SI206 A 0" : ui: me fl Li ‘ °1 LES 13 PR - À à ph np APT AS 7 me. EU 4 RE Ee ; + At. un - Ê a Me , d BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DE GENÈVE. Imprimerie de Ferd. Ramboz, rue de l’Iôtel-de-Ville, n. 78. ———— BIBLIOTHÈQUE UNITERNELLE GENEVE. Mouvelle Série. Go e) Quaraute-deuscièr ue. On souscrit à Genève, AU BUREAU DE LA BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE, CHEZ B. GLASER, Rue de la Pélisserie, 133. PARIS, CHEZ ANSELIN, SUCCESSEUR DE MAGIMEL, Rue Dauphine, 36. 1842 MAR ne Les smat… chu MP | NOVEMBRE 1842. BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DE GENÈVE. Sciences sociales. DE L'ÉCOLE SOCIÉTAIRE ET DE SES PUBLICATIONS LES PLUS RÉCENTES ‘. —— D 00 D en ——— Nos lecteurs se rappellent, sans doute, l'examen que nous avons fait de la doctrine de Fourier dans notre numéro du 19 décembre 1840. Depuis lors, absorbé par d’autres études et par d’autres soins, nous n’avons pu suivre, comme nous l’au- rions désiré, les travaux de l’école sociétaire ; c’est seulement par quelques lectures faites de loin en loin, et d’après les seuls documents qui nous ont été directement adressés, que nous avons cherché à pénétrer plus avant dans l’esprit de ses doc- trines. Notre premier article à dépassé le but que nous nous étions proposé en l’écrivant, car la plupart des personnes qui l’ont lu, satisfaites des notions élémentaires qu'il exposait sur le système et acceptant notre réfutation comme un oracle, n’ont point cherché à compléter leur instruction, en recourant aux sources que nous leur avions indiquées. Ce n’est point là, certes, le genre de succès auquel nous aspirions, et nous nous élèverons Bases de la politique positive. Manifeste de l’école sociétaire fondee par Fourier.— La Phalange, journal de l'école sociétaire. — Solidarité ; vue synthetique sur là doctrine de Fourier, par Hippolyte Renaud. 6 DE L'ÉCOLE SOCIÉTAIRE toujours contre celte tendance du public à juger, d’après un mince article de journal, les résultats d’investigations savantes, qui remplissent de nombreux volumes écrits avec conscience et avec talent, La mission de notre journal n’est point de four- nir à nos lecteurs des jugements tout faits, mais d’attirer leur attention sur les travaux scientifiques ou littéraires qui nous paraissent dignes d’être connus. C’est uniquement dans ce but que nous exposerons ici le peu que nous avons récemment ap- pris de la doctrine sociétaire, et nous avons aujourd’hui moins que jamais la prétention de prononcer un arrét définitif sur des questions que nous sommes loin d’avoir suffisamment étu- diées. L'école sociétaire n’a fait, jusqu’à présent, aucun essai d’ap- plication de son système. Ce que la rumeur publique a plu- sieurs fois admis et propagé à cet égard sur la foi de gazeties menteuses où mal informées, n’avait d’autre fondement que l’acquisition par les Fouriéristes d’une propriété près de Paris *. Mais il y a loin de cet acte purement préparatoire à la réali- sation définitive d’une phalange. Le témoignage décisif de l’ex- périence ne peut donc étre invoqué ni contre le système, ni en sa faveur. Privée de ce moyen puissant de captiver latten- tion du public, l’école a senti le besoin de rattacher ses doc- trines aux intérêts du moment, aux questions généralement dé- battues ; de leur donner, en un mot, ce caractère d’actualité sans lequel les idées les plus fécondes et les plus neuves font rarement leur chemin. Or, pour atteindre ce but, elle a com- pris qu'il lui fallait provisoirement reléguer son système au se cond plan, et réserver pour le premier plan l’application de ses principes dirigeants et de sa critique sociale à tout ce qui ‘ La propriété qui appartenait à Mr. Dulary, à Condé-sur-Vesgre. Des travaux agricoles y ont été entrepris, sous Ja direction de Mr. Chambel- lant, pour préparer les voies à l'établissement sociétaire. Quant à la construction d'un Phalarstère, nous ne croyons pas qu'on y ait encore mis Ja main. ET DE SES PUBLICATIONS LES PLUS RÉCENTES. 7 se passe, à tout ce qui se discute, à tout ce qui occupe et préoceupe la génération actuelle. Cette ligne de conduite est nettement indiquée dans le Manifeste, en ces termes : « Pour ouvrir au journal (/a Phalange) une large voie, il fallait, une fois l'Ecole constituée sur une certaine base, viser à prendre les formes de publicité auxquelles on est généralement habitué, et mettre le journal en rapport avec les besoins du public... Il y a des partisans de nos idées qui trouvent que la Phalange ne fait pas assez de théorie sociétaire proprement dite. Nous concevons très-bien que, une fois entré dans la doctrine, on préfère les sujets de théorie pure aux thèmes gé- néraux, ou aux thèmes de transition ; mais /a Phalange doit- elle étre faite pour donner des jouissances scientifiques particu- lières aux partisans de la doctrine ; ou par conquérir des par- tisans nouveaux à la doctrine ? Voilà toute la question. » [AMF IRAAE « L'Ecole sociétaire est constituée ; elle a conquis dans le domaine public et son nom et son terrain. Il faut main- tenant sortir du terrain technique et spécial de l'Ecole, pour aller sur le terrain où le public se trouve ; il faut parler à ce- lui-ci sa langue, et à propos de toutes les questions dont il se préoccupe lui montrer, par une critique ou pour une solution, la valeur supérieure du principe sociétaire; car il n’est pas de question que ce principe ne puisse aborder, et sur laquelle il ne lui soit donné de jeter une vive lumière. » Nous ignorons si l'Ecole a beaucoup à se féliciter d’avoir suivi cette marche , et si les doctrines qu’elle professe ont fait quelques progrès dans l’opinion; mais il est certain que l’or- gane périodique chargé de les propager en fera, ou mériterait d’en faire, car {a Phalange est devenue un des meilleurs jour- faux, nous oserions même dire, à certains égards, le meilleur des journaux politiques et industriels qui se publient à Paris. Le talent et le zèle des rédacteurs, la position neutre qu’ils ont prise entre tous les partis , le point de vue très-élevé duquel ils envisagent les sujets dont ils s'occupent , expliquent une supé- 8 DE L'ÉCOLE SOCIÉTAIRE riorité que nous ne sommes pas seul à reconnaître. Cependant, l’Ecole ne doit pas se faire illusion sur la portée d’un tel succès. Ce que cherchent dans /a Phalange le plus grand nombre de ses lecteurs, c’est un exposé consciencieux de faits intéressants et nouveaux, c’est une discussion impartiale des questions po- litiques , c'est une appréciation philosophique ou une critique originale et spirituelle des actes et des opinions de certains gouvernements et de certains partis. Le mérite intrinsèque du système de l'Ecole n’a qu’une part infiniment petite dans l’es- time que l’on fait de son journal. Ce qu’il faudrait à l’école sociétaire, ce qui lui assurerait pleinement l’actualité dont elle a besoin, ce serait une polémique vive et incessante avec les divers organes de la presse périodique. Jusqu’à présent elle n'en a guère obtenu qu’une mention dédaigneuse et ironique de ses doctrines, insérée de loin en loin parmi les nouvelles lo- cales, pour l’amusement bien plus que pour l'instruction du public. Peut-être sera-t-elle plus heureuse dans ses tentatives auprès des journaux purement scientifiques et littéraires , car déjà elle a su contraindre le Semeur, le grave et pieux Semeur, à entrer en lice avec elle. On pouvait, au premier coup d’æil, attendre beaucoup de celte lutte entre l’organe de la doctrine sociétaire et celui de l’orthodoxie chrétienne, parce que, ainsi que nous le montre- rons plus loin, les idées de Fourier présentent quelques traits de ressemblance extérieure avec certains dogmes du christia- nisme. D'ailleurs, la Phalange et le Semeur sont du très-petit nombre des journaux qui ont échappé à la corruption générale de la presse, et qui expriment des convictions sincères , des Opinions raisonnées et indépendantes. Mais l'espoir dont nous nous étions bercé dans l'intérêt de la science et de la vérité, a été promptement déçu. Les deux adversaires, ne se plaçant point sur le même terrain, auraient pu combattre indéfiniment sans se porter un seul coup, sans arriver à aucun résultat. En eflet, l'un se propose la transformation de la société, tandis que ET DE SES PUBLICATIONS LES PLUS RÉCENTES. 9 l'autre aspire à la régénération de l'individu. Le but principal et prochain de la doctrine de Fourier, c’est la transformation s0- ciale, dont le perfectionnement des individus sera une consé- quence médiate et secondaire. Elle ne prétend rien changer à la nature de l’homme; elle Paccepte tel qu’il est, avec toutes les facultés et toutes les passions qui se manifestent en lui, et c'est par le jeu de ces facultés et de ces passions mêmes que la transformation sociale doit s’opérer. Or, cette hypo- thèse est fondamentale dans la doctrine de Fourier. L'école so- ciétaire ne peut s’en écarter d'un iota , faire la moindre con- cession sur un principe aussi essentiel, sans bouleverser l’édi- fice auquel il sert de base. Le christianisme , au contraire, à pour but principal et prochain la régénération des individus, et ne voit, dans le perfectionnement social, qu’une consé- quence médiate et secondaire de la régénération individuelle. Le chrétien orthodoxe part du principe que l’homme est cor- rompu, enclin au mal, et que sa nature doit être modifiée par la foi et par l’amour divin ; et, dans la doctrine du Semeur, ce dogme est tellement fondamental , que le chrétien ne peut s’en écarter le moins du monde sans abandonner sa doctrine tout entière , sans cesser d’étre chrétien. Les deux adversaires étaient donc séparés l’un de l’autre par une double muraille, comme les garnisons de deux forteresses, et parfaitement décidés à ne pas s’avancer de la largeur d'un cheveu hors de leurs retranchements respectifs. Grâce à une telle position, leur débat ne pouvait amener que de l’aigreur et des paroles acerbes, mais aucun engagement réel, par eonsé- quent aucune victoire ni aucune transaction dont la science püt faire son profit. Aussi le Semeur s'est-il empressé d’y mettre fin, sentant que sa dignité de journal scientifique allait se trou- ver compromise. Il n’a pas tenu à l’école sociétaire que notre journal ne s’engageàt avec elle dans une polémique suivie. La Phalange a répondu à notre article avec une modération, une convenance 10 DE L'ÉCOLE SOCIÉTAIRE et une loyauté qui étaient bien le meilleur appât dont elle pût se servir pour nous attirer sur son terrain et nous faire entrer en discussion. Si nous n’acceptons pas son défi, si nous persistons, à l'égard de ses doctrines, dans le rôle de juge rapporteur, ce n’est pas que nous ayons la mission particulière de défendre certains principes et certaines croyances, ou que nous regar- dions comme peu importantes en elles-mêmes les idées mises en avant par l’Ecole sociétaire. Notre véritable motif, nous l’a- vouons franchement, c’est que la doctrine de Fourier ne jouit d'aucune faveur auprès du public éclairé auquel nous nous adressons. À peine connaïissons-nous, parmi les nombreux lec- teurs de la Bibl, Univ., un ou deux hommes, vraiment instruits, qui n’envisagent pas cette doctrine comme une utopie extrava- gante, dénuée de toute valeur et indigne d’occuper leurs loisirs. Devons-nous , au risque de compromettre, non pas seulement la dignité, mais l'existence de notre journal, nous lancer dans une polémique aussi complétement inopportune, alors que tant de questions d’un intérêt pratique et général réclament notre attention? Nous l’avons dit , nous ne partageons point cette in- différence du public pour les travaux de l’école sociétaire, et c’est pourquoi nous leur consacrons de temps en temps, à de longs intervalles , un article destiné surtout à éveiller la curio- sité de nos lecteurs; mais une discussion prolongée , une lutte permanente et régulière, qui nous obligerait plus ou moins à employer le langage de l’Ecole, à examiner les détails techni- ques de son système, à en approfondir les bases philosophiques, serait, pour les neuf dixièmes de nos abonnés, sans utilité comme sans intérêt. L’honorable capitaine qui nous a réfuté dans la Phalange comprendra dès lors pourquoi notre journal n’a pas dà insérer lui-méme cette réfutation, et pourquoi nous la laissons ici sans réponse. Au reste, permis à lui de regarder notre silence comme une défaite, car en nous bornant à dire que son argumentation nous à semblé d’une extrême faiblesse , et que la force de nos ET DE SES PUBLICATIONS LES PLUS RÉCENTES. 1 objections n’en a pas été le moins du monde arténuée, nous ne faisons qu'énoncer une opinion personnelle dont l’autorité doit être absolument nulle pour lui et pour beaucoup d’autres. Disons maintenant quelques mots du Manifeste de l'école sociétaire, que nous avons longtemps hésité à lire, tant la forme en est repoussante. Quelle malencontreuse idée, chez des écrivains qui se présentent non point comme les apôtres d’une secte, non point comme les adeptes privilégiés de quelque science occulte, mais comme des hommes intelligents et sé- rieux, qui se sont initiés par l’étude à une théorie nouvelle, et qui n’ont pour but que d’engager d’autres hommes, sérieux et intelligents comme eux, à étudier cette même théorie, puis à en favoriser l'application si la théorie leur paraît vraie , quelle malencontreuse idée, disons-nous, que celle de prendre le langage et les allures du charlatanisme, de se poser en apôtres, ou plutôt en marchands d’orviétan, de proclamer ce qu'ils sa- vent la seule vraie lumière, ignorance et ténèbres tout ce qui a été connu et dit avant eux ! Ont-ils jamais vu les gens instruits ou sensés avoir confiance dans les panacées que débite un.char- latan sur la place publique, au son de la trompette, avec grand renfort de vanteries et d’hyperboles ? Les auteurs du manifeste se donnent beaucoup de peine pour se laver du reproche d’orgueil et d’outrecuidance. Hélas ! nous n'avons pas songé un instant à le leur adresser. Non, c’est de la maladresse pure , c’est une insigne maladresse que nous leur reprochons, et nous voyons, dans cette maladresse, bien plus d'humilité que d’orgueil. S’ils avaient eu trop de confiance en eux-mêmes, dans leur science et dans les productions sé- rieuses où ils l’exposent méthodiquement , s’ils avaient estimé trop haut la valeur scientifique de leur théorie et le talent avec lequel ils l’enseignent, on ne les aurait point vus recourir à des moyens de réussite que les inventeurs de mouvements perpé- tuels et tous les auteurs de découvertes chimériques ou de folles entreprises ont discrédités depuis si longtemps. 12 DE L'ÉCOLE SOCIÉTAIRE Mais laissons la forme et parlons du fond. Il vous souvient de cet œuf, pondu et couvé par l’école sociétaire, de cet œuf qu’elle promène en ballon par-dessus nos têtes jusqu’à ce qu’elle ait trouvé le milieu qui peut seul le faire éclore. Cet œuf, c’est sa théorie ; ce milieu , c’est une commune sociétaire, c’ést-à- dire une lieue carrée de terrain , avec deux mille individus doués de l'attraction passionnelle et organisés en séries, puis un phalanstère pour les loger. Or, voici le singulier paradoxe que l'Ecole met en avant dans son manifeste, et la requête non moins étrange qu’elle fonde sur ce paradoxe ; le tout, afin d’ob- tenir l’indispensable milieu, et de pouvoir y déposer son œuf: Toute théorie d'organisation sociale ou politique étant sus- ceptible d’une réalisatian partielle dans l’unité sociétaire, c’est- à-dire dans la commune , et pouvant attendre son succès ulté- rieur de l’imitation spontanée qu’amènera nécessairement une telle expérience si elle réussit, jamais une révolution n’est réel- lement nécessaire ni légitime, et tout parti qui n’est pas prét à essayer ses théories, ou qui compte sur d’autres moyens de succès que l’émilation spontanée, se trompe lui-même, ou cherche à tromper autrui. D’un autre côté , un gouvernement doit, dans son propre intérêt aussi bien que dans celui de la société qu’il gouverne, permettre, favoriser même au besoin, l’expérimentation de toute idée pour laquelle on lui demande cette épreuve. Cela posé, l’école sociétaire, ou plutôt l’Asso- ciation fondée pour la propagation et pour la réalisation des doctrines de Fourier, s’adresse ainsi à la nation française et à son gouvernement: «Nous avons une idée, une théorie sociale que nous estimons propre à faire cesser tous les maux qui af- fligent l'humanité; nous ne vous demandons pas d’y croire comme nous, encore moins de renoncer à votre organisation actuelle pour y substituer celle que nous proposons; nous n’aspirons point à changer dès à présent vos lois et vos formes politiques; mais nous vous requérons de nous concéder une lieue carrée de votre territoire, avec les moyens nécessaires ET DE SES PUBLICATIONS LES PLUS RÉCENTES. 13 pour y réaliser notre théorie partiellement, autant que cela pourra se faire sous le régime de vos lois, nous reposant pour le reste sur la réussite d’une telle expérimentation et sur l’imi- tation spontanée qui en résultera. » Nous nous en tiendrons à cet exposé fidèle de la substance du Manifeste, sans y ajouter un seul mot de commentaire , de peur d’influencer le jugement de nos lecteurs par une critique dont nous ne garantirions pas l’impartialité. Nous avons tou- jours eu de l’aversion pour les tours de force et pour les sauts périlleux, même lorsqu'ils sont exécutés avec la grâce et l’agi- lité qu'une longue pratique peut seule faire acquérir. Par cette raison, la lecture du Manifeste nous a laissé une impression pénible, et nous avons hâte, pour l’oublier, d’arriver au livre que Mr. Hippolyte Renaud a eu l’obligeance de nous envoyer, livre sérieux, plein de science et d’esprit, la plus remarquable, sans contredit, de toutes les productions de l’école sociétaire qui sont venues à notre connaissance. Certes, si la doctrine de Fourier a quelque chance de con- quérir la faveur du public éclairé, c’est par de tels ouvrages qu’elle y parviendra. Quelque prévenu qu’on soit contre elle, il est difficile de n’être pas ébloui au premier moment par des idées si neuves, si méthodiquement enchaînées, exposées avec une chaleur si vraie, développées avec tant d’art, dans un style ‘ si correct et si élégant. Vous qui aimez les lectures à la fois sérieuses et attachantes, instructives et amusantes, lisez Solida- rité de Mr. Hippolyte Renaud, et vous nous remercierez du conseil. Mais ne vous laissez point éblouir jusqu’à en devenir aveugles, comme il est arrivé à l’auteur lui-même qui, saisi d’ad- miration et d’enthousiasme à la vue des conceptions de Fou- rier , a franchi d’un saut, comme par enchantement , toute la distance qui l'en séparait, lui homme de sens et de savoir. C’est à un tel éblouissement que nous devons attribuer la plu- part des conquêtes que le fouriérisme a faites parmi la jeunesse, notamment parmi les élèves de l’Ecole polytechnique. Ceux que 14 DE L'ÉCOLE SOCIÉTAIRE de fortes études scientifiques ont habitués à se défier des hypo- thèses et à manier le scalpel de l'analyse, une fois égarés par de fausses prémisses, sont plus aptes que d’autres à en tirer Loutes les conséquences. Quand ils ont le malheur de choisir leur point de départ hors des limites du vrai, ils sont entraînés de déduction en déduction à une telle distance qu’il leur en coûte- rait trop de revenir sur leurs pas et de chercher le poteau sur lequel la bonne route se trouvait indiquée. Le premier livre, contenant l'exposé des principes généraux, nous offre tout de suite des preuves frappantes à l’appui de ce que nous venons de dire. Ainsi, dans le chapitre premier, inui- tulé : De la raison et de la science , l'auteur part du principe que la raison est le seul moyen qui ait été donné à l’homme de connaître la vérité. Mr. Renaud ignore-t-il donc que des écoles célèbres de philosophie nient absolument ce principe, que leurs doctrines ont poussé de profondes racines dans la vie scientifique et littéraire de certaines nations, et que, grâce à leur influence, des milliers de penseurs se rebuteront bien vite d’une théorie sociale qui s’annonce comme fondée sur une telle erreur ? Et, notez bien que Mr. Renaud ne démontre point son principe; il l’'énonce comme un dogme , comme un axiome aussi peu susceptible de négation que de démonstration. Le chapitre second, qui traite de Dieu et du mal, est, sans contredit , un des plus curieux de tout l'ouvrage. Ici Por- gane de l’école sociétaire, abordant les questions que le chris- tianisme a résolues, les résout autrement que lui et arrive à des conclusions qui sont inconciliables avec les croyances du chré- tien, quoiqu’elles aient, chose remarquable , une analogie apparente avec elles. Ainsi, Fourier reconnaît que le mal moral existe dans le monde, que ce mal est le résultat de Pignorance de l’homme à l’égard des lois et des œuvres d’un Dieu souverainement puis- sant, intelligent et bon, et que tout ma! cessera lorsque l'homme voudra connaître Dieu , l’aimer et le servir Mais, quelle est ET DE SES PUBLICATIONS LES PLUS RÉCENTES. 19 cette ignorance qui produit le mal moral ? C'est l'ignorance des lois de la création , c’est l'ignorance opposée à la science bu- maine. « Dieu , dit notre auteur ; a tout préparé pour le bien ; mais il faut étudier le jeu de son œuvre admirable pour découvrir l'art d’en tirer parti. « Si l’homme , refusant de faire usage de la raison dont il a été doué, se heurte maladroïtement aux forces motrices de la création , s’il est brisé dans cette lutte insensée , la faute est à lui seul. « Car lhomme peut comprendre s’il veut observer; et quand il a compris, il cesse de souffrir. Le mal c’est l’igno- rance. Avec la science , le mal disparaît. » 1 Dès lors , tout ce que l’homme peut et doit faire pour ame- ner la cessation du mal, ce n’est pas d’agir sur les penchants de sa propre nature, mais c’est de chercher la loi sous la- quelle leur libre essor ne produira plus le mal. « Il faut comprendre que le monde moral est dirigé par des lois aussi positives que les lois du monde matériel. Ainsi le mouvement social a lieu, parce qu’il y a des pénchants au cœur de l’homme, et la loi du mouvement social, consé- quence de ces penchants, émane directément de Dieu qui a fait l’homme ce qu’il est. « Les penchants de l’homme, comme les forces naturelles , ne peuvent produire le bien qu’autant qu’ils agissent dans un milieu convenable. En dehors de ce milieu , ces penchants sont funestes, comme le feu employé hors des appareils préparés par la science pour en recevoir l’action. « Tenter de modifier les penchants de l’homme parce qu’ils produisent le mal, c'est résister à une loi naturelle, c’est vou- loir l'impossible. Engager l’homme à étoufler ces penchants, c’est prescrire d’éteindre le feu, de renoncer à son usage, parce que le feu peut produire des désastres. « La tâche de Phomme est d’étudier ses penchants pour en 16 DE L’ECOLE SOCIÉTAIRE conclure une forme sociale dans laquelle ils donneraient de bons résultats. Cette forme sociale est nécessairement possible ; c’est celle que Dieu avait en vue lorsqu'il organisait l’homme, car on ne peut admettre que Dieu, en créant l’homme , agissait au hasard, qu'il lui donnait des penchants et des facultés dont il ne prévoyait pas l’usage. On peut admettre encore moins que Dieu ait sciemment organisé l’homme pour le mal, en lui donnant des penchants inapplicables au bien. « L'homme doit observer , comparer pour comprendre la na- ture, en d’autre termes pour connaître Dieu ; car connaître Dieu, c’est connaître les lois par lesquelles il gouverne ; pour aimer Dieux, quand il aura reconnu que ces lois lui apportent tous les biens qu’il désire; pour servir Dieu en accomplissant ses lois, en renonçant à de vains eflorts pour leur résister. » Voilà, selon nous, un manifeste bien autrement sérieux que celui dont nous avons parlé ci-dessus, un manifeste adressé à toutes les sociétés chrétiennes, et dans lequel la doctrine de Fourier se pose comme l’adversaire du christianisme , comme aspirant à le détruire pour se substituer à lui. Car, nous en appelons aux chrétiens de toutes les confessions, et nous leur demandons s’ils estiment qu’on puisse être fouriériste sans cesser d’être chrétien. Nous ne croyons pas qu’il s’en trouve un seul qui hésite à répondre : non. Ceux même qui n’admettent pas le dogme de la rédemption dans le sens d’un sacrifice ex- piatoire partent toujours du principe que l’homme doit modi- fier sa propre nature, réprimer ses penchants, se sanctifier , en un mot. La sanctification est le pivot de toute la doctrine chrétienne , le but de toutes les vérités révélées, le sens intime de tous les préceptes contenus dans les Evangiles. L'école sociétaire a-t-elle assez réfléchi avant de s’attaquer ainsi aux croyances du monde civilisé ? Nous élevons ce doute en fai- sant abstraction de nos convictions personnelles, et en cherchant à nous placer dans une position neutre. Si l’on considère à quel ET DE SES PUBLICATIONS LES PLUS RÉCENTES. 17 point ces croyances, et le culte qui en est l'expression, sont mé- langés et combinés avec toutes les institutions des sociétés chré- tiennes , à quel point le christianisme fait partie intégrante de la vie des peuples d'Europe , même les moins dévots, on aura de la peine, certes, à se persuader que les prédications et les manifestes d’une poignée de novateurs parviennent à ébranler celte religion qui a triomphé d'attaques bien plus générales et plus formidables. Encore une fois, l’Ecole y a-t-elle bien songé ? Il s’agit de congédier ce vieux tuteur sous la protection duquel les sociétés actuelles ont grandi et se sont développées ; qui les a soutenues , éclairées, assistées pendant leur longue en- fance ; dans les bras duquel, aujourd'hui encore, elles se jettent avec amour et confiance, lorsqu'elles se voient menacées ou affligées de maux que la législation et la politique sont impuis- santes à guérir ! Il s’agit d’ôter à l'humanité ce culte qui est pour elle un impérieux besoin et qui, tantôt pompeux et solennel, tantôt simple et modeste , mais toujours riche de poésie , sert à la fois de contre-poison dans l'ivresse de la prospérité, de re- mède et de consolation dans les inévitables misères de l'existence terrestre ! Non, l’école sociétaire n’a pas compris toute la portée de ses doctrines, car elle aurait reculé devant une entreprise à la fois téméraire et inopportune : téméraire, à cause de la faiblesse de ceux qui s’y engagent ; inopportune, parce que les peuples chrétiens sont moins que jamais disposés à échanger leurs croyances religieuses contre une théorie sociale. Nous prévoyons ce que pourront dire quelques Fouriéristes en vue de pallier, ou de se dissimuler peut-être à eux-mêmes, la tendance antichrétienne de leur doctrine. Le mécanisme so- cial auquel ils donnent le nom de régime harmonien, devant avoir pour effet de rendre inoffensifs les penchants qui, dans l’organisation sociale actuelle , sont considérés comme vicieux , et de faire concourir toutes les passions humaines vers le plus grand bien possible de Phumanité , il n’y aura plus de mal XLII 2 18 DE L'ÉCOLE SOCIÉTAIRE moral, plus de vices ni de péchés ; le chrétien harmonien sera sanctifié de fait; par conséquent la doctrine sociétaire, loin d’é- tre opposée au christianisme, offre un moyen d’en avancer le règne, un moyen de sanctification universelle, qui assurera pour toujours et sur toute la terre l’application des préceptes évangéliques. Mais, cette explication n’est admissible que pour les Fou- riéristes mêmes, qui envisagent le mal comme purement ob- jectif; elle n’est vraie que si l’on confond la notion de péché avec celle de délit. Oui, le délit, qui est un mal objectif, peut changer de nature ou disparaître entièrement par l'effet d’une révolution sociale ou d’un simple changement de législation. Ainsi, le délit de larcin n’existerait plus dans une société où tout serait commun ; le délit d’adultère , chez une race qui vi- vrait en promiscuité complète ; le délit d'usure, partout où le taux de l’intérét ne serait point fixé par la loi. Le péché, au contraire, est essentiellement subjectif ; il existe dans la personne , dans l’âme du pécheur , non dans ses actes mêmes, ni dans leurs résultats apparents. Telle est, du moins, la notion que le chrétien doit s’en faire, celle qui ressort évidem- ment de la lettre et de l'esprit des textes sacrés. Le juste de l'Evangile n’est point ün type formé d’après les lois ou les opi- nions humaines, Sa justice, sa chasteté, sa charité sont des dispositions du cœur , qui excluent non-seulement le vol, l’a- dultère et l’usure, mais les désirs et les pensées les plus intimes entachées de cupidité, de convoitise ou d’égoiïsme. En un mot, la sainteté chrétienne est un état de perfection absolue , indé- pendant des formes sociales, et la sanctification, une suite d’efforts par lesquels l'âme se modifie elle-même pour appro- cher de cette perfection absolue dont Jésus lui offre le modèle. L'opposition que nous avons signalée subsiste donc entière. Elle résulte, et des prémisses de la doctrine sociétaire , et du mécanisme social qui en constituerait l’application , de ce mé- canisme dans lequel l’ordre et le bonheur seraient les consé- ET DE SES PUBLICATIONS LES PLUS RÉCENTES. 19 quences naturelles du libre essor donné à toutes les passions humaines , dans lequel , par conséquent , la vertu n’existerait plus, même de nom, puisqu'il n’y aurait jamais lieu à aucune action individuelle de l’homme sur sa propre nature pour en modifier les tendances et les soumettre à une loi quelconque. Plus de vertus , plus d’efforts intérieurs, plus de victoire de l’homme sur lui-même , plus de perfectionnement individuel ob- tenu par une direction persévérante de la volonté ! Quelle trans- formation de l'humanité! Quelle métamorphose inouie! En y songeant, il nous prend un vertige, comme au voyageur qui, parcourant les hautes Alpes, arrive tout à coup devant un pré- cipice , au fond duquel il aperçoit de riantes et fertiles campa- gnes, des sites enchanteurs, de ravissants paysages. Nous détour- nons involontairement les yeux de cet avenir pour les reporter sur le présent et sur le passé. Nous nous demandons si la ciwili- sation , sous le régime des lois répressives et de la morale, n’a pas fait surgir des sociétés humaines tout ce qu’on peut en attendre de grand et de beau , non pas , ilest vrai, la civili- sation actuelle, non pas cette civilisation de chemins de fer et de briquets phosphoriques pour laquelle nous n’éprouvons guère plus de sympathie que lécole sociétaire, mais celle qui a produit les beaux temps de la Grèce et de Rome, celle qui a fourni de si belles pages à l’histoire de quelques peuples modernes. Cependant, soyons juste , si l’école sociétaire nous demande le sacrifice de nos institutions et de nos croyances, elle nous promet en échange un avenir qui embrasse toute notre exi- stence terrestre et qui s’étend bien au delà, un avenir d’in- dicible félicité, infiniment supérieur à l’Elisée des anciens et au paradis de Mahomet. La première source de cette félicité sera le régime harmonien méme, à l’exposition duquel notre au- teur consacre son second livre. Nous n’ajouterons pas un mot à ce que nous en avons dit il y a deux ans, parce qu'il nous répugne de condenser dans quelques lignes un sujet qui ne 20 DE L'ÉCOLE SOCIÉTAIRE, ETC. devient intéressant que par ses détails, et aussi parce que nous ne voulons pas fournir de nouveaux prétextes à la paresse de _ nos lecteurs. Qu'ils lisent l'ouvrage de Mr. Renaud; qu’ils relisent notre premier article en le comparant avec la réfutation qu’en a donnée la Phalange. Nous ne voulons faire que l’office de rap- porteur ; c’est au public de juger. Les pièces du procès sont à sa disposition , et valent certes bien la peine qu’il prendra pour les connaître. Quant aux idées de Fourier dont il nous reste à entretenir nos lecteurs, elles sont tellement neuves et hardies , que nous devons les présenter avec quelque étendue, car, en notre qualité de rapporteur consciencieux , si nous n’aspirons point à formuler un jugement définitif, nous tenons du moins à ne pas faire naître , dans l’esprit des juges, par un exposé trop suc- cinct, des préventions qui n’existent point chez nous-méme et qui ne seraient pas fondées sur les véritables éléments de la question. CHERBULIEZ , professeur. (La suite à un prochain numéro.) 21 Littérature. LA SATIRE FRANÇAISE AU TREIZIÈME SIÈCLE ET RUTEBEUF. ir JO QE eee — — Lorsque, dans les commencements du dixième siècle, les vi- goureux hommes du Nord se furent définitivement établis dans une des provinces romanes des successeurs dégénérés de Char- lemagne, ils jetèrent des germes de force au milieu d’une nation affaiblie par la discorde et l'ignorance. Ils adoptèrent la religion qui, tant bien que mal, était la religion chrétienne. Ils en subi- rent l'influence et la combinèrent, sans ÿ songer, avec leur acti- vité naturelle et leur imagination. Ils retrempèrent les esprits et les caractères, imprimèrent une impulsion à l'intelligence et lui frayèrent de nouvelles routes. Dès le onzième siècle une littéra- ture nationale , la littérature de la langue vulgaire du nord de la France, jeta de l’éclat ; deux chroniques épiques où tout était normand, le sujet, l’esprit et l’idiome, le Brut et le Rou, signalèrent cette ère littéraire. La poésie et la chevalerie, qui était encore de la poésie, ouvrirent, dans le même temps, aux esprits une large carrière ; un peu plus tard et dans les siècles suivants , les prédications des Croisades et le mouvement com- munal firent connaître la puissance de la parole et révélèrent aux Français un talent national, l’éloquence. La religion et la politique, les mœurs et la science, la vie et l’imagination con- coururent à ériger en France un empire des lettres. Sa cour fut celle de Philippe-Auguste, dont le règne, embrassant deux por- tions égales du douzième et du treizième siècle , forma la tran- sition de l’un à l’autre par la concentration de la puissance, … par la bravoure chevaleresque et par la gloire de la poésie, Ce 22 LA SATIRE FRANÇAISE AU XIII‘ SIÈCLE monarque, roi français par excellence, porta haut et loin le nom français : le treizième siècle ne dut pas étre moins frappé de la lumière qui brillait autour de son trône que le dix-sep- tième des splendeurs du grand roi. Sous l'influence de l’époque et secondées par le prince, les lettres continuèrent de fleurir pendant le treizième siècle , même sans protection spéciale , si l’on excepte l'exemple encore plus que la faveur de la cour de Champagne. La seule protection est la serre chaude du talent; elle n’en est ni le sol, ni l’atmosphère. Bien des poètes se plai- gnirent pourtant d’être privés de leurs patrons par les croisades du saint roi, petit-fils de Philippe-Auguste ; ils se plaignirent , mais ils n’en chantèrent pas moins. Ils chantèrent mieux peut- étre, aiguillonnés par la pauvreté, qu’ils n’eussent fait bercés par la mollesse. La France retentissait chaque jour des accents d’une foule de poètes; beaucoup de noms que l’érudition dé- terre et déchiffre depuis quelques années furent célèbres alors. Il vaudrait la peine de reconstruire ce siècle littéraire, mais tel n’est pas maintenant notre but. Nous nous arrétons à un seul genre de poésie et à un seul poète. La flagellation des travers humains est, pour ceux qui n’en sentent pas les coups, un plaisir si vif que la satire sous ses for- mes diverses, comédie, épigramme, censure philosophique , caricature, chanson, occupe une place considérable dans toutes les littératures. Celle de la France ne pouvait manquer de se montrer riche dans ce genre dès sa première période brillante. Le Français, peu rêveur, point porté à la contempla- tion , ami du monde et de son enjouement, attachant aux con- venances sociales une importance excessive, aime à suivre d’un œil malin les hommes dans les relations de la société ; éminem- ment spirituel, habile à saisir le côté plaisant des choses, il est, plus qu'aucune autre nation, dominé par la crainte du ridicule : la morale exerce moins d’empire sur lui que cette puissance. Un penchant voisin de celui-là se satisfait par la censure mor- dante, âcre, mais non comique. ET RUTEBEUF. 23 Dès son premier développement un peu large, la littérature française dut donc abonder en poésies satiriques. Dès les pre- miers ouvrages marquants de la fin du douzième et du commen- cement du treizième siècle, on voit saillir ce talent si français d'observer et de peindre l’homme social. Les fabliaux , richesse parfaitement nationale, malgré leur origine étrangère, sont sur- tout français par la censure des mœurs et par la raillerie sati- rique. Le Roman de la Rose est rempli de tableaux et de por- traits dont notre satire sous son habit romain pourrait s’enrichir, après les modèles des deux derniers siècles et du nôtre, Le Roman du Renart, dont l’origine est le sujet d’une cohtroverse, mais dont la version romane a toute la verve d’un ouvrage ori- ginal, forme, dans l’ensemble et dans les détails, une satire émi- nemment française. Là se montre le vrai génie, ou, pour mieux dire, le genre d’esprit poétique des Français, la peinture pré- cise, fine, malicieuse des travers humains, rendue plus piquante encore par le voile transparent de l’allégorie, que le moyen âge affectionnait et qu’en France on prit longtemps pour la poésie méme. L’atticisme de la satire française ressort d’autant mieux sous ce voile qu’il ressemble à la gaze de l’apologue, l’apolo- gue dont les rapprochements entre la vie humaine et la na- ture ont produit tant de chefs-d’œuvre de grâce et de naïveté caustique, depuis Marie de France et le Roman du Renart jus- qu’à Lafontaine , idéal du genre , et jusqu’aux satires de Vol- taire, type unique et pourtant national. Mais sans le secours de l’allégorie , la poésie de l'esprit n’éclate nulle part autant que dans la satire française primitive, témoin ce petit récit : Un haut hom chevalier étoit Qui une damoiselle amoit Plus assez qu’il ne fut raison. Ce chevalier fut très-laid hom, Laid fut de corps et de tout membre, Q Comme l’histoire le ramembre. Saiges étoit parfaitement 24 LA SATIRE FRANÇAISE AU XIIL° SIÈCLE Fors que d’amer tant seulement. La damoiselle qu’il amoit Bestiaux, sote et niche étoit ; Mais elle étoit belle à devis De façon, de corps et de vis. Plus belle ne pourroit-on querre (quérir) Par le pays, ne par la terre. Le chevalier veut celle avoir Qu'il ama plus que nul avoir. Pour ce que belle lui sembla. Tous ses amis en assembla, Et leur dit : je veuil avoir cette ; Nulle autre femme ne me haite (agrée). Lors ses amis lui répondyrent : Et tretous proprement lui dirent : Sire vous savez sa manière. — Je sais bien que belle et sote ière (elle est, erat). Si vous dirai qu’en avendra, Véoir le peut qui l’entendra : Pour voir (vrai), enfans aura de moi, Et savez-vous que je y voi ? Très beaux pour cause de la mère, Et saiges pour cause du père, Si qu’il seront et bel et saige, Avoir ne peuvent mendre usaige. Sur ce sort, et sur cet espoir Veut cil la damoiselle avoir. Ensemble en mariage furent, Enfans eurent tels comme ils durent, Laiïds et hideux de par le père, Sots et niches de par la mère, Tretout le contraire lui vint De ce que pour vérité tint. C’est le tour d'esprit des récits satiriques de Lafontaine et de Voltaire; c’est, dans ce qu’il a de mieux, le tour d’esprit des satiriques du treizième siècle : ce petit chef-d'œuvre est em- prunté du Roman du Renart. ET RUTEBEUF. 25 Le L’enjouement n’est pas le seul ton de la satire dans cet âge primitif. Elle a souvent le sérieux et l’acrimonie de Juvénal dans ces satires didactiques , ces Bibles où comparaissent les travers des diverses classes que l’auteur fait passer par les verges. Dou siecle puant et orrible M'estuet commencier une Bible, Por poindre et por aguilloner. Ainsi débute la Bible Guiot, et ce début annonce que l’au- teur ne s’est pas armé d’une marotte. Ce n’iert pas Bible losengiere ; son poème justifie cet avertissement. Chacun d’ailleurs y re- trouvera son image : Mireors iert à toutes genz....... Sur tout le siecle parlerai. La Bible au seignor de Berze, chastelain, offre au total la même physionomie. Dans la satire sérieuse, comme dans la satire plaisante, nous sommes frappés, plus que dans aucun autre genre de poésie, d’un double caractère, commun pourtant alors à tous les genres, parce qu'il est l’image d’un double caractère de l'esprit français, l'alliance de la précision et de la loquacité. L'expression de chaque pensée est précise, souvent même con- cise ; l’ensemble pourtant paraît lâche et fatigue par des lon- gueurs. C’est que les mêmes idées se reproduisent sous trop de formes diverses, avec trop ou trop peu de nuances ; les auteurs pensent et écrivent nettement, mais ils ne savent pas finir ; les détails sont bien , la composition l’est moins. Un écrivain pourtant se distingue, brillant par la qualité commune, presque exempt du défaut; c’est le satirique par ex- cellence , le Juvénal du treizième siècle, pour la vigueur de la pensée , l’audace des tableaux et la verve du style, RuTEBEUr. Sa vie et ses écrits jettent de la lumière sur une partie du moins de la société , sur la situation des poètes et sur le rôle de la 26 LA SATIRE FRANÇAISE AU XINI° SIÈCLE poésie. Rendons ici hommage au savant éditeur des œuvres de Rutebeuf, Mr. Achille Jubinal , dont les recherches érudites et dévouées ont mis en lumière un grand nombre déjà de ces mo- numents que l’insouciance de la vieille gloire littéraire de la France avait laissés enfouis pendant des siècles sous la pous- sière. Mr, Jubinal, membre de la Société royale des Antiquaires de France et professeur de littérature étrangère à la Faculté des lettres de Montpellier, mérite la reconnaissance des hommes qui étudient la poésie des Trouvères. Il a travaillé à ressusciter la renommée de Rutebeuf, en publiant ses poésies, éparses dans des manuscrits divers , et les illustrant par des notes, par la vie et appréciation de ce poète ‘. Je le remercie, pour ma part, de m'avoir fourni le moyen de compléter une étude faite péniblement, il y a vingt ans, à la Bibliothèque royale, La faveur de la poésie, l'amour de la gloire et sans doute aussi la douce oisiveté des Muses avaient multiplié le nombre des trouvères et leur cortége, trop souvent imdigne de l'art du poète. De faméliques versificateurs, de faméliques chanteurs, jongleurs, joueurs de musette ou de luth, pullulaient dans les rues, dans les maisons ou à la porte des grands. Des hommes qui se glorifiaient du titre de trouvères exerçaient les plus vils métiers ; les rivaux de la gaie science des troubadours amusaient la populace pour vivre , et, tout en chantant leurs vers , se fai- saient conducteurs d’ours ou marchands d’orviétan. Digne héritier du trône de son aïeul, saint Louis répandait à pleines mains ses bienfaits sur les pauvres poètes. Nous lisons de lui dans la Branche aux royaux lignages: Viex menestriex mendians...... Tant du sien par an emportoient Que nombre n'en puis avenir. ! OEuvres complèles de Rutebeuf, trouvère du treizième siècle, re- cueillies elmises au jour pour la première fois par Achille Jubinal. Paris, 1839, chez Edouard Pannier ; 2 vol. in-8°. ET RUTEBEUF, 27 Les grands imitaient cette générosité de bon ton. Mais le roi partit pour une croisade, emmenant avec lui les seigneurs les plus opulents ; les dépenses faites et à faire pour cette expédi- tion obligèrent les familles à se montrer moins généreuses pour d’autres besoins ; alors l’affliction fut générale parmi ces indi- gents qui mendiaient en vers ou la vielle à la main : Menesterez sont esperdu ; Chascuns a son donnet perdu, dit Rutebeuf (De l'Estat du Monde). Nous retrouvons la méme plainte et les mêmes termes dans une pièce anonyme (C’est uns dis d’avarisce) d’un manuscrit de la Bibliothèque du Roi : Chascuns a son donnet perdu Li ménestrels sont esperdu ; Car nus ne lor veut riens donner. De don ont esté soustenu ; Maintenant sont souz pié tenu ; Or voisent aillors sermonner. C’est Mr. Jubinal qui cite ces vers dans une note. Rutebeuf aussi perdit beaucoup à ce départ du monarque et de ses autres Mécènes ; il dit à saint Louis : Et vos, boens Rois, en ij voiages M'aveiz bone gent esloignié. Il perdit d’autant plus qu’il ne chantait pas dans les rues comme bon nombre de ses confrères, et qu’il ne s’adressait pas à la populace, mais aux hommes de goût et de naïssance. Le recueil de ses œuvres commence par plusieurs pièces, dont une au moins fut composée pendant la seconde croisade de saint Louis ; le poète y peint sa misère dans une suite de tableaux. La cherté des temps et l’entretien de sa famille ne lui ont laissé deniers, ni gage; les vivres lui manquent. Nul ne lui tend , nul ne lui donne. Il tousse de froid , il bâäille de faim. Il est sans cottes. 28 LA SATIRE FRANÇAISE AU XIII‘ SIÈCLE Il n’y a si pauvre jusqu’à Senlis. Dans son lit on ne voit que la paille : Et liz de paille n’est pas liz. (La Povretei Rutebeuf.) Nous avons transcrit les expressions du poète , nous continuons de même : ; « En l’an soissante, » c’est-à-dire en 1260 , il se maria. Mr. Jubinal pense qu’on peut fixer sa naissance entre 1235 et 1240. Rutebeuf aurait donc eu vingt ou vingt-cinq ans lors de son mariage. C’est trop de jeunesse , il me semble, puisqu'il nous apprend dans la pièce sur son Mariage que sa femme avait « cinquante ans en son écuelle. » C’est tout ce qu’elle possé- dait d'attrait et de fortune. Et si n’est pas gente ne bele. S’est maigre et sèche : N'ai pas paor qu'ele me trèche (triche). Despuis que fu nez en la grèche (crèche) Diex de Marie (Dieu, fils de Marie) Ne fu mès tele espouserie. Rutebeuf n’était pas riche avant d’avoir fait cette sottise ; il fut profondément misérable après ; Or sui povres et entrepris. a La destruction de Troie, dit-il, fut moins grande que la mienne. Je n’ai pas büches de chêne à mettre ensemble. Je ne suis pas bien venu (chez moi) si je n'apporte. Je n’ose pas hucher à ma porte à main vide. » Plus à plaindre que les mar- tyrs, il l’est durant toute sa vie. On voit que le Mariage de Rustebeuf n’est pas un épithalame. La Complainte Rutebeuf forme une litanie de nouvelles mi- sères. Il prend encore son mariage pour point de départ ; Lors nasqui paine Qui dura plus d’une semaine, ET RUTEBEUF. 29 Il dit en plusieurs endroits que Dieu lui a ôté d’un seul coup ce qu’il avait ; il est réduit à recommencer sa carrière : Quanques j'ai fet est à refère..…. Diex m'a fet compaignon à Job, Qu'il m'a tolu à. 1. seul cop Quanques j'avoie. De l’œil droit, le meilleur des deux, il ne voit pas assez pour se conduire dans la rue. Son cheval s’est brisé la jambe, La nourrice de son enfant tourmente Rutebeuf et l’écorche pour avoir de l’argent ; si on ne la paie, elle renverra l’enfant braire à la maison. Il a mis en gage tous ses meubles ; son hôte ré- clame le loyer ; ses flancs sont nus contre l’hiver. Malade, il a été gisant trois mois entiers sans voir personne ; pendant ce temps, sa femme, couchée dans un autre lit, lui a donné un nouvel enfant. Dans le sentiment de son abandon, il s’écrie avec une amertume poétique : « Que sont devenus mes amis, que j'avais tenus si près de mon cœur et tant aimés ? Je crois qu’ils sont trop clair semés ; ils ne furent pas bien semés, car ils ont failli. De tels amis ont mal agi envers moi, car tant que Dieu m’assaillit de maint côté, je n’en vis pas un seul en mon logis ; je crois que le vent les a emportés. » L’amor est morte : Ce sont ami que vens enporte, Et il ventoit devant ma porte ; S'es (ainsi les) enporta, C’onques nus ne m'en conforta Ne du siens rien ne m’aporta. Quelques rayons sillonnent pourtant ces ténèbres : L’espérance de lendemain Ce sont mes festes. (Le Mariage R.) Puis volage qu'est le poète, chose légère selon Platon, il oublie ses maux dès que le ciel se rassérène un peu ; mais il se décou- 30 LA SATIRE FRANÇAISE AU XII SIÈCLE rage tout aussi promptement. « Comme l’oiseau sur la branche, en été je chante, en hyver je pleure et je me lamente ; je me défeuille aussi comme l’arbre à la première gelée. » (De La griesche d’yver.) Le plus grand des malheurs de Rutebeuf fut d’être lui-même l’auteur d’une partie de sa misère. Ce qui le ruine ce sont, dit-il, « les dés que les fabricants de dés ont faits; » Li dé qui li détier ont fet M'ont de ma robe tout desfet, Li dé m'’ocient (me tuent), Li dé m’aguetent et espient, Li dé m'assaillent et deffient. (De la griesche d'yver.) Au milieu de sa lamentable fortune, Rutebeuf se distinguait de la tourbe de ses confrères en poésie et en misère par la fierté du poète. Il n’exerçait pas de métier subalterne, et il évitait de laisser voir sa maison vide : Je ne sui pas ouvriers des mains ; L’en ne saura jà où je mains (r7aneo) Por ma poverte : Jà n'i sera ma porte ouverte, Quar ma meson est trop déserte Et povre et gaste. (Le Mariage R.) Il avait aussi la fierté de sa renommée. Peut-être dans ce pas- sage que nous allons citer fait-il allusion à son Miracle de Théo- phile, un des préludes de l’art dramatique et des Mystères ; cette conjecture de Mr. Jubinal est rendue vraisemblable par l'espèce d'hommage que Rutebeuf recevait; nous empruntons la traduction de l'éditeur : « On dirait que je suis prêtre, car je fais plus signer de têtes que si je chantais Evangile ; mes mer- veilles arrachent des signes de croix dans la ville , et on doit bien les conter aux veillées, car elles n’ont pas de rivales. » ET RUTEBEUF. 31 (Le Mariage R.) C’est le méme sentiment qui inspirait à Horace le Quod monstror digito prætereuntium. L'amour de la poésie, la conscience de son génie et de sa gloire soutinrent notre poète contre les assauts continuels de sa destinée. Sa position d’ailleurs dut allumer plus d’une fois sa bile et sa verve ; si elle excuse les défauts nés d’un travail in- suffisant et rapide, on lui doit probablement le sel âcre de la satire de Rutebeuf. Sa femme sans doute l’inspirait aussi, l’a- mour est banni de ses vers. Ce qui domine dans ses œuvres, c’est la Satyre du siècle. « La justice cloche, le droit pend et incline, la vérité chancelle, la loyauté décline, la charité se refroidit, la foi est en défail- lance ; rien dans le monde n’a fondement ni racine. » (De la vie dou monde.) Cependant on ne trouve qu’un seul passage sur les avocats, assez curieux puisqu'il nous apprend ce qu’étaient les avocats au treizième siècle : « Quand ils ont appris la loi, ils se font plaideurs et trafiquent de leur langue ; ils imaginent ruses et tromperies pour embrouiller les querelles , et mettent tout sens devant derrière. Car quand le seigneur Denier vient en place, la droiture s’en va, la droiture disparaît. » (De l'Estat du Monde.) Une autre page de la même pièce, dirigée contre les prévôts, les baillis et les maires, nous rappelle ces gouvernants suisses qui achetaient du peuple des démocraties le droit d’exploiter des bailliages sujets. « Les prévôts qui acquièrent à l'enchère les prévôtés, plument de tous côtés ceux qui ressortissent à leur juridiction. » Or, voici comment ils se justifient : . « Nous les acenssons chièrement ; Si nous covient communément, Font-il, partout tolir et prendre Sans droit ne sans reson atendre : Trop aurions mauvès marchié Se perdons en nostre marchié.» 32 LA SATIRE FRANÇAISE AU XIII‘ SIÈCLE Le règne des légistes s’établit surtout au quatorzième siècle et continua au quinzième. Alors les préoccupations du palais et les procès qui absorbaient l'attention publique, imposèrent à la poésie ces formes de procès ou de débats qui surabondèrent dans la littérature française, dérivant d'une disposition géné- rale des esprits, plus encore qu’elles ne remontent aux tensons et aux cours d’amour des Provençaux. Au treizième siècle , la société subissait la domination de l'Église, dont le despotisme provoquait l’opposition. L'Eglise , dans la personne de ses ser- viteurs, prétait d’ailleurs le flanc à la satire sous d’autres rap- ports encore. Les défenseurs des véritables intérêts religieux n'étaient pas les derniers à l’attaquer. Rome, les prêtres , les ordres religieux, leurs vices, leur cupidité, leur mollesse exci- tent continuellement la verve de Rutebeuf. Il en veut à ces cha- noines qui vivent du dieu patrimoine, et, non contents d’avoir le vivre et le couvert, ont chacun chape fourrée, la bourse bien garnie , Les plains coffres, la plaine huche, et supportent avec patience la faim et le froid du pauvre. Dieu même n’en peut avoir aumône; aussi vont-ils à la messe, non pour s’unir à lui, mais pour les deniers qu’elle leur rapporte. (De l'Estat du Monde, 1. 1, p. 221 .) Le poète n'épargne pas ces faux dévots , qui vivaient au gré de leurs penchants et se scandalisaient des plaisirs innocents du peuple : & Faus papelars, faus ypocrite Fausse vie menez et orde. Qui vous pendroit à vostre corde Qui est en tant de lieus noée Il auroit fet bone jornée. Tels genz font bien le siècle pestre Qui par dehors samblent bons estre Et par dedens sont tuit porri ! La norrice qui vous norri Fist mult mauvèse norreture. ET RUTEBEUF. 33 Vous desfendez aus bones genz Et les danses et les caroles, Vièles, tabors (tambourins) et citoles Et déduis de ménesterez (ménétriers) : Or, me dites, sire hausrez (haut rasés, tonsurés), Mena saint Françoys tele vie ? ( De frère Denise. I, 269). Rutebeuf semble avoir réservé les traits les plus acérés pour les ordres religieux. Leur nombre lui paraît bien considérable : Tant d'ordres avons jà Ne sai qui les sonja (imagina). (Des Ordres. I, 170). Il les passe en revue et les fustige dans la satire que je viens de citer et dans les Ordres de Paris. Les Quinze-Vingts ne font que braire tout le jour, sans qu’on sache pourquoi. Les Frères- Sachets ont fait renchérir les lumignons. Ceux de la Trinité , à qui l'usage des chevaux était interdit pour leurs voyages et leurs quêtes, D'asnes ont fet roncin. C’est pour cela qu’un registre de la Chambre des Comptes , de 1330, nomme les Trinitaires qui habitaient à Fontainebleau Les Frères des anes de Fontainebliaut (Jubinal, note I, 165). Les Frères-Menus ont si près tenu les Parisiens, qu’il leur en est resté beaucoup d’avoir. Les Frères-Précheurs ou Jacobins, avec leurs dehors simples, ont amassé un trésor de bons parisis. Les Carmes ou Frères-Barrés sont cras et quarrés ; Molière et La- fontaine disaient « gros et gras ; » ils ne sont pas enserrés et ils habitent près des Béguines. Celles-ci ont la chair tendre, et si, pour la vie qu’elles mènent, Dieu leur donne la joie éternelle, saint Laurent l’acheta trop cher. Les Cordeliers , les Béguines, les Jacobins obtiennent aussi du poète l'honneur d’attaques ex- clusives dans quelques petits poèmes : Li Diz des Cordeliers, le XLII 3 34 LA SATIRE FRANÇAISE AU XIII‘ SIÈCLE Dist des Jacopins, etc. Ceux-ci, qui « quand ils vinrent au monde, entrèrent chez Humilité , » se firent bientôt une répu- tation d’avidité ; ils circonvenaient les mourants, captaient des legs pieux, s’emparaient des droits lucratifs, s’intronisaient dans . l’université. Ils acquirent une si grande autorité que Rutebeuf pui dire : Qu'il ont Paris et si ont Romme, Et si sont roi et apostole ( Les Ordres de Paris. 1, 161). À tous ces serviteurs infidèles de l'Eglise, Rutebeuf ne laisse ni trève, ni repos ; il les poursuit , il les harcelle , il multiplie ses attaques ; tour à tour il frappe de grands coups ou lance des traits légers. Son indignation a quelquefois l'accent de Ca- ton le Censeur. Plus souvent, fidèle au ton du treizième siècle, il dirige contre la licence des mœurs la licence des paroles ; semblable en ce point à Martial, c’est alors surtout que sa verve poétique s'allume et que son style a du nerf. Aujourd'hui que nous sommes habitués à voir les produc- tions de l'esprit agir sur l'opinion et sur la société avec la ra- pidité multiple de l’art typographique ; aujourd'hui que nous voyons l’audace dela parole combattue ou punie sous forme de délit de la presse ; aujourd’hui que ces poésies éparses dans quelques manuscrits, couvertes de la poussière de six siècles, apparaissent tardivement en un petit nombre d'exemplaires pour passer dans des mains studieuses, nous concevons avec un peu de peine qu’elles aïent joui d’une publicité inquiétante; que redoutées et redoutables , elles aient dù susciter à leurs auteurs des ennemis puissants et des périls. L'esprit, l’imagination même s’affranchit difficilement du temps présent. La publicité au treizième siècle avait une autre forme, mais elle n’en était pas moins la publicité. Reportez-vous au règne de saint Louis, Rutebeuf a composé une satire mordante, originale. Cent trou- vères de bas-étage , ménestriers, jongleurs, à qui la faim délie la parole comme aux corbeaux, à ce que prétend Juvénal, s’em- ET RUTEBEUF. 3) parent de ces vers nouveaux. Bientôt ils les savent par cœur. Is les récitent, si la forme en est plus libre ; si elle est lyrique, ils les chantent , en s’accompagnant ou se faisant accompagner de la harpe , de la citole, de la vielle, de la muse ou musette , de la frestèle, de la chifonie, de la gigue ou de la rote. Le peuple des chanteurs de profession et l’autre peuple, qui chante aussi, surtout en France, mais quand il n’a pas faim, écoutent avidement ces récits, ces contes, ces censures ; ils les répètent, et bientôt dans les salles des grands, dans les châteaux , à la porte des monastères, dans les rues, dans les ateliers, dans les boutiques, les cent voix de la renommée, cent fois multipliées, redisent les vers du formidable adversaire du vice. La publicité ne fait pas circuler les pensées hardies de main en main , à voix basse ou comme matière de conversation ; elle les jette en l'air ; elle les fait retentir aux oreilles ; elle en flagelle les puissants malgré l'épée qu’ils portent, les moines et les nonnes, qu’ils aient ou non un capuchon ou un béguin pour couvrir leur rougeur. Les auteurs de ce bruit, qui déchirait le tympan de tant de gens, devaient donc, à leur tour, se voir exposés à de violentes attaques ou à de sourdes persécutions mille fois plus efficaces. On ne traduisait pas les poètes devant le jury ou la cour royale ; on n'avait pas besoin de la justice, on pouvait se venger. Peut- être la calamité qui fondit tout à coup sur Rutebeuf, et dont il ne dépeint que les conséquences, fut-elle un châtiment de ce genre infligé par l'Eglise. Il parle en maint endroit, et surtout à l’occasion des ordres religieux, du danger auquel on s’expose en disant la vérité. Dans es Ordres de Paris, à propos de la puissance des Jacobins, il écrit : N'uns (nul) n’en dit voir (vrai) c’on ne l’asoume (l'assomme) Lor haïne n’est pas frivole. La satire Des Règles débute par cette introduction : Puisqu'il covient vérité tère, De parler n’ai-je mès que faire : 36 LA SATIRE FRANÇAISE AU XIII‘ SIÈCLE Vérité ai dite en mains leus (Or est li dires périlleux) À cels qui n’aiment vérité, Qui ont mis en auctorité Tels choses que metre n'i doivent. Mais la vengeance sournoise, celle de l'Eglise principalement, aimait à se tenir en embuscade, s’il faut en croire Rutebeuf, qui . renforce les traits de la satire au mépris du péril : Aussi nous peinent et déçoivent Com li gorpis ‘ ( le renard ) fet les oïsiaus. Savez que fet li damoisiaus : En terre rouge se toueille, Le mort fet et la sorde oreille ; Si vienent li oisel des nues, Et il aime mult lor venues, Quar il les ocist et afole. Aussi vous di à brief parole Cil nous ont mort * et afolé Qui paradis ont acolé. A cels le donent et délivrent Qui les aboivrent et enyvrent Et qui lorengressent les pances D’autrui chatels, d'autrui substances. Malgré ses attaques incessantes contre l'Eglise, et malgré les désordres de sa vie, notre poète n’était ni impie, ni même in- erédule. La satire du treizième siècle diffère, souvent du moins, à cet égard, de la satire du dix-huitième; et la raillerie de Rutebeuf, en particulier, n’a rien de commun avec le ricane- ! Ce motest un de ceux qui ont le plus de formes diverses dans la langue romane; en voici quelques-unes seulement : g'orpil, goorpix, houpil, houpix, verpil, verpix, vorpil, vorpis, vorpix, elc. Evidemment vulpes ou plutôt vulpis est le point de départ de ces transformations, Renar!l se présente primitivement comme un nom propre ou allégorique. 2 Des verbes aujourd’hui neutres seulement joignaient, dans la lan- gue romane, à cette signification une signification active. ET RUTEBEUF. 37 ment de Voltaire. Rutebeuf conserve La foi au fond de ce cœur déchiré par le vice ; il déplore sa propre faiblesse , l'esclavage des passions 3 il redoute l’éternité , et ne s’en cache pas. Homme de son siècle , il voit dans les croisades une cause sainte ; il la plaide comme celle de la religion même ; son ton s’élève dans ces moments , son accent est celui de la conviction et de l’en- thousiasme , en un mot, de la foi. Nous verrons tout à l’heure comment les émotions de son âme l’inspirent. Pour le talent et l’art, pour le génie poétique méme , Rute- beuf s’est placé, dans son siècle, parmi les poètes du premier ordre. Il participe pourtant à deux défauts communs alors, l’abus de l’esprit se complaisant en jeux de mots et la prolixité des détails. Qu'il trouve en son chemin l’occasion d’unir le jeu des sons aux jeux de l’esprit, d’assembler en un cliquetis une fa- mille de mots ou d’homonymes, il ne la laissera guère échapper. Luxure. DORE pe TE 3 Prend bien le loier de son oste ( hôte) ; Le cors destruit, la richece oste, Et quand elle a si tout osté, S’oste l’oste de son osté (hôtel ) : : En toz mauvès efforz s’esforce, L'âme ocist et s’en tret la force. (La Voie de paradis. I, 41, 42.) Voyez encore la Vie Sainte Marie l’Egiptianne, W, 145, et surtout dans Li Diz des Cordeliers les strophes sur le droit et le tort et sur la corde en laquelle cordée à trois cordons, ils s’encordent, etc. La prolixité des détails, qui donne le com- mentaire de la pensée au lieu de la faire saillir et de la peindre, alanguit certains passages des poésies écrites en forme plus libre, mais jamais celles que le poète a composées en strophes. La strophe est pour Rutebeuf ce que le vers est en général pour ‘ Efle enlève encore l'hôte qui l'héberge ou l’âme qu'elle habite, de son hôtel, qui est le corps. 38 LA SATIRE FRANÇAISE AU X11° SIÈCLE l'esprit, mais ce qu'il n’était pas toujours pour les faciles ri- meurs du treizième siècle : elle l’oblige à resserrer la pensée dans l'étroit canal d’où elle jaillira. Un défaut plas particulier à Rutebeuf, dans quelques-unes de ses satires, c’est l'obscurité. Tantôt la concision est extrême, conciliable, nous l’avons dit, avec le vice opposé. L'expression nerveuse , compacte, rend beaucoup de passages difficiles à entendre. D'ailleurs, toute sa- tire des mœurs contemporaines est parsemée d’allusions à des faits connus dans le moment, mais dont le souvenir se perd, à des usages dont nous n’avons plus d’idée, au sens que la mode où un événement imperceptible attache à un mot, à une locu- tion. Quelquefois, comme Perse, Rutebeuf s’enveloppe d’une obscurité prudente : le sujet et le sens de Renart le bestourné (E, 196-202) sont controversés parmiles érudits. Voy. la noteZ de Mr. Jubinal, p. 463-467. On ne peut douter pourtant que la pièce ne soit dirigée contre des seigneurs puissants : de là la cir- conspection. En somme, il n’y a pas de poète français du moyen âge auquel s’appliquent mieux qu’à Rutebeuf ces vers que son comtemporain Gauthier de Metz écrivait en 1247, au commen- cement du second livre de l'Image du Monde : Maintes coses sont en romans Dont cascuns n'entend pas le sens Encor sace-il bien le langage. La part de la critique faite, nous n'avons plus qu’une vive admiration pour l’énergie et la grâce que la concision de Rute- beuf prête à ses idées. L’avarice, dit-il, a tout enchanté; elle flétrit même l’amour, bien différent aujourd’hui de ce qu'il était. Autrefois L'en (l’on) soloit (solebat } par amors amer, L’en soloit trésors entamer, L'en soloit doner et prometre : Or ne s’en veut nus entremetre. ET RUTEBEUF. 39 Voirs est qu'Amors ne vaut mès (maintenant) riens : Amors est mès à mains (maints) amère, Se la borse n’est dame et mère. Larguesce muert et Amors change. Quar l'en dit et bien l’ai apris: & Tant as, tant vaus, et tant te pris (prise). » De vuide main vuide proiere, Quar vous oez (entendez) dire à la gent : & À l’uis, à l’uis qui n’a argent.» ( La Voie de Paradis). Quels vers et quelle vivacité! La raillerie légère , le badinage gaulois et l’atticisme parisien: dominent dans les contes et dans quelques autres pièces, et tou- jours le mouvement des vers rend celui de la pensée : Li prestres ne s’esmaie (se chagrine) mie, Qu'il seit bien qu'il at bone amie : C’est sa borce. de de (C'est li testament de l Ane). Qui fame voudroit decevoir Je li faz bien apercevoir Qu’avant decevroit l’anemi, Le déable. . . (De la Damme qui fist les trois tours entours le Moustier). Parmi les poésies qu’on peut appeler fugitives, celle De Bri- chemer est un modèle de grâce; la touche en est fine et déli- cate dans sa gaité épigrammatique. Brichemer, personnage réel, ou déguisé sous un nom supposé, ou représentant allésorique d’une race humaine dont les naturalistes ne parlent pas, aime à promettre, mais non à donner. L'auteur le raille en trois strophes, dont voici la dernière : 40 LA SATIRE FRANÇAISE AU XIII‘ SIÈCLE Ha, Brichemer! biaus très douz sire, Paié m'avez cortoisement, Quar vostre bourse n'en empire, Ce voit chascuns apertement ; Mes une chose vos vueil dire Qui n’est pas de grand coustement (coût) : Ma promesse : fetes escrire Si soit en vostre testament. Le lecteur remarquera dans ces vers le sentiment de l’harmo- nie, le redoublement des rimes et l’habile croisement des rimes féminines et masculines. D’autres pièces en strophes se distin- guent par la même sensibilité d’organisation poétique. Mais le poète varie ses moyens : dans les poèmes plus longs, les rimes croisées sont tour à tour toutes deux masculines ou toutes deux féminines , ou, commeici, alternatives en commençant une strophe par le vers masculin, une autre par le féminin. La Dis- putizons dou Croisié et dou Descroizié réunit ces diverses com- binaisons ; De Monseigneur Anseau de l'Isle , la plupart. Li Diz de Puille, Li Diz des Cordeliers sont divisés en quatrains, dont chacun n’a qu’une rime; il en est de même de La Vie dou Monde, qui débute toutefois par une strophe monorime de neuf vers. Maint littérateur a cru la versification savante plus jeune de quelques siècles, faute d’avoir étudié non-seulement Rutebeuf, mais les chansonniers du treizième siècle et méme du dou- zième : Thibaut , roi de Navarre, Colin Muset, le comte de la Marche, le châtelain de Coucy, Adam-le-Boçu et leurs rivaux anonymes. Leurs confrères modernes ont laissé tomber en dé- suétude quelques-unes de leurs charmantes combinaisons rhyth- miques, tout comme la contre-révolution opérée par Mal- herbe a dépouillé la langue de ses vieilles richesses. À supposer que le sentiment poétique des trouvères ne les eût pas guidés dans cet art mélodieux , ils l’eussent appris par les communica- ? La promesse que vous m'avez faite. I A ET RUTEBEUF. at tions qu’eurent avec la France les troubadours , possesseurs de tous les secrets de la versification possible dans les langues néo- latines. Il s’en faut donc que Rutebeuf, égaré par son entrainement et fier de sa verve , ait négligé l'étude de la science poétique. Les inspirations les plus heureuses ne fournissent que les maté- riaux de la poésie ; où l’artiste manque, je puis reconnaître, il est vrai, une vocation de poète, et ses membres épars, comme dit Horace, mais pas encore le poète même ; la poésie est un art inspiré, mais c'est un art. Le génie poétique de Rutebeuf était trop réel pour ne pas se livrer aux méditations artistiques sous l’oppression de la misère ; en ses meilleurs jours, ce qui montait de son cœur aspirait à la perfection de la forme, demandait à se produire comme une création harmonique. En ses meilleurs jours! c’étaient peut-être ceux pendant lesquels le plus de maux l’accablaient, alors que son âme, le plus douloureusement pressée de s'affranchir des misères de l’humanité, s’élevait, bien- tôt libre, vers ces régions de l’idéal où les êtres de la terre re- vétent un corps glorifié, où la lumière épure ce qu’elle éclaire, où le poète entend incessamment une mélodie intérieure, seule digne des belles formes sous lesquelles toutes choses lui appa- raissent. Contre les assauts de la vie, la poésie ouvrait à-Rute- beuf le saint asile de l'art, Là il composa le Miracle de Théophile, dont l’histoire de l'Eglise lui fournit le sujet. 11 enrichit le fond historique de cir- constances inventées , et le développa dans des situations ima- ginées avec un vrai sentiment dramatique et avec réflexion. Il introduisit une remarquable variété de tons et de couleurs dans un ouwrage de peu d’étendue; l’art a guidé le talent, sans pré- tention aux savants contrastes. Ce Miracle n’est donc pas seule- ment une composition dialoguée, mais un drame réel, anté- rieur, comme plusieurs autres, aux Mystères, dans lesquels une érudition incomplète cherche l’origine de notre théâtre. Ceux qui ont étudié l'esprit du théâtre grec seront frappés du naturel 26 = 42 LA SATIRE FRANÇAISE AU XIII SIÈCLE avec lequel Rutebeuf, qui n’a pas nommé un seul auteur de l’antiquité, passe du dialogue aux mouvements lyriques et méle les élans de l'âme à la vie de l’action. C’est la nature humaine révélée par un instinct profond ou par un esprit méditatif. Si l’art complète le talent, la conviction et l’émotion agran- dissent le sentiment de l’artiste. Rutebeuf ne remplit peut-étre nulle part plus éminemment cette double condition de la vraie poésie que dans les poèmes consacrés à la cause des croisades. et de la religion, et plus lyriques encore de fond que de forme, la Complainte d'Outre-Mer, la Nouvèle Complainte d’Outre- Mer et la Complainte de Constantinoble. L'homme et l'artiste se soutiennent l’un l’autre, ou plutôt s’identifient l’un avec l’autre pour inciter à prendre les armes monarques, princes et barons, ou pour tancer Jone escuier au poil volage qui ne songe qu’au plaisir, ou encore pour menacer, au nom de la mort et de l'éternité, Prélat, clerc, chevalier, borjois, qui vivent à leur guise trois semaines par mois, sans servir Dieu et la sainte Eplise. Tantôt, avec l’amertume charitable d’un chrétien inquiet du sort des âmes pécheresses, il rappelle aux bourgeois riches de la substance d’autrui, que tout passe ou, comme il dit : Tout va, fors l'amour Jhésu-Crit, et il ajoute immédiatement par un retour douloureux : Mais de ce n’aveiz-vos que faire ! ! Vos entendeiz (vous vous appliquez) à autre Fe Si ce mouvement n’était pas si bien senti, on le croirait habi- lement calculé. Tantôt il invite le roi de France et le roi d’An- gleterre à conquérir pendant leur jeunesse L'’oneur dou cors, le preu de l’ame. ET RUTEBEUF. 43 Dans maint passage son imagination , élevée jar la pensée de l'éternité, monte à la plus haute éloquence poétique et nous rappelle ces formidables tableaux de Massillon où le poète et lorateur se confondent : « Prince, qui ne savez combien de temps vous avez à vivre dans cette vie mortelle, que n’aspirez- vous à l’autre, séjour d’une joie sans fin! N'attendez pas que la mort sépare l’âme du corps. Trop dure serait l’attente et du- rement viendra le jour où Dieu tiendra son jugement. Alors que les plus justes d’entre les fils d'Adam auront peur d’être damnés, quand anges et archanges trembleront, que feront les âmes lâches ? De quel côté se tourneront-elles pour répondre à ce Dieu qui tient le monde dans sa main? Et nous n’avons point de demain !! » ajoute le poète, gagné lui-même par l’effroi qu'il répand. Rapprochons de ce morceau la traduction que Mr. Achille Jubinal a faite d’un autre et les réflexions dont il l'accompagne : « Quelle plus belle image, au début d’une ode, dit-il, que celle qui termine la strophe suivante : « Empe- reurs et rois, et comtes et ducs, et princes, à qui l’on récite, pour vous réjouir, divers romans touchant ceux qui combatti- rent jadis en faveur de sainte Eglise, dites-moi par quel moyen vous comptez avoir le paradis ? Ceux-là le gagnèrent, dont vous écoutez lire ces romans, par la peine et le par martyre qu'ils souf- frirent sur terre ; mais vous ?... Voici le temps! Dieu vous vient chercher, bras étendus et teints de son sang, avec lequel le feu de lenfer sera éteint pour vous. Recommencez une nouvelle vie, etc. *. » N'est-ce pas quelque chose d’imposant que de faire apparaître ainsi Jésus-Christ, avec les bras teints de sang, au-dessus des pécheurs ? » (Préface, XXIV.) On a reproché avec raison aux poètes lyriques de l’école de Malherbe de disposer et de développer leurs idées en rhéteurs. Rutebeuf ne tombe guère dans ce défaut. Son mouvement est ! La Nouvèle Complainte d’Outre-mer. 1, 112, 113. ? La Complainte d'Outre-mer. X, 91, 92. 44 LA SATIRE FRANÇAISE AU XIII‘ SIÈCLE parfois oratoire, comme on vient de le voir; il procède alors, non de la froide sagesse de la rhétorique, mais de cet enthou- siasme dans lequel la raison et le sentiment inspirent, au même degré d’exaltation , l’éloquence et la poésie. Pénétré de leur double chaleur , il apostrophe le monarque, ainsi qu'aurait pu le faire saint Bernard préchant la croisade : Ha ! rois de France, rois de France La loi, la foi et la créance Va presque toute chancelant Î (La Complainte d'Outre-mer.) Ou encore il fait entendre ces cris que l'âme souffrante laisse échapper dans les vers de Sophocle, ou que poussent dans leur ravissement douloureux les plus grands des poètes-orateurs , les prophètes : Jhérusalem, ahi! ahi! Com t’a blecié et esbahi Vaine gloire, qui toz maus brasse, Et cil qui seront envaï Et charront (tomberont) là où cil chaï Fart crieront : € Trahi ! trahi ! » (La Complainte de Constantinoble. ) Cette poésie généreuse a, comme on s'exprime aujourd'hui, un mérite d'actualité, Elle se préoccupe incessamment de la France contemporaine ou des hommes du jour. Elle ajoute, pour l’investigateur moderne, des révélations et des détails à ceux qu’il trouve dans les chroniqueurs ; elle complète Join- ville, éclaire de quelques rayons de lumière les personnages éminents des croisades, les ordres religieux, les mœurs des trouvères, certains usages qui tombaient en désuétude. Les lit- térateurs et les amis de la vérité historique ont de grandes obligations à la savante patience de Mr. Jubinal; il a réuni ET RUTEBEUF. 45 dans ses notes et ses éclaircissements des renseignements épars, pour jeter du jour sur les allusions du poète aux événements, aux coutumes ou aux personnes de son époque. L’ingénieuse érudition de l’éditeur a compulsé et rapproché poètes, histo- riens et chartes. Beaucoup de lecteurs lui devront, sinon la facilité de lire Rutebeuf, du moins la possibilité d’en faire une étude. Nous aimons à lui faire encore un emprunt, pour terminer cette notice par ses observations sur un dernier caractère de la poésie de Rutebeuf qui se rattache à ce que nous venons de dire, « c'est la nationalité, si l’on peut appliquer ce mot à une chose du treizième siècle. Notre poète ne connaît ni Didon, ni Enée, ni Homère, ni Ovide, ni les autres écrivains de antiquité (du moins il ne les nomme jamais), et s’il parle de Troie, il ne le fait qu’accessoirement (voyez t. Il, p. 415). Ses connais- sances littéraires sont puisées à des sources plus modernes : ce qui linspire, c’est la lecture de nos grandes époques carlovin- giennes et celle des autres œuvres romanes contemporaines. Il cite, en effet, le roman d’Aio!, celui d’'Faumont, le fabliau d’Audigier, le Roman du Renart, la légende de Prestre-Jehan, etc. ; mais nulle part il ne fait allusion aux Grecs et aux Ro- mains. Ce n’est pas un fils d'Athènes ou de la ville éternelle , c'est un enfant de Paris. » C. Monwarp. Grienres médicales. MÉMOIRE SUR LA RÉFORME DES QUARANTAINES, ADRESSÉ A SA MAJESTÉ CHARLES-ALBERT , ROI DE SARDAIGNE, ETC., par L.-A. Gosse, M.-D. DIS Ie — Sire, Admis en 1840 à l’honneur de présenter mes hommages à Votre Majesté , j'eus l'avantage de lui exposer mes idées sur la réforme des quarantaines maritimes. J’insistai en particulier sur la nécessité de réduire à 1 4 ou 15 jours les quarantaines de peste, à 6 jours celles de fièvre jaune , à quelques heures la purifica- tion des marchandises, par le moyen d’une chaleur sèche éle- vée, ou de l’eau de mer ; et Votre Majesté, empressée à saisir tout ce qui peut être utile à ses sujets et à l'humanité , daigna m'écouter avec bienveillance, en m’engageant à lui donner des preuves de ce que j'avançais. Encouragé par de semblables témoignages d’intérét de la part de Votre Majesté, désireux surtout de mériter son auguste approbation, je me suis occupé dès lors de réaliser ces projets de réforme, et c’est avec confiance que j’ose me permettre de lui offrir le résumé de mes recherches et de mon travail. Je suis parti du principe que les lois quarantenaires , adop- tées depuis 300 ans en Europe, sont incomplètes ou exagérées ; qu’elles sont parfois basées sur des faits mal observés ou sur une routine aveugle ; qu'elles ne sont point à la hauteur des progrès qu'ont faits les sciences médicales ; enfin que, tout en ne rendant qu’un service souvent équivoque sous le rapport sanitaire , elles sont en désharmonie avec les besoins actuels de la société, ou les intérêts du commerce. 1 Le RÉFORME DES QUARANTAINES. Pour le prouver je me fonde : 1° Sur l'ignorance où l’on a été jusqu'à ce jour des lois générales de la contagion ; d’où est résulté l'absence de don- nées relatives à la formation des principes contagieux, aux conditions de leur développement et de leur existence , et aux moyens de les prévenir ou de les combattre. 2° Sur la confusion établie entre les divers principes con- tagieux, et qui fait que l’on a appliqué mal à propos à toutes les maladies contagieuses les mêmes lois de quarantaine. 3° Sur le vague qui règne dans le langage médical, sous le rapport de la contagion et de l’incubation , des endémies, des épidémies, et des contagions épidémides. De là les interminables discussions sur les maladies conta- gieuses et infectieuses, de là l'incertitude sur la durée réelle de lincubation, de là l'adoption de mesures quarantenaires sou- vent opposées au but qu’on se proposait. 4° Sur l’observation imparfaite de la peste, en particulier de son mode de propagation, de sa marche et de ses termi- naisons, d’où est résultée la difficulté de régler judicieusement les moyens propres à prévenir ou à modérer le développement de cette maladie. 5° Enfin sur l'existence d'une foule de préjugés médicaux à l'époque où ont été établies les premières lois de quarantaine, et qui ont été détruits peu à peu, sans qu’on ait songé à modi- fier les lois qui s’y rattachaient. Quant au premier point, je crois être arrivé dès 1823 à la solution la plus vraisemblable du problème, et j’ai fait connaître en 1825, dans un Mémoire publié plus tard’, la loi qui pa- rait présider au développement des principes contagieux, et qui est la suivante: « Toute maladie, pour devenir contagieuse, doit présenter des accidents inflammatoires sur les surfaces ! Des maladies rhumatoïdes. Mémoire communiqué à la Société Helvétique des Sciences naturelles, séante à Soleure, le 27 juillet1825; 1 vol. in-8°. Geneve et Paris, 1826. 48 RÉFORME DES QUARANTAINFS. du corps en communication avec l'atmosphère. Cette loi tend à mettre d'accord les contagionistes et les anticontagionistes , elle fournit de plus les moyens de prévenir la reproduction du principe contagieux chez l'individu malade , et par conséquent permet d’étouffer dès leur début les maladies contagieuses. — J’ai cherché à prouver que les principes contagieux peuvent se développer spontanément sous certaines conditions spéciales ; que leur composition chimique se rapporte à celle des substan- ces organiques animales ; qu’ils possèdent une existence indé- pendante, et qu'ils suivent ainsi les lois générales de la vitalité. — Après avoir développé leur mode d’action, j'ai établi les circonstances qui les favorisent, les affaiblissent ou les détrui- sent. — J’ai ensuite précisé les conditions, qui favorisent ou non l'introduction dans le corps du principe contagieux, et j'ai démontré la nécessité d'admettre une prédisposition indi- viduelle du système nerveux, qui s’accompagne constamment d’un affaiblissement temporaire ou permanent de l’énergie vi- tale, pour expliquer les anomalies que présente ce phénomène. — L'examen des effets de l’habitude m’a permis d’aborder plu- sieurs questions intéressantes sous le rapport des influences contagieuses. — Les modifications introduites dans l’économie animale par l’action des principes contagieux et les influences réciproques de ces principes suivant la nature de leur origine, _ m'ont aussi fourni les moyens de régler l’application de la fa- culté préservatrice que l’on reconnaît à quelques-uns d’entre eux. Quant au deuxième point , j'ai distingué les principes conta- gieux qui se présentent sous forme fixe de ceux qui apparaissent sous forme volatile; les premiers ne s’introduisant en général qu'à la surface de la peau et à la naissance des membranes mu- queuses, ou par inoculation sous l’épiderme ; les seconds, pou- vant pénétrer par la bouche et par le nez jusqu'à la surface des membranes muqueuses internes, pour agir de là directement sur les centres nerveux. — J’ai prouvé que, parmi les princi- RÉFORME DES QÜARANTAINES. 49 pes contagieux , il en est qui se présentent constamment sous forme fixe (la syphilis, la gale, etc., etc.), ou sous forme vola- tüle (la fièvre jaune , le choléra asiatique, le typhus, la scarla- tine, etc., etc.); d'autres qui prennent tantôt le caractère fixe, tantôt le caractère volatil (la peste, la variole, ete., etc.), et j'ai fait remarquer qu’il est des principes contagieux qui de nos jours sont constamment fixes , mais qui à une époque an- térieure étaient tantôt fixes, tantôt volatils (la syphilis, la lèpre), si du moins l'on doit s’en rapporter aux auteurs de l’époque ; enfin j'ai rappelé que, parmi les principes contagieux volatils, il paraîtrait qu'il en est de plus ou moins légers, de plus ou moins volatils , et que le même principe contagieux devient plus ou moins volatil, suivant son degré d'activité et certaines condi- tions atmosphériques. — J'ai, en outre, fait observer que l’in- cubation des principes contagieux fixes est constamment plus prolongée que celle des principes contagieux volatils. — D'où J'ai conclu que les diverses maladies contagieuses ne sauraient être soumises aux mémes lois de quarantaine , et que les me- sures quarantenaires doivent même varier suivant les change- ments de forme que peuvent subir quelques-unes d’entre elles. Quant au troisième point, j’ai cherché à régler la valeur du mot contage, en bornant cette expression au principe morbide qui mis en contact, sous forme fixe ou volatile, avec la sur- face de la peau ou des membranes muqueuses, ou bien qui, introduit accidentellement en dessous de cette surface , déter- mine dans le corps des accidents maladifs identiques, ou sem- blables, à ceux qui lui avaient donné naissance, — J'ai désigné par le nom de virus ceux des contages qui se présentent sous forme solide ou liquide, et par celui de miasmes contagieux, ceux qui sont volatils. J'ai réservé l’expression d'infection à l'influence délétère qu’exercent sur l’économie animale certai- nes substances altérées, ou un air vicié par des émanations nui- sibles non contagieuses, — La détermination de ce qu'en doit entendre par endémies, épidémies et conlagions épidémides, a XLII 4 50 RÉFORME DES QUARANTAINES. découlé de ces premières données, et m’a indiqué la marche à suivre dans l’adoption des diverses mesures sanitaires. — Enfin, pour étre conséquent à la valeur des termes, j’ai limité la durée de la phase latente de la maladie connue sous le nom d’incubation, au temps qui s'écoule entre l'introduction primi- tive du contage, et la première apparition des symptômes ma- ladifs quelconques , tandis que plusieurs pathologistes l’éten- dent jusqu’au moment de l’apparition des symptômes caracté- ristiques de la maladie contagieuse spéciale. — Dès lors s’apla- nissent les difficultés qui se sont élevées entre les contagionistes et les mfectionistes, dès lors cessent aussi quelques-unes des in- certitudes qui pouvaient entraver la fixation des quarantaines. Relativement au quatrième point, l'étude de la peste que j'ai faite avec soin en Grèce pendant les années 1827 et 1828", m'a permis de démontrer jusqu’à l’évidence la contagiosité de cette maladie, sous les deux formes virulente et miasmatique , et de m'assurer que, suivant l'introduction du contage pestilentiel par la peau, ou par la bouche et le nez, l’incubation ou les symp- tômes maladifs présentent une marche très-différente dans les deux cas. J’ai pu, en conséquence, appliquer à cette maladie un traitement plus rationnel, je l’espère, qu’on ne l'avait fait jus- qu’à ce jour, et les succès que j'ai obtenus sont venus appuyer la rationalité de ce traitement , ainsi que des mesures complé- mentaires que j'avais adoptées. — Les documents que j'ai re- cueillis sur l’origine de la peste et de la fièvre jaune, m’ont en outre facilité l’explication des anomalies apparentes qu'offrent ces maladies en dedans ou en dehors du lieu de leur naissance, et m'ont permis de déterminer plus exactement la valeur de certaines patentes sanitaires. Quant au cinquième point, qui se rattache à tous les au- tres,"j'ai signalé, à l’exemple de plusieurs écrivains modernes, quelques-uns des préjugés qui ont présidé à l'établissement des lois quarantenaires actuelles, ou qui en favorisent la conserva- * Voyez sur ce travail Bibl. Univ., juillet 1838 (vol. XV[), p. 134. e RÉFORME DES QUARANTAINES. »{ tion, et j'ai réclamé à ce propos la réforme des abus dans | inté- rét méme de la santé publique. J'ai prouvé, en particulier, que la méthode adoptée dans les lazarets de Livourne, de Gênes, etc., ctc., pour la purification des balles de coton et de laine, était ou tout à fait illusoire, ou des plus inhumaines, et les di- recteurs de ces lazarets n'ont pu en disconvenir. Ces diverses lois, ainsi que plusieurs autres qui en sont les corollaires , appuyées de faits et d’autorités , ont servi de base à un Mémoire sur les maladies contagieuses et épidémiques, dont je m'empresserai de faire hommage à Votre Majesté, dès qu’il sera complétement rédigé. Résumant les faits principaux et avérés qui doivent servir de base aux lois quarantenaires , applicables surtout à la peste et à la fièvre jaune, nous trouvons : 1° Que la peste est endémique dans la Basse-Egypte, vers l'embouchure du Nil, et que dans cette localité, où elle prend naissance spontanément sous l'influence de diverses causes ex- térieures , il se peut qu’elle ne soit pas toujours contagieuse , mais qu'en dehors de ce rayon elle se propage constamment avec des caractères contagieux. 2° Que la fièvre jaune , endémique en Amérique, offre les mêmes phénomènes que la peste, quant à la contagiosité, en dedans et en dehors de l'endémie. 3° Qu’en outre l’une et l’autre de ces maladies peuvent ou ne peuvent pas reproduire leur principe contagieux, suivant la loi générale de contagion que j'ai établie plus haut, c'est-à-dire, suivant qu’elles présentent ou non des réactions inflammatoires, condition indispensable à la reproduction du contage*. 1 C’est par cette raison que toute circonstance qui empêche le déve- loppement de la réaction inflammatoire s’oppose à la reproduction du principe contagieux, et c’est parce que les contages n’ont pas eu le temps de se reproduire, que les individus foudroyés par les miasmes de la peste ou de la fièvre jaune ne propagent pas la contagion, quoique les acci- dents aient été très-violents, tandis qu’une maladie, moins brusque et moins grave en apparence, développe plus facilement le principe conta- gieux. 52 RÉFORME DES QUARANTAINES. 4° Que le contage de la peste est tantôt virulent, tantôt miasmatique ; qu’il se présente ordinairement sous la première forme dans les cas les moins graves , chez les individus isolés, en plein air, dans les saisons froides ou sèches, et dans l’inter- valle des contagions épidémides (peste sporadique , peste des pauvres), et qu’il est en général importé en Europe sous cette forme , à l’aide des effets ou des marchandises, ou par le fait des malades atteints de peste en route, mais qu’il devient mias- matique et se conserve sous cette forme, surtout dans les lieux où il n’y a pas de renouvellement d’air, où existent des agglomérations d’individus malades , et sous certaines condi- tions atmosphériques. 5° Que le contage de la fièvre jaune est toujours miasma- tique, et qu'il est importé en Europe, surtout par le moyen d’in- dividus malades ou d’un air non renouvelé dans l’intérieur des bâtiments, plus rarement par son adhérence ou sa condensa- tion à la surface, et dans les pores des vétements ou de cer- taines marchandises. 6° Que le contage de la peste sous forme miasmatique, et le miasme de la fièvre jaune, ne sont pas volatils au même de- gré ; celui de la peste est plus pesant, d’où résulte que la peste se présente moins souvent que la fièvre jaune sous forme de contagion épidémide. 7° Que les contages de la peste et de la fièvre jaune peu- vent se conserver intacts pendant un temps plus ou moins long en dehors du corps humain, à la surface de certaines sub- stances poilues ou poreuses (substances contumaces ‘), dans un : air non renouvelé, où dans une température égale et moyenne entre 0 et 25 degrés Réaumur. Cette faculté est très-marquée dans la peste virulente, beaucoup plus faible pour le miasme de la fièvre jaune. 8° Que les contages de la peste et de la fièvre jaune peu- vent être en contact immédiat avec le corps , sans pour cela y Voyez sur cette expression la note de la page 110. RÉFORME DES QUARANTAINES. 93 pénétrer de suite nécessairement, et qu’excepté peut-être dans quelques cas où l’activité de ces contages est très-grande, il faut presque toujours admettre la coopération de la prédispo- siion individuelle. Il est donc absolument nécessaire d'isoler tout à fait le corps des individus suspects, soit des substances contumaces et surtout de leurs vêtements, soit de l’air qui pour- rait contenir les miasmes contagieux, et en même temps de sou- mettre le corps à des lavages ou à des bains, avant de fixer l’é- poque présumable où commence l'incubation de ces contages. (Voyez, à la fin de ce mémoire, Documents n° |.) 9° Que la durée de l’incubation du virus pestilentiel, établie d'après cette règle, n’est que de 12 jours dans les cas les plus prolongés, et que celle du miasme pestilentiel ne va pas au delà de 5 jours dans les cas ordinaires. (Voy. Documents n° 2.) 10° Que la durée de l’incubation des miasmes de la fièvre jaune, d’après cette même règle, ne s’étend pas au delà de 4 jours. (Voyez Documents n° 3.) 11° Que l’activité des contages de la peste et de la fièvre jaune est favorisée par l'influence concomitante d’une tem- pérature élevée, de l'humidité, et vraisemblablement de l’élec- tricité atmosphérique, par des variations brusques du froid au chaud et du sec à l'humide, par un traitement intempestif, ainsi que par l’agglomération des malades dans un air non renouvelé. 12° Que leur activité est en revanche diminuée par la sé- cheresse continue, une température basse, le renouvellement d’air, certaines conditions d’électricité atmosphérique , l’isole- ment des malades, un traitement rationnel, etc., etc. La tempé- rature basse, au-dessous de (° Réaumur, va même jusqu’à sus- pendre la contagiosité, s’il ne la détruit pas, surtout lorsqu'elle alterne brusquement avec une température élevée. 13° Que les contages de la peste et de la fièvre jaune sont détruits par l'exposition prolongée au grand air, ou par un re- nouvellement actif et constant de l'air, par une chaleur sèche qui dépasse 40° Réaumur, par l'immersion ou le séjour dans 54 RÉFORME DES QUARANTAINES. l’eau bouillante, dans l’eau de mer, par divers agents chimi- ques, et peut-être par une simple pression mécanique‘. Le pre- mier de ces moyens, quoique pouvant être d’une application plus générale que les autres, offre l’inconvénient de nécessiter un emploi assez prolongé, pour s’assurer de la destruction com- plète des contages, et des locaux abrités très-vastes pour sa mise à exécution. Les agents chimiques ont contre eux d’altérer certaines substances contumaces, mais ils sont indiqués pour la destruction des miasmes, là où le renouvellement de l’air est dif- ficilement applicable. La chaleur sèche élevée, en particulier portée à 70° Réaumur, ainsi que l’eau salée, donnent un résul- tat plus généralement satisfaisant, sous le rapport de la promp- titude, de la facilité et de l’économie (voyez Documents 4, 5, 6 et 9), et cela sans altérer les substances contumaces (voyez Documents n° 7). Si l’influence de la compression sur les con- tages se confirme, ele contribuera aussi à accélérer la purifi- cation des ballots de marchandises (voyez Documents n° 8 et 9). 149 Que si l'isolement complet des malades entre eux di- minue Pactivité des contages de la peste et de la fièvre jaune, et par conséquent leur chance de contagiosité , si surtout cet isolement est reconnu avantageux comme préservatif dans la contagion virulente de la peste, il ne faut pas trop s’y fier dans la contagion miasmatique. En particulier les mesures d’isole- ment quarantenaire, les cordons sanitaires, etc., etc., sont souvent insuffisants, et par conséquent plutôt nuisibles dans les cas où la fièvre jaune se présente sous forme de contagion épt- démide dans les grandes populations agglomérées. La disper- sion de ces populations est un moyen plus sûr, dans ce cas, d’arrêter les progrès du fléau. Cela posé, et convaincu que je suis que pour que les lois de quarantaine soient efficaces , il faut qu'elles soient strictement ‘ La mort, en éteignant la vie des malades, paraît également éteindre la vitalité de certains contages, ear les cadavres des pestiférés et de ceux qui ont succombé à la fièvre jaune ne communiquent plus la maladie. RÉFORME DES QUARANTAINES. 