend depuis la page 564. jufqu'à la 572. de la mcmc IL Partie, ■& contient , non feulement di- verfes Remarques curieufes fur plufieurs Editions auili rares que fmgulicrés, mais même quelques Corrections importantes concernant certaines Editions notables : & ces Corrections font très propres à con- firmer puiifamment la Candeur , la Bonne- Foi, 6c la grande Exadlitude de l'Auteur , déjà très connues & fort louées parmi les honnêtes Gens.
La principale concerne ijne Edition de
la Bible Latine , qu'un Curieux avoit
autrefois indiquée à l'Auteur comme bien
cerainement imprimée à Paris , pjr Ulric
K ^ Gcyir:^ ^
134 Bibliothèque Britannique,
Gering, Martin Crants , & Michel Fribuger y les trois premiers Incrodufteurs de l'Im- primerie dans cette grande Ville ; & cela avec cette Date linguliere,
Jam S E iva I undecimus jL* u s T R u M
Francos Ludovicus Rcxerat ,
qui défignoit la féconde Année & demie du Règne de Louis XI, & par conféqucnt l'Année 1464 : mais, que quelques Criti- ques, ôz particulièrement l'Auteur de l'Ex- trait du I. ou IV. Volum.e des Annales Ty- pographici de Mr. Iviairtaire , inféré dans le Journal Hiftorique de la République des Lettres , Tome H , pages 248-257 , avoient trouvé ne s'accorder nullement, ni avec les Reciierches exactes & bien foutenues de Mr. Chevillier touchant l'introduâiion de l'Imprimerie à Pai-is, ni avec aucun àes Exemplaires de cette Edition de la Bible y répandus dans les diverfes Biblio- thèques de cette Ville, dans tous lefqucls on lit bien pofitivement,
Jam Tribus undecimus L u s T r i s
Francos Ludovicus Rexerat,
ce qui revient à l'Année 1476 , Date réelle & effective de cette rare Impref- fion. Et c'eft ce que reconnoit aujour- d'hui de très bonne-foi Mr. Maittaire , fur la Dépofition d'une Peribnne fort
in-
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB, I74I. 155
intelligente en cette Matière , qui, après avoir foigneufement examiné cet Exem- plaire, a découvert enfin, que, pour y forger frauduleufement cette fauife Date, on avoit effacé le mot tribus , pour y fubftituer celui de femi , & cela fort adroitement avec des Caraderes & de TEncre d'Imprimerie ; & qu'on en avoit ufé de même à l'égard des deux dernières Lettres du mot Lufiri'sj aulieudefquelles on avoit rimprimé um. Tout cela, pro- t)ablement , afin de vendre un peu plu^ chèrement cet Exemplaire ; & ce iVeft point-là la feule Filouterie de cette Ef- pece, qu'on pourroit reprocher aux Brocanteurs d'anciennes Editions. L'Au- teur defavoue aufli, avec la même Bonne- Foi, la prétendue Edition du Fra>scï::ci Florii Liber de Camilîi ^ Emilie Amoribus y donnée comme faite à Tours, en 1467, in 4, & qui lui avoit été objei^iée comme peu certaine , dans le même Journal page 254. Ceux, qui fouhaiteroient voir d'autres Exemples de pareilles Cor- redions de l'Auteur, pourront confulter les Articles, Blarrorivo ,TomcI,page 3 88; MoLiTOR, Tome II, page 78; & ScAPULA , Tome II, pages 210 & 211. Nous n'avons abrégé celTe qui concerije la Bible Latine de Gering, Crants , & Fri- burger, que parce qu'elle eft de très grande Importance , &que malheureufementelle ne fe trouve que dans un de ces Suppll-^
mens
Î56 Bibliothèque Britannique,
mens d'ordinaire trop négligés par le plus grand Nombre des Ledeurs.
S I Mr. M A I TT A I R E fe corrige ainfi avec beaucoup de candeur, ilfejuftifie aulTi quelquefois avec beaucoup de force. Kous n'en indiquerons pour Preuve , que fon Article Valerius Flaccus, Tome II , page 307 , où il repoufle très vigoureufement les Injures du Profe fleur BuRMAN^ & cela , à l'occafion d'une Bevûe de ce fameux Critique , encore pins rifible que celle du Plut, in Galb» qu'il avoit fi durement reprochée à feU Mr. k Clerc,
C'est -là le Plan général de cet In- dice. Pour donner maintenant quelques Exemples de fon Exécution , & faire voir en même tcms avec quel Soin & quelle Attention l'Auteur s'y eft appli- qué, nous nous contenterons d'indiquer llmplement , comme Chofes déjà connues , 3es Articles des Bibles , y compris les Pfeauîicrs y ]ts Nouveaux' TeJJamens , 6c les ConcGrâimces ; ceux de St, Augujïin , de St. Bajlle , de St, Bernard , de St. Chry- fjjhîie , d'Eiifcbc de Cefarée , des divers Su. Grégoire s, de St. Jérôme , de Laâance, (& (ïOrigene , entre les Pères de l'Eglife ; û^ Albert le Grand , de Thomas d'Aqinn , de Gerfiiiy d^Antcnin de Florence , ôc du Cardinal de Turrecremata , entre les Théo- logiens ; des Bréviaires , des Mijfels , des lî)mn2s, & des Heures , de divers Dio- - - cefes^
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB, 1741. I5/
cefes , entre les Liturgies ; à'Ariflote p d^Averroës, d^Avicenne, de Bo'éce, d'E/ope, de Platon , de Plutarqué , de Séneque ^ & de Xénopbori , entre les Phrlofophes; de Gatien , d'Hippocrate , de Pline, & de Theophrafle , entre les NaturalifVes & les Médecins; des Corps de Droit Canonique & Civil , de Juflinien , & de fes princi- paux Interprètes y entre les Jurifconfultes; de Céfar , de Comincs , de i^/orwj , de Juflin , de Tite-Live ,de M^/a , de Po/y/?^? ,dé Ptolomée , J^ Sallufle , de 5o//n , de Srrabon , de Suétone f de Tacite, de Je 77;ou ,de Thucydide y de Tri thème, & de Val ère Maxime, entre Tes Hilloriens ; d'AJexander de Villa Dei^ de Clenard, de Defpautere, des Diâiionaî^ res , Lexicons , Vocabulaires Alpmbets , Grammaires , &c. des diverfes Langues , entre les Grammairiens ; de Ciceron , Jf Démoflhene , d^Ifocrate , & de Qiiintihen , entre les Orateurs ; de Catulle , Tibulk, 6c Properce , de D^m^ , d^ Euripide , d'HépO' de , d^ Homère , d^ Horace , de Juvenal , de Li^- ^fl/n , de Lucrèce , de Martial , d$ Mufée , d'Or- /?/?/e , d'Ovide , de Per/è, de Pétrarque , de Pétrone, de Pindare , de 5/7/wj Italicus , de Sophocle, de 5?^re, de Terence , de Fj/r- rius Flaccus , ôi de Virgile, entre les Poètes; d^Bembe , de Boccace , de Sw Je'e , de Gyraldus , de Lambin , des. trois Manuces, de Muret, de Perrot , do. Politien , de P ont anus , des Scqligers , dt Sirlet , de Valta, & de Vives, entre les Philologues & les Critiques;'
15S Bibliothèque Britannique,
& enfin , cTMneas Sytvius , à! Agrippa^ à^Auîugeîïe , d'Erafme , de Gefner , de Lipfe, de Machiavel, de Melanehton, de Pq//^/ , de Reuchïin , de Savonarole , de Turnebe, & de Wimpheting, entre les Po^ lygraphes ; Articles, qu'on trouvera tous très bien fournis des principales & meil- leures Editions , faites dans TEfpace de Tems que s'eft prefcrit TAuteur : mais , nous transcrirons ici quelques-uns des Articles nouveaux, comme encore aiïez peu connus; & nous nous attacherons aux plus intérelTans.
Agrippa (Henricus- Cornélius) de
Vanitate Scientiarum, Antwerpiae excu- debat Joannes Grapheus, An. M. D, XXX. Menfe Sept, in folio.
EjusDEM Oratio funebris DiV(B Margari" t(B, Auflriacorum ^ Burgundionum Prin» cipîS , ceternâ Memorid dignijjtmce . Ant-- werpise excudebat Martinus Caefar, Anno à Chrifto nato millefimo quin- gentefimo trigcfimo primo, Menfis Ju- nii die fexto, m oâavo.
Alberteschii (Salomonis) Commen' tarins in Pandeâas: Editus Anno 1472. in folio,
Alcock ( Johann is) Hill of Perfeâion^' enîituled in Latine Mons Perfcdionis^ by John, Bijloop of Ely: printed Weft- minfterj by WinkindeWojd, An. 1501. in 4. .
Ejus-
OCI'OB.NOVEME. ET DeCEMB. I74Î, IJ^
EJUSDEM Jbbey of tbe Holy Gbojî, 6rV, printed by Winkin de Word, An. 1531. in 4.
Bartholom^us de Pisis. Liber aureus de Conformitate Vite Beati Francifci ad Vitam Dni Jhefu Chrifli Redemptoris nri, editus à Fratre Barthoîomeo de Pi^ fis, Ordinis Minorum , oh Revirentiam fui Patris precipui Beati Francifci. Im- prefT. Mediolani, per Gotardum Pon- ticum. . . . Anno M. CCCCC. X. Die xviij Menfis Septembris, in folio,
Bibîia Sacra , ex Santis PagNini Tranjla^ tione,fed ad Hebraiccs LingiKB Avnifjm no- viffimè ita recognita , & Schoïiis illiijîraîa ^ vî plané nova Editio videri Pofpa; cum Mi-
CHAELIS ViLLANOVANI ( 1. e. SeR-
VETi ) ad Leâorem Prcefaîione. Lugduni^ apudHugon. à Porta, 1542. in folio.
La Sainte Bible, traduite en François, ^ ac- compagnée de petites Notes {par Jaques leFebvre a'Eflûpîcs.) Anvers, Martin l'Empereur, 1534. achevée le fixierne Jour d' Apvril, m /0//0.
Quatuor Evangelia , Latine , cum Jacob I" Fabri Stapuknjts Commentariis initia- îoriis. Meldis, Impenfis Simonis Co- linaei, Anno Salutis Humanse, M. D, XXII. Menfe Junio , in folio.
Epiflola D. Pauli, Latine , cum ejufdem Fabri Commentariis : Item : EpiÛolas ad Laodiccnfcs ij Senecam, 6fr. Pariliis^- apud Henricum Stephanum , Anno
mil-'
ï6o Bibliothèque Britannique, millefimo & duodecimo fupra quin» gentefimum , Decembris xv. in folio.
Breviarium Mozarahicum , fecundùm Regu- lam B. Ifydori, emendatum per Alfon* SUM Ortiz, ju-ffu CardifiaJis Ximenii. Toleti > per Petrum Hagenbach, An- no millefimo quingentelimo fecundo, die vero vigefima quinta O(ftobris , in folio.
Mtjfaîe Mozarahicum , eodem modo emenda^ tum &' editum, Anno ijcx). in folio.
Charta magna Regni Angliœ. Londini;, Richard Pynfon, 1527; Thomas Ber- thelet, 153Î; Robert Redman, 1539; Thomas Berdielec, 1540; in 12 £îf m 8,
Druthmari ( Christian I ) Expofitio in Matthœum, per Menradum Molthe- RUM édita (f reflituta. Haganoae , per Johannem Secerium , Anno M. D.
.. XXX. Menfe Augufto , in 8. .
Serveti ( MiCHAELis ) Libri de Trinitd' fis Erroribus : Conrad RoufT, Libraire d'Haguenau à Strasbourg , M. D. XXXI. cent dix -neuf Feuilles, m 8.
D'autres difent, que ce Volume, & le fuivant, ont été imprimez à Haguenau, par le même Johannes Secerius , indiqué dans l'Article précédent; & en jugent ainfi par la Reflemblance du CaradEere avec celui de fes autres Editions.
EjusDÈM Dialogoruni de Trinîtaté Libri
OcTOB. Novemb/et Decemb. 1741. 161 IV. (Libri IL) & de Juflitiâ Regni Cbrijli Capitula IF, Haganose, M. D. XXXI. fix Feuilles, in 8.
EjuSDEM Chriflianïfmi Reflitutio , h. e.to- îius Eccleftce Apofloîicœ od fua LiminaVb- catio, in integrum reflitutâ Cognitione Dei , Fidel Chriflianco , ^uflificationis noftm , Regenerationis , Bapîifmi, ^ Cœn<e Domini Manducationis ; reflimto àenique nobis Re^ gno cœîefli , Babylonis impice Captivitaîe fo- îutây & Anti - Chrijlo cum fuis penitùs àeflruâo, Viennae Allobrogum, M. D, LUI. 734. pagg. in 8. *
A
* Les Curieux de ces fortes d'Ecrits ap- prendront fans doute avec plaifir, qu'il y a ac- tuellement entre les mains de Pierre De H G N D T , Imprimeur de cette Bibliothèque Britannique , un fort beau Manufcrit de ce der- nier Ouvrage de Servet: contenant, i. De Trinitate Divinâ Libri FIL y 2. De Ficle ^ Juflitiâ Regni Chrijîi Libri III. ; 3. de Regene» ratione ^ Manducatione Jupremâ , ^ Regno An- ti-Cbrifli, Libri IF.; 4. Epiflola XXX. Serveti aà Joan. Calvinum ; 5. Sig?ia LX* Regni Anti-Chrifli, ejufque Revelatio -, 6, De Myflerio Trinitatis , fcf Veterum Difciplinâ , ad Rbilippu7n Melancbtonem csP ^j^t^ Collegas Apoît- gia-. le tout précédé d'un Certificat de Mr. Samuel Crellius, Petit -Fils du célèbre Jean Crellius, touchant les Ecrivains de ce Volume, & la Fidélité de cette Co- pie. Outre cela , il y a à la Tête de ce Vo-
Tome XVUL Paru l. L lu-
l52 BtBLIOTHEQUE BRITANNIQUE ,
A CES Ecrits de Servet, FAuteur au- roit encore pu ajouter, non feulement les fuivans, qui ne font pas moins rares?
Tbefaurus Animcp. , feu Thefaurus Aitimce Chrifliance , aliàs Defiderius Peregrinus y imprimé en Efpagnol , en Latin , en Flamand, & en d'autres Langues, fé- lon Sandius , Bibliothecœ Anti - Trinim- riorum pag. ii ; mais, que Mr. Allwoer- den , Hifloriœ Serveti pag. 235 , foutienc n'être point de Servet: Claudii Ptolom^i , Atexandrini, Gfo- graphicœ Enarrationis Libri VIII. ex Bi- LiBALDi PiRCHEYMHERi Tranjlatjone , fed ad Grœca &' prifca Exemplaria à
MiCHAELE ViLLANOVANO jam pfi^
miim recognitâ , cum ejus Scholiis, &c, Lugduni, Melchior & Gafpar Trech- felii, 1535 > in folio majori: '^ologia in Leonardum Fuchftum: impri- mée
hime , un Traité d'un Anteur inconnu , intitu- lé Cbrijîiana The&logio! Delineatio , divifé en deux Livres : & , à la Fin , Le Portrait de Ser- ^et gravé par C IV. Sicbem^ avec VHiJloire de J&n Suplice, en Fiamand, imprimée en Placard en 1607.; &, de plus, Hifteria de Morte trucu- Unta Micbaelîs Serveti , ex InftinSu Jebaîinis ^alvim , fuivie de quelques Morceaux Polo- nois far le même Sujet. Ce Manujcrity trc-5 bien confervi, contient 959. pages in 4. d'af* î^z menu Caradereo
OCTOB.NOVEMB. ET DeCEMB. 1741. I63
mée en 1536, & que le feul Jean- George Schenck indique Bibliothecœ M^- àicœ pag. 416:
Ratio Syniporum univerfay ad Gateni Cenfuram diligenter explicata , &c, Parifiis,S. Coli- nseus, 1537, in 8; Venetiis, Vinc. Val- grifius, 1545, in 8; & Lugduni, Guill. Roviilius, 1546, in 8:
Biblia Laîina , ^c. ainfi qu'elle eft notée ci - deffus : Mais même fon
As^ologia de Ajtrologiœ in Re Medicâ UtiH» tate, contra Medtccs Parijtenfes , impri- mée à Paris, peut-être chez Simon de Colines , de même que fa Ratio SyrupO" rum, mais certainement en 1537, in.« A la vérité, aucun des Auteurs, qui ont parlé de l'infortuné Servet , n'a co:^.nu cette Pièce , non pas même Mr. AUwoerden, fon dernier Hifto- rien; mais, elle a été indiquée dans le Journal Littéraire, Tome XIX, pagg» 221 & 222 , & dans le Journal Hiftori" - que de ta République des Lettres y Tome
I , page 210. 'Les Oeuvres Je M i c h e l , aîiàs R e v e S, van Arragon : Manufcrit m 4",
Sous ce Titre , & fous cette Forme , quel- qu'un , ou quelques-uns , des précédens E- crits Théologiques ont été mis en Fran= •çois , & fe trouvoient ainfi dans la Bibliothe-- -qued'4dnm Bofdmdcn , Miniftrt àL^id^, pa- La ge
i64 Bibliothèque Britannique, ge III. numéro 1753. Celaeft tombé en- tre les Mains d'un Avanturier Allemand, qui le vante comme une merveilleufe Pièce. Mais, cela efl très mal écrit, & paroît n'avoir été traduit , para- phrafé , au fimplement extrait , que par quelque bon Wallon, aflez peu familia- rifé avec la Langue Françoife, & fans doute auflî peu éclairé qu'on l'eft ordi- nairement fur ces Matières obfcures & inintelligibles; qu'on ne ceffe pour- tant point d'expliquer , quoiqu'on les avoue inexplicables i qu'on entreprend donc fort témérairement de faire com- prendre aux autres, quoiqu'on ne les comprenne pas foi - même ; qu'on ne fait , par conféquent , que rendre en- core par- là plus impénétrables & plus incompréhenfibles ; &, qui pis eft, en- fin, pour le prétendu vrai Sens def- quelles on ne craint point de décrier, de cenfurer, de dégrader, d'anathéma- tifer, & même d'exterminer, ceux qui ont le Malheur de les concevoir autre- ment que leur Société.
En voilà affez , pour faire connoître le Caradere & la Rareté des Editions ajoutées ici par l'Auteur , & nous n'in- -fifterons fur la fuivante, que pour lui propofer un Doute à fon égard.
Romance, Genmnicis Verfibus, ,, Die ge- ij, verlichetten undemftellsdergefchtch-
;* ten
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74Î. 165
„ ten des lôblichen flreyt pareil und- ,, hochberi imbren helds &c. cum „ Tabulis , in quitus Figures fabernmè inci- „ duntur. In fine , Gedruckt inder „ Kayferlichen Star Nurnberg, durch 9, den Hannfen Schonfperger , Burger „ de Augf-Privileg. geben da Nurem- M berg , Anno Domini taufent fanfF 99 hundert unnd im zebent zibenden „ zar. ( 1517 )in folio. In hac'Editione id ob- ,9 fervatu dign-tm eft , qiiod hk&r3&Jîn{ non „ tanîLim Gennano - Gothicce, fed yvp-j^^sT;^ 9, tàm infrà qiiàm fuprà curvis Lineola- „ rum ïnflexibus {qualibus w.inc fchbendi 99 Magijlr.i altique fuos decorare Charac- 99 teres folent) produâce , & quajî ftoni- 99 lemce. ,,
La Fabrique fmguliere de cette Im- preflîon , la Ville où elle a été faite , rimprimeur qui l'a procurée , le Tems auquel elle a été publiée, les Figures qu'elle renferme, fes Lettres Germano- Gothiques de Forme particulière, & fur- tout ces Traits extraordinaires à l'Im- primerie , s'étendans confidérablement en Lignes recourbées au-deffus & au-def- fous de ce5 Lettres, & des Lignes qu'elles compofent ; tout cela , en un mot , ref- femble fi fort à l'Impreflion de la fa- meufe Hijloire du Chevalier Theurdanck , eu de V Empereur Maximilien I, compofée en. Vers Allemands par ce Prince & publiée L 3 P^
i66 Bibliothèque Britannique, '' par Melchior Pfintzing, imprimée de même à Nuremberg, pour Hans Schonjperger , Libraire d'Aïubourg, en 1517, & enrichie pareillement de Figures de femblable Ef- pece,que nous ferions tentez de croire, qu'il nes'agit-Ià que d'une feule <& même Edition. Cependant, comme ii eil très pofTible , qu'on air imprimé dans le mê- me Lieu, dans le même Tems, & de la même Manière , un autre Ouvrage en Vers Allemands, & avec Figures; & vu fur- tout la grande Connoilfance des Li- vres que polTede l'Auteur; nous nous <îontentons de lui propofer notre Doute, qui ne fçauroit guère s'éclaircir, qu'en comparant enfemble ces deux rares Mo- numens de l'Imprimerie.
Afin de faire aulTi connoître quelques- Uîis de ceux qui compofent VAppcnâix Aï- pbabetica, Librorum aliquot Ëâitiones in pr^-^ èéâenîibiis Indicibus omijfas , compîeâens , nous choifirons les plus anciens, 61 nous les in- diquerons félon la Méthode de l'Auteur.
Bibliorwn Germanicorum Editio Moguntina: Johan. Fuft, Mogunrinus Civis, Anno M. CCCC. LXII. effecit. m /0//0. M. 40,
Biblia Gcrmanica: Explicit Liber ifce, An- no DomJni millefimo quadringentefimo
' fexagefimo fexto , formatus Arte ïmprelTorià per venerabilern Virum
- Johatmcm MenteU> in Argentina. in folie : M, 5?,
-■ ^ Ma,
OCTOB. NOVEMB, ET DeCEMB. 1741. iQ:^
Mr. Maittaire paroît néanmoins dou- ter. Tome n., page $66, de l'Autentici- té de CCS deux Editions: mais, les voïant fi bien atteftées par un Homme auili éclairé que Mr. Bengelius , nous ne concevons pas fur quoi peut être fondé le Boute du premier.
Decrcîoruya Aucloritates : impreffe Colo- nie Agrippine , per me Petrum. de Olpe , fub Anno à Nativirate Domini millefi- mo quadringentefimo feptuagefimo , ^nite & complète ipfo Die Lune xxij Menfis Junii: Finiunt féliciter. In fo^ lio. M. 56,
Biblia Latina : Placenti^e, i^yo., in quarto, M. 57.
Francisci de Retza Comeflorium Vitio-
V rum. Nuremb. 1470. in folio. M. 38.
SoMMARivA (Georgio) Cavalier Vero^ iiefe , la Batrachomiomachia d^Omero , ■ tradotta in terza Rima : in Verona , 1470, m quarto. M. 58.
Gersonis (Joannis) Opiifculum de Spi^ riiualihus Nuptiis fuper Canticum Canti^ coriim: editum 1470, in folio. L. 126.
Anton II (Johannis) Campant, Epifco' pi /iprutint, Ordtio in Convcntu Ratifpo^ nenfi diûa , ad exhonandos Principes Germa- norum contra Turcos-, ^ de Laudihus eorum, Nurnbergae, 1471, in quarto. L. 126.
^.NEAS Sylvius de Mifcriis Curiali-
um : in Domo Johan. Fhilippi de Li-
L 4 gna-
idS Bibliothèque Britannique ,
gnamine, 1473 > ^'" f^lio. L. 127.
Aristotelis Lapidarius , de novo à Grœ* co tranjlatus : in Civitate Mersborg , 1473^ in folio, L. 127.
Berchorii (Pétri) Reduclorium Mora^ le Figuronim Biblice : per C. W. Civem Argentinenfem , 1474, in folio. L. 127.
Ampigollis (Antonii, idem qui (j Rampigollis ) Liber introduâorius in Biblice Hiflorias Figurasque Veteris & Novi Teflamenti : artificialiter effigia- tus per Johannem Zeiner de Reutlin- gen, Ulm^ , i47<^î in folio. L. 127.
Cassalts (Jacobi ) Das Spieî , das da heiffeî vom Schach Zabel: gedruckt 1477, L. 128.
Les Articles du Spicilegiwn aliquot Editio- num 6f Obfervaîionum quœ priùs dejl- derahantur font d'ordinaire plus détail- lés que ceux de VAppendix précé- dent. Celui-ci fervira de Preuve & d'Exemple.
Ambrosii (D.) Opufcuta: Hexahemeron -^ de Paradifo ; de Onu Adœ-, de Arbore intcrdiââ ; de Caïn 6* Abel. in folio, ,, Hanc Editionem M ASELLV s (Maffellus) „ Venia dedicat Ambrofio Corano. Am- 99 BROSius DE Massaris, de Cora,five
„ CORANUS, aliàs CORIOLANUS, Ord,
„ Eremitarum Sti.AugufliniabAnnoi^yy, „ GeneraliSy ^ Panitentiarius Xtfli IV ^ „ obiit Romœ 1485. Ejus Script a , de V Vite (f Laudibus Sti» AiguJJini, & in
9i du-
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74I. 169
„ duplicem ejus Regulam, Defenforiumque f, Ordinis 'Âugufliniani, jimâim prodiêre „ Romce , 148 1, in folio, [Jo. Alb. Fa- „BRicîus, Bibliothecse Latinae raed. „& infimse Latinitatis.] Simlerus, „ in BibliothecâGefneri, unum hune in „ duos fecuit. Coranus ( inquin ) cla- „ mit An. 1472. Choriolanus vixit „ An. 1470. The Newe Teflamcnt : imprinted at Ant- \verp, by Marren Empereur, Anno M. D. XXXÏllI. in 8.
Cette rare Edition du Nouveau Teflament en Anglois eil de Guillaume Tynda- LE -y & la Notice , qu'en donne ici Mr. Maittaire, ell fuivie de la Préface de ce pieux Tradudeur.
Mr. Maittaire ne donne pasfimple- inent ici de nouvelles Editions , mais ajoute aufïï quelquefois aux anciennes des Particularitez intérelTantes. Par exemple, à cet Article,
Franciscus Mataratius de componendis Verfibus Hexametro &" Pentametro: Er- hardus Ratdolt, Auguftenlis, proba- tilTimus Librarias Artis Exador, fum- mâ confecit Dilig;entiâ, Anno Chrilli M. CCCC. LXVIII. {Error manifeflus pro LXXVIII.) vij Calend. Decem- bris , in folio ;
L 5 . q^i
170 Bibliothèque- Britannique, qui fe trouve dans Ton I. ou IV. Volu- me, page 391 ; il ajoute ces Vers tou- chant cet Auteur:
Verfibvs fcribere qui cupit Liquore Tincîos Pierio ; Thaîia vel qiws Diâat Vaîihus aima , qui Ccrymbo Cingunt Tempora , Fonie cum biberunp Undas Cornipedis volant is altè Pulli 'y perîegat apta Scripta pajjîm Francisci, Numéris Viri diferii.
Tels font le Plan, l'Exécution, f& rUfage, de cet abondant & néceffaire îkdîce: &, comme on en peut aifément juger parle Détail précédent, quicon- que ne le regarderoit fur fon Titre, que conime une limple Table ordinaire de tout autre Livre, ne rendroit nullement Juf- tice, ni à la Compofiàon, ni à fon Au- teur. En effet, c'ell: la Clef d'un Ou- vrage utile & agréable, rempli de Re- cherches très curieufes & très habile- ment employées , <S: dans lequel on trouve, non feulement les Vies & les Editions des plus célèbres Imprimeurs de l'Europe, tels que les trois Inven- teurs de l'Art, Guttemberg, Fufl, ^ Schoif- fer, & après eux les Amerbachs , les Ba- dins, les Bloeus , Bomberg , Caxton , Colincs, Commelin, les Cramoifis, Doiet , Epifco- lus ,\QsEticr.ncs, les Élzeviers , Fezendat , roben , FroJ'cùovcr, Ccrir.g , hs Giuntes y
les
%
OcTOB.NovEMB. etDecemb. 1741. lyt
les Grypkes y Hervage , les Janjfons , Jcnr fon, les Kervers, Koburger , les trois Manu" ces , les Morels , les Morets , Oporin , Plant in , les Rapbelenges , Katdolt , Refciiis , jRo- I7î7/ê, Schurer, Tory ^ les ^^ Tournes t les Trechfels, Tumebe, F'afcofan , & les ^'F'^- c^f/j-} mais même beaucoup de Particu- laritez très intéreiïantes concernant l'Hif- toire & les Ouvrages de quantitc; de Sa- vans illuftres depuis le Renouvellement des Lettres , tels q\x^ Albert Comte de Carpii Biidée , Chcradame , Chalcondyk, Cou- fin, Colet, Crejlon , Crocus, Erafme, Félix PratenfiSf Gaza, Gelenius, Gejner , Graci- nuSf Grynceus , ^ufliniani, Lafcaris , Ma- rot, Mufurus, Pellican , Pic de la Mirando- h, Politien, Portas, Reuchlin, B. Rhena- nus , Stmler , Tijfard , Tonfial , Thit berne , Turnebe , Vatable , & divers autres moins célèbres ; enforte qu'on peut forr bien regarder ce vafte Recueil comme de très bons Mémoires pour fervir aune Partie confidérable de THilloire Littéraire des XV. & XVL Siècles. En un mot, c'efl non feulement un très bon Abrégé d'un très utile Ouvrage , mais encors un Abrégé dont on pourroit bien moirs fe palTer que de l'Ouvrage même, p'uf- qu'outre qu'il en contient exadem^nt le plus eflentiel, <:^ qu'il en communiqi:€ particulièrement l'Ufage, il y fupplee. le corrige , l'amciiore, en une infinité d'Endroits.
AR-
172 Bibliothèque Britannique,
ARTICLE IV.
NOUFEAU Vù'^age ^^Allemagne , de SuilTe , de toute /'Italie , y de quel- ques autres Pais de /'Europe, fait fendant les années 1705, 1706, 1707 £f 1708. Accompagné d\m très-grand nombre de liemarques liijioriques Géo- graphiques , Critiques i^ de Littéra- ture.
Ouvrage Fojlhume ^ Alanufcrit , en quatre Volume i in Quarto , de anq à Jix- cens pages chacun , Caraflére menu ^ ferré. Le tout illuflré par un grand nombre de heUes Ejlampes , ramajfées par r Auteur avec beaucoup de peine Êf de dèpenfe,
A MESSIEURS LES AUTEURS
De la Bibliothèque Britannique.
Messieurs,
„ Il n'efl pas ordinaire' de voir aji- „ noncer dans les Journaux un LivreMa- „ nufcrit; mais comme le cas ,ell fmgu- ,, lier, j'efpere que vous ne refuferez M pas une place dans le, vôtre à l'Ex-
>, trait
OCTOB. NOVEMB. ET DêCEMB. I74I. 173
„ trait que je vous envoyé de celui-ci. „ J'ofe même me flater que ce petit é- „ cart , û c'en eft un , ne lui fera rien „ perdre de la réputation qu'il s'eft fi „ juftement acquife. Il s'agit d'un Ou- „ vrage très-confiderable à tous égards, „ qu'il eft bien tems de faire connoî- „ tre au Public , puifque depuis plus de „ trente ans il eft demeuré comme en- „ feveli dans les ténèbres de l'oubli, & „ que, fans moi, il auroit, félon toutes „ les apparences, miférablement péri.
o II paroît d'abord furprenant que „ l'Auteur ( que vous me permettrez , „ s'il vous plaît, de ne pas nommer en- „ core) qui n'eft mort que depuis neuf „ ou dix ans, ne l'ait pas publié lui-mê- „ meilyalong-tems; mais quand on exa- „ mine fa Préface , on a lieu de préfumer „ au moins , que trois raifons l'en ont „ empêché: i. Ses Maladies, qui ont été „ longues & cruelles pendant plufieursan- „ nées ; deforte qu'étant arrêté chez lui , „ il ne fut pas en état d'agir avec toute „ l'adivité néceflaire pour produire & „ faire valoir fon Livre. Il paroît en fe- „ cond lieu, que par un excès de modef- „ tie, ilcraignoit extrêmement le juge- „ ment du Public , & que jamais con- „ tent de fon Ouvrage , il étoit éternel- „ lement occupé à le retoucher, & à „ le perfedionner. „ Enfin , je foupçonne qu'il entroit
9> une
174 'Bibliothèque Britannique,
„ une autre eipece de crainte dans cet- ,, te retenue. 11 avoit parlé avec une ,, franchife, avec une liberré peu com- „ mune d'une infinité de perfonnes qui ■„ é oient encore pleines de vie, même „ des plus d-flinguées. Or fe rappellant „ que les Souverains ont les bras longs, 99 &z que la volonté de fe venger de „ ceux qui ne les ménagent pas dans „ leurs Ecrits , ne leur manque pref- 9, que jamais , je m'imagine avec alFcz ,, de vraifemblance , qu'il appréhendoit ,, quelque orage de leur part. J'avoue „ qu'il auroit aifément pu redifier tous „ ces endroits un peu fcabreux : mais „ peut- être étoient- ce ceux-là même 5, qu'il auroit le moins voulu retran- 9, cher; car fon penchant le portoit fu- „ rieufement à la Satyre, non pas pour „ ditfamer, mais pour appeller
), Un Chat un Chat , 6^ Rollet un Fripon»
99 Quoiqu'il en foit, j'ai tâché de fup- 99 pléer à ce défaut , fi c'en eft un que „ d'être trop lincere en adou 'iffant 5, par -ci par -là ces traits piquans qui „ auroient pu déplaire à certains Lec- „ reurs peut-être trop accoutumez à „ parler ou à ertendre parler avec des „ égards excelTits des Grands du Monde, „ fur- tour, des Têtes Couronnées, qui, ♦, dans le fçnd, ne fembUnt dignes de
?> nos
OCTOB.NOVEMB. ET DeCEME. I74I. 175
„ nos homages & de nos refpefts , qu'à ,, proportion de leur mérite , & du bien „ qu'ils font à ceux qui leur font foû- 5, mis.
,, Comme je n'ai point eu l'avantage ,y de connoître notre Auteur, que je ne t) l'ai même jamais vu, je ne fuis pas f, en état de vous dire grand' cliofe de „ fa vie. Tout ce que j'^n fçais , c'eft „ qu'après avoir féjourné afîez long- „ tems en Hollande, & pendant quel- f, ques années à Madrid en qualité de „ Secrétaire d'Ambaflade pour Meilleurs ,> les Etats - Généraux , il fe rendit à ,, Londres; enfin, qu'ayant été foUicité „ par quelques Gentilshommes Anglois , „ à faire avec eux ce qu'on appelle le „ Grand Tour de VEurope , il embralfa ce „ parti avec joye,&: qu'il mit quatre ans „ entiers à faire cette Courfe , qui lui „ fournit la matière de ce curieux Mè- ,, lange d'Erudition dont il s'agit ici.
„ Quand on l'a ki avec attention , on „ fe trouve étonné à la vue de ce^te „ m.ultitude immcnfe de chofes inrér.cf- „ fautes, & on ne comprend pas com- ty ment il a pu les raïïembler en voya- ,5 géant, & le faire, fur-tout, avec cette 99 exactitude qui régne dans toute fa Re- „ lation. Je fçais par expérience, com- „ bien il efc d'i^lcile en pareil cas, de 19 trouver date.ns de relie poar coucher ., fur fes Mémoires cette foule d'objets
„ cui
i76 Bibliothèque Britannique,
„ qui s'offrent à refprit & à la vûë d'un „ Voyageur. Ce qu'il y a de fur , c'ell que „ l'Auteur étoit prodigieufement labo- „ rieux , ou plutôt infatigable : fans „ compter, qu'étant extrêmement fobre , „ tempérant , modéré , même dans les „ plaifirs les plus permis, il trouvoit du ,, tems oii la plupart des autres Voya- „ geurs n'en trouvent point, & s'occu- „ poit utilement dans fa retraite à en- 5, richir & à perfedionner fon Ouvrage.
„ Il eft écrit par voye de Journal ; „ c'eft-à-dire que l'Auteur marquoit „ jour par jour à un illuftre Correfpon- „ dant qu'il avoit en Angleterre, & qu'il „ ne nomme pas , généralement tout ce „ qui lui arrivoit , tout ce qu'il rencon- „ troit de mémorable dans les Païs qu'il „ parcouroit. Cette méthode lui parut „ la plus commode , la plus agréable & „ la plus propre à égayer les difFérens „ fujets qu'il avoit en main : Et je ne „ doute pas que le Public n'en foit très- 5, fatisfait , comme j'avoue que je le „ fuis très-parfaitement.
„ Ne vous attendez pas, Meflîeurs, „ que je vous donne un Extrait bienfui- „ vi de ce Journal , & en fnivant la „ route ordinaire , qui eft de faire une „ efpece d'Abrégé d'un Livre, accompa- „ gné de quelques Réflexions. L'Ouvra- „ ge, ce me femble, n'en eft gueres fuf- „ ceptible. Il eft trop rempli, les Sujets
» in-
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74I. 177
„ intéreflans s'y fuivent de trop près , „ & un pareil Extrait ne produiroit, „ s'il faut ainfi dire , qu'un Squelette „ monftrueux. Je me propofe donc de 99 citer beaucoup plus que de parler de 99 mon chef, &, par d'affez longs mor- 99 ceaux, de faire parfaitement connoî- „ tre l'Ouvrage au Public. Je les pren- 99 drai en quelque forte à la volée, & 9i fans beaucoup de prédiledion.
99 Au refte, comme il eft certainement „ écrit avec pureté, avec élégance, & 99 même avec une aimable vivacité, il „ mériteroit bien de voir le jour dès „ à préfent , dans fa propre Langue. 99 Mais après y avoir mûrement penfé , „ je me fuis enfin déterminé à le faire „ traduire & imprimer en Anglois. Mes „ raifons ont paru folides à plufieurs „ perfonnes judicieufes à qui je les ai „ communiquées ; & je fuppofe que les „ Libraires Etrangers, fur -tout ceux de 99 Hollande, n'auront pas de peine à de- „ viner de quelle nature font ces raifons. ,, A l'égard de l'Original , je le garderai „ in petto , pour en faire ufage en tems „ & lieu. On m'a déjà fait faire quel- „ ques proportions de delà la Mer , „ mais que je n'ai point voulu accepter, „ comme n'étant nullement proportion- „ nées au mérite de l'Ouvrage. Dans le „ fond elles ne pouvoient gueres être „ autrement, puifqu'on n'en avoit que , Tom^ XVIlh Part, L M „ de3
lyS Bibliothèque Britannique ,
,y des idées vagues & générales. Je m''Ên 9, vais travailler à fuppléer à ce défaut, „ en le faifant connoitre au Public d'une: fi manière un peu plus diftinde. Peut- ,> être ferai -je un peu long, mais je ,, tâcherai au moins de n'être point ty diffus, fur -tout de ne rien dire qui „ ne foit conforme à la vérité. Je fuis 9) avec une parfaite Eltime,
Mess i eurs,
Votre très - humble £sf très-' obéïjfant Serviteur, . . ,
Plus je lis cette Relation , & plus je fuis convaincu qu'elle furpaife de beau- coup tout ce qu'on a jamais vu jufqu'i- ci dans ce genre. L'Auteur femble a- voir eu tous les talens néceffaires à un Voyageur qui veut publier fes Obferva- tions. D'abord il polfedoit parfaitement toutes les Langues modernes, au moins celles qui font les plus connues & d'un plus grand ufage en Europe: comme VAngîois , le François , le Hollandois, Vx^U- temand, V Italien y VEfpagnoî. Avec un pa- reil fecours , & que peut - être aucun Voyageur n'avoit eu avant lui , il étoit en état de s'infiruire à fond d'une infini- té de chofes, foit par la Ledure, foit par la Converfation. Il pouvoit même, comme il a effedivement fait alTez fou- vent.
OCTOB, NOVEMB. ET DeCEMB. I74T. 179
vent, iliiiilrer fon Ouvrage par d'agréa- bles & utiles citations. Bienplus; il é- toit capable de parler de tout correde- ment. C'ell une pitié de voir comment les Hiftoriens , comment les Voyageurs ont déliguré, faute de ce fecours, je ne fçais combien de Noms propres de Lieux qui ne font que médiocrement connus , èz cela jufqu'à les rendre prefque mé- connoilTablcs : Comment encore ils ont mal copié certains Pallages, certaines Infcriptions, des Epitaphes qu'ils ont in- féré dans leurs Ecrits. Ici, tout eft cor- rect, & l'Orthographe de l'Auteur eflfans défauts dans tous ces ditférens langages , comme ceux qui les entendent en feront d'abord convaincus.
A l'égard des Langues fçavantes , comme le Grec & le Latin, c'étoit en- core très-certainement fon fort. Il fça- voit tous les Auteurs ClaiTiques , comme on dit, fur le bout du doigt. Il les cite en mille endroits, les applique toujours îngenieufement, & le plus heureufement du monde; & par -là il en éclaircit une intinité d'endroits qui ne font pas faciles à entendre. En un mot, fon Liv^re eH; un riche tréfor de la plus belle Lit:éra- ture. Feu Monfieur * Addifon s'étoit M 2 fi-
* Le Livre de Monfieur Âddifon parut pour la première fois lorfqué TAuteiir étoic à Vienne, & fur le poinc de terminer Us V^oya-
iSo Bibliothèque Britannique, fi2[nalé, s'étoit fait admirer de toute la Terre precifément par cet endroit-là, dans fa petite Relation. Mais quand on aura vu celle-ci, on fera obligé de conve- nir , qu'à cet égard l'autre lui eft infé- rieure de cent degrez. Au refte , notre Voyageur étoit non feulement bien verfé dans les Auteurs , fur- tout les Poètes Latins, mais il étoit aufTi fort bon Poète Latin lui-même, comme il en donne un affez grand nombre de preuves dans fon Livre. Enfin , il réulTilTbit en- core alTez bien à faire des vers François: J'en donnerai dans la fuite quelques exem- ples qui ne déplairont peut-être pas au Ledleur.
La Géographie , aufîi-bien que l'Hifloire Ancienne & Moderne, font encore des Sciences bien nécefTaires à un Voyageur qui a deffein de s'ériger en Auteur. Le nôtre, on peut le dire hardiment, excelle encore à cet égard ; & c'efl un vrai plaifir de le fuivre dans toutes fes cour- fes , mais principalement en Italie. Il ne rencontre pas un feul Endroit de quelque nom, dont il ne vous falTe voir
au Ces. Ce fut Mr. l'Envoyé d'Angleterre dans cette Cour qui le lui communiqua ; le priant en mê- me tems de lui en dire fa penfée : Ce qu'il fit , & même par écrit. On verra fes Remarques Critiques dans la dernière partie de cet Ou- vrage.
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I741. 181
au naturel, non feulement l'état préfent, mais aulTi celui où il s'eft trouvé de fié- cle en fiécle, & même dans les tems les plus reculez. Pour ce qui regarde l'Hiiloi- re , on ne fçauroit aiTez admirer fa Mé- moire , qui lui fournit à point nommé tous les Faits tant foit peu im.portans, tant anciens que nouveaux, & qui font propres à illuftrer les divers fujets qu'il traite. L'Hiftoire Romaine lui étoit fur - tout parfaitement connue , puifqu'il en avoit compofé un Abrégé des plus curieux, & qui pourra bien auffi quelque jour être donné au Public. Mais il la- voit étudiée dans un goût tout différent de la plupart de ceux qui en ont écrit. Je veux dire dans un goût Critique : car bien loin d'aimer les Romains , ou de les admirer , l'Auteur avoit conçu pour eux une efpece d'horreur ; Ôc loin de regarder comme des Héros, tant de leurs Hommes célèbres dont on voit par-tout des Panégiriques, il montre, 6c cela le plus fouvent par des preuves de- monibratives, que plufieurs d'entre eux n'étoient rien moins que tels. Le fa- meux Scipion P Africain nous en fournira dans la fuite un exemple mémorable.
Que dirai-je après cela de l'Architec- ture î de la Sculpture , de la Peinture , &c ? Un Voyageur peut-il ignorer ces Arts libéraux , & entreprendre de parler au Public de certains Pais , fur-tout de l'Ita- M 3 lie ,
ï82 Bibliothèque Britannique, lie , où il y a une multitude fi prodi- gieufe d'Edifices fuperbes , tant lacrez que profanes ? Notre Auteur entretient encore fon Ledeur de toutes ces chofes en habile homme. Il les décrit tous avec un détail, avec une exaditude qui fur- prend, 6c en fe fervant toujours, quoi- que fans afFedation, de tous les termes propres à ces Arts. Il fait plus. IldoE'- ne l'Hifloire de ces Bâtimens, il nomme tous les grands Maîtres qui ont travaillé à les décorer , chacun félon fon talent. En un mot , il n'y a pas un excellent Tableau , une Statue, & autres pareilles chofes remarquables , dont il ne vous in- dique l'Auteur. Enfin , n'oublions pas de dire qu'il étoit bon Ingénieur. Une rencontre en effet aucune Place un peu importante fur fa route, qu'il n'enfalfe une Defcription circonftanciée , & qu'il n'en marque , en détail , foit les perfec- tions , foit les défauts.
Mais à l'occafion de toutes ces magni- ficences de Rome ôc de l'Italie , je ne fçau- rois m'empêcher de remarquer une fin- gularité dans notre Auteur. C'eil que différent en cela de la plupart des au- tres qui en ont parlé , il ne tombe jamais dans des excès d'admiration: il confer- ve, au contraire, toujours fon flegme en les décrivant. On pourroit d'abord s'i- ïnaginer qu'il y entre un peu d'affedla- tion. Mais ce n'efl certainement rien
moins
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74I. i83
Eioins que cela ; c'efl un flegme pure- Eienc philofophique , qui part d'un prin- cipe noble & plein d'humanité.
Il fait fouvent cette réflexion , que ces Palais û fuperbes , ces Temples fi pompeux - n'ont été érigez pour la plu- part, que par l'orgueil & la fuperflition : & ce qu'il y a de pis encore qu'ils doi- .vent leur gloire & leur richelTe à la ruine d'une infinité de malheureux , qui gémiflent dans une profonde mifere.'; tandis que ces Temples renferment des tréfors immenfes , & inutiles au Public; tandis que tant de fcelérats nagent dans Fabondance , 6c font logez comme des Souverains de la première volée. C'eft encore la réflexion qu'il fait aiïez fré- quemment au fujet de ces illuftres reftes du faite des anciens Romains. Loin de les admirer , ou d'en regretter, com- me font tant de gens , la ruine , il les regarde avec une efpece d'horreur , com- me n'ayant été conftruits que des dé- pouilles de cent-Peuples, que les Romains avoient injuflement alTervis, ou comme n'ayant été deflinez qu'à donner ,des fpedacles exécrables & fanguinaires à la plus inhumaine de toutes les Nations, Tels étoient ces énormes maiTes , ces immenfes CoHfées Amphithéâtres , & autres Edifices, qui font à la fin devenus, pour la plupart , la proye de la fureur M 4 du
ï84 Bibliothèque Britannique,
du Tems, ou des Nations barbares qui ont inondé Tltalie.
Le flegme de notre Auteur, ou pour mieux dire fa patience inépuifable , fe manifelle encore très-fouvent dans une autre rencontre ; c'eft lorfqu'il s'agit de Marbres , de Monumens antiques & de leurs Infcriptions. Il n'en néglige au- cune de celles qui méritent quelque at- tention ;, & il les copie avec une exadi- tude merveilleufe, foit,qu'elles fe trouvent entières, foit qu'elles ayent été en partie effacées par le tems : Il les place dans leur état naturel, & abfolument de la même inanière qu'elles font en original. On fouf- frc, pour ainfidire, en le voyant pâlir , quelquefois des journées entières , fur de pareils objets , pour les déchifrer & en tirer copie. Dans la feule Ville d'Augsbourg , par exemple , il en déterra une cinquantaine qui avoient échapéaux curieufes recherches de tant d'habiles Gens qui y avoient été avant lui , & raème à la fagacité du célèbre Monlleur Spon. Au refle , il n'a été ni moins curieux , ni moins exad à l'égard des Monumens modernes ; & peut-être ne verra- 1- on nulle part un aulïï bel af- femblaged'Infcriptions ou d'Epitaphes de cette efpece. A coup fur , on peut compter qu'il n'en a omis aucune qui fut tant foit peu remarquable par fa
fui-
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I741. 1S5
lingalarité & fa bizarerie , par fon éle- I gance & la beauté de fon exprefiion, ou par la célébrité de la Perfonne pour qui elle avoit été faite,
A propos de Perfonnes célèbres, c'ell encore à leur égard que notre Voyageur s'eft diflingué par fon exaditude, en par- lant non feulement de celles qu'il a vu en divers endroits , & en traçant leur ca- radère , mais en donnant un petit ab- régé de la vie d'un très - grand nom- bre d'Illuftres Morts , 6z cela à l'oc- cafion du lieu de leur nailTance. Je mets dans ce rang tous ceux qui fe fontilgna- lez , foit dans l'Art Miiiraire , foit dans les autres Arts <k dans les Sciences.
Sur ce pied-là , on doit bien fuppofer qu'il n'a pas négligé les Bibliodièques. 11 n'en eft prefqu'aucune tant foit peu célèbre dont il n'ait fareté tous les coins & recoins, & dont il ne découvre au Ledeur toutes les finguîaritez. J'en dis de même des Cabinets de Curiofitez, des CoUeclions de Médailles , & autres pareilles Antiquitez. Non qu'il eût une fort haute idée de ces fortes de chofes, n'étant pas tout -à -fait convaincu de leur grande importance, ni de leur utili- té. Ainii, s'il entredetemsen temsdans quelque détail à cet égard , c'ed moins par inclination , que pour s'accommoder au goût de bien des Gens qui en font grand cas, ôc en parriculier à celui de M 5 fon
18^ Bibliothèque Britannique;
fon Ami, à qui il addrefle ce Journal. Peut- être verra-t-on dans la fuite de cet Ar- ticle quelques exemples de la manière fpirituelle dont il raille quelquefois les Antiquaires , c'eft- à-dire les Amateurs outrez de l'Antiquité.
Pour s'introduire dans tous ces divers endroits , Bibliothèques , Cabinets , Pa- lais, Maifons de Plaifance, & fur-tout dans les Cours des Princes, l'Auteur avoitun avantage que n'ont pas une infinité de Voyageurs. Il étoit en compagniede Gens de diftindion , bien fournis de ce qu'on peut appeller le Nerf des Voyages,comme il elt celui de la Guerre , & par confequent en état de iignrer ; bien munis d'ailleurs de bonnes lettres de recommandation. Avec un tel PalTeport, joint à fon pro- pre mérite , qui fe faifoit bientôt jour par- tout où il ailoit , particulièrement fon Erudition , fa connoiflance du Monde & des Langues ; avec un tel paffeport , dis-je , où ne pouvoit-il pas pénétrer ? Quels obflacîes fa curioflté pouvoit-elle rencontrer ? Quelles découvertes ne pou- voit-il pas faire , foit à l'égard des chofes rares & extraordinaires , foit à l'égard de l'intérieur des Cours, des Revenus, des Intérêts , de la Politique des Souverains, far-tout par rapport à leur génie & à leur caradère?
Aulïï peut- on bien aflTurer , qu'il a fçû niêtcreàproûc tous ces avantages , qu'il
a
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74I. ig?
a découvert à tous ces égards, tout ce qui fe pouvoit humainement découvrir, èc qu'ii a parfaitement connu un grand nombre de ces Souverains. Témoin plufieurs Portraits qu'il en a tracé , que l'on peut dire être faits de main de maî- tre, & qui certainement ne font point flattez. Tels font entr'autres ceux des Empereurs Leopcld & Jofepb , des deux derniers Grand -Ducs de Tofcane , de feu Viâor Amedée Roi de Sardaigne , & de je ne fçais combien d'autres Potentats, à qui , au moins félon mon petit juge- ment, il a rendu une rigoureufe jultice , foit pour le bien, foit pour le mal.
Mais fi notre Voyageur s'entendoit à peindre naïvement les Hommes, j'ofe dire qu'il n'étoit pas moins habile à reprefentcr les objets inanimez qui ont quelque cho- fe de frapant , de merveilleux ; foit que ce merveilleux leur vint de l'Art ou de la Nature. C'eft dans ces fortes de ren- contres qu'il fait fouvent briller fon gé- nie , fon imagination , & la déHcatelTe de fon pinceau. Si je ne m'étois pas fait une loi de ne rien citer ici , pour ne pas interrompre le fil du difcours, je fe- rois extrêmement, tenté d'en rapporter quelques exemples; parmi lefquels je n'oublierois certainem.ent pas la belle <& ingcnieufe defcription qu'il fait de la fameufe Cafcade de Terni en Italie. Mais ce qui eft différé n'eft pas perdu.
M 5 Cç
iS8 Bibliothèque Britannique ,
Ce n'efl pas tout ; & ce qui femble mettre le comble au mérite de cet Ou- vrage, c'eflla Critique fine & judicieufe qu'on y voit régner depuis un bout jus- qu'à l'autre. Plufieurs fçavans Hommes avoient, en divers tems , précédé notre Auteur dans la même carrière 5 & avoient donné au Public leurs Relations. Tels font les Burnet , les Spon , les Montfaucon , les Miffon, les Addijon, l'Auteur du Mercurius Italiens , & un grand nombre d'autres moins célèbres. Or ce font toutes ces Relations qu'il s'efl fait une étude parti- culière de fuivre pied- à-pied, & de réle- ver autant de fois qu'il les a trouvé fau- tives ou defeûueufes : ce qui eft arrivé en mille & mille rencontres. Il s'en eit acquitté avec poIitefTe , avec efprit , & fur- tout avec une folidité de jugement & de raifonnenient qui fem.ble entraîner , comme par une force invincible , le fuf- frage du Lecteur, qui fe trouve fouvenc furpris, confus, à la vûë de cette mul- titude de fautes d'omifilon & de commif- fion, qui fontéchapées à tous ces grands Hommes.
Pour rendre cette Critique fi fréquente un peu moins féche & ennuyeufe, l'Au- teur l'a fouvent égayée par' un flile en- joué, & même badin , fur -tout quand les fautes qu'il cerfure font des plus groffîercs , ou qu'elles ont été commifes pardes Auteurs préfomptueux , qui fe pi-
quoient
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quoient d'avoir furpafle tous les autres en exactitude ; mais principalement lorf- qu'elles partoient d'un zèle mal-entendu de Religion , en un mot, d'un principe de bigoterie & de fuperflition. C'efl fur ce pied-là qu'il drape une infinité de fois un certain Jouvin de Rochefon , un Laf^ fels, Prêtre Catholique Ajiglois ; & c'eft un vrai plaifir de voir comment il mené ces Mefïïeurs-là battant, & les expofe à la rifée des Ledeurs par fes plaifantes turlupinades. Enfin , je ferai bien trom- pé fi cette partie de l'Ouvrage ne paroît ' pas au Public une des plus inflrudives & des plus divertifl^antes en même tems»
Après ce que l'on vient de voir , il femble que je devrois avoir tout dit. Mais non : j'ai encore quatre chofes confiderables à remarquer dans mon Au- teur. Il n'étoit point National. Iln'étoic point Bigot. Il n'étoit pas non plus Li- bertin. Enfin il étoit Ennemi juré du Pouvoir arbitraire.
Il n'étoit point National. A l'entendre parler, vous diriez qu'il n'avoit point de patrie : C'étoit un vrai Citoyen du mon^ de. Quoique François de naiiïance &r d'éducation , on ne le voit jamais élever fon Pais ni fa Nation au deflTus des au- tres. Bien différent des Petits-Maitres d'une certaine contrée qui fortent ra- rement de chez eux , mais qui, quand ils le font, ferablent avoir uniquement pour
buCa
19^ Bibliothèque Britannique,
but, de regarder du haut en bas les au- tres Peuples , & de méprifer fouveraine- ment , foit leur langue, foit leurs cou- tumes ; bien différent , dis-je , de ces Etourdis, notre Voyageur trouve par- tout des chofes , des maximes , des pra- tiques dignes de louange, quoiqu'il ne néglige pas non plus de cenfurer en paiTant celles qui lui paroifTent évidem- ment ridicules. Il trouve enfin en tous les lieux, même dans ceux qui femblent les plus retirez & les plus fauvages , des gens raifonnables , bienfaits, polis, & qui ne le cèdent gueres à ceux qui pré- tendent être les feuls modèles des belles manières.
A l'égard des défauts confiderables; des vices capitaux , il ne ménage au- cune Nation , quand il a trouvé qu'ils y dominoient. C'eftainfi qu'il n'a pas épar- gné les Italiens, mais principalement les Romains. Peut-être des gens de mauvaife humeur pourront-ils s'en plaindre : mais que vouloit-on qu'il fit ? Vouloit-on qu'il fe bouchât les oreilles , qu'il fe crevât les yeux, pour ne pas voir &ne pas enten- dre mille indignitez qui fe commettoient tous les jours , pour ainfi dire en fa préfence ? Ou , les voyant & les enten- dant, vouloit-on qu'il gardât un pro- fond filence , & qu'il fupprimat tout cela dans fa narration ? Mais auroit-ce été agir en Voyageur exad ? Seferoit-il de
cette
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cette manière acquitté d'un des princi- paux devoirs impofez à un Hillorien?
Quoi qu'il en tbic , bien loin d'avoir exagéré le moins du monde dans cette rencontre , on peut aOurer qu'il eft de- meuré bien au deflous de la vérité ; au moins s'il en faut croire un grand nom- bre d'Italiens eux-mêmes. L'Auteur, pour confirmer ce qu'il a avancé , cite plufieurs beaux & longs paiïages de divers Poètes fameux , qui ont déclamé avec une vi- gueur extraordinaire contre l'horrible corruption de leurs Compatriotes. Ce n'étoient point des fatiriques de pro- feflion , gens qui aiment à médire du pro- chain & à déchirer la réputation. C'é- toient des hommes vénérables à tous é- gards, par leur rang , par leur fcience , mais fur -tout par leur vie irréprocha- ble , & la plupart dans les Ordres facrez , qui ont ainfi cenfuré avec zèle les def- ordres qui dominent le plus à Rome & dans le refle de l'Italie , fans épargner les Grands, non plus que les petits, fans refpeder même la Thiare Pontificale» Au refte , ceux qui n'entendent point le Latin , pourront peut-être trouver mau- vais qu'on ait ici placé toute cette Coî- ledlion de vers dans cette Langue. Mais en tournant une douzaine de feuillets, il leur fera aifé de fe délivrer de cet ob- jet choquant. Pour les autres Ledeurs, je fuis bieu fur que , loia d'en fçavoir
mau-
192 Bibliothèque Britannique ,
mauvais gré à l'Auteur , ils feront char- mez, d'un côté, de voir que l'Italie mo- derne ait produit un ii grand nombre de Poètes qui approchent de bien près ceux qui vivoient du tems d'Augufle , du moins ceux qui liorilToient fous fes fuc- ceiTeux-s immédiats; & d'un autre côté, qu'elle nourriffe encore aujourd'hui dans fon fein des Gens d'une probité exem- plaire, qui fe diilinguant de la foule, non feulement ne participent pas aux vices de leurs Concitoyens , mais les foudroyent encore avec tant de véhémen- ce dans leurs Ecrits. Notre Voyageur çn a lui-même rencontré plufieurs de cet ordre dans fes courfes, fans compter une infinité de Perfonnes d'un mérite diftin- gué d'un autre genre; & en général il ne paroît pas qu'il ait eu aucun fujet particulier de fe plaindre de cette Na- îion-là. Ainfi ce qu'il en a dit ne fçauroît procéder de préjugé, ni depaiïion, mais uniquement de la nécefiité qui oblige un Hiltorien à dire ce qui eft vrai , quoique quelquefois contre fon inclination.
J'ai dit en fécond lieu , que l'Auteur n'éto'it nullement Bigot : & en effet , c'étoit le moindre de fes défauts. Il dé- clame au contraire de toute fa force con- tre la fuperllition , quelque part qu'il la rencontre , fans égard pour aucune Secle ; perfuadé que c'eil la fangfue de Ja Religion ; Se que. là où elle domine
d'une
OCTOB, NOVEMB. ET DeCEMB, 1741. I^^
d'Hne manière un peu forte, elle ne man- que pas d'étouffer peu-à-peu & les lu- mières de l'efpric, & les bons fentimens du cœur , 61 de détruire , en un mot , par- mi les hommes toutes les connoiffances utiles & la vraye pieté; fans compter qu'elle les dépouille infenfiblement de tous leurs avantages temporels , les for- çant à les employer à mille ufages ridi- cules, à les facrifier à une infinité d'ob- jets chimériques. Au refle, l'Auteur ne fait pas l'honneur à la fuperftition de âir- puter jamais férieufement contre elle ; aufîi ne verra-t-on point ici un feul mot de Controverfe : chofe d'ordinaire fort dégoûtante pour un Ledeur. Il la traite comme elle mérite d'être traitée , c'eft-à- dire en badinant.
Peut-être certains zèlez indifcrets pour- ront-ils fe plaindre de ce procédé. Mais , encore une fois, que vouloit-on qu'ilflt? Prétend-on qu'il pût ou qu'il dût regarder d'un œil indifférent les objets de cette efpece les plus choquans, & qu'il n'en dit pas un feul mot? Mais cela me paroît impofTible pour tout homme qui penfe, ou qui a feulement une ombre de fens commun; pour un homme fur-tout qui a quelque fentiment d'humanité. Peut- il s'empêcher de déplorer le malheur Ci un û grand nombre de fes femblablcs qui croupiffent dans une ignorance baife àz rampante , dans des égaremens qui nv:e XVIll. Part. L N font:
194 Bibliothèque Britannique, font honte à la raifon ? Un Catholique qui voyage dans des Païs d'une Re- ligion différente de la fienne , pourra-t-il fe réfoudre à ne pas faire attention aux abus qu'il croit y appercevoir , foit dans les Dogmes , foit dans le Culte , & à n'en pas faire mention dans les Mé- moires qu'il pourra tracer de fes Voya- ges?
D'ailleurs, la Catholicité n'a-t-elle pas elle-même nourri dansfon fein desHom- ines de grand nom, qui ont crié avec for- ce contre certaines pratiques qui s'y font introduites peu-à-peu pendant les Siècles d'ignorance; qui ont déclamé fur -tout contre les excès où font tombez les Lé- gendaires,particulièrement l'Auteur de la Légende dorée ? Enfin n'a-t-elle pas pro- duit des Dénicheurs de Saints , c'eit-à-dire des Perfonnages docles ôz pieux, qui par leur profonde connoiiTance de THiftoire ont apperçu , que parmi cette multitude prodigieufe qu'on venéroit comme Saints dans leur Communion , il y en avoit un • nombre afTez confiderable qui n'étoient que des Saints de contrebande ? Après C-la,voudroit-on exiger d'un Proteflant , ou plutôt d'un Philolbphe, qu'il demeu- rât tout- à-fait muet, qu'il ne touchât pas feulement à ces fortes de fujets dans le récit de fes Voyages ?
