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NOUVELLE SERIE

ONZIÈME ANNEE

TOME ONZIÈME

COLMAR

AU BUREAU, GRAND'RUE. N* 42 1882

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NOUVELLE SÉRIE

ONZIEME ANNEE

TOME ONZIÈME

COLMAR

AU BUREAU, GRAND'RUK. 42 1882

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v *î.C-

LA VIE FUTURE

ET

LA SCIENCE MODERNE

Lettre à M. le Paslenr •••

PAR

G.-A. HIRN

Correspondant de l'Institut de France, Associé des Académie* des Sciences de Belgique, de Suède, etc., etc.

Fin»

Nous venons de voir tomber devant la science, appuyée sur la saine raison, Tune des affirmations fondamentales du maté- rialisme proprement dit et conséquent avec lui-même: l'éternité de la Matière. Le même ordre de raisonnements s'appliquerait à toute autre doctrine tendant à expliquer l'origine de l'Uni- vers par l'action exclusive d'agents aveugles, c'est-à-dire de forces inconscientes, n'agissant qu'en vertu de propriétés innées et fatales. L'existence d'un dieu créateur ne peut certainement pas être prouvée directement et mathéma- tiquement; mais, ce qui est l'équivalent rigoureux de cette démonstration, l'éternité de la Substance inconsciente, en général, peut être réfutée rigoureusement, et cette réfutation peut être considérée comme un des faits les plus triomphale-

1 Voir la livraison du dernier trimestre 1881.

(il) 1744

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ment acquis de la science moderne. Pour quiconque admet l'existence d'un Dieu créateur, l'immortalité de l'être humain, et, comme homme de science, j'ajoute l'immortalité de tout ce qui vit, sont des conséquences en quelque sorte évidentes; nous pourrions donc nous arrêter ici, et considérer comme terminé notre exposé des preuves qu'apporte la science à l'appui de la notion d'une vie future. Mais dans ce domaine notre intelligence est obligée de se mesurer et de lutter avec l'infini, au risque de s'y Driser, le doute ne cède qu'à regret son poste dans l'âme humaine, et, veillant de loin, il est toujours prêt à se jeter sur sa proie, au moindre signe de défaillance. Nous ne devons donc rien laisser dans l'ombre de ce qui peut contribuer à affaiblir sa puissance. A ce titre, et au point de vue rigoureusement scientifique, notre exposé serait bien incomplet, si nous l'interrompions dès à présent.

Pour le savant, bien différent en ce sens du laïque, il suffit, avons-nous dit, que l'existence d'un Être, d'un Élément con- stitutif de l'Univers, soit démontrée, pour que la durée de cet Élément soit assurée. Si la présence d'un élément animique dans l'être vivant est mise hors de doute, sa durée l'est au même titre : cet Élément ne peut rentrer spontanément dans le néant. Mais l'existence d'un élément qui échappe à l'action de nos sens, qui, par son essence même, est invisible, intan- gible, impalpable ne peut évidemment être constatée

directement. Nous sommes, scientifiquement parlant, obligés en ce cas de procéder par voie d'exclusion, en constatant bien correctement que les qualités de ce qui tombe sous nos sens ne suffisent plus pour expliquer tel ou tel ordre de phéno- mènes et qu'ainsi nous pouvons légitimement invoquer l'existence d'un principe autre que ceux que nous percevons. C'est précisément le problème qui se présente à nous dans l'interprétation des phénomènes de la vie organique, à quelque degré de l'échelle qu'on la considère. Non seulemeut nous n'avons aucune perception directe de ce qui différencie

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uue plante, un animal, un homme, d'une machine, mais nous n'avons pas même la moindre notion directe de ce qui constitue notre propre être, ni, bien plus! de ce qui fait mouvoir la machine. C'est là, pour dire vrai, ce qui nous explique le nombre considérable de personnes qui, tacitement ou ouver- tement, nient l'existence d'un élément spécifique distinct, donnant lieu aux phénomènes vitaux, animiques, intellectuels, aux phénomènes de l'ordre psychologique; et, cette fois je parle du savant aussi bien que du laïque, c'est ce qui explique le grand nombre de personnes qui, dans les phénomènes de l'ordre purement physique, veulent à tout prix matérialiser la force. Pour arriver à la vérité sur ce domaine, nous ne pouvons procéder que par voie d'exclusion en réfutant toutes les hypothèses explicatives qui prétendent rendre compte des phénomènes intangibles avec les seuls éléments qui nous paraissent constituer ce qui est tangible.

Notre œuvre d'élimination serait toutefois facile, si nous ne nous trouvions en face que d'une doctrine de négation unique, en face du seul matérialisme -proprement dit; mais en ne nous attaquant qu'a un tel adversaire, nous nous ferions la partie trop aisée. Il importe donc de définir et d'évincer une fois pour toutes cette doctrine dont bien des personnes, laïques et savants, parlent sans la connaître, et qui, disons-le très haut, a envahi les trois quarts du domaine de la science et de la non-science de notre temps.

Le matérialisme proprement dit ne peut admettre qu'un seul élément constitutif de l'Univers : la matière, formée d'atomes en repos ou en mouvement, partout et toujours identiques à eux-mêmes. Et c'est effectivement la proposi- tion soutenue aujourd'hui dans une multitude d'ouvrages, grands et petits dont quelques-uns sont devenus réellement populaires, et constituent le credo de milliers de laïques aussi bien que de savants. Selon les assertions des auteurs de

« FORCE ET MATIÈRE, CIRCULATION DE LA VIE, THÉORIE VIBRA-

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toire de la nature » il faut être absolument aveugle

Q'emploie l'expression la plus polie de ces livres) pour s'ima- giner que dans le monde animé aussi bien que dans le monde physique, il existe autre chose que des atomes matériels en mouvement, donnant lieu, par leurs rencontres, aux phéno- mènes de l'attraction, de la répulsion, do la lumière, de la

chaleur, de l'électricité, de la vie, de la pensée

C'est du choc de milliards do billes élastiques, très petites, mais non infiniment petites, que résultent la conscience que nous avons de nous-mêmes, la faculté d'aimer, le sentiment du

beau, du vrai, du juste, aussi bien que le plus minime des

phénomènes du monde physique. C'est ce choc qui a enfanté la Vénus de Milo, le Parthénon, Hamlet de Shakespeare, la Symphonie avec chœur de Beethoven

Il faut le dire bien haut et avec insistance : si bizarre que soit un tel système, et quoiqu'il tombe en quelque sorte sous son propre poids, ceux qui le soutiennent ont du moins le mérite et le courage immenses d'être conséquents avec eux- mêmes, bien contrairement à beaucoup de leurs adversaires qui, sans s'en douter peut-être, sont matérialistes aux trois quarts par les doctrines qu'ils soutiennent, sauf à rompre violemment avec le matérialisme à une certaine limite dont il leur est impossible de légitimer l'intervention.

Le matérialiste qui, dans les phénomènes du monde physique, admettrait l'existence d'un élément distinct de la matière, donnant lieu à tout l'ensemble des phénomènes de mouvement, de forces attractives ou répulsives, n'aurait plus absolument aucune raison plausible pour rejeter du monde animé l'existence d'un autre élément supérieur, donnant lieu aux phénomènes physiologiques et psychologiques dans tout leur ensemble. Il cesserait à l'instant d'être matérialiste consé- quent.

Réciproquement, l'adversaire du matérialisme qui prétend bannir du monde physique tout élément distinct de la matière,

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n'est plus nullement en droit d'invoquer l'existence de tel ou tel élément supérieur pour l'explication des phénomènes de la vie

Et celui qui pousse l'inconséquence jusqu'à nier la néces- sité d'un élément de nature supérieure et distincte de la matière chez l'être vivant le plus intime, n'a plus le droit d'admettre l'existence de l'âme chez l'homme.

Il faut du moins laisser à l'école matérialiste l'immense mérite d'avoir mis hors de doute l'ensemble de ces propositions, qui peuvent être considérées comme l'énoncé de faits élémen- taires pour tout naturaliste sensé.

Le matérialisme n'a jamais été attaqué par les bases ration- nelles et scientifiques sur lesquelles il a la prétention de reposer. Il a été réfuté, surtout par des laïques exclusifs et inconséquents, à un point de vue purement sentimental : c'est l'expression la plus juste à employer ici. On a objecté des faits de conscience, des aspirations morales, des facultés intellec- tuelles, inconciliables avec l'action de causalités purement mécaniques: toutes objections d'une valeur incontestable, à condition que ceux qui les font restent conséquents, et n'aillent pas eux-mêmes, comme le font journellement bien des spiri- tualistes, expliquer mécaniquement chez certains êtres ce qu'ils prétendent ne pouvoir s'expliquer que psychologique- ment chez d'autres, visiblement identiques en nature; dire par exemple : le chien fidèle et affectueux est une machine, mais l'homme égoïste et vil est un esprit pur

Le matérialisme logique, répétons-le, explique d'une même manière, non seulement les plus minimes des phénomènes physiques, et les plus sublimes des phénomènes psychologiques, mais encore les plus inextricables des questions d'origine. Il rapporte toutes choses à l'atome matériel et à ses mouvements. Il a de plus la prétention de donner seul des solutions claires de toutes choses. Il est évident, d'après cela, qu'il ne peut être attaqué que scientifiquement, en cherchant si effective-

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ment il satisfait à l'interprétation des phénomènes de tous les ordres, et si effectivement il est doué de ce degré de clarté que lui prêtent ses adeptes.

Je puis être extrêmement concis en ce qui concerne l'exac- titude des interprétations. Je ne m'arrêterai qu'à une seule : elle est capitale, il est vrai. Deux masses matérielles, séparées par un intervalle vide en apparence, et indéfiniment grand, tendent Tune vers l'autre, semblent s'attirer. Tel est le fait (et non l'hypothèse, comme d'aucuns le pensent) mis pour la première fois en lumière et en évidence par le génie de Newton. Examinant quelle peut être la cause de cette ten- dance, ce grand esprit, si sobre d'hypothèses, déclare qu'il considérerait comme un insensé celui qui avancerait que la matière agit sur la matière à travers le vide, et sans aucun intermédiaire. « Cet intermédiaire est-il matériel ou immaté- riel? » Voilà ce qu'il laisse à d'autres le soin de décider. Quoi qu'on en ait dit, son opinion personnelle est facile à lire: c'est l'intermédiaire immatériel qu'il admet. Depuis que la lumière de cette grande âme a été retirée de ce monde, maté- rialistes, spiritualistes, panthéistes, savants et non-savants, se sont mis à l'œuvre pour expliquer et matérialiser la cause de la gravitation universelle. Voulant rendre visible, tout au moins à l'imagination, ce qui par sa nature propre est invisible, on s'est eflorcé de peindre les masses matérielles comme pous- sées les unes vers les autres, soit par des atomes matériels sillonnant l'espace en tous sens, soit par des tourbillons moléculaires. Le nombre de ces hypothèses explicatives, diffé- rentes par la forme, mais parfaitement identiques par le fond est des plus considérables. Eh ! bien, je ne crains point de l'affirmer ici à la face de toute la science moderne : pas une seule de ces interprétations matérialistes ne soutient un seul instant d'examen scientifique sérieux ; les unes sont puériles, d'autres semblent être sorties d'un cerveau en démence.

Une doctrine qui échoue ainsi devant l'un des phénomènes

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les plus fondamentaux du monde physique n'a plus le droit de s'adjuger seulement l'ombre d'une explication des phénomènes du monde vivant. Et ce que nous venons do dire des tentatives d'explications de la gravitation, s'applique iden- tiquement aux phénomènes de répulsion et d'attraction magnétiques, électriques (statiques et dynamiques): si toute- fois on peut même donner le titre d'explications à ce qui a été produit en ce sens.

Quoiqu'en puissent dire un très grand nombre de physiciens modernes, le matérialisme a perdu son droit de cité sur le domaine des phénomènes du monde inanimé lui-même. Les seules propriétés que nous constatons dans les corps qui tombent sous nos sens le réfutent radicalement. 1

Voyons maintenant ce qui en est de la prétendue clarté sans pareille de cette doctrine. Ici je ne recourrai qu'à deux seuls arguments ad hominem, sous forme interrogative.

Les livres dogmatiques que j'ai nommés plus haut sont aujourd'hui entre toutes les mains. L'un d'eux, entre autres, « force et matière » de Buchner, s'est, en traduction fran- çaise, vendu à plus de cinquante mille exemplaires. C'est peu dire que d'estimer à cinq cent mille les lecteurs de ce , livre ou de ses congénères. D'après la doctrine soutenue dans tous ces livres, d'après le matérialisme prétendu scientifique, les mondes se sont formés par les mouvements des atomes matériels accourant de tous les points de l'espace, incités par d'autres mouvements antérieurs. Cela posé, il nous sera permis de demander si, parmi ces cinq cent mille lecteurs, incontestablement lettrés, dont nous parlons, il s'en trouve un seul qui sache ce que c'est que le mouvement, un seul qui sache en quoi un corps en mouvement diffère de nature d'un

1 Je me permettrai de renvoyer à ce sujet à ce que j'ai dit dans la partie critique de mon analyse élémentaire de l'univers (1 vol. in-8°, chez Gauthier- VUlars, libraire à Paris).

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corps en repos ? La réponse ne pouvant être que négative, nous demanderons s'il est dès lors plus clair d'attribuer l'ori- gine des choses et la continuité des phénomènes à une inconnue aveugle, inconsciente, agissant pourtant avec une intelligence que personne, parmi nos cinq cent mille lecteurs, ne peut nier, qu'à une inconnue intelligente, consciente de ses actes, et toute puissante?

Que devient devant une pareille interrogation la grande clarté du dogme matérialiste V Posons cependant une seconde question.

C'est pour le matérialisme un article de foi d'admettre que la pensée est une sécrétion du cerveau, absolument comme la bile en est une du foie, comme l'urine en est une des reins. Nous accepterons très volontiers ces aphorismes; nous irons même plus loin, et nous dirons que l'intégrité des fonctions du cerveau est aussi indispensable à la sécrétion de la pensée qu'à celle de l'urine à laquelle il préside indirectement par son action sur les reins ; nous irons encore plus loin, et nous conviendrons que, pour certaines pensées, il y a une analogie plus grande qu'il ne semble entre les deux sécrétions. Ici toutefois s'arrêtent nos concessions, et bien légitimement. Comme il n'existe que matière partout identique à elle- même, incapable d'agir autrement que par impulsion immé- diate d'atome à atome, comme c'est aux chocs et aux vibrations moléculaires qu'est due la sécrétion de l'urine aussi bien que celle de la pensée, nous demanderons à nos cinq cent mille croyants si un seul d'entre eux comprend comment les chocs de tant de billes de billards qu'on voudra, aussi petites et aussi élastiques qu'on voudra, peuvent arriver à la con- science d'eux-mêmes, à la notion de leur être qui, d'après le dogme admis, n'est qu'un phénomène transitoire ? En vérité, de tels articles de foi peuvent-ils avoir la prétention d'être plus clairs, plus compréhensibles que ceux de n'importe quel culte aussi mystique qu'on voudra?

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Nous ne comprenons certainement pas plus l'essence de notre âme ou celle du principe vital en général que celle de Dieu; mais nous ne comprenons pas davantage celle du mou- vement ni celle de la matière elle-même. Nuit pour nuit, incompréhensible pour incompréhensible, nous pouvons donc >de plein droit préférer l'interprétation qui, appuyée sur la raison et sur le raisonnement, satisfait à tout l'ensemble des phénomènes, à celle qui ne satisfait à aucun.

On le voit, si nous ne nous trouvions en face que des seules négations du matérialisme pur, notre œuvre serait facile; que dis-je! elle serait achevée. On aura beau, dans des ouvrages étendus et du plus haut mérite, comme a l'histoire du matérialisme » de Lange, par exemple, exposer les déve- loppements successifs de cette doctrine et tenter de lui donner un caractère de solidité scientifique; on échouera toujours quand, partant rigoureusement des seules propriétés de la matière en repos et en mouvement, on essaiera l'interpréta- tion réfléchie et rationnelle du moindre des phénomènes physiques, à plus forte raison de ceux du monde vivant

Mais le matérialisme pur s'est toujours trouvé côtoyé, de près ou de loin, par un autre genre de négation qui, sans affecter la forme arrêtée d'une doctrine proprement dite, n'en est pas moins très vivace et très répandue. Elle est beaucoup plus bornée dans ses prétentions; elle ne s'adresse qu'aux seuls phénomènes du monde organique, ou même plus exacte- ment encore, du monde humain. Elle est, non certainement professée, mais tacitement ou ouvertement admise, par un grand nombre d'hommes qu'à aucun titre nous ne serions plus en droit d'appeler des laïques. Prenant un instant la forme personnelle, qu'on ne me reprochera certes pas d'avoir sou- vent affectée dans cet exposé, je dirai, sans crainte d'éveiller des susceptibilités ou d'irriter ceux dont je parle, que parmi les médecins, et surtout les jeunes médecins modernes, il en est un très grand nombre qui attribuent à la matière et à

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l'ensemble des forces aveugles constituant l'organisme de l'être vivant, toutes les fonctions de celui-ci, qu'il s'agisse des fonctions physiologiques seules, ou de tout l'ensemble des fonctions intellectuelles, chez l'homme notamment « C'est le cerveau qui pense, disent-ils; une âme y est une bien inutile

superfétation. » Je dis les jeunes médecins les neuf dixièmes «

peut-être. A l'âge mûr, le doute survient chez beaucoup, quant à la vérité absolue de l'assertion. Quelques-uns alors se con- vertissent et deviennent, en apparence du moins, des dévots fort respectables : ce sont en général des considérations sin- gulièrement étrangères à la métaphysique qui sont la cause déterminante de ce phénomène. Disons-le à l'honneur de la science et de tout le corps médical, de pareilles chutes sont

les exceptions. Mais laissons ces tristesses

A force de s'incliner sur le lit des malades et des mourants, à force d'observer des phénomènes qui échappent à toute expli- cation purement physiologique, le médecin de cœur et de bon sens se demande si, contrairement à son assertion d'étudiant, ce ne serait peut-être pas nous qui pensons à l'aide du cerveau f Il suspend son jugement, et, continuant sa vie de dévouement, il soulage, avec sa science et avec son cœur, la douleur physique et morale partout il la rencontre. Fort de sa conscience d'honnête homme, il attend patiemment jusqu'au bout la solution de la grande énigme.

Est-ce le cerveau qui pense et nous fait nous?

Ou bien est-ce nous qui pensons avec le cerveau?

Voilà toute la question qui se pose devant nous, effrayante ou consolante, selon le côté par lequel nous l'attaquons.

Nous savons tous que nos rapports avec le monde externe sont établis à l'aide de certains organes spéciaux, sans lesquels nous n'aurions pas la moindre notion de ce qui se passe hors de nous. Nous savons, par exemple, que pour voir, que pour entendre, il nous faut deux instruments de physique d'une construction admirable, dont le mode de fonction ne nous est

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même connu que depuis une époque relativement récente et est encore énigmatique dans quelques détails intimes. La forme de nos idées, la manière de penser, relativement à ce que nous voyons, à ce que nous entendons, dépendent telle- ment des données que nous fournissent à chaque instant ces instruments, qu'il est des choses que nous ne pouvons pas concevoir autrement que nous ne les voyons, que nous ne les entendons : une sphère lumineuse, par exemple, ne nous est visible que par une moitié à la fois. Eh! bien, il nous est impossible, en dépit de tous nos efforts d'imagination de nous la figurer sous ses deux faces à la fois ! A chaque imperfection de l'œil, à chaque défaut, congénital ou accidentel, répond une imperfection ou un défaut dans les notions qui naissent de la vision. L'homme de science, lorsqu'il observe, est lui-même trompé par ces fausses indications; il est obligé, par une longue étude, de rectifier des erreurs personnelles de percep- tion, qui échappent absolument au laïque.

Voilà une dépendance intime, profonde, qui est absolument incontestable.

Passera- t-il pourtant jamais par la tête de quelqu'un de dire: Ce sont les yeux qui voient, ce sont les oreilles qui entendent? Ces locutions ne seraient-elles pas aussi risibles que celle qui consisterait à dire, par exemple : la lunette de cet astronome voit et observe admirablement?

Nous disons tous : je vois avec mes yeux, ^entends avec mes

oreilles, comme nous disons :je marche avec mes jambes

et nous avons raison. Lorsqu'un de ces instruments, lorsqu'un de ces organes nous a été ravi par la maladie ou par un accident "nous ne savons que trop qu'il reste quelqu'un qui souffre de'.cette privation.

Cela posé, et au rebours dos locutions précédentes, est-il moins risible, plus intelligible, et surtout plus vrai, de dire :

C'est le cerveau qui voit avec les yeux, qui entend avec les oreilles, qui pense, qui crée une individualité ayant

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désormais la conscience d'elle-même, quoique dénuée de toute existence réelle? Que de dire simplement :

C'est moi qui pense, mais qui pour penser ai besoin d'un organe ?

Le côté risible de la première forme d'assertion n'est guère contestable. Si décidément dans notre cerveau il n'y a pas de place pour une âme, nous ne sommes tout aussi décidément plus que des machines; machines qui, comme telles, laissent même parfois singulièrement à désirer quant à leur construc- tion. — Il est une expression que personne n'effacera plus ni de nos codes, ni de nos constitutions sociales, ni des rap- ports d'homme à homme : c'est celle de « responsabilité humaine ». Ni matérialistes, ni positivistes, ni négativistes, ne sauraient contester un instant que le titre moral, que le degré qu'occupe tel ou tel peuple sur l'échelle sociale est d'autant plus élevé que cette expression est mieux comprise et mieux mise en pratique par chaque individu. Que dirait pourtant le sceptique le plus invétéré, si quelqu'un, prenant au pied de la lettre cette assimilation de l'être vivant avec une machine, venait à parler de la responsabilité de nos machines à vapeur, de nos montres f Un immense éclat de rire accueillerait certainement une pareille plaisanterie; et ceux ou celles mêmes qui prétendent que dans notre cerveau il n'y a pas place pour une âme, y prendraient part

La première forme d'assertion est-elle plus intelligible ?

La dépendance intime et directe de notre pensée et du cerveau ne peut plus être contestée un seul instant Non seu- lement il nous faut ici-bas un instrument approprié pour penser, mais chacun des modes de la pensée semble même avoir son mécanisme spécial dans cet instrument Bien que la doctrine de la localisation de nos facultés (poussée à l'extrême par Flourens, entre autres), ait reçu de fréquentes et graves atteintes de l'observation impartiale des faits, un fond de vérité

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lui reste pourtant acquis. L'ensemble des faits relatifs à cette grande question est si généralement connu qu'il est inutile de nous y arrêter ou de le développer.

Disons-le bien haut et bien hardiment, nous n'avons pas la plus légère idée de ces rapports nécessaires de l'âme avec le mécanisme organique. Nous ne savons pas comment elle peut en avoir besoin pour accomplir l'acte qui semble être le fait de son essence même, pour penser. Nous ne savons pas com- ment cet acte peut être entravé, souvent radicalement, par telle ou telle cause physique venant du dehors, par la maladie, par une matière toxique; nous ne savons pas comment il est suspendu journellement et périodiquement par le sommeil. Mais remarquons-le expressément, il s'agit ici d'une ignorance, si profonde, si absolue qu'on voudra d'ailleurs, mais non d'une difficulté de conception. Il n'est pas plus difficile de concevoir que nous ayons besoin d'un organe pour penser que de com- prendre qu'il en faille un pour voir, pour entendre. Nous ignorons absolument le mode, et voilà tout. Mais nous ne pou- vons tirer de cette ignorance aucune raison plausible pour nier la présence d'un Élément pensant et auimique.

Ferons-nous les mêmes remarques quant à la seconde des assertions, quant à celle qui dit que c'est le cerveau qui pense et que toute addition d'un élément spécifique, accomplissant cet acte, est une bien inutile superfétation ? Assurément non. Ici il ne s'agit plus d'une ignorance, temporaire ou défi- nitive, mais bien d'une impossibilité d'interprétation. Aucun de ceux ou de celles qui aujourd'hui, avec tant d'assurance, affirment qu'il n'y a plus de place pour une âme dans le cer- veau, aucun n'a jamais compris comment une machine, formée de pièces multiples et diverses réagissant les unes sur les autres, peut arriver à la conscience de son existence, à sentir, à souffrir, à jouir, physiquement et moralement; aucun ne l'a jamais compris et n'a produit l'ombre d'une explication sensée, car une telle explication est tout simplement une impossibilité.

Nouvelle Série. - ii" année. 2

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Ni la matière seule, telle qu'elle est conçue et définie par le matérialisme, ni la matière gouvernée par des forces aveugles partout répandues ne pourra jamais expliquer le sentiment de l'existence, la conscience d'eux-mêmes, que possèdent l'homme et les animaux supérieurs ; et ce n'est pas non plus dans telle ou telle partie d'un mécanisme constitué par la matière et les forces que peut résider ce sentiment De très grands penseurs ont dit que la matière peut se développer, s'organiser par degré, s'élever en titre et arriver à la pensée. Mais il est bien clair que si une telle transformation était effective, il en résulterait simplement que la matière cesserait d'être ce qu'elle est partout autour de nous, dans le monde physique. C'est d'ailleurs une des rares affirmations parfaite- ment correctes et vraies posées par le matérialisme, à savoir que la matière est toujours et partout identique en propriétés, dans notre cerveau aussi bien que dans le soleil qui nous éclaire-

Si tant d'esprits distingués, parmi les jeunes médecins, quittent le doute, naturel et légitime chez tout homme sensé., pour admettre l'affirmation négative absolue (que l'on me par- donne cet assemblage de termes si opposés), il faut en chercher l'explication dans des raisons assez diverses. Les unes reposent sur l'antagonisme violent qui, chez le jeune homme embrassant une carrière scientifique, celle de la médecine, par exemple, s'établit entre les assertions dogmatiques, historiques, légendaires, que sans preuve aucune on nous inculque comme vérités indiscutables, et les réalités que nous révèle l'étude directe de la nature et des faits. On nous avait habitués, de l'enfance à l'âge mûr, à accepter des affirmations sans preuves ; arrivés à l'âge de l'examen, nous tombons dans un excès con- traire et nous acceptons des négations sans preuves : c'est un travers de notre nature qui s'explique, sans toutefois se légitimer. Mais il est d'autres raisons plus puissantes qui interviennent et qui font pencher l'esprit vers la négation. Par suite des nécessités mêmes de la profession qu'il va

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embrasser, le jeune médecin est obligé de s'occuper surtout

de ces phénomènes physiologiques, pathologiques, qui,

chez tous les êtres vivants, semblent seuls se prêter à des interprétations mécaniques ou physiques, et l'étude des sciences physiques et exactes proprement dites, tout comme celle des phénomènes de l'ordre psychologique, intellectuel,

moral reste complètement à l'arrière-plan. Cette double

étude seule pourtant peut nous apprendre ce dont sont capables ou absolument incapables les agents seuls du monde physique. En m'énonçant ainsi, je crois rester dans la plus stricte vérité et ne blesser qui que ce soit. Ce sont les exigences mêmes de la profession médicale qui condamnent pour ainsi dire l'étudiant à négliger un ensemble de sciences dont la connaissance lui serait indispensable pour maintenir chez lui un juste équilibre entre les afhrmauons exagérées de certaines doctrines et les négations tout aussi exagérées des doctrines antagonistes.

Tout esprit sensé qui aura soin de maintenir en lui-même cet équilibre, arrivera toujours à cette conclusion :

Au-dessus des organes des sens et de la pensée se trouve nécessairement une réalité sentante et pensante, sans laquelle le mécanisme auquel elle est liée ne saurait lui-même fonc- tionner, réalité qu'aucun système n'effacera jamais de l'ordre des existences, quels que puissent être d'ailleurs son passé et son avenir. Et, beaucoup plus généralement encore, au-dessus des organes de n'importe quel être vivant se trouve nécessai- rement un élément directeur qui sépare radicalement l'être vivant le plus infime du rang des machines proprement dites.

Nous disons : quels que soient d'ailleurs son passé, son avenir.

Dans toutes les recherches, dans toutes les discussions concernant la nature des êtres vivants, et de l'homme en par- ticulier, on s'est toujours étrangement trop préoccupé du mode d'apparition de ces êtres sur notre terre. C'est ce qu'on ne saurait assez faire ressortir aujourd'hui.

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Contrairement à ce qu'on admettait autrefois, la chimie parvient à produire directement des composés qu'on croyait ne pouvoir être élaborés que par la vie : c'est ce qu'ont mis pleinement hors de doute les travaux de M. BerthcloL Qu'il me soit permis d'exprimer ici le regret que cet éminent chi- miste ait si brusquement abandonné une route qu'il avait si brillamment ouverte et il reste encore tant à découvrir, pour se livrer à des travaux qui, au lieu de génie, n'exigent que de la patience et de l'exactitude. Nous disons : la chimie sait produire des combinaisons semblables à celles qu'éla- borent les organes des êtres vivants. Mais ni la chimie, ni aucune autre science, n'a su encore produire tin organe, ou seulement la moindre cellule organique. Rien, absolument rien n'autorise à affirmer qu'il puisse, au sein de la nature, et par la réaction réciproque des seuls éléments du monde phy- sique, se produire, non un être vivant, mais seulement la moindre des cellules organiques. Les générations, dites d'ail- leurs fort à tort, spontanées, les générations sans germes antérieurs, tour à tour niées et affirmées avec emportement par les diverses écoles, peuvent être considérées aujourd'hui comme classées, non au rang des impossibilités, mais au rang de phénomènes qui ne se sont jamais produits jusqu'ici, du moins sous la forme que leur assignent les systèmes (Pasteur).

Jusqu'ici non plus, et en dépit de toutes les affirmations des systèmes préconçus, il n'est démontré le moins du monde qu'un être vivant de telle espèce puisse, par des modifications successives, donner lieu à des êtres d'espèces absolument dif- férentes. Tout ce qu'est parvenu à prouver l'un des plus grands et en même temps des plus honnêtes naturalistes de notre temps, dont le nom restera attaché à la doctrine du transfor- misme, tout ce qu'est péniblement parvenu à prouver Darwin, c'est que le nombre des espèces primitivement admises en histoire naturelle, est moins grand qu'on ne le supposait.

Mais faisons un pas immense. Admettons, contre toutes les

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probabilités, qu'un germe vivant puisse, au sein de la nature, se produire sans germe antérieur. Admettons que, par suite d'influences d'une sorte ou d'une autre, une espèce puisse réellement donner lieu à une espèce tout à fait différente en apparence. Résultera-t-il de là, d'une part, que la vie organique soit le résultat des forces ordinaires du monde phy- sique, ou d'autre part que l'élément animique de tel être ait été le même que celui de l'être d'espèce différente auquel il a donné lieu V - C'est bien la conclusion que l'école matéria- liste et tous les laïques sans distinction tireraient de ces deux ordres de faits. Et c'est pourtant aussi, on ne saurait assez le faire ressortir, la conclusion la plus étrangement arbitraire qui se puisse imaginer.

L'être vivant, l'humble violette comme l'homme de génie, doit être considéré en lui-même et en ce qu'il est actuelle- ment : dans le connu, en un mot, et non de ce qu'il a été ou dans ce qu'il sera, c'est-à-dire dans Yinconmi. Aucun raisonne- ment sérieux ne peut prouver, aucune vaine argutie ne peut faire accepter de l'imagination, qu'une machine soit capable d'élaborer la pensée. Le penseur est ce qu'il est Qu'il sorte d'un peu de fange, comme le disent les poètes et les sots (les extrêmes se touchent), ou qu'il descende d'un singe, il n'en reste pas moins ce qu'il est : un élément supérieur anime actuellement son organisme terrestre. Les personnes qu'effa- rouche tant une origine simiale, feraient bien de se rappeler, mais tout à rebours, les vers d'un rimeur célèbre :

Mais la postérité d'Alfane et de Bayard,

Quand elle n'est qu'une rosse, est vendue au hasard.

Se croire un être déchu ou même dénué d'âme, parce qu'on sortirait d'une autre espèce vivante de degré inférieur, serait en vérité aussi absurde et puéril que de se croire un être supérieur en vertu de prérogatives nobiliaires, parce qu'un ancêtre, il y a trois cents ans, a acquis le droit d'attacher une particule à son nom !

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Si un être vivant quelconque pouvait se produire effective- ment au sein de la nature, sans germe antérieur, si l'espèce humaine était en effet une modification graduée d'une espèce de singe, il n'en résulterait nullement que cet être serait dénué d'un élément animique absolument distinct des forces du monde physique, il n'en résulterait nullement que l'homme serait un singe perfectionné; il faudrait simplement en con- clure que la puissance créatrice procède autrement que nous ne l'admettions, et qu'ici encore, comme en bien d'autres points, nous l'avions faite un peu trop à notre image. Certains laïques seraient obligés de s'en accommoder, comme ils ont le faire du mouvement de la terre, qui passait aussi pour essentiellement hérétique. 1

Tout ce qui touche, non pas à l'origine même des êtres vivants, mais seulement à l'arrivée sur cette terre de chacun d'eux, petit ou grand, humble ou sublime, est enveloppé d'un profond mystère, contre lequel se briserait la foi du croyant le plus fervent comme les raisonnements de l'esprit le plus sceptique, si l'on se donnait la peine d'y songer. Dans cette nuit si sombre, le bon sens et la raison cependant posent au moins quelques jalons, que bien dos personnes semblent à plaisir perdre de vue, et dont, en tous cas, elles ne se préoc- cupent nullement

Dès qu'il est question de la succession des êtres vivants, de celle des animaux supérieurs, ou de l'homme, par exemple, on se tient pour satisfait, on croit toute difficulté mise de côté, en admettant qu'il a été créé une paire primitive de chacun . Nous sommes habitués à voir ces êtres se reproduire et s'ac- croître ainsi en nombre, comme nous sommes habitués à voir les corps pesants tomber : nous trouvons les deux genres de

1 II me sera sans doute permis de renvoyer à ce que j'ai dit sur cette grande question dans mon analyse élémhntairr dr l'univers; elle est traitée presque sous forme élémentaire dans la Cinquième Esquisse.

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phénomènes très naturels. Cependant, en y regardant d'un peu près, nous sommes bien obligés de reconnaître que nous ne comprenons ni l'un ni l'autre. En ce qui touche k la vie, il ne nous est en définitive pas plus facile de concevoir la naissance de chacun de nous en particulier que la création de la paire primitive à laquelle nous recourons pour tout expliquer.

En donnant le jour à ses semblables, l'homme est le motif déterminant de deux phénomènes, l'un organique, l'autre psy- chologique que l'on ne peut toutefois disjoindre que nomina- lement: la formation d'un organisme semblablo au sien, l'arrivée en ce monde ou du moins la manifestation nouvelle d'un élément animique, semblable aussi au sien.

Dans le phénomène organique, les parents ne sont que le motif déterminant initial, et ce n'est qu'à ce titre que leur volonté intervient, une fois pour toutes. L'impulsion étant donnée au germe, lo développement se fait à l'insu et indé- pendamment de la volonté de la mère elle-même, qui ne fait que fournir les éléments nécessaires, tirés par elle du monde externe.

Les parents, en tout cela, ne créent rien du tout: ils four- nissent au germe et puis au nouvel êtro les éléments, plus ou moins bien préparés, qu'ils tirent du milieu ambiant, et le nouvel être lui-même ensuite se développe à l'aide des élé- ments de ce milieu qu'il restituera un jour intégralement

Dans le phénomène psychologique, les parents encore ne sont que le motif déterminant de l'arrivée d'une unité ani- mique, ou beaucoup plus correctement en toute hypothèse, de la manifestation nouvelle d'une telle unité. Nous ne créons rien du tout non plus en ce sens. Il faudrait en vérité être fou d'orgueil pour s'imaginer que nous créons une ftme ! Et d'un autre côté, ce serait se faire une idée étrange de notre propre unité animique que de la croire subdivisible: autant vaudrait la nier du coup !

En un mot, ni organiquement, ni psychologiquement, nous

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ne créons quoi que ce soit. Lorsque, avec fatuité, nous nous disons les auteurs de nos enfants, cette expression demande à être comprise dans un sens bien différent de celui qu'on y attache en général.

Nous disons que le phénomène de la continuation des êtres vivants est double, sans que pour cela on puisse le disjoindre. La marche du développement des animaux et de l'homme, les phases par lesquelles passe successivement chaque nouvel être, ont été admirablement étudiées, quant à la forme. Le pourquoi et le comment sont ténèbres pour nous. Ce qui est certain, quoi qu'en puissent dire toutes les écoles de négation, c'est que l'ensemble des forces du monde physique est abso- lument insuffisant pour rendre compte du développement du plus minime des organes.

Organiquement et physiologiquement, les parents servent en quelque sorte de moule à leurs descendants, mais seule- ment d'une façon partielle. Ils leur lèguent, dans de certaines limites, leur propre conformation, leurs défauts physiques, leurs maladies: et ici s'établit une responsabilité terrible chez l'être qui occupe le sommet de l'échelle et qui est doué du sens moral. L'être nouveau, une fois indépendant do ses parents, se développe plus ou moins bien, subit l'influence du milieu ambiant, du régime auquel il est soumis, du genre de vie qu'il mène, volontairement ou involontairement Le moule des êtres futurs se modifie ainsi plus ou moins. Quelle est la limite réelle de ces modifications? est la grande question en litige.

Les défenseurs de l'unité de l'espèce humaine écartent déjà assez les limites : du Lapon au nègre du Congo, du blanc civi- lisé à l'Australien, la marge est grande ! En admettant une pareille marge, ne donne-t-on pas réellement gain de cause aux transformistes?

La science décidera-t-elle un jour de quel côté est la vérité, ou comme cela est beaucoup plus probable, le problème

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échappc-t-il par sa nature même, à son pouvoir? Cela est bien moins important qu'il ne semble à la foule des laïques.

Un être vivant quelconque, l'homme tout en tête, ne pou- vant rien créer, et ne pouvant devenir ce qu'il est que, moyennant les éléments déjà disponibles, il est évident qu'il ne peut y avoir de transformation dans le sens qu'on y attache en général. Une âme humaine ne peut descendre d'une âme de singe. Fût-elle une âme d'un degré inférieur, appelée à s'élever par son passage en ce monde, qu'elle ne descendrait pas à proprement parler d'une autre. Elle en serait, non une autre perfectionnée, mais à perfectionner, ce qui est bien différent.

On peut faire et l'on a fait effectivement des milliers et des milliers de suppositions sur la création de ces unités animiques (je ne dis plus même hypothèses, car une hypothèse, fausse ou juste, affecte du moins un caractère scientifique, tandis qu'ici tout ce qu'on peut imaginer, de juste ou de faux d'ailleurs, sort absolument du domaine scientifique). Ces suppositions ne peuvent nuire au progrès, pourvu qu'une fois qu'on en a admis une, on reste conséquent avec soi-même.

Si, par exemple, dans le principe animique et vital, on admet la persistance des espèces, on peut, et en ce qui concerne l'homme, faire deux suppositions principales : ou la Puissance créatrice se manifeste à la naissance de chacun de nous ; ou, comme pour les autres éléments constitutifs de l'Univers, elle s'est manifestée une seule fois, et alors chaque unité distincte attendrait, sous une forme ou une autre, le moment elle doit être appelée à apparaître en ce monde. (Je ne rappelle que pour mémoire une troisième supposition, exprimée en entier par le seul mot de métempsycose. Elle n'est de fait qu'une variante de la seconde). J'ai, dans cet exposé, évité soigneusement toute question de dogme : il m'est impossible cependant de ne pas faire une exception ici. Le spiritua- lisme chrétien moderne est bien obligé d'adopter l'une ou

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l'autre des suppositions précédentes; et pourtant, comment alors les concilier avec le dogme de la chute de l'homme? Admettre que les âmes créées toutes à la fois sont tombées toutes par la faute d'une seule, ou que pendant des milliers d'années, en raison de la faute d'une seule, la Puissance créa- trice n'a plus produit que des âmes déchues, c'est, en vérité, donner au Créateur un caractère de férocité qui n'est guère atteint que par quelques-uns d'entre nous. Puisqu'il est donc absolument nécessaire de faire Dieu à notre image, choisissons du moins mieux celle-ci! Cette réflexion, qui tombe sous le sens, devrait être, ce semble, un terrible appel à la tolérance, pour certains laïques qui ont la parole si haute et si impé- rieuse en matière de dogmes théologiques.

Si, au contraire de la supposition précédente, on admet quo l'unité animique de chaque être vivant est perfectible, ce qui, faux ou vrai, ne heurte ni notre bon sens ni notre conscience, on comprend qu'à chaque degré de perfectionnement du prin- cipe vivant puisse et doive correspondre un organisme plus élevé aussi.

Je le répète, il ne s'agit en tout cela que de suppositions, dont l'une ou l'autre peut être juste, mais qui n'ont qu'une importance relative, en ce sens, qu'elles peuvent heurter ou flatter telle ou telle idée préconçue, absolument étrangère à la question de la durée indéfinie de notre existence après cette vie. Nous n'avons à nous y arrêter qu'à un point de vue unique, mais essentiel.

En toute hypothèse, une loi inexorable de morale domine tout l'ensemble des suppositions qu'il peut nous plaire de faire. L'organisme de l'être vivant pouvant être considéré comme l'instrument nécessaire, en ce monde, à la manifesta- tion de l'élément animique, il est visible que cette manifestation sera facilitée ou entravée, selon le degré d'appropriation de l'instrument aux fonctions auxquelles est appelée l'unité ani- mique. C'est, dans lo cercle tout pratique et expérimental, ce

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que chacun de nous n'apprend que trop souvent à ses dépens, sans qu'il puisse, hélas ! y remédier. Qu'on admette la fixité des espèces ou qu'on soit transformiste, il est incontestable ainsi que nous l'avons déjà dit, que, dans des limites plus ou moins étendues, nous transmettons notre conformation phy- sique, nos défauts, nos maladies à nos descendants.

Nous préparons en un mot, que l'on me pardonne la familia- rité de l'expression, un logis et un outil plus ou moins commode à ceux qui nous succèdent A ce seul point de vue déjà, une responsabilité formidable incombe à l'être qui a le sentiment du devoir. Combien pourtant méconnaissent ou oublient cette responsabilité, et, au lieu de l'amour, ne méritent plus que les malédictions de ceux à qui ils donnent le jour! Que nous ayons ou non occupé un degré inférieur dans une existence antérieure à celle-ci, toujours est-il que dans cette vie nous sommes des êtres perfectibles, et qu'il est par suite de notre plus impérieux devoir de perfectionner sans cesse. De ce devoir encore naît une responsabilité dont il est difficile de donner la mesure. Quelques personnes, je le sais, se font une espèce de mérite de soutenir que l'homme n'est perfec- tible qu'individuellement, que les progrès de chacun de nous ne s'héritent pas par transmission et sont perdus pour ceux qui nous suivent, qu'un homme de génie était identiquement le même en puissance à quelqu'époque de l'histoire qu'il ait apparu, qu'ainsi, par exemple, Aristote eût pu faire absolument les mêmes découvertes que Newton, s'il avait eu

sous main les éléments dont a disposé celui-ci Il suivrait

de qu'il a pu exister parmi les peuplades barbares primi- tives des génies comme Newton, Beethoven, Shakespeare,

Michel-Ange qui ont passé inaperçus, uniquement parce

qu'ils n'avaient pas sous main les éléments nécessaires à leur manifestation. Il me semble qu'il suffit de poser un tel énoncé pour montrer qu'une telle opinion est le paradoxe le plus monstrueux qui puisse passer par la tête d'un homme de

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cœur et d'intelligence : disons bien plutôt qu'il faut manquer des deux pour concevoir seulement la possibilité d'une pareille énormité. Il tombe, au contraire, sous le sens que l'intelligence humaine est en tout point perfectible, non seulement dans chaque individu, mais encore dans toute l'espèce. C'est, en vérité, se faire la partie trop belle que de décliner toute res- ponsabilité quant au degré moral et intellectuel de ceux qui nous suivront ! Que nous ayons eu ou non une existence anté- rieure à celle-ci, rien n'est changé pour cela à la responsabilité qui pèse sur nous en ce monde-ci.

On a discuté et disputé à perte de vue sur cette question d'une vie antérieure. Il est clair que si elle était résolue dans le sens affirma tif, nous n'aurions plus de doute à concevoir, quant à la continuation indéfinie. Mais si cette vie antérieure avait eu lieu en des êtres organisés comme ceux que nous connaissons, il est tout aussi clair que ce ne serait plus que d'une perpétuité qu'il s'agirait, et non d'une immortalité comme celle à laquelle nous aspirons. Privés du souvenir de la vie antérieure, nous constituerions de fait des êtres nouveaux, non responsables de ce qui est au passé. On a objecté cela mille fois, et toujours avec raison, à la doctrine de la trans- migration des Ames. Ce qui est bien clair aussi, c'est qu'une, pareille discussion sort complètement du domaine de la science proprement dite. Nous n'avons pas à nous y arrêter un ins- tant. Nous devons bien plutôt répondre à une objection, en apparence très grave, que font à la notion d'une vie future toutes les écoles de négation sans distinction.

De quel droit, dit-on, soutenir qu'un être qui a un commen- cement n'a pas aussi une tin? Nous n'avons nulle conscience, nul souvenir d'un état antérieur; chacun de nous est nouveau- venu ici-bas, sinon comme substance, du moins comme être ayant le sentiment de lui-même. De quel droit admettrions- nous dès lors que nous devons durer avec le souvenir du passé ?

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Cette question, fort heureusemeut, est pleinement du domaine de la science; la négation qu'elle implique est pure- ment spécieuse, et dérive, nous allons le voir, d'une fausse conception du temps et des rapports du nui et de l'infini.

Arrêtons-nous d'abord à une remarque critique digressive, comme plusieurs déjà se sont présontées à nous sur notre chemin. Chose étrange, les doctrines de uégation et les doctrines réputées les plus orthodoxes se rencontrent et posent une même négation, mais quant à deux éléments dis- tincts. Les secondes tiennent la matière et l'Univers entier pour finis, mais l'âme humaine pour immortelle. Les premières déclarent au contraire la matière comme infinie en espace et en durée; quant à l'élément animique, il est simplement nié. Ainsi qu'en bien d'autres points, il y a du moins chez ces der- nières, au milieu de l'erreur même, un caractère logique qui fait absolument défaut chez les premières.

En tout premier lieu, en effet, il n'est pas facile de deviner en quoi il peut être plus orthodoxe d'admettre que l'Univers est borné en étendue, que le nombre des étoiles, des mondes éparpillés dans l'espace est fini, que les mondes auront néces- sairement une fin, que d'admettre en tous points l'opposé. L'observation directe, cela est bien évident, ne peut pas nous appreudre si les mondes sont bornés dans une certaine éten- due de l'espace infini ; mais elle nous apprend du moins que l'étendue occupée par les étoiles grandit avec la puissance do nos instruments d'observation, et il n'y a dès lors aucun motif plausible pour admettre qu'il y ait une limite quelconque à cet agrandissement. En ce qui concerne la durée, on ne voit pas non plus pourquoi la matière et la force doivent avoir une tin parce (/«'elles ont eu un commencement, tandis que l'âme doit être immortelle bien qu'elle ait eu un commencement. Ce sont certainement des affirmations qui n'ont absolument rien de commun avec une foi religieuse quelconque.

En second lieu, et c'est ici surtout le côté le plus paradoxal

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de telles assertions, comment ceux qui, avec raison, admettent que la substance en général (matière, force, élément vital) a eu son origine dans un acte de la volonté toute puissante, osent-ils soutenir que cette même volonté doive nécessaire- ment détruire ce qu'elle a produit? N'est-ce pas se substituer encore une fois au Créateur, sans aucune excuse plausible? Il nous semble qu'une prétention aussi audacieuse, loin d'avoir un caractère d'orthodoxie, touche de très près au blasphème !

Un très grand nombre de personnes, aussi bien parmi les hommes de science que parmi les laïques, pensent que ce qui a un commencement a nécessairement une fin; et de beau- coup concluent que puisque notre vie commence, elle doit aussi finir.

Au point de vue scientifique, cette opinion est doublement erronnée. En géométrie et dans l'ordre idéal, il existe plusieurs lignes courbes à équations parfaitement définies, qui ont un commencement et dont le développement est infini. Celle, par exemple, que décrit l'extrémité libre d'un fil qui est enroulé autour d'un cylindre, et qu'on déroule en la tenant tendue, la développante du cercle est dans ce cas : elle commence sur le cercle générateur et, aucune limite n'étant imposée à la longueur du fil, elle est idéalement infinie dans son développement. Dans l'ordre idéal donc, l'assertion est fausse. Dans le même ordre, mais à un point de vue bien plus élevé, l'assertion est plus erronée encore, s'il est possible, et repose, comme je l'ai dit, sur une fausse notion des rapports du fini et de l'infini. Pour bien des personnes, l'infini est simplement ce qui, en grandeur, dépasse tout ce que nous pouvons nous figurer : d'où il résulterait que si, dans l'infini ainsi conçu, nous plaçons soit un commencement de date soit un point de départ en étendue, il existerait un rapport de grandeur entre ce qui va avoir lieu et ce qui a eu lieu antérieurement. Mais cette manière de voir est mathématiquement fausse. L'infini, si une expression presque familière est permise,

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l'infini est en quelque sorte le contenant du fini, soit en temps soit en étendue, et tandis que l'idée de mesure est inséparable de ce dernier, elle est au contraire étrangère au premier. L'infini, en un mot, n'est pas le fini amplifié au delà de toute imagination, il est autre en espèce et en nature : je l'ai dit dès le début, je le répète avec intention. Entre ce que va devenir, en espace ou en temps, ce qui commence, et ce qui a eu lieu idéalement antérieurement, il n'y a donc pas de rapport nécessaire.

Ce que nous disons des choses de l'ordre idéal, est vrai, et à bien plus forte raison de celles de l'ordre réel, de ce qui a

une existence effective. La matière, la force, l'âme ont

été créées ou existent par elles-mêmes. Dans ce dernier cas, leur existence est un état qui n'a plus rien de commun avec une mesure quelconque en durée. Dans le premier cas, le seul admissible par la raison et un raisonnement correct, ce qui précède leur existence n'est pas une durée non plus; leur existence est aussi un état et non un phénomène ; elle peut durer ou ne pas durer, selon la volonté de celui qui les a fait être, cela est bien évident; mais du fait même d'un commen- cement, il n'y a absolument rien à arguer contre la durée infinie. Au moment même elles reçoivent l'être, elles sont comme si elles avaient toujours été, et il n'y a aucune raison imaginable pour dire a priori qu'elles doivent cesser d'être.— Les personnes qui croient à l'extinction nécessaire de ce qui a eu un commencement, confondent visiblement un état avec un phénomène. Notre vie organique est un phénomène des plus transitoires, nous le savons tous, mais nous n'y songeons pas assez. Il nous est donné en naissant, comme une somme finie d'activité et d'action à dépenser; nous pouvons à notre gré dépenser pour le bien et pour le mal, physiquement et moralement; nous pouvons même sommeiller, et laisser la dépense se faire à notre insu; mais quand elle est opérée, la vie organique cesse. En ce sens même toutefois, et l'on ne

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saurait assez le mettre en relief, la comparaison qu'on fait si souvent de l'être organisé avec une machine est fausse. Dans une machine, les pièces mouvantes s'usent par le frottement et finissent par se briser ou s'enrayer, si le travail persiste trop. Dans l'être vivant, une semblable usure n'existe pas. Notre sang, nos muscles, nos os se renouvellent conti- nuellement; quand les éléments constitutifs d'un de nos organes, d'un de nos membres cessent, par une raison ou une autre, de se renouveler, cet organe, ce membre est perdu pour ses fonctions. Ce qui s'épuise ici visiblement et uniquement, c'est précisément la puissance d'organisation, de réparation, d'élimination des éléments nuisibles. Ici même toutefois, il n'y a aucune marche régulière, aucune similitude d'un individu à l'autre quant aux organes dans lesquels cette puissance plastique semble s'épuiser. Un tel conserve presque toute sa force musculaire; un autre conserve ses sens inaltérés; un autre conserve l'intégrité de son cerveau, qui reste fidèlement au service de l'âme pour penser. Quoiqu'il en soit, la confusion dont je parle est manifeste. La vie organique est transitoire, mais les éléments qui y concourent ne le sont pas nécessaire- ment : ils peuvent l'être ou ne pas l'être, et nous ne sommes nullement en droit de décider a priori ce qui en est. Ainsi que nous l'avons fait ressortir avec force dès le début, un abîme sans fond sépare le laïque de L'homme de science, et en sens bien opposé de ce qu'on eût pu croire, quand il s'agit de l'existence des êtres. Les laïques, dont un grand nombre tient pour impie tout homme qui doute, admettent sans difficulté et sans scrupule, que ce qui est peut cesser d'être, qu'une âme animale peut s'éteindre comme un fiambeau. L'homme de science sensé, à qui l'éternel doute a été donné comme éternel stimulant, ici cesse de douter : pour lui ce qui est, ne peut cesser d'être spontanément.

La science moderne démontre, non certes l'existence de Dieu, mais, ce qui équivaut en tous points, elle démontre la

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non-éternité de la substance en général, qui forme l'Univers :

matière, force, âme elle démontre l'existence de

l'élément animique d'une manière indirecte, mais équivar lente à toute démonstration directe, en montrant que les éléments du monde physique sont absolument insuffisants pour donner lieu aux phénomènes du monde vivant. La durée indéfinie de ce qui a une fois reçu l'être forme pour elle un axiome. En ce monde, l'élément animique qui constitue notre être pensant forme une unité bien définie; et c'est même, pour vrai, à cette unité que chacun de nous tient le plus. Il nous est logiquement permis d'admettre que l'âme possédait ce caractère d'unité au moment de son entrée dans l'orga- nisme et qu'elle le conservera à sa sortie. Mais quelle sera sa manière d'être, sa forme nouvelle? Qu'on le remarque for- mellement, je dis sa manière d'être, je ne dis pas sa destinée. Ce sont deux ordres de questions absolument distinctes. La première est du domaine de la critique scientifique, que la science puisse d'ailleurs ou non la résoudre; la seconde est absolument en dehors de ce domaine: son étude doit être l'objet essentiel des réflexions de tout être qui pense et qui veut rester en paix avec lui-même.

La première question est du domaine de la critique scienti- fique, en ce sens qu'elle concerne Tordre des faits qu'étudie la science; mais la science peut-elle la résoudre V Tout savant sincère répondra certainement que non.

En ce bas-monde, savants aussi bien que laïques, croyants sincères aussi bien que sceptiques incurables, spiritualistes aussi bien que matérialistes, nous n'arrivons tous à la notion du monde externe que par l'intermédiaire de nos sens; nous ne pensons qu'avec l'aide du cerveau. Toutes nos idées, toutes nos pensées les plus immatérielles reçoivent l'empreinte des instruments à l'aide desquels nous les formons. Cette empreinte certes varie en profondeur, selon l'éducation que nous nous donnons, selon les efforts plus ou

Nouvelle Série. li" année. 3

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moins grands, plus ou moins soutenus que nous faisons pour nous en affranchir, mais elle ne peut être effacée chez per- sonne entièrement

Chez les personnes qui s'abstiennent de tout effort pour s'élever au-dessus des notions de pure sensation, qui ne s'exercent pas de bonne heure à mesurer en quelque sorte l'influence troublante de nos instruments de perception, cette empreinte est telle que certaines notions deviennent impos- sibles. C'est indubitablement à une raison de ce genre qu'il faut attribuer les discussions interminables qui ont eu lieu et qui ont lieu encore en mathématiques, par exemple, sur l'interven- tion ou la non-intervention de l'infini dans cette science. C'est encore à cette raison qu'il faut rapporter la résistance qu'op- posent certaines personnes à la notion de force, à l'existence d'un élément qui échappe à toute perception directe, et que, par une paresse d'esprit invétérée, on ne peut plus même conce- voir comme une réalité. On substitue des atomes en mouvement incessant dans l'espace infini; on ne les voit, on ne les perçoit sans doute non plus, par la raison très simple qu'ils n'existent pas, mais on se les figure du moins, et tout semble clair dès lors. Enfin, et pour rester dans notre sujet, c'est sans aucun doute à cette raison qu'il faut attribuer l'obstination que mettent un grand nombre de personnes à nier l'élément ani- raique. Chez les esprits incultes, ce motif de négation se tra- duit souvent sous la forme la plus naïve et la plus risible : a J'ai assisté à la mort d un tel, je n'ai rien vu, rien entendu partir : pures inventions que tout cela! » Chez les esprits culti- vés et habitués à mieux se masquer, ce sentiment ne se traduit pas sous cette forme cynique; mais il n'en existe pas moins très vivace.

Ayons le courage de le dire, n'est-on pas en droit d'attribuer cette origine à une opinion qui est presque un article de foi dans le monde chrétien? Admettrait-on un seul instant que notre âme sera condamnée un jour à revêtir de nouveau son

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corps d'ici-bas, si l'on avait la plus légère idée de l'état d'une âme délivrée de ce corps? Une pareille opinion certainement relève du plus grossier matérialisme. En ce sens, hélas! les docteurs en théologie surenchérissent encore dans l'énoncé de l'idée matérialiste, en affirmant que ce seront les mêmes matériaux qui formeront notre corps futur, et qu'il doit, par conséquent, être interdit de brûler nos cadavres, comme si ces matériaux ne se renouvelaient pas incessamment pendant notre existence organique, et comme si d'ailleurs dans cette supposition d'une résurrection organique, il était plus difficile de rebâtir notre malheureux corps avec les éléments dispersés par la combustion qu'avec ces éléments dispersés par la décomposition putride !

Les notions que nous avens du temps et de l'espace ne sont certainement pas fausses, comme l'ont soutenu quelques phi- losophes, mais elles sont incomplètes; elles sont relatives à tout ce que nous observons ici-bas; elles portent l'empreinte de nos instruments de perception. Chez les esprits incultes, elles ont un caractère réellement obtus. L'esprit cultivé sent au contraire qu'elles pourront, en de certaines conditions, être autres que nous ne les concevons en cette vie; mais si exercé qu'il puisse être, notre esprit n'arrive pas à prévoir la forme réelle qu'elles auraient si nous pouvions nous détacher complètement de nos sens.

En un mot, et à un point de vue scientifique correct, nous ne pouvons rien affirmer, ni même rien concevoir, quant à la l'état futur de notre être séparé de ses instruments d'investi- gation. En raison même des notions incomplètes que nous avons du temps et de l'espace, tout ce qui a été écrit sur cet état futur, par les poètes, par les philosophes, par les savants, revêt un caractère de puérilité ou de haute fantaisie, qui, grâce il une forme littéraire brillante et émouvante, peut nous capter pour quelque temps, mais ne laisse jamais de traces définitives et profondes dans l'esprit. Les peintures ou les

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descriptions d'anges, de démons, de bienheureux, de réprouvés, que nous ont laissées les plus grands peintres, les plus grands poètes, quand elles tentent de s'élever au-dessus des formes humaines, au-dessus de l'anthropomorphisme, peuvent nous saisir pour quelques instants, mais nous font bientôt sourire. Ce qui y frappe, c'est la persistance de l'imagination à localiser, à donner des Jormesjinies à ce qui par son essence même se trouve, plus que probablement, en dehors des conditions finies de l'espace et du temps.

lia nature incomplète des notions que nous avons du temps et de l'espace non seulement nous empêche de nous faire une idée de l'état, du mode de manifestation de l'élément auimique dépouilléde ses instruments deperception, mais elle nous enlève même toute compréhension nette de ce qui pourra être pour nous un état de bonheur ou de malheur. La joie la plus pure, la plus élevée, n'existe, pour nous ici-bas, qu'à la condition de ne pas durer ou d'avoir même la douleur pour repoussoir. S'il est une infirmité humiliante, c'est que nous ne puissions pas même concevoir un état de félicité continu et toujours iden- tique. L'artiste, le poète, le savant, dans l'idéal de bonheur futur qu'ils se peignent, chacun à sa manière, introduisent tous, sans même s'en douter, la condition de changer sans cesse, de toujours avancer, de toujours s'élever. Un grand peintre, sur son lit de mort, recevait les encouragements d'un ecclésiastique, qu'il comptait parmi ses amis: « Songez, lui disait le prélat, que vous allez contempler Dieu face à face. » « Mais mon père, objecta le peintre, ne le verrai-je pas aussi de pronT.-'» Cette page dernière de la vie d'un artiste peut faire sourire et sembler ironique au premier abord. En y songeant pourtant, on ne peut qu'être frappé de la force avec laquelle elle fait ressortir une défectuosité de notre nature d'ici-bas.

S'il est un *ujet sur lequel l'imagination se soit donné libre carrière, c'est certainement dans l'invention des joies ou des peines qui nous attendent outre-tombe. Chacun a inventé des

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I.A VIE FUTURE ET LA SCIF.NCE MODERNE 37

plaisirs ou des supplices à sa guise ; chacun se bâtit arbitrai- rement un paradis pour lui, pour les siens, pour ceux qui partagent ses opinions, et un enfer pour les autres. Dans cette diversité, il y a peut-être une image éloignée, mais pourtant juste de la vérité. Et dans ces inventions d'ailleurs, il n'y a rien que de très innocent, et même de très légitime, pourvu qu'on se les réserve pour son propre usage et qu'on no prétende pas les appliquer inflexiblement à autrui, pourvu qu'on se rappelle que ce qui est le paradis pour l'un peut bien être le purgatoire pour un autre. Combien, hélas! prétendent étendre à l'autre monde l'intolérance dont ils font preuve en celui-ci. Rappelons-nous -les paroles de cet Incas, qu'un Espagnol essayait de convertir, d'abord par voie de douceur, en lui peignant les félicités d'en haut. « Y aura-t-il des Espagnols dans votre paradis? » « Eh! sans doute et surtout. » « Alors laissez moi aller en enfer. » Dans cette diversité d'inven- tions, qui est peut-être une image de la vérité réalisée ailleurs, notre esprit trouve du moins un moyen de surmonter quelques- unes des difficultés qui se dressent devant lui dès qu'il essaie de pénétrer du regard les voiles de l'avenir. Quelqu'ami qu'on puisse être de la concorde et des réconciliations, il ne nous est pas facile de comprendre comment Galilée, Jordano Bruno,

et tant d'autres pourraient en toute quiétude se côtoyer

avec leurs juges qui pourtant, par droit de profession, occu- peront, dit-on, les premières places. Il ne nous est pas facile de comprendre comment les persécuteurs d'ici-bas pourraient se sentir heureux h côté des persécutés.

La science est muette sur les mystères d'ouLe-tombe, sur la manière d'être, sur l'évolution future de l'unité animique, qu'il s'agisse de l'homme à qui a été accordé, quand il le veut, le domaine de la pensée pure, ou des êtres inférieurs sentant et aimant comme lui, mais n'ayant pas le pouvoir de s'abs- traire. Mais elle abolit définitivement sur l'autre rive l'idée du néant; à l'être qui a su s'affirmer dans le présent et dire;

38 IlEVUE d'alsace

« Je sens, j'aime, je pense, donc je suis, » elle dit : « Tu es, donc tu seras. »

La science nous conduit jusqu'à l'autre rive; mais elle ne saurait nous révéler notre destinée au delà. Sur la rive fatale, elle nous livre à notre conscience, au souvenir de notre passé, au sentiment de notre responsabilité. Ainsi que l'art, ainsi que la poésie, elle nous a été accordée comme un don, comme une faveur, pour nous faire comprendre la grandeur de notre mission, l'étendue de nos devoirs envers tous les êtres, ici-bas . Elle nous a été donnée comme un guide, comme un phare : elle ne peut nous servir d'égide, elle ne peut qu'aggraver notre responsabilité, si, par une misérable Vanité, par ambi- tion, par asservissement à une caste, nous changeons la lumière en ténèbres, le bien en mal. Malheur au poète, à l'ar- tiste, au savant, lorsqu'ils font servir leur inspiration, leur lumière à autre chose qu'à l'affranchissement de l'esprit et à la glorification du bien, du beau et du vrai.

G.-A. Hiux.

Colmar, août 1881.

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LA FAMILLE DE ROSEN

La famille de Roscn, qui a joué un grand rôle en Alsace pendant près de deux siècles et qui, comme Ton sait, s est éteinte en la personne de Madame Sophie de Rosen, veuve eu premières noces du duc de Broglie, et mariée, après que son mari eût péri sous la hache révolutionnaire, au marquis René Voyer d'Argenson, était originaire de la Livonie.

C'est vers 1.H40 que mourut la dernière descendante directe de cette illustre famille.

La maison des barons, puis marquis de Rosen, ne subsiste plus que par quelques branches collatérales fort éloignées, en Allemagne et en Russie.

M. Lehr, dans le bulletin de la Société pour la conservation des monuments historiques, a publié une fort intéressante notice sur la famille et les pierres tombales des Rosen se trou- vant dans l'église de Dettwiller.

Il n'est pas sans intérêt de recueillir tous les documents épars concernant cette famille; aussi avons-nous crû devoir sauver de l'oubli les notices suivantes.

Elles sont extraites d'un manuscrit in-folio de 74 pages portant le titre :

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REVUE D'ALSACE

INVENTAIRE

DES TITRES GÉNÉALOGIQUES ET HONORIFIQUES DE LA MAISON DE

ROSEN

et dans un cartouche à la plume surmonté des armes de Rosen :

INVENTAIRE

CONTENANT

LES DIPLÔMES, CHARTES

ET AUTRES TITRES ET ENSEIGNEMENTS GÉNÉALOGIQUES DE LA MAISON DE

ROSEN

de la branche de Kleinropp établie en France en général, ensemble les lettres- patentes, Brevets, commissions et provisions de charges et de Dignités militaires et de Chevallerie et autres titres honorifiques

de la d. maison et de chacun de ses membres en particulier

Inventoriés et mis en ordre par les soins de Haut et puissant Seigneur, Mcssire Eugène-Octave-Augustin,1 comte de Rosen et de Grammont, Marquis de Bollwiller, Baron de Conflandey, Seigneur de Herrenstein, etc., etc., Brigadier des Armées du Roi, Colonel du Régiment de Dauphiné I n f ' , etc.

FINI EN l'année MDCCLXIII.

1 Eugène-Octave- Augustin de Rosen, fils unique du marquis Armand de Rosen et dernier représentant mâle de la famille.

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LA FAMILLE DE ROSEN

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En tête du manuscrit se trouve un avertissement par lequel on fait observer que la maison de Rosen, particulièrement la branche de Kleinropp, était originaire et établie en Livonie, province du royaume de Suède, limitrophe aux états de l'em- pire de Russie et de ceux du royaume de Pologne, et le théâtre ordinaire des guerres de ces nations, par conséquent sujette à de fréquentes révolutions.

Il n'est pas possible, dit cet avertissement, surtout aux premiers de cette maison qui se sont établis en France et qui ont quitté leur patrie pendant leur jeunesse, d'amasser beau- coup de titres, mais encore de les apporter avec eux ni de les faire venir, d'autant moins que les aînés des familles sont toujours les dépositaires des archives et les conservent dans leurs terres.

On ne doit pas s'attendre par conséquent à trouver ici un de ces volumineux tas de papiers dont on fait tant de parades. Ceux insérés dans cet inventaire sont si authentiques et si respectables qu'ils sont plus que suffisants pour prouver l'an- cienneté et la pureté de la noblesse et de l'illustration de la Maison de Rosen.

Après cet aveu quelque peu naïf, il ne nous reste qu'à présenter, par ordre de classement, les documents les plus intéressants.

1.

Témoignage ou certificat du maréchal et du corps de la noblesse du duché de Livonie au bas de l'arbre généalogique de trente-deux quartiers du côté paternel et maternel de très illustre et généreux comte

Conrad de Rosen

seigneur héréditaire de Kleinropp et de Raiskum, pour lors lieutenant général et depuis maréchal de France, portant que ledit seigneur comte Conrad de Rosen est d'une très noble et très ancienne race, que suivant les annales mêmes du pays,

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42 REVUE D'ALSACE

dès les premiers temps du christianisme en Livonie (vers l'an 1200) les descendants de cette illustre famille furent admis au nombre des chevaliers; que depuis ils n'avaient jamais discontinué de servir sous les étendards de leurs rois; qu'ils avaient mérité par leur valeur de glorieux emplois, de très belles charges et des terres en commande ; qu'enfin ils avaient toujours fait des alliances d'une nobl se égale à la leur, comme le marquent les écussons de leur carte généalo- gique et que chacun des descendants, pour soutenir l'honneur de sa race, se crut obligé de joindre à l'éclat de son sang les solides ornements de la vertu et d'ajouter leur mérite per- sonnel au mérite de leurs ancêtres. Donné à Wenden, le 18° jour du mois de mars de l'année 1692.

2.

Autre attestation du comte Hartfer de Griffenbourg, séua- teur du royaume de Suède, maréchal de camp et gouverneur du duché de Livonie et de la ville de Riga, affirmant les faits ci-dessus.

Ce document constate encore que le chevalier Christian de Rosen, célèbre par les armes, est venu en Livonie vers l'an 1343 et a arraché cette terre avec les autres chevaliers de l'ordre équestre, des mains des idolâtres par divers sanglants combats; que ses successeurs, imitateurs de sa vertu, ont transmis l'honneur et la gloire de sa race aux dignes descen- dants de ses aïeux, non seulement par une bravoure, une fidélité et une prudence singulière qu'ils ont fait éclater sous les princes de Livonie, et surtout du Grand Gustave-Adolphe et autres rois de Suède.

(Ce certificat est daté de Stockholm, le 12 janvier lf>93.)

4.

Diplôme ou lettres-patentes de Charles XII, roi de Suède, de 1698, déclarant que les certificats de naissance de Conrad de Rosen sont conformes en toutes choses à la vérité.

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LA FAMILLE DE ROSEN

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6.

Extrait des titres produits par Conrad de Rosen, comte de Bollwiller, maréchal de France, nommé chevalier des ordres du roi, pour les preuves de sa noblesse faites par-devant M. le duc de Foix, pair de France, et M. le marquis d'Uxelles, maré- chal de France. Ledit Conrad de Rosen a été reçu chevalier après avoir prêté serinent entre les mains de Sa Majesté, à Versailles, le lundi matin, jour de la Purification, 1705.

7.

Copie des attestations données par Pierre I", czar de toutes les Russies, etc., etc., portant que les deux branches de la Maison de Rosen, l'une du feu général Rheinhold de Rosen, de Grossropp, et l'autre du feu général Conrad de Rosen, de Klein- ropp, toutes deux originaires de Livonie, sont de naissance à entrer dans tous les ordres de chevallerie.

8.

Procès-verbaux des preuves de filiation, légitimation et noblesse de N. Eléonor-Félix de Rosen pour être reçu cheva- lier de justice dans l'ordre de Saint-Jean de Jérusalem.

Arbres généalogiques N*» 12.

Arbre généalogique de Rheinhold de Rosen,1 lieutenant général des armées du roi, de la branche de Grossropp, parent et beau-père de M. le maréchal de Rosen, donné par les direc- teurs-conseillers de la noblesse immédiate de la Livonie.

Signé par neuf gentilshommes et donné à Riga, à l'hôtel de la noblesse, en 1715.

1 Rheinhold de Rosen, mort à son château de Dettweiler le 18 dé- cembre 1667, enterré à l'église de ce village, se trouve la pierre turaulaire. Sa première femme, Anne-Marguerite baronne d'Eppe, morte le 28 février 1665, est enterrée avec lui.

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REVUE D'ALSACE

13.

Arbre généalogique de Marie-Sophie de Rosen,1 fille de Rheinhold de Rosen et d'Anne-Marguerite d'Eppc, épouse de Conrad maréchal de France.

14.

Arbre généalogique de Conrad de Rosen, maréchal de France, tils de Fabien de Rosen de Kleinropp, et de Sophie de Meugden.

15.

Arbre généalogique de M. Rheinhold-Charles, fils de Conrad de Rosen-Kleinropp et de Marie-Sophie de Rosen-Grossropp .

No 18.

Copie simple d'un autre arbre généalogique de Demoiselle Louise-Jeanne-Charlotte de Rosen, fille de haut et puissant seigneur Anne- Armand marquis de Rosen, lieutenant général, et de haute et puissante Dame Jeanne-Octavie, comtesse de Vaudrey-St-Rémy, présentée au chapitre de l'Insigne Abbaye des Dames de Remiremont Du 4 mars 1741.

(Cette demoiselle était née en 1733.)

Contrats de mariages 1.

Contrat de mariage entre Messire Rheinhold de Rosen, colonel de cavalerie de l'armée des deux couronnes confédé- rées de France et de Suède, fils de Messire Otto de Rosen et d'illustre Demoiselle Anne-Marguerite d'Eppe. Passé à Strasbourg, en 1C37.

2.

Autre contrat de mariage entre le même et entre illustre Demoiselle Justine de Gernitz, passé à Saverne le 24 no- vembre 166G.

A ce document on a joint une transaction passée entre

1 Sa tombe se trouve à Dettwiller: morte le H octobre 168G.

LA FAMILLE DE HOSEN

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ladite Dame de Gernitz, d'une part, et les enfants du premier lit dudit seigneur Rhcinhold de Rosen. Du 31 mars 1668.

3.

Contrat de mariage entre Messire Rheinhold-Charles, comte de Rosen, colonel d'un régiment de cavalerie allemande, hls de Conrad de Rosen, comte de Bollwiller, chevalier, grand- croix de Tordre de Saint-Louis, général des armées du roi et mestre de camp, général do la cavalerie et depuis maréchal de France, et de défunte haute et puissante Dame Marie- Sophie de Rosen d'une part : et Demoiselle Marie-Béatrix- Octavie de Grammont. Du 10 mai 1698.

4.

Contrat de mariage entre Messire Armand marquis de Rosen, mestre de camp d'un régiment de cavalerie allemande, fils de Rheinhold-Charles comte de Rosen, lieutenant général des armées du roi, et de Dame Béatrix-Octavie née comtesse de Grammont, d'une part: et de haute et puissante Dame Jcanne-Octavie, comtesse de Vaudrey, tille de haut et puis- sant seigneur Messire Nicolas- Joseph comte de Vaudrey et Guierche de Grozon, baron de Saint-Rémy, seigneur d'Auche- noncourt, Chazel, Melincourt, Aillevillers, Le Vaivre, Cour- benay, Achey, Moutot, des deux Andelots, de Châteaurouillaux, Coges et autres lieux, et de haute et puissante Dame comtesse de Rottembourg ' d'autre part, avec les dispenses obtenues à la Cour de Rome. Ledit mariage célébré au château de Saint- Rémy le 24 juillet et ledit contrat passé au château de Bollwiller le 6 août 1731.

Testaments, Donations et Ordonnance de dernière volonté

1.

Donation faite par Conrad de Rosen, comte de Bollwiller, en faveur de Conrad-Edme de Rosen son petit-nls et tilleul,

1 Morte en 1749.

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46 REVUE D'ALSACE

fils de Rheinhold-Charles comte de Rosen, et de Marie- Béatrix-Octavie comtesse de Grammont, d'un contrat de constitution de rente de 30,000 livres de principal, etc., passé par-devant Remy, notaire royal à Isenheim, le 1" février 1702.

3.

Autre donation du même au même de la somme de 22,000 livres due au maréchal de Rosen par le comte de Grammont, Conflandey, etc. Du 28 mars 1703.

6.

Testament nuncupatif de feu Monseigneur le maréchal de Rosen, reçu par Schaub notaire royal en la ville d'Ensisheim, le 29 décembre 1704.

7.

Autre donation faite par mondit seigneur le maréchal de Rosen, au profit de ML de Bollwiller troisième fils de Messire Rheinhold-Charles, comte de Rosen, son fils. Du 11 juil- let 1714.

8.

Testament mystique et olographe de feu haut et puissant seigneur Messire Rheinhold-Charles, comte de Rosen, lieute- nant général, etc., etc. Du 20 mars 1742.

Inventaire. Pactes de famille, Traités et Partages de successions

1.

Traité et partage en langue allemande en original, 4 faite entre Sophie de Meugden, veuve de feu Fabien de Rosen de Kleinropp, d'une part: et Fabien, Otto, Maguus-Ernst et Con- rad de Rosen, ses quatre fils, d'autre part, des fiefs de Klein- ropp et de Raiskum faisant partie de la succession paternelle, et ce, du consentement des tuteurs et curateurs dudit seigneur.

Daté du château de Kleinropp, le 28 mars 1653.

1 L'original est entre nos mains.

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I.A FAMILLE DE ROSEN

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No 2.

Traité tenant lieu d'inventaire et partage de la succession de feue illustre Dame Marie-Sophie, née de Rosen, décédéo en 1686, 1 passé sous seing privé en langue allemande, entre haut et puissant seigneur Conrad de Rosen, son époux, d'une part, et ses trois enfants procrées avec ladite défunte Dame, savoir : Rheinhold-Charles, Anne-Jeanne épouse de Nicolas- Frédéric de Rothenhourg, a maréchal des camps et armées du roi, et de Marie-Sophie de Rosen, veuve de feu Messire Meinrad-Planta de Wildenberg, d'autre. A Strasbourg, le 15 mai 1699.

3.

Cession et transport de la susdite Dame de Planta en faveur dudit seigneur et de son frère et de ses sœurs, de sa part et portion de la seigneurie de Dettwiller, de l'hôtel de Rosen situé en la ville de Strasbourg. 15 mai 1699.

6.

Acte de résiliation en copie vidimée du traité de partage du 15 mai 1699, passé par-devant Rieden, greffier de Masevaux, entre mondit seigneur le maréchal de Rosen, et Dame Anne- Jeanne de Rothenhourg, née de Rosen, sa tille. Du 24 oc- tobre 1704.

1 Enterrée à Dettwiller, se trouve sa tombe. * Enterrés à Masevaux.

Voici les inscriptions tumulaircs qui se rapportent à la famille des Rosen. Inscriptions gravées sur table en marbre à l'église paroissiale de Saint-Martin à Masevaux, chapelle de gauche près l'autel de Saint- François-Xavier.

ICI REPOSENT LES H EST ES MORTELS DES COMTES DE 110SEN ET DE ROTHENROURG, ANCIENS PROPRIÉTAIRES DE I.A SEIGNEURIE UNIE DE MASEVAUX ET DE ROUGEMONT. I NTF.RRÈS EN PREMIER LIEU DANS I.Vx.LISE PAROISSIALE DE SAINT-MARTIN, SITUÉE JADIS SUR LE CIME- TIÈRE, TRANSFÉRÉS EN 178G DANS L'ÉGLISE SAINT-ERIIARD, EN 1800 DANS L'ÉGLISE DE L'ANCIEN CHAPITRE NOBLE DE CETTE VILLE. LEUR DERNIÈRE TRANSLATION A ÉTÉ FAITE DANS CETTE CHAPELLE EN 1842, CONFORMÉMENT AUX VŒUX DE LEURS HONORABLES ET NOBLES ALLIES.

Une pierre tombale trouvée lors de la démolition du haut-fourneau

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REVUE D'ALSACE

LIASSE D.

1.

Inventaire et description des meubles meublants, vaisselle d'argent et autres effets, dépendants de la succession de feu M. Anne-Armand, marquis de Rosen, trouvés dans la maison qu'il occupait à Paris et dans laquelle il est décédé, le 28 no- vembre 1749.

Lettres-patentes, Brevets, Commissions et Provisions de charges et de Dignités militaires, eto.

RHEINHOLD de ROSEN, de la branche de GROSSROPP, lieutenant général des armées du roi.

1.

Brevet de pension du roi Louis XIII, en original sur par- chemin, portant que voulant reconnaître les services rendus par le sieur de Rosen, colonel d'un régiment de cavalerie allemande, et lui donner moyen de soutenir les dépenses qu'il est obligé de faire dans les charges et principaux emplois qu'il

de Masevaux, a jadis couYiïr les restes dont il est question ci-dessus. Elle porte l'inscription suivante :

D. 0. M.

HIC RESSURECTIONEM EXPECTAT EXCEI.MS ET ILI.ISTRIS DOMINUS NICOLAIS-FREDERICUS, COMES DE R01HENB01 KG DOMINOS A BEUTNITZ, MASMLNSTER ET DETTWILLER , REGIS CHRISTIANISAI. MI CASTRORLM PRAEFECTUS QIT ANNO AETATIS SUPRA SEXAGESSIMA NONO AMMAM CHR1ST0 CONSIGNAVIT DIE Y1GESSIM0 APRILIS. ANNO 1716.

Sur l'autre partie de la pierre se trouve l'inscription suivante :

II.LUSTRI8 ET PIENTISSIMA UXOR SUA ANNA-IOHANNA COMITISSA A ROSEN CELSISS1MI DOMINI CONRADI A ROSEN QUONDEM FRANCI E MARE- SCHALLI SUPREMORl M ORDINUM REGIS CHRISTIANISSIMI CoMMENDAT- ORIS PRIMOGENITA CONJUGl BENF. MERITO APPONI ET HOC TUMOLI BLOOIOM CONSCRIBI CURAVIT, OBIIT

DIE 17 APRILIS ANNO 1727 REQUIESCANT IN PACF

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LA FAMILLE DE RÔSKN

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a pour le service de Sa Majesté, lui a accordé la somme de 12,000 livres de pension par chacun an durant la guerre, et lors de la paix Sa Majesté promet de lui faire assigner sur un domaine certain de son royaume, la même somme sa vie durante.

Donné à Saint-Germain-en-Laye, le 22 novembre 1639.

A cette pièce on a joint les lettres-patentes de Louis XIII, portant confirmation du don fait audit Seigneur Rheinhold de Rosen, par le duc Bernard de Saxe-Weymar, de la seigneurie de Bollwiller, Zillisheim et de la villette de Soultz au pais d'Alsace, appartenances et dépendances, etc., etc.

Donné à Saint-Germain-en-Laye, février 1640.

No 2.

Lettres de don du même monarque de la somme de 10,000 livres pour tenir lieu audit seigneur Rheinhold de Rosen de la rançon de major-général de l'armée impériale par lui fait prisonnier en la bataille de Rheinfelden en 1638.

Saint-Germain-en-Laye, 1640.

3.

Lettres-patentes de Louis XIV, accordées audit seigneur Rheinhold de Rosen, cy-devant général-major en l'armée du roi en Allemagne, et lieutenant général commandant sa cava- lerie, par lesquelles Sa Majesté l'a établi, constitué et ordonné sous-lieutenant général, représentant sa personne tant sur ledit corps de troupes qui sera tiré des armées de la couronne de Suède et viendra au service de Sa Majesté, que dans celui qu'il mettra sur pied, etc., etc. Du mois d'avril 1649.

5.

Lettres-patentes du même roi, par lesquelles ledit seigneur de Rosen est établi lieutenant général représentant la per- sonne de Sa Majesté en ses armées de la haute et basse Alsace, pour en cette qualité commander toutes et chacune

Nouvelle Seue. 11" aonée. 4

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rio

IIEVIE D'ALSACE

13s troupes, tant de pied que de cheval, françaises et étrangères qui y sont et seront cy-après, assiéger les places, les prendre par force ou composition, etc. Données à Gyen, le 15 avril 1652.

7.

Diverses lettres et mémoires concernant la discussion sur- venue entre M. le maréchal de Turenne et l'année suédoise commandée par Rheinhold de Rosen, aux environs de Saverne en 1648; pièces par lesquelles ledit général s'est justifié à la Cour, le traité conclu à ce sujet par les principaux officiers de ladite armée ensemble ses traités et capitulations faites avec la Cour. Instructions diverses, etc.

Nous avons été assez heureux pour trouver quelques pièces qui se rattachent à cette affaire. En voici en partie la copie ou l'extrait suivant auquel nous croyons y trouver un intérêt historique :

Relation de Madame la Lieutenande GénéraUe de Rosen.

Vostrc Majesté aura sans doute apris ce que depuis peu s'est passé en l'armée du Roy en Allemagne et comme le Lieutenant Gnâl de Rosen mon Mary retournant nouvellement de son emprisonnement de deux ans arriva à l'armée lors que ce malheur avait commencé il apporta tout son possible pour remettre la dicte armée en bon Ordre et ramener tout le monde à la dévotion et obéissance de vostrc Majesté. Ce nonobstant Monseig1" le Mareschal de Turenne, à je ne scay qu'el dessein et pour quel subject, l'a fait arrester et mener prisonnier à Philipsbourg. Ce qui m'a obligée toute éplorée de prendre la hardiesse de remonster à V. M. en toute humilité et deûe vénérenee la vérité, qui est de ma cognoissance en affaire; Monsseigncur le M*1 n'ayant en pre- mier lieu point tenu de rendevous selon qu'il est de coustume, n'y voulu payer le mois de gage promis, ains sans tenir Conseil de guerre ny leur parler et descouvrir son dessein, donne ordre de marcher sépa- rément et par divers endroits dans les montagnes, Cela les a rendus mal contents, donné mauvais soupçon et les fit ressoudre de s'assembler proche de Saverne pour entendre l'intention de M*1- le Mareschal, lequel au lieu de bon accueil que les officiers et soldats espéroient recevoir,

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LA FAMILLE DE ROSEN

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les traicta de fort rudes paroles et ce contre l'avis de mon Mary qui par d'instantes prières supplia mon dit Seigneur le MaI ne pas les traicter de tel façon ains de leur donner de bonnes paroles. Veu que Monseigneur le duc de Longueville n'y Mr le Mal de Guebriant (d'heu- reuse mémoire) ne les ont jamais traictez de la sorte et reconnaissans en Monseigneur le MAl le peu ou point d'affection, firent difficulté de marcher, ce nonobstant Monseigneur le Mal passa avec l'Infanterie contre Pfaltzbourg et de renvoya mon Mary avec Mr de Tracy et le vicomte de la Met pour tascher de les réduire et remettre en bon ordre, Lesquels n'y pouvons rien effectuer, Mes Seigneurs de Tracy et de la Met trouveront bon que mon Mary demeurast auprès des dits Régi- ments et autant que possible, les conserver et retenir dans le service du Roy ce qu'il fist, ou il recogneut avec grandissime regret qu'ils ne vouloient obéir n'y recognoitre leurs officiers et qu'ils étaient prest à se débander ; Néanmoins mon Mary avec de bonnes parolles, les ramena aucunement à leur devoir, mais ils faisoient grande difficulté de demeu- rer de deçà et vouloient de force repasser le Rhin, tirant de plus en plus la procédure de Monseigneur le Mal et les mauvaises paroles reçues de luy, ce que mon Mary a empesché tant qu'il a peu, aussy bien que de leur oster de l'esprit le faux bruit que les trois Régiments que le colonel Bambach a mené en France et le Régiment d'Erlach avoient été taillez en pièce par l'armée du Roy et qu'Eux y arrivants seroient traictez de mesme, ce qui les a tellement opiniastrez qu'ilz n'ont voulu demeurer du tout de deçà le Rhin ayant de leur propre authorité envoyé demander des batteaux à la ville de Strasbourg avec menace en cas de refus de brusler et mettre en totalle ruine leurs villages, Et sy mon mary ne leur en vouloit faire avoir le plus promp- tement qu'il pourroit qu'ils se débanderoicnt sans plus de délay et passeroient très aisément par tout ils voudroient. Mon Mary pré- voyant le grand malheur qui en pourrait arriver et qu'autrement on ne le pouroit conserver, fut contraint de s'y résoudre considérant que mieux valoit les conserver de delà que de les perdre deçà le Rhin, Et encore qu'il ait escrit à MM" de Strasbourg pour ce Subject qu'il fut force de faire, si est ce qu'en même temps, il leur envoya son Sécre- taire pour les prier de n'y consentir pas parcequ'il esperoit de les pouvoir encore ranger en de deçà comme les MM" en pouroient attester, mais se voyant frustré de son opinion et obligé de consentir au passage il leur fit avant que passer prester serment de demeurer et ne quitter le service du Roy, mesme de vouloir recognoitre leurs officiers comme cy devant. Ce qu'ilz firent, et ce nonobstant étans au delà du Rhin et

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RF.YUF. D*AUACS

ayant employé de tous costez tout ce qu'on à pu ilz sont demeurez opiniastrez jnsques à ce qu'à la tin, après une infinité de remonstrances tant de bouche que par escrit mon Mary ayant escrit à chaque Regimentà part pour les forcer à une résolution finale et ayant mesme fait exécuter deux des plus mutins en la présence des Regimentz, ils se sont résolus de faire tout ce qu'on leur ordonneroit, à la charge qu'on leur tiendroitee que Mr de Tracy leur avoit promis à Rastat comme mon Mary peut prouver par la responce des dicts Régiments qu'il garde en original. Et comme l'accord estoit faict de costé et d'aultre et qu'il ne manquoit que la seule signature pour laquelle effectuer mon Mary s'approchoit du Rhin que Monseig1" le Mnl Tenant à passer aussy pour mesme effect les trouppes en prennants de nouveaux ombrages commencèrent de rechef à se retirer de peur que Monseigr le M*1 ne les voulust charger comme ilz savoient qu'il avoit desjà eu auparavant le dessein, et encore que Monseigr le MM et mon Mary les suivirent et les rencontrèrent encore tous ensemble à Biel et à l'entour ou ilz ont parlé souventesfois avec eux, si est ce qu'à la fin Mon d' Seigneur le M donnant ordre aux officiers de loger dans certaines villes et les cavalliers mal contents en dehors avec deffences expresses aux officiers de ne les plus suivre n'y les prendre en leurs quartiers ainsi les laisser aller et ne s'en mesler plus, Telles procédures estant directement contre le pardon du Roy qui estoit peu auparavant publié à l'armée, ilz furent grandement irritez et encore plus mal contents entendant l'Arrest de mon Mary, toutes ces choses ont aussy esté cause qu'ils n'ont plus voulu se fier à la bonne volonté et confiance de leurs propres officiers, et combien que depuis ils se sont déclarez que moyennant la présence effective de Monseig* le Mareschal celle do mon Mary, du Général Major Fleckenstein et tous autres officiers auprès des Régiments, ils s'accommoderoient et continueroient dans le service du Roy, Monseig* le M*1 n'a voulu aggréer cette condition, au contraire sortit il le 25""° Juillet de Ileil- bron avec, cavallerie et infanterie et quelque pièces de canon à dessein do les charger et de les ramener par force à l'obéissance, qui est une chose très facile à juger que le service du Roy ne pourra jamais de cette manière estre avancé mais il est plustost à craindre, de les chasser entièrement et peut estre donner occasion qu'ils prendront service auprès du party contraire. Ce que Monseig* le M»' pouvait par le moyen du rendez vous et de ses bonnes grâces éviter, Mais voyant à présent qu'il a manqué il vent mettre la faute sur mon Mary, encore qu'il soit nottoire pour toute l'armée et à Monseig* le M"1 mesme qu'il ait faict tout son possible et n'ait rien espargné pour ramener les dictes

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LA FAMILLE DE ROSEN

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trouppes à leur devoir et qu'il est (J'appelle à Tesmoing Dieu et tous les officiers de l'Armée) entièrement incoupable, l'innocence duquel esclatera davantage quand V. Il lui fera la grâce de luy permettre qu'il se puisse jnstifier devant elle ou au moins devant des juges non prévenus de passions, partialité ny aucun intérêt particulier.

Pourtant V. M. est très humblement supplye de le faire délivrer de la prison afin que le moyen de sW justifier et de faire entendre à V. M. ses très justes et légitimes raisons ne luy soient ostées.

Voici maintenant la lettre adressée par Madame la maré- chale de Rosen à son Altesse royale, Madame la duchesse d'Orléans, à Paris:

Madame

Comme vostre Altesse Royale exerce toutes les vertus chrétiennes à un Souveraiu point, je prends la hardiesse de la supplier très humble- ment de vouloir employer celle de la pitié envers mon cher Mary, qui est détenu prisonnier en cette ville, depuis 4 mois, et qui s'étant justifié suffisamment de tout ce qu'on luy a voulu imposer, n'a autre recours pour sortir de cette misère qu'aux ames Religieuses et puissantes, pour obtenir sa délivrance, Il vous implore, Madame, et moy avec luy, qui vous conjurons tous deux de vouloir parler à Son Altesse Royale vostre cher Espoux à intercéder pour luy auprès de leurs Mayestez, afin que sa longue prison se change en une liberté, laquelle on ne lui peut denier par la justice de sa cause, corne il fait paroistre par la responce, qu'il donne aux poincts dont on la(stc) voulu charger, si je receois cette charité de la bonté de V. A. Royale je ne cesseray de publier en tous les endroits je me trouveray, qu'Elle est l'asile des affligez et de ceux qui sont opprimez innocemment corne anssy de prier Dieu inces- samment pour la prospérité de Vostre Altesse Royale corne estant

Madame Vostre très humble et très obeyssante servante

Anna Marqaretha von Rosbn geboren von Eppe

à Philipsbourg le 24m" 8br« 1G47.

Le document ci-dessous nous apprend qu'un mois après le général de Rosen était encore retenu prisonnier. Voici la

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REVUE D*ALSACE

lettre adressée à Son Altesse Monseigneur le prince de Condé, à Paris :

Monseigneur,

L'espérance que j'ay eu d'estre amené de Philipsbourg à Paris, me promettait d'avoir l'honneur de faire la révérence à V. A. et luy tes- moigner en effet la joye que je reço% maintenant de son heureux et désiré retour de Catalogne, mais le malheur m'a voulu (sic) que contre mon opinion j'ay été conduit et arresté dans la Citadelle de Nancy sans passer plus outre, ce non obstant, je n'ay pas voulu manquer de rendre mes devoirs à V. A. par celle cy, la suppliant très humblement de continuer sa bienveillance et grâce à une personne qui a fait de tout temps profession d'être son très humble Serviteur, Je ne désire pas d'entretenir V. A. du malheur qui m'est arrivé par un arrest pré- cipité de Mr le M*1 de Turenne dont tout le monde est imbu et le bruit espandu par tout, il est encore moins nécessaire de tesmoigner et faire paroistre à V. A. mon innocence estant assuré qu'elle aura une meil- leure opinion de mon innocence et n'adjustera pas foy aux accusations dont on s'efforce de me charger, Néanmoins, si V. A. me veut faire la grâce de prendre la peine de voir non seulement mon Escrit cy joinct, mais d'entendre aussi ce que mon frère lui pourra représenter de bouche, sans doubte mon innocence lui paroistra tout évidente, C'est pourquoy j'ai mon recours à la grâce et à la bonté de V. A. la suppliant très humblement de disposer leurs M10" et son Eminence, de m'accorder mon entière délivrance et première liberté ce qui m'obligera de demeu- rer toute ma vie

Monseigr de V. A. Le très humble, très obéissant et très obligé serviteur

R: von Rosen

A Nancy ce 27 9b" 1647.

En 1650 nous retrouvons le général de Rosen de nouveau investi de son commandement par un arrêté du Roi qui est ainsi résumé :

c Abolition accordée par le Roi Louis XIV pour le crime de Rébel- lion et de Désobéissance cy devant commis par les gens de Guerre, officiers et soldats tant de Cavallerie que d'Infanterie de quelque nation qu'ils soient, dont ils ont été coupables, pour s'être mutinés, avoir quitté le service du Roi saus congé et pris cellui de ses ennemis et ce

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LA FAMILLE DE ROSEN

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en cas qu'ils retournent à la solde de sa Majesté sous le Commande- ment du Sieur de Rosen Lieutenant Général de l'Armée du Roi en Allemagne.

« Donné à Rouen le 19 jour de février de l'année 1650. »

Un mois après, Feuquière lui adresse, de Verdun, la lettre suivante :

Monsieur,

Les ennemis sont retirés, n'attribuez pas silvousplait vostre déloge- ment à la faute du pont car je tous assure qu'il estoit impossible avec toute sorte de diligence que vous en poussiez servir devant ce jour d'hui au soir à cause des difficultés qu'il y a a passer les escluses. Je suis bien aise d'apprendre que nostre canon vous a servi selon mon dessein, si celui qui vous avoit donné le premier avis me l'eut dit en passant il aurait fait son devoir car si les ennemis n'eussent passé comme ils ont fait à la veue de cette place possible que je ne l'eusse pas sçeu assez tost car ils ont marebé fort viste, je vous supplie de vouloir espargner les terres de mon frère, je suis

Monsieur, vostre très humble serviteur FauQUièau.

A Verdun le 4™ mars 1650.

On sait que le général de Rosen, après sa détention à Nancy, qui dura près de huit mois, se justifia et fit si bien reconnaître son innocence, que le roi, par lettres-patentes du 15 avril 1652, lui donna le commandement en chef de la haute et basse Alsace, avec pouvoir absolu et étendu.

Il quitta le service bientôt après, et mourut le 18 décembre 1667 dans son château de Dettwiller.

14.

Mémoires historiques, relations de combats et batailles, notamment de celle de Zigenhain remportée par le général Rheinhold de Rosen sur la baron Bréda, lieutenant maréchal de camp général de l'empereur, le 15 novembre 1640.

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CONRAD de ROSEN, de la branche de KLE1NROPP, maréchal de France, cousin et gendre du précédent, est le 19 sep- tembre 1629, et marié à Marie-Sophie de Rosen, fille du précédent, le 3 février 1660.

L

Commission de mestre de camp d'un régiment de cavalerie allemande à lui accordée par le roi Louis XIV, datée de Paris, 20 novembre 1667.

4.

Commission de brigadier dans la cavalerie légère. Du 12 mars 1675.

N 7.

Lettres-patentes de Louis XIV, roi de France, par lesquelles ce monarque, en considération des importants services rendus par Conrad de Rosen, a donné et accordé à ce seigneur le revenu du domaine de la sénéchaussée de La Motte et Bour- mont, située en Bassigny, jusqu'à ce que ledit seigneur de Rosen soit rerais en la jouissance de ses terres en Alsace ruinées par les ennemis, etc., etc.

Données à Fontainebleau, le 25 septembre 1677.

8.

Commission de maréchal des camps et armées du roi. Du 20 janvier 1678.

N* 10.

Lettres de services en qualité de maréchal de camp.

Ce seigneur fut chargé de recevoir à la frontière Madame la dauphine, princesse de Bavière, en 1680. En 1681, il embrassa la religion catholique.

11.

Provisions de lieutenant igénéral des armées du roi pour ledit seigneur Conrad de Rosen, données à Versailles, le 24 août 1688.

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Li FAMILLE DE ROSEN

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12.

Commission en original en langue anglaise sur parchemin, signée et scellée en bonne forme, avec une traduction en fran- çais, de Jacques II roi d'Angleterre, par laquelle ce monarque établit ledit seigneur Conrad de Rosen, maréchal de camp général de toutes ses armées et troupes levées ou à lever dans le royaume d'Irlande, etc., etc.

Donnée au château de Dublin, le 6 avril 1689.

13.

Provisions de la charge de mestre de camp général de la cavalerie légère en faveur dudit seigneur, donnée à Versailles le 6 avril 1690.

14.

Provisions de grand'eroix de l'ordre de Saint-Louis, avec une pension annuelle de 6000 livres. Mai 1693.

15.

Don du roi audit seigneur de la somme de 200,000 livres. 1698.

16.

Provisions en original de maréchal de France, pour ledit seigneur, Conrad de Rosen. Signé Louis, et par le roi, Phili- peaux. Données à Versailles, le U janvier 1703.

19.

Extrait mortuaire de feu M. le maréchal, décédé dans sa terre de Bollwiller et enterré dans le caveau de sa famille en la paroisse de Feldkirch, le 3 août 1715.

N°* 20 à 28.

Divers paquets de lettres, correspondances de la famille, dont une partie a été enlevée ou brûlée par M. de Rosen même, comme l'indique l'annotation : « Brûlé la liasse 25, etc., et signé de Rosen »

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RHEINHOLD-CHARLES, comte de ROSEN, lieutenant général, fils du précédent, le 10 janvier 1866.

1.

Commission de capitaine d'une compagnie dans le régiment de cavalerie de Rothenbourg, donnée à Versailles le 23 dé- cembre 1682.

4.

Commission de lieutenant-colonel dudit régiment, donnée à Versailles le 12 août 161)3.

No 7.

Commission de mestre de camp du régiment de cavalerie allemande, ci-devant de Rottembourg, devenu vacant par démission, donnée à Versailles le 17 février 1696.

8.

Brevet de brigadier de cavalerie des armées du roi, donné à Versailles le 10 février 1704.

9.

Brevet de maréchal de camp, donné à Versailles le 20 mars 1709.

11.

Provisions de commandeur de l'ordre militaire de Saint- Louis, à la pension de 3000 livres par an que possédait M. de Vauban, accordées par Louis XIV.

Données à Versailles le 10 août 1715.

12-

Pouvoir de lieutenant général des armées pour ledit seigneur de Rosen, donné par le roi, à Paris le 1er octobre 1718.

No 13.

Extrait mortuaire portant que ce seigneur est décédé, au château de Bollwiller, le 13 juin de Tannée 1744, et inhumé au caveau de la chapelle par lui bâtie en l'église de Feldkirch.

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LA FAMILLE DE ROSEN

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14.

Lettres-missives du roi de Pologne, Stanislas, écrites à M. le comte de Rosen.

ANNE-ARMAND, marquis de ROSEN, lieutenant général, fils du précédent, le 26 juillet 1711.

1.

Commission de mestre de camp accordée par le roi audit seigneur, marquis de Rosen, d'un régiment de cavalerie alle- mande de son nom, signée Louis. 12 avril 1729.

3.

Brevet de brigadier de cavalerie accordé audit seigneur, signé Louis et donné à Versailles le 1" janvier 1740.

4.

Lettres-patentes de Louis-Auguste de Bourbon, prince de Dombes, comme exerçant la charge de grand-veneur de France, portant permission à M. le marquis de Rosen, de chasser le chevreuil et le sanglier, à cor et à cri, dans la forêt de la Harth, en Alsace, données à Versailles le 28 août 1740.

5.

Brevet de maréchal des camps et armées du roi, du 10 mai 1744.

6.

Lettre de service en qualité de maréchal de camp dans l'armée de Flandre sous le commandement du maréchal comte de Saxe, du 1" avril 1745.

7.

Pouvoir de lieutenant général des armées du roi accordé par Sa Majesté audit seigneur Anne-Armand de Rosen, signé Louis, et par le roi, de Voyer d'Argenson, donné à Versailles le 10 mai 1748.

Ce seigneur est décédé à Paris et a été inhumé en l'église paroissiale de Saint-Sulpice, le 28 novembre 1749.

REVUE D'ALSACE

ELEONOR-FELIX, chevalibr de ROSEN, frère d'i précédent, mestre de camp d'un régiment de cavalerie, le 2 septembre 1713.

i.

Commission de capitaine d'une compagnie dans le régiment de cavalerie allemande de M. le marquis son frère, signée Louis; avec les lettres d'attaches du comte de Chatillon, mestre de camp général de la cavalerie légère de France, donnée à Versailles, le 15 avril 1730.

2.

Commission d'un mestre de camp d'un régiment, dont était pourvu le sieur de L'Ordat et devenu vacant par sa démission, visée par le comte d'Evreux, colonel général de la cavalerie, et donnée à Versailles, le 16 avril 1738.

M. le chevalier de Rosen est mort célibataire et a été enterré en l'église Saint- Jean, à Strasbourg.

E. GissER.

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LES

EX-LIBRIS DANS LES TROIS ËVÊCHËS

TOUL METZ —VERDUN 1552 1790

II

BIBLIOPHILES ET COLLECTIONNEURS TOI LOIS

Suit**

L'évêque-comte de Toul, prince du Saint-Empire romain, s'intitulait, en 1743, devant les commissaires du parlement de Metz, « seigneur temporel, haut justicier des villages compo- sant les châtellenies de Liverdun, de Blénod, de Brixey et de Maizières ». De leur côté, les doyen, chanoines et chapitre de l'église-cathédrale se déclaraient seigneurs hauts justiciers des prévôtés de Void, de Vicherey et de Villey-le-Sec et seigneurs voués d'Autreville, Hamonville et Punerot en partie. D'après Stemer, vingt-cinq localités ou censés dépendaient du temporel épiscopal, et viugt-sept appartenaient aux chanoines. Ces deux seigneuries, bien distinctes, 1 avec la ville royale de Toul, ses dépendances, et quatre villages hautes justices laïques formaient le bailliage royal présidial de Toul.

En 1773, M. de Champorcin, originaire de la Haute-Provence

1 Voir la livraison du dernier trimestre 1881. » Comprenant des localités appartenant aux départements de Meurthe- et-Moselle, do la Meuse et des Vosges.

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et évêque de Sencz, 1 succéda au très regretté Drouas. Lié par des engagements secrets et pour permettre la création des deux nouveaux diocèses de Nancy et de Saint-Dié, il laissa mutiler, avec le consentement du chapitre, l'antique circon- scription lcuquoise remontant à l'introduction du christianisme dans les Gaules et comprenant mille cent trois paroisses.

Par suite de ce malheureux démembrement, le diocèse n'eut plus que sept cent soixante-quatre paroisses. Les revenus épiscopaux furent amoindris; YAlmanach royal ne les porte plus qu'à la somme de 37,000 francs. Il est vrai que quelques bénéfices ecclésiastiques et la mense abbatiale de Saint- Mansuy comblèrent un peu le déficit.

Peu de temps après le démembrement, les chanoines, en 1776, furent décorés d'une magnifique croix pectorale et anoblis. Cet acte de munificence du bon roi Louis XVI causa une profonde irritation dans la ville, dont les habitants voyaient avec chagrin l'entrée du chapitre interdite pour tou- jours à leurs enfants, qu'ils considéraient, avec raison, d'aussi bonne souche que les nobles du pays voisin.

Un Toulois, Charles-François Bicquilley, écuyer, ancien garde-du-corps, composa, à cette occasion, un poème des plus méchants contre les nouveaux anoblis. Ce poème héroï-comique en huit chants est intitulé : la Croisade; il fut dédié à l'évêque et au chapitre de Verdun qui avaient refusé de se laisser anoblir et décorer.

Des chansons, des noëls, des complaintes d'une méchanceté inouïe circulèrent également sous le manteau, dans la pro- vince et même en France.2 Bicquilley interpelle ainsi ses

1 Le diocèse de Senez avait trente-trois paroisses et rapportait 10,000 livres.

MUe Bicquilley en fit des copies pour deux collectionneurs émèrites, MM. Noël et Dufrêne. Ces poèmes ne sont pas très rares, malgré le dire de quelques personnes. Ils se trouvaient dans la collection Emmery. C'était un recueil formé par l'échevin Thouvenin.

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LES EX-LIBRK DANS LES TROIS ÉVÉCHÉS

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compatriotes déclarés indignes par leur naissance d'entrer dorénavant dans la noble assemblée :

Les voilà tous chassés de ce chapitre, Qui de lenr nom s'est honoré longtemps ; Trente gredins en rabats et jaquettes, De Léopold 1 portant les savonnettes, Viennent leur dire : Allez, fuyez, manans, Et faites place à ces illustres frères, Fils et neveux des laquais de vos pères.

(Croisade, V. 200.)

Les Toulois étaient fiers avec raison de leur naissance. Ils étaient nés ingénus, ayant le droit de chasse et de pêche chez eux. Si à Verdun les notables élisaient les membres du magistrat et même le maire, à Toul le pouvoir municipal se partageait entre les bourgeois et l'évêque qui choisissait, pour administrer la cité, celui des trois candidats proposés qui lui convenait le mieux.

En 1788, lors du travail préliminaire pour les Etats géné- raux, l'antique cité leuquoise refusa avec beaucoup de fermeté le classement en trois ordres. Les habitants, disait-on, sont tous égaux, il n'y a ni clergé, ni noblesse, ni tiers-état On lit dans la protestation des quarante élus des paroisses de la ville et des faubourgs ces tières paroles:

« Il n'y a pas de noblesse dans le Toulois, jamais la vieille cité ne fut une prison d'esclaves ; jamais la liberté civile, jamais l'égalité qui en est le ferme soutien ; jamais les dieux lares tutélaires ne sortirent des murs et du cœur des Leu- quois. La Constitution touloise n'admet pas de distinction des trois ordres qu'on voudrait lui faire connaître après dix-huit cents ans. »

On dut se conformer cependant à la lettre royale. Le clergé, comme à Verdun, à Metz et à Saint-Dié refusa ses voix à son chef. Un petit curé de campagne fut élu député aux Etats

1 Ce duc de Lorraine fit de trop nombreux anoblissements.

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généraux, le comte d'Alençon représenta la noblesse, et le président du bailliage le tiers-état

Pour pouvoir donner une Représentation à l'évêché-comté de Toul,' on lui avait ajouté le bailliage épiscopal de Vie, siège de la principauté ecclésiastique de la ville de Metz.

Parmi les pièces satyriques, composées à cœur-joie contre les malheureux chanoines, on peut encore citer un Noël ils sont flagellés d'importance. L'auteur, le major de place Bicquilley, fut plus tard mis en prison. Cela augmenta néces- sairement la vogue des couplets, et on les chantait encore en 1789, lorsqu'on apercevait un des personnages.

L'ostentation des chanoines à se parer en voyage de leur croix, fut cause que le roi leur fit défendre, en 1780, de la porter hors de la province ecclésiastique. Ce fut une amère déception, et le chagrin des orgueilleux décorés augmenta encore lorsqu'ils entendirent chanter une complainte saty- rique à ce sujet. Elle est encore duc au major de place.2 Au reste, au moment éclatait la Révolution, la paix était faite entre les bourgeois, l'évêque et les chanoines.

L'auteur de la Croisade était, en 1790, maire de la ville et notable du département, et, à cette époque, ce n'était point un vain titre. Tout le monde était républicain à Toul ; quel- ques chanoines adoptèrent les nouvelles idées, et môme l'imprimeur épiscopal tourna casaque. Il imitait son confrère de Verdun, Louis-François Christophe, qui, en 1791, fut du Conseil général et membre du directoire du département

Un prêtre de Saint- Nicolas, Pierre Jacobi, avait transporté momentanément ses presses, de 1503 à 1521, à Toul. M. le conseiller Beaupré pense que le premier imprimeur qui s'établit définitivement dans YUrbs Leucorum fut, en 1551,

1 Le célèbre graveur Israël Silvestre écrit Tuul en Lorraine; cela signifie que cette ville était en Lotharingia, le pays de Lot/taire, ce qui est autre chose que le minuscule duché de Lorraine.

1 Voir dans l'Appendice les deux pièces.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS

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Jean Palier. La suite des imprimeurs est connue jusqu'à nos jours. Les Carez, à la tin du xvm" siècle, donnèrent un certain renom à « l'imprimerie de Monseigneur l'euesque ». Ils por- tèrent tous les trois le prénom de Joseph. Le premier fut Joseph Carez I, gendre de l'imprimeur toulois Laurent Dès 1759, on voit des livres imprimés à son nom. Il prétendait descendre d'une noble famille écossaise venue en France avec le roi Jacques.

Son tils, à Toul en 1753, est célèbre par ses essais sur Yomotypie, qu'il entreprit grâce aux conseils de ses amis Téchevin Thouvenin, le capitaine du génie de Curel et le cha- noine Caffarelli, dont nous parlerons. 1 Joseph Carez II, pour mieux assurer la beauté de ses impressions, établit une fonderie de caractères, dont les produits furent de suite recherchés. La Bible qui sort de ses presses est un petit chef-d'œuvre. 2

Il fut envoyé par ses compatriotes à l'Assemblée législative, et de retour, après avoir fait partie de la commission des assignats, il partit pour la frontière comme commandant le bataillon de la garde nationale de Toul. L'adjudant général Gouvion Saint-Cyr, depuis maréchal et pair de France, qui connaissait les hommes du bataillon, les sachant presque tous mariés, ne voulut pas les exposer au feu, malgré leur désir ; ils campèrent à Wingen, en arrière du pays de Bitche et bientôt après, l'état satisfaisant des aflaires militaires per- mit de les renvoyer chez eux.

Lors de la création des préfectures, Carez fut nommé sous-

1 Thierry, Eist. de Toul, 1841, II., 298.

* Les procédés employés par Carez furent décrits en détail par Camus, qui donne la description d'un livre d'église noté, en 2 vol., grand in-8°, de plus de 1000 pages chacun. En 17!)2, Carez imprima, dans le même genre, un Dictionnaire de la Fable et une Bible. Camus joignit à son mémoire un spécimen d'une page de ce dernier volume (J. Lauourecx).

Nouvelle Série. - il- année. 5

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REVUE D'ALSACE

préfet à Toul, malgré l'opposition de beaucoup de ses conci- toyens; mais déjà ses recherches sur la composition des encres d'imprimerie avaient ruiné complètement sa santé, il mourut dans son hôtel de la rue Pierre-hardie ; c'était l'an- cienne demeure du chanoine M. de Tréveneuc, archidiacre de Rinel, mort à Thospice. C'est de nos jours l'habitation de M. le comte de Brancion.

Joseph Carez III fut aussi un ardent chercheur pour tout ce qui concernait son art ; il construisit une machine à fondre les caractères ; mais son invention ne marcha plus après la Révolution de 1830. Il avait alors de quatre-vingt-dix à cent ouvriers, rue du Salvateur; sa fille, Madame veuve Bas tien, lui succéda à sa mort, arrivée vers 1831.

A la gravure sur bois qui végétait sous les deux Carez, Joseph Carez III forma tout un atelier de graveurs au burin et sur bois. Il inventa la pantographie, et un de ses artistes, Thouvenin, grava, sous la Restauration, les portraits de Jules César et de Bossuet; la Cène, de Léonard de Vinci (in-folio), et les planches d'un ouvrage bizarre Dieu est V amour le plus pur, Toul, 1826, par Eckartshausen. Tony Goutière, le graveur des Hommes utiles, de Y Histoire de dix ans, de la Révolution de 2 hier s, fut son élève.1

Tous les anciens lecteurs du Journal des Enfants se sou- viennent des gravures sur bois de Best, de Toul, mort en 1879, et dont le portrait fut reproduit dans les illustrations du jour. Il fut l'imprimeur du Magasin pittoresque; il débuta avec Tilly et Tarbesse dans les ateliers de Carez.

De nos jours, Madame veuve François, née Bataille, a reproduit dans YEcho toulois des articles très curieux sur la bibliographie touloise.

1 II grava dans ces ouvrages les portraits de Berryer, Jacques Cœur, Dupin aîné, Garnier-Pagès, Bernard Palissy, Robespierre, les deux La Rochefoucauld, Schlabersdorf, Thiers, etc.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS

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La bibliothèque municipale est dans l'aile droite de l'ancien évêché (mairie). Elle peut avoir près de 4000 volumes, mais elle n'a aucun ouvrage rare sur le pays. La ville y a fait déposer quelques liasses d'archives et quelques registres de la cathédrale. Il y a des antiquités trouvées dans les environs. La salle est bien éclairée et des gravures la décorent ; entre autres le portrait du maréchal Gouvion Saint-Cyr; une vue et un plan de Toul, par Aubry, au xviie siècle ; un grand plan manuscrit du xvin" siècle, etc. Le catalogue de la bibliothèque a été dressé par M. Dessez, conservateur, en 1866 (Broch. in-8°, 173 pages).'

Le grand nombre de cloches que l'on entendait à Toul avait fait donner à cette ville le nom de Sonnante, de Médisante, disaient les mauvaises langues. Ajoutons que ses riches biblio- thèques et ses nombreux établissements d'instruction publique pouvaient la faire nommer la savante, YUrbs pia, prisca et fidelis des évêques Saint-Mansuy et Saint-Gérard.

Pour finir, n'oublions pas ce petit tableau d'un ménage toulois à la tin du xvme siècle:

Les Toulois,

Ils ménageaient, ils étaient un peu chiches,

Les indigens, les aisés, les plus riches,

Se contentaient d'un petit train bourgeois.

On invitait l'étranger à la porte

A partager la fortune du pot,

Quand il sortait. Mais s'il prenait au mot,

Vous eussiez ri de voir de quelle sorte

Dans la maison, chacun se trémoussait.

De tout côté, la servante trottait,

Du pâtissier courant chez la bouchère,

En tablier, la femme ménagère,

Les deux bras nus, ordonnait, fricassait;

Au demeurant, elle était la maîtresse,

Car dès l'instant du lien conjugal,

1 Imprimerie A. Bastien fils, ruo du Salvateur.

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REVUE D'aI-SACE

L'époux n'était qu'honnête commensal, Et sa moitié le menait à la laisse. Il l'en aimait avec plus de tendresse, Dans le logis tout n'allait pas plus mal. . .

LES ÉVÉQUES BIBLIOPHILES

Jean des Porcelets de Maillane (1609-1615). Elevé chez les Jésuites de Pont-à-Mousson, ce prélat fit, en 1611, les frais de la distribution des prix. Les volumes qu'il offrit sont recon- naissables à leur riche reliure et aux armoiries dorées sur les plats avec les initiales p. m. e. c. t.

Callot a gravé le portrait de M. de Maillane, que l'on voyait également représenté sur le tableau de l'autel Saint-Pierre de la cathédrale. Il figurait Saint-Claude, présentant au prince des apôtres le chanoine Claude Guyot à genoux. Cette pein- ture historique et religieuse a été reléguée dans les combles de l'église.

Nicolas-François de Lorraine. Comme son prédécesseur, il donna également des livres pour une distribution de prix au collège de Pont-à-Mousson. On les reconnaît au blason entre deux anges surmonté de la mitre et de la couronne ducale.

Les volumes qui ont servi aux fêtes scolaires de Pont-à- Mousson sont assez rares. Ils méritent d'être collectés avec soin ; M. Beaupré les signalait déjà il y a près de quarante ans, et M. Favier en a donné le catalogue avec dessins.

Charles-Chrétien de Gournai (1637). Ses livres étaient marqués d'un fer armorié reproduit par Guigard.

L'écu est écartelé des armoiries paternelles et maternelles, Gournai et Apremont aux merlettcs. La plupart des volumes de M. de Gournai sont à la bibliothèque nationale. Ce prélat,

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS LVÉCHKS 69

avant d'être suffragant puis évêque de Toul, était chanoine et grand-archidiacre de Verdun. 1

André du Saussay. Dom Calmet raconte, dans sa Bïblio- tkèque lorraine, comment André du Saussay (1056-1097) acheta ses premiers livres. Il se rendait un matin avec d'autres écoliers au collège des Jésuites de Paris, dont il était boursier, lorsqu'on passant dans une rue, l'idée leur vint de remuer les cendres d'une paillasse qui avait servi à un pauvre prêtre décédé. Quel fut leur étonneinent d y trouver l'épargne du défunt. Le futur évêque de Toul eut pour sa part 100 écus avec lesquels il commença sa bibliothèque. Ses nombreux ouvrages sont bien oubliés; il passait pour avoir beaucoup d'érudition, mais, avec peu de jugement et encore moins de critique. Qu'est devenue sa bibliothèque? On n'en rencontre pas un volume. Le temps et les hommes auraient-ils mis à néant les livres de ce prélat si érudit? N'étaient-ils pas mar- qués d'un ex-librisf Un de ses prédécesseurs, Christophe de la Vallée se contentait de mettre sa signature Christoph. à Vaîle Epm & Cornes Tullen, sur le frontispice de ses livres.

Blouet de Camilly. Le successeur du futur cardinal de Bissy fut un Normand, M. Blouet de Camilly, qui s'était fait connaître avantageusement comme vicaire général du diocèse de Strasbourg. Nommé à Toul, en 1704, il y transporta sa bibliothèque qui passait, d'après une lettre de Dom Cathelinot à Dom Calmet, pour être une des plus belles du pays à cin- quante lieues à la ronde avec celles des Bénédictins de Saint- Epvre et du curé Davelouze, près de Vaucouleurs. M. de Camilly fut le protecteur du P. Benoît Picart, qui fit graver

1 L'évéque de Verdun, puis de Toul, Louis d'Haraucourt (f 1451), a laissé des Mémoires, malheureusement perdus. Le président Bournon de Saint-Mihiel, puis Mory d'Elvange, en copièrent des fragments; ceux-ci sont déposés aux archives de l'Académie de Stanislas (V. Noël, Cat. 436).

70 REVUE D'ALSACE

son portrait par J.-S. Cars et le mit en tête de la dédicace de YHistoire du diocèse de Tovih Le bibliophile anglais, Dibdin, vit un portrait de ce prélat à la bibliothèque de Caen, et ses armoiries sont bien reconnaissables sur une plaque de che- minée (taque) encastrée au-dessus de la porte d'un pensionnat, rue Saint-Vaast.

Lors du voyage de Dom Martène et de son compagnon, notre évêque leur laissa compulser les archives épiscopales avec la plus extrême complaisance, les invita plusieurs fois à dîner, et leur reprocha amicalement de n'être pas descendus chez lui. Déjà, étant vicaire général en Alsace, il avait été jusqu'à Feldkirch au devant de Dom Kuinart et de son sochis.

J. Guigard a reproduit le fer armorié de ce prélat.

Il avait en outre deux modestes ex-libris gravés sur bois pour in^° et in-8°. A gauche du blason, dans les glands du chapeau épiscopal, on distingue F. L. S. (François Laurent sculp.f); au-dessous:

FRÀ.NCISCUS BLOUET DE CAMILLY EPISCOPUS ET COMES TULLEN8IS 8. R. I. P.

Il est étonnant que ce prélat ait pris le titre de prince du Saint-Empire romain; le parlement de Metz s'y opposait alors comme souvenir attentatoire à la prérogative royale. Plus tard, le dernier évêque, M. de Champorcin, fit mettre le cha- peau de prince d'Empire sur ses armoiries.

Sa riche bibliothèque se composait particulièrement de livres sur l'Ecriture sainte, la théologie, le droit civil et canon, les conciles, etc. Voici le titre du catalogue de ses livres qui furent vendus à sa mort. Bibliotheca Camilliana seu librorum Catahgus Bibiiothecœ D. D. Bhuet de Camilly Archiepiscopi Tiironeti8i8. Paris. Osmond 1726, in-8°. Il devait être aussi un collectionneur, car il avait, d'après Dom Calmet, un jeton de

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l'évêque d'Hocedy, il en fit cadeau à un de ses amis de Paris.4

S.-J. Bégon (1721-1754). Le graveur nancéien Nicole a gravé un très bel ex-libris pour cet évêque. Un ange armé d'un glaive et des foudres de l'église se prépare à mettre en cendres des bouquins jansénistes amoncelés sur une console. De la main gauche, il tient un bouclier aux armes du prélat Le sujet est entouré d'un cartouche dont le couronnement est chargé d'une mitre, d'une croix et d'une crosse. Un écusson au chiffre s. j. b. se trouve devant la console, sous laquelle on lit Nicole sadpsit 1750. Cette belle petite pièce pourrait bien être de Nicole tils ; elle se trouve reproduite sur le frontispice des missels publiés par ordre de Monseigneur Bégon.

On rencontre encore souvent un autre de ses ex-libris. C'est son blason gravé sur bois pour in-8°.

Dans son long épiscopat, il fut continuellement en lutte avec les partisans de Jansenius ; il ne les ménagea pas, et ayant été nommé plusieurs fois commissaire royal près des chapitres généraux des Bénédictins, il sut toujours éliminer les discussions scabreuses. Aussi le zèle qu'il déploya, fit-il nommer ces réunions le Brigandage de Toul par les fanatiques. Il n'en fut pas moins un des prélats les plus aimés et les plus regrettés de tous.