59 exécutées, que dans ce but elles ne doivent point porter le ca- chet de l'arbitraire, ni être trop vexatoires ; convaincu, d’autre part, comme je l’ai dit, que les lois quarantenaires maritimes actuellement existantes présentent ces défauts, et que sans don- ner plus de sécurité sous le rapport de la santé publique, elles nuisent à l’industrie et au commerce, je propose de leur sub- stituer les règles générales suivantes : Pour les individus, venant des Echelles du Levant ou de l'Afrique, sur des bâtiments avec patente brute, et pour les « personnes qui auraient été en contact avec des malades suspects ou des pestiférés. Si ce sont des bätiments de commerce, qu'ils aient ou non des marchandises contumaces à bord, la quarantaine de ri- gueur pour les personnes sera de 14 ou 15 jours, en la datant de l’époque où, ayant été débarquées dans le lazaret, elles auront cessé d’être en communication quelconque avec les malades, les eflets ou les marchandises contumaces, et en par- ticulier du moment où, après leur avoir ôté leurs vêtements et fait prendre un bain de mer, on leur aura remis de nouveaux vêtements quarantenaires. Les hommes de l’équipage qui res- teront à bord, ne commenceront cette quarantaine de rigueur, que lorsque tous les effets ou marchandises contumaces seront débarqués , que l’intérieur du bâtiment sera nettoyé et purifié, qu'ils se seront baignés, qu’ils auront endossé de nouveaux vé- tements quarantenaires, et qu'ils seront établis sur le pont, pré- alablement lavé avec de l’eaù de mer. Les contumaces seront visités à leur débarquement, et tous les jours de la quarantaine, par le médecin du lazaret. S’il se manifeste parmi eux des ac- cidents de maladie suspecte, les individus qui en seront atteints seront aussitôt placés isolément dans l’infirmerie du lazaret , et si les accidents sont ceux de la peste, le gardien ou autres per- sonnes qui auront été en contact avec les malades subiront une nouvelle quarantaine de 14 jours, après avoir été préalable- 56 RÉFORME DES QUARANTAINES. ment baignés dans l’eau de mer, avoir endossé de nouveaux vêtements quarantenaires, et avoir été transportés dans un autre local. — Les véiements, effets, marchandises, et le bâtiment même seront soumis aux mesures de dépuration indiquées plus tard. —Si la peste a Cclaté à bord d’un bâtiment pendant la traversée, les malades seront isolés immédiatement et placés dans un endroit dont l’air soit constamment renouvelé (sur le pont, par exemple, si l’espace et le temps le permettent). — Le local qui aura servi aux malades sera convenablement purifñif. En cas de mort, le cadavre sera immédiatement jeté à la mer avec ses hardes et sa literie. À terre le cadavre sera également plongé dans l’eau de mer ou dans une eau chlorurée, et ne sera enterré que lorsqu'il sera complétement refroidi. Ses vête- ments et sa literie pourront être purifiés par l’eau de mer, à moins qu’on ne préfère les livrer aux flammes. — La durée de la quarantaine pour les convalescents sera réglée sur la per- sistance ou la cessation des sécrétions ou des excrétions mor- bides contagieuses, et on ne négligera pas de prescrire des bains tièdes salés vers sa terminaison. Les bdtiments de l'Elat qui, quoique ayant touché à un port du Levant ou de l'Afrique où règnerait la peste, n’y auraient embarqué ni débarqué personne, et n’y auraient reçu aucun pa- pier, ni effets, ni vivres, sans les avoir préalablement purifiés, sous la responsabilité des capitaines , pourront être immédiate- ment reçus en libre pratique, s’il s’est écoulé 6 jours depuis teur départ du lieu infecté, s’il ne s’est manifesté à bord, dans cet intervalle, aucun cas de maladie suspecte, et qu’ils n'aient communiqué directement avec aucun bâtiment suspect. — Si ces bâtiments ont communiqué avec le lieu infecté, et ont dé- barqué des gens de leur équipage, mais que les capitaines , sous leur responsabilité, aient eu soin, avant de leur permettre la rentrée à bord, de leur faire enlever leurs vêtements, de les faire baigner et de leur donner des vêtements propres en ren- trant, que de plus les vétements ou autres effets, papiers, ali- RÉFORME DES QUARANTAINES. 57 ments, animaux embarqués, ete., etc., aient été purifiés avant le départ, on pourra retrancher de leur quarantaine de rigueur de 14 ou 15 jours, le nombre des jours de navigation qui se sont écoulés depuis leur départ du dernier lieu infecté jusqu’à leur arrivée, pourvu que dans la traversée ils n’aient eu aucune communication directe avec des bâtiments suspects, et qu’il ne soit survenu à bord aucun accident de maladie suspecte. — Dans les cas contraires, les bâtiments de l’état seront soumis à la quarantaine de rigueur, et aux mêmes règles sanitaires que les bâtiments de commerce. Pour les individus venant des Echelles du Levant ou de l’A- Jfrique, sur des bâtiments avec patente suspecte. Si ce sont des bdtiments de commerce, la quarantaine de rigueur des personnes sera aussi de 14 ou 15 jours, lorsque ces bâtiments auront embarqué des effets ou des marchandises contumaces, provenant de pays sous patente brute et suspecte. — S'ils n’ont embarqué aucune marchandise contumace, ou si leurs marchandises contumaces proviennent de pays en libre pratique, et que les capitaines au moment du départ et sous l'inspection des consuls résidants, aient pris pour les passagers et les équipages les précautions indiquées pour les bâtiments de l’état, en même temps que les effets ou hardes auront con- tinué d’être aérés sur le pont pendant la traversée, la quaran- taine de rigueur de 14 ou 15 jours, sera diminuée pour les personnes suivant la règle établie ci-dessus pour les bâtiments de Pétat, à moins que dans la traversée ils n’aient eu des com- munieations directes avec des pays ou des bâtimens suspects , et qu'il ne se soit manifesté à bord des accidents de maladie suspecte , dans quel cas la quarantaine de rigueur sera exécu- toire. — Toutefois, si la patente est fort suspecte, quoique les bâtiments de commerce n’aient embarqué que des marchandises non contumaces ou provenant de pays en libre pratique, qu'ils soient restés au moins 15 jours en route, et qu’ils n'aient eu D8 RÉFORME DES QUARANTAINES. dans cet intervalle aucune communication ni aucune maladie suspecte, on fera subir aux passagers et aux équipages de ces bâtiments une quarantaine d'observation de 4 à 3 jours, pen- dant laquelle on purifiera de nouveau leurs hardes et leurs ef- fets. Le tout sous la responsabilité des capitaines ou des pro- priétaires de ces bâtiments. Les bétiments de l'état avec patente suspecte, seront soumis aux mêmes règles que ceux qui naviguent avec patente brute; seulement le minimum de 6 jours ne sera pas exigé. Pour les individus venant des Echelles du Levant et de l'Afri- que, sur des bâtiments avec patente nette. Si ce sont des bdtiments de commerce qui n’aient embarqué aucune marchandise contumace, ou qui n’aient admis que des marchandises contumaces provenant de pays en libre pratique, et qui n'aient eu en route aucune communication suspecte, ni présenté aucun cas de maladie suspecte , les passagers et les équipages seront reçus en libre pratique , même lorsque la tra- versée aurait duré moins de 15 jours. Dans le cas contraire ils seront soumis à la quarantaine de rigueur. Par des raisons ana- logues, si, par une circonstance quelconque, ces bâtiment sont embarqué des marchandises contumaces provenant de pays sous patente brute ou suspecte , et qu’ils n’aient pratiqué au- cune purification préalable, ils seront soumis aux règles de la patente brute ou suspecte. Les bâtiments de l’état jouiront à plus forte raison de droits semblables sous les mêmes restrictions. Pour les individus venant d’ Amérique, sur des bâtiments avec patente brule, et pour ceux qui auraient été en contact mé- dial ou immédiat avec des malades atteints de fièvre jaune. Si ce sont des bdtiments de commerce, la quarantaine de rigueur des personnes sera de 6 jours, en ayant soin d’user préalablement des mêmes précautions que dans la peste, pour ce RÉFORME DES QUARANTAINES. 59 qui concerne les bains et le spoglio !. Quant à l'équipage qui reste à bord, cette quarantaine ne commencera que du jour où les marchandises auront été débarquées et où l’intérieur du bâ- timent aura été ventilé ou fumigé dans toutes ses parties pen- dant 24 heures. S'il y a eu des malades ou des morts de fièvre jaune à bord dans la traversée, l’aération et les fumigations du bâtiment se prolongeront jusqu'à 48 heures, et la quarantaine de l’équipage s’exécutera sur le pont, pendant laquelle l’inté- rieur du bâtiment continuera d’être ventilé. — S'il se manifeste quelque cas de fièvre jaune durant cette quarantaine, on en re- commencera une nouvelle à dater de cet accident, en insistant sur les fumigations ou sur la ventilation, et en ayant soin préa- lablement d'isoler les malades, de changer de nouveau les vête- ments, ou de baigner dans l’eau de mer équipage et passagers. Les bétiments de l'Etat qui, quoique ayant séjourné dans un port d'Amérique où régnerait la fièvre jaune, auront eu soin, en embarquant les hommes de l’équipage, de les soumettre au spoglio et au bain de mer, et de n’admettre à bord aucune marchandise ni substance contumace, sans purification préa- lable, qui, dans la traversée, auront eu la précaution de ven- tiler ou de fumiger les diverses parties du bâtiment, ainsi que les effets et hardes de l'équipage , qui n’auront communiqué di- rectement pendant la traversée avec aucun bâtiment suspect, et qui n’auront eu à bord aucune maladie suspecte, le tout sous la responsabilité des capitaines, seront admis de suite en libre pratique. En cas contraire , ils seront soumis à la quarantaine de rigueur de 6 jours. Pour les individus venant d'Amérique, sur des bâtiments de commerce avec palente nelle. Que ces bâtiments aient ou non à bord des marchandises contumaces, ils seront tout de suite admis en libre pratique, ainsi # * Le spoglio, dans les lazarets de la Méditerranée, signifie l'échange de toutes les hardes suspectes, contre de nouveaux vêtements qui n'ont pointété exposés à la contagion. 60 RÉFORME DES QUARANTAINES. que leurs effets et marchandises, pourvu que dans la traversée ils n'aient eu aucune communication directe avec des bâtiments suspects, et qu'ils n'aient eu à bord aucune maladie ni aucune mort suspecte. Pour les effets, vétements ou marchandises contumaces venant du Levant ou de l Afrique, sous patente brute ou suspecle, el susceplibles d'être altérés par l’eau ou les agents chimi- ques , tels que cotons, laines, étoupes, chanvre, lin , soies, pelleteries, toiles, chiffons, étoffes , draperies, plumes , pa- piers, couleurs, cuirs verts et travaillés, galons, crins, enveloppes contumaces, etc., etc. Ils seront soumis dans une étuve à une température sèche de 70 degrés Réaumur, 87 centigrades, 189 Fahrenheit, pendant 24 heures au plus lorsqu'ils seront en ballots, ou pendant 6 heures au plus lorsqu'ils seront déployés. — Si l'influence dépurative de la simple pression se confirme, les ballots soumis à la presse hydraulique seront par ce fait considérés comme purifiés intérieurement, et par conséquent on ne leur appliquera la chaleur sèche que pendant 6 heures, comme pour les marchandises déployées ou les simples enve- loppes. — Le sciorino ' préalable serà supprimé.— Quant aux lettres et papiers écrits, on préférera également la simple cha- leur sèche élevée ou le passage à travers la flamme, à limmer- sion dans l’eau acide et à l'exposition à des vapeurs chlorurées ou sulfureuses, d’autant plus que ces derniers moyens altèrent quelquefois la texture du papier ou certaines encres ordinaires, et qu'ils exigent d’ailleurs l'ouverture des lettres, ce qui n’est pas à craindre ou n’est pas nécessaire avec la simple chaleur sèche. L'expérience déterminera les précautions à prendre pour empé- cher l’altération des cachets. ! On donne le uom de seiorino (la sereine ) à la mesure qui impose aux bâtiments l'obligation d’aérer les hardes et effets de l'équipage ou des passagers quelques jours avant de commencer leur quarantaine, RÉFORME DES QUARANTAINES. 61 Pour les effets, vêtements ou marchandises contumaces venant du Levant ou de l'Afrique, sous patente brute ou suspecte, qui ne sont point altérés par l’eau ou les agents chimiques, tels que cire, éponges, corail brut, etc., etc. Ils seront plongés dans l’eau de mer ou dans des eaux acidu- lées , ou fumigés avec des vapeurs acides ou chlorurées, et y séjourneront pendant 24 heures. Les vétements et linges de l'équipage ou des passagers contumaces, qui leur seront enle- vés au moment du départ d’un lieu infecté ou suspect avant de monter à bord d’un bâtiment qui veut jouir d’une diminution de la quarantaine, pourront étre aussi plongés dans l’eau de mer, à moins qu'on ne préfère les fumiger avec des vapeurs chloru- rées ou sulfureuses , ou les exposer à une chaleur sèche de 70°R., dans un petit appareil établi ad hoc en dehors des bâti- ments. — On continuera de passer les monnaies , les légumes, les viandes, etc., dans l'eau de mer, l’eau vinaigrée ou méme dans un courant d’eau fraîche et pure. Les animaux vivants, après avoir été préalablement soumis à des lavages ou à des bains, soit dans l’eau de mer, soit dans une eau chlorurée, pourront être également livrés immédiate- ment en libre pratique. Pour les effets, vêtements ou marchandises contumaces venant d'Amérique, sous patente brute ou suspecte. » On en agira de même que pour les précédents ; mais le sé- jour dans la température sèche de 70° R. ou dans l’eau de mer, ou dans les vapeurs acides, sera diminué de moitié pour les marchandises déployées ou les enveloppes contumaces, c’est- à-dire qu'on ne le prolongera pas au delà de 3 heures. Quant aux marchandises non contumaces, mais enveloppées dans des matières contumaces , on prendra les précautions né- cessaires pour les isoler de leurs enveloppes , et celles-ci seront traitées selon les règles ci-dessus décrites avant d’être expédiées. en] t RÉFORME DES QUARANTAINES. Pour la dépuration des bâtiments. L'intérieur des bâtiments, après avoir été nettoyé soigneuse- ment dans toutes ses parties, sera, suivant les cas, lavé avec l’eau de mer ou blanchi à la chaux, ou fumigé avec des vapeurs chlorurées ou sulfureuses, ou nitreuses , et dans tous les cas aéré ou ventilé pendant au moins 24 heures, L’eau de la sentine sera renouvelée ou remplacée par une solution de chlorure de chaux ou de soude. — On insistera spécialement sur l’aération et la fumigation de toutes les parties des bâtiments venant de l'Amérique ; le renouvellement et l’épuration de l’eau de la sen- tine seront même exécutés avant l’entrée de ces bâtiments dans le port, lesquels seront isolés des autres dans la quarantaine. Telles sont les modifications principales que me paraissent devoir subir les règlements sanitaires européens dans les laza- rets dela Méditerranée. J’ajouterai seulement que, pour la pra- tique, ces règlements doivent être rédigés en détail avec assez de soin, afin de laisser le moins possible d’arbitraire à l'admi- nistration chargée de leur mise à exécution, et pour qu’il y ait uniformité de vues et d’application. Par cette raison, il importe de déterminer officiellement ce qu’on doit entendre par ma- ladie suspecte et par communication directe avec un bâtiment suspect. . La valeur de la patente mérite aussi d’être réglée d’une ma- nière plus positive qu’on ne l’a fait jusqu'à ce jour. D’abord la fixation de cette patente devrait émaner dans chaque échelle de l'avis combiné du consul résidant et d’un médecin instruit , assermenté, convenablement rétribué, et spécialement chargé de recueillir les informations officielles sur la santé du pays (le méme pouvant être employé aux divers consulats). Ensuite la valeur de la patente devant varier, suivant le point de départ, la nature et la marche des maladies contagieuses existantes, ou RÉFORME DES QUARANTAINES. 63 suivant les saisons de l’année, chacune de ces conditions devra être bien déterminée pour qu'il n°y ait pas d’équivoque. Pour l'Egypte, par exemple, siége endémique de la peste, dont le principe contagieux fixe peut se conserver assez long- temps intact dans certaines circonstances , en dehors des ma- lades , les quarantaines d’observation qui ont été établies dans ce pays par le gouvernement actuel de Méhémet-Ali, ne peu- vent tout au plus qu’empécher la réintroduction en Egypte de la peste contagieuse depuis l’extérieur, ou diminuer l'intensité de la maladie lorsqu’elle s’y manifeste sous l’apparence de con- tagion miasmatique et surtout de contagion épidémide ; mais elles n’empécheront pas la maladie de se reproduire dans la Basse-Egypte, vers l'embouchure du Nil, et de se propager comme contagion virulente au centre d’une population misé- rable. Par conséquent , la patente qui y est délivrée doit être toujours considérée comme brute ou suspecte (du moins dans l’état actuel de la science et de la civilisation), malgré la cessa- tion de la contagiosité miasmatique, dans les mois de juin, juil- let et août, ou dans les intervalles annuels que présentent quel- quefois les contagions épidémides de peste. Il n’en est pas de même des autres contrées de l'Orient et de l'Afrique. Comme la peste n’y est pas indigène, les mesures quarantenaires qui pourront y être adoptées par les gouvernements respectifs sont capables d’en éloigner tout à fait le fléau. On pourra donc ad- mettre pour elles une patente nette, lorsque ces mesures sani- taires auront donné des gages de leur efficacité. C’est ce que V’Autriche vient de faire pour la Grèce, en réduisant les quaran- taines de ses provenances à une simple observation de 24 ou 36 heures. C'est fondée en partie sur ce principe que la France a supprimé les quarantaines d’Alger dans les circonstances ac- tuelles. Quoïque certaines parties de l’Amérique puissent être consi- dérées comme le lieu de naissance de la fièvre jaune, le principe contagieux de cette maladie étant toujours volatil et facile- 64 RÉFORME DES QUARANTAINES. ment destructible, et les conditions saisonnières annuelles ayant d’ailleurs une influence très-marquée sur son développement et sur sa disparition, les patentes brutes ou suspectes pour la fièvre jaune ne doivent être fixées que sur la présence de la ma- ladie et sur la saison qui est assignée à son apparition. La pa- tente sera nette dans les autres saisons. —L’arrivage en Eurôpe dans une saison froide , même en cas de patente brute ou su- specte, doit aussi modifier les dispositions quarantenaires appli- cables à cette maladie, etc. À l'effet d'assurer l’exécution rigoureuse des mesures qua- rantenaires et la séparation complète des diverses catégories de contumaces , ainsi que pour éviter toute contravention, sans nuire au service, ni aux communications journalières entre les contumaces et les individus en libre pratique, enfin pour faci- liter la dépuration des marchandises, tout en diminuant les dé- penses et les obstacles de construction , je propose, en outre, d'établir auprès d’un port destiné aux bâtiments contumaces un lazaret sur le plan panoptique rayonnant, semblable à celui qui existe à Egine, en Grèce, et dont j’ai donné une esquisse dans mon ouvrage sur la peste (7’oy. la planche à la fin de ce cahier). Dans ce lazaret, les cours de contumaces en nombre égal au moins aux jours de la quarantaine de rigueur pour la peste, de 14 par exemple, fournies chacune d'habitations saines et commodes , avec cuisines , latrines , fontaines ou puits, etc., rayonneront autour d’une cour centrale en libre pratique, et seront surveillées dans toutes leurs parties depuis l'édifice d’'ad- ministration placé au milieu de la cour centrale. -— Chaque cour contumace sera séparée de la cour centrale par une double grille qui servira de parloir. — Si on le juge convenable, on pourra construire une cour contumace spécialement destinée à Pinfirmerie. L'édifice d'administration contiendra, outre l'habitation du RÉFORME DES QUARANTAINES. 65 directeur et des principaux employés, les bureaux, la cuisine et le vestiaire ; il sera surmonté d’un observatoire d'inspection. Le vestiaire renfermera une provision suffisante et bien entrete- nue de vétements quarantenaires pour hommes et pour femmes, destinés à remplacer temporairement les vêtements des indivi- dus contumaces pendant leur dépuration. Ces vêtements qua- rantenaires seront nettoyés et purifiés chaque fois qu’ils auront servi. Les bâtiments de l’État ou ceux de commerce pourront être munis d’un vestiaire analogue. Le lazaret sera environné d’un double mur d'enceinte. L'in- terne suivra le tracé des cours de contumaces et, pour isoler leurs parloirs, fera saillie dans la cour centrale, En outre, comme il faut tenir le terrain des cours sensiblement plus élevé que celui du dehors, si l’on veut en favoriser l’aération et la séche- resse sans nuire à leur isolement, on donnera à l'extérieur de cette première enceinte une hauteur double de celle qu’elle offre en dedans. — Le second mur, beaucoup plus haut que le précédent , en sera séparé par un espace suffisant pour qu’il ne puisse s'établir aucune communication entre eux ; son sommet sera garni de pierres mobiles, afin d’empécher la fraude, ou bien il pourra être surmonté de guérites, afin d’y établir des sentinelles. Il formera une enceinte continue, qui ne sera percée que de {rois portes ; lune communiquant depuis la cour centrale avec le pays en libre pratique, la seconde avec un débarcadère en contumace , la troisième avec un débarcadère en libre pratique. L’intervalle entre les deux murs, formant une espèce de large fossé, communiquera avec la cour centrale et pourra servir à l’aération de certaines substances contumaces, ou comme cimelière et comme jardin. Auprès de la porte de terre seront logés le portier, les soldats de garde et les sous- employés en libre pratique. Auprès de la porte communiquant avec le débarcadère contumace seront établis les parloirs pour les équipages, un hangard pour l'inspection des eflets débar- qués, les appareils pour la dépuration des lettres et des pa- XLII ps) 66 RÉFORME DES QUARANTAINES. piers, les bains de propreté , enfin les logements des sous-em- ployés en contumace. Du côté de la mer, à la portée des débarcadères, et dans une enceinte cantumace séparée, on construira, pour la dépu- ration par la chaleur, des effets, vétements et marchandises, une ou deux grandes tours, solidement établies, à plusieurs étages, séparés par des planchers grillés. Ces tours seront percées à chaque étage de deux portes opposées pour lentrée et la sortie des marchandises, et des escaliers extérieurs faciliteront la cir- culation des employés. Leur sommet sera terminé par une voûte munie de soupiraux. Un foyer de calorifère sera établi dans l’étage souterrain, et un tuyau perpendiculaire, occupant l’axe de la tour, distribuera l'air sec et chaud à tous les étages. Le rez-de-chaussée servira à la dépuration des effets et vête- ments. Les marchandises en balles pleines, ou traversées de part en part par des conduits ménagés dans l'emballage, à l’aide de roseaux par exemple, pourront être introduites dans cette es- pèce d’étuve sans avoir besoin d’être ouvertes, et seront élevées à la hauteur des différents étages à l’aide d’un mécanisme sem- blable à celui qu’on emploie dans les hôpitaux pour distribuer les vivres. On les introduira par une des portes latérales, et après les avoir déposées sur le plancher grillé, on les soumettra à la chaleur sèche pendant le temps fixé par le règlement , puis on les fera sortir par la porte opposée et on les descendra à l’aide d’un mécanisme analogue à celui qui sera employé pour les monter. Pour opérer la dépuration des marchandises contumaces qui doivent être plongées dans l’eau de mer, on creusera, non loin des tours, un vaste bassin ou piscine propre à recevoir l’eau de mer et à la renouveler. L'appareil pour la dépuration des lettres et des papiers sera construit sous forme d’une petite étuve, à plusieurs comparti- ments horizontaux et grillés. Dans chaque parloir on placera des baquets avec de l’eau vinaigrée pour la dépuration des monnaies. RÉFORME DES QUARANTAINES. 67 On conçoit d’après cela l'importance du nouveau lazaret que je propose d’adopter. Isolement complet des catégories de contumaces et facilité d’en augmenter le nombre sans nuire au plan général de l'établissement, Sécurité plus complète que dans les anciens lazarets pour prévenir les contraventions sani- taires , par suite d’une surveillance centrale, facile, et de tous les moments. Facilité et régularité du service, par la position centrale de l’édifice d'administration. Possibilité de créer des établissements sanitaires sur des terrains d’une surface plus bor- née que celle que requièrent les lazarets ordinaires. Economie de construction pour les édifices dépuratoires. Facilité pour le transport et le placement des marchandises. Economie-pour les contumaces, en leur permettant de se procurer eux-mêmes les vivres et de faire leur cuisine, s’ils le jugent convenable. Eco- nomie pour l'administration, en réduisant le nombre des sous- employés, sans nuire au service. Tels sont les principaux avan- tages qui en découlent. Au reste, Mr. Piolti, architecte distingué de Turin, déjà connu par ses travaux appliqués aux maisons correctionnelles , a bien voulu me prêter l’appui de son talent pour établir les plans et les devis d’un modèle de lazaret fondé sur ce principe, et je me fais un devoir de les soumettre à l’examen de Votre Ma- jesté, pour qu’elle puisse en juger avec connaissance de cause *. Pour terminer le résumé de mon travail sur les quarantaines maritimes, il me resterait à développer à Votre Majesté ce qui concerne le traitement curatif et préservatif de la pesté et de la fièvre jaune, dans ses rapports avec les mesures sanitaires ; mais ce serait trop étranger au but actuel, pour que je croie devoir entrer ici dans des détails à ce sujet. Je me bornerai à renvoyer au traitement curatif de la peste que j’ai mis en pra- tique en Grèce (voyez ma Relation de la peste, chap. VI, pag. 116—156), et à rappeler ce que j'ai établi dans les pro- légomènes, savoir : qu'un traitement convenablement dirigé dès * Une partie de ces plans est reproduite dans la planche qui accom- pagne Ja publication actuelle, — Voy. aussi la Note explicative, p. 110. 68 RÉFORME DES QUARANTAINES- le début de ces maladies, en empéchant le développement des accidents inflammatoires, peut empêcher la reproduction du principe contagieux. Ce traitement d’abord perturbateur, puis régulateur, je l'ai mis et vu mettre en pratique, soit dans la peste, soit dans le choléra et le typhus, et des auteurs estima- bles citent des résultats semblables dans la fièvre jaune. Il est donc destiné à jouer un rôle important dans les mesures sani- taires à adopter, soit pour prévenir la propagation des con- tages, soit pour diminuer l'intensité des maladies contagieuses et pour détruire ainsi successivement les foyers de contagion. Il en est de même des conditions accessoires de ce traitement dont j ai déjà fait mention. L'expérience m’a prouvé que pour diminuer l’intensité des accidents de la peste et par conséquent les chances de contagiosité, il était d’une grande importance, dans les climats chauds ou dans les saisons chaudes et tempé- rées, de ne pas renfermer les malades dans ies chambres, mais de les établir en plein air, sous des tentes ou des abris isolés et ventilés de toutes parts. Cette précaution, sur laquelle j'ai in- sisté dans les cas de maladie suspecte à bord des bâtiments, de- vrait être adoptée dans tous les cas de contagion grave et être spécialement introduite dans les infirmeries des lazarets où plu- sieurs malades peuvent se trouver renfermés, d’autant plus qu’elle offre l’utilité de prévenir le développement du miasme pestilentiel, ou d’en atténuer tellement l’activité, que les garde- malades et les médecins peuvent sans risques circuler autour des malades ou leur donner les soins les plus minutieux. Elle offre surtout ce dernier avantage, dans les maladies dont le con- tage se présente constamment sous forme de miasme , comme dans la fièvre jaune. Cependant pour plus de sécurité, lorsque la peste est viru- lente, les garde-malades ou les médecins ne doivent pas négli- ger de se frotter les parties découvertes, les mains en particu- lier, avec de l'huile, et de répéter cette onction chaque fois qu'ils devront toucher les malades ; et si la peste est miasma- RÉFORME DES QUARANTAINES. 69 tique, ou que la fièvre jaune soit très-intense, ils pourront aussi avoir l’attention de se couvrir momentanément la bouche et le nez d’une éponge imbibée d’eau et de vinaigre ou d’une eau chlorurée, lorsqu'ils seront forcés de s'approcher de très-près de ces malades graves ou de les manier, surtout si le local où ils se trouvent est étroit et mal aéré, comme il arrive quelque- fois à bord des bâtiments de commerce. De l'exposé succinet que je viens de tracer à Votre Majesté, on peut déduire, ce me semble , les conséquences générales suivantes : Sous le rapport de la santé publique , les nouvelles mesures quarantenaires offrent toutes les garanties désirables , et elles s'appuient sur des données bien plus rationnelles ou bien plus positives que les anciennes. Sous le rapport du négoce, elles sont destinées à opérer une révolution dans les transactions commerciales des ports de la Méditerranée et de celui de Génes en particulier. En effet, quelle épargne immense de temps et de frais lorsqu'on pourra remplacer les quarantaines des personnes qui peuvent s'étendre jusqu’à 30, 40 ou même 80 jours, par des quarantaines de 14 où 15 jours au plus, et la quarantaine pour les eflets et les marchandises, qui peut aller jusqu’à 59 jours, par une dépu- ration de 24 heures au plus! Les finances de l’Etat ne pourront qu'y gagner , el ce gain sera positif, puisque en définitive toute la nation profitera des facilités du commerce, et qu’une nation heureuse et florissante est le seul véritable trésor que possède un gouvernement. Enfin, sous le rapport moyal , elles mettront un terme à cette pratique barbare, qui consiste à exposer, de gaîté de cœur et pour quelques centimes, de malheureux ouvriers journaliers aux chances terribles de la contagion, dans l'intérêt présumé de la santé publique, et elles préviendront la disposition qu’éprouve naturellement chacun à se soustraire frauduleusement à l’action de lois sanitaires, souvent ridicules et plus ou moins arbitraires ou vexatoires. 70 RÉFORME DES QUARANTAINES. Mais les principes dirigeants des lois sanitaires, dont j'ai si- gnalé quelques-uns, ont une portée bien autrement étendue que celle que je viens de leur assigner dans cet exposé. Il ne s’agissait que d'empêcher l'importation en Europe de certains contages étrangers; il nous reste à y puiser les moyens de les détruire dans le lieu de leur origine, ou du moins de restreindre tellement leur sphère d’activité, que les mesures de quarantaine, nécessaires pour le moment, deviennent jusqu’à un certain point superflues par la suite. La possibilité du résultat que j'annonce découle, suivant moi, de ce qui s’est passé en Europe depuis quatre ou cinq siècles. Dans le moyen âge, la lèpre, introduite de l’Orient en Eu- rope, est devenue l’effroi des populations chrétiennes, témoin le grand nombre de léproseries qui existaient alors. Au treizième siècle, on comptait dans la chrétienté 19,000 de ces établis- sements. À cette époque la lèpre était assez contagieuse; elle paraissait même se transmettre, sous forme miasmatique et sous forme virulente, par l’intermède de l’haleine, du simple con- tact des ustensiles ou des vêtements ; aujourd’hui elle ne se communique que par un contact entre les membres d’une même famille ou par hérédité. On ne la rencontre que dans quelques localités écartées , sur les côtes de Gënes, dans quel- ques îles de l’Archipel , en Syrie et en Egypte. Elle est deve- nue presque inconnue dans la plupart des lieux qu’elle avait ravagés anciennement, surtout dans les régions septentrionales. La syphilis, autre maladie contagieuse qui régnait déjà chez les Juifs à leur sortie d'Egypte, et qui, dit-on, fut également importée de l'Amérique, prit dans le moyen âge une extension et une violence effrayante, au point de devenir contagieuse par miasmes et de se transmettre par l’haleine , ou par les usten- siles, si l’on en juge par les descriptions que nous en ont laissées les auteurs. Eh bien, cette maladie, qui a reparu une dernière fois en 1800, sous forme de contagion épidémide, à Scher- lievo en Illyrie, n’est plus que virulente de nos jours et ne se RÉFORME DES QUARANTAINES. 71 transmet plus par miasmes. Dans le siècle dernier elle offrait encore des accidents très-graves. Dès lors elle s’est insensible- ment modérée et ne cause presque plus d'accidents mortels ni des mutilations. La variole , qui tire son origine de l’Arabie ou des contrées voisines, après avoir été introduite en Europe par les Sarrasins, a répandu pendant plusieurs siècles le deuil parmi les popula- tions occidentales et septentrionales. Son intensité, sa malignité en faisaient un fléau non moins redoutable que la peste. Son contage était devenu assez volatil pour prendre fréquemment le caractère de contagion épidémide et infecter l’air de villes entières. Actuellement , quoiqu’elle se soit jusqu’à un certain point acclimatée en Europe, la plupart des contrées du Nord, la Norvége, le Danemark, la Prusse, etc., s’en sont pres- que affranchies. Dans l’Europe moyenne elle disparaît peu à peu, ou lorsqu'elle s’y manifeste , c’est surtout sous forme virulente et sporadique, et elle conserve surtout son caractère de conta- gion volatile vers le Sud, et là où des populations agglomérées ont négligé , par insouciance ou par préjugé, les ressources que leur offraient {a science et la civilisation. La peste même nous offre un phénomène semblable, Née dans l’Orient, elle a pris de l’extension à mesure que les populations se sont accrues , et a émigré avec elles du côté de l'Occident et du Nord. Puis des cataclysmes de civilisation ont augmenté sa violence, au point de lui faire dépasser les bornes de son existence primitive. Quoique originaire d’un pays chaud, elle se déverse, à plusieurs reprises, comme un torrent sur l’Eu- rope barbare et au-delà, jusque dans les contrées les plus sep- tentrionales du globe, l’Islande et le Groënland, dont elle anéan- tit la population. Elle ravage ainsi ces pays pendant plusieurs siècles avec un degré extraordinaire d'intensité et de malignité, et tend pour ainsi dire à s’y acclimater. Son contage, virulent dans le principe, y prend fréquemment l’apparence de miasme et de contagion épidémide. Enfin on parvient à la cerner, à L'é RÉFORME DES QUARANTAINES. l'éloigner, et elle reprend insensiblement son caractère de pesté virulente, tout en se repliant sur l’empire ottoman. Encore n’y reparaît-elle régulièrement que dans certains points, dans quel- ques grandes villes, ou dans lerayon de l’endémie, etlà seulement elle se montre sous forme de contagion épidémide. Ailleurs elle ne fait que des irruptions irrégulières , et même depuis quel- ques années elle paraît vouloir abandonner Constantinople. L'Egypte, sa patrie, conservera bientôt seule le triste privilése de la posséder en permanence. Ainsi voilà quatre maladies contagieuses qui ont suivi la même marche, et qui toutes ont eu une tendance à se simplifier et à dis- paraître. Et quels sont les moyens qui ont opéré ce changement ? Nous retrouvons partout l'influence de la civilisation et de la science médicale, les progrès de la raison et de l’art de guérir. Ici, des lois quarantenaires pour la lèpre et la peste, qui tirent leur origine des Livres sacrés de Moïse ; là , des règlements de police sanitaire et un traitement plus rationnel pour la syphilis, l'isolement judicieux et la vaccine pour la variole. Est-il en notre pouvoir d’aller plus loin ? Cela est vraisemblable, car nous possédons les principaux éléments de réussite, et sien particulier pour la peste nous ne pouvons faire disparaître toutes les causes d’insalubrité dans son pays natal, nous sommes à même d’en atténuer les effets au point de la rendre inactive, à l’aide de séquestration, d’un traitement curatif judicieux et d’un préservatif analogue à celui qu’on emploie contre la variole. J'ai déjà traité ailleurs le sujet de la séquestration et celui de la meilleure méthode curative; il me reste à développer ici les principes sur lesquels se base le traitement préservatif. D'abord nous avons vu que la peste appartient, comme la variole , aux contagions qui sont tantôt virulentes, tantôt miasmatiques, et qu'on peut la faire passer d’une forme à l’autre, —En second lieu, j'ai prouvé que la forme virulente de ja peste est infiniment moins grave que la forme miasmatique. — Nous savons, d’autre part, qu’une première atteinte des ma- RÉFORME DES QUARANTAINES. 73 ladies contagieuses fébriles, quoique virulente, préserve, en général, d'une seconde attaque, ou diminue la gravité des ac- cidents secondaires, en en modifiant les symptômes et la marche. Ainsi , en développant artificiellement et de prime abord une maladie contagieuse fébrile virulente chez un individu, on pré- vient les attaques subséquentes de ce principe contagieux, même lorsqu'il se présente sous forme miasmatique, ou les con- séquences fâcheuses qu’il entraînerait s’il se développait natu- rellement pour la première fois. Et en multipliant ce genre de traitement préservatif parmi les populations , on a vu s’affaiblir insensiblement chez elles l’activité du contage. C’est fondé sur ce principe qu’on avait introduit et multiplié linoculation de la variole en Europe, et qu’on a essayé l’ino- culation de la peste en Orient, Mais l’inoculation de la variole tendait à propager la contagion, et on avait toujours à craindre sa recrudescence dans certaines saisons. L’inoculation de la peste d'homme à homme pratiquée en Egypte par les médecins de l’armée française, et par Valli à Con- stantinople, offrait le même inconvénient et causait en outre des accidents trop violents pour offrir des avantages réels. Le génie de Jenner est venu nous montrer la route à suivre pour préserver l'espèce humaine de certaines maladies conta- gieuses fébriles, en leur substituant des contages virulents ana- logues, tirés des animaux, de manière à n’offrir aucun danger, et à ne plus propager naturellement de maladie contagieuse. L'expérience a prouvé l'efficacité préservatrice de la vaccine, quoi qu'en disent ses détracteurs, et son utilité pour éloigner la variole d'une nation nous est démontrée par ce qui se passe dans quelques pays du nord de l’Europe, où l’on en a généra- lisé la pratique. La théorie, en nous donnant la clef de ce phé- nomène, nous permet également d’en faire une application à la peste. Lorsque la peste règne dans l’espèce humaine, sous forme de contagion épidémide, divers animaux, tels que les chiens et L,4 { 4 RÉFORME DES QUARANTAINES. les bœufs, etc., sont en même temps attaqués de charbons et de bubons, symptômes d’une maladie analogue. Cette maladie des animaux se trouve donc, à l'égard de la peste chez l’homme, dans les mêmes rapports que la vaccine des vaches et la clavelée des moutons, à l'égard de la variole, et il y a tout lieu de sup- poser qu'inoculée chez l’homme, elle ne causerait que des ac- cidents locaux bien moins violents que ceux de la peste humaine, qu’elle fournirait un préservatif contre les attaques subséquentes de cette maladie, et qu’elle ne développerait elle-même aucune maladie naturellement contagieuse d’homme à homme. Dans tous les cas, c’est une expérience qui mérite d’être es- sayée , et qui pourrait l’être plus facilement en Egypte que par- tout ailleurs (sur des condamnés à mort par exemple). Il fau- drait se servir pour cela, non pas de la sanie des charbons, mais du pus provenant d’un bubon en suppuration arrivé à ma- turité et recueilli sur un animal herbivoré si possible. On pra- tiquerait l’inoculation à l’aide d’une ou deux piqüres sous l’épi- derme à l’intérieur des cuisses, de manière à ne pas intéresser les gros vaisseaux sanguins , mais seulement les vaisseaux lym- phatiques superficiels. On aurait soin, de plus, de choisir pour cette opération le moment de la saison le plus favorable, et de soumettre le patient à un régime plutôt rafraîchissant, ainsi qu’à l'influence d’un air pur et renouvelé. Si l’opération ne réussis- sait pas d’abord , il ne faudrait pas se décourager, car nous voyons que le virus vaccin recueilli sur la vache et inoculé di- rectement chez l’homme, ne réussit pas non plus toujours, et qu’il faut souvent répéter cette vaccination primitive. De même aussi, en admettant que l’action du virus pestilentiel tiré des animaux fût un peu trop vive, il y aurait un moyen d’en diminuer l'intensité , en laïssant le pus exposé à l'air pendant une heure ou deux, l'expérience ayant démontré que lorsqu’on se sert pour l’inoculation de la variole d’un virus varioleux ex- posé à l’air, son activité est diminuée et que les accidents sont plus locaux. RÉFORME DES QUARANTAINES. 75 Si le résultat de l'opération est favorable, alors rien n’empé- chera qu'on ne propage ce genre de vaccination pestilentielle d'homme à homme parmi les habitants de l'Egypte ou chez les étrangers qui se proposent d'y séjourner, et la peste, quoi- que endémique dans ce pays, ne trouvant plus de pâture ni de moyen de se reproduire, s’éteindra naturellement sous forme contagieuse. Un pareil résultat , Sire, doit être l’objet de tous les vœux. Déjà Son Altesse Impériale le Grand-Duc de Toscane , à qui j'ai communiqué mes vues, a daigné me faire espérer sa coopé- ration, et Votre Majesté, en contribuant à sa réalisation, s’ac- querra de nouveaux titres à la reconnaissance de l’humanité. Le méme préservatif ne s’applique pas, il est vrai, à la destruction des maladies contagieuses miasmatiques, telles que la fièvre jaune, le choléra, le typhus, etc. , car leur contage ne pouvant étre virulent ne peut s’inoculer ; mais on peut leur op- poser la séquestration des premiers malades, le traitement cu- ratif rationnel, la dispersion des populations agglomérées, l'in- fluence d’une charité active ou d’une instruction judicieuse, et surtout les mesures d’hygiène publique que l’on emploie avec tant de succès pour combattre ou prévenir les fièvres graves qui règnent dans quelques localités, en particulier dans les pays marécageux ou dans les villes populeuses. C’est un sujet bien intéressant, mais qui exige trop de développements pour être traité d’une manière convenable dans le Mémoire actuel. J’ai l'honneur d’être, Sire, avec le plus profond respect, de Votre Majesté, le très-humble et très-obéissant serviteur, L.-A, Gosse, M.-D. Turin, 14 février 1842. 0e 8 —— 76 RÉFORME DES QUARANTAINES. Documenrs N° 1'. Importance du spoglio, des lavages ou des bains, et du re- nouvellement de l'air. Plus on réfléchit au rôle important que jouent /a prédispo- sition individuelle et l'habitude, sur l'introduction plus ou moins facile dans le corps des principes contagieux, et à la faculté qu'ont ces principes d’adhérer aux substances poilues ou ru- gueuses, de se condenser dans les substances poreuses, ou de séjourner dans un air non renouvelé sans qu’ils éprouvent de décomposition pendant un temps plus ou moins long , plus on doit être convaincu de la nécessité absolue d’enlever leurs vé- tements aux individus suspects, de laver ou de baigner leurs personnes, et de les sortir d’une atmosphère méphitique, avant de fixer l’époque de l’incubation des contages , et par consé- quent celle où doit commencer la quarantaine des contumaces, Ainsi nombre de faits nous prouvent que des personnes iso- lées, et méme des corps de troupes, ont pu transmettre une maladie contagieuse d’une maison à l’autre ou d’un pays à l’au- tre, à l’aide de leurs vétements et de leurs effets, sans être at- teints eux-mêmes de cette maladie, ce qui prouve que le con- tage a dû rester adhérent à ces vêtements, sans subir de dé- composition et sans pouvoir pénétrer dans le corps des indivi- dus qui en étaient les porteurs. On a vu de même fréquemment des individus vivre habituellement dans un air chargé de mias- mes contagieux, sans en être affectés , et des individus étran- gers y succomber immédiatement à leur entrée. Quelquefois ce n’est qu'au bout d’un temps plus ou moins long, et lorsque le corps est prédisposé à recevoir le contage, 1 Je m'empresse de signaler ici l’obligeance extrême avec laquelle Mr. le comte Græberg de Hemsô et Mr. Coletti père, docteur en droit, m'ont facilité les moyens de recueillir divers de ces documents en met- tant à ma disposition leurs bibliothèques pendant mon séjour à Florence. RÉFORME DES QUARANTAINES. 17 que cette absorption a lieu, et ce n’est qu’alors que commence la période d’incubation. : D'autre part, les bains ou les lavages, surtout avec de l'eau de mer, favorisent cette absorption si elle doit avoir lieu, et abrégent la période d’incubation. C’est encore un fait incon- testable. Donc l'enlèvement des vêtements quelconques , les lavages ou les bains du corps, et la soustraction de l’air qui renferme les miasmes contagieux , peuvent seuls nous donner l'assurance de l’époque où le contage a pénétré dans le corps, qu'il soit fixe ou volatil, si plus tard l'individu qui s’y est exposé tombe malade. C’est sur ce principe qu’est fondé le spoglio, pratique déjà mise en vigueur anciennement chez les Vénitiens, adoptée dans presque tous les lazarets pendant près de deux sièeles, recommandée par tous les auteurs contagionistes de quelque poids, et abandonnée vers la fin du siècle dernier, on ne sait pour quelle raison, dans la plupart des établissements sani- taires. Dans les actes du lazaret de Livourne, on trouve que le spo- glio y était pratiqué en 1612, et que dès lors il a continué d’y étre mis en usage d’année en année, jusque vers 1785. Après avoir dépouillé les contumaces de leurs vêtements, on leur en faisait prendre d’autres (vestiti di terra), et grâce à cette pré- caution ils obtenaient souvent une diminution de leur quaran- taine. Les patrons et les secrétaires des navires avaient surtout le privilége, après le changement d’habits, d’être admis en libre pratique pour faciliter la vente de leurs cargaisons. Une lettre de Livourne, en date du 7 novembre 1785, nous apprend la cessation de cette pratique. Il y est dit: « Non e opinione piu estranea ed insieme pericolosa e inutile quanto a Jar cambiare di veste ai quarantinanti, precauzione ormai rigettata da tutti i dipartimenti di sanita regolati da massime originale dal buon sense e dalla ragione. » En lan 1721 on ne recevait que tout nudsles passagers dans 78 RÉFORME DES QUARANTAINES. le lazaret de Cagliari en Sardaigne. Dans le règlement de 1755 du lazaret de Trieste, il était stipulé, chap. 5, $ 8: « Tpassa- gieri, il capitano, o il padrone e lo scrivano, se voranno spogliarsi nudi e rivestirsi con abito e adobbi di pratica, gli sia fatta grazia di cinque giorni di contumacia, con amme- tersi a libera pratica cinque giorni avanti il termine della quarantina imposta al bastimento. » Puis dans le $ 85 du règlement de 1769, on commence à y déroger comme suit: « Modificando l'art. 35 del cap. 13 dei generale regolamento di sanila, disponghiamo che à soli capi- tani , padroni, scrivani, o passagieri di bastimenti procedenti con patente nette i quali volessero permutarsi di abili, possino e dovino godere il benefizio di esenzione di cinque giorni, del qual benefizio vogliamo escluse dette persone procedenti con palente brule o tocca; con ulteriore dischiarazione che il capilano, o padrone, o scrivano dall istesso bastimente netto, non possino esser ambi ammessi all indicalo benefizio per non lasciarlo alla custodia del solo equipaggio. » La même chose avait eu lieu dans le lazaret de Marseille ; et plus tard on est allé jusqu’à y soutenir, que, lorsque les hom- mes du bord ainsi que les passagers gardaient leurs habits, il y avait une garantie, quand les uns et les autres ne tombaient pas malades. Et cependant le père Maurice, qui avait eu une expérience immense dans les pestes de Toulon et de Génes, avait insisté sur le spoglio pour fixer la durée de la quarantaine. Mead , en Angleterre, recommandait également le spoglio et les lavages chez les individus convalescents de la peste. Chenot, l'auteur des règlements sanitaires autrichiens de 1785, soutenait que si l’on permettait à un homme nu de sortir d’une ville pestiférée, il ne pourrait donner la peste à personne. Fodéré, en posant les bases des lois quarantenaires en cas de peste, dit formellement : « que les individus qui seront reçus dans la quarantaine se dépouilleront, à l’entrée de la barrière, RÉFORME DES QUARANTAINES. 19 de tous leurs vêtements pour en prendre de neufs, et qu'ils prendront un bain , ou que du moins ils seront lavés par tout le corps. » Ailleurs il remarque : « qu'il est vraisemblable que les nations qui vont nues sont moins susceptibles de maladies contagieuses , et c’est sans doute sur celte expérience qu'est fondée la pratique de quelques navigateurs, d’obliger les per- sonnes du bord qui tombent malades d’une maladie douteuse, à se dépouiller et à rester nues dans leurs chambres, ce qui n'est pas sans utilité pour leurs compagnons de voyage. » (Mé- decine légale, t. IL.) La pratique du spoglio a repris, avec raison, faveur dans le siècle actuel. Elle est mise depuis longtemps en usage dans les quarantaines de terre russes. Les individus contumaces sont exa- minés pus par le médecin. Tous sont soumis à un parfum de chlore, ils doivent se dépouiller de leurs vêtements et en en- dosser de nouveaux ; s'ils sont riches, ils s’en procurent du pays, s’ils sont pauvres, ils se servent des vêtements du lazaret qui sont offerts à chacun sans rétribution et neufs. (Voy. Lorin- ser. Ueber die Pest des Orients, etc. Berlin 1837, pag. 385.) Dans la peste de Corfou et de Céphalonie, le docteur Tully a insisté sur le spoglio et sur les bains de mer chez des centaines de suspects, et jamais l'incubation de cette maladie ne s’est prolongée au delà de 7 jours, jamais la contagion ne s'est pro- pagée au delà dans le reste du pays. (Voyez History of the pla- gue, etc., etc. London 1821.) Le spoglio a été aussi admis par l’Autriche dans les quaran- taines du Danube, et dernièrement encore à Trieste on vient d’abaisser les quarantaines d'Egypte et de Grèce, sous la con- dition expresse du spoglio et du bain. Et qu’est-il résulté de la négligence portée dans la précau- tion de changer les vêtements contumaces, ou l'air contagieux ? C’est qu’elle a favorisé souvent la propagation des contages en dehors des lazarets, et qu'elle a été en particulier l'origine des interminables discussions soulevées pour la fixation des qua- 80 RÉFORME DES QUARANTAINES. rantaines. En effet il n’a plus été possible, dans ce cas, d’assi- gner de limites à l’incubation des contages de la peste et de la fièvre jaune, non plus qu'à la durée de leurs quarantaines. Aussi Dimmerbroek, dans la peste de Nimègue , a-t-il été porté à admettre une incubation de 3 mois, chez un seigneur qui avait perdu de la peste son frère et sa sœur, sans prendre aucune précaution sanitaire après leur décès. Le docteur Valli, dans la peste de Smyrne, parle d’une vieille femme qui, après avoir quitté sa maison, où s’était in- troduit le principe contagieux , se retira dans un autre lieu, loin du commerce des personnes suspecfes, et fut prise de la peste le quarantième jour ! Or cette femme, ayant conservé ses hardes et n'étant pas sortie de l’atmosphère contagionée de la ville, se trouva dans le même cas, malgré son isolement , que si elle était restée constamment au milieu des pestiférés; et comme à son âge l'absorption cutanée était ralentie, il est pro- bable que ce ne fut que plusieurs jours après sa séquestration que le contage put être absorbé. Par conséquent on ne peut tirer de ce fait la conclusion que l'incubation de la peste avait duré 40 jours. Il en est de même de l’histoire du chevalier de Rosenfeld , qui s’enferma en 1816, à Constantinople, dans l'hôpital grec des pestiférés, et qui après s'être frotté les mains et les bras avec le pus des bubons des pestiférés, ne fut cependant attaqué de la peste que 22 jours après ! Rien ne prouve, en effet, que cette friction eût occasionné la maladie, et que l’incubation du con- tage eût duré 22 jours, et il est plus que probable que l'ab- sorption du contage a eu lieu plus tard , d’autant mieux que de Rosenfeld ne se lava point, ne changea pas d’habits, conti- nua de vivre et de dormir dans une atmosphère pestilentielle , et que sa maladie commença par être générale et non locale. Les mêmes irrégularités s'étaient présentées en Grèce pen- dant que la peste y régnait en 1828 (voyez ma Relation de cette peste, chap. 3, pag. 74 et suivantes) , et lorsque je re- RÉFORME DES QUARANTAINES. 81 montai à la source, je trouvai que dans tous les cas ces ex- céptions tenaient à ce qu'on n'avait pas isolé les malades, et surtout qu'on n'aväit pas pratiqué le spoglio. Enfin, l’année dernière les journaux français (Journal du Com- merce du 14 octobre 1841) ont cité deux faits, communiqués à l'Académie des sciences de Paris par le consul de France à Malte, et dont l’un semblerait prouver une incubation de peste de 16 jours. Mais ici, comme ailleurs, où les auteurs font men- tion d’une incubation prolongée, on avait négligé d’isoler les individus de leurs effets contumaces, et l’on n'avait point pra- tiqué le spoglio , ni administré des bains ou des lavages. Dès lors ces faits extraordinaires ne peuvent jouir d’aucune valeur. - Ce que je viens de dire pour la peste s’applique à la fièvre jaune. Tout nous prouve que la durée de son incubation est très- courte, et cependant il ne manque pas d’auteurs qui, négli- geant les précautions sanitaires qui font le sujet de ces docu- ments, n’ont pas reculé devant des suppositions gratuites. Tels sont, entre autres, les cas cités dans l'ouvrage du D° Robert (Observations sur la fièvre jaune importée de Malaga à Pomégue et au lazaret de Marseille en septembre 1821. Bro- chure in-8 , Marseille 1822). Il y est fait mention d’un bâti- ment danois , capitaine Mold , qui, parti le 26 août 1821 de Malaga, où la fièvre jaune avait été apportée de Barcelone, ar- riva à Pomégue le 7 septembre après avoir perdu un matelot et présentant un second malade. Il fut placé dans le port de quarantaine au milieu de 15 autres bâtiments, et sur une même ligne. Le 8 septembre, le temps étant chaud, humide et lourd, il ouvrit ses écoutilles, d’où s'échappa une vapeur délé- tère fétide, qu’on ressentit aussitôt sur les autres bâtiments voisins, dont quatre ne tardèrent pas à en éprouver les effets. Sur 25 individus qui tombèrent évidemment malades sous l'in- fluence de ces émanations contagieuses , la plupart ne présen- XLIL 6 82 RÉFORME DES QUARANTAINES. tèrent qu'une incubation de 1 à 4 jours. Quatre seulement auraient manifesté une incubation de 6 à 15 jours. Mais il est à remarquer, d’après le rapport officiel, qu’à l’exception du ca- pitaine Mold, les autres bâtiments n’avaient point pratiqué de dépuration complète de l'air dans l’intérieur, et qu’on n’avait fait exécuter aucun spoglio, aucun bain, chez les gens de l’é- quipage ou chez les gardes. On retombe ainsi dans l'incertitude sur l’époque précise où aurait commencé l’incubation dans 4 malades, et on ne peut en tirer aucune conclusion sur la prolongation de sa durée; seulement ce fait a de l'importance en prouvant que, dans les ports de quarantaine, les bâtiments atteints ou suspects de fièvre jaune, doivent être isolés des autres, et que la purification de’ ces bâtiments doit commencer avant leur entrée dans le port. Des réflexions semblables nous sont suggérées par les cas de fièvre jaune que cite le docteur Rush de Philadelphie, et dont Pincubation aurait duré 16 jours. Ce médecin ayant fait ses observations dans une ville où la maladie règnait sous forme de contagion épidémide, et où par conséquent l’atmosphère en- tière était saturée de miasmes contagieux, il n’est plus possible de spécifier l’époque où avait commencé l’incubation. L’incubation de fièvre jaune relatée par Mr. Moreau de Jon- nès, dans sa Monographie historique et médicale de la fièvre jaune des Antilles , etc., etc. Paris 1820 , ne supporte pas davantage un examen rigoureux. L'auteur cherche à prouver que cette incubatjon dura 28 jours, à dater du jour de l'em- barquement, sans tenir compte de l'influence contagieuse de l'air des bâtiments, de l’absence du spoglio, et de la prédispo- sition de l'individu , qui pouvait fort bien n'avoir contracté la maladie que beaucoup plus tard, quoique sous l’action journa- lière de l’air vicié contenu dans l’intérieur des navires. RÉFORME DES QUARANTAINES. 83 Documents N° 2. Preuves de la durée de l’incubation du contage pestilentiel. Tous les auteurs qui ont étudié la peste sur les lieux, ceux surtout qui ont tenu compte de l'isolement absolu et du spo- glio complet avant de commencer les quarantaines d’observa- tion, s’accordent à fixer le maximum de l’incubation à 12 jours, ou à considérer les quarantaines de 14 à 15 jours comme suf- fisantes. Dans les premiers temps, les Vnitiens n'avaient sans doute admis qu'une incubation de courte durée, puisque leur qua- vantaine des suspects n’était alors que de 10 jours; et lorsqu'ils la fixaient à 40 jours, ils ne l’appliquaient qu'aux convales- cents, chose bien différente. Ce n’est que plus tard, et par un abus , qu’on appliqua aux suspects la quarantaine des conva- lescents. Il ne faut pas non plus oublier qu'en 1731 l’intendance de Marseille ne faisait subir que 18 jours de quarantaine aux passa- gers venant de Constantinople, sur un bâtiment avec chargement _ susceptible, mais sous patente nette. À cette époque même, les passagers venant d'Alger sous patente nette ne faisaient que 12 jours de quarantaine, si le chargement n’avait aucune par- tie susceptible. Ce règlement fut changé en 1734, et on décida que les passagers feraient généralement la même quarantaine que les navires , sans que cette décision füt motivée dans le re- gistre des délibérations. Sennert, sans insister sur le spoglio, n'admettait qu’une in- cubation de 8 à 14 jours (Voy. Prax, lib. VL, part. 3, cap. 3, et lib. IV, cap. à). Marsilius Ficinus, sous les mêmes conditions, considérait la quarantaine de 14 jours comme un maximum suffisant. Félix Platerus (Prax. Tract. 2, cap. 2) et Fabrice Hildanus (Centur. 11, Obs. 34) fixaient l’incubation de la peste à 7 jours. 84 RÉFORME DES QUARANTAINES. Le célèbre Louis Settala, à Milan , avait même abaissé la quarantaine à 3 ou 7 jours au plus, vraisemblablement parce qu’il n'avait égard qu’à l’action du miasme pestilentiel. Paul Zacchias , archiatre à Rome, était du même avis que Settala; cependant pour les personnes pauvres (extremæ pau- pertatis et miseria laborantes) il conservait une quarantaine de 15 jours, indépendamment du spoglio et du lavage des habits. Le docteur Russel qui, vers la fin du siècle dernier, avait étudié la peste à Alep avec un soin remarquable, affirme qu'il est rare de voir l’incubation de cette maladie durer plus long- temps que 10 jours. Howard, qui s’était borné à l’étude de la peste dans les laza- rets, ne pensait pas cependant que l’incubation de la peste mias- matique se prolongeât au delà de 48 heures. Déjà en 1773, sur les représentations du docteur Canestrini (Pestis diagnosis), l'empereur Joseph IT avait abrégé de moitié les quarantaines autrichiennes. Chenot (Tractatus de peste; Viennæ 1766 et 1798) qui, plus que personne, avait eu l’occasion d'étudier la peste sur les frontières de l’Autriche, considérait cette incubation comme très-courte, et c’est d'après son avis qu’en 1785 on baissa les quarantaines de terre à 10 jours pour la patente suspecte. Il admit, il est vrai, une quarantaine de 20 jours pour la patente brute ou dans les cas de peste, mais ce fut un sacrifice aux opinions adoptées alors. Cette loi a continué de régir les qua- rantaines de terre autrichiennes jusque dans ces derniers temps. Mertens (Pestis Moscuæ ; Observ. Med., part. 11, pag. 110) dit que la plupart des enterreurs dans la peste de Moscou, au nombre de 1000, ne prenant aucune précaution, étaient atta- qués après une incubation de À ou 5 jours (« Plerosque quarto vel quinto die ægrotare incepisse ab inspecloribus relatum ac- cepi»), ce qui nous rappelle l’action prompte du miasme pes- tilentiel. Franz von Schraud (Geschichte der Pest in Sirmien in den RÉFORME DES QUARANTAINES. 85 Jabren 1795 et 1796. Pesth 1801) affirme, d’après des tables faites avec soin dans la peste de Sirmia, que l’incubation se terminait chez la plupart dans la première semaine, chez quel- ques-uns dans la seconde; seulement dans 2 ou 3 cas, elle pa- rut durer jusqu’au 14° ou au 17° jour, mais chez ces derniers on n’avait pas pris toutes les précautions pour s'assurer du dé- but de l’incubation. Le docteur Enrico di Volmar, qui a résidé 14 ans en Egypte et qui est remarquable par son exactitude, cite quinze observa- tions détaillées de peste miasmatique où l’incubation n’a ja- mais été au delà de 4 jours {Abhandlung der Pest. Berlin 1827). Le docteur Pugnet, qui a étudié avec soin la peste: en Syrie et en Egypte, pendant l'occupation française, et qui donne des directions sur l’établissement des quarantaines dans un ouvrage intitulé, Mémoire sur les fièvres de mauvais caractère du Levant et des Antilles, fixe (page 107) la quarantaine des suspects à 15 jours, ce qui porte l’incubation à environ 12 jours. Le Père Maurice de Toulon, dans son Traité de la peste (Trattato politico da praticarsi nei tempi di peste; Genova, 1661), dit, pag. 127 et 128, que pendant une pratique de 20 ans et plus, après avoir fait faire le spoglio et avoir fait laver le corps du suspect avec de l’eau et du vinaigre, il a toujours vu l’incubation de la peste ne pas passer le 15€ jour avant que les symptômes généraux ou locaux se fussent manifestés. Or, il faut remarquer qu'en parlant des symptômes du début, il cite comme accidents locaux non-seulement les charbons, mais aussi les bubons, ce qui doit faire reporter le début des acci- dents à 3 jours en arrière, c’est-à-dire au 12° jour de l'incuba- tion, vu que les bubons , lorsqu'ils ne sont pas précédés de charbons, le sont toujours de symptômes généraux, et qu’au temps des grandes épidémies de l’époque cette succession des symptômes était loin d’être connue. Elle ne l'était pas même en 1828, lorsque j’étudiai la peste + 86 RÉFORME DES QUARANTAINES. en Grèce, et c’est ce qui fit qu’on crut découvrir un cas d’in- cubation dont la durée avait été de 16 jours, malgré le spoglio et les lavages. Le fait se passait dans la quarantaine de Proïna, aux portes de Nauplie. Un certain nombre de familles suspectes y furent soumises soigneusement, et à plusieurs reprises, au spo- glio et aux bains de mer. Quatorze individus tombèrent mala- des en quarantaine. Chez treize d’entre eux l’incubation dura de 1 à 10 jours; mais cette période parut se prolonger jus- qu’au 16° jour chez le dernier. Frappé de cette anomalie, je recherchai quelle en était la cause, et le résultat, soit des rapports, soit de la marche de la maladie, me prouva qu'on avait négligé le début des accidents locaux, et qu’en réalité lincubation chez ce malade, comme chez les autres, n’avait pas été de plus de 12 jours. Le docteur Edwards , médecin de l'hôpital catholique des quarantaines à Smyrne, a observé, en 1837, six cas d’invasion de peste sur 650 individus qui étaient entrés dans cet hôpital après avoir fait le spoglio. Dans cinq de ces six cas la maladie s'était développée du 2° au 4° jour. Le sixième cas était celui d’une femme chez laquelle la maladie ne se manifesta que le 15° jour ; mais aussi le médecin s’était aperçu que, dans l’inter- valle, elle avait reçu du dehors quelque objet infecté. (Voyez Buffa, Della Peste. Torino 1841). Le docteur Tuily, qui, comme je l'ai déjà dit, a eu l’occa- sion d'étudier la peste dans les îles loniennes, fait la remarque suivante dans son ouvrage précité, page 203 : « No instances ever coming within my knowledge of disease being protracted beyond the seventh day, from the application of the conta- gion.» Et je le dis encore, il faut noter que le docteur Tully avait un soin tout particulier de faire exécuter le spoglio et de répéter chaque jour les bains de mer. Le docteur Bulard, d’après une observation faite à Smyrne en 1837 sur 200 malades, à trouvé que la plus longue incu- bation avait été de 12 jours (Voyez son ouvrage, De la Peste RÉFORME DES QUARANTAINES. 87 orientale, 1 vol. in-8°, Paris 1839, page 57); les autres ob- servations faites en Egypte ne sont d’aucune valeur, vu l’ab- sence de précautions prises pour s'assurer du début précis de l’incubation. Le docteur Bella, à Alexandrie en Egypte, à vu l’incubation se prolonger jusqu’à { 1 jours. (Buffa. Mémoire cité, pag. 17.) Le conseil sanitaire de la même ville a reconnu que la durée de l’incubation de la peste était de 8 jours, lorsqu’on avait soumis les individus au spoglio. (Buffa. Mémoire cité, pag. 16.) M. Ségur Dupeyron, secrétaire du conseil de santé de Paris, a trouvé que chez 9 cas de peste, dont il a eu l’histoire détail- lée, l’incubation n'avait pas duré 8 jours. (Voy. son Rapport au ministre). Valli, dans son ouvrage sur la peste de Smyrne, dit que Pin- cubation durait quelquefois 24 heures, le plus souvent 3, 4 ou 5 jours, plus rarement 6 à 7 jours. Le D' Bernt (Ueber die Pest-Ansteckung und Verhütung , Wien 1832) n’a pas trouvé un seul fait qui puisse prouver que l’'incubation de la peste se soit prolongée au delà de 15 jours. Le docteur Aubert, quoique anticontagioniste , admet 10 jours d’incubation, dans un Mémoire adressé dernièrement à l’Académie des Sciences de Paris, fait qui me paraît difficile à accorder avec les opinions exclusives de l’auteur, car il ne peut y avoir d’incubation sans contage. Le consul de France, à Malte, dans son rapport sur les cas de peste survenus dans cette île en 1841, cite celui d’un bate- lier qui avait aidé, le 27 mai, au débarquement des passagers et des effets contumaces, qui fut ensuite isolé, après avoir prati- qué le spoglio, et qui fut atteint le 7 juin d’un bubon pestilen- tiel, ce qui porte l’incubation du virus à 11 jours. Mais de tous les faits, celui qui donne les résultats les plus positifs, sur une échelle fort étendue, se trouve consigné dans la relation du docteur Samoïlowitz. La peste qui règna à Moscou pendant l'été de 1771 avait nécessité l'adoption de séquestra- 88 RÉFORME DES QUARANTAINES. tions rigoureuses; elle avait en même temps développé une grande misère parmi les classes ouvrières. La Commission sa- nitaire crut donc pouvoir accorder aux individus suspects la permission d’émigrer dans les diverses provinces de la Russie, et un très-grand nombre en profitèrent. On se contenta de pren- dre envers eux les précautions suivantes. D’abord on s’assurait de la santé de l’émigrant, puis on prenait une note exacte des hardes qu’il emportait. On lui faisait alors subir une quaran- taine de 15 jours, durant laquelle son bagage était exposé aux fumigations pendant 5 jours, puis pendant le reste du temps à Pair libre. La quarantaine était prolongée suivant les circon- stances. 11 ne résulta aucun accident de cette tolérance. Aucun des individus soumis à ces 15 jours de quarantaine, et dont les hardes et les effets furent fumigés, ne tomba malade; la peste resta bornée aux lieux primitivement affectés. Et cependant il est à remarquer que la chaleur de cet été fut aussi élevée en Russie que dans les pays méridionaux, puisque suivant Mertens le thermomètre s’y éleva à 24° Réaumur à l’ombre. En outre, la contagion s’y était manifestée sous toutes les formes, sous celle de virus aussi bien que de miasmes, et par consé- quent elle avait présenté toutes les chances d’une incubation prolongée. Ainsi toutes les preuves que je viens de fournir me semblent appuyer la fixation de la quarantaine de rigueur, dans la peste, à 14 ou 15 jours au plus. Au reste, la question sur la durée de l’incubation de la peste paraît presque résolue aux yeux de quelques gouvernements. Le règlement sanitaire adopté à Con- stantinople le 27 mai 1840 dit, art. 20 : « Les passagers à bord des bâtiments avec patente suspecte ou brute sont obligés de faire leur quarantaine dans le lazaret. Elle commence du jour de leur arrivée dans cet établissement, et elle est de 15 jours pour la patente brute, et de 10 jours pour la patente suspecte. Le spoglio est une mesure admise dans ce cas. » Or, depuis l’adoption de ce règlement, quelque imparfait qu’il soit RÉFORME DES QUARANTAINES. 89 et quelque négligence que l’on ait mise à l’extcuter, la peste a cessé de régner en permanence à Constantinople comme elle le faisait autrefois, et on a pu dès lors délivrer consciencieuse- ment des patentes nettes aux bâtiments qui en partaient. Les Anglais ont aussi réduit leurs quarantaines du Levant à 14 jours, y compris le passage. Enfin le gouvernement autri- chien vient de fixer à 14 jours les quarantaines de Constanti- nople et de l'Egypte. > D — Documenrs N°3. Preuves de la durée de l’incubation dans la fièvre jaune. Quoique la nature constamment volatile du contage de la fièvre jaune, et les doutes élevés par beaucoup d'auteurs sur la contagiosité de cette maladie, nous aient privé de documents aussi nombreux et aussi détaillés que pour la peste, afin de fixer la durée de son incubation, ceux que nous possédons sont assez positifs et assez officiels pour que l’on puisse en tirer des con- clusions satisfaisantes. Le D°Mattheïi, dans son ouvrage impartial et érudit, inti- tulé Untersuchung über das gelbe Fieber Hannover, 1827, 2 vol. in-8°, nous fournit en particulier des données précieuses sur cette durée. Le savant auteur s'exprime ainsi, vol. 1, pag. 251, & 204 : « Der Zeitraum von der Aufnahme des Ansteckungsstoffes bis zum Ausbruche der Krankheit, ist ein sehr kurzer, oft kaum bemerkbarer, und so weit aus Beobachtungen zu schliessen ist, wohl kaum À Tage überschreitend. » ( « L'espace de temps qui s'écoule depuis le moment de la réception du contage jusqu’à l’explosion de la maladie est très-court, souvent à peine obser- vable, et, autant qu’on peut en juger d’après les observations déjà faites, il dépasse à peine quatre jours.» ) Il cite ensuite . des exemples tirés de Frost, de Gilpin, de Moreau de Jonnès, de 90 RÉFORME DES QUARANTAINES, Mackensie, en faveur d’une incubation qui n’a duré qu’un jour; des faits tirés de Nicols, James Johnson et Anderson qui la por- tent à 2 jours ; des faits tirés de Revère qui vont jusqu’à 3 jours ; enfin des faits tirés de Pym qui prouvent que l’incubation de la fièvre jaune peut s'étendre jusqu’à # jours. (William Pym. Observations on the Bulam fever which has of late years pre- vailed in the West Indies on the coast of America, Gibraltar, Cadix and other parts of Spain, with collection of facts pro- viding it to be a highly contagious disease ; London, 1815, pag. 24, & 401.) Quoique Palloni n’ait point fixé la durée de l'incubation du miasme de la fièvre jaune qui a régné à Livourne en 1814, il cite, pag. 48 de son ouvrage intitulé Se la Febbre gialla sia o no contagiosa, Livorno 1824, un fait de transmission con- tagieuse de la fièvre jaune par les habits d’un père, mort dans la ville, à son fils qui était garde de santé à bord d’un bâtiment non suspect alors en rade, et où la durée de l’incubation ne fut que de 3 jours. Les docteurs Mantelli et Gianelli, de Lucques , auteurs d’un ouvrage intitulé Prospetto sull origine, natura e caratteri della malattia attualmente dominante nella cilta di Livorno ; Lucca 1804 , font la remarque suivante qui sup- plée au silence qu’a gardé le D' Palloni : « L'osservazione ha fatto giudicare , che gli uomini stati attacati dall” infezione cador malati al piu tardi nel terzo o quarto giorno. » Or ces faits, aussi bien que le témoignage de Pym, qui avait observé la maladie à Gibraltar en 1804, ont d’autant plus de valeur, que le principe contagieux de la fièvre jaune, en pas- sant du climat des Antilles à celui de l’Espagne ou de l'Italie, avait nécessairement perdu de son activité , el que par con- séquent la durée de son incubation a dû être plus prolongée. Je le répète, les preuves que je viens de citer me paraissent concluantes pour appuyer la fixation des quarantaines de la fièvre jaune à 6 jours au plus. 00 ——— RÉFORME DES QUARANTAINES, 91 Documents N° 4. Preuves de l'efficacité de la chaleur sèche, et en particulier de celle qui est portée à TO degrés Réaumur, pour détruire les principes contagieux. De temps immémorial on avait remarqué l'influence qu’exerce en E ;ypte sur la peste une chaleur atmosphérique élevée, Prosper Alpin en particulier signala et commenta ce fait dans son ouvrage intitulé , De Medicina Ægyptiorum. 4° Venetia, 1591. Il y est dit pag. 28, lib. 1, cap. XV, XVII et XVIIL : « Observatum vero est ab insigni aeris calore potius omne pesliferum contagium extinctum esse.» Plus bas, en parlant de la peste de 1580 qui ravagea le Caire, il ajoute qu’elle dura : «ut ad Junium usque mensem (quo lempore pestis contagium qualecumque sit desinere consuevit). » Et page 32, il fait la même remarque : « /neunte septembrimense solet invadere po- pulus Egypti, Junio vero mense qualiscumque et quantacumque sit ibi pestilentia, sole primam Cancri partem ingrediente , omnino tollitur, quod multis plane divinum esse non immerilo videtur. Sed quod etiam valde mirabile creditur, omnia supel- lectilia pestifero contagio infecta, tunc nullum contagii effec- tum in eam gentem edunt, ila ut tunc ea urbs in tutissimo et tranquillissimo statu reducatur ex summe morboso atque morbi particulares sporadici a Græcis vocali, lunc apparere inci- piunt, qui nusquam genlium tempore pestis appañebant. » Dans le chap. XVII, cherchant la cause de cette influence, il fait observer que dans le mois de juin la température chaude et sèche devient constante, et son interlocuteur Guilandinus lui prouve que c’est à la chaleur élevée continue qu’il faut attri- buer le principal mérite de cette cessation : «4 vehementi aeris calidilate omne contagium dissolvi posse vel omnes mulierculæ sciunt. » La plupart des auteurs modernes qui ont étudié la peste en Egypte tiennent le même langage , et reconnaissent 92 RÉFORME DES QUARANTAINES. que dans les mois d'été, juin, juillet et août, où la température atmosphérique s’élève à 34° ou 35° R., la peste cesse subite- ment, qu'elle perd sa contagiosité, et que les effets ou véte- ments infectés perdent également la faculté de la reproduire. Aussi le fait est positif de nos jours comme il y a 300 ans. Tully (ouvrage cit‘), quoique sceptique sur l'influence des extrêmes de froid et de chaud dans la peste, mais cherchant à expliquer pourquoi le Guzerate, Surate, Bombay sont à l’abri de la peste, bien que des marins atteints de cette maladie viennent souvent périr en dehors du golfe Persique, ne peut s’empécher de dire: « 11 is not improbable that this exemption may be owing Lo the high atmospheric temperature unknown in those countries, which are the constant seat of this malady. » Mais indépendamment de la chaleur il est une autre condition observée par Alpin, qui joue un rôle important dans ce phéno- mène de la cessation de la peste et de la contagiosité en géné- ral, c’est la sécheresse. En effet, ce n’est pas seulement dans les mois les plus chauds de l’année, mais aussi dans les plus sees et dans les parties de l'Egypte qui présentent un degré constant de sécheresse, que la contagion de la peste cesse d'agir. C’est à la différence de sé- cheresse de l’air et du sol qui existe entre le Delta du Nil et le Caire, entre le Caire et la Haute-Egypte, entre les bords du fleuve et les parties latérales de la vallée, non moins qu'aux changements de température, qu'il faut attribuer les anamolies apparentes qu'offre la contagion dans ces diverses localités. Dans le Delta, pays plus ou moins humide pendant toute l'an- née, la maladie continue quelquefois de régner en été sous forme contagieuse, malgré la chaleur. Aussi Pugnet, qui y avait longtemps réside, était-il tenté de nier la vérité de Fa- dage populaire, l'Eté tue la peste (voyez son ouvrage, p.95, 96 et 97). Il n’en est pas de même au Caire, où les saisons hu- mides et sèches se succèdent d’une manière plus régulière ; soit Pugnet, soit Wolmar sont d'accord sur ce point, c’est que la RÉFORME DES QUARANTAINES. 93 contagiosité et la violence de la peste y ont été toujours en rap- port avec le degré de sécheresse ou d’humidité pendant les mois d'été. Le long des chaines de montagnes qui bordent le Nil et au milieu des sables arides du désert de la Haute-Egypte, la con- tagion pestilentielle s’éteint, ou, si par hasard elle s’y montre, ce n’est que dans la saison des pluies, et elle cesse constam- ment avec les chaleurs. Ce que je viens de dire de la peste s'applique également à la fièvre jaune ; mais comme il n’existe pas dans les Indes occiden- tales ou sur le continent d'Amérique des conditions de séche- resse aussi régulières ni aussi marquées qu’en Egypte, on con- çoit qu’on n’ait pas fait des observations aussi exactes, ni aussi répétées, sur l'influence d’une chaleur sèche élevée dans la con- tagiosité de la fièvre jaune. Toutefois les auteurs reconnaissent que dans les saisons et dans les localités où la chaleur sèche est portée à 35 ou 40 degrés R., la fièvre jaune cesse d’étre con- tagieuse, et la condition de sécheresse est d’une telle impor- tance, qu'on voit les malades de fièvre jaune aller mourir dans les lieux secs sans y communiquer la maladie. Fondés sur l'expérience, tous les peuples de l’antiquité consi- déraient le feu comme l’agent destructeur par excellence des contages, et Moïse un des premiers en avait indiqué l’usage contre le virus de la lèpre, Hippocrate faisait allumer des feux dans la rue pendant la peste d'Athènes. L'application du fer rouge sur les charbons pestilentieis et sur la gangrène d'hôpital s’est montrée avantageuse pour arré- ter la contagion. Depuis l’établissement des lazarets, l’exposi- tion passagère à la flamme des lettres ou des papiers contumaces a été considérée comme suffisante pour les purifier. De nos jours encore dans l'Orient, c’est la chaleur sèche combinée avec la fumée de fiente de chameau qui sert presque uniquement à cette opération. Et dans un Exposé sur les moyens employés en Egypte pour se préserver de la peste, que Mr. le 94 RÉFORME DES QUARANTAINES. chevalier Drovetti a eu la complaisance de me communiquer, il y est fait mention de la purification des lettres à l’aide de la braise allumée et de parfums aromatiques , auxquels les plus scrupuleux ajoutent quelquefois un peu de soufre. Ce procédé n’a jamais manqué au but qu’on se proposait, et on ajoute la remarque « qu’on pense assez généralement que c’est moins la qualité des parfums que la chaleur qui détruit le miasme. ». L’instruction du bureau de santé de Londres disait que les matelas , lits de plumes, coussins, etc., qui ont servi aux pesti- férés et qui ne peuvent sans de grands inconvénients être jetés à l’eau, devront être fumigés dans la chambre infectée, et qu’ensuite, les ayant réunis, on les emportera sur des chars con- sacrés à cet usage dans une maison destinée à la purification, « qu’on les chauffera dans un four construit à cet effet pen- dant 22 heures, » et qu’on les exposera enfin à l’air pendant 14 jours (Journal général de Médecine, t. 41, p. 448). Pugnet avait été conduit à admettre la chaleur sèche comme un dépuratif non moins efficace que l’aération. A l’occasion de la peste de Damiette il dit, pag. 184 et 185 de son ouvrage : « La simple précaution de laver, ou de passer à la flamme, ou d'exposer à l'air les vétements ou autres choses à l'usage de ces mêmes personnes (celles qui avaient eu les rapports les plus immédiats avec des sujets certainement affectés), n'a ja- mais trompé nolre allente. » Le docteur Thomas Bateman s'exprime ainsi sur l’action anti- contagieuse de la chaleur : « The operation of heat alone ap- pears to be capable of destroying contagious malter, when baking or inclosing in an oven, clothes and other articles impregnaled with it, has been recommended. Doct. Lind has asserted from his own experience , that the simple heat of a close confined fire or the heat of an oven, is a destroying power which no infection whatever can resist.» («L'action iso- lée de la chaleur paraît suffisante pour détruire les principes contagieux, lorsqu'on renferme dans un four ou dans un four- RÉFORME DES QUARANTAINES. 95 neau bien chauñlé, les vêtements ou autres articles qui en sont imprégnés. Le D' Lind affirme, d’après sa propre expérience, que la simple chaleur d’un feu concentré, ou celle d’un four- neau, exerce un pouvoir destructeur, auquel nulle contagion ne peut résister. ») Voy. À succinct account of the contagious fevers in this country; London, 1818, pag. 168. Personne n'ignore, en eflet , que les vêtements des galeux, soumis dans une étuve à une haute température, perdent promptement leurs qualités contagieuses. Et nous voyons cha- que jour les marchands de fourrures avoir recours au méme moyen pour détruire les œufs des insectes qui rongent les pelle- teries. Tous ces faits, et bien d'autres que je passe sous silence , ne pouvaient manquer de fixer l’attention des personnes qui s’occupent de la réforme des quarantaines, et de leur inspirer le désir de voir la chaleur sèche remplacer certains moyens de dépuration usités jusqu’à ce jour dans les lazarets. Aussi cette idée a-1-elle germé dans la tête de plusieurs praticiens. Le D° Bulard a proposé de soumettre les marchandises con- tumaces à une température de 60 degrés, et cela pendant 24 à 48 heures. Le D' Buffa a appuyé cette pratique de faits et de raison- nements. ’ Dernièrement encore le D' Aubert à fait surgir une discussion sur ce point dans le sein de l’Académie des sciences de Paris. Convaincu moi-même de f’importance du sujet, je m’en étais occupé dès mon retour de Grèce en 1829, et surtout en 1831, lors de mon voyage en Prusse et en Autriche, où j'avais pour mission, de la part de la Haute Diète Helvétique, d'étudier le choléra asiatique. Plus je considérai la question sous ses diffé- rentes faces, plus je reconnus la vérité du principe qui la dirige. Je communiquai le résultat de ce premier travail en mars 1838 à la Société médico -chirurgicale de Genève, et en oc- tobre de la même année à Sa Majesté le Roi Othon. 96 RÉFORME DES QUARANTAINES. En continuant cet examen, je reconnus que, dans une affaire aussi grave que celle des quarantaines, il n'était pas permis d’a- dopter à la légère des innovations, sans les avoir préalablement soumises au creuset de l’expérience. Je remarquai d'ailleurs qu'il ne suffirait pas de porter indifféremment la chaleur à un degré quelconque pour lever tous les doutes sur le résultat. Quoique des faits incontestables prouvassent qu’une tempéra- ture sèche au-dessus de 40° R. fait cesser la contagion de la peste en Egypte et de la fièvre jaune en Amérique , il était pos- sible que cette température moyenne n’agit sur le principe con- tagieux que comme elle le fait sur certains animalcules, qu’elle dessèche, assoupit, mais ne détruit pas. — Sacco avait égale- ment affirmé qu'une température de 50° R. dénaturait le vac- cin, mais ce fait pouvait étre isolé. (Voy. son Trattato della Vaccinazione ; Milano, 1809, pag. 98.) Le D' Bulard, proposant une température de 35 à 60 degrés de chaleur pour détruire le contage de la peste dans les mar- chandises, et celle de 27 à 30 degrés chez les personnes , ne s’appuyait non plus sur aucune donnée positive. (Voy. son ou- vrage cité, pag. 163.) Dans ce dilemme, et en l’absence de documents applicables directement à la peste ou à la fièvre, j'ai cru devoir choisir une chaleur sèche assez élevée, et un point assez fixe pour faire cesser toute objection et rendre méme superflues des expé- riences lointaines, difficiles et souvent douteuses, La température sèche de 70° R. est le point qui correspond par ses effets aux 80 degrés de l’eau bouillante, celui où l’al- bumine se coagule, où la fermentation est suspendue , où les œufs et les graines cessent d être aptes à la reproduction des germes, en un mot, celui où l'unité vitale est détruite dans les animaux et les végétaux, et que l'expérience à prouvé être constamment utile pour neutraliser les principes contagieux quelconques. C’est ce degré de chaleur sèche que je fixe comme base des RÉFORME DES QUARANTAINES. 97 purifications quarantenaires, et je le fais avec d'autant plus de confiance que la modification chimique et vitale qui a lieu dans ce cas est en harmonie avec l’action chimique et anti-conta- gieuse de l’oxigène et des acides, que la sécheresse de l'air est une garantie indispensable de la conservation des marchandises, et que d'ailleurs la ventilation active qui s’établit dans les appa- reils sera un agent dépurateur bien autrement efficace qu’une simple aération, même prolongée. La certitude morale que j'avais de l’efficacité et de l’inno- cuité du calorique sec porté à 70° R., ne m’a pas cependant fait négliger les expériences propres à faire passer ma conviction dans l’esprit de tous. En juillet 1841 j'ai répété les observations de Sacco sur la vaccine, et elles m'ont paru devoir étre d’autant plus con- cluantes, que la vaccine est un contage originaire des animaux. et qu’il est prouvé que ces contages, exposés à l’air, à la cha- leur ou dans l’eau, sont plus difficiles à détruire que ceux de Fhomme. Après avoir recueilli à Genève du vaccin sur des fils de co- ton, et avoir renfermé ces fils dans des tubes en verre soigneu- sement bouchés, j'en plaçai la moitié dans une espèce de petit calorimètre de Lavoisier, composé de deux cylindres concen- triques en métal, dont l’intérieur était rempli d’eau , le cylindre intérieur contenant les tubes et la boule d’un thermomètre de Réaumur, qui faisait saillie au dehors à travers le double cou- verele des cylindres. Je chauffai cet appareil pendant 2 heures avec une lampe à . esprit-de-vin, en maintenant la température à 70 degrés, puis … je remis les tubes chauffés et ceux qui avaient été conservés à à part à Mr. le D' Fauconnet, médecin distingué de notre ville. Ce praticien, après avoir extrait les fils et reconnu que les uns “etes autres étaient intacts, pratiqua la vaccination avec les “premiers sur l’un des bras d'un enfant et avec les seconds du côté opposé. La vaccine avorta sur le bras moculé avec le virus soumis à la chaleur, et non sur l’autre. XLII 7 98 RÉFORME DES QUARANTAINES. À la suite du congrès scientifique de Florence, auquel j'avais communiqué mon projet de réforme , j'ai pu, grâce à l’obli- geance de Mr. le D' Calosi, répéter cette inoculation dans l'hos- pice degli Innocenti. Ayant remplacé les fils par des plumes pour faciliter l’opéra- tion, je renfermai le virus vaccin dans des bouteilles bouchées à l’émeri, pour être certain que la vapeur aqueuse n’y pénétre- rait pas. Le virus resta ainsi exposé pendant 20 minutes à 7 0°R. environ , dans l’apareil, et nous obtinmes les mêmes résultats qu’à Genève. Ci-joint les procès-verbaux de ces expériences. (Voyez Do- cuments n° 9.) Il s'agissait de répéter mes épreuves sur d’autres contages ; je pensai de suite au virus varioleux. Je n’avais pu m'en pro- curer à Genève; jéprouvai de grandes difficultés à Florence . et lorsque j'en eus , il me fut impossible de trouver quelqu'un qui consentit à se laisser inoculer. Cependant le gouvernement de Son Altesse Impériale le Grand Duc de Toscane, désireux de voir confirmer mes résultats, a bien voulu permettre que des essais dirigés dans ce sens soient exécutés sous la direction de Mr. le Commandeur et Professeur Betti , et Mr. le D' Calosi doit s’en occuper également '. À mon passage à Gênes, j'ai eu aussi des conférences avec MM. les docteurs Prasca et Lemoyng , chargés de la direction des vaccinations gratuites, et ces médecins, pleins de zèle et de bonne volonté, m’ont promis de répéter dans l'hôpital Panma- tone les expériences du D° Calosi. Mr. le D' Buffa, médecin adjoint du Manicomium de Génes, excellent observateur, déjà connu avantageusement par ses tra- vaux scientifiques, en particulier par son ouvrage sur la réforme des quarantaines, s’est offert avec empressement pour m'aider dans ces recherches, et je ne doute pas que ses lumières ! Ce dernier doit avoir, en outre, essayé sur le vaccin l'influence anti- contagieuse attribuée à l’huile dans l’ouvrage sur la peste de Tanger, par Mr. le comte Gräberg de Hemsë. RÉFORME DES QUARANTAINES. 99 ne soient d’une grande valeur à l’appui de mes conclusions. Enfin à Turin, Mr. le professeur Martini et Mr. le D' Sperino m'ont renouvelé les mêmes offres obligeantes. Arrivé à ce point, mes efforts isolés ne sauraient aller au delà, et le gouvernement de Sa Majesté est seul capable d’achever cette découverte, ce qui serait la plus douce récompense de mon travail. Qu'il veuille alors donner des ordres pour que les expériences soient répétées officiellement avec divers contages virulents humains indigènes, et que dans l’école vétérinaire on en fasse de semblables sur ceux des animaux. Qu’en outre, pour compléter ces observations, il daigne faire parvenir à ses agents en Egypte des directions pour qu’on soumette le virus des bubons de la peste à une chaleur sèche de 70°R., et qu'ainsi altéré il soit inoculé à des individus jus- qu’à ce jour exempts de peste. (En faisant grâce de la vie à des condamnés à mort en cas de réussite, on ne blesserait, dans ce pays, ni les lois de la justice, ni celles de humanité.) Quant au temps nécessaire pour opérer la destruction des contages par la chaleur, c’est aussi un problème à résoudre. Il est vraisemblablement de courte durée , puisque l’action de l’eau bouillante est presque instantanée, et que Sacco it avoir détruit dans 8 minutes la faculté contagieuse du vaccin ; mais dans l'incertitude j'ai préféré adopter un terme assez prolongé. Reste à savoir le temps que requiert le calorique pour pé- nétrer au centre des grosses balles de coton ou de laine sans les ouvrir. — Cette expérience doit avoir été faite à Odessa, par ordre du gouvernement russe, et on doit avoir trouvé qu'elle exigeait 24 heures. Comme je l'ai dit, on pourrait l’a- bréger en plaçant des tubes ou des roseaux dans les ballots au moment de l'emballage. Mais dans tous les cas le gouvernement de Sa Majesté devrait encore s’en assurer par des essais officiels et répétés. 100 RÉFORME DES QUARANTAINES Documents N° 5. Preuves de l'efficacité de l’eau, en particulier de l'eau de mer, pour éteindre l’action des principes contagieux. Nous avons vu que le docteur Pugnet , en parlant de la peste de Damiette, considérait la simple précaution, de faire totalement plonger dans le Nil les individus qui avaient eu les rapports les plus immédiats avec des sujets certainement infeetés, comme capable de détruire les germes de la contagion pestilentielle (voy. pag. 185 de son ouvrage ). En 1828 et 1829, la peste qui éclata parmi les troupes russes au sud du Caucase fut bornée et chaque fois arrêtée par la pré- caution que l’on eut de faire laver chaque jour avec de l’eau froide ou baigner dans le fleuve tous les individus, les chevaux ou bestiaux de l’armée, sans avoir égard à la saison, et de plonger dans l’eau ou laver tout ce qui était apporté au camp, à l'excep- tion du pain et des substances solubles. Le résultat obtenu engagea les médecins, aussi bien que les officiers, à considérer l’eau comme un des premiers préservatifs et le plus sûr contre la peste (Kurzer historischer Ueberblick des Auftritts, Verlaufs und der Tilgung der Pest, unter den Truppen jenseits des Kaulrasus, in den Jahren 1828 und 1829. Aus dem Russischen, von D' Güde- chen, im Magazin der Auslündischen Litteratur der gesammien Heilkunde, von Gerson und Julius ; 1835, Hefi 1.) Le lavage des vivres dans l’eau douce est une pratique usuelle dans les quarantaines de l'Orient. | Aux frontières autrichiennes, on introduit chaque année des provinces turques des milliers de bestiaux, et même, en temps de peste, la seule précaution que l’on prenne consiste à leur faire traverser la rivière à la nage. Jamais il n’en est résulté d’incon- vénient. (Voy. Lorinser, ouvrage cité, pag. 482 et 403.) L'emploi de l’eau salée ou de l’eau de mer, comme agent anti- contagieux, est à l'ordre du jour dans tous les lieux où règne RÉFORME DES QUARANTAINES. 101 la peste et dans toutes les quarantaines maritimes, et son effica- cité est prouvée par une expérience de plusieurs siècles. Dans la peste de Spetzia, en 1827, on n’eut recours à aucun autre mode de purification pour les hardes et les effets des pestiférés ou des suspects , et la contagion fut arrêtée. Tully, dans la peste de Corfou et de Céphalonie , se servit de la même précaution pour les hardes et les tentes, et elle fut couronnée du succès le plus complet. Ainsi ce procédé de purification ne peut être le sujet d’au- cune controverse, Toutefois il convient de distinguer le mode d’action de l’eau douce de celui de l’eau de mer. La première ne paraît agir qu’en diluant le principe conta- gieux, et ce qui le prouve c’est que, dans l'espèce bovine, la contagion se communique d’un individu à l’autre lorsqu’on n’a pas soin de renouveler le liquide dans l’auge où lon fait boire les bestiaux. Par conséquent ce moyen de purification ne sau- rait être appliqué que là où l’eau est abondante et sans cesse renouvelée. L’eau salée et surtout l’eau de mer paraît, au contraire, opé- rer directement une décomposition chimique des principes con- tagieux et détruire leur vitalité. ; Aussi convient-il d’avoir recours à l’eau salée plutôt qu’à Peau douce, toutes les fois que la chose sera possible. nn 000— - Documenrs N° 6. Preuve de l’économie résultant de l'emploi du calorique comme agent de dépuration, Nous trouvons, dans l'ouvrage du D' Buffa déjà cité, le caleul comparatif des dépenses faites dans les lazarets de Marseille et de Gênes avec le procédé actuel de désinfection, et des frais qu'occasionnerait approximativement l'emploi de la chaleur. 102 RÉFORME DES QUARANTAINES. Il résulte de ce calcul que 600 balles de coton purifiées par la chaleur coûteraient 383 francs , tandis que d’après la méthode usitée à Marseille et à Gênes cela irait à 2150 francs, et d’après le procédé du chlore employé, à Odessa, à 1585 fr. Le grand avantage du calorique, c’est qu’il n’exige qu’un petit nombre d'employés et qu’un temps fort court. Aussi, en supposant que la main-d'œuvre dans les lazarets actuels aille à. 600 fr. pour 600 balles de coton, elle ne reviendrait qu’à 230 par la méthode de la chaleur. Le séjour de 600 balles de coton , avec la durée des qua- rantaines actuelles (qui n’est pas moindre de 30 jours), porte l'intérêt de leur valeur , pendant cet espace de temps, à 1250 francs, tandis que si on emploie la chaleur, le séjour n’étant que de 24 heures au plus, cet intérét n’irait qu’à environ 42 fr. —"s ti e——— Documenrs N° 7. Preuves de la non alterabilité des marchandises par une cha- leur sèche de T0° R. Pour faire adopter le calorique comme moyen dépurateur dans les quarantaines, il fallait préalablement s'assurer qu’une température d'au moins 70 degrés de Réaumur n’altérerait en aucune manière les marchandises contumaces. Je disposai donc tout pour une expérience décisive, Je me procurai d’abord chez des négociants respectables de Genève des échantillons des diverses marchandises contumaces soumises au sciorino, el portées sur le règlement du magistrat de santé de Génes, publié en 1817, en ayant soin de choisir les substances les plus délicates, les couleurs les plus tendres et les plus changeantes , et de laisser à ces négociants la moitié des échantillons , comme talon de la marchandise livrée. Je fis aussi fabriquer un thermomètre de Réaumur à maximum pour fixer le degré de température. RÉFORME DES QUARANTAINES. 103 Je dus à l’obligeance de Mr. Lequin, propriétaire d’une pa- peterie magnifique, à la Bâtie près Versoix, la possibilité de faire établir une caisse en bois autour de la cheminée en fer de sa machine à vapeur, pour servir d'étuve sèche. Puis je confiai mes échantillons étiquetés et le soin de l’ex- périence à Mr. Montgolfer , directeur de l’établissement et praticien aussi distingué qu’exact. En voici le résultat. — Les échantillons, après avoir été pesés séparément, furent placés dans l’étuve. Une première expérience ayant échoué par la rup- ture du thermomètre, on la reprit le 19 mai 1841. Les substances furent ainsi exposées pendant environ 8 heures à une température de 70° de Réaumur. On les pesa de nou- veau à leur sortie, puis elles furent soumises au jugement de MM. les négociants qui les avaient livrées, savoir: à Mr. Latard et Ce pour les étoffes de laine , soie, coton et fil; à Mr. Massip fils, pour les cuirs bruts de veau et de chèvre ; à Mr. Gouy passementier, pour les galons or et argent, fins, mi-fins et faux ; à Mr. Filliol , pour les laines lavées , le coton brut, le crin brut , les plumes d'oie, le lin, le chanvre, les éponges ; à Mr. Hugin, pelletier, pour les pelleteries chinchilla, hermine, martre, cygne, etc. ; à Mr. Forestier, marchand drapier, pour les draps en laine de divers teints; à Mr. Reichlen fils, mar- chand de peaux, pour maroquins de diverses couleurs ; à MM. Bouffier frères , pour cocons de soie. Tous ces messieurs m’ont remis des certificats et les talons cachetés, et à l'exception de deux étoffes de coton, qui ont très- légèrement päli, de deux pelleteries blanches qui ont été insen- siblement ternies, d’un galon faux et d’une broderie qui se sont légèrement irisés vers le bord, toutes les autres substances ont été trouvées intactes. Encore peut-on attribuer ces altérations presque insigni- . au tuyau du fourneau, dans lequel on brûlait de la ouille et de la tourbe, et dont les fissures laissaient échapper un peu de fumée. 