JMais fi. notre Auteur n'efl point fuper- Hitieux • j'ofe le. dire ; il eft encore moins
porté
OCTOBo NOVEMB. ET DëCEMB, I74Ï. Ï95
porté au Libertinage en matière de Reli^ gion. Je veux bien croire que fur ce fujet- là , comme fur les autres ,il penfoit en vrai Philofophe , c'eft-à-dire librement , & fans s'en remettre tout-à-fait à la foi de fon Curé. J'ai quelque raifon de croire encore , que fa Confeflîon de foi n'avoit pas toute l'étendue que peut avoir celle de l'Eglife Anglicane , ou de telle autre Société Chrétienne. Mais je dois lui ren- dre aulfi cette juftice, c'eft qu'il n'en at- taque jamais, ni direftement ni indireéte- ment aucun des Articles. Beaucoup moins le voit-on s'en prendre à aucun de ces grands principes qui font la bafè de la Religion Naturelle & Révélée, aulïi bien que le fondement de la Société & du bonheur des hommes, foit dans ce monde , foit dans l'autre.- Au contraire , il s'exprime fouvent en termes très-forts contre les Athées , qui abondent , dit-iU en certains Païs , fur-tout dans ceux oie bien des gens prétendent que fe trouve le centre du Chriflianifme ; ou con- tre ceux qui, fans être tout-à-fait Athées, nient le dogm.e fondamental de l'Immor- talité de l'Ame.
Et à l'égard des bonnes Moeurs , jefuis perfuadé qu'on ne trouvera pas u^n feul endroit de fon Ouvrage où il y foit don- né la moindre atteinte. Sur cet article fa Théorie & fa Pratique vont abfolu- ment d'un pas égal. On m refltend
N 2 ja-
jg6' Bibliothèque Britannique,
jamais débiter aucune Maxime qui puilTe tendre le moins du monde à détruire dans les hommes le fentiment de l'Honneur & de la Vertu. Bien loin de-là; il dé- clame fouvent contre ceux qui fontdefti- tuez de l'un & de l'autre , comme les- occafions ne s'en préfentoient que trop fréquemment. On ne peut rien voir de plus fort que ce qu'il dit contre certains vices dominans parmi quelques Nations, ^ qu'on fe fait de la peine de défigner même d'une manière indirede. Bien plus: Il eft fi retenu dans fes difcours , quilne s'arroge pas feulement la liberté dépar- ier en badinant fur certaias fujets , que la plapart des gens regardent comme des bagatelles ou des peccadilles. Enfin , depuis un bout de fon Livre jufqu'à l'au- tre, on ne voit rien dans fa conduite qui puiffe donner un mauvais exemple, ou plutôt qui ne foit parfaitement bien rè- gle. On ne le voit jamais engagé dans aucune partie de débauche; au contraire il paroît avoir un eloignement égal pour toutes les branches de l'intempérance. C'eit- à-dire, en un mot, que cet Ouvra- ge ne contient rien qui puiiTe corrom- pre ou l'Efprit ou le Cœur , ou pour mieux dire , qui ne foit propre à pro- duire un effet tout oppofé.
Enfin j'ai dit, que l'Auteur étoit ennemi Jure de l'Efclavage ou du Pouvoir Arbi- traire, Il avoit paflé la plus grande par- tie
OCTOB. NOVEMB. ET Decemb. i74T.'r^7 de de fa vie foit 'en Hollande foit en Angleterre , & avoit par confequent été long-tems témoin de la Liberté précieu- fe qui régne dans ces deux Etats, auflî- bienqueàe fes heureux effets par rapport au bonheur des Peuples, lis y font maîtres abfolus du fruit de leur induf- trie & de leur travail & , ce qu'il y a encore de plus fortuné , leur Confcience n'y efl tirannifée par qui que ce foit. Si on voit de tems en tems, dans ccsheureufes contrées , une efpece d'oppreifion par le poids des Impôts, elle ne procède point du caprice , de l'ambition , du faite ou de l'avarice d'un feul , mais du malheur des tems, qui oblige quelquefois à lever des fommes immenfes pour leur défenfe. Or du fein de ces Païs-là l'Auteur fe tranfporte fubitement enplufieurs autres où les cho- fes font fur un pied bien différent ; oii la Nature a été fouverainement libérale , ou plutôt prodigue de fes préfens , & oà .cependant on ne voit que très-peu d'ha- bitans , qui même vivent pour la plupart dans une raifere affreufe, en confequen- CQ. de la tiranniede leurs Maîtres defpo- tiques. Pouvoit-il contempler , comme il a fait aiïez long-tems , de û trilles objets , fans déplorer le malheur de ces Nations , fans concevoir de l'hor- reur pour cette efpece de Gouverne- ment qui le produit par une confequen- ce néceffaire ?
N 3 Mais
fS'S Bibliothèque Britannique,
Mais de toutes les tirannies, celle de TEglife lui paroît la plus infupportable ; & malheureufemenc l'Hiftoire de cette E- glife de fiécle en fiécle ne prouve que trop qu'il a raifon. L'empire des Prê- tres elt d'autant plus onéreux, qu'il é- tend fon pouvoir fur tout; fur les ef- prits comme fur les corps , & fur les biens de la fortune. Ses funeiles influen- ces ne font que trop fenfibles en une infinité d'endroits de la terre: ils le font fur- tout en Italie, & plus encore dans les Etats du Pape. Ce Pais qui fut autrefois û peuplé, qui par fa fertilité, 6i mille autres avantages, devroit encore aujourd'hui fourmiller d'habitans , eft ré- duit à n'être plus gueres qu'une vafte folitude, où le peu de monde qui y refle ne fait que traîner une vie malheureufe & languiiïante.
Demandez à ces Peuples infortunez, quelle efl la caufe de leur mifere & de leurs fouffrances ? Les moins llupides , ou les plus hardis, vous donneront pour toute réponfe ces deux mots; La C/?am- bre ApofloUque, la Chambre Apojlcîiquc; & cela, en hauffant les épaules, ce en pouf- fant de profonds foupirs. Cette Chambre eil en effet une éponge qui fucce toute leur fubltance. Nous aurons apparem- ment occafjon d'en parler quelque jour avec plus d'étendue après notre Voya- geur, qui en fait un Portrait affreux.
Sur
OcTOB.NovÈMB. etDecemb, I74Î. ^99- Sur ce pied -là, eft-il furprenant fi fa compaflion, û fon humanité le porte fré- quemment à déplorer le fort de ces Na- tions , & à rélever le bonheur de celles qui ont fçû conferver leur Liberté fpiri- tuelle & temporelle?
Tel cft à-peu-près le caradère de cet Ouvrage : telle eft au moins l'i- dée que je" m'en fuis formée. Il s'agit préfentement de prouver qu'elle n'eit point chimérique , & c'eft ce qui ne m.e fera pas bien difficile. Naturellement je devrois m'arréter ici, & renvoyer ces preuves à une autre occafion, de peur de trop allonger cet Extrait. Mais com- me le Public pourroit s'impatienter, ou s'imaginer, après toutes les grandes cho- fes qui ont été avancées , que je crains la pierre de touche, que je cherche des délais & de -vains prétextes pour n'en pas venir à ces preuves de fait, je m'en vais dès -à préfent tâcher de lui donner au moins quelque fatisfaétion. Dans la fuite je pourrai bien y revenir, âz con- tinuer mes Extraits, pour peu qu'en té- moigne le fouhaiter.
Avant que d'entrer en matière, je ne dois pas oublier d'avertir le Ledeur, que , comme à l'avenir je citerai beau- coup, ou plutôt que je ne ferai gueres que citer, je ne fuivrai pas la coutume, qui eft de mettre en marge des guillemets, dont les retours trop fréquens pourroient SN 4 à
èoo Bibliothèque Britannique , à la fin caufer de l'ennui. Ainfi, pour diftinguer mes paroles de celles de l'Au- teur, je me contenterai de les renfermer entre deux crochets.
[J'avoue que pendant plufieurs jours mon embarras n'a pas été médiocre par rapport au choix des fujets que je de- vois d'abord expofer aux yeux du Lec- teur; & peu s'en efl fallu que, pour me déterminer, je ne m'en fois entièrement remis à la décifion du hazard , en ou- vrant le Livre à l'avanture, & me fai- fiflant du premier objet qui fe préfente- roit; perfuadé que rien ne pouvoit s'of- frir qui ne fût de quelque utilité ou de quelque agrément. Enfin , après bien des incertitudes, je mefuisréfolu à commen- cer par un Article quijuflifiera déjà une partie des chofes qui ont été dires ci-defTus à l'avantage de l'Auteur, à l'égard de fon Erudition, de fa vafteLedure, & en par- ticulier de fa parfaite connoiiïance de la Géographie &de l'Hifloire ancienne, de fa Critique & de fa belle Littérature. C'ell le commencement du récit qu'il fait de fon Voyage de Rome à Naples. Le voici.]
Tous les Voyageurs qui ont vu l'Italie tombent 'd'accord,, que la route la plus pénible de tout ce beau Pais efl celle de Rome à Naplej , foit pour les mauvai- fes Hôtelleries , foit pour d'autres in- commoditez qu'on y rencontre. Mais dès qu'on a gagné la Ville de Naples,
on
OCTOB. NOVEME. ET DeCEMS. I74I. 201
on fe trouve abondamment dédommagé, & on ouDiie bientôt toutes ces fatigues. Les Curiofitez fans nombre qu'on y trou- ve, & dans fes environs , ïbnt qu'on ne regrette nullement la peine qu'on s'eft donnée pour les aller voir.
Avec cette notion générale nous fom- mes fortis de Rome par la Porte de Sr. Jean de Lateran , autrefois Porta Cœli^ inontcwa. Dès qu'on l'a paiïee on entre dans une grande plaine, où l'on voitpen- dant cinq ou fix milles les relies de ces vafles Aqueducs des anciens Romains y qui coûtèrent des fom.mes immenfes pour faire venir l'eau dans la Ville. Le plus entier de tous eft celui que Sixte V. et réparera grands fraix, pour conduire jufques dans le Quartier des Thermes de ■Diocktien l'ancienne Aqua Inturica : on l'appelle aujourd'hui Aqua Felice , du nom de Félix, que ce Pape portoit lorf- qu'il étoit fimple Cordelier.
Après qu'on a pafTé Torre di mezza via, ainfi nommée à caufe d'une vieille Tour qui efl à moitié chem.in de Rome à Mari- no , on voit de grandes ruines d'ancien- nes Murailles, entre lefquelles il y a plu- fieurs Corridors fort hauts & fort larges, qu'on appelle aujourd'hui Gro/m ^^///Qn- îrc7î/. Les Antiquaires difent,que ce font des relies de ces endroits qu'on nommoit anciennement Aîcaflri , où les Romains te- Bôient renfermez leurs prifonniers de guer- N 5 re.
202 Bibliothèque Britannique, re,3ufqu'à ce qu'ils en eûiïent échangé une partie , Ôz vendu Tautre.- Mais quelques Sçavans veulent que ces mafures ayenc e- té des lieux où on logeoit les Soldats qu'on tenoit dans les environs de Rouie , pour la fureté de la Ville. Quoi qu'il en foit, par ce qui en reile , on voit que ce dévoient être de fort vailes Edifices.
Enfuite nous fommes arrivez à Mari- no. C'eft l'ancien Lamum des Romains, Dans la fuite on l'appeiia J^iila Marii , parce que le fameux Caius Marins y avoit une Maifon de campagne. Aujourd'liui c'eil une allez jolie pe^tite Ville. Sa fi- tuation eft fort agréable, fur le penchant d*une colline; 6z il femble que la Na- ture ait pris plainr à faire une terraffe , fur laquelle elle paroit comme un Ani- phirhéàtre , d'où l'on découvre une par- tie de l'ancien Latium d'un coté, la Mer Méditerranée de l'autre, & la Ville de Rome au bout de la perfpedive. Marino apartient à la Famille Cchnna avec ti- tre de Duché. Un Cardinal de cette Maifon y a fait bâtir la grande Eglife; 6c le même fit aulïï faire la Fontaine qu'on voit avant que d'entrer dans la Ville. Les Coîonna y ont encore une Maifon a- vec un Jardin afTez bien entendu, où ils vont paffer une partie de l'été. La plupart de celles des habitans font pein- tes en dehors , oi afîez propres. La Fon- taine qu'on voit dans la grande rué qui
tra-
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traverfe la Ville d'un bout à i'aurre, îïié- rire quelque attention. Mais elle n'eil point admirable pour fcs Statues, comme le dit Jouvin de Roche fort, non plus que l'Hôtel de Ville, ni iï jardin de la Fa- mille Colonna , que ce Voyageur traite aulïï d' admirables. La Relation de ce grand Admirateur de Riens, qui étoit François de naiffance, feroit très-propre à faire croire à ceux qui n'ont jamais é- té en France , que cet homme n'avoir jamais rien vu de beau dans fon Païs, Entre les Maifons^Religieules qui font à Marina, celle des'Jéfiiites eft fans contre- dit la plus belle &; la plus riche.
Après avoir paiTé cette Ville, on mon- te pendant plufieurs milles une Monta- gne paiTablement pierreiife & difficile, nommée la Fayola , où l'on ne voit que des Bois & des Bulles en quantité. Ces animaux fervent à labourer la terré, & font infiniment plus forts que les autre?. Ces Bois étoient autrefois très-dangereux àpaffer, à caufe des Bandits; mais Six- te V. trouva moyen de les purger de cet- te vermine. Quand on eil tout au hart de la Moqtagne , on découvre fur la droite CaficrGandoîfe & fon Lac, avec Città ■ di Lavigna , anciennement Lanu- vium, patrie du fameux Comédien Rc- pus, en faveur duquel OV^ron ï\t un Plai- dové ; ^ de rEm.pereur Antonin Pie, ^ Tout
^04 Bibliothèque Britannique, Tout ce Païs étoit dans les commence- mens de Rome habité par les Antemnates, En defccndant la Fayola, nous avons en- core trouvé les chemins très- raboteux, ainfi nous n'arrivâmes qu'avec beaucoup de peine à Vclitri,
Ce n'eft pas" feulement aux grandes Villes -qu'on attribue ici une origme fa- buleufe: les moindres Bicoques vont aulïï chercher la leur dans l'Antiquité la plus reculée. Vclitri, ou Velletri , com- sne les Italiens l'appellent aujourd'hui, fe vante d'avoir été bâtie, en premier îieu par Eleâra fille d'Atlas , & m.ere de Dardanus fondateur de Troye. Quoi qu'il en foit , Ancus Martius , quatrième Roi de Romef l'affiégea & la prit. Dans la fuite des tems, après la ruine de Privernum & d'Anxur , elle fut la Capitale des Volfques , qui y bâtirent un Temple ma- gnifique à Mars , Dieu tutélaire de la Na- tion; c'eft pourquoi on Tappella Urhs ■inclyta Martis. Elle fit tant de peine aux Romains, & fe révolta fi fouvent contre eux, qu'ils furent obligez d'en chafler les Habitans , & d'en faire une de leurs Colonies. Folfcis déviais , dit Tite Live L. 2. Veliternus ager adeniptus efl ; Velitras Coloni ah Urbe rtiiffi & Co!o7iia dcduâa.
Tous fes Habitans modernes fontper- fuadez que l'Em.pereur Augnfle y naquit, ^quoique Su€tom dife poficivcment que ce
fut
OCTOB, NOVEMB. ET DeCEMB, I747. 205
fut à Rome. Natus ejî Augujîus, &c. * 11 eft; vrai que fa Famille etoit originaire de Velitri , & qu'une des principales rues avoit nom Vicus Ocfaviiis. On y voyoit même un Autel Gonfacré à un bra- ve de cette Famill-e, qui ayant été aver- ti, pendant qu'il facriiioit à Mars, que les Ennemis- ravageoient les terres des Fe^ îitrienSy quitta ion Sacrifice, fortit à leur tête, tua un grand nombre de ces pil- lards, puis revint achever fon Sacrifi- ce , fans en être plus émû. Gcntem Oâa- viam Vehtris pnBcipuam oHm fuiffe multa déclarant, dit le même Suétone; mais dire qu'AiiguJle y prit naiflance, c'eil, comme nous avons vu, une faufleté manifeite,, qui prouve que les Traditions les plus ridicules ne laiiTent pas de trouver grand nombre de défenfeurs.
Cette Ville eft fituée fur une colline a. dix m.illes de Marino , & pas loin de la Mer. Elle n'eil ceinte que d'une fimple muraille, & quoiqu'elle folt aiïez petite, elle a beaucoup de Vignes & de Terres labourées dans Ton enceinte.. Pline van- te fort les Vins de Velitri de fon tems; mais ceux d'aujourd'hui font des plus
mé-
* In Aug. mm. 5. Il faut remarquer que tous les PafTagea fuivis d'un &c. ou abrégez , fe trouvent tout entiers dans l'Original, Mrd^ gn a voulu mensger k terrein.
io6 Bibliothèque Britannique ,
médiocres. Au milieu de la Place , que Jouvin âz Mr. Mijfon appellent la Grande Place , & qu'on peut nommer avec rai- fonjrês -petite y eft une Statue de bronze d'Urbain VIII. de la main du Cavalier Bernin. Elle eft affife dans l'attitude de donner la bénédidion. La Fontaine de cette Place, & quelques autres chofes, que le premier de ces Voyageurs traite de Yncrveilleufes, font très -peu de chofe, suffi - bien que la Ville , qu'il nomme pourtant une Ville de grande apparence ; tant cet homme aime à exagérer juf- ques dans les moindres chofes. L'Eglife dédiée à St.' Clément I. Pape & Martir, e(t bâtie fur les ruines de l'ancien Tem- ple/ic Mars , & celle de St. Giovanni in Pk.gis fur les reftes du Temple d'Hercule. On dit qu'il y avoit autrefois un Am- phithéâtre paiTablement grand , & on veut le prouver par lin Marbre antique que Ton garde à l'Hôtel de Ville, fur lequel il y a une Infcription [qui n'efl pas aiïez importante pour être rapportée ici.]
Le Palais de la Famille Gïnctti , efl ce qu'il y a de plus remarquable dans Velitri. Outre qu'il eft dans une très- agréable fituation, fon Efcalier &i fes Apartemens font magnitiques. Il eft de l'Architeâiure du fameux Martin Lun- gbiy orné de quantité de Statues, de Buftes, d'autres Antiques, de Tabieaux de
prix
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prix & de Tapifferies aflez riches. De fa Platte - forme , bordée d'une Baluilra- de à hauteur d'appui , on découvre tou- te la Ville , une valle Campagne & la Mer. Ses Jardins, qui font d'une très- grande étendue, contiennent quantité de belles Allées, des PalifTades & des Fon- taines, dont on a fait venir l'eau à grands fraix de la Montagne de Fayota.
Il y avoit anciennement dans le voi- fmage de cette Ville un Temple de Dia- ne, en un lieu qu'on appelle aujourd'hui Carrara. Ce fur-là que, parmi de vieil- les mafures, on déterra la Statue de Tarquin le Superbe, dont le Cardinal Se!" pieu Borgbcfe, Neveu du Pape Paul y, paya une fomme très-confiderable. Les Empereurs Tibère, Caligula & Othon a- voiênt des Maifons de plaifance aux en- virons de cette Viile. Celle du premier étoit fituée dans un lieu aujourd'hui nommé par corruption Tivera , polTedé par la Famille Ga'étani, Celle du fé- cond étoit remarquable par ce fameux Plane dont Pline fait mention , fous le- quel quinze perfonnes pouvoient dîner à l'ombre avec tous ceux qui les fervoient. Aliud cxemplum y dit -il, Caii Principis ^ &c. Celle cCOihon n'étoit qu'à un petit mille de Velitri , dans un endroit qu'on appelle encore Colle Ottone. Ce fut -là que les cendres de ce Prince furent enter- rées à la hâte & fans pompe, comme il
l'a^
loS Bibliothèque Britannique, l'avoit ordonné lui - même av^aor que de fe tuer. Celeriter ac parv3 cu/tu , cfc die Suétone dans fa Vie. Au relie, je ne rencontre jamais le nom de CQt Empe- reur , grand favori de Néron 6z compa- gnon de fes débauches , que je ne me rappelle le magnifique Eloge que Tacite, tour Tacite qu'il eft, c'efl-à-dire Hifco- rien qui ne fiatte point , en fait dans ce peu de mots \A\\ 2. de fes Hiitoires : /iîil diutiùs Imperium tenucnmty mmo taui fortiter reliquit. En voici un autre en fix Vers d'un Poète, qui en louant fa géné- reufe mort, blâme en même tems fes^ vices ;
Mollis Otho, ac fummi nimiiim feflinus ho- noiis f tyC,
On defcend le coteau de VeUîri par un chemin fort raboteux, mais borde de Vignobles & de Jardins remplis d'arbres fruitiers. Enfuite on entre dans une grande plaine de fept ou huit milles de chemin, tantôt mauvais tanrô: bon. On lailTc à main gauche de hautes monta- gnes, la plupart ftériles, au pieddefquel- les eft la petice Ville de Corrca, ancien- nement Cora. Tout le refte du païs eft plat & fort .défert jufqu'à Sermonetta, bâ- tie fur les ruines de l'ancienne Sora. Elle eft à i;^. milles de Velitri, dans l'E- tat Eccléaaftiqu-^, avec titre de Duché,
ap.
OCTOB.NOVEMB. ET DeCEMB. 1741.20^
apartenant à la Maifon Gaêtani. Elle n'eft fermée que d'une fimple muraille, mais d'un accès fi difficile, qu'elle rélifta iong-tems à l'armée de Charles V, qui, après l'avoir prife , ne put jamais fe ren- dre maître du Château.
A quatre milles de Sermonetta, on voit îi main gauche, pas loin du grand che- min , de vieilles mafures & quelques voûtes, qu'on appelle aujourd'hui Cifter^ na , & les Très Tabernce , dont Ciceron & l'Itinéraire d'Antonin font mention. Oa veut que ce foit les reftes du lieu qui eft nommé les Trois Boutiques au 28. des Ades des Apôtres. Un peu plus loin eft la petite Ville de Sctia , au haut d'une montagne toute couverte d'oliviers, au pied de laquelle font les fources de l'ancien Ufens, qu'on appelle aujourd'hui Potatore. 'Setia\ étoit autrefois fameufe ponr la bonté de fes vins.
Pendu/a , Promptinos qme fpeâat Setia campes Exigud vetulos mini! ah urbe cados.
Epigr. L. XIII.
dit Martial'^ ôc dans un autre endroit :
Septinum , dominceque nives, denjtque trientcs Qiiandoego vos, Medico non prohibent e, bi- bam? Lib. Vi.
Pline aifure, que ces vins aidaient extrê- Toir^e XVIIL Part. L O me^
^10 Bibliothèque Britaîïntque ,
jnemenr à la digeftion, & qu'à cauf.e de cela Augufie les preféroit aux plus fa- meux , même au Faleme. Juvenal les met au nombre des meilleurs & des plus généreux. Sac. 5.
Cras hihet Albanïs aîiquid deMoraibus, autde
& les quatre Vers fuivans. Les coteaux de Setia l'ont aujourd'hui bien differens , & ne produiront que de fort petits vins, même en petite quantité. Pour des oli- ves, on y en voit beaucoup, aulFi-bien que cette plante qu'on appelle Ficus In-- dica. Quant aux Orangers en pleine terre y que Mr. Mijjon die y avQir rencontré en fl- bondûnce, il faut qu'ils Ibient tous morts depuis qu'il y a palTé, car je n'en ai pas vu un feul.
C'eil dans Jle voifinage de Setia que commence le grand Marais, fi connu des Romains par les mauvaifes exhalaifons qu'il envoyoit 6z qu'il envoyé encore fort fouvent à Rome. Ce Marais s'appelle Palus Pomptina. Il commençoit autrefois près de Velitri, & s'étendoit jufqu'à /?n- xur, aujourd'hui Terracine. Mais T. Li^ ve aflTure , que le Conful Cornélius Cethe- gus en defiecha une partie. Pomptin^e Païu* des à ^c. Augiifle en fit deflecher une au- tre, & il avoit réfolu de venir à bout de tout , mais il ne put jamais exécuter ce deiTcin , Qui auroit rendu Tair de Rome
beau-
OCTOB. NOVEMB.ET DeCEMS. I74Ï. 2H
beaucoup plus fuin. Ce qui leiidl.^ . tiofe impbllible, c'cft que plufieurs péri 'es ri- vieres s'y viennent décharger, &dont on ne pt-ur détourner le ■ ours. C'etoit àcecte pariie deliechée qu'/forja'faifoir allufjon, iorfqu'il difoit dans Ion Arc Poétique :
...... Sterilisque diu palus aptaque remis
Vicinas urbes alit ^ & grave ferait aratrum,
Cafe-Nove , que Mr. Mijfon appelle un village , n'eft qu'une feule Maifon a- vec des Ecuries pour les chevaux de poile. On peut aller par eau de Cafe^ Nove à Terracine, qui eil le chtmin le plus court; mais on y va plus fùrement par terre. On laiffe à main droite la Mon- tagne qu'on appelle aujourd'hui de San Fe^ lice , & Monte CirccUo, dont les Anciens ont fait une Ifle. Ils difent qu'elle étoit habi- tée par C/rré, cette fameufe ErLchanreref- •fe, qui d'un coup de baguette changeoit en toute forte d'Animaux les Hommes qui tomboient- fous fa coupe: mais, ce n'étoit qu'après que cette infgne Ribaude en a- voit tiré tout le plaiiir qu'elle pouvoit» Virgile en fait une magnifique defcription dans ces onze vers du 7. de FEnéïde :
-Proxima Circece raduntur îittora terrce , (f<u
N'en déplaife à ce Poëte & kHcnicre, ôc
à tous les autres Poëces qui l'ont prife pour
D 2 une
|Ï2 BlBLiÔ^HEQUE BRITANNIQUE,
une Ifle ; en dépit de Pline & de Solin, qui ïa nomment Infuîam immenfo mari circuiU" fiuam, cette Montagne ou Cap de Cinœum a toujours été une Langue qui s'avance en mer , & jamais une Ifle , puifqu'elle tient à la Terre ferme. Pour ce qui efl d" Homère. i, qui n'avoit jamais été fur les lieux , il peut l'avoir cru fur le rapport de quelques ma- riniers Grecs, qui l'avoient apparemment pris de loin pour une Ifle. Mais à l'égard de Virgile & des autres Auteurs Latins, qui dévoient avoir vu plus d'une fois ce Cap en allant de Roinc à Naples , Terreur n'eil pas pardonnable.
Quoi qu'il en foit , Ton y voyoit autre- fois une petite Ville , qui portoit aufll le nom de Circceum, où Tarquin le Superbe a- voit envoyé une Colonie. Il y avcit auf- fi un petit Temple dédié à Circé, & un i\utel fur lequel on oiiToit des Sacritices à Minerve. Strabon dit, qu'on y montroit de fon tems une manière Tafle, dont on croyoit ç\w'Uly[fe fe fervoit pour boire pendant le fejour qu'il lit chez Circé. Si l'a chofe efl: , peut -on encore blâmer les bonnes âmes du Languedoc , qui confervent , comme des Reliques precieufes, le Bour- don du fameux Pèlerin St. Ro:hy& l'EcueK ïe de bois dans laquelle ce bénoit Saint & fon Roquet, c'-eil- à-dire fon Chien, bûr voient pend^ant leur Pèlerinage?
Dans la fuite on bâtit une Forteref- € fur ks ruines de rancien Circœum^
\^
6cT0B. NOVEMB'^ ET DeCEMB. 1741.^13^
qui fervoit de retraite aux Papes quand on les chafToit de Rome, Aujourd'hui il ne refte rien de tout cela, qu'un Châ^ teau nommé San Felice, bâti par le Pape Celejlin II. qui mourut vers le milieu du XII. Siècle; avec quelques Tours le long de la côte , garnies de quelque Artillerie pour empêcher les defcentes des Corfaires. On y montre encore un ancien Tombeau , que les Antiquaires prétendent être celui du pauvre Elpenor, compagnon à'UlyJJe, qui s'étant enyvré chez Ch'cé, prit une fenêtre pour la porte , tomba du haut en bas, & fe cafTa le col;
At mi fer Elpenor teâîo detapfus ah aîtOp. Occurrit Régi flebilis umhrafuo,
dit Ovide;, Cç qui a donné lieu à cette Fable des fortiléges de Circêy c'efl que ce Promontoire étoit fertile en plantes venimeufes. In Italice monte Circseo, die un Interprète d'Ariflote , fertur venenwn gigni îantâ vi , ^c. Au reile , il y av^oit autrefois un Port; mais ce qui en refte eft à préfent à une diftance afTez éloi* gnée de la Mer , aufli-bien que ceux de Ravenne & de Rimini,
En continuant notre Route, nous a- vons vu fur la gauche de vieilles mafu- res, entre lefquelies j'ai compté douze grandes Voûtes à double étage, que Ton croit être les reftes d'un ancien Cirque. O 3 Oà
ST4 Bibliothèque Brttanntqus,
On ne trouve pas une feule maifon ert- tre Cafe-Nove & Piperno, tant ce païs efl défert. Cette défolation d'une Pro- vince, donr le fond produiroit abon- dan^.ment s'il étoit bien cultivé, vient uniquement de la dureté du Gouverne- dent, qui défoie les pauvres Habi'-ans.
Piperno eft fitué fur une montagne, & îe chemin qui y conduit eft pavé de cailloux fi glifPans , qu'on a bien de la pei- ne à y aborder à pied. C'eft une Ville nouvelle , d'où l'on découvre plufieurs Bourgs, tous bais des ruines de l'ancien Prive mum, dont on voit encore quelques reftes à une portée de canon. Ce Priver^ mtn étoit, félon Virgile, la patri'/ de l'Amazone Camilla , fille du Roi des Volf-
fues Metuéus , qui fervit Turnus Roi des lurules dans la guerre qu'it fit à Enée, & y fut tuée en trahi Ton par Aruns en com«- battant vaillamment.
Puîfus ob invidiam regm vire^qm fuperbas
Mn. L. XL
Et ïes quatre Vers fuivans. Voilà un trait Poétique qui fait honneur à cette Ville. En voici un Hillorique qui lui en fait incomparablement davantage. Les Privernates ëc les Fundaniens, ayant été défaits par Papynuj^ le Conful Cn.Plan-' ?ii,7 afllégea P riv ernum Vd^nnéQ fuivante, & la prit. Mais après avoir fait con-
CcTOB. Ngvemb. etDecemb.i74t. 2if per la rête au Ccmmandanr, il fe rendit inrercelTeur pour lesHabirrns. Leur Am- balT'adeur , qu'ii avoir amené à Rome avec lui, é^oit aux pieds du Sénat pour \ni deOiander la Paix, quand un des Séna- teurs lui demanda fièrement; Qiielle puni^ tien il croyait que fes Compatriotes avaient mérité? Celle, répondit cet homm.^ gé- néreux, que mérite un Peuple qui ccrnbm pour fa Liberté. Plantius , craignant que cette hardieiïe n'irritât les Sénateurs ;> Si Ton vous donne la Paix, dit-il, s'addref- fant à l'AmbaiTadeur , que ferez - vous ? Si on la donne bonne, répliqua celui-ci , nous la garderons inviolablement ; fi on la donne mou-' vaife, elle fera de peu de durée. Ces paroles nobles & (enfées touchèrent tellem.ent rx^fTemblée , que les Privernates obtinrent non feulement une bonne Paix, m.ais en- core la Bourgeoise Romaine.
Piperno fut auffi bâtie d'une partie des débris de Privernum , qui , à en juger par les mafures que Ton voit en- core, devoit être autrefois une gran- de Ville. Elle fut long-tems la Capita- le du Païs des Volfques. Elle eft dans l'E- tat Eccléliaftique, & a eu titre d'Evê- ché, qui à caufe de fa pauvreté fut joint à celui de Terracine par le Pape Honorius III. en 1225. Aujourd'hui. elle eft enco- re plus pauvre ; & il n'y a pas jufqu'aux Eglifes qui ne fe relTentent de fa mifere, malgré la grande dévotion de fes Habi- O 4 tant
ti6 Bibliothèque Britanniquï? tans pour St. Sebajîien & St. Thomas d'Â' quiriy & cela, grâces à la Santijjîma Ca- mera /ipoflolica , qui engloutit tout le bien des pauvres Sujets. La feule chofe pour laquelle Piperno mérite quelque attention, c'eil Ton ailiéte. On découvre non feu- lement, comme je l'ai dit^ un grand îiombre de Bourgs, avec les ruines de Tancien Privernum, mais aulTi la Mer, quelques Caps ou Promontoires aiïez é- loignez , & la rivière Amafène qui en ar- role les environs.
Nous avons donc quitté cette vilaine Bicoque fans regret, & après avoir fait environ deux milles de chemin par dQS Coteaux fabloneux, nous fommes entrez dans une aiïez grande Forêt remplie de Lièges , qui portent du gland comme des Chênes, oc qui étoit autrefois dan- gereufe à palfer à caufe des Brigands. El- le apartient aujourd'hui à une grolTe Abbaye nommée Fojja Nuova, bâtie fur les ruines du Forum Appii. C'étoit an- ciennement un Bourg, où l'on s'embar- quoit la nuit , pour arriver à la pointe du jour à la Ville de Feroniay qui n'é- toit qu'a trois milles en deçà &Anxur, La Barque étoit tirée par une Mule , & le Forum Appii n'étoit habité que par des Batteliers , ik des Cabaretiers. C'eft Hora- .ce qui m'apprend toutes ces particularitez Lib. L Sat. oii il fait une plaifante De- fcription de fon Voyage de .i^o;?:e à Brun-
â'A-
OCTOB. NOVEMB. ET DeCEMB. I74I. SI?
dufînm. [Ce PafTage eft trop joli pour ne le pas citer tout entier. ]
EgreJJum magna me excepit Aricia Romd , HofpitLO modico RJpewr Cornes Heliodorus Grœcorum longé doctijjlmus. Inde Forum Appl DÎJferîum Nantis , Cauponibus aîqiiemalignis'.
Jcm 7WX induccre terris
Umbras , & diffundere figna par abat ; Tum Piieri Nantis , Pnerts convicia N'autiS Ingerere : Hue appelle ! t récent os ingeris : Qhe ! Jam faîis efl. Dum œs exiginir , dum Mu- la ïigaturf Tota abit hora ; mali Cuîices Ranceque paluflres Avertitnt fomnos. Abfentem cantat Arràccm Milita prolutus Vappa, N'aura otque Viaiur Certatim : tandem fejjus domire l/'iaiur încipit.
Eh bien! ne voilà- t-il pas précifé- rnenc les Barques de nuit de Hollande, ^ une partie des chofes qui s'y paîTent le plus Youvent ? Au refte , cette Ab- baye de FoJJa - Nucva eft le lieu où mou- rut St. Thomas d'Aquin en 1274. ^^"^ le tems qu'il ailoit au 2. Concile de Lyon^, pour y porter des plaintes contre Cbar- ks d'Anjou Roi de Naples & Frère de $t. Inouïs. On prétend qu'il fut empoifonné par ordre de ce Prince. Son Corps fut porté à Fundi , & enluite tranfporté à "Toulouje, [La fuite une autre fois.]
AVIS
AVIS
A U
PUBLIC
y D E H o K D T , Libraire à la Haye , vient de * publier Nummopl.!yt2ciuvi Regikar Ch^isti- NAE , quod comprenenai: Numiimata a^nei ïmperatorum Ronianorum Latina Gracca at- que Coloniis ciifa, quondàm a Pktro San- tés - Bartolo fummo artiiîcio furamà {ue fîde Tabulis Aentis LXllI. incifd j nanc primum prodeunt cum Commcncario Sjg- Havercampi ; Folio Latine ^ GaUicè. Le bel Ouvrage dont on vient de voir le Ti- tre , non feulement n'a point été vu des Anriquaires , mais ils en ignoroieni m.éme l'exifience , ou ils ne le croyoient pas du moins svr.ir été confervé julqu'à ce jour, 11 contient les Médailles les plus rates en Bronze des Empereurs Romains , tant de la première, que de la féconde &: de la troi- sième grandeur, que Ckristive Reine de Suéde avoit autrefois fait raiïembler avec beaucoup de Soin & de Dépenfe. Ce font en effet les plus Rares, car de toutes celles qui remplilTent les LXIIL Planches qui compofent ce Volume , il n'y en a aucu- ne qui ne fe diftingue paf quelque Fait <:urieux, ou p^r quelque Hngularité qu'ell'e défigne, ou à quoi ell? fait z.u moins^ allnfion. D'ailleurs , plnlieurs d'entre elles n'ont ja- înais paru dans le Public , & font encore ab-
foki-
AVIS AU PUBLIC.
foîument inconnues aux Antiquaires. Elîe9 ont été gravées a'après les Originaux , avec une fidélité, une délicatefle , & une exac- titude admirables, par Pi£tro Santés - Bar- TOLO , l'un des plus habiles Graveurs des Monumens Antiques qu'on ait encore vu. Un pareil Ouvrage n'a pas befoin de recom- manJation} fon Titre feul fait fon Eloge, & c'en eft aflez pour réveiller & exciter la curiofité des habiles G' ns & des vrais Con- noifleurs des Belles Antiquitez. Le célè- bre Mr. Vaillant , qui en a parlé avec beaucoup de louanges prefque à chaque Page de Jes Médailles des Empereun Grecs ^ s'en a pourtant employé que trois ou quatre dans fon Ouvrage j mais elles fe trouvent ici en très -grande abondance. Pour les rendre d'un ufage plus facile & plus uni- verfel , elles y font accompagnées non feu- lement d'un Commentaire L tin de Mr. SiG^^^BERT Havercamp ( dont l'Erudition Se le Sçavoir en ce genre d'Etude font fiiffi- famment connus par les Ouvrages qu'il en a déjà mis au jour;) mais même d'une Tra- duaion Françoife de ce Commentaire la plus exafte qu'il a été poflîble. Le mêm.e Libraire a imprimé les Remarques HiJîoriqîéeSt Critiques , ^ Pbihhgiques fur le N-mveau Teflament par Mr. De Beau- sobre , le Père. 2. vol. 4. avec la Vie de l'Auteur. Cet Ouvrage , qui elltout-à fait différent de celui qui porte pour Titre TraduSiion françoife du NMvean Teftimeni avec les Remarques de Mrs. Beausob e <5^ Len F a n t , en fait proprement la fui-
tg
AVIS AU PUBLIC.
te ou le Supplément. Tout y cft nou- veau , & Mr. De Beausobke s'y eft appliqué d'une façon conllante & fingulie- re a éviter les redites. L'Auteur, qui liloic toujours la Plume à la rnain, continuant à mettre à proijt toutes fes diverfes Leûu- res pour l'intelligence du Texte Sacré, cor- rige quelquefois ^Ir. L e n f a n x , & quel- quefois il fe corrige foi - même. Il critique auffi fort fouvent je Texte du nouveau Teilament de Mr. le Clerc; & on y verra, non peut-être fans quelque étonne- ment , que ce dernier ait été capable de tant de mépriies.
Le même De Hokdt vient auiîî de met- tre au jour le fécond Volume de l'Atta- que ^ de la Défenfe des Places par le Ma- réchal BE Vauban", avec une Table gé- nérale pour les deux Volumes, & des Figu- res. 4.
Jo. Harduini Commentariuî m Novura Teftamentum. Fol
Idem Ch. maj.
A NT. Matthaei Analeda Veteris ^vi 5. vol. 4.
Idem Charta majori.
La Ste. Bible, nouvelle Traduction fur les plus Anciens MSS. de l'Europe , par Mr. LE Cen-e , 2. vol. fol.
— — ' Le mcine Live, en granc
Papier.
FIN
BIBLIOTHEQUE
BRITANNIQUE,
O U HISTOIRE
DES OUVRAGES
DES SÇAVANS DE LA
GRANDE-BRETAGNE:
Pour les Mois
DE JANVIER, FEVRIER ET MARS
M Dec X L I I.
TOME D IX'HUITIE ME,
SECONDE PARTIE.
A L A HA TE, Chez PIERRE DE HONDT. M DCC XLII.
i
TABLE
DES
ARTICLES.
Art, I. \^R. Antoine Palomin
i VI Velasco ; fes Vies des
Peintres & StatuairesEfp^gnols ,
& de quelques autres illuflres
Etrangers des mêmes Profef-
ftonsy qui ont travaillé en Ef-
pagne. pag. 219.
II. Mr. Jean Greaves) /^/ Oeu^
vres mêlées, avec PHiftoire de fa
F/>,;>flrMr.THOM.BiRCH.233.
III. Mr. George Turnbull;/o« Traité de Vancienne Peinture ,
fur V Affinité qui s^y trouve a- vecla Poëfte ^ la Philofophie , effur Pufage qu'on peiu enfai- re dans P Education. ^-ji,
IV. Nouveau Voyage d' A\\tm2ignt] de SuilTe, de toute ^Italie ^ de quelques autres Pats de TEuro- pc , (fc. Second Extrait. 303.
Art,
TABLE DES ARTICLES.
Art. V. Irenée Krantzovius; fon
Traité Mathématique fur le Bon." heur, avec une Lettre prélimi" naire, pag. 330.
VL Mr. Le Cène, fa Nouvelle Verfion de V Ancien & du NoU' veau Tejlament. 343,
VII. Lettre de Mr. D. M. à Mr. D. L. C. contenant plujjeurs Partie' cularitez curieufes , qui ont été fupprimées dans le Commentai- re du Père Merfenne fur la Genefe. 406,
yill. Hiftoire de ta Conduite de ta Du* cheffe de Marlborough , écrite par elle-même 'y ^ deux Critiques de cet Ouvrage y l'une intitulée Lettre d^un Membre du dernier Parlement du Régne de la Reine Anne à un jeune Seigneur , & l'autre , Lettre à une Perfonne de Dijlinâion, &c, 422,
IX. Nouvelles Littéraires. 465.
Comme l'on pourroit trouver étrange, que contre l*u- fage obCervé jufqu'à prefent , il n'y a point de Table A^i Matières à la fin de cette Partie; on croit devoir avertir le Public, que la Copie as l'Article VIII. e'taat arrivée dans le tera* qu'on alloit imprimer la Table pour finir ce Tome, on a jugé que les Lefteurs ver- roient avec plaifir le terrein deftiné à celle-ci, occupé par l'Extrait en queftion. On n*a pu cependant l'y fai- re entrer qu'en partie feulement j le refte luivra , de même que la Contre • Criiiiué y dans le Tome> XIX. à la fin duquel on ajoutera aufli la Table pour le To- me x\'m.
BIBLIO-
BIBLIOTHEQUE
BRITANNIQUE,
o u
HISTOIRE DES OUVRAGES DES SÇAVANS DE LA
GRAND E-BRETAGNE.
Pour les Mois de Janvier, Fé- vrier ET Mars. MDCCXLII.
'^^^'>^'^^'-^^^%'^^^''%>'^^^^'^^'-%''%^^^^ ARTICLE PREMIER.
Las Vidas de los Pintores y Eftatuarios eminentes Efpagnoles, que confus he- roycas Obras han iîîuftrado la Nacîon: y d'aquelîos Eftrangeros illuftres , que han concurrido en ejias Provincias , y las han cnrîquicido , con fus eminentes Obras. Por Don Antonio Palomino Velafco, Pintor de Camara de fu MageJîadVhQ- Tom XFIIl Part. IL P lipe
220 Bibliothèque Britannique»
Upe V. Londres: imprejfo por Henri- que Woodfall , a cojîa de Claude du Bofc y Guilliermo Darres en eî Mer^ cado de Heno. 1742,
Cefl-à-dire:
Les Vies des grands Peintres & Statuai- res Efpagnols, & de quelques autres illullres Etrangers des mêmes Profef- fions, qui ont travaillé en Efpagne. Par Antoine Pahmin Felafco , Peintre de la Chambre du Roi BhUîpfe V, A Londres 1742. in 8. Pages 212. fans compter une Préface très -courte, & deux Indices , l'un pour les Peintres éc les Sculpteurs, 3: l'autre des en- droits de VEfpagne où l'on voit quel- ques - uns de leurs Ouvrages.
TOiît Livre qui eft imprimé en An^ gîeterre apartient de plein droit à ia BihJiotJH'que de la Grande-Bretagne, & nous ne voyons pas ce qui en ferait plus exclure les Efpagnols que les La- tins ôc que les Grecs. Il eft feulement vrai que l'on a rar-ementvii des Ouvra- ges en Langue Efpagnokr occuper les Preffes Angïoifcsy et j'ofe même avouer, que celui- ci eft le premier de ma coç-
aoif-
JahvT'ER, Février et Mars. 1742. 221 ûoiflance. Il eil donc fort vraifembla" ble , que la lingularité en doit être attri- buée au goût extraordinaire de la Na- tion Britannique pour les beaux Arts , & fur -tout pour la Peinture. Depuis 50. à 60. ans ce goût y eft devenu û commun , & principalement parmi la» Noblefle, qu'un Peuple très - opulent , & à qui rien ne coûte pour fatisfaire fes envies , a déjà enlevé à Vltalie & aux: Piits- Bas, tout ce qu'il a pu acheter de Pièces mobiles, & que dans la fuite , û cela continue, il ne laiflera gueres aux autres que le rebut de ce qui leur ea refte. On conçoit donc aifément, que Don Veîafco peut avoir trouvé à Lon-- (ires , pour l'ImprefTion de fon Livre, des encouragemens qu'il n'auroit peut-être pu efpérer dans fa propre patrie.
Ce n'eft pourtant qu'une conjedure que j'avance au hazard ; car je ne vois ici , ni Soufcriptions , ni Epître dédica- toire , ni même expreflions indiredcs qui annoncent rien de femblable. Le Clence va û loin , qu'il faut même devi- ner fi l'Auteur eft en Angleterre , ce qu'il y fait, & ce qu'il y eft venu faire. Il y a pourtant beaucoup d'apparence que l'Edition de ces Vies s'eft faite fous fes yeux, & que la curiofité de voir un Pais où fa Profellion eft trèjs - eftimée & très -cultivée, peut l'y avoir attiré. Ce qioi m'en fait juger de la forte , eft P 2 en
<l^^ Bibliothèque Britannique, en grande partie ce qu'il infinue lui-mê- me, par occafion , des courfes qu'il a faites dans le même efprit , & pour les mêmes raifons. On remarque dans fon Livre , qu'il a parcouru tous les lieux de VEfçagne où l'on montre quel- ques morceaux de Peinture & de Sculp- ture qui viennent de bonnes mains, & qu'il en parle , non feulement en très- habile homme, mais encore en homme qui a VH. On y remarque auflî, qu'il ti dans les mêmes vues vilité Rome & d'autres places d'Italie ; & qui fçait , fi ce n'eft point encore-là le but principal qui l'a conduit dans la Grande-Bretagne?
Cependant il doit être déjà dans un âge avancé. Car dans fon Article, qui ell le 227. & le dernier de l'Ouvrage, il dit, qu'en 1699. il peignit le Presbytè- re de TEglife Paroifliaie de St. Jean du Marché à Valence; & dans le 172, qui eft celui de Don Juan Carreno, Peintre de la Chambre du Roi Charles IL il dit: qu'il alla un jour avec ce Peintre chez Don Pedro de Avec, Régidor de Madrid , où ils virent entre autres chofes une très-mauvaife Copie du célèbre Tableau de Sre. Marguerite y du Titien; que tous les fpe£lateurs la trouvèrent déteflable, & que Ccrrer-co lui-même, qui reconnut F avoir faite, la condamna fur le champ à être jettée au feu. Ce Peintre de Char- tes IL mourut en 1O85. : ôi de-là_il efl
aifé
Janvier, Février et Mars. 1742, 225 aifé de conclure, que notre Auteur a eu les principes de la Peinture à un de- gré fuflifant pour bien juger, depuis plus de 57. ans. Je ne fçais point d'autres par- ticularitez de fa Vie, û ce n'eft qu'il pa- roît avoir commencé à Valence à fe met- tre en réputation de fon Art , puifque c'eft dans cette Ville qu'il date les pre- miers Ouvrages qu'il a faits pour le Pu- blic , & qu'il s'y donne Denis Vidal pour Eieve.
Venons donc à fes Vies; & pour en donner une idée générale , tirons - la de l'Ecrivain lui-mém^, en traduifant fon Avis au Leâcur , qui eft exprimé de îa manière fuivante: ,, Comme l'Ecole „ Efpagnole a été peu connue des Eu- 99 ropéens eux-mêmes , on en donne „ dans ce Traité la relation , pour la „ fatJsfadion des Amateurs , qui , fur la ,, multitude des Pièces admirables dont „ il y eft parlé, pourront fe former une ,, idée raifonnable des richeiïes que VEf- „ pagne poffede , tant en Peijiture qu'en „ Sculpture. Le deflein de ce Livre eft, „ d'y décrire les Ouvrages les plus van- „ tez des grands Maîtres que VEfpagne a fy eus pendant Tefpacc de 200. * ans „ fans aucune interruption. On y verra sy l'origine , le progrès & la perfedlion de t9 ce bel Art dans ce Royaume, & je fuis
>9 per- * L'Auteur auroit du dire 240, ans. P3
224 Bibliothèque Britannique,
„ perfuadé que le Lefteur curieux n'en „ eftimera pas moins cet Ouvrage, quand „ je lui aurai dit, qu'il n'y trouvera pas „ la moindre chofe qui n'apartienne ati „ fujet. Il a été mis en petit Volume , „ afin qu'on puifle le tenir commo- 99 dément à la main, & qu'il ne foit pas „ cher à acheter. Ce ne fera pas même „ trop de préfomption que d'ajouter, „ que les Voyageurs pourroient diffi- „ cilement rencontrer dans les Villes „ les plus confiderables de ce grand „ Royaume des inllrudions , ni plus „ vrayes, ni plus fûres, ni plus faciles, ,9 que celles que l'on trouve ici "
Ce que Don Velafco vient de nous di- re dans fa courte Préface , que l'on ne trouvera pas ici la moindre chofe qui n^a- f antenne au fujet, n'eft peut-être que trop vrai au pied de la lettre. A la referve de deux ou trois lignes, pour fixer le tems & les lieux où les Ouvriers naqui- rent & moururent ; dans tout le refle on ne voit rien qui foit étranger à la ProfefiTion. L'Auteur s'y borne entiè- rement à marquer leurs noms , les par- ties de l'Art qu'ils cultivèrent, celles où ils excellèrent, les principaux Ouvrages qu'ils ont laiflez, & à donner des def- criptions très-exaâ:es , & très-circonftan- ciées des Morceaux les plus achevez qui en fubfiftent encore. A cet égard je ne fçaurois dillirauler, que les perfonnes qui
n'ont
Janvier, Fevrieir et Mars. 1742. 225 ti'ont qu'une teinture fuperficielle de là Peinture & de la Sculpture , ne trouveront pas dans la ledure de ce Recueil le mê- me agrément que l'on trouve ordinaire- ment dans ceux que l'on appelle pro- prement des Vies. On y cherche des Voyages, des Avantures, des Mariages, des viciffitudes de condition &c. & fur tout cela Don Veîafco a cru devoir gar- der un filence très- profond, à moins qu'il ne fût effentiel à fa fin principale. Mài$ en recompenfe les Amateurs verront ici bien des chofes, qui leui paroîtront d'au- tant plus curieufes & d'autant plus in- térelTantes , que les richejfes que VEfpagne poflede en ce genre font très -peu con- nues hors de chez elles, & que la plu- part même n'en pourront jamais être tranfportées. Pour voir des Tableaux qui apartiennent aux Rois ou aux Grands , des Chambres , des Galeries , des Plat- fonds , &c. que l'on a peints dans les Palais ; des Crucifix , des Images , des Statues , & de grandes Pièces qui ornent les Eglifes, ou qui fervent à la dévotion des Peuples,. il faut aller fur les lieux , & peu de gens fe font avifez jufqu'ici de voyager par pure curiofité dans les diverfes Provinces de la Monar^ chie Efpagmle, Peut-être que Don Ve- îafco en fera venir la mode. Il eft fur au moins qu'il en peut aifément faire naî- P 4 tre
226 Bibliothèque Britannique, tre Tenvie aux gens de fa Profeflion , Ôc à ceux qui l'admirent.
J'ai déjà dit que ce Livre contient 227. Articles. Ils doivent donc être gé- néralement aflez courts, puifqu'il n'y a en tout que 212. pages. Cependant la longueur en efl quelquefois fort inégale, ^ le plus grand eft celui de Luc Jordan , qui tient 20. pages entières. On y comp- te 36. Etrangers, parmi lefquels il ne faut pas mettre les Portugais, que l'Auteur at- tribue à VEfpagne. Parmi ces Etrangers il fe rencontre des noms très-illuftres, tels que Bergamafque , Coroni, le Grec, Jordan, le Mantouan, Peregrin, Ruberis , Titien , & d'autres femblables. On y voit aulTi les noms de deux Femmes , qui font , l'une Sofonisbe Angufcio/a , morte en 1575. , & l'autre Sofonisbe Genti/efca, morte en J587., qui furent toutes deux au fervice de la Reine Ifabelle de Valois , furnom- mée de la Paix, Epoufe de Philippe IL Tous ces Articles font difpofez dans l'ordre chronologique de la mort des Sujets. Ainfi Antoine de Rincon , Peintre de la Chambre du Roi Ferdinand, mort en 1500. , fait l'ouverture du Livre , & Don Velafco lui-même, encore vivant, en fait la clôture. Quant à la méthode que l'Auteur y a fuivie , je ne fçaurois mieux la repréfenter qu'en traduifant un Article tout entier. Je prendrai pour
cet
Janvier , Février et Mars. 1742. 227 cet effet au hazard le 20. , x:ar ils font tous numérotez à la marge. Le voici donc en François,
Le Divin Moratez, Peintre.
„ On ignore fon nom de bâtéme. „ Natif de BadajoZy & Difciple de Maître „ Pierre dtCampagne, il devint un Peintre „ célèbre. On lui donna le furnom de Di- „ vin ; d'un côté, parce que tout ce qu'il „ faifoit étoient des chofes facrées ; & de „ l'autre , parce qu'il faifoit des Têtes de „ Chrifl avec tant de fupériorité & d'a- „ dreffe dans les Cheveux , que les plus „ habiles Connoilfeurs ne le pouvoient' „ comprendre , parce que ces Cheveux' „ paroiiïbient mobiles, n'étant pas moins „ fins que les naturels. Il alla à Seville, „ où il demeura plufieurs années, & y ,y fit de fa main plufieurs Pièces de Pein- „ ture, fur-tout en quelques-unes des an- „ ciennes Chapelles de cette fainte Egli- „ fe Cathédrale. 11 ne s'efl point vu d'Ou- „ vrage de fa façon qui palfe une Tête, „ ou la moitié du Corps. . . Ceux qui le ,) mirent en réputation furent, la yéroni- }y que qui efc dans la Chapelle de Notre- Da- 99 me de la Confolarion de l'Eglife du Cou- :,, vent des Trinitaires chauffez de cette „ Cour [Madrid] ; V'Ecce Homo qui eft au „ Collatéral de l'Evangile, dans l'Egli- », fe du Couvent des Religieufes du Corps P 5 ,> de
228 Bibliothèque Britannique,
„deChrilt^ & le Chrifl attaché à îa 9, colomne, avec St. Pierre qui pleure, „ à moitié corps ; chofe excellentilïïme !. „ Il y a aufu dans le Monaftère de 5r. „ Jérôme à Madrid un Tableau excellent „ de fa main, où l'on voit a moitié corps, „ & de grandeur naturelle, Je/us le Na- „ zarien, attaché à la croix, accompa- „ gné de fa très- fainte Mère, & de faint „ Jean l'Evangelifte ; tout ceia dans les „ plus grandes exprefilons de douleur & „ d'afflidion,& avec cette extrême beau- 39 té , & cette extrême délicateiïe qui j, apartenoient en propre à fon pinceau. „ Il peignit auffi pour Philippe IL dans ,, i'Efcurial , ôz a laifTé quelques Pièces de j, fa main à Cordouë. Il mourut à Badajoz, „ l'an 15S6, âgé de 77, "
Je m'imagine, qu'en lifant cet Article, quelques Proteilans qui ne font pas en- core inftruits du goût Efpn^uol , feront furpris de ce que le Fils de^Dieu y eft appelle froidement , Cbrifl , & Jefus le Nazavien, pendant qu'on y donne le Ti- tre de très'fahite à fa Mère. Mais dans le païs de Don Vetofco l'on ell fi fort accou- tumée dès l'enfance à cette indécence bizarre, qu'elle y échape fans que Ton s'en apperçoive. Alphonfe de Vargas, om plutôt Sciopvius , dans fes Strctagûmes des Jéfuitcs, impute à ces derniers, d'avoir extrêmement contribue aux excès de la dévotion populaire pour la famte Vier- ge
Janvier, Février et Mars. 1742. 229
gc dans la Monarchie Efpagnole. Ce qu'il y a pourtant de certain , c'eft que c^tte dévotion étoit déjà bien grande parmi ces Peuples avant l'inftitution de la So- ciété. Sans courir fort loin pour cher- cher mes preuves, je me contenterai de celle que l'Auteur de ces Vies me four- nit dès fon fécond Article. C'eil celui de Torhgiduo Torrig'ianiy Sculpteur, natif de Florence, qui mourut en 1522. „ Le „ Tribunal de l'Inquificion de Seville „ le condamna à la mort, pour avoir „ mis en morceaux une Statue de la „ Vierge qu'il avoit faite lui - même , „ piqué de ce qu'un Seigneur Efpognol, „ pour lequel il l'avoir travaillée , ne „ lui en avoit voulu donner que 30. „ Ducats ". Ce pauvre homme, je l'a- voue , ne fut pas conduit au fupolice , mais ,) il mourut de faim en priibn ". Voilà certainement une Religion bien extraordinaire, qu'un Ouvrier ne puif- fe pas difpofer de fon Ouvrage pendant qu'il eil encore dans fa boutique, & qu'il n'y a eu encore, ni confécration faite, ni culte rendu ! Je ne me fouviens pas d'avoir lu nulle part , que les Stacuafres Payens ayenr été fournis aux rigueurs d'une Difcipline femblable. Mais je ne fçaurois que me rappeller à cette oc- cafion, les fanglantes railleries que les Pères firent autrefois du Paganifme , au fujet de fes Dieux faits par les hommes.
Les
230 Bibliothèque Britannique,
Les fages Payens s'en moquèrent eux- mêmes, témoin la Satyre VIII. du I. Li- vre d'Horace , qui commence par ce dé- but ironique:
Olim truncus eram ficuînus , inutile tignum, Qimmfaher , incerms fcamnum , faceretne
Priapum , Maluit ejje Deum. Deus inâe ego. *
Le P. Sanadon qui a peut-être craint la retorfion , a pafie allez légèrement là- defius. Mais Mr. Dacier , qui tenoit tou- jours un peu de l'ancien levain de fa naif- fance, ne craint point de citer Arnobe ôi Baruch; & parlant de fon chef, „ Voi- „ là , du -il , un plaifant Dieu, qui n'ell 5, Dieu que depuis qu'il a plû à l'Artifan „ de le former". Gare pourtant l'In- quifition de Sevifle ! Si Horace & Dacier étoient tombez encre fes mains , ils au- roient bien pu y avoir le même fort que Torrigiani.
Quoi qu'il en foit de la trifte fin de cet illuilre & trop colérique Sculpteur; à l'occafion de la Ville de Florence, où il
nâ-
* C'eft-à-dire, félon le P. Sanadon-, » Je fus a jadis un' tronc de ^iguier,qui n'étoit propre à ,i rien. Un Ouvrier , doutant s'il feroit derrioi 3) un banc ou un Priape, jugea que je n'étois bon ^> qu'à faire un Dieu. Me voilà donc , grâces Si à fcn choix, une Divinité formidable''.
Jakvier , Février et Mars, 1742. 231 naquit , je ne puis me difpenfer d'obfer- ver, que c'eft d'Italie que le goût des beaux Arts pafla dans le XVI. Siècle en Efpa- gne. Cela fe voit clairement aux premiers Artiftes célèbres qui paroiflent dans le Catalogue de Don Velafco. Immédiate- ment après ce Florentin y vitnnQnt Jules & Mexandre , deux Italiens , Difciples de Jean d'Udine , que Charles V. fit paiTer avec lui dans ce Royaume. On voit en- fuite Monzo Berrugeze, Peintre de la Cham- bre du même Prince , grand Sculpteur & grand Architedle , qui avoit été Dif- ciple de Michel Ange à Florence, Le 6. eft Fernand Gallegos'fElevQ d'Albert Durer. Le 8. eft Chriflophle d'Utrecht , Difciple d'An- toine More, aufii natif d'Utrecht, qui, en voyageant dans l'Italie, s'y étoit fort at- taché à l'étude des Ouvrages de Michel Ange & de Raphaël d'Urbin. Jean Bâtijïe , furnommé le Bergamafque , parce qu'il é- toit natif de Bergame , & qui fous Char- les V. vint en Ê/p^gne, étoit Difciple de Michel Ange. Gafpard Becerra, le 13. Pein- tre, Sculpteur ôc Architecte , étoit auiÏÏ forti de l'Ecole de Michel Ange, & de cel-^ le de Raphaël d'Urbin, Pierre Campana,lQ 1^, nztiï dQ Bruxelles ,(\it encore Difciple de ce dernier. Jean Fernandez Ximenez de Navarrette , vit Rome , Florence , VenifeU Milan & Naples , & demeura longtems dans l'Ecole du Titien. Remarquons en paflant, que celui-ci, né fourd & muet,
de-
I
23^ Bibliothèque Britannique,
demeura muet toute fa vie , ce qui lui en fit donner le furnom , qui eu le feul fous lequel on le connoiiïe ordinairement. Enfin, & pour ne pas pouiTer plus loin les preuves de cequej'ai a.v2incé y] q Titien, natif de Venife, qui eft ici le 17, fut invi- té par Charles V. pour aller en Efpagne , où il travailla depuis l'an 1548. jufqu'en
1553.