Il fut enterré dans la magnifique chapelle des évêques, dite de Sainte-Ursule ou des onze mille vierges; charmant édicule de la Renaissance qui tombe décemment en ruine à la grande satisfaction, dit-on, des ultra amateurs du néogothique. Vis-à- vis la chapelle de Sainte-Ursule est une autre chapelle Renais-

1 Les médailles allèrent enrichir la collection de Michelet d'Ennery de Metz, et les capucins de Thion ville avaient, en 1790, un manuscrit à ses armes traitant des négociations de la paix de Munster. M. Dufrône, à Metz, qu'il faut toujours citer quand on parle de Toul, a dans sa riche bibliothèque quelques livres avec Vex-libm de M. de Camilly,

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san ce dans un déplorable état de délabrement, au grand con- tentement des mêmes amateurs. C'est la chapelle dédiée à toits les saints, qui appartenait au chapitre et qui fut en partie reconstruite par le chanoine Jean de Barba, dont on voyait le portrait sur le vitrail du fond et dont le blason brille partout à l'entrée. En 1793, on vendit, sur le territoire de ïoul, 63 ares de vignes appartenant aux fondations pieuses de cette chapelle sous laquelle se trouve la chapelle de Notre-Dame- de-la-Grotte ; 32 ares de vignes au même canton, propriété de celle-ci, furent également vendus à cette époque.

Les évêques étaient collateurs de la chapelle Sainte-Ursule et y recevaient la sépulture. Leurs héritiers n'avaient pas besoin de mendier, près d'un chapitre orgueilleux, la con- cession d'une tombe dans la cathédrale. En 1741, M. Bégon transféra en la grande chapelle de son palais, l'ancienne chapelle Sainte-Catherine qui y était jadis et qui avait été installée provisoirement dans la chapelle dite des Evêques attenant à la cathédrale à l'autel Sainte-Ursule. 1

Balechou a gravé le portrait de M. Bégon in-4°; on possède aussi une lithographie par feu M. l'abbé Morel.

Claude Drouas (1754-1774). Le cynique Jamet n'est pas tendre pour le charitable Drouas : « Un loup gris, dit-il, qui a ravagé tout le diocèse d'où il s'est fait honnir, parent de la fameuse Alacoque. » Il n'est pas étonnant que l'évêque ait publié les Instructions pratiques pour honorer le S. Cœur de Jésus à Vusage de son diocèse. Nancy, 1 705, in-8°, avec man- dement et lettre approbative du gros roi Stauislas, datée de Lunéville, 14 novembre 1703. Vers cette époque, une jeune fille de dix ans était élevée à l'état nature, à la Cour du bon monarque.

1 Pour montrer sur quel pied vivaient les chanoines des églises-cathé- drales et les évêques, on peut citer ce fait : c'est que si un évûque voulait officier dans une grande féte, il devait commencer la veille par les premières vêpres, sinon, on lui refusait la permission.

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L'évêque Drouas fut le fondateur du collège Saint-Claude, dont il sera parlé plus loin; ses charités furent immenses, et cependant aucun de ses prédécesseurs n'eut à supporter autant de critiques acerbes ; il en mourut de chagrin. On lui rendit cependant plus tard justice.

Excessivement économe pour lui, il distribuait tous ses revenus aux pauvres. Les livres de sa bibliothèque ne sont marqués que des armoiries sur bois qui figurent sur ses man- dements épiscopaux. Au-dessous, à la main, il y a la lettre de la série et le numéro d'ordre. 1

Il y a trois de ces marques.

Collin, de Nancy, a gravé son portrait qui a été reproduit par l'abbé Morel; il n'est pas ressemblant, il ne donne pas la figure grasse et souriante du prélat. Pour bien connaître les traits de celui-ci, il faut aller dans un des salons du rez- de-chaussée de la mairie. Son portrait en pied fait pendant à celui du très sévère, mais très juste Bégon. Les dessus de porte et la plaque de cheminée sont aux armes de Mgr Drouas. Celui-ci fit les frais pour l'ouvrage de Buchoz d'une charmante gravure de Collin (l'Amygdale).

Sa bibliothèque fut vendue longtemps après sa mort, le pro- duit devait être aflecté à une œuvre de charité. Le catalogue parut à Autun, en 1780. C'est une brochure de 187 pp. in-12.

1 M. Gaston de Lambertye possède les sceaux en cuivre des évôqaes de Fieux, de Camilly, Bégon et Drouas, et quelques autres relatifs à l'histoire de Toul.

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Le lendemain de sa mort, les chanoines firent couvrir le tableau du cœur enflammé de Jésus par les plis étoffés de la robe. On voit encore de nos jours le tableau de Girardet sur l'autel du sacré-cœur.

Ces belles armoiries se trouvent sur les plats d'un in-folio, relié en veau, intitulé : Catalogue de la bibliothèque de Mgr l'évêque, comte de Toul (244 pages), mdcclx (bibliothèque de Nancy, manuscrit 170, belle écriture, encadrement rouge).

Des Michels de Chàmporcin (1775-1790). Les livres à l'usage personnel de cet évêque sont presque tous en maroquin rouge et armoriés sur les plats à ses armes.

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Après un épiscopat des plus troublés, à cause de la cession d'une partie de son diocèse et de l'anoblissement de son cha- pitre, M. de Champorcin gagna, en 1791, la terre étrangère. Réfugié d'abord dans le pays de Nassau, terre d'empire, il faillit être accroché à la lanterne ; pour éviter cette barbare hospitalité, il quitta à la hâte Bouquenom (Saar-Union). Il s'associa, à Trêves, à toutes les protestations de ses révéren- dissimes confrères de la province. Au Concordat, il rentra sans bruit après s'être, en nls respectueux de l'Eglise, démis de son siège épiscopal. Il mourut dans sa famille, en 1807. On voit son portrait au palais épiscopal de Nancy.

Au moment l'évêque rentrait dans ses foyers, deux cha- noines, MM. d'Hamonville et de Saint-Beaussant, revenu d'émigration, prêtaient, à Nancy, le serment de se conformer aux lois. Le premier mourut, après le Concordat, curé de la paroisse Saint-Etienne de Toul, jadis la cathédrale; le second fut chanoine titulaire de la cathédrale de Nancy.

MESSIEURS LES CHANOINES

Les archives et la bibliothèque du chapitre se trouvaient derrière les chapelles de la Trinité et des Anges dans une salle prenant jour sur le cloître. Leur existence fut toujours

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assez précaire et les dilapidations devaient être très fréquentes à la bibliothèque, car vingt-deux chanoines, en 1401, en avaient la clef. La position isolée de la salle la lit servir de lieu de pénitence pour les membres du chapitre; l'un d'eux, le 7 novembre 1547, fut condamné à y passer deux heures chaque jour pendant six mois pour avoir fréquenté, malgré les avis reitérés, « une maison de mauvaise réputation ».

Plusieurs chanoines avaient fait des dons à la bibliothèque; en 1402, M. de Longueville donne le Roman de la Rose et 150 florins; Jean-Robert de Bernécourt, vingt-deux volumes de droit civil et autres, en 1500; Michel Babel, en 1534, lègue tous ses livres, etc.

Il y avait au trésor un évangéliaire mutilé très ancien, écrit en caractères d'or sur parchemin pourpré ; il échappa à la vente que le chapitre fut, en 1645, obligé de faire, comme à Verdun, pour payer les dettes contractées pendant les grandes guerres du xvir siècle.

En 1790, le bureau diocésain avait encore quelques livres liturgiques et diplomatiques et un évangéliaire du vr siècle.

Au mois de novembre 1792, deux bataillons des fédérés parisiens, plus connus sous le nom de Marseillais, 4 allant à l'armée, se ruèrent sur la cathédrale, ils commencèrent par renverser les statues du portail, puis pénétrant dans la nef, ils mutilèrent ou détruisirent les statues de Jeanne d'Arc, du

1 Un officier de ces fédérés composa la halte de la Marche des Mar8eillois (3 couplets) :

Aujourd'hui de leur impuissance

Nos ennemis sont convaincus.

Us vouloient asservir la France :

Us paroissent; ils sont vaincus. (W*)

A peine peut-on leB atteindre,

Tant ils fuyent rapidement.

A Bachus donnons un moment;

Nous saurons toujours bien les joindre,

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colonel Hébron, tué au siège de Saverne en 1636, de l'archi- diacre de Rozières, dont l'ouvrage fit tant de bruit à la fin du xyi' siècle, les monuments en marbre des évêques, etc. ; ils terminèrent ces actes de vandalisme en faisant entasser sur des charrettes, les bannières, les tableaux, les missels, les parchemins des archives, et ils en tirent un feu de joie splen- dide sur la place de la Fédération (Dauphine). Ce ne fut qu'au bout de deux jours que ces bataillons, dits des amis de la Répu- blique et des quatre-vingt-trois départements, quittèrent la ville.

Deux toiles échappèrent aux Parisiens et furent envoyées au Muséum de Nancy: un Crucifiement, par Lebrun, et un Christ détaché de la colonne.

Parmi les chanoines érudits, on peut citer en première ligne, M. de l'Aigle, grand-vicaire qui n'était pas moins remar- quable par sa modestie et sa piété que par son érudition, dit Dora Calmet. Il mourut, en 1733, à 80 ans. Ses livres sont reconnaissables à sa signature, C. de V Aigle, sur le frontispice. Il donna d'utiles renseignements à l'abbé de Senones sur les anciennes enceintes de Toul.

Le chanoine Machon, archidiacre de Port fut chargé de

Aux verres, citoyens, faites halte, guerriers,

Buvez (bis) et qu'à grands flots s'arrosent vos lauriers.

CHOBL'S

Buvons (bis) et qu'à grands flots s'arrosent nos lauriers, etc., etc.

Par Fabbe, sous-lieutenant au bataillon des amis de la République.

(s. I. n. d. S pp. in- 16).

Le dernier couplet se termine ainsi :

Pour nous soustraire à l'esclavage, Aux armes, citoyens, bataillons à vos rangs, Marchez (bis), paix aux hameaux et la guerre aux tirans. Marchons (bis), etc.

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rédiger le pouillé du diocèse de Verdun. Il avait le manuscrit de son confrère Pelegrin, dit Viator, sur Ptolémée; il fit cadeau de l'ouvrage de l'ancien secrétaire des commandements de Louis XI au président Séguier, qui avait le talent de se monter une bibliothèque des plus précieuses sans bourse délier. L'évêque de Metz, M. de Coislin, hérita plus tard de ses livres. Machon obtint, en 1645, la grande prévôté de Saint- Dié, mais il ne put obtenir les bulles. Le P. Benoît est rude envers lui, il laisse entendre qu'il n'était pas toujours délicat pour se procurer des pièces historiques.

EX-LIBRIS

1. L'abbé Beurard, chanoine de V église de Toul

a) Couronne comtale surmontant un écusson d'azur à une épée en barre accompagnée en chef d'une fleur de lis d'argent et en pointe d'une branche de laurier de même ;

b) Ex-libri8 Beurard, dans un cartouche ornementé gravé sur bois.

Jean-Baptiste Beurard, fils d'un procureur au parlement de Nancy, fut reçu chanoine le 27 juillet 1761 ; il demeurait à Toul, rue du Parge (maison Collin, notaire). Il fit partie, d'après le sévère curé Chatrian, ancien secrétaire de Mon- seigneur Drouas, de ces jeunes chanoines, nommés par la sanction royale, qui vinrent à Toul scandaliser les anciens et afficher leurs mœurs mondaines en se promenant publique- ment avec des dames. M. Beurard alla même au bal pendant le carnaval. 1

Cet Athénien des bords de la Meurthe, savait cependant s'occuper de choses utiles; il était un des bons minéralogistes de la contrée. Sous l'Empire il fut employé comme ingénieur

1 Cité par M. l'abbé Mathieu, p. 330.

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des mines en Hongrie. Il publia sur cette partie si riche de la géologie des ouvrages estimés dans le temps. Sa biographie se trouve dans les dictionnaires historiques. Il y a encore peu d'années que Ton montrait dans son ancienne maison canoniale les armoires et les tiroirs de ses collections miné- ralogiques. Le chanoine Beurard mourut en 1825.

Si voua levez ce rideau de satin, Vous trouverez dans ma bibliothèque : In-octavo, nos bons contemporains, Dorés sur tranches, en fort beaux maroquins; On n'y voit point ni Platon, ni Sénèque; Tout ce fatras de maussades bouquins, Vaut-il la peine de belles couvertures? Il ne me faut que d'aimables lectures, Vous y verrez La Fontaine, Bernard, Vergier, Grécourt et la Pucelle à part, Tous enrichis des plus jolies gravures; Outre cela, j'ai de jolis romans, Comme Angola, Thérèse raisonneuse, Et le Sopha, Margot la ravaudeuse ; Et les Bijoux indiscrets et charmants Qui dévoilent les plus secrets mystères Depuis dix ans, je sais cela par cœur; Mais il les faut pour les prêter aux belles.

D'après le remarquable travail de M. le commandant Daul- noy, les maisons des chanoines leur appartenaient A leur décès, on les vendait publiquement à ceux de leurs confrères qui n'en avaient pas, et qui étaient au nombre de sept II était défendu de souslouer à des hérétiques ou à des femmes. Les bals étaient défendus, sauf pour les noces d'un frère, d'une sœur, d'un neveu ou d'une nièce. Des délégués du chapitre devaient visiter une fois par an les maisons canoniales pour s'assurer qu'elles étaient bien entretenues, qu'on ne les grevait pas de servitudes, et que les prescriptions réglementaires étaient observées, etc.

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L'auberge de la Cloclie d'or, qui existe encore, appartenait au chapitre, comme le Tripot, ou jeu de paume, situé dans l'intérieur de la ville, était la propriété de l'abbaye de Saint- Epvre, et l'auberge du Cerf aux Dominicains. La nation se chargea du placement de ces utiles établissements.

2. De la bibliothèque de M. Ch. Amb. CaffareUi, N°.

Le chanoine Charles-Ambroise Caffarelli du Falga, naquit au château de ce nom, le 15 avril 1758. Il fut nommé le 28 sep- tembre 1775, et en 1780, YOrdo ne le mentionne encore que comme sous-diacre. A la Révolution, il se retira dans ses pénates dans le Lauraguais (Haute-Garonne), abandonnant à la nation 30 ares de vignes qu'il possédait sur la côte Saint- Michel, comme tous ses confrères, et dont la vente eut lieu le 14 juin 1793. La confiance de ses concitoyens le fit nommer membre du district de Revel. Sous la Terreur, il fut mis en prison à cause de sa modération. La chute de Robespierre le sauva. Sous le Consulat, il fut nommé préfet de l'Ardèche, puis du Calvados, et enfin de l'Aube les événements de 1814 vinrent le surprendre très désagréablement, car Napoléon ayant jugé qu'il avait quitté trop vite le département à l'ap- proche des alliés et qu'il n'était pas rentré au retour des aigles impériales, le destitua. A la Restauration l'ex-chanoine-préfet retourna encore une fois dans le château de ses pères pour ne plus le quitter. Malgré son désir de ne plus entrer dans la vie publique, il dut encore accepter les fonctions de conseiller général et, sur son désir, l'archevêque de Toulouse lui rendit ses pouvoirs. Jouissant enfin d'une parfaite tranquillité, estimé de tous, il vit approcher la mort avec calme ; il décéda le 6 novembre 1826, laissant plusieurs ouvrages sur l'économie politique et l'agriculture. 11 eut deux ex-libris gravés au burin : o) « D'azur à la croix de la légion d'honneur en franc quar- tier, d'argent au lion de sable et taillé et contretaillé d'argent et de gueules » ; toque de baron sur le tout ;

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b) « Ecartelé, taillé d'argent et de gueules, d'argent au lion de sable, marque de baron-préfet, 48 contretaillé d'ar- gent et de gueules »; toque de baron, lambrequins et au-dessous la croix de la légion d'honneur.

3. Anonyme (le grand-doyen Pagel de Vantoux) sous le trait P. L. Cor.

Ex-lïbris formant un charmant sujet de pendule, style Em- pire.

Les armoiries de la Pucelle d'Orléans 1 et 4 sont écar- telées 2 et 3 du blason du grand-doyen « d'azur à la cigogne d'argent, au chef de même chargé de trois étoiles d'azur » ; le tout dans un cartouche rococo surmonté d'une couronne ducale et accosté du beau Dunois armé en guerre, brandissant une épée, et de la Pucelle également armée de toutes pièces et tenant haut son fanion armorié. Au fond une maison seigneuriale dans un parc. Au-dessus une main armée pour cimier et dans l'air la banderole avec la devise si connue de Jeanne d'Arc :

CONSILIO FIRMATA DEI

Les Pagel étaient originaires de Toul, l'un d'eux fut dans la police locale.

Nicolas Pagel veult toujours boire,

écrit, en 1567, un Enquéreur. Malgré cela on prétendait que le grand-doyen descendait d'un huissier, et le ridicule orgueil qu'il montrait à chaque instant faisait redoubler les sarcasmes sur sa personne; c'est un des plus atteints par les poèmes satyriques du temps. Ayant cru descendre de la famille de la Pucelle, il lit peindre ' le blason de cette héroïne avec le sien dans toute sa maison et sur ses voitures, au grand contente- ment des badauds. Il avait reçu la tonsure des mains de l'évêque de Metz, en 1742, et avait été nommé grand-doyen,

1 Par Beaulieu, peintre d'enseignes. Nouvelle Série. 4i- année.

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en 1768. Il occupait au chœur la première stalle du côté gauche en face de celle de l'évêque; les chanoines étaient rangés par ancienneté après eux. M. de Vantoux fut vicaire général, membre du bureau des pauvres, directeur des Sœurs des écoles de la charité (aujourd'hui la Doctrine chrétienne) . Il vivait encore en 1789.

Le graveur messin, Cor, qui lit son prodigieux ex-libris, n'a gravé que celui-là. On voit dans l'Atlas de Buchoz une ving- taine de planches de lui, dont plusieurs avec blason (Custine, ville, avocats et Académie de Metz, électeur palatin, etc.).

BIBLIOTHÈQUE DU SÉMINAIRE DIOCÉSAIN

Congrégation de la Mission (Lazaristes)

On lit, écrites à la main, ces annotations sur les titres des volumes de cette belle bibliothèque :

Ex-libris Domus tuîlensis Cis Missionts. Ex-libris Cong. Missionis domus Tuîlensis, 1651. Missiotiis Tuîlensis.

Ex-libris Cong. Missionis Domus Tullens, etc.

Venus dans le cours du xvir siècle pour tenir le Séminaire, les Lazaristes firent beaucoup de bien; mais dans le cours du xvme siècle, ils donnèrent dans le jansénisme, puis dans les idées philosophiques du temps, et ils en inspirèrent le goût à leurs élèves ; ce fut un grand malheur pour le diocèse ; mal- heureusement Mgr Drouas ne vit rien, et lorsqu'il voulut remédier au mal, il était trop tard. A la Révolution, les élèves avaient abandonné depuis longtemps l'établissement.

La bibliothèque était une des plus riches du royaume ; elle comptait 7001 volumes provenant surtout de dons. La grande salle contenait dans sept trumeaux et 16 rayons, 1504 in-folio, 1065 in-4° et 4432 in-8°. Dans une chambre à côté, il y avait 300 volumes à l'usage des séminaristes. L'inventaire du

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2 janvier 1793 porte aussi un médaillier avec 67 pièces papales, un cabinet de physique et une machine électrique, une collec- tion d'histoire naturelle avec quelques objets intéressants; selon Buchoz, des monceaux de vitrification, de congélation, des minéraux, des pétrifications, des coquillages, une grosse vertèbre d'hippopotame, trouvée à Sorcy, une dent molaire d'éléphant de Dieulouard, une corne de bœuf de l'Isle en Barrois, une porcelaine en fossile de Champagne, une corne d'ammon nacrée, une vertèbre humaine, etc. Le supérieur de la maison, M. de Brocveille, était, selon le médecin nancéien, très versé dans l'histoire naturelle. Cela ne faisait pas pros- pérer la maison. 1

Adrien Lamourette, métropolitain constitutionnel de Lyon, exécuté le 10 janvier 1794, et dont le nom est connu dans les fastes révolutionnaires, fut professeur et supérieur au Sémi- naire de Toul, puis directeur à Saint-Lazare ; il déclara, au moment d'aller au supplice, que tous les discours que Mirabeau avait prononcés sur le clergé et les matières ecclésiastiques étaient de lui. Un autre Lazariste du diocèse de Toul, Nicolas Philbert, curé de Saint-Charles de Sedan, fut sacré à Paris, en 1791, évêque constitutionnel des Ardennes; il mourut en 1797. Châtelain, chanoine de Saint-Gengoult, un moment évêque de la Meurthe, avait été Lazariste.

Un ancien élève des Lazaristes de Toul, qui entra dans leur congrégation, eut une bien triste fin. Charles Brillon, petit-fils

1 Le 31 juillet 1763, le jeune abbé de Tressan soutenant devant M. de Brocveille une thèse, dit que la religion catholique était la domi- nante. — Cela était vrai autrefois, dit brusquement le directeur, qui entendait parler de la philosophie qui menaçait de tout envahir. Les dénonciations arrivèrent, le Parlement fut saisi. On eut l'heureuse idée d'étouffer l'affaire, et M. de Brocveille dut envoyer une «lettre à l'évêque de Toul sur les bruits qui sont répandus contre le Sémi- naire, 1772» (Cat. Emmery, 638). Bien des gens n'en pensèrent pas moins que l'on enseignait l'athéisme au Séminaire de Toul.

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KEVUE D'ALSACE

du peintre Chéron, de Lunéville, fut curé de Foug. A la Révo- lution, il se retira à Lunéville et s'y maria. Par une froide matinée d'hiver on le trouva mourant dans la neige, près du chemin d'Einville. Transporté chez lui, il ne tarda pas à succomber, laissant, dit son oncle l'avocat Chéron, une assez belle bibliothèque, qui ne fut estimée que 700 livres « malgré qu'elle ait lui en coûter bien plus cher, l'ayant achetée entièrement chez les libraires. »

Le Club des amis de la Révolution fut installée dans l'église du Séminaire ; plus tard, celle-ci fut démolie et les bâtiments transformés en maisons particulières rue du Saint-Esprit (Gengoult). L'église de Crézilles possède quatre tableaux provenant des Lazaristes ; ils représentent Saint- Vincent-de- Paul au milieu de se* disciples prêchant au peuple à la Cour assistant Louis XIII au lit de mort.

Le Séminaire et le Collège Saint-Claude attiraient une foule de jeunes gens du diocèse, dont beaucoup s'engageaient dans les ordres. Les écoliers trouvaient à l'imprimerie locale tous leurs classiques. On ne laissait pas alors à Paris le soin d'inonder le pays d'éditions plus ou moins estimées, qu'elles fussent grecques ou latines. Avant 1789, chaque imprimeur de petite ville avait les connaissances nécessaires pour publier un Virgile ou un Ovide sur beau papier et il en trouvait faci- lement le débit. Il n'en est plus ainsi de nos jours, et sur ce point, on a laissé bien en arrière les immortels principes.

Boulay de la Meurthe, un zélé impérialiste, le conventionnel Poulain-Grandprey, le baron Louis, si caricaturisé par la presse hostile au gouvernement de Juillet, le président Henrion de Pansey, aussi savant jurisconsulte que gourmand émérite, le tribun Delpierre, François de Neufchâteau, véri- table girouette politique, que ses vers tirent nommer par les fructidorisés la Cù/oj/ne des Vosges, l'évêque de Saint-Claude, de Chamont et tant d'autres furent élèves du collège Saint- Claude, dont deux professeurs laissèrent à Metz les plus

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durables souvenirs ; M. Mongin, de Toul, professeur de rhéto- rique au collège royal, auquel ses élèves élevèrent un monument au cimetière de l'Est; le médaillon, représentant son portrait, est d'un artiste tyrolien, Mahlknecht, domicilié à Metz; le second professeur est l'abbé Sainsère, de Vaucouleurs, proviseur du même collège, bien connu par sa Grammaire latine de Lhomond et son Appendiv de Dits.

Le 20 décembre 1791, le collège Saint-Claude fut fermé, et bien des années après on installa à Toul une école secondaire (collège). Le mathématicien Bicquilley y fut professeur.

Arthur Benoit.

(A suiire.)

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

BAVARDAGES

DE

MESDAMES-MES-COUSINES DE STRASBOURG

entremêlés de quelques autres

COMMÉRAGES ALSACIENS'

Strasbourg a toujours possédé une certaine classe de bavardes, à l'affût de toutes les nouvelles et qui, par suite d'une parenté du neuvième degré, vraie ou supposée, ne s'in- terpellaient qu'au titre de Frait Bas, « Madame ma cousine ».

Ce titre est devenu à Strasbourg et dans l'Alsace, l'équiva- lent de commère, et nous aurions pu traduire Fraubasegsprdch par « Dialogues des commères de Strasbourg ».

Nous préférons la traduction littérale qui nous a permis de rendre la nuance Jungferbasen par «demoiselles-cousines», et de conserver à notre traduction un degré de plus de couleur locale.

Les dialogues de commères, publiés tantôt en feuilles volantes, tantôt dans les gazettes locales, furent toujours

1 La plupart des auteurs de ces compositions, saisies sur le vif, sont inconnus. D'autres ont été écrites par Arnold, Mme Engelhard-Schweig- hœuser, Ehrenfried Stœber, C.-F. Hartmann, Ch. Bernhard et Charles Berdellé.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE l'AI-SACE-LORRAIIIE 87

accueillis avec joie par les habitants de Strasbourg. L'impri- meur Frédéric-Charles Heitz, qui avait réuni une si belle bibliothèque alsacienne, avait formé un fascicule d'une dizaine de ces conversations. Cette petite collection se trouve actuel- lement à la bibliothèque de l'Université de Strasbourg. M. Bergmann, professeur à ladite Faculté, l'a publiée avec des notes linguistiques, littéraires et ethnographiques très intéressantes.

En 1877, parut le Elsassisch Schatzltiistcl (l'Ecrin alsacien) qui réédita ces dialogues en les augmentant de celui de 1848.

M. Auguste Stœbcr a fait de l'ouvrage de M. Bergmann une critique littéraire à laquelle les éditeurs du Schatzkàstel empruntèrent les notes qu'ils joignirent à ces poèmes.

Aux compositions et notes que nous fournissent les trois publications précédentes nous en joignons quelques autres qui nous appartiennent.

Des dix pièces recueillies par M. Heitz, il y en a trois qui datent des années qui ont précédé la Révolution.

Cinq autres se rapportent aux années 1814 et 1815; nous y ajoutons une chanson en dialecte du Kochersberg, que nous ne connaissons que par tradition orale, et qui, d'après le sujet traité, doit être née en ces mômes années.

Les deux dernières pièces de la collection de Heitz datent des premières années de la Restauration et nous mettent au courant de ce qui occupait à cette époque les esprits des bourgeoises de la ville de Strasbourg.

Quelques chefs-d'œuvre de Ehrenfried Stœber, Charles- Frédéric Hartmann et Charles Bernhard, ainsi que le dialogue de 1848, nous ont en outre paru dignes do l'attention des anus de notre littérature populaire.

Nous faisons un appel à ces derniers et les prions de nous communiquer les poésies de ce genre que nous avons omises ou que nous ne connaissons pas.

Enfin nous terminerons par la traduction de quelques-unes

8H

REVUE D'ALSACE

de nos propres poésies alsaciennes, se rapprochant, par leur sujet, du genre des Fraubasegspràch.

Si cette communication à la Revue d'Alsace trouve auprès du public français un accueil tant soit peu bienveillant et favorable, le traducteur se propose de l'initier à une connais- sance plus intime des richesses de la littérature populaire d'Alsace-Lorraine.

Rioz (Haute-Saône), le 14 juillet 1881.

Ch. Berdellê.

I

CONVERSATION

tenue dans Vintimitê près de la Maison-Rouge, entre deux «Dames-Cousines» de notre ville de Strasbourg, comme qui dirait entre Dame Julienne et Dame Ursule qui jouissent, parmi les personnes de leur sexe, (Tune haute considération, à cause de leurs manières aussi jranches que convenables,*

JULIENNE

Pst!. . . Attendez un peu. Vous n'emmenez personne?

URSULE

Ah! c'est vous, ma cousine? Il faut qu'on me pardonne. Je ne vous entendais et voyais encore moins, Car il fait si boueux pour marcher. Tous mes soins Vont à mettre le pied sur un pavé non sale.

1 L'auteur de cette première conversation est inconnu. Elle coule de la bouche de ces « Madame-ma-cousine » classiques comme un léger ruisseau qui ne s'arrête jamais. Mélangée de vraies locutions strasbour- geoises, on y parle des ouvriers, des soins du ménage, des maris, et surtout des domestiques dont une surtout, du nom de Lise, y est parti- culièrement maltraitée.

Maison-Rouge, nom d'un hôtel situé place Kléber.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

89

JULIENNE

Oui! c'est tout comme moi, et, chose bien fatale, J'ai de gros souliers que j'aurais rondement laisser au voleur.

URSULE

Pourquoi?

JULIENNE

Voyez comment On marche là-dedans. Comme dans une caisse De blanchisseuse,1 eut-on le pied le plus étroit! Et bestialement pareil marché me blesse.

URSULE

Ne vous irritez pas, mais rendez-vous tout droit Dans la rue aux Carreaux, chez Bier. Il vous fabrique Des souliers, c'est vraiment, cousine, magnifique Comme ça tient aux pieds. On les dirait fondus Avec eux.

JULIENNE

Par le sang! vraiment, on ne tient plus A s'acheter du neuf, car il faut que l'on tâte De tous les magasins. On croit tenir du bon : Le confectionnant, l'ouvrier vous le gâte.

URSULE

Du cousin Abraham, J votre nièce, dit-on, Vient d'hériter un tas d'argent.

JULIENNE

On peut le prendre r

1 Caisse de blanchisseuse. Caisse rectangulaire à laquelle on a enlevé l'une des parois verticales et dans laquelle s'agenouillent les blanchis- seuses pour ne pas se mouiller les genoux en lavant leur linge.

* Chez les protestants de Strasbourg, et surtoxit dans certains quar- tiers de la ville, on trouve souvent des noms tirés de l'ancien Testament, comme Abraham, Daniel, etc.

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90 REVUE D ALSACE

Avec celui qu'on a. Je viens encor d'apprendre Que ce grand sot d'Erhard, vous savez, ce dadais Qui baignait ses cochons, aurait aussi son legs, A peu près trente écus, comme part légitime.

URSULE

Le fripon! Comme il a sentir dans l'intime Fond du cœur le besoin de rire. Sûrement Ça va donner un couple avec la jeune Lise.

JULIENNE

Oh, non! cousine, non! elle est déjà promise.

URSULE

Quoi! promise déjà? Sait-elle seulement

Faire une soupe à l'eau? Comment? choses conclues?

JULIENNE

Les accordailles ont été déjà tenues.

URSULE

Qui donc ose la prendre ?

JULIENNE

Oh ! c'est un compagnon Qui s'en vient au Murhof. 1

URSULE

Oh bien! le joli don Qu'on lui fait! mais je crois qu'elle vient. Oui! c'est elle.

JULIENNE

donc?

URSULE

Eh bien! bas! vers le «Trou des Navets.»*

JULIENNE

Je ne l'aperçois pas.

1 Ferme et maison de campagne, sur FUI, en amont de Strasbourg. Riievctloch. Sobriquet servant à désigner un cabaret près de la place Kléber.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L*ALS\CE-LORRAlNE

URSULE

Regardez bien! Tout près

Des tambours.

JULIENNE

Par le sang! oui ! c'est bien notre belle. Il faudra donc changer de conversation. N'est-ce pas une grande abomination, Ma cousine ? Elle porte une fort belle chatne En or. Je vous demande : est-il, grand Dieu, permis A femme d'ouvrier?

URSULE

Ma foi non ! Ça me peine Aussi, car on ne peut, comme le monde est mis, Plus distinguer des gens comme nous des servantes. On dirait qu'elles sont toutes impatientes De courir à leur perte.

JULIENNE

Oh Dieu! d'où viens-tu donc,

Lise?

LISE

Du «Marché-Neuf». J'y viens, pour toute affaire, D'acheter des navets, pour deux sous d'amidon.

JULIENNE

Alors vous savonnez?

LISE

Mais oui! dans la soupière! Car nous n'invitons pas encor. Pour le besoin On se débrouille un peu.

URSULE (Faisant mine de partir)

Moi je vais au plus loin.

JULIENNE

Attendez donc un peu, cousine, je veux faire

92 REVPE D'ALSACE

Le chemin avec vous. Lise, tiens-toi longtemps Chez tes maîtres qui sont, ma foi, de braves gens.

LISE

Oh ! j'ai fait le plus long de mes temps de services.

JULIENNE

Quoi! n'es-tu pas contente? Ah! ciel! je te comprends. Quand donc entreras-tu dans ces temps de délices V

LISE

Dans quinze jours. Cousine, aurai-je le bonheur De vous voir assister à mon grand jour d'honneur?

JULIENNE

Je ne le promets pas, mais ça pourrait bien être, A. moins d'empêchements. Je voudrais bien connaître Notre nouveau cousin. Fais-lui mes compliments.

LISE

Merci!

JULIENNE

Porte-toi bien.

URSULE

Il va faire beau temps. Le ciel va s'éclaircir.

JULIENNE

Oui! sans que ça ne tarde.

URSULE

Lise est une savate. Elle cause et bavarde Et chez elle devrait être auprès du cuveau. Si jamais ma servante agissait de la sorte, Je vous la traiterais comme un chien. Est-ce beau De voir qu'aussi longtemps une servante sorte, Délaissant sa cuisine le feu brûle en vain ? Puis arrive le temps du dîner : La luronne Est cause bien souvent que le mari bougonne,

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE l'aLSACE-LORRAINË

Et la femme en vaut pis. Pourtant c'est bien certain Qu'on ne peut pas toujours être dans sa cuisine.

JULIENNE

Imaginez le coup, le beau coup, ma cousine,

Que la mienne, ma foi, me fit lundi dernier.

Je voulais assister, sans retarder, au prêche

De huit heures; je pends bien vite un oreiller

Que mon enfant avait mouillé, pour qu'il y sèche,

Au coin de mon fourneau; puis je porte au grenier,

Sous le faîte du toit un tas de linge sale.

L'oreiller est déjà percé, quand je dévale,

D'un grand trou par le feu. Je ne me connais plus

De fureur, et le pis, c'est que cette canaille

Rit aux éclats pendant que moi je la fouaille.

URSULE

Le savait-elle donc?

JULIENNE

Non ! mais c'est un abus Quand dans une maison l'on ne voit la servante Qu'à tricoter, hier, commander les enfants, A balayer encore employer tout son temps. Je n'en veux de pareille. Il m'en faudrait qui sente Qu'elle doit quelquefois passer sur le talon De sa maîtresse.

URSULE

Oh! oui! vous avez bien raison! Mais dans tous les états le mal, hélas! abonde, Et vraiment on croirait que notre pauvre monde Approche de sa fin.

JULIENNE

Des gens de sa maison L'on en supporte tant. C'est vraiment effroyable.

URSULE

Je vais rentrer chez moi. Le temps est précieux !

94

REVUE D'ALSACE

JULIENNE

Voyez donc ce fichu. Qu'il est délicieux! donc a-t-on brodé cette pièce adorable.

URSULE

Au Coin brûlé,4 cousine.

JULIENNE

Ah! oui, sans doute c'est Cette grande? Combien payez-vous cet objet? N'est-ce pas? Qu'est-ce que cela peut bien me faire?

URSULE

Vous connaissez mon homme, et savez qu'il faut taire

Le prix que peut coûter un objet de si peu

De valeur. Pour l'avoir j'épargne sur ma bouche.

Sans ça je serais comme une bête au bon Dieu :

Toujours môme costume. Et, vous savez, je touche

Mon argent de semaine. Au delà je n'ai rien :

Il faut me débrouiller.

JULIENNE

Cousine, quant au mien, Il me laisse bien libre, à moins que dans sa tête Il n'ait parfois logé quelque petite bête Que j'en chasse aussitôt.

URSULE

Et comment faites-vous ?

JULIENNE

Voyez-vous? quand je vois mon cher et tondre époux Laisser pendre sa lèvre et me faire la mine, C'est un bonheur pour moi, croyez-le, ma cousine, De faire la malade. A ma mère soudain Je fais dire d'aller chez notre médecin.

1 *Am Brennte-Enà?*, à l'ouest «le la place Kléber.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L' ALSACE-LORRAINE 95

Elle sent le rôti. 1 Dans la même soirée Elle vient II faut voir la belle échauflourée Entre elle et mon mari, qui se soumet enfin !

URSULE

La friponne!

JULIENNE

Eh bien donc? Ne suis-je pas rusée?

URSULE

Mais oui ! et joliment ! La belle invention ! Jamais je n'aurais eu d'imagination Semblable. Mais cela pourrait bien m'être utile! Que le mien, quelque jour, de façon incivile, Me gronde, et je ferai tout comme vous, ma foi !

JULIENNE

Essayez une fois!

URSULE

Ha ha! ça me fait rire Déjà! Portez- vous bien. Faut que je me retire Et que je rentre vite.

JULIENNE

Et quand donc viendrez-vous En visite chez moi passer une journée?

URSULE

Oh ! je pense bientôt. Saluez votre époux.

JULIENNE

Et vous le vôtre aussi.

URSULE

Je vous suis obligée, Et n'y manquerai pas, ma cousine honorée.

Rioz, le 24 mars 1881.

1 Sentir le rôti, synonyme strasbourgeois de : avoir bon nez, arriver au bon moment, faire une chose à propos.

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REVUE D'ALSACE

II

CONVERSATION INTIME

ternie à la fontaine par quatre servantes strasbourgeoises, Lise, Suzanne, Catherine et Marguerite, composée par Jean- Georges Werdo, la sentinelle, de son métier enfant de Stras- bourg, qui était alors de garde auprès de la fontaine. 1

. SUZANNE

Diantre! que vois-je doue? Encore à la fontaine? donc as-tu traîné? Comme ta jupe est pleine D'eau et de boue!

LISE

Eh bien! je suis à nettoyer Ces choux, et forcément mouille mon tablier. Pense donc ! mon Martin veut faire la maudite Farce, et me laisser là. Lui, qui me serrait tant, A ni'étouffer ! ce chien ! il est à la poursuite D'autres tilles. . . Mais tiens! n'est-ce pas Marguerite Qui regarde du haut du grenier.

gréte *

Un instant!

1 De tous temps les femmes, et surtout les servantes, ont aimé se réunir auprès des fontaines pour s'y enfoncer dans les commérages, et souvent leur arrive-t-il de ne pas s'apercevoir que, de même que les paroles découlent abondantes de leurs bouches, de même l'eau déborde de toutes parts de leurs seilles trop remplies.

Dans cette conversation ces servantes s'occupent surtout de leurs amants dont elles énumèrent les qualités et les défauts. Les expressions de colère ou d'envie alternent donc avec les termes louangeurs, et les grosses trivialités n'y manquent pas non plus. Naturellement on n'y épargne pas les patrons, et les sorties que ces bonnes font contre leurs maîtres font de ce morceau la digne contre-partie du premier.

L'auteur en est également inconnu.

Marguerite.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE 97

Attendez donc un peu. Je vais aussi descendre Chercher de l'eau.

Comment! Mais tu devrais comprendre Qu'on ne te peindra pas des amants. Tiens ! mon Jean Fit de même avec moi. Moi, le lâchant d'un cran Et me moquant de lui, je forçai l'imbécile, Ne le regardant plus, à revenir vers moi. Mais lui revint tout droit et se crut bien habile En m'embrassant du coup, pensant que, bien docile, Je rendrais le baiser. Il se trompait, ma foi ! Et je ne craignis pas de lui dire pourquoi Je le boudais. Depuis il n'en voit aucune autre.

LISE

Ah ! je ferai de même avec mon t>on apôtre. Je parviendrai peut-être à lui faire lâcher La maudite traînée. . . Oh bien ! c'est Marguerite Qui vient déjà!

GRÉTE

Quelqu'un vient-il de te fâcher? Quelle mine tu fais !

8UZE

Il ne faut tout de suite Tout redire, bavarde.

GRÉTE

Oh ! je ne dirai rien. Je garde les secrets. Vous me connaissez bien.

LISE

C'est Martin. ..

8UZE

Ne dis rien! Elle lui tend la perche!

GRÉTE

Oh! je m'en moque bien! Nouvelle Série. - HT année. 7

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98

REVUE D'ALSACE

LISE

Oui! mon Martin recherche La Barwelé 4 de chez le tailleur. Chaque soir, Et ça me peine fort! chez elle il va s'asseoir.

GRÉTE

Chacune de vous n'a que ce qu'elle mérite,

Vous vous plaignez toujours. Folle ! va-t'en donc vite

Courtiser le valet II me suffirait bien.

Mais vous voulez encor choisir trop longtemps. Rien

Peut-il jamais manquer quand à son domicile

On a tout ce qu'il faut? Chez nous, moi j'ai le mien.

Il est bien fait et jeune. Il me serait facile

De te parler encor de choses que je sais

Et que j'ai sur la langue.

LISE

Oh bien! va donc! jamais Je ne puis oublier mon Martin. Je voudrais Le manger, ce cher fou ! Et surtout quand je songe Comme il m'amuse bien et gentiment me plonge Sa main froide sous mon mouchoir de cou.

SUZE

Retiens

Ta langue prudemment. Tais-toi, laide sorcière, Et va faire la morte afin que l'on t'enterre! Vite il faut me sauver, puisque je me souviens Que je n'ai pas raclé légume ni carotte Pour la soupe. Il est tard! Grand Dieu ! Comme il radote Mon vieux registre et comme il tape sur mon dos Quand je vais lui servir des plats pas assez chauds. Mais voici Catherine.

1 Diminutif de Barbe.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINB KjETH1

Eh bien ! quelles nouvelles Redisent vos bons becs?

SUZE

De quoi parleraient-elles Si ce n'est des garçons qu'elles voudraient saisir A la fourchette!

GBÉTE

Non ! mais Lise est en tristesse, Et cela parce que son Martin la délaisse, Parce que la Bârwel l'empêche d'y venir En l'attirant chez elle.

SUZE

Et j'aimerais que Lise

L'eut plutôt

KJETH

Si j'étais au moins dans ta chemise, Je vous arrangerais la jaune au maigre-né! Oh! Martin se verra du monstre abandonné!

Ne lui permets-tu rien?

>

SUZE

Mais elle reste assise, Et sans rien dire, quand Martin veut chiflonner Son tablier.

LISE

Allons ! Crois-tu, grande niaise, Qu'on ne peut que rouler. En prend-il à son aise, Le tien, quand tous les soirs il vient te câliner?

SUZE

Autour de notre îlot nous allons promener;

Nous entrons au Griffon:3 j'y rencontre un bon verre

Catherine.

Le Griffon, brasserie renommée.

100 REVUE D'ALSACE

De bière. En mon chemin je viens même de faire La rencontre d'Ursule.

GRÉTE

Eh ! l'on m'a raconté Qu'Ursule, avec le sien, a laidement heurté Le nez contre le mur.

KJETH

Oui ! je viens de l'apprendre: On dit qu'elle est lardée.

LISE

Eh bien! Va-t-elle pendre Son enseigne au dehors? Quels soins j'ai pourtant mis A la rafistoler ! Que ne se sont-ils pris ? Ce Zinkehps 1 pourrait inviter au baptême.

OHÉTE

Il a déjà rempli son tonnelet, et même L'épouserait, pourvu qu'elle veuille.

K^TH

Eh bien! moi, Si j'étais échaudée, oh! pour ma délivrance Je l'accepterais bien.

SUZE

Il y a bien de quoi D'être une pauvre femme!

LISE

Et la belle laitance Qu'il aura de sa mère? Oh! ciel! je le prendrais Aussi.

*

1 Zinkelips, mot sans sens propre, employé de nos jours comme syno- nyme d'imbécile dans le langage strasbourgeois. M. Bergmann prétend que dans ce poème ce n'est qu'un nom propre signifiant Philippe Zink. Dans le doute, nous traduisons par le mot tel quel.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LOMUME 101 GRÉTE

N'en parlez pas, Madame ma cousine! Croirais-tu par hasard, toi, que tu l'obtiendrais? Il n'est pas pour ton nez !

LISE

Voyez, cette mâtine! Comme elle ne sait pas bien parler? Mais comment Ne saurait-elle encor danser plus gentiment? Crois-tu, que comme toi, je me livre à la chasse Des hommes? Ma foi, non ! Je n'en suis pas vorace ! Et je le trouverais bien trop cher, même si L'on voulait le donner pour rien. Non! grand merci ! Qui donc en voudrait? Qui? Je courrais dans la flamme Pour me sauver de lui ! Que n'ai-je mon amant Martin.

SUZE

Pas de dispute!

LISE

Alors qu'elle ne clame, Comme elle fait toujours, en petit commandant!

8UZE

Assez parlé de ça! Silence! Qui donc quitte Au terme?

KjETH

Toi tu viens à propos m'envoyer De l'eau sur mon moulin! Quant à moi je n'hésite Nullement. Dites-moi! qui pourrait verdoyer, Quelle bonne, chez nous? Lorsque nous croyons boire, Par grand hasard, du vin, nous y trouvons des fleurs, Plein le verre, ma foi ! Puis les cris et les pleurs Des enfants ne font pas le plus beau de l'histoire ! Ils ne vous laisseront ni repos ni répit! L'un a la gale aux mains, lorsque l'autre petit

102 REVUE D'ALSACE

A de la pâte molle en ses cheveux. La bonne Eprouve des tourments, se fatigue et s'aigrit Bien pis que chez des Turcs. A peine l'un guérit, L'autre tombe malade. On travaille, on leur donne Les veilles et les soins ! Pourquoi? Pour en avoir Remerctments du diable! 1

GRÉTE

Oh ! Je voudrais bien voir Que ma dame trop fort me parle ! Notre maître Lui dit très bien son fait, quand je lui fais connaître Quelque sujet de plainte.

LISE

Eh! la mienne me va! J'aimerais seulement pouvoir par ci, par là, Me rendre au Jardin Schultz 3 pour, comme une autre fille, Trouver quelque plaisir!

8UZE

Chez nous, soir et matin, L'on cire, frotte, essuie, et sans un coup de main De notre demoiselle. Oh ! quand elle s'habille Et se pare, elle croit travailler grandement.

GRÉTE

Tonnerre! comment donc! Je perdrais joliment Patience.

LISE

La nôtre est tout à fait coulée Au même moule!

Et moi! je me trouve accablée

1 Remerâments du diable. Ingratitude (se dit aussi en Franche-Comté; voir la légende ci-après). Jardin Schultz, bal champêtre situé au Contades.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DR L'aLSACE-LORRAIRE 1

D'un repentir amer de n'avoir pas quitté Mes maîtres. Dieu pardonne! Auprès d'eux j'ai gâté Plus de souliers, ma foi! que je n'obtiens de gage Pendant toute Tannée. On a pour tout potage Quatre florins. 4 11 faut pour se faire natter Les cheveux, la piécette ; 2 et puis pour acheter La poudre et la pommade, une certaine somme Est nécessaire aussi. On entre parfois, comme On en a l'habitude, en quelque magasin De sucrerie, et puis, s'il vous reste à la fin Quelques sous, il les faut pour couvrir la dépense Du tabac à priser. Mais je connais la danse Qu'on peut faire danser à l'anse du panier, Sans cela je serais réduite à mendier.

LISE

Adieu donc maintenant Ta maîtresse t'appelle Et, si tu vois Martin, donne-lui mon bonsoir.

KJETU

Mille tonnerres! va! l'eau froide qui ruisselle Dans mon dos!

ORÉTE

Je serai seule! venez me voir Quand vous aurez assez filé !

KMTH

Grande campaine!3 Va, folle! nous irons plutôt à la fontaine!

Haguenau, le lundi de Pentecôte, 6 juin 1881.

1 Florin, deux livres ou deux francs.

* La piécette valait douze sous. En allemand : Iiièsle.

* Clochette au cou d'une vache, par extension bavarde, folle qui sait ce qu'elle dit.

REVUE D'ALSACE

LÉGENDE FRANC-COMTOISE

LA RBCONNA188ANCB DU DIABLK

Un bon paroissien (c'était un coDsciller

De fabrique, un dévot et zélé marguillier)

Un beau jour parcourant les combles de l'église

Y retrouve une image en bois qu'on avait miso

En dépôt dans ce lieu. C'était un saint Michel

Terrassant Lucifer, mais que le temps cruel

Avait bien maltraité. La couleur, la dorure

Ne voulaient plus tenir, et partout l'éraillure

Mettait le bois à nu. Notre bon conseiller

Recueillit saint Michel, et pris du plus pieux zèle

Fit remettre d'abord des plumes à chaque aile,

Fit redorer l'armure, et même dérouiller

Le glaive flamboyant. Puis couvrant son visage

De blanc, de vermillon, il mit selon l'usage

Sa tunique en azur. Après à Lucifer

Rafistolant la queue, et couvrant de cirage

Le corps, il lui fit prendre, oh ma foi ! fort bel air !

Et maint dévot dès lors vint rendre son hommage

Au saint, qu'hier encor tout chacun méprisait,

Lorsque loin des regards son triste corps gisait

Vermoulu, délaissé, dans l'épaisse poussière

Du grenier.

Un beau soir à ce bon marguillier Apparut le démon, qui venait pour lui faire De grands remerclments : « L'on allait m'oublier Dans un obscur endroit j'étais la pâture Et des rats et des vers. Me couvrant do peinture, Tu me rendis ma queue et mes griffes. Après, Rencorné tu me mis aux lieux je parais Dans toute ma splendeur. De ma reconnaissance Je voudrais t'assurer! suis-moi

Le diable avance Et le bon marguillier le suit dans la forêt. Puis, au pied d'un sapin creusant, Lucifer met A nu de grands trésors. Après il les recouvre

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE LORRAINE 105

De terre : « Tn viendras, mon cher, de grand matin, Les enlever!» «Comment pourrais-je alors demain Reconnaître l'endroit? » « Pour que personne n'ouvre La cachette, et pour que toi, tu mettes la main Sur le magot, sans peine, il n'est qu'une recette: Culotte bas ! »

On rit, et la chose fut faite. Quand la digne moitié de notre bon dévot Du coude lui tapant dans les flancs, dit : « Grand sot ! Es-tu donc un gamin pour salir ta couchette?»

Notre homme! ah! qu'il devint capot! Triste fin d'un rêve agréable! Ce fut lui qui trouva le mot: « Remercîments du diable!»

Rioz, 9 juillet 1881.

III

CONVERSATION SÉRIEUSE MAIS AMUSANTE

tenue par deux «Madame-ma-cousiner> strasbourgeoises, comme qui dirait Dame Ursule et Dame Salomê. Strasbourg, à trouver au magasin de Pausclwiger, sous les petites Arcades. 1

URSULE

Cousine, je l'avoue et le dis, ça me crève

Le cœur de voir comment de nos jours on élève

Notre jeunesse qui n'a plus aucune peur

De Hans Trapp* Les garçons se mettent, o malheur!

1 Ce morceau est une mise en action très bien réussie de la parabolo de La Paille et de la Poutre.

* Hans Trapp. Personnage fantastique qui la veille de Noël entre avec l'enfant Jésus dans les maisons il y a des enfants pour punir ceux qui ont été méchants, pendant que l'enfant Jésus récompense ceux qui ont été bons. Ce nom provient par corruption de celui d'un certain Jean de Tratt, chevalier-brigand qui se fit redouter en Basse- Alsace et dans le Palatinat.

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REVUE D'ALSACE

Tout jeunes, à jouer. Les tilles qu'on courtise

Ne songent plus qu'au luxe, à mainte mignardise,

Croyant que c'est bien beau quand elles s'en vont voir

La comédie, et quand elles vont chaque soir

Au Broglie 1 afin que chacun les y reluque,

Et de plus chaque jour dessus tous les remparts.

Les cheveux dans les yeux, tout comme une perruque,

Ces folles vous auront des mines, des regards

A vous ébouriffer. Leur gorge est toute nue

Atin que tout passant profite de la vue

De leur tôtons. Aussi leur tour de gorge est fait

De façon bien friponne. Et quant à leur corset,

Est-il, grand Dieu ! permis qu'aussi fort on le lace?

Elles portent enfin un costume effronté

Tout comme si c'étaient des gens de qualité.

La jupe en taffetas par le dessous dépasse,

Et leurs pantoufles sont de drap d'or ou d'argent,

Avec grands falbalas, avec des bas de soie

Blancs, qu'elles lacent fort, atin que l'on n'y voie

Le moindre petit pli, le moindre froncement.

Et puis au grand jamais elles ne voudront mettre

De souliers noirs. Oh non! les souliers devront être

De couleur. Vous savez, cousine, n'est-ce pas?

Qu'autrefois, aussi vrai que je suis honorable,

Le monde se montrait beaucoup plus respectable.

Ah! comme on nous faisait lire, après le repas

Du soir, dedans la Bible ! On ne pouvait descendre

Devant la porte, non ! Et quel bruit, quel esclandre

On faisait, Dieu du ciel ! et comme on nous grondait,

Quand l'une d'entre nous seulement accordait

Le plus simple bonjour aux messieurs dans la rue !

Aussitôt on disait : « Dieu! quelle dissolue! »

Quand en société quelqu'un nous embrassait!

8ALOMÉ

Ma cousine, c'est vrai! mon mari me disait 1 Broglie, promenade à Strasbourg, rendez-voua de la belle société.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE l'ALSACE-LORRAINE 107

Que du temps qu'il était encor célibataire Ça marchait autrement. Nul garçon n'allait faire Du luxe en ses habits avant qu'il ne fût sec A ses oreilles. Non ! jamais jeune blanc-bec Aux liiles ne faisait la cour ou la causette Quand il n'était pourvu de barbe à son menton. Au sortir de la classe, aujourd'hui les voit-on Dans les lieux l'on peut trouver quelque fillette, Ces beaux étudiants! Ma Siilmel 1 l'autre fois S'était permis aussi de m'en amener trois Chez nous. Bonté du ciel ! Comme je me suis mise A gronder!

URSULE

Ma cousine, il faut que je le dise Pour sa défense : alors elle ne pouvait pas Faire autrement.

SÀLOMÉ

Pardon! de tricoter ses bas Lui séait beaucoup mieux que de rester avecque De jeunes courtisans qui feraient beaucoup mieux D'aller à leur collège, à la bibliothèque. Ma tille ne doit pas s'éloigner de mes yeux De plus que de cent pas. Car n'est-il pas immense De nos jours le danger de la séduction?. . . Mais! connaîtriez-vous, ma foi! puisque j'y pense, Le jeune inagister2 donnant l'instruction A nos petits?

URSULE

Mais non cousine! Qui donc est-ce?

1 Sâlmél, Salomé.

* Magister, candidat pasteur, s'occupant d'enseignement en attendant une cure.

106

REVUE D'ALSACE

8ALOMÉ

Un homme convenable et plein de gentillesse, Prêchant déjà, très sage, et parlant couramment Le latin, et portant sa propre chevelure; Et de plus il n'est pas brutal de sa nature Comme bien d'autres qui mettront tout leur talent A nous faire pleurer nos enfants.

URSULE

Ma cousine, Que j'ai bien ri jeudi ! Mais veuillez m'excuser Si je vous interromps,

8ALOMÉ

Vous faites la badine Envers moi! laissez donc!

URSULE

Je viens de m'amuser Ce jour-là, ma cousine, en belle compagnie De messieurs bien gentils, pleins d'esprit, de gaîté. Ah! comme ils vous menaient bien la plaisanterie, A se rouler par terre! sauf un seul excepté Qu'en tous lieux et tout temps j'éviterai.

SÀLOMÉ

Cousine,

Eh bien ! pariez-vous que moi je le devine?

URSULE

Si vous le devinez, ma foi, je le dirai.

SÀLOMÉ

N'était-ce pas u ?

URSULE

kj ? C'est, ma foi, vrai ! Sa présence en tous lieux m'est bien insupportable: C'est un fort mauvais homme, un esprit pitoyable.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

Croyez-vous qu'une fois cet être portera

Son chapeau sous le brasV Ou bien qu'il se fera

Friser complètement? Oh non! mais sur sa veste

Il a cent taches, et, quand d'autres, bien ornés

Sentent l'eau de lavande, au contraire il empeste

Le tabac. Il n'a pas de gilets galonnés,

Le croirez-vous, cousine? Et jamais il ne reste

Auprès de la maison Hummel; jamais, ma foi!

Aux orgues il ne monte. Eh bien! que l'on proteste

Ou non, moi je le tiens pour un sot. Et pourquoi?

Ne me parla-t-il pas, et trois heures entières

De rien autre, ma foi, que de pur sentiment?

N'était-ce pas niais? Qu'il vienne seulement

Et me dise un seul mot! Sans faire de manières,

Comme je l'enverrai promener proprement!

Ah ! les autres faisaient bien meilleure ligure,

Payant pâtisserie et bonne confiture

Qu'ils faisaient arroser de fort bon vin muscat!

S'ils viennent quelque part, vite on vous accommode

Ce qu'il y a de tin, de bon, de délicat!

Et le moindre chiffon sur eux est à la mode,

Chaque quinzaine ils ont un nouveau vêtement

Oui ! c'est un vrai plaisir d'avoir un tel amant:

Avec lui dans la rue on peut se montrer fière.

Le sentiment intime ? Eh ! que peut-il me faire

Quand un individu ne peut rien me payer

Ni donner ? Mon amour est prêt à se rouiller

Quand à mon amoureux ce sentiment ne coûte

Quelques sous.

SALOMÉ

Mais voyez ! combien cela déroute D'avoir tant à penser. Je viens de remarquer Seulement maintenant cette belle engageante 1

Engageante, espèce de fichu à la mode à l'époque.

110 REVUE D'ALSACE

Que ma cousine a là.

URSULE

Ma cousine plaisante! De moi voudriez-vous, ma chère, vous moquer?

8ÀLOMÉ

Cousine, non, vraiment! Oh bien! la belle chose! l'avez-vous donc fait broder? L'œillet, la rose Sont comme s'ils vivaient

URSULE

Moi? Je l'ai fait broder

Par Madame Bârwel.

8ÀLOMÉ

Je devais le cuider ! Mais ce qui me déroute auprès de ces brodeuses C'est qu'elles font bien trop attendre les dessins Qu'on leur a confiés!. . . Sommes-nous curieuses?. . . Pour qui seraient donc bien les tartes aux raisins Que nous venons de voir porter ? Pour qui, cousine, Le penseriez-vous bien ?

URSULE

C'est pour une voisine Qui dans le Trou-Thomann 1 accoucha justement

SÂLOME

On sonne l'heure. Chut!

URSULE

Combien?

8ALOMÉ

Midi!

URSULE

Comment!

C'est vraiment pitoyable !

8A.LOMÉ

Oh ! ça ne peut pas être !

1 Trou Thomann (Dummeloch), rue parallèle à la Petite Rue des Bouchers.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE l/ALSACE-LORRAINE

111

Midi!

URSULE

Si ! vous pouvez très bien le reconnaître Par le son des tambours.

8ALOMÉ

Loin de vous en aller Restez encore un peu. J'aime voir détiler Ces beaux Nassoviens. 1

URSULE

Moi, cousine, de même.

SALOMÉ

Ils viennent.

URSULE

Cette marche est belle !

SALOMÉ

Oh! oui! moi j'aime

Le son de leurs tambours.

URSULE

Ma cousine, toujours Je suis votre servante et nullement n'hésite D'humblement vous prier de donner mes bonjours A votre cher mari.

SALOMÉ

Pareillement! Bien vite Il faut que je me sauve. Allons! Bien du bonheur! Surtout venez bientôt me faire une visite.

URSULE

Ma cousine sous peu je m'en ferai l'honneur! Rioz, 18 mai 1881.

Ch. Berdellé.

(La fin à la prochaine livraison.)

1 Les Nassoriem, un des régiments allemands qu'avant la Révolution la France avait à son service. Les princes de Nassau avaient des pos- sessions dans cette portion du Bas-Rhin, située à l'ouest des Vosges, et ces possessions devaient fournir des hommes au régiment de Nassau.

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MATÉRIAUX

POUR SERVIR A

L'HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS

tirés des archives de Colmar

(Suite)

3 janvier 1642 24 mai 1643

Démarches de la ville pour pouvoir prendre part aux négociations; peu de sûreté des routes en Alsace; nouvelle apparition du duc de Lorraine; bourgeois de Colmar prisonniers à OffenJbourg et à Philipsbourg ; insolences des gouverneurs de ces deux places ; victoires des alliés et reprise des négociations : quel sort réservé à l'Alsace ? mort de Richelieu; lettre de Mazarin; contesta- tion au sujet des donations faites par la Suède à la ville.

En apprenant les mesures sérieuses dont les plénipoten- tiaires étaient tombés d'accord, la ville de Colmar s'empressa d'écrire, sous la date du 10 janvier 1642, à Salvius et à Jean Oxenstirn, le fils du chancelier, qui avait été adjoint à l'am- bassadeur ordinaire, pour qu'ils prissent ses intérêts en con- sidération. Elle leur fit sentir que, malgré la protection de la France, elle ne pouvait compter eu toutes choses sur son appui et que la bienveillance de la couroune de Suède pou- vait seule assurer la liberté de conscience aux protestants. {Prot. miss.)

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HISTOIRE t>Ë LA GUERRE DE TRENTE ANS 113

Le résident Mockhel, par l'entremise duquel la ville cor- respondait avec les ambassadeurs, agissait de son côté à Stockholm et, par sa lettre du 31 janvier, il fit part à la ville de plusieurs dépêches qu'il avait adressées à la reine de Suède, et il lui recommandait particulièrement les intérêts des villes protestantes d'Alsace, Strasbourg, Colmar et Munster.

L'ouverture des conférences avait été fixée au gg mars, et la ville ne méconnaissait pas l'utilité qu'il y aurait pour elle d'y prendre part. Cependant elle n'avait pas encore reçu les saufs- conduits qui lui étaient nécessaires, et ce retard ne laissait pas que de l'inquiéter. Elle venait d'envoyer à Paris le régis- trateur ou archiviste Jean-Balthasar Schneider, pour y solliciter l'immunité fiscale des terres appartenant à ses bourgeois hors du ban de Colmar; 1 elle lui écrivit, le 7 février, pour le prier de faire demander ce passe-port par le comte d'Avaux, à l'ambassadeur impérial de Lutzow, et de procurer à l'envoyé de Colmar ses entrées chez l'ambassadeur de France.

A son arrivée à Paris, Schneider avait appris que Louis XIII était parti avec toute sa cour pour la Catalogne. Il avait cru de son devoir de rejoindre le roi, et ne reçut la lettre de ses commettants qu'à Béziers, le ^ mars 1642. Toujours à la suite de la cour, il arriva avec elle à Narbonne et s'adressa à M. de la Barde, premier commis de M. de Chavigny, spécialement chargé des négociations relatives à la paix. Il apprit ainsi, que tous les états et villes d'Allemagne qui s'étaient alliés avec la France, devaient avoir part aux saufs-conduits. Mais jusque personne n'ayant rien demandé, les bureaux avaient négligé de se mettre en mesure. En attendant ce passe-port, Schneider obtint une lettre du roi, sous le contre-seing de Bouthillier le père, datée de Narbonne, 10 avril, portant que, sur les repré- sentations de leur député, Sa Majesté faisait savoir à ses très

X. Mossmann, Contestation de Colmar avec la Cour de France (1641- 1644). Colmar, Eug. Barth, 1869, in-8°.

Nouvelle Série. HT* année. 8

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114 REVUB D'AI-SACE

chers et bons amis de Colmar que, par le traité conclu à Hambourg «touchant les préparatoires à la paix», les ennemis avaient promis de mettre à la disposition de la France un sauf-conduit pour tous ses alliés et adhérents dans l'Empire, et qu'au moyen de ce document il sera loisible à la ville de se faire représenter aux conférences.

Pour n'être plus le théâtre de la guerre, l'Alsace n'en restait pas moins exposée aux insultes des Impériaux, et particuliè- rement de la garnison d'OÔenbourg, qui faisait de fréquentes pointes sur la rive gauche. Les routes et la campagne étaient peu sûres. L'ennemi en embuscade surprenait les marchands et les cultivateurs, dételait les chevaux, faisait des prisonniers et disparaissait. La ville ne demandait pas mieux que de faire battre le pays par de fréquentes patrouilles ; mais il se trou- vait des seigneuries qui prenaient ombrage de ces mesures protectrices, et à qui il ne convenait pas de laisser violer leur territoire par les soldats de la garnison allemande de Colmar. (Prot. miss, lettre au général d*Erlach du 13 février 1642.) Le 16 mai, cinq cavaliers tombèrent sur des voituriers suisses, près du pont de la Katzwang, à qui ils enlevèrent quatre chevaux et une trentaine de rixdales. Les voituriers portèrent plainte, et le magistrat envoya contre les voleurs un détache- ment qui les joignit dans la forêt du Rothlœublen. Sommés de se rendre, ils résistèrent, et l'un d'eux fut tué les armes à la main. On l'amena avec son cheval à Colmar, il fut enterré peut-être avec trop de précipitation. Il se trouva que ce n'était pas un ennemi, et que les auteurs de cet attentat étaient des cavaliers du régiment de Rosen. (Prot. miss, lettres à d'Erlach et au colonel Rosen, du 17 et du TJ mai, et lettre de ce dernier à la ville, du 21) mai.) Cependant les Impériaux n'étaient pas loin ; car, le 17 au soir, un parti de la garnison d'Offenbourg, posté dans le Landgraben, fit plusieurs prisonniers, entre autres le commissaire des guerres Courrier, en résidence à Colmar, qui toutefois ne tarda pas à recouvrer sa liberté.

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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 115

Certaines circonstances donnèrent lieu à la ville de croire que les ennemis en voulaient surtout à ses bourgeois. Elle trouvait de plus qu'on les traitait plus rigoureusement que tous les autres prisonniers, et elle s'en plaignit au résident Mockhel et au général major d'Erlach, par lettres du 28 et du 29 mai. {Prot. mm.) C'était, disait-elle, grâce aux accoin- tances que les Impériaux avaient formées à Sélestadt, qu'ils pouvaient ainsi s'aventurer sur la rive gauche, et elle crut que plus de sévérité à l'égard des prisonniers ennemis ren- drait leurs compagnons plus prudents.

Le mal était que le plat-pays était sympathique à ces entre- prises ; c'était aux Impériaux que les paysans portaient leurs informations, plutôt qu'aux garnisons françaises ou suédoises de Colmar, de Brisach, de Sélestadt et de Benfeld. Il n'était possible d'obvier à cet inconvénient que par des reconnais- sances fréquentes et combinées entre les diverses places-fortes, et c'est dans ce but que Colmar écrivit, le 9 juin, à Mockhel, après avoir déjà obtenu du général d'Erlach qu'il ferait plus exactement surveiller le pays entre le Rhin et 1111. {Prot. mm.) Le résident partageait les vues de Colmar, et il affirme qu'il se passait peu de jours sans que le gouverneur de Benfeld envoyât au dehors quelque parti de sa garnison. Il s'agissait d'en obtenir autant de Sélestadt, qui devait surveiller le cours de 1111 et le passage du Landgraben.

Cependant les pointes de l'ennemi ne discontinuaient pas; d'Erlach qui avait envoyé une partie de ses troupes en Lor- raine, fut contraint de les faire revenir; en attendant leur retour, il requit quarante hommes de la garnison française de Colmar, auxquels la ville joignit bénévolement vingt-cinq hommes de sa compagnie allemande. {Prot. mm. lettre à d'Erlach, 11 juillet UÎ42.)

C'était une nouvelle apparition du duc de Lorraine qui motivait ces mesures. Il est vrai qu'elle fut de courte durée, et que le prince ne dépassa pas Molsheim et Obernai. Mais

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116 REVUE d'aLSACE

cela n'empêcha point les cavaliers du lieutenant-colonel Bissinger de pousser jusque dans le plus proche voisinage de Colmar, ils s'emparèrent, dans la première quinzaine d'août, de deux bourgeois et de vingt et quelques chevaux, qut furent menés au camp du duc de Lorraine, et de à Landau. On exigea de chaque prisonnier une rançon de 230 rixdales, qui dépassait de beaucoup leurs ressources. Les Impériaux d'Oftenbourg en usaient de même, et un de leurs partis enle- vait à la même époque, dans la forêt du Kastenwald, entre Colmar et Brisach, tantôt le messager de la chancellerie, tantôt de simples bourgeois. Le magistrat écrivit, le 15 août, à d'Oysonville (Prot. miss, gall), pour le prier d'intervenir auprès des gouverneurs de Philipsbourg et d'Otfenbourg, les* prisonniers avaient été menés. Le 11) août, il s'adressa aussi au gouverneur de Benfeld, le colonel Moser, en lui demandant son agrément pour tenter une surprise de l'autre côté du Rhin, dans le but de ramener des prisonniers à échan- ger contre ses bourgeois. (Prot. miss, germ.) D'Erlach prévint ses désirs et lui envoya un cavalier de Bissinger qu'il avait entre ses mains. (Prot. miss, lettre à d'Erlach du 23 août.) Le projet d'envoyer un parti au-delà du Rhin, pour se nantir de prisonniers d'Offenbourg, fait aussi l'objet d'une lettre du 30 août, également au général-major d'Erlach.

Cependant, mieux sur ses gardes, le gouverneur de Brisach parvint à s'emparer de tout un parti de la garnison d'Offen- bourg, qui s'était aventuré sur la rive gauche du Rhin. Au nombre des prisonniers se trouvait un déserteur, le nommé Kleindienst, de Sainte-Croix, vassal de Colmar, à qui il avait fait hommage. La ville en demanda l'extradition par une lettre du 16 septembre. (Prot. miss.)

Le baron d'Oysonville, qui était alors à Saverne, ne jugea pas à propos d'écrire immédiatement au gouverneur de Philips- bourg, le colonel Bamberger. Il voulait d'abord envoyer un fort parti dans le margraviat de Bade, avec ordre de ramasser

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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 117

tout ce qu'il pourrait de prisonniers. Une fois les mains gar- nies, il promettait (lettre du 19 septembre) de parler hardiment et de traiter ses prisonniers comme l'ennemi traitait les gens de Colmar. Le lieutenant du roi se ravisa pourtant, et il annonça à la ville, le 21 septembre, le départ d'un trompette porteur d'une lettre pour Bamberger. Il en rapporta une réponse on ne peut plus offensante pour la ville et que d'Oysonvillc s'empressa de lui communiquer, « ne voulant pas lui cacher le maltalent qu'il paroist en icelle, que le party impérial a pour elle». Il ne restait qu'à attendre le retour d'un parti que d'Oysonville avait envoyé six jours auparavant tout exprès pour faire des prisonniers, qu'il promettait de livrer à Colmar. Le même trompette était porteur d'une lettre de deux bourgeois de Colmar, Henri Gsell et Jean Walch, prisonniers à Philipsbourg.

De son côté d'Erlach s'était adressé au colonel de Schauen- burg, gouverneur d'Oftenbourg, pour lui proposer d'échanger les bourgeois de Colmar contre des prisonniers qui se récla- maient de lui. Schauenburg reçut cette ouverture fort mal ; il manda, le 10 octobre, au gouverneur de Brisach, qu'il ne pou- vait considérer les gens de Colmar, en général, que comme des parjures et des rebelles, coupables du massacre d'une partie de la garnison impériale, en 1632; l'un des deux prison- niers qu'il tenait, était particulièrement accusé d'avoir tué trois soldats de sa main, et quant à l'échange proposé, il voulait le restreindre aux seuls habitants de Brisach et de Markolsheim.

Cette exclusion outra moins notre ville que les inculpations injurieuses dont elle était l'objet. Elle répondit au général major, le 21 octobre, pour protester hautement contre cette atteinte portée à son honneur, et pour repousser comme dénuées de tout fondement les allégations de Schauenburg. Les hommes qui, contrairement aux constitutions de l'Empire, avaient été chassés des emplois et exilés, n'étaient pas respon-

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REVUE D'ALSACE

sables du tumulte qui avait accompagné la reddition de la ville aux Suédois, mais ceux qui se trouvaient alors à la tête des affaires, et dont quelques-uns vivent encore. Le tumulte même n'était-il pas la suite des discours imprudents de la garnison, qui ne parlait de rien moins que de massacrer le magistrat et la bourgeoisie? Dans tous les cas, ce n'est pas à quelques chefs militaires à condamner la ville, quand, par une convocation spéciale à la diète de Ratisbonne, l'empereur lui avait solennellement reconnu le rang et la qualité d'état de l'Empire.

Sur ces entrefaites un incident favorable mit entre les mains de d'Erlach plusieurs prisonniers de distinction, appar- tenant à la garnison d'Offenbourg. Le colonel de Schauenburg se radoucit, et les deux bourgeois de Colmar furent mis en liberté. Mais arrivés à Brisach, ces pauvres gens furent retenus par les ordres du gouverneur, qui prétendit que l'échange n'avait été consenti par le commandant d'Offenbourg que moyennant une soulte de 500 rixdales. La ville intervint de nouveau, et le général major délégua le colonel Hattstein pour traiter de l'affaire. Celui-ci en remit le soin à quelques officiers et l'on finit par tomber d'accord moyennant quelques foudres de vin. Mais le marché ne fut pas reconnu par d'Er- lach, qui tenait à ce que la rançon fût en argent. La ville finit par prier M. de Polhelm de dénoncer à la cour ce procédé du gouverneur, elle ne voyait qu'une grossière tentative d'ex- torsion. (Prot. miss, lettre du 28 décembre.)

Malgré la nouvelle phase le dernier traité de Hambourg avait fait entrer les négociations, l'action diplomatique faisait peu de progrès. Tant que le sort des armes restait incertain, l'Empire était peu disposé à ces concessions, sans lesquelles le parti protestant ni la France n'étaient disposés à transiger (Cf. lettre de Mockhel du 5 décembre). La victoire de Lérida sur les Espagnols, celle de Leipzig sur l'archiduc Léopold rendirent l'empereur plus accommodant. Colmar eut avis de

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HISTOIRE DE LA G L'ERRE DE TRENTE ANS

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la défaite des Impériaux par une lettre pleine d'intérêt, datée du camp devant Leipzig, 30 octobre 1642, dont Mockhel lui envoya copie. Le 16 novembre, le baron d'Oysonville écrivit à la ville pour l'engager à se joindre à M. Clausier pour rendre grâce à Dieu des victoires obtenues par les maréchaux de La Mothe et Torstenson sur les principales armées de la maison d'Autriche.

Far une lettre du 28 mars 1643, Salvius put annoncer que les ratifications du traité de Hambourg et les saufs-conduits avaient enfin été échangés, et que l'on était tombé d'accord d'ouvrir définitivement les conférences, le ~ juillet, à Osna- bruck et à Munster. Ce n'était pas trop tôt: Salvius était depuis sept ans chargé de traiter des seuls préliminaires de la paix. Les saufs-conduits n'étaient pas nominatifs: Mockhel devait envoyer à l'ambassadeur les noms des états de son ressort appelés à se faire représenter.

Le 20 avril, Salvius adressa directement à Colmar une copie notariée du sauf-conduit, en faisant remarquer à la ville que si la reine de Suède avait voulu sacrifier ses alliés et ses core- ligionnaires, il n'aurait pas fallu tant de temps pour mener l'affaire à ce point.

Malheureusement pour la maison d'Autriche et l'Allemagne, il ne s'agissait plus seulement de la liberté religieuse des pro- testants : c'étaient le territoire et les frontières de l'Empire qui étaient enjeu, et les hommes qui présidaiont à ses destinées ne pouvaient se résigner à ce sacrifice. Un mémoire daté du

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2g janvier 1643, et signé par le Dr Weber, avocat consultant de la ville, donne de curieux renseignements sur les préoccu- pations qui assiégeaient alors les esprits. Chargé d'une mission auprès du Dr Welcker qui, sous le titre d'auditeur général, exerçait à Brisach les plus hautes fonctions civiles à côté du général major d'Erlach et du lieutenant du roi d'Oysonville, Weber rend compte dans ce rapport de la conversation qu'il avait eue avec ce personnage et qui touchait au sort réservé

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REVUE D'ALSACE

à l'Alsace. Il ne doutait pas, disait-il, qu'il ne s'accomplît prochainement un changement notable dans la situation du pays. Strasbourg y passera comme le reste: quand le roi réclamera le pont du Rhin, cette ville ne pourra pas se main- tenir davantage. La France, continua-t-il, avait songé à créer une justice ambulatoire, mais ce projet n'avait pas abouti. Il est question maintenant de placer quatre agents à la tête du diocèse de Strasbourg, de l'Alsace, du Sundgau et du comté de Montbéliard, relevant tous les quatre d'un président ou d'un commissaire central et, dans ce cas, Colmar devra se résigner et obéir comme les autres états de la province. Bientôt le pays en-deça du Rhin reprendra son nom d'Austrasie. On avait déjà discuté la question des appels de Sélestadt à la chambre impériale de Spire, et tout en reconnaissant que ces appels étaient de droit, le baron d'Oysonville avait été d'avis de soumettre les procédures en instance supérieure h une simple révision. Du reste on doit savoir que, d'après Limnœus, Colmar n'était pas à proprement parler une ville libre, puis- qu'elle était sous l'avouerie d'un grand-bailli, et qu'elle n'était état de l'Empire qu'en sa qualité de membre de la Décapole.

Peu de temps avant cet entretien remarquable, Colmar avait reçu la nouvelle de la mort de Richelieu. La politique de ce grand homme d'Etat l'avait bien disposé pour la petite république qui avait su, au prix d'une capitulation et d'une alliance qu'on qualifiait de trahison, se soustraire au joug de la maison d'Autriche, sans se douter du risque beaucoup plus grand auquel elle s'exposait. La ville ressentit cette perte et en exprima, le 28 décembre, ses regrets au comte de Chavigny et à M. des Noyers, à qui, par la même occasion, elle recom- manda ses intérêts. Elle écrivit en même temps au cardinal Mazarin, pour le féliciter du choix que Louis XIII avait fait de lui pour remplacer le cardinal-duc, et pour le prier de con- server à Colmar les mêmes sentiments que son prédécesseur lui portait (Prot. miss, gall.)

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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 121

La réponse de Mazarin est du 19 février, et mérite d'être transcrite textuellement.

« Messieurs, la passion particulière que je scay que Monsieur le Cardinal Duc auoit pour les intérêts de vostre Republique, ne me permet pas de douter que vous n'ayez esté très-sensi- blement touchez de la mort de ce grand Ministre. Bien que je me trouve fort esloigné de ses merveilleuses qualitez, Je vous puis neantmoins asseurer que je luy ay succédé en l'jnclina- tion qu'il auoit de vous seruir auprès du Roy, et que je croirois faire tort à ce que je dois à la mémoire de celuy par le conseil et à la prière duquel II m'a fait l'honneur de me donner part en la conduite de ses affaires, si j'auois un autre sentiment. Je vous supplie, Messieurs, de le croire et de croire encore que n'ignorant pas le zele qu'entre toutes les Villes Impériallos la vostre a tesmoigné auoir pour cette Couronne, Je ne in'es- timerois pas estre assez bon françois, si j'espargnois aucune sorte d'offices auprès de sa Majesté pour la porter à vous con- tinuer sa Royalle protection et si je laissois perdre aucune occasion je pusse vous faire paroistre que je suis vérita- blement, Messieurs, etc. »

Le bon vouloir du nouveau ministre n'était pas de trop dans un moment des difficultés de plus d'un genre pesaient sur la ville. Sans parler des négociations son sort allait se décider, la question de la dîme extraordinaire n'était pas vidée. D'un autre côté l'état-major du feu duc de Weimar soulevait des prétentions qui allaient jusqu'au renversement des avantages qu'Oxenstirn avait accordés à la ville. Avant sa mort, Bernard usant royalement du droit de la guerre, avait distribué à ses officiers différents domaines situés sur la rive gauche du Rhin et, à cette occasion, Colmar avait déjà justifier de ses droits sur Holzwihr et Wickerschwihr. On lui fit de nouvelles difficultés au sujet de Herlisheim, l'accusant même de n'être en possession de cette villettc qu'en vertu d'un blanc-seins arraché au grand-chancelier. (Cf. Mémorial du Dr Weber, du |J janvier.)

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122 REVUE D'ALSACE

La mort de Richelieu procura, comme à tant d'autres, la liberté au premier gouverneur de Colmar, M. de Manicamp, qui, après s'être cru un instant le favori du ministre, était tout à coup tombé dans la plus profonde disgrâce. Il écrivit à la ville le 19 février, de Manicamp, pour se rappeler à son souvenir et lui offrir le crédit d'amis puissants qu'il avait à la cour, mais il n'avait pas encore licence d'aller.

Son successeur, le marquis de Montausier, revint peu après en Alsace. Il avait été nommé maréchal de camp et avait été rejoindre en cette qualité le comte de Guébriant en Allemagne. Une lettre de lui, jointe au dossier, est datée du camp d'Or- dingen, 29 juillet 1642. Le 22 mars 1643, il avait repris son poste à Sélestadt : sous cette date, Colmar lui envoya pour sa bienvenue un présent d'avoine, que le gouverneur accepta avec autant de cordialité qu'on le lui offrait.

X. Mossmànn.

(La suite prochainement.)

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NOTES BIOGRAPHIQUES

SUR LES

HOMMES DE LA RÉVOLUTION

A

STRASBOURG ET LES ENVIRONS

Suite

SANCY (Bruxet de).

1789. Capitaine en premier au corps royal d'artillerie, attaché à la fonderie de Strasbourg, chevalier de Saint-Louis. Septembre 1791 . Membre du Conseil d'administration du district de Strasbourg, lequel s'étant constitué le 15 suivant, le nomma président, fonction qu'il occupa jusqu'au 18 oc- tobre 1793, pour faire place à Klasser ou Classer, un baron prussien .

SAREZ (Simon). à Strasbourg en 1755. i' était professeur de français avant 1789 En 1789. Du Comité de la garde nationale 1er juillet 1790. Capitaine de la garde nationale de Strasbourg, il part avec quarante-six hommes pour assister à la fête de la fédération à Paris 15 septembre. De la Société des amis de la constitution : il avait alors 35 ans 7 février 1792. De celle des jacobins 21 juin. Au Club il signe l'adresse à envoyer à toutes les sociétés affiliées, sur la situation politique des frontières -— 24 juin. Pour ce fait il est cité devant le juge, et le Club est fermé 21 août. Membre de l'administration départementale 12-14 novembre. A

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REVUE D'ALSACE

l'élection tenue à Wissembourg, il est maintenu dans ces fonctions 17 mai 1793. Inscrit comme volontaire pour aller en Vendée 8 octobre. Membre du Comité de surveil- lance et de sûreté générale du Bas-Rhin 17 octobre. Il approuve une liste de deux cent quarante huit suspects, mis au Séminaire 3 novembre. Saint-Just déclare qu'il ne sera pas compris dans l'arrestation de ses collègues du département 25 novembre. D'une commission pour pré- senter les moyens d'opérer la levée des habitants du Bas- Rhin 19 décembre. Aux Jacobins, il vote la mort de tous les suspects 25 décembre. Proposé pour notable du Con- seil de la commune de Strasbourg 19 février 1794. Il est à Paris 24 août. De retour, il fait appel aux Strasbourg eoises pour la confection d'effets militaires 28 août. Chargé d'examiner la conduite de Noisette et Burger, enfermés au Séminaire 25 octobre. Encore aux Jacobins En 1796. Membre du Comité d'administration du théâtre de bienfai- sance à Strasbourg. Il avait la garde du magasin.

SAURIAT (Jean-Charles).

en 1754 à Poligny, avant 1789 il était simple bour- geois — 20 avril 1794. Agé de 40 ans, général de brigade à Strasbourg, il est reçu membre de la Société des jacobins. Encore inscrit le 25 octobre suivant.

SCAER (Laurent).

1789. Un savetier de Strasbourg 1793. Membre de la Société des jacobins, le maire Monet le fait élire notable du Conseil municipal le 30 janvier 1794; trois mois après il était déjà remplacé, et le 25 octobre il ne figure plus aux Jacobins 1805. Conducteur auxiliaire pour travaux de navigation à Strasbourg.

SCHATZ (Jacques).

1789. Fabricant de bas à Strasbourg 26 février 1791. De la Société «les amis de la constitution 7 février 1792. De celle des jacobins 18 janvier 1793. Officier municipal 16 février. Les représentants Dentzel et Couturier lui en-

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LES HOMMES DE LA RÉVOLUTION

125

joignent, par la filière du Comité permanent du Conseil général de la commune, de tenir dorénavant une conduite plus prudente 12 mai. Avec la 8* section, il demande à la Convention nationale le bannissement de Schneider l"juin. Chargé de prendre des informations sur Marbach, receveur des Orphelins, suspect d'aristocratie, tenant au parti des émigrés et des nobles. Ses papiers seront scellés

8 octobre. Maintenu officier municipal 18 octobre. Procureur de la commune 2 novembre. Sur une liste de suspects 3 novembre. Saint-Just ordonne de ne point le comprendre dans l'arrestation de ses collègues 5 nov. Agent national de la commune 2 décembre. Procureur provisoire de la commune, il s'oppose à la destruction des statues de la cathédrale -- 25 décembre. Proposé pour le tribunal du district de Strasbourg 27 décembre. Agent national, il requiert la police à fairo démolir la maison Scharrer, place du Marehé-aux-Poissons, 76 26 février 1794. Président du district de Strasbourg, il atteste les faits dénoncés au Comité de salut public de la Convention natio- nale contre Schneider 25 octobre. Il ne figure plus aux Jacobins.

SCrLEFFTER (George).

en 1757 à Ribeauvillé Avant 1789. Commis dans les administrations publiques 1791. Employé des douanes à Strasbourg 22 novembre 1793. Visiteur, il est reçu mem- bre du Club des jacobins, il est encore le 25 octobre 1794.

SCHERER (Jean).

Un ex-moine allemand, de Tordre des Carmélites, qui est venu s'abattre en Alsace, fia 1790 1791. Curé catho- lique assermenté de Bischheim-au- Saura, près de Strasbourg

7 novembre 1793. Au maire de cette commune, Jean Schaub, il déclare, que ne parvenant pas à détruire le fanatisme dans la commune, il était décidé à renoncer en- tièrement à l'état de prêtre pour devenir homme libre et gagner sa vie autrement que parles tromperies sacerdotales.

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REVUE D'AI^ACE

Il prie le maire de lui certifier sa déclaration, puis il s'adresse à l'évêque constitutionnel Brendel.

Concitoyen,

Il y a assez longtemps que contre ma volonté j'appartiens à la bande noire des prêtres, il est temps que je m'en sépare et que je redevienne homme ; je vous somme donc de me biffer de la liste de vos encenseurs d'idoles.

Un mois après qu'il était homme libre, D1 Stamm l'em- ploya comme cinquième commissaire pour la levée des taxes révolutionnaires de Saint-Just et Lebas, dans les communes des environs de Wasselonne; mais comme ses quatre autres collègues avaient déjà versé leurs recettes, et que les siennes n'arrivaient pas, 1* Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin, fit sceller et déposer ses papiers au tribunal et ordonna, le 16 décembre, qu'il serait interrogé 19 décembre. 11 verse 40,339 livres à Blanchot

1793. Bien qu'ayant fait partie de la Société des jacobins, il ne figure pas sur la liste dressée le 25 octobre 1794.

SCHILLING.

1789. Avocat-secrétaire-interprète à la suite du Conseil de la régence et Cour féodale à Saverne 1792. Avoué gradué au tribunal du District séant à Saverne 1793. De la Société des jacobins à Strasbourg 10 septembre. Député par le Club, à la municipalité, pour faire arrêter le professeur Ditterich, Noisette et Wild; au commandant de la place, pour qu'il prenne les mesures, afin que ces oiseaux ne s'évadent pas, et malheur à ceux qui leur donneront asile

25 octobre 1794. Encore inscrit aux Jacobins.

SCHLŒSSING.

1789. Agriculteur à Bouxwiller 1793. Commissaire de la République, il arrive à Ohlungen, canton de Haguensu, ordonne d'allumer un feu sur la place du village pour y brûler publiquement la statue de la Vierge. Quelques pieuses filles réussirent à tromper sa surveillance; elles jetèrent dans les flammes une pièce de bois couverte d'oripeaux, ot

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déposèrent dans le lit du ruisseau la statue, qui fut préservée de la sorte de la fureur révolutionnaire. Après la conclusion du Concordat, la Mariette fut placée dans l'église paroissiale 21 juillet 1794. Le Comité de surveillance de la commune de Strasbourg le fait arrêter et adresse au Comité de sûreté générale de la Convention nationale sa correspondance avec l'Etranger, dont il était un des principaux agents se- crets. Membre de la Société des jacobins, il en fut exclu à cette époque J798. Membre de la Commission adminis- trative de l'hospice civil de Bouxwiller 18<>0. Membre du second Conseil d'arrondissement séant à Saverne, il est qualifié d'ex-président de l'administration municipale de Bouxwiller. Il s'occupa avec zèle de la plantation d'arbres fruitiers, de l'emploi de toutes sortes d'engrais artificiels, qui lui ont bien réussi. Il imagina aussi de semer la garance en grains.

SCHMITTHENNER (Jean).

en 1750 à Strasbourg, il était fabricant de bas avant 1789 Juillet 1793. Adjudant-major de la garde civique à Strasbourg De la Société des jacobins 13 novembre. Le tribunal révolutionnaire lui paie 100 liv. pour avoir dénoncé le boulanger Kolb 25 octobre 1794. Encore aux Jacobins.

SCHMITTHENNER (Jean-Théophile).

en 1757 à Strasbourg, il était, comme son frère aîné, fabricant de bas. De mai 1793 au 25 octobre 1794, membre de la Société des jacobins.

SCHMITZ.

1789. Tailleur à Strasbourg 1792. De la Société des jacobins 1793. Commissaire-adjoint de la police, il fournit une liste de vingt-sept suspects de la 1M section du ^'arron- dissement, alors aux environs de l'église Saint-Jean à Stras- bourg — 14 décembre 1793. Le Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin lui paie 200 liv. pour grati-

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fication 25 décembre. Le même comité lui alloue 150 liv. pour vacations aux cartes de sûreté, mais cette somme lui est retirée le môme jour, Tayaut déjà reçue dès le 14 25 octobre 1794. Rjyô des Jacobins.

SCHŒLL (Louis-G uill aume-Fkédéricj jeune,

Grand'rue.

Homme de loi Avant 1789, de la Chambre des tutelles et de la tribu des charpentiers 1791. Juge de paix du 3* canton de Strasbourg 31 janvier. De la Société des amis de la constitution 8 août. A l'élection au Château il est nommé administrateur du Bas-Rhin 20 avril 1792. Il signale un opuscule de Schneider, ayjnt pour titre: La gla- cière d'Avignon à Strasbourg. Relation officielle du meurtre judiciaire préparé au frère Laveaux, publiée par un ami de l'huuumité en l'an IV de la liberté, comme étant Tune des plus infâmes productions qui aient jamais paru à Stras- bourg — 26 juin. A l'Auditoire, il donne lecture d'un appel à ses concitoyens, qu'il vient de publier contre Témeute jaco- bine à Paris, du 20 juin 21 août- Suspendu comme admi- nistrateur du Bas-Rhin, pour avoir refusé de retirer ea signature au bas de l'arrêté interdisant les réunions des sociétés politiques 13 octobre. 11 fait mettre au Séminaire l'abbé Rumpler, sur la dénonciation de Bussy Lavenaud, gurde-national de la Haute-Vienne 28 novembre. Il réfute la brochure de Schneider sur le procès criminel fait à Die- trich 0 décembre. Substitut de Mathieu, procureur de la commune sous le maire de Tûrckheim 18 janvier 1793. Destitué comme substitut, mais maintenu juge de paix pro- visoire. A cette époque, les jacobins le jugeaient:

Jeune homme extraordinairenieut intrigant et dirigeant lui seul les élections, a débuté à Strasbourg, par être aristocrate, ensuite s'attacha an char de Dietrich et devint un de ses intimes fouillants; lors de la suspension des Corps administratifs, il était du Conseil départemental et a beaucoup contribué à sa rébellion. Il a subi le môme sort que Tiirckheim et Mathieu.

11 février. La municipalité doit le faire sortir de Stras-

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LES HOMMES DE LA RÉVOLUTION 129

bourg, dans le plus bref délai 19 mars. A Besançon il dépose en faveur du maire Dietrich 11 juin. Les autorités des sections se réunissent à 6 heures du soir, en secret, et arrêtent qu'il sera enfermé au Séminaire. C'est Schneider qui rédigea le rapport, se terminant ainsi :

Si ce conseiller du département avait été à Paria, et se fût opposé à la déposition de cet insigne mauvais sujet (le Roi), comme il l'a fait à Strasbourg, on ne l'aurait ni déporté, ni incarcéré, mais sans aucun doute guillotiné.

20 juin. Malgré ces menées il est encore juge de paix, car devant lui, les signataires de l'arrêté de la 8' section, ayant été assignés en diffamation par Schneider, furent obligés de se rétracter, et de déclarer qu'ils regardaient Schneider comme un bon citoyen et un fonctionnaire probe.

2 juillet. Son arrestation est annoncée par Schneider. Il sera conduit à Paris et traduit devant le tribunal révolution- naire de la Seine, comme prévenu d'avoir constamment et à dessein, éludé la loi qui défend les doubles prix 8 déc. Au Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas- Rhin, il comparaît avec trois membres de la Propagande, munis de pouvoirs des représentants du peuple, pour exa- miner des lettres prouvant que Froment, ex-directeur des messageries à Nancy, est un contre-révolutionnaire. Il sera arrêté et conduit à Strasbourg 29 août 1794. Comme juge de paix, il reçoit la déclaration de Weiss, d'Ittenheim, dans l'affaire Poirson, dlllkirch 9 septembre. Proposé à Fous- sedoire comme maire de Strasbourg en remplacement de Monet. Il refuse 17 janvier 1795. Bailly le nomme juge au tribunal civil du district de Strasbourg, fonction qu'il occupe encore en 1799 1800. Président du tribunal de première instance du 4* arrondissement, siége mt à Barr.

SCHOULP;R (Jean-Henri).

en 1742 à Strasbourg, il fttnit charn ri>eur HV;mt 1789 27 novembre 17J2. De la Société d s jacobins, il figure encore le 25 octobre 1794.

Nouvelle Série. - H~ année. 9

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REVUE D'ALSACE

SGHROPP.

Horloger à Strasbourg avant 1789 1793. De îa Société des jacobins et membre du Comité de surveillance de la commune 5 janvier 1794. Le représentant Bar le nomme membre du nouveau Comité de surveillance de la commune de Strasbourg 20 mai. Il reproche à celui de la ville de Colmar sa mollesse à l'égard de l'Ammeister Lemp 21 mai. Il dénonce à celai de Bordeaux, Siccard, ex-commissaire des guerres 5 juin. C'est au Comité de sûreté générale de la Convention qu'il signale, sans les nommer, deux hommes audacieux qui ont menacé la liberté publique à Strasbourg 12 juillet. Monet doit lui donner des renseignements sur ces deux détenus 21 juillet. Président de ce Comité, il adresse au Comité de sûreté générale de la Convention la correspondance de la conjuration de l'Etranger, tenue par onze individus du Bas-Rhin, du Haut-Rhin et de Nancy 30 août. Il envoie à Neumann les dénonciations contre le professeur Braun et autres 25 octobre. Rayé de la liste des Jacobins A l'arrivée de Bailly, il est renvoyé à ses horloges.

SCHNÉEGANS (Jean-Vai.entin), boucher, quartier de la Krutenau, 16. 1788. Sénateur de la tribu des bouchers, à la Fleur 28 août 1790. Adjoint au commissaire de police, Léopold Rœderer 1791. Membre de la Société des amis de la Con- stitution — Dès le 24 janvier 1792, peu de jours avant la scission, il parut à cette Société une brochure intitulée : Je vous dirai vos vérités, dans laquelle Schnéegans est désigné comme clubiste, n'ayant d'autre but que de pervertir nos mœurs et renverser la Société. Le 7 février suivant, il passe aux Jacobins 31 octobre 1793. Il est imposé à 2500 liv. par Saint- Just et Lebas, qu'il règle le 11 novembre 20 sep- tembre 1794. Nommé membre du Comité de sûreté générale de la commune. Il informe la Convention nationale que Saum est dans le cas d'être jugé au tribunal criminel du Bas-Rhin 25 octobre. Biffé des Jacobins Fin décembre

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de la même année, il passe membre du Comité révolution- naire de Strasbourg, et en cette qualité, le 17 janvier 1795, Bailly le nomme officier municipal 1797. Administrateur municipal sous la présidence de Démichel.

SGHNEIBER.

1793. De la Société des jacobins et secrétaire du Comité de surveillance de la commune Du 11 avril au 3 août 1794, il signe secrétaire et d'autres fois secrétaire-adjoint du Comité de surveillance révolutionnaire de la commune de Strasbourg 25 octobre 1794. Bifféde la Société desjacobins.

SCHNEIDER (George).

en 1754 à Bischheim-au-Saum Avant 1789, cordon- nier à Strasbourg 1er septembre 1792. De la Société des jacobins 22 novembre 1793. Au Club, il demande aux représentants Saint-Just et Lebas la suppression de la per- manence des douze sections de la ville et l'épurement des Comités de surveillance à la manière de? Sans-Culottes 25 décembre. Proposé pour la Municipalité 30janv. 1794. Elu notable 7 avril. Il fait appel à ses concitoyens pour obtenir des efiets militaires pour l'armée de Rhin et Moselle

23 avril. Maintenu notable 13 juin. Les mesures révo- lutionnaires proposées par Bierlyn lui conviennent 2 août. Il félicite la Convention nationale de la fermeté déployée vis-à-vis de Robespierre et de ses complices 9 septembre. Le représentant Fouss^doire le raye du Corps municipal 25 octobre. Il est encore de la Société des jacobins En I8u4, le clubisle Jean-Frédéric Ki^chel a publié une histoire sur son compte.

SCHNEIDER.

Ancien secrétaire justice de paix. Chef du bureau des secours En 1793, membre de la Société des jacobins

3 et 8 octobre, 5 novembre, 30 janvier 1794, 23 avril. Offi- cier municipal Après la chute de Monet, le représentant Foussedoire le maintient Le 5 septembre, Officier

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municipal ; mais Bailly le révoque le 17 janvier 1795 Bien avant le 25 octobre 1794, rayé de la Société des jacobins.

SCHNEIDER (Jean-George).

le 20 octobre 1756 à Wipfeld, petit village à six lieues de Hirtzfeld, en Franconie, duché de Wûrtzbourg, de parents peu fortunés. Son père, Michel Schneider, était homme de justice et vigneron audit lieu ; sa mère Marguerite Burg- stablen.

Le chapelain de son vi'lago, résidant à Wipfeld, Valentin Fahrmann, chanoine de l'abbaye de Heydenteld, et cousin de Tévêque de Wûrtzbourg, le prit sous sa protection et lui enseigna pendant plusieurs années les éléments de la langue latine.

Il l'envoya ensuite à Wûrtzbourg, suivre l'instruction du Gymnase, dirigé par les Pères jésuites. Logé à l'hospice de Jules, après trois années d'études, il fut reçu à l'Académie, dont le recteur était le bénédictin Rœser. 11 y fit de bonnes études, mais en même temps il s'adonna au penchant d'une liberté effrénée; les secours de son bienfaiteur lui ayant été retirés, et ses parents ne pouvant pis lui en envoyer, il tomba bientôt dans une profonde misère. Dans cette posi- tion, il se décida à entrer au couvent des Franciscains de Bamberg, il prit en religion le nom d'Euloge ou Eulogins. Il y resta trois années à étudier l'hébreu et à cultiver la poésie. Le supérieur de cet établissement l'envoya ensuite à Augsbourg pour enseigner la langue sacrée dans le cou- vent des Franciscains, d'où il fut chassé.

Dans cette ville, en 1785, à l'occasion de la Sainte-Cathe- rine, il prononça un sermon sur la tolérance qui lui attira beaucoup d'ennemis parmi le clergé, et le doyen Umgelder, pour le soustraire à la lutte, le recommanda au duc Charles de Wurtemberg, à Stouttgardt, qui le nomma, en 1786, pré- dicateur de la Cour, ayant obtenu pour lui la dispense papale comme moine. encore ses sermons libéraux, tirés du contrat social, lui créèrent de nouveaux embarras; il quitta ce poste en 1789, pour accepter la place de profes-

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seur de belles-lettres et de langue grecque à l'Université de Bonn.

Dans cette nouvelle position il ne cessa de se faire des ennemis par ses idées extravagantes. La publication, le 1" janvier 1790, d'un recueil de poésies, et le 18 juillet sui- vant, d'un cathéchisme, ne firent qu'en augmenter le nombre, et c'est avec empressement qu'il accepta les pro- positions que plusieurs personnes haut placées, et princi- palement Blessig et Fréd. de Dietrich, lui adressèrent de Strasbourg, il arriva le 12 juin 1791.

28 juin 1791 . Doyen et professeur de droit canon et d'élo- quence de la chaire à l'Académie catholique et en même temps vicaire épiscopal de l'évèque constitutionnel Brendel 10 juillet. Il prêta dans la cathédrale le serment civique imposé aux ecclésiastiques par la loi du 26 décembre 1790, et son sermon pour la circonstance avait pour texte : t La conformité de l'Evangile avec la nouvelle Constitution des Français » 11 octobre. Reçu membre de la Société des amis de la Constitution Il prononce un discours sur le mariage des prêtres et pose trois questions : 1* Le mariage des prêtres est-il permis ? Le mariage des prêtres est-il nécessaire? Le mariage des prêtres est-il exécutable? Sa réponse ayant été affirmative, il termine en disant :

Voilà, Messieurs, mes réponses aux trois points que je me suis pro- posé de résoudre. Si tous en êtes contents, je demande que la Société décide qu'elle soutiendra de toutes ses forces le prêtre catholique qui donnera le premier dans notre département, l'exemple de la sensibilité, du civisme et du courage.

22 octobre. L'évèque Brendel et tous ses vicaires, le désa- vouent dans un placard affiché dans les deux langues à tous les coins des rues de la ville 14 novembre. Elu notable du Conseil municipal, il logeait alors, rue Dauphine 1" déc. Il publie une thèse latine sur le nouvel ordre de choses ecclésiastiques en France, et donne le programme de ses cours. Euloge Schneider, docteur en philosophie et en théologie, vicaire épiscopal, notable de la inlle de Strasbourg, doyen de la Faculté théologique, fera un cours sur la jurisprudence jmto-

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raie d'après la nouvelle Constitution de V Empire français, et sur V éloquence de la chaire. Il offre atissi de faire des cours sur les beaux-arts et sur les belles-lettres 6 janvier 1792. Vice- président de la Société des amis de la Constitution, il pro- nonce uu discours sur l'éducation des femmes 12 février. Dans sa profession de foi politique, présentée à cette société, il regrette amèrement la scission oui s'est fai'e le 7, entre les membres, et dès ce jour, il fait partie du Club des jaco- bins — 21 juin. A Coimar, il tient un discours, à la Société des amis de la Constitution, sur l'état politique du Bas-Rhin, ajoutant :

. . .tout ce que jo disais avant à Coimar, s'est confirmé depuis, quoi- que les feuillants de cette ville, comme ceux de Strasbourg, ne m'ayent entendu qu'avec indignation et m'ayent poursuivi comme un pertur- bateur.

3 juillet. Il publia le premier numéro de son journal : Argos, qu'il rédigea avec Butenscbœn jusqu'au moment de son arrestation, 15 décembre 1793; à partir de son collabora- teur le continua seul jusqu'au 16 juin 1791 6 juillet. Il assiste à l'érection de l'arbre de la liberté à Soulzbach, dans la vallée de Munster, et compose une poésie pour la cir- constance — 11 août. Au Club, il dénonce deux adresses du Conseil municipal et d'une grande partie de citoyens de Strasbourg, Tune à l'Assemblée nationale et l'autre au roi. C'est à la suite de ces adresses que Dietrich fut mandé à la barre de l'assemblée par décret du 18 août 1792, et que la Municipalité de Strasbourg fut suspendue par Carnot, Prieur et Ritter 2 septembre. Scrutateur à l'élection des repré- sentants du peuple, tenue à Haguenau, il fit des démarches inutiles pour arriver à la Convention nationale 18 sep- tembre. Le Conseil du département l'envoie à Haguenau pour y administrer provisoirement la MunicipaUtè 19 sep- tembre. Il lance sa proclamation aux habitants 4 déc. Avant de quitter, il fit prendre au Conseil municipal un arrêté relatif au cours forcé des assignats. Une amende de 25 liv., et du double en cas de récidive, est infligée à celui qui refuserait d'accepter ce papier, devenu monnaiejnatio-

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Dale 19 février 1793. Dentzel et Couturier le nomment accusateur public au tribunal criminel du Bas-Rhin 16 mars. A Besançon, il dépose contre Dietrich Dans ce mois, les envoyés des douze sections de Strasbourg, dans leur adresse présentée à la Convention nationale, ne se gênent pas de le traiter de prêtre allemand, de moine défroqué, que la disette de curés, sachant l'allemand, a fait admettre au nombre des vicaires épiscopaux: venu à Stras- bourg à la même époque que Laveaux, en 1791, r'ont il est le plus fervent coopérateur. Il est de l'électorat de Cologne; qui peut nous répondre de ses sentiments? Et c'est cet homme qui ne connaît ni nos lois, ni les formes de la pro- cédure, qui ne sait que très imparfaitement le français, que Couturier et Dentzel ont fait accusateur public I 30 avril. Au Club, il veut que Ton écrive à la Convention nationale pour demander qu'un tribunal révolutionnaire soit établi à Strasbourg. Adopté Ie' mai. Il demande qu'on dresse une liste de tous les gens suspects de Strasbourg et du département, pour la présenter aux représentants, afin que les plus dangereux de ces pervers soient chassés au plus tôt. En même temps il propose de prendre en otages les paysans les plus notés, les plus riches, des villages qui ont désobéi aux lois ou manifesté l'esprit du fanatisme 2 mai. Il aborde de nouveau les mêmes propositions 5 mai. In- vesti du titre d'accusateur public près le tribunal révolu- tionnaire du Bas-Rhin 12 mai. La 8* section de la ville de Strasbourg prend un arrêté demandant aux représentants de la Convention nationale, son bannissement 27 mai. D'une lettre de Rûhl, datée de Paris, au Comité des douze sections de Strasbourg, il ressort, que même les Jacobins de Strasbourg s'étaient adressés à ceux de Paris, pour demander sa proscription, tout vice-président qu'il était alors de leur société 8 juin. Il proteste, et fait assigner les signataires de la 8* section, lesquels devant le juge de paix, Schœll, se rétractent et déctarent qu'ils le considèrent comme un bon citoyen, un fonctionnaire probe 2/, juillet. De Paris, Laveaux mande aux Jacobins, notre ami Schneider

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qui s'est déprêtrisé, devrait bien se marier afin d'eflacer tout à faitle caractère prétendu indélébile 14 août. Le Directoire du Bas-Rhin prit un arrêté en vertu duquel tous ceux con- vaincus d'agiotage avec les assignats, seraient jugés rêvolu- tionnairement, sans jurés. Cet arrêté, approuvé par les représentants, on décida de le publier avec solennité dans toute la ville, et que Ton promènerait la guillotine par les rues. Schneider, Jung et Edelmann l'accompagnèrent. A 4 heures du soir on quitta l'hôtel de ville avec un détache- ment de fantassins et de cavaliers. L'arrêté fut proclamé sur toutes les places publiques; cela devait se répéter trois jours de suite, et dans tout le département; mais, vu l'impossi- bilité d'exécuter la mesure, Schneider crut atteindre le but en proposant de placer la guillotine sur la place d'Armes, depuis dimanche jusqu'au vendredi suivant, jour auquel il tenait beaucoup à la faire voir aux campagnards venant aux marchés. Monet et autres approuvèrent; cependant le public protesta, et dans la nuit du 18 t*u 20, la guillotine fut enlevée, chargée sur une voiture et conduite devani la mai- son de Schneider, rue de la Nuée bleue, 2, sur les 11 heures elle fut versée devant la porle et mise en morceaux par le peuple. Ce ne fut que le lendemain matin, à 10 heures, que les débris de la guillotine et de la voiture furent enle- vés — 24 août. Au Club, Louis Edelmann fait une sortie à fond contre lui; Schneider, présent à la séance, somme l'auteur de prouver ses inculpations, ce qu'il ne manque pas de faire dans la séance du 27 29 août Au Club du Miroir, il donne des renseignements sur sa conduite dans la journée du 14 août 8 octobre. Milhaud et Guyardin le nomment du Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas- Rhin, nouvellement créé, et qui fonctionna jusqu'au 25 déc. suivant 15 octobre. Commissaire civil au tribunal révolu- tionnaire de l'armée, à Strasbourg, établi par les neuf repré- sentants du peuple aux armées de Rhin et Moselle. On a pris les quatre membres du tribunal institué le 5 mai 1793, et d'accusateur public il est devenu commissaire civil 18 octobre, jour, que le Temple de la Raison fut consacré

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solennellement à TÈtre suprême, il y tint un long discours, dont voici un passage :

Un voyageur allemand qui viendrait nn jour à Strasbourg et qui demanderait: est la cathédrale? chacun lui répondrait: nous ne connaissons point de cathédrale, point de fondation de Saint-Thomas, nous ne connaissons plus rien que le Temple de la Raison et la Société populaire. S'il demandait, loge l'évéque? demeure le pasteur? on lui dirait : nous ne connaissons point ces êtres-là, mais avcz- vous envie de faire la connaissance des instituteurs du peuple, venez, nous vous montrerons une douzaine de braves sans-culottes. Et je parie, si le voyageur était Jésus-Christ, ou Martin Luther, qu'il verserait des larmes de joie et s'écrierait : c'est ce que nous avons désiré, c'est ainsi que cela doit être.

Après avoir fait sentir le ridicule de toutes les religions qui se disent révélées, il continua :

Peuple, voici en trois mots toute la religion : adore un Dieu, sois juste et chéris ta patrie.

Etienne Barth.

(La suite procliainement.)

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

I

Histoire d'un proverbe mulhousien «d'r Fursteberger Vrgesse», racontée en vers par Auguste Stœber, avec illustra- tions de Mathias Kohler Mulhouse, imprimerie de Brustlein et O, 1882 In-8° de 27 pages avec 5 planches et encadrements rouges Librairie de M"« S. Pétry.

Il y a dans les origines et la vie de notre industrie alsacienne beaucoup de faits et d'anecdotes qui formeraient un recueil intéressant soit au point de vue de l'histoire locale, soit au point de vue de l'histoire des familles, soit au point de vue de la moralité du travail. Le petit accident que M. Aug. Stœber vient d'évoquer est de ce nombre. Le sujet est d'une grande simplicité et d'une excellente morale en action. C'est pour cela, sans doute, que le souvenir s'en est conservé et a passé en proverbe.

Un tisserand du siècle dernier, membre du Grand-Conseil de Mulhouse, venait de clore son inventaire constatant qu'il avait fait dans l'année un bénéfice de quinze mille florins. Il appela avec transport sa femme pour lui communiquer un aussi heureux résultat et, dans sa joie, il la pria de lui dire les cadeaux qu'il lui serait agréable de recevoir en souvenir d'une année aussi prospère: Est-ce une cornette brodée d'argent, comme il convient pour la femme d'un membre du Grand- Conseil? une robe de soie avec des poches? un collier de grenats? un ridicule ? des souliers à la poulaine? une montre avec sa chaîne? La réponse de la dame fut une poignée de main et un baiser, puis elle ajouta : tu sais que dans ces der- niers temps nous avons reçu des politesses chez nos parents

BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 139

et nos connaissances; l'occasion de les inviter, à notre tour, est bonne. Ainsi dit, aiusi fut fait le dimanche suivant. Au milieu du festin, une lettre arrive au tisserand; elle renferme le compte de Furstenberger, de Bâie, compte qui par inadver- tance a été complètement oublié dans l'inventaire et qui malheureusement absorbe une grande partie des bénéfices de l'année. La déception se peint un moment sur tous les visages, mais la bourgeoise philosophie du tisserand et de sa brave compagne a bientôt dissipé ce nuage et le festin se termine aussi gaiement que si Furstenberger n'eut pas existé; puis, quand mari et femme se trouvent seuls, face à face, la con- seillère dit au conseiller : Je veux maintenant, mon cher petit mari, que l'argent que tu destinais h mes cadeaux soit la part des pauvres de Mulhouse. Pas n'est besoin d'ajouter qu'il en fut ainsi.

L'aventure est véridique et l'oubli dont Furstenberger fut l'involontaire objet de la part de l'un des anciens chefs de l'industrie alsacienne, a passé en proverbe dans le langage populaire de Mulhouse : D'r Fiirsteberger v'rgessc est aujour- d'hui l'équivalent du proverbe français : compter sans son hôte.

Si nous devions scruter la pensée de M. Stœber donnant à cette aventure le soin qu'il lui a accordé, nous dirions d'abord que, comme caractéristique de l'industrieux Mulhouse, elle lui a paru topique et louable ; il a pensé que quand ou veut savoir l'on va, il est toujours bon de ne pas oublier d'où l'on vient, surtout quand le point de départ est le plus démocratiquement honorable. Nous dirions ensuite qu'au point de vue de la lin- guistique — mais sans faire la leçon h personne M. Stœber a voulu donner un exemple assez complet de la manière d'écrire notre dialecte alsacien sans lui infliger de torture orthogra- phique pouvant aboutir à le défigurer et à le rendre illisible. Pour atteindre ce but, il a suffi à l'auteur de respecter l'élision que le commun des mortels fait naturellement en parlant la langue du pays. Nous dirions encore que, fidèle disciple du

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culte professé en Alsace pour la terre natale, M. Stœber a voulu ajouter un fleuron de plus à la couronne dont il est, depuis longtemps, en possession dans le monde littéraire de la rive gauche du Rhin. Le petit poème dont il s'agit, exempt de pédantisme et de tout mélange étranger à la cité indus- trielle, restera certainement une de ses plus savoureuses productions.

Nous ne dirons non plus que du bien des illustrations qui donnent au poème un relief charmant. Elles sont l'œuvre de l'un de nos compagnons d'infortune de l'année de malheur, M. Mathias Kohler, élève de l'école des beaux-arts. Le portrait d'Auguste Stœber est bien réussi. Les quatre planches repré- sentent le contentement du tisserand et de sa femme à la clôture de l'inventaire, la réception des invités le dimanche suivant, le châtiment infligé à deux mauvaises langues devant l'hôtel de ville, sujet qui avait alimenté la conversation des invités, les convives à table et la missive de Furstenberger. puis le tisserand et sa femme en tête-à-tête après le départ des invités. Ces illustrations, traitées avec un sentiment exquis, à la manière du regretté Th. Schuller pour le Lundi de Pentecôte d'Arnold, font du proverbe mulhousien une excel- lente page pour l'histoire du costume local et des origines de l'industrie de la cité, ainsi qu'un joyau artistique que tout le monde voudra avoir et religieusement conserver.

II

Distractions poétiques au Florival ou premier recueil de poésies d'un vieil Alsacien, par G. Gayelin Mulhouse, impri- merie de R. Mùnch, 1882 1 vol. in-8° de vui-221 pages. Voici un recueil de poésies allemandes qui a son mérite, sans doute, mais qui a le tort d'arriver au jour dans un mo- ment où il y a au pays une résistance pononcée contre les mesures qui proscrivent le français. Les deux langues vivaient jadis en bonne intelligence, en bonne et loyale confraternité

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

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dans le mouvement littéraire de la province, ainsi que dans tous les rapports de la vie sociale. Les temps sont, hélas! bien changés, et c'est pourquoi la muse de M. Gâyelin court le risque d'être peu écoutée de ce côté-ci du Rhin.

Sera-t-elle plus favorablement accueillie à Leipzig le cœur de la Germanie intellectuelle est réputé avoir son siège national ? Une expérience plus que trentenairc nous permet d'en douter. Ce n'est qu'après les foires de plusieurs années que M. Gâyelin sera fixé à cet égard et partagera peut-être le sentiment que nous exprimons.

C'est d'ailleurs au public alsacien que ce recueil s'adresse, c'est pour lui qu'il a été écrit En l'éditant, M. Gâyelin a cédé aux instances de ses amis du Club vosgien, section de Gueb- willer, et aux avis de ses confrères en littérature qui n'ont cessé de l'encourager dans ses patriotiques inspirations. Son recueil a le caractère particulariste de notre ancienne vie intellectuelle de la province d'Alsace aux meilleurs temps de son développement. A ce titre, comme à beaucoup d'autres, il a sa place dans nos collections alsatiques. C'est au Blumen- thal Florival, ou vallée de Guebwiller, que M. Gâyelin a consacré ses meilleurs souvenirs, ses plus vives affections. On lira sa composition sur le Heimweh = mal du pays, avec un sentiment empreint d'une douce tristesse. Aux sources du Parnasse se fortifie aussi la foi en l'avenir.

m

La Liberté des Cimetières, question remplie d'actualité, par Ch. Schmidt, pasteur-président du Consistoire de Sarreguemines, chevalier de la Légion d'honneur Strasbourg, imprimerie de G. Fischbach, 1880 Brochure in-8° de 39 pages. Cet opuscule que la Revue vient de recevoir, est un tirage à part des articles publiés dans le Journal a? Alsace à propos des difficultés élevées par le clergé à l'occasion de divers enterrements protestants dans les cimetières de communes ou la grande majorité des habitants professe le culte catho-

142 revue d'alsace

lique. C'est encore l'ancienne loi française, concernant cette matière, qui est en vigueur au pays annexé, et c'est la réfor- mation de cette loi que demande M. le pasteur de Sarregue- mines dans le but d'éviter désormais les conflits qui se produisent fréquemment à la campagne.

IV

Bulletin de la Société des sciences historiques et natu- relles de l'Yonne, Annoos 1880 et 1881 Auxerre, imprimerie de G. Rouillé, 1881 2 vol. in-8° de 411-133-61-lx et xx pages avec 3 planches dont 2 photoglyptiques.

11 y a dans le dernier et le premier fascicules des 34e et 35e volumes du Bulletin, des travaux d'un grand intérêt historique et scientifique. Nous ne pouvons que les signaler au courant de la plume, ces deux fascicules nous étant parvenus il y a quelques jours. Le cartulaire du prieuré de Jully-les-Nonnains est un document fort important pour l'histoire locale, analysé* reproduit et annoté par M. Ernest Petit; Les coutumes et péages de la vicomté de Sens, par M. H. Monceaux, sont aussi un document précieux «soit pour la philologie, soit pour l'his- toire du commerce et de l'industrie dans le centre de la France.» Ce sont des textes soigneusement mis au jour avec de nombreuses annotations qui les éclairent. La léproserie de Sainte-Marguerite, l'église de Saint-Siméon et le château des Choux sont l'objet d'une notice intéressante par M. Challe, président de la société. Un mémoire de M. E. Vaudin sur la photoglyptie initie le lecteur aux divers procédés de repro- duction de l'image des choses auxquels la découverte de Daguerre a donné lieu jusqu'à présent Deux planches, repré- sentant le buste de M. le président Challe, et un portail de la cathédrale d' Auxerre, du aun* siècle, par le procédé photo- glyptique de Lemercier, à Paris, justifient à tous égards les mérites que M. Vaudin attribue à ce procédé. La salle du prince d'Kckmiihl, au musée d'Auxerre, fournit ensuite à M. Challe le matière d'une fort belle notice historique, biogra-

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 143

phique et archéologique dont l'ami de Marceau, de Kléber et de Desaix est la cause originelle. Une note de M. le docteur Ricque, sur des sépultures et des objets funéraires découverts à Saint-Gervais termine, avec le catalogue des hémiptères de l'Yonne, le volume de l'année 1880.

La chronique secrète des cent dernières années de l'abbaye de Saint-Germain d'Auxerre, par M. Challe, ouvre le premier fascicule de l'année 1881. Une notice historique sur la cathé- drale de Sens, par M. E. Vaudin, et le catalogue des cartu- laires du département de l'Yonne, par M. Max Quantin, terminent la première partie du fascicule consacrée aux sciences historiques. La deuxième partie, affectée aux sciences naturelles, renferme le compte-rendu, par M. Gust. Cotteau, du congrès international d'anthropologie et d'archéologie préhistoriques tenu en septembre dernier à Lisbonne. Ce rapport est d'une lecture fort intéressante, même pour les hommes du monde. Une biographie du naturaliste Goureau (colonel), par M. Challe, suivie du catalogue de ses ouvrages et de ses travaux, met en relief une des belles figures du monde des sciences naturelles. Cette partie du fascicule est noblement terminée par la première partie du catalogue des coléoptères du département de l'Yonne, due aux recherches de MM. Loriferne et Poulain.

Ce sommaire-aperçu des travaux de la Société îles sciences historiques et naturelles de l'Yonne suffit pour donner aux lecteurs de la Revue (V Alsace une idée de la vie intellectuelle dont une de nos premières Académies provinciales est le centre. Honneur à son président et à ses collaborateurs !

V

Bulletin de la Société archéologique et historique de l'Orléanais, n0B 107 et 108 Orléans, imprimerie de Georges Jacob, 1880 et 1881 2 fascicules in-8°, 35G pages. Nous trouvons dans ces deux livraisons du Bulletin de

nombreuses notices descriptives de silex, de monnaies gau-

144 REVUE D'ALSACE

loises et romaines trouvés dans l'Orléanais. Ce sont autant de points de repère fort importants pour l'histoire locale et l'histoire des Gaules confinant aux temps préhistoriques. M. Desnoyers et ses collègues donnent à ces découvertes successives une attention particulière et compétente. Ils ne négligent aucune occasion de mettre en évidence l'inté- rêt que présentent ces trouvailles pour l'avancement de la science : c'est ainsi qu'une excellente notice de M. Desnoyers est consacrée à la collection d'objets et instruments en pierre que M. Rabourdin a composée, en 1880, dans le Sahara algé- rien, au pays des Touàregs, et qui enrichit aujourd'hui le musée de Saint-Germain. Ce que M. Rabourdin a vu de l'autre côté des mers, et dont il a rapporté plus de trois cent cin- quante témoins, on le retrouve dans nos Gaules plus ou moins accentué, selon les stations, au Mont vaudois, près de Belfort, par exemple, et l'on se demande si la conclusion proposée par M. Desnoyers : « Le grand désert a été habité par un peuple disparu ou s'étant réfugié en d'autres régions », ne s'applique pas tout aussi vraisemblablement au continent européen? De nouvelles découvertes et de nouvelles études ne conduiront- elles pas à conclure que c'est aux grandes perturbations géologiques qu'il faut demander l'explication des phénomènes historiques qui sont aujourd'hui à l'étude ?

Frédéric Kurtz.

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LES

EX-LIBRIS DANS LES TROIS ËVÊCHËS

TOUL METZ VERDUN 1552 1790

II

BIBLIOPHILES ET COLLECTIONNEURS TOULOIS

Suite*

BIBLIOTHÈQUES DES COUVENTS

1. Abbaye royale de Saint-Léon

Comme pour tous les autres monastères, les marques sont toutes manuscrites.

Canonic Regular. S. Leœiis Tullen. 1.

Lors de la visite des délégués du district, le 4 juin 1790, en présence de Nicolas Henriet, prieur claustral (l'abbaye était en commende), et des religieux, la bibliothèque contenait 250 volumes in-folio, 154 in-4° et 1360 in-8°, dont plusieurs dépareillés.51

Les chanoines prémontrés tenaient un collège avec enseigne- ment depuis les élémentaires jusqu'à la rhétorique inclusive- ment Les bâtiments furent rebâtis au commencement du siècle dernier et le collège communal actuel y est établi.