104 RÉFORME DES QUARANTAINES. Or, rien n’est plus facile que d'éviter cet inconvénient et de graduer la température dans un appareil construit ad hoc. Copie du procès-verbal de l'expérience faite le 19 mai 1841 à la Bâlie sur les indications du docteur Gosse. Les objets fournis par Mr. le docteur Gosse consistaient en : - PESANT à l'entrée à la doi dans de l’étuve. l’étuve. Lisnerdeiplumensiuo her .enils a 0,700 0,633 1 sac coton en bourre . . . . . . . 0,620 0,570 1 sac laine en bourre. . . . . . . . 0,625 0,561 lüsäc.eïfins. : novhdo gh.17 1067 286 205 0,620 0,533 1 paquet chanvre +. . . : ... .. 0,520 0,494 5 conponsicuirs.. 20 Sel, eù! suog 04 0,127 paquet éponges... ! 4%, . 05 0,049 0,043 7 coupons fourrures . . . . . . . :.70:050 0,043 1 paquet étoffes soie, laine et coton, . 0,079 0,070 fpaquet CotonGlé. "5 5, 2e, Nom 0,016 0,015 27 coupons draps divers. . . . . . . 0,041 0,037 Î paquet cocons. 400. #4 «0m 0 to. 004 0,010 1 paquet toiles peintes . . . , . . + 2103014 0,010 9 coupons maroquins. . . . ... . . 0,024 0,020 1 paquet galons . . . . . oo M0 O0 0,026 Ces divers objets, renfermés dans une étuve à air chaud et placés sur des rayons de bois ou appendus, furent soumis à une chaleur de 65° Réaumur dans une première expérience, qui ne put être continuée au delà de 3 heures, parce que le tube du thermomètre à mercure se brisa, soit par la trop prompte dilatation, ou par une autre cause quelconque. RÉFORME DES QUARANTAINES. 105 Dans la seconde expérience, qui a eu lieu aujourd’hui et a été continuée de 6 heures du matin à 6 heures du soir, la pro- gression ascendante du thermomètre a été celle-ci : À 6 heures du matin, placé à l’étuveil a donné : au bout de quelques minutes. . . . . . . . 25° M heures ilmarquait.. 21... - . . ‘059 Mrheures. …. . . . .… . . ROUTE ||: 1: à 10 1/2 il avait dépassé ce chiffre, et le verre s’est brisé de nouveau, circonstance que je ne puis attribuer qu’à l’expansion intérieure ou au mouvement opéré par la dessiccation du bois sur lequel repose le verre. Quoi qu’il en soit, la température a été maintenue égale dans l’étuve jusqu’à 6 heures du soir, et tous les objets précités ont supporté pendant 8 heures une chaleur qui n’a été, en aucun moment, inférieure à 70°R. Les poids mis en regard des premières pesées faites sont ceux des objets sortant de l’étuve. La différence entre ces deux séries donne la mesure de l'humidité dont ils ont été privés par un séjour de 8 heures sous 70° de chaleur. Signé MONTGOLFIER. Il faut remarquer que les divers échantillons sortis de l’étuve n'ont pas tardé à reprendre leur poids primitif, par l’absorp- tion de l'humidité atmosphérique, par conséquent cette dimi- nution n’a été que temporaire et ne peut être considérée comme « une objection réelle à emploi de la chaleur sèche dans la puri- » fication des marchandises. Une autre remarque, que nous suggère la forme des appa- « reils nécessaires à l’application de la chaleur, c’est qu’en sup- | posant qu'on juge convenable de remplacer, pour certaines sub- « siances contumaces, la chaleur sèche à 70° par la ventilation ayec un air froid ou tempéré, procédé qui, comme je l’ai dit, est bien autrement actif et plus prompt que la simple aération sous un hangard, les tours de dépuration rempliront admirable- 106 RÉFORME DES QUARANTAINES. ment bien ce but. Il suffira, en effet dans ce cas, de placer au sommet de la tour un fourneau d’appel, et les marchandises éta- lées dans les divers étages ne tarderont pas à être exposées à un violent courant d’air de bas en haut, en même temps que les miasmes entraînés seront détruits en traversant le foyer allumé vers la voûte. —t er — Document N° 8. Preuve en faveur de la possibilité de détruire les contages par une pression mécanique. Le rapport du docteur Calosi de Florence renferme, outre le résultat des expériences faites avec la chaleur, celui d’un es- sai où le virus vaccin a été soumis à une forte pression et par lequel on a réussi à détruire sa faculté contagieuse. (Voyez sa troisième expérience.) Des essais semblables doivent avoir été exécutés à Genève et à Gênes ; j'en attends le résultat. Quoiqu’on ne puisse tirer aucune conclusion de ce fait isolé, l’observation mérite d’être répétée et variée. 1 LR — DocumenTs N° 9. Copie du procès-verbal des expériences faites par le D' Calosi, pour prouver l’influence du calorique et de la compression sur le vaccin. Rapporto sommario degli esperimenti e relativi resultati del Calorico posto in azione al grado 70"° circa di Reaumur et d’una pressione mecanica forte sul virus vaccino nell’ indole sua legittima preso dal uomo inoculato, proposti e diretti a vo- lonta dall” chiarissimo Cav° Professore Doit’ Gosse, medico di Ginevra, eseguiti dal! infrascritto M° Ch° incaricato della RÉFORME DES QUARANTAINES. 107 pubblica vaccinazione di Firenze nella sala a cio destinata del R° Spedale degl. Innocenti alla presenza del prefato Professor Gosse, Professor Capecchi (presente soltanto al primo esperi- mento) et dei Dottori Petri, Pezzati, Chirurgo Gustavo Calosi ed altri. Esperienza prima. La mattina del 13 ottobre 1841, alle ore 10 1/2 raccoglie- vasi al modo consueto in n° {7 ritagli di penna di oca il vac- cino liquido da una delle pustole legittime sviluppate dopo 7 giorni dell’ innesto della bambina Trene figlia di Angelo Biz- zarri, della cura parocchiale di San Lorenzo in Firenze. L'ridetti ritagli di penna venivano tosto introdotti nel n° di 3 in un boccetto di cristallo chiuso ermeticamente con tappo smerigliato, e li altri quattro in un secondo boccetto pure ben chiuso e collocato in adattato metallico apparecchio calorifero, esposti per minuti 25 alla continuata azione di 68 in 70 gradi di calore del termometro di Reaumur. Spirava questo periodo, ed estraevansi del primo boccetto li 3 ritagli con vaccino non avventurato a nessuna causa alte- rante la sua integrita naturale, il quale tosto con ago di oro scanalato veniva trasmesso in tre punti al braccio sinistro dei due parvoli Facondo e Francesca, innocenti ambedue nell età di circa un anno, gettatelli dello spedale ; mentre si estraevano dal 2° boccetto li altri 4 ritagli aventi in stato di essiccazione il vaccino già sotioposto al azione ricordata del calorico, qual vaccino rammollito e sciolto con una stilla di acqua fresca in- nestavasi con altro ago di oro in tre punti del braccio destro di - ognuna delle indicate creature. Dopo due giorni e precisamente alle ore 3 e 35 minuti po- meridiane del 15 corrente, osservavansi segni manifesti delle operate punture nei bracci sinistri e niuno indizio di esse nei destri. 108 RÉFORME DES QUARANTAINES. Nel 19 alle ore 10 1/4 antimeridiane apparivano regolar- aente sviluppate le pustole vacciniche neï braeci sinistri ai punti lelle inserzioni ed osservavasi nei destri mancanza totale di :ruzione. Nella possibilita che neï giorni successivi potesse nas- cere 1l rudimento pustolare in quest’ ultimi, vi si ripetevano le >Culari ispezioni, per le quali veniva confermato il fatto della 1essuna eruzione. Esperienza seconda. Nel di 20 del medesimo mese di ottobre, sopra due altri vaccinandi, cioe di Clorinda di Giovacchino Taiti nell’ età di mesi 11, della cura di St. Lorenzo di questa città, e di Anto- nietta di Cesare Ricci neï mesi 6 di età, della cura di San Gaetano, ripetevansi le medesime esperienze, profittando del vaccino liquido nell istante preso da una delle due pustole vacciniche legittime sviluppate al braccio destro del parvolo Rafaello figlio di Baldassarre Vichi, nell età di mesi 7 circa, dimorante in Fi- renze in Via nuova, all n°3211, e della cura di San Frediano. Questo vaccino era stato raccolto alle ore 10 e 35 minuti da mattina in sei ritagli di penna, tre dei quali erano rimasti esposti al azione del calorico col processo ed avertenze mede- sime impiegate negli esperimenti antecedenti ; e gli altritre ri- tagli invece si erano conservati chiusi in un sodo boccetto, all unico scopo di guarantire il virus delle ingiurie esterne, ed in specie dall’ aria atmosferica. La dose compresa nei primi tre ritagli, sciolta nel modo so- lito, inoculavasi ai bracci sinistri dei due parvoli prenominati, enei destri l’altra porzione dei tre ritagli serbati nel 2 “boccetto. In ambidue questi individui si reiteravano nel corso di 9 giorni le osservazioni sulla conseguenza dei praticati innesti, e verifi- cavasi nel braccio destro di ciascuno di essi una pustola legit- Uma, e nessuna pustolazione nel sinistro. RÉFORME DES QUARANTAINES. 109 Esperienza terza. Alle ore L{ antimeridiane del citato di 20, profittavasi"dell” altra pustola sviluppata nel medesimo Raffaelo Vichi, imbevendo dell’ umore vaccinico di quella sei frammenti di filo di cotone. Quattro di essi introdotti e chiusi in un tubetto di vetro perdu- rante il tempo accorso nel trasporto di loro al laboratorio del Chimico Farmacista Gaetano Cioni, venivano tolti dal tubetto ridetto e sottoposti ad una fortissima pressione meccanica eser- citata per un ora incirca; e li altri due filj vaccinici posti si- multaneamente nell interno di un 2° tubetto si conservavano inalterabili. Alle successive ore 12 e 3/4 trasmettevasi il vaccino di quei quattro fili che aveano sofferta la indicata pressione al braccio sinistro dell Innocente Marziale in mesi 11 circa di età, figlio dello spedale, e l’altra dose di vaccino nei fili non assogoeltati alla potenza comprimente innestavasi al braccio destro del pre- fato individuo. Riscontrati in seguito i due bracci vedevasi nel destro una pustola regolare e nessuna eruzione nel sinistro. Osservazioni. Abbiamo veduto che il virus vaccino in anteccdenza assog- gettato ad eminente grado di calorico perdurante circa minuti 20 trasmesso in azione nei surreferiti individui à riuscito ineffi- Cacissimo per la prova in essi derivata della nessuna eruzione. È Che la stessa totale mancanza di eruzione si e verificata nel braccio dell’ individuo inoculato col vaccino, sottoposto per- durante circa un ora innanzi a grado sommo di pressione. _ Eche le vaccinazioni eseguite negli stessi individui dalf altro braccio col virus conservato per circa 20 minuti nei principi e condizioni medesime in cui trovavasi mentre fu preso dalla pu- | stola e cosi non sottoposto a niuna delle azioni modificatrici, ebbero il risultato della regolare eruzione vaccinica. 110 RÉFORME DES QUARANTAINES. Conclusione. Confrontando i resultati raccolti negl’ individui medesimi inoculati col virus vaccino nelle descritte sue speciali differenze, possiamo dedurre che desso assoggettato alle azioni, o del calo- rico a grado eminente, o della pressione a grado altissimo, ha mostrato di perdere intieramente la sua proprieta contagiosa.. Firenze, 31 ottobre 1841. Signé Luicr CALosi, direttore delle vaccinazione pubbliche. Au morent de mettre sous presse le mémoire actuel, je me suis aperçu que le mot de contumace, appliqué aux règlements quarantenaires, ne se trouve dans aucun dictionnaire de là lan- gue française, quoique dans tous les lazarets de la Méditerranée cette expression soit admise et appliquée aux marchandises susceptibles de transporter les principes contagieux, et par ex- tension aux individus qui subissent leur quarantaine, ainsi qu'aux localités des lazarets destinées aux quarantenaires et aux marchandises en quarantaine. C’est dans ce dernier sens que je l’ai adopté. L.-A. G. Note explicative de la planche. J'ai cru pouvoir retrancher sans inconvénient du plan de Mr. Piolti, l'élévation générale du lazaret et tous les détails d'architecture qui con- cernent l’édifice d'administration ou les habitations des contumaces, me bornant aux objets essentiels et caractéristiques, savoir, le plan général de l’établissement, ainsi que le détail des tours d'épuration. Je ferai aussi observer, qu’en transformant en infirmerie une des 14 divisions de contumaces, je n’ai pas eu l'intention de diminuer le nombre de celles-ci, mais seulement d'indiquer la place que doit occuper l’infir- merie dans le cas où l’on jugera convenable de la créer. Il est évident qu’il faudra alors agrandir la circonférence du lazaret et ajouter une quinzième cour. En admettant qu’on puisse loger 10 contumaces dans dans chacune des 14 divisions, le Jlazaret pourra donc en contenir 140 en même temps. RÉFORME DES QUARANTAINES. 111 Copie du ilevis estimatif pour la construction d'un lazaret panoptique pour qualorze catégories de contumaces. Nos NATURE DES OUVRAGES. Quantite| Prix. | Sommes. 1 |Déblais de terre pour les fouil- Fr. C.| Francs C| les des fondations . . . . . . Mètr.cub.| 7,430! 0 50| 3,715 » 2 |Maçonnerie en fondations eten Woellons ren ins Eh 6,745/10 » | 67,450 » 3 [Maçonnerie en élévations el en MES 5: « se ete ss > «+ | 8,160/16 » |130,500 » 4 |Maçonnerie en moellons avec lâtrage en pozzolane pour eipisciness, MARNE >» 220120 » | 4,400 » 5 |Pierre de taille pour les esca- Los 8 100 hdélieter de N° 700! 4 » | 2,800 » 6 |Voüûtes en briques pour les bâ- D Mètr.cub.! 470/25 » | 11,750 » 7 |Planchers en peuplier, avec poutres en sapin. . . . . . . » carrés! 4,600! 4 » | 18,400 » 8 2 50! 1,250 » 9 |Carrelage en briques pour le bâtimt de l’administration,etc. » [10 Planchers grillés de la tour. . >» 11 [Toiture et couverture en tuiles 4,500! 1 50! 6,750 » | 1,500/10 > | 15,000 » MIO nn ce de oc À Dati : | 500 | [l LL] pour les bâtiments, . . . .. 7 3,650] 4 » | 14,600 » 12 |Zd. pour les maisons des con- | A EL LL 2 > >» | 1,500! 3 50| 5,250 » 13 |Menuiserie en noyer pour les | snpisces diac haut santé sd, 850120 » | 17,000 » 14 |Zd. pour les portes. . . . .. » 380122 » | 8,360 » M Nitrerse M. Né arapor rs 150 3 50, 2,625 » 16 Peinture à l'huile pour la me- DIRES. 2 . M ro et ee D — | — 3,000 » 17 |Fer p' tirants, crampons, etc.. Myriagr.| 600! 7 » 4,200 » 18 |Zd. pour les grilles des croi- sées et des grandes portes Dinisénjele, ee di »> » | 1,800) 7 50! 15,500 » 19 |Zd. pour les parloirs des cours des contumaces . . . . . . . » » | 2,000 Ts. 14,000 » 20 |Zd. des portes et croisées. . . » » 300| 7 75, 2,325 » 21 |Corniches des bâtim!S en plâtre Mètr. lin.| 500! 3 >» | 1,500 >» 122 |Lattes en tuyaux pour les toi- | | tures et corniches . ..... » > 550| 2 » | 1,100 » 23 |Dallage en pavés des cours. . > carrés|12,000| 1 50 18,000 » 367,475 » Somme à valoir pour dépenses imprévues. . . | 36,747 50] Total en francs . . . . [404,222 50 Turin, ce 28 octobre 1842. Signe Jean PiouTi, ingénieur. Statistique. OBSERVATIONS SUR LE DÉNOMBREMENT DE LA POPULATION DE LA GRANDE-BRETAGNE, par Mr. P. Caix; lues à la Société de Physique et d’'Hisioire naturelle de Genève, séance du 20 octobre 1842. mn ES > Depuis un demi-siècle le gouvernement anglais publie pério- diquement un recensement qui se fait simultanément dans toutes les parties des îles Britanniques, le 6 juin, de 10 en 10 ans. Les résultats de celui de 1831, publiés par ordre de la Cham- bre des Communes, forment un volume in-folio de 417 pages, où l’on trouve la population de chaque paroisse et subdivision de paroisse, comparée à ce qu’elle était à l’époque destrois re- censements antérieurs. Une autre table indique quel était, à di- verses époques, le rapport de la population totale au nombre des baptêmes , des mariages et des enterrements dans chacun des 40 comtés de l'Angleterre proprement dite. Malheureuse- ment, comme les tables n’indiquent pas l’âge des individus dé- cédés, il est impossible de se faire une idée de la longueur de la vie moyenne; de plus, les discordances nombreuses de ces tables avec les résultats plus authentiques des recensements indiquent assez la négligence avec laquelle sont tenus les regi- stres des paroisses auxquels on en empruntait les matériaux. Dans les comtés purement agricoles, et surtout dans les comtés pauvres et montagneux. le nombre des mariages est ordinaire- ment moindre de ce qu’il est ailleurs ‘. Dans le Middlesex on en compte un sur 102 habitants ; c’est aussi là que le nombre des ‘ 1 sur 102 à 140. Les publications plus récentes de l’état civil on démontré qu'il y a dans tout le royaume un mariage sur 128 habitants. DÉNOMBR. DE LA POPULAT. DE LA GRANDE-BRETAGNE. 113 enterrements est le plus considérable par rapport à la popula- tion, tandis que le chiffre des baptêmes y est l’un des plus fai- bles. Aussi est-ce le point du royaume où l’accroissement serait le moins rapide, n’était l’affluence qui agglomère dans la capi- tale des centaines de mille âmes venues des autres comtés. Celui de Monmouth, situé sur les frontières du pays de Galles, avait fixé l’attention de Sir Francis d’Ivernois, par la faible pro- portion du nombre des baptêmes ‘ et par celle plus faible encore des enterrements *. Nulle part dans le reste du royaume il n’y avait un moindre nombre des uns et des autres, ce qui tendait à éloigner, plus qu'ailleurs, l’époque où il devait se trouver embarrassé d’un excès de population. Il est étrange, cependant, que l’inexactitude des registres ecclésiastiques, auxquels l’illustre économiste empruntait ces chiffres, ne lui parût pas évidente ; en effet, tandis qu’il proclamait avec satisfaction ces heureux résultats de la sagesse (moral restraint) des habitants du comté de Monmouth, les statistiques parlementaires prouvaient de dix en dix ans combien ce peuple en était peu digne, car il s’ac- croissait en 40 ans de 194 p. cent , tandis que dans le reste du royaume l'accroissement n’a été que de 57 p. cent dans le méme intervalle ; en d’autres termes, l’habitant de Monmouth, blessé peut-être des éloges que lui prodiguaient les statisticiens, payait à la patrie le tribut d’un nombre de fils quadruple de celui des autres comtés. Dans le Cornwall, au contraire , la différence entre le nombre des baptèmes et celui des enterrements inscrits aux registres des paroisses était presque triple * de celle du comté de Monmouth , tandis que l'accroissement réel de sa population était à peine de 1 p. cent plus élevé que dans le reste de l’Angleterre. Le développement plus ou moins grand de l’industrie et du Fr 4 sur 59 habitants. 2? 1 sur 83 habitants. Voir Bi61. Univ., 1833 (Littérat.), vol. II, p. 162. 3 0,0145 de la population totale, chaque année. XLII 8 114 DÉNOMBREMENT DE LA POPULATION commerce dans certaines parties du royaume influe plus, dans les fluctuations de la population, que ne le fait la proportion des naissances et des décès au nombre des habitants. On peut même dire que le degré de salubrité d’un pays n’y exerce éga- lement qu'une influence secondaire. L’Angleterre, par exemple, a eu des marais sur plusieurs points de sa côte orientale; mais ils ont disparu depuis long- temps, grâce aux travaux des habitants, et on n’en reconnaîtrait pas les traces si certaines localités n’en avaient conservé le nom. Les marais de Romney, dans le comté de Kent, sont convertis en beaux pâturages; ceux qui couvraient autrefois la moitié du comté de Cambridge ‘ et une partie des comtés voisins sont aujourd'hui des terres cultivées d’une grande fertilité. Camden mentionnait autrefois l’insalubrité des marais qui bordaient toute la côte du comté d’Essex. Ils sont maintenant desséchés, et rien n’atteste que cette côte soit moins salubre que le reste du comté. Toutefois, en comparant la proportion moyenne des enterrements dans tout le royaume avec la moyenne particu- culière du petit nombre des comtés où il a existé des marais, on trouverait cette dernière un peu plus forte que la moyenne générale. Je mentionne ceci sans y voir une liaison intime avec l'existence des anciens marais, car en supposant leur influence plus grande encore qu’elle ne peut l'être depuis le desséche- ment, on pourrait tout au plus en conclure que les habitants se trouvent exposés à quelques infirmités , sans que pour cela leur vie en soit abrégée. Depuis six ans l'Angleterre possède un état civil, qui promet de donner, sur ce pays important à étudier, des détails et des faits statistiques mieux établis que par le passé. L'administration actuelle vient de faire publier les résultats du recensement de 1841, sous une forme beaucoup moins vo- lumineuse et moins complète que le précédent. On s’est borné 1 Bedford Level, du nom du duc de Bedford, qui, le premier, entre- prit de les dessécher au dix-septième siècle. | | | | | | DE LA GRANDE-BRETAGNE. 115 LU à indiquer la population par comtés et par arrondissements d’enregistrement, sorte de subdivision qui n'offre aucun intérét statistique. La population des principales villes de l’Ecosse est indiquée, ainsi que les limites des franchises de chacun des bourgs de ce pays qui ont part à la représentation nationale ; mais pour les villes principales de l'Angleterre il est assez difficile d’en bien connaître la population actuelle, et, pour plusieurs d’entre elles, cela est impossible avec le tableau que j’ai consulté, parce qu’il faudrait pouvoir les isoler d'un certain nombre de paroisses extérieures dont la population est donnée en bloc et qui ne sont même pas toujours nommées. Nous n’avons encore aucun document officiel sur la popula- tion actuelle de l'Irlande, toujours mise en seconde ligne et traitée comme ne formant pas une partie intégrante des îles Britanniques. La Grande-Bretagne seule avait, en 1801 , une population de 10,472,048 habitants, que des accroissements successifs de 14,2 p. cent, de 17,6 et de 15,5 ont portée, de dix en dix ans, à 11,964,303, à 14,161,839 et à 16,366,011. Le dernier dénombrement l'indique enfin à 18,656,414, dont 2,620,610 pour l'Ecosse; la population de ce dernier pays | a presque toujours éprouvé un accroissement décennal de 3 p. 0/0 inférieur à celui de l'Angleterre. C’est là seulement que se montrent, au contraire, des cas de diminution sensible; il y a eu décroissement de 3 à 4 pour 0/0 dans les grands com- “tés d’Argyil, de Perth et de Sutherland, où de puissants pro- _priétaires ont favorisé l’émigration. Quoiqu'il tende toujours Mdavantage à surcharger la Grande-Bretagne d’une population qui ne sait déjà plus où trouver du pain, l’accroissement des “dix dernières années n'a heureusement pas suivi le taux des Mépoques antérieures et n’a été que de 14 p. 0/0 , au lieu de 15,5 et de 17,6. Les comtés où il a été le plus marqué sont, après celui de Monmouth, Durham, Lancaster, Stafford, War- wick et Surrey. Le comté manufacturier de Lancaster, dont 116 DENOMBREMENT DE LA POPULATION l'étendue est loin d'égaler celle d’un département français, pré- sente en dix ans un excédant de population de 330,210 âmes; qui égale seul la population de bien des départements. Vingt-cinq ans ont suffi pour changer les moindres bourgades des environs de Manchester en villes de 20 à 40,000 âmes. Manchester , avec Salford et leurs annexes immédiates, a vu sa population portée, en dix ans, de 228,451 ! à 262,636; mais la misère y à augmenté plus encore que la population. Elle a été l’objet de la sollicitude des âmes charitables et des recherches des économistes. Les agents de la Société de Statistique visitèrent, en 1835, 29,037 maisons, 4270 chambres isolées et 4417 caves habitées par les indigents de Manchester, formant un to- tal de 37,724 logements, dont 10,443 furent jugés malsains. I se trouva que 169,223 individus, dont 53,699 âgés de moins de douze ans, se partageaient ces 37,724 logements, et 18,295 entre autres occupaient les caves, dans une ville où l'humidité de l’air et du sol rend malsaine l'habitation même de l'homme opulent. On sait à quelles réclamations a donné lieu le travail excessif des enfants ; la législation fut saisie d'un projet de loi destiné à les protéger. Des enquétes eurent lieu ; des commissaires ju- gèrent que le meilleur moyen de discerner quelle influence le travail excessif des fabriques pouvait exercer sur la constitution, la santé future et le moral des enfants, était de les peser et de les mesurer. On soumit à cette épreuve 1062 enfants des deux sexes employés dans les fabriques de Manchester, et on les compara à quelques centaines de ceux qui n’y travaillaient pas ; or, comme il se trouva que ces derniers ne pesaient qu'un vingtième de plus que les autres et ne les surpassaient en taille que d’un centième , les manufacturiers considérèrent l'épreuve ! Ce n’est qu’en y annexant des bourgs et des villes fort éloignées et détachées de Manchester, quoique situées dans la même paroisse, que l’on assigna en 1831, 270,961 âmes à cette ville. Elle eu avait eu 41,032 en 1714; 24,000 en 1767, et 8,000 en 1717. LE LA GRANDE-BBETAGNE. ai comme décisive en leur faveur, et le Journal de Chambers an- nonça (n° 379) que les déclamations des prétendus philanthro- : pes ne méritaient pas dorénavant d’être écoutées un seul in- stant. Les commissaires chargés d’éclaircir la question paraissent n'avoir pas fait entrer en ligne de compte le teint livide, les traits difformes d’une population qui ne semble pas avoir la vitalité nécessaire pour perpétuer une race saine de corps, et limmoralité que les plus jeunes filles employées dans les fabri- ques s’empressent de déceler aux yeux de l’étranger. Ajoutons, cependant, que dans 29 fabriques les chefs font donner quel- que instruction à leurs jeunes ouvriers, qui en profitent au nombre de 1820. Parmi les villes principales de l’Ecosse , Aberdeen et Paisley n’ont pas présenté d’augmentation notable ; elles ont 62,900 et 48,125 habitants. Edimbourg même a éprouvé une diminu- tion très-légère ; on y compte 159,712 au lieu de 162,156. L'augmentation la plus forte est à Glascow, où l’on comptait 202,426 habitants en 1831, et 267,463 en 1841 ; à Gree- nock, qui en a 35,921 au lieu de 27,571, et à Dundee où, de 45,355, elle est arrivée à 63,825. Mais que sont ces accroissements en comparaison de celui de la ville de Londres ? Elle avait 1,47 4,000 babitants en 1831 ; maintenant on en compte |,434,887 dans les quartiers situés dans le comté de Middlesex, et 299,665 dans ceux du comté de Surrey ; total 1,734,552 *. En 1831, Liverpool avait 196,351 hab. *, maintenant 223,054 ; Portsmouth 66,547, au lieu de 63,026; Plymouth 80,061 au lieu de 75,534; Hull 41,130 au lieu de 36,293 ; Sheffield 85,076 au lieu de 717,413 * ; Leeds 168,667 au lieu de 123,393; Birmingham ‘ En y comprenant Leith qui a 29,026 habitants, et en avait 25,855 en 1851. ? Non compris Deptford, Greenwich et Woolwich, dont la population collective est de 80,971 habitants. ? En y comprenant Toxteth-Park, Everton et Kirkdale. ‘ C’est en n’y comprenant pas la paroisse d'Ecclesall où l’on comptait 14,279 en 1831. 118 DÉNOMBREMENT DE LA POPULATION (avec Aston) 189,115 au lieu de 142,251 ; Brighton 46,742 au lieu de 40,634 : Norwich 61,86 au lieu de 61,110. Nous ne pouvons indiquer aucun chiffre digne de confiance pour la population actuelle de Bristol et de Newcastle, que la- grégation d'un trop grand nombre de quartiers extérieurs porte dans noire dénombrement aux chiffres exagérés de 166,799 et de 110,597 hab. Nous ne pouvons donner ces tableaux de population sans mentionner le changement qui s’est manifesté dans les rapports numériques des deux sexes. On sait que les naissances mascu- lines dépassent partout les naissances féminines de 5 à 8 pour cent. En France, en Allemagne, en Russie et en Italie la pro- portion des enfants du sexe masculin est un peu plus forte que dans les îles Britanniques. Cependant, par suite des accidents auxquels est exposée la vie des hommes , leur nombre relatif diminue, au bout de quelques années, de telle sorte, que dans tous les dénombrements il se trouve inférieur à celui des fem- mes, et dans l'Angleterre surtout. Or, comme ces accidents n’attendent l'homme que peu avant son entrée dans l’âge viril, c’est aussi à partir de ce moment qu’il est frappé de la plus grande mortalité. La Bavière en fournit un exemple dans le dé- nombrement du mois de décembre 1840 ; parmi les enfants âgés de moins de quatorze ans il se trouvait 102 filles pour (00 garçons; mais au-dessus de cet âge le rapport était de 106 femmes pour 100 hommes *. Il est rare que, dans les villes, la proportion des femmes ne soit pas plus forte que dans le pays en général : à Newcastle e à Sheffield elle est de 102 à 104 p. 0/0, tandis que dans l’An- gleterre entière elle est de 104 ? ; mais ce sont des cas ex- ceptionnels. Dans les villes de Leeds, de Glascow, de Liverpool et de Birmingham la proportion est la même que dans le reste du pays; partout ailleurs elle est supérieure ; à Manchester elle ! Population totale, en 1840, 4,370,977; en 1831, 4,315,469; en tota- lité, 105 femmes pour 100 hommes. DE LA GRANDE-BRETAGNE. 119 ést de 107 femmes pour 100 hommes ; à Londres de 114, et même à Plymouth de 129 ‘. Cependant on ne compte au pays de Galles que 103,65 femmes pour 100 hommes. L’Ecosse présente une disproportion plus forte qu'aucune autre partie de la Grande-Bretagne ; on peut l’attribuer à la facilité avec laquelle les hommes s'enrôlent dans l’armée et - vont chercher fortune en Angleterre. Aussi trouve-t-on dans le pays 111 femmes pour 100 hommes, et dans les grandes villes on en trouve même jusqu’à 130. Un fait remarquable est l'augmentation du nombre relatif des femmes dans l’île entière pendant les dix dernières années; elles s’y trouvent dans la proportion de 105,65 au lieu de 102,62 *, tandis que le séjour des villes semble leur être de- venu spécialement contraire ; car elles y ont diminué presque généralement dans une proportion notable, de 5, de 10 et même de 16 0/0. Dans un bien petit nombre de cas elles ont augmenté d’une quantité imperceptible. On s'était attaché à connaître, lors des dénombrements pré- cédents, dans quelle proportion le nombre des maisons s’ac- croissait par rapport à celui des habitants; il se trouva que, dans les villes, il ne marchait pas de pair avec les progrès de la population. Mais, de 1826 à 1836, il s’est élevé un si grand nombre de constructions, que cette inégpalité a entièrement disparu. Pour la Grande-Bretagne on compte maintenant 5 habitants par maison, tandis qu'il y en avait 5 $ lors des quatre dénombrements antérieurs. Le nombre des habitations s’est également accru dans la même proportion pour les prin- cipales villes. ! Dans la ville de Naples, la proportion est de 114,5 femmes pour cent hommes ; nous avons indiqué dans notre Précis de Géographie (Lois de la Population, nouv. édition) l’anomalie présentée par quelques villes de Ja Russie. ? En tenant compte de la marine et de l’armée. 120 Géographie. REVUE DES PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES “ Par Mr. Paul Cuaix. (Troisième article ‘.) Turquie d'Asie. (Suite.) Les voyages du capitaine français Beaufort et de Mr. Trouil- lier, du capitaine Camille Callier et de Mr. Texier, en 1833 et 1834, dans l’intérieur de l’Asie-Mineure et du reste de la Turquie , ont enrichi l’archéologie et fourni des matériaux im- portants pour la construction d’une carte de ces pays, à la- quelle chaque année doit apporter quelque heureuse addition. Mr. le comte Jaubert a entrepris la publication des voyages botaniques de Mr. Aucher-Eloy, mort en 1838, à Ispahan, des fatigues auxquelles son ardeur l’avait exposé. Mr. Brant, dont nous avons analysé le voyage en Arménie, avait précédemment communiqué à la Société de géographie de Londres le journal d’un voyage fait par lui, en 1855 , dans une partie de l’Asie Mineure et dans l'Arménie occidentale. Il faudrait plusieurs articles spéciaux pour donner une idée de l’étendue des travaux de Mr. Ainsworth et de Mr. W. Ha- milton pendant les années 1836 , 1837 et 1838 , des rives de l’'Euphrate à celles de l’Archipel. Attaché d’abord à l’expédi- tion du colonel Chesney, sur l’Euphrate, Mr. Ainsworth re- vint à Constantinople depuis Baghdad. À une époque plus ré- cente il a, plusieurs fois, traversé l’Asie-Mineure et visité le Kourdistan ; la publication de ses voyages prouve qu'aucune i Voyez Bibl, Univ., septembre et octobre 1842. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 121 des branches de l’histoire naturelle ne lui est étrangère , tandis qu’on lui doit des recherches archéologiques d’un grand intérét. Mr. Hamilton a rendu les mêmes services dans ses laborieu- ses excursions au travers de l’Arménie et de l'Asie Mineure. Il en à rapporté quantité d'inscriptions grecques , dont plusieurs . indiquent la position de villes anciennes. Il a déterminé la lati- tude de 60 stations importantes pour la topographie du pays. En se rendant aux confins de la Géorgie, il a visité, dans les montagnes du Pont, les fameuses mines d'argent de Gonmich- Khanéh. A son retour par les bords de la Mer Noire, il a vé- rifé la position de quelques-unes des cités mentionnées par Xénophon et de la demeure des Chalybes , à l’est du Thermo- don ; la jonction de l’lris et du Lycus ; les mines de sel gemme sur les confins du Pont et de la Paphlagonie; les antiquités de Tavium en Galatie; la position de Pessinonte et les carrières de marbre synnadique ; puis il est revenu à Smyrne par An- tioche de Pisidie, Sagalassus et Colossae. C’est en ce dernier endroit qu’il vit le Lycus , affluent du Méandre, se perdre dans un profond abime. L’exploration de la côte, de l'ile de Rhodes et du golfe de Symi l’occupa pendant l’hiver.—Dans un second voyage, Mr. Hamilton se rendit à Cyzique er parcourut les montagnes de la Bithynie , Ancyre en Phrygie, le district ex- traordinaire appelé Katakekaumene ou la Phrygie brûlée, à cause de ses anciens volcans ; puis il se rendit à Iconium , à la fontaine de Midas, au lac salé de Kodj Hissar ou Touz Tchouli (Tatta palus), le plus grand de l'Asie Mineure ; il explora le cours du Melas. Par une série d’ebservations barométriques, il a déterminé la hauteur de toutes les plaines et de toutes les chaines de montagnes du grand plateau d’Asie Mineure , et s’é- levant, depuis Césarée de Cappadoce, au sommet du Mont Argeus, il a été le premier à prouver que sa hauteur atteint 4000 mètres. Après la découverte des ruines d’Isaura , il fut empéché par la peste de visiter la côte méridionale. 122 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. Mr. Charles Fellowes vient de publier le journal de son voyage archéologique au travers de l'Asie-Mineure ; de Con- stantinople il s'est rendu à Koutayah, puis à Antalia, sur la côte méridionele , en wisitant les ruines de plusieurs cités con- sidérables. 1l a parcouru successivement, en 1839 et en 1840, les côtes de la Pamphylie, à l’est ; de la Lycie et de la Carie, à l’ouest d’Antalia; Patara, Xanthus et Pinara, Milet et Ephèse. Cet itinéraire est en grande partie entièrement nouveau, ce qui donne un grand prix à la carte qui accompagne le voyage de Mr. Fellowes. Les beaux-arts lui sont encore plus redeva- bies , par la découverte des ruines magnifiques de Pinara, ville de 4 milles de circuit, et d’un grand nombre d’inseriptions. Remontant les rives enchantées du fleuve Xanthus, il est ar- rivé aux ruines de la ville du même nom, d’où il a rapporté en Angleterre une grande collection de sculptures , qui rivali- sent, dit-on, avec les marbres d’Elyin pour la beauté, le style et la composition. Il a eu également le bonheur de découvrir un grand nombre d'inscriptions écrites dans l’ancienne langue ly- cienne , dialecte jusqu’à présent inconnu , parlé dans le pays avant qu'il füt envahi par les armes et par la littérature des Grecs. Dans un second voyage , Mr. Fellowes a parcouru la vallée du Caystre, du Méandre et de ses principaux affluents , l’'Har- pasus et le Marsyas; toute la côte méridionale de la Carie, contrée fort pittoresque , autrefois appelée Perea. Puis il est rentré dans la Lycie, objet principal de son voyage. Il repré- sente le mont Massicytus comme le noyau d’où partent les hau- teurs et les vallées de ce pays, et comme le point de sépara- tion entre le pays maritime, coupé de montagnes et de vallées, et le plateau élevé qui le borne au nord, et où les anciens plaçaient les peuples de Milyas et de Cibarytis. Son sommet, toujours couvert de neige, ne s'élève pas à moins de 3000 mè- tres. Ses flancs donnent naissance à des ruisseaux innombrables qui se précipitent dans le Xanthus , et à d’autres , qui forment PROGRÈS LES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 123 au S.-E. et au N.-0. d’autres rivières considérables, qui n’ar- rivent à la mer qu'en franchissant des gorges percées dans de hautes chaînes de montagnes. On peut toutefois se demander s’il n’y a pas d’exagération dans la longueur de 200 milles, que Mr. Fellowes attribue à plusieurs de ces rivières. D’autres rivières du voisinage de Limyra tirent leurs eaux profondes et toujours abondantes d’un fleuve plus considérable , qui se pré- cipite dans une caverne , à 30 milles sur le plateau de Milyas, dans le voisinage d’Almah-lou. Cette ville moderne , qui con- tient une population de 25,009 habitants, presque tous Ar- méniens, si elle a jamais été visitée par un Européen avant Mr. Fellowes , n’a pas du moins été décrite. Elle se trouve au centre de plaines fertiles et riches en grain, de 15 lieues de longueur, dont la hauteur est de 1300 mètres, et où l’on trouve un lac de plus de 3 lieues de longueur. La frontière septentrionale de la Lycie est formée par une chaîne du Taurus. Après l’avoir franchie, Mr. Fellowes découvrit un grand lac, dont il suivit les bords pendant près de 7 lieues, et vit au delà une plaine couverte de villages qui s’étendait à 100 milles de distance, jusqu’au pied du mont Cadmus. il place cette mon- tagne à 50 milles à l’est de la position qui lui est ordinaire- ment assignée sur les cartes; il en a parcouru le pied dans plusieurs directions. Mr. Fellowes reconnait l'utilité dont lui a été l’excellente carte des côtes de la Lycie par le capitaine Beaufort, mais il est loin de trouver la même exactitude à la carte de Lycie de Mr. Texier. Il en a lui-méme construit une de l’intérieur de c« pays, dont les détails renversent toutes les notions préconçues, indiquées par les cartes plus anciennes d’après les seules don- nées des auteurs de l'antiquité. L'intérieur de la Lycie était pour nous un pays entièrement neuf, où il a fixé la position de plusieurs villes de l'antiquité, soit par leurs ruines, soit aussi au moyen de médailles et d'inscriptions bilingues qui ont per- mis d'en vérifier l’orthographe. = 2: PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. La géographie de la Lycie à été encore perfectionnée par la publication des voyages de Mr. Hoskyn, officier de la marine anglaise. Enfin, Mr. Kiepert, de Berlin, accompagné des na- turalistes Law et Berends et de Mr. Schœnborn, archéologue et philologue, explorent maintenant les districts les moins connus du sud-ouest de l’Asie Mineure, spécialement la Carie, la Lycie, la Pamphylie, la Pisidie et l’île de Cypre, afin de compléter par des observations trigonométriques et astronomiques la carte de la Phrygie, de la Lycaonie ,.de la Cappadoce et de la Cilicie, levée en 1838 et en 1839 par les officiers prussiens au service de la Porte, et qui se grave maintenant à Berlin. Parmi les nombreuses relations de voyages en Orient, publiées en France depuis quelques années, peu sont uniquement géo- graphiques. De ce nombre est celle de Mr. Poujoulat sur ses voyages en Asie Mineure, en Syrie, en Mésopotamie, en Pa- lestine, à Palmyre et en Egypte. Mr. Letellier, autrefois vice- consul de France à Tiflis, auteur d’un vocabulaire des langues du Caucase, a publié Sept années de voyages en Perse, en Russie et en Géorgie. On doit à Mr. Norov un voyage en Terre Sainte, entrepris dans le but d'y recueillir des manuscrits en langue slavonne. Un missionnaire , Mr. Southgate, a visité les bords déjà bien connus du lac de Van. Nous espérons que le public ne tardera pas à recevoir, de Mr. Edm. Boissier, notre concitoyen, les détails de son voyage en Orient, voyage entrepris avec tous les moyens et toutes les connaissances nécessaires pour lui donner une grande impor- tance scientifique. Son itinéraire au travers de l’Asie Mineure atteste que le but qu’il se proposait a quelquefois fermé les yeux de Mr. Boissier sur les dangers auxquels il exposait sa personne. L'ouvrage publié par Mr. Mauduit sur la TRoAE est, mal- gré sa date récente ‘, le fruit de recherches déjà anciennes. Ce fut en 1811 que l’auteur, après avoir parcouru la Crimée et : Découvertes dans la Troade, par A.-F. Mauduit. Paris, 1841. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 125 visité Constantinople, se rendit aux Dardanelles, où ilse consola du retard apporté à son voyage par une excursion de quelques jours sur le théâtre de l’Iliade. Mr. Mauduit est le premier voyageur français qui ait visité la plaine de Troie depuis ceux qui l'ont ressuscitée ‘ et rendue à la vénération des amateurs d'Homère. Arrivant de Constanu- nople, il fait son entrée dans la Troade par le cap Rhétée ; le grand tombeau qui y est situé est le premier objet qui attire ses regards, comme ceux de tous les voyageurs qui l’ont pré- cédé dans cette plaine célèbre. Il ne peut, comme eux, le re- connaître pour le tombeau d’Ajax, et pense que ce pourrait bien être celui de Festus, favori de Caracalla, qui mourut pen- dant le voyage de cet empereur à Ilion. Etant arrivé à Bounar-Bachi, village situé au pied de la col- line où était l’ancienne Ilion, Mr. Mauduit se rendit aux sources du Scamandre. Il suivait avec un charme infini chaque sinuosité du roc au pied duquel il se forme, et que tapissent des ronces et des touffes de figuiers. Les nombreuses fentes de ce roc lais- sent échapper en abondance des eaux qui viennent se réunir dans un bassin long de 220 pas, rappelant au voyageur ce passage d'Homère : « Ils parviennent à deux fontaines limpides, d’où jaillissent les deux sources du Scamandre, dont les eaux tourbillonnent. L'une roule une onde chaude ; il s’en élève une fumée pareille à celle d’un feu ardent ; l’autre, même en été, coule aussi froide que la grêle, la neige ou la glace. Là ont été construits de vastes lavoirs en pierre, où les épouses des Troyens et leurs charmantes filles venaient laver leurs beaux vétements, lorsqu'on jouissait de la paix, avant l’arrivée des Grecs (Iliade. Chant XXII). » Le canal ou bassin, dont les restes servent encore de lavoir aux habitants du pays, a environ dix-sept pieds de largeur sur plus de cinq cents de longueur. On y remarque encore des restes de murs et de chemins d’une admirable solidité. ‘ Lechevalier, Choiseul-Gouffer. 126 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. « Les sources du Scamandre, dit Mr. de Choiseul, sortent sans doute d'un réservoir intérieur toujours assez rempli pour ali- menter un même courant. Il fut un temps où ces nombreuses issues, ces infiltrations multipliées, n’existaient point encore ; il est probable qu’elles furent produites par une secousse de la montagne, au moment d’un violent orage, puisqu'on regarda depuis ces fontaines comme un bienfait de Jupiter, qui, à la prière d'Hercule épuisé par la soif, les avait fait jaillir d’un coup de sa foudre. » Mr. Mauduit ayant visité ces sources, le 5 novembre, de bon matin, par un froid assez vif pour avoir couvert une mare voi- sine d’une couche légère de glace, porta la main aux différents jets par où s’élançaient les eaux, et les trouva toutes chaudes et même fumantes ; il ne put toutefois en déterminer la tempé- rature, n'ayant pas de thermomètre. Une observation faite le 10 février 1787 et publiée par Mr. de Choiseul, établit entre les eaux qui jaillissent du fond du bassin et celles qui s échap- pent des crevasses du rocher une différence de température de 14°R., les premières ayant donné 22° et les autres seulement 8°, tandis que le thermomètre marquait 10° à l’air libre. Le Scamandre n’a pas plus de 13,000 mètres de cours jus- qu'à son confluent avec le Simoïs; cependant ses eaux, presque semblables en abondance à celles de la fontaine de Vaucluse, en font une rivière d’un volume plus constant et souvent plus considérable que celui du Simoïs. Un canal de 7000 mètres de longueur, dont antiquité remonte au delà du temps de Pline, en dérive une portion considérable vers la mer, qu’il atteint au midi des Dardanelles. Mr. Mauduit, s'étant élancé à cheval dans le Scamandre , faillit prouver à ses dépens qu'Achille avait pu, sans fiction, risquer de s’y noyer, Cette rivière coule presque toute en plaine. Le Simois (Mendéré) au contraire est un tor- rent impétueux, dont le cours est plus long, le lit plus large et la source plus élevée ; elle est éloignée de 12 lieues des murs de l’antique Pergame. Le Simoïs naît sur la pente du mont Co- PRUGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 127 tylus (Kaz-Dagh), un des pics les plus élevés de la chaîne du Mont Ida, qu'Homère a dépeint avec tant de vérité, quand il a dit que mille ruisseaux en découlent, et que ses noires forts sont remplies de bêtes fauves (Iliad. liv. VIT, 47 ; XI, 183). Nous empruntons aux auteurs de la Correspondance d'Orient la description suivante de ce fleuve : « Depuis lAcropolis de Troie, jusqu’à la plaine de Beyramitche, située à quatre heures de là, au sud-est, le Simoïs se trouve resserré entre deux mon- tagnes couvertes de rochers et de sapins ; son cours prend alors un aspect sauvage, et ressemble en quelques endroits à une fondrière ou à un abîme. Le lit du fleuve, que nous avons suivi pendant deux heures, offre aux voyageurs des troncs d’arbres déracinés , des monceaux de sable de la hauteur de homme, des ilots recouverts de verdure, où croissent des saules et des platanes ; ici, des eaux profondes amassées le long de la rive; là, un courant d’eau murmurant sur des cailloux, et, sur les deux côtés qui bordent le fleuve des rocs menaçants , des pentes escarpées et de sombres forêts de sapins. » — « Après avoir tra- versé les sites que je viens de décrire, on se trouve tout à coup devant une magnifique cascade dont la chute paraît être de cin- quante à soixante pieds. Elle se précipite et bondit de roche en roche, jusqu’à ce qu'elle ait atteint le fond de la vallée, qui est à trois ou quatre cents pas de sa source. On monte sur des pointes de roc, et de là on découvre un assez grand bassin qui reçoit d'abord les eaux. Au-dessus de ce bassin est une caverne ou un antre profond dans lequel roulent et s’amassent les eaux du fleuve, et d’où elles s'échappent ensuite avec grand bruit. Le bassin est ombragé par des coudriers et des platanes ; au- dessus de la cascade on voit quelques bouquets de pins et de chénes ; par delà, l’œil aperçoit un ravin stérile, un précipice effrayant. Si ce tableau est exact , vous avouerez que le Simoïs mérite bien les hommages de l’épopée, et qu’en s’échappant des flancs de la montagne, il se montre tout à fait digne de la divine origine qu'Homère lui a donnée. » 128 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. Au-dessus du village de Bounar-Bachi, Mr. Mauduit voit s'élever la colliné d’Ærinéos, qui se marie insensiblement avec le plateau sur lequel la ville d’Ilion était construite. Il y voit la térre jonchée de débris ; il se croit sur l’emplacement même des portes Scées, d’où le regard plane sur le terrain où dut succomber Hector. « Bientôt, dit-il, j’atteins le sommet d’un mont que je reconnais pour être celui qui portait le Pergama, . la haute citadelle d’Ilion ; je monte encore quelques pas, et je suis sur l’un des tumulus qui couvrent les fils de Priam. Debout sur leurs cendres, je contemple avec émotion le théâtre de leurs exploits et de leurs défaites. Enfin, mes pas inquiets me conduisent sur la partie la plus élevée de cette forteresse; j’a- vance pour permettre à l'œil de sonder la profondeur des pré- cipices qui m’environnent, et, ainsi que Lechevalier n'avait pu se persuader que les lieux si bien décrits par Homère n’existas- sent pas , ainsi, en voyant tant de choses qui justifient les heu- reuses idées de ce voyageur, je ne puis croire qu'il ne reste pas quelques traces convaincantes de la ville puissante dont je vois les débris autour de moi. Mes regards curieux suivent le con- tour des rochers aux lieux les plus escarpés. Je pense que les torrents que le ciel a versés sur eux depuis trois mille ans, en- trainant plus facilement en ces lieux la terre et le gravier, au- ront pu mettre à découvert quelques parties de l’antique en- ceinte. J’avance un pied d'abord timide ; je trouve ce que je croyais devoir étre, ce que j’espérais voir, et quand je l'ai trouvé, quand je le vois, je n’ose plus en croire mes yeux. » Mr. Mauduit a eu, en effet, la satisfaction d’être le premier voyageur qui ait vu pierre sur pierre de l'antique cité de Priam. Il a suivi, sur la crête des rochers qui dominent le cours du Simois, 80 toises d’un mur dont il reste encore trois ou quatre assises de pierre. À l'angle oriental du rocher sur lequel était assis le Pergama , il a retrouvé plusieurs étages successifs de défenses liés par une sorte d'échelle pratiquée dans la roche. Cette échelle va joindre une rampe qui descend en serpentant PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 129 jusqu’au bord du fleuve. C’est peut-être le chemin que suivaient les sujets de Priam pour aller puiser l’eau du Simoiïis, quand les Grecs, maîtres de la plaine, les privaient des ondes plus pures du Scamandre. Sur le plateau, où la plus saine critique leur fait marquer l'emplacement de l'ancienne [lion, Mr. Lechevalier et Mr. Mauduit tracent une enceinte de 6300 mètres ou près d’une lieue et demie comme ayant été celle de la ville. Elle se trouve éloignée de 15,000 mètres du cap Sigée et de 14,000 d’Alexandria Troas. Une autre ville s’éleva, depuis la ruine de Troie, sur une colline éloignée de 6000 m. seulement du cap Sigée , mais plus éloignée du Simois ; par l’adoption du nom d’Ilium recens, elle réussit à en imposer aux archéologues de l'antiquité et à usurper des distinctions et des bienfaits que les Romains prodiguèrent à la ville dont ils croyaient tirer leur origine. À la faveur de cette imposture les nouveaux Troyens devinrent assez puissants pour détruire les villes voisines de Sigée et d'Achillée, dont les habitants refusaient de reconnaître leur suprématie. Mr. Raoul Rochette et Mr. Morey, envoyés, en 1838 , par le gouvernement français pour explorer les ruines d’Assos, vi- sitèrent l’emplacement de l’ancienne Troie et les rochers qui s'élèvent en face sur la rive droite du Simoïs. Ils furent ainsi conduits à y découvrir des restes de constructions qui paraissent être de la plus haute antiquité, et dont l’étendue fait penser à Mr. Mauduit qu’elles indiquent l’emplacement de l’ancienne Scamandria, l’une des villes les plus anciennes qui furent bâties - après la chute de Troie. L'ouvrage de Mr. Mauduit est important par l'étendue et par la justesse des vues; mais, pour le lecteur, il perd une partie de son intérêt, parce que l’auteur paraît moins préoc- cupé du désir de l’instruire d’une manière intéressante que de celui de revendiquer exclusivement le mérite de découvertes qui n’ont pas pour tout le monde le même degré d'importance. Nous en terminerons l'analyse par quelques notions sur la géo- XL 9 130 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. graphie de l'ancienne Troade. Ce pays, sur une étendue de 260 lieues carrées, ou la centième partie de celle de la France, présente à l’antiquaire les ruines de 26 villes ou bourgades de l'antiquité, et au géographe 6 sources thermales et un grand nombre de montagnes , dont une partie (le Kirli-Dagh au sud de Troie) est de granit gris. La sommité la plus élevée de l'Ida est le Gargaron (1510 mètres), à 3 lieues au nord d’Antandros; le Cotylus (Kaz-Dagh), au pied duquel naît le Simois, est éloigné d’une lieue au nord-ouest du Gargaron. La meilleure carte de la Troade est celle que vient de lever Mr. Brock, officier de la marine anglaise. Nous devons encore mentionner sur le même sujet le mémoire publié récemment par Mr. Forchhammer, dont l’auteur cherche à retrouver dans la plaine de Troie les localités de l’Iliade , tentative qui paraît superflue à d’autres savants et notamment à Mr. Greenough. Les côtes de l’Asie Mineure ne sont pas explorées avec moins de détails que l’intérieur. Le capitaine Beaufort de la marine anglaise a levé la carte de la côte méridionale ; MM. Graves et Brock ont continué ce travail sur les côtes plus dentelées de l’ancienne Carie, également explorées, en 1837, par Mr. James Brooke. Ces côtes, si bien connues des anciens Grecs et couvertes alors de villes florissantes, ont été très-peu connues des Européens jusqu’à présent, de sorte que la carte en est fort erronée. Il est vrai qu’elles sont presque entièrement inhabitées. Leur aspect est pittoresque et présente presque partout des escarpements imposants et des dentelures nom- breuses. MM. Graves et Brock ont trouvé à Goumichlou des restes de colonnades, de temples, de bains, de tombes et d'autres. ruines assez considérables pour leur faire regarder ce lieu comme l'emplacement de l’ancienne Myndus. Aucune autre découverte archéologique de quelque importance n’a été faite; mais les constructions du moyen âge se présentent à chaque pas élevées sur des ruines plus anciennes, et même sur quelques murs cyclopéens. Tandis que cette côte attrayante PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 131 est ainsi abandonnée, l’île voisine de Symi présente un con- traste frappant par son aspect aride et désolé. Toutefois l’acti- vité commerciale de ses habitants et l'excellence de ses trois ports ont compensé les avantages dont elle manquait, et font régner l’aisance chez une population de 7000 âmes. Symi fait un trafic important d’éponges, et fournit même de bois le port d’Alexandrie. Cette petite échelle offre aux voya- geurs des ressources qu'ils ne trouveraient même pas à Rhodes. Mr. Brooke y a également remarqué un château reposant sur des murs cyclopéens, et un bâtiment hellénique, de forme cir- culaire, que l’on regarde comme un trophée élevé par les La- cédémoniens après une victoire sur les Athéniens. MM. Graves et Brock trouvèrent l’île de Kalymno réduite à Pétat le plus mi- sérable par la peste. Les champs restaient couverts de leurs moissons, et des cadavres gisaient dans toutes les rues. Cos, au contraire, présentait un aspect enchanteur. Tandis que Mr. Engel a publié un voyage dans l'île de Cypre, celle de Crète a été, de la part de Mr. Pashley, le sujet d’un livre instructif par les connaissances archéologiques dont l'au- teur y fait preuve, et par les renseignements statistiques qu’il donne sur les ressources et sur l’état présent de cette belle ile. Mr. le capitaine Graves est sur le point d’en entreprendre la carte et de lever plus tard celle des côtes de Cypre,de la Syrie, - de la Palestine , eu, si l’occasion s’en présente, il doit porter plusieurs chronomètres au temple de Jérusalem. L'expédition du colonel Chesney sur l'Eupbrate, dont nous | avons rendu compte précédemment, a fait connaître la géogra- “phie physique et quelques antiquités du nord de la Syrie. Mr. Barker, fils du consul britannique à Alep, a porté ses pas, en septembre 1834, jusqu'aux sources peu visitées de l'Oronte, algré les dispositions malveillantes attribuées aux sauvages Métouâlis, et a traversé la haute chaîne du Liban, par Kanou- “bin, les Cèdres et les ruines de Baalbeck. Aux personnes cu- rieuses de peintures élégantes et de notions exactes sur l’état de 132 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. la Syrie avant l'expulsion des Egyptiens, nous recommanderons Deux ans en Syrie de notre concitoyen Mr. Blondel. Le co- lonel Napier a fait connaître le journal de ses deux excursions en Palestine, dans lesquelles il a visité Naplouse (l’ancienne Sichem), Hebron et la vallée du Jourdain. Il traversa le fleuve au pont le plus voisin du lac de Tibériade et visita le village d'Om-kiss, dont les maisons sont taillées dans les rochers à l’est du Jourdain. Abandonnant les traces des touristes qui les ont devancés, un jeune Irlandais, Mr. W. Moor et Mr. Beek ont consacré leurs peines à acquérir une connaissance exacte de la forme et de la position de la Mer Morte. Au printemps de 1837, ils ont cru reconnaitre que son niveau est au-dessous de celui de la mer de 5 à 600 pieds; mais ils n’avaient pas d’au- tres instruments que l'appareil inexact pour mesurer les hau- teurs par l’ébullition de l’eau. Bientôt le professeur Schubert de Munich trouva, au moyen d’un baromètre, que le lac même de Tibériade était également à 500 pieds au-dessous de la mer, et la Mer Morte de 98 pieds plus basse. Avec des baromètres plus exacts cette dépression fut trouvée de 1400 pieds par Mr. Russegger, naturaliste autrichien; de 419,8 par Mr. de Bertou ; de 1200 pieds anglais par l'observation moins sûre de Sir David Wilkie. Mais, comme l’observe le Dr Robinson dans ses Recherches bibliques en Palestine, entre des données si discordantes le seul moyen d’arriver à la vérité était un nivel- lement trigonométrique. Il vient d’être effectué par Mr. Sy- monds, ingénieur anglais. Il a lié le rivage de la Méditerranée auprès de Jaffa à celui de la Mer Morte par deux séries de trian- gles, dont les résultats presque identiques * fixent à 1312 pieds anglais (400 mètres) la dépression de celle-ci. Les mêmes opé- rations ont donné 328 pieds anglais (100 mètres) pour celle du lac de Tibériade, ce qui donne au Jourdain l’énorme pente 1 Voyez Bibl. Univ., avril 1841 (vol. XXXID), p. 311. ? Ils ne différent que de 11 à 12 pieds, Mr. Symonds n’ayant pas eu les secours nécessaires pour déterminer très-exactement la réfraction. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 133 de 300 mètres sur 25 lieues. Mr. Symonds avait d'abord tracé une ligne de triangles depuis les environs de Tyr jusqu’au pont de Jacob (Djezir-Jachoub) sur le Jourdain, au nord du lac de Tibériade ; puis il s’est rendu plus au midi et a tracé, dans la plaine de Jaffa, non loin de Ramla, une base sur laquelle il a assis sa triangulation de la Palestine méridionale. Cette dernière ligne lui a coûté dix semaines de travail, à cause de la nature rocheuse du terrain, quoique la distance parcourue ne füt que de 16 lieues. Mr. de Bertou, connu par un mémoire sur la position des ruines de l’ancienne Tyr, a parcouru dans sa totalité la vallée du Jourdain, ayant atteint la source de ce fleuve depuis Baïrout, au travers des montagnes des Druses et de la vallée de Bekaa (Cœle-Syrie). Son exploration du cours du Jourdain s’est étene due depuis sa source au pied de l’Anti-Liban, jusqu’à l’extré- mité méridionale de la Mer Morte, et méme jusqu’au fond du golfe d’Acabah, dans l’Arabie Pétrée. Ce plan judicieux per- mettait, au moyen d’un grand nombre de mesures barométri- ques, d’acquérir les notions les plus justes de la coupe de la vallée et de la pente du fleuve. La source est placée par Mr. de Bertou à 183 mètres au-dessus de la mer; l’ancien lac Sa- machonite (Bahr-el-Houlé), le premier que traverse le Jourdain, à 6",4 au-dessous de la mer; le lac de Tibériade, qui en est éloigné de 3 lieues , à 230,3 ; la Mer Morte à 419",8. Ce dernier chiffre se rapproche assez du résultat de Mr. Symonds pour donner une forte présomption en faveur de l'exactitude des autres; mais il est impossible de concevoir la discordance des deux auteurs sur le niveau du lac de Tibériade ; car si, d’une part, la pente assignée au Jourdain inférieur par Mr. Sy- monds paraît considérable, celle de 223",9 en trois lieues, donnée au Jourdain supérieur, est extraordinaire. On sait que les montagnes de l’Arabie Pétrée au midi de la Mer Morte sont disposées sur deux lignes parallèles, de manière à former, de cette mer au golfe d’Acabab, une vallée longue de 134 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES . 40 lieues. La moitié septentrionale de cette vallée, connue sous le nom d’Ouadey-Arabah (vallée du chariot), est naturel- lement en grande partie au-dessous du niveau de la mer, tandis que la Vallée de la Montée (Ouadey-Akabah), qui en forme la partie méridionale, descend en pente douce vers la mer Rouge. Le point de partage des eaux, si nous pouvons nous exprimer ainsi sur un désert qui ne présente même pas un ruisseau, est à 260 mètres au-dessus de la Mer Rouge et à peu près sous la latitude des ruines de Pétra visitées par Mr. de Bertou. Lord Lindsay a écrit des Lettres sur l'Arabie Pétrée et sur la Plaine d’Haouran, située au delà du Jourdain; le baron Koller a fait connaître une route nouvelle entre le Mont Sinaï et Aka- bah, Le voyage en Palestine de Mr. Robinson, missionmaire américain, est un des ouvrages considérables publiés sur ce pays ; ce voyageur a visité préalablement le Caire et une partie de Arabie Pétrée, d’où il est arrivé à Jérusalem par Akabab et par les ruines présumées des villes d’Elusa et d’Ebusa. Cette dernière portion de la route a le mérite d’être en partie nouvelle, mais non pas en totalité comme l’auteur paraît s’en être flatté. Toutefois nous pouvons lui reprocher la partialité avec laquelle, dans l’'énumération des ouvrages relatifs à l'Egypte, il affecte de passer sous silence, comme non avenus, les travaux des ingénieurs français. Ces travaux sont grands, ils sont dignes de l’homme qui y présidait, et jamais leur mérite n’aura à souffrir ni des attaques, ni du silence d’un voyageur qui avoue du reste avec une louable candeur la faiblesse de ses connaissances géodési- ques et l'insuffisance de ses instruments. Âvec un ruban de fil, pour mesurer des bases, et une boussole de poche, pour la me- sure des angles, sans baromètre pour la mesure des hauteurs, Mr.Robinson paraît supposer à une partie de ses travaux un mé- rite géodésique que d’autres genres de mérite peuvent le dispen- ser d’ambitionner,— que le comte Léon de Laborde lui conteste dans une polémique dont nous regrettons la vivacité, — mais auquel Mr. Robinson lui-même cessera peut-être de prétendre PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 135 alors qu’il y aura plus de titre en perfectionnant ses connais- sances mathématiques, ainsi qu’il en manifeste l'intention dans sa préface. Les voyages de Mr. de Laborde dans l’Arabie Pétrée, la Syrie et l’Asie Mineure ont , au contraire , le mérite des re- cherches et des travaux topographiques , sans parler de l’il/u- stration d’une foule de monuments de l'architecture des an- ciens, découverts sur un grand nombre de points. Le colonel Chesney prépare une relation du voyage exécuté, en 1836, par l'expédition anglaise placée sous ses ordres (Bibl. Univ., mai 1839), ouvrage important accompagné de 13 cartes et de 148 vues. Depuis son retour des bords de l’Euphrate, en 1837, trois bateaux à vapeur ont été envoyés en pièces par la Compagnie des Indes à Bassora , pour y être montés, sous les noms de Nimroud, Nitocris et Assyria. Le capitaine Lynch les a joints à un quatrième bateau à vapeur, dont le colonel Ches- ney lui avait, à son départ, laissé le commandement. Cette petite escadre a plusieurs fois remonté le Tigre jusqu’à l'époque où la santé de Mr. Lynch l’a obligé d’en abandonner la di- rection. Deux de ces bateaux ont quitté Baghdad, au com- wmencement du mois d’avril 1841, et sont descendus à Corna pour remonter l’Euphrate ; ils ont traversé les marais de Lem- loun, au sud-est des ruines de Babylone, et ont terminé leur course en 19 À jours, en abordant à Balis, port à 45 milles d'Alep, où le capitaine Lynch a rejoint les deux bâtiments, Les Arabes des bords de l'Euphrate se montrèrent aussi bien dis- posés à l’égard des Anglais qu’ils l'avaient été au voyage du colonel Chesney ; ils coupaient avec empressement le bois de tamarin nécessaire aux machines à vapeur. La navigation de lEupbrate n’a présenté d’autre obstacle que celui de la rapidité du courant, aux endroits où le fleuve est resserré par des di- gues destinées à élever l’eau pour l’arrosage des terres ; ces obstacles pourraient disparaître facilement. Mr. Lynch a terminé une belle carte du cours du Tigre, de- puis Ctésiphon jusqu’à Mossoul ; tout ce qui tient à l'hydrogra 136 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. phie de l’ancienne Assyrie s’y trouve indiqué avec soin, autant que le permettent les traces encore subsistantes des canaux qui en occupaient la surface. L’ingénieur auquel on doit cette carte décrit le pays, compris entre Mossoul et Baghdad, comme une plaine magnifique couverte d’un sol d’alluvion, dont la fertilité lui donne l'aspect d’un jardin. Les traces des canaux la sillon- nent en tous sens, et des ruines de châteaux, de villages et de cités s’y trouvent dispersées. Les travaux géodésiques des offi- ciers anglais s’étendent maintenant à la partie inférieure du Tigre et de la Babylonie. Le capitaine Lynch considère l'endroit où la rivière Khabour se jette dans le Tigre comme le point où les Dix Mille exécutè- rent leur passage au travers des montagnes des Cardouques. Cette hypothèse nous paraît fondée, car le passage ne pouvait s'effectuer au-dessous de ce point sans conduire les Grecs sur les bords du lac de Van, dont l’étendue et la beauté n’eussent . pas été passées sous silence par Xénophon. Mr. Lynch a plus de peine à reconnaitre le théâtre des exploits d’Alexandre, n’ayant pu retrouver le gué où l’on prétend que les Macédoniens pas- sèrent le Tigre, très-profond dans toute cette partie de son cours, et la plaine d’Arbil étant rompue par des ravins qui du- rent arréter les chariots de l’armée persane. À mesure que nos connaissances s'étendent par des détails chorographiques sur les pays jusqu'ici peu connus de l’Eu- phrate et du Taurus, nous apercevons combien il y a de con- cision et d’obseurité dans l’histoire des événements dont ils ont été le théâtre. Les erreurs des historiens se devinent , et sou- vent même l’exploration des localités met le critique sur la voie de la vérité. Mais si les progrès de la géographie font quelque- fois sentir les lacunes des historiens , il faut convenir aussi que les bons historiens à leur tour ne sont entièrement compris que par suite des progrès de la géographie. Il en résulte que les pays les plus importants à connaître en détail sont précisé- ment ceux qui ont servi de théâtre aux plus grands événements. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 137 C’est ce qui rend si précieux les travaux des voyageurs mo- dernes sur les vastes régions comprises entre l’Euphrate, l’In- dus et l'Oxus, dans les limites de l'empire des Perses. Que d’ob- seurité dans le tableau des guerres des successeurs d'Alexandre, des rois Séleucides contre les Parthes, dans les expéditions de Lucullus, de Crassus, de Marc-Antoine, de Trajan, d’Alexandre Sévère et de Julien ! Quelle complication dans les marches glo- rieuses d’'Héraclius en Orient ! Tout cela peut cependant s’éclair- cir par un examen de la configuration des montagnes, et sur- tout des antiquités dispersées au cœur de la Perse. Ces recher- ches peuvent étre également utiles pour lhistoire des rois Sassanides, pour celle de la conquête de la Perse par les Ara- bes, par les Turcs Seldjoucides, par les Mongols et par Timour. Ce but intéressant se rapproche de nous, grâce aux travaux du comte Jaubert, de Flandrier et de Conte, de Morier, de Mon- teith, de J. Ross, de Frédéric Forbes, de Rawlinson, de Rassam et d’Ainsworth, d’Arcy Todd, de Burnes, de Grant, de Shiel, de Brant, de Taylor Thomson, de Rich, de Layard, de Lynch, de Wilson, de Wood et de Hügel. Le colonel Monteith a publié une carte de la province d’Ad- zerbeïdjan et d’une partie de la Géorgie. Nous avons fait con- naître ailleurs les travaux de MM. Brant, d’Arcy Todd, Taylor Thomson et du colonel Shiel (Bib!. Univ., nov. et déc. 1838). MM. Flandrier et Conte, revenus depuis peu de temps d’un voyage archéologique en Perse, n’ont pas visité sans fruit les ruines de Persepolis et d’autres villes; on leur doit également la connaissance de plusieurs routes nouvelles entre la Perse et le Tigre. Le D' J. Ross, attaché à la résidence anglaise de Baghdad , a fait, en 1834 , un voyage aux ruines d’Opis et du Mur des Mèdes; cet officier entreprenant a visité, en 1836 et 1837, les ruines de Al-Hadr en Mésopotamie. Après avoir plu- sieurs fois couru risque de la vie au milieu des Arabes qui peu- plent ce désert, il eut la satisfaction de contempler l’ancienne Hatra, forteresse si célèbre comme le boulevard des Romains , 138 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. dont les ruines bien conservées et dispersées sur un espace de trois milles de circuit, n’avaient encore été vues par aucun Européen avant lui. Elles ont été explorées plus en détail par Mr. William Ainsworth , au printemps de l’année 1840 , ainsi que l’antique Our des Persans. Le D' Ross a aussi envoyé en Europe la relation d'une course peu commune, qu’il a faite de Mossoul dans les montagnes à l'E.-N.-E. de cette ville, dans les états du Mir de Rawandouz. C’est encore dans les plaines de la Mésopotamie que Mr. Fré- déric Forbes, jeune médecin attaché à l’armée des Indes, a vi- sité la chaîne calcaire des montagnes de Sinjar, élevée de 1600 pieds au-dessus de la plaine. Il a visité dans ses demeures la secte célèbre des Kourdes Yézidis, et corrigé l’hydrographie de cette portion du désert. Le colonel Shiel à fait connaître un nouvel itinéraire au travers des montagnes du Kourdistan , de- puis Souleymania jusqu’à Tauris, en suivant le rivage méridio- nal du lac Ourmiah. Une route à peu près semblable à été suivie dans l’été de 1839 par le D° Grant, attaché à la mission amé- ricaine, de Mossoul à Ourmiah par Amadiah et Joulamerik. Le major Rawlinson , officier distingué de l’armée de Bom- bay, a été plusieurs années placé, à la requête du roi de Perse, à la tête d’un corps de cavalerie cantonné sur la frontière occi- dentale de ce royaume. C’est avec cette escorte formidable qu’il a parcouru en détail les provinces de Kermanschab, de Louri- stan et de Khouzistan , où il a tracé avec un soin précieux des routes entièrement nouvelles pour les Européens, au travers des défilés et des chaînes multüipliées du Taurus. Mais cet officier, unissant aux connaissances positives d’un géographe celles d’un antiquaire et d'un homme versé dans la littérature historique du moyen âge et de l’antiquité, possédant plusieurs langues mortes et vivantes et une vaste érudition, s’est trouvé à même de jeter du jour sur un grand nombre de points de géographie critique : 1° Il a prouvé que l’ancien Choaspes et l’Eulæus n'étaient pas, comme on l’avait supposé jusqu’à PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 139 présent, une même rivière, mais deux cours d’eau distincts ; le premier, maintenant appelé Kerkhah , prenant sa source dans le Kermanschah ; et l’autre dans le Khouzistan, sous le nom de Kouran. — 2° Après unexamen scrupuleux de leurs traditions, de leurs noms, de leur physionomie et de leur religion, Mr. Rawlinson voit dans les Gourouns et Iliantes errants de la Perse les descendants des Juifs et des Samaritains, menés en captivité par les rois d’Assyrie. — 3° Au sud du Kouran, en Khouzistan, est située l’Elymaïs, province qui parvint à un haut degré d’o- pulence et de prospérité après la conquête d'Alexandre. Mr. Rawlinson donne beaucoup de détails historiques sur les temples du feu d’Elymaïs, qui attirèrent la cupidité des rois de Syrie et des Parthes, et il n'hésite pas à croire qu’il en a re- trouvé les ruines. — 4° Il discute avec beaucoup d’érudition la question épineuse des capitales successives de la Susiane”, et pense que la similitude de leurs noms a fait confondre trois villes différentes, Sousan, ou Susa, la Schoustan de l’Ecriture, voisine de la rivière Eulæus (Kouran ou Karoun); Sous, ou Susa d'Hérodote, près du Choaspes (Kerkhab) ; Schahpour et Schouster sur le Kouran. — 5° L'auteur, dans un second mé- moire, trace les marches de Cyrus, de Ptolémée et d’Héraclius; il décrit les différentes tribus fixées à l’est et au sud du lac Our- miab, leur histoire, leurs coutumes et leurs superstitions, leurs relations politiques entre elles et à l'égard de leurs chefs parti- culiers. — 6° Dans un troisième mémoire, riche d’érudition et de lucidité géographiques, il démontre que l’Echatana de Dejo- ces, fondateur de l'empire des Mèdes, suivant Hérodote, n’était pas la capitale de la Grande-Médie, mais de la Médie Atropa- tène, située non pas à Hamadan, mais à cent milles au N.-0., dans la province d’Adzerbeïdjan (Atropatène), en un lieu nommé Takht-i-Souleiman (trône de Salomon), où ipa trouvé les ruines considérables de cette cité. ! Voir sur celte question le Mémoire de Mr. Long, Journal de la Soc. de geogr. de Londres, vol. WU, p.257. 140 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. Voyageant quelquefois à la tête d’un régiment entier de cava- lerie, le major Rawlinson a pu, sans danger, visiter des districts inconnus et des ruines où quelques voyageurs anglais ont trouvé la mort au milieu de peuplades féroces. Il a parcouru les restes imposants des anciennes forteresses que les rois Sassanides pos- sédaient du N.-E. de Ctésiphon, dans les gorges du Taurus, et où le dernier de ces rois, Izdegherd II, chercha un refuge après que les Arabes lui eurent enlevé cette capitale. On con- goit, en voyant la multiplicité de ces moyens de défense, la lenteur avec laquelle les Arabes effectuèrent la conquête de la Perse ; on s’étonne qu’ils l’aient faite avec si peu de forces, et on déplore le laconisme des écrivains qui nous en ont transmis l’histoire. Les travaux du major Rawlinson lui ont mérité l’une des deux grandes médailles données , en 1839, par la Société de géographie de Londres. Avec moins de garanties pour la sûreté de sa personne, Mr. Layard a réussi à parcourir le Grand Louristan et les mon- tagnes des Baktiaris. [1 n’a pas toujours réussi à retrouver les ruines visitées par Mr. Rawlinson ; d’autres découvertes de l’ère des Sassanides l’en ont consolé, ainsi que des inscriptions en caractères cunéiformes trouvées en plusieurs endroits des montagnes. Il y a suivi le cours de quelques rivières considé- rables, et signale le Karoun comme une belle et large rivière, renommée pour l’excellence de ses eaux, dans le voisinage de Susan. Il n'a trouvé aucun vestige qui indique qu’il y ait ja- mais eu en cet endroit une grande ville, et ajoute qu’on lui a parlé de l’existence d’une autre ville du même nom (Susan-sir- Aub) située dans les montagnes plus au N.-E. Il ajoute que la tombe de Daniel, que l’on y signale à la vénération des Juifs et des Musulmans, est un édifice moderne construit de pierres brutes. Le colonel Monteith et Mr. Macdonald Kinneir, dont le nom figure parmi le grand nombre de voyageurs qui ont pré- cédé Mr. Layard à ces ruines célèbres, avouent la même chose, mais rapportent que les Asiatiques s’accordent à considérer le PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 141 bâtiment moderne qu'il a vu comme recouvrant une tombe plus ancienne. [ls ont vu à Susan des ruines d’édifices considé- rables auxquelles ils trouvent une grande ressemblance avec celles de Babylone, ce qui explique que Mr. Layard a été peu frappé de l'aspect de ces constructions en briques, sur lesquelles le temps peut avoir eu une influence aussi destructive que sur celles de Babylone. Mr. Asber, de Berlin, vient de rendre un grand service à la géographie critique par la publication d’une nouvelle traduction anglaise des voyages du rabbin Benjamin de Tudela en Europe, en Asie et en Afrique, en l’année 1173. Les voyages de Mr. Rich ancien consul britannique à Bagh- dad, dans le Kourdistan, aux ruines de Ninive et à Schiraz of- fraient un intérêt qui augmente le regret de la mort prématu- rée de l’auteur. Ses traces ont été suivies et dépassées. Mr. W. Ainsworth , attaché comme chirurgien et comme naturaliste à l'expédition du colonel Chesney sur l’Euphrate, revint par terre de Baghdad à Dyar Bekr et à Constantinople, visitant sur sa route Nimroud, qu’il considère comme le Larissa de Xéno- phon, les ruines de Ninive, Nisibe et Mardin. Engagé depuis par la Société géographique de Londres et par la Société pour avancement du christianisme, il a entrepris de se rendre de nouveau dans le Kourdistan, accompagné d’un Arménien in- struit nommé Mr. Rassam. Ils ont d'abord parcouru l’Asie Mi- neure de Constantinople à Nicomédie (lIsnikmid), Heraclea Pontica (Eregli ), Amestris (Amaserah), Kastamouni, Gangra, (Kankari) et Ancyre (Angora) où ils ont passé l’hiver de 1838 à 1839. De nombreuses excursions dans les cantons voisins de cette ville leur ont fait connaitre les mines d’Ichik-Tagh, au nord, à une hauteur de 4500 pieds au-dessus de la mer, et celles de Denek, au sud-est, qui donnent chaque semaine 35,000 livres de plomb et 10 d’argent; ils ont parcouru la région monta- gneuse des Garsaurites, habitée par des Troglodytes. Après 142 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES, avoir examiné une grande partie du cours de l’ancien fleuve Halys, maintenant Kizil Irmak (rouge rivière), ils ont fait le tour du grand lac salé de Touz Choli (salé lac) dont les bords sont marécageux et le niveau élevé de 2500 pieds (662 mè- tres) au-dessus de la mer. Ils ont traversé la Cappadoce depuis Césarée jusqu’à Mélitène ( Melatiah ) et se sont rendus à Samo- sale (Someïsat ) et à Bir sur l'Euphrate, en franchissant le Tau- rus au col important et inconnu d'’Erkeneh. Ils ont ainsi com- plété un itinéraire de plus de mille milles, dont une partie était avani eux peu connue ou ne l'était pas du tout. Le triste ré- sultat de la bataille de Nezib à laquelle ils assistèrent, et les troubles qui en furent la suite, les obligèrent de regagner Con- stantinople où ils arrivèrent à la fin de juillet 1839. Quoiqu'il semblât y avoir peu de choses à apprendre sur des pays aussi voisins de l'Europe et aussi souvent visités, même des touristes, MM. Ainsworth et Rassam nous ont fait connaître en Asie Mineure de grandes villes dont le nom méme ne se trouve pas sur nos cartes, des districts couverts de beaux bois de construction, d'autres fertiles et populeux, des mines riches presque inconnues; telles que celles de Bekir Koureh Si, estimées si abondantes en cuivre au temps de Mohamed II, et celles d’Ourh Tagh du même métal ; les carrières d'écume de mer de Sevri Hissar à l’ouest d'Angora ; les mines de sel entre Bayad et Kankari et celles de Touz Koï (village du sel), sur le Kizil Irmak. Ils ont déterminé la latitude de 64 endroits, la longi- tude d’une douzaine, la hauteur de 450 et la population appro- chée de 50 villes et villages. Ils ont corrigé l’hydrographie de la Paphlagonie et des environs de Kaïsarieh. Parmi les phénomènes géologiques observés dans ce voyage, nous indiquerons des couches continues de calcaire coquillier formées d'huitres, à une hauteur de 3000 pieds au dessus de la mer, dans le voisinage de Zafaran-li; d’autres roches calcaires modifiées dans leur cristallisation par le contact des roches ignées, phénomène observé déjà dans l’île d’Anglesey ; enfin PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 143 une différence importante dans la formation des couches sédi- mentaires de la Bithynie et de la Paphlagonie, dont les unes paraissent avoir été déposées sous une mer profonde et les der- nières sur son rivage. Quittant une seconde fois la capitale, au 1°* novembre 1839, MM. Ainsworth et Rassam se sont rendus à Alep par la route de Nicée (Isnik), de Koutayah, de Koniah et par le col de Koulak Boghaz, dans le Taurus, et ont visité entre Koutayah et Koniah, la plaine de Kara Hissar (noir château) qui ne présente pas un seul cours d’eau, bien qu’elle soit élevée de 3420 pieds. Ils ont traversé la Mésopotamie par Orfah, Mardinet Ni- zibe, et sont arrivés à Mossoul, le 31 janvier 1840. Obligé d’attendre, pour aborder les montagnes du Kourdi- stan, que la neige en eût disparu, Mr. Ainsworth explora, au mois d'avril, les ruines importantes d’Hatra, Hutra des Chal- déens. Enfin il partit de Mossoul, au commencement de juin, pour visiter dans le Kourdistan, la demeure des Chaldéens ; il a pénétré à Amadiah et Joulamerik, dans la région montagneuse habitée par les Kourdes Hekkari; il y a vu des mines de fer, de plomb et de soufre, et, remontant jusqu'aux sources du Grand Zab, il à franchi la frontière persane, d’où il s’est rendu à Ourmiah. Le retour à Mossoul s’est effectué par la rive gauche du lac d'Ourmiah et le pays de Rowandiz où il a fait lPascension du pic neigeux de ce nom, dont la hauteur est de 10568 pieds anglais (3211 mètres ) au-dessus de la mer. La relation de ce dernier voyage a été insérée par l’auteur dans le onzième volume des mémoires de la Société de Géographie de Londres, avec une carte fort détaillée de ce nouvel itinéraire et un grand nombre de coupes géologiques et de cotes de hau- teurs. Nous avons encore à mentionner le voyage tout récent du docteur Asahel Grant, missionnaire américain, chez les chré- tiens nestoriens dispersés dans les montagnes du Kourdistan. Son itinéraire est en partie le même que celui de Mr. Ains- 144 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. worth. Cet ecclésiastique, ayant pour but de s’insinuer dans la confiance de ce peuple par la pratique de la médecine, a évité d’exciter leurs soupçons par des travaux relatifs à la géogra- phie physique du pays; aussi, bien qu’il soit question d’établir à Joulamerik une station de missionnaires américains, cette con- sidération s'oppose à ce que, de longtemps, leur présence puisse étendre nos connaissances positives. Mais l’ouvrage du docteur Grant présente un intérêt ethnographique par le ta- bleau qu’il fait de la secte fameuse des Yézidis, qu’il a trouvés imbus de dogmes empruntés à la fois au Sabéisme, au Judaïsme et aux Manichéens, mais du reste inoffensifs, bons et hospita- liers envers le voyageur chrétien. Mr. Grant s'attache surtout à prouver que les Nestoriens du Kourdistan sont les descen- dants des Israélites des dix tribus emmenées en captivité par Salmanazar. Nous ne nous attacherons pas à discuter ici ses ar- guments, qui nous semblent aisés à réfuter. Le professeur Wilson, dans un ouvrage intitulé 4riana an- tiqua, a rassemblé tout ce qu’une érudition immense peut don- ner de connaissances historiques sur la partie orientale de la Perse maintenant habitée par les Afohans. Il tâche d'appliquer à l’interprétation des auteurs anciens la connaissance topogra- phique de ce pays que nous possédons mieux qu’eux. Il trace la marche d’Alexandre au travers d’un grand nombre de villes et de défilés de montagnes, et discute habilement la question si l'Oxus ou l’une de ses branches a pu se diriger vers la mer Caspienne. Sur de pareils sujets nous nous bornerons à ob- server qu'aucun des auteurs de l'antiquité qui ont écrit l’histoire des Macédoniens, n’ayant eu, plus que ses con- temporains, une connaissance personnelle de l’Afshanistan et de la Boukharie, nous risquons de leur faire dire plus qu’ils n’ont pu vouloir dire eux-mêmes, en marquant avec plus de détails une série d'étapes qui laisse trop de champ à l'hypothèse. Il n’est pas aisé, nous en convenons, à des hommes instruits de consentir à rester dans l'ignorance sur quelques points; mais PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 145 quel que soit l’intérét avec lequel on suit leurs savantes recher. ches, on ne peut après tout se défendre de ce degré de scep- ticisme qui doit nous accompagner parmi les tombeaux de la plaine de Troie. indépendamment de plusieurs documents importants, pu- bliés sur l'Afghanistan par ordre de la Chambre des Communes et de la Compagnie des Indes, d’après des matériaux inédits, nous avons à mentionner les voyages de sir Alexander Burnes, de Mr. Wood, du docteur Lord‘ et de Mr. Vigne sur l’Indus, au Caboul et dans la Grande Boukharie; la B:61. Univ. a déjà rendu compte de la découverte de la source de l’Indus par Mr. Long et de ses travaux sur l’hydrographie de l'Indus. Le major Rawlinson chargé, depuis ses premiers voyages, d’une mission diplomatique au Candahar, en à profité pour confier au docteur Forbes une exploration de la province de Seistan ou Sidjistan en descendant le fleuve Helmend jusqu’au lac Zourrah dans lequel il se décharge. D'après le peu qu'il a été permis de savoir du résultat de cette tentative, il paraît que le docteur fut reçu avec hospitalité et bienveillance par les chefs dont il traversa le territoire, mais que la manière trop ostensible dont il recueillait des renseignements sur la géographie et sur la sta- tistique du pays, éveilla les soupçons sur le but de son voyage, au point qu'à son retour, et au moment de repasser la frontière x - du Seistan, il fut cruellement mis à mort par Ibrahim, khan d’Ichanabad. Ajoutons que le docteur Forbes fut probablement la victime de la malheureuse coïncidence de son voyage avec “la marche des troupes anglaises au travers de lPAfghanistan et du Belouchistan, et que, sans aveuglement, personne ne pouvait méprendre sur le but que devait avoir son gouvernement en faisant précéder ainsi ses armées par des éclaireurs scientifiques. » La géographie a également fait une grande perte en la per- ne du docteur Lord, compagnon de Burnes et de Wood, et qui avait rendu de grands services dans le voyage de l’Indus et a Khoundouz en Boukharie. Il à péri à Parwan, dans un ! Voy. Bibl. Univ. déc. 1841, p. 299, et juin 1842, p. 287. XLII 10 / / 146 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. engagement entre les troupes anglaises et celles de Dost Mo- hammed , le 2 novembre 1840. Enfin l'assassinat de sir Alexandre Burnes au moment dela révolte de Kaboul, au com- mencement du mois de novembre 1841, a été une des pertes les plus sensibles que la politique ait fait éprouver aux sciences. Arabie. Mr. Jomard, dont les savantes recherches ont dès longtemps contribué à coordonner tout ce que nous connaissons sur ce pays, s’est particulièrement attaché à faire sentir dans quelles étroites limites ces connaissances se trouvent restreintes. Le gouvernement anglais et surtout la Compagnie des Indes ont voulu contribuer à diminuer l’étendue de cette lacune. Parmi les officiers qu’elle y a employés, aucun ne s’est acquis autant de droits à la reconnaissance des géographes que le capitaine Wellsted !. On lui doit une carteet une excellente description de l’île de Socotra, qu'il a trouvée bien différente de ce que nous la croyions sur l’autorité des Portugais, et d’une assez grande importance politique pour devenir une station anglaise. Les cô- tes de l’Yémen et de l’Oman, et celles de la Mer Rouge ont été relevées et décrites par Mr. Wellsted ; l'archéologie ne lui est pas restée étrangère, comme l’a prouvé sa description des rui- nes de Bérénice. Il a également entrepris, en avril 1835, un voyage de 70 milles pour visiter les ruines importantes de Na- kab al Hadjar, dans la partie orientale de l’Yémen. Un autre voyage de 700 milles l’a conduit au cœur des états de l'iman de Mascate, pays décrit par Niebuhr, mais qu'il n'avait pas vi- sité. La Compagnie des Indes a fait publier une carte du groupe des îles Kouria Mouria et d’une grande partie de la côte méridionale de l’Arabie, levée en 1834, 1835 et 1836 par le capitaine Haïnes, ayant sous ses ordres MM. Wellsted, Cruttenden, Hulton et d’autres officiers au service de la Com- pagnie des Indes. Malheureusement la côte n’a pas encore été relevée au delà du 49° degré de longitude orientale. Cette 1 Voy. Bibl. Univ. février 1839. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 147 portion de 200 lieues de longueur, comprise en partie dans les limites de l’Yémen et en partie dans l’'Hadramaut , pré- sente une succession continuelle de collines rocheuses, de montagnes calcaires de 3 à 5000 pieds de hauteur, entremélées de petites plaines et de montagnes fertiles en millet. Plus avant, dans l’intérieur des terres, s’élève invariablement un rideau de montagnes beaucoup plus hautes (2000 mètres) et dont les détails sont peu connus Le granit se montre sur quelques points. L’eau n’y est pas très-rare, et les pluies y tombent avec une grande abondance pendant toute la durée des mois de no- vembre, de décembre, de juillet et d’août, quelquefois même elles commencent en avril. Le cotonnier, le caféier et le dattier y forment presque la seule végétation arborescente. Les anti- lopes y abondent ainsi que le gibier ailé. Mr. Haines signale l'existence de quelques sources chaudes auprès du village de Dhabbah, à quatre milles de la côte. Il dépeint les indigènes comme formant une race d'hommes vigoureux, actifs et cou- rageux, gouvernés par autant de princes qu’il y a de tribus, et vivant dans un état continuel de guerres intestines. Les officiers anglais n’éprouvèrent de leur part que des procédés obligeants et une conduite hospitalière. Les femmes y sont remarquable- ment sveltes et bien faites, avec de longues tresses de cheveux d’un noir de jais et de beaux yeux de la même couleur. Elles sont, au reste, d’une gaîté, d’un enjouement qui n’est pas le moindre ornement de la beauté. Le port de Makallah, dans l’Hadramaut , est actuellement le plus considérable de cette côte. La ville est adossée à une crête escarpée de roches d’un calcaire rouge de 300 pieds de hauteur, couronnées pour toute défense par six tours carrées. Cette crête est à son tour dominée par une montagne dont la cime (haute de 396 mètres) se distingue de 15 lieues en mer. La population, qui est de 4500 ämes, se compose d'individus appartenant à toutes les nations de la terre. Le commerce exporte de la gomme, des peaux, beaucoup de séné et un peu de café. Le cabotage y est considérable ; malheureusement, la vente des 148 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. esclaves y est l’article le plus important. Mr. Haines vit à la fois 700 filles nubiennes, exposées sur le marché à l'inspection bru- tale et dégoûtante des acheteurs. Il s’offrit à Mr. H., pendant son séjour en ce port, une excel- lente occasion d’explorer l’intérieur, tout à fait inconnu, du paÿs d’Hadramaut. Un respectable et riche marchand nommé Salih ben Abdallah ben Saïl, ayant été blessé d’une balle au bras, était descendu à la côte dans l'espoir d’y rencontrer un chi- rurgien européen. Le docteur Hughes, passager à bord de l'un des vaisseaux anglais, s'empressa de faire avec succès l’extrac- tion de la balle, et le patient, dans sa reconnaissance, offrit de conduire en toute sûreté à Sihoun, capitale de l'Hadramaut, l’un des officiers anglais; mais le capitaine Haïines s’v refusa, faute des fonds nécessaires. Aden a particulièrement Gxé l'attention des ingénieurs chargés de la carte d'Arabie. Autrefois florissante et populeuse, elle fut, sous le rèone de Constantin, renommée pour ses fortifications inexpugnables, son commerce et ses ports excellents, dans les- quels se rencontraient les vaisseaux de tous les pays du monde. Depuis lors elle fut occupée, en 1530, par les Tures, sous le règne de Soleyman le Magnifique ; ils en apprécièrent assez l’im- portance pour en augmenter les défenses ; ils y amenèrent des eaux par un long aqueduc et creusèrent en outre 300 puits, dont beaucoup sont percés dans le roc vif à la profondeur de 60 à 125 pieds. Maintenant Aden n’a que des citernes en ruine, des eaux presque saumâtres, des rues désertes, un port vide, un ter- ritoire inculte et à peine 600 habitants. Elle obéit à un petit souverain imbécile, fixé dans une bourgade voisine. Cependant sa position dans une péninsule rocheuse et presque inacces- sible la rend, comme forteresse, supérieure à Gibraltar, autant qu’elle l’est d’ailleurs par l’excellence de ses ports et la hauteur de ses montagnes. De tels avantages, habilement exposés par le capitaine Haïnes, ont déterminé le gouvernement anglais à faire l'acquisition d’une ville qu’une bonne administration ne peut manquer de rendre à son ancienne prospérité. Le cimetière PROGRÈS DFS TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 149 turc présente un grand nombre de tombes construites en mar- bre blanc, incrustées de jaspe, et surmontées, selon l’usage, de turbans. On y remarque aussi trois de ces longs canons de branze connus au moyen âge sous le nom de basilics. Le plus gros à 18 1/2 pieds anglais de longueur, et portait probablement des boulets du poids de 80 livres; le second est de dix-sept pieds et porte l'inscription : Fait par Mohammed ibn Hamzah en l'année de l'Hégyre TO1 ? — le troisième, richement ciselé et long seulement de 15 pieds 7 pouces, porte inscrits ces mots : Soleyman fils de Selim 901 (1523 de l'ère chrétienne). Ces canons étaient peut-être du nombre des douze basilics employés, en 1530, au siége de Diu par Soleyman, pacha d'Egypte, sous le règne de Soleyman le Magnifique. Cette côte a présenté sur plusieurs points des ruines antiques de peu d’étendue et des inscriptions en langue himiarite, dont les copies ont &t£ adressées aux savants d'Europe les mieux à même d’en interpréter le sens. Pendant le séjour du Palinurus sur la côte d’Hadramaut voi- sine de la tour de Ba’l-haff, MM. Wellsted et Cruttenden péné- trèrent dans l'intérieur des terres, entraînés par le désir d’ob- server les ruines de Nakab al Hadjar (l’excavation dans le roc), dont les Arabes leur parlèrent comme étant d’une époque anté- rieure à celle où leurs pères embrassèrent la religion de Maho- met. L’abondance des sables mouvants dans le voisinage de la mer rendit pénible le commencement du voyage. Mais en avançant on suit le fond d’une vallée fertile, couverte de villa- ges, de hameaux et de maisons isolées, et cultivée avec le plus “grand soin. D'innombrables roues à auges, mises en mouvement “par des chameaux, procurent aux champs une irrigation abon- dante. Le fond de la vallée offre des fragments de jaspe et de “quartz ; mais des montagnes de 4000 pieds, dont elle suit le pied, sont formées de roche calcaire primitive. L'aspect de la vallée semblait de plus en plus fertile, à mesure que l’on avançait dans les terres. Elle se prolonge de sept journées dans l’inté- rieur. Les villages sont florissants. Partout les deux voyageurs re- 150 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. çurent l'accueil le plus bienveillant, quoique leurs guides s’em- pressassent de répandre le bruit qu’ils ne venaient à Nakab al Hadjar que pour en enlever les trésors qu’y gardent les génies et s’emparer ensuite du pays. Ces ruines surpassèrent par leur étendue Pattente de Mr. Wellsted; elles occupent la plus grande partie d'une colline assez considérable, et présentent d'abord un mur d'enceinte épais et élevé, bâti solidement et flan- qué de tours carrées. Mr. W, y copia une inscription dont les caractères, d’une belle exécution et d’une belle conservation, ont 8 pouces de hauteur et sont rangés sur deux lignes horizon- tales. L'intérieur de l’enceinte offre un édifice de 80 pieds de longueur sur 50 delargeur, que Mr. Wellsted suppose avoir été un temple. Il était en dedans si embarrassé de décombres qu’il fut impossible d'y découvrir ni inscriptions ni ornements; mais les pierres sont admirablement taillées, le ciment les égale en dureté et les lie si intimement que la lame d’un petit canif ne put pénétrer dans les joints. Comme Mr. Wellsted s’informait auprès des Arabes des tradi- tions qu’ils pouvaient avoir sur l’origine de ces édifices, et leur fai- sait comparer la puissance de leurs ancêtres avec leurs faibles constructions de briques sèches : «Pouvez-vous croire, lui ré- pondit l’un d’eux, que ces pierres aient été élevées par la seule main des infidèles? Non, non, ils avaient pour les aider, des diables, des légions de diables, dont Dieu nous préserve! » Ces ruines remontent probablement à l’époque où toute la côte méridionale de l'Arabie formait un état puissant soumis à la dynastie des Himyari, les Homérites de Ptolémée; cet état florissait par le commerce des Indes, ainsi que l’assure Agathar- cides; il eut pour capitale Marbe, que les Grecs appelaient Mariaba. Les inscriptions trouvées dans les ruines ressemblent aux caractères éthiopiques ; il s’en est présenté sur plusieurs points de la côte. On dit même à Mr. Wellsted qu'il pourrait, en pénétrant dans l’intérieur un peu auvdelà de Nakab al Had- jar, visiter d’autres ruines aussi importantes auprès du village d'Eisan. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 151 MM. Cruttenden et Hulton ont entrepris un voyage de Mo- kha à Sanah, la capitale de l’Yémen. Ils ont trouvé le pays sou- vent dévoré par une chaleur suffocante, surtout entre Beit-el- Fakih et Hodeïda ; quelques plateaux y présentent une surface desséchée ; mais les montagnés ont presque partout, malgré leur peu d’élévation, un caractère ardu qui rend la marche des voyageurs pénible et même dangereuse. Ce danger est aug- menté sur quelques points par la présence de tribus adonnées au brigandage; celle de Khorah passe pour avoir l’habitude de mettre à mort ses prisonniers, chose rare de la part des autres bandits. Le paysage est généralement beau. La vallée de Sennif, bien boisée et fertile, parut au voyageur un paradis enrichi de la plus belle végétation après une marche de six jours au tra- vers d’un désert. Elle est encaissée par des montagnes et a la forme d'un fer à cheval. Le terrain le plus favorable à la culture du caféier est une marne légère, en partie déposée par le passage des eaux de pluie et des torrents. Après une marche pénible, les deux voyageurs arrivèrent à Sanah, dans un pays bien boisé, mais fort chaud. Mr. Hulton mourut de ses fatigues peu de temps après avoir quitté cette ville. Les Anglais ne sont pas les seuls qui aient parcouru ce pays ingrat; Mr. Botta, voyageur italien, a suivi, en 1836, dans l’'Yémen , une route à peu près semblable à celle de Niebuhr “01763. De Hodeïda il s’est rendu à Taas , d’où il a réussi à atteindre le sommet du Saber, montagne trachytique de 7000 pieds anglais (2133 mètres) de hauteur, où il a trouvé de grandes ruines appelées Hasn al Arous, ou le château de la veuve. La côte sud-est de l’Arabie présente en maint endroit une … muraille à pic de 2 à 3000 pieds de hauteur. Dans le voisinage de l’entrée du Golfe Persique elle forme un promontoire escarpé nommé Moçandam, haut de 200 à 800 pieds, dont les flancs sont percés d’un grand nombre de cavernes, et le pied den- ! Ou Mosledam. 152 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. telé par des criques où les navires peuvent trouver un abri. Ces montagnes sont formées de basalte qui leur donne un aspect sombre, ainsi que de granit dans un état de décomposition, qui ÿ cause des éboulements dangereux sous les pas du voya- geur. Les cavernes servent d’abris à une partie des habitants de cette région sauvage. Ils sont obligés d’attacher leurs enfants : avec des cordes pour les empécher de tomber dans les précipi- ces qui entourent leur demeure‘. Ils vivent de poissons et de coquillages qui abondent sur leurs côtes, de la chair de leurs chèvres et du produit de quelques champs ; du reste, ils ne manquent pas de bonne eau. L’extrême isolement de ce peuple l’a laissé dans un état d'ignorance et de pauvreté amplement compensé par amour de son pays et par le contentement dans lequel il vit. I professe la religion de Mahomet, dont il suit les préceptes autant qu'il peut les comprendre ; son langage est un jargon que les autres Arabes n'entendent que difficilement. Lorsque le vaisseau que montait Mr. Whitelockrjeta l’ancre, vers dix heures du soir, dans l’une des criques de cette côte, le bruit inaccoutumé de la chaîne, en parvenant aux monta- gnards, les frappa d’une terreur telle qu'ils s’enfuirent dans les rochers avec leurs femmes et leurs enfants. Aussi, lorsqu'ils visitèrent plus tard le vaisseau anglais, cette chaîne et les co- chons furent les seuls objets qui excitèrent leur surprise. Tro ignorants, même pour manifester de la curiosité, ils considé- rèrent les objets les plus extraordinaires pour eux avec une surprise hébétée, qui fit bientôt place à une indifférence com- plète. Ils sont d’une grande saleté et d’une indolence qui ne leur permet pas de travailler au delà de ce que réclame le be- soin le plus impérieux ; bons et civils, cependant, ils ne lais- saient jamais les Anglais partir de leurs villages sans leur offrir des dattes et du lait. Les hommes peuvent donner à leur voix un son tellement perçant qu’ils se font entendre d’une monta- gne à une autre à des distances incroyables. * M'hütelocks Sketch of the Entrance of the Persi: n Gulf. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 153 L'extrémité du cap Moçandam est formée par une très-petite île rocheuse et escarpée, qui n’est séparée de la longue pointe du continent que par un passage semblable à une porte ou- verte dans la montagne par quelque convulsion de la terre. L'ouverture en est si étroite qu'elle semble de loin suffire à peine au passage d’un navire. L’Olive, vaisseau de la Compa- gnie des Indes, la franchit le 30 octobre 1826, sous le com- mandement du lieutenant Kempthorne, et fut peut-être le seul vaisseau européen qui s’y risqua. La tentative était hasardeuse, mais elle réussit. « Les rocs s’élevaient de chaque côté, dit Mr. Kempthorne', en muraille menaçante, élevée de qua- tre cents pieds. Le soleil s'était couché avant que nous eus- sions atteint l'entrée dupassage. L’obscurité y régnait déjà , et les rocs de couleur sombre répandaient tout autour quelque chose de lugubre. Les officiers et les matelots étaient à leur poste, prêts à tout événement, gardant un profond silence. On n’entendait que la voix de l’homme qui, la sonde à la main, -criait constamment quelle était la profondeur de l'eau. La mer se brisait contre le pied des rochers avec un bruit qui, répété par les échos , ressemblait à celui du canon dans le lointain. Cependant une sonde de 18 brasses ne toucha pas le fond, etle navire sortit sans accident du détroit. Les officiers de la marine de la Compagnie des Indes ont été î oécupés, de 1821 à 1829 , à lever la carte du Golfe Persique ?. « Le premier objet qui se présente à son entrée est la fameuse île - d’Hormouz, d'un aspect volcanique, et tellement aride que le ciel lui a refusé toute eau potable , sauf celle que les habitants re- “cucillent dans des citernes. Cependant la possession de deux “ports et l'asile qu’elle offrait aux peuples malheureux de la Perse “en firent, au moyen âge , une des villes les plus opulentes et les plus commerçantes de l'Orient. On y comptait 4000 maisons. + ! Notes sur une reconnaissance des côtes orientales du Golfe Persi- que, 1835. =? Bruck, carte du Golfe Persique, publiée à Londres en 1830. 154 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. Milton compare la magnificence du trône de Satan aux richesses d’Hormouz et de l’Inde. La domination des Portugais mit fin, en 1507, à cette ère de prospérité. Ils furent, il est vrai, chassés, en 1622, par Schah Abbas aidé de neuf vaisseaux anglais ; mais le commerce, d’abord détourné sur Gomroun ou Bender- Abbassi ', n'a pas repris le chemin d'Hormouz. L'ile n’a que douze milles de circuit, et des ruines en cou- vrent la plus grande partie. L'iman de Mascate, qui l’afferme du schah de Perse , et possède au méme titre une partie des côtes du Laristan et du Mékran , tient dans le fort une petite garnison , et ne l’occupe que pour faire recueillir le sel qui y abonde. Cette substance forme une croûte épaisse, cristalline et même transparente à la surface des rochers, demanière à présenter une imitation des glaciers ; elle couvre d’une couche semblable à de la neige la cime de plusieurs collines, tandis que d’autres ont la couleur rougeâtre d’un sol ferrugineux ; le soufre enfin com- plète la bigarrure qui donne à cette île un aspect extraordinaire. Le sol est également imprégné d’oxide de fer. Le sable même de la grève est formé de particules de fer pulvérisées par l’ac- tion des vagues. La côte voisine de la Perse participe plus ou moins de la na- ture saline de’l’île d’Hormouz, ce qui donne lieu à un assez grand commerce ; on y recueille aussi du soufre, et les Portugais y exploitèrent même une minede cuivre. L’iman de Mascate en est le maître, etla tient en fief du roi de Perse. La chaleur y est suffocante et le climat souvent malsain. Mais l'abondance des eaux et la fer- tilité partielle du terrain y attirent souvent les habitants moins favorisés des îles voisines. La nature des productions semblerait indiquer un climat moins chaud et une situation moins méri- dionale, car on y recueille des cerises , et même des pommes. Cette culture n’exclut pas celle des péches, des abricots, des melons d’eau, des poires et des oranges. Il y croit un raisin dé- licieux , dont on faisait autrefois un vin blanc renommé ; mais actuellement le rigorisme mahométan a fait cesser cet usage. 1 Port d'Abbas. PROGBÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 155 Il ne se fait plus en Perse d’autres vins que celui de Schiraz, d’un bouquet délicieux , et celui d’Ispahan, d’une saveur dou- çâtre et de la couleur du Bordeaux. Les Arméniens en sont les seuls fabricants. À dix lieues dans l’intérieur, on voit s’élever la cime du Djebel Chamäl (mont Nord), couvert même au printemps de neiges abondantes qui alimentent les rivières de la côte. Ces montagnes s’approchent de la mer à la distance d’une lieue seu- lement, et lui présentent un front escarpé. Les officiers anglais qui les escaladèrent découvrirent à leur pied des sources miné- rales, employées par les habitants dans les maladies cutanées. Kichm, la plus grande des îles situées à l’entrée du Golfe Persique , fut longtemps un repaire de pirates. Il fut détruit, en 1809, par une expédition anglaise partie de Bombay ; l’ile a depuis lors été soumise à l’iman de Mascate. Toutefois les Anglais y ont établi une station , lorsque leurs vaisseaux levaient la carte du golfe, et depuis ils n’ont pas cessé de la fréquenter. Un hôpital pour les matelots, une salle de billard et un jeu de paume pour les officiers, sont de faibles compensations aux privations de tout genre qu'ils y éprouvent. « On ne peut , dit Mr. Kempthorne, se faire une idée de l’extrême aridité des côtes du golfe Persique sans y avoir été. On ne décou- vre pas un brin d’hérbe. La saison froide est assez agréable, mais la saison chaude , qui dure cinq mois, est insupportable et fait de la vie un tourment. Ceux qui souffrent le moins.se con- tentent d'exister. J'ai vu des hommes mourir, après une ma- ladie de quelques heures, dans un délire furieux, pour être restés exposés au soleil. Peu d’entre eux réchappent d’une fiè- vre chaude , et lorsque cela leur arrive , ils ont, pour toujours, l'esprit dérangé. I n’y a de société qu'entre officiers : jamais on n’y voit de femmes européennes, et, pour celles du pays, Arabes ou Persanes , il est bien rare qu’on en aperçoive , tant elles sont voilées et renfermées. Se montrer le visage décou- vert ou parler à un Européen serait , de leur part, un sacrilége qui les exposerait à la mort. Leurs maîtres, jaloux de la présence 156 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPRIQUES. des Anglais, veillent sur elles avec un grand soin. Il m'est ce- pendant arrivé, en passant dans une rue , à l’abri des regards d’un Persan, de voir lever ce voile qui cachait un visage de brunette, des lèvres de corail, des yeux d’un noir de jais et de longues tresses tombant sur les épaules. Jamais le désert ne m'eüt paru devoir recéler de pareilles beautés. » En suivant les côtes du Mékran (la partie maritime du Belou- chistan) , Mr. Kempthorne aperçut un jour un énorme poisson lune * (Tetraodon mola ) endormi à la surface de la mer. On en voit en grand nombre sur cette côte sauter hors de l'eau à la hauteur de six pieds. Tandis que celui-ci dormait , on en- voya contre lui le canot monté de trois hommes que la péche de la baleine avait familiarisés avec l’usage du harpon. Ils prirent avec eux une petite corde, deux harpons et ramèrent doucement. Lorsqu'ils furent tout près du poisson, l’un des hommes, monté sur la proue , lui lança le harpon avec tant d'adresse et de force qu’il pénétra profondément dans son corps et lui fit rougir la mer de son sang. L'animal blessé plongea aussitôt, entraînant la ligne et le canot avec une vitesse telle que force fut aux gens du vaisseau de suivre leurs compagnons à la voile pour ne pas les perdre de vue. Quatre heures s’écoulèrent sans que l’animal en fuite perdit de ses forces. Ilen eut même assez pour faire tourner le vaisseau sur sa quille lorsqu'on y eut attaché la corde qui le retenait. On le perça encore de plusieurs harpons et on réussit à l’amener sous les sabords. Un homme descendit sur son corps et passa une corde dans un des trous percés par les harpons. Puis on se servit de la grande vergue comme d’une grue pour l’élever jusque sur le pont. Son corps avait quatorze pieds de largeur, neuf de longueur, la queue quatre, et la bou- che près d'une toise de largeur. On trouva un grand poisson suceur (Remora) attaché à ses branchies. Les matelots dépe- cèrent le tetraodon avec la hache ; sa chair, tachetée de rouge et d’une consistance molle, lui fit donner le nom de poisson ! En anglais, Sun-fish. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 157 plum-pudding , et l’on retira de son foie plusieurs gallons d’une huile bonne à divers usages. L'ile d’Achtola, voisine de la côte du Mekran, n'a.que quatre ou cinq milles de circonférence. Elle est inaccessible, excepté sur une petite portion de sa circonférence , le reste présentant une ceinture escarpée de falaises de 300 pieds de hauteur. Les tortues s’y rendent en grand nombre pour déposer leurs œufs. Le vaisseau anglais jeta l’ancre à peu de distance de l'ile, et deux troupes s’y rendirent au coucher du soleil pour faire la chasse aux tortues. Il était nuit lorsqu’elles abordèrent. Elles tirèrent leur bateau sur la grève et se disposèrent à attendre l’arrivée des tortues, en gardant un silence profond. La lumière argentée de la lune permettait de distinguer la côte de Perse faiblement éclairée dans le lointain, les rochers sauvages de l’île et le vais- seau à l’ancre. Les chasseurs en embuscade ne laissaient pas en- tendre un chuchotement; rien ne troublait le calme de ce spec- tacle, lorsque la cloche du vaisseau annonça qu'il était onze heures du soir. En ce moment on aperçut comme un roc noir qui s'élevait de la mer et se dirigeait lentement vers le lieu de l’embuscade. C'était la première tortue. On la laissa s’éloi- gner assez de l’eau; puis, par une attaque rapide et simulta- née, qui ne lui donna ni le temps de la retraite, ni celui de re- pousser et d'aveugler ses ennemis en leur jetant du sable avec ses pattes , six hommes la tournèrent sur le dos. Le moyen de dé- “fense auquel nous faisons allusion, est loin d’être à dédaigner. Le “poids de ces animaux est énorme et leur force prodigieuse. “L'exemple suivant le prouvera. Le canonnier du vaisseau, no- ice à cette sorte de chasse, se sépara des autres pour en jouir seul, se promettant de retourner la première tortue qu’il ren- contrerait. Une se présenta bientôt ; il la laissa approcher et il | sefforça, mais en vain, de la retourner. Toutes ses tentatives fu- rent inutiles ; et ce qui fut pire, sa main se trouva prise entre Ja carapace et le cou de l’animal, qui la serra de telle façon en re- levant la tête, qu'il lui fut impossible de la retirer. Alors la tor- 158 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. tue reprit lentement le chemin de la mer , entrainant après elle le malheureux canonnier. L’horreur du sort qui l’attendait lui arracha des cris; ses compagnons l’entendirent et arrivèrent à son aide à l'instant où la tortue allait l’entrainer dans l’abime. Ils réussirent même à la retourner. On en prit sept dans une nuit, et on les laissa retournées sur le sable, hors de la portée du flux, jusqu'au lendemain matin qu’on les fit apporter au vais- seau, Le grand canot fut rempli d’eau et forma un vivier où Von conserva les tortues. Elles fournirent un aliment déli- cieux à l’équipage, réduit depuis plusieurs mois à vivre de pro- visions salées. Pendant cinq semaines entières on vécut de soupe à la tortue, de tranches de tortue. Les œufs ne furent pas mé- prisés, et, mélés au riz bouilli , ils remplacèrent le beurre avec avantage. Ces œufs sont ronds et de deux pouces de diamètre ; ils sont enveloppés d’une membrane mince, assez semblable à du parchemin humide. La femelle pond environ trois fois par an, et se dirige toujours vers le rivage pour cela. Elle pratique dans le sable, avec ses pattes de devant, un creux d’un pied de diamètre et de deux pieds de profondeur , et y dépose chaque fois une centaine d'œufs qu’elle recouvre avant de partir. Elle laisse aux rayons du soleil le soin de les couver ; cela dure un mois environ, et, dix ou douze jours après, on voit les petits se trainer vers la mer. Les Arabes se rendent à l’ile d’Achtola et y tuent un nombre prodigieux de tortues , non pour les manger , car ils considè- rent leur chair comme un aliment immonde , mais pour aller en Chine vendre leur carapace; elle est toutefois d'une qua- lité inférieure à la véritable écaille de tortue. Ils laissent le vi- vage couvert des carcasses de ces pauvres animaux, qui entrent en putréfaction et répandent une puanteur insupportable, même à quelque distance en mer. D’innombrables rats sont les seuls quadrupèdes que l’on rencontre dans cette île; ils se nourris sent des carcasses des tortues. Achtola fut , il y a quelques années , le repaire célèbre d’une bande de pirates arabes, qui en faisaient le théâtre d’atrocités im- ne ts. = 2 gent gra TAPER PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 159 possibles à répéter. Une sentinelle, placée sur une tour encore vi- sible sur la pointe d’un rocher presque inaccessible , les avertissait par un signal , lorsqu’elle voyait paraître un vaisseau au large. L’escadre entière des pirates se mettait aussitôt à sa poursuite , et, si malheureusement ils s’en rendaient maîtres, ils l’ame- naiëent à leur île , enlevaient tout ce qu’il contenait de précieux, massacraient l'équipage et brülaient le navire. Mais cette horde abominable a disparu entièrement depuis l’expédition que le gouvernement de Bombay envoya contre elle, en 1820. L'ile est entièrement déserte. Il paraît qu'il n’en était pas äinsi au temps de Néarque , qui l’appelle Carnine , et dit que les habi- tants lui firent des présents de bétail et de poisson. La côte du Mékran abonde en poissons, en crabes et en co- quillages de toute espèce. Dans plusieurs endroits de ce pays et de l'Arabie , l’aridité du sol oblige de nourrir entièrement le bétail d’un mélange de dattes et de poisson séché et réduit en poudre. Mr. Kempthorne assure que, prise dans son ensemble et à peu d’exceptions près , la côte entière, depuis l'embou- chure de l’Indus à celle de l'Eupbrate , présente un désert con- tinu , adossé à de hautes montagnes arides et sans végétation. L’éclat du soleil, le sable répandu dans l’air, et peut-être en- core d’autres causes, rendent les ophthalmies nombreuses. Le sommet d’une colline voisine de Gouaddel, dans le Mékran, recélait, au dire des habitants, une plaine fertile. Mr. Kempthorne s’y fitconduire, sans trop le croire. Arrivé, par un étroit sentier, à la hauteur de 300 p.., il pénétra dans une immense caverne, et, lorsque ses yeux rencontrèrent de nouveau la lumière du soleil, ce fut, comme dans les Mille et une nuits, pour jouir de la vue d’une plaine verdoyante et bien cultivée, autour de laquelle des collines formaient un ampbhithéâtre de deux lieues de circuit. Le contraste de l’aridité de la côte avec une verdure inaccou- tumée retint le voyageur dans ce lieu enchanté, comme dans un vrai paradis ; des heures s’écoulèrent et le soleil était cou- ché avant qu’il eût regagné le village, ravi du souvenir de son excursion. 160 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. Néarque décrit cette côte, son aspect et ses productions, ses habitants et leur manière de pêcher avec des détails qui se trou- vent encore exacts. Parti de l’embouchure de l’Indus avec la flotte macédonienne, il longea les rivages de la Gédrosie, sur lesquels il est aisé de le suivre. Toutefois il n’existe aucune ressemblance entre ies noms de localités indiqués par lui et ceux que l’on y retrouve. Il appelle Maceta le cap Moçandam ; le nom même d'Harmozia ne peut s'appliquer à Pile d'Hormouz , mais à la ville voisine de Minab (eau bleue). L'ile d'Hormouz porte, dans sa relation, celui d'Organa. Il vante la fertilité des côtes de la Carmanie (Kerman et Laristan), comparée à l’ari- dité de la Gédrosie. Arrivés à Harmozia, les Macédoniens se rendirent à terre et y rencontrèrent un soldat de l’armée d'Alexandre , qui leur apprit que son camp n'était pas éloigné. Néarque s’y rendit de bonne heure, le lendemain, après avoir rangé sa flotte en bataille, et fut reçu du roi et de toute l’armée avec des acclamations et de gran- des marques de joie. De retour à sa flotte, l’amiral ordonna de faire des sacrifices d'actions de grâces et de célébrer des jeux gymnastiques, puis il mit à la voile et pénétra dans le Golfe Persique. L'ile d'Oaracta ( Kischm) eut pour premier roi, selon Arrien, Erythras, dont il assure que Néarque vit encore le tombeau et qui donna, dit-il, son nom à la mer Erythrée, ce qui semble peu probable. Le village de Diridotis était à l'embouchure de l'Euphrate ; Néarque y apprit l'arrivée d'Alexandre à Suse, et, lorsqu'il le sut dans le voisinage de l’Euphrate , la flotte re- monta le fleuve jusqu’à un pont qu’Alexandre y avait fait con- struire, et où s’opéra la jonction des deux armées. Ce prince y offrit des sacrifices pour remercier les dieux de la conservation de la flotte et de l’armée, et donna une couronne d’or à Néarque. (La fin à un prochain numéro.) a . Sciences Physiques et Maturelles. : DE QUELQUES EFFETS DE L'HUMIDITÉ DANS LES APPARTE- MENTS ET SUR CERTAINES CAUSES PEU APPRÉCIÉES DE CETTE HUMIDITÉ, par Mr. le D° Jean De La Harre, de Lausanne. (Bulletin des séances de la Sociète Vaudoise des Sciences Naturelles du 23 mars 1842.) D EP Au nombre des causes qui rendent nos habitations malsaines en hiver, on compte surtout et avec raison l'humidité. Ses ficheux effets sur le corps sont généralement assez connus pour qu'il ne soit pas nécessaire de les énumérer ici. Quelques- uns de cés effets sont cependant beaucoup moins appréciés que les autres; tels sont, en particulier, ceux qui résultent moins de l’humidité elle-même, que de circonstances et de phé- nomènes développés sous l'influence de humidité dans les appartements , les meubles et les objets divers exposés à cette influence. L'humidité, considérée comme agent nuisible à la salubrité de nos habitations , agit à la fois directement et indirectement. … L'action indirecte sera la seule qui nous occupera ici. - 1° L’un des effets les plus fréquents de l’humidité dans les | äppartements est la moisissure. Cette production fongueuse re- | couvre bientôt, comme chacun le sait, la surface de la plu- part des tissus et des matières animales et végétales d’un appar- tement humide et frais. Elle se montre d’abord sur les objets faits de cuir, sur les souliers, les ceintures, les gants ; elle en- vahit ensuite les vêtements et les hardes, et particulièrement XLIT 11 162 EFFETS DE L'HUMIDITÉ les tissus de soie qu'elle pique de points grisâtres. Les tissus de fil et de coton en sont moins promptement recouverts que le bois. Les tapisseries sont aussi l'un des objets que la moisissure envahit le plus promptement. Les murs très-humides , qui sont passés à la chaux, se moisissent aussi facilement ; dans ce cas, comme dans le précédent, la moisissure trouve un sol favorable à son développement dans la colle mélée à la chaux ou placée sous les tapisseries. J’ai vu souvent aussi la moisissure se former sur les murs au moyen de la couche de poussière de l’appartement qui se dé- pose sur eux et s'attache à l'humidité qui les-recouvre. La paille des lits est encore assez exposée au même accident, lorsque les personnes qui couchent dans ces lits suent beaucoup ou que le matelas est trop mince. Les effets produits sur le corps humain par la moisissure ne se bornent pas à affecter désagréablement l’odorat, comme on pourrait le croire ; j’ai pu m’assurer plus d’une fois et dans des circonstances où il n’était pas possible d'attribuer les effets produits à d’autres causes, que ces effets ont la plus grande ressemblance avec l’entêtement ou l’asphyxie causée par les fleurs. J’ai vu plusieurs personnes couchées dans une chambre dont les murs étaient moisis sur une certaine étendue, être prises simultanément et durant la nuit de douleurs de tête, de malaises généraux et de nausées. Dès que l’on eut fait cesser l’odeur, les symptômes disparurent. Les tonneliers connaissent assez les accidents auxquels ils s’exposent en pénétrant dans des vases moisis; outre les maux de tête, les vertiges et les nausées, qui les tourmentent pendant plusieurs jours de suite, ils sont pris d’une toux fatigante accompagnée d’un continuel besoin de cracher. Ce dernier symptôme paraît ne se rencontrer que chez eux. L'odeur répandue par la moisissure jouit-elle, en cas semblable, d’une propriété sui generis, et en rapport avec la nature généralement malfaisante des champignons ? Je ne le crois pas. Les effets produits eussent été tout différents et bien autre- DANS LES APPARTEMENTS. 163 ment graves s’il s'agissait ici d’une toxication comme pour les vapeurs empoisonnées. Les effets produits sur beaucoup de personnes par le cam- phre, les violettes, le philadelphus et la plupart des substances d’une odeur pénétrante, sont, je crois, du même genre". On n’a point observé que, dans ces cas, les effets produits par les fleurs de l’une de ces plantes différassent de ceux qui sont cau- sés par les autres; n’en déplaise aux homæopathes. Seulement sait-on bien que ces effets ne se montrent pas chez toutes les personnes exposées à l’émanation des fleurs, et qu’en outre, les individus qui en souffrent sont plus spécialement affectés les uns par un parfum, les autres par un autre. Je pense, du reste, que l’odeur du moisi pourrait avoir une action aussi dangereuse que les fleurs, et même produire comme elles une asphyxie nerveuse grave, lorsqu’elle serait assez in - tense ; mais je n'ai point observé de cas de ce genre et je doute qu’on en observe aisément. Qui serait tenté de s’endormir, sans songer à aérer sa chambre, au milieu d’une atmosphère sur- chargée d’une pareille odeur, comme on peut l’être de cher- cher le sommeil sous le parfum des violettes ? 2° Un second effet de l’humidité dans les appartements est d’y faire naître des champignons. Les cas de ce genre sont rares, à la vérité. Ces parasites ne se développent guère que dans les planchers et dans les boisages appliqués sur des murs humides. Quelques médecins allemands disent avoir observé, de la pré- sence des champignons dans ces cas, quelques accidents analo- gues à ceux que j'ai attribués à la moisissure. Jusqu'à quel point ces observations sont-elles exactes? C’est ce qu'il est diffi- cile de dire. | L'effet le plus dangereux des champignons est, dans tous les cas, bien moins de vicier l’air qui les entoure, que de détruire ‘ 1 J'ai quelque lieu de douter que les mauvais effets attribués à l'o- deur des fruits renfermés dans les fruitiers soient dus à une cause ana- logue. 164 EFFETS DE L’'HUMIDITÉ sourdement et promptement les habitations, et de préparer ainsi une ruine subite à celles construites en bois qui en sont atteintes. Les exemples de ce genre ne sont pas très-rares en Allemagne. 3° L’humidité d’un appartement réagit encore d’une manière fâcheuse sur la plupart des matières animales ou végétales pu- trescibles renfermées dans le vase qui en est pénétré. Les dé- bris de substances végétales, la poussière, les vieux linges, etc., soumis incessamment à l'humidité, subissent , dès qu’ils se re- couvrent d’une couche de moisissure, un certain degré de dé- composition. Cette décomposition est sans doute lente, et ses produits très-peu appréciables ; cependant on doit croire qu'ils n’en existent pas moins; on doit les assimiler à une combustion très-lente. Or, cette combustion aura toujours pour principal effet de former de l'acide carbonique aux dépens de loxigène de l’air, et par là de vicier doublement l'air qui doit servir à la respiration. 3 La décomposition des substances animales diverses, répandues dans beaucoup d’appartements, aura des effets bien plus sail- lants. En produisant des substances azotées et particulièrement de l’ammoniaque et des sels ammoniacaux, elle surchargera l'atmosphère de substances dont l’action dissolvante sur le sang a été prouvée par Orfila et tout récemment encore mieux par le professeur Mitscherlich, à Berlin. Îl est probable, en outre, que l’acide nitrique qui naît au sein des lieux humides plus aérés, tire son origine des substances animales en putréfaction lente. Cet acide ne se formera guère qu'aux dépens de l’oxigène de l'air ; une fois formé, il s’empa- rera des divers alcalis, tous carbonatés, qu’il trouvera à sa portée ; de là, nouvelle viciation de l'air. Ainsi donc l'humidité, en activant la putréfaction, d’un côté, favorisera la prédominance de l'acide carbonique dans l'air ; de l’autre, tendra à le charger de principes volatils acides ou alcalins, tous, du plus au moins, nuisibles à la santé. DANS LES APPARTEMENTS. 165 L'effet de l'humidité est, du reste, ici et en tous cas, subor- donné à l’action d’autres agents, et en particulier à celle de la lumière et de la chaleur. La lumière agit plutôt en sens inverse de l’humidité et tend à atténuer ses effets nuisibles, On sait assez que l’une des con- ditions essentielles à la vie est l'exposition à la lumière. De là vient que les appartements humides exposés au midi ou à un grand jour, sont moins malsains que ceux qui sont placés dans des conditions opposées. La chaleur tantôt favorise l’action fâcheuse de l’humidité, tantôt, au contraire, elle la diminue. Quand elle a cette der- nière action, cela résulte uniquement de la diminution de lhumidité sensible de l’air des appartements, comme nous le verrons plus tard. Ce n’est pas l’eau dissoute dans l'air qui est nuisible, mais bien celle que le froid en précipite sous forme de vapeur, ou qui ne peut y étre dissoute parce que le point de saturation de Pair est déjà atteint. Hors ce cas, la chaleur tend toujours à rendre plus fâcheux les accidents dûs indirec- tement à l'humidité, parce qu’elle favorise l’altération pu- tride des substances végétales et animales de laquelle ils dé- pendent. Je répète que je ne parle ici que des accidents indirects , car, quant aux effets nuisibles directs de l’humidité sur le corps, ils sont, toutes choses égales d’ailleurs, bien plus saillants sous l’influence du froid que sous ceHe de la chaleur. Il faut de plus observer, quant à l’action combinée et indi- recte de la chaleur et de l'humidité, que plus la température augmentera dans un appartement humide, plus aussi la décom- position des substances organiques y sera active. De [à résulte une différence assez notable entre les émanations malfaisantes qui en proviennent. Sous une température peu élevée on voit se former, en grand nombre, les byssus, les mucédinées , les agaricinées et toutes les productions végétales qui produisent les accidents assez connus de l’entétement ou de l’asphyxie nerveuse, 166 EFFETS DE L'HUMIDITÉ Quant aux produits de la décomposition des substances or- ganiques sous une température plus élevée, on sait qu’ils revé- tent un caractère d’animalité plus prononcé; car c’est sous de telles conditions qu’on voit naître les vapeurs ammoniacales , les nitrates divers et les miasmes appelés putrides par les mé- decins. L’action malfaisante de ces dernières émanations se rapproche davantage de celle des poisons animaux. Sous ces circonstances on voit se développer les fièvres gra- ves diverses et de mauvais caractère, les maladies adynamiques et asthéniques. Après avoir examiné quelques-uns des effets nuisibles de l’hu- midité, voyons quels remèdes nous devons leur opposer. Pour y procéder, il faut tout d’abord combattre l'humidité, car, sans elle, ni la chaleur, ni la lumière, ni la présence de sub- slances organiques susceptibles d’altération, ne pourraient avoir de telles conséquences sur la santé. Avant tout, il faut découvrir d’où vient l'humidité. La plu- part de ceux qui se sont occupés de ce sujet n’ont pas manqué de trouver son origine dans les murs et les parois de nos habi- tations. Lorsqu'ils n’ont pas pu la faire dériver de l'humidité du sol adjacent, de quelques égouts ou de conduits voisins, ils n’ont pas manqué d’en accuser certaines pierres spongieuses capables, selon eux, d’attirer l'humidité de l'air mieux que ne le ferait un sel déliquescent. Cette opinion de l'absorption de l'humidité par les pierres est tellement accréditée, que le cé- lèbre J.-P, Frank, dans son Système de Police médicale, nous raconte (t. ILE, p. 819) qu’il existe des contrées où les pierres dont on se sert pour bâtir sont si humides, ou plutôt attirent uné telle quantité d’humidité, que l’eau en découle dans les temps humides. Dans ce pays, ajoute-t-il (Vienne en Autriche), on fait usage de deux espèces de marbres , l’un noir, l’autre gris, très-différents l'un de l’autre. — Comment s’imaginer qu'un marbre noir puisse absorber l’eau ; qu’une pierre qui doit attirer l’humidité la laisse écouler aussitôt ! Une telle ex- DANS LES APPARTEMENTS. 167 plication ne ressemble pas mal à celle qui fait suer certaines pierres au dégel, et les bouteilles sorties en été d’une cave fraiche. Lorsque l’humidité ne procède pas évidemment de quelque écoulement d’eau voisine, au lieu d’en rechercher la cause au dehors de l’appartement que l’on veut assainir, qu’on la re- cherche au dedans, et on la trouvera immédiatement. Dans beaucoup de cas, surtout lorsque les chambres ne sont pas chauffées, ou ne le sont que par des poëles insuffisants, la cause de l’humidité des parois, en hiver, n’est pas autre que celle qui précipite sur les vitraux de nos fenêtres l’humidité des chambres. On doit déjà soupçonner cette cause dès qu'il s’agit d’un appartement qui n’est pas situé au rez-de-chaussée ou près de terre. Dans les maisons isolées et dont les murs sont peu épais, la précipitation de l’humidité des chambres sur les parois est souvent telle qu’on la voit ruisseler sur le plancher ou même se prendre en épaisse couche de givre. Nulle part on n’observe cette condensation de l’eau comme dans les chambres à cou- cher et les dortoirs des hôpitaux et des pensions. L’humidité qui s’élève des lits est infiniment plus considérable qu’on ne li- magine. — S'il existe dans l’appartement un poële qui serve en même temps de foyer économique, l’humidité produite par les marmites donnera lieu à de vraies inondations , comme j’en ai vu des exemples. Eh bien , dans ces derniers cas encore, s'i- maginerait-on que l’on s’eflorçait incessamment de faire dériver toute cette eau de l'humidité du toit, du sol, des égouts ou de l'absorption des cailloux! Les chambres à cheminée sont, on le conçoit, très-rarement humides, quoiqu’elles soient généralement plus froides. Le re- nouve:lement continuel de l’air enlève les vapeurs à mesure qu’elles se forment. La cause de lhumidité reconnue, il sera facile d'y parer. Je ne parlerai pas ici des moyens techniques propres à dé- 168: : EFFETS DE L HUMIDITÉ tourner des appartements l’eau qui vient des égouts, des pierres à eau ou du sol; c’est l’affaire de l’architecte. J’indi- querai seulement ceux qui peuvent assainir les chambres dans lesquelles le froid extérieur condense à la surface externe des murs et des cloisons l'humidité dégagée dans la chambre elle- même. 1° Le premier moyen, celui qui réussit presque infaillible- ment, est l’établissement d’un poéle suffisant, ou mieux encore d’une bonne cheminée. Dès que la chaleur dégagée dans lap- partement a pénétré les parois au point de s’opposer à la con- densation de l’humidité sur elles, les effets de l’humidité dispa- raissent. Lorsque l'humidité est très-forte, comme dans les hôpitaux, dans les prisons, dans les chambres habitées par des familles nombreuses, il importe , en outre, de chaufler forte- ment, afin de pouvoir ouvrir un instant les portes et les fené- tres, chaque jour, dans le moment où la chaleur est le plus forte. Lorsque les murs sont minces ou que le froid est vif, on est obligé de tenir l'appartement chaud nuit et jour, sans quoi chaque matin les murs se couvrent de vapeurs condensées , et il faut un très-fort dégagement de calorique pour réchauffer de nouveau les murs. La chaleur agit ici, en outre, en dissolvant dans l’air une grande partie de l’humidité qu’elle rend ainsi latente et par là inoffensive. + Dans les appartements qui ont trop de fenêtres, proportion- nellement à leur capacité, comme on en voit beaucoup dans nos constructions modernes, la grande surface formée par les vitraux suffit souvent à elle seule pour entretenir le froid et l'humidité. Dans ces cas on ne peut remédier au mal que par des double fenétres. 2° Un second moyen de corriger un appartement humide, consiste à le cloisonner intérieurement de lambris. Le bois dont on recouvre les parois fait ici l’effet d’une double fenêtre, et la couche d'air qui se trouve entre lui et le mur intercepte DANS LES APPARTEMENTS, 169 Pirradiation du calorique intérieur. C’est sans doute dans le même but, sans s’en rendre raison peut-être, qu’anciennement on tapissait les appartements de tentures en laines. Ces lambris et ces tentures, pour remplir efficacement leur but, doivent être de toutes parts bien joints, faute de quoi l'air froïd placé - derrière elles se dégagera par le haut dans l’appartement, et l'air chaud et humide viendra déposer son humidité derrière les lambris et, par là, reproduire tous les accidents de l’hu- midité d’une manière d’autant plus fâcheuse qu’on ne s’en dou- tera pas. 3° Un troisième moyen consiste à construire des murs suf- fisamment épais, et si on ne le peut , à les composer de maté- riaux mauvais conducteurs du calorique, tels que la brique et surtout le tuf. On devra aussi remplacer les prétendues pierres humides, c’est-à-dire trop bonnes conductrices du calorique, par les mêmes substances. 4° Enfin, il importera de ne point donner aux murs exté- rieurs une couleur foncée, mais de les recrépir. Ce que j'ai dit jusqu'ici peut servir à faire apprécier à leur juste valeur les efforts continuels que font la plupart des ma- çons pour corriger certains appartements humides, en recou- vrant les parois intérieures de divers enduits imperméables, de lambris fixés aux parois, de plaques métalliques noyées dans les murs, etc. Autant ces moyens peuvent être utiles lorsque l'humidité pénètre les murs depuis dehors, autant ils sont illusoires , et parfois même nuisibles, lorsque lhumidité provient de la condensation de l’eau renfermée dans Pair des appartements. mn 0@ 01e 170 RECHERCHES D’ANATOMIE COMPARÉE SUR LE CHIMPANSÉ , par W. Vrolik, chevalier de l’ordre militaire de Guillaume, membre de la première classe de l’Institut royal des Pays- Bas, etc. { vol. gr. in-f° avec 7 planch. Amsterdam, 1841. r —— mr 0 CD0 ee — Si, dans les sciences naturelles, l'étude des faits doit servir de base aux vues générales et à l'appréciation de l’ensemble des phénomènes de la nature, les travaux entrepris dans le but d’é- claircir quelques points particuliers de la science et d’épuiser en quelque sorte un sujet spécial, méritent une attention toute particulière. Les sciences physiques, la géologie, la botanique, offrent de nombreux exemples de ces monographies, dont plu- sieurs ont fait la gloire de leurs auteurs. La zoologie et surtout l’anatomie comparée sont moins riches en travaux de ce genre ; c’est donc un devoir de signaler les ouvrages qui, comme les Recherches d'anatomie comparée sur le Chimpansé , de Mr. Vrolik, réunissent à une étude approfondie du sujet des vues nouvelles et des aperçus ingénieux ; quand en outre l’exé- cution matérielle, le format, l’impression et les planches, les rendent dignes de prendre place à côté des ouvrages les plus remarquables. Mr. Vrolik n’entre dans aucun détail ni sur les caractères extérieurs, ni sur l’histoire naturelle du Chimpansé ; les suppo- sant suffisamment connus, il se livre à l’examen anatomique de cet animal, que sa grande ressemblance avec l’homme rend sin- gulièrement intéressant. Profitant des ressources que lui four- nissent les belles collections anatomiques publiques et partieu- lières de la Hollande, ainsi que le Jardin zoologique d'Amsterdam ! Se trouve chez J, Kessmann, librairie allemande, à Genève ANATOMIE COMPARÉE SUR LE CHIMPANSE. 171 placé sous sa direction, il y ajoute des observations anatomi- ques sur plusieurs autres espèces de singes, compare leur or- | ganisation avec celle d'autres quadrupèdes , et les rattache à celle de l’homme, en sorte que l’ouvrage que nous annonçons est presque un traité d'anatomie comparée des quadrumanes et un essai assez complet de myologie comparée des mammi- fères. Un travail de ce genre, dont le mérite git surtout dans le nombre et l'exactitude des détails, se prête difficilement à l’ana- lyse. Quelques citations d’un intérêt général le feront mieux connaître et donneront, nous n’en doutons pas, le désir d’étu- dier dans l'ouvrage même l’organisation si particulière du grand quadrumane dont il est question. Les sept belles planches litho- graphiées qui accompagnent les descriptions les rendent d’ail- leurs bien plus intelligibles. Après de longs et intéressants détails sur l’ostéologie et la myologie du Chimpansé, ainsi que sur la comparaison des or- ganes du mouvement chez diverses espèces de singes et autres mammifères, entre eux et avec ceux de l’homme, voici à quelles considérations générales se livre le professeur d'Amsterdam (pag. 34 et 38). « En résumé,. il paraît prouvé que les muscles des extrémi- tés antérieures se simplifient d'autant plus que les animaux s’éloignent plus de la forme humaine. Leur nombre et leur disposition se modifient d’après les fonctions auxquelles ces extrémités antérieures sont destinées. Chez l’homme , elles ne sont pas faites pour soutenir le corps. Elles y sont attachées d’une telle manière que, du sommet de la tête jusqu’au talon, il n’est aucune partie de l'individu à laquelle elles ne puissent atteindre. Par la nature de cette attache et par toutes les par- “icularités de leur structure, on voit qu’elles lui sont données ‘comme instruments propres soit à repousser, soit à saisir, soit à embrasser les objets, et particulièrement aussi comme organes "du tact. C’est à la main surtout qu’il est donné de remplir ces 172 ANATOMIE COMPARÉE SUR LE CHIMPANSÉ. offices. Tout concourt, chez l’homme, pour en faire un or- gane de la plus grande perfection, et, à cet égard, nul animal ne saurait rivaliser avec lui. Aussi voyons-nous que c’est pour remplir ces différentes fonctions que la paume s’élargit en rayonnant et se termine en doigts, dont chaque phalange a son propre moteur ; que le pouce à une autre direction que les autres doigts, n’est pas placé sur la même ligne qu'eux, mais peut être opposé à chacun d’eux; que la main n’exerce pas seulement un mouvement d’extension et de flexion, mais se tourne en avant ou en arrière, par un mécanisme propre à l’avant-bras; que l’articulation de l'épaule est constituée de telle sorte, que les mouvements de l’humérus et par consé- quent toute l’extrémité supérieure en deviennent aussi éten- dus que possible ; que les rebords musculaires de la paume de la main sont disposés de manière que la main peut faire un creux par sa face palmaire. Toutes ces dispositions se trouvent dans la plus grande perfection chez l'homme, et ont pour pre- mier résultat que pour saisir un objet il a la faculté de ne se servir que d’une seule main, tandis que les autres mammifères, dont les pattes de devant se rapprochent un peu de l'extrémité supérieure chez l’homme, ne savent tenir les objets que dans les deux mains. Il n’y a que les singes qui fassent exception. Chez eux, la patte de devant se rapproche de la main de l’homme, quoiqu’elle lui soit bien inférieure. La paume de la main est moins large et plus longue; les doigts sont plus allongés et moins isolés dans leurs mouvements, le pouce est placé plus en arrière, et, dans sa direction, moins opposé aux doigts. Par là la main devient chez eux moins un organe pour toucher et sai- sir, qu’un moyen par lequel ils s’aident dans les mouvements qu’ils font pour escalader les arbres. Cette imperfection se trouve à son plus haut degré chez les sapajoux etles sajoux. C’est peut-être la raison pour laquelle ils sont doués d’un organe de mouve- ment accessoire, formé par leur queue prenante. Chez l’orang- outang au contraire, et plus encore chez le chimpansé, la main ANATOMIE COMPARÉE SUR LE CHIMPANSE. 173 se rapproche bien plus de celle de l’homme, Quoique assez par- faite chez l’orang-outang, elle a cependant encore chez lui une longueur démesurée ; maïs chez le chimpansé, les doigts sont plus courts, le pouce mieux fait, la paume de la main plus large. Je n’ose décider que la main du chimpansé puisse for- . mér un creux, comme celle de l’homme, mais je me suis sou- vent assuré que celle de l’orang-outang ne le fait pas. Lorsque l’orang-outang de notre jardin zoologique se servait de sa main, soit indistinctement pour prendre quelque objet, soit dans tous les mouvements artificiels qu’on lui faisait faire, il le faisait avec une certaine maladresse qui démontrait son infériorité à l’égard de l'homme. L’ex-directeur de notre ménagerie s’amusait à le faire diner à sa table ; mais quoiqu'il eût appris à imiter tous les mouvements d’un homme civilisé, à offrir son assiette vide, à tendre son verre, à manger avec une cuiller, il montrait suf- fisamment que sa main ne lui permettait pas d'atteindre la dex- térité de l’homme. Par exemple, en prenant une assiette ou un autre objet, il ne la tenait jamais dans la main étendue et ou- verte, comme l’homme le fait, mais il fermait la main, en flé- chissant fortement les doigts. Cette manière de courber les doigts lui était extrémement familière. Je ne me rappelle pas lui avoir vu les doigts complétement étendus. Tout cela nous montre que la main de l’orang-outang a une grande aptitude - pour empoigner les branches d’un arbre ; qu’à cet égard elle - est un organe de mouvement d’une grande perfection et tout 5 à fait approprié au genre de vie de l'animal, mais que, sous tous les autres rapports, elle est inférieure à celle de l’homme. Je remarque la même chose chez deux gibbons cendrés de - notre ménagerie. Cette moindre aptitude qu’a la main chez ces animaux, de servir à tous les offices qu’elle remplit chez l'homme, tient à la longueur démesurée des doigts, et surtout à la moindre perfection et à la situation du pouce. Par la dis- position de ses muscles, le pouce des singes n'est pas fait pour . cette variété et pour cette grande liberté de mouvements pro- 174 ANATOMIE COMPARÉE SUR LE CHIMPANSÉ. pres à l’homme. Certainement celui du chimpansé se rapproche le plus du pouce de l’homme , et cependant le muscle grand fléchisseur y manque quelquefois, et le petit abducteur et l’op- posant du pouce sont bien moins développés que chez l’homme. Chez les autres singes, le grand abducteur et le petit extenseur du pouce se confondent, de sorte qu’il se montre là, tout comme dans les autres muscles des extrémités antérieures, une grande tendance à se simplifier. Chez l'homme ils sont sans contredit le plus compliqués; chez lui aussi les mouvements qu'ils exercent sont plus variés. » Après la description et la comparaison détaillée des extrémi- tés postérieures chez le chimpansé et autres mammifères, nous trouvons les considérations suivantes sur ces organes : « Par cette description comparée de la myologie des extré- mités postérieures, je crois avoir démontré que leurs muscles se simplifient chez les animaux à mesure qu’ils s’éloignent de la supériorité humaine. Et si nous considérons attentivement ce que l'organisation de ces extrémités postérieures a de propre et de distinctif, nous ne saurions douter un instant que chez tous ces animaux elles ne soient destinées à soutenir et à mou- voir le corps. C’est pour cela que la disposition de leurs muscles est toute différente de celle que nous avons observée dans les extrémités antérieures. Car, tandis que nous voyons la force de la flexion dominer celle de l’extension dans les extrémités antérieures, nous voyons, au contraire, celle de Pextension dominer celle de la flexion dans les extrémités postérieures. C’est surtout chez l’homme que cette vérité se montre avec la plus grande évidence. On n'a qu’à comparer le développement des muscles extenseurs de la jambe avec celui des muscles flé- chisseurs pour s’en assurer, ou, si l’on veut une preuve plus concluante encore, on n’a qu’à examiner les muscles de la jambe. C’est principalement à la grande force de tous ces mu- scles extenseurs que l'homme doit de pouvoir se tenir debout et de marcher sur deux pieds. On la retrouve, par cette même $ ANATOMIE COMPARÉE SUR LE CHIMPANSÉ. 175 raison, chez les animaux dont le tronc se redresse, et dont les mouvements ont principalement lieu par les pattes de derrière, comme l'exemple du kanguroo et du paresseux le prouve. Je ny ajoute pas l'exemple des singes, parce qu'il n’y en a aucun qui puisse se Lenir et se mouvoir debout sans autre appui que ses pattes de derrière. Ils sont tous quadrupèdes, avec cette modification que les quatre pieds sont peu faits pour soutenir et mouvoir le corps sur un plan horizontal, mais plutôt pour le faire monter sur un plan vertical. Le mouvement qu’ils exer- cent dans l’action de grimper est leur véritable élément. Il n’y a qu’à voir la manière dont ils se cramponnent aux barres de leur cage pour s’en assurer. Leurs pieds se modifient pour cela d’une manière toute particulière, comme je l’ai amplement dit dans la partie ostéologique de cet ouvrage. Et c’est pour cette méme raison que leurs muscles ont le caractère spécial que je viens de leur assigner dans ce chapitre. » Au sujet des poches laryngiennes dont Mr. Vrolik a constaté l'existence chez plusieurs espèces de singes, il énonce sur leur usage une opinion nouvelle. Il suppose que ces poches « sont des organes propres à faciliter le mouvement. Leur situation parmi les muscles du cou , les prolongements qu’elles donnent souvent dans les aisselles, leur accroissement même avec l'âge, me paraissent autant de preuves, dit-il, qu’elles sont des réser- voirs d’air, faits pour diminuer la pesanteur spécifique de la partie supérieure du corps, et par conséquent pour faciliter l’action de grimper dela même manière que les réservoirs d’air des oiseaux favorisent le vol. » 176 DE L’ACTE DE LA VISION, DE L'INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR TOUS LES CORPS ET DE LA LUMIÈRE INVISIBLE, par L. Moser !. (Pogg. Annalen, 1. LVI, p. 177et 569.) (Extrait.) = RRQ OR — Un grand nombre de savants sont occupés maintenant à examiner l'influence de la lumière sur les surfaces de certaines substances, influence qu'on a attribuée jusqu’à présent à une ‘action chimique. Mr. Moser a essayé de prouver que l'influence de la lumière sur la surface des corps en général n’est point due à une action chimique, et que l'influence que la lumière exerce sur la rétine est peut-être de la même nature que celle qu’elle exerce à la surface d’autres corps. Il est porté à croire que le nerf optique nc conduit pas les ondulations de la lu- mière à l'organe central, mais bien la sensation d’un effet ma- tériel. Dans ce double but, l’auteur commence par répondre aux trois points suivants : 1° que les rayons violets et les rayons bleus ne sont pas les seuls rayons chimiques, ou en d’autres termes que, si l’on distingue les rayons de la lumière en rayons lumineux et rayons chimiques, ces derniers ne sont pas exclu- sivement compris parmi les rayons les plus réfrangibles ; 2° qu'il n’est pas nécessaire de supposer que la lumière déter- mine une séparation matérielle de substances combinées chimi- quement ; et 3° que l’action de la lumière, quelque prolongée \ ! Les travaux récents de Mr. Moser ont une si grande importance que nous croyons êlre agréables à nos lecteurs en leur donnant une analyse détaillée des mémoires que le savant physicien allemand a publiés sur le sujet nouveau qui excite, à un si juste titre, l'intérêt de toutes les per- sonnes qui s'occupent de sciences physiques. Nous devons à la complai- sance de l’un de nos jeunes savants, Mr. Philippe Plantamour, l'extrait qu'on va lire. (R.) F ACTE DE LA VISION, ETC. 177 qu'elle soit, n’affecte que la surface extrême de la substance; en effet elle ne pénètre, comme nous verrons plus tard, en au- cune façon la couche d'argent ioduré qui est d’une minceur excessive. Mr. Moser a constamment fait usage du procédé de Da- guerre dans ses expériences, et non de papiers impressionnables qui donnent en général un résultat plus incertain. Il indique à celte occasion un meilleur procédé pour iodurer l’argent, qui consiste à exposer la plaque d’argent au-dessus d’une étoffe de laine sur laquelle on a étendu de l’iode et qui repose sur une plaque de verre. L'argent se recouvre, au bout de 60 à 70 secondes, d’une couche uniforme d’argent ioduré d’un jaune d’or. Après l’opération, on recouvre la pièce de laine d’une autre plaque de verre pour empécher l’iode de se volatiliser. Quand on désire avoir une surface plus sensible encore que l'argent ioduré, on peut se servir avec avantage du chlorure iodique, surtout si on le prépare en plaçant un petit flacon ou- vert qui renferme de l’iode dans un plus grand qui renferme du chlorure de chaux, qu’on arrose avec de l’acide sulfurique, et qu’on bouche ensuite le second flacon. Au bout de un à trois jours, il se forme du chlorure iodique solide ou liquide ou de tous les deux à la fois. 1! suffit de promener, pendant 20 à 30 secondes, la plaque d’argent au-dessus de ce chlorure iodique, pour qu’elle fournisse ensuite dans quelques secondes des ima- ges distinctes. Quand on expose une plaque d’argent ioduré pendant le “1emps nécessaire dans la chambre obscure, on obtient, comme “on sait, une image dont les parties claires sont obscures et les ombres claires, parce qu’à ces derniers endroits, où la lumière n'a pas agi, l'argent ioduré a conservé sa couleur primitive. L'auteur désigne avec Herschel une image de ce genre, qui n’a aucune valeur artistique, par image négalive. — La découverte de Daguerre consiste à avoir montré qu’à une époque qui précède la formation d’une image négative, et où XLII 12 : 178 ACTE DE LA VISION, on n’aperçoit aucun effet de la lumière sur la plaque d’argent ioduré, un effet a néanmoins eu lieu, à tel point que les places qui ont été rencontrées par la lumière ont acquis la propriété de condenser les vapeurs de mercure. La lumière produit donc sur les corps des effets qui ne sont pas perceptibles à l’œil sans le secours de moyens particuliers. Il faut que la lumière agisse pendant un certain temps sur l’argent ioduré pour que les va- peurs de mercure puissent y adhérer. Si ce temps n’a pas été suffisant et que les vapeurs ne se condensent pas, on pourrait croire que la lumière a été sans influence. La belle découverte de Mr. Becquerel fils nous a montré cependant que, si l’on ex- pose une plaque de ce genre sous un verre rouge à l’action des rayons du soleil, il se forme ensuite une image positive dans les vapeurs de mercure, et que l’image devient négative si on laisse la plaque trop longtemps sous le verre rouge. La lu- mière, dans cette expérience, avait par conséquent produit dans la chambre obscure, sur l’argent ioduré, une influence que les rayons rouges ont continuée, C’est cette circonstance qui a conduit Mr, Becquerel à distinguer les rayons chimiques en rayons excitaleurs et rayons continuateurs ‘ ; les premiers se- raient les rayons violets et les rayons bleus, les seconds se- raient les rayons rouges et aussiles rayons jaunes. Mr. Moser a confirmé ces essais par de nouvelles expérien- ces et a observé en outre que, lorsque la plaque iodurée n’a pas été exposée dans la chambre obscure pendant un temps con- venable, il ne se forme point d’image sous le verre rouge. Quant aux rayons jaunes, il a trouvé qu’une plaque d’argent ioduré, après avoir été pendant le temps convenable dans la chambre obscure, présenta au bout de très-peu de temps sous un verre jaune au soleil, une image négative qui disparut de nouveau pour faire place, au bout de 10 à 15 minutes, à une image positive parfaitement nette. Les verres verts conduisent au même résultat, mais plus lentement que les verres jaunes. * Voyez Bibl. Univ., juin 1841 (Vol. 33) page 400. INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR TOUS LES CORPS, ETC. 179 On peut donc saisir deux stades dans la modification qu’é- prouve l’argent ioduré sous l'influence de la lumière, Dans le premier, l’iodure éprouve une modification telle, que les rayons rouges et orangés ainsi que les rayons bleus et violets peuvent agir sur lui, tandis que les rayons jaunes sont encore sans ac- tion; dans le second stade les rayons jaunes agissent ainsi que les verts. C’est dans cet état que l’iodure argentique possède la propriété de condenser les vapeurs de mercure et qw’il est impressionnable à toutes les couleurs, ce qui, d’après Mr. Mo- ser, exclut l’opinion qui admet l'existence de rayons exclusive- ment chimiques dans le spectre. L'action des rayons violets, bleus et plus tard des autres rayons, consiste à noircir l’iodure argentique jaune, qui dès lors n’est plus impressionnable par eux. Quelques personnes envisa- gent cette matière noire comme de l'argent pur, d’autres comme une combinaison d'argent moins iodurée, d’autres en- fin comme un état isomère de l'iodure argentique. Mr. Moser est plutôt porté à admettre cette dernière opinion. Cette ma- tière noire ne peut, en effet, pas être de l’argent pur, puisque les rayons jaunes convertissent l’image négative en image posi- tive; d’un autre côté, on n’est pas autorisé à admettre un groupe de rayons plus particulièrement chimiques, puisque, lorsque les rayons violets, bleus rouges et orangés ont cessé d'agir sur lPargent noirci, les rayons jaunes et les rayons verts agissent sur lui. Si l’on a bien saisi ce qui précède, on comprendra que, pour étudier l'influence des rayons jaunes et verts, il n’est point be- soin de faire usage de verres colorés; on peut opérer directe- ment avec la lumière blanche non décomposée, car ces der- niers ne commencent à agir que quand les autres n'exercent plus aucune influence. Qu’on expose à l’action prolongée du soleil une plaque d'argent ioduré noircie, en préservant la moi- tié de la plaque par un écran: au bout de peu de minutes, la moitié exposée à la lumière deviendra plus claire et prendra fi- 180 ACTE DE LA VISION, nalement une teinte jaune verdâtre par réflexion, due à l’in- fluence des rayons jaunes et verts. Ainsi l’action prolongée du soleil sur l’iodure argentique le noircit d’abord et le colore ensuite. Ceci explique pourquoi une plaque d’argent ioduré, noircie au soleil et dirigée ensuite dans la chambre obscure sur des maisons, donne au bout de 24 heures une image positive, avec les détails ordinaires. Une plaque d’argent ioduré sur laquelle on avait produit dans la chambre obscure une image négative bien prononcée, donna au bout de quelques minutes, quand on l’exposa aux rayons directs du soleil, une image positive également bien pro- noncée, dans laquelle les parties claires étaient vert bleuâtre et les sombres brun rouge ; ce résultat intéressant n’est que la conséquence de linfluence des rayons jaunes et des rayons verts. Mr. Moser n’a pas encore décidé si les lois qu’il a trouvées pour l’iodure argentique sont générales. Il s’est borné à exa- miner sous ce point de vue la dissolution alcoolique de gaïac ; quand on étend cette dissolution sur du papier elle donne une couleur rougeâtre qui devient vert thé à la lumière. Si on expose du papier ainsi préparé à l’action des rayons violets, bleus et verts, le papier rougeâtre prend une couleur vert bleuâtre, les rayons violets produisent même une couleur bleue. Le papier qui, sous l'influence de la lumière, est devenu vert thé, prend une couleur rouge clair ou brunâtre quand on l’expose au soleil sous des verres rouges ou jaunes. Ainsi le rouge et le jaune agissent sur le gaïac modifié par les rayons violets, bleus et verts, comme les rayons verts et jaunes agissent sur l’iodure argentique noirci. Mr. Moser passe ensuite à la seconde question, qui au fond n’a pas besoin de démonstration ultérieure, car les découvertes de Daguerre et surtout de Mr. Becquerel montrent d’une ma- nière évidente que l’iode ne se sépare pas de l'argent, puisque l’effet que produit la lumière sur l'iodure et le bromure argen- INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR TOUS LES CORPS, ETC. 181 tique n'est perceptible qu’à l’aide des vapeurs de mercure ou d’un verre rouge. On verra du reste, plus bas, que la lumière produit le méme effet sur une plaque d’argent pur, pour la- quelle il ne peut pas être question d’une action chimique. Une expérience directe de Mr. Moser a montré que l’iodure argentique noirci dans la chambre obscure, se convertit de nouveau en iodure argentique coloré, sous l'influence prolon- gée de la lumière, car par un temps très-peu favorable il ob- tint ainsi au bout de 13 jours une image positive, et, de plus, que cet iodure coloré se comporte comme l’iodure primitif. En effet, ce dernier, comme on sait, est soluble dans l’hypo- sulfite sodique, tandis que l’iodure noirci ne l’est pas. En la- vant avec de l’hyposulfite sodique l’image positive obtenue par celte dernière expérience, il en résulta une image négative, ce qui prouve que ce dissolvant dissout l’iodure coloré de la seconde image, qui est l’image positive, pour laisser reparaître l'iodure noirci qui est le premier effet de la lumière. L'influence continue de la lumière ramène par conséquent l'iodure argen- tique noirci à son état primitif, ce qui tend à faire croire que cette substance noire ne peut pas être très-différente de l’io- dure coloré. Mr. Moser a répété ces expériences et a confirmé tous ces faits, sans l'emploi de la chambre obscure, en exposant la pla- que d’argent ioduré directement à l’action du soleil, quand cela était possible, et il a observé que cette plaque, pendant quinze jours, avait été alternativement 5 à 6 fois noire et co- lorée. Une expérience de Mr. Draper, qui consiste à placer au so- leil une plaque d’argent ioduré recouverte d’un papier imbibé d’une dissolution d’amidon, opération dans laquelle le papier ne bleuit pas, prouve du reste directement qu’il ne s'échappe pas d’iode de la surface métallique pendant que la lumière la modifie. Le troisième point que Mr. Moser cherche à démontrer c’est 1382 ACTE DE LA VISION, que l’influence de la lumière, quelque prolongée qu’elle soit, n’affecte néanmoins que la surface extrême de liodure argenti- que. Il a exposé pendant deux mois une plaque d’argent ioduré jaune à l’action de la lumière, et au soleil toutes les fois que cela était possible, en l’essuyant de temps à autre avec du coton sec, la remettant au soleil et projetant sur une partie de sa surface l’om- bre d’un corps voisin. Au bout de très-peu de temps, la pla- que était noire, et l’ombre s’y dessinait par une partie claire ; ila essuyé la plaque de nouveau, l’a remise ensuite au soleil, et a répété cette opération huit fois à des reprises diflérentes avec le même succès. Il y avait donc constamment une couche d’io- dure argentique sensible et uniforme sur la plaque ; cependant les mesures de Mr. Dumas l’ont conduit à admettre que la couche primitive d’iodure argentique n’a pas même un millio- nième de millimètre d’épaisseur. + Il résulte de ce qui précède et d’autres expériences connues, que les différentes couleurs affectent d’une manière différente les différentes matières sensibles, quoique pour plusieurs de ces dernières nous ne possédions pas encore les moyens de le re- connaître, et entre autres que, lorsque toutes les couleurs du spectre agissent d’une manière continue et uniforme, elles pro- duisent sur l’iodure argentique une modification qui est tou- jours la même, en vertu de laquelle les vapeurs de mercure adhèrent à sa surface et finissent par le noircir. Mr. Moser a essayé de prouver qu'il se passe un phénomène analogue dans l’œil. Quand l'action des couleurs sur l’œil est suffisamment prolongée, toute différence entre les couleurs dis- paraît, et il ne reste que l’impression générale de lumière. Il a rappelé à cette occasion une expérience de Mr. Brewster, qui consiste à regarder à travers un prisme, d’une manière continue et sans fermer l'œil, le spectre de la flamme d’une bougie. Le rouge disparait le premier, puis le vert et un peu du bleu, plus tard le jaune disparaît aussi, et l’on ne voit enfin qu’une image blanche et allongée de la flamme. Si, lorsqu’au INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR TOUS LES CORPS, ETC. 183 bout d’une demi-minute on a atteint l’image blanche, on ferme la paupière pour la rouvrir immédiatement, le spectre appa- rat de nouveau avec toutes ses couleurs, mais il ne tarde pas à faire place à l’image blanche. Donc l'influence de toutes les couleurs produit, ici aussi, toujours le même eflet, comme pour l’iodure argentique. Mr. Moser trouve que cette expérience, qui est extrême- ment favorable à son opinion sur la vision, ne saurait être expliquée d’après la théorie actuelle de la vision en admettant la théorie des ondulations. L'auteur, refusant d'admettre l'existence de rayons chimi-. ques particuliers, a démontré par plusieurs expériences ingénieu- ses que ces derniers ne diffèrent en rien des rayons lumineux sous le rapport de la réflexion, de la réfrangibilité, de l’inter- férence et de la polarisation. Il est porté à croire que de tous les rayons de nature différente qu’un corps lumineux peut émettre , tel système agit sur telle matière sensible, tel autre sur telle autre matière sensible, au nombre desquelles il compte la rétine. Il y a, entre autres, un système de rayons qui produit sur la rétine l'impression de couleur, mais ce, système n’est pas plus étendu que pour d’autres matières sensibles. Cette hy- pothèse n’exclurait pas la possibilité de l’existence de rayons chimiques obscurs ; elle admet simplement que ce sont des rayons qui n’agissent pas sur la rétine, mais qui exercent une influence déterminée sur d’autres matières sensibles, comme Wollaston, Ritter et Seebeck l’ont démontré. Les expériences de Mr. Moser sur ce sujet ne l’ayant pas conduit à quelque chose de décisif à cet égard, il ne veut point en conclure la non existence de rayons obscurs et cependant actifs, ce qui du reste est indifférent pour le but qu’il a en vue. On se rappelle que Mr. Herschel a été jusqu’à signaler la possibilité que certains animaux, tels que des insectes, ne perçoivent la sensation d’au- cune des couleurs que nous voyons, et qu'ils doivent leurs impressions à une espèce de vibrations qui est en dehors de 184 ACTE DE LA VISION, nos perceptions. Wollaston en a dit autant de leurs percep- tions du son. Mr. Moser passe de là à la comparaison de la sensibilité de la rétine avec celle d’autres matières sensibles, tant sous le rap- port du degré de sensibilité, que sous celui de sa variabilité. De même qu’il faut aux rayons lumineux un temps très-court , mais néanmoins commensurable, pour affecter certaines sub- stances sensibles (ainsi dans certains cas -{ de seconde suffit), de même la perception des objets par la rétine n’est pas instan- tanée. Ainsi une tache noire décrit un cercle noir sur un fond blanc qui tourne rapidement, et une tache blanche décrit dans la même circonstance un cercle blanc sur un fond noir; l’im- pression n’atteint par conséquent son maximum qu’au bout d’un certain temps. g Quant à la variabilité de la sensibilité de la rétine, tout le monde sait qu’une trop forte lumière agit d’une manière en- gourdissante sur l'œil: ce dernier se ferme et n’est en état de voir, sous l'influence de cet éclairement, que plus ou moins longtemps après. Inversement le degré supérieur de sensibi- lité pour les clartés moins intenses ne s’acquiert non plus qu’au bout d’un certain temps. Qu’on se rappelle l'expérience de Mr. Brewster. Quand à la longue les couleurs du spectre sont devenues blanches et qu’on ferme l’œil , elles reparaissent dès qu'on le rouvre. Ce mouvement est peut-être accompagné d’une pression ou d’un déplacement du globe de l'œil qui af- fecte la rétine d’une certaine manière. Nous pressons involon- tairement l'œil lorsqu'il est ébloui, ou quand nous voulons faire disparaître une arrière-image. La pupille ne joue qu’un faible rôle relativement à l’ajuste- ment de l’œil pour une intensité de lumière donnée, car ses va- riations sont très-bornées ; elle varie aussi, du reste, quand méme l'intensité ne varie absolument point. Ces circonstances ont conduit Mr. Moser à envisager la pression comme étant peut-être le moyen qui sert à modifier, INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR TOUS LES CORPS, ETC. 189 c’est-à-dire, à rebausser ou à diminuer la sensibilité de la ré- tine, et de là à examiner si la pression n’exerce point une influence analogue sur les autres substances sensibles à la lu- mière. Les expériences auxquelles cette idée a donné lieu sont d'une nature nouvelle et aussi intéressantes qu’inat- tendues. | On savait antérieurement que lorsqu'on écrit avec cer- taines substances sur du verre poli et qu’on essuie ensuite la surface , les caractères reparaissent en soufflant de la vapeur d’eau sur la plaque de verre ; Mr. Moser a observé que ce même phénomène peut être produit, quelle que soit la substance avec laquelle on écrit et quelle que soit la nature de la plaque sur la- quelle on écrit, pourvu que celle-ci soit polie. Ainsi les métaux, les résines; le bois, le carton, le cuir, même le mercure , sont également propres à cet effet. Mais il va plus loin, et prouve que le contact d’un corps étranger, avant ou après l'insufflation , n’est point nécessaire. Qu’on tienne au-dessus d’un corps poli un écran découpé, qu’on souffle convenablement sur l'écran, qu’on laisse se dissiper la vapeur d’eau condensée sur le corps poli et qu'on retire l’écran; si maintenant on souffle sur le corps poli, il présentera l’image de l’écran avec ses décou- pures. Enfin , le corps peut ne pas être poli, car l'expérience réussit aussi bien avec du verre dépoli. Il fallait nécessairement que les surfaces éprouvassent une certaine modification ; ce qui conduisit l’auteur à examiner si une différence de température ne pourrait point produire un effet semblable. Dans ce but il plaça, pendant une demi-minute , une plaque de métal gravée et chaude sur une glace propre ou une plaque d’argent bien polie et froide. Quand la glace ou la plaque d’argent fut refroidie, il souffla dessus et vit paraître avec la plus grande netteté toutes les figures et les lettres qui étaient gra- vées sur la plaque de métal. Il obtint le même résultat en chauf- fant des plaques polies d'argent ou d’autre métal, et en plaçant 186 ACTE DE LA VISION, dessus pendant quelques instants des corps froids, tels que des pierres gravées ou taillées diversement, ou d’autres pe- tits corps en corne, en carton, en liége ou des monnaies d'argent. Il examina aussi l'effet que pourrait avoir l’emploi de va- peurs différentes. Ainsi une plaque d’argent pur, qui avait été en contact avec un des corps énumérés ci-dessus, produisit, quand on l’exposa aux vapeurs de mercure chauffé à 75°, une image beaucoup plus complète et plus distincte du corps que celle qu’aurait pu fournir la vapeur d’eau. La vapeur d’iode présentait un intérêt plus grand encore, parce qu’elle se com- bine avec l'argent et ne se borne pas, comme la vapeur de mercure, à adhérer à la surface. Une plaque d’argent pur préparée comme plus haut et ex- posée ensuite aux vapeurs d’iode, de manière à former une cou- che d'argent ioduré jaune, présenta dans quelques cas une image distincte, due à une coloration différente, et dans d’autres cas , où l’on n’apercevait pas l’image de l’objet présenté, elle apparaissait avec toute la netteté désirable si on exposait la pla= que aux vapeurs de mercure. Mr. Moser est donc arrivé à pro- duire le même phénomène que Daguerre, sans l'intervention de la lumière, Quand les images des corps présentés à une plaque n'avaient pas paru par l’exposition aux vapeurs d’iode, il suf- fisait ensuite de les placer à la lumière ordinaire ou à la lumière directe du soleil pour les voir paraître rapidement et avec une grande netteté. Au lieu de vapeurs d’iode on peut employer avec le même succès des vapeurs de chlorure iodique ou de bromure iodique, et, si les images ne paraissent pas, exposer les plaques au soleil ou aux vapeurs de mercure. On saisit facilement l’importance de ces expériences. Tandis que la découverte de Daguerre consiste, sous le point de vue physique, à déterminer par la lumière sur l’iodure argentique un état propre à condenser les vapeurs de mercure et à faire INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR TOUS LES CORPS, ET 187 adhérer ce dernier métal aux places affectées par la lumière , nous avons ici le même phénomène rendu plus général et pro- duit par le contact d’une surface polie avec un corps chaud, ou d’une surface chaude avec un corps froid. Cependant, Mr. Mo- ser ne tarda pas à apercevoir que l’imitation de l’influence de la lumière, à laquelle il était arrivé, n’était point due à des iné- galités de température , car, par ce procédé, il ne pouvait pas obtenir une image sur une plaque mince d’un métal bon con- ducteur; la diversité des substances s’opposait du reste à cette opinion , quoique dans certains cas la chaleur pût agir favora- blement. Il essaya donc de produire le même phénomène sans l’inter- vention de la chaleur. Dans ce but il plaça les corps avec les- quels il voulait opérer, pendant plusieurs heures, dans un es- pace fermé, puis il les mit en contact pendant dix minutes ou quelques heures. Lorsque ensuite il exposa les plaques aux diffé- rentes vapeurs, elles offrirent avec une netteté parfaite les images des corps présentés. Mr. Moser déduit de ces expériences , que lorsqu'une sur- face a êlé en contact en quelques points avec un autre corps quelconque, elle a acquis en ces points la propriété de con- denser toutes les vapeurs qui peuvent adhérer ou se combiner avec elle, d'une manière différente que lereste de la surface. C’est cette différence qui donne lieu à la formation de l’image du corps qui à été mis en contact. Une autre expérience qui confirme complétement l'imitation de l'influence de la lumière par le contact, est la suivante : Mr. Moser iodura une plaque d'argent de nuit et même sans le secours d’une bougie ; il plaça ensuite sur la surface io- durée une plaque d’agate et une plaque de métal, toutes deux avec des gravures en creux, un anneau en corne, etc., il l’exposa ensuite aux vapeurs de mercure et obtint une image très-nette de toutes les figures de l’agate, des lettres de la plaque de mé- tal, de l’anneau de corne, etc. Une plaque d’argent ioduré, 188 ACTE DE LA VISION, préparée de la même manière, produisit par l'exposition au s0- leil des images également bien dessinées de ces objets. Quand il la plaça sous des verres rouges, jaunes et violets, les deux pre- miers ne produisirent que des traces incomplètes des images , tandis que le verre violet fit naître une image très-nettement dessinée. Ce résultat était à prévoir, car la modification que produit le contact correspond en général au premier stade de l'influence de la lumière où, comme nous avons vu, les rayons rouges et jaunes sont sans action. On pourrait donc attribuer aux rayons violets une influence continuatrice, comme Mr. Bec- querel l’admet pour les rayons rouges, si ailleurs Mr. Moser n'avait pas déjà montré que cette distinction de rayons excila- teurs et rayons continuateurs est dénuée de fondement. Comme ces expériences avec le contact réussissaient égale- ment bien sur des plaques de métal pur, c’est-à-dire non io- durées et par conséquent aussi sur du verre, il fut naturellement conduit à examiner l’influence de la lumière sur des substances de ce genre. Dans ce but il plaga au-dessus d’une plaque d’ar- gent bien propre et polie, sans la toucher, une feuille noire qui présentait des découpures variées, et exposa le tout au so- leil pendant deux ou plusieurs heures. Il fut très-agréablement surpris en présentant ensuite la plaque aux vapeurs de mer- cure chauffé à 75°, d’y voir paraître l’image distincte de l’écran. Les vapeurs de mercure s'étaient condensées en plus grande abondance sur les parties qui avaient été affectées par la lu- mière. Cette expérience a été répétée plusieurs fois et toujours avec le même succès. En exposant la plaque, après le traite- ment par les vapeurs de mercure, aux vapeurs d’iode, puis au soleil, il a vu l’image prendre une plus grande netteté. Une plaque de cuivre, qui n’acquiert pas un poli aussi par- fait, ne présenta une image forte et nette qu'après l’exposition aux vapeurs d’iode; les vapeurs de mercure n’avaient donné qu’une image faible quoique nette. Une glace soumise au même traitement produisit, par l’insufflation de l’haleine , une image INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR TOUS LES COBPS, ETC, 169 également distincte. Les vapeurs d’eau se dissipèrent assez rapi- dement et avec elles l’image, mais fort longtemps après on pouvait encore reproduire l’image en soufflant dessus. Mr. Moser se croit d’après cela autorisé à conclure que la lumière agit sur toutes les substances , en leur faisant éprou- ver une modification qui est mise en évidence par une diffé- rence dans la condensation des vapeurs qui adhèrent à ces substances ou qui les affectent chimiquement. La découverte de Daguerre est dès lors un cas spécial de ce phénomène gé- néral. La condensation des vapeurs est un phénomène complexe et très-irrégulier ; tantôt les parties affectées paraissent plus clai- res, tantôt plus foncées, que le reste de la plaque, quelle que soit la nature de la vapeur. Pour étudier plus particulièrement ce phénomène, Mr. Moser a choisi les vapeurs de mercure, qui produisent une image très-nette et persistante, el qui peuvent être employées aisément à une tension plus ou moins grande. Du reste, les vapeurs à une tension élevée ne produisent aucun effet qui ne puisse être produit également par des tensions infé- rieures, mais dans un temps proportionnellement plus long. On peut donc aussi opérer avec du mercure froid. De plus, il n'é- tait pas nécessaire d'employer dans ce but des images dues au contact, car celles de Daguerre, qui ne se distinguent en rien de ces dernières, devaient conduire au même résultat. En soumettant à l’appareil du mercure une plaque d'argent ioduré , qui avait été exposée préalablement pendant le temps convenable dans la chambre obscure , et chauffant graduelle- ment le mercure, Mr. M. vit paraître l’image à 87°,5 par exer- ple; en continuant de chauffer il obtint à 1252 une image so- a lide, tandis que les images ordinaires s’effacent si aisément. - Il pouvait frotter la plaque assez fortement à sec sans faire dispa- x “raitre l’image. On arrive au même résultat si, au lieu de chauffer autant le mercure, on expose la plaque plus longtemps au-des- sus du mercure froid. Aussi peut-on se borner à l’essuyer, 190 Ç ACTE DE LA VISION, au lieu de la laver avec de l’hyposulfite sodique. Malgré cela le mercure ne forme point une combinaison chimique dans les images solides, comme on serait tenté de le croire. Si l’on con- tinue à chauffer, la plaque prend une couleur jaunâtre; à 150° l'image est convertie en image négative; à une température plus élevée encore, l'image négative devient solide; et si on l'essuie, on voit que le mercure a disparu aux endroits où il s'é- tait déposé auparavant, et qu’au contraire il adhère aux places qui primitivement en avaient été dépourvues. Ces images né- gatives solides sont souvent très-difficiles à enlever ; le frotte- ment humide et avec des poudres fortes ne suffit pas toujours. La vapeur d'eau produite par l’haleine donne lieu également à une image négative quand on souffle faiblement et ensuite plus fortement, ce qui entraîne du reste, en général, la destruction de l’image. L’iode présente le même phénomène. Il résulte de ces expériences que la condensation des va- peurs sur les plaques produit sur celles-ci la même modifica- tion que lorsque la lumière agit sur elles. En effet, si l’on place, au soleil sous un verre jaune, une plaque iodurée qui a été exposée pendant le temps convenable dans la chambre obscure, on verra paraître, comme nous avons vu, une image négalive qui ne tarde pas à disparaître pour faire place à une image positive. Si, au moment où l’image négative a disparu, on porte la plaque dans les vapeurs de mercure, on verra paraître l’image positive, comme sous l'influence prolon- gée de la lumière; les deux images sont identiques, la lumière et les vapeurs de mercure produisent dans ce cas le même effet. Mr. Moser est même arrivé à produire l'iodure argentique noir par l'influence des vapeurs de mercure, en prolongeant l’action des vapeurs de mercure comme pour la lumière. Il en est de la plus ou moins grande tension des vapeurs comme de la plus ou moins grande intensité de la lumière. Si la tension de la vapeur ou l'intensité de la lumière sont fai- bles, il faut plus de temps pour produire le même effet. Si INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR TOUS LES CORPS, ETC. 191 on expose une plaque polie, pendant un temps très-court et derrière un écran découpé, à l’action des vapeurs de mercure chauffé à 75°, elle ne présentera pas d’image, mais elle sera dans le même état qu’une plaque d’argent ioduré qui a été ex- posée pendant le temps convenable dans la chambre obscure, car si on présente la plaque de nouveau aux vapeurs de mer- cure mais sans écran, on verra paraître l’image des découpures, parce qu’à ces places il se condense phifffde vapeurs que sur le reste de la plaque. On obtient le même résultat avec le même succès en employant des vapeurs d’iode au lieu de mercure, de sorte qu’on arrive à la conclusion que les vapeurs d'iode produisent sur l'argent la même modification que la lumière. Mr. Moser a montré, en effet, qu’il est indifférent de faire agir d'abord la lumière sur une plaque d’argent et de l’iodurer ensuite, ou bien d’exposer une plaque d’argent préalable- ment iodurée à l’action de la lumière. La vapeur d’iode se comporte en outre, sur l’iodure argentique déjà formé, de la même manière que la lumière, c’est-à-dire qu’elle donne lieu à apparition successive des mêmes couleurs rouge , rose, bleu. La lumière et la vapeur d’iode noircissent l’iodure argentique : et Mr. Moser s'est assuré, au moyen de l’hyposulfite sodique, que la couche noire qui se produit par l’action prolongée des vapeurs d’iode sur une plaque d'argent est de même nature que celle que produit la lumière sur une plaque d’argent ioduré. Nous avons vu que l’iodure argentique noirci sous l'influence de la lumière redevient jaune , rouge et bleu, par l'action prolon- gée de cette dernière ; Mr. Draper, de son côté, a montré que l’action prolongée de la vapeur d’iode sur l’iodure noirci lui com- munique successivement les couleurs jaune, rouge et verte. L’effet de la vapeur d’iode et de la iumière sur liodure noirci est doncle même, à l’exception d’une nuance qui est ici de peu d'im- portance, car la succession des couleurs produites par l’iodu- ration peut varier suivant la nature de la surface , la température et l’uniformité de la couche d’iode. “ 192 ACTE DE LA VISION, On peut donc résumer tout ce qui précède en disant que Le contact, la condensation des vapeurs et la lumière exer- cent sur toutes les substances le méme effet, qui consiste à mo- difier l’affinité de ces substances pour les vapeurs. Puisque la lumière détermine une modification sur toutes les substances, Mr. M. trouve tout naturel qu’il en soit de même à l'égard de la rétine, c’est-à-dire qu’elle éprouve une certaine modification matérielde la part de la lumière. Si l’on se sou- vient qu’on peut modifier la sensibilité d’une plaque d’argent ioduré ou non ioduré, sans l’emploi des vapeurs de chlorure ou de bromure iodique , par l’attouchement par exemple, et qu’une impression produite sur une plaque préparée dans la chambre obscure disparaît pour ne plus reparaître dans les vapeurs de mercure, lorsqu'on l’a frottée ou qu’on l’a laissée simplement quelques jours dans l’obscurité, on comprendra que, quand il s’agit de la vision , une pression des muscles extérieurs de l’œil et le mouvement continuel dans lequel il est peuvent modifier d’une manière très-variée la sensibilité prodigieuse de la rétine , et qu’un moment de repos très-court peut suffire pour détruire une impression; on sait du reste que, lorsqu’on regarde d’une manière continue un objet très-éclairé, la rétine ne re- prend pas si vite son état normal ; enfin, il ne faut pas oublier non plus que la rétine est une formation organique vivante, et que la substance nerveuse se reproduit très-facilement. Dans un mémoire postérieur, mais qui se rattache à celui-ci, l’auteur a signalé l’existence d’une lumière invisible, et trouve que cette dernière donne l'explication de plusieurs des phéno- mènes qui ont été relatés dans ce qui précède. Il a remarqué que le contact n’est point une condition nécessaire pour pro- duire l’image d’un corps sur un autre, et qu’il existe une ac- tion à distance. Ainsi , en séparant une plaque d’agate gravée d’une plaque d'argent par de petites lames de mica de : deligne d'épaisseur, et les laissant ainsi en présence pendant quelques heu- res, on obtient une image très-nette des figures de la plaque INFLUENCE DE LA LUMIÈRE SUR TOUS LES CORPS, ETC. 4} 193 d’agate en exposant celle d'argent à des vapeurs d’une nature quelconque. La divergence des rayons, qui a lieu pour la lu- mière invisible comme pour la lumière visible’, s’oppose à un trop grand écartement. Mr. Moser à cependant obtenu une image distincte à la distance d’une ligne ; mais quelques parties étaient un peu effacées. Ainsi , lorsque deux corps sont assez rapprochés l’un de l'au- tre ils se dessinent l'un sur l’autre, et ile s’agit plus que de rendre l’image appréciable à la vue par des moyens particuliers, On peut soustraire toute lumière étrangère, en opérant de nuit et plaçant l’un sur l’autre, dans des boîtes fermées, les ob- jets qui doivent se dessiner; cependant l’exclusion de la lumière ordinaire n’est point nécessaire, car cette dernière n’a aucun effet sur ce genre d'action. La lumière invisible possède, en ou- tre, certains caractères que Mr. Moser a fait connaître dans un autre mémoire sur la lumière latente. L'auteur n’attribue point ce phénomène à une force nou- velle ; il est porté à croire, au contraire, qu’on doit envisager chaque corps comme étant lumineux par lui-même. Les diffé- rents corps possèdent cette propriété à des degrés différents, et il paraît que l’état poli d’une surface exerce une influence fa- vorable à cet égard. Les corps avec lesquels Mr. Moser a jusqu’à présent produit une image sur l'argent sont : l'argent pur, largent ioduré, le laiton, le fer, l'acier (le coin d’une médaille, ) le verre violet et le verre rouge, la corne noire polie, le papier blanc écrit, le gypse, le mica, l'agate, le liége, et il n’a trouvé. aucun corps avec lequel l'expérience n'ait pas réussi. Les corps sur lesquels il a obtenu des images en faisant agir sur eux la lumière invisible sont: le laiton, l'or, l’argent, le packfonp, le cuivre, le fer, l’acier, le zinc , l’argent ioduré jaune , l'argent ioduré noirci à la lumière ordinaire , le cuivre recouvert d’une couche d’oxide pourpre, le verre, la porcelaine, le mica, la tôle vernie et méme le mercure , qu'il a employé sous forme d’une couche épaisse sur XLII 13 194 ACTE DE LA VISION, ETC. une plaque d'argent. De cette manière il a obtenu sur le mer- cure l'empreinte d’un coin d’acier d’une médailie , avec une telle netteté qu'on pouvait très-facilement en lire linscription. Ces substances ne se distinguent, sous ce rapport, que par le poli qu’elles sont susceptibles d'acquérir. Cette propriété de tous les corps d’être lumineux se manifeste dans quelques cas avec une grande énergie , car l’auteur a ob- tenu, déjà au bout de 10 minutes, l’image de plusieurs corps sur une plaque d’argent pur. Comme une grande partie de ces corps quise dessinent l’un sur l’autre sont des corps obscurs , il en ré- sulte que là où il y a obscurité pour la rétine il peut exister néan- moins un rayonnement lumineux considérable qui se manifeste sur certaines substances propres à recevoir ces impressions. Il n’est du reste pas nécessaire, dans ces expériences, d’avoir re- cours aux vapeurs pour rendre l'effet visible. Si l’on approche dans l’obscurité un corps quelconque d’une plaque d’argent ioduré, et qu’on les laisse en présence l’un de l’autre pendant un temps suffisant, la plaque présentera ensuite une image, dont les parties qui ont été exposées à l’action la plus forte se distingueront des autres en ce que l’iodure argentique y sera noirci; cependant on avait complétement exclu dans l’expé- rience tout ce qui est lumière pour la rétine. Mr. Moser a aussi obtenu des images sur des glaces, par les rayons invisibles, sans contact immédiat et sans le concours d’aucune vapeur. La glace prend une teinte plus blanche dans la partie affectée par les rayons invisibles; ces images sont ‘ d’une grande finesse, mais faciles à détruire par le frottement. Ila, du reste, constaté qu’il n'existe pas d’effet d’un certain genre de rayons, qui ne puisse aussi être produit par des rayons d’une autre réfrangibilité. BULLETIN SCIENTIFIQUE, moe —— 1. — SUR UN ANÉMOMÈTRE MAGNÉTIQUE, par Mr. le I) GLOVER. (Ædinb. new Philes. Journ., juillet 1842.) Cet instrument magnétique a été inventé et exécuté par Mr. Mare Watt, d'Edimbourg, il y a quelques années. Placé sur une table dans une chambre quelconque, et sous l’abri d’une cloche de verre, il prend la direction du vent régnant. Il consiste en une lame mince de bois de trois ou quatre pouces de longueur, qui est librement suspen- due, comme l'aiguille d’une boussole, sur un pivot d'acier au moyen d’un godet d’agate inséré dans le bois. A l’une des extrémités de la règle de bois, et sur un tiers de sa longueur, règne une fente dans la- quelle sont ajustés trois ou quatre aimants placés en-ligne droite à demi-pouce environ les uns des autres. Ces aimants sont fort légers, et sont formés de ressorts de montre redressés el coupés en morceaux dont la longueur varie depuis un pouce jusqu’à trois. Ils sont fixés dans une direction perpendiculaire à l'horizon , et par conséquent dépour- vus de polarité, et ils ont tous leurs pôles sud dirigés au-dessus de la règle de bois et les pôles nord au-dessous. Cet instrument se place exactement dans la direction du vent régnant ; mais comme chacune de ses extrémités se tourne indifféremment vers le point d’où le vent souf- fle , il en résulte qu'il ne donne pas des indications précises sur ce point, mais qu'il se dirige seulement dans une ligne parallèle à celle que suit le courant d’air. On peut en tirer toutefois des inductions intéressantes soit sur les rapports du magnétisme avec l'électricité, soit sur la probabilité qui est ainsi mise en évidente, que les vents varia- bles sont dùs à des courants électriques. En effet, l'instrument devance d'un quart d'heure, et quelquefois de demi-heure, les changements qui surviennent dans la direction des vents. EL. M. 2..— OBSERVATION D'UN PHÉNOMÈNE QUI PARAÎT SE RATTACHER A LA PHOTOGRAPHIE, par Mr. LORTET de Lyon. (Lettre à la Direction de la B1bL. Univ.) _ Permettez-moi de signaler dans votre revue, si vous le jugez assez important pour cela, un fait qui se rattache peut-être à la photogra- phie. Il a quelque rapport avec les observations faites par Moser de 196 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Kœnigsbery, et si on ne l’a pas signalé jusqu'a ce jour, c'est peut-être parce qu on l’a à chaque instant sous les yeux. Le plafond d’une chambre habitée était composé de planehes peintes en gris, dont le temps avait rembruni la teinte. On y distinguait, en teinte beaucoup plus claire, la trace des soliveaux contre lesquels les planches étaient clouées, même la trace d’un demi-soliveau ajouté à l’un d'eux qui avait été cassé; bien plus, on y distinguait l’image d’une pièce de bois oubliée dans le grenier situé au-dessus , et placée obliquement sur deux soliveaux, à deux pouces de distance des plan- ches. Comme beaucoup de poussière tombait au travers des joints des planches , j'ai fait tapisser ce plafond, et au bout d’un an les mêmes traces des soliveaux se sont montrées sur la tapisserie de papier. Plus tard j'ai faitenlever les planches pour les remplacer par un jila- fond de plâtre. Avant un an je remarquai encore sur le plâtre les ima- ges des soliveaux , et de plus la trace également plus claire de toutes les lattes auxquelles le plâtre est fixé. Depuis lors j'ai eu bien souvent l’occasion d'observer ce même phénomène dans différentes habitations , et toujours sans en découvrir la cause. J’ai remarqué plusieurs fois que ces traces sont d'autant plus apparentes qu'on se rapproche de la cheminée, d’où la fumée s'échappe souvent dans l’appartement. Mais si la famée en est la cause, pourquoi se dépose-t-elle en plus grande quantité sur le plâtre qui n’est pas en contact avec le bois ? Comment une pièce de bois placée au-dessus du plafond à une distance de 2 à 3 pouces empèche-t-elle cette même fu- mée de se déposer sur la projection de cette pièce de bois? Ce sont là des faits encore à observer. 93. — SUR LA DESTRUCTION DE LA FUMÉE ET L'ÉCONOMIE DU COM- BUSTIBLE QUI RÉSULTENT DE L'EMPLOI DE LA VAPEUR D'EAU. DANS LE FOURNEAU, par Mr. À. FyFE ; lu à la Société royale des arts d’'Ecosse, (Edinb. new Philos. Journ. , juillet 1842.) L'auteur, auquel on doit tant de travaux importants sur les gaz de l'éclairage et l'emploi des divers combustibles dans les arts, commence son mémoire par rappeler qu'il a précédemment établi que la valeur d’une houille, estimée par la quantité d’eau qu'elle peut évaporer par sa combustion, est proportionnelle en pratique a la quantité de carbone BULLETIN SCIENTIFIQUE, 197 » fixe qu’elle renferme. Il a prouvé aussi que s’il en est ainsi pour la houille bitumineuse qui contient des matières volatiles, la règle cesse de s'appliquer lorsqu'on emploie du coke, ou de l’anthracite, une grande portion de la chaleur étant absorbée par les parois du fourneau ou s’échappant par la cheminée. La question qui se présente serait done de savoir si dans une houille bitumineuse on pourrait rendre utile à l’évaporalion la portion de cha- leur dégagée par la combustion des matières volatiles. On sait, en effet, qu’une bonne partie des hydrocarbures dégagés dans la combustion de la houille n’est pas complétement brûlée dans les meilleurs fourneaux, par manque de l'admission d’une quantité suffisante d'air, et que c'est là la cause de la fumée, l'hydrogène étant seul brûlé et le carbone laissé libre. L'auteur 3 trouvé que dans Îles appareils les mieux construits une livre de houille d’Ecosse pouvait évaporer 6,6 livres d’eau à 0°; Mr. Parkes a trouvé 8,68 livres d’eau à 0° pour chaque livre de houille de Newcastle de meilleure qualité ; Henwood, dans un de ses essais, a obtenu avec la même houille jusqu’à 9,96 livres. Néanmoins, ces résultats n’égalent point la quantité d’eau évaporée que l’on devrait obtenir, soit d'après la quantité d’oxigène consumée, soit d'après la composition des houilles. Ainsi le calcul et l'expérience démontrent que le gaz dégagé de chaque livre de houille d'Ecosse de- vrait, si aucune chaleur n’était perdue, évaporer 3,19 liv. d’eau à 0°; la quantité de carbone fixe contenue dans la même houille devrait aussi pouvoir évaporer 6,15 d’eau à 0°. Ainsi une livre de houille d’Ecosse devrait pouvoir évaporer 9,34 liv. d’eau à Oo, si tout le carbone fixe el tout le gaz inflammable qu’elle contient étaient consumés. Cette quantité serait même portée à 11,3 liv. si on l’estimait d’après la pro- portion de l’oxigène entrant en combinaison avec une livre de houille d'Ecosse, ce qui laisse un déficit de 1,96 liv. qui s’explique par la for- mation de l’huile volatile et du goudron produits par la combustion, dans lesquels les éléments forment de nouvelles combinaisons. Un des moyens proposés pour diminuer celte perte énorme de la chaleur dégagée par un combustible, est l'introduction de la vapeur d’eau dans l'appareil caléfacteur. On l'introduisait jusqu'ici à travers le combustible enflammé, et le résultat, comme l’a montré Mr. Fyfe, en 1838, a élé upe augmentation dans la proportion d'eau évaporée. Mr. Ivison d’Edinburgh a imaginé un procédé nouveau, qui consiste à faire entrer la vapeur d’eau non à travers le combustible, mais au-des- 198 BULLETIN SCIENTIFIQUE. ” sus, et par ce moyen non-seulement le pouvoir évaporateur est aug menté; mais encore on obtient un résultat important : la complète des- truction de la famée. Le mémoire de Mr. Fyfe est destiné à faire con- naître les expériences auxquelles il s’est livré sur ce nouveau mode de chauffage. La chaudière cylindrique employée avait 18 pieds de lon- gueur et 3 ?