Il eft donc inconteftable que VEfpagm a tiré de V Italie fon goût 6c fes con- noiflances pour la Peinture , pour la Sculpture , & pour l'Architedure : mais on auroit tort de penfer, qu'après en avoir tiré du dehors les premières le* çons , la Nation Efpagnole n'ait pu enfuitc fe foutenir par eîle-même , tant à cultiver qu'à perfedlionner ces beaux Arts dans la pratique. C'eft une obfervation de Dont Veîafco , à laquelle toute perfonne judi- cieufe foufcrira volontiers. Il l'a faite dans fon Article 17.^, qui eft celui de EXon Barthélémy Etienne Murillo , Peintre , né en» 161.'^. à la Villa de Pilas y environ à cinq lieues de Seville. „ Quelques Etrangers^ „ dit notre Auteur , ont avancé qu'il a voit „ été en Italie ; ce qui n'eft pas vrai. Il „ l'eft feulement, que les Etrangers ne 5, peuvent fe réfoudre à céder les lau- „ riers de la Renommée en cet Art à au- 5, cun Efpagnol qui n'a pas refpiré l'air de „ V Italie : fans prendre garde que V Italie „eU«-raême s'eft tranfportée en Efpa-
99 gne ,
Janvier, Février et Mars. 174^. 23 J „ gné y dans les Statues , dans les Pein- „ tures excellentes , dans les Eftampes , „ & dans les Livres ; qu'avec ces fecours ,, l'étude du naturel abonde dans tous les jtj, lieux , & que c'en a été alTez , que les „ illuftres Italiens qui font venus ici dans „ le tems de Charles V, & qui ont porté „ en Efpagne leur Ecole & leurs Ouvra- „ ges , de même que des Efpagnoîs qui „ ont été fe former en Italie'".
Il a placé cette remarque au fujet de Murilloy parce que ce Peintre , qui d'ail- leurs fe moûloit fort fur les manières du Titien y de Rubens , & de Van DyckA^s paf- foit tous dans la beauté du Coloris, & dans la corredion du DelTein ; de telle manière, dit -il, ,, qu'il n'y a eu ni Ef- „ pagnol , ni Etranger qui le palTe , & „ qu'aujourd'hui, même horsdeI'£/p^^ne , „ un Tableau de Murillo eft plus eftimé „ qu'un autre , foit du Titien , ou de Van „ Dyck'". Sans entrer dans cette querelle nationale, ou particulière , je dois dire, que fur les defcriptions que Don Velafco nous donne de plufieurs grands Ouvrages qui ©nt été faits par des Efpagnoîs naturels, en ne fçauroit nier qu'il n'y en ait quel- ques-uns qui égalent ce que l'on admire fe plus en divers autres Païs de VEurope, AuiTi eft-ce unplaifir délicieux que de voir dans ces rencontres , avec quels tranf- ports d'admiration , d'enthoufiafme mê- me , UQtre Hiilorien exprime le jugement
qu'il
234 Bibliothèque Britannique, qu'il en porte. Ce jugement eft fan9 doute refpeclable par -tout, parce qu'il vient d'un grand Maitre. Mais il y a des endroits où tout le monde admireroit, comme lui; parce qu'il y a véritablement du miracle , en fuppofant néanmoins la vérité de l'Hiftoire que Don Velafco nous donne pour certaine. En voici deux Ex- emples.
Le premier fe trouve dans la Vie de Gafpard Becerra. En qualité de Sculpteur, fon Chef-d'œuvre fut une Image ou Statue de Notre-Dame de la SoUnuie que lui commanda la ReinQ Ifabel le , Epoufe de Philippe II. pour un Couvent de l'Ordre de St. François de Paule. „ Becerra l'avoit ,y faite deux fois fans pouvoir réufTir. 5, Avant que de l'entreprendre pour la ,, troifième , il fongea que quelqu'un lui „ parloit; qu'il ne fçavoit quic'étoit,& „ qu'il entendoit feulement qu'on lui di- ,> foit: Levez-vous an plus vite y & de ce gros „ Tronc de Bois , qui brûle dans le feu ,fculptez 5, votre idée , & vous viendrez à bout defai- 9, re Vlmage que vous déjtrez. Il fe levé ; 99 jette fur le feu autant d'eau qu'il en 9, falloit pour l'éteindre; en tire le Tronc „ d'Arbre ; en fait fa Statue , à la gran- „ de fatisfadion de la Reine; qui dit de „ fon côté, qu'elle avoit été extraordinai- 99 rement infpirée dans cette occafion , „ & qui attribua ce fuccès miraculeux ,s au grand nombre de Prières, deMeffes,
Janvier, Février et Mars. 174^. 2:55' „ ôc defufFrages delà Communauté. Aufli 9, étoit-ce un miracle de l'Art". . .
Mon feeond Exemple fera tiré de la Vie, de Jean Bâtifle Juànez, Peintre, natif de Valence i Difciple de Raphaël d'Urbin &: du Divin Moral ez y mort dans la ville de fa naiflance en 1596. ayant à peine 56. ans. „ De tous fes Ouvrages , dit Don „ Vel a f co , celvîi qui a pu immortalifer foa ,9 nom avec plus de juftice, eft l'image „ très -pure de la Conception, qui eft au- ,, jourd'hui vénérée dans la Chapelle fm- „ guliere , & véritablement fmguliere de „ la Maifon ProfelFe de la Compagnie de „ Je/us dans rilluftre Ville de Valence» 'j'y Chapelle qui porte le nom de très-pu- „ re. Juanez exécuta cette Pièce fur la „ Relation , & fur la Révélation dii ve- „ nérable Serviteur de Dieu leV.Martirk „ Alberro , de cette Compagnie, auquel ,> cette fouveraine Dame dit un jour , „ qui étoit la veille de fon Aiïbmption , „ qu'il la fit peindre dans la forme où il „ la vet-roit. Elle lui apparut donc avec „ une Robe blanche , & un Manteau d'a- ,'yzur, ayant la Lune fous fes pieds, & „ près du Père Éternel, & de fon très- 9, faint Fils, qui la couronnoient, le St^ » Efprit , en forme de Colombe , fe tenanc „ au-deifus de la Couronne. Le S-ervi- ,> teur de Dieu obéît , & chargea dé l'ex- il écution de ce deifein Juanez, qui étoit s', tout à la fois célèbre, dans foûAft, <Sc
Tcmie XV m. Part, IL Q ,y foî?.
2^6 Bibliothèque Britannique ^ „ fon fils de confeflion, & qui outre ce- „ la étoit d'une éminente vertu. Le Ser- „ viteur de Dieu lui fit fa Relation , fur „ laquelle le Peintre fit une ébauche de „ rAlTomption. Le Père ne la trouva pas „ à fon gré quand il Teiit vue , parce „ qu'elle n'étoit p^s conforme à ce qu'il ,f avoit vu. Il ajou':a aulfi quelques cir- 9, confiances à fa Relation précédente , ,, & exhorta le Peintre à fe préparer à 9) l'Ouvrage par la prière & par d'autres ,, pratiques Chrétiennes. Celui-ci en- yy treprit la Peinture avec des prcfages ^9 infaillibles de fuccès. Dès les premiers ,, traits de fon delTein , il ne prit jamais 99 le pinceau pour travailler à cette Ima- 99 ge facrée , que ce jour- là il ne fe fût 99 confefTé , & n'eût communié. . . . Ou P9 s'il poloit quelquefois le pinceau fur la ^9 table , c'étoit à caufe qu'il ne fentoit 99 pas dans fon efprit l'émulation qui lui „ étoit néceiTaire pour réufiir; jufqu'àce 99 qu'étant fortifié par le fecours de la 99 prière , il étoit rempli de feu & de fer- ,9 veur. Il continua de cette manière ,juf- 99 qu'à ce qu'il eut fini cet Ouvrage à l'en- ,9 tiere fatisfadion du Père , qui alTura , 99 que c'étoit ponduellement le femblable „ de l'Original qu'il avoit vu. J'ai vu & „ adoré plufieurs fois à Valence cette Ima- „ ge facrée , &: je puis dire qu'elle inf- „ pire un fouverain refpeâ:, tant elle eft ^9 belle, & très-modeite , avec une con-
JANVIER, Février et Mars. 174^.237 „ tenance & une décence ex.traordinai* iy res ".
Il eft fur qu'avec de femblables fc^ cours, & qu'à Taide des Vifions & dec Révélations céleftes , s'il y en a de telles pour les Images & pour les Statues , les Peintres & les Sculpteurs ne peuvent produire que de véritables chefs-d'œu- vre. Cela eft d'autant plus poffiblc , qu'ils réuflîlTent en certaines rencontres parfaitement, fans qu'il y ait ni Révé- lation ni Vifion qui s'en mêle, & par les feules régies de leur Art bien enten- dues & bien exécutées. Que ne font ils point en effet quelquefois qui ne foit furprenant, & qui ne paroiiïe tenir du miracle ? De tant d'exemples que leurs Hiftoriens en rapportent, je m'en tiendrai à un feul , que je trouve ici , dans la Vie de Don Juan de Valdès , Pein- tre , Sculpteur & Architede , né à Seviî" îe , & mort dans la même Ville en 1691^ M II y fit un Tableau qui repréfente la 5, Mort. On y voit un Cadavre corrom- „ pu, & à moitié rongé des vers , que 5, l'on ne peut regarder fans horreur & „ fans épouvante. Il eft fi naturel , que „ plufieurs perfonnes , en le voyant à „ l'improvifte , ou fe retirent en frayeur » 19 ou fe bouchent le nez , craignant que ,, la puanteur de cette charogne ne les ,, infedte".
A dire le vrai , quand on voit de fi beau:^ Q a Ou-
238 Bibliothèque BriItannique,
Ouvrages , il eft comme impoflible que ron n'admire les Ouvriers qui les font y & TArt qui dirige à les faire. On a donc bien de la peine à comprendre , que des Grands Seigneurs fe refufent à favorifer ces grands Maîtres. On feroit encore plus embaraffé de ce phénomène, fi Ton ne fçavoitpas que le bon goût n'eftpas tou- jours le mérite des grandes fortunes. L'ex- emple du fameux Comte Duc d'Olivarez- devroit bien en inftraire ceux qui l'igno- rent. Don Velafco nous le donne, dans la Vie de Don "François Herrera et Mozo, Peintre ôc Architede de la Cour;, mort en 16S5. Le Comte Duc ayant donné comrniîîion à ce Peintre , d'aller à certai- ne vente publique de Peintures, & de lui en choifir les meilleures ; Herrera obéît , & triade fon mieux tout ce qu'il jugea de plus excellent. Le Seigneur , auquel ilr les préfenta , n'en agréa aucune , & en choifit lui-même d'autres , qui étoient toutes fort mauvaifes, non fans fe moquer du choix defonPemtre , dont il parla de la manière la plus méprifante. Herrera y. piqué de cet affront , s'en vengea par un. Tableau fatyrique * qu'il auroit préfenté
à ce
* Herrera y peignit un Singe , qui, entré- dans un Parterre pour y cueillir des Fleurs , & fe trouvant près de magnifiques Rofes, s'étoit- jette lur le Pas d'Ane- Tiré ds VHiJîorien.
Janvier, -Février et Mars. 1742. 239 à ce Seigneur , û quelqu'un de fes amis ne l'en avoit pas détourné,
Philippe III. fe connoiflbit bien mieux -en bonnes chofes. Le feu qui confuma le Palais du Pardo en iôo8, ayant fait périr plufieur^ Peintures originales , le .Roi demanda feulement, û la Venus du Titien avoit par malheur péri dans les flammes , & fur la réponfe qu'on lui fit que non; Eh bien, dit -il, que nous impor- te du rejte ! on le refera. Ce Prince avoit hérité de ce bon goût de fon Père Phi- lippe II. & de fon Grand-Pere TEm^pereur C/^fir/e/V, qui attirèrent tnEfpagneles plus grands Maîtres qu'ils purent trouver dans y Italie & dans les Pais-Bas , pour embel- lir leurs Palais, & fur- tout VE/curial , où Don Feîafco nous dit avoir vu lui-même plus de 20. Pièces qui font du Titien, AulÏÏ l'Auteur nous apprend-il, que ce5 Monarques payoient avec une magniù- cence Royale les habiles gens qu'ils em- ployèrent. Le Titien eut de Charles V. une penfion viagère de 200. Ducats de rente, & deux -cens autres de Philippe M-, fans parler des honneurs , & des honc- raires. Alonfo So.nchcs Coello , élevé dans l'Ecole de Raphaël (VUrbin , & Portugais , Peintre de Philippe 11, avoit acquis un Ca- pital de 550CO. Ducats; ëz Pèlerin de Bo- logne , autrement nommé Peregrin de Pe- regrini , Peintre Bolonois , qui travailla peur le même Prince , rapporta dans f^ Q 3 pa.-
â40 Bibliothèque Britannique, patrie 50000. Ducats qu'il avoit gagnez en Efpagne -, fomme alors bien confide- rable.
L'Hillorien ne nous marque pas de mê- me , fi les Peintres & les Sculpteurs qui travailloient pour les Particuliers , ou pour les Communautez , étoient payez a proportion de ces autres. Mais fur une particularité qui fe trouve dans la Vie du Dofteur Paul de las Roelas , Difciple du Titien, & mort à Sevilk en 1620., on ju- ge fans peine, que la Profelfion n'étoit pas ingrate. Voici ce que Don Veîafco nous en dit. ,» Roelas fit de fa main la „ Peinture du Martyre de St. André , „ qui eft dans la Chapelle des Flamâns , ,, & dans le Collège de St. Thomas ; en o quoi il fe pafla une plaifante avanrure. „ Après avoir tardé long-tems à finir fon „ Ouvrage, enfin le Peintre l'acheva tout j, d'un coup. Les Diredeurs du Collège, „ qui avoientfait leur marché pour icoo. „ Ducats, en voulurent rabattre, parce „ que d'un côté , il les avoit fait fort at- ,, tendre , & que de l'autre , la fin lui en „ avoit coûté fi peu de tems & de peine. „ Le Peintre au contraire leur en de- „ manda le double. Par accommodement j, on convint d'envoyer le Tableau en 9, Flandre, pour l'y faire taxer par les Ex- „ perts , n'y ayant perfonne fur les lieux „ qui pût le faire. La chofc fut faite, & Si les Flamans y mirent le prix de 300c.
n Du-
Janvier, Février et Mars. 1742. 241 ,y Ducats. Roeîas n'en voulut pas rabattre „ un Maravedi". Je trouve encore quel- que chofe d'approchant dans la Vie de Louïs Triflan Peintre, natif à Tolède en 1649. Mais je ne fçaurois extraire tout ce qu'il y a ici de remarquable,
ARTICLE II.
M'ifcellaneom Works of M»-. John Grea- ves , ProfeJJur of Jftronomy in îhe Uni- verfity of Oxford , mauy of 'whicb are no'd) fiyfi puhli/hed ; adorned wiïh Sculp' tures : Ta îhe whole is prcfixd an Hi/to- ricnl and Criîical Account of îhe Life and Wriîings of îhe Author. Publifhed by Thomas LiiRCH , M. /L F. R. S. and Member of îhe Socieîy of Anîiquaries, London , Printed by y. Hughs near Lincolns-inn-fields , for y. Brind- ley , Bookfeller îo his Royal Highnefs îhe Prince of Wales , in New-bond- ftreet and C. Corbell:, overagainfl St. Dunilaris Church, Fleet-ilreet , 1737.
Ceft-à-dire:
Oeuvres Mêlées de Mr. Jean Greaves^
ProfefTeur d'Aflronomie à Oxford,^vcc
la Vie de l'Auteur ; publie'es par Mr.
Thomas Birch , Maître es Arts, Mem-
Q4 bre
242 Bibliothèque Britannique, bre de la Société Royale, & de celle des Antiquaires. A Londres l'j'^j. 2. Volumes in 8. pag. 3. pour l'Epître dé- dicatoire à Myîord Evèque de Derry , 72. pour la Vie ; & 8co. pour le Corps de l'Ouvrage.'
TOus les Etrangers j qui ne le font pas dans la République des Let- tres, fçavent que Mr. Jokamip.s Gravais , ProfefTeur d'Aftronomie à Oxford^ fut un des plus fçavans hommes , & dès plus grands Mathématiciens du Siècle palIé. Mais ils ne fçavent pas tous qu'en AnZ'Ois cet liiuilre s'appelloit Jean Greaves ; & j'ai dû commencer par cet éclairciiTe- rnent fur le nom., pour faire compren- dre le prix du Recueil. On y trouve raf- femblé, tout ce que ce grand Hcm.mé publia lul-mémx en Anghis pendant fa yie, ou que Ton en a pu déterrer depuis fa mort ; & comme l'Edireur, Mr. Birch, eft lui-même un des plus habiles gens du Rpyaum.e, on conçoit aifément, qu'il n'a rien négligé pour faire paroitre ces 'Ocu- ^^res Mêlées dans un érat qui faflé égale- ment honneur, tant à celui qui les com- pofa, qu'à celui qui les publie» Mais afin q\iê l'on puiffe mieux juger de l'un & de i'autre , il faut , de toute néceiîité , <4ne iious donnions l'abrégé de la Vie de ^^A'utcur , où Ton trouve rKiftp;re de fes ^ "'■'*'' " " ' * * Écrits.
Janvier, Février et Mars. 1742. 243 Écrits. Il eft vrai que cette Vie a déjà été donnée par le Dodeur Thomas Smith, jentre celles qu'il publia de divers Illus- tres, à Londres 1707. m 4. Mais celle que Mr. Birch nous en donne ici , efl beaucoup plus ample, plus correde & plus raifon- née. Il eft même néceflaire d'en avoir le précis fous les yeux, pour compren- dre l'utilité du Recueil, & la qualité des Pièces qui le compofent.
Jean Greaves , Fils d'un Miniftre du .même nom, très-bon Humanifte, naquit en 1602. & fit de rapides progrès dans les Belles -Lettres à Oxford, ou il fit fes .études Académiques. 11 fut admis à la jVlaitrife es Arts le 23. de Juin 16S8. A- lors, fans perdre le goût de l'Antiquité Grecque 6z Latine, il fe jetta dans la Philo- sophie naturelle & dans les Mathémati- ques, & peu content de ce qu'il en put apprendre, foit dans le commerce intime de Mrs. Briggs & Bambridge, ProfeîTeurs, l'un de Géométrie , & l'autre d'Aftro- nomiie, foit dans ia îetlure de Copernic , de Regiomontanus , de Purbach , de Tycho- Brahé, dt Kepler e: d'aurres Sçavans mo- dernes, il puifa dans toutes les fourcei> Aftronomiques les plus anciennes & les plus éloignées, joignant aux Auteurs Grecs, les Arabes oc les Perfans , à l'aide des Langues Orientales , qu'il entendoit déjà parfaitement bien» Son mérite lui fil bi.i^nt.QC obtenir la Chaire de Profe^- Q 5 feuîT
244 Bibliothèque Britannique,
feurde Geomecne au Collège de Grefham. On la lui donna le 22. de Février 1631. N. S. Bientôt après, c'eft-à-dire en- viron l'an 1635. y il ^^ un Voyage en France, en Italie & en Hollande, & y lia par-tout une amitié folide avec quantité d'illuftres Etrangers.
A peine fut -il de retour dans fa pa- trie, que l'Archevêque Laud, qui vou- ioit quelque habile homme , qu'il pût envoyer dans l'Orient pour y chercher des Manufcrits , le choifit pour cette commilTion. Mr. Grenves, qui ne deman- doit pas mieujîi' s'embarqua l'an 1637. non fans fe pourvoir de tous les Inilrum.ens de Mathématiques qu'il put trouver à Londres. Arrivé à Livuurne, il fit un tour à Rome, à Padoue dk à Florence, faifant par -tout fes Obfervations, & voyant tout ce qu'il y avoit de Perfonnages cé- lèbres, tels que HoIJlenius, Kircber, Berr ttus^ Urjati, FJ:odius , & Moretîi. Se rem- barquant enfuite pour Conflantinople , il y arriva vers le mois d'Avril 1638. Par le moyen de Cyrille Lucar , il déterra quelques MSS. Grecs-, mais il ne jouit pas long-tems du fecours de ce Patriar- che, qui, le 27. de Juinà^ la même an- née , fut mis à mort par l'ordre exprès à'Amuraîh IV. fous le prétexte d'une correfpondance criminelle avec la Cour de Mofcovie. Mr. Greavcs apprit bien des Grecs , qu'il y avoit d'immenfes tréfors
lit-
Janvier, Février ET Mars. 1742. 245
littéraires dans la Bibliothèque des Em- pereurs Chrétiens, qui fe coniervoit en- core dans le Palais du Suhan. Mais l'ac- cès en eft fi difficile , qu'il ne put en tirer qu'un magnifique MS. de VAlrnage- fle de Ptolomée; encore ne fçait-cn pas comment il fit pour l'avoir.
De Confiant impk il alla en Egypte , & après avoir relâché à Rhodes ^ où il fit quelques Obfervations à l'aide d'un Af- trolabe de Gemma, il arriva à Alexan- drie , où il demeura 4. ou 5. mois. En 1638. & K^Sp. il vit à deux diverfes fois le Grand Caire , & prit avec exac- tirnde la mefure des Pyramides , & fi- xa la mefure du différent pied de tous les Peuples. Après avoir ralTemblé dans cet endroit - là quantité de Manufcrits Grecs, Arabes & Perfans , il revint en i- talie , vifita encore Florence , & paiTa en- fuite quelque tems à Rome , pour repé- ter les Obfervations qu'il y avoit déjà faites, & pour en faire de nouvelles, & arriva enfin dans fa patrie dans l'c- té de 1640. Le 4. de Novembre 1643. le Roi Charles I. lui donna la Chaire de Profeffeur d'Aflronomie à Oxford , va- cante depuis le 3. par la mort du Dr. Jean Bambridge, Dès le lendemain les Parlementaires , m^aîtres à Londres, lui ôterent le Profefforat du Collège de Grejham^ qu'il pofTedoit depuis quelques années,
Eq
24<^ Bibliothèque Britannique,
En 1645. il communiqua fon plan pour la reformation du Calendrier. Le Roi & fon Confeil goûtèrent extrêmement ,ce projet. La feule fituation des affaires en fit juger l'exécucion impoflîble. En 1646. il publia fa Pyramidographie , ou Dijjertation fur les Pyramides d^ Egypte. A Londres y 8. en Angicis, L'Ouvrage, tra- duit en François , fut inféré par Mr. Ther .venot dans lel» Volume de fes Relations dp divers Voyages. Mais la DifTertation étoit 5lors bien moins confiderable que Mr. Birch ne la donne dans ce Recueil. Dès que la première Edition Angloife en eût paru, elle elTaya la Critique d'un Sça- vant Anonyme, qui y oppofa bien plus de difficultez , que des faits & que des raifons. Cette cenfure engagea Mr. Gréa- l'es à revoir fon Ouvrage , auquel il fit grand nombre d'Additions, ou de Cor- rections importantes, qu'il écrivit aux marges d'un Exemplaire dont il fit pré- fent à Tun de fes Frères, & fur lequel l'Editeur s'efl réglé.
Cette Pièce, qui efl; la première de ces Oeuvres Mi'iées , eft partagée en huit Secîions y dont la première traire des Au- teurs & des Fondateurs des Pyramides. Tvîr. Greavcs aiTure bien qu'elles n'ont point été bâties par les Ifra'éîites , parce qu'elles font de Pierre, & eue ce Peu- ple fat condarnné a faire des Briques, ïl foutient auiïi, que les Ecrivains gui en ' " at-
Janvier , Février et Mars. 1742. 247 attribuent rinvention & la coftflrudion au Patriarche Jofeph, n'ont pas pris gar- de que la figure n'en convcnoit nulle- ment à des Edifices bâtis, comme on le prétend , pour fervir de Greniers. Quant au relie, après avoir rapporté tout ce que les Anciens ont dit fur ce fujet , il reconnoît qu'il n'y a rien de certain, û ce n'eft que ces Ouvrages ne peuvent a-, voir été faits que par des Rois ; ce qu'il faut dire aufll de ceux du même ordre qui fe rencontrent dans les Déferts de la Lybie. Quant au téms où ks trois Pyra- mides (ÏEg}'pte furent conftruites,c'eitce que l'Auteur examine dans la féconde 5et*- îion , qui renferme de grandes recherches Chronologiques pour fixer les Régnes de Cheops , de Cephrem & de Mycezinusy aux- quels les Anciens ont rapporté la fonda- tion de ces mafies fuperbes. Après avoir combattu le fentiment de ceux qui veu- lent que les Ifraëlites formèrent la Dynaf- tie des Bergers, Mr. Greaves conclut, que ces trois Princes doivent avoir vécu de- puis Moïfi. Dans la 3. Seâion, qui a pour but de déterminer l'ufage intentionel des Pyramides, l'Auteur démontre , que ce ne pouvoit être que pour fervir de Sépul- cres, & ne manque point à cette occa- fion de décrire, de quelle manière on em- baumoit les morts chez les Egyptiens ^ôz là- defius on trouve ici une grande profufion de Sçavoir, de même que diverfes Obfer-
va-^
248 Bibliothèque Britannique, vations importantes. Enfuite vient dans la 4. Seâion, une Defcription très-exade & très -détaillée, tant du dehors que de l'intérieur de la première Pyramide, qui efl aulTi la mieux confervée. ., Elle eil fi- „ tuée, dit rAutet!r,fur le fommet d'une 5, montagne de rocher , dans le Défert fa- „ bloneux de la Lybie, environ à un quart „ de mille Oueft des Plaines de V Egypte, 5, au - delTus defquelles le rocher s'élève à „ la hauteur de ico. pas , par une mon- „ téc fort douce. . . Lorfque j'en mefu- „ rai le côté du Nord , à la bafe , . . . „ je trouvai qu'il étoit de 693. pieds ,, d^ Angleterre, ce qui efl un peu moins „ que n'en compte Diodore de Sicile, . . ,, La hauteur mefurée perpendiculaire^ „ ment, eft de 499. pieds; mais à la „ prendre fur l'inclination de la Pyrami- „ de en montant , ce qui ell commun à „ toutes les figures femblables , alors, „ eu égard aux lignes fouflendantes des „ divers Angles, elle fera égale à la lar- ,, geur de la bafe, c'efl-à-dire qu'elle „ aura 693. pieds. . . .
„ Que l'on imagine donc fur les cô- „ tez de la bafe, qui efl parfaitement „ quarrée, quatre triangles équiiatéraux, „ dont chacun fe retire, & s'incline, „ jufqu'à ce qu'ils fe rencontrent tous au „ haut, comme dans un Point, car du bas 9, cela femble être ainfi ,& l'on fe fera u- îj ne jufle notion de la vrayediraenfion,
&
Janvier , Février et Mars. 1742. 24^
„ & de la figure de cette Pyramide ; le „ périmètre de chaque triangle étant „ de deux mille feptante - neuf pieds , & „ celui de la bafe étant de 2772. de „ forte que toute l'aire de la bafe con- „ tient de nos me fur es Angloifes 488249, „ pieds en quarré. ... La montée au „ haut de cette Pyramide elt faite de „ la manière fuivanre. De tous les cô- „ tez au dehors on monte par des de- „ grez, dont le plus bas a près de qua- „ tre pieds de hauteur, & en a trois 5, de largeur, courant à niveau tout au- „ tour de la Pyramide; ce qui, au com- „ mencement, lorfqueles Pierres étoient „ encore entières ( ce qu'elles ne font „ plus à préfent) faifoit de tous les cô- „ tez une longue quoiqu'étroite prome- „ nade. Le fécond degré, d'ailleurs fem- „ blable en tout au premier, s'en retire „ en dedans près de trois pieds. ... Il „ en eft de même des fuivans, jufqu'au ,9 haut, qui ne finit pas en pointe, com- 9, me les Pyramides Mathématiques , „ mais dans un petit plat, ou quarré de ,,13. pieds, & de la 280. millième partie „ d'un pied ".
On a prétendu que cet endroit plat a- voit été ménagé pour les Obfervations Aftronomiques des Prêtres Egyptiens. Mr. Greaves ne trouve cela nullement vraifem- blable , parce que , fans prendre une peine extrême à monter û haut , ces Obferva-
teurs
250 BiBLIOTÎÎEQUE BRITANNIQUE,
teurs fe trouvoient à la bafe fur une é- levation aflez grande , & aflez découver- te pour fe fatisfaire. Quoi qu'il en foit de ceci y ft le haut de la Pyramide eft cou- ,, vert de neuf pierres mafllves, outre „ deux autres qui manquent aux Angles^ „ Les degrez par lefquels on monte ne i, font pas tous d'une profondeur égale/ „ quelques - uns ayant près de quatre „ pieds, quelques autres n'en ayant que „ trois, éz plus on monte, plus cette ,, profondeur diminue. La largeur n'en „ eil pas égale non plus, la différence, „ autant que je pus en juger, en étant 5, proportionelle à la profondeur. . . 11 „ me fut impoffible de les mefurer avec ,, exactitude , . . . parce que les injures. ,5- de l'air, & la chute des pluyeSy ont „ fi fort endommagé & gâté ces de- ,', grez, que l'on ne peut plus les mon-. „ ter commodément, que par le côté „ du Midi , ou l'Angle Occidental du „ Nord ".
Après avoir obfervé là-deflus , dans une Note fort longue & fort curieufe ,-. qu'il eil faux qu'il ne tombe point de pluye en Egypte, Mr. Grcaves continue fa Defcription. „ Le nombre des de- „ grez , dit - il , du bas jufqu'au haut „ eft de 207. ; quoiqu'en defcendant „ un de nos Compagnons en compta" ,) 208. . . . Du côté du Nord de la Py- „ ramide, fur un Banc artificiel de terre^
93 dQ^
Janvier , Février et Mars. 1742. 251
„ de la hauteur de 38. pieds, il y a un „ pafTage étroit & quarré qui conduit à „ l'intérieur, & dont l'entrée, à égale „ diftance des deux cotez de la Pyrami- „ de , forme une defcente allez roide , 99 en déclinant par un angle de 26. de- „ grez ; la largeur en efl précifément ,, de 3. pieds, & 463. millièmes. La M longueur, qui va toujours en rétrecif- >, fant, eft'de 92 i . . Au bout , dit Mr. ,y Greaves y des flambeaux à la main, & ,> gliiïant fur le ventre comme des fer- „ pens, nous pallâmes, non fans peine, 99 dans un endroit un peu large, & d'u- „ ne raifonnable hauteur , mais tout dé- ,, rangé, parce qu'on en a fouvent re- „ mué la terre , foit par curiofité ou par „ avarice. ... La longueur en efl de „ 89. pieds, mais la largeur & la hauteur „ n'en font pas par -tout les mêmes. „ Dans cet endroit , à gauche de Ten- „ trée, nous grimpâmes fur une Pierre „ droite & maflive, haute de 8. ou 9. M pieds, où nous nous trouvâmes aufl^i- 9i tôt à l'entrée du bas bout de la pre- 9, mière Galerie. . . qui va en montant, « &. ... qui, félon la mefure que j'en 99 pris avec un cordeau, efl de 1 10. pieds 9i de longueur. A la fin de ctttt Galerie 93 en commence une féconde, qui pour „ l'Art & les matériaux ne le cède pas 99 aux bâtimens les plus fomptueux & les „ plus magnifiques. Celle-ci efl fepa- Tome XVIIL Part. IL R „ rée
252 Bibliothèque BRiTANNîQfuÉ ,
„ rée de l'autre par Une muraille, que „ l'on pafle , en le bailTant, par un trou, „ à-peu-près de la même grandeur que „ celui de l'entrée, mais alTez court. Ce 5, paffage étroit efl: à niveau , & lorfque „ Ton eft au bout , on trouve à la main ,> droite le Puits dont Plme a parlé, qui „ a plDs de 3. pieds de diamètre, dont „ les cotez font incruflez de marbre , & „ dans lequel on a coupé, de diflance „ en dillance, des efpaces ouverts, afin- „ que l'on y puiffe delcendre, en ap- „ puyant les mains & les J)ieds. . . Plme 9, lui donne 86. coudées de profondeur. . . „ Mais le mefurant au cordeau, je ne lui „ en trouvai que 2C. ; différence qui vient, „ à iïîon avis, de ce qu'avec le tems it 5, fc comble. . . Laiflant le Puits , à quîn- n zt p'icds plus loin, fur la même ligne, ,', nous entrâmes dâtis un autre pafTagc 5, qilaf r c , qui eft vis - à - vis de l'autre , 6c ,-, de la mcme grandeur. . . Celui-ci ,> coridirit, au bout de no. pieds, à une „ voutc faite en arcade ou petite châm- jxtre, qtii fentdit û fort le Cimetière y j, & qui d'ailleurs étoit û remplie de „ décembres, que j't demeurai fort peu. „ Cctie châiirbre eft EU 6z Ouefl Idn- 5, gùe de 20. pieds, large de 17. Se hau- ,5 te dé moins de j 5. Les murailles en ti font entières, & ^lâfrccs de ftidrtier. ;i Le pi^t-fond eÉf ellf couvert dé grarn- ,-> des î^ierre-s unies, & I^Jocéçs par'éta-
/y ges.
Janvier, Février et Mars. 1742. 253 /, ges. Au milieu du côté oriental cîè ?, la chambre , il femble y avoir eu un „ pafTage , qui conduifoit à quelque autre M endroit. . . ou qui peut-être n'étoît ,9 qu'une Niche pour y placer quelqut ,i Idole. . .
., En retournant fur nos pas par lé 99 même chemin , au forcir du palTage é*- 99 troit , nous grimpâmes au delTus, <& „ marchant tout droit fur un pavé qui 99 alloit en montant , nous vînmes à uà 99 fécond mur de partage qui étoiti cent „ cinquante - quatre pieds au deiïus du „ Puits. Ici la Galerie eil bâtie de marbi'è „ blanc i& poli, coupé en grands quaf= J9 rez , tous égaux. Elle eft haute de 2(5. ,> pieds , large de ô^l^l , & bordée des „ deux cotez de deux bancs de pierre M très-polie , dont chacune a un pied y, ,3^|. de large, & autant de profond; 99 Au delTus du haut de ces bancs, près »> de l'angle où ils fe joignent avec la » muraille , il y a de petits efpaces ^ f9 coupez en figures parallèles à angles » droits , & placez de chaque côté à 99 l'oppolite l'un de l'autre, ce qui, fan'^ » doute , n'avoit pas été fait pour le feuf 79 ornement. ...
„ Après avoir paiTé cette Galerie ,. t» nous entrâmes dans un grand troi^ ft quarré, de la même dimenfion que le „ précèdent, qui nous mena dans deux >5' Antichambres incrullées d'une efpece R- 2- y, àé
254 Bibliothèque Britannique ,
„ de marbre de Thebes. La première eft ,3, d'une figure oblongue , un côté ayant „ fept pieds, l'autre n'en ayant que 3 ^, „ La hauteur en eft de 10. Aux deux „ cotez de l'Eft & du Sud , à deux pieds „ & demi du haut, qui eft un peu plus „ large que le bas , font trois cavitez , „ comme trois endroits pour s'aiïeoir.La „ plus enfoncée eft feparée de l'autre ,) par une pierre de marbre rouge & ta- „ cheté , qui pend en deux mortaifes en- „ tre les murailles , un peu plus de trois ,, pieds au deiTus du pavé , & un peu „ moins de deux au deflbus du plat- „ fond. Par cette chambre on efltre dans „ un autre trou quarré , au deflus duquel 9, on a coupé perpendiculairement cinq „ lignes parallèles. A cela près, je ne „ remarquai dans toute la Pyramide au- „ cune autre fculpture ou gravure. . . . „ Ce Paflage. . . long de près de 9. pieds , „ & tout de marbre de Thebes, très-bien „ travaillé, nous mena au bout fepten- „ trional d'une chambre très -fomptueu- ,> fe & très -bien proportionnée. . L'Art „ y difpute avec la Nature. . . Elle „ eft en quelque manière dans le cœur 99 & dans le centre de la Pyramide, à 9, égale diftance de tous les cotez, & „ prefque au milieu entre la bafe & le 99 fommet. Le pavé, les cotez , leplat- 99 fond, tout en eft de vaftes 6z magnifi- 9) ques pièces de marbre de Thebes. . . ,
Janvier, Février et Mars. 1742. 255 ,, d'une longueur étonnante. La longueur „ de cette chambre, mefurée à l'endroit „ où les deux premiers rangs de ces ^, pierres fe rencontrent, eft de 34. pieds « îlôV • la largeur du côté occidental , „ prife de même, eft de 17. pieds ^j'-^l, „ & la hauteur en eft de 17. pieds \. C'eft 5, dans cette chambre m.agnifique que fe ,, trouve le Monument, que l'on dit être 99 de CheopSf ou Chemmis. 11 eft d'une ,, feule pièce de marbre, creux en de- M dans, découvert au deflus , & fonnc 99 comme une cloche , chofe fi peu ra- 99 re dans l'Art & dans la Nature, que je „ n'en parle ici , que parce que je con- 99 nois des Modernes qui l'ont trop re- „ gardée comme un miracle. . . Par le „ dehors ce Tombeau relfemble à un Au- „ tel , ou plutôt à deux cubes que l'on „ a bien joints & creufez par dedans, „ Il eft uni & fimple,fans fculpture, fans „ gravure, & fans aucun ornement en „ relief ou en boffe. La fuperficie exté- 99 rieure contient en longueur fept pieds „ 3;. pouces, & en profondeur 3. pieds 3|. 99 pouces ; de même en largeur. Le creux 5, du dedans eft en longueur, du côté du „ Oueft, de fix pieds ;f||. , & du côté „ du Nord de 2. pieds ^^Isl, de la pro- 99 fondeur de 2. pieds. . . d'oii l'on doit „ conclure que la nature ne dépérit pas , ti & que les hommes font; aujourd'hui R 3 ,:, de
25<^ B1BI.IOTHEQUE ErîTANNIQUî;,
s, de 4a même ftature qu'ids d'étoieat il y
„ a 3. mille ans ".
Au refte cette Defcription de la premiè- re Pyramide eft accompagnée 4e diverfes 'Notes de l'Auteur, quifoatau bas des pa- ges, & de deux Figures, dans l'une def- quelles on en voit le dehors , & dans l'au- tre eft repréfenté le dedans. Dans la 5. Section Mr. Grcaves décrit la féconde Pyra- mide, qui eïl à peine éloignée d'un trait d'arbalète. En s'en approchant du côté du jGùeft, on voit les ruines d'un bâtiment, tout de pierres quarrées & polies , qui Jieut avoir été, ou une habitation de )Pré- tres, ou quelque fépulcre. A droite de ces ruines , en tirant vers le Sud, on trou- ve le Monument, dont les Anciens ont ëifféremment parlé. L'Auteur qui rappor- te ce qu'il a vu de fes propres yeux, dit que les pierres en font blanches, & fort inférieures pour la grandeur à celles de -la première Pyramide; que les cotez n'en ont point de degrez ; que la hîi.uteur n'en ce^e point à la précede-nte ; que le-s co- tez dé la bàîe e"n fo^nt aiUti les .n?ê^es, ■$c" q\fii n^'y a point d'encrée , de fonte ou'ôn " ne peut ri^en fçavoir du<ydedans ; jSiais qu'aux deux càtez Nord 6iJOueft, pette Pyramide eft 6,ornée par deux juor- Ceaux magnifiques , dant il eft furprenant qu-auc-un Ecrivain n'a^ parié. Voici de èiiêî»té ifiaçiière ceM-4Di s'en exr)ri'me. ^^ ^ ^ ' ,, En-
Janvier, Février etMa^s 1742. 257 ,i Environ a trente pieds de profo;;- „ deur , & plus de 1400. de longueur , fo;u ,^ des bàtimens taillez perpendiculaire- f^ ment dans le roc , & qui me paroif- V; f€nt l'avoir ccé par le cife^u, pour fe^- ;> vir d'habitation aux Prêtres. Ces JDâ- ty timens font continuez dans une diilan- fi ce convenable , parallèles aux deu^ » cotez mentionnez , & fe rencontrent 99 dans un angle droit. . . On y entre par a des ouvertures quarrées , coupées dans 99 le roc, & à -peu -près de Lagran.de^^ >9 de celle de la première Pyramide. . . . ^9 L'efpace creux de chaque habitatioa f9 reflemble un peu à une chambre quar- )9 rée, bien proportionnée, & couverte 99 par deflus en arcade par le roc na.:arel. 99 Dans la plupart de ces chambres, aur ,9 tant que je puis m'en fouvenir , il y a un 99 paflage qui conduit à quelque autre a- 99 partement, que les décombres & l-obr- 99 curité m'empcciierent de viûter. Auccf 99 té du N-ord , par le dehors , je i-ejnarqr.gi f9 une ligne d'écriture,, & pas plus d'une ;> feule, qui étoit gravée .dans les caradlè- i9 res facrez des Egyptiens y propres au;^ 99 Prêtres ,.au rapport d'FJeypdoi.e ëc ^e pio- 99 cinre dQ Sicile, 6c qui dirtéroient dçs car }9 raclères co,mm>UGS pour les affaires prg- 9, fanes. Cts caractères ne font pas écpts M du haut en bas , comme ceux des Ckincis , 99 mais en ligne droite , à notre mode , ,9 fi ce n'^il qu'il faut les iir,e 4c h droi- 'R 4"' " " ' " 's9 te
25^ Bibliothèque Britannique,
„ te à la gauche . . . Car Hérodote dit 99 en termes formels , que * îes Grecs 9, écrivent àf comptent de la gauche à la droi- 99 te , ^ que /^/Egyptiens le font de „ la droite à la gauche, CQ qui explique Tex- „ preffion obfcure de Mêla , qui dit; 9, f j^gyptii fuis litteris perverfè utuntur ; 99 c'eft- à-dire que /^jEgypt i Eisisper- 99 vertiffent Pufage des lettres^\
La troifième Pyramide, qui fait le fujet de la ô.Seâion de Mr. Greaves, eft aufli bâtie fur réminence d'un rocher, mais moins grande & moins élevée que les deux pré- cédentes. L'Auteur eut fi peu de tems pour labien examiner, que ce qu'il en dit eft bien plus pour réfuter ce que d'au- tres en ont rapporté , que pour nous en apprendre rien de plus fur. Nous de- vons donc paiTer légèrement là-deffus, de même que fur la 7. Seclion, qui traite des autres Pyramides que l'on trouve ré- pandues par - ci par - là dans le Défert de Lybie ; & que fur la 8., où l'Auteur exa- mine , de quelle manière ces Monumens furent.conftruits : où , n'étant de l'avis ni d^ Hérodote , ni de celui de Diodore de 5/- cile , ni de celui àt Pline, il avance le fien , qui n'eft, après tout, que conjedlure, & nefçauroit être autre chofe.
J'ai déjà remarqué ,que cet Ouvrage
fut
* Hefod. Lib. IL t Lib. I. Cap. p,
Janvier, Février et Mars. 1742. 259 fut attaqué dès fa naiffance par un Sça- vant Anonyme. Mr. Birch ajoute , que de- puis ce tems- là quelques habiles Maché- maticiens y ont trouve des défauts, ou s'en font écartez. Dans unt Dijfertation fur les Tremblemens de Terre , * Mr. Hooke ne fit point difficulté de fe plaindre de l'inexac- titude de Mr. Greaves à obferver la la- titude précife , de même que les faces des quatre cotez, s'érant contenté de par- ler du Nord, du Sud &c, fans les définir en Géomètre. Mr. de Chazelle ne tomba pas dans la même négligence. ,, f II mc- „ fura les Pyramides , eft - il dit dans fan „ Eloge, & trouva que les quatre cotez „ de la plus grande étoient expofez pré- „ cifément aux quatre régions du Monde. „ Orcom.mecetre expolîtionfijufte ,doit, „ iéîon toutes les apparences poflibles , „ avoir été affedée par ceux qui éleve- „ rent cette grande mafle de pierres il „ y a plus de 3000. ans , il s'enfuit que „ pendant un fi long efpace de tems „ rien n'a changé dans le eiel à cet é- „ gard, ou, ce qui revient au même, „ dans les Pôles de la Terre , ni dans les „ Méridiens ". Outre cette inattention, qui ne paroît prefque pas pardonnable à un aufll habile Altronome que i'étoit Mr. Greaves , on a aulTi chicané fs. Dijfertation
fur
*Oeuv. pofthum. p. 315. Ed. de Lond. 170 '. fol.
t Hiit. de TAcad. Année 1710. H 5
/
^CQ PiBLIOTHEQUE BRITANNIQUE,
^ur la hauteur qu'il donne à la première dé ces Pyramides. Sa mefure diifèr.e :de .celle du même Mr. de Chazeîïe , .& de celle de divers autres Voyageurs ; mais ^u jugement de l'Editeur des * Qbjerva- thns mêlées Jur les Auteurs anciens £r" moder- ,nfj, cette ditFérence n'eft venue que de ce .que le Sçavant Anghis fuppofa trop faci- lement/ que les quatre cotez delà bafe étoient parfaitement égaux , ce qu'ijs ue font pas ; 6c qu'il n'en mefura qu'jup, ce «qu'il n'auroit JDas dd faire.
£n 1.647. Mr. Greavts publia un autre Ouvrage , intitulé, Dijjertflticn Jur le Pied (s' fur le Dénier Romain ^ d'' où , comme de deux principes , on pcui Qsduire les Mefures & les Poids qui fur £7U en ufage parmi les Anciens, Cette Pièce , auHl en Anglois , 6c parta- gée en deux Sellions , contient une miàni- ■té de recherches très-cur'ieufes, & très- ^pprofondies. Pour en donner le précjs , je "nefçaurois mieux faire que de tradui- re l'idée générale que l'Auteur lui-même €n a tracée dans Ion EpUre dédie atoire à Tillufcre Sclden,
,, IS''éLoit , dit -il , que le Pied Romain ^ ,y ou de Momioye, comme Hygin l'appel- ^, le , ,exiite encore à Rome , fur les Mo- ,, fiumens de Coffutius 6c de Tit. Stati- ^V/fw^nous pouï-rions entièrement defef-
»î pé-
* C'cll un ï^i.vre Arglois, imprimé à hflfiâiei 1731. in8. '
I
Janvier, F^tvbier iît Majcs. ,1742. 26 fi fy pérer de cannoître les J^/^effy-res des Wr ^i hreux , dx:s Babyloniens , des Pcr/^j , des 9,Egypnsns, des Gr^a, des Romains, 61 5, de tous les autres dont il eâfait men- „ tiondans les Aute.urs Cia-Siques; qui ne „ pouvant tranfmetrre à la pblteriité les „ Mefures indhnduelles , n'ont p.ii nous „ apprendre que les proportions qu'elle^ „ avoient entre elles 11 en cil de mémc „ des Poids , . . . qui ne peuvent erre â „ préfent rétablis , que par ceux qui aiouy „ en relient des Anciens; c'eft-à-dirc ^ 5, ou que par le Déiuer des ^Roniains , ou „ que par la Drachme des Grecs , ou que ,5 par le Congius de Fefpaften , o,u que par „ les Livres 6c les On:e$ de Rame , au qae j, par d'autres qui fe fon.: coni^rvez „ chez les Antiquaires.
„ Voyant doac que it Démcr eft de \^ ,, même impo/rancc pour dcrc.ouvrir ie^ „ Poids, que le Pied RorfiainVQil pourco!.:r ,5 noitre les Mr/urjcs, j'ai pris l'u-n & Viiu^ „ tre pour les principes irréfragables „ d'où l'on peut déduire k nefte quietoi': ,, en ufage parmi les Anciens, tç parce „ que le Qénier ptt\^^ àtre confideré fous ,, deux égards , ou cofinp^e Moimoye, o,u 55 commt Pcids y le preinaeréga^rd fervant ,, à fixer la vale.ur des Monnayes y ^ Tau- ,, tre celle du Poids ; ii m'a paru né- „ cefTaire de con noitre à foad , ^ la pe- -, faateur ,& ia valeur du Dénier. Ppuf ^, ce£ .effiec 5 peijdaiit .que j'éto^s en Italie ,
?^ j'ai
262 Bibliothèque Britannique,
?, j'ai examiné, avec une balance que la ,y ib™e. partie d'un grain pouvoit faire „ pencher, plufieurs beaux Dt7îz>rj , tant „ Confuîaires c^xx' Impériaux , comme auilî „ des Qiiinani , ou Viâoriati d'argent ; 99 plufieurs Aurei des premiers & des der- 99 niers Empereurs ; fans parler du Con- ,y gins que l^efpafien plaça dans le Ccpi- 5, wie pour lervir de régie , & plufieurs ;, Onces & Livres de cuivre. J'en ai ,. conclu quel éroit le Poids du Denier Con- i, fidaire & da Dénier Impérial; c'eft-à- ?5 dire que le premier étoit la feptiè- 5, me partie de VOnce Romaine , ainfi que î- Cclfe, Scribonius Largus & Pline \c difent „ très -bien; & que fautre fut quelque- „ fois la huitième partie, quelquefois la „ feprième , mais le plus Ibuvent dans ,> une proportion m.itoyenne entre huit „ 6c fepr, jufqu'aux tems de Severe & de „ Gordïcn, fov;s lefquels , & fous les Em* „ pereurs fuivans, il revint au poids du 9, Dénier Confulaire , mais perdit beai> „ coup de fa tinelfe par le mélange de „ l'alliage.
,, Pour une plus grande certitude je „ comparai ces D^'merj avec le Monnoyes „ Grecques, & fur-rout avec celles d'Athe- ,, 7ws,que i'avois vues dans les meilleurs „ Cabiners,ouquej'avo:s achctrées; c'eft- „ à-dire avec les StatercscVo" , qui, félon „ Juiius Pollux & Hefycbius. . . . pefoient iy deux Drachmes) avec les Tdradrachnes ,
ii ou
Janvier, Février et Mars. 1742. 263
„ ou Stateres d'argent , qui en pefoient „ quatre ; avec la Drachme , & avec la „ Demi-Drachme.
„ Je découvris par cette comparaifon, ,, que bien que les Romains y comme Pli- „ ne y AuIu-GeUe, Vaïere Maxime 6z Sue- ,, tone , difent que le Dénier efl égal à la „ Drachme , & bien C[at les Grecs , corn- „ me Strabon, Cîeovatre jPhtarq'Ae, Galieriy ,f DioHy & plufieurs autres, difenî: au-Hî „ que la Drachme t il égale au Denier, ils 3, parlèrent félon reftimation populaire, & r, de la valeur courante dans le Commer- „ ce. . . . Car on diicerne aifemenc à „ la balance , que la Drachme à\4thenes pe- ,5 fe plus que le Dénier ; & que par con- 99 fequcnt tous les Anciens qui dlTent j, qu'elle éroit égale^ fe font trompez, s'ils „ ont voulu parier à la rigueur du poids, „ & non de la valeur courante ; & par „ confequent encore, que tous les Moder- „ nés, qui ont fuivi les Auteurs de l'An- „ tiquité dans leurs Dijjertations fur les „ Poids ^ fur les Mcrnnoyes, fe font trompez w après eux.
„ Mais parce qu'il n'efl pas vraifem- „ blable que les Anciens , tant Gr^a que „ Romains y n'ayent pas connu les Mon- „ noyés de leurs ufages & de leurs ,9 tems, cela m'a fait faire attention à ce „ qui fe pratique par les Banquiers é- „ trangers qui le mêlent de change , <fe „ parmi lefquels les mêmes Pièces , en
» paf-
164 Btbi.ioth*eque Britaïtnique^
,y pa'fTant d'un pais à l'autre , changenf /> de valeur ; & j'ai cru pouvoir concilier „ par ce moyea les traditions des Grecs „ 6i des Romains, pour le Poids, &pour ,3 F évalua tien de la Drachme d'Athènes & T, du Dénier , malgré la différence du y, poids intrinféque de l'un & de l'autre,
5, Ceci m'a engagé à inférer dans ma ,, Diflertation , les Régies quHl faut obfer- ,, ver dans la comparai/on que F on fait de la „ valeur des Monnoyes ; Régies qui peuvent s-, fervir à concilier non feulement ce ;-, que diient les Ecrivains Grecs & Ro- ,^ mains , m.ais particulièrement aufïï les /^traditions de Philon ^ de St. Epiphane, ,y de St. Jérôme 6c à'Hefychius , qui font ,v le Sicle hébreu égal à la Tétradrachme ,v é^ Athènes y au lieu que dans la balan- „ ce , qui eft le plus fur arbitre de cet- „ te diipute , je trouve manifeilement „ que ces deux poids font inégaux , lé „ Sicle Hébreu ou Sauiaritam pelant beau- ,5 coup moins que la- Tétradrachme d'A- ii thenes^\
j'ajouterai que iMr. Greaves y ét2int à Ro- me en i6?9, & y ayant divile le Pied An- glois ,' très -exactement mefuré ,en 2oeo,' partfes, il tronva que \q Pied Romain qui eft fur le Monument de Coflutius , 6c qu'il etîima le plus exad , eft à ce pied An- g/ois comme 19^34. à 2COo; bien entendu q^e les ïooo. parties du Pied Anglois , en font Î068. de celui de Paris ,6c 1033. de
cduî
Janvier, Février et Mars. 1742. 16^ celui du Rhinland. Remarquons aufÏÏ que Mr. Greaves a conftammcnt trouvé par le poids, que les Deniers Confuîaires font de 62. grains d^ Angleterre y & que les JDra^JÔ- mes d'Athènes font de éy, puifque les Té^ îradrachmes font de 268. grains Troy , ou' Anglais 'id'o\x il s'enfuit, qu'à prendre ces Monnoyes dans leur valeur intrinféque, & les fuppofant d'une finefle égale , la -Drachme d'Athènes faifoit 8. fols & ^ de l'argent d'Angleterre , & le Dénier Con- fulaire en faifoit 7. fols & |.
Les perfonnes qui font au fait fur ces fortes de choies , conçoivent facilement à combien de ledures & de difculTions t^ut ceci dut engager Mr. Greaves : elles fçavent donc aulTi que tout cela n'eft point fufceptible d'Extrait. Ainfi l'on doit être content de nous , puifque nous venons d'en donner la principale fubftance : & comme ces deux Traitez font les plus confiderables de ceux que notre Sçavant écrivit en Anglais , 6c qui entrent dans ce Recueil , nous allons être fort courts fur le refte,nous bornant à l'indiquer, en re- prenant la Vie de l'Auteur , telle que Mr. Birch nous la donne.
La même année 1647, l'illuftre Aflro- ïiome Anglais publia tn Latin in 12. à Ox- ford, les Canicularia du Dv . Bainbridge ^ auxquelles il ajouta , Demonflratio Ortûs Sirii heliaci pro paralhla inferiaris Mgypti, ^ infigniorum aliquat Sfellartmî kngitudi-
nés- ;^
206 Bibliothèque Britannique,
nés £5* tatnudines ex Aflronomicis Qhferva^ tionibus Ulug Beigi , Tamerlanis magni Nepo- fis. Ces deux Pièces furent écrites à la prière du célèbre Uf^er , Archevêque d'Arniagh.
Au mois d'Oclobre 1648. Mr. Greaves fut expulfé de fa Chaire Aitronomique, & des autres douceurs qu'il avoit à Ox- ford , par les Vifiteurs Parlementaires, qui lui cherchèrent une querelle très-mal fondée. On ufa même de violence ; on rompit fes cofFi'es ; on lui enleva fes Papiers & fes ivlanufcrits. Mais par la puiffante proteftion de fon Ami Selden/il eut le bonheur d'en recouvrer une par- tie ; & Mr. JVard, fon fucceifeur dans la Profeflîon d'Aftronomie, eut la générofi- té de lui faire payer les arrérages qui lui en étoient dûs, (k de lui faire tenir, fous main , tous les ans , une bonne partie de fes gages. Mr. Greaves fe retira donc à Londrc's , où il fe maria, & continua fes travaux littéraires avec plus d'ardeur, & autant de tranquillité que jamais.
En * 1569. il y publia in 4. Elementa Unguœ Perficœ , & joignit à cette Gram- maire Perfane , Anonymus Perfa de Siglis Ara- hum & Perfarum Aflronomicis. En 1650.
il
* Mr. Birch remarque que c'étoit en T648, & que l'autre date vint des Libraires , dont c*efl la coutume d'antidater les Editions qui fe font vers la fin de l'année.
Janvier , Février et Mars. 1742. 267 il y publia aulTi in 4. en Langue Latine , Epocbie celehriorcs , Aflronomis , Hifloricis , Chronolûgicis , Chataiorum , Syro - Gracorum , ArabuuiyPerfanim , Chomfmiorum , ufitatce, ex traditione Ulug Beigi , Indise citra extra- que Gangem Principis. Easprimus publicû' vit y recenfiiit ^ Commentahis illuflravit Jo" hannes Gravius. Il dédia cet Ouvrage à la République de Venife , & y joignit, ChorafmicB & Mawaralnabrce , hoc eft , Re- gionum extra fluvium Oxum Defcriptio , ex TabuHs Ahulfedœ Ifmaelis , Principis Hamab, qu'il dédia à l'Archevêque Ujher, en lui difant, qu'il avoit collationné ces Tables Géographiques d'Abulfeda fur cinq Ma- nufcrits , & y avoit par ce moyen cor- rigé beaucoup de fautes. 11 y difoitaullî, qu Abuifeda avoit fuccedé à fon frère, dans la principauté de Hamab en Syrie , l'an de l'Hégire 743 , & de notre flile 1342. Mrs. * Gognier & f Sale ont fait voir, que Mr Greaves avoit pris pour fon Prin- ce de Hamab, un Roi d^ Egypte de mêmç nom, qui ne commença fon régne que 10. ans après la mort de l'autre.
La même année 1650. notre Sçavant publia in 12. à Londres , dB.ns la langue An- gîoije , une Defcription du Sérail du Grand- Seigneur, par Robert Withers , ne fça- chant pas apparamment que cette Pièce
avoit
* Préf. fur la Vie de Mahomet par Ahulfeda, t Diftion. Hill. & Crit. Anglois. Ed. 1734. Tome XVIIL Part, IL S
268 Bibliothèque Britannique,
avoit déjà paru dans la 2. Partie des Pé- hrinages de Purchas , imprimez à Londres en 1625. in fol. Il eil vrai que cette der- nière, donnée par Mr. Greaves, etoit plus correde , plus ample & plus complette que l'autre. Cette Relation du Sérail eft fort curieufe , fur- tout pour ce qui regarde l'intérieur du Palais , où l'on fçait combien il eil difficile à des Etrangers de pénétrer. Mr. Birch l'a placée ici à la fia du 2. Volume , quoiqu'elle n'apartien- ne à l'Auteur que par l'Epître dédica- toire qu'il y a mife.
Il donna au Public en 1632. k Londres, in 4. en Lai in , Aflrononiica qucedam, ex tra- ditione Shah Cholgii , Perfœ : iinà cum hy- foîhefibus Planetarum : fludio ^ opéra Johan- nisGravii 7mnc primiimpubliçata; dédié à * ISit.JcanMarfbam, qui , à fa foUicitation , avoit publié en 1649. fa Diatribe Chronoh^ gica , dédiée à Mr. Greaves. A cet Extrait des principes Aftronomiques du Shah Cho/gt y ce dernier joignit deux Tables Géographiques; l'une d'un Perfan nommé Ne:[l1r Eddin, & l'autre du Tartare , Ulug Beigh.
Mr. Greaves ne furvé^ut pas loq^-tems à ce dernier Ouvrage. Il mourut à Loyi- drcs le 8. d'Oâobre 1652, âgé de 50. ans. Après fa mort, en divers tems , on donna plufieurs Ouvrages de fa façon : voici les
Latins.
* Il ne fuc fai: Chevalier que dans la fuice.
JANVIER , Février et Mars. 1742. 26^ Latins. I. Lemmata ArChimepis , apud GrcFcos &' Latinos jampridem defiderata y è ve- tuflo codice MS, Arabico à Johanne Gravio traduâa , Ûf nunc primùm cum Arahum fcho- îiis pubîicata. Revifa & pluribus mendis rg- purgata à SamueleFoflero.LoîîJ. 1659./0A U.Defcriptio Peyiinfuke Arabicce y ^xAbulfe- da , Avabicè &' Latine : publiée par Mr. Gagnier y dans le 3. Volume des plus- petits Ecrivains Grecs de r ancienne Géographie re- cueiilisparf/wJ/on ; & c'eft de cette Pièce que Mr. la Roque a tiré ce qu'il dit de meilleur dans fa Defcription de V Arabie, ajoutée au Voyage de Mr. d'Arvieux dans- la Palejline,
Quant aux Pièces Angloifes qui ont paru depuis fa mort , & que Mr. Birch a faic entrer dans ce Recueil, marquons -les aulTi dans l'ordre où l'Editeur les a pla- cées. I. ,f La mar?ière dont on fait é- ,, clore les Poulets au Grand Caire ; '* tiré des Tranfaâions Phihfophiques , Février 167^. II. „ La Latitude de Confiant inople<Sc, „ de Rhodes , " tiré des mêmes Tranfaclions Philo fophiques , Dec. 1685. I^ï- »» Reflé- „ xions fur le Rapport des Commiflaires f, nommez par la Reine Elifabeth pour ,9 examiner un Plan de Des au fujet d& ,, la Reformation du Calendrier," tiré des mêmes Tranfaâions, Odob. 1699. "^* „ Penfées fur l'Art de la Navigation, ten- „ dant à la perfectionner , " tiré du MS. original qui fe trouve dans la Bibliothèque S- 2 à€
270 Bibliothèque Britannique ,
de Savilt à Oxford. V. „ Lertre au Mé- „ decin Scarborough , fur la hauteur attri- „ buée à la I. Pyramide , dans la pre- „ mière Edition de la Pyramidographie : '* L'Editeur ne nous dit point d'où il l'a ti- rée. VI. ,, Lettres écrites par Mr. Gréa- ),ves,è. lui," dont la plupart paroilTent ici pour la première fois. Elles font au nombre de 14. VJI. „ Fragment d'un „ Traité , concernant les Montagnes de la „ Terre félon les Arabes''. VIII. „ Ob- „ fervations faites pendant fes Voya- 99 gesi " tirée? de fes MSS. dans la Biblio- thèque de SdvilL La plupart ne font que des Mémorandum de diverfes natures. En voici une qui .fait partie de l'Article de Florence. „ Selon la Liile qui en fut „ portée au Grand-Duc en 1Ô30, lenom- ,f bre des Ames qu'il y a dans fes Etats, „ monte à Î100S56. Il peut lever 46. 5, mille Soldats d'lnf;interie , 6c 1000. de ,) Cavalerie. Mais s'il venoit à perdre „ une bataille, il ne lui feroit pas facile „ de compléter ce nombre". L'Article le plus long, (k où il y a le plus de cu- rieux , ell celui de ^0772^. On voit dans celui du Grand Caire , que Mr. Greaves" étoit un peu crédule fur les contes des Sorciers & ries Sortilèges
Après ces Piéres Angloifes , viennent quelques petits morceaux de Poëfie, foit Lettres , Fpigramnes ou Epitapkcs. A tout cela Mr. Bircb a trouvé à propos, par la
feule
Janvier, Février et Mars. 1742. 271 feule railbnde bicnféance, d'ajouter deux Pièces Angloifes^ dont Tune contient les Réflexions publiées par V Anonyme Air la Pyramidograpbie y & l'autre efl une Differ- tation traduite du Latin du Chevalier Nevjtony & qui paroît ici pour la premiè- re fois, fur la Couaée facrée des juif s ^ & fur celle du autres Nations , où Von déscrmine Pancienne Coudée de Memphis ,fur les dimen- fions de la plus grande des Pyramides , tc/lcs qu'' elles furent prifes par Mr. Greaves.
