à Ce Ce vit Et it #5 Hs *; LU . etat Sr + maitre L CAES : + mette HR Let ne % Lire . ES . 4: 10 : 41 + 152747 à + ü it Hits ei ju CEE y (4 D MMAPMAAP AA - æ Ses Que 7621 2 Ro LAE] Cry 181414 CL .…. … 4,6 Le AS 1, “ dt de LÉ LEE . WRI? +- 4 CASCEC 4 + éd. a se Z EE : ÉTCert He must 202 o Eire 44 4e rite À Lx “à d'Ltitié diersrsts FMCZOIES ALT + 4 x à CORP ÈTS ++ à eue. à PCCOCTS ur ee nd dd = 61 de à ss se + eme + + ECOLES PAM ET TT CLATEE P x: a dd 6-8 à. 4 CRC CAN +... # CRCACACACE AE ee me AMEN 4 2 F2 où 2 D» BULLETIN BIOLOGIQUE (Précédemment, BULLETIN SCIENTIFIQUE) DE LA FRANCE ET DE LA BELGIQUE FONDÉ PAR NDERED GI ARD: Tome LI PARIS Laboratoire d’Evolution des Ëtres organisés, 3, rue d’Ulm Léon LHOMME, rue Corneille, 3, LONDRES DULAU & Ce, Soho-Square, 37. a) AOC LR " Tue D 2e ME mu 4 PET ETES VA BULLETIN BIOLOGIQUE DE LA FRANCE ET DE LA BELGIQUE TOME LILI 1917 L G M. C Comité de rédaction : . BLARINGHEM (Paris). . BOHN (Paris). CAULLERY (Paris). H. JULIN (Liège). F. MESNIL (Paris). P, PELSENEER (Gand). Cu. PÉREZ (Paris). Er. RABAUD (Paris). TABLE TRAVAUX ORIGIN AUX DEHORNE (Lucienne). — Formalion du sac ovigère et féconda- lion des œufs chez la Myrianida pinnigera ge (4 fig. dans le texte). NAME GUYÉNOT (Emize).-— te ae sur la vie aseptique d’un organisme en fonction du milieu (6 fig. dans le texte et pl. I à IV) È LAMEERE (Auc.). — Con babulians à à la connaissance nu Dicyé 6- mides : Deuxième partie (56 fig. dans le texte) ‘ : LICHTENSTEIN (JEan-L.) et PICARD (François). — Etude mor- phologique et biologique du Sycosoter lavagnei, Hecabolide parasite de l’Æypoborus ficus (33 fig. dans le texte) MASSART (Jean). — Sur la polarité des organes végétaux (8 fig. dans le texte). SH À PICARD (F.) (Voir Re et PE a RABAUD (Errenne). — Félix Le Dantec (avec un portrait) RABAUD (Errenxe). — Notes sur l'instinct de Mellinus arven- sis et ses rapports avec celui des autres Sphégiens. ROUBAUD (E.). — Le venin et l'évolution Sat sante Le les Hyménoptères prédateurs . : à RER SR RME ROUBAUD (E.). — Précision sur Phones azurea, muscide à larves hémophages parasites des Oiseaux d'Europe (pl. V.). 431 475 331 391 240 Le tome LI a été publié en 3 fascicules sortis des presses aux dates ci-après : Fascrcure 1 (pages 1 à 136) 14 adût 1917. Fascicuze 2-3 (pages 137 à 346) 15 déc. 1917. FascICuLE 4 (pages 347 à 48%) 15 avril 1918. FÉLIX LE DANTEC (1869-1917) Lorsque, en 1895, parut la Matière vivante, le nom de Félix Le Daxrec () sortit aussitôt de l'obscurité. Pour beau- coup d’entre nous, ce livre fut une révélation ; 11 donnait un corps à des idées imprécises qui se dégageaient pénible- ment de données expérimentales présentées, par leurs auteurs, sous une forme presque exelusivement descriptive. Nous trouvions, clairement exprimée, «© linterprétation purement mécanique de l’activité totale d’un être vivant » ; le langage individualiste € qui fait de l'individu le sujet du verbe » cessait, enfin, de servir à la narration des phéno- mènes biologiques : ce livre renfermait toute une méthode : il était le premier essai systématique d'une étude scientifi- que de la vie. L'auteur avait à peine 26 ans. Mais depuis plusieurs années déjà 11 méditait sur ces questions. D'abord orienté vers les mathématiques. il se sentit attiré par les sciences naturelles et suivit le suggestif enseignement d'Alfred Grarp. (t) Le Danrec (Félix-Alexandre) naquit à Plougastel-Daoulas (Finistère), le 16 jan- vier 1869. Reçu à l'Ecole normale supérieure en 1885, il devient, en 1888, prépara- teur à l’Institut Pasteur. En 1889, il est attaché à la mission Pavie, chargée de délimiter les frontières du Siam et de l’Annam ; en 1892 il va organiser l Institut . Pasteur de Sao Paulo (Brésil). A son retour, il est nommé maitre de conférences à la Faculté des Sciences de Lyon (1893), permute trois ans après et rentre à Paris comme préparateur à la Sorbonne (P. C. N.). En 1899 il est chargé d'un cours d'Embryologie générale, transformé ultérieurement en cours de Biologie générale (1908). II tapidement, il aperçut les divers aspects de la Biologie et, tout de suite, s'arrêta à l'étude la plus séduisante, mais la plus difficile, celle du déterminisme des phénomènes vitaux. Sa thèse, parue en 1891, manifeste nettement sa tendance: elle traite de « la digestion intra-cellulaire chez les Proto- zoaires ». Le DaxTEc S'y montre à la fois expérimentateur ingénieux, observateur elairvoyant et réfléchi: il étudie le mode de formation et la signification des vacuoles diges- tives, les modifications physiques et la tension superficielle du liquide, la sécrétion d'acide dans les vacuoles, les rela- tions des substances ingérées avec le sarcode, les transfor- mations qu'elles subissent, leurs parties assimilées et leurs parties rejetées. Ce n’est point de la description pure: l'au- teur recherche avant tout le mécanisme de tous ces phéno- mènes. Il constate que l’ingestion dépend de la tension superficielle au contact du sarcode et du liquide et que « de cette tension superficielle dépend également le sort du corps ingéré pendant les premiers instants qui suivent son Inges- tion » ; il constate encore que les corps étrangers ont d’au- tant plus de chances d'être Ingérés et conservés dans Île corps d'une Amibe que la tension superficielle est plus faible, quelle que soit la valeur nutritive du corps étranger. Cette remarque tire toute son importance de ce fait que la sécrétion d'un acide et d'une diastase, s’accumulant autour du corps étranger. fait rapidement décroitre la tension du sarcode au contact du liquide de la vacuole. Quant à ce liquide, il n’est autre chose qu'une goutte du liquide exté- rieur englobée en mème temps que le corps étranger. Le Danrec reprend et complète ces recherches en 1894 dans ses « Etudes biologiques comparatives sur les Rh1zo- podes lobés et réticulés d'eau douce ». Il y étudie plus spé- cialement le phénomène d’assimilation. Dès ce moment, avec une rigoureuse logique et une éton- nante puissance de déduction, Le Daxrec s'applique. à trouver lexplication des phénomènes et procède à l'analyse exacte qui. seule, peut le conduire au but : la Matière III vivante renferme les premiers résultats obtenus. Instruit par ses propres recherches, très au courant des données, alors nouvelles, de la Bactériologie, 11 montre comment les propriétés diverses des organismes se ramènent à des pro- priétés physiques et chimiques. Au seuil de son analyse, le terme de vie [lui-même l'ar- rète, car 1! s'aperçoit que ce terme n'a pas toujours le même sens. La vie des êtres pluri-cellulaires ne saurait être com- parée à la vie des êtres uni-cellularres. Les premiers sont relativement simples ; par leur réunion 1ls forment Îles seconds, de sorte que la vie de eeux-e1 est la résultante d’une infinité de vies élémentaires. Dès lors, l'étude des phéno- mènes vitaux se ramène à l'étude des phénomènes de Ja vie élementaire; et quand on les connaitra, un léger effort permettra de connaitre les phénomènes de la vie des êtres plus complexes. De là, toute Fimportance qui s'attache aux recherches sur les Protozoares et les Bactéries dont F. Le Daxrec a su si bien Urer parti dans le développement de sa conception de la Biologie. Le phénomène essentiel de la vie élémentaire, celui qui domine tous les autres, est l’assimilation,. résultat des échanges de l'organisme avee son milieu. Dans des condi- tions favorables, l'assimilation aboutit à la formation de quantités nouvelles de sarcode, organisme reste semblable à lui-même: il se débarrasse des produits secondaires, déchets des réactions chimiques. L'ensemble de ces réac- tions se résume dans la formule : a+Q=4+R qui est l'équation de la vie élémentaire dans les conditions favorables, à la € condition n° EL». En dehors de cette condi- tion, le sarcode se détruit en tout ou partie et l'organisme se trouve à la «condition n° 2 » qui peut aboutir à la mort. Lorsque lorganisme se trouve à la condition n° {, à quel moment précis va-t-il assimiler? Cest ici qu'intervient la plus ingénieuse, la plus discutée, mais aussi la plus féconde IV des déductions de Le Daxrec. Suivant l'opinion classique, tout organisme qui fonctionne use sa substance et ne répare ses pertes qu'en revenant à l'état de repos. En réalité, dit Le Daxrec, c'est exactement le contraire qui se produit, l'or- ganisme se détruit pendant tout le temps qu'il ne fonctionne pas et se reconstitue durant ses pér'odes d'activité. Pour s’en convaincre, d'ailleurs, ne suffit-11 pas de constater que tout organe au repos s’atrophie, que tout organe qui fone- tionne s’hypertrophie? L'assimilation a done lieu pendant que l'organisme travaille. Mais l'assimilation entraine la production d'une quantité considérable de déchets qui, en s'accumulant, finissent par modifier les échanges. L'organisme ne se trouve plus à la condition n° {, il y a fatigue: le fonctionnement s'arrête, période de repos durant laquelle les déchets s’éliminent, en même temps, du reste, que l'organisme perd une parcelle de sa substance. Cette élimination terminée, le fonctionne- ment reprend et l'assimilation s'effectue de nouveau. Un organisme ne persiste done que s’il fonctionne. Mais alors, plus il fonctionne, mieux il le fait; le travail d’aujour- d'hui préparé par celui d'hier, prépare celui de demain : d’une façon plus générale, l'état d'un organisme, sa manière d'être à un moment donné s'expliquent par ses manières d'être et ses états antérieurs, par les habitudes que lui donne la continuité de son fonctionnement. L'assimilation permet ainsi de comprendre les diverses circonstances de la vie individuelle ; elle donne aussi la clé de la variation, de l'acquisition de caractères nouveaux et de leur transmission héréditaire. Toute variation résulte d’un changement intervenu dans la constitution chimique de l'organisme; mais aucun changement de ce genre ne se produit tant que dure la condition n° 1, c'est-à-dire tant que l'assimilation fonctionnelle s'effectue normalement. Au con- traire, dès que lPorganisme se trouve à la condition n° 2, il n’assimile plus, ou ne le fait que d'une manière anormale ; une partie de lui-même disparait alors, ou se transforme. Si le processus se prolonge, la mort s'ensuit; mais si Porga- nisme modifié retrouve à temps la condition n° { relative à sa nouvelle constitution, celle-ci persiste. Persistera-t-elle chez les descendants? Certainement, dit Le Danrec. car aucune variation ne demeure locale; entre les diverses par- ties de l'organisme existent des corrélations étroites et tout changement porte sur lPensemble, qui acquiert ainsi une propriété nouvelle: l'acquisition sera d'autant plus solide que l'assimilation durera dans les mêmes conditions. De toutes façons l’hérédité porte sur des propriétés et non sur des caractères, formule excellente et profonde. Tout se tient ainsi, dans lé système de Le DaxTEc, et l'analyse se déroule avec une impeccable logique, sans s’égarer un seul instant. L'analyse, cependant, ne suffit pas. Sans doute, elle est le point de départ obligé, elle fournit les matériaux d'étude et met en évidence les faits essen- tiels ; mais elle ne donne pas toujours le lien qui rattache les faits entre eux. Ces liens, la synthèse seule les donnera. Tous les efforts de Le Daxrec ont tendu à faire cette synthèse nécessaire et 1l en a présenté un premier exposé dans la Science de la vie. Il v reprend une à une ses précédentes démonstrations et les présente sous forme de théorèmes. Il montre comment il faut envisager l'organisme dans son ensemble, au lieu d'imaginer une série de particules indé- pendantes et interchangeables, et comment tous les phéno- mènes s'accordent mieux avec cette conception globale qu'avec la conception contraire. Ces conceptions qui s'opposent sont en réalité deux méthodes : tandis que l'une se préoccupe avant tout du déterminisme des phénomènes, l’autre se contente d’attri- buer à des particules imaginaires des propriétés purement conventionnelles, accumulant des hypothèses en manière d'explications. La Biologie ne peut étre une science que si elle utilise la méthode scientifique, si elle s'applique à rechercher un déterminisme scientifique. Ainsi comprise, VI du reste, la Biologie embrasse nécessairement et permet d'expliquer tout ce qui touche à l’activité des êtres vivants ; elle va de la physiologie à la psychologie : elle passe de la vie individuelle à la vie sociale. F. Le Daxrec ne s’est point dérobé aux conséquences nécessaires de la méthode adoptée ; il a tiré, des données initiales, des hypothèses importantes et brillantes sur ces difficiles questions : le Déterminisme bio- logique et la personnalité consciente: Science et conscience ; l'Egoisme, seule base des Sociétés, renferment, à leur sujet, de remarquables généralisations. Le Daxrec s'étant engagé. dès le début de sa carrière dans la voie scientifique n'a jamais consenti à s’en écarter. Pour lui, rien n'existait en dehors de la Science ; 1l allait où le conduisait son raisonnement rigoureusement logique. Conduit à l'athéisme, il combattit avec vigueur l'erreur téléologique, d’où dérive l'erreur anthropomorphique. Et nulle autre conclusion de sa pensée ne marque mieux, peut- ètre, l’indépendance de son esprit et la hauteur de ses vues, quand on connait le milieu profondément religieux dans lequel il avait été élevé. Mais il faut se hâter d'ajouter qu'il n'avait rien d'un sectaire et pratiquait à l’égard des opi- nions d'autrui la tolérance qui caractérise le vrai savant. Ainsi étroitement attaché à la méthode scientifique, Le Daxrec devait fatalement devenir lamarckien. DARwIN cependant l’attira tout d'abord. Non pas qu'il fut dupe du verbalisme qui se cache sous la sélection naturelle, il ne vit en elle qu'une manière commode de raconter les faits ; mais, cherchant une explication des phénomènes en dehors de toute puissance mystérieuse, il erut un instant en trouver un premier essai dans lOrigine des Espèces. L'illusion ne dura pas. Avant même de connaitre en détail les œuvres de Lauarck, il adoptait le lamarckisme qui représente, Incon- testablement, la vraie méthode scientifique appliquée à la 3iologie. C’est là le fondement solide de l’œuvre de Le Daxrec. On ne l’a peut-être pas assez remarqué. Trop VII souvent, on a retenu des considérations à côté, relevé des détails de médiocre importance, sans voir ce qu'il y a de puissant dans la méthode même. A l'heure actuelle, emportés fort loin de la recherche des causes, les biologistes mar- ‘chent en foule dans le sillon Weismannien ; ils construisent des théories en inventant de toutes pièces le déterminisme de phénomènes mal étudiés et s’'éloignent tous les jours davan- tage de cette Science des physiciens que Le DaNTEc trouvait dans les écrits de Lamarcr et qu'il s’efforçait d'appliquer lui-même à tout instant. Ce fut là son enseignement. Il apportait à la Faculté le résultat de ses méditations. Se plaçant toujours à un point de vue élevé, mais demeurant clair, 1l exposait ses idées simplement, sans apprèt, avec une élégance naturelle et un ton persuasif qui retenait l'attention. inspirait respect et sympathie. II montrait la Biologie sous son aspect général, avec toutes ses conséquences, dans tous les domaines, trou- vant au moment opportun la comparaison qui frappe. Îl continuait ainsi à sa manière l’enseignement de Grarp, le maitre qu'il aimait tant. Son enseignement et son œuvre le passionnaient. Suivant son expression, il était un « croyant de la science ». Qui n’a point vécu dans l'intimité intellectuelle de Le DaAxTEC ne peut soupconner tout ce que ses méditations lui ont procuré de joies renouvelées el de bonheur constant. Toujours préoccupé de résoudre un problème nouveau, de trouver le fil conducteur qui lui permettrait de réaliser la vaste syn- thèse qu'il rêvait, il éprouvait un plaisir Intense quand il apercevait la bonne direction. Je le vois encore, la physio- nomie tout illuminée d’une austère gaieté, m'accueillant les mains tendues et me disant son enthousiasme : € Ah! jai beaucoup réfléchi durant les vacances: el cette fois, J'ai trouvé, je vais pouvoir exposer la Biologie tout entière ».….. Mais la guerre survint. Elle trouva Le DanTec assez souf- frant et faisant une eure d'altitude. Il part aussitôt pour VIIT Lannion où, avec toute la fougue d'un patriotisme ardent, il s'adonne aux soins des blessés : il se fait infirmier. Gette activité, autant que la secousse morale provoquée par les événements parut améliorer sa santé: 11 regagne Paris en novembre 191%, plein d'enthousiasme et se déclarant apte à supporter toutes les fatigues. Il se sentait « en forme », déclarait à ses amis, et ne parlait de rien moins que d'aller prendre place dans les tranchées. Se croyait-il vrai- ment remis? essayait-il de se tromper lui-même. Son atti- tude, ses gestes, ses paroles, traduisaient la foi d’un Fran- çails que rien n'abat et qui se donne sans réserves. Il éprouvait profondément le désir de prendre part à la Défense nationale avec tout ce qu'elle impose d'abnégation, et la manière simple, mais si fortement pensée, avec laquelle il S'exprimait à ce sujet était à la fois touchante et émou- vante. Ses désirs dépassaient de beaucoup ses forces. IF dut se borner à une activité limitée et, pour se rendre utile, se fit, au Val-de-Gràce, préparateur de vacein. Cette besogne même eut raison de sa résistance physique : il fallut Pabandonner, et ce fut encore trop tard : le mal était fait. Le Danrec lui-même ne nourrissait guère d'illusions, mais il gardait avec autrui sa physionomie souriante et ses propos opti- mistes, acceptant l'inévitable avec sérénité, sans forfanterie, comme il avait accepté, sa vie durant, et sans tenir compte de ses sentiments, toutes les conclusions qui S’imposaient à lui. Ses proches et ses amis ont le droit de ne point partager cette noble sérénité. Ceux-là seuls qui ont vécu un instant aux côtés de Le DaxTec peuvent mesurer et comprendre l'étendue de notre deuil. Ami sincère, ami loyal, ami sûr et dévoué, infiniment bon, Le Daxrec était toujours prèt à donner son temps et sa peine pour ceux qui avaient son amitié; il les aidait en toute occasion et se dépensait sans compter. Nature droite, généreuse et scrupuleusement hon- nête, esclave de la parole donnée, il ne consentit jamais à IX faire la moindre démarche qui put engager sa dignité. Toute son ambition consistait à poursuivre la vérité scientifique, sans arrière-pensée et en dépit des contingences. Jaloux de son indépendance, il ne s’abaissa point au rôle de sollici- teur. Il avait une horreur particulière de ceux qui, cher- chant des succès de carrière, n'hésitent point à s'engager dans des voies louches et tortueuses. À ceux-là 1l disait leur fait, parfois brutalement, et ne leur pardonnait jamais, car il ne comprenait pas qu'il y eut rien au-dessus de Phonneur et de la vérité. Il ne comprenait davantage n1 la Jalousie, ni l'envie : il se déclarait, pour lui-même, toujours satisfait de ce qu'il possédait. Ille répétait volontiers : « Je suis peut- être l’un des seuls hommes qui n'aient rien à envier à per- sonne, tout ce que j'ai entrepris ayant réussi au delà de mes espérances. Je me considère comme un des favoris de la for- tune ; J'ai eu pour maîtres les hommes les plus éminents; j'ai été entouré de gens agréables et honoré de précieuses affections. Je suis un satisfait, et je ne désire rien de plus querceque Jdboy(): Le Daxrec se trouve tout entier dans cette déclaration. Il fut un homme, au sens le plus élevé du mot. S'il a donné, par ses livres, un modèle de méthode scientifique appliquée à la Biologie, par lui-même il a été un bel et rare exemple d'une grande intelligence alliée à une grande valeur morale. ÉTIENNE RABAUD. Liste chronologique des publications de Félix LE DANTEC 1. Recherches sur la digestion intra-cellulaire chez les Protozoaires. Thése pour le Doctorat ès sciences, et Bulletin scientifique de la France et de la Belgique, t. XXII, 1891, p. 261. 2. Recherches sur la symbiose des Algues et des Protozoaires. Annales de l'Institut Pasteur, t. VI, 1892, p. 190. 3. Nole sur quelques phénomènes intra-cellulaires. Bulletin scientifique de la France et de la Belgique, t. XXV, 1893, p. 398. 4. Etudes biologiques comparatives sur les Rhizopodes lobés et réticulés d’eau douce. Bulletin scientifique de la France et de la Belgique, t. XXVI, 1894, p. 56. (!) L'Egoisme seule base de toute société, p. 13. x 5. Le fonctionnement des tissus. Bulletin scientifique de la France et de la Belgique, t. XXX, 1897, p. 177. ; 6. La Matière vivante. £ncyclopédie scientifique des aide-mémoire, 1895. 7. Sur l’adhérence des amibes. C. À. Acad. Sc., 1895. 8. Les Sporozoaires el particulièrement les Coccidies pathogènes. Æ£ncyclo- pédie scientifique des aide-mémoire, 1896. 9. La Bactéridie charbonneuse. Æncyclopédie scientifique des aide- mémoire, 1896. 10. Théorie nouvelle de la vie. Bibliothèque scientifique internationale, 1896. 414. La forme spécifique. Encyclopédie scientifique des aide-mémoire. 1897. 12. Le déterminisme biologique et la personnalité consciente. Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1897. 43. L'individualité et l'erreur individualiste. Bibliothèque de philosophie. contemporaine, 1898. 44. Evolution individuelle et hérédité. Bibliothèque scientifique interna- tionale, 1898. 15. La sexualité. Bibliothèque scientifique, 1899. 16. Lamarckiens et Darwiniens. Bibliothèque de philosophie contempo- raine, 1899. 17. Le conflit, entretiens philosophiques. Librairie Armand Colin, 1901. 18. L'unité dans l'être vivant. Essai d’une biologie chimique. Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1902. 19. Traité de Biologie. Librairie Félix Alcan, 1903. 20. Les lois naturelles, réflexions d’un biologiste sur les sciences. Biblio- thèque scientifique internationale, 1904. 21. Lesinfluences ancestrales. Bibliothèque de philosophie scientifique, 1905. 22. Introduction à la Pathologie générale. Librairie Félix Alcan, 1906. 23. La lutte universelle. Bibliothèque de philosophie scientifique, 1906. 24. L'athéisme. Bibliothèque de philosophie scientifique, 1906. 25. Eléments de philosophie biologique. Nouvelle collection scientifique. 1907. 26. De l'Homme à la Science. Bibliothèque de philosophie scientifique, 1907. 27. Les limiles du connaissable. La vie et les phénomènes naturels. Biblio- thèque de philosophie contemporaine, 1908. 28. Science et conscience. Bibliothèque de philosophie scientifique, 1908. 29. Physiologie. Dans le volume : De La Méthode dans les Sciences, Paris, Alcan, 1909. 30. La crise du 7ransformisme. Nouvelle collection scientifique, 1909. 31. L'égoisme, seule base des sociétés. Bibliothèque de philosophie scien- tifique, 1911. 32. Le chaos et l'harmonie universelle. Bibliothèque de philosophie con- temporaine, 1911. 33. Contre la métaphysique, questions de méthode. Bibliothèque de philo- sophie contemporaine, 19#2. 34. La définilion de la science. Librairie Larousse. 35. La science de la vie. Bibliothèque de philosophie scientifique, 1912. 36. Le mécanisme de la vie. Bibliothèque de culture generale, 1913. 37. Savoir. Bibliothèque de philosophie contemporaine, 1917. 38. Le problème de la mort et la conscience universelle. Bibliothèque de culture générale, 1917. XI Cette bibliographie ne tient pas compte d'un très grand nombre d'articles publiés par F. Le Danrec dans diverses Revues. La plupart de ces articles ont été repris intégrale- ment dans l’un ou l’autre des volumes de la liste précé- dente, leur indication ferait donc double emploi. Quelques- uns peut-être n’ont pas été repris, Mais il était fort difficile de retrouver les uns et les autres. F. Le Danrec collaborait d’une facon régulière à la Revue philosophique. à la Revue Larousse. à la Revue du mois, à Biologica; 11 a également écrit dans le Mercure de France, la Grande Revue, la Revue Scientifique. E: R. Emile GUYENOT RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR LA VIE ASEPTIQUE ET LE DÉVELOPPEMENT D'UN ORGANISME (DROSOPHILA AMPELOPHILA) EN FONCTION DU MILIEU Analyse et précision des facteurs externes. Leur importance dans l'étude de l'Hérédité et de l'Evolution (Pancues I À IV) SOMMAIRE AVANT-PROPOS. INTRODUCTION. Première partie. —LEM ÉCANISME DE L'ÉVOLUTION ; THÉORIES ET FAITS I. — THÉORIES BASÉES SUR L'«HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS ». Conception de Lamarck. — Conception de F. Le Dantec. — Autres conceptions lamarckiennes. — La théorie de Weismann et la non hérédité des caractères acquis II — FAITS ET EXPÉRIENCES RELATIFS A L'HÉRÉDITÉ DES CARAC- TÈRES ACQUIS. {er groupe d'expériences : Action directe possible sur le germen : a) Variations liées à des changements de température. — b) Variations liées à l'action des rayons X. — c) Variations _ dices à l'action du climat. : 2e groupe d'expériences : Action sur le germen exercée nécessaire- ment par l'intermédiaire du soma : 4) Variations liées à des changements de nourriture. — b) L'hérédité des mutilations. Démonstration indirecte de l'hérédité des caractères acquis. IL. — ÉTUDE CRITIQUE DE L’ « HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS » Soma et germen, leurs corrélations : a) Hérédité des effets de l'usage et du non usage. Les animaux obscuricoles aveugles ; Régression des aîles chez les insectes. — b) Héredité des muti- 2 E. GUYÉNOT lations. — c) Hérédité des variations liées aux infections ou intoxications. — d) Hérédité des variations liées à l'action des autres facteurs du milieu. IV. — LES VARIATIONS D'ORIGINE INTERNE ET L'ADAPTATOIN SECON- DAIRE PAR SÉLECTION. L'origine des variations et la sélection d'après Darwin. Critique. L'origine des variations et des espèces d’après Weismann. Critique. La théorie de la mutation de De Vries. Critique. Conclusion. V. — L'ÉTUDE EXPÉRIMENTALE MODERNE DE LA VARIATION ET DE L'HEREDITE. Variations individuelles et variations héréditaires. — Les « muta- tions » et leurs modalités héréditaires. — Mutations et croise- ments : a) Hérédité constamment intermédiaire. — b) Hérédité mendélienne ou alternative. — Croisement et patrimoines héré- ditaires. — Les unités héréditaires. — Le support anatomique de l’hérédité. VI. — APPRÉCIATION PERSONNELLE SUR LES BASES ACTUELLES DE LA SCIENCE DE L’EVOLUTION. 40 La structure de l’œuf et le patrimoine héréditaire. 20 La nature des unités héréditaires. 30 Les facteurs externes et la variation. L'origine des variations germinales. Non hérédité des « caractères acquis ». 40 Le mécanisme de l’adaptation. Conclusion. Deuxième partie. — RECHERCHES EXPÉRIMENTALES SUR DROSOPHILA AMPELOPHILA. PRÉCISION DES CONDITIONS EXTERNES PAR L'ÉLE- VAGE ASEPTIQUE ET SUR MILIEUX NUTRITIFS ARTIFICIELS. VII. — ÉLEVAGE ASEPTIQUE DE DROSOPHILA AMPELOPHILA : PRÉCI- SION BACTERIOLOGIQUE DU MILIEU. Modifications du milieu produites par les microorganismes. — Importance des microorganismes pour le développement de mou- ches autres que les Drosophiles. — La vie aseptique est-elle pos- sible ? Historique. Technique utilisée pour rendre aseptiques les élevages. 10 Le matériel ; la manipulation aseptique des mouches. — 20 Pas- sage d'élevages septiques à des élevages sur une levure en cul- ture pure. — 30 Passage des élevages sur levure pure aux éle- vages aseptiques. — 40 Contrôle de l'asepsie des élevages. Avantages des élevages aseptiques. Précision des autres conditions du milieu : température, humidité, éclairement, composition de l'atmosphère. VIII. — ÉLEVAGES DE DROSOPHILA AMPELOPHILA ASEPTIQUES SUR MILIEU NUTRITIF ARTIFICIEL. PRÉCISION CHIMIQUE DU MILIEU. Nécessité d'entreprendre ces recherches avec des élevages asepti- ques. — Choix de la méthode à employer. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 3 Essais de constitution d'un milieu nutritif artificiel par voie synthé- tique. Expérience préliminaire. Importance de lélaboration des réserves du tissu adipeux ; la ques- tion de l’origine des graisses. a) Influence des sels minéraux. — b) Influence de la réaction du milieu. — c) Détermination du taux optimum de peptone. — d) Influence des hydrates de carbone : amidon, dextrine, glyco- gène ; glucose, lévulose : autres sucres. — e) Influence des grais- ses où de leurs constituants : graisses naturelles, graisses pures. — f) Influence des lipoides. — q) Influence des nucléo- protéides. — h) Influence des substances extractives. Conclusion de cette première série d'expériences. Quelques observations : croissance larvaire et métamorphose. — Pupaison et métamorphose proprement dite. — Parésie des larves élevées sur milieux artificiels. — Différences individuelles el sélection. IX. — ESSAIS DE CONSTITUTION D'UN MILIEU NUTRITIF ARTIFICIEL PAR VOIE ANALYTIQUE. L’aliment naturel, la levure. —- Levure dégraissée et graisses de levure. — Extrait alcoolique de levure. — Autolysats de levure : re, 2 et 3° séries d'expériences. Conclusion de ces trois séries d'expériences. Production des graisses du tissu adipeux aux dépens des albumi- noides, dans certaines conditions. Essais d'isolement de la substance nécessaire contenue dans l’auto- lysat : extrait alcoolique d’autolysat filtré; extraits alcooliques divers. Essai des autolysats de foie. — Essai des bouillons de levure et de foie. — Essai de diverses substances : acides amidés; nucléo- protéides et leurs dérivés; substances extractives. Utilisation des hydrates de carbone et des graisses en présence ou en l’absence d’autolysat. La structure du tissu adipeux et l'élaboration des réserves sur les divers milieux artificiels Conclusion. Troisième partie. — LE ROLE DU MILIEU DANS L'ÉTUDE DE LA FÉCON- DITÉ ET DE LA FERTILITÉ DES DROSOPHILES : LES FACTEURS HÉRÉDITAIRES ET LES FACTEURS ACTUELS. X. — LES FACTEURS HÉRÉDITAIRES DE LA FÉCONDITÉ ET DE LA FERTILITE. Hérédité de la fécondité. Hérédité de la fertilité chez Drosophila ampelophila. a) Elevage en lignée pure (inbreeding) et fertilité. Recherches de Castle et ses collaborateurs, de Mœnkhaus, de R. R. Hyde. Conclusion. b) Croisements entre lignées de fertilité différente. Recherches de Castle, de R. R. Hyde, de N. Wentworth. Conclusion. E- GUYÉNOT XI. — RECHERCHES PERSONNELLES SUR LES FACTEURS EXTERNES DE LA FÉCONDITÉE ET DE LA FERTILITÉ. Comportement des Drosophiles sur milieu pauvre et sur milieu riche. — Influence des conditions de nutrition des larves sur le développement des glandes génitales. — Influence de Ja nutrition des larves ou des adultes sur la fécondité. — Influence d’autres conditions du milieu sur la fécondité. — Influence du milieu sur les facteurs physiologiques de la fécondité : inhibition de la ponte : actions stimulatrices; l’accouplement et le déterminisme de la ponte. Influence des conditions du milieu sur la fertilité. Accouplement : aptitude des gamètes à la fécondation et avortement des œufs ; mortalité des larves et des pupes. Conclusion de la troisième partie. CONCLUSION. AVANT-PROPOS Les recherches qui sont l’objet de ce travail ont été poursui- vies au Laboratoire d’Evolution des Etres Organisés de la Faculté des Sciences de Paris, depuis l’année 1908 jusqu'en août 1914, période à laquelle elles ont été brusquement interrompues par la mobilisation. La nécessité dans laquelle je me suis trouvé de les abandonner a été d’autant plus regrettable que cer- taines séries d’expériences, entreprises depuis plusieurs années, m'avaient alors fourni des résultats assez concluants pour me donner la certitude que je touchais enfin à la solution complète des problèmes posés. Bien que nombre des points envisagés n'aient pu, par suite, être étudiés jusqu’au bout, je me suis décidé à publier les résul- tats que j'avais jusqu'alors obtenus, parce qu’ils m'ont paru être cependant suffisants pour démontrer la thèse que je m'étais proposé de soutenir. Les conditions dans lesquelles je me suis trouvé, lors de la rédaction de ce travail, loin du Laboratoire et des ressources des grandes bibliothèques universitaires, auront sans doute entraîné bien des lacunes dans les exposés bibliogra- phiques, ainsi que dans la revue générale des théories de l'Evo- lution qui constitue la première partie de cette publication. Je crois cependant avoir réussi à éviter des omissions essentielles. Les réflexions qui n’ont conduit à entreprendre celles que je considère comme les plus importantes, parmi mes recherches expérimentales sur les Drosophiles — élevages aseptiques et sur milieu artificiel défini — sont nées au cours d’un travail «L'appa- reil digestif et la digestion de quelques larves de mouches », effectué en 1906-1907, au Laboratoire de Zoologie de la Faculté des Sciences de Besançon, sous la direction de M. le professeur L. Crrarponnez-SaLce. Je ne saurais dire tout ce que je dois à ce savant maître, qui m'a toujours honoré de son amitié et qui m'a fait comprendre, dès le début de ma carrière scientifique, que le véritable biologiste ne se contentait pas d'étudier les êtres vivants au seul point de vue morphologique, mais s’'efforçait d'en 6 E. GUYÉNOT scruter le fonctionnement, d’en déceler les relations avec ce qui les entoure, en un mot les regardait « vivre ». A Paris, le regretté professeur A. Grarp voulut bien s’intéres- ser à mes travaux qu'il m'engagea vivement à poursuivre. Il me fit l'honneur de me proposer d'entrer dans son Laboratoire, en qualité de préparateur, me permettant ainsi de continuer mes recherches et de profiter de tout ce qu'avait de si prodigieuse- ment fécond la fréquentation inoubliable de ce grand biologiste. Ce m'est un devoir bien agréable d’adresser ici mes plus vifs remerciements à mes maîtres et amis du Laboratoire d'Evolution qui ont grandement facilité ma tâche. L’enseignement de M. le professeur CaULLERY m'a puissamment aidé dans le travail énorme que représentait un exposé des théories de lEvolution, même réduit à ses parties essentielles. Mon ami, M. RaBauD m'a apporté le concours de son sens critique si judicieux et m'a beaucoup encouragé à poursuivre des recherches parfois décevantes. IT a eu, de plus, lPobligeance d’entretenir les lignées de Drosophiles aseptiques que j'avais dû abandonner dès le début de la guerre. À M. le professeur Cn. PEREZ, je dois, en ce qui concerne l'interprétation des coupes de larves et de pupes, des conseils précieux. Mon collègue et ami M. En. BoRDAGE à bien voulu m'aider dans la recherche des indications bibliogra- phiques. Bien qu'il soit encore loin de nous, retenu en pays envahi, je ne saurais oublier ici mon ami et collaborateur A. Deccourr, avec lequel j'ai travaillé pendant plusieurs années et dont les travaux ont toujours été menés, dans la suite, parallèlement aux recherches que j'effectuais. Bien des idées que l’on trouvera