/, pieds de diamètre. Le fourneau était de construction or- dinaire. L'eau, qui entrait dans la chaudière au moyen d’une pompe, était chauffée dans le réservoir par le résidu de la vapeur produite, ce qui l'élevait de 110° à 180 F. (43° à 890 C.). L'appareil pour l’intro- duction de la vapeur d’eau dans le fourneau consistait en un tube de ‘à pouce de diamètre interne, placé à la partie supérieure de la chau- dière, et dont l'extrémité, taillée en éventail, projetait la vapeur dans la partie supérieure du fourneau, là où se dégageaient la flamme et les produits gazeux de la combustion, c’est-à-dire au-dessus du combus- tible. L'accès de l'air est en même temps laissé libre par une porte ou des trous placés tout près du tube qui introduit la vapeur. Le tube est garni d’un robinet pour régler la quantité de vapeur nécessaire, ce qui se reconnait aisément par son effet sur la fumée. Lorsqu'on introduit la vapeur, la partie supérieure du fourneau oc- cupée par la flamme et par les produits gazeux de la combustion, et qui est souvent rendue obscure par l'insuffisance de la combustion, pré- sente un aspect tout particulier : la fumée disparaît, la flamme devient plus brillante, et la chaleur paraît plus intense. S'il se dégageait de la fumée à Ja partie supérieure de la cheminée, elle disparaît à l'instant, et l’on n’en voit plus tant que le jet de vapeur continue. En même temps, la suie qui se formait à la surface inférieure de la chaudière est immédiatement détruite, et le métal redevient brillant. Ces consé- quences seules doivent faire comprendre qu’une plus grande quantité d’eau doit être évaporée, puisque le carbone dégagé sous forme de fu- . mée est consumé dans l'appareil, et que l’absence de suie rend les pa- rois de la chaudière de meilleurs conducteurs du calorique; mais les expériences directes de l’auteur démontrent que les avantages de ce mode de chauffage sont beaaconp trop considérables pour être dus à ces causes-là seulement. Il résulte, en effet, des tableaux présentés, que pour chaque livre de houille d’Ecosse la quantité d'eau à 0° éva- porée a été en moyenne de 10,76 liv., quantité qui dépasse de beau- coup celle qu’a obtenue l’auteur avec la même houille, et qui est plus grande que celle qui a été trouvée par Mr. Henwood avec la meilleure bouille d'Angleterre, savoir 9,96 liv. £ * À ' À BULLETIN SCIENTIFIQUE. 199 Dans le but de mettre encore plus en saillie les avantages de l’intro- duction de la vapeur d'eau par le procédé d'Evison, Mr. Fyle a fait plusieurs essais avec le même fourneau, la même houille et dans des circonstances identiques, en supprimant seulement l’arrivée de la va- peur, et il a trouvé qu’alors pour chaque livre de houïlle d’Ecosse il n'obtenait plus que 6,17 liv. d’eau à 0° évaporée. On a obtenu le même résultat en mesurant la quantité de combus- tible nécessaire pour faire marcher la machine à vapeur faisant le même ouvrage, tantôt avec l'admission de la vapeur d’eau, tantôt sans cette admission. Lorsque la vapeur était introduite, la consommation de houille était en moyenne de 537 liv. pendant 5 !, heures; et lorsqu'on arrêtait l'admission de la vapeur, 1l en fallait dans le même temps 812 liv. pour maintenir la machine en action, ce qui constitue une économie de 34 pour cent. On peut objecter que ce résultat remarquable est obtenu aux dépens d’une partie de la vapeur d'eau produite, et que conséquemment il y a là une perte qui doit compenser une portion du gain obtenu. Par di- verses méthodes expérimentales, l'auteur s’est assuré que la quan- tité de vapeur projetée dans le fourneau par le petit tube de décharge s'élevait à 4 pour cent de la quotité totale de vapeur produite. Or, le pouvoir évaporateur du fourneau sous l'influence de l'introduction de la vapeur est de 10,76 liv. d’eau à 0° par livre de houille , et en dé- duisant # pour cent pour la vapeur projetée dans le fourneau , il reste de 10,33 liv. Avec le même combustible, mais sans introduction de vapeur, le pouvoir évaporateur du fourneau n'a plus été que de 6,17 liv. d’eau à 0° par livre de houille, et en conséquence la différence du produit en vapeur est de 4,16 liv. pour l’appareil où l’on introduit la vapeur d’eau, ce qui amène une économie d'environ 40 pour cent. Quelques précautions sont cependant nécessaires pour arriver à ce ré- sultat, et, faute de les avoir prises, l’auteur avoue lui-même avoir vu des cas dans lesquels loin d'obtenir, avec l'injection de la vapeur dans le fourneau, de l’économie dans le combustible, c’est au contraire une perte qu’on voyait se réaliser. Ainsi, dès que la vapeur est introduite dans le fourneau, on remarque que l'entrée de l'air par le cendrier cesse à l'instant, et qu’en conséquence si l’on ne supplée pas à ce défi- cit, soit par des trous, soit par une porte placée près du tube, la com- bustion est incomplète par manque d’une suffisante proportion d’air. Ainsi encore par l’admission de la vapeur dans le fourneau , le tirage est fort accru, et, lorsque la cheminée est élevée, la chaleur produite 2 La 200 BULLETIN SCIENTIFIQUE. par la combustion est si rapidement entrainée, que la chaudière n’a pas le temps de se l’approprier. Les remèdes indiqués par l’auteur consis- tent, soit àfabaisser la cheminée, et quelques essais faits par lui ont dé- montré que le tirage subsiste au moyen dt jet de vapeur lorsque la cheminée est entièrement supprimée, soit en refroïdissant le canal par des ouvertures pratiquées à sa base, et par lesquelles on fait arriver l’air froid. Enfin il est important que le nouveau combustible introduit dans le foyer, à mesure que la combustion le consume, le soit dans la partie supérieure, afin que les produits volatils dégagés se trouvent en contact immédiat avec la vapeur d'eau et l'air atmosphérique. L'auteur est convaincu qu'en ayant égard à ces trois ‘précautions, le mode de disposition du combustible, l'admission de l'air au-dessus du foyer et la diminution du tirage, le procédé de chauffage par l'in- troduction de la vapeur d’eau présentera partout les avantages écono- miques qu'il lui a reconnus. Quant à la pression sous laquelle la vapeur était introduite dans le fourneau, elle a varié dans les expériences de l'auteur depuis 3 lv. à 35 liv., et dans tous les cas elle a complétement détruit la fumée. Il ne _s’est pas assuré jusqu'à quel point l’économie du combustible était en _ rapport avec Ja force élastique de la vapeur d’eau introduite dans le fourneau, et tous les essais faits pour constater la quantité de combus- tible employée l’ont été avec de la vapeur à haute pression. Deux objections ont été faites à l'emploi de ce mode de chauf- . fage : la première est que l’on craint que les barres du foyer ne soient plus rapidement usées et détruites par l'absence du passage de l’air entre elles. S'il en était ainsi, l’économie sur le combustible au- rait promptement couvert cette nouvelle dépense ; mais d’après l’au- teur, les barres sont au contraire moins corrodées par l'usage de la va- peur que lorsque l’air passant dans le combustible , en s’introduisant par le cendrier, rend la combustion plus active autour d'elles, et en augmente ainsi l'oxidation. La seconde objection est le tort que peut faire à la chaudière le jet de vapeur projeté près de son fond. Mr. Fyfe répond à cela que la chaudière avec laquelle ont été faites ses expé- riences a été en plein service pendant dis-huil mois, et qu'à l'expira- tion de ce terme elle a été examinée par des ingénieurs FAP qui : l'ont trouvée en parfait état de conservation. IE. M. _ BULLETIN SCIENTIFIQUE. 201 4. — RÉSUMÉ DES RECHERCHES DU PROFESSEUR LIEBIG SUR LA CHIMIE ORGANIQUE DANS SES APPLICATIONS A LA PHYSIOLOGIE ET A LA PATHOLOGIE, par Mr. le D°PLayraiR; lu à l’Associat. britannique pour l'avancement des sciences siégeant à Manchester en 1842. (Æthenœum, n° 766.) La première partie de ce travail a été présentée à Glascow en 1841 dans Ja précédente session de l’Association. La vitalité qui. existe dans les plantes comme dans les animaux, produit ses effets au moyen de matériaux tout différents. Les plantes subsistent uniquement au moyen d'aliments tirés du règne inorganique, et toutes les substances qui peuvent servir à leur nutrition doivent au préalable dépouiller la forme organisée qu’elles ont pu posséder. Les animaux, au contraire, vivent d'aliments de nature organique. Dans les deux ordres d'êtres organisés existe une vie végélative indé- pendante de la volonté, et qui est accompagnée d’une destruction ou modification continuelle de leur substance. C’est ce qui rend l'aliment nécessaire pour réparer les pertes, en même temps qu'il est indispen- sable pour l’accroïssement de la masse du corps organisé. La première condition de l'existence de la vie est donc la réception et l'assimilation de la nourriture. La seconde, non moins importante, est l’absorption continuelle de l’oxigène de l’air. C’est, selon Mr. Liebig, de l’action mutuelle de l’oxigène de l'air et des éléments de la nourri- ture que dérive l’activité vitale. Tous les changements que la matière subit dans l'organisme sont des changements chimiques, et l'influence des poisons et des remèdes sur l'économie démontre que ces change- ments peuvent être modifiés par des corps ayant une action chimique bien définie. La vitalité est l’agent général qui dirige les forces chimi- ques de manière à les faire converger vers un but donné, mais ce sont ces forces seules qui opèrent, D'après Lavoisier, un homme adulte absorbe dans son organisme 837 livres d'oxigène par année, et néanmoins n’augmente pas en poids. Cette énorme quantité d’oxigène introduite dans les poumons et par la peau se combine avec l'hydrogène et le carbone de certaines parties du corps, et s’exhale sous la forme de vapeur d'eau et d’acide carbonique. À chaque moment, à chaque expiration, des parties du corps sont ainsi enlevées et rejetées dans l'atmosphère. Aucune partie de l’oxigène in- spiré n’est exhalée sous le même état. On trouve qu’un adulte respire 32 ‘, onces d’oxigène par jour. Cette quantité est suffisante pour con- verlir en acide carbonique le carlione contenu dans 24 livres de sang. 202 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Il doit donc ingérer assez de nourriture pour suppléer à cette perte quo- tidienne et l’on trouve, en effet, que la moyenne du carbone contenu dans la nourriture d’un homme adulte, qui se livre à un exercice mo- déré, est de 14 onces, qui exigeraient 37 onces d’oxigène pour leur conversion en acide carbonique. Il est elair que si l'oxigène inspiré ne peut être exlialé de nouveau qu'après sa conversion en acide carboni- que et en eau, la quantité de nourriture nécessaire au soutien de l’a- nimal doit être proportionnelle à la quantité d’oxigène introduite dans l'organisme. Aussi un enfant dont les organes respiratoires sont natu- rellement dans un état de grande activité, a besoin de prendre de la nourriture plus fréquemment et en plus grande proportion relativement à son volume qu'un adulte, et supportera moins facilement la faim que lui. Un oiseau privé d’aliment meurt dès le troisième jour, tandis qu'un serpent qui n’inspire presque pas d’oxigène peut vivre trois mois sans manger. La capacité de la poitrine dans le même animal est toujours identi- que. Ainsi l'homme inspire le même volume d'air au pôle ou à l'équa- teur. Mais le poids de l’air et conséquemment la quantité d'oxigène va- rient'avec la température. Ainsi un homme adulte qui inspire 4,600 pouces cubes d’oxigène par jour, en aura réellement absorbé 39 onces à la température de la glace fondante, et seulement 32 2 onces si le thermomètre marque 77° F. (25° C.). De sorte qu'un adulte absorbera 35 onces d’oxigène par jour en Angleterre, 28 ', onces seulement en Sicile et 36 onces en Suède. Nous expirons donc plus de carbone lorsqu'il fait froid, que le baromètre est élevé, qu’en temps chaud, et nous devons consumer plus ou moins de carbone dans nos aliments dans la même proportion. La différence à l'égard du carbone expiré entre l'hiver et l'été est, dans nos climats, d'environ un hui- tième. La nature de l'aliment semble avoir été calculée en raisen de ces différences. Ainsi, les fruits qui servent de principale nourriture aux habitants des contrées méridionales ne renferment que 12 pour _ cent de carbone, tandis que la graisse et l'huile de poisson, dont vivent ceux qui peuplent les régions areliques, contiennent de 66 à 80 pour cent du même élément. D'après Mr. Liebig, c’est à l’action mutuelle des éléments de la nourriture et de l’oxigène qu'est entièrement dû le développement de la chaleur animale. Il pense que la combinaison de l'hydrogène et du carbone avec ce gaz doit donner autant de chaleur que s'ils étaient brû- lés dans l'air; seulement la production est graduelle et elle n'existe BULLETIN SCIENTIFIQUE. 203 que dans les parties du corps où cireule le sang artériel et avec lui l’o- xigène en solution. La température du corps humain est la même dans la zone torride que vers le pôle. Mais comme on peut le considérer comme un vase chauffé qui se refroidit d'autant plus vite que le mi- lieu ambiant est plus froid, il est clair que le combustible nécessaire à maintenir la température doit être différent dans les divers climats. Ainsi, 1l faut moins de production de chaleur à Palerme, où la tempé- rature de l’air est celle du corps humain, que dans les régions polaires où elle est de 90° F. (32° C.) au-dessous. Dans l'animal, le combusti- ble c’est l'aliment, et par la combinaison avec l’oxigène il recueille la chaleur produite par cette combustion. L’exercice dans un air froid fait inspirer une plus grande quantité d’oxigène, et conséquemment exige une quantité plus abondante de carbone dans l'aliment, et cet ali- ment devient la protection la plus efficace contre le froid. Un animal affamé est beaucoup plus vite tué par une forte gelée, et chacun sait que les bêtes de proie sont beaucoup plus voraces dans les régions aretiques que celles qui vivent entre les tropiques. Les vêtements ne sont qu'un équivalent pour la nourriture, et plus ilssont chauds, moins l'aliment devient nécessaire. Ainsi, l’on voit certaines tribus sauvages dont les habitants vont tout nus, l’on voit les Samoyëdes qui sont exposés à chasser ou à pêcher par un froid rigoureux, consommer jusqu’à dix li- vres de chair et y ajouter une douzaine de chandelles de suif. Ainsi s'expliquent les énormes quantités de graisse ou d'huile et d'eau-de-vie que ces hommes peuvent avaler sans danger, et en général les variétés du régime alimentaire des diverses nations du globe. Plus le pays est S froid, plus grande doit être aussi la quantité de combustible contenue … dans la nourriture. Un Anglais transporté à la Jamaïque s'aperçoit “ bientôt avec regret que son appétit diminue. C’est un effet naturel de # la différence du elimat. Mais si, à l’aide de stimulants, il se crée un ; appétil artificiel et parvient à consommer la même quantité d’aliments qu'il le faisait dans son pays, il se rend incapable de supporter le nou- veau climat dans lequel il se trouve. L’oxigène qu'il inspire n’est pas assez abondant pour se combiner avec tout le carbone ingéré ; le car- — bone superflu s’accumule dans l’économie et la maladie s'ensuit. C’est pe) [ . d’un excès de carbone, comme les maladies du foie, plus communes en = la même cause qui rend dans nos climats, les maladies qui proviennent 'éirl ee été, et celles qui proviennent d’un excès d'oxigène, comme les mala- dies pulmonaires, plus fréquentes en hiver. Dans le système de Mr. Liebig sur l'alimentation des animaux qui, selon lui, ne s’opère qu'au moyen des substances azotées, l’absorption mt CR. vdi 204 BULLETIN SCIENTIFIQUE. des matières alimentaires qui ne contiennent pas d'azote et qui pour- tant semblent nécessaires à la vie, est uniquement destinée au maintien de la chaleur animale. Il cherche à démontrer que la combinaison de l’oxigène de l'air avec les éléments contenus dans la nourriture suffit pleinement pour expliquer la chaleur animale, et qu'il est erroné de l’at- tribuer pour une partie à l’action nerveuse ou à la contraction des mus- cles. | Ainsi les éléments de la nutrition susceptibles de former du sang - sont, d’après lui : la fibrine, l’albumine et la caséine végétales, la chair et lesang des animaux. Les autres ingrédients alimentaires qui ne servent qu'à maintenir la chaleur animale, et qu’il appelle les éléments de la respiration, sont la graisse, l’amidon, la gomme, le sucre, la lactine, la pectine, la bière, le vin, l'alcool. La graisse est, selon lui, un produit anomal résultant d'une aceumu- lation de carbone, suite de l'insuffisance de l’oxigène inspiré pour con- sumer tout le carbone de la nourriture. Elle se produit par le manque d'exercice, et l’on n’en voit jamais chez les animaux sanvages ou les peuples actifs et sobres comme les Arabes du désert. L'emploi de la salive dans la digestion est, selon Mr. Liebig, de ren- fermer l'air sous forme d’écume mieux même que ne le ferait une so- lution de savon. Cet air ainsi emprisonné arrive dans l'estomac avec la nourriture, avec laquelle son oxigène se combine tandis que l'azote est exhalé. La rumination dans certains animaux herbivores lui paraît avoir le même but, une introduction plus considérable d’oxigène dans l'estomac. à I. M. ” 5. — NOTES RELATIVES A L'EMPOISONNEMENT PAR L'ACIDE HY- DROCYANIQUE , par Mr. A. MORIN, pharmacien à Genève. Dans le vaste champ des applications des sciences chimiques, ilen est peu qui aient dans ces derniers temps plus vivement excité l'attention publique que ne l'ont fait les travaux qui se rapportent à la chimie légale, età la découverte des preuves que cette science peut fournir dans les cas d’empoisonnement. Dans notre opinion même, elle s’en est trop préoc- cupée, et il nous semble impossible qu'il ne reste pas, de toutes les dis- cussions publiques auxquelles ont donné lieu, par exemple, quelques procès récents sur des accusations d’empoisonnement par l’arsenie, une sorte d'incertitude qui doit être un cruel cauchemar pour les hommes appelés à prononcer en pareil cas sur la vie de leurs semblables. Les merveilles de l’appareil de Marsb, la terrible théorie de l’arsenic nor- mal, à laquelle il a fallu renoncer plus tard, les doutes publiquementéle- BULLETIN SCIENTIFIQUE. 205 vés sur la possibilité que les réactifs employés par l'expert continssent eux-mêmes le poison que lui démontraient ses analyses, tout à dû con- tribuer à jeter de la défaveur sur la certitude des données sur Jesquel- les la science du chimiste croit pouvoir établir la présence de ce dan- gereux métal. Pour avoir voulu peut-être dépasser en délicatesse les procédés qui pouvaient fournir une base suffisante à la conviction des experts, on a affaibli la confiance que pouvaient mériter leurs recherches. Aujourd'hui c’est le tour d’un autre toxique, tout aussi dangereux , quoique moins facileà se procurer, l'acide prussique ou eyanbydrique. A la suite d’une dénonciation d’empoisonnement , un cadavre est ex- humé, examiné sept jours après la mort; d’habiles chimistes pensent -»etrouver dans les organes des indications précises de la présence de l'acide prussique, manifesté en particulier par l'odeur d'amandes amè- res qu'on lui connaît, et l’accusation prend une consistance formida- ble. Les médecins consultés établissent que la saturation de tous les organes par ce poison sublil fait supposer son introduction pendant la vie, et ils en tirent la conséquence que cette introduction a bien été la cause de la mort. ] Un certain nombre de médecins physiologistes et de pharmaciens chimistes de Genève ont élé appelés à s'occuper des questions que sou- levaient ces conclusions , et les résultats auxquels ils sont parvenus, conformes d’ailleurs à ceux qu'a obtenus Mr. Orfila, consulté de son côté, ont jeté beaucoup de doute sur leur admissibilité. Les expériences nombreuses qu'ils ont faites sur des animaux vi- anis leur ont démontré que l'odeur ne suffit pas pour décider qu'il y : a dans un cadavre de l’acide eyanhydrique. Dans plusieurs cas où cet acide avait été la cause incontestée de la mort de l'animal, aucune odeur ne l'aurait fait reconnaître à l’autopsie. En général, l'odeur a été plus caractérisée lorsque le poison avait été mélangé d’alcool , et sur- tout remarquable lorsqu'on faisait usage d’essences de laurier-cerise ou d'amandes amères. Ils se sont assurés aussi que cinq à six jours après l'introduction de l'acide prussique dans des animaux dont les cada- vres étaient conservés d’ailleurs à de basses températures , il était sou= vent impossible de retrouver aucune trace du toxique introduit, tant il disparaît rapidement s'il est administré seul. Ils ont trouvé qu'il peut pénétrer par imbibition dans tous les organes du cadavre d’un animal dans lequel il est ingéré après la mort par strangulation, et que celte pénétration n’a nul besoin du concours des phénomènes vitaux 206 BULLETIN SCIENTIFIQUE. pour s’opérer. Enfin ils ont cru entrevoir la possibilité soit de la lrans- formation en acide prussique de substances végétales susceptibles de le produire, comme les noyaux ou les liqueurs qui en contiennent dont on auraît fait un emploi trop prolongé, soit enfin de Ja produc- tion spontanée de cet acide pendant la vie sous l’influence de quelque affection morbide, production dont quelques faits médicaux semblent démontrer l'existence, ou après la mort par l'effet de la fermentation. Ces faits ont de l'intérêt par eux-mêmes, indépendamment de la cir- constance spéciale qui les a fait rechercher, et quoique nous ignorions l'influence qu'ils ont pu exercer sur le jugement du procès dont ils ont constitué l’un des éléments, nous croyons utile de les faire connaître pour mettre toujours plus en garde les experts en chimie légale contre les dangers de l'examen même le plus consciencieux d'une question, s’il n’est pas entrepris sur toutes ses faces. I M. 6. — NOUVEAU MANUEL DE L'OBSERVATEUR AU MICROSCOPE . par F. Dusarpin, doyen de la faculté des sciences de Rennes. Paris. 1842 ; 1 vol. in-12 et atlas in-8 de 30 planch. Faisant partie des Manuels-Roret. Nous nous plaisons à recommander ce Manuel qui, sous une forme simple et abrégée , renferme beaucoup d'informations. Il est divisé en quatre parties , où les faits se trouvent classés méthodiquement. L'au- teur décrit d'abord le microscope , son origine , sa construction et son emploi. Il donne ensuite le tableau des résultats que le microscope a permis d'obtenir dans l’étude de la structure des animaux , puis dans celle des végétaux. Enfin il explique dans la dernière partie quelques applications utiles à l’industrie, à la chimie, à la médecine lépale, ete. Après avoir lu attentivement ce qui concerne le règne végétal , nous pour ons dire que l auteur fait preuve de connaissances étendues et ap- précie les faits observés avec une réserve digne d’éloges. Les opinions qu'il adopte et qu’il démontre souvent par de Les figures , sont or- dinairement celles qui sont le plus probables d’après l’ensemble des phénomènes et l'autorité des meilleurs observateurs. Plusieurs des exemples qu'il cite sont nouveaux. La partie zoologique nous a paru contenir un bon exposé de la structure des nerfs, muscles, cils vibra= toires , globules sanguins, ete. En général ce petit ouvrage nous paraît utile aux naturalistes, surtout à ceux qui sont appelés à enseigner. Alph. DC. BULLETIN SCIENTIFIQUE. 207 7. — BULLETIN DES SÉANCES DE LA SOCIÉTÉ VAUDOISE DES SCIENCES NATURELLES. .… La Société Vaudoise des Sciences Naturelles s’est décidée, à l’exem- ple de plusieurs Sociétés scientifiques, à publier d’une manière régu- lière un bulletin de ses séances. Ce bulletin n’est point un simple pro- cès-verbal ; il présente soit par extrait, soit dans leur entier, les divers travaux des membres qui la composent. Les trois numéros qui ont déjà paru renferment plusieurs mémoires et notices qui ont un véritable intérêt. Les travaux les plus nombreux et aussi, à ce qu’il nous semble, les plus importants sont ceux de MM. Wartmann, profess., De La Harpe, docteur, Edouard Chavannes et Hollard. Mr. Wartmaon a entretenu plusieurs fois la Société de ses recher- cbes sur les courants d’induction. 1l a également communiqué une note relative à un moyen de mesurer la distance d’un point élevé accessible ou non accessible, fixe ou mobile, à l’aide d’un seul instrument, et en n'observant qu’à une seule station. Ce moyen est fondé sur la détermi- nation de l’angle que forment, à l'œil d’un observateur placé à une sta- tion élevée, le rayon visuel qui lui vient du point dont il veut mesu- rer la distance, et celui qui lui vient de l’image de ce même point produite par la réflexion sur un miroir horizontal placé au-dessous de l’observateur. Au moyen de la connaissance de cet angle et de celle de la distance de l’observateur au point d'incidence sur le miroir, qui est facile à déterminer, le problème est résolu. Nous citerons encore, parmi les travaux de Mr.Wartmann, ses recherches historiques sur les cour- bes magnétiques, et une notice dans laquelle il montre par différentes expériences qu'il n’y a pas de combinaison entre l'hydrogène et le bis- mutb, et que le bismuth allié au zinc et à l’étain n’est 1e attaqué par l'acide sulfurique étendu. - Mr. le docteur De La Harpe a lu un mémoire fort intéressant sur les effets de l'humidité dans les appartements, et sur les causes peu appré- ciées de cette humidité : nous avons reproduit textuellement ce travail (voyez p. 161), dont l'utilité dans la pratique peut être très-grande. Le même membre a également entretenu la Société de sujets médicaux, savoir des résultats auxquels l’a conduit l’étude des cas de phthisie - pulmonaire dans le Canton de Vaud, dont la majeure partie n’appar- tient pas aux tubercules, et des observations qu’il a faites sur l’emploi de liode dans les hydropisies. , 208 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Mr. Edouard Chavannes a présenté un résumé des opinions émises sur l’accroissement des arbres en diamètre, et une exposition succinele de la théorie phytogénique de Mr. Ch. Gaudichaud. Ces opinions peu- vent se résumer à deux principales : celle de MM. De Candolle et de Mirbel, qui considèrent la formation des fibres et des couches ligneuses comme due à une production des couches préexistantes, développée par le liquide nourricier, soit le cambiwm; celle de Mr. Du petit Thouars, savoir que l'augmentation en diamètre des arbres est due à une production intérieure de fibres descendant des bourgeons comme des espèces de racines, qui seraient nourries el développées dans leur route par la sève élaborée. C’est cette dernière théorie que Mr. Gaudi- chaud adopte et présente sous un jour nouveau, en l’appuyant d'un nombre imposant d'expériences et d'observations. Mr. Chavannes ne peut se prononcer pour l’une ou pour l'autre des deux théories, ayant trouvé des circonstances également favorables à toutes les deux. Le même savant a présenté le résultat des expériences qu'il a faites depuis dix ans sur la culture du Fumaria capreolata L. Mr. Chavannes a également lu un mémoire fort détaillé sur l’application des amorces fulminantes aux pièces d'artillerie, et en particulier sur une espèce d'étoupille de son invention applicable à l'artillerie de campagne et de siége, Mr. Hollard a entretenu la Société de faits relatifs à la Diphye sa- gittaire, animal singulier encore peu connu, et qui vivant au large dans la mer, est poussé à la côte par les vents d'orage qui les muti- lent, vu leur structure très-fragile. Il a également présenté quelques détails sur l'anatomie des vellèles, animaux rayonnés dont le rang n’est pas encore bien déterminé. Mr. Hollard a mis sous les yeux de la So- ciété différentes pièces anatomiques curieuses, et en particulier une torpille de la Méditerranée, dans laquelle l’appareil électrique a été mis à nu. Nous ne terminerons pas cette courte analyse sans citer un travail fort intéressant de Mr. Buttin, pharmacien à Yverdun, sur la fertilité de la tourbe et sur son emploi comme engrais. Les faits que rapporte l’auteur, et qui ont particulièrement trait à des essais faits dans des jardins polagers, sont tout à fait favorables à l’emploi de la tourbe comme engrais. Aa5Dab4Re LEE RE EE D croi — ee 7 #. sh) TABLEAU DES OBSERVATIONS MÉTÉOROLUGIQUES | FAITES A GENÈVE “ _ PENDANT LE MOIS DE NOVEMBRE 1842. -_—“S 6 — 210 OBSERVATIONS | NOVEMBRE 1842. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites mer, lat. 46° 12", long. 15° 16” de temps, soit 3° 49’ à l'E. de Genève, à 375 mètres a r" = 1" £ & | 5 BAROMÈTRE TEMPÉRATURE EXTÉRIEURE ol É ë RÉDUIT A 00. EN DEGRÉS CENTIGRADES. ol =] Re CE (s. ë 9 h. g h. 8 & | du du : Lo soir. malin. M millim. | millim. | millim. | millim. J F 1 735,25 | 731,75 | 730,71 | + 1,9 | + 5,1 | + 4,5 3,6 + 1 2 | 727,25 | 726,29 | 725,05 + 2,9 | + 4,6 | + 5,6 3,5 +1 3 729,27 | 791,10 | 720,66 | # 4,0 | + 5,5 | + 6,2 3,1 +34 A 720,75 | 720,96 | 721,89 | + 19 + 5,8 | + 3,5 1,5 + 5 719,89 | 720,24 | 721,05 | + 11 | + 1,9 | + 1,6 1,0 + 6 721,77 | 721,79 | 722,86 | + 0,1 | + 2,4 | + 1,9 | - 0,6 . “1 723,28 | 7251 | 724,99 | — 1,2 | + 0,1 | — 0,2 | - 1,0 -( 8 795,35 | 724,95 | 726,11 | — 1,4 | — 1,2 | - 0,8 | - 1,2 dr 9 726,99 | 726,21 | 727,41 | — 0,8 | + 0,6 0,0 | — 0,7 SN 796,08 | 725,05 | 724,55 | — 0,1 | + 0,5 +1, | 40,1 + 791,21 | 720,56 | 720,88 | — 0,1 | + 2,9 | + 3,7 | + 2,9 +4 721,91 721,97 724,25 | +10,7 | 412,5 | +12,9 | + 9,8 #1 727,59 | 726,74 | 726,49 | + 6,9 +12,1 | + 8,8 + 727,06 | 727,15 | 728,19 | + 8,5 411,0 #1 227,08 | 727,01 | 727,51 | +13,0 411,6 H 721,79 | 720,59 | 723,15 | Ÿ 9,1 + 6,8 + 722,11 | 722,29 | 726,08 | + 62 | + 7,9 + 3,2 +1 233,15 | 734,49 | 737,64 | - 0,5 | + 1,1 + + 0,9 #4 737,84 | 756,87 | 756,22 | - 0,5 | + 1,5 | + 1,7 | — 2,6 2. 727,05 | 725,88 | 725,45 | — 0,7 | + 5,1 | + 0,8 | + 1,6 +: 3 | 717,94 | 717,59 | 720,09 | + 4,9 + 6,5 | + 6,5 | + 4,4 s + 718,53 | 717,10 | 746,74 | + 35,6 | + 5,8 | + 7,1 | + 8,7 +53 | +: 721,82 | 721,13 | 749,64 | + 5,7 | + 7,1 +68 | + 1,7 | + 4,8 | + 714,18 | 714,05 | 716,26 | + 5,0 | + 6,5 | 6,9 | + 6,1 + et +: 709,68 | 714,51 | 714,49 | + 1,6 | + 0,9 | + 2,9 | + 5,1 +-2,7 |: La 707,44 | 709,00 | 715,99 | + 0,2 | + 0,7 | + 0,8 | + 2,4 +0,5 | +: 5 | 719,51 | 719,49 | 718,64 | + 2,8 | + 5,9 + 1,5 1,42! +0,7 | -: 715,88 | 716,30 | 719,82 | + 1,6 [+ 4,1 | + 5,1 | + 9,4 | + 1,8 | 1 725,08 | 722,82 | 721,98 | + 5,6 | + 5,5 | + 5,5 | + 5,7 | + 5,1 | +! 728,42 | 728,71 | 751,81 410,7 | +12,3 | +10,7 | + 7,8 +9,35 | + | 725,81 | + 5,45) + 88! + 5,27| + 5,69! + 5,08] +1 723,02 | 722,87 | LLC (1) Le thermomètre à maximum a été dérangé par la violence de la bise. MÉTÉOROLOGIQUES. 211 Observatoire de Genève, à 407 mètres au-dessus du niveau de la Observatoire de Paris, et, pour le Limnimètre au bord du lac essus du niveau de la mer. A ÉTHRIOSCOPE TEMPÉRAT. £ ns HYGROMETRE. EN DEGRES CENTIGR. IXTRÈMES. E = ss. = mr E 7 # > & = Te L HE Demo Z202Z22Z 222 (>| S-0 lplaie 46,0 Cal. couv. | 16,5 N-E éclair. | 16,5 S-0 pluie 45,5 Cal. pluie |45,5 S-O neige | 46,5 Cal. éclair. | 45,5 Cal. | couv. 46,0 Cal. pluie | 44,5 S-0 :sol. nu.| 44,5 RL 75,5| 75,4] 78,7|141,5 “+ 6,76| 82,0 | TABLEAU DES OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES FAITES AU SAINT-BERNARD PENDANT LE MOIS DX NOVEMBRE 1842. 214 OBSERVATIONS NOVEMBRE 1842. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites veau de la mer, et 2084 mètres au-dessus de l'Observatoire "m = L ë BAROMÈTRE TEMPÉRATURE EXTÉRIEUR 5 : es RÉDUIT À 00. EN DEGRÉS CENTIGRADES. mn [=] 5 a es Pos ” mt = Lever 9 h. 3h. 9 h. Lever | 9 h. 3h 9 b. Su nl du du Midi. du du du du Midi. du du 4 |? soleil. | matin. süir. soir. soleil. | matin. soir soir millim. | millim. | millim | millim. | millim. 11570,19 | 570,04 | 560,68 | 567,87 | 567,28 | + 1,9 @ | 21564,79 | 564,37 | 565,61 | 565,02 | 561,58 | - 1,3 5 | 558,58 | 558,20 | 557,54 | 556,81 | 555.85 | - 5,6 4 [554,08 | 554,25 | 554,18 | 554,14 | 554,12 | — 8,8 5.1 552,69 | 552,61 | 552,16 | 551,97 | 553,00 | -15,6 6 [555,01 | 555,56 | 555,82 | 554,22 | 555,28 | —17,2 7 1556,74 | 557,35 | 557,21 | 557,55 | 558,70 | -14,5 8 [559,55 | 559,79 | 559,72 | 559,40 | 559,24 | -10,5 9 [561,02 | 561,49 | 561,80 | 561,84 | 563,02 | - 5,4 D |10 |565,52 | 565,86 | 565,11 | 563,01 | 562,67 | - 5,8 11 1560,50 | 560,50 | 560,06 | 559,96 | 560,88 | — 4,3 42 [560,87 | 561,16 | 561,21 | 564,7a | 562,25 | - 0,5 15 [565,52 | 564,10 | 564,22 | 564,22 | 565,11 | - 5,2 14 | 564,82 | 564,93 | 564,99 | 565,10. | 566,74 | - 9,5 15 [566,49 | 566,76 | 566,52 | 566,50 | 566,40 | — 0,2 16 [565,68 | 565,55 | 565,00 | 561,73 | 559,22 | + 1,2 17 1557,76 | 557,85 | 557,75 | 558,01 | 559,37 | - 6,5 €) | 18 [562,57 | 565,24 | 565,90 | 565,05 | 567,07 | -13,2 19 [567,62 | 567,8a | 567,68 | 567,an | 567,20 | -14,0 20 | 564,20 | 565,88 | 562,13 | 560,72 | 559,52 | - 8,9 21 [556,64 | 556,50 | 556,20 | 556,10 | 556,82 | — 3,0 22 | 557,08 | 557,02 | 556,74 | 555,55 | 595,55 | — 6,4 23 [556,04 | 556,12 | 556,85 | 556,95 557,17 | — 9,6 24 | 555,01 | 554,70 | 553,92 | 555,21 | 554,12 | -10,7 ç |? 551,12 | 550,84 | 550,42 | 551,60 | 552,95 | -10,6 26 | 548,64 | 548,52 | 547,40 | 547,78 | 551,39 | - 9, 27 | 557,65 | 557,58 | 558,20 | 558,76 | 559,51 | — 8, 9,7 8,5 28 | 560,72 | 561,24 | 560,95 | 560,65 | 562,27 | — 7,5 29 | 562,44 | 562,51 | 561,44 | 560,92 | 560,93 | — 4,5 30 | 565,15 | 564,85 | 565,15 | 565,51 | 566,82 | - 5,6 | a | — Moyens.| 559,81 | 559,96 | 559,71 | 559,57 | 560,06 | - 7,08| - 6,50 215 MÉTÉOROLOGIQUES . ospice du Grand Saint-Bernard , à 2491 mètres au-dessus du ni- enève ; latit. 45° 50° 16”, longit. à l'E. de Paris 4° 44’ 30”. EMPÉRAT. RÈMES. 4,0 |+ 5,5 N-E |N-E | N-E {sol. nua.|sol. nua. 2,5 |+ 1,2 N-E |N-E | N-E {serein |qq.nua, 1,6 |- 4,9 N-E | N-E | N-E serein [serein 0,7 |— 5,2 S-0 | S-0 | N-E jsol. nua. neige 7,0 |- 8,0 N-E |N-E | N-E [brouill. neige 9,0 |- 9,0 S-0 |S-O | N-E qq. nua.|sol. nua. 5,8 |- 9,5 N-E fS-O | N-E Ibrouill. neige 2,7 |- 4,2 S-0 |S-0 | S-O Ineige |couvert 7,9 |- 1,0 S-O |S-O | Cal. [4q: nua.|qq. nua. 7,5 |- 2,0 S-0 | S-0 | S-O [serein |sol. nua. 5,5 |+ 2,1 S-O |S-O | S-O {serein |sol. nua. 3,5 |+ 1,8 S-O |N-E | N-E [neige [neige 26,5 |+ 5,0 N-E |N-E | N-E [brouill, [serein 57 |+ 5,2 N-E |N-E | N-E Ineige [neige 10 |+ 5,6 N-E |N-E | N-E [neige [neige 52 |+ 2,2 S-O |S-0 | S-O {couvert |couvert m6 |- 5,5 S-O |S-O | N-E Îneige [neige me |- 9,5 N-E |N-E | N-E lbrouill. qq: nua. 2,0 |-10,1 N-E |N-E | N-E {serein |serein 8 |- 0,6 S-0 |S-O | N-E [couvert [neige HS |+ 0,8 N-E |N-E | N-E [neige [neige 0 |- 0,7 N-E |N-E | S-O {serein [neige 19 |— 6,9 N-E |N-E | N-E [neige |[brouill. |} 8 |- 6,8 S-0 |S-O | S-O [neige [neige @a |- 6,0 S-0 |S-0 | S-O |neige [neige 5,0 |— 6,0 S-0 |S-O | N-E {neige [neige 1 |- 5,2 N-E |S-0 | S-0 |qq. nua.|couvert à |- 4,5 S-0 |S-0 | S-O Ineige [neige 50 |- 1,7 S-0 |S-0 | S-O [brouill. |neige 10 |- 1,4 S-0 |N-E | S-0 |qq. nua.|qq. nua. Mios|- 2,70/49,57 [89,33 FERREn 89,10| 112,2 EAU DE PLUIE ou de NEIGE dans les 24 b. = HYGROMÈTRE. VENTS. ÉTAT » u CIEL, DÉCEMBRE 1842. BIBLIOTHÈQUE UNIVERSELLE DE GENÈVE. Esthétique. DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES, par A.-F. Rio. Forme de l’art, 2° partie, Peinture, 1 vol. in-8°. Paris, 1836. Le volume que nous nous proposons d’examiner dans cet article , n’est plus, comme on le voit, précisément nouveau. Mais que nos lecteurs ne nous en fassent pas un reproche. Six années n’enlèvent pas à un bon ouvrage son mérite, et c’est peut-être d'un salutaire exemple, dans notre siècle d’efferves- cente productivité, de jeter de temps à autre un coup d’œil interrogateur en arrière, pour voir si quelque heureuse pensée ou quelque courageux essai n'ont point été oubliés injustement, et ne sont point tombés dans le torrent sans même avoir obtenu de regard sympathique ou de parole d’adieu. Tel est notre motif pour revenir, bien qu'il soit un peu tard, sur cet ouvrage. Il contient des principes élevés, des vues originales, un senti- ment exquis de l’art et de sa valeur pour l’âme, et, en outre, on lui doit la réhabilitation éclatante d'hommes, d’époques et même de peuples, méconnus et calomniés jusqu’à nous. C’est sans doute plus qu’il n’en faut, pour nous faire lire et pardon- ner. Cela dit, venons à l'ouvrage de Mr. Rio. XLII 14 218 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, Mr. Rio n’en est pas à son début dans la carrière de la cri- tique et de la philosophie ; nous avons déjà de lui un ouvrage important qui annonçait des études sérieuses, et dont celui qui nous occupe aujourd’hui descend par une filiation toute di- recte. L'auteur de l'Histoire de l'esprit humain dans l'antiquité ne semblait pas pouvoir en rester là ; il devait passer au monde den deçà de la croix. Le cours de ses méditations l’amenait naturellement de l’étude de la pensée antique à l’étude de la pensée moderne, et l'on pouvait s'attendre à le voir compléter son premier {travail par un second, plus vaste et de plus épineux labeur. Mais cette dernière entreprise aurait été, à vrai dire, gi- gantesque. L'Histoire de l'esprit humain depuis Jésus-Christ dé- passe presque les forces d’un homme, parce qu’elle embrasse toutes les directions de l'intelligence, tous les pas faits par la civilisation dans toutes les branches des sciences humaines et divines, religion , poésie, beaux-arts, politique , philosophie, industrie, sciences de l’espace et du temps, sciences de la terre et d’au delà de la terre, et cela chez tous les peuples qui se par- tagent aujourd’hui l’immense domaine de la civilisation, jadis apanage exclusif d’une ou deux nations élues. Mais ce qui caractérise le monde moderne , ce qui le diffé- rencie partout et toujours, même dans les points analogues et semblables qu'il offre avec l’antiquité, t'est Pinfusion d’un nou- vel élément, d’un souffle invisible qui, avoué ou méconnu, de gré ou de force, se glisse comme le gaz de vie en tout lieu, se combine avec toutes les œuvres , et entre pour sa part dans toute création. Qu’on se représente, dans le monde des choses sensibles, la nature modifiant aujourd’hui profondément les propriétés de l’oxigène : quelle révolution dans tous les êtres et dans tous les corps ! Eh bien , cette profonde modification a eu lieu dans le monde des esprits ; cette révolution, on a beau la nier, elle est là aussi claire que le soleil. À quoi la doit-on ? Quel est cet élé- ment opiniätre, ce souffle qui s’est mélé à tout dans notre hi- DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 219 sioire moderne ? C'est l’élément chrétien. Acceptons-le donc historiquement comme le fait capital de cette période, et, si nous voulons analyser l’esprit moderne, commençons par cher- cher l'influence du christianisme sur chacune des directions de son activité. C’est ainsi qu’a procédé Mr. Rio; mais il a encore dû opter, vu leur nombre, entre les divers domaines de cette influence, et il a choisi l’un des plus grands, la Poésie, enveloppant sous celte désignation le besoin du beau, et tous les produits par lesquels ce besoin cherche à se satisfaire, c’est-à-dire la poésie proprement dite et tous les beaux-arts. Nous voilà arrivés au titre de notre ouvrage : De la Poésie chrétienne dans son principe, dans sa matière et dans ses Jormes. Déterminons ce que ce titre général embrasse et ce que le volume déjà publié contient ; ce sera indiquer à l’auteur ce qu’il lui reste à faire pour achever son œuvre, on au lecteur ce qu’on lui laisse encore à désirer. De la Poésie chrétienne dans son principe. Voilà qui impli- que toute une théorie esthétique, qu’elle vienne du reste avant ou après l'examen des produits de la faculté du beau chez les peuples chrétiens. Il faudra d'abord établir ce qu’est la poésie en elle-même, sa nature , son origine, son domaine et ses li- mites ; — en second lieu , étudier subjectivement en l'homme quelle est la faculté qui perçoit ou qui crée la poésie, saisir et retracer ses plus délicates affinités avec les autres facultés de notre être ; —enfin, poursuivre la poésie dans ses racines les plus intimes, pour expliquer ses propriétés par sa génération, péné- trer,s il était possible, l’ombre sainte où s'accomplit sa naissance, soulever l’un après l’autre tous les voiles du sanctuaire, et for- cer le dernier asile pour assister, à genoux et en croyant, à ce mystère de notre être ; — puis constater, toujours en l’homme, lé développement progressif et intérieur de cette poésie, et analyser les influences de toute espèce qui agissent sur elle, 220 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, c’est-à-dire les notions des sens et les notions de l’esprit, la matière et le sentiment. Ici se place l’influence des croyances, et en particulier des croyances chrétiennes. C’est le moment d'étudier la différence de l'imagination antique et de l’imagi- nation moderne, de l’idéal paien et de l'idéal chrétien, et les ; causes de cette différence ; enfin, au moyen de tout cela, nous pourrons déterminer ce que c’est que la poésie chrétienne dans son principe. Comme on le voit, cette partie du travail doit étre de toutes la plus difficile, et, pour l’aborder, il faut réunir _ deux facultés qui s’exeluent presque toujours dans leur essence, el toujours dans leur action, je veux parler de l’imagination et de l'analyse. Bonstetten fait remarquer que l’une est un mouvement, l’autre un arrêt, que par conséquent lorsque l'analyse fonctionne, Vi- magination a cessé de fonctionner, en sorte qu’il faut toujours s’en rapporter à la mémoire pour les observations , lesquelles ainsi ne sont jamais directes. À cette difficulté inévitable dans l'instrument se joint la difficulté prodigieuse du sujet, car l’on sait quels rudes labeurs exige de ses poursuivants Pobservation intérieure même la moins délicate et la plus élémentaire; et qu'est-ce quand il s’agit de la plus insaisissable des parties de l'être immatériel, de celle qui rêve plus qu’elle ne pense, qui s’attriste ou qui chante plus qu’elle n’examine, qui s'inquiète peu d’avoir conscience d'elle-même, et qui au contraire s’effraie peut-être, comme d’une profanation, de cette recherche audacieuse ? Donc les difficultés de ce premier travail sont énormes : rareté de la réunion des deux facultés indispensables pour l’entreprendre ; incompatibilité directe de leurs fonctions, et nécessité de procédés moyens ; enfin subtilité excessive de la matière, c’est-à-dire obstacles dans l’objet et obstacles dans le sujet, considérables dans le premier, presque radi- caux dans le second; voilà la tâche périlleuse que doit ac- cepter l’auteur qui voudra tenter ce travail. Il faut être à la fois philosophe et poète, artiste et métaphysicien. Mais dl ef DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES, Me "| enfin cette combinaison se trouve. Reste à savoir si l’utilité sera en raison de la fatigue, si l’on pourra exprimer ce qu’on aura découvert dans ces régions inconnues, ou si, l'ayant exprimé, on pourra le faire comprendre, je ne dis pas du vulgaire, mais de son siècle. Reste à savoir si, dans les abi- mes de l’invisible, celui qui découvre un nouveau monde ne doit pas y planter un drapeau perdu , et, comme Achille, dé- vorer son cœur solitaire. Reste à savoir si les plus grands pro- blèmes qui aient été devinés sur cette terre n’ont pas dû demeu- rer enfouis dans le cerveau qui en avait trouvé la solution , et si les plus profonds penseurs, ceux dont la main a levé le plus grand coin du voile et l'œil contemplé le plus de mystères , n’ont pas dù, comme la prophétesse d'Ilion, reporter avec désespoir vers le ciel ce que les langues des hommes ne pou- vaient pas exprimer, ni leur intelligence saisir. Mais laissons cette triste pensée, et, sans vouloir pénétrer si avant dans les racines inaccessibles de la poésie, recherchons ce qu'indique la seconde partie du titre de notre ouvrage : Ma- tière de la Poésie chrétienne. Le travail qui précède a déterminé une faculté ; il s’agit maintenant de lui faire son champ d'activité, de lui donner moyen de se satisfaire et de se manifester, en un mot de lui trouver sa nalière. Tel doit être l’objet de la seconde partie ; elle est encore toute théorique, et ne fait qu’ouvrir à l’art ses diverses carrières. La troisième, au contraire, comme nous le verrons plus loin, sera toute d'application ; elle descendra dans chacune de ces carrières, afin d'étudier les monuments positifs qu'y a laissés la poésie chrétienne. Mais revenons. Quelles sont les issues de la poésie? Par quels moyens étan- che-t-elle sa soif de création ? Quelle matière, si l’on veut, met- elle en œuvre et forme-t-elle à exprimer ses conceptions ? Ces issues , ces moyens sont fort nombreux; mais il en est quatre qui dominent tous les autres, ce sont : le langage , les sons, les couleurs et les formes. Par eux la poésie a fait des merveilles, 222 LE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, elle à révélé des trésors. Par eux, à chaque époque, l’âme des artistes et des peuples s’est soulagée de tous les secrets qui l’op- pressaient. La nature inerte elle-même, travsfigurée, s’est mise à servir l’homme et à respirer ses passions : la toile, la pierre, les couleurs se sont animées et ont raconté ses douleurs ou ses joies: le métal et les cordes ont chanté ses triomphes ; l'architecture, la sculpture, la peinture, la musiqué et les vers ont exprimé, sans l’épuiser, tout ce qu'il y avait d'enthousiasme, d’admiration, de fierté, de mélancolie, d’énergie ou d'amour dans le sentiment poétique de chaque âge. Mais quand le christianisme est venu changer le sens de la vie en substituant un seul mot à un autre, l’éternité au temps, l'inspiration, pour s’élever avec lui vers les cieux, a dû aussi remplacer un ancien mot par un nouveau, le fini par l'infini. Toutefois, en transformant l'inspiration, la poé- sie chrétienne n’a pas changé les matériaux. C’est toujours le méme corps, elle n'a que métamorphosé l’âme. C’est peu que d’avoir indiqué généralement les divers modes de manifestation de la poésie chrétienne. L’auteur devra, en outre, examiner chacun d’eux en détail, indiquer sa naissance , ses ressources et la valeur de son résultat, c’est-à-dire la dose proportionnelle de poésie que chaque mode peut exprimer. Comparer sous ce point de vue la musique , la peinture, l’ar- chitecture, la sculpture et la poésie proprement dite, serait d’un intérêt profond. Savoir lequel, des formes, des couleurs ou des sons, rend le plus de sentiments et d’idées, et satisfait le plus complétement le besoin esthétique ; lequel pénétre le plus intimement dans la nature du beau ; déterminer la sphère dé- parte à chacun d’eux, leurs limites respectives, leurs in- fluences réciproques, leurs sympathies et leurs antipathies ; établir leur ordre d'importance, et discuter à nouveau les titres de la poésie proprement dite à la primauté : voilà, certes, de quoi fournir à bien des méditations intéressantes et à bien des trouvailles peut-être. La matière de la poésie chrétienne est un sujet plus accessible et plus attrayant, sinon plus riche, DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 2 que celui du principe. — Passons maintenant au dernier point. Des produits ou des formes. C’est, comme nous l’avons dit, la partie historique ou pratique. Elle embrasse un champ im- mense, l’histoire de chacune des cinq branches que nous avons conslamment envisagées dans les peuples chrétiens. C’est la plus vaste en étendue et la plus positive pour l'instruction. Aussi à elle seule, méme en négligeant tout ce qui n’est pas de première importance, demanderait-elle des recherches ei des travaux presque impossibles, si, heureusement pour l’auteur, le nombre des époques chrétiennes et des artistes chrétiens n’é- tait infiniment moins grand que la chronologie ou l’histoire de l'art ne pourraient le faire craindre d'abord. Quoi qu’il en soit, l'histoire et l'appréciation des monuments de la poésie, de la musique, de l'architecture, de la sculpiure ei de la peinture, où l'inspiration chrétienne entre pour quelque chose , tel se- rait, ce nous semble, l’objet de la dernière partie de l’ouvrage annoncé par Mr. Rio. Cette rapide esquisse, bien insuffisante pour le sujet, est suf- fisante cependant pour faire entrevoir au lecteur ce qu'il doit attendre de l'écrivain. Au reste, nous l'avons abrégée à dessein pour ne pas accabler ce dernier sous le poids de nos exigences, ni distraire trop longtemps le lecteur de ce qui l’intéresse sur- tout, l'analyse du volume en question. Il ÿ aurait, d’ailleurs, par trop de cruauté à sacrifier au profit d’une critique maligne les intérêts de ce beau et remarquable volume qui, comme nous le verrons, mérite bien plus d’être admiré que censuré. Mais, à vrai dire , nous craignons qu'on n'ouvre de grands yeux quand nous dirons que tout ce que nous devons y cher- cher d'après le titre et tout ce qui nous a bien réellement paru devoir y être renfermé, c’est la description non de ce qu’il contient, mais de ce qu'il contiendra. En eflet, que renferme ce volume? L'Histoire de la peinture chrétienne en Ilalie avant la Renaissance , en d’autres termes une fort petite par- tie de l'histoire de la peinture chrétienne qui, prise tout en- 224 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, tière, n'est qu'une des cinq formes de l’art, lesquelles toutes ensemble ne composent, par leur histoire, qu’une des trois divi- sions de notre sujet. Ce volume n’est donc et ne peut être, dans les idées de Pauteur, qu'un travail spécial, un recueil de notes précieuses sur un point important. Car de deux choses l’une, ou Mr. Rio n’a jeté là qu’une des pierres de l'édifice en se proposant de lui adjoindre successivement toutes les autres, ou il a voulu sous ce titre imposant glisser et faire lire ce qui n’était qu’un tout petit côté de la question. Cette supercherie étant souverainement improbable, vu le caractère élevé de l’auteur , il ne nous reste par conséquent que l’autre alterna- üve, celle qu'il a donné là un spécimen de ses vues et de ses études. Accepions-le comme tel, et examinons-le. Comme tou se tient dans une œuvre sévère, el que l’énonciation d’un seul ju- -gement suppose et nécessite une doctrine complète, nous pour- rions, appliquant ici la logique de Cuvier, avec le fragment que nous tenons, essayer de recomposer tout le système orga- nique dont il descend, et faire ainsi, bon gré mal gré, à Mr. Rio, la niche de lui apporter sa théorie avant qu’il lait formulée lui-même, Mais c’est une recherche pénible, toujours hypothétique quand elle s'applique aux œuvres humaines, parce qu’il n’y a que la nature d’absolument logique ; ainsi nous la laisserons dans son domaine des fossiles qui seuls peuvent la payer de sa peine, nous rappelant d’ailleurs qu’on ne rend ce service qu'aux morts, et que Mr. Rio a encore heureusement la faculté de parler pour son compte. Prenons enfin son livre. La scène s'ouvre en plein sujet, Nous sommes transportés immédiatement au berceau de l’art chrétien, aux catacombes. Une page seulement nous indique, au début, le dessein de l’auteur et l’esprit qui l'a dirigé. Elle est importante, transcri- vons-la. & Quand on parle des destinées de la peinture comme forme de la poésie chrétienne, le point de vue diffère considérable- DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 225 ment de celui où l’on se place pour faire celui des arts du des- sin, histoire fort intéressante sans doute, mais qui, de la ma- nière dont on l’envisage communément, ne donne que des ré- sultats vagues et superficiels. En effet, s’il ne s’agit que d'imiter plus ou moins bien la nature par des lignes et par des cou- leurs, qu'importe au bonheur ou à la dignité de l’espèce hu- maine, que cette imitation ait été grossière dans un siècle et admirable dans un autre ? Au contraire, quand on considère la peinture dans les phases qu’elle a parcourues, comme l’expres- sion imparfaite, il est vrai, mais progressive, à laquelle ont dû recourir les peuples modernes avant que leurs langues fussent formées ; quand on réfléchit que c’est là, dans ces œuvres si informes , qu'ont été déposées les impressions les plus fortes et les plus pures de leur cœur, ainsi que les créations les plus naïves de leur imagination ; quand on pense qu’il était dans leur espérance et dans leur intention que ces monuments, dé- daignés par nous, fussent immortels et rendissent à jamais té- moinage de leur enthousiasme et de leur foi, alors on devient moins difficile sur les divers genres de mérite dont la réunion constitue ce qu'on ést convenu d'appeler un chef-d'œuvre, et l’on commence enfin à négliger un peu la surface des choses, afin de pénétrer plus avant dans leur nature. C’est sous ce point de vue nouveau pour la plupart de mes lecteurs que je me propose d'envisager mon sujet. » Mr. Rio se classe, par ces lignes, dans la noble école qui s'efforce de nos jours, en France, de réveiller les croyances évanouies, et d'imprimer à l’art et à la science une impulsion - salutaire, en les invitant à se retremper aux vraies sources, à . sortir du camp des idées matérialistes ou panthéistes, et à re- venir à cette bannière chrétienne qui est celle du vrai progrès et de la vraie civilisation. Mr. Rio , pour sa part, apporte dans ce volume l'histoire de ce qu'a produit en peinture le génie chrétien, livré à ses seules forces ; avant qu'il ait rencontré dans sa marche la fatale épo- 226 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, que, où, l'esprit s’affaiblissant dans son sein, il a chancelé dans sa voie , oublié sa céleste mission , et contracté avec le paganisme et le beau matériel la déplorable alliance qui l’a fait déchoir des sublimes hauteurs auxquelles il était appelé. Après trois siècles il commence tardivement à rejeter les yeux en arrière vers ces hauteurs abandonnées, mais sans espérance d'en regagner les cimes avant qu’une révolution profonde, par laquelle il sur- montera la nature après se l’être assimilée, le ramène dans sa vraie carrière, agrandie alors de toutes ses dernières conqué- tes , et épurée par ses glorieux combats. La lutte de l'esprit contre la forme, de l'idéalisme chrétien contre le naturalisme, c’est-à-dire au fond , de l’invisible contre le visible, voilà l’idée qui donne à ce fragment d'histoiré un intérêt tout dramatique. On suit les chances de la mêlée avec une sollicitude véritable , et c’est avec émotion, presque avec douleur, qu’on assiste à la défaite de l’invisible lors de la résur- rection du paganisme au seizième siècle, âge trop vanté sous le nom de Renaissance, qui nous a plus ôté peut-être qu'il ne nous a donné, et qu'il faudrait maudire, si l’on ne conservait l’ar- rière-pensée que cette disparition n’est qu’une éclipse, et qu’il n’est désormais au pouvoir d'aucune époque, tout égarée qu'elle puisse être , d’éteindre complétement l'esprit que le monde mo- derne recèle , et qui ne doit pas périr. Le premier chapitre est une revue rapide des phases de la peinture dans les douze premiers siècles de notre ère. C'est l'antiquité et le moyen âge chrétiens, car l'art moderne ne commence proprement qu’au treizième siècle. La foi chrétienne s’aida de l’art dès son berceau , elle lui confia ses souvenirs et ses espérances, et lui demanda un appui contre le martyre. Mais pour ne pas livrer aux blasphèmes des persécuteurs le secret de sa force , elle dut symboliser sa pensée, De là les cycles d’allégories bibliques, lettre d’or pour le fidèle et lettre close pour le paien, qui tapissent les murailles des catacombes. Les dogmes de la chute, de la pénitence, de la DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 227 rédemption, de la nouvelle naissance, de la résurrection , se voilèrent sous des emblèmes mystérieux mais significatifs. La colombe rentrant dans l’arche, le phénix renaissant de ses cendres , Jonas sortant du ventre de la baleine, l’eau changée en vin, Daniel dans la fosse aux lions , les trois hommes dans la fournaise, Job dans ies tombeaux de ses fils, le bon ber- ger rapportant la brebis perdue, rappelèrent aux croyants ce qu'ils devaient souffrir et ce qu’ils devaient espérer. L'idée était tout, et la forme encore rien. Du reste, ces images portent peu de traces de l’histoire con- temporaine. On ne reconnaît l’époque du martyre qu’à son cri plus ardent d’espérance; une omission sublime dérobe l’agonie des victimes et les crimes des bourreaux. L’orgueil, même celui de l’héroïsme, aurait été un péché. Les catacombes n’ont point de représentations de martyres. Une seconde période commence à Constantin. L'Eglise sort des cryptes et des souterrains, elle est victorieuse , elle a sou-. mis l'empire. La peinture s’exerce alors sur une grande échelle ; au lieu de voûtes obcures elle a les parois des temples, au lieu d’énigmes et de paraboles elle a des réalités et des triomphes. La couleur périssable est échangée contre la mosaïque éter- nelle. Tout retentit de chants de victoire. Le labarum avec le fameux /n hoc signo vinces est planté sur toutes les ba- siliques. Les splendeurs de l’Apocalypse ont rejeté dans l’ombre les humbles joies de l'Evangile. Christ règne entre Pierre et Paul, les deux bras qui lui ont conquis le monde. L'idée n’est plus tout, comme dans les catacombes ; elle commence à chercher la forme. Mais celle-ci est encore bien grossière, elle participe de la décadence contemporaine. Néanmoins l’idée la relève d’une manière indéfinissable ; car, selon l’aveu de Gbhirlandajo, le maître de Michel-Ange, le style de cette époque est grandiose, solennel, et vraiment fait pour l'éternité. La mauvaise technique ne peut donc étoufler lesprit, quand celui-ci est vivant : celle remarque est d’une immense portée. 228 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, Mais Constantin, en abandonnant Rome, abandonne les desti- nées de l’Occident. Byzance est trop près de l’Asie, pour comprendre longtemps l’Europe. Un déchirement, un schisme est inévitable, dans les esprits plutôt encore que dans la politi- que. En effet, il se fait peu attendre. Un siècle à peine s’est écoulé qu’un profond antagonisme se manifeste déjà entre les deux génies. C’est l'art qui en donne l’occasion, et les évéques des deux Eglises préludent par une question d’esthétique à des con- troverses plus importantes. [l s'agissait du type artistique de Jésus-Christ. L'Eglise grecque, par la bouche de saint Cyrille, et de saint Basile, et malgré saint Jean Chrysostôme et saint Grégoire de Nysse, prononce que le Christ a été le plus laid parmi les en- fants des hommes, ce qui rend le mystère de la rédemption plus sublime. «Ainsi, comme le remarque l'auteur, ce sont les Grecs, les descendants de ceux qui avaient si bien conçu le beau, qui l'avaient si vivement senti et si magnifiquement réalisé dans leurs œuvres d’art, c’est ce même peuple qui repousse le beau élevé par l'incarnation du Verbe à sa plus haute puis- sance. » Ils méconnaissent la voie de l'avenir, et de ce mo- ment, l’art demeure cristallisé, quoique vivace, dans l’Eglise byzantine, « cette veuve en deuil, assise immobile au bas de l'échelle du progrès *. » L'art s’y maintient des siècles ; mais froid, stérile et sans marcher d'un pas, comme les statues gla- cées de l'Egypte. Le Bas-Empire sophistique s'immobilise par impuissance, comme l'Asie sa voisine par respect pour les sym- boles sacrés. L'Eglise latine, au contraire, grâce à l’éloquence de saint Augustin, de saint Ambroise et de saint Jérôme, propose le Sauveur aux artistes comme le modèle le plus merveilleux de la beauté humaine, et dès lors «le choix de cette partie du monde est irrévocablement fixé. » Les Grecs se torturent pour le laid, et les latins s’élancent vers le beau. ‘ Cyprien Robert. Essai d'une philosophie de l'art, page 817. dns te SE D SC ST mn + . DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 229 Il en est de méme pour le type de la Vierge. De là deux éco- les, l’école romano-chrétienne, et l’école byzantine. Celle-ci fut d’une fécondité excessive, ou si l’on veut, d’une « stérile abondance ». Ses peintures envahissent les palais après les églises, et jusqu'aux toges des sénateurs. Mais elle tend à allé- goriser et à subtiliser sans fin, tellement qu’un concile, le con- cile quinisexte de l’an 692, en prend peur, et doit frapper de réprobation cettetendance, tout en donnant, en matière d’art, des conseils très-orthodoxes. Cette école dure jusqu'à la prise de Constantinople, c’est-à-dire jusqu’au quinzième siècle, pres- que sans progrès visibles, mais profitant avidement de toutes les catastrophes qui arrêtent fréquemment la course de sa rivale, pour s’introduire en ltalie et tâcher de reconquérir ce pays à ses propres doctrines. L'école romano-chrétienne a des destinées bien plus variées. À travers tous les débris amoncelés par les barbares, sa flamme mal étouflée reparaît toujours ; et c’est un glorieux signe de vi- talité pour elle, que de la voir briller d’un certain éclat à la cour de Théodoric, le roi des Visigoths, décorer Pavie, Monza, Ravenne, puis, sous Théodelinde et Astolphe, retracer les exploits des Lombards, tout en cédant le pas à l’architec- ture. Deux invasions terribles la menacent dans sa marche : lune, de Justinien au sixième siècle, brise pour un temps le fil de ses vieilles traditions; l’autre, au huitième siècle, celle de Léon l’Iconoclaste, soulève toutes les passions nationales, Le pape Grégoire se met à la tête d’une croisade vraiment ita- lienne pour les saintes images dont Léon à juré l’anéantis- sement ; les femmes prennent le sac et la cendre, et l’escadre “et l’armée impériales sont détruites. Naples seule a pris parti contre l'Htalie ; elle sera punie par où elle a péché ; elle tom- bera sous l’art byzantin, et n’aura presque aucune part à la gloire qui attend les autres cités de la péninsule. Cette guerre a échauffé tous les cœurs, Venise et la Lombardie en recueillent de beaux fruits, et le pape Adrien I proclame définitivement la condamnation des types byzantins. 230 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, Cependant l'an 1000 se dresse sur la chrétienté, L’enthou- siasme et l’imagination viennent mourir au pied de cette idée formidable, qui saisit alors les peuples de l'Occident, celle de la fin du monde. Le tombeau que cette année fatale semblait ouvrir à toute la race humaine, engloutit avec elle peinture et inspi- ration, Il y eut un vaste interrègne, où l’Europe prosternée at- tendit sans respirer. Quand elle se releva, elle sentit qu’un âge nouveau commençait. Un instinct mystérieux l'avertit qu'un monde remuait au fond de ses entrailles, et comme la larve qui entend la voix de la nature, elle se laissa dissoudre pour trans- mettre le don de l'existence à l'être inconnu que la Providence appelait, — C’est la crise de décomposition du moyen âge. Les idées, les langues, les mœurs du Nord et du Midi, antiques et barbares, sont jetées péle-méle dans le même creuset de feu, ei de tous ces éléments opposés et antipathiques va jaillir, sous la réaction divine du christianisme, une combinaison magnifi- que, la dernière création du Dieu de l’histoire, le monde mo- derne. Cette opération transcendante dure près de quatre cents ans, car le souverain alchimiste n'est pas pressé, il a pour lui les siècles. Dans cet intervalle s'éteint l’école romano-chrétienne. Les fresques pitoyables de saint Laurent-hors-des-Murs à Rome signalent, au douzième siècle, son dernier soupir. L'école by- zantine, qui échappait à la mort parce qu’elle ne devait pasre- naître plus belle, ressaisit alors en ltalie une place qui ne lui est plus disputée. Sur les débris de l'école qui vient de mou- rir, On voit reparaitre « les madones au teint noirätre, aux doigts pointus et démesurément longs, avec un enfant avorté sur les bras, le tout peint dans nn style qui ressemble beau- coup à celui des Chinois; ou bien des Christ en croix, qui sembleraient copiés de momies récemment exhumées, si les flots de sang qui coulent de chaque plaie, sur un corps verdâtre et déjà cadavéreux, n’annonçaient que la vie n’y est pas encore éteinte». On dirait que les types grecs reviennent pour ache- DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 231 ver la peinture italique. C’est le douzième siècle. Nous avons fini avec l’art chrétien ancien, et nous passons à l'art propre- ment moderne. Ecole germano-chrétienne. C'est le sang germanique qui a ressuscité le vieux monde; il contenait assez de vie et de jeu- nesse pour réchauffer le cœur appauvri de la civilisation romaine, et cest lui qui, après avoir brisé l’ancien moule, devait le premier en chercher un nouveau. C’est en effet ce qui est arrivé, quoiqu'on l'ignore d'ordinaire. Il est vrai que ces essais furent informes et que, pour cette raison sans doute, ils n’ont pas compté dans l’histoire de l'art. Mais notre époque, qui est celle des origines, a fouillé dans cette poudre oubliée, pour rendre justice à ces premiers efforts créateurs, dont les âges suivants ont profité sans leur témoigner la recon- naissance qu'ils méritaient. Des recherches de Rumohr, savant berlinois, il est résulté que dès le sixième siècle la Germanie et la Gaule ont eu des artistes nationaux, indépendants des influen- ces et des exemples byzantins. Ces écoles, douées d'une vie originale, ont laissé peu de vestiges ; mais il n’est pas moins juste de tenir compte de leur existence, puisqu'elles ont été d'honorables avant-courrières des écoles de la renaissance ita- lienne, qui, si elles ont devancé les premières-en perfection, les ont de beaucoup suivies dans le temps. Consacrons-leur donc quelques lignes. Deux vers du poète-évêque de Poitiers, Fortunat, consta- tent en b75 les succès remportés par un artiste barbare sur des rivaux venus de Rome : Quod nullus veniens Romanä gente fabrivit Hoc vir barbaricä prole peregit opus. À la même époque, l’illustre évêque Grégoire de Tours, Vhistorien des Francs,.nous apprend lui-même qu’il préféra, pour décorer ses églises, des peintres nationaux. Voilà done, dès le sixième siècle, l’école germano-chrétienne. 282 DE LA POËSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, Charlemagne lui donne une nouvelle impulsion. Considé- rant la peinture comme un enseignement religieux plus efficace que celui de la parole, il l'emploie à la conversion des Saxons idolâtres, Son oratoire de camp est entièrement peint de sujets propres à nourrir sa dévotion, ct dans une lettre à Offa, un des heptarques de l’Angleterre, il Pinvite à se servir de la pein- ture à cet usage. Quelques restes de cette époque nous ont été laissés dans d’inappréciables manuscrits ornés de miniatu- res, dispersés dans les premières bibliothèques de l’Europe, Rome, Munich, Vienne, Rouen, et dont le Bénédictional du moine Godemann paraît être le chef d'œuvre. Le fameux monastère de Saint-Gall tient le premier rang au neuvième siècle ; il est une école centrale de beaux-arts, car toute une strie de noms célèbres sort de ses murs : Sintramne, Modestus, Notker, et surtout Tutilon, qui est à la fois peintre, poète, musicien, ciseleur et statuaire, simple moine, qu’on ré- compense par l’épiscopat de Liége. L'Allemagne, enfin, nous fournit dans les villes du Rhin, à Hildesheim, Paderborn, etc., plusieurs évêques-peintres qui embellissent d’une main l'église qu'ils consacrent de l’autre. Ce luxe devient un besoin universel et même une passion. En vain les moines de Citeaux et plus tard saint Bernard s’élèvent- ils contre cette tendance mondaine. Leur voix est couverte par l’acclamation générale, que le synode d'Arras ( 1205) consa- cre en déclarant, que les peintures élaient le livre des igno- rants qui n’en savaient point lire d'autres. Tel est, au com- mencement du treizième siècle, l’état artistique des pays sous- traits à la décadence méridionale. Résumons les caractères de l’école germano-chrétienne : 1° Indépendance et précocité de son développement. 2° Tendance instructive et historique, plutôt que mystique. 3° Grande supériorité de ses produits, du neuvième au trei- zième siècle, sur les œuvres contemporaines des ltaliens et des Byzantins. .* H appartient actuellement au duc de Devonshire. DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 233 Enfin deux découvertes précieuses signalent l’activité de sa vie, et servent à dérober ses œuvres aux influences délétères des climats du Nord: la tapisserie envisagée comme objet d'art (car l'Orient la connaissait comme meuble de luxe) et la peinture sur verre. Cette dernière invention appartient sans contestation à la France, qui à ainsi la gloire de contribuer pour beaucoup à la majesté des cathédrales, et aux saintes im- pressions du culte chrétien. Remarquons que c’est toujours en vue de la religion et pour la religion, que se sont faits à cette époque les efforts et les découvertes artistiques. La foi est le centre vers lequel gravitent les intelligences, et la foi les sert bien. C’est ce qui fait rentrer tout ceci dans notre sujet. Ici se termine le premier chapitre. Nous n’avons pas craint de l’analyser en détail, parce qu'il nous a semblé que la matière était intéressante et peu connue. Dorénavant nous serons plus brefs, car des numéros précédents de ce journal ont parlé assez longuement de l’origine de la peinture italienne, en ren- dant compte des premiers volumes du grand ouvrage, dans le- quel le professeur Rosini travaille encore actuellement à ne rien laisser à dire après lui. Notons seulement que la publication de Mr. Rio est de 1836, et que ses recherches conservent par conséquent leur originalité vis-à-vis de Mr. Rosini. — Suivons Ja narration. » D’après Mr. Rio , l'honneur véritable de la renaissance ita- lienne appartient à la ville de Sienne, et non à Florence ni à Pise, car Giunta de Pise, servile copiste des Byzantins, ne put réussir à fonder une école, et Florence ne produisit Cimabué et André Tafi qu’au quatorzième siècle, tandis que école de Sienne avait commencé à briller près de- 60 ans auparavant. N'oublions pas que Sienne avait écrasé Florence à la bataille de Monteaperti (1260) , et que dans tout le treizième siècle c’est elle qui joue le beau rôle. Citons pour mémoire Guido de Sienne , Bonamico , Parabuoi, Diotisalvi, Duccio ; rappelons ‘en passant les corporations que formèrent les peintres , et si- XLI 15 234 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, gnalons les trois plus éminents représentants de cette école, les deux Lorenzo et Simon Memmi , qui tous trois ont laissé des fresques au Campo-Santo de Pise. Les Lorenzo affectinnèrent les Pres des Pères du désert et de saint Jérôme en particulier; ils essayèrent les premiers le paysage pour fond des composi- tions. Memmi fut lié avec Pétrarque, qui, en récompense de son portrait de Madonna Laura, Va immortalisé et égalé à Giotto. Hâtons-nous d'arriver à l’école florentine, qui fournit une bien plus longue carrière. Laissons de côté Fidanza et André Tañ, et ne nous arrêtons qu'à Cimabué. Son vrai mérite est aujourd’hui remis en ques- tion, en dépit de l'opinion vulgaire, qui en fait partout im- perturbablement le premier anneau de l’histoire sacramentelle des arts. Voici comment Mr. Rio le juge : « Il suffit de voir le petit nombre d’ouvrages qui restent de lui, pour juger de la fidélité presque servile avec laquelle il crut devoir se conformer aux types dégénérés de l’art byzantin , au-dessus desquels il ne s’éleva quelquefois que par la manière de traiter les parties ac- cessoires , par le ton plus clair des chairs et par le caractère un peu plus noble des physionomies. » Et il. ajoute : « Tout cela pouvait servir à parer la momie dans son cercueil; mais au lieu de cette vaine parure il fallait rompre ces langes, briser sans retour tous ces types sans relief et sans vie, et préluder ainsi à la résurrection d’un art nouveau , qui fût aussi indépen- dant dans sa marche que l’avait été l’art antique. » Qui donc sera le régénérateur de la peinture? À qui est-il réservé de briser les entraves de la tradition byzantine ? Au berger Giotto. Des faits décisifs le prouvent, et Ghiberti déjà lui rendait ce témoignage : « Il changea l’art grec en art laun, et commença la peinture moderne, Rimuld l’arte di dipignere di greco in latino , e ridusse al moderno. » Le témoignage est éclatant et probablement sans réplique. L’appréciation du rôle de Giotto, du caractère de son talentet de son esprit, est faite par Mr. Rio d’une manière piquante et fon- DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 235 dée sur les sources : « Son mérite négatif, dit-il, consiste dans la destruction de certains types, supérieurs à bien des égards à ce qu’il y a substitué lui-même, mais incompatibles avec les belles destinées qui attendaient l’art moderne. Son mérite positif consiste principalement dans la partie techniqueet dansle coloris, qui est beaucoup plus clair et plus transparent qu'il ne l’avait été jusqu'alors dans l’école de Florence et surtout dans celle de Sienne, où il y avait quelque chose de plus plombé dans les ombres et de plus jaunâtre dans la lumière. » Quant à son ca- ractère : « Une des nouvelles de Sacchetti, où Giotto figure comme un personnage amusant et joyeux, très-fécond en re- parties heureuses, jette une grande lumière sur le caractère personnel de cet artiste... Toutes ses réponses dénotent une inteigence claire et froide, un esprit pénétrant et observateur, qui est loin de dédaigner le positif de la vie. Son petit poème contre la Pauvreté volontaire est marqué de la même em- preinte. » Enfin il y avait à défendre Giotto contre une inculpation sé- rieuse , qui s'étayait sur les principes mêmes desquels part Mr. Rio. Aussi ce dernier s’y prend-il avec beaucoup d’adresse pour la réfuter : « Je ne reprocherai pas à Giotto, avec Mr. Rumobr (l’accusateur en question), d’avoir donné à l’art une direction presque profane, et de l’avoir fait descendre dans les relations purement humaines (l’accusation dont il s’a- gi), car 1° la révolution produite par Giotto appartient à ce grand mouvement d'indépendance par lequel l'architecture mo- derne s’affranchissait du joug classique, et à l’époque où, par suite d’une émancipation encore plus importante, l'empire des langues vulgaires venait d’être universellement reconnu. « 20 Il y avait incompatibilité, comme nous l'avons dit , en- tre les types byzantins et les destinées qui attendaient l’art mo- derne ; il fallait donc les briser avant tout. « 3° On ne voit pas qu’en s’écartant ainsi hardiment des modèles reçus, il ait scandalisé aucun des graves personnages 236 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, de son siècle, puisqu'il compte parmi ses admirateurs Pétrar- ._ que, le Dante, Boccace et Jean Villani '. » Après cette apologie, l’auteur, en pèlerin pieux, suit Giotto dans sa course réformatrice à travers toute l'Italie , et visite religieusement tous les lieux de son passage. Ils sont nombreux, car de Bari à Avignon il n’est pas une ville de quelque impor- tance où Giotto n'ait semé quelques germes féconds. Milan, Vérone, Ferrare, Urbin, Padoue, Ravenne , Lucques, Pise, Assise, Rome, Naples, Gaète le reçurent en triomphe et livrè- rent leurs églises au pinceau du missionnaire. Mais Florence fut le signe du zodiaque qui arrêta le plus longtemps ce soleil, et c’est là surtout qu’on peut trouver de quoi étudier le mé- rite intrinsèque de Giotto. Il paraît que le sujet qu'il traita avec prédilection fut la vie de saint François d'Assise, et l’auteur l’en félicite, car « nulle biographie de martyr ou de père du désert ne se prétait mieux que celle de saint François au développement du genre de mé- rèle que la peinture se propose plus spécialement d'atteindre, l'expression poétique des affections profondes de l'âme. » Son autre thème. favori c’est le Christ en croix, dont les Grecs avaient fait un objet de dégoût, et que Giotto commença à rendre plus pur et plus réellement émouvant. Nous n'avons pas à suivre les disciples de Giotto, qui pul- lulèrent dans toute l'Italie à un point incroyable, mais qui, par l'effet des habitudes serviles prises dans l’époque précédente, ne furent que de plates répétitions du maître, tellement qu’on ne peut les en distinguer. Nous nous concentrerons dans l’atelier de celui-ci, à Florence, et nous ne mentionnerons dans son école que les quatre ou cinq peintres qui ont eu quelque origi- nalité. Ils occupent les trois premiers quarts du quatorzième siècle, époque après laquelle l’art change de direction et où finit l’école de Giotto. » 1 Nous nous sommes permis de rassembler en forme d'argument des considérations éparses dans le cours du récit. DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 237 Ce sont : Stefano, qui tenta le raccourci , et fit le premier sentir le nu sous les draperies. Taddeo Gaddi, le Benjamin de Giotto, son filleul et son dis- ciple bien-aimé , qui introduisit plus de fraicheur et de vivacité dans le coloris. (Son fils, 4gnolo Gaddi, ne fut qu’un marchand d’art.) Jean de Melano, réhabilité par Rumobhr, sut donner plus d'agrément au style et au dessin des formes. Giottino, en animant ses figures par la grâce et le mou- vement, autant qu’en trouvant l’harmonie des couleurs, eut la gloire de faire pressentir Masaccio. Antoine-le-Vénitien, fit la meilleure peinture de l’immortel Campo-Santo ; mais il renonça malheureusement à la gloire pour l'étude des plantes médicales. Enfin le célèbre Orcagna, prototype de ces génies vastes qui fécondent tout, fut le Michel-Ange anticipé du quatorzième siècle. Admirateur passionné du Dante , il fut maître à la fois dans les trois arts du dessin , et comme Michel-Ange encore, il eut le temps d’être poète dans ses moments de loisir. Fier, original, indépendant, sa main puissante ouvrit à l’art une ère nouvelle et ferma l'école de Giotto. La Divine Comédie exaltait alors tous les esprits, et les neuf cercles de l’enfer passaient à l’état de légendes presque du vi- vant même de l’immortel Florentin. « Là se trouvait tout un système de créations idéales , qui ne pouvait manquer de faci- liter à Part son essor vers les régions supérieures. » Aussi nous en verrons bientôt le résultat dans l’école Ombrienne En attendant, résumons les progrès faits pendant la première période de l’école florentine : Sujets : les types byzantins sont remplacés par des légendes modernes , celle de saint François en première ligne. — Com- position : elle n’a encore rien de dramatique , elle est toute de contemplation et de repos. — Technique : il ya eu améliora- tion sensible dans toutes les parties, dans la couleur, le des- 238 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, sin, la liaison des groupes, la perspective, et l’on en est à chercher l’expression de la figure. — Etendue : toute l'Italie envoie sa jeunesse dans les ateliers florentins ; il.y a échange perpétuel d’artistes et communauté de travaux. —Enfin inspi- ration : elle est toute chrétienne, l’art est considéré comme un sacerdoce par les peintres eux-mêmes : « Nous autres peintres, disait Buffalmacco , élève de Giotto , nous ne nous occupons d’autre chose que de faire des saints et des saintes sur les murs et sur les autels, afin que par ce moyen les hommes, au grand dépit des démons , soient plus portés à la vertu et à la piété. » Et dans cet esprit-là, on n’est pas étonné de les voir se réunir périodiquement per rendere grazie e lode a Dio. L'instinct leur avait dit, à ces artistes naïfs, ce qu'une ana- lyse profonde fait découvrir, et ce que des millions d’exemples ont consacré], c'est que la science de l’art n’est qu’un vête- ment mort quand la foi intérieure ne l’habite plus. Cette foi en l’œuvre, cette sincérité d’enthousiasme et de conviction est la flamme tremblante que menace toujours d’éteindre le vent empesté du doute, et que doit défendre à tout prix et de ses deux mains l'artiste qui veut doter son œuvre de vie. En effet, à elle seule il a été donné d’assurer l’immortalité ; elle est le seul pouvoir devant lequel recule parfois la mort, et en qui elle reconnaisse un principe plus fort qu'elle. Aussi cette pre- mière génération de peintres , pour entretenir dans leur cœur cette exquise pureté d'imagination qui devait assurer leur suc- cès, avait recours à la prière; et c’était, certes, entendre avec profondeur les intérêts du vrai beau. C’est également à cette manière de voir qu’on doit « la merveilleuse unité de cette épo- que, où tous les genres d'inspiration découlaient de la même source , et concouraient instinctivement au même but. » Quel- les magnifiques destinées n’attendaient pas l’art chrétien s’il avait su conserver cette unité de développement, qui lui ga- rantissait un progrès indéfini sans méprise ni rétrogradation ! Mais voici venir la seconde période de la peinture florentine, DANS SA MATIÈRE ET DANS SES FORMES. 239 celle qui correspond à l’époque de la Renaissance. Si elle a de grands noms à signaler, elle accomplit le divorce que Mr. Rio déplore , et que pour notre part nous croyons inévitable. Nous le croyons inévitable, parce que c’est l’éternelle opposi- tion que reproduisent tousles temps. Il y a deux espèces de génie, deux natures d’inspiration, comme il y a deux philosophies, comme il y a deux grands faits universels, la matière et l'esprit, le visible et l'invisible, le mondeet Dieu. Peut-on prétendre qu’a- près Platon il ne naisse point d’Aristote ? qu'après le spiritua- lisme ne vienne pas le sensualisme ? C’est la loi de la nature ; chacun penche vers un de ces domaines, chaque esprit, cha- que époque tendent plutôt vers l’un de ces principes, et c’est de cette lutte que naît l'harmonie , le balancement , l’équilibre du genre humain. L’humanité, comme un immense navire, oscille sans cesse entre le fini et l'infini ; le vent qui remplit ses voiles paraît souffler tantôt de la droite , tantôt de la gauche, mais le vaisseau penché sur l’un des deux abîmes accomplit néanmoins ses pénibles bordées , et chacune d’elles, qui dure un siècle, est pourtant un pas vers l’éternité. Le penseur solitaire qui tient le compas, gémit et murmure de voir faire tant de chemin pour avancer si peu. Il demande compte au pilote de ses voies, ou bien il crie à l'humanité qu’elle s’égare. C’est une impiété ou une erreur. D'un côté l’humanité doit peut-être avoir épuisé toutes les alternatives avant d’atteindre à l’absolue vérité, afin que, quand elle la tiendra, elle la tienne bien. De l’autre, la vérité est le secret de Dieu; elle est le point fatal de l'horizon d’où le vent souffle et où malgré cela nous devons tendre; et voilà pourquoi les bordées du na- vire sont tellement obliques. La vérité est la flamme divine qui attire et qui repousse, qui invite à s'approcher et qui brûle celui qui approche; et l’humanité, comme un moucheron, est peut-être condamnée à venir toujours y essayer ses ailes, sans jamais pouvoir la posséder, tant qu’il lui restera l’élément gros- sier de la matière, et qu’elle ne laura pas transfiguré au feu de l’esprit pur. 240 DE LA POÉSIE CHRÉTIENNE DANS SON PRINCIPE, ETC. Quoi qu'il en soit; la loi de l’antagonisme, du dualisme, que nous venons de reconnaître, ne pouvait manquer de se manifester dans l’art, et c’est ce dont nous allons nous convain- cre en étudiant la peinture italienne dans la période où nous entrons. C’était trop attendre de l’humanité, que de croire qu’elle resterait sans fin dans l’extase du christianisme, et qu’elle était lancée dans la route de l'esprit pour tout jamais. Les sens asservis devaient réclamer, la croyance s’affaiblir , la vie intérieure pâlir, et le monde-extérieur , qu’avaient éclipsé si longtemps les rayons éblouissants de la foi, reparaître au grand jour. En effet, au quinzième siècle, l’art qui auparavant marchait les yeux toujours levés au ciel, abaisse son regard vers la terre, et, enivré des merveilles de la nature qu’il n’avait pas encore aperçues, proclame une autre espèce de beau. Le règne du naturalisme dans l’art commence. Alors aussi com- mence la résistance idéaliste, qui crée la suave et mystique école , pour laquelle probablement le volume de Mr. Rio a été fait, et dont nous constaterons avec soin l'existence et les admi- rables efforts. Nous comptons aborder de plus près cet inté- ressant sujet; mais nous devons nous borner pour aujour- d’hui, et réserver à un second article soit l'exposé de cette grande lutte qu’entrecoupe la révolution religieuse de Savona- role, soit l’histoire du premier âge de l’école vénitienne. Là se termine le volume de Mr. Rio , et nous nous arréterons avec lui, en donnant un regret à la brièveté du seul fragment qu’il ait jusqu'à présent publié. HRTTR ———— 2) © GR 2 re — 241 Statistique. DE LA POPULATION DE LA SICILE. ——— D © Cd) à EE Les progrès que l'administration publique a faits en Europe depuis un demi-siècle, ont permis de connaître avec une exac- titude inconnue naguère l’ensemble des grands faits sociaux, d'en étudier le caractère général, d’en rechercher les eauses si multipliées et si complexes. La nécessité, pour les gouvernements, de bien connaître, non- seulement le nombre des individus qu’ils sont appelés à régir, les éléments dont la population se compose, et son mouvement annuel, mais encore les points de contact de cette population avec les diverses branches des pouvoirs publics, a créé pres- que partout des administrations spéciales chargées de recueil- lir les documents statistiques, C'est ainsi que le roi de Naples a créé, par décret du 13 mars 1832, auprès de l’intendanee de chacune des vallées ou provinces de Sicile, un bureau chargé de recueillir la statistique provinciale, le tout sous l'in- spection d’une direction centrale dont la mission est de sou- _ mettre à des règles et à un type uniformes les travaux exécutés dans chaque province, de les réunir et disposer sous les points de vue utiles à l’administration, et, une fois ces préalables ac- complis, de les présenter au gouvernement. Les membres de cette direction centrale, qui ont la conscience de faire une œuvre de science en même temps qu'ils accomplissent un de- voir administratif, publient le résultat de leurs investigations dans le Giornale di Statistica, qui a commencé à paraître à l’imprimerie royale de Palerme, en 1836. Ce Giornale est à la … lois un recueil de documents officiels, et une revue périodique 242 POPULATION DE LA SICILE. où les rédacteurs viennent soutenir leurs doctrines économi- ques et sociales. Nous emprunterons d’autant plus volontiers à cet ouvrage les renseignements authentiques qui concernent la population de la Sicile, que cette population, mal connue dans les temps passés, ne l’a été qu’imparfaitement dans les temps modernes jusqu’à l'apparition du recueil qui va nous révéler son état pré- sent. Tous les auteurs s’accordent à nous représenter la Sicile comme un pays très-fertile et très-riche, plusieurs siècles déjà avant notre ère. Caton l’appelait le grenier de La république, la nourrice du peuple romain; Cicéron ajoute que, dans la guerre d'Italie, elle fut aussi le trésor, le magasin de tout genre de l’armée romaine". Pour produire avec tant d’abon- dance, pour avoir déjà amassé tant de richesses, il fallait qu’elle fût dès longtemps pôpuleuse. Mais n’allez pas demander aux historiens grecs ou romains des renseignements, même approximatifs, sur le chiffre que pouvait avoir atteint cette population, sur le développement auquel elle pouvait être parvenue. Ces détails sont étrangers au génie des temps anciens, ou du moins aux auteurs qui nous en ont reproduit l'histoire. La rigueur de la méthode statisti- que, telle qu’on la pratique aujourd’hui dans les Etats civilisés, aurait paru alors ou une choseinutile, ou une curiosité dépla- cée, ou un but impossible à atteindre. La précision arithmétique n'’était-elle pas, d’ailleurs, quel- que chose d’antipathique à ces imaginations poétiques, à ce tour d’esprit oriental, et partant un peu enclin à l’exagération? ! M. Cato Sapiens cellam penariam Reïpublicæ nostræ, nutricem plebis Romanæ, Siciliam nominavit. Nos vero experti sumus, Italico maximo, difficillimoque bello, Siciliam nobis non pro penaria cella, sed . pro ærario illo majorum vetere ac referto fuisse ; nam sine ullo sumptu nostro, coriis, tunicis, frumentoque suppeditato, maximos exercilus nostros vestivit, aluit, armavit. (Cicero. Accusationis in Verrem, lib. II, de jurisdictione Siciliensi, initio.) ER nn DCS OR ef PT OT PUR ne "4 POPULATION DE LA SICILE. 243 N'y a-t-il pas plus de gloire pour le vainqueur quand l’armée dont il a triomphé passait pour i#nombrable, que lorsqu'on en réduit l'effectif aux proportions déterminées, et peut-être un peu mesquines, de la réalité ? L’amour-propre national n’est-il pas plus flatté lorsqu'on dit que la flotte ennemie couvrait la mer, que lorsqu'on en compte minutieusement les voiles? Des phrases générales sur la richesse d’un pays, sa puissance, son immense population, ne sont-elles pas plus faciles à mettre en avant, que des évaluations basées sur des recherches positives ? Et dans un temps où la statistique n’était pas devenue une affaire de gouvernement, quel moyen avait-on de démentir l’exagé- ration intéressée d’un historien ? Tel est peut-être le secret d’un grand nombre de ces assertions péremptoires des auteurs an- ciens, que les modernes ont accueillies avec plus de respect pour l'antiquité classique, que de saine critique historique. Quoi qu’il en soit, les historiens grecs ne nous ont laissé que deux moyens d'évaluer l’ancienne population de la Sicile : Pun est le chiffre des habitants d’Agrigente, l’autre est celui des armées envoyées à diverses reprises pour conquérir la Si- cile, et de celles que les Siciliens leur opposèrent. Ces deux éléments sont bien insuffisants sans doute pour calculer la popu- lation de toute l’ile: voyons du moins si les auteurs nous les transmettent avec une concordance qui permette d'y ajouter une foi implicite. Le nombre des habitants d’Agrigente nous est rapporté par Diodore de Sicile et par Diogène Laërce. Le premier ( dans le XIILe livre de sa Bibliothèque historique) donne à Agrigente 200,000 âmes, étrangers compris ; le second (dans sa Vie du philosophe Empédocle) porte ce nombre à 800,000. On ne peut rejeter sur une‘question de date la prodigieuse différence entre ces deux évaluations, car toutes deux se rapportent au cinquième siècle avant notre ère. Lequel de ces deux auteurs devons-nous croire , celui qui énonce un chiffre quatre fois plus faible, ou celui qui en articule un quatre fois plus fort ? 9 »} 4+ POPULATION DE LA SICILE. Quant à nous, lorsque la discordance arrive à un pareil degré, nous n’adoptons ni l’une ni l’autre des deux opinions, nous ne cherchons point un chiffre intermédiaire entre elles, nous les rejetons toutes deux, préférant le doute à une pareille incerti- tude, aimant mieux nous borner à considérer Aprigente comme une grande ville dont il n’est plus possible d'apprécier l’an- cienne population, que de uous jeter dans des calculs imagi- naires en essayant de déterminer, d’après une base qui nous échappe, la population d’une grande île dont Agrigente n’était que l’une des cités. Les Carthaginois envoyèrent à diverses reprises de puissantes armées pour conquérir la Sicile: la grandeur de ces armées peut, jusqu’à un certain point, donner une idée de la popula- tion du pays qu’elles étaient destinées à subjuguer. Mais ici en- core nous retrouvons la contradiction entre les évaluations des historiens, et par conséquent l'incertitude. Diodore, en effet, a soin de mettre toujours en regard tes chiffres donnés par les deux écrivains originaux qu’il a consultés, Ephore et Timée. Là où le premier fait successivement figurer 204 mille, 300 mille et 304 mille hommes, le second n’en admet que 100 et 120 mille. Le savant commentateur de Diodore, Wesseling, signale la perpétuelle contradiction de ces deux auteurs quant aux nombres, et en conclut qu’on a de la peine à ajouter foi aux chiffres énormes articulés par Ephore*. Sans entrer ici dans la discussion du chiffre probable de ces armées d’invasion, sans même nous arrêter à réfuter l'étrange 1 Copiarum numerus fidem pene excedit, sed Ephoro perpetua fere inhoc genere cum Timæo discordia est. (Diodori Siculi Historicæ Biblio- thecæ libri qui supersunt, interpr. Rhodomanno,.-recensuit P. Wesselin- gius. Amstelod. 1746, I, p. 685, note.) — Au reste, Diodore se trouve confirmé par Hérodote (liv. IX) dans le chiffre de 300,000 hommes attri-. bué à l’armée que les Carthaginois envoyèrent en Sicile sous la con- duite d'Hamilcar, et qui fut détruite par Gélon. Trois cent mille hommes de troupes de transport, embarqués en une seule expédition sur 5,000 vaisseaux, cela est-il croyable ? Dans les guerres gigantesques de l’em- POPULATION DE LA SICILE. 245 | exagération avec laquelle Isaac Vossius concluait du texte des auteurs anciens, que la Sicile était autrefois plus peuplée que ne l’étaient de son temps (1685) l'Italie et la Sicile réunies", nous déduirons des faits que nous venons d’exposer cette sim- _ ple conséquence, que, bien que l’on doive admettre que la Si- cile ait été très-peuplée avant notre ère, les témoignages histo- riques qui nous restent n’en laissent pas moins le montant total’ de cette ancienne population absolument indéterminé ; qu’ainsi toute évaluation qui en serait faite, toute comparaison que l’on voudrait établir entre les temps anciens et les temps modernes, entre le passé indéfini et l’état présent connu avec la précision des méthodes actuelles, serait conjecturale et arbitraire. Les auteurs qui, dans ce siècle, ont écrit sur la population en général, ont presque tous, faute de renseignements, gardé sur la Sicile un silence complet; tels sont du moins Malthus, Godwin, Sadler, Bickes, etc. D’autres, pour avoir été moins prudents, ont cornmis à ce sujet d’étranges erreurs. C’est ainsi qu'un diplomate américain, Mr. Everett, affirme d’une ma- nière tranchante, qu’au temps de sa prospérité la Sicile «entre- tenait douze millions d'habitants dans l’abondance, et que sa population se réduit maintenant à quelques centaines de mille paysans misérables et demi-affamés *. » pire, la fameuse flottille de Boulogne atteignit à peine Ja moitie de ce chiffre, encore ne quitta-t-elle pas le port. — Hume, dans le dixième de ses Discours politiques, sur le nombre des habitants parmi les nations anciennes, a réfuté quelques-unes des exagérations des auteurs anciens sur ces matières. 1 Quis non miratur in sola olim Sicilia plures fuisse incolas, quam punc in (ta Italia, Siciliâque simul ? Vossius, 7’ariarum Observ. liber, cap. 13. De mag'nis Sinarum urbibus, p.61. ? The island of Sicily, which once maintained twelve million inbabi- tants in abundance, and exported at the same time such quantities of corn as to be called the granary of the Roman empire. Its population is now limited to a few ignorant and barbarous nobles, and a few hundred thousand half-starved and wretched peasants. (New ideas on population; by Alex.-H. Everett, chargé d'affaires of the United States of America at the court of the Netherlands. London, 1823, p.85.) 