1 Voir les livraisons du dernier trimestre 1881 et du lor trimestre 1882. Archives départementales de Meurthe-et-Moselle.

Nouvelle Série. - il" année. 10

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REVUE D'ALSACE

2. Abbaye royale de Saint-Epvre

Ex Mnrio S. Apri Cong. S. S. Yitoni & Hyd. Benedicior. S. Apri Tutt. 1750.

D'après Dom Iluinart, les archives abondaient en bulles pontificales et en diplômes de souverains, mais les manuscrits faisaient défaut. Il n'y a rien d'étonnant, car les amateurs trop intéressés ne manquaient pas. Le conseiller au parlement de Metz, Rigaud, mort en 1653, et célèbre comme bibliophile, alors à Toul avec le Parlement exilé, détacha de sa chaîne, à la sacristie, un ancien cérémonial manuscrit de l'abbaye, l'emporta et en fit présent à Colbert, qui recevait journelle- ment, sans scrupule, de pareils cadeaux. Les moines eurent toutes les peines du monde d'obtenir une copie.

D'après M. Dufrêne {Austrasie, Metz 1842, p. 301) ils expo- saient à la vénération des fidèles à certaines fêtes, comme un Saint -Jean enlevé par les anges, une magnifique agathe antique représentant Y Apothéose de Oermanicus. Convaincus de leur erreur, ils offrirent, en 1674, cette pierre précieuse à- Louis XIV, qui leur fit compter 7000 livres. On prétendait que le cardinal Humbert, l'un des familiers du pape Léon IX, l'avait apportée de Constantinople. Elle est aujourd'hui au cabinet des médailles (n" 179) et la bibliothèque de la ville en a un fac-similé en plâtre.

Le couvent fut rebâti au siècle dernier par Dom Léopold Durand, prieur du prieuré détruit de Saint-Léonard de Féné- trange dans le Westrich, un des bons architectes du temps. Il y avait de vastes jardins autour des lieux claustraux, et un jeune religieux, Dom Claude Flcurand, originaire des Vosges, y fit de charmantes observations entomologiques sur les fourmis; elles ont été rapportées en partie par M. H. Bardy, président de la Société philomatique vosgienne. Dom Fleurant n'était pas seulement un amateur d'histoire naturelle, c'était aussi un numismate. Mory d'Elvange cite, comme lui appar- tenant, une monnaie mérovingienne frappée à Verdun.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS

147

Les dévastations et les incendies arrivés dans quelques villages, après la prise de la Bastille, engagèrent les religieux de Saint-Mansuy et de Saint-Epvre à cacher leurs archives dans différents endroits et surtout dans les caves. C'est ce qui explique, raconte le curé Chatrian, le désordre qui régna dans ces papiers.

La bibliothèque de Saint-Epvre s'était accrue dans le cours du xvii' siècle de la riche bibliothèque de M. de Mageron, chanoine et officiai, conseiller du duc de Lorraine.

Le 2 juin 1791, l'autorité se présenta pour faire l'inventaire du mobilier du monastère, en présence du prieur claustral Dom Christophe Lhotte, du sous-prieur Dom Gérome \ et de toute la communauté. La bibliothèque comprenait4964 volumes, dont 1275 in-folio, 843 in-4° et 2846 d'autres formats. Tous les moines déclarèrent qu'ils étaient prêts à quitter le couvent

Le musée départemental des Vosges, à Epinal, possède deux sceaux en cuivre de l'abbaye Saint-Epvre. Us datent du xrr siècle et sont reproduits dans le beau volume sur la sigillographie touloise, par M. Ch. Robert.

1 Dom Gérome fut principal du collège de Lunévillo, sous le Consulat.

148 REVUE D'ALSACE

Charles de Castellan, dont l'empreinte a été gracieusement communiquée par M. Lucien Wiener, conservateur du musée lorrain, fut abbé commendataire en 1663, il mourut le 28 no- vembre 1677. La bibliothèque de Luné ville possède également un volume aux armes de cet abbé, dont la mense abbatiale rapportait 30,000 livres. Deux cardinaux de Rohan (II et III), évêques de Strasbourg, furent successivement gratinés de ce beau bénéfice.

Un des plus célèbres numismates du xviir siècle, Dom Mau- gérard, aumônier et conservateur des monnaies et médailles du duc Charles- Alexandre de Lorraine, gouverneur des Pays-Bas, et au xvii* siècle, Dom Descrochets, l'historien de l'abbaye de Saint-Arnould, furent religieux à Saint-Epvre ainsi que d'autres érudits religieux.

8. Abbaye royale de Saint-Manauy

Ex Monasterio S. Mansueti, ordinis £P Benedicti, Catahgo inscriptw, 1748. lnscriptus Catalogo Sancti Mamueti, 1767. M&nasterii S* Mansueti ordinis S. Benedicti 1752.

La bibliothèque des Bénédictins de ce couvent marchait de pair avec celle du Séminaire et de Saint-Epvre pour le nombre et le bon choix des ouvrages. Le 13 juillet 1791, le prieur claustral Dom Jean Nicole, le sous-prieur Dom Léonard et leurs religieux reçurent la commission administrative. La bibliothèque contenait 3207 volumes, dont 51)2 in-folio, 675 in-4° et 1940 de diverses grandeurs; les uns reliés en vieille basane, les autres en brochure. Il y avait en outre un manuscrit fort ancien sur les évêques, iu-4° sur vélin : Incipit catalogus pon- tificum tullensium a beato Mansueto et deinceps, qui servit au P. Benoît pour son histoire et qui vint échouer plus tard, dans la riche collection lorraine de M. Noël (n° 1694). Eu outre, il y avait à la sacristie six manuscrits sur parchemin pour l'office divin.

LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÊVÊCHÈS H9

L'inventaire des meubles portait bon nombre de tableaux, dont six de M. Drouas(V); vingt-huit, représentant Saint-Benoît et d'autres bienheureux et supérieurs de l'ordre ; huit portraits de Louis XIV, de souverains et de princes lorrains. Dans les chambres des hôtes, il y avait des tapisseries de Bergame, un sopha, six fauteuils en velours d'Utrecht, etc.

Parmi les moines présents, Dom Jourdez était un biblio- phile dont Yex-libris nous a été conservé. Dans un riche encadrement sortant des ateliers de Carez, on lit :

Dom. ànt. Jourdez bénédictin

Il avait alors 40 ans.

Dom Benoît Didelot, religieux du monastère, était alors à Neufchâteau. Les amateurs lorrains connaissent de lui une petite eau-forte (in-12 oblong): Le jxissaye des Tectosagee d'Europe en Asie, dédiée au R. P. D. Remy Cellier, prélat de Flavigny, avec ses armoiries, d'après un tableau de Cazes. 1

M. Quintart possède et a reproduit le sceau en cuivre de l'abbaye au moyen âge. M. Dufrêne, le collectionneur émérite de tout ce qui est leuquois, avait en vain cherché une empreinte dans toutes les collections locales.

Yard de Bar-le-Duc peignit pour l'église abbatiale la vie de Saint-Mansuy; il exécuta aussi quelques tableaux pour l'évôché.

4. Les Capucins

Fondés par l'évêque de Maillane dans un enclos apparte- nant aux moines de Saint-Mansuy. Le bâtiment conventuel existe encore, et l'humble église sert d'atelier de menuiserie. Au-dessous do celle-ci est un caveau peu profond où, selon la coutume séraphique, on exposait les squelettes des religieux

1 Les Nouvelles catholiques de Rouen avaient un tableau de ce peintre, il se trouve actuellement au musée de la ville.

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avec l'habit qu'ils avaient porté. Le vestibule de ce charnier renferme encore quelques peintures à la détrempe, avec des macabres armés de faulx, vous invitant à lire de longues inscriptions tracées en caractères romains et presque illisibles. On distingue :

Seigneur de quelque grâce que l'homme par

vos soins se

puisqu'il lui faut son âme se livre

Puisqu'il me faudra mourir

Trois religieux célèbres habitèrent le couvent, le P. Thomas de Charmes, auteur d'un Compettdium très estimé, le P. Nor- bert de Bar, que Chevrier poursuivit de ses traits piquants, et enfin le P. Benoît Picart de Toul, l'historien dont il a déjà été parlé. C'est à tort que l'on accuse sottement les religieux d'avoir brûlé, à sa mort, les manuscrits et les chartes qu'il avait rassemblées, sous prétexte qu'il ne devait rien posséder d'après les règles de l'ordre. L'évêque de Camilly, ami et pro- tecteur du docte capucin, lit recueillir tous les papiers que l'on put trouver dans sa cellule, et l'archiviste Lemoine les eut entre les mains, au palais épiscopal, de longnes années après (Catalogue Emmery, 628).

Modestes coopérateurs des curés campagnards, prédicateurs des missions rurales, pharmaciens et médecins des pauvres, les capucins étaient plus instruits que bien des religieux riche- ment dotés. Dans chaque cellule du couvent de Toul, les commissaires trouvèrent à côté du grabat quelques livres et des sermons écrits. Ils possédaient donc quelque chose! Mais laissons cette oiseuse digression et parlons un peu de la bibliothèque de voyage des révérends pères ; elle se trouvait dans deux des douze poches qu'ils portaient sur leurs vête- ments. La Bradéale renfermait le bréviaire, elle était de figure ovale et se trouvait dessous et le long du bras droit. L'autre pour les sermonnaires

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LES EX-LIDRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS

151

Pend au dos et bat sur la fesse, Ou pour mieux dire sur le cul, Pourquoi elle se nomme Tape-ail 1 Les commissaires cataloguèrent chez les capucins près de 1500 volumes, dont 202 in-folio et 1209 autres de divers for- mats. On ne parla pas de manuscrit; cependant Dom Calmet dit qu'ils avaient les Commentaires sur Saint-Jérôme, par Didier de Birstorf, chanoine et archidiacre de Toul, ancien précepteur du duc René II.

Voici l'acte do décès de la bibliothèque des capucins de Toul:

«Les administrateurs du district de Toul informés que depuis que la maison des cidevant capucins au faubourg de la Paix a été prise pour un hôpital, à traiter les galeux des armées républicaines, la porte de la salle de la Bibliothèque ayant été fracturée et ladite Bibliothèque extrêmement dila- pidée, ont commis Mourot Vincent un de ses membres pour avec un officier municipal de la commune de Toul, reconnaître, vérifier ladite dilapidation et prendre tous les renseignemens possibles. Ledit Mourot s'est transporté dans ladite Maison, assisté du cit. Thierry, officier municipal, lesquels ont reconnu que bien loin de trouver la bibliothèque dans l'état elle se trouvait lors de l'inventaire qui en a été fait le lr juin 1790, vieux style, ils l'ont trouvée dans un délabrement total, y res- tant tout au plus une douzaine de vieux bouquins entiers et quantité de feuillets et de couvertures de livres épars tant dans la bibliothèque que dans les corridors voisins, s'étant informés tant du citoyen Buisson gardien de cette maison que du citoyen Jouré et de sa femme qui occupent un local dans cette maison, ils ont appris que c'étaient les soldats de l'hôpital,

1 Duclos. La Capucinaâe d'Austrasie, poème pitoyable l'on insulte continuellement, en 1689, les capucins de Marsal et les curés de la ilautc-Seille, à cause de leur fidélité à leur souverain proscrit.

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REVUE D'ALSACE

qui, après avoir brisé la porte de la Bibliothèque, avaient brûlé une grande partie de ses livres et jeté une autre par les fenêtres, sous prétexte que c'étaient tous livres fanatiques qu'il fallait anéantir. Les dits commissaires tant du District que de la municipalité ont aussi observé qu'on avait enlevé presque toutes les serrures et ferremens deladite maison, et brûlé une partie des portes, boiseries et planches, laquelle dilapidation nous a été assurée par les mêmes Buisson et Jouré n'avoir été faite que pendant que cette maison servait d'hôpital aux galeux.

Fait à Toul le 2 Thermidor de l'an deux de la République une & indivisible signé Mourot, Thierry. »

Les capucins de Toul ne sont pas oubliés dans la Croisade:

De Saint-François la cohorte nasale, Les yeux baissés, l'air contrit, les pieds nus Suivent la croix, composent l'avant-garde, Couverts de frocs à capuchons pointus. Frères cadets du troupeau séraphique, Leurs revenus sont la niasse publique. Mais échangeant contre un mauvais sermon Un broc de vin, une poule, un jambon, Ils ont gardé l'esprit évangélique.

Les commissaires inventorièrent dix-sept portraits d'anciens pères de l'ordre; dans le réfectoire, un grand tableau repré- sentant le lavement des jpieds, par Lallemand, et vingt-et-un tableaux de^peu de valeur, etc.

5. Les Cordelière

Ex-Bibliotheca Franciscanorum Conventus ttillensis.

Cette marque se trouve sur un frontispice d'un volume des Acta Sanctorum mis au pilon ! !

P£Les religieux possédaient 1500 volumes dont quelques uns incomplets.

Le parlement de Metz, pendant son exil dans la cité touloise.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÉCHÉS

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siégea aux Cordeliers. Ce fut à cette époque que Bossuet, alors chanoine de l'église de Metz, habita Toul avec son père, conseiller au Parlement, dans le bel hôtel de la rue Michatel qui existe encore.

6. Les Dominicains

Ex-libris Bibliothecœ jr. prœdicatorum Conventus Tullensis. Bibl. fr. prœdicatorum Co"* Tullensis.

Leur couvent fut fondé, en 1245, par le duc de Lorraine, 1'éveque et le mattre-échevin Nemeric Barat, dont le nom est encore porté à Toul. 508 in-folio, 330 in-4° et 760 volumes de divers formats composaient toute leur bibliothèque.

7. Les Dominicaines

Les religieuses du grand ordre de Saint-Dominique, établies en 1621, avaient leur bibliothèque donnant sur le jardin. Elle renfermait 398 volumes et 3 manuscrits.

8. Les Dominicaines du Tiers Ordre

Elles n'arrivèrent à Toul qu'en 1634; elles étaient voisines des précédentes, leur église a été démolie et le couvent a été changé en salle de spectacle. C'est à tort que M. Ch. Robert (p. 246) parle de religieux du Tiers Ordre. Dom Calmet dit que leur église était ornée de tableaux des plus grands maîtres flamands. Les religieuses, pour se rendre utiles, tenaient des écoles pour les jeunes tilles. 332 volumes formaient toute leur bibliothèque.

9. Les religieuses Bénédictines du Saint-Sacrement

Le couvent est aujourd'hui la gendarmerie. La bibliothèque avait 560 volumes, reliés en veau ou basane, traitant presque tous de religion. Un pensionnat était tenu par les sœurs.

10. La Congrégation Notre-Dame Le plan du couvent, comme ceux des autres maisons reli- gieuses de la ville, se trouve aux archives départementales.

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REVUE D'ALSACE

Diverses habitations remplacent la maison des sœurs. Au- dessus de la porte, donnant rue du Menin, on lit encore sous une niche vide de la statue de la Vierge :

Avxilivm Congrégations nostr^e Ora pro nobis

Un pensionnat et une école gratuite pour les jeunes filles de la ville, dit le Journal de Metz de 1776, étaient tenus par les religieuses, établies par leur saint fondateur le P. Fourier, de Mattaincourt, pour répandre l'instruction.

Leur bibliothèque était dans une armoire (10 in-folio, 60 in-4° et 72 in-8°) beaucoup de livres étaient dépareillés. « La caisse aux titres », contenant aussi les registres de recettes et de dépenses, se trouvait à côté.

Le doyen de Vantoux signait les comptes annuels du cou- vent; dans le registre de 1758, on voit la note du serrurier (64\18*) qui a fermé les archives et la bibliothèque. Le relieur figure pour bréviaires et offices du sacré-cœur. On donne 39\3' pour la vie de la mère Alix (1773).

Ce fut le maire Charles-François Bicquilley avec le greffier La Capelle, qui vint poser les scellés le 1er juin 1791.

L'inventaire fait, les livres, les incunables, les manuscrits des maisons religieuses furent entassés dans les greniers de l'hôtel de ville ils formèrent de véritables fortifications assiégées continuellement par la dent des rats ou la main des malveillants. Vers 1820, le principal du collège, qui depuis (après 1830) devint proviseur du collège royal de Nancy, fut chargé de trier dans cette masse pour former une bibliothèque communale. Son choix fut discret, car on vendit le restant (la charge de plusieurs voitures) à Mra" Bastien-Carez, rue Michatel. Tous les bibliophiles delà province, le grand Pseaume

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LES EX-LIBR1S DANS LES TROIS h VÉCU V S

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en tête, se précipitèrent à la curée pendant plusieurs jours . Mais déjà des triages avaient été faits, car en 1791, un Béné- dictin défroqué, nommé Bralret, ouvrit une librairie 4 Ton trouvait quantité de livres précieux. On rencontre encore maintenant beaucoup de ses bouquins n connaissais s à leur ex-librw imprimé: Se vend cJiez Bralret à Tout, dans un double filet oblong. Il avait aussi une marque très finement gravée au burin : Librairie Bralret à ÏW,dans un écusson à grenetis entouré de fleurs. 11 mourut à Liverdun, très âgé, après avoir essayé de rétablir le culte adamique.

Si, en 1819, l'ardent bibliophile anglais Dibdin, qui visita si rapidement la cité leuquoise, avait su que des monceaux de livres à vendre gisaient dans les combles de l'hôtel de ville, il serait resté plusieurs jours à Toul qui n'a de lui que ces quel- ques lignes :

« La route est encore plus jolie aux environs de Toul, dont l'église, vue de loin, ressemble à une cathédrale. Nous prîmes du thé à Toul, mais d'abord nous visitâmes l'église que nous trouvâmes de beaucoup supérieure à celle de Meaux. Quelques portions de l'intérieur sont véritablement fort élégantes, une fenêtre ogivale, particulièrement ornée de vitraux peints, peut rivaliser avec la plupart de celles qui ornent cette cathédrale.

o A Toul, la première fois depuis notre départ de Paris, on nous demanda nos passeports, attendu que Toul est fortifié. »

GRAVEURS TOULOIS D'EX-LIBRIS

ZAPOURAPH Graveur sur lois à l'imprimerie Carez, 1772-1773.

1. Bioquillby. Sur un bloc de pierre ombré, entouré de roseaux d'un côté et de l'autre d'un laurier incliné; sous les hachures figu- rant le sol Zapouraph 1772.

Est-ce l'auteur de la Croisade, mathématicien distingué, qui fit imprimer, en 1783, les Calculs des probabilités, ouvrit pen-

1 Rue Michatel, 1504.

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REVUE D'ALSACE

dant la Révolution des cours gratuits pour les ouvriers et, en 18(14, publia chez Carez la Théorie élémentaire du commerce? Il était secrétaire de la Loge des Neuf Sœurs, dont les statuts furent imprimés chez Carez, en 1782; l'éloge du fr.\ Michelet, fondateur, par le f.\ Grégeois, en 1788, sortit de la même imprimerie. 1

Vex-libris ci-dessus appartiendrait-il au frère de l'ancien garde du corps, au major de place Jean-Baptiste Bicquilley, l'auteur des Noëls et des Complaintes sur l'anoblissement du chapitre ? Il est le père du général dont on voit le portrait dans une salle du rez-de-chaussée de l'ancien palais épiscopal avec ceux du maréchal Gouvion Saint-Cyr, des généraux Gengoult, Gouvion, Pinthcville, de l'amiral de Rigny, du baron Louis, de l'avocat Liouville.

2. C. N. N. Dans un rond ombré, entouré de roses reposant sur un tapis de verdure. Au-dessous à gauche Zapouraph 1773. Cham- brette, ingénieur des ponts et chaussée, à Toul? Il y a encore le substitut Collardé, les chanoines Châtelain et Claude. Trouvé à Metz au milieu de bouquins sur l'un desquels on avait imprimé en lettres d'or Chambrktte sur les plats.

On peut attribuer à Zapouraph la marque de Dom Jourdez, Yex-Ubris armorié de M. de Curel ; les trois cailloux de Saint- Etienne dans la couronne d'épines; la charmante vignette de son maître d'un bon style Louis XVI avec les initiales J. C. {Dictionnaire de la Fable, Toul 1787).

1 M. le comte Gaston de Lambertye a, provenant du chanoine de Jobal, le sceau de la Loge (ovale de Om48 sur 0««»43), l'écu royal entouré d'emblèmes maçonniques disposés avec beaucoup de goût, grand sceau de la r. l. des ix sœurs a i/o.'. DE toul. Ce sceau ne se trouve pas dans le volume de M. Ch. Robert.

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LES BX-LIBRIS DAWS LES TROIS ÉVÊCHÉS

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COLLECTIONNEURS

Le chanoine Henri Montignot (1752), fils d'un charpentier de Nancy, devint membre de l'Académie royale de sa ville 1 natale; il y prononça, le 8 mai 1752, un discours sur le rapport de l'Enéide avec l'Iliade et l'Odyssée. Mais il est connu par d'autres travaux plus importants: Un Etat des Etoiles fixes au second siècle, par Ptolémée, comparé à la position des mêmes étoiles en 1786 avec le texte grec et la traduction, à Nancy, 1788, in-4° avec figures. Il publia aussi dans le Mercure de France, du mois de février 1756, une lettre sur le tremble- ment de terre de Lisbonne. Son opinion sur les causes physiques qui avaient amené cet épouvantable désastre lui attira une réponse des plus vives.

Mais un ouvrage, qui doit particulièrement nous intéresser est son Dictionnaire diplomatique et étymologique des termes du Bas-Siècle pour servir à l'intelligence des archives et chartes, Nancy, 1787, in-4\

L'auteur du Noël lui reproche d'être plus fier de sa nouvelle noblesse que tous les gentilshommes de race. Après s'être moqué du peu de solidité de ses connaissances mathématiques, il lui reproche son peu de charité. En effet, en 1776, le chanoine Montignot allant avec son confrère M. d'Hammonville junior en voiture à Boucq, à trois lieues N.-E. de Toul, laissa, baigné dans son sang, le jeune Gaussin, de cette ville, que des brigands avaient presque assommé. « Vous êtes trop ensanglanté, lui dit-il, nous ne pouvons pas vous prendre, et d'ailleurs, nous sommes pressés ! i> Toute la ville fut indignée de cette réponse barbare.

Sur le point de mourir Gaussin disait qu'il en coûtait moins à son cœur de pardonner à son assassin qu'aux deux cha- noines si inhumains. Le meurtrier fut pris et roué.

1 Académie de Stanislas actuelle.

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REVUS D'aLSACE

Le chanoine Montignot, pour célébrer le sacre de Louis XVI, s'avisa de faire une distribution de pain au peuple. De ses fenêtres, il assomma quelques malheureux en lançant ses miches. Il y eut nécessairement du tumulte, des vitres cassées et la maréchaussée dut intervenir.

En descendant le grand escalier du cloître on lit l'épitaphe de notre chanoine. Une sphère est entre une équerre et un compas au-dessus de ces lignes :

D. 0. M.

Ci-git M. H. François Montignot, prêtre, docteur en Théo- logie, chanoine de cette église, Membre de l'Académie royale de Nancy, décédé le 1* Mars 1790, âgé de 67 ans.

Requiescat in pcice.

D'après le P. Benoît, le lieutenant général au bailliage François Favier, depuis conseiller à la Cour souveraine de Colmar, rechercha, vers la tin du xvne siècle, les antiquités et les monnaies trouvées à Toul. « Celles-ci étaient si communes, dit le capucin, qu'elles se vendaient au poids, même les plus rares et les plus curieuses, et on en faisait si peu de cas que les enfants les mettaient au jeu comme ils auraient fait d'un liard. »

Celles qui furent trouvées, lorsqu'on construisit les nouveaux remparts de Toul et dont la plupart furent presque toutes envoyées au cabinet du roi, furent décrites par le bénédictin Dom Joachim de la Roche à l'abbé de Senones. Celui-ci vint souvent à Toul. Un jour, il signala à un M. Paris plusieurs blocs de pierre taillée qui gisaient derrière la cathédrale parmi lesquelles était la figure de la déesse Trivia que M. Paris fit transporter dans la cour de la maison Groselier.

Vers la même époque, le chanoine de Maimbourg instruisait le célèbre P. de Sirmond de la trouvaille d'une statuette de Mercure dans les fossés de la ville.

Le capitaine Duplessis, du régiment de Normandie (cava- lerie), avait recueilli des monnaies trouvées à Toul, et M. de

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS 159

Villement, ingénieur des travaux, avait ramassé de son côté tout ce que l'on trouvait lors de la construction de la nouvelle enceinte ; le P. Benoit était chargé par les Bénédictins, de faire un catalogue. Il déclare n'avoir vu qu'une monnaie épis- copale du xvr siècle en fait de monnaie locale.

L'antiquaire Lemoine, de Moyenvic, était en grande corres- pondance avec trois Toulois dans la seconde moitié du siècle dernier. Leur correspondance très intéressante a été mise en vente à Metz, lors de la dispersion, en 1850, de l'importante collection Emmery.

Le procureur du roi au bailliage, Henri, 1 donnait en 1761, 1762 et 1763 des détails très curieux sur la compagnie des Cadets Dauphin, sur les prix accordés à l'abatage de l'oiseau; il décrit la médaille donnée à cet effet. Puis il donne quelques renseignements sur des livres publiés à Toul, il termine en décrivant les archives de la ville, de Tévêché et de la cathé- drale.

L'avocat Vautrin (1763-1766) s'occupe principalement dans ses lettres de questions historiques et de numismatique touloisc.

Enfin le troisième, Thouvenin, l'ex-échevin, donne en 1783, la généalogie des comtes de Metz, do Verdun et de Toul, avant la réunion des évêchés. Thouvenin a laissé des manuscrits précieux pour l'histoire de son époque.

Tarmi les autres lettrés toulois, on peut citer le président Pallas, qui obtint un prix d'éloquence à l'Académie française en 1735; Nicolas Clément, le garde de la bibliothèque du roi, l'auteur de la défense du siège de Toul, il légua au cabinet des estampes sa magnifique collection iconographique sur le règne de Louis XIV; Sellière, curé de Maizières, correspon-

1 Le procureur du roi Henri, avec MM. Bicquilley et Thouvenin, est l'auteur des mémoires concernant le démembrement du diocèse et annoblissement du chapitre, présenté au Parlement, à la Cour, etc.

REVUB D'ALSACE

dant de l'Académie de Metz en 1782; Nicolas Dusaulchoy, le joyeux président des Soupers de Momus, etc.

Le premier conservateur du musée de Nancy, et pour lequel la place fut créée, fut un ancien officier des guerres d'Amé- rique, ancien capitaine d'artillerie, chevalier de Saint-Louis, Jean-Victor Huguenin de Launaguais, membre de l'Académie royale de Nancy, inscrit, en 1788, au matricule de la noblesse du bailliage. Il avait un très beau cabinet d'histoire naturelle. Il trouva, le premier en France, dans la glaisière de Bouvron, le sulfate de strontiane en masse striée et fibreuse. M. de Launaguais fut le parrain de Charles de Villers, cet aimable philosophe de Boulay, qui fut l'amant de tous les bas bleus célèbres de son temps.

De nos jours, les travaux géologiques sur Toul et son arrondissement ont fait connaître honorablement leur auteur, M. le pharmacien Husson. M. le docteur Denis (de Commercy) s'est appliqué avec succès à des études approfondies sur la chimie. Ce praticien distingué a laissé, outre son cabinet scientifique, une belle collection d'antiquités locales, dont il poursuivait l'étude avec la plus grande ardeur dans ses rares moments de loisir. On doit aussi citer les travaux scientifiques de MM. les docteurs Leclerc et Bancel.

Voici ce que dit la Revue anecdotique (Paris, 1859, t. vin, p. 247) de la collection de M. Dufrêne, conseiller de préfecture honoraire, aimable octogénaire, le dernier leuquois qui fait avec tant de bienveillance aux chercheurs les honneurs de sa demeure, rue des Prisons militaires, à Metz : o Médailles, livres, bahuts et cadres sculptés, une assez grande quantité de chartes des xiir, xiv* et xv* siècles; entre autres tous les comptes de la maison de Charles-le-Téinéraire au siège de Nancy. Recherche avec passion tout ce qui a trait à l'histoire de Toul. » En effet, il existe peu de collection locale aussi complète sur une cité, il est vrai que M. Dufrêne a mis plus d'un demi-siècle à la former. Les rares opuscules qu'il a

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LES EX-L1BRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS 161

publiés sur sa ville natale, sont une preuve de ses minutieuses recherches. On sait que le beau volume sur la sigillographie de Toul, par M. Ch. Robert, a été écrit grâce à l'active coopé- ration de notre respectable collectionneur.

Enfin avant de terminer, nous ne pouvons pas nous dispenser de parler de la faïencerie de Bellevue, près de Toul, bâtie en 1758, et dont les produits sont si recherchés; le célèbre sculpteur de Lunéville, Cyflé, y travailla quelque temps, et on conserve soigneusement les moules de ses charmants groupes.

Les ex-librU contemporains sont très rares; citons, sous la Restauration, celui du receveur particulier, modestement imprimé dans un carré à double filet:

DE LA BIBLIOTHÈQUE DE

THIERRY PETIT -JEAN A. TOUL.

et de nos jours celui du docteur Ern. Bonnejoy, à Marines (Seine-et-Oise) en 1833, d'une famille originaire de l'arrondis- sement de Toul, demeurant à Chars en Vexin ; il possède une bibliothèque de près de 4000 volumes, l'on remarque de nombreux incunables et de manuscrits sur vélin, dont un du vu' siècle en onciales, etc. Il recherche particulièrement tout ce qui a rapport au Vexin français, livres, gravures et monu- ments, qu'il a joints aux collections numismatiques et con- chyologiques paternelles. Charavay a publié dans la Bévue des documents historiques quelques unes de ses chartes les plus anciennes (1113 à 1177).

Nous donnons ici Yex-libris de M. le docteur Bonnejoy, dessiné et gravé par lui, et qu'il a bien voulu nous envoyer. La composition en est très originale: au fond, au milieu du parc son habitation; au premier plan un livre sur lequel on lit: Ex-lïbris Docteur Bonnejoy, puis à droite des attributs de

Nouvelle Sene. - 11- année. 11

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REVUE D'ALSACE

médecine, potions, pillules exposant le symbole macabre; au- dessous la fontaine minérale qu'il a retrouvée près de Chars; un charmant ruisselet en sort et fait bordure au dessin; au- dessous la devise du docteur, ancien inspecteur des eaux de Forges, sjllus ex undis, puis plus bas, E. Bonnejoy del & se. 1875.

APPENDICES

i

NOËL

sur V anoblissement du chapitre, par J.-B. Bicquittey, ancien garde du corps du roi.

Pour adorer l'enfance De Jésus nouveau né, Le chapitre s'avance De la croix décoré. Joseph dit : « Vous voilà des abbés d'importance, Renoncez à la vanité, C'est pour prêcher l'humilité Que Jésus prend naissance. »

« Pour entrer au chapitre, Répondit Champorcin, 1 L'on n'avait d'autre titre, Que d'être homme de bien,

1 L'évêque eut une réception splendide lorsqu'il vint pour la pre- mière fois à Toul. « J'ai tout fait pour le mieux, » était son expression favorite.

Parmi les chanoines il y avait des fils de boucher, de meunier, etc.f (ce qui leur faisait honneur). On disait plaisamment que leur nouvelle croix était une pierre à détacher.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS

163

J'ai tout fait pour le mieux, par mes soins, mon adresse, J'en écarte le citoyen Pour quelque prestolet lointain Qui prouve sa noblesse. »

Joseph, quoique bonacc,

Lui dit: «Mon bon prélat,

L'on doit tous rendre grâce

Pour ce beau coup d'état, Et les pauvres Toulois, au sein de l'indigence, Verront venir de Pezenas Des faméliques en rabat,

Dévorer leur subsistance. »

Vantoux prend la parole, Et dit : « Point de débat, L'église métropole Exige de l'éclat, Laissons aux tonsurés de famille inconnue, A des gredins, à des pieds plats, 1 Des cures, des vicariats A portion congrue. »

«Quelle est cette éminence?»

Demande le bon Saint.

« Un homme d'importance,

En un mot, le doyen ; Glorieux des exploits de Monsieur son grand père, Il servit dans un régiment, Mais il ne fut du tout méchant,

Soub l'habit militaire. »

Phraseur impitoyable, Ecrivain froid et lourd, Montignot, dans l'étable, Fit un fort beau discours. 1

' Très haut avec ses inférieurs, M. de Vantoux appelait tout le monde : gredins, manants, pieds plats, gens de rien. Ce qui excita le rire de tous, lorsqu'on connut son histoire. Etant lieutenant au régiment de Tournaisis, il dut donner sa démission, sur l'injouction de ses cama- rades, ayant refusé de se battre en duel, après avoir reçu un soufflet.

* Voir ce qui a été dit sur ce chanoine.

1G4

REVUE D'ALSACE

Tandis qu'il épuisait les fleurs de rhétorique, Le bœuf et l'àne s'extasiaient, Les autres assistants baillaient, En style académique.

Joseph dit: «Ce grand homme

Me parait bien diffus ;

J'ai dormi d'un bon somme,

Pendant tout son Phœbus, Ne ferait-il pas mieux de lire l'Evangile, Et pour secourir son prochain L'exemple du bon Samaritain

Lui serait bien utile. »

Tandis que l'on tourmente Le divin nourrisson, Ducrot vient et présente Sa protestation ; 1 Dubetex l'a chassé par ordre du chapitre, Et se trouvant sans feu ni lieu, Il demande asile à son Dieu Et le fait son arbitre.

Quand Lacour, le faux frère *

Du citoyen fauteur,

Veut faire la prière

Au bureau du Sauveur. Le chapitre s'enfuit, Lacour seul de sa bande, Fait à Jésus son compliment, Sans diacre, sans un assistant,

Sans qu'on aille à l'offrande.

1 Le chanoine Ducrot (1760) crut devoir envoyer par huissier sa protestation contre l'anoblissement du chapitre. Cet acte judiciaire ne fut pas mentionné dans le procès-verbal. Les chanoines, du reste, en eurent une telle colère, qu'ils résolurent de mettre en quarantaine les chanoines opposants, et de ne plus les saluer, même à l'office. Le cha- noine Dubetex (1748) qui avait Ducrot en location fut forcé de le mettre à la porte.

* Le chanoine Lacour (1751), un des opposants les plus ardents contre la décoration, fut mis à l'index; on jura quand il serait de semaine, qu'on ne lui ferait pas diacre ni sous-diacre et qu'on s'irait pas à l'offrande.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TB.OIS ÉVÊCHKS

165

Peu fait à la cabale, Joseph était tremblant ! « Quel horrible scandale, Dit Drouas en pleurant, 1 Redoutez le courroux du Dieu qui vous contemple, En cessant d'être citoyens Soyez humains, soyez chrétiens, Vous en devez l'exemple. »

Que de vaines paroles, Dit Tardif en fureur,* Je gagne cent pistoles, D y va de l'honneur, Pour défendre ma croix, je perdrai mes veilles, Laissons tout scrupule à l'écart, On met religion à part En affaires pareilles. >

Tranchant du petit-mattre,

Beurard paraît surpris,

Qu'on le fasse paraître

Dans un pareil taudis ; «Comment, point de sopha, point de boudoirs, de glaces, Point un groupe voluptueux ? C'est un appartement de gueux,

J'abandonne la place!»

Joseph perd patience

Et lui répond soudain :

« Un peu moins d'insolence,

Petit abbé poupain, Sur vos exploits galants, gardez mieux le mystère! Le bruit ne convient qu'au plumet; Mais un moine en petit collet,

Devrait savoir se taire! »

1 Drouas de Boussey, grand-chantre, honnête homme, frère de l'an- cien évêque.

* C'est avec des larmes de joie que M. de Tardif d'Hamonville, archidiacre de Port, vient annoncer au précédent qu'on assurait aux archidiacres une somme annuelle de cent pistoles à titre de dédomma- gement.

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REVUE D'ALSACE

Pour finir la séance, Le père nourricier Tira sa révérence Et dit an corps entier : Je snis édifié de tous les gens d'église,

Depuis les clercs jusqu'aux abbés, Allez, messieurs les savonnés, Le bon Dieu vous bénisse ! »

II

COMPLAINTE

sur la défense déporter la croix hors la province

Du noble Pagel dit Vantoux, Doyen du chapitre de Toul, Aussi noble, que son chef même, Plaignons la douleur extrême; Lui et tous ses confédérés Méritent bien d'être pleurés.

Du plus foudroyant des Edits, Ils sont, hélas! tout interdits, De la douleur voyez l'emblème Sur leur visage pâle et blême, Et pour leur consolation, Chantons leur désolation.

Ce qui est le plus douloureux Pour ces chevaliers malheureux : C'est que Louis seize en personne, Ce grand Roi dont l'ame est si bonne Qu'il nous porte tous dans son cœur Est l'instrument de leur malheur.

Monsieur l'abbé de Champorcin N'a plus qu'une croix sur son sein, Ce grand successeur des apôtres,

LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS

167

En a déjà porté bien d'autres, Et jamais il n'en manquera, Monsieur de Vantoux y pourvoira»

Que devenir sans croix aussi, Comment se montrer à Nancy, Illustre abbé de Bonneville?1 N'est-ce pas une chose vile, Ponr une si noble tournure, D'être vêtu comme un curé?

Pallas, ' étalez vos deux croix Quand vous partirez pour Chaloix,1 Surtout ayez de la prudence, Quand vous serez à la potence,

1 Henri-Louis Pelet de Bonneville, à Nancy, reçu en 1767, tré- sorier, puis grand-chantre du chapitre et vicaire général, conseiller-clerc au parlement de Nancy, demeurait à Monbois (faubourg de Boudonville), membre de l'Académie, fondée par Stanislas, y lut, après le rétablisse- ment de celle-ci, quelques passages de sa traduction de Senèque, qui fut imprimée en 1803; après le Concordat, chanoine honoraire de la cathédrale.

(V. ce que dit Lionnois sur la charmante propriété de Monbois). ' Pallas (1742), promoteur du chapitre? Il y avait alors trois Pallas, chanoines (1746, 1767). Un d'eux se chargea de démolir la statue en bronze de Saint-Gérard, qui s'élevait au milieu du chœur sur son tom- beau par 6ix gros pieds, aux frais du chanoine Ferry de Void, en 1306 ; mal lui en prit, selon le poète:

Monsieur Pallas dont on avait fait choix

Pour présider à l'œuvre méritoire,

Voulant du saint honorer la mémoire

Le fit ôter et le vendit au poids,

Pour le livrer, Pallas travaille, sue,

Veut le briser à grands coups de massue.

Le saint, de cuivre, à qui ce jeu déplaît,

Au lourd marteau répond avec la crosse,

Saisit Pallas que rudement il rosse,

Atteint la jambe et la lui casse net. Les vieux Toulois virent dans cet accident un juste châtiment pour l'obstination à démolir l'antique tombeau et pour son remplacement par un dallage noir et blanc. se dressait le gibet, au-dessus de la Charognerie, près de Saint-Epvre,

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REVUB D'ALSACE

Âdieu cordons, croix et grandeurs, C'est le terme de vos honneurs !

Vous qui portez de si bon air, Un collier rouge et bonnet vert, Sans soulier, sans cheval ni chaise, A pied, cheminez à votre aise, Allez sans croix, ne craignez rien, Partout on vous reconnaîtra bien. 1

Allez sans croix, abbés ardents, Vaquez à vos exploits galants. Montignot, Soffi,* Hamonville,* De nuit, faites le guet en ville, On vous prendra pour des abbés Du grand Séminaire échappés.

m

DEVISES TOULOISES

Eudes de Sorcy, évêque, sur son contre scel, 1228.

Deux adjuva me. Hugues des Hasards, évêque, 1517.

Moderato, durant. Calculez bien. Sur son tombeau : Vita hominis, Nasci, laborare, mot Hector d'Ailly, évêque, sur un jeton, 1532.

Nasci, laborare, mori. Toussaint d'Hocédy, évêque, 1547.

Inter utrumque vola.

1 De Sublet d'Heudicourt-Lenoncourt, 1773.

Le comte de Soffi de Cerneck, magnat de Hongrie.

1 Tardif d'Hamonville minor. 1767.

LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS KVÊCHKS

169

Le cardinal de Vaudémont, évêque, 1587, sur un jeton :

Merito defendo tuentem. Pierre Jacobi, imprimeur, 1507.

Solafides sufjicU oujides ficit. Claude Guyot, chanoine de la cathédrale, 1599. FosuU in eo dominus iniquitatem omnium nostnim (Isaïe), au-dessus, le Christ en croix. Jean de Barba, chanoine, qui ht reconstruire la chapelle de tous les saints, 1550. Anchora mea Deus. Gournay, évêque.

Orbe mente, cadent. Jean de Lorraine, évêque.

2m manibus tuis sortes meœ. A l'église Saint-Gengoult.

Mensura in rébus optima, m.cccc.xii. Sur une maison de la place Croix de Fust, 1590 :

Nasci, îaborare, tnori. Sur une maison rue Michatel (ou habita Bossuet):

Forluna Comité, Fortuna lente, 1515, Sur le frontispice du Commentaire des cantiques de Moyse. Lyon 1619. Quatrain manuscrit:

Mon âme pleine de douceur, Souspire à Vous, Dieu de mon cœur, Et toute contente, elle s'écrie : Vive Jésus, Vive Marie!

Arthur Benoit.

(A suivre.)

LÉGENDES ET TRADITIONS

RBCOTSILLIxa SUR

Saint- Dizier, Villars-le-Sec, Croix, Montbouton, Beaucourt, Fesche-l'Eglise, Lebetain et le hameau du Val.

On rencontre en France des vestiges de tous les âges de l'humanité.

TuBFFERD.

La commune de Saint-Dizier était, avant la grande Révolu- tion, le chef-lieu d'une mairie dont dépendaient les villages de Villars-le-Sec, Croix, Montbouton, la moitié de Beaucourt, Fesche-l'Eglise, Lebetain et le hameau du Val, qui a toujours fait partie de Saint-Dizier.

Les ressortissants de cette mairie lui payaient une rede- vance annuelle.

Les sujets de la seigneurie de Délie à Fesche devaient pour leur «coste de la dette de la Mayrie la censé de 59 liv. 3 sols; les Français1 de Bocourt devaient 18 liv. 4 sols; la communauté de Villars 77 liv. 9 sols; Montbotton devait 73 liv.»2

Le territoire de Saint-Dizier touchait alors, comme encore aujourd'hui, à celui de ces six villages, et des chemins, dans

1 Les Français, dans la pièce que nous consultons, sont ainsi appelés par opposition aux sujets de Bourgogne, dont Beaucourt était aussi peuplé.

* Nous n'avons pas pu découvrir ce que les autres communes devaient à la mairie.

Di

LÉGENDES ET TRADITIONS

171

un état très défectueux, venaient, à travers les bois, aboutir au village de Saint-Dizier sans se souder l'un à l'autre. Ces chemins avaient été établis dans un but plutôt administratif et religieux que commercial, car tous ces villages dépendaient non-seulement de la « Mayrie » mais aussi de la paroisse de Saint-Dizier, qui était certainement une des plus anciennes et des plus considérables de la contrée. Ce petit coin de pays se nommait le Haut-Pays, la Haute-Mairie ou la Mairie de Saint-Dizier.

L'antiquité de la paroisse de Saint-Dizier est prouvée par des titres d'une authenticité incontestable. Nous savons, en effet que, par une charte de l'année 728, le duc Eberhard d'Alsace fit don de cette église à l'abbaye de Murbach. Datira (Délie), cum Basilica, ubi sanctus Besiderius incorpore quiescit, vel quod ad ipsam Ecclesiam aspicere videtur.

A l'époque de cette donation, l'église de Saint-Dizier était déjà très importante puisque la charte en question la qualifie de Basilique, terme qui, comme chacun sait, ne s'appliquait qu'aux églises remarquables, églises royales.'

L'importance do cette paroisse, à une époque aussi reculée, prouve évidemment que ce petit coin de pays était habité dès les temps ante-historiques. Nous allons essayer d'en donner des preuves par les monuments que les populations celtiques nous ont laissés dans la contrée.

Le culte druidique y a été en grand honneur, si l'on en juge par les épaves de cette religion mystérieuse qui sont parvenues jusqu'à nous. Il est même à croire que nos montagnes du bas Jura ont été habitées dès l'âge de pierre. Nous avons, en effet, trouvé, il y a plus de trente ans, une joli 3 hache celtique en silex, qui est déposée au musée archéologique de Belfort ; un grand nombre de cailloux qui ont servi à polir la pierre et

1 Sujyrascripta namque ecclesia olim fuit regalis dbbatia. Graîididier, 1 1, p. 243.

172

REVUE D'ALSACE

une infinité de fragments de vases à pâte noire dans laquelle on a remarqué des grains de sable siliceux. Plusieurs de ces fragments sont très bien modelés et tous ont été trouvés à proximité de l'église, dans un jardin.

Les monuments les plus nombreux de l'époque celtique et de l'époque gallo-romaine se rencontrent dans les dénomina- tions territoriales. Nous allons en citer quelques-unes comme elles se présentent à notre mémoire :

Nous avons le chemin des quatre faus, des quatre hêtres ou foyards. Le Fallat, fal, falaise, lieu aride, mauvais, chétif. Les Essarte, pâturage boisé, chaive, chu = sur, aive = eau, on dit encore avié, évié, pierre d'eau. Les Pesses, les sapins. Les Régies, les haies, le Toul,{ trou creux? Doue, Dues, Dieu = Déesse. Ce nom s'applique aux sources qui sourdent des cavités de rochers. Charrière, char, les Combattes, les combes de Bel ou Belus, Le Rupt, rupes, roches, La Faye, la Fée, d'où nous seraient venus, fagot, faine, fatum, fada. Cra, côteau aride. Les Norreux, les nouvelles cultures. Indépendamment de ces noms de lieux encore en usage aujourd'hui et dont l'origine est évidemment celtique pour les uns et gallo-romaine pour d'autres, il y a encore dans cette région des monuments par- lants que nous pouvons sans témérité faire remonter à H époque druidique. Le premier de tous ces monuments, et le plus connu, se nomme les Pas ou Passées du Diabte ou de Saint- Dizier. On lui applique indistinctement cette double appel- lation.

Ces Pas de Saint-Dizier ou du Diable sont huit empreintes ou érosions marquées sur un énorme monolithe plat qui gît à terre depuis un temps très reculé. Cette pierre est couchée non loin du petit village de Villars-le-Sec, sur les confins de

1 En Bretagne il y a le Toul Ahès, le Gouffre d'Ahès. Foyer breton. * Cra, coteau, roche, pierre, caillou. La Crou, plaine immense cou- verte de cailloux près du Rhône, entre Arles et la mer.

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LÉGENDES ET TRADITIONS

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la Suisse, auprès du chemin qui se dirige du val de Saint- Dizier vers Porrentruy. Elle est placée dans une dépression de terrain en forme de cirque très régulier qui a l'air d'avoir été formé de main d'homme. Le rayon de ce demi-cercle mesure environ cent mètres et le diamètre à peu près soixante mètres. Le monument qui nous occupe est placé dans l'axe exact de la figure que cet hémicycle décrit. De tous les points de cette enceinte semi-circulaire la vue peut se porter aisé- ment sur le monolithe, et la voix d'un orateur, placé sur cette pierre, pouvait être entendue de tous les auditeurs groupés dans cette enceinte; et, chose digne de remarque, le sol de ce cercle était entièrement dépourvu d'arbres. Nous l'avons encore vu à l'état de clairière, tandis que tout à l'entour il y avait une forêt très épaisse. C'était, en un mot, un petit pâtu- rage où Ton conduisait les chevaux malades. On raconte même que plusieurs sont retournés à leurs étables entière- ment guéris; on sait que les pelouses au milieu des Jorêts sont considérées comme des enceintes sacrées naturelles.

Notre monolithe affecte une forme très irrégulière. C'est une espèce de polygone, qui mesure trois mètres dans sa plus grande longueur et deux dans sa plus grande largeur. Cette pierre était encore, il n'y a pas longtemps, en grande vénération dans le pays. Il y a tout à côté une croix de bois qui a été renouvelée d'âge en âge, et aucune de ces croix n'est tombée en ruine par suite de vétusté; elles ont toutes été usées par les éclats de bois que les passants leur enlevaient et qu'ils conservaient comme des talismans qui leur procuraient un heureux voyage. Après avoir enlevé cette esquille, les voya- geurs crédules traversaient la pierre en ayant soin de poser leurs pieds dans les empreintes que l'on appelle les Pas de Saint-Dizier. Ces empreintes sont au nombre de quatre. Les deux du milieu sont les plus profondes, elles ont cinq centi- mètres d'enfoncement. Les deux autres sont à peine visibles. Elles ont exactement la forme d'un pied d'homme chaussé

174 REVUE D'ALSACE

d'une sandale. Les quatre autres sont les Pas du Diable; elles ont la forme d'un pied de bœuf, elles traversent la pierre de part en part.

Voici, sans aucune altération, ce qu'une tradition constante rapporte sur la signification de cette pierre et des empreintes qu'on y remarque :

«L'évêque saint Dizier allait du village de Bure à celui qui s'appelait alors le Mont et qui s'appelle aujourd'hui Saint- Dizier. Le saint évêque fut rencontré près de ce monolithe par le diable qui voulut se livrer sur lui à des actes de violence et l'emporter au loin. Mais l'ennemi du genre humain fut arrêté dans sa criminelle tentative par un miracle. Les pieds du diable s'enfoncèrent dans la pierre, le maudit resta planté et ne put s'en tirer que par la grâce du saint évêque- Mais les pieds de saint Dizier ne laissèrent qu'une légère empreinte sur la pierre qui s'amollit sous ses pas.»

Comment expliquer l'origine de ces empreintes ? Sont-elles le résultat d'un miracle, ou un jeu de la nature? Libre au lec- teur d'en penser ce qu'il voudra. Nous citerons toutefois un fait analogue qui est rapporté dans la vie de saint Rémi, il est dit, que ce saint, après avoir éteint un incendie dans la ville de Reims, laissa l'empreinte de ses pas sur le seuil d'une des portes de la ville. Les légendes des saints signalent des faits de ce genre. La mythologie et l'histoire en rapportent également. Les Arméniens croient que le patriarche Noë a laissé l'empreinte de ses pieds sur le sommet du mont Ararat

Si la tradition que nous venons de signaler est un de ces nombreux vestiges du paganisme parvenus jusqu'à nous, nous croyons que la pierre vénérée, qui fait l'objet de ce récit, était un menhir druidique comme la Pierre percée de Courgenay, ou la Pierre constellée de petits trous de la Boulloie, ou encore le Trilithe de Bure qui, selon M. Quiquerez, était un dolmen .

Notre pierre des Pas de Saiut-Dizier était dressée debout. C'était un autel élevé à la divinité adorée par les Druides.

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LÉGENDES ET TRADITIONS

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Elle était plantée dans Taxe géométrique d'un cirque, dans l'enceinte duquel pouvaient se placer aisément deux mille per- sonnes, qui toutes pouvaient voir et entendre le vieux Semnotée de la forêt prêchant les dogmes de sa religion mys- térieuse à tout un peuple rassemblé des villages environnants. a Le a Celtes n'avaient pas de temples; comme les nations les plus anciennes de l'Orient, Us adoraient de grandes pierres rudes et informes. Ces colosses grossiers tailles par la nature avaient, dès la plus haute antiquité, frappé V imagination des hommes grossiers et Us en avaient fait des dieux.»

Or, à l'arrivée de saint Dizier dans ces contrées, vers les années 670 à 673, la religion chrétienne n'y était pas encore généralement répandue. Les monuments du culte druidique étaient pour la plupart encore debout et inspiraient une grande vénération à nos ancêtres superstitieux. Saint Dizier, ayant reconnu que le peuple rendait une espèce de culte à ces monuments érigés à l'esprit des ténèbres, fit abattre notre menhir et le foula aux pieds.1 Le peuple, pour affirmer sa foi Buivit l'exemple du saint évêque, et cette pratique de marcher sur cette pierre en posant le pied sur les Pas de Saint-Dizier est parvenue jusqu'à nous. On a élevé une croix de bois à côté de ce menhir renversé, afin de sanctifier par le signe de la Rédemption le lieu consacré aux divinités du paganisme.

Le monument antique que nous venons de signaler n'est

1 La religion chrétienne, apportée de bonne heure dans nos mon- tagnes, n'eut pas tout d'abord des prêtres nombreux pour veiller sur son berceau. Il fallut des siècles avant que l'organisation des paroisses fût régularisée. Ceux qui arrachèrent les populations à l'idolâtrie et aux coutumes implantées dans nos forêts, au fond de nos vallées et sur les rives de nos torrents, ne vinrent que de loin en loin les soutenir dans la foi et les initier aux pratiques de la vie nouvelle, puisque saint Agile et saint Eustase, qui arrivèrent en ces contrées en 610, y trouvèrent encore des idoles dans les bois. L'abbé Nabbby, Les hautes Montagties du Doubs, pp. 72-73.

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pas le seul qu'on rencontre dans ces parages. Si le lecteur veut bien nous accompagner vers l'Orient, à travers une cam- pagne ondulée, tourmentée, offrant à la vue, d'un côté, une forte dépression de terrain et, sur un autre côté, une espèce de ravin formé par les eaux pluviales, on arrive, à cinq cents mètres des Pas de Saint-Dizier, sur une lisière de bois très étroite qui forme le couronnement de rochers à pic qui déter- minent de ce côté la limite de l'ancien fief rural de l'évôque de Bâle.

Ce lieu est un petit hameau composé de sept maisons qu'on nomme le Maira * Ce hameau était autrefois entouré de bois de toutes parts; son enceinte n'est défrichée que depuis quel- ques années, du côté de Bure. Cette vaste campagne, très petite et bien cultivée, était un ancien glacier qui a été mis à sec dans des temps relativement récents. Le sol qu'occupe le hameau a conservé une grande humidité, qui va se déverser dans un vaste estuaire qui n'est jamais à sec, même en été.

Ce nom de Maira rappelle à la mémoire les Déesses Mères, les Deae Maires, Les Maires, Mairae, mères des dieux, furent adorées comme déesses protectrices par le bas peuple qui leur rendait un culte semblable à celui que les Romains avaient coutume de rendre aux Nymphes.3

A droite de Villars-le-Sec, sous des roches en forme de cor- niches, il existe un monument que nous ne signalons qu'avec une certaine réserve et une timidité d'autant plus grande qu'aucun des archéologues distingués du pays de Porrentruy ne l'a signalé. A notre avis, il est cependant digne d'attention: Au milieu d'un énorme rocher sourd une petite fontaine qui débite à peu près un litre d'eau par minute. Cette eau est très claire. Elle coule à travers une petite rigole dans une écuelle ou cuvette ayant la forme d'un crâne humain évidé. Les parois

1 II est en Suisse, commune de Buix.

Acpschxaoek, I, 61. | D. Monxibb, passim.

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obliques de ce petit récipient portent les empreintes de cinq griffes d'oiseau bien marquées, bien fouillées. L'eau de cette cuvette se déverse au moyen d'un goulot dans un grand bassin en forme de carré long qui a 1B,70 de longueur, 0m,4O de lar- geur sur 0m,50 de profondeur. Les côtés ou parois de ces deux bassins sont parfaitement polis comme du marbre. On ne remarque aucune trace d'outil en métal. Les deux creux sont parfaitement évidés. On se demande naturellement ce que signifient cette fontaine et ces deux récipients dont on ne se sert point. Les animaux domestiques, dit-on, ne veulent pas boire de cette eau.

La légende, ici comme ailleurs, vient à notre secours. Elle nous apprend que le bon Dieu fit un jour la rencontre du diable sur ce rocher et lui dit :

Que fais-tu ici, maudit?

Qu'est-ce que cela te fait. Il s'en faudrait de peu que je fisse ici un trou pour te mettre dedans.

Puisque tu as si bonne envie, lui dit le bon Dieu, com- mence, et celui qui aura fini le premier y mettra l'autre. *

En quatre coups de doigt, le bon Dieu eut fini le sien. Le diable ne put faire que la cuvette qui porte encore l'empreinte de ses griffes. Le bon Dieu alors précipita le diable dans le grand trou, puis le recouvrit d'une énorme pierre qui gît encore au pied du rocher. La tradition s'arrête là, elle ne nous apprend rien de plus. Elle nous laisse ignorer l'usage que l'on faisait de ces deux récipients, dont le plus grand est taillé à vives arêtes avec beaucoup de soins et de netteté dans une pierre excessivement dure.

Cette source mystérieuse est encore l'objet d'un culte

1 Voici le patois de ce dialogue entre le bon Diea et le diable : Quace que te fat pai chi modi. Quace que cola te fai. Diaire n'ai tènrai qui fero in petchu céderai h qui te fotero dédain. Pusque te chi boènne envietai quemence. Ce tu querrai fini le premie y botterai Votre. Nouvelle Série. If année. 12

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inconnu. J'ai eu la curiosité de vider le grand bassin. Il était plein de pierres, dont un grand nombre étaient étrangères à la région. Il y en avait d'autres qui affectaient une forme ronde, et toutes étaient de petite dimension. On va chaque année, à l'époque des Rogations, en procession à cette source. On y va aussi chercher de l'eau pour les yeux.1

Doit-on conjecturer que ce rocher était une pierre à cuvettes ou bassins V Dans ce cas elle serait aussi un de ces mystérieux témoins des plus anciens figes dont elle a gardé le secret. Elle aurait vu couler le sang des victimes humaines, dont l'imagination semble encore entendre le râlement de l'agonie. Ce lieu sinistre, désert et sauvage porte à la tristesse. Il n'y a tout autour que rochers renversés dans des brous- sailles et des terres sans culture.

Une autre tradition plus agréable à l'esprit se rapporte à une fontaine qu'on appelle la Fontaine Dellain ou Dellein. Elle se trouve sur le territoire de Saint-Dizier. Elle est aussi située sous un rocher dans une petite colline qui donne nais- sance au vallon des Prés de Vaucomté, et, chose singulière, elle porte, comme la fontaine du Maira, le nom de fontaine Dellain. Nous estimons que le nom de Dellain veut dire petite vallée; Délie vallée, lein ou kkin, petite. Ici, comme dans beau- coup d'autres cas, un nom teutonique a été juxtaposé à un nom celtique, et, comme les noms celtiques définissent la chose à laquelle ils s'appliquent, notre opinion serait justifiée par l'état des deux localités, qui sont deux petites vallées, deux petites collines. Nous avons dans le pays plusieurs localités qui portent ce nom et qui sont toutes situées dans des vallées. Nous avons Délie, Delémont, Dale ou Dasle, Dalotte. Il y a en

1 Chose digne de remarque, le Maira occupe un point autour duquel viennent converger les chemins de Milandre, Buix, Bure, Villars-le-Sec, Saint-Dizier et Lebctain sans se sonder l'un à l'autre. Ce fait prouve évidemment que le Maira était un centre religieux fréquenté par toutes les populations du voisinage.

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outre, dans le département du Nord, la Deule, la grande rivière et la vallée de la Deulc.

Nos deux fontaines Dellain, celle du Maira et celle de Saint- Dizier, étaient fréquentées par la voivre.4 Par une belle nuit d'automne la voivre allait, à travers les airs, de la fontaine du Maira à celle de Saint-Dizier. Elle fut aperçue par des bergers qui gardaient leurs troupeaux dans les champs sur Vaucomté, ils virent briller le diadème qui ornait sa tête. L'un d'eux, plus hardi et surtout plus ambitieux que ses camarades, se hâta d'accourir à la fontaine Dellein atin de s'emparer du diadème qu'elle déposait, pendant qu'elle faisait sa toilette, sur une grande pierre plate qui est encore là. Mais notre jeune berger fut tellement ébloui de l'éclat des diamants qui ornaient le diadème, qu'il en fut subitement frappé d'une cécité complète. Il resta dans cet état pendant quelque temps et fut l'objet des risées de ses camarades; s'il avait pu s'em- parer de ce précieux diadème, il eût été riche à millions. De peut-être l'usage que l'on fait de l'eau de la fontaine pour les maux d'yeux.

Non loin de la fontaine Dellein de Saint-Dizier, nous remar- quons encore une dénomination territoriale qui rappelle le paganisme; c'est la Combe Guillaume. Les Bretons appellent le diable le Grand Guillaume.2

Après cette digression, revenons aux Pas de Saint-Dizier, dont le voisinage est un lieu fatidique, fréquenté par les sor- cières de Villars-le-Sec, et les femmes qui se changent en lièvres. Plus d'un passant a été enrayé par l'apparition d'un fantôme, et les chasseurs maladroits ont souvent tiré sur des lièvres sans les atteindre. Or, un chasseur du hameau du Val allait depuis plusieurs jours à l'affût près des Pas de Saint-

1 La voivre est le serpent fantastique des légendes populaires de Comté. Elle porte une escarboucle au front. ' Foyer breton.

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Dizier, ou le gibier abonde. Un lièvre se présentait chaque fois à portée du vieux chasseur, sans qu'il lui fût possible de l'atteindre ; son fusil ratait chaque fois. Notre Nemrod s'avise alors de mettre de la dignité dans le bassinet de son arme, c'est à dire une feuille de buis bénie à la messe du dimanche des Rameaux. Muni de ce précieux talisman, il vint de rechef attendre son lièvre qui ne tarda pas à venir folâtrer autour de lui, mais cette fois il fut atteint par le plomb meurtrier du chasseur qui entendit cette plainte : « Jean-Maurice, tu m'as fait mal ! » Le lendemain, Jean-Maurice, traversant le village de Villars-le-Sec, aperçut la Boulotte qui était affligée d'une forte claudication.4

Non loin des Pas de Saint-Dizier on remarque une hauteur inculte qu'on appelle les Theurèes. Ce nom rappelle involon- tairement le dieu Thor. Ou bien est-ce le nom typique de la montagne, puisqu'on prétend que Thor en teuton veut dire hauteur, montagne. Cette singulière montagne, l'on allume les feux du carnaval, affecte la forme d'un parrallélogramme très régulier. De son sommet on jouit d'une vue admirable sur les Vosges, la plaine d'Alsace, la Forêt-Noire et le Jura.

Au sud du village de Villars-le-Sec on voit un râtelier de champ qui domine aussi tout le pays du côté de la Suisse. On nomme ce lieu les FîUs de Jou. Ce nom ne figure pas dans les dénominations cadastrales. Il n'existe que dans la mémoire du peuple. Il rappelle les bois sacrés des Gaulois qui, suivant Lucain, inspiraient aux Romains ce sentiment religieux que fait éprouver à tout homme la sombre majesté des bois.' La

I Encore un souvenir de l'antiquité païenne. Protée, Nérée et autres avaient le pouvoir de revêtir toutes sortes de formes. Les lieux fré- quentés par les sorcières étaient consacrés au culte druidique.

Le mot fût nous vient du latin fmtis, bois. Or, nous pouvons, par induction, faire dériver notre Fût de Jou de Villars, de Bois de Jupiter.

II y a à Toul une place qu'on appelle la pince de la Croix de fût (de la Croix de bois).

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tradition rapporte que César a campé sur les hauts de Villars. Tout près de est le Paradis. C'est aujourd'hui un lieu très agréable; on y voit trois maisons élégantes et une jolie cha- pelle. Mais autrefois les sorcières se réunissaient près d'une petite fontaine pour y susciter les orages et y fabriquer la grêle qui ravageait les campagnes voisines.'

Il y a encore dans le voisinage un petit bouquet de bois, l'on remarque la Fosse aux Larrons. C'était une immense caverne qui servait de repaire à une bande de voleurs qui portaient la désolation dans le pays. Ils ferraient leurs che- vaux à rebours pour qu'on ne pût pas suivre leurs traces quand ils revenaient d'expédition. Us furent un jour enfumés dans leur caverne comme des renards dans leur terrier.

Le village de Villars-le-Sec, quoique petit, est très joli. On prétend qu'il doit son origine à Villibert, domestique de saint Dizier, qui s'était établi dans cette localité après le martyre de son maître.2

Un grand nombre de familles nobles du pays possédaient des terres dans ce village. Les héritiers Jean Dietrich de Por- rentruy en avaient au Jiondchamp près de la forêt; M. Taiclet, le dernier grand-bailli de Délie, avait acheté plusieurs de ces champs, dont les titres existent encore; M. le baron de Gohr, de Wattwiller, possède encore aujourd'hui cinq ou six champs sur le territoire de cette commune.

Ce village a été détruit pendant la période du moyen âge ; on trouve encore des vestiges d'habitations sur son ancien emplacement du côté du Sud, sur une section du territoire appelée le CJiamp de la ville.

Le village voisin, qui est Croix, a un nom tout à fait histo- rique. Les Bollandistes disent que saint Dizier ayant été assailli près de ce village, fut laissé pour mort. Qu'avant de

1 V. Vautrey, Villes et villages du Jura. Art. Bure. ' V. Laquillb.

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rendre le dernier soupir, le saint évêque plia un petit arbre en forme de croix (ou une baguette virguïam), que cet arbuste prospéra (crevit) en forme de croix, qu'il devint très grand, et que c'est de la forme de cet arbre que le village tira son nom (unde nom en ad Crtœem) qu'il a conservé. Ce village a eu le même sort que ses voisins ; il a été détruit pendant la désas- treuse guerre de trente ans. Avant sa destruction, il occupait la hauteur qu'on nomme les Plateaux de Croix. Il a été rebâti sur un plan qui s'incline vers le Sud. Rien n'avait échappé à la destruction qu'une jolie petite église, remarquable par son cachet antique. Elle était à une seule nef, dont le plafond était en bois. Elle était éclairée par quatre jolies fenêtres ogivales de la première époque. Le chœur avait une voûte fortement surbaissée avec quatre nervures remarquables par leur grand développement. Le jour y pénétrait par trois baies étroites en style roman. La toiture était en pierre plates qui sont connues dans le pays sous le nom de laves. L'ensemble de ce petit édifice était appuyé par des contreforts très remar- quables. Il y avait dans le beffroi une cloche très ancienne ; elle était dédiée à saint Nicolas. Elle portait cette inscription: Mortuos plango, fulmina frango, ad laudem miminw deter- moneo. Elle faisait entendre un son argentin dans tous les villages voisins. Elle a été livrée au fondeur, et l'église a été entièrement démolie par l'entrepreneur de la nouvelle église, construite au milieu du village. Cette intéressante église a été détruite par pur esprit de destruction. Un curé de la paroisse, M. Richardot, voulait payer à l'entrepreneur la valeur de tous les matériaux du chœur. Mais rien n'a pu sauver de la destruction ce joli temple rustique qui ne devait rien coûter à personne et qui en valait bien deux comme celui qui a été bâti à grands frais au milieu du village. On aurait au moins conserver le chœur pour servir de chapelle mortuaire, puis- qu'il était au milieu du cimetière. Il y avait au milieu de cette petite église, du côté droit, une

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porte à moitié murée et dont le seuil avait été religieusement conservé. On y remarquait neuf taches d'un rouge éclatant. On disait que c'étaient neuf gouttes du sang de saint Dizier répandues par lui sur le seuil de cette porte après son martyre. Ces reliques ont été en vénération dans le pays jusqu'au jour il a plu à des destructeurs d'enlever cette pierre lors de la démolition de l'église. Elle est aujourd'hui perdue et brisée.

Artisans de destruction, détruisez nos vieux monuments ; si votre intention est de porter des coups aveugles au culte des souvenirs, votre but sera bientôt atteint. Quiconque a vu cette petite église de Croix est porté à la regretter. C'était, au milieu de ce vaste plateau, une espèce de fanal qui réjouis- sait la vue du voyageur fatigué d'une longue course.

A deux cents mètres de cette vieille église démolie on remarque encore un souvenir druidique; c'est une pierre taillée en forme de fauteuil dans un rocher qui est sur le flanc occidental de la colline vers le Val. Rien ne manque à ce singulier siège. Il y a le dossier, les deux bras d'appui conve- nablement disposés pour qu'on y soit bien assis. Elle est constellée d'une infinité de petits trous. Tout à côté pas- sait un vieux chemin ravineux qui se dirigeait des Pas de Saint-Dizier vers l'église de Croix. Ce chemin est évidemment celtique. Cette pierre curieuse se nomme les Pas de Saint- Dizier, on ne sait pas pourquoi. On allait autrefois la visiter; le sentier qui y conduisait est encore visible.

Les alentours de la vieille église de Croix sont couverts de murgers, de bouts de murs démolis, dans lesquels on trouve du fer; on y a trouvé dernièrement un éperon hongrois.

Il s'y est passé, en 1815, un événement qui a été cause de l'incendie de ce village :

Un corps d'armée autrichien occupait Porrentruy. Un gros de hussards hongrois était venu en détachement dans le village de Bure. Des Chamborans et des gardes nationaux de la Côte-d'Or, qui étaient à Boncourt, ayant eu connaissance

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de la présence des Hongrois dans le village de Bure, accou- rurent en toute hâte dans ce village en traversant une grande colline appelée les Combes de Boncourt; ils attaquèrent les Hongrois et les poursuivirent jusqu'au-dessus du Fohy de Porrentruy. Après cet exploit les Chamborans se dirigèrent sur Croix, et se firent servir à dîner dans un verger. Pendant leur repas, ils furent à leur tour attaqués par les Hongrois ; mais les Chamborans repoussèrent vivement cette attaque et tuèrent même un Hongrois, qu'ils laissèrent sur place, et se replièrent vers Montbéliard. Les habitants de Croix donnèrent la sépulture à ce soldat hongrois et furent, pour ce fait louable, accusés de l'avoir tué. Leur village fut, par un jugement som- maire, condamné à être livré aux flammes. Cette sentence barbare fut exécutée immédiatement à la tombée de la nuit. Sept maisons échappèrent à ce désastre. Les lueurs sinistres de ce vaste incendie furent aperçues par plus de cent villages des montagnes du Doubs et de la Suisse. Les vieillards racontent encore la terreur que cet incendie avait répandue dans le pays.

Ce village est, par sa position, prédestiné à servir de champ de bataille. Pendant la dernière guerre plusieurs combats ont été livrés sur son territoire. Une maison a été incendiée et plus de cent Prussiens sont enterrés dans le cimetière et les bois. On remarque de jolis monuments sur leurs fosses.

Le village de Montbouton se trouve à l'occident de celui de Croix. Il est bâti de l'Est à l'Ouest, sur le versant d'un coteau qui prend naissance au pied du Grammont pour aller se perdre dans le territoire accidenté de Vaudoncourt.

De tous les points de ce village et de son territoire on jouit d'une vue très variée sur le bassin hydrologique de Montbé- liard et sur les montagnes du Lomont. Les Gallo-Romains de Mandeure trouvaient cette situation agréable. La tradition rapporte qu'ils avaient établi plusieurs maisons de campagne aux alentours de ce village. En effet, le territoire, qui est en

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contre-bas, présente à la vue une série de gradins et d'amphi- théâtres qui ont été tracés avec un art et une adresse dignes d'admiration. C'est au moyen de cet aménagement intelligent qu'on a pu livrer à la culture un sol aride qui aujourd'hui n'est pas encore entièrement sorti de ses ruines.

Tout au bas du village de Montbouton, à mi-côte, on remarque trois jolies fontaines qui sourdent du pied du coteau. Elles sont enfermées dans des voûtes qui ont l'air d'être très anciennes. L'une d'elle est surmontée d'une croix en pierre; elle est dédiée à saint Léger. On attribue à son eau des vertus curatives pour les yeux.

Dans l'ancien temps on allait en pèlerinage à Montbouton pendant les temps de sécheresse pour y chercher la pluie. La paroisse de Saint-Dizier s'y rendait en procession. Elle y a été en 1834 pour la dernière fois.

Dans des titres du xve et du xvr siècles, ce village y est désigné sous le nom de Montbotton. Un vieillard, qui serait aujourd'hui plus que centenaire, prétendait que ce nom vient d'un mot français et d'un mot celtique. Le mot français Mont aurait été ajouté au mot celtique Botton, qui veut aussi dire mont. Malgré la hardiesse de cette ét) mologie, nous sommes portés à croire qu'elle est vraie, d'autant plus que nous avons des exemples de cette adjonction de deux mots ayant la même signification. Nous avons en effet Vcdlisberg à Largitzen. Nous rappelons en outre qu'un arbuste qui affectionne les mon- tagnes se nomme le Bottenie; c'est l'églantier ou cynorrhodon. D'où nous concluons, par induction, que le Bottenie veut dire le Montagneux ou plante de la montagne, ce qui nous conduit à croire que le nom de ce village dérive de sa situation sur une hauteur. Il est à une légère distance du Grammont. On pense môme qu'autrefois il était sur la crête, il y a une enceinte sacrée dans laquelle, il y a quelques années, on a pratiqué, dans l'intérêt de la science, des fouilles considérables. Les objets trouvés ont été en partie déposés au musée de Belfort

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Les champs, qui sont à l'état de culture au pied de cette montagne, du côté du couchant, renferment de nombreuses traces d'incinérations. On y voit de la terre brûlée, des pierres roupies au feu et autres débris dignes de l'attention des archéologues et des naturalistes.

Le territoire de Montbouton touche à celui de Beaucourt, du côté du Nord. Ce dernier endroit ne comptait que cent quatre-vingt-huit habitants en 1801, il en a aujourd'hui près de six mille. Cet accroissement prodigieux dépopulation est aux immenses établissements industriels de MM. Japy frères. On dit que cette grande et puissante maison indus- trielle occupe près de douze mille ouvriers, tant à son siège principal que dans ses nombreuses succursales.

Une partie du territoire de Beaucourt appartenait au comté de Montbéliard. La partie située à l'Est dépendait de la seigneurie de Délie.

La tradition rapporte qu'il existait un couvent dans la colline qui prend naissance au pied du Grammont, du côté du Nord, un peu au-dessus du village. L'emplacement de ce pré- tendu couvent est occupé aujourd'hui par un joli jardin pota- ger. Les habitants des maisons voisines ont vu souvent des feux follets voltiger dans ce jardin ; on en conclut qu'il y aurait eu un cimetière en cet endroit.

Entre le village moderne de Beaucourt et Dompierre, il y a un vaste territoire connu sous le nom de Châtelot. Il existe dans cette région un monticule qu'on prétend avoir été l'em- placement d'un vieux château. Un laboureur a trouvé, il n'y a pas longtemps, dans son champ, deux gros lingots en forme de cônes tronqués ; ce brave homme croyant que sa trouvaille était un trésor s'est hâté d'aller chez l'essayeur pour vérifier la nature du métal ; mais en un plomb vil son orjiur s'est changé .

Ou a encore trouvé en cet endroit des armes, des tuileaux, et même un cheval enfoui avec son cavalier tout armé. On n'a rien recueilli de ces découvertes.

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Fesche est situé dans une position très agréable sur la route de Délie à Montbéliard. Ce village est joli. Son territoire est abrité de tout côté par des hauteurs couronnées de forêts. On croit qu'il occupe l'emplacement de l'antique Grammatutn de l'itinéraire d'Antonin. Les savants n'ont pas encore pu élucider ce fait avec évidence; quoi qu'il en soit, il est certain qu'il y a eu un village entre Fesche et Badevel qu'on appelait Fesche-le-Moulin. Une chose digne de remarque, c'est l'éty- mologie qu'on donne au nom Badevel, Bas de Velle, le bas de ville. Quelle est cette ville? Ce serait évidemment Fesche, l'antique Grammatum, qui est à quinze minutes au-dessus de Badevel, du côté de l'Est.

Fesche avait, comme Croix et Montbouton, une ancienne église. Il ne reste plus trace d'aucune de ces églises. Elles ont toutes été démolies. A Fesche on trouve cependant encore un grand nombre de pierres tombales qui gisent sur l'ancien cimetière.

Il y a dans ce village une fontaine miraculeuse dans laquelle on plonge les enfants qui sont affectés de maladies aux articu- lations des jambes. Cette source est un lieu de pèlerinage très fréquenté. Il s'est déjà opéré un grand nombre de guéri- sons à la suite des immersions auxquelles on soumet les enfants malades. Les eaux de cette source n'ont pas encore été soumises à une analyse sérieuse. Si les vertus curatives de cette eau étaient mieux connues, elles rendraient peut-être des services.

Il paraît certain que l'eau de cette source est ferrugineuse, puisque le sous-sol de Fesche renferme des gisements de minerai très riches, qui étaient encore en exploitation, il y a quelques années. On dit qu'il y a sous ce village des excava- tions considérables produites par l'extraction du minerai, qui était déjà exploité sous les Romains. Si ces cavités n'étaient pas remplies d'eau, on croit que le sol du village de Fesche serait bientôt effondré.

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Le curé de Saint-Dizier possédait des terres et des revenus à Fesche, comme du reste dans tous les villages qui dépen- daient de sa paroisse. Ses revenus de Fesche consistaient en ndeux bichots et demi par moitié froment et aveine, à raison de quoi, il estoit tenu de célébrer un anniversaire de neuf prestres auquel assistoient les officiers de Délie et ledit curé estoit tenu de donner réfection corporelle aux hommes de l'église chacung avec ladite réfection ung sol monnoye baloise suivant la fondation d'illustrissime seigneur archiduc, comme aussi auxdicts officiers.»

Quelle peut être la cause de cet anniversaire qui était célébré avec tant de pompe par le curé de Saint-Dizier? Un archiduc d'Autriche serait-il mort à Fesche ou dans le voisi- nage? Les titres que nous possédons gardent le silence à ce sujet.

Nous avons encore trouvé cette singulière mention dans l'état des recettes de la fabrique de l'église de M. S. Vailler, de Fesche. o Fait recette do deux livres, treize sols, six deniers bâlois pour vendition dun vieux drapeau qiïon mettait autre- Jois sur Vautel. Vendu à un homme de Porrentruy. » Extrait du compte du fabricien et luminier Jean-Claude Schick, année 1707.1

Il y avait un pèlerinage considérable à Fesche qu'on qualifie de Pardon dans les vieux titres. Ce mot n'est plus usité dans le pays pour désigner les pèlerinages.

La voie romaine qui allait de Mandeure au Rhin passait à Fesche. M. Bouverot a trouvé toutes sortes d'objets dans son jardin, notamment des armes brisées, un vieux casque et des monnaies. Tous ces objets ont été égarés.

De Fesche passons à Lebetain. L'étymologie de ce nom nous

1 Un archéologue do Porrentruy nous a dit que M. Quiqucrcz a un vieux drapeau dans sa collection, qui pourrait bien être celui de Fesche.

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vient en droite ligne de l'Allemagne. Elle est formée du nom composé Liebenthal qui se traduit par vallée chérie ou, par extension, jolie vallée. Nous estimons qu'il est inutile de cher- cher ailleurs la signification de ce nom de village, dont la situa- tion répond parfaitement à sa dénomination. Les Germains ont imposé un grand nombre de noms à nos villages, et nous en avons adopté un plus grand encore dans notre patois vulgaire.

La position du village de Lebetain, au bas du vallon qui vient du Val de Saint-Dizier, est très agréable. Il est à croire cependant que le village était plus au Sud, car on trouve dans les prés des débris de construction. On y a même trouvé deux sabres, des ustensiles, de la ferraille et une jolie clé en bronze; elle a été donnée au musée de Belfort par M. P.-D. Ducomte.

Il y a encore dans ce village une maison du xviir siècle, qu'on appelle le Château. C'était l'habitation d'un baron de Spechbach, qui possédait de grands biens à Lebetain. Un che- valier de Spechbach avait sa sépulture dans l'église de Saint- DLzier; sa tombe existait encore il y a quelques années. M. Bardy en a donné un joli dessin dans le Bulletin des monur metUs historiques d'Alsace.

Il existe à Lebetain un phénomène hydrologique très remarquable. Les eaux qui découlent des fontaines du Val, se perdent au-dessous du village pour aller, à deux kilomètres plus au Nord, former la source abondante de la Batte.

Non loin du village de Lebetain, du côté du Sud, on remarque une jolie grotte sous un rocher qui surplombe dans la colline. On fait croire aux enfants trop curieux que c'est qu'on a été les chercher à leur naissance. Cette officine d'enfants ne serait-elle pas un lieu une déesse du paganisme était adorée? La Lucine de la contrée y rendait peut-être des oracles. C'est encore un lieu fréquenté par les revenants et les farfadets de la forêt voisine.

Un peu au-dessus de cette grotte il existe un petit monti-

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cule qui s'avance vers le ruisseau qui traverse le vallon. Un nommé DLzier Riche a pratiqué dans cette butte des travaux de nivellement qui ont amené la découverte de cinq squelettes bien conservés dans le sable. Ils étaient tous placés symétri- quement, la tête regardant l'Orient, à une égale distance les uns des autres. Celui du milieu avait encore la plaque de son ceinturon. La tête a été conservée. Elle est au musée de Belfort. Il y a environ trente ans que le précédent propriétaire de ce pré y a déjà trouvé des squelettes et deux sabres.

Dizier Riche a été obligé d'interrompre ses travaux à cause de la saison. Mais il les reprendra avec l'espoir de faire encore des découvertes intéressantes. A quelle race d'hommes appar- tenaient les squelettes qui ont été trouvés dans ce lieu désert? Le crâne que nous avons déposé au musée de Belfort pourra peut-être un jour guider les anthropologistes dans la solution de cette question. La colline du Val, quoique déserte et très profonde, était traversée par un chemin celtique qui se diri- geait de Délie par Lebetain et Croix vers Fohy. Il est encore très reconnaissable au pied du coteau à l'Est. La marque des roues des chars est imprimée sur les rochers au-dessus du hameau du Val. On peut encore suivre très facilement ses traces de Lebetain à Croix. Ce chemin a pu servir de passage à des armées, et des combats' se sont peut- être livrés dans cette colline déserte et sauvage.

Saint-Dizier, le chef-lieu administratif et paroissial des com- munes que nous venons de parcourir rapidement, est digne de fixer l'attention des amateurs d'antiquités locales. On ren- contre en effet dans son voisinage de nombreux vestiges de démolitions dans lesquelles on trouve toute sorte d'objets.

La tradition rapporte que ce village a été détruit pendant la guerre de trente ans, appelée dans le pays le temps des 8ckuedes suédois. On ne peut pas mettre en doute la tradition, car sur une étendue de plus d'un kilomètre on ne rencontre que buissons, murgers, exhaussements de terrains, dans les-

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quels il y a des substructions, des bouts de murs, des montants de portes, des foyers ; on y a même trouvé un four. Jean- Pierre Berget y a découvert les fondations complètes d'une maison, dont on pouvait reconnaître la distribution. X. Riche a trouvé deux gros bronzes à l'effigie des Antonins. Un nommé Joly a trouvé un squelette complet qui avait une lame à côté de lui. Alexis Ducomte a trouvé dans son jardin un joli fer de lance en bronze. Joseph Prenez a trouvé une marmite à panse évasée qui a été livrée au chiffonnier, pour deux liards la livre, au grand désespoir d'un amateur de Montbéliard qui était venu pour Tacheter. J'ai trouvé une batterie de fusil à mèche.

Il serait fastidieux d'énumérer toutes les trouvailles qui se font encore dans le sol aride qui était occupé par le village.

Pendant les temps de malheurs, les habitants s'étaient réfugiés dans les montagnes du Jura bernois. Les maisons abandonnées étaient tombées en ruine ou avaient été incendiées.

On rapporte qu'un chêne avait pris racine sur l'âtre de la maison Vaubert-Macabré ; au retour du propriétaire, cet arbre dépassait la cheminée. A cause de ce fait, tous les membres de cette famille furent appelés les Charniers. Le dernier des Chainiers est mort il y a trente ans. Dans une autre maison, qui existe encore, un saule avait poussé dans la cuisine et formait un grand buisson.

Il y avait dans ce village une famille valeureuse qui résistait seule aux Suédois. C'étaient les sept frères Schick, tous hommes déterminés, ayant des armes à feu. Ils s'étaient retirés dans le clocher après avoir livré un combat meurtrier aux Suédois, qui avaient tué leur mère au pré Rossé, derrière la cure. Ils furent assiégés en vain dans le clocher par les bandes de Bernard de Weimar. Cette famille s'est maintenue long- temps à Saint-Dizier: on voyait dans l'église des pierres tombales ayant appartenu à des Schick. Cette famille est éteinte à Saint-Dizier, mais elle a encore des représentants à

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Fesche. Le nom de Schick figure fréquemment dans des titres des xvie, xvii' et xvnr siècles.

Pendant les restaurations inintelligentes qui ont été faites dans les années 1851 et 1852, on a détruit toutes les nom- breuses pierres sépulcrales qui étaient dans les trois nefs de l'église. On a trouvé toutes sortes d'objets, qui ont tous été dispersés, notamment un vase plein de monnaies bourgui- gnonnes, dont quelques-unes sont au musée de Colmar.

La trouvaille la plus intéressante est un sarcophage en pierre molasse du pays. Il était sous le clocher, près de la porte d'entrée de l'intérieur de l'église, enfoui sous trois pieds de terre. Il a la forme d'un parallélogramme irrégulier, mesu- rant en longueur lm,65, aux épaules 0ra,64 et aux pieds 0"\31 la tête était encastrée dans une entaille ronde de 0m,25 de profondeur très bien faite. Ce cercueil renfermait sept têtes entièrement dénudées. La présence de ces sept têtes dans ce cercueil en pierre est assez énigmatique. Nous allons faire appel à la tradition pour expliquer ce fait singulier.

L'histoire rapporte qu'il y a eu une abbaye royale autour de l'église de Saint-Dizier, mais la tradition dit que c'était une maison de templiers. Les vestiges considérables d'habita- tions qui existent encore à la collonge ne laissent aucun doute à cet égard, et les nombreuses trouvailles qu'on a faites dans le verger Grandjean viennent encore à l'appui de la tradition qui dit, que «pendant une belle nuit des soldats vinrent de Belfort, par ordre du roi, mettre à mort les templiers qui étaient à Saint-Dizier, et, chose singulière, la tradition dit qu'ils étaient sept religieux. » A-t-on décapité ces sept tem- pliers, et mis dans ce cercueil en pierre les têtes de ces victimes de la cupidité de Philippe-le-Bel ? Ceci est à croire, car ce sarcophage, remontant à l'origine du christianisme, ne renfermait plus aucun cadavre à l'époque de l'exécution des templiers.4

Il y a encore d'autres cercueils et des catafalques fort

' M. de Caumont estime que les localités il y a le plus de cercueils en pierre sont celles le christianisme a été le plus tôt établi.

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LÉGENDES ET TRADITIONS 193

remarquables dans cette église ; mais, comme M. de Barthé- lémy en a donné une description très savante, nous n'en parlons ici que pour mémoire, notre but étant de recueillir des faits inédits, rien de plus.

La légende Saint-Dizier, citée par les Bollandistes, dit que ce saint évêque fut enterré par les soins de sainte Ponponne dans une petite chapelle dédiée à saint Martin ln oraculum non pergrande ; que Ponponne était une sainte femme pré- posée à la garde et a l'entretien de cet oratoire, dans lequel elle avait sa demeure, puisqu'elle procura de l'eau à saint Dizier pour étancher sa soif quand il vint célébrer les saints mystères dans cette chapelle.

Après la mort du saint évêque les pèlerins vinrent en foule à son tombeau, bientôt la chapelle ne fut plus suffisante pour contenir le nombre toujours croissant des fidèles, il fallut ériger une plus grande église autour du tombeau de saint Dizier. Pendant la construction de cet édifice sainte Ponponne allait aux fontaines du Val chercher l'eau dont les ouvriers avaient besoin. Elle se servait d'une bouteille ; les ouvriers se moquèrent d'elle et lui dirent qu'elle devait prendre un crible, ce qu'elle fit aussitôt sans qu'elle perdit une seule goutte d'eau. La sainte était en effet représentée en grandeur naturelle sur le maître-autel. Elle était habillée à la romaine ; d'une main elle tenait une bouteille, de l'autre un crible qu'elle montrait au peuple. Cette statue était fort bien faite ; elle a été détruite en 1852, comme tant d'autres belles choses.

Les légendes de ce genre ne sont pas rares. Le lecteur nous permettra de lui en citer une que nous copions dans Y Histoire de Bar-sur-Aube, par Le Chevalier :

a Sur la montagne, au pied de laquelle est bâti Bar-sur-Aube, vivait une sainte vierge nommée Germaine. Elle s'était char- gée de fournir à des ouvriers qui travaillaient à une église l'eau qu'elle allait puiser à une source qui porte son nom ; c'est pourquoi elle est représentée portant une cruche de

Nouvelle Série. 11"' année. 13

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chaque main. Sa foi était si grande qu'un de ses vases s'étant brisé on lui jeta par raillerie un crible en lui disant de s'en servir ; elle le releva, le remplit d'eau, et il ne s'en répandit aucune goutte.»

Une autre tradition nous apprend que saint Dizier, après avoir été dans son tombeau pendant un nombre d'années, qu'elle ne détermine pas, son corps fut transporté à Murbach par ordre d'un puissant seigneur dont le nom n'est point par- venu jusqu'à nous. A cette époque de foi vive, la possession de reliques de saints personnages était une source de prospé- rité pour les églises qui avaient le privilège de posséder de pareils trésors. Sans doute que les habitants de Saint-Dizier ne furent pas contents de se voir enlever les reliques de leur saint patron, et, pour leur donner une compensation, on laissa à leur vénération le bras droit du saint4 Une voix surnaturelle leur dit que le bras du saint évêque serait plus puissant aux yeux de Dieu que tout son corps.

Les reliques de ce bras furent conservées avec vénération. Elles furent enfermées dans un avant-bras artistement sculpté. La main était de couleur de carnation, elle bénissait à la manière latine. Cette main servait de reliquaire, on l'appelait la Main de saint Dizier. Elle est aujourd'hui perdue. Elle existait encore sous l'administration du curé Villemain.

On a disserté longuement pour savoir était la chapelle Saint-Martin, saint Dizier a été enterré. Cette chapelle, ou oratoire comme l'appellent les Bollandistes, était au milieu du chœur de l'église actuelle. Les murs de fondation de ce petit temple ont été retrouvés l'année dernière (1880) en creusant

1 Les armes de l'abbaye de Lare étaient de gueules à un bras de carnation mouvant d'une manche et élevant en haut deux doigts.

Nous avons des titres de 1608 constatant que cette abbaye possédait des dinu'3 à Saint-Dizier.

Les habitants de Champagney étaient obligés d'aller chercher ces dîmes à Saint-Dizier et de les transporter au château de Passavant.

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LEGENDES ET TRADITIONS 195

la crypte que M. le curé Faivre a fait établir sous le chœur de l'église pour isoler et mettre en évidence le cercueil authen- tique de saint Dizier, qui reposait sous les dalles du chœur. Les fondations de la petite chapelle Saint-Martin sont intactes. Elles sont bâties en forme d'octogone ; elles sont très bien conservées. Elles sont en maçonnerie rustique, mais solide.

En faisant sa crypte, M. Faivre a cru ne pouvoir les laisser en évidence dans l'enceinte de sa crypte. Elles auraient donné trop de développement à la voussure. Il a cru devoir faire un mur en moellons piqués qui masque entièrement les fonda- tions de ladite chapelle Saint-Martin, fondations qui sont un spécimen authentique d'une construction remontant au v* siècle de l'ère chrétienne. Oracidum non pergrande in honore Sandi Martini constraetum (Grandidier, II, 88.).

Ainsi la chapelle Saint-Martin était au milieu du chœur de l'église actuelle. L'église a été bâtie autour de cette chapelle, qui n'a été démolie qu'après la construction de l'église; ce qui le prouve, c'est que l'exhaussement du dallage du chœur est entièrement formé de sable et de pierres de démolition aux- quelles adhère encore du mortier.

Le petit édicule, en forme de cul do four, qu'on remarque à l'extérieur de l'église, entre le transept méridional et le chœur, n'était pas la chapelle Saint-Martin comme on l'a pré- tendu; c'était un baptistère dont l'entrée était dans la sacristie. Si les transformations qui ont été faites à cette sacristie avaient été dirigées avec goût, on aurait pu rendre ce petit édicule à sa destination primitive; mais dans l'état actuel des choses cela n'est plus guère possible.

Nous estimons que la chapelle fut enterré saint Dizier est contemporaine de saint Martin le thaumaturge du iv* siècle. Cet apôtre des Gaules fut un grand destructeur de temples et d'autels païens ; aussi beaucoup d'églises primitives lui furent dédiées. Il y en avait une à Bâle, qui datait du iv* siècle. Il y en avait d'autres en Franche-Comté. Comme il y avait beau-

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coup d'idoles dans les environs, il est à croire que saint Martin est venu dans ce pays pour évangéliser les peuples. Il a du reste donné son nom à une fontaine qui s'appelle aujourd'hui encore la Martine. Cette source, qui ne coule qu'à la suite des grandes pluies, est l'équipollent do la Fontaine de la Famine (ungersbrunneri) d'Heimersdorff ; elle annonce les temps de disette. Cette source était sans doute dédiée à quel- que nymphe païenne, et le nom de Martine lui a été donné en l'honneur de saint Martin qui serait venu à Saint-Dizier substituer le culte chrétien au culte païen. Il y a encore une autre fontaine qu'on nomme aussi La Martine. Elle sort d'un rocher dans les prés du Val. Son eau est très bonne ; on en cherche pour les malades de tous les villages voisins.

Il existe encore d'autres légendes au pays que nous venons de parcourir. Nous nous bornons à celles qui précèdent afin de ne pas abuser de l'indulgence du lecteur. Un jour peut-être nous parlerons des usages populaires, des superstitions, des croyances singulières qui étaient encore vivaces dans le pays, il y a une cinquantaine d'années, et que la génération actuelle ignore complètement. Les souvenirs de quelques personnes âgées de l'ancienne paroisse nous faciliteront ce nouveau recensement

P.-J. Tàllon.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

BAVARDAGES

DE

ISDiMS-IES-CISIE DE STRASBOURG

entremêlés de quelques autres

COMMÉRAGES ALSACIENS

Suite 1

IV ETV

NOUVELLE CONVERSATION

entre Madame-wujrcousine Kutzkrer et Madame~ma-cousine Ziwelmann, pendant et après le blocus de Strasbourg. 2

1814

I Pendant le blocus

DAME KTJTZLERER

Cousine, en promenade? Eh! vous allez bien vite!

DAME ZIWELMAÎÎN

Servante! du beau temps il taut bien qu'on profite!

KDTZLERER

Cousine, j'ai l'honneur de n'avoir pas reçu 1 Voir la livraison du 1er trimestre 1882.

* Cette pièce fut imprimée chez J.-H. Heitz et se vendait cinq sous. M. Bergmann l'attribue à Arnold, l'auteur du Pfingstmontag. L'astre de Napoléon a pali, les alliés bloquent Strasbourg, quelques

198 REVUE D'ALSACE

Longtemps votre visite. '

ZIWELMAîfN

Oh ! c'est que je n'ai pu Sortir de tout l'hiver. Je fus bien malheureuse! Nous avons tous souffert de la fièvre nerveuse.

KUTZLERER

Ne parfumez-vous pas? J'aimerais mieux avoir Le nez plein de Morveau* plutôt que de me voir Malade plus longtemps de cette peste affreuse.

ZIWELMANN

Vous avez bien raison, cousine ! Mais du temps Qu'au clos de Saint-Urbain l'on portait tant de gens On ne parfumait pas.

KUTZLERER

Mes compliments sincères D'en avoir échappé; car on ne meurt plus guères, On dit que c'est fini!

ZIWELMANÎï

C'est vrai! mais c'est tant pis! Si quelqu'un meurt encore, on dit que les soucis, Les chagrins l'ont tué.

KUTZLERER

C'est bien vrai ! La misère Est grande. Quand le pain et les pommes de terre Ne manquent pas, on a plaisir à travailler, A peiner. De nos jours on va s'agenouiller

bombes tombent dans le faubourg National et le Marais- Vert; l'auteur de cette note (M. Auguste Stœber) se rappelle très bien la terreur que répandit leur explosion. Agé do six ans, il était assis à l'école Saint- Pierre-le- Vieux et faisait de la ebarpic pour les blessés.

1 Faute de tournure, intentionnelle dans le texte, et reproduite ici !

« Fumigations prescrites par l'autorité d'après les indications du célèbre Guyton-Morveau.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE l' ALSACE-LORRAINE 199

Pour remercier Dieu de sa grande clémence.

ZIWELMÀNN

Oui, si le Si-f avais était un joli J'a/, Mais malheureusement cela n'est guère vrai. Autrefois on pouvait s'en aller à la danse Au Péage sur Veau 1 pour valser, Maintenant On nous a trop salé nos plaisirs, ma cousine! Mais, à propos de sel ! votre provision Est-elle déjà faite?

KUTZLERER

Oh! oui! si la famine Ne nous fait pas crever, o désolation ! Avant Pâques. Hier à notre boucherie J'envoyais ma servante acheter un gigot, Douze livres encor de côtis. Ce nigaud De boucher, croyez-vous qu'il l'ait vite servie? a Oui! des tripes! dit-il, surtout ne soufflez mot! C'est encor bien heureux pour vous si je vous livre Des tripes! » Ma cousine, eh bien! qu'en dites-vous? Y a-t-il de nos jours encor moyen de vivre?

ZIWELMANN

Il en est tout à fait de même pour nous tous. Au marché, marchandant une botte d'herbages Pour la soupe, on en veut douze sous. «Mille orages T'écrasent!» dis-je alors, «gardez votre butin!» En jetant son paquet à cette jardinière. Ce n'est, Dieu! pas permis! et de toute manière On a de grands ennuis.

I KUTZLERER

C'est aussi mon chagrin ! On peut longtemps courir avant que l'on ne happe

1 Sobriquet d'une auberge établie au confluent de 1*111 et d'un bras du Rhin, nommé Murgiessen.

200 REVUE D'ALSACE

Un objet bon marché. Tout ! tout est hors de prix.

Partout du mauvais beurre et des œufs trop petits.

Plus rien de bien!. . . Je n'ai! que le diantre m'attrappe!

Je n'ai, fatalité! plus un morceau de bois

Chez moi, lorsque pourtant nous avons cette fois

Un bien plus rude hiver que de ma souvenance

On n'en a vu jamais. A mon homme je dis :

«Va!» lui dis-je, «va-t'en acheter à tout prix

Du bois.» Il dit: «Je crois, «me dit-il, «qu'eu démence

Tu tombes ! nulle part on n'en a. Je voudrais

Parier qu'on pourrait, suivant le long des quais

Sans en trouver un brin, côtoyer la rivière

Oui! d'ici tu pourrais courir au Pont-Couvert,'

De là, sans en trouver, pousser au Marais-Vert» *

Il faut cuire, rôtir! Sans bois comment donc faire?

Et surtout quand encore il faudrait lessiver.

ZIWELMANÎî

Oh! misère! cousine! on ne peut rien trouver Que vin, tabac et sel, de la viande fumée, Percale et mousseline. 0 ! la funeste année D'avoir les ennemis ainsi sur notre dos. Autour de notre ville est un vivant enclos Que font pour l'affamer le Russe et le Cosaque. Mon homme, deux, trois nuits par semaine, bivaque, Tantôt au corps de garde et tantôt au rempart, Pour, contre le Kalmouck, diriger son regard. Et, pendant qu'il parade ou qu'il fait la patrouille, Moi je suis toute seule assise à ma quenouille. Mais songez dope qu'hier avec un étendard3 Il est rentré la nuit.

1 Pont-Couvert, pont à l'entrée de la Bruche dans la ville. Une pri- son militaire s'y trouve.

1 Marais-Vert (Griien-Bruech), non loin de la gare du chemin de fer.

* Rapporter un étendart, rentrer gai. Le traducteur a été forcé de conserver cette figure (qu'on ne comprend pas eu français), à cause du malentendu qu'il doit produire chez l'interlocutrice.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

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KTJTZLERER

Jésus! Dieu! ma cousine! Pris sur les ennemis?

ZIWELMANN

Allez donc! je badine! Ce n'était qu'un grand sabre, un plumet, un pompon Qu'il venait rapporter ce soir-là du Mouton! L'auberge ! . . . Quand il est dedans son uniforme, Il est tellement bête : il en éprouve énorme Plaisir! Il dit alors: « Frères, je suis paré! » De sa tête l'orgueil s'est si bien emparé Que toutes fois qu'il va pour faire l'exercice, Il vous fait le flambard que c'en est à crever! Parce qu'il est gradé!

KTJTZLERER

Oh! la belle malice! Qu'il ait un grade ou non, je sais bien conserver Mon mari près de moi ! Je ne suis pas si bête! C'en était un aussi, celui-là, dont la tête Etait près du bonnet. Mais il est aujourd'hui Paisible, réparant sans y trouver d'ennui, Les boucles de souliers. 4 II reste au domicile, Ne va pas dans la rue, et bien moins chez Baldner, 2 Au jardin. S'il voulait encor faire le fier, Tonnerre! je saurais le rendre plus docile!

1 II raccommode des boucles de souliers. Le traducteur croyait que cela voulait dire qu'il «s'occupe plus paisiblement». M. Bergmann con- sidère le terme de « raccommodeurs de boucles de souliers » comme un sobriquet donné aux simples soldats du centre, généralement gens de petits métiers, tandis que les grenadiers et voltigeurs de la garde natio- nale se recrutaient chez des gens riches, les artilleurs dans des métiers exigeant une certaine habileté.

* Jardin Baldner, cabaret champêtre, hors la porte d'Austerlitz sur la route du Polygone.

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Je vous l'arrangerais! Non! tant que je verrai De mes deux yeux encor, je ne le laisserai, Cousine, croyez-m'en, s'éloigner de la tresse Qui tient mon tablier.

ZrWELMÀNN

Vous êtes la maîtresse .Et savez commander. Mais le mien ne se laisse Maîtriser. On le met toujours dans ses états Avec le moindre mot. De jouer aux soldats Lui fait tant de plaisir; quant à moi, ça me lasse! Pourvu que ça finisse!

KUTZLERER

Oh ! pour moi ça m'agace Aussi, chère cousine, et c'est justement Qu'ils trouvent, nos maris, leur grand amusement. J'aimerais bien donner un beau repas! oui, certes! Si nos portes pouvaient bientôt être rouvertes. J'y courrais au plus tôt

ZIWELMAÎOî

Combien de temps déjà Les verroux sont-ils mis ?

KUTZLERER

Au jour de Saint-Etienne 1 Je fus dans mon jardin, et ce jour j'allai Pour la dernière fois.

ZIWELMANN

Cousine ! quelle peine On me fait éprouver en parlant de jardin. Ah! quand pourrai-je donc reprendre le chemin Du mien? De le revoir fortement il me tarde. Mes fleurs sans doute y sont dans de piteux états !

1 La Saint-Etienne, lendemain de Noël.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE 1. ALSACE- LORRAINE

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les Badois ont rais un de leurs corps de garde. Je n'y trouverai rien! car ces nombreux soldats Auront exterminé mes belles violettes.

KUTZLERER

Et les ognons à fleurs V Quand régnent des disettes Dans leur camp, ils les font blanchir rapidement, Après ça, sur le pain, ils en font simplement Quelques tartines dont ces êtres se régalent C'est de cette façon, hélas! qu'ils nous avalent Et nos oreilles d'ours, et nos beaux seringats, Et beaucoup d'autres fleurs, nos belles giroflées! La chose qui me met surtout dans mes états Ce sont mes Uimela 1 laveria avalées De la sorte. 0 malheur! malheur! Si le blocus Dure encore longtemps, on n'aura, ma foi ! plus De légumes.

ZIWELMANN

Le diable alors les patafiole ! Pour les fleurs, s'il le faut, cousine, on s'en console! Les légumes, les fruits nous tiennent plus au cœur! Sans petits pois, navets, sans chou vert ni chou-fleur, Sans salsifis, comment nous faudra-t-il donc faire? Sans reine-claude encor, qwetsche, poire, abricot Que mangerons-nous donc? Ma foi! cousine, il faut Désespérer!

KUTZLERER

Oh non ! moi, cousine, j'espère Que bien avant ce temps on aura fait la paix. L'hebdomadaire dit qu'on s'en trouve bien près.

1 Blimula Laveris, fausse prononciation pour Primuïa veris, prime- vère. Les Alsaciens aiment défigurer les mots qu'ils ne comprennent pas de manière à leur donner un sens, et Stimula Laveria signifie en allemand «la petite fleur Laveris», tandis que le vrai mot latin signifie la primeur du printemps, la primevère. A Mulhouse on dit Primeleféri.

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ZIWELMÀNH

On en parle beaucoup : ce ne sont que sornettes ; ' Cousine, on ne peut plus se lier aux gazettes.

KUTZLERER

Je sais de bonne main, croyez-le, je le sais, Nous serons débloqués.

Oui ! au grand Saint-Jamais !

KUTZLERER

Les portes vont s'ouvrir. Le gros de la souffrance Est passé.

ZIWELMAXN

Ma cousine ! ayons-en l'espérance. Haguenau, juin 1881.

II. Après le blocus 1

KUTZLERER

Aha! cousine, eh bien? N'est-on pas plus heureux, Dites, qu'on ne l'était en ces temps désastreux OU nous étions bloqués ? Ça ne durera guère, Disais-je, nous verrons la lin de la misère. Eh bien ! le paysan revient, et l'on aura Des légumes, cousine, et tout ce qu'il faudra. Oui! bientôt nous allons nager dans l'abondance.

1 Le traducteur ne peut s'empêcher de faire remarquer combien dix années de despotisme impérial ont émoussé les sentiments de patrio- tisme des Strasbourgeois que le régime de la Terreur n'avait pu entamer.

Comme l'éditeur de la seconde édition du texte allemand, le traduc- teur trouve que si ces deux morceaux sont vraiment d'Arnold, l'auteur du Pfingstmontag aurait, en fort peu de temps, fait d'énormes progrès dans la versification et l'orthographe phonétique strasbourgeoise. (Voir Eîsdsmchs ScJiatekdstel, page 332.)

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'àLSACÈ-LORRAIîŒ 205

Eh ! ne pouvons-nous pas déjà faire bombance Trempant dans le café de petits pains au lait D'un sou.

ZIWELMÀNN

L'on croit rêver. Je n'en voulus, cousine Rien croire, tout d'abord. Et l'on ne s'imagine Quel effet ça me fit quand partout on disait : « Bonaparte n'est plus sur le trône, et l'on met Une cocarde blanche au chapeau! » « Quelle aubaine! Nous avons donc la paix ! Le Seigneur soit béni! » Répondis-je aussitôt, et puis à mon mari Je dis : « Tu combattis assez longtemps. Rengaîne Ton glaive, et viens vers moi. J'éprouve un tel bonheur Qu'il faut que je t'embrasse! »

KUTZLERER

Et moi, je le confesse, Comme vous, je sentis renaître l'allégresse Dans mon cœur. Mon mari se mit avec ardeur A servir promptement un festin confortable, Plaçant force jambon, saucisses sur la table, Puis avec ses amis vidant un tonnelet : « Car, leur dit-il, comment un fidèle sujet Fera-t-il plus d'honneur au roi qu'en vidant caves Et cuisines? Longtemps on nous a vus, tout hâves, Nous priver. Maintenant il serait fou vraiment, Celui qui ne voudrait s'offrir de l'agrément ! »

ZIWELMÀNN

C'est mon opinion. Puisque notre détresse Prend tin, respirons donc, délivrés du tourment De la disette.

KUTZLERER

Oh oui ! et remplis d'allégresse Nous pouvons contempler avec contentement

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Au Broglie un beau tas de sacs pleins de froment Cochons, oisons, bœufs, veaux, tout ça gâtaient fourmille Autour de nous, cousine.

ZIWELMANN

Oui! Tout chacun frétille Et revit. Chaque femme a le contentement De ravoir son mari, d'en jouir pleinement, Et le roi n'aurait pu faire pour la famille Non ! rien, dont tous les cœurs seraient plus réjouis : Vive donc ce bon roi ! vive le roi Louis !

Rioz, mai 1881.

VI

LES PAYSANNES DÉSOLÉES 1

Quel malheur! ah! j'enrage! Est-ce vrai ce qu'on dit? La plus belle et plus sage Tapera de dépit!

On vient de me l'apprendre : De dix-huit à trente ans

Pour la guerre on veut prendre Tous les beaux jeunes gens!

Diable! que faut-il faire? Geindre? ou pousser des cris? Ou bien rire? ou nous taire? Nous restons sans maris !

1 Chanson en dialecte du Kochersberg avec refrain en tyrolienne. Le traducteur la croit inédite; il la connaît par tradition orale. Elle est donc sans date ; mais, d'après le sujet qu'elle traite, elle doit être d'une des trois années 1813—1815. C'est de plus une préface naturelle au « bavardage > suivant.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE 207

Pourquoi te mettre en rage? Tu peux prendre le vieux Jeannot de ton village 1

Si tu ne trouve mieux.

Ah! de cet imbécile, Va! ne me parle point, Car, trois heures de nie, Il vous reste en son coin!

De beaucoup je préfère Martin le menuisier. S'il revient de la guerre Il veut me marier!1

Tu ne peux pas l'attendre Va! tu ne l'auras pas! Toutes voudront le prendre, C'est un bien trop beau gas!

Rioz, juillet 1881.

VII

CONVERSATION

entre les honorables et vertueuses demoiselles-cousines Anne- Marie Spitznàsel et Catherine -Barbe Krumhâlsel.3

1814

SPITZNASEL

! comme vous courez? Pourquoi tant vous presser? Quelque chose d'affreux vient donc de se passer?

1 Dans le texte Hansél vun Fiirne, Jeannot, de Fûrdenheim. Ce nom de village pourrait-il mettre sur la voie de l'origine de la chanson?

1 Le traducteur emploie ici le mot marier dans un sens que le lan- gage rustiqtit doit admettre, quand même l'Académie le condamnerait.

Les paysannes désolées l'étaient à cause de la difficulté de trouver

208

REVUE D' ALSACE

KRUMH-fiLSEL

Ah! cousine, je viens de me sauver si vite!

8PITZNJSSEL

Sans doute d'amoureux vous fuyez la poursuite. Ah! j'ai bien deviné! Comme votre cœur bat! Et vos yeux! brillent-ils, cousine, d'un éclat! Sur votre cou l'on voit des gouttes aussi grosses Qu'un poing.

KRTOOUBLSEL C'est vrai, cousine. A quels dangers atroces J'échappe en ce moment! Et je crois que depuis Quinze ans je n'eus de cas pareil. Je me promène Près la porte des Juifs. Tranquillement je suis Le fatte des remparts, quand tout à coup, sans gêne, Un Weîsche 1 vient vers moi me saluer bien bas. a Eh, Monsieur, il ne faut pas tant de politesse ! Lui répondis-je aussitôt. Allez, qu'on me laisse Passer par mon chemin. Je ne vous connais pas. » o Sans avoir, 2 me dit-il, l'honneur de vous connaître, Vous êtes seule ici, voulez-vous me permettre De vous offrir le bras pour vous accompagner f »

un mari convenable à la suite des levées faites dans les dernières années de l'Empire.

«Mesdemoiselles-mes-cousines> Anne-Marie Nezpointu et Catherine- Barbe Coutordu sont bien plus heureuses :

Il en vient un tout seul !

Mais quel mari! Un de ces guerriers qui, comme le comte de Rantzau, ont laissé sur chaque champ de bataille une partie de leur personne. Soudain le canon qu'on tire, pour annoncer la conclusion de la paix, vient leur donner l'espoir de trouver encore bien mieux.

1 Welsche, Français parlant la langue française. Traduction du mot «Galloued» que les Bretons opposent aux «Brezonnek» et traduction d'autant plus juste que Welsche aussi veut dire Gaulois.

* Tout ce qui est en italique est en français dans le texte.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE 209

« Allez, Moussié, lui dis-je, allez-vous promener ! Vous êtes dans l'erreur! épargnez-vous la peine Je ne suis de ces gens qu'à son bras on emmène.

o Vous êtes bien cruelle. Arrêtez un moment!» Me dit-il aussitôt, et fait du sentiment.

Vous savez comment sonj les Welsches. En paroles Et mines ils sauront toujours remplir leurs rôles Pour séduire les cœurs. Il me dit : « quels beaux yeux! Quel joli petit pied! Il est délicieux! » Et puis sur moi fixant un tel regard de flamme Que je crus qu'il voulait pénétrer dans mon âme. a Ne voyez pas en moi, dit-il, un séducteur. Je veux me j aire aimer et toucher votre cœur. Ecoutez-moi, de grâce, et dites-moi, ma belle, Votre cœur cst-U libre f JStes-vous demoiselle?»

« Pour vous servir! lui dis-je, et laissez-moi passer Plus longtemps mon honneur défend de converser. »

« Je n'insisterai pas, mais veuillez bien m' apprendre Si demain en ces lieux vous daignerez vous rendre?»

«Ah! me préserve Dieu de donner rendez-vus, Adiê, Mous8iê, adiê,je ne mes verrai plus! »

Et sur cela je pris, dans ma grande détresse Le chemin sous les pieds et vins avec vitesse Vers vous. Je vais rentrer et remercier Dieu De m'avoir arraché du danger en ce lieu.

SPITZîîjESEL

Que dites-vous? cousine V Et pourquoi tant vous plaindre? Dans ces temps malheureux chacune est à craindre En cherchant, de ne pas trouver un amoureux, Il en vient un tout seul. Mais c'est miraculeux !

KRUM1LEL8EL

Si ce n'était un Welsche. On n'a pas confiance En eux. On leur reproche une grande inconstance.

Nouvelle Série. - U«" année. 14

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210

REVUE D'ALSACE

SPITZN^SEL

La langue n'y fait rien. Moi, je m'en moquerais! C'est bien égal qu'on parle allemand ou français, Ne faites, croyez-m'en, pas tant la difficile De peur que ce gibier ne s'échappe et ne file. Mais comment est-il donc? Est-il jeune ou bien vieux ? Est-il bien fait et beau? A-t-il beau nez, beaux yeux ? Un beau nez de nos jours ne nuirait pas pour plaire, De beaux mollets non plus. En a-t-il une paire Respectable ?

KRUMHJELSEL

Oh ! je suis, ma cousine, au-dessus De cette question de l'âge, et ne veux plus De jeune fat, bien sûr, pour toute chose au monde. Il paraît respectable. A son menton abonde La barbe. On ne pourrait le mener par le nez.

SPITZNjESEL

Est-il donc si méchant? Vraiment! vous m'étonnez.

KKUMILELBEL

Il ne le paraît pas. Mais il porte à la place De son nez un emplâtre. Hélas ! dedans la glace De Moscou ce beau nez resta. La nation En retour lui donna la décoration. Il s'en console donc.

SPITZNiESEL

Jésus! c'est pitoyable! Embrasser un mari sans nez! c'est effroyable.

KRUMIIiELSEL

Pour cela l'on n'a pas besoin d'un gros trognon. Hélas, au lieu de bras, il n'a plus qu'un moignon.

SPITZN^SEL

Mais est-il bien bâti? Est-il alerte, ingambe?

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE 211 KRUMH./ELSEL

Non! malheureusement II ne peut être fier

De ses mollets. Pourquoi? c'est qu'il n'a qu'une jambe,

Puisque l'autre est en bois.

8PITZKJ38EL

Oh! ça paraît amer! Mais ça ne rendrait pas ma chevelure grise Et je ne serais pas un moment indécise. Prenez-le comme il est C'est toujours un mari, Et cette marchandise a si fort renchéri Que l'on peut, sans rougir, prendre un homme ayant bosse, Jambe de bois, moignon, ou marchant à la crosse. Si vous le voulez bien, j'irai sur le rempart Avec vous dès demain, et si du béquillard Vous n'êtes pas jalouse, il faudra qu'il décide A laquelle de nous il servira de guide : Peut-être bien aux deux.

KRUMHjELSEL

C'est ça! voici ma main ! Notre bonheur va-t-il se décider demain ? Mais silence! écoutez ! qu'est-ce que ça veut dire?

8PITZN^8EL

Oui! je l'entends aussi! c'est bien vrai que l'on tire. Sans doute pour la paix. Quel bonheur! Songez donc! D'Allemagne nos gens, dans un délai peu long Reviendront, oh bonheur! Alors on pourra faire Choix parmi des milliers du mari qu'on préfère. Même on a prétendu que le bon roi Louis Avant tout soucieux du bien de son pays Veut que chaque soldat aille former famille. On ne pourra bientôt plus voir de vieille tille,

Revue d'alsace

Ou si peu! je ne puis supporter, par ma foi! Ce bonheur plus longtemps! Vivat! vive le roi! *

Rioz, mars 1881.

VIII

CONVERSATION GÉNÉRALE

entre deux vieilles commères. tMadame-ma-cotisine* A et *Madame-ma-cousine» £ se rencontrent sur la place Saint- Pierre-le-jeane, le 8 juillet 1815.

Pendant le second blocus.' A

Cousine! donc si vite? Arrêtez un moment.

B

Je n'ai le temps, ma chère. Il faut que promptement J'achète un peu de son. L'on ne sait comment faire Pour en trouver, vraiment!

A

C'est comme moi, ma chère.

' M. Bergmann attribue ce dialogue à Arnold, âgé de 34 ans. Il a été publié, en été 1814, chez veuve Bader, place du Dôme, 14. Prix : cinq sous. D'autres l'attribuent à Madame Engelhard (née Schweig- hœuser), d'autres même au libraire Kcenig.

' «L'expérience rend sage!» Telle est la moralité à tirer de ce dia- logue, surtout si on le compare à celui du premier blocus. Partout des volailles et du bétail, amené surtout par les parents de la campagne réfugiés en ville.

Il est de Mm« Charlotte Engelhard, fille du célèbre helléniste Schweighœuser et sœur de l'archéologue Geoffroi Schweighamser.

La collection Heitz renferme deux manuscrits de ce dialogue, dont l'un, la minute, de la main de l'auteur, renferme quelques corrections et est sans titre. L'autre, écrit par une main d'homme, est précédé du titre et de la date donnés ci-dessus.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE . 213

Mais que font vos canards et vos jeunes oisons V C'est la question qu'à chacun nous faisons, Quand nous l'apercevons du plus loin dans la rue.

B

On s'en occupe. Ils sont d'une belle venue Et déjà bien jolis, oison comme canard! Avec du bon maïs nous emboquons les oies. Vous devriez bien voir les magnifiques foies. Aux ailes, au poitrail est un plastron de lard : C'est qu'on y mordrait bien. Oh! cette gourmandise En ces temps malheureux ne nous est pas permise, Mais nous y reniflons et gardons pour plus tard Le meilleur!

A

Quoi! comment! enseignez-moi votre art Par ces grandes chaleurs, comment, je vous demande, Vous y prendrez-vous donc pour conserver la viande?

B

Ma foi! c'est justement parce qu'on est bloqué, En canicule encor, que l'on s'est appliqué A trouver des moyens qu'en autre circonstance On n'aurait pas trouvés. Vous aurez connaissance De la recette. On dit que l'on peut conserver La viande fraîche, et si l'on ne peut pas trouver Autre chose, il faut bien la manger telle quelle.

A

Oh ! nous n'aurons pas faim. Notre ville vit-elle Jamais chez elle autant d'animaux à la fois? Schiltigheim est chez nous? 1 Partout le caquetage Des volailles ! Partout de la remise au bois

1 «Schiltigheim est chez nous!» Cette phrase, barrée dans la minute, a été conservée par les éditeurs du Schatzkàsteî comme dépeignant vivement, quoiqu'avec un peu d'exagération, l'état de Strasbourg à cette

214 REVUE D'ALSACE

On a fait une étable. Au haut de tous les toits J'entends les coqs chanter. Oh ! si dans ce voyage Vous veniez avec moi, j'irais au campement De tous côtés l'armée à nos portes bivaque.

B

Oh non! je n'aime pas pareil attroupement

Cela fait mal au cœur de voir comme on s'attaque

Au blé qu'on coupe pour couvrir mainte baraque,

Ou comme en fleurs on prend jusqu'aux pommes de terre!

Un mois de cette vie, on verra la misère !

La disette déjà vient répandre ses maux

Sur les hommes ainsi que sur les animaux.

Le sort ne le veut pas: mais j'avais l'espérance

Que nous aurions la paix, quand l'esprit tounnenteur

Nous revint de son île, et, mettant, o malheur!

Tout sens dessus dessous, vint par sa violence

Nous ramener la guerre. Il y fera venir

Le dernier homme.

A

Ah Dieu! voulez- vous soutenir Le roi qui tuera les protestants, et même Rétablira la dtme. Oh non ! vous plaisantez ! Quant aux privations, eh bien! chacun les aime Si c'est pour dominer le monde. Vous sentez Qu'avec l'empereur seul nous pouvons encore être La grande nation, et s'il n'était plus maître Il nous faudrait le nls.

B

Portez-vous bien. Adieu! Il me faudrait du son, et puis je dois paraître Au Marais Kageneck : ma vache est en ce lieu.

Rioz, 19 mai 1881.

époque. L'un d'eux se rappelle très bien avoir, à l'âge de quatre ans, bu le lait d'une vacbe que «l'oncle de Schiltigheim» avait établi dans la buanderie de la maison paternelle.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE l'ALSACE-LORRAINB

.215

IX

Après le second blocus. 1 A

Les ennemis, grand Dieu, cousine! entrent chez nous! On dit que cette fois ils seront bien moins doux Qu'ils n'étaient l'an dernier. Ils nous volent et pillent Et nous faisant payer encore, ils nous étrillent

B

C'est naturel ! chacun devrait y regarder Jusqu'à deux fois avant d'aller se hasarder

Le traducteur rappelle ici l'observation qu'il a déjà faite au dia- logue de la fin du premier blocus.

Ce dialogue, dit M. Stœber, date des premiers jours d'août 1815.

Le second blocus dura réellement du 28 juin au 30 juillet 1815, mais ne fut officiellement levé qu'au 25 septembre.

Comme le précédent, ce dialogue est de Mmr Charlotte Engelhard, et existe à la bibliothèque de l'Université en copie manuscrite faite par M. Heitz.

M. Auguste Stœber, dans son recensement de l'édition de M. Berg- mann, dit:

«Si M. Bergmann exprime le désir de voir publier le Mémorial jour- nalier que cette dame aussi gaie que spirituelle continua jusqu'à un âge très avancé, je m'associe volontiers à ce vœu et en exprime un second de mon côté : c'est qu'on y joigne le recueil de ses poésies éparses partout. On en trouve entre autres dans le Elsàssische Samstags- blatt, dans le Pfeffelsalbum, dans les Pérégrinations à travers les Vosges, d'Engelhard, dans le Livre des Légendes alsaciennes. D'autres poésies" de circonstance inédites et petites improvisations en dialecte de Stras- bourg doivent avoir été conservées d'elles dans des familles amies.»

Traduire et citer les deux vœux ci-dessus, c'est s'y associer. C'est Mroe Engelhard qui découvrit et traita la première la jolie légende des Géants du Nideck qui depuis a inspiré tant de poètes (voir le Elsàssisclie Sagenbuch, de Auguste Stœber). La publication de ses mémoires et de ses œuvres ne pourrait donc qu'être agréable aux amis de la littéra- ture alsatique.