exposées dans ce travail sont nées, en quelque sorte, au cours des conversations et des discus- sions qui réunissaient presque quotidiennement la petite famille scientifique, qu'abritaient les vieux murs du Laboratoire de la rue d’Ulm, si vétuste, si pauvre, si dénué des ressources moder- nes, mais où, du moins, il a été beaucoup pensé et duquel il est sorti tant de travaux remarquables. Je terminerai en adressant mes remerciements à la Société de Biologie et aux administrateurs du legs Commercy pour les sub- ventions qui m'ont été accordées et sans lesquelles je n’aurais pu poursuivre utilement les recherches que j'avais entreprises. INTRODUCTION Autant la notion du transformisme a progressé depuis le Jour où elle fut introduite par Lamarck, au point d’être aujourd’hui considérée comme un des faits les mieux établis de la biologie générale, autant le mécanisme de l’évolution des êtres organisés est resté plongé dans l’obscurité. Il semble pourtant que l’étude expérimentale de évolution, inaugurée depuis quelques années seulement, commence à jeter quelques lumières sur ce problème. Déjà, en effet, nous disposons, grâce à cette orientation nouvelle, de données positives dont le nombre et la portée apparaissent d'autant plus considérables, qu’on les met en regard des conclu- sions incertaines et contradictoires qu’un demi-siècle de discus- sions théoriques passionnées a léguées à la biologie moderne. Des deux grands courants d'idées ayant trait à l'explication de l'évolution des êtres vivants — ceux que l’on désigne globalement et un peu arbitrairement sous les dénominations de lamarc- kisme et de weismannisme — aucun, en effet, n’a réussi à prévaloir d’une façon définitive. Il y a d’ailleurs entre les deux conceptions un irréductible désaccord qui naît davantage de l'orientation, de l'éducation scientifique des esprits qui en ont été les promoteurs ou s’en font les défenseurs, que des faits sur lesquels on prétend les appuyer. Les lamarckiens, raisonnant en physiologistes, envisagent l’or- ganisme moins dans sa structure que dans son fonctionnement. L'origine des variations leur paraît résider dans Îles perturbations que produisent, dans les échanges incessants des êtres vivants avec leur milieu, les modifications survenues dans les conditions extérieures. À la base de leur explication de l'hérédité des varia- tions, ils placent l'unité fonctionnelle fondamentale de l'orga- nisme et l'unité constitutionnelle de la substance vivante répan- due dans ses différents éléments cellulaires. L'adaptation générale des organismes à leur milieu leur apparaît comme le S E. GUYÉNOT résultat, devenu héréditaire, des adaptations fonctionnelles indi- viduelles de leurs ancêtres. Avec une mentalité de morphologistes, les weismanniens S'ap- pliquent, au contraire, à décomposer l'organisme en une série de parties indépendantes, de caractères. L'organisme ne serait qu'une somme, une mosaique de caractères. De même la sub- stance vivante, bien loin de posséder l’unité de structure que lui attribuent les lamarckiens, serait décomposable en autant de par- ticules indépendantes qu'il y a de caractères indépendants. Les variations seraient le résultat des mutations fortuites survenues dans ces particules, sans aucune relation nécessaire avec les con- ditions du milieu. L'adaptation que nous constatons actuellement serait le résultat du tri, survenu au cours des temps, entre les variations adéquates aux conditions d'existence et les non-adé- quates, celles-ci ayant fatalement disparu. Par leur orientation générale, ces deux points de vue sont done profondément opposés. Les discussions passionnées qu'ils ne pouvaient manquer de soulever ont eu le mérite incontestable de montrer leur absence réciproque de valeur explicative géné- rale. Par contre, leur caractère de discussion d’écoles devait exer- cer la plus fâcheuse influence sur la nouvelle science expérimen- tale. Bien des expériences ont été entreprises moins pour voir ce qui se passerait, que pour recueillir hâtivement une preuve de plus en faveur de la théorie adoptée, ou un résultat de nature à embarrasser l’adversaire. Les premières expériences de croise- ments avant paru confirmer les vues théoriques de WEIsman, nombre de biologistes se sont jetés un peu aveuglément dans le camp anti-lamarckien et n’ont plus cru utile de tenir aucun compte des conditions extérieures dans leurs expériences. Persuadés de la toute puissance du milieu, comme facteur d’évo- lution, des lamarckiens se sont empressés d’en apporter de soi- disant preuves expérimentales qui, lorsqu'on les analyse, se mon- trent sans valeur, par suite de limprécision de la méthode employée. Quelle que soit la question que l’on se propose de résoudre, qu'il s'agisse de rechercher si une variation est d’origine interne ou externe, si elle est ou non héréditaire, il est cependant évi- dent que nous nous trouvons nécessairement en présence de deux termes, l'organisme et le milieu, que nous n'avons ni le droit ni RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 9 la possibilité de séparer. Vouloir étudier expérimentalement un organisme sans tenir aucun compte du milieu est une erreur fon- damentale, la méthode expérimentale étant avant tout une science des conditions. Ce que le fondateur du positivisme disait des expé- riences physiologiques de son époque peut s'appliquer, avec plus de force encore, aux expériences biologiques modernes. « En effet, écrivait A. Core, les phénomènes vitaux dépendent, par leur nature, de deux ordres bien distincts de conditions fonda- mentales, les unes relatives à lorganisme lui-même, les autres au système ambiant. De là, ce me semble, résultent nécessaire- ment deux modes nettement différents d'appliquer la méthode expérimentale, en introduisant tantôt dans lorganisme et tantôt dans le milieu des perturbations déterminées. L’altération du milieu tend constamment, il est vrai, à troubler lorganisme, en sorte qu'une pareille division peut paraître impraticable, mais il faut considérer que l'étude de cette réaction constituerait par elle-même une partie essentielle de l'analyse proposée, indépen- damment de Pexploration directe des effets purement physiologi- ques, ce qui permet évidemment de maintenir une semblable division.., jusqu'ici les principales séries d'expériences tentées en biologie appartiennent presque exclusivement à la première de ces deux catégories générales, c’est-à-dire qu’elles sont essentiel- lement relatives à une perturbation artificielle de Forganisme et non du milieu, sans qu'on se soit, d’ailleurs, occupé le plus sou- vent de maintenir le milieu dans un état invariable. Or il importe de remarquer, en principe, que ce mode d'expérimentation doit précisément être d'ordinaire le moins rationnel, parce qu'il est beaucoup plus difficile d’y satisfaire convenablement aux condi- tions fondamentales ci-dessus rappelées » (1). Lorsqu'un physicien veut préciser le déterminisme d’un phé- nomène, 1l s'arrange pour produire ce phénomène dans des con- ditions aussi simples et aussi connues que possible. Si le phéno- mène paraît dépendre d’une série de conditions, 1l s'efforce de les rendre toutes constantes, sauf une qu'il pourra faire varier à son gré. Si, toutes choses égales d’ailleurs, il constate qu'à chaque variation de la condition étudiée correspond une variation de même sens du phénomène, il sera assuré qu'il existe entre les (!) A. Couvre. Cours de Philosophie posihive, L. IT, p. 170 et sq. Schleicher, édit 10 E. GUYÉNOT deux termes considérés un rapport nécessaire. Par une série d’approximations, il arrivera à connaître dans quelle mesure telle ou telle condition intervient dans le déterminisme du phé- nomène. Sans doute, si Fon voulait appliquer aux recherches biologi- ques cette méthode expérimentale rigoureuse, une pareille entre- prise pourrait apparaître, au premier abord, comme purement chimérique. Les organismes sont d’une complexité effroyable qui défie toute analyse. Nous avons pu débrouiller une partie des innombrables liaisons qui en unissent fonctionnellement les par- ties, mais cette étude est incomplète ; nous ne savons encore rien de la structure de la substance vivante, si ce n’est qu’elle est d’une invraisemblable complexité. La connaissance scientifique du milieu est elle-même une œuvre essentiellement aride. Nous savons définir un degré thermique, un degré hygrométrique, mais nous sommes le plus souvent incapables de saisir les différences précises existant entre tel ou tel aliment, de dire par exemple en quoi une albumine de vache différe d’une albumine de cheval. Enfin la connaissance de l'organisme et du milieu, en la supposant réalisée, ne serait pas suffisante. Il serait nécessaire, pour préciser les liaisons qui existent entre ces deux termes, de pouvoir, dans chaque cas, et à chaque instant, saisir la nature exacte des échanges entre l'organisme et le milieu. Il ne suffit pas de donner à un organisme un certain aliment. Il faut savoir si celui-ci est ou non absorbé, en tout ou en partie, ce que les parties absorbées deviennent dans cet organisme. Depuis des années, des physiologistes s’acharnent à résoudre ce problème et lon sait que s'ils ont obtenu des résultats de la plus haute importance, ceux-ci ne sont encore que très fragmentaires. Si une telle rigueur expérimentale est évidemment impratica- ble, ce serait cependant un incontestable progrès que de simpli- fier autant que possible les conditions d’un phénomène d’évolu- üon de façon à pouvoir en mieux saisir la nature et le détermi- nisme. Nous ne pouvons guère préciser la nature de lorganisme qu'en nous astreignant à partir d'individus élevés en lignée pure, c’est-à-dire de constitution aussi semblable que possible. Par contre, la connaissance des conditions du milieu peut être poussée beaucoup plus loin ; il doit être possible d'assurer la constance de ces conditions et de faire varier à volonté certaines d’entre RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 11 elles, de substituer à un milieu inconnu un milieu connu, de remplacer des variations mal définies de ce milieu par des varia- tions définies. C’est en partant de ces idées directrices que je me suis pro- posé d’abord de voir dans quelle mesure une semblable maîtrise des conditions extérieures était réalisable, ensuite de rechercher si des expériences, entreprises dans des conditions aussi précises que possible, permettraient de résoudre certaines questions encore pendantes, entre autres celle si importante de la part du milieu dans la genèse des variations héréditaires. Il suffit de réfléchir un instant, précisément à ce dernier pro- blème, pour se rendre compte qu’il ne peut être résolu que par une méthode d’expérimentation précise. S'il existe des variations dont la nature héréditaire ou non héréditaire ne fait pas de doute, même en l'absence d’une connaissance parfaite du milieu, il en existe beaucoup d’autres où cette détermination demeure tout à fait incertaine. En sélectionnant des mouches présentant des variations dans la nervation des ailes, Dezcourr a pu élever pro- gressivement le pourcentage des individus porteurs de cette variation Jusqu'à 90 p. 100, mais ce taux n’a pu être maintenu et s’est abaissé brusquement. En l’absence de conditions de milieu absolument constantes, il est impossible de saisir si cette variation est héréditaire ou dépend uniquement de conditions actuelles, ni de préciser dans quelle mesure la constitution des organismes et le milieu peuvent intervenir simultanément dans sa production. Seule la méthode expérimentale, telle que je viens de la définir, me paraît susceptible d'éclairer définitivement le problème de l'origine des variations héréditaires, qui est le pro- blème fondamental de Pévolution. Ce travail n’a nullement la prétention de résoudre cette der- nière question, mais il comprend une série de recherches qui constituent, à mon avis, les prolégomènes nécessaires à l’étude vraiment fructueuse de la genèse des variations héréditaires. Une première partie, constituée par une revue d'ensemble des théories de l’évolution et des faits sur lesquels elles s’appuyent, nous montrera la nécessité de refaire des expériences relatives à l’action des facteurs externes sur le patrimoine héréditaire des organismes, dans des conditions de précision que lon n'a encore jamais tenté de réaliser. 12 E. GUYÉNOT Une deuxième partie, comprenant lPexposé d’une série de recherches originales, nous convaincra de la possibilité — dans le cas particulier d’un organisme, la Drosophile — de préciser le milieu et d'arriver à une maîtrise presque absolue des conditions externes, ce qui ouvre un champ immense d’investigations expé- rimentales, capables de résoudre le problème de lorigine des variations héréditaires. Une troisième partie, relative à l’étude de particularités héré- ditaires, telles que la fécondité et la fertilité des organismes, faite soit dans des conditions de milieu imprécises, soit dans des con- ditions de milieu constantes et connues (travaux personnels), nous convaincra de la supériorité de ce dernier mode de recher- ches, en ce qui concerne l'étude de lhérédité. Seule cette dernière méthode de travail me paraît en effet sus- ceptible de faire réaliser, à l'heure actuelle, à la science de évolution, des progrès notables. Les recherches modernes, dérivant en ligne droite des travaux de Naupix et de MENDEL sur les résultats du croisement entre individus de races différentes, conduisent en effet à des conclusions qui rendent si peu compte de l’évolution des êtres vivants au cours des siècles passés, qu'elles sont en quelque sorte la négation d’une semblable évolu- tion. Ce n’est pas en étudiant comment se comportent, au cours des croisements, des particularités héréditaires que lon pourra saisir l’origine de ces particularités. Celles-ci font, en effet, partie intégrante du patrimoine héréditaire et se présentent avec une apparence de fixité qui semble contraire à toute possibilité d’évo- lution. Le vrai problème à étudier, c’est celui de l’origine des variations héréditaires nouvelles. Si celles-ci ne dépendent que de causes internes fortuites, évolution se présente comme une suite d’inéluctables fatalités, devant lesquelles lexpérimentateur restera désarmé. Si, au contraire, certaines d’entre elles au moins sont liées à l’action de causes extérieures, il restera au biologiste la possibilité de produire de telles variations, d’en étudier la genèse et par suite d'arriver à une explication du transformisme. Celui- ci, quoi qu'il parût résulter de certaines recherches modernes, reste basé sur un ensemble de faits suffisant pour qu’on puisse le considérer comme la seule hypothèse capable de rendre compte actuellement de la série des modifications présentées, au cours des temps, par les êtres vivants, PREMIÈRE PARTIE LE MÉCANISME DE L'ÉVOLUTION ; THÉORIES ET FAITS Une théorie de l’évolution des êtres vivants, si elle veut embrasser ce phénomène dans son ensemble, doit présenter la solution d’un triple problème dont les éléments sont d’ailleurs en connexion étroite. En premier lieu, elle doit nous faire con- naître l’origine des variations héréditaires, sources vives de la transformation des organismes, les variations strictement indivi- duelles, c’est-à-dire non transmissibles aux descendants, n’ayant aucune valeur évolutive. Un deuxième problème est celui du mécanisme de la transmission aux descendants des variations des parents, c’est-à-dire de l'hérédité. IT est enfin indispensable d'expliquer comment l’évolution des organismes, basée sur l’exis- tence de ces variations héréditaires, a pu aboutir à cette adapta- tion très générale que présentent actuellement les espèces aux conditions du milieu dans lequel se déroule lexistence des êtres qui les constituent. En ce qui concerne Porigine des variations, celle-ci a été cher- chée surtout soit dans des changements des conditions externes, soit dans des modifications internes de la substance germinale ; à ces conceptions correspondent deux sortes de facteurs de la variation, les facteurs externes et les facteurs internes. Les théories de l'évolution accordent une importance prépondérante, soit aux facteurs externes, soit aux facteurs internes ; souvent elles font intervenir exclusivement les uns ou les autres. Entre ces deux points de vue, en apparence irréductibles, il \ a cependant place pour une position moyenne, basée sur un éclectisme raisonné et qui est, à mon avis, la seule attitude scien- üfique à adopter pour le moment. Cet éclectisme, dirigé par un sens critique affiné, fut d’ailleurs une des caractéristiques de l’en- seignement donné au Laboratoire d'Evolution des Etres orga- nisés, par mon maître, M. le Professeur M. CAULLERY, qui a exercé sur la genèse des idées que lon trouvera exprimées au cours de 14 E. GUYÉNOT ce travail une influence considérable. Ces leçons, qui n’ont mal- heureusement pas été publiées et qui ne sont connues que d’un nombre restreint d’auditeurs, ont eu le mérite incontestable d’at- tirer l’attention des jeunes biologistes sur toute une série de questions qui avaient suscité à l'étranger une véritable floraison de recherches expérimentales et qui, en France, étaient restées à peu près confinées dans le domaine des investigations théo- riques. La cause en est que pour beaucoup d’entre nous le lamarckisme se présentait comme la conception la plus séduisante, parce que seule capable de se prêter à des vérifications expérimentales, susceptibles d'éclairer efficacement le problème de Evolution. Les facteurs internes, mis en œuvre dans la théorie weismannienne, paraissaient, au contraire, inaccessibles à l'expérience et devoir rester pendant longtemps encore dans le domaine de la théorie. Les résultats obtenus par les recherches biométriques, les éleva- ges en lignées pures, la science des croisements, ont montré pourtant que le mendélisme constituait un admirable instrument d'analyse de la constitution héréditaire des organismes et per- mettait, sans cependant en préciser la nature, d'atteindre et en quelque sorte de manipuler ces facteurs internes, les faisant ainsi entrer dans le cadre de la science positive. La confrontation des résultats obtenus dans ces nouveaux domaines de la biologie avec les conceptions traditionnelles a d’ailleurs déterminé une véritable crise de la philosophie biolo- gique au point de faire remettre en question, non seulement les diverses explications proposées du mécanisme de Pévolution, mais l'hypothèse transformiste elle-même. Les hésitations qui caractérisent la période actuelle et la con- clusion qu'il faut en tirer ont été nettement exposées dans la remarquable leçon d'ouverture que M. CauLcery (10) faisait récemment aux Etats-Unis en qualité d’exchange professor à l'Université Harvard et que je voudrais pouvoir citer presqu’en entier : « Les auteurs qui étudient spécialement l’hérédité mendé- lienne se voient conduits à ramener tous les faits observés à des combinaisons de facteurs déjà existants ou à la perte de facteurs, conception qui me paraît bien être une conséquence du symbo- lisme posé, mais qui n’est guère satisfaisante pour lesprit. En tout cas on ne voit pas, dans les faits qui se dégagent de l'étude RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 15 du mendélisme, comment a pu s'accomplir l'Evolution, telle que la suggère la morphologie. « Et il arrive que certains des biologistes qui font le plus auto- rité dans l’hérédité mendélienne en viennent, en ce qui regarde Evolution, soit à un agnosticisme plus ou moins complet, soit à l'expression d'idées tout à fait en opposition avec celles de la génération précédente de biologistes, idées qui nous ramène- raient, peu s'en faut, au fixisme et au créationnisme. « Le lamarckisme, comme le darwinisme, sont également atteints par elles. L'hérédité des caractères acquis est condamnée et la sélection naturelle déclarée impuissante à produire un chan- gement durable et progressif des organismes. Les faits d'adapta- tion sont expliqués par une réalisation préalable des structures qui se trouvent secondairement en harmonie avec les divers milieux... » Aussi n’est-il pas étonnant de voir des hommes comme BATESON « exprimer l'idée que l’évolution pourrait être considérée comme le déroulement progressif d’une complexité initiale, contenant, dès l’abord, en elle-même, toute l'étendue, la diversité et toute la différenciation offertes actuellement par les êtres vivants » tandis que Lorsy en vient « à la conclusion que l'espèce est fixe » et que le croisement est la seule source de productions nouvelles. « Quelques subversives et décevantes, fait remarquer M. CauL- LERY, que des idées de ce genre, positives ou négatives, appa- raissent aux générations imprégnées du lamarckisme et du dar- winisme, il ne faut pas perdre de vue qu'elles sont formulées par des biologistes éminents, qu’elles résultent chez eux de longues et minutieuses recherches expérimentales, et que beaucoup de faits sur lesquels ils s'appuient peuvent être considérés comme solidement acquis. « Mais sans songer à s’insurger contre les faits qui se déga- gent des études de génétique, il est permis de se demander s'ils ont une portée aussi générale. J'ai déjà, dans ce qui précède, à une ou deux reprises, indiqué que l’état actuel des conditions de Phérédité ne nous obligeait pas à conclure qu’elles avaient tou- Jours été les mêmes. Il reste à se demander aussi, si certaines conditions, qui n'ont pas été réalisées jusqu’à présent dans les expériences, ne modifient pas, soit la substance germinale elle- même directement, soit les corrélations entre les parties du soma 16 E. GUYÉNOT et, indirectement par elles, la substance germinale. Les faits que commence seulement à révéler l'étude des sécrétions internes, indiquent peut-être une possibilité de ce genre. En admettant même que PEvolution ne se produise que d’une façon discontinue par mutations, il reste à trouver le mécanisme de la production de ces mutations. Bref, il n’est pas interdit de penser que, l’hérédité et les variations se comportant comme les recherches récentes l'ont montré, il n’en existe pas moins des conditions encore inconnues et qui n’ont été réalisées, pour chaque série d'organis- mes, qu'à certaines périodes, ainsi que semble le suggérer la paléontologie, où la constitution et les propriétés de la substance héréditaire changent. Certes ce sont là des conjectures purement hypothétiques. Mais il faut en faire de cet ordre, si l’on veut con- ciler deux catégories de données acquises actuellement et que lon doit considérer également comme des faits : d’une part les résultats de la génétique moderne, qui, en eux-mêmes, amènent à des conceptions fixistes, et d'autre part, l'ensemble des don- nées morphologiques qui, envisagées d’un point de vue rationnel, me paraissent aussi avoir la valeur brutale de faits à l’appui de la conception transformiste ; j'ajouterai même, à l'appui d'un transformisme plus ou moins lamarckien. » Il y a quelque témérité, au moment où la science de PEvolution se trouve ainsi amenée à un tournant décisif, à tenter une revue d'ensemble des théories élaborées en vue d'expliquer cette évolu- tion, pour les confronter ensuite avec les résultats inattendus apportés par les récentes investigations expérimentales. Si ardue que soit la tâche, elle n’en paraît que plus attrayante et plus opportune ; il n'entre pas cependant dans mes intentions d’ex- poser d’une façon systématique toutes les théories de Evolution. Mon but est simplement de dégager des principales d’entre elles les points essentiels, de les juger à la lumière des données posi- tives de façon à conserver ce qui paraîtra définitivement acquis et à rejeter ce qui est incertain ou manifestement erroné. De cette revue entreprise sans aucune idée préconçue, sans chercher à faire prévaloir un point de vue plutôt qu'un autre, il me sera peut-être possible d'extraire quelques-unes des bases sur lesquel- les pourra être assis l’édifice futur et qui devront servir d'indica- tion pour l'établissement de recherches expérimentales vraiment fructueuses. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 17 THÉORIES BASÉES SUR IL’ « HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS » C’est aux facteurs externes, c’est-à-dire aux conditions de milieu, que les biologistes devaient naturellement rapporter tout d’abord l'origine des variations héréditaires et par suite de Pévo- lution des organismes. Cette tendance tient à deux ordres de faits. ù C’est, en premier lieu, une donnée d'observation courante que les êtres vivants varient individuellement en fonction des circon- stances extérieures. Il faudrait un volume pour exposer les innom- brables faits de variations des individus sous l'influence du climat, de la température, de l'humidité, de Paltitude etc. ainsi que les preuves expérimentales qui en ont été fournies. Nous pouvons, d’ailleurs, trouver en nous-même la démonstration quotidienne de notre dépendance des conditions extérieures. Nous nous modi- fions suivant le climat ou les saisons, suivant l'alimentation, les substances toxiques ou médicamenteuses que nous ingérons, les germes infectieux qui nous contaminent, suivant les conditions d'exercice physique ouintellectuel. Toutce que nous appelons éduca- tion n’est que le résultat de l’action du milieu, y compris les autres êtres qui en font partie, sur le développement de notre organisme. D'une façon générale, la plupart des variations que déterminent ainsi dans les individus les modifications pas trop considérables des conditions extérieures sont compatibles avec la survie, ou même sont nettement adaptatives. La plante transportée dans un climat sec subit une série de modifications qui ont pour effet de diminuer la transpiration, d’emmagasiner et de conserver plus facilement l’eau devenue rare. Nos glandes digestives adaptent la composition des sucs qu'elles secrètent à la nature des aliments ingérés. À la raréfaction de l'oxygène dans les hautes altitudes, organisme répond par une hyperglobulie qui en compense les effets. De même la longueur des branchies des tétards est en rai- son inverse de la quantité d'oxygène dissout dans l’eau. Les par- » 18 HE. GUYÉNOT ties qui fonctionnent s’hypertrophient, ce qui facilite le fonction- nement ultérieur ; la présence de microbes pathogènes déclenche dans l'organisme les mécanismes d’où résulte, dans les cas heu- reux, l’immunité. Les travées osseuses fabriquées par les ostéo- blastes pendant l’ontogénèse ou au cours de la consolidation d’une fracture sont orientées suivant la direction des lignes de pression ou de torsion auxquelles Pos devra le plus souvent résister. Sans doute il existe des variations dangereuses ou incompatibles avec la survie (anaphylaxie, mort par hyperthermie dans les maladies infectieuses, etc...), mais 1l n’en demeure pas moins qu'un très grand nombre des variations présentées actuellement par les orga- nismes sous l'influence des conditions externes sont adaptatives,. Cette constation nous amène tout naturellement à un deuxième ordre de faits : l'adaptation très générale non plus des individus, mais des éspèces animales ou végétales à leur milieu. Cette adap- tation se trouve souvent réalisée par un luxe de moyens décon- certant, ét par une modification des parties dans le sens même du fonctionnement utile. Il suffit de songer aux multiples et cor- rélatives particularités morphologiques et physiologiques qui caractérisent les oiseaux bons voiliers, les mammifères marins, les animaux coureurs, fouisseurs, sauteurs, carnassiers, insecti- vores, rongeurs, édentés, granivores, les plantes aquatiques ou des climats secs, les êtres parasites, pour évoquer une immense série d’adaptations remarquables. Ces adaptations sont telles que des organismes appartenant à des lignées d’origine très différente, mais vivant dans les mêmes conditions de milieu, arrivent à présenter une extraordinaire res- semblance, par convergence, par similitude de leurs caractères adaptatifs héréditaires. Comment, après cela, ne pas être amené à penser que ladap- tation de la lignée n’est autre chose que le résultat, transmis héréditairement, de ladaptation individuelle des ancêtres aux conditions extérieures ? Ce sont, nous allons le voir, ces idées directrices qui ont inspiré Lamarck, lorsqu’à une époque où l’état de la biologie n’en permettait pas la critique, le fondateur du transformisme formula, pour la première fois, une conception d'ensemble du mécanisme de Pévolution des êtres vivants. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 19 Conception de Lamarck J’exposerai avec quelque détail les vues de Lamarck, parce qu’elles ont au moins un grand intérêt historique. Je le ferai, autant que possible et pour ne pas déformer sa pensée, comme cela est arrivé si souvent, au moyen d’une série de citations. L'évolution des êtres vivants dépend de deux facteurs, le temps et les circonstances : «© Il paraît, comme je l'ai déjà dit, que du temps et des circonstances favorables sont les deux principaux moyens que la nature emploie pour donner l’existence à toutes ses productions... » (1). 1° Le temps : « On sait que le temps n’a point de limite pour elle (la nature) et qu’en conséquence elle Pa toujours à sa dispo- sition » (°). « Je sais bien que pour nous l'apparence doit présenter à cet égard une stabilité que nous croirons constante, quoiqu'elle ne le soit pas véritablement; car un assez grand nombre de siècles peuvent être une durée insuffisante pour que les mutations dont je parle soient assez fortes pour que nous puissions nous en apercevoir » (°). 2° Les circonstances : « Les principales naissent de l'influence des climats, des variations de température de l'atmosphère et de tous les milieux environnants, de la diversité des lieux, de celle des habitudes, des mouvements, des actions, enfin de celle des moyens de vivre, de se conserver, se défendre, se multiplier, cl etes 22» (0). Ces circonstances peuvent donc se classer en deux catégories : les conditions extérieures proprement dites, d’une part; d'autre part les réactions fonctionnelles des organismes (habitudes, mou- vements), qui sont à la base de la conception des effets de l'usage et du non usage. A) Les conditions extérieures « L'influence des localités et des températures sont si frappan- (‘) Discours de lan VII, p. 27 (Bulletin scientif. France et Belgique, t. XL, 1907). (2) Discours de l’an VIII, p. 27. Id. (* Discours de l’an X, p. &r. Id. {(*) Biscours de l'an VII, p. 27 Id. 20 E. GUYÉNOT tes, que les naturalistes n’ont pu s'empêcher d'en reconnaitre les effets sur l’organisation, les développements et les facultés des corps vivants qui y sont assujettis. « On savait depuis longtemps que les animaux qui habitent la zone torride sont fort différents de ceux qui vivent dans les autres zones... (1) ». « Tous les Botanistes savent que les végétaux qu'ils transpor- tent de leur lieu natal dans les jardins pour les cultiver, y subis- sent peu à peu des changements qui les rendent à Ja fin mécon- naissables. Beaucoup de plantes, très velues naturellement, y deviennent glabres ou à peu près ; quantité de celles qui étaient couchées et traînantes, y voient redresser leur tige; d’autres y perdent leurs épines ou leurs aspérités ; enfin, les dimensions des parties y subissent des changements que les circonstances de leur nouvelle situation opèrent immanquablement. Cela est telle- ment, reconnu que les Botanistes n’aiment point les décrire à moins qu'elles ne soient nouvellement cultivées... (?) ». « Lorsque le ranunculus aquatilis habite dans des eaux profondes, tout ce que peut faire son accroissement, c'est de faire arriver l'extrémité de ses tiges à la surface de l’eau où elles fleu- rissent. Alors la totalité des feuilles de la plante n’en offre que de finement découpées. Si la même plante se trouve dans des eaux qui ont peu de profondeur, laccroissement de ses tiges peut leur donner assez d’étendue pour que les feuilles supérieures se développent hors de l’eau ; alors ses feuilles inférieures seulement seront partagées en découpures capillaires, tandis que les supé- rieures seront simples, arrondies, et un peu lobées. Ce n’est pas tout, lorsque les graines de la même plante tombent dans quelque fossé où il ne se trouve plus que l’eau ou lhumidité nécessaire pour les faire germer, la plante développe toutes ses feuilles dans l'air, et alors aucune d’elles n’est partagée en découpures capil- laires, ce qui donne lieu au ranunculus hederaceus, que les Bota- nistes regardent comme une espèce » (*?). Lamarcx cite également l'exemple de juncus Bufonius, qui s'il est appelé à vivre dans l’eau prend une forme différente, décrite comme une espèce, le Juncus supinus. () Discours an X, p. 77. () Discours de l'an X, p. 81. (%) Discours de l’an X, p. 82. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 21 « Que sont nos fruits cultivés, ajoute Lamarck, notre froment, nos choux, nos laitues, etc... si ce n’est le produit des mutations que nous avons opérées nous-mêmes sur ces végétaux, en chan- geant par notre culture les circonstances de leur situation ? Qu'on les trouve maintenant quelque part en cet état, dans la nature! (!) » B) abitudes : usage, non usage. Par suite des diverses influences, constituant Îles facteurs externes, « … les facultés s'étendent et se fortifient par l’usage, se diversifient par les nouvelles habitudes longtemps conservées, et insensiblement la conformation, la consistance, en un mot, la nature et l’état des parties, ainsi que des organes, participent des suites de toutes ces influences, se conservent et se propagent par la génération ». « L'oiseau que le besoin attire sur Peau pour y trouver la proie qui le fait vivre, écarte les doigts de ses pieds lorsqu'il veut frap- per l’eau et se mouvoir à sa surface. La peau qui unit ces doigts à leur base, contracte par là Phabitude de s'étendre. Ainsi avec le temps, les larges membranes qui unissent les doigts des canards, des oies etc... se sont formées telles que nous les voyons ». Mais celui que la manière de vivre habitue à se poser sur les arbres a nécessairement à la fin les doigts des pieds étendus et conformés d’une autre manière. Les ongles s’allongent, s’aigui- sent et se courbent en crochets « pour embrasser les rameaux sur lesquels l’animal se repose si souvent (*) ». « Il m'est aisé de faire voir que habitude d'exercer un organe dans tout être vivant qui n’a pas atteint le terme de la diminu- tion de ses facultés, non seulement perfectionne cet organe, mais même lui fait acquérir des développements et des dimensions qui le changent insensiblement; en sorte qu'avec le temps, elle le rend fort différent du mème organe considéré dans un autre être vivant qui ne l’exerce point ou presque point. IT est aussi très facile de prouver que le défaut constant d'exercice d’un organe l’'appauvrit graduellement et finit par Panéantir. « Si, à deux enfants nouveau-nés et de sexes différents, l’on !) Discours de lan XI, p. 104. ?) Discours de l’an X, p. 74. { ( to © 2 E. GUYÉNOT masquait l'œil gauche pendant le cours de leur vie : si ensuite on les unissait ensemble, et l'on faisait constamment la même chose à l’égard de leurs enfants, ne les unissant jamais qu'entre eux, je ne doute pas qu'au bout d’un grand nombre de générations, l'œil gauche chez eux ne vint à s’oblitérer naturellement et insen- siblement à s’effacer. Par la suite même d’un temps énorme, les circonstances nécessaires restant les mêmes, l’œil droit parvien- drait petit à petit à se déplacer. « Mettons cela en évidence par la citation de faits connus. Des yeux à la tête sont une partie essentielle du système d’orga- nisation des mammaux. « Cependant la taupe, qui par ses habitudes fait très peu d'usage de la vue, n’a que des yeux très petits et à peine appa- rents, parce qu'elle exerce très peu cet organe. « L’aspalax d'Olivier (Bulletin des sc., n° 38, p. 105) qui vit sous terre Comme la taupe et qui vraisemblablement s'expose encore moins quelle à la lumière du jour a totalement perdu l'usage de la vue. Aussi n’offre-t-il plus que des vestiges de lor- gane qui en est le siège ; et encore ces vestiges sont tout à fait cachés sous la peau et sous quelques autres parties qui les recou- vrent et ne laissent plus le moindre accès à la lumière. En revan- che, le besoin d’entendre ayant contraint ce petit animal à exer- cer continuellement son ouïe, a fortement agrandi en lui l'appareil intérieur de cet organe ({) ». Lamarck cite encore le cas des animaux sans dents (fourmilier, oiseaux), des échassiers, de la corne des pieds des quadrupèdes, de la séparation des doigts des grimpeurs, l'adaptation des ani- maux domestiques, etc. Enfin nous trouverons dans une dernière citation lassurance que ces modifications dues aux circonstances sont susceptibles d'être transmises aux descendants..C’est la première expression de l'Aérédité des caractères acquis : « Or, chaque changement acquis dans un organe par une habitude d'emploi suffisante pour lavoir opéré, se conserve ensuite par la génération, s’il est commun aux individus qui dans la fécondation concourent ensemble à la reproduction de leur espèce. Enfin ce changement se propage et passe ainsi dans tous les individus qui se succèdent et qui sont soumis aux mêmes (t) Discours de l’an X, p. 73-74. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 23 circonstances, sans qu'ils aient été obligés de l’acquérir par la voie qui l’a réellement créée (°) ». Telles sont les grandes lignes de la conception de LamaARcKk. On voit tout de suite que si cette théorie est basée sur des varia- tions individuelles d’origine externe dont l'existence est incontes- table, elle n’explique nullement comment ces variations indivi- duelles sont susceptibles de se retrouver identiques chez les descendants. On se heurte immédiatement à des difficultés que, répétons-le pour ne pas paraître en faire une critique, LamaRCK n'avait pas à prendre en considération à son époque, mais qui, aujourd'hui, nous apparaissent primordiales. Tout ce que nous ont appris la physiologie des êtres vivants, comme l’embryologie et la tératologie expérimentales, nous per- met bien d'affirmer que la vie manifestée, aussi bien pendant le développement ontogénique que chez les individus adultes, dépend des échanges incessants entre l'organisme et son milieu. L'étude de l'un ne se comprend pas sans la connaissance de l’autre, car c’est de ces deux termes que dérivent la forme et le fonctionnement d’un être vivant à un moment quelconque de son existence. Le problème qui se pose incessamment est, par suite, de savoir dans quelle mesure, telle ou telle morphologie, telle ou telle variation dépendent de la constitution de lorga- nisme et des conditions de l'environnement. On peut être assuré que l’un et l’autre de ces facteurs interviennent, mais avec des valeurs différentes. Lorsqu'au contraire nous passons de l’étude d’un être vivant considéré individuellement à celle de sa lignée, c’est-à-dire lors- que nous passons du point de vue physiologique au point de vue évolutif, rien ne nous permet d'affirmer, à priort, que l’évolution de cette lignée dépend nécessairement, et dans la même mesure, du conflit existant entre les divers individus et le milieu. Certains auteurs vont même jusqu’à nier toute dépendance de l'évolution de la lignée vis-à-vis du milieu, tandis que Lamarck rattache presque exclusivement cette évolution aux circonstances exté- rieures. Il est vraisemblable que ces deux points de vue sont également faux en raison de leur exclusivisme. Nous pouvons, en tout cas, affirmer que toute théorie qui, sans preuve positive, (1) Discours de l’an X, p. 77. 24 E. GUYÉNOT rattache l’évolution des êtres aux circonstances extérieures, en se basant sur le fait qu'il en est ainsi au cours du développement individuel, est basée sur une analogie non démontrée. Nous devons donc exiger la preuve irréfutable que les varia- tions individuelles d’origine externe sont bien des variations héréditaires. Si oui, nous serons en droit d'attendre qu'on nous explique par quel mécanisme une variation individuelle, en appa- rence locale, exerce sur les cellules génitales une action telle que cette variation réapparaisse chez les descendants, même si les conditions extérieures qui lui ont primitivement donné nais- sance font défaut. À la vérité, cette deuxième question est moins importante que la première. Si le caractère héréditaire des varia- tions incriminées était démontré péremptoirement, le fait que nous ne comprenions pas par quel mécanisme cela peut être réalisé mesurerait seulement notre ignorance, et ne pourrait être présenté comme une critique. Cette réserve faite, voyons comment un lamarckien moderne, que double un sens profond de la biologie générale, F. Le Dax- TEC, conçoit le mécanisme de l’évolution des êtres vivants. Conception de KF. Le Dantec La caractéristique de la vie manifestée est Passimilation, c’est- à-dire l'accroissement d’une substance vivante de composition donnée, aux dépens des aliments empruntés au monde extérieur, tout en conservant sa constitution physico-chimique propre. Tant qu'une cellule assimile, c’est-à-dire tant qu'elle fonctionne, il n’y a aucune place pour une variation réelle. [l peut tout au plus survenir des variations apparentes, dues aux substances rési- duelles (réserves, tissus squelettiques) variant avec les divers aliments, mais la composition de la substance vivante reste intacte. Lorsqu'au contraire, la substance vivante cesse de fonc- tionner et n’assimile plus, elle est objet d’une destruction qui, selon toutes chances, détruira inégalement les différents élé- ments qui la constituent. Au bout d’un temps donné, cette usure inégale aura modifié les proportions de ces divers élé- ments. Si, à ce moment, une nouvelle assimilation est possible, l’être assimilera en gardant la nouvelle constitution. Il y aura RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 25 done eu variation quantitative, ou si, plus exceptionnellement, une substance constituante à changé de nature, variation quali- tative. Les variations de la substance vivante dépendent donc étroite- ment des conditions extérieures, puisque celles-ci déterminent les périodes de fonctionnement ou de repos, mais elles sont con- ditionnées, d’une façon encore plus stricte, par les conditions internes, puisqu'en dernière analyse elles ne sont que le résultat d’une destruction inégale, et effectuée un peu au hasard, des dif- férents constituants de la cellule vivante. Les variations qui ont ainsi pour siège les différents plastides qui constituent un organisme, s'effectuent dans tous les sens. Comment se fait-il que les variations globales de l'animal soient généralement adaptatives ? Ceci est dû exclusivement aux condi- tions dans lesquelles s'opère la sélection entre les différents plastides. Dans un organisme polyplastidaire, les rapports entre les plastides sont réglés par les phénomènes de corrélation et de coordination. La corrélation résulte du fait que tout plastide d’un animal exerce sur le milieu intérieur et conséquemment sur tous les autres plastides une influence indéniable : « il sera impossible qu’un ou plusieurs éléments varient sans que tous Îles autres subissent plus ou moins le coutre-coup de cette variation et varient eux-mêmes plus ou moins (!) ». Il faut, d'autre part, qu'à chaque instant le fonctionnement -des différents plastides et la corrélation qui en résulte soient tels que lanimal puisse continuer à vivre, c'est-à-dire qu'ils n’empêchent pas la coordination, « lagencement général des parties du corps qui fait que, abandonné à lui-mème, dans un milieu donné, ce corps renouvelle son milieu intérieur dune part et d’autre part évite jusqu'à sa mort toutes les chances de destruction (°) ». La forme du corps à un moment donné est donc une consé- quence directe de la constitution chimique des plastides (à chaque constitution correspond une forme d'équilibre donnée) et de l’action des circonstances extérieures. Lorsque les circonstances n’obligent pas lorganisme à modi- fier sa coordination, c'est-à-dire à fonctionner de façon à prendre {‘) Le Daxrec. Zvolution individuelle et hérédité, p. 4. (2):Le Daxrec. loc, cit., p. 4. 26 E. GUYÉNOT une forme différente, la corrélation intérieure se maintient grâce à une double sélection. L’assimilation fonctionnelle, en entrete- nant la coordination, conserve à chaque tissu son caractère topo- graphique propre (muscle, épithélium, glande, etc...) ; d’autre part les plastides ayant varié de façon nuisible, incompatible avec les conditions réalisées à ce moment, disparaissent. Seuls persistent ceux qui ont une constitution compatible avec ces conditions. Les circonstances extérieures viennent-elles à changer, et par suite l'être vivant est-il tenu, sous peine de mort, de modifier sa coordination générale, la double sélection opère de la façon sui- vante. L’assimilation fonctionnelle donne, à chaque tissu, un caractère topographique adéquat à la nouvelle coordination de individu ; la sélection dans le milieu intérieur tend à adapter l’ensemble des éléments à la nouvelle forme du corps, de façon à produire une corrélation compatible avec la nouvelle coordina- tion générale. Cette transformation est lente et graduelle. Au fond, cette adaptation directe, individuelle des orga- nismes pluricellulaires aux circonstances extérieures ne se réalise que « parce que la sélection naturelle choisit, dans leurs élé- ments histologiques, ceux qui correspondent à cette adaptation individuelle de Fensemble ». Une des caractéristiques du système-de Le Danrec, c’est donc la part considérable qu'il donne à la sélection entre éléments histologiques, sélection qui n’est pas, à proprement parler, le résultat d’une lutte entre plastides plus ou moins aptes, mais une façon d'exprimer le fait qu’un plastide qui par sa constitu- tion est en dehors de la coordination générale ne fonctionne pas, par suite se détruit, tandis qu'un plastide qui par sa consti- tution est conforme à la coordination générale fonctionne, c’est- à-dire assimile et peut se multiplier. Le fait de l'adaptation résulte simplement de ce que toute variation, incompatible avec la coordination, si elle ne disparaît pas, entraîne la mort et qu'il n'est dès lors plus question de l'être ainsi détruit. Voyons maintenant comment les variations acquises peuvent être héréditaires. L'œuf renferme toutes les substances qui se trouveront dans les différents plastides qui en proviendront. Ces substances com- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 21 munes à tous les éléments d’un être, c’est le patrimoine hérédi- taire. Cest ce patrimoine qui détermine la forme de l'animal ; à chaque patrimoine correspond une forme d'équilibre déter- minée. Inversement, nous avons vu que sous l'influence des circons- tances extérieures, la forme d’un animal pouvait changer et que, conséquemment, par sélection, la constitution chimique des plastides intéressés variait de façon à permettre la nouvelle coordination. Mais aucune variation de plastide n’est à propre- ment parler locale. La corrélation fait qu'elle intéresse en même temps tous les plastides y compris les cellules reproductrices. Une modification morphologique, d'ordre colloïdal, entraine donc une modification de la constitution chimique de tous les plastides y compris les cellules reproductrices, la transformant petit à petit en une nouvelle constitution compatible avec la nouvelle forme générale du corps. Mais inversement la nouvelle constitution chimique de l'œuf déterminera pendant lontogénèse, précisément, par réversibi- lité, la nouvelle forme d'équilibre qui lui a donné naissance, même si les circonstances extérieures ne lexigent plus. L’hérédité des caractères acquis est donc basée sur lPunité de organisme et l’action réversible de /a forme sur la structure moléculaire et inversement. Comme on le voit, le système de Le Danrec se présente comme une suite de déductions parfaitement logiques. Bien entendu ce n’est pas n'importe quelle variation due aux circons- tances extérieures qui sera héréditaire. [ne peut être question de caractères acquis que pour des modifications définitives, suf- fisamment profondes pour se trouver inscrites au patrimoine héréditaire. Mais de telles modifications existent-elles? Pour l'auteur cela ne saurait faire de doute et il cite un exemple qui lui parait suffisamment démonstratif. Cet exemple, emprunté aux travaux du paléontologiste américain Hyarr, à trait à certaines particu- larités relevées dans Pévolution des céphalopodes fossiles. On sait que ceux-ci, après avoir été représentés par des formes droites ou simplement arquées, s’enroulèrent progressivement, formant une coquille à tours de spire de plus en plus serrés, puis 28 E. GUYÉNOT à la fin de leur évolution se déroulèrent, faisant retour à des formes droites ou arquées. Si on examine les coquilles adultes à tours de spire très serrés et engainés l’un dans lautre, on remarque l’existence d’un sillon dorsal qui épouse dans tous ses détails la forme du tour de spire sous-jacent, ce qui fait penser que le sillon est le résultat de linscription, par pression, des tours de spire les uns sur les autres. Or, chez les jeunes Cépha- lopodes, où lenroulement n’est pas encore aussi serré qu'il le sera chez ladulte, on remarque déjà lexistence du sillon qui peut être ainsi interprété comme la manifestation d’un caractère acquis chez les ancêtres par déformation mécanique et qui se développe maintenant par hérédité, avant que la cause méca- nique primitive soit à nouveau intervenue. Cette explication est évidemment la plus vraisemblable. Cepen- dant elle n’est peut-être pas définitive. On peut tout aussi bien penser que Pexistence du sillon, d’une part, de l’enroulement serré d'autre part, peut être le résultat de deux causes internes ayant agi simultanément, sans dépendre nécessairement l’une de autre, pour réaliser le type de Céphalopodes à tours de spire serrés et que lune de ces causes, au cours de l’ontogenèse, se trouve intervenir d’une façon plus précoce que Pautre. Autres conceptions lamarckiennes. J'ai cité longuement la théorie de Le Danrec parce qu’elle représente, actuellement, l’œuvre lamarckienne la plus cohérente, basée sur des notions de saine biologie générale et sur des déductions parfaitement logiques. Beaucoup d’autres auteurs ont formulé des théories incomplètes ou émis simplement leurs vues personnelles sur telle ou telle question. Dans un livre récent où il a démontré avec le plus grand talent, que toute la vie d’un être, de sa formation à sa mort, est le résultat des interrelations constantes existant entre l’orga- nisme et le milieu, Er. Ragaup (!) a indiqué, en quelques lignes et en passant, sa manière de voir, en ce qui concerne lhérédité des caractères acquis. Se basant sur lunité physiologique de l'organisme et sur la corrélation qui existe entre tous les élé- (1) Er. Rapaup. Transformisme el expérience. Félix Alcan, éditeur, RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 29 ments cellulaires, il pense que les actions intervenant sur une partie du corps se propagent de proche en proche, touchant aussi bien les éléments sexuels que tous les autres éléments de lindividu, si bien que tous les éléments, sans exception, acquièrent une constitution donnée qui se traduit nécessaire- ment, toutes choses égales d’ailleurs, par une forme donnée. Cette conception est, comme on Île voit, très voisine de celle développée par Le Daxrec. Pour TH. Moxraomery, les cellules différenciées du corps et les cellules sexuelles ont une constitution semblable, puisque les unes dérivent des autres. Elles doivent donc présenter les mêmes réactions générales. Or lorsqu'un être vient à être modifié sous l'influence des conditions extérieures, les cellules génitales sont nécessairement influencées dans le même sens que les autres cellules, puisque toutes sont en relation constante entre elles par le milieu intérieur. C’est également le milieu intérieur, c’est-à-dire le sang ou plus généralement les sucs de l'organisme, qui, d’après O. HerrwiG, Ragz, Kassowrrz, HarscHEck, conduit aux éléments génitaux les substances chimiques qui sont produites dans telle ou telle partie du corps modifiée sous l'influence des conditions exté- rieures. Ces substances déterminent des modifications de même sens dans les éléments génitaux. D’autres auteurs, tels que HeriNG, TorNier, invoquent surtout les relations nerveuses existant entre le corps et les cellules reproductrices, du moins chez les êtres pourvus d’un système nerveux. A côté de ces conceptions partielles, il convient de rappeler le système présenté par Core, dans lequel l’auteur reprenant, presque à la lettre, la conception de Lamarck décrit deux modes de variations, les unes produites par les actions exté- ricures (physiogenèse), les autres par les effets de l'usage et du non usage (cinétogenèse). L'hérédité des caractères acquis serait due à une certaine énergie, transmise du point excité aux cel- lules génitales où elle se transformerait en énergie de croissance et s’ajouterait aux énergies déjà existantes. A la génération sui- vante cette énergie nouvelle reproduirait, par réversibilité, les mêmes variations physiologiques que celles acquises par l’ancètre. Cette conception, purement hypothétique, ne fait pas faire un pas à la question. 30 E: GUYÉNOT Je citerai enfin la théorie de Semox qui identifie la mémoire, retour des processus psychiques, et lhérédité, retour des pro- cessus de croissance, L'une et Fautre propriété seraient dues à ce que la substance vivante peut, sous l'influence d’une excitation, subir une modification durable, grâce à laquelle l’état d’excita- tion se reproduira plus facilement qu'avant la première atteinte. Il serait prématuré d'essayer une critique de ces conceptions avant d’avoir en mains tous les faits expérimentaux permettant de porter sur elles un jugement bien assis. IT est cependant dans tous ces systèmes un point faible qu'il est indispensable de mettre en évidence dès maintenant. I a trait au mécanisme de l'hérédité des variations acquises qui est la clef de voûte de ces systèmes. Sans doute, il est certain que les cellules reproductrices ne sont pas isolées dans Pindividu et que, théoriquement, elles reçoi- vent le contre-coup, si atténué soit-il, de tout ce qui se passe dans le reste de l’organisme. Mais, en pratique, il est non moins évident qu’une variation, survenue dans un muscle ou un os, ne retentira pas nécessairement sur la substance génitale au point d'en modifier la constitution physico-chimique. Nous pouvons même affirmer qu'il n’en est pas ainsi, car, sans cela, il n’y aurait dans la nature ni espèces, ni races, ni même de lignées relati- vement stables. Dans un chapitre ultérieur nous chercherons à préciser les relations que présentent les éléments génitaux avec le reste du corps. Mais nous pouvons, dès maintenant, nous demander si la coordination générale, c’est-à-dire d’après Le Danrec lui-même, si l’agencement des parties qui permet à l’or- ganisme de renouveler son milieu intérieur et de continuer à vivre, serait bien gravement troublé au cas où le patrimoine héré- ditaire des éléments génitaux ne se mettrait pas en équilibre de constitution avec la plupart des autres plastides, si autrement dit la sélection entre plastides intervient ici nécessairement. Les éléments génitaux ne sont pas pour lindividu d’une nécessité aussi immédiate que le cœur, les vaisseaux, le poumon, le rein ou le corps thyroïde. Un être ne meurt pas du fait de la castra- tion et les modifications que produit celle-ci sont dues à la sup- pression des cellules interstitielles des glandes génitales et non à celle de la lignée génitale elle-même. L'unité de lorganisme RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 31 n'existe que dans la mesure où les parties sont en étroite inter- dépendance. Une lésion du corps thyroïde, par exemple, pourra déterminer au cours de l’ontogenèse des modifications impor- tantes. Il est peu vraisemblable qu’une section musculaire ou Pablation d’un orteil puisse retentir fortement sur lorganisme en voie de développement. Ce n’est, il me semble, que tout à fait exceptionnellement que des variations individuelles acquises pourront être assez pro- fondes pour devenir définitives, c’est-à-dire inscrites au patri- moine héréditaire. Peut-être mème ce retentissement spécifique sur les cellules reproductrices est-il impossible ? C’est le point de vue que nous allons voir soutenir par WEismanx dans sa célèbre critique de l’hérédité des caractères acquis. La théorie de Weismann et la non hérédité des caractères acquis. La caractéristique de la théorie de Weismaxx, du moins de celle qu'il a d’abord exposée dans ses £ssais sur l'Hérédité, réside dans la différence d'essence qu'il place entre les cellules du corps ou soma et les cellules germinales, et dans labsence de toute action possible du soma sur le germen, c’est-à-dire dans la négation de toute hérédité des caractères acquis. L'auteur est parti de la conception suivante : les Protozoaires se reproduisent indéfiniment, ils sont immortels. Chez les Méta- zoaires, au contraire, les cellules du corps sont susceptibles de se multiplier plus ou moins longtemps, mais elles ne peuvent pas reproduire un individu nouveau. Seules, les cellules génitales ont cette propriété ; seule leur lignée cellulaire transmet de génération en génération lPimmortalité des ancêtres unicellulai- res. Les deux catégories de cellules, cellules somatiques et cel- lules germinales, ont done une constitution différente, le soma ne renfermant que du plasma somatique, le germen seul con- tenant du plasma germinatif. Quelles relations existent entre ces deux plasmas ? Comment les plasmas somatiques dérivent- ils du plasma germinatif ? Qu'est-ce d’abord que ce plasma ger- minatif ? L’œuf qui va donner naissance à un individu est formé d’une substance de composition et de structure données qui détermine 32 E. GUYÉNOT tout Pavenir de l'individu. C’est le plasma germinatif transmis par les parents : « Depuis le moment où commencent les préli- minaires de la première segmentation de la cellule œuf, avenir de l'organisme est déterminé ; il est décidé s’il sera plus grand ou plus petit, s'il ressemblera au père ou à la mère; les détails même, et les particularités les plus minutieuses sont décidées. Cependant, on n’en peut douter, il reste encore un certain champ à laction des conditions extérieures d'existence qui viennent encore bien influencer l'organisme en développement, mais ce champ est restreint et ne forme qu'une petite région mobile, autour d’un point central fixe qui est fourni lui-même par lhé- rédité (!) ». Au cours de l’ontogénèse, les divisions cellulaires qui succè- dent l’une à l’autre ne sont pas égales. Le plasma germinatif se dissocie entre les différentes lignées de cellules, celle, par exem- ple, qui devra donner naissance à l’ectoderme emportant, à l'exclusion des autres, les parties qui conditionnent la formation des téguments et du système nerveux. Cet émiettement du plasma germinatif initial aboutit dans chaque cellule à la formation d’un plasma somatique qui ne comprend plus, du plasma germinatif, que les parties déterminant les caractères particuliers de cette cellule. Au cours de Pontogénèse, les plasmas présentent donc une simplification etune différenciation progressives. Il est cepen- dant une lignée cellulaire qui conserve intégralement le plasma germinatif initial, c'est celle qui aboutit à la formation des cel- lules génitales de l'individu. Seules, de tout le corps, ces cel- lules renfermeront tous les éléments du plasma germinatif ‘de l'œuf; seules, elles seront capables de reproduire à nouveau l'organisme en son entier. Il y à donc une opposition tranchée entre les cellules somati- ques et le germen. Ce germen est transmis d’ascendants à descendants, si bien que «les cellules germinatives des généra- tions successives se comportent comme une suite d'êtres unicel- lulaires qui résultent les uns des autres par le processus de la génération ». Les divers individus ne sont que des mailles suc- cessives de ce chainon. | Cette indépendance du soma et du germen étant admise, il ny (1) Weismaxx, Essais sur l’Hérédité, p. 153. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 29 a plus de place pour une influence de celui-là sur celui-ci. Il ne saurait être question d’'hérédité des caractères acquis. Les varia- tions somatiques présentées par un individu sous linfluence des conditions extérieures restent strictement somatiques et ne peu- vent être transmises à la lignée de ce plasma germinatif dont la continuité, à travers les générations, est la condition même de lhérédité. Sans doute, \VEISMANN ne nie pas d'une façon catégorique que le milieu et l’état du soma ne puissent exercer une influence sur le germen, mais cette influence est d'une nature bien différente de l'action spécifique que suppose la théorie de lhérédité des caractères acquis : « Les cellules génitales sont, en effet, conte- nues dans lorganisme adulte et les influences externes qui peu- vent agir sur elles sont essentiellement déterminées par l'état de l’organisme qui les recèle. S'il est bien nourri, les cellules géni- tales sont abondamment alimentées, et inversement, s'il est faible et maladif, elles ne se développent que d’une façon chétive, et l’on peut supposer que les influences de ce genre peuvent agir d’une façon plus spécialisée, c'est-à-dire agir sur certaines parties isolées, seulement, des cellules germinales. Mais ceci est, en vérité, tout autre chose que de croire, comme certains le vou- draient, que l'organisme peut transmettre aux cellules germinales les modifications qui lui ont été imprimées par les agents exté- rieurs, de telle sorte qu'elles se représenteront, à la génération suivante, au même moment et au même point de l'organisme que chez les parents (7) ». « Je suis très éloigné de soutenir, nous dit encore WEISMANx, que le plasma germinatif qui, dans ma théorie, passe d’une géné- ration à l'autre comme l’agent de l'hérédité, demeure absolument immuable ou tout à fait insensible aux influences provenant de l’organisme dans lequel il revêt la forme des cellules germina- üves. J'ai plutôt admis qu'une influence des organismes sur leurs cellules germinatives, influence capable de les modifier, est pos- sible et même jusqu’à un certain point inévitable... Un change- ment de croissance à la périphérie comme lostéome ne provo- quera jamais dans la structure moléculaire du plasma germinatif un changement tel que la disposition à Postéome soit accrue, et (1) Essais sur l'Hérédilé, p. 155. Êe 34 E. GUYÉNOT que par suite le fils hérite d’une sensibilité plus grande des os ou de l’os unique en question : la cellule germinative répondra sim- plement aux quelques changements dans lalimentation provo- qués par « l'accroissement à la périphérie » par un changement dans le volume, dans le nombre ou peut-être aussi dans la dispo- sition de ses éléments moléculaires. Que ce dernier cas puisse se réaliser, on a le droit d’en douter, mais en tout cas — si la chose est possible — la qualité du changement du plasma germinatif n’a rien à faire, avec la qualité du « caractère acquis », mais seule- ment avec son influence sur les conditions générales d’alimenta- tion (!) ». Le poids de la critique de Wagismanx est incontestable. Il semble, à raisonner avec lui, que l’hérédité des caractères acquis, qui paraissait si naturelle dans les théories précédentes, se heurte maintenant à un tissu d’invraisemblances. Seulement, et c’est le sort de toutes les vues théoriques, l'argumentation de WEismMaANN pèche par la base. Que l’hérédité des caractères acquis soit un phénomène rare et répondant à des conditions assez spéciales, cela est vraisem- blable: Mais sommes-nous en droit d’en nier l’existence en nous basant sur la séparation irréductible que l’auteur établit entre le soma et le germen ? Cette séparation ne serait-elle pas elle-même une simple vue de l'esprit ? Comment expliquer, si les cellules somatiques ne contiennent pas de plasma germinatif, qu'un fragment de feuille de Bégonia puisse engendrer une plante complète avec ses organes génitaux, qu'il en soit de même pour un morceau de tige de Troène, pour un tubercule de Pomme de terre, un bulbe d’Iris, ou l’écusson d’un Rosier greffé sur un églantier ? Comment comprendre que certains animaux se reproduisent par bourgeons, c’est-à-dire par des ilots de cellules somatiques, que d’autres, après avoir présenté une génération asexuée, redonnent une génération sexuée, que, de certains Vers coupés en deux, les deux tronçons régénèrent réciproquement les parties manquantes ? Devant les objections de cet ordre qui n’ont pas manqué de surgir, Wegismanx à dû admettre que les cellules somatiques pou- vaient, elles aussi, contenir en réserve du plasma germinatif et (!) Zssais sur l’Hérédité, p 168. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 35 dès lors ce fut tout l'échafaudage de sa théorie qui s’écroula. Sa conception de la prédétermination et de la différenciation progressive des diverses lignées cellulaires, au cours de l’ontoge- nèse — par réduction, à chaque nouvelle division, du plasma ger- minatif — n'apparaît pas plus exacte, depuis que lon a montré qu'un blastomère du stade deux ou même du stade quatre pouvait, dans certaines conditions, redonner lorganisme en entier et depuis que se sont accumulés les faits connus de régénération. Je ne crois pas utile pour le moment de prolonger la discus- sion entre les deux conceptions lamarckienne et weismannienne. Nous manquons pour les juger de la véritable base scientifique, des faits. Voyons si l’analyse de ces derniers fera pencher la balance dans un sens ou dans l’autre et nous permettra de con- clure pour ou contre l’hérédité des caractères acquis. Il FAITS ET EXPÉRIENCES RELATIFS A L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS Avant de passer en revue les faits relatifs à l’hérédité ou à la non hérédité des caractères acquis, 1l est important de préciser ce que l’on entend par caractères acquis de façon à définir les con- ditions auxquelles devra correspondre une expérience faite cor- rectement. Une première définition, au sens large, de lhérédité des carac- tères acquis serait celle-ci : Un individu ayant subi une variation sous l'influence du milieu, il en résulte une modification géné- rale de cet individu, y compris ses cellules génitales, qui se tra- duira, chez ses descendants, par quelque modification qui ne sera pas forcément identique, ni même analogue, à celle présentée par les parents. Une semblable définition exclut en réalité lhypo- thèse des caractères acquis proprement dits et ne rend plus compte du mécanisme de Padaptation. Au sens propre du mot, lhérédité des caractères acquis peut être envisagée de la façon suivante : Une variation donnée étant ©2 (æp] E. GUYÉNOT survenue dans un organisme sous linfluence de facteurs exter- nes, il en résulte une modification globale de cet organisme, y compris ses éléments génitaux, mais de nature telle que les des- cendants présenteront exactement, par réversibilité, la variation des parents. Ici, il faut encore envisager deux hypothèses. Dans un cas l'action extérieure porte uniquement, pour employer le langage weismannien, sur le soma et retentit secondairement, par l’inter- médiaire des variations somatiques, sur le germen. C’est le cas type de lPhérédité des caractères acquis. Dans l’autre cas Paction externe peut s'exercer simultanément et directement sur le soma et sur le germen, ou même presque exclusivement sur le germen. C’est le cas de certains agents physiques, tels que les rayons X, les variations de température du milieu, etc. On ne sait jamais alors s'il s’agit de variations somatiques transmises au germen ou de variations parallèles du soma et du germen. Pour qu’une expérience offre toutes les garanties désirables, il faudra donc : 1° Produire, par une modification connue du milieu, une variation donnée dans un organisme, en s’assurant que c’est bien à la modification des facteurs externes qu'est due cette variation. 