Cet illuflre Altronome eut trois Frères, Nicolas & Thomas , qui furent gens d'Egli- fe, & Edouard, qui fut Médecin, tous très-fçavans & d'une grande réputation : Mr. Btrch ne marque point qu'aucun des quatre Frères ait laiiTé des En fans.
' ARTICLE III.
^ Treatife on antknt Painting-^ conîaitiwg Obfervation on the Rife , Progrefs , and Décline of that Art amongfî the Grecks and îhe Romans ; the high Opinion whicb^the great Men of Antiquity had of it ; its connexion mth Poetry ami ' Philofophy , and the ufe thaï may he made of it in Education : To whicb are added fome Remarcks on the peculiar genius , cara^ere and talents ofR^ph^cl , Michad-Angelo, Nicolas Pouffin, and S 3 otbers
2^72 Bibliothèque Britannique , oîhers cekbrated modem Majlers ; and the commendahle ufe they made cf ihç exquijite Remains of Jntiquiîy in Pain- ting as wel as Sculpture. The rsohote illujîrated and adorned with fifty Pièces of antient Painting, difcovercd ,at dif- férent limes , in the ruins ff eld Rome , accurately engraved from dramngs of Camillo Paderni , a Roman , lateîy from the Originals , 'uoiîh great exaànejs and élégance. j5}' George Turnbull, LL. D. London. Prmîed for the Au- îhor, and fold hy A. Miilar aï Bu- chanan's head , over againft St. Clement's Church , in the Strand, 174^.
Cefl-à-dirc:
'Traité de l'ancienne Peinture, où Ton fait des Obfervations fur la NaifTan- ce.le Progrès & le De'clin de cet Arc parmi les Grecs &: les Romains \ fur la grande eftirae qu'on en fit autrefois ; fur l'affinité' qui sV trouve avec la Poëfie & la Philofophie , & fur l'ufage qu'on peut en faire dans l'Education. A quoi l'on ajoute des Remarques fur k génie particulier, le caractère &
les
Janvier, Février et Mars. 1742.273 les talens de Raphaël, de Michel- Jn- ge , de PouJJln & d'autres illuflres Maîtres modernes; avec 50. Pie'ces d'ancienne Peinture, de'couvertes en divers tems dans les ruines de l'an- cienne Rome , & copie'es par Camillo Paderni , Peintre Romain. Par Geor- ge TuRNBuLL, Doéleur es Loix. Londres 1740. grand folio, pa^es 40. pour le Titre, VEpître Dédicatoire , la Préface & le Sommaire abrégé des Matières; i(S3. pour le corps de rOuvrage, & 50. & quelques deini feuilles, ou feuilles entières ,pour les Copies d'autant de divers Morceaux d'ancienne Prinrure , qui ont ère' ti- rc'es fur les Originaux par un Defll- nateur très -habile.
ï ^EpUreDéâicatoire de cet Ouvrage, ad- -^-^ dreflee à Myîord Lonsdcîc , ell: une efpece de Diffcrtation PréUminaire y pour fervir d'introcludion à !a Préface. Cet- te Préface roule fur l'Education des jeu- nes gens de qualité . fur les Voyages & furies beaux Arts, & fe termine à faire voir le rang que la Peinture tient parmi ces derniers, & de quelle utilité par confequent il feroit de s'y former le goût de bonne -heure. C'efl: à cet obict S 4 gc-
274 Bibliothèque Britannique,
général que Mr. TurnbuU fe propofe de préparer les voyes dans fon Epître, Ecou- tons-le parler lui-même.
,, En montrant, dit-ily en quoi confifte 99 l'excellence réelle de la Peinture , & „ l'heureux ufage qui s'en eftfait, ou qui ty s'en peut faire pour former la Jeunefle „ à la vertu, &i au bon goût de tous les 99 Arts, je me vois naturellement conduit 9, à rélever diverfes fautes que l'on com- ,> met dans l'Education, 6c à montrer, 99 combien il feroit nécelîaire d'y faire „ entrer à la fois tous les Arts libéraux, ,, & toutes les Sciences , afm de par- X) venir avec plus de fuccès, à ce que „ l'on reconnoit en être la fin, qui eft „ d'infpirer de bonne -heure à de jeu- ,9 nés Efprits l'amour du vrai Sçavoir, & ,, celui de la Société, du Genre humain i, & de la Vertu ; & de leur donner en „ même tems de jufles idées des meil- ,, leurs moyens d'expliquer, de rendre M aimable, d'embellir, & d'imprimer for- ,, tement en enx toutes les véritez , ou 99 toutes les vertus; ce qui doit àtvQ le ,9 but de tout Langage , c'eft-à-dire de „ tous les Arts qui fe propofent de nous „ inftruire ou de nous toucher ".
L'Auteur pofe donc d'abord pour prin- cipe, que l'Education bonne ou mauvai- fe décide de tout, & que, comme les inf- trudions viennent ordinairement trop tard , lorfqu'on ne les donne qu'après que
les
Janvier, Février et Mars. 1742. 275 les plis font pris, & que les habitudes font formées , il feroit de la dernière im- portance d'accoutumer les hommes, dès leur première jeunefTe, à faire ufage de leur raifon fur toutes chofes, & princi- palement fur celles qui ont la relaicn la plus intim.e avec le droit ufage 6c le vrai bonheur de la vie. Ceci renfer- me deux chofes qui font effentielles à la bonne Education ^ l'une efl, de ne don- ner aux jeunes gens que de juftes & faines idées de ce qu'ils doivent fçavoir, en évitant avec foin toutes celles qui font vagues, fauffes, incertaines, ôr. fur- tout celles qui ne font qu'hyperbole 6z que déclamation, auxquelles l'i^ucear ne manque pas de rapporter ce que l'on dit quelquefois contre le luxe , contre tous les plaifirs de l'imagination, 6c contre les Arts qui fervent à l'ornement, tels que la Peinture & la Sculpture; l'autre eft , qu'en inilruifant la [euneile à con- noître le vrai des chofes, ôz à penfer jufte, on la forme auffi à bien dire ce qu'elle fçait, & à exprimer vivement fes penfées ; „ d'où il s'en fuit , ajouîc - 1 - il , „ que le Style dida<flique, la Rhérori- „ que, la Poe île, & de même anill tous „ les Arts da DeiTein , de la Peinture, „ de l'Imagerie & de la Sculpture, de- ,) viennent proprement des Langages. . . ,i A confiderer donc fous ce point de „ vûë tous les Ar:$ qui inftruifent ou
S 5 f) qui
^yô Bibliothèque Britannique,
„ qui touchent, c'efl-à-dire à les re- „ garder comme autant de moyens d'im- „ primer agréablement & fortement les ,, véritez dans l'eiprit, ou d'exciter nos 3, atFedions par des idées qui foient „ propres à opérer cet effet, ils apar- „ tiennent tous à l'Education, & doivent ,5 être employez par la Philofophie dans i, tous les pas qu'elle fait ".
De-là Mr. Turnbiill conclut , que dans l'Education des jeunes gens on commet quelques fautes qui ne font pas moins conOderables qu'elles font ordinaires. La première eil ,de penfer que l'on doit en- îcigner féparément la Philofophie , la Rhétorique, la Poèfie & les autres Arts; au lieu que, comme c'eft proprement la Philofophie ou la ccnnoiffance de la Na- ture que l'on doit avoir pour objet prin- cipal , c'cft auiTi par la Rhétorique , par la Poëlie, ^^c par les Arts qui embellifîent les véritez Philofophiques , & qui en rendent les imprcffions plus vives & plus fortes, que Ton peut venir à bout de les graver dans relpric, & d'en donner de j ailes comme de riantes idées. „ Les ,5 feparer, dit-il y c'eft feparer le Langa- ,, ge des choies "; <Sc la faute devient encore plus grande d: plus pernicieufe , ioriqu'à la connciiTance que l'on donne de la Nature , on ne joint pas celle de l'application qu'il en faut faire dans l'u- fage 6c dans ia pratique. Quelles ne
doi-
Janvier, Février et Mars. 1742. 277 doivent point être les fuites fâclienfes d'u- ne Education, dans laquelle on néglige de réunir des moyens d'inftrudion qui doivent toujours aller enfemble? Ne fon- geant à Sparte qu'à rendre les hommes courageux & zelez pour la patrie, on ïes rendit impolis 6c féroces. Dans A- thènes, où l'on ne fe piquoit que de dé- licateffe dans le difcours & dans le corn- merce , on necultivoitque l'Art de bien dire, & que ceux qui plaifent aux yeux ou à l'imagination. l'Auteur trouve un défaut fort approchant à celui - là dans la manière dont Grotius , PirjendGrf, <jf pîufieurs autres iliuilres Modernes ont traité des Devoirs de l'Komme. îl lui pa- roît, d'un côté, qu'ils n'ont pas alfez ti- ré de la nature même des choies, les conclufions qu'ils donnent pour princi- pes; & de l'autre ; qu'en prodiguant les citations, ils y ont trop évité les agré- mens de Texpreflion , & les embeUiffe- mens du langage.
Une autre faute que l'on commet dans l'Education des jeunes gens , ell celle d'y fuivre une méthode qui ell trop la même, ëc trop uniforme, malgré la di- verfité prefqa'mfinie des Génies , des Tempéramens & des Inclinations. On en agit à cet égard, comme feroit un Jar- dinier mal -habile, qui cultive tous les Végétaux d'une feule &: même manière. C'eft à quoi , de mêm^e que fur l'article
pré'
27^ Bibliothèque Britannique,
précèdent, que Mr. TurnbuH fouhaiteroit de pouvoir mettre ordre, & pour y con- tribuer de fa part quelque chofe, en attendant qu'un autre entreprenne l'ou- vrage, il fe contente ici d'indiquer les fondemens fur lefquels on doit ériger ce grand édifice, & c'efc ce qu'il commen- ce d'exécuter dans fa Préface^
11 confelfe d'abord, que la fin princi- pale qu'il s'eil propofée dans ce Livre, a été de rendre les Voyages d'outre Mer véritablement utiles aux jeunes An- gîois qu'on y envoyé, en leur apprenant à fe connoitre d'avance en ce qui fait le pnx des Statues, des Peintures & des Sculptures, qui doivent y attirer leurs, regards. Quelques idées que l'on fe faf- fe de ces objets, il y en a, dit- il, d'u- ne nature bien plus importante , qui doi- vent occuper un V^oyageur, loriqu'en vi- fitant les Nations étrangères, il a en vue de s'y rendre plus propre à fervir fa pa*-rie. Il doit voyager en Philofophe, pour fe former à ia ccnnoiHance des hom- mes & des chofes humaines: autrement les beaux Arts eux-mêmes ne font que des ornemiCns à pure perte 3 & c'efl un mérite bien mince, & bien inutile à fon pais, que celui de pouvoir diltinguer u- Be Statue Grecque ou Romaine, & la main de Raphaël de celle de Michel- Ange. 11 feroit donc eflenti'el d'avoir acquis ce dif- cernemcnt en Aîigktare, aSn ne n'y per- dre
Janvier , Février et Mars. 1742. 279 dre pas en France & en Italie un tems qui pourroit être mieux employé.
A cette cccafion Mr. Turnbuîl fait voir le ridicule des deux grandes raifons que donne ordinairement'la Noblelfe Angloi' je pour faire voyager leurs Enfans. L'u- ne eft, de viiitec ce qui relie des anciens Maîtres, ou ce que Ton a de plus habiles Modernes ; & l'autre eil, de voir le Mon- de & d'écudier les Kommes. La première eil certainement incomprehenfible. Car quel goût, quel plaifir-mème peuvent prendre, à voir ces beaux Ouvrages de l'Art, de jeunes gens qui n'en ont pas encore la première teinture ? Suffira- t-il , pour s'y entendre & pour en ju- ger, de refpirer l'air de Florence, ou de fe faire traîner dans les voitures de Ro- me? Manque -t- on pour cela de moyens & d'occafions ç:v\ Angleterre'^ Et ne vau- droit-il pas mieux aifocier cette étude à celles que l'on fait ordinairement au Collège , quand ce ne feroit que pour faire mieux com.prendre aux jeunes gens les Auteurs ClafTiques de l'Antiquité GreC" que & Romaine'^
La féconde raifon pour laquelle la No- bleiTe de la Grande-Bretagne fait voyager les Enfans, parok encore plus mal en- tendue à l'Auteur. C'eil, dit- on, pour voir le Monde , & pour y étudier les Hommes. La lin cft excellente, mais l'â- ge n'y convient en aucune manière. Si
les
28o Bibliothèque Britannique ;.
les Anciens voyagèrent, comme ce fut toujours dans cette vue, ils ne s'y enga- gèrent que dans la maturité, que dans un tems où , à l'aide d'une raifon déjà éclai- rée & formée , ils purent mettre à pro- fit ce qu'ils voyoient au dehors; & peut- on dire la même chofe d'une Jeuneiïe encore fans expérience, qui ne connoit pas fa propre patrie, & qui eft comme étrangère dans les lieux de fa naiffance? i9 A prétendre même, ajoute P Auteur , que „ c'eft uniquement pour leur apprendre „ les bonnes manières, & pour leur don- ,, ner le bel air, que l'on envoyé nos ,, jeunes Gentilshommes en France, c'eft „ ce que l'on ne fçauroit dire fans faire „ injuftice à nos Dames Angloifes , donc „ le commerce auroit bientôt donné à „ ces jeunes gens un air & des ma- „ nières préférables à tout ce qu'ils en ,, peuvent prendre dans les pais étran- „ gers. C'eft fans doute à notre coûtu- f, me de les envoyer en France, pour „ s'y faire & pour s'y polir, comme on o dit , hommage que la Nation Britanni- „ que a rendu trop long -tems, oui trop „ long -tems, à la Françoifc; c'eft, dis- „je, à cela que l'on doit attribuer l'ex- „ trême politeife qu'a cette dernière, de ,, dire à tous les Etrangers, qu'elle eft la „ feule où l'on fçache vivre y & où l'on „ s'entende au Commerce de la Vie. AiTu- „ rément ce ne peut être la raifon pour'
Janvier, Février et Mars, 1742. 281 „ laquelle on envoyé notre jeune No- „ blefîe dans les Villes de Province en ,3 France-, car on fçait combien les per- „ fonnes les mieux élevées de Cam^ iyà^ Angers 6c de Befançon, par exemple, 9y paroiflent entreprifes quand on lescom- 9i pare avec les gens de la Cour, le cen- „ tre de la PoliteJJe Françoife. Dans rou^ „ les pais du monde, c'eft le beau Sexe fi qui civilife les hommes, & qui leur „ donne les belles manières. Sans avoir 99 voyagé , nos Dames fçavent , mieux ,, qu'on ne penfe, former le galant hom- 93 me. Grâces à leurs foins, nos jeunes „ Voyageurs , qui reviennent de France if évaporez petits - Maîtres , s'ils veu- y, lent être bien venus auprès d'elles , „ perdent bientôt leur papillonage , l'im- 99 pertinence & l'indifcrétion des airs „ François, pour reprendre le férieux & „ la fimplicité qui conviennent naturel- 9f lement à la Grande-Bretagne, & dont 9f il ne peut jamais arriver qu'elle fe faf- „ fe, en général, une honte, jufqu'à ce ,y que tout ce qu'il y a de grave & de „ grand parmi nous, & que ce qui nous 99 élevé au delTus de tous les païs efcla- » ves, ne foit au bord du précipice où 99 nous devons périr ".
Mr, Turnbull fait enfuite diverfes au-- très Réflexions très - judicieufes , pour démontrer, que quelque fin que l'on fe propofe dans les Voyages , il n'y en ?^
poinc
282 Bibliothèque Britannique, '
point qui puiiïe être d'une utilité folide Si réelle, à moins qu'avant que de fortir de la patrie, on ne fçache déjà tout ce qui a pu s'y apprendre, il déclare que c'ell dans cette vue qu'il a compofé cet E [[ai fur la Naijfance y le Progrès, & h Déclin de la Peinture des Anciens ^ afin qu'en mettant dans leur vrai jour les beautez du DeiTein, il puiiïe faire fentir en par- cuiier, l'excellent ufage que l'on en peut faire dans l'Education. Tout le monde en peur aifément juger fur le précis qu'il donne lui-même de fon Ouvrage. Son Extrait eft fi jufte & il rempli, que def- efpérant d'en pouvoir faire un qui le vaille, nous nous contenterons de le tra- duire. Peut-être l'aurions-nous fait plus court fur certains endroits, & plus long fur d'autres ; mais en demeurant fim- pies Copiftes, l'Auteur n'aura pas fujet de fe plaindre de nous , & le Lefteur n'auroit pas raifon d'en exiger davan- tage. Voici donc l'idée que Mr. TurU' bull nous donne de fon travail 6c de fes vues.
„ Dans le /. Chapitre, dit- il, on obfer- „ ve que les Arts du Defiem font d'une 5, très- grande antiquité, & plus anciens „ que les Fables qui regardent Apollon, 9, Minerve , Vukc.ïn, les Mufes, les Grâces , „ & par confequent que l'Hifrcire de Dé- „ dale. Mais quoi qu'il en piiiiTe être de »4 cette Antiquité dans la pratique, il eft
jj cer-
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Janvier, Février et Mars. 1742. 2^^ „ certain qn^Homere en eut des notions ■„ très - parfaites, dans toutes leurs di- „ verfes qualitez , & différentes parties, 99 & qu'il en connut très -bien le pou- „ voir, rétendue & Futilité, non feule- „ ment pour charmer & pour plaire , ,, mais aulfi pour inllruire dans les oh- „ jets les plus importans de nos connoif- ,, fanées. Virgile n'a pas fait fcrupule non „ plus de fuppofer , que la Sculpture, & „ que la Peinture même , étoient en ufa- „ ge dans des tems aulîi reculez que le „ fut celui du Siège de Troye, & conçut „ la même opinion de leur dignité, de „ leur utilité & de leur excellence. Les 5, plus habiles Philofophes de l'Antiquité „ penferent de même fur le fujet de ces „ Arts, & les jugèrent très-propres à in- „ flruire les hommes , à faire fendr la „ beauté de la vertu & la turpitude du „ vice, & à éclairer l'efprit de la maniè- ,y re la plus utile & la plus agréable. Aulïï „ les employèrent -ils à ce noble ufage, „ & tirerent-ils fouvent les fujets de „ leurs leçons morales des Peintures & „ des Sculptures dont écoient ornez les ,, Portiques publics d'Athènes où ils enfei- „ gnoient leurs difciples. Quelques Mo- 99 dernes de notre Nation, qui, de l'a- ,, veu général, ont le plus approché de ,, ces illuftres Anciens, tant par l'utili- „ té que par l'agrément de leurs Ecrits, ,, ont aufïï donné très - fortement la mê-
Tom. XVIIL Part, IL T ,, me
284 Bibliothèque Britannique,
99 me idée des beaux Arts , dont ils ont ,> recommandé la réunion avec les autres 5, Etudes qui conviennent aux hommes, ,f comme néceflaire pour en compléter la j5 belle Education. De cette manière, }9 la conclufion qui fert de but princi- M pal à cet EJJai , commence dès ce pre- y> mier Chapitre à parokre déjà dans un ,, grand degré d'évidence.
„ Pour mettre dans leur vrai jour l'ex- 99 cellence & l'utilité des beaux Arts, il 9i eft néceiïaire de repréfenter fidèlement 9i la perfedlion à laquelle ils ont été por- 99 tez , en quelque tems que ce foit. Quel- 99 ques gens pourroient s'imaginer, que „ des Perfonnes , dont l'imagination em- „ bellit tout, ont, dans la théorie, mis 99 ces Arcs au - delà de l'état où ils fu- ,9 rent jamais aduellement , ou de ce „ qu'ils purent jamais être. D'autres auf- 9, il qui, fur les Defcriptions des Poètes, „ ou fur quelques bons Tableaux qu'ils 5, ont vus, fe font fait quelque idée de „ ce que ces Arts bien cultivez & per- ,9 fedlionnez peuvent réellement pro- „ duire, doivent naturellement défirer „ de fçavoir les progrès qu'ils firent dans 99 les tems anciens , & quels en furent „ principalement les moyens & les eau- 99 fes. Et à dire le vrai, il efl à peine „ poffble d'en faire mieux connoître le 79 pouvoir, rétendue & le mérite, qu'en 99 montrant les produélions qui en font
,, for-
Janvier , Février et Mars. 1742. 28s „ fardes; & c'eft ce que Ton tâche de „ faire dans le fécond Chapitre,
„ Mais avant que d'entrer dans THif- „ toire de l'Art, il a fallu que dans uil „ EJfai, dont la tin principale cft de fai- „ re voir l'utilité de la Peinture & de „ fes Sœurs pour l'Education, l'on corn- „ mençât par obferver, que bien que nous „ ayons perdu les plus anciens Ouvrages >y qui en parlèrent, & qu'il ne nous ref- „ te rien d'écrit ex profeffo fur ce fujet, „ que ce qui s'en trouve dans Pline le „ Naîiiralifle y & dans les deux Philoflra" „ tes y telle fut néanmoins l'ancienne ma- „ nière d'élever les jeunes gens , & dé ,, leur expliquer quelque Art ou quelque „ Science en particulier que ce fût, que „ dans les Livres où les Anciens traite- „ rent de la Poëfie, de l'Eloquence, de ,y la Morale & d'autres fujets, ils firent, jy pour éclaircir ces matières, diverfes 5, excellentes Remarques fur les divers 5, talens , & fur les meilleurs ouvrages ,, des anciens Peintres; furies qualitez „ eflentielies de la bonne Peinture ; fur V la naiflance , le progrès & le déclin „ de cet Art; Remarques qui, rafTem- ,j, blées & mifes en ordre, ne nous ea „ fourniiTent pas feulement une Hifloi- ,i re complète;, mais nous donnent en- „ core une jufte idée , de quelle utilité il 5^ doit être dans l'Education , tant pour ?> conduire le cœur, que pour régler l'i- T 2 Si ma-
iSô Bibliothèque Britannique , „ magination «& le jugement. Cette Ob- „ fervation , par laquelle le I. Chapitre „ finit , eft munie de bonnes preuves , qui „ font tirées de l'autorité & des faits.
„ Dans le II. Chapitre on fait un Paral- „ lèle fuivi entre Jpelle & Raphaël, pour „ définir les principaux talens , & les prin- 5, cipales qualitez des plus grands Pein- „ très dans les deux Ages les plus beaux „ de la Peinture. On y fait voir , par „ quelle rencontre de moyens & de cau- ,9 fes femblables , l'Art fut porté au mê- „ me degré de perfedion dans les deux „ Périodes. Le rapport qui s'y trouve ,, à plufieurs égards, eflen effet une cho- j, fe bien furprenante ; cependant c'eit ,, une chofe bien prouvée, & qui n'étant ^, point une affaire de pure imagination , „ forme par elle-même, & mettant à „ part toute autre confideration , un phé- s, nomène qui mérite bien l'attention ,y d'un Philofopîie & d'un Politique. On if s'eft fervi de la voye du Parallèle pour „ donner cette Hitloire,d'un côté, parce „ que l'on a cru que l'on verroit avec plai- „ fir ces deux Ages de la Peinture raf- „ femblcz comme dans un point de vue, ,> & de l'autre principalement , parce „ qu'il eft très - difficile de caradérifer yy au jufte les talens des Peintres par la „ feule parole ; les Perfonnes même qui ,9 entendent le moins ce qu'on leur diroit fi de la capacité d'un ancien Maître, pou-
„ vanr
Janvier, Février et Mars. 1742.287 „ vant ^ifement le comprendre par la com- ,5 paraifon de fes Ouvrages avec ceux d'un ,i Moderne qui lui a reiTemblé. Dans 5, cette double Hiftoire il fe préfente de ,j fréquentes occafions de mettre fous les 99 yeux la connexité des beaux Arts avec „ la véritable Philofophie , & de quel ufa- „ ge ils peuvent être pour définir le beau 99 à: le laid dans la vie & dans les mœurs, )> de même que pour conduire aux juftes ,j notions que Ton doit fe faire de la Na- 99 ture , de tous les Arts , & de tous les „ Devoirs : C'eft ce qui refulte particu- 99 lierement des caradères que Ton a eu ,, foin de tracer à'Apelle , de Paraphilé'^^ „ d'Euphranor, de Nicias & de Metrodore^ 99 & des réflexions que Ton a faites fur „ quelques endroits de Ciceron & de Quin'- ff tilien , qui nous repréfentent la Pein- „ ture & l'Eloquence ;, comme deux Arts „ qui firent enfemble les mêmes progrès „ parmi les Grecs y & qui nous en indi- „ quent les moyens & les caufes.
„ Le même fujet revient dans le IIÎ. 9f Chapitre , mais d'une autre maniè- „ re. Il s'y agit encore des progrès „ que la Peinture fit dans la Grèce, On „ y examine les Ouvrages les plus ache- „ vez des plus grands Maîtres , & fur-tout „ ceux où l'Art parut être porté à fa „ plus grande perfeftion dans ce païs
là. Cela fert à démontrer l'exccl- T 3 f, lencc
fS
288 Bibliothèque Britannique, 5, lence des beaux Arts , & la conne- 5, xité qui fe trouve entre la Peinture „ & la Poëfie , & celle qui fe trou- ,, ve entre ces deux 6c la Philofophie. „ A la fin du Chapitre la même chofé ,, eft encore juftiiiée par une Paraphra- „ fe de ce que les deux Phihjlratcs ont ,, dit fur ce fujet dans leurs Livres de „ la Peinture. A ces Réflexions on en a- }) joute quelques autres fur Tégalité de la ,> Peinture & de la Poëfie dans leur é- ,3 tendue , fur la diverfité dont elles font ,y également fufcepribles,& furlesexem- ,3 pies de l'Antiquité qui le prouvent.
„ Après avoir fait dans le IV. quel- ,, ques Obfervations fur le Coloris , fur „ le Deflein des Anciens , de même que ,, fur la connoiiïance qu'ils eurent de 9> la Perfpeclive, on examine en détail „ les qualitez eflentiellesde la bonne ma- „ nière de peindre, telles que le Vrai, „ le Beau, le Grand , l'Aifé & le Gra- ,, cieux. Pour cet effet on fuit & l'on „ commente , d'Un bout à l'autre , deux „ Dialogues de ^ocrate , le premier avec „ un Pemtre , & le dernier avec un Sta- s, tuaire. On explique enfuite divers paf- 9) fages d^Ariflote , de Ciceroyi, de Qiiinîi- 9) tien, & d'autres Auteurs, qui regardent i, les qualitez d'une bonne Peinture. Dans s, tout cela je ne perds point de vue le rap- ^3 port qui fe trouve entre cette dernie- '■ ■' ■ „ re
Janvier, Février et Mars. 1742. 22(^ 99 re & la Poëfie. Pour donner une jufle „ idée de l'une & de l'autre , &pour finir 99 le Chapitre , je donne un court Expofé „ des principales queftions, par leiquel- 99 les les anciens Critiques jugèrent que 99 Ton doit prononcer iur le mérite des 99 Tableaux & des Poèmes.
,9 Je palTe dans le V. Chapitre, au pro- „ grés que la Peinture fit parmi les Ro- 99 mains. On s'apperçoit aifement qu'elle „ n'y parvint jamais à la même perfec- „ tion que dans la Grèce. On fait donc ,, quelques réflexions fur les caufes mo- „ raies que les Anciens attribuent, tant „ au progrès qu'au déclin des beaux Arts ,9 en général, ôc de la Pemture en par- 1; ticulier. Outre celles dont il avoii été 99 déjà fait mention dans le Chapitre pré- 99 cèdent , & qui fe tirent des talens & » des caradères des Pemtres, de même ,9 que des encouragemens qu'ils rencon- „ crûrent, on en indique ici plufieurs au- „ très qui (ont d'un inrérêt plus univer- „ fel ; telles que peuvent être l'union & „ la dépendance où les beaux Arts fonc „ entre eux , & leur connexité avec la „ Liberté , la Vertu, l'Efprit public, 6c ,9 la vraye Philofophie,
,, Le VL Chapitre déployé l'excellent
„ ufage auquel les Grecs employèrent
,, principalement les Arts du DeiTein, &
î5 la haute opinion que quelques-uns
T 4 ,, de.^
gpo Bibliothèque Britannique, 9, des plus grands perfonnages de l'An- j> tiquité conçurent de leur dignité & 9y de leur excellence réelle ^ en les confi- ii derant comme des moyens qui tendent « à mfpirer & à animer la Vertu , & à 99 donner du lullrê , de la beauté, &du 99 goût à la vie humaine. Ceci conduit 99 à des raifonnemens qui m-ontrent com- %9 bien les beaux Arts font néceffaires , 99 tant pour le vrai bonheur de FHom- 99 me, que pour la grandeur réelle de la 99 Société. On répond entin à toutes les 9i Objections que l'on fait là-defTus; à ce 9y que Platon banit les beaux Arts de fa 5> République ; à ce que d'autres difent.^ 99 qu'ils contribuent à amollir & à effé- 99 miner les hommes; à ce que l'on pre- 9» tend enfin , qu'ils furent la caufe prin- 99 cipale de la ruine de la République Ro- 99 maine.
„ Mais comme toutes cesdifcuflions ont 99 pour but général , de préparer les voyes 99 à la considération Philofophique des 9, beaux Arts, on fait voir dans le VII. ,, Chapitre, que le goût de la Nature , ce- „ fui de l'Art , & celui de la Vie, font le „ même ; qu'il tire fa naifTance des mê- ,9 mes difpofitions , & des mêmes prin- „ cipes dans notre conftitution Morale; „ & que par confequent le moyen le „ plus efficace pour former & pour j, perfedionner le bon goût doit être , de
99 faire
Janvier , Février et Mars. 1742. 291 S9 faire concourir tous les Arts à l'Educa- „ tion de la Jeunefle, en ayant égard à „ leur union , ôi à leur connexité natu- 9, relie. Pour rendre ceci plus fenlible , 99 on doit obferver que l'Homme eft natu- ,9 Tellement Imitateur &: Copifte; que ce .» penchant tire fon origine de Tamour na- ,9 turel du Vrai, du Beau 6c du Grand; & ;., que par confequent il importe que dans »9 TEducation cette inclination foit cuiti- 99 vée. Cela fuppofé , l'on cherche quel- 99 le fera la méthode la plus fure pour ,, enfeigner la Rhétorique, la Poëfie, la „ Logique , & la Philofophie , tant phyfi- 9) que que m^orale, & l'on prouve que la 99 Peinture efl la plus agréable , ccnime ,y la plus utile. A confiderer l'Education 9, par rapport à la culture de l'Imagina- „ tion , de la Raifon ou du Cœur , on mon- j> tre .^ue la Peinture y eH d'un ufage 99 excellent. A confiderer la nature , & „ les fins de la Philofophie , on prouve „ aulTi que les Peintures tiennent lieu de „ patrons ou d'expériences , tant pour la ,9 Phyfique que pour la Morale; & qu'à 9» cet égard l'efficace en efl admirable „ pour fixer l'attention dans l'examen de 99 la Nature, qui eft l'unique objet de la 99 connoiffance , la fource de toute Beau- 99 té, & la régie de tous les Arts quicon- „ fiftent en imitation. Pour confirmer ,; ceci , l'on décrit quelques Peintures ,; morales , & après avoir remarqué , que T 5 ^ ,, pour
2Ç2 Bibliothèque Britannique, „ pour plufieurs raifons ,laledure& Tex- „ plication des Clalfiques demande le fe- 5, cours des Sculptures & des Peintures , ,., auxquelles on puifTe renvoyer , on fi- „ nie ce Chapitre en faifant obferver , que „ ce Plan d'Education requiert feulement „ que l'on enfeigne de bonne -heure le „ Deflein , qui, félon ce qu'AriJUte en a 5, dit depuis long-tem.s , eft néceîlaire , non „ feulelnenc pour les Arts libéraux , mais „ aufîl pour les méchaniques.
„ Le dernier Chapitre indique, aufujet „ des Peintures , quelques autres recher- „ ches très -utiles & très-amurantes,ou- „ tre celles qui regardent la Vérité & la „ Beauté dans iaCompofition. Car bien 5, que ces dernières chofes faflent Tef- „ léntiel dans la Peinture, de même que „ dans la Poëfie, ces Arts néanmoins fe „ relTemblent û fort , qu'à l'égard de l'une 5, & de l'autre il ne laifîe pas d'y avoir „ d'autres difcuflions, qui font également j, utiles & agréables. Telles fo^nt celles „ qui font diftinguer le génie du Peintre „ & celui du Poète, qui fe marque dans „ tous leurs Ouvrages, & qui regardent „ l'ufage que les Peintres modernes ont „ fait de l'Antique , à l'imitation des Poë- „ tes les plus excellens des derniers tems, „ qui fe font utilement fer vis des An° „ ciens.
„ Le but de ces DifcufHons ne fe ter- ^, minant pas à la connoilfance des mains
» &
Janvier, Février et Mars. 1742. 2$3"
„ & des filles , mais allant à celle des „ hommes &des chofes , on ne fe con- sy tenie pas d'en fuggerer la penfée ; & „ pour y faire mieux entrer les jeunes „ Voyageurs , on fait ici quelques Ob- ,, fervations qui les aideront à dlilinguer „ les talens , les génies & les caradères „ de plufieurs des plus fameux Maîtres ,, modernes , & l'ufage non moins efti- „ mable qu'heureux qu'ils firent de ce qui „ nous refle de plus exquis de l'Antiquité „ dans la Sculpture & dans la Peinture. \y L'Ouvrage unit par quelques cour- „ tes Remarques fur les 50. Morceaux „ d'ancienne Peinture , que l'on donne „ ici gravez, avec beaucoup d'exaditude „ & d'élégance, fur d'excellentes Copies. „ On avoft déjà fait diverfes Obfervations „ fur ces Morceaux dans les Chapitres 5, précedens; mais l'on donne en ceten- „ droit quelques-unes des raifons qui „ ont engagé à les publier. C'eft une s, partie d'Antiquité qui mérite d'être ti connue, & qui par confequent doitfai- „ re grand plaiiir à tous les" Amateurs. „ Ceci fert outre cela de preuve, que „ ce que nous avons dit, dans cet Eiïai , „ de l'ancienne Peinture , c: que nous en „ avons tiré des ilnciens , mente créan- M ce , 6i. n'a point été exagéré. La fin y, principale qui fait qu'on les publié - „ eft néanmoins , pour exciter les perfon- ■-.., nés à Gui l'Education de la JeunelTe
^P4 Bibliothèque Britannique,
y, eft confiée , à faire fervir à propos i, ces morceaux de Peinture &deSculp- „ ture qui nous refient de l'Antiquité , „ à l'explication des anciens Auteurs; „ de même que pour engager les Voya- ,, geurs à changer de maxime , 6c qu'au „ lieu de redonner les Statues & les Bas „ Reliefs que d'autres avoient déjà don- „ né bien gravez , ils s'attachent à re- yy chercher ce qui n'avoit point encore été ,, rendu public , & qui peut perfedion- ,:, ner le goût de l'Art, 6c répandre „ quelques lumières fur les anciens Au- „ teurs. Après ces Réflexions générales yy vient une Relation concife des Pièces M originales, de leur grandeur, des lieux 9i OÙ on les a trouvées, de ceux où elles 99 font &c. "
Mr. Tumbull Rjoutt , que , fans avoir pour objet l'explication, ni des Auteurs Clalïi- ques , ni de la Mythologie, cela ne laiiTe pas de revenir tres-fouvent dans fon Ou- vrage ; qu'un fçavant Homme de fa con- noilfance va bientôt donner quelque cho- fe de plus complet fur tout cela, rela- tivement aux beaux Arts; qu'il a pro- fité très -utilement de V excellent Commen- taire que Mr. D. Durand publia en 1725. fur rH//io/r(? de la Peinture par Pline ]q Na- turalifle; qu'il a auill emibelli fon premier Chapitre des Obfervations que Mr. Pope a faites fur le Bouclier d'Achille dans Homère; qu'à cela près, il a trouvé peu de fecours
dans
Jaîîvier, Février et Mars. 1742. 29J; dans les Ecrivains modernes qui ont trai- té de la Peinture des Anciens, à l'excep- tion du feul Junius , fans rafliflance du- quel il n'auroit ofé former le deiïein qu'il vient d'exécuter; que s'y propofant néanmoins d'autres vues, la fienne n'a été que d'expliquer & de prouver la Maxime de PJaîcn, qu'il y a une cjfmité très -intime entre tous les Arts libéraux , & toutes Us Sciences; que fans entreprendre de faire des leçons aux gens du métier, il a cru qu'il pouvoit lui être permis d'en faire l'éloge ; qu'il ne prérend même en cela qu'à la feule gloire d'avoir compilé ce que les Anciens ont dit; mais qu'en les citant, il n'a pas cru devoir s'ailraindre à les traduire en Ecolier, les ayant fou- vent commentez ou paraphrafez ; & qu'enfin il ne fait point d'excufes d'a- voir fréquemment inféré dans fon Tex- te des Citations plus ou moins longues des anciens Poètes , tant Grecs que Latins.
On voit, fur cet Expofé, que l'Eloge de la Peinture ne peut gueres être pouffé plus loin qu'il ne l'eft dans cet Ouvrage. Le détail ne démentiroit point cette idée, & feroit peut-être néceilaire pour rame- ner les perfonnes, qui, fans méprifer ce bel Art, ne l'eftiment pas tout-à-fait au- tant que le fait Mr. Turnbull. Ces perfon- nes-là m'ont bien la mine de fe rappeller
29^ Bibliothèque Britannique, à cette occafion la Scène * du Bourgeois Gentilhomme de Molière, où le Maître de Mufiquc & le Maître à Dcinfer foutien- nent, l'un , qu'il n'y a rien de li utile dans un Etat que la Muflque, i, parce que fans Si elle un Etat ne peut fubfiiler " ; & l'au- tre , qu'il n'y a rien qui foit û nécelfaire aux hommes que la Danfe „ parce que fans „ elle , un homme ne fçauroit rien fai- „ re " ; après quoi vient un Mettre (T Ar- mes f , qui prétend que „ la Science des ,i Armics l'emporte hautem^ent fur toutes 39 les autres Sciences inutiles, comme la ii Danfe <k la Mufique ". j'avoue que la fail- lie fer'oit fort m^al placée. Il eft pourtant hors de doute qu'elle viendra naLurelle- ment à l'efprit d'un nombre infini de Lec- teurs, qui n'ont regardé jufqu'ici les Ta- bleaux, les Statues & toutes les chofes femblables, que comme de purs orne- inens, pour embeUir les lieux, & pour amufer les regards. Ainfi je conçois que, pour faire revenir ces gens -là de leur préjugé, rien ne fercit plus utile que de pouvoir expofer plus au long les fça- vantes difculTions qui prouvent dans cet EJfai, que les Arts du DefTein fervent à toutes les Sciences, 6c que fans eux, il Ti'y a ni goût, ni faveur. Mais quelque plaifir que nous eûiTions pris à le faire?
le
^ Aa. IL Se, I. t Scène JL
Janvier, Février et R'Iars. 1742. 2^^ le champ nous a paru trop fpacieux, & nous avons craint de nous engager dans une longueur excefïïve.
La même raifon nous fera fupprimer .quantité de Remarques curieufes que Mr„ Turnbull a faites en paflant, pour expli- quer, tantôt certains palTages des Anciens qui font obfcurs , ou mal entendus , & tantôt quelques particularitez confidera- bles de l'Hilloire ou de la Mythologie. Nous ne fçau rions néanmoins finir cet Article, fans faire obferver, qu'il femble que dans le VI. Chapitre onauroit pu fou- haiter un peu plus d'éclaircilTement que l'Auteur n'y en donne, Le but qu'il s'y propofe eft , d'un côté , de faire voir l'excellent ufage que les Anciens firent de la Peinture & de la Sculpture, & de l'autre, de répondre aux objedions que l'on fait.
Au premier égard, il montre d'abord par de bonnes preuves de fait, que parmi les Grecs on fe fervit utilement de ces Arts pour conferver la mémoire des grands Hommes & des grandes Adions -, que l'on plaça , pour cet effet , dans les Tem- ples, ou dans les Places publiques, les portraits de Lycurgue, de Demofthêne, de Pericks , d^Ariftide, de Miltiade , d'Home^ re , d'Hefiode, de Sophocle, d'Euripide, de Menandre , dEf chyle , & les Statues d'Efo- pe & de Socrate-, que l'on repréfentok les Héros avec des fymboles qui les caracté-^
ri-
2^8 Bibliothèque Britannique^
rifoient; que Ton porta l'admiration pour Homère jufqu'à lui ériger un Temple à Smyrne; que dans la même vue, on pei- gnit des évenemens hiftoriques entiers, comme le Siège de Troye , la Bataille de Marathon f la Défenfe des Thermopyles; que Ton rendit de femblables honneurs aux Princes étrangers de qui l'on avoit reçu des bienfaits ; que les Guerriers embellif- foient de ces ornemens leurs Boucliers , pour s'animer à leur profeflion ; que Phi- îopoemen employa ce ilratagême pour inf- pirer du courage à la jeunefFe de YAchaie; que parmi les Ro?nains on peignit de mê- me le Combat naval où Duilius comman- doit; que chez le même Peuple les Ima- ges des Anciens étoient le titre le plus fur & le plus beau de la NoblelTe ; que ce n'étoit pas feulement dans les Tem- ples ou dans les Places publiques que l'on plaçoit ces Monumens, mais encore dans les Ecoles, dans les Académies, dans les AfTemblées des Gens de Lettres, dans les Bibliothèques publiques , & dans cel- les des particuliers. Mais là-deiïus on défireroit de fçavoir, fi les Peintres & les Statuaires ne travaillèrent jamais que pour des fujets de mérite; s'ils ne ren- dirent point quelquefois le même fervi- ce aux Phryncs, aux Laïs , aux Tyrans, à une infinité d'hommes obfcurs , ou de femmes débauchées ? & Mr. TurnbuJl ne daiffne pas nous en dire un feul mot.
Ofe-
Janvier , Février et Mars. 1742. 299 Oferai-je pourtant le dire ? Le filence , là - deiïus devoit d'autant plus être é- vité, que la réflexion que je viens de faire, & qui eil fort naturelle, révolte en quelque manière contre la conclufiorx générale que Mr. TumbuU tire de tous les faits dont je viens de donner la fub- ftance. ,, Lorfque ces Arts, dit -il, font ,, employez à leur fin principale, qui eft „ de donner au Mérite la réputation qui „ lui eft diië, & par cela même , de nous „ infpirer des fentirnens de Vertu, & „ de nous y animer, rien ne peut être „ plus abfarde que de cacher à la vue „ ces motifs d'une émulation 11 louable. ,j C'eft en fruftrer le vrai but ". Car un Etat , ajoute -t- il , doit encourager l'amour des louanges, qui, au rapport de Sallufle , eut tant de pouvoir fur Scipion, fur Le/lus & fur tant d'illuftres Romains: cet Etat y trouve la fource de fa pro- pre grandeur, en apprenant aux Sujets que c'eft la Vertu qui fait le vrai bon- heur des grandeurs & des richefles; de forte qu-e ion opulence ne peut être bien employée qu'à favonfer les Peintres & les Statuaires, & qu'au jugement d'y4- riftote & de Platon, les loix de Lycurgue, qui tendoient à rendre les Lacedémoniens impolis & ruftiques, étoient fort con- damnables. Mais pour bâtir tout cela fur un fondement folide, n'auroit il point fallu qu'au préalable l'Auteur eût mon- Tome XVIlh Fart. Il, V tré.
soo Bibliothèque Britannique, tré, que ce fut au Mérite feul que Ton éri- gea des Temples & des Statues? M- il même bien évident, que \d. fin princip.ils de la Sculpture & de la Peinture fut o- riginairement, de conÇcvvcr au Mérite la réputation qui lui efl dû'é ? Mr. TurnbuH ne peut ignorer , que bien des gens attribuent i'ongine de ces beaux Arts à la vanité des Princes, & aux fuperfliticns de l'I- dolatrie. C'efl au moins la fin principale que l'Auteur de la Sapience leur donne dans le Chapitre XIV. de fon Livre. Ai* je donc tort de penfer, que quelques eclaircilïémens là-delTus n'auroient pas été tout -à-fait inutUes?
Mais pafiant enfuite aux objedions, le Sçavant Angicis ne paroit en avoir connu que trois ou quatre, auxquelles il n'a p^s négligé de répondre. Plaion avoic bar- ni tous les beaux Arts du Plan de fa République: on blâma Pericles de les avoir trop favori fez : on leur attribue pinir effet d'elféminer les Hommes ;<S: l'on ne mar- que pas de leur imputer la décadence de la République Romaine. Voilà tout ce qu'e Mr. Turnbv.îl femblc avoir connu de diffi- culrez à oppofer à fa thèfe; & peut- on dire réellement qu'il n'y en air point d'au- tres, ou que celles-là mdme ne puiflert être tournées de manière à devenir plus fortes? Sans avoir beaucoup médire fur ce fujet, & prefque en courant, il me fe- ra facile d'en indiquer quelques-unes.
I. La
J A NMii^ii, ^Février (errÎTlAîts. 1742. sot ri. iLa :Loi de Mo//^ Jugea la tPdnture & la Sculpture Si peu née^iFaires à |a gi^ndeur & à la 'félicité des Peuples & des Hommes, qu'elle leur om même de moyen le plus ordinaire de îfe i faire va- loir., en interdifant , avec la _ dernière févérité , toutes les /reprérentations vifi- bles des objets du iCuke iDivin.
2. L'ancien Peuple entra û bien dans cet efprit de fa Loi, que l'Ecriture ne parle jamais. de Peintres ou de Sculp- teurs qu'il y ait eu parmi l^s^^ Hébreux ^ que de ceux qui etoient idolâtres , ou qui travailioient àîl'ufage de l'Idolâtrie: i\ Fofi en excepte pourtant les Ouvriers n{nQ.Moïfi -employa, dans le Défert , à la 'façon des- orneméns qu'il y eut à mettre •dans lie ïabernade.
3. 'Le même efprit régna fi conftam- .înent,>&fiuniverfellement,dans les plus ibeaiuxrteijas'de l'Eglife Chrétienne, que 'PQnûBMt les 3.. premiers Siècles on ne ,vit parmi les Chrétiens prefque >aucune Peinture, ni Sculpture , ni Gravure dans Iles lieux du Culte public , & que l'in- rtroduéclon ne s'en fit pas dans la fuite ifansi bruit '«& fans fcandale.
4. Il eil- d'ailleurs comme impcrfrible
;q:ue ces/îArts fleuriiTent parmi des Peu-
ipies doFit le Culte eft fpiritiiel, comme
îi-ls doivent le faire parmi les Nations dont
kîReiigion confrfle à voir les Objets que
l'on 'a;clGre , ou que l'on vénère.
V 2 5. In-
302 Bibliothèque Britannique?
5. Indépendamment de ces confidera- tions reiigieufes , il ne paroît point que les Chinois , dont le Gouvernement pafTe pour un des plus fages & des mieux en- tendus qu'il y ait eu dans le monde , fe foient jamais piquez d'un goût fort exquis dans leur manière de peindre.
6. L'on ne fçauroit nier que la Répu- blique Romaine ne fe foit élevée au plus haut faite de fa grandeur , & n'ait don- né les plus brillans exemples des vertus qui la font encore admirer, avant que l'on eût introduit dans fon fein les Arts de la Grèce & le Luxe de VJfte.
7. A confiderer les chofes du côté de Ja Morale, il eft inconteftable auflTi, que la Peinture, & que tous les Arts du Def- fein, peuvent fervir à des fins û perni- cieufes , & y ont fi fort fervi de tout tems , qu'il n'y eut peut-être jamais moyen, îii plus funeile, ni plus ordinaire, pour corrompre les mœurs, & pour faire paf- fer tous les vices de l'imagination dans le cœur.
Je ne dis pas que ces Objedions, & que quelques autres femblables , qui fe préfenteront aiTez aifément, foient d'une force à devoir arrêter Mr. TurnbuU. Mais je ne fçaurois diflimuler, qu'à mon avis, elles méritoient bien de tenir place parmi celles qu'il lui a plû d'indiquer ; & je crois même , qu'un homme qui a autant d'efprit & de fçavoir qu'il en marque
dans
Janvier, Février ET Mars. 1742. 303
dans fon Ouvrage, auroic trouvé ]à le
fujet de débiter mille belles Obferva-
' tions, qui ne pouvoient que rendre fon
fyflème plus folide & plus convainquant.
ARTICLE IV.
KOVVEAU Voyage ^'Allemagne , ds SuifTe , de toute /'Italie , ^ de quel- ques autres Pais de /'Europe, £?f. * [Second Extrait. Le premier, de mê- me que le Titre entier, fe trouvent: pag. 172. de la Vartie i. de ce Tome.
A Yant laiiïe notre Voyageur dans la •^^ Forêt de Fojja-Nuova, il eft tems de l'en tirer , & d'expofer le refte de fon récit, qui ne fera pas long ; après quoi nous nous contenterons d'ajouter quelques échantillons de fa Littérature & de fa Critique.
En avançant, dit-il, toujours fur no- tre route, nous avons pafTé l'ancien A* mafenus , qu'on appelle aujourd'hui Fiume vecchio. Comme il avoit plû à verfe pen- dant toute la nuit, cette rivière étoic ex- traordinairement enflée.
Ecce vice in medio fummis Amafems ahuri'- dans
V 3 Spw*
S04 Bibliothèque Biiïtannique,
SpumaVût ripis : tantus fe rsubibus imker Rvperatf^c,
Virg. ^n. Lib. XL
Mais nous nous fommes moquez d'elle & de fon enflure, car nous l'avons paf- fée fur un pont, qui n'y éLoit-aflTurément: pas , lôrPque le pauvre Roi IHtratus fut- obligé de la palTer àia'nagc, après avoir îa-ncé ra-perite l'iile Ca^nilla àe l'autre •'ôré, atfîichéé à^foH jaVelot *. Nous l'a- vons côtoyée niiez long-tems dans une valle plaine , bornée d'un côté par la Mer, à de l'autre par des Montagnes, îe long defquelles nous avons enfuite niarcHé pendant plùfieurs milles. On appeiloit autrefois cette plaine Campi Poiiieîini, àcaufe de la Ville de Pometla ^ qui' étcit fituée au milieu, & que Tar- cûJin l^ Ancien ruina , après eii avoir chaf- ft Ibs- habitans.
Au refte, les rivières- Ufsnr &5 Amafe^ nus s' étant une fois extraordinairem=ent tJébord'ces tout en même tems-, inonde- r^iit tellement une partie de ce Fais*, que le? pluyes & les ruifleauxdeficendarit de ces^ montagnes , & fe joignant à cetre inondation, formèrent: ce vafte INten^is- qu'on appella depuis Palus Ponuim -,
moi.
* Virg. iEn. Lib. XL
Janvier, Février et Mars. 1742. 305 mot corrompu de Pometia , & qui , comme nous l'avons dit, n'a jamais pu être def- féché qu'en partie. Sous Théodohc Roi iTItalie , un Patricien nommé Decius vint à bout d'en faire delTécher quelques en- droits, qui lui furent donnez en propre, comme il paroît par ce pafîage d'une Lettre de ce Prince à ce Patricien . qu'on trouve parmi les diverfes Epîtres du fa- meux CoJJlodore , Chancelier de Théodoric : Ad ainpiîjfînium Senatwn pfcecepia &c. Sixte V. fut le dernier qui y fit travailler , & dépenfa plus de 200000. Ducats, fans que cette dépenfe aboutît à grand' chofe. La raifon en eil , que VUfcns & VAmafenus , <^plufieurs rniffeaux s'y déchargent con* tinuellement,& en feront apparamment un vilain marais jufqu'à la fin des fié* clés.
A deux ou trois milles en deçà de 7>r* racine , nous avons rencontré un endroit de l'ancien Pavé d'Appius.Q^m s'étend fort loin, & qui fubfifte depuis plus de deux mille 2.113. Appius Claiidius Cœcus fut le pre- mier qui commença à faire paver ce Che- min de groiïes pierres , lorfqu'il etoit Cen- feur , i'^an de Rome 440. fous le Confu- lat de M. Valenus & de P, Decius. Le pauvre Prêtre Lajfels , toujours fort verfé dans l'Hiftoire , dit bonnement , quM;?- fias Chdius , Chevalier Romain y Je fit paver û fes dépens , pendant fon Confular : autant de pauvretez & de fauftetcz que de V 4 motS;
3o6 Bibliothèque Britannique , mots, & qui ne méritent pas d'être réfu- tées! Avant ce tems-là les grands Che- mins hors de Rome n'éioient que de fimple gravier, comme l'aiiure T. Live : Cenfores" vias , dit -il , Jlemendas Jtlice in Urbe , glared extra Urbem &c. L'Anti- quaire Pinarolo fçavcit encore moins ce qu'il difoit que Laffc/s , qiiand il a écrit que C'écoit Appiy-s le Decemvir , il fameux par fa violence à l'égard de Virginie, qui fit paver la Via /jppia. Celui-ci fut fait De- cemvir l'an de Rome 301, c'efl-à-direi3(:, ans avant que notre y^ppius fut Cenfeur^ ce qui n'eil pas un petit aDachroniime. Ce Chemin s'écendoit depuis la Porte Capene jufqu'à Capouë , paHoit entre Tw- fculum & Albe , de -là par Aricie , Aigide, le Forum Appii t Anxur , Ftindiy Formiœ , Minîurnce Ôc Sir.ucjfe. Je ne comprens p?is comment Tacite a pii dire û pofiri- vement, qu' Appiiis Pavoit fait paver depuis Rome jufqu'à Brundufium , puiiqu'il eft certain que du tem.s (ïAppius la domi- nation des Romains ne s'étendoic pas au^ delà de Capcuë ; & que les Samnites, les Lucayiiens 6i les Briaiens, qui étoient alors leurs plr-s puilTans ennemis, n'eùfTent ja- mais fouffert qu'un Magiftrar Romain eût fait de fon autorité paver un grand Che- min à travers de leur Païs jufqu'à la Mer? Appius ne le fit donc paver que jufqu'à Capouë , comme l'afïure Diodore de Sicile. Appius Claudius , dit- il,Appiam Viam &c.
ajou-
Janvier, Février et Mars. 1742. 307 ajoutant, que par -là il épuifa tout le tréfor public. Comment donc La_[fc!s a-t- il pu avancer, qw^il Tavoit fait à [es dépens'^ Ecoutons encore Pro^op^, qui, en pariant de ce fameux Chemin , s'exprime en ces termes : Ho.nc Appius Romanorum Cciifor &c.
Quelques - uns ont écrit, que Jules Ce- far i'avoit continué depuis Capouë jufqu'à 'Benevent , & Augufie depuis cette der- nière ville jufqu'à Brundufiiim. Un Mo- derne veut que ce foit Trajan , & non Augufie i qui l'a continué depuis Benevent jufqu'à Brindes ; fondé fur ce que l'on voit encore aujourd'hui dans la ville de Trani, au Royaum.e de Noplcs , une Co- lomne Miiliaire marquée du nombre LXXXIV. avec une Infcription- en let- tres capitales
Mais ce Moderne n'a pas fait atten- tion, que tout ce Chemin étoit pavé de- puis B.ome jufqu'à Bnaidufium long - tems avant Trajan.
Bnindiif.um Numici meliùs via ducat an Appîy
dit Horace : Et Stace dans fes Sylvcs :
Quà limite noto
Appia longarum teritur regina viarum.
Ainfi il n'étoit pas difficile, à mon avis,
çie voir que cette Infcription veut dire,
V 5 que
3o8 Bibliothèque Britannique,
que Trajan le fit feulement reparer de- puis Benevent jufqu'à Brundujium. Quoi qu'il en foit , Appiusût non feulement pa- ver cette Route pendant fa Cenfure ,mais il fit encore conduire dans Rome , par d'im- menfes Aqueducs , VAqua Claudia ; & ce qu'il y a de fingulier en cela , c'eft qu'il donna fes deux noms d'Appius Claudius à ces deux Ouvrages , par l'indolence 6c l'incapacité de fon Collègue C. Plan- tius , qui lui laiifa la conduite de toutes chofes pendant leur commune Magiftra- ture.
Ce Pavé , aufii-bien que celui de la Via Flaminia , de la Via jEmilia , & des au- tres Chemins Confulaires , a la largeur qu'il faut pour que deux chariots y puif- ll^nt paffer aifément quand ils viennent à fe rencontrer. Eâ latitudine, dit Pro- cape, lit duo currus &c. Sur ce fondement Jlifie Lîpfe ne leur donne pas moins de 23. pieds de large i l'Auteur du Mercurius Italiens 25 ; Mr. MiJJon ne leur en trouve que 13. 6^ 8. pouces ; & le Dodleur Bitr- 7iet 12 : ce qui n'eft affurément pas aiïez pour donneV un pafiage bien libre à deux chariots , pas même à deux calè- ches Romaines. Et moi , qui les ai mefu- rez en plufieurs endroits qui reftent en- tiers, je leur ai toujours trouvé 15. pieds de largeur, ou à -peu -près. Ainfi on ne comprend pas d'où peut venir la gran- de ditference de tous ces calculs.
Quant
Janvier, Février et Mars. 1:742. ,509 Quant à la grandeur des pierres qui compofent ces fameux Pavez , 6c leur forme, il faloit que le même Procops ,. qui faifoit fon féjour ordinaire à Conliannr nople, ne les eût jamais vu, pmfqiiHl af- fure qu'elles étoient toutes quarrées : Qacj lapides deinde polit os &c. Lip/c, TAureier à\x Mercwrius Italicus , le Docteur Burner , & quelques autres ont dit la^mêmexhofe après lui. Le premier leur donne de^ puis 3. jufqu'à 5. pied^de grandeur; le dernier les fait toutes d'un pied 6z demi en quarré. Cependant il e£t certain, qu'en général leur forme eft irréguliere: que les plus grandes n'ont pas plus de 3. pieds dans leur fens le plus étendu, dk que les pins petites n'ont pas moins d'un pied. Ces pierres font d'une dureté ex- traordinaire, de II. ou 12. pouces d'épaif- feur , & prefque toutes bleuâtres , quoique Mr. ik////bn les faiTe d'une couleur roujfchrey à- peu -près comme du fer rouillé. Laffels & Joiivin de Rocbcfort difent, qu'elles font rkot^ re;; & le dernier ajoute,qu'c'//é'j/on; 'crûtes de forme pentagoncile. Ce qu'il y a de far- prenant, c'eft que, malgré l'irrégularité de leur forme, elles font fi parfaitement jointes, qu'ayant taché plufieurs fois, dans divers endroits les mieux confervez , de faire paiTer la pointe de mon épée entre deux , il m'a toujours été également jmpoilible d'en venir à bout. C'eft ce Q\\ï a encore fait dire à Procope: Sam
tuinctî
gio Bibliothèque Britannique,
tamen ita connexi , &' valide inter fe hde- rent &:c.
Qiiintus Fuîvius Flaccus , ôz Aul, Pejlhu- mius Albinus Cenfeurs l'an de Rome 580, furent les premiers qui tirent border ces grands Chemins de pavez plus grands & plus hauts que le refte , tant pour les rendre encore plus fermes & plus ferrez, que pour les em.pêcher d'être inondez des eaux de pluyequi y entroient par les cotez. Ces bords étoiént appeliez Mar- gines. Stace les nomme Gomphi : Et crehris iter alligare gomphis. Sylv. Lib. IV. Cajus Gracchus ajouta une autre commodité à la J^ia Ap'pia. Ce fut dégarnir fes bords ( environ de 12. en 12. pieds de diftance) d'autres pierres beaucoup plus larges & plus hautes encore, qu'on nommoit Cippi, Elles lervoient aux Gens de pied à-s'afleoir pour fe repcfer , ou pour fe décharger pendant quelque tems du fardeau qu'ils portoient; & aux Gens de cheval, pour remonter fur leurs bêtes , quand ils avoient été obligez d'en defcendre: car alors i'u- fage des étriers n'étoit point encore connu parmi les Romains. Le même Grac- chus y fit aufTi planter de chaque côté , & de mille en mille pas, de petites Colom- nés numérotées , qui indiquoient aux Voyageurs combien de chemin ils avoient fait, ik les encourageoient par -là à fai- re le refte encore plus gayement ; car, comme le dit QimiUien : her facientibus
multùm
Janvier , Février et Mars. 1742. 311
multùm âetrahwu fatigationis notata infcri^ ptis lapidibusjpatia. C'eft auflî à ce même fujcc que le Poète Rutilius a dit :
Intervalîa vice fejjls prœflare videtur Qui notât Infcriptus milïia crebra lapiî.
Au refte, outre l'utilité de ces Colom- ne?,que l'on appelloit5/;gn^ ou ATo^tp, quel- quefois MiUiaria , & le plus fouvent La- pides, elles ajoutoient encore une efpece d'ornement à ces grands Chemins.
Mais ce qui a le plus embaralTé les Sça- vans & les Antiquaires , c'eil qu'aucun des Hifloriens de ce tems-là n'a fait mention de Tendroit d'où Appius , Fia- minius, jEmilius êz les autres ont tiré cet- te prodigieufe quantité de pierres qu'il a faiu pour tous ces Chemins, & qui, pour leur dureté , leur couleur 6c leur forme, femblent toutes être venues d'un même rocher ou d'une même carrière. Procope dit, qn' Appius les avoit fait por- ter d'un Pais fort éloigné. Appius , dit- il, ex alia ^ longinqua &c. Le fç5.vant Onuphrius Ponvinius veut , qu'il ait fait tail- ler ces pierres de deux montagnes d'Im- lie-, l'une auprès de Sinueffe^ l'autre entre Naples & Pouzzol : Et Gafpard Paragalla , Auteur moderne & NapoHtain , prétend que ces pierres font de la même nature que celles dont les rues de Naples font pavées, & qu^cn taille de la Ghiaia, on matière liquéfiée
qui
gl2 ^BIBLIOTHEQUE BRI"I>i^NNtQUï:,
qui fort du Vefuve , &qui s'endurcit à T air. :i^our;prouver fon opinion il cite ce paf- fage de Virgile:
Vidiriius undantem ruptis fimacibus jEtnam, Ftonmiarumquc -globos , liquefaâaque vohen faxa.