216

REVUE D'AGACE

Contre n'importe qui, comme dit le proverbe, Car, quand on tient le tigre, à l'animal superbe Il faut rogner la griffe. On était bien instruit En pays ennemis comment on se conduit Mais eux nous ont traités d'abord avec clémence Parce qu'ils se flattaient de la douce espérance En usant envers nous de modération De se concilier la grande nation ! Ils ne nous ont pas fait assez forte saignée. L'avoine nous excite, et si de sa cognée Notre armée a cassé le pot, nous avons, nous, Fracassé le couvercle. Et puisqu'alors nous tous Avons voulu la guerre, eh ! payons nos caprices En en supportant tous aujourd'hui les sévices.

Rioz, 19 mai 1881.

DIALOGUE DE LA FOURRURE DE MARIAGE1

Quel embarras ! cousine. Il faudrait des maris A nos filles. Venez me donner votre avis. Non pas gratuitement, car à l'indicatrice D'un bon parti toujours on donne une pelisse, Et vous l'aurez bien sûr. Moi ! j'aimerais beaucoup Pour mes tilles au jeu retourner un atout

1 Ce dialogue est encore de Mmo Charlotte Engelhard; le manuscrit n'est qu'un brouillon de sa main et porte en bas la date du 19 février 1816.

Quant au titre que nous lui donnons ici, nous l'empruntons à M. Berg- mann, qui le lui donne à cause d'un mot prononcé par la première interlocutrice. Quand quelqu'un par son intervention, fait un mariage,

X

19 février 1816

A

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE 217

Eh bien ! réfléchissez! Qui serait acceptable? Par la ville y a-t-il quelque jeune homme aimable?

B

Hum ! . . . Près du tribunal ?

A

Allez donc ! ça n'est rien. L'employé de nos jours ne sait jamais très bien S'il se trouve fixé. L'on croit avec sa dame Jouir d'un long bonheur; un enfant naît, ma foi! Avant que l'on s'en doute, on a perdu l'emploi!

B

La Révolution et ses effets funestes!. . . Mais que penseriez-vous du jeune professeur?

A

Il est aimable, mais le parti n'est meilleur, Car ses appointements sont encor bien modestes. Le livre qu'il écrit, jamais un imprimeur Ne voudra l'imprimer, et la faim à sa table Met la nappe, cousine.

B

Oh oui! c'est lamentable!

Le capitaine, alors?

A

Oh! pour l'avancement, Il peut y renoncer. Il a sa compagnie Et n'ira pas plus loin, et du licenctment

les jeunes mariés lui doivent an petit présent, généralement une pelisse, un objet en fourrure.

«Ce poème, dit M. Stœber, est, tant à cause de son contenu, qu'à cause de la rapidité du dialogue, qui ne contient rien de trivial ni d'inconvenant, un des mieux réussis.»

Les derniers vers contiennent une morale que le traducteur conseille aux lecteurs de suivre.

218 REVUE D'ALSACE

Même il est menacé.

B

Mais, seigneur! je vous prie! Qu'y a-t-il bien encor? Le jeune étudiant Théologue?

A

Allons donc! Un curé? mais vraiment, Croyez- vous qu'une fille aimerait prendre un homme Prêchant chaque dimanche et qui ne sait pas comme On fait un pas de danse? Elles aiment le bal.

B

Et l'avocat, cousine?

A

Il est atteint du mal De langueur, et la farce alors ne dure guère Longtemps.

B

Mais l'accoucheur?. . . Ce serait bien l'affaire! A

Oh non ! pareil mari, cousine, ne vaut rien, Car en société l'on veut se rendre, ou bien N'importe : tout à coup à votre porte on sonne, On vient vous prévenir soudain qu'une personne Geint et se plaint Votre homme est forcé d'y courir, La femme à la maison peut rester et gémir.

B

Mais un pharmacien?. . . J'en connais une paire. . .

A

Allons donc! des lécheurs de bocaux qui vont faire Des emplâtres : ah! pouh! s'ils n'allaient fabriquer Rien que de Thypocras, des pâtes pectorales?

fi

Il y a les marchands, mais c'est bien se risquer

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L* ALSACE-LORRAINE 219

Dans rien qu'un tour de main quelques chutes fatales Emportent leur honneur. Les affaires vraiment Vont mal. L'argent est rare. On risque à tout moment Qu'on vous prohibe telle ou telle marchandise. 1 Aussi bien la plupart commencent trop en grand. Par vaine gloriole, ils feront la sottise D'avoir du tout meilleur. Les jeunes dames ont Grand plaisir à cela, et la plupart se font Traîner dans un carrosse, et se trouvent marries D'épargner aux dépens de leur bouche. Un marchand Commence-t-il alors, faisant modestement Le détail, et vendant quelques épiceries, Des boutons et des gants, du ni et du coton, On le méprise, on dit: «Grand Dieu, comment peut-on Prendre un mari pareil?» A moins quel'on ne puisse En trouver, un meilleur, et que Ton se roidisse. Oui! l'on entend parler tous les jours sur ce ton.

A

Les avis sont divers. L'une trouve superbe

Ce que l'autre méprise, à croire le proverbe.

L'une tranquillement et par toute saison

Va broder, tapisser, et tous les jours s'applique

A faire des dessins ou bien de la musique.

Une autre aime bien mieux, parcourant sa maison,

Agir, et diriger un énorme ménage.

Une troisième entin trouve beaucoup plus sage

De prendre un professeur. Mais à cette autre il faut

Un fringant officier, pour parcourir la terre

Avec lui. L'autre entin, visant beaucoup moins haut,

Derrière son comptoir, au magasin, préfère

Tricoter, écouter les messieurs venant faire

1 Allusion aux tyranniques exigences du système continental qui se trouvaient encore présentes à toutes les mémoires.

220 REVUE D'ALSACE

La causette. On ne peut consacrer au tricot Le jour en son entier. Et de rester assise Ne viendra défraîchir ni son teint ni sa mise. Elle a froid en hiver, mais bien chaud en été, Et, cousine, pensez à l'argent qui lui passe Par les deux mains, et sans qu'un mari l'ait compté. Elle peut contenter ses désirs sans qu'on fasse Le calcul de l'argent qu'elle va dépenser.

B

Cousine, très bien dit! mais allons-nous passer Chaque condition, chaque état en revue ? Si nous réfléchissons, à partir d'aujourd'hui, Et jusqu'après-demain, je crois que notre vue Sera toujours qu'il faut, sans compter sur autrui, Choisir chacun pour soi, car c'est plus raisonnable. Pousser au mariage, eh! c'est s'exposer D'avoir des deux côtés remerctments du diable. A la moindre dispute on viendra dégoiser Contre vous, homme et femme. Ah ! faites épouser Qui vous voudrez, pour moi je me crois bien plus sage De ne jamais pousser personne au mariage.

Rioz, 13 mai 1881.

XI

CONVERSATION TRÈS SÉRIEUSE

tenue entre trois femmes de Strasbourg, Madame Dickhans, Madame Catherine et la cousine Suzanne. Colmar, im- primé chez J.-H. Decker, imprimeur royal, 1819. 1

CATHERINE

Ah! Madame Dickhans, bonjour! Est-ce qu'on se promène?

' Les autres bavardages des commères étaient rédigées en pompeux

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LÎTTÉRATCHfi POPCLAIRE DE L'ALSACE-LORRAWB 221 DICKHANS

Et vous? Vous faites votre tour? Quel bon vent vous amène?

CATHERINE

Je viens du sermon qu'on a fait

Là-bas à Sainte-Aurèle. Ah! quelle foule! on n'en pourrait

Faire un compte fidèle.

DICKHANS

Ah! si c'était un peu plus près

J'aurais été l'entendre. Etant trop grosse, je craindrais

De me laisser surprendre D'un coup de sang. Mais dites-moi

Le sujet de ce prêche.

CATHERINE

On a parlé, fort bien, ma foi,

De l'homme quand il pèche, Et très bien décrit les remords

De notre conscience, Blâmé les usuriers retors

Et leur grande impudence, Montré comment l'homme d'argent

Vous achète, accapare Les blés, et comment l'indigent

Aux griffes de l'avare Se voyant voler et saigner

hexamètres. Celui-ci, que M. Bergmann attribue à Arnold, sautille légèrement en tétramètres et trimètres iambiquea. Il traite des malheurs du temps, des accapareurs et usuriers, des banqueroutes, des chômages des fabriques, de la loterie, de la superstition des paysans, de la chro- nique scandaleuse, du rétablissement attendu de la conscription. La scène se passe en 1818.

222

REVUE D ALSACE

Par ces gens malhonnêtes, Et ne pouvant plus rien gagner Va se couvrir de dettes.

DICKHAN9

Ah î c'est qu'il sait bien fustiger !

J'aurais voulu l'entendre. Maint jardinier et boulanger

Du sermon pouvait prendre Sa part. . .

CATHERINE

Ce n'est pas effrayant Pour eux. Qu'on les échine, Ils mangeront leur mendiant * Et boiront leur chopine !

DICKHANS

La vie est difficile, hélas!

Et grande est la misère ! Si bien qu'on cherche, l'on n'a pas

Le moindre ouvrage à faire.

CATHERINE

«Aux Quatre-Vents»1 chez le brasseur

Ayant fait le voyage Mon homme n'y put, o malheur !

Trouver le moindre ouvrage. Sans le chômage l'on pourrait

Gagner dans les fabriques.

DICKHANS

Oui! si le bon Dieu n'existait

On aurait les coliques, De voir comme il faut se priver

* Voir l'énigme à la fin de ce dialogue et sa solution. 1 Enseigne de brasserie.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L* ALSACE-LORRAINE

De toute jouissance. Mon mari voulait achever

Sa funeste existence. On a des clients. De payer

Personne ne fait mine.

CATHERINE

Sans eau comment donc un meunier Fera-t-il la farine ?

DICKHANS

Il serait superflu, ma foi!

De songer à la viande. Sans café, dites, avec quoi

Ferait-on la gourmande?

CATHERINE

Oh! l'on ne peut chez le boucher

Aller de la semaine. J'avais de l'argent à toucher.

Grâce à la bonne aubaine, Je pris un rôti, tout petit :

Quarante sous! ma chère ! Et mon homme, irrité, m'en lit

Presqu'une grosse affaire!

SUZANNE

C'est un fameux terne, à propos Que Bârwel vient d'abattre,

(Que n'ai-je pris ces numéros !) Avec un, onze et quatre.

DICKHANS

Numéros six, quatorze et huit Sont ceux sur qui j'arrête

Mes mises, engageant sans bruit Le bel habit de fête

De mon mari. Puis je revends

REVUS D'aISACE

Une taie à paillasse. Dès qu'on vient l'apporter, je prends

L'argent et je le place Sur ces trois nombres.

8UZÀ2ÏNE

Moi je crois

Que cette loterie Est bien fatale! Que do fois

On s'en trouve marrie Grand Dieu ! mais il faut me hâter !

Onze heures et demie!

DICKHAN8

Oh! vous devriez bien rester Faire la causerie.

SUZANNE

Il faut rentrer!

DICKHAN8

Deux petits mots : Avez-vous ouï dire Qu'avec chevaux et chariots L'Allemand se retire ?

SUZANNE

Taisez-vous! ce serait trop beau!

Je n'ai pas confiance ! Chacun, pour dire du nouveau,

Ment avec impudence : «Bonaparte sur un bateau

S'est sauvé de son Ile. Revenant de l'Inde, un vaisseau

L'a vu!» Quel bruit futile !

DICKHANS

Ah ! qu'il y reste, celui-là.

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L' ALSACE-LORRAINE

Oui ! qu'on nous en délivre! Dans son île on le munira D'un peu de savoir-vivre.

8UZANNE

Je n'aime les raisonnements !

Je hais la politique! C'est vrai ! ça fait perdre le temps

Et paraît excentrique !

CATHERINE

Bavarde ! un grand journal n'est rien

Auprès de vous, ma chère. Bien riche, je vous voudrais bien

Avoir comme commère Ayant charge de raconter

Nouvelles et chroniques, Et, quand on veille, de chanter

Des chansons et cantiques.

DICKHANS

Ah! diantre! j'allais oublier!

La chose est si comique ! Quelqu'un prit pour un sanglier

Un cochon domestique.

CATHERINE

Ah ! pour un homme qui se dit

Si confit en sagesse, Il n'a pas fait preuve d'esprit,

Mais bien de maladresse.

SUZANNE

On a donné le mois dernier

A nos marionnettes, Chacun a pu s'en égayer,

De fort belles sornettes :

Nouvelle Série. - u- année.

226 REVCE d'alsace

C'était la femme à Jean-Boudin 1

Qui de bœuf à la mode Régalait ses galants. Mâtin !

Comme on vous accomode Le prochain. C'était épatant,

On y crevait de rire, Et chacun semblait très content

D'entendre ainsi médire.

DICKHANS

Dieu! j'allais l'oublier. On voit

Partout la banqueroute. Vous le savez. La Feuille doit

Le raconter sans doute.

CATHERINE

Un tel, qui s'est terriblement

Embourbé dans la dette, A bien des gens volant l'argent

A fait la pirouette.

SUZANNE

Gare à nos docteurs, car on dit

Que voici leur débâcle. Dans Ottrott un garçon guérit,

Que c'est un vrai miracle. 2

CATHERINE

Oh! ce sont des mauvais plaisants

Qui parlent de ces cures. Faites croire à des paysans

Ces sottes aventures.

1 Jean Boudin, polichinelle.

* Ottrott est un bourg alsacien dans lequel à cette époque un certain Baschelé ou Sébastien se livrait à des actes de charlatanisme dont l'un, rapporté dans le dialogue, dut le mettre en «fort mauvaise odeur.»

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE 227 DICKHAN8

Mon docteur, homme très savant, Dit : « Malgré ce qu'on beugle,

Il rend la vue à l'impotent, Et la marche à l'aveugle

8UZANNE

Il produirait en vous massant

Un effet magnétique, De ceux qu'il vient toucher chassant

Rhumatisme et colique.

CATHERINE

Oui ! Barwel vint un jour me voir

La semaine dernière, Et me racontant qu'un beau soir

Quelqu'un l'aurait fait faire Coucher avec lui. Ce soir

Ayant trop fait ripaille Il aurait sulva venia 1

Souillé jambes et paille.

DICKHANS

Ah! qu'il est propre, le sorcier ! Quel drôle magnétisme!

CATHERINE

Aussi pourquoi donc se lier

A son charlatanisme? Sirach dit que le Créateur

Créa la médecine : Consultez donc un vrai docteur

Et non ces gens à mine De singe.

1 Salm renia. Mot latin adopté par le peuple : sauf votre indulgence ou sauf votre respect.

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228

REVUE D'ALSACE

8UZANNE

<

Midi! mon mari Doit avoir faim! Ah! diable! Nous travaillons sans apprenti : Il faut mettre la table.

CATHERINE

Vous viendrez demain, s'il vous plaît,

Car à la brasserie Du «Pélican»1 mon mari fait

Bien souvent sa partie. Nous nierons. Je chaufferai

Du café. La consigne Est qu'aussitôt que je pourrai

J'irai vous faire signe.

DICKHANS

Ecoutez encore un moment,

Madame Catherine; On parle de recrutement,

Croyez-vous, ma cousine, Que Seppel,3 mon tils, rejoindra

Le corps, sans que ça tarde.

CATHERINE

Ça n'est pas encor. Ça viendra!

On va monter la garde, Car j'entends battre le tambour.

Il faut rentrer bien vite.

DICKHANS

Allez donc. Mais si quelque jour

La chose s'accrédite, Dites-le. Je l'enverrais bien

1 Pélican, enseigne de brasserie. Joseph.

LITTÉRATURE POPULAIRE DE l/ AI. S ACE-LORRAINE 229

Alors en Allemagne. Comment un gars comme le mien

S'en irait en campagne,» Dit son père, «avec un plumet,

Avec un pied de vache!»1 J'y mettrais mon dernier objet

Pour qu'on me le relâche En lui payant un remplaçant

Nos vignes font l'affaire ; Quinze arpents ! mon mari consent

A les vendre au beau-frère. Grand Dieu! que les temps sont mauvais,

On prendrait bien la fuite ! Jusqu'à Grenoble je voudrais

Me sauver tout de suite.

CATHERINE

Faites comme bien d'autres gens,

Laissez toute jactance, Car raison, patience et temps

Ramèneront la chance.

Rioz, le 19 mars 1881.

•ENIGME ALSACIENNE

DE CHARLES BERWHAHD

Je suis un homme et pauvre et vieux

Et je n'ai dans ma vie De jouissance. Pauvre gueux,

Je demande et je prie. Oui ! donnez quelques petits sous, Bonnes gens, je pr irai pour vous.

1 Pied de vache, manière pittoresque de désigner le fusil d'infanterie.

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230

REVUE D'ALSACE

Et puis on aime me manger, Et pourtant je m'appelle

De même. Au four du boulanger On me cuit. De cannelle,

De sucre on me saupoudre. Enfin

Je suis croquant, mon goût est fin !

Addition du traducteur

Il faut que le lecteur soit encore averti Qu'en bon français je suis un dessert assorti.

Rioz, le 26 mars 1881.

Solution de Charles Bernhard

Petit conte, traduit de Ja prose strasbourgeoise en vers français

Qui ne connaît Paris, capitale du monde,

Et qui, dans cette ville toute chose abonde,

Ne connaît Knôpfelfritz et n'a mangé chez lui

De Lewerknôpfles? qui? Non! je n'oso aujourd'hui

Questionner ainsi, car chacun, je le gage,

A dans la grande ville au moins fait un voyage,

Et tout Alsacien connaît, je le prétends,

Ce Knôpfelfritz qui vit au moins depuis cent ans.

Il n'est pas dit pourtant que c'est toujours le même,

Car, si Fritz est natif pour l'un de Schiltigheim,

L'autre le dit enfant de Hœnheim ou Bischheim.

Je connais à Paris un Strasbonrgeois. Il aime Aller chez Knôpfelfritz manger de temps en temps Choucroute et lard, ou bien des Knôpfles succulents, Ou des Knackwurst de Flamm. Mais ce compatriote Un certain jour de fête, infidèle à son hôte, Allait se régaler dans un bon restaurant Près du Palais Royal. On apporte à notre homme La carte qu'il parcourt d'un œil distrait. Mais comme Il y voit tout à coup ce beau mot : Mendiant ! Il se dit: «Tiens! tiens! tiens! Dans notre dialecte On dit un Bettelmann ! Ah ! bien ! je me délecte En me remémorant combien ma mère a fait

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

De ce plat, employant de petits pains au lait, Ajoutant lait, beurre, œufs, sans oublier cannelle Ni sucre, ni grands soins. Aussi les faisait-elle De façon que chacun de nous s'en régalait. De mes temps de gamin ce souvenir me touche, Et rien que d'y penser l'eau m'en vient à la bouche. Garçon ! un mendiant

Il se frotte la main, Croyant se régaler en apaisant sa faim.

Tout à coup le garçon lui dit : «Monsieur, vous êtes Servi!» Tout en posant amandes et noisettes, Figues et raisins secs qui riaient du grand Que faisait tout à coup Ilansdànel 1 étonné.

Que pensa le pays avec son ventre vide? Chacun peut le penser. Mais il fit le solide Propos de retourner, pour faire ses repas Chez Knôpfelfritz dont il connaît au moins les plats !

Rioz, le 26 mai 1881.

Ch. Bebdellé.

(La suite à la prochaine livraison.)

1 Jean-Daniel.

REGLEMENTATION

d'une

FORÊT COMMUNALE D'ALSACE

AUX XV ET XVIe SIÈCLES

DOCUMENT B

Ce document 1 forme un cahier en parchemin de 30 centi- mètres de haut sur 18 1/2 de large ; c'est une copie vidimée du 14 novembre 1630, délivrée par Jean-Conrad Schupffner, greffier échevinal juré à Haguenau, qui l'a faite lui-même (in Jidem manu propria transcripsit); ce document, d'après la mention faite à la fin de la table des matières, a été traduit de l'allemand en français par Bircéder, à Colmar, le 3 juillet 1719 (probablement pour la maîtrise générale des eaux et forêts) ; il contient la transcription littérale des divers statuts et règlements arrêtés à différentes époques et calqués sur d'an- ciens, sauf quelques changements et modifications appropriés au temps, par les bourgmestres et maîtres de forêt à l'adjonc- tion des notables des quatre communes; ils sont relatifs aux droits usagers, à la surveillance de la forêt d'Aspruch, aux constructions et à l'entretien des bâtiments d'habitation et d'exploitation rurale ainsi qu'aux clôtures des fermes et des

1 Voir les livraisons des 2e et trimestres 1881.

RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE 233

champs, à la plantation d'arbres-chênes par les jeunes habi- tants venant d'acquérir le droit de bourgoisie, à la soumission aux sentences arbitrales des vingt juges de la montagne, etc.

Ce vidimus commence par la copie d*un règlement fait le premier vendredi après le nouvel an 1572 par les maîtres de forêt, bourgmestres et notables des quatre communes, conte- nant soixante-seize articles en dix rôles d'écriture allemande de genre et style modernes, relatifs aux droits usagers de la forêt et du pâturage, à l'exploitation, à la vente et au par- tage des produits forestiers, au partage des amendes de contravention, et elle est suivie de celle d'un règlement addi- tionnel arrêté, en 1585, par les maîtres de forêt et bourgmestres des quatre villages réunis sur la montagne, rédigé en trois articles concernant le transport et l'emploi du bois et la manière de débiter les arbres trouvés gisants dans la forêt: suit ensuite copie d'un autre règlement du mardi 14 oct 1595, arrêté entre les bourgmestres et les maîtres de forêt avec la participation des notables convoqués au son des cloches des quatre villages, contenant des stipulations réglementaires pour chacun de ces villages séparément au sujet des clôtures par haies vives et palissades de l'intérieur et de l'extérieur des localités; cinq pages d'écriture.

Suit copie de quatre pages d'écriture d'un règlement fait le 18 mai 1589 entre les notables députés des quatre villages pour vider le conflit qui s'était élevé entre les maîtres de forêt et les quatre communes, en fixant les conditions de ceux-là pour ce qui concerne leurs salaires, leurs droits usagers en matière de pâturage, de vente de bois, de partage d'amendes de contraventions, etc.

Autre copie d'une transaction faite en 1G01 devant les vingt juges convoqués sur la montagne, les gobelets pleins en mains, prononçant la sentence arbitrale sur les conflits qui s'étaient élevés entre les quatre villages et l'abbesse du monastère de Kônigsbrûck, celle-ci y étant représentée par Gaspard

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REVUE D'ALSACE

Heigcll, son intendant de la maison et George David, au sujet du curage du lit de la rivière die Altbach dite Ablossbach ou canal de décharge, dans le ban et fanage des quatre villages, travaux qu'elle avait fait exécuter sans en avoir donné avis aux quatre communes. le gentilhomme Philippe de Flecken- stein au sujet d'une contravention encourue par lui en prenant dans la forêt l'Aspruch du bois pour palissades et des branchages pour clôtures des champs à Rôdern, détruits par ceux de Hatten et rétablis par le seigneur ; on a transigé au sujet de l'amende avec les maîtres de forêt.

Sur une page à part se trouve transcrite la formule du serment de fidélité à prêter par les employés des quatre vil- lages dont voici la traduction.

« Je jure d'avoir donné ma foi, d'avoir reçu mes instructions que je suivrai en tout fidèlement, que Dieu et les saints Evan- giles me viennent en aide. »

Le tout est terminé par une table des matières des soixante- seize articles.

Sig. : Haguenau, le 15 novembre 1856, Wenckbb,

Vu et certifié conforme. Strasbourg, le 17 novembre 1856, L'Archiviste en chef du département, Spach.

Vu par le Secrétaire général de la Préfecture, Rbboul.

{.Cachet de la Préfecture.

I

RÈGLEMENT DE 1572 (76 articles)

A savoir,

lorsqu'on comptait depuis la naissance de notre cher Seigneur, le Christ, notre Sauveur, mil cinq cent soixante- douze années, le jeudi et le vendredi après le jour du nouvel

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an, le règlement forestal ci-après transcrit a été fait par les honorables Arbogast, George le jeune, waldmestre de Hatten ; Lûckhen, Henri, heimbourgue ; Becht, Jacques, fils de Pierre; Arbogast, Jean, tous de Hatten; Veillens, Humbrecht, waldmestre; Pantter, Jean, heimbourgue; Gueman, Pierre; Hoffel, (Ma)thurin, de Rittershoffen ; Peter, Jacques, wald- mestre; Sommer, Jean, heimbourgue ; Summer, Marzolf; Sturm, Thomas, de Niederbetschdorf; Sumer, Théobald, waldmestre; Schafthansen, Thibaud, heimbourgue; Jôrg, Jean, et André, Jean, d'Oberbetschdorf,

que les quatre communautés desdits villages réunies au son des cloches en assemblée plénière avaient mandés et chargés de faire le présent règlement selon l'intérêt de la forêt et l'amélioration du bien des quatre communes.

Art. 1.

Celui qui est obligé de bâtir une maison neuve, réclamera le bois dont il aura besoin au waldmestre ou maître de forêt; celui-ci lui donnera pour une maison à quatre pignons (étages) douze pièces de bois de chêne et pas plus ; ' pour ce dont il

1 * . . . der Waldmeister soll Ihme geben zu einem viergeblichen hause, zwolf stttck Eychen holz und nit mehr...»

Une maison a quatre pignons «ein viergebliches Haus» est une maison de quatre étages, de quatre charpentes superposées à pignon de bois sailhxnt; les assemblages de poutres formant les planchers viennent d'étage en étage s'appuyer, s'affermir sur le mur de pignon qui sert de ferme à la charpente et dont la pointe (pinna mûri) porte le haut du faîtage.

Le mot «Giebel», anc. formes «Gébel, Gibab, équivaut donc ici à contignatio, le mot français contignation n'a pas fait fortune , = «Gebàlk» charpente d'un étage, étage : postquam contignatum est = la charpente faite; intertiamcontigtuitionem dM troisième étage. Remar- quez aussi le sens de pignus au M. A... eedesia et reïiquorum pignora qui ibidem constructa sunt ; Tradit. Wzbg. 47.

Aujourd'hui «Giehel» ne désigne plus, dans un bâtiment, que pignon et faîtage; pour étage on dit: «Stock, Stockwerk, Geschoss»; une mai-

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aura besoin en sus, il prendra du bois de hêtre ou de pin ou du bois sec quelconque, sur pied ou versé. Celui qui couperait au delà du nombre d'arbres concédés paiera pour chaque chêne coupé cinq livres stsbg. pour un grand «Einung»; les forestiers et les waldmestres y veilleront, etc.

Quand il ira couper son bois dans la forêt, le waldmestre ou quelque forestier raccompagnera pour choisir ensemble des arbres assortis.

2.

Celui qui voudra bâtir une maison neuve à trois étages 1 réclamera le bois dont il aura besoin au waldmestre ; celui-ci lui accordera neuf pièces de bois de chêne, et ce dont il aura besoin en sus, il le prendra en hêtre ou en bois sec quelconque ; quiconque coupe au-delà devient passible comme ci-dessus.

son de quatre pignons («ein viergeblich hans>) est nne maison com- posée du rez-de-chaussée Erdgeschoss ») et d'un premier («ersten Stock»), ou comme dit le terrier de 1752: «eine zweistockige Behau- sung». Sur les 200 maisons qu'il y avait à Hatten en 1752 : 100 sont dites «zweistockige», 4 anderthalbstockige» et 96 «einstockige Behau- sung».

La racine la plus propable du mot tGiebel» est l'anc. h'-all. cGabala, = «Gabel», furca, fourche, cf. affourcher; le mot gable usité en Nor- mandie pour faîtage d'une maison, ne parait être autre que le mot alle- mand; cf. cependant le mot latin gabalus = croix ; «Giebel» = sommet, faite, ne se dit que des constructions; pour cime, sommet des objets de la nature, on dit «Gipfel» ainsi des arbres, des montagnes. Cf. KetpaXi) = tête ; et le mot arabe gibel, ou mieux djebel montagne : gebel-teir, Gibraltar, etc. Gibet = potence (gabalus) est un «Giebel» dans sa plus simple expression composé d'un ou de deux poteaux et d'une poutre. Gibelot (marine), bois courbe qui lie l'aiguille à l'étrave d'un vaisseau, semble être le mot allemand lui-même «Gabelholz»: gabelle = gre- nier où l'on vendait du sel (xvi* s.) et gabeler = mettre le sel dans le grenier pour le faire égoutter, se rattachent plus facilement à «Gebel» qu'à «Gabe, Abgabe», = impôt.

1 «Ein Ney drey geblich haus». Cf. làjnxRyWôrterbuch d. Mhd. Spr.: «Ein Haus soll drei GebaBc hoch sein».

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

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3.

Si quelque bourgeois des quatre villages voulait bâtir une maison et qu'il voulût la faire construire sans (poutre?) bal- con,1 «ohne Bolken», il coupera neuf pièces de chênes, et pour ce dont il aura besoin en sus, il coupera du bois de hêtre ou de pin ou du bois sec quelconque sous ladite peine.

4.

Celui qui se trouve dans la nécessité de bâtir une grange à quatre étages ' doit demander le bois dont il aura besoin au au waldmestre; le waldmestre lui donnera neuf pièces de chênes, et pas plus, et ce dont il aura besoin en outre, il pourra le couper en hêtre, pin ou le prendre dans les abatis ou en bois sec, sur pied ou versé. Celui qui outre-passe la concession rompt, pour chaque chêne coupé, cinq livres pour un grand « Einung ». Les forestiers et les waldmestres veille- ront sur cet article.

5.

Celui qui aurait besoin d'une grange à trois étages* deman- dera le bois qu'il lui faudra au waldmestre, qui lui donnera six pièces de bois de chêne et le surplus en hêtre, pin ou en bois sec quelconque. Celui qui outre-passe la concession rompt comme ci-dessus.

6.

Dans le cas que quelqu'un voulût ajouter à sa maison ou à sa

1 Les solives soutenant les planchers formaient autrefois saillie sur le mur de pignon inférieur, et les étages s'élargissaient d'autant du coté de la rue en formant «balcon» les uns au-dessus des autres.

«ein New viergeblich Scheyr».

Les assemblagea de poutres, au-dessus de l'aire, dont les deux extré- mités s'appuient sur les pignons et qui forment des planchers sont entassées les gerbes, etc., se disent dans le langage du pays : «Geww'r&t?

1 «Item ist einer nothdûrftig einer Neuen dreigeblichen Scheuren »

238 REVUE d'alsace

grange un étage neuf/ il demandera le bois nécessaire au waldmestre, qui lui donnera pour un étage- trois pièces de bois de chêne, et pas plus, et le reste en hêtre, pin ou bois sec quelconque ; celui qui néglige ce règlement rompt, s'il est découvert, pour chaque chêne coupé cinq livres ou la grande amende.

7.

Celui qui voudra remplacer un vieux bâtiment par un neuf, doit employer à ce dernier tout le bois de l'ancien en état de servir encore, 3 afin d'en couper d'autant moins dans la forêt ; les waldmestres se feront donner là-dessus sa parole à la place de serment. Celui qui ne suivrait pas ce règlement, rompt cinq livres ou la grande amende, irrémissiblemeut et chaque bourgeois, aussi bien que les waldmestres et les gardes fores- tiers, devront y veiller.

H.

Le bourgeois des quatre villages qui voudra bâtir uue étable doit demander le bois dont il aura besoin au wald- mestre; le waldmestre lui donnera pour cet usage, non pas du bois de chêne, mais du bois de hêtre ou de pin ou du bois sec ou du bois pris dans les abatis. Celui qui ne s'y conforme pas rompt, s'il est découvert, un grand «Einong»; les wald- mestres, forestiers et un chacun devront y veiller.

9.

Celui qui aura besoin de bois de construction est tenu d'employer à sa bâtisse tout ce qui parmi le bois coupé dans

1 «Einen Neuen Gebell». «zu einem Gebcl».

* «was vor (fur) Vorholz», bois de chêne dans les murs extérieurs? bois de galandise, comme on disait au xvm6 siècle.

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RÉGLEMENTATION D'i'NE FORÊT COMMUNALE 239

les abatis faites sur le devant ou le derrière de la forêt, 1 peut bien lui servir soit pour jambages de portes ou de fenêtres, soit pour tout autre usage. Quiconque néglige de s'y conformer, encourt, s'il est découvert, la grande amende. Les forestiers, waldmestres et un chacun des quatre villages y veilleront

10.

Celui qui demande au waldmestre le bois de construction dont il a besoin, lui promettra sur parole de le couper selon l'intérêt de la forêt

11.

Les waldmestres ne doivent pas accorder du bois pour bâtir entre le jour de l'annonciation de la Vierge* (25 mars) et la Saint-Gall (16 octobre); ce n'est qu'après la Saint-Gall et jusqu'au dit jour de la Vierge qu'on pourra en couper ; si cependant quelqu'un était obligé de faire des réparations urgentes à son vieux bâtiment, il pourra en couper à toute époque. Celui qui en coupe dans l'intervalle interdit, encourt la grande amende.

12.

Celui qui serait obligé de réparer sa maison ou sa grange devra demander au waldmestre le bois nécessaire; le wald- mestre ira avec lui pour voir ce qu'il lui faut de bois et il lui donnera pour seuils et maîtres-poteaux du chêne et pour le reste du hêtre, du pin ou du mort-bois quelconque. Le wald- mestre préviendra le garde forestier des pièces accordées ;

1 «Was einer flndt under dem abgehawen, es sey hinten oder vornen in den Afterschlàgen> = abatis faits le long des limites & l'est et à l'ouest de la forêt? au nord et au sud il y avait des rivières servant de limites.

1 «unser frauentag Kleibung». Voy. Doc. A. 16. Nota. Bévue, t. Xe, pp. 244 à 245.

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REVUE D'aLSACE

celui qui coupe au delà de la concession, encourt, s'il est découvert, la grande amende.

13.

Celui qui aurait besoin d'entraits 1 pour sa vieille maison pourra couper un chêne pour la poutre et le reste dont il aura besoin, il le prendra en hêtre ou en mort-bois quel- conque. Couper en chêne plus que la poutre, entraîne la grande amende.

14.

Celui qui à l'avenir laisse le bois de construction qu'il a coupé au delà d'un an et un jour dans la forêt au lieu de l'em- ployer, encourt pour chaque chêne coupé cinq livres et pour chaque hêtre ou pin six schillings stsbg. d'amende. Mais per- sonne des quatre villages ne doit, ni avant ni après qu'une année et un jour soient révolus, toucher ou enlever de ce bois, dont on disposera de la manière suivante: le premier qui voudra bâtir recevra du waldmestre tout ce qui de ce bois peut lui servir de bois de construction, et l'emploiera selon les indications du waldmestre. Celui qui ne le fait pas encourt, s'il est dénoncé, la grande amende.

15.

Personne ne doit plus couper à l'avenir de jeunes tiges pour lattes 2 ni pour un vieux bâtiment, ni pour un bâtiment neuf. Quiconque en coupe encore encourt, s'il est dénoncé, une amende de six schillings pour chaque hêtre coupé ; mais il

1 «Item, ist einer nothdôrftig eines Schweben Gebels». «Schwebe Gebel» et «Schebe Gebel». A. 28. sont des expressions inconnues auj. «Schweben» = être suspendu, planer; «Schebe» ? cf. axénr} aiiyri, d'où : étage, anc. estage couverture, toit, le ferme, dont les entraits sont les maitresses-pièces ; auj. «Kehlgebàlk».

' «Item. Es soll auch nun furterhin keiner mehr Lattstangen hauen aus biechen Ertkimenstangen. . . »

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RÉGLEMENTATION D'UNB FORÊT COMMUNALE

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pourra couper du charme ou de l'aulne. Les forestiers et les waldmestres y veilleront

16.

Dorénavant personne ne doit plus couper de jeunes hêtres pour arbres ou poutres servant à charger les chariots, ni pour étrésillons, leviers, appuis, crocs, curons,1 ni de jeunes pins; quiconque en coupe encore rompt, s'il est découvert, pour chaque arbre coupé quatre schillings, dont deux au rappor- teur et deux aux quatre communes. Les forestiers, wald- mestres et un chacun devront y veiller.

17.

Si à l'avenir un bourgeois domicilié1 des quatre villages osait rompre un «Einung» et qu'il coupât du hêtre, il rompt, s'il est attrapé, six schillings par arbre coupé. 3 Si on ne le surprend pas en flagrant délit, mais qu'on l'attrape en route, soit dans la forêt, soit en dehors dans quelque endroit encore soumis à la surveillance des gardes, et que le surveillant qui l'arrête le soupçonne d'avoir coupé même plus d'un arbre, et que le délinquant le nie, ils doivent sur le champ revenir ensemble, guidés par les traces des roues de la voiture, sur le terrain de la coupe et vérifier le fait.1 Un chacun et les fores- tiers et waldmestres y veilleront. Deux schillings au rappor- teur et quatre schillings aux communes.

18.

A l'avenir les charrons ne doivent plus couper de jeunes

1 «Ladbaeum, Spriessstang, Hebell, Len, Hackhen, Reuttel».

* «Item, wer es dass nun fûrterhin ein ingesessener Burger... ein Einung wagen wirdt">.

' «an jedem Sturapf den er macht», expression habituelle do Doc, = pour chaque souche qu'il fait.

* «uff die Walstadt gahn und die besichtigen>.

Nouvelle Série. U" année. 16

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hêtres pour jantes, * ni faire des jantes dans la forêt. Le con- trevenant rompt, s'il est découvert, une livre stsbg. par souche ou par arbre coupé. Les forestiers, waldmestres et un chacun auront à y veiller.

19.

Si un charron coupe du bois pour «esses» (ais, rais,3 etc.) et qu'il soit découvert, il rompt pour chaque arbre coupé six schillings. Les forestiers, waldmestres et un chacun auront à y veiller.

20.

Celui qui fabriquerait des jantes3 dans sa cour sans être charron, rompt un «Einung» d'une livre stsbg. Mais, char- ron ou non, on ne doit pas non plus en fabriquer dans la forêt, fût-on même allé chercher le bois dans d'autres forêts, sous peine de ladite amende. Les forestiers et les waldmestres y veilleront.

21.

Personne ne doit plus à l'avenir couper de hêtre pour maie,4 celui qui en dédain de ce règlement en coupe encore rompt une livre stsbg. Les forestiers, waldmestres et un chacun des quatre villages y veilleront.

1 «Felgenstang abhawen et Felgen machen» = jante (absis); herse (occa). «Felgenstang» pour toutes les grosses pièces de char- ronnage.

* «Item, so ein Wagner Essen hawet» ou comme dit le Registre art. 20. «Essen macht», les petites pièces de charronnage servant à relier les grandes, telles que rais, aisseliers, ais, barreaux, échelons; de assis, axiculus, axis, àfoy. Le Registre, art. 19, porte: «von den Esten»(?) cf. l'anc. haise (hesia) = porte à treillis; et le mot normand haisier = ridelle («Wagenleiter>).

* Le texte dit «Felgen», le Registre «Essen».

* «Mulde» (mactra) huche ou pétrin, coffre l'on pétrit le pain, formé alors d'un seul tronçon de hêtre creusé.

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22.

Celui qui a besoin d'une mangeoire * s'adressera au wald- mestre qui ira avec lui pour voir quelle mangeoire il lui faut et lui assignera un hêtre en conséquence ; mais s'il lui fallait une mangeoire de moins de douze pieds de long, il ne lui don- nera pas de hêtre. Quiconque dédaigne cet article rompt, s'il est découvert, une livre. Les forestiers, waldmestres et un chacun y veilleront.

23.

A l'avenir on n'abattra plus de hêtres pour en faire des bancs et des chaises de bois; celui qui en coupe encore rompt une livre deniers. Les waldmestres, forestiers et un chacun y veilleront

24.

Celui qui aurait besoin d'un pointai* (d'une lambourde?) pour sa vieille maison devra s'adresser au waldmestre qui lui donnera un hêtre assorti ; mais s'il ne l'emploie pas à l'usage indiqué et qu'on le découvre, il rompt six schillings stsbg. Les forestiers, waldmestres et un chacun devront y veiller.

25.

Celui qui aurait besoin d'un escalier s'adressera au maître 1 D'une seule pièce de hêtre creusé.

* «Item, ist einer nothdûrftig in ein ait haus einen Deissdrome. . . = Stûtzbalken, Hebcbalken». «drom» se disait en allemand du xvr8 siècle pour dram, tram poutre, du lat. trabs ; «trambanm» = grosse poutre. En français la drome désigne dans les grandes forges la pièce de char- pente la plus forte de celles qui soutiennent le marteau: «Unterlage des Hammers». «Deiss» : de «deise^? = culcr, t. de mar.; inclinare etc. cf. la culée ou butée (d'arc-boutant) pilier, cf. la dosse, grosse planche dont on se sert dans les mines pour soutenir des ouvrages de terre, etc., du lat. barbare dossium et dossum pour dorsum = dos ; cf. dossier et dais— «Thron-, Schutz-Himmel, -Decke», de disais =table.

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244 REVUE D'ALSACE

de forêt qui lui donnera un hêtre pour l'échiffre, mais point pour les marches; six schillings d'amende à payer par celui qui couperait au delà. Les forestiers, waldmestres et un cha- cun y veilleront.

26.

Un arbre-chêne qui. encore bon,1 aurait été abattu par n'importe qui, moyennant la cognée ou le feu, ne doit être tranché par personne avant un an et un jour révolus; mais si dans le courant de l'année quelqu'un demandait du bois de construction on lui remettra tout le bois pouvant encore ser- vir tant des branches que du tronc2 de cet arbre pour qu'il l'emploie à sa bâtisse afin de ménager les autres arbres de la forêt. Celui qui n'observe pas cet article encourt, s'il est dénoncé, la grande amende. Les forestiers et waldmestres y veilleront.

27.

Et celui qui incendie ou coupe par méchanceté un arbre encore vert3 encourt, s'il est découvert, la grande amende. Les forestiers, waldmestres et un chacun y veilleront.

28.

Aucun bourgeois ne doit plus à l'avenir couper du bois pour fûts de tonneau;4 si quelqu'un en coupe et qu'il soit dénoncé, il rompt un «Einung» dans sa cour5 qui est de cinq livres. Forestiers et waldmestres y veilleront.

1 «Item. Wann eincr nunfurterbin ein Eychbaum abhauet oder ab- rendt, so noch riigbar ist».

* «und was vor (fùr) holz von Zelchen oder selbloch zu verbauen nûtzlich».

1 «wo einer.. . muthwilligerweis einen rûgbaren baum anzundt oder abbawct» . . .

* «Fassboden hawen». * «soll er im Ilofe ein Einung brechen, nemblichen fttnf Pfund».

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

245

29.

Le tonnelier qui fabrique des fûts dans sa cour devra donner au waldmestre qui surviendrait sa parole qu'il les fabrique pour son propre compte; celui d'ailleurs qui, tonnelier ou non, exporte des fûts 1 sera privé de toute jouissance do la forêt . Que l'on sache donc bien s'en garder, car les forestiers et les waldraestres ainsi qu'un chacun des quatre villages y veille- ront.

30.

Nul ne doit exporter du territoire dos quatre villages des ustensiles, quels qu'ils soient, faits de bois provenant de PAspruch. Le contrevenant encourt, s'il est dénoncé, la grande . amende. Les waldmestres, forestiers et un chacun auront à y veiller.

31.

A l'avenir si un arbre-chêne tombe à terre et qu'il se tron- çonne facilement, * le premier bourgeois des quatre villages qui surviendra aura le droit de couper un tronçon qui n'aura pas plus de sept pieds de long; mais il ne lui est pas permis d'en couper un second tronçon ni de cet arbre, ni d'aucun autre arbre, tant qu'il n'aura pas transporté le premier tron- çon chez lui. Survient-il en attendant un autre bourgeois, il lui sera également permis de couper dudit chtMie un pareil tron- çon, mais pas plus; celui qui en coupe davantage encourt la grande amende.

Personne ne devra trancher le tronçon d'un autre «bour- geois», sous peine d'une livre deniers d'amende. Les forestiers, waldmestres et un chacun y veilleront.

1 «ftthrt einer ûber das boden aweg, Er sey Kicffer oder keiner». '31. «Item. Wenn nunfûrther ein Eychbaum vmbfallet und Guth zu rerschrothen» . . .

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REVUE D'ALSACE

32.

Pour ce qui est du branchage du chêne chablé et des chablis en général, on pourra, si Ton en trouve, en façonner et transporter chez soi une voiture ou une charrette pleine; après quoi on pourra revenir pour façonner et enlever ce que l'on trouve encore; mais il est interdit de laisser des domes- tiques dans la forêt pour façonner de ce bois en attendant qu'on revienne avec la voiture. Si Ton n'avait pas de voiture avec soi on pourra façonner une voie de chablis et l'empiler en attendant qu'on en trouve une sans que personne puisse enlever de ce bois; mais si l'on en façonne plus d'un charretée, le premier venu aura le droit de l'enlever sur sa charrette.

Si parmi les chablis on trouve du bois utile, il faut le couper par les deux extrémités; celui qui néglige de le faire, encourt, s'il est découvert, une amende de six schillings ; les forestiers et les waldmestres seuls en jugeront ; et l'on est tenu d'em- ployer ce bois dans les deux ans, sous peine de rompre un Einung» dans la cour ou la grande amende: les forestiers et waldmestres en jugeront également.

32 6.

Si un citoyen trouve un arbre chablé donnant du bois de charronnage et du bois de construction, 1 il n'a le droit d'en couper que l'un ou l'autre, le bois de charronnage seul ou le bois de construction seul. Celui qui ne se conforme pas à ce règlement encourt, s'il est découvert la grande amende. Les forestiers et waldmestres seuls en jugeront

33.

Celui qui à l'avenir abattra un arbre sec doit, avant d'eu 1 «Schrot und auch Bawholz».

Dans le texte allemand cet art. 32 b se trouve, sans avoir de n°, entre les art. 34 et 35.

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE 247

abattre un second, trancher le premier et le transporter chez lui ; s'il le laisse sur place sans le trancher, le premier venu aura le droit de le trancher. Celui qui, en dédain du présent règlement, abattrait plus d'un arbre sec à la fois, paiera une livre d'amende. Les forestiers et waldniestres y veilleront.

Mais si quelqu'un lui tranchait son arbre tant que la tête n'en aura pas été tranchée, 1 il rompt une livre deniers.

34.

Nul ne doit plus à l'avenir couper des perches ni branchages de charme 2 entre la Saint-Mathias (24 janvier) et le huitième jour après la Saint-Michel (c'est à dire le 7 octobre) ; qui- conque ne s'y conforme pas et en coupe dans cet intervalle, rompt quatre schillings stsbg. Les forestiers et waldmestres y veilleront.

35.

Pour étais (échalas) ou rames3 on ne doit plus couper à l'avenir du charme, ni des pieds d'aulnes, d'ormes blancs, d'érables communs, de grands frênes; ce n'est que pour perches et branchages que l'on pourra couper des branches desdits arbres ; * quiconque coupe encore de pareilles jeunes arbres par le pied5 rompt, s'il est découvert, quatre schillings stsbg. Les forestiers et waldmestres auront à y veiller.

36.

Pour fagots d'échaliers on ne doit plus couper à l'avenir n rameaux, ni tigilles des essences qui viennent d'être énu-

1 «ail dieweil das vorderschrot nit hinweg ist». «heimbuchen Stangen oder Gertten hawen». * «heimbuchin ara oder Steckh».

4 «mag einer wol drob hawen».

5 «welcher also mehr deren stekh vff dem Grundt abbawet».

\

248 REVUE D'ALSACE

mérées;1 celui qui en coupe encore rompt, s'il est dénoncé, quatre schillings stsbg. On prendra pour cela les branches ou ramilles que Ton trouve par terre.2 Les forestiers et wald- mestres y veilleront.

87.

Nul ne doit plus couper à l'avenir des pieds d'épines blanches pour le feu, mais bien pour clôtures ou haies entrelacées. 3 Celui qui en coupe encore pour le feu rompt, s'il est décou- vert, deux schillings stsbg. Les forestiers et waldmestres y veilleront. Au rapporteur un batz et deux batz' aux com- munes.

88.

On ne doit plus non plus couper dans la forêt des harts à lier (par bottes) le seigle et le lin;5 celui que l'on y surprend rompt, s'il est dénoncé, quatre schillings. Les forestiers et waldmestres auront à y veiller.

39.

Si quelqu'un de n'importe lequel des quatre villages risquait un «Einung»6 sur l'un ou l'autre des points et articles qui précèdent ou qui suivent, il rompt autant d'< Einung» qu'il

' «kein Zundeckwellen mehr vff iezt erzehlten Stôckben hawcn, auch keine nit auf der Erden». «Welle» = javelle (capuivê, d'où: capeUa).

* «schwankhen so vff der erden ligen» (= brandes).

* «aber sonst zu zienen oder hag zu bingen». «bingen», cf. «Baun», mha. «bûne» (= risbenne) et benne.

* 3 batz = 2 schillings ; le batz = 2/3 de schilling ou 8 pf., valait en 1572 à Strasbourg, 0 fr. 32. 15 batz = 1 florin de 60 kzr.

* «Korn- oder Flachs-Wiede».

* «ein Einung wogen wirdt».. . der verbricht als manches Geschurr er hat, es sey Wagen oder Karch, als manchen Einung und wirdt einer des nachtB erwischt, verbricht tdie Einung zweifalltig ». cf. «Schiff und Geschtirr» = attirail, équipage.

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

249

aura d'attirails soit voiture ou charrette, et si on l'attrape de nuit, il doublera l'amende.

40.

L'abornement sur le devant et le derrière (de la forêt) doit de nouveau et chaque fois être respecté aussi loin qu'on aura aborné. 1 Les forestiers, waldniestres et un chacun auront à y , veiller.

« Item. Das Loch hinten und vornen soll wieder in frieden liège n so weit es geloch(t?) wirdt; daruber sollen ruegen die fôrster Waldiueister, auch menigli- chen der vier Dôrfer».

' cf. Bévue, t. X, p. 215 246. A. 18, j'ai donné une traduction différente de ce passage. Le Registre (40) dit: «von den Lochen»; or, «Lochen» qu'au xvme siècle on écrivait «Lohen» dans le procès-verbal de délimitation de l'Aspruch, signifie bornes, pierres-bornes, arbres- bornes; «das Loch» serait donc l'ensemble des bornes; le bornage parait avoir consisté non-seulement à marquer les arbres-bornes ou à poser les pierres-bornes, mais aussi à dégager, à mettre en évidence ces bornes entre deux forêts limitrophes surtout, en faisant le long de la limite, des abatis, une laie. cf. A. 4. B. 9. etc.

Lors de la révision des bornes, en 1736, on rencontra en différents endroits sur l'est de la forêt une donble rangée de pierres-bornes à 18, 20 et 30 pieds et plus, d'écartement l'une de l'autre et en ce cas la ligne de délimitation se trouvait à égale distance des deux rangées de bornes «nndgeht der scheid hier mitten durch», est-il dit dans le procès- verbal. C'est comme si un ancien chemin, une laie y avait passé, cf. l'art. 46, sur la délimitation de la propriété et III. 1. sur celle de la banlieue.

On n'avait besoin de bornes pour l'Aspruch que sur le devant et le derrière, c'est à dire à l'est et à l'ouest de la forêt, pour assurer la limite ici contre les terrains cultivés des villages et l'Essenbusch, la contre les forêts attenantes. Au Nord et au Sud la Selz et la Sure, for- maient des limites naturelles suffisantes.

L'abornement le plus important était celui du côté est de la forêt l'Aspruch touchait dans toute sa largeur de six kilomètres, de Nie-

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2.tO

REVUE D'ALSACE

4L

Dorénavant personne ne doit plus exporter du territoire des quatre communes des branchages pour en enclore ses terres dans d'autres banlieues. Quiconque exporte ou emploie des branchages pour clôtures dans quelque autre ban encourt, si on apprend jamais qu'ils proviennent de l'Aspruch, une amende de trente schillings stsbg., tout comme si on le sur- prend sur le fait (d'exportation).

Que l'on sache donc bien s'en garder, car un chacun, les forestiers et waldmestres ont à y veiller et à dénoncer le con- trevenant Il revient de cette amende: cinq schillings au rap- porteur, cinq schillings aux waldmestres dans leur propre bourse et une livre aux quatre communes.

42.

Personne des quatre villages ne doit exporter du bois quel- conque de ces villages dans d'autres villages, ni bois de chauffage, ni bois de construction provenant de l'Aspruch. Quiconque le fait devient passible de la grande amende. Les forestiers, waldmestres et un chacun y veilleront.

derrôdern à Kônigsbruck de la Selz à la Sure, aux forêts de Rôdera, de Selz (aujourd'hui à l'hospice civile de Strasbourg sous le nom de forêt de Kesscldorf), de Forstfeld et de Kônigsbruck; aussi quand vers la fin du siècle l'impératrice Adélaïde fonda son monastère de Selz, avec un territoire considérable sur les deux rives du Rhin, entre Hatten et Rastatt, de Roppenheim à Mothern, a-t-on fixé la limite d'avec Hatten ou l'Aspruch, par deux grandes pierres-bornes, dont Herzog, sous le nom de «Sanct-Adelheits Stein», nous indique approxi- mativement l'emplacement et que mentionne la constitution de Selz renouvelée en 1310 sous le nom de «llattemer Stein», ou pierre-borne de Hatten.

Les limites est, nord et sud de l'Aspruch, étaient en même temps celles de l'ancienne province dite Hattgau et étaient placées comme telles sous la surveillance de l'administration du bailliage de Hatten .

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I

RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

251

43.

Celui qui n'a pas le droit de bourgeoisie dans l'un des quatre villages, n'a pas le droit d'aller avec une voiture dans la forêt chercher du bois ; s'il a du bois à y prendre, il faut qu'il en charge un des bourgeois, moyennant paiement.

Quiconque n'étant pas bourgeois irait dans la forêt avec voiture rompt, comme d'ancienne date, cinq livres stsbg. Les forestiers, waldmestres et un chacun auront à y veiller.

44.

Quiconque, n'ayant pas le droit de bourgeoisie, enverrait ses bêtes en pâturage dans la forêt, que ce soient vaches, chevaux ou porcs, encourt, s'il est dénoncé, la grande amende. Les forestiers, waldmestres et un chacun y veilleront

45.

Aucun bourgeois étranger ne doit à l'avenir transporter du bois provenant de forêts étrangères, sur le terrain des quatre communes pour l'y façonner et charger,1 sous peine de trente schillings stsbg., dont dix au rapporteur et vingt aux com- munes. Les forestiers et waldmestres ont à y veiller.

46.

Personne des quatre villages ne doit enclore le jardinet qu'il aurait dans sa propriété (près de sa maison) avec des branchages de l'Aspruch; il pourra cependant faire une haie de branchages autour de sa propriété dans la ligne de démar- cation3 pourvu qu'il coupe ces branchages à l'époque pres-

1 «Es soll auch kein Ausbàuerischer mehr holtz vff derrier Gemein- den grundt, ans andern Wâldern dragen, auch keines nit daruff fâllen, oder laden.» «fallen», proprement abattre? le faire tomber sur le terri- toire deB quatre communes en l'abattant sur la frontière?

Proprement: dans l'intervallo des deux limites: «aber zwischen den scbeiden, an einer hofreitten Rumer, mag einer wol zinen».

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252 REVUE d'àlsacs

crite, les façonne et utilise avant la Pentecôte, car celui qui après cette époque aurait encore des branchages non employés, rompt quatre schillings et autant s'il n'observe pas le temps prescrit pour la coupe. Les forestiers et waldmestres devront y veiller.

47.

Celui qui aurait besoin d'osier à clayonnage pour murs de torchis,' doit en demander au waldraestre; quiconque en coupe encore sans l'avoir demandé, sera passible d'une amende de quatre schillings stsbg. Les forestiers et waldmestres sont tenus d'y veiller.

' 48.

Les waldmestres doivent aussi vendre comme jusqu'ici des pieds d'arbres à l'enchère aussi cher qu'ils pourront ou qu'ils voudront

«Item. Die Waîdmeister sollen auch stem verkau- fen, also bisher und geben vftsteigung so teuer sie kônnen oder môgen».

49.

Aux règlements concernant le bois de chêne, il faut ajouter le suivant: Celui qui charrie du bois de chêne (indûment coupé) dans l'un des quatre villages, rompt dix schillings au waldmestre, qui en tiendra compte aux quatre communes ; et dix schillings aux valets avec pourboire,2 et il traitera en outre avec chaque village en particulier au sujet d'une livre stsbg.

1 «deckgertten oder Zingertten zu Kleywenden = Fachgerten zu Lehmwànden». «Klei = argile; branchages pour mur de bousillage.

* mind zehn schilling den Knechten und mag mit den Knechten an gnad kommen» ... cf. art. 50 et 55, et p. 29. = payer et vider un verre avec eux.

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE 263

50.

Quant aux petites amendes touchant le hêtre et autres, on les partagera de la manière suivante : Si l'amende est d'une livre, les communes en recevront quinze schillings et le rap- porteur cinq schillings ; si elle est de six schillings, les com- munes en toucheront quatre et les valets deux ; l'amende de de quatre schillings appartient pour deux schillings aux com- munes et pour deux aux valets, auxquels il revient un pourboire.1

51.

Les bourgeois étrangers et les outre-passes rompent, comme d'ancienne date, cinq livres stsbg.

52.

Notre forêt a aussi la franchise qu'on peut y aller recueillir le bois perdu.

53.

Les waldmestres ont aussi à faire rentrer le produit de toutes leurs ventes et celui des amendes;2 ils en paieront aux valets leurs gages et le dimanche qui suit la Saint-Marc l'Evangéliste (25 avril) ils rendront compte aux heim- bourgues de toutes les transactions qu'ils ont faites dans le courant de l'année. Chacun d'eux recevra pour récom- pense deux parts de droits de glandéo quand il y aura partage et dix schillings stsbg.3

1 «und zwen den Knechten und mag mit den Knechten an gnad kommen».

* «Verkauf und Einungen inbringen».

1 «und soll jeder haben, zwey Schwein Eckher recht, wann die Eckher umgetheilt werden; Auch zchn Schilling Strassburger fur sein belohnung».

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REVUE D ALSACE

54.

Quand les bourgeois des quatre dits villages charrient des fagots ou des perches dans les chemins (défoncés), aucun d'eux ne doit en emporter avec lui à la maison ; il faut au contraire les employer tous à la consolidation du chemin. Le contreve- nant rompt quatre schillings stsbg.

55.

Celui qui rompt un «Einung» avec des bêtes qui mangent des glands, rompt cinq schillings à payer au waldmestre et cinq schillings aux valets avec pourboire; 1 et transigera avec chacun des quatre villages en particulier au sujet d'une livre stsbg.

56.

En cas d'amende pour bêtes se nourrissant d'herbe dans le district de la glandée,* on rompt pour chaque bête un pîapart.» Les forestiers et les waldmestres ont seuls à veiller sur ces deux articles.

57.

Identique avec l'art 41. A. Voy. t X, p. 380.

58.

Voy. A. 46. t. X, p. 384.

59.

Le meunier qui aurait besoin de jantes de moulin doit les réclamer au waldmestre ; et s'il engage un charpentier pour les lui couper, il doit l'accompagner et rester avec lui dans la

1 «und 5 schilling den Knechten an gnaden koramen und mit den 4 Dôrfern jeglichem besonders deidigen vor ein Pfundt Strassburger». 1 «Das Gras im Ecker Zuel isset».

1 Un plapart, monnaie de Strasbourg = 1/2 schilling ou 6 pfennigs.

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE 255

forêt. Celui qui n'enlèverait et n'emploierait pas les jantes qu'il aura coupées, encourt la grande amende; il encourt la même amende, s'il laisse aller seul le charpentier dans la forêt Les forestiers et les waldmestres y veilleront

60.

Personne ne doit plus appointer dans la forêt des piquets quelconques, ni larges, ni minces;1 celui qui le fait encore aura six schillings stsbg. d'amende à payer si on le dénonce. Les forestiers et waldmestres y veilleront.

61.

Celui qui sera commandé d'amener à corvée du bois au château, 1 doit abattre un hêtre donnant au moins une char- retée de bois et ne pas couper quantité de perches ni même deux ou trois petits hêtres. Quiconque dans ce cas coupe plus d'un hêtre rompt, s'il est découvert, six schillings, tout comme s'il avait charrié ce bois dans sa propre cour. Que deux ou trois (corvéables) s'associent donc et coupent ensemble un hêtre leur donnant assez de bois pour suffire à la seigneurie. Les forestiers et waldmestres y veilleront

«Item. Wann ein gebotten wird fronholtz in das Schloss zu fûhren, der soll da hawen ein Bttch die da nit wenger dann ein Enger3 gibt und nit hawen Erd- kymenstangen, auch nit zwei oder drey stimlen».

D. Hûckel.

(La fin à la produxine livraison.)

1 « Item. Es soll auch kciner mehr im Wald steckhen spitzen, weder breit, noch schmal»... tels que lattes, pieux, rames, échalas; ni gros, ni petits ; «schmalholz = menu bois.

* Château de Hatten, résidait l'administration du bailliage.

«ein Enger, ein Enger holz» (A. 45, voy. Reçue t. X, p. 383) = «Wagen oder Karch vollu. cf. le mot français aujourd'hui hors d'usage, enger = charger, «anfullen, ûberfùllen», surcharger, et angaria corvée, oAngerwagen», etc. cf. Hangar.

MATÉRIAUX

POUR SERVIR A

L'HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS

tirés des archives de Colmar

(Suite)

29 mai 1643 janvier 1644 Mort de Louis XIII; diète de députation à Franc- fort favorable aux libertés germaniques ; le maréchal Guébriant se replie sur la rive gauche du Rhin; repasse sur la rive droite; sa mort; défaite de Diitlingen ; arrivée de Turenne ; Col- mar se rapproche de Strasbourg; réception des saufs-conduits pour le traité de paix; J.-H. Mogg député à Paris; mort du résident Mockhel. La mort de Louis XIII, qui suivit de si près celle de son ministre, faisait tort à l'expédition de différentes affaires pour lesquelles la ville sollicitait à la cour. Dans une lettre du 17 juin 1643, M. de Polhelm se plaint amèrement du change- ment de personnes le comte de Brienne avait hérité de la charge de Chavigny, Michel le Tellier de celle de de Noyers qui l'obligeait à recommencer sur nouveaux frais des démarches sur le point d'aboutir. D'après son conseil, Colmar écrivit, le 28 juin (Prot. miss, gall.), à la reine-mère, au duc d'Orléans, au prince de Condé, à Mazarin et aux principaux membres de son ministère, pour leur exprimer les sentiments

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HISTOIRE DE LA GUERRE DE TRENTE ANS

257

que la mort du roi lui inspirait, et pour se recommander à leur bon vouloir. Les réponses de Gaston (2 septembre) et du prince de Condé (23 août) sont jointes au dossier.

Tout en modifiant son ministère, Anne d'Autriche ne s'écarta point des règles qui avaient guidé le feu roi dans ses relations extérieures et, ainsi que M. de Polhelm l'avait annoncé dans sa lettre, elle demeura fidèle à ses alliances. Cependant elle retira d'abord des mains du comte d'Avaux les négociations de la paix générale pour lui confier les fonctions de surinten- dant

Malgré l'échange des ratifications, les conférences ne s'ou- vraient ni à Munster ni à Osnabruck. Pour recouvrer une partie des avantages que la guerre et la diplomatie lui avaient fait perdre, l'empereur essayait d'arracher à la diète de dépu- tation réunie à Francfort des subsides et des concessions au profit de sa puissance. Tout en sollicitant cent mois romains, il prétendait figurer au congrès assisté seulement de deux électeurs. Mais le temps des usurpations était passé : depuis vingt-cinq ans que la guerre durait, l'empereur ne s'était que trop passé du concours du pays, et les députés des princes et des villes trouvaient le moment venu de faire valoir de nou- veau leurs droits. Il était contraire aux constitutions de l'Empire que l'empereur traitât seul de la paix, et comme il importait au plus haut degré que la maison d'Autriche fût réduite à l'intérieur autant qu'au dehors, et qu'un traité con- senti par l'Allemagne entière offrait incontestablement plus de garantie que s'il n'était sanctionné que par l'empereur, la France et la Suède appuyaient de toutes leurs forces la résis- tance de la diète. Les deux couronnes savaient d'ailleurs que c'étaient les états de l'Empire qui étaient le plus portés à la paix, et qu'avec leur concours seul elles parviendraient à faire signer à la maison d'Autriche sa déchéance du rang qu'elle avait si longtemps occupé en Europe, et la liberté religieuse qui avait servi de prétexte à cette longue guerre.

Nouvelle Séné. 4P* année. 17

258 REVUB D'ALSACE

Colmar était tout prêt à envoyer un agent en Westphalie, et ne s'inquiétait que du retard qu'on mettait à s'y rendre. Il demanda des explications au résident Mockhel qui, dans sa réponse, datée du 30 août, lui communiqua les documents les plus propres à l'éclairer sur la situation.

Cependant la diète de Francfort continuait ses travaux. Deux ans auparavant la diète avait proclamé une amnistie générale, mais sans vouloir lui donner d'eflet immédiat A Francfort cette restriction fut abrogée, et il ne manquait à ce vote que la sanction impériale qui ne paraissait point dou- teuse. En transmettant cette nouvelle à Colmar, le 17 octobre, Mockhel ne put s'empêcher de trouver la mesure précipitée : à son point de vue il lui semblait plus avantageux pour les protestants de devoir l'amnistie à la paix générale qu'à un récès qui ne devrait sa valeur qu'au bon plaisir de l'empereur. La diète ne discontinua pas de faire contrepoids à l'autorité centrale, et quand Ferdinand III voulut la dissoudre, les princes et les états qui la composaient tombèrent d'accord pour rester réunis, dans la pensée que rien ne hâterait davantage la conclusion de la paix (lettre de Mockhel du 1er décembre).

Mais la guerre n'avait pas dit son dernier mot Les Impé- riaux ne cessaient pas d'inquiéter la rive gauche du Rhin et, à la fin du mois de mai, la nouvelle se répandit qu'ils avaient établi un pont de bâteaux à Spire ; on prétendit même qu'il avait déjà servi au passage de 300 chevaux. L'alarme fut grande (lettre de P.-F. Welper, du 29 mai) et non pas à tort, car un parti ennemi vint visiter la basse Alsace, d'où il ramena de nombreux bestiaux (Strobel, t. IV, p. 455.).

Des échecs plus graves signalèrent cette campagne. Repoussé du Wurtemberg par des forces supérieures, le maréchal Guébriaut dut se replier en Alsace, avec toutes ses troupes, auxquelles il fit passer le Rhin sur un pont en face d'Erstein (Lettre de G. -F. Gams, du 15 août). Il établit son quartier-

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général à Erstein et envoya ses soldats en cantonnement dans le Rieth. Cette retraite donna des craintes sérieuses pour l'Alsace que l'ennemi fit mine d'envahir. Un corps considé- rable était posté à Rastadt, et l'on démontait le pont de Spire pour le reporter en amont de Stollhofen, vis-à-vis de Drusen- heim. En donnant cette nouvelle à notre ville par un post- scriptum de sa lettre du 30 août, le résident de Suède ne lui cachait pas ses appréhensions. Elles paraissaient fondées, même à M. de Montausier, d'autant plus que la récolte avait été bonne et que l'abondance pouvait tenter les Impériaux. Les Français même n'y résistaient point, et pour prévenir les incursions des uns, les déprédations des autres, Montausier donna l'ordre aux petites villes et aux villages de son gouver- nement de retirer leurs grains dans Colmar et dans Sélestadt (lettre du 20 août); de plus, le 25 août, il chargea M. Clausier de se concerter avec la ville sur d'autres mesures relatives à la sûreté du pays.

Pour empêcher les Impériaux de passer le Rhin à Drusen- heim, la cavalerie de Guébriant maintint ses positions en basse Alsace; il était à craindre qu'après l'avoir épuisée, elle se portât dans le pays haut Pour prévenir ce mouvement, il aurait fallu des renforts qui permissent au maréchal de reprendre l'offensive sur la rive droite, et Montausier y comp- tait (lettre du 5 octobre). C'était, à n'en pas douter, le plan de Guébriant, mais il s'en cachait avec soin. A la ville de Colmar, qui lui avait écrit pour le prier d'user de ménagement, il répondit de sa main, le 6 octobre, à Erstein : «Je souhaitterois bien de pouuoir non seulement espargner la haulte Alsace, mais aussy de n'auoir pas incommodé la basse, comme j'ay faict et fays encore. Mais quand vous voudrez considérer les affaires sans vous attacher par trop à vostre intérest particu- lier vous trouverez qu'il ne s'est pu ny ne se peult encore faire aultrement. . . J'ai donné le temps aux peuples d'icy bas de faire la récolte de leurs grains et de le mettre en lieu de

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REVUE D'ALSACE

seureté; j'ayde à présent aultant qu'il m'est possible à les faire semer leurs terres au milieu des quartiers. Je n'aurav pas moins de soing pour les vendanges de la haulte Alsace et auxquelles j'auray aultant d'esgards que la conseruation de l'armée du roy le pourra permettre.»

A la lecture de cette lettre, notre ville ne pouvait se douter qu'avant la fin du mois les troupes françaises repasseraient le Rhin et reprendraient l'offensive. Pour faciliter cette opération, Colmar procura à Guébriant une centaine de chevaux d'artil- lerie et, sur la réquisition du commissaire des guerres de Tracy, elle se chargea du transport de plusieurs milliers de pains pour la subsistance de l'armée sur la rive droite.

Cette tardive campagne qui devait mettre les troupes en possession de leurs quartiers d'hiver, eut l'issue la plus mal- heureuse. La France y perdit le maréchal Guébriant, tué au siège de Rottweil, et subit le désastre de Dutlingen. Montau- sier fut fait prisonnier, et du château de Tubingen, il fut enfermé, il écrivit, le 1er décembre, à MM. les magistrats et le conseil de la ville impériale de Colmar la lettre suivante :

« Messieurs, Ayant receu toujours beaucoup de tesmoignages de vostre bonne volonté, j'ay creu que dans ce dernier malheur qui nous est arriué, vous pourriez estre en peine de moy, et que je vous ferois plaisir en vous en ostant par cette lettre. J'ay esté bien aise aussy de vous prier dje ne pas adjouster foy aux bruits qui pourroyent courre au désauantage de tous les officiers de cette armée, auant que d'estre esclaircis de ceux qui sont coupables et de ceux qui ne le sont pas ; le Sr de Lacoste que j'enuoye de France en dira toutes les par- ticularitez à des personnes qui vous les feront scauoir incon- tinent. Je n'ay rien à adjouster à cecy, sinon que je vous prie de me tenir tousjours en vos bonnes grâces et de me croire, Messieurs, etc. »

Après ce grave échec qui coûta à la France tous ses officiers généraux et près de 6000 soldats, la cour appela Turenne au

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HISTOIRE DE LA GCERRE DE TRENTE ANS 261

commandement de l'armée. Une partie fut envoyée dans la haute Alsace, et Colmar craignit un moment d'avoir à loger une compagnie de cavalerie du régiment de M. d'Oysonville . Sainte-Croix reçut deux régiments, formant un eftectif de 1200 hommes ; pour échapper aux avanies, les habitants quit- tèrent la place et se réfugièrent à Colmar. Livrés à eux-mêmes, les soldats ménagèrent pou les approvisionnements qu'ils trouvèrent dans la villette. Colmar s'en plaignit à Turenne, qui lui répondit, le 26 décembre, de Brisach, que s'il n'est pas raisonnable de toucher aux grains de la ville, il ne l'est pas non plus de tenir les habitants éloignés de leurs demeures, pour ôter la subsistance aux officiers et aux soldats.

La guerre avait créé pour ainsi dire autant d'intérêts par- ticuliers qu'il y avait d'états dans la province. Colmar, qui s'était sans réserve jeté dans les bras de la France, ne pouvait pas dans ces circonstances se guider sur l'exemple de Stras- bourg, dont la politique n'avait visé qu'à s'assurer le bénéfice de la neutralité. Cependant il importait à notre ville de sortir de son isolement et de se rapprocher de Strasbourg, dont elle partageait la foi religieuse. Dans une lettre de la fin d'août (Prot. miss. 1641-46, f" 158-159), la ville avait sondé Mockhel sur la convenance de ce rapprochement, et le résident n'avait pas hésité à le lui recommander. Il s'agissait surtout pour le moment de faire profiter Colmar des informations de toute nature que recevait Strasbourg, et de permettre à son député de se rendre en Westphalie en compagnie de ceux de Stras- bourg. Le magistrat écrivit dans ce sens le 6 septembre (Prot. miss.). Strasbourg reçut cette ouverture avec beaucoup de courtoisie (lettre du 9 septembre) ; cependant il lit observer que la Suède n'ayant pas encore envoyé de saufs-conduits, il n'y avait pas urgence à se faire représenter aux négociations.

Pour faciliter cette entente, Mockhel manda à Colmar, le 25 septembre, d'envoyer un aftidé à Benfeld, oii il attendait un membre influent du gouvernement de Strasbourg. Mais

REVUE D'ALSACE

un mois après, il n'y avait encore rien de fait et, dans une lettre du 28 octobre, Mockhel fait comprendre à la ville que Strasbourg pourrait peut-être préférer conserver avec son isolement toute sa liberté d'action. Cependant on voit les deux villes continuer à se communiquer les nouvelles qui les intéressaient Dans une lettre de Strasbourg, du 8 jan- vier 1644, on peut noter la manière dont il appréciait les négociations : sous l'impression de la fâcheuse issue de la cam- pagne des Français sur la rive droite du Rhin, et malgré les saufs-conduits, datés du 14 novembre 1643, que les ambassa- deurs suédois avaient enfin adressés aux états de l'Empire, il ne cachait pas le peu d'espoir qui lui restait de voir l'œuvre pacifique des diplomates aboutir.

Indépendamment de l'entente avec Strasbourg, la ville rechercha l'appui du landgrave Georges de Hesse-Darmstadt, à qui elle avait recommandé une première fois ses intérêts à la diète de Ratisbonne. A sa lettre, du 9 septembre {Prot. to.), ce prince répondit, le 2 octobre, en promettant de tout faire pour sauvegarder aux conférences la foi religieuse de la ville.

Peu avant l'arrivée des saufs-conduits suédois, Colmar avait reçu de la cour de France copie authentique de celui du roi d'Espagne, daté du 3 juin. A Paris la ville sollicitait toujours l'exemption de la dîme extraordinaire, sans parvenir à maî- triser le mauvais vouloir de IL d'Oysonville. De guerre lasse, M. de Polhelm, d'accord avec Manicamp qui appuyait chaude- ment ses démarches, finit, le 19 décembre, n. st., par engager la ville à envoyer un député à la cour, tant pour en finir avec cette grave affaire que pour renouveler l'alliance de 1635 et rendre les devoirs à la reine-mère. Colmar suivit ce conseil et confia derechef son mandat à Jean-Henri Mogg, l'habile négo- ciateur du traité de Ruel. Son^ passe-port, au nom du magis- trat et du conseil, est daté du ^ janvier 1644.

15 "

Avant de clore cette analyse, je dois mentionner encore la

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HISTOIRB DE LA GUERRE DE TRENTE ANS 263

mort de FrédérioRichard Mockhel. Il souffrait depuis quel- ques mois de la poitrine. Dans sa lettre du 30 août, il parlait déjà de son extrême abattement, qu'il essayait de conjurer en buvant de l'eau de Soultzbach, et des appréhensions que sa santé lui causait. Il n'en continua pas moins à correspondre assidûment avec Colmar, qui lui écrivit pour la dernière fois le 8 décembre. La ville reçut presque en môme temps l'avis de sa mort, et le Prot. mies, renferme, sous la date du 12, la lettre de condoléance qu'elle envoya à sa veuve.

X. MOSSMANN.

(La suite prochainement.)

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LETTRES INÉDITES D'ANDRIEUX '

Les quelques lettres qui suivent montrent Andrieux unique- ment préoccupé de sa réputation de dramaturge, bien que le théâtre soit la partie de son œuvre la plus démodée et qu'il faille chercher dans le cadre du conte l'expression originale de sa physionomie. De son vivant d'ailleurs on lui contestait déjà son rang, Geoffroy prenait à tâche de le déprécier, La Harpe n'a pas dît un mot de lui dans son Lycée, Chénier seul le jugea favorablement Ces lettres, si parvos licet componere magnis, nous font songer à Lamartine regrettant les écrits auxquels il devait le plus clair de sa gloire et demandant par- don au public de ses poésies. Le théâtre fut pour Andrieux ce que la diplomatie fut pour Lamartine : une passion contrariée-

I

A MM. les comédiens français ordinaires du roi membres du comité d'administration au théâtre rue de Richelieu.

Messieurs,

Je vous remercie d'avoir bien voulu vous occuper de reprendre la Comédienne, comme vous me l'aviez promis. J'ose espérer que cette pièce restera désormais au courant du répertoire.

1 à Strasbourg en 1759, mort à Paris en 1833, secrétaire perpétuel de l'Académie française.

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LETTRES INÉDITES D'aNDRIEDX 265

Ce qui ne me ferait pas moins de plaisir, ce qui serait très convenable et ce que vous m'aviez également promis, ce serait que vous remissiez Molière avec ses amis; on devrait, ce me semble jouer cette pièce le 15 janvier prochain, pour fêter l'anniversaire de la naissance de ce grand homme; je serais lier et heureux de contribuer à la solennité du jour et il me serait facile d'ajouter quatre ou six vers pour la circonstance.

Je vous demande aussi lecture pour le Jeune Créole, pièce en cinq actes que vous avez reçue il y a longtemps, mais que j'ai retravaillée et améliorée; je pense que l'ouvrage, bien qu'il soit un peu extraordinaire et peut-être même parce qu'il l'est, pourrait obtenir du succès.

J'ai l'honneur d'être,

Messieurs,

Votre très humble et très obéissant serviteur,

Andrieux.

Paris, le 6 décembre 1825.

II

A M. le baron Taylor, commissaire du roi près le TJièâtre Français.

M. le baron,

Je vous prie d'agréer mes remerctments et de vouloir bien aussi les offrir au comité de la Comédie, pour la décision qu'il a prise relativement à ma petite pièce de Molière avec ses amis. Ce sera un grand plaisir pour moi de contribuer à hono- rer la mémoire de ce grand homme, en fêtant l'anniversaire de sa naissance, le 15 janvier. Je répète que je ne veux point toucher ce jour-là de droit d'auteur.

J'ai ajouté, pour la circonstance quelques vers en deux endroits de la pièce. Je vous prie d'indiquer une réunion des acteurs auxquels j'aurai à donner de petites additions qu'ils voudront bien ajouter à leurs rôles. Il faudrait avertir seule- ment MM. Michelot, Molière, Baptiste aîné, Chapelle, Devigny,

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La Fontaine, Perier, Despréaux, et Mlles Demerson, Laforest.

Ces additions ne fout pas trente vers en tout; et elles ne peuvent manquer d'être bien accueillies par le public; puis- qu'elles lui serviront d'occasion pour manifester ses sentiments d'admiration et de reconnaissance pour notre grand poète comique.

Je suis fâché d'avoir & terminer une lettre de remercîment par des plaintes ; mais il est affligeant pour moi de voir aban- donner la Comédienne après trois représentations ; si je ne me fais point illusion, la pièce a été bien reçue du public; elle est parfaitement bien jouée et cependant on se borne à la donner trois fois! Etait-ce la peine de la reprendre? et n'est-ce point me causer le chagrin de transformer son succès en une espèce de chute? Car, qu'aurait-on fait si elle fut tombée? Je vous prie, M. le baron, de vouloir bien m'accorder vos bons offices auprès de la Comédie et de représenter au comité qu'il est de toute justice de continuer les représentations de cette pièce dont on a annoncé la reprise. Je vous en serai infiniment obligé.

Agréez, etc.

Ce 3 janvier 1826.

III

M. le baron,

Mlle Mars m'a paru être dans la disposition de jouer la semaine prochaine la Comédienne; mais M. Menjaud est absent; MM. Devigny et Gran ville sont malades; il faudrait, je crois, remplacer M. Menjaud par M. Firmin ou M. Lecomte et M. Samson se chargerait volontiers du rôle de M. Devigny; mais il est nécessaire, je pense, qu'il en reçoive l'ordre de vous.

Je vous prie donc de vouloir bien le lui donner, afin que la pièce n'éprouve point de retard. Je m'en remets à votre obli- geance accoutumée et vous en fait d'avance mes remercî- ments.

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Je suis à la campagne par raison de santé; je n'ai pu venir au comité de lecture de mercredi dernier; je tâcherai de me rendre à celui de mercredi prochain 13.

Agréez, etc.

C'est d'accord avec Mlle Mars que je vous présente M. Samson.

8 octobre 1826.

IV

M. le baron,

Lorsque vous m'avez témoigné, en votre nom et au nom du Théâtre Français le désir que je tisse en sorte que les Etour- dis ne fussent plus joués à l'Odéon, j'ai pensé que ce désir était honorable pour moi et pour mon ouvrage; j'y ai acquiescé; mais une condition nécessaire de l'arrangement que j'ai fait, était que cette pièce resterait au répertoire fran- çais et qu'on la jouerait quelquefois ; j'ai droit, ce me semble de réclamer l'exécution de cette condition ; il y a, dans ce momentrci, plus de quatre mois qu'on n'a donné les Etourdis; M. Armand disait, à l'une de nos dernières séances du jury de lecture, que des jeunes gens étaient venus chez lui deman- der une représentation de cette pièce qu'ils désiraient voir. Assurément ce n'était pas moi qui les avait envoyés et j'igno- rais même qu'ils eussent fait cette démarche.

Mais je crois pouvoir vous prier, M. le baron, ainsi que la Comédie, de vouloir bien faire mettre l'ouvrage au répertoire un de ces jours. On laisse aussi de côté mes autres petites comédies qui pourtant, à ce qu'il me semble, De repoussent pas le public et contribuent assez bien à la recette. Mais le Théâtre Français ne m'a jamais gâté; la Comédienne, par exemple, est restée huit ans sans paraître une seule fois. Je demande qu'on ne tue pas mes pauvres Etourdis et il me semble qu'en cela l'intérêt du théâtre est d'accord avec celui

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de ma réputation. Je vous serai donc infiniment obligé ainsi qu'à la Comédie de vouloir bien faire droit à ma demande.

Agréez, etc.

Ce 27 mars 1827.

V

M. le baron,

Mademoiselle Leverd vient de me faire l'honneur de m'écrire pour m'engager à lui donner le rôle de la Comédienne en double de Mademoiselle Mars; je lui ai répondu que je ne pouvais faire quant à présent ce qu'elle me demandait ni m'occuper de la distribution des rôles de la pièce (en cas qu'il faille faire une distribution nouvelle); qu'après ce qui s'est passé relativement à cette pièce, je devais attendre que la Comédie me témoignât par écrit le désir de la reprendre.

Je vous demande, M. le baron, votre intervention et vos bons offices dans cette affaire qui touche aux intérêts du Théâtre Français.

Permettez-moi de vous exposer quelques faits. Au commen- cement de l'année 1823, M. Saint-Fal me demanda de consentir que ma petite pièce de Molière avec ses amis, dans laquelle il jouait parfaitement bien le rôle de La Fontaine, fût donnée pour sa représentation à bénéfice; la pièce n'avait pas été jouée pendant quatre années; j'y consentis bien volontiers et la représentation eut lieu.

Quelque temps après, M. Baptiste aîné ayant aussi obtenu une représentation à son bénéfice, me fit l'honneur de penser à ma pièce de la Comédienne qui n'avait pas été jouée aussi depuis quatre ans. Je me prêterai toujours avec grand plaisir à de semblables demandes de la part de Messieurs les comé- diens, et même je leur en saurai très bon gré ; je répondis donc à M. Baptiste aîné comme j'avais fait à M. Saint-Fal, que puisqu'il avait contribué au succès de la Comédienne, je lui

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reconnaissais un véritable titre à faire usage pour lui de cette pièce.

On afficha pour la représentation de M. Baptiste aîné la première représentation de la reprise de la Comédienne. Cette affiche resta deux ou trois jours et fut changée ensuite sans mon aveu, sans qu'on prît seulement la peine de m'en donner avis.

J'écrivis à la Comédie et je reçus le 21 avril 1823, une lettre signée de six membres du comité d'administration, lettre dans laquelle on avoue qu'on a envers moi des torts réels ; on veut bien me dire que la modération avec laquelle je m'en plains ajoute encore aux regrets qu'on en éprouve et au désir sincère qu'on a de les réparer autant qu'on le pourra ; enfin on me promet de remettre au courant du répertoire la Comédienne, le Trésor, Molière avec ses amis. . . Depuis cette époque on a joué deux fois le 14 et le 27 novembre 1823 Molière avec ses amis et rien de plus; et il y a deux années et demie.

Je suis peut être le moins exigeant des auteurs; j'ai au répertoire du Théâtre Français au moins cinq pièces qui seraient faites pour y rester et qui ne le déparent point, savoir Anaximandre, les Etourdis, Molière avec ses amis, le Trésor et la Comédienne. MM. les comédiens pensent comme moi à cet égard puisqu'ils ont la bonté de choisir mes ouvrages pour les donner les jours ils ont le plus d'intérêt d'avoir du monde. Et cependant ils privent constamment le public tout le reste du temps et se privent eux-mêmes de pièces qui pourraient leur être utiles.

J'avouerai qu'il y a un peu de ma faute ; j'ai tellement peur de paraître tourmentant et intéressé que je n'ose solliciter la représentation de mes ouvrages; je me laisse oublier et l'on m'oublie.

Voilà les faits très exacts, M. le baron ; je vous les expose sans humeur ni chagrin; je ne me crois point blessé, mais je pense que si la Comédie française veut réellement reprendre

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la Comédienne, il est convenable qu'elle m'informe par écrit de son intention, et qu'elle m'engage à faire une distribution de rôles si cela est nécessaire. Je vous avoue que je verrais avec peine le rôle principal joué par une autre que MJle Mars qui l'a établi avec tant de supériorité. Si le public voit que cette grande actrice abandonné le rôle, il en résultera une défaveur immense pour la pièce. Je vous prie donc d'avoir la bonté d'en parler à Mlle Mars que je n'ose importuner, je suis trop intéressé à ce qu'elle joue le rôle pour lui en faire moi-même la demande.

Pour en finir, je pense que vous trouverez comme moi qu'il est à propos que la Comédie m'écrive d'abord un mot au sujet de la Comédienne; je verrai ensuite ce que je devrai faire; ou plutôt je vous demanderai vos conseils; votre zèle pour les intérêts de l'art, pour la gloire de la scène française, vos lumières et votre loyal caractère me sont garants que je ne pourrai avoir un meilleur guide ni un meilleur appui.

Agréez, etc.

14 octobre 1827.

ANDRIEUX.

De l'Académie française, au Collège royal de France, place Cambrai à Paris.

VI

M. le duc (V)

Ce serait un grand bonheur pour moi que vous voulussiez bien avoir la bonté de présenter et de faire agréer à Sa Majesté ma petite pièce du Manteau pour être jouée après la tragédie de Tancréde. Cette comédie courte et gracieuse est parfaite- ment bien jouée par les comédiens du roi et encore une fois, je serais heureux de pouvoir penser que mon ouvrage eut contribué pendant quelques instants au divertissement de Sa Majesté.

Je suis avec respect, etc. Paris, 20 février 1829.

LETTRES INEDITES D'ANDRIEUX

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vn

A M. le baron Taylor,

Paris, le 20 janvier 1830. Le secrétaire perpétuel de l'Académie.

M. le baron,

Je suis bien fâché que ma lettre d'invitation vous soit par- venue dans un moment d'affliction; je prends bien part à votre douleur; vous connaissez l'estime et l'attachement que je vous porte et que vos bons procédés et vos aimables manières m'ont inspirés ; me trouvant logé par l'Académie, j'ai imaginé d'engager mes confrères à se réunir une fois par semaine, chez eux, pour entretenir la bonne intelligence, et j'ai cru aussi devoir leur adjoindre les hommes les plus distingués par leurs talents, par leur goût pour les arts et les lettres; vous voyez que j'ai songer à vous tout des premiers; j'ose espérer que vous me ferez quelquefois l'honneur de paraître à ces réunions sans prétentions et toutes littéraires. J'écris à la Comédie pour lui proposer de monter le Jeune Créole que je viens de revoir et de retravailler; je pense que cet ouvrage pourrait avoir du succès.

Je me plains aussi, mais doucement, de ce qu'on laisse de * côté la Comédienne, le Manteau, etc., à quoi cela tient-il? J'en écris un petit mot à Mlle Mars.

Veuillez, M. le baron, m'accorder vos bons offices pour le passé et pour l'avenir, je veux dire pour mes ouvrages qui ont paru et pour celui que je veux faire paraître. Je vous en serai infiniment obligé. Je crois d'ailleurs ne rien demander qui ne soit dans l'intérêt du Théâtre, intérêt que je n'ai jamais séparé du mien, que j'ai même toujours considéré avant le mien.

Agréez, etc.

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VIII

Paris, 4 juillet 1831.

Le secrétaire perpétuel de l'Académie. M. le baron,

Je n'étais pas à Paris quand votre lettre a été remise chez moi; à mon retour je m'empresse d'y répondre.

Le secrétaire de l'Académie enregistre ses décisions, mais il ne les fait point. Le respectable Montyon a voulu que l'Aca- démie récompensât les ouvrages les plus utiles aux mœurs; c'est l'utilité morale qu'elle considère particulièrement, afin de se conformer aux intentions du fondateur. Dans mon opi- nion, une pièce de théâtre qui aurait été dirigée dans ce but et qui l'aurait atteint, aurait droit à la récompense. La plu- part des tragédies grecques sont remplies d'exemples et de leçons de toutes les vertus. Mais vous savez au moins aussi bien que moi que les auteurs dramatiques modernes se proposent de plaire à leurs auditeurs ou de les émouvoir beaucoup plus que de les instruire et de les améliorer. Il semble môme que, dans le temps nous sommes, quelques auteurs fassent exprès de chercher des fables qui surprennent et qui épouvantent par leur immoralité monstrueuse.

On dit beaucoup de bien de la pièce qui doit être repré- sentée ce soir au Théâtre Français je souhaite pour l'intérêt de l'art, pour celui de l'auteur et pour celui de la Comédie, que ce soit un bel et bon ouvrage qui mérite et qui obtienne un éclatant succès.

Je vous félicite du mouvement que vous avez eu le talent d'imprimer au Théâtre Français ; il paraît qu'il reprend de

1 La Craint* de l'opinion, par Barrault. «L'école Saint-Simonienne florissante alors essaya de pénétrer au théâtre avec un de ses chefs, M. Barrault dont la comédie ne fit pas beaucoup plus de prosélytes que la nouvelle religion.» H. Lucas, Histoire du théâtre français, El, 19.

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l'activité, puissiez-vous réussir à lui rendre son ancienne gloire!

Je vous remercie de l'offre obligeante que vous me faites d'un coupon de loge, mais nous n'en pouvons profiter; ma tille est à la campagne pour rétablir sa santé ; je suis moi- même assez mal portant et obligé de me priver du plaisir du spectacle.

Agréez, etc.

Pourquoi ne reprendrait-on pas ma tragédie de Brutits.1 (Communiquées par M. Paul Ristelhuber.)

1 Dans «ne neuvième lettre, à Firmin Didot père, Andrieux rappelle des souvenirs de jeunesse :

La Parque à la sourdino a diablement filé, Chaque année en fuyant nous vole quelque chose.

Enfin dans une dixième, du 4 juillet 1831, il se plaint de la mise en scène de Brutus: «on avait mis des dômes asiatiques dans la Rome des Tarquins et le tribunal sur lequel on avait fait asseoir le consul de Rome ressemblait pas mal à une caisse de savon.»

Nouvelle Série. - H- année.

18

NOTES BIOGRAPHIQUES

SUR LE8

HOMMES DE LA RÉVOLUTION

A

STRASBOURG ET LES ENVIRONS

Suite1

SCHNEIDER (Jean-George).

Puis il donna quelques développements de ses principes de la morale universelle, et finit par abdiquer l'état de prêtre, qu'il embrassa par séduction et comme victime de Terreur 23 octobre. Chargé du transport dans l'intérieur du pays des personnes détenues à Strasbourg. Chargé d'or- ganiser un Conseil d'administration de l'armée révolution- naire, il nomme Taffin président. Il requiert Monet de faire arrêter de suite Rausch, agent du prince de Darmstadt. Au Club, il est proposé pour le Conseil demandé par les représentants du peuple 29 octobre. Le Comité de sur- veillance et de sûreté générale du Bas-Rhin, bien qu'il fonctionnât depuis le 8, tenait cependant à célébrer son installation. On profita de la publication du décret du 29 septembre 1793, sur la nouvelle taxe des denrées les plus nécessaires (loi du maximum), pour organiser un cortège à travers les rues de la ville. En tête de l'armée révolution- naire, traînant une petite guillotine, marchait Schneider, à ses côtés les juges, puis derrière eux, un boulanger, un fari-

1 Voir la première partie de ces notes sur Euloge Schneider, pages 132 à 137, du premier trimestre 1882.

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nier, un épicier, un fabricant de tabac et une pauvre jardi- nière de la Robertsau, Dorothée Frantz, convaincue d'avoir vendu deux têtes de salade 20 sous 6 novembre. Il fait arrêter le baron Frédéric de Wurmser, qui se tenait à la rampagne à Lingolsheim 7 novembre. Il félicite Saint- Just et Lebas des heureux effets causés par leurs mesures révolutionnaires; le costume gothique, les signes de la féo- dalité, les noms qui rappellent l'ancien régime, dit-il, sont proscrits ; mais il y a encore quelque chose à faire, il faut enlever aux ministres et professeurs protestants les revenus des biens dont ils jouissent, connus sous le nom de Saint- Thomas, et qui doivent faire retour à l'Etat, étant biens ecclésiastiques, donc propriétés nationales 12 novembre. Gomme commissaire révolutionnaire il approuve toutes les mesures prises par ses agents Gerst et Wetzel. Les biens de ceux qui se sont soustraits aux arrestations seront inven- toriés; les grains, bestiaux et fourrages transportés à Strasbourg, et 100,000 liv. prélevées sur les riches paysans; surtout ne gpint ménager les femmes contre lesquelles il y a des dépositions 20 novembre. A Barr, lors de la fête célébrée en l'honneur de la Raison, tout le canton fut invité d'y assister. Les prêtres y abjurèrent la prêtrise, parmi les- quels un Allemand du nom de Funck. Schneider monte à la tribune et dit :

Je suis étonné qu'aucune de vous ne se présente pour donner sa main à Funck. J'invite, en conséquence, toutes les citoyennes de ne lui point refuser leur main, s'il la demande, sous peine d'être regardées comme suspectes. Le môme soir Funck présenta sa compagne. Schneider invita les communes à faire des présenta de noces et à tenir un état exact de ce que chaque citoyen aura contribué, pour être remis au tribunal révolutionnaire qui saura punir ceux dont la cotisation ne répondrait pas à son attente.

22 novembre. Il nommera un concierge au tribunal révo- lutionnaire en remplacement de celui qui va être déporté à vingt lieues des frontières —2 décembre. A Barr, il condamne quatre personnes à mort 6 décembre. Il rentre à Stras- bourg, et au Club, sentant son étoile pâlir, il demande que

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la tête de Dietrich tombe dans cette ville, témoin de ses scélératesses, ajoutant : les circonstances, l'on se trouve, exigeant qu'aucun membre d'une cnste ci-devant privilégiée ne puisse conserver de place ; je puis me trouver comme prêtre, obligé de me retirer et d'abandonner les fonctions d'accusateur public, la confiance de mes concitoyens m'a employé; je ne désire conserver cet emploi que jus- qu'au moment j'aurai contribué à faire tomber la tête de Dietrich et de ses complices.

Mais déjà quelques jours auparavant, un comité d'épura- tion formé par les Jacobins, avait arrêté de rayer Schneider de la Société comme homme immoral et patriote douteux 7 décembre. Pour se conformer à l'invitation de Saint- Just et Lebas, il adresse une lettre au Comité de sûreté publique de la Convention avec toutes les pièces ayant rapport aux jugements prononcés dans le Bas-Rhin par la Commission révolutionnaire. Après avoir cherché à se dis- culper, il ajoute :

La Commission, ainsi que voua le verrez par les jugements, a agi avec sévérité et énergie contre les sangsues du peuple, elle a touché leur côté faible en leur imposant d'énormes sommes d'argent et en les exposant au carcan. C'est à l'aide de ces mesures sévères, qu'en moins de trois semaines, nous avons fait remonter la valeur des assignats à celle de la monnaie de métal.

Il termine sa lettre en disant :

En acceptant la place de commissaire civil, je vis devant moi deux écueils : l'écueil de la calomnie, si j'agissais sévèrement, et l'écueil du crime, si je me laissais influencer par des considérations d'humanité. Je fus décidé bien vite, et jusqu'à présent mes efforts ne furent point inutiles; les sans-culottes ont du pain et le peuple bénit la guillotine qui l'a sauvé! Que ma tète roule sur l'échafaud après que les tètes de tous les traîtres seront tombées. Tels sont mes principes, tels sont les principes des juges sans-culottes de la Commission. Puissent ces me- sures révolutionnaires, nécessaires aux temps actuels, que j'ai soutenu par mon courage et mon abandon pour le bien de la République, rafer- mir le règne des lois. Ce sont des ouvrages qui doivent purifier l'air et qui doivent cesser du moment que l'air est purifié.

C'est à cette époque qu'il chargea TafîQn de faire pour lui la demande en mariage de Sarah Stamm. Voici sa lettre aux parents de sa future :

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Permettez que votre fille lise les deux mots que je lui adresse ci- joints, et si vous consentez à notre mariage, je vous promets, foi de républicain, de la rendre heureuse.

et les deux mots à Sarah :

Je t'aime, je te demande à tes vertueux parents, si tu me donnes la main, je ferai ton bonheur.

11 décembre. Il se rend à Epfig, et il fait encore déca- piter trois individus, parmi lesquels Louis Kuhn, ex-receveur du cardinal de Rohan, chez lequel il avait accepté le dîner, le jour même du jugement 12 décembre. Ses fiançailles sont publiées par André Schuler, maire, en l'absence de l'officier public, à Barr, dans le Temple de la Raison, à la commune assemblée, à 10 heures du matin, avec Sarah Stamm, fille majeure de Jean-Fréléric Stamm, chef du bureau des impositious du district de Barr, et de sa femme Marie Werner 13 décembre. Il va à Schlestadt, deux vieillards perdirent la vie Anstett, de la Commission pro- visoire du Bas Rhin, dépose au Comité de surveillance et de sûreté générale du département une dénonciation contre les abus multipliés que commet à la campagne une préten- due armée révolutionnaire sous les ordres de Schneider, commissaire civil. Le Comité arrête d'en écrire aux repré- sentants du peuple et les inviter à prendre des mesures promptes relativement à cette prétendue armée. Outre cette dénonciation, ce même jour, 13 décembre, à 7 heures du soir, quelques patriotes s'étaient rendus chez Lacoste et Baudot, pour leur donner connaissance des atrocités com- mises par Schneider et dos projets sinistres dont il s'occu- pait encore ; frappés du poids et de la vérité des dénoncia- tions, ils promirent de le suspendre le lendemain, et de le mettre en état d'arrestation à vingt lieues des frontières ; celà allait s'accomplir, quand dans la nuit arrivèrent inopi- nément Saint-Just et Lebas.

A peine de retour de Selestadt à Barr, qu'il reçoit du maire Monet l'invitation de se rendre immédiatement à Strasbourg pour s'entendre avec Saint-Just et Lebas, qui veulent, disait-il, augmenter le nombre des juges du tribu-

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nal révolutionnaire. Il se rendit à l'invitation; mais passa encore la nuit du 13 au 14 décembre à JBarr, pour accomplir son mariage avec Sarah, sœur de D1 Stamm, ex-adjudant du général Custines, et alors agent national du district de Strasbourg 14 septembre, au matin, il quitta Barr avec sa jeune épouse, ses parents et les juges du tribunal révo- lutionnaire, dans une grande voiture attelée de six chevaux de poste. La gar^e nationale à cheval de Barr s'était offerte de l'escorter à Strasbourg, il déclina cet honneur, mais elle prit les devants jusqu'à Entzheim. Là, les cavaliers entou- rèrent la voiture, et c'est ainsi que vers midi, le cortège arriva à la porte Blanche. Les cavaliers mirent le sabre nu en main, le poste prit les armes, le tambour battit au champ, la foule des curieux et des mécontents ne fit qu'augmenter jusqu'à sa demeure, il descendit de voiture avec un visage serein, et sur lequel retlétait un contentement per- sonnel. Après avoir rafraîchi les gens de l'escorte, on se mit immédiatement à table, un repas digne de la circonstance avait été préparé par les soins de la citoyenne Marianne, sœur de Schneider; la gaîté la plus franche régnait sur tous les visages, et ce ne fut que vers 10 heures du soir que les convives se séparèrent avec la promesse de se revoir le lendemain matin. On ne se doutait aucunément du dénoue- ment qui était préparé.

Saint-Just et Lebas, informés que Schneider, accusateur près le tribunal révolutionnaire, ex-prètre, et sujet de l'Em- pereur, s'est présenté aujourd'hui dans Strasbourg avec un faste insolent, traîné par six chevaux et environné de gardes, le sabre nu, arrêtent: qu'il sera exposé demain, depuis 10 heures du matin jusqu'à 2 heures après midi, sur l'écha- faud delà guillotine, à la vue du peuple, pour expier l'insulte faite aux mœurs de la République naissante ; et sera ensuite conduit, de brigade en brigade, au Comité de salut publique de la Convention nationale. Le général Dièche est chargé de l'exécution, et en rendra compte demain à 3 heures après midi.

Dans la nuit du 14 au 15, notre nouveau marié avait à

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peine pris possession du lit conjugal, que la gendarmerie -vint lui signifier de le suivre. On le conduit à la prison mili- taire des Ponts-Couverts, il fut jusqu'à midi, lorsqu'un détachement de troupes à pied et à cheval le conduisit à la Place-d'Armes, au pied de la guillotine. Il monta les marches de Téchafaud d'un pas assuré, sans savoir ce que l'on ferait de lui, et comme la multitude lui criait: «A bas l'uniforme» dont il était affublé, «à bas la cocarde», il répondait par le cri de vive la République. Impatient et plein d'amer- tume, il jeta son manteau et se livra au bourreau qui l'attacha au poteau de cette môme guillotine où, sur sa proposition, tant de têtes innocentes avaient été abattues.

C'est dans cette position qu'il servit de point de mire à la populace et aux gamins des rues, qui le bombardèrent de pommes, de boue et de pierres. Toute la ville accourut pour contempler ce spectacle et pour voir ce misérable, cause de tant de maux et de misères.

Ce n'est qu'à 2 1/2 heures, que, détaché de la guillotine, mis dans une voiture, les fers aux pieds, escorté de gen- darmes, on le conduisit à Paris, il arriva six jours après à la prison de l'Abbaye.

18 décembre. Sa sœur s'adresse à Saint-Just :

La soeur profondément éplorée du malheureux Schneider se présente devant Toi. Tu es représentant d'un peuple juste et noble. Si mon frère est innocent, défends-le, c'est Ton devoir; serait-il tombé dans l'erreur, soutiens-le et ne le laisse point tomber; car Tu dois le savoir, ses intentions furent toujours bonnes et honnêtes; est-il criminel! oh, permets alors que je le pleure. J'ai fais mon devoir comme sœur, fais le Tien comme républicain; moi, je ne puis rien faire que pleurer Toi. Tu pourras agir. Vive la République! Vive la Constitution!

Pour toute réponse, Marianne fut mise en prison le len- demain, 19 décembre, comme étrangère, et n'en sortit qu'après la chute de Robespierre, 27 juillet 1794. Dépouillée de tout ce qu'elle avait possédé, elle fut réduite à la plus profonde misère et se vit forcée de retourner en Allemagne, qu'elle, son frère et tant d'autres aventuriers, n'auraient jamais quitter 23 décembre. De l'Abbaye, il s'adresse

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aux Jacobins de Paris, pour leur expliquer sa conduite et implorer leur intervention . Il demande que son affaire soit examinée par le Comité de sûreté générale de la Conven- tion; qu'on le juge s'il y a lieu, ou qu'il soit rendu à la liberté ou guillotiné, réintégré dans ses droits de citoyen ou anéanti 2 janvier 1794. C'est l'Administration du Bas- Rhin qui dépose contre lai devant le Comité de sûreté générale de la Convention nationale, dans les termes sui- vants:

Prendre toutes les couleurs du patriotisme le plus exaspéré ; désunir les vrais républicains sous le grand prétexte du salut public; allumer la défiance du peuple sur ses plus Bincères amis; heurter avec impru- dence les opinions les plus respectables; étouffer le patriote sous le poids prétendu de la vengeance nationale; faire gémir les cachots comblés de victimes malheureuses et innocentes; sacrifier tout à la vengeance personnelle et à ses desseins secrets; exercer cependant, de temps à autre, une justice rigoureuse contre les scélérats reconnus; tel s'est annoncé Schneider dans les pouvoirs qui lui étaient confiés ; tel il a continué l'exercice des fonctions les plus augustes, de la manière la plus odieuse.

Les pouvoirs dont il avait été revêtus, étaient immenses ; mais les les lois, et l'arrêté des représentants en avaient tracé les limites. Chargé de frapper les coupables, de forcer au respect des décrets l'ignorance du peuple et la scélératesse des malveillants, d'avoir continuellement les yeux ouverts sur les précipices que le crime creusait à la liberté, de protéger l'innocence et le patriotisme contre les pièges de l'aristo- cratie, du feuillantisme ou du despotisme coalisé ; s'il eut rempli ces devoirs, il aurait bien mérité de sa patrie : mais non; cet étranger que la rage de nos ennemis parait avoir vomi sur la terre de la République pour la couvrir de ses prisons homicides, n'avait point de patrie chez nous; le crime l'enfanta, le crime le nourrissait.

Ce n'est point sans un frémissement douloureux au sentiment, que nous remplissons la tache pénible de faire l'énumération des forfaits de ce prêtre autrichien.

Il fallait sans doute pour les projets de cet homme fécond en scélé- ratesse, qu'il cherchât à détruire la liberté par la liberté, qu'il abusât monstrueusement des mesures révolutionnaires créées pour sauver le peuple.

Non seulement il établit des taxes arbitraires sur les citoyens, sans aucune délégation qui lui en donnât l'autorité, se jouant avec un plai- sir funeste de leur fortune et de leur vie, il voulait satisfaire en même temps et sa soif du sang français et sa cupidité pour les richesses. Au-

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cuns moyenB n'échappaient à sa rage : tantôt ses fidèles et nombreux émissaires, la menace à la bouche et la rage dans le cœur, forçaient à la fuite une famille paisible et vertueuse, pour avoir un droit à ses pro- priétés abandonnées ; tantôt lui-même frappait ouvertement ses victimes.

Egalement implacable dans sa haine, comme effréné dans ses débauches, la modeste innocence était forcée de s'abandonner à sa cri- minelle luxure, bientôt elle périssait sous un coup d'autant plus assuré, qu'il était alors dirigé par un fonctionnaire public. '

Ces taxes perçues sous des augures aussi odieux, indécemment cumu- lées, préparaient les richesses futures de cet homme avide. Une faible portion en était versée dans la caisse du receveur particulier; 1 on voulait Bauver quelques légères apparences pour tromper avec plus de sûreté ; mais aucun compte n'était rendu, aucune trace n'était recueillie de la nature et du montant des contributions ; peu de quittances étaient remises aux malheureux que l'on venait de dépouiller, ou, si l'on vou- lait quelques fois sacrifier cette formalité, elles portaient toujours une somme inférieure à la valeur extorquée. Le peuple souffrait de ces vexations criminelles; mais la crainte avait glaçé ses sens; il aurait tbut donné pour ne point être dévoré par ce monstre; semblable à ces innocents et timides Américains, qui portaient l'or aux chevaux des féroces Espagnols.

Si ces violences exercées sur les fortunes paraissaient satisfaire à l'avidité de ce nouveau Cortez, elles ne remplissaient point encore son véritable but: il voulait opérer une désorganisation entière. Foulant aux pieds toutes les lois, toutes les autorités, tous les principes; il des- tituait à son gré, et d'un trait de plume, les municipalités, les juges de paix; ce n'était point encore assez, il les remplaçait par des prêtres, par des étrangers, tous ses complices.

Faudra-t-il dépeindre cet homme insultant au malheur des infortunés qu'il venait de dépouiller de leur bien, ou de condamner à la mort; poursuivant ces derniers jusque sous le couteau de la guillotine, exer- çant contre eux tout le venin de sa langue impure et meurtrière; s'enrichissant, s'entourant de leurs effets les plus précieux ou les plus convenables à ses fantaisies ; savourant avec un plaisir monstrueux le spectacle de la dépouille de la mort; ce n'est qu'un pinçeau trempé dans le sang, ce n'est que le pinçeau de Schneider qui pourrait tracer avec vérité un tableau aussi révoltant.

Qu'on ne cherche point danB les archives du tribunal révolutionnaire les traces de toutes ces iniquités, de tous ces crimes. Schneider diri- geait tous les jugements, il n'en était tenu aucuns registres : le temps qu'il aurait employer à leur rédaction, aurait été un temps perdu pour ses vengeances.

1 Blanchot accuse 895,5*9 livres.

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REVUE D'ALSACE

Nons passerons même Bar l'entrée indécente et triomphale qne ce prêtre étranger fit à Strasbourg, traîné dans un char superbe, attelé de six chevaux, et escorté par vingt-cinq cavaliers, tenant le sabre en main. Après avoir foulé aux pieds pendant si longtemps tous les senti- ments de la nature, pouvait-il respecter encore les principes de l'heu- reuse égalité?

Mais que dirons-nous du parti redoutable qu'il avait formé de ce tas d'étrangers qu'il avait appelés en France, dont il s'était fait une meute fidèle et obéissante ; de l'accaparement de toutes les places administra- tives et judiciaires, qu'il avait données ou fait donner à ses dociles créatures; du despotisme qu'il établissait, et par lui-même et par ses valets, sur tous ce qui respire dans le département; des menaces de sang que se permettaient quelques-uns de ses indiscrets favoris?

Quelque fécond, quelque exercé que fut cet homme dans la consom- mation du crime, quelques ressources que lui offrit son esprit machia- W- liste, il sentait qu'il ne pouvait jamais suffire seul à l'immensité et à la hardiesse de ses projets. Il lui fallait des associés, il les trouva bien- tôt Les scélérats se connaissent d'un coup d'œil, et le forfait les unit étroitement. Quelques-uns se sont soustraits par la fuite au juste chati* ment qui les attendait, emportant avec eux le fruit de leurs vols et de leurs rapines.

6 février. Il écrit une longue lettre à Robespierre aîné, pour le prier de hâter son jugement; mais principalement pour protester contre une partie de son rapport, sur les principes de morale politique, dans lequel Robespierre disait :

Vous ne pourriez jamais imaginer certains excès commis par des contre-révolutionnaires hypocrites, pour flétrir la cause de la Révolu- tion. Croiriez-vous que dans les pays la superstition a exercé le plus d'empire, non content de surcharger les opérations relatives au culte, de toutes les formes qui pouvaient les rendre odieuses, on a répandu la terreur parmi le peuple en semant le bruit qu'on allait tuer tous les enfants au-dessous de dix ans et tous les vieillards au-dessus de soixante- dix ans? que ce bruit a été répandu particulièrement en Bretagne et dans les départements du Rhin et de la Moselle? C'est un des crimes imputés au ci-devant accusateur public du tribunal criminel de Stras- bourg. Les folies tyranniques de cet homme rendent vraisemblable tout ce que l'on raconte de Caligula et d'Héliogabale ; mais on ne peut y ajouter foi, même à la vue des preuves. Il poussait le délire jusqu'à mettre les femmes en réquisition pour son usage : on assure même qu'il a employé cette méthode pour se marier. D'où est sorti tout à coup cet essaim d'étrangers, de prêtres, de nobles, d'intrigants de toute espèce,

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LES HOMMES DE LA RÉVOLUTION

283

qui au même instant s'est répandu sur la surface de la République, pour exécuter au nom de la philosophie, un plan de contre-révolution, qui n'a pu être arrêté que par la force de la raison publique.

26 février. Le Directoire du Bas-Rhin adresse une lettre au Comité de Salut public de la Convention nationale, en réponse aux répliques de Schneider à Robespierre, du 6 de ce mois, ainsi conçue :

Tout couvert de ses crimes, il vient encore de mentir à l'univers du fond de sa prison. Constant dans ses perfidies, il emprunte le langage de l'innocence foulée ; il crie à l'oppression, à l'injustice. Ne vous y trompez pas, la candeur est sur ses lèvres, mais la rage et la mort sont dans son âme : c'est un reptile qui embrasse étroitement sa victime, et qui déjà a choisi l'endroit fatal auquel il destine son dard meurtrier.

Puis vient la nomenclature de ses crimes et forfaits :

Sa doctrine était de perdre la République par la République, dissé- miner le germe de la guerre civile, attiser le feu du fanatisme, prêter des armes à l'aristocratie contre le patriotisme, répandre partout une terreur meurtrière, bouleverser tout, persécuter tout, créer les haines et les divisions, avilir la représentation nationale du Bas-Rhin, et ne frapper que les personnes qui n'étaient point assez riches pour acheter ses jugements et intéresser sa cupidité, ou qui n'étaient point assez séduisantes pour allumer sa luxure, ou assez viles pour s'y abandon- ner, etc., etc.

Schneider releva cette accusation et envoya à ses amis de Strasbourg copie de sa réplique pour la faire imprimer; mais personne ne voulut s'en charger, ce qui lui donna l'idée de la faire imprimer lui-même, sous le titre: Aux hommes libres de tous les pays et de tous les siècles. On en était à l'impression de la dernière page quand la brochure fut dénoncée. De là, défense à tous les prisonniers de l'Abbaye d'écrire, et quelques jours après, il fut transféré à la Force 6 mars. Il est interrogé 11 mars. Au Club des jacobins à Strasbourg on lit une dépêche du Comité de sûreté générale de la convention, demandant à la Société des renseignements sur la conduite de Schneider ; la dis- cussion s'ouvre sur cet objet, et l'on est d'accord pour ne reconnaître en lui qu'un monstre, qu'un ennemi de la chose publique, qu'un homme, enfin, souillé de tous les

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REVUE D*ALSACE

crimes 1" avril. Après avoir entendu l'accusateur public, A. G. Fouquier, et le défenseur officieux, les débats furent clos; les jurés le reconnurent unanimement coupable; le le tribunal prononça la peine de mort, avec confiscation de sa fortune au profit de la République. Alors il se lève et dit à ses juges :

Vous ne pouviez pas faire un plus grand plaisir aux ennemis de la France, qu'en m'envoyant à la mort.

Sa tète tomba le môme jour.

Du 29 octobre au 13 décembre 1793, il lit guillotiner trente- et-une personnes, dont vingt-et-une à Strasbourg et dix au dehors. L'encrier et la plume, dont il se servait à cette occa- sion, se trouvaient à la Bibliothèque de Strasbourg.

D'après Ristelhueber, il aurait été nommé curé d'Ober- bronn à l'époque de son arrivée à Strasbourg, 12 juin 1791 .

Etienne Barth.

(A suivre.)

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

I

Histoire de l'Abbaye de Senones. Manuscrit inédit de Dom Calmet à la bibliothèque de Saint-Dié, publié aux frais de la Société philomatique vosgienne et par les soins de M. F. Dinago, avocat à Saint-Dié Saint-Dié, imprimerie de L. Humbert, 1877-1882 1 vol. in-8° de 43» pages.

Les manuscrits de Doin Calniet, qui sont à la bibliothèque de Saint-Dié, étaient connus depuis longtemps de quelques hommes d'étude et de quelques curieux. Bien que dans l'esprit de ceux-ci, ces manuscrits ne s'élèvent pas toujours à la hau- teur des connaissances modernes, ils n'étaient pas moins considérés comme des documents dont la divulgation était désirable. Il fallait, pour les répandre dans le domaine public, la formation de la Société philomatique vosaierme par l'un des plus anciens collaborateurs de la Revue d'Alsace et le concours ardent d'un jeune avocat de Colmar que l'émigra- tion a tixé au siège de cette société. Grâce à ces deux cir- constances les manuscrits, dont il est question, se trouvent aujourd'hui définitivement tirés de l'oubli dans lequel ils étaient menacés de demeurer.

Nous ne sommes pas en situation de contrôler la valeur historique du manuscrit de Dom Calmet; mais nous devons présumer que, même en le considérant comme première ébauche, ce document est le plus complet que la science pos- sède sur l'histoire de l'une des plus anciennes et des plus célèbres maisons religieuses de l1 Alsace-Lorraine.

Dom Calmet fut l'un des derniers abbés de cette maison : pour écrire son histoire, il avait préalablement, comme il le dit dans sa préface, «recueilli les monuments historiques et les titres» qui la concernent et qui se trouvaient en grand nombre aux archives de l'abbaye. La chronique de Richer,

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REVCE D'ALSACE

connue de tous les historiens, a été religieusement consultée par Doin Calmet, mais ce n'est pas à cette importante source qu'il a puisé les principaux éléments de l'histoire particulière de l'abbaye. Dora Barthelemi Claudon et Dom Jeannin en avaient rassemblé les matériaux essentiels que Dom Calmet a utilisés, augmentés et coordonnés pour écrire la monogra- phie dont il s'agit En l'éditant, M. Dinago et la Société philo- matiqiie vosgienne ont rendu un réel et louable service à la science historique de nos contrées de l'Est

II

Mémoire présenté au grand-bailli d'Alsace sur une insur- rection survenue à Colmar en 1424, publié par M. X. Moss- Btura, pour faire suite à ses recherches sur la constitution de la commune Colmar, imprimerie de J.-B. Jung et O 1882 In-8° de 28 pages.

M. Mossmann a découvert aux archives de la ville de Col- mar, dont il est le vigilant et dévoué conservateur, un mémoire qui est le récit officiel d'une émeute populaire dont l'ancienne ville impériale fut le théâtre en 1424. M. Mossmann considère, avec raison, cette pièce comme «faisant partie intégrante de nos annales» et il faut le remercier de l'avoir fait imprimer avec une excellente analyse en regard. Ce document répand la lumière sur une effervescence populaire dont la cause était jusqu'à ce jour diversement comprise par les annalistes qui ont eu à s'en occuper.

Parti en guerre avec le palatin Louis et autres seigneurs, avec d'autres villes impériales parmi lesquelles la République de Strasbourg, avec les évêques de Strasbourg, Cologne, Wurtzbourg, etc., contre le margrave, Bernard Ior, de Bade, le contingent colmarien occasionna à la ville, dont les finances étaient déjà en mauvais état, des dépenses auxquelles il fallut pourvoir au moyen de YOhmgeld ou l'impôt sur le vin. Procé- dant alors comme on procéderait aujourd'hui, le magistrat décida que la noblesse et les couvents de la ville y seraient soumis comme le reste de la population. Les corps de métiers avaient accepté l'impôt Une partie de la noblesse et des reli-

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

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gieux donna le signal de la résistance en ce qui les concernait et le signal descendit aussitôt dans le populaire, les labou- reurs et les vignerons notamment II dégénéra en sédition qui aboutit au meurtre de l'un des membres les plus marquante du magistrat, à la déposition révolutionnaire des autres repré- sentants de l'autorité et finalement à l'intervention du Land- vogt ou bailli provincial dont les résolutions ne furent pas sans conséquences sensibles pour la réforme du régime inté- rieur de l'ancienne ville libre et de son droit municipal. C'est surtout à ce point de vue que le mémoire a paru intéressant à M. Mossmann pour compléter ses études antérieures sur la commune de Colmar.

m

Der alte Adel im Oberelaass La vieille noblesse de la Haute-Alsace, par J. Kindlbr von Knobloch Berlin, impri- merie de Jules Sittenfeld, 1882 In-8° de 114 pages avec 7 planches d'armoiries et de sigiles-

Que dire de ce recueil, sinon que c'est une aride nomen- clature de familles, plus ou moins nobles, plus ou moins priviligiées qui, au moyen âge, ont généralement adopté le nom des lieux, des bourgs, des villages elles jouissaient de leurs privilèges, elles avaient fixé leur résidence. La matière de cette compilation, attentive et patiente, se trouve dispersée dans nos chroniques alsaciennes, dans nos histoires générales de la province, dans nos histoires locales, dans la Diplomaticaàe Schœpfiin, dans les cartulaires de nos anciennes maisons religieuses, dans les monuments de l'histoire de l'ancien évêchê de Baie, dans nos archives, dans quelques collections particulières et surtout dans le Dictionnaire topographique du département du Haut-Rhin, de G. Stoffel.

Nous sommes incompétent pour juger de la valeur héral- dique du travail de M. Kindler. Ce n'est donc pas à ce point de vue que nous voulons en dire quelques mots.

Extraire de nos livres et de nos archives des matériaux d'une espèce déterminée, les utiliser ensuite pour arriver à la construction méthodique d'une publication pouvant servir de

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guide pour des recherches ultérieures, est une besogne aussi ingrate que méritoire. M. Kindler Ta accomplie avec succès en ce qui concerne l'ancienne noblesse de la Haute-Alsace. Il faut l'en féliciter. Son livret figurera avec avantage dans nos collections comme première synthèse nobiliaire des nom- breux livres et documents qu'il a consulter.

IV

Mentionnons pour termine? ce bulletin trimestriel, une plaquette de vingt pages qui a pour titre : U archéologie et les beaux-arts dans V arrondissement de Saint-Dié, par Henri Bàhdy, président de la Société philomatique. C'est dans ce cadre restreint que, dans la réunion générale de la Société de l'année courante, le président a condensé un aperçu sommaire des principales antiquités de l'arrondissement et des objets d'art qui y sont conservés ; puis du même auteur, une note sur la composition chimique de quelques eaux de puits de Raon- l'Etape et dont la conclusion proscrit l'usage de ces eaux dans une ville qui, comme Raon-l'Etape, est pourvue de fontaines publiques fournissant des eaux de source d'une pureté et d'une qualité irréprochables.

V

Signalons enfin une excellente notice de M. A. Benoit sur le Château de Vie au xvir* siècle, écrite à propos du poème de Duclos 'Les guerres paroissiales de Vie*. Ancienne demeure féodale des évôques de Metz, ce château fut abandonné par ceux-ci lorsque la ravissante résidence de Frescati fut élevé dans le voisinage de la ville épiscopale. Il n'abrita plus qu'acci- dentellement de grands personnages jusqu'à son abandon et à sa ruine. C'est dans ce château cependant qu'en 1725 Marie Lecszinska passa la première nuit de son voyage de Stras- bourg à Paris pour joindre son royal époux. Il servit ensuite de caserne, puis d'écoles communales et fut enfin condamné à disparaître tandis que tant d'autres édifices seigneuriaux furent convertis en établissements industriels. Sic transit gloria domini.

Frédéric Kurtz.

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L'ALSACE ARTISTIQUE

Sous ce titre, la Revue d'Alsace publiera successi- vement plus de cent quarante notices concernant des artistesalsaciens des temps reculés et de l'époque contemporaine. Elles ont été rédigées par M. P.-E. Tueflerd, un des anciens collaborateurs de [& Revue. Il en sera fait un tirage à part restreint, avec dédicace et préface. Ce tirage formera un fort volume à la disposition des amateurs.