2° Constater la réapparition chez les descendants d’une façon régulière, au moins pendant une ou quelques générations, de la variation observée chez les parents, même si les conditions anor- males du milieu ont été supprimées. Voyons maintenant les principaux faits qui sont apportés en faveur de la conception de l’hérédité des caractères acquis et con- statons tout d’abord que ces faits sont peu nombreux, que ce sont toujours les mêmes qui reviennent dans les discussions, ce qui tend à démontrer que leur fréquence est certainement moindre que bien des biologistes ne se le sont imaginés. Je diviserai ces faits en deux groupes : ceux dans lesquels lac- tion extérieure envisagée a pu agir simultanément et directement sur le soma et le germen (température, climat, rayons X, etc...), ceux dans lesquels l’action extérieure n’a pu influencer le germen qu'indirectement par l'intermédiaire du soma (variations dans l’alimentation, mutilations). RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 37 Premier groupe d'expériences : Action directe possible sur le germen 1° Variations liées à des changements de température. — En soumettant des chrysalides de Vanessa urticæ à un abaissement de température, Sraxpruss (53) observa que sur 2.000 chrysalides ainsi traitées, 4o donnèrent naissance à des formes aberrantes. Ces formes anormales, croisées entre elles, donnèrent plus de 2,000 chenilles qui furent élevées à la température ordinaire, mais dont 204 seulement aboutirent à l’adulte, par suite d’une circon- stance accidentelle. Parmi les 204 papillons, { présentaient une aberration semblable à celle des parents. Se basant sur son expé- rience personnelle, l’auteur estime qu’un semblable pourcentage, bien que faible, ne se rencontrerait jamais dans la descendance d'individus normaux. Aussi est-il porté à voir dans ce fait un cas d’hérédité. De même Fiscner (21), expérimentant sur des chrysalides d'Arctia caja, divisa un lot de 102 chrysalides de descendance normale en deux séries : 54 furent soumises aux conditions ordi- naires de température et ne donnèrent que des papillons nor- maux ; 48 furent soumises à l’action d’un froid intermittent de — 8°. De ces dernières, naquirent 41 papillons aberrants, chez lesquels les taches brunes des ailes antérieures et les taches noires dés ailes postérieures étaient plus où moins élargies. FISCHER accoupla un mäle et une femelle rendus ainsi mélaniques ; il en résulta 173 chrysalides qui donnèrent naissance d’abord à des papillons normaux, puis à des papillons éclos plus tardive- ment dont 17 étaient modifiés dans le sens des parents. Dans ces expériences et dans toutes les expériences analogues un fait frappe immédiatement. Il n’y à jamais qu'une faible par- tie des individus soumis à la modification de température qui présentent une variation. Pourquoi la modification du milieu, si elle est réellement la cause dela variation, ne la détermine-t-elle pas chez tous les individus qui y ont été soumis ? Sans doute on répondra qu'il y a toujours des variations dans la constitution des individus, que certains sont susceptibles de modifications, tandis que d’autres n’ont pas cette possibilité dans les mêmes condi- tions. Mais alors la variation du milieu ne serait-elle pas que Poc- 38 E. GUYÉNOT casion de la modification organique et celle-ci ne serait-elle pas déterminée chez les êtres qui la présentent, précisément par la constitution qu'ils possédaient avant lexpérience ? Cette interpré- tation est d'autant plus admissible que parfois les mêmes modifi- cations peuvent survenir chez les organismes de même espèce, aussi bien sous l'influence d’un abaissement que d’une élévation de température. Ces expériences manquent incontestablement de la précision nécessaire pour établir nettement le déterminisme des variations constatées. On peut notamment se demander si c’est bien le chan- gement de température qui a modifié les parents et si, d'autre part, les quelques descendants modifiés dans le sens des parents le sont bien par hérédité et non par suite de quelque influence extérieure méconnue. Les conditions du milieu sont évidemment trop mal définies pour que de telles recherches on puisse tirer aucune conclusion ferme. De très intéressantes expériences, qui toutefois n’échappent pas plus que les précédentes à lobjection de W£rsmaxx de l’action simultanée possible de l'agent extérieur sur le soma et le germen, ont été réalisées par KamMMERER (3/4), sur des Salamandres. Sala- mandra atra, qui vit dans les régions élevées, est vivipare tandis que S'alamandra maculosa vivant dans la plaine est ovipare. Chez S'alamandra atra, a plupart des œufs sont détruits par adelpho- phagie et seuls deux œufs évoluent, en donnant naissance à des petits qui sortent complètement développés de l'utérus maternel. Or, si on soumet ces Salamandres des régions élevées et froides à une température chaude (50°) et humide, le développement est accéléré, une dizaine d’œufs peuvent évoluer simultanément et il naît ainsi autant de tétards munis de branchies, comme dans le cas de Salamandra maculosa. Cette modification serait suscepti- ble de devenir héréditaire, car, une fois, cinq petits conservèrent le mode de reproduction acquis par les parents. En soumettant des Lacerta muralis à l'action d’une tempéra- ture élevée, Kammerer observa, chez les femelles, une variation progressive de la couleur et des dessins de la peau. Ces modifica- tions ne sont pas définitivement acquises chez les individus car, si on les remet dans les conditions ordinaires, ceux-ci repren- nent leur coloration primitive. Cependant, et vraiment le fait paraît extraordinaire, les jeunes d’une portée de ces femelles en RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 39 voie de modification auraient présenté une modification semblable à celle de la mère et dont l'intensité aurait été précisément celle que présentait le parent au moment de la reproduction. D’autres expériences de KammEeRER (33), où la modification de coloration des Salamandres était produite par le séjour sur des sols de couleur différente, aboutirent à des résultats comparables. On peut distinguer parmi les S. maculosa deux formes : lune appelée éypica est caractérisée par la distribution sans ordre des taches jaunes et noires des téguments ; {æniata est une autre forme où les taches confluent en bandes longitudinales, plus ou moins nettes, avec symétrie bilatérale plus ou moins accentuée. Sion prend de jeunes S°. {ypica très peu jaunes et qu’on les élève pendant trois à quatre ans sur un fond d’argile jaune, on constate une augmentation de dimension des taches jaunes préexistantes et la formation de taches jaunes nouvelles. Devenue adulte, la Salamandre, partie d’un état où le noir dominait, arrive à pré- senter surtout des taches jaunes. Inversement, de jeunes Sala- mandres très jaunes, élevées sur un fond de terre de jardin noire, deviennent de plus en plus noires, surtout sur la face dorsale. L'action de ces sols différents est complexe. L’agrandissement des taches jaunes ou noires déjà existantes s’observe aussi bien si le fond est constitué par du papier jaune ou noir. Cette action cesse, si la Salamandre est rendue aveugle. IT s’agit donc d'une adaptation directe à la teinte du milieu, au moyen d’un réflexe dont le point de départ est représenté par l’appareil visuel et dont le point terminal est constitué par les terminaisons nerveu- ses aboutissant aux chromatophores. Quant à lapparition de taches nouvelles, elle ne se produit que sur les fonds d'argile ou de” terre et se trouve en relation avec les conditions de sécheresse ou d'humidité. L’argile jaune est hygroscopique et l'humidité pro- voque précisément le développement des taches jaunes. Inverse- ment la terre noire est sèche et la sécheresse détermine lappa- rition de nouvelles taches noires. La descendance de ces Salamandres modifiées par ces actions complexes est très intéressante. Les descendants des Salamandres jaunies sont très nettement jaunes, même élevés sur un fond indifférent et les taches jaunes ont une symétrie bilatérale. Si on transporte ces jeunes Salamandres sur un fond d'argile jaune, on 40 E. GUYÉNOT obtient, par une sorte d'action cumulative, des animaux presque entièrement jaunes. Les descendants de Salamandres noircies se présentent aussi avec une prédominance de taches noires dispo- sées de chaque côté de la ligne médio-dorsale. L'existence de cette symétrie bilatérale tend à rapprocher ces animaux de la forme {œniata. Le même auteur, au cours d'expériences effectuées sur le Cra- paud accoucheur, Alytes obstetricans, aurait réussi à modifier l'instinct de ce Batracien, en le soumettant à certaines conditions de température et d'humidité. Bien plus cette transformation aurait été héréditaire et se serait comportée comme un caractère mendélien. Si, en etfet, on croise un mâle à instinct normal avec une femelle à instinct modifié, les descendants de première géné- ration présentent tous linstinct normal, tandis que parmi les hybrides de deuxième génération, on observe trois quarts d’ani- maux normaux et un quart d'animaux à instinct modifié. Il est incontestable que le jour où ces expériences auront pu être contrôlées, et auront été effectuées sur un nombre suffisant d'individus, elles présenteront, si toutefois leurs résultats sont confirmés, une importance qu'il serait puéril de nier. 2° Variations liées à l'action des rayons X. — Une variation de cet ordre a été observée par Maxrrep FRÆNKEL (22), sur des Cobayes. Cet auteur soumit à l’action des rayons X, pendant une demi-heure, une femelle de cobaye âgée de 4 jours. Cette femelle grandit moins vite que les témoins ; adulte, sa taille était vis-à-vis de celle des animaux normaux dans le rapport de 28 à 4o. Accouplée avec un mâle normal elle mit au monde 3 petits dont 1 mort-né ; les deux autres, un mâle et une femelle, se dévelop- pèrent lentement et restèrent petits. Accouplés entre eux, ils don- nèrent deux descendants dont Fun mourut et dont l’autre fut maintenu en vie, mais demeura encore plus petit que ses parents. La femelle irradiée donna encore, lors d’un deuxième croisement, trois descendants petits et très faibles, dont un seul resta en vie. Tous les essais de croisement ultérieurs demeurèrent stériles. L'action des rayons X parait donc avoir sérieusement touché l'ovaire et réduit, de ce fait, la fécondité de lPanimal, en même temps que la vitalité des descendants. Une particularité très curieuse fut observée : Panimal, soumis aux rayons X, avait perdu ses poils sur une certaine région de la RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 4 tête (sous l'influence des rayons ?). Or, chez ses descendants, l’auteur put observer l'existence de cette sorte de tonsure qui se reproduisit régulièrement et au même endroit. 3° Variations liées à l'action du climat. — Bien que Paction du climat soit la résultante d’une série de facteurs (température, humidité, luminosité, ete.), il est incontestable que la tempéra- ture en est le constituant le plus important. C’est pourquoi je range dans le premier groupe les variations liées aux change- ments de climat. D'ailleurs les expériences ont porté surtout sur des végétaux, dont les cellules sexuelles sont beaucoup plus extériorisées que chez les animaux et par suite plus exposées à l’action directe des différentes circonstances du milieu. Un exemple célèbre de variation sous l'influence du climat est relatif aux arbres de nos régions qui, transportés dans les pays chauds, cessent de perdre leurs feuilles, par suite de Fabsence de saison froide dans leur nouvel habitat. C’est ainsi que Deruer, se basant sur les affirmations de Garr- NER, rapporta en 1887 que les Cerisiers de nos-pays, importés à Ceylan, y avaient été transformés sous linfluence du changement de climat en arbres à feuilles persistantes. Discutant l’interpré- tation qu'il fallait donner de ce phénomène, Weismaxx demanda la preuve que la persistance du feuillage, chez le Cerisier, était bien transmise par graines et non par simples boutures. Weis- MANN na Jamais nié, en effet, que les individus puissent trans- mettre Pun à l’autre leurs caractères acquis, par voie de simple multiplication, et que dans ce cas, de mème que dans celui des Protozoaires, 1l y ait réellement hérédité des caractères acquis. La preuve réclamée par WEeisMaxN paraît avoir été fournie depuis par les très remarquables expériences d’'Ep. BorpaGE (6). Ce biologiste de haute valeur a expérimenté, à l'ile de la Réu- nion, non pas sur le Cerisier qui s’y reproduit mal, mais sur le Pècher qui s’y est fort bien acclimaté et y donne des fruits par- venant à maturité. On y rencontre des Pêchers à feuillage sub- persistant, c’est-à-dire ne se dépouillant jamais complètement de leurs feuilles et des pêchers à feuillage caduc ; ce sont alors des arbres récemment introduits ou croissant dans des conditions de sécheresse, de froid, de vent peu compatibles avec Fapparition d’un feuillage persistant. L’acquisition de cette variation se fait très graduellement, Les premières années, les feuilles tombent Fr 19 E. GUYÉNOT en Juin, juillet et août ; les nouvelles apparaissent un peu plus tard. L’intervalle qui sépare les deux feuillaisons se raccourcit de plus en plus et, au bout d’une vingtaine d'années, la subpersis- tance est constituée. On trouve sur l'arbre un mélange de feuilles anciennes, de feuilles nouvelles, de fleurs et de bourgeons floraux. La variation n’est d’ailleurs pas unique : les feuilles acquièrent une coloration plus sombre, l’épiderme et la cuticule deviennent plus épais ; dans le pétiole et les nervures apparaît un tissu de soutien qui manque dans les régions tempérées. La couche sépa- ratrice de tissu, dont la résorption provoque la chute des feuilles, ne se forme plus simultanément pour toutes les feuilles. Les écailles soi-disant protectrices des bourgeons se modifient sans disparaître. Il s’agit en somme d’une modification étendue de l'organisme, se manifestant par différentes particularités. Celles-ci sont-elles devenues héréditaires ? Les noyaux provenant d'arbres subpersistants, semés dans la région où poussent les parents, donnent immédiatement des arbres à feuillage subpersistant. Mais il y a plus. L'île de la Réu- nion présente des régions hautes, dépassant 1.000 mètres, où la température est beaucoup moins élevée et peut descendre à — 4° pendant la saison fraiche. Dans ces régions, les Pêchers n’acquiè- rent jamais de feuillage subpersistant et continuent à présenter une période de dénudation. BorpaGe eut l’idée de semer des noyaux, fournis par des pêchers à feuillage subpersistant, dans ces endroits de climat plus froid et il constata que, même dans ces conditions, la persistance du feuillage apparaissait immédiate- ment chez les descendants. Le caractère acquis de la subpersis- tance du feuillage ne saurait, semble-t-il, être mis en doute. Les expériences faites en soumettant des végétaux à un climat différent ne donnent pas toujours des résultats aussi nets. En 1889, SCHÜBELER a signalé que les Maïs transportés dans une zone septentrionale, telle que les environs de Christiania, y pré- senteraient un raccourcissement de la durée de végétation. Celle- ci passerait de 123 à 90 jours, les tiges devenant corrélati- vement plus courtes et les grains plus petits. Lorsqu'on trans- porte ce Maïs dans des régions plus tempérées, les modifications acquises disparaîtraient rapidement. Les expériences de NœGezr qui transporta 2.500 variétés de [ieracium des montagnes, dans le jardin botanique de Munich RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 43 et les observa minutieusement pendant 13 années consécutives, lui ont permis d'affirmer que les caractères montagnards, acquis sous l'influence des hautes altitudes, n'étaient nullement hérédi- taires. Dès la première année de transplantation, les particularités caractéristiques de la vie dans la plaine se montrèrent dans toute leur amplitude, bien qu'il se fut agi de végétaux ayant derrière eux une série immense de générations alpestres. L'expérience inverse a été réalisée par G. Bonxter (1), à qui l’on doit tant de belles recherches relatives à l’action des facteurs externes sur les végétaux. Cet auteur transporta à l’Aïguille de la Tour, dans la chaîne du Mont-Blanc, à 2./400 mètres d'altitude et au col de la Palouine, dans les Pyrénées, à 2.300 mètres, des plantes vivaces recueillies aux environs de Paris, et dont une moitié avait été laissée dans la plaine. Très rapidement, ces plantes de plaine cultivées dans la haute montagne se transfor- mèrent, en acquérant les caractères de forme et de structure que l’on observe sur les plantes naturellement alpines. Deuxième groupe d'expériences : Action sur le germen exercée nécessairement par l'intermédiaire du soma. 1° Variations liées à des changements de nourriture. — De nombreuses expériences de cet ordre ont été réalisées par A. Picrer (49). En nourrissant, avec des feuilles de Noyer, des chenilles d’Ocnerta dispar qui vivent habituellement sur le Bou- leau et le Chêne, l’auteur constata d’abord qu'un grand nombre d'individus moururent. Les individus qui arrivèrent à l’état adulte étaient de petite taille (ce qui paraît lié à une nutrition insuffi- sante) et de plus présentaient une teinte plus pâle et des dessins plus marqués. Ces variations vont en s’accroissant si on continue la même nourriture anormale pendant les générations suivantes. Si, par contre, on nourrit les descendants avec la nourriture nor- male, ceux-ci conservent plus ou moins les variations acquises par leurs parents avec cependant une tendance à revenir à la forme normale. Il faut par ailleurs noter que si on continue à {} G. Boxxier. Cultures expérimentales dans les Alpes et les Pyrénées. Rev. gén. Bot., &. I., 1800. = rs E. GUYÉNOT nourrir les générations successives avec le Nover, la lignée peut s’habituer si bien à cette nourriture que lon observe alors un retour à la forme primitive. Cette expérience n’est guère démonstrative. Ne signifie-t-elle pas simplement que, sous linfluence d’une nourriture anormale, la plupart des larves meurent par inanition ou intoxication, que celles qui arrivent au terme de leur développement donnent des individus petits (nutrition insuffisante), avec quelques variations morphologiques traduisant un état d’affaiblissement ou d’intoxi- cation (au sens large du mot) qui ne disparaît pas immédiatement quand on restitue la nourriture normale? Ce qui fortifie considé- rablement cette interprétation, c’est le fait que la variation déter- minée par lallotrophie n’est que transitoire et qu'elle disparaît lorsque l’accoutumance à été réalisée. Au cours de ses intéressantes recherches relatives à Paction du régime alimentaire sur les Poules, F. Houssay (1) a constaté que, sous l'influence du régime carnivore, ces Oiseaux présentent une réduction progressive du tube digestif, notamment du jabot, de l'estomac, du gésier et des cœcums. Cette modification va en augmentant au cours des générations successives. On la constate déjà, chez les jeunes animaux âgés de sept à dix-sept jours, des quatrième ou sixième générations, alors que le régime spécial n’a pas eu le temps d’agir personnellement sur eux, pendant leur courte vie. À moins que les variations étudiées ne soient le résul- tat d’une intoxication progressive de la lignée, il est difficile de ne pas conclure que ces modifications ont été transmises aux jeunes par hérédité. On cite parfois, à l’appui de la théorie de lhérédité des carac- tères acquis, une très intéressante expérience de MarcHaL (35) dont voici le point de départ. Les Robinia pseudacacia furent attaqués en 1881 par une Cochenille jusqu'alors inconnue que Doucras, le grand spécialiste de l'époque, crut devoir considérer comme une espèce nouvelle, le Lecanium robiniarum. L'origine de ce nouveau parasite était totalement ignorée. Tenant compte des affinités qui existent entre cette Cochenille et celle du Pêcher, le Lecanium corni, P. Marcuaz fut conduit à se demander si celle-ci ne serait pas la souche de la forme observée sur PAcacia. (t) F. Houssay. Arch. Zool, Exp. fe série, t. VI, 1907. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 45 L'expérience qu'il entreprit n'avait pas d'autre but. Elle a été pré- sentée depuis comme un exemple frappant d'hérédité des carac- tères acquis ; nous allons voir s'il en est réellement ainsi. En juillet 1907, des Lecanium du Pêcher furent placés sur un jeune Acacia, éloigné de tous arbres de la même espèce, et enfer- més dans un sac. Ces Lecanium renfermaient des œufs et des larves commençant à éclore. Les jeunes larves se répandirent en nombre immense sur l’arbre et une grande quantité d’entre elles se fixèrent sur les feuilles de lAcacia. Un petit nombre seule- ment de ces larves quittèrent les feuilles à Pautomne et se fixè- rent sur le bois pour y passer l’hiver, comme cela à lieu d’ordi- naire. Au printemps suivant, une vingtaine d'insectes poursuivirent leur développement et grossirenit normalement, en présentant les aspects successifs habituels. À partir de ce moment, un certain nombre moururent sous Pinfluence d’un Chalcidien parasite ; une douzaine furent détruits par un Oiseau, quatre seulement purent être menés à bonne fin et atteignirent en juin tout leur dévelop- pement, en présentant la grande taille, la coloration foncée et le facies définitif du Lecanium robiniarum. Marcuaz se heurta à de grandes difficultés pour réaliser lex- périence inverse. Ayant placé des Lecantum robiniarum (nous ne savons pas si ce sont des Cochenilles de lAcacia prises dans la nature, ou celles résultant de lexpérience précédente) sur le Pêcher, il se produisit encore une très grande mortalité dans les élevages. Un seul individu réussit à se développer complètement, mais au lieu de conserver le caractère supposé acquis du ZL. robi- niarum, il prit les aspects successifs et caractéristiques du L. cornr. Cet individu se dessécha d’ailleurs sans avoir pondu. Tout ce qu'il y aurait d'héréditaire chez le Lecanium robinia- rum, ce serait donc non pas les caractères morphologiques, mais une certaine incapacité à se développer sur la plante où se déve- loppaient vraisemblablement ses ancêtres. Encore faudrait s'as- surer par de multiples expériences, portant sur de très nombreux individus, qu'il en est bien ainsi. I faut aussi remarquer que la transformation subie par suite de Pélevage sur le Pêcher n’est pas très profonde, ni très spécifi- que. « Tous les caractères fondamentaux de structure du Leca- num du Robinia et du Z. cornt sont en effet identiques et il n'existe entre les deux formes que des différences quantitatives 46 E. GUYÉNOT au point de vue de la taille, de la pigmentation et des rugosités. Enfin il existe tous les intermédiaires entre le Z. robiniarum et le L. corni. C’est ainsi que le L. cornide la Vigne (L. vint. Bouc) etcelui de même espèce qui se trouve sur la Glycine (L. wistariæ. SIGx.) ressemblent souvent de la façon la plus étroite au ZLeca- nium du Robinia. D'ailleurs en se basant précisément sur la mortalité consi- dérable, survenue au cours de lexpérience, on pourrait aussi bien présenter les faits observés comme le résultat d’une sélec- tion entre individus de constitution différente. Parmi les divers individus d’une population de Z. corn, certains auraient une constitution ne leur permettant pas de vivre sur le Æobinta et mourraient. Ceux qui ont une constitution compatible avec ce changement de nourriture aboutiraient, soit uniquement en rai- son de leur constitution, soit simultanément par suite du change- ment de milieu, au type L. robiniarum. La difficulté pour ces der- niers organismes à prospérer à nouveau sur le Pècher pourrait tenir à ce que, par suite de cette sélection, la plupart des ZL. robi- niarum actuels ont une constitution assez différente de celle de leurs ancêtres, pour n'être plus capables de vivre sur le Pêcher. Cette expérience, très intéressante à d’autres points de vue, n’est donc nullement la démonstration de lhérédité des modifications acquises que l’on a voulu y trouver. 20 l’hérédité des mutilations. — Tous les faits connus con- courent à montrer que la variation morphologique individuelle consécutive à une mutilation (déformation, perforation, amputa- tion) n’est pas héréditaire. C’est un fait d'observation courante qu'un amputé de la cuisse où un manchot ont des enfants nor malement constitués. Même des mutilations continuées régulière- ment pendant de très nombreuses générations ne sont pas héré- ditaires. La circoncision chez les races sémitiques où musulma- nes, la déformation du pied des Chinoises, les incisives brisées, les oreilles, les lèvres ou les narines percées, toutes ces mutila- tions ou déformations ne sont pas héréditaires. Les expériences faites aboutissent au même résultat. Kueux a cité le cas d’une race de Moutons dont les éleveurs coupaient la queue depuis près de 100 ans et chez lesquels on ne trouvait aucune tendance de cet organe à s’atrophier ou à dispa- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME #7 raître. WEISMANN a fait des expériences analogues sur la Souris et n’a trouvé aucune hérédité de la mutilation de lappendice caudal, même après de nombreuses générations d'animaux amputés. On a bien rapporté quelques observations qui semblent plaider en faveur de l’hérédité de certaines mutilations, mais elles sont tel- lement rares et 1l y a tellement de faits contraires qu’elles parais- sent avoir trait à de simples et curieuses coïncidences. Par contre, des expériences dues à BrowN SequarD (1868 à 1882) et qui eurent un grand retentissement tendraient à démon- trer que les mutilations nerveuses déterminent dans les organis- mes des modifications qui seraient héréditaires. Il importe de remarquer que dans ce cas lhérédité ne porterait pas sur la lésion nerveuse expérimentale elle-même, mais sur les effets phy- siologiques qui en sont la conséquence. Voici les principales de ces expériences effectuées sur des Cobayes. La secuon du sciatique ou l’hémisection de la moelle fait appa- raître chez les animaux, au bout de quelques semaines, une épi- lepsie d’un type assez spécial, dont les crises sont déterminées par l’attouchement d’une zone tégumentaire située en arrière de l’œil du côté de la section. La plupart des descendants de ces ani- maux, bien que n'ayant subi aucun traumatisme, seraient devenus épileptiques comme leurs parents. Il faut noter que ce n’est pas une lésion quelconque du système nerveux qui est susceptible de provoquer l’épilepsie ; la section du sciatique ou son simple écra- sement à travers la peau non lésée produisent presque toujours le phénomène, tandis que la section du brachial ne la détermine Jamais. De même, l’hémisection de la moelle dorsale produit presque toujours lPépilepsie, Phémisection de la moelle cervicale, celle de la moelle lombaire ou des cordons antérieurs, jamais. Cette spécialisation montre que lépilepsie observée ne saurait être due, comme le pensait WEIsManNx, à une infection de l’or- ganisme par un germe indéterminé, à la suite des lésions ner- veuses provoquées. Il ne semble pas non plus qu'il puisse s’agir, chez les descendants, d’un simple fait d'imitation. En tout cas, les expériences suivantes ne sont pas susceptibles d’une pareille interprétation. Les lésions du corps restiforme déterminent chez les animaux des lésions oculaires et des ecchymoses suivies de gangrène sèche au niveau des oreilles. Les yeux présentent une opacité de la 48 E. GUYÉNOT cornée et subissent une atrophie progressive, sans inflammation. Chez les descendants on peut observer des altérations identiques ou analogues et non inflammatoires. La section partielle du bulbe rachidien provoque une exoph- talmie et celle-ci se retrouve chez la plupart des descendants. La section du nerf grand sympathique cervical provoque une déformation particulière de Poreille et une occlusion partielle des paupières, modifications que Pon voit réapparaitre chez les des- cendants. Bien plus, quelques animaux nés de Cobayes qui avaient rongé partiellement leurs pattes, à la suite de linsensibilité causée par la section de leur nerf sciatique, présentaient une absence congénitale de phalanges ou d’orteils entiers. Enfin, dans quelques cas, des Cobayes, malgré que leur nerf sciatique fut intact, paraissaient avoir hérité de Patrophie musculaire survenue chez leurs parents, à la suite de la section du nerf scra- tique. Un certain nombre de ces faits ont été confirmés par d’autres expérimentateurs et en particulier par Duruy (17). Ce sont des données positives, non contestables. En ce qui concerne leur interprétation, un des plus remarqua- bles biologistes français modernes, CuénoT, pense que ces phé- nomènes peuvent s'expliquer par la transmission au descendant de quelque substance toxique, élaborée chez le parent, chez la mère notamment. C’est en effet surtout, sinon exclusivement par la femelle que les accidents sont transmis, ce qui fait penser à un mécanisme d'échange à travers le placenta, semblable à celui qui transmet au fœtus limmunité acquise par la mère au cours d’une maladie survenue pendant la gestation. Que lépilepsie puisse être due à une semblable transmission d’une substance épileptisante, analogue à celle qu'on à trouvée dans l'urine des épileptiques, cela est vraisemblable, mais ilest plus difficile d’ex- pliquer que cette épilepsie réapparaisse avec des caractères iden- tiques à ceux des parents. D'autre part, on ne saurait admettre que difficilement lPexistence de substances circulant dans les humeurs de l'organisme et susceptibles de conditionner des lésions locales telles que latrophie de Pœil ou lexophtalmie, des ecchy- moses ou des déformations auriculaires, lPopacité de la cornée, la chute de la paupière et dans certains cas l’atrophie muscu- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 49 laire de la cuisse ou Pabsence congénitale de certaines parties des pattes ? Sans mettre en doute la réalité de ces derniers faits expérimen- taux, on peut cependant se demander si les phénomènes présentés par les descendants sont bien identiques à ceux des parents. Dans certains cas, ceux qui nous sont signalés ne sont qu'analo- vues, et peut-être, en examinant les faits avec soin et avec une tournure d'esprit plus critique, trouverait-on que les lésions des descendants portent bien, il est vrai, sur les mêmes organes que ascendant, mais avec des modalités plus ou moins différentes ; peut-être aussi d’autres variations se révéleraient-elles à un exa- men plus minutieux. Les cas les plus surprenants (atrophie de la cuisse, phalanges ou orteils absents) sont d’ailleurs limités à des cas assez exceptionnels pour qu'il puisse ne s'agir que de simples coïncidences. Dans le chapitre suivant, j’examinerai plus à fond linterpréta- tion que comportent ces expériences. Démonstration indirecte de l’hérédité des caractères acquis Toutes les expériences que je viens de citer tendaient à obte- nir une démonstration directe de lhérédité des caractères acquis, en montrant que des particularités provoquées par une certaine action du milieu sont transmissibles aux descendants. Cette démonstration, certains auteurs ont cherché à l'obtenir indirectement. La méthode consiste à prendre dans la nature des organismes présentant quelque particularité que lon suppose acquise par les ancêtres sous linfluence de certaines conditions du milieu et à rechercher si ces particularités persistent lorsqu'on supprime où modifie ces conditions. C'est ainsi que SEMON (1905) a expérimenté sur Acacia lophanta, plante ouvrant ses folioles pendant le jour et les fermant la nuit. La cause de cette particularité réside vraisemblablement dans les alternatives quotidiennes d'éclairage et d’obscurité, mais on peut se demander si le phénomène est dû uniquement à l'action actuelle du rythme nycthéméral ou s'il n’est pas devenu à la longue héréditaire. 50 , E. GUYÉNOT Pour s’en assurer, Semox prit des plantules d’Acacia lophanta n'ayant jamais vu le jour et les soumit à des périodes d'éclairage électrique et d’obscurité alternant toutes les 6 heures ou toutes les 24 heures. Après 1 ou 2 semaines de ce traitement, il remplaça le cycle par l’éclairage ou l'obscurité continue : létalement et le reploiement des folioles n’en continua pas moins à se faire sui- vant le rythme de 12 heures. Cette périodicité serait done un caractère acquis autrefois par la plante sous l'influence des pério- des de jour et de nuit, et devenue héréditaire. Il est évident que cette interprétation suppose le problème résolu, car rien ne nous permet, malgré que ce soit vraisembla- ble, d'affirmer que le rythme héréditaire est bien dù à lalter- nance périodique du jour et de la nuit. Cette adaptation pourrait aussi bien être expliquée, comme nous le verrons, par la sélection de variations apparues pour de toutes autres causes. Des expériences plus anciennes de Prerrrer, sur Mimosa pudica et Acacia lophanta, semblent montrer, contrairement aux précé- dentes, que le rythme d’ouverture et de fermeture des folioles n’au- rait rien d’héréditaire. Si on inverse le rythme nycthéméral, en éclairant les plantes pendant la nuit et en les soumettant à Pobscu- rité pendant le jour, l'ouverture et la fermeture des feuilles se font suivant le nouveau rythme introduit. Les résultats de ces recherches sont évidemment contradictoi- res et ne comportent pas de conclusions certaines. Des expériences de même ordre ont été effectuées par CuNIN- GHAM (1891-92-99) sur des Poissons pleuronectes. Chez ces ani- maux la face ventrale, couchée contre le sol, est dépourvue de pig- ment. On peut penser que c’est l’obscurité à laquelle cette face à été soumise pendant des générations qui a déterminé à la longue cet état. En tout cas, actuellement, cette dépigmentation est héré- ditaire. Elle commence en effet chez la larve, alors que celle-ci n’est pas aplatie et se trouve exposée, par ses deux faces latérales, à la lumière. Cette variation acquise et héréditaire ne peut être que très difficilement modifiée, car si on éclaire la face inférieure du Poisson avec un miroir, celle-ci ne présente qu'une pigmen- tation très légère, survenant très tardivement et d’une façon ‘iInconstante. Ici encore, on suppose démontrée la relation de causalité entre l’absence de lumière et la dépigmentation. C’est, en effet, une RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 51 interprétation vraisemblable au premier abord, mais nous verrons que des cas très analogues paraissent, après une étude approfon- die, être susceptibles d’une interprétation toute différente. Il existe encore bien des expériences ou des observations que lon pourrait citer, pour ou contre lhérédité des caractères acquis ; mais elles ne nous apprendraient rien de plus et ne sont pas plus démonstratives que celles que je viens de rapporter. Le moment me paraît venu d'examiner de près ces données positives et de voir si vraiment elles permettent d'affirmer lexistence d’une hérédité des caractères acquis. I ÉTUDE CRITIQUE DE L'HÉRÉDITÉ DES CARACTÈRES ACQUIS La solution que comportera, après examen des faits, le pro- blème de l'hérédité des caractères acquis dépend essentiellement du sens exact que l’on attache au mot caractère acquis. Aussi devons-nous à nouveau en préciser la définition. D'une façon générale, on appelle caractère acquis une particu- larité bien définie, morphologique ou physiologique, apparue chez des organismes sous l'influence de certaines conditions extérieu- res. L’hérédité de ce caractère consisterait dans la répétition exacte, chez les descendants, de la particularité acquise par les parents. C’est bien dans ce sens que l’entendent les lamarckiens, car sans cette reproduction d’une modification sinon identique, du moins très semblable à celle des parents, leur conception n'aurait plus aucune valeur pour expliquer l'adaptation des êtres vivants aux conditions du milieu. Toutefois, la variation définie ne leur apparaît pas pour autant comme une variation strictement locale, mais comme liée à une modification générale qui retentit nécessairement, en raison de lunité constitutionnelle de l'organisme, sur le germen, et y déter- mine un changement spécifique de nature à faire réapparaître chez les descendants la même modification. 