'Ce raifonnementponrroitêtre reçu, fi TAiiteur eût dit qu'Jîfpius les avoic èiit •venir de Sicile. Mais , malheureufement pour fa conjefture , le Vefuve ne com- mença à brûler, & à v^omir des cendres '^ des pierres, que plufieurs fiécles après -jippms , c'eft-à-dire fous l'empire de Jtte. L'opinion de Pcinvinius ne me pa- roit gueres mieux fondée. Aucun Géo- -grapiie ni Hîflorien n'a jamais fait men- tion d'une autre montagne auprès de ^Sinucffe, que du Motis Mafficus , fameux -par les vins exquis, ni d'une antre entre J^cp/es '&: Pc.ii2.zo! y que des Montes Ph/c- ■^g<Bi, qu'on nom.me aujourd'hui la Solfa- 'tara. D'ailleurs , il ell très - certain -tju'on ne trouvera, ni dans l'une ni dans •l'autre de ces deux montagnes, des pier- Tes en aucune manière femblabies à cel- ':îes de la Via Appia.
Au relie, ce qui fait que ce Chemin ne .'«'eft point afîaiiré depuis tant de'iiécies, ndans les endroits qui ont gardé leur an- 'cienne fiîuation, c'eib (comme je Tai 'remarque dans d'autres qui font- a demi
rui-
Janvier, Février et Mars. 174^. 315 ruinez) qu'une première couche de pier- res quarrées, qui reflemblent à du Tuf durci à Tair, & pofées fur un lie de fa- ble bien battu, lert de fondement à Ton pavé. Ma remarque eft confirmée par S^acc, qui, en parlant de la l^ia Domitiana , dit: llU faxa ligant , opufque texunt cotto pulvere, fordidoque topho. J'ai fait encore une autre remarque : c'eit qu'au lieu que le droit Chemin de Rome à Capouë paifoit anciennement au travers du Palus Pomtina , on eft obligé aujourd'hui de prendre un grand détour , par Café- nove 6c Piperno, même par quelques au- tres endroits où l'on ne paiïbit pas autre- fois. Cela eft li vrai, que Ton voit plc- fieurs fragmens de l'ancien pavé, tanrôc fortir d'un marais inaccelfible , tantôt s'é- lever au-deflus de la furface des eaux, & tantôt enfevelis entre des ruines de Ponts & autres Edifices. Tous ces def- ordres font fans doute arrivez, foit par des ravines d'eau , foit par des trem- blemens de terre, qui ont bouleverfé u- ne partie de l'ancienne furface de Vira- lie. Cependant nous n'avons pas laiiTé , avant que d'arriver à Ter racine , de trou- ver une langueur de deux à trois milles de cette Via Appia afifez entière , 6c au ri veau des terres, avec îts Margincs & C:ppi des deux cotez , & quantité de rumes de Tombeaux , de petits Temples
314 'Bibliothèque Britannique ,
61 d'autres anciens Monumens qui fer- voient de décoration aux grands Che- mins.
[A la vûë de ce long pafTage, j'efpère qu'on ne m'accufera pas d'avoir manqué de parole. 11 contient de la Littérature 6c de l'Erudition, autant qu'il en pou- voit contenir , oi cela fans aucune pé- danterie, fans une ombre d'alFeclation de la part de l'Auteur : & c'eil ainfi que cet habi'e homme promené conftammenc fon Ledeur fur les grandes routes , & qu'en le promenant il finllruit agréable- ment. J'avois deOein de montrer ici comment il fe conduit dans les grandes Villes, comme, par exemple, à Rome, où il ne rencontre affurément pas moins d'occafions de déployer fon fçavoir : mais l'étendue de cet Extrait m'oblige à en renvoyer l'exécution à une autre fois.
Cependant je ne fçaurois me réfoudre à finir , fans faire voir que notre Voya- geur n'eft pas toujours dans le férieux, qu'il fçait quelquefois dérider fon front, & diverfifier les fujets , pour s'accom- moder au goût de diiîerentes fortes de Ledeurs. Lorfqu'il apprend quelque Hif- toriette un peu comique , il ne manque pas de leur en faire part, 6c il la conte fort joliment. S'il trouve fur fa route quel- que Coutume d'une impertinence qui faute aux yeux, il n'oubUe pas non plus
de
Janvier, Février et Mars. 1742. 315 de la rélever d'une manière très-divertif- fanre. Nous allons donner un exemple de l'un & de l'autre.
Parmi ces Hiiloriettes on peut s'alTu- rer, qu'à l'exemple du fameux la Fontai" m y il n'a pas oublié c:.Iles où les Moi- nes fe trouvent intérefTez, fur- tout lorf- Gu'ils s'oublient du coré de la Galante- rie. Il en efl de ces Mefïïeurs à cet é- gard , comme des Femmes du 'Monde. El- les font auiïl une efpece de vœu de Chaf- t£té , au moins pour le tems que doit du- rer leur Célibat. Or on fuppofe que cet état les gêne, qu'elles font de tems en tems de petits écarts, & lorfqu'à une, entre mille , il arrive de faire un faux pas, & de perdre fes gands dans fa chute, Taurre Sexe ne manque pas de s'en di- vertir, & d'en prendre occafion de dra- per toutes les Femmes en général. Tel eit, dis-je, à-peu-près le cas des Reli- gieux. Il y en a certainem.ent parmi eux un très -grand nombre qui remplillent dignem^ent les devoirs de leur état, au moins, autant que la fragilité humaine le peut permettre. Mais fi dans ce nom- bre il v en a par -ci par -là quelqu'un qui faiTe un pas de Clerc, les gens du monde, qui font toujours à l'affût pour les furprendre, en triomphent auiïî-tôt, font fonner bien haut cet accident, & ne manquent gueres de tympanifer le Corps entier. Notre Auteur, bien loin Tome XVIII. Part, IL X de
3i6 Bibliothèque Britannique,
de tomber dans cet excès, loue une infini- té de Religieux dont il a connu les lu- mières & la pieté, & conflamment é- prouvé la polirefle & l'hofpir alité : mais en même tems il n'a pu réfifter à la ten- tation de raconter quelquefois, & cela aflez plaifamment , les Avantures amou- reufes de quelques-uns de leurs Confrè- res , c'eil-à-dire lorfque le fait etoit public & bien avéré. En voici un exem- ple.]
Le dernier Abbé d'une groïïe Abbaye de Bénédiciins Ecoffois qui eft à IVirtzbourg , ville confiderabie à' Allemagne j le der- nier Abbé, dis -je, homme de quarante ans, d'un teint frais & vermeil, grand a- mi de Dame Nature, en un mot, un vrai Papimane , s'ell voulu mêler d'être Au- teur & Imiprimeur tout à la fois ; c'eft- à-dire qu'il a fi bien commenté les O^m- vres d'un Libraire de ÎVtrtzbourg, qui é- toit, à ce qu'on dit, une des plus aima- bles Filles de la ville, que le Texte en a produit un autre, ou, pour parler fans figure , qu'il en eft venu un joli petit Ah» hé mignon.
Je veux croire charitablement que le bon Prélat n'eut d'autre vue en cela que de faire une œuvre méritoire, en fubve- nant apparemment auxbefoins d'une jeu- ne Agnès , qui n'ofoit probablement pas repréfenter fes néceffitez à fon Papa. D'ailleurs , que faire de vingt mille écus
de
Janvier, Février et Mars 1742. 317
de rente? (Car le revenu de fon Ab* baye n'alloit pas à moins:) les dépenfer uniquement a manger & à boire? Cela eût été bon pour un ignorant, comme le gros Chanoine Evrard, qui étoit un vrai gourmand: mais pour un Maîrre Abbé EcoJJois, établi dans un des plus charmans endroits de toute la Franconie, homme d'efprit, de bon goût & fort galant, il falloit bien en employer une partie à quelqu'autre ufage , & qu'il eût quel- ques égards pour le plus delicar de tous les fens. Ainfi je ne trouve cet Abbé condamnable qu'en une feule chofe ; c'eft qu'il en ufa comme les Pharifiens , qui f ai/oient former la trompette devant eux iorf- qu'ils donnoient Vaumône,
Avec tout fon efprit il ne fut qu^une Bête ; En vrai Pharifien , prônant fes beaux Ex* ploits ,
il alla prêcher fur Us toits La Charité qu'il avoit faite. Femmes défiez -vous du Peuple tonfuré\ Peuple ruféy trompeur, indifcret, infi celle: J'aimerois mieux 9 {fi le Ciel m'avoit fait Femelle )
Me confeffer à mon Curé.
Mais ce qu'il y eut de plus fâcheux
pour ce pauvre Abbé , c'eft que rEvêque
de IVirtzbourg n'interpréta pas fon aftion
en bien , comme moi : car il l'a envoyé à
X2 Kg-
3i8 Bibliothèque Britannique,
Rome ^ien & dûëment empaqueté , afin que 1^ St. Père en fit telle juftice qu'il jugerait à propos. On a fçû depuis , que la Sentence avoit été bien rude , & que ce pauvre homme ell condamné à une prifon perpétuelle. Sur ce pied -là, il aura le tems de faire des réflexions tout à ioifir, & de fe repentir d'avoir impri- mé fes Oeuvres fur du ParcJpemin Vierge, Cependant je dirai en faveur du pauvre Abbé , que û l'on traitoit ainfi tous les Prélats, grands & petits , coupables de pareils defordres , même de beaucoup d'autres bien plus crians, on auroit de la peine , fur-tout à Rom:: , à trouver des prifons affez fpacieufes pour les conte- nir. Ainfi, û le Pape, d'un côté y e 11 très- louable d'avoir fait fentir fa fevérité à cet Abbé , il témoigne, de l'autre, trop de partialité à l'égard d'un fi grand nombre de gens d'Eglife qui s'en don- nent à cœur'joye, & cela, pour ainfi dire , fous fes yeux.
[A propos de Moines, je ne fçaurois m'empêcher de rapporter une petite Drôlerie affez comique que l'Auteur dé- couvrit par hazard en furetant la Biblio- thèque publique de Bafle en SuUhe. Il trouva donc, dit -il, parmi les Manuf- crits ] un Horace d'afiez vieille date , avec des Notes d'un Moine Copifte. En ouvrant le Livre, je tombai, je ne fçais comment , fur une de ces Notes , qui
me
Janvier, Février et Mars. 1742. ^ip me parut de plus finguliercs. C'était fur VOde Neuvième du troifième Livre, qui commence , Donec gratus eram tibi Ôc, Au lieu de ces mots Quid fi prifca redit Venus -^ le Frère Frappart lifoit , Nunc me prifca riget Venus -, & ila mis dans fes Notes à fa manière : Riget , id eft , rigi- dum facit. Ce Moine Commentateur é- toit apparemment quelque Frère Jean des Entomeures , qui fçavoit faire autre cho- fe que lire fon Bréviaire.
[ Pour ce qui eft des fottes Coutumes , l'Auteur, entre plufieurs autres qui font comme établies à Nuremberg , raconte celle-ci]. Des perfonnes dignes de foi m'ont affuré, dit -il, que la plupart des Habitans de Nuremberg couchent fans chemife, de peur de les ufer. Croiroit- on qu'il fût poilible de porter fi loin l'économie , ou plutôt de tomber dans cet horrible excès de lézinerie, fur-tout dans un pais où le Lin abonde , auffi-bien que les Fileufes & les TilTerans, & ou par confequent la Toile doit être à bon marché? Quoi qu'il en foit, une Bourgeoife fe trouvant fubitement me- nacée de la mort pendant la nuit, fou- haita d'avoir un Paileur; fon Mari éveil- le la fervante , qui, contente d'endoffer un Cafaquin & un Jupon , oublia , dans le trouble où elle étoit, de prendre fa Chemife. Dans cet équipage elle court à toutes jambes chez le Miniftre, avec u- X 3 ne
320 Bibliothèque Britannique,
rie lanterne à la main. Le bon homme fe levé , fans fe le faire dire deux fois , &. la fuit. A deux -cens pas de chez lui, une grolle pluye furvint. 11 fe couvre de fon Manteau , & la pauvre Fille , fans fonger qu'elle n'avoit point de Che- mife, fe couvre de fa Jupe. Comme il faifoit fort obfcur , <Si que la lanterne îi'eclairoit pas des mieux , la fervante fe tuoit à tous m^omens de demander au Dodeur, s'il voyoit bien ? D'abord il ne penfoit pas à ce qui éroit devant lui; mais ayant enfin, par hazard, jette les yeux fur la fervante , il apperçût tout d'un coup ce que Brunel à Marphife mon" tra *. Il en fut un peu furpris, mais fai- fant femblant de rien ; ôz comme la Créa- ture lui demanda encore à diverses repri- fes , s'il voyoit bien , il lui répondit un peu brufquement; Oui, if même trop bien.
Pendant que je fuis en train, je veux vous dire une autre petite Hîtloriette fur le même fujet, que je tiens des mêmes perfonnes. Les Accouchées , par le mê- me principe d'épargne , font auiïï dans leur lit fans Chemife ni demi ; mais quand on va leur rendre vifite, elles mettent une efpece de Peignoir qui leur couvre les épaules & les bras. Du ref- te elles font nues comme la main fous leurs couvertures. Il arriva un jour que
la * Ariojis Orland. Fur.
Janvier , Février et Mars, 1742. 321
la Femme d'un Magitirar étant dans ce bel équipage, la fervance s'approcha d'el- le pour lui dire quelque chofe; & com- me elle fe reriroit brufquement, fans s'ap- percevoir qu'elle s'éroit accrochée , je ne fçais comment, à la Courte -pointe, qui éroir extrêmement légère à caufe du grand chaud , elle entraîna avec elle tout, fans exception, ce qui couvroit Madame la Patricienne , & l'étala tonte nue aux yeux de la Compagnie. ... ce qui lui donna bien à rire, & pas moins de con- fufion à la pauvre Femme. Depuis cet- te avanture , & crainte de pareil ac- cident, les Femmes en couche, nous a-t- on dit, ont toujours pris une Chemife. [ Puifqu'il me refte encore un peu d'ef- pace dans ce Cahier, je ne fçaurois me réfoudre à le laifTer vuidc ; & comme les matériaux ne me manquent pas , je m'en vais le remplir par un trait des plus cu- rieux , & qui prouvera démonftrativement ce que j'ai dit ci-deflus au fujet du Ju- gement exquis de l'Auteur, de fa Criti- que judicieufe, & de fa parfaite connoif- fance de l'Hifloire ancienne. II prouve- ra fur -tout , que, fans égard aux pré- jugez , quelque généralement répandus qu'ils puifTent être, il juge des chofes par elles-mêmes. On a parlé de tous tems avec des éloges infinis de la rete- nue d'Alexandre le Grand , & de Scipion PA" fricainy dans une occafion à- peu -près X 4 fem-
$i22 Bibliothèque Britannique,
ferîiblable , que Ton prétend avoir été fort délicate, & on a élevé jufqu'aux nues le triomphe qu'ils remportèrent fur eux- mêmes. Mais en cela notre Voyageur s'efl cru en droit de penfer autrement que le relie du genre humain, comme on le va voir dans un moment. C'eft au Ledeur à juger de la folidiré de Tes raifons , à roccafion de deux Peiner ^cs qu'il avoit vues dans le magnifique Hô- tel de Ville d'Augsbourg, Voici ce qu'il en d:t ]
La première repréfente Ale^^anâre ôc Epbefiicn dans la Tente de Darius, avec îa Famille de cet infortuné Monarque à fes pieds , & ces mots : Hoc efl vhiccre. Or je ne puis m'em.pêcher de dire ici en palTant , que je n'ai jamais , avec la multitude , regardé cetre action d'Ale- xandre comme une grande marque de Générofité ôc de Continence. Quel fujct d'admiration y a - 1 - il tant en cela':* Quoi ! parce que ce Prince, qui le p*- quoir d'une grandeur d'Ame peu com- mune, ne fe jette pas brufquement, ccn> me un vilain Sc^tyre , en entrant dans cet- te Tente , fur la Fehim.e ou les Fijlcs de Darius, c'ell-à-dire fur les pîusgranfjcs Princedes qu'il y eût alors au monde , faut -il trier au miracle? Franchement, on fe moque de nous avec cette pré- tendue beïle victoire qu'il rem.porra îur iui-mL-nie. Il ne falloit pas être un A-
Icxan-
JaKvier, Février et Mars. 1742. 32^ texandre pour être capable d'un pareil effort. Je ne fçais même û le moindre Aigrefn , le moindre Goujat de Ton Ar- mée n'en eût pas fait autant: & fi, plutôt que de faire Tinjure la plus cruelle à des perfonnes de leur fexe & de leur rang, il n'auroit eu un vif fenriment de leur dif- grace, o: iCiché de l'adoucir par cous les moyens imaginables. Encore un coup . donc , je ne trouve rien qui ne fût très* naturel dans cette retenue de ce Con- quérant; rien qui m.érite par confequent ia moindre admiration ; non plus que dans une infinité d'autres de fes accions, qu'on a pourtant voulu faire paner pour des merveilles.
D'ailleurs, on ne fait pas réflexion que le grand penchant dWexundre n'é:okp3S alors tourné du côté des Femmes. C'é- toit la débauche du Vin qui faifoit fcs plus grands délices. Or cette feule cir- conliance rédairoit à rien fon triomphe^ quand même tout ce que nous venons t!e dire ne l'auroit pas rendu chiméri- cuc. Au fefte, cette heureufe difpofi- tion ne fut pas en lui d'une fort longue durée, puifqu'il n'eut pas plutôt fournis toute la Perfe, qu'il donna tète baiiTée dans les excès de la débauche la plus outrée, ix de toutes les efpeces ; témoin fon Brf^caSi témoin fa Thaïs, pour l'amour de laquelle il réduifit en cendres la plus fu- X 5 per-
324 Bibliothèque Britannique , perbe Ville de l'Orient. Après rout , c'eiL ce me femble, fe moquer du mon- de, que de louer les Princes du côté de ce qu'on appelle Chafteté. Placez au mi- lieu de mille & mille tentations des plus féduifantes, il eft à préfumer, il eft, d.s -je , comme démontré par une infinité d'expériences , que ce n'eft nullement la Raifon ou la grandeur d'Ame qui pré- domine en eux quand ils font châties, mais uniquement le tempérament. Peut- être même n'eil-ce pas le cas des Prin- ces feuls.
Une autre réflexion importante qu'il y a à faire ici, c'eft que la plupart des Homm.es, & les Hiftoriens comme les autres, par un étrange préjugé, trop fa- vorable à cette heureufe difpofition , femblent confpirer à la mettre à cent piques au - deflus de toutes les vertus. Ils n'auront pas même honte de faire un éloge pompeux d'une perfcnne , mais fur -tout d'un Souverain, qui en aura donné une marque un peu éclatante, & cela dans le tems qu'il fera coupable de mille autres crimes atroces, auxquels ils daignei'ont à peine faire la moindre atten- tion. Or c'eft précifément ce qu'on a fait à l'égard d'Jlcxandre. Sous ombre qu'il a, dans une feule circonfcance de fa vie, marqué une efpece de retenue, tout le monde s'empreiïe à l'exalter jufqu'aux nues, & on oublie tous fes vices, plus
per-
Janvier, Feitiier ET Mars. 1742. 325
pernicieL:x mille fois au genre humain que n'auroic pu être Tlncontinence.
Un Monarque qui à tout bout de champ fe plonge dans la débauche du Vm & de la bonne chère, qui dans fa crapnle ne fait pas difficulté d'égorger fes meilleurs Amis de fa propre main , qui fur les moindres foupçons eft capable de faire mettre à la torture, ou de maffacrer en trahison fes plus habiles Généraux, ceux- là m.îme à qui 11 devoit principalement fes victoires : un Monarque d'ailleurs, ((ui, par pure ambinon, fans fujet ni prétex- te, va courir rUnirers entier Csc le cou- vrir de fang & de carnage; un auffi abo- minable Monarque mérite -t -il qu'on le loue le moins du monde, parce qu'il au- ra donné quelques fignes équivoques de Continence, dans une cbnjonélure, qui , comme nous l'avons va , n'étoit rien monis que délicate ni féduifante.
Mais revenons à nos Peintures. Le meilleur de ces Tableaux repréfente Scipion r Africain y qui rend, dans Car- ibagc la Meuves aujourd'hui Carthagène en Ef pagne y une jeune Princelfe à fon Fian- ce Lv.cius Aculeiiis , Prince des Celtiberiens , qui fe trouvèrent l'un oz l'autre parmi les Otages que les Fjpagnols avoient donnez aux Carîbaginois, Scipion, ânns ce Tableau, addrelTe ces paroles au Prince: jfure bel- H mea, tua meâ graùd. i\u bas du Tableau efl écrit: An vivras aï tins ire pot eft? Au- tre
32(5 Bibliothèque Britannique,
tre exagération hyperbolique , même dans la fuppofition que le fait foit vrai. Trois chofes rendoient ces deux Perfon- nes facrées. Ils étoient du plus haut rang -, ils étoient comme mariez ; ils étoient Otages. Or n'auroit-il pas fal- lu que le Général Romain eût été le plus fcelérat, le plus infâme de tous les hom- mes , pour s'oublier dans cette rencon- tre julqu'à fouler aux pieds toutes ces importantes confiderations? Un Barba- re , le plus vil de fes Soldats , auroic eu bien de la peine à s'y réfoudre.
Mais que dira-t-onfi je prouve dé- uionltrativement que cet illuftre Géné- ral ne laiiTa pourtant pas que de faire une fi indigne action? Que dira -t- on, encore un coup , fi je cite des Auteurs dignes de foi, qui donnent hautement îe démenti à cette prétendue Continen- ce, tant vantée par Tite Live, par Vaîe- re Maxime & par Eutrope, qui ont voulu nous faire paiTer leurs Héros Romains pour Qcs Hommes fans foiblelTes? Déjà Polybe 6c P (marque , moins partiaux que les Romains , & par conféquent plus croyables , ne font pas Scipion tout- à-i^ait a grand Héros dans cette occa- fion. Car ils difent, qu'il ne rendit point cette jeune Fille fans fe faire beaucoup de violence, & qu'il ne put s'empêcher de s'écrier: Qu'on nhût pu lui faire un ■^'k s'il eut été homme pri- vé ;
Janvier , Février et Mars. 1742. 327 vé; mais qu^ étant Générât des Romains , i/ fe voyait obligé de renoncer au pîaifir de pof- feder une ft belle Perfonne. Voilà, ce me femble ,un aveu qui rabat déjà un peu de l'HéroiTme qu'on attribue à cette -ac- tion ; puifqu'il ne la faifoit que malgré lui , & purement dans la crainte de rui- ner fa réputation.
Ce n'eft pas tout , ou plutôt cela n'eft rien : car û nous en croyons Valerius Au- fias * , Hiftorien Romain , de qui Tite Live a pris à -peu -près tout ce qu'il y a de bon dans Tes Décades, & qui fervoit dans cette guerre en Efpagne contre les Car- thaginois en qualité de Tribun d'une Lé- gion ; fi, dis -je, nous en voulons crow re cet Hiilorien, qui paffe pour très -fi- dèle, le Grand Scipion étoit homme com- me un autre: car il nous aiïïire pofuive- ment, qu'il voulut tâter d'un morceau aufll appétiflant que l'étoit cette belle E/pagnolCy & qu'il ne la rendit pas à fon Père, qui la redemandoit en payant une grolle rançon j mais qu'il la retint & en
jouit.
* Cet Auteur doit avoir été très -célèbre. Il avoit écrit des Annales , qui compofoient un on plufieurs Volumes confiaerables , puifque j^ulu- Celle ( Liv. VII. Chap. 9. ) en cite le Liv. LXXV. Prifcien ( Chap. 7. ) cite le IX. Enfin il a été plufieurs fois allégué par Tite Live, Phnarqiie , , Pline , & plufieurs autres. C'eft grand dcmiLa- ge qu'un fi bel Ouvrage fe fcit perdu.
328 Bibliothèque BritaKntqub,
jouit. Voici Tes propres paroles; Puelîa quœdam pulcherrima , quam Carthagine , amplâ avitate in Hifpania , expugnatd cupe^ rat Publius Arricanus faperior, nonnddi' ta patri , fed retenta ab eo , atque in deliciis amoribufque ufurpata efl. Voilà qui cil bien pofitif, ce me f'emble, & qui ne foufFre pas la moindre équivoque, lur-touc ve- nant d'un Hiftonen contemporain de Scipion , fon compatriore , & d'ailleurs témoin oculaire de l'événement.
Ajoutons , pour confirmer cette preu- ve, que Vakrius Autias n'eft pas le feul Ecrivain de ce tems-là qui ait donné une fi mauvaife opinion de la Continen- ce de Scipion. Nœvius , fameux Poète, aulTi Romain, & qui rendit fon nom cé- lèbre par des Satyres, des Comédies & des Tragédies, & qui (ce qu'il y a de plas remarquable) fervit auHi dans la mê- me guerre contre les Carthaginois-, Nœ^ vins, dis -je, fit des vers fanglans contre ce Général, long-tems après fes vic- toires , qui fuppofent maniteflemen: , que bien loin d'être chafle , il donnoit dans la débauche des femmes la plus bafle & la plus méprifable. Voici ces vers:
Etiam qui res magnas gejpt gtoriofè , Cujus faâa viva nunc vtgent , Qui apud Gentes folus prcpflat ; Eum fuus pater , cum palHo une , ab Arnica abduxit.
Quel
Janvier, Février et Mars. 1742. 329 Quel joli, quel édifiant fpedacle, que de voir un Général célèbre , donc le nom & les exploits rétentifîbient par tout l'Univers, û loué par trois Hifto- riens fameux du côré de la Continence; de le voir furpris dans un lieu infâme, arraché d'entre les bras d'une Courti- fane , & entraîné comme par force au logis, dans un milerable équipage, & ce- la par fon propre Père ? ' Cependant c'eft le fped:acle que le Poëte repréfen- te très -naïvemient à nos yeux dans ces quatre vers. Que conclure de tout cela? Si-non qu'il n^eft prefque pas un feuî Hiflo- rien , qui n'ait avancé des cbofes fur le/quel- les il ne puijfe être convaincu de faux par de bons témoins. C*eft la réflexion fenfée de Vopifcus in Aureliano.
Au refte, je prévois que cette petite découverte fera de la peine à bien des gens. Elle en fera d'abord aux Peintres & aux Graveurs , qui pour la plupart fe font efforcez à l'envi de repréfenter cet événement , qu'ils croyoient réel , fous les plus belles couleurs. Que diront, a- près cela, une infinité de bonnes Ames, qui ont un million de fois béni le bon Dieu , de ce qu'/7 ne s^étoit pas laiffé fans témoignage parmi les Payens mêmes , & qui ne fe fonc pas fait un fcrupule de donner kScipion une glorieufe place en Paradis? Les Théologiens aufïï ne feront pas con- tens, qui, à l'occafion de cette préten- due
330 Bibliothèque Britannique,
due Vertu, & de quelques autres Adions héroïques des Romains , ont imaginé, je ne fçais quel Efprit réprimant, que Dieu connmuniquoit libéralement, dans cercai- nes rencontres , aux Payens , quoiqu'il leur refufât toujours la grâce fandiliante & falutaire; par le moyen duquel il arrètoit le torrent de leur corruption , qui fans ce- la fe feroit débordé avec toute une au- tre furie qu'il n'a fait. Car le voici, cet Efprit, réduit à Tinadion, au moins p.ar rapport à Scipion. Entin les Prédicateurs fe plaindront de ce que je leur enlevé un exemple qu'ils ont fi fouvent occa- fion de propofer à leurs Auditeurs, pour les exciter à être chaftes, modérez dans leurs plaifirs , & à réfilter aux plus vio- lentes tentations. Mais que faire à tout cela , puifque le fait ell évidemm.ent faux ? Ce n'eft pas ma faute, fi tous ces Ta- bleaux magnifiques, toutes ces belles re- Héxions font fondées fur des chimères.
ARTICLE V.
Traité Mathématique fur le Bonheur, par i RENÉE Krantzovius: Ouvrage traduit de V Allemand en An^ glois , avec des Remarques , par A. 1). 6i traduit de ï'Jngkis en François , avec une Lettre préliminaire par le
Tra-
Janvier, Février et Mars. 1742. 23t Traduéleur François. A Londres , chez Guillaume Darrès, 1741. Brochure in 12. de 66. pages,
"^' Ous avons rendu compte * de cette -^^ petite Pièce dès qu'elle parut, & cous avons infmué que PAuteur & le Tra- dudeur Anglois ne font qu'une feule & même perfonne, & que le prétendu Ma- ri ufcrit Allemand n'eft qu'une chimère. On a pu comprendre par notre Extrait, que c'eft ici un badinage fpirituel, defti- né à tourner en ridicule les E/prits-forts , ou EfpritS' libres y comme les appelle le Tradudeur François. Le Titre de fa Tra- duction annonce' une Lettre préliminai- re de fa façon, dont nous croyons de- voir dire quelque chofe, parce qu'elle, contient le précis de deux Brochures où Ton employé auflî l'ironie pour com- battre les Ennemis de la Religion, &, defquelles nous n'avons jamais rendu compte.
L'une eft une Lettre à un Membre de Parlement, où l'on propofe un Bill, pour abroger certaines vieilles Ordonnances , appellées cornmunément les dix Comman-- démens. L'autre eft un Syflème, où Ton
don-
*• Voyez le Tome XII. de cette Biblioth, /, Part. pap:. 70. C!? /"îî'- Toms XFIIL Part, IL V
332 Bibliothèque Britanniqxje ,
donne des Réglemens pour les E/prUs- forts,
L'Auteur de la première obferve , que c'eft n'avoir fait que la moitié de l'ou- vrage , fi l'on n'a de liberté que pour penfer , & non pour agir. C'eft fur ce principe qu'il demande de l'Autorité Lé- giflative l'abolition des dix Commande- mens , qui fubfiftent , dit ' il , en dépit de tous les Droits & de tous les Privilè- ges naturels & religieux d'un Peuple Proteftant libre, & nonobftant les en- treprifes faites de tems à autre par des Perfonnes judicieufes & bien inten- tionnées pour parvenir à une entière Reformation. Il attaque chaque Com- mandement en particulier. Si on ne les abolit pas , il demande au moins qu'on les explique d'une manière convenable.
Sur ce Commandement , que l^on ne pren- dra point Je Nom de Dieu en vain, il établit pour principe, d'après un fameux Pré- lat de l'Eglife Anglicane , que l'on doit fixer le fens des paroles de l'Ecriture par les régies communes du langage dans les occafions femblables. Or , dit - il , l'exprelTion de dire ou de faire quelque chofe envain eft 11 claire, qu'un homme qui a le fens commun ne peut s'y mé- prendre : elle fignifie purement & tou- jours une chofe dite ou faite fans but , fans delTein , fans profit : enforte que , fuivant cette explication , ce n'eft point
pren-
Janvier, Février et Mars. 1742. 333
prendre le nom de Dieu envain , que de s'en fervir pour fupplanter un rival, rui- ner un Ennemi, amufer un Ami foup- çonneux , &c.
UObfervationdu Sabath,ou du Dimanche y n'ell , fuivant FAuteur, que pour la Ca- naille , pour des gens qui ont befoin de travailler fix jours de la femaine , & de fe repofer le feptième. Ce Commande- ment ne regarde point ceux qui font dans le cas de n'avoir rien à faire toute l'année qu'à manger , boire , dormir & fe divertir. Les préjugez fur la manière d'obferver ce jour confirment cette ex- plication; car on s'imiagine qu'on doit aller à l'Eglife & s'occuper à des exerci- ces de dévotion; bien loin que ce fût un jour de repos, ce feroit un jour de fatigue & de travail pour un grand nom- bre de Perfonnes de condition & de qua- lité. Ils trouvent plus de repos 6l de contentement à prendre le frais en Eté , & à f e tenir pendant l'Hyver auprès du feu, qu'à étouffer ou à s'enrhumer à un Sermon, où, fuivant toutes les apparen- ces, ils ne s'entendront dire que des cho- fes defagréables , & qui ne leur feront d'aucun profit.
L'Auteur foupçonne, que les Comman- demens Vous ne tuerez pomt , Vous ne commet' irez point d'' Adultère , & ceux qui fuivent, pourroient bien être falfifiez, en ce qu'on y auroit ajouté la particule négative qui Y 2 s'y
$^4 Bibliothèque Britannique, s'y trouve. Quoi qu'il en foit de ce foup- çon , il fait voir que ces Commande- mens , dans le fens qu'on leur donne or- dinairement , font û peu raifonnables , qu'ils font diredement contraires à la conduite du beau monde.
Le Commandement contre VHomicide ne regarde point ceux qui font en état de prouver trois quartiers de Nobleffe. Si un homnîe de condition en tue un au- tre d'une manière honorable, il ne fait pas plus de m.al qu'un Bourgeois pacifique qui avale une huître toute en vie. C'eft l'ufage de tous les fiécles & de tous les gens d'honneur, de palfer leur épée .à travers du corps d'un infolent coquin, qui veut s'émanciper avec fes Supérieurs , éz qui manque à ce qui eft dû à leur rang ôz à leur fortune.
Il eft jufte encore, & l'expérience le confirme, que les Officiers jouiflent à cet égard des mêmes privilèges que les gens de condition : une coquarde & un uniforme valent bien quelques degrez de Noblefié. L'Auteur voudroitmême qu'on étendît ce privilège, mais avec des ref- triclions, jufqu'aux Officiers de la Milice de la Ville de Londres y qui font des ef- peces de Créatures amphibies , moitié militaires & moitié pacifiques; & il leur permet de tuer hommes îk bétes les jours de marché, de revûë & d'adlion. C'eft fur ce principe qu'un de ces braves Mi-
Janvier, Février et Mars. 174Î.335 ticiens , en revenant des plaines de la Vil- le (car c'eft-là leur champ de batail- le) tua, il y a quelque tems, avec beau- coup de raiîbn , le cheval d'un Brafleur qui lui barroit malhonnêtement le paiïa- ge de la rue. En toute autre occafion l'Auteur veut qu'il leur foit défendu de faire peur à leurs voifins, ^ d'attenter impunément à leur vie & à leur repos.
Ce n'efl de même qu'aux perfonnes du bas étage que V Adultère eft défendu. Il feroit ridicule que des Artifans & des Ouvriers fe mîflent dans la tête de de- venir petits-Maîtres, & de contrefaire les gens de condition. D'ailleurs ce font des affaires qui demandent une dépenfe, une application & un loiflr, que leur profef- fion ne leur permet pas d'y donner, & qui fuppofe un goût & un efprit de ga- lanterie, qui ne fe trouve pas dans les hommes d'une baffe naiffance , & qui n'ont point eu d'éducation. On auroit certaine- .ment tort de permettre à tout le mon- de de chafîcr & de détruire le gibier qui eil refervé pour le plaifir & le divertif- fcment des Seigneurs : une juile préro- gative n'efl pas moins néceffaire dans le cas dont il s'agit. Ce Commandement ne fçauroit donc s'étendre au gens ri- ches & de qualité, qui ont tant d'argent qu'ils ne fçavent qu'en faire, 6c dont la trop grande abondance de fang & de ri- chelTes exige cet expédient , pour les y 3 re:^
33^ Bibliothèque Britannique ,
réduire à un degré honnête de fang-froid & de médiocrité. C'eft un moyen par lequel la race de plufieurs perfonnes plé- béiennes a été ennoblie ; & fi la libéra- lité fe trouve jointe à Tarnour , comme il arrive d'ordinaire, c'eft en même tems une fource d'honneur & de profit pour la famille; c'eft corriger les injuftices du fang & de la fortune , & peut - être même les fentimens&les mœurs de la prochai- ne génération. C'eft par -là qu'on a vu une race depygmées être fuivie d'une ra- ce de géans , *& des familles où il n'y avoit conftamment que des fots depuis Guillaume le Conquérant, ne produire dans la fuite que des hommes d'efprit & de mérite. Aufli y a-t-il des Maris fort fen- fez qui y donnent les mains, afin de per- fectionner le génie , & d'augm.enter la fortune de leur famille ; & fuivant les maximes les plus rigides de la Loi & du fens commun , Volcnti non fit injuria^
Ces exem-ples fuffifent pour faire con- noître la génie & le but de la Brochure d'où ils font tirez» Ceux qui fouhaitent d'en voir un plus grand nombre , pour- ront confulter la Lettre préliminaire dont nous rendons compte : comm.e elle eft en François, elle fera fans doute bien-tôt entre les mains de; tout le monde.
L'Auteur de la féconde Brochure dont on y parle s'applaudit beaucoup des pro- grès de la Liberté de penfer en matière
dç
Janvier, Février et Mars. 1742. 337 de Religion ,jfur-tout parmi les perfonnes d'un rang diflingué, qui ne voulant croi- re que ce qu'ils entendent, font dans le cas de ne prefque rien croire du tout. Pour le Peuple , dit -il, comme il eft é- levé dès fon enfance dans la fuperftition & dans le travail , il eft extrêmement difficile qu'il fécoue le joug des préjugez; il conferve toujours quelque efpece de refped pour fon Pafteur , excepté peut- être lorfqu'il eft queftion des Dîmes. Quelquefois cependant on en voit qui s'émancipent ; mais lorfqu'ils rentrent en eux - mêmes , ainfi qu'ils s'expriment, je ne fçais quelles vieilles idées de Grand- mere fur un Jugement futur , & des Châ- timens éternels, abbattent toute leurga- yeté, 6c leur infpirent de la crainte & du repentir. L'exemple de la bonne compagnie , où l'on fe moque tous les jours & du Curé & de fon Prône , pour- ra peut-être avec le tems leur faire con- cevoir , qu'il n'y a que de miferables ruftres , fans éducation & fans fçavoir-vi- vre , qui puifTenc prétendre être plus ha- biles & plus fenfez que ceux dont ils ne font fouvent que les vaiïaux, les fervi- teurs , ou les fermiers. L'Auteur fonde encore de plus grandes efpérances fur l'exemple d'un grand nombre de jeunes Eccléfiaftiques , dont la conduite donne lieudepenfer qu'ils ne croyent rien de ce qu'ils enfeigneat, ou du moins qu'ils n'o- Y 4 feat
33^ Bibliothèque Britannique,
fcnt ôz ne peuvent le défendre : car fi un homme de quelque poids (k de quel- que crédit , dont ils peuvent efpérer de l'avancement, s'av]fe d'attaquer leur doc- trine , on voit la plupart d'entr'eux ob- ferver un filence aulli modefle que judi- cieux.
Le fuccès n'a cependant pas été juf- qu'ici aufli grand qu'on auroit pu l'eipé- rer de la bonté de la caufe , & du nom- bre, du poids & du zèle de fes partifans : mais cela ne provient que d'un défaut d'ordre. Nos gens * agiiFant d'une ma- nière ofFenfive , plus occupez à renver- fer & à détruire qu'à établir , fe font imaginez qu'ils n'avoient befoin que de force & de courage ; mais c'eflune gran- de erreur. L'Attaque a fes régies , & elle exige de l'art & de la méthode. Le zèle peut l'emporter fur le jugement , & quoi- qu'il n'y ait perlbnne qui ne puiiïè être Utile, il y en a qui nous ont fait beau- coup de préjudice, pour avoir fait un faux ufage de leurs talens. Cela nous a. attiré du mépris de la part de ceux mêmes qui étoient les plus favorablement difpo- fez à notre égard j enforte que des Of- liciers , hommes d'ailleurs de mérite 6c d'honneur, nous ont tourné le dos, 6c
fe
'^ Il n'efl peut-être pas nécefliired'averdr , que l'Auteur revêt le perfonnage d'un E/prit- fort, & que c'cH en cette qualité qu'il parle.
Janvier, Février ET Mars. 1742. 339 fe font avifez de regarder Dieu comme leur Créateur , leur Père , leur meilleur Ami , d'en prendre les intérêts , & de les foutenir même en cas de bcfoin par un genre d'argument plus conforme à leur métier , que compatible avec la liberté des débats : Antagoniltes brutaux & dan- gereux , qui, pour fauver l'ame d'un hom- me , lui paffcnt leur épée à travers du corps.
Pour remédier à ces inconveniens , l'Auteur voudroit que les Efprits - forts fe réunîiïent tous en un feul Corps, ou en une feule Communauté générale, qui eût fes Loix & fes Réglemens , 6c qui érigeât des Académies , où l'on inflrui- roit les Candidats , & l'on préfcriroit à chacun des fondions proportionnées à fes talens & à fa capacité.
Il y auroit dans ces Académies divers degrez , à l'imitation de ceux qui font en ufage dans les Univerfitez, & qui répon- droient à ceux de Bachelier , de Licen- tié & de Docteur. Les noms par iefquels l'Auteur juge à propos de caradériter les Grades de ces nouvelles Académies font ceux de Rieur , (ïEpihgueur ,6c de Para- logicien ou de Sophifle, Il veut que chacun s'acquitte de fon devoir , & n'empiére point fur ceux d'un Grade plus élevé. Il fubdivife la Cl alTe des it/fi^rj en /Impies Rieurs , en Railleurs, & en Moqueurs. tJne éducation naturelle efl capable par elle Y ^ feu!?
540 Bibliothèque Britannique,
feule de qualifier un homme pour entrer clans cette première ClafTe. L'Auteur dit une éducation naturelle, par oppofition à celle où l'on employé le fecours des Pé- dans, dont tout le fruit efl de jetter leurs pupiles dans des exercices préjudiciables aux yeux & à la fanté , & qui ne fervent qu'à leur embaraiïer la tête , qu'à gêner leurs défirs , 6z à artervir leur efprit : au lieu que fi ces jeunes Elevés étoient aban- donnez à eux-mêmes, leurs inclinations couleroient par leurs propres canaux, fous la direction de l'infaillible lumière de la Nature , donc le penchant nous porte à railler 6c à nous moquer. 11 n'ell pas même abfolument néceflaire de leur apprendre à lire & à écrire ; car il y a parmi ce^jx de cette Claiïe desperfon- nes qui s'y diftinguent fansfçavoir ni l'un ni l'autre Chacun d'eux en particulier n'eil pas d'une grande confequence; mais ce font les Soidût s de l'Armée ; le nom- bre en fait la force. Les Railïeiirs pour- ront ajouter aux éclats de rire quelques plaifanteries & quelques bons mots fur les Prêtres & fur la fuperflition ; & les Mo- queurs pourront aller jufqu'à l'infulte, pourvu toutefois qu'ils foient bien affu- rez d'avoir affaire à des gens pacifiques , & que les injures ne fâchent que jufques à un certain degré ; ils pourront même alors pouiïer leui- pointe jufqu'à donner \\n cartel; mais, comme on l'a obfervé,
il
Janvier, Février et Mars. 1742. 541 il faut que ce foiten toute fureté. Rien lie feroit plus fot , que de s'expofer à ■fortir du monde , pour foutenir qu'il n'y en a point d'autre que celui-ci; & ce feroit encore pis , û par hazard il y en avoit un autre. Car quoique nos Efprits- forts nient fortement les démonftrations qu'on leur allègue, néanmoins ils n'ont jamais prétendu démontrer évidemment le contraire.
Ceux qui auront envie de briller dans une plus haute fphère, pourront s'élever au Grade des Epilogueurs. Mais quelque envie que l'Auteur ait de leur épargner du travail & de l'étude , il exige qu'ils îifent , ou que ne fçachant pas lire , ils fe faiTent expliquer quelques Livres propres à leur donner des lumières. Il en in- dique plufieurs , & il en raconte des ef- fets fubits <1' admirables. Les Epilogueurs pourront non feulement rire , railler & le moquer, mais ils pourront encore em- barafler & embrouiller la converfation , & interrompre tout ce qui aura l'air d'un raifonnement fuivi. Ce n'eil pas qu'il leur foit permis d'y faire aucune répli- que dire<î:i:e ; au contraire, cela leur eft expreiïement défendu , comme n'étant point du relfort de leur Grade. 11 y a un autre moyen plus proportionné a leurs forces pour dérouter un ennemi & fon argument. Tout l'art & le lécretconfii- tent à l'affommer de dilFiCukez ^ & de
quef-
342 Bibliothèque Britannique,
queftions vives & brufques, fans jamais lui laiiTer le tems de répondre , & à les foutenir d'un air vidtorieux : & fi par ha- zard il fe trouve quatre ou cinq Rieurs, qui , à un certain fignal convenu , ap- puyentces queftions d'un grand éclat de rire , le plus grand Dofteur fe trouve â-quia , & fi déconcerté qu'on l'oblige pour le moins à décamper, enforte qu'on reftc maître du champ de bataille.
Le plus haut rang & le plus grand hon- neur oùl'on puilTe parvenir, eit le degré de Paraïogicien ou de Sophifle^ Ce font les Chefs & les Philofophes du Corps,; c'eft à eux feuls qu'eft refervée la gloirç d'établir , de défendre , de difputer , & d'attaquer en forme : non dans la forme ordinaire , car ce feroit donner trop d'a- vantage aux ennemis que de fe fervir de leurs armes , mais dans une forme propre & particulière à eux-mêmes.
L'Auteur donne enfuite un Plan abré- gé du fyftème qu'on doit fuivre , 6c celui d'une nouvelle Logique, digne du fyftè- me auquel elle doit fournir des preuves. Ceux qui voudront s'en inflruire, pour-» ront confuher l'Ouvrage même, ou l'Ex- pofé qu'on en trouve dans la Lettre pré- liminaire, qui nous a fourni prefque tout cet Article , dans lequel nous nous fom- nies fervis des expreifions jnêmes du Tradudeur François. Nous avons appris f^ue c'eft à Mr. àe Stlbouette que le Public
a
Janvier , Février et Mars. 1742.345 a robligation de cette Traduftion. Il nous apprend que l'Auteur des Penfées fur le Bmheur eft un homme d'efprit , Membre de rUniverfité di" Oxford, & qui n'a de reflemblance avec le prétendu Kranizo- vius, qu'en ce que fon nom commence par la même Lettre.
ARTICLE VL
La Sainte Bible, contenant les Livres de l'Ancien & du Nouveau Tefta- ment. Nouvelle Verlion, par Char- les LE Cène. A Jmjîerdam, chez Michel le Cène, 1741. deux Tomes ^ in folio , qui contiennent en tout environ 327. feuilles.
Quoique cet Ouvrage foit imprimé en Hollande , nous avons cru pour- tant qu'il pouvoit apartenir par plus d'un endroit à notre Bibliothèque. L'Au- teur en a compofé la meilleure partie en Angleterre, où il a fait un long fejour;, & où il eft mort enfin. Deforte que nous pouvons le regarder comme un des Sça- vans de la Grande-Bretagne,
Ceux qui ont lu le Projet d'une nou- velle Verfion de la Bible que Mr. k Cè- ne publia en 1696, peuvent fe Former ai- fèment une idée de cette Tradudion ,
puii-
344 Bibliothèque Britannique,
puifque PAuteur a fuivi affez exadement îePlan qu'il s'étoit formé, auquel ilfuffi- roit de renvoyer les Curieux, d'autanc plus que divers Jonrnalilles ne manquè- rent pas d'en rendre compte lorfqu'il parut *. Mais outre que, d'un côté , ce Projet eft devenu rare, & que de l'autre, la plupart de nos Ledeurs auroient peut- être de la peine à trouver les Journaux oii il en ell parlé , cette nouvelle Ver- fion eft trop confiderable à bien des é- gards , pour ne pas mériter qu'on la fafTe connoître plus particulièrement.
On trouve à la tète du premier Volume un AvcrtîJJement de V Editeur , qui nous ap- prend, que fi le Projet de Mr. le Cent elTuya des Critiques ; il. eut aufli des Approbateurs, fur - tout en Angleterre, Un Sçavant de ce païs-là le traduifit en fa Langue: on ne fçait précifément en quelle année; on fçait feulement qu'il en donna en 1727. une féconde Edition, dédiée aux Archevêques & aux Evêques, L'Editeur ajoute, que „ cette Verfion de „ la Bible ell à la lettre ce que le Ti- ,, tre en promet : elle eft véritablement ,i nouvelle y c'tft-à-dire d'un goût tout „ nouveau , & que jufqu'ici on n'avoit ,> point vu en Langue Françoife ", Il ex-
plî-
* Vo-jez entre autres , les A£la Erud. Lipf. Menfe Maj. 1697. ^ /'Hiltoire des Ouvr, des Sçavans, Juilkî iCg-.
Janvier , Février et Mars. 1742. 345 plique enfuite les raifons des différences qu'on appercevra dans les caradères de cette Edition. ,, Il faut fçavoir donc que 9> l'Edition du Grec, que Robert Etienne 9, publia en 1546. fur divers Manufcrits , „ a fervi comme de modèle à toutes 99 celles qui ont paru dans la fuite, & >, qu'en confequence de cet ufage , le 99 Texte do, Robert Etienne a pafîe pour le „ Texte original & primitif de cette 99 partie de l'Ecriture Sainte *. Cepen- 99 dant on convient, qu'entre les Manuf- 99 crits dont ce fçavant Editeur fe fervit, 99 il y avoit une grande diverfité de le- f> çons, & le nombre de ces Variantes 9, s'efl confidérablement augmenté par 99 le moyen de tant d'autres Manufcrits 99 que l'on a déterrez ou collationnez de- ,, puis ce tems-là. Ainfi le choix de 99 ces diverfes leçons, pour difcerner les ,9 meilleures, c'eft-à-dire celles qui font „ le plus vraifemblablement originales, 9» eft l'objet & fait l'occupation des Cri- 99 tiques. Chacun s'y détermine à fa mo- «de, & fuivant, ou fes lumières, ou 99 fes idées. Mais d'ordinaire, fans tou- „ cher au Texte commun , on renvoyé „ au bas de la page , ou dans le corps 99 du Commentaire , la leçon que l'on 99 croit préférable. Mr. le Cène ne s'efl 99 pas allraint à cette mxéthode: fouvent
.*ii * Le Nouveau Teftament.
$4^ Bibliothèque Britannique,
„ il a inféré dans fon Texte François les „ Leçons Grecques qu'il a cru devoir a- „ dopter fur la foi de quelques bons Ma- „ nufcrits , quoiqu'elles ne foient pas „ dans le Texte ordinaire de l'Original 99 ni des Verfions ; & ces endroits - là ,3 font imprimez en gros caradères ou „ en Capitales, Quelquefois auiÏÏ certains „ endroits du Texte commun lui ayant „ paru fufpeds, parce qu'ils manquent î> dans un grand nombre d'anciens Ma- „ nufcrits, il a jugé à propos que tout ,> le monde fût inllruit de ce qu'il pen- » foit, & ces endroits- là font imprimez ,, en caradères Italiques ^\ Nous croyons. devoir rapporter ici quelques exemples de ces deux efpeces de différences.
Nous trouvons une Addition confide- rable dans le IV. Chap. de l'Evangile félon St. Luc, entre les Verfets 5, & 6, où on lit ces paroles en lettres Capita- les: Je sus REGARDANT QUELQU'UN CE MÊME JOUR, QUI TRAVAILLOIT LE
JOUR DU Sabbat, il lui dit, ô Hom- me , vous ÊTES heureux , SI VOUS SÇAVEZ ce QUE vous FAITES, MAIS SI VOUS NE LE SÇAVEZ PAS, VOUS ÊTES MAUDIT , ET TrANSGRESSEUR DE LA
Loi. Mr. le Cène ne nous apprend point dans quel Manufcrit il a trouvé ce Paf- fage, & n'ayant pas fous la main le Nou-. veau Teftament de Mill, je ne fçaurois dire û ces paroles fe trouvent dansplu-
fieurs
Janvier, Février et Mars. 1742. 247 fleurs anciens Exemplaires ; mais je vois dans un Nouveau Teltamenc Grec^ impri- mé à Oxford l'an 1075, m 8., avec un aflez grand nombre de Variantes au bas des pages, que le paffage en queftion fe lit dans un Manuicrir de la Bibliothè- que de Cmnbridge , lequel avoit apar- tenu à Beze. Voici une autre Addition, tirée du même Manufcrit: elle retrou- ve au 44. Verfet du XXIÏÏ. Chap. de St. Luc. Jésus lui répondit (au bon Brigand) comme il étoit dans une horrible détresse , Prenez coura- ge, je vous ajfïirc en vérité , que vous fe- rez aujourd'hui avec moi dans le Paradis^ On voit aufli une Addition afFez confide- rable au ^6, Verfet du VT. Chap. de l'E- vangile félon St.. Jean: Comme mon Père efl en moi , je fuis auffi en mon Pcrc. En vérité je vous dis, que si vous ne RECEVEZ le Corps du Fils co.mme un Pain qui donne la Vie , vous n'au- rez point la Vie par lui.
Donnons maintenant quelques exem- ples de Paiïages douteux , qui manquent dans pluficurs Manufcrits , & qui , à caufe de cela, font imprimez ici en Italiques, Ces paroles du 32. Verfet du V. Chap, de St. Matthieu : Quiconque époufe une Fem- me répudiée ejl Adultère, manquent dans quelques anciens Exemplaires, auîîi-bieiî que les Verfets 23 , & 24, du XXIL Chap, Tome Xnil, Part, IL Z de
348 Bibliothèque Britannique, de St. Luc, où il eil dit, qu'un Ange ap^ parut du Oeî à Jefus-Chrilt, le fortifiant , ^ (\\:Cétant dans une extrême douleur, il re» doubla fes prières , d" qu'/7 lui vint une fueur de gruir.eaux ae fang , qui coulait jufqu'à terre. 11 n'eft pas néceflaire d'averdr, que l'Hiftoire de la Femme furprife en Adultère, qui fe trouve au commence-, ment du VIII. Chap. de St. Jean, eft aufii marquée ici en Italiques. Tout le mon- de fçait qu'elle ne fe trouve pas dans plufieurs anciens Manufcrits: mais peut- être que bien des gens ignorent qu'il en eft de même de THiftoire du repentir 6c de la mort de Judas, c'eft-à-dire, du Verfet 3. ôc des neuf fuivans du XXVII. Chap. de St. Matthieu : tout cela eft im- primé ici en Italiques, pour apprendre aux Lecteurs qu'on ne trouve point cet- te Hition'e dans quelques anciens Exem- plaires. S'il eft vrai que St. Matthieu ne Va pas rapportée telle qu'on la lit au- jourd'hui dans la plupart des Manufcrits de ion Evangile, on ne fera plus obli- gé de fe donner la torture pour concilier ion récit avec celui de St. Luc au pre- mier Chap. du Livre des Acles,& tou- tes les hypothèfes qu'on a inventées pour ey.piiGncr comment Judas, après s\^ire éircinglé , a pu fe précipiter &' fe cre- ver par le miiiai , de forte que fes entrailles fs foUnt répandues-, toutes ces hypothè-*
fesy
Janvier, Février e tMars. 1742. 349 Tes, dis -je , feront déformais inutiles^ &: on pourra s'en tenir uniquement au récit de St, Luc.
L'Editeur de cette nouvelle Verfion de la Bible nous apprend encore dans fon Avertiffement quelques partie ulantez de la Vie de Mr. le Cène , que nous croyons de- voir rapporter ici.
Mr. Charles le Cène naquit vers l'an 1647. à Cat'u , où il fit fes pre- mières études. En 1667. il alla étudier en Théologie dans l'Univerilté de Sedan;, où il demeura jufqu'au mois d'Avril i66(). Revenu Propofant dans le lieu de fa naiiïance, il s'y fit eftimer de tous IcsSça- vans, & fur -tout drs Paiteurs. 11 fut enfuite à Genève, pour y continuer fes Etudes, & de-là à Saurnur , &: il ne revint à Caen qu'au mois de Mars 1672. On ignore quelle fut la première Eglife qu'il fervit; on fçait feulement qu'il reçut i'im- pofition des mains le 14. de Septembre 1672. Quelque tems après il fut appelle à Honfleur, & il s'y maria. Il fut détaché de cette Eglife à fa requifition le 2. de Septembre 1682, & l'année fuivante il fut appelle à fervir l'Eglife de Charen- ton; mais cette Vocation ne put avoir lieu, parce que certaines perfonnes y fi- rent naître des difficultez , qui , bien qac levées dans le Confiftoire de Paris, ne pu- rent être terminées par l'autorité des Sy- nodes, comm.e elles l'auroient été,faivant Z 2 tow^
350 Bibliothèque Britannique, toutes les apparences à l'honneur de Mr, U Cène, fi la Cour eût voulu permettre la continuation de ces Aiïemblées. L'Af- faire traîna donc jufqu'en 1685, Que l'E- dit révocatif de celui de Nantes détrui- fit d'un feul coup les Eglifes Reformées de France.
Mr. îe Cène fe réfugia alors en Angle- terre: il eut le bonheur d'y faire pafler fa Bibliothèque , & de s'y trouver dans lin état aiïez commode pour n'y être pas inutile à divers Pafleurs qui s'étoiënt ménagé la même retraite. Il y vécut avec Mr. Alîix, & divers autres Sçavans de ce caradère , dans l'intime union qu'il avoic contradée avec eux dans leur commu- ne patrie. Il paiTa enfuite en Hollande, & après y avoir demeuré pluiieurs an- nées, il retourna en Angleterre, & mou- rut à Londres en 1703.
Il s'occupoit conftamment de fa nou- velle Verfion de la Bible; c'eft à quoi il rapportoit tous fes foins & toutes fes lec- tures: il mettoit même à profit fes Voya- ges, qui lui donnoient le moyen de con- fulter plus de Bibliothèques, & de voir une plus grande diverlite de Sçavans de tous les caradères. L'Editeur de cette nouvelle Verfion, qui eft le propre Fils de l'Auteur, ajoute, qu'il a repréfenté le Manufcrit de fon Père avec l'exadlitude & la fidélité la plus fcrupuleufe, & qu'il a pris tous les foins polTiblcs pour en ren- dre
Janvier, Février ET Mars. 1742. 351 dre l'Edition correde; & nous pouvons alïïirer le Public que fes foins n'ont pas été inutiles. Cette Edition efl très -bel- le; le caradère en eft aiïez gros & lifi- ble; il plaît à la vue, loin de la fatiguer; & comme les Chapitres ne font point partagez en Verfets, mais feulement en Paragraphes *, le fens ne fe trouve point coupé ni fufpendu, & le Difcours étant ainfi lié & fuivi, en eft auHi plus clair & plus intelligible.
Après cet AvertiflTement de l'Editeur on trouve le Projet de Mr. le Cène , tel qu'il l'a- voit publié lui-même. Ce n'ell que la pre- mière Partie de cet Ouvrage. La féconde, que l'Auteur avoit bien annoncée, mais qui n'avoit jamais été imprimée, fe voie à la tête du fécond Volume de cette nouvelle Verfion de la Bible. On trou- ve outre cela au devant de chaque Li- vre de l'Ancien Teftament un Avertiiïe- ment qui en fait connoître TAuteur, qui marque en quel tems il a vécu, à quel- le occafion il a compofé fon Ouvrage, & quelques autres pardcularitez nécef- faires pour l'intelligence des Auteurs facrez.
Pour donner maintenant quelque idée
de
* Les Verfets font pourtant numérotez à la marge ^ afin qu'on puiiïe trouver aifément les palTâges qui font citez ailleurs fuivant U divifion ordinaire.
Z ;
352 Bibliothèque Britannique ,
de cette nouvelle Verfion, il faut rap- porter quelques-unes des principales Ré- gies que l'Auteur s'eit préicrites, 6c qu'il a expofées dans la première Partie de fon Projet. Elle eil divifée en quinze Cha- pitres: nous en rapporterons les Titres, Ôc nous nous étendrons un peu fur ceux qui contiennent les Remarques les plus confiderablcs.
Dans le Premier Chapitre l'Au- teur établit une tlièfe que perfonne ne lui difputera. C'eft qu'/7 faut apporter u- ne grande applicaîion à bien traduire P Ecritu- re dans fon véritable fens. Il condamne ceux qui prétendent qu'il faut traduire l'Ecriture Sainte mot à mot, de peur de s'expofer à la menace de St, Jean, Apoc. yi.y>.l\. i8, 19. Il eil certain qu'une pa- reille Tradudion feroit entièrement bar^ bare & inintelligible. Il faut donc s'at- tacher à rendre le fens des Auteurs fa- crez, & les faire parler à-peu-près com- me ils fe leroient exprimez eux-mêmes s'ils avoicnt écrit dans la Langue dans laquelle on les traduit. 11 y a des ter- mes purement Hébreux :, qu'on a jugé à propos de lailTer dans les Tradudions, fans en rendre le fens. On ne Tçait pas, par exemple, pourquoi on a laifle le mot de Raka au 22. Verfer du V. Chap. de Sî. Matthieu, au lieu de le traduire par celui d'exécrable, qui donne une idée juf- te de la penfée de Jefus-Chrijl. Moins
en-
Janvier, Février et Mars. 1742. 252 encore peut - on dire pourquoi dans quel- ques palTages on a traduit des mors, que dans d'aucres on a lailTc fans traduction , comme celui de Mammon, qu'on a rendu par celui de B.icheffcs au XVI. de St. Luc , Verfet 9, pendant qu'on l'a laijlé fans l'expliquer, Matthieu VI. 24. Mr. le Cè- ne croit auill , qu'au lieu du nom de 5j^ tan, que jefus ' Chrijl donne à St. Pierre, Matth. XVI, 23. il vaudroit mieux tra- duire Advcrfaire, parce que le nom de Satan aparcient au Diable, & qu'JÎ n'y â pas d'apparence que le Sauveur ait vou»^ lu ainfi qualifier fon Difciple.
Dans le Second Chapitre l'Au- teur fait voir que la défenfe ÛQMoïfe & de St. Jean, d'ajouter à l'Ecriture ou d'tn retrancher quelque chofe, ne fuppofe pas une Verfion mot à mot , qui ne" donne- roit fouvent aucun fens. Pour fatisfaire ceux que cette défenfe pourroit rendre un peu trop fcrupuleux, on en explique ici le véritable fens. On remarque clone, que dans le ftile du Vieux Teltament , que le Nouveau a imité en divers en- droits, ajouter aux Commo.ndemens de Dieu, ■c'eil les violer, en faifant quelque cho- fe contre ce qu'ils ordonnent; ce qu'on appelle des Pé:hc-z de Commijhn dans les Ecoles Chrétiennes: & que les diminuer ou les retrancher, c'efc négliger ou ne pas faire ce qu'ils préfcrivent, comme Paul Fage & Groîius l'ont fait voir.