OTTFRID DE WISSEMBOURG

Miniaturiste (820-869)»

La célèbre abbaye bénédictine de Wissembourg, dont l'ori- gine remonte au vu" siècle (623), fut l'objet de la sollicitude et de la générosité des empereurs et brilla par son école qui fut Tune des plus anciennes et des plus renommées de l'Alle- magne. Cette école était déjà florissante au vin' siècle et fut surtout illustrée par le poète et peintro miniaturiste Ottfrid, qui vivait au siècle suivant, du temps de l'abbé Grimaldus. Selon Trithème {Chronicon Hirsaugiense), Ottfrid commença à se faire connaître par ses écrits dès 843 et ne mourut qu'après 869, année pendant laquelle il mit la dernière main à son Christ.

1 Ouvrages consultés : Gérard, Les Artistes de l'Alsace jKndant le moyen âge. T. I, p. 17 et suiv. ; M. E. Muntz, Dequel'utes Monument» d'art alsacien conservés à Vienne (Hevue d'Alsace, 1872); etc.

Nouvelle Sene. il- année. 19

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2W REVUE d'aLSACK

Arnold, le populaire auteur du Lundi de Pentecôte, dit qu'Ottfrid s'était voué très jeune à la vie monastique dans l'abbaye de Wissembourg, près de laquelle il avait reçu le jour. Ce qu'il y a de certain, c'est que les dates précises de sa naissance et de sa mort sont inconnues. Il fit "ses études dans l'école monastique de Fulda, sous la direction du savant Ilaban Maur, qui devint archevêque de Mayence. C'est dans cette école qu'il fut initié probablement à la peinture en miniature par les moines peintres Brun et Rudolphe et par l'abbé Hatto Bonosus. Ottfrid étudia aussi à Constance et y reçut les leçons de l'évêque Salomon. Plus tard, il devint directeur des célèbres écoles de Saint-Gall, la sculpture et la peinture en miniature étaient cultivées avec succès. 11 se retira définitivement à Wissembourg, dont il dirigea l'école qui jouissait d'une grande renommée. C'est là, dans cette abbaye, que, pendant ses loisirs, il composa les œuvres qui ont fait passer son nom à la postérité.

Son ouvrage le plus considérable, et qui seul est parvenu jusqu'à nous, le Cîirist, est l'un des premiers monuments de la langue germanique. Il est divisé en cinq livres : L La Nativité; Saint Jean-Baptiste; II. La Réunion des premiers disciples; les Premiers miracles; la Propagation de la doctrine; III. Le Récit des miracles éclatants qui ébranlèrent la vieille joi des Juifs ; 1 V. La Passion; V. La Résurrection ; V Ascension; le Juge- ment. Si Ottfrid n'a pas fait correspondre son œuvre à celle des quatre Evangélistes, et si, au lieu de quatre chapitres, il Ta divisée en cinq, c'est, dit-il, parce que l'homme a cinq sens et que lui, Ottfrid, veut les corriger. Le poème est écrit en strophes formées chacune par deux vers. La rime réunit inva- riablement ces deux demi-vers. Ottfrid a adopté ce genre de rime, soit qu'il l'ait trouvé déjà existant dans la poésie popu- laire de l'Allemagne, soit qu'il l'ait emprunté aux langues romanes.

Nou.s n'avons pas à nous occuper du mérite littéraire de

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i.'alsack artistique 291

cette œuvre; nous ne l'apprécierons qu'au point de vue des miniatures qu'elle renferme et nous nous servirons de l'étude que M. E. Muntz en a faite de visu dans la Bévue d'Alsace, année 1S72.

Les dessins qui ornent le poème du Christ, conservé à la bibliothèque impériale de Vienne, sont au nombre de quatre. « Le premier, dit M. Muntz, représente une sorte de labyrinthe rond, agrémenté de tons rouges, jaunes et violacés. Il n'offre aucun intérêt, soit artistique, soit archéologique. Le second célèbre Y Entrée du Christ à Jérusalem. Le Sauveur est monté sur une ânesse qui s'avance d'un pas majestueux; il est légè- rement courbé et tient d'une main les rênes de sa monture, tandis qu'il bénit de l'autre. Derrière lui, à gauche, on voit huit têtes d'apôtres nimbées, tracées avec une encre différente et appartenant à un autre type que le reste des personnages de cette scène. A droite, le peuple est figuré par deux groupes composés de cinq individus chacun: ceux du premier plan agitent des palmes et jettent devant le Christ des tapis ou des vêtements ; ceux du second rang sont rangés près d'un temple d'une construction fort originale (rappelant un modèle grec ou byzantin), sur le bas duquel une main inconnue a écrit 16-15; ils s'avancent également à la rencontre du Messie avec des palmes à la main. Toutes ces figures sont incolores, à l'exception de trois d'entre elles qui ont des draperies gros- sièrement peintes en vert ou en rouge; les nimbes de quel- ques-unes des têtes d'apôtres, placées derrière le Christ, sont également verts.

«Sur le verso de cette feuille se trouve le troisième dessin, la Cène. Le Christ, assis au bout d'une table elliptique, donne sa bénédiction aux apôtres qui forment un groupe compacte à quelque distauce de lui. Dès l'abord, on est frappé de l'ana- logie que le type des figures de ce troisième dessin, ainsi que la couleur de l'encre qui a servi à leur exécution, présentent avec les têtes nimbées de la page précédente; et en les exa-

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21*2 REVUE D'ALSACE

minant de plus près, on arrive à cette conclusion: que les huit têtes nimbées d'apôtres de rentrée du Christ à Jérusalem et la Sainte-Cène tout entière proviennent de la môme main ; qu'elles appartiennent à une autre main et à une autre époque que le reste du manuscrit.

«A ne consulter que les apparences, en voyant le dessin plus rude, les contours plus pâles et plus vacillants, l'ensemble plus barbare, on pourrait croire que la partie la plus ancienne de ces dessins est celle qui se compose des têtes nimbées et de la Cène. Mais si l'on se rapelle la décadence extraordinaire qui suivit la renaissance si courte provoquée par Charlemagne, ou acquiert la conviction que Y Entrée du Christ à Jérusalem est l'œuvre de L'illustrateur primitif.

«On est surtout confirmé dans cette opinion par l'étude de la quatrième et dernière miniature, la plus parfaite et, sans contredit, celle qui est vraiment contemporaine du manuscrit. Elle représente le Christ en croix. Le divin supplicié, attaché par quatre clous (au lieu de trois), vit encore ; il parle à sa mère et au disciple bien-aimé placés auprès de lui. Des plaies de ses pieds, juxtaposés et non superposés comme dans les peintures postérieures, s'échappent deux filets de sang qui retombent dans un vase à deux anses, d'une construction régulière, sinon élégante. Eu haut, au-dessus des bras de la croix, on aperçoit deux figures encadrées chacune dans un disque et représentant le soleil et la lune, en train de se voiler la face avec un pan de leur manteau. Cette fois-ci, la minia- ture est achevée. Une couche de peinture, d'un ton sale, fixée , d'après toutes les apparences au moyeu d'une solution goni- meuse, couvre la totalité du dessin. Le violet, le vert, le vert pâle, le rouge brique en font les frais.

«Si nous envisageons maintenant l'ensemble des illustra- tions du Christ, nous sommes avant tout frappé de l'abseuce absolue d'ornements, de L'imperfection de la main-d'œuvre, du caractère général de pauvreté et de barbarie. Que nous

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I.'ALSACE ARTISTIQUE 293

voilà loin des initiales brillantes et si variées de la collection des canons de l'Eglise, faite en Alsace môme, en 788, par les ordres de Tchèque Racchio, de Strasbourg! Que nous voilà loin de la splendeur des manuscrits de style anglo-saxon pro- venant de l'abbaye de Wissembourg, peut-être contemporains du Christ (conservés aujourd'hui dans la bibliothèque de Wolfenbuttel) 1

«Le Christ, d'une infériorité si saisissante et même d'une nullité absolue sous tous ces rapports, se relève par l'impor- tance qu'il accorde au corps humain et par ses réminiscences imparfaites, mais non méconnaissables, de l'art chrétien pri- mitif. Si la structure de ces figures est défectueuse, si les torses manquent (le cou du Christ, par exemple, se rattache directement au bras, sans indication d'épaules), si les extré- mités nous choquent par leur lourdeur et leur gaucherie, si l'expression enfin ne brille que par son absence, on rencontre du moins çà et quelques traits heureux, quelques joyaux épargnés par le flot de plus en plus envahissant de la barbarie. On dirait un de ces camées antiques enchâssés dans les flancs d'un reliquaire ou d'un ciboire, au milieu des monstres les plus hideux du moyen âge. Citons parmi ces épaves le vase placé au pied du crucifix, les draperies de saint Jean. L'atti- tude de la Vierge ne manque pas non plus d'une certaine poésie, quoique les plis de ses vêtements l'embarrassent et l'alourdissent singulièrement

«Le type de la plupart de ces figures se rapproche du type byzantin, notamment dans les personnifications du soleil et de la lune, ainsi que dans la peinture de l'Anesse montée par Jésus-Christ; mais en général les traits sont plus grossiers. Le costume des Juifs qui vont à la rencontre du Sauveur, offre également de grandes analogies avec celui de différents manuscrits grecs de la bibliothèque de Vienne. Il se compose d'une tunique descendant à mi-jambe et nouée lautour des reins par une ceinture.»

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UF.VUK DAl.SACK

M. Muntz se demande enfin s'il faut admettre avec Wagen, qu'Ottfrid est l'auteur de l'Entrée de Jésus à Jérusalem et du Crucifiement ; il conclut négativement en disant qu'il serait singulier qu'il se fut si complètement soustrait à l'influence des enlumineurs de saint Gall, qui brillèrent d'un vif éclat pendant le ix* siècle, et au milieu desquels il séjourna un certain temps. Et il ajoute que, si Ton ne peut déterminer l'auteur de ces miniatures, il est cependant permis d'affirmer que celles-ci ont été exécutées à Wisscmbourg.

LE MOINE WILLO

Orfèvre (xi° siècle) 1

Le xF siècle fut marqué par un mouvement considérable dans Part de l'orfèvrerie, principalement en Allemagne et dans la vallée du Rhin. Cette renaissance partielle fut provo- quée par la princesse byzantine Théophanie, tille de l'empe- reur Romain II et épouse d'Otton II, et par saint Beruward, évêque de Hildesheim. Les plus beaux produits de l'orfèvrerie du moyen âge étaient les couronnes-lustres ou couronnes de lumière qui servaient à éclairer entièrement les églises. En Alsace, il y avait celle de Wisscmbourg, attribuée faussement au roi Dagobert; elle avait dix-huit pieds de diamètre et était formée d'un cercle de fer recouvert de lames d argent doré et garni de vingt-quatre tourelles en vermeil, alternativement rondes et carrées, découpées et ciselées et soutenant les statuettes en argent des apôtres. On remarquait encore en Alsace la couronne-lustre de l'abbaye de Munster qui, fausse- ment aussi, passait pour un présent de Dagobert.

Le premier orfèvre de l'Alsace est Willo, qui vivait au xr siècle. Il était moine dans l'abbaye bénédictine de Murbach.

1 Ouvrages consultas : Gérard, Les Artistes de VAhace au moyen âge, etc.

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L'ALSACE] ARTISTIQUE 295

C'est là, d'après ce que rapporte la chronique d'Ebersmtinster, qu'il ciselait et dorait si merveilleusement des vases de cuivre et d'étain, que l'empereur Henri III, dit le Noir, ne se faisait pas de scrupule de donner en cadeau à ses vassaux et h ses courtisans, comme s'ils eussent été d'or. Martènc rapporte1 que ceux-ci s'étant aperçus de cette tromperie et n'osant pas s'en venger, résolurent de tuer Willo qui résidait à sa cour, et qui, probablement, était bien innocent de ce qui avait eu lieu. Mais Henri III, ayant eu connaissance du complot, afin de soustraire le moine à la mort dont il était menacé et peut- être aussi atin de le récompenser de son talent, l'intronisa de force sur le siège abbatial d'Ebersintinster auquel les moines avaient élu un autre abbé.

Arrivé dans ce couvent, en de telles circonstances, Willo y fut fort mal accueilli; pendant douze années ce ne furent que luttes et querelles entre lui et les religieux. Ceux-ci l'ayant surpris dans la cave brisant le vase servant à mesurer le vin, le battirent violemment et le chassèrent du monastère. Il se plaignit à l'empereur qui ordonna à Hetzelon, évêque de Strasbourg, de le réintégrer dans ses fonctions. Willo rentra donc à Ebersmunster; mais un beau jour, en 1051, il quitta furtivement le monastère, emportant les ornements et une partie du trésor de l'église. Il se réfugia à Worms, il dissipa le produit de ses vols. Telle fut, au dire de Grandidier,1 la vie de cet artiste distingué et de ce mauvais moine.

La chronique d'Ebersmtinster rapporte que la couronne que portait l'anti-césar Rodolphe, duc de Souabe et d'Alsace, élu empereur en 1077 avait été faite dans cette abbaye. Ce fait semble indiquer que Willo avait formé des élèves dans ce couvent et .y avait laissé une tradition.

Dans un des comptes de l'hôtel de Philippe le Bon, duc de

' Thès. anecd.

r Opuvres inéditos,

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2% REVliE D'ALSACE

Bourgogne, de Tannée 14G7, se trouve mentionnée une pièce d'orfèvrerie en ces termes : «Une coquille de Willo, garnye d'argent doré». Provenait-elle de l'orfèvre d'EbersmunsterV C'est ce qu on ne peut affirmer. «

HERRADE DE LANDSPERG

Miniaturiste (1135-1195)'

La montagne la plus célèbre de l'Alsace est, sans contredit, celle de Hohenbourg, Sainte-Odile, la fille du duc Ehicon, construisit un monastère vers la tin du vu* siècle. Parmi les abbesses qui lui succédèrent, il y en eut une du nom de Relinde, qui cultiva avec succès la poésie et les lettres, dont quelques morceaux sont parvenus jusqu'à nous. Elle en com- muniqua le goût à l'une de ses jeunes compagnes, Herrade de Landsperg, qui devait, en 1167, lui succéder sur le siège abba- tial de Hohenbourg.

Herrade est l'une des plus belles figures du moyen âge; elle fut peintre, musicienne, poète, philosophe, théologienne; il ne lui a manqué que l'auréole de sainte, dont elle possédait toutes les vertus. Il y a eu des noms plus grands, plus écla- tants que le sien; il n'y en a pas de plus purs. L'intérêt qu'inspire cette femme résulte de l'existence isolée qu'elle a eue au sommet d'une montagne, dans une région presque alpestre les bruits du monde, lorsqu'ils montent jusque-là, sont si faibles qu'ils se confondent avec le murmure de la cascade voisine ou avec les gémissements du vent dans les branches de la forêt de sapins ; il résulte surtout du charme qu'on éprouve à rencontrer un être si noble, si cultivé, au

1 Ouvrages consultés : Spach, lettres sur les archives départementales du Bas-Rhin : Huot, Des Vosges au Rhin ; Gérard, Jas Artistes de l'Alsace au moyen Age; J.-J. Meyer, Herrade de Landsperg (Rente i d'Alsace, année 1876); etc.

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milieu d'un monde demi-barbare, en proie à la rudesse, à l'ignorance et aux passions les plus grossières.

Le milieu Herrade a passé son existence a exercer sur sa nature impressionnable et poétique une influence con- sidérable ; mais ce fut à son insu. Qui n'a éprouvé sur les hautes montagnes le sentiment indéfinissable qu'un air plus léger, un horizon plus varié et plus étendu produisent sur nos sens et nos idées? Le sang coule dans les veines avec plus d'abondance et de force, les objets apparaissent sous un aspect nouveau et les pensées semblent se purifier et s'élever sous TinHuenci' mystérieuse de l'atmosphère éthérée qu'on respire. Comme tout ce qui est véritablement beau, le site de Hohen- bourg a captivé et captivera toujours l'homme: panorama admirable, souvenirs historiques et religieux, il offre tout ce qui peut plaire aux yeux et à l'imagination.

Comme son nom l'indique, Herrade appartenait à l'antique et illustre famille de Landsperg, depuis longtemps éteinte, dont les ruines du chAtcau se voient sur la pente de la mon- tagne môme du Hohenbourg. On ignore l'époque exacte de sa naissance, qui remonte probablement entre les années lltfô et 1140. On ne sait pas non plus pour quel motif elle prit le voile ; si ce fut pour obéir à une vocation bien arrêtée, pour fuir les luttes, les passions et les tourments du monde, ou pour satisfaire au désir de son frère Gunther ou de ses parents. Quoi qu'il en soit, elle entra comme novice au couvent de Hohenbourg, dirigé alors par la pieuse Relinde.

Plus tard, devenue abbesse de ce monastère, Herrade donna tous ses soins aux nonnes et à l'établissement dont elle avait reçu la direction spirituelle et temporelle. En 1178, elle fonda près d'Ottrott-le-Haut le prieuré de Saiut-Gorgon, et en 1181 celui de Trauttenhausen au pied de la montagne de Hohen- bourg. Elle entra en rapports d'affaires, pour les biens de son couvent, avec Frédéric IWberousse, les papes, les évôques de Strasbourg, de Lorraine et d'Allemagne et les seigneurs

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alsaciens. Mais, sauf les instants qu'elle consacrait aux intérêts matériels confiés à ses soins, elle employait tout son temps en exercices de piété, à la direction spirituelle de ses com- pagnes et à la culture de la peinture, de la musique et de la poésie. Insensible aux bruits de la terre, plongée dans le calme et la retraite les plus absolus, sous l'empire de visions charmantes et d'harmonies qu'elle croyait venir des cieux, elle composa une œuvre admirable pour l'époque, le Hortus Deliciarum. Ce manuscrit fut pondant des siècles entouré à Hohenbourg d'une vénération très grande et estimé presque à l'égal des reliques auprès desquelles on le conservait pré- cieusement. Il était orné de délicieuses peintures éclataient des couleurs que le temps n'avait pu altérer. Transmis par Hcrrade à ses filles adoptives, sauvé comme par miracle des nombreux désastres qui assaillirent le couvent de Sainte- Odile, recueilli ùn moment par les évêques de Strasbourg, puis par les Chartreux de Molsheim, par la bibliothèque du district républicain, par un abbé, enfin par la bibliothèque de la ville de Strasbourg, dont il était l'ornement le plus beau et le plus précieux, il a été brûlé, comme tout le reste, par les Prussiens, en 1870.

Heureusement que ce' manuscrit inestimable a été l'objet de plusieurs études remarquables: l'une fut publiée à Stutt- gard en 1818 par Eugelhardt, qui l'accompagna de douze planches reproduisant les plus belles miniatures; une autre est due à Lenoble ; une troisième fut insérée par l'archiviste Spach dans ses Lettres sur les archives du Bas-Rhin; une quatrième se trouve dans l'ouvrage du conseiller Huot, inti- tulé Des Vosges au Rhin; une cinquième a paru dans l'ou- vrage de feu Gérard sur Les A rtistes de l'Alsace au moyen âge; une autre, la plus étendue de toutes, est due à la plume de M. J.-J. Meyer, qui l'a insérée dans la Rente d'Alsace, année 1870; enfin, la Société pour la conservation des monuments < historiques de l'Alsace vient de réunir dans une splendide

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publication (1879) les dessins que des amateurs avaient faits des miniatures de ce manuscrit.

Le Hortu* Deliciarum fut probablement commencé par Herrade vers l'an 1155 et terminé en 1180. Cette femme dis- tinguée put jouir pendant de nombreuses années de son œuvre, car elle ne mourut que le 25 juillet 1195, à Page de 70 ans environ. Ses derniers instants furent impressionnés par une scène douloureuse : Sybille, veuve de Tancrède, roi de Sicile, et ses deux hlles étaient venues chercher un asile dans le couvent de Hohenbourg, poursuivies par la haine de l'empe- reur Henri VI, qui s'était emparé de la Sicile et avait fait crever les yeux au fils du monarque défunt.

Herrade avait une sœur, Edelinde, qui, comme elle, prit le voile et devint abbesse de Hohenbourg en Tan 1200. Edelinde se distingua non-seulement par sa piété, mais aussi par ses goûts artistiques. Elle sculpta la Passion du Sauveur et quel- ques scènes de l'Ancien et du Nouveau Testament sur une croix en bois qui ornait, avant 1542, l'abbaye de Nieder- mUnster, et qui se trouve actuellement dans l'église de Molsheim. 1

Il n'entre point dans notre sujet de donner l'analyse de YHortus Ddiciartm, qui était une sorte de résumé de toutes les connaissances de l'époque, destiné à l'enseignement des nonnes de Hohenbourg. Nous n'avons à parler de cette œuvre qu'au point de vue des peintures qu'elle renfermait, qui en étaient le commentaire imagé, et lui assignent le premier rang parmi toutes les productions des miniaturistes alsaciens du moyen âge. A l'époque vivait Herrade de Landsperg, c'est-à-dire au xir siècle, l'illustration des manuscrits était peu pratiquée en Occident; ce n'était guère qu'une pieuse

1 Cette croix, qui porte les signes irrécusables de l'époque byzantine, est en bois de chêne, clic a huit à neuf pieds de hauteur et cinq à six dans la croisée. Des pierres précieuses l'enrichissent, et elle est recou- verte de lames d'argent doré relevées en bosse.

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tradition monastique empruntée aux habitudes de l'Eglise grecque. La foi inspirait les images, comme elle imposait les textes et leur signification religieuse. L'art byzantin avait formulé des règles inflexibles, avait créé des types inaltérables, immuables, éternels ; les figures, les attitudes, l'expression, les emblèmes, les costumes, les couleurs même, tout avait été réglé, fixé, déterminé. L'artiste ne pouvait s'en écarter sans violer en même temps son devoir professionnel et son devoir religieux. La décadence qui avait commencé à se produire à Constantinople, sous le règne de Basile II (995-1025), se fit sentir au xr siècle en Allemagne s'étaient répandus des artistes dégénérés, qui étaient tombés dans le dernier servi- lisme de l'art. Aux principes et aux traditions des écoles de Basile I'r et de Constantin Torphyrogénète avaient succédé le relAchement et l'empirisme d'une nouvelle école qui chaque jour s'éloignait de plus en plus de l'antiquité. Heureusement, qu'à côté de cette école mercantile l'Allemagne avait su en conserver une autre, véritablement nationale, née de la renais- sance carlovingienne et qui continua le mouvement original qui l'avait distinguée. Cette école, peu nombreuse, était plus indépendante, plus fantaisiste; elle composait avec liberté, elle inventait, elle savait allier le sentiment de la vie réelle à la poésie légendaire; elle reproduisait, en les variant, les scènes historiques ou bibliques ; elle n'interdisait pas à l'imagination de concevoir et de produire des sujets et des formes dans une direction et sous une forme nouvelles. Cette école à laquelle appartient Herrade de Landsperg .ne subissait plus, vers le milieu du m- siècle, l'influence byzantine que dans ce qu'elle avait d'heureux et d'utile; elle n'empruntait plus aux peintres orientaux que leurs connaissances techniques, leur entente du dessin, leurs procédés de coloris. Ce libre travail de l'es- prit, cette indépendance de l'artiste, éclatent, comme nous le verrons dans l'œuvre de Herrade. Le nombre des peintures qui ornent l'œuvre d'Herrade est

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considérable ; il s'élève à six cent trente-six, celui des tigures humaines à plus de neuf mille. ' Elles ne sont que rarement placées dans le texte; ordinairement elles occupent toute l'étendue de la feuille de parchemin; certaines pages con- tiennent deux rangs de miniatures, d'autres trois rangs. Quelques compositions sont si développées, que c'est à peine si toute la page est suffisante pour les renfermer.

L'Uistoire-Sainte est traitée très brièvement et ce sont les allégories mystiques qui tiennent le plus de place parmi ses miniatures. Dieu, père de toutes les créatures, les anges, la révolte et la chute de Lucifer et de ses suppôts, surtout ce dernier événement présenté en un endroit comme une des causes qui amenèrent la création de la terre et de l'homme; la Trinité, comme providence agissant dans le monde ; tel est le début de la première partie. Dans les peintures qui l'accom- pagnent on voit les trois personnes de la Trinité, assises Tune près de l'autre sur un banc circulaire et identiquement sem- blables l'une à l'autre, se consulter sur l'éventualité de la création.

L'origine des éléments est empruntée au récit biblique. L'air et l'eau sont représentés sous les traits d'Eole et de Neptune. Tout ce qui a trait à la cosmographie, à l'astronomie et à la chronologie est tiré d'un astrologue anonyme et de YAurea gemma; il en est de même de certaines notions de géographie et de technologie qu'on trouve plus loin. Ces derniers frag- ments sont suivis de miniatures représentant, d'après le système de Ptolémée, les douze signes du zodiaque, les zones, le Soleil dans un char attelé de quatre chevaux, et les divers climats.

Dans l'histoire de la création de l'homme, on voit celui-ci

1 Nous nous somme* servi pour la descriptiou des miuiutures prin- cipalement des articles de MM. Gérard, T. I, p. M etsuiv., et J.-J. Meyer, ouvrages déjà cités.

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représenté sous les formes du microcosme, c'est-à-dire comme un abrégé du monde. L'homme, nouvellement créé, a la tête rayonnante et entouré des sept anciennes planètes ; ses bras sont étendus et un cercle enferme ses jambes ; un monticule, sur lequel une chèvre broute des ronces, figure la terre; les trois autres éléments, l'eau, le feu et l'air, sont représentés dans les angles de la peinture exerçant leur influence sur l'être humain. Les miniatures qui représentent la création d'Adam et d'Eve sont très curieuses ; on voit le Père éternel tenant sur ses genoux une forme humaine ébauchée dans de l'argile jaunâtre et achevant de la modeler; plus loin, il souffle dans sa bouche ouverte pour lui communiquer la respiration; enfin, assis auprès d'Adam endormi, il tient à la main la côte qu'il lui a prise et de laquelle surgit le buste d'Eve naissante.

Vient ensuite l'histoire de la chute de nos premiers parents. On voit l'Eternel les chassant du paradis terrestre ; plus loin, le chérubin qui, les ailes repliées Tune sur l'autre en forme de croix, veille à la porte d'entrée du paradis. Après leur expul- sion, Adam est représenté bêchant la terre avec effort, et Eve filant au fuseau. Ensuite Caïn tue son frère Abel; puis l'arche, la découverte du vin par Noé, l'ivresse de celui-ci et la construction de la tour de Babel.

Puis arrivent les neuf Muses qui sont encadrées dans des médaillons élégants et qui portent le costume des châte- laines de l'époque de Frédéric Barberousse.

Après les Muses vient une miniature allégorique représen- tant la philosophie et les sept arts libéraux. A l'intérieur d'un grand cercle sont inscrites sept arcades byzantines, dans cha- cune desquelles se dresse une femme noblement vêtue : la Grammaire, en rouge, tenant une verge et un livre; la Rhéto- rique, un bleu, avec un style et des tablettes à écrire; la Dialectique, en vert clair, tenant de la main gauche une tête de chien aboyant; la Musique, en carmin, ayant une harpe entourée d'une lyre et d une rotte: l'Arithmétique, en bleu

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clair, avec une corde à compter ; la Géométrie, en rouge, armée d'un compas et d'une règle ; l'Astronomie, en vert foncé, mon- trant d'une main le firmament et tenant de l'autre un boisseau. Au centre du cercle siège sur un large fauteuil la Philosophie vêtue d'une robe violette et d'un manteau de pourpre ; sa tête est ornée d'un diadème duquel sortent trois figures désignées par une légende sous les noms d'Ethique, de Logique et de Hiysique; ses mains tiennent un écriteau à devise; des deux côtés de sa poitrine s'épandent les sources des sept arts libé- raux. Dans la partie inférieure du cercle on voit, assis sur un banc de bois et devant un pupitre chargé d'un livre ouvert, Socrate et Platon. Au-dessous de la page et extérieu- rement au grand cercle se trouvent, dans de riches sièges et devant un livre ouvert, quatre personnages à la physionomie grave, portant leur barbe, en haut-dc-chausses, tunique et chlamyde ; ce sont les poètes et les mages, ayant chacun sur l'épaule un oiseau noir qui semble leur parler à l'oreille et (lui représente un démon. Herrade les a exclus du cycle hono- rable des arts bienfaisants, parce qu'ils ont chanté les exploits des divinités mythologiques, dont elle a peint les figures sur les feuilles suivantes.

Puis viennent les scènes les plus marquantes de la vie des patriarches: Abraham et Loth, Isaac et ses fils, Moïse en Egypte, le passage de la mer ltouge, le séjour des Hébreux dans le désert; leurs diverses stations sont indiquées sous la forme emblématique d'autant de petits châteaux-forts ou d'églises. Les principaux événements des pérégrinations des Israélites sont représentés d'une façon très curieuse; ainsi, dans la scène représentant l'engloutissement de Pharaon dans la mer Rouge, Herrade a donné aux poissons des formes bouf- fonnes et des attitudes plaisantes, comme pour montrer leur satisfaction de la mésaventure arrivée il l'orgueilleux Egyptien. Ailleurs, lorsqu'une colonne de feu ou de nuages indique le chemin aux .Juifs, elle est immédiatement suivie d'un massier

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tenant à la main un gros bâton à pommeau. Plus loin ou voit dans un endroit isolé le tombeau de Moïse, dont Dieu lui- même place le corps dans un cercueil de pierre ; Satan cherche à saisir ce corps par un pied, mais il est repoussé par saint Michel armé d une fourche.

Dans l'histoire des Juges, des Rois et des Prophètes, il y a un tableau remarquable représentant Jouas avalé par une baleine, qui n'est autre qu'une énorme carpe du Rhin. Les douze prophètes sont assis l'un à côté de l'autre et tiennent chacun à la main une bande de parchemin sur laquelle on lit l'une de leurs prédictions. Les visions du prophète Zacharie donnent lieu à une miniature très curieuse : le Christ, malgré l'opposition du diable armé d'une massue, revêt le costume de grand-prêtre; tout auprès, on voit les candélabres à sept branches placés entre des oliviers. Cette miniature, commencée par Herrade, a été achevée postérieurement par une main moins expérimentée.

Au seuil de l'histoire évangélique, entre L'ancienne et la nouvelle loi, Herrade a peint deux allégories mystiques sur l'union des deux Testaments; dans l'une, le personnage prin- cipal, qui est assis, porte deux têtes, celle de Moïse et celle du Christ, et tient d'une main l'aspersoir, symbole de la syna- gogue, et de l'autre la coupe de la Cène, emblème de l'Eglise nouvelle.

Parmi les miniatures qui illustrent la vie du Christ, il y en a de très remarquables. L'une d'elles concerne la généalogie du Messie représentée par un arbre; emblématique planté par Dieu lui-même; à mi-hauteur du tronc, ou voit la hgure d'Abraham au-dessus de laquelle sont représentées les têtes de tous les patriarches, de tous les rois du peuple juif et de tous leurs descendants jusqu'à Joseph, l'époux de Marie; la Vierge est au-dessus de Joseph, et de sa tête sort le Christ ; les patriarches, les rois, les prophètes et le peuple d'Israël sont répandus dans les rameaux; dans la partie supérieure

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apparaît le Sauveur et à ses côtés les apôtres, les papes, le clergé, les rois de la terre et leurs peuples.

Dans la miniature suivante on voit Dieu jeter dans la gueule du Leviathan, image symbolique du monde corrompu, un hameçon dont la partie supérieure figure la croix du Christ, et qui retire du monstre les têtes des patriarches et des pro- phètes.

Dans l'histoire du Christ, nous citerons les miniatures sui- vantes : l'Assemblée des disciples de saint Jean portant des manteaux blancs marqués par devant d'une croix de saint Jean; le Baptême du Christ, scène dans laquelle le Jourdain est représenté sous la forme d'un dieu qui regarde avec éton- nemcnt les portes du ciel ouvertes sur la tête du Sauveur, pendant qu'une colombe descend portant une noie remplie d'huile, dont elle va l'oindre ; la Tentation, l'on voit Satan, revêtu d'une peau verte, s'efforcer de séduire le Christ par des cajoleries bouffonnes, dont le comique est renforcé par les détails grotesques du personnage: nez énorme et retroussé, bouche fendue jusqu'aux oreilles, queue en trom- pette; — la Mort de Lazare et du mauvais riche; l'âme du premier est recueillie pieusement dans un linceul par des anges qui la portent au ciel; taudis que celle du mauvais riche, personnifiée par un uain qui s'échappe de sa bouche convulsive, est saisie et emportée par des démons; plus loin, on voit le mauvais riche couché tout nu au milieu d'un étang de feu et blasphémant dans les tortures de la soif; Lazare, au contraire, repose bien tranquillement sur les genoux d'Abraham.

Dans le songe de la femme de Pilate, Herrade a représenté Satan au pied de cette dame, inspirant et dirigeant le rêve de sang qu'elle fait. Dans le tableau du crucifiement, l'artiste a placé au-dessus du gibet les figures dolentes et voilées du Soleil et de la Lune; le premier, portant la main a sa face, essuie ses larmes; Marie, Jean, le diacre Etienne et le centu-

Nouvelle Sein* - il" anncv. 2"

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rion Longin sont au pied de la croix, se trouve aussi le tombeau d'Adam. Deux figures allégoriques apparaissent en outre dans cette composition; Tune représente l'ancienne Loi, la Synagogue montée sur un fine, les yeux couverts d'un ban- deau, la bannière renversée; elle tient d'une main le bouc d'iniquité de l'ancien Testament, de l'autre main le couteau du sacrifice désormais inutile et inefficace. L'autre figure est celle du Christianisme, de l'Eglise triomphante, assise sur une bête à quatre têtes qui sont les attributs des quatre évnngé- listes; elle porte d'une main la bannière victorieuse et de l'autre la coupe de la Cène, dans laquelle tombe le sang qui s'échappe des lianes du Christ.

On doit signaler encore dans l'histoire évangélique les miniatures suivantes : la descente du Saint-Esprit; la conver- sion de saint Paul ; la compagnie des saintes femmes de la Passion vêtues de l'habit monastique, sous la conduite de saint Jean en costume de moine; le baptême de l'Ethiopienne par saint Paul, emblème de l'accueil que l'Eglise fait aux nations payennes; le Christ couronnant l'Eglise qui. sous les traits d'une femme, s'avance à la tête dos douze apôtres; Jésus chassant du temple les marchands qui personnifient tous les vices qu'on doit bannir de la société chrétienne; Christ sur le pressoir symbolique de la vendange chrétienne ; le lépreux figurant par ses sept plaies les sept hérésies principales qui ont désolé l'Eglise.

La lutte des vertus chrétiennes contre les vices présente un tableau original. Les Vices et les Vertus, dans la tenue de femmes armées, se combattent, les premières avec des lances qui représentent les aiguillons de la tentation, les secondes avec des épées, images de la parole divine. Dans tous ces combats singuliers, chaque Vertu est aux prises avec le Vice correspondant; la victoire appartient toujours à la Vertu qui met à mort son antagoniste. La Luxure seule n'emploie pas d'armes pour combattre; richement vêtue, escortée des autres

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plaisirs et montée sur un char enrichi d'or et de pierres pré- cieuses, elle réussit par ses séductions à déconcerter les Vertus; mais la Chasteté arrive à temps pour les secourir; elle brise le char de la Volupté et de ses compagnes, qui fuient eu jetant leurs parures et leurs armes.

Après cette allégorie arrive une série de miniatures consa- crées à célébrer Salomon: la construction du temple; la visite de la reine de Saba; les vierges de Jérusalem chantant ses louanges devant le roi qui est assis sur son trône: Salomon, emblème du Christ triomphant, reposant sur un lit précieux, symbole de l'Eglise; Salomon célébrant le festin nuptial avec l'Eglise; Salomon assis sur un trône et jetant sa mélancolique exclamation: Vanité des Vanités. Auprès de lui, comme image de la vanité des choses humaines, deux hommes font mouv où- deux marionnettes représentant des chevaliers armés de toutes pièces et se livrant un combat singulier. Immédiate- ment au-dessous, on voit la Fortune, montée sur une roue, qui élève et abaisse les rois tour à tour.

Cette saisissante critique de la vanité des choses humaines avait mis Herrade en veine de liberté. Elle traça une autre composition d'une grande énergie, c'est Y Echelle du Salut qui part du sol et s'élève jusqu'au ciel se trouve la couronne de vie ; le Père éternel, dont la main sort d'un nuage, l'offre aux concurrents, tandis que des démons leur décochent des flèches pour les faire tomber dans la gueule du diable, sous la forme d'un dragon qui se trouve au pied de l'échelle. Malgré l'assistance de quelques anges, les embûches du démon n'ont que trop de succès; l'ermite a préféré la culture de son jardin à la prière et à la contemplation; le chartreux s'est laissé séduire par la jouissance d'un bon lit: le prêtre séculier s'est livré aux plaisirs de la table et de l'amour; la religieuse a été fascinée parla vue des richesses; le chevalier et la noble dame se sont adonnés à l'avarice, à l'orgueil et aux plaisirs de la chair. Tous retombent de l'échelle. Les laïques ne montent pas

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môme aussi haut que les religieux; dès les premiers degrés, le soldat absorbé par le désir de posséder de beaux chevaux, la femme étourdie par le luxe et la vanité, se laissent choir lourdement Seule, la Charité chrétienne atteint le haut de l'échelle et reçoit la récompense céleste.

Une poésie sur les défaillances de la chair, inspirée à Iïerrade par la peinture dont nous venons de parler, lui four- nit l'occasion de reproduire lu mythe homérique des Sirènes en trois tableaux. Dans le premier, ces enchanteresses, ailées, la tête couverte d'un voile, le corps enveloppé d'une longue robe qui ne laisse à découvert que les mains et les jambes terminées par des serres, font tomber, aux sons d'une mélodie délicieuse, l'équipage d'un navire dans un profond sommeil. Dans le second, les sirènes sautent sur le vaisseau, mas- sacrent les matelots endormis et les jettent à la mer. Dans le troisième, Ulysse, monté sur une barque que conduit un moine à la tête rase, arrive au secours de ses compagnons et emploie la ruse habile qui doit rompre le charme des tilles d'Acheloûs.

Après ces tableaux, qui sont une allusion aux périls que l'Eglise a à traverser et que Christ lui fait surmonter pour la conduire au bonheur céleste, Iïerrade a représenté l'Eglise universelle de la manière suivante : on voit la coupe trans- versale d'une église; dans la niche centrale de la partie la plus élevée, l'Eglise siège en reine; des deux côtés de la niche sont assis des papes, des évoques, des prêtres, des moines et des religieuses; la niche au-dessous de la première est occupée par les jeunes tilles de Jérusalem, représentant tous ceux qui sont soumis à l'autorité de l'Eglise; auprès de la niche, on voit d'un côté des pèlerins et des religieux appartenant aux ordres les plus sévères; de l'autre côté, des princes séculiers. Aux portes de l'édifice se tiennent David et Esaïe, baptisés en dehors de l'Eglise. Sur le toit, des anges livrent bataille au démon. Quatre médaillons placés aux quatre coins de l'église renferment les bustes des quatre grands prophètes.

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Cette miniature sert d'introduction à une série de chapitres relatifs à l'Eglise, aux conditions nécessaires à son existence, à ses devoirs et à ses relations.

Herrade consacre une place importante de son œuvre à l'histoire de l'Antéchrist. On voit celui-ci mettre à mort Elie et Enoch, apparus sur la terre peu de temps avant lui. Enivré par les honneurs des peuples et des princes laïcs et ecclésias- tiques, il fait des miracles, précipite le feu du ciel et déchaîne la tempête sur mer; ceux qui ne veulent pas croire en lui sont mis à mort. Mais le châtiment n'est pas loin; au moment où, arrivé au sommet de la montagne des Oliviers, il prétend, comme Jésus-Christ, s'élever vers le ciel, saint Michel apparaît et lui fend la tête. Ses adhérents, reconnaissant alors le néant de son règne, font pénitence, les Juifs se convertissent à l'Evangile et reçoivent le baptême.

Une suite de miniatures occupant plusieurs pages repré- sentent les scènes du Jugement dernier, principalement d'après l'Apocalypse. On voit tout d'abord Jésus-Christ sur un arc-en-ciel qui lui sert de trône; au-dessous et montés sur des roues ailées, des séraphins; plus bas, la croix et les instru- ments du supplice du Sauveur portés triomphalement par les anges sur une espèce de fauteuil. Au pied de la croix le livre de justice est grandement ouvert; à droite et à gauche sont agenouillés Adam et Eve. Plus haut, à côté du Christ, on voit la Vierge et Jean-Baptiste; auprès d'eux des chérubins, puis les apôtres, assis sur un banc et ayant chacun un ange der- rière lui. Plus loin, on voit les morts sortir de leurs tombeaux en entendant la trompette céleste; au-dessous, des animaux féroces rendent les membres des créatures qu'ils ont dévorées. En même temps le ciel et la terre sont en feu et un monde nouveau les remplace, dominé par les différents groupes des élus distribués dans l'ordre suivant: martyrs, papes, évêques et clercs, abbés et moines, pèlerins, veuves, abbesses, reli- gieuses, rois et princes, magistrats, puis la foule des laïques ;

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chacun est accompagné de son ange gardien. Le Christ domine l'heureuse multitude. A gauche de son trône sont les groupes des damnés enveloppés de flammes; d'abord les faux pro- phètes, puis les faux apôtres, les faux papes et évêques, et ainsi de suite dans un ordre analogue à celui des élus; les derniers sont les Juifs et les Payens. v

Le feuillet suivant représente l'enfer; c'est une conception d'une haute fantaisie artistique, en même temps que d'une moralité très saisissante. L'encadrement du domaine infernal est formé par une série de cavernes enflammées brûlent les damnés. Une mer de feu divise l'enfer en quatre étages . En haut, un diable, satisfait et fier de ses travaux, se balance avec gaîté sur une escarpolette ; aux deux bouts de la corde servant à la balançoire, deux grotesques pécheurs sont hous- pillés par des diablotins. Un autro damné, pendu parles pieds» porte attaché à son cou une grosse pierre sur laquelle se balance un démon ricanant. aussi se trouvent les volup- tueux, les libertins, dont le châtiment est d'être mordus et entourés par des reptiles immondes. On y voit un suicidé qui se perce la poitrine d'un couteau. Dans la seconde zone, se trouvent les usuriers que l'on punit en leur versant de l'or fondu sur les mains, et les calomniateurs en les forçant de cares- ser un crapaud; les espions ont les oreilles perforées avec une vrille, les femmes coquettes sont lacées par des diables, l'infanticide est condamnée à manger son enfant mort. Le troisième compartiment est destiné aux Juifs et aux soldats; ils bouillissent séparément dans deux vastes chaudières ; les diables les amènent par bandes pressées; la récolte en est facile et assurée. Avant de passer dans la chaudière, le Juif est fouetté d'importance par un démon vigoureux, probable- ment par un ancien maître d'école. Enfin, dans le bas du tableau siège Lucifer enchaîné et tenant l'Antéchrist sur ses genoux. est le séjour des anciens moines; un diable en amène un devant le prince des ténèbres : il a trop aimé les

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richesses ; on lui règle son compte en le couchant tout nu sur le dos et eu lui versant de l'or fondu dans la bouche.

Babylone pécheresse est représentée sous la ligure d'une reine couronnée, vêtue richement et levant une coupe d'or ; elle est portée par un monstre rouge à sept têtes et à dix cornes. Des prêtres et des laïques la contemplent avec admi- ration et se soumettent à elle comme étant la reine du péché. Sur le revers de la feuille, la reine et le monstre sont préci- pités dans les flammes par des anges.

La cité de Dieu ou l'Eglise victorieuse est reproduite d'après le texte du douzième chapitre de l'Apocalypse. Elle est figurée par une femme portant un diadème d'étoiles ; elle est accom- pagnée du Soleil et a la Lune sous ses pieds. Le disque solaire apparaît derrière le dos de l'Eglise qui est posée sur le croissant lumineux de la Lune ; la partie obscure de l'astre des nuits est tangente au Soleil. Un ange enlève l'enfant nou- veau-né de la femme. Au-dessus d'elle on voit le dragon à sept têtes lançant de sa gueule les poissons symboliques, et le lion à sept têtes blessant du glaive les croyants. Les deux monstres sont couronnés d'un stemma formé de six petites têtes.

La conclusion logique de ces grandes pages, se déploie la richesse du symbolisme catholique, devait être le spectacle du Paradis, but suprême de la vie chrétienne. Herrade l'a conçu dans un sentiment mystique et idéal. Abraham, le pre- mier des fidèles, l'ami de Dieu, a une stature gigantesque; il est assis sur un trône au milieu d'une plantation de palmiers ; sur son vaste sein repose tout le monde des élus. Les cou- ronnes de vie rayonnent au-dessus de lui, et aux quatre angles du tableau se voient les personnifications allégoriques des quatre fleuves qui arrosent le paradis.

Sur le verso de la feuille consacrée à l'enfer se trouvent deux chimères tracées seulement à la plume et qui portent le le cachet du style d'IIerrade et de sa riche et fertile imagina- tion. Les deux monstres sont formés des éléments les plus

.'.12 REVUE d'ausacf.

disparates et les plus étrangers les uns aux autres; l'un repro- duit, dans un mélange fantastique, l'homme, le chêne, l'oiseau, le cheval, le cerf, le chat et le scorpion ; l'autre est formé de la réunion de parties empruntées au cheval, à 1 homme, au bœuf, au lièvre, au serpent, au paon, à la grue et au lion.

L'œuvre d'Herrade se termine par la représentation du monastère dont elle avait la direction. A la base du parchemin se dresse la montagne de Hohonbourj: peinte en vert. D'un côté se trouve l'histoire de la fondation du couvent; le duc Ethicon, en costume royal et couronné, assis sur un trône, transmet à sa fille Odile, debout à la tête de ses religieuses, la clef d'argent de l'édifice qu'il a bâti pour elle. Au-dessus de ce groupe, on voit le couvent, à l'entrée duquel se tient le Christ orné du nimbe crucifère, dans le costume traditionnel des miniatures byzantines; sa main gauche tient un phylactère déroulé sur lequel on lit : Vos quas intendit, frangit, gravât, atterit, urit hic carccr mestns, etc. A sa droite, Marie et saint Pierre reçoivent d'Ethicon, agenouillé sur son manteau ducal, un bâton d'or que Jésus accepte comme emblème de la dona- tion: à sa gauche, saint Jean-Baptiste, le protecteur spécial de sainte Odile, présente celle-ci en costume de religieuse au Sauveur. Sur la seconde feuille, entre Uelinde, la pieuse insti- tutrice d'Herrade, et Herrade elle-même, se déploie sur six rangs toute la compagnie des nonnes de Hohenbourg. Elles sont représentées en buste et désignées par leur nom ; elles sont au nombre de quarante-six professes et de douze con- verses. Deux figures sans légende commencent et terminent la série.

Telle est l'œuvre d'Herrade au point de vue des peintures qu'elle renferme. Elle se ressent de la décadence l'art du dessin et du coloris était tombé au xne siècle. Les corps ont une longueur démesurée, une maigreur exagérée; les extré- mités sont mal formées, les têtes trop grosses, le regard sans expression. Les draperies, par contre, sont disposées avec

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I/ALSACE ARTISTIUUK 313

simplicité et naturel, et n'offrent pas les formes anguleuses du siècle suivant Le dessin des paysages est nul, les animaux et les plantes sont traités avec une négligence qui semble tenir du parti pris. Les monuments d'architecture sont exé- cutés avec plus de soin; ils sont traités dans le style byzantin. Les meubles, les ustensiles, les armes sont figurés avec exac- titude et dans les formes qu'ils avaient au xnc siècle. Herrade n'avait aucune notion des lois de la perspective, mais elle a montré un grand esprit d'indépendance dans ses peintures; elle a su s'affranchir de la domination des types consacrés, et n'a subi le joug de la tradition byzantine que dans les figures du Christ, de la Vierge et des anges.

A part ces défauts inhérents au siècle elle vivait, Herrade a montré dans YHortus deliciarum une puissante originalité . La vie et l'imagination y débordent à chaque page; les scènes de la vie humaine et le symbolisme religieux y sont traduits d'une façon saisissante. La vérité dans toute son âpreté, le rôve dans toutes ses fantaisies, les scènes tranquilles ou vio- lentes de la vie humaine, le caprice enjoué et satirique, les tableaux effrayants de l'Apocalypse, tout se môle et se confond dans cette œuvre admirable qui, malgré la distance des temps, est comparable à ce que Baldung Grttn ou Callot ont produit de plus original.

P.-E. TUEFFERI).

(Im mite prwhainement.)

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LES

EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÈCÏIÉS

METZ TOUL —VERDUN îooâ 1790

III

BIBLIOPHILES ET COLLECTIONNEURS MESSINS

Suite1

En 1780, le domaine de l'évoché de Metz, quoique n'ayant plus l'étendue territoriale qu'il avait au moyen âge était encore une province assez peuplée, car elle était formée par les chatellenics de Lagarde, d'Albestroff, de Fribourg, de Vie, d'IIaboudange et de Remilly, par quelques mairies du Val de Metz situées dans le diocèse, et par les châtellenies de Bac- carat et de Moyen et la mairie de Rémcreville du diocèse de Toul.1 Près de quatre-vingts villes, villages ou censés en fai- saient partie, et la capitale de ce petit Etat était l'antique ville de Vie. D'après VAlmanach royal, l'évêque jouissait d'un revenu de 120,000 livres et nécessairement, le souverain augmentait encore cet opulent bénéfice par le don de quelques

' Voir les livraisons du dernier trimestre 1881 et des premier et second trimestres 1882.

* Aujourd'hui départements de Meurthe-et-Moselle et de la Lorraine.

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LES EX-L1BRIS DANS LES TROIS KVÉCHÉS 316

riches abbayes. L'évêque et le chapitre de l'église cathédrale se partageaient annuellement les revenus de l'évêché qui n'avait pas été divisé en portions distinctes comme à Toul et à Verdun.

Saint Clément, vers le commencement du iv* siècle, était venu évangéliser la contrée ; les limites du diocèse s'étendaient jadis jusqu'au Rhin. Au moment de la constitution civile du clergé, il comprenait encore six cent treize paroisses réparties dans le pays messin, dans la Lorraine et dans quelques petites portions de l'Empire, les comtés de Nassau-Saarbruck et Saarwerden, le duché de Deux-Ponts, etc. L'allemand et le français étaient le langage habituel des habitants; l'allemand se parlait surtout dans le département de la Sarre, comme on disait officiellement à Metz, ou dans la Lorraine allemande, comme il était dit aussi officiellement à Nancy.

Avant 1552, Metz était une des quatre villes impériales.4 C'est l'empereur Otto II qui lui avait accordé cette magnifique prérogative.

Comme ville libre, Metz battait monnaie, disposait de la vie et des biens de ses habitants, nommait ses magistrats, qui s'estimaient autant que des princes, ducs et barons. Un suf-

1 Du temps de l'empereur Charles IV, le Saint-Empire avait été classé par quatre à partir des Quatre couronne s jusqu'aux Quatre villages. Voici les séries qui intéressent l'Alsace-Lorraine :

2* Quatre duchés, Souabe, Bavière, Brunswick, Lorraine; Quatre landgraviats, Thuringe, AlBaco, Lichtemberg, Hessc; 5e Quatre vicariats, Brabant, Basse-Saxe, Westrich, Silésie; 9e Quatre archimaréchaussées, Papenheira, Juliers, Meissen, Féné- trange ;

13° Quatre abbayes, Murbach, Wissembourg, Kcmpten, Fulde; 15e Quatre chevaliers, Andlau, Wissembach, Frauenbourg, Strundeck; 19* Quatre châteaux, Magdebourg, Luxembourg, Rottembourg, Altem- bourg ;

21e Quatre villes, Lubeck, Aix, Metz, Augsbourg ;

23° Quatre villages, Bamberg, ÏTlm. llaguenau, Sclestadt.

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316 REVUE D'ALSACE

fragant, ordinairement un religieux mendiant, représentait l'évêque, qui, peu soucieux de se commettre avec des bour- geois aussi jaloux de leurs libertés, habitait ordinairement Vie ou quelque autre château épiscopal, à moins, comme cela arrivait très souvent, qu'il ne résidât pas dans son diocèse.

Dès l'annexion, Metz fut le siège d'un gouvernement militaire. Plus tard, on y installa l'intendance qui rendit d'immenses services au pays, tout en veillant soigneusement à ce que dans une province frontière les droits du seigneur roi fussent respectés.

Louis XIII établit le Parlement, ce fut le couronnement de l'édifice. Le ressort s'étendait depuis Montmédy et Sedan, jusqu'à Phalsbourg et Sarrebourg, en comprenant le bailliage épiscopal de Vie.

Les réformés messins étaient nombreux en 1552; ils eurent part alors à une lourde responsabilité, dont on ne leur tint aucun compte, car ils furent sans cesse en butte au mauvais vouloir des gouverneurs. En 1657, on nt brûler, par la main . du bourreau, une chanson huguenote commençant ainsi :

Retirez-vous, papistes, Venez à Jésus-Christ, Soyez évangélistes Et laissez l'antechrist. Etc.

Malgré qu'ils se crussent en sûreté par les traités, l'édit de Nantes les atteignit Un d'eux a laissé d'intéressants mémoires sur ce qui se passa alors et a rendu témoignage à la bonté de l'évêque de Metz et de M. de Bissy, depuis évêque de Toul et alors simple clerc.

Ce fut dans le cours du xvnr siècle que Metz eut des socié- tés littéraires.

La Société des philathènes fut fondée en 1759, elle dura jusqu'en 1775; parmi ses membres, on peut citer le pharmacien Bécœur, Tschudy, Emmery, du Hamel, Dupré de Geneste, Henrion de Pensey et d'autres dont nous retrouverons les

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LES KX-MBRIS DANS LES TROIS fcVÈCHES

317

noms. La liste de leurs travaux se trouve dans les Mémoires de l'Académie de Metz.

Cette Académie est une tiliale des philathènes. Le maréchal de Belleislc, gouverneur de la province, l'institua, en 1760, sous le titre de Société royale des sciences, lettres et arts; il s'en déclara le protecteur et lui donna une somme de (J0,000 francs qui furent enlevés par la Révolution. La devise était : UtUitati publicœ.

En 1819, quelques érudits rétablirent Société qui fut érigée en Académie royale par le roi Charles X, lors de son .séjour à Metz, en 1828, «à cause des services qu'elle avait rendus». La nouvelle devise de l'Académie est l'utile.

Le célèbre économiste anglais Youug a eu occasion de parler de la Société des sciences, lettres et arts de Metz, lors de .son voyage en France, en 1789; il me paraît un peu injuste à son égard en l'accusant de ne pas favoriser l'agriculture. Les nombreuses questions proposées par l'Académie et dont quelques-unes furent couronnées, montrent que l'économie rurale, les prairies artificielles, la viticulture, le morcellement des propriétés, etc., n'étaient pas pour elle des choses indifté- rentes.

Le lecteur verra sans doute avec plaisir ce que dit sur Metz l'« éternel ennemi», comme il était de mode de s'exprimer quelques années plus tard.

« Le 13 juillet 1?8(J. metz. . . Visité par M. le Payen,' secré- taire de l'Académie des sciences, il me demande mon plan (?) que je lui expliquai ; puis il me remit à quatre heures après midi à l'Académie,, il avait séance, en me promettant de

I Premier secrétaire de l'Intendance; c'était aussi un amateur des antiquités du sol natal.

II le Payen, de Jouy -aux- Arches, publia un curieux factum sur l'occupation des Russes dans ce village. Il existe dans les cartons de la bibliothèque de Metz une caricature de son procès qui eut lieu sous la Restauration.

318 REVUE D'ALSACE

me présenter à quelques personnes qui répondraient à mes questions. Je m'y trouvai : c'était une réunion hebdomadaire. M. le Payen me présenta aux membres, et ils eurent la bonté de délibérer sur mes demandes, et d'en résoudre plusieurs, avant de procéder à leurs affaires privées(V). Il est dit dans YAlmanach des Trois- En' eh es, 178(J, que cette Académie a l'agriculture pour but principal; je feuilletai la liste des membres honoraires pour voir quels hommages elle avait rendus aux hommes de ce temps qui ont le plus servi cet art. Je trouvai un Anglais, Dom Cowley, de Londres. Quel peut être ce Dom Cowley ?•

Si Young avait arrêté son bidet à Dieulouard, et qu'il tût entré chez les Bénédictins anglais, il aurait vu la personne dont il s'informait à Metz, et il aurait passé quelques instants agréables avec des compatriotes qui l'auraient aussi bien reçu que le marquis de Galway, un descendant de Jacobites, l'avait fait au château de Tourbilly, dans le Maine.

«Il y a un cabinet littéraire, à Metz, continue Young, dans le genre de celui que j'ai décrit à Nantes,' mais sur une moins grande échelle ; tout le monde y est admis pour lire ou causer, moyennant quatre sous par jour. Je m'y rendis en hâte... »

Terminons par cet hommage que Young rend a YHôtel du Faisan: «Metz est la ville j'ai vécu à meilleur marché sans exception.» L'Anglais y trouve excellente table d'hôte abon- damment fournie et « outre cela, une grande politesse et un bon service. Pourquoi les hôtels l'on vit à meilleur marché en France, sont-ils les meilleurs?» Ce n'est peut-être que trop vrai. Mais revenons à notre sujet.

L'imprimerie a Metz date de l'an 1482. Kn 1790, il y avait dans cette ville une Chambre royale et syndicale de la librairie et de l'imprimerie dont l'arrondissement Comprenait les impri- meries de Longwy, Saarlouis, Stenay, Thionville et Verdun.

1 Avec- salle» do lecture, conversation et bibliothèque.

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LES EX-LIUUls UA.NS LES TROIS ÉVÉCHES

LES ÉVÊQUES

Au moment de l'entrée d'Henri II à Metz,1 le cardinal de Lenoncourt, représentant le grand cardinal de Lorraine, était pseudo-évêque. Il fut bientôt remercié et remplacé par des domestiquer ou des parents de son maître, dont plusieurs ne mirent jamais les pieds dans leur diocèse. En 1608, à la mort du fils du duc Charles 111 de Lorraine, les chanoines éliront un enfant de huit ans, hls naturel d'Henri IV. En 1658, cet évêque qui n'avait reçu aucun ordre ecclésiastique et qui n'avait jamais paru, eut des scrupules, il voulut se démettre d'abord en faveur du cardinal Mazarin, puis des frères de Furstemberg. Le cardinal de Givry * avait été chargé, pendant son jeune âge, des fonctions épiscopales, il les remplit digne- ment, puis le tils d'Henri IV eut trois suffragants, des lettrés et des fidèles serviteurs du roi ; le dominicain Nicolas Coêffe- teau, évêque de Dardanie (1617, f 1621),' nommé à l'évôché

1 Avant la Révolution, selon Piganiol de la Force (Nouveau Voyage de Fiante, Paris, 1780, II, 1">7), on voyait dans le chœur un vieux tableau placé par ordre de Henri II, il y avait la première lettre de son nom environnée de croissants et de fleurs de lis, au-dessous : Henricus secundus. Francorum licx, Sancti Iniperii Protector.

Plus bas, un croissant et ces mots :

Dum totnm compkat Orbem.

* Un fragment de la statue funéraire fut retrouvé, il y a trente ans ; c'est le bloc de marbre noir représentant le froc bénédictin du prélat agenouillé, la tête et les mains étaient en marbre blanc. Il faut espérer qu'on fera enfin à ce bon cardinal l'honneur d'une restauration plus intelligente que celle qu'on lui a faite. Dupré de Geneste possédait son portrait (vieillard à longue barbe blanche, sa robe de bénédictin noire, calotte rouge de cardinal). Les chanoines firent frapper une médaille en son honneur.

' L'évêque de Dardanie fit, en 1020, les Irais de la distribution des prix au collège de Pont-à-Mousson. M. Favier a donné son fer armorié. S. Lieutaud cite six portraits do Oo.MTetcau {Eddinck, Mdhtn, M. Lasm S. s., rte.)

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320 REVlfc d'ai.nace

de Marseille et mort à Paris avant d'avoir pris possession; le cordelier Meurisse évêque de Madaure, auteur de deux ouvrages messins estimés malgré d'amères critiques. Un superbe monument lui avait été érigé dans la chapelle des évêques à la cathédrale, il était représenté debout prêchant au peuple. Le dernier suffragant fut Pierre de Bédacier, évêque d'Auguste, docteur en Sorbonne, dont le savoir égalait celui de ses deux illustres prédécesseurs. Il mourut au château du Charmeil, près de Château-Thierry, «dans les bras du grand Bossuet» (MICHEL).

Henri de Vemeuil ayant pu entin quitter ses fonctions épis- copales, le roi, son neveu, nomma pour lui succéder, en 1G67, l'archevêque d'Embrun, ancien évêque de Gap, un des proté- gés du cardinal Mazarin. 1

Georges d'Aubusson de la Feuillade, frère du célèbre duc de ce nom, était chef de la maison par suite de la mort de leur aîné, tué à la bataille de Lens; leur père avait péri au combat de Castelnaudary.J Le nouvel évêque était docteur de Sor- bonne, doyen de la Faculté de théologie de Paris, conseiller d'Etat ordinaire, commandeur des ordres. Sa carrière poli- tique lut brillante. En 1645, il était promoteur à l'Assemblée

1 Cet illustre homme d'état ne peut pas plus prendre rang dans la liste des successeurs de saint Clément que les deux frères de Fttrstem- berg qui eurent la nomination royale après lui. Leur cas est le même que celui du baron Laurent sous le premier Empire (1811-1K14).

* Tous les évêques français des Trois-Evéchés eurent leurs frères ou leurs parents sous les armes pour conquérir le pays. Un d'Hocquincourt, en 1039, est à la défaite des Lorrains près de Morhange. En 1656, un Bethune-Charost, gouverneur et bailli de Stenay, s'empare de Chauvency- lc-Ch&teau, et bat les Croates du colonel Forcara près de Stenay ; deux ans auparavant le baron de Rouvroy avait été blessé près de cette ville ; la nouvelle de la prise de Thionville fut apportée, en 1643, au roi par un Montmorency ; en 1650, un autre membre de cette illustre famille est tué près de Stenay. Un Nicolaï se distingue, en 1641, dans une affaire près de Montmédy, etc.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÊVÈCHhS 321

du clergé; deux ans après il prêchait à Saint-Louis-des-Fran- çais. Ambassadeur1 à Venise, en 1659, le nonce du pape est souvent humilié par lui. Rentré en France, il prononce à Notre-Dame de Paris l'oraison funèbre de Mazarin ; la même année il est envoyé à Madrid, il traite le roi d'Espagne comme le nonce. Une pareille conduite devait lui attirer les marques de la satisfaction royale ; il fut nommé à Metz, et il obtint de conserver ses titres d'archevêque et d'Excellence.

«... prélat qu'où traite d'excellence,»

dit Duclos dans sou poème des Guerre* paroissiales de Vie.

Monseigneur de la Feuillade commença la série de ces der- niers évêques avant le Concordat qui honorèrent si dignement leur siège épiscopal. Lorsqu'il arriva, il ne trouva que des paroisses ruinées et une population en fuite. La terrible guerre de trente ans était encore trop proche, et la pacification de la Lorraine était loin d'être terminée. Malgré les périls, il visita de suite son troupeau et il lit toujours preuve de cou- rage devant le danger. Les registres des paroisses sont remplis de ses dons aux églises dévastées et aux pauvres. Par son testament, l'éducation de ses clercs fut affermie at les indigents secourus. Il fonda l'hôpital Saint-Georges pour quarante-huit lits d'hommes malades ou blessés. 11 défendit, selon Piganiol de la Force, d'admettre les domestiques; les maîtres, selon lui, étaient tenus de les soigner. Il n'oublia pas non plus ses vieux curés.

Sa belle bibliothèque fut donnée aux Jésuites, qui l'avaient eu quelque temps dans leur société, et le séminaire Sainte- Anne put choisir pour 1800 francs de livres.

Un manuscrit de ce dernier établissement se trouve à la bibliothèque de Verdun (n° 553), il est intitulé Traditiones phUosophiœ, à l'usage des élèves (xvnr siècle).

1 A m r lot i>f. la Houssayk, Amsterdam, 1738, jt. 128.

Nouvelle Série. 11"* année. 21

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322 REVUE D*ALSACE

Les Jésuites tirent mettre sur les livres une étiquette rect- angulaire ornementée et sont ces lignes imprimées :

ILLUSTB1SSIMC8 & KEVBBENDISS1MUS D. D. OEOROIUS d'aUBUSSON DB LA FEUILLADE, ABCHIEPISCOPU8 EBBODU- HBNSIf", EPI8COPUS METEN819, TESTAMENTO LBGAVIT COLLEGIO METEXSI SOCIETATIS JBSU. ANNO 1G97.

Du reste, on voit ce fer armorié sur les livres :

On posa les scellés et on fit un inventaire à la mort de M. de la Feuillade. Cette mesure était nécessitée par deux notes du catalogue Emmery. «Avis de M. de Nouet, avocat au parlement de Paris, sur la vacance du siège épiscopal par l'infirmité de Messire George d'Aubussou de la Feuillade, évoque de Metz (in-4°, 4 pp.); et Décret du chapitre de l'église cathédrale de Metz, il nomme des grands-vicaires pour gouverner le diocèse pendant la maladie de Monseigneur Pévêque, du 3 octobre 1696.» Il mourut le dimanche 12 mai suivant, à six heures du soir, âgé de ss ans. D'après son désir,

LES BX-LIBIUS DANS LES TROIS LVÈtHÈS 323

les curés de la ville portèrent ses restes à la cathédrale. «Quelques-uns d'entre eux furent obligés de tirer son corps du cercueil en bois il avait été mis d'une manière bien négligée pour un si grand seigneur, et le mettre dans celui de plomb. Il n'eut point de linceul ni dedans ni dessus son cercueil 1 (!!!) son cœur avait été remis sans cérémonie à l'hôpital qu'il avait fondé. Sa tombe ne fut pas violée en 1793. Citons parmi les ouvrages du prélat ces opuscules : 3 Harangue présentée au Roy après la prise (?) de Stras- bourg, par George d'Aubusson . . . en son passage à Metz, le 3 novembre 1681. Metz, Jean et Claude Antoine, in-4°, 11 pp.

Harangue faite à Monseigneur le Dauphin à son retour d'Allemagne ...le 26 novembre 1688. Metz, Jean et Claude les Antoine, in-4° de 4 pp.

VAdvocat chrétien adressé à Monseigneur VArchevesque d'Ambrun, evesque de Metz. Strasbourg, 1G74, in-12.

L'Orateur jranrois ou Harangues de Monsieur VArche- vesque d'Ambrun interprétées par les Evénements de notre Tems, à V estât des affaires présentes. Liège, 1G74, in-12.

5* Harangue en forme de panégyrique présentée au Roy par VArchevesque d'Ambrun, Evesque de Metz, en son passage à Metz, le 30 juillet 1673. Metz, Antoine, 1G76, in-4° de 10 pp.

Un autre grand seigueur, l'aîné et le dernier de sa race, remplaça l'archevêque d'Embrun; Henri-Charles du Cambout duc de Coislin, pair de France, commandeur du Saint-Esprit, premier aumônier du roi, membre de l'Académie française, honoraire de celle des Inscriptions et Belles-lettres, est bien connu par son inépuisable charité. La merveilleuse création de Froscati en était un témoignage vivant; les casernes Coislin existent encore. Le duc de Coislin reçut à Frescati d'une manière royale

Noto du curé de Saint-Georges {Arch. m«K 999).

Catalogues Kmmer>i. Met/, IHifl (â7f>), et Schetblé, Stuttgart, 1881.

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324 REVUE u'alsace

tous les souverains et tous les princes de passade à Metz. La bande noire se chargea de démolir l'admirable chAteau, et les jardins féeriques furent transformés en champs cultivés. «En 1802, lors de la démolition, de nombreux objets d'art furent donnés à vil prix aux habitants des villages des environs, et de nos jours les marchands d'antiquités de notre ville ont trouvé do tous côtés des objets précieux provenant de cette riche demeure.»'

L'évêque de Meta, dit J. Guigard, passait à juste titre pour un véritable bibliophile. Il avait formé, à Taris, une fort belle collection de livres que les gens de lettres pouvaient fréquenter à leur gré. Outre celle-ci, il en possédait encore deux autres, une en son palais épiscopal composée de douze mille volumes, l'autre non moins considérable dans le splendidc château de Frcscati. Ses livres habilement reliés et ornés par les plus habiles artistes de l'époque portaient en grande partie les armes du possesseur ayant, outre les insignes épiscopaux, le manteau de duc et de pair de France.

L'évêque d'Orléans, son oncle, lui avait légué ce qui restait de la magnifique bibliothèque Séguier, son aïeul. Les imprimés avaient disparu au décès de l'évêque; il ne restait plus que les manuscrits donnés aux Bénédictins de l'abbaye de Saint- Germain-des-Prés. Un incendie qui éclata le 19 août 1794, on détruisit une partie, et ce qui put être sauvé se trouve de nos jours à la Bibliothèque nationale.

Tous les volumes provenant de la munificence de Mon- seigneur de Coislin portent au bas du premier feuillet l'étiquette imprimée qui suit :

EX HIULIOTHECA SOSS. C01SL1NIANA OLIM SKOUERIANA, QUAM ILLU8. HBNTUCC8 DU CAMHOIFT DUX DE COISLIN, l'ÀK FRANCL/E, EPÎSCOPDS MKTKNS19, ETC. MONASTERIO 8. GBRMAN1 A GRATIS LEO A VI T. ANSO M.DCC.XXXll.

1 A. Mioettr, Catalogue des tableaux et des scutytures du Musée. Metz, I87*i.

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LES EX-I.IBRIS DANS 1-t.s TROIS KVKCHI-S

325

Montfaucon, d'après Tordre do l'évêque, avait dressé le catalogue des manuscrits grecs. Ce catalogue a pour titre : Bibliotheca Coisliniana olim Segueriana site manuscrijrtorum omnium grœcorum quœ in ea continentur . . . descriptio . . . studio opéra B. Bernardi de Montfaucon. Parisiis. L. Guérin, 1725, in-8", 810 pp. (p. 163).

Puis, au décès, parut le

Catalogue des livres ...delà bibliothèque de Jeu . . . Henri- Otaries du Cambout, évêque de Metz, prince du Saint-Empire, pair de France. Parie, J. de Nully, 173(>, 111-12. Les 13 et 14 avril, on vendit les manuscrits. La bibliothèque du roi en acheta dix-huit à vil prix.

Guigard donne le fer armorié de ce prélat ainsi que ceux de son prédécesseur et d'Henri de Bourbon.

Parmi les collaborateurs intelligents, dont s'était entouré le duc de Coislin, on doit citer le vicaire général Seron, «une grande et brillante lumière du diocèse», mort en 1749, et qui avait formé un riche cabinet d'antiquités. L'évêque, de son . côté, avait donné l'hospitalité à plusieurs de ces débris et de ces ruines de tout âge. Il avait conçu le projet de fonder un Musée archéologique diocésain, et l'abbé Michel, professeur au Séminaire, avait commencé TEpigraphie du diocèse de Metz. L'œuvre de l'évêque resta sans soutien à sa mort et son suc- cesseur n'en comprit pas l'utilité.1

A la fin du xvir siècle, un des vicaires généraux du duc de Coislin, nommé This. ardent janséniste, timbrait ses livres de son blason.-'

Le duc de Coislin mourut à Paris, en 1732. Son portrait se trouve au Musée de Versailles, il a été reproduit par le pro- cédé Gavard. Comme son prédécesseur, il tint à honneur de

1 F.-M. Chabebt, Metz ancien et moderne. Motz, 1881. T. I. Ouvrage trè9 utile pour tous ceux qui désirent connaître la capitale de la Lor- raine. On doit souhaiter de voir continuer ce livre.

* Histoire des Ercrjves de Metz, par Mkuribsk.

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32« REVUE DALSACB

siéger au Parlement à *on rang de conseiller d'honneur ecclé- siastique. Il eut à souttrir bien des ennuis à cause de la bulle Umtjenitus, et sa résistance le fit exiler de la Cour. Il ne put reprendre ses fonctions de premier aumônier qu'à la mort de Louis XIV. Il fut enterré rue du Temple, chez les pères de Nazareth.

Beaucoup d'églises ont encore des pierres d'autel au nom de ce prélat, dont le nom se lit sur une pierre dans le chœur de l'ancienne collégiale de Fénétrange, relatant la fondation de la confrérie du Saint-Sacrement,

Claude de Saint-Simon, le 20 septembre 169"), baron de Jouy-Tronville, seigneur et patron de Quillebœuf et de Falvy- sur-Somme, reçut la tonsure cléricale le 10 mars 1710, abbé commeiidataire de Juniièges, l'année suivante ; évêque-comte de Noyon en 1731, sacré le 15 juin de cette année dans l'église du Noviciat des Dominicains de Paris par l'archevêque de Rouen, assisté des évêques d'Uzès et de Bayeux. Il prit séance au parlement de Paris en qualité de pair de France, après après avoir fait le serment accoutumé, le 12 janvier 1733. Le 28 août, il fut nommé à Metz, et le 14 mars 1734, il prêta serment entre les mains du roi qui lui laissa, dans sa nouvelle dignité le rang et les honneurs attachés a son titre de pair de France. C'est ce qui fit, sans doute, qu'il dédaigna de se faire recevoir conseiller d'honneur au parlement de Met/, et qu'il put par concession royale porter ses nombreux procès devant ses pairs à Paris ; car il eut affaire à son chapitre, au Parle- ment, au maître-échevin et aux anciens possesseurs des terres épiscopales.

Il est vrai qu'il ne réussit pas toujours et son titre de prince-évêque de Metz, fut rudement attaqué par le maître- échevin, Lançon, qui obtint gain de cause. Il mourut à Metz, le 29 février 1700, et il fut enterré dans la fosse du sutfragant Meurisse, non loin de celle de Monseigneur de la Feuillade.

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LES KX-LIRBIS l»ANS LES TROIS ÊVÊCHÊS 327

Son neveu et vicaire général avait été nommé à l'évêché d'Agcle, un peu avant son décès.

L'inventaire fait, en présence du chanoine Lcgrand, marque une belle bibliothèque :

Une Biblia sacra polyglota, Valtoni, Londini, 1057; une autre hebraïca, siriaca, chaldaïca, latina, grœca. Paris, 1G3U; le Traité des Notaires de Jean Papon, Lyon, 1588, 3 vol.; le Coustumier de Picardie, Paris, 1720; les Antiquités de Mont- faucon; le Traité des Etudes ecclésiastiques de Mabillon ; les Oeuvres de Molière; Y Eloge des Erêques de Godeau, etc.; les Chroniques de la ville de Metz (manuscrit).

Les tableaux étaient un Moyse sauvé des eaux; la Vierge et V enfant Jésus; un homme mourant entouré de sa famille; Louis XIV à cheval; le duc de Bourgogne père de Louis X V; le Régent; un paysage; une Descente de croix; Mademoiselle de Roffetaut(l), etc.'

On trouva dans une cassette 1 224 francs, et dans la poche de sa culotte 520 livres, 5 sols, 0 deniers. Le défunt avait en outre deux montres en or, trois anneaux pastoraux, une éme- raude à huit pans, une bague avec brillants, quatorze roses garnies chacune de cinq diamants, une croix à la dévote avec quatre brillants, douze chatons, etc.

Viville rapporte un beau trait de ce prélat ; pendant la lamine de 1754, il avança à la ville de Metz 30,000 livres pour acheter du blé à l'Etranger. On sait qu'il est le*créateur du Séminaire Saint-Simon, qui existe encore, et dont la chapelle est décorée d'un tableau du Poussin, représentant le Christ donnant les clefs de l'église à saint Pierre. Il y a, en outre, une belle bibliothèque.

Les noms de MM. de la Feuillade, de Coislin et de Saint- Simon figurent sur une table de marbre à l'hôpital Saint-

1 Ed. Saueb, Inventaire des Archives. Metz, 1881, G. 34. Travail fait avec le pins grand soin et appelé à rendre bien des services.

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328 REVUE d'alsack

Nicolas, avec ceux des autres bienfaiteurs de cet établisse- ment.

Le neveu de Monseigneur de Saint-Simon, Louis-Joseph de Montmorency-Laval, premier baron chrétien, évêque d'Or- léans, en 1753, de Condom, en 1757, prince du Saint-Empire, grand-aumônier de France,' commandeur de Tordre du Saint- Esprit, le 1 1 juin 1786, cardinal de la sainte Eglise romaine, en 1789, lui succéda.

Son épiscopat ne fut troublé par aucun acte hostile soit du Parlement, soit du maître-échevin. Dévoué à la ville de Metz, il fut un de ceux qiù s'employa le plus pour lui faire rendre son Parlement Sous le ministère de Brienne, il montra une noble fermeté. Il n'en fut pas moins nommé président de l'Assemblée provinciale.2 En 1788, il s'était adjoint un suifra- gant, M. de Chambre d'Urgons, éveque d'Orope, grand-archi- diacre et vicaire général qui demeurait rue des Clercs. Le cardinal, lorsqu'il ne résidait pas à Frescati ou à Paris, dans son hôtel rue de Tournon, recevait dans son hôtel abbatial de Saint-Arnould, pendant que l'on construisait son vaste palais prés sa cathédrale.

Le cardinal quitta la France au commencement de la Révo- lution/1 Au Concordat, il fut un des rares prélats qui refusèrent de donner leur démission.* Mais il ordonna au clergé messin

1 V. Imbert, La Chronique scandaleuse. Paris, 1791, T. III, p. 21.

* En faisaient partie : les deux autres évêques de la province, Dom Godé, prieur de la Chartreusë de Rettel ; Dom Jobart, abbé de Châtillon; le doyen de Montholon ; le doyen de Vie, Marchai ; le président de Laubrnssel; le comte de Saintignon de Fénétrange; M. de Lahaut, bailli de Carignan, etc. Dom Maugerard, bibliothécaire do l'évéque, membre de la Chambre ecclésiastique, un des coopérateurs de YHistoire de Met:; le maréchal de camp de Faultrier: l'avocat Blouct, étaient de l'Assemblée du district.

* Son imprimeur, Collignon, porta sa tête sur l'échafaud pour avoir correspondu avec lui.

' La lettre du pape est du 26 mars 1802.

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LES KX-LIBKIS DANS J.ES fROIS KVÈCHÉ8

329

d'obéir au nouvel évôque. Ce refus et la charge de grand- aumônier qu'il exerçait près du prétendant, lui fermèrent nécessairement les portes de sa patrie. Il mourut à Altona, en 1808, âgé de 88 ans. Quelques jours avant son décès, il ordonna d'envoyer à sa cathédrale sa plus belle chappe, sa chasuble bordée d'or sur fond blanc et rouge et sa chapelle en vermeil.1 Ses livres sont reconnaissables à ce blason collé contre la garde :

1-3. DIEU AIDE AU PREMIER BARON CHRÉTIEN.

Armoiries de Monseigneur de Montmorency-Laval surmon- tées du bonnet de prince d'Empire entre la crosse et l'épée et sur le manteau lierai iné, au-dessous la banderole avec la devise; au-dessus le chapeau de cardinal et AI/AAXOZ (Im- primé).

Il y a de ces vignettes pour trois formats. M. de Montmo- rency fit les frais d'une jolie vignette de Collin pour Buehoz. C'est Apollon dominant le val de Metz.

Quelques livres de ce prélat se voient à la bibliothèque publique qui a un souvenir précieux des collections de l'évêché, c'est le manuscrit sur lequel le maître-échevin prêtait serment. Ce codex avait appartenu au conseiller Besser, possesseur aussi de la Cltronohffie des évêquea messins. Ce dernier manu- scrit fut en dernier lieu la propriété do Dupré de Geneste avant d'aller échouer à la bibliothèque. En 1781, Dom Tabouiilot avait été chargé de l'inventaire des titres et des papiers de l'évêché.

1 Le grand cardinal de Lorraine avait donné plusieurs pans de tapis- serie pour orner le chœur et la nef. Tous les autres évêques imitèrent son exemple en laissant un souvenir à leur église.

330

REVUE U ALSACE

CHAPITRE DE LA CATHÉDRALE

Pertinet ecclesiœ Metmsi, Hic liber est ecclesiœ Metensis, Ad ecclesiam Mctensem, Liber Sancti Stephani, A. T. M. (gothique),. Ecclesic Metensis.

Ex bibîiotheca ecclesiœ Cathedralis metensis.

M. Auguste Prost, rérainent président de la Société des Antiquaires de France a, dans sa notice sur la collection des manuscrits de la bibliothèque de Metz' (III-CXCII), entière- ment traité le sujet pour tout ce qui regarde les manuscrits de la cathédrale, des maisons religieuses de Metz et du dépar- tement sauvés du vandalisme révolutionnaire. On ne peut qu'y renvoyer les érudits qui désirent connaître à fond les mille vingt-neuf manuscrits de la bibliothèque.

Le chapitre fit faire souvent l'inventaire des manuscrits qu'il possédait, un des plus anciens date de l'an 1G85; plus tard, en 1739, le chanoine Deslandes en fit un nouveau à la prière de Montfaucon. En 1765, Dom Maugérard en dressa un très bien fait. Il inventoria les treize manuscrits du Trésor, qui n'avaient jamais été décrits, et l'ancien archiviste du chapitre, Du Hamel, en donna la liste dans la Statistique de la Moselle écrite par Viville sous le nom du préfet Colchen. Le chapitre vota au bénédictin une récompense de 20 louis d'or ou un cadeau de valeur égale. L'abbaye de Saint-Arnould reçut 480 livres en or. Le travail de Dom Maugérard est très

1 Catalogne général des Manuscrits des Bibliothèques publiques des départements... Tome V., Mktz, Verdun, Ciiarlevillr. Paris, impri- merie nationale MDCCCLXXJX. Il est dit dans l'avertissement que le volume était déjà sous presse avant les événements de 1870-1871. In-4°, 11)2-755.

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LES EX-I.IBKIS DANS LES TROIS KVÉCHÉS 33 1

bien fait, selon M. Prost.1 C'est un volume in-folio de 11 pages, que Dupré de Geneste copia pour sa riche bibliothèque. Les chanoines firent alors réparer et relier richement les manu- scrits les plus précieux, mais malheureusement on les rogna trop. Les treize conservés au Trésor furent, avec trois autres, offerts, selon son désir h l'impératrice Joséphine qui avait également fait parvenir à la Malmaison le magnifique monu- ment des Carmes et les colpnnes antiques des Augustines.

La sympathique souveraine avait un engouement, pour ainsi dire féroce, pour les antiquités messines.* On eut cependant le courage de lui refuser la cuve en porphyre de la cathédrale. C'est une des raretés de cette église avec lo siège de saint Clément,- l'anneau de saint Arnould, la chappe de Charle- raagne (qui provient de Saint-Arnould), le graouiM et les joyaux historiques et artistiques conservés de nos jours dans le sacrarium, etc.

Le Trésor contenait à cette époque le chef de saint Etienne creux en vermeil, autour d'un carcan d'or, donné par Nicolas Louve, en 144*, le caillou du même saint dans un reliquaire de même métal, le bras du même posé sur un pied en vermeil orné de pierres précieuses, des reliquaires, deux statuettes équestres de Charlemagne l'épée à la main, une en bronze- doré, le bâton de son maître-d'hôtel, celui de saint Materne, etc. Un catalogue avait été fait, en 1082, et le docteur Bégin, dans sou Histoire de la Cathédrale de Metz, le cite.

Mais déjà Colbert avait pris ce qu'il y avait de plus rare, la Bible et le livre d'heures de Charles-le-Chauve, que Baluze lui avait signalés.3 Deux chanoines avaient été les lui porter

' On fit alors le catalogue des joyaux, de l'argenterie et des livres.

T La Tille de Metz reçut de l'impératrice deux portraits, l'un do Ilembrand, l'autre de Van Dyck. D'où viennent-ils? Curieuse histoire que leur odyssée. . . Les manuscrits sont maintenant à la Bibliothèque nationale ainsi que ceux de Colbert.

Ch. Abel. Essai mtr d'anciens ivoires seules de la cathédrale de Metz. 18T.8.

332 RKVIÎE D'ALSACE

humblement à Paris, en 1676, et le chapitre avait reçu en placo une croix d'argent pour le maître-autel aux armes du ministre et un portrait du roi.

Lors de la suppression définitive, un inventaire avait été fait des meubles, or et argent de Notre-Damc-la-Ronde. On y catalogua de grands tableaux, le Christ au sépulcre, Sainte Cécile, divers autres tableaux de moyenne grandeur, «façon des Pays-Bas, une Marie Majeure,» Y Annonciation, «un cru- cifix avec trois figures » et Jésus portant sa croix, dix autres peintures représentant des sujets pieux, etc.'

Le 14 juin 171K), les citoyens Joseph Vaultrin, J.-B. Chonez, Hubert Marchand, premier médecin de l'hôpital militaire, se présentèrent a la cathédrale pour dresser l'inventaire de ce qui s'y trouvait ; ils furent reçus par les chanoines de Thé- mines, trésorier, du Lau de Candale, écolâtre, et Nioche, auxquels se joignirent deux de leurs confrères, MM. de Cuny et de Gauvain. On conduisit d'abord les commissaires dans la salle des archives située dans les souterrains du collatéral du côté gauche du chœur, puis tous se rendirent au Trésor, dont ils firent un état très détaillé (on y remarque les treize manuscrits envoyés h la Malmaison, le bâton du grand-chantre avec sa masse représentant le martyre de saint Etienne, etc.). Puis le procès-verbal fut dressé et signé par les trois chanoines chargés par le chapitre de la garde du Trésor, les deux autres chanoines et les commissaires.

Cent vingt-trois manuscrits du chapitre sont, d'après M. Prost, à la bibliothèque; qu'ils y reposent en paix.

Avant de clore ces quelques pages sur le chapitre de Metz, citons un fait assez ignoré do la Révolution : «J'ai vu ditLally- Tollendal, au printemps de 1792, dix femmes, jeunes et belles, déserter la ville de Metz et courir vers le Luxembourg, deux

1 Ed. Sauf.r, Inventaire (tes Archive* dé}>(trteivnxtaten, G. llî*.

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LUS lA-UMUS DANS LES TROIS KVKCHKS 333

jours après le cruel massacre de l'abbé de Fiquchnont.1 L'une d'elles était prête d'accoucher. .Sans ce spectacle affreux, elles n'auraient pas quitté leur ville natale. •*

Le chanoine de Jobal avait au château de Lue une impor- tante collection numismatique et sigillographique qui se trouve actuellement entre les mains de M. le comte Gaston de Lam- bertye.

Voici le fer armorié du chapitre, j'en dois la communication à M. Poinsignon, relieur à Nancy.

SÉMINAIRE SAINTE-ANNE

Ex'ltbris Conr/regutioms missionis domu* Metensis. '

Fondation de la reine Anne d'Autriche pour des prêtres de la mission.

1 Chanoine en 176'J, grand chantre, vicaire général d'Angers, demeu- rant rue Nexirue (un nom néfaste) massacré dans les premiers jours de septembre.

1 Défense des femmes, des enfants et des vieillards émigrés, Paris, 17'.»7, Br. in-«°, 80 pp. (Bibl. provinciale de Strasbourg. Collection Heitz, 91<», 1). Il fallait avoir du courage pour publier en ce moment une pareille brochure.

.134 REVUE ii'alsace

Le V) décembre 1792, les commissaires Nioche et Ledante procédèrent à l'inventaire du mobilier. La statue de sainte Anne du portail de l'église était dans un coin de la loge du portier à côté d'une souricière et d'un portrait de Pie VL La bibliothèque n'avait que 2S7G volumes (576 in-f\ 392 in-4" et 1908 varia) contenus dans dix armoires à onze rayons, la der- nière armoire était de sept tablettes. Dans «la classe de logique», les commissaires inventorièrent deux tableaux: un Christ et un Cardinal.

Arrivés devant la porte du cabinet de physique, une difficulté les arrêta un instant Des scellés y étaient posés. Le libraire Marchai, de la rue des Petites-Tapes, avait fait saisir tous les instruments pour se couvrir de ses avances. Le serrurier Louis Valentin requis, crocheta la porte et brisa les scellés; le récolement commença, il fut long; «une table de gypse sur un pied triangulaire en chêne», etc.

LES MONASTÈRES DE METZ

Abbaye royale de Saint-Clément

S. Clementi* metensis, 1760.

Ex-libris Sli démentis Meten. Ordinis S. Benedidi 1696.

Les moines conservaient dans le cloître quelques monuments gallo-romains. Leur avant-dernier abbé commendataire M. de Besse de la Richarderie, chanoine et grand-chantre de la cathédrale et vicaire général, qui touchait annuellement près de 9000 livres de sa mensc abbatiale, avait un cabinet d'histoire naturelle, minéraux, coquillages, quadrupèdes, oiseaux, des cadres de papillons, etc. Iniehoz dit qu'il se ht donner les pré- tendus os de géant que Ton conservait depuis des siècles à la cathédrale. Vérification faite, ils furent déclarés appartenir à un hippopotame. M. de la Richarderie lit graver des planches

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LES BX-LIBEIS DANS LES TROIS hVECIltS 885

pour V Atlas de Buchoz, entre autres le plan du Jardin bota- nique de Nancy. Il demeurait rue de la Pierre hardie et il avait prié son évêque de bénir la chapelle construite dans sa maison nouvellement bâtie.

Le 14 mai 1790, les Bénédictins' furent rassemblés, à l'issue des vêpres, pour recevoir les délégués Pacquin de Rupigny, avocat, et Saget, ingénieur des Ponts-et-chaussées. La grande table de la bibliothèque fut inventoriée avec les rayons et L'échelle. Il y avait 875 in-f\ 941 in-4", 1096 in-8°, 2159in-12 et 586 in-lC. Cela faisait près de 5000 volumes.* On ne parla pas de manuscrits; cependant M. Prost dit qu'en 1718, il y en avait dix et que plus tard la collection fut augmentée.

Un des moines, Nicolas Casbois, déclara qu'il suspendait sa délibération sur le parti qu'il prendrait jusqu'à ce qu'il fût mieux informé des conditions qui seraient faites aux religieux, ajoutant qu'il adhérait aux décrets de l'Assemblée nationale.3

Le graveur Lachaussée dessina une planche pour Y Atlas de Buchoz, aux frais des religieux de Saint-Clément; au- dessous de la gravure, on voit le graouilli étendu par terre percé par la crosse de l'évêque et la palme du martyr mises en sautoir.

Artmjr Benoit.

{La suite prochainement.)

' Dom Nicolas Tierron était prieur, il était le 1G août 1740. ' Archiva départementaki, Q. 3. 66.

1 Les abbayes messines sont indiquées dans l'ordre qu'elles ont dans VAlmanadt des Trois- Écidiès de 1790.

DOCUMENT HISTORIQUE

ETATS DES FONDS ET REVENUS

DU

PRIEURÉ DE SAINT-MORAND*

EN 1772

Les batimcns et dépendances nécessaires pour L'Exploita- tion des biens sont occupés par le fermier, les batiraens du prieur, le jardin et le verger sont laissés au Receveur et au desservant.

Terres Labourables. Environ cent journaux de terres labourables en une seule pièce, et environ dix huit journaux en plusieurs autres pièces, les premières sont presque toutes terre blanche ; la plupart de peu de Rapport et les dernières valent beaucoup mieux.

Prés

Vingt cinq arpens de prés de très bon raport, que l'on arrose quand Ton veut, au moyeu d'un Canal de communica- tion avec la petite Rivière appellée L'isle.

Vigne»

Sept arpens de Vignes, dont six et demie en une seule pièce.

' Près d'Altkireh. Lu reproduction de ce document, avec ses imperfections graphiques, est conforme à l'expédition qui en fut délivrée lors du séquestre, après l'expulsion des Jésuites.

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REVENUS DU PRIEURÉ DE SAINT-MORAND 337

Jardin

Un petit jardin potager, avec un petit Verger contigû prés Altkirch.

Moulin

Un moulin à trois tournans, un foulon pour le Chanvre, un logement pour le meunier, grange, Ecuries, un petit jardin, une autre petite pièce de terre et un petit prés entre le canal et la Rivière.

Les terres labourables, prés et vignes, batimens de Fermier et appartenances sont affermées pour neuf ans par dom Tirode en 1774 au S. George Brutzehi a raison de dix huit cent livres par an payables, moitié à Pâques, moitié à la Pentecôte, avec reserve de quelques Voitures.

Le Moulin est affermé au môme également pour neuf ans par Dom Tirode 1774. avec les dépendances cy dessus spéci- fiées, a raison de vingt deux Rezaux d'Esprote égrugée et pareille quantité de mélange, qui consiste en moitié d'Esprote ou Epautre égrugée, et L'autre moitié en seigle, orge et vesses, quarante six livres seize Sols quatre deniers en argent quel- ques canards, et poulets et un cochon.

Le Meunier est encore tenu de moudre et égruger gratis tous les grains nécessaires au prieuré et de conduire lesdits grains au marché d'altkirch quand il en est requis.

Le Rezal d'Espiote égrugé année commune peut aller à à douze livres et celui de mélange à huit, les 44 Rezaux feroient 352 livres qui ajoutées à 40 livres 1(5 sols 4 deniers en argent et 24 livres pour le cochon, canards et poulets feroient 422 livres 16 sols 4 deniers.

Le petit jardin et petit verger contigu a altkirch sont affer- més pour neuf ans au Sr Schmiedlin a raison de vingt deux livres par an.

Dixmes

L'Esprote est une espèce de Froment qui sort de l'Epi enveloppé de sa gousse, et en cet Etat, il se nomme Espriote Nouvelle Série. - tl~ année. 22

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338 REVUE 1) ALSACE

ou Epautre eu paille. Lorsque le grain e&t dépouillé de sa gousse ou envelope, au moyen d'un moulin particulier par ou on le fait passer, on l'apelle espiote Egrugée.

Neuf Rezaux d'Espiote en paille n'en rendent pas tout a fait le tiers d'Egrugé.

On entend par Rezal, six boisseaux, le boisseau en froment peu péser trente livres. Le boisseau est composé de 4 picotins et le picotin de G Ecuelles.

Le Prieuré de S'-Morand perçoit la dixme entière sur le territoire et paroisse d'altkirch, a raison de dix l'un sur tout ce qui se sème, a l'exception néanmoins de quelques petits cantons autour de la ville et du chanvre. Cette dixme s'amodie tous les ans en argent à la veille des moissons et peut rendre deux mille livres année commune.

La dixme en vin sur le même territoire s'amodie également en argent et peut rendre année commune trois cent Livres.

Les trois quarts de la dixme en grains sur la Paroisse de Walbeim s'amodient en argent année commune huit cent trente deux Livres.

Les 3/4 de la dixme eu vin sur la même poroisse année commune deux cent Livres.

Les 3/4 de la dixme en Foin sur la même paroisse année commune s'amodient cent Livres.

Le de la dixme sur Werenthauseu' et Buxviller s'amodie en argent, année commune deux cent livres.

La dixme entière sur la paroisse de Riesbach est affermée pour neuf ans au Sr Districh curé dudit Lieu pour deux cent soixante et quinze Ilezaux dont les 2/3 Epautre en paille et 1/3 eu aveine.

Le 1/4 de la dixme sur le vieux montreux, année commune, cinquante Rezaux, moitié Espiote eu paille ; moitié aveine,

1 Werentzhausen.

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REVENUS DU PRIEURÉ DE SAINT-MORAND 839

mesure pressée, ce qui augmente quelque peu la quantité d'aveine.

Le douzième de la dixme sur Carsbach, année commune cinquante quatre Rezaux, un tiers Epautre, 1/3 seigle et 1/3 aveine.

Le 1/4 de la dixme sur Friessen, année commune quatre vingt dix Rezaux: 2/3 Epautre en paille, comme l'est toute celle des dixmes et 1/3 aveine.

Le 1/8 de la dixme d'Hagcnbach, année commune vingt quatre Rezaux 1/3 seigle, 1/3 Epautre, 1/3 aveine.

Le douzième de la dixme d'hirsingen, année commune, quarante deux Rezaux 2/3 Epautre, 1/3 aveine.

Le seizième de la dixnie de traubach, année commune, qua- rante deux Rezaux 1/3 Epautre, 1/3 aveine, 1/3 seigle.

Le 8" de la dixme de Dunnenai,4 année commune, dix nui Rezaux 2/3 Epautre, 1/3 aveine.

La dixme sur un petit canton de quelques arpens à Roch- burn* année commune un Rezal 1/2 d' Epautre.

La dixme à Aspach sur un petit canton année commune 4 Rez. d'Epautre et 2 Rez. d'aveine.

Laudemes des dixmes

On appelle Laudemes des dixmes une petite reserve, tantôt de 6, tantôt de 12 deniers par Rezal en les amodiant; ce qu peut produire année commune quinze Livres.

Droit de falh

Le droit de falh est celui par lequel appartient au Prieuré de S'-Morand dans quelques Villages après la mort de chaque chef de famille; une pièce de bétail à son choix, après que la veuve ou les héritiers en ont pris une ; Ce droit année com mune peut raporter deux cent Livres.

1 DurmeDach.

* Rockenburg, dépendance d'Altkirch.

340

REVUE D'ALSACE

STEINBACU

La Ferme de Steinbach proche Cernai à 6 Lieues d'altkirch est amodiée à 5 ou 6 particuliers pour six ans à cent cinquante livres par an.

Cette ferme consiste en onze Schatz et demi de Vignes en 4 ou 5 pièces il faut ... 1 Schatz pour faire un journal, en 16 me- sures 27 pots de vin de redevance La dixme sur quelques pièces de vignes, un jardin et quelques petites pièces de terre.

Les fermiers sont obligés de livrer annuellement au Sr Curé de Cernai trois mesures de vin que lui doit le prieuré de S'-Morand.

RIBEAUVILLÉ

La Ferme de Ribeauvillé ou petit S'-Morand* consiste en un sac de seigle de Redevance sur un moulin, en 52 1. 3 s. 4 d. de cences, en 39 mesures et 20 pots de vin de cences, deux livres de cire, onze chapons, une poule et quelques petits Jardins connus sous le nom de Potlacuer Gàrthen Et quelques petites pièces de prés.

Ces revenus sont affermés pour fi ans à M. L'avocat Lorentz a raison de deux cent cinquante et une livres par année.

1 On compte trois schatz par journal.

' La ferme dont il est question est ce qui restait en 1772 du couvent de Saint-Morand de Ribeauvillé. Ce couvent était situé, en sortant de la ville par VOberthor, à environ trois cents pas à gauche, à l'entrée de la vallée qui conduit à Sainte-Marie-aux-Mines. Ce couvent était de l'ordre de Cluny, comme ceux de Froidefontaine et d'Altkirch. Dane les premiers temps il y avait de quatre à huit Bénédictins. Quand, après la guerre de trente ans, les Jésuites eurent succédé aux Bénédictins, ceux d'Altkirch obtinrent de l'évêque de Bâle, Guillaume de Rinck, la suppression du couvent de Ribeauvillé, qui n'était plus qu'une ferme lorsque les Jésuites furent expulsés et lorsque l'inventaire de leurs biens et de leurs revenus fut établi par le séquestre. L'église ne fut démolie que vers 1751.

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REVENUS DU PRIEURÉ DE SAINT- MORAND

341

Le fermier est obligé outre le prix de son bail d'acquitter les charges dudit prieuré à Ribeauvillé. Elles consistent en 6 mesures de Vin et 26 L en argent, tant au Sr Curé qu'au Recteur d'Ecole et à la Fabrique.

Le Prieuré do S-Morand possède encore à Ribeauvillé une petite forêt de 6 à 7 arpens, dont une partie depuis 2 à 8 ans est plantée en châtaigniers et le reste en assez mauvais Etat, cette petite forêt ne fait pas partie du Bail.

RAMERSMATT

Le Prieuré de S'-Morand possède à Ramersmatt un arpent de prés aflermé à biaise Ried dix huit livres.

TERRIERS DE ST-MORAND

RIESPACH

Epautre en paille 18 r. 1 b. 2 p.1 Seigle 5 r. 1 b. 2 p. Aveine 30 r. 2 b. 2 p. Poules 7.

Argent 3 L 8 s. 10 d. Balois.

SPECUBAC1I

Epautre en paille 21 r. Seigle 27 r. Aveine 22 r. 1 b. Poules 7.

Argent 3 L 12 s. 8 d. Balois.

WERENTHAUSEN

Epautre en paille 23 r. 2 b. Aveine 11 r. 4 b.

' La lettre r signifie résal, b boisseau, p picotin.

REVUE D'ALSACE

WETERSTOKF ET EMLINOEN

Epautre en paille l(i r. Seigle 12 r. 4 b. Aveine 2f> r. 5 b. 2 p. Poids 2 b. 3 p. Poules 30.

Argent 51. Il) s. 4 d. Balois.

La communauté 20 poules ot 30 s. Balois.

EI88INOEN1

Epautre en paille 1 1 r. Seigle 11 r. Aveine 10 r.

. WÀLHEIM

Epautre en paille 31 r. 3 b. 1 p. 5 e.* Seigle 27 r. 3 b. 3 p. 5 e. Aveine 32 r. 5 e. Poules 13.

Argent 2 1. 1 s. 2 d. Balois. 2 pots de vin et 2 pains.

CAK9BACH

Epautre en paille 19 r. Epautre égrugé 1 b. 3 p. Seigle 18 r. Aveine 20 r. Poules l.

Argent 5 1. 5 s. 10 d. Balois.

HENFLINOEN

Epautre en paille 15 r. 1 b.

Heaingen.

La lettre e = ôcnelle.

REVENUS DU PRIEURÉ DE SAINT-MORAND 343

Seigle 13 r. 3 b. 3 p. Aveine 20 r. 3 b. 2 p. Poules 14. Oeufs 100.

Argent 8 1. 11 s. 7 d. Balois.

ROBENTZWILLER

Epautre en paille 7 r.

IIEIDWILLER

Epautre en paille 3 r. 2 b. Seigle 4 r. 4 b. Aveine 2 r. 4 b. Poules 6.

Argent 14 s. Balois.

DAOOLSEIM

Epautre en paille 10 r. Seigle 10 r. Aveine 10 r.

Argent 5 s. Balois et 30 s. Balois sur des prés à ilfurt. (1 1. 11 s. de trop peu)

HUSOAUIEN

Epautre en paille 4 r.

RANSPACH LE HAUT

Aveine 7 r. 1 b. Poules 16 1/2.

Argent 2 1. 18 s. 2 d. Balois.

BERENTZWILLER

Epautre en paille 20 r. 5 b. 2 p. Seigle 7 Poules 2.

Argent 2 1. 4 s. 3 d. Balois. (Suivant la Recette il y a de trop 5 r. 4 1>. d'épautre 1 r. 4 b. de Seigle 14 s. en argent)

344

REVUE D'ALSACE

STRUETT

Aveine 6 r. 4 b. 2 p. 1 e. 7,. Poules 9.

Argent 4 1. 5 s. 2 d. Balois.

A8PACII

Epautre en paille 1G r. 4 b.

(16 au lieu de G r.) Seigle 18 r. 5 b. 1 p. Aveine 16 r. 5 b. Poids 4 b. 3 p. Poules 2.

Argent 2 1. 1 s. Balois.

KAMERSMATT

Aveine 5 r. 1 b. 3 c. Argent 5 1. 7 b. Balois.

Bote

Le prieuré de Sl-Morand possède à tillerin1 une forêt de 25 a 30 arpens en bois d'hêtres et quelques chênes, elle pourroit être coupée dans 8 a 10 ans, il est plusieurs arpens dans le milieu, ou il n'est point crû de bois.

Plus une forêt d'Environ 20 arpens à Berentzwiller toute en pins, ou du moins la plus grande partie, quinze de ces arpens ne peuvent être exploités avant 20 ans, et le Reste sert pour Fournir des tuyaux aux fontaines de S'-Morand.

Plus une forêt d'environ 15 arpens auprès de S'-Morand, dont 6 sont sans arbres. Cette forêt est composée de hêtres et de chênes propres à être coupés ; attendu qu'elle ne Fait que dépérir, et qu'après l'exploitation il viendroit un beau tailli,

' Fulleren.

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REVENUS DU PRIEURÉ DE SAINT- MORAND 345

il convient cependant de Reserver certaine quantité de chênes pour les Réparations du moulin.

Plus une Forêt de G à 7 arpens h Ribeauviller, dont il a été fait mention dans l'article dudit Riheauvillé.

RECAPITULATION

Fermât en argent

Terres Labourables, Vignes, prés sur le

territoire d'Altkirch 1800'- » - »d-

Argent d'uneparticde la ferme du moulin 46 16 4

Petit jardin sur le même territoire . . 22 » »

Dixmes sur Altkirch 2300 » »

(300 trop)

Dixmes sur Walheim 1132 » »

Dixmes sur Verenthausen et Buxviller . 200 » »

Laudemes des dixines 15 » »

Droit de falh 200 » »

Steinbach 150 » »

Ribeauvillé 251 « »

Vu prêt a Ramersmatt 18 » »

Argent des terriers sur quinze commu- nautés montant à 49 L 14 s. Va d. Balois, la livre Baloise est de 20 s. «s d. de france, les dittes 491. 14 s. V* d. réduits à la monnoye de France font 66 05 4 Va 7ta

Total .... 6201! 01'-8d Va 7m Grains

DIXMES KN ORAINS

Seigle quarante Rezaux 40r'»b- »">•»••

Epautre en paille, trois cent cinquante quatre Rezaux 5 Boisseaux 354 5 » i

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346 REVUE D'ALSACE

Aveine deux cent neuf r. 4 bois 209 4 » »

TERRIERS

Seigle cent cinquante cinq r. 4 b. 1 p. 5 e. . 155 4 1 5 Epautre en paille deux cent dix sept r. 1 b.

1 p. 5 e 217 1 1 5

Aveine deux cent onze r. 2 b. 1 p. 3 e. V2 . 211 2 1 3 \/2

Epautre egrugée un bois. 3 p » 1 3 »

Poids un ïlezal 1 b. 2 p 1 1 2 »

MOULIN

Epautre égrugée vingt deux r 22 » » »

Mélange 22 r 22 » » »

Totalité des grains douze cent 34 r. 2 b.

2 p. le. Vi 1234r-2b-2>l«-7a

Savoir cent quatre vingt quinze Rezaux quatre boisseaux, un picotin et cinq Eruelles de seigle. Vingt deux r. un bois, deux pic. d'Epautre egrugée. Vingt deux Rezaux de mélange.

Cinq cent soixante et douze Rezaux, un picotin et cinq Ecuelles d'Epautre en paille.

Quatre cent vingt et un Rezaux, un picotin, trois Ecuelles, et demi d'aveine.

Un Rezal, un boisseau, deux picotins de Poids.

Les 195 r. 4 b. 1 p. 5 e. de Seigle a 7 1. . . 13701 » * V)ld-2/3

Les 22 r. 1 b. 2 p. d'Epautre égrugée à 12 1. 207 » »

Les 22 r. de mélange à 8 1 176 » »

Les 572 r. 1 p. et 5 e. d'Epautre en paille

a 4 1 2288 04 » V,

Les 421 r. 1 p. 3 e. V, d aveine a 3 1. . . . 1203 03 11'/,

Le Rezal 1 b. 2 p. de poids a 12 1 15 » »

Cette Evaluation est le prix des denrées

année commune

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REVENUS DU PRIEURÉ HE SAINT-MORAND 347

Les 125 poules Va a 6 s. 8 d. la pièce comme elles se payent par les cencitaires .... 41 16 08 Le cochon, canards, poulets et œufs ... 24 » »

5445'04'09dI/J

Les 5445 1. 4 s. 9 d. ajoutées a «i201 1. 1 s. 8 d. '/a et 7„. forment un total de 11646 1. 6 s. 0 d. 732y. 1772 10613 1. Recette total.

CHAINES DU PIUEUKÉ DE ST-MORAND

Le prieuré de St-morand paye pour dom gratuit 1240'16M0d

Au Sr Curé d'Altkirch pour compétence ou portion eougriie 60 Rezaux d'Espautre en paille, 50 r. d'aveine, 40 r. de seigle, 52 me- sures et un pot de vin et 40 1. en argent a évaluer les denrées comme dans la Recette . 914 02 Of»

Au Recteur d'Ecole d'altkirch 7 r. d'Epautre en paille, 7 r. de Seigle*, 13 mesures 28 pots de vin, La mesure contient 32 pots .... 132 15 *>

Au Sr Curé de Ribeauvillé, au recteur d'Ecole et à la fabrique 50 1. seulement pour mémoire, pareeque le fermier de Ribeauvillé est tenû d'acquitter les charges 50 * »

Au Sr Curé de Riesbach 86 r. 4 b. d'Epautre en paille, 43 r. 2 b. d'aveine 433 13 04

Au Sr Curé de vieux montrera 8 r. 2 b. d'Epautre en paille, 8 r. 2 b. d'aveine mesure pressée G5 15 08

Au Sr Curé de Steinbach 4 r. de froment . 48 » »

A la Seigneurie de Ferrette 30 œufs et 16 poules 2 15 i

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348 REVUE D'ALSACE

Au Sr Curé de cernai trois mesures de vin de Steinbach, le fermier de Steinbach est obligé de les lui livrer, seulement pour mé- moire 38 08 »

A Messieurs du haut Chapitre de Bâle 3 r. de seigle, 4 r. d'aveine, et 9 s. 6 d. en argent et poule 37 09 06

Au Sr Curé de Walheim 8 r. d'epautre en paille 32 » »

Au Sr chapelain de ferette lfi r. d'aveine . 48 » »

A onze maires collongers chargés de la dis- tribution des billets aux censitaires, de veiller sur la censive et d'avertir lorsqu'il Echoit un droit de falh 34 r. d'Epautre en paille, 6 r. 3 b. 2 p. d'aveine 155 15 »

Au desservant du prieuré de SHnorand pour deux messes par semaine pour luminaire et hosties 250 » »

Au Receveur dud1 prieuré pour vacations à tout ce qui y a raport, amodiations des dixmes, perception des censés, conservation des grains, levée des droits de falh, visite et vérification des Réparations dans toutes les paroisses de la dépendance 324 » »

Plus est chargé led« prieuré des réparations et reconstruction de l'Eglise, prieuré, bati- mens, moulin, enclos, et dépendances de Sl-morand. Plus Réparations, reconstruction des chœurs, clocher, sacristie, et maison cu- riale de 14 paroisses. Les seules réparations (10 seulement)

se montent année Reduitte sur dix aimées a . 2000 a »

Total .... 57731 10*10d-

REVENUS DU PRIEURÉ DE SAINT-MORAND

349

Partant Reste net la Somme de 5949'- 1 1-08 '/„

Sur quoy une pension du tiers en Faveur

du Résignant qui se monte a la somme de. . 1983 03 10 2/3

De sorte qu'il ne reste au titulaire que

celle de 3966 07 09

Na. Ces deux Etats de revenus et de Charges sont conformes à ceux qui sont déposés au Greffe du conseil souverain d'Alsace et qui furent faits par ses commissaires, lors de L'Etablissement du Séquestre en 1767. teins ou les grains étaient chers •/.

{Communication de M. Ed. Gasser.)

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REGLEMENTATION

D USE

FORET COMMUNALE D'ALSACE

AUX XVe ET XVP SIÈCLES

DOCUMENT 0

Fin'

02.

Celui qui aurait à entretenir une haie le long de champs doit à l'avenir cesser d'employer la haie morte, mais y planter une haie vive. Quiconque continue à faire le long de champs des haies de branchages, rompt six schillings. Là, la trop grande aridité du sol s'opposerait à la plantation de haies vives,2 on fera une palissade ou un perchis de chênes qui dure bien des années. Les forestiers et les waldmestres ont à dénoncer les contrevenants et ils ne manqueront pas de faire chaque année au temps prescrit leur tournée d'ins- pection des haies .

63.

Aucun forgeron ne doit plus couper dans la forêt du bois pour charbons; celui qui en coupe encore encourt, s'il est

« Voir la livraison du 2> trimestre 1882.

" «wo einer aber Dùrrung halben, kein heg da zihlen kann»... Cherté?

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RÉGLEMENTATION D UNE FORET COMMUNALE 351

découvert, la grande amende. Les forestiers, waldmestres et un chacun ont à y veiller.

64.

Aucun forgeron ne carbonisera plus de bois dans l'enceinte du village, ni bois de l'Aspruch, ni bois provenant de quel- qu'autre forêt. S'il dispose de bois ne provenant pas de rAspruch, il doit aller le carboniser sur le communal (AUmekm) dehors le village. Celui qui n'observe pas ce règlement encourt, s'il est dénoncé, la grande amende.

05.

Les waldmestres doivent aussi faire tous les trois mois leur tournée d'inspection des bâtiments. Quiconque ne tient pas ses bâtiments en bon état rompt quatre schillings à payer sans remise la première fois qu'on le trouvera en défaut et la grande amende si à la seconde visite on le trouve encore repréhensible, et si après cela il ne se met pas en règle avant la prochaine inspection, il sera privé de toute jouissance de la forêt, lui et ses bêtes, jusqu'à ce qu'il ait remis et entretenu ses bâtiments en bon état. Les waldmestres y veilleront et indiqueront les réparations à faire; ils se défraieront conve- nablement sur les amendes dont ils porteront le surplus en compte aux quatre communes sous la foi de leur serment

66.

Aux ventes de bois, les waldmestres ne doivent plus donner de «vin de surenchère»,1 mais un pot de vin par achat.

67.

Si uu habitant des quatre villages ou quelque étranger parquait des porcs dans la forêt en temps de glandée, ' sans qu'il eût un droit de glandée, il sera puni comme d'ancienne date, c'est-à-dire qu'il perdra tout d'abord (par confiscation)

1 «kein Steigwein sondera ein Kauffmoss».

«Saw in das Eckher schlîig» auj. -fehinen » ; «Felini» = glandée et droit de glandée.

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352 REVUE D'ALSACE

les porcs avec lesquels il commet la fraude et qu'il paiera aux quatre communes cinq livres stsbg. sans remise. Les forestiers, waldmestres ou quiconque en sera chargé par les quatre communes y veilleront.

G&

Il existe aussi un règlement fait dans l'intérêt des quatre communes, disant que le bourgeois qui a les huit porcs, dits porcs indigènes (heims Schweui), ne doit pas en acheter ni en prendre à bail pour les parquer dans la forêt ; celui qui n'a pas les huit porcs indigènes peut bien, s'il veut, en acheter pour en avoir huit, -- mais il ne doit pas en acheter au delà de huit, ni en prendre à bail qu'il parquerait dans la forêt, et l'achat doit être franc et sincère et pas simulé ni frauduleux ; il doit être conclu sans clauses secrètes afin que la glandée des riches et des pauvres ne devienne pas la proie de la fraude. Quiconque outre-passe ce point rompt, comme ci-dessus, sui- vant l'ancien droit coutumier de l'Aspruch, à savoir que tout d'abord les porcs avec lesquels il commet la fraude sont perdus pour lui et qu'en outre il aura à payer aux quatre communes cinq livres stsbg. sans remise. La surveillance et la dénonciation incombent aux waldmestres, aux forestiers ou à quiconque en sera spécialement chargé par les quatre com- munes.

69.

Concernant l'achat d'une truie. Identique avec l'art. 49 du 1er Document. Voy. Bévue t. X, p. 387.

70.

Tous les bourgeois, actuels et futurs, des quatre villages doivent veiller sur la forêt sous leur foi donnée à la place de serment dans la mesure qu'il vient d'être dit au sujet des arbres réservés, de la dénonciation, du bois de hêtre, des

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

353

étrangers 1 comme jusqu'ici et sur tous les articles qui pré- cèdent ou qui suivent.

71.

Celui qui est reçu bourgeois dans l'un des quatre villages, doit donner au waldmcstrc sa parole à la place de serment qu'il veillera sur la forêt comme il vient d'être prescrit; s'il s'en trouvait un qui fût infidèle 2 au point de refuser de faire comme les autres bourgeois, on le privera de toutes jouissances de la forêt tout comme les bourgeois étrangers, jusqu'à ce qu'il donne sa parole d'y veiller selon la teneur de la présente lettre forestale.3

72.

Celui qui à l'avenir reçoit le droit de bourgeoisie dans l'un des quatre dits villages est tenu de planter un jeune chêne dans la forêt et de l'élever; si l'arbre desséchait et ne venait pas, il en plantera un autre jusqu'à ce qu'il en plante un qui prenne racine, grandisse et devienne un arbre propre à don- ner des fruits. Et si quelqu'un avait la déloyauté de s'y refuser et qu'il ne voulût pas planter et soigner un tel chêne pour en faire un grand arbre, il doit également être privé de toutes jouissances de la forêt jusqu'à ce qu'il en plante et élève un qu'il puisse montrer au waldmestre ou dont du moins il puisse certifier à ce dernier par témoins qu'il l'a arrosé.4

73.

Les pasteurs ou curés et les bedeaux5 qui n'auraient pas le droit de bourgeoisie ne doivent plus à l'avenir ni charrier, ni

' «ybcr die loch, yber daa ruegen, yber das buechen, ybor die fremb- den». cf. A. 26. Bévue t. X, p. 376 qui recommande spécialement à la surveillance des bourgeois: «'die Lech, das eichen und die fremten».

* «also vntrew»; A. 27 dit: calao unfrite».

1 «nach Inhalt dis Bricffs»; A. 27: «diser Geschrifft». Le document A. fixe en sus une amende «d'étranger», c'est-à-dire de 5 livres pour celui qui «dédaigne» ce point.

4 «dass er solchen gelebt habe».

» «Item. Die Pfarrherr, Bittel».

NouveUe Série. - 11- année. 23

354

REVUE D'ALSACE

vendre du bois à autrui ; ils doivent charrier leur bois dans leurs propres cours et s'en servir eux-mêmes pour le feu. Celui qui en charrie à autrui rompt, s'il est découvert, six schillings. Les forestiers et les waldmestres y veilleront. A leur jour ils reçoivent chacun sa voie ou charretée de boig pour son propre usage, mais point pour en vendre ni charrier à autrui sous ladite peine.

74.

Si un bourgeois des quatre villages a enfreint le règlement et que les vingt' hommes sur la montagne aient eu à pronon- cer sur l'amende, leur sentence, quelle qu'elle soit, doit être exécutée. Celui qui refuserait de s'y soumettre, et de payer l'amende prononcée contre lui par les vingt hommes sur la montagne, sera privé, lui et ses bêtes de toutes jouissances de la forêt, en bois, glandées et pâturages, et la forêt lui sera interdite tant et aussi longtemps qu'il n'ait pas payé et réglé l'amende.

75.

Sur les branchages provenant de bois de construction on peut prendre et façonner une voiture ou charrette pleine et pas plus, et l'emmener avec soi à la maison ; mais on ne doit pas rester dans la forêt, ni y laisser des domestiques, pour façonner de ces branchages en attendant que la voiture revienne. Si l'on manquait de voiture on pourra façonner une voie de ce bois et l'entasser en attendant qu'on en trouve une. Celui qui n'observe pas ce règlement rompt, s'il est accusé, six schillings deniers stëbg. Les waldmestres et les forestiers y veilleront

1 Pour la forêt de Kork, 8000 arpents badois, à 36 ares = 2880 hectares, entre la Kintzig et la Rench, grand-duché de Bade, quinze communes intéressées, dom. Uanau-Lichtenberg. l'«Einungs- gericht» ou tribunal des amendes, se composait de trente- six juges. Voy. Korker Waldbrief von 1476, par J.-B. Tubncklk, Carlsruhe, 1880, page 27.

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

355

76.

A l'avenir personne ne coupera plus de fane1 entre la Saint-George (23 avril) et la Saint-Laurent (10 août). Celui qui n'observe pas cet article rompt, s'il en est accusé, quatre schillings. Les forestiers et waldmestrcs y veilleront

Un règlement forestal concernant la forêt de Haguenau ( Wald-Ord- nung fur die heilige Forst) a été fait en 1424 par l'Unterlandvogt de la Basse- Alsace, le Schultheiss et le conseil de la ville de Haguenau. Voy. Bulletin de la Société pour îa conservation des monuments historiques de l'Alsace, 11° série, t. XI, p. 163. M.

II

RÈGLEMENT DE 1585 Les nommés

Lickhcn, Marzolf, waldmestre, et Brun, Jean, heimbourgue, de Ilatten ; Frankheu, George, waldmestre, et Knecht, Panter, heimbourgue, de Rittershoffen ; Knecht, Vendelin, waldmestre, et Bless, Lazare, heimbourgue, de Niederbetschdorf; Burckh, George, waldmestre, et Klein, Jean, heimbourgue, d'Ober- betschdorf

ayant assemblé au son des cloches les communautés sur la montagne commune, ont reçu l'ordre de rassemblée entière d'inscrire dans la lettre forestale les articles qui suivent ci-après :

Fait en Tannée 85.

1 "Fahn» = provincialisme encore en nsage pour «Farn», «Farn- kraut» (filix.)', la fongère commune servant de litière an bétail. La fane dans certaines parties de la France (Poitou, etc.) se dit de l'herbe des plantes bulbeuses, des tiges sèches arrachées à la récolte des pommes de terre, des feuilles vertes ou sèches et aussi des brous- sailles dont on fait du feu ou de la litière. Notre texte dit «Fahn hawen».

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REVUK D'ALSACE

Art. 1.

A l'avenir tout bourgeois des quatre villages qui possède une voiture ou une charrette n'ira qu'une fois, le jour donné, dans la forêt chercher du bois (pour son propre compte); il ne pourra y retourner le môme jour que s'il était chargé par quelqu'un qui n'eût pas de voiture, de lui charrier une voiture ou une charretée de bois et pas plus. Celui qui n'observe pas cet article rompt, s'il est dénoncé, six schillings, dont trois au rapporteur et trois aux communes. Les forestiers, waldmestres et un chacun y veilleront.

Art. 2.

A l'avenir si un bourgeois des quatre villages coupe des perches (dans la foret), il doit façonner et transporter chez lui non seulement les perches qu'il aura coupées, mais aussi les rameaux. Celui qui néglige cet article rompt, s'il est dénoncé, quatre schillings, dont deux au dénonciateur et deux aux communes. Les forestiers et waldmestres seuls y veilleront.

Art. 3.

De même il a été convenu et arrêté dans l'intérêt des quatre communes qu'à l'avenir celui qui bâtit dans l'un des quatre villages pourra se servir dans la forêt de la scie à refendre. Il n'oubliera pas d'en prévenir le waldmestre et de lui donner sa parole à la place de serment qu'il emploiera à l'usage indiqué d'avance, le bois qu'il refend avec la scie. Celui qui ne so conforme pas à ce règlement rompt, s'il est dénoncé, une livre deniers. Les forestiers, waldmestres et un chacun y veilleront. Dans tous les cas, il faut avoir son char- pentier avec soi et ne pas aller seul dans la forêt sous ladite peine.

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

357

III

RÈGLEMENT DU 14 OCTOBRE 1595 A savoir,

Ce jourd'hui que Ton compte depuis la Naissance de Notre cher Seigneur le Christ, notre Sauveur, mil cinq cent quatre- vingt-quinze années, ce mardi 14 octobre, le présent règle- ment, concernant la forêt d'Aspruch, a été fait et arrêté par les honorables

Peters, Michel, waldmestre, Veix, Jean, fils de Laurent, heimbourgue, tous deux de Hatten, et Loren, George, du même endroit; Helmes, Henri, waldmestre, Kibcll, Auguste, heimbourgue, et Knecht, Panter, de Rittershoffen ; Engness, Jean, waldmestre, Schmidt, Jean, tils de Théobald, heim- bourgue, et Reiffstcck, Marzolf, d'Oberbetschdorf ; Knecht, Vendclin, waldmestre, Basilians, Pierre, heimbourgue, et puis Sturm, Laurent, de Niederbetschdorf;

qui avaient été mandés et chargés par les quatre commu- nautés réunies au son dos cloches en assemblée plénière de faire, dans l'intérêt de ladite forêt et des quatre communes, ce règlement littéralement transcrit ci-après :

Banlieue de Hatten.