52 E. GUYÉNOT Pour les weismanniens, chaque caractère acquis est au con- traire une modification strictement locale. Cette modification con- siste dans la variation, sous lPinfluence du facteur externe incri- miné, d'une certaine particule matérielle vivante, le détermi- nant, qui conditionne précisément l'existence de la partie ayant subi la variation. Au premier abord, il n’y a dans ces conditions aucune possibilité d'hérédité de la variation acquise, puisque celle-ci, restant exclusivement locale, ne saurait en rien atteindre le germen. Pare (‘) a cru cependant pouvoir concilier le weismannisme et la théorie des caractères acquis. Si lon admet que des déter- minants identiques à ceux qui ont été modifiés existent non seulement dans le germen, mais dans toutes les cellules du corps, tout au moins à l’état latent, on peut, en effet, à force d’hypothè- ses, arriver à une explication inattendue de l'hérédité des carac- tères acquis. PLATE imagine que toutes les cellules du corps com- muniquent entre elles par des ponts protoplasmiques semblables à ceux qui existent dans certains tissus et que, grâce à ces com- münications, l'excitation spécifique des déterminants modifiés en un point donné se transmet de proche en proche jusqu'aux déterminants contenus dans les cellules germinales et les y modi- fie à leur tour dans le même sens. Il est bien évident qu'une semblable explication repose sur un tel échafaudage d’hypothèses gratuites qu’elle ne saurait être prise sérieusement en considération. Ni les particules ou déterminants, ni leur répartition universelle dans toutes les cellules, n1 lexis- tence pour ces particules d’un état spécifique d’excitation trans- missible, nil’universalité des ponts protoplasmiques intercellulaires | ne sont autres choses que de pures vues de Pesprit. Le problème de lhérédité des caractères acquis se ramène donc à ceci : est-il prouvé qu’une variation, morphologique par exemple, définie et par suite localisée, soit déterminée, accompa- gnée ou suivie par une modification générale capable d'engen- drer dans le germen une variation spécifique telle que les des- cendants présenteront, par hérédité, la variation localisée des parents ? {!) L. Prare, Selectionsprinzip und probleme der Artbildung, 1908. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME ©t ©9 Soma et germen : leurs corrélations. Il ne suffit pas, en effet, de poser comme axiome lexistence - d’une unité fondamentale de organisme pour que le problème de l’hérédité des caractères acquis se trouve instantanément résolu. Sans doute, nous savons que les différentes parties d’un organisme sont étroitement unies entre elles par des corrélations nerveuses et humorales; mais ces corrélations qui assurent la synergie fonctionnelle de ces parties ne tendent nullement à uniformiser la constitution physico-chimique de leurs éléments et par suite leur différenciation, ni leur structure, ni leur forme, ni leur fonction propre. S'il n'existe pas entre la plupart des cel- lules du corps et les cellules germinales cette différence d’es- sence à laquelle Wersmaxx lui-même a dû renoncer, il n’en reste pas moins que le germen est une partie de lorganisme ayant par rapport au reste du corps au moins la même indi- vidualité que le foie, le cœur ou les capsules surrénales. Cest en ce sens que la distinction entre soma et germen présente une grande importance pour la compréhension du mécanisme de l'hérédité des caractères acquis. En l’état actuel de nos connaissances, le problème de Phérédité des caractères acquis ne me paraît donc pas pouvoir se ramener à un problème de morphologie basé sur l’existence d'unités mor- phogènes indépendantes, constituant à travers l'organisme un réseau hypothétique dont l'existence n’est démontrée, ni légitimée par rien, mais se présente comme un problème de physiologie, dont les éléments ne sont autres que les corrélations existant entre le soma et le germen. Ces relations entre le soma et le germen sont réalisées par le système nerveux et par l’ensemble des humeurs (sang, Iymphe) constituant le milieu intérieur. Le système nerveux conditionne, pour sa part, dans les glandes génitales, non seulement l’intensité de la circulation du milieu intérieur, mais, si nous raisonnons par analogie, le fonctionne- ment de ces glandes, c’est-à-dire leur multiplication et leur nutri- tion générale (fonction trophique). Une variation entrainant un ébranlement suffisant du système nerveux sera donc vraisembla- blement susceptible, dans certaines conditions, d'accélérer ou 54 E. GUYÉNOT d’inhiber la multiplication des cellules germinales où d'y déter- miner des troubles trophiques, mais rien ne nous permet de penser que cette action puisse s'exercer électivement sur telle ou telle partie constitutive du germen ni surtout sur celles corres- pondant aux parties constituantes modifiées dans les cellules somatiques. D'ailleurs la corrélation nerveuse ne saurait être envisagée comme base d’une explication générale, puisqu'elle manque chez les Éponges et chez les Végétaux. Les corrélations humorales sont certainement les plus impor- tantes. À chaque instant des variations tendent à être produites dans la composition du milieu intérieur, soit par suite d’une arrivée insuffisante d'aliments (oxygène, sels, etc.), soit en raison d’une consommation locale plus élevée de certaines substances (sucre accaparé par un groupe musculaire en fonctionnement), soit enfin par suite de l'accumulation de certaines substances de déchet. 11 faut cependant se souvenir que de telles variations sont extrêmement fugitives et qu'il existe des mécanismes régu- lateurs ayant pour effet d'assurer à ce milieu intérieur une cons- tance de composition des plus remarquables. On tend actuellement à grouper sous le nom d'hormones certai- nes substances, secrétées par les glandes dites à secrétion interne (thyroïde, thymus, surrénales, glande interstitielle du testicule, corps jaune ovarien, corps.pituitaire) et qui jouent, dans la corré- lation générale, un rôle de la plus haute importance. Ces substan- ces ne sont qu'un cas particulier de la secrétion générale, effectuée par les éléments cellulaires, de certains produits de leur fonctionnement dans le milieu intérieur. En ce sens, le gaz carbonique résultant, par exemple, du fonctionnement muscu- laire est une hormone susceptible, entre autres actions, d’ex- citer le centre respiratoire bulbaire. Il est bien certain que la suppression, l'augmentation ou la modification de semblables hormones pourront entraîner des variations même étendues dans la substance des cellules germi- nales. Mais que ces variations soient du type nécessaire pour con- ditionner chez les descendants l'apparition de modifications loca- lisées identiques à celles des parents, c’est ce que rien ne permet a priori de supposer. Les recherches de chimie physiologique moderne tendent cependant à faire penser que chaque catégorie de cellules est RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 55 caractérisée par au moins une substance albuminoïde spéciale et que le passage de celle-ci dans le sang provoque lapparition dans le milieu intérieur d’une diastase spécifique correspondante. ABDERHALDEN à basé sur ces faits un procédé de diagnostic de la gravidité, du cancer, etc., dont la valeur est encore sujette à dis- cussion. Il n’en est pas moins certain que chaque espèce d’être vivant, même que chaque tissu possède une composition albumi- noïde spécifique. Toutes les réactions de précipitation, d’agglu- tination, la réaction si importante de Borper et GENGOU sont autant de preuves de cette spécificité des constituants des orga- nismes et de la spécificité également des modifications physico- chimiques que leur présence introduit dans le milieu intérieur des organismes supérieurs. Ce sont là des faits de nature à faire comprendre existence possible de modifications germinales spé- cifiques sous linfluence de modifications somatiques acquises. Il faut enfin, pour interpréter les faits à leur juste valeur, se rappeler que ces corrélations, dont nous connaissons assez bien la nature en ce qui concerne les Vertébrés, peuvent être très différentes chez d’autres organismes. La castration, la greffe de glandes génitales d’un sexe à la place de celles du sexe opposé ne déterminent, chez les Lépidoptères, aucune modification des caractères sexuels secondaires, tandis que lon observe des résultats nettement différents chez beaucoup d'animaux. Il est donc indispensable, dans chaque cas, de tenir grand compte de la nature des corrélations existant chez l’être vivant soumis à l'expérience, Tout ce que je viens de dire ne se rapporte qu'aux cas où l’action d’un facteur externe sur le germen s'exerce nécessaire- ment par l’intermédiaire du soma. Il en va tout autrement dans les cas où le facteur externe est susceptible d’agir simultanément et directement sur le germen. Une élévation de température, des radiations telles que les rayons X peuvent agir aussi bien sur le germen que sur n'importe quelle partie du corps en y détermi- nant des modifications internes plus ou moins semblables. Les expériences récentes d’hybridation ont montré, comme nous le verrons plus loin, que certains caractères morphologi- ques ou certains groupes de caractères corrélatifs peuvent être hérités indépendamment les uns des autres, ce qui ne se com- prend qu'en admettant l'existence dans le germen d'autant de 56 E. GUYÉNOT constituants correspondants, quelle que soit l'hypothèse que Fon fasse sur la nature de ces constituants. Cette notion, qui doit être substituée à celle de Funité de composition physico-chimique des diverses parties de la substance vivante initiale, permet de com- prendre qu'une condition extérieure, si elle a la propriété d'exer- cer une action spécifique sur certains constituants plutôt que sur d’autres, puisse en les modifiant simultanément, dans le germen et dans le soma, aboutir à une reproduction exacte et définitive chez les descendants de la modification des parents. Cependant, ce cas n’est peut-être pas le cas général. Les cons- tituants considérés de l'œuf et des cellules du corps, en suppo- sant qu'ils soient identiques, ne se trouvent pas dans les mêmes conditions. Ils peuvent suivant l’état de la cellule être plus ou moins influençables. Nous verrons, en effet, que les cellules ger- minales présentent une période sensible où elles sont plus modi- fiables par les actions extérieures. Aussi, dans de nombreux cas, le germen pourra-t-il ne pas être influencé ou l'être de façon à conditionner chez les descendants des modifications nettement différentes de celles présentées par le soma des parents. Ces considérations vont me permettre maintenant d'examiner de plus près les faits cités en faveur de l'hérédité des caractères acquis et de tenter d’en donner une interprétation générale. 1° /lérédité des effets de l'usage et du non-usage.— W n'y a eu que fort peu d'expériences faites pour démontrer l'existence d’une semblable hérédité ; les résultats en ont toujours été d’ail- leurs négatifs. Les variations locales (hypertrophie ou atrophie) consécutives à l’usage ou au non-usage d’un organe sont incon- testablement déterminées chez les individus par lPaugmentation ou la diminution du fonctionnement de cet organe, conditionnées elles-mêmes par les actions extérieures. La variation générale corrélative doit être d'ordre très différent suivant l'organe dont il s’agit. Il est bien certain, par exemple, que lhypertrophie fonctionnelle d’un musele ne s'accompagne d'aucune modification générale importante. Il y a localement plus de glucose brûlé, plus de gaz carbonique engendré et, pendant les phases de repos, plus de produits excrémentitiels déversés dans le sang ; mais ces modifications banales sont rapidement neutralisées dans Île tor- rent circulatoire etil n’en peut résulter aucun retentissement sur RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 57 le germen. Si le sujet n’est l’objet d'aucune intoxication, l'inten- sité de l'exercice physique pourra, s'il est effectué avec une régularité suffisante, augmenter lappétit, faciliter l'assimila- tion et la désassimilation, bref il pourra en résulter un meilleur état général et consécutivement des éléments génitaux plus vigoureux. Si cette influence n’est pas contrecarrée par un état inverse du conjoint, il en pourra résulter des descendants plus forts, plus résistants, mais qui n'auront aucune raison de pré- senter Phypertrophie du groupe musculaire spécial produite chez le parent. En fait, je ne connais pas de cas où une semblable hérédité ait été constatée. Les effets pourront être plus marqués si lhypertrophie ou l’atrophie fonctionnelles portent sur des organes tels que certai- nes glandes à secrétion interne (corps thyroïde, capsule surré- nale, corps pituitaire, etc.) qui déversent dans le milieu intérieur des produits très spéciaux, susceptibles de modifier profondé- ment le fonctionnement de tout le reste de lorganisme et agis- sant nécessairement sur les cellules génitales. Mais ici encore, il ne saurait s’agir d’une modification germinale spécifique, telle que le descendant présentät une hypertrophie ou une atrophie du mème organe que lPascendant. Sans doute, on connait des cas d'hérédité de lhypertrophie ou de Patrophie de certaines de ces glandes, mais c’est que ces modifications sont alors liées elles- mêmes à des causes héréditaires qui n'ont rien à voir avec l'action de l'usage ou du non-usage. Pour compléter ces considérations, examinons en détail deux cas d’atrophie d'organes, donnés comme des exemples classiques des effets du non-usage et pour lesquels l'explication lamarce- kienne paraît, au premier abord, la seule vraisemblable. J’em- prunterai largement pour cet exposé au livre si remarquable de Cuéxor « La Genèse des espèces animales », où cet auteur a présenté, sous un aspect nouveau et très solidement étayé, lori- gine des adaptations. Les animaux obscuricoles aveugles. — West tout à fait remar- quable de constater que des animaux vivant dans lobscurité, sous terre ou dans des cavernes, et appartenant aux groupes zoologiques les plus divers, sont aveugles ou ont des yeux en voie de dégradation. Si Pon ajoute que la plupart d’entre eux sont décolorés où faiblement colorés, on conviendra qu'il paraît 58 E. GUYÉNOT très logique d'attribuer ces deux variations à l’absence de lumière dans le milieu où ont vécu les générations successives. Parmi les animaux obscuricoles aveugles ou presque, on peut citer des Mammifères (Taupe d'Europe, Spalax, Utenomys de l'Amérique du Sud), des Reptiles (Sauriens amphisbéniens, Serpents du eroupe des 7'yphlops), des Batraciens (Cecilies, Protée des grottes de Carniole, Typhlomolge Rathbuni du Texas, Salamandres, telles que T'yphlotriton spelœus du Missouri), des Poissons (Typhlichthys, Troglichthys, Amblyopsis, Pimelodus du Bré- sil, etc.). Beaucoup d’Arthropodes présentent aussi la perte par- tielle ou totale des yeux. Tels sont certains Chilopodes (Cryptops, Géophile) ou Diplopodes (Blaniulus quttulatus), certaines larves d'insectes, de nombreux Carabiques, Silphides et Staphylinides, des Thysanoures et des Collemboles, quelques Araignées, etc. Le cas est très fréquent chez les Crustacés (plusieurs Cambarus, des Crevettes, des Gammarides, des Sphéromiens, des Cirolanides, certains Cyclops, ete..….). On peut aussi citer des Mollusques aveugles (Zoospeum, Patula, Spelæoconcha) et des Vers (Pla- naires). Si le fait de la régression des yeux apparaît ainsi comme très général chez les animaux hypogées ou cavernicoles, il faut consta- ter, par contre, que non moins généralement on trouve, parmi les obscuricoles, des animaux pourvus d’yeux normaux et apparte- nant à tous les groupes. On en trouvera de très nombreux cas cités dans ouvrage de CUÉNoT. En outre, on rencontre des espèces où l’état de œil varie sui- vant le sexe ou suivant les individus. Les mâles de certains Coléoptères, les Machcærites sublerraneus et Mariæ ont de gros yeux, tandis que ceux des femelles sont très réduits ou nuls. Dans une grotte d'Algérie, Racovrrza a trouvé des Trichoniscus Gachassini, dont 36 avaient des yeux dégénérés avec reste de pigment et de cornéules, 21 ne montraient plus trace d'appareil visuel et > femelles avaient des yeux bien conformés et pig- mentés. Un autre ordre de faits provient de lexistence de nombreuses espèces aveugles ou à yeux atrophiés, vivant à la surface du sol. Tel est le cas d’un Poisson des côtes de la Californie méridio- nale, le T'yphlogobius californiensis. « I y a des Coléoptères aveugles sous les écorces (Ptilidum), sous les feuilles mortes et RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 59 les pierres au bord des eaux (Bathyscra, Trechus), dans les four- milières (Claviger), des Collemboles aveugles (T'etrodontophora bielanensis sous les feuilles mortes), un Scorpion aveugle (Belisarius Xambeut) vivant sous les pierres dans un point des Pyrénées-Orientales, une Crevette aveugle (Typhlocaris galilea) dans un petit marais du lac de Genezareth (Cormax la regarde, mais sans preuves, comme provenant d'eaux souterraines), un Isopode aveugle et tout blanc dans les fourmilières (?latyarthrus Hoffmansegqti), des Copépodes harpactides aveugles dans les Mousses, à la surface de la mer, dans leau saumâtre et l’eau douce (Bradya, Viquierella), des Turbellariés oculés, mais tout blancs comme ceux des cavernes (Dendrocælum lacteum des ruisseaux) et d’autres aveugles (Wicrostoma gigantea des fossés de Lille, etc.). Ces animaux qui, en soïnme, n’ont jamais mené la vie souterraine et qui vivent en compagnie immédiate d'êtres oculés, ont cependant des caractères de troglobies (1) ». La plupart de ces animaux dépigmentés ou aveugles vivent de préférence dans des endroits sombres et humides, sous les écorces, les feuilles vertes, sous les pierres. Ce sont des animaux lucifuges ; leur phototropisme négatif les conduit à rester dans les endroits sombres et à se retirer des régions trop lumineuses. Si par hasard, dans leur sphère d’activité, se trouve une grotte, une galerie, ils y trouveront les conditions d’obscurité et d’hu- midité qui leur conviennent, ils y resteront et s’y multiplieront. Eh bien, le peuplement des cavernes par des animaux aveu- gles ou dépigmentés ne serait-il pas dû à la généralisation de ce phénomène? Cette place où la plupart des espèces animales évo- luent difficilement en raison de Pobscurité n'est-elle pas la région qui convient le mieux à des animaux aveugles, souvent luci- fuges et hygrophiles ? Autrement dit, n'est-ce pas parce qu'il y fait obscur que les espèces aveugles sont restées dans les caver- nes ? Au lieu d’une adaptation active aux conditions d’exis- tence, ne sommes-nous pas en présence d’une adaptation après coup, dans laquelle ne sont intervenus que le hasard et la sélec- tion ? C’est la thèse que Cuéxor a développée avec beaucoup d'autorité. « Comme le pensent la plupart des auteurs qui ont étudié récemment la faune souterraine, Hamaxn, BanTa, EIGEN- (t) L. Cuëxor. La genèse des espèces animales, p. 363. 60 E. GUYÉNOT MANN, Racovirza, c’est parce que les animaux étaient préalable- ment plus ou moins aveugles et plus ou moins compensés pour l'impossibilité de voir qu'ils ont pénétré dans le domaine de l'obscurité, et ce n’est pas parce qu'ils ont adopté ce mode de vie que leurs veux jadis normaux ont regressé » (°). Il est, par exemple, certain que les sept Amblyopsides que lon trouve dans les eaux souterraines des Etats-Unis descendent de leur unique parent épigé, le Chologaster cornutus, dont les yeux sont petits et présentent manifestement une dégénérescence rétinienne. On sait que, dans de nombreux cas, les espèces évoluent dans un sens donné; certaines deviennent de plus en plus mélaniques ou de plus en plus albinos. Cette orthogénèse, dont il faut chercher la cause non dans quelque force directrice de l’évolution, mais dans une variation progressive de la constitution physico-chi- mique, due elle-même à des conditions physico-chimiques encore inconnues, permettrait de comprendre comment des formes à yeux atrophiés aboutissent à des formes à veux de plus en plus atrophiés et finalement à la cécité, sans qu'il soit nécessaire de faire intervenir la notion du non-usage. Ainsi peut-on donner une interprétation et bien cohérente du mode de peuplement des cavernes sans faire appel à cette notion de variation acquise, héréditaire, dont la transmission, dans Pétat de nos connaissances, nous apparaît comme tout à fait probléma- tique. Nous ne comprenons pas du tout comment le fait que Pœil ne fonctionne pas, même pendant de très nombreuses générations, pourrait déterminer dans le germen une variation spécifique telle que progressivement cet œil aille en s’atrophiant dans la lignée. Il faudrait admettre entre le germen et l’œil des connexions dont nous n'avons aucune idée et dont nous ne pourrions admettre l'existence que si nous y étions conduits par des faits indénia- bles. Or, tous les faits connus d'animaux maintenus expérimen- talement pendant des générations à lobscurité n’ont montré aucune régression oculaire. C’est par exemple ce qu’a constaté PayxE (45) après avoir soumis à l’obscurité 69 générations con- sécutives de Drosophiles. Comment, d'autre part, expliquer que les effets du non-usage entraïneraient la perte de lœil chez cer- tains et ne d'termineraient aucune modification de cet organe chez d’autres ? {t) L: Cuénor. Loc, cit., p. 4hg. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 6l Régression des ailes chez les insectes. — De très nombreux Insectes des îles ou du littoral sont aptères ou ont des ailes atrophiées. On peut penser que ces Insectes ont perdu l'habitude de voler, en raison des vents violents qui règnent dans ces régions et qui empêchent leur vol. Darwix à donné de ces faits une explication voisine basée sur la sélection. Les Insectes qui volent sont entraïnés en mer par le vent et disparaissent. Seuls ceux qui, par hasard ou par défaut d'usage, ont des ailes atro- phiées, peuvent se reproduire dans ces régions. Nous pouvons interpréter ces faits à la lumière de deux expé- riences modernes. D'une part, J'ai maintenu des Drosophila ampelophila en élevage, dans des tubes où elles pouvaient marcher, sauter, mais pour ainsi dire pas voler, pendant plus de 200 générations. Je n’ai observé aucune réduction des ailes. D'autre part, expérimentant sur la même Mouche, MorGax (41-42) a vu apparaître dans ses élevages, par mutation, des Mouches à ailes tronquées, à ailes miniatures, à ailes vestigiales, réduites alors à de simples moignons, variations qui ont été immédiatement héréditaires et dans la production desquelles le non-usage n’était pour rien. Que l’on suppose ces dernières Mouches placées, par hasard, dans des conditions où l'absence d'ailes constitue un avantage ; elles s’y multiplieront et, si nous ne connaissions pas leur his- toire, nous serions portés, en les découvrant, à y voir un cas d’hérédité des effets du non-usage. Ici encore, pourtant, la varia- tion n'aurait été une adaptation qu'après coup et par hasard. Nous devons, en biologie, nous défier des propositions géné- rales. Ce qui est irréalisable dans un groupe d’êtres vivants est peut-être possible chez d’autres. Néanmoins nous pouvons, il me semble, poser les conclusions suivantes : Suivant la nature des organes et leur rôle dans la coordina- tion générale, les hypertrophies ou atrophies fonctionnelles peu- vent modifier plus où moins le germen et la descendance, mais sans que cette modification ait nécessairement un rapport quel- conque avec la variation locale des ascendants. Aucune expérience n’a encore montré le bien fondé de la conception de lhérédité des effets de l’usage et du non-usage. 62 E. GUYÉNOT Les faits d'observations, qui paraissent le plus en faveur de la conception lamarckienne, sont susceptibles d’une explication toute différente et aussi vraisemblable, la sélection parmi des variations antécédentes (mutations) réalisant ce que nous consi- dérons après coup comme des adaptations. 2° Hérédilé des mutilations. — Les effets déterminés par les mutilations sont, comme ceux consécutifs au non-usage, de nature très différente suivant l'organe qui en est le siège. Nous ne saurions nous étonner que lPamputation d’un bras, d’une jambe, celle de la queue d’un Mouton ou d’une Souris, ne soient pas héréditaires. La variation générale physico-chimique qui peut en résulter est minime et ne saurait retentir sur le germen. Il n'en irait pas de même si la mutilation portait sur un organe très important pour le maintien de Péquilibre du milieu inté- rieur, tel que c’est le cas pour les glandes à sécrétion interne que J'ai déjà prises pour exemple. Encore ces effets ne seraient-ils pas spécifiques, c’est-à-dire tels qu’il en résultât Pabsence congéni- tale ou l’atrophie de la glande supprimée. IT faudrait, en outre, distinguer le cas des animaux vivipares où les milieux intérieurs de la mère et de lenfant sont en perpétuel échange, pendant la gestation, du cas des animaux ovipares. Nous devons nous arrêter un peu longuement sur les expé- riences de BrowN-SEQuARD dont certains résultats sont vraiment déconcertants. Ces résultats sont si peu explicables qu'il serait indispensable de recommencer ces expériences sur une vaste échelle en tenant compte non seulement des cas positifs, mais surtout de tous les cas négatifs ou dissidents. Distinguons, dans ces expériences, deux catégories. Dans Pune, une lésion nerveuse périphérique ou centrale bien loca- lisée produit une forme spéciale d’épilepsie. Cette épilepsie serait transmise aux descendants dans un certain nombre de cas et, d’après Browx-SEQuaRD, surtout par les femelles. Cependant Wro- zeck et Macresza (69),sur 82 petits nés de pères épileptiques, n’ont noté aucun cas d’épilepsie héréditaire complète. Quelques ani- maux présentaient bien des attaques d’épilepsie incomplète, mais ce fait perd toute valeur quand on sait que de semblables crises ont été observées par les mêmes auteurs chez huit petits sur dix- sept, issus de Cobayes non opérés et sains! Deux explications RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 63 sont possibles. Ou bien se basant sur le fait que ce sont, sem- ble-t-1l, exclusivement les femelles qui transmettent affection, on peut admettre un passage à travers le placenta de substances épileptisantes, la variation du milieu intérieur de la mère passant dans le milieu intérieur de l'enfant. Ou bien on peut penser que Popération, et les dégénérescences nerveuses (autoiyse?) qui en résultent déterminent une variation du milieu intérieur, suscep- tible d’influencer les éléments génitaux et surtout les ovules d’une façon telle que le système nerveux du descendant, bien que normal anatomiquement, soit physiologiquement modifié au point de présenter plus ou moins fidèlement les troubles fonctionnels des ascendants. Cette transmission de lépilepsie n’est d’ailleurs ni la règle, ni la seule manifestation observée chez le descendant. Sur 32 Cobaves nés de parents devenus épilep- tiques à la suite de la section du sciatique, OBERSTEINER (1879) n’a compté que deux épileptiques qui sont morts rapidement ; onze petits étaient simplement malingres ; trois légèrement paralysés des membres postérieurs, et trois atteints d’une maladie des yeux. SOMMER (52), de son côté, sur 23 petits, ne compta aucun épi- leptique, mais l’un d’eux était atteint d'un trouble de la cornée. Ces faits achèvent de nous montrer ces expériences sous leur jour le plus vraisemblable : des troubles nerveux considérables, et les modifications générales qui en résultent agissant par une sorte d'intoxication sur les cellules génitales — surtout sur les ovules, peut-être en raison de certaines de leurs substances capa- bles de fixer plus électivement les produits en circulation dans le milieu intérieur — et déterminant chez les descendants un état pathologique pouvant parfois se traduire par une épilepsie ana- logue à celle des parents, mais aussi souvent par tout autre chose. Les autres faits plus extraordinaires que j'ai cités paraissent susceptibles d’une explication analogue. Peut-être Browx- SEQUARD a-t-il attaché surtout de l’importance aux cas qui rap- pelaient la lésion des parents au détriment des autres mani- festations pathologiques. Hizz (28), pense que les accidents oculaires pourraient souvent être attribués à une conjJonctivite précoce fréquente chez les Cobayes mal tenus. J'ai moi-même observé plusieurs fois des atrophies congénitales de l'œil chez des Cobayes dont les parents n'avaient subi aucun traumatisme E. GUVYÉNOT a [ESS nerveux. D'après Romaxes, absence des doigts postérieurs ne s’observe que dans un ou deux pour cent des cas, ce qui donne à ce fait la signification d’une simple coïncidence. Enfin, il est intéressant de noter que des lésions oculaires ont été observées chez les descendants de Cobayes rendus épileptiques par arra- chement du sciatique. On n'aurait sans doute pas manqué d'y voir un fait d’hérédité sila lésion du parent avait été une lésion oculaire consécutive à la section du corps restiforme. La conclusion de tout ceci semble être que les mutilations ne sont pas héréditaires au sens hérédité des lésions acquises. Ce qui agit sur le germen, c’est la modification générale résultant du traumatisme, lorsque celui-ci a porté sur des organes tels que l’équilibre du milieu intérieur en ait été profondément troublé. Mais cette action n’est pas spécifique, elle produit chez les descen- dants diverses modifications qui ne sont pas nécessairement celles présentées par le parent. 3° Hérédité des variations liées aux infections ou intoæica- tions.— Le moment me parait venu d'envisager les effets hérédi- taires de certaines infections ou intoxications, effets dont je n'ai pas encore parlé, parée qu'ils ne sauraient être cités comme preuve à l’appui de lhérédité des caractères acquis, au sens habituelle- ment donné à ce mot. La syphilis peut être transmise au descendant, mais ce cas est dû au passage, à travers le placenta, de agent pathogène, du Tre- ponema pallidum. Les enfants de syphilitiques, sans être syphi- litiques, peuvent cependant présenter toute une série de modifi- cations (érosions des dents, dents d'Hutchinson, voûte ogivale du palais, bec de lièvre, tibia en lame de sabre, hydrocéphalie, stra- bisme, nanisme, atrophie de certains doigts, polydactylie, syn- dactylie, nyethéméralopie, etc...), toutes manifestations dont lPen- semble constitue ce que lon appelle Phérédo-syphilis. Les descendants de tuberculeux, sans être eux-mêmes tuber- culeux, peuvent aussi présenter certaines malformations des dents, des os (front bombé, crâne carêné, bec de lièvre, rétré- cissement du thorax), des malformations cardio-vasculaires (rétré- cissement mitral et nanisme consécutif, cyanose congénitale), de la surdi-mutité, de la chlorose, des ongles recourbés, la teinte rouge-vénitien des cheveux, ete... RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 65 L'alcoolisme se traduit aussi chez les descendants par des tares bien connues : absence de certaines dents ou persistance des dents de lait, crâne en pain de sucre où manquant d’une portion de loccipital, ectrodactylie, pied bot, infantilisme, microcéphalie, strabisme, épilepsie, etc...) Quelques-unes de ces tares sont communes à la descendance des parents atteints de l’une ou l’autre de ces trois causes d’in- toxication. Beaucoup de monstruosités fœtales, non viables, sont justifiables d'une semblable origine. Ces observations faites sur l'espèce humaine ont été complé- tées par de très intéressantes expériences dues à SrockaRD (54). Cet auteur a intoxiqué des Cobayes au moyen d’inhalations de vapeurs d'alcool. Les effets immédiats sont très variables, lani- mal étant déprimé ou, au contraire, excité, mais conservant un bon état général. Lorsqu'on accouple des mâles ainsi intoxiqués avec des femel- les normales, on observe une proportion considérable de couples stériles, d’avortements ou de mise au monde de petits mort-nés. Beaucoup de ceux qui viennent au jour, vivants et à terme, meu- rent peu après leur naissance; ceux enfin qui restent en vie présentent divers troubles nerveux ou des lésions oculaires. Or, même si ces descendants ne sont pas soumis à laction de l’alcool, leurs enfants présentent des manifestations pathologiques de même ordre, que ceux-ci transmettent à leur tour à leur des- cendance. À côté d’un grand nombre de Cobayes mort-nés ou venus avant terme, on observe, en effet, des animaux vivants, mais atteints de troubles nerveux tels qu'une sorte de paralysie agitante, ou de lésions oculaires (cataracte, opacité de la cornée, yeux déformés ou asymétriques), de monophtalmie où d’anoph- talmie avec disparition totale des globes oculaires, des nerfs optiques, du chiasma, etc... Certains présentent enfin des mal- formations des extrémités. Ici encore il ne s’agit nullement de la réapparition chez le des- cendant de lésions identiques à celles des parents. L'intoxication a déterminé une modification générale du milieu intérieur qui a agi, soit par les poisons eux-mêmes, soit par les produits de réac- tion de l'organisme, sur les éléments sexuels. Ceux-ci ont été modifiés et cette modification se traduit chez le descendant par toutes sortes de dystrophies ou de malformations dont ensemble +) 66 E. GUYÉNOT constitue ce qu’on appelle, suivant les cas, hérédités alcoolique, tuberculeuse, ou syphilitique. Ces manifestations pathologiques sont autant d'exemples de ce fait que, dans les variations acquises, iln'y a d’action possible sur la descendance que par l'intermédiaire des variations générales du milieu intérieur qui conditionnent, accompagnent ou suivent ces variations. Il est intéressant d’opposer à ces faits la non-hérédité de lPim- munité acquise. À la vérité il serait étonnant que cette immunité due à des propriétés humorales, conditionnées par les leucocytes de l'individu, passät aux descendants, les échanges à travers le placenta étant laissés de côté. Par contre, il n’est pas démontré que les descendants d'animaux immunisés contre telle ou telle infection, s'ils n’héritent pas de cette immunité spécifique, ne puissent pas présenter quelque modification physiologique, diffé- rente de celle des parents. 