Z 4 No=^
354 Bibliothèque Britannique,
Notre Auteur montre enfuite , qu'il eft quelquefois néceiTaire de fuppléer dans la traduction d'un palTage quelques ter- mes qui précèdent ou qui fuivent, afin d'y trouver un fens parfait. Ainfi il eft remarqué i Timoth. IL 14. qviAdam n'a pas été Jédiiit , mais la Femme, tfc. Les In- terprètes ne pouvant accorder cette ré- flexion de l'Apôtre avec la vérité, difent qu.' Ad'vn ne fut pas féduit par le Serpent, mais Eve: ou que St. Paul die, qu'Adam ne fut point féduit, parce que l'Ecriture n'en parle point, comme plufieiirs veu- lent que l'Apôtre aux Hébreux a dit, que Mcichifedec n'avcit ni Pere^ ni Mère, ni Gé- néalogie, parce que Moïfe 6c les Prophètes n'en difent rien. Mais fans avoir recours à toutes ces fubtilitez, il ne ^ut que re- péter le mot premier qui fe trouve dans le Verfet précèdent, 6c irsiduire qii^' Adam n'a pas été féduit le premier, 7?k//j la Fem- me, 6c toute la difficulté difparoît, com- me l'a remarqué Drv.fms : & c'elt confor- mément à cette Remarque que Mr. h Cène a traduit le paiTage en queftion de cette manière: Ce ne fut pas même Adam qui fut féduit le premier, mais la Femme, qui, fe hiffant féduire , tomba dans la tranf- grejjlcn.
Le fujet du Troisième Chapitre eft exprimé en ces termes : Que le ftile de VEcriture efi fouvent fi figuré , qu'une Verfîoncfi obligée d'exprimer le f.mple fens,
. ..On
Jakvieb, Février et Mars. 1742. 355
„ On fçait, dit notre Auteur, qu'il y a
„ quelquefois dans l'Ecriture des tranf-
„ politions de termes, qu'il faut remet-
„ tre dans leur ordre naturel: qu'il y a
„ des fautes dans les Copies, qu'il faut
,, reformer: qu'il y a des leçons diver-
„ fes d'un même Texte , dont il faut
„ préférer Fane à l'autre pour diverfes
„ raifonsrque la diverfe Ponciuarion cl'im
99 même mot Hébreu lui donne des ^^wb
\y tout oppofez; qu'il y a des Propofi-
„ rions qui paroiifent négatives, qu'il
„ fdLt prendre inrerrogativement 6: atiir-
P9 mativement: qu'il y a des aliuiions à
„ des ufages 6z à des cûLitumes, qui en
„ é.;laii cillent l'obfcurité*. qu'il y a des
,, exagérations qu'il faut modérer: qu'il
,, y a un fens lir:érol, & un fens figuré,
5, qu'il ne faut pas confondre: qu'il faut
„ entendre plufieurs expreiiions généra-
„ les, par rapport aux iujecs parricuîiers
„ où elles fe rencontrent : que l'Ecriture
f, s'accommode quelquefois aux opinions
,, courantes fur les chofes naturelles,
,, fans les appr-ouver ou les confirmer:
>j qu'il y a des Parenthèfes qui troublenn
„ le fens, fi on ne les maraue plus ex-
„ aAement que les Verfions ne le font:
„ qu'il y a des manières de parler da
„ tems paffé, de la Nation juive 6c des
,5 Orientaux, qu'il faut ajuiîer à nos i-
„ dees : que les diverfes circonitances du
;> fujet, la liaifon de ce qui précède Ôc
Z 5 fs de
25^ Bibliothèque Britannique,
s9 de ce qui fuit, & le but de TAuteur en ,, détermine la fignification : que les fi- „ gnifications d'un même verbe Hébreu ,y changent entièrement, félon les diver- 5, fes conjugaiibns ; & plufieurs autres „ régies, qui font de la dernière impor- ,:, tance fi l'on veut donner une con- „ noiflance exadle de ce que l'Ecriture 5, enfeigne: mais le Peuple, qui n*a pas „ moins d'intérêt de s'inflruire de la vo- „ ionté de Dieu que les Sçavans, ne pof- „ fede pas cette connoiiTance, & il de- ,, meurera toujours expofé à fe tromper „ grolTierement , tant que les Verfions ,, demeureront dans l'état où eilesfont.'* Mr. le Cène éciaircit & juftifie tout ce- la par un aifez grand nombre d'exem- ples: nous en rapporterons quelques-uns. 11 y a des occafions où l'on ne peut tra- duire rOrJginal à la lettre fans en alté- rer le fens. Les Hébreux expriment le plfcge 6z la Colcre par le feul miOt Panim : mais on ne pourroit employer le mot de Vifcige dans les lieux où ce terme défigne manifeflement la Colère y fans corrompre le Texte. C'eil pourquoi la Verfion de Genève & Pifcator ont eu raifon de tra- duire ce qui eft dit au Pfeaume XXI. lo. Tu les rendras comme un Four embrnfé au jour de ta Face\ par ces termes: Tu les rendras comme un Four embrafé au tems de ton Courroux. On a traduit de même le mot à^ Panim parCourrow.r, ou Colère^ en di- vers
Janvier, Février ET Mars. 1742. 357
vers autres endroits : mais il y en a aulU plufieurs , oii il lemble qu'on ait eu tort de conferver le mot de Face ou de yïfage: comme, par exemple ce qui eft dit à! Anne au 1. Cbap. du premier Livre de Samuel, Verfet 18. Son Vifage ne fut plus tel qu'auparavant ; où l'on a ajouté le mot d'auparavant y qui n'eil point dans l'Original: la Verfion auroit é:é plus in- telligible , & n'auroit pas exigé d'addi- tion, fi on avoit traduit, /on Indignation ne continua plus. L'Auteur allègue quan- tité d'autres paflages où l'on a coniervé le terme de Vifage, ou de Face, au lieu d'employer celui de Colère , ou à'Iadi-' gnation,
Mr. le Cène remarque encore, que les Orientaux, donc les Auteurs des Livres de la Bible ont imité & employé le ilile, ex- primoientpreiquetouc ce qu'ils vouloienc dire, par des termes enflez & hypt^rbo- liques, qui paroiflent pleins d'une em- phafe particulière lorsqu'on les traduic mot à mot dans its Langues Occidentales -^ quoiqueceux qui font accoutumez au lan~ gage du Levant n'y voyent rien de fi é- nergique, parce qu'ils fçavent quelles i- dées les Orientaux attachoient à ces ter- mes pompeux On ne pourroit
traduire leurs difcours mot à mot dans quelques occafions, fans faire naître dans Fefprit des penfées tout opoofées à cel- Jes qu'ils avoient , d: qu'ils ont enco- re
S5S Bibliothèque Britannique,
re aujourd'hui en s'exprimant de cette manière. Lorfqu'il s'agit de la ruine d'u- ne Vaille, ou de quelque malheur particu- lier, ils difent, Qiic la Terre tremble, que les Etoiles tombent du Ciel , que le Soleil s^obf- curcit , que la Lune n'éclaire p'us , en un mot , que toute la Nature difparoît. On trouve toutes ces exprefTions , & plusieurs autres aufii fortes , au Chap. XIII. d'EJau Verf. lo , où ce Prophète décrit la ruine de Babylone de la manière du monde la plus épouvantable, comme fi eiie avoit dû être rafée, & ri tous fes habitans eûHent été égorgez par les Mé- des. 11 fait prefquc les mêmes m.enaces aux IdurrJens, & J'oël aux ^uifs. Il ne faut néanmoins pas prendre ces termes à la lettre , car ces Prédictions n'ont ja- mais éré accomplies dans toute l'éten- due de la figniùcadon naturelle de leurs termes. Il femble donc qu'il faudroit dire en ces lieux , pour exprimer ce que les Prophètes ont voulu dire en leur langue; Qii'tl arriverait d'* effroyables mal- heurs aux Rois de Babylone , az/x'Idu- méens & aux Ifraëlites, & qu^ils tombe- voient entre les mains de leurs Ennemis , qui n'en auroicnt aucune compajjlon ; car c'eft uniquement ce que les Orientaux , les Grecs i les Latins, 6z les Arabes d'aujour- d'hui entendent par ces expreilions li for- tes. Platon, Homère, 6c Atticus dans Cice- rûn, décrivant quelque mif ère de leur
tems.
jAîïtiER, Février et Mars. 1742. 359 tems, dirent en autant de termes, qu'ils * croyent qii'il rï'y a plus âe Soleil au mon- de ; & les Arabes difent encore tous les jours, en parlant de quelqu'un à qui il eft arrîvé quelque difgrace confiderable, que fon Ciel eft tombé par terre, ou a été converti en terre y comme on le peut voir dans Maimonides *, Grotius f, &c.
)9 On demandera fans doute , ajoute „ notre Auteur, pourquoi, fi cette der- „ niere méthode de traduire fimplement „ le fens des termes eft préférable à cel- „ le qui s'attache fcrupuleufement à les „ rendre mot pour mot , on ne traduit ,, pas fimplement le fens de ces oracles, „ au lieu d'en exprimer tous les termes , „ en omettant le fens que l'on croit „ qu'il faut leur donner? On répond à „ cette objedion, qu'on le fait dans ces „ occafions , parce qu'il s'agit propre- 99 ment de faits où la conduite de Dieu „ ou du Sauveur eft particulieremenc 99 caractérifée , & qu'il feroit impofîî- „ ble de trouver dans les Langues Oc- 99 cidentales des termes naturels qui rem- ,, pliffent précifement l'idée de ceux de „ l'Original , fans faire une Paraphraie 09 plutôt qu'une Verfion. Mais de plus, „ comme on fe propofe de publier des ,, Remarques, qui éclairciront tous les
„ chan-
* Moreh Nevoch P. II. Cap. XXIX, t Ad Macth. XXIV. 27 , 29.
360 Bibliothèque Britannique ,
„ changemens que Ton croit devoir fai= „ re dans les Venions, & qui explique- „ ront diverfes difficultez qui fc trouvent „ dans le Texte Sacré , pour s'être trop ,i attaché à la lettre , on ne croit pas 5, qu'il foit abfolument néceflaire de fe „ reftraindre à interpréter feulement le „ fens en quelques lieux ". On voit parla fin de ce paffage , que Mr. le Cem fe pro- pofoit d'accompagner fa nouvelle Ver- fion d'une efpece de Commentaire ; mais apparemment que fa mort prématurée l'a empêché d'exécuter ce deifein.
Dans le Quatrième Chapitre l'Au- teur parle du fort de ceux qui fe font appliquez à retoucher les Verfions qui étoient en ufage : tels font St, Jérôme , Erafme, Pagnin, du Jon , Tremellius y Bé- ze 6c Meflieurs de Port - Royal, Ils ont tous été maltraitez parleurs contempo- rains; mais comme on leur a rendu jufti- ce dans la fuite , 6c qu'on a reconnu la néceffité de leur travail , Mr. le Cène fe flatte qu'on recevra en bonne part fa nouvelle Verfion, & qu'on en excufera les défauts.
Dans le Chapitre suivant il traite de la néceiiité de retoucher & de corriger les Verfions Françoifes de la Bible; & il fait voir encore, qu'il faut plutôt s'attacher au fens, qu'aux termes <& à la lettre.
Le Sixième Chapitre eft defliné à-
prou-
JANVIER, Février et Mars. 1742. 361 prouver , que Pabus des Verfwns pure-- ment littérales eft la Jour et des Superjli' lions. Nous en rapporterons deux exem- ples: le premier regarde la Superilirion des "Juifs à l'égard de leurs Phylactères, St. Jérôme remarque , qu'elle ne vient que de ce qu'ils ont pris à la lettre l'ordre que Dieu leur donna autrefois de Uerfes Loix à leurs mains, &' de les avoir comme une bague fur le front devant leurs yeux; Deuc. VI. 8. XI. 18. c'eft-à-dire de les ac- complir, & de s'en fouvenir inceflam- ment. Mais l'Interprétation litérale, que les Phiarifiens ont établie, quoiqu'ils ne donnaiïent d'ailleurs que trop iouvent dans l'allégorie, leur a fait croire, que c'étoit un ordre exprès, d'écrire fur un morceau de Parchemin quelques Verfers du Chap, XIIl. de l'Exode , & des Chapi- tres VI , & XI. du Deutéronome ; ce qui fe doit faire avec beaucoup de formalitez & de cérémonies, pour fe les attacher enfuite fur le front & fur le bras gau- che avec une grande dévotion: de forte que ceux qui les portent, le plus fouvenc palTent pour les plus religieux, quoiqu'il n'y ait rien dans le fond de plus fuper- ftitieux, ni de plus ridicule.
L'autre exemple que nous choifif- fons parmi un alTez grand nombre que l'Auteur rapporte, efl celui de Vlnvcci- tion di's Saints y que les Catholiques Roirains tachent de prouver par une autorité de
i'E^^
362 Bibliothèque Britannique, PEcriture Sainte qui n'eft gueres folide. Ils trouvent dans la Fïtigate , Gen.XLYlU . 16, que 'Jacob fouhaitoit que fon nom, (S le nom de fes Pères Abraham d Ifaac fût in-' voqué "^ fur fes Enfans. Mais Ejhus 6c Menocbius reconnoiiïcnt de bonne -foi, a- pres Fagiiis 61 Erafme , que ce:te façon de parler Hébruïqué lignine feulement , que Ja^ob fouhaitoit que fa poftenté confer- vât l'honneur Ùc la dignité de fon ori- gine , àc qu'elle fut toujours reconnue pour les dignes deîcenaans des Patriar- ches que Lieu avoit honorez de fon Al- liance. En effet , il ne taut que compa- rer cette façon de parler avec les autres paffages de l'Ecriture où elle eil em- ployée , pour reconnoître qu'elle ne dé- ligne rien d'approchant de l'invocation religieufe. 11 eil dit, que Jo^^ ayant bat- tu la Ville de B^abba, ne la voulut point prendre que David n'eût campé devant eiie, de peur que s'il l'avoit priie,on n^eût invoqué fon mm fur elle; 2 Sam. XII. ^8. Qui ne voit que Joab ne craignoit pas qu'on l'invoquât religieufement à Rabba , mais qu'il appréhendoit que les vainqueurs & les vaincus ne donnaient fon nom à la Ville, ou qu'ils ne lui attribuallent l'honneur de la vidoire , qu'il vouloit referver à David par affedion , ou de peur de s'attirer quelque jaloufie de fa
part r * Il y a réclamé dans nos Verfions.
Jaîîvier, Février et Mars. 1742,36s part, comme les louanges de quelques Femmes en âvoient un peu auparavant attiré à David de la part de Satil ? Efjte prédifant la Captivité des Juifs .qû Ba^ bylone, dit qu'alors fept femmes prendront ■un homme feul , à qui elles s'engageront de fe nourrir & de s'habiller d'elles-mê- mes, pourvu feulement que fin nom foit in" voqué fur elles. Ef. IV. i. Il n'y a per- fonne aflez groÏÏier, pour s'imaginer que ces femmes demandaflent à invoquer re- ligieufement cet homme, & qui ne voye qu'elles dévoient feulement fouhaiter de pafler pour Tes femmes , & de porter foa nom. La même façon de parler fe rro'-'- ve Efa'ie XLIV, 5. où il eft remarqué: qu'au retour de la Captivité l'un diroit; J^apartiens à Dieu , & que Vautre invoquerait le nom de Jacob : que Vun écriroit de fa main , J'apartiens à Dieu , & qu'il invoqueroit le nom d'Tfraël; & au Chap. XLFIII. 2 , qu'/7j invo- queroient la fainte Ville \ c'eft-à-dire, com- me le reconnoiiTent tous les Interprètes , qu'ils prendroient & porreroient le nom & la qualité de Defcendans de Jacoh ou d'Ifra'él, & d'Habitans de Jerufalem; & c'eft ainfi qu'on le devroit traduire dans les Verilons populaires, qui ne fçauroient être trop claires, ni trop exades, afmde prévenir l'erreur & la fuperftition. II femble même qu'on devroit traduire tous les endroits où il eft dit , que le nom de Dieu eft invoqué ou reclamé fur les Tome XFIIL Part, IL A a hom-
3^4 Bibliothèque Britannique ,
hommes , en difant fimplement qu'ihportmt U nom ou la qualité d'Enfans de Dieu : com- me Gen. IV. 26: Deut. XXVIII. 10: Nomb. VI. 27: 2 Sam. VI. 2 ; 2 Cbron, VII. 14: £• fa. XLIII. 7: Jerem. XIV. 9: yoë/ II. 32 : ^ifî. II. 21 : IX. 14, 21 : & XV. 17 : Rom, X. 12, 13, 14: 1 Cor, l, 2: 2r/m. II. 19: &c. C'eft ce que reconnoiflent les plus fçavans Interprètes de l'Ecriture i & la Remar- que de Hammond * paroît exaâe, que le verbe Grec è'xiy.uhéQiJ.ui fe prend toujours en ce fens dans le Nouveau Teftament, & que c'eft toujours un verbe paflîf, excepté lorfqu'il fignifie feulement ûp- pUer.
Le Septième Chapitre contient plu- fieurs exemples , deftinez à faire voir que les fautes des Verfions ont fouvent en- gagé dans des erreurs, & multiplié les Controverfes. Le premier exemple , au- quel nous nous bornons pour abréger , cft celui à'Origcnc , qui a cru , avec la plupart des Juif s y que les méchans ne rellufciteront point: il a été trompé par la Veffion des Septante ôc par la Vulgate, qui difent , Pf. I. 5 , Qiie les impies ne ref- fvfcitercnt point au jour du Jugement; & Efaïe XXVI. 14, que tes Géans ne rejjuf citeront point. Mais on ne trouve rien de fem- blable dans TOiiginal, qui dit fimplement dans le [)remier de ces Textes, que les
ijn- * Ad I Cor. L 2.
Janvier, Février et Mars. 1742, 3(53 impies perdront leur caufe quand on tes ju^ géra ; & dans le dernier , que les Re~ pbaims , ou ceux qui font morts , ne vivent plus , & ne fe peuvent garantir de la mort% 'Autrement, s'il falloit s'arrêter aux Sep- tante ou à la Vulgate, il faudroit aulïî dire que les Médecins ne reflufci feront point, puifqu'ils le difent en autant de termes au Pfcaume LXXXVIII. 11. quoi- qu'il y ait feulement dens l'Original, Les Rephaims , ou ceux qui font morts , fe relevé* font -ils pour chanter vos louanges?
Les Verfions trop littérales font fouvenc û obfcures que le peuple n'y entend rien. Ucil4:t que Mr. le Cène fait voir dans le Huitième Chapitre. C'eil. une efpe- ce d'énigme, où le peuple ne voit goûte» que ce que les Verfions font dire à 5r. Paul: Rom. XIÏ. 6, 7, 8. Or ayant des Dons différens, félon la grâce qui nous efl donnée, foit de Prophétie, prophetifons félon V analogie de la Foi; foit de Minifière , que ce foit en admi- nifiration-, foit que quelquhm enfeigne, qu'il donne enfeignement ;foit que quelquhm exhor- te, que ce foit en exhortation. LaVerlion s'eft néanmoins donné la liberté de fuppléer quelques mots pour exprimer le delfein du Texte ; mais il auroit da m.oins fallu que le François eût été aufïï clair que le Grec. Il falloit donc traduire: C'eft pourquoi, comme nous avons des Dons différens félon la grâce qui nous a été donnée , Jt Von a le Don de Prophétie , qiCon V exerce par rapport à la Foi; ftTon a Aa 2 reçu
366 Bibliothèque Britannique.
reçu îa charge de Diacre, qu'on s^appli^iue aii Diaconat', fi Von a reçu celle d'enfeigner ^ qu'on s'applique à inflruire \ fi Von a reçu cet' le d'exhorter y qu'on s'arrête à V exhortation '^ celui qui a reçu V emploi de dijpenfer les au" mènes , le doit faire fidèlement t5 libéralement \ celui qui efl établi pour préfider fur la condui- te des autres, le doit faire avec foin; celui qui a le foin des malades j doit s^en acquitter alaigrement.
Ce que les Verfions font dire à Lemec: Gcn. IV. 23. Je tuerai un homme , moi r- tant navré , mém.e un jeune-homme , moi étant meurtri, eft une énigme tout -à- fait obf- cure ; & les Interprètes fe partagent tellement lorfqu'ils l'expliquent , qu'on ne fçauroit auquel s'arrêter. Mais Aben- ezra, Vatable, &c. ont fait voir qu'il faut traduire : Qjwiqu'un homme diftingué m'eût bleffé à mort, ou qu'un jeune- homm^e m^ eût fait des meurtrijjures ,je les tuerois. Cet- te Traduction exprime beaucoup mieux, fuivant Mr. le Ceiie , l'audace & la féro- cité de Lemec , & répond au Verfet fui- vant, où il ajoute , que û la mort de Caïn devoit être vengée fept fois doublement , la fienne le devoit être foixante-dix- lept fois. Mais s'il nous eft permis de le dire, on ne voit pas bien quelle liai- fon il y a entre l'audace & la férocité cje Lemec, & la vengeance qui devoit être prife de fa mort: & de plus, cette pré- tendue férocité de [Lemec n'eft fondée
que
Janvier, Février et Mars. 1742. 367
que fur ce paflage même qu'on explique. II nous fembie que la manière dont le fçavant Mr. Shuckford a expliqué ce paf- fage eft beaucoup plus naturelle. Il le traduit d'une manière interrogative : Ai- je tué un homme que je doive être blejjé pour cela ? ou un jeune-homme pour mon malheur ? Pour faire mieux comprendre le fens de ce paflage , Mr. Shuckford fuppofe, que les Defcendans de Cain craignirent pendant quelque tems, que le refte de la famille d'Adam n'entreprît de venger fur eux la mort é^Abel : on croit que ce fut pour cette raifon que Catn bâtit une Ville, afin que fes enfans, demeurant proche les uns des autres, fûiïent mieux en état de fe réunir pour leur commune défen- fe. Lemec tacha de diflîper leurs craintes. C'eft pourquoi ayant afl^emblé fa famille, il leur parla à -peu -près de cette ma- nière: ,, Pourquoi troublerions -nous la ,, tranquillité de notre vie par des dé- 5> fiances mal fondées ? Quel mal avons- „ nous fait, que nous foyons toujours „ dans la crainte? Nous n'avons tué „ perfonne , nous n'avons pas fait la „ moindre injure à nos Frères de l'autre „ famille ; & certainement la raifon doit îi leur apprendre, qu'ils ne peuvent avoir 5, aucun droit de nous nuire. Il efl vrai a que Caïn, un de nos Ancêtres, tua A- „ bel fon frère : mais Dieu a bien vou- ti lu pardonner ce crime, au moins juf- A a 3 „ qu'à
368 Bibliothèque Britannique, „ qu'à menacer de punir fept fois au „ double quiconque oferoit tuer Caïn. „ S'il eft ainfi, ceux qui auroient la har- 93 dieiïe de tuer quelqu'un de nous , ,9 devroient s'attendre à une punition „ beaucoup plus rigoureufe encore : fi ,f Caïn eft vengé fept fois, Lemec , ou iy qui que ce foir de fon innocente fa- 93 mille , fera vengé foixante - dix - fept 93 fois * ".
Dans le Chapitre Neuvième on fait voir, que le peu d'exaftitude desVerfions fait fouvent contredire l'Ecriture, ou lui fait dire tout le contraire de ce qu'elle enfeigne, en confondant des chofes tout- à-fait diflinguées. L'Auteur en rapporte un très -grand nombre d'exemples: nous n'en citerons qu'un feul , & pour éviter la peine de choifir, nous nous en tien- drons au premier.
La plupart des Verfions font dire à Dieu, parlant à Moï/e, qu'// n'a point été connu à Abraham , à Ifaac 6^ à Jacob far fon nom de Jcbcim (ou d'Eternel). Excd. VL 3. quoique Dieu eût dit ex- preiïement au premier de ces Patriar- ches : Je fuis Jehova qui vous ai tiré J'Ur
des
* Voyez Shuckfcrd jYixÇioitt du Monde facrée & profane, Tom. I. Liv. 1 pag. 9 -11. de la Tradu£tion Françoife. Et Journal Littéraire, Tom. XF. Fart. I. pag. 8.9.
jANViEH, Février et Mars, 1742. 369 i/<?jChaldéens: Gen. XV. 7. & q\i' Abraham eût dit lui-même au Roi de Sodoinc: J'ai élevé mes mains à Jehova le Très - Haut^ Les Théologiens & les Commentateurs fe font donné beaucoup de peines pour le- ver cette efpece de contradid;ion * : no- tre Auteur la levé facilement, en remar- quant après Dorfchée , Gataker & Colo- miez , que la particule Hébraïque to fe prend fôuvent interrogativement. Suivant cet- te Remarque il faut traduire le paffage en queftion de cette manière : N'ai - je pas même été connu d'eux par mon nom d'È^ ternel? Ce qui fait évanouir jufqu'à Torn- bre même de la contradidion.
Nous nous contenterons de rapporter les Titres des quatre Chapitres fuivans. Cha- pitre Dixième : Le peu d'exaâfitude des Verftons confond fouvent les chofes, les lieux , les perfonnes & ce qui les concerne, Chapi- treOnzième : Abus des Ver fions , lorf qu'el- les ont voulu exprimer les Monnoyes ou les Mefures dont l'Ecriture parle. Chapitre Douzième : Les Verfwns confondent fouvent les perfonnes fies païs & les aâions dont il efl fait mention dans la Bible. Chapitre Trei- zième : Les Verficns confondent prcfque tous les Animaux dont l'Ecriture parle, ou les mé" tamorphofent en autre cbofe.
Le Chapitre Quatorzième efl plus
in-
* Voyez en particulier GlaJJ, Philol. facr. Lib. IV, TraSt,LObJerv,V. Col. m, 1176, 1177. Aa 4
^i
37Û Bibliothèque Britannique ,
intérelTant; on y fait voir que le pCD d'exaditude des Verfions fert quelque- fois de prétexte à l'endurcifTement des méchans & des Voluptueux, ou à rim- pieté des Libertins, & à diverfes chimè- res. Rapportons- en quelques exemples, Lorlque les Libertins lilent ce que les Verfions font commander à Dieu , Ojée I. 2. Ils ne manquent pas d'en pren- dre occafion de profaner l'Ecriture fain- te, comme autrefois Faufle & Secundin, Manichéens , qui tiroient un argument de cette Hiiloire pour rejetter le Vieux Teftament. Ceux même qui ont le plus de retpeftpour ce Livre facré, font ''can- dalifez de voir un Prophète entretenir les débauches d'une proJlituée. Il y a même eu des Douleurs affez déréglez pour croire , que Dieu difpenfe quelque- fois de l'obligation d'obéir aux Loix de la pureté. Quelques autres préten- dent que cela ne fe paflTa qu'en vi- fion, quoique le Texte en parle comme d'une adion très -réelle , ëc que Dieu ne foit pas capable d'infpirer des idées fales & criminelles. Il y en a qui ont regardé cette Hiftoire comme une Para- bole, par laquelle Ofée repréfenta aux JJraëiites y que Dieu ne les reconnoiïïbit pas plus comme fes Enfans, qu'il n'etoic capable d'épouler une prollituée, & de fe charger d'enfans qui auroient fuivi fon exemple. Enfin Luther, Calvin &
quel-
Janvier, Février ET Maiis. 1742. 371 quelques autres ont cru qu^Ofée n'epoufa pas une débauchée , &: qu'il n'engendra pas des bâtards; mas qu'il les qualuie ainfi , pour repréfenter aux Ifraélites , quel- le horreur ils dévoient avoir dt leur conduite, qui relTembloit à une proPcitu- tion perpétuelle, puifqu'ils le regardoient avec tant d'averfion, s'imaginant que fa femme étoit déréglée. Mais fi cela étbit vrai. Dieu lui auroit ordonné de dire une faulïéte très- criminelle. 11 étoit beau- coup plus naturel de confiderer avec de Lira, Gcfner, Glajfnis , &c. que c'eft le ftile de l'Ecriture & de toutes les langues, de donner aux perfonnes, & aux choies inanimées mêmes , des qualitez qu'elles ont eues auparavant, quoiqu'el- les ne les ayent plus lorfqu'on en parle, comme lorfque ceux qui avoient é e gué- ris de l'aveuglement, de la furdré 6z du boitement, font encore appeliez dvs aveu- gles, des four ds àf des boiteux , Matth. XI. 5. Jean. IX. 17. & que Simon eil nommé U- preux , & Matthieu Péager , Win , ai)rès avoir été guéri , & l'autre , après avoir abandon- né fon emploi; Matth. XXVI. 10. X. 13. Pourquoi donc ne concevra-r-on pasbien que la Femime à'Ofée avoit été une dé- bauchée , & Tes Fils des abandonnez , avant qu'il l'époufât; n'y ayant rien dans l'ac- tion d'époufer une pareille Femme qui fût contraire à la Loi , qui ne déréndoit ces fortes de mariages qu'aux Sacrificateurs ; A 5 Levit,
37^ Bibliothèque Britannique, jL^i;. XXI. 7, 24; & qui fupporoii:, lorf- qu'elle donnoit aux autres la permiflîon de les contrader , que ces Femmes fe conduiroient honnêtement à l'avenir? Il n'y a rien dans cette conduite qui fût in- digne du Prophète, & qui ne répondît aux defleins de Dieu à l'égard de ce Peuple qu'il époufoit, & qu'il adoptoit, nonobflant fa mauvaife conduite précé- dente: <Sc l'exemple de la Femme d'Ofée, qui avoit renoncé à fes defordres, & à laquelle ce Prophète avoit fait l'honneur de l'époufer, étoit tout -à- fait propre à faire comprendre aux Ifra'éîites , qu'ils é- toient indifpenfablement obligez de re- noncer à leur corruption, s'ils vouloient que Dieu les traitât favorablement, de peur qu'après leur avoir donné tant de marques d'amour , il ne les répudiât comme des infam.es. Il faut donc tra- duire l'ordre de Dieu de cette manière: Allez époujer une Femme qui a été tout -à- fait profiiw.ée , avec des Fils qui ont été en- tièrement cibandcjmcz à la propitujion , ^c. Cette Remarque efl plus importante qu'elle ne paroit d'abord. Toutes les Verfions font dire à J. C. que les Profli- îuées précéderont les Sacrificateurs dans le Royaume de Dieu-, Mai th. XXI. 31. & à 5r. Paw/,que Dieu judifie P impie ; Rom. IV. 5. Et il y a des Théologiens qui ne font pas fcrupule de foutenir fur cela , que ceux qui perfevèrent encore dans le
cri-
Janvier, Février et Mars 1742. 373 crime après avoir recula connoiflance de Dieu & de J. C. , ne laiflent pas de pafler pour juftes devant Dieu , pourvu qu'ils çroyent feulement qu'ils font juftifiez; quoique toute l'Ecriture déclare expref- fement, que Dieu n'abfoudra jamais les pécheurs, s'ils n'abandonnent leurs pé- chez, & que les impies n'entreront ja- mais dans le Royaume de Dieu. Il falloit donc abfolument traduire: Celtes qui ont été projîituêes vous précèdent dans te Royaume de Dieu, Cetui qui croit en celui qui juflifie , Celui qui avoit été impie , &c.
Les Libertins s'imaginent que Dieu re- garde le crime d'un œil indifférent, lorf- qu'jls lifent ce que les Verfions font di- re à Baîaam: Nomh. XXIII. 21. Il n'a point apperçu dUniquité en Jacob, ni vu de perverjtté m Ifraël. Et les plus craignant Dieu font obligez de recourir à des ex- plications pour juflifier cet oracle. Sui- vant les uns, Balaam entendoit par l'ini- quité & par la perverfité les Idoles, que les Hébreux nomment fouvent la vanité » l'iniquité & la perverfité ; mais cela ne peut avoir lieu ici, puifque Dieu en avoit non feulement vu parmi les Ifraëlites , mais qu'il avoit même puni févèrement leur idolâtrie; Exod, XXXII. 9 , 10. Deut, IX. 13. Les autres veulent que ces ter- mes fignifient les grands crimes qui ré- gnoient parmi les autres Peuples , & dont les Ifraëlites n'écoient pas coupables ;
mais
374 Bibliothèque Britannique, mais cela ne peut encore être vrai, puif- que Dieu leur reproche les plus grandes énormitez, & que les moindres fautes qu'ils commettoient , étoient d'autant plus atroces, qu'ils étoient le Peuple de Dieu. Cela auroit même été oppofé au confeil pernicieux que Balaam donnoit à Balac y de leur tendre des pièges pour les rendre odieux à l'Eternel. Il y en a qui prétendent, que Dieu ne voyoit & n'ap- percevoit point leur iniquité & leur per- verfité, parce qu'il les pardonnoit com- me s'il ne les avoit jamais vues; mais, comme Calvin l'a remarqué , cette explica- tion n'eft qu'une échapatoire : car les ter- mes de Jûcoh & (ïlfraH ne défignent pas feulement les gens de bien qui fe repen- toient, & à. qui Dieu pardonnoit leurs fautes , mais tout le Corps de la Nation en général , que Dieu avoit fouvent pu- ni de fes crimes; & cela n'auroit pas été moins opporé au deiïein de ce faux Prophète , qui promettoit à Batac de les rendre criminels. Il faut donc remarquer avec Gatacker, & plufieurs autres, que les termes Hébreux que l'on traduit apperce^ voir & voir , ne défignent pas Ici/imple vue des chofes, car à cet égard Dieu voit tout, les plus grands crimes, auiTi-bien que les meilleures actions; mais une i;!^^ d'approbcition , comme lorfqu'il efb dit que Dieu vit Noé, Gcn, VU, i. & qu'/7 regar^ de les humbles (f les affligez , Efa, LXVI. 2.
c'efl-
Janvier, Février et Mars. 1742. 375 c'eft-à-dire qu'il approuva Noé y & qu'il regarde favorablement les affligez; & au même fens qu'il ell die , qu'// ne voit point tes outrages , Proverb. XVIII. 5. & que fes yeux font trop purs pour voir le ma!-;, Abac, 1. 13. c'eft-à-dire qu'il ne les approu- ve pas. Il faut encore remarquer , que la particule. Hébraïque Beth , que l'on tra- duit m, fignifie très-fouvent con^r^, comme les Verrions l'ont très -bien traduite, £- xod. XIV. 25: XX. 16: Nomb. XII. i: XXIII. 23 : £/2z. XXI. 13. Il faut auffi re- marquer que le mot Hébreu , que l'on a traduit iniquité , perverfité , défigne fou- vent l'outrage &, la vexation, comme Joby V. 6, 7- XV. 35: Pf. VII. 14: &c. Il faut donc traduire ce texte : Il n'approu' ve point Voutrage contre les defcendans de Ja- cob; il n^ approuve point la vexation contre tes defcendans ^'Ifraël; ce qui fermée la bouche aux Libertins , & eft très -con- forme à tout ce que Balaam dit 6c lit dans cette occafion.
Dans le quinzième et dernier Chapitre de cette première Partie du Projet, on fait voir que les termes équi- voques de l'Original ont fouvent donné occafion aux Verfions de tomber dans l'illufion , & d'y faire tomber ceux qui les lifent. En voici un exemple, le feul que nous rapporterons pour abréger.
Les Interprètes fe donnent beaucoup de peine pour expliquer ce que les Ver- rions
$y6 Bibliothèque Britannique ^
fions font dire à St. Paul, que la Femm^ fera fauvée en engendrant des Enfans; i Tim» IL Les uns, comme St, Epiphane, en- tendent Eve par la Femme, qu'ils difent qui fut fauvée en engendrant la Semence bénite qui devoit écrafer la tête du Ser- pent. Mais fi l'Apôtre eût voulu dire cela , il ne fe feroit pas exprimé au Fu- tur, mais auPréfent, ouauPalTé, com- me il avoit fait dans les Verfets préce- dens. Les autres, comme Calvin, ôcc. le rapportent à toutes les Femmes, com- me fi TApôtre avoit voulu les confoler, & les empêcher de fe defefpérer , en fe fouvenant que la Femme a engagé tous les Hommes dans le péché, & en même tems les encourager à produire des En- fans, comme à un devoir qui leur feroit falutaire & agréable à Dieu. Les autres n'étendent ce Salut qu'à leur délivran- ce des douleurs & des peines de l'enfan- tement. 11 y en a qui retendent au Sa- lut éternel, comme û les douleurs de l'accouchement expioient leurs péchez^ Quelques - uns enfin ne veulent pas que l'Apôtre attribue leur falut à l'adien de produire des Enfans, mais à ce qui fuit dans le Texte.
Mais fans entrer dans ces fpéculations, qui ont toutes autant & plus de difficul- tez que le Texte même, il eft manifefte que l'Apôtre veut dire, qu'encore que les Femmes n'ayent pas le droit d'enfei-
gner
Janvier, Février et Mars. 1742. 377 gner publiquement , comme il l'avoic prouvé dans les Verfets 9, 10, 11, 12. l'efpérance du Salut ne leur eft pourtant pas ôtée , pourvu qu'elles élèvent & qu'el- les inftruifent leurs Enfans, & qu'elles gouvernent leur Famille faintement : car le terme de l'Original ne défigne pas plus la génération propre des Enfans, que leur éducation , comme St, Chryfojîôme l'a remarqué , & comme on le peut voir dans les Septante, Gen. L. 23: Rtith, IVé 17: 2 Sam, XXI. 8, où ils traduifent le verbe Hébreu Jaîaà par celui dont l'A- pôtre fe fert, quoiqu'il ne foit queflion en ces lieux que de l'Education de ceux qui font appeliez engendrez. Car les Enfans de Makir fils de Manajp ne fu- rent pas engendrez fur les genoux de Jo- feph, ils y furent feulement élevez^ iV"^- hcmi n'engendra pas Obed, mais elle rele- va ; & Michût n'étoit pas la Femme d'Ha- àriel , mais Maroh , & elle n'avoit point d'Enfans , mais elle éleva ceux de Merob à Hadriel , comme la Verfion de Genève l'a très-bien traduit dans ces textes. Les Juifs remarquent à ce fujet, qui quiconque éle- vé un Pupile dans fa maifon , eft dit dans l'Ecriture l'avoir engendré. C'eft en ce fens qvL^ Aholibanxi eft appellée la Fille de Hana, <& la Fille de Tfibbon, Gen. XXXVI. 2 : la Fille propre de Hana, & la Fille adop- tive de Tftbbon , ou élevée par lui ; & il eft dit que Moïfe fut le Fils de la Fille de Pha- raon^
578 Bibliothèque Britannique,
raon, parce qu'elle prit foin de fon édu- cation ^ Exod. II. 10. C'ell: peut-être aufîi en ce fens, que les defcendans d'Aron font appeliez les defcendans de Moïfe ; Nomb. m. 1. Il faut donc traduire le texte de Si. Paul de cette manière ; Elle fera néanmoins fauvée , en élevant ^ en in- ftruifant des Enfans, enforte qiCils perfeve^ rent dans la Foi , dans la Charité , dans la Sanâi fi cation tf dans ta Modejlie.
La Seconde Partie du Projet de Mr. le Cène eil divifée en neuf Cha- pitres, nous en rapporterons les Tirres, & nous en extrairons les remarques qui nous ont paru les plus importantes ou les plus curieufes.
Voici le Titre du Premier Cha- pitre: „ 7/ faudrait rétablir les Livres „ de la Bible dans Perdre du tems où ils ont ,, été compofez : celui que les Juifs & les ,, Chrétiens leur donnent confondant la faints „ Htjloire ".
L'Auteur commence ce Chapitre par donner un détail de la manière dont les Juifs divifent les Livres facrez. Nous ne^ la rapporterons pas, parce qu'elle e.(t aiîez connue: mais nous croyons devoir tranfcrire ici ce que Mr. le Cène dit fur une des prérogatives que les Jtiifs attri- buent à Moïfe, au deiïus des autres Pro- phètes : c'eft d'avoir eu communication avec Dieu par une conjonâiion immédia- te de ce qui lui écoic révélé avec fon
Ef-
Janvier, Février et Mahs. 1742, 379 Ëfprit. „ Cette prérogative n'eft rien 99 moins qu'incontcftable , & on ne la peut „ inférer nécefiTairement de ces façons 99 de parler qui fe trouvent Nomb, XIL 9, 6, 7,8: Exod. XXXIII. II. Je parferai 9, à lui face à face (abouche à bouche , qui ne 99 défignent ni une Révélation immédiate 99 à fon Efprit de ce qui lui écoit révélé, 99 ni une connoifTance tout- à- fait claire .5 ôz diilincle de la Nature, des Proprie- ,5 tez <k des Actions de Dieu du côté „ de Moïfe, Car rien n'empêche d^attri- „ buer ces paroles à un Ange qui re- f, préfentoit la perfonne de Dieu, en- „ forte qu'on entende que Dieu parloit >, à Moïfe lorfqu'il lui declaroit fes or- „ dres & fa volonté par fon Ange. II „ n'y a rien de plus commun dans l'E- 99 criture , que de rapporter à Dieu ce „ que les Anges font par fon autorité, 99 & lorfque ces Efprits font honorez du 99 caraftère d'Ange ou d'Envoyez , l'E- 99 criturc leur donne m.ême la qualité de 49 Dieux & de Souverains ; comme on le I» peut voir en beaucoup de lieux que Bux^ ,, torfe a ralTcmblez dans fa Grammaire. ,, Pour être convaincu de cette vérité, il „ ne faut que comparer ce qui efl dit Gcn, ,9 XVI. 10, avec le Verfet 13. du même ,5 Chapitre , & avec le Verfet 12. du Cha- „ pitre XXIÎ. & ce qui efl dit Gcn. XVIIL »? 2, avec le Verfet 13 ; car l'Ange de 93 Dieu qui parla à Âs:ar eft diftinclement Tome XVÏIL ParP. iL Bb „ nom"»
380 Bibliothèque Britannique, ,, nommé Dieu, ou V Eternel Souverain, de „ même que celui qui dit à Abraham : Main- „ tenant f ai connu que vous craignez Dieu, )) puifque vous n'avez pas épargné votre Fils „ unique pour moi ; & l'on voir Gcn. XXXI. ,, 13 , que l'Ange qui parla à jfacob s'appel- „ la le Souverain ou le Dieu de Betbel, à qui 99 Jacob avoit fait un vœu lorfqu'il fuyoit „ devant fon Frère Efaii; car il eft con- 99 fiant que c'eft l'Ange qui parle en ce lieu, „ comme on Je peut voir au Verfet 11. ,, On dira peut-être que cet Ange ne „ fe nomme pas Jehova , mais £/, c'eft- à- „ dire le Fort. Mais outre que ce dernier „ nom ne défigne pas moins Dieu que le „ premier , il ell conllanr que celui qui efl „ déligné en ce lieu, eft nommé Jekova, 99 Gen. XVIII. 13. C'eft ainfi que cet Ange „ avec qui Jacob combattit, s'appella Elo' ,9 him , ou le Souverain , Gen. XX Ail : car „ Ofée déclare en termes exprès que c'é- „ toit un Ange, Ofée XII. 5. & Jacob le „ nomme le Souverain, ajoutant qu'il'a vu „ Dieu face à face , & appellant le lieu mê- „ me 011 cela lui arriva , Peniel , c'eft- à-dire „ la Face de Dieu ou du Fort. On peut re- „ marquer qn'Ofce ne le nomme pas feu- „ lement Elobim, ou le Souverain, mais Je- 99 hova, ou Dieu; Verf. 6. C'eft ainfi qu'il „ eft dit Exod. XIII. 21 , que Jehova ou i> Dieu mar choit à la tête des Ifra'élites , <Sc ,9 qu'il eft néanmoins remarqué, de peur f9 qu'on ne s'y abufàt, que c'étoit un An-
Janvier, Février et Mars. 1742. 3Sr ,, ge de DÏQM.Exod. XIV ig; XXII f. 20; i, XXXd. 4. L'Ange envoyé à Gedeon eft ,, aiilTi noinmé Jehova, Jug. VI. 12, 14, 16. „ Rien n'empêche donc que ces façons ,, de parler : Je p trier ai à lui bouche à bou^ s, che, ^ face à face ; & ce qui les préce- ,,de: Moi Dieu, s^il y a quelque Prophète i, parmi vnv.s, je lui cpparoîtrai en Vifiouy if je parler'!! à lui en fonge , viais il n^en fe- ,, ra pas ainfi à Pégard de mon Minifîre Moife '^ „ ne flgnifienr , moi l'Ange de Dieu, qui i, repréfenre la perfonne, & qui fuis fon ,, Mmiftre établi pour conduire & pour „ gouverner fon Peuple; je ferai connoî- „ tre à l'avenir aux Prophètes fa volon- ,, té par des Vifions, ou par des Apparia „ tions que je repréfenterai à leurs yeuxr, „ ou à leur efprit ôz à leur imagmacioa , ,, & par des Songes ; mais je" traiterai „ plus familièrement avec mon Miniilre ji Moïfc; je parlerai à lui bouche à bou- „ che, il ne verra pas Dieu, dans des „ Enigmes ou dans des Emblèmes & des i. Figures; c'eft~à-dire , il entendra pro- j, noncer diftindement ce que je lui re- „ vêlerai de la part de Dieu. Cette ex- ,, plication n'a rien de forcé, & ce qui „ hil rapporté Exod. XXV. 22 , & N'omb, ,, Vil. 8, 9, la confirmie clairement, ôc ), détruit celle que l'on donne ordinaire- „ ment à ces paroles, leur faifant fïgni- ,, fier que Dieu fe reveloit à loi, lans f» que fes fens extérieurs, ou fon imagi-.- Bb 2 ji nâ^
3S2 Bibliothèque Britannique ; ,> nation & les facultez de fon efprit 99 y eûflent aucune part , & fans qu'il fe 99 repréfentât à lui aucune efpece ex- 99 prefTe ou imprimée de ce qui lui étoit 99 révélé dans aucun de fes fens par une w conjondlion immédiate avec fon Ef- 99 prit. Car Moife remarque lui - même , 99 que Dieu ou TAnge parloit à lui par 99 une voix articulée , & de la même j> manière que les honimes ont accoûtu- 99 mé de s'entretenir enfemble.
„ Mais outre cette réflexion , il efl 99 confiant que Dieu avoit établi un An- 9> ge fur le Peuple; non feulement pour »> le garder dans fa route , & pour le 99 conduire dans le Pais qu'il lui avoit „ promis, mais aulTi pour lui déclarer 9> les ordres , fes promeiTes & fes mena- 99 ces , & pour le punir de fes péchez 99 & de fes defobéïffances , ou pour les 99 pardonner lorfqu'il s'en repentoit , 5, Dieu l'ayant revêtu de fon autorité , ,9 6* lui ayant même donné fon nom , Excâ, ,9 XXIII. 20, 21, 22 : & ayant exprefïé- 99 ment défendu de l'irriter, & ordonné „ d'écouter fa voix y de lui obéir , de prendre „ garde de le fâcher-^ avec promeffe que fî le 99 Peuple lui obéiffoit , £5* pratiquoit tout ce 99 qu^il lui dirait de fa part , // trioirpheroit y, de tous fes ennemis. Ce qui montre ma- 99 nifeflement que toutes les Révélations, ,9 tous les Ordres , & tous les Com- 5, mandemens dont Dieu honora Moïfe,
J9 lui
Janvier , Février et Mars. 1742. 3^3
„ lui furent addreflez par cet Ange , <& „ par confequent que tout ce que Dieu „ lui promettoit qui lui arriveroit, en Taf- 99 furant qu'i7 parlerait à lui bouche à bou^ „ che, ^ face à face , s'exécuteroit par le „ miniflère de l'Ange. Outre que Dieu 99 déclare qu'il parlera à lui bouche à bou- 99 che y de la même manière qu'il fe mani- 99 feftera aux autres Prophètes : or il eft „ confiant que Dieu ne leur apparoiflbit 99 & ne fe manifefloit à eux par des Vi- „ fions ou dans des Songes , que par le „ miniflère de l'Ange, comme tous les „ Dodeurs Juifs en conviennent , & par 99 confequent Dieu ne parloit auffi à Moï* 99 fi bouche à bouche , que par la média- 99 tion & par l'entremife de ce même 99 Ange. A quoi on peut ajouter , qu'il „ n'eS nullement vraifemblable , que „ Dieu fe foit montré lui - même immé- ,9 diatement , après avoir ainfi établi fur 99 ce Peuple fon Ange pour fon Miniflre, 99 & pour l'Interprète de fes volontez. „ Il femble même que la Majeflé de Dieu 99 ne devoit pas fe ravaler jufqu'à fe „ communiquer fi vulgairement à un „ Peuple fi charnel & fi rebelle, & qu'il „ étoit plus digne de fa grandeur de de- „ meurer dans les Cieux, qu'il a choifis „ pour fon Palais, où il donne fes or- n dres à fes Anges, & d'où il les envoyé ,, pour conduire tout l'Univers. fi Tous les Juifs demeurent d'accord , Bb 3 ,>qu<:
384 Bibliothèque Britannique,
„ que Dieu n'agit dans la Nature que i, par fes Anges, & plufieurs Ctiréciens ,, croyenc avec le fçavant Vafquez, que ,, Dieu n'a rien fait ni voulu faire im- „ médiatement avec les Patriarches, ni ,f avec le Peuple d'Ijfoél; mais qu'il a „ donné cette commifiion à ibn Ange, „ qu'il avoit revêtu d'un plein ^ pouvoir ; „ éc que c'eft pour cette raùbn que „ l'Hittoire facrée rapporte route la „ conduite & les actions de cet Ar.ge à 99 Dieu, parce qu'il iburenoi:: le caraciè- 9, re de fon premier Mmilcre, & qu'il 5, fuivoit exâftemcnt fes ordres. On ne „ peut dou er que cette remarque ne y, loit d'un grand ufage pour faire com- „ prendre pl'^fieurs Hiiloires de l'Ancien „ Teflamtnt , où Dieu eft repréientç 99 tentant (k éprouvant ce Peuple, pour 99 Içavoir dans quelle dirpofuion d'eipric ,, il étoit, comme s'il ne l'avoit pas fçû. „ PiuHeurs Théologiens croyent réi'ou- 99 dre cette difficulté, en niant que Dieu 99 ait une Préfcience infaillible des ac- 99 rions libres des hommes ; mais quoiqu'il 9, fcifife pour le Gouvernement de l'Uni- 99 vers, que Dieu fçache parfaitement tou- ,> tes lespenfées, les paroles 6: les ac- 99 tions deshommts, fans qu'il Toit nécef- ,j faire qu'il connoilTe dans cette vue cç 9) qui doit arriver librement; il y a néan- ,> moins quelque témérité à dire qu'il nç ») le paiûe pas connoitre; ou qu^ii ne le
n con-
Janvier , Février ET Mars. 1742. 385 ,f connoilTe pas aduellement; puifqu'il elt ,> impolTible de concevoir autrement qu'il „ puiflè les produire avec certitude. C'eft ,9 ce qui oblige la plupart des Dodleurs i> à reconnoître la Préicience en Dieu, ,> même à l'égard des adions libres, en ,i la foûmettant néanmoins à fa volonté; „ c'efl-à-dire, que Dieu peut bien, félon „ eux, les connoître , s'il veut, avant ,3 qu'elles arrivent, mais qu'il peut auiïi tf les ignorer, s'il ne veut pas les précon- ,i noitre. Mais le plus grand nombre ,i reconnoilfant une Préfcience abfolue „ & infaillible de touces chofes en Dieu, „ on veut, après St. Augufliriy que lorf- „ qu'il elt dit que Dieu tentoit les Ifrae^ S9 lites pour fçavoir ce qu'ils feroient , „ il faut entendre le verbe Aélif, qui fi- ,i gnifie fçavoir , en un fens tranfitif , „ comme s'il étoit dans la Conjugaifon „ Hiphily ou Pieî, & qu'au lieu de le tra- 99 duire pour fçavoir y il faut le traduire y0 pour faire fçavoir y comme 11 Dieu s'étoic „ propofé dans fes adions de faire con- „ noitre à ceux qui étoient ten'-ez, ou ,> aux autres, leurs vertus ou leurs vi- ,> ces; mais outre que c'eit faire violen- ,j ce au Texte qui eft exprimé dans la 39 première Conjugi.ifon Kol des Hébreux ^^ i, qui eft purement adivc. Dieu dit for- i9 mellement, Gen. XXII. 12, que ce fut >5 lui-même qui connut qn^ Abraham k 99 cragnoît-^ & à qui fit -il alors connoi- B b 4 « trc
386 Bibliothèque Britannique,
„ tre cette vertu d'Abraham? Fut - ce 9> à Abraham lui - même , ou à Ifaa: ? o Au contraire , ce fut Abraham qui la 99 fit connoître à Dieu; & il fe connoif- M foit fans doute lui-même , fans que ,, l'Ange lui donnât cette louange.
M II eft donc beaucoup plus"^ naturel 5, de dire , que tout ce qui eft attribué 9, à Dieu dans les paiïages où il eft par- ,y lé de fes Tentations, comme s'il les a- y, voit faites lui-même , fe doit rappor- ,, ter à cet Ange qui foutenoit le carac- 9, tère de Dieu, & en qui il avoit mis 5, fon nom, &qui s'appelloit Dieuy parce 9, qu'il étoit revêtu de fon autorité , ôz s, qu'il agiflbit de fa part avec Abraham , 5> avec Moïfe & avec le Peuple d'Ifraël; fy enforte que cet Ange , en qualité de fy fon premier Miniflre 6c de fon Am- „ baffadeur, tenta Abraham, le Peuple 6c py les autres, foit par un ordre exprès de yy Dieu, foit de fon propre mouvement, ,> pour fçavoir quelle étoit la difpofition yy de leur efprit & de leur cœur envers yy Dieu, & pour les lui rendre fidèles & „ obéïlTans. 11 n'y a alors aucune diffi- y, culte, ni rien qui répugne à la vérité; yy car cet Ange ignoroit ce qui dévoie yy arriver enfuite , & il ne le connut que „ par ces épreuves & ces tentations, & yy il eft d'ailleurs certain que toute cet- ,> te tentation d'Abraham & du Peuple M ù'IJraély fe fie par> miniftère d'un An-
Janvier, Février et Mars. 1742. 387 „ ge , comme on peut le voir dans l'Hif- f, toire famte»
,, Tout cela fait voir que la différence „ des Révélations addreffées à Moïfe & fi aux autres Prophètes , ne conliltoit „ qu'en ce que l'Ange parloit à lui fur les „ chofes dont il le confultoit, touchant le „ Culte de Dieu & le Gouvernement du „ Peuple, ou fur ce que Dieu lui vouloit „ préfcrire dans l'exercice de fon Minif- „ tère, pour le déclarer enfuite au Peu- „ pie ; au lieu que cet Ange faifoit con- i3 noître la volonté de Dieu aux autres „ Prophètes par des Vifions pendant leurs „ extafes, & dans des fonges, foit que ce- „ lui à qui l'Ange revéloit la volonté de „ Dieu déclare exprelfément qu'il lui étoit „ apparu dans une vifion , ou dans un fon- „ ge, comme on le peut voir Gcn. XXXI. „ II : Nomb. XXII. 12; foit qu'il rapporte ,, feulement les paroles de l'Ange, fans „ parler de vilion, ni de fonge, comme „ Gc/^.XXXV.i, 10; XXII. 15^ foit qu'il „ ne parle pas même de l'Ange, & qu'il „ rapporte à Dieu ledifcours qui lui étoit „ addreffé, remarquant feulement que ce- „ la lui étoit arrivé en fonge, ou en vifion , „ comme Gen. XV, i } foit enfin qu'il dife M fimplement & abfolument que Dieu a » parlé à lui , qu'il a vu Dieu , & qu'il lui a » ordonné quelque chofe, fans parler ni 99 d'Ange , ni de fonge , ni de vifion , com-* » me Gfn. XII. 13 XXXL 3^ Jof, 111. 7;
388 Bibliothèque Britannique,
„ yug. VII. 2 , EJa. VI. 1 , 15 ; Vili. i ; £- „ Zicb. XXXiV. 20, &c. Car toutes les „ Révélations fe failbient en longe, ou ,, par des viiions, par le miniftère d'an „ Ange, d'où tous les Prophètes étoienc 9, nommez des Voyans , i Sam. IX. 9 ".
Nos i^ecteurs ne comprendront peut- être pas d'abord la iiaiibn que ces remar- ques ont avec la nécelÏÏté de placer les Livres facrez dans l'ordre du tems où ils ont été compofez. Il faut donc fça- voir que Mr. fe Cène réfute les raifons que les Juifs allèguent en faveur de la ' divifîon qu'ils font des Livres facrez en trois CÎaiïes. Une de ces raifons eft la diilinftion qu'ils mettent entre Moïfe âz les autres Prophètes; diilindion qui, fnivant notre Auteur , n'a aucun fonde- ment, comme il le fait voir dans ce Cha- pitre , ôc en particulier dans le long paf- iage que nous venons de tranfcrire. II parle dans le refte de ce Chapitre de l'ordre des Livres de la Bible , tant félon les Juifs, que fe^on les Grecs 6z les Latins ; mais cela efl trop connu pour nous y arrêter.
Le Second Chapitre eft inti- tulé: Retabliffement des Livres de la Bible dans leur Ordre Chronologique , & dans leur Rang naturel. L'Auteur n'y parle pour- ,tant que des Livres de l'Ancien Tefta- ment. Nous les rapporterons félon le Rang où il les place , fans tranfcrire les
rai-
Janvier, Février ET Mars. 1742. 389 raifons fur lelquelles il fe fonde, parce que nous ne pourrions le faire fans tomuer dans une longueur exceiave.
B
DES LIVRES DE
L'ANCIEN TESTAMENT,
Dans l'Ordre Chronolog^ique m Us àe^ vroient être placez.
I. Li Gcnefe. |
ij. Le 1 des Rois. |
2. Job |
18. Le <! des Rois^ |
3. U Exode. |
ig. Jcnas, |
4. Le Levitique. |
20. Amos. |
5. Les Nombres, |
11. Ofée. |
6. Le Deiuercnoms. |
22. Abdias, |
7. Jofué, |
23. JolL |
8. Les Juges, |
24. Lfrie, |
9. BMth. |
25. M.chée, |
10. Le I de Samuel. |
26. Niïbum, |
II. Les Pfeaumes. |
27. Habacuc, |
12. Le 2 de Samuel. |
28. Sopbonie, |
13. Les Proverbes. |
29. Jeremie. |
Ïa. Le Can'ique. |
30. Les La menîatio^is. |
15. VEcdcfiafle, |
31. Lettre aux Cap- |
16. La Sa^iencc, |
tifs de Babyïone. |
32. /-^ |
3po Bibliothèque Britannique ,
^2, Le Livre de To bie,
33. La Prière de Ma* najfé,
34. Judith.
35. Baruc.
36. Ezechieî,
37. Daniel.
38. Additions à Da- niel,
des Chro-
39' Le I
niques.
d\o. Le 2
niques.
41. Ne hernie,
42. Efdras.
des Chro-
43. Le 2 ^ 4 ^^f- dras.
44. Eflher.
45. y^^gf'^.
46. Zacharie.
47. Malachie.
48. Additions d^ Eflher.,
49. UEccléJtaflique.
50. Le I Jfj Mâcha' bées.
51. Le 2. Je/ Macha^ bées.
52. Le 3 Jej Mâcha" bées.
53. Supplément de Jo" fepb.
On voit dans cette Table que Mr. /e One place le Livre de Job immédiate- ment après la Genefe. Il montre dans l'Avertiflement qu'il a mis à la tête du Livre de Job, que ce faint Homme a précédé le teras de Motfe , quoiqu'il foit difficile de marquer précifément quand il a vécu. Voici les principales raifons que l'Auteur allègue de fon fentiment, nous les accompagnerons de quelques remarques.
Une de ces deux raifons eft, que Job offroit à Dieu des Sacrifices félon le Rit des Patriarches, qu'il facrifioit en qualité de Chef de fa Famille dans le lieu de fa
de-
Janvier, Février et Mars. 1742. 391 demeure , fans aucune Loi , mais par un mouvement de dévotion particulière , pour expier les péchez de fes Enfans , Job I. 5. D'où Ton conclut qu'il a vé- cu dans un tems où l'ufage des Sacrifices n'étoit point encore refferré, ni attaché à un certain lieu, comme à l'entrée du Ta- bernacle, ni à de certains Minières de la Tribu de Levi , ni à de certains Rits dé- crits dans le Levitique. Car l'ulage des Holocauftes, comme Job en ofFroit à Dieu , dont les Pères de famille étoient les Sa- crificateurs, étoient communs avant la Loi, comme on le voit par les exemples de Noé , à^ Abraham , de Moïfe , des Ij- raëîites en Egypte , & de Jethro, On ne peut pas dire que ceux qui étoient hors du Pais de Canaan n'étoient pas fujets à la Loi de Moïfe ; car la Loi étoit fi ex- preiïe . qu'elle obligeoit tous ceux qui fa- crifioient à fe préfenter à l'entrée du Ta- bernacle, fans en excepter les étrangers; Levit.XVU, 8; & que Dieu declaroit qu'il n'acceptoit que les Sacrifices qui s'y fai- foient. Deut. XIL 5. 6.
Cette raifon ne paroît pas concluante. Car quand même Job auroit vécu après la for'tie d^ Egypte , & après la publica- tion de la Loi, pourquoi n'auroit-il pas pu continuer à pratiquer dans fa famille les cérémonies religieufes obfervées an- ciennement par les Patriarches ? La Loi qui attachoit les Sacrifices à de certains
lieux >
39^ Bibliothèque Britannique,
lieux , &; à de certains Miniftres particu- liers , ne pouvoir pas l'obliger , lui qui n'en avoit fans donre aucune connoifiTance. La Loi qu'on cite du XVII. du Levitique , verfet 8, ne regarde pas les Peuples qui étoient feparcz des Ifraëlites , & qui de- meuroient dans un autre pais , mais feu- lement les Etrangers qui f ai filent leur fi jour parmi eux: de iorre qu'on n'en peut rien conclure en faveur de l'Antiquité de Job.