Primo. Dans la ligne de délimitation entre Hatten et Ritters- hoffen, du «Gauspruch» jusque sur le «Roch», à travers la serre, il faut planter et entretenir une haie vive à côté des clôtures actuelles faites de branchages et de lattes; par contre on aura le droit d'enclore avec des branchages de l'Aspruch, les champs donnant des deux côtés (dans les deux bans) sur les «Stiegel» (petits barrages enclavés dans la haie).

«Erstlichen zwischen Hatten und Rittershoffen banscheid vom Gauschbruch bis auf das roch der sehren durch und durch neben disen Zainen und Dielsteckhen im (ein?) hag sezen und aufpflantzen » .

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REVUE D'ALSACE

Le « Grasweg » du Wcsthoften doit être bordé des deux côtés de haies jusqu'au «Herrn Etzel»; la commune sera libre cependant de laisser un chemin ouvert ou non, extérieure- ment au jardin de Zacharie.

Tout le «Niederfeld» doit être enclos à l'avenir de haies vives dans tout son pourtour, sauf les chemins qui le tra- versent.

«KURATH8 ECKERLIN»

Le canton dit «Kuraths Eckerlini) doit également à l'ave- nir être entouré de haies vives tout autour.

L'autre « Aeckerlin »> doit aussi à l'avenir Ôtre enclos de haies.

: «Gauchs-», Gangs-, Gausprnch» et «-bruch»: anc. communal coupé par la limite des deux bans, terrain bas et humide, donnant naissance au petit ruisseau qui traverse le village et tout le territoire do Elatten de l'Ouest à l'Est, il se joint à la Selzbach au-dessous du château et en face de l'emplacement de l'ancienne église paroissiale deNieder- rôdern. Le «Gauschsbruch» du ban de Uatten ne formant plus qu'une prairie de 125 ares, était autrefois le 1er des communaux ou «Allmende» du Westhoff, le long dudit ruisseau, d'ensemble 5 hect. «Bruch» = terrain marécageux, etc.; «Gauchw cresson, fleur de coucou et autres plantes et herbes amères; aussi fantôme, feu follet, etc. Il paraît qu'on dit aussi «Griesbruch», cependant il n'y a pas de terrain graveleux mais il s'y trouvait autrefois un tir d'où encore aujourd'hui les noms de «Schiessrain ou Schiessmur».

» «Roch» d'ord. «Reech» ou «Reeg»; le «Ruegberg», siège du tribunal des amendes? C'est l'endroit le plus élevé entre Hatten et Rittershoffen, traversé par la nouvelle grande route; vestiges d'anc. constructions.

* «der Sehren durch und durch» barrière; serare = fermer. Il y avait donc des barrières non seulement à l'entrée des villages, mais aussi à l'entrée de leur banlieue.

* «Stiegel» = planche de trois pieds de haut placée en travers d'un sentier dans une ouverture de haie, soutenue par deux poteaux, bar- rant le chemin au bétail.

* «Grasweg» = chemin de la forêt que suivaient autrefois les pauvres gens allant chercher de l'herbe, de la fougère et de la fléole devant servir de nourriture et de litière à leurs vaches.

RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

359

* La partie occidentale de Hatten, appelée encore aujourd'hui «das Westhoffen», formait autrefois sous le nom de Westheim un hameau à part, entre Hatten et Rittershoffen.

Les seigneurs de Lichtenberg l'achetèrent, en 1332, avec d'autreB villages du Landgrave d'Alsace et environ vingt ans plus tard Simon de L. l'annexa, ou l'incorpora sous le nom de Westhoven à Hatten; l'ad- ministration du bailliage avait conservé l'habitude de le mentionner spécialement à côté de Hatten: «compte de Hatten et Westhoffen», disent ses livres de comptabilité jusqu'à la Révolution.

7 «Etzel» = pâturage privé et clos, auj. champs ou prairies. Un "Etzel» 1 arpent et plus.

* «Kuraths Eckerlin» probablement pour «Curât», cf. «Curatpfrûnde» = bénéfice; nom oublié et inconnue aujourd'hui dans la banlieue; c'est sans doute le «vorderste et le hiuterste Aeckerle» il y a des champs à la commune dont jouissent les différents instituteurs et autres employés. Une tranche de forêt de vieux chênes, abattue lors de la construction de la grande route, vers la fin du dernier siècle, s'éten- dait jusque près du village : c'était le «Bischel» ou «Bûschel» et «l'Allc- mend Hirlcbach» avec la Lach dont les deux «Eckerlein» = pacages de porcs (?) paraissent avoir fait partie. LVAltmatt» (anc. «tAllemend»?), prairies et le «Pfingstwinkel = pâturage du printemps, anc. canton forestier, sont dans le voisinage.

Banlieue de Rittershoffen.

L'«Euchweg» doit être bordé de haies sauf le chemin qui longe r«Euchmatt» et son prolongement jusqu'en haut au lac d'Osterdorf.

Le second petit Osterfcld ou champ d'Osterndorf doit être entouré de haies vives sauf les chemins qui y existent d'ancienne date.

L'Osterfeld, de la Serre à l'enclos Scheileng, est à entourer de haies.

L'Osterfeld derrière le cimetière ne doit plus à l'avenir être clos qu'avec des branchages d'aulnes ou de saules.

L'aOg», de la rue des Boulangers à l'enclos Dangler, doit être entourée de haies sauf les chemins.

L'autre «Og» doit être entourée de haies de branchages

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REVUE D'ALSACE

d'aulnes ou de saules et pas autrement ; on pourra y planter des haies vives jusqu'au «haitweg».

Le district des champs ou ban de Rentershoffen doit à l'avenir être entouré de haies sauf l'enceinte du village de Rentershoffen.

La petite rue de l'Eglise jusqu'au Bietzwasen doit aussi à l'avenir être entourée de haies vives.

De la rue de l'Eglise à la grande route et de le long de la grande route jusqu'au pieu-borne devant le vignoble d'Hum- pert, il faut des haies.

10. Au «Rech», aux quatre champs situés au-dessus de celui du Gentilhomme (Junckers ackher), il faut des haies, puis, plus loin, au delà du champ de George Bless, il faut de nou- veau des haies jusqu'au château («Birkh») et de même au delà de ce dernier, jusqu'au ban de Hatten excepté au chemin de la largeur d'un champ, devant la porte du château, et à l'autre chemin qui passe par le «Gauspruch» où, comme d'ancienne date, il n'en faut pas.

Au Heitbcrg, il faut une haie depuis le gibet jusqu'à la cas- cade devant la porte du château.

Au «hungersbuhrenwasen» il faut des haies.

1 Westhoffen, Rentershoffen et Osterndorf, petits endroits situés sur l'ancienne grande route de Hatten à Betschdorf, dont le premier a été incorporé à Hatten et dont les deux autres ont été absorbés par la colonge de Rittcrsboffen. Voy. Bulletin de la Société pour la conser- vation des monuments historiques d'Alsace, IIe série, t. X, pp. 224-235.

* Tous les noms de cantons ruraux cités dans ce chapitre concernant Rittershoffen, existent encore aujourd'hui les uns sous la même forme, les autres quelque peu modifiés, sauf cependant les noms des propriétés particulières y compris le «Birkh'> ou castel au «Rech* et le «Hochge- richt» ou gibet. On n'a pas d'autres renseignements sur ce cbàteau ou «Birgh» (= dim. de "burg»); la tradition locale môme ne parait plus se souvenir de son existence; c'était probablement un des «Hubhofe» ou maîtresses-cours des seigneurs de Fleckenstein (Lehmann, Ifunau-L., p. J2S, ann. 13.%) qui en 1385 étaient la propriété du chapitre de Sur- bourg et furent achetées au xvie siècle par llanau-Lichtenberg. Un

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

3G1

Banlieue de NiederbetsclidorJ.

Du pré dit «Ilintermatt» à l'enceinte du village, il faut des haies.

A l'«Egnessgasse» (rue d'AgnèseV) il faut une haie du jar-

Othon de Rottershoven est du reste déjà mentionné en 1227. Aïs. dtp/. I, 451. Le Ritterhof se trouvait dans le village même et donna son nom à la Rittergasse.

Les deux «Og» se sont régulièrement transformées en «Obère- und Untere-Aue», c'est-à-dire prairies. L'oEuchmatt(AugmattV)» et l'"Euch- weg« (chemin de l'«Au, Aug, Og V) ne se trouvent pas mentionnés dans la nomenclature des cantons et chemins actuels de Rittershoffen que je dois à l'obligeance du maire.

La «Beckergasse» n'est pas mentionnée non plus dans la liste citée» peut-être est-ce aujourd'hui la «Bischgasse (?) bister» et <'Pfisten> = boulanger.

Le «Huugersbtihrenwasen» vaine pâture, c'est auj., je suppose, le «(das) hungersprung». Les bergers, à ce qu'on dit, avaient l'habitude de rassembler leurs troupeaux repus dans les "Stelli" ou parcs, ou au «hungerplatz> pour les faire reposer; do les nombreux cantons ruraux de «hungerbtïhl, -berg, -baum, -stall», d'ord. voisins d'anc. pâturages.

Je ne sais si le «Bietzwascn» (pomerium, lieu de réunion pour jeux, exercices, jugements), terrain vague et gazonné, près de l'enceinte du village existe encore; le canton rural appelé encore auj. «die Bitze» se trouve du côté opposé et loin du village, près du «grosscn Rœdern» = grands défrichements, et des «Aue» anc. «Og» = prairies, pâturages, et pourrait bien avoir fait partie du ban d'Ostcrndorf ou de celui de Rcntershoffen. «Bitz, bitzen, bûtz», n. fréq. de cantons ruraux et dans des noms de villages, sur les deux rives du Rhin supér. Les uns le trad. par «busch» (buisson); d'autres par verger; d'autres par jardin potager. Le mot se rattache aux anc. pâturages, cf. bucctum, bucUa depasta (Varro): bucinobantes/ '.- ) peuple aleman en 371 eu face de Mayence (Am. Marc. 2Î), 4); «buotzingeshurst» ou «bnozdinges- hurst» (délim. du Mundat. infér. vin" siècle), etc. Eu 1543, l'abbaye de Wissembourg possédait encore à Schleithal (anc. Schleglerthal = Juvenesdal?) un grand pâturage ou «Allmen» appel»- «diç Horst». («Horst et Hurst aha.» = contrée buissonneuse.)

BEVUE D'ALSACE

din de «Gart-Ursule» jusqu'à celui des nSchmitthansen»;puis, il en faut à la descente vers le «brach» jusqu'au «Gutenbruch».

Au «Schofïloger» («Schaflager» = place de repos des brebis), au champ de «Kasten (Gaston?) Reliera, au gué, dans le «Gras- wegi> jusqu'au champ de Stimp, il faut des haies.

Ban lieue tfOberhetsch dorf.

De la «Hintermatt» près du ban de Niederbetschdorf jus- qu'au haut du «holgenacker»1 qui s'étend jusqu'à la grande route, il faut des haies.

Il en faut aussi dans la «Bauerngasse» le long du jardin de George Bûrckh et jusqu'en haut à la borne du ban de Schwab- willer.

Le long du ban de Schwabwiller du jardin de Singen jus- qu'en haut au « Schwab willersee» on ne fera plus de clôture avec des branchages de l'Aspruch, mais on pourra y planter des haies.

Il faut des haies depuis l'tAugmatt» et le long du jardin d'avoine («habergarten») de Thibaud Suner jusqu'en haut au champ de George Hemsel, dit le jaune, et aux neuf parcelles; ces neuf parcelles ainsi que le champ transversal Abwender») de Matter qui y touche et jusqu'en bas au coin, ne doivent plus être bordés de haies de branchages provenant de l'Aspruch ; les propriétaires y pourront planter, s'ils veulent, des haies vives. Puis il faut des haies depuis le coin dudit champ de Matter jusqu'au champ transversal de Biaise Hemsel; les haies sèches devant ce dernier champ et le long du «Sultz- acker» jusqu'en haut au champ transversal de Gerdten-Clauss doivent à l'avenir faire place à des haies vives; du champ transversal de Gerdten Nicolas au ban de Reimerswiller il faut des haies.

1 Auj. probablement «die heiligen acker» champs sacrés, on des saints, cf. cependant «holke» = luzerne introduite au xvi« siècle de France.

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RÉGLEMENTATION ft'UXE FORET COMMUNALE

363

La clôture derrière le «Hof» (métairie) doit être faite à l'avenir de perches de chênes ou de fortes planches.

IV

RÈGLEMENT CONCERNANT LES WALDMESTRES

Lorsqu'on comptait mil cinq cent quatre-vingt-neuf, le 8e jour de mai, il y a eu désaccord et différend' entre les quatre communes et leurs maîtres de forêt assermentés en ce que depuis plusieurs années de trop grands frais étaient imputés aux communes ; celles-ci ont alors donné plein pou- voir à leurs heimbourgues de fixer aux waldinestres un tant pour frais et gratiheation, et les heimbourgues out transmis ce plein-pouvoir aux personnes suivantes, savoir à

Becht, Jacques, fils de Pierre, de Hatten ;

Lohren, Théobald, de Rittershoften ;

Suminer, Marzolf, de Niederbetschdorf, et

Reifsteck, Marzolf. d'Oberbetschdorf ; tous quatre échevins du tribunal, qui, suivant leur opinion et leur sentiment d'équité, ont arrêté ce qui suit :

A l'avenir les waldmestres n'auront plus aucun droit de vente; si les prix fixés pour le bois à vendre ne leur pa- raissent pas assez élevés et qu'ils pensent qu'on pourrait en tirer meilleur parti, ils en préviendront leurs communes respectives et on partagera par lots;* et chaque commune pourra vendre son bois quand et aussi cher qu'elle voudra ou pourra le faire équarrir elle-même.

Pour leur séance le jour du décompte 3 le waldmestre et le heimbourgue de chaque village et les valets recevront (chacun?) quatre schillings stsbg. et pas davantage.

1 «span» et olrrung».

* *der Gifft nach abtheilen».

1 «yff den rechens Tag hoff».

3G4

REVUE D'ALSACE

Le jour de décompte une fois arrêté, il faut, pour l'ordre, le maintenir; dans le cas que quelqu'un oubliât un article quelconque, il en fera la réclamation dans la quinzaine pour le porter à la charge de la commune.

Les waldmestres n'auront plus le droit de dépenser un grand «Einung» (= 5 livres aux frais des communes) à la foire de Rittershoffen.

Pour leur visite de la glaudée chaque waldmestre, le heimbourgue et les deux valets recevront chacun deux schil- lings stsbg.

Si les waldmestres et de chaque village un heimbourgue distribuent les droits ( de glandée ) , les sept * sont autorisés d'allouer sur ces droits 1G schillings stsbg. aux pâtres enga- gés pour l'année2 et n'imputeront pas d'autres frais aux communes à ce sujet

Chaque waldmestre recevra en outre comme récompense de sa peine deux livres dix schillings et double part de droits de parcage de porcs dans la forêt à la première glandée qu'il y aura et que l'on partagera. Par contre il doit, selon son pouvoir, faire tout ce que lui prescrit le règlement forestal et la présente ordonnance qu'il promettra par serinent de tou- jours suivre fidèlement,

Celui qui, ayant été désigné pour cet emploi, 3 n'exécute pas le règlement et en néglige les prescriptions, sera privé de toute jouissance de la forêt; que chacun sache donc bien s'en garder et songe à son serment

Dans le cas que le waldmestre eut besoin de l'assistance du heimbourgue, celui-ci doit se mettre à sa disposition et porter ses propres dépenses en compte à la commune. '

1 ou les arbitres.

* «so sollen die Sieben 's recht baben und den Jabrhirten aus disen rer.hten zu verzehren geben namlieh seehzehn schilling stsbgr».

' «und wo (~- wann) einer zu snlcher sachen gezogen wirdt'>.

* Les art. 8 12 qui dans le texte n'ont pas do numéros, paraissent avoir été ajoutés postérieurement.

Voy. Arch. E. (liasse) des extraits du «IIoimburgerbuch'> et des «Heimburgerrechnungen» des quatre localités.

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE 365

Il revient aussi au walduiestre comme gratification deux schillings stsbg. que lui paiera celui qu'il sera obligé d'accom- pagner dans la forêt pour couper du bois de construction si toutefois il s'agit d'arbres de choix.

10° Touchant les prés des quatre villages, il faut cesser à l'avenir de les enclore de haies faites de branchages de l'Aspruch et suivre les prescriptions de la lettre forestale.

11° Quant aux champs ensemencés, chaque bourgeois des quatre villages est tenu de les entourer de haies, suivant le règlement d'ici à la Saint-George (23 avril) les waldmestres feront leur tournée d'inspection; pour ce qui est des champs en jachère, ils doivent être enclos de haies de la présente Saint-Gall (16 octobre) en un an; chaque année, à l'époque prescrite, les waldmestres visiteront ces champs et le proprié- taire qui sera trouvé en défaut au sujet de ces clôtures aura à payer une amende de quatre schillings. Sur ces amendes les waldmestres prélèveront ce qu'il leur faut pour se défrayer convenablement et tiendront compte du reste aux quatre communes.

12° Deux voisins dont les champs se touchent de côté ou de front, ayant une clôture commune, doivent faire en commun la haie dont l'entretien pendant l'année incombe à celui des deux dont le champ est ensemencé sous ladite peine.

V

AN: 1601

a) Lorsqu'on comptait mil six cent un, les domestiques de la vénérable abbesse du couvent de Kônigsbruck1 se sont avisés

1 Kônigsbruck, on comme dit notre document et le dialecte du pays «Kûn'sprûck» = Regispons, abbaye de filles nobles, de l'ordre de Citeaux, sur la Sure, à l'extrémité sud-est de l'Asprucb, fondée dans la première moitié du xn0 siècle par Frédéric-le-Borgne, f 1H7, duc

REVUE D'ALSACE

d'entrer dans l'ancienne rivière dite «Ablossbach» (c'est-à- dire déversoir ou canal de décharge du moulin du couvent sur la Surbach) entièrement située sur le territoire des quatre communes, pour la curer et cela à l'insu et sans le consen- tement des quatre communes, ce dont ils n'avaient pas le droit. En conséquence de quoi les quatre communes ont cité l'intendant de M— l'abbesse, Heigell, Gaspard, et avec lui, David, George, de comparaître sur le «Ruegberg» ou mon- tagne du tribunal forestier des quatre communes les vingt hommes les condamnèrent à une amende exterritoriale (de cinq livres) . Les deux serviteurs qui étaient comparus sur la montagne ont attendu l'expédition du jugement pour s'arran- ger et s'acquitter, en présence du vin, avec les heimbourgues et les waldmestres au sujet de l'amende.

b) Dans la même année six cent-un (= 1601), le gentilhomme (Junkher) Philippe de Fleckenstein (du château près Rôdern) s'était permis de faire enclore par ses inanans (hintersassen) le «roth» ou défrichement d'Apflell et celui de Diethmann; les quatre communes l'ayant appris, firent arracher les clô- tures de ces défrichements ou «Redern», sur quoi «Philips» de Fleckenstein les fit fermer de nouveau par Schmidt, Nico- las, et Jacob, Jean, tous deux de (Nieder-)Redern; 1 mais

do Souabe et d'Alsace, père de Frédéric Barberousse, a été pillée et ruinée en 1525 par les paysans et complètement détrnite dans la Révo- lution. Le couvent de Licbtenthal, près Baden, fondation de notre abbaye, a offert un asile aux religieuses de Kônigsbrûck, avec tout ce qu'elles ont pu sauver en titres, documents, etc. Le hameau de Kônigs- brûck fait partie du village de Leutenheim, canton de Bischwiller.

1 Les habitants de Nicderrôdern, à l'extrémité nord-est de l'Aspruch, avaient, avec les autres villages environnants, le droit de recueillir du bois mort, mais non de couper du bois vert, dans l'Aspruch, le château des Fleckenstein, placé dans une île de la Seltz, sur le territoire des quatre communes, aujourd'hui banlieue de Hatten, avait bien ce droit, mais pour ses seuls besoins. Voy. procès de 1511 (ms) des quatre villages contre Nicolas do Fleckenstein. Aujourd'hui le

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RÉGLEMENTATION D'UNE FORÊT COMMUNALE

367

pendant que ces derniers palissadaient ces «redcr» avec des branchages et des pieux qu'ils avaient clandestinement coupés (dans T Aspruch), ils furent surpris par un forestier des quatre communes qui les cita (devant le tribunal des amendes) sur la montagne, ils se sont arrangés avec le waldmestre et se sont acquittés de l'amende,

c) Item. On a trouvé utile d'arrêter aussi que, quand on charrie du bois de corvée au château (de Hatten), personne du village chargé de la corvée, ni artisan, ni paysan, ni char- château appartient à quelques familles de Ménoiiites, qui de ce chef sont bourgeois de Hatten.

Pendant la guerre des Linanges-c. Lichtenberg (1451), Henri de Fleckenstein s'était «de nouveau» approprié de force quelques «Rôder» dans l'Aspruch, lesquels, sur la condamnation prononcée contre lui par le roi Frédéric IV, il dut abandonner, et, en 1152, il fit la déclaration écrite que ces «rôder» avaient été reboisés et étaient rentrés, comme de droit, dans la possession des quatre villages auxquels ils appartenaient. Voy. Lrhmann, Hanau-Lichtenberg,l, pp. 285-286. «roden» et «reuten» («riuten, ritten») signifient défricher (runcare, eruncare), essarter (sarire, exsaritare); cf. «bereiten», preeparare, etc. Le terrain défriché se disait : un «rod», ou «rott» («Rodland»), au pluriel: «die Rôder», ou «das Gereute, G'rQt, Reit, Ried », etc. cf. en fr. guéret, n. c. et n. de ville; Ncubois, s'appelait autrefois (an. 1158) Curtis geruta. In novo rure quod dicitur rode. . . . . Et in mense Jun. brachareidterum et in nutumno ipsum arare et seminare. Nkuoart, Cod. dipl. 1, 40, p. 43, aïï. 763.

Un grand nombre de villages alsaciens et ail. tirent leur nom de ces mots «roden» et «reuten», à coup sûr aussi le village en question, de même que Ober-Rôdern, à six kilomètres plus haut sur la Solz; peut- être aussi Krôttweiler, anc. Kreitweiler, vulg. Grabern ou Krepperen, entre Niederrôdern et Trimbachl'anc. Drigenbach, aux trois ruisseaux. Le nom de notre village existe sous les deux formes de Rôdern et Rûdem : Sous l'abbé Hugues (1356) l'abbaye de Selz avait deux fermes «in tenninis ville dicte Rôdern»; la constitution de Selz (1310) dit «zu Rôdern».

Le nom de ce village n'a donc rien de commun avec le mot «roth» signifiant rouge, partant rien de commun avec le Rufiana de Ptolémée, 2" ville des Nemètes ( Walkenaer) ; ni avec des fleurs rouges (Migneret,

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3G8 REVUE D'ALSACE

retier n'aura le droit de façonner les décombres pour son propre compte le jour de la corvée; mais si le lendemain on trouve encore quelques pièces de dosse ou d'autres décombres, on a le droit de les façonner à son gré. Celui qui dédaigne cet article rompt, s'il est découvert, quatre schillings deniers. Seuls les forestiers et les waldmestres en jugeront.

(7) Sur une feuille détachée se trouve la formule du serment prêté par les employés à leur entrée en fonctions. Elle est ainsi conçue :

Dass Ich mein Treuw geben hab Undt mit Wortten Deschaiden lin, dem ttrill Ich ailes Trewlichen Nach- koimnen. AU*, 80 schiverc Ich dass mir Oott helff und das heilig Evangclium.

J'ai donné ma foi, et reçu verbalement mes instruc- tions, que j'observerai en tout fidèlement; je le jure, que Dieu me vienne en aide et le saint Evangile.

Bas-Rhin); ni avec le mot celtique «Riedern» pente, que lui donne pour origine Mone, C. F. p. 125. On no connaît pas le nom de l'ancien village gallo-romain qui paraît avoir existé près de là.

A une lieue au sud de Rôdern il y a toute une contrée de terres- basses sur les deux rives du Rhin qu'on appelle le «Ried», autrefois exposée aux inondations du Rhin, d'un terrain en grande partie humide et graveleux ; on l'appelait au M. A. palus ; cette désignation dérive bien plutôt du mot celtique «ryd, rat, red» (cf. Aïs. ill. I, p. 55 et p. 653), = trajectus et aussi ostia fluminis (cf. «Furdes-feld anc. nom p. Foret- feld) que de l'ail, « hriod » = carex.

Wkhnerus, Obnerv. jur. pract. contient les mots de «Aeckerried» et «Heuried», ce sont des friches, terrains abandonnés ni prés, ni en labour, servant ici de pâtis aux bestiaux, careatum (carectum), là, sous quelques vieux chines, de pacage aux porcs; c'est le «rudis ager» ou «campus».

Il faut donc bien distinguer entre: «Ried», celt. «ryd» = palus; «Ried» («hriod» ~carex\ pâtis; et «Ried» de «riuten» = «rodu qui au M. A. casas et prœdiola in siîvis inviter excisis dénotant.*

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RÉGLEMENTATION l/lNE FORÊT COMMUNALE

3(59

REGISTRE DES 76 ARTICLES DU I" RÈGLEMENT AN. 1572

Bois de chêne pour maisons à quatre étages (pignons): art. 1er. à trois pignons : 2. Sans balcon (poutre) : 3. Grange de quatre étages: 4. Grange de trois étages: 5. Nouvel étage : 6. Démoli- tions : 7. Etable : 8. Bois de construction à tirer des abatis : 9. Condition et époque de la coupe : 10 et 11. Chêne pour seuils et maîtres-poteaux dans les réparations : 12. Entraits : 13. —Vidanges: 14.

Bois de hêtre: Arbre à lattes: 15, Etançons, etc.: 16. Amendes: 17. Jantes: 1.8. Rais, «essen»: 19. Défense d'en couper à qui n'est pas charron : 20. Hêtre pour maie : 21. Mangeoire : 22 Bancs et chaises: 23. «Deissdrom» ou lambourde: 24. Echiffre d'un escalier : 25.

Bois arsins: 26. Amende: 27. Fûts: 28. Tonnelier: 29. Exportation d'ustensiles interdite: 30. Chablis, chêne: 31. Cha- blis en général : 32. Arbres secs : 33.

Branchages et gaules: 34. Défense de couper des tiges pour piquets : 35. Pour échaliers : 36. Epine blanche : 37. Harts : 38. Amende : 39. - Bornes et bois en défends : 40. Défense d'exporter gaules et branchages: 41. Ainsi que du bois de feu et de construc- tion : 42. Forêt interdite à la voiture d'un étranger : 43. A ses bêtes : 44. Et au dépôt de bois étrangers : 45. Clôture de la pro- priété: 46. Clayonnage et bousillage:47. Vente de pieds d'arbres: 48.

Amendes : pour charrois de chêne : 49. De hêtre : 50. Etrangers et outre-passes: 51. Cueillette : 52. Comptes et salaires des maîtres de forêt: 53. Consolidation des chemins : 54. Amendes : en glandée et en pâturage : 55 et 56. Décombres du bois coupé pour travaux publics: 57. Prohibition de couper du pin ou du hêtre pour feu: 58.

Jantes de moulin: 59. Défense d'appointer dans la forêt des piquets: 60. Prohibition de couper déjeunes hêtres pourle château: 61.

Clôtures le long des champs : 62. Défense de couper du bois pour charbons : 63. Les forgerons carboniseront leur bois étranger sur l'eAllmem» : 64. Entretien et inspection des bâtiments: 65. Un pot de vin : 66.

Parcage : 67. Achats de porcs : 68. D'une truie : 69.

Bourgeois : surveillance : 70. Promesse (de l'exercer) des nouveaux bourgeois: 71. Chêne à planter par chacun d'eux: 72. Bois pour pasteur ou curé et bedeau : 73. Tribunal des amendes des vingt sur la montagne : 74.

Décombres du bois de construction : 75.

Le 76, sur la fougère ou la fane, manque dans le Registre.

(Fin du 2* Document.)

D. HllCKEL.

Nouvelle Série. - 11- année. 24

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

BAVARDAGES

DE

MESDAMES-MES-COUSINES DE STRASBOURG

entremêlés de quelques autres

COMMÉRAGES ALSACIENS

Suite 1

XII

EHRENFRIED STŒBER

L'ENFANT-MONSTRE

Conte de Grllbrt, localisé et dramatisé par Ehrbnfried Stœbbr

I

Suseb&rwel et Grételéne*

S.-B.

Vous n'emmenez personne. donc, dites, cousine, Allez-vous de ce pasV

G.-L.

De chez notre voisine

1 Voir les livraisons des et trimestres 1882. » Suzanne-Barbe et Marguerite-Madeleine.

LITTÉRATURE POPULAIRE DK l'ALSACE-LURRAINB 371

Je sors, pensez! qui vient d'accoucher d'un enfant, Le septième déjà!

S.-B.

Pas plus que ça ! Pourtant En des temps si mauvais elle pourrait bien faire De toute autre besogne. On s'étonne vraiment Que chez un tas de gens si pauvres la soupière Fume encor!

G.-L.

Je l'avoue, et chez eux la misère Las! redouble en ce jour. Un enfant! quel enfant! Si j'en devais avoir avec marques pareilles, J'aimerais mieux rester sans en avoir aucun.

S.-B.

Mais comment donc est-il?

G.-L.

L'enfant a des oreilles De lièvre. Pourquoi donc? En temps inopportun La femme eut peur d'un lièvre auprès d'une brousaille Du bois de Robertsau. De nos jours on se raille De bien des choses. Mais on ferait pourtant mieux De croire encore tout ce qu'ont cru nos aïeux : Au moins c'est mon avis!

S.-B.

Ça paraît incroyable. Voudriez-vous me faire avaler un poisson D'avril.

G.-L.

Cousine, non! la chose est véritable! Mais gardez-la pour vous.

S.-B.

Vous pouvez, sans façon, Compter sur moi, cousine. Eh! suis-je une crécelle,

372 REVUE D* ALSACE

Une bavarde enfin? Je n'en dirai, ma belle, Ni soufflerai le mot. Pardon, je vais entrer Chez notre serrurier qui doit me réparer La rôtissoire, qui grâce à notre affreux Jacque, Ce gamin, ce vaurien, se casse et se détraque.

II

Susebârwel La sernirière

S.-B.

Oh! que ça vous étonne! il n'en est pas moins sûr Que l'enfant est bien laid. Des oreilles de lièvre, Avec des poils autour du nez et do la lèvre.

S.

Ah! que Dieu me pardonne!

S.-B.

Eh! que dit sur le mur Do l'église là-bas ce grand cadran solaire? Midi!

S.

C'est vrai, ma foi ! Puis il n'avance guère Sur la cloche.

S.-B.

Le temps s'en va vite, ma foi! Mes quatre heures déjà que j'ai quitté chez moi, Et je croirais vraiment que ce n'est qu'un quart d'heure. Pauvre enfant! Je m'en vais regagner ma demeure.

III

Kâthel. Chriatinel K.

Le grand malheur, o ciel ! as-tu vu le petit

Des Werner? Pauvre enfant ayant tête de lièvre,

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE 1 ALSACE-LORRAINE

Avec un corps poilu, les pattes d'une chèvre.

Ch.

Oui! ce matin quelqu'un me l'avait déjà dit Peut-on le voir ?

E.

Oh non ! des dames d'importance, Aux paroles de qui je mets ma confiance, L'ont vu. Pour moi je vous rapporte leur récit!

IV

Meyel. 1 La dame du pasteur M.

Le bonjour de la part de madame, du maître. Dimanche ils aimeraient présenter leur enfant Au baptême.

D. du P.

Fi donc ! Prendriez- vous peut-être Mon mari pour un homme assez accommodant Pour baptiser un monstre avec une crinière De sanglier?.. .

M.

Mais non! calmez votre colère. . .

V

Dame Werner et Meyel W.

Ça va de bouche en bouche. Et maître et serviteur, Tout en plaignant l'enfant, colportent son malheur.

Mario.

374

REVUE D'ALSACE

Qu'y a-t-il donc de vrai, moi je vous le demande, Dans toute cette histoire? Il a quelques cheveux, Comme d'autres enfants, l'oreille un peu plus grande, Et de ça l'on vous fait bientôt un monstre affreux !

* *

*

VI

Voilà le beau travail de ces mauvaises langues Qui s'en vont en tous lieux colporter leurs harangues. Une seule en produit beaucoup en peu de temps. Qui voudrait changer ça? Toujours les médisants De petits moucherons feront des éléphants.

Rioz, 24 mars 1881.

Ce conte de Gellert a beaucoup gagné d'être mis bous la forme dra- matique que Eh. Stœber lui a donnée. Puisse ma traduction ne pas trop lui faire perdre. Ch. B.

LE MEILLEUR DES MONDES

Réjouissez-vous, braves gens, Nous vivons dans de bien bons temps, Dans l'âge d'or, au Paradis ! Chacun, bon, modeste et soumis Au devoir, à la probité, Exerce encor la charité.

Montrez donc un enfant boudeur. Chacun ne songe qu'au bonheur De ses parents, obéissant Au premier mot Devient-il grand Au père il complaira toujours. Fille jamais n'aura d'amours.

LITTÉRATURE POPULAIRE DE i/aLSACE-LORRAINE

voit-on femmes se parer, Ou leurs maris les rembarrer ? voit-on des soldats brutaux ? Ou bien des marchands déloyaux? Ou bien des docteurs charlatans? Des bavardes perdant leur temps ?

Jamais plus d'avocats menteurs, Et, même les prédicateurs Ne prêchent que la vérité. Partout justice et probité! Non! nul joueur ne triche plus. Tout prince abobt les abus.

Aucun paysan n'est grossier. Je voudrais partout publier Notre bonheur! Eh quoi! comment! Pourquoi donc cet étonnement? Ne froncez pas tant le sourcil : Nous sommes au premier avril.

Rioz, le 23 juillet 1881.

LE CHEVAL A TROIS JAMBES

Superstition strasbourgeoise

Si chaque Strasbourgeois connaît Le cheval à trois jambes,

Aucun d'eux, j'en suis sûr, ne sait Ni ses façons ingambes,

Ni ses farces. Si vous voulez,

Ecoutez-moi, vous connaîtrez Le cheval à trois jambes.

Fritz, le garçon du serrurier Sur la Petite Place,

REVUE D'ALSACE

Savait chanter, sauter, crier, Et, sans laisser de trace, Au lieu de marcher, sautillait, De sorte qu'on ne l'appelait Que cheval à trois jambes.

Il meurt. On l'enterre à Saint-Gall, Au ciel s'en va son âme.

Il dit: «Vous serait-il égal,

(A moins qu'on ne réclame !)

Portier du ciel, de me laisser

Descendre un peu pour m'amuser En cheval à trois jambes?»

Tout d'abord Pierre, ne veut rien Entendre et dit: «Bernique!

Petit farceur! je vois trop bien Que tu ferais la nique

Aux peureux que le moindre bruit

Fait crier au spectre, à l'esprit, Au cheval à trois jambes.»

Fritz continue à supplier En disant: «Je m'engage

A ne troubler et n'effrayer Que les méchants. Le sage,

Je promets de le respecter.»

Pierre finit par contenter Le cheval à trois jambes.

Et mon Fritz descend doucement Un beau soir de dimanche

Dans la ville la neige étend Comme une nappe blanche,

Et Fritz bondit, fait maint bon tour,

Depuis dix heures jusqu'au jour. En cheval à trois jambes.

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAIPÎE

Dans son traîneau voyez ce vieux

Avare, autant que riche. Mon Fritz se dit : « Il ferait mieux

De se montrer moins chiche ! Plus généreux!» Il va heurter Le traîneau, qu'il fait culbuter :

Bien! cheval à trois jambes!

Un soir, ruelle du Savon,

Voyant par la fenêtre Monter des voleurs, il dit : tBon !

Je ferai disparaître L'échelle!» Il la renverse et fait Saisir les voleurs au collet !

Bien ! cheval à trois jambes !

Pour la prière du matin

Déjà la cloche sonne. Gros livre de prière en main

Voyez cette personne Traverser le pont Saint-Thomas. Eh bien! que vois-jc donc là-bas V

Le cheval à trois jambes.

Il court et va pousser le bras

De la vieille usurière, (Car c'en est une) et fait, . . . hélas ! . .

Tomber dans la rivière Le livre pieux qui contenait Des billets auxquels on tenait :

Bien ! cheval à trois jambes!

Si tard avec un officier,

Qui donc fait l'empressée?

Du jeune fils d'un menuisier La belle fiancée.

Malgré ses cheveux bien nattés

378 REVUE D'ALSACE

Punis ses infidélités,

Viens, cheval à trois jambes !

Il vient en effet. Sur le dos Il la prend et démarre,

La jetant bas, bien à propos, Au milieu d'une mare.

Cela lui calme son ardeur.

Que tu fais bien, petit farceur De cheval à trois jambes !

Pierre, en voyant cet exploit, rit A se tenir le ventre :

« On fait très bien quand on punit Les méchants,» dit-il, «rentre

Au Paradis, chez les élus ! »

Depuis ce temps on ne voit plus Le cheval à trois jambes.

Haguenau, le 8 octobre 1880.

MA PRÉFÉRÉE

Tes grâces, tu sais bien les faire

Admirer, c'est un fait! Aussi, crois-le, je te préfère

A Lise ainsi qu'à Kajth ; Car Kaith et Lise, Et Lise et Kœth Ont belle figure et teint net

Et gracieuse mise, Mais bien moins aimable manière

Et ne font pas de bonds Comme toi. Tu m'es donc plus chère,

Ma chatte aux doux ronrons !

Haguenau, 13 octobre 1880.

LITTÉRATURE POPULAIRE DR L'ALSACE LORRAINE

DAME BUCHLER

ou la femme malade

Pst!. . . Venez donc entendre une très belle histoire

De Madame Bûchler! Et vous pouvez la croire

Véritable en tous points. Mais ne dites jamais

De qui vous la tenez. Sa servante l'a dite

A la mienne, cousine, et vous pouvez, par suite,

La croire : les détails, les moindres, en sont vrais !

Vous connaissez la dame, et savez qu'elle est belle

Et plaît à son mari. Vous savez même qu'elle

Plaît à d'autres encor. Cette dame Buchler,

Il n'y a pas longtemps, se trouvait en visite

l'on prend du café, l'on rit, l'on en débite

Contre tous les voisins. Elle avait très bon air

Et se portait fort bien. Soudain une faiblesse

La saisit au moment sa voisine entrait

Dans la même maison. Elle se lève et fait

Ses salutations, va chez elle, s'affaisse

Et s'alite aussitôt La servante, aux abois,

Se dit: «Qu'a donc Madame? Elle se meurt, je crois!»

Mais, au lieu de répondre, elle se met à geindre,

Et la bonne voit bien qu'il y a lieu de craindre

Une crise de nerfs, des crampes. Jour fatal !

Monsieur est au comptoir. La servante l'appelle

Aussitôt. Promptement il arrive auprès d'elle

Et dit: «Mon cher enfant, dis-moi quel est ton mal?»

«Embrasse-moi, dit-elle, o mon cher, mon trésor!

Que j'ai mal ! près de moi que l'on ramène encor

Mon fils, mon petit Fritz, afin que je le voie

Pour la dernière fois. Que j'ai mal! Promptement

Je sens venir ma tin Notre homme s'apitoie,

Il se frotte le front, il pâlit. Justement

Un compère était qui par la Sympathie

380

REVUE D'ALSACE

De la dame voulut guérir la maladie.

Mais le mari refuse et mande incontinent

Un docteur. Comme il souffre! ah! quel affreux tourment!

Il est sur des charbons, il tremble, il s'inquiète!

Le docteur se présente : un homme comme il faut

Il va tâter le pouls, écrit une recette,

Dit: «C'est une boisson dedans un petit pot,

Vous la lui ferez prendre. Elle a la scarlatine!»

Vient le troisième jour! On regarde, examine :

Point de taches du tout ! C'était donc une erreur !

Ailleurs était le mal ! Mais un nouveau docteur

Arrive, et prétend lui, que c'est, sans aucun doute,

Un rhumatisme aigu, peut-être encor la goutte,

Et puis prenant un air solennel et savant

Notre docteur lui fait prendre un électuaire.

Mais la femme, malgré tout ce qu'on put lui faire

Avaler, s'affaiblit, va toujours plus avant

Vers la mort !... Hola! ho « Qui donc frappe à la porte?

Entrez ! . . . C'est le tailleur ! Bock ! Est-ce qu'il apporte

Ma robe de cercueil?» «Ah! Madame Buchler !

M'en garde le bon Dieu ! Je vous apporte un fier

Costume ! Maintenant tout le beau monde en porte :

Un beau manteau lilas avec un capuchon.

Voulez-vous que je vous en fasse un de la sorte?

«Commandez «Maître Bock, je suis à moitié morte!

Que pensez-vous? C'en est un comme ce torchon,

La voisine, en avait, lorsque, dans ma visite

Je me trouvais si mal! Le monstre! Ça m'irrite!

Ah! le mal me reprend! Soulève-moi, mon cher;

Encore un petit peu ! Viens aider, Catherine.

C'est un joli travail, et, plus je l'examine,

Plus je le trouve beau! Quelle façon divine!

Mais c'est trop cher pour moi!» Ce bon Monsieur Buchler

Qui, vous me le croirez, est bien le plus brave homme,

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE I.'aI.SaCE-LORRAINE

Lui dit: «Moi, je ne veux regarder à la somme ! Tu l'auras, ce manteau! Mais guéris vitement!» Dame Bûchler rougit Elle devient aimable, Elle n'est plus malade, et d'une voix affable Elle dit: «Maître Bock, aidez-moi seulement A l'essayer!» 11 va. Qu'arrive-t-ilV La dame Guérit, grâce au manteau . . . Bonne dame Bûchler

Profitez, bons maris, de l'histoire. Il est clair, Quand il est question de guérir votre femme, Que le mal qui résiste aux soins d'un bon docteur Bien souvent peut guérir par les soins du tailleur.

Rioz, 25 juillet 1881.

L'ALSACIEN

sur la cathédrale de Strasbourg

Voyez-vous ces campagnes Fertiles, et les hauts Sommets de nos montagnes, Les villes, les hameaux? De quel point que j'admire L'Alsace, je ne puis Que dire et que redire : Qu'il est beau, mon pays !

Quand il quitte la Suisse, Fays libre, le Rhin Par maint îlot se glisse, Et marche d'un bon train! Et la fertile Alsace S'étend devant nos yeux. Quel pays ! quelle race De gens laborieux !

382

REVUE D'ALSACE

Voyez comme à l'ouvrage Tout fourmille, au hameau, A la ville, au village ! N'est-ce pas que c'est beau ? Ici l'on fait des gerbes, vend l'épicier! des soldats superbes, Plus loin maint ouvrier.

Vois l'Ill qui se promène Comme un ruban d'argent A travers son domaine, Notre pays charmant. Elle traverse, admire, Prés verts, champs plantureux, Et la vigne se mire Dans ses jolis yeux bleus.

Et les Vosges présentent Leurs vallons, leurs sommets, Et de gais oiseaux chantent A l'ombre des forêts, Que la montagne est belle ! Vois ce rocher si lier Qui dans son sein recèle, Pour nous servir, du fer.

Les Vosges gigantesques Présentent en longs rangs, En files pittoresques Leurs énormes enfants. , Du Ballon,1 à leur tête, On voit le grand contour,

1 L'ancienne dénomination est Bélcli, qui peut se décomposer en Bel = Belenus = Bal, dieu du soleil, et bac*, lieu, endroit ; signifie lieu consacré à Bel, dieu du soleil.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE l'ALSACE-LORRAINB

Et l'aigle sur sa crête Niche avec le vautour.

Puis on voit une tille, Bonne et d'un cœur pieux, Qui de sapins s'habille, De rochers sourcilleux. Son nom est sainte Odile. Pour la voir, villageois, Habitants de la ville Traversent plaine et bois.

L'on voit mainte merveille De Huninguc à Landau. Prêtez-moi tous l'oreille : J'en chante le tableau. Mulhouse, tes richesses, Tu les as justement, Car tu grandis, progresses, Par un travail constant.

Ce beau Colmar m'attire. Mais je suis surtout pris Quand je lis et j'admire, Grand Pfeffel, tes écrits. Versons du vin pour boire, Pfeflel, et de tout cœur, Tous ensemble, à ta gloire : Car tu fus notre honneur !

Vers Sélestad s'élance Mon regard. Mais il faut, En toute diligence, Ne lui dire qu'un mot. Il le faut, le temps presse, Car le soleil poursuit

384 REVUE D'ALSACE

Sa route, et puis s'abaisse Pour amener la nuit

Strasbourg, ma chère et bonne

Cité, je viderais

A ta santé ma tonne,

Jamais je ne croirais

Trop taire ! Qu'on m'indique

Les villes chacun,

Riche et pauvre, s'applique

Pour l'intérêt commun.

Nos antiques histoires Nous l'ont bien raconté! Strasbourg, par des victoires Gagna sa liberté.1 Prenant souvent l'avance, Notre cité toujours Aux arts, à la science Prodigua ses amours.

Puis mon regard embrasse, Ilaguenau, tes forêts, Et mon œil se délasse Sur leur feuillage épais. Je vois mainte prairie Et termine mon tour En t'admirant, jolie Ville de Wissembourg.

Je vois l'onde limpide D'un ruisseau3 qui, là-has,

*

1 Allusion à la bataille de Hausbergen qui délivra les Strasbourgeois du joug de leur évêque Walther de Geroldseck.

Le texte porte :

De la Queich qui, là-bas,. . . mais la phrase s'appliquant aujourd'hui mieux à la Lauter, nous avons préféré une traduction qui laisse la chose indécise.

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

Par sou courant rapide Doit arrêter nos pas. Je quitte donc ma place, Vide mon verre, et dis : Vive ma chère Alsace! Vive mon beau pays !

Rioz, le 5 août 1881.

XIII

CHARLES-FRÉD. HARTMANN

EN ROUTE VERS LA TASSE DE CAFÉ AU LAIT

Ah! bonjour! ma chère, Que voulez- vous faire ? De vous voir me cause un grand plaisir !

Mon mal me harasse, Je vais, d'une tasse

De café, tâcher de me guérir!

Attendez, car j'entre Avec vous. Mon ventre

Me fait mal, et je sens sur le cœur

Une grosse masse

De plomb, qui le glace : Ce que c'est de vieillir, belle-sœur!

C'est qu'on se surmène ! De travail, de peine

Nous avons eu notre portion,

Mais l'on s'en délasse

Avec une tasse De café, pour consolation.

Nouyelle Série. - H" année. 25

REVUE D'ALSACE

Laissons cette rue :

J'ai peur d'être vue. Si tu veux nous tournerons le coin,*

Pour qu'on n'en jacasse!

Et puis une tasse Vaut mieux, prise loin de tout témoin!

Rioz, le 18 mars 1881.

RIBOTTE DE CAFÉ AU LAIT

C'était très bon ma belle sœur Adieu ! Ne partez pas* si vite. Deux heures! je tiens au bonheur D'être avec vous, et j'en profite!

Vous parlez bien ! pendant ce temps S'il me venait quelque pratique!

L'on n'a déjà trop de chalands! Si l'on volait dans ma boutique !

Et puis, si mon vieux l'apprenait : Vous connaissez trop ses manières.

Eh bien donc, on lui répondrait Par des façons non moins grossières.

Que vous avez bien raison, vous! Et que nous avons tort de craindre ! L'homme fait ce qu'il veut, et nous, Nous n'osons même pas nous plaindre.

' Le coin de la rue de la Lanterne. Hartmann demeurait sous les Arcades et connaissait les allures et habitudes des marchandes des petites boutiques qui aimaient aller se régaler de café au lait dans une petite salle de derrière du Café de la Lanterne.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'aLSACE-LORRAINE 387

Car l'homme ne connaît de frein. Il sait trop bien remplir son verre, Et le vider, quand il est plein, Jusqu'à ce qu'il tombe par terre!

Il ne veut économiser

Qu'aux seuls dépens de notre bouche,

Et dès qu'il nous voit infuser

Du café, comme il s'effarouche!

Pour le mien, il n'est pas méchant, Et j'en prends sans qu'il ne proteste. Le café?. . C'est notre agrément Unique! Il faut donc qu'il nous reste.

Il en est d'autres qu'on peut voir En prendre la journée entière Chez elles, du matin au soir, Faisant bouillir la cafetière.

Bravo! c'est bien la vérité. La bonne ! . . Apportez une tasse, Car je vais boire à la santé

De celle-ci!. . Grand bien vous fasse!

Grand bien!. . . La bonne, apportez-nous Des tasses. Complétons la fête,

Et vous, Madame, payez-vous Les pains pour faire la trempette?

Rioz, le 30 mars 1881.

CONSOLATION

Aib : C'est l'amour, l'amour, l'amour !

Tais-toi! je ne comprends pas Tes larmes, Tes alarmes!

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RKVLE D'ALSACE

Et pourquoi, comme les chats, Te hérisser, hélas ?

On t'a juré d'être fidèle,

L'on te quitte lâchement Pour courtiser une autre belle, Va, n'en pleure pas autant! Car, quand on est jolie On trouve aisément mieux! Tais-toi donc, c'est folie De tant rougir tes yeux !

Il vaut beaucoup mieux rester Plus belle, Moins fidèle! Un amant veut te quitter : Pourquoi le regretter V

Fallait me voir, quand j'étais tille,

Je savais morigéner Et bien arranger maint bon drille: Je n'aimais pas me gêner. Quand l'un d'eux faisait mine De ne plus bien vouloir, Loin d'en être chagrine, Je lui disais: «Bonsoir!

« Va-t'en donc d'un plus grand pas : « Un autre « lion apôtre « Fera bien moins d'embarras ! Va-t'en! ne reviens pas!»

Tu fus trop jalouse et tenace, Oui, c'est vrai, tu le fus trop,

Et, le couvercle, s'il le casse C'est toi qui cassas le pot.

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

Et puis, chose terrible! Nous devons leur céder! Ils ont, d'après la Bible, Le droit de commander.

Quoi ! tu vois que tu n'y peux Rien faire! Cette affaire N'en pouvant pas tourner mieux, Ne rougis plus tes yeux!

Haguenau, 9 juin 1881.

CARNAVAL

Vous dites, ma cousine,

Qu'on avait remarqué

Ma Lise, ma gamine,

La nuit, au bal masqué. Et votre fils, eu Roxelane L'aurait fait danser ! Dieu la damne !

Ma Lise me leurrer!

Ma gamine en sultane!

C'est à désespérer.

Au soir cette canaille

Me dit encor ces mots :

«Je peine, je travaille

«Et j'aspire au repos «De la nuit!» Je dis: «Sur l'oreille « Mets-toi donc, ma fille, et sommeille. »

Pouvais-je le penser?

Le diable la réveille

Pour remmener danser !

890

REVUE D'ALSACE

Oh oui! je désespère!

C'est un «affreux tourment!

Et, le pis de l'affaire

J'y pense seulement : Ce n'est pas seule qu'une dame Pénètre au bal. Vieillard ni femme

Ne fut son conducteur.

Peut-être, chose infâme !

Eut-elle un séducteur?

Fiez-vous donc aux tilles Lorsque celles qu'on croit Si braves et gentilles Font un pareil exploit! A peine au sortir de l'enfance, Iiraver morale et bienséance Pour s'en aller au bal! En sultane ! ! . . A la danse ! ! ! Je vais m'en trouver mal !

Rioz, 25 février 1881.

CANCANS SUR LES CANCANIERS

>

Tous ces bavardages, Tous ces clabaudages,

Qu'ils ont déjà fait de mal, vraiment! Plus dune vipère Aimerait mieux faire

Des cancans, que gagner de l'argent.

Celle au doux langage Dit que mon ménage Disparaît dessous la saleté,

LITTÉRATURE POPULAIRE DK L'aLSACE-LORRAINE

Allant jusqu'à dire Qu'on pourrait écrire Sur les vitres ! Quelle fausseté !

Et puis la Thérèse

Dit que cousin Biaise Pour nous tous est mort bien à propos,

Que notre ménage

Sans cet héritage De marcher aurait eu bien des maux !

Qu'on fouette et fouaille

Pareille canaille Qui dit que nous l'allions tourmenter,

Employant sans cesse

Menace et caresso Le forçant de nous faire hériter !

Oh! pourquoi tant geindre?

Laissez-moi me plaindre, Moi qui connais tous ces médisants,

Dignes de la corde,

Semant la discorde, Divisant les amis, les parents !

Me faut-il apprendre Telle vient prétendre

Quo j'ai dit que dame Letscher boit Et puis, que son homme Juste arrivait comme,

Avec un autre, en certain endroit. . .

Je me tais! silence!

Mais ! quelle impudence ! La femme Knœpfelberger prétend,

A faux ! que mes filles

Sont bien trop gentilles, Que chacune a son étudiant!

392 REVUE D'ALSACE

Grand Dieu ! si mon frère

Apprenait Tatiaire, Comme il jurerait! j'en ai grand peur!

Chose abominable!

Qui donc est capable? Qui donc? D'inventer pareille horreur ?

Pour y mettre entrave, Il faudrait qu'on pave

De baillons ces outils à cancans ! Il faudrait qu'on fouette Vipère ou chouette

Inventant des bruits aussi méchants.

Qu'on ne me regarde Comme une bavarde :

Je ne le voudrais pas pour cent francs. Mais on peut redire : Cela ne peut nuire,

Il faut bien causer de temps en temps.

Rioz, 26 février 1881.

MADAME SURPF1

calqué avec le crayon strasbourgeois sur «Dame Schnips,*

de G.-A. Bukger.

Avalant son huitième pain

Dans sa sixième tasse, Madame Surpf décède enfin,

Tombant raide sur place

1 Le nom de Surpf est une onomatopée rendant le brnit qu'on fait en avalant du café au lait et le pain qui y trempe, par une aspiration aidée de certains mouvements des lèvres et de la langue.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'aLSACE-LORRAINE

0 roi de la terre et des cieux,

Prends pitié de son âme, Dans le séjour des bienheureux

Fais pénétrer la dame.

Aussitôt après le trépas

Commence le voyage. Elle abandonne son repas

Et traverse un nuage.

Puis, à la nuque se grattant,

Se léchant la babine, Aux portes du ciel, elle attend,

Faisant maligne mine.

Qui donc, dit Adam, par ses cris

Nous trouble de la sorte?

«C'est dame Surpf. Du paradis

«Ouvrez lui donc la porte!»

A ton café, bavarde ! Ici

L'on ne veut de gourmande.

«Eh bien! cher grand papa! merci!

«Je suis un peu friande:

«C'est vrai! mais ne le fus-tu pas, «Quand tu mangeas la pomme?

« Livrant aux péchés, au trépas, «Tous les enfants de l'homme?

«T'y voici bien! J'y puis entrer, «Monsieur Limondeterre!»

Adam dit : Faut me retirer Devant cette mégère.

Allons, lui dit Jacob, ne fais Pas autant de grabuge :

«Tiens! tiens! c'est toi qui si bien sais

«User de subterfuge?

394 REVUE D'ALSACE

« Toi qui, sous la peau de chevreau

«A ton père escamotes La bénédiction? C'est beau

«De tirer des carottes?»

Le pauvre Jacob, aplati, Renonce à sa démarche.

Mais Loth arrive et prend parti Pour le grand patriarche.

«Comment! c'est toi! toi, l'homme saint

«De Sodome et Gomorre. «Tes vertus? Etait-ce bon teint? Pour moi j'en doute encore.

«Devant ses tilles se griser

«Ah! quel affreux scandale!

«Et puis ne va pas t'aviser

«De parler de morale!»

Ah! qu'elle vient de bien taper

Au milieu de la tête Du clou! Craignant la voir frapper

Loth va battre en retraite !

Lors, de le tirer d'embarras

Judith prend la corvée. «Ta main, mamzelle Tête-a-bas,

«Est-elle donc lavée?»

A ces mots Judith reste coi Et ne sait plus que dire.

Mais alors vient David, le roi, Espérant l'éconduire :

Va-t'en de ces lieux! Dans l'enfer Rends-toi d'une enjambée.

«Serais-tu si méchant et fier

«Si c'était Bethsabée?

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE l'AI.SACE-LORRAINE

« Uaconte-moi, comment l'eus-tu, •Cette agréable épouse V

«Va, de pareils traits de vertu «Je ne suis pas jalouse

Salomon dit: Elle a pinté!

Chassez donc la mégère Qui s'attaque à la Majesté

Royale de mon père.

-Voyez-vous ça? Vos Majestés «N'étaient guère honorables,

•Car que de traits on a cités

«De vous, vraiment pendables!

«A sept cents femmes tu joignis «Tes trois cents concubines.

«Tes habitudes, m'est avis, «Etaient par trop badines.

«Tu fis, au déclin de tes ans,

«De fameuses écoles, «Puisqu'on te vit offrir l'encens

«A de vaines idoles!»

Jonas vient et veut l'écraser!

Vaine est la tentative. «Toi! fais donc, pour prophétiser,

« Un voyage à Ninive ! »

Puis, à Thomas disant son fait : « Est-ce une grande gloire,

«Pour un apôtre si parfait, «De tâter s'il veut croire ?■

Mais voici le tour maintenant

De sainte Madeleine Qui lui dit : Cessez donc, vraiment

Vous êtes trop sans gêne !

RFA LE d'aLSACE

D'entrer chez nous, avec fracas

Vous faites la demande, Mais vous vous montriez là-bas Trop poissarde et gourmande !

«Et toi? Comment t'y montras-tu?

«Voudrais-tu me l'apprendre? «Obtins-tu le prix de vertu?

«Ne fus-tu pas trop tendre ?

«Tu n'eus pas, nous ont dit les vieux,

«La bonne renommée, «Tu sais bien, celle qui vaut mieux

«Que ceinture dorée!

« Dieu, touché de ton repentir, «T'accorda sa clémence:

« Eh ! moi qui veux me convertir, «J'espère même chance!»

Saint Paul lui dit alors : C'est bon!

Qui voudrait introduire Au Paradis un vrai dragon

Qui ne sait que médire?

«Un dragon!. . tu le fus bien, toi

«Lorsque Ta Violence «Vint persécuter notre foi

«Aux jours de sa naissance!»

Madame, allons ! un peu plus bas,

Lui dit alors saint Pierre. Croyez-vous prendre vos ébats Avec une commère.

«Ma foi non ! je ne le crois pas,

« Mais je sais, et m'en vante, «Sans éprouver nul embarras,

« Entendre un coq qui chante ! »

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'aLSACË-LORRAINE

Elle dit. Mais ses yeux perdant Alors ses derniers voiles,

Le fils de Dieu, resplendissant, Paraît dans les étoiles.

Elle a peur, voudrait se sauver, Puis, couvrant sa paupière

De sa main : «Viens me préserver, «Seigneur, de ta colère !

«Oui! j'ai partagé tous les torts De notre humaine engeance

«Envers toi! Grands sont tes trésors «De divine indulgence!

«N'est-il pas digne de pardon

Mon repentir sincère ? «Tu pardonnas au bon larron,

«Quand il quitta la- terre,

« L'on voit un père à son enfant

«Prodigue faire grâce! Est-il un méfait assez grand

Que ta bonté n'efface.»

Le bon Dieu dit à ses élus : Ouvrez-lui donc la porte.

Mais toi, de mes saints ne va plus Médire de la sorte.

Ami lecteur, viens et dis- nous: Ton manteau charitable

Est-il assez grand et sans trous Pour couvrir notre fable

Et pour t'en cacher les défauts V Viens alors, et l'étalé !

398 REVUE D'ALSACE

Dessous le décousu des mots

Se cache une morale Que tu sauras bien établir.

L'on voit dans l'Ecriture Maint précepte pour ennoblir

Notre humaine nature. Elle nous dit: «Qui veut juger

A son tour devra l'être. «Toi-même ne dois rien venger :

«Dieu seul est notre maître

Rioz, 24 février 1881.

LICENCIÉS1 1834

Rompez vos rangs ! marche I

Que faut-il dire, je ne sais!

L'on aurait tant à dire! Les uns s'en plaignent très fort, mais

D'autres ne font qu'en rire.

C'est vrai, nous femmes, nous trouvions

Dans ce fameux potage Le plus de cheveux. Nous faisions

Maint fatigant ouvrage.

1 En 1830, la garde nationale ressuscita à Strasbourg comme dans le reste de la France, avec la révolution de Juillet. Elle avait salué avec enthousiasme le «roi-citoyen», lorsqu'il avait visité l'Alsace en juin 1831. Mais peu à peu l'esprit d'opposition poussa de telles racines dans son sein, qu'en 1834 le gouvernement prononça sa dissolution.

Hartmann était à cette époque sergent de voltigeurs très populaire parmi ses compagnons d'armes.

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LITTÉKATURE i'oi'Ul.AIRE UE I.'aI.SACE-I.ORRAINE

399

Nous avions peur quand on parlait

De marche militaire. Chacune de nous avalait

Son compte de poussière !

«Avec du papier' dérouillons

Ce fusil par trop terne! «De la cire! un feu de charbons

«Pour polir la giberne!

«Corne de cerf pour les boutons!

De la terre de pipe! «Du tripoli! Ma femme, allons!

«As-tu lavé mes nippes

Mon homme! comme il s'échauffait,

Quand pour une revue, Il salissait plancher, buflet,

Pour soigner sa tenue.

Et puis quand le rappel battait,

L'appelant sous les armes, Quand alors tout n'était pas prêt,

0 scènes ! o vacarmes !

Quel bruit cet homme vous faisait !

C'était vraiment terrible, Et chacune ma foi tremblait

Devant cet être horrible!

Et pourtant, quand il revenait

De rendre ses services, Jusqu'au menton, il vous nageait

Dans des flots de délices !

Et je me demandai* comment Il mettait son caprice,

' La mesure du vers n'a pas permis <le mettre plus exactement papier à verre.

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REVUE D'ALSACE

Au lieu d'y trouver du tourment, A faire l'exercice ï

Ah bien! dit-il, on ne peut pas

T'expliquer ça de suite. A la Robortsau tu viendras

Nous faire la conduite.

Oui! mais dimanche matin pas

Possible qu'on s'absente. Il faut préparer le repas,

La chose est très pressante.

Les garçons, ceux-là s'en allaient

A toutes les parades, Et souvent vous questionnaient

A vous rendre malades !

A la fin je pus réussir

A voir une revue, Et n'eus lieu de m'en repentir,

Car j'en fus tout émue.

Mais j'éprouvais grand embarras,

Moi femme, de leur faire Cortège, en suivant, bien au pas,

Leur marche militaire.

Malgré çà, croyez-m'en toujours,

C'est un plaisir unique D'entendre avec tous ces tambours

Alterner la|musique.

On se dit: «Voici nos maris «Et nous en sommes hères!

«Ah! qu'ils sont beaux quand ils ont mis «Leurs effets militaires.

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE 401

Aussi plus d'un pour s'habiller

Fait du tapage et souille Le logis et le mobilier,

Sans provoquer de brouille.

Je comprends, lors de son retour,

La gatté de mon homme. C'est le clairon, c'est le tambour !

C'est tout ce qu'on consomme!

A la Couronne on se glissait,

A Y Ours chez la Marie,1 Ou chez Huttner quand on pouvait

Quitter sa compagnie.

Les sérénades, sur le soir,

Que c'était agréable! C'est alors qu'on pouvait avoir

Mainte heure délectable!

Mais tout est fini maintenant

Moi, ça me rend morose De voir retourner au néant

Une aussi belle chose.

Mon mari n'a, depuis ce fait,

Plus mangé de colère, Je n'ai point vu de jour qu'il n'ait

Parlé de cette affaire.

Moi, je lui dis dernièrement : «Donniez-vous des alarmes,

4 Variante:

Ou bien chez Bar Marie.

Bâre-Meï (Marie, de l'auberge de l'Ours? ou Bâr, Marie?) était une grande et magnifique cantinière qui accompagnait la garde nationale de Strasbourg dans toutes ses campagnes de IbSO à 1834.

Nouvelle Série. - 11- année. 2G

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I

402 REVUE D'ALSACE

«Qu'on vous ait, si brutalement, «Fait déposer les armes?

«Non!» me répond-il tout ardent, tEt c'est pour cette cause

■Que l'on critique et blâme tant «La pitoyable chose!

•Nos habits sentaient trop longtemps «L'odeur des barricades.

«N'étions-nous pas de trop vaillants, «De trop francs camarades?

«Souvent nous avons fait nos coups, « Mais à nos convenances,

«Excitant, mais non pas chez tous «Plaisir, réjouissances!

«On vient de nous licencier,

«Nos habits sont sans taches.

•Nous pourrons les redéployer «Sans user de cravache!»

Rioz, le 28 juin 1881.

XIV

BAVARDAGE

de Dames-Cousines à cause de la feuille de Mercredi.

Feuille d'annonces du 28 octobre 1848.' I (Dans la rue)

Dame Babbelmeyer. Dame Schnawler.

B

Ah! Madame Schnawler, c'est vous? Bonjour voisine, Contente de vous voir! Arrivez, j'examine

1 Le 24 octobre 1848 la fête biséculaire de la « Réunion de l'Alsace à la France» fut célébrée dans toute l'Alsace, et surtout à Strasbourg,

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La Feuille. Regardez avec moi dedans. Nous sommes abonnés depuis bientôt vingt ans A cette Feuille, car nous aimons tant la lire Que nous la relisons des deux, trois, quatre fois. Nous sommes d'abonnés à peu près la dizaine De façon que chacun de nous donne sans peine Quatre schillings1 par an. Moi, quand je la reçois, Je vais fourrer mon nez avant toute autre chose Dans notre Etat civil. Mais aujourd'hui, je n'ose Le dire, en y jetant mes regards étonnés, Je n'y vois de décès, mariage ou naissance. C'est à vous effrayer ! Mais prenez connaissance Vous même de cela, Tonnerre ! Examinez!

S

Tiens! vous avez raison! que la chose est comique! Est-ce qu'on ne meurt pas sous notre République? N'a-t-elle pas besoin d'hommes, tout comme un roi? Et se marîrait-on, sans recourir, ma foi ! Aux maires ni curés?

B

C'est une devinette Qu'il faudrait éclaircir. Informons-nous là-bas Au bureau de la Feuille.

S

Ah! je suis toute prête A vous accompagner, car j'ai mis dans ma tête De m'instruire comment arrive pareil cas.

avec le plus grand enthousiasme. Le fonctionnaire de la mairie, chargé de l'étal civil, ne put remettre à la Feuille hebdomadaire d'annonces l'extrait qu'il avait l'habitude de lui donner. Pour excuser ce retard ce journal publia dans le numéro suivant le « bavardage » dont nous donnons ici la traduction. 1 Quatre schillings = seize sous.

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«M

REVUE D'ALSACE

II (Bureau du journal)

Précédentes. Un Commis. B

Depuis tout ce matin je me casse la tête. Pourquoi Y Etat civil manque-t-il mercredi V

COMMIS

Prenez-vous en, ma chère, à notre belle fête. Nous ne l'avons pas eu. Vous l'aurez samedi. C'est que l'on célébrait un bien beau mariage : Celui de nos pays. Vive à travers tout âge Notre France ainsi que l'Alsace. Le lien Qui les unit depuis deux siècles, les unisse En toute éternité! Vivat! pour notre bien Souhaitons qu'à jamais ce nœud se raffermisse.

B

Ah ! vous me rassurez, car, vraiment ! j'avais peur. Mon estomac me fait encor mal de frayeur!

S

Nous pouvons repartir. La chose est yelaircie. Bonsoir, Madame, et vous, oh! je vous remercie!

Rioz, 25 mars 1881.

XV

FISCHBACH

DIALOGUE DE DEUX BLANCHISSEUSES

au Cajé de la Lucarne du Poulailler.*

8ALOMÉ

Maudits lavoirs ! C'est Bârwel, à grand'peine Qu'on y pourra bavarder. L'on entend

1 Feuille volante, imprimée chez Silberinann, sans date. Est-ce une reproduction d'un article de journal?

Le peuple de Strasbourg a des Bobriqucts pour chacun des petits cabarets qu'il fréquente : tels sont la Lucarne du Poulailler, le Gousset de Gilet, le Saint-Sépulcre, la Caisse à Farine, la Salière, etc.

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LITTÉRATURE POPULAIRE D ALSACE-LORRAINE

Parler de maint malheur. L'autre semaine Je n'irai plus, de crainte d'accident.

Moi, j'ai peiné! Femme de chambre et bonne, Puis cuisinière. Et quand ou a son beau, Son bon métier, pendant que Ton savonne, A Timproviste on tomberait dans l'eau î

Oh ! grand merci ! Je ne veux que ma vie, Si jeune encor, prenne si triste fin! Pas pour cent francs j'aurais même l'envie De me mouiller jusqu'au cou dans un bain.

BJBRWEL

Oh! taisez-vous, car ça m'impressionne Trop! Jusqu'au cou dans ce bouillon marneux! J'ai vu sombrer un lavoir et frissonne Depuis ce temps, en y jetant les yeux !

Le pauvre état que d'être blanchisseuse! Il nous faudrait, pour faire ce métier Cinq francs par jour, pension copieuse, Et de vin rouge un litre tout entier.

Car on succombe aux peines qu'on endure En travaillant tard et de bon matin!

UN CONSOMMATEUR

Je crois pourtant que votre nourriture Est bonne, car votre teint est fort sain !

Quand je vous vois battre et blouses et chausses, Chemises, draps, dans vos caisses, je crois, Qu'en remuant trop fort, grasses et grosses Vous enfoncez le lavoir sous vos poids.

SALOME

Comment! je crois que ce Monsieur jabote Contre nous deux! Qu'a-t-il donc à grogner!

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Ah ! s'il ne veut qu'on lui cire sa botte De notre table, il n'a qu'à s'éloigner.

Nous n'avons pas besoin, grande panade, De Ses avis, car II est bien trop sot. Que nous fassions lessive ou savonnade N'y fourrez pas votre nez, grand nigaud !

BjERWEL

Que tu fais bien, Salmé, quand tu lui rives Si bien ses clous! Qui donc nous consolait Quand nos baquets emmenant nos lessives, Quand tout enfin à vau l'eau s'en allait

Il faudrait que ces Messieurs de la ville En prissent soin! Ce serait leur devoir! Car c'est fâcheux quand au travail on file Sans être sûr d'en revenir le soir.

8ALOMÉ*

Aux vieux lavoirs en toute hardiesse On s'installait. Sans dangers on lavait. Comme un monarque on était dans sa caisse, Et le battoir3 de sceptre nous servait.

Rioz, le 30 juillet 1881.

1 II semble au traducteur que le morceau aurait été mieux terminé en supprimant ces quatre derniers vers, ou en les mettant à une autre place.

* Le battoir n'est pas employé en Franche-Comté. En en parlant l'auteur fait donc de la couleur locale (sans le savoir?).

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LITTÉRATURE POPULAIRE D'ALSACE-LORRAINE

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XVI

CHARLES BERNHARD

PRÈS DE LA TASSE DE CAFÉ AU LAIT

Cousine, viens, ma chère ! Approche avec bonheur ! De notre cafetière Ne sens-tu pas l'odeur? Viens ! prend ce Cumberlande,1 Trempe-le dans le lait, Et ton palais, gourmande, En sera satisfait!

Comprends-tu, ma chérie, Ces hommes qui, souvent, Vont à la brasserie Dépenser leur argent, Pour y boire à leur aise, Sans repos ni répit, La bière si mauvaise Qui tant les alourdit?

Des heures, par la gorge, Ils se feront passer Ce fade bouillon d'orge. Ils devraient, pour chasser

1 Pain au lait ou gâteau d'une forme particulière. D'après Gérard, l'Alsace à iable, les « Cumbcrlândle » doivent leur nom à un duc de Cumberland qui, pendant un séjour qu'il fit à Strasbourg, vers la fin du siècle dernier, en mangeait chaque jour dans son café.

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Tous les rats qui vont faire Tapage en leur cerveau, Prendre la cafetière Pour remède à leurs maux.

Rioz, 24 mai 1881.

LA CHOPE ET LA PIPE

Contre-partie du morceau précédent

Le vin nous réjouit le cœur :

Une chanson fort belle Le dit. Pour calmer la douleur

La bière ne vaut-elle Autant ? J'aime tranquillement Vider mes chopes en fumant

Quand rien ne va plus, que je sens

Le dégoût, la colère Prendre le dessus, eh ! je prends

Ma pipe et m'en vais faire Un petit tour chez le brasseur Pour m'y réconforter le cœur !

Quels hommes chez eux goûteraient

Le bouillon de carottes V Dans leurs estomacs pousseraient

Les joncs, à pleines bottes ! Humide est l'eau, le vin coûteux ! La bière, amis, vaut beaucoup mieux.

1 Allusion à un succédané du café que bien des commères préparent, en torréfiant lentement des carottes, découpées sous forme de petits dés.

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LITTÉRATURE POPULAIRE D'ALSACE-LORRAINE

Près de la bière, de nos maux

La pipe vient distraire ! Mais gare en rentrant aux gros mots :

Les femmes aiment faire* Du bruit pour rien, bouder, gronder!. . . Oui!. . . sauf à se raccommoder.

Rioz, 25 mai 1881.

Ch. Bekdellé.

(La suite à la prochaine livraison.)

NOTES BIOGRAPHIQUES

SDR LES

HOMMES DE LA RÉVOLUTION

A

STRASBOURG ET LES ENVIRONS

Suite

SCHNELLER (Joseph-Michel). en 1742 à Grusenheim, Haut-Rhin. Maçon à Strasbourg avant 1789, et comme tel, reçu membre de la Société des jacobins en juillet 1792, il est encore le 25 octobre 1794.

SGHÙGLER.

Le 21 décembre 1793, membre de la Société populaire, et en compagnie de Sethe et Klein, il dénonce Hoflherr, boucher à Strasbourg, pour avoir dit que Jung, officier municipal, était un voleur de fagots, et que tous les jacobins, sans exception, sont des misérables et des gueux Le 25 oc- tobre 1794, rayé des Jacobins.

SGHULLER (F.-J.). Un des propagandistes venu de Chalon-sur-Saône 18 oc- tobre 1793, il assiste à rassemblée générale des autorités nouvellement constituées, du peuple souverain et des sociétés populaires, dans le temple de la Raison 11 nov. Il annonce aux jacobins de Beaune, que Strasbourg, la clef de la République, devait être livrée, il y a trois jours, aux Allemands. De toute part les patriotes doivent accourir ici pour déjouer les complots des partisans de la tyrannie 20 novembre. Il demande à Baudot et Lémane le temple

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LES HOMMES DE I.A RÉVOLUTION

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de Saint-Thomas pour les réunions de la Propagande et des Jacobins, et quelque temps après celui des Réformés, dans la rue du Bouclier 22 novembre. Il sollicite de Saint-Just et Lebas la suppression de la permanence des douze sections de la ville, et l'épurement des comités de surveillance 2 décembre. Signataire de l'adresse de la Propagande révolutionnaire aux citoyens de Strasbourg et des départements du Rhin 19 décembre. Au Club, il vote la mort des suspects après triage.

J.-D. Wolfî dit que Schuller était le meilleur de toute la bande.

SGHUH MACHER (Tobie), près de Saint Nicolas, 25.

Du 11 septembre 1754 au l,r septembre 1789, notaire im- matriculé au Directoire de la noblesse d'Alsace et en même temps greffier aux Inventaires De cette dernière date au l" septembre 1798, notaire et syndic de ce corps à Stras- bourg — 1792. De la Société des jacobins, et comme tel il est élu. le 8 octobre 1793, officier municipal sous le maire Monet. A l'élection du 5 novembre suivant il n'est plus réélu, et le 25 octobre 1794, biflé de la liste des Jacobins.

SCHWAHN (Jean-Conrad).

en 1756 à Darmstadt. Chirurgien, non juré, à Stras- bourg avant 1789 Juillet 1791. De la Société des amis de la constitution 7 février 1792. De celle des jacobins 8 février 1793. Du Comité de surveillance des Jacobins pour recevoir et vérifier les dénonciations 1 1 mars. Il aide à rayer Waghette de la liste des membres de ce comité 20 avril. Il trouve que la Convention nationale ne va pas assez vite en besogne, et avec d'autres, il signe une adresse se terminant par la phrase sacramentelle :

Voilà le vœu des Sansculottes de Strasbourg qui ont juré et jurent encore de s'ensevelir plutôt sous les ruines de l'Univers que de retour- ner à l'esclavage.

5 novembre. Notable de la commune 17 déc. Il est mis en état de suspicion, et en voici la raison : Strasbourg

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REVIT, D'AGACE

renfermait grand nombre de militaires malades ou sup- posés tels, le général Diôche en informe le Comité de sur- veillance et de sûreté générale du Bas-Rhin qui, a son tour, charge Bruat de faire examiner et surveiller strictement Schwahn, se disant chirurgien, sujet étranger, la plupart traîtres et conspirateurs contre la propriété et la Répu- blique — 25 octobre 1704. Il est encore de la Société des jacobins.

SCHWARTZ (Jean-George).

en 1743 à Strasbourg, il était fabricant de boutons avant 1789 Juillet 1792. De la Société des jacobins au Miroir 22 novembre 1793. Il demande à Saint-Just et Lebas, d'ordonner Apurement des Comités de surveillance et la suppression de la permanence du Comité des douze sections de la ville 25 novembre. Le Club le nomme d'une commission chargée de présenter les moyens d'opé- rer la levée des citoyens du Bas-Rhin 3 janvier 1794. Au Club il dénonce Baidner pour avoir traité les jacobins de gueux, de coquins, de voleurs, de jeanfoutres et de lâches 25 janvier. Il annonce à la Société qu'il existe, dans un hôpital de la ville, un émigré atteint du scorbut, et que pour rendre sa guérison plus prompte, on doit le guillotiner 25 octobre. Présent aux Jacobins .

SCHWARTZ (Jean).

en 1748 à Strasbourg, il était cordonnier avant 1789 - De décembre 1793 jusqu'en janvier 1795, membre de la Société des jacobins.

SCHWARTZ (Jean-Claude).

Comme membre de la Propagande révolutionnaire, il arriva de Colmar en octobre 1793 - 20 novembre. Il de- mande à Baudot et Lémane le temple de Saint-Thomas et un mandat sur la caisse des riches, pour couvrir les frais d'installation 2 décembre. Il signe l'adresse de la Propa- gande aux habitants de Strasbourg et des départements du Rhin.

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LES HOMMES DE LA RÉVOLUTION

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SCHWEIGHAEUSSER (Jean-Michel). 1789 à 1792, vicaire de la Confession ôVAugsbourg à Barr 25 novembre 1793. 11 abjure dans le temple de la Raison. Citoyens !

J'ai lu ce livre extraordinaire qu'on appelle l'Evangile, malgré la répugnance que m'en avait inspiré le pédantisme et la vie scandaleuse d'un nombre de vils esclaves de toutes les passions et trompeurs de leurs frères, qui font un métier et un trafic détestable de l'interpréta- tion de ce livre; je l'ai lu dans l'original, j'en examinai les principes, j'en suivi de bonne foi les préceptes; je fus ravi de joie et d'étonne- ment de me voir éclairé, content, tranquille, meilleur et plus heureux que je ne l'avais jamais été auparavant.

Voilà ce qui seul m'a fait embrasser un état que trop de vils mar- chands de religion de tonte secte ont rendu méprisable ; je ne pouvais, selon mon cueur, éclairer, instruire, consoler, fortifier mes frères dans les sentiers de la vertu sans porter l'uniforme de l'état ecclésiastique qui me donnait le droit de parler en public.

Enfin une lumière céleste s'élève à l'horizon de la France, ma chère patrie, pour éclairer l'humanité entière et lui rendre ses droits. Je me réjouis de pouvoir, affranchi de toute entrave de despotisme, de tout monopole, enseigner librement mes frères, mes égaux en droits. Dans tous mes discours je leur montrai Jésus, comme le vrai martyr de l'hu- manité, l'ennemi juré de la prêtraille. des despotes et des riches, comme le véritable instituteur de l'égalité, dans ses paroles comme dans sa vie, tonnant sans cesse contre l'orgueil et l'avarice, enfin comme le meilleur ami des Sansculottes. Je fis voir que les principes de la Révolution étaient les siens et, par conséquent, je ne contribuai pas peu à les faire aimer et à les propager.

J'applaudis donc de tout mon cœur à l'abolition de tout titre, de tout état, de tout costume distinctif; je renonce à tout salaire. Qu'on me laisse la seule satisfaction de me rendre utile à mes frères par l'in- struction et je me croirai le plus heureux des mortels.

Oui, citoyens frères! je jure de continuer, comme je l'ai toujours fait, d'abhorrer tout esprit de secte, d'abhorrer tontes les 3ubstilités théologiques et je jure d'être fidèle jusqu'à la mort au bon sens, à ia raison, à la vertu, aux éternels principes de la vérité, à la saine morale, à l'humanité, enfin à la fraternité universelle qui fait la base et le soutien de la République une et indivisible à laquelle je jure une fidélité éternelle.

Le même jour, au Club, ou arrêta, que son nom sera inscrit au procès-verbal de la Société 1804. Pasteur à Barr.

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REVUE D ALSACE

SCH WENGSFELD (Charles).

Un ci-d6vant noble, domicilié à Andlau. Sa famille était investie avant 1789 du château de Grûnstein à Stotzheim

5 mars 1793. Commissaire aux fonctions municipales d'Obernai, ou autrement, maire provisoire 29 mars. Il propose au Conseil municipal d'envoyer une adresse aux représentants du peuple à Strasbourg à l'effet de signaler l'esprit de fanatisme et d'aristocratie qui anime les habi- tants d'Obernai, et puisqu'ils ne veulent pas défendre la cause de la liberté à l'aide de leurs bras, les y obliger par leurs ressources pécuniaires : que dans ce but, une contri- bution soit imposée à l'effet de subvenir aux frais de la guerre en Vendée.

La question religieuse ne fut point oubliée: avec son col- lègue Martin il alla jusqu'à proposer que tout catholique romain, qui ne fréquenterait pas le culte constitutionnel, fut déclaré suspect, avec un écriteau attaché à sa maison, portant citoyen suspect 9 juin. A partir de cette époque le mécontentement se fit jour par une émeute, les griefs aug- mentèrent contre sa personne; mais le moment n'était pas propice pour en obtenir raison, le parti jacobin était à l"apogée do sa puissance, et le maire provisoire exerça bien- tôt tout seul le pouvoir dictatorial à Obernai 1er décembre. Quarante-six juifs du district de Barr sont confiés à sa garde

14 janvier 1794. Il fait arrêter son ancien collègue Martin, arrivé furtivement à Obernai le 13 au soir, fuyant devant un ordre d'arrestation de Lacoste et Baudot.

La chute de Schneider avait considérablement fait baisser sa puissance. Une dénonciation dirigée contre lui, provoqua son arrestation ; mais acquitté par le tribunal criminel, le 11 mars, il retourna le lendemain à la mairie d'Obernai Le 19 mars, le représentant Bar décréta sa destitution, et c'est Nancé, d'Erstein, qui le remplaça 27 juillet. La mu- nicipalité d'Obernai reçut ordre de l'arrêter et de le trans- férer à Paris, mais il était en fuite Juin 1795. De retour à Andlau ; la ville d'Obernai le somma de rendre compte de

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LES HOMMES DE LA RÉVOLUTION

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sa gestion. Son arrestation suivit de près. Le tribunal cri- minel du Bas-Rhin fut saisi de l'affaire, laquelle, au mois d'août suivant, était encore pendante; l'issue nous en est inconnue . Il mourut à Andlau dans l'oubli et dans la misère.

SGHWIND ( Charles-François).

20 février 1791. Il prête le serment pr scrit aux ecclésias- tiques par la loi du 26 décembre 1790 Même année, sous Tévêque constitutionnel Brendel, il est nommé professeur de théologie dogmatique, bibliothécaire et vicaire-directeur au Séminaire de Strasbourg 1792. Il figure dans une brochure intitulée: Portraits des apôtres français à Stras- bourg — 3 décembre 1793. 11 dénonce au Comité de sûreté générale du Bas Rhin, la citoyenne Berlin, de Lauterbourg, fille du citoyen Savagnier, dudit lieu, retirée à Strasbourg avec un coffre rempli d'argenterie.

SCH WINGDE N H AMMER (Philippe- Pierre).

1789. Homme de loi, rue de la Nuée bleue, 21 2 sep- tembre 1791. Greffier du tribunal criminel du Bas-Rhin 12-14 novembre 1792. A l'élection tenue à Wissembourg, il est confirmé dans ses fonctions 19 février 1793. De la Société des jacobins 25 décembre. Greffier du tribunal révolutionnaire présidé par Mainoni 27 décembre. Accu- sateur public, substituant près le tribunal criminel extra- ordinaire du Bas-Rhin, il requiert le procureur de la commune de Strasbourg de faire démolir la maison Scharrer, place du Marché aux-Poissons, n°76 25 mai 1794. Qualifié de greffier, il figure sur une liste de suspects dressée par le Comité de surveillance des Jacobins 9 septembre. Foussedoire avec la Société populaire le nomment agent national de la commune de Strasbourg, en remplacement de Matthseus 25 octobre. Il n'est plus aux Jacobins 17 janvier 1795 Bailly le nomme greffier du tribunal crimi- nel du Bas-Rhin 1797—1799. Avocat à Strasbourg 1800. Nommé avoué près le tribunal criminel du Bas-Rhin.

I

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SENGEL.

1792—1798. Maire d'Illkirch, et en cette qualité il dénonce les époux Poirson de sa commune ; Madame, née Ulmer, pour avoir tenu des propos liberticides, tendant au rétablis- sement de la tyrannie et de la royauté, et à l'avilissement des assignats, monnaie nationale. Il l'accusait en outre d'avoir voulu lui vendre en cachette une voiture de foin contre espèces sonnantes.

La femme Poirson fut condamnée à mort et exécutée le 9 novembre 1793, le mari à !a déportation perpétuelle, et leur jolie propriété d'Illkirch, dont Sengel comptait s'empa- rer, fut vendue au profit de la République 1796—1798. Nommé commissaire du Directoire exécutif du canton de Geispoltsheim.

SÉTHÉ.

1792. Membre de la Société des jacobins au Miroir 21 décembre 1793. En cette qualité, et avec Schûgler et Klein, il dénonce au Comité de surveillance du Club le bou- cher Hollherr, de Strasbourg. Le 25 octobre 179 'i, il est rayé des Jacobins.

SILBERRAD (Jean-Samuel), (Petites-Boucheries).

1784 à 1789. Sénateur de la tribu des charpentiers. Licen- cié en droit. Secrétaire honoraire de la Chambr des XIII 8 février 1790. Elu notable de la commune 11 novembre. Maintenu. 11 était chargé du tribunal de police municipale 27 mars 1791. Comme notable, il signe la délibération ordonnant l'arrestation du curé de Saint-Laurent, et dénon- çant le cardinal de Rohan aux représentants delà nation 14 mars 1798. Membre du Conseil général du Bas-Rhin 30 mars. Juge près le tribunal criminel du Bas-Rhin, il con- damne à mort trois malheureux paysans des environs de Molsheim pour avoir crié: vive le roi, au diable la nation En 1798, reçu membre des Jacobins au Miroir 5 janv. 1794. Juge au tribunal du district de Strasbourg. Les Jacobins ne le portent pas sur leur liste du 25 octobre 1794 17 jan-

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vier 1795. Maintenu juge au tribunal civil du district de Strasbourg, et jusqu'en 1804, il occupe les mômes fonctions.

SIMON (Jean-Frédéric).

en 1747 à Strasbourg, il domiait des leçons de calcul et d'écriture Du 6 décembre 1789 au 12 mai 1790, rédacteur de la feuille hebdomadaire patriotique de Stras- bourg, qu'il reprit du 11 novembre 1792 au 25 août 1793 Août 1790. De la Société des amis de la constitution— 25 jan- vier 1791. Un Strasbourgeois, répondant à un citoyen de Pont-à-Mousson, dit :

Si l'on avait quelques troubles à essuyer, on ne pourrait les attribuer qu'à Simon, véritable brigand, que depuis six mois les luthériens sages auraient faire périr eux-mêmes par le bâton.

Même année. Président du Club enfantin de Strasbourg, en remplacement de Beyckert, du Gymnase 7 fév. 1792. De la Société des jacobins, au Miroir Fin juin, il alla à Paris comme fédéraliste et lut un des quarante-trois mem- bres qui s'assemblaient journellement dans la salle de correspondance aux Jacobins Saint-Honoré. De ces qua- rante-trois on en tira cinq pour le Directoire secret d'insur- rection; il fut du nombre, avec Vaugeois, grand-vicaire de l'évêque de Blois; Debesse, du département de laDrôme; Guillaume, professeur à Gaen, et Gallissot, de Langres. Bientôt on y joignit encore d'autres révolutionnaires.

La première séance de ce Directoire insurrectionnel se tint dans un petit cabaret, au Soleil d'or, rue Saint-Antoine, près la Bastille, dans la nuit du jeudi au vendredi 26 juillet. On fabriqua un drapeau rouge, et dans la séance du 4 août, on arrêta le plan de l'insurrection, la marche des colonnes et l'attaque du Château.

En sa qualité de secrétaire de co Comité, il fit une copie du plan pour Santerre et Alexandre; mais il ne put être mis à exécution que dans la nuit du 9 au 10 août, au moment le tocsin sonna en trois endroits différents en même temps.

C'est donc à ces cinq jacobins que l'on peut attribuer directement la gloire de la fameuse journée du 10 août.

Nouvelle Série. - II- année. 27

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Il ne revint à Strasbourg qu'en septembre pour aller ensuite à Mayence, occuper le poste de commissaire du pouvoir exécutif près l'armée de Rhin et Moselle, comman- dée par Custine, et dont il traduisit la proclamation aux habitants du Palatinat, en date de Spyre, le 7 octobre 1792 18 janvier 1793. En celte qualité il est nommé notable de la commune de Strasbourg 30 janvier. Schneider annonce que Mayer étant parti pour l'armée du Rhin, et Simon ayant joué un des premiers rôles à Paris, le 10 août, leur journal Oeschkhte der f/egenuartigen Zeit cesserait de paraître. Il avait commencé le 10 octobre 1790. G'e^t Schneider qui coopéra à la rédaction en juillet et août, pen- dant que Simon était à révolutionner Paris 22 juillet. Gomme membre du Conseil de défense de Mayence, il signe la capitulation Août. De retour à Strasbourg, il dénonce D1 Stamm au tribunal révolutionnaire pour avoir dirigé la municipalité de Mayence, écarté les populations de notre Constitution, et par sa rudesse, fait émigrer tous les bate- liers qui auraient pu rendre de grands services à la défense de la place 8 octobre. Chargé d'affaires de la République, il est élu notable 10 octobre. Au Comité de surveillance, il appuie une dénonciation faite contre Tùrckheim 5 nov. En la môme qualité, de nouveau confirmé notable 29 nov. Il rapporte à Monet, qu'ayant pendant toute la journée par- couru les marchés et les maisons publiques, il n'a rien pu découvrir de fâcheux, les villageois louaient le régime répu- blicain, en maudissant l'aristocratie 30 novembre. Second rapport sur les juifs, qu'il n'a rencontré nulle part II désire faire un tour à la campagne, mais ses moyens et sa nom- breuse famille s'y opposent; il prie donc Monet de lui faire donner ce qu'il lui plaira 1" décembre. D*«ns son troisième rapport, il a parcouru le port des pécheurs pour avoir l'oreille attentive aux conversations, mais tout était tran- quille et sans aucun intérêt 6 décembre. Au Club, le rapporteur du Comité épura teur de la Société des jaco- bins dit: «Simon, journaliste, Rolandiste, intrigant.» «Oui, dit un membre, je l'ai toujours remarqué aux séances du

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LES HOMMES DE LA RÉVOLUTION

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parti Roland. » « Nommé par ce dernier à une Commission à Mayence qui le mettait à môme de surveiller bien des désordres, il ne Ta point fait, et n'a pas eu le courage de faire ses dépositions avec la fermeté qu'inspire la vérité, dans le procès du général Custine.» Un autre membre cherche à le défendre en allégant qu'il s'est ruiné pour sou- tenir son journal. Sa radiation est ajournée 11 décembre. Employé au district de Haguenau, il reçoit son certificat de civisme 14 décembre. Le Comité de surveillance de sûreté générale du Bas-Rhin, lui paie 60 livres comme agent du Comité 25 septembre 1794. Le Club le charge de traduire en allemand un discours du sansculotte Massé, commen- çant ainsi :

La République est, en ce moment, un vaisseau superbe chargé de trophées et voguant à pleine voile vers la terre du bonheur, etc.

25 octobre. Il est encore aux Jacobins.

SIMON (Nicolas).

en 174» à Leiningen-Altroff, dans le Palatinat Avant 1789, cafetier à Strasbourg 15 mars 1791. De la Société des amis de la constitution 7 février 1792. Il passe aux Jacobins 18 janvier 1793. Nommé notable de la com- mune; fonctions qu'il ne cessa d'occuper jusqu'à fin 1794— 13 avril 1794. 11 se rétracte près le Comité de sûreté générale de mettre en jugement quatre commandants de la garde nationale de Strasbourg 2 août. Il adhère à l'adresse de félicitations de la mnnicipalité à la Convention nationale, lors de l'arrestation de Robespierre et autres complices 25 octobre. Présent aux Jacobins.

SIMOND (Daniel)

Un Suisse, en 1774 à Hostung, district de Romans, il était étudiant En 1793, il arriva à Strasbourg et fut employé à la mairie, au bureau des étrangers 21 mai 1794. De la Société des jacobins, au Miroir 12 juin. Il dénonce au Comité de sûreté générale le tailleur René, rue de la Mésange, qui lui a demandé 48 livres pour une culotte de drap, non doublée 25 octobre. Encore aux Jacobins.

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S1MOND (Philibert).

D'origine piémontaise; il logeait rue du Dùme En mars 1791. Comme prêtre assermenté, il fut nommé, le 28 juin suivant, vicaire épiscopal de l'église-cathédrale de Strasbourg 22 octobre. Il désavoue le discours de son collègue Schneider sur le mariage des prêtres 10 jan- vier 1792. A la Société des amis de la constitution, il tient un discours sur l'éducation des femmes 24 février. Après la scission, président du Club des jacobins, il est d'avis de tenter la réconciliation et d'envoyer une députation à l'Au- ditoire — 3 avril. La Société des jacobins le charge de porter à celle de Paris, ses griefs contre le maire Dietrich, les administrateurs du Bas-Rhin, et surtout les faire connaître à l'Assemblée nationale 21 mai. Aux Jacobins il dénonce Dietrich comme vendu à Lafayetto 22 mai. Il signe la circulaire à toutes les sociétés affiliées pour leur peindre la situation politique des frontières du Rhin :

Nos départements, bien loin d'être dans le sens de la Révolution' deux tiers, au moins, sont dans le sens contraire.

24 juin. Il est cité devant le juge pour cette adresse incen- diaire du 22 mai, et la salle de lecture des Jacobins est fermée par ordre du maire Dietrich 28 juin Ses lectures publiques lui sont interdites comme excitant à la révolte.

Dénoncé par Brunck au général Lamorlière, celui-ci demande son expulsion de Strasbourg, ce qui eut lieu vers le 1 1 août 1792. Pour se venger et perdre le maire Dietrich, il imagina, avec Monet, une lettre comme venant d'un chef de l'armée des émigrés. Elle fut apportée à Teterel par un certain inspecteur des remontes, probablement un espion secret de Saint-Just et Lebas, et conduisit le malheureux maire à l'échafaud 2 septembre. A l'élection tenue à Haguenau, il fut nommé scrutateur, et au dépouillement, député à la Convention nationale 9 septembre. Au Club, il raconte les faits qui ont eu lieu à l'électiou de Haguenau, et présente la motion de ne plus choisir aux prochaines élec- tions municipales, ni savants, ni riches; mais les citoyens les

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plus pauvres 21 novembre. Rendu à son poste, il mande aux jacobins de Strasbourg que Dietrich, le marchand de province, est à l'Abbaye, et que prochainement il sera décrété

9 décembre. Il est en route pour Ghambéry, les députés de la Savoie étant à Paris, pour l'incorporation de leur pays à la République française 15-19 janvier 1793. Etant en mission, il ne prit aucune part au jugement de Louis XVI

31 mars. De Paris, Teterel informe les sansculottes de Strasbourg que Philibert Simond les a trahi à Besançon dans le procès Dietrich 28 juin. Il réclame contre cette fausse accusation :

Je n'ai écrit qu'une seule lettre privée sur le compte de ce traître, c'est une réponse à l'accusateur public de Besançon qui me demandait si je pouvais me rendre près du tribunal. J'étais alors malade, commis- saire de la Convention aux prises avec toute la canaille de l'ancien régime, il m'était impossible de quitter.

29 novembre. En commission à Besançon, il avise les jacobins de Strasbourg que les départements qu'il vient de parcourir leur préparent quelques secours 23 décembre. De l'Abbaye, Schneider invoque son témoignage ; demandez- lui si mes écrits, mes discours, mes actions avaient jamais d'autre but que celui de seconder la marche de la Révo- lution.

Compromis dans l'affaire Danton, c'est en mars 1794, qu'il porta sa tôte sur la guillotine, à Paris.

SOMMERVOGEL (Xavier).

en 1759 à Strasbourg 1789. Employé à la Chambre des XV 26 mai 1790 à 1792. Premier commis au bureau delà comptabilité du directoire du Bas Rhin 1792. Nom- mé receveur du district de Strasbourg 81 octobre 1793. Saint-Just et Lebas L'imposent à 12,000 livres, réglées le 13 suivant 21 décembre. De la Société des jacobins ^1 décembre. Massé le dénonce au Comité de surveillance de cette société, qui renvoie la plainte au Comité de sûreté générale du Bas-Rhin pour y faire droit 25 mai 1794. Comme ex-trésorier, il figure sur une liste de suspects

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dressée par le Comité de surveillance des jacobins 26 mai. La Municipalité ordonne son arrestation; mais, en déférant à la demande de l'agent national Matthams, il y s<>ra sursis jusqu'à son remplacement au District, qui sera prié de s'en occuper de suite, afin que le service de la caisse, qui lui est confiée, n'éprouve aucune entrave 30 mai. Sa femme est emprisonnée comme aristocrate et fanatique 25 octobre. Il est encore aux Jacobins 1797. Receveur du bureau de loterie n# 702, rue du Jeu des enfants, qu'il cède, en 1800, à Ferry, ayant été nommé chef de comptabilité à la préfec- ture du Bas-Rhin.

SPANGELBERG (Martin).

Un Allemand, en 1746 en Saxe ; serrurier à Strasbourg, bien avant 1789 1791. Membre de la Société des amis de la constitution ; il passe ensuite à celle des jacobins, le 7 février 1792, il est encore le 25 octobre 1794

SPEGK.

1793. De la Société des jacobins 3 janvier 1794. Il sert de témoin à J.-G. Schwartz contre Baldner, tonnelier, pour avoir, à l'auberge de la Montagne verte, insulté la Société des jacobins en traitant les membres de gueux, d* coquins, de voleurs, de jeanfoutres et de lâches 25 octobre. Il n'est plus sociétaire aux Jacobins.

SPIELMANN (Louis), (Faubourg-de-pierre, 82).

1789. Greffier du petit Sénat de Strasbourg 8 fév. 1790. Officier municipal 30 avril. Juge au tribunal du district de Strasbourg. De la Société des amis de la constitution 10 mars 1791. Il informe contre un pamphlet allemand, in- titulé: Bei Oottf es ist Zeit, dass sich die Elsàsser auf die Hinter/uss stellen, etc. 27 mars. Il sévit contre l'imprimé: Monition canonique et ordonnance du cardinal de Rohan, évêque de Strasbourg 16 janvier 1792. Directeur du jury du district de Strasbourg près le tribunal criminel du Bas- Rhin 7 février. Il passe aux Jacobins 19 lévrier 1793. Juge au tribunal criminel du Bas-Rhin 30 mars II con-

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LES HOMMES DE LA REVOLUTION

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damne à mort trois malheureux paysans des pnvirons de Molsheim 5 janvier 1794. Commissaire national près le tribunal du district de Strasbourg 25 octobre. Il n'est plus aux Jacobins 17 janvier 1795. Juge au tribunal civil du même district 1797. Substitut du commissaire du pouvoir exécutif près le tribunal civil de Strasbourg 1798. Elu par Strasbourg, membre des Assemblées primaires du Bas-Rhin 1800—1805. Procureur au tribunal civil de Strasbourg.

STAMM (Daniel)

Avant 1789. Attaché au commerce de son père, Jean-Fré- déric Stamm, alors tonnelier -marchand de vins à Epfig Janvier 1791. Comme négociant, il est reçu membre de la Société des amis de la constitution à Strasbourg 10 fév. 179*2. Après la scission, les jacobins le nomment secrétaire de leur Société, dont les séances étaient au Miroir et au Poêle des cordonniers. Peu de temps après, la guerre entre la France, la Prusse et l'Autriche ayant éc'atée, il entra simple soldat dans un régiment de chasseurs à cheval 20 septembre. Il est guide à l'armée du Rhin, et au Club, il prononce un discours sur les devoirs du militaire combat- tant pour la liberté. Arrivé à l'armée devant Spyre, ses talents géographiques le firent remarquer du général Cus- tine qui, un jour, le chargea, avec cinquante hommes d'en- lever les postes de Philippsbourg, Rheinhaussen. Lossheim et Ketsch, et do brûler tous les bateaux qu'il rencontrerait sur le Rhin. Il réussit 7 oclobre. Il certifie conforme une proclamation de Custine, datée de son quartier général à Spyre, aux habitants de Worms 10 octobre. Custine le charge d'une mission à Mayenc\ Il pénètre dans la place en compagnie du professeur Bœhmer, dévoué à la France, et du colonel Houchard. Mayenco s'étant rendu le 21 octobre, Custine envoie son rapport à Paris, portant :

J'étais non seulement instruit avec précision des forces qui étaient dans la ville, de la nombreuse artillerie qui bordait ses remparts, mais encore de la situation positive de cette importante forteresse. J'avais su me procurer par l'intelligence et la çrande audace du jeune Stamm,

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la connaissance précise des points qui avaient été négligés dans la place.

Cette heureuse issue valut à Stamm, le 27 octobre, les félicitations de la Convention, et le grade d'aide-de-carap du général Custine, qui fut nommé général en chef de l'armée du Rhin 23 octobre. Cinq Mayençais, dévoués à la France, se réunirent chez l'aide -major Stamm pour former un club sous le nom des Amis de la liberté et de l'égalité, et le len- demain, il y en avait déjà plus de mille d'inscrits 17 no- vembre. Du quartier général de Mayence, il adresse la lettre suivante au Landgraf de Hesse-Cassel :

Vous êtes un négociant qui fait beaucoup en marchandise humaine, car j'apprends que vous offrez fiOUO Carlins pour l'article Custine; c'est beaucoup, car en bomme d'affaires vous devriez savoir, mieux que tout autre, ce qu'une pareille tête vaut. Peut-être pourrai-je vous rendre service, et vous procurer une bonne affaire. Donnez-moi 3000 Carlins, et je vous livre le général Custine, son armée, ses canons, ma personne môme, hors la porte de Ilanau, là, vous n'aurez que la peine de les enlever.

2 décembre . L'armée française ayant perdu Francfort-s/- Mein, se replia insensiblement sur Mayence. Stamm suivit Custine vers le Hundsriïcken, assista à la prise du château de Stromberg, tomba entre les mains d'une patrouille enne- mie près de Neuwinger et ne dut son salut qu'à son cheval. Il assista ensuite à l'affaire de Gundersblum, et après le départ de Custine, il rentra à Mayence où, pendant le blocus, commencé le 14 avril 1793, il fut successivement attaché aux généraux Blou et d'Oyre 22 juillet 1793. Mayence capitula. Stamm voulut rejoindre Custine, mais dénoncé par Simon, il fut emprisonné le l"août, transféré de suite à Paris, sous la prévention, d'avoir avec Custine, trahi la France 20 août. Il fut relâché.

Brûlant du désir de voir son père et sa mère, il s'achemina sur Strasbourg, commandait le général Dièche, qui, à son tour, trouva bon de le mettre en état d'arrestation, malgré son permis du ministre de la guerre. Ses papiers furent saisis, et de leur examen il en résulta sa mise en liberté.

A peine chez son père, que par suite des dénonciations

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mensongères de Pape, Petersen et Wurtz, tous trois atta- chés au bureau de correspondance de l'armée du Khin, les représentants Milhaud et Guyardin, le firent de nouveau incarcérer le 27 septembre 8 octobre. Le Comité de sur- veillance et de sûreté générale du Bas-Rhin, déclare que le commissaire chargé de vérifier ses papiers, n'ayant rien trouvé parmi eux qui puisse donner lieu à suspiscion, il sera mis en liberté 11 octobre. Il se jette dans le parti Monet, qui le charge d'arrêter les anciens baillis, prévôts, huissiers, forestiers seigneuriaux et les plus riches aristo- crates de chaque commune 3 novembre. Procureur- syndic près l'administration du district de Strasbourg 17 novembre. Secrétaire du Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin, aux appointements de 2400 livres par an 18 novembre. Ce Comité arrête quil remplira les fonctions de commissaire de police 21 no- vembre. Il est chargé la visite et du classement des prisonniers au Séminaire 22 novembre. Le Directoire du district de Barr le charge des fonctions de commissaire dans le canton d'Obernai, à l'effet de la levée des scellés sur les effets d'émigrés 24 novembre. Le tribunal révolutionnaire le réclame pour procureur-syndic, tout en restant au Comité de sûreté générale du Bas-Rhin 29 novembre. Commis- saire pour la levée de la contribution forcée dans le district de Barr 1" décembre. Comme procureur-syndic, il est requis par le Comité de sûreté générale de se rendre dans les communes du district et d'y asseoir une contribution forcée sur les riches et faire arrêter tous ceux qu'il croira suspects 3 décembre. De Dorlisheim, il expédie à Mainoni lejameux Blessiq qui, dit-il, ne s'attendait pas à ma visite. Il y en a encore plusieurs de ces êtres dans les environs; je les découvrirai, ils augmenteront le nombre de ceux qui contribuent à nourrir les pauvres, détenus au Séminaire 7 décembre. Il expédie sept autres. A cette époque, comme procureur-syndic provisoire du district de Strasbourg, com- missaire général du Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin pour la levée des taxes révolution-

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naires, il fournit un état des contributions forcées à lever par ordre des représentants du peuple et dudit Comité dans les communes du district de Strasbourg, montant à trois millions 281,000 livres, lesquelles ont produit 1,372,560 livres 8 décembre. U est désigné pour établir une infir- merie au Séminaire. Les médecins et chirurgiens détenus seront obligés de soigner les malades 9 décembre. Com- missaire pour instruire l'affaire dénoncée par le Comité central de Colmar; à quel effet il ira à Benfeld sans retard 10 décembre. Procureur-syndic du district de Strasbourg, la municipalité doit lui fournir cent cinquante charpentiers pour démolir les étages supérieurs de la caserne dite Finck- matt 12 décembre. 11 examinera toutes les lettres qui ont été interceptées et en fera rapport 13 décembre. Weiss. en rendant compte comme greffier du tribunal révolution- naire du Bas-Rhin, porte 50 livres payées aux musiciens qui ont joué devant la famille Stamm . On sait que Sarah Stamm, sœur de notre Daniel, épousa Schneider, le 13 dé- cembre 1793 15 décembre. La commune d'Avolsheim l'accuse d'avoir touché 5000 livres en se qualifiant de tré- sorier du tribunal révolutionnaire. Il a affirmé n'avoir jamais reçu, ni touché à Avolsheim, encore moins avoir pris la qualité ci-dessus. On doit vérifier le fait 17 décembre. L'affaire est renvoyée aux papiers d'Euloge Schneider Deux officiers municipaux de Schiltigheim se présentent au Comité de sûreté générale du Bas-Rhin pour déclarer que le 16, J. Fix, de Dossenheim, agent nommé par Stamm, s'est présenté à la maison commune réclamant 25,000 livres dans les vingt-quatre heures. Fix sera arrêté On le charge d'interroger Wurtz, Wohringer, Lieber et autres, et d'exa- miner les demandes de mise en liberté au Séminaire 23 décembre. Il défend au commandant du Séminaire de ne laisser entrer aucune espèce de mangeailles ou boissons, sans un ordre exprès de Monet 25 décembre. Avant de se dissoudre, le Comité de sûreté générale du Bas-Rhin ordonne de lui payer ses appointements sur le pied fixé et le recommande pour être maintenu agent national du dis-

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LES HOMMES DE LA RÉVOLUTION

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trict de Strasbourg 6 février 1791. Monet, en le qualifiant d'ex-agent national du district de Sélestadt, l'informe que la translation de son district a été arrêté le 5, et que Séles- tadt sera le chef- lieu. Puis il ajoute : les gros marchands de Barr vont dire que les progrès de la Révolution diminuent avec leurs écus 9 avril. Agent national du district de Benfeld, séant à Sélestadt, il se disculpe vis-à-vis des Barrois, d'avoir contribué au transfôrement à Sélestadt du district qu'eux-mêmes avaient enlevé à Benfeld 9 juillet. En cette qualité, il mande à Monet que c'est à lui, et non à la muni- cipalité de Barr, que l'agent de Strasbourg aurait s'adresser pour obtenir l'arrestation du pasteur Fritz, que la Société populaire de Barr prend maintenant sous sa pro- tection. Puis il clôture sa lettre en ouvrant son cœur à Monet :

Juge de à l'esprit dn peuple. Juge des Argos, que j'ai. Consulte mon âge et vois moi abandonné de tous les côtés. Sans pilotes, sans aide, sans ami. Ah, sans doute. Tu seras tenté à me sauver de ce pur- gatoire, dans lequel vous m'avez flanqué.

Dans ce mois, il fit arrêter huit pasteurs protestants et six rabbins du district de Benfeld, lors du passage du géné- ral Dièche, allant dans le Haut-Rhin 14 août. Il informe Monet que les Colmariens l'ont indignement traité au Club: tTu es le Gatilina de l'Alsace, tyran qui captive la volonté des représentants du peuple,» etc. 25 octobre. Il est radié de la Société des jacobins 16 juin 1795. Il figure sur la liste supplémentaire des émigrés du district de Sélestadt.

Etienne Barth.

(A suivre.)

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

I

Correspondance politique adressée au Magistrat de Strasbourg

par ses agents à Metz (15i>i-l«'.s:$)f tirée des archives municipales de Strasbourg et publiée pour la première fois, avec notes explicatives et tables, par MM. E. dh Bocteuler et Eigkve Hepp Paris, imprimerie de Bcrger-Levrault et C", éditeurs, 1882 1 vol. gr. in-8° de XVII-4G3 pp. Prix 10 fr. à la librairie Berger-Levrault et O, 6 rue des Beaux-Arts, Paris.

La maison Berger-Levrault a donne" des soins particuliers à l'impression de ce recueil: beaux caractères, beau papier, tirage irréprochable font de ce volume un des plus cossus et des plus élégants de nos almtiqnes. On le découpe avec pré- caution et on y touche avec les égards qui sont dûs à la typographie artistique. Avant de le placer dans sa collection, l'ami des livres concernant l'Alsace aura soin de lui procurer une reliure assortie et respectueuses des marges que les pro- cédés mécaniques outrageraient d'une façon regrettable. Au point de vue matériel, le livre a droit à ces recommandations.

Qu'en est-il des documents que ce volume renferme et des notes qui suivent les documents? MM. de Bouteiller et Hepp ont pensé que si, au premier aspect, quelques-unes des pièces paraissent n'avoir qu'une portée historique discutable, il ne leur était pas permis de les élaguer d'une collection formant un tout homogène, une série complète des informations diplo- matiques dont la vigilante République de Strasbourg tenait h s'entourer. Dans les archives de ce genre, il y a en etiet, entre toutes les pièces qui y sont conservées, une connexité si étroite qu'elle ne saurait être bien comprise qu'à la suite d'une étude détaillée et suivie de l'ensemble des documents Il faut donc louer les éditeurs de n'en avoir exclu aucun du beau volume offert aux amis de notre histoire locale.

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 429

Ces pièces sont au nombre de trois cent vingt, embrassant une période qui commence le 16 avril 1594 et qui finit le 12 juin 1683, c'est à dire un siècle presque complet Elles sont dues à: Jacques de Saint- Aubin, de Flavigny, Paul Lallement, Bongars, Jehan Durant, un anonyme et Jalon. Elles se rap- portent à peu près toutes à des faits extérieurs sur lesquels la République de Strasbourg avait besoin d'être renseignée. Ce fond constitue donc une partie intéressante des archives diplo- matiques de la ville pendant le siècle qui a précédé le retour de Strasbourg à l'ancienne Gaule.

Quarante et une pages d'annotations, suivies de deux excel- lentes tables des matières, terminent le volume. Les annota- tions répondent strictement aux exigences d'une publication de ce genre; mais elles auraient pu être plus complètes si MM. Hepp et de Bouteiller se fussent fait aider, dans cette partie de leur louable travail, par une personne s'étant plus particulièrement occupée de l'histoire de la métropole de la province. Nous aurions aimé encore qu'au bas des pages, de brèves indications eussent donné un trait de lumière qui aurait permis au lecteur de s'orienter instantanément sur les faits extérieurs auxquels les correspondants de la République font allusion dans leurs missives.

Ces réserves ne portent aucune atteinte au mérite réel du volume que nous venons de décrire et qui se recommande par lui-même à la sérieuse attention des historiens français et alsaciens.

Dans leur avant-propos, MM. Hepp et de Bouteiller nous donnent un aperçu fort lucide sur l'organisation communale de Strasbourg depuis ses origines jusqu'à l'avènement du régime nouveau. Mais n'y a-t-il pas contradiction dans cette remarque : qu'à l'époque Strasbourg dans tout son éclat de ville libre, relevant immédiatement du Saint-Empire germa- nique, formait une véritable république sans lien de suzerai- neté d'aucune sorte? Par le fait seul de son immédiateté,

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REVUE D'ALSACE

comme d'autres villes de la décapole, le lien de suzeraineté politiquo la rattachait au Saint-Empire. Cela est si vrai pour toutes les villes libres d'Alsace, qu'aussitôt élu, le roi des Romains devenait presque toujours lieutenant de l'empereur dans la province. Ce qui n'empêcha point, il est vrai encore, le Magistrat de Strasbourg de savoir sauvegarder ses anciens droits et privilèges locaux avec une intelligence et une fer- meté qui ne se rencontraient point ailleurs et qui, à la longue, surtout au xvr siècle, lui créèrent une situation comparable à celle de la souveraineté, «sans lien apparent de suzeraineté d'aucune sorte».

II

Mémoires de la Société d'émulation de Montbéliard -

XIIIe volume 1881 Montbéliard, imprimerie de Barbier frères, 1881 1 vol. in-8° de 86 pp., avec VIII planches et 2 cartes.

Les matières qui composent ce fascicule offrent un intérêt particulier se rattachant aux origines de la Société, à son développement, à l'esprit qui n'a cessé de l'animer, au but qu'elle veut atteindre, aux travaux qu'elle a réalisés, aux richesses qu'elle a réunies et aux vues qu'elle cultive pour l'avenir. Il y a chez les personnes qui se succèdent dans la direction des études un ensemble de ressources convergentes qui caractérisent cette association et qui témoignent d'une louable persévérance dans les voies que la tradition a ouvertes aux intelligences de l'ancienne principauté. On sera convaincu de l'exactitude de ces remarques lorsqu'on aura lu les rap- ports de MM. Jeanmaire, Ebersolt et Séguin sur les travaux de la Société pendant les années 1877, 78, 79 et 80, et surtout la lettre de M. le président de la Société à M. le ministre de l'instruction publique, en réponse à la circulaire du 11 juil- let 1880. Ces documents, avec quelques autres d'ordre secon- daire, remplissent la première partie du fascicule. La seconde partie est occupée par deux mémoires concernant l'histoire locale. Le premier, qui est à M. Trouillet, capitaine du

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 431

génie, est une étude topographique et militaire ayant pour but de déterminer le lieu ou Jules César et Arioviste se ren- contrèrent et ou se livra la bataille qui purgea l'ancienne Séquanie de l'occupation Allémaue et mit la rive gauche du Rhin sous la domination romaine. Cette question, souvent traitée par les historiens et sur laquelle le dernier mot sem- blait avoir été dit dans la Vie de Jules César, par Napoléon III, est reprise en sous-œuvre par M. le capitaine Trouillet, qui pense l'avoir élucidée au moyen de ses recherchas topogra- phiques et d'une minutieuse discussion des points de repère recueillis dans les Commentaires. La conclusion de ce travail aboutit à la rencontre des deux armées dans la plaine ondulée de la Haute-Saône, dont Arcey, Saulnot et Corcelle sont les extrémités triangulaires. Le monticule se trouve la vierge de Saulnot serait le point eut lieu l'entrevue des deux chefs avant la bataille. L'étude est bien conduite et sa lecture attentive dispose, un peu laborieusement, il est vrai, l'esprit du lecteur à admettre la conclusion. Mais, à l'aspect de l'iti- néraire tracé sur la carte, ou ne peut disconvenir que l'auteur a prêter au Druide Eduen Divitiac et au général romain toutes les ressources de la stratégie moderne pour faire prendre à l'armée victorieuse le chemin qui devait la mettre, après sept journées de marche, en présence des envahisseurs dans la plaine de Saulnot. Cela ressemble quelque peu à la tactique de Turenne se dérobant, après la bataille d'Entzheim, derrière les Vosges sous le prétexte d'y prendre ses quartiers d'hiver, et apparaissant inopinément à Balfort, Mulhouse, et finalement à Turckheim il culbuta les impériaux et les chassa définitivement de l'Alsace. Quoi qu'il en soit, la méthode inductive de M. le capitaine Trouillet aura servi à donner de la précision à une conjecture historique exprimée depuis longtemps par d'autres écrivains : selon qu'on se pro- noncera pour l'une ou pour l'autre version des Commentaires, quinque ou quhiyuaginta, la plaine d'Arcey-Saulnoten Franche-

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REVUE DAI-SACE

Comté et la plaine cTEnsisheim-Cernay en Haute-Alsace demeureront seules en concurrence pour revendiquer le souvenir d'un événement mémorable du siècle qui a précédé l'ère moderne.

Les notes du très regretté Henri LTépée sur les dernières fouilles exécutées par lui aux environs de Montbéliard, ter- minent l'intéressante publication de la Société. Les objets découverts dans ces fouilles sont décrits avec une compétence parfaite dans les notes et le dessin en est bien reproduit sur les huit planches qui accompagnent les notes. Nous en comp- tons six en silex et os trouvés aux abris du CJiataMlon, quatre en silex de la caverne (VAllondans, quatre de même nature de la caverne de Roche-Dam, quatre pointes de flèche en silex et doux monnaies gauloises du camp de Cliataillon, le même nombre de pointes de flèche et deux haches de pierre du camp de Desandans, deux pointes de lance, deux épingles, une pointe barbée de flèche, un hameçon et autres objets en pierre, en bronze et en fer de la caverne de La Baume, divers objets en bronze trouvés à Aiulincourt. L'avant-dernière des planches représente le camp du Giemont et les sépultures que M. L'épée y a ouvertes, tandis que l'ultime reproduit en grandeur natu- relle les divers objets en fer, etc., que l'inventeur a sortis des tombes. M. Henri L'épée était un travailleur éclairé, un ami du passé et du présent de son pays, une nature aimable et dévouée aux travaux de l'esprit et de la Société d'émulation, dont il fut l'un des principaux auxiliaires. Un des premiers, il a compris que le m\ couvre ses archives et un des premiers encore il les a interrogées avec amour et sagacité. En éditant ses notes posthumes la Société lui rend hommage en même temps qu'elle rend service à la science. On trouvera dans les notes qui nous occupent la trace exacte et indiscutable des diverses étapes de l'humanité préhistorique au pays de Mont- béliard.

Frédéric Kurtz.

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LETTRES INÉDITES

DE

P.J. PROIDHON A SON AMI JOUVENOT

Un aimable professeur de l'Université a bien voulu nous faire communiquer cinq lettres autographes de P.J. -Proudhon, devenues la propriété de M. Ch. Boilley, d'Arbois (Jura). De son côté, M. Boilley a eu la gracieuseté d'autoriser la Revue â? Alsace à les publier in-extemo. Nos lecteurs s'associeront à nous pour remercier ces messieurs de leur bienveillante attention. Quel que soit le point de vue l'on se place pour apprécier les lettres de Proudhon, elles ne manqueront pas d'offrir beaucoup d'intérêt pour notre histoire contempo- raine.

Jouvenot, à qui ces lettres furent écrites, était composi- teur d'imprimerie chez M. Javel, imprimeur à Arbois, Proudhon, simple ouvrier imprimeur, était allé pour la com- position d'une édition estimée de l'histoire du comté de Bourgogne par Dunod et publiée par -Javel. C'est que Proudhon et Jouvenot se sont connus et liés d'amitié. Ils prenaient ensemble leurs repas dans une modeste auberge

tenue par la famille C et l'on a conservé à Arbois le

souvenir que Proudhon avait, sans qu'il s'en soit probable- ment jamais douté, inspiré un amour profond à l'une des filles de la maîtresse de pension.

Ainsi qu'on le verra à la lecture des lettres qui suivent

Nouvelle Séne. - 11" année. 28

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Proudhon n'oublia jamais ceux qui avaient été ses premiers compagnons de travail.

Note de la Direction. Besançon, 10 février.

Mon cher Jouvenot,

Si les ouvriers alloient au gré de mes désirs, vous auriez reçu ma réponse deux heures après la réception de votre lettre. Vous êtes bien négligent avec vos amis; mais il ne s'agit pas de cela.

J'ai fait voir votre lettre à Plumey; je l'ai lue à Trimaille, qui a travaillé plus de six mois chez M. Simon, en qualité de prote et de correcteur, et l'avis de chacun est que vous alliez chez ce M. Simon. Il no me reste plus qu'à vous donner quelques renseignemens sur l'homme.

D'après tous les rapports, ce M. Simon serait une espèce d'original, peu prévenant, point affable, assez intéressé, et d'une humeur bourrue et difficile.

Autant que j'ai pu juger, Trimaille, qui lui convenait pour tout le reste, lui a laissé à désirer pour la correction des épreuves. Le Père Burdin qui remplaça Trimaille, ou plutôt le supplanta, comme vous vous en doutez d'avance, fit encore pis. Il paraît aujourd'hui que le successeur à tous deux ne fait guère mieux. J'ai même appris que l'on avait renvoyé pour 12,000 fr. de ballots au sr Simon, à cause de l'abominable correction des épreuves. Et pourtant il ne fait que des réim- pressions d'auteurs classiques.