4° Hérédité des variations liées à l’action des autres facteurs du milieu. — Ainsi que Wersmaxx l’a nettement indiqué, la signi- fication des expériences ayant trait à Paction des différents fac- teurs du milieu dépend essentiellement de la nature des facteurs envisagés. Les uns, tels que la température, certaines radiations (rayons X, rayons ultra-violets, radium), étant susceptibles d’at- teindre les organes profonds, peuvent agir directement sur les cellules génitales, ce qui n'exclut d’ailleurs pas une action simul- tanée indirecte par le soma ; les autres (variations de nourriture, composition de l'air, etc...) ne peuvent atteindre les éléments génitaux qu'à travers le soma, c’est-à-dire par l'intermédiaire du milieu intérieur. L'existence de variations germinales, donc héréditaires, déter- minées par une action directe de certains facteurs du milieu sur le germen, ne saurait être mise en doute. Tower (58), notam- ment, a montré que de telles variations peuvent être produites chez Leptinotarsa decemlineata, par Paction de changements de température, mais que cette action n’est efficace que si elle est appliquée à un certain moment de l’évolution ontogénique, dans le cas particulier pendant la période de maturité génitale. Lorsqu'on observe un parallélisme remarquable entre les varia- tions des parents et celles des descendants, les lamarckiens y RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 67 voient un cas d’hérédité des caractères acquis, tandis que les weis- manniens considèrent ces faits comme dus à une action simulta- née et directe du facteur du milieu sur certains déterminants identiques du soma et du germen. Sans faire intervenir ici la notion superflue de déterminants, on peut penser que, dans cer- tains cas, les variations germinales portent sur les mêmes consti- tuants que les variations somatiques. Les modifications expérimentales observées ne sont d’ailleurs pas limitées le plus souvent à un caractère ; c’est ainsi que repre- nant les expériences de Sraxbruss et de FiscHer, relatives à l’ac- üon de la température sur les Papillons, FEDERLEY (1906) cons- tata que la variation ne portait pas seulement sur le plus ou moins grand développement des taches de l'aile, mais aussi sur la forme et la répartition des écailles, sur la disposition des ner- vures et d’autres parties des ailes. Ces variations sont très irré- gulières ; certains individus ne varient pas, d’autres beaucoup. Chez les uns les modifications portent sur les ailes antérieures, chez les autres sur les ailes postérieures. En cherchant bien on trouverait sans doute d’autres modifications. Il semble bien qu'ici encore, il s'agisse moins de caractères acquis proprement dits que d’une variation générale du germen déterminant chez les descendants des modifications qui rappellent plus ou moins celles présentées par les parents. Par contre, dans les expériences de FRÆNGKEL sur les Cobayes, l'exposition aux rayons X a bien déterminé chez ces animaux une sorte de tonsure qui a réapparu chez les descendants au même endroit. Encore ces descendants étaient-ils petits, malingres, ce qui laisse supposer que le germen avait été atteint fortement et directement par l'irradiation. Le fait expérimental le plus remarquable concerne le cas du Pècher à feuilles subpersistantes étudié par BorpaGe. La valeur du biologiste qui Pa signalé nous est un sûr garant que le fait a été bien observé et nous devons le considérer comme exact. Dans ce cas, il s’agit moins de l'hérédité d’un caractère que de la trans- mission héréditaire d’une variation générale se traduisant, entre autres choses, par la subpersistance des feuilles. On note, en effet, des modifications morphologiques externes et internes de la feuille et de l'arbre tout entier; les feuilles sont d’une teinte plus sombre, l’épiderme et la cuticule deviennent plus épais ; on 68 E. GUYÉNOT voit apparaître dans le pétiole et les nervures un tissu de soutien qui manque dans les régions tempérées. Les écailles des bour- geons sont également modifiées; c’est donc moins un caractère local qu'une modification générale qui est héritée, celle-ci se tra- duisant, soit par suite d’une modification parallèle du germen, soit peut-être par une pure coïncidence, chez le descendant comme chez l'ascendant, par une subpersistance des feuilles. Il ne faut d'ailleurs pas oublier qu'il s'agit ici d’un végétal se reproduisant par graines, c’est-à-dire au moyen d'embryons qui se sont formés et qui ont été maintenus un certain temps dans les mêmes condi- tions que le parent soumis à un climat doux. L'expérience n’a donc plus la mème signification que dans le cas d'animaux se repro- duisant par œufs, puisque le descendant à passé sa toute jeu- nesse, c’est-à-dire la période de son existence où il est peut-être le plus influençable, en étant précisément soumis aux conditions extérieures qui ont déjà modifié le parent. . En ce qui concerne les faits de la deuxième catégorie, c'est-à- dire ceux où l’action sur le germen ne peut s'exercer que par l’intermédiaire du soma, aucun d’entre eux ne peut être présenté comme établissant d’une façon péremptoire l'existence d’une héré- dité des « caractères acquis ». Déjà nous avons vu ce qu'il fallait entendre par hérédité des mutilations. Les quelques expériences citées comme des exemples d’hérédité de variations acquises sous l'influence d’un changement de nourriture ne sont nullement démonstratives. Quelques-uns des descendants d’Ocneria dispar nourris avec du Noyer, par exemple, présentent bien des varia- tions rappelant plus ou moins celles des parents, mais ce sont des variations inconstantes, fugitives, même si on continue la nourriture étrangère, et qui sont susceptibles d’être attribuées à un état de faiblesse ou d'intoxication passager de la lignée par suite de la nourriture anormale, Nous avons vu également quelle signification 1l fallait accorder à la transformation de Lecanium cornt en L. robiniarum. W s’agit d'une variation brusque, surve- nant chez de rarissimes individus et d’ailleurs réversible. La conclusion de tout ceci, c’est qu'à part des cas assez excep- tionnels pour pouvoir n'être considérés que comme de simples coïncidences, Il n°y a jamais hérédité des caractères acquis au sens propre du mot. Ce qu'il importe d'envisager, ce sont moins des variations de RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 69 caractères que des variations plus générales, affectant l'organisme dans son entier, par l’intermédiaire du milieu intérieur qui est le trait d'union entre ses différentes parties. La cellule germinale ne jouit pas, à ce point de vue, d’une situa- tion privilégiée, la mettant hors d’atteinte de ces variations de la constitution générale de l'organisme. Comme tout autre plastide, et en fonction des affinités physico-chimiques de ses constituants, elle emprunte au milieu intérieur certaines substances et lui en restitue d’autres ; elle subit plus ou moins, selon leur amplitude et selon sa nature propre, le contre-coup des variations physico- chimiques de ce milieu. C'est en ce sens qu'il y a hérédité des variations acquises par Pindividu, sous linfluence des conditions extérieures ; mais cette hérédité n’est pas spécifique, ne comporte pas la réapparition nécessaire des variations locales présentées par le parent. Celles que nous voyons apparaître chez le descendant sont parfois de nature à rappeler celles-ci, mais peuvent aussi être très différentes. L'hérédité des variations acquises est une loi générale des orga- nismes unicellulaires et s'applique aux générations de cellules d’un organisme, qu'il s'agisse de cellules sexuelles, de leucocvtes ou des éléments d’un tissu quelconque de léconomie. Les leuco- cytes d’un organisme immunisé lèguent à leurs descendants la propriété d'entretenir cette immunité. La cellule devenue cancé- reuse transmet cette propriété à toutes celles qui dérivent de sa multiplication. La cellule sexuelle modifiée lègue cette modification aux cellules de Porganisme qu'elle engendre. Tout ceci sous réserve que ces propriétés acquises ne sont pas éternelles, qu'elles ne persisteront que dans la mesure où un nouveau changement des conditions ne les aura pas modifiées à nouveau. Si l’hérédité des modifications acquises se présente comme un fait constant à l'échelle cellulaire, 1! n’en est plus de même à l'échelle des organismes. C’est qu'ici le milieu des cellules sexuel- les ou somatiques, susceptible de déterminer en elles des modifi- cations acquises, est le milieu intérieur, dont la caractéristique la plus remarquable est la constance. Il semble, en effet, que tous les organes de l’être vivant concourent, à l’envie, au maintien de la composition physico-chimique de ce milieu. Il ne saurait d’ailleurs varier dans des limites un peu importantes sans entrai- ner la mort de Pindividu. 70 E. GUYÉNOT Pour apprécier la possibilité d'un retentissement sur la descen- dance d’une variation acquise, 1l faut donc rechercher quelle est la nature de la modification générale du milieu intérieur qui en est l'accompagnement, la cause ou l'effet. Ce n’est, semble-t-il, que dans des cas exceptionnels que celle-ci sera assez intense, assez durable, pour, sans entraîner la mort de Porganisme, influencer d’une manière non éphémère ses cellules génitales. Ceci nous permet de comprendre qu'à côté de cas certains de retentissement sur la descendance des modifications acquises, il y en ait tant où ce retentissement peut être cherché en vain. Je n'en citerai qu'un exemple pour terminer. Depuis des siècles, l’homme entretientet multiplie par bouture, greffe ou marcottage des arbres fruitiers, des plantes ornementales, des plantes ali- mentaires telles que la pomme de terre. Autant les caractères de chaque race se conservent par ce mode de multiplication, autant ils disparaissent, en général, lorsqu'on cherche à reproduire ces organismes par la voie sexuée. Les noyaux de nos arbres fruitiers nous donnent des arbres sauvages ou très voisins de Pétat sau- vage ; les Pommes de terre issues de graines sont des plantes à tubercules petits, âcres et non comestibles. Depuis des siècles, ces organismes produisent pourtant chaque année des graines et, mal- gré ce laps de temps, celles-ci sont encore sensiblement pareilles à celles de leurs ancêtres sauvages. Si nous devons vraisemblablement renoncer à la notion de l’'hérédité des caractères acquis, pour ne conserver que celle de retentissement sur la descendance des variations générales acquises, il en résulte que la conception lamarckienne ainsi trans- formée perd toute sa signification au point de vue de lexplica- tion de ladaptation des êtres vivants à leurs conditions d’exis- tence. Si la variation du parent se traduit chez le descendant par quelque chose pouvant être tout différent, ce facteur primaire de l’évolution ne saurait à lui seul expliquer ladaptation. Nous som- mes ainsi conduits à en chercher l’origine dans d’autres facteurs de l'organisme ou du milieu, C’est ce que nous allons mainte- nant envisager, RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME fl IV LES VARIATIONS D'ORIGINE INTERNE ET L'ADAPTATION SECONDAIRE PAR SÉLECTION Tandis que les variations d’origine externe, considérées par les lamarckiens comme des réactions adaptatives, permettent, en admettant l’existence de lhérédité des caractères acquis, d’expli- quer l'adaptation des êtres vivants à leur milieu, ilest évident que des variations internes, déterminées par quelque cause intérieure purement fortuite, n'ont aucun caractère adaptatif nécessaire. L'adaptation ne se comprend que si l’on fait intervenir cette notion que seules les variations utiles ou du moins compatibles avec la survie peuvent être transmises, tandis que les variations nuisibles amènent plus ou moins rapidement la disparition de la lignée qui en est le siège. Cette idée est souvent exprimée dans un langage imagé, en disant que la nature choisit parmi les diverses variations celles qui sont profitables à la race et détruit celles qui sont préjudiciables, comme un éleveur choisit, sélectionne parmi ses produits ceux qui présentent au maximum les particu- larités recherchées. C’est l’immortel mérite de Darwin d’avoir montré le rôle énorme que cette sélection à joué et joue dans l’évolution des êtres vivants. Ce qu'on appelle avec Darwi lutte pour la vie est une façon anthropomorphique d'exprimer ce fait d'expérience qu’un organisme ou une lignée d'organismes ne survivent que si, à chaque instant, ils présentent une constitution et par suite une structure et un fonctionnement capables de leur permettre de continuer à vivre dans les conditions de milieu qui leur sont fai- tes. Ainsi un animal devra pouvoir résister aux grosses chaleurs de l'été, aux froids de l'hiver, se nourrir d’une proie qu'il puisse se procurer en quantité suffisante, être susceptible d'échapper par la défense, l’invisibilité ou la fuite aux autres êtres qui con- stituent ses destructeurs naturels. Enfin, sion considère les diffé- rents organismes d’une même espèce dans une même région, il est clair que les plus agiles, les plus forts, d’une façon générale 72 E. GUYÉNOT les mieux doués seront plus capables de se nourrir, se maintenir, se reproduire au détriment des plus faibles, des moins aptes qui auront plus de chances de disparaître. C’est surtout cette der- nière considération qui évoque l'idée d’une lutte entre les orga- nismes pour la conservation de leur existence. Si on dégage l'idée de la sélection de ces expressions métaphoriques qui ont une vague allure finaliste, on voit que la sélection se ramène à ce fait indiscutable : les mieux adaptés à des conditions de vie don- nées ont plus de chance de subsister que les moins bien adaptés à ces mêmes conditions. Prise dans sa généralité, la conception de la sélection est donc inattaquable ; les divergences commencent quand il faut expli- quer comment le fait de la sélection, répété pendant des nombres immenses de générations, a déterminé cesévolutions progressives ou régressives par rappor tà une structure donnée, dont la paléon- tologie nous a ense igné F existence, et qui nous incitent à penser que la plupart des adaptati ions actuelles doivent avoir été réalisées d’une façon lente et graduelle. L'origine des variations et la sélection d'après Darwin Préoccupé surtout par le désir d'établir le rôle essentiel de la sélection naturelle dans évolution des espèces, Darwin ne s’est que peu occupé de l’origine même des variations sur lesquelles porte la sélection. Quel que soit le mécanisme de leur apparition, de très nombreuses variations se présentent constamment dans la plupart des espèces et cette constatation suffit pour étayer, en admettant que ces variations soient héréditaires, toute la théorie de la sélection. Aussi, sans chercher à approfondir cette question de l’origine des variations, Darwin établit-il ses raisonnements en supposant que telle ou telle variation est survenue par hasard. [ne semble pas que, dans sa pensée, cette origine fortuite des variations ait d’ailleurs la signification qu’elle à prise ultérieu- rement chez certains néo-darwiniens attribuant lapparition des variations à des accidents purement internes, sans relation avec les conditions extérieures. « Je me suis, nous dit-il en effet, jusqu’à présent quelquefois exprimé comme si les variations — si com- munes et si diverses chez les êtres organisés soumis à la domes- 1 O9 RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME tication et à un degré moindre chez ceux qui se trouvent à Pétat de nature étaient dues au hasard. Ce terme qui, cela va sans dire, est incorrect, sert simplement à indiquer notre ignorance complète de la cause de chaque variation particulière ». Se basant sur la fréquence des variations chez les animaux domes- tiques soumis à des conditions très variables et sur d’autres don- nées, il considère « que la variabilité est en relation directe avec les conditions extérieures auxquelles chaque espèce a, pendant plu- sieurs générations successives, pu être exposée ». Non seulement Darwix admet ainsi que les variations sont généralement liées à des actions du milieu, mais il adopte également la conception de l’'hérédité des caractères acquis. « est incontestable que, chez nos animaux domestiques, usage fortifie et développe certaines parties, que le défaut d'usage les diminue et que des modifica- tions de cette nature sont héréditaires. » Mais, si remarquables que soient les influences exercées par les conditions extérieures, «nous pouvons sans crainte dire que ce n'est point à leur action seule qu'on doit attribuer les innombrables et complexes coadap- tations de conformation que nous observons dans la nature. » Pour les expliquer, 1l faut faire intervenir la sélection qui est elle-même une résultante des conditions extérieures : «On peut, dans un certain sens, dire que les conditions extérieures causent, non seulement la variabilité, mais qu'elles comprennent aussi la sélec- tion naturelle ; car ce sont elles qui décident de la variété qui doit survivre ». J’aitenu à citer ces quelques passages pour bien établir la différence qui sépare Darwix de certains naturalistes néo-darwiniens qui, tout en invoquant la sélection telle que le grand naturaliste anglais l’a entendue, différent profondément de lui en ce qui concerne la part jouée par les circonstances exté- rieures dans l’évolution des êtres. Mais, Je le répète, ces idées sur l’origine des variations, Dar- WIN ne s’est pas appliqué à les préciser et à les approfondir et il y à là, à la base même de son système, une lacune qui à retenti d’une façon regrettable sur la solidité de tout l'édifice. On connaît les grandes lignes de la théorie darwinienne. Si, dans une lignée, apparaît, chez certains individus, par hasard (sous réserve des explications données plus haut) une variation, même faible, mais utile et héréditaire, ces organismes auront plus de chances de se reproduire et leurs descendants possèderont, Fa E. GUYÉNOT par hérédité, la même modification avantageuse. Si parmi ceux- ci, immédiatement ou au bout de plusieurs générations, apparaît une nouvelle variation de même nature, mais plus considérable et par suite encore plus utile, elle sera de préférence conservée par sélection et ainsi, par sélection de variations successives de faible amplitude, pourra se former graduellement une variété ou une espèce nouvelle qui supplantera petit à petit Pespèce dont elle est issue, Il va sans dire qu'au lieu d’être réalisée ainsi, par étapes, la modification pourrait apparaître d’emblée chez certains individus. Darwin a cité un certain nombre de ces variations brusques ou sports, mais leur signification évolutive lui a paru restreinte. Critique. —W nous faut distinguer, dans cette conception, plu- sieurs points de vue. Etant donnée une population d'individus de même espèce, il est évident que ceux qui présentent des variations les rendant mieux doués, mieux adaptés aux circon- stances extérieures, ont plus de chances de survivre. C'est le fait incontestable de la survivance du plus apte, selon lexpres- sion due à SPENCER. Mais que faut-il entendre par plus ou moins apte ? S'il est certain que des variations d’une assez grande amplitude peuvent conférer à leurs porteurs un avantage ou un désavantage réels, en est-il de même des variations souvent très faibles sur lesquelles Darwin établit son raisonnement ? Sans doute, il peut être avantageux pour un Mammifère vivant sur la neige d’avoir un pelage blanc, mais si ce pelage est apparu pro- gressivement, par sélection, quel avantage a pu résulter, chez les ancêtres de cette lignée, de la présence de quelques poils blancs seulement ? C’est là un des premiers points faibles de ce système. Il faut cependant ne pas oublier que les variations ne sont généralement pas isolées, que diverses parties du corps varient corrélativement. La sélection à pu porter non sur la variation envisagée, mais sur quelque autre variation corrélative qui con- stituait, elle, un avantage ou un désavantage sérieux. Le fait est bien connu des éleveurs qui pratiquent la sélection artificielle. «Il en résulte que l'homme, en continuant toujours à choisir et à augmenter ainsi une particularité, modifiera en même temps et sans le vouloir, d’autres parties de la conformation liées à celle qu'il recherche, par les lois mystérieuses de la corrélation ». Darwin a cité,entre autres, le cas célèbre des porcs de la Floride, RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 75 où l’on ne peut conserver que des animaux à soies noires, parce qu'ils peuvent manger impunément le Zachnantes, tandis que cette plante est mortelle pour les individus blancs. Il faut aussi tenir compte du fait que des variations, en apparence Insigni- fiantes, peuvent avoir pour la viabilité de la lignée une grosse importance. DowxiN&G à montré, nous dit DarwIN, qu'aux Etats- Unis «les fruits à peau lisse sont beaucoup plus'attaqués par une espèce de Charançon que ceux à peau velue, que les Prunes rouges sont beaucoup plus sujettes à une certaine maladie que les. jaunes, enfin qu’une autre maladie sévit beaucoup plus for- tement sur les Pêches à chair jaune que sur celles dont la pulpe est d’une autre couleur ». Voilà des faits qui montrent que le duvet qui recouvre certains fruits, ainsi que la couleur de leur pulpe, peuvent avoir une plus grande importance que Pon ne serait enclin tout d’abord à le supposer. Enfin, on sait le parti que Darwix à tiré de la sélection sexuelle pour expliquer la façon dont certains caractères sexuels, en apparence purement ornementaux et sans intérêt pour la conservation de l’espèce, seraient étroitement soumis à la sélection. Un deuxième point est le suivant : les variations sur lesquelles porte la sélection sont des variations de faible amplitude ; Dar- win base surtout son système sur les variations individuelles, constituant la variabilité flottante. Pour que la sélection de ces variations puisse avoir une signification évolutive, il faut qu'elles soient héréditaires. « Toute variation non héréditaire est sans intérêt pour nous ; mais le nombre et la diversité des déviations héréditaires de structure, tant insignifiantes que présentant une importance physiologique considérable, sont infinis ». C’est du moins ce que l’on observe chez les animaux domestiques, le tra- vail des éleveurs consistant précisément à sélectionner des varia- tions souvent minimes, mais héréditaires. Darwin pense que Îles variations, présentées par les espèces vivant dans la nature, sont aussi le plus souvent héréditaires. « Les nombreuses et légères différences qui surgissent fréquemment chez les descendants de mêmes parents, ou auxquels on peut supposer une telle origine, s’observant fréquemment chez les individus de même espèce, habitant une localité déterminée, peuvent être qualifiées de diffé- rences individuelles. Personne n’admet que les individus d’une mème espèce soient tous fondus dans le même moule, et ces 76 E. GUYÉNOT différences individuelles ont pour nous une haute importance, car ainsi que chacun le sait, elles sont toutes héréditaires et four- nissent des matériaux sur lesquels la sélection naturelle peut exercer son influence en les accumulant, exactement comme homme accumule chez ses productions domestiques, dans quel- que direction donnée que ce soit, les différences individuelles qu'il peut avoir intérêt à développer. » C’est sur cette variabilité individuelle, ainsi que parfois sur des variations plus fortement accusées, que porterait la sélection naturelle. L'étude expérimentale de la variation à depuis montré, ainsi que nous le verrons, qu'il y a beaucoup moins de variations héré- ditaires que Darwin ne le supposait. Sans doute, dans une popula- üon présentant une variation continue, fluctuante, on peut bien dans certains cas, par sélection, séparer les génotypes qui par leur réunion et leur croisement donnent Fimpression de varia- bilité continue, mais souvent aussi on à constaté que nombre de variations individuelles, liées aux conditions du milieu, n'étaient nullement héréditaires et que la sélection de telles variations était absolument inefficace. I y à ainsi d'innombrables variations non héréditaires, si bien que la sélection des variations minimes apparaît comme incapable d'expliquer Fensemble de Pévolution des êtres vivants. Une troisième question, très importante pour comprendre le mécanisme de formation des espèces par sélection est liée encore plus directement au problème de lorigine des variations. Lorsque des individus ont présenté une variation utile d'une certaine amplitude et héréditaire, leurs descendants sont affectés de la même variation avec une amplitude égale ou inférieure à celle des parents, mais il n’y a pas de raison @ priort, pour que cette amplitude soit supérieure. La théorie exige cependant que la sélection porte graduellement sur des variations de plus en plus accentuées Jusqu'à l’état que nous constatons aujourd’hui comme le plus avancé. Si Pon admet que les variations sont d’origine externe et que les conditions extérieures continuant à agir condi- üonnent la variation de tel ou tel organe, dans un certain sens, on peut comprendre que l’action cumulative de ces conditions produise une aggravation progressive de la modification envi- = , . à . . , . RACE DER sagée. Mais on voit immédiatement que cette conception n'est autre que celle de lhérédité des caractères acquis dont nous RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 117 avons vu les difficultés et que la sélection n'est plus qu'un adju- vant favorisant l’évolution qui se fait alors naturellement et pré- cisément dans le sens utile. Si l’on estime que les variations sont d’origine interne, n'ayant avec les conditions extérieures que des relations très lointaines et telles que ces conditions n’en déterminent ni la nature, mi la grandeur, Papparition d'une variation d’un type plus accentué ne présente qu'une très faible probabilité. Les mutations étant réa- lisées au hasard, il y a autant de chance pour qu'il n°y ait à un moment donné aucune variation de l’organe considéré ou pour qu'il y en ait dans n'importe quel autre organe ou dans le même organe, mais dans n'importe quelle direction. Sans doute la sélection pourrait cependant agir, là variation de degré plus élevée n'étant pas impossible, mais il faudrait par- fois un temps considérable avant que celle-ci fut réalisée. De plus, pendant ce laps de temps, toutes sortes d’autres variations auront pu prendre naissance et donner prise directement, ou par variations corrélatives, à la sélection. Il est alors difficile de com- prendre que l'évolution puisse se produire dans un sens donné, sans qu'entre chaque étape la lignée se soit complètement trans- formée et dans toutes les directions. Aussi beaucoup d'auteurs ont-ils été amenés, en se basant d’ailleurs sur des faits très sug- gestifs, à penser que l'évolution se faisait naturellement dans un sens donné, qu'une fois une variation produite, il y avait dans la lignée une constitution telle qu'une nouvelle variation de même sens et plus accentuée tendrait à se produire. L'appel fait à cette conception de lorthogenèse montre bien que la sélection ne suffit pas à tout expliquer, et qu'aucune conception n’est sus- ceptble, de par sa simplicité, d’embrasser dans son ensemble le mécanisme si complexe de lévolution. En dehors de ces critiques qui portent sur les matériaux même soumis à la sélection, on en a fait beaucoup d’autres, devenues classiques, ayant trait à l'efficacité de la sélection elle-même. On a montré notamment que la concurrence entre individus ne revêt pas le caractère de lutte acharnée que lon s’est plu à représen- ter. Dans bien des cas, ce sont les conditions elimatériques qui constituent de beaucoup le facteur sélectif le plus important. D'autre part, s'il est vrai que c’est dans les genres les plus riches en espèces qu'on observe la plus grande variabilité, celle-ci 78 E. GUYÉNOT parait être surtout réalisée lorsque les conditions de vie sont favorables, plutôt que dans les cas où les organismes ont à lutter contre des conditions très dures. Luraer BurBaxk, cultivateur de Californie, a constaté que ce sont les cultures en terrain riche et dans de bonnes conditions qui déterminent le plus faci- lement des variations nouvelles. Bien souvent, d’ailleurs, le sort des variations nouvelles dépend moins de leur utilité que d’un hasard aveugle, des circonstances fortuites qui, pendant la vie larvaire ou au cours de la vie adulte, laissent subsister certains êtres ou déterminent la mort d’autres organismes. Cette consta- tation limite singulièrement le champ de la sélection naturelle. D'autre part il ne faut pas oublier que si une variation est avan- tageuse, elle peut être souvent compensée par quelque variation nuisible, si bien que la sélection s'exerce en réalité sur un ensemble et non sur telle ou telle particularité. L'origine des variations et des espèces d'apres Weismann Dans la première théorie qu’il a émise (£ssais sur l'hérédité), Weismanx rattache les phénomènes d’hérédité à la continuité, à travers les générations, du plasma germinatif. La variation ne pouvant provenir de l’hérédité des caractères acquis qui n’exis- terait pas, il faut en chercher la cause dans des modifications internes du plasma germinatif. Weismanx a d'abord pensé qu'une première source de variations pouvait provenir du fait de lexpul- sion d’un certain nombre de plasmas ancestraux, lors de la for- mation du deuxième globule polaire. Ce serait grâce à ce proces- sus que le nombre des plasmas ancestraux n’irait pas en suivant une progression géométrique au cours des générations. Cette expulsion de plasmas ancestraux dans le deuxième globule polaire se ferait plus ou moins au hasard, d’où variation. Une deuxième cause de variation tiendrait à la génération sexuelle qui, en combinant les plasmas germinatifs des parents et tous les plasmas ancestraux qu’ils contiennent, engendrerait une diversité infinie entre les produits. Ceci suppose l'existence préa- lable de variations chez les ancêtres et, comme ces variations ne peuvent avoir été acquises, il faut de proche en proche remonter en chercher Porigine jusque chez les premiers ancêtres, Îles RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 79 Protozoaires, chez lesquels il y a hérédité des caractères acquis. Ce sont donc les différences acquises des Protozoaires ancêtres qui, en se combinant pendant des générations, auraient engendré la série croissante des variations individuelles, au moyen des- quelles la sélection à pu donner naissance à toutes les espèces animales ou végétales. Enfin Weismaxx accorde, comme nous Favons vu, une certaine influence aux conditions extérieures, mais cette influence est infime. ‘Lorsque, plus tard, WEismaxn eut élaboré sa théorie des déterminants, 11 fut nécessairement conduit à placer l’origine des variations dans une modification du ou des déterminants cor- respondants. Or, d’après lui, ces déterminants se multiplieraient pendant tout le développement de la lignée sexuelle ; il en résul- terait que, pour toute espèce de causes fortuites, les différents biophores se diviseraient avec une plus ou moins grande vitesse, si bien qu’au bout d’un certain temps, les déterminants ne seraient plus identiques à ce qu'ils étaient au début. D'autre part, l’auteur fut amené à accorder une grande importance aux variations des déterminants sous l’influence des conditions exté- rieures. Lorsqu'une action extérieure modifie certains détermi- nants des cellules du soma, elle agirait simultanément, quoique d’une façon affaiblie, sur les déterminants identiques du germen. Niant systématiquement Phérédité des caractères acquis, Weismann devait trouver une autre explication des phénomènes d'adaptation. Il ne pouvait, d’autre part, ne pas reconnaitre le bien-fondé des critiques fondamentales adressées à la sélection : comment notamment les variations pouvaient présenter, au cours des générations, cette accentuation graduelle que suppose la théo- rie. Or, la caractéristique du système de Weismanx est d’éluder une difficulté en faisant une hypothèse nouvelle susceptible de a résoudre. Cette opération à consisté dans le cas particulier à imaginer la sélection germinale. Transportant, un peu par abus de mot, la sélection dans le royaume hypothétique des déterminants, WEisMANN, reprenant l’idée de la lutte entre les parties de Porganisme, introduite par W. Roux, imagina une lutte entre les déterminants, dans le ger- men. Au cours de leur division par reproduction, certains déter- minants, pour toute espèce de causes fortuites, se multiplient plus intensément que d’autres. Is se trouvent plus nombreux et plus 80 E. GUYÉNOT forts. À la génération suivante la lutte reprend entre ces détermi- nants déjà favorisés et les autres déterminants restés au même niveau où même placés à un niveau inférieur. Les déterminants les plus favorisés se multiplient le plus intensément et cette accen- tuation est d'autant plus marquée que la lutte est plus inégale avec les autres déterminants à chaque génération. Consécutive- ment les parties, conditionnées par les déterminants favorisés, seront, au cours des générations, de plus en plus développées. Ainsi s’expliqueraient mécaniquement les faits d’orthogénèse. Critique. — On pourrait adresser bien des critiques à la con- ception de Weismaxx, si l’on voulait descendre dans le détail de ses différentes parties. Il en est une fondamentale : tout le sys- tème particulaire des déterminants et biophores, qui dérive d’ail- leurs des gemmules de Darwix, des caractères élémentaires de NzæGelt, des particules de pe VRiEs, ne repose absolument sur rien, C’est une création pure de Pimagination, qui se prête, évo- lue, suivant les difficultés ou les problèmes qui se présentent. Des plasmas ancestraux, WEIsmanx à passé aux déterminants ; de la différence d’essence entre soma et germen, WEïIsmanN en est venu à placer dans toutes les cellules les mêmes déterminants, mais à des états d'activité différents. Après avoir écarté presque complètement les influences du milieu comme facteur d'évolution, il est amené à leur attribuer la plupart des variations germinales et à y chercher les causes directes de la lutte entre les détermi- nants. Si Weismanx à eu le mérite de discuter la question de l’hérédité des caractères acquis, toute son œuvre, antiscientifique par son caractère d’hypothèse non basée sur des faits, à été néfaste par le retentissement regrettable qu'elle à eu Jusqu'à ce jour sur toute la biologie. La théorie de la mutation de De Vries Bien que nettement différente par certains points des concep= tions que nous avons déjà envisagées, la théorie de Porigine des espèces par mutation se rattache étroitement au darwinisme par le rôle prépondérant qu'elle attribue à la sélection. Elle est proche du weismannisme par l’origine interne qu’elle assigne aux varia- tions héréditaires et par certains points de vue théoriques, notam- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME S1 ment l'hypothèse de l'existence de particules représentatives des caractères des organismes : les unités spécifiques de pe VRies sont sœurs des déterminants de WEISMAnNx. Un des mérites incontestables de la théorie de pe VRies est qu'elle est basée sur de patientes expériences d’un puissant inté- rèt. J’examinerai avant tout les observations fameuses faites sur Œnothera lamarckiana, qui sont à la base de son système. L'origine d'(Ænothera lamarckiana n'est pas connue avec cer- ütude. Selon les uns, elle proviendrait du Texas, où elle aurait vécu à l’état sauvage. Pourtant on n’a encore jamais pu l'y retrou- ver en cet état. On raconte qu'elle fut importée en Angleterre, comme plante ornementale, vers 1858. Il semble, d'autre part, qu'elle ait déjà existé, en ce pays, au xvin® siècle. Quoi qu'il en soit, elle se répandit assez rapidement en Europe où on la retrouve quelquefois échappée des jardins et prospérant à l’état sauvage. C’est ainsi que dans un champ de Pommes de terre abandonné aux environs d'Amsterdam, à Hilversum, pe VRIES trouva plu- sieurs centaines de pieds d’'(Ænothera lamarckiana qui présen- taient une grande variabilité des différents organes, notamment de nombreux cas de fasciation et d’ascidies foliaires. D'autre part, à côté des formes-types se trouvaient deux formes nouvelles, Œnothera brevistylis et ŒEnothera lœvifolia, qui paraissaient provenir d’'Ænothera lamarckiana. Pensant que PÆnothera lamarckiana d'Hilversum était en voie de produire des variétés nouvelles, DE VRies en transporta Q pieds dans le jardin botani- que d'Amsterdam en 1886 et prit les précautions nécessaires pour assurer leur autofécondation. Les premiers descendants, en 1888-89, comprenalent 19.000 ŒEnothera lamarckiana et 10 mutants appartenant à deux formes nouvelles (nanella et lata). L'année suivante (1890-91), 10.000 individus étaient du type lamarckiana, 3 du type nanella, 3 du type lata et 1 d’une nouvelle forme (Ænothera rubrinervis. En 10 ans, apparurent ainsi, et à plusieurs reprises, 7 formes nouvel- les, 7 mutations provenant de ŒÆnothera lamarckiana : gigas, albida, oblonga, rubrinervis, nanella, lata, scintillans. Les formes trouvées à Hilversum, (Ænothera brevistylis et lœvifolia, n'apparurent pas dans ces cultures. Ces mutants ne représentent d’ailleurs pas toutes les mutations possibles d’'(Ænothera lamarchkiana : Des graines fournies à : 6 82 E. GUYÉNOT Mac Douear (37), et semées dans le Jardin botanique de New- York, donnèrent encore 7 mutants nouveaux, en plus de ceux décrits par De VRIES. Les caractéristiques de ces mutations sont les suivantes : 1° Les mutants apparaissent brusquement, c’est-à-dire sans inter- médiaires et toujours en petit nombre. Ainsi, sur plus de 80.500 individus recueillis en 10 ans de culture, il n’y eut que 834 mutants appartenant aux 7 types nouveaux. Certains n'apparurent qu'une seule fois {(Ænothera giqgas), d’autres seulement 8 fois (Œnothera scintillans), 32 fois (Œnothera rubrinervis), 6 fois (Œnothera albida). La forme la plus fréquemment observée fut Œ. oblonga (350 individus). 