Une autre preuve de Mr. le Cène eft" exprimée en ces termes: ,, Lcfilence uni- „ verfel de tout le Livre de Joh de tant „ d'Evenemens fmguliers arrivez fouâ „ Moïfi, montre aulîi clairement qu'il vi- „ voir avant lui : car il n'y efl parlé ni >, des miracles qui furent faits en Egypte, „ ni de la fortie du Peuple, ni de ce que „ Pbc.yacn périt avec fes Troupes dans „ la Mer en les pourfuivant , ni de la' „ manière dont Dieu fauva , conferva, „ nourrit, & abreuva tL.nt de monde „ pendant plufieurs années , ni des châ- ,, timen's exemplaires qu'il en fit plufieurs „ fois , ni de la clémence dont il ufa ,, fouvent , ni de la publicanon de la Loi „ dans un appareil redoutable dès qu'ils „ furent fortis de l'cfc lavage , ni des >, Conilitutions particulières , des Rits „ & des Cérémonies qu'il leur préfcrivit, ,, oc de tant d'autres chofes femblabîes, ,, dont jcb ôc les Amis auroient far-s dou-*
» te
Janvier, Février et Mars. 1742.393 9) te appuyé leurs raifonnemens s'ils en 99 avoieiit eu connoiiTance, ou fi cela é- „ toit arrivé avant eux, ou de leur tems, ,5 puifqu'ils ne s'entretiennent que de la ,9 juftice , de la Vengeance , de la Sa- „ geffe , de la Puiflance & de la Clémence f> de Dieu, qu'ils illnftrent quelquefois par M les punitions du Déluge y de Sodome , &c",
11 auroit falu de bonnes citations à la fin de ce pafiage : car je ne trouve pas qu'il foit parlé du Déluge , ni de Sodome dans aucun endroit du Livre de joh. De forte que, félon le raifonnement de r/lr. le Cène , il faudroit en conclure que Jch a vécu avant le Déluge. Mais quand rnéme le Livre de Jcb feroit mention du Déluge, fans parler de rien de ce qui efl arrive aux Ifraelites, il ne fuivroit point de-là que le Livre de Job eil antérieur à Moife i puifqu'on peut très -bien fuppo- fer que l'Auteur de ce Livre a ignoré l'Hiftoire des Ifra'éli tes ; & à moins qu'on ne réfute cette fuppofition, on ne pour- ra jamais conclure du filence de Job y qu'il doit avoir vécu avant les Evénemens dont il ne parle point.
,, On peut encore, continue notre Au- „ teur , compter entre les preuves de „ l'Antiquité de Job au deiTus de Moïfe , i, ce qu'il dételle une efpecc d'Idolâtrie ,, qui régnoit principalement parmi le?. M Chaldéens , les Phéniciens, les Syriens, les ,, Sdhéem , èz généralement tous les Ara-
„ bes.
394 Bibliothèque Britannique,
„ besy parmi lefquels il vivoit , & dont il „ relie aujourd'hui des traces parmi eux , „ particulièrement à Anna, cette grande „ ville d'Arabie fur VEuphrate , ou plu- ,, fleurs n'adorent que le Soleil , au rap- a port de Pierre de la Vallée*^ , qui y avoit „ été. Ils adoroient le Soleil 6i la Lune , „ en portant leur main à la bouche , pour ,, marquer leur refped & leur atreclion ,i par cette efpece de baifer ; job XXX î, yi 16, 27. ce que Motfe défendit iévè- ,, rement dans la fuite ; Deut, IV. 19;
„xvir, 3".
Mais fi cette efpece d'Idolâtrie fubfifte encore aujourd'hui, comment peut- on conclure de ce qu'elle étoit déjà introdui- te du tems de Joh, que celui-ci doit avoir vécu avant Moïfe ? La conclu fion feroit jufle , fi cette Idolâtrie avoit ceiTé du tems de Moïfe.
Dans le Troisième Chapitre on montre qu'il faudroit rétablir les Li- vres du Nouveau Teflament dans l'ordre du tems où ils ont été compoiez. No- tre Auteur fe détermine en faveur de l'opinion du fçavant Lightfo:t , qui a placé les Livres du Nouveau Tellamenc dans cet ordre.
I. V Evangile de St. 2. UEv. ne S r. Marc. Matthieu, 3. - - 'de St. Luc.
4. L'E- * Part. II. C. 9.
Janvier, Février
4. VEv. de St. Jean.
5. Les Afîes des Apô- tres.
6. La I. Epitre aux Thejfalonicieus,
7. La II. aux Thef- faloniciens.
8. La I. aux Cor in-' t biens.
9. La I. à Timotbée.
10. UEpltre à Tite.
11. La IL aux Co- rinthiens.
12. UEpltre aux Ro- mains.
1 3 . UEpltre aux Ga- Lit es.
14. La IL à Timotbée.
ET Mars. 1742. sç^
15. UEpltre aux E- pbejtens.
16. Aux Pbilippiens.
17. Aux CoIoJJJens.
18. UEpltre à Pbik- mon.
19. UEpltre aux Hé' breiix.
20. UEpltre de St, Jaques.
21. La L de St. Pierre^
22. La II.de St. Pier- re.
23. UEpltre de St, Jude.
24. Les trois Epîtres de St. Jean.
25. UApocalypfe.
Il y a dans ce Chapitre beaucoup de remarques très-uriles, fur les Livres du N. T.: on y voit en quel tems ,& à quel- le occafion chaque Livre a été écrit, qui en eft l'Auteur , & quel but il s'y eft propofé. Mr. le Cène s'y détermine en particulier pour l'opinion de ceux qui attribuent PEpître aux Hébreux à St. Pauh Il croit aulTi que c'eft l'Apôtre St. Jean qui 2i comi^oïéV Apocalypfe , 6c il réfute une raifon de Denys d'Alexandrie, qui n'accor- doit pas que St. Jean l'Apôtre fût l'Auteur de /'.^pora/yp/^, parce quel' Apôtre St. Jean ii'avoit m;s fon nom à aucun de fes Ou- .. Tome XVIIL Part. II. C c vra-
59^ Bibliothèque Britannique,
vrages , au lieu que l'Auteur de l'Apoca» lypfe s'y nomme jufqu'à huit fois.
„ Mais , dit Mr. le Cène , cette raifon „ eft tout-à-fait foible , car il y a une gran- ,, de différence entre écrire une Hiftoire, „ & une Prophétie ; la vérité d'une Hif- „ toire , comme l'Evangile , ne dépend „ point du tout de l'Auteur , mais tou- „ te l'autorité d'une Prophétie dépend ff de l'Auteur, dont il faut nécefîairement 99 connoitre l'Auteur pour la vérifier ; c'eft 99 pourquoi tous les Prophètes ont mis „ leur nom au commencement de leurs „ prédirions ; Jerenue repète le fien juf- ,, qu'à fix - vingt fois , & Daniel repète le „ fien prefque dans tous les Verfets du Chapitre VII ".
S'il m' eft permis de le dire , ce rai- fonnement me paroît un peu étrange. Il me femble qu'il eft beaucoup plus né- ceiTaire de connoître l'Auteur d'une Hif- toire que celui d'une Prophétie. La vé- rité de celle-ci dépend de l'accomplif- fement, & quand même on n'en connoî- troit pas l'Auteur, pourvu que l'on fçâ- che que la Prophétie a été écrite avant l'événement , 6c que l'événement y ré- ponde exactement , c'en eft aflez pour îe perfuader qu'elle vient de Dieu. Mais il n'en eft pas de même d'une Hiftoire : pour y ajouter foi , il faut être alTuré de la véracité de l'Auteur -, de forte qu'il faut fçavoir qui il eft , afin d'examiner s'il
SI
Janvier, Février et Mars. 1742. 397 a eu la capacité néceflaire pour fe bien inftruire des Faits, & s'il n'a point eu quelque motif caché pour les déguifer ou pour les falfifier. Mais ceci foit dit fans prétendre àterP Jpocalypfe à S. Jean y à qui nous croyons que la plus faine antiqui- té l'attribue avec raifon.
Le Quatrième Chapitre eft deftiné à faire voir, que la dillindion or- dinaire des Chapitres & des Verfets de- vroit être reformée. Comme c'eft là Bne maxime dont perfonne ne doute , ôc que plufieurs Tradudleurs de la Bible ont déjà fuivie, il y a long-tems, nous croyons qu'on nous difpenfera volontiers de rapporter les Remarques de Mr. le Cène fur ce fujet.
La même raifon nous empêche d'en* trer dans aucun détail fur le C h a p i t r e Suivant, où l'on foutient avec rai* fon , qu'il faudroit accompagner la Bible de quelque Table Chronologique , qui repré- fentât l'ordre & le tems des évenemens qui y font rapportez, & d'une Hiftoire cour- te des fautes Divinitez dont il y eft par* lé j nous dirons feulement , qu'on trouve dans ce Chapitre une Hiftoire abrégée de ces Divinitez.
Dans le Chapitre Sixième Mr.
le Cène dit; qu'il faudroit joindre aux
Avertiflemens fur les Livres du N. Tefta-
mem , quelque é-clairciffemens fur des
Ce 2 ma-
398 Bibliothèque Britannique,
manières de raifonner qui lui font parti-- culieres.
,, Il n'y a rien de plus ordinaire aux „ Juifs , dit notre Auteur , que d'appli- ,5 quer ks Textes de l'Ancien Teftament „ aux évenemens de leur tems , comme û ,y les Prophètes avoient eu deifein de les 5, défigner, quoiqu'on ne puiiTe les y rap- „ porter que par allufion ou par compa- „ raifon , ou , comme les Théologiens „ parlent, dans un fens m.ytlique & alle- ?, gorique ; il y en a des exemples dans
M tous les Livres des Rabins oii
,9 ils rapportent au MelTieplufieurs Textes y, de l'Ecriture, qui auroient un tout au- „ tre fens û on s'arrêtoit à la lettre.
„ On trouve un exemple inconteftable „ de cette m.anière de raifonner des Juifs , ,, Mattb. 11, 6, où Hérode ayant fait affem- i, hier tous les Princes des Sacrificateurs ,, & les Scribes .... pour apprendre „ d'eux en quel lieu le Chrifl devoit naî- „ tre, ils lui dirent que c'étoit dans Beth- „ îebem de Judée ; & ils ajoutèrent pour ^, le prouver qu'un Prophète l'avoic é- »> crit en ces termes : Et vous , Bethlehem, „ pais de Juda , c'eft peu de chofe que vous ff foycz entre les Princes de Juda , car le yy Chef qui gouvernera mon peuple Ifraëlite „ for tira de vous. On ne peut nier que „ ce ne fûiïént les Juifs qui parloient „ à Hérode , ôc que ce ne foie par con-
Janvier, Février ET Mars. 1742. 309
,, fequent à eux qu'il faut attribuer la „ citation de ce Texte de Michée^ com- 99 me 5;^» Jérôme & d'autres l'ont remar- „ que; car St. Matthieu ne fait que rap- 99 porter , en qualité d'Hiftorien , ce qui „ fe pafa entre Hérode & les principaux a Docteurs Jui^s.
,, Cela fait voir avec quelle injuflice „ ils objeftent aux Chrétiens, que les au- 9i toritez de l'Ancien Teftament font mal ,> rapportées & mal appliquées dans le >9 Nouveau , ce que Celfe ^ Porphyre , Ju- „ ïkn & les Libertins n'ont pas manqué 5, non plus de leur objecter : car ces „ objedions retombent fur les Juifs ; ,, puifqne les Evangelilles tSi les Apôtres ,, n'ont fait que les imiter, en s'accom- ,, modant à une méthode pratiquée par ,, les Pharifiens , dont la plupart des Juifs ,, font les difciples , excepté quelques ,i Samaritains , & peu de Cnraïtes.
,y Mais com.me il ne fuffit pas de re- „ rorquer les objeftions des Infidèles , s, & que les Chrétiens doivent de plus „ comprendre ce que l'Ecriture leur dit, 99 il faut remarquer après Origene , Chem- „ nice , Grotius , &c. que les Evangeliftes 99 & les Apôtres difent, qu'un Oracle des „ Prophètes eft accompli en trois ma- „ nières : I. Lorfque ce qui a été pofitive- «> ment prédit arrive. II. Lorfqu'une cho- „ fe qui n'eft arrivée qu'imparfaitement, ?9 arrive dans fa perfection. III. Lorf- C G 3 ,9 qu'il
400 Bibliothèque Britannique,
,/ qu'il y a une û grande conformité entre ff deux évenemens, qu'on peut appliquer f, la defcripcion du premier au fécond.
., C'eft particulièrement en ce dernier sy fens que l'Evangile dit; que ce qui a été ,j prononcé par les Prophètes fe trouve $9 accompli dans la perfonne de Jefus „ Chrilt ; Matth. I. 22. II. 15, 17, 23. IV. „ 24. VIII. 17. XII. 17. XXI, 4. XXVI. o 50. Jean XV. 25. Il ne faut pour s'en 99 convaincre qu'examiner quelques-unes 99 de ces citations de l'Ancien Teltament. 99 II efl dit dans Ofée XI. i. J'ai appel- „ lé mon Fils d'Egypte ; 6c cela eft appli- 99 que au retour de Jefus d'Egypte, Matt. 94 II. 15. , quoiqu'il foit manifefte qxyOjée 5* parloir de la délivrance des Juifs de la 5* Captivité d'Egypte. Ce quey^rem/^avoit 99 dit en parlant de l'enlèvement des dix 5> Tribus en Bahytone. On a entendu dansRa- » ma un cri de lamentation &' de pleurs fort 99 grands ; Racbel pleurant fes enfans , n'a point M voulu être confolée , parce qu'ils ne font plus -, i, Jerem. XXXI. 15; eft appliqué aumafla- 99 cre qu'Hérode fit faire des enfans dans n Bethlehem, Matth. II. 18, en remarquant .» que ce fut alors que ce que le Pro- 9% phete avoit dit fut accompli. Il n'y a f> néanmoins point de doute que Jeremie » ne parlât précifement des dix Tribus, 3, & qu'il ne faille entendre les habitans 99 de leur pais par Rachel ; ce qui donnoit >5 occafion à Julien l'Jpoflat de calomnier
99 Su
Janvier , Février et Mars. 1742, 401 ff St. Matthieu , comme s'il avoit abufé de ff Tautorité du Prophète , comme on le 99 peut voir dans St. Jérôme *.
), Il eft dit dans le même Chapitre , 9f que Jefus demeura à Nazareth pour ,, accomplir ce qui avoit été dit par les »> Prophètes , // fera appelle Nazarien , f9 Mat th. II. 23. Les Interprètes fe don- 99 nent aflez de peine à chercher on les ff Prophètes ont prédit cette circonllan^ »j ce. St, ChryfoJJome ne pouvant l'y ren- „ contrer, ne fait pas fcrupule de dire, M qu'il s'ell perdu plufieurs Livres des o Prophètes , où cette prédidion fe trou- î, voit indubitablement , félon lui , du „ tems de St. Matthieu. Mais il y a beau- M coup plus d'apparence que l'Evangelif- f9 te avoit égard à ce qui eft dit dans Efaïe ,1 XL I : Une Vergefortira delà racine de Jef- M fé, & le Nazarien (& non pas un Rejet- 99 ton , comme on le lit dans les Verfions ) „ montera de fa racine-, ce que les Juifs en- 99 tendent eux - mêmes du Mefîie .... M Les Juifs traitent St, Matthieu de fauf- o faire , pour avoir appliqué à Jean Bâ- 9» tijle ces paroles du Prophète Efaïe XL. M 3. La voix de celui qui crie dans le défera » eft, que vous prépariez le chemin du Seigneur^ t» Matth. III. 2*, parce que cela fe doit en- tf tendre hiftoriquement & à la lettre
«du
* Comment, in Hof. Lib. IIL
Ce 4
402 Bibliothèque Britannique,
„ du retour des Juifs à Jerufalem après la „ Captivité ôq Babylone. Ils fe plaignent „ d'une pareille corruption dans toutes f, les citations de l'Ancien Teflament qui ,> fe trouvent dans le Nouveau. Mais ils ,5 ne peuvent nier , fans abandonner leurs „ principes, & fans favorifer en même „ tems les Sadducéens, que les Apôtres 19 n'ayent fuivi dans ces occafions les ex- 99 plications qne la Synagogue recevoitde 9, leur tems, & que ce n'ait toujours été „ leur méthode dans l'application qu'ils „ ont faite de tout tems , 6z qu'ils font „ encore, des Texres de l'Ecriture arx „ fujets & aux occafions qui y ont le >» moindre rapport.
„ Il eft vrai que dans l'exaélitude cii „ l'on a réduit le raifonnement dans no- „ tre Siècle , il faiidroit s'exprimer en „ d'autres termes, & qu'au lieu de dire „ pour accomplir, il far. droit dire par une ,9 periphrafe , il efl arrivé quelque cbcje de 9, partit, ou d'approchant; & on feroit ten- „ té de le faire dans une nouvelle Ver- „ fion : mais comme ce changement pa- 3, roît confiderable, & qu'il feroic peut- ,9 être de la peine aux fcrupuleux, il fuf- 99 fit d'avertir dans ce Projet , que c'eft „ le fens qu'il faut donner au mot accom- 99 plir dans ces occafions. Ceux qui vou- 99 dront fe fatisfaire plus amplement fur i9 ce fujet, n'ont qu'à confulter Grotius fur
,j Maab.
Janvier, Février et Mars. 1742. 403
„ Matth.l.22. , les Commentaires de Louis 99 Cappel fur V Ancien Tejlament , p. 15. <Sç „ fuivantes , & le P. Si?non *.
,, En un mot , les Apôtres & les Juifs „ ont fait le même ufage de PEcriture en „ parlant 6: en écrivant , que les Grecs ,, & les Latins ont fait (ïHomere , de F:r- 99 gile & de quelques anciens Phîlofophes , 9, dont ils ont employé diverfes fenrences ,, pour s'exprimer en toutes occaiions , „ pourvu qu'il y eût feulement quelque „ rapport entre leurs termes & ce qu'ils „ vouloient dire , comme il feroit faci- „ le d'en donner plufieurs exemples. On » n'en ajoutera ici qu'un, tire de St. Epi- ff phane , pour juilitier que c'étoit un'u- „ fage commun. H dit que les Jniidico- 99 Marif.nitcSj qui ne donnoient pas allez 9f à la bienheurenfe Vierge , & les Col- 9, lyricîimsy qui lui donnoient trop^étoient ,, les uns & les autres dans l'erreur ; en- ,, forte que ce que quelques Phîlofophes 99 Payens ont dit, que les extrêmitez font 99 égales , étoiî accompli en eux. Il ne s'i- 99 maginoit pas fans doute que les Philo - ,> fophes Payens eûiient jamais penfé aux ,* Antidico- Marianites , ni aux Co/Iyridiens : 99 il vouloit feulement dire, qu'on pou- ,9 voit appliquer à ces derniers ce que les 9, premiers avoient dit des extrêmitez » vicieufes où les hommes tombent".
Si
t Hift. Cric, du N. T. Pai-t. î. C. 21. & 23, Ce 5
404 Bibliothèque Britankique,
Si les Commentateurs & les Théolo- giens Chrétiens eûfîent été dans les prin- cipes de Mr. îe Cène , les Collins & fes fembiables n'auroient pas eu occafion de barbouiller tant de papier pour attaquer le Chriilianifme.
Le Chapitre Septième con- tient V Explication de quelques coutumes des Juifs par rapport au Nouveau Teflament,
L'Auteur explique ici les Coutumes des juifs par rapport à la Circoncifion , au Bâtéme des Profelytes , & à la célé- bration de la Pàque. Après avoir expli- qué ce qui regarde le Bâtême des Pro- felytes parmi les Juifs, Mr. le Cenecomï- nue en ces termes : ,? On peut recueillir „ diverfes chofes importantes de la pra- „ tique de ce Bâtême des Profelytes par „ rapport à celui que Jefus Chrifl a re- „ commandé aux Chrétiens.
9, Que ceux qui le reçoivent doivent „ être inftruits s'ils en font capables , c'eft „ pourquoi Jeius ordonne d'indruire a- „ vaut que de bàtifer. Et tous lesbâcifez, 9, foitS ceux qiie Jean Bâtifle bâtifa, foit „ les Payens que les Apôtres bâtiferent, „ s'appelloient leurs difciples, parce qu'ils „ les avoientinftruits de ce qu'ils dévoient „ à Dieu, à leurs prochains & à eux-mê- „ mes. Que ceux qui recevoient le Bâ- „ tême dévoient être dans une difpofition „ fmcere d'obéir fidèlement à Dieu, quel- le que afflidion qu'il fallût fubir dans cqi-
«> te
Janvier, Février et Mars. 1742. 405 i> te profeflîon , où il ne faut encrer par „ aucune confideration mondaine ; cVlb „ pourquoi St. Pierre appelle le Bâtème ,f une Protejîation d'une bonne confcience de- „ vant Dieu, Que les Femmes écoient „ bâtifées par des Femmes pour la bien- „ féance , comme on peut le voir dans „ St. Epiphane & dans St. Clément. . /. . f, Que l'on bâtifoit les enfans des Pro- „ felytcs avec eux , & que par confequent f, il faut bàtifer les enfans de ceux qui ,> font profelTion du Chriilianifme avec „ eux. Que ceux qui avoient été bâti- ft fez s'appelloient régénérez , ou nouvelk- f, ment nez : c'eil pourquoi le BàLême ,, des Chrétieî'S s'appelle V Ablution de fa ,, régénération, Tit. Ili. 5. & ceux qui ont „ été bâtifez depuis peu, des régénérez ^ f, des enfans nouvellement nez , de petits en^ «, fans , de nouvelles Créatures^ . . . Jefus „ Chrift ne parle pas de cet état à Nico- ,9 deme en d'autres termes : En vérité , en „ vérité je vous déclare , que quiconque ne prend ^y pas une nouvelle naiijance, ne peut voir le M Royaume de Dieu-^ Jean III, 5. Ce que „ Niccdeme prenant à la lettre , & ju- „ géant qu'il écoic impolilble qu'un vieil- „ lard naquît une féconde fois, Jefus le „ renvoyé à la condition des Profelytes, „ mais en lui apprenant, que le Bâtêm.e ,f d'eau efl inutile, s'il n'eic accompagné „ de la vertu du St. Efprit ; ce qui ne ^f paroiiTant pâs moins obfcur à Nicode^
4o5 Bibliothèque Britannique,
,, me , Jefus lui dit : Quoi l vous êtes Doc- f9 teur des Juifs , & vous n^ entendez pas cela ! ,, parce que la doâ:rine de la regénera- f9 tion des Profelyres ne devoir pas être 99 inconnae à un tel Docleur".
Dans ie Hu iTiEME CHAPiTREMr. k Cène fait voir, qu'il faudr oit aiijfi ajouter à. la Traduction du Nouveau Te flament quel- que dejcription des Pharifiens (S de leurs /uper- jhtions: 11 en donne lui-même ici une def- cnption abrégée, renvoyant pour un plus grand détail à JVagenfeil.
Enfin le Dernier Chapitre trai- te de la Difpofition où doivent être ceux qui lifem la Bible.
ARTICLE VIL
Lettre de Mr. D. M. à Mr. D. L. C.
contenant piufieurs particularicez cu- rieufes qui ont e'té fupprimées dans le Commentaire du Pcre Merfenne fur la Cnc^e.
TE ne fuis pas furpris , Monfieur , que J vous ayez cherché inutilement un Exem[wlair'e non châtré du Commentaire du Père Merfenne fur la Genefe ; il eft très -difficile d'en trouver 3 je n'en ai ja- mais vii que trois.
Ils ne font pas moins rares en Fmnce qu'ici, 6c le Sçavant qui en 1732. publia
à
Janvier, Février et Mars. 1742. 407 à Paris, fous le nom à'Amflerdam , une nouvelle Edition du Cymbalum Muncii de Bonavcnture des Periers , a remarqué , que le paJJ'age où le Père Merfenne parloit de ce Livre j c&: devenu très-rare, parce que la feuille où il devrait fe trouver nitnque à pref- que tous les Exemplaires que P on connoît. Amfi il a cru , dit - il , faire plaifir aux Leâeurs , de Pinférer dans fon 'Averti]] ement. Cepen- dant le paiïage qu'il nous donne ne con- tient qu'une partie de ce que Merfenne dit du Livre de des Peners ; ce qui pourroit faire croire qu'il ne Ta pas copié fur l'O- riginal. Quoi qu'il en ioit, voici ce que le Père Niceron nous apprend fur ce fujet. Après avoir rapporcé le titre du Com- mentaire de Merfenne fnr la Genefe : ,9 II ,:, eil à remarquer, dit- il *, qu'on a fup- „ primé deux feuillets de ce Livre, qu'on „ a remplacez par deux cartons, quiren- „ ferment depuis la colomne 669. jufqu'à 99 la colomne 676. f inclufivement; & il „ efl très -rare de trouver des Exemplai- „ res où cette fupprefiion n'ait pas é'.é 9, faite. Le Père Merfenne y faifoit Ténu- 99 meration des Athées de fon teras ; y „ parloit de leurs diffcrens Ouvrages, & ,9 y rapportoit leurs fentimens & leurs „ dogmes , comme on le voit par la Ta-
,, ble,
i, Mémoires pour fervir à l'fliftnîre des Hommes lUuftres : Tom. XXXÏIL p. 146, 147, t 11 falloit dire 674.
4o8 Bibliothèque Britannique,
„ ble , au mot Abei , à laquelle on n'a „ point touché. Soit que tout ce détail „ ait paru dangereux, loir que le Père „ Merjenne, un peu trop crédule , y eût „ trop enrie le nombre des Athées , on „ a jugé à propos qu'il ôtât tout ce qu'il „ avoïc dit lur certe matière". De la ma- nière donc s'exprime le Père Niceron, on en peut, ce me femble , conclure, qu'il n'avoit point vu le Commentaire du Pè- re Merjetme; 6c c'etl une nouvelle preu- ve de la rareté de ce livre. J'ai eu le bonheur d'en rencontrer un Exemplaire qui ell complet ;& vous pouvez compter lur l'Extrait que je vous en envoyé 6cc.
Primae Qu.>e5TI0Nis adverfùs Atheos Colophon , in quo Atheismi expugnandi modus afferîur,
Qtns , ut cum Jeremia , clamem , Quis dahiî capiti meo aquam , (^ oculis meis fon- tem hcbrymarum , ut plorem die ac noâe- ; nam extenderunt linguam fuam quafî arcum mendacii , J non vcritatis ; confortati funt in terra, quia de maJo ad malum egrejft funt ; ^ me non cognoverunt , dicit Dominus. Je- rem. 9. Deus bone, quis lachrymas con- tinere poterit , 1i ferè totum mundum in Atheismo verfari confideret ! rêvera fi- d^^es , dum h^ec vident , Davidis ver- ba apud fc recogitare, 61 dicere expedit:
Pfal.
Janvier, Février et Mars. 1742, 409 Pfal. 41. Fuerunt mihi lachrynue me^ pa^ nés die ac noâe , dum dicitur mihi quotidie , Ubi ejl Dens tuus; qui, cum hsec recordare- tiir, ait ; Effudi in me animam meam. Ve- rùm cum eodem omnem criflici^ nebu- lam difcutiemus, quandoquidem non fu- mas caufa , cur deteflandi Athei per- çant , & impietaci adeo profundae & horrendse fefe mancipent. Idcircô dicat apud fe fidelis : Dum dicunt mihi per finguios dies y Ubi efl Deus mus, qiiare trifiis es anima mea, £sf qiuire conturbas me ? Spera in Deo ^ quoniam adhuc confit ebor iîli , falutare vuhiiS mei , ^ Deus meus ; ipfe efl fpes mea , & portio mea in terra viventium. At ne longiores fimus in jufliiTimis querimoniis explicandis , modum agredior , quo Athei.C mus expugnari pofiît.
Imprimis verô raciones omnes , quibus anteà uli fumus , ut Deum elle probare- mus, non parùm ad id proderunt, dein- dè folutiones omnium paralogifmorum , quibus verJtatem impetunt; fed cùm plu- rimi non obediant rationi, & veluti bru- torum more vivant, fmtque cerebro tam debili, ac malè feriato , utftatim ratiun- culis quibusdam , vel fabellis transfe- rantur, quas in libeilis defcriptas vident, quibus ftatim Purgatorium, & Infernus, atquebeatorumfedes deridentur, ut ma- nifeftum eft in Pafquillis , qui hac aeftate, ficut & prsecedentibus fseculis , quorum- dam Atheorum , ^ impiorum hominum
ar-
410 Bibliothèque Britannique,
artificio voîirant, quale nuper vilum cfï Chronicum aliquod eoriim , quibus fortu- nam veluti fubeffe, vel favere aiunt; &; longé anteà Mv.ndi Cyuibalum, quod Bona- Ventura de Ferez y impiiiiîmcs nebuio, gal- licè vertit, ne quo monti.ro Gallia care- ret , quem plurimi Aiheum fuifTe alfe- runc: hinc fit, ut non defint, qui ini- tio Cymbaîi illius fcripferint ad caute- lam , Dixit mftpiens in corde fuo , non ejî Deus; atque notaverint ilium in vita im- piifîîmum fuilTe , & morte peniife. An- no verô 1538. excufum fuir, & 4. Dia- logis conllat, in quorum primo Mercu^ riiis , Byrphanes, Curtalius & Ho/pita^ in fecundo Trigabus, Merairius, Rkeîulus, Cil- berciis & Drarig ; in tertio Mercurius , Cu- pido , Celia, Phlegon, Statius & Ardelio; in quarto denique duo canes coUoquentes ,Hy- laîforàz Pamphagus , intToducMnzur. Quibus omnibus plu rimas de ik/c^/vnr/o, Jove &c. fabulas compledlitur Perefius , per quas fidem Catholicam irridere , & ea, quce de Deo veriflima efle dicimus & credi- mus, rejicere velle videtur.
Apud Lucianum plurimi Dialogi repe- riuntur, ex quibus prsecedens facile fu- mi potuit : & quidem multorum Chri- fliaiiorum flultitiam admirer, qui in iilius Luciani A'hei ledione bonas noras col- locant, adeô ut vix aliquem librum ita tritum invenias , licet vcnenum animis infundat; hinc à paucis annis tories, tot-
que
Janvier, Février El? Mars. 1742. 411 que modis iterùm iterùmque typis excu-» fus fuit. Faxit Deus, ut ex ejus ledione nuilus in Atheifmum ruât ! quocl vix pol- îicere , aut fperaré aufus fuerim : verùm qui libros fandos Luciano poftponunt, & ejiîs dogmata pro veris ampledbuntur , neque huic impiefati valefacere volunt, perçant, & eorurn ncmina de libro vit^e deleantnr , eisque fit,- m alio fseculo , pars , & fupplicium seternum cum Lucianiflis \ Jtaque cùm ifti libelli veneno refertiÔîmi piurimorum ingénia mendacii nebulis of- fundant, & tantum una libellorum ifto- rum pagina, curioforum hominum ani- mis detrimentum aiferat , ut ne quidem volumen integrum, licet veriffimis ratio- nibus folidifllmum , & errorem evidenter revincens, eis poileà vix mederi poflît; eapropter Reipublicas PrJefedi, Princi- pes. Reges,Epifcopi, & quicunque Prse- feifluram aliquam gerunt, fedulô cavere debent, & omnimodâ ratione perficere, ne hujufcemodi libelli confcribantur, at- que emendi proftent. Quod profedlô fa- cillimè fiet, fi Magiftratus, vel Rex^ aut alius eorum vices gerens, eodem fuppli- cio Atheos, & impies muîdet, quo Dia-^ goram Melium Athenicnfes affecerunt ; quippequi, ob immanilTimum Athei mon- llrum, unam ex Cycladibus infuîis ,ejus pa- triam, qu^ Melos appellabatur , deleve- runt. Ubi igitur deprehenfus fuerit A- theus, û debitis fuppliciis , quse fané ni- Tome XVIIL Pan. IL D d mia
4ia Bibliothèque Britannique,
mia efle nequeunt, corripiatur, fi domus illius fusque dèque vertatur, & perpé- tuée nota ignominiae ei publiée inuratur; id,fi non omnes, faltem plurimos Diago- ras yProtagoraSy CalHmachoSy Hippones, Théo- àoros , Evemeros , Theugetes , Diogenes , Mezeii- tics , Cy dopes , Lucianos , Vaninos , & plu rima id genus portenra hominum averrunca- bit , de quibus La'értius , Tullius , Virg. ^ Maniai, videri poiïunt, quorum ultimus L.4. Epigr. inter Atheos 5^//wm coUocat. Omitto Anaflafium Imperarorem, quem in Atheifmum incidifle ZomraSy ôz Pau- Jus Diacon. hib. 15. referunr, & audivifle inter alia praefagia terribilia, quibus in fomnis minime ad pœnitentiam addu- clus fuit , virum adftantem , qui librum tenens, his eum verbis compellârit: Ec- ce , împerator , ob fdei tiice Kuy.oTiçia'j , at- que perverfttatem y 14. annos vitce tuœ delebo, Cum quo Fredericum jungere polîls , de quo alibi memini. Itaque pro viribus Reges omnes, atque Magnâtes provoco , & in nomine Dei obteilor , ut Hydrse illius caput penitùs abfcindant, nève fua ré- gna, fuas ditiones,& aulas tôt portentis, atque monllris fcatere permitrant; alio- qum enim prsepotenti virgâ ferreâ Deus fortis, & tantae vindex impietatis, eos, & illorum régna confringet. Nunc ergo Reges intelligice , Numinis divini glo- riam quserite, &Atheorum, qui pro vi- ribus tollunt illud, vindices eflote.
Ne
Janvier, Février et Mars. 1742. 413 Ne vcTÔ quis fufpicetQr me injuria con- queri, vel enim paucos, vel nuilos elfe, qui Deum negent, fciat velim non folùm in GaJIia , fed etiam in aliis regnis tan- tam eife nefandorum Atheorum multicu- dinem , ut jure mirari polTimus> quomo- do Deus eos vivere finaL, cujus reverà mifericordice fuper omnia opéra ejus, quippe qui bonicatem iniinitam,in eis ad refipifcentiam expedlandis, effundir. So- verius ex L* 11. Cap. 10. libelli cujufdam Parijfcnjis, & Petro Greg. Tom 111. Synr. mir. Cap. i. hanc DiaboHj^arum, ut vocat, focietarem in Gaîlia ad 60000. excrevilTe ait, cujus fodalcs id occinant : Mens périt (f corpus; & id Virgil. eorum qui'piam
. . . Metus orrmes (f inexorabiïe fatum Subjecit pedibus , jlreptumque Acheronîis J* vari,
At non efl quod totam GaJliam percuf- ramus, nifi fiquidem non femel diduni fuit,unicam Lit/fr/Vim 50. falcem Atheo- rum miliibus onuftam efle, quse li luto plurimùm, multô magis Atheifmo fœ- teat, adeô ut in unica domo pofils ali- quando reperire 12. qui hanc impieta- tem vomant. A quibus, ut caveat,pru- dens quifpiam advertat , num rationes quafdam ad divini Numinis majeflatem ftabiliendam aflferant , deinde quafdam contrarias obiediones fubjungant, quibus Dd 2 fri-
4Ï4 Bibliothèque Britannique ,
frigidiufculè pofleà ac fimulato anima refpondeant. Sic enim iMtetiœ Vanimim aiunc fuiiîe conatum ut Atheifmum pro- feminaret, quippe qui vehementer in A- theos priiîs infurgere , & eos fummoperè deteflari videbatur, id enim verbis acrio- ribus fimuhbat, verùm polleà, velut in- dignabundus, eorum objediones réfère- bat, urgebat, & pro viribus & ingenio infmuabat, fuadebatque, quibus denique tam malè, ôz diminutè fatisfaciebat , ut imperitis facile imponeret , eorumque concuteret animum , ut ipfi ex iilis fo- iutionibus adeô frigidis judicarent, atque concluderent, nullam elfe rationem, quas Deum efle probaret, efle verô plurimas, quae nulium efTe Numcn evincere vide- rentur.
H^c funt teîa , quibus perditus ille nebu- lo fecum alios perdere latagebat, ne alias ejus impietates referam, ob quas à Se- natu Tijohfano juiliiTimè necatus fuit. Ad quem accedere poteft is, quem nuper ob eandem ferme impietatem fupremus Pari^ JJenJls Sçmtus extinxit, qui, îicet Atheif- mum profeminare minime videretur, fed potiùs Judaifmum inculcare , & Evange- lîtim D. Maîîhcei, atque adeô Chriftia- nam Religionem , folaminter alias ^ ut fo- !em inter nubes micantem, & tenebras expellentem evertere, ac fi Evangelium contra Genefim ^ totam legeni pugna- ret; quod falftlTimura ell , ut ex ipfis
ver-
jASîviER, Février et Mars. 1742. 415
verbis Evangelii patet, quod alTeric Chri- flum non ideo veniffe, ut legem folv^e- ret, fed ut eam adi-mpleret, ut reverà totaiTi in fuo proprio corpore, eodem Evangelio référence , adimplevit , atque conlummavit : atcamen cùm omnis do- dtrina Chriftian^ contraria piignet adver- fîis ea, quse Deus nobis per EccieCam credenda revel-avit, Deum ipfum men- dacem facit, ac proindè iliius exiilen- tiam tollere nititur, quinullo modoeiïe, vel intelligi potell, nifi veracifllmus fit, & ut ipfa Veritas, quas nec decipi, neque decipere valet , concipiatur, atque fup- ponatur.
Hic igitur primus eft rnodus , qi?o Atheifmus extingui poiTit, û omnes ejuf- cemodi libellï toïlentur, nec ullus prîeter vera, & ad bonos mores facientia fcri- bat. Ubi velim intelligas non folos paf- quillos, verùrn etiam libros , qui alio- quin bona compledi videntur , nifi A- theifmo Icaterent, quales funt libri Cha- rontis de Sapientia , MachiaveUi de Princi- pe , & Repub. Cardani de fubtilit. & judic. aftror. , & in fupplem. Almanach , & ali- bi palTi m ; Campanel/ce y Vanini Dialogi « Fludd, & alii plurimi, quos vel onrinino perire , vel accurarè faltem expurgare operae pretium fuerit: ilii fiquidem non femel animae mortalitatem infinuant, vel alios errores diifeminanr , qui ad Atheif- niurn addiicere poninr, adeo ut non in- Dd ,^ di-
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digeamus libellum iftum afferre , qucm de tribus Impojîoribiiî , vel cur receptum fit "Evangelium , à Valeo , vel ab alio ne- bulone confcriptum , vel fabeilam Mer- cw'ii è cœlo defcendentis, & omnes bo- mines, velut Chymicos, & lapiois Philo- fophici perquifirores , ab impio Pcnfio de Lcalno idiomate in Gallicum cor.verfam, in qua, ni fallor, tribus fuis Diaiogis in^ fmuat, qaicquid de Religione dicitur , nullo fundamenro niri , & pro nugis habendum; etenim in iijud impietaris A- the. prorumpunt: non jinquain, libros il- los referre opus eil, ciim eos in epito- me, Cardc.nusVi'bns de Subtil. Cap. de kor T.iims ncceffitate , redegerK, nec tamen illis refpordet, in quo fe fuo fatis indice prodlt. QuiE omnia neq.ie hîc referre veîim, neque refellere , vel quia nihil îiovi continent, quod non anreà aîlacunFi fit, atqne confuracum, vel q'Jiia qnceilio- ïiem hanc pofteà feparatim edendam fpe- ramus, cui tune, ea quse fuperefTe videri poffit, adjungemus.
îtaque primus modus Hydrse abfcinden- dae eft, fi libros impios fupprimi, atque ilammis tradi curavenmus , ne perverfà eoram leétione incaura piebecula, & in- génia malè fcriara lethiferum venenum forbeant, quae dum Scriptur.^ fanclas l'i- milia qUcT.piam confcripta legunt , quae tamen fabulofa efle noverunt, qualia funt , auae Amadms GaUns fecilTe Darratur, fta-
tim
Janvier, Février et Mars. 1742. 417 tim dubio percelluntar, num forcé Scri- ptura facra etiam confida fit, cùm aliqua fimilia compledi videatur. Nec enim impii défunt , qui bella , & vidorias Ma- chabœorum , cum Amadinis pugnis , (vnnino fabulofis, conférant.
Secundus modus efl, ut Reges atque Principes nullis ex fuis curialibus fa- veant, neque uUos fecum in aula verfari permittant, quos impios eiïe agnoverint, quales funt , qui Machiavelli libros , aut Oaronm Sapientiam , non tantùm alTiduè pras manibus vertunt , fed illorum dog- niata praeccptis , atque confiliis Evange- licis anteponunt, neque aliud quidpiam in mente prseferunt , quàm ut fefe opri- mos Régis fervos, & viros frugi elfe de- monilrent, quantumcumque divinus ho- nor negledui, vel eriam contemptui ha- beatur, quem pro nihilo faciunt.
Utinam Principes , quibus tenebriones hujufcemodi ferviunt, îsquè Dei, Régis regum & Domini dominantium cultum, reverentiam, ac fuum proprium hono- rem profequerentur, nunquàm fané pa- terentur ea, quas ad divini Numinis ho- norem pertinent, ab Atheis ita concul- cari, atque derideri. Et quidem illos graviiTimum manet fupplicium , nifi in cnmen illud asquali faltem'fupplicio, ac in laefce Majeftatis reos, animadverterint. Tertius modus eft, ut unufquifque fi- bi, quantum poterit, à tam nefaria pefte ' Dd 4 ca-
4î8 Bibliothèque Britannique,
caveat , nec cujufpiam ' familiaritati fe paflim committat ; nam eo difficiliùs A- thei cognofcuntur , & ab eis difficiliùs cavere pofTumus/ quô fe magis occulta- verint, adeô ut hoftcs domeflici cenfe- ri poflint, quandoquidem per omnes fe- ^s vagantur, nec uUum fibinomen im- ponunt, ut à folis confœderatis agno- fcantur. Idcircô inter Calvinianos Calvi- niano , inter Lutheranos Liiîherano, inter CaîboHcos CaîhoHco nomine , velut ovinà pelle, fe contegunt, ut omnium impie- tatum fecem concipientes , totum or- bem fœtore fuo inficiant. Qui flatum A- thseorum in Galîia fcire volucrit^ légat Innocent. Genîiîktum , in Comment, de Re- gno, & quovis Principatu redè admini- ftrando , ad verfùs Machiavel : û Germanise monftra noffe cupit , videat Sturmium in III. P. Antip. Andréas vero Pkiîepater , in Refponf. ad Elifab. Ediâ:um ait: Publicos Athcifmi ProfeiToreG in Anglia extare; Cruilel. Rofeus lib. de juila Reip. Chrift. in Reges haereticcs auàoritate , Atheiimum adfcribi familise Amoris, quse Londini ex- orta , per totam Angliam profeda eft, cujus hiinc fequentem articulum prima- rlum efîe refert: Chrijlianum hominem à heflia nihil penitùs diffcrre, neque ah eo red- àendam effe nitqnàm operum fuoruîn rationem-, jed inftar bruti animaliî moriturum, nec un- tjuàm, vel. corpore^ vel anima refurreâurum. De Scotia teiktur Duraus , in Confut.
re-
jAîîVTEn, FEVRrER ET MaRS. I742. 4T9
refponf. Vuitakeri, ex novo CalviniJJarum Evangelio innumeros Atheos in ea effe cœpine, quod Natatis ïWq confirmât, qui in Lotharingia à Magifiratu comprehen- fus , & interrogatus , quâ via in Athei- mum perveniflet, refpondic, fe id Calvin ni inflitutionibus acceptum ferre. Polo- niœ Atheos profundas radiées egifTe , te - ftatur Libellas anonymus, Cracovi(B 2im-\o 1588. editus, qui lie infcribitur : Simo- nis Religio , incerto Auâore , qui ita coa- Cludit :
Credo in tria , cœîum , terram , i^ ccrH fonnam. In cœtum , Patrem atque CreaiC" rem omnium : In terram , rerum omnivjn Mci^ trem, atque Nutricem: Et in cœli formam^ omnia fentientem f & intelligentem. Eds itaqtie. bibe , hide , jam Deus figmentum efl. Cni ferè fimile efl , quod in Sabell. fupplem. Lib, 22. & jovio , ac jfcanne-Bûpt. Dialog. 2. de Atheo moribundo , qui cum hoc hor- rendo epiphonemate Italico, fe fortiori, nempe Deo, vel Dasmoni commendavit: Chi più puè , più tiri ; id eft, qui for- tior eft, ad fe trahat.
Qui plura de Polonicis Atheis defiderat, Vigandus lib. de Deo contra Arrian, le- gatur, ubi conqueritur, quod ei adveriïis Atheos Deum elfe probandnm fit, quod 9. rationibus facit. Lithuania non caret monftris, faltem enim Leuan habuit , primo quidem Judieum, dein Chriftianum*, mox D d 5 Zuiii-
420 Bibliothèque Britannique ,
Zuinglianum, & tandem Atheum. Sed TiQC Italia hoc malo libéra eft, cum Va- ninum dixiife ferant, fe cum 13. NcapoH difcelTifle, ut per totum orbem terrarum Atheifmum propagarent, qaod puto me jam aiicubi advertifTe; iplum vero Lute- tiam fortirum fuifie: fed per Dei gra- tiam Galîia mondrum illud non diu tu lit.
Quartus modus fcpereft, quo penitiis extingui poffit Atheifmus , fi quifpiam mores fuos , atque vitam reformant , quod pr^icrtim in iis necefie cil, qui reliquis,tampotertate, quàm divitiis, au- ftontate & imperio praslucent, ut ad Magnatum exemplum totus orbis com- ponatur.
Utinam Arhei faperent , & intellige- rcnt, atque ultJma praeviderent, non ita pro levi voluptate, quâ fe tutiùs frui pofle arbitrantur, fi Deum è mente fua pro viribus excutiant , ad ^eterna fup- plicia infani ruèrent! Ad hune modum preces, & facriiicia, cseteraque bona juftorum opéra referri pofTunt ; eapro- pter omnes , per Dei mifericordiam intini- tam obfecro, ut fuss ad Derm orationes dirigant, fi forte Atheos omnes à tanta impietate revocare velit. O fumma bo- nitas, impios hominum filios oculo tuce mifericordi^e refpice , nec diutius iJlos in Atheifmo vivere permittas ! O fumma bc- nitas, quai homines formàfti,uttuâgloriâ
per^
Janvier, Février et Mars, 1742. 421
perfruerentur , ne tantam mulriradineni à fuo fine cadere fmasîO fummi bonitas, mémento pœiiarum, qiias Chiflus Jcfus in fuo corpore pro nobis perculit , (Se impias hominum mences, tenebriserroris obcœcaras, ad veritatis lacem revoca ! Hoc te rogamus , & enixè à tua mifericor- dia, & intinira bonitate podulamus, ut omnes fimul te in cccernis tabernaculis coUaudemus, & tibi lo triumphe per- p:ruô decantemus. Quod profedô fé- liciter conrî:i.[et, fi quirpiam fammam illam fuperbiam, quâ evehi cupit fuprà id omne , quod ell , deponat, fi fcele- rum fœdi.atem horreat, in quaç Uberiùs Athei prorampunr , dum impie fynderefim omnem , a:que Dei cogita::onem pro vi- ribus exueranr; idcircô enim, me Deus amet, Numinis divini jugum, fenfurn & omnia, quse ad verum Dei cultum at- tinent, Scripturas facras^ & quicquid in eis afTciitur, velati nugeculas , 61 vetu- larum deîina refpuunr, irrident '^ ex- paunt, u: liberiores habenas ornni vitio- rum generi fme ullo fcrupulo relaxent, & abfque ullo timoris frasno, aut depen- dentia, viram agant; quos ideo pafTim m hifce Commentariis exagitabimus, atque confatabimus, ubicumque res ita ruierit , ne quod horrendce impietatis vefligium fuperfit, quod non deleatur.
A R.
422 Bibliothèque Britannique;
ARTICLE VIII.
An Account of îhe Conduct cf ihe Dcwager Dut chefs of M A R L B 0 II 0 u G H , from her fir/t coming to Court , to îhe '^ear 1710. In a Letîer from Hcrjclf 10 Mylord
Ceil-à-dire:
Hiftoire de la Conduite de la DuchefTe Douairière de Marlborough, depuis qu'elle fut introduite à la Cour, jufqu'à Tan 17x0. contenue dans une Lettre écrite paT elle-même
à Mylord A Londres , chez
George Haivkins , entre les deux Portes du Temple y 1742. in 8. pagg. 316.
Remarks upon the Account of te Conduct of a certain Dutckess: In a Letter froin a Memher in îhe laft Parliament in îhe Retgn of Oueen Anne, to a young Nobleman,
C'eft-à-dire:
Lettre d'un Membre du dernier Pari e-
menc
Janvier, Février et Mars. 1742.423 ment du Régne de la Reine Anke, à un jeune Seigneur, contenant des Remarques fur l'Hiftoire de la Con- duite d'une certaine Duchés SE. A Londres , chez T. Cooper , à FEnfci- gne du Globe ^ dans Faîer -nofler-Rovj, 1742. in 8. pagg. 50-
A Revie-u) of a late Treaîife entîtukd , An Account of ihe Condufl of îhe Doijoager
D of M. . . . i^c. In which
vmny Mifrcprefentaîions are deîe5led; fcveral ubfcure PaJJages fcarched inîo and explained , and abundance of falfe Fatts fet in îkcir îriie Ughi ; efpecially fuch as relate to îhe Reigns of K. William and Q. Mary. In a Letîer îa a Perfon of Dîflinàion.
C'eit- à-dire :
Lettre à une Perfonne de Diflinftion , où Ton examine un Traite' publié de- puis peu fous ce Titre; Biftoirc de la Conduite de la D, . . ., Douairière de A/. . . . , & où l'on relevé plufieurs faux Expofez, cù Ton recherche & explique diverfes Circonftances obfcu- res , 6c où Ton met dans leur véri-
ta-
424 Bibliothèque Britannique,
table jour un grand nombre de Faits de'guifez, paniculieremenc ceux qui regardent le Roi Guillaume &la Reine Marie. A Londres, chez J» Roberts, dans fFarjoick-Lane , 1742. in 8. pagg. 74.
Ç\ N voit par le Titre du premier de ^-^ ces Ouvrages, qu'il ne s'y agit pro- prement que de la Conduite de la Du- cheiTe de Marîboroiigh, Il ne faut donc pas s'attendre à y trouver beaucoup d'A- necdotes fur l'Hiftoire du tems pendant lequel cette Dame a été en faveur au- près de la PrincelTe de Danemarc , enfui- te Pveine à^ Angleterre. L'Ouvrage fe fait pourtant lire avec plaifir, parce qu'on y trouve plufieurs particularitez aifez cu- rieufes, Ôi quelques détails qu'on auroit de la peine à trouver ailleurs. Mais il y a des gens qui prétendent , qu'on ne doit pas s'en rapporter aveuglement au récit de la DucheiTe , qui avoit eu trop de part aux évenemens qu'elle rapporte > pour n'avoir pas été un peu prévenue, de forte qu'il ne faut pas efpérer de trouver dans fes Mémoires toute l'impar- tialité qu'on a droit d'exiger de ceux qui écrivent l'Hiiloire. C'eit en particu- lier ce que prétendent les Auteurs des deux Brochures dont nous avons aulTi mis les Titres à la tête de cet Article.
En
Janvier, Février et Mars. 1742. 425 £n rapportant les Faits que la Duchef- fe raconte, nous y joindrons les Remar- ques des deux Anonymes, 6c nous les accompagnerons de quelques réflexions,
L'Ouvrage de la DuchelTe de Marlbc- rough eft divifé en trojs Parties, qui onn été comporées en ditiérens tems, com- me elle nous l'apprend elle-même dans une efpece d'iotrodutlion. ,, 11 y a en- „ viron quarante ans, dit- elle, que j'ap- „ prrs que la Femme de feu r£vèque ,, Burnct , pour laquelle j'avois beaucoup „ d'eflime, avoit conçu quelques préju- „ gez contre moi, à l'occafion de la mal- » hcureufe mefintelligcnce qui s'étoit é- ,> levée entre la Reine Marie & la Prin- t, celle fa Sœur: là-defïus je compofai „ un Narré Adèle de toute cette AfFai- }, re , dans le deflein de defabufer Mad, M Burnct ^\ Ce Narré fait la première Partie de cet Ouvrage. La Duchelfe continue de cette manière.
„ Après que la Reine Anne m'eût con- „ gediee * , je m'apperçus qu'on em- „ ployoit toutes fortes d'artifices pour „ me calomnier, & pour noircir ma re- „ puration: c'eft ce qui me détermina „ à dreiTerun Ecrit, où je rendoiscomp- M te de ma conduite dans tous les diffé- ?^ rens Emplois que j'avois remplis fous j, Sa Majeflé. Mon deiTein étoit de pu-
a blier
* Lcrs dïi rhargemeuc liu Misifl^ke en 171c-
426 Bibliothèque Britannique; „ blier d'abord cet Ecrit; mais j- en fus „ détournée par la perfuafion d'un hom- „ me qui pofTede à préfent un Pofte très- „ éminent, & que je croyois alors mon ,, ami. J'ai eu lieu de juger depuis, qu'il „ a naturellement une averficn invinci- „ ble pour tout ce qui s'appelle rendre „ compte * ". Cet Ecrit eil la troifiè- me & dernière Partie de l'Ouvrage de notre DuchefTe, quoiqu'il ait été corn.- po'e avant la féconde, fur laquelle l'Au- teur s'exprime en ces termes.
„ Je me propofai enfuite une autre tâ- „ che, à quoi je fus pouiTéeparrinjuflice, 5, &j'ofe dire l'ingratitude des Wbigs. Ce „ filé de rendre compte de ma conduite „ par rapport aux Partis, & d'expliquer „ les artifices par lefquels Mr. Harky f M 6z Mad. MaJ}:aiii réulTirent à me détrui- ,, re dans refprit de la Reine, & à me ,, faire perdre fes bonnes g;races, en pro- ;, fitant de la paiîion qu'elle avoit pour „ ce qu'elle appelloit VEgîife. Je fus af- f, fiilée dans cet Ouvrage par un ami , à „ qui je fournis des Mémoires. Il y a „ quelques endroits que j'ai compofez „ moi-mêm.e: ce font ceux qui renfer- „ ment certaines particularitez que j'é-
,, tois
* On croiroit par ce trait, que la DuchefTe en veut ici au Chevalier R. ^ *■ '^ *■ à préfent Comte à'Or-d.
i Qui fut enfuite Comte d'Ox/cr^.
Janvier, Février ET Mars. 1742. 427 99 rois feule capable de raconter avec 55 exaditude ". La DuchefTe firii"- fon ïntrodudiion, en nous avertiffant qu'elle a pris foin 'de faire conferver dans fa Famille toutes les Lettres originales qu'el- le a tranfcrires en tout ou en partie dans cet Ouvrage, afin qu'elles fervent tou- jours de preuves inconteflables de la vé- rité ÔQS Faits qu'on y rapporte. Après a- voir donne cette idée générale des Mé- moires de notre Duchefie, il faut, pour les faire mieux connoître, en extraire les particularitez les plus curieufes. Sara DuchelTe Douairière de Marlborough , ell Fille de Mr. Richard Jennmgs ,6c Petite- fille du Sieur Jean Jennings * qui fut fait Chevalier des Bains, lorfque Charles, Fils de Jaques I, fut créé Prince de Galles le 4. de Novembre 1616. Elle naquit le 29. de Mai 1Ô60. jour de la Reftauration de Char^ Us IL En 1680. elle époufa Jean Churchill qui n'étoit alors que Colonel d'un Régi- ment de Dragons. Mais comme il polTedoit les bonnes grâces du Ducd'2'brè,ce Prin- ce le recommanda fortement à Charles II, qui le créa Baron à'Eymouîb f dans le Comté de Bar-vjick en Ecoj[fe ^, Sa Fem-
* Ou JewjTLS , comme elle écrit elle - même ce nom.
t Le 21. de Décembre 1682.
± General Din^.on. Hlfi. ^ Crït Art. Marl- FOROUGH, Text. & Rem. (B).
Toms XVIIL Part, IL E e
428 Bibliothèque Britannique,
me, qui dès fon enfance avoir coutume de jouer fouvent avec laPrmceffe Anne, avoic fi bien fçu gagner fon amitié , que lorfque cette Princefleépoufa en 1683. le Prince de Danemarc, elle engagea le Duc d^Tork fon Père à nommer Mylady Ey- moiiîh pour une de fes Dames de Lit: c'eft la Ducheile de Marîborough elle-mê- me qui nous apprend cette particularité.
.5 Ce qui contribua encore plus, ajou- ,, te-t-elle, à me rendre agréable à la „ Princefle , ce fut le dégoût qu'elle avoit „ conçu pour la plupart des autres per- ., fonnes qui l'approchoient, & particu- „ lierement pour fa première Dame de ,, Lit la Comteile de C/arendon ; Dame „ dont les difcours & les manières n'é- ,9- toient gueres propres à lui gagner l'a- ,, niitié Q'une fi jeune Maîtreiie : car el- „ le avoit Pair d'une folle , & ne parloit „ que comme une Pédante ".
L'Auteur de la première Brochure dont nous avons donné le Titre, n'a pas lâiflé échaper ce trait contre la Com- teile de Ctarcndcn, non plus que ce que dit la Duchefie, que dans fon enfance elle aveit coutume de jouer avec la Prin- ceiTe Anne. Far rapport à cette dernière particularité, „ il faut, dit- il, croire fur if la fimple parole de fa Grandeur, que „ la FjUe de Madame Jcnnings^ qui, fi ,5 l'on s'en rapporte au bruit public . »
n'a-
Janvier , Février et Mars. 1742. 4^9 ,i n'avoit que peu de biens , a été adrai- „ fe û avant dans la familiarité d'une „ Princelfe qui avoit reçu une éduca- „ tion û févèfe. . . . . Et pour ce „ qui regarde la ComteiTe de Ciarendcn, „ je fuis aifez âgé pour me fouvenir d'el- ,9 le V <k il y a encore bien des perfon- „ nés qui pourront atteiter, pour l'avoir >9 connue, que fans faire tort à la Duchef- f, fe de Marlborough t la ComtefTe de C/û= „ rendon faifoit autant d'honneur à la „ Gourde la Princeffe AnnCt qu'aucune ,> Dame en ait jamais fait à quelque Cour » que ce foit. 11 efl vrai qu'à certains „ égards la conduite de Mademoifelle „ Jennings pouvoit ne pas plaire à une, ty Dame auiïi diftinguée par Taufterité de ), fes principes & de fes mœurs, que l'é- fi toit la ComtefTe de Clarendon ".
Ce trait contre la Ducheffe de Marîbo- rough , joint aux deux lignes marquées çi-delTus par des Points, en donne à entendre beaucoup plus qu'on ne dit, &, fait foupçonner que cet Auteur prend pour autant de véricez, les violentes Saty= res que Mademoifelle iVf^n/^y s'eft avifée de publier dans fon Atîantis *. Il efl jufle d'oppofer à ces traits de médifance le, témoignage que l'Evêque Burnet v^nd à, la Ducheife de Marlborough ; témoignage^
* Voyez en particulier 7>». Jt, pag, 2^^- ^ Tom', II, , pag, 226. ^ fuiv.'
É^3r
450 Bibliothèque Britannique ,
qiae l'Auteur de la Lettre d'un Membre du Tarkment &c. rapporte lui-même, quoi- que dans une autre vue. „ La Duchef- „ fe de Marîhorough , dit l'Evêque * , a- „ voit en toutes chofes un grand afcen- „ dant fur la Princeffe de Danemark El- „ le n'avoit pas beaucoup de connoif- j, fances acquifes, mais elle avoit la con- „ ception prompte & facile, &unjuge- fi ment folide. Elle étoit amie ardente ,, & zélée, violente dans fes réfolutions , 5, & parlant avec une grande vivacité. „ On l'a cru hautaine & fiére dans la fa- „ venr, quoiqu'elle n'employât .pour s'y „ maintenir , aucun des artifices fi com- „ muns à la Cour ; car elle n'obfedcit 9, point fa Maîtrefle , ni ne la tlattoit. „ Elle fe tenoit beaucoup che£ elle, pre- „ nant grand foin de fes Enfans ". S'il y avoit eu de l'irrégularité dans la condui- te de la Ducheîîe de Marîhorough, l'E- vêque Burnet , qui n'épargne perfonne, n'auroit pas manqué d'en infinuer quel- que chofe.
Une autre raifcn que la Duchefîe al- lègue de la faveur où elle étoit auprès de la PrincelTe Anne, c'eft la fincérité & la franchife avec laquelle elle s'eft toujours conduite envers fa MaîtreiTe. j, Toute ,, jeune que j'écois, dit- elle, lorfque je
„ de- * Burmt.Hifi, of bis cw?i Times, Vol. I,
Janvier , Février et Mars. 1742. 451 „ devins la Favorite de la PrinceiTe , jô 99 mepréfcrivis pour maxime, que la flat- 9, ter feroit trahir la confiance qu'elle a- „ voit en moi, & payer d'ingratitude „ ma meilleure amie : Je crus que je fe* 9> rois indigne de fes bonnes grâces, ft „ je ne pouvois pas me réfoudre à les „ perdre, en difant conftamment la vé- „ rite, & en cherchant toujours fes vé- „ ritables intérêts, plutôt que de tâcher „ à lui plaire, en flattant fes inclinations „ & fes paffions. Je ne me fuis jamais 9> écartée de cette régie, & quoique mo-a „ humeur & ma manière de penfer fûf^ „ fent très différentes de celle delaPriU" „ ceiïe , cependant durant le grand nom» M bre d'années que j'ai été en faveur au- 95 près d'elle, tant s'en faut qu'elle aie „ jamais été choquée de la franchife a- „ vec laquelle je lui difois mes fenti- ,9 mens , qu'au contraire elle difoit quel- „ quefois , qu'elle fouhaitoit que j'en agîf- „ fe toujours ainfi; elle me le comman- „ doit même, promettant que, non feu- f, lement elle ne s'en offenferoit point, „ mais qu'elle m'en aimeroit davan- „ tage '\
Si la Ducheiïe de Mariborough fait fon pro- pre éloge dans ce pafTage ( éloge qui eft pourtant confirmé par le témoignage de Mr. Burnet y qu'on vient de rapporter) elle fait en même tems un beau Portrait de la PrinceiledeDan^/Tîarcpuifque cette Prin- Ee 3 cef-
4^î Bibliothèque Britannique, cefle non feulement fouffroit patiemment qu'on lui dît la vérité, mais qu'elle le fouhaitoit même , & le commandoit ex- preiïement. L'Auteur de la Lettre d'un Membre du Parlement prétend tirer de-Ià jane confequenGe peu favorable à la Du- çheffe de Mariborough. „ Si la PrincefTç fy de Danemarc y dit -il, a fait voir dans ,, fa jeuneiïe, & au milieu d'une Cour ef- %y féminée & corrompue, tant de bon „ fens, & un fi haut degré de vertu, ne 99 doit -on pas en conclure, qu'elle doit 99 avoir eu de fortes raifons lorfque , dans i9 un âge plus mûr, & où elle éroit plus ^i maîtreiïe d'elle-même, elle a changé S;, de conduite envers uneperfonne, que Si pendant une longue fuite d'années el- ?5 le avoit comblée de fes grâces "? Ne tconcluroit-pn pas de ce,s paroles , que ce n'a été que pendant la jeuneiïe de la Princefle Anne que Mylady Mariborough a été en faveur auprès d'elle, & que dès que cette Princeite a pu fe fervir de fon jugement, elle s'eft défaite d'une Favorite flui abufoit de fa bonté ? Mais à quelle époque fixera- 1- on cet âge plus mur de la Princeiïe? Elle écoit née au mois de Février de l'an 1665. Elle époufa le Pi-ince de; Danemarc en 1Ô83., & ^^ he fut qu'en jyip. que la Duchelfe de Mariborough fut difgraciée. Anne avoit alors quarante-cinq ans pailez : c'efl commencer l'âge mûr tin peu tard. Nous expliquerons dans * ^ ' la
Janvier, Février et Mars. 1742. 433 la fuite quelles furent les véritables cau- fes de la difgrace de notre DucheflTe. Nous ajouterons feulement ici, que ce ne fut qu'après la mort du Prince G^or^^^de Da- nemarc , Epoux de la Reine ^nn^, qu'on réuflit entièrement à ruiner la Ducheiïe dans l'efprit de cette Reine.