246 POPULATION LE LA SICILE. Suivant deux auteurs siciliens, Caruso et Di Blasi, la Sicile comptait en 1651, 873,742 habitants, sans y comprendre Messine, alors non recensée. La députation du royaume fit opé- rer, en 1681, un dénombrement qui donna le chiffre de 1,011,076 habitants, outre la capitale, Palerme, évaluée à plus de 100,000 âmes ‘. Dès lors, malgré le terrible tremble- ment de terre de 1693, qui ravagea le pays et fit périr plus de 60,000 personnes, la population s’accrut de manière à at- teindre, en 1798, le chiffre de 1,660,267. Un nouveau re- censement fut effectué, par les intendants provinciaux, à diver- ses dates comprises entre 1829 et 1834. Pour suppléer à ce ficheux défaut de simultanéité dans les dénombrements provin- ciaux, la direction centrale de statistique les a ramenés par le calcul à une époque moyenne, la fin de 1831, en ajoutant, pour les localités recensées avant cette époque, le nombre des naissances et déduisant celui des décès, et en faisant l’opé- ration inverse pour celles qui ont été recensées dès lors. Ces corrections faites, le chiffre de la population pour 1831 est de 1,943,366 individus. C’est sur ce dénombrement que nous allons donner quelques détails. $ I. Recensement par divisions provinciales. La Sicile à substitué à son ancienne division en trois vallées de Demona, de Noto et de Mazzara, une organisation nouvelle en sept vallées ou provinces; chaque vallée est divisée en districts ; ceux-ci le sont en communes ; toutes ces subdivisions admi- nistratives portent le nom de leur chef-lieu. Nous allons donner ici, par vallées et districts, le résumé des tableaux de « population, que le Giornale di Statistica donne commune par commune. 1 Les onze cent mille habitants effectifs de la Sicile, en 1681, mon- trent à quel point est erronée l'évaluation de Vossius, qui, quatre ans plus tard, ne donnait que trois millions d'âmes à l'Italie, la Sicile, la Corse et la Sardaigne réunies. POPULATION DE LA SICILE. 247 POPULATION POPULATION EN 1831. NOMBRE en 2 00000 — des 1798. Horimes, Femmes. Total. communes District de Palerme . , . . . 218,977 157,509 158,276 275,585 94 " Corleone . . . . , 16,089 25,119 24.801 19,920 9 = Déni 2 eme 79,682 12,547 13.991 86,558 23 . DEAR. 5 . 7.0 à 60,180 29,879 29,712 59,591 17 Total de la vallée de Palerme. 105,228 234,854 236,780 471,654 73 District de Messine . . . , 96,257 74,569 74,770 149,539 27 . Patte 1.14 0 3 52,770 50,963 30,455 61,118 28 Û Castroreale , . + . 54,557 50,415 31,452 61,847 27 » Mstrclla ss re 35,288 20,659 19,200 59,859 42 Total de la vallee de Messine... 236,652 156,606 155,857 312,463 94 District de Catane . . . , . . 160,869 99,729 108,105 207,854 57 m Nicôsie, . . . , . ‘59,057 53,559 34,481 68.040 13 ” Callagirone , : . . 69,595 57,775 39,278 77.053 11 Total de la vallee de Catane, . 289,501 171,063 181,864 552:927 61 District de Girgenti. . . . , . 127,560 64,702 67,199 131,901 23 » SONIA Une eu à 48,385 23,223 24,526 A7,79 13 " List (ir DRE ESS 11,932 21,822 23,566 15,588 7 Total de la vallce de Girgenti.. 217,877 109,747 115,291 225,058 A3 District de Syracuse . . . .. 56,714 55,180 57,558 72,518 11 . MndiCa. = .4.. . 92,418 57,221 58,592 115,813 12 . Nabil à 15,588 26,168 24,689 ii 4 40 Total de la vallce de Syracuse . 192,720 118,869 120.619 259,488 35 District de Trapani . . . , . 64,508 56,552 36,083 72,135 7 » Aleamo 5€ 1 15,010 24,508 24,562 19,070 8 » Mastiras hs, 535,766 24,723 27,059 51,782 6 Total de la vallee de Trapani. . 163,284 85,583 87,704 173,287 21 District de Caltanissetta, , . . 65,878 535,618 341,980 68,598 16 » PLTRAA Ne cale 52,583 30,539 315190 61,729 8 » Terranova . . . * 356,564 18,753 19,449 38,202 5 T. de la vall. de Caltanissetta. 155,025 82,910 85,619 168,529 29 Total de la Sicile. , . . . . . 1,660,267 959,652 983,754 1,945,366 5354, Nous devons faire observer ici que la population de la ville de Palerme n’a pas été réellement recensée, et que le chiffre de 173,478 habitants qui lui est attribué, n’est que le résultat d'un calcul approximatif fait il y a plusieurs années par le doc- teur Calcagno, “modifié annuellement d’après le mouvement de la population. 248 POPULATION DE LA SICILE. Dans le district de Messine figurent les îles Lipari pour 14,467 habitants; dans celui de Trapani l’île de Pantellaria pour 6,104, et celle de Favignana pour 3,678. $ Il. Accroissement de la population. La comparaison en- tre les résumés des recensements de 1798 et de 1831 mon- tre au premier coup d'œil que, pendant ces trente-trois ans, la population de la Sicile s’est notablement accrue. Pour avoir le chiffre exact de cette augmentation, il faut faire abstraction de quatre communes omises dans le premier de ces dénombre- ments, et comprises dans le second, qui ont une population totale de 4,871 habitants: il reste un accroissement total de 278,228 individus, soit un sixième de la population pendant le tiers d’un siècle, ou plus exactement 167 pour mille. Cette augmentation n’est point uniforme dans toutes les lo- calités: en effet, l’inspection du tableau ci-dessus montre qu'il y a trois districts, ceux de Cefalù, Bivona et Mazzara, où la po- pulation à un peu diminué dans la période comprise entre ces deux recensements. Si l’on compare sous ce rapport les diver- ses communes entre elles, on voit que, tandis que dans 247 d’entre elles la population s’accroissait de 316,916 habitants, dans 93 autres au contraire elle diminuait de 38,733. Au reste, la diminution n’a généralement atteint que des commu- nes d’une importance secondaire, et dans des limites assez restreintes ; la ville de Castelvetrano fait cependant exception sous ces deux rapports, puisque sa population, qui s'élevait en 1798 à 14,782 habitants, s’est réduite en 1831 à 12,669: elle en a perdu pendant ce temps un septième. — Le district où l’accroissement a été le plus considérable, est celui de Mes- sine, où il a dépassé la moitié; viennent ensuite ceux de Ca- tane, Syracuse, Modica et Palerme, où il a atteint ou dépassé le quart. Ce sont donc les grandes villes qui ont été les princi- paux centres d'accroissement. L'augmentation d’un sixième que nous avons constatée dans la population totale de la Sicile, s’est-elle également répartie 4 À 4 POPULATION DE LA SICILE. 249 pendant les trente-trois ans écoulés dès 1798 à 1831 ? Cela ne nous paraît pas probable : l’époque de paix et de prospérité qui a suivi 1814, a dù y contribuer plus particulièrement. À défaut de preuve directe sur ce point, consultons ce qui s’est passé dans la partie la plus voisine du continent européen, le royaume de Naples, ou, pour parler le langage officiel, dans la partie du royaume des Deux-Siciles en deçà du Phare. De 1791 à 1805 la population n’y augmenta que de la faible quantité de 63,298 individus, soit 1/80 du total dans l’espace de qua- torze ans ; et dans les neuf ans qui suivirent jusqu’en°1814, elle diminua même de 31,986; ce n'est que dès lors qu’elle a repris un mouvement progressif. — Demeurée en dehors des gucrres continentales, ayant conservé pendant ce temps son commerce maritime, et ayant même été à deux reprises le siége de la dynastie de Bourbon, la Sicile a dù se trouver pendant ce temps dans des conditions plus favorables. Mais la réouver- ture de ses rapports avec les provinces napolitaines, et l'essor universel que prirent les peuples européens après la paix géné- rale, ont dû contribuer plus que toute autre chose à l’accrois- sement de sa population. Cet accroissement, quoique supérieur à celui des provinces napolitaines pendant la longue période qui s’est écoulée depuis le commencement de la révolution jusqu’en 1831, n’en est pas moins demeuré inférieur à celui de la plupart des grandes na- tions européennes dont nous connaissons la population pendant ces années si agilées d'événements divers : en particulier il est inférieur, non-seulement à l’immense développement de la Grande-Bretagne , dont la population à augmenté de moitié pendant les trente premières années de ce siècle, mais méme à celui beaucoup plus modéré de la France, où la population ne s'est guère accrue que d’un cinquième durant la même pé- ! Bickes, die Bewegung der Bevôlkerung mehrerer Europäischer Slaalen. Stutigart, 1835, p. 399, 391. XLII 16 250 POPULATION DE LA SICILE. riode. — Nous ne faisons qu’énoncer ces faits, sans vouloir en déduire, quant à présent, aucune conséquence sur l’état actuel de la Sicile, aucune vue sur l’avenir qu’on peut ensaugurer pour elle, car nous manquons de la connaissance détaillée et intime du pays, qui serait nécessaire pour pouvoir faire la part des circonstances qui ici ont contribué à l’accroissement que nous avons signalé, et là y ont apporté des obstacles, pour ap- précier surtout dans ses résultats probables un fait aussi com- plexe que l’accroissement de la population. Ce n’est, en effet, que lorsqu'on connaît à fond les ressources d’un pays, et, si l’on ose employer cette expression, son bilan physique et moral, que l’on peut hasarder un avis un peu éclairé sur les consé- quences qui pourront résulter pour lui de cet accroissement de population, si désiré par tous les gouvernements et tous les écrivains passés, jusqu’au dix-huitième siècle inclusivement, si redouté par quelques-uns des économistes du dix-neuvième. $ IL. Population spécifique ou relative. On appelle ainsi le nombre d’habitants répandus sur une superficie territoriale don- née. Plus un pays sera cultivable et productif, plus la popula- tion que son sol alimente sera (toutes circonstances d’ailleurs égales) concentrée sur une étendue déterminée de terrain. La densité d’une population sera donc une mesure du développe- ment auquel est parvenu le pays qu’elle habite. Pour comparer sous ce rapport les divers états, il faut adop- ter une unité superficielle commune, et d’un usage facile. Dans ce but quelques auteurs allemands ont choisi le mille de 15 au degré, ceux de la Statistique officielle de la France la lieue de 25 au degré. Ces grandes mesures ont l'inconvénient de don- ner, pour la population spécifique, des chiffres trop considéra- bles (la plupart des états européens ont plusieurs milliers d'ha- bitants par mille ou par lieue carrés), et de rendre par 1à moins commode la comparaison à établir entre les divers pays. D’au- tres statisticiens, comme Balbi, emploient le mille géographi- que de 60 au degré : l'inconvénient que nous avons signalé se POPULATION DE LA SICILE. 251 trouve par là considérablement réduit, mais non entièrement évité, puisque c’est par plusieurs centaines que les habitants se répartissent sur chaque mille géographique carré de la plupart des pays. Nous préférons nous en tenir à l’unité adoptée par Mr. de Prony , le kilomètre carré : cette mesure, empruntée à un système qui semble destiné à se généraliser, au moins dans la pratique scientifique , sera toujours facilement comprise, parce que les mesures de tous les peuples ont été comparées et mises en rapport avec le système métrique ; elle a de plus l’a- vantage de former un degré facilement comparable pour l’ap- préciation de la densité des populations européennes, puisqu'il donnera presque toujours un nombre de deux chiffres, supé- rieur à 10 et inférieur à 100. Mais la superficie totale de chaque pays n’est pas une chose facile à connaître exactement, pour les pays où des travaux 10- pographiques complets n’ont pas été exécutés. On y supplée bien par des calculs faits sur les cartes, mais ce procédé a donné lieu à de bien grands écarts. La Sicile est là pour nous en fournir un exemple. Balbi, qui n'évalue son territoire qu’à 475 © milles de 15 au degré , fait connaître sept autres cal- culs qui la font monter depuis 500 jusqu'à 750 de ces mêmes milles *. N'ayant, au milieu de cette discordance, d'autre moyen de nous décider que le degré de confiance que nous paraissent mériter les auteurs de ces diverses évaluations , nous nous en tiendrons à celle de Balbi, géographe dont nous avons pu , à plusieurs reprises, reconnaître sur ce point l’exactitude. Or, 475 À milles carrés de 15 au degré équivalent à 26,137 ki- lomètres carrés. En divisant par ce nombre les 1,943,366 ha- bitants de la Sicile en 1831, on obtient pour quotient une po- pulation spécifique de 74 individus par kilomètre carré. Ce chiffre est bien fait pour démontrer l'erreur de ces au- teurs que l'esprit de’système et l'ignorance des faits ont poussés ‘ Annuaire du Bureau des Longiludes , années 1834 et suivantes. ? Abrégé de géographie, troisième édition, p. 33. 252 POPULATION DE LA SICILE. à exagérer outre mesure la population de l’ancienne Sicile, et à réduire aux plus mesquines proportions sa population con- temporaine. Si Mr, Everett, par exemple, avait calculé dans quel rapport les douze millions d'habitants qu'il prête à la Sicile ancienne se seraient trouvés avec le sol, il aurait vu qu'ils au- raient couvert le pays dans la proportion de 460 par kilomètre carré, c’est-à-dire infiniment au delà de tout ce qu’on a jamais vu dans le pays le plus peuplé, quatre fois plus que ce que l’on rencontre aujourd’hui dans les plaines fertiles de la Lombardie, renforcées de tant de populeuses cités. À ceux qui regardent la population actuelle de la Sicile comme peu de chose, nous répondrons que 74 habitants par kilomètre carré, c’est presque un quart de plus que la France, à laquelle Mr. de Prony n’en accorde en moyenne que 60. Le tableau suivant permettra de comparer la population de la Si- cile avec celle des autres états italiens ‘. . Population Superficie. Populat. spécifique. Kilom. carrés. en Habitants. Mab. par kil carr. Corseima tan 8,747 1331 197,967 22 Sardaigne . . . ... . 20,780? 1838 524,633 25 Etats pontificaux. . . 44,684 DD +2 102 AL) 58 Hoscane. Cesu. 21,742 1831: 1,365,705 63 Naples (terre ferme) . 81,990 — _5,781,036 71 LE Céder ie eh no dE 26,137 — 1,943,366 74 Piémont (terre ferme) 51,402 1838 4,125,735 80 Modène et Lucques. . ‘6,469 1826 523,000 81 Dirmen vs té eu 5,706 1833 465,673 81 Provinces Vénitiennes. 23,631 — _2,041,180 86 » Lombardes. 21,679 — 2,416,567 111 312,967 21,97 4191 70 1 Dans ce tableau, ce qui concerne le territoire et la population de Ja Corse est emprunté à la Statistique officielle de la France, impr. rogale, 1837, 1, p. T4 ei 185; ce qui est relatif à la superficie et à la population des Etats de terre ferme de S. M. Sarde et à la population de la Sardai- gne, est tiré des /nformazioni statistiche raccolte dalla Commissione superiore per gli stati di S. M, in terra ferma, Torino, 1839 ; le dénom- POPULATION DE LA SICILE. 253 La Sicile est donc, à proportion, trois fois plus peuplée que lés grandes îles de Corse et de Sardaigne ; elle est plus popu- leuse d’un quart que les états pontificaux et la Toscane ; elle dépasse méme un peu la population spécifique des provinces napolitaines et de l’ensemble des états italiens ; en un mot, elle ne le cède, sous ce rapport , qu’à ces belles plaines qui com- mencent aux Alpes et finissent à l'Apennin, pays où l’industrie de l’homme a , depuis des siècles, si bien secondé les richesses de la nature. $S IV. Répartition de la population entre les villes et les campagnes. Quand , au lieu de ne considérer que le nombre total, le chiffre brut des habitants d’un pays, on en recherche la répartition et le mode d’agrégation sur les diverses parties du territoire, on reconnaît qu'il y a une grande importance à distinguer la population suivant son habitation et ses occupa- tions principales. À cet égard la distinction la plus saillante, celle qui se présente la première à l'esprit, est celle entre les habitants des villes et ceux des campagnes. Ceux-ci cultivent la terre, lui font produire les subsistances, les matières premières ; ceux-là consomment les unes , élaborent les autres ; leur rési- dence est le siége de l'industrie, du commerce, de ce que l'on appelle généralement richesse. Un pays qui n'aurait pas assez de villes demeurerait privé de mouvement, de vie, d'éclat, de pro- grès ; un pays qui en présenterait un trop grand nombre ris- querait de tomber dans les inconvénients d’une population surabondante, tumultueuse , créant par son industrie plus de produits que la consommation locale et même le commerce ex- térieur n’en pourraient absorber , vouée ainsi à la misère et au brement des Etats pontificaux est donné d'après Calindri, cité paralr. de Tournon, Etud. statist. sur Rome, I, 245; ce qui touche la Toscane est puisé dans l’Atlante di Toscana d'Orlandini; la population de Naples est donnée d'après Bickes, L.c.; celle de Parme d’après le Giornale di Sta- tistica, H, p.131 ; tout le reste est tiré de Balbi, 4brege,"p. 637, et en ce qui touche le royaume Lombardo-Vénitien, de son Æssai s'atist. sur les Biblioth. de Vienne, elc. 254 POPULATION DE LA SICILE. malheur, La prospérité et la force des états sont liées à‘une juste proportion entre les villes et les campagnes , entre ces deux natures de population diversément agissantes, qui doi- vent se compléter l’une l’autre, et se prêter un mutuel appui. Mais ce n’est pas une chose facile que de définir au juste ce qui constitue une ville. Porter ce titre, c’est quelquefois une affaire de vanité pour une commune devenue populeuse ; mais ce n’est pas à ce point de vue d’amour-propre local que la science sociale envisage la question. Elle considérera comme urbaine une population agglomérée, principalement occupée de trayaux autres que ceux de l’agriculture, alors même qu’elle serait peu nombreuse; elle refusera ce caractère à une popula- tion quelquefois plus considérable, mais disséminée, mais gé- néralement adonnée aux travaux champètres, à la ruralité. La connaissance détaillée de chaque localité sera nécessaire, pour assigner à chaque commune le caractère dominant qui la rat- tachera à l’une ou à l'autre de ces catégories. Il y a des pays, comme la France, dont les statistiques se bor- nent à désigner comme villes les chefs-lieux des subdivisions ad- ministratives * ; il y en a d'autres, comme la Saxe, où l’on cherche à distinguer d’une manière logique la population ur- baine et la population rurale. Dans ce dernier pays, où l’on attribue le caractère de ville à certaines communes bien au- dessous de mille âmes, on admet pour tout le-royaume 1 #1 villes avec 533,033 habitants, et 3502 villages renfermant (y com- pris les maisons éparses) 1,102,887 habitants * ; c’est un tiers de population urbaine pour deux tiers de population rurale. Le recensement de Sicile ne nous offre pas de pareilles di- stinctions ; mais en parcourant la liste des communes entre les- quelles se partagent les habitants de ce pays, on y remarque d’abord la capitale, Palerme, qui renferme à elle seule la on- { Statis!. de la France, X, tableaux 63, 111, 115. ? Mitheilungen des stalistischen Vereins für das Kônigreich Sachsen; 10te lieferung, 1838, p. 38. POPULATION DE LA SICILE. 255 zième partie de la population de toute l’île. Ajoutez-y deux autres grandes villes, Messine et Catane , et vous trouvez ren- fermé dans ces trois villes presque un sixième des habitants de la Sicile ; joignez-y enfin cinq villes au-dessus de 20 mille âmes, huit entre 15 et 20 mille, et six de 13 mille , et la population réunie de ces vingt-deux villes fait un grand tiers de toute celle du pays, comme le montre la liste suivante : Palerme. . . . 173,478 Messine . . . . 83,772 Catane. . . . . 52,433 Modica . . . . 25,838 Trapani. . . . 24,735 Marsala , . . . 23,388 Caltagirone . . 21,616 Raguse . . . . 21,466 Acireale . . . 19,762 Termini. . . . 18,942 Syracuse. . . . 17,804 GFBONLL. «+ 7 É7 97 OP Giarre. . . . . 17,649 Canicatti . . . 17,384 Caltanissetta. . 16,563 Alcamo . . . . 15,589 Partinico , . . 13,809 Corleone . . . 13,788 Paterno . . . . 13,540 Licata. , . . . 13,465 Pintzdi (sie © 4 13,229 Nicosies.. : 1e, 19,151 649,168 Mais ces 22 cités sont bien loin d’être tout ce qui, en Sicile, constitue réellement des villes, Pour le démontrer , il suffirait peut-être de rappeler que, sous le gouvernement représentatif importé en Sicile par les Anglais en 1812, il n’y avait pas moins de 93 villes qui eussent, à ce titre, le droit d’élire des députés; mais il sera plus concluant encore de continuer à parcourir la liste du recensement communal : on y verra six communes de 12,000 âmes, cinq de 11,000, sept de 10,000, sept de 9,000, 256 POPULATION DE LA SICILE, dix-neuf de 8,000, douze de 7,000! ; et dans celles au-des- sous de ce chiffre on trouve encore des chefs-lieux de district, comme Castroreale, Bivona ; une cité épiscopale, comme Patti, etc. Toutes ces communes populeuses sont-elles réellement des villes, dans le sens que l’on attache ordinairement à ce mot? Nous ne pouvons point l’affirmer : peut-être plusieurs d’entre elles sont-elles formées de la réunion administrative de plusieurs villages distincts, peut-être la population de plusieurs de ces gros bourgs est-elle agricole en grande partie. Mais nous voyons figurer dans les voyages et les géographies le plus grand nom- bre d’entre elles sous le nom de villes, et nous croyons que l’on peut conclure positivement de ce qui précède, qu’une moi- uié, et peut-être plus, de la population de la Sicile habite dans des villes. D'où vient cette tendance marquée de la population sicilienne à se concentrer dans quelques cités, à s’agglomérer autour d’un petit nombre de points principaux? Est-ce un reflet des anti- ques cités de cette île célèbre, la continuation traditionnelle de ces bourgs fortifiés dans lesquels seuls, au milieu de l’anarchie du moyen âge, les tenanciers pouvaient trouver un asile assuré, l'expression de la nécessité qui existait encore naguère de se mettre à l'abri des incursions fréquentes et dévastatrices des corsaires barbaresques, le résultat d’habitudes enracinées, d’u- sages consacrés par le temps? Sans décider cette question d’hi- stoire locale, il nous suffira de faire remarquer que cette par- ticularité nous explique comment la Sicile a une population relative si notablement élevée, comparativement avec les iles de Corse et de Sardaigne , où le peuple est beaucoup plus dissé- La population totale de ces 56 communes est de 524,119. — Il paraît qu'en Sicile la commune est une unité administrative plus grande que dans d’autres pays ; tandis qu’en France la commune moyenne n’est que de 900 habitants, que dans la monarchie sarde elle ne dépasse guère 1500, la population totale de la Sicile ne se répartit qu'entre 354 com- mures, ce qui donne pour chacune d'elles une moyenne de 5490 habi- tants. POPULATION DE LA SICILE. 257 miné dans les campagnes ; comment elle possède tant d’habi- tants et si peu de moyens de communication et de transport, si peu de développement loin des centres, dans l’intérieur du pays. Cette prépondérance numérique de la population urbaine sur la rurale peut expliquer comment des voyageurs, après avoir parcouru les campagnes de la Sicile, ont pu dire que ce pays renfermait des parties presque désertes, et représenter sa population comme peu considérable, comme fort au-dessous de ce qu'elle était autrefois et de ce qu’elle pourrait être encore aujourd’hui. " S V. Proportion de la population des deux sexes. C'est l'esprit investigateur de Vauban 4 qui a le premier, dans ses Oisivetés, fait remarquer la prédominance numérique, dans une population donnée, du nombre des femmes sur celui des hom- mes. Comme l’illustre maréchal ne constatait ce fait que pour un petit district (l’élection‘de Vezelay), et qu'il écrivait pendant les guerres du règne de Louis XIV, en 1696, il ne l'attribua qu'à la dissipation des hommes pendant la guerre, et ne com- prit pas que c'était là un fait non pas local et accidentel, mais général et tenant à des causes fixes. Dès lors cette supériorité numérique du sexe féminin a été reconnue dans les recensements de la plupart des états européens. Tels sont du moins, au nord et au centre de l’Europe, ceux de la Norvége, de la Suède, de la Grande-Bretagne et de l'Irlande, du Danemark, de la Prusse, de la Saxe, de la Bavière, du Wurtemberg, du grand-duché de Bade, de la Belgique, de la France, de la Suisse, et, au midi, des États Romains et du royaume des Deux-Siciles en deçà du Phare. Ces dénombrements, comprenant entre eux cent mil- lions d'habitants, produisent un rapport moyen de 100 hom- 2 mes pour 103 femmes *. La Sicile donne à très-peu de chose près le même résultat, puisqu’on y compte : ! Cité par Benoïston de Chäteauueuf, dans ses Recherches sur les con- sommaltions de la ville de Paris en 18117. Paris, 1821; in-8°. * Voyez ma Notice sur la population de la Suisse, Bibl. Univ , sep- tembre 1838. 258 POPULATION DE LA SICILE. Hommes 959,632 ...…. 100 Femmes 983,734 ...….. 102,511 Peut-on considérer un fait si général comme constituant une règle absolue dans la proportion des sexes, comme une loi phy- siologique ou sociale dans la distribution de la population ? Il faudrait pour cela qu’il ne füt sujet à aucune exception nota- ble : or ce n’est pas là le cas, car les Etats Sardes, la Toscane, et les Etats Unis de l’Amérique septentrionale, présentent le phé- nomène contraire. Ces faits opposés demandent un examen at- tentif pour recevoir une solution satisfaisante. Contentons-nous de remarquer ici que ces diflérences ne paraissent pas tenir au climat, puisque le midi de l'Italie présente, comme le nord de l’Europe, le phénomène du plus grand nombre des femmes, et que le plus grand nombre des hommes n'a été jusqu'ici con- staté en Europe que dans des pays situés entre ces deux ex- trêmes. $S VI. Clergé régulier, soit état monastique. Le recense- ment sicilien ne distingue point les habitants d’après leurs oc- cupations professionnelles, mais en revanche il contient un do- cument qui présente un intérêt spécial, pour un pays fréquem- ment signalé comme ayant laissé prendre aux couvents et à l’état monastique un développement excessif: c’est le tableau des ecclésiastiques réguliers de Sicile, c’est-à-dire de ceux qui ap- partiennent aux ordres ou congrégations religieuses, par oppo- sition au clergé séculier, ayant charge d’émes soit administra- tion des paroisses. On comptait en Sicile en 1832 : | Couvents. Religieux. Vallée de Palerme . . . 125 contenant 2,064 » Messine . . . 130 » 1,429 » Catane. . . . 119 » 1,325 » Girgenti . . . 70 » 647 » Syracuse . . . 88 » 851 » Trapant .'.. 68 » 686 » Caltanissetta.. 58 » 589 Total . .. 658 contenant 7.591 POPULATION DE LA SICILE. 259 Ces religieux se répartissent comme suit entre les divers ordres : Couvents. Religieux. Augustins chaussés . . . . . . 37 362 » déchaussés . . . . 14 169 Badhéns- ? P É que le mal: les honnêtes gens furent arrêtés avec les fripons, car il était impossible de discerner les uns des autres. Des mar- chandises de toute espèce remplirent bientôt la salle du corps- de-garde ; les bureaux du commandant furent assiégés par une foule de solliciteurs qui redemandaient leur bien, et qui, dès Pinstant où l’on faisait droit à leur requête, se servaient libéra- lement de tout ce qui était à leur convenance, sans s'inquiéter le moins du monde s'ils y avaient droit ou non, de sorte que bien rarement un objet volé retournait à son véritable proprié- taire. La défense de laisser passer, cependant, n'avait pas dù s'étendre aux cercueils des morts, et les convois de cette na- ture continuèrent à sortir de la ville sans difficulté, jusqu’à ce que, leur nombre croissant de jour en jour, la curiosité des 296 EXPÉDITION ANGLAISE EN CHINE. sentinelles anglaises fut éveillée par une mortalité si considéra- ble; elles prirent fantaisie d’ouvrir un de ces prétendus cer- cueils, qu’elles trouvèrent rempli jusqu'aux bords de pièces de soie, de crêpes et d'autres objets précieux. Ce stratagème dé- couvert, une foule d'autres furent enfantés par les imaginations rusées de nos Chinois. Quelques individus perdirent la vie en s'efforçant de passer malgré les sentinelles; un vieillard sur- chargé de pillage coula à fond, empéché qu'il était par son bu- tin de traverser le canal à la nage; plusieurs reçurent la pu- nition de leurs méfaits des mains mêmes de ceux qu'ils vou- laieni dépouiller. L’un d’eux, entre autres, fut trouvé par nos gens lié à un poteau au milieu de la place du marché, et lié d’une façon si serrée que ses yeux semblaient sur le point de sortir de leurs orbites, et que le sang jaillissait de ses bras etde ses mains. Un autre de ces misérables, traité avec la même in- bumanité par un lettré greduëé qui l'avait pris en flagrant délit, fut plus de deux heures avant de recouvrer l'usage de la parole. Le savant parut extrêmement surpris qu’on püt lui adresser le moindre reproche sur sa conduite envers le voleur ; il n’avait fait qu’user de son droit, et ce que nous nommions cruauté n’était à ses yeux qu’un acte de simple justice. « Àu commencement de notre séjour dans l’île de Ting-hai, nous éprouvämes quelques embarras résultant du peu d'habi- tude qu’avaient les Chinois de l’argent monnayé. Leur moyen de circulation étant le tchen ; des milliers et des milliers de cette monnaie de convention sortirent de la ville avant que nos soldats eussent le moindre soupçon de leur valeur, D'a- bord les habitants refusaient obstinément de recevoir notre ar- gent en paiement, à l’exception du dollar Carolus ; et il se passa un temps considérable avant qu'on püt les décider à prendre les dollars mexicains, même à un prix avantageux pour eux. Appelé moi-même à leur payer de jeunes taureaux qu'ils nous avaient vendus, je les voyais examiner minutieusement nos dollars l'un après l’autre, et mettre à part, en rejettant les au- EXPÉDITION ANGLAISE EN CHINE 297 tres, ceux qui portaient l'effigie du roi Charles avec une pièce d’armure sur l’épaule. Un peu plus tard, quand ils se furent un peu familiarisés avec notre monnaie d'argent, je vis un Chinois refuser un souverain d’or pour se contenter à sa place d’un de nes schellings : en un mot, les idées sur la valeur de l’ar- gent monnayé, idées qui nous sont si familières, étaient incon- nues chez cette nation, et jamais une monnaie d’or n’avait été frappée en Chine. Du reste les Chinois sont si enelins à altérer la valeur de leurs moyens d’échange, qu'ils ne dédaioneni pas de contrefaire le £chen même, bien qu’il ne vaille que la di- xième partie d’un de nos pences, Donnez-leur un dollar, ils en enlèvent avec une adresse merveilleuse une feuille extré- mement mince sur laquelle se trouve l'empreinte, puis ils creu- sent l’intérieur jusqu’à ce qu'ils en aient fait une coque tout aussi légère que la feuille qu'ils ont enlevée ; alors ils remplis- sent cette coque de cuivre, puis ils soudent l’empreinte par- dessus, et cette opération s'exécute avec tant d’habileté qu’il est presque impossible à une personne dont l'œil n’est pas très- exercé, de découvrir la fraude. Toutes les maisons anglaises établies en Chine ont à leur service des Shroffs, c'est-à-dire des Chinois fort habiles à deviner les falsifications de ce genre, et qui, à la première inspection d'un dollar, reconnaissent s’il est faux ou vrai ; ces Shroffs étant responsables des conséquen- ces de leur jugement, il en résulte que les marchands anglais ont rarement à supporter des pertes de ce côté-là. » Nous avons employé une partie de notre article à parler de la toilette de téte des Chinois ; il paraîtrait sans doute étrange à nos lecteurs que nous n’y donnassions pas place à quelques détails sur la toilette beaucoup plus extraordinaire d'une auire partie du corps, détails dont plusieurs sont déjà connus sans doute, mais dont l’étrangeté ne lasse jamais notre curiosité eu- ropéenne : nous voulons parler de la manière dont on traite les pieds des dames chinoises. Le général Bingham paraît avoir XLII 19 253 EXPEDITION ANGLAISE EN CHINE. fait sur ce point des recherches minutieuses que les circon- stances favorisèrent : une jeune et jolie fille consentit à soumet- tre sa chaussure et son pied à un examen dont nous allons met- tre le résultat sous les yeux de nos lecteurs. « Pendant le temps que nous demeurâmes à l'ancre, dans cet endroit de l’île de Chusan , nous fimes de fréquentes ex- cursions dans les iles du voisinage : dans l’une d'elles, nommée l’ée du Thé, j'eus une excellente occasion d’examiner le petit pied chinois tant de fois décrit. Je venais justement d'acheter dans une ferme chinoise une jolie petite paire de souliers de satin qui m'avait coûté la moitié d’un dollar , et nous étions entourés d'hommes , de femmes et d'enfants. A force de signes , nous réussimes à faire comprendre le désir que nous éprouvions de voir de près le pied mignon d’une fassez jolie femme qui se trouvait là; mais il paraît que, cette femme étant mariée, on ne trouva pas séant qu’elle con- sentit à notre demande, en conséquence elle refusa positive- ment de montrer son pied; alors une très-jolie fille de seize ans, de la figure la plus intéressante, se laissa persuader de nous accorder cette faveur, et s’assit sur un tabouret pour se déchausser. D’ahord extrémement confuse, elle demeu- rait là immobile , la téte baissée ; on voyait que l'obligation de nous découvrir sa pantoufle de cendrillon lui coûtait infiniment, mais une jolie pièce d'argent toute neuve , que nous fimes bril- ler à ses yeux, lui donna du courage, et elle commença à dé- faire le bandage supérieur qui s’enroule autour de la jambe et descend joindre une sorte d’aiguillette qui part du talon. Cela fait, elle ôta son soulier, puis elle défit le second ban- dage, qui fait à peu près l'office d’un bas, et dont les tours sur les orteils et les chevilles sont assez serrés pour ne pas chan- ger de place.—ÆEn voyant le pied nu de la jeune fille, nous fü- mes agréablement surpris de le trouver d’une blancheur et d’une propreté parfaites, ce que nous savions des habitudes chinoises nous ayant fait présumer tout le contraire. La jambe, depuis EXPÉDITION ANGLAISE EN CHINE. 299 le genou en bas, était extrémement déformée ; le coude-pied semblait avoir été cassé, les quatre doigts du pied, repliés par-dessous et complétement aplatis, semblaient unis à la plante du pied , et le gros orteil seul avait conservé sa forme et sa place naturelles. L’espèce de cassure que l'on fait su- bir au coude-pied détermine un renflement arrondi entre le talon et l’orteil , qui permet à l'individu de marcher sans trop de difficulté sur une surface unie. Cette circonstance établit une différence marquée entre le pied des femmes de cesiles et celui des dames de Canton ou de Macao : dans ces deux endroits on n’altère point la forme primitive du coude-pied, d’où il résulte que, pour remplacer le renflement dont je viens de par- ler, on est obligé d'ajouter à la chaussure un talon très-élevé qui se trouve de niveau avec le gros orteil et facilite la mar- che de celle qui le porte. Quand nous montrâmes plus tard à notre compradore de Canton un soulier de femme de Pile de Chusan , son exclamation fut: Æe yaw, comment peut-elle marcher avec cela? et malgré nos explications, nous ne réus- simes point à le convaincre. Chez la jeune fille que je décri- vais tout à l'heure, les quatre doigts repliés sous le pied avaient conservé tout juste assez de liberté pour qu'elle pût les mou- voir légèrement en les prenant avec la main, et nous faire voir qu’ils n’adhéraient point à la plante du pied. Je me suis souvent étonné, en voyant les femmes chinoises marcher aussi bien qu'elles le font malgré le peu de solidité du piédestal qui les supporte ; leur allure me faisait souvenir de la démarche un peu mignarde des dames françaises ; je les voyais presque toujours s’aventu- rer le long des rues sans l’aide d’une canne, et plus d'une fois, pendant mon séjour à Macao, j'ai vu des femmes résister au souffle d’une forte brise en lui opposant un grand parasol ou- vert, dont le poids me semblait devoir entraver beaucoup leurs mouvements. «Les petites filles mêmes avançaient assez vite en se tortillant le corps et tenant les bras étendus comme une vieille poule qui 300 EXPÉDITION ANGLAISE EN CHINE. voudrait prendre son vol, ou un danseur de corde qui cherche à se soutenir sans balancier. Du reste, les femmes que j’ai vues dans l'ile de Chusan avaient naturellement de petits pieds, c’est là le trait caractéristique qui distingue la vraie race chinoise; l'opinion que les classes élevées de la société sont les seules où l’on com- prime le pied des femmes dès leur enfance, est une opinion tout à fait fausse. [est vrai de dire, cependant, que les classes riches attachent plus de prix à ce genre de distinction, et prennent des soins plus minutieux pour l'obtenir. il en est de cela comme des autres avantages corporels dans tous les pays du monde : cha- cun y prétend ; seulement ceux qui ont du temps et de l'argentles cultivent avec plus de succès que les autres. Mais, je le répète, quelle que soit la classe de la société dont une femme chinoise fait partie, son pied est comprimé dès le bas âre ; aussi, toutes les fois que l’on rencontre un pied de femme de grande dimen- sion ou ayant sa forme naturelle, on peut être sûr que celle qui le porte n’est pas pur sang chinois, mais qu’elle appartient, soit à quelque famille d’origine tartare, soit à quelqu’une des tribus qui passent leur vie entière sur les eaux. Cependant, il paraît que les dames tartares elles-mémes se montrent disposées à adopter peu à peu l'usage de comprimer leurs pieds; c’est ce que prouve un édit impérial dont je vais rendre compte tout à l'heure. — Un édit à propos du pied des femmes ? direz-vous.— Hélas oui, caren Chine, on ne se vét pas comme bon vous semble, mais bien comme vos ancêtres l’avaient décidé. et surtout comme le céleste empereur et son conseil des six l'ont résolu... .Quelle banqueroute pour les {silleurs et les modistes ! mais quelle éco- nomie pour nos bourses, s’il en était quelque jour ainsi dans le royaume uni de la Grande-Bretagne ! ...…. Ecoutons main- tenant ce que dit l'empereur au sujet des petits pieds et du pro- grès de cette mode barbare, parmi les filles robustes et bien conformées des anciens Mantchoux. Non-seulement le chef de l'empire attaque les petits pieds, mais il s’élève avec force con- ire les manches chinoises qui prenaient faveur à sa cour; et EXPÉDITION ANGLAISE EN CHINE. 301 afin de mettre un terme à des maux aussi graves, il a recours au remède usité en pareil cas dans le céleste empire ; sa- voir un édit fulminant qui, après avoir dénoncé les délits en termes suffisamment forts, menace les chefs de famille de la dégradation et d'autres peines sévères, s'ils ne réussissent à arrêter le progrès de ces illégalités criantes ; puis sa majesté continue, et s'adressant aux belles coupables elles-mêmes, il les avertit qu'en persistant dans des usages aussi vulgaires , elles se priveront immanquablement de la faveur d'être choisies comme dames d'honneur du palais à la prochaine présentation ! —Jusqu’à quel point de semblables menaces ont-elles produit l'effet qu'on s’en promettait , c’est ce que je ne puis dire. Quand les jeunes filles commencent à grandir , elles souffrent cruelle- ment du traitement auquel elles sont soumises ; plus tard on agit sur elles au moyen de la vanité, et on leur fait tout supporter en leur persuadant qu’elles seraient horriblement laides si elles avaient de grands pieds. Du reste , il est impossible de ne pas être frappé de la donceur , de la patience avec lesquelles les enfants chinois supportent la douleur. L’un d'eux, âgé de cinq ans et horriblement brûlé, fut mis entre les mains de notre chirurgien : pendant toute la durée d’un cruel pansement, il ne fit entendre que quelques légères plaintes exprimées par le mot heyaw, heyaw ! » Obligés de clore ici nos extraits , nous renvoyons le lecteur curieux d’en apprendre davantage au livre lui-même, qui lui offrira une collection de faits et d'observations du plus vif in- térêt. 302 ed a REVUE DES PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES , Par Mr. Paul Cnarix. (Quatrième et dernier article ‘.) —5 6050 Turkestan. Tandis que Burnes , Conolly, Long et Wood ont contribué à nous faire connaître le bassin arrosé par lOxus et les mon- tagnes qui l'alimentent, le souvernement russe n’a cessé de re- nouveler dans le même but des tentatives commencées dès le temps de Pierre-le-Grand , mais rendues plus difficiles par les déserts interposés entre la frontière russe et les pays les plus fertiles du Turkestan. Deux mineurs furent envoyés, dans l’au- tomne de 1839, d'Orembourg à Boukhara , sur la requête du khan de cette dernière ville, pour explorer les mines de son territoire; mais l’état des relations politiques de leur gouver- nement avec ce souverain les obligea de revenir à Orembourg avant d’avoir pénétré au delà du lac Aral. Toutefois le gou- vernement fit de nouveau partir, dans l'été de 1841, le sur- intendant des mines Boutenieff, Bogolowsky autre ingénieur des mines, et le naturaliste Zehman. Lors des dernières nou- velles transmises par ces voyageurs , Boutenieff était encore à Boukhara, tandis que ses deux compagnons avaient, sous la pro- tection du khan, visité Samarkande, et pénétré au delà dans une région alpine où ils avaient découvert des veines de houilie. L'expédition russe contre Khiva a donné lieu à la publication de plusieurs ouvrages relatifs à cette région, par Mr. le profes- seur Helmersen, par le-lieutenant Zimmerman de Berlin, et par Mr. Alexis de Levchine *. Il règne dans les déserts des Kirghiz ! Voyez Bibl. Univ. septembre, octobre et novembre 1842. * Description des hordes et de la steppe des Kirghiz-Kassaks. CHR rs PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 303 un froid si rigoureux, que la température moyenne de trois hivers, observée sous 47° de lat. N,, s'est trouvée de 20 degrés centigrades au-dessous de zéro, et que le mercure ÿ est descendu dans une occasion à —40° C. Géographie ancienne de la Mer Caspienne, du Caucase et de la Russie méridionale, par le D' Eichwald. Berlin, 1838.— Malgré les voyages d'Anthony Jenkinson, en 1557 , — de Christophe Burrough, en 1579, — de Ssimonoff, en 1719, — de Bruce, en 1723, — de Jonas Hanway, Woodrofe et Elton, en 1746, — de Gmelin, en 1770, —- de Mouravieff, en 1820, — et de Bassargine, en 1826, plusieurs points de la géographie physique des côtes orientales de la Mer Caspienne sont restés obscurs jusqu’à nos jours. Le colonel Berg trouva, en 1825 et 1826, que la surface du lac Aral était de 117 p. angl. (35,6 mètres) plus élevée que celle de la Mer Caspienne. L’intervalle qui sépare les deux bassins est occupé par un pla- teau nommé Ousturt, élevé de 550 à 747 p. angl. au-dessus de la Mer Caspienne, et sillonné sur les bords par quelques petits cours d’eau. La surface de ce plateau ne présente que des émi- nences coniques formées de calcaire tertiaire et de granit brisé en plusieurs endroits par des éruptions porphyritiques. fl descend à pic vers la côte orientale de la Mer Caspienne et se prolonge au nord, de manière à se joindre aux ramifications orientales de l’Oural. La Mer Caspienne forme au N.-E. un golfe assez vaste, dont les eaux basses sont à peine navigables à cause des bancs de sable dont il est encombré. On le nomme Golfe Mort (Mertvoi koultouk). L’extrémité sud-est de cette mer présente également des côtes basses, et les sables apportés par les rivières en comblent graduellement les ports et les golles. La question de la différence de niveau entre la Mer Caspienne et la Mer Noire paraît n'être pas encore définiiivement vidée; les ingénieurs qui en furent chargés la réduisent de 19 pieds 304 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. sur le chiffre de 95, qu'ils avaient indiqué précédemment. Ces incertitudes laissent soupçonner des procédés peu sûrs. Mr. Pritchard, marchant sur les traces de de Guignes, de Klaproth, d’Adelung, d’Abel Rémusat, dé Scherer et de Schott, et utilisant leurs travaux, a publié un mémoire sur l’ethnogra- phie de la Haute-Asie. Il considère les Mantchoux ou Tongouses, les Mongols et les Turcs, comme trois grandes branches d’une même race originaire des extrémités de l’Asie et des steppes si- tuées au N. et au N.-E. de la Chine, et il fonde cette opinion sur la ressemblance d’un assez grand nombre de mots et sur l’analo- gie des formes grammaticales des langues de ces trois peuples. L’affinité est remarquable entre les Mantchoux et les Mongols ; mais il est moins facile d'établir celle des Tures ; car si les Ouigours, ou Turcs orientaux, habitants des montagnes entre le Thibet et le Turkestan oriental, se rattachent facilement aux Mongols par leur langage et par leur conformation physique, de l’autre , il est impossible de trouver la même ressemblance chez les Turcs Osmanli et chez les Tâtars de la Russie, qui for- ment la portion la plus occidentale de la nation turque et ne diffèrent pas des peuples caucasiens. Mr.Pritchard y voit l'effet d’un contact de plusieurs siècles avec ces peuples, et, considé- rant les Turcemans, les Nogais, les Vakoutes et les Kirghiz comme des rameaux de la race turque demeurés attachés aux mœurs nomades des ancêtres de toute la race, il observe que ces peuples ressemblent davantage à ia race mongole par le vi- sage et par le langage. Mr.Pritchard pense même pouvoir rat- tacher à ces grandes races des Mantchoux, des Mongols et des Turcs, celle des Ouraliens ou Finnois, qui comprendles ha- bitants de l’Oural, les Lapons, les Finlandais, les Ehstes , les Lives et les Hongrais, peuples chez lesquels on trouve égale- ment des degrés variables de ressemblance avec la race cauca- sienne d’un côté, et avec les peuples de l'Asie orientale de l’autre. MM. Abel Rémusat, Schott et d’autres ortentalistes pensent, ès PROGRÈS DFS TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 305 comme de Guignes, que les Hioung-nou et d’autres peuples nomades, ennemis célèbres de la Chine pendant un grand nom- bre de siècles antérieurement à l’ère chrétienne, étaient les an- cêtres des Turcs, originaires de l'Altaï. Affaiblis par la discorde et par les attaques des Mongols et des Chinois, ils se retirèrent enfin vers l’ouest. Leurs hordes les plus vagabondes vinrent par le Turkestan, la Perse et l'Asie Mineure jusqu'à Constantinople, tandis que l’une d’entre elles resta dans les montagnes du Tur- kestan oriental. Ce furent les Ouigours qui, les premiers, renon- cèrent à la vie nomade pour cultiver la terre et habiter les villes de Khoten, Tourfan, Cachgar, Hamil, Ak-sou, etc. Ils re- çurent des moines syriens et néstoriens une écriture alphabé- tique. Ils eurent longtemps pour capitale Khoten, qui devint une grande ville de commerce et le siége du culte de Boudba; dans l’Asie centrale : plus tard ce culte fit place à la religion de Mahomet. Marco Polo visita Khoten vers 1280. La Société de Géographie de Paris a fait publier la première édition complète du récit des voyages du moine Pian di Car- pini, envoyé par le pape chez les Mongols, pendant les années 1245—6 et —7. Elle est accompagnée d’une excellente intro- duction de Mr.d’Avezac sur tous les voyages faits dans le même pays à des époques antérieures. Sibérie. Malgré la perte récente de Mr. Parrot le fils, connu pour ses voyages au Cap Nord, aux Pyrénées, en Crimée, dans la chaine du Caucase et au mont Ararat, mort à Dorpat dans sa cinquan- tième année, le gouvernement russe et l'Académie de St.-Pé- tersbourg trouvent des auxiliaires nombreux et infatigables dans leurs efforts pour arriver à une connaissance exacte de la géo- graphie de l’intérieur de l'empire. Mr. Mouravief, auteur de voyages en Egypte et en Syrie, a publié une description de tous les lieux de pèlerinage de la Russie d'Europe. MM. Nesse- dyeff, Popoff et Chernetsoff ont décrit les Cosaques du Volga ; 306 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. Mr. Demidof, les gouvernements de la Russie méridionale ; Mr. Bergstrassen, celui d’Olonetz ; MM. Zouboff et Helmersen, celui de Nijnei Novsorod et la foire qui s’y tient. Mais c'est vers la Sibérie surtout qu’ont été dirigés les pas d’un grand nombre de savants russes. Mr. Fedorov, l'astro- nome, a passé six années à explorer les provinces du sud-ouest de cette région. Le naturaliste Karelin en a parcouru la por- tion méridionale, et le botaniste Schrenk s’est attaché, en 1840, aux montagnes de l’Altaï sur la frontière chinoise. Il a visité la montagne curieuse de ÂAraltuabe , située dans une île du lac Alakouli, près de Semipalatinsk, et n’y a trouvé que du granit et de l’ardoise , au lieu du cratère en activité et des flammes que les voyageurs asiatiques prétendaient y avoir aperçues. Le voyage du baron Wrangel le long de la côte septentrionale date déjà de l’année 1821 ; ce marin affirme qu’à 60 lieues en mer on ne rencontre plus de glaces, ce qui faciliterait beaucoup les projets de navigation suivis depuis longtemps avec persé- vérance. Le pays situé entre les rivières Piassida et Chatanga est une des portions de la Sibérie les moins connues. Il y a plus de cent ans que cette espèce de péninsule fut visitée par des officiers de la marine de l’impératrice Anne, dont le journal ne fut pas publié. Depuis lors personne n’a vu les bords de ces rivières, ni même pénétré au nord de Touroukhansk, à l'exception de l’étudiant Sujew ; chargé par Palias de descendre le Jenisseï jusqu’à son embouchure, mais qui revint sans avoir entièrement réalisé ce projet. Les difficultés d’un pareil voyage étant insurmontables pour une compagnie nombreuse, Mr. Middendorf, professeur à l’u- niversité de Kioff, a eu le courage de l’entreprendre presque seul, tandis que Mr. Sjæœgen, membre de l’Académie de Saint- Pétersbourg, se met en route pour une expédition du même genre vers le N.-0. de la Sibérie Le professeur Adolphe Erman, de Bertin, auteur d’une + Sp ah, LES Tr re LEE PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 307 description détaillée de la géologie du Kamtchatka, a mis au jour une carte de cette péninsule, construite d'après ses propres observations dans son voyage au nord de l'Asie et autour du monde , pendant les années 1828 , 1829 et 1830. Il conclut à ce que la moitié de l’étendue ordinairement assignée à cette péninsule en soit effacée. Nouvelle-Zemble. L'honneur de la découverte de cette région appartient peut- être à Etienne Burrough, qui aborda, en 1556, à l'ile de Vai- gatch. Quarante ans plus tard, le Hollandais Barentz et son équi- page hivernèrent sur les mêmes côtes, et ses compatriotes firent, dit-on, au dix-septième siècle quelques découvertes sur la côte orientale. Le Russe Lochkine y périt, en 1742, et vingt ans plus tard on découvrit un détroit, nommé Matotchkine-Char, large d'une lieue et long de 15, qui traversait la Terre-Neuve ‘ de l’ouest à l’est. Ces parages ont été visités tous les ans par des pêcheurs de baleines , de veaux marins et d’aütres amphibies. De 1819 à 1824, le gouvernement russe y envoya plusieurs expéditions sous le commandement du lieutenant Lütke , maintenant ami- ral, dont ia persévérance ne put étendre beaucoup les décou- vertes sur la côte orientale. En 1832, Mr. Brant, négociant à Arkhangel, fit partir deux vaisseaux destinés à explorer cette même côte et à établir la pêche dans les golfes de Kara et d’Obi. L'un d’eux fut perdu, sans que l’on ait jamais su comment; la carcasse d'un vaisseau trouvée en 1834 dans le Matotchkine-Char ne laissa pas de doutes sur son sort, — Pachtoussoff, commandant du second vaisseau, fut obligé d’hiverner dans le détroit de Vaïgatch ; au mois de juillet 1833 , il longea la côte orientale jusqu’au dé- ! Le nom de Nouvelle-Zemble n'est qu'une corruption des mots russes Novaïa Zemlia, nouvelle lerre.— Voy. sur cette terre Bibl. Univ., février et août 1833, article Expéditions russes dans Les regions polaires. 308 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. troit de Matotchkine. Les mauvais temps qui l’accueillirent au sortir de ce détroit, l’obligèrent de se réfugier à l'embouchure de la Petchora, dans le gouvernement d’Arkhangel ; il y fit naufrage le 15 septembre, et se rendit par terre à Saint- Pétersbourg. L'année suivante Pachtoussoff fut renvoyé vers les mêmes parages avec le pilote Ziwolka. Quoiqu'ils fussent partis dans une saison favorable, les glaces les obligèrent, de bonne heure, de chercher pour l'hiver un abri dans le Matotchkine-Char. Ils construisirent, au printemps suivant, un traîneau dans lequel ils explorèrent une partie de la côte orientale. Pachtoussoff, dans un bateau construit sur place, poussa jusqu’à 76° de latitude nord la reconnaissance de la côte occidentale. Mais sa frêle embarcation fut brisée, et les hommes furent sauvés de la mort par un vaisseau pêcheur. L’intrépide Pachtoussoff recula encore de 12 lieues au nord les limites de nos connaissances sur la côte orientale, et retourna à Arkhangel, où il mourut bientôt. Une onzième expédition fut envoyée par le gouvernement , en juillet 1837, sous la’ conduite de Ziwolka, pour mettre MM. Baer et Lehman à méme d’acquérir des notions positives sur l’histoire naturelle de la Novaia Zemlia. Is ont dû rentrer à Arkbangel le 23 septembre, sans avoir pu étendre leurs re- cherches au delà de la côte sud-ouest de cette terre. Elle pré- sente une succession de montagnes généralement formées d’ar- doise et de 2 à 3000 pieds de hauteur. Envoyés de nouveau par l’Académie de Saint-Pétersbourg, sans réussir mieux dans leurs investigations, Mr. Baer et l’astronome Povkoski se sont contentés de visiter le Finmark et la Laponie. Hindoustan, La carte de l’Hindoustan, dont un petit nombre de féuilles seulement ont paru, est un ouvrage digne, par l'exactitude et l'étendue des travaux géodésiques sur lesquels il est basé, de la 4 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 309 puissance qui le fait exécuter. Ce travail est l’un des plus vastes que l’on ait entrepris, et comprend, depuis le cap Comorin (lat. 8° 9/ 38”) jusqu'à Kedar Kanta (310,2! lat.) dans l'Hi- malaya, un arc de méridien égal à la 16° partie de la circon- férence de la terre. Il suffira, pour donner une idée de l’activité que les ingénieurs anglais déploient dans la Mer des Indes, de rappeler les travaux du capitaine Moresby, qui n’a pas levé moins de 5000 milles de côtes dans ces parages. On lui doit la carte d’une grande partie de celles de la Mer Rouge, celle des îles Lakerah-dives (1828), des Maldives, des îles de Chagos. Les côtes d’Aracan, d’Orissa et les Sunderbunds ou îles méri- dionales du delta du Gange ont été levées en grande partie. Le colonel du génie Monteith, de l’armée de Bombay, a di- rigé l'ouverture d’un passage navigable au travers du banc de sable connu sous le nom de Pont d’Adam, qui interceptait jusqu’à ce jour la navigation du détroit de Palk, entre l’ile de Ceylan et la côte de Coromandel. Mr. Burnes, frère de Sir Alexandre, publia la relation inté- ressante d’une excursion qu’il fit, en 1828, auprès des émirs du Sind, en qualité de chirurgien. Le Delta de l’Indus n’a pas été décrit d’une manière purement géographique avänt la carte de ce pays levée par Mr. Carless, lieutenant de la marine de la Compagnie des Indes. Les changements fréquents des rives de ce fleuve, l'importance et la difficulté de sa navigation dans la partie inférieure de son cours contribuent, avec la guerre ac- tuelle des Anglais dans l'Afobanistan, à donner une grande uti- lité au travail de Mr. Carless. Mr. Wood, auquel on doit la découverte de la source de VPOxus ! , a enrichi un mémoire sur le cours de l’Indus de tout ce qu'il est maintenant utile et possible de savoir sur ce fleuve. La position de sa source est encore un problème à résoudre. On sait seulement qu'il devient navigable à quelques milles au- * Voyez Bibl. Univ., décembre 1841 (vol. XXXVHI), page 299. 310 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. dessus de la forteresse d’Attock, à la hauteur de laquelle se réunissent les branches nombreuses entre lesquelles ses eaux s’étaient partagées plus haut. Il coule alors limpide et bleu dans un seul lit, entre des collines, jusqu’à Kalabagh, où commence réellement la navigation. Dès Mukkud il perd de sa profondeur , en s’élargissant, et il ne coule bientôt plus que dans une plaine, bornée à l’est par le désert indien et terminée à l’ouest au pied des Monts Soleymans. La longueur du cours du fleuve est de 942 milles ( 339 lieues) d’Attock à la mer, et sa largeur moyenne est de 640 mètres ; sa profondeur varie entre 3.et b mètres au-dessous d’Attock, à l’époque de la plus grande sécheresse. Mr. Wood conseille de ne pas y employer de bateaux à vapeur tirant plus de 50 pouces avec leur charge, à cause des changements fréquents auxquels son lit est sujet. Les archives de la Compagnie des Indes ont fourni les maté- riaux des mémoires descriptifs des pays cédés par Schah-Schu- jab-al-Moulk au Maharadjah de Lahore. On y trouve la descrip- tion des villes principales de l’Afphanistan , telles que Hérat, Candahar, Caboul, Gazneïn et Kélat ; des principaux défilés des montagnes, celui de Bolan surtout , dont on assure qu’au- cune description ne peut faire concevoir la force. Mr. Montgoméry Martin a puisé aux mêmes sources sa “description par provinces de l’histoire, des antiquités, de la to- pographie et de la statistique de l'Asie orientale. Le major Jar- vis prépare un manuel populaire et rationnel de la géographie et de la statistique de l’Asie , particulièrement des colonies an- glaises aux Indes. Enfin le capitaine Paton a levé la carte d’une portion considérable du Radjahstan. Plusieurs parties de la chaîne de l'Himalaya ont été décrites par le capitaine Johnston, Mr. Moorcroft', le baron Ch. Hiügel, sur les traces des frères Gérard * et de Colebrooke. Mr. Royle a publié un mémoire sur l’histoire naturelle des Monts Himalaya et de la vallée de Kache- ! Voyez Bibl. Univ. mars 1839, page 122. * Deux de ces officiers sont morts depuis peu d'années. A PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 311 myre (1835). Mr. Vigne a levé une carte de la vallée de Ka- chemyre ; il a franchi et décrit plusieurs des cols qui condui- sent de cette vallée au Thibet, et il est probablement le pre- mier Européen qui ait pénétré à Iskardoh dans le Petit-Thibet. Inde au delà du Gange. Le capitaine Pemberton a été envoyé, en 1837 et 1838, par le gouvernement anglais, en mission politique! dans le Boutan, pays de hautes montagnes déjà connu par l’ambassade de Samuel Turner, en 1783. À son retour il a publié une carte fort intéressante des pays peu connus situés sur la fron- tière orientale des possessions anglaises On y voit figurer un lac singulier , situé dans le Thibet, nommé Palté ou Yorbrogh Yumitso. Sa forme est celle d’un anneau, son bassin étant presque entièrement rempli par une ile arrosée de plusieurs ri- vières ; une autre rivière sert d'écoulement aux eaux de ce lac. — Mr. Pemberton avait publié précédemment une description des vastes provinces acquises par la Compagnie des Indes à l’est du Bengale en partie aux dépens de l’empire des Birmans. Ce sont les pays d’Assam, de Manipoura, d’Arracan, de Katchar, de Jontiah et de Cossiah , et plusieurs autres grandes régions dont les noms mêmes nous étaient inconnus il ÿ a quelques années. Le sol y est d’une grande fertilité et bien arrosé, les produc- tions variées ; il s’y trouve des mines d’or et d’autres métaux, la population est généralement inoffensive, mais clair-semée. Les montagnes qui bornent au midi la vallée d’Assam atteignent la hauteur de 8000 pieds anglais (2400 m. ). La Bibliothèque Universelle à rendu compte précédemment du voyage du capitaine Hannay sur l'Iraouaddy , au-dessus - d’Amérapoura, et aux mines d’ambre de la vallée de Hou- Kong‘. L'Inde au delà du Gange, cette partie jusqu’à nos jours si peu connue des Européens, est beaucoup plus visitée ! Voyez Bibl. Univ., mai 1838, p.125. 342 PROGRÈS DES TRAVAUX GEOGRAPHIQUES. depuis que les Anglais y ont pris pied par leurs victoires sur les Birmans. Toutes les relations s'accordent à la dépeindre comme semblable à l’Hindoustan pour le climat, pour l'aspect et pour la richesse des productions ; mais elle est moins peuplée, et les étais dont elle se compose n’offrent aucun intérêt histo- rique. Les peuples se rangent sous deux catégories : les domi- nateurs , tels que les Birmans, les Siamois , les Malais et les Cochiachinois, écrasés eux-mêmes par le desnotisme de quel- ques souverains; et en second lieu une foule de peuplades con- nues sous les noms de Kaïns, de Kariaïnes, de Ke-moys, de Schaus, de Koukies, de Mughs, de Cossiahs, etc. Ces derniè- res peuplades , asservies par les peuples dominateurs, sont ex- posées de leur part à toutes sortes de maux. Les forêts et ‘es montagnes qui leur servent de refuge, ne les garantissent pas des attaques dirigées constamment contre elles pour leur enlever des bommes et en faire des esclaves. À peine les laisse-t-on en possession de quelques armes grossières , et cependant on les a vues , lors de l'invasion des Anglais dans l’empire des Birmans, obligées de faire marcher au secours de leurs maîtres quelques milliers de misérables , qui eurent autant à souffrir des mauvais traitements des Birmans que de l'artillerie des Anglais. Il est possible que ces peuplades, mieux étudiées, présentent des analogies d’origine entre elles, et aussi avec les peuples de Miao-tz6 et de Lolos, cantonnés dans les montagnes de la Chine méridionale. Mais si l’on arrive jamais à reconnaître que le sud- est de l’Asie, depuis le Yant-tze-Kiang jusqu’au golfe de Siam, fut autrefois la demeure d’une nation unique, maintenant mor- celée , il est peu probable que jamais on reconstruise son, hi- stoire. Ces peuplades opprimées nous paraissent destinées à jouer un rôle intéressant dans l’économie future des établisse- ments européens dans l’Inde ; elles pourraient bien devenir les premiers instruments de l’œuvre civilisatrice que la main de l’Angleterre ne peut manquer d’accomplir au delà du Gange, et à laquelle elles gagneront plus que les autres. Lors de la paix - PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 313 faite, en 1826, entre l’Angleterre et les Birmans, plusieurs milliers de ces familles opprimées passèrent immédiatement la nouvelle limite, pour s'établir sur le territoire qui devait désor- mais appartenir aux Anglais. Ces nouvelles acquisitions n’ont pas manqué d’explorateurs qui ont su en décrire les ressources. Le capitaine Daniel Ross et le capitaine Lloyd ont levé la carte des côtes d’Arracan et de Merghi. Mr. Tassin a lithographié à Calcutta une carte de V’As- sam supérieur, sur laquelle se trouvent indiquées toutes les lo- calités où croit le thé. Le D" Helfer a fait connaitre l’intérieur des provinces d’Amberst et de Tenasserim. Le D' Richardson a donné plusieurs itinéraires conduisant de la ville anglaise de Moelmein à Amérapoura et aux villes septentrionales du royaume de Siam. Il s’est aussi rendu par terre à Bankok, la résidence du roi de Siam , où les Anolais ont maintenant une factorerie. Le capitaine Mac Leod s’est rendu par l'intérieur des terres jusqu’à la frontière chinoise , avec laquelle les Anglais recherchent l’occasion de lier des rapports commerciaux , que doit singulièrement favoriser la direction nord et sud des grands fleuves de l’Inde au delà du Gange. Nous empruntons au capitaine Laws les détails suivants sur la côte d’Arracan. Elle est bordée de bons ports et d’un assez grand nombre d'îles ; une chaîne de montagnes peu élevées la sépare de l’empire birman. Les villes y sont de simples bour- gades, dont la position réunit tout ce qui peut en rendre le séjour malsain. Elles sont bâties au dedans des terres, au mi- lieu des marais , enveloppées d’épais brouillards pendant la mousson du nord-est , avec des chaleurs étouffantes pendant la journée , qui alternent avec les rosées abondantes de la nuit. Pendant la mousson du sud-ouest, qui dure depuis le commen- cement du mois de mai à la fin de septembre, les terres sont véritablement inondées, ce qui oblige les habitants de vivre à Voyez Bibl, Univ., août 1839 (vol. XXI), page 267. XLII 20 314 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. dans des huttes élevées sur des pilotis à quatre pieds au-dessus du sol. Les corps de troupes anglaises qui furent stationnés dans cette partie du pays perdirent beaucoup de monde , tan- dis que, sur le bord immédiat de la mer, le temps est constam- ment beau depuis le mois de novembre à la fin d’avril. Tous les Birmans et tous les habitants aisés quittèrent le pays lorsqu'il fut cédé à la Compagnie des Indes ; la ville d’Arracan se trouva réduite à quelques buttes. Il n’est resté que les indi- gènes mugbs, au nombre de 200,000, gens inoffensifs, soumis et accablés d'impôts, Quoique, à bien des égards, ils soient loin d’être civilisés , il cst rare de rencontrer parmi eux un homme qui ne sache pas lire et écrire. Leurs prêtres se trouvent au nombre de deux ou trois dans chaque village, et paraissent en- tièrement occupés de l’éducation de la jeunesse. Leurs écoles sont ouvertes à tout le monde, et le seul prix de leur peine est une quantité suffisante de nourriture et une maison qui sert à la fois de temple , d’école et d'habitation. Ils rasent leur tête et vivent dans le célibat ; jamais on ne les ordonne qu’avec le consentement public de leurs parents et le leur , et d’ailleurs ils peuvent, sans exciter de scandale, quitter leur vocation aussi- tôt qu’elle leur déplaît, prendre femme et rentrer dans les voies ordinaires de la vie. Le pays d’Arracan est très-fertile et susceptible de produire {out ce qui est nécessaire à la vie. Les bêtes à cornes y sont nombreuses et ne servent qu’aux travaux de l’agriculture , car les préceptes du Bouddhisme défendent de les tuer et leur lait n’est pas employé. Les habitants trouvèrent ridicule l’usage que les Anglais et les Hindous en faisaient, et leur demandèrent s’ils ne craignaient pas de devenir des veaux. Australie. La colonisation de l’Australie fait de rapides progrès depuis les trois voyages de Sir Thomas Mitchell dans l'intérieur de ce PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 315 continent ‘. On compte plus de 3000 âmes à la ville de Mel- bourne, sur le Port Philippe, belle baie dont une carte a été levée par les lieutenants Symonds*® et Henry. Quelques mon - tagnes isolées et coniques s’élèvent à plusieurs lieues à l'ouest de cette ville; Mr. Tyers les croit volcaniques ; ce seraient les premières trouvées jusqu'ici sur le continent australien. Une chaîne de postes de 600 milles de longueur est maintenant éta- blie entre Melbourne et Sydney, et rend cette route assez sûre pour des dames. Dix mille personnes composent déjà la colonie d’Adélaïde , sur le golfe de Saint-Vincent, qui était un désert il y a quelques années, et un nombre assez considérable d'hommes entreprenants s’ysont rendus de Sydney, par terre, avec de grands troupeaux; _ de ce nombre est le capitaine Sturt, auquel on doit la première découverte du fleuve Murray et du lac Alexandrina. Un nouvel établissement vient d’être fondé au port Lincoln, à l’ouest de l'entrée du golfe Spencer. A peine a-t-on confirmé la nouvelle de la découverte d’une rivière assez forte qui se décharge dans Shoal-Bay, que le sol fertile qu’elle arrose a été colonisé. Victoria est un autre établissement fondé sur la côte sep- tentrionale, au port Essington, dans la péninsule de Cobourg: Le climat y est salubre, mais, selon Mr. Stanley, trop chaud pour permettre aux Européens le travail de la terre. Toutefois, son voisinage des îles de l’Australasie semble lui promettre une prospérité semblable à celle de Singapore. C’est afin d’arriver à ce résultat que des vaisseaux anglais * parcourent sans cesse les côtes voisines de la Nouvelle-Hollande, les Iles de la Sonde et les Moluques méridionales, pour y lier des rapports avec les Malais qui habitent ces parages. Ils travaillent en méme temps à faire mieux connaître les points les plus obscurs de ces ar- % chipels, Timor-laut, l'ile du Bois de Sandal, Timor, Ki, Sum- 1 Bibl. Univ., novembre et décembre 1839. 2 Mort capitaine à la Nouvelle-Zeelande. 3 MM. Owen, Stanley, Windsor Earle, etc. 316 PROGRÈS DES TRAVAUX GEÉOGRAPHIQUES. bava et les îles Arrou, patrie des oiseaux de paradis. Le vaisseau hollandais Dourga a accompli le même voyage, en 1825, sous le commandement du capitaine Kolff. Le capitaine Wickham, successeur du capitaine Fitzroy dans le commandement du Beagle, travaille à compléter la carte de la côte nord-ouest de l'Australie et des détroits de Torres et de Bass, ébauchée par les navigateurs français et continuée, de 1820 à 1823, par le capitaine P.-P. King. Il a pénétré jusqu’au fond des baies Roebuck et King, dont la dernière re- çoit le Fitzroy, la plus grande rivière découverte dans ces pa- rages. Les lieutenants Grey * et Lushington ont été les premiers Européens qui aient pénétré dans l’intérieur par cette partie de la côte ; le manque de pâturages pour leurs bestiaux les a em- péchés d’y pénétrer au delà de 24 lieues; mais ils ont décou- vert une rivière assez considérable, qu’ils ont appelée Glenelg. Parmi un certain nombre de cartes levées simultanément sur plusieurs points du continent australien, celle des environs de la colonie de Moreton-Bay s’étend déjà sur plus del 200 milles carrés, malgré la mort de l’un des ingénieurs assassiné par les naturels tandis qu’il était à écrire devant sa tente. On à découvert, outre la Brisbane, deux nouvelles rivières qui se jettent dans cette baie : l’une a été explorée à plus de 30 milles de son embouchure par Mr. Scott , l’autre a jusqu’à 30 pieds de profondeur à son em- bouchure. Mr. Windsor Earle rapporte qu'il arrive quelquelois de puiser de l’eau douce à la surface du golfe de Carpentarie , à une distance considérable des côtes. Un cas analogue à été déjà mentionné par la Bibl. Univ. comme ayant lieu dans le golfe du Bengale. On l’attribue à la quantité des eaux décharpées par le Gange dans le golfe du Bengale pendant la mousson pluvieuse,. Supposant, par analogie , que les eaux douces du golfe de Car- pentarie doivent provenir de quelque grande rivière inconnue 1 Maintenant capitaine et gouverneur de la colonie de l’Anstralie Mé- ridionale, Voyez sur ses voyages en Australie Bibl. Univ., décembre 1841 et janvier 1812. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 317 jusqu'à présent, le commandant Stokes en a découvert deux auxquelles il a donné les noms d’Albert et de Flinders. Elles ne sont pas considérables , il est vrai, mais divers débris , ar- rêtés dans les branches des arbres voisins à 20 pieds au-dessus de leur niveau temporaire , attestent que ce niveau est sujet à s'élever beaucoup. On sait que vingt-cinq années s’étaient écoulées depuis la fondation de Sydney avant que l'on eüt réussi à franchir la chaîne des Montagnes-Bleues. En 1813 , trois habitants de la colonie, alors en proie à une grande sécheresse, découvrirent la rivière Macquarie sur le revers occidental de ces montagnes. L’année suivante on y construisit une route qui les traverse à la hauteur de 3400 pieds anglais (1036 m.). Depuis lors les ingénieurs de la colonie ont parcouru dans l'intérieur des distances énor- mes ; les itinéraires de Mr. Oxley y figurent pour 1608 milles ; ceux de Mr. Hume pour 486; ceux de Allan Cunningham, que l’on suppose avoir été tué au bord de la rivière Bogan , pour 1735 milles; le capitaine Sturt en a parcouru 3222. Les derniers voyageurs ne sont pas restés indignes de leurs de- vanciers : le major sir Thomas Mitchell paraît avoir parcouru, en diverses fois , au delà de 5000 milles. La découverte , faite par le capitaine Sturt, du lac Alexan- drina, dans lequel se jette le fleuve Murray, n’a pas semblé d’abord pouvoir réaliser les espérances que l'on avait formées de la solution d’un point aussi intéressant de géographie phy- sique. Les eaux de ce grand lac, d’une très-faible profondeur , sont saumâtres et sont sujettes à de faibles marées de 8 pouces; mais le canal naturel qui le joint à la mer est resté longtemps impraticable, même pour les plus petits bateaux. Nous apprenons avec plaisir que l’on a réussi à faire franchir cette embouchure à l’Ondine (Waterwitch), cutter du gouvernement, du port de 22 tonneaux , ce qui rend à la découverte du capitaine Sturt toute son importance. Le capitaine George Grey, maintenant gouverneur de l'Aus- 318 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. tralie méridionale, sans se laisser rebuter par les fatigues de son voyage sur la côte du nord-ouest exécuté de concert avec Mr. Lushington , a entrepris, en février 1839, d’explorer la baie du Requin (Sbark’s Bay) ; ses bateaux y ont été détruits par une tempête, et il s’est vu forcé de ramener ses équipages à Perth , sur la rivière des Cygnes, dont il était éloigné de 350 milles en ligne directe. Dans ce trajet, fait au travers d’un pays complétement inconnu mais généralement fertile, ils perdirent Mr. F. Smith, jeune homme de grande espérance, qui suc- comba aux fatigues et à la faim qu'ils eurent à endurer. Îls n'éprouvèrent aucune marque de malveillance de la part des naturels, qui, selon Mr. Grey, parlent la même langue sur un espace de plus de 600 milles de cette côte occidentale. L’angle sud-est du continent australien, resté blanc jusqu’à présent sur nos cartes , a été parcouru récemment par le comte Streletsky. Il a donné le nom du gouverneur sir George Gipps à cette terre, dont il évalue l'étendue à 5600 milles carrés et dont il fait le tableau le plus animé et le plus favorable. La richesse du sol y est incomparable, les pâturages excellents et les mon- - tagnes d’un accès facile. Les indigènes s’y montrent inoffensifs. Un lac navigable et une série de lagunes partagent ce pays sur une longueur de 100 milles, et nécessiteraient la construction de quelques ponts pour établir les communications. La Terre de Gipps possède un littoral de 250 milles de longueur ; le comte Streletzky y a rencontré huit rivières, qu’une observation superficielle lui a fait conduire directement à la côte sud-est. Il paraît toutefois que leur direction a été indiquée d’une ma- nière quelquefois incorrecte, et que plusieurs d’entre elles tom- bent dans la rivière La Trobe, qui les conduit à son tour au Lac Wellington, long de 20 milles et large de 6. Une des découvertes les plus curieuses faites dans l'intérieur de l'Australie est celle du grand lac du Fer-à-cheval ( Horse-shoe ou Torrens). Mr, Eyre, connu déjà par un voyage à l’ouest du golfe Spencer jusqu’à Streaky-Bay et Fowler’s-Bay, partit d’Adé- PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 319 laide, le 18 juin1839, avec l'espoir d'aller planter le drapeau bri- tännique sous le tropique du Capricorne, au cœur de l'Australie, Mais un obstacle inattendu l’arréta tout court: c'était un lac d’une faible largeur, formant toutefois un vaste croissant de 400 milles de longueur, dont les bords étaient inaccessibles à cause de la nature spongieuse et marécageuse du sol. Mr. Eyre se dirigea longtemps à l’ouest sans pouvoir franchir cet ob- stacle, et retrouva la côte à Fowler’s-Bay. Il repartit de ce point le 25 février 1840, accompagné de quatre personnes et pour- vu de chevaux et de vivres pour neuf semaines ; mille contra- riétés s’opposèrent encore à l'exécution de son plan, et il arriva, le7 juillet au Port du Roi-George ( King George’s Sound) , après avoir parcouru au delà de 1040 milles d’un pays alternative- ment fertile et boisé, et sablonneux et nu. Archipel Indien. Le gouvernement hollandais s’occupe , d’une manière tar- dive, de publier la collection des cartes de ses possessions aux Iles de la Sonde. L'ouvrage de Mr. Lafond de Lurey renferme des détails in- téressants sur cet archipel ; il décrit une-race de Nègres, habi- tants de Bornéo , de Nicobar , de Timor , etc., dont la taille passe rarement 4; pieds. Legentil en parle, dans son voyage autour du monde en 1767 ; Walkenaer ne les dépeint cepen- dant pas comme des pigmées. Avec ce patriotisme et ce dévouement à la science qui distin- guent un grand nombre d’Anglais, Mr. James Brooke, dont nous avons mentionné les travaux géographiques sur les côtes de l’Asie Mineure , quitta l'Angleterre, il y a un petit nombre d'années , sur son beau yacht le Royaliste, schooner de 150 tonneaux, fourni à ses dépens d'instruments de grand prix, pour visiter les iles de l'Archipel Indien. Les dernières nouvelles reçues de ce géographe entreprenant étaient datées de Singa- pore , du 20 février 1841. Il a exploré les côtes de Célèbes 320 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. et surtout celles de Bornéo. La partie occidentale de cette île présente d’excellents ports et un sol propre à la culture de toutes les épiceries, d'autant plus favorable à l'établissement d’une colonie que le climat en est frais, bien que ce pays soit coupé par la ligne équinoxiale. Les mines de fer, d’étain, d’or, de plomb, de cuivre , d’antimoine et de diamants s’y trouvent en abondance. La côte est habitée par un petit nombre de Malais, qui font exécuter par des Chinois la plupart des travaux péni- bles. De belles rivières navigables s’y déchargent par une foule de bras , dont les nombreuses intersections forment un labyrinthe. Mr.Brooke en a remonté plusieurs jusqu’à 60 et 100 milles dans l'intérieur, où il a rencontré une chaine de montagnes de 3000 pieds de hauteur; ces montagnes sont habitées par les Dayaks , race indigène, nombreuse et susceptible de se civiliser; mais leur timidité les expose aux mauvais traitements des Pangerans, leurs voisins plus actifs. Nouvelle Zeelande. La Nouvelle-Zéelande a excité beaucoup d'intérêt depuis quel- ques années. Les mesures énergiques du gouvernement anglais pour la coloniser ont amené plusieurs découvertes , tandis que le capitaine français Cécile a levé des plans fort exacts des prin- cipales baies de ces îles et une carte des îles Chatham. Les colons anglais se sont établis à Nicholson , beau port à l’extré- mité méridionale de l’île du Nord ; la capitale de cette colonie est Auckland , situéeà l'embouchure de la Tamise sur la côte du nord-est. Rarement un ingénieur a montré plus d’ardeur et d’ac- tivité que le capitaine W. Symonds n’en a mis à lever la carte des côtes et des rivières de cette ile. Il est parvenu à la source d’un grand nombre, il a visité les Vingt Lacs qui occupent une grande partie de l’angle nord-est, et les sources chaudes qui s’é- tendent en ligne depuis le Mont Edgecombe dans la baie d'A- bondance jusqu’au Pic d'Egmont. Il avait, en outre, préparé un vocabulaire de 3000 mots de la langue ‘des insulaires, lors- ds PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 321 qu'une mort prématurée a privé la colonie des services de ce jeune homme. Il a été noyé, en septembre 1841 , comme il traversait la baie d’Avito dans un bateau qui a chaviré. La Compagnie de la Nouvelle-Zéelande a étendu ses posses- sions par l'acquisition des îles Chatham , groupe situé à 300 milles à l’est du port Nicholson par 44°,5" de latitude méri- dionale. Elles ont été examinées en détail par le D'Dieffenbach qui évalue l’étendue de la principale à 305,280 acres, dont 97,600 au moins sont occupés par des lacs ; il y compte 100,000 acres de bonnes terres cultivables , et le reste ferait d’excellents pâturages. Il y a du bois et de l'eau en abondance, et il ne man- que, pour tirer de ce terrain d'abondantes récoltes de toutes les plantes d'Europe , que d’en saigner la surface. Le climat est salubre, le poisson et le gibier aquatique abondent, et la côte occidentale présente quelques bons ports. D’après des ren- seignements récents, il paraît que la mer est entrée dans un grand lac d'eau douce, voisin de la côte occidentale, et en a fait un port avec une barre à l’entrée. Pôle Sud. Plusieurs terres nouvelles ont été découvertes par Mr.Biscoe dans les mers du pôle antarctique, en 1833. Une partie des espérances qu'avait fait concevoir le voyage du capitaine Du- mont d'Urville n’a pu se réaliser, la rigueur du froid pendant Pété antarctique de 1837 à 1838 l’ayant empêché de s’avan- cer au delà du 64° degré de latitude. Il n’y a renoncé qu'après avoir, pendant un mois, lutté contre les glaces, dont l’absence avait permis au capitaine Weddell de s’avancer de 10 degrés plus au sud de 1822 à 1821. Mr. Enderby et quelques autres négociants de Londres ont fait partir, en 1838 , une expédition conduite par Mr. John Balleny, qui a fait la découverte d'un groupe d’iles, situé par 66° 44° lat. sud, et auquel on a donné son nom. Ces îles sont remarquables par l’aspect escarpé de leurs côtes gla- J 22 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. cées et surtout par leurs volcans, dont le principal semble égaler en hauteur la cime du Pic de Ténériffe (3710 mètres). Cette découverte intéressante n’a été que le prélude de celles du capitaine Ross. Ce marin, si connu depuis 1817 par ses voyages dans la direction du pôle Nord, a été mis à la tête d’une expédition destinée à établir à Sainte-Hélène, au Cap de Bonne-Espérance et à la Terre-de-Diemen, des stations pour observer, d’heure en heure et pendant trois années consécutives, la déclinaison, l’in- clinaison et l’intensité de la force magnétique. Quoique déjà connue de tout le monde, nous ne pouvons nous dispenser de mentionner la découverte de la Terre-Victoria du Sud !, faite en dernier lieu par le capitaine Ross, entre 71° 56! et 80° de lat. sud et par 1730 30/ de long. est de Greenwich. Il en a suivi les côtes sur plus de 200 lieues du nord au sud, et ya vu un volcan de 12,400 p. angl. (3780 mètres), qu’il a nommé l’Erèbe. Afrique. Egypte. — Les hostilités des Français à Alger s'opposent à ce que les découvertes faites en Barbarie aillent de pair avec les progrès des Européens sur les autres points du continent africain. Mr. Robinson a péri dans une tentative pour se rendre à Tomboktou par l’Atlas de Maroc. L'Egypte semblait avoir été explorée de manière à ne pas laisser même de glanures aux der- niers venus, lorsque Sir Gardner Wilkinson s’est imposé la tâche de faire connaître aussi le désert situé entre la Mer Rouge et le Nil, avec la même constance que ses devanciers avaient mise à exploiter le champ plus fertile en découvertes et moins pé- nible des rives du Nil et des antiques cités de la Thébaïde. Il a parcouru les vallées arides qui servirent d'asile aux premiers ! MM. Dease et Simpson ont donné le nom de leur souveraine à une autre terre glacée située dans la Mer Glaciale Arctique, au nord de l'Amérique. Voyez Bibl. Univ., avril 1840 (vol. XXVI), p. 315. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 323 ermites chrétiens, disciples d'Antoine et de Paul. Des mona- sières ont pris la place des cellules de ces fameux cénobites ; mais leurs habitants ne paraissent pas avoir toujours présent à la mémoire le souvenir des vertus de leurs fondateurs. Le désert est coupé de plusieurs chaînes parallèles, dont quelques-unes sont granitiques et atteignent la hauteur de 5000 pieds. Le Mont-Gharib en est la cime principale. Les courses de Mr. Wil- kinson ont amené la découverte des anciennes carrières de por- phyre rouge, exploitées par les Romains dans la Thébaïde , au Djebel-Dokhan (montagne de la fumée). Il a également retrouvé les traces, presque effacées par les torrents, de la route commer- ciale qui servait au transport des marchandises des Indes du port de Myos-Ormos à Coptos sur le Nil. Myos-Ormos était le port d’où partait chaque année pour les Indes une floite romaine de 120 vaisseaux ; cependant il ne s’y trouve aucune trace de son ancienne importance, et le climat en est pestilentiel pendant les chaleurs de l’été. Sir G. Wilkinson a également découvert des vestiges assez importants de plusieurs des anciennes stations établies par Ptolémée Evergète sur la route de Coptos à Bérénice. Il ne pleut guère qu’une fois tous les deux ou trois ans dans le désert de la Haute-Egypte ; aussi l'eau y est-elle fort rare ; toutefois il y a telle citerne où l’on en trouve encore après trois ans de sécheresse. Les meilleures citernes sont formées naturellement dans les crevasses des roches granitiques ; les mauvaises sont celles qui ne conservent d’eau que pendant une année, encore est-elle souvent sulfureuse; celles-ci appar- tiennent généralement à la région calcaire: Mr. Wilkinson dit que ce qui lui parut d’abord le plus extraordinaire à son retour sur les bords du Nil, après trois mois passés dans le désert, était la prodigalité avec laquelle on ÿ employait l’eau. Plusieurs années de recherches ont permis à Sir G. Wilkin- son de réunir les matériaux d’un Tableau des usages et des mœurs des anciens Egyptiens, ouvrage considérable, accom- 324 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. pagné de plusieurs centaines de gravures, mais qui n'a pas en- core été publié en entier. Ce voyageur a écrit un mémoire sur l’ancien niveau de la Vallée du Nil, dans lequel il prouve que, au lieu de disparaître graduellement sous les sables du désert, la portion des terres cultivables de l'Egypte augmente au con- traire d’étendue. Il paraît que, dans le cours de 1700 ans, la surface du sol s’est élevée de 9 pieds à Eléphantine, de 7 à Thèbes et de 5 pieds et demi à Héliopolis. La largeur du Delta rend cet accroissement de hauteur d’autant moindre qu’on l’ob- serve plus près de la mer. Mr. Wilkinson a profité de son retour récent en Egypte pour lever une carte exacte et détaillée de la vallée des lacs de Na-. tron, et d’une partie de la vallée connue sous le‘nom de Bahr- el-Farg ou Bahr-belä-mà (rivière sans eau). L'examen de cette dernière lui a démontré qu'elle n’a jamais dû étre le lit d’une rivière et encore moins celui du Nil, ainsi que l’avaient pensé quelques voyageurs ; elle est parsemée de bois pétrifié, comme une grande partie du désert, mais elle n’offre aucun dépôt fluvial. La vallée des lacs de Natron, longue de 22 milles sur 2 de largeur, paraît être, ainsi que plusieurs autres lacs de cette ré- gion, moins élevée que le niveau de la mer; Sir G. Wilkinson a observé une crue périodique de leurs eaux, qui ne se ma- nifeste cependant que trois mois après celle du Nil. Dans tous ces lacs on recueille du sel en couches de 18 pouces d’épais- seur ; la croûte de natron a 27 pouces , mais il ne s'en trouve pas dans tous les lacs. Quelques-uns possèdent enfin des sources d’eau douce, que Mr.Wilkinson attribue à l’infiltration des eaux du Nil au travers des sables. Abyssinie.— Le D'Edouard Rüppell, de Francfort, bien connu comme l’un des voyageurs et des naturalistes les plus distingués qui aient parcouru l’Afrique depuis le temps de Horneman et de Burkhardt, a obtenu, pour son premier voyage, l’un des grands prix donnés par la Société de Géographie de Londres. Dans un PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 325 second voyage il s’est rendu à l'ile de Massouah en Abyssinie, par le Caire, l’Arabie-Pétrée et Djidda ; il a pénétré dans l'in- térieur de l’Abyssinie, sur les bords du Tacazzé , dans la pro- vince montagneuse de Semen et jusqu’au Kordofan. On lui doit, outre une foule de renseignements sur la statistique et sur la zoologie de cette contrée, une série précieuse d’ob- servations astronomiques , par lesquelles il a déterminé la lon- gitude et la latitude des points où il s’est arrété. Le D' Bowring a fait parvenir en Angleterre le journal, dicté par Mohamed-Ali, de l'expédition de ce prince depuis le Caire au Fazoglo, sur les confins de l’Abyssinie. Mr. Russegger à porté un bon baromètre pour mesurer la hauteur des mon- tagnes dans les mines de ce pays lointain et dans le Kordofan. Depuis plusieurs années, l’Abyssinie est parcourue par des voya- geurs de toutes les nations de l'Europe. Rüppell, Beke, Krapf et Isenberg, MM. d’Abbadie, Dufey, Linant, Russegger, Gobat, Combe et Tamisier, Pallme , lord Prudhæ , Aubert , Lefèvre , Petit, Dillon, Rochet d'Héricourt, Airton, Fain, Kielmaer, Harris, etc., ont sillonné dans tous les sens ce pays intéressant, ainsi que la Nubie et le Dar-Four, corrigeant les notions erro- nées sur le cours des fleuves, la hauteur des montagnes, et fixant par des observations astronomiques la position de toutes les localités. Nulle part ces voyageurs n’ont rencontré de grands obstacles de la part des peuples de l’Abyssinie, et la curiosité en entraine déjà plusieurs au delà des limites de ce pays. Espé- rons que l’acquisition récente de quelques-unes des îles de la Mer Rouge par les Français sera un moyen de faciliter le pro- grès de ces découvertes, dont le manque d’espace nous em- pêche de rendre un compte plus détaillé. Les explorations de Mr. Rüppell dans le Kordofan ont été suivies du voyage de Mr. Holroyd, en 1837. Il s’est rendu de la deuxième cataracte du Nil à Ouadey-Halfa en Nubie, aux ruines du voisinage de Chendi, puis à Khartoum sur la rive gauche du Nil-Bleu (Babr-el-Azrek), à une demi-lieue de son 326 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. confluent avec le Nil-Blanc (Bahr-el-Abiad). Sa latitude est de 15° 34! 40" au N. de l'équateur. Les avantages de cette posi- tion géographique et le séjour du gouverneur, placé en Nubie par le pacha d’'Egvpte, ont fait de Khartoum, qui n’était autre- fois qu'un village, une ville dont l'importance croissante en- traîne la décadence de Sennaar et de Chendi. La première n’est plus composée que de quelques misérables cabanes, au lièu des 100,000 habitants que les anciens voyageurs lui supposaient autrefois. Notre voyageur trouva le désert parsemé, sur plusieurs points, de troncs silicifiés d’arbres qui paraissaient être des doums ou palmiers de la Haute-Egypte. Quelques-uns de ces arbres avaient 50 pieds de longueur et 20 pouces de diamètre ; ils sont en partie enterrés dans le sable et leurs fragments servent de pierres à fusil. Un phénomène semblable s'était offert à Horneman dans le désert, entre Audjilah et Mourzouk. Mr. Holroyd remonta jusqu’à Sennaar le Fleuve-Bleu, en- caissé entre des falaises de cinquante pieds, et dont les pluies élèvent le niveau de 20 pieds au-dessus de l’étiage. Puis il se rendit, à l’ouest, sur les bords du Fleuve-Blanc, au travers d’une plaine que sa fertilité, jointe à une irrigation facile, pour- rait convertir en riches cultures de tabac, de coton, de sucre et d’indigo. Le thermomètre de Farenheit y atteignit 112° (44° C.), le 19 de mars. Mr. Holroyÿd traversa deux fois le désert à l’ouest du Fleuve-Blanc, pour se rendre à Obeïd, chef-lieu du Kordofan, et pour en revenir. Le Niger. On sait que la découverte de l’une des bouches de ce fleuve par les frères Lander, en 1830, fut suivie, en 1833—1834, d'une expédition plus considérable, confiée au capitaine Wil- liam Allen, accompagné de Richard Lander et de Mr. Oldfield. Ces voyageurs réussirent à pénétrer dans l'intérieur du Delta ; l’homme courageux qui leur servait de guide, Richard Lander, Se Line à PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 327 périt dans ce voyage. Le capitaine Allen remonta la rivière Tchadda jusqu’à plus de quarante lieues de son confluent avec la Quorra. On lui doit la carte de la partie du cours du fleuve comprise entre la mer et le point où il s’arréta , carte qui, pour avoir été levée en dépit de difficultés nombreuses, n’en a pas LÉ reconnue moins exacte par les navigateurs qui en ont fait usage. Encouragés par le succès partiel de cette expédition, Mr. Fo- well Buxton et d’autres philanthropes, intéressés à voir la civili- sation se répandre au cœur de l'Afrique, ont pensé que le meil- leur moyen de forcer les Nègres à renoncer au commerce des esclaves serait de mettre à leur portée les moyens d’en faire un plus lucratif des riches productions de leur pays: On a espéré obtenir ce résultat de l'établissement de quelques marchés européens sur les bords du Niger, où les naturels pourraient trouver un débit plus facile de leurs denrées, plus de sécurité pour leurs transactions commerciales, des marchandises an- glaises et des exemples à imiter sur les meilleures méthodes d'agriculture. (Voy. Bibl. Univ., févr. 184 1, vol. 31,p.231.) Le gouvernement, entrant dans les vues de la Société de Géographie de Londres, a libéralement accordé pour cet objet trois magnifiques bateaux à vapeur, et le Parlement y a consa- cré une somme de 60,000 liv. sterl. La nouvelle expédition est partie dans l’été de 1841, accompagnée des vœux de tous les amis de l'humanité et de la géographie, sous le commande- ment du capitaine Henri Trotter, du capitaine William Allen, mentionné plus haut et commandant du Wilberforce, et du ca- pitaine Bird Allen, monté sur lé Soudan, l’un des trois bateaux à vapeur. Mais une maladie mortelle se déclara à bord des bà- timents quelques jours après leur entrée dans la rivière, et fit parmi les équipages des ravages qui empéchèrent de s’avancer même aussi loin que dans l’expédition précédente. Le capitaine Bird Allen fut une des victimes de ce fléau. I fallut s'arrêter à Egga, à 340 milles de l’embouchure du fleuve, et renoncer à 328 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. remonter le Tchadda, le plus considérable de ses affluents. On choisit en face du point où il vient s’y jeter, sur la rive droite du Niger, une place favorable à l’établissement d’une petite co- lonie de Nègres civilisés amenés de Sierra-Leone. Placés sous la direction d’un planteur expérimenté des Indes occidentales, ils ont été destinés à former, aux frais de quelques philanthropes de Londres, une petite ferme-modèle où les Nègres trouveront, s’ils les cherchent, des exemples à suivre dans la culture de leurs terres. Si elle n’éprouve pas le sort de presque tous les établissements de ce genre déjà formés en Afrique, elle pourra servir plus tard de base et de point de départ à de nouvelles ex- plorations du cours du Tchadda. Le Tchadda est une rivière considérable, destinée peut-être à jouer un jour un rôle important dans les communications de l'Afrique intérieure, ou, peut-être aussi, à tromper encore les systèmes de quelques géographes, suivant qu’elle se trouvera étre ou non la même rivière que le Yeou ou Gambarou, men- tionné par Denham et Clapperton. Leur témoignage paraît as- sez vague pour permettre au capitaine William Allen de sup- poser que les eaux du lac Tchad, s’écouiant par le Gambarou, au travers du pays de Haoussa, arrivent au Niger sous le nom de Tchadda; et comme d'autre part le lac Tchad reçoit du midi la grande rivière de Chary, découverte par le major Den- ham, cette hypothèse, sous son aspect le plus brillant, offre comme appât aux voyageurs la possibilité de remonter par eau depuis le golfe de Guinée jusqu'au pied des Montagnes de la Lune , qui recèlent probablement les sources du Chary aussi bien que celles du Babr-el-Abiad. Il nous semble que l’on peut objecter à cette hypothèse que, dans le cours ordinaire des phénomènes relatifs à la géo- graphie des lacs, la rivière qui leur sert de dégorgeoir, de desaguadero, seloû l'expression espagnole, égale au moins en volume l'une des rivières tributaires de ces lacs ; or, tandis que Denham décrit le Chary, affluent du lac Tchad, comme un PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 329 fleuve profond, large de plus de mille pieds, il n’en donne que cent au Gambarou. Il passa ce dernier auprès de Yeou, dans un endroit où son lit avait une largeur de 300 pieds, dont il ne rem- plissait que le tiers. Cette même rivière ne formait plus qu’une série d’étangs , lorsqu'il la vit au campement des troupes du cheikh près des ruines de l’ancienne ville de Gambarou ; enfin Clapperton en traversa le lit complétement desséché, dans son premier voyage au Haoussa. Ce ne sont pas là les caractères d’un fleuve qui serait entré large de mille pieds dans le lac Tchad. Dénham dit positivement que le Tchad déborde à l’é- poque des pluies et submerge une large zone de forêts, ce qui fait refluer dans les campagnes une multitude de lions, d'élé- phants, de reptiles et d’autres bêtes auxquelles elles servent de retraite. Nous persistons donc à considérer ce lac comme un bassin fermé, tout en avouant que c'est un grand dommage pour la facilité des communications. Le Niger franchit, en passant du Soudan à la côte de Gui- née, une chaîne peu continue de montagnes isolées dont la hauteur ne dépasse pas 1200 à 1500 pieds au-dessus du ni- veau des eaux de la rivière. Le sol n’y a pas présenté le degré de fertilité auquel on s’était attendu. I paraît que le fleuve ne porte plus au-dessous d’Egga que le nom d’eau, qui remplace celui de Quorra. On l’appelle eau blanche, auprès d’'Iddab, par opposition avec l’eau noire, qui désigne le Tchadda quelquefois chargé de limon. Quoique antérieur à l'expédition du capitaine Trotter, nous décrirons ici, en peu de mots, le voyage plus heureux du capi- tâine Becroft dans le Niger inférieur avec l’Ethiopien, bateau à vapeur de Liverpool. Mr. B. remonta d’abord, en avril 1840, le Formoso, belle rivière du pays de Beni, qui se forme, à 40 milles de la mer, de deux branches distinctes ; il suivit ces branches jusqu’à la distance de 50 et de 70 milles de leur réunion ; au delà, l'Ethiopién trouva le passage intercepté non par le manque de profondeur, mais par une masse impénétrable de plantes aqua- XLII 21 330 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. tiques. Cette interruption laisse donc des doutes sur l'identité du Rio-Formoso avec quelque bras détaché du Niger, d'autant plus que les eaux de ces deux branches étaient plus limpides que ne le sont habituellement celles du fleuve. ] Plus heureux dans la branche de Ouari ou Warru, Mr. Be- croft réussit à pénétrer par ce canal dans le Delta du Niger, dont il rejoignit le bras principal un peu au-dessous d’Ibo ou Abob (Eboe et Ibu) le 20 mai 1840. De cette ville, située au centre du Delta , il remonta jusqu’au Nouveau-Bajibo, situé à deux heures de Lever, à 150 milles environ au-dessus d’Egga, par 9° 40” de latitude N. À ce point, la force du courant, augmentée chaque jour par la crue des eaux, et les rochers dont le fleuve était embarrassé obligèrent Mr. Becroft de re- descendre jusqu'à la branche de Ouari, dont il atteignit l’em- bouchure le 30 actobre. Pendant un séjour de six mois dans les eaux du Niger, il n’éprouva que des marques de bienveil- lance de la part des princes et des peuples avec lesquels il eut des rapports, surtout chez le roi de Rabbabh. Il peint sous des couleurs favorables tout le pays situé au-dessus d’'Iddab , à 200 milles environ de la mer, tant sous le point de vue des beautés pittoresques et de la fertilité du sol, que de la richesse des produits, du climat ! et des dispositions que lui montrèrent les habitants à former avec les Anglais des relations de com- merce. Le coton y est indigène, ainsi que l’indigo dont les Nèsres entendent bien Îa préparation. Vers la fin de l'année 1841, Mr. Becroft a exploré la rivière du Vieux-Calabar, dont la large embouchure promettait une navigation longue et facile. Elle se trouve cependant réduite à peu de*chose, au delà du point où le flux cesse de s’y faire sen- tir, À 150 milles de son embouchure , en tenant compte des détours, elle reçoit la Rivière-de-la-Croix (Cross-river), qui 1 Pendant les six mois de mai à octobre, le thermomètre, flacé dans la cabine du bateau à vapeur, marquait habituellement de 22° à 24° C. à six heures du matin, de 28° à 30° à midi, et de 27° à 28° à six h. du soir. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 391 vient du nord, en formant aussi des détours. Mr. Becroft la re- monta l’espace de 70 milles jusqu’à Ommann, ville considéra- ble, bâtie dans une île, qui fournit une grande quantité de bé- tail et d’huile de palme aux habitants du Vieux-Calabar. Ce fut au moment de commencer ce second voyage que Mr. Becroft eut le bonheur de secourir à propos l’Albert, l’un des bateaux à vapeur envoyés par le gouvernement, dont les maladies avaient réduit l'équipage au point que Mr. Stanger, chirurgien du bä- timent, avait été obligé d’en prendre la conduite. H avait réussi à lui faire descendre le Niger sans posséder d’autres connais- sances en mécanique que celles qu'il avait dù emprunter, au moment du besoin, à l’étude de l’ouvrage de Tredgold sur les machines à vapeur. De ces derniers voyages il résulte Ia triste conviction que tant qu’on n'aura pas trouvé, pour pénétrer dans le Niger, d’autre route que la région pestilentielle de son Delta, on ne pourra pas y#éjourner sans des sacrifices de vie humaine in- compffÿes avec les vues d’un commerce régulier. Mr. Becroft a éprouvé, en outre, que les eaux du fleuve n’offrent pas, pen- dant la plus grande partie de l’année, une profondeur suffisante pour qu'un bateau à vapeur de la force de 30 chevaux puisse ‘y naviguer en sûreté, tandis que des bâtiments d’un moindre tonnage ne seraient pas en état de tenir la mer. MM. Jamieson, négociants de Liverpool, commettants de Mr. Becroft, ont fait parvenir en Europe une description de Benin, fournie par MM. Moffat et Smith, deux chirurgiens atta- chés à l’équipage de l’Ethiopien. Il paraît que cet état, autre- fois si célèbre , n’est maintenant ni étendu, ni important. Le cotonnier y est indigène et la canne à sucre de bonne qualité : on ÿ cultive la terre par parcelles carrées, plantées d’ignames, de plantain, de cassave et de blé de Turquie. La ville de Benin n’est pas située, comme on l'avait cru longtemps, sur un bras de la Quorra ou du Rio-Formoso. Le pays entre cette ville et Gatto est pittoresque et couvert de belles forêts. 292 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. MM. Moffat et Smith ne furent pas longtemps à Benin sans y voir de tristes preuves de l’état barbare de ses habitants. Ils trouvèrent, sur une esplanade voisine de la place du marché, une espèce de Golgotha formé de monceaux de crânes humains blanchis au soleil. Ils furent encore plus révoltés de voir hors de la ville, et non loin de la résidence royale, les cadavres de plusieurs hommes récemment décapités servir de pâture à des coqs-d’Inde,-et sur le toit d’une hutte voisine deux autres ca- davres assis. Une fosse ouverte auprès de cet endroit abomi- nable exhalait une puanteur qu’on pouvait attribuer à quelque entassement de corps humains dans un état de putréfaction. Les deux voyageurs anglais eurent à endurer quatre jours d’attente et la répétition continuelle des questions : « Pourquoi êtes-vous venus ? » et « Quels cadeaux apportez-vous ? » avant d'obtenir une audience du roi. C’était un vieillard robuste, qui affectait beaucoup de dignité et qui consentit avec peine à per- mettre le commerce que les Anglais se proposgjent de faire à Gatto. Il demanda quand le roi d'Angleterre ptrmettrait le ré- tablissement de la traite des esclaves, et laissa éclater un accès de rage quand on lui répondit que cela n'arriverait jamais. Il menaça d'écrire au roi d'Angleterre une lettre de reproches sur ce qu'il enlevait les vaisseaux en mer. Ce ne fut qu'avec diffi- culté et avec des éclats de rire qu'il comprit que le roi d’An- gleterre est une femme. it Parmi les travaux analytiques publiés sur le Soudan, nous devons citer une Histoire des Foulahs ou Fellahs, insérée par Mr, d’Eichthal dans le premier volume des Mémoires de la 1 Société ethnologique * de Paris, et l'excellente analyse pu- bliée à Londres par Mr. Desborough Cooley, des travaux des géographes arabes du moyen âge sur le Soudan, ouvrage " Mr. Gustave d’Eichthal ne considère pas comme indigène de l’Afri- que cette nation qui n'est que très-basanée ; et son langage lui paraît autoriser l'hypothèse hardie qui les rattacherait à la race Malaise et aux habitants de Java, CE, et PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 333 où l'auteur fait preuve d’autant de sagacité que d’érudition dans un travail bérissé de difficultés. L’infatigable Charles Ritter a publié un traité des migrations de la canne à sucre dans l’an- cien continent, avant qu’elle fût transplantée en Amérique. Il fait connaître les circonstances et le plus ou moins de succès de sa translation successive de la Chine à la Cochinchine, au bassin du Gange, au midi de l’Hindoustan, sur les bords du Golfe Persique et de la Mer Rouge ; des rives du Nil elle fut en- suite transportée en Palestine, puis en Sicile et en Espagne ; on l’introduisit aux îles Canaries, sur les côtes orientales et occi- dentales de l'Afrique, puis enfin dans le Nouveau-Monde. Côtes d’ Afrique. Les côtes de l'Afrique ont été relevées par les officiers de la marine anglaise avec un som persévérant, d'autant plus digne d’éloge que la mort s’y présente presque inévitable. Le lieute- nant Carless aexploré les côtes de FAjan et d’Adel ; le capitaine Vidal celles du nord-ouest de l'Afrique, depuis le détroit de Gibraltar jusqu’au delà du Cap Blanc, et la Côte d'Or et la Baie - de Benin. Les travaux du commodore Owen ont embrassé une grande partie de la côte orientale et de celle du Congo. L’étendue déjà trop grande de cette revue nous empéche de rendre compte d’une tenfative peu connue, faite il y a quelques années par trois officiers du Leven, pour remonter à la source du Zambeze. Le voyage du capitaine Alexander au pays des Nama- quas et des Damaras mériterait également une analyse moins 'succincte. Le capitaine sir Henry Leake a levé la carte de la côte de Guinée , depuis le Cap Vert jusqu’au Cap Monserado, avec une ardeur qui a peut-être sauvé ses jours de l'influence mortelle du climat. Le champ de ses travaux comprend la côte de Sierra-Leone, les bouches très-peu connues du Rio-Grande, du Rio-Nunez, du Cazamanza et de la Gambie et l'archipel des Iles-Bissaos, vaguement indiqué sur les cartes antérieures. La 334 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. fièvre fit perdre à Sir Henry Leake plus de 200 hommes de son équipage. Cette maladie, constamment mortelle, est accompa- gnée d’une entière prostration de forces, et ne se déclare qu’au moment où le patient peut étre “déjà considéré comme mort ; car, dans l’autopsie des cadavres ouverts, on a constamment trouvé le foie entièrement détruit et les intestins attaqués d’un grand nombre d’ulcères. Les Portugais possèdent encore sur les côtes de la Sénégambie quelques établissements en déca- dence, dont ils cherchaient à éloigner les Anglais ; jamais ils ne les laissaient aborder sans leur tirer dessus, ou sans les arrêter s’ils se trouvaient les plus forts; mais aucun courage ne soute- nait ces dispositions hostiles. Amérique Septentrionale. Le congrès américain ayant ordonné, en 1836, l'exécution d’une grande triangulation de son territoire, le secrétaire d’é- tat au département de la guerre a annoncé, à la fin de 1840, qu’elle venait de s'effectuer dans la presque totalité du territoire .compris entre le Missouri, le Mississipi et la frontière septen- trionale de la République, conjointement avec 245 observations astronomiques. Mr. Nicoles a joint à ce travail le résultat d’un grand nombre de mesures barométriques propres à faire con- naître le relief de ces vastes plaines. Le Mexique est de tous les pays de l’Amèrique septentrio- nale celui qui attire le plus de voyageurs et récompense le mieux leurs travaux. Chacun d’eux signale l’imperfection des cartes que l’on en possède, mais chacun aussi apporte, pour combler cette lacune, un riche contingent d'observations astro- nomiques, géologiques, barométriques, etc. Mr. Stephens , consul des Etats-Unis à Guatimala, a décrit avec charme ce beau pays, et donne une haute idée des anti- quités que recèlent ses forêts. C’est un champ où il reste en- core plus que des glanures aux archéologues qui s’y enfonce- vont sur les traces de Mr, Stephens. PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 339 L'Amérique russe voit augmenter le nombre de ses colons, quoique la pêche soit leur seul moyen d’existence, sous un cli- mat et sur un sol également contraires à l’agriculture. La Nou- velle Arkhangel, chef-lieu de ces établissements, posséderait, dit-on, une population de 10,000 habitants, une bibliothèque, des écoles, des églises, un observatoire magnétique établi de- puis l’année 1833, et verrait bientôt s’élever un cabinet d’hi- stoire naturelle et un observatoire astronomique. Une expédi- tion de découvertes, conduite par Mr. Glazounoff, a exploré, en 1833, une région encore inconnue de la côte nord-ouest de l'Amérique septentrionale et parcouru, en 104 jours, une route de 520 lieues, dont la carte est annexée à la relation qui en a été publiée. La découverte d’un passage nord-ouest, qui a flatté et trompé les espérances de tant de générations, demeure encore incom- plète. L'intrépide Mr.Simpson, auquel ses travaux ont valu l’une des médailles royales conférées par la Société géographique de Londres, et à qui faraissait réservé l'honneur d’une découverte dont il a tant approché, a péri misérablement. On à publié la relation de Mr. Kochevaroff, officier né dans l'Amérique russe, envoyé dans le même but par la compagnie russo-américaine, mais qui est arrivé trop tard pour priver MM. Dease et Simpson de la gloire de leurs découvertes". Amérique Méridionale. Mr. Schomburgk est l'homme auquel la géographie de la Guyane doit le plus de progrès. Dans le cours de trois années consécutives, à partir de 1834, il a exploré le cours des ri- vières Essequibo, Berbice, Rupununi et Corentyn *. Dans sa quatrième campagne il a été, ainsi que ses compagnons, exposé à la fièvre et à des incommodités dont son zèle n’a pas été diminué. Il est enfin parvenu, le 27 décembre 1837, à ! Voyez Bibl. Univ., avril 1840 ( vol. XXVI), page 313. ? Voyez Bibl. Univ., juin et juillet 1838 (vol. XV et XVI), p. 307 ct 84. 336 PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. la source de l’Essequibo , située dans la Sierra-Acarai, par 0°, 41 de latitude septentrionale, et 59° 1/4 à l’ouest du mé- ridien de Greenwich. 1l a, plusieurs fois, franchi l’équateur, la frontière brésilienne, les chaînes escarpées de Pacaraïma et de Rorima, descendu le Rio Branco, et visité les sources du Ca- rouni. En 1838 et 1839, il a remonté la rivière Parima ou Rio Branco et parcouru une région de 700 milles avant d’ar- river à Esmeralda sur l'Orinoco, où il a pu lier ses observations astronomiques à celles de Mr. de Humboldt, faites en 1800. Cette région, coupée de rivières et de montagnes, présente une cime, le Maravaca, dont Mr. Schomburgk évalue la hauteur à plus de 3,000 mètres au-dessus de la mer. De l’Orinoco, il a descendu le Casiquiare jusque dans le Rio Negro, vaste rivière, à laquelle des iles donnent en quelques endroits une largeur de 3 à 6 lieues, et qu’il descendit jusqu’à son confluent avec le Rio Branco (Rivière blanche ). Il a remonté cette dernière l'es- pace de 150 lieues environ, malgré plusieurs cataractes, jus- qu’au fort Saint-Joachim , d’où il a regagné le territoire bri- tannique. Ces immenses travaux, où toutes les branches de l'histoire naturelle ont gagné autant que la géographie, et une excellente description accompagnée de la statistique de la Guyane anglaise, ont valu à Mr. Schomburgk une médaille d’or de la Société de géographie de Londres , et de la part de son gouvernement une nouvelle mission non moins délicate que les précédentes dans le même pays. Afin de reconnaître les limites de la colonie anglaise, du Bré- sil et de la Colombie , il a d’abord parcouru la région curieuse et noyée habitée par les Warows et déjà décrite en partie par Mr.Hillhouse (Bib. Univ., juin1838, p.315). Des rivières nom- breuses, fort larges et sujettes à l'influence de la marée, « % forment un réseau presque inextricable , mais très-favorable à la navigation des bateaux à vapeur, et où la pêche promet de grandes ressources. Mr. Schomburgk les a remontées jusqu'aux montagnes où elles prennent leurs sources, et il est descendu PROGRÈS DES TRAVAUX GÉOGRAPHIQUES. 1 au midi dans le Cuyuni, rivière déjà décrite-par Hillhouse et in- terrompue par des cataractes dangereuses, d’où il a regagné les bords de l’Essequibo et Georgeton, capitale de la colonie. La reconnaissance du fleuve des Amazones et d'une partie de l’Ucayale est un travail d’une haute portée pour l’établisse- ment futur d’une navigation dans le bassin de ce fleuve. Le capitaine Smyth, qui en est l’auteur , a eu à rectifier le tracé de son cours et à corriger d’assez fortes erreurs. Partout il l’a trouvé navigable , malgré son énorme largeur; et malgré la pente presque insensible de son lit, il y a partout observé un courant de 3 à 3 ; milles par heure. Sir Woodbine Parish a su profiter des facilités que lui of- frait sa qualité de chargé d'affaires du gouvernement britanni- que à Buenos-Ayres, pour recueillir un grand nombre de cartes et de documents inédits sur la géographie des provinces voisi- nes du Rio de la Plata. Il a fait également connaître en Europe plusieurs fragments publiés par don Pedro de Angelis sur les premières découvertes des Espagnols dans ce pays. Des cartes de la province de Rioja, à l’ouest de Buenos-Ayres, ont été levées par Mr. French et par Mr. Gosselman, capitaine de la marine suédoise. | Enfin les voyages de Mr. Alcide d’Orbigny dans la Bolivia, et ceux des capitaines King et Fitzroy sur les côtes de l’extré- mité méridionale de l'Amérique, sont trop généralement con- nus pour qu’il soit nécessaire d'en présenter ici une analyse. 1 Voy Bibl. Univ., juin et août 1839 (vol. XXI et XXI), p. 325 et 274. ED OC 338 Sciences Physiques et Maturelles. OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS, par le prof. Forges; contenues dans des lettres adressées à Mr. le prof. Jameson. (Edinb. new Philos. Journ., octobre 1842.) > © ce) 2 G—— Monsieur, Courmayeur, 4 juillet 1842. : Sachant que vous mettrez du prix à apprendre mon arrivée dans les Alpes et à connaître le résultat de mes investigations , je me hâte de vous communiquer ce que j’ai déjà fait. Trou- vant la saison plus avancée que de coutume, je me suis hâté de me rendre à Chamouni dans le but de m’assurer si la Mer de Glace était déjà accessible sur toute son étendue. Arrivé au Montanvert le 24 juin, j'y ai séjourné pendant une semaine. J'ai eu le bonheur d’y transporter tous mes instruments sans le moindre accident. La Mer de Glace, si souvent visitée par les curieux, mais si peu étudiée, me semblait offrir de grands avantages pour le but que je me proposais. À la première vue, elle me parut plus escarpée et plus rem- plie de crevasses que je ne le croyais d’après mes souvenirs, et je doutai un moment qu’elle püt servir à mes expériences; mais ce doute s’évanouit bientôt après un examen plus approfondi. Dans l’espace de huit jours que jy aï passé, favorisé par le temps le plus propice, j'ai obtenu des résultats si précis et si satisfai- sants que je crois pouvoir vous en rendre compte, tout impar- faits qu’ils sont encore et quoiqu'ils ne présentent que le com- mencement de ce que j'espère accomplir pendant le reste de la, saison. Vous vous souviendrez que dans mon cours sur les glaciers, donné au commencement de cette année, comme dans l’article DE OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 339 que j'ai rédigé pour la Revue d'Edimbourg, j'ai insisté sur l’im- portance de regarder le mécanisme des glaciers comme une question de physique, et d’obtenir pour base de toute théorie à leur égard des mesures précises et en chiffres exacts. Je si- gnalai aussi les expériences que l’on pourrait faire pour éclai- rer la question; telles, par exemple, que la détermination du mouvement de la glace sur différents points de la longueur du glacier, afin de pouvoir se décider entre les théories de de Saus- sure et de de Charpentier. En effet, si le glacier glisse sur son, fond , la vitesse dans les cas ordinaires doit étre la méme sur toutes ses parties ; si, au contraire , il obéit à un mouvement général d'expansion de toute la masse, la rapidité, doit être plus considérable dans sa partie inférieure. Je ne fais naturellement aucune allusion à présent aux causes nombreuses qui pourraient accidentellement modifier cette loi et qui doivent être scrupu- leusement examinées ; je prétends encore moins que les faits que je vais signaler puissent amener à une opinion décisive sur ces théories rivales; mais mes expériences démontrent certainement que l’espèce de précision que je désirais introduire dans les raisonnements sur cette matière, est applicable en pratique plus complétement même que je n'aurais osé l’espérer. Par exemple, le mouvement progressif des glaciers, à été prouvé d’une manière certaine et mesuré par la différence de distance où les blocs qui en couvrent la surface se trouvaient, après l’intervalle d’une année, relativement à des points de repère fixes. Je ne connais point de faits qui puissent faire connaître, par des mesures assez précises pour permettre d’en conclure quelque chose, les différences qui existent dans le mouvement du glacier d’une saison à une autre ou de mois en mois. Encore moins sait-on avec'exactitude si le glacier se meut par bonds et irrégulièrement, comme cela devrait étre le cas si la théorie du glissement est la véritable ; ou d’une manière égale et uniforme, ni, dans ce dernier cas, s’il se meut seulement pendant une por- tion des 24 heures de la journée et reste stationnaire le reste du 340 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. temps, comme cela devrait être si on admet la théorie de la dilatation dela glace par l’effet de son expansion pendant la nuit. Or, j'ai pu déjà m’assurer des#points suivants : 1° Démontrer par des mesures exactes que le glacier est en mouvement non-seulement jour par jour, mais d'heure en heure, de sorte que je puis presque dire l’heure qu’il est par le moyen de la marche du glacier. Pour que vous puissiez vous faire une idée juste de l’accord que présentent ces expériences, je vous transmets la marche progressive en longueur d’un point de la Mer de Glace pendant quatre jours consécutifs. 15,2 pouces. 1638600. 173 512mide 17,4 id. .2° Ce mouvement, évidemment incompatible avec des sauts irréguliers du glacier, à lieu dans toute sa masse, sans étre en rien troublé par les dislocations les plus considérables de sa surface, car ces mesures ont été prises dans une portion fort crevassée du glacier. 3° Ce mouvement progressif a lieu nuit et jour, si ce n’est d’une manière absolument uniforme , du moins sans anomalie remarquable. Ainsi : Du 28 au 29 juin la marche a été : pouces. De 6 heures du soir à 6 heures du matin de 8,0 De 6 heures du matin à 6 heures du soir de 9,5 Du 29 au 30 : De 6 heures du soir à 6 heures du matin de 8,5 De 6 heures du matin à 6 heures du soir de 8,9 ce qui semble indiquer un mouvement un peu plus rapide de « jour que de nuit. É 4° Dans le cas particulier de la Mer de Glace, la partie la plus élevée , nommée le glacier de Léchaud, se meut plus len- tement que la partie inférieure près du Montanvert, dans Ja proportion de 3 à 9. OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 341 5° Le centre du glacier se meut beaucoup plus vite que les parties latérales, et dans une proportion très-considérable , ce qui est contraire à l'opinion reçue généralement. Je n'ai aucun doute sur l'exactitude de ces résultats dans les limites des expériences que j’ai faites. [ls montrent avec quelle précision les problèmes de pure physique peuvent être soumis aux rétherches expérimentales ; et lorsque de plus nombreux es- sais les auront dégagées d’erreurs locales, il est évident qu'elles pourront servir de base solide à une théorie. Mon désir de voir l’éclipse de soleil du 8 m'a conduit de ce côté-ci des ‘Alpes plutôt que je ne l’aurais désiré ; mais j'ai maintenant tant de points de repère fixes sur la Mer de Glace, qu’à mon retour je pourrai obtenir des résultats plus significatifs. Ce qu'il y a de plus important dans toute la question, c’est qu'un observateur, muni des instruments nécessaires et faisant usage de méthodes convenables, peut, par un séjour peu prolongé sur un glacier, établir pour chaque saison déterminée la quantité de son mou- vement sur tous les points essentiels, dans les limites que toute théorie sur les glaciers rend nécessaires. Chamouni, 10 août 1842. Depuis ma dernière lettre de Courmayeur, en date du 4 juil- let ; j’ai examiné en détail les deux principaux glaciers de l’Al- lée-Blanche, et ayant repassé les Alpes par le Col du Géant, où j'eus la satisfaction de retrouver les traces de la cabane con- struite par de Saussure, en 1788, j'ai continué pendant quinze jours mes recherches sur les mouvements de la Mer de Glace. Composé, comme vous le savez, de plusieurs tributaires qui sont à quelques égards indépendants les uns des autres et pré- sentent aussi une grande variété de surface, ce glacier semble aussi propre à des observations expérimentales détaillées, telles que celles que j'ai entreprises, qu'aucun de ceux que j'aurais pu choisir, Etant sur le point de quitter Chamouni pour faire un tour au Mont-Rose et aux glaciers situés à l’est du grand 342 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. St.-Bernard, je désire vous expliquer, dès aujourd’hui, en quoi mes recherches diffèrent de celles qui ont été faites jusqu'ici sur les glaciers, et mentionner quelques résultats qui, n'étant naturellement encore que partiels ; ne peuvent être regardés comme décisifs pour établir la vérité ou l’erreur d'aucune théo- rie. Néanmoins, je crois que l’on admettra que les faits conte- nus dans ma dernière lettre, faits que des expériences #posté- rieures -ont encore confirmés, militent fortement contre quel- ques-unes des opinions reçues quant à la cause du mouvement des glaciers. Selon moi, la théorie des glaciers étant dépendante de la physique mécanique, la cause de leur mouvement doit être dé- duite de la marche observée avec soin et en chiffres exacts sur différents points de leur surface. C’est parce que les auteurs ont regardé le problème comme trop simple pour exiger une analyse systématique, que nous trouvons qu’il à été fait si peu de chose sous ce rapport ; et l’on peut affirmer, sans vouloir blesser les hommes ingénieux qui ont présenté des théories pour expliquer le mouvement de ces masses, qu’ils ont fondé leurs hypothèses, comme les anciens cosmogonistes, plutôt sur des analogies vagues avec des phénomènes bien connus, que sur des faits observés. La théorié de Newton fut basée sur sa coïncidence avec les lois du système planétaire obtenues empi- riquement. Nous n'avons encore aucune loi empirique du mou- vement des glaciers et ne pouvons par conséquent en faire au- cune application à une théorie mécanique quelconque. J'ai es- sayé de démontrer dans mes leçons comment une théorie méca- nique pourrait être déduite de l'observation, et comment ces observations pourraient étre faites d’une manière pratique. Je crois aussi être le premier qui ait obtenu les chiffres sur lim- portance desquels j'ai insisté. Je ne crois pas que personne eût jusqu'ici entrepris de déterminer la vitesse diurne d'un point donné d’un glacier en regard de trois coordonnées. L’a- malogie avec les lois empiriques de l'astronomie est à la fois OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 343 frappante et juste ; car une connaissance exacte du trajet par- couru par chaque molécule du glacier conduira aussi sûrement à déméler la cause de son mouvement, que la théorie de la gra- vitation découla des trois lois de Kepler. Nous avons, il est vrai, affaire à un effet plus compliqué et plus varié, mais les résultats contenus dans ma dernière lettre montrent déjà com- bien on peut espérer d'atteindre à une grande précision numé- rique. J'ai déjà déterminé la marche diurne de dix points de la Mer de Glace avec une chance d’erreur probable qui ne dé- passe pas, je pense, un quart de pouce dans chaque cas; et quand ces observations auront été suivies, comme je pense le faire, jusqu’à la fin de septembre, il y aura une base suffisante pour des raisonnements subséquents sur la matière. En particulier, vous vous souviendrez que je signalai l'hiver dernier deux expériences propres à déterminer un choix entre les deux principales théories, celle de de Saussure et celle de de.Charpentier, c’est-à-dire la gravitation ou la dilatation de la glace. L’une consistait à mesurer exactement un espace donné de glace, et à voir si après un intervalle quelconque une ex- pansion pouvait être observée. Dans l’autre on devait détermi- ner la vitesse linéaire du glacier sur un point quelconque, Cette vitesse devait être uniforme, si la théorie de de Saussure était la véritable, et le glacier à peu près de même nature dans toute sa tranche ; dans la théorie de Charpentier, au contraire, elle de- vait être insensible à l'extrémité supérieure du glacier, et aller en augmentant jusqu’à sa partie inférieure. La première expé- rience, à ce que j'ai appris depuis, avait été suggérée l’année dernière par le professeur Studer à Mr. Escher, et essayée, quoique sans succès, par ce dernier sur le glacier d’Aletsch. Si on admet la théorie de Charpentier, cette dilatation serait trop faible pour pouvoir être observée avec. succès, dans un es- pace de temps peu considérable et par les méthodes géomé- triques que la surface changeante et inégale du glacier permet d'employer. En conséquence, j'ai dû y renoncer. L'autre mé- 344 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. thode réunit en fait les deux avantages : car si l’on détermine le mouvement du glacier dans sa partie supérieure, c’est-à-dire près de son origine, et dans sa portion inférieure, la différence entre ces deux quantités de mouvement, s’il en existe, déter- mine la dilatation ou la contraction des parties intermédiaires de la glace, et n’est sujette à aucune des graves causes d’er- reur qui se rencontrent lorsqu'on mesure de longues distances. L'observation dans sa forme la plus simple comme la plus convenable, telle que je emploie, ressemble complétement à celle par laquelle on détermine avec un instrument de passage la marche d’une planète. Jai déjà dit que mes dernières observations confirment les résultats que je vous ai précédemment communiqués. Les va- riations qui peuvent exister dépendent, en effet, seulement d’un changement de circonstances ou de saisons et non d’erreurs d’expérience. | 1° Le mouvement continuel et imperceptible du glacier est entièrement établi, et la forte objection que ce fait présente à la théorie du glissement saute aux yeux. 2° Ce mouvement n’est toutefois pas du tout le méme d’un jour à l’autre ou de semaine en semaine, comme cela ressor- tait déjà de mes premières observations. 3° Ces variations dans le mouvement paraissent se retrou- ver dans toutes les portions du glacier, aussi bien là où il est compacte et à surface régulière, que là où il se trouve le plus crevassé, et même les différences de vitesse ne sont pas plus grandes dans un des cas que dans l’autre. 4° D'après de nombreuses observations faites sur tous les points du glacier, il résulte d’une manière invariable, comme je l'avais déjà annoncé , que le centre se meut en avant plus vite que les côtés. Dans la partie inférieure du glacier, qui est aussi celle où le mouvement progressif est le plus rapide, la dif- férence entre les côtés et le centre est le plus considérable et varie du tiers à la moitié de la plus petite vitesse. Près de Pori- OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 345 gine du glacier, cette différence ne paraît plus être que d’un quart ou d’un cinquième de la vitesse la plus faible. 9° Les variations dans le mouvement du glacier se font sur- tout apercevoir dans sa partie centrale. 6° La progression diurne la plus considérable que j'aie observée, presque vis-à-vis du Montanvert, est de 27,1 pouces. 7° J'ai constaté la vitesse du mouvement progressif beau - coup plus près de l’origine du glacier que je ne l'avais fait lors de ma première lettre. Cette expérience, qui semble au premier coup d'œil devoir être décisive entre les deux théories de la dilatation et du glissement, ne donne pas à la première un avan- tage aussi considérable que je m'y attendais d’abord : car quoi- qu'il soit bien établi, comme je vous le disais dans ma première lettre, que la tête du glacier se meut moins vite que son pied, toutefois là portion intermédiaire a un mouvement plus lent que l’une ou l’autre de ces parties, probablement en raison de la plus grande épaisseur et de la largeur plus considérable qu'y prend la glace. Je m'étais bien attendu à cette cause d’er- reur provenant des changements que présente la section du glacier ; mais lorsqu'on pousse l’observation à son extréme li- mite et que l’on prend la vitesse du glacier tout près de son origine, on trouve, d’après la théorie de Charpentier, qu’elle devrait diminuer dans une progression si considérable, que l’on ne pourrait s’y méprendre. Or, très-près de la tête du glacier de Léchaud, la vitesse diurne est encore beaucoup supérieure à celle d’un pied par jour. Je ne crois pas toutefois étre encore arrivé au point de pouvoir apprécier d’une manière définitive le mérite d’une théorie quelconque; je crois seulement que l’une et l'autre de celles que j'ai citées exigeraient de grandes modifications pour se concilier avec les faits. En insistant sur la convenance de traiter le problème comme appartenant à la mécanique pure, je suis loin de nier la valeur de l'espèce de recherches dont se sont presque exclusivement occupés les naturalistes qui ont étudié la théorie des glaciers, XLII 22 346 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. celles en particulier sur la température et la structure de la glace. Cette dernière est par elle-même une sorte de preuve ma- térielle du mécanisme du mouvement du glacier, et doit, si elle est bien comprise, conduire aux conclusions les plus importantes sur toute théorie mécanique que l’on voudra proposer. Aussi vous pouvez penser que j'en ai fait l’objet de ma plus sérieuse attention. J’ai maintenant examiné assez de glaciers pour avoir une idée fort claire des lois empiriques que suit leur structure. Tout récemment j’ai commencé à entrevoir le rapport qui existe entre cette structure et les faits déjà cités relativement au mou- vement. Si nous pouvons établir une harmonie bien nette entre ces deux classes de faits, nous aurons une chance probable d’en déduire avec sûreté quelque chose ressemblant à une théorie. En tout cas, je vous donnerai dans ma première lettre le détail de mes observations en ce genre , observations qui sont assez précises; j’y joindrai aussi l'explication qui me semble la véri- table , quoique je sois loin de la regarder comme prouvée. Je me rends demain au Grand Saint-Bernard pour y rencontrer Mr. Studer, Zermatt, au nord du Mont-Rose, 22 août 1842. Je suis arrivé ici il y a deux jours, par une route peu fré- quentée et très-intéressante. Je vous avais prévenu dans ma dernière lettre que nous avions l’intention , Mr. Studer et moi, de visiter ensemble les vallées situées à l’est du Grand St.-Ber- nard. Le Couvent était le lieu de rendez-vous ; de là nous descendimes à Orsières, pour entrer dans la vallée de Bagnes. Traversant la chaîne alpine qui est au haut de cette vallée, par le col de Fenëtres, nous descendimes à Valpelline, sur le flanc qui fait face à l'Italie, et remontämes cette vallée jusqu’à son origine. Nous passämes ensuite dans l’embranchement gcciden- tal de la vallée d’Erin par le col de Collon ou Arolla, passage de glacier très-remarquable. De là Mr. Studer prit sa course par le val d’Anniviers ; il doit me rejoindre ici, en passant par OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. . 347 Visp. Pour moi, je montai par l’autre branche de la vallée d’Erin, depuis Evolena par le glacier de Ferpècle , et me ren- dis à Zermatt en traversant les montagnes, par un passage plus élevé et beaucoup plus long que le Col du Géant, et qui pré- sente sans contredit les vues les plus grandioses que j'aie jus- qu'ici rencontrées dans les Alpes. Je ne puis toutefois m’arré- ter à décrire, mon but actuel étant de tenir la promesse que contenait ma dernière lettre au sujet de la structure de la glace des glaciers. La’ structure interne, veinée ou rubanée, que présentent tous les glaciers dans un degré plus ou moins apparent, est la seule véritable structure essentielle qu’ils possèdent, telle que je l’ai déjà décrite dans un mémoire imprimé dans votre journal de janvier dernier. L’existence de granules divisés par des fissures capillaires, aussi bien que les grandes crevasses, ne sont pas des points essentiels de la structure des glaciers et sont entiè- rement subordonnés à l’autre. Quels que soient les résultats que l’on doit attendre de l’examen auquel tant de naturalistes se livrent pendant le cours de cet été sur les phénomènes que pré- sentent les glaciers, je ne doute pas qu'il ne soit généralement reconnu que la structure veinée n’est pas spéciale à quelques glaciers, comme quelques personnes le pensent, ni à quelques années, comme d’autres semblent l’admettre ; mais bien, qu’elle fait partie intégrante du système général des glaciers et pré- sente toujours une forme ou un type semblable, modifié seule- ment par les circonstances mécaniques extérieures. Etant donc une partie essentielle et intime de la formation des glaciers, aussi bien que l’un de leurs traits distinctifs les plus universels et les plus saillants, surtout pour ceux qui sont le plus fréquem- ment visités , il est également surprenant que cette structure n'ait pas été plus tôt signalée, ou, sielle l’a été, n’ait pas attiré à un plus haut degré l'attention des naturalistes ingénieux et distingués qui ont écrit sur les glaciers modernes et sur leurs effets. 348 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. À l'égard de ce qui concerne le type général ou la forme de cette structure, j'ai le plaisir de dire que je n’ai pas trouvé le plus léger motif pour modifier la description que j’en ai don- née dans le mémoire auquel j'ai fait allusion, en traitant de la conformation du glacier du Rhône. La plus belle structure que j'ai été dans le cas d'observer est celle du glacier de la Brenva dans l’Allée-Blanche, qui est un des premiers que j’ai examinés cet été et dans lequel j’ai retrouvé, avec une complète satisfac- tion, et se présentant de la manière la plus claire et avec la plus grande précision géométrique, tout le système que j'avais déjà vu, quoique imparfaitement, dans le glacier du Rhône. Il res- semble, en effet, à ce dernier par la circonstance qu’il provient comme lui d’une cascade de glace et a de même une largeur considérable en proportion de sa longueur. Je me réfère à mon précédent mémoire pour la figure et la description de cette structure. J’ai trouvé les mêmes surfaces conoïdes et les mêmes apparences trompeuses de stratification sur la face terminale du glacier, provenant de ce que les veines plongent à l’intérieur sous un angle de 5° seulement d’abord, qui s’élève ensuite à 10°, à 20° et jusqu’à 60° ou 70°, en suivant la ligne médiane du glacier, soit l’axe parallèle à sa longueur. Les côtés du glacier ont de même leurs plans de clivage ou veines plongeant à l’in- térieur vers le centre sous un angle déterminé par la pente du rocher ou de la moraine qui les soutient, devenant de plus en plus verticaux à mesure que l’on s’approche du centre du gla- cier où ils se contournent par degrés, de manière à se présen- ter transversalement à sa longueur et à former une partie inté- grante du système de plans plongeant à l'intérieur, que j'ai précédemment décrit. -Vous savez déjà que cette structure consiste en couches pa- rallèles alternatives de glace plus ou moins complétement eri- stailisée, qui vont souvent en s’amincissant comme des veines dans du marbre, et fréquemment prennent l'apparence parallèle et uniforme du jaspe ou de la calcédoine rubanée. OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 349 Pour abréger, je ne ferai qu'indiquer les modifications que subit ce type fondamental, mettant ensemble les glaciers de toutes les classes, mais réservant pour une autre occasion le détail des exemples et des preuves dont mon expérience m'a déjà fait connaître un grand nombre. Si un glacier est long et étroit comme celui de l’Aar inférieur ou la Mer de Glace de Cha- mouni, la structure frontale est la partie ou le phénomène est le moins visible; et s’il se termine par une cascade de glace, comme c'est le cas pour ce dernier, le phénomène peut échapper entiè- rement à l'observation. Les plans verticaux parallèles ou à peu près à la longueur occupent presque toute la largeur du glacier, et ce n'est que vers le centre, sur un espace très-étroit, que l’on trouve une place où la structure paraît tout à fait indéterminée. J’ai pu toutefois m’assurer dans tous les glaciers que j'ai eu l’oc- casion d’examiner dans ce but, que la structure conoïde, quel- que obscurcie qu’elle puisse être, existe dans toutes leurs par- ties, modifiée seulement selon leur longueur et leur largeur, de manière à présenter des courbes plus ou moins arrondies ou anguleuses. Il ya encore une autre modification, qui n’est qu’une altéra- tion de cette dernière et qui se rencontre dans les glaciers dont la pente est extrêmement forte, mais qui sont cohérents et non crevassés en pyramides. Il y en a de nombreux exemples dans toutes les hautes vallées des Alpes : ils ne descendent pas dans des dépressions, mais festonnent les flancs escarpés des montagnes couvertes de neige perpétuelle. Ces glaciers sont, je crois, ce que de Saussure appelle des glaciers de second ordre, et n'ont aucun rapport aux névés, autant du moins que je puis attacher quelque signification à ce terme. Ils sont formés de glace dure, el présentent presque toujours une apparence de stratification parallèle au sol sur lequel ils reposent. Cette stratification est seulement apparente; les plans de clivage plongent en dehors et en avant, au lieu de se diriger à l’intérieur comme dans la portion terminale des glaciers qui ont une moindre déchvité. 350 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. Les surfaces de cristallisation ont dans ce cas absolument la forme d’une écaille d’huître, dont le front ou le bord est tou- jours incliné au-dessous de l'horizon. J’attache de l'importance à la communauté d’apparence dans les glaciers de toute forme et de toute pente, parce qu’elle prouve que la cause de leur structure doit avoir aussi de l’impor- tance en raison même de sa généralité ; et, quant à ce qui con- cerne en particulier les petits glaciers abrupts, il me semble que Mr. de Charpentier, qui a nié à bon droit la stratification des glaciers en général, a eu tort d’admettre l'existence de couches dans le cas dont il s’agit, couches qu’il regarde comme formées par l’intercalation des boues du sol, par un procédé qui, si je m'en souviens bien, n’est pas décrit d’une manière bien claire. Or, j'ai examiné ces prétendues couches de boue dans un très-rand nombre de cas, et les ai toujours vues prove- nir de l’infiltration des débris boueux de la moraine qui s’insi- nuent, accompagnés souvent par de petits fragments de ro- chers, dans les veines les plus spongieuses et les moins cristal- lines du glacier déjà existant. Il est facile d’en avoir la preuve, car en coupant ces couches boueuses avec la hache, on arrive par degrés à la glace pure, qui est veinée comme celle que Fon voyait au dehors, mais n’a pas perdu sa couleur. Je puis ob- server en passant que les fissures qui, dans la partie inférieure et sur les côtés du glacier, forment les granules sur lesquels on a tant écrit, sont arrêtées par la formation indépendante de la structure veinée de la glace, ce qui indique la priorité d’o- rigine de celle-ci. Un soir que je m’élevai plus haut qu'à l'ordinaire au-dessus du niveau de la Mer de Glace, je fus frappé par l’apparence que présentaient des bandes légèrement fangeuses qui en tra- versaient la surface. Ces ombres, trop indistinctes pour pouvoir être observées de près, ou lorsqu'on marche sur le glacier même, à moins que l’on n'y porte une altention toute particu- lière, sont très-belles et très-frappantes lorsqu'on les observe OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. aol de loin par une lumière qui ne soit pas trop forte, comme dans la soirée ou au clair de lune. Ce sont évidemment des bandes de boue à la surface de la glace, qui ont à peu près la forme de paraboles allongées, plongeant des deux côtés vers les mo- raines où elles se confondent, et séparées au centre par l’espace le plus large. Je fus quelque temps à comprendre comment ces espèces de fausses moraines pouvaient ainsi s'étendre d’un côté à l’autre du glacier, mais je me convainquis"à la fin que cela était entièrement dû à la structure de la glace. Celle-ci retient, dans ses parties les plus poreuses, les débris terreux qui sont répandus sur sa surface par les avalanches ou par les vents, tandis que les portions compactes sont lavées par la pluie, de sorte que ces bandes ne sont autre chose que des traces visibles de la direction que suit la structure intérieure de la glace, et coincident naturellement avec ce qui a déjà été dit quant aux formes sous lesquelles les surfaces conoïdes coupent le plan du glacier. Je comptai distinctement seize de ces ban- des sur la surface de la glace exposée au regard. Je les retrou- vai dans les parties plus élevées du glacier, avec cette seule diffé- rence appréciable que les courbes étaient plus arrondies et quel- quefois presque circulaires. Tous les glaciers ne présentent pas également bien cette preuve évidente de leur structure, parce qu'il y a des glaciers qui offrent la structure elle-même d’une manière plus développée que d’autres. Ainsi la cause de Ja blan- cheur éclatante du glacier des Bossons à Chamouni est l’absence comparative de ces couches de glace granulaire et compacte; le tout étant à peu près de la méme consistance, les parcelles de terre ou de roche ne peuvent y pénétrer et sont entraînées par les pluies. Les bandes superficielles se voient très-bien sur la Mer de Glace de Chamouni ; et pour citer un autre exemple, un des derniers que j'ai eu l’occasion de voir, elles sont admi- rablement dessinées sur le glacier de Ferpècle, dans la vallée d’'Erin, où j'en ai compté plus de trente en vue à la fois. J’ai une entière conviction que ces bandes et en consé- 352 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. quence la structure qu'elles représentent, ont leur cause dans le mouvement du glacier; et si les lois de ce mouvement, prises à part, coïncident avec les phénomènes de structure ou vien- nent les confirmer, nous pourrons, par la comparaison entre les deux elasses de faits, décider quelle est la cause réelle de sa marche progressive. Ce que j'ai rapporté jusqu'ici, ce sont des faits. Je dirai en très-peu de mots ce que je suis disposé à en conclure par voie d'hypothèse. Il est impossible de mettre en regard ces bandes superficiel- les faisant partie de la structure du glacier, avec le fait établi dans mes premières lettres , que le centre du glacier se meut beaucoup plus vite que ses bords, sans en venir à croire que les bandes sont un indice du mouvement et le mouvement la cause de la structure veinée. Ces bandes boueuses ressemblent exacte- ment à celles d’écume que chacun peut voir à la surface d’une eau fangeuse qui coule très-lentement, et leur forme donne immédiatement l’idée du mouvement d’un fluide plus libre aw centre, et arrêté par le frottement sur les côtés et dans le fond. On trouvera que les analogies sont entièrement favorables : le glacier est en lutte entre les deux conditions de fluidité et de solidité; il ne peut, sans une solution de continuité perpendicu- laire à ses flancs, obéir à la loi de la progression semi-fluide, c’est-à-dire présenter le maximum de la vitesse au centre, ce qui est pour les glaciers, non une hypothèse mais un fait. Si deux personnes tiennent une feuille de papier par les quatre coins, de manière à l’étirer, et que l’une d'elles fasse mouvoir deux côtés adjacents , tandis que les deux autres restent immobiles ou se meuvent plus lentement , le résultat sera de déchirer le papier en lambeaux parallèles au mouvement ; dans le glacier , les fis- sures ainsi formées sont remplies de l’eau qui s’y imbibe et qui s’y gèle. Cete idée s’accorde avec les faits suivants : 1° Que le glacier se meut plus vite dans le centre et que I8 milieu des courbes décrites coincide, comme le prouve l’obser- vation, avec la ligne du plus rapide mouvement. OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 353 2° Que les bandes sont moins distinctes près du centre : car là, la différence de vitesse de deux bandes adjacentes parallèles à la longueur du glacier n’est réellement presque rien. Mais près des côtés où le frottement est le plus grand, elle est au maximum . 9° Elle s'accorde avec l'observation directe mentionnée dans ma dernière lettre , que la différence de vitesse entre le centre et les côtés est le plus grande près de l'extrémité inférieure du glacier, et que la vitesse est plus près d’être uniforme dans la partie supérieure ; ceci correspond à la forme moins allongée des courbes que présente la partie supérieure du glacier. 4° Dans les parties supérieures de pareils glaciers, comme les courbes deviennent moins prononcées, la structure s’efface aussi. 5° Dans les glaciers évasés en soucoupes, dont j'ai déjà parlé, et qui descendent des pentes escarpées, la vitesse étant, comme dans les rivières peu profondes, presque uniforme sur toute leur largeur, la structure verticale ne peut s’y développer. D'un autre côté le frottement de la base détermine une stratifica- tion apparente parallèle à la pente le long de laquelle ils tom- bent. 6° Il s’ensuit immédiatement (si du moins on prend comme un fait très-probable, quoiqu'il reste encore à prouver, que la partie la plus profonde du glacier se meut plus lentement que sa surface), que l’inclinaison frontale des bandes structurales du glacier diminue vers leur extrémité inférieure, où elle est pres- que nulle ou même plonge en dehors, toute la pression de la masse demi-fluide n’étant arrêtée là par aucune barrière, et que la vitesse varie, probablement en progression rapide , avec la distance du sol. Au contraire, plus près de l’origine du gla- cier le plongement frontal est considérable, parce que la masse du glacier forme une barrière véritable en avant ; et la struc- ture est comparativement indistincte, par la même raison qui rend aussi indistincte la structure transversale, savoir, que les 354 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. prismes horizontaux de glace, voisins les uns des autres, se meuvent avec une vitesse à peu près égale. 7° Lorsque deux glaciers se réunissent, il est en fait que la structure y devient immédiatement plus développée. Ceci dé- pend de l'accroissement de leur vitesse aussi bien que du frotte- ment de chacun d’eux, double circonstance due à la pression latérale. 8° La structure veinée tend invariablement à disparaître quand un glacier devient si crevassé qu'il perd sa cohésion ho- rizontale, comme lorsqu'il se divise en masses pyramidales. Or, ceci découle immédiatement de notre théorie ; car aussitôt que la cohésion latérale est détruite, toute inégalité déterminée de mouvement cesse, chaque masse se meut par elle-même, et la structure disparaît très-graduellement. Je pourrais ajouter d’autres éclaircissements , mais ceci me paraît devoir, pour le moment, suffire. Il n’est pas difficile de prévoir que, si cette manière de voir est juste, on peut établir une théorie des glaciers qui, sans coïncider ni avec l’une ni avec l’autre de celles qu'ont émises de Saussure et de Charpentier, aurait cependant quelque chose de commun avec toutes deux. Je ne sais si celle de Mr. Rendu est réellement conforme aux faits observés , car je n'ai pu jusqu'ici me procurer son ouvrage. Il reste encore à décider quelle est la cause de la succession de bandes boueuses, à des distances considérables sur la surface du glacier, indiquant une succession de vagues de glace plus ou moins compacte, Dans tous les glaciers où je les ai jusqu'ici observées distinctement , elles paraissent suivre un ordre régu- lier de distances, à peu près le même pendant un long espace, mais plus rapproché à mesure que l’on monte plus haut sur le glacier. Je ne puis m’empécher de croire qu’elles sont les vé- ritables couches annulaires concentriques du glacier, qui mon- trent son âge comme celles d’un arbre ; seulement elles augmen- tent en largeur , au lieu de diminuer à mesure que la glace est plus ancienne , ce qui coïncide encore avec le fait que ja OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 355 déjà établi que la partie supérieure d’un glacier se meut, géné- ralement parlant, plus lentement que son extrémité inférieure. Les divers états du glacier dans des saisons différentes, la présence ou l’absence de neige, ou même la simple différence de vitesse selon les saisons, suffiraient pour rendre raison de cette alternative de structure. Îl n’y a aucune cause qui puisse lui être assignée avec autant de probabilité que quelque chan- gement ayant lieu chaque année. Je puis ajouter, que quelques observations que j'ai déjà faites sur les distances de ces bandes, aussi bien que les documents que j'ai réunis, me portent à avoir au moins quelques doutes sur la vérité de l'opinion générale- ment adoptée, que les glaciers sont stationnaires pendant l’hi- ver, et même de celle-ci, qu’il y a une bien grande différence dans leur marche selon les différentes saisons de l’année. Genève, sggrobre 1842. Monsieur, Depuis ma dernière lettre , datée de Zermatt, j'ai eu l’occa- sion d’examiner les glaciers des différents côtés du Mont-Rose, en particulier ceux de Lys et de Macugnaga , et ceux qui avoi- sinent la vallée de Saas; et à mon retour à Chamouni, au commencement de septembre, j'ai consacré un jour à l’ex- ploration de chacun des glaciers de Trient et d'Argentière , avant que de reprendre mon poste sur le Montanvert, où je suis resté presque jusqu’à la fin du mois. Ce que je regarde comme le plus digne d'intérêt en addition à mes premiers tra- vaux, ce n’est pas une description de ces divers glaciers, mais bien, en m'’attachant en particulier à la Mer de Glace , de faire connaître ici ce que l'examen prolongé que j'ai pu en faire m'a permis de conelure sur ce qui concerne en général la théo- rie du mouvement des glaciers. Je crois avoir réuni toutes les données qui sont nécessaires pour baser cette théorie sur des principes de mécanique qui ne puissent être contestés. Pour cela, j'ai observé l’état et le mouvement de la Mer de Glace pendant presque toute la saison où elle est facilement accessi- 36 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. ble, ainsi que les autres glaciers, et assez dégagée de neige pour que les observations soient faciles. J'ai aussi pu l’obser- ver, principalement pendant le mois de septembre, sous l'in- fluence de ‘toute espèce de variations météorologiques et de températures atmosphériques très-diverses. Les changements que j'ai remarqués sur la surface du glacier, dans l’espace de plus dé trois mois pendant lequel je l'ai étudiée , sont si grands, si frappants, et à quelques égards si inattendus, qu’ils doivent occuper la première place dans toute théorie que lon voudrait proposer. Je fus singulièrement frappé du changement qui s'était opéré dans l’aspect général du glacier pendant mon absence , qui dura du 10 août au 10 septembre. Je l’avais laissé compa- rativement élevé et renflé vers le centre , à peu de profondeur au-dessous de l’aréte de ses frontières naturelles, savoir de la moraine qui en borde les côtés ; il était fissuré par des crevasses profondes et étroites à murailles verticales bien définies. À mon retour la masse glacée s'était très-visiblement affaissée dans son lit, et me semblait avoir pris un aspect d’épuisement en quel- que sorte cadavérique ; les moraines s’élevaient beaucoup plus haut qu’à l'ordinaire sur ses flancs , et la glace elle-même, sus- pendue aux moraines à une grande élévation au-dessus de son niveau général, était recouverte par les pierres et le gravier qui avaient roulé sur le plan incliné formé par cet affaisse- ment de la partie centrale. L'ensemble avait quelque analogie avec la Wye, ou toute autre de ces rivières étroites soumises aux influences de la marée , et dont les bords limoneux restent à découvert par la retraite de l'Océan. Une foule de circon- stances, que je ne m'’arrélerai pas à présenter en détail, me convainquirent que cet affaissement était principalement dù à la fusion de la glace en contact avec le fond de la vallée sur lequel elle repose, et à la chute des parties du glacier dans un état mol et ductile, résultant de ce que l’eau produite perr- dant la saison chaude de l’année s’était infiltrée dans toute la OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 397 masse. Je dois toutefois mentionner que les crevasses étaient plus larges, mais moins profondes et moins régulières , extré- mement dégradées du côté où le soleil de midi avait libre ac- cès, et en plusieurs endroits, là où plusieurs crevasses sem- blaient se joindre, les murailles de glace qui les séparaient s'étaient abaissées graduellement à un niveau commun, ce qui rendait les portioñs crevassées du glacier plus faciles à traver- ser que dans une époque moins avancée de la saison. Il est clair aussi que le fait de la progression plus rapide du centre du glacier, dont j'ai parlé dans ma première lettre, implique un abaissement de cette partie et un emprunt fait à la glace des côtés pour suppléer au vide qu’il occasionne. On doit immédiatement comprendre que le changement dont je parle, quant à la forme extérieure du glacier, à ses crevasses, à ses inégalités, est un effet dù à la saison et de nature à se re- produire chaque année. Si l'été se prolongeait beaucoup, la destruction du glacier serait la conséquence de la continuation des mêmes circonstances, c'est-à-dire de la marche plus rapide des parties centrales, de l'agrandissement des crevasses en lar- geur et de la chute de leurs parois, ou plutôt de l'affaissement _graduel des parties élevées du glacier ramollies par la chaleur, dans les cavités qui les séparent, tandis que la moraine reste- rai dans toute son étendue comme un témoin de la limite ori- ginelle du glacier. Il faut que la glace possède par elle-même quelque pouvoir reproducteur, s’il est permis de se servir d’une telle expression , pour se rétablir au printemps au niveau d’où elle était descendue ; et puisque des crevasses se forment, s'é- tendent et disparaissent, peut-être dans le cours d'une seule saison , mais bien sûrement dans l’espace de peu d’années , on dôit considérer les glaciers comme des corps bien plus plagti- ques que l’on ne lg imaginé jusqu'ici. J'établis donc comme un fait qui résulte de l’observation directe , que dans le commencement de l’été le niveau du gla- cier est le plus élevé et les fissures sont le moins nombreuses. 358 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. Ces dernières se forment et s’élargissent principalement pen- dant les mois de juin et de juillet ; au commencement d’août le glacier est, dans le plus grand nombre des cas, le plus difficile à traverser en raison du nombre et de la perpendicularité des cre- vasses. Plus tard l'effet prolongé de l'influence solaire et des pluies d’automne, non-seulement convertit la glace en eau et en- traîne ainsi une portion de sa surface, mais laisse le reste dans un état ramolli et plastique, dont la tendance est un abaïssement général de toutes les parties proéminentes. En même temps , la marche progressive de la partie centrale, qui dépasse celle des portions latérales du glacier, y produit une augmentation d’affaissement et un grand nombre de crevasses , la glace laté- rale restant attachée aux moraines qu’elle est graduellement contrainte de laisser à découvert. Avant le retour du prin- temps le niveau du glacier se rétablit par quelque procédé qui reste à expliquer , dans tous les cas du moins où il n’est pas en voie permanente de destruction. Une autre manière de considérer la condition successive d’une certaine portion du glacier conduira encore à admettre qu’il est dans un état de changement continuel quant à son agrégation et à sa subdivision. Ainsi, dans un glacier comme la Mer de Glace de Chamouni, qui présente dans ses diverses par- uües un grand nombre d’accidents de surface bien marqués, on sait très-bien que, quoiqu'il soit dans un mouvement et un état de changement perpétuel, la distribution de ces accidents reste sensiblement la même. Chaque année, et une année après l’au- tre, les cours d’eau suivent les mêmes directions, leurs tor- rents se précipitent dans le cœur du glacier par des entonnoirs verticaux qu’on appelle moulins, placés aux mêmes endroits; leg fissures, quoiqu’elles fassent des angles très-variés avec P’axe ou les côtés du glacier sur les différentes parties de sa longueur, sont toujours disposées d'une manière symétrique sur deux points opposés; les mêmes portions du glacier , re- connues par leur position relative avec des rochers immobiles, permettent chaque année le passage, et les mêmes parties sont OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 359 traversées par d'innombrables fissures. Néanmoins la glace s0- lide d’une année est la glace fissurée de l’année suivante, et la même portion qui cette année forme la muraille d’un moulin, sera l’année d’après transportée à quelques centaines de pieds en avant, sans traces de perforation , tandis que la cascade reste immobile ou à peu près, par rapport aux objets fixes qui l’environnent. Tous ces faits , attestés par une longue et conti- nuelle expérience, prouvent que la glace des glaciers se moule insensiblement et continuellement, sous l’influence des circon- stances extérieures , dont la principale , il faut le remarquer , est son propre poids, qui modifie sa forme, laquelle est aussi en rapport avec celle de la surface sur laquelle passe le glacier et avec celle des parois entre lesquelles il se fait jour en avant. Il est, à cet égard, exactement comparable au lit d’une rivière qui présente ici ses eaux profondes et tranquilles, là ses tournants continuels , et qui, changeant continuellement de substance , conserve pourtant toujours le même aspect. Je viens à ce qui concerne les modifications de structure en- core plus importantes, je veux parler de la structure veinée que j'ai décrite précédemment. J'ai démontré dans ma der- nière lettre qu’elle est également sujette au changement et soumise aux influences momentanées d’une compression exté- rieure , et que loin d’être une structure originelle de la partie supérieure du glacier, diversement modifiée dans son cours subséquent , mais jamais détruite entièrement , elle doit son existence, dans un moment donné, à la différence de vitesse de diverses portions de la section transversale du glacier, et qu’elle est quelquefois entièrement anéantie dans une partie de sa masse pour se reproduire dans une autre placée dans une di- rection tout opposée. Une molécule de glace est tout aussi passive et amorphe qu'une molécule d’eau, toutes les fois qu’elle ne reçoit pas une structure particulière d’une cause extérieure . agissant sur elle; comme dans l’eau d’un fleuve des myriades de molécules se succèdent et se ressemblent toutes les unes aux autres. 360 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. Peu de mots suffiront pour montrer combien ce que je viens d’établir se lie intimement avec les premiers rudiments d’une théorie des mouvements des glaciers que j'ai essayé d’esquisser dans ma dernière lettre, théorie dont tout ce que j'ai vu de- puis tend à me confirmer la vérité. Le centre du torrent gla- ciaire est poussé en avant par la pression supérieure (dont la cause va être examinée plus bas ) ; et cette pression trouve là moins de résistance que sur le fond ou dans les côtés du gla- cier, en raison de l’absence comparative de frottement. Les parties latérales sont de même entraînées par le mouvement du centre et s’avancent aussi; mais il est tout à fait compatible avec l’idée qu'on peut se faire de ce mouvement d’un corps demi- fluide, d’admettre que le fond du lit du glacier reste inaltéra- blement gelé, comme quelques personnes sont disposées à le croire , quoique pour ma part je sois loin de supposer ce fait, ou même de le regarder comme probable. Mais alprs, pourquoi les fissures du glacier sont-elles généralement verticales, et aussi, lorsque le glacier est le plus régulier, simplement transver- sales et non convergentes vers l’extrémité inférieure? La pre- mière de ces questions m'a toujours, jusque dans ces derniers temps, paru présenter une difficulté très-sérieuse. Le fait que ren- ferme la seconde, combiné avec la certitude que l’on a positive- ment acquise que le centre d’un glacier s’avance plus vite que ses côtés dans le rapport de 5 à 3, montre que l’on doit dans toutes les hypothèses y faire une réponse, et que ce n’est en con- séquence pas une objection insurmontable pour aucune d’elles. Il faut en chercher l'explication dans l’état toujours variable du glacier, le renouvellement perpétuel des crevasses, l’action de l’eau, qui tend à conserver la position verticale, et la différence assez petite de vitesse de différentes portions de la glace vers le cenire d’un glacier d'une immense profondeur. Il découle de ces circonstances qu’une crevasse est ou entièrement renouvelée, ou détruite tout à fait, avant que sa verticalité soit sensiblement altérée. Pour la même raison un bâton de plusieurs pieds, Ets OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 361 profondément enfoncé dans la glace de manière à être perpen- diculaire à sa surface, reste sensiblement vertical aussi long- temps qu'il reste debout ; car la vitesse de la surface est sensi- blement la même que celle qui existe à 10 , à 20 et même pro- bablement à 100 pieds dans l’intérieur du glacier. C’est seu- lement près du fond que la rapidité est fortement modiñée, comme je me suis aussi assuré que, à l’égard de la largeur, c’est dans le voisinage immédiat des bords que la vitesse diminue rapidement , et que sur la moitié de la largeur depuis le centre elle ne varie pas plus d'un dixième à un vingtième de la quan- tité totale. Il est, de plus, digne de remarque que toutes les fois qu’un glacier a peu d'épaisseur et qu’il a en même temps beaucoup de pente, c’est-à-dire dans les circonstances les plus propres à produire une grande différence entre les vitesses de différents points du glacier placés sur une ligne verticale, les fissures ne sont pas transversales mais rayonnées , comme dans presque tous les glaciers du second ordre, et qu’en consé- quence ces fissures ne sont pas sujettes à se déformer. Je pourrais présenter comme un résultat de observation di- recte, plutôt que comme la conclusion d’une hypothèse, l’as- sertion que le mouvement d’un glacier ressemble à celui d’un fluide visqueux, qu'il n’est pas uniforme sur tous les points de la section transversale , et que la progression des parties qui sont en contact avec les murailles dans lesquelles il est encaissé , est principalement causée par le mouvement du centre. Il reste maintenant à rechercher quelle est la cause de la pression qui occasionne le mouvement, et à se demander si elle est le résul- tat de la pesanteur seule de la masse semi-fluide ou de la dila- tation de la partie supérieure du glacier qui pousse en avant, La réponse à cette question doit décider entre les deux théo- ries de Saussure et de Charpentier. J’ai encore à faire à toutes deux les mêmes objections que j'ai déjà présentées dans un article de la Revue d'Edimbourg ; mais ces objections, rappro- chées des faits que j'ai observés pendant cet été, se sont fortifiées XLII 23 362 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS, jusqu’à me paraître une preuve de l'insuffisance de ces théories. D'un côté, s’il était possible que le glacier püt glisser par la simple action de la pesanteur dans une coulisse qui n’aurait que 3, 4 ou 5 degrés d’inclinaison , il est probable que l’une de ces deux conséquences devrait arriver : ou bien il tombe- rait tout à fait avec une vitesse accélérée dans la vallée infé- rieure, ou bien il devrait avancer par sauts et par bonds, étant arrêté par des obstacles jusqu’à ce qu’il les eût dépassés par suite de la fusion de la glace du fond, ou surmontés par l'accroissement de pression dù à l'accumulation de la neige dans la partie supé- rieure. Or , ni l’une ni l’autre de ces circonstances n’a lieu; le glacier s’avance jour et nuit ou de jour en jour d’un mouve- ment continuel et régulier, ce qui, j'en ai la certitude, ne pourrait être le cas si la théorie du glissement était la véritable. Mais des objections plus fortes encore et plus nombreuses peuvent être faites à la théorie de la dilatation , et je pense que l'on ne m'accusera pas de légèreté en condamnant aïnsi en quelques" lignes une théorie qui se recommande par tant de vraisemblance au premier abord, et qui a été soutenue avec tant de talent par des hommes tels que Scheuchzer, de Charpentier et Agassiz. Îl est essentiel au but de cette lettre d’énoncer en aussi peu de mots que possible les conclusions auxquelles je suis arrivé , tandis qu’il est également essentiel que mes obser- vations soient exprimées avec la même brièveté. Plus tard je don- nerai aux unes et aux autres tout le développement nécessaire. Je dirai donc sommairement : 1° Que le mouvement du glacier dans ses diverses parties ne semble pas suivre la loi qu’exigerait la théorie de la dilatation. Il a été démontré (Revue d'Edimbourg , avril 1842, page 77) que le mouvement de- vrait s’évanouir près de l’origine du glacier et aller continuelle- ment en augmentant vers son extrémité inférieure. J’ai trouvé le mouvement de la Mer de Glace dans sa partie supérieure très-peu différent quelquefois de celui qui avait lieu plusieurs lieues au-dessous, tandis qu’au milieu, en raison de l’expan- OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 363 sion du glacier en largeur , sa marche était plus lente que sur l’un ou l’autre des points extrémes. 2° Tout en admettant que le glacier s’imbibe d’eau pendant l’été dans toute son épaisseur ou à peu près (point sur lequel j'avais de grands doutes l’an- née dernière), j'ai l’intime conviction que pendant plusieurs mois de l’année, pendant lesquels le glacier est en marche très-rapide, il n’y a aucune congélation dans la masse gla- ciaire, au delà d’une profondeur de quelques pouces au-dessous de la surface, beaucoup moins pendant le refroidissement de chaque nuit, et jamais en {out temps, opinion qui semble main- tenant prévaloir. Lorsque je dis que j'en ai l’intime conviction, je puis en apporter une preuve. IH ya moins de dix jours que je traversais la Mer de Glace jusqu’au haut du glacier de Léchaud, au moment où elle était couverte de six pouces de neige au Montanvert, et de trois fois autant dans les parties supérieures ; il neigeait dans ce moment- là et le glacier avait été à peu près dans le même état pendant une semaine , le thermomètre étant dans l'intervalle descendu à 20°F.(— 6°,6 C.) Cependant j'eus des preuves nombreuses que la gelée n’avait pas pénétré dans la glace plus profon- dément qu’on n'aurait dû attendre qu’elle l’eût fait dans la terre, dans les mêmes circonstances. Tous les ruisseaux de la surface étaient gelés ; il n’y avait pas de cascades dans les mou- lins; tout était aussi engourdi que si l’on eût été au milieu de l'hiver ; et néanmoins, même sur le glacier de Léchaud , mon bâton enfoncé dans la glace à la profondeur de moins d’un pied était tout à fait mouillé, exactement comme s’il eùt été plongé dans l’eau, laquelle par conséquent ne pouvait étre con:- gelée dans les crevasses. Dans les creux placés au-dessous des pierres des moraines, on trouvait, en rompant la croûte glacée, des marres d’eau stagnante tout près de la surface. Est-il done possible que le simple refroidissement passager d’une nuit d'été, ou le froid que produit la glace en tout temps, soient la cause de la congélation dont on a tant parlé P * 364 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 3° Mais quel était l'effet de cette congélation , toute légère qu'elle füt, sur la marche du glacier ? 1] me semblait que si Ia théorie de la dilatation était fondée, un changement de temps aussi brusque, un froid aussi intense succédant à la chaleur de l'été, devait produire une accélération instantanée dans ia mar- che moyenne du glacier. Mais c’est le contraire qui eut lieu, le mouvement diurne devint moins considérable qu’il n’avait été antérieurement, et dès que le temps se fut radouci, que la glace nouvellement formée se fut fondue, et que la neige fut redeve- nue de l’eau , le glacier saturé d'humidité dans tous ses pores reprit sa marche à peu près comme au milieu de l'été, 4° On a conclu, d’après la théorie de la dilatation, que tan- dis que la surface supérieure du glacier se détruit continuelle- ment, il est en même temps soulevé dans toute sa masse de bas en haut, de sorte que son niveau absolu n’est pas changé. Mes expériences, aussi bien que les observations les plus ordinaires (comme je lai déjà dit), tendent à faire écarter cette supposi- tion. Je trouve qu’emre le 26 juin et le 10 septembre, la sur- face du glacier près du bord de la Mer de Glace s’était abaissée de vingt-cinq pieds un pouce et demi, et que le centre avait subi un affaissement encore plus considérable. L'observation de la destruction de la surface par le dégagement d’un bâton plongé dans un trou d’une profondeur donnée, est'très-inexacte et donne des résultats inférieurs à la réalité. Je suis prêt à admettre avec Mr. de Charpentier, que la con- gélation de l’eau infiltrée des glaciers forme une partie impor- tante de leurs fonctions ; seulement , je conçois qu’elle n’a lieu sur une échelle un peu considérable qu’une seule fois par année, au lieu-de se manifester chaque jour ou continuellement comme il le suppose. Tout ce que j'ai vu sur le glacier pendant le temps froid et lorsqu'il était couvert de neige, confirme l’idée que j'ai toujours eue , que la marche de la gelée dans la masse du glacier est très-semblable à celle qui aurait lieu dans « une terre humide, et qu’en conséquence les variations diurnes Mila OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 369 de la température ne peuvent pas avoir une grande influence eu égard à l'étendue de la masse de glace imbibée. Le froid pro- longé de l'hiver doit néanmoins avoir un effet très-sensible ; et si l’on considère que la température de la masse n’est jamais au- dessus de 0°, on peut s'attendre que la congélation de l’eau dans les fissures capillaires atteigne une très-grande profondeur pendant le cours de plusieurs mois de calme. Je pense qu'il n’y a qu’une seule époque de congélation dans l’année, et que son effet n’est pas de faire avancer le glacier en glissant le long de son lit, car le frottement qui résulterait d'un corps aussi énorme rend évidemment cette hypothèse inadmissible, mais bien de dilater la glace dans la direction de la plus petite ré- sistance, c’est-à-dire verticalement et conséquemment d’ac- croître son épaisseur. C’est ce que Mr. Hopkins a très-bien dé- montré être sa seule alternative, et il s’est servi de cet argu- ment pour combattre la théorie de Charpentier. La tendance de cette force serait, en conséquence , de rétablir pendant l'hiver l'épaisseur de glace fondue pendant l'été précédent, et dans les hivers qui sont moins rigoureux, la glace étant gelée à une moindre profondeur, l’expansion serait moins considérable , et une diminution permanente du glacier en serait la conséquence. Rien n’est plus certain que le fait si bien établi par de Charpentier, dans son dixième chapitre , que le glacier ne doit pas son ac- croissement à la neige des avalanches, ni même à celle qui tombe sur une portion quelconque de sa surface. Enfin, l'admission d’un mouvement semblable à celui d’un corps demi-liquide produit par le poids de la glace même paraît expliquer les faits principaux de la marche des glaciers, savoir : 1° que le mouvement est plus rapide au centre du glacier que sur ses bords ; 2° qu’il est souvent plus accéléré près de son extré- mité inférieure, mais varie plutôt selon sa section transversale que selon sa longueur ; 3° qu'il est plus rapide en été qu'en hi- ver, en temps chaud qu’en temps froid, et surtout accéléré pen- dant la pluie et retardé par un temps de gelée, 4° IL est, de plus, 366 OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES CLACIEES. conforme à ce que nous savons de la plasticité des corps demi-solides en général, surtout près de leur point de fusion. Plusieurs cas s’en présenteront à l’esprit de ceux qui ont observé la plasticité des corps durs fusibles , tels que la cire à cacheter par exemple, que l’on a tenus exposés pendant un long espace de temps à une température très-inférieure à celle qui déter- mine leur fusion et qui se sont moulés sur la forme des surfaces sur lesquelles ils reposaient. 5° Quand la glace est très-ere- vassée, elle cède sensiblement à la pression de la main, et pré- sente une sorte d’élasticité comme certains calcaires, bien con- nus pour posséder cette espèce de flexibilité. 6° J’ai précédem- ment essayé de démontrer comment cette condition de detni- solidité, combinée avec les mouvements déterminés du glacier, explique la structure veinée qu’on y peut observer. Je suis , etc. Nous nous empressons de faire connaître à nos lecteurs les quatre lettres de Mr. le professeur Forbes, sur les glaciers. Nous devons à son obligeance une communication directe de la quatrième, qui sera publiée dans le prochain numéro du Phil. Journal. y a peut-être quelque témérité à présenter des dou- tes sur la théorie de l’auteur relativement au mouvement des glaciers, avant d’avoir sous les yeux l'ensemble de ses idées et des faits sur lesquels il les a basées. Toutefois nous croyons de- voir énoncer nos objections, car dans une matière difficile et qui excite un intérêt particulier dans ce moment, il ne peut y avoir que de l’avantage à ce que la question soit envisagée sous toutes ses faces. Et d’abord cette supposition d’un état de demi-fluidité pour la glace des glaciers est-elle conforme aux faits que démontre l'observation la plus commune? On peut admettre une hypo- thèse géologique, par exemple, sur l’état de fusion possible dans l’intérieur du globe des roches les plus réfractaires, paree PRE OBSERVATIONS RÉCENTES SUR LES GLACIERS. 367 que, quoique nous ne puissions parvenir à les fondre, les faits connus nous permettent -de.les croire fusibles. Mais comment concilier l’idée d’un état plastique de la glace , dans lequel elie se moulerait sans se fondre, comme la cire à cacheter ramollie, avec ce que nous voyons tous les jours du passage brusque et sans transition de l’eau en glace et de la glace en eau ? En admettant, pour un moment, cet état de demi-fluidité dans la glace des glaciers, nous devrions alors voir se repro- duire à leur surface cette destruction de toutes les éminences, cet arrondissement de tous les angles qui caractérisent un corps solide en voie de ramoilissement, comme le serait la cire ou une résine. Or, il nous semble que ce n’est pas là le phé- nomène que nous présente la surface des glaciers. Et pour ne parler que du plus abordable de tous ceux de notre voisinage, il nous semble qu’il n’y a rien de plastique dans les belles pyra- mides de glace dure et bleue, qu’on admire à l'extrémité du glacier des Bossons. Il nous semble aussi que le premier effet de ce ramollissement supposé, devrait être de combler les cre- vasses, el nous ne comprenons pas comment elles pourraient subsister et surtout s’élargir, comme Mr. de Charpentier l'avance, par l'action continuée des chaleurs de l’été. Enfin, nous ne pouvons comprendre, si la glace ramollie s’écoule naturellement par son propre poids, quel serait l’ob- stacle qui retiendrait les glaciers comme suspendus sur les pentes souvent très-abruptes par lesquelles ils débouchent dans les vallées, et pourquoi arrivée à ce point la glace demi-fluide, prenant un mouvement accéléré, ne se précipiterait pas au bas de la déclivité, en laissant derrière elle la portion du glacier douée d’un mouvement plus lent. En effet, Mr. Forbes paraît n'admettre ni le frottement sur le fond toujours gelé du gla- cier qu'établit Mr, de Charpentier , ni la cohésion des molécu- les de la glace elles-mêmes, cohésion rendue presque nulle ou fort affaiblie par la conséquence même de l’état supposé de demi-liquidité. | 368 LES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. Nous sommes prêts à reconnaitre d’ailleurs, que les objec- üons que présente Mr. le professeur Forbes aux théories déjà énoncées sur le mouvement des glaciers, ont une grande force. Si nous ‘hasardons ici quelques doutes sur celle qu’il leur sub- stitue, c’est que, comme ils se présenteraient probablement à l'esprit d’autres lecteurs, il peut étre utile que Mr. F. les con- naisse, pour y répondre lorsqu'il rédigera le travail plus étendu qu’il annonce sur le même sujet. LM MÉMOIRE SUR LES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS !, par Mr. Ath. PeLrier. 1. La théorie des brouillards par simple refroidissement, est acquise à la science, depuis les recherches de De Luc ?, de H. Davy * et de G. Hervey “, si l’on ne considère que la cause de la condensation des vapeurs à l’état neutre. En effet, pour produire ce phénomène, il suffit d’un abaissement dans la température de l’air de 2 ou 3 degrés, au-dessous de celle de la surface des eaux ou des terrains humides, et le brouillard est d'autant plus épais, que cette différence entre la température de l’air et celle des eaux est plus grande. Les brouillards produits par le seul refroïdissement de l'air, seraient donc un des phé- Le mémoire de Mr. Peltier nous a été communiqué par son auteur il y à déjà quelques mois; nous ne l'avons pas inséré plus tôt, parce que Mr. Peltier nous avait demandé de ne pas le publier avant l'insertion que devait en faire dans ses Mémoires l’Académie Royale de Bruxelles, à la- quelle son auteur l’avait communiqué. — Nous regrettons ce retard qui nous ôte la priorité de cette intéressante publication. (R.) ? Recherches sur les modifications de l'atmosphère, S 673. * Phil. Trans., 1819, 1'® partie, et Ann. de Chim. et de Phys., 1819, tome 12, p. 195. * Quarterly Journ. et Ann. de Chim. et de Phys., 1823, 1. 23, p. 197. DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 369 nomènes les plus simples et les plus uniformes, s'ils pouvaient toujours s’accomplir sous cette influence unique. Il n’en est point ainsi dans la nature, et cette simplicité de brouillards n’est presque jamais réalisée. 2. La première cause de la complexité des brouillards est la formation des vapeurs à la surface d’un corps chargé d’élec- tricité résineuse , vapeurs qui participent conséquemment de cel état et sont résineuses comme lui. La seconde cause est dans la réaction des vapeurs résineuses du vaste courant qui s’avance constamment des tropiques vers les pôles, dans les hautes ré- gions de l’atmosphère. Suivant la suprématie de l’une ou de l’autre de ces influences, les vapeurs interposées éprouvent des modifications très-diverses qui en font autant d'espèces diffé- rentes. Dans un mémoire précédent ‘ j'ai démontré toute l'in- fluence du globe sur la production des vapeurs qui s’élèvent à sa surface et sur la distribution de leur électricité; mais, pour laisser à ce sujet toute sa simplicité, j'ai dù omettre celle du courant supérieur, qui réagit contre l'influence terrestre dans sa progression au-dessus des régions extra-tropicales et vient ainsi ajouter des complications nouvelles au phénomène primi- üf, déjà très-compliqué par la seule influence terrestre. Dans le présent mémoire je serai obligé de mentionner une partie des effets de ce courant supérieur, réservant la discussion de toute son action pour un travail spécial, dans lequel je suivrai la for- mation des nuages, leur distribution et leur transformation. 3. Quelles que soient nos réserves, il n’en résulte pas moins que l’abaissement de la température, en condensant les vapeurs, augmente leur conduction et facilite une nouvelle répartition électrique. Cette influence du globe, comme corps chargé d’une puissante électricité résineuse, a été méconnue jusqu’a- lors; mais nos expériences et nos observations ne permettent ! Mémoire sur la cause des phénomènes électriques de l’atmosphère, (Ann. Chim. el Phys., 3"€ série, 1842, tome 4, p. 385). 370 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. plus, je l'espère, cette omission ; elles ont trop démontré com- bien cette influence est puissante sur la série des transforma- tions des vapeurs, et combien les résultats en deviennent com- plexes. Les vapeurs ainsi chargées d’électricités différentes ne sont plus soumises aux seules lois du refroidissement et de la pesanteur ; l’action résineuse, soit du globe, soit du courant tropical, attire celles qui sont chargées d'électricité vitrée, et repousse celles qui sont chargées d’électricité résineuse. De ces diverses influences, il résulte trois sortes de brouillards, qui se divisent-én cinq espèces bien distinctes : la première est celle des brouiliards simples ; la seconde et la troisième sont celles des brouillards résineux; la quatrième et la cinquième sont celles des brouillards vitrés. | Des brouillards simples. 4. Les brouillards simples sont le produit de la condensa- tion des vapeurs élastiques par le refroidissement de l’air, lors- que celui-ci est descendu de plusieurs degrés au-dessous de la température du sol qu'il domine ; ils sont toujours humides et mouillent les corps froids qu’ils touchent. Ces brouillards pa- raissent vers la fin d’une belle journée, s’élèvent lentement dans l'atmosphère et se tiennent assez bas. Ils sont d’un blanc mat, diminuent la lumière sans la colorer, et leur surface est plane et tranquille. Ces brouillards ne peuvent exister dans cet état de simplicité primitive, que lorsque les vapeurs élastiques supérieures réa- gissent avec une tension résineuse égale à celle de la terre, et neutralisent ainsi les effets de cette dernière. Cette égalité d’in- fluences contraires se reproduit assez rarement et rend cette espèce peu commune. Depuis longtemps on avait remarqué - l'impossibilité d’expliquer tous les brouillards par cette seule cause, principalement ceux qui durent plusieurs jours pendant des froids continus, comme celui qui dura du 27 décembre1813 au 2 ou 3 janvier suivant, au-dessus de Londres et de ses envi- DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 371 rons, avec une température qui oscilla entre + 1° C. et —6°. Ce brouillard qui bornait l'horizon à quelques mètres, dura 8 jours, pendant un calme plat et déposa une couche de neige assez épaisse. Sa formation et sa continuité ne sont pas comprenables, ditTh.Young ‘, avec des différences de températures qui n’exis- taient pas alors. De tels brouillards ne peuvent se comprendre qu'avec la puissance d’une force nouvelle qui fait abaisser suc- cessivement les vapeurs supérieures, quelles que soient les tem- pératures de l’air et du sol. Des brouillards électriques. o. Dès1761,Th. Ronayne avait remarqué que certains brouil- lards étaient tellement électriques, qu'ils pouvaient donner des étincelles ?. Henley, qui continua ses expériences, rapporte beaucoup d’exemples de la grande tension qu’ils peuvent ac- quérir . Depuis, l'électricité des brouillards a été constatée généralement ; c’est un fait acquis à la science, et il est vrai- ment étonnant qu’on n'ait pas su reconnaître ensuite l’impor- tance des modifications que la présence de l'électricité devait leur imprimer, même eu méconnaissant l'influence terrestre. Cette coercition de l’électricité par les brouillards les divise nécessairement en deux sortes : ceux qui sont chargés d’élec- tricité résineuse, et ceux qui sont chargés d’électricité vitrée. Nous verrons que chaque sorte forme deux espèces distinctes. Des brouillards résineux. 6. Le globe terrestre étant un corps chargé d'électricité résineuse, les vapeurs qui s’en élèvent sont résineuses comme lui“; il semblerait alors que les brouillards de cette nature * Ann. of Philosophy, 1814, tome 3, p. 154. ? Phil. Trans., 1172, vol. 62, p.137, et Journ. de Phys., Rozier, 174, tome 4, p. 14. 3 Idem, 1774, vol. 64, p. 422, et Journ. Phys., Roz. 1775, t. 6, p. 252. ® Mém. cité plus haut, Ann. Chim. Phys., 3°€ série, t. 4. 12 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. devraient être les plus nombreux et presque journaliers; il semblerait que le refroidissement des vapeurs élastiques ré- sineuses devrait faire des brouillards résineux comme elles. Cette espèce n’est cependant pas commune, et l’on pour- rait dire qu’elle est rare, si on la compare à celle des brouil- lards vitrés. La cause de cette transformation de signes est dans la loi même des influences électriques ; et en effet, l’égale ré- partition électrique ne pourrait se conserver dans un air humide qu’autant que toutes les particules de vapeurs seraient séparées par un isolant parfait qui ne permettrait aucune transmission électrique. Comme telle n’est pas la nature de l’air humide, l'égalité primitive est de courte durée. La conduction deve- nant plus grande par le refroidissement qui condense la vapeur, la terre repousse plus facilement l'électricité résineuse vers les couches élevées, et rend ainsi vitrée la couche rapprochée du sol , effet que l’électromètre mobile constate chaque jour vers le soir. Cette nouvelle distribution se fait d’autant mieux, que les vapeurs supérieures de l’atmosphère sont plus primitives et n’ont point encore une tension résineuse capable de réagir avec force contre celle du sol. Cette répulsion de l’électricité rési- neuse par l'influence du globe ne permet jamais que les brouil- lards primitifs, ceux qui se forment par le seul refroidissement du soir, restent résineux. Pour qu’un tel brouillard puisse se maintenir en contact avec la surface du globe, il faut qu’une autre puissance l'emporte sur la répulsion de la terre, ou que cette répulsion terrestre soit atténuée par une force semblable, agissant en sens contraire. Le premier effet se produit par la pesanteur spécifique que prennent quelquefois les nuages , et le second par la puissance répulsive des couches supérieures for- tement résineuses. Les brouillards résineux produits par ces deux causes se distinguent par des qualités particulières, qui en font deux espèces différentes. 7. Des brouillards résineux de la première espèce. Les brouillards résineux, provenant de l’accroissement dans la pe- ] | | | DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 3 #4) santeur des vapeurs, ne sont qu'une nue résineuse abaissée par sa gravité jusqu’à la surface du sol, et non un érouillard pro- prement dit. L’abaissement d’une nue résineuse est toujours un phénomène orageux, tempétueux, et dès lors de courte durée ; car la répulsion terrestre s’opposant à la descente gra- duelle et moléculaire de ces vapeurs, elles n’arrivent près du sol qu’en masse, en vertu de leur poids et avec toute leur puis- sance électrique. Plus repoussées qu’attirées, ces nues effleu- rent les corps terrestres sans les mouiller, ou elles n’y dépo- sent que l’humidité de leurs particules extrêmes. La neutralisa- tion de ces nues surbaissées ne se fait pas par un écoulement partiel, mais par la décharge de l'atmosphère électrique qui les entoure ; c’est par les brusques agitations de l’air, par les bour- rasques instantanées, que la neutralisation s'effectue. Aussitôt que la décharge a eu lieu, la répulsion diminue, les particules se condensent et se résolvent en une pluie abondante qui n’a ce- pendant qu'une influence médiocre sur lhygromètre. C’est dans l'automne et dans l'hiver qu’on voit le plus souvent ces gros nuages gris de plomb s’abaisser jusqu’à simuler un brouil- lard, et produire ces tourmentes atmosphériques qui servent d’intermédiaire à leur neutralisation. Dans les régions po- laires, ces nues surbaissées sont très-communes et provoquent des tempêtes locales dont les limites sont très-rapprochées. W.Scoresby en cite de curieux exemples ; tel est celui rapporté par son père ‘. Tous les bâtiments qu’il voyait dans son horizon étaient affectés différemment : les uns éprouvaient de fortes bourrasques ; d’autres peu éloignés gardaient leurs voiles et ne _ressentaient qu’une forte houle ; d’autres, enfin, étaient au mi- lieu d'un calme complet. 8. Des brouillards résineux de la seconde espèce. Cette se- conde espèce de brouillards résineux est la plus rare, surtout avec l'intensité suffisante pour être visible. Les états météoriques qui la préparent, coexistent rarement au degré nécessaire pour ! Account of the arctic regions, etc. vol. 1, ch. 5, sect. 6. 374 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. la produire d’une manière appréciable; il en résulte qu’elle existe souvent sans être sensible à nos organes, et ne peut être manifestée que par des appareils électriques mobiles, qui in- diquent une tension résineuse non motivée. On sait qu’il existe un courant supérieur dans l'atmosphère, qui s’avance de l'équateur vers les pôles et transporte au loin les vapeurs tropicales qu’il déverse, le long de sa route, à mesure que la condensation s’eflectue. En se condensant, ces vapeurs subissent toutes les influences résineuses du globe, et leur élec- tricité se distribue en raison de l’énergie de cette influence. Les couches les plus élevées deviennent plus résineuses, les in- férieures deviennent vitrées ; ces dernières ainsi chargées d’élec-" tricité contraire à celle du globe sont attirées, elles descendent, se rapprochent du sol, elles se neutralisent, soit par rayonne- ment avec les vapeurs résineuses inférieures, soit d’une manière brusque lorsqu'elles sont massées en nuages ; une grande par- tie se résout en pluie et laisse ainsi réagir les vapeurs résineu- ses supérieures avec toute leur énergie. La démonstration de ces transformations ne peut faire par- tie de ce travail; il suffit de constater que les vapeurs supérieures possèdent une puissante tension résineuse, pour comprendre tous les effets d'influence de haut en bas sur les vapeurs qui s’élèvent chaque jour. La constatation de cette intensité de puissance résineuse se déduit de l’observation et de l'expérience, comme nous l'avons prouvé! en démontrant que toutes les vapeurs très-blanches et colorées étaient fortement vitrées, et que celles qui sont brunes et gris de plomb étaient résineuses. Nous verrons tout à l'heure, par la couleur des vapeurs infé- rieures, combien celles qui font partie du courant tropical supérieur doivent être résineuses, pour produire ainsi par in- fluence de telles masses de vapeurs colorées. 9. Lorsque les vapeurs supérieures possèdent une tension résineuse plus grande que celle de la surface du globe, elles ! Mémoire précédemment cité, S 55. DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 375 réagissent sur les vapeurs inférieures qui s'élèvent, et y distri- buent l'électricité en raison de leur suprématie d'influence ; elles attirent l'électricité vitrée vers la partie supérieure, et re- poussent l'électricité résineuse vers la partie inférieure. Si la densité donne aux vapeurs une conduction facile, l'électricité résineuse repoussée se dispersera dans le globe, et laissera l'électricité vitrée régner seule dans le brouillard qui en naîtra ; c’est l'exemple du $ 23 suivant. Mais si par l’effet de la tem- pérature élevée , ou de leur rareté , les vapeurs inférieures ont peu de densité , la conductibilité sera faible, et elles pourront garder un certain temps l'électricité résineuse qui aura été re- poussée. Cette portion inférieure de l’atmosphère possédera alors une vapeur résineuse, raréfiée par la répulsion supérieure, raréfiée par celle du globe, et d’autant plus que chacune des particules aura conservé une plus grande tension électrique. Un nuage , comme un brouillard, est une agglomération de pe- üts corps distincts, chargés de la même électricité et isolés les uns des autres par l’air interposé. Lorsque cette aggloméra- tion de petits corps électrisés est en présence d’un autre corps chargé d’une électricité dissemblable , leur influence respective étant atténuée, leur répulsion mutuelle est moindre; tandis qu’au contraire, si l’on approche un corps chargé de la même électricité, leur répulsion réciproque s’en accroît; elle devient plus grande encore , si on place de l’autre côté un second corps électrisé semblablement. On démontre parfaitement ce fait par expérience, en simulant une nue avec des parcelles de sureau isolées, suspendues par des fils de soie, et en approchant de cette nue un, puis deux corps chargés de la même électricité qu'on leur a donnée préalablement. On voit toutes ces petites boules de sureau s’écarter l’une de l’autre, en raison de la proximité et du nombre des corps électrisés semblablement, de même qu’on les voit se rapprocher, lorsque ces corps possèdent une électricité contraire. 