2° Les mutants déjà apparus à une génération peuvent réappa- aitre, en nombre variable, aux générations suivantes de la plante souche. Ils se détachent ainsi de la lignée (Ænothera lamarckiana comme autant de rameaux, le type /amarckiana continuant à persister et à représenter l’immense majorité. 3° Ces mutations sont caractérisées, non par une variation por- tant sur tel ou tel organe, mais par un changement général don- nant à la plante un habitus tout nouveau et qui, à l’analyse, porte sur la robustesse des tiges, la forme, la couleur des feuilles, des nervures, la disposition des fleurs, des capsules, des grai- nes, etc: 4° Un certain nombre de ces mutants sont immédiatement héréditaires, c’est-à-dire que tous les descendants ou la très grande majorité de ceux-ci sont semblables au mutant parent. Mais, particularité très remarquable, on voit apparaître parmi ces des- cendants des mutations nouvelles ou qui sont précisément quel- ques-unes de celles déjà produites par ŒÆnothera lamarckiana. C’est ainsi qu'Ænothera lœvifolia (supposée provenir de (Œ. lamarckiana et trouvée seulement à Hilversum) a donné naissance aux variétés lata, nanella, elliplica. Le mutant Œ. na- nella donna la forme oblonga. Les (ŒE. rubrinervis produisirent les mutants /eplocarpa et redonnèrent lata. D° D’autres mutations ne sont héréditaires que d’une façon très inconstante. Non seulement elles donnent comme les précé- dentes de nouvelles mutations, mais, fait inattendu, une propor- tion parfois très élevée des descendants reproduisent le type ori- ginel ŒÆ, lamarchiana. Cest ainsi qu'(Æ. elliptica ne réapparaît RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 83 que dans une faible portion de sa descendance, de 0,2 à 15 p. 100; tous les autres individus étant des (Æ. lamarchkiana. De même Œ. scintillans, fécondée avec son propre pollen, donne soit 1/3 de scintillans et 2/3 de lamarckiana, soit inversement 1/3 de lamarchkiana et 2/3 de scintillans. Cette mutation produit en outre souvent des mutants des types oblonga, lata et nanella. Tels sont les principaux faits : Voyons quelle interprétation en donne pe Verres. L'auteur part d’une conception de l'espèce déjà formulée par certains botanistes, à la suite de cultures étendues de quelques espèces, telles que les Draba verna, étudiés par JoRDAN. L'espèce définie par Linxé serait une unité trop vaste, qui serait en réalité constituée par toute une série d'espèces élémentatres et fixes. La variabilité d'une espèce linnéenne serait due à ce que lon confond entre elles ces diverses espèces élémentaires. Cha- cune d’elles prise individuellement se reproduirait d’une façon constante. Elle serait fixe. Nous verrons comment cette concep- tion qui à souvent abouti à une pulvérisation exagérée des espèces linnéennes a cependant trouvé, dans la notion moderne des géno- types, une confirmation expérimentale. Pour pe VRies, ce qu'il importe de considérer au point de vue évolutif ce n’est n1 la variation individuelle (ce qu'il appelle fluctuation), n1 lespèce linnéenne, mais l'espèce élémentaire qui serait une unité réelle. Ces espèces élémentaires se formeraient non d’une façon lente et graduelle par accumulation de variations individuelles, ainsi que le pensait Darwin, mais prendraient naissance brusquement, par mutation. C’est à une semblable explosion d'espèces élémen- taires que DE VRies pense avoir assisté dans le cas d'(Ænothera lamarckian«. Les mutants ainsi apparus sont vigoureux ou faibles, adaptés ou non aux circonstances extérieures. Dans la nature, ceux qui sont trop fragiles ou qui sont le siège de variations nuisibles dis- paraissent. Les mutants forts ou adaptés persistent. L'adaptation résulterait uniquement de la sélection. Tel serait, selon pe Vies, le mécanisme fondamental de évolution : apparition d'espèces élémentaires par mutation et sélection aboutissant à l’adaptation après COUP. Quant à l’origine de ces mutations, elle résiderait uniquement dans des modifications germinales, liées à des causes internes. Sans doute, les actions du milieu peuvent déterminer dans Porga- S4 E. GUYÉNOT nisme des modifications qui vraisemblablement déclenchent la mutabilité, c’est-à-dire la possibilité de produire des mutants, possibilité qui n’est d’ailleurs pas constante, mais qui n'apparait qu'à certains moments et après des périodes souvent longues de fixité. Mais à cela se borne lPaction du milieu dans la genèse des mutations. À ce point de vue, DE VRies, qui d’ailleurs n’admet pas les vues lamarckiennes, se rapproche nettement des idées de Weismaxn. Les mutations, d’origine purement congénitale, se ramènent à lacquisition ou à la perte, ou encore à la mise en latence, ou au réveil de certains caractères, tout ceci conditionné par des particules matérielles, les « unités spécifiques », qui ne sont autre chose que des déterminants. Critique. — Nous devons maintenant nous demander si Pin- terprétation de ses expériences donnée par pe VRIEs est correcte et si les mutations jouent réellement dans la genèse des espèces le rôle décisif que leur attribue le botaniste hollandais. Il y a dans ces résultats expérimentaux deux faits assez décon- certants; c’est, d’une part, que les mutants d’Æ, lamarckiana sont susceptibles de donner à nouveau des mutants dont certains sont précisément les mêmes que ceux déjà fournis par Æ. lamarc- kiana, et, d'autre part, le fait singulier que certains mutants re- donnent par autofécondation un nombre souvent très élevé d’'Œ. lamarchkiana. West bien évident que depuis que Fon connaît les faits si nombreux d’hérédité alternative et les formes multi- ples qui peuvent dériver du croisement de deux races différant par plusieurs caractères allélomorphes, on est naturellement porté à se demander si les prétendues mutations de F(Ænothera lamarchiana ne seraient autre chose que le résultat de la disso- cation d'un hybride mendélien complexe. Tout d’abord l'expérience de pe Vries pèche par la base. D'une part, l’origine réelle d’'Æ, lamarckiana nous est inconnue. D'autre part, De VRies à pris la plante déjà en état de variation et vivant à côté de formes nouvelles telles que Æ. lœvifolia et brevistylis. L'expérience eut exigé, pour être correcte, que ces mutations apparussent chez des (Œnothères, maintenues en auto- fécondation depuis de nombreuses générations, et n'ayant pré- senté jusqu'alors aucune déviation importante du type. Aussi la supposition que l'Ænothera lamarckiana serait une plante bâtarde a-t-elle pu être développée avec succès par BaTE- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 85 son et par Lorsy. BaArTEsoN a notamment montré, par des exem- ples, la vraisemblance de cette interprétation. Si on croise Lathyrus odoratus, race Stanley, dont les fleurs sont brun sombre avec les ailes violettes, avec la race Giant White à fleurs blanches, tous les individus de la première génération sont du type Giant Purple Invincible dont les fleurs sont brun sombre avec les ailes bleues. A la deuxième génération on voit apparaîtredes Giant White pures, des Giant purple sans ailes bleues, qui redonnent des Giant White, des Majesty, des Giant Purple et de nouvelles formes ; des Mars de couleur rouge qui sont constants; des /Zer Majesty qui sont constants; enfin des //er Majesty à taches blanches qui redonnent des Grant White, des Majesty et des Majesty tachés de blanc. On pourrait fournir beaucoup d’autres exemples de ce genre. BaTEsoN en a cité de nombreux. Ces cas de dissociation d’hybri- des avec production, par croisement, de formes nouvelles rappel- lent incontestablement le cas de l(Ænothera lamarckiana. West done évident que les faits apportés par pe VRiEs ne sont nulle- ment une démonstration certaine de sa théorie des mutations, mais sont susceptibles d’être interprétés avec autant de vraisem- blance d’une façon très différente. | De faits mal interprétés, pe VRies à d’ailleurs pu tirer des conclusions en partie exactes. I serait notamment très possible que de véritables mutations soient apparues à Hilversum et que des hybrides entre ces mutations et la plante souche, recueillis par pe Vies, aient redonné des formes anciennes et peut-être disparues et même des formes nouvelles. Si le cas de P(Enothère était isolé, il serait donc peu démons- tratif, mais il prend plus d'importance si on le rapproche des mutations bien étudiées depuis, notamment celles que Mor&Gan (41-42) a obtenu dans ses élevages de Drosophila ampelophila. Dans une lignée de cette Mouche, qui depuis de nombreuses géné- rations n'avait présenté aucune variation héréditaire, MorGax vit en effet apparaître successivement, brusquement, et toujours en très petit nombre, des mutants tels que des Mouches à yeux blancs, à yeux roses, à ailes tronquées, à ailes perlées, à ailes miniature, etc. Presque toutes ces mutations furent d'emblée héréditaires ; dans leurs croisements entre elles et avec la forme normale, elles suivirent la règle mendélienne ; souvent enfin elles 86 E. GUYÉNOT donnèrent naissance à leur tour à des mutations nouvelles. IT y a entre ce cas et celui de (ŒÆEnothère cette différence qu’une muta- tion devenue constante ne redonna jamais les autres mutations déjà détachées de la forme normale, ni surtout cette dernière. Cette observation confirme linterprétation d’après laquelle ces deux catégories de faits seraient liées chez l'Œnothère à une. hybridation antérieure, tandis que les autres résultats se rattache- raient plus directement à l’apparition proprement dite de muta- tions. Les mutations observées sur (Æ. lamarckiana et Dr. ampelo- phila ne sont d’ailleurs pas des cas isolés. Depuis longtemps on a rapporté des faits de mutations, c'est-à-dire de variations brus- ques, héréditaires, ayant été le point de départ de lignées nouvel- les. Darwin lui-même en à signalé un certain nombre et n’a pas manqué de comprendre la signification évolutive de semblables faits, mais il les considérait comme relativement rares et comme jouant un rôle moins important que les variations lentes dans la formation des espèces nouvelles. Bien avant pe VRies, des auteurs tels que Er. GEorFRoY SainT-HiLaIRE et NaAUDIN, ont montré toute importance évolutive des mutations. NaupiN notamment à insisté sur le fait que, de nos jours, les formes nouvelles apparais- sent toujours brusquement sans intermédiaires et il a déjà for- mulé l’idée qu'il existait pour les organismes des périodes de muta- bilité séparées par des périodes de stabilité. Les exemples de ces mutations sont très nombreux déjà : HaLLam a décrit une race de Porcs à deux jambes où les mem- bres postérieurs faisaient complètement défaut ; cette anomalie, apparue brusquement, put être transmise pendant trois généra- tions. D’après ANpERsoN, un Lapin se trouva dans une portée qui n'avait qu'une oreille et qui devint le point de départ d’une race à oreille unique. Le même auteur mentionne le cas d’une Chienne manquant d’une jambe et qui produisit plusieurs chiens ayant la même défectuosité. La race de Moutons bassets (ancons) provient d’un Mouton ainsi conformé qui naquit en 1791, dans une ferme de Massachussets. La race Merinos de Mauchamp, dont les poils sont longs, soyeux et droits, provient d’un Bélier semblable qui apparut en 1828 dans un troupeau; pareille mutation se produisit, d’ailleurs, dans d’autres troupeaux. C'est aussi à l’appa- rition brusque d’un ou de quelques mutants que sont dues les - RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 87 races de Bœufs camards ou ñatos, de Bœufs sans cornes, de Serins jaunes, de Pigeons culbutant courte face, de Paons à épaules noi- res, de Poules à cous dénudés, de Chats à queue courte, etc. Dans l'espèce humaine certaines maladies ou malformations hérédi- taires sont aussi apparues brusquement : tel est le cas de l'Homme porc-épic, le fameux Lambert, qui transmit sa carapace verru- queuse à ses six enfants et à deux petits-fils, et celui de cette famille siamoise, privée de dents et dont le visage et le corps étaient revêtus de longs poils. Parmi les végétaux, beaucoup de particularités, observées par les horticulteurs, sont également nées par mutations : c’est le cas des fleurs striées, des feuilles pana- chées, des fleurs doubles, etc., dont beaucoup sont devenues le point de départ de variétés nouvelles. En 1761, l’horticulteur Ducasse observa la naissance brusque du fraisier monophylle dans un semis de fragaria vesca et pro- nonça, pour la première fois, à cette occasion, le mot de mutation, pris dans le sens de variation brusque. Brusquement aussi appa- rurent la Chélidoine à feuilles laciniées signalée en 1590 et la Mercuriale à feuille de Capillaire découverte par MarcHanT en 1719. Des mutations ont été signalées dans les espèces microbiennes et une transformation brusque de la Bactéridie charbonneuse a pu être obtenue par Me V. Hexrr (27), sous l'influence des rayons ultra-violets. Le Microbe obtenu diffère de la forme souche par ses caractères morphologiques, ses réactions vis-à-vis des colorants, ses propriétés biochimiques et par son action pathogène. Expérimentalement aussi des mutations ont pu être produites chez des végétaux, au moyen de traumatismes. BoRDAGE (5), réussit le premier de semblables transformations en opérant sur le Papayer, Carica papaya. Cet arbre porte ses fleurs mâles et femelles sur des pieds différents. En sectionnant la tige de jeunes Papayers mâles, vigoureux, l’auteur détermina la croissance des bourgeons sous-jacents, dont les branches se couvrirent de fleurs femelles. La plante mâle avait été ainsi transformée brusquement en plante femelle. D'intéressantes expériences de mème ordre ont été faites depuis par BLariNGHem sur le Maïs. Par des sections de la tige, cet auteur a pu obtenir des rejets porteurs d’épis rameux, portant à la fois des fleurs mâles et femelles. Les graines issues de ces épis don- nèrent des formes intermédiaires dont trois seraient constantes : ss E. GUYÉNOT Zea mays precox, entre autres, est caractérisé par sa faculté de müûrir dans une aire beaucoup plus étendue au nord et au sud que le Maïs ordinaire. I semble que si au lieu de limiter la recherche des mutations à des cas constituant des écarts très notables d’avec lanimal ou la plante type, on recherchait l’origine de variations de moindre amplitude, le nombre de celles apparues brusquement, c’est-à-dire sans intermédiaires, deviendrait vraisemblablement considérable. L'existence de mutations proprement dites, c’est-à-dire de variations héréditaires d’une assez grande amplitude, apparues sans être précédées d’une longue série de stades intermédiaires, étant considérée comme certaine, nous devons nous demander quelle en est l’origine. Il est bien évident que les actions exté- rieures ne paraissent jouer qu'un rôle assez effacé dans leur genèse. € Si nous remarquons, observait déjà DaRrwIN, que cer- taines particularités extraordinaires ont ainsiapparu chez un seul individu sur des millions, tous soumis dans un même pays aux mêmes conditions extérieures et qu'une même anomalie s’est quelquefois manifestée chez des individus vivant dans des condi- tions fort différentes, nous devons en conclure que ces déviations ne peuvent pas être directement dues à l’action des conditions extérieures, mais à des lois inconnues agissant sur l’organisme ou la constitution des individus et que leur production n’est pas plus intimement liée aux conditions extérieures que ne lest la vie elle-même. » C’est ainsi que dans le cas des Drosophila ampelophila élevées par MorGax, le rôle des conditions extérieures paraît être très secondaire. Il est vrai que les mutants sont apparus dans des lignées qui avaient été soumises, autrefois, à Paction de hautes températures, des rayons X et du radium. Cette intervention peut avoir produit dans les éléments génitaux des modifications intimes, qui ont pu déterminer chez quelques individus Pappari- tion de mutations, mais ce n'est là qu'une hypothèse. Cette action du milieu parait d'autant moins certaine que les mutations ne sont Jamais apparues que chez un très petit nombre d'individus. Les mouches à yeux blancs ont eu comme point de départ un mutant mâle et cette variation n'est survenue à nouveau que chez deux individus. [l'en est de même de la plupart des autres muta- tions observées. & RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 89 Par contre on a pu, dans certains cas, saisir Paction modi- ficatrice des conditions du milieu sur les éléments génitaux et consécutivement sur l'apparition des mutations. Les célèbres expé- riences de Tower (58) sur un Chrysomélien américain, Leptino- tarsa decemlineata, parasite des Pommes de terre, sont à ce point de vue très suggestives. Dans la naiure on voit apparaître de temps à autre certains mutants, chez lesquels les variations portent sur des différences de coloration : on les appelle melani- cum, tortuosa, minuta, pallida, rubrivittata, 1s sont toujours fort rares, 1 p. 6.000 normaux environ. Si on soumet à l’action d’une température élevée et humide les larves de ce Chrysomélien, les adultes deviennent mélaniques ; mais, même si on prolonge cette action pendant plusieurs générations, les descendants lors- qu'on les fait évoluer à nouveau dans les conditions normales ne conservent aucunement le mélanisme des parents. La variation dans ce cas est donc purement individuelle. Si, au contraire, on soumet aux mêmes conditions de milieu, non plus les larves, mais les adultes, pendant la période où les cellules sexuelles grossissent et mürissent (période sensible), on voit apparaître une proportion très forte de mutants : pour 93 nor- maux, 23 de la forme melanicum et 1 de la forme {ortuosa. L’ac- üon de la chaleur sèche sur des adultes pris au même stade donna 14 normaux, 82 mutants de la forme pallida et > de la forme immaculo-thorax. Ilest vrai que cette expérience ne montre pas que ces condi- tions extérieures fassent apparaître des mutations nouvelles, mais seulement qu'elles peuvent élever considérablement le taux de certaines mutations déjà connues. L'action extérieure s'exerce évidemment sur les conditions intérieures qui sont la cause directe de l'apparition des mutations. Cette action favorisante de certaines conditions extérieures est à rapprocher du fait que les mutations sont beaucoup plus fré- quentes chez les plantes cultivées et les animaux domestiques, pour lesquels les conditions de vie sont souvent très profondé- ment modifiées, que chez les organismes sauvages. La cause directe de lapparition des mutations réside bien, semble-t-il, dans une modification intime des éléments germi- naux, modification sur la nature de laquelle nous sommes d’aul- leurs réduits aux hypothèses; tout ce qui peut déterminer cette 90 E. GUYÉNOT modification (action directe de facteurs externes tels que la tem- pérature, certaines radiations ; action indirecte, par l'intermédiaire du soma, d’autres actions extérieures) contribuera nécessaire- ment à augmenter le nombre et la variété de ces mutations. Je ne discuterai pas la question théorique, soulevée par DE Vies, de savoir si telle mutation est due à acquisition ou à la perte, au réveil ou à la latence d’un caractère. Cette façon de s'exprimer, outre qu'elle repose sur une théorie particulaire aussi peu fondée que celle de WEismanx, à linconvénient d'introduire une fausse précision dans Pexplication de phénomènes où il sem- ble qu'il s'agisse le plus souvent de variations assez générales pour se traduire par de nombreuses particularités corrélatives. Beaucoup d’autres points seraient d’ailleurs à discuter dans la théorie de pe VRIES : on à notamment objecté que nombre de mutants peu vigoureux seraient, dans la nature, rapidement éli- minés et par suite sans importance évolutive; de même ceux qui n'apparaissent que très rarement, tels qu'Ænothera qiqas (apparue r seule fois), courraient de grands risques de ne laisser aucune descendance. Je ne m'attacherai pas cependant à pour- suivre ces discussions. Ce qui importe, en effet, c’est moins de rechercher si la théorie de pe Vries est juste ou fausse que de rassembler les données positives qui nous permettront ultérieu- rement d’asseoir des conclusions sur une base solide. Conclusion. — De l'examen des systèmes qui précèdent nous pouvons tirer trois conclusions générales : l’incapacité de la sélection darwinienne à expliquer, par elle seule, Pensemble de l’évolution des êtres vivants ; le caractère purement théorique et par suite sans valeur scientifique de la conception de WEIsMAN ; enfin lexistence certaine de variations brusques et héréditaires paraissant intervenir, pour une part considérable, dans le méca- nisme de l’évolution des êtres vivants. L'origine de ces mutations reste encore mystérieuse. Sans doute, elles sont dues à des causes internes, puisqu’en définitive toute variation héréditaire est une modification germinale, por- tant sur la constitution intime des gamètes. Cela ne veut pour- tant pas dire que les circonstances extérieures ne soient pour rien dans la genèse de ces variations. Les expériences de Tower ont montré quelle influence les conditions du milieu exercent sur RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 91 la nature et la fréquence des mutations. Nombre d'expériences que nous avons citées comme des exemples d’hérédité des carac- tères acquis nous montrent l'apparition, sous linfluence de cer- tains facteurs externes, de variations brusques, sans intermédiai- res, n'affectant qu'un petit nombre des individus, se présentant par suite avec l'aspect de mutations ; telles sont les modifications observées par Sraxpruss sur les Papillons, celles signalées par Fræxkez sur des Cobayes irradiés ; dans ce groupe rentre la transformation brusque de Lecantum cornt en L. robiniarum. Ce n’est qu'exceptionnellement qu’on a signalé Fexistence de varia- üons graduelles ; presque toutes les variations expérimentales offrent les particularités caractéristiques des mutations. L'intérêt que ces mutations paraissent présenter au point de vue évolutif ne fait qu’accroître Pimportance qu'il y aurait à en préciser l'origine. Cette précision ne pourra être obtenue qu’au moyen d'expériences basées sur une technique rigoureuse. Nous nous trouvons ainsi ramenés à la constatation qui est l’idée direc- trice de ce travail : la nécessité d’une connaissance aussi parfaite que possible des conditions du milieu, afin de pouvoir définir plus exactement quelle est, dans chaque cas, la part qu'il importe d'attribuer à lorganisme et au milieu dans la genèse des varia- tions héréditaires. Au terme de cet exposé, nous devons constater qu'aucune des théories proposées, aussi bien celles qui dérivent de la concep- tion de Lamarck, que celles de Darwin, de W£gismaxx où de DE VRies, ne nous à fourni une explication complète et solidement assise de l’évolution des êtres organisés. Les problèmes les plus essentiels restent sans solution. Quelles sont les variations héré- ditaires et les non héréditaires ? Quelle est exactement la cause des modifications héréditaires ? En quoi consistent celles-ci ? Autant de questions fondamentales dont la solution n’a pu être apportée avec certitude par aucune des théories que je viens d'examiner. Il nous reste maintenant à voir comment les recherches expé- rimentales modernes, bien qu'effectuées le plus souvent avec une méthode défectueuse, ont cependant réussi à fournir un ensemble de données positives permettant de reprendre, sur une base nou- velle, l'étude du mécanisme de l’évolution des êtres vivants. 92 E. GUYÉNOT Y L'ÉTUDE EXPÉRIMENTALE MODERNE DE LA VARIATION ET DE L'HÉRÉDITÉ L'essor qui caractérise l'étude expérimentale de lhérédité et de la variation, au cours des dernières années, résulte essentiel- lement de ce que la Biologie put disposer, grâce aux travaux de Naunix et de Mexpez sur lhybridation, d’une méthode de recher- ches à la fois simple et pratique. Cette méthode constitue un excel- lent procédé d'analyse des propriétés héréditaires des êtres vivants. Combinée avec une application raisonnée de la sélection, elle permet de séparer, dans la plupart des cas, les variations hérédi- taires de celles qui ne le sont pas. Les expériences d'hybridation ne visent nullement à déceler l’origine des variations héréditaires ; par contre, l'analyse serrée des résultats qu'elles ont apportés jette un jour tout nouveau sur la nature des modifications germinales qui conditionnent ces varia- tions et par suite sur la constitution même du patrimoine hérédi- taire. Variations individuelles et variations héréditaires Rien ne permet d'affirmer à priort qu'une variation donnée soit ou non héréditaire. Cette indétermination est une des causes principales de l'insuffisance des explications théoriques de lévo- lution des organismes. Darwix, par exemple, considérait comme extrêmement nombreuses les variations héréditaires ; il semble pourtant résulter des recherches modernes que leur nombre est assez restreint. Au cours de ses célèbres expériences sur Leptino- iarsa decemlineata, Tower à constaté que parmi les diverses variations que présente ce Chrysomélien, il n'y en a guère que 4 à 5 p. 100 qui soient héréditaires. Pour s'assurer si une particularité donnée est héréditaire ou non, il ne suffit pas de constater qu'elle se répète régulièrement pendant une série de générations. Il pourrait s'agir en effet de : 51116088 RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 93 variations individuelles, liées à une certaine condition constante du milieu, et réapparaissant par suite à chaque génération. Le plumage des Serins nourris avec du Poivre doux rouge devient rouge. Que l’on suppose cet Oiseau se nourrissant régulièrement de ce végétal dans son pays d’origine et la couleur rouge du plu- mage serait considérée comme héréditaire, alors qu'une alimenta- tion sans Poivre montrerait qu'il n’en est rien. De même beaucoup de caractères présentés à chaque génération par les bœufs de Simenthal sont liés à l’action sur chaque individu de la vie dans les pâturages alpins et disparaissent dès qu'on transporte ces animaux dans les plaines de la Prusse orientale. Pour s'assurer si une particularité ancienne ou nouvelle est héréditaire ou non, un excellent moyen consiste à rechercher si la sélection expérimentale entraine la conservation ou Faccentua- tion de cette particularité. Si la sélection des individus les plus grands, par exemple, d’une population où d’une lignée, répétée à chaque génération, ne détermine aucune augmentation de la taille moyenne, c’est que la particularité envisagée n’est nullement héréditaire. De très intéressantes expériences de cet ordre ont été effec- tuées par JOHANNSEN (32). Dans des Haricots, maintenus en cul- ture pédigrée, cet auteur a séparé, en 1900, les graines les plus grosses qui pesaient 4» centigrammes tandis que le poids habi- tuel n’est que de 55 centigrammes. Les descendants de ces gTOS haricots produisirent des graines de poids très variable, allant de 39 à 70 centigrammes. Ces graines furent réparties en sept caté- gories d’après leur poids ; Jonanxsex rechercha ensuite quel était pour les descendants de chacune de ces sept classes le poids moyen des graines produites, Ce poids était toujours voisin de 55 centi- grammes. Voici un tableau résumant le détail de cette expérience. Poids des graines Poids moyen des graines semées en 1QO1 recueillies en 1902 eclassen rs" 550a 0 D DE DATE ho à 45 » DEP LOT AN RATE, 53,5 HPAME- DU SOA 10 07 SR ICS, NTNESer: bb à 60 50,h OC nr 6o à 69 96,6 PAT CLR 69 à 70 55,6 94 E. GUYÉNOT On voit nettement qu'en 1902 les haricots conservaient le même poids moyen, qu'ils soient issus des graines les plus légè- res ou des plus lourdes. Le poids des graines n’est donc pas lié à quelque particularité héréditaire, mais résulte uniquement de conditions fortuites, déterminant des variations purement accidentelles. Voilà un cas où la variabilité individuelle n’est pas susceptible, par sélection, de produire aucune forme nouvelle. Des résultats comparables furent obtenus en sélectionnant pendant cinq générations des Haricots d’après leurs dimensions (longueur et largeur) et des Orges pendant quatre générations, eu égard à d'autres particularités. De même FRÜUWIRTH (24), en expérimentaut sur des cultures pédigrées de Pois, ne put pas davantage élever le nombre des gousses en sélectionnant pendant six générations les individus qui avaient produit les gousses les plus nombreuses. Une sélection : pendant trois générations de Æ/ordeum distichum erectum, en pre- nant chaque fois les épis les plus épais, fut totalement inefficace. Des expériences de Love (36) sur les Pois ont montré également que l’on ne pouvait par sélection modifier dans un sens donné, ni la hauteur, ni le nombre des entrenœuds, ni le nombre des gousses, n1 le nombre des grains dans chaque gousse. Divisant une population de Paramécies en trois séries fluctuantes d'après la taille, JENNINGS (1908-1911) constata que, dans les séries de taille grande, moyenne et petite, la taille moyenne des descendants restait la même que dans la population primitive. De même Pearz et SURFACE (47) cherchant à augmenter, par sélection, la fécondité des Poules, sélectionnèrent des Poules qui, pendant la première année de leur vie, avaient pondu au moins 200 œufs et en étudièrent la descendance. La moyenne de la production des œufs chez ces descendants ne fut pas accrue. Tower sélectionna pendant onze générations les Leplinotarsa decernlineata chez lesquels les taches du corselet étaient les plus larges et aussi fusionnées que possible. Malgré la sélection, la courbe fournie par chaque descendance ne se déplaça pas du tout dans le sens d’un mélanisme progressif. J'ai dans le même ordre d'idée constaté que si on choisit, parmi des Drosophila ampelophila en lignée pure, les individus RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 95 les plus grands et les plus petits, on n'obtient, même en répé- tant cette sélection pendant plusieurs générations, aucune modi- fication de la taille, les conditions extérieures restant les mêmes. Au contraire, si on fournit un milieu sec ou une alimentation insuffisante, on obtient de petits individus, tandis qu'une nour- riture riche, dans un milieu huxide, détermine la production d'individus de grande taille ; mais ces particularités restent indi- viduelles et ne sont pas transmises aux descendants. Voilà donc tout un ensemble de particularités, présentant les fluctuations caractéristiques de la variabilité individuelle qui ne peuvent être modifiées en rien par la sélection et qui par suite ne sont pas héréditaires. À de telles variations de lindividu, n'étant pas