Durant tout le Régne de Jaques IL la Princelle de Dancmarc mena une vie aufïï retirée qu'il lui fut polTible, vii le rang qu'elle tenoit dans le monde : de forte que pendant tout ce tems-là nous n'ap- prenons rien de la conduite de Mylady Marlborough fa Favorite. Mais à la Revoior tion elle reparoîtfurla Scène. Le Roi ja- ques ne tarda pas iong-tems à découvrir le malheureux projet qu'il avoit formé: il tacha d'y faire entrer fa Fille, en lui met- tant entre les mains des Livres qu'il croyoit propres à lui faire changer de Religion: & fi elle y avoit eu quelque penchant, les Chapelains ou Aumôniers qui la fervoient n'étoient gueres capa- bles, nous dit -on, de la confirmer dans la Religion Protellante, ou delà munir contre le Papifme, en faveur duquel el- le étoit foUicitée par fon Père & fon Roi.
Le Lord Tyrjcnel, qui avoit époufé la Sœur de Mylady Churchill voulut aufïï l'engager à employer le pouvoir qu'elle avoit fur l'efprit de la Pî-inceile, pour la
per^^
^ Il mourut le 8. de Novembre 170S, Ee 4
434 Bibliothèque Britannique,
perfuader d'eiirrer dans les vues du Roi; mais elle n'en voulut rien faire.
Lorfque le Prince d'O^'ange fut débar- que en Angleterre Tan 1688. le Roi Jaques fut fe mettre à la tête de fon Armée. My- loid Churcbil & le Prince de Danemarc l'y accompagnèrent. Mais ils ne Tardè- rent pas long- tem.s à le quitter. Le Pè- re d'Orléans a prétendu , que le Lord Chir- cbil avoit formé le projet de livrer le Roi au Prince d'Orange -, éi qu'un accident arrivé au Roi *, qui ne lui permit pas d'aller jufqu'au quartier qu'il avoit def- fein de viiiter , empêcha l'exécution de ee projet. Mr. de Rapin f a très-bien ré- fute cet'ie accufacion, & d'ailleurs Tau- tori^é du Père d'Orlecns n'eil pas d'un af- fez grand poids pour qu'on puiiTe s'y lier. Cependant l'Auteur de la Lettre à une Pcrjonns de Diflhiuion a jugé à propos de renouveller cette acculation : Il la fon- de non feulemient fur l'autorité du Père d'Orléans, mais fur celle du Chevalier Jean Reresby y Gouverneur d'I^ork pour Jaques IL, & Homme d'honneur , dit- il, êç fur celle du Roi Jnques lui-même; car ce fut lui, à ce qu'on allure, qui apprit au Père d'Orléans les Faits qu'il rapporte dai.s fon Hiiloire des Révolutions d'An-
* Un grand faîgnement de rez.
t hiji. d'Angleterre Toai. X. pag. 133, 134.
Janvier, Fevrif.r et Mars. 1742. 435
gJetenre. Je ne connois point les Mémoi- res du Chevalier Reresby , ainfi je ne fçaurois dire jufqu'oùils méritent qu'on y ajoute foi. Mais il eft certain que le Prince d^Oronge ne cherchoit point à fe faifir de la perfonne du Roi, & on Tau- roit fort embarafle , li on Favoit livré entre fes mains ; de forte qu'il n'y a pas la moindre apparence que Mylord Cbur- chiî eût formé un pareil projet. Si le Roi fe Feft imaginé, 6c s'il l'a dit au Pè- re cV Orléans, fa^crainte a pu lui faire naî- tre cette penfee, quoiqu'elle n'eût aucun fondement.
Peu de tems après que Mylord Churchil fe fût rendu auprès du Prince à' Orange, le Prince de Donemarc lui-même fuivit fon exemple, & l'on apprit bientôtque le Roi revenoit à Lcndi-es. La Princefie Anne en eut une û grande frayeur, qu'elle dit à fa Favorite, qn''elle fe jetteroit par la fewJ- ire, plutôt que de voir f on Père. Ce furent- là , nous dit- on , fes propres expreiTions. On trouva donc moyen de ia tirer fe- crettementde Londres. <& de la conduire à Nottingham. Ce fut l'Evêque de Londres (Compton) qui facilita Tévafion de la Prin- ceife. A Nottiîîgham elle reçut une Let- tre du Comte de ClarcrJjn , remplie de complimens, & en même rems de plain- tes de ce qu'elle ne lui avoir pas commu- niqué un delTein qu'il approuvoit extrê- mement, & à l'exécution^duquelrl auroit Ee 5 fort
•*
43<J Bibliothèque Britannique, fort fouhaité de contribuer. Cotte plainte > & Vardeur qu'il témoigna ( dans un Con- feil tenu à Windfor avant que le Prince
d'Orange vint à Londres ) d'envoyer le Roi à ta Tour y s'accordent- elles bien avec la conduis te qu'il tint dans la fuite? C'eft ce dont la Duchefle de Marlborcugh abandonne le ju- gement au Public.
L'Auteur de la Lettre d'un Membre du Parlement fe récrie fort contre ce con- feil qu'on attribue au Comte de Claren- don, d'envoyer le Roi à la Tour : & pour réfuter ce Fait, il remarque, que „ l'AlTemblée de JVindfor , dont la Du- „ chelTe parle , fut tenue dans un tems fi „ critique , qu'aucun homme dans fon „ bon fens ne pouvoit s'avifer de don- ,, ner un femblable confeil. Car Jaques M étoit alors retourné de Feverjham à „ Londres, & réfidoit actuellement dans le „ Palais de Wlmeball : & , comme le die l'E- „ vêque Biirnet , toute l'indignation que les ;, Bourgeois de Londres avoient conçue „ contre lui , s'écoit alors changée en pitié ,, & en compafllon. Le Confeil Privé „ même paroit avoir encore reconnu „ Jaques pour leur Roi, fuivant le même ,, Hittorien *; ôz c'étoit à ce Confeil „ qu'apartenoit l'exécution de tous les i, ordres. Et lorfque le Roi traverfa la
„ Vil'
^ Bumet Hifi, of bis own Times Vol. I. pag- 799'
Janvier, Février et Mars. 1742.437
„ faille y continue ce Prélat, // fut reçu f, avec de grandes acclamations de joye par „ une foule de Peuple. Il auroit donc fal- „ lu que le Comte de Clarendon eût per- „ du lefens, pour avoir confeillé d'en- •„ voyer le Roi à la Tour, pendant que » le Peuple étoit dans de pareilles difpo- „ fitions ".
L'Anonyme combat enfuite ce que dit la DuchelTe, en la mettant en contra- diction avec le même Prélat. Celui-ci aiTure, que le Prince d'Orange ayant confulté fecrettement quelques-uns des principaux de l'Etat, on lui repréfenta, que 'fi on tenoit le Roi en prifon dans le Royaume, il étoit à craindre que cela n'excitât trop de compaflîon envers lui, & ne caufât même quelques troubles. On propofa donc de l'envoyer kBreda. Le Comte de Clarendon infifla fortement fur cet avis : Voilà ce que ,Mr. Burnet ^ dit qu'il a appris de la propre bouche du Roi Guillaume. De ces deux Narrez fi dilfé- rens l'Anonyme conclut, je ne fçais pas pourquoi, qu'ils font faux tous deux; mais quoiqu'il ne fe fafle pas de peine de donner un démenti à l'Evêque, il a l'iion- nêteté de fauver la bonne -foi de la Du- chefle, en difant qu'elle n'a pu fçavoir .que par ouï -dire ce qu'elle raconte à ce fujet. Cependant ces deux Narrez ne font
* Ibid. pag. 800,
438 Bibliothèque Britannique,
pas û incompatibles qu'on le prétend. Il fe pourroit très -bien que le Comte de Clarendon auroit confeillé dans une oc- cafion d'envoyer le Roi Jaques à la Tour , & que ce confeil ayant paru trop dan- gereux , il auroit été d'avis dans une au- tre occafion de l'envoyer à Breda,
Le Roi Jaques s'étant retiré en France, le Parlement, ou, û Ton veut, la Convention afTura la Couronne au Prince d'Orangt pour toute fa vie, & la Princeiïe de Da^ nemarc y confentit. On en prit occafion de cenfurer la conduite de Mylady Chur^ chil: on- prétendit que , pour faire fa Cour à Guillaume & à Marie, elle avoit enga- gé la Princeife Anne à céder fes droits inconteflables. „ La vérité eft , dit-el- „ le, que je la perfuadai de eonfentir au „ règlement en queflion , & à s'y foû- „ mettre tranquillement lorfqu'il fut fait. „ Mais ni en cela , ni dans le peu de part 5, que je puis avoir eu dans l'affaire de „ la Révolution, je n'ai agi par aucun é- u gard pour le Roi & la Reine, ni par i) aucun principe d'ambition.
„ Toute la terre comprenoit par la ,5 conduite du Roi Jaques ,ç^m'ï\ falloit tôt M ou tard que tous ceux qui n'embraf- j, feroient pas la Religion Catholique fûf- ii fent ruinez. C'efl ce qui fut caufe que 9» je vis avec plaifir que le Prince d'O- „ range entreprenoit de nous délivrer }y d'un pareil efclavage. Mais je protef-
» te
Janvier, Février ET Mars. 1742. 439^ „ te folemnellement , que j'étois alTez fim- „ pie pour n'avoir jamais fongé qu'il de- „ viendroit Roi. N'ayant jamais rien lu, „ n'ayant pafle mon tems qu'à jouer aux „ cartes, & n'ayant moi-même aucune „ ambition, je m'imaginois bonnement, „ que le feul deiïein du Prince d^Orangs f9 étoit de pourvoir à la fureté de fa „ propre patrie, en obligeant le Roi Ja- „ qiies à régner fuivant les Loix de ce 5, païs-ci, & qu'il s'en retourneroit dès „ qu'il nous auroit rendus tous heureux. „ Je croyois qu'il n'y avoit pas la moin- ff dre difficulté dans l'exécution d'un pa- „ reil delTein , & que le Prince trouve- „ roit plus de plaifir à procurer tant de ,, bien , qu'à être Roi de quelque pais que „ ce fût. J'appris bientôt à mieux con- „ noître le monde. Quoi qu'il en foit, é- „ tant fortement perfuadée qu'on ne doit „ point confier les Libertez de VAngïeter^ )9 re entre les mains d'un Prince Papille, „ je n'eus pas le moindre chagrin du „ changement qui étoit arrivé dans le ,9 Gouvernement de l'Etat , non pas même „ durant la longue perfecution que je i9 foufFris. Je pouvois peut-être fouhai- „ ter que cela eût été exécuté par quel- „ que autre, qui eût eu plus d'honneur ,j & plus de juftice que celui qui a pu %i fe réfoudre à dépofer fon Beau -père if & foBi Qncle pour maintenir la Liberté
n &
440 Bibliothèque Britannique,-
„ & les Loix , & agir enfuite lui-même fi en Tyran dans plufieurs occafions ; „ mais je n'ai jamais fouhaité que lechan- ,, gement ne fût point arrivé.
,, Pour ce qui regarde l'Ade par le- „ quel la Couronne fut alTurée au Roi „ Guillaume pendant fa vie , le même é- ,-, gard pour le Bien public m'a engagée >j à confeiller à la PrincelTe d'y confen- ,-, tir. Il eft vrai que, lorfque ce projet „ fut propofé pour la première fois , je „ n'en compris pas la nécefllté : Je le „ crus même û déraifonnable , que je me „ donnai beaucoup de peine pour éta- ,5 blir le Droit de ma Maîtrefle, & je ,, crois que le Roi & ia Reine ne l'oublie- ,> rent jamais. Mais je m'apperçus bien- „ tôt que toutes mes peines feroient inu- „ tiles;que tout ce qu'il y avoit de gens a un peu confiderables, excepté les Ja- ,, cobites , étoient dans les intérêts de ,, Guillaume , & que l'Acle pafïeroit dans ,, le Parlement , foit que la iPrincefTe y „ confentît ou non : de forte que le ,', meilleur confeil qu'on pût lui donner, „ c'étoit de céder de bonne grâce".
L'Auteur de la Lettre d'un Membre de Parlement remarque fur ce paffage , que le Prince Orange étoit réfolu de ne point demeurer en Angleterre, à moins qu'on ne lui accordât l'Autorité fouve- raine: fur quoi il cite le témoignage de'
Janvier, Février ET Mars. 1742. 44X VEvéquQ Burnet , qui nous apprend *, que ,9 le Prince d'Orawgen'affeAoit point d'ê- 9> tre populaire , ni de paroître affable ; 99 il ne vouloit fe donner aucune pei- f9 ne pour gagner qui que ce fût. Il die „ qu'il étoit venu pour fauver la Na- „ tion , fuivant la prière qu^on hii en „ avoit faite : Qu'il avoit affemblé de vé- ,> ritables & libres Repréfentans du Peu- ,, pie, auxquels il laiiïbit le foin de faire 5, ce qui leur paroîtroit le plus avanta- „ geux pour le bien public : & que , lorf- « que les affaires feroient une fois établies „ fur un bon pied , il feroit content de „ s'en retourner en Hollande''. Ce paffa- ge, loin de réfuter ce que dit la Duchef- fe, femble au contraire confirmer l'opi- nion où elle étoit d'abord-, que îe Prince s- en retourneroit dès qiCilauroit rendu les An- glois heureux.
Mais on rapporte un autre paflage du même Prélat , pour réfuter les deifeins am- bitieux que la Ducheffe attribue au Prin- ce d'Orange. Mr. Burnet raconte , que dans une Conférence fecrete que le Prin- ce eut avec le Marquis d'Halifax & les Comtes de Shrewsbury & de Danby , il leur dit ,, Que jufques alors il avoit gar- „ dé le filence, parce qu'il n'avoit voulu ,> rien dire ni rien faire qui f;ût ôter à „ qui que ce fût la liberté de délibérer
* lîift, 0/ his own Times , Vol. I, pag. 820
44*î BiHLnTrHE<5trE BïiîTANNiQtrÈ,
>j & de voter far des matières û impor- ff tantes: qu'il étoit réfolu de ne recher- „ cher & de ne menacer peribnne , & „ qu'à caufe de cela il n'avoit pas voulu „ dire ce qu'il penfoit. Qu'il y avoit des „ gens qui vouloient mettre le Gouver- „ Dément de l'Etat entre les mains d'un „ Régent : qu'il ne s'y oppoferoit pas, fi „ l'on croyoit que ce fût le moyen le „ plus propre de pourvoir à la fureté de „ l'Etat : mxais qu'il jugeoit à propos de ,, les avertir , qu'il ne vouloit point fe „ charger de la Régence ; de forte que 19 s'ils perfiftoient dans ce deiïein, ils de- „ voient penfer à quelqu'autre perfon- ,9 ne pour remplir ce Pofle. Qu'il pré^ ,, voyoit les confequences d'un pareil „ projet; & que pour cette raifon il ne o jugeoit pas à propos de fe charger de „ la Régence. Que d'autres vouloient 99 qu'on donnât la Couronne à la Prin- ,9 cefre,que feule & le Prince régnât fous „ elle & par fa faveur ( by ber Courtefy;) ,y fur quoi il dit, que perfonne ne pou- „ voit avoir plus d'eflime pour elle qu'il „ n'en avoit; mais qu'il n'étoit pas d'hu- „ meur à rien pofTederfous l'autorité d'u- ,9 ne femme ; & qu'il ne croyoit pas qu'il ,9 fût raifonnable qu'il eût aucune parc ,9 dans le Gouvernement, à moins qu'il „ n'en jouît en fon propre nom, & du- ,9 rant toute fa vie. Que s'ils avoient def- ,f fein d'étatOdr 1& Gouvernement fur un
„ au-
Janvier, Février et Mars, 1742. 443 4, autre pied , il ne s'y oppoferoic pas , M mais qu'il s*en retouriieroit en Hollan- if de, ôc ne fe mêleroic plus de leurs af- j, faires. Il les aiTura., que quelque idée que ,9 d'autres eûiïenc d'une Couronne , elle h ne paroiiFoit rien de û brillant à fes ô yeux, & qu'il pourroit très-bien Vivre, f) & vivre content, fans en poiTeder une, h II finit en difant, qu'il ne pourroit ja- „ mais fe refoudre a accepter une Di- ,-, gnité , pour n'en jouir que durant la 4f Vie d'un autre : mais qu'il croyoit pour- „ tant queles Enfans de laPrincelTe An^ „ ne dévoient lui fucceder preférablement „ à ceux qu'il pourroit avoir de toute aù- ,'> tre femme excepté la PrinceiTe Marie. Comme la conférence où le Prince d'O- range parla de cette manière fut tenue Secrètement, & que Mylord Marîborough n*y alïîfta point, fa Femme peut très-bien avoir ignoré les difpoîitions du Prince. De forte que , pour prouver qu'elle ne les ignordit pas , on allègue un fait qu'on pré- tend tenir de la propre bouche du feii Comté de N — m. * ,, Jl m'alTura , dit l'Au- ,9 teur de la Lettre d'un Membre du Parlé' fi ment,q\iQ dès que le Prince d'Orange fut ii débarqué y la haute 6i balTe Noblefîe
,y don-
* n faut qu'on entenfdepar-Ù leComtedé iV<>^' iin^bam, car il n'y a peint d'autre Gomte çn^Aii- ^letetre dont le nom commence pat une iV, Se finllFe par une m ,
Tome XVÎII, Pari, ÎL FF
444 Bibliothèque Britannique,
„ donna des marques vifibles de fa froit
„ deur, & delà répugnance qu'elle avoi-
„ à fe déclarer pour lui. Sur quoi lePrin-
„ ce afleiribla ceux fur qui il pouvoit le
„ plus compter, & leur dit franchement,
„ quepuîfqu'il s'étoit fi fort hazardé pour
,, les venir fecourir , on ne devoit pas
„ s'attendre qu'il l'eût fait pour rien ; &
„ qu'il n'auroit pas été fi fou que d'ex-
„ pofer fa perfonne & fa Patrie à une
„• ruine inévitable, fi, avant qu'il partit,
„ on ne lui avoit pas donné de la part
„ des Anglois les plus fortes alTurances
„ qu'il feroit foutenu dans tout ce qu'il
„ entreprendroit. Là-delTus il produifit
„ un Ecrit figné des Perfonnes les pins
,5 conliderables qui fe déclarèrent dans
,5 la fuite en faveur de la Révolution. Par
„ cet Ecrit on s'engageoit à foutenir Son
„ AltelTe dans l'exécution du Plan même
„ fuivant lequel la Couronne lui fut ac-
„ cordée après l'Abdication du Roi Ja^
„ ques. Dans cet Ecrit on voyoit non
„ feulement les noms de ceux qui l'a-
P, voient figné , mais auiïi de ceux qu'ils
„ s'engageoient de gagner en faveur du
,> Prince. Ce Seigneur ajouta, qu'il vie
„ dans cet Ecrit le nom du Lord Chur»
yy chil y qui promettoit de gagner le Prin-
ti ce & la PrincelTe de Danemarc par
o le moyen de fa Femme". On remarr
que là-deffus , que fi ce récit eft vrai , il
n'y a pas d'apparence , il eu même im*
-pofll-
jANViHir> Février ET Mars. 1742. 445 portible , vu l'afcendant: que Mylady Chur- chil a toujours eu fur fon Mari , qu'elle ait été aulTi furprife qu'elle le prétend, lorfqu'elle apprit que le Prince à'Orange avoit accepté la Couronne. Mais pour ajouter foi à ce récit, il faudroit une Au- torité un peu plus confiderable que celle d'un Anonyme: & fon affeclation à ne défjgner qu'obfcurement le Seigneur de qui il prétend tenir ce fait , le rend un peu fufpcft.
On a vu que laDuchefle accufe le Roi Guillaume d'avoir agi en Tyran dans plu- fieurs occafions. Le même Anonyme die là-delTus, qu'on auroit de la peine à ci- ter un feul exem.ple de la Tyrannie de ce Prince, & il s'échauffe beaucoup contre la témérité de celle qui ofe lui intenter une pareille accufation. Mais je m'ima- gine qu'elle n'a voulu parler que des pe- tits chagrins que le Prince & la Princcf- fe ào. Danemarc y Mylord Churchil & elle, & quelques autres perfonnesdela Cour du Roi Guillaume , ont eu à eiTuyerde fa part.
Il eft certain que le Roi Guillaume & la Reine Marie y peu de tems après qu'ils fu- rent arrivez en Angleterre, témoignerenn quelque froideur pour le Prince & la Prin- ceiTe de. Danemarc : L'Evêque Burner * en convient, au mioins par rapport au Roi, & la Duchefle de Marlbarougb en rapporte
qneL
# Hi^, ê,^ tis Qwn Time^y Vol, lî. pûg, gj. Ff 2
44^ Bibliothèque Britannique,"
quelques exemples. Elle prétend que cet* te froideur étoit caufée en partie par la perfuafion où étoit le Roi , que le Prince & la Princefle lui avoient été plus utiles qu'ils ne leferoientdansla fuite, & en par- tie par la différence qu'il y avoit dans l'hu- meur & dans le caradère des deux Sœurs. Cette froideur parut en ce qu'on ne faifoit aucune propofition de 1-a part du Roi pour alTurer à la Princefle de Dane- marc un Revenu fixe , & qu'on ne lui don^ noit point d'argent *. Là-deflus le Par- lement commença lui-même à prendre cette affaire en main , & à faire quelques démarches pour affurer au Prince & à la Princeffe une Rente annuelle. La Reine Marie en fut fort irritée , & prenant un jour fa Sœur en particulier, elle lui de- manda , quel étoit le but des procédures du Parlement : J^ai appris , répondit la Princefle, ^:a' mes amis ont dejfein de me pro- curer un Revenu affuré. La Reine répli- qua avec chaleur & d'un air fort impé- rieux : Qiieis amis avez-vous , je vous prie, fi ce n'efl le Roi 6f moi. Apres cela la Rei- ne ne parla plus à la Princeffe fur ce ftf- jet, quoiqu'elles fe viffent tous les jours. Miis les Amis de celle-ci agirent avec tar.t de zèle & d'ardeur dans la Chambre des Communes , qu'ils ércient fur le point é'cbtenir pour elle un Revenu beaucoup
plus
Il
Janvier, Février ET Mars. 1742. 447. plus confiderable que celui qu'on lui ac- corda dans la fuite : mais le Roi , pour pa- rer le coup & gagner du tems, prorogea le Parlement.
Cette Affaire fut remife fur le tapis à k première ouverturedu Parlement; ,, & „ alors, dit la DucheHe , on fit tous les ,, efforts poffibles pour m'engager , foit „ par des promeffes , foit par des mena- „ ces , à perfuader la Princeffe d'aban- ,, donner fon deffein. Mylady Fitzbar^ ,, ding , qui étoit en faveur auprès de la „ Reine plus que perfonne , & pour qui ,9 onfçavoit que j'avois une affedion tou- M te parricuiiere, fut celle que l'on em- ,., ploya pour me gagner. Elle m'attaqua » par mon intérêt particulier, en me re- ,, préfentant, que fi je nevoulois pas fai- 99 re ceffer des procédures fi defagréables „ au Roi & à la Reine, je cauferois infail- „ liblement la ruine de mon Epoux , ik „ par confequent celle de toute ma fa- ,1 mille. Quand elle vit que cette confi- „ deration ne me touchoit point, elle tà- „ cha de me faire craindre pour la Prin^ ,, ceffe elle- même, en me difant, que les „ mefures que l'on prenoit la perdroienc •9 fuivafit toutes les apparences; qu'il n'y I» avoit que ceux qui me iiattoient qui „ pûffent s'imaginer que la Princeffe l'em^ ,, porteroit dans le Parlement; & que u fi elle ne l'emportoit pas , le Roi ne Il fe croiroit plus obligé, après une pa-. Ffs ,1 reil-
44S Bibliothèque Britannique,
5, reiUe démarche , de rien faire pour el- „ le ; qu'il y avoit de la folie en moi de „ perfiller , & qu'il valoit mieux mille fois i, que je lailTaile tomber cette affaire, afin „ de tranquillifer le Roi & la Reine".
Mylady Marlborough fe tint ferme ; elle auroit mieux aimé mourir, dit-elle, que de facrifier les intérêts de la PrincelTe pour faire fa Cour à leurs Majeftez. Les efforts que l'on faifoit pour la gagner ne la rendirent que plus adlive en faveur de fa Maitrelfe. Ses foins ne furent pas fans fuccès; carie Parlement accorda en 1690. cinquante mille livres fterling par an à la PrincefTe de Danemarc. Ce furent ks Toris qui l'emportèrent dans cette occa- fion , dans le feul dejjem de chagriner k Roi Guillaume, nous dit-on, 6"" non pas par au- cun attachement particulier qu'ails eûjfent pour ta PrinceJJe de Danemarc , car il ne paraît pas mie dans aucune autre occajton ils ayetit témoigné beaucoup d'égards pour elle,
„ Le fuccès de cette Affaire , ajoute „ la DuchefTe , fut attribué à la fermeté „ & aux foins de Mylord Marlborough * <& ,, de moi, tant par ceux à qui cet établif- „ fement déplaifoit li fort, que par ceux „ au bonheur defquels il étoit alors û „ nécelTaire. Ce fut d'un côte la princi- I, pale fource du chaerin que le Roi 6l la
») Rei-
* Il avoit été créé Comte de Mmhorough le p. d'Avril i6^g.
Janvier, Février et Mars. 1742. 449 „ Reine tirent éclater contre mon Epoux „ & contre moi: & d'un autre côté la „ Princefle témoigna de la manière du „ monde la plus généreufe le vif fenti- fi ment qu'elle avoit de ce fervice".
L'Auteur de la Lettre à une Perfonne de Diftinâion * cenfare vivement la condui- te que la DuchelTe de Marlborongb tint dans cette occafion. Il prétend que la PrinceiTe de Dcmeinarc anroit dû fuivre le Confeil de fon Oncle Mylord Rocbefter, qui étoit. Que non feulement elle devoit fe contenter de cinquante mille livres fterling par an, mais qu'elle devoit auiïî les accepter de la manière qu'il plairoit au Roi & à la Reine de les lui accorder. „ Ç'auroit été , dit-on, le moyen de té- „ rnoigner qu'elle avoit acquiefcé fmcere- „ ment au Règlement qui aiïuroit la Cou- „ ronneau Prince d' Or^n^^ durant fa vie: „ elle auroit épargné.par- là beaucoup de „ tems & de peine que cette affaire coû- „ ta au Parlement ; elle auroit donné „ un bon exemple aux autres Sujets de „ leurs Majeftez: &elle auroit rompu les ,, mefures & fait évanouir les efperan- „ ces des ennemis du Gouvernement ''. Cet Auteur femble croire qu'on avoit grand tort de vouloir rendre l'Héritière préfomptive de la Couronne indépen-
dan-
* C'eH: la féconde Brochure dont nous avcr.s donné le Ticre à la têre de cet Article. Ff 4
450 Bibliothèque Britannique,
.dante du Roi & de la Reine : Peut-être qu'il a voulu faire fa Cour à quelqu'un j, mais comme ce fujei: a été traité fore au long dans le Parlement il y a envi- ron fept ans , nous rapporterons en a? bregé dans un autre Article ce qui ^ été dit pour & contre.
Le même Cenfeur trouve fort étrange que le Comte ëc la ComtelTe de Marlbo- rough ayent eu alTez de crédit dans le Parlement , pour l'engager à ailurer un Revenu fixe à la Princeiïe contre le gré du Roi & de la Reine. ., lleftfurprenant, ,, dit -il , que li tôt après la Révolution ,) les deux Chambres fe foient ainfi laiifé ^5 gagner ; ou fi les Communes ont pu ,? fe réfoudre à donner l'argent du Public ii par complaifance pour quelqu'un , il fem- \, ble que leur refped pour le Prince & „ la Princeiïe de Danemarc auroit dû les ti déterminer autant ou plus, que les pei- sî nés que fe donnoient le Comte & la ), ComtefTe de Marltorough : f\ ce n'eil que >> le crédit de ceux-ci qui détermina le Si Parlement, tout le monde doit avouer, i, que le Roi & la Reine avoient de trèsr ^9 juftes raifons de craindre deux perfon- >> nés qui, lorfqu'eDes le jugeoient à pro- i9 pos, pouvoient mener le Parlement à ?> leur gré, & qui en même tems gouver- ^s noient ablbiameiit l'Héritière prefomp-? ^y tiye de la Couronne." " Mais cet Auteur auroit çïn f^ire atten«
Janvier, Février ET Mars. 1742. 451^
don à ce que la Ducheire elle-même re- marque; je veux dire, que la plupart de ceux qui fe déclarèrent pour la Princef- fe dans cette occafion étoienc des Torts, qui n'avoient d'autre but que de chagri- ner le Roi. 11 y avoit fans doute aulfi des JacohUes cachez, qui, dans la même vue, fe joignirent aux Toris \ de forte que, pour peu que le Comte & la Comtefle d^Morl- lorough ayenteu d'amis dans le Parlement, ils auroient fuffi pour faire enforce que la pluralité des fuffrages ait é[é en faveur de la Princeife de Danemarc. Mais on ne fçauroit conclure de - là , qu'il ait été au pouvoir du Comte & de la ComteîTe de Marlborough démener le Parlement à leur gré. Le Roi 6c la Reine y avoient allez de Créatures pour s'aifurer de la plurali- té des fuffrages dans prefque to fîtes les occaiîons; car, comme cet Auteur le re- marque lui-même ailleurs*, il y a encore des Comptes autentiques , par lefquels il paroît que , lorfque le Roi avoit quelque chofe à demander au Parlement, on diitri- buoit de groffes femmes d'argent par- mi quelques-uns des principaux Membres pour gagner leurs fuffrages 6: ceux de leurs Amis. Je ne vois donc pas pourquoi le Roi & la Reine auroient fi fort craint le crédit <& le pouvoir du Comte 6c de la Comtefle de Marlborough.
Mal- f A Reuew of a Icte Treatife &c. pag. 65. Ff5
452 Bibliothèque Britannique,
Malgré le fuccès de TAfFaire dont on vient de parler , la Reine &c la Princefle paroiflToient vivre en aflez bonne intelli- gence, au moins extérieurement, jufques à ce que le Roi jugea à propos d'ôier à Mylord Marlborough tous fes emplois ♦ fans en alléguer aucune raifon. „ On „ pourroit alFez bien expliquer cet éve- „ nement , dit la DuchelTe , en remarquant 99 que Mylord Portland avoit toujours été i> fore jaloux de Mylord Marlborough , & 99 que Mylady Or^n^y , qui n'étoit alors que 99 Madame Fuliers , étoit mon ennemie im- 9, placable , quoique je ne l'eùlTe jamais 99 défobligée, iï ce n'eil que je ne lui fai- 99 Tois pas ma cour. Mais on ne fçauroit „ douter , je penfe, que la principale cau- 99 fe de la difgrace de Mylord Marlborough 99 n'ait été le chagrin qu'avoit la Cour, de 99 voir qu'une perlbnne, qui, comme moi, 99 ne vouloit pas obéir implicitement aux »> ordres du Roi & de la Reine, eût un fi »> grand crédit auprès de la PrincefTe. La j> difgrace de Mylord Marlborough fut donc 99 comme le premier pas que l'on fit pour 99 m'éloigner de la Prmceife de Dammarc.
La DuchefTe confirme ce foupçon par une Lettre que la Reine écrivit pju de tems après à la Princelfe , pour l'obliger à renvoyer fa Favorite ; mais la Prin- ceffe ne jugea pas à propos d'obéïr , &
elle
♦ Au commencement de l'an lôgz»
Janvier, Février et Mars. 1742. 453 elle aima mieux s'abileiïir elle - même d'aller à la Cour, plutôt que de fe foû- mettre à un ordre qui lui paroilToit û dé- raifonnable. On a beaucoup raifonné fur la difgrace d'un Seigneur qui avoit témoigné tant de zèle pour la Révolu- tion , & qui avoit fi bien fervi le Roi Guillaume. Les uns , comme l'Evéque Burnet , * & la DuchefTe de Marlborougb elle-même, ont cru que le Roi étoit ir- rité de la part que le Comte & fon Epoufe avoient eu dans l'affaire dont on vient de parler : mais Mr. Lediard, qui a écrit la Vie du Duc àt Marlborougb , remarque là-defTus , que le Parlement paiTa l'Ade en queftion en 1690, & que ce ne fut que deux ans après , fçavoir l'an 1692. que le Comte de Marlborougb fut difgracié. Y a-t-il apparence que le Roi ait caché fon reflentiment pendant û long-tems ? D'autres, comme les Au- teurs des deux Brochures dont nous avons donné les Titres , attribuent la difgrace du Comte de Marlborougb à une grande indifcrétion dont ils prétendent qu'il s'étoit rendu coupable. Voici ce que c'eft : On dit qu'un Ingénieur Fran- çois y mécontent de fes Officiers , s'étoit rendu en Angleterre , & avoit communi- qué au Roi Guillaume un Plan , fuivant
le-
♦ Hiji. of bis cwn Times ^ Vol. II. pag. gc.
454 Bibliothèque Britannique,
lequel on pouvoit aifément fe rendre maître de Dunkerque. Le Roi examina ^ approuva ce Plan , & ne le commu- niqua qu'à Mefl'rs. Bentinck, ZuyJeflein & Marlboroiigh. Mais avant qu'on put exé- cuter ce Plan , les François firent en- trer tant de Troupes dans la Ville , & ia fortifièrent fi bien , qu'on ne pouvoir pas douter qu'ils n'eûilent eu le vent du Projet qu'on avoit formé , & dont ils rendirent ainfi l'exécution impoflible. Le Roi foupçonna d'abord Mylord Mari- borough y mais il n'en voulut rien faire connoître qu'il n'eût des preuves pofi-p tives. Il en eut bientoc par le moyen d'un Efpion de la Cour de St. Germain qui fut arrêté en Angleterre. C'étoic par fon moyen que Mylady Tyrconnel * en- tretenoit une correfpondance fecrette avec l'Epoufe du Roi Jaques, Cet Ef- pion gagné par des promefTes fit tom- ber entre les mains du Roi un paquet de lettres qu'on envoyoit en France , «& par lefquelles il paroifibit que Myla- dy Marîborougb avoit révélé le fecret que fon Mari avoit eu la foiblefie de lui communiquer. Là-delTus le Roi envoya chercher ce Seigneur , & lui reprocha fa faute, qu'il avoua ingénument t. Voi- là, dit -on , la véritable caufe de la dif.-
gra-
* Elleétoit fœnr de Mylady Marîborougb. t Remarks u^on tbs Conduit of a certain Dui^ fbe/s.
Janvier , Février et Mars. 1742. 4$$
graee de Mylord Marlborough , & c'eft à quoi la Reine Marie fait allufion dans fa Lettre à fa Sœur , lorfqu'elle lui dit ; // rCefl pas nécejfaire que je vous répète quet fujet il a donné au Roi d^'en agir envers lui comme il a fait , ni que je vous repréfenté avec combien de répugnance Sa Majeflé en vient à de pareilles extrémiîez , même contre ceux qui ne le mérittnt que trop.
Ces Auteurs ne font pas ïes feuls qui attribuent la difgrace de Mylord Mari-- Borough à rindifcrédon dont on vient de parler : mais on ne s'accorde pas fur les circonllances. Les uns infinuent^ que la Comtefîe de Marlborough décou- vrit ce fecret à Mylady Tyrccnnel -, d'au« très , qu'elle en parla à la femme du Che- valier Théophile Oglethorp ; d'autres ne parlent point de l'Efpion que Ton faifit en Angleterre y & prétendent feulement y que lorfqu'on vit par ks précautions des François que le Projet étoit décou- vert, le Roi alTemblales trois Seigneurs à qui il l'avoit communiqué , & que les- deux premiers jurèrent qu*ils n'en a- Voient parlé à perfonne , & que M<ir/- borough avoua qu'il Tavoit dit à fa Fem- me : Sur quoi le Roi lui dit en colère , D, , , vous d. . . eyje ne Pai pas dit à la mienne. Cette diverfité de circonflances peut rendre le Fait même fufpe(fl. Ileft vrai que comme ce Fait avoit déjà été publié plus d'une fois avant que la- Du--
chef"~
45<5 Bibliothèque Britannique,
chclfe de Marlborough eût fait imprimer fes Mémoires , il femble qu'elle auroit dû dire quelque chofe pour juflifier fon Mari & elle d'une pareille accufation: mais elle ne Ta peut-être regardé que comme une médifance qui n'avoit au- cun fondement , & qui n'étant appuyée fur l'autorité d'aucun Hifrorien de poids , ne méritoit pas d'être refutée.
Il nous femble auflî, que fi cette accu- fation étoit véritable , la ComtefFe étoit pour le moins auflî coupable que fon Ma- ri, & la Reine Marie auroit parlé d'elle, aufli-bien que du Comte, dans- la Lettre qu'elle écrivit à la Princefle Anne; au lieu qu'elle n'y fait mention abfolument que du fujet de mécontentement que Mylord Marlborough avoit donné au Roi, fans in-, fmuer un feul mot qui puifle faire com- prendre qu'on avoit lieu de fe plaindre aulli de la Comtefle. J'avoue que cette confideration me fait un peu douter du Fait en queftion.
Ce qui augmente mon doute, c'eft que peu de tems après la mort de la Reine Marie *■ Mylord Marlborough rentra en grâce ; & en 1698. il fut fait Gouver- neur du Duc de Glocejler , Membre du Confeil privé, & un des Seigneurs de la Régence pendant l'abfence du Roi. Peut- on croire que s'il eût été coupable
de
♦ Elle mourut le 7. de Janvier 1695.
i
Janvier, Février et Mars. 1742. 457 de rindifcretion qu'on lui impute , le Roi eût voulu lui témoigner tant de confian- ce fi peu de tems après.
Il me femble donc que plufieurs caufes peuvent avoir contribué à la difgrace de ce Seigneur, en indifpofant peu-^à-peule Roi contre lui ; premièrement , les grands mouvemens que lui & la Comteife fon Epoufe s'écoient donnez pour faire réuiïir Taffaire de la Penfion de la Princeffe^/ine; en fécond lieu, la liberté avec laquelle My- lord Mariboreugh parloit au Roi. Sur quoi je ne fçaurois m'empêcher de rapporter ici un paiTagedu Continuateur de PHiJloired'An-' gkterre de Mr. de Rapin , parce qu'il s'ac- corde aiïez avec ce que dit la Duchelfe de Mariborough, „ Les Comtes de Port' ,y tand & de Rocbefort, dit l'Hiftorien *, >> tous deux HolîandoJs , fembloient être ,, devenus les feuls objets des faveurs du „ Roi , & efFedivement il les accabloit „ de grâces fi extraordinaires, qu'elles „ auroient foulevé la Nation , quand mè- „ me elles auroient été répandues fur des „ Anglais, C'eft ce que le Comte de Mûri- „ borougb eut la fincerité & le courage de 5> repréfenter à Guillaume, Ce Prince fouf- 99 froit impatiemment qu'on le contrariât, ,> ou qu'on refléchît fur fa conduite. Il p> tourna le dos au Comte fans lui ré-
,> pon-
* Hifi. d'AngUt. Liv. XXV. Tom XI. pag, îïi. 134.
458 Bibliothèque Britannique,
iy pondre , & lui envoya dire , qu'il eût i »* remettre fes Emplois & à s'éloigner dç it la Cour , aufïï-bien que la Comtefle".
Ce même Auteur remarque, que cet ordre venoit de plus loin , l\ir quoi il rapporte ce que le Comte & la Comtef- fe de Marlborcugh firent pour obtenir du Parlement une Penfion de cinquante mil- le livres flerling par an pour la Princef- fe : Ce /w^, ajoute- t-il , ce qui indifpofa Gui!- laume contre le Comte. On a vu ci-deffus , que TEvêque Buryiet étoit du même fentiment.
Remarquons en troifième lieu, que My- lord Marlborough avoit coiitume de dire fort librement fa penfée, non feulement fur la partialité que le Roi témoignoit en faveur des Hollandais , mais aulTi fur les fauues que l'on commettoit dans la con- duite de la Guerre. Ce qui ne doit pas paroître furprenant, puifqu'il avoit déjà fait voir qu'il étoit fort entendu dans ce métier, en reduifant la Ville de Corck en Irlande en beaucoup moins de tems qu'on ne pouvoit l'efpérer, & cela danjs ia plus mauvaife faifon de Tannée. Il fe plaignoit auiïi des rigueurs que l'on fai- foit foufFrir aux Troupes ^n^/o;/^/ en Flan- dre; & il n'étoit pas le feul qui faifoit de pareilles plaintes , le Général Seymour & plufieurs autres Officiers ne faifoient pas fcrupule d'en parler publiquement. C'eA d'un Cenfeur même de la Duchefle de Marlborough que nous empruntons ces- Faits^
Janvï«r, Février et Mars. i74£.45t Faits *. Il fc pourroit donc très -blet que le Roi , indifpofé pcu-à-peu contre Mylord Marlborougb > tant à caufc de Taf» ftirc de la Penfion de la Princefle Amct, qu*à caufe de la liberté avec laquelle ce Seigneur parloit & fe plaignoic , fe foit dé- terminé enfin à lui ôter tousfes emplois* Il eft vrai que le Cenfeur dont nous ve- nons de parler n'en convient pas, parce, dit -il, que ta dif grâce de Mytord Marlbo- rougb ne fut pas tente, mais fuhite. „ Il i, avoit introduit le Lord George Hamiî» f, ton, qui fut enfuite Comte d^Orltriey, <& >> Epoux de Mad. Fittiers, auprès du Roi M Guitlaume le matin, & avoit été bien re- » çu, comme à l'ordinaire; cependant deu± » heures après, le Comte dt Nottinghant M lui fut fignifier de la part du Roi , que »> Sa Majefté n*avoit plus befoin de fes „ fervices ". On conclut de - là , qu'il faut que dans ce court intervalle le Roi ait appris quelque chofe au fujet de ce Seigneur, qui Tait obligé à le difgracier fi fùbitement; & que ce ne peut avoir é- té que fon indifcretion par rapport à i'afFaire de Dunkerque. Mais ce raifonne- 'înent ne me paroît rien moins que con- cluant. Qui empêche que le Roî n'eût déjà formé le deflèin d'ôter au Comte de Marlborougb fes emplois , quoiqu'il ne le îjii témoignât pas encore? Et fi le cha-
gri» * A Rcvîpw of a late Treatife , Éfc. pâg. 3<5 , ^7. Tome XVIIL Part, IL Qg
4<50 BIBLIOTHEQXTE BllITANNIQTyE ;
grin du Roi contre lui s'eft accru par degrez, comme nous croyons l'avoir prouvé, doit -on être furpris qu'il fe foit enfin déterminé à éloigner un Seigneur qui étoit aflez hardi pour fe plaindre d«s Favoris de fon Maître , & que les Favo- ris n'auront fans doute pas épargné?
Quelque tems après que Marlborougb eût été difgracié, ilfut envoyé à la Tour, avec quelques autres Seigneurs qu'oa accufoit d'avoir confpiré contre l'Etat. Mais on découvrit bientôt que l'accufa- tien étoit faufle , de forte qu'ils furent élargis, & leur Accufateur fut attaché au Pilori. Comme on peut voir un détail de cette affaire dans l'Hiftoire de l'Evêque Burnet , nous n'en parlerons pas.
Voici une particularité touchant le Roi Guillaume, qu'on ne fera peut-être pas fâché de trouver ici ; nous la rappor- terons d'autant plus volontiers , qu'un des Cenfeurs de la DucheflTe de Marlbo- rougb y donne un tour tout différent. Voici comment la DuchefTe s'exprime. ,, Quand le Duc de Gïocefler * fut en â- ,, ge d'être retiré d'entre les mains des -, Femmes , le Roi inllnua à quelques 5, Membres du Parlement. . . ., qu'il fau- „ droit 5COOO. livres fterling par an pour „ défrayer la Maifon du Duc : en même j, tems il promit à d'autres , à qui il fça-
„ voit * Fils duPrince&delaPrincelTe ùçDar.fmarc^
JANVIER, FËVkiÊR ET Mars. 1744. 4^^ V> voit que cette promefle feroit plaifir, f, qu'il payeroit la Penfion de la Reine f, Marie (Femme du Roi Jaques) & cet- „ te Penfion montoit aufli à 50000. Mv. f, fterling. Il fe propofoit par • là d'ob- fy tenir du Parlement une addition de « cent mille livres fterling à la Lifte f > Civile. On lui accorda fa demande , & n cependant il ne paya jamais un fol à la „ Reine: & pour ce qui eft du Duc, le ff Roi le laifFa encore longtems entre les « mains des Femmes: & lorfqu'il lui fit 99 faMaifon,il ne voulut jamais lui accor- 99 der plus de quinze mille livres fterling 9> par an. Il refufa même d'avancer un 99 quartier de cette Penfion , quoiqu'ab- 99 folument néceiïaire pour acheter de 99 l'Argenterie & des Meubles ; de forte 99 que la PrincefTe fut obligée de faire el* 99 le - même cette dépenfe ".
Un des Cenfeurs * de la DuchefTe , qu/ reconnoît qu'il y a quelque chofe de vraf dans ce récit, prétend qu'il renferme aufïï quelques fuppofitions qui font fauf- fes. Voici donc, félon lui, la vérité tou- te pure. „ Suivant l'Evêque Burnet, & „ fuivant tous les autres Hiftoriens,cet- „ te fomme de cent mille livres fterling 99 fut accordée au Roi d'abord après la „ Paix de Ryfivick ; & ce fut en confe- 99 quence de cette Paix que la Reine Ma-
i, rie * JRevie'w ofa late Treatîje ^c. pag. 62, & f^iv, Gg2
^6l BïBLÎOTREQtJ'E BrITANNIOUE , fyfie devoit recevoir cinquante rcille li« „ vres fterling par an , la Cour de Fran* „ ce ayant rcpréfenté , que le Roi Jaques „ étant en quelque forte mort par rap- „ port à cette Reine, ilétoit jufte qu'el- „ le jouît de fon Douaire. Il n'y eut donc f, point ici d'infinuations faites fecrette- „ ment aux Membres du Parlement ; c'é- a, toit un Article aftuellement ftipulé , & „ qui n'étoit rien moins que déraifonna- s, ble. J'ofe même dire , que les cinquan- „ te mille livres fterling par an auroient a> été très-bien employées, fi par -là on f, avoit obtenu des ennemis capitaux de 95 V Angleterre une Reconnoiflance folera- 55 nelle de la validité du Gouvernement 5, prefent. Mais lorfque Ton vint au fait , 55 la Reine Marie refufa de donner des 55 Quittances convenables, & tacha de 55 tourner cet accord à l'avantage du Roi „ Jaques : & ce fut - là la ffeule raifon „ pourquoi cet argent ne fut point payé, „ Voilà qui juftifie entièrement le Roi Guil^ 5, laume par rapport à ces cinquante mille 55 pièces 5 puifqu'il eft clair qu'il ne les a 55 point obtenues par collufion , &c qu'il ne 55 les garda point frauduleufement. Ses Mi- 55 niftres Anglais lui repréfenterent, qu'il f, n'étoit pas fur, ou du moins qu'il n'étoit 55 pas prudent de payer de la manière que 55 la Reine le fouhaitoit ; de forte que ce 55 font eux , & non pas lui qui auroient »j dû en être refponfables au Parlement.
„ Pour
Janvier, Février et Mars, 1742. 4(;^ n Pour ce qui efl des autres cinquan- „ te mille pièces, le Roi les prit, nous „ dit- on, comme néceflaires à l'établi A „ fement du Duc de Glocefler, Je doute „ fort de la vérité de ce fait. Burnet nous „ dit fimplement , qu'on avoit deflein d'é- „ tablir une Cour pour le Duc de Glocef- „ ter, c'eft-à-dire une Cour proportioh- M née àfon âge ; & il n'avoit alors qu'envi- „ ron neuf ans. Peut-on s'imaginer qu'on „ ait penfé qu'il fût nécefîaire d'accorder .„ cinquante mille livres fterling pour la f, Maifon d'un Enfant de cet âge , tandis „ que le Parlement avoit jugé , que la mê- „ me fomme fufRfoit, pour le Père & la M Mère du Prince. Voici donc quelle M eft la manière la plus naturelle de ren- 9> dre raifon de ceci. Depuis la Révolu- M tion jufqu'àla Paix àeRyfwick, le Reve- „ nu du Roi avoit été dans un état fort „ incertain, & cependant il en employoit »5 une partie confiderable aux fraix de la t, guerre. Lors donc qu'on jugea à pro- 9, pos de le mettre fur un meilleur pied, „ & de le rendre fixe, on propofa d'ac- 99 corder au Roi fix-cens mille livres fler- .,, ling durant fa vie. Cette fomme pa- ,9 rut trop forte à ceux qui étoient con- y, tre la Cour, & trop modique à ceux 99 qui dévoient en avoir le maniement ; „ ceux-ci trouvèrent donc moyen d'y fai- 99 re ajouter encore cent mille livres fter- t, ling , tant pour la Penfion de la Reine G 3 9i Ma^
4^4 Bibliothèque Britanniqtte, „ Marie y que pour l'entretien de la Mai- 99 fon du Duc de Glocefter, Ce n'eft pas n qu'ils crûiïent, ni même qu'ils prétendîf- 5i'lenr que cette fomme feroit employée 99 toute entière à ces ufages: ils penfoient 99 feulement quele Roi établiroit dans peu >5 la Maifon du Duc de la manière qui lui n convenoit, en augmentant le nombre » de fes Officiers dans la fuite , à mefure 99 que le Duc avanceroit en âge. Le Roi a 99 donc très-bien pu accepter cet argent, 99 fans croire que par-là il fraudoit le Peu- 99 pie , ou lui faifoit tort. Et pour ce qui eft 99 du refus que fit le Roi d'avancer un quar- jj tier de la Penfion du Duc , je crois qu'il 99 n'ér oit pas en fon pouvoir de le faire ; car »> VEvéquQ Burntt nous apprend, que les j> Revenus du Roi éroient fi mal ménagez, 99 que quelque grands qu'ils fûlTent , & M quelque peu que le Roi depenfât, les 99 payemens fe faifoient toujours très- 99 irrégulièrement , & tout fe trouvoic 99 dilTipé d'une manière étrange ".
C'efl ici que cet Auteur, pour expli- quer comment il a pu fe faire que le Roi ait toujours manqué d'argent, malgré les fommes confiderables qu'on lui accor- doit, remarque qu'il lui en coùtoit beau- coup pour gagner les principaux Mem- bres du Parlement, comme nous l'avons rapporté plus haut. C'efl une chofe hon- teufe que ceux à qui le Peuple confie fes intérêts fe iaiffenc ainfi corrompre. On
Janvier, Fëvrter et Mars. 1742. 465 ne doit pas être furpris qu'ils foient libé- raux à donner l'argent de la Nation , ta ndis qu'il leur en revient à eux mêmes une bon- ne partie. Mais il faut efpérer que ce! a n'ar- rivera plus déformais , puifque de zèlez Pa- triotes paroilfent maintenant réfolus d'ex- aminer rigoureufement la conduite des Miniftres * ; mais ceci foit dit en paiïant. Kous parlerons dans le Journal prochain de la féconde & troifième Partie des Mé- moires de la Duchefle de Marlborough , olx elle rend compte de fa conduite par rap- port aux Partis.
ARTICLE IX.
NOUVELLESLITTERAIRES.
De Londres.
AMiLLAR vient de publier un Projet pour im- • primer par Soufcription , A compleat Col" leUion oftbe Works of the bonourable Robert BoYLE, Efqr. &c. Ceit-à-dire :^> Recueil complet >> des Oeuvres de Mr. Robert Boyle, imprimé f, d'après les meilleures Editions, avec des Cor- f, re£tions & deslAdditions confiderables , tirées y, des Manufcrits originaux de l'Auteur '*. Ces Ad- ditions confifleront particulièrement en pîufieurs Lettres de l'Auteur & de fes Amis , & en quelques Traitez qui n'ont jamais été publiez On met- tra à la tête de cette Edition une Hifloire de
* On écrit ceci en Mars 1742.
G4
^66 Bibliothèque Britanniqitb ,
la Vie de TAuteor , tirée en partie des Mé- moires corapolcK par lui même. On y verra aufli fon Portrait en taille - douce gravé d'après un Portrait original qui eft dans le Cabinet du Doftcur Mead. On mettra à la fin de TOa- vrage une Table complette des Matières,
On entreprend cette Edition avec le confen- tement & l'approbation des Comtes de Bur* lington & d'Offgry, Parens de l'Auteur, &paf l'avis de plufieurs Sçavans , qui feroient char- mez de pouvoir polTeder un pareil Recueil > qu'il eft impoflible de trouver à préfent.
Cet Ouvrage contiendra environ huit- cens cinquante feuilles, outre un grand nombre de Planches, dont la dépenfe égale celle de cin- quante feuilles; le tout fera cinq Volumes in Folio. Le Prix pour ks Soufcripteurs fera de cinq Guinées , dont on payera trois en foufcri- vant, & le refte en recevant un Exemplaire en blanc. On en imprimera un petit nombre fur de très - beau papier à écrire ; le Prix en fera de huit Guinées, dont on payera cinq en foufcrivant, & le refte en recevant un Exem- plaire. Mais comme l'Ouvrage original n'eil pas encore entièrement copié pour la PrefTe, on déduira du fécond payement un fol & de- mi par feuille pour le petit papier, & deux fols & un liard par feuille pour le beau pa- pier, pour chaque feuille qu'il y aura au def- fous des neuf-cens proposées ; & fi l'Ouvrage excède ce nombre , les Soufcripteurs payeront de plus pour chaque feuille dans la même pro- portion. On n'imprimera que cinq-cens Exem- plaires du papier ordinaire, & cinquante du plus beau papier.
Ceux
Janvier, Février ET Mars. 1742. 467
Ceux qui ont coonoilTance de quelques Lee- tires ou de quelque Manufcrit de l'Auteur , font priez d'en doxiner avis à jindré Millar , Li- braire vis-à-vis rÈglife de St. Clément dans le Strand, chez qui on peut foufcrire, com- jne auffi chez la plupart des autres Libraires de Londres , & de toutes les Villes de la Gran» 4e - Bretagne,
Les Knaptons, Libraires dans Ludgate- Strcet, fe propofent auffi de faire imprimer par Soufcriptîon , Tbe Sermons of Samuel C L A R K E &c. Ceft-à-dire ; Les Sermons de Samuel Clarke , Dofteur en Théologie , & ci -devant Refteur de l'Eglife Paroifliale de St. James à Weflminfter : cinquième Edition, en deux Vo- lumes in folio y contenant i. Cent foixante- trois Sermons fur divers Sujets importans, publiez fur le Manufcrit de l'Auteur, par Mr. Jean Clarke, Dofteur en Théologie, & Doyen de Salisbury. 2. Dix -huit Sermons fur diffé- rens Sujets, publiez par l'Auteur lui-même. 3. Seize Sermons * fur TExiflence & les At- tributs de Dieu, les Obligations de la Pveligion naturelle , & la vérité & la certitude de 1 1 Ré- vélation Chrétienne. Ces Sermons ont été prê- chez à la Leûure de Boyle. Ces deux Volu- mes contiendront trois - cens quatre - vingt - dix feuilles -, le prix pour les Soufcripteurs fera de deux Guinéespour chaque Exemplaire en blanc. Voici un autre Ouvrage qu'on veut faire im- primer par Soufcription : Le Projet n'en psrolt pas encore, mais on promet de le publier bien- tôt. Le Livre fera intitulé Tbe Hijîery of tbe
* Ce» Serinons ont été traduits en Fran/»is.
46S Bibliothèque Britannique,
Hamver SucceJJion , ^c. C'eft - à - dire : „ Hiftoire y, de la Succeflion de la Maifon à^ Hanovre à la Coa- ff ronne à.' Angleterre^ tirée de divers Mémoires p, originaux, des Journaux du Parlement, & de f> tous les Aftes publics les plus autentiques : On y, y expofe les Caufes , les Fins & les confequen- 79 ces de l'Aûe * qui établit la Couronne dans la ff Maifon de Hanovre -, le tout pour l'amour de ,, la vérité & de la liberté ".
On continue toujours à publier par Brocha- res V hiftoire univerjetle. Le fixième Volume ell imprimé & paroîc , & on promet de publier le feptième dans un an. On ajoute , que le refte de cet Ouvrage contiendra T Hiftoire moderne, depuis la fondation des Empires, Royaumes, Etat,, &c dans toutes les Parties du Monde qui font connues , jufqu'au tems préfent.
Mr. Benjamin Robius ^ Membre de la Société Royale , vient <ie publier Principles of Gufineryy èfc. C'eft-a dire: „ Nouveaux Principes de l'Art ^i de cirer le Canon , contenant la détermination ^> de la force de la Poudre-à-canon: onyrecher- jf che auffi ta différence de la force avec laquelle j,, l'air refifte à un mouvement lent ou rapide". Cet Ouvrage fe vend chez J'ean Nourfe^ proche de Temple- Bar.
L'EtablifTement que Mylady Moyer a fait, en vertu duquel on ch oifit tous les deux ans des PréniC'itv-^nrs pour prêcher fur la Trinité dans } EgUfe Cathédrale de St. Paul ^ a produit de- puis peu un Ouvrage dont nous allons donner le Titre, nous rcfervant à\-n parler plus au long une autre fois : Eigbt Sermons on tbe Di-
vi-
* Qu'on appelle en AngloiJ The Acî of Seulement,
Janvier, Février et Mars, 1742. 469
vinityand Opérations 0} tbe Hely Gboft^ ^c. C'efl-à- ,^ dire : Huit Sermons fur la Divinité & les 0- ,> pérations du St. Efprit , prêchez dans la Cathé- ,, drale de St. Pauli Londres, en 1740, & 1741. ,, pour laLeûure fondée par feu Madame Moyer , y, par Mr. Glocejler Ridley , Bachelier en Droit , i, Miniflre de Poplar , Refteur de fVeJîon dans yp la Comté de A^crfolk , & ci- devant Membre ,j du nouveau Collège à Oxford ". A Londres , chez Jean Clarke, près de la Bourfe , 1742., 8,
Voici les Sujets de chacun 'de ces huit Sermons. I. La Divinité & la Perfonalité du St. Efprit prou- vée par le Nouveau Teftament. Sur Aft. XIX, 1,2,3. II. Examen de l'Opinion des Juifs & des Payens, fur le même Texte. III. Les Dons & les Grâces du St. Efprit, fur Aft. XIX. 2. IV. Les véritables Dons du St. Efprit , diitingue» de ceux qui font faux ou prétendus , fur le même Texte. V. Pourquoi il efl néceflaire de rece- voir le St. Efprit, fur Tite IIL 3-7. VI. Que la Grâce peut être obtenue par tous les hommes, fur Tite m. 4-7. VII. & VIII. Les moyens d'obtenir la Grâce , c'efl-à-dire commerzt le St. Efprit ell difpenfé à chacun. Si cet Auteur ell orthodoxe fur le Dogme de la Trinité , il eil fur d'ailleurs qu'il fe déclare ouvertement fur le Dogme de la Grâce réfiflible , & qu'il fou- tient que fi l'homme peut la perdre, il efl aiilîl en fon pouvoir de l'acqnerir , pourvu qu'il veuille employer les moyens auxquels elle eft attachée.
L'Ouvrage fuivant ne fera pas fans doute pUJ-, Hr au Clergé. Il efl intitulé Tbe Axlaidto ihe Root ofCbriJîian Priefîbood.Ceiï-k-dïve : „ LaCoigrée .♦. mife à la racine de la fourberie- des Prêtres :y Chrétiens , en quatre Difc ours? par un Laïque.
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47© BiBLioTHïQUE Britannique, &c.
if I. Difcours , Air l'importance de la Vérité , 3, & l'origine de la Paiflance des Eccléfiafti. ^ ques. IL Sur l'artifice par rapport aux Dî- a mes. III. Sur le pouvoir que i'Eglife a u- , furpé. IV. Sur les moyens que les Prêtres t3 ont employez pour fixer leur joug fur les é« fi paules des hommes ". A Londres, 1742. 8. chez T. Cooper dans Pater- nofler-Row.
De Cambridge. TôKW6o«rn vientj d'im- primer Epiftola ai Virum eruditum Conyers MiDDLETON, Fit(8 M. T. Ciccronis Scriptorem ^ in qua , ex locis ejus Operis quamplurimis , recen- ftonem Ciceronis Epiftolarum ai Atticum ^ Quin- tum Fratrem defiderari ojîenditur : de illarum ve» rb quce Ciceronis ad Marcum Brutum, Brutique ad Ciceronem vulgà feruntur EpiJîoLarum dvôevTi» nonnulla dijjeruntur. Au[iore Jacobo Tunstall , Coll. Div. Joan. Cantab. Jocio , ^ Academiœ 0- ratore. AcceditJoANNis Chapman Dijjerîatio chro- nologica de cetate Ciceronis Librorum de Le- gibus.
Les Knapton, Ton son & quelques au- tres Libraires impriment une nouvelle Edition èe toutes les Oeuvres du célèbre Doâeur Tillot- fonj en douze Volumes in 8., qui fe vendront quatre Chelings la pièce en blanc. Il y en a une autre Edition en vingt*5c-un Volumes in 8. & une en trois Volumes in Folio. On nous atîare que cette nouvelle Edition fera très - bel- le & très-correâ-e. On en publiera un Voluii^e par mois. Le premier paroîtra au commence^ nuen: du mois de Juin prochain.
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