10. Pour que des vapeurs résineuses soient maintenues près 376 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARUS. du sol, il faut donc : 1° que les régions élevées de l'atmosphère soient le réceptacle de vapeurs fortement résineuses, possédant une réaction au moins égale à celle du globe; 2° que les vapeurs inférieures soient assez raréfiées pour être faiblement conduetrices, et qu’elles puissent ainsi garder la tension rési- neuse qu’elles possèdent. Il faut la coexistence de ces cir- constances, pour que l'électricité résineuse de ces vapeurs infé- rieures ne s'écoule pas dans le globe, ou que ces vapeurs ne soient pas massées en nuages avec une périphérie électrique qui en faciliterait la décharge. Une des circonstances qui accompa- gnent toujours les vapeurs résineuses, c’est la couleur gris foncé ou de fumée de charbon de terre. Cette qualité spéciale des vapeurs résineuses les accompagne même lorsque leur dissé- mination les rend transparentes : on n’aperçoit aucune vapeur, cependant le ciel est obscurci, il est d’un bleu noir ; les étoiles de petites grandeurs disparaissent, le soleil perd de son éclat et semble décoiffé de son auréole. 11. Les vapeurs supérieures étant transparentes, rien ne pourrait en faire soupçonner l'existence ni le signe électrique qu’elles possèdent, si les vapeurs de la région immédiatement inférieure n’en fournissaient pas l’indication par leur coloration. Des observations nombreuses nous ont démontré de la manière la plus péremptoire, que les vapeurs globulaires , dont la cou- leur varie du blanc mat au blanc vif d'argent, et que les va- peurs intermédiaires ", de la teinte lie de vin au rouge écarlate, étaient chargées d'électricité vitrée à des degrés différents, qui correspondaient à la vivacité de la blancheur d’une part, à l'intensité de la coloration de l’autré. H résulte de cette co- existence de l’état vitré avec la blancheur, et surtout avecla co- loration orangée des nuages, que les couches moyennes de l'atmosphère possèdent souvent une haute tension vitrée quine peut exister à cette distance de la surface du globe que par une puissance résineuse supérieure, et que l’intensité de cette der- ! Voyez notre mémoire précité, S 55. DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 77 nière peut se préjuger par l'intensité de la coloration des cou- ches subordonnées, comme on préestime la puissance de l’élec- tricité d’un corps, par celle de nom contraire qu’il développe sur un conducteur voisin. Cette déduction de l’état résineux des couches supérieures, est d’autant plus forcée, qu’en dehors de cette puissance la tension vitrée des couches moyennes serait non-seulement un eflet sans cause , mais un effet contraire à l’action de la terre, qui attire l’électricité vitrée dans les couches les plus inférieu- res et repousse l'électricité résineuse dans les couches moyennes et supérieures, suivant leur conductibilité électrique. Nous verrons, dans un autre mémoire, comment ces vapeurs vitrées montant vers les vapeurs résineuses supérieures, les neutralisent et accélèrent leur résolution en pluie ; nous ne voulons con- stater ici que l’existence, dans certaines circonstances, d’une puissante tension résineuse dans les hautes régions de l’atmo- sphère, tension qui réagit avec suprématie contre celle de la terre et renverse la marche naturelle et primitive de la distribu- tion de l’électricité, sous la seule influence résineuse du globe. 12. Il est encore plusieurs circonstances dont la coexistence est nécessaire pour produire le phénomène que nous explorons : ainsi , il arrive souvent que les vapeurs résineusés inférieures, repoussées par les supérieures, ne descendent pas jusque près du sol ; il arrive qu’elles restent à une certaine élévation où la moindre température les condense en strates grises et minces. Lorsque ces vapeurs sont assez repoussées pour s'approcher du sol, la température y étant plus haute et la répulsion plus grande , toutes les répulsions intérieures en étant augmentées, leur densité diminue , leur opacité s’affaiblit, elles deviennent demi-transparentes et jettent un voile obseur sur le ciel, sans qu’on puisse en apercevoir la cause ; elles forment une brume sèche qui tient les corps terrestres dans un état tout à fait ano- mal. Telle est la seconde sous-espèce de brouillards résineux qui ne paraît que dans le printemps et l'été, tandis que la pre- XLII 24 378 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. mière appartient à l’automne et à l’hiver. De Saussure cite un nuage de cette nature dans ses Essais sur l’hygrométrie, 355, lorsqu'il dit : « On y voit nager une vapeur bleuâtre qui n’est pas une vapeur aqueuse, puisqu'elle n’affecte pas l'hygromètre, mais dont la nature ne nous est pas encore connue ‘. » 15. C’est à la première de ces deux sous-espèces de brouil- lards qu'il faut rapporter les brumes tempétueuses des régions polaires, et dont nous sommes parfois témoins en Europe, dans l’automne et dans l'hiver, comme le Havre en à eu un exemple le 18 janvier 1842. C’est à la seconde sous-espèce qu’appar- tiennent les brouillards secs résineux, non massés en nuages et disséminés en une vaste brume, qui noircit l’aspect du ciel sans qu'on puisse distinguer les vapeurs interposées. Ces brouillards appartiennent plus spécialement aux régions tropi- cales, et on en retrouve de nombreuses descriptions dans la relation des voyages de Mr. de Humboldt*. Enfin, il y en a à tous les degrés possibles entre ces deux états extrêmes. Voici quelques exemples de la seconde sous-espèce , plus rare dans nos contrées que la première, et plus extraordinaire aussi lorsqu'on n’en connaît pas la cause. 14. « Le 1° juin 1721, on vit pendant presque toute la journée à Paris et dans une grande étendue de pays, le soleil tout blanc, sans son éclat ordinaire, sans rayons et pour ainsi dire décoiffé et ressemblant à la lune. La plupart des gens qui s’en aperçurent, même de ceux qui observent, n’y faisant pas grande attention, c'était sûrement le soleil obscurei, non pas par des nuages qui en eussent la forme, mais par un brouillard transparent, fort également répandu sur tout l'horizon. Mr. de 1 Nous devons rappeler que nos instruments ne marquent que des dif- férences (Mémoire cité, S 5); que la terre étant un corps puissamment résineux, la diminution de son influence sur l'instrument est la première manifestation d’une action résineuse venue d'en haut, et qu'il faut déjà une tension électrique extrémement puissante dans les couches élevées pour réduire à zéro l'indication d’un instrument placé près da sol. 2 Tome 3, Liv. 9, page 318, in-4°. DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 379 Mairan observa ce brouillard à Breuil-Pont, petit village sur l'Eure, entre Passy et Yvri, pendant la dernière heure... Il dit que les bords du soleil étaient très-nettement terminés: nulle couronne autour du soleil, nulle dégradation de lumière, point de nuage, ni même de vapeur sensible ; un fond de ciel d’un bleuâtre obscur, fort uniforme et tel qu’il a coutume d’étre dans une nuit claire aux endroits où il n’y a pas d'étoiles. Sur la fin du jour des nuages sensibles passèrent devant le soleil, lui donnèrent pendant quelques moments une petite feinte de couleur rose, les bords demeurant bien tranchés sur le méme fond uniforme, et enfin ils le cachèrent entièrement... Mr. Cas- sini vit le méme phénomène en Picardie, et Mr. de Louville a appris qu'on l'avait vu aussi en Auvergne et à Milan ‘. » 15. Voici un exemple tiré de Le Gentil * : « C’était une chose très-singulière que de voir horizon le matin avant que le soleil se levät... L’horizon était sans nuages et fort net en apparence, mais d’une couleur bleue si foncée et si obscure, qu'on eût dit que le soleil était encore fort loin au-dessous, lorsqu'il paraissait sortir subitement comme du fond du chaos, étant déjà de deux ou trois de ses diamètres au-dessus de l’ho- rizon; il ressemblait à un feu qu’on aurait vu de loin; il conti- nuait de se laisser voir pendant encore quelques minutes comme on voit la lune se lever lorsqu'elle est pleine; peu à peu les rayons prenaient de la force, et faisaient sortir, comme du fond d’un tableau , quelques gros nuages épars çà et là , qui se dis- sipaient bientôt entièrement. » 16. « Ce qui m’a frappé à Cumana, dit Mr. de Humboldt*, c'est que, peu de minutes avant que la pluie tombe, l'hygro- mètre à cheveu ne continue pas seulement d'indiquer 67° à 682, ce qui est une sécheresse considérable pour ces contrées, mais que (sans aucun changement de température ) il rétro- ! Mém. Acad. Sc. Paris. 1121, p. 25. ? Le Gentil, Foyage dans les mers de l'Inde, 1, 625. * Voyage aux régions equin., liv. 9,t. 3, p. 318, in-4°. 380 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. grade vers la sécheresse, de 1 à 2 degrés, à mesure que le ciel s’obscurcit et prend cette intensité de bleu noirâtre qui précède les explosions électriques. Le thermomètre baisse pendant la pluie de 24° R. tout au plus à 19°. Le ciel en s’obscurcissant reste uniformément bleu, ne montre pas de vapeurs divisées par groupes, et acquiert une intensité de couleur qui va jusqu’à 47° du cyanomètre. » Enfin, dans le 21° volume des 4#nnales de chimie et de phy- sique , pag. 411, Mr. Arago a inséré la relation d’un brouil- lard analogue, mais avec cette addition intéressante, que la masse de vapeurs n'étant pas excessivement étendue, on put en suivre la-marche et la vitesse de progression. Le 18 août 1821, Mr. Forster observa en Angleterre, dans le comté d’Essex, un brouillard remarquable. « Le soleil, affai- bli par ce brouillard, pouvait à son lever être regardé à l'œil nu, el avait une teinte argentée si semblable à celle de la soie vernie, que les paysans à la campagne le prirent pour un aéro- stat. (Ann. chim., phys., t. 18, p. 419.) Mr. Howard observa ce phénomène dans le comté de Sussex, entre 9 et 10 heures du matin. À Paris il se manifesta le méme jour, mais seulement sur les 6 heures du soir. Nous avons déjà rapporté ces circon- stances ; nous n’en parlons de nouveau aujourd’hui que pour ajouter qu’à Viviers, en Dauphiné (44° 29’ de latitüde), un brouillard analogue, fumeux, blanchâtre, sec, couvrit aussi le ciel, le 19 au soir ; le lendemain matin, le soleil à son lever pa- rut blanc et sans éclat ; le soir cet astre était rouge, suivant Mr. Flaugergues, à qui nous empruntons ces détails. Ce brouil- lard, assez analogue à celui de 1783, ne se dissipa entièrement que le 30 août, à la suite d’une petite pluie. » 17. Pendant le règne de ces brouillards secs et résineux, l’état électrique des corps vivants étant mterverti, il peut en résulter des maladies spéciales, s’ils durent longtemps. L'état habituel des corps placés à la surface du globe est d’être rési- neux, puisqu'ils forment les aspérités d’un corps résineux en DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS, 381 présence de l’état vitré de l’espace céleste. Lorsqu'un brouillard résineux surmonte la surface de la terre, son influence élec- trique rend vitrés tous les corps qui touchent au sol. Le globe, * Comme tous les vastes corps électrisés, permet une répartition inégale de son électricité propre, sous l’influence d’une nue ré- sineuse. La partie placée immédiatement au-dessous de cette masse de vapeurs devient vitrée par influence, si la tension de la nue est suffisante. Suivant cette tension, l’état naturel du sol est altéré, il est moins résineux, il peut étre méme vitré, et nous savons par notre propre expérience combien la présence d’un nuage résineux peut changer l’état normal. 18. C’est à cette espèce de brouillard que nous rapportons la brume qui accompagne le chamsin d'Egypte, le semoun d'Arabie, le sirocco d’Alger, le solano de Cadix, etc. L'aspect d’un ciel triste et terne, l’affaiblissement de cette brume en passant au-dessus des eaux, ses influences pernicieuses , tout prouve que l’atmosphère inférieure est chargée de vapeurs puis- samment résineuses et dès lors très-dilatées. Lorsque le soleil est d’un rouge brun, c’est qu’il y a encore dans la région moyenne une couche quelque peu vitrée, mais de peu d’im- Portance par rapport aux couches résineuses du courant tropi- cal, qui réagissent contre le sol. Le calme indique que ces va- peurs sont peu massées, que les molécules sont très-disséminées, conservent individuellement leur grande tension résineuse, et ne forment pas de groupes ou nues entourées d’atmosphères électriques libres. Il en est ainsi incontestablement, car nous savons par nos observations, que si ces nues possédaient de l'électricité libre à leurs périphéries , elles produiraient des bouffées ou coups de vent, en attirant l'air brusquement et en le repoussant ensuite, comme le démontrent les corps isolés placés entre d’autres corps chargés d’électricités contraires. Nous nous bornerons dans ce mémoire à cette seule indica- tion; ces vents sont un des sujets les plus intéressants du tra- * Voy. plus haut, sur ces vents, pag. 281 et 282 de ce numéro. (R.) 382 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. vail que nous préparons sur la cause des ouragans et des vents tempétueux !. Il y a donc deux espèces de brouillards résineux : la pre- mière provient d'une nue résineuse abaissée par sa pesanteur spécifique ; la seconde est formée des vapeurs résineuses, re- poussées de haut en bas, par les tensions supérieures, non massées ou peu massées en nuages ; elles sont disséminées et peu apparentes, tout en noircissant le ciel. Des brouillards vitres. 19. Les brouillards chargés d’électricité vitrée sont de deux espèces qui ont des résultats fort distincts. La première est celle qui à lieu sous un ciel serein, sans autre influence électrique que celle du globe ; cette espèce a ses portions inférieures plus vitrées que les supérieures, et elles sont puissamment attirées par le globe. L'autre espèce est celle qui est formée sous l’influence de masses de vapeurs fortement résineuses qui dominent dans les couches supérieures; cette dernière a ses portions supé- rieures plus vitrées que les inférieures. 20. Brouillards de la première espèce. Sous un ciel pur et serein, la vapeur condensée en brouillard se trouve placée sur- le-champ entre l'influence vitrée de l’espace et celle du globe terrestre, qui est de nature contraire. En raison de sa conduc- tibilité, la couche supérieure se charge d’une tension résineuse et l'inférieure d’une tension vitrée. La superficie des brouil- lards , comme celle des nuages, comme celle de tout liquide placé entre deux corps chargés d’électricités différentes, passe avec plus de facilité à l’état de vapeurs élastiques. On voit la por- tion supérieure des brouillards dans une agitation perpétuelle ; elle se moutonne, les flocons se repoussent , s'élèvent, dispa- raissent dans l'atmosphère supérieure. C’est ce que de Saus- ! Consultez le Voyage de Denon en Egypte, tome 1, p. 353, ett, 2, p. 163, édit. 1829. E. Rüppel, dans la Corresp. de Zach, t.7, p. 532, el Mr. Ledinghen, dans le Compte Rendu Acad. Sc., 1840, t. 11, p. 822, DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 383 sure a observé sur le Col du Géant, lorsque les vapeurs formées au fond des vallées s'élèvent assez pour être dégagées des in- fluences latérales des montagnes. « On les voyait, dit-il, se di- viser en filaments qui, semblables à ceux d’une houppe de cygne qu’on électrise , semblaient se repousser mutuellement en pre- duisant des tournoiements et des mouvements si bizarres, si rapides et si variés, qu'il serait impossible de les décrire ‘. » Cette transformation faite sous l'influence vitrée de l’espace donne à la vapeur élastique une tension résineuse plus considé- rable, et laisse aux vapeurs inférieures un état vitré propor- tionnel. 21. Dalton observa le même phénomène au-dessus des brouillards. « En remontant plus haut dans la vallée , les parties de la rivière abritées étaient couvertes de brouillard; celui-ci en s’élevant disparaissait aussitôt qu’il atteignait la région où le vent se faisait directement sentir ; il offrait alors de légères stries qui ne dépassaient jamais une certaine hauteur et se dis- sipaient en peu de secondes. * » Les stries s’élevant à une cer- taine hauteur ne pouvaient être le produit du vent, puisqu'elles étaient droites, comme les panaches de la trombe de Nice du 6 janvier 1789 étaient restés droits malgré la violence de la tempéte *. Mr. Boussingault, dominant le brouillard qui existe pendant toute la saison d'hiver au-dessus des plaines du Pérou, voyait également la superficie s’allonger en lambeaux déchiquetés et disparaître peu à peu. Mr. Alcide d'Orbigny les a vus aussi s’al- longer en stries, se détacher et disparaître en vapeur élastique. La superficie de ces brouillards se renouvelle done, et leur trans- formation se faisant sous l’influence de l’état vitré du ciel A emporte avec elle l'état résineux et laisse au brouillard inférieur ! Voyage dans les Alpes, S 2071. ? Phil. Trans., 1819, 1'° partie. Ann. Chim. Phys., 1819, 1.12, p.204. * Observations et recherches expérim. sur la formation des trombes, S 217 et 225. 384 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. l’état vitré, état que les vapeurs inférieures conservent plus ou moins suivant leur conductibilité. Ronayne avait déjà observé, en 1770, que les brouillards qui se traînent à terre ne donnaient pas d'électricité , tandis que ceux qui étaient plus élevés en donnaient beaucoup '. En effet, ces brouillards étant vitrés sont attirés par la tension contraire de la terre, ils s’en approchent, y déchargent leur électricité, s’y déposent peu à peu et mouillent tous les objets qui font saillie. 22. Les corps élevés se mouillent différemment suivant leur conductibilité électrique et la tension résineuse qu’ils possèdent. Lorsqu'ils sont bien dégagés de ceux qui les entourent et qu'ils forment une saillie du globe, l’eau déposée n’y reste pas, elle se revaporise immédiatement. Placée sur un corps résineux, cette eau facilite le rayonnement électrique du globe, l’échange entre les deux tensions opposées se fait rapidement, comme il il est facile de le prouver par une expérience directe , et elle repasse ainsi sur-le-champ à l’état de vapeur élastique, empor- tant l'électricité résineuse et neutralisant les vapeurs voisines. Beaucoup d’observateurs avaient remarqué la différence de mouillage qu'éprouvent certains corps; mais ils n'avaient pas su en apprécier la véritable cause, celle d’une meilleure conduc- üibilité électrique et une exposition qui leur donne une tension résineuse plus grande. C’est ainsi qu’on voit une tablette en bois, élevée de quelques décimètres au-dessus d’une autre ta- blette du même bois, n'être nullement mouillée, tandis que l’inférieure l’est complétement : c’est que, plus élevée, elle a une tension plus grande, elle rayonne plus facilement son élec- tricité résineuse vers les vapeurs vitrées qui l'entourent, elle la rayonne par l'intermédiaire des particules d’eau qui repassent à l’état de vapeur élastique. Les métaux, meilleurs conducteurs que le bois et la terre, conserveront moins encore l’humidité ‘ Lethe de Ronayne à Franklin. Journ. Phys, Rozier, 4, 16, année 1774. DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS, 385 déposée , à moins qu'ils ne soient dominés par d’autres corps qui rayonnent avec facilité l'électricité résineuse du globe et neutralisent les vapeurs ambiantes. 23. Ces brouillards peuvent se former au-dessus des terres humides d’où s'échappe la vapeur, ou bien leur formation ne se fait qu’à une hauteur considérable. Les vapeurs qui ne ren- contrent qu’à cette élévation l’abaissement de température né- cessaire à leur transformation, forment d’abord des strates opaques peu épaisses, où l’électricité se distribue comme dans le premier cas. La couche inférieure est vitrée par l'influence du sol , la couche supérieure est résineuse : une partie, repas- sant à l’état de vapeur élastique , emporte avec elle l'électricité résineuse supérieure et laisse l'électricité vitrée dans les couches inférieures ; plus attirées alors par la terre, ces strates descen- dent peu à peu, et forment un brouillard très-vitré et très-hu- mide. Tous les lieux élevés en sont mouillés, et l'hygromètre marche vers 90 à 95 degrés. Ces brouillards ne diffèrent que par le lieu de leur formation et de leur condensation; l’un se forme autour de nous, l'autre se forme plus haut et descend ensuite sur nous. Beaucoup d’entr’eux affectent l'organe de l’odorat et donnent la sensation de gaz nitreux., Je me contenterai d’en citer un exemple : « Le 21 mai 1822, dit Mr. Arago ?, sur les 5 heures du soir, il se répandit tout à coup dans l’air, à Paris, un brouillard d’une nature particulière et à travers lequel on voyait le soleil du rouge le plus vif. Ce brouillard avait une odeur très-prononcée de gaz nitreux : il fut observé, presque au même instant, dans un rayon de huit à dix lieues autour de la capitale : il avait par- tout les mêmes propriétés. Il se dissipa entièrement à Paris vers les dix heures et demie du soir. « Ce brouillard n’a exercé aucune action appréciable sur une aiguille aimantée, suspendue à un fil de soie sans torsion. » 1 Ann, Chim. Phys., 21, 412. 386 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 24. Brouillards vitrés de la deuxième espèce. Les brouil- lards vitrés dont nous venons de parler sont nécessairement humides; aucune autre force ne contrebalançant l'attraction du globe, chacune des particules vitrées est attirée, et lorsque l'attraction l’emporte sur leur légèreté spécifique , elles vien- nent se déposer sur le corps attirant; mais cet état de simpli- cité n’existe pas toujours: il y a souvent, dans les régions supérieures, une action en sens contraire qui vient en changer les résultats. Lorsque les vapeurs supérieures possèdent une ten- sion résineuse assez puissante pour réagir contre le sol avec supériorité, leur influence prépondérante rend la surface du sol neutre ou même vitrée, et la masse de vapeurs qui s'élève obéit à cette suprématie d'influence. Vers le soir, lorsque l’abaissement de la température fait condenser les vapeurs de la journée, et que le brouillard se forme dans les circonstan- ces que nous venons d'indiquer , c’est la partie supérieure du brouillard qui est la plus vitrée, et non l’inférieure comme dans l'espèce précédente. On voit ce brouillard s’élever en stries roussätres et se perdre dans l’espace en repassant à l’état élas- tique. Ce n’est plus une brume terne comme celle des brouii- lards résineux, c’est une vapeur plus ou moins colorée qui s'élève, se digite, se ramifie et disparaît : suivant l'énergie de sa tension vitrée, sa couleur passe de la teinte lie de vin pâle au rouge le plus vif. L’attraction prédominante des masses de va- peurs résineuses supérieures ne permet pas aux particules hu- mides de se déposer sur les corps terrestres, devenus eux-mêmes moins résineux et moins attirants. Elles s'élèvent, et ces vapeurs opaques, toutes vitrées qu'elles sont, forment un brouillard peu mouillant, souvent même un brouillard très-sec, mais d’une nature toute différente de celle qui provient des vapeurs rési- neuses. Les électromètres qu’on élève au milieu de ces brouil- lards roux, indiquent une puissante tension vitrée; ils obéissent au brouillard qui les entoure, préférablement à l'influence re- sineuse des vapeurs supérieures trop éloignées. Dans les ré- PE I RE QT PC DES DIVERSES ESPÈCES LE BROUILLARDS. 387 gions tropicales, où les couches moyennes de l'atmosphère sont si puissamment chargées de vapeurs résineuses, ces brouillards roussâtres apparaissent souvent, et Mr. de Humboldi les a ob- servés un grand nombre de fois. 25. En résumé, les masses de vapeurs résineuses rendent vi- trés les brouillards qui se forment sous leur influence, et la surface du sol en est elle-même moins résineuse. Les parti- cules vitrées de ces brouillards ne sont plus attirées par les corps terrestres ; elles n'y vont plus déposer leur charge électri- que, ni leurs molécules aqueuses ; elles ne mouillent plus. En s’é- levant dans l’espace, ces brouillards atteignent les vapeurs rési- neuses supérieures, ils en neutralisent en partie l’électricité, et les rendent ainsi moins répulsives entre elles et moins repoussées par le globe terrestre. Le résultat de cette moindre répulsion des vapeurs supérieures est une condensation et par suite une résolution en pluie d’une portion de leur masse. Ces brouil- lards, roux dans leur partie supérieure et ramifiés en un che- velu allongé, sont un signe d’altération du temps à la suite des beaux jours, et ils annoncent la marche des vapeurs vers une résolution plus ou moins rapprochée. Nous citerons les brouil- lards à stries rousses et ne mouillant pas du 28 novembre 1840, du 1er et du 9 décembre suivant, qui furent suivis de grandes pluies. Parfois la pluie ne tombe pas dans les localités où on les a remarqués, mais dans les lieux où le vent pousse les nues résineuses supérieures. Il y a à cet égard une différence nota- ble entre le résultat de l'automne et celui du printemps: dans le premiers cas, le refroidissement de l'atmosphère allant en augmentant, toute neutralisation électrique des vapeurs ajoute au refroidissement pour provoquer une résolution en pluie ; tandis qu’au printemps, la température s’élevant, la capacité de l'air s'en accroit, les vapeurs rousses ou rouges du soir at- ténuent bien alors la répulsion et la raréfaction des vapeurs su- périeures , mais souvent sans pouvoir l’emporter sur l'effet con- traire dù à la température. 388 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. Il y a des exemples de ces brouillards roux d’une étendue considérable et qui ont duré plusieurs mois; tel est celui de 1783, dont il existe de nombreuses relations *. 26. Le brouillard qui accompagne le harmatan (vent de l'intérieur de l’Afrique sur la côte occidentale) me paraît être de cette seconde espèce, d’après les signes extérieurs qui le di- stinguent. On sait, par le rapport des voyageurs *, que pendant la durée de ce vent l’évaporation est telle que toutes les plantes se dessèchent , que les hommes en ressentent un froid piquant, produit par la vaporisation trop rapide des fluides. Cette pro- digieuse évaporation ne peut être spontanée, puisqu’à peine les vapeurs sont-elles formées, qu’une température de 25° à 27° C. n'est plus suffisante pour les conserver à l’état élastique, qu’elles se globulisent en un brouillard durable et tellement épais, qu’il intercepte parfois la vue d’un fortplacé à 400 mètres. Pour qu’une condensation aussi grande puisse se produire d’une manière continue, il faut que l’évaporation soit activée par une puissance autre que celle de la température; il faut qu’elle attire dans l’atmosphère une masse de vapeurs qui ne peut s’y maintenir à l’état élastique. Ces vapeurs opaques ou demi-trans- parentes, teignant la lumière en roux et desséchant tous les corps, possédant nécessairement, d’après nos observations, une haute tension vitrée, sont conséquemment le produit de l’in- fluence des masses de vapeurs répandues dans les couches éle- vées, chargées d’une tension résineuse supérieure à celle de la terre. Nous réservons les détails que comporte ce sujet, comme nous avons réservé ceux du chamsin et du semoun, pour un tra- vail spécial sur la cause des ouragans et des vents tempétueux. 27. Contrairement aux brouillards résineux qui ne se limi- tent qu'imparfaitement , les brouillards vitrés, comme les nua- ‘ Journ. Phys., Rozier, tome 24. Mer. de la Soc. des Sciences Phys. de Lausanne, 1783, t. 1, p. 110. Kæmtz. Meleorol. 3, 198, etc. ? D'obson. Phil. Trans., 1781, p. 46, et Journ. Phys., Rozier, 1782. DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 389 ges de même nature, se limitent bien : la limitation de leurs bords est d'autant mieux tranchée que leur tension vitrée est plus grande. Ce fait s’observe sur une grande échelle pendant la saison des orages. On voit les nuages blancs et clairs se ter- miner d’une manière aussi distincte que s’ils étaient formés de substances solides , tandis que les strates grises qui les accom- pagnent sont baveuses et déchiquetées. Les divers groupes vi- trés , massés en un cumulus, ont aussi leurs bords nets et bien dessinés : cette limitation des vapeurs se remarque même quel- quefois dans les brouillards qui cheminent à la surface du sol”. J'en citerai quelques exemples. Dans leurs excursions à la cime de la Silla de Caracas , le 22 et le 27 décembre 1797, MM. de Humboldt et Bonpland * furent enveloppés d'une brume qu'ils vi- rent se diviser en petits nuages à contours déterminés, et qu'ils attribuaient à de petits courants d’air locaux, parce qu'ils voyaient serpenter les éclaircies qui se formaient et séparaient en groupes distincts la masse uniforme qui était montée de la vallée. Ces groupements se formèrent au moment où la super- ficie de la brume, assez élevée pour être dégagée des influences latérales de la montagne, ne recevait plus que celle de l’espace supérieur ; l’influence positive d’une part et négative de l'autre, distribuant inégalement l'électricité , les parties de la brume moins denses s’en chargèrent davantage et séparèrent bientôt par répulsion les vapeurs en flocons distincts. Aussi trouvèrent- ils des signes altérnatifs d'électricité positive et d'électricité né- gative. De Saussure a vu la même chose au Col du Géant; il en donne une mauvaise explication , mais ici nous n’avons besoin que de constater ce fait. Ronayne a vu également le floconnage des brouillards vitrés *. Du reste , chacun a pu en voir dans la Journal Phys., an 7 (4799), tome 48, p. 189. ? Voyage aux régions équin., in-4°, 1. 1 liv. 4, ch. 13, p. 607. Voyage dans les Alpes, 2071 et 2072. Journal Phys. Roz. 4, 1174, 17. + © Li 390 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. campagne, et même ils ne sont point inconnus au milieu des grandes villes. Nous en avons vu un bien limité, en 1840, sur un des boulevards de Paris, et. Mr. Breguet fils en vit un sur la Seine , le 28 janvier 1842, qui réfléchissait toutes les maisons du quai de la Mégisserie comme un corps plan un peu mat. Ces exemples, que beaucoup d’observateurs ont constatés , indiquent que les vapeurs peuvent se limiter d’une manière nette par une puissance de répulsion électrique du dehors en dedans, comme l’observation et l’expérience nous l’ont montré. C’est à cette méme cause que nous rapportons le fait observé par Don Ant. Ulloa'; seulement l’état des particules de va- peurs était tel, dans ce dernier cas, que ce n’était plus une va- peur globulaire proprement dite, maïs une surface formée de particules liquides et maintenues à une hauteur de quelques mè- tres. Ramond a vu un phénomène analogue dans les Pyrénées À et Scoresby en cite de semblables dans les régions polaires *. C’est un sujet sur lequel je reviendrai en traitant des vapeurs et des nuages d’une manière spéciale. 28. Il nous reste une question fort importante à résoudre, c’est celle qui traite de l'influence des brouillards électriques sur les plantes et les animaux ; mais nous manquons d'observations exactes pour l’aborder actuellement. Parmi les observations qui ont été faites sur les brouillards dans leur relation avec la: vé- gétation, les unes ne contiennent que la seule indication d’une tension électrique, sans spécifier le signe ni l’intensité ; d’autres indiquent que des maladies ont suivi la présence des brouillards, sans dire s’ils étaient électriques ou non. Tout est donc à faire dans cette voie, et si quelques agronomes instruits voulaient suivre la marche des brouillards en les interrogeant avec l’élec- ‘ Voyage histor. de l'Amer. méridion. elc. et au Pérou, 1°* partie du livre VI, chap. 9. 2 Mémoire sur la végétation au sommet du Pic du Midi. Lettres pu- bliées en 1834 à Toulouse, in-8°, p. 32. 3 Account of the arclic regions, elc., ch. 5, sect. 5. DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS. 391 tromètre, d’après la méthode que nous avons indiquée, on saurait, dans un petit nombre d’années, quelle est la véritable cause de certaines altérations dans les végétaux, et peut-être de certaines maladies qui affligent tout à coup l'homme et les animaux. Ne pouvant nous baser sur des faits précis, nous allons indiquer en quelques mots ce que la théorie fait pré- voir. 29. Lorsqu'une nue vitrée s’abaisse jusque près du sol, toutes les aspérités conductrices servent d'intermédiaires pour en neu- traliser l'électricité : les animaux et les végétaux imbibés de liquides conducteurs et s’élevant au-dessus du sol servent de pointes rayonnantes entre la terre et le brouillard. Les végé- taux, pénétrant dans le sol jusqu’à la terre humide et s’élevant et se ramifiant en pointes ou en aspérités, sont des corps très- propres à remplir cet office, suivant le degré de leur conductibi- lité, On à des milliers d’exemples que, dans les orages, les arbres ont servi de conducteurs aux décharges de la nue et ont con- servé les stigmates de leur violence. Les végétaux ne sont con- ducteurs que par la sève qui les pénètre ; conséquemment tout courant-électrique peut en altérer la nature par trois moyens. Le premier, c’est que tout courant traversant une dissolution en rend l’extrémité acide ou alcaline suivant le sens ; ainsi les feuilles et les fleurs peuvent être aliérées de deux manières, elles peuvent être plus acides ou plus alcalines , suivant l’in- fluence vitrée ou résineuse du brouillard ou de la nue. La se- conde sorte d'altération que doivent subir les plantes, puis- qu’elles sont des corps humides , c’est que le rayonnement élec- trique ne se fait par leurs extrémités qu’en emportant une partie de leur humidité; la sève s’évapore et transporte l'électricité contraire qui doit neutraliser celle du brouillard , comme l’eau d’une capsule ou d’un étang s’évapore bien plus rapidement sous l’influence électrique. Si l'influence est puissante , le cou- rant et par suite l’évaporation sera considérable, et la plante sera desséchée, somme nous en avons vu de si prodigieux exem- a k x 392 DES DIVERSES ESPÈCES DE BROUILLARDS,. ples à la suite de la trombe de Chatenay ‘, et comme le produit aussi le vent du helm, lorsqu'il a quelque durée?. Enfin, le courant peut acquérir une telle intensité par le passage dé la foudre ou l’écoulement prolongé de l'électricité, que toute la sève se vaporise, qu’elle brise les parois qui la retiennent et divise le ligneux en une quantité considérable de filaments , comme on en connaît une foule d’exemples par la foudre et comme la trombe de Chatenay en a fourni à elle seule 850 exemples. É 30 Plusieurs agriculteurs ont pensé que les brouillards secs rouillaient les blés, et Duhamel a dit que cet effet arrivait princi- palement lorsque la plante était dans la force de la végéta- tion * , et non lorsqu'elle n’avait plus d'humidité dans son tissu. Ces deux observations réunies prouvent que la rouille de Du- bamel est un produit du courant électrique , puisqu'elle a lieu à la suite des brouillards secs et qu’il faut que la plante soit rendue conductrice par l'humidité qu'elle contenait avant l’influence du brouillard. Une autre observation de Mr. Le Maître, c’est qu'une fumée épaisse, produite par la combustion d’herbe humide, pro- tége le champ sur lequel se répand cette fumée conductrice de l'électricité. Ce qui a été un obstacle à ce genre de recher- ches, c’est l’abus qu'on à fait de la liaison observée entre la rouille et les brouillards secs, et on a voulu ensuite rapporter aux brouillards électriques toutes les autres maladies des plantes. L’expérience n'ayant pas confirmé cette extension abusive d’une bonne observation, on a délaissé ce genre de recherches et un beau sujet d'observations. Nous engageons les agriculteurs " Observ. et recherc. elc. sur les trombes, $ 178. ? Compte Rendu de la neuvième reunion de l Associal. britann., 1838, p. 33 des notices. * Eléments d'agriculture. édit. de 1779, liv. 3, chap. 3. Voyez aussi les Mémoires de Tillet de 1713 et 1774. L'opinion de Fagou dans l’Hist. Ac. Sc. 1710, p. 62. Le Traité uranographique de Mr. Philippar, in-8°, 1837, et les mémoires de Mr. Turpin, Sur les maladies des plantes. NOTE DE M. MATTEUCCI EN RÉPONSE AUX OBSERVAT. ETC. 393 instruits à les reprendre, et à observer si les plantes les plus élevées ne sont pas plus susceptibles de prendre la rouille après les brouillards électriques, que les plantes basses et abritées, et à examiner la perte de la sève faite par les plantes roussies comparativement aux plantes voisines restées vertes. Nous re- viendrons ailleurs sur cette question agricole, et nous in- diquerons des moyens propres à préserver les plantes de cette influence. NOTE DE M. MATTEUCCI EN RÉPONSE AUX OBSERVATIONS DE M. EDMOND BECQUEREL FAITES A PROPOS DE SON MÉMOIRE SUR LA PHOSPHORESCENCE. =) À CD 9 EEE—— Les observations que Mr. Edmond Becquerel a publiées dans le numéro d’octobre de la Bibl. Univ., sur mon mémoire rela- tif à la phosphorescence, m'obligent à une réponse que je ferai le plus courte possible. Les travaux que Mr. Biot et Mr. Becquerel le père ont faits sur la phosphorescence , ont été cités dans mon mémoire, et, à la suite de la réclamation faite par Mr. Becquerel père , j'ai ajouté dans la reproduction de ce mémoire qui va paraître dans les 4nnal. de physiq. et de chim., des citations qui éta- blissent encore plus clairement que je ne l’avais fait d’abord, les découvertes qui ont été faites par ces deux physiciens et que je n’ayais fait que confirmer. Quant à ce que Mr. Edmond Becquerel semble réclamer pour lui, en citant son mémoire présenté à l'Académie des Sciences, le 13 juin, il m’est bien facile de prouver qu’il à complétement tort. Il semblerait indiquer par la citation de la date, que j'ai connu son mémoire avant de rédiger et de publier le mien. Un mémoire qu'on fait à Pise dans les mois de mai et XLII 25 394 NOTE DE M. MATTEUCCI EN RÉPONSE de juin, ne peut rien emprunter à des expériences qui sont faites à Paris à cette même époque, et qui n'y sont connues que par un extrait présenté à l’Académie le 13 juin. Du reste, je suis prêt à croire que Mr. Ed. Becquerel n’a voulu prouver autre chose par cette citation , sinon que son travail avait été fait sans connaître le mien , chose dont je n’ai jamais douté, et qui montre seulement que nous nous sommes rencontrés pour obtenir des résultats semblables. J’admets aussi que Mr. Edm. Becquerel a étudié l’action phosphorégénique du spectre, plus profondément que je ne l’ai fait. Mr. Ed. Becquerel présente des observations critiques sur deux des résultats contenus dans mon mémoire. La poudre d’huîtres calcinée avec un peu de soufre, conservée tout à fait à l’abri de la lumière solaire ou de toute autre lumière, devient phosphorescente lorsqu'on la projette dans une chambre ob- scure, sur un fer qui a été chauffé jusqu’au rouge. On com- mence l’expérience lorsque le fer cesse d’être rouge, c’est-à- dire lorsqu'il n’est plus visible dans l’obscurité. Mr. Ed. Becquerel peut reyarder ce résultat comme parfaitement cer- tain ; j’ai fait voir hier à plusieurs de mes élèves l’expérience qui l'établit. L'huile douce de vin et l'huile essentielle de térébenthine n’altèrent pas le phosphore. En effet, après m'être assuré que, amenés à une certaine épaisseur, ces deux corps ne laissent pas passer les rayons phosphorescents solaires, j'ai toujours présenté le même papier , quoique encore mouillé de ces deux liquides, à la lumière solaire, et le papier est devenu phospho- rescent. Îl faudrait bien connaître l'action des écrans compo- sés, pour employer dans ces expériences le liquide contenu entre deux lames d’un corps solide quelconque. J'espère enfin, que Mr. Ed. Becquerel me permettra de faire observer qu'indépendamment des résultats que j'ai obtenus sans connaître les siens, mon mémoire contient l’étude de la phosphorescence excitée par la lumière du phosphore, du po- AUX OBSERVATIONS DE M. EDM. BECQUEREL. 395 tassium , du sodium en combustion; celle de l'influence d’un grand nombre des corps employés comme diaphragmes, nom- bre plus grand que celui des substances soumises à l'expérience avant mon travail ; celle de l’action de certains milieux gazeux sur les rayons phosphorescents; celle des diaphragmes dou- bles, qui conduit à admettre une espèce de coloration par ces rayons dans les corps; celle du temps nécessaire pour que la lumière produise la phosphorescence; celle du rapport, exprimé par la durée de la phosphorescence, entre un certain nombre de corps employés comme diaphragmes. J’ai été forcé de résumer ici ces faits qui m’appartiennent, seulement pour prouver au lecteur qu’il n’est pas exact de dire que j'ai publié des faits qui sont connus depuis longtemps". Pise, le 19 décembre 1842. ‘ Je dois déclarer ici que si le mémoire de Mr. Edmond Becquerel n'a paru que dans le numéro d’août de la Bibl. Univ., cela tient uniquement à la confection de la planche qui en a retardé la publication. Ce mémoire aurait pu paraître dans le N° de juillet, comme celui de Mr. Matteucci, car la rédaction de la Bibl. Univ. a reçu l’un et l’autre de ces mémoires presque en même temps. Je crois me rappeler que celui de Mr. Bec- querel lui est parvenu quelques jours plus tôt. Ainsi il ne peut être ques- tion de savoir si l’un de ces physiciens a eu connaissance des travaux de l’autre avant de publier son propre travail, et Mr. Becquerel n’a nulle- ment eu l’idée de faire un semblable reproche à Mr. Matteucci. Seule- ment, comme son mémoire, quoique adressé le premier à la rédaction de la Bibl. Univ., n'a paru que dans le numéro qui a suivi celui où se trouvait le mémoire de Mr. Matteucci, il était naturel qu’il rappelät qu’il avait déjà observé et fait connaître par la communication de son travail à l’Académie des Sciences, antérieurement à la publication du savant physicien italien, une partie des faits également décrits par ce dernier. A: D. L.R, BULLETIN SCIENTIFIQUE. —— fn) © CD 0 me —— 8. — SUR UN MÉTÉORE LUMINEUX OBSERVE DANS LE DUCHÉ D'AOSTE. Le 12 août 1842, vers les neuf heures du soir, on a vu au nord- ouest de la cité d’Aoste, sur le chalet de Metz, à la hauteur ap- proximative de 2,500 mètres au-dessus du niveau de la mer, un mé- téore lumineux qui paraît mériter d’être signalé. Il a commencé par une grande et subite clarté qui a éclairé toute la vallée. Il était sem- blable à une longue barre de fer enflammée sans pétillement , renflée vers le milieu comme un fuseau. Il était immobile dans la direction du nord-est au sud-ouest, Il s’est maintenu constamment dans la même position pendant une dizaine de secondes. Depuis sa subite apparition il a diminué à vue d’œil en toutes ses dimensions, surtout aux extré- mités ; il s’est éteint sans bruit. Le ciel était serein, sauf quelques lé- gers nuages vers l’ouest. Le baromètre indiquait à Aoste 717°®,46. La température était à Æ 19°,5 C. L’hygromètre de de Saussure mar- quait 85 degrés. Un léger vent soufflait du N.-0. au S.-E., faisant angle droit avec la direction dudit météore. G. CARREL, chanoine. 9. — SUR QUELQUES APPARENCES LUMINEUSES RESSEMBLANT A DES SPECTRES ET SUR LA LUMIÈRE LATENTE, par Mr. le professeur Draper. (Philos. Magaz., novembre 1842.) L'auteur commence sa communication, adressée aux éditeurs du Philosophical Magazine, par réclamer en sa faveur la priorité de la découverte qui a récemment attiré l’altention des physiciens, celle des fantômes lumineux qui se reproduisent sur les surfaces des corps au moyen de la vapeur du mercure , de l'haleine et par d’autres moyens. L'auteur rappelle les avoir décrits en faisant , en particulier , ressortir leur ressemblance avec les images du daguerréotype. Il avait montré qu’en mettant une pièce de monnaie ou tout_.autre objet sur de l’ar- gent ioduré , et tenant l’appareïl dans une complète obscurité, la va- peur du mercure en faisait reparaître l’image. Il avait même avancé que les dessins obtenus dans la chambre obscure sur la lame d’argent pouvaient être reproduits lors même que cette lame avait été frottée BULLETIN SCIENTIFIQUE. 397 avec de la terre à polir. Il réclame aussi la priorité de l'annonce qu'il a publiée, il y a plus d'une année, du fait que la lumière peut, comme le calorique , devenir latente dans les corps , fait qui a été der- nièrement donné en France comme une découverte du professeur Moser de Kænigsberg. Il déclare avoir tout prêt à imprimer un mémoire donnant des déterminations numériques assez précises de la quantité de lumière ainsi passée à l’état latent. Il envoie en même temps une impression photographique du spec- tre solaire prise dans le midi de la Virginie, et qui ne pourrait être obtenue semblable ni à New-York, ni à Londres. Elle prouve que sous l'influence d’un soleil brillant il y a une classe de rayons qui com- mencent précisément là où se terminent les rayons bleus du spectre, s'étendent au delà de l'extrême rouge, et détruisent en totalité l’action de la lumière du ciel. Cette impression a été obtenue lorsque le thermomètre marquait 96° F. (28",4R. ) à l’ombre, et les rayons négatifs semblent presque aussi énergiques à protéger l'iodure d’argent, que les rayons bleus le sont à le décomposer. Ce qu'il y a de plus remarquable c’est que la même classe de- rayons se retrouvent au delà des rayons couleur lavande. Sir J. Her- schell, à qui l’auteur prie de communtquer l'impression solaire qu'il envoie , a déjà remarqué que pour le bromure d'argent ces rayons né- gatifs existent plus bas dans le spectre. L’impression du spectre en- voyée par Mr. Draper prouve qu'ils se rencontrent aux deux extrémi- tés et ne dépendent point de la réfrangibilité. Elle a été obtenue sur de l’iodure d'argent préparé selon la méthode de Daguerre , après une exposition d’un quart d'heure au soleil. Dans cette impression on distingue six espèces d'actions d’après les effets produits par l'amalgame {mercuriel. On peut les classer comme suit, en commençant par les rayons les plus réfrangibles : 1° des rayons protecteurs ; 2° des rayons qui blanchissent ; 3° des rayons qui noircissent ; 4° des rayons qui blanchissent avec une grande intensité; 5° des rayons qui blanchissent très-faiblement ; 6° des rayons protec- leurs. Il est évident que l’on obtiendrait des impressions photographiques négatives par le daguerréotype si l’on absorbait tous les rayons émis par les objets naturels , à l'exception du rouge, de l'orangé , du jaune et du vert, et en laissant en même temps la lumière diffuse agir sur la lame. Cela promettrait une amélioration sur la méthode ordifiairement employée dans l’art photographique , dans laquelle les rayons les plus 398 BULLETIN SCIENTIFIQUE. lumineux sont ceux qui ont le moins d’effet , tandis que toute l’action est produite par les rayons comparativement plus sombres , le bleu et le violet. Evidemment des dessins produits de cette manière ne peu- vent rendre exactement la distribution des clairs et des ombres d’un paysage coloré. S'ilétait prouvé que la lumière solaire diffère intrinséquement dans les régions tropicales de celle de nos climats tempérés , ce serait là un fait physique d’une grande importance. Il y a, selon l’auteur , de for- tes présomptions pour admettre qu'il en est ainsi. Le chevalier Fried- richsthal, qui a voyagé dans l'Amérique centrale par ordre du gou- vernement prussien , a trouvé qu'il lui fallait recourir à de longues expositions dans la chambre obscure pour obtenir des impressions au daguerréotype des ruines qui se rencontrent dans ces régions. Cela n’était point dû à des défauts de Ja lentille, qui était achromatique, fabriquée en France , et avait été essayée par lui-même et par l’auteur à New-York avant son départ. Les épreuves qu'il avait obtenues , et qu'il montra à Mr. Draper à son retour , avaient une apparence très- singulière. Il paraît même que plus récemment d’autres voyageurs fort experts, parcourant le même pays, ont éprouvé des difficultés analogues, et même n’ont pu parvenir à obtenir aucune impression quelconque. Si ces résultats se constatent, l’auteur se demande s’il ne faudra pas les attribuer à l’action opposée des rayons négatifs qui parviennent à neutraliser celle des rayons positifs. I. M. 10. — DE QUELQUES ÉLECTRO-AZOTURES , par Mr. R. GROv£. L’amalgame ammoniacal qu’on obtient au pôle négatif d’une pile est un composé dont bien des chimistes se sont occupés , et dont l’étude est Join cependant d’être parfaite. L'auteur a réussi à le congeler au moyen d’une température très-basse, produite par l’évaporation de l'acide carbonique liquide. Au moment de la solidification il se con- tracte légèrement, mais sans dégagement de gaz. A l’état solide on peut le rompre et la fracture est d’un gris foncé , même presque noir, ressemblant à celle du fer coulé lorsque celle-ci a été exposée quelque temps à l'air; elle a peu ou point d'éclat métallique. En se dégelant l'amalgam® laissa échapper de l'ammoniaque, de l'hydrogène et de l'azote. sodius BULLETIN SCIENTIFIQUE. 399 Mr. Grove énumère ici quelques essais qu'il fit pour obtenir d'au- tes composés ammoniacaux du même genre. — Il réussit, en plon- geant dans une auge remplie d'eau distillée, mais dans laquelle étaient placés des morceaux de muriate d'ammoniaque , un fil de platine qui communiquait avec le pôle négatif d’une pile et un carton de zine dis- tillé qui communiquait avec le pôle positif. Il se forma bientôt autour du pôle négatif une masse spongieuse, qui paraissait être formée d’une agrégalion de facettes irrégulières de la couleur et de l'éclat de la plom- bagine. Elle flottait sur la surface de l'eau , ce qui était dû au gaz qui remplissait ses interstices, car elle s'enfonça dès qu'elle eut été légè- rement comprimée entre deux lamés de verre. Après l’avoir bien lavée et séchée sur un filtre, opérations qui ne furent accompagnées d’au- eune odeur ammoniacale , l’auteur analysa cette matière en Ja chauf- fant dans un tube où il avait raréfié l’air, et il trouva que 5 grains donnaient en moyenne 0,73 pouce cube de gaz. Ce gaz était un mé- lange de un quart à un tiers d'hydrogène et de trois quarts à deux tiers d'azote. l Le cadmium substitué au zinc au pôle positif détermine, comme lui, au pôle négatif la formation d’une matière spongieuse, dont la cou- leur était d’un gris de plomb très-foncé. L'analyse indique que le com- posé renfermait 0,20 pouce cube de gaz. Le gaz ne renfermait point d'hydrogène , c'était de l’azote pur. Le cuivre, dans les mêmes circonstances , présenta les mêmes phé- nomènes que le cadmium. Seulement il n’y eut que 0,10 pouce cube de gaz ; et le gaz était également de l’azote sans hydrogène. Dans ces différents composés la quantité d'azote est restée bien au- dessous de la proportion équivalente. Il a semblé toutefois, par les différentes nuances de diverses parties du composé , qu'il peut y avoir des proportions différentes d'azote combinées avec le métal. Ce qu’ y a de remarquable , c’est que la proportion d’azote qui se combine avec le métal est d'autant plus grande que celui-ci est plus oxidable. L'auteur conclut de ses recherches que l’amalgame ammoniacal doit être un composé analogue à ceux qu'il vient de décrire ; il combat l’idée de Berzélius que c’est une combinaison de mereure et d’ammo- nium. Il trouve que l'apparence métallique de l’amalgame n’est pas une raison suffisante pour admettre que le corps eombiné avec le mer- cure est un métal. Les phénomènes qui résultent de la décomposition de l’ammoniaque durant son passage sur des métaux chauflés au rouge paraissent, suivant la remarque de Mr. Grove, rentrer dans la catéga 400 BULLETIN SCIENTIFIQUE. rie des expériences qu'il a faites. Il paraît y avoir une légère combinai- son d’azote avec les métaux ; et quant au changement qui survient dans la structure physique des métaux, 1l est probablement dû à la formation d’un azoture, qui est aussitôt décomposé par l’ammoniaque qui continue à passer. 11. — Du CHANGEMENT DE NIVEAU DE LA MER SUR LES RIVAGES DE LA SCANDINAVIE ET DANS LES ÎLES BRITANNIQUES. (Journal des Débats du 18 novembre 1842. Compte Rendu des séances des 7 et 14 novembre de l’Académie des Sciences.) Mr. Elie de Beaumont, dans un rapport très-bien fait sur un mé- moire de Mr. Bravais, l’un des officiers de marine de l'expédition scientifique envoyée dans le nord de l’Europe, discute avec beaucoup de soin la grande question du changement de niveau de la mer dans certaines régions ; ce phénomène , dont les traces sont surtout éviden- tes sur les rivages de la Scandinavie et dans les Iles Britanniques, forme un des points les plus importants de la géologieemoderne ; il.ne paraîl pas, en effet, remonter à une époque excessivement éloignée 3 et son action continue de s'exercer dans quelques parties du nord de l'Europe. À quelle cause puissante faut-il rapporter ce changement de niveau relatif entre la mer et la terre, ces deux éléments dont le doigt de Dieu semblait avoir définitivement posé les limites ? Est-ce au retrait des eaux , est-ce à l’élévation du sol par suite d’un effort intérieur qui pousserait de dedans au dehors la croûte du globe sans la déchirer ; est-ce un reste de cette force qui a soulevé violem- ment les chaînes des plus hautes montagnes , et qui n’agirait plus au- jourd’hui que d’une manière Jente et sans secousse ? Après avoir exactement constaté les faits dans les régions où les tra- ces des anciennes limites de la mer frappent encore les yeux, où l’on retrouve plusieurs étages fort distincts de lignes des niveaux antérieurs, après avoir mesuré la hauteur de ces lignes par des procédés rigou- reux, Mr. Bravais passe en revue les principales hypothèses, et il se prononce positivement en faveur de la théorie du soulèvement du sol, tantôt d’une manière lente et graduée , tantôt par des sauts plus brus- ques. « En effet , dit le rapporteur, ce que Mr. Bravais nous apprend de BULLETIN SCIENTIFIQUE. 401 plus nouveau, et ce qui nous paraît être réellement pour la scienre une acquisition d’un grand prix, c’est que les terrasses dans le Fin- mark ne sont parallèles et horizontales qu’en apparence ; elles le sont pour l'œil qui ne peut embrasser qu’une petite partie de l’espace qu'el- les occupent , mais elles ne le sont pas pour des mesures rigoureuses ; d’où il résulte que le mouvement relatif de la terre et de la mer a été inégal dans les différents points de la baie de l’#/ten-Fiord. Ce mou- vement a été inégal au moins deux fois , et les deux fois dans le même sens ; car les deux grandes lignes d’ancien niveau s’inelinent aujour- d’hui dans le même sens et elles se rapprochent l’une de l’autre dans la direction où elles se rapprochent de Ja mer actuelle. Tout se passe comme si la masse continentale avait été soulevée en s’inclinant légère- ment , l'axe du soulèvement coïncidant à peu près avec celui de la grande chaîne norwégienne. » & Ainsi, ajoute plus loin Mr. Elie de Beaumont, les traces laissées par la mer sur les-rivages de lÆ4ten-Fiord , révèlent non-seulement un changement de niveau, mais une inclinaison, non-seulement une inclinaison , mais une flexion ou une rupture du sol. & La mer, dans certaines hypothèses, pourrait changer de niveau et même de figure; mais les traces laissées par elle seraient toujours des lignes régulières et continues. Iei se présente une irrégularité , une discontinuité, qu’on ne peut rapporter qu’à la terre elle-même. Evi- demment la masse solide des rivages de l’Æ/ten-Fiord a changé de figure , elle a été bossuée ou brisée ; dès lors , on ne peut se refuser a admettre que ce que nous appelons les traces d’un ancien séjour de la mer, ne sont que les indices d’un mouvement de la terre, mouve- ment qui a été ascensionnel dans les points où la mer paraît s'être abaiïssée. ë & Ce n’est donc plus en supposant une retraite de la mer qui laisse- rait aux anciennes lignes de niveau leur horizontalité originaire; ce n’est pas non plus, en supposant un changement de déviation dans la pesanteur qui laisserait les anciennes lignes de niveau inelinées , mais inelinées régulièrement et d’une manière à très-peu près uniforme, sur de grandes étendues, qu'on pourra expliquer le phénomène de 42 ten-Fiord. I faut admettre qu’une puissance dont le centre d'action 1 Nous rappelons à nos lecteurs la notice du colonel Filhon sur la Comparaison entre les mers de Brest ct de Lorient, ete. et sur l'inclinaison de la Manche, que nous avous publiee dans an precedent numero, Bibl, Univ., octobre 1842 (vol. XLI), p 340, CR.) 402 BULLETIN SCIENTIFIQUE. est caché dans l’intérieur du globe a agi, non sur le niveau de la mer, mais sur celui des terres , et les a élevées irrégulièrement à plusieurs reprises différentes. & La démonstration d’un pareil fait intéresse à un très-haut degré toutes les parties de la physique terrestre et particulièrement la géolo- gie. Pour la géologie il est d'autant plus intéressant qu'il est loin d'é- tre isolé, Les géoloyues ne verront ici , en effet, qu'un des nombreux exemples , aujourd'hui connus, de l’émersion d’une vaste étendue de terrain couverte de dépôts marins en couches peu ou point disloquées. « ........ On voit les traces de séjour moderne des eaux dans diver- ses contrées à des niveaux extrêmement inégaux, savoir : dans l’Æ{/ten- Fiord jusqu’à 68 mètres ; dans le midi de la Norwége jusqu’à près de 200 ; en Ecosse jusqu’à 359 au moins ; dans le pays de Galles jusqu'à 424, et elles redescendent en Cornouailles jusqu’à une faible hauteur ; on acquiert aisément par là la conviction que Mr. Bravais n’a observé qu’un terme d’une longue série d’ondulations que fait la ligne de Pancien niveau de la mer, dans une longueur de 330 myriamètres , depuis le Spitzherg jusqu'à la pointe méridionale du Cornouailles. « On demeure plus convaincu encore que la ligne du niveau ancien a éprouvé , dans certains espaces, des ondulations ascendantes , lors- qu’on voit que dans d’autres espaces contigus elle en a éprouvé de descendantes à une époque également très-récente. Tandis que les cô- tes du Lancashire et du pays de Galles nous offrent des fonds de mer à des hauteurs considérables ; les côtes opposées de l’Angleterre, celles du Lincolnshire, nous présentent des forêts sous-marines ; ce sont des forêts composées d’arbres identiques avec les nôtres , tels que des chè- nes , des bouleaux , des noisetiers , des pins gisant en partie renversés, mais avec leurs souches , leurs racines encore en place , encore accom- pagnés de leurs feuilles, de leurs fruits et des insectes qu'ils abritaient, sous un sol vaseux, rempli de coquilles d’eau douce. Elles se trou- vent au-dessous du niveau de la mer, ce qui indique un affaissement de plusieurs mètres. &« Ainsi des contrées voisines ont été et sont encore travaillées par des mouvements contraires ; lorsqu'une planche fait la bascule , l’une des deux extrémités monte lorsque l'autre descend. « Indépendamment , dit le rapporteur, des résultats aussi neufs qu’intéressants dont il enrichit la science , le mémoire de Mr. Bravais aura l'avantage de faire mieux comprendre que la géologie peut deve- nir une science exacte, et qu'elle peut se rattacher à l'astronomie par BULLETIN SCIENTIFIQUE. 403 la rigueur de ses méthodes, tout aussi bien que par la nature même de son sujet. Ce mémoire contribuera, en outre, à prouver que les savants français envoyés dans le Nord ont signalé leur séjour au delà du cercle polaire par des travaux sérieux. » 12. — SUR LA PRÉPARATION D'UN FERMENT ARTIFICIEL, lu à la Société chimique de Londres, par Mr. Fowxes. (Philos. Magaz., novembre 1842.) On sait que dans l’art du boulanger le point le plus important à la bonne qualité du pain réside essentiellement dans les procédés em- ployés pour le faire lever. La fermentation de la pâte est le moyen par lequel s'opère ce gonflement particulier qui constitue le principal changement qu'elle éprouve, et qui est dû au dégagement de l’acide carbonique gazeux sur tous les points de la masse et à l'obstacle qu’op- pose à sa libre expansion la nature glutineuse de celle-ci. Dès le temps des Romains, qui paraissent avoir inventé l’art de faire du pain levé, jusqu’à nos jours , on a employé et l’on emploie encore presque partout, pour exciter la fermentation dans la pâte, une portion de cette même päte, gardée jusqu’à ce qu'elle soit devenue aigre et en partie décomposée. C’est ce que l’on connaît sous le nom de levain. En Angleterre et dans quelques autres pays on a substitué au levain , qui a l'inconvénient de donner souvent au pain une saveur et une odeur acide, la levure de bière, qui excite aussi bien la fermentation sans avoir les inconvé- nients du levain, quoique, en raison de l'emploi du honblon dans la préparation de la bière, d’où provient la levure, le pain en garde quel- quefois une saveur sensiblement amère. Mr. Fownes a cherché une méthode qui permit de se procurer à volonté de la levure artificielle qui ne continl pas de houblon, et qui püt être substituée à la levure de bière toutes les fois que l’on ne peut obtenir celle-ci , soit pour la pa- mification , soit pour toute autre fermentation vineuse. Mr. F. annonce qu'il se vend une préparation dont la composition est tenue secrète, et qui sert en Angleterre à faire fermenter la bière sans avoir recours à Ja levure, mais sa préparation n’a jamais été'con- nue du publie. Berzélius remarque que, s’il est facile de convertir par la fermenta- tion une petite quantité de levure en une très-considérable , il ne l’est point de produire cette matière directement. Le pouvoir que quelques « 404 BULLETIN SCIENTIFIQUE. substances possèdent d’exciter l’action chimique par leur présence, pouvoir que Berzélius a nommé catalytique , semble permettre de ré- soudre cette difficulté. Ainsi MM. Bontron et Fremy ont montré que l'espèce de changement chimique qui a lieu dans le ferment, ou corps azoté en décomposition , détermine la nature du changement collatéral qui aurait lieu dans le corps neutre ternaire qui serait soumis à son influence. Ainsi la diastase , par exemple , selon sa condition par- ticulière , possède diverses propriétés : si elle est récemment retirée des graines germées, elle a le pouvoir de changer l’amidon en dextrine, puis en sucre de raisin ; si elle est légèrement putréfiée, elle convertit le sucre en acide lactique , et enfin si sa décomposition est encore plus avancée, elle excite la fermentation vineuse. Or, si l’on expose de. la pâte de farine de froment à l’air dans un endroil tenu à une température modérée , on y verra se produire spon- tanément des phénomènes analogues à ceux que présente la diastase. Au troisième jour elle dégage un peu de gaz et a une odeur acide très- désagréable, comme celle du lait gâté. Quelque temps après, vers le sixième ou seplième jour, l'odeur change ou disparaît, le gaz augmente et est accompagné d’une odeur vineuse très-distincte , et la substance est alors capable d’exciter la fermentation alcoolique. Si l’on mêle alors cette substance avec de l'eau tiède et qu'on l'ajoute à une forte décoction de malt, la fermentation s’y établit après quelques heures; il se dégage beaucoup d'acide carbonique, et lorsque le liquide s’est éclairei, on trouve au fond du vase une grande quantité d'excellente levure propre à tous les usages économi- ques auxquels on emploie cette substance. La liqueur est légèrement alcoolique-et formerait de la petite bière si l’on y avait ajouté du hou- blon. Par ce procédé, facile à exécuter partout, l’auteur pense que l'on peut se procurer de la levure propre à produire de l'excellent pain. En abandonnant à elle-même une infusion de malt dans un lieu chaud , elle devint bientôt trouble et acide et dégagea du gaz; en même temps il se précipita une malière épaisse , insoluble et blanchà- tre, qui était susceptible d’exciter la fermentation vineuse. La liqueur surnageante contenait de l’acide, de l’acide acétique et probablement de l’acide lactique. | D’après un essai qu'il a fait, l’auteur pense que la présence des aci- des végétaux ou des sels acides, comme la crême de tartre, dans une liqueur fermentescible, tend à empêcher la formation de l’a- BULLETIN SCIENTIFIQUE. 405 cide lactique. En effet, dans le moût de raisins, le jus de groseil- les, ete., la fermentation vineuse s'établit dès l'entrée, tandis que dans l’infusion de malt , qui ne contient point d’acides végétaux , l’a- cide lactique paraît se former le premier et précéder la fermentation alcoolique. L'auteur s’est assuré que s'il mélangeait avec une liqueur sucrée étendue la pâte de froment fermentée, pendant qu'elle était encore acide et avant qu'elle pût produire la fermentation alcoolique, et qu'il maintint la liqueur dans un lieu chaud , il se produisait un li- quide aigre riche en acide lactique, et d'où l’on pouvait retirer facile- ment du lactate de zinc cristallisé très-blance. Il y a ensuite dans la li- queur une tendance subséquente à produire de l’alcool, qui se conver- üiten vinaigre, mais la proportion de l’acide lactique continue à être très-considérable. Ainsi le gluten ressemble beaucoup à la diastase dans son mode de décomposition. Il a comme elle deux conditions dynamiques successi- ves et devient tantôt un ferment alcoulique , tantôt un ferment pour la production d'acide lactique. Peut-être le découvrirait-on comme la diastase dans un troisième état, celui où il produirait la fermentation saccharine. La diastase elle-même, que l'on n’a jamais pu séparer as- sez pure pour l'analyser, n’est peut-être, selon les conjectures de l’au- teur, que le gluten de la graine dans l’un de ses premiers périodes de décomposition, celui sous lequel il existe dans le malt. La rapidité avec laquelle les changements se succèdent l’un à l’autre dans ces sub- stances, lors de leur décomposition, rend très-difficiles les recher- ches qui les concernent et qui pourraient éclaircir ces doutes et ces suppositions. IL. M. 13. — SUR LE NOUVEAU MODE D'ÉCLAIRAGE DE LA CHAMBRE DES Communes, par Mr. UR£. (Ed. new Phil. Journ., juillet 1842.) Cet éclairage, qui a reçu de son inventeur, Mr. Gurney, le nom de Bude, tiré de celui de sa villenatale dans le comté de Cornouailles, est différent du mode que le même chimiste avait fait connaître en 1823, el qui avait pour principe l’ignition de la chaux par la combustion de l'oxigène et de l'hydrogène. L’éclairage de Bude consistait d’abord en une lampe d’Argand à l'huile, qui recevait à la partie intérieure de la flamme un courant d'o- xigène qui produisait une très-vivelumière. Après s’en être servi pen- 106 BULLETIN SCIENTIFIQUE. dant quelque temps pour l’éclairage de la Chambre des Communes, on trouva que ces lampes étaient à la fois coûteuses et d’un service dif- ficile. Mr.Gurney essaya ensuite de remplacer l'huile dans les becs d’Argand par du gaz de houille chargé de naphte et de même animé par un cou- rant d'oxigène, et quoiqu'il obtint ainsi un magnifique éclairage, il fut arrêté par un obstacle grave, résultant du dépôt du naphte liquide qui se condensait dans les tubes de distribution. Il eut Je bonheur ensuite de découvrir une méthode d'obtenir avec du gaz de houille ordinaire, purifié par un appareil très-simple de son mvention, et brûlé au moyen de l'oxigène de l’air, un éclat de lumière suffisant pour tous les besoins et qui est maintenant employé avec un entier succès dans l'éclairage de la Chambre des Communes. On peut faire juger de l’économie de ce nouveau procédé en rappelant que le coût de l'éclairage ordinaire aux bougies de cette Chambre, s'élevait à 6 lv. st. 11 sch. (162 francs environ) par soirée, et qu'il n’est plus que de douze schellings, soit environ 13 francs. L'éclairage de Bude possède sur tous les procédés connus les avan- lages suivants : 1° Il donne autant de lumière que les meilleurs becs de gaz, avec moitié de la quantité de gaz. Ce fait a été établi par l’auteur d’après des expériences directes, faites au moyen de comparaisons avec la lumière des bougies. Un bec de gaz ordinaire d’Argand donne une lumière égale à celle de dix bougies de trois à la livre, et un bec de Bude donne une lumière égale à celle de 94,7 des mêmes bougies, c’est-à- dire près de dix fois plus grande, tandis que la quantité de gaz consu- mée par les deux modes d'éclairage ne s’est trouvée que de 4,4 fois plus considérable pour le bec de Bude que pour le bec d’Argand. L'économie est donc de plus de moitié, et cette économie s’augmente en proportion de l'intensité de la lumière. La comparaison des deux flam- mes indique Ja cause de cette remarquable supériorité. La base de la flamme d’un bec d'Argand donne une teinte bleue sur un espace de quatorze seizièmes de pouce, pendant lequel le gaz brûle avec une cha- leur intense mais peu ou point de lumière ; la base de la flamme du bec de Bude, au contraire, prend une blancheur éclatante à trois seizièmes de pouce du métal, Ainsi l’on voit, que pendant un espace de onze sei- zièmes de pouce, le gaz du bec d’Argand est brûlé sans profit pour l'éclairage, et en produisant une chaleur inutile ou nuisible. 2° D'après les considérations ci-dessus, et en raison même de ce BULLETIN SCIENTIFIQUE. 407 qu'il donne deux fois plus de lumière pour le même volume de gaz, le bec de Bude ne doit tout au plus dégager que la moitié de la chaleur qui provient d’un bec d’Argand. 3° L'éclairage de Bude rend beaucoup plus simples les moyens de répandre une lumière artificielle suffisante, puisqu'il concentre dans une seule flamme autant de clarté qu'il en faut pour éclairer une vaste salle, donnant un éclat presque solaire que l’on peut adoucir par des écrans colorés ou réfléchir par des miroirs. 4° Enfin, il est d’une grande ressource comme ventilateur dans les grandes assemblées, puisque le tube unique par lequel s'échappe le résidu gazeux de la combustion sert à entraîner aussi l'air impur de la salle. ; Ainsi cette invention rend l'éclairage au gaz très-propre à l'usage in- térieur des appartements et des lieux de réunions publiques ou parti- culières, en répondant à l’objection qui y avait été faite, avec justice, de donner une chaleur proportionnelle à l'éclat de la lumière. On a peine à comprendre comment avec la mème quantité de combu- stible on peut obtenir le double de lumière ; mais la chose, qui est d’ailleurs prouvée, s'explique, selon Mr. Ure, par les considérations suivantes, La lumière en général est proportionnelle à l'intensité de l'ignition. Ce fait, déja établi par Davy dans ses belles recherches sur la flamme, est bien démontré par l'eflet éblouissant de la flamme résultant de la com- binaison de l’oxigène et de l'hydrogène, lorsqu'on la dirige sur un morceau de chaux ou d'argile, quoique cette combiñaison ne donne presque pas de lumière par elle-même et soit seulement accompagnée d’une chaleur intense. De même si l’on met en contact complet la flamme de deux bougies, il en résulte une flamme composée, beaucoup plus brillante que la somme des deux lumières séparées. Or le bec de Mr.Gurney donne une flamme composée semblable. Il consiste en deux ou plusieurs cylindres lumineux qui élèvent mutuellement leur tem- pérature, comme dans les lampes d'Argand polyeyeles à huile inven- tées par Fresnel pour les phares. Davy a prouvé qu'il faut prendre eu considération dans l'éclairage la nature particulière de la combustion du gaz hydrogène carburé, soit qu'il soit produit par l'huile décomposée dans la mèche de la lampe, soit qu'il provienne de la distillation de la houille. La clarté de la flamme est due à la séparation et à l'ignition subséquente des particules charbonneuses. L'’hydrogène pur ne donne.en brûlant 408 - BULLETIN SCIENTIFIQUE. , presque pas de lumière, et si l’on mélange assez d’air avec le gaz de la houille pour brüler à la fois tout son carbone et tout son hydrogène, on n'obtient qu’une flamme d’un bleu pâle. Or dans la base d’un bec à gaz d’Argand ordinaire, un excès d’air froid arrive à travers les trous du bec et se mêle au gaz, dont la température est ainsi abaissée en même temps que le carbone est consumé dans l’état gazeux, de sorte que la lumière est presque nulle. Ce n’est que lorsque le mélange gazeux s’é- lève et forme une espèce de cylindre continu d’une température élevée et sans courant d'air intermédiaire qu’il dégage une lumière blanche, résultat des particules de carbone précipitées à l’intérieur de la flamme à l’état d'ignilion. Dans les cylindres concentriques de Mr. Gurney, l'excès de l’air at- mosphérique est empêché, et il n’en arrive en contact avec le gaz que précisément la quantité requise pour opérer la séparation et l'ignition du carbone dès l'origine de la flamme. : C'est à ces deux causes réunies, l'intensité de l’ignition du carbone et l'accès de l’oxigène en quantité limitée, que le nouveau mode d’éclai- rage de Mr. Gurney doit son économie et sa clarté. On peut facile- ment démontrer l'effet de l’oxigène en excès sur la lumière, en faisant passer un courant de ce gaz dans un bec de gaz à l’Argand ordinaire, car dans ce cas la flamme cesse presque entièrement d'être lumineuse, tandis qu’au contraire le dégagement de chaleur est considérablement augmenté, I. M. 14. — HISTOIRE PHYSIOLOGIQUE, CHIMIQUE, TOXICOLOGIQUE ET MÉDICALE DU SEIGLE ERGOTÉ, par Mr. Joseph BONJEAN, proto - pharmacien à Chambéry, etc. Paris, chez Crochard ; Lyon, chez Savy jeune, 1842. Depuis quelques années on a introduit en médecine l’usage du sei- gle ergojé. On appelle ergot cette altération particulière aux céréales, surtout au seigle , dans laquelle le grain devient plus long, sort de Ja glume, se recourbe, se colore souvent en violet, et éprouve dans sa composition des modifications chimiques importantes. Ce changement singulier a élé généralement attribué au développement d’un champi- gnon du genre des sclerotium. Il se présente surtout dans les terrains et les années humides et sur le bord des champs. C’est peu avant la maturité du seigle qu'on le voit tout à coup apparaître sous forme d’un BULLETIN SCIENTIFIQUE. 409 sue visqueux et brillant, et en près de huit jours il a atteint sa crois- sance en longueur. Elle varie de 20 à 30 millimètres, et la largeur de l’ergot est de 2 à 4 millimètres. Le plus souvent il n’en existe qu’un sur le même épi ; néanmoins on en trouve quelquefois deux ou trois. Cueilli aussitôt après son développement, l’ergot a une sur- face raboteuse ; il se présente comme un prisme triangulaire, plus ou moins sillonné sur chaque face. Il tient moins à l'axe de l’épi que le bon grain qu'il a remplacé. Il est tendre, flexible, sans odeur sensible, et en poudre il a un léger arome plutôt agréable. Desséché, il perd les 4; de son poids et devient eassant. Sa saveur , à l’état frais, rappelle celle des amandes. Sa couleur est brun-violet à l’extérieur , blanc sale ou légèrement violacé à l’intérieur, Si on le laisse mürir quelques jours sur la plante , il devient moins grêle, moins violet, plus volu- mineux , plus nourri et plus brun. Il prend une saveur désagréable de blé pourri qui va toujours en augmentant , et ses propriétés chimiques s’altèrent d'une manière sensible, Les médecins ont constaté , en général , que le seigle ergoté agissait à l'intérieur d’une manière très-remarquable pour arrêter les hémorra- gies et faciliter les accouchements laborieux ; mais , en même temps, plusieurs praticiens lui ont reconnu des propriétés vénéneuses stupé- fiantes analogues à celles que possède l’opium. Ce dernier fait avait été nié par d’autres. La Société de pharmacie de Paris proposa en 1840 pour sujet de prix , la question de savoir si le seigle ergoté contient un ou plusieurs principes immédiats auxquels on puisse attribuer ces di- verses propriétés. Elle a décerné le 25 décembre 1841, à Mr. Bonjean, une médaille d'or, pour son mémoire rédigé en réponse à cétte ques- tion. L'auteur s’est d’abord assuré que le seigle ergoté agit sur les ani- maux comme un poison narcotique ; son action se porte sur le cerveau, tous les symptômes de l’empoisonnement par les stupéfiants se dévelop- pent successivement, et après la mort l'autopsie des cadavres présente les altérations ordinaires dans cette classe d’empoisonnements. L'auteur s’est assuré dans ses expériences que si quelques praticiens ont pu nier les effets vénéneux du seigle ergoté, cela ne pouvait pro- venir que du degré de maturité de celui qu'ils ont employé. En effet, le seigle ergoté recueilli aussitôt après sa formation et au moment où il vientide se développer, n’a point de propriétés toxiques , tandis que cinq ou six jours après 1] aurait acquis toute son énergie comme poison. XLII 26 410 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Contrairement à l’assertion de quelques chimistes, Mr. Bonjean n’a trouvé dans le seigle ergoté ni morphine, ni aucun autre alcali eristal- lisable ou non cristallisable. Il s'est en particulier assuré, par un essai fait sur lui-même , que la poudre rougeâtre que Mr. Wiggers appelle ergotine et à laquelle il attribue les propriétés vénéneuses du seigle ergoté, n’en possède réellement aucune. Il a traité successivement le seigle ergoté dans un appareil à dépla- cement par l’eau , l'alcool et l’éther , et a obtenu les produits suivants. L'ergot étant épuisé par l’eau froide, ona obtenu par l’évaporation de celle-ci 5 en poids de la poudre employée , d’un extrait mou, rouge- brun , ayant l'odeur de l’osmazôme, une saveur piquante, amère, mais non astringente, L'auteur l’appelle Extrait hémostatique , parce que ses expériences sur les animaux vivants, puis plus tard dans la prati- que médicale, ont démontré que , sans jamais avoir le plus léger eflet toxique, cet extrait arrêle sur-le-champ les hémorragies internes et fa- cilite et active les accouchements laborieux. Ses effets médicaux sont beaucoup plus prononcés que ceux du seigle ergoté lui-même, soit parce qu'il agit d’une manière plus concentrée , soit parce que dégagé du principe vénéneux on peut le donner à plus haute dose. Le traitement par l'alcool de la poudre d’ergot épuisée par l’eau froide fournit 9 à 10 pour 100 d'extrait mou. Les décoctions alcooli- ques bouillantes laissent déposer en refroidissant une poudre rougeâtre qui est l’ergotine de Wiggers. Du reste l’extrait alcoolique a les mé- mes propriétés que l'extrait aqueux, et n'en diffère qu'en ce qu'il contient un peu de résine. Enfin , traité par l’éther, l’ergot lui communique une belle couleur jaune , et lorsque l’éther s’est évaporé spontanément , il reste deux hi- quides, l'un plus dense, résineux , d’un rouge brun, et l’autre bui- leux, léger, incolore, lorsqu'on l’a débarrassé d’un peu de résine qu'il contient. On les sépare au moyen d’un entonnoir tubulé. Une li- vre de seigle ergoté fournit cinq à six onces d'huile, soit enyiron 35 pour 100, et trois gros de résine, et exige pour son traitement au moins quatre livres d’éther. Cette huile, que l’auteur appelle Auile ergotée, est épaisse, plus légère que l’eau , blanche lorsqu'elle est pure. Sa saveur est fade d’abord, puis âcre. Elle est insoluble dans l’eau et l'alcool bouillant, très-soluble dans l’éther froid. Elle a toutes les propriétés délétères du seigle ergoté et agit sur les animaux comme il le fait lui-même, mais avec encore plus d'énergie. Son action se porte directement sur le cerveau et le système nerveux, et l’auteur BULLETIN SCIENTIFIQUE. 411 pense que l’on pourra avec succès l'employer soit à l’intérieur , soit à l'extérieur , au traitement des paralysies, paraplégies , ete., pour les- quelles on fait usage du seigle ergoté en poudre. Le travail de Mr. Bonjean a donc eu pour but et pour résultat de séparer nettement dans le seigle ergoté le remède du poison, ce qui permettra dorénavant au médecin de faire sans crainte usage de l’ex- trait hémostatique, dont les ellets merveilleux dans l'art obstétrical sont bien constatés. Ce corps n’est point sans doute, chimiquement parlant, un corps simple, et peut-être de nouvelles recherches par- viendront-elles à en séparer un ou plusieurs principes immédiats ; mais sous le rapport médical l'analyse du seigle ergoté par Mr. Bonjean a complétement résolu le problème , et c’est avec justice que la Société: royale de pharmacie a cru devoir le couronner. E M. 15. — Loupon, ARBORETUM ET FRUTICETUM BRITANNICUM ABRIDGED. 10 fascic., in-8°. Londres, 1842. Mr. Loudon a eu l’heureuse idée de publier une édition abrégée de son Ærboretum , ouvrage qui renferme l’histoire la plus complète des arbres et arbustes cultivés ou Spontanés en Angleterre. Dans cette nou- velle édition les planches ne sont pas négligées; au contraire, elles sont extrêmement nombreuses ,seton peut dire que toutes les espèces, sauf une demi-douzaine , sont figurées. Le nombre total des planches intercalées dans le texte est de 2109 ! I] est vrai que ce sont des plan- ches gravées sur bois et de petites dimensions ; mais elles suffisent or- dinairement pour reconnaître les espèces , et quelquefois elles rendent les caractères avec une vérité remarquable, comme on peut le voir dans Je neuvième fascicule relatif aux conifères. Le texte indique les principaux noms de chaque espèce , les planches publiées par les au- teurs, les caractères essentiels et des renseignements sur le mode de culture et sur l'emploi. On peut acheter chacune des dix parties séparément au prix de 5 schellings et l'ouvrage entier, en un volume, pour deux livres sterling et demie. Nous. ne pouvons trop louer l’activité de l’auteur, qui trouve moyen de publier, outre son Gardener’s Magazine, des ouvrages tels que celui-ci, 412 ANNONCES BIBLIOGRAPHIQUES. — 6 0—— THEORIE DE KANT SUR LA RELIGION dans les limites de la raison , avec une introduction par Mr. Fr. Bouillier ; trad. de l’alle- mand par le D° LorTer. Paris, chez Joubert, et Lyon, chez Savy, jeune, 1842, in-12. LE LIVRE DU COEUR ou Entretiens des sages de tous les temps sur l'amitié; ouvrage dédié à la jeunesse, par L.-Aug. MARTIN. Paris, 1843, chez Ed. Tetu et C°, rue J.-J. Rousseau, 3. TAVOLE CRONOLOGICHE E SINCRONE DELLA STORIA FIO- RENTINA compilate da Alfredo REUMONT d’AÂquisgrana, dottore di filosofia. Firenze, presso G.-P. Vieusseux editore, 1841. DELLA CONDIZIONE ECONOMICA DELLE NATIONI, da Gior. Paris: di Roveredo. Milano, 1840, in-8”. THÉORIE ÉLÉMENTAIRE DE LA CAPILLARITÉ, suivie de ses principales applications à la physique, à la chimie et aux corps or- vanisés ; par J.-F. ARTUR, duct. ès sciences, etc. Paris, Carilian- Gœury et Vor Dalmont, 1842, in-8°. UEBER DIE ABHÆNGIGKEIT DER PHYSISCHEN POPULÀ- TIONSKRÆFTE VON DEN EINFACHSTEN GRUNDSTOFFEN DER NATUR mit specieller Anwendung auf die Bevælkerungs- Statistik von Belgien ; von D'Ferdinand GoBg1. Leipzig und Paris, bei Brockhaus et Avenarius, 1842, in-4”. OBSERVATIONS SUR QUELQUES PLANTES ACOTYLÉDONÉES DE LA FAMILLE DES URÉDINÉES et dans les sous-tribus des Némasporées et des Æcidinées, recueillies dans le département des Bouches-du-Rhône ; par L. CASTAGNE:; 1° cahier. Marseille, 1842. Achard, imprimeur. Lun) DOCKS O PORTI ARTEFATTI Memorie raccolte in viaggna, dal marchese Camillo PALLAVIGINO. Genova, 1842. TABLEAU DES OBSERVATIONS MÉTÉOROLUGIQUES FAITES A GENÈVE PENDANT LE MOIS DE DÉCEMBRE 1842, Tes e ——— 414 OBSERVATIONS DÉCEMBRE 18242. — OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites à mer, lat. 46° 12", long. 15° 16” de temps, soit 3° 49” à l'E. de de Genève, à 375 mètres au- "m a 2, , E le BAROMÈTRE TEMPÉRATURE EXTÉRIEURE EL a Dit RÉDUIT A 00, EN DEGRÉS CENTIGRADES. Le] [=] [sl a 4 È a 9 h. 3 h. 9 b. FE: a du Midi. du | du mA matin soir. soir. millim. | millim. | millim. | millim, 11 756,07 | 736,21 | 735,0 | 756,85 | + 2,9 | + 6,7 | + 7,1 | + 4,8 | + 1,0 @ | 21756,0 | 255,96 | 755,2 | 735,89 | - 0,2 | + 6,2 | + 4,7 | - 0,4 | - 1,7 | 3 | 737,48 | 757,20 | 736,83 | 757,65 Et PO LE PE TS LE © a | 758,05 | 757,51 | 757,11 | 758,55 0,8 | + 0,5 | + 0,6 | — 0,5 | - 1,1 5 | 758,62 | 738,15 | 757,22 | 756,84 2,2 | — 1,4 | — 0,9 | — 1,1 | - 2,5 61756,17 | 755,62 | 73,85 | 75a,aa | - 1,7 | — 0,7 0,0 | +0,2 | — 2,1 7 1 753,64 | 752,65 | 732,50 | 732,53 | 0,0 | + 0,9 | + 1,7 | - 1,2 | - 0,2 8 | 754,20 | 75a,16 | 754,02 | 756,09 | - 0,6 | + 2,9 | + 3,4 | — 1,5 | — 0,8 > | 91 756,90 | 756,26 | 755,72 | 755,81 +F18|+121)+1,0) +01 736,39 | 735,59 | 754,67 | 754,53 +0,99 | +1,53 | + 1,0 | + 0,5 755,55 | 752,92 | 752,20 | 755,52 pod le Que Ga 7221 755,56 | 735,09 | 754,78 | 756,17 F2 |+0471- 01108 755,20 | 754,87 | 731,52 | 735,17 +08 |+0,7 | - 0,1 |"= 0,6 | 756,66 | 735,91 | 735,49 | 756,75 0,541 Oh] IDSARE à 738,14 | 737,99 | 737,59 | 757,82 = Le El SRE 756,56 | 735,52 | 754,74 | 754,50 2 4560 LA, DIT SANTE 735,44 | 735,47 | 755,11 | 737,28 21 )| 2e 090) 016,6/1R 58e 755,27 | 735,20 | 756,10 | 737,85 F 0,51! € 4,004 89) 710,88 | 740,92 | 759,44 | 740,22 +15 | +28 | - 0,3 | - 0,5 759,19 | 739,50 | 758,84 | 740,55 +1 | +54) +1,5 | - 2,0 1 739,76 | 758,5a | 757,52 | 757,51 +4,0 | + 3,9 | — 1,3 | - 1,6 0,1 737,41 | 756,25 | 755,19 | 753,19 + 5,1 | + 4,8 | - 2,1 | — 0,6 0,1 727,8 | 725,75 | 725,57 | 722,24 + 4,6 | +29! - 1,0 | — 3,6 | - 0,7 721,11 | 720,87 | 721,24 | 725,50 FA EL | SAME) 56 727,10 | 727,55 | 727,95 | 729,54 +40 +45 |+1,8 | +52 | +1,9 729,74 | 728,06 | 727,54 | 726,76 F 6,4 | 9 547 > 01, RRIOR 723,67 | 722,57 | 721,67 | 722,02 +17 1425 | +0,99 | + 0,5 | + 1,0 726,25 | 727,52 | 727,62 | 750,55 + 4,4 | +4,9 | + 5,9 | + 2,1 | + 4,0 754,55 | 755,27 | 735,98 | 758,74 +4,9 | + 5,2 | - 0,1 | + 4,2 | + 0,9 740,36 | 740,12 | 740,11 | 740,62 + 5,6 | + 6,7 | + 5,8 0,0 | + 5,7 758,58 | 757,56 | 755,81 | 754,64 + 7,5 | + 9,0 | + 5,1 | + 0,8 | + 4,6 + 2,2 50! + 0,19] + 0,25] + 0,5 754,75 | 734,28 [E | 754,44 [=] + L [=] MÉTÉOROLOGIQUES. 415 Observaloire de Genève, à 407 mètres au-dessus du niveau de Ja Observatoire de Paris, et, pour le Limnimètre au bord du lac ssus du niveau de la mer. = ÉTHRIOSCOPE & | VENTS. É EN DEGRES CENTIGR. = = 5 3 h|9h, 9 h. EU 3h, | 9h. > Midi.| du du du Midi. du du Midi. = soir. | soir, matin soir. |malin. E 02|+ 3,48] 92,8 | pri 84,5| 93,0 degr. degr. pouce 0,6 [+ 8,1 68 | 94 2 2,6 14,5 5,4 |+ 8,1 78 | 96 2,6 2,2 2,0 S-0 .] 24,5 2,8 |- 0,4 96 | 96 » » 2 S-0 14,0 2,6 |+ 0,8 95 | 95 » » > Cal. 45,5 5,5 |- 0,2 96 | 96 » » » S-0 13,5 5,7 |+ 0,1 96 | 96 » » » Cal. 12,5 138 [4 1,9 | 96 | 95 | 88 | 95 0,9 0,4 0,9 Cal. 43,0 2,6 [+ 5,8 | 96 | 88 | 78 | 95 > 2,6 1,5 Cal. 15,0 2,8 |+ 2,0 | 96 | 95 | 96 | 96 » » » Cal. 1,1 |+ 1,5 > » » » E 1,2 |+ 1,0 fc 1,1 1,1 0,9 Cal. 2,8 |+ 0,5 » > > Cal. 1,7 |+ 1,0 » 0,4 0,9 Cal. 2,3 |- 0,1 Le » » » O 5,5 |- 1,2 ; > > > S-0 5,8 |— 1,5 je » >» — S-0 5,9 ns 1,5 » » » » Cal. 2,7 + 1,5 “ w à ré Cal. 1,7 |+ 4,0 6,9 » 0,9 1,5 Cal. 5,1 |+ 6,0 > 1,1 0,2 135 |S-O/N-E RUE 00,002 670 96 En À us. | red | 1,5 | Cal | Cal. sol 7.1 605 L2,9 |+ 7,5 | 90 | 85 | 70 | 97 » : 0,4 9 [| Cal, | Cal. léclair. | 57,6 4,8 |+ 5,0 | 97 | 94 | 97 | 97 ” » 2,0 > | Cal. | Cal. {cl. br. | 56,5 21 |+ 5,5 | 74 | 90 | 91 | 96 » » » » | Cal. | Cal. pluie |55,0 > [4 2,8 | 83 | 7a | 72 | 90 » 1,7 0,7 15 [N-E/|N-E couv. | 34,5 2,1 |+ 9,7 | 95 | 65 | 80 | 96 > 17 2.6 1,5 | Cal. | Cal. cl. vap.| 55.5 1,6 |+ 2,5 | 9a | 96 | 96 | 96 : > » »_ | Cal. | Cal. {brouïil. | 55,5 0,1 |+ 5,3 | 95 | 93 | 90 | 79 » » » » [S-O!S-0 |Ipuie |56,5 5,0 |+ 5,8 | 73 | 70 | 65 | 90 | 17,1 » » > ÎN-E |N-E inuag. | 56,5 1,7 |+ 9,0 | 88 | 61 | 55 | 85 > À 2,4 2,4 | Cal. | Cal. {sol. v. | 55,0 0,6 |H10,0 | 93 | 71 | 65 |. 78 » 1,7 | Cal. | Cal. l'éclair. | 55,0 st 5 Ses @f mag in he ‘one ds man h FOME: à és AT né (is 4701 CT sgh | d = pal ma LE Ta] é LV hr: vhs! 4h pre Mas cet luc LA apte me , RRÉE 1 Let 2.7: OT EE 4 -rpe Fes A à: Fe re à è r 0 TE es 25 fy LS . 6. : 4 Le L a L D «9 ( Si in L a de ni À a? 27 > © Fait ‘e L'oë QU 71 As. 5 7 el à, RTE 01: 4 Jai ue JUS Le * ele d 0RAP Te NON # L# #1 « "r] dk dus +5 De 1. ) > Horstl fRor 2 V #4 vi | ÿ | mr 1 LE : 8: . 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EN DEGRÉS CENTIGRADES: Lever 9h du du Midi. soleil. | matin. ir. ir. millim.| millim | millim illim. | millim. 568,88 | 569,70 | 570,07 | 5: 571,94 572,08 | 572,26 | 572,25 572,25 575,11 | 575,59 | 575,68 575,16 572,75 | 575,10 | 573,07 573,02 573,26 | 573,24 | 575,12 572,51 571,58 | 571,57 | 571,17 570,51 569,75 | 569,87 | 569,24 |: 2 | 569,09 569,51 | 569,79 | 569,97 570,65 570,17 | 570,56 | 570,55 570,28 570,08 | 570,56 | 570,09 30 | 569,30 568,03 | 568,19 | 568,18 568,46 569,58 | 569,85 | 569,91 570,84 571,05 | 571,45 | 570,77 571,21 571,89 | 572,18 | 572,15 | 572,15 | 575,23 575,92 | 574,42 | 574,59 574,52 575,34 | 575,45 | 572,95 572,08 571,01 | 571,54 | 571,08 | 5 571,10 569,70 | 569,79 | 569,19 | 56 569,15 570,67 | 571,35 | 571,22 | 57 370,50 568,76 | 569,01 | 569,39 570,22 570,51 | 570,68 | 570,09 | 569,88 | 570,01 570,11 | 570,20 | 570,04 | 570,15 | 569,65 565,75 | 565,43 | 564,22 | 563,22 | 561,70 558,47 | 558,78 | 558,36 | 558,56 | 559,13 561,53 | 562,00 | 562,06 | 562,64 | 564,58 565,50 | 565,80 | 565,10 | 565,16 | 564,91 562,50 | 562,15 | 561,46 | 560,84 | 560,99 561,00 | 561,59 75 | 562,11 | 562,52 565,87 | 567,24 | 568,09 | 568,18 | 570,68 571,37 | 571,85 572,76 | 573,17 © 575,23 | 575,06 98 | 571,90 | 569,91 Moyens.| 569,15 | 569,47 | 569,52 | 569,14 | 569,41 *aNN'1 VI 44 SASVHd ‘SION N Sxnof | | » . w + À Qt > ND NI “ 1 L ” ” es “ - SD OÙ O1 LS — “ “ + + - D SION E AO AO 19 = — $ - DS - bo ru — 10 à CR > OS — —— 19 O1 OI DHENVSE & O1 19 19 AVION URBROUD— OO OI I OI O1 SI QI . - vs NO © 1 O1 - N Q! HDBNO DO = E ë = 19 to 19 3 = = (2) Ds © ” © & o Ut iv Q & © et 5 œ [0] HLuUnmN ma - - » > » LE] MÉTÉOROLOGIQUES. 419 Hospice du Grand Saint-Bernard , à 2491 mètres au-dessus du ni- xenève; latit. 45° 50° 16”, longit. à l'E. de Paris 4° 44" 30”. » EAU DE TEMPÉRAT. \ : HYGROMETRE. HE VENTS. ETAT pv CIEL.If EXTRÊÈMES, ou de NEIGE GIE. ‘| dans du les soir. | 24h. deg. millim. 1,4 88 » [N-E | N-E | N-E {sol. nua.lserein + 2,2 95 ». | Cal. | Cal. | S-O Îserein |serein + 5,5- 94 » |[S-0 |S-0 | S-O serein {serein + 2,8 91 » |S-O | Cal. | S-O Jqq. nua.|serein + 1,8 85 » |S-O | S-O | S-O serein {serein - 1,9 85 » |S-O | S-0O | S-0 {sol. nua.|sol. nua. + 1,0 88 » | S-O | S-0 | S-0O {couvert [couvert - 24 91 » |S-0 |S--0 | S-0 {couvert [couvert 2,5 91 » |S-0O | S-0 | S-0O {couvert [couvert 1,2 85 » [S-O |S-0O | S-O {sol. nua./sol. nua.lk 92 0,5 | S-O | S-O | S-O |neige [couvert 86 » [N-E | N-E | N-E |{sol. nua |sol. nua. + 96 S-0 |S-0 | S-0 serein [serein + 25 » [N-E |N-E | N-E fserein [serein + 80 » [N-E |N-E | N-E {serein {serein + 5,2 80 » [N-E [N-E | N-E fserein (serein no47 69 » [N-E |N-E | N-E {serein |qq.nua. 1,0 85 0,5 | N-E | N-E | N-E sol. nua.|neige = 5,4 76 » |[N-E |N-E | N-E lserein (serein - 8,8 82 » |N-E |N-E | N-E [brouill. |brouill, !k — 6,5 91 » |[N-E | N-E | N-E {sol. nua.|sol. nua. - 1,6 88 » |[N-E | N-E | N-E {sol. nua.|couvert|E = + 0,8 94 » |S-O |S-0O | S-O {serein (serein - 4,5 99 » |S-0 | S-6 | S-O [couvert [brouill. - 3,2 96 » |N-E |N-E | S-0 {sol. nua. sol. nua«'À - 6,5 97 » |S-0 | S-0 | S-O {serein |sol. nua. — 3,0 95 4,9 | S-0 | S-0 | S-0 [neige [neige FU 95 2,5 |1S-O |S-O | N-E Îneige [neige — 9,0 93 » [S-O |S-O | N-E |brouill, [brouill, — 5,5 97 > [N-E |N-E | N-E {sol. nua.|sol. nua. + 1,0 96 » [N-E |N-E | N-E {couvert |sol. nua.[Ë A 86,87 | 89,58 7,5 F y " PES6H6 ès Bd Robe à à he qi A OU e Lt 9e BU | put vd PRET ERP FE "æ: | 1 : gu FAT ue. | | 2 me ne à mes ne nn î _ | ! » L TUE ESA EE Leg É rt À Let #5] tt1198 Pr Sie AE À iatos CNE D “ L ue, 07 piton) (9à 2 | vin) { LUE Lt pe SET UPOPE LA ar Fos? “an 44 f er : He se! so nel EL A2) APT UE s v . 144 EU: EE CPR RE TL ter 7 de Pa: mAh che me > LAS PRE EMI (ee, T'AUUTE) [e < ALIEN RUN TE à LS ARE Part a te 10 4 AE DFE! id 5e. Ps ASE ‘age RENE TEA DÉC £ ë 13 von! “ip 1} \, de # ; en: Hé “ jar ATOME Ltd HAT 1.10 RL Patti ni à BETT aa TABLE DES MATIÈRES CONTENUES DANS LE TOME XLII. (Novembre et Décembre 1842.) —— © Ge—— Pages SCIENCES SOCIALES. — De l’école sociétaire et de ses pu- blications les plus récentes, par Mr. le professeur CHERBULIEZ 10 98, IRNTIQUR NYSE 9 HISTOIRE. — Etat de la république athénienne après la bataille de Chéronée 264 STATISTIQUE. — Observations sur le dénombrement de la population de la Grande-Bretagne, par Mr. P. Cnaix. 112 — De la population de la Sicile. 241 ESTHÉTIQUE. — De la poésie chrétienne dans son prin- cipe, dans sa matière et dans ses formes, par A.-F. Rio we 217 LITTÉRATURE. — La satire française au treizième siècle et Rinehenfosde guet mg 5997 a4"L2 0, 21 MÉLANGES. — Association agricole à Turin . 272 — Sur un nouveau mode de manufacture de tapis de Hainéqun ts4os 275 — Sur le rapport qui existe entre la saison de la nais- sance et la mortalité des enfants au-dessous de l’âge de deux ans, etc., par Mr. Catlow . 8 277 — Remarques sur le climat de l'Egypte, par Mr. Russegger . 279 422 TABLE DU VOLUME. Pages GÉOGRAPHIE ET VOYAGES. — Revue des progrès des tra- vaux géographiques, par Mr. P.-Carx. (Troisième 7 0 PP OR I — Idem. (Quatrième et dernier article.) . . . . . 302 — Relation détaillée de l’expédition anglaise en Chine, depuis le début de la guerre jusqu’à l’époque ac- tuelle, etc., par le général J.Elliot Bingham. . . . . 285 SCIENCES MÉDICALES. — Mémoire sur la réforme des qua- rantaines, adressé à S. M. Charles-Albert, roi de Sar- daignë;'etc.. par LA. Gosse . . . . , :'. 1. 46 SCIENCES PHYSIQUES ET NATURELLES, — De quelques effets de l’humidité dans les appartements et sur certaines : causes peu appréciées de cette humidité, par Mr. le Di Jean ons Hans due aline mots AO — Recherches d’anatomie comparée sur le Chimpansé, Par: Vrolikiseuab lue aneitevsoadO ardt) — De l’acte de la vision, de l'influence de la lumière sur tous les corps et de la lumière invisible, par L. Moser. 176 — Observations récentes sur les glaciers , par le prof. FORBES me ranereoh:ze 20h10 vien 62 216b-1810808 — Mémoire sur les diverses espèces de brouillards, par Mr.oAthe REDRER: 1e aobconeil arétce ele GANT — Note de Mr. Marreuccr en réponse aux observations de Mr. Edm. Becquerel, faites à propos de son mé- moire sur la phosphorescence . . . . . . . . . . 393 TABLE DU VOLUME. 423 BULLETIN SCIENTIFIQUE. Cabiez de Tovewubte. Pages. 1. — Sur un anémomètre magnétique, par Mr. le D' Gcover. . . 195 2. — Observation d’un phénomène qui paraît se rattacher à la Photberanhie, par Mr-Lontaos 22 dm. de Id. 3. — Sur la destruction de la fumée et l’économie du combusti- ble qui résultent de l'emploi de la vapeur d’eau dans le tonne par ME AMÈYEE Mise le Reel cotes 06 4, — Résumé des recherches du prallneut Liebig sur la obinié organique dans ses applications à la physiologie et à la pathologie, par Mr. le D' PLAYFAIR. . . . . . . . . . . .. 201 5. — Notesrelatives à l’'empoisonnement par l'acide hydrocyani- que, par Mr. A. Morin, pharmacien à Genève. . . . . .. . 204 6. — Nouveau manuel de l'observateur au microscope, par F. DATARDINE ES SE. ed "2 eee ce 206 7. — Bulletin des séances de la Société Vaudoise des sciences DONMETES RS": à 6. 5 CALE MON 207 Cabier de Décembre. Pages. 8. — Sur un météore lumineux observé dans le duché d'Aoste. . 396 9. — Sur quelques apparences lumineuses ressemblant à des spectres et sur la lumière latente, par Mr.le prof. DRAPER. 74. 10. — De quelques électro-azotures, par Mr. GRovE. . . . . . . . 398 11. — Du changement de niveau de la mer sur les rivages de la , Scandinavie et dans les Iles Britanniques . . . . . . . . . 400 12. — Sur la préparation d’un ferment artificiel, par Mr. Fowwes. 405 424 TABLE DU VOLUME. Pages. 13. — Sur le nouveau mode d'éclairage de la Chambre des Com- mûnes, pan MrAURE MES VER EN PEER RE 405 14. — Histoire physiologique, chimique, toxicologique et médi- cale du seigle ergoté, par Mr. Joseph BoNJEAN. . . . . . . 408 15. — Loupon, arboretum et fruticetum britannicum abridged.. . 411 Annonces bibliographiques: ... :).5.0. «CH? OBSERVATIONS MÉTÉOROLOGIQUES faites à Genève et au Grand-Saint-Bernard pendant le mois de novembre 1842. 209 Idem. Pendant le mois de décembre 1842. . . . . . . .. 413 SAP TEE bi 1 ë | U p nt Le % 4 30 ET à te LEE" MRRrR MEN Hi ti Ni D Ne nù