Or, sous tous les rapports, vous pouvez faire aussi bien d'une part que Trimaille, pour ce qui regarde le matériel d'une imprimerie, et mieux que tous vos devanciers pour la correction. Hardi, donc, mon cher; Trimaille avait obtenu de Simon 100 fr. par mois, le père Burdin, de GO à 80 ; réglez- vous là-dessus.

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LETTRES DE PROUDHON

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Je sais de plus que Simon n'est pas un homme fort habile, ni, comme l'on dit, capable de vous en remontrer; mais je sais aussi qu'il n'entend pas trop raillerie sur les noces, les rioles;... ceci soit dit sans intention de vous faire une épigramme.

Adieu, mon brave; si vous ne vous arrangez pas avec Simon, toujours faut-il que vous vous dirigiez sur Besançon je compte vous voir avant 8 jours.

Votre ami,

P.-J. Proudhoh.

P. S. Jugez du plaisir que j'ai à vous écrire, par mon griffonnage : on n'est guère maître de sa main en pareil cas.

Stiscription

Monsieur, Monsieur Jouvenot, compositeur chez M. Auguste Javel, imprimeur à Arbois (Jura).

N.B. Le timbre de la poste donne l'année à laquelle cette lettre fut écrite: 11 février 1835. Arrivée à Arbois le même jour.

Paris, 3 août 1839.

Mon cher et ancien collègue,

J'ai des torts envers vous: je ne me pardonnerais pas de vous avoir si longtemps négligé, si je ne trouvais mon excuse dans la multitude de mes occupations et de mes ennuis. Vous croyez sans doute que j'ai cessé d'être homme parce que je suis apprenti-savant, et qu'au milieu des bibliothèques, j'ou- blie les bords du Doubs, et mes anciens confrères : vous vous trompez du tout au tout. Vous serez surpris quelque jour, de me voir rentrer dans la condition de correcteur d'épreuves, de laquelle je ne devais jamais sortir. Je n'aime point la science, je méprise les savants, je hais les gens de lettre,

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436 REVUE D'ALSACE

j'abhorre tout ce qui de près ou de loin sent PAcadémie et l'Université. Je tâche de m'arranger pour redevenir un homme de rien ; car on n'est à son aise que dans le néant

J'ai passé une année exécrable: travaillant et correspon- dant, méditant et écrivant, sans récréation, sans plaisir, fatigué des hommes, de l'étude et de moi. Je suis vieilli de 5 ans : le mauvais régime, le jeûne, oui le jeûne, la fatigue et les affaires m'ont épuisé. Il est possible que je ne revienne pas à Paris l'année prochaine; tant ce séjour méfait horreur. Je prends en grippe jusqu'à ceux qui le louent et qui s'y plaisent

Vous n'aurez jamais peut-être le malheur do vous faufiler avec l'espèce que Pon nomme littérateurs ou savants; vous serez heureux de ne voir pas l'humanité par son côté le plus laid Voulez-vous estimer vos semblables? allez à Mesmay,1 levez-vous à 3 h. du matin avec les paysans, travaillez tout le jour et couchez-vous à 10 ou 11 h. Le dimanche, dormez entre messe et vêpres sur la pelouse, à l'ombre d'un vieux pommier; et le soir buvez une pinte de plus. Voilà ce que j'appelle une vie do sanctification; les hommes dont je parle, au contraire, sont une engeance perverse qu'il faudrait enterrer dans du fumier de cochon.

Votre compatriote Javel m'est venu honorer de sa visite : il était dans une débine comparable à celle de notre père Adam sortant du paradis terrestre. Il est reparti avec le produit d'une petite collecte. Je l'avais adressé, avec une

1 Mesmay, village rapproché d'Àrboia l'on récolte d'excellent vin.

1 Javel revint à Arbois, nous le retrouvons en 1846. C'est en cette année qu'il imprima et édita la nouvelle édition des Mémoires histori- ques de la république séquanoise et des princes de la Frandie-Comté de Bourgogne, par M. Loys Golmjt, avocat au parlement et professeur de littérature latine à l'université de Dole, in-4° sur deux colonnes de XXIV— 2039 p.

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LETTRES DK PROUDHON 437

lettre, au baron Delort, le plus obligeant des hommes, surtout pour les Arboisiens. Javel a été reçu comme un chien, et presque mis à la porte. Les grands obligent, oui ; mais c'est quand il y a pour eux de l'honneur et du profit à obliger. Le général Delort ira parler à Louis-Philippe en faveur de la ville de Besançon: il laissera périr un misérable faute d'une che- mise ou d'une pièce de 100 s.

Ces considérations sur les grands se multiplient chaque jour, et j'en tiens registre. Je vous avoue que si Barbès avait jeté dans la Seine les Tuileries, le Palais Bourbon, le Luxem- bourg, la Préfecture de police, et les cinq académies, il m'aurait fait plaisir. Il aurait fallu avec tout cela brûler tous les journaux et bâillonner tous les écrivassiers. Barbès eut été alors le premier homme du monde. Mais il n'a pas moins eu l'estime des contemporains, qui lui tiennent compte de ses efforts. La volonté était bonne.

Je viendrai bientôt au secours de ces pauvres prolétaires, de cette canaille qui n'a rien et à laquelle nous appartenons, vous et moi. Ils n'ont pas encore trouvé d'avocat. La cause est pourtant belle. Mais il n'y a pas d'honoraires, et les juges sont gagnés.

Mon plaidoyer est commencé, et j'y travaille tous les jours. Ce sera un beau tapage. Mais il n'y aura ni oh ni ah : Galilée prouvant le mouvement de la terre n'avait pas mieux raison. Encore un peu de temps !

J'ai reçu de vos nouvelles de temps en temps par ma mère : je vous remercie de ne l'avoir pas tout à fait négligée : elle ne se loue pas autant de gens que l'on aurait crus m'être plus attachés que vous. Je suis sûr que vous avez déjà grogné contre moi: tant mieux, cela est une preuve que vous ne m'oubliez pas. D'ailleurs vous n'êtes pas le seul qui vous soyez plaint: ce qui n'empêche pas que je n'aie écrit plus de cent lettres cette année.

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REVUE D ALSACE

Après tout, vous êtes de tous ceux à qui j'écris et qui se plaignent de moi, celui à qui j'ai le plus d'obligation: ils nie demandent des lettres ; vous ne me donnez pas signe de vie. Je vous reconnais : eh bien, c'est moi qui viens vous pincer l'oreille, quand vous n'y comptez plus, et au moment de partir de la capitale. Encore un mois, un grand mois de 31 jours, et je secouerai la poussière de mes pieds contre ce gueux de Paris, je ne souhaite pas de vous voir.

Ceux qui m'écrivent me donnent en général fort peu de détails sur ce qui se passe à Besançon parmi les personnes de ma connaissance. Comme vous, mon cher Arboisien, ils me font l'honneur de me supposer indifférent à tout ce qui peut affecter le pays et les hommes. On croirait agir sottement de me raconter des détails qui m'intéresseraient pourtant beau- coup ; et lorsque j'espère me raffralchir le sang en ouvrant une lettre timbrée de Besançon, je ne trouve souvent que des détails chagrinants sur mes affaires, ou des conversations littéraires, politiques et scientifiques.

Vous ne m'écrirez pas cette année ; car avec votre prompti- tude ordinaire, vous n'avez plus assez de 30 jours pour faire une lettre : J'irai donc chercher la réponse moi-même.

Dantine m'a dit que Plumey avait été malade, et qu'il était convalescent Je l'ignorais absolument. Je voudrais bien savoir ce qu'il va devenir. Depuis que je suis à Paris, j'ai faim et soif: si je déjeûne deux fois de suite au restaurant, je prends un dégoût horrible : il n'y a que la famine qui puisse me contraindre à manger. Plus d'une fois je suis tombé évanoui de besoin avant de me décider à aller dîner. Après cela, croyez que je fais l'amour, et que je m'occupe de filles. Bon Dieu ! je ne saurai bientôt plus de quel sexe je suis.

Adieu: n'engraissez pas trop ; n'allez pas mourir d'excès de santé : et quand vous buvez du meilleur, pensez quelques fois que je n'ai pas même de l'eau de bonne qualité. C'est ainsi

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LETTRES DE PROUDHON

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qu'on recommande aux bons chrétiens de prier pour les tré- passés dans les moments de réjouissance.

Yanitas vanitatum, et omnia vanitas, prœter menducare et bïbere!

Votre toujours le même, P.-J. Proudhon.

P. S. Le bonjour à votre collègue, M. Priemier : et dites lui que j'espère bien qu'il ne me garde pas rancune.

Suscription

A Monsieur, Monsieur Jouvenot, correcteur d'imprimerie, maison Chalandre, Grande rue, à Besançon.

LE PEUPLE Conciergerie, 15 juin 1851.

de 1K50

BUREAUX

Rue Coq-Héron, 5 .

a paws Mon vieux confrère,

PRIX DE L'ABONNEMENT

PARIS ET DÉPARTEMENTS

g! « JJfr- Pendant que suis en train, aujourd'hui

Trois mois...^ e . dimanche, fête de S" Trinité, de mettre à jour

vJmS&S^1 ma corresPondance> et d'écrire aux Bisontins,

je viens frapper à la porte de votre mémoire,

et vous demander ce que vous faites.

Comment avez-vous passé la Révolution de 1848? Et avant toutes choses, car je suis bien aise de savoir à qui je parle, êtes-vous des rouges ou des blancs? Signez-vous la pétition pour la révision, ou celle contre la révision ? OU en est enfin votre baromètre politique?

Vous sentez bien qu'un révolutionnaire de ma trempe ne peut pas se compromettre à la légère, en écrivant du fond de sa prison a d'anciennes connaissances, qui, depuis trois ans, à travers tout ce gâchis, auraient pu sans crime, prendre leur estomac pour leur conscience et crier, Vive l'Empereur! en

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I

440 REVUE D'ALSACE

s'imaginant crier Vive la Nation ! Cela est arrivé à 5 millions et demi de Français. La typographie bisontine est-elle tou- jours, comme la parisienne, l'élite et la fleur des patriotes^

Nous sommes bien mous, bien flasques, bien mats. Voilà L. Rollin et ses rouges, qui, voyant venir 1852, et couchant en joue la Présidence, flagornent la bourgeoisie et se mettent à bêler les plus tendres pastorales. «Nous sommes des « hommes tordre; nous ne voulons point ^anarchie; la « famille, la religion, la propriété ; pas de loi agraire ! » Bref, c'est à qui, en ce moment, se fera le plus conservateur et miton mitaine. Nous tombons en république honnête et modérée de plus belle. Tas d'intrigants! Tas de jongleurs! Ecoute citoyen Jouvenot: dans 51 semaines je suis libre: ils auront encore de mes nouvelles.

Eh bien! me voilà marié, père de famille; je peux dire, comme le premier bourgeois de Paris, avec la même solennité, nos femmes et nos enfants ! C'est un état comme un autre. Dans toutes les positions, le mal et le bien se compensent Je crois que dans la jeunesse, jusqu'à 30 et 35 ans, le célibat "absolu, la virginité complète, est l'état qui comporte le plus de bonheur réel : et que ce temps passé, il y a des jouis- sances particulières au mariage. J'ai voulu vivre ma vie entière, je suis un peu marié sans l'être; en ce sens que si j'ai ajouté à mes soucis et à mes charges, j'ai peut-être augmenté ma liberté et affermi mon caractère. Si vous voulez mon opinion sur le mariage, la voilà. Et vous?

Comme vous êtes enjésuités, embéguinés, encanaillés! pauvres Bisontins! Quand donc est-ce que la sociale viendra nettoyer cette écurie d'Augias ? Ah ! que de vérités il reste à dire ! Et que le pauvre peuple a encore besoin que le citoyen Proudhon lui dessille les yeux ! Je n'y manquerai pas ; je vous en avertis.

Voyez-vous mon ami Huguenet? comment se tire-t-il d'af- faire? Pourquoi n'a-t-il pas accepté l'impression du journal

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LETTRES DE PROUDHON

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démocrate? Enfin, parlez moi un peu de tout et de tous: depuis trois ans les petites filles sont devenues grandes, les vieux ont s'éclaircir encore et le personnel bouzebot se renouveler. Trouverais-je encore quelque vigerou (?) au petit battant qui me reconnût?

Mon cher Jouvenot, je suis épuisé, usé, calciné : je me sens tirer à la tin, bien que la mine soit excellente, et que je paraisse plus frais, jeune et vigoureux que jamais. J'ai trop fait travailler la cervelle, et trop laissé engourdir mes mem- bres. Je ne vaux plus rien : il n'y a que le vieux rouge qui m'attache à l'existence. Je vous avoue mon faible ; c'est peut- être à cela que tient l'amitié particulière que j'ai toujours eue pour mon père. Mais vous ? on dit que vous n'êtes plus de votre pays, que vous êtes sage, réglé, tempéré comme un maître d'études. Est-ce que vos épreuves auraient déteint sur votre âme, par hasard? Et à force de lire des Mois de Marie, auriez-vous fini par prendre le scapulaire? Porteriez-vous les sacrés stigmates ? Ce serait un crime que je ne pardonnerais jamais à la librairie Chalandre, vous pouvez le dire à votre

patron, qui, pour son compte, s'en fiche pas mal !

Adieu mon vieux camarade. Conservez soigneusement votre position ; vivez en paix dans la médiocrité d'Horace, et hors , le cas d'absolue nécessité, ne faites point parler de vous. Sur ce je prie Bachus et Cornus de vous avoir en leur sainte et digne garde

Votre tout dévoué,

P.-J. Proudhon.

Taris, 19 novembre 1855.

Mon cher Jouvenot,

Je viens vous demander un petit service de camarade. C'est d'hier seulement que je sais, par Denirier, qu'il existe dans la dernière édition du Dictionnaire thëoloyiqae de Bergier,

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par M. Chaland it, deux ou trois articles, soit notes, soit articles de texte, à mon intention particulière, et dans les- quels je ne ne suis pas trop bien traité.

Auriez-vous l'obligeance de me dire quels sont ces articles, quelle en est la substance, qui les a écrits? s'il s'y trouve quelques lignes qui méritent que vous les citiez, faites-en l'extrait, et envoyez-les moi. Ou mieux encore, si ces articles n'étaient pas d'une longueur excessive et ne demandaient, par exemple, qu'une journée ou deux de travail pour en faire la copie, chargez-en quelqu'un ; je vous ferai remettre aussitôt ce que vous aurez jugé à propos de donner de gratification.

Je possède une édition de Bergier, publiée par la maison Chalandre, et c'est ce qui m'empêche de me procurer la dernière. Mais mon exemplaire porte la date de 1843, et je n'y ai rien vu qui me concernât personnellement

Quelque fois on trouve de ce qu'on appelle imperfection d'une librairie, de quoi satisfaire un curieux qui ne cherche qu'un texte à recueillir. Si c'était le cas pour vous, vous pourriez mettre la feuille en question sous enveloppe, et me l'adresser.

Enfin, je me confie à votre obligeance pour ce renseigne- ment, qui me sera utile, et que j'ai besoin de recevoir sous huit jours, au plus tard.

Je pars du 25 au 30 et. pour la Belgique, je vais faire éditer un ouvrage qu'il n'y aurait pas pour moi sûreté de publier à Paris, et dont au surplus personne ne veut se charger. Répondez-moi d'ici là, sauf empêchement.

Comment êtes-vous avec M. Chalandre? En 1852, vous m'avez paru satisfait de votre position ; y trouvez-vous tou- jours les mêmes avantages ? Je ne vous charge pas de mes salutations pour votre patron, malgré la bienveillance qu'il m'a témoignée à plus d'une reprise: je craindrais qu'il ne prît cette liberté de ma part pour une familiarité indiscrète.

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LETTRES DE PROUDHON 443

Mais, à défaut du chef, parlez-moi de ceux que j'ai connus, Jouflroy, Jobar, etc.

J'ai appris la mort de ce bon Tliouré, par son frère qui est venu a Paris faire une grande musicienne de sa tille, et qui a dépensé pour cela ses dernières ressources. Le pauvre homme ! . . . .

On dit que Plumey est la cheville ouvrière de la municipa- lité bisontine et qu'il gouverne la ville, comme le tils de Thémistocle gouvernait Athènes. Si vous le voyez, vous lui souhaiterez le bonjour de ma part Je voudrais savoir ce qu'est devenu son fils : il a aller en Crimée.

Le fils de Plumey me fait penser au tils d'Huguenet, qui était, je crois, de la réserve. Est-il aussi parti, celui-là? Quand donc est-ce que le Minotaure bonapartiste, avec ses blagues de gloire, de liberté des nations, d'équilibre européen, sera saoûl de chaire humaine ?

Le prêtre, le soldat, le capitaliste : voilà la triple puissance du jour, et l'objet de ma triple haine.

Mais j'oublie que vous êtes correcteur d'une imprimerie ecclésiastique ; et je ne voudrais pas vous compromettre.

Mon cher Jouvenot, si vous pouvez vivre décemment dans votre position, demeurez-y, et gardez-vous écrire.

Je vous serre la main, et vous prie de me croire toujours, comme en 1832, 1834, et dans tous nos plus mauvais jours, votre fidèle et dévoué collègue,

P.-J. Proudhon rue d'Enfer, 83.

Paris, 25 décembre 18T>5.

Mon cher Jouvenot, Je vous remercie des épreuves et renseignements que vous m'avez envoyés. J'en ferai, vous pouvez croire, le plus discret usage, d'autant mieux que je n'ai pas la moindre envie de donner de l'illustration au curé Vincent

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Je vous avais annoncé mon départ pour la Belgique: Je n'en ferai rien, j'espère. J'ai trouvé plus utile de mettre mon livre sur un pied tellement respectable que ni jésuite ni grippeminaud n'y puisse mettre la griffe.

Il y a dans votre lettre, mon cher Jouvenot, un mot fort joli, c'est quand vous me dites que le petit service que vous me rendez vous rend utile pour la première fois de votre vie. De la part d'un homme qui a passé sa vie à lire des épreuves dans une imprimerie ecclésiastique, c'est on ne peut plus édifiant. Mais rassurez-vous; nous sommes solidaires, et ce que j'ai appris du grimoire de ces messieurs, en même temps que vous, ne sera pas perdu. Jamais l'église n'aura été à pareille fête; et j'espère que la lecture de mon bouquin vous dédommagera en une fois de toutes ces théologiques insipidités.

Mais ce qui m'a particulièrement touché c'est la bouteille de vin blanc doux que vous avez bue à ma santé avec Plumey; et vous ne sauriez croire quelle délirante envie elle m'a donnée de prendre le chemin de fer, et d'aller recommencer avec vous. Il y a si longtemps que je n'en ai goûté de ce vin blanc doux ! et j'ai eu tant de mal avec ces parisiens qui ne savent pas boire le bon vin ! . . . .

Comme je tiens essentiellement à ne pas me brouiller avec MŒ' Plumey, dont je connais les fureurs, je vous serai obligé d'aller la revoir une fois encore, et de lui remettre l'incluse, qui est du reste, bien entendu, pour son mari et pour elle. Je no sépare pas ce que Dieu a joint.

Si ma publication a le succès que j'en attends, je me pro- pose, courant avril ou mai, d'aller goliarder une quinzaine là-bas; ma cervelle en a besoin.

Bonjour et bonne année,

Votre ami, P.-J. Prouduon.

(Communication de M. L. Meunier, professeur de sciences naturelles.)

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L'ALSACE ARTISTIQUE

Suite1

HELINAND

ET LES CÀLLIGRÀPHES-MENTA.TURISTES DE L'àBBAYE DE LUCELLE

(xn« siècle) »

L'ancienne abbaye de Lucelle, de l'ordre de Citeaux, située aux contins du Sundgau (Haute- Alsace) et de la Suisse, fut fondée au commencement du xii" siècle par des nobles du comté de Bourgogne, les sires de Monfauçon près de Besancon. Suivant les documents de l'époque, saint Bernard vint en personne poser en 1123 la première pierre de ce monastère, qui fut vendu comme bien national pendant la Révolution et démoli en 1804. Lucelle, mourut, en 1787, l'historien Grandidier, qui était allé faire des recherches dans ses riches archives, fut l'asile de plusieurs hommes distingués. C'est que le Bâlois Jean Démétrius, mort en 1319, écrivit plusieurs traités de théologie ; que Conrad Holtzacker, originaire de la même ville et décédé en 1443, rédigea les Actes du Concile de Trente /que Nicolas Amberger, vice-chancelier de l'empereur Frédéric III, mort en 14G7, composa ses Dissertations histo- riques sur les antiquités de Lucelle; que Bernard Buchiuger, à Kientzheim (Alsace) en 1606, abbé de Pairis, puis de

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1 Voir la livraison du dernier trimestre.

» Ouvrages consultés: Gérard, I, p. 90 et suiv.; Bacquoi, et Ristelhuber, V Alsace ancienne et moderne, article Lucelle; et surtout QuiQUJtBRz, Bouboard d'Asurl, I. p. 51, 162 et sui*.

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REVUE D'ALSACE

Lucelle, écrivit l'histoire de ces communautés religieuses, ainsi que celle du pape alsacien Léon IX.

Parmi les artistes calligraphes ou miniaturistes de l'abbaye de Lucelle, il faut citer: le frère Hélinand, qui vivait à la tin du xii* siècle; Guillaume, qui appartient au xuT et dont la mention suivante se trouve dans le nécrologue de l'abbaye de Pairis : A la mémoire de frère Guillaume, moine de Lucelle, qui écrivit avec beaucoup de soin un missel pour notre grand autel»; l'abbé Bourcard de Landscron (1298-1303), qui rédigea un terrier ou urbaire intitulé : Aaro claudendus liber; et au xviir siècle Bernardin Walch, originaire de Winckel (canton de Ferrette), qui fut pendant de nombreuses années moine à Lucelle et y mourut en 1760. Il était préposé à la garde des archives du monastère et s'occupa de les classer. Il nous a laissé plusieurs manuscrits fort curieux, dont le plus important est son Missellanea Luciscellensia, en deux volumes in-folio, auquel il travailla plus de quarante ans, comme il nous l'apprend dans sa préface. Cet ouvrage renferme non- seulement l'histoire de Lucelle, mais encore celle des nombreux monastères qui en dépendaient, et il l'a illustré de plans, de dessins, d'armoiries, de portraits, de sceaux, etc.

Hélinand, le premier calligraphe-miniaturiste connu de l'abbaye de Lucelle, vivait, comme nous l'avons dit, dans la seconde moitié du xiie siècle. Il s'était rendu célèbre par son talent de peindre de magnifiques missels écrits sur parchemin blanc, enrichis d'or et d'azur, de pourpre ou de sinople, ornés d'oiseaux, de poissons, d'anges, de démons, de saints, de damnés, enfin de tout ce qu'il était alors d'usage de peindre dans les livres.

Parmi les ouvrages d'Hélinand, les archives de Lucelle nous ont conservé* le souvenir d'un superbe missel qu'il avait peint en 1196 et que l'abbé de ce monastère, Conrad de Ratolsdorf, envoya deux ans après, à titre de prêt, à Conrad de Biederthau, abbé de Saint-Urbain (canton de Lucerne),

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L'ALSACE ARTISTIQUE 447

qui venait d'être fondé. Il accompagna cet envoi d'une lettre que Walch a reproduite dans son Missellanea LurisceUensia: 1 « Réjouissez-vous, disait-il, de pouvoir chanter dans une pareille œuvre un nouveau cantique en l'honneur du Seigneur. » Cet acte curieux fait voir combien les livres étaient rares à cette époque et combien on estimait ceux qui les avaient écrits. Aussi, ne doit-on pas être surpris que Walch raconte naïvement qu'alors les moines, qui savaient à peine lire, étaient presque tous des saints, et qu'à présent, qu'ils ont entre les mains un grand nombre de livres, ils ne sont plus ce qu'ils étaient dans ce temps fortuné Dieu répandait ses miséricordes sur l'aridité de leurs âmes. Cet auteur rapporte aussi qu'un jour saint Bernard, évêque de Maurienne, ayant imposé en confession, pour pénitence, à la supérieure du monastère de Béton, l'obligation de se procurer les commen- taires de saint Augustin, cette religieuse consulta son fils, le bienheureux Pierre, évêque de Tarentaiso, et par surprise obtint de lui le livre qu'elle désirait. '

GUTA

Calligraphe (xu° siècle)

C'est principalement dans les monastères de femmes que la calligraphie, qui exige du goût, de la dextérité et de la patience, fut cultivée. L'histoire signale le couvent de Schartzenthann, près de Marbach, fondé en 1149, dont les religieuses excellaient à transcrire des livres de chœur et les anciens manuscrits. On cite parmi elles la chanoinesse Outa, dont l'abbaye de Marbach possédait encore lors de la Révolu-

1 Tome II, p. 402.

Walch, Miscellanea Luciscel., T. I, p. 68.

1 Ouvrage consulté : Gérard, les Artistes de l'Alsace au moyen âge. T. I, p. 67 et suiv.

REVUE D'ALSACE

tion un magnifique manuscrit, exécuté en 1154. Suivant Gérard, il contenait le martyrologue d'Usuard, la Règle de saint Augustin, le commentaire de Hugues de saint Victor sur cette règle, les anciennes constitutions de Marbach et un Homéliairc pour toute Tannée. C'était un grand volume in- folio de 282 feuillets, enrichi de miniatures par un religieux de Marbach, nommé Sintram. Ce manuscrit portait la note : Scriptum est hoc ojmscidum ab eadem predicta Guta, anno ab incarnatione Dex verbo MCL1 V. Sistram était le contemporain de Guta.

Gérard a cru que ce manuscrit était perdu; il n'en est cependant rien. Suivant Ignace Chauffour, 1 il se trouve actuellement dans la bibliothèque du grand séminaire de Strasbourg. Il consiste en un volume en parchemin in-folio, dont on a arraché quelques feuillets, mais assez bien conservé. En tête, se trouve une miniature qui ne laisse aucun doute sur la nationalité allemande de la religieuse qui l'a écrit On la voit représentée à genoux, vis-à-vis de l'imagier Sintram, oflrant ensemble à la Vierge le livre, fruit do leur travail commun. La légende porte d'un côté :

Sintrammi, virgo f memor hujus pauperis esto de l'autre, du côté de la religieuse:

Per te, stirps Jesse, quod dicor (Guta) deprecor esse.

Ce manuscrit ne comprend pas seulement, comme l'aflirme Gérard d'après l'abbé Grandidier, le martyrologue d'Usuard, la règle de saint Augustin, les commentaires de Hugues de saint Victor, les anciennes constitutions de Marbach et l'Homéliaire; mais encore un obituaire, avec les noms de tous les bienfaiteurs recommandés aux prières de la communauté, et, ce qui est plus curieux, un manuel d'hygiène approprié à tous les mois de l'année. Les préceptes y sont exprimés en

1 Bibliographie des Artistes de l'Alsace pendant le moyen âge, Bévue d'Alsace, année 1873.

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1/ ALSACE ARTISTIQUE 449

vers latins, un peu construits au hasard. Ils semblent contenir sur la matière médicale, usitée en Alsace au xn' siècle, des détails très intéressants, surtout en ce qui concerne l'emploi de certains simples qui jouent encore de nos jours un grand rôle dans la médication populaire.

ALBERT DE STRASBOURG

Architecte (xirr8 siècle) 1

Les traditions des loges maçonniques de l'Allemagne attri- buent l'invention du style gothique à Albert de Strasbourg. Suivant les livrets professionnels (Steinmetz biichlein), celui-ci était originaire de Strasbourg et moine dans un couvent de bénédictins de cette ville; son existence remonterait au xi* siècle et c'est pendant un voyage que le pape Léon IX avait fait en 1050 en Alsace, qu'il aurait été chargé par ce dernier de reprendre les travaux de la cathédrale, interrompus en 1028 à la mort de l'évêque Werinhaire. Mais aucun document authentique n'établit que Strasbourg possédait d'abbaye béné- dictine proprement dite et que Léon IX eut confié à Albert la direction des travaux de la cathédrale. Il n'est pas plus démontré que cet architecte est l'auteur du style ogival; en effet, personne ne l'a inventé, il est sorti naturellement du plein-ceintre; quand celui-ci eut cessé de répondre à l'idée du beau et aux aspirations du sentiment religieux, il fut remplacé par le gothique, beaucoup plus gracieux, plus élégant et plus élancé. Albert de Strasbourg n'a pas vécu au xi* siècle, comme le rapporte la tradition ; il est venu plus tard dans la première moitié du xin* siècle, l'ogive avait détrôné le plein-ceintre. Il est permis de dire que cet archi- tecte fut le contemporain des maîtres qui, en France, élevèrent

1 Ouvrage consulté : Gérabd, les Artistes de V Alsace au moyen âge. T. I, p. 154 et auiv.

Noovelle Série. - 11- année. 29

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REVUE D'ALSACE

Notre-Dame de Paris, la Sainte-Chapelle, les cathédrales d'Amiens, de Chartres, de Laon, de Noyon, etc.

Un auteur allemand, Heideloft, ' a émis l'opinion qu'Albert de Strasbourg n'était autre qu'Albert le Grand, qui séjourna quelque temps dans cette ville, et qu'il aurait appliqué ses connaissances architectoniques à la cathédrale naissante de Cologne. Cette hypothèse n'a rien de fondé.

Ce qu'il y a de certain, c'est qu'Albert de Strasbourg a existé et qu'il est probable qu'il a vécu au commencement du xin* siècle, sinon plus tard. Ce fut l'un des premiers archi- tectes qui réunirent en corps de doctrine les principes d'architecture que connaissaient seuls les initiés, c'est-à-dire un petit nombre de moines, et qu'il les transporta du domaine sacré des loges religieuses des monastères dans le domaine laïque des associations bourgeoises.

Feu Gérard 1 a donné le résumé suivant des doctrines de ce grand architecte, telles qu'elles nous ont été transmises par les traditions des ouvriers tailleurs de pierre. On verra que cette doctrine repose sur des principes scientifiques que l'art moderne respecte encore, mais qu'elle a été revêtue de formes singulières, mystérieuses et cabalistiques par les anciennes corporations, qui considéraient l'architecture comme un art sacré et secret, auquel le profane ne devait pas être initié.

« Dieu est la source de l'art religieux par excellence, de l'architecture. La beauté, la puissance, la majesté, l'harmonie des conceptions de cet art dérivent de la vertu et de la com- binaison des nombres saints. La science des nombres harmoniques forme une géométrie sacrée, une mathématique divine, qui gouverne l'architecture comme toute la création. Pythagore, Platon, Hermès, Trismégiste en avaient découvert les lois. La croix de l'église est déduite de la figure par

1 Bauhùtte des MittelcMers.

* Artistes de VAUace au moyen âge. T. I, p. 100 et sui*.

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i/alsace artistique 451

laquelle Euclide construisit le triangle équilatéral. Ce triangle est le générateur de l'ogive. Les nombres trois, cinq, sept, dix, douze dominent dans les diverses parties de l'édifice sacré ; leur application n'est point arbitraire ou conventionnelle, mais imposée par la vérité religieuse et les lois de la nature. Le nombre trois représente la sainte Trinité; cinq est le nombre des doigts de la main humaine, le plus parfait instru- ment de la création; sept, celui des planètes de l'ancienne astronomie, des jours consacrés à l'œuvre de la création du monde, des Sacrements, des dons du Saint-Esprit; dix est le nombre parfait; douze, celui des signes du zodiaque, des mois de l'année, des apôtres, etc.

« Le cercle, symbole antique de l'unité de Dieu et de son éternité, qui contient à la fois la force et la solidité, est l'instrument le plus puissant de l'architecture positive. Com- biné avec le carré, emblème de l'inébranlable, de l'immuable, Albert en dérive l'octogone, qu'il prit pour principe fonda- mental du style et de l'art de bâtir. Son système se fondait sur les propriétés intrinsèques, sur les vertus qu'il attribuait au nombre huit, qui fut toujours considéré par les philosophes comme le nombre par excellence. Huit est, en effet, le double du nombre divin quatre; quatre est la signature de Dieu dans le monde visible, le tétragramme saint qui figure le nom de Dieu dans presque toutes les langues, le nombre des évan- gélistes, celui des saisons, celui des côtés du carré qui symbolise Dieu dans l'Ecriture sainte.

o Le triangle rectangle et le triangle isocèle sont la moitié du carré. Le triangle équilatéral engendre l'hexagone; un point au milieu produit le nombre sacré sept.

a A ces idées fondamentales correspondaient des applications pratiques. Quand les côtés du chœur sont engendrés par l'octogone, le nombre huit se reproduira dans toutes les parties de l'église; elle comptera huit travées, huit piliers; avec l'hexagone, le nombre régulateur sera six; avec le penta-

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gone, cinq; avec le dodécagone, douze; si la terminale du chœur offre trois pans, les fenêtres présenteront trois divi- sions verticales et trois divisions horizontales ; il en sera de même pour les autres figures et nombres.

« Les parties inférieures du temple dérivent du carré et se subdivisent en octogones; les parties supérieures, dominées dans le triangle mystique, se raritient en hexagones, en dodé- cagones.

« L'intérieur du monument a aussi ses proportions sacrées. La largeur principale doit être égale à la hauteur ; l'élévation des bas-côtés ne doit pas dépasser les deux cinquièmes de la largeur totale de l'église; la largeur de la nef centrale est dans le rapport de deux à sept avec sa hauteur, et celle des nefs latérales dans le rapport du tiers.

« Tout l'ensemble comme les détails, se multiplie ainsi par des nombres mystérieux et harmoniques: les croisées, les colonnes, les piliers, les arcades, les chapelles, les autels, les portes, etc. »

Telle est, en abrégé, la doctrine d'Albert de Strasbourg, laquelle a subi des modifications, des déformations dues à la crédulité, à la superstition des associations des tailleurs de pierre des temps anciens. Albert a certainement cru à la vertu mystique des nombres réputés sacrés, mais sa doctrine, en traversant les âges, a perdu de sa pureté artistique et a contracté cette forme cabalistique et symbolique qui nous étonne et qui est peu compréhensible pour nous.

LA STATUAIRE SABINE

(xrae siècle) 1

Lorsqu'on entre dans la. cathédrale de Strasbourg par le

1 Ouvrages consultés : Gérard, les Artistes alsaciens, etc. T. I, p. 100 et suiv.; Schnhkoans, Sabine (Revue d'Alsace}, 1>50 et 1851). etc.

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portail méridional de l'horloge, les yeux sont frappés par deux belles statues de femmes qui se trouvent en avant et de chaque côté du perron. Celle de gauche représente le Judaïsme, celle de droite le Christianisme. La première a sur les yeux un bandeau, emblème de son opiniâtre aveuglement; la cou- ronne qu'elle avait sur la tête gît à ses pieds; 1 elle porte dans sa main droite la hampe brisée d'un étendard; son bras gauche, pendant et débile, laisse tomber les tables de l'an- cienne loi. L'attitude de la femme qui représente le Christia- nisme est pleine de grâce et de majesté ; son regard, assuré et presque souriant, atteste qu'elle a remporté la victoire sur l'ancienne loi; elle porte une couronne sur la tête; sa main droite tient une croix, emblème de la foi nouvelle, sa gauche le calice, symbole de l'Eucharistie. Ces deux statues, par le calme sévère et la régularité de leur visage, par l'harmonie des proportions, la largeur du modelé et l'ampleur des dra- peries qui laissent deviner la forme du corps, rappellent les chefs-d'œuvre de l'antiquité, quoique appartenant à l'art byzantin par l'arrangement et la composition. Aussi, depuis des siècles font-elles l'admiration des connaisseurs.

Ces statues, de même que tout le portail méridional tel qu'il était avant la Révolution, remontent à la première moitié du xnr» siècle. C'est l'opinion de tous les auteurs modernes qui ont traité ce sujet *

Quel est l'auteur de ces chefs-d'œuvre ? La réponse à cette question se trouve dans les deux vers latins suivants gravés sur le rouleau que tient saint Pierre, l'un des douze apôtres qui ornaient le portail de l'horloge et qui avaient été sculptés, comme le Christianisme et le Judaïsme, par le même artiste : Oratia divinœ pietatw adesto Savinœ De petra duraper quam sum facta figura.

1 Cette couronne fut enlevée pendant la Terreur. * ScuxBEOA.N8, VioLET-LB-Duc (Dictionnaire d'architecture), Gérard, etc.

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Ce qui veut dire : « Que la grâce de la miséricorde divine assiste Savine, par laquelle de pierre dure je fus formée en statue. » Ainsi, c'est Savine ou Sabine qui elle-même inscrivit son nom, apposa sa signature sur son œuvre.

Mais, par suite d'une fausse interprétation des mots petra dura faite par l'ingénieur Specklé, celui-ci les traduisit par l'expression allemande Steinbach, et en conclut que Sabine était la fdle d'Erwin de Steinbach, l'un des architectes de la cathédrale. Cette opinion était tellement préconçue chez lui, qu'il ne s'aperçut pas même que c'est le mot Hartenstein qui est la traduction littérale en allemand de petra dura, et non Steinbach qui signifie pierre du ruisseau. Cette grossière erreur, qui donnait pour père à Sabine un homme qui vécut longtemps après elle, fut cependant acceptée aveuglément par Schilter, Schœpflin, Grandidier, Schweighauser, Strœbel, etc., et se propagea jusqu'à nos jours. C'est L. Schneegaus, 1 savant aussi modeste qu'éclairé, qui rendit aux mots latins de l'ins- cription leur sens véritable, qui démontra d'une manière irréfutable qu'Erwin n'était pas le père de Sabine et que les œuvres de celle-ci étaient d'un siècle plus anciennes que les travaux de son prétendu père.

Mais, alors, quel était le père de Sabine, à quelle famille appartenait-elle, de quel pays était-elle originaire? Sa nais- sance est restée inconnue et on en est réduit à des con- jectures. Il est probable qu'elle était la tille d'un architecte de l'œuvre Notre-Dame de Strasbourg, qu'elle apprit la sculpture dans les ateliers de cette cathédrale, dont l'école artistique exerça une influence considérable en Alsace et dans les contrées voisines pendant les xir et xur siècles.

Schneegans pense que Sabine eut pour père l'architecte Hcrrniann Auriga qui, à la fin du xii' siècle, agrandit les fortifications de Strasbourg et reconstruisit les transepts et

1 Ouvrage déjà cité.

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le chœur de la cathédrale qui avait été détruite par plusieurs incendies.

Toutes les sculptures et les statues du portail méridional étaient dues au ciseau de Sabine; malheureusement la plu- part furent presque détruites, comme tant d'autres en France, par le marteau révolutionnaire (4 frimaire an II). La cathédrale de Strasbourg perdit 235 de ses statues (dont 168 furent brisées), et il n'est resté de l'œuvre de Sabine que les figures du Judaïsme et du Christianisme, la scène représentant la mort de la Vierge et deux ligures du couronnement de la mère du Sauveur. Le portail, tel qu'il se trouve actuellement, a été restauré par des artistes du xix* siècle qui ont tâché, sans y réussir toujours, d'en reproduire fidèlement le dessin primitif.

Louis Schneegans a donné de l'œuvre de Sabine une des- cription complète, résumée comme suit, par Gérard. « Le portail méridional de la cathédrale de Strasbourg est formé de deux portails byzantins accostés. Dans l'évasement de chacun de ces portails, Savine avait placé les douze apôtres, trois à trois de chaque côté. Voici quelle était leur disposi- tion : au portail de droite, la rangée gauche comprenait saint Pierre muni de la clef symbolique, saint Paul et un apôtre ordinaire ; dans la rangée de droite, saint Luc faisait face à saint Pierre et était suivi de deux apôtres sans désignation précise qui puisse les faire reconnaître. La statue qui repré- sentait saint Paul tenait le phylactère sur lequel était gravé la fameuse inscription. C'est à tort que la plupart des écri- vains ont cru reconnaître dans cette statue saint Jean et ont indiqué le disciple bien-airaé comme porteur du phylactère. Saint Jean se trouvait dans le portail de gauche ; il commen- çait la rangée sénestre dans laquelle il occupait la place d'honneur, comme saint Pierre de l'autre côté. L'on n'aurait jamais se tromper sur cette ligure. Elle était la seule qui eut le caractère de la jeunesse et de la grâce, type qui con-

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vient exclusivement, d'après la tradition de l'Eglise, à l'apôtre saint Jean. A côté de celui-ci se trouvaient deux apôtres innommés. La rangée droite était formée de saint Mathieu et de saint Marc ayant le douzième disciple entre eux. Tous les apôtres non évangélistes tenaient à la main le livre des Evangiles, emblème de leur œuvre de prédication ; les évan- gélistes, suivant le symbolisme consacré par l'art byzantin, avaient l'évangéliaire placé debout sur la poitrine. Ils avaient tous la tête nimbée, et cet ornement faisait corps avec le mur.

« Le pilier séparatif des deux portails offrait l'image de Salomon assis sur son trône, tirant de la main droite le glaive du fourreau qui repose sur ses genoux, et accomplissant sa fonction de juge. Au-dessus du roi des Juifs se trouvait le buste du Sauveur ayant le globe dans la main gauche et bénissant avec la main droite levée.

o Chaque tympan reçut aussi son ornementation sculptée en bas-relief. Le champ supérieur du tympan gauche contenait la mort de la Vierge. Elle est expirée; le Christ a reçu son âme sous la forme touchante d'un petit enfant qu'il tient sur le bras gauche ; il bénit sa mère de la main droite. Les douze disciples, dans l'attitude de la douleur, entourent le lit funé- raire de Marie, sur le devant duquel Marie-Madeleine prie et pleure prosternée. Dans la partie inférieure du tympan, on voit les funérailles de la Vierge. C'est le simple et austère enterrement des chrétiens du premier âge. Deux hommes portent sur leurs épaules un brancard chargé d'un cercueil que recouvre un drap mortuaire ; quelques apôtres accom- pagnent le modeste convoi. A côté du drame de la mort terrestre de Marie, dans le tympan du portail de droite, était représentée la scène de la glorification céleste, le spectacle de l'apothéose de la mort du Christ. Dans le champ d'en-bas, on voyait l'Assomption; deux groupes d'anges adorants se tenaient sur les côtés ; au centre, deux chérubins, un pied appuyé sur la demi-sphère du monde, emportaient la Vierge

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dans une flottante draperie. La partie supérieure du tympan figurait le couronnement de la Vierge. Le Christ, couronné et entouré du nimbe sacré, était assis sur un trône avec sa mère; il couronnait Marie de la main gauche; deux anges encensaient le groupe central. Le Christ et la Vierge ont seuls été sauvés de la destruction de Tan II. A l'exception de ces deux figures, tout ce que je viens de décrire a été refait par des artistes modernes d'après d'anciens dessins. »

On reproche à Sabine d'avoir, dans les deux statues du Judaïsme et du Christianisme, traité d'une manière imparfaite le corps humain, autant qu'on peut le deviner sous les amples vêtements du xir* siècle. Mais comme le fait observer fort judicieusement Schneegans : « L'artiste strasbourgeoise n'a fait que partager le vice radical de la sculpture du moyen âge en général. Mais ce reproche s'adresse plutôt à l'époque qu'à l'artiste. Habitués à ne voir le corps humain que revêtu de draperies qui en marquaient plus ou moins les formes et les mouvements, les artistes chrétiens étaient hors d'état, pour la plupart, de le représenter dans sa beauté idéale, comme le faisaient les artistes de l'antiquité classique qui, sous le beau ciel de la Grèce et de l'Italie, voyaient l'homme se mouvoir devant eux tel qu'il sort des mains du créateur. Comment, dès lors, pourrait-on exiger d'artistes placés dans des conditions si différentes, vivant, outre cela, à des époques, dans des idées et dans des tendances si différentes, d'arriver au même résultat, au même degré de développement et de perfection, sous le point de vue en question ? D'un autre côté, le génie de l'art chrétien en général, de l'art byzantin et roman en particulier, ne portait, guère les artistes vers la beauté corporelle idéalisée dans sa forme et dans son appari- tion extérieures. La manière dont le moyen âge et l'église dominante avaient résumé et fixé la pensée, les dogmes et les préceptes du christianisme, poussait plutôt les artistes à sub- ordonner, à sacrifier même la beauté corporelle et matérielle

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à l'idéal spiritualiste qu'ils s'efforçaient avant tout d'atteindre dans leurs œuvres. De ces corps amaigris et frêles, souvent difformes et contournés, tels qu'on les retrouve dans les sculptures de Sabine.

« Mais, ajoute Schneegans, ce que je sais, c'est qu'en dépit de tous ces défauts, il y a dans les deux statues de Sabine quelque chose d'indicible, d'indéfinissable, quelque chose d'inexprimable pour la parole, qui attire mon regard, qui me charme et m'absorbe ; qu'à côté de tous ces défauts, et bien au-dessus d'eux, domine quelque chose de tout idéal, quelque chose de profondément senti et de profondément artistique qui, dans ces statues, me touche bien plus vivement que tous les défauts, quelques considérables qu'ils puissent être, quel- que chose qui par un de ces mystères de la nature, provoque et réveille en moi comme un écho tout harmonieux, et élève pour ainsi dire mon sentiment à la hauteur et à l'unisson de

celle de la chaste et pieuse statuaire Malgré ces défauts,

on sent, en contemplant les sculptures du portail méridional, que l'artiste qui les a créées portait en elle un idéal qui l'ins- pirait et la dominait tout entière, un idéal comme l'était celui que Cicéron définit quelque part dans des termes si nobles et si élevés en porlant des chefs-d'œuvre de Phidias et de l'idéal dont ils étaient les sublimes eft'ets. »

Nous ajouterons que les sculptures de Sabine attestent, non seulement un génie artistique, mais encore une grande adresse pratique. Les draperies sont traitées avec une vérité, une grâce, une légèreté de touche qu'on rencontre rarement dans les œuvres du moyen âge. Le costume est d'une grande simplicité ; il consiste en une robe tombant jusqu'à terre et serrée par une ceinture à la taille. La statue du Christianisme seule porte en plus un manteau jeté dessus la robe et tenu sur l'épaule par une agrafe fixée sur la poitrine. Les visages des deux femmes, qui ont une expression naïve et candide, no trahissent ni effort, ni recherche de la part de l'artiste. Sauf

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les doigts de la main droite du Judaïsme et le manteau du Christianisme, qui ont été fracturés, ces statues sont assez bien conservées.

Sabine a laisser d'autres témoignages de son génie dans la cathédrale de Strasbourg. On lui attribue les quatre évan- gélistes et les anges sonnant de la trompette qui ornent le pilier sur lequel repose la voûte du bras méridional du transept; la belle figure au cadran solaire placée dans la niche du contrefort occidental du portail sud ; la femme cou- ronnée et portant un phylactère, qui se trouve dans une niche au troisième étage du flanc oriental de la tour du sud. Ces figures, par les caractères particuliers qu'elles offrent, doivent avoir été sculptées par Sabine.

ERWIN DE STEINBACH

Architecte; son œuvre et sa famille (1273-1318) 1

Le plus beau monument de l'Alsace et l'un des plus admi- rables du monde entier est, sans contredit, la cathédrale de Strasbourg. D'abord humble église en briques et en bois sous Clovis et les Mérovingiens, elle fut remplacée, sous le règne de Charlemagne, par une construction en pierre qui fut détruite en 1002 par un incendie allumé par les soldats d'Hermann, duc d'Alsace et de Souabe. Werinhaire de Habs- bourg, évêque de Strasbourg, la reconstruisit; mais elle fut de nouveau brûlée en 1007 par le feu du ciel. Le même prélat la réédifia, d'après le style roman (1007-1028); puis elle fut de nouveau incendiée en 1130, 1140, 1150 et 117b, et sa crypte seule fut épargnée.

1 Ouvrages consultés : Gérard, les Artistes de V Alsace au moyen âge. T. I, p. 190 et suiv. Louis Schnreoans, Essai sur la cathédrale de Strasbourg. Piton, la Cathédrale de Strasbourg, etc.

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L'architecte Hermann Auriga, le père probable de la statuaire Sabine, en reconstruisit, à la fin du xiF siècle, les transepts et le chœur, qui a été restauré au xrxe siècle par Gustave Klota. L'œuvre d' Auriga est de style roman, mais on y remarque déjà, surtout dans les voûtes, quelques traces de l'ogive qui allait bientôt régner exclusivement dans les édifices religieux. Vers le milieu du xnr siècle, un architecte, dont le nom est resté inconnu, commença la construction des nefs qui furent à peu près achevées vers l'an 1273 et qui étaient de style gothique.

Le corps de la cathédrale était ainsi presque terminé, le chœur roman était réuni au vaisseau central gothique appuyé sur ses deux nefs latérales, lorsque Conrad III de Lichtenberg, devenu évêque de Strasbourg en 1273, conçut le beau projet de donner à ce qui existait déjà une façade monumentale, dont il confia l'exécution à Erwin de Steinbach.

De quel pays cet illustre architecte était-il originaire? Selon l'opinion la plus accréditée, il était dans le village de Steinbach, margraviat de Bade, on lui a élevé de nos jours une statue due au ciseau du sculpteur strasbourgeois Friederich, et fut l'auteur de la flèche de Fribourg en Brisgau, ville dans laquelle l'évôque Conrad, attiré par sa très grande réputation, serait allé le chercher pour lui confier l'achève- ment de la cathédrale de Strasbourg. Mais on doit remarquer que la tour de Fribourg était déjà terminée du temps de Conrad I, comte de cette ville (1236-1272) et qu'Erwin ne put prendre part à son édification.

Une autre version donne pour berceau à Erwin le village alsacien de Steinbach, près de Thann. Une troisième opinion le fait naître à Mayence ou dans les environs de cette ville. Enfin, Gérard prétend qu'il était un maître français venu très jeune en Allemagne et ayant transformé son nom d'Hervé, Hervieu, Erpuin, ou Herpwin, de Pierrqfont, depuis plusieurs siècles assez commun dans l'Ile de France, en celui $ Erwin

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de Steinbach qui, jusqu'alors, avait été inconnu en Allemagne. Cet auteur base son opinion sur le caractère éminemment français qu'offrent les parties de la cathédrale de Strasbourg qui sont l'œuvre d'Erwin, et sur certaines sculptures qu'on y remarque, telles que les fleurs de lis, les armoiries de saint Louis et de Blanche de Castille, les statues équestres de Clovis et de Dagobert. Gérard ajoute que ce ne fut pas seulement à Strasbourg qu'Erwin grava sur la pierre certains emblèmes qui lui rappelaient la France, mais aussi sur les murs de l'église du monastère d'Haslach, dont il commença en 1274 la reconstruction, qui fut interrompue par un incendie arrivé en 1287, et qui fut reprise en 1295 par son fils Jacques, mort en 1330.

Quel que soit le lieu de sa naissance, Erwin ne peut être diminué ni dans ses œuvres ni dans sa gloire, car le génie n'a pas de nationalité, il appartient à l'humanité tout entière. Ce qu'il y a de certain, c'est que les monuments qui ont rendu son nom immortel se trouvent sur le sol d'Alsace, et, sous ce rapport, il peut être rangé parmi les hommes illustres de cette province.

Avant de commencer la construction de la façade de Notre- Dame de Strasbourg, il en acheva les nefs (septembre 1275), comme cela résulte d'un document qui se trouvait dans la bibliothèque de WolfenbUttel. 1 L'année suivante, il posa les fondements de la façade, et en 1277 il en commença la construction extérieure, d'après ce que nous apprend une inscription qui exista jusqu'en 1720 sur le portail gauche: Anno Dom. MCCLXXV1I in die beati Urbani hoc gloriosum

1 Anno Dom. MCCLXXV, 7 id. sep. vigilia nativitatis beatœ Virginia compléta est structura média testudinum superiorum et totius fabrica prater turres anteriores ecclesiœ argentinensis, régnante Budolfo Borna- norum rege, regni ejus secundo, qui annus eîectionis ejus secundus est terminatus et elapsus feria secunda proxima post nunc instans festum Michailis.

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optis incoavit magister Erwinus de Steinbach. Dans cette œuvre, Erwin adopta franchement le style ogival qui liorissait alors en France.

Il travaillait sans relâche à l'édification du portail, lorsque, le 14 août 1298, un incendie terrible détruisit tout le quartier de la cathédrale et endommagea une grande partie de celle-ci. Erwin fut obligé de rebâtir la partie supérieure des nefs, et ce travail retarda tellement la construction de la façade, qu'il mourut sans pouvoir l'achever, et que ses successeurs y apportèrent de si grands changements qu'ils dénaturèrent la belle conception de son génie.

D'après les plans d'Erwin qui se trouvent encore dans les archives de la maison de l'œuvre Notre-Dame (Frauenliaiw),1 la façade devait avoir deux étages, dont le premier compre- nait les trois portails, et le deuxième la grande rosace centrale avec les deux fenêtres majestueuses des tours. Deux flèches jumelles et semblables devaient surmonter les portails laté- raux. Cette conception générale était conforme aux idées et au style de l'époque ; elle avait été admise pour la cathédrale de Cologne. Les deux flèches de Strasbourg eussent probable- ment ressemblé à celle de Fribourg et présenté la forme pyramidale qu'affecte cette dernière. Au-dessus de la rosace, on eût vu émerger le pignon et la toiture de la grande nef. L'aspect de l'édifice, dans ces conditions, n'aurait peut-être

1 Parmi les dix-huit plans se trouvant dans ces archives, les plus anciens seraient de la main d'Erwin ou auraient été exécutés sous ses yeux. En voici la description sommaire : I, esquisse du côté gauche de la façade; II, vue intérieure des deux étages inférieurs; III et IV, deux esquisses représentant ces étages à l'intérieur. On est frappé de trouver dans ces quatre plans primitifs la façade réduite aux deux étages infé- rieurs. V et VI, deux esquisses conçues dans un système analogue à celui des dessins précédents, paraissant appartenir à peu près à la même époque, mais provenant d'un artiste inférieur à Erwin. Les douze autres plans appartiennent à des époques postérieures, c'est-à-dire aux xive et xv« siècles. (Voir Gérard, ouvrage déjà cité, t. I, p. 231 et suiv.

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pas été aussi surprenant que celui qu'il offre à nos yeux, mais les formes auraient été plus harmonieuses entre elles, mieux proportionnées avec la nef et plus conformes au style ogival.

Erwin put achever les deux étages de la tour méridionale et seulement le premier étage de la tour septentrionale ; quant à la rosace de la façade, ce n'est pas lui qui la construisit, car elle ne put l'être qu'après l'achèvement du deuxième étage de la tour septentrionale sur laquelle il fallait nécessairement qu'elle s'appuyât, aussi bien que sur celle du midi. Ce furent ses fais, Erwin II et Jean dit Winlin qui continuèrent son œuvre.

Erwin est l'auteur de plusieurs autres édifices, ou tout au moins des plans d'après lesquels ils furent construits. C'est lui qui, comme nous l'avons déjà dit, commença en 1274 (et peut-être déjà en 1273) la reconstruction, d'après le style gothique, de l'église du couvent d'Haslach, construction qui fut continuée en 1295 par son fils Jacques, qui mourut en 1330, en tombant, dit-on, d'un échafaudage de la tour dont il voulait surmonter ce beau monument

Erwin avait préludé à son œuvre capitale, la construction de la façade de la cathédrale de Strasbourg, par plusieurs ouvrages exécutés dans l'intérieur même de cette basilique. On lui attribue la décoration de la belle colonne du transept méridional, appelée le pilier des anges ou la colonne d' Erwin. Mais ce n'est qu'une supposition ; nous avons vu, en parlant de la statuaire Sabine, que les statues qui ornent ce pilier doivent appartenir à cette femme artiste. On attribue encore à Erwin le transept septentrional et la balustrade orientale de la croisée; mais c'est Hermann Auriga qui en fut l'archi- tecte.

Erwin est l'auteur de la chajwUs de la Vierge ou de la ville, qui fut achevée en 1316 et détruite en 1G81 ; c'était la merveille de la cathédrale ; elle était ornée de statues, de bas-reliefs, de sculptures et de peintures admirables.

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On a prétendu qu'il créa le magnifique jubé qui séparait les prêtres du chœur des laïques, et qui eut la même destinée que la chapelle de la Vierge ; mais c'était l'œuvre de l'archi- tecte des nefs.

Nous ayons vu que c'est par erreur qu'on a cru qu'Erwin était l'auteur de la flèche de Fribourg en Brisgau. Il ne le fut pas d'avantage de l'église Saint-Thiébaud de Thann, dont la construction remonte, il est vrai, aux premières années du xiv* siècle, mais à laquelle aucun titre sérieux ne rattache le nom d'Erwin. La nef de cette église ne fut commencée que quatorze ans après la mort de cet artiste; et si la construction de ses beaux portails remonte à l'époque il vivait, rien ne dénote son style ni son génie. La première mention que la chronique des Franciscains de Thann fait d'un architecte de Saint-Thiébaud se trouve seulement sous la date de l'an 1386: c'est maître Jean Werlin. La flèche de cette église, qu'on a le tort de comparer quelquefois à celles de Strasbourg et de Fribourg, ne leur ressemble point et remonte au xvr siècle.

Il est présumable que c'est Erwin qui reconstruisit ou restaura les fortifications du château épiscopal dlsenbourg à Rouflach (1278), et celles de la ville de Lichtnau ; qu'il fournit les plans du monastère de Rhinau (1290-1294), qui fut englouti par le Rhin au xvr siècle, et ceux du mausolée de l'évêque Conrad de Lichtenberg, qui fut tué en 1299, mausolée qui se trouve dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste de la cathédrale de Strasbourg.

Il peut se faire encore qu'Erwin ne soit pas resté étranger à la construction ou à l'agrandissement de certaines églises de Strasbourg, telles que SaintrGuillaume, qui fut bâtie de 1300 à 1306, Saint-Pierre-le-Jeune, dont la nef fut renouvelée en 1290 et le chœur achevé en 1319 ou 1320, l'église des Dominicains ou Temple-Neuf, dont le chœur fut construit de 1308 à 1345. Il a peut-être aussi dirigé la construction du château et de l'hôpital de Molsheim (1316).

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Erwin de Steinbach mourut à Strasbourg, le 17 janvier 1318; c'est ce qui est établi par son épitaphe qui, avec celles de sa femme et de Jean Erwin, se trouve gravée sur le contrefort oriental de la chapelle de Saint-Jean : Anno Dom. MCCCX VIII X VI Kl. februarii 0 tnagr. Erwïnvs gubernator fabrice ecclie argnt. T.

Il légua à la cathédrale son cheval et une rente de quatre onces pfenning, monnaie de Strasbourg. Sa femme Rusa, appelée aussi Gertrude par certains documents, l'avait pré- cédé dans la tombe le 12 des calendes d'août (21 juillet) 1316.1 On a cru, d'après un auteur strasbourgeois, " qu'elle était statuaire et qu'elle aida son mari dans ses travaux; mais elle ne fut rien moins qu'artiste ; elle était prosaïque, positive et méchante, blasphémant contre le génie de son époux et maudissant ges nobles aspirations.

Erwin fut enterré dans le petit cimetière qui se trouve entre la chapelle Saint-Jean-Baptiste et le grand séminaire, cimetière qui paraît avoir été spécialement affecté comme lieu de repos aux architectes et tailleurs de pierres de la cathédrale. On y voyait jadis les pierres funéraires de Jean Hultz le jeune, qui acheva la flèche de la cathédrale, et de Jacques * de Landshut, l'auteur du portail Saint-Laurent. Aujourd'hui il ne s'y trouve plus que les épitaphes d'Erwin, de sa femme Husa et de Jean Erwin.

On a cru longtemps que ce Jean Erwin était le fils d'Erwin; on se basait sur l'inscription suivante, gravée sur le contre- fort oriental de la chapelle Saint-Jean-Baptiste : Anno Dmi MCCCXXXVII1 XV Kl. apprilù 0. magister Jokannes fitm Erwini magri opris vjus ecce; ce qui veut dire: En l'an du Seigneur 1339, le 15 des calendes d'avril, mourut mattre Jean, fils d'Erwin, mattre de l'œuvre de cette église. L. Schneegans

1 Anno Dom. MCCCXV1 XII Kl. augusti 0 dna Eusa uxor magri Ertoini (épitaphe). * M. de Ken tzinokb, Choses mémorables du vieux temps. NooreUe Série. - H- année. 30

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et Gérard ont démontré que ce Jean n'était pas le tils d'Erwin, niais son petit-fils, et qu'il avait pour auteur Erwin II, tils et successeur d'Erwin I.

Gérard établit ainsi la généalogie d'Erwin I: Erwin II, qui mourut après l'an 1339 et qui eut pour fils maître Jean Erwin cité dans l'inscription susdite ; Jacques, qui continua la cons- truction de l'église d'Haslach, commencée par son père, et qui mourut en décembre 1330, comme le témoigne l'inscription de son tombeau qui se trouve dans le cloître d'Haslach ; enfin Jean, dit Winlin, le plus jeune des trois frères, qui décéda vers Tan 1348 et laissa deux enfants, Jean et Oertrude.

On ignore si Erwin I eut des filles ; ce qu'il y a de certain, c'est que la statuaire Sabine ne descendait pas de lui, puis- qu'elle vécut plus d'un siècle auparavant

Selon Schneegans, 1 Erwin II et Jean, dit Winlin furent investis simultanément des fonctions d'architecte de la cathé- drale après la mort de leur père. Gérard prétend, au contraire, qu'Erwin II dirigea seul la continuation des travaux de cet édifice, et que ce fut seulement après sa mort que son frère Jean lui succéda dans sa maîtrise.

Ce qui est certain, c'est que les deux frères édifièrent le deuxième étage de la tour du nord et la rosace centrale de la façade (1318-1348). Quant au troisième étage des deux tours et de la façade, qui n'aurait pas exister si l'on avait respecté les plans d'Erwin I, il doit être attribué aux successeurs des fils de celui-ci. C'est ainsi que le troisième étage des tours est à Gerlach (1348-1355) et à Hultz-le-Vieux, de Cologne (1355-1365). Une fois cette œuvre terminée, on put songer a exécuter le massif central qui surmonte la rose du grand portail, et c'est Cuntz (1382-1383) et Michel de Fribourg (1383-1390) qui en furent chargés.

Schweighauser (Vues pittoresques de la cathédrale) a pré-

1 Epitaphe d'Erwin.

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tendu que l'idée d'élever sur la plate-forme de la cathédrale la flèche prodigieuse qui la surmonte, appartient aux fils d'Erwin. Mais peut-on accepter cette opinion ? La piété filiale et l'admiration qu'ils devaient avoir pour leur père, leur imposaient le devoir de suivre fidèlement les plans qu'il avait laissés, et chercher à les mener à bonne fin devait être un but assez élevé pour leur ambition.

L'idée d'ériger une flèche, peut-être deux flèches, sur la plate-forme, n'a été conçue que vers Tan 1355 et doit revenir à Hultz-le-Vieux, Mais ce n'est pas lui qui construisit la tour octogone qui sert de base à la flèche pyramidale ; cette tour n'a été érigée que dans la dernière partie du xrv* siècle. Specklé place la construction des quatre tourelles à l'année 1384; Wimpheling, la fermeture de la coupole à 1405, et Jérôme Guebwiler donne la même date à la quatrième voûte qui termine la tour octogone.

Il restait, pour compléter l'œuvre entière, à construire la pyramide. En 1429, on fit venir de Cologne Jean Hultz le Jeune, qui termina la flèche en dix années et l'inaugura le 24 juin 1439.

Le magnifique portail septentrional de la cathédrale, dit portail Saint-Laurent à cause du martyre de ce saint qui y est représenté, fut construit de 1494 à 1505 par Jacques de Landshut; le baptistère, œuvre de Jost Dotzinger de Worms, remonte à l'an 1453; enfin la chaire, chef-d'œuvre de Hamerer, fut sculptée en 1486 et illustrée pendant quatorze ans par l'éloquent prédicateur Jean Geylcr, de Kaysersberg.

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REVUE D'ALSACE

LE COUVENT DES DNTERLINDEN DE COLMAR et ses calligraphes Catherine de Gebesweiler, Gertrude de Bheinfelden et Adélaïde d'Epfig

(xm9 et xiv* siècles) 1

Au moyen âge Colmar a possédé un couvent de Dominicaines renommées pour leur ascétisme et leur mysticisme, lesquelles cultivèrent aussi avec succès l'art de la calligraphie et de la miniature. Les Unterlinden, tel est le nom de ce monastère, furent construits do 1252 à 1269, sur l'emplacement d'une maison ombragée de ttUeuls. Il n'en reste plus que le cloître et la chapelle qui sont occupés de nos jours par le musée et la bibliothèque de la ville.

Parmi les prieures de ce couvent il y en a eu une, Catherine de Gebesweiler, morte vers l'an 1330, qui a laissé un manu- scrit, propriété de la bibliothèque de Colmar, intitulé de VUis primarum sororum monasterii liber, petit in-folio de 141 feuillets à deux colonnes. Il a été publié d'abord par dom Bernard Pez dans sa bibliothèque ascétique (tome VIII, p. 1-399), puis traduit en allemand par le chartreux Mathias Thanner, enfin réimprimé en 1863 à Ratisbonne par Louis Clarus. Ce manuscrit ne présente aucun caractère artistique; il n'a d'importance qu'au point de vue de l'histoire du mysti- cisme au moyen âge, car il contient le récit des extases des convulsionnaires des Unterlinden; il mentionne en outre les noms de deux calligraphes de ce couvent.

L'une d'elles est Gertrude de Rheinfelden qui, pendant de longues années, transcrivit avec un zèle et une merveilleuse habileté des livres de chœur et beaucoup d'autres ouvrages, et se fit singulièrement remarquer dans ces travaux, sans

* Ouvrages consultés: Rmtblhubeb, V Alsace ancienne et moderne, article sur T. I, paasim ; etc.

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toutefois négliger ses devoirs de religieuse. Suivant dora Pitra,1 elle copia des livres et les enlumina d'ors, de lettres ornées au minium et décorées d'arabesques d'azur. Elle vécut dans la seconde moitié du xur siècle et au commencement du xrv.

Est-elle l'auteur de certains des manuscrits provenant des Unterlinden de Colmar et appartenant à la bibliothèque de cette ville? C'est probable, même certain, car tous ont été écrits et enluminés par les religieuses de ce couvent, mais aucun ne peut lui être spécialement attribué.

Nous ne parlerons pas des récits légendaires qui ont entouré le nom de Gertrude de Rheinfelden, récits qui donnent une idée exacte du mysticisme excessif qui régna sur les Dominicaines de Colmar; on peut se reporter à cet égard au livre de M. Gérard. *

La seconde artiste calligraphe des Unterlinden de Colmar mentionnée par Gertrude de Gebesweiler est Adélaïde d'Epfig, qui vécut dans la seconde moitié du xiii* siècle et au com- mencement du xrv*. Elle entra au couvent dès sa plus tendre enfance et s'occupa à transcrire avec une grande élégance plusieurs ouvrages, principalement des livres liturgiques à l'usage du chœur. Malheureusement elle a oublié, comme son émule Gertrude de Rheinfelden, de signer ses œuvres qui doivent se trouver parmi les manuscrits de la bibliothèque de Colmar.

Adélaïde d'Epfig a laissé, comme presque toutes les nonnes des Unterlinden, une trace profonde dans l'histoire du mysti- cisme catholique. Sa supérieure, Catherine de Gebesweiler, a raconté sa vie ascétique et remplie d'extases, dans l'une desquelles elle avait appris l'heure exacte de sa mort.

1 Lettre au père Lacordaire sur le couvent des Unterlinden, 1864. Ouvrage cité. T. I, p. 269 et auiv.

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LES WURMSER

Peintres (1300-1360) 1

Dans les dernières années du xm* siècle, un peintre, dont le nom n'est connu que par celui de ses fils, Wurmser, quitta Strasbourg, sa ville natale, et alla s'établir en Bohême. Il emmena avec lui son fils Cuntzel, dit le Bohême, frère de Nicolas le peintre. Ce dernier était resté en Alsace et n'alla que plus tard se fixer a Prague.

Si Cuntzel est surnommé le Bohême, ce n'est pas parce qu'il naquit dans cette contrée, mais parce qu'il y fut élevé et qu'il en adopta la nationalité. Cuntzel, dont la profession était celle de peintre, fut chargé par l'empereur Charles IV de décorer les édifices qu'il avait fait construire. Lorsque son frère Nicolas alla le rejoindre à Prague, il travailla avec lui aux peintures murales du Karlstein; mais il est difficile de connaître celles qui sont de sa main. C'était un très bon peintre, et c'est surtout dans les portraits qu'il excellait

C'est en l'an 1348 que Nicolas Wurmser alla se fixer à Prague, l'empereur l'avait appelé pour concourir, avec son frère Cuntzel et d'autres artistes à la décoration du château du Karlstein et des églises de la ville.

On n'a aucun renseignement sur Nicolas avant son départ de Strasbourg, il exerçait sa profession de peintre. Il n'a laissé dans cette ville aucune œuvre connue ; mais sa réputa- tion devait déjà avoir acquis une certaine notoriété, puisque Charles IV l'attira en Bohême. C'est seulement à partir du moment qu'il travailla aux peintures du Karlstein, que l'histoire parle de lui. Il devint l'un des peintres favoris de ce monarque qui, le 6 novembre 1359, lui accorda le privilège suivant: « Nicolas Wurmser de Strasbourg, peintre de l'em-

1 Ouvrages consultés : Gbrabd, les Artistes de l'Alsace au moyen âge. T. I, p. 344 et suiv. E. Mmrrz, de quelques monuments de l'art alsa- cien conservés à Vienne (Revue d'Alsace, 1872).

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l'alsacb artistique

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pereur, en considération de son art et de ses soins diligents pour décorer les lieux et les châteaux dont il a été chargé» pourra disposer de ses biens, faire des legs ou des donations, instituer des héritiers, comme il le jugera convenable et sans aucune considération du droit en vigueur, des us et coutumes» ni des règlements futurs. »

L'année suivante, Charles IV l'affranchit de tous cens et impositions sur la maison et les terres qu'il avait acquises non loin de la ville, près du domaine de son mattre et ami Théodoric de Prague, l'un des fondateurs de l'école de peinture de la Bohême. Dans le diplôme il lui accorde cette faveur, l'empereur l'appelle notre cher et familier peintre Nicolas, et ordonna à ses officiers, sous peine de disgrâce, de ne point lui réclamer d'impôts.

A partir de l'an 1360, on ne trouve plus trace de Nicolas Wurmser; on ignore la date de sa mort, s'il revint en Alsace ou s'il termina sa carrière en Bohême.

Lui et Thomas de Modène, qui se trouvait à la même époque à Prague, produisirent une révolution importante dans l'an- cienne école allemande de Cologne, en y introduisant le sentiment, les procédés et les innovations de l'art italien. Les œuvres que ces deux peintres ont laissées, prouvent qu'ils étaient presque des artistes italiens.

Nicolas Wurmser a exécuté de nombreux travaux en Bohême ; il a orné de peintures plusieurs châteaux impériaux, principalement le Karlstein qu'il décora de concert avec son frère Cuntzel le Bohême, Théodoric de Prague et Thomas de Modène. Mais il n'est pas facile de distinguer l'œuvre de chacun de ces artistes. Suivant les auteurs qui se sont occupés de Nicolas Wurmser, 1 les peintures qu'on peut lui attribuer sont les suivantes : Dans la collégiale du Karlstein :

1 Gérard, ouvrage cité, 1. 1, p. 353 et Buiv. : ParaissEa, Wiener Jahr- bûcher, p. 114, et Naolsb, Kunsiler-Lexikon, XXII, p. 132.

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REVUE D'AIAACE

Charles IV présentant à son tils aîné Wenceslas une croix; Charles IV offrant une bague à son fils Sigismond ; l'em- pereur agenouillé et prosterné (levant un autel, revêtu de ses ornements impériaux et couronne en tête. Wagen 1 attri- bue ces peintures à Ountzel;4° une femme apocalyptique debout sur la lune et portant un enfant nouveau-né dans ses bras. Cette fresque, qui est un dos principaux morceaux du Karlstein, doit d'autant plus être attribuée à Wurmser, qu'elle ne présente dans la composition et l'exécution aucune ana- logie avec les œuvres de Théodoric de Prague et de Thomas de Modè m* ;

Dans la chapelle Sainte-Catherine du même château : une fresque représentant les bustes de l'empereur Charles IV et de sa femme ; les époux tiennent des deux mains une croix d'or volumineuse, rehaussée de pierres précieuses et se ter- minant aux extrémités par des feuilles de roses quadrilobées. Les têtes sont ceintes d'une riche couronne d'or parsemée de joyaux. L'artiste a représenté l'empereur sans le flatter, avec sa nature lourde et épaisse, ayant une barbe imposante et de longs cheveux ; son manteau est do drap d'or, fort raide, sans aucuns plis et orné ça et d'aigles brodés. Par contre, l'im- pératrice est très belle de visage, douce en même temps que majestueuse; une riche et longue chevelure ondoie sur ses épaules couvertes d'un manteau écarlate fermant sur la poi- trine et enrichi de broderies d'or. Cette fresque, très bien conservée, est dominée par une ogive, et le fond de la peinture est en or et formé d'un quadrillage parsemé de roses qui imite un tapis de brocard; sur le mur de gauche se trouvent sept têtes représentant les images des patrons de la Bohême ; ces figures sont très détériorées et ont subi, il y a environ deux siècles, des restaurations déplorables; 3e dans une niche d'autel se trouve la Vierge avec l'enfant Jésus, accostée de

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l'alsacb artistique

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l'empereur et de l'impératrice. Cette peinture est très en- dommagée.

Dans l'église Sainte-Croix du même édifice les peintures qui s'y trouvent n'appartiennent pas, suivant les auteurs précités, à Wurmser. Kugler, 1 au contraire, ainsi que Waagen/ attribuent à cet artiste les grandes fresques peintes aux voûtes des fenêtres et reproduisant les scènes et les person- nages suivants du Nouveau Testament : l'Eternel assis sur son trône, entouré du chœur des anges, tenant les sept étoiles d'une main, et de l'autre le livre aux sept sceaux ; l'adora- tion de l'agneau par les vingt-quatre vieillards ; l'Annon- ciation ; la Visitation ; 5' l'adoration des Mages; le Christ avec Marthe et Marie; V Madeleine aux pieds du Sauveur; le Christ au jardin des Oliviers; la résurrection de Lazare. Ces peintures, qui révèlent un génie créateur, un sentiment profond du beau et une habileté de main considé- rable, sont presque entièrement détruites. Sur les murailles de l'escalier qui, dans la grande tour, conduit à la chapelle de la Sainte-Croix, se trouvent des fresques très détériorées retraçant la légende de saint Wenceslas et de sainte Luraille; mais il est peu probable qu'elles soient de Wurmser, car elles n'offrent pas la largeur et la puissance de composition qui distinguent les œuvres de cet artiste.

Dans la cathédrale de Prague, les fresques décoratives de saint Wenceslas sont attribuées, en partie, à Nicolas Wurmser. Ces fresques forment deux séries ; la supérieure qui reproduit les scènes de la vie de ce saint, n'a pas été peinte, suivant les meilleurs critiques, par notre artiste; la série inférieure, représentant les actes principaux de la vie du Christ, ont un tel rapport de parenté avec les meilleures œuvres du Karlstein, qu'on peut sans craindre de se tromper,

1 Khine Schriften, E, p. 49a Ouvrage déjà cité, I, p. 62.

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REVDE D'ALSACE

leur donner Wurmser pour auteur. Certaines sont masquées par l'autel et d'autres objets mobiliers; celles qui sont visibles, au nombre de sept, représentent Jésus devant Pilate, le Crucifiement, la Mise au tombeau, la Résurrection, l'Ascen- sion, la Pentecôte, saint Pierre et saint Paul. Dans la Résur- rection, la figure du Christ est empreinte d'une expression de grandeur que les outrages du temps n'ont pu altérer. La scène de la Pentecôte offre l'image touchante de la Vierge, entourée des apôtres, la tête inclinée vers la droite, les mains jointes pour prier. Les images de saint Pierre et saint Paul sont empreintes de la force de caractère et de la puissance intellectuelle que possédaient ces deux fondateurs de l'église chrétienne. Ces fresques sont entourées d'un encadrement de pierres précieuses d'une grosseur remarquable, enchâssées dans une suite de châtons qui forment un cordon étincelant.

On ne connaît de Nicolas Wurmser qu'un seul tableau mobile, le Christ en croix, qui se trouve dans la galerie du Belvédère à Vienne; il porte la date 1357 et provient de la chapelle sainte Catherine du Karlstein; les victoires de Napoléon I" en avaient enrichi le musée du Louvre, et, après 1815, il fut restitué à l'Autriche.

M. £. Muntz, 1 qui a vu et étudié cette peinture en parle de la façon suivante: « C'est un tableau sur bois de six pieds sept pouces de hauteur, sur quatre pieds neuf pouces de largeur. Le Christ, tixé sur la croix par trois clous, laisse pesamment retomber sa tète ; à sa gauche se trouve sa mère, qui joint les mains et prie avec ferveur et résignation; de l'autre côté, saint Jean appuyant sa joue sur sa main droite par un de ces gestes naïfs et câlins, si chers à l'école de Bohême. L'aspect de cette peinture est boueux, terne et lourd, et l'emplacement qu'elle occupe entre deux fenêtres et à contre-jour ne contribue pas à lui donner plus d'éclat. Sa

1 Ouvrage déjà cité.

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L'ALSACE ARTISTIQUE 475

couleur contraste singulièrement avec le ton clair et trans- lucide des autres tableaux de la môme époque et de la même école, que renferme le Belvédère, notamment avec le Saint- Augustin et le Saint-Ambroise de Théodoric de Prague. Le dessin n'est pas moins défectueux ; les draperies sont d'une exécution sommaire et boursoufnée; les mains et les pieds massifs, grossiers, informes comme s'ils étaient de bois; les figures rondes et vides. Mais l'ensemble ne manque pas d'une certaine grandeur, et les habitudes de la peinture murale et monumentale, plus familière à l'artiste que la peinture sur bois, peuvent expliquer et en quelque sorte atténuer ces imperfections. »

On est unanime pour reconnaître que, malgré ses défauts, Wurmser doit être rangé parmi les plus grands peintres de l'Allemagne. Dans ses œuvres, il a fait preuve d'une habileté d'exécution, d'une puissance de création et d'une indépen- dance qui en font un maître original, auquel l'Alsace doit être fière d'avoir donné le jour.

ULRICH RITTER

Architecte (xiv« siècle)1

Ulrich Ritter, à Strasbourg, au commencement du xiv* siècle, reçut son éducation artistique dans les ateliers de cette ville sous la direction du célèbre Erwin de Steinbach ou de ses fils. Sa renommée, comme architecte, s'établit promptement en Allemagne et pénétra jusque sur les bords de la Baltique. Ludolphe Kœnig, seigneur de Weitzau, grand maître des chevaliers teutons, qui résidait à Marienbourg, avait résolu de construire à Dantzig, tombé en 1310 au

' Ouvrages consulté» : Hirsch, die Ober-Pfarrkirche von Sonet- Marien inDanUig, 1843; Gérard, I, p. 281 et 282.

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REVUE D'ALSACB

pouvoir de son ordre, une église sur le plan de celle de Sainte-Sophie de Constantinople. Dans ce but, il chargea Ritter, en 1341, d'aller dans cette ville pour y étudier l'ar- chitecture de sa basilique et lui en rapporter des plans exacts et détaillés. Notre Strasbourgeois passa deux années dans la capitale de l'empire grec, et à son retour, en 1343, il commença la construction de Sainte-Marie de Dantzig, l'une des plus vastes et des plus belles églises de l'Europe. Entièrement en briques, cette église a cent vingt mètres de longueur, qua- rante-quatre de largeur, et sa voûte, de quarante-un mètres d'élévation, est soutenue par vingt-six piliers d'une légèreté et d'une hardiesse étonnantes. Elle renferme cinquante cha- pelles placées sur des caveaux funéraires.

Ritter n'eut pas le temps d'achever son œuvre ; c'est à peine s'il put la voir s'élever au-dessus du sol. Elle ne fut terminée qu'en 1503, sous le règne des rois de Pologne. On ignore l'époque de la mort de cet artiste.

WOLVELIN OU WŒLFELIN

Sculpteur (xrv* siècle) 1

Le plus illustre sculpteur de l'Alsace au xiv* siècle fut maître Wolvelin, de Rouffach. D'abord tailleur de pierre et maître de l'œuvre de la belle église Saint-Arbogast de cette ville, il alla s'établir vers l'an 1341 à Strasbourg, oh il fut reçu membre de la bourgeoisie et exerça jusqu'à la tin de ses jours la profession de sculpteur. On ignore l'époque de sa naissance et celle de sa mort ; il résulte de certain document, qu'il ne vivait déjà plus le 10 octobre 1355.

On ne connaît de Wolvelin que deux monuments qui portent sa signature authentique. L'un est le tombeau

1 Ouvrage consulté : Gérard, tome I, p. 333 et suiv.

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d'Irmengarde, veuve d'Hermann V de Bade, qui se trouve dans l'église de l'abbaye de Lichtenthal qu'elle avait fait construire en 1245. L'autre, qu'on peut voir dans l'église Saint-Guillaume de Strasbourg, est le mausolée d'Ulric de Werde, landgrave de la Basse- Alsace, et de son frère Philippe, chanoine de la cathédrale de Strasbourg. Wolvelin le sculpta en 1344. o La dalle, dit Gérard, qui recouvre le tombeau des deux frères, présente l'effigie en relief de Philippe, les mains jointes et recouvert de ses habits sacerdotaux, ayant un chien couché à ses pieds. Deux lions, assis aux deux bouts de la dalle tumulaire, supportent une table funéraire exhaussée, sur laquelle est couchée la statue du landgrave Ulric en costume de guerre, le morion en tête, la cotte de mailles au corps ; à son côté droit est l'épée nue, ainsi que les gantelets, symboles de la puissance nobiliaire et militaire; deux lions sont à ses pieds. Sur le lit de pierre repose le landgrave, on lit : Meuter Wolvelin von Rufach ein burger zu Strasburg der het dis Werck gemacht. Ce monument est l'un des plus beaux morceaux de la sculpture alsacienne au moyen âge ; le meilleur, peut-être, par la vigueur du dessin, la correction de la forme et la sûreté du coup de ciseau. Il révèle un sta- tuaire de forte trempe, unissant la sévère précision de l'idée à la vive expression de l'image. »

P.-E. Tuefferd.

'La suite prochainement.)

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LES

EX-LIBRIS DANS LES TROIS ËVÊCHÉS

METZ TOUL VERDUN

1552-1790

Suite'

Âbbaye royale de Saint- Arnould

Liber Sandi Arnulfi, Metensis urbis episcopi; auferenti sit anathema (xr siècle).

Liber Sandi Arnulfi, si quis abstulerit anathema sit.2

Liber est Sancii Amulphi.

Arguât Armdphus raptorem codicis hujus.

Alonasterii Sandi Amulphi metensis.

Ex-libris Sandi Amulphi.

Begalis Abbatiœ S. Arnulphi Metetists, 1759,

Sandi Arnulphi, 1764. Les religieux s'étaient acquis «de nouveaux droits à la reconnaissance publique», car, non contents d'avoir publié l'histoire de Metz, pour laquelle ils avaient reçu de la ville 600 livres pour les aider à faire graver les planches, ils avaient résolu de rendre publique leur belle bibliothèque, dont la salle, située au premier étage, avait soixante-huit pieds de

1 Voir les livraisons du dernier trimestre 1881 et des premier, second et troisième trimestres 1882.

Puis Maranaiha, id est pereat in secundo adventu Domini (mst 126), ou maUdictus *it.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÊS

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long, trente-quatre de large et dix-huit sous plafond. Cinq grandes fenêtres en plein cintre l'éclairaient. Elles avaient quinze pieds de haut et sept de large. L'entrée à gauche était surmontée des armoiries do l'abbaye avec le millésime MDCCLIII. Cette salle servit plus tard pour le même usage, lors de la création de la bibliothèque de l'école d'application. Un catalogue en avait été dressé, le 21 février 1769, et il se trouve à la bibliothèque de Metz (manuscrit 908). Les manuscrits à cette époque étaient au nombre de cent cin- quante-deux, et déjà bien des raretés avaient disparu ; cent deux in-folio et le reste de divers formats étaient inscrits. Dès le xii* siècle, on citait les Annales Metenses qui furent prêtés au père Siraond qui ne les rendit pas. Ce codex est encore indiqué comme étant à l'abbaye dans la Géographie universelle, par Jean Hubner, Bâle, 1757, t 1, p. 279. Mais c'est une erreur copiée sur d'autres ouvrages de ce genre. M. Prost parle des manuscrits vendus à Paris avec la bibliothèque du collège de Clermont, en 1764, et transportés avec d'autres manuscrits, de Metz en Angleterre, ils passèrent, dans le cours de ce siècle, aux enchères par suite du décès du posses- seur. ' D'après Bégin, la bibliothèque avait quinze mille volumes,* mais on verra par le procès-verbal de 1790 qu'il faut rabattre de ce chiffre.

Les moines ouvrirent donc leur bibliothèque en 1787, et YAlmanach de Metz pour 1790 donne quelques extraits du règlement: elle était ouverte au public les mercredi et vendredi de chaque semaine, de neuf heures à cinq heures, sauf de

1 M. 0. Chartener possède dans sa riche bibliothèque le petit cartu- laire de Saint- Arnould (xive siècle) richement relié; il provient de M. de Chazelies. La bibliothèque de Verdun (n° 84) a des commentaires sur l'Apocalypse venant de M. de Nothomb, puis de M. de Dattel. La bibliothèque de Metz a, d'après M. Prost, cent dix-huit manuscrits de Saint- Arnould.

* Annuaire de la Moselle, 1834, 173.

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midi à deux, l'été; l'hiver elle se fermait à quatre heures du soir. Nécessairement elle était fermée les jours de fête. Dom Maugérard et Dom Delté, assistés du garde-bibliothèque, don- naient à tour de rôle les livres. Les manuscrits, les ouvrages hétérodoxes, les in-8* et autres petits formats n'étaient confiés qu'à des personnes connues. Les livres ne pouvaient être prêtés que dans des circonstances exceptionnelles et pour un temps très court et en déposant le double de la valeur du bouquin. Nécessairement le silence devait être gardé dans la salle de lecture.

L'historien Valladier, qui fut présenté pour être évêque de Toul, a fait imprimer l'histoire du monastère, dont il était commendataire. Voici son fer de reliure :

Le 11 mai 1790, l'inventaire des livres, fait par ordre de la Nation, indiqua deux mille cent trente in-folio, deux mille trois cent soixante-treize in-4°, mille trois cent quatre-vingt- trois in-8°, trois mille quatre cent vingt-sept in-1 6; au nombre

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de ces livres étaient les Actes des apôtres, en grec; le tout formait un total de neuf mille trois cent treize volumes et cent soixante-dix manuscrits.' Le catalogue in-folio, relié en carton, de cent quarante-quatre pages, fut de suite coté et paraphé. On ne compta pas une foule de journaux, de bro- chures politiques sur la réunion des notables, sur l'assemblée provinciale, les états généraux, les questions du temps, etc. Le 9 mai 1791, on transporta les livres, les manuscrits et les archives à l'Intendance. Il y avait la fameuse charte de 1552 avec le sceau en or du duc de Guise ; Dom Calmet en avait eu une copie, grâce à l'obligeance du prieur Dom la Coine. 8

On ne sait ce que devinrent les cuivres des trente-deux planches de la Vie de saint BenoU, par Sébastien le Clerc, que conservaient les religieux. Ils ne furent pas perdus, car on en a des épreuves modernes. Quant aux monuments con- servés dans le cloître et collectés par Dom Maugérard et avant lui par Dom Cajot3 dans les fouilles du vieux Saint- Arnould extra tnuros, ils furent brisés, d'après M. Chabert, en 1793, par une populace ignorante. La gare de Metz s'élève sur l'emplacement de l'ancien couvent On voit au musée archéo- logique une petite stèle funéraire avec inscription, trouvée lors des fondations, et les débris d'arcatures de style flam- boyant qui gisaient, en 1865, dans les fossés de la porte de France et qui furent donnés au musée par «M. Rossel, lieute- nant du génie»* (n° 420), pourraient bien provenir de l'église détruite lors du siège de 1552.

1 Le 29 avril 1791, les religieux réclamèrent à la Municipalité deB couverts d'argent, comme leur appartenant, pour leur usage personnel. Mais tout porte à croire qu'on ne fit pas droit à cette juste demande.

Le sceau avait disparu dès l'an VL

8 La bibliothèque de Verdun possède le Catalogue des plantes de Dom Cajot le jeune (Autog. n<> 285).

4 Le Journal de la Société d'Histoire et d'Archéologie mentionne d'autres dons de ce malheureux officier.

Nouvelle Série. - H- année. 31

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REVUE D'ALSACE

Dom Tabouillot, un des auteurs de YHigtoire de Metz, his- toire écrite avec une critique et une érudition bien supérieure à l'ouvrage de Doui Calmet, Y Histoire de Lorraine, était moine de Saint-Arnould. Les livres et les manuscrits qu'il laissa, sont marqués d'une étiquette oblongue

entre trois filets enguirlandés.1

M. Dommanget a publié une notice sur Dom Tabouillot. Voici une pièce importante sur ce religieux et qui est restée inconnue à l'ancien bâtonnier du barreau messin. C'est la déclaration faite à la Municipalité, par ce rehgieux, de son intention de quitter le couvent par suite des décrets :

t Aujourd'hui vingt six juin mil sept cent quatre vingt dix est comparu par devant Nous officier de la Municipalité de Metz Commissaire en cette partie, Dom Nicolas Tabouillot, Religieux bénédictin de la Congrégation de Sl-Vanne et l'un des membres de la Maison conventuelle de Saint Arnould de Metz. Lequel nous a dit que ses infirmités le portaient à profiter du bénéfice du décret de l'Assemblée Nationale sanc- tionnée par le Roy, et qu'en Conséquence il déclarait qu'il abdiquait le cloitre et entendoit dès cet instant fixer son domicile chez Mr Le Doux son neveu garde du parc d'artil- lerie, isle de Chambière à Metz, Delaquelle déclaration il nous a requis acte que Nous lui avons octroyé et a signé avec nous.

1 La bibliothèque de Metz a plusieurs manuscrits de ce religieux traitant de l'histoire locale et qui, en 1802, lui vinrent du notaire Guelle. Il y en a, entre autres, la Pouillé manuscrit du diocèse de Metz, que M. Henri Lepage, l'érudit archiviste de Meurthe-et-Moselle, allait terminer de publier lorsque l'incendie de l'imprimerie Rousseau-Pallez, de Metz, détruisit, en 1871, toute l'édition. Heureusement que M. Lepage en avait conservé un exemplaire en bonnes feuilles.

D. NIC0LA1 TABOUILLOT Monachi Benedictini Congregationis S. S. Vitoni & Hidolphi

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÊS

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Ordonnons que le présent acte sera annexé à l'inventaire par nous formalisé à l'abbaye de Sl-Arnould le onze May dernier pour y recourir au besoin et servir à telles autres fins que de raison, j'approuve deux mots rayés nuls.

«Renauld. D. N. Tabouillot.»1

Dom Tabouillot avait changé d'avis, car dès le premier jour de l'enquête, il avait déclaré avec le prieur Dom Pierron, Doms des Ruisseaux, Laurent, Maire, Millot, Sonis, Guillaume et François Bcrnier, qu'il attendait les décisions de l'Assem- blée nationale; le doyen Dom Marionnelz, Doms Petitjeau, Huguenin, Agnus, de leur côté, voulaient se retirer dans leurs foyers. Le procès-verbal ne mentionne pas ce que dirent le sous-prieur Goujelet et Dom Robert, le plus âgé des religieux, il avait 07 ans,2 et il avait travaillé aux preuves de V Histoire de Metz; quant à Maugérard, cet illustre savant, il « refusa de sortir, à moins de force»! D émigra.

L'église conventuelle renfermait aussi bien des choses pré- cieuses: des tombeaux, entre autres celui de Louis le Débon- naire, si souvent reproduit et dont quelques fragments sont au musée archéologique. Le sculpteur Tenel, qui l'avait acquis, en 1794, ne pouvant le vendre au ministre de l'intérieur, en 1799, le débita en l'an VIL Un des grands collectionneurs du temps, M. Paguet, rue du Pontifroy, sauva la tête, les mains et un fragment représentant le passage de la mer rouge. Le même amateur eut encore d'autres souvenirs de Saint- Arnould, l'olifan de Charlemagne qui était suspendu à la voûte de l'église; il fut adjugé à Paris, le 8 février 1867, pour 2350 francs. Le total des enchères de la vente de cet heureux

1 II avait alors 56 ans, et était paralysé d'un bras dès 1786; il mou- rut chez Ba nièce, le 4 prairial an VII.

* Le prieur avait été membre du comité municipal; il avait alors 46 ans et Dom J.-B. Maugérard 55. Les plus jeunes moines avaient 82, 28 et 26 ans.

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collectionneur monta à la somme de GOOO francs. Le trésor de Saint-Arnould contenait, entre autres, la chasse, le chef du saint en vermeil, une main et un bras en argent, etc. D y avait douze cloches, y compris celle du dortoir; l'orgue neuf, construit en 1785, avait coûté plus de 30,000 francs. Le balda- quin du maître-autel était soutenu par quatre colonnes d'une seule pièce chacune; une balustrade de marbre fermait le sanctuaire; l'autel entier et le tabernacle étaient en bois doré; le chœur était garni de vingt-deux sièges en bois de chaque côté : près de l'autel, il y avait deux tables couvertes en marbre...

A l'hôtel abbatial, le salon avait une glace et quatorze tableaux ou portraits, etc.1

Les bénédictins ne voulurent pas se laisser dépouiller aussi violemment sans essayer de sauver quelque chose. Mais la nation veillait. Le prieur de Saint-Arnould, Dom Pierron et Dom Maugérard cherchèrent à envoyer chez le curé Auth, de Saint-Martin-de-Cologne, chanoine de Saint-Pierre de la môme ville, quelques débris de leur ancienne opulence. Des orne- ments d'église et des livres furent emballés, les uns dans une caisse, enveloppés d'une vieille nappe, les autres dans un panier. Mais l'envoi fut saisi et, le 15 novembre 1790, les deux moines furent invités à venir s'expliquer à la municipalité et à assister à l'ouverture des colis. On ouvrit la caisse en leur présence et on y trouva deux tuniques, deux étoles et trois chappes d'or sur fond blanc et une chappe velours noir avec franges d'argent; dans le panier, quarante volumes in-folio: les œuvres de saint Augustin, treize volumes; les œuvres de Dom Martène, neuf volumes; les œuvres de saint Jérôme, cinq volumes; le Recueil des conciles, douze volumes; un Droit canon, un volume. Dom Maugérard soutint que les ornements et les livres lui appartenaient; mais on lui fit

1 Archiva départementales, Q, 3, 65.

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LES BX-LIBMS DANS LES TROIS EVÊCHÉS

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observer que ces derniers portaient encore, quoique presque entièrement raturées, des mentions qui contredisaient son dire ; on pouvait encore distinguer S. Vincentii, ordinïs S. Bene- dicti, Cong. S. 8. Witoni et Hydulphi sur le premier ouvrage cité; S. Arnulphi sur le second, S. démentis sur le troisième et sur le cinquième. Les assertions du bénédictin paraissaient donc fausses; aussi la saisie fut-elle maintenue.

Des élèves aspirans d'artillerie étaient en pension à Saint- Arnould et à Saint-Clément.

Abbaye royale de Saint- Vincent

Sancti Vincentii Metensis Congrégation™. Sanetorum

Vitoni & Hydulphi. Ex tnona8terio S. Vincentii metensis 1660.

« Il y a une bonne bibliothèque, dit Dom Calmet, et elle se perfectionne tous les jours. Sigisbert de Gemblours a long- temps présidé aux écoles de ce monastère et on a de lui quelques manuscrits. *

Une description de l'église porte que le chœur était séparé de la nef par un jubé à colonnes de marbre et trois grilles de fer. « Le portail magnifique a été bâti depuis peu; il a deux tours dans lesquelles sont douze belles cloches. »

Le 11 mai 1790, le son de celles-ci annonça aux religieux la fin de leur paisible existence claustrale. Le catalogue de la bibliothèque fut coté et paraphé; on marquait onze cents in-f°, mille soixante-dix in-4°, cinq cent quatre-vingt-treize in-8°, deux mille quatre cent soixante in-12 et trois cent vingt in-16, formant le total de cinq mille cinq cent quarante-trois volumes.

En 1792, l'abbaye fut transformée en prison.

L'incendie du 1" septembre 1705 ruina le monastère, la bibliothèque riche de onze mille volumes fut brûlée; on sauva cependant quelques épaves.1 Pour réparer l'église et con-

1 Entre autres le volume aux armes de l'évêque Psaume dont la gravure a été donnée.

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struire le nouveau portail, on fit argent de tout Le bronze des six colonnes du baldaquin du maître-autel, du grand aigle du pupitre, des candélabres et de la lampe fut sacrifié; l'argent que l'on en retira servit aux nouvelles constructions, ainsi que les pierres d'un jubé dentelé, qui fut impitoyable- ment rasé.

Abbaye royale de Saint-Symphorien

Ex rronasterio S. Simplioriani Afetemis. S. Symphoriani Met. 1769.

Les bénédictins de ce couvent continuaient depuis 1768 le collège tenu par les Jésuites supprimés. Ils tenaient un pen- sionnat.

Le 12 mai 1790, l'architecte Fontaine et l'avocat Juzan de la Tour, commissaires nommés, arrivèrent à la porte du cou- vent; ils furent reçus par le prieur et les moines, qui les con- duisirent dans toute la maison. Dans l'église ils virent une châsse revêtue de lames d'argent, contenant des reliques du saint patron placées sur le maître-autel; dix-sept tableaux furent mentionnés.

A la bibliothèque ils feuilletèrent quelques manuscrits, entre autres un fort beau pontificat. '

On estima les livres à près de quatre mille cinq cents volumes. Il n'y avait pas d'ordre à la bibliothèque, car elle était trop étroite depuis qu'en 1768 on y avait placé les livres provenant des Jésuites. Beaucoup de volumes étaient sur les rayons, d'autres pêle-mêle. Depuis longtemps les bénédictins son- geaient à créer une nouvelle bibliothèque plus spacieuse. On remit aux commissaires deux catalogues : celui du couvent de 308 pages, relié en veau, de format in-folio, et un second, un peu plus petit, relié en parchemin, contenant ce qui avait

1 M. Paguet avait de ce couvent des vitraux datés de 1524 et 1525.

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LES EX-LIBRK DANS LES TROIS KvtCHES

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appartenu aux Jésuites. On ne garantissait pas la quantité portée, rien n'y ayant été fait depuis 1768, et beaucoup de livres classiques, d'histoire et de littérature, ayant été prêtés aux professeurs et aux élèves, et bien d'autres étaient perdus. On compta ensuite six cent treize in-f\ huit cent cinquante- cinq in-4° et trois mille cinquante-un de divers formats; il y avait dans la bibliothèque deux globes montés de 18 pouces de diamètre, l'un terrestre, l'autre céleste.

Après avoir consulté le Registre de vêture, les religieux furent interrogés s'ils entendaient quitter le monastère. On remarque la déposition de Dom Amiot, préfet des classes et professeur de philosophie, 32 ans ; de Dom Colmar, professeur de troisième, 40 ans; de Dom Reibell, régent de cinquième, 34 ans, qui « entendent être citoyens et prêtres séculiers. »

Les bénédictins messins avaient formé la Société littéraire germano-bénédictine, dont le siège central était dans leur ville; le secrétaire était Dom Jean François et Dom Tabouillot en fut élu membre le 4 mai 1789. Cette académie archéologique et linquistique avait été fondée en 1752. Sa devise était :

Quod Sapimos Conjungat Amor. Elle avait pour symbole une Minerve assise, au pied de laquelle on lisait ces mots :

Publica Commoda, puis deux génies portant une ruche devant un arbre pour y recueillir un essaim d'abeilles; aux quatre côtés du dessin se trouvaient les inscriptions suivantes :

ÀMICO PŒDERE, VTRTUTB & DOCTRtNA,

VI8 UKITA MAJOR HOC MONTRANT V1AM.

Le programme était en latin. La Sociéité littéraire germano- bénédictine fut emportée par la Révolution.'

1 Dommanort. Dom Tabouillot (Société d'archéologie et d'histoire de la Moselle). Meta, 1868, 115.

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Abbaye royale de Sainte-Gloasinde

De Vabbaye de Sainte-Olostinde. Ce livre apartient à Vabbeie de Sainte-Glossinde de Metz.

Ce furent le chanoine Nioche et le docteur Marchand, offi- ciers municipaux, qui eurent la triste mission d'aller inven- torier chez les dames de Sainte-Glossinde le 17 mai 1790, de s'informer de leur âge et de leur demander si elles voulaient rester religieuses.

La bibliothèque était située au premier étage, près des appartements abbatiaux; elle contenait des livres de piété et les meilleurs auteurs anciens et modernes : cinquante volumes in-P et cinq cents volumes de divers formats. Il y avait beau- coup de livres liturgiques à l'usage de la maison, réimprimés par ordre de l'abbesse, M"" Hottman, morte en 1762. Sur le titre il y avait ses armoiries. L'inventaire devait renfermer bien des curiosités : un grand plat antique plaqué en émail, une vierge en poterie, un pied de reliquaire avec armoiries en argent, etc.

L'abbesse, M"* de Choiseul-Beaupré, déclara être née le G mai 1720. Metz était terre bénite pour « les filles » de cette illustre maison. Une autre comtesse de Choiseul était abbesse à Saint-Louis, se trouvait comme chanoinesse M™ de Choiseul-Meuse et comme coadjutrices Âdrienne et Félicité de Choiseul et Sidonie de Choiseul-Gouffier.

Le manuscrit du Livre de chant particulier de l'abbaye Sainte-Glossinde est à la Bibliothèque publique (n* 714, xvnr1 S.).

Lors de l'établissement des Capucins, l'abbesse leur donna un gros volume décoré sur les plats de ses initiales en grec au milieu de deux branches de lauriers; sur le titre on lit : Le 1" février 1602, M™ de Candalle, coaajutrice de S. Glos- sinde, a donné ce pnt livre aux capucins de Metz. On trouve

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dans la correspondance de Paul Ferry une lettre adressée à Louise de Foix de Candale.

M. Guigard a donné le blason de Louise de Nogaret de la Valette, abbesse, nlle naturelle du duc d'Epernon, morte en 1647. Ses armoiries sont entourées d'une couronne et sur- montées d'une crosse abbatiale. Aux angles on voit deux A A entrelacés (Louise de la Valette), (Volumes à la Bibliothèque nationale.)

Le 16 décembre 1792, on brûla sur la place de la Loi (place d'Armes) le portrait en pied de Louis XV qui était à l'hôtel de ville et qui avait coûté 800 livres; beaucoup de livres trai-

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tant du blason ou de généalogies nobiliaires eurent le même sort Le citoyen Trotebas, membre du district, accompagné de l'archiviste Léman, avait été les trier à l'Intendance. Un Moveri et la Généalogie, de lajamille de Vergy furent pris dans le tas de Sainte-Glossinde. Les abbayes de bénédictins, et surtout Saint- Arnould (un Dom Pelletier), fournirent aussi leur contingent pour cette inepte cérémonie, dont le procès- verbal est cité in extenso par M. Chabert

Antonistea

Ex4ibri8 domrn S" Antonij Met&nsis.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS

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Le prieur de cette maison, M. Charvet, avait publié dans le Mercure de France, en 1760, un mémoire sur les limaçons. Il avait aussi quelques pétrifications provenant surtout de Bar- le-Duc.1

Augustin*

Ex-libris conventos fratrum Eremitarum Ordinis Sancti Augiistini cœnobii metensis.

Ils étaient aumôniers de l'hôtel de ville et les colonnes antiques du portail de leur église furent transportées dans les jardins de la Malmaison. La visite officielle eut lieu le 14 mai 1790; la bibliothèque avait 1168 bouquins, dont 26G in-folio, 205 id-4°, 615 in-8% 22 in-12 et 50 in-16.

Capucins

Conventus metensis Capucinoru. Catalogo inscriptus. Ex-bibliotheca Cap cinorum Conv. metensis.

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Leur fondateur, Tévêque de Basilite, Antoine Fournier,

1 Bachoz cite, comme amateurs de fossiles et de minéraux, l'ingé- nieur de Montlibert, seigneur de Secourt, qui forma son cabinet à Nancy et le transporta ensuite à Metz ; le conseiller an Parlement Antoine recherchait les mêmes séries, mais son départ pour l'Ile-de- France entraîna l'abandon de son cabinet

Sous le Directoire, le chirurgien en chef de l'hôpital militaire, Gorcy, à Pont-à-Mousson, étudia les fossiles des environs de Metz; il avait les deux coquillages dits le Coq et la Poule, et un tibia qu'il prétendait être d'an homme de plus de huit pieds. Ses collections ont été dispersées.

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sufiragant de Metz, leur laissa à sa mort, en 1602, sa belle bibliothèque, qui fut encore augmentée dans la suite par des dons particuliers. L'inventaire indique en effet cinq cents in-f*, quatre cent dix in-4° et deux mille cinq cent soixante-dix de diverses grandeurs.

Les capucins, les récollets et les sœurs Colettes recevaient annuellement des secours de la ville.

Un noël' imprimé à Metz montre les enfants de saint François allant adorer le divin enfant

Les capucins quoique nuds pieds Ne laisseront pas d'y aller, On pourra les faire quêter Pour faire à l'Enfant la bouillie, Vive

(Sur l'air : Frère André disait à Grégoire.)

Grands Cannes

Carmeli antiquiorù metensis.

D'après l'armoriai, les Carmes avaient pour blason de sable chappé d'argent.

Leur bibliothèque était des plus médiocres, dit Dom Dieu- donné. Les commissaires, en 1790, déclarèrent qu'il n'y avait point de salle de bibliothèque; on y trouva cependant deux mille cent quatre-vingt-sept volumes de toute grandeur et, en outre, un lot de vieux livres non catalogués, puis la Clef du cabinet et journal de Luxembourg, etc.; on indique ensuite cent douze in-f, soixante-neuf in-4°, quatre cent quarante in-8°

1 Comment se fait-il que tous ces recueils de noëls, imprimés à Nancy, à Saint-Mihiel , à Neufchateau, à Metz, etc., se ressemblent tous? Tous vosgiens! mais pour comprendre le patois des montagnards vosgiens, il faut avoir résidé dans leur pittoresque pays. Tous ces noëls doivent provenir de Troyes, sauf ceux essentiellement locaux, et ceux-là sont très rares; il est plus facile de toujours copier la même rengaine imprimée que d'aller puiser aux sources. Fiat lux!

LSS EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHKS 493

et cent cinquante-huit in-12. Dans l'église, trois tableaux, dont deux servent de retable. La bibliothèque a deux manuscrits des Carmes.

M. de Bouteiller a raconté les pérégrinations de l'autel des Cannes, qui se trouve actuellement au château de Mont- l'Evêque, près de Senlis; une faible partie est au château de Gueuzlin, près de Douai.1

M. Paguet avait collecté quelques vitraux des églises des Carmes et de SaintrGeorges. On a conservé sur place quel- ques débris de l'église; on peut encore se rendre compte de la légèreté des fenêtres ogivales.

La ville payait tous les ans une redevance aux carmes, parce qu'ils étaient obligés de dire les messes pour le repos des âmes des suppliciés. Ces religieux, avec les dominicains et les récollets, étaient souvent inscrits au budget municipal comme prédicateurs de l'Avent ou du Carême â la cathédrale.

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Ex-libris formé par une découpure dans une feuille de cuivre sur laquelle on frotte un tampon noirci.

Leur bibliothèque fut en peu d'années bien fournie et ils eurent des tableaux de quelque valeur.

Charles, peintre du duc de Lorraine, changea une toile italienne représentant Jupiter, assis près de son aigle, mena- çant Semelé en un Christ assisté d'un ange donnant à Semelé Thérèse un clou de la croi$. Ce fut dans ce couvent que Sébastien Leclerc, devenu depuis si célèbre, grava sa planche de saint Eloi, évôque de Noyon.

Le couvent avait onze chambres de religieux et trois cham- bres d'hôte.

L'inventaire du 10 août 1790 porte sept cent dix-sept in-f*, deux cent quarante in-4° et quatre cents divers, et livres à l'index cinq cents. L'ex-chanoine François Nioche et le docteur Hubert Marchand inventoriaient.

L'église est aujourd'hui la bibliothèque publique et le cloître servit longtemps de musée d'antiquités. Ces vieux débris, qui paraissent un peu fades quand on a vu les galeries du Vatican, étaient bien, dans ce demi-jour, mystérieux. S'ils n'avaient pas pour eux la beauté, ils avaient l'immense avantage d'être topiques; c'est ce qui les rendait aussi intéressants que cette multitude de marbres du Musée Pio Clementino.

On a estimé, sans exagérer, à plus de soixante mille volumes le nombre des bouquins mis sur le pavé grâce au démeublement des couvents et à la confiscation des biens des émigrés. Comme partout ailleurs, la négligence amena bien des pertes dans cet immense amas déposé dans les salles du rez-de-chaussée de l'Intendance ; on commença à en dresser un catalogue qui ne fut pas terminé et ils furent timbrés de ces mots : District de Metz; a des ventes faites après décès, dit Begin, dévoilèrent bien des turpitudes. » Le catalogue de Grisel, on 1792, était à peine commencé, lorsqu'on ordonna de former une bibliothèque pour l'Ecole centrale, puis, à l'organisation du culte, on

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÊVÊCHÉS

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permit et c'était justice à l'évêque et au directeur du séminaire de choisir les livres à leur convenance pour les bibliothèques épiscopale et du séminaire. Quelques émigrés rentrés obtinrent la restitution de leurs livres non brûlés (??). Enfin le total des bouquins de 1790 avait subi une très forte diminution, lorsqu'on songea à approprier l'église des petits Carmes. En 1812, le catalogue portait vingt-un mille neuf cent quatre-vingt-onze volumes. Le comte de Jaubert avait rem- placé, en 1804, l'honnête Duhamel1, qui avait commencé à mettre un peu d'ordre dans ce fouillis et qui, comme biblio- thécaire départemental en 1795, avait opéré le transfert des livres au gouvernement (palais de justice). En 1803, la biblio- thèque devint communale et elle ne fut ouverte au public qu'en novembre 1811.

Par suite de l'inexécution des décrets de l'Assemblée nationale, un grand nombre d'ouvrages et de manuscrits pré- cieux disparurent; mais nous laissons à d'autres le soin de faire connaître si les pertes irréparables qu'éprouvèrent le département et la ville doivent être attribuées à une économie mal comprise ou à l'incurie des hommes chargés de veiller à l'exécution des mesures si sages prescrites par l'Assemblée nationale/

La circulaire suivante montre qu'à Paris on avait quelque- fois tort :

Paris, le 21 frimaire an VII.

Citoyen,

Tous les cartulaires des cidevant instituts religieux qui se trouvent disséminés dans les divers dépôts littéraires, bibliothèques et archives de la République doivent être réunis à Paris. Ces titres fruits des siècles barbares, se lient trop essentiellement à leur histoire pour en être distraits. Il faut qu'ils attestent à la postérité ce que l'ambition et l'avarice des corporations privilégiées ont obtenu de la crédule igno-

1 II resta sons-bibliothécaire.

* E. Saukb. La MotselU administrative, 1859, 675.

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rance de nos pères et qu'ils leur fassent apprécier l'heureuse révolu- tion qui s'est faite dans l'esprit humain.

Vous voudrez donc bien faire rechercher tout ce que les dépots de votre département possèdent en ce genre et l'adresser à Paris aux conserrateurs de la Bibliothèque nationale, rue de la Loi. Je m'en repose sur votre zèle pour l'exécution de cette mesure et je suis persuadé que la confiance qu'il m'inspire ne sera pas déçue.

Salut et fraternité,

Frawçois de Nkupchateac.

Par suite de cet ordre, beaucoup de bibliothèques départe- mentales perdirent ce qu'elles possédaient de plus rare, à la grande satisfaction des chercheurs parisiens. (V. le Cabinet ht torique, Paris, 1856, t II, p. 129).

Célestins

Celestitiorum de Métis Celestinorum metensium O. 91.

Me volumen est Conventus Béate Marie Celestinorum de Métis,

Cest livre apertieyit aux frères Célestins de Mets.

Ils furent supprimés en 1774. Ils avaient les plus beaux jardins de la ville. En 1760, le père Perette était un fleuriste émérite. En 1771, l'électeur de Trêves, prince de Saxe, vint avec sa sœur, l'abbesse de Remiremont, admirer le jardin des récollets; il leur paya 500 francs le caïeu d'une magnifique tulipe.

M. de Bouteiller a écrit l'histoire de ce couvent L'arsenal du génie le remplaça. On voyait dans celui-ci l'aérostat qui avait servi lors de la bataille de Fleurus.

Le docteur Morlanne recueillit la miraculeuse Vierge des Célestins et en fit don à l'église de Saint-Clément. Quelques inscriptions funéraires et des fragments provenant de l'église sont au Musée archéologique de Metz.

D'après M. Prost, ce sont les célestins qui, après les béné-

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dictins, fournirent le plus de manuscrits. Il y en a quarante- trois à la bibliothèque, dont quelques-uns viennent de Saint- Clément. Par suite du legs Dattel, il y a Verdun De Imitatione Qiristi (xV siècle), manuscrit anciennement aux Célestins de Metz.

Chanoines réguliers et Collège

Canomce metensis.

m

Collège royal de s. louis.

Papillon inv. & sculp. 1755. Armes de France entourées du cordon des ordres du roi et de palmes, livres, globe, etc., et surmontées de la couronne royale; au-dessus, sur une bande- role, l'indication ci-dessus.

Cette gravure sur bois servait en outre à décorer les certi- ficats des prix décernés aux élèves du collège royal établi dans les bâtiments du prieuré depuis 1775. Douze jeunes gentilshommes étaient élevés gratuitement

Les chanoines réguliers étaient très instruits; plusieurs furent membres de la Société des sciences, lettres et arts de Metz. Ils tirent graver à leurs frais une belle vignette pour Y Atlas de Buchoz, qui les cite souvent1 Le prieur et principal Michelet avait, d'après lui, un beau cabinet minéralogique. A sa mort, sa collection fut négligée. Plus tard, le prieur Gillet eut un herbier;* il créa un jardin botanique dans la maison et lit construire une fort belle serre pour les arbres

1 Beaucoup de Messins les imitèrent : M. de Brye, secrétaire de la ville; de Montigny, chanoine de la cathédrale, etc.

' Les apothicaires Thirion et Hillaire avaient aussi des herbiers; le premier fit des cours publics de chimie, qui lui valurent une pension de 600 livres de la ville. Puis venaient, en fait d'amateurs de bota- nique, le major de la citadelle La Mothe, le docteur Michel du Ten- Nouvelle Série. - II- année. 32

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exotiques. Les chanoines avaient en outre quelques pierres gallo-romaines, entre autres un bas-relief trouvé à Metz et décrit par Emmery.

Les commissaires, le 30 octobre 1790, reçurent le catalogue de la bibliothèque, contenant huit pages in-folio; on y remar- quait l'histoire de Luxembourg en huit volumes, les œuvres de Bufion, de Rousseau, de Voltaire, etc.; plus, il y avait trois cents volumes non catalogués à cause de leur peu de valeur. La clef de la bibliothèque était perdue; les commissaires char- gèrent le serrurier Caillot d'en faire une. Les armoires en sapin de la bibliothèque avaient chacune onze tablettes.' On compta cinq cent soixante-seize volumes in-f\ trois cent soixante-douze in-4°, mille sept cent cinquante-un in-8°, mille quatre-vingt dix-huit de divers formats reliés et sixin-f\ vingt in-4°, cent cinquante-sept in-8° et deux mille huit cent soixante- seize volumes divers non reliés, formant le total de trois mille volumes.

netar, Dupré de Genesto, le pharmacien Bécœur. Les sieurs Lerminiat, Hian et Periolle8 étaient des « fleuristes » de renom, dit Buchoz. Le bailli de Tschudy, le président de Chazelles, la présidente de Neuvron, morte retirée chez les Carmélites de Paris, avaient des jardins enchan- teurs à Colombey, Lorry-devant-le-Pont et Arry.

Herpin et Buchoz ont donné la vue de ces deux derniers jardins. On trouve également dans V Atlas de Buchoz la vue de Fristo et le jardin de Bouflers, charmante gravure de Fontaine qui demeurait rue de la Princerie. Bégin a parlé longuement de MM. de Tschudy et de Cha- zelles. En 1775, les pépinières de Simon sont déjà citées. L'horticulture fut toujours en honneur à Metz, et on ferait un curieux opuscule en traitant, avec tout l'humour que mérite le sujet, l'histoire de ses fameuses mirabelles confites, offertes à tous les souverains de passage et envoyées annuellement en étrennes à la Cour.

L'abbé d'Huart, sous M. de Saint-Simon, avait la surveillance des magnifiques jardins de Frescati et y cultivait les plantes les pluB rares.

1 Le sous-principal avait dans sa chambre Y Encyclopédie, des recueils académiques et des cahiers d'histoire naturelle.

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LES BX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS

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Un second incident marqua la descente nationale : le libraire Marchai, par suite de ses fournitures, avait fait saisir le cabinet de physique et les scellés y étaient apposés à la venue des commissaires.

Tous les livres donnés en prix étaient décorés sur les plats des armes royales de France.

Le collège datait de 1G22 et il devint de suite très florissant ; jusqu'à l'époque de la révocation de l'édit de Nantes, les jeunes réformés messins en suivaient les cours et disputèrent avec succès les palmes à leurs camarades de la communion romaine. La ville donna de nombreux secours aux Jésuites et, jusqu'au moment de leur expulsion, elle payait 367 livres 10 sols pour les deux régents de philosophie.

Les Jésuites eurent, malgré l'appui de la bourgeoisie, à souffrir la mauvaise humeur du duc de Coislin, qui, comme son illustre voisin de Verdun, leur ôta le pouvoir de confesser. Puis vinrent contre eux les sourdes attaques du Parlement et leur chute éclatante.

Un grand-vicaire, doyen du chapitre, Henri d'Haraucourt, eut, en 1657, l'ingénieuse idée de faire les frais d'une distri-

Jésuites

Collegii Metensù Societatis Jesu.

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bution de prix et de donner des livres à ses armes. Il avait été en 1643, avec l'évôque de Madame, un des témoins de l'installation des R. R. P. P. dans la rue de la Chèvre, ils demeurèrent jusqu'aux décrets d'expulsion. Les volumes aux armes des généreux bienfaiteurs se trouvent difficilement; ils sont généralement très bien reliés.

Le catalogue Henri (Paris, octobre 1863) en indique un. D'après YEx-lïbris, c'était un don du chanoine de Saint- Sauveur, Aubertin, aux récollets ; le volume avait passé de la bibliothèque de ces derniers dans celle de M. d'Haraucourt L'élève couronné se nommait François André et le préfet Jean le Clerc (sceau), 29 août 1757 (n° 109, 20 fr.)

Le chanoine Henri d'Haraucourt est enterré à la cathédrale.

La ville de Metz fournit aussi aux frais de la distribution des prix, et on peut attribuer aux Jésuites Técusson suivant, représentant les armes de la ville surmontées de la Pucelle.

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LES EX-LIBH1S DANS LES TROIS ÉVÊCHÈS 501

Le président au Parlement, Louis Freinyn, mort en 1669, fit en 1663 les frais de la distribution des prix. Les armoiries frappées sur les plats indiquent que les livres proviennent de sa bibliothèque.1

1 L'exemplaire de la bibliothèque de la ville fut donné en prix le 30 août 1663 à François Granet. Au bas de l'attestation latine il y a le sceau du collège et la signature du préfet Nicolas Fleury. Le portrait du président, tiré à toute marge par Sébastien Leclerc, fait pendant au titre.

r

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En 1670, l'archevêque d'Embrun donna aussi des livres ornés de ses blasons. Le jour de la distribution, on joua une tragédie latine : Mors Coriolani.11

Neuf manuscrits provenant des Jésuites sont à la biblio- thèque de Metz. Les bénédictins parisiens virent chez eux, en 1709, l'histoire manuscrite des évôques de Metz par le R. P. Benoît, ouvrage que le duc de Coislin défendit d'imprimer.

1 Viahson. Histoire du premier collège de Metz. (Mém. de l'Acad.), Metz, 1874, 223.

r.ES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHKS 503

Les bénédictins de Sainfc-Arnould et d'autres couvents héri- tèrent des dépouilles des Révérends Pères.

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Ex bibliotheca minimorum metensium.

Minimorum metensium.

De la Bibliothèque des Minimes, C. 200.

Les religieux eurent une singulière affaire à la fin du xvii' siècle : un quidam, nommé Claude Carré, les accusa d'avoir touché à Venise, en son nom, une somme de vingt millions provenant d'un oncle décédé dans cette ville, et d'avoir déchiré une feuille d'un registre de paroisse de Verdun. Un de leurs manuscrits, les quatre Evangiles (xv*), avait appartenu aux dames de Vergaville, près de Dieuze : Ex- monasterio monalium B. Mariw de Vergaville, 1628. Il s'en trouve encore cinq autres à la Bibliothèque publique. Vers 1750, ils obtinrent la fermeture de la ruelle Boudât, rendez- vous des soldats pour se battre et des filles de mauvaise vie.

Le père Jean-François Le Membre, bibliothécaire, reçut les commissaires : l'architecte Fontaine et l'avocat Juzan de la Tour, qui arrivèrent le 12 mai 1790. Il leur présenta un catalogue in-folio sur parchemin, qui fut de suite coté et paraphé; il comprenait trois mille quatre cent quatre-vingt volumes, mais il y en avait en réalité dans la salle quatre mille cent soixante ; parmi les manuscrits, deux étaient illi- sibles (n~ 62 et 647).

Les religieux déclarèrent vouloir être citoyens et prêtres séculiers.

Laaaristes

Ex-lïbris Congreqationis Missionis domus Metensis, Ex-lihris Congregationis domus et seminarii Metensis.

Les lazaristes tenaient le séminaire Sainte- Anne et fai-

504 REVLB D 'ALSACE

saient des missions à la campagne. Quatre de leurs înanus- crists sont à la bibliothèque de la ville. Nous en avons déjà parlé.

Dominicains

DE LA BIBLIOTHEQVB DES FBBRK8 PBBCHBVR8 DB MBTZ

Armoiries de Tordre, placées sur un manteau herminé sur- monté de la tiare papale, entre un chapeau de cardinal, une mitre et la crosse; autour on lit :

aa iv aianomabAH aas aaaaa dHaDHaAHs aa waiz'

avec le rosaire pendant et quatre fleurs de lis.

Hauteur, 0m,69; largeur, Om,72.

On trouve encore ces mentions : Frères prêcheurs de Mets A la Bibliothèque des Jacobins de Metz Ex Communi bibliotheca fratrum predicatorum metensium.

La ville donnait annuellement 400 livres pour la pension de deux régents de philosophie.

Les religieux présentaient aux commissaires un cahier de trois feuilles, dont dix pages écrites contenant le catalogue de quatre-vingt-dix-sept volumes in-P et neuf cent cinquante-cinq autres, formant toute leur bibliothèque. Trois manuscrits sont à la bibliothèque de Metz.

Récollets

Ex-libris F. F. Recolîect. Conventus Metensis. Ex Bibliotheca RecoUectorum Convent. Metensis.

En 1775, d'après le catalogue Emmery (1849, 311), il parut des épigrammes sur les livres brûlés aux Récollets. Les statues de saint Christophe et de saint Jacques de

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LES EX-LIRRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS 505

l'église paroissiale de Saint-Simplice venaient de ces reli- gieux, qui avaient dans leur couvent vingt-sept cellules et trois chambres d'hôte.

Le 21 mai 1790, ils déclarèrent n'avoir ni médailles, ni mobilier précieux; ce qui « a paru exact en examinant le local », disent les enquéreurs. Comme partout ailleurs, on demanda le registre de vêture pour demander si on voulait rester ou quitter.

Un manuscrit des Récollets est à la bibliothèque de Metz. Les Trinitaires n'en fournirent pas plus. Le Musée archéolo- gique a deux statuettes de l'église.

Trinitaires

Domus Sanctœ Trinitatis Metensis.

Le couvent contenait douze cellules.

Claude Bail, membre du Directoire, se rendit chez les Trinitaires le 29 janvier 1791. Il vit dans leur église un buste de bois doré, deux statues en couleur, etc. La bibliothèque était chétive; on n'y trouva que cent-vingt-quatre in-f*, quatre- vingt-quatorze in-4°, quatre-vingt-dix-sept in-8° et six cent vingt-quatre in-12. Un manuscrit est à la bibliothèque de Metz. Ils avaient quatre grandes tapisseries de 18 pieds de long sur 11 de large.

Vers 1776, Charles-Gaspard Dorvaux, docteur enSorbonne, ministre de la maison de Metz, provincial de Champagne, et le procureur général de la Rédemption, rachetèrent à Tunis et à Alger bon nombre d'esclaves chrétiens, les tirèrent des Etats barbaresques et les ramenèrent en Corse.

La bibliothèque a un manuscrit provenant des bénédictins de Sainte-Barbe; c'est leur Missel (xr siècle). Ce livre appar- tient à l'église Sainte-Barbe.

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506

REVUE D'ALSACE

Congrégation Notre-Dame

Le monastère était bâti sur des constructions antiques. La bibliothèque ne contenait que deux rayons : trente-trois volumes sur le premier et quatre cent quatre-vingt-sept sur le second, reliés en veau, eu parchemin ou brochés.

Comme presque tous les couvents de femmes à Metz, les religieuses tenaient un pensionnat.4

On trouve à la bibliothèque de Metz trois de leurs manus- crits (xviu' siècle).

Dans un noël de Collignon (Metz, 1824) :

Los dames Augu8tin.es

En congrégations,

Pour former leur doctrine,

Reçoivent les leçons

De ce divin Enfant

Qui ne fait que de naître;

Leur constitution, don, don,

Auront bien de l'éclat, la, la,

Venant d'un si bon maître.*

L'inventaire des Carmélites ne figure pas aux archives. Un recueil de cantiques (xvnr siècle) qui leur avait appartenu a été versé au dépôt de la bibliothèque, et quelques-uns des ornements de leur église se voient au trésor de la cathédrale.

1 Les sœurs Collettes, de la Madelaine, du Refuge, de la Visitation, de la Doctrine chrétienne; celles-ci tenaient en outre des écoles publiques, ainsi que les Ursulines et les sœurs de la Propagation de la foi.

8 Sur l'air : Les Bourgeois de Chartres.

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LES EX-LIBRIS DANS LES TROIS ÉVÊCHÉS

Dominicaines

Du monastère des sœurs précheresses de Metz.

Le 15 juillet 1790, on catalogue cent volumes à l'usage des religieuses, ouvrages de piété et d'histoire. Les archives étaient dans une petite chambre donnant sur le jardin ; il y avait en outre deux petites armoires fermant à trois clefs, contenant les titres de propriété et de rente sur l'hôtel de ville de Paris.

Le 5 mars 1793, on avertit la municipalité que l'on venait de trouver cinq pièces de tapisseries en laine dans une cachette sur le grenier de l'église: on ordonna le transfert au district, après procès-verbal, car jamais on ne verbalisa tant qu'à cette époque la vie d'un homme comptait pour si peu.

Bénédictines de Montigny

Les pérégrinations des livres de ces humbles religieuses, fondées par l'évêque de Madaure, sous l'invocation de Saint- Antoine de Padoue, termineront les notes sur les couvents de Metz. Les libraires Joseph Barbier et Adam arrivèrent dans la commune le 27 novembre 1790 pour estimer la bibliothèque du couvent; cent-vingt-deux volumes furent déclarés de nulle valeur et le reste encore moins ; deux bibles se trouvèrent cotés 2 f. 10 sols. On trouva parmi les bouquins les Commentaires de Calvin, le Catéchisme de Louis de Grenade, les Chroniques de Saint-Benoît, etc. Le charron Etienne Beauchêne, bon citoyen, fut institué gardien ; mais le monastère ayant été loué, on jugea à propos de transporter chez lui la bibliothèque. Dès qu'on apprit à Metz ce premier voyage des livres, en s'empressa de se rendre à Montigny et de les retirer de chez le charron

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50H

REVUE D'ALSACE

pour les jeter sur une charrette après un second procès- verbal, et on les conduisit à Saint-Arnould, le citoyen Gobert, préposé à la bibliothèque, en donna reçu.

Arthur Benoit.

(La suite prochainement)

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE

BAVARDAGES

DE

MESDÀMES-MES-COUSINES DE STRASBOURG

entremêlés de quelques autres

COMMÉRAGES ALSACIENS

Fin*

XVII

NOUS AURONS LA FÊTE2

Sais-tu, petite Brigitte, le maire

M'a dit qu'on allait avoir Fête, malgré le curé, sa colère,

Malgré son mauvais vouloir, Et si dimanche il va tonner en chaire, Ça ne pourra rien changer à l'affaire,

1 Voir les livraisons des 1er, et 3e trimestres 1882.

* Cette chanson, d'un inconnu, transmise par tradition orale, a été publiée par M. Auguste Stœber dans des articles du Samstagsblatt, réunis plus tard en brochure sous le titre : Der Kochersberg.

C'est une description très fidèle des fêtes de village en Alsace, et une chanson favorite des jeunes gens de Kochersberg.

REVUE D 'ALSACE

Car de nos danses le pauvre a profit : Riche, indigent, chacun s'y réjouit

Bientôt, dimanche, on va louer la fête

Comme on faisait autrefois. Que le curé gronde, crie et tempête !

Croit-il nous faire des lois? Gare au sermon! il nous va d'importance Laver la tête à propos de la danse! Mais, sans quitter notre livre des yeux, Ecoutons-le, d'un air silencieux,

Ah! maintenant il faudrait qu'on prépare

De beaux habits pour ces jours, Car pour le bal on s'attife, on se pare,

Chacun met ses beaux atours. Les gars ont fleurs aux chapeaux, et les belles Plis empesés aux chemises, dentelles, Tabliers blancs contenant, ô bonheur! Les pains d'épice offerts par le valseur.

Faut souliers fins afin d'être légères ;

(Les miens sont déjà tout prêts.) Jolis bas blancs bien tirés, grande aflaire!

Et tous les autres apprêts. Quand à la danse on arrive bien belle, L'on trouve vite un cavalier fidèle : Chaque garçon avec vous veut valser, Et l'on ne reste jamais sans danser!

A notre auberge chacun se régale, Sans grande peine, à sauter,

Mais au poteau du milieu de la salle, Il ne faut pas se heurter.

Tu la connais : Léne, de chez le maire,

S'y cassa presque le nez, triste affaire!

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'AI^ACE-I.ORRAINE

Et, me heurtant, me ht faire un faux pas, Et toi, beau coq, hélas ! tu m'échappas !

Chère Brigitte, ne va pas répandre,

Mais garde bien le secret Si quelque tille le pouvait apprendre,

Bien trop tôt on le saurait! Et, vois-tu bien? moi, je connais les tilles Qui voudraient être qui les plus gentilles, Mel, Lise et Léne viendraient se dresser Devant nous autres pour nous éclipser.

Mais pour danser il nous faut, ma Brigitte, Choisir d'habiles valseurs.

Promets au tien, atin qu'il ne te quitte, Un joli bouquet de fleurs!

Moi! mon valseur est de belle prestance.

L'un est lourdaud, l'autre raide à la danse :

Oui! Mais le mien sait si bien m'enlever!

Pareil valseur ne se peut retrouver.

Le bal prend fin. Avant qu'on ne reparte,

A table chaque garçon Offre du vin bien sucré, quelque tarte,

Un bon rôti, du poisson! Chaque valseur reconduisant sa belle Lui fait la cour. Bientôt devant chez elle La sérénade qu'elle entend lui fait Plaisir extrême, en fermant son volet

Haguenau, 2G septembre 1881.

512

REVUE D'ALSACE

XVIII

CHARLES BERDELLÉ

1 bKRCk^

LE REPAS DE NOCES RUSTIQUE

de Cathenne-Mancm-de-chez-l'anden^maire-Jenn-de-chez-Jean- Jacque8 de Niederschaffolsheim, raconté par la Marie-Odile- de-chez-Jean-Pierre-Vancien-adj(nnt-de-Batzttidorf.x

Qu'il faisait donc bon, la semaine de Pâques, Aux noces de la Catherine-Manon- De-chez-rancien-maire-Jean-de-chez-Jean-Jacques' De Niederschœflolsheim.' Jamais! oh! mais non! Jamais on n'a fait de plus belle bombance: On servit tout ce qu'il y a de plus fin. Quels beaux repas ! vraiment! si beaux qu'à la fin Nous étions d'avis, tous, que Ton recommence! Tu voudrais apprendre ce que nous mangions?

Laissons les bouillons,

Bouillis, cornichons! Parlons des saucisses et des saucissons,

De maint plat qui fume

D'excellent légume Couvert d'un lard de fort engageant aspect Après du boudin l'on nous sert du civet,

1 Niederschœffolsheim et Batzendorf sont deux villages voisins l'un de l'autre du canton de Haguenau. Les mots, qu'au mépris de l'ortho- graphe ordinaire nous réunissons par des traits-d'union, traduisent chaque fois un seul mot du texte alsacien.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DB L'ALSACE-LORRAINR

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Des pommes de tefre avec beaucoup de graisse, Puis du bon tilet si bien garni de lard Et si bien rôti que personne n'en laisse

Le moindre brin ! du mouton, du canard, Du veau, du poulet suivi d'une grosse oie, Et maints bons flacons qui nous mettent en joie, Des tartes, des Kouguelhoupfs1 et des gâteaux

Aussi bons que beaux,

Pas faits à la hâte : Trois heures la mère en travailla la pâte, Et pendant trois heures ne reposa pas ! Eh bien donc! que dis-tu d'un pareil repas?' Fallait voir surtout combien la compagnie

Etait bien choisie! On y trouvait nos plus gros cultivateurs, Tous gens très huppés, et les instituteurs, Et l'appariteur, et l'adjoint, et le maire, Tous pleins du louable désir de bien faire:

En effet chacun, Pour être plus frais à pareille bataille,

Arrivait à jeun, Tout prêt à se bourrer de la boustifaille. Ah ! c'est que les paysans ne sont pas sots. Les gens de la ville, beaucoup plus nigauds, N'ayant apporté ni cuillers ni fourchettes, Comme on le fait pourtant à tout grand repas, Pendant qu'on s'empressait de vider les plats

1 Le Kouguelhopf ou Kouguelhonpf (la prononciation Tarie suivant les localités) est nne pâtisserie faite arec de la farine, des œufs, du beurre, du lait, des raisins Becs, dans des moules d'une forme particu- lière. Cette pâtisserie est très aimée en Alsace.

* Cette tirade est prise presque textuellement de la bouche d'un paysan qui, dans les années 30, parlait de son repas de fête. Nouvelle Série. II- année. 33

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Penauds regardaient le fond fle leurs assiettes Jusqu'à ce que Jean vint à leur procurer De chez les voisins des outils à baflrer. ' François-le-pansu-de-chez-le-gro8-Jean-George S'en faisait passer (fallait voir!) par la gorge, Liquides, solides! car «on ne fait pas» (Pensait le gourmand) «un aussi bon repas A toutes les noces. Il faut qu'on profite, Surtout quand un homme cossu vous invite!» Ainsi faisait-il. Un voisin délicat Pour offrir du bœuf lui présente le plat. Le bœuf était vraiment d'apparence exquise! François-le-pansu lui répond: «Oh la la!

Faut-il donc manger tout cela?» Tout en regardant d'un air de convoitise La pièce de viande. Voyant sa méprise Ses voisins lui disent : « Prenez le morceau Et mangez-le, car ce ne serait pas beau De faire un affront à celui qui régale. Manger ce bouilli? ce n'est qu'un jeu d'enfant Pour vous Il le prend, le découpe et l'avale Aux huit, neuf dixièmes, puis, presque étouffant, Il dit: «Le morceau, fichtre! est un peu trop grand!» 1 Mais ça ne l'empêche d'avaler le reste, Et, quand les plats passent, de bien s'en servir, Deux fois plutôt qu'une. Rien n'est indigeste Pour lui, car il a, l'on doit s'en souvenir! Un grand appétit et le veut assouvir! Il dit à la fin, se tapant sur le ventre: «Que mon sac est plein et tendu! plus rien n'entre!

Arrivé à un repas de noces à Niederscliœffolsheim dans les années

LITTÉRATURE POPULAIRE DE l'ALSACE-LORRAINK 515

Ah! si je pouvais avaler pour demain, Je ne céderais pas encor le terrain!»1

Alors, au milieu d'un rire épouvantable,

L'on quitte la table,

L'on va plaisanter, Et sauter, et chanter.

Par les sauts, la danse,

Dégonflant leur panse, Les gens de la noce de très bon matin Sont tout prêts à recommencer le festin. On mange poissons, et légumes et viande ! François-le-pansu, pas malade, demande Et mange à lui seul un énorme poulet

Pendant ce temps-là chacun s'ingurgitait De mets variés une telle montagne Qu'aux gens de la ville vraiment ça fit peur! Et près de nous, simples gens de la campagne, Plus d'un beau Monsieur, plus d'un fier ricaneur, Malgré son esprit, son orgueil put apprendre Comment des gens bien êduqués vont s'y prendre Aux repas de noces pour y faire honneur.

Rioz, 22 mars 1880.

1 Arrivé dans les dernières années du règne de Louis-Philippe dans un dîner électoral.

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REVUE D ALSACE

LE GATEAU DE FOIRE

(Histoire arrivée à Haguenau à la foire de Saint-Martin de 1858)'

Je vais vous raconter une très belle histoire Dont je fus le témoin autrefois à la foire De SaintrMartin. Bien sûr ça vous amusera Et ma petite histoire au cœur vous touchera!

Un tout jeune homme là, par fille très majeure

Se trouva retenu, peut-être un bon quart d'heure

Auprès d'une boutique, la marchande offrait

Au public des gâteaux. La tille désirait

S'en faire payer un. Mais auprès de la tente

Le garçon restait coi, se laissant cajoler

Par la tille, qu'hélas! il ne veut régaler.

Que n'est-elle plus jeune! Elle l'arrête et tente

L'impossible, espérant enfin le décider,

A force de prier, enjôler, minauder.

Mais la marchande, qui voit le bat les blesse,

Veut tirer le garçon de sa grande détresse,

Et lui dit : « C'est honteux pour un garçon si beau,

t Si jeune, de ne pas offrir un seul gâteau

« A cette vieille fille! »

Et la sotte pécore Rougit, pâlit, se sauve, et court peut-être encore.

Rioz, 31 janvier 1881.

1 L'auteur et traducteur fut présent à la séance comme spectateur, et il en garantit l'exactitude.

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HISTOIRE D'ALMANACH

à M. Régulât o.

Vraiment arrivée en 1859 1

C'est dans Uhlwiller qu'une drôle d'histoire, Amis, se passa. Si vous voulez m'en croire, Prêtez moi l'oreille, et veuillez m'écouter : Dans tous ses détails je vais la raconter.

C'est l'appariteur remuant sa sonnette

Qui, dans le village, à tous les coins répète :

« Grelin! Klin! Greling! Klinkiin! je vous fais savoir

« Que, pour presque rien le public peut avoir

o Là-bas, à l'auberge, au bout de ce village,

« Fichus et rubans! On se montrera sage

« D'en prendre, car tous ces objets, on les dit

t Terriblement1 beaux! Le marchand fait crédit! »

Dans tout le village aussitôt on s'enflamme !

Les filles de Iockel ; la sœur et la femme

De Klaus ; Lenel, Kœthel et Nann aussitôt,

Et Gréte, et bien d'autres vont prendre d'assaut

L'auberge. Le nez que vous fait l'aubergiste

Ne peut se décrire. Il s'étonne, il résiste

Aux flots en disant : o Que diantre! aucun marchand

t Ne loge chez moi! non! personne n'y vend

« Rubans, ni fichus, ni semblables articles! »

1 L'auteur de la farce était M. Regulato, préparateur de chimie en congé dans le village. Le texte allemand lui fut dédié et parut dans le Ham im Schnockeloch, numéro du 1OT avril 1861, avant de paraître dans le Recueil de poésies publiées par l'auteur en 1865.

* Terriblement beau, horriblement joli. Associations de mots très familières aux paysans du canton de Haguenau.

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REVUE D'ALSACE

Les femmes d'abord lui répondent qu'il ment. Mais alors l'aïeule, mettant ses besicles, Prenant l'almanach, fait cesser leur babil Par ce simple mot : « C'est le premier avril ! »

L'histoire nous montre que lorsqu'à nos belles L'on parle de robes, rubans ou dentelles, De jupes, chiffons ou corsages, l'on peut Les mener sans peine partout l'on veut, Et que, si l'on veut leur dresser des embûches, Les meilleurs appâts seront les fanfreluches.

AU RETOUR DE LA FONTAINE

Histoire arrivée à Phalsboarg le 26 mai 1859

Voyez donc ces deux! qu'elles sont bien en train! Car, l'une, tenant une cruche à la main Et l'autre, portant sur la tête une seille, Racontent, bavardent! vraiment ! c'est merveille! Si longtemps debout ! ça doit les fatiguer ! Alors un brave homme1, pensant les narguer, Vint leur apporter à chacune sa chaise Et leur dit : « Mes belles, mettez-vous à l'aise! » Mais elles, de rire, pis que chez Guignol : « Vous êtes bien bon ! mais le soleil nous gêne. « Monsieur! voudriez- vous vous donner la peine « De nous apporter encore un parasol ! »

Rioz, le 22 février 1881.

1 L'auteur et traducteur de ce conte fat lui-même le « brave homme » en question. Le texte alsacien fut rédigé le jour même l'histoire arriva.

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LA VEILLÉE DES FILEUSES

Soène rustique alsacienne

La scène représente le poêle de la Meï-Léne de chez Hans-le- Afercier. Un cercle déjeunes paysans et de jeunes paysannes y tiennent la conversation suivante :

MEÏ-LÉNE

Voyez cette fraîche guirlande De tilles, de jeunes garçons. Chacun a porté sa provende D'histoires, de belles chansons !

C'est ici que chacun habille Son prochain! c'est notre métier! Sur quel dos verra-t-on l'étrille Passer, sans le faire crier?

FRANTZ

Commençons nos rengaines, Mironton, mironton, mirontaincs ! En parlant des fredaines De ce fameux Jeaunot. Il est louche et pâlot, Boiteux, et surtout sot!

Pourtant il voudrait plaire ! Lui si laid, lui si sot vient nous faire La cour. On le fait taire En lui disant nigaud.

BiERWELÉ

Avant tout, moi je vous signale L'homme à quatre-z-yeux qui près de nous ^'installe Le petit Français, l'employé des tabacs

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REVUE D'ALSACE

Qui près de nous filles vient perdre ses pas Et parle si mal qu'on ne le comprend pas ! Au lieu de danser avec nous villageoises Aux fêtes, à Brumath, il prit des bourgeoises

Des belles portant

Un énorme volant, Des bandeaux bouflants, la robe à crinoline. Qu'à nous il revienne, et lui faisant la mine Nous dirons : Eh bien! allez donc courtiser Les belles que vous sûtes faire valser.

FRANTZ

Quoi! tu voudrais te pendre Pour un si piètre amant! Moi, l'on pourrait me prendre Un pareil inconstant, Sans que je ne me mette A le redemander Par tambour ni sonnette : On pourrait le garder.

MEÏ-LISE

Ah! c'est de la même façon Que Meï regrette ce garçon Qui fait son tour de France. Pourquoi te livrer, ma belle, à la souffrance. Au deuil V Ne trouve-tril là-bas Des filles, et n'aurais-tu pas Maints garçons au village Pour te rendre volage?

MEÏ

Que ton discours m'est odieux! Ah! que n'as-tu vu ses adieux! Tu changerais de gamme.

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE 521

« Il m'embrassa, dit : « Mon trésor, « Mets au doigt cette bague d'or!

D'amour mon cœur s'enflamme

Quand il y pense encort

« Viens, ma belle », dit-il, « A ma loi », me dit-il, « Sois fidèle! » dit-il, « Comme moi! » me dit-il, « Moi je t'aime », dit-il, « C'est écrit! » me dit-il, « Fais de même! » dit-il, M'a-t-il dit!

t Quoiqu'il faille », a-t-il dit, « quitter ce coin, « Oui! ce doux coin, « Je te serai Mêle. « Trouve-t-on séduisants minois au loin, « Minois au loin, « Tu restes la plus belle! « Veux-tu m'attendre? » m'a-t-il dit,

D'un son de voix si doux, « Le cœur plus tendre », m'a-t-il dit, « Au rendez-vous a Je serai ton époux! »'

Tu voudrais, après ce discours

Que je sois infidèle? Oh non! à lui sont mes amours,

Je ne suis pas cruelle, Et puisqu'il m'a voué son cœur,

Malgré toute distance

1 Les répétitions des dit-il, m'a-t-il dit, sont du plus pur réalisme. Je ne dirai pas de la couleur locale, car ces répétitions oiseuses d'une même phrase doivent se retrouver un peu partout. C. B.

REVUK D' ALSACE

Moi je veux faire son bonheur Aussi par ma constance.

MKÏ-KJtTH

Tu fais très bien! Ah! si le mien

Etait aussi fidèle ! Il ne supporte aucun lien,

Court après chaque belle. De la blonde à la brune, Jean

Voltige et les courtise L'une après l'autre. En moins d'un an,

Le village, il l'épuisé.

Mais je veux le laisser courir Dès sa première frasque!

Dieu me préserve de m'unir A mari si fantasque !

Si je prends un homme, ma foi !

Je veux qu'il ne soit que pour moi, Non pour un autre masque.

HÂ18

Tais-toi donc, car moi je pourrais Chanter une autre note,

Disant que femme au grand jamais Ne doit porter culotte,

Ni jamais traiter de soulard

Son mari rentrant un peu tard Comme fait mainte sotte.

MKÏ-LI8E

Ici vous voyez le mépris Que font de nous nos bons maris. Pendant que la femme travaille, Son mari sort, et fait ripaille

LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINE 523

A l'auberge!... Il ne se méprend Ce vieux proverbe qui prétend ;

a Le nôtre,

« Le vôtre, « L'un est tout comme l'autre. »

HANS

Allons, les femmes! Taisez-vous! Vous faites, comme nous, vos coups. De l'argent! Le café, sans doute, Comme le vin, la bière, en coûte, Et la parure en coûte plus! On sait que pour en faire abus,

« La nôtre,

« La vôtre, « L'une est tout comme l'autre ! »

RÉ8E

Cessez de tant vous disputer, Car j'ai de quoi vous raconter : L'on étendit de la litière

De la porte de Jean Au volet de la cuisinière

Qu'il voit depuis un an ! 1

tous

Quels grands yeux ont faire Ce beau couple d'amants?

1 DanB certains villages de Basse-Alsace, les amateurs de scandales font quelquefois à de pauvres amants la muuvuise farce de joncher de paille et de feuillage le chemin qui va de la porte du garçon « au volet » de la fille (an'» Làdei).

REVUE D'ALSACE

RÉSE

Mais ils ne devraient guère Attendre plus longtemps!

MEI

C'est que Françoise n'ose Plus sortir en plein jour, Parce que chacun glose Sur Jean et son amour!

HEl-LISE

Ah! si j'étais Françoise, Je ferais autrement Malgré ce qu'on dégoise, J'irais vers mon amant, Disant : « En diligence « Fais afficher mes bans, « Pour réduire au silence t Un tas de médisants! »

TOUS

Foin de la médisance Et de tous les méchants!

HANS-LE-CHARRON

Ça bâillonnerait mainte bouche Parlant des malheurs des voisins. U faudrait que chacun ne mouche Que son nez, non ceux des prochains.

8EPP de chez sbpp-lb-cha.rbow

Qu'on balaye, en ville, au village Devant chez soi, mais pas plus loin, Malgré vents, neige, pluie, orage U fera propre en chaque coin.

LITTÉRATURE POPULAIRE DE l/ ALSACE-LORRAINE

TOUS (en chœur)

Qu'on balaye, en ville, au village, Devant chez soi, mais pas plus loin !

KJBTH

C'est que les garçons, en l'honneur de Françoise, Ont fait plus d'un pas de boucher!

Chacun d'eux par suite contre elle en dégoise, Eux qui voulaient se l'arracher!

FRÀ.NTZ

Vous tilles, voyiez d'un esprit jaloux Les garçons manquer à leur rendez-vous Pour faire la cour à votre rivale; Aussi chacune de vous la ravale.

Mais le monde est instruit, hélas!

Des causes d'un pareil fracas Et n'en fait pas grand cas!

MEÏ-LÉNE

Assez médit, les garçons, et vous toutes,

Il commence à se faire tard. Si vous le voulez, nous casserons des croûtes,

Trêve à l'esprit bavard. Voici du pain bis, du bon marc et des pommes.1 Eh! qu'on s'en régale, les filles, les hommes,

L'on entend le crieur de nuit Qui dit : « Ecoutez, il sonne neuf heures ! »

Faisant trêve à tout bruit, Entonnez des chansons, et de vos meilleures,

1 Consommations par lesquelles on conclnt ordinairement les veillées sous le nom Nincrbrod ou Zehnerbrod (pain de neuf heures, de dix heures).

REVUE D'ALSACE

Les filles tout haut. Chaque garçon fera La basse. La chanson nous reposera Des tracas du jour. Puis nous pourrons nous dire : « Bonsoir! demain nous nous remettrons à rire! « Bonsoir! « A revoir! »

Haguenau, le 17 juin 1881.

SATYRE CONTRE LES GARÇONS

(Février 1862) Faite sur la demande d'une jeune fille 1

0 garçons, vous vous acharnez A nous faire sans cesse

La cour, quand par le bout du nez Nous vous menons en

Oh ! combien, nous filles, nous aimons vous voir

Nous combler d'un tas de tendresses, Chercher à nous plaire du matin au soir

Et nous accabler de caresses. Vous nous répétez les propos les plus doux :

« Mon cœur, mon bijou, mon amie! » Et nous cependant nous nous moquons de vous

Et rions de votre folia

0 garçons, vous vous acharnez A nous faire sans cesse

1 An bal de carnaval 1862, à Phalsbourg, une jeune fille B'étant plainte à l'auteur de ce qu'il ne parlait que des femmes et des filles dans ses poésies, il fit aussitôt et lui dédia le texte alsacien du poème ci-dessus.

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LITTÉRATURE POPULAIRE DE L'ALSACE-LORRAINB

La cour, quand par le bout du nez Nous vous menons en laisse.

Aux fêtes, vous aimez bien nous régaler De vin doux et de pain d'épice,

Pensant de la sorte nous affrioler Et saisir un moment propice.

Mais nous avalons pain d'épice et vin doux Sans souffrir que l'on nous embrasse,

Puis nous vous quittons et nous rentrons chez nous En riant de votre grimace.

0 garçons, vous vous acharnez

A nous faire sans cesse La cour, quand par le bout du nez

Nous vous menons en laisse!

Rioz, le 28 janvier 1881.

UN BON CONSEIL

(Texte alsacien inédit)

Chaque localité possède de ces langues De vipères, sachant épicer leurs harangues, Des journaux ambulants, distillant le venin Et le mensonge aussi, pour nuire à leur prochain. Ce sont de vrais balais, pas pour ôter l'ordure Devant les portes, non! pour la mettre en peinture, Pour en souiller le seuil, la maison du voisin. Qui ne pourrait ici les nommer par douzaines Ces bavardes prenant pour très bonnes aubaines

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De ravaler, flétrir la réputation

D'honnêtes gens, ou bien de briser l'union

Dans un ménage heureux, d'exciter des affaires

Entre de bons amis. 0 funestes mégères!

Qui pourrait calculer et dire exactement

Tout le mal qu1ont causé vos langues de serpent?

Aussi déliez-vous des méchantes femelles,

Riche ou pauvre, enfin tous, citadins, paysans,

Ne les suivez jamais à la chasse aux nouvelles,

Mais, sans crainte traitez leurs discours de cancans.

Rioz, 1" mars 1881.

Ch. Berdellé.

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NOTES BIOGRAPHIQUES

SUR LES

HOMMES DE LA RÉVOLUTION

A

STRASBOURG ET LES ENVIRONS

Suite

STAHL (George-Frédéric).

en 1757 à Bischheim-au-Saum Avant 1789. Bras- seur à Strasbourg 1790. Cafetier, rue du Jeu-des-enfants Janvier 1791 . De la Société des amis de la constitution 7 février 1792. De celle des jacobins 3 octobre 1793. Nommé du Conseil municipal 8 octobre. Membre sup- pléant du Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin 8 octobre. Maintenu notable de la commune 22 octobre. Trésorier du Comité de sûreté générale du Bas- Rhin, Monnet lui délivre un mandat de 6000 livres dont il aura à tenir compte 2 novembre. Il approuve une liste de deux cent quarante-huit suspects à incarcérer 5 no- vembre. De nouveau élu notable 14 décembre. Il lève les scellés chez Laurent, ex-vicaire épiscopal 21 décembre. Il sert d'intermédiaire à Schneider, enfermé à l'Abbaye, à Paris 24 décembre. Au Séminaire, il examine les pétitions et reçoit les réclamations des prisonniers 25 décembre. Avant de se dissoudre, le Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin lui ordonne de régler les comptes 30 janvier et 23 avril 1794. Confirmé notable 25 octobre. Encore aux Jacobins 1797. Administrateur

Noavelle Série. - II- année. 34

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municipal sous la présidence de Démichel 1798. Admi- nistrateur municipal sous la présidence de Grand-Mougin.

STAMPF (Jean-George).

en 1759 à Strasbourg, il était militaire avant 1789. Comme tel il est reçu à la Société des amis de la constitua tion, en juillet 1790 En février 1792, de celle des jacobins Septembre 1793. Au Club, il figure dans une dispute où, sur l'invitation du président, il arrête un jacobin qui trou- blait la Société 3 janvier 1794. 11 sert de témoin à J.-G. Schwartz contre Baldner - 25 octobre. Encore aux Jacobins.

STARGK (Jean-Jacques).

en 1758 à Strasbourg, il était tabletier-tourneur avant 1789 15 mars 1791. De la Société des amis de la constitution, qu'il ne quitta qu'en juin 1792, à l'Auditoire 30 janvier et 23 avril 1794. Elu notable de la commune, sous Monet 26 avril. Reçu membre de la Société des jacobins, il est encore inscrit le 25 octobre suivant En 1824, il était encore tourneur rue des Hallebardes, 5.

STEMPFEL.

Avant 1789, aubergiste à la Charrue, au Faubourg-de- pierres 1791 . I>e la Société des amis de la constitution 14 novembre 1791. Elu notable du Conseil municipal de la commune 7 février 1792. Il eut bien aimé faire partie des deux Sociétés; mais aux termes du règlement, il fut rayé de la liste des Jacobins et n'y rentra plus 3 juillet. Comme notable, il signe l'adresse de la municipalité à l'Assemblée nationale, lors des troubles du 20 juin, à Paris 21 août . Carnot, Prieur et Rit ter le nomment membre de l'adminis- tration du Bas-Rhin 11 novembre. A l'élection, tenue dans 1 église Saint-Jean à Wissembourg, il est élu scruta- teur du bureau pour l'élection des membres de Tadminis- tration départementale du Bas-Rhin, et à cette occasion, Schneider, dans son Argos du 27, fait une furieuse sortie contre lui, le traitant d'homme portant l'eau sur les deux épaules, appartenant à tous les partis et à aucun 31 oc-

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LES HOMMES DE LA RÉVOLUTION 531

tobre 1793. Imposé par Saint-Just et Lebas à 5000 livres, qu'il a réglé les 6 et 7 novembre suivant 1824. Aubergiste à la Chasse royale, faubourg de Saverne.

STERN (Jean-George).

Menuisier à Strasbourg avant 1789 Février 1792. Mem- bre de la Société des jacobins 6 décembre, 18 janvier, 8 octobre, 5 novembre 1793 et 30 janvier 1794, il est élu par le peuple notable de la commune 23 avril. Officier muni- cipal — 26 et 30 mai. Il approuve et ordonne l'arrestation de passé cent de ses concitoyens qualifiés de suspects 13 juin. Les mesures révolutionnaires proposées par Bier- lyn sont de son goût, il faut les appliquer 24 juillet. Au Club, il ouvre une liste de souscription pour confectionner un vaisseau de guerre contre la perfide Albion 2 août . Il félicite la Convention nationale de la fermeté déployée contre Robespierre, Couthon, Saint-Just et Lebas 25 oc- tobre. Biffé des Jacobins 27 novembre et 10 décembre. Il assiste à l'inventaire des effets de l'ex-maire Monet.

STIERLING (Michel- André), à l'Eléphant, Finckwiller, 12.

en 1739 à Saint-Esprit. Il arriva après 1770 à Stras- bourg comme écrivain En 1789. Procureur fiscal de Qua- tzenheim, Brûschwîckersheim et Winlzenheim. En même temps procureur-vicaire au Magistrat de Strasbourg— 1790- 1792 Commis-grenier assermenté du tribunal du district de Strasbourg Mai 1793 Membre de la Société des jacobins, il était alors employé au département du Bas-Rhin 1" oc- tobre . Il dénonce au Comité de surveillance permanent des Jacobins, Bella, receveur du séquestre des princes étrangers 25 octobre 1794. Il est encore aux Jacobins 1797 à 1805. Greffier du tribunal criminel du Bas-Rhin 9 avril 1798. Scrutateur du bureau définitif de l'Assemblée électorale tenue à l'Auditoire 1798. Elu, par Strasbourg, membre des Assemblées primaires du Bas-Rhin.

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STŒBER (Elie-Louis) père.

Dès 1784, greffier-adjoint de la Chancellerie de Bischwiller

Greffier du 6 mars 1787 à avril 1791, époque à laquelle il prit le titre de notaire 11 décembre 1790. Secrétaire du duc de Deux-Ponts En 1790, membre du district de Haguenau 26 août 1791. En cette qualité il est élu membre de radmini8tration du département du Bas -Rhin, laquelle s'étant constituée peu après, le nomma membre du Direc- toire sous la présidence de Victor de Broglie 3 juillet 1792. Il signe l'adresse du Directoire à l'Assemblée nationale, lors des attentats du 20 juin 21 août. Maintenu par Carnot, Prieur et Ritter 12-14 novembre. A l'élection tenue à Wissembourg, il sort le quatrième comme administrateur du Bas-Rhin, fonctions auxquelles il fut maintenu jusqu'à l'arrivée de Saint-Just et Lebas, en octobre 1793 2 nov. U est arrêté, conduit à l'hôtel de ville et de à Metz, jus- qu'en août 1794. Commencement de 1795, sur sa demande, il est relevé de ses fonctions d'administrateur du district de Haguenau 1797 à 1804. Receveur général du Bas-Rhin, à Strasbourg, promenade de l'Égalié, aujourd'hui Broglie De 1800 à 1805. Du Conseil général du Bas-Rhin.

STOLZ.'

25 novembre 1793. Ministre de la religion luthérienne, il abjure et se déclare n'avoir été qu'un charlatan salarié; aussi la Société des jacobins arrête que son nom sera transcrit au procès-verbal de la séance.

STOUHLEN (François-Joseph).

en 1739 à Molsheim Avant 1789. Licencié en droit, puis avocat postulent au Conseil de régence à Saverne, et finalement trésorier de la Tour aux pfennings à Strasbourg

Septembre 1791. Du Conseil général d'administration du

1 Je n'ai pas trouvé de ministre protestant de ce nom; mais un curé catholique, à Dorlisheim, en 1792.

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district de Strasbourg 3 juillet 1793. Reçu membre de la Société des jacobins 3 octobre. Destitué comme protec- teur des aristocrates et principal auteur des mesures inci- viques dont l'administration du district s'est rendu coupable. Wagner, de Mutzig, le remplace 14 octobre. Sa réclusion au Séminaire est ordonnée par le Comité de sûreté générale du Bas-Rhin 31 octobre. Imposé par Saint-Just et Lebas à 10,000 livres 6 novembre. Il paie cette somme, et quel- ques jours après, il est mis au Séminaire 21 novembre. Il réclame sa liberté, mais le Comité de sûreté générale décide, qu'avant de se prononcer, il sera encore une fois discuté sur son compte. La chute de Schneider le mit en liberté, et il resta aux Jacobins jusqu'aux 25 octobre 1794 17 janvier 1795. Bailly le nomme juge suppléant au tri- bunal civil du district de Strasbourg De 1797 à 1799. Commissaire des guerres à Strasbourg. Daprè- la nouvelle organisation de 1800, il ne resta plus qu'un seul commissaire des guerres pour tout le Bas-Rhin, le citoyen Ducrot. Dans les places autres que Strasbourg, les maires étant chargés du service courant 1805. De nouveau commissaire dos guerres à Strasbourg et membre du Conseil d'administra- tion de l'hôpital militaire.

Sous la Restauration, il avait créé un cabinet d'affaires, rue des Hallebardes, à Strasbourg.

STRIFFLER (François-Ignace).

Avant 1789, homme de loi. Tout en habitant Barr, il était affilié en 1793 au Club des jacobins de Strasbourg 16 dé- cembre. Le Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin le propose à Saint-Just et Lebas pour le Direc- toire du département 1er janvier 1794. Nommé à ces fonc- tions, il ordonne l'établissement provisoire d'une école gra- tuite de langue française dans toutes les communes de la Basse-Alsace. Il est à déplorer que cette heureuse idée n'ait point été poursuivie par les administrations qui se sont succédé 5 octobre. Vice-président du Directoire du dis-

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trict 25 octobre. Biffé aux Jacobins 3 janvier 1795. No- taire à Obernai jusqu'au 14 novembre 1826.

STROHL (Jean-Daniel).

Natif de Brumath 1792. Aide du maître d'école laler, à Dorlisheim 19 novembre 1793. Il dénonce Jean-Jacques Fischer, pasteur protestant à Dorlisheim, pour avoir entravé les progrès de la Révolution, lequel, âgé de 61 ans, est con- damné à mort.

STUBER (Jean-George).

1750. Pasteur à Waldbach, Ban-de la-Roche De 1768 à 1793. Pasteur de l'église collégiale de Saint-Thomas, à Stras- bourg — 8 février 1790. Elu notable de la commune 2 novembre . La Société des amis de la constitution lui vote une lettre de remercîment pour le sermon patriotique qu'il a prononcé le 31 octobre dernier à l'égli6e Saint-Thomas, l'inviter à continuer un si beau zèle et lui témoigner le plaisir qu'elle éprouverait de le voir assister à ses séances 11 novembre. Elu notable 30 novembre. Membre de la Société des amis de la constitution 27 mars 1791. Membre de la municipalité, il arrête que Jaeglé, curé de la paroisse de Saint-Laurent, sera mis en état d'arrestation pour rébel- lion contre l'évêque constitutionnel Brendel 7 février 1792. Il passe aux Jacobins 22 novembre 1793. Dans le temple de la Raison, il abjure en ces termes :

Recevez, citoyens, la déclaration d'un vieillard qui, ayant passé sa vie à chercher la vérité et à combattre pour elle, ose se donner le nom sublime de philosophe. Les obstacles que le fanatisme et la superstition m'opposèrent constamment quand je m'efforçais d'enseigner à mes con- citoyens une morale saine, pure, en un mot philosophique; ces obstacles ne sont plus. Je bénis le jour le soleil de la vérité est venu se livrer sur le sol des Français.

J'ai voué, citoyens, et je voue encore une haine éternelle au fana- tisme et à l'imposture, surtout à celle de la prêtrise. Et la liberté qui vient d'écraser le fanatisme, son plus cruel ennemi, affermira de jour en jour les bases de la République! Qu'elle vive, qu'elle triomphe à jamais !

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Le même jour, au Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin, présidé par Monet, on arrête, que renonçant à la superstition du culte, il sera recommandé à la municipalité pour subvenir à sa nourriture.

Bien avant le 25 octobre 1794, il est biffé de la Société des jacobins.

SULTZER (Jean-Michel).

en 1740 à Strasbourg. Serrurier avant 1789, place de la Cathédrale 24 mai 1792. De la Société des jacobins 18 janvier 1793. Notable de la commune 8 octobre. Main- tenu — 10 octobre. Du Comité de surveillance de la Société des jacobins 30 janvier 1794. Officier municipal 7 avril, il fait appel à ses concitoyens pour obtenir des effets et chaussures pour l'armée du Rhin 23 avril. Elu de nou- veau officier municipal 26 et 30 ncwi. Il approuve l'arres- tation de passé cent suspects de la ville 13 juin. Il adhère aux mesures de sûreté générale proposées par Bierlyn 24 juillet. Il est pour la confection d'un vaisseau de premier rang contre la perfide Angleterre 2 août II félicite la Con- vention nationale pour les mesures énergiques employées contre Robespierre et autres 5 septembre. Maintenu offi- cier municipal sous le maire André 25 octobre. Présent aux Jacobins 27 novembre et 10 décembre. Il assiste à l'inventaire des effets Monet.

TACHET (Nicolas) ou DACHERT.

Avant 1789, menuisier à Strasbourg 1792, du Club des jacobins 27 décembre 1793. Devant le tribunal criminel- révolutionnaire à Strasbourg, présidé parMainoni; il dépose avec Louis Rooss contre JeanMichel Schauer, pelletier, dont la maison, Marché-aux-Poissons, 76, fut rasé. Sous les deux noms, il n'est plus aux Jacobins le 25 octobre 1791.

TAFFIN (Charles), originaire -de la Savoie.

Un ex-chanoine de la cathédrale de Metz, puis curé de la paroisse de Saint-Georges à Haguenau, et, en dernier lieu.

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vicaire apostolique de Tévôque Brendel 1792. De la Société des jacobins 21 juin 1792. Au Club, il signe une circu- laire aux Sociétés affiliées, pour leur peindre la situation politique des frontières 24 juin. Il est cité devant le juge pour cette adresse incendiaire, et la salle des lectures des Jacobins est fermée par la police En mars et avril 1793, président du Directoire du district de Haguenau; lors des troubles du Kochersberg, il se transporte, avec Schramm, dans les communes du môme district 5 mai. Nommé président du tribunal révolutionnaire du Bas-Rhin, qui ne fonctionna que cinq mois après 23 juin. Encore président du Directoire du district deHagueau ; il assiste à une séance de la Société populaire de Saverne et saisit cette occasion pour y faire la délinition du patriotisme, et, après avoir engagé les citoyens à voler à la défense des frontières, il clot son discours en disant qu'il saurait leur inculquer le patriotisme, si ce n'est par la voie de la douceur, du moins par celle de la force.

L'auteur auquel j'emprunte ce récit ajoute que ce langage brutal fut vivement applaudi par l'assemblée.

Quelque temps après, le Comité de surveillance de la Société républicaine de Haguenau adresse aux membres du Directoire du Bas-Rhin une plainte contre Taffin, qui, par sa fausseté reconnue et ses indignes cabales, a chassé des employés capables pour en mettre d'autres, à peine capa- bles de dire oui et non en affaires d'administration. Cinq messagers du district, des maîtres d'écoles, des murquilliers, remplissent les nouvelles fonctions. Taffin est le plus grand intrigant, aussi tartuffe qu'un moine de l'ancien régime; enfin un homme bas et vil, qui a promis d'avilir et de per- sécuter les patriotes de Haguenau aussi longtemps qu'il pourra. Nous demandons sa suspension, celle de son secré- taire et ami Hallez, et le remplacement de ses créatures 15 octobre. Neuf représentants du peuple présents aux armées de Rhin-et-Moselle créent un tribunal révolution- naire à la suite de l'armée, et les membres de celui du 4 mai étaient naturellement désignés pour le composer 23 octo

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bre. A la séance extraordinaire des Jacobins et du Comité de sûreté générale du Bas-Rhin, il est proposé pour juge du dit tribunal. Il en fut le président 24 octobre. Saint-Just arrive inattendu à Strasbourg, et dès le lendemain il le somme de lui dire combien de tètes il avait déjà fait tomber. Aucune, fut sa réponse; le temps nous a manqué, et depuis vingt-quatre heures que nous sommes institués, nous n'avons fait que vérifier les dossiers et travaillé à faire respecter les assignats. « Comment, répliqua Saint-Just, depuis deux fois vingt-quatre heures en fonction et point encore fait sauter vingt-quatre tètes? Va dire à ta commission que si elle ne veut pas faire tomber de tètes, je ferai abattre les leurs, et cela sans retard. Vous n'avez pas été nommés pour forcer le cours des assignats et vérifier des dossiers, mais pour exterminer les aristocrates dont ce département fourmille.»

Cependant on n'était pas resté inactif, car le procès-verbal de la première séance du Conseil d'administration de l'armée révolutionnaire, signé Taffin, président, et Weiss, secrétaire, nous apprend qu'il partira dès aujourd'hui, 23 octobre, une force armée de trente cavaliers, avec un nombre proportionné de sansculottes armés à pied, pour enlever des villages les plus menacés et les plus suspects toutes les denrée3, bestiaux, etc., pour les transporter der- rière l'armée. C'est Helmstetter, de Bergzabern, connaissant les localités, qui est chargé de l'exécution 26 octobre au 27 décembre. Ce tribunal prononça près do 250 condamna- tions, dont 31 têtes ont roulé sur l'échafaud 14 novembre. Il prend l'arrêté suivant :

« Les amendes, le poteau, les galères n'ont pu jusqu'ici « forcer les assignats et faire respecter la loi.

t Le premier qui sera convaincu d'avoir enfreint la taxe « ou avili les assignats, en les prenant avec perte, sera puni « de mort.

t Si, dans les deux fois vingt quatre heures, les bouche- « ries ne sont point garnies de la viande nécessaire pour la « substentation de la ville, et surtout de porc, les plus

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« riches des bouchers seront arrêtés, déportés et lsurs biens « confisqués »

20 novembre. Comme président du tribunal révolution- naire, il assiste à la fête de la Raison, tenue dans la cathé- drale, et du haut de la chaire il déclare à la multitude avoir toujours porté la soutane avec dégoût et horreur, mais que le moment étant venu, il s'est empressé de s'en débarrasser. J'ai eu le malheur d'être un serviteur de l'Eglise, mais je ne l'ai été que pour la démembrer, car je puis me flatter avoir porté plus d'un coup mortel au pape, aux évèques et aux prêtres. J'abjure donc officiellement et je lacère mon brevet de prêtrise— 28 novembre. Il lance l'arrêté suivant:

« Tout individu qui sera convaincu d'avoir caché ou t soustrait des biens ou effets appartenant à des personnes « condamnées à mort et à la confiscation de leurs biens, ou à des émigrés, sera regardé comme traître à la patrie et « puni comme tel . »

Dans le compte que son greffier rend au district de Stras- bourg, nous trouvons en dépense : 35 livres au tailleur qui a fait un pantalon au président Taffin ; 300 livres données audit président en dehors de ses appointements; 36 livres pour une paire de pistolets pour le même 7 décembre. Il fait payer 90 livres à Chrétien Pfeiffer, procureur de Dambach, qui a verbalisé contre K.-M. Aucel, de sa commune, pour propos anti-révolutionnaires 7 décem- bre. Conjointement avec Schneider, il se justifie au Comité de sûreté de la convention des jugements rendus par le tribunal révolutionnaire du Bas Rhin 15 décembre- Mainoni le fait arrêter et Mougeot l'interroge au Séminaire 16 décembre. C'est en vain qu'il cherche dans son inter- rogatoire à couvrir un de ses vols, de l'au'orité du départe- ment. On lui met sous les yeux : L'arrê é qui porte que les rebelles dans l'ex-préfecture de Haguenau paieront les frais de déplacement de la force armée, mais après qu'ils auront été jugés tels par le tribunal; Un second arrêté, qui casse l'armée révolutionnaire qu'il avait levée de son chef, lui or tonnant de rendre compte d'une somme de

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32,000 livres illégalement perçue et. non restituée, et lui défendant d'imposer d'ultérieures taxes. Ces pièces l'eurent bientôt convaincu, et rhypocrite, paraissant céder à la violence du remords, comme si un prêtre de sa trempe pouvait sentir des remords, prétendait avoir agi, dans presque toutes les circonstances, contre le vœu de son cœur, avoir été lorcô de céder à l'ascendant impérieux de Schneider, dont il craignait le caractère violent et vindicatif, et s'était fait un principe constant de ne jamais le contrarier, mais de suivre aveuglement l'impul- sion de sa volonté. L'instruction ajoute : « Quel aveu dans la bouche d'un homme qui faisait alors les fonctions de juge, qui, à toutes heures, prononçait sur la fortune, sur la vie de ses concitoyens! » 19 décembre. Demain, 20, il sera trans- féré aux ci devant Petits-Capucins, et moyennant 12 livres on lui fournit du magasin deux paires de bas de laine 20 décembre. C'est à l'hôtel de Darmstadt qu'il fut transféré et, de sa prison, il s'adres?e au président et aux membres du Comité de sûreté générale, pour leur dire que l'exhibi tion des pouvoirs de Gerst les convaincra de la réalité de l'existence de ceux accordés par les représentants du peuple Lacoste et Mallarmé, à Schneider, d'organiser dans les premiers jours d'octobre un Conseil d'administration de l'armée révolutionnaire, et qu'en sa qualité de président du dit Conseil, il devait signer les extraits du procès-verbal délivrés aux commissaires envoyés de sa part dans les cam- pagnes, et comme la justification dépend de la production de l'original existant chez Schneider, il a indubitablement le droit d'assister à la levée des scellés et à l'inventaire qui en sera fait. Après avoir donné copie des pouvoirs en ques- tion, il termine en disant : « Cette preuve, ajoutée à celle que vous a fourni l'ordre dans mon travail, doit vous convaincre que tout ce qui dépendait de moi se faisait bien, autant bien qu'il était donné à un apprenti des fonctions dont peu de jours avant je n'avais pas les premiers rudiments. Et par po8t-8criptum : « J'ai déclaré dans mon interrogatoire qu'Eloge Schneider m'avait chargé de faire pour lui la demande en

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mariage de la citoyenne Stamm. » Quelques semaines après, il mit fin à ses jours en se tirant un coup de pistolet dans sa prison, hôtel de Darmstadt, à Strasbourg.

TÉTEREL (Louis) aîné).

en 1758 à Lyon. Militaire avant 1789 1" avril 1793. De Paris, son frère Antoine lui adresse une lettre à remettre à la Société des jacobins de Strasbourg. Il était alors aide- de-camp du général Dièche, et c'est avec ce grade qu'il est reçu membre des sansculottes en mai suivant 34 déc. Au Club, il s'inscrit le premier pour faire partie d'un bataillon de gardes nationaux, composé des jeunes gens les mieux exercés et les plus vigoureux, pour rejoindre l'armée du Rhin 10 janvier 1794. Chez le général Dièche, il déclare à la femme Massé que son mari n'a jamais été répu- blicain — 3 février. De Dijon, Massé répond à cette accusa- tion : « Il sied bien à ton aide-de-camp Téterel, à cet imbécile, à ce patriote de deux jours, de faire un pareil outrage à un homme qui le dédaignerait même pour son valet dans sa prison. Qu'il apprenne, ce héros d'anlichambre, à se battre, penser, à lire et à écrire, avant de se constituer juge du patriotisme! » 25 octobre. Encore inscrit aux Jacobins.

TÉTEREL (Antoine) cadet, dit TÉTEREL-DE-LETTRE.

Né, dit-on, à Lyon, en 1759, dune famille noble. U a étudié la prêtrise. Au commencement de 1789, il arriva à Strasbourg comme professeur de français et de mathéma- tiques. En 1790, membre de la Société des amis de la con- stitution, mais, sur sa demande, rayé du tableau des socié- taires le 23 novembre 1790 22 mai 1792. Du Comité des Jacobins; il informe toutes les sociétés affiliées du procès fait au frère Laveaux, et leur donne des renseignements sur la situation politique de nos frontières 10 août. Chaud patriote qui a voté à Paris et a combattu au 10 août, mais toujours de mauvaise humeur de se voir en si mauvaise compagnie 21 août. De retour, Carnot le nomme admi nistrateur provisoire du Bas-Rhin 12 novembre, à Télec- tion qui eut lieu à Wissembourg, il est élu membre du

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Directoire du Bas-Rhin, malgré une brochure portant : c Méfiez-vous de Tôterel, un aventurier de l'intérieur, dont l'origine n'est connue de personne, à sa rencontre, le bon Dieu en aurait peur et honte de l'avoir créé. » 21 nov. Ph. Simond, député à la Convention nationale, est enchanté de cette nomination- 23 décembre, il est à Paris et an- nonce au Club l'envoi de nouveaux commissaires de la Con- vention, et à cette occasion il a eu une petite altercation avec des députés qui prétendaient qu'il fallait envoyer à Strasbourg des hommes conciliants. « Je leur ai dit, avec le ton que vous me connaissez, quand je vois la patrie en dan- gers : Législateurs, ou vous ne connaissez pas mon départe- ment, ou vous ignorez la langue française, il ne faut pas concilier quand il s'agit de traîtres, il faut casser et recassor jusqu'à ce que la République soit sauvée, je parle plus phy- siquement que moralement, entendez-vous, mandataires d'un grand peuple 1 »

En mars 1793, Liebick et Lauth, dans leur précis sur la situation de Strasbourg, présenté à la Convention au nom des douze sections de la ville, ne se gênent pas de le peindre comme n'ayant aucune connaissance de l'administration, ne sachant pas un mot d'allemand, dont l'usage est indis- pensable à un administrateur du Bas-Rhin, qui, malgré cela, a été porté au Directoire par une cabale, au grand étonne- ment et avec la plus vive indignation de tous les gens de bien. Les faits qui le distinguent le plus, sont ses fréquents voyages à Paris, il y est venu solliciter des commissaires et, en dernier lieu, il y est encore venu calomnier la commune de Strasbourg, ce sont ses seuls travaux connus dans l'ad- ministration — 1" avril. Il charge son frère de la remise d'une lettre aux Jacobins, dénonçant Dumouriez, Bournon- ville et Custine, comme traîtres. La liberté court de grands dangers, Rûhl protège aujourd'hui ceux qu'il a poursuivi il y a quelques jours. Le peuple à Strasbourg est propre au patriotisme, seulement il y a cinquante tètes pour la guillotine. Veillez jour et nuit que tout soit en permanence. Avertissez notre brave Dièche. Dites à cet officier sansculotte de

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tout voir, s'assurer si les balles et les boulets sont de calibre et la poudre bonne 3 avril. Il commence à respirer; Dumouriez ne détruira pas la République et de la part de Custine il n'y a rien à craindre ; cependant il recommande de nouveau aux Jacobins de veiller, puis il tombe à bras raccourcis sur le député Rûhl, et termine en déclarant que, dans le département même, pour sauver son pays, il aurait le courage d'immoler les traîtres Vice-président de la Société des jacobins, il parait à la barre de la Convention, demandant le rapport des décrets des 17 mars et 1" avril, et le maintien de Couturier et Dentzel, ajoutant que le sang était prêt à couler à Strasbourg si les mesures qu'il propo- sait n'étaient point adoptées. C'est en vain que Liebich et Lauth ont cherché à prouver le contraire dans la séance du lendemain 4 avril. Il informe le maire Monet :

Paris est fort tranquille ; on se met en mesure pour en repousser les ennemis, qui, eusuite, payeront de leur tête leurs scélératesses; cela est si yrai que, faute de cette mesure, nous n'en finirions pas.

Je vous envoie une seconde copie du décret du 3 avril ; Dietrich doit être jugé ; quant à l'émigration par le département, il était donc impor- tant de renvoyer les patriotes; les choses sont changées et ça ira.

Tous les brigands de feuillants tremblent à Paris; je n'entends pas les afFaires : je dis que cela ne suffit pas.

Tout est ici en permanence; je dois retourner à mon poste et je par- tirai à minuit.

Rûhl a eu peur, et il nous a vendu; il croyait que tout était perdu; il voulait se sauver. Je crois que les étrangers à Strasbourg, comme le disent les Feuillants, ont autant de courage et de vertu que les gens à Bâle d'or; nous ne sommes pas encore sauvés, mais nous vaincrons, ou bien nous traitions avec nous les traîtres dans la tombe; voilà mon ser- ment et j'y tiendrai. Bentabolle nous a bien servi hier, quoique Ruhl ait dit que je ne devais pas me mêler de gouverner, mais essayer de faire des figures géométriques.

17 mai. Membre du Directoire, il s'inscrit comme volontaire pour aller combattre en Vendée, d'où il est revenu au plus vite pour accepter le mandat de visiter les Sociétés populaires du Bas-Rhin, leur dire que le patrio- tisme n'existe plus en Alsace, que Strasbourg n'est composé que de contre-révolutionnaires, qu'en fait de patriotes il n'y

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a que lui et Monet, qu'il faut y envoyer des révolutionnaires éprouvés, des hommes capables de régénérer la société, mais qui ne se mettraient en rapport qu'avec Monet et les représentants du peuple présents dans cette ville 10 août S'adressant aux jacobins, toujours sur le môme ton, il entend qu'à l'exemple de Paris, le peuple strasbourgeois, c'est-à dire les ouvriers, fassent tomber sans pitié les têtes des traîtres, et cela par principe d'humanité, afin de con- server en entier le peuple souverain. Tel est son vœu le plus cher, telle est sa profession de foi— 3 octobre. Membre du Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin jusqu'au 25 décembre suivant 23 octobre. Ledit Comité et la Société des jacobins le proposent pour composer un certain Conseil demandé par les représentants du peuple alors à Strasbourg 2 novembre. Saint-Just et Lebas cassent l'administrateur du Bas-Rhin, mais il est maintenu pour former une Commission provisoire 3 novembre. Quatre autre terroristes lui sont adjoints 25 novembre. L'un des cinq membres du Comité de surveillance des Jaco- bins, qui se réunira demain, 26, à celui de la Propagande Déjà avant l'arrêté de Saint-Just et Lebas du 25 novembre, ordonnant d'abattre les statues de cathédrale, il avait proposé la démolition de sa flèche, qu'il qualifiait de con- traire à l'égalité. Dans les derniers jours de novembre 1793, sur la proposition du représentant Baudot, il est nommé membre d'un comité pour répureraent et l'organisation, non seulement de tous les Comités de surveillance, mais aussi de la Société des jacobins; c'était préparer le triomphe du parti français et la perte de celui allemand représenté par desétran- gers — 16 décembre. Après la chute de Schneider, Saint-Just et Lebas établirent à Strasbourg un tribunal criminel, dont il fut assesseur sous la présidence de Mainoni. Il siégea pen- dant environ deux mois et ne fut pas aussi cruel que celui du 5 mai 1793 19 décembre. Aux Jacobins, il s'élève avec beaucoup de chaleur contre la proposition de Bouillon, qui demandait la mort des suspects qui seraient légalement convaincus d'attentats révolutionnaires 21 décembre. Le

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nouveau tribunal dont il est assesseur ordonne à tous les juges de paix, commissaires de police, adjoints et commis- saires des rues, de se rendre à l'audience pour renseigner sur ceux qui ont conspiré en faveur de l'ennemi et de l'aris- tocratie à Strasbourg et dans le département 25 au 27 déc. Il condamne à 14,250 livres d'amende, avec exposition au poteau de la guillotine, une épicière et deux jardiniers de la ville. Peu avant le 10 janvier 1794, en compagnie de Monet et de propagandistes, il fit une tournée à Landau et incarcéra dans cette ville soixante-douze des meilleurs patriotes. A son retour, il ordonne d'arrêter Butenschœn, son com- pagnon en Vendée, accusé d'avoir cherché à rétablir la per- manence des douze sections 10 janvier. Au soir, aux Jacobins, il prit la défense du sansculotte Massé, connu par son dévouement patriotique et laissant une nombreuse famille qui a besoin de secours ; mais Massé, du château de Dijon, repousse cette avance : t Teterel, cidevant De Lettre, a longtemps porté le masque du plus pur patriotisme ; mais depuis les mesures révolutionnaires, il a quitté son déguise- ment; il s'est montré poltron, méchant et ambitieux. 11 fait en ce moment la cour aux hommes dont il a dit le plus de mal, parce que ces hommes régnent et qu'ils le protègent » 30 janvier. Ex-juge du tribunal criminel, il est élu officier municipal— 4 février. Témoin d'un versement de 23,736 livres fait à Labaume, trésorier des Jacobins 19 février. H est à Paris, probablement pour se laver des accusations portées contre lui; car, à la séance des Jacobins du 6 avril, 11 est dit qu'il a été calomnié par le bataillon de l'Union à la barre de la Convention nationale; on Jui a reproché des faits aussi absurdes et faux que perfides de la part de ses enne- mis. On tait la motion d'écrire à la Convention pour établir la vérité. Ouil Teterel fut toujours la terreur des intrigants, des modérés et des fédéralistes. Ses frères d'armes qui l'ont vu en Vendée, assurent qu'il s'est montré digne partout de la réputation dont il jouit. On arrête une adresse à la Con- vention et au Comité de salut public pour assurer sa con- duite patriotique et énergique, tant à Strasbourg qu'en

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Vendée 7 avril. Avec la municipalité il fait appel à ses concitoyens pour obtenir des effets pour l'armée 23 avril. Maintenu officier municipal 1" mai. Signataire d'une pro- clamation aux Strasbourgeois, à l'occasion d'un cri odieux qui se fait entendre et dont les expressions criminelles s en retracent chaque nuit sur les murs, celui de : Vive le roi! 25 mai. Du Comité de surveillance des jacobins, il envoie à celui de la commune une liste de passé cent suspects, qui furent arrêtés les 26 et 30 suivant 13 juin. Il partage les vues de Bierlyn et approuve les mesures de rigueur propo- sées — 2 août. Lors de l'arrestation de Robespierre et de ses complices, il s'empresse de signer l'adresse de la muni- cipalité à la Convention nationale, et fut chargé de la porter au représentant Duroy, alors à Strasbourg 9 septembre. Destitué par Foussedoire 25 octobre. Il n'est pas sur la liste des membres du Club des jacobins En décembre, lors de l'arrivée de Bailly, il quitta la ville, en môme temps que Monet, pour ne plus y revenir.

THOMAS.

Un des 90 propagandistes arrivé à Strasbourg en octobre 1793 19 décembre 1793. Au Club, il vote la mort des sus- pects reconnus.

TISSERAND (Nicolas-Joseph). en 1756 à Saint-Dié (Vosges) Avant 1789, maître d'écriture française à Strasbourg, place d'Armes, 41. Il en- seignait aussi les parties du commerce 1" septembre 1790. De la Société des amis de la constitution 7 février 1792. De celle des jacobins En 1792. Avoué au district de Stras- bourg — Après le 10 août 1792. Procureur-syndic du district de Strasbourg, en place de Popp 8 avril 1793. En cette qualité il dénonce à Monet, un nid d'environ quatorze coquins de prêtres, chez A. Mathis, boulanger au Metzgergiessen, et donne les instructions pour leur arrestation 18 avril, de Molsheim, Nestlin le dénonce aux Jacobins, comme en- nemi juré de la République 12 juin. Il informe Jung, municipal, qu'Ammerschwille, ex-préfet du Collège national

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et prêtre de l'ancien régime, eet logé chez l'aristocrate Men- net, négociant 6 juillet. Il requiert Jung, de demander à Durr, sellier, s'il n'a pas en dépôt des vins d'émigrés, d'ecclé- siastiques et notamment du l'abbaye de Marmoutier 18 octobre. Il assiste à l'Assemblée générale des autorités et des sociétés populaires dans le temple de la Raison 30 octobre. Dans une tournée avec l'armée révolutionnaire, il impose 138 particuliers des communes de la Bruche à 1,570,000 livres, Barr seul à 300,000, et dans une seconde tournée sept communes à 907,000. Outre le prélèvement de ces taxes, il était encore chargé, avec Nestlin, d'arrêter tous les suspects, saisir leurs papiers, numéraire, chevaux, bestiaux et denrées, et de faire conduire le tout à Stras- bourg — 13 novembre. Secrétaire des sansculottes, il signe une adresse aux sociétés affiliées :

La justice nationale et le salut de la République sont enfin à l'ordre du jour, nous avons juré la République une et indivisible : qu'elle

triomphe, ou que nous périssons tous ! Son salut tient en bonne

partie au sort de cette frontière ; c'est donc ici il faut que les amis de la chose publique se réunissent. Venez, frères, sauvons ensemble la chose publique, ou sachons nous ensevelir sous ses décombres, etc.

Peu de jours après il se retirait de la Société des jacobins, mais pour peu de temps 16 novembre. Il informe le Co- mité de sûreté générale du Bas-Rhin, que Guttler, huilier, peut être imposé et payer 300,000 livres 22 nov. Gomme procureur-syndic, c'est aux juifs qu'il en veut, et sur sa ré- quisition la Commission provisoire du district arrête :

La circoncision sur l'enfant mâle leur est interdite, ainsi que le port de la barbe longue. Ils abandonneront aussi une langue qu'ils ne con- naissent pas, et de leurs livres hébreuz, et principalement du Talmuth, il en Bera fait un autodafé.

C'est à cette époque et après avoir été pendant longtemps l'ami de Schneider, qu'il tomba en disgrâce auprès de celui-ci, qui le fait citer en justice avec de riches aristocrates comme malfaiteurs. La Commission révolutionnaire du Bas-Rhin le condamna à la privation des droits de citoyen, à l'expo- sition au poteau de la guillotine et à l'emprisonnement jus-

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qu'à la paix 7 décembre. Schneider, dans sa justification à la Convention, attaque vivement Tisserand, pour les rai- sons qui suivent :

Lors de la réquisition pour l'approvisionnement de l'année, les cam- pagnards fanatiques cherchèrent à les empêcher ou à les anéantir, et des administrateurs publics, dont le devoir était de faire exécuter les ordres relatifs à la réquisition, favorisaient au contraire leur audace, en ne livrant point au glaive de la justice ces malfaiteurs, et en faisant des rapports diamétralement opposés aux pouvoirs constitués. Tisserand se trouvait de ce nombre : comme depuis longtemps par sa liaison avec les riches aristocrates, par sa démission de la Société populaire dans les moments les plus critiques, par son indulgence envers le ci-devant Directoire du district, dont il ne dénonça jamais les menées contre- révolutionnaires, généralement regardé comme un homme vénal ; la Commission l'a condamné à la privation du droit de citoyen et à l'em- prisonnement jusqu'à la paix. Il n'ignore point que ce jugement a déplu à quelques personnes à qui les localités, les personnes et la cause elle- même est inconnue ; mais qu'importe ! La Commission a donné un exemple salutaire et cela suffit pour tranquilliser sa conscience.

Par haine contre Schneider, il s'allia aux ennemis de celui qui l'avait déshonoré et devint un de ses plus acharnés accusateurs; on prétend môme qu'il est le rédacteur du Résumé des interrogatoires subis par les complices de Schneider, dont les pièces sont déposées au Comité de sûreté générale, et qui contribua pour beaucoup à sa condamnation à mort, quoi- que portant la signature deMainoni. Cette pièce futimprimée le 2 janvier 1791 par ordre de la Société populaire Après la chute de Schneider, 15 décembre 1793, il recouvrit sa liberté et rentra dans l'administration provisoire du district de Strasbourg 23 décembre. Sa pétition au Comité de sûreté générale du Bas-Rhin, pour faire rendre compte à Nestlin, sera remise à Slieser (un nom estropié) pour en faire son rapport au Comité 28 janvier 1794. Il lève les scellés sur les caves renfermant les vins mis en réquisition 4 fév. Témoin d'un versement de 23,736 liv., effectué à Labaume, caissier des Jacobins 28 août. Au Comité de sûreté générale du Bas-Rhin, il est nommé d'une commis- sion pour examiner les incessantes réclamations de mise en liberté de Noisette et Burger, enfennés au Séminaire

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3 septembre. D'une autre commission, chargée de présenter la liste des chefs de la faction Dietrich 25 octobre. Il figure sur la liste de la Société des jacobins, avec la qualité d'adjudant-général de la garde nationale de Strasbourg. Il était alors procureur du district de Haguenau En 1797. délégué pour une enquête contre André Weinum, de Haguenau.

TISSERT.

Membre de la Propagande, venu pour régénérer les Stras- bourgeois 19 décembre 1793. Au Club des jacobins, ap- pelé à se prononcer, 11 vote la mort des suspects reconnus, c'est-à-dire la totalité.

TŒRDEL.

Membre de la Propagande, venu en octobre 1793 pour relever l'esprit des Strasbourgeois 13 décembre. Au Club des jacobins, appelé à voter, il se prononce pour la mort de tous les gens suspects, après qu'une Commission populaire aura été établie par la Convention nationale.

TOUSTAINT (Pierre). en 1747 à Paris Avant 1789 commis aux admini- strations publiques, à Strasbourg 1790. Employé aux fourrages militaires de la place Mai 1790. Reçu membre de la Société des amis de la constitution 7 février 1792. De celle des jacobins 28 octobre 1793. Au Comité de sur- veillance et de sûreté générale du Bas-Rhin 5 novembre. Il informe ce Comité, que Vigne, rue du Dôme, 2, a pour marteau, à sa porte, une belle fleur de lys, et qu'il peut être imposé à 200,000 livres 15 novembre. Il lève les scellés chez le libraire Treutel et déclare n'avoir rien trouvé de suspect dans les papiers, au contraire, une correspondance d'un bon civisme 23 novembre. Le Comité le charge de se renseigner sur Rollin, vicaire épiscopal de Nancy, qui réclame un certificat de civisme 29 novembre. Chargé de l'inventaire des caves de Rondouin 12déc. Sur des ouver- tures faites par Blanier, le Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin, considérant que le Comité

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secret de l'armée du Rhin est composé de gens qui ne mé- ritent pas la confiance de la République, étant presque tous des étrangers, il arrête que les représentants du peuple, le général en chef de l'armée et le citoyen Magnier seront in- vités de prendre, sans délai, les mesures les plus promptes, pour épurer le Comité secret des membres suspects; qu'ils seront remplacés aussitôt par des sujets dignes de la con- fiance d9 la République, et que Toustaint se rendra dans la journée de demain près le général en chef de Tannée du Rhin pour l'instruire des mesures que le Comité vient de prendre 15 décembre. interroge Nestlin et Martin, en- fermés au Séminaire 18 décembre. Il interroge Clavel 25 mai 1794. Du Comité de surveillance des jacobins, il adresse à celui de la commune de Strasbourg une liste de gens suspects avec invitation de les faire incarcérer; ce qui eut lieu les 26 et 30 mai, au nombre de passé cent— 28 août Il est nommé pour faire connaître aux représentants les crimes de Burger et Noisette, qui demandent leur liberté 25 octobre. Encore membre de la Société des jacobins.

TOUZAY (Michel), aîné. en 1742 à Bleret, district d'Amboise. Militaire avant 1789 Arrivé au commencement de 1794, comme chef . d'escadron, à Strasbourg, il fut reçu membre des Jacobins le 4 août Le 25 octobre suivant, il y est encore.

TOUZAY (Louis), cadet. en 1756 à Amboise, militaire à Strasbourg avant 1789 1792. Lieutenant de gendarmerie nationale, lorsqu'il se fit recevoir membre du Club des jacobins, le 3 janvier 1793, et il est encore le 25 octobre 1794.

UHLENHUT.

Un Allemand 1792. De la Société des jacobins— 3 déc. 1793. A midi, il vient au Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin, pour y déposer une lettre adressée de l'Allemagne à Holtzapfel, de Strasbourg. Il n'est pas dit ce que cette trouvaille renfermait. Quelques mois après, il était radié des Jacobins.

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ULRICH (André). Avant 1789. Batelier à Strasbourg Mars 1792. De la Société des jacobins 18 janvier 1793. Nommé notable de la commune par Couturier et Dentzel 8 octobre et 5 nov. Maintenu notable 22 novembre. Au Club des jacobins, il demande à Saint-Just et Lebas la suppression de la perma- nence des douze sections de la ville et Tépurement des comités de surveillance, entachés d'aristocratie et de modé- rantisme 30 janvier et 23 avril 1794. Notable 25 octobre. D n'est plus membre du Club.

ULRICH (Jean-Daniel). Avant 1789. Homme de lettres à Strasbourg, il est en 1749 1791. Second commis de comptabilité au Secré- tariat du district de cette ville. Membre de la Société des amis de la constitution 8 août. A l'élection au Château, il est nommé membre de l'administration du Bas-Rhin 7 février 1792. De la Société des Jacobins 21 août. Sus- pendu par Carnot 31 octobre. Secrétaire dans les bureaux du district de Strasbourg 3 octobre 1793. Guyardin et Mîlhaud le nomment au Directoire du district de cette ville

16 décembre. Proposé à Saint-Just et Lebas pour remplir les fonctions d'administrateur du département du Bas-Rhin

1" janvier 1^94. Membre du Directoire du Bas-Rhin, il ordonne l'établissement provisoire d'une école gratuite de français dans toutes les communes du Bas-Rhin 2 juillet. Il demande au représentant Hentz que les adhérents des prêtres soient chassés de toutes les fonctions publiques; que la gloire d'être comptés parmi les membres des Sociétés patriotiques leur soit enlevée; que leur existence même devienne étrangère à la République; qu'enfin ils soient tellement surveillés, circonscrits, que jamais leurs souffles ne puissent atteindre l'atmosphère de la République 5 juillet. Il ratifie les ordres de l'agent national Mainoni à Guefifemme, chef d'escadron de gendarmerie, de fouiller les villages, ramasser lous les suspects et les conduire en prison à Strasbourg 23 juillet. Il signe : président du

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Directoire du Bas-Rhin 25 juillet II demande à Hentz de provoquer Tordre de la démolition de tous les clochers de l'Alsace, exceptés ceux le long du Rhin, reconnus utiles aux observations militaires, et celui du temple dédié à l'Être suprême à Strasbourg, monument aussi hardi que précieux et unique de l'ancienne architecture 3 août. Il félicite la Convention nationale de sa fermeté au milieu des abîmes creusés par Robespierre et ses complices 29 août. Encire président du Directoire du Bas-Rhin 25 octobre . Encore membre des Jacobins 31 octobre. Administrateur 9 décembre. Président de cette même administration 17 janvier 1795. Bailly le nomme commissaire de police du 2e arrondissement de Strasbourg 30 janvier. Membre du Comité de la Société populaire régénérée, il prend part à la rédaction du nouveau règlement 1798. Comme ex-com- missaire de police, il est élu membre des assemblées pri- maires du Bas-Rhin pour le canton de Strasbourg.

VALENTIN (Ignace). Janvier 1792. De la Société des amis de la constitution jusqu'au 27 juin suivant, jour de la fermeture de l'auditoire 1792. Sergent de la justice de paix du 2/ arrondissement de Strasbourg 1793. Membre de la Société des jacobins 8 octobre 1794. Greffier de la justice de paix du 2' arrondis- sement, il appose les scellés chez Monet 25 octobre. Il n'est plus membre du Club des jacobins 1798. Huissier près le juge de paix du 2e arrondissement de Strasbourg 1800-1805. Greffier du même.

VÉRIUS (Jean-Frédéric). en 1733 à Strasbourg, il était fabricant de peignes avant 1789 1790. De la Société des amis de la constitu- tion — 7 février 1792. Il reste avec les Jacobins au Miroir 25 octobre 1794. Il y est encore.

VERNIER (François). en 1735 à Besançon. Arrivé à Strasbourg comme adju- dant général à l'armée du Rhin, il est reçu membre de la Société des jacobins en décembre 1793 25 mai 1794. Le

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Comité de surveillance des Jacobins le porte sur une liste de suspects, en le qualifiant de major de place 25 octobre 1794 II est encore aux Jacobins.

VIALARS (Scipion). en 1746 à Montpellier. Militaire avant 1789; c'est ainsi qu'il arriva à Strasbourg fin 1790 Janvier 1791. De la Société des amis de la constitution 7 février 1792. Il passe à celle des jacobins, il est encore inscrit le 25 octobre 1794.

VIENNE.

Membre de la Propagande; venu de Nuits en octobre 1793 2 décembre. Il signe l'adresse de cette bande révolution- naire aux habitants de Strasbourg et des départements du Rhin.

VINCENT.

L'origine de ce propagandiste est inconnue. Il arriva à Strasbourg en octobre 1793 19 décembre. Aux Jacobins, il vote la mort des contre-révolutionnaires et des suspects.

VISSANT ou WAISSAND (Jean Daniel). en 1737 à Strasbourg, il était orfèvre avant 1789 1790-1792. Essayeur à la Monnaie de Strasbourg Octobre 1792. De la Société des jacobins 16 novembre 1793. Nommé aux pesées et vérifications des matières d'or et d'argent, livrées au département du Bas-Rhin par les quatre districts du ressort 3 février 1794. Il procède à une pesée en détail et, le 5, en bloc, d'où il résulte 1 marc 6 onces or, 139 marcs argent et vermeil, et 1485 toques en or et en argent, esti- mées 12,994 livres le tout, transporté de suite au secrétariat du district pour y être emballé, en attendant l'envoi à la Convention nationale. Mais d'un extrait présenté plus tard par Weiss, greffier du tribunal révolutionnaire, les 1485 toques se trouvent réduites à 404. Les rats avaient rongé le restant 25 octobre. Il est encore membre de la Société des jacobins 1797-1805. Conducteur principal des ponts et chaussées à Haguenau.

VITASSE (Jean-Baptiste). en 1751 à Metz, il exerçait la profession de cloutier

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avant 1789. Arrivé à Strasbourg comme militaire à la com- pagnie des ouvriers, il fut reçu membre de la Société des jacobins en décembre 1 793. Il y est encore inscrit le 25 octobre 1794.

VIX (Jean-George). en 1750 à Strasbourg, il était commis avant 1789 1790. Premier commis de comptabilité au secrétariat du Directoire de district de Strasbourg Décembre 1790. De la Société des amis de la constitution 7 février 1792. De celle des jacobins 22 novembre 1793. Au Club, il demande aux représentants du peuple la suppression de la perma- nence des douze sections et l'épurement des comités de surveillance 25 octobre 1794. Présent au Club.

VIX (Jacques). 1789. Habitant du village de Dossenheim, canton de Bouxwiller 1792. Il est reçu membre de la Société des amis de la constitution à Strasbourg. Après le 7 février 1792, il passe aux Jacobins, qui le firent nommer en 1793 com- missaire du canton d'Oberhausbergen 11 octobre 1793. Anstett, administrateur du Bas-Rhin, informe le Comité de sûreté générale du département que Riebl, ex-prévôt de Kûttol8heim, est caché chez Vix, commissaire de ce canton. Clavel est envoyé pour l'arrêter 15 décembre. Agent de Stamm pour la levée des taxes révolutionnaires, il accuse une recette nette de 29,149 livres dans neuf communes de son canton; mais n'ayant versé au payeur Blanchot que 26,559 livres, il en résulte un découvert de 2590 livres dont aucune trace 17 décembre. Il requiert la municipalité de la commune de Schiltigheim de lui payer dans les vingt- quatre heures 25.000 livres pour contributions forcées. Le maire ayant remarqué que les chiffres du bordereau étaient altérés, ses pouvoirs insuffisamment constatés, on fit venir le juge de paix et le collecteur mis en sûreté à l'hôtel de Darmstadt. Après s'être justifié, il fut relâché 1797-1798. Commissaire du Directoire exécutif du canton d'Oberhaus- bergen.

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VOGT.

Avant 1789. Fournisseur à Strasbourg 1791. Canonnier de la garde nationale de Strasbourg, rue des Juifs, 6 15 janvier 1792. De la Société des amis de la constiution 7 février. Il reste au Miroir avec les Jacobins 30 mars 1793. Le Comité révolutionnaire le dénonce, lui et sa femme, pour avoir tenu des propos aristocratiques et dit, en outre, qu'il comptait bientôt être fait colonel par le pou- voir exécutif 22 novembre. Aux Jacobins, il signe la demande aux représentants de la suppression de la perma- nence des douze sections et d'ordonner l'épureraent des comités de surveillance 19 décembre. Au Club, il vote la mort des suspects après triage fait Plus tard, il a été incar- céré, car, le 13 mars 1794, la Société des jacobins, examinant la liste des reclus, le signale comme un patriote consommé et le recommande au représentant Rougemont, qui le fit mettre en liberté 25 octobre. Il est encore inscrit aux Jacobins.

VOLCK.

Poissonnier à Strasbourg a vant 1789 1791. De la Société des amis de la constitution 7 février 1792. D passe aux Jacobins 5 janvier 1794. Membre du nouveau Comité de surveillance de la commune de Strasbourg, formé par Bar

20 mai. Il invite le Comité de surveillance du 1" canton de Colmar de faire arrêter Lemp et le transférer à Strasbourg

21 mai. Pareille invitation à celui de Bordeaux d'incar- cérer Siccard, ancien commissaire des guerres sousLafayette, et le faire conduire dans la maison d'arrêt de Strasbourg. Enfin, le 5 juin, il donne des renseignements à mots cou- verts sur deux hommes audacieux qui ont menacé la liberté publique dans Strasbourg (qui doivent être Saint-Just et Lebas) 25 octobre 1794. Plus aux Jacobins.

VULLIER (J.). 1792. Procureur-syndic du district de Sarrebourg. Arrivé à Strasbourg dans les premiers jours d'octobre 1793, sur l'invitation de Monet, pour faire partie de la Propagande

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révolutionnaire. Aucun nom n'a été autant estropié que le sien 18 octobre. C'est ainsi qu'il assiste à l'assemblée générale des autorités et des sociétés populaires dans le temple de la Raison 20 novembre. Il demande à Lémane et Baudot le temple de Saint-Thomas, l'ancienne salle de spectacle allemand, rue Sainte-Hélène, n'étant pïus assez vaste pour la réunion des sansculottes. Peu de temps après, il s'adresse aux mêmes représentants pour obtenir le temple réformé, Grande rue du Bouclier 2 décembre. Signataire de l'adresse de la Propagande révolutionnaire aux habitants de Strasbourg et des départements du Rhin. Quelques jours après, dans une séance des Jacobins, Schneider, parais- sant revenir d'une erreur, mêlait ses applaudissements à ceux de la Société, qu'il avait cherché un instant auparavant à entraîner dans une conspiration dont il tenait les fils et dont l'exécution était sur le point de s'opérer, Vullier et autres propagandistes ne lui dissimulèrent plus leur opinion sur sa conduite et ses projets :

Nous sommes venus ici, lui dirent-ils, par l'organe de Vullier, avec l'idée que tu étaiB un bon citoyen; nous n'avons pas tardé à nous désabuser; nous voyons aujourd'hui ton cœur à découvert, nous en sondons les replis les plus cachés: le moment n'est peut-être pas encore venu de te faire connaître au peuple; dans peu tu seras un monstre à Bes yeux, tu l'es déjà aux nôtres.

Dans la nuit du 14 décembre Schneider était arrêté.

WAGHETTE (Jean-Jacques), père. en 1741 à Strasbourg, il était ramoneur avant 1789 Avril 1791. Membre de la Société des amis de la consti- tution — 7 février 1792. Il passe aux Jacobins 7 février 1793. Président du Comité de surveillance de cette société, il reçoit les dénonciations contre la famille Thiebold 11 mars. Rayé du Comité de surveillance des Jacobins, pour avoir traité ses collègues de jeanfoutres dont il se fout 3 octobre. Officier municipal 8 octobre. Confirmé dans ses fonctions 10 octobre. Chargé d'une visite domiciliaire chez Mertz, du Marché-Neuf, 5 25 novembre. Membre d'une commission pour présenter les moyens d'opérer la

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levée des citoyens du Bas-Rhin 6 décembre. Au Club des jacobins, traité de protecteur d'aristocrates, on demande sa radiation. Il convient de ses torts, prie la Société de n'at- tribuer ses fautes qu'à une erreur, proteste de son républi- canisme et réclame l'indulgence de ses frères. Il demande que si le jugement de la Société lui est défavorable, on exa- mine ses comptes pour les dons patriotiques et les collectes. Sa justification est appuyée, et l'on ajoute, qu'il est un des anciens membres de la Société, plein de zèle, de sensibilité, qu'il a toujours cherché à maintenir l'harmonie entre les patriotes, et que s'il s'est un peu écarté du sentier du répu- blicanisme, c'est par la faiblesse; mais cette faiblesse est- elle même un grand défaut dans un moment comme ce- lui-ci, où il faut de la force et de l'énergie pour terrasser l'hydre toujours renaissant du fanatisme et de l'aristocratie. On demande l'ajournement jusqu'à ce qu'il se soit fortifié davantage dans les idées du jacobinisme 8 décembre. Plarr, teinturier, proteste contre cet ajournement. Il consi- dère Waghette comme indigne de faire partie du nombre des vrais sansculottes, n'étant pas capable de faire changer la façon de penser de sa femme et de sa famille 30 mai 1794. Sa femme est incarcérée comme aristocrate et fana- tique — 30 juin. Du Comité de surveillance de la Société populaire 5 octobre. Aux Jacobins, il est proposé à Bailly, pour membre du département du Bas-Rhin 7 octobre. Du Comité de surveillance des hôpitaux militaires de Stras- bourg — 25 octobre. Il est encore membre du Club 20 janvier 1795. Membre du Bureau de conciliation, établi près le tribunal du district de Strasbourg.

WAGNER (Jean-George). en 1743 à Mutzig, il était cultivateur avant 1789 En 1792. Notable de la commune à Mutzig 3 octobre 1793. Membre du Conseil général du département du Bas-Rhin 1G décembre. Proposé à Saint-Just et Lebas, pour admi- nistrateur du Bas-Rhin 1* janvier 1794. Membre du Directoire du Bas-Rhin, il ordonne l'établissement d'une

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école gratuite de français dans toutes les communes du Bas-Rhin 26 février. Avec ses collègues, il signe une lettre au Comité de salut public de la Convention nationale, en répouse aux impostures publiées par Schneider, alors à rAbbaye 24 avril. Il informe la Convention, que le Bas- Rhin n'a point de suppléant vaccant pour remplacer à l'assemblée le traître Simond 29 juillet Reçu membre des Jacobins 1er août. De Paris, Lacoste informe la Société des jacobins de la chute de Robespierre. Wagner et ses col- lègues du Directoire arrêtent, que la lettre sera imprimée pour lui donner la plus grande publicité; le Club s'étant abstenu 3 août. Il signe à cette occasion la lettre de féli- citations, adressée par le Directoire à la Convention natio- nale — 25 octobre. Encore membre des Jacobins 9 dé- cembre. Egalement en fonction 1798. Elu aux assemblées primaires du Bas-Rhin pour le canton de Molsheim.

WAHÉ (François-Joseph). Monet dit, qu'il était vicaire à Strasbourg, quand il abjura en novembre 1793, pour se faire recevoir au Club du Miroir.

WASNER (Jean-Thomas). en 1751 à Strasbourg, il était sculpteur avant 1789 1791. De la Société des amis de la constitution 7 février 1792. De celle des jacobins 18 novembre 1793. Sansculotte, père de famille, il est allé renforcer l'armée du Rhin 20 septembre 1794. Du Comilé de surveillance de Strasbourg, il informe celui de la sûreté générale à Paris, que Saum fils est justiciable du tribunal criminel du Bas-Rhin 25 oc- tobre. Encore aux Jacobins En 1824. Sculpteur, rue des Faisans, à Strasbourg.

WEILER (Jean-Henri). en 1740 à Strasbourg. Avant 1789, boucher, rue du Dôme, il succède à son père, lequel, en 1783, était sénateur de la tribu de cette corporation 2 sept. 1789. Dans une réu- nion des échevins il propose la suppression du titre de pré- teur, de le remplacer, comme à Paris, par celui de chef de la bourgeoisie, ou de maire élu par la commune, qu'il désire voir

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déférer à Fréd. de Dietrich 8 janvier 1790. Au Poêle des cordonniers, il prend part à la fondation de la Société de la Révolution, qui se constitua le 15 suivant ; mais le 11 février elle prend le nom de Société des amis de la constitution, ce qui n'était pas de son goût 8 février. Elu notable du Conseil de la commune. Cependant, le 15 juillet, il se fait recevoir membre de la Société des amis de la constitution

11 novembre. Maintenu notable 14 novembre r<91. De môme 14 janvier 1792. Il passe officier municipal; de Dietrich étant encore maire 24 janvier. A. la Société des amis de la constitution, on dénonce une brochure dans la- quelle il est dit :

Quelle honte pour Strasbourg, d'être gouvernée par un tas de bou- chers, brasseurs et cafetiers ; par des Weiler, etc.

7 février. Il reste au Miroir avec les Jacobins 3 juillet. Comme officier municipal il signe l'adresse de la mairie à l'Assemblée nationale, demandant d'ordonner des pour- suites contre les auteurs de la journée du 20 juin 22 août. Il est exlu de la municipalité par Carnot, Prieur et Ritter

30 oct. 1793. Imposé par Saint Just et Lebas à 5000 liv., qu'il paie le 11 novembre 7 octobre 1794. Nommé officier municipal, il logeait alors rue de la Nuée-Bleue, 21 7 oc- tobre. Du Comité de surveillance de-> hôpitaux militaires de Strasbourg 25 octobre. Il est encore aux Jacobins 17 janvier 1795. Bailly le nomme notable de la commune

1805. Inspecteur des boucheries de la ville.

WEILLER (J.) Avant 1789, licencié en droit à Strasbourg 30 septem- bre 1790. De la Société des amis de la constitution 12 mars

1791. Envoyé avec Laurent et Rivage, pour révolutionner le Palatins t 7 février 1792. Il reste au Miroir avec les Jaco- bins — 25 octobre 1794. Il n'en est plus membre.

WEINUM (André). Avant 1789. Médecin à Haguenau Janvier 1791. De la Société des amis de la constitution à Strasbourg 7 février

1792. De celle des jacobins au Miroir 19 décembre. Nommé

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chef du Conseil municipal à Haguenau 1793. Trésorier du tribunal criminel révolutionnaire du Bas-Rhin 8 déc. 1793. Le Comité de surveillance et de sûreté générale du Bas-Rhin approuve son certificat de civisme 21 décembre. 11 soumet son compte de recettes et de dépenses, d'après lequel il est reliquataire de 118,919 livres - 25 octobre 1794. Il n'est plus aux Jacobins du Miroir 20 avril 1795. Son compte est appuré par une différence de 7668 livres, dont il n'a aucune justification 1795. Président du Conseil muni- cipal de Haguenau 1797. Lui et ses collègues de la muni- cipalité sont accusés. Il se retire 1797. Entrepreneur des fortifications à Haguenau 1800. Le premier consul le nomma adjoint municipal.

WEISS (G.-F.). Instituteur à Strasbourg en 1788 1792. De la Société des jacobins Novembre 1793. Il adresse à Monet la déclara- tion suivante :

Depuis cinq ans je suis instituteur des orphelins; je leur ai fait aimer les vertus civiques et sociales, l'humanité, les droits de l'homme, la liberté et l'égalité; cependant j'ai quelquefois prêché; j'ai étudié, conjointement avec la philosophie, la théologie, cette science qui a causé tant de maux au genre humain, qui l'a plongé dans l'ignorance, l'erreur et la superstition, et qui jamais n'aurait exister. J'y renonce de tout mon cœur.

25 octobre. Il n'est plus membre du Club.

Etienne Bau tu.

(La mite à la prochaine livraison.)

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

I

Louis XIV et Strasbourg Essai sur la réunion de Stras- bourg à la France, d'après des documents officiels et inédits, par A. Leobellb Nouvelle édition Paris, L. Hachette et O, éditeurs, Boulevard Saint-Germain, 79, 1881. 1 vol. in-8° de VIII-424 pp. - Prix 7 fr. 50.

Voici un livre de saine raison, basé sur une étude scrupu- leuse et éclairée des événements qui ont déterminé, en 1681, la réunion de la République de Strasbourg à la France. Il est digne d'une appréciation critique que l'un de nos collabo- rateurs voudra bien écrire quelque jour. En attendant, nous devons le mentionner dans ce bulletin et en donner un aperçu qui suffira pour appeler l'attention des esprits sérieux sur le sujet qui y est traité.

« Les termes les plus outrageants1, dit M. Legrelle dans « son avant-propos, suffisent à peine aux Allemands pour « bien exprimer à cette occasion (la prise de Strasbourg) « leur ressentiment contre la France, et il n'est guère, selon « eux, de noms plus dignes des malédictions de leur race tout « entière que ceux de Louvois et de Montclar, les deux prin- « cipaux auteurs de cette rapide et pacifique annexion. Les « admirateurs des vieilles institutions féodales y voient une brèche fatale, ouverte par la main d'un monarque français « dans un inviolable rempart du Saint-Empire. Pour les libéraux, la prise de Strasbourg, c'est, avant tout peut-être, « la suppression d'une de ces petites républiques autonomes « qui auraient pu assurer le triomphe de l'idée républicaine

1 Raub, Verrath, Ueberrumpelung, Schandthat, Frechheit.

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE 561

« sur le principe monarchique, si on leur eut permis de

« vivre. Les uns et les autres déplorent de concert dans cet

« événement un coup d'éclat qui acheva de consacrer la

« suprématie d'un simple royaume sur leur vaste et anibi-

« tieuse patrie. De ces débordements d'une impuissante

« colère qui, bien des années avant la dernière guerre, dégé-

« néraient, parfois aussi, en doléances mélancoliques et en

< attendrissement larmoyant

« Quoique Strasbourg, à l'heure qu'il est, n'ait plus que le

« droit, de par la loi des traités, d'éveiller une immense et « incurable douleur de ce côté des Vosges, nous ne croyons pas inutile, il s'en faut, de rechercher la valeur exacte des « accusations rétrospectives qui, à la longue, ont amené les * troupes prussiennes devant notre ancienne conquête de « 1681 et donné satisfaction, par la force, aux injurieuses

« revendications de la science germanique

« Les archives de notre Ministère des Affaires étrangères

< contiennent, à elles seules, assez de documents inédits « pour nous permettre d'apprécier le mérite des déclarations « violentes parties tant de fois des Universités et des Cours « allemandes. »

Ces citations définissent, mieux que nous n'aurions pu le faire, l'objet de l'excellent livre qui est sous nos yeux. Il est divisé en neuf chapitres qui intéresseront au plus haut degré ses lecteurs. Rien n'y est laissé aux déductions arbitraires, tout y est fondé sur des preuves puisées aux bonnes sources, les archives de la ville et celles des Chancelleries étrangères. De l'ensemble de ce beau travail, vraiment impartial et scien- tifique, il ressort que les accusations portées contre la France par la science historique de la Germanie, à l'occasion de la prise de Strasbourg, n'ont aucun fondement; que le traité de paix de Munster avait donné à Louis XIV des droits, mal définis si l'on veut, mais des droits positifs; que les événe- ments de 1672 à 1679 avaient clairement démontré que la

Nouvelle Séné. - II- année. 36

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situation antérieure à 1681 devait nécessairement aboutir à la solution vivement désirée par la partie éclairée du magis- trat et de la population.

II

Histoire abrégée des plus anciennes bibliothèques et des premiers imprimeurs de Strasbourg, dédiée à M. Louis Sieber, bibliothécaire en chef de la ville de Bâle, par Ch. Schmidt. Strasbourg, imp. de R. Schultz et O, 1882. 1 vol. in-8° de 11-200 pp. A Strasbourg, chez Frédéric Bull, librairie de l'Uni- versité.

La première partie des notices qui composent ce livre a paru en 1876 et 1877 dans la Revue d'Alsace, sous le titre de : Livres et bibliothèques à Strasbourg au Moyen-Age. 1 Vivement sollicité d'en donner une traduction allemande, M. Schmidt a se décider à livrer cette traduction, à laquelle il a pu ajouter le résultat des recherches et des découvertes qu'il a faites sur le même sujet depuis ses t dernières communications à notre recueil. Tel est l'objet de la première partie du livre que nous annonçons, et qui est écrit en langue allemande sous le titre qui figure en français en tête de ces lignes.

La seconde partie se compose de : Notices sur les impri- meurs de Strasbourg avant 1520. Ce nouveau travail du collaborateur de la Revue d'Alsace offre un grand intérêt pour l'histoire littéraire de l'Alsace au Moyen-Age. Nous nous bornons à le signaler aujourd'hui, nous réservant d'en donner prochainement, avec l'assentiment de l'auteur, une traduction qui permettra aux lecteurs français de rester au courant des travaux de l'un des membres les plus éminents et les plus estimés de notre ancienne et brillante Université française de Strasbourg.

Quand la langue d'un pays conquis est proscrite des actes

Voyez : Tome de 1876, pp. 433 à 454, et tome de 1877, pp. 59 à 85.

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publics et de la vie parlementaire, c'est pour nous un devoir de lui rendre l'hommage qui lui est dû.

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Les contes en vers d'Andrieux, suivis de lettres inédites avec notices et notes, par P. Ristblhttber. Paris, Charavay frères, éditeurs, 1882. de XXXV-227 pp. Prix 5 fr. Est-ce le poète, le penseur, l'érudit ou seulement le biblio- phile qui a déterminé M. Histelhuber à rajeunir, dans une charmante édition, les contes d'Andrieux, l'académicien d'ori- gine strasbourgeoise ? Il serait difficile de répondre à une question aussi complexe qui se pose naturellement au premier examen du livre. Cependant, en y regardant de plus près, on est porté à croire que ces différents mobiles ont eu une part égale dans la détermination; car si, d'une part, l'édition a la touche que le bibliophile affectionne et, au point de vue de l'annotation, celle du littérateur érudit, elle a, d'autre part, le mérite et la portée d'un excellent livre d'actualité.

Journellement l'on entend répéter que, dans ses évolutions, la société moderne engendre des vices et des situations qui n'ont pas d'analogues dans le passé. Lisons le souper des six sages d'Andrieux, son èpUre au pape, la bulle d Alexandre Fi, Vhôpital des jous, le meunier de Sans-Souci, le doyen de Eadajoz, etc., etc., et nous verrons que les vices, les travers et les égarements fustigés par le poète font pâlir les vices, les travers et les égarements que l'on reproche à notre temps. C'est peut-être aussi une des raisons non la moins louable qui nous a valu le beau recueil que ces lignes ont pour but de signaler aux lecteurs de la Revue.

Une excellente notice biographique et littéraire sur Andrieux et ses poésies a été élaborée par M. Ristelhuber et placée en tête du volume, qui se termine par. huit lettres inédites concernant l'œuvre théâtrale du poète. Ces lettres ont paru, pp. 264 à 273, de l'année courante de cette Revue.

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IV

Actes de la Société jurassienne d'émulation, réunie à Saint- Imier le 28 septembre 1881. 32° session. Saint-Imier, imp. d'Ernest Grossniklaus, 1882. Petit de 345 pp.

Conformément au plan qu'elle s'est tracé à son origine, la publication annuelle de cette Société commence par un coup d'œil sur les travaux de l'année dans laquelle a lieu la session. Divisés en sections, les membres qui en font partie s'imposent le devoir d'organiser des conférences publiques dans leurs districts respectifs : c'est ainsi qu'en 1881, la section de Porrentruy en a donné trois, dont le roman du renard, des expériences sur l'électricité dynamique, une visite dans un musée, les jardins d'enfants, l'école enfantine Frœbel, le jour de l'an dans l'antiquité et une conférence littéraire ont fait les frais.

La section de Saint-Imier en a donné onze, dans lesquelles les sujets suivants ont été traités : Les jeux au Japon, Théo- phile Gauthier, le nihilisme et l'espérance, les patriotes du Vallon en 1733, Schliemann et ses fouilles à Troïe et à Mycènes, les temps féodaux dans le Jura, l'alphabet, des pyramides à l'Acropole, Mirabeau, l'Irlande et la circulation du sang.

La section de Bicnne en a donné huit, alimentées par : Les jeux au Japon, un poète coiffeur (Jasmin), trilogie de Richard Wagner, les Nibelungen, Vercingétorix, les salines suisses, le docteur Pugnet, souvenir de la peste en Egypte, Benjamin Francklin, Schliemann, ses fouilles à Troïe et à Mycènes.

Indépendamment de ces conférences, les sections ont fourni des travaux sur l'histoire, l'archéologie, la littérature, les sciences naturelles et mathématiques, et enfin sur des matières d'utilité publique, parmi lesquelles nous distinguons un rapport de M. le Dr Schwab sur l'assistance publique dans le Jura et les réformes dont elle est susceptible. Ce travail a l'étendue et le caractère sérieux que le sujet comporte. Les

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réformes désirables sont exposées avec précision, avec un sens compétent, et les conclusions sont formulées avec une clarté qui ne laisse rien à désirer.

M. X. Kohler, président honoraire, fournit d'abord une charmante notice historique et biographique sur les derniers maires de Saint-Imier sous les princes-évêques de Bâle. L'un de ces maires fut le célèbre graveur B.-A. Nicollet. II avait sollicité cette fonction et l'avait obtenue, mais il n'en prit point possession et démissionna pour rester à Paris et se créer la célébrité qu'il méritait dans l'art de la gravure. On lira avec amour la notice tout entière, et surtout l'appré- ciation critique de l'œuvre de Nicollet, tracée de main de maître par M. Kohler. On lira également avec amour, à la fin du volume, la notice nécrologique que le même auteur 'a consacrée à la mémoire d'Auguste Quiquerez, « le patriarche des études historiques, l'homme de bien, le patriote libéral, le travailleur infatigable qui était l'honneur du pays d'Ajoie », ainsi que l'ont qualifié les journaux qui ont annoncé sa mort, La Revue d'Alsace, dont il fut l'un des premiers collabo- rateurs, doit, elle aussi, s'associer aux regrets que la perte de ce vaillant et inappréciable chef de hle a causés dans le monde savant du pays. Elle aura l'occasion d'exprimer ses regrets particuliers à propos de Tune de ses dernières œuvres qui vient de paraître, grâce aux soins de la Société juras- sienne d'émulation, et intitulée : Histoire de la réunion de l'ancien èvêché de Bâle au canton de Berne 1813 à 1818 et Histoire de la Révolution dans le Jura bernais 1830 à 1831.

Signalons encore dans ce volume une excellente étude historique et religieuse, par M. le curé Mamie, sur Saint- Imier et sa légende, puis quelques pièces de poésie : La 'peinture et la musique, Vècrin du cœur, les rires et les larmes, par Marie Juillard et Virgile Itossel.

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V

Bulletin de la Société des sciences historiques et natu- relles de l'Yonne. Année 1881. 35e volume. Auxerre, imp. de G. Rouillé, 1882. 1 vol. in-8° de LVII-173 pp. Au secrétariat de la Société à Auxerre, et à Paris, chez G. Masson, libraire, boulevard Saint-Germain, 120, et A. Claudin, libraire, rue Génegaud, 3.

Ce fascicule fait suite au premier que nous avons annoncé, page 143 de la Revue d'Alsace de Tannée courante. Il com- mence par une monographie critique sur les chroniqueurs senonais du Moyen-Age, Odoraknb, Clarius et Geoffroi de Courloîî. Dans les quatorze premières pages de ce fasci- cule, M. Challe fait magistralement la part de ce qui peut être consulté avec fruit dans les livres de ces trois auteurs et de ce qui doit en être élagué comme entaché des erreurs communes à la plupart des imitateurs des premières chro- niques du Moyen-Age. Une étude historique sur le pays senonais, par M. E. Vaudln, occupe les soixante-et-une pages suivantes, et fixe l'esprit du lecteur sur l'état du pays des Senones avant l'occupation romaine, sur les monuments gaulois dans la région, les polissoirs, les dolmens, les crom- lechs, les menhirs et les tumuli qui y ont été reconnus. Le chapitre II de cette étude traite de la situation du pays après la soumission de la Gaule à « son antique ennemie » , du développement de la prospérité qui en fut la conséquence, des arènes, des aqueducs et des voies qui furent établis par les Romains, des villes et des villages qui se formèrent, des premiers apôtres du christianisme dans cette région et de l'antique métropole de la Senonie, Sens, qui a * gardé de son antique splendeur le souvenir que l'histoire transmettra aux âges futurs , en leur apprenant à vénérer en elle l'une des vieilles gloires de la patrie, l'un des vestiges sacrés des ancêtres ». Du même auteur une excellente notice sur les trésors d'art de Sens, les pierres gallo-romaines, le musée de

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la salle synodale, la bibliothèque, les tableaux et le trésor de la cathédrale. A une époque l'enseignement de l'art du dessin fait de si grands progrès, M. Vaudin a pensé que « le moment était venu de signaler en détail les trésors devant lesquels chacun peut aller puiser une intelligente distraction et les plus utiles enseignements ». En quelques pages, M. Challe esquisse ensuite le tableau historique des grandes voies de communication, des péripéties que subirent leur destruction et leur rétablissement à travers les âges, et entin le triomphe de l'unité administrative qui a doté le pays des grandes et moyennes artères de la viabilité, correspondant aux développements du commerce et de l'industrie de nos jours. La numismatique tonnerroise et un manuscrit de la bibliothèque sont, de la part de M. Jolivot, l'objet de deux notes descriptives intéressantes. Même remarque rapide sur une notice concernant le conventionnel Saint-Fargeau, par M. Challe, et une note sur les objets antiques trouvés à Chatel-Censoir, par M. E. Pallier. Une compilation bien conçue et méthodiquement présentée, par M. Max Quantin, sur le comté d'Auxerre au XV siècle fait suite aux travaux précédents. Elle est le fruit de recherches auxquelles s'est livré l'auteur dans les comptes de recettes et dépenses de ce comté, conservés aux archives de la Côte-d'Or. M. Quantin dit que son travail est une sorte de mosaïque pouvant être utile à des études générales quand on voudra les faire. Nous sommes de cet avis, et nous ajoutons que, sans les travaux de cette nature, l'histoire se bornera à répéter ce que l'on sait plus ou moins bien déjà, sur la vie, les faits et gestes des grands, sans rien nous apprendre des conditions du peuple dans nos duchés, nos comtés et nos seigneuries sous les régimes passés. Les éléments de comparaison que M. Quantin fournit aux écrivains futurs et aux lecteurs de la Société des sciences historiques de V Yonne se rattachent : au domaine ducal, aux redevances dues au duc, aux officiers du duc de

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Bourgogne, au château d'Auxerre , à la garde de Saint - Gervais, aux redevances diverses, à la taille bourgeoise, au droit de main-morte, aux aides ou impôts indirects, aux gabelles et greniers à sel, aux messagers, aux guerres anglo- bourguignonnes , aux confiscations, aux exécutions crimi- nelles, aux amendes pour délits, aux maladies épidémiques, à la convocation des vassaux, et à des faits-divers dans le comté. Un roman d'aventures de saint Jérôme, par M. le Dr Ricque, une note sur les echinoconus turoniens, par M. Cotteau, avec une planche, une note sur l'étage turonien de l'Yonne, par M. Lambert, avec trois tableaux de coupe, de répartition et de comparaison, terminent le volume que nous venons de signaler sommairement.

Le bulletin de 1882 nous arrive au moment de remettre ce court aperçu à l'imprimerie. La Revue en parlera dans son premier trimestre de 1883.

VI

Mémoires de la Société historique du Cher. 3* série, tome II livraison. Bourges, imp. de H. Sire, 1882. in-4° de 113 pp. avec une carte.

La Revue d'Alsace a consacré, en 1880, p. 433 à 434, une courte mention aux deux premières livraisons de la troisième série des mémoires de la Société historique du Cher. La troi- sième livraison que nous venons de recevoir termine le tome II des intéressants travaux de cette Société. Tandis que dans l'Yonne, M. Challe a jeté un coup d'œil général sur l'histoire de la viabilité dans les temps reculés, M. Hippolyte Boyer s'est livré, dans le Cher, à des recherches sur les anciennes voitures publiques du Berry. Ces recherches sont précédées d'un rapide aperçu sur les voies gallo-romaines, sur leur [sort dans les Gaules à la décadence de l'empire d'Occident, les dégradations qu'elles subirent aux invasions, et le délaissement dont elles furent l'objet sous le régime

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BULLETIN BIBLIOGRAPHIQUE

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féodal. M. Boyer aborde ensuite l'histoire du relèvement de la viabilité, à mesure que le pouvoir royal se développa aux dépens des feudataires. Cette belle étude permet au lecteur de se faire une idée exacte des difficultés politiques et sociales qu'il fallut surmonter successivement à travers le Moyen- Âge, pour arriver à une reconstitution de la viabilité publique, dont l'état, à la veille de la Révolution, n'était encore que rudimentaire dans nos provinces. C'est ainsi que Bourges, la capitale du Berry, n'avait, en 1782, qu'une ou deux fois par semaine de communication régulière avec les bureaux des autres villes de la province ; mais le coche de Paris et celui de Lyon avaient trois départs, ce qui, eu égard à la longueur du parcours et à l'état des routes, réduisait à une communi- cation régulière par huit jours entre ces deux villes et Bourges, en admettant que le même coche parcourût la distance en trois journées pour l'aller et autant pour le retour. La situation n'était pas meilleure dans les autres provinces, car en jetant un coup d'oeil sur d'anciens alma- nachs, voir même du commencement de ce siècle, on constate que beaucoup de chef-lieux de département n'étaient en communication qu'une ou deux fois par semaine avec les arrondissements. C'est ainsi que Belfort, par exemple, avait encore, dans les premières années de la Restauration, son coche, dont le bureau était au Boeuf rouge de Colmar, et qui faisait le service postal et de messagerie entre ces deux villes le lundi et le vendredi de chaque semaine. Les recher- ches de M. Hyppolite Boyer ont pour base solide les sources authentiques qu'il a consultées et des pièces probantes qu'il publie à la fin de son beau travail.

Une dissertation, due à M. Paul Moreau, sur le lieu de naissance du célèbre jurisconsulte Antoine Bengy, des notes sur le Kansas, par M. Victor Rathier, des recherches de M. F. Dumonteil sur l'affaire ou l'assassinat de sept per- sonnes dans la nuit du 29 au 30 octobre 1796, et dont

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les auteurs sont restés inconnus, terminent la deuxième livraison.

La troisième, que nous venons de recevoir, clôture le tome II et renferme encore des travaux originaux importants. M. H. Boyer en ouvre la série par une notice sur les origines de Sancerre. Après avoir écarté une opinion erronée sur l'origine de cette ville, opinion basée sur des exercices étymo- logiques trop hardis, l'auteur arrive à une conclusion qui est commune à beaucoup d'autres villes et qui fait remonter leur origine à une époque antérieure à la conquête des Gaules. C'est un peu la question de l'Alsace celtique et gauloise, 1 d'après les monun ents de la plus îiaute antiquité, que M. H. Boyer fait revivre à propos des origines de Sancerre. M. A. Boulé fournit ensuite au bulletin une notice sur Louis Marquis d'Arpajon, gouverneur du Berry de 1715 à 1736. A cette notice succède le catalogue descriptif de nombreuses séries moné- taires du musée de Bourges. L'une de ces séries, composée de trente-deux variétés empreintes de caractères inconnus, dit le catalogue, et qui sont en effet indéchiffrables, sauf peut-être au moyen de l'alphabet runique ; entin, le tome est terminé par une excellente notice de M. Hippolyte Boyer sur le corps des marchands de Bourges.

Frédéric Kurtz.

1 Voyez Revue d'Alsace, 1872, p. 5 à 48.

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TABLE DES MATIÈRES

CONTENUES DAN8 LE TOME XI DE LA NOUVELLE SÉRIE 1882

JANVIER - FÉVRIER - MARS

G.-A. HiRy. La Vie future et la Science moderne (Fin) Preuves qu'apporte la science à l'appui de la notion d'une vie future L'existence d'un élément constitutif intangible, impalpable, élément animiqne, est indestructible Réfuta- tion des raisonnements tendant à matérialiser jgg phéno- mènes de l'ordre physique Force et matière, circulation de la yie, théorie vibratoire de la nature Responsabilité humaine Elément pensant et animique La perpétuité et l'immortalité 5- 88

E. QA88BR. La famille de Rosen Aperçu historique sur le rôle qu'elle a joué en Alsace Inventaire des titres généa- logiques et honorifiques Arbres généalogiques Contrats de mariages Testaments Donations, pactes de famille, traités, partages Lettres-patentes, brevets, etc., etc 30- 6Q

Akth. Benoit. Les ex-Iibris dans les trois évèchés Toul Metz Verdun Bibliographes et collectionneurs toulois (Suite) Les évêques bibliophiles, avec trois gravures d>j> libris Messieurs les chanoines Description de leurs ex-Hbriê Bibliothèque du séminaire diocésain fil- 85

Ch. Bbrdbllb. Littérature populaire de l'Alsace-Lorraine Bavardages des commères de Strasbourg entremêlés de quelques autres commérages alsaciens Conversation dans l'intimité entre Ursule et Julienne près de la Maison-Rouge Conversation intime à la fontaine par quatre servantes stras- bourgeoises Conversation sérieuse sous les Petites-ArcadeB entre dame Ursule et d aine Salo in e . .«..«». .............. 8h-l 1 1

X. Mossm anh. Matériaux pour servir à l'histoire de la guerre de trente ans tirés des archives de Colmar (Suite) Dé-

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marches de Colmar en vue des négociations Peu de sûreté des routes -- Nouvelle apparition du duc de Lorraine Colmariens prisonniers à Offenbourg et Philipsbourg In- solence des gouverneurs, victoire des alliés, reprise des négociations Quel sort réservé à l'Alsace? Mort de Richelieu Lettre de Mazarin Donations faites par la Suède à la ville de Colmar 112-122

Etienne Babth. Notes biographiques sur les hommes de la Révolution à Strasbourg et les environs (Suite) Sancy Sarez Sauriat Scaer Schatz Schœffter Scherer Schilling -- Schlœssing Schraitthenner Schmitz Schœll Schouler Schnéegans Schneider Eulbge Schneider 123-137

Fkéd. Kjiitz. Bulletin bibliographique I. Histoire d'un proverbe mulhousien, d'r Fûrsteberger v'rgesite compter sans son hôte, par Aug. Stœber IL Distractions poétiques au Florival = vallée de Guebwiller, par G. Gajyelin III. La liberté des Cimetières, par Ch. Schmidt IV. Bulletin de la Société des Sciences historiques et naturelles de l'Yonne V. Bulletin de la Société archéologique et his- torique de l'Orléanais 138-144

AVRIL - MAI - JUIN

Arth. Benoit. Les ex-libris dans les trois évèchés Toul

Metz Verdun (Suite) Bibliophiles et collection- neurs toulois Bibliothèque des couvents Abbaye royale de St-Léon - de St-Epvre de St-Mansuy Les capu- cins — Les cordeliers Les dominicains Les domini- caines — du Tiers-ordre Les bénédictins Congréga- tion Notre-Dame Graveurs toulois d'ex-libris Collec- tionneurs — Appendices Noël Complaintes Devises touloises Deux ex-libris reproduits 145-169

P.-J.Tallon. Légendes et traditions recueillies sur St-Dizier, Villars-le-Sec, Croix, Montbouton, Fêche-l'Eglise, Lebetain et le hameau du Val Culte druidique La fée Pas dn diable Le Matra Les fonatincs Jean-Maurice le chasseur La fosse aux Larrons Plateaux de Croix

Fauteuil taillé dans le roc Les Chamborans de 1815

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TABLE DES MATIÈRES 573

Pages

Fontaine de Montbonton Pèlerinage Lepetain Découvertes La grotte Les fontaines da Val 170-1%

Ch. Bkrdkm.k. Littérature populaire de l'Alsace-Lorraine (Suite) Dame Kurtzlerer et dame Zivelmana pendant le blocus de 1814 Après le blocus - Les paysannes déso- lées — Les demoiselles Spitznasel et Krumhalsel Les dames A. et B. pendant le second blocns Après le second blocus La fourrure de mariage Les dames Dickhans, Catherine et Suzanne Enigme Solution 107 231

D. HOckbl. Réglementation d'une forêt communale d'Alsace

anx xt« Pt tyt» BiAclea Document B En 76 Article». . . 232455

X. MnsuMAwif. Guerre de trente ana Matériaux tirés des archives de Colmar pour servir à son histoire (Suite) Mort de Louis XIII Diète do Francfort Guchriant se replie sur la rive gauche du Rhin H repasse sur la rive droite Sa mort Défaite de Tutlingen Arrivée de Turenne Colmar se rapproche de Strasbourg. Saufs- conduits pour le traité de paix Moog, député à Paris Sa mort 250-263

Padt. Ri8TM.gm.wt. Huit lettres inédites d'Andrieux aux

comédiens ordinaires du roi et au baron Taylor 1825-1831 2H 1-27.3

Eti nne Bartii. Hommes de la Révolution à Strasbourg et les environs (Suite) Le terroriste Jean-George Schneider Ses faits et gestes Sa mort 274-284

Fkéd. Kurtz. Bibliographie I. Histoire de l'abbaye de Senones par D. Calmet, id. F. Dinago II. Mémoire Bur une insurrection à Colmar en 1424, par X. Mossmann III. La vieille noblesse de la Hante- Alsace, par M. Kindler de Knob- loch. IV. L'archéologie et les beaux-arts dans l'arrondisse- ment de St-Dié, par Henri Dardy Y. Le château de Vie au xvii* siècle, par Arth. Benoit 285-288

JUILLET - AOUT - SEPTEMBRE

P.-E. Tubpkekd. L'Alsace artistique Notices sur plus de cent quarante artistes alsaciens des temps reculés et des temps modernes Ottfrid de Wissembourg, miniaturiste, 820 à 869 Le moine Villo, orfèvre, xr* siècle Herrade de Landsperg, miniaturiste, 1135 à 1195 289-313

t. :

574 REVUE D'ALSACE

Pages

I

Arth. Benoit. Les ex-libris dans les trois échêvés, Metz, Toul et Verdun (Suite) Bibliophiles et collectionneurs messins Historique Les évêques Le grand cardinal de Lorraine pseudo-évêque Le fils naturel de Henri IV

Henri de Verneuil George d'Aubusson de la Feuillade

sa bibliothèque son ex-ïibris Le duc de Coislin Claude de Saint-Simon Louis-Joseph de Montmorency- Laval Chapitre de la cathédrale Séminaire Sainte- Anne Les monastères de Metz Abbaye royale de Saint- Clément, avec deux gravures 314-335

Ed. Gasser. Fonds et revenus du prieuré de Saint Morand d'Altkirch et de Ribeauvillé en 1772 Terres labourables

Prés - Vignes Jardin Moulin Dixmes Lau- demes des dixmes Droit de Falh Steinbach Ribeau- villé — Ramersmatt Riespach Spechbach Werentz- hausen Wittersdorf et Emlingen Hesingen Walheira Carspach Henflingen Roppentzwiller - Heidwiller Tagolsheim Hausgauen Ranspach-le-haut Berentz-

willer Strueth Aspach Charges de prieuré 330-349

D. Hockbl. Document B, (Fin) Art 62 à 76 Forge- rons — Bois de carbonisation Glandage, etc. Règle- ment de 1585 Règlement de 1595 Banlieue de Ritters- hoffen de Niederbetschdorf d'Oberbetschdorf Règle- ment concernant les gardes 350-369

Ch. Berdkllé. Littérature populaire de l'Alsace-Lorraine, suite L'enfant monstre La serrurière Catherine et Christine La dame du pasteur La dame Werner Le meilleur des mondes Le cheval à trois jambes Ma préférée Dame Buchler L'Alsacien sur la cathédrale de Strasbourg En route vers la tasse de café au lait Ribotte Consolation Carnaval Cancans Madame Surpf Licenciés Dames Babbelmeyer et Schnawler Blanchisseuses Près de la tasse de café au lait La

chope et la pipe 370-409

Kïikxxk H arth. Notes biographiques sur les hommes de la Révolution à Strasbourg et les environs (Suite) Schneller

Schûgler Sr huiler Schumacher Schwahn Schwartz Schweighœusser Schwengsfeld Schwind

Schwingdenhammer Sengel Séthé Silberrad

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TABLE DES MATIÈRES

575

Pages

Si.

Simone! Sommervogel Spangelberg Speck nann Stamm Daniel

I

410427

Fr6d. jvuktz. Bibliographie I. Correspondance politique adressée au Magistrat de Strasbourg, par £. de Bouteiller et Eugène Hepp IL Mémoires de la Société d'émulation de

L. Meunier. Cinq lettres inédites de P.-J. Proudbon à son ami Jouvenot, correcteur d'imprimerie Février 1835, Août 1839. Juin 1851, Novembre et Décembre 1855 433-444

P.-E. TtJBPFRRn. L'Alsace artistique (Suite) Helinaud et les calligraphes miniaturistes de Lucelle Guta, calligraphe

Albert de Strasbourg, architecte Sabine, statuaire Erwin de Steinbach, statuaire Calligraphes du couvent d'Unterlinden deColmar Les Wurmser, peintres Ulrich Ritter, architecte Wœlfelin, sculpteur 445-477

Arth. Benoit. Les cx-libris dans les trois évêchés, Metz, Toul, Verdun (Suite) Neuf gravures dans le texte Ab- bayes royales de Saint-Arnould de Saint-Symphorien de Sainte-Glossinde Antonistes Augustins Capu- cins — Grands Carmes Petits Carmes Claristes Célestins Chanoines réguliers Jésuites Minimes Lazaristes Dominicains Récollets Trinitaires Notre-Dame Dominicaines Bénédictines 478-508

Ch. Bbrdbllr. Littérature populaire de PAlsace-Lorraine (Fin) Commérages alsaciens Noua aurons la fête Repas de noces rustique Gâteau de foire Almanach La fontaine Les fileuses Bon conseil 509-528

Et. Barth. Notes biographiques sur les hommes de la Révo- lution à Strasbourg et les environs (Suite) Stahl Stampf

Starck Stempel Stem Stierling Stœber Stolz Stouhlen Striffler Strohl Stuber Sultzer

Tachet Taflin Téterel Thomas Tisserand Tissert Tœrdel Toustaint Touzay Uhlenhut Ulrich Valentin Vérius Vernier Vialara Vienne Vincent Vitasse Vix Vogt Vullier Waghette Wagner f— Wahe Wasner Weiler Weinum Weiss 529-559

Montbéliard, 1881

428-432

OCTOBRE - NOVEMBRE - DÉCEMBRE

576 RBVUB D'ALSACE

Frédéric Kttrtz. - Bibliographie I. Louis XIV et Stras- . bourg ; essai sur la réunion à la France, par A. I.eqbsllb, IL Histoire abrégée des plus anciennes bibliothèques et des premiers imprimeurs de Strasbourg, par Ch. Schmidt III. Les contes d'Andrieux par P. Ri8telhubeb IV. Actes de la Société Jurassienne d'Emulation à Porrentruy V. Bulletin de la Société des sciences historique* et naturelles de l'Yonne VI. Mémoires de la Société historique du Cher.. . 560-570

Table des matièbes de l'année 1882 571-576

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