accompagnées de modification des éléments génitaux, on tend à donner actuellement le nom de somations. Par soma- tions, il faut donc entendre des particularités du soma de cha- que individu, non héréditaires. Parmi ces somations, on range de nombreuses variations en plus ou en moins, telles que celles por- tant sur la taille, le poids, le nombre des parties, lintensité de couleur, etc., les mutilations, les effets de l'usage, les acquisitions intellectuelles, etc. Il ne faudrait cependant pas se hâter de conclure par analogie que toutes les variations de poids, de couleur, de fécondité ne sont pas héréditaires. C’est ce que vont nous apprendre de nou- velles expériences. Ainsi Jonaxxsen fut amené à distinguer dans ses cultures de Haricots plusieurs lignées différant par le poids moyen des graines ; dans l’une, par exemple, (lignée 1) le poids oscillait entre 50 et 90, tandis que dans une autre (lignée XIX) le poids variait de 0 à 50. Dans la lignée à graines lourdes et dans la lignée à graines légères, le poids présentait des fluctua- tions, mais les poids moyens conservaient leur valeur caracté- ristique. Ce qui fait bien ressortir la différence entre ce qu’il y a d’hé- réditaire et de non héréditaire dans le poids d’une graine, c’est que dans chacune de ces lignées on est incapable, en sélection- nant soit les graines les plus légères, soit les plus lourdes, de déplacer le poids moyen caractéristique de la lignée. Pendant six générations consécutives, JOHANNSEN sépara en effet, dans chacune des deux lignées, les graines les plus lourdes et les graines les plus légères. Cette sélection longtemps continuée 96 E. GUYÉNOT n'aboutit à aucun résultat. Voici un tableau résumant la marche de cette expérience. Lignée I (poids élevé) Poids moyen Poids des parents des descendants à chaque génération RUERS CN CELA des parents des parents — LODS CNE EN PE NITS 6o D 64,85 LODS EEE DU S RS 55 70,88 LOUE De ME RTE ne D0 26,68 LOOD TAN LE MEET NAS 43 7e 63,04 TODONE RAA RNA TES 46 / 73,00 HO OT NE ES EN RTE 26 67,66 XIX (poids faible) 1902 1003 100/ 1909 1006 Chaque année, les descendants d’une même lignée sont, ainsi qu'on le voit, très semblables les uns aux autres, que les graines parentes aient été choisies parmi les plus lourdes ou les plus légères de la lignée. Au cours de leurs expériences sur la fécondité des Poules, PEarz et SurRrACE constatèrent l’existence de deux lignées de fécondité inégale étroitement intriquées l’une dans l’autre, mais qu'ils réussirent cependant à séparer. Croyant augmenter le nombre des œufs d'hiver, ces auteurs sélectionnaient les Poules ayant pondu au moins 45 œufs pendant la saison froide. Ils constatèrent que cette sélection ne déterminait aucune fixation de cette particularité, mais que tous les descendants apparte- naient, d'après le nombre des œufs pondus, à deux catégories, cor- respondant à une fécondité faible et à une fécondité élevée. En croisant entre eux les descendants de haute fécondité et entre eux également ceux de moindre fécondité, ils purent isoler deux V7 «RARE EL RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 97 races dont lPune fournit une fécondité moyenne voisine de br œufs et l’autre une fécondité moyenne voisine de 20 œufs. Nous avons vu que Tower avait été incapable d'obtenir par sélection une race de ZLeptinotarsa decemlineata mélanique, mais il constata que, dans le même organisme, 1l y à, par contre, des cas de mélanisme ou d’albinisme héréditaires. Il put ainsi obtenir deux races nettement distinctes. En pratiquant une sélection méthodique dans une race albinos, 1l put en isoler quatre races différentes, l’une très blanche, l’autre très sombre, et deux de couleur intermédiaire. Tout ceci nous montre que lorsqu'on envisage une population ou une lignée, dans laquelle une particularité présente une grande variabilité individuelle, il y a de nombreux cas où cette variabilité est purement individuelle et sans portée évolutive, d’autres où elle provient au contraire du mélange de plusieurs races, avant elles-mêmes leurs fluctuations propres, mais diffé- rant par les moyennes différentes de ces fluctuations. À ces races on donne souvent le nom de génotypes, parce qu'on sup- pose que la particularité héréditaire qui les caractérise est liée à un déterminant du germen, à. un gène correspondant. D'une façon plus générale, on appelle toutes les particularités hérédi- taires des mutalions, terme qui s'oppose aux somations non héréditaires, mais qui n'implique nullement les caractères d’ap- parition brusque, sporadique, sous forme de rameaux latéraux, qui caractérisent les mutations de DE VRIES. Ces mutations peuvent porter sur des variations discontinues, c’est-à-dire sans intermédiaire (mutations, sens DE VRIES) où au contraire sur des variations continues présentant tous les inter- médiaires entre deux types extrêmes. C’est la forme de la fluc- tuation, sa valeur moyenne, qui constituent alors la particularité héréditaire. La variabilité flottante, que l'on appelle encore fluclualion où variation continue, peut donc avoir des significations très diffé- rentes. Lorsque, dans une population, on constate une variabi- lité flottante d’un caractère, de la taille par exemple, si on veut exprimer graphiquement, on obtient un polygone de fréquence, en portant sur une ligne horizontale les différentes tailles et en ordonnée les nombres d'individus correspondant à ces tailles différentes ou classes. Ces nombres expriment la fréquence de 98 E. GUYÉNOT chaque classe. On constate que, de part et d'autre du mode ou classe la plus fréquente, la courbe s’abaisse plus où moins gra- duellement jusqu'aux formes extrêmes qui sont les plus rares. Deux cas peuvent alors se présenter : 1 S'il s’agit d’une fluctuation purement individuelle, non héréditaire (somation), on aura beau sélectionner les deux extrêmes, c’est-à-dire mettre en reproduction les individus les plus petits d’une part, les plus grands de l’autre, la courbe de la taille des descendants de ces deux groupes ne sera pas déplacée dans un sens ni dans l’autre. 2° Il peut arriver, au contraire, que la sélection des extrèmes, c’est-à-dire des individus les plus grands et des individus les plus petits, aboutisse à lisolement de deux races distinctes, ayant une certaine taille moyenne héréditaire très grande dans un cas, très petite dans l’autre. En répétant cette opération sur le reste de la population, on peut ainsi isoler progressive- ment toute une série de génotypes, caractérisés chacun par la forme et la valeur moyenne de leur polygone de fréquence. Une population présentant lapparence d’une variabilité continue peut donc être constituée par plusieurs génotypes ayant chacun une taille moyenne caractéristique et héréditaire. Chaque géno- type présente en outre des fluctuations non héréditaires, par lesquelles les génotypes voisins arrivent à se toucher et même à empiéter réciproquement les uns sur les autres, ce qui donne à la population son apparence d’homogénéité et de variabilité continue. Dans les conditions ordinaires, Pamphimixie, par le croisement de toutes ces races entre elles, contribue à maintenir fusionnés les génotypes dont l’expérience peut seule démontrer l’existence. La détermination de la nature héréditaire ou non héréditaire d’une particularité peut être effectuée aussi par la méthode des croisements, à condition toutefois que les particularités envisa- gées, si elles sont héréditaires, se comportent dans les expé- riences d'hybridation suivant le mode mendélien. Le croisement entre les formes extrêmes d’une fluctuation non héréditaire ne déterminera, en effet, aucune modification du polygone de fré- quence de cette fluctuation, la moyenne restant sensiblement la même. Si les extrêmes appartiennent, au contraire, à deux géno- types différents, ceux-ci pourront être séparés, au cours des géné- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 99 ations, au moyen de croisements appropriés. Je reviendrai dans un instant sur cette méthode d'analyse des propriétés hérédi- taires. Les mutations et leurs modalités héréditaires L'expérience et l'observation montrent que l'hérédité n’est jamais l'identité entre les parents et les descendants. Une particu- larité héréditaire présentera toujours des fluctuations individuel- les, paraissant liées à l’ensemble des conditions qui ont présidé à l’évolution de chaque organisme. Dans certains cas, cette échelle de variabilité est extrèmement restreinte où même en apparence nulle pour un caractère donné : on parle alors de mutations fires. Par exemple, une race homo- zygote de Drosophila ampelophila à yeux blancs présente des yeux blancs chez tous les individus et nous ne savons pas voir s’il existe entre eux des différences dans l’intensité du blane. Si, au contraire, il s’agit d’une race à yeux panachés, où Pœæil inco- lore est barré transversalement par une tache rouge, on constate que tous les individus ont bien Fœil ainsi conformé, mais qu’il existe des variations notables dans la forme et les dimensions de la tache pigmentée. De même, toutes les Drosophiles à ailes ves- tigiales ont bien leurs ailes réduites à des moignons, mais on peut constater des différences dans la forme exacte et les dimensions de ces moignons d'ailes. Parfois, enfin, la variabilité est encore plus grande, mais si Pon établit le polygone de variation de la particularité envisagée, on constate qu’elle oscille entre des valeurs extrêmes définies et que sa valeur moyenne est constante. Dans d’autres cas, au lieu d’une mutation fixe, on se trouve en présence de mutations oscillantes : tel est le cas de la pana- chure chez les Souris. La panachure est incontestablement héré- ditaire comme le montre le résultat du croisement entre Souris panachées et Souris à robe uniforme, mais Pétendue de la pana- chure des descendants oscille dans de grandes limites autour de la valeur de celle des parents. À la même catégorie de variations oscillantes appartiennent le pelage angora des Chiens, des Lapins, la queue rudimentaire des Chats de lle de Man, la queue très longue du Coq phénix du Japon, la présence de plumes sur les pattes des Poules, etc... 100 E. GUYÉNOT Une troisième catégorie de mutations dites mutalions infixables est caractérisée par le fait que la mutation, si elle est transmise en général, présente cependant des valeurs très inégales et n’appa- raît pas chez tous les individus. Aïnsi certains Cobayes ont quatre doigts aux pattes postérieures au lieu de trois. La descendance de ces animaux polydactyles ne présente le doigt supplémentaire que dans 97 p.100 des cas. Le croisement avec des Cobayes nor- maux ne donne que 24 p. 100 d'animaux polydactyles. Dans les races de Poules hyperdactyles, même parmi les mieux sélection- nées, ilapparaît toujours 3 à { p. 100 des individus qui n’ont pas le cinquième doigt supplémentaire ; d’autres ne l'ont qu'à une seule patte et en tous cas les dimensions de ce doigt sont très varia- bles. Lors du croisement de Poules pentadactyles.avec une race normale, à quatre doigts, Phyperdactylie ne domine que d’une façon imparfaite : 20 p. 100 des hybrides manquent complète- ment du doigt supplémentaire. Les Poissons rouges dont on élève en Extrême-Orient, depuis des siècles, des races présentant certaines particularités telles que la bifurcation ou la trifurcation de la nageoiïire caudale offrent encore des exemples de mutations infixables. Il est très intéressant de noter que, dans une même lignée, MorGax a pu voir se produire des variations héréditaires, immé- diatement fixes, œil blanc, œil rose, etc., tandis que d’autres mutations, malgré une sélection prolongée, n’ont jamais affecté d’une façon régulière la totalité des individus. C’est ainsi, par exemple, qu'une Mouche naquit avec une certaine modification des nervures des ailes. Les descendants, issus de son croisement avec une Mouche normale, présentaient la même variation dans la proportion de 1 sur 6o. Croisés entre eux, les mutants ne pro- duisirent que 1 anormal pour 35, puis 1 pour 12. Le pourcentage put être ainsi élevé et dans certaines lignées atteignit presque 100 p. 100. Les ailes dites {ronquées sont aussi une mutation infixable qui se manifeste dans 50 p. 100, quelquefois dans 90 p. 100 des descendants, mais sans que ce haut pourcentage put être maintenu. Ces mutations sont d’ailleurs susceptibles d’être réalisées à des degrés très différents. Sur le même organisme et chez Drosophila confusa, À. Dercourr (13) a observé des ano- malies de nervation des ailes, appartenant également à cette caté- gorie des mutations infixables. Par sélection le pourcentage put RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 401 être amené à un taux élevé, mais celui-ci ne fut que temporaire et s’abaissa rapidement. Les Souris à queue bosselée observées par PLare (1910) pré- sentent une malformation de la queue consistant en un épaissis- sement noueux avec incurvation de l’appendice caudal, pouvant siéger à la base, au milieu ou à lextrémité de organe. Cette malformation est héréditaire, car elle n'apparaît que dans cer- taines familles et elle est héritée d'autant plus sûrement que l’ascendance est plus atteinte. Mais la malformation n’est jamais héritée chez tous les descendants et sa variabilité est extrême. Le cas limite est constitué par certaines observations d'ordre médical où on observe plutôt l’hérédité d’une tendance à contrac- ter certaines affections ; on parle alors d’une hérédité de tempé- rament. L'arthritisme qui se manifeste chez le parent sous forme de crises de goutte, par exemple, pourra se traduire, chez les descendants, par des crises d’asthme ou de Hthiase hépatique ou rénale, par des migraines, ou par toute espèce de manifesta- tions pathologiques liées au tempérament arthritique. On parle d'hérédité en général, d’hérédité de tempérament, de tendance. Pour de semblables cas de transmission héréditaire irrégulière il est nécessaire d'acquérir la certitude que les particularités envisagées sont bien héréditaires et ne sont pas déterminées par quelque cause actuelle ignorée. Or, si la connaissance appro- fondie du milieu n’est peut-être que médiocrement utile, lorsqu'il s’agit de certaines mutations tout à fait fixes, elle devient, par contre, indispensable lorsqu'on se trouve en présence de ces mutations dites infixables ou de ces cas d’hérédité de tendance, dont la nature héréditaire n’est pas immédiatement évidente et dont la réalisation est des plus variables et des plus incons- tantes. Lorsqu'on a, par sélection, élevé le taux des individus porteurs d’une variation (modification de nervation de l’aile, par exemple) Jusqu'à 100 p. 100, mais que ce pourcentage diminue ensuite, même si la sélection est continuée, on peut se demander, en effet, quelle est la signification des individus qui ne présentent pas la variation. Leur patrimoine héréditaire n'est-il pas modifié ? Ou l'est-il moins que celui des autres ? Pourtant si on croise entre eux de ces individus, normaux en apparence, on voit réapparaître un pourcentage souvent élevé de mutants dans leur descendance. 102 E. GUYÉNOT s Si la variation est liée à une modification germinale, celle-ci devait donc exister chez les parents, bien qu’elle ne se traduisit extérieurement par rien. Faut-il alors admettre que la réalisa- tion de la variation morphologique est empêchée, modifiée par certaines actions extérieures et que, si les conditions étaient uni- formes, les individus seraient tous affectés par la même varia- tion ? Quelle est, d’autre part, la signification des degrés que lon observe dans la réalisation de la mutation ? Ceux qui la présentent avec le plus de force, tantôt paraissent léguer à leurs descendants une variation plus accentuée, réalisée chez un plus grand nombre d'individus, tantôt ne donnent que des descen- dants à variation faible ou peu fréquente. En présence de résultats aussi contradictoires, on en arrive à se demander si les résultats capricieux observés ne sont pas dus surtout à l’action de conditions extérieures variables et même s’il y à quoi que ce soit d'héréditaire dans la réapparition de telles variations. Pour létude de cas de ce genre dont l'intérêt est évi- dent, la maîtrise des conditions du milieu devient donc une nécessité primordiale. Mutations et croisements Les règles de lhybridation formulées par Naupin, puis sous une forme plus précise par MENDEL, paraissent s'appliquer, non sans quelques variantes, à la généralité des cas. Elles sont, en effet, valables, ainsi que cela a été vérifié expérimentalement, pour un nombre considérable de particularités héréditaires de forme, de structure, de dimensions, de coloration, de processus physiologi- ques ou pathologiques, observés chez les plantes ou chez les animaux les plus divers. Ces lois, dont je rappellerai les points principaux, sont basées sur des résultats dont certains nous conduiront à des précisions de la plus haute importance, en ce qui concerne la nature du patrimoine héréditaire. Lorsqu'on considère, par exemple, deux races de Souris dont l’une est caractérisée par un pelage gris et des yeux noirs, Pautre par un pelage blanc et des veux rouges (par absence de pig- ment),ilest de toute évidence que les zygotes de l’une et l’autre RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 103 race diffèrent par quelque chose qui conditionne précisément, au cours de l’ontogenèse, la production ou la non production du pigment des poils et des yeux. La nature intime de cette diffé- rence nous est totalement inconnue. Certains biologistes tendent à placer ces différences dans la présence ou l’absence de certaines particules matérielles déterminantes, mais une semblable inter- prétation reste purement théorique et n’est qu'une façon de repré- senter par une image les différences.que nous constatons. A priori on pourrait tout aussi bien penser que ce qui diffé- rencie les œufs des deux races ce n’est pas telle ou telle particule, mais bien une constitution physico-chimique différente de la sub- stance vivante, considérée elle-même comme un tout dont chaque élément serait en corrélation fonctionnelle étroite avec tous les autres. Or pour que la substance vivante d’un zygote ait une semblable homogénéité, il faut que les éléments physico-chimi- ques des deux gamètes qui l’ont constituée aient été intimement fusionnés et combinés de façon à réaliser une substance de nou- velle constitution physico-chimique, capable de donner un être nouveau. Hérédité constamment intermédiaire. — $Si lon se base sur une semblable conception de la cellule initiale, il semble que, lorsqu'elle doit son origine à des gamètes de race différente, le mélange des éléments physico-chimiques de ces gamètes doive aboutir à la production d’une série d'êtres nouveaux, chez les- quels les particularités se trouveront représentées par un mélange plus ou moins égal, par quelque combinaison nouvelle et stable des particularités des parents. Pareille éventualité paraît être réalisée, mais seulement dans des cas exceptionnels. On parle alors d’hérédité constamment intermédiaire. On peut en citer comme exemple le croisement réalisé par Casrze (8) entre une race de lapin à longues oreilles, mesurant 220 millimètres, et une race à oreilles courtes, mesu- rant 105 millimètres. La longueur des oreilles des descendants oscille sensiblement autour de la moyenne arithmétique entre les longueurs des oreilles des parents, à la première comme à la seconde génération. Un autre exemple est celui des mulâtres résultant du croisement chez l'espèce humaine entre race blanche et race noire. Sans doute, Lan&G a essayé de ramener ces faits à la conception mendélienne en décomposant arbitrairement la 104 E. GUYÉNOT série continue observée en éléments discontinus, de même que l'on peut toujours inscrire dans un cercle son polygone limite, mais une semblable opération reste, dans le cas considéré, abso- lument illégitime et n’a qu'un intérêt purement théorique. Hérédité mendélienne ou alternative. — 1 est, par contre, bien certain que les cas d’hérédité constamment intermédiaire restent exceptionnels et que le comportement est tout autre en règle générale. Au leu de réaliser un mélange constant des patrimoines héréditaires des deux races, le croisement ne semble déterminer qu'une mise en présence passagère de ces deux patrimoines : dès la deuxième génération d’'hybrides on voit, en effet, les races croisées se séparer à nouveau. Cette dissociation est caractéris- tique de lhérédité mendélienne. Celle-ci présente d’ailleurs diffé- rents types que Je vais rapidement examiner. 1° Type pois. — Soit le croisement entre une Souris grise sau- vage et une Souris albinos. Les descendants (Fr) sont tous de la couleur gris sauvage. Cette couleur est dominante d’une façon constante. Mais si on croise ces hybrides entre eux, on voit appa- raître à la deuxième génération des gris purs (homozygotes), des blancs purs (homozygotes) et des gris hybrides (hétérozygotes). Si l’on appelle d’une façon générale À et B, deux particularités de deux races, formant un couple allélomorphique, on peut représenter ce qui se passe par le schéma suivant : P A0 Fr tous À (A dominant) | Fo A + oA + B "4 at purs purs F3 A +oA +B 4 2X purs purs Le phénomène de dominance est extrêmement curieux. Il est certain que les hybrides Fr ont la constitution héréditaire (A XX B); cependant seule la forme correspondant à À se trouve réalisée. On dit que B est en état de latence ce qui est un mot, non une explication, La suite des générations montre que les deux RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 105 patrimoines À et B des parents ne sont nullement fusionnés, ne sont pas entrés en combinaison chez les hybrides. On pourrait, pour expliquer le fait de dominance, penser que les deux patri- moines héréditaires agissent simultanément, mais que la réalisa- tion conditionnée par lun est nécessairement masquée par la réa- lisation conditionnée par lPautre. Dans le croisement entre Souris grise et blanche, on pourrait supposer que chaque poil est à la fois blanc et gris, mais que la présence des pigments déterminant le gris masque nécessairement Pabsence de pigments déterminant le blanc. Une semblable explication ne saurait avoir une valeur générale ; même dans le cas particulier, pris comme exemple, elle est d’ailleurs inadéquate, car 1l existe certaines races de Poules notamment où c’est, au contraire, le blanc qui est dominant par rapport aux autres couleurs pigmentaires. Nous ne pouvons que constater le fait de la dominance, sans en saisir en aucune façon le mécanisme. 2° Type maïs. — Les croisements appartenant à ce type ne comportent, au contraire, aucune dominance d’une particularité héréditaire sur lPautre. Si Pon croise par exemple une race de Mirabilis jalapa à fleurs blanches avec une race à fleurs rouges, les descendants de première génération ont tous des fleurs roses c’est-à-dire de teinte intermédiaire. Mais cette couleur spéciale aux hétérozygotes ne signifie nullement que les deux patrimoines héréditaires aient été intimément fusionnés, car on assiste, à la deuxième génération, à une séparation des races parentes, comme dans le type précédent : on trouve en effet des plantes à fleurs rouges homozygotes, des plantes à fleurs roses hétérozygates et des plantes à fleurs blanches homozygotes. Le type maïs peut être représenté par le schéma suivant : (2 ASP | Fr (AB) Fo A + qi + B 54 D purs purs F3 A + 2 (AB) + B Ve) ne purs purs 106 E. GUYÉNOT L'aspect intermédiaire, présenté par les hétérozygotes, n’est d’ailleurs bien souvent qu’une apparence. BatesoN a montré que le croisement entre Poules de race noire et de race blanche abou- tissait à des hybrides de couleur bleue, connus sous le nom de poules andalouses. Or sion examine, à un grossissement suffisant, les plumes bleues de ces hybrides, on constate que cette couleur est due à l'existence de parties blanches et de parties noires for- mant une sorte de mosaïque. Les deux couleurs des parents sont donc réalisées simultanément et côte à côte. Dans d’autres cas ce phénomène est visible directement. Daven- PORT (1906), croisant des Poules noires de la race Cochinchinoise avec des animaux blancs de la race Italienne, observa parmi les hybrides des individus blancs, des noirs et des noirs tachetés de blanc. De même Hacker obtint des Axolotis panachés, par le croisement entre animaux blancs et noirs. Le croisement entre Datura à fruits épineux et Datura à fruits lisses donne nais- sance, ainsi que l’a montré Naunix, à des hybrides dont les fruits sont lisses par endroits et épineux par ailleurs. C’est dans cer- tains croisements entre Papillons que cette séparation des deux patrimoines héréditaires présente son maximum : la moitié d’un individu est entièrement, du type de lun des parents, l’autre moitié entièrement du type de l’autre parent. [l'est enfin très intéressant de remarquer qu'il peut y avoir dominance d’une particularité à une certaine échelle et hérédité intermédiaire à une autre échelle. Ainsi les hybrides provenant du croisement de Pois à graines rondes avec Pois à graines ridées, ont tous des graines rondes. Mais en examinant au microscope les grains d’amidon chez les parents et chez les hybrides, Dar- BISHIRE (1908) a constaté des différences très suggestives. Dans le Pois rond, les grains d’amidon sont ovales comme ceux de la pomme de terre et dépourvus de stries radiales. Cet amidon absorbe, après 24 heures de séjour dans l’eau, 80 p. 100 de son poids d’eau. Dans la race ridée, les grains d’amidon sont ronds, présentent /{ à 6 stries radiales et absorbent 120 p. 100 de leur poids d’eau. Or, chez les hybrides, les grains d’amidon sont de forme intermédiaire, 1ls ont 2 à 4 stries radiales et absorbent 100 p. 100 d’eau. 3° Dominance incomplète. — Dans les cas appartenant à cette catégorie, l'une des particularités des parents est dominante en REF RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 407 général, mais la particularité inverse se trouve souvent réalisée à un faible degré. C'est ainsi que dans le croisement entre Européens à cheveux plats et Nègres à cheveux crépus, cette dernière particularité est dominante chez les mulâtres; cependant ceux-ci possèdent souvent une mèche de cheveux plats. | Les Poules hybrides provenant du croisement entre les races Poules brunes et Italienne (blanche) sont blancs, mais présen- tent presque toujours quelques plumes colorées. Les Rats blancs et noirs, croisés avec la race sauvage, donnent des hybrides à robe de la couleur sauvage, mais la plupart pré- sentent cependant une tache blanche sur la tête. Les Lapins de Hollande dont la moitié postérieure du corps est gris, jaune ou noire, la moitié antérieure blanche sauf le pourtour des yeux et des oreilles, lorsqu'on les croise avec une race de robe uniforme, donnent des hybrides qui, d’après Hursr, sont uniformes, avec cependant, chez la plupart, une tache blanche derrière la tête. Quand on croise des Bœufs noirs, sans cornes de Gallovay avec la race blanche Shorthorn à corne courte, les hybrides n’ont pas de cornes en général, mais 1 sur 20 ou sur ho de ces : animaux possède de petites cornes. Les recherches de Nizsox-EuLe (1909) ont montré que dans le croisement entre Blés à épis barbus et Blés à épis imberbes, les hétérozygotes sont généralement sans barbes, mais que celles-ci apparaissent parfois, courtes où même assez longues. De même, les hybrides résultant du croisement entre avoines à barbe blanche et avoines à barbe jaune sont jaunâtres, où blancs, ou intermédiaires entre le blanc et le jaune. 4° Dominance inconstante. — Ce cas nous conduit à un troi- sième mode, celui dit de dominance inconstante, que lon peut schématiser ainsi : P ASC F1 A + B + tous les intermédiaires F2 A + B + tous les intermédiaires Ce cas diffère du type maïs proprement dit par le fait que l’on trouve à la première génération des individus du type À, des individus du type B et des individus intermédiaires, tandis que dans le type maïs tous les individus sont intermédiaires. 108 E. GUYÉNOT De nombreux cas de dominance inconstante ont été observés dans les croisements de races de poules. Ainsi Pearz et SURFACE (1910) ayant croisé des Plymouth Rocks (à crête simple) avec des Cornish Game (à crête en pois) obünrent des hybrides dont quelques-uns avaient typiquement les crêtes de lun et Pautre parent, mais dont la majorité pré- sentaient tous les passages entre les deux formes de crête. L'hyperdactylie des Poules Houdan, Dorking, etc, offre un cas analogue. Le croisement entre Poule à 4 doigts et race hyper- dactyle donne des hybrides où lhyperdactylie domine, mais de façon très inconstante ; il y a des individus à /{ doigts, d’autres en avant D, aux deux pattes ou à une patte seulement. En croisant des Poules sans croupion avec une race normale, Davexport a obtenu, soit tous les individus pourvus d’un crou- pion, soit la moitié des individus sans croupion, soit une majo- rité sans croupion (21) et quelques-uns (3) normaux. La syndactylie, la présence de plumes aux pattes, sont des particularités suivant également ce mode d’hérédité. Dans tous ces cas d’ailleurs, les caractères envisagés sont inconstants, même dans les races les plus pures et appartiennent à la catégorie des mutations dites infixables. Croisement et patrimoines héréditaires Tous ces faits montrent que, chez les hétérozygotes, les sub- stances vivantes des deux parents interviennent, de façons très différentes suivant les cas, dans la réalisation des particularités morphologiques ou physiologiques de ces hybrides. Tantôt ce sont uniquement des particularités de Pun des parents qui appa- raissent et tout se passe en apparence comme s'il n’y avait pas eu de croisement. Tantôt les deux substances héréditaires agissent conjointement, soit sur les mêmes parties (intermédiaires vrais : couleur rose de Mirabilis jalapa, grains d’amidon du Pois), soit sur des parties différentes : plumes bleues des Poules anda- louses, hybrides tachetés, épis mixtes. Parfois enfin les deux substances vivantes agissent conjointement, mais aboutissent à des réalisations variables à la fois du type de Fun et de Pautre parent, et de types intermédiaires multiples. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 189 Une telle variabilité dans les résultats n’a rien de surpre- nant, si l’on songe aux constitutions héréditaires, différentes à des degrés plus ou moins accentués, que le croisement met en présence. Un fait demeure certain, c’est qu'il n’y à pour ainsi dire Jamais fusion, combinaison intime des éléments physico-chimiques des deux gamètes. Même lorsque les hybrides sont intermédiaires, on voit en effet à la deuxième génération réapparaître des indi- vidus purs, homozygotes, appartenant aux types des deux parents. On peut cependant se demander si les deux substances vivan- tes, non fusionnées, ont pu vivre ainsi côte à côte sans agir quelque peu Pune sur l’autre, sans qu’au moins certains de leurs éléments constitutifs se soient mélangés ou fusionnés. On peut en chercher la preuve dans lPétude approfondie des homozygotes qui apparaissent lors de la disjonction mendé- lienne, Ces homozygotes sont-ils bien identiques aux parents ou le fait que leur substance héréditaire a été, au cours de multi- ples divisions cellulaires, et parfois pendant un grand nombre de générations, en contact avec une autre, qui comme elle et en même temps qu'elle a dû vivre, assimiler, respirer, se multi- plier, n’a-t-1l pas pu introduire dans cette substance quelque modification que décèlerait la suite de la descendance ? Pour répondre avec certitude à cette question, il serait indis- pensable de suivre pendant de très nombreuses générations, la descendance de ces homozygotes. Cela n’a été fait que rarement. J’ai suivi personnellement, pendant 50 générations, la descendance de Mouches à yeux rouges et à yeux blancs, homozygotes, issus du croisement rouge >< blanc, sans observer aucune modification dans la descendance. De même, j'ai répété, avec des Mouches à yeux rouges provenant d’homozygotes issues du croisement entre Mouches à yeux rouges et Mouches à yeux panachés, les croise- ments les plus divers; le résultat à été le même que s'il s'était agi de Mouches à yeux rouges sauvages. (Quelques anomalies se sont cependant produites sur lesquelles je reviendrai dans un tra- vail ultérieur). Un fait intéressant a été signalé par G. BeLLair (2) à la suite de croisements effectués entre deux variétés de tabac : Vicotiana sylvestris et Nicotiana tabacum. Les hybrides de première géné- 110 E. GUYÉNOT ration sont du type {abacum, avec cependant une taille plus grande, un pouvoir florifère plus élevé et une fécondité plus réduite. À la deuxième génération, on obtient des Tabacs poly- morphes et de fécondité très variable. Les graines de ces hybri- des n’en redonnent pas moins V. sylvestris et N. tabacum avec tous leurs caractères. Or si on croise entre eux ces descendants en apparence purs, sortis d’un hybride dissocié, on a des résul- tats très différents de ceux fournis par le croisement des parents. Au lieu d’hybrides à dominance du type N. tabacum, on observe une série de types disparates, des Tabacs géants, des Tabacs nains, des plantes à fleurs blanches, d’autres à fleurs roses, à fleurs rouges, à fleurs striées, etc. Quoi qu'il en soit, les faits de cet ordre restent exceptionnels, mais nous comprenons bien que de même que la dominance est complète, nulle ou inconstante suivant les natures des substances héréditaires mises en présence, de même le degré d'influence réciproque de ces deux substances pourra dépendre de leur degré d’affinité, de la parenté de leurs compositions chimiques et de leurs édifices structuraux. J'ai raisonné jusqu'ici comme si, dans le croisement entre deux races, On ne mettait en présence que des individus différant par une seule particularité. De semblables cas sont en réalité excep- tionnels ; la plupart du temps le croisement est fait entre indi- vidus différant par un grand nombre de propriétés morphologi- ques ou physiologiques. Les règles mendéliennes continuent à être applicables à chaque particularité, ainsi que vont le montrer quelques exemples. Si on croise des Souris de robe gris sauvage uniforme, avec des Souris noires mais panachées de blanc, on constate que les hybrides de première génération sont tous gris sauvage et de robe uniforme. L'étude de la dissociation de ces hybrides, à la deuxième géné- ration, est des plus intéressantes. On constate, en effet, Papparition à cette génération de Souris grises uniformes, de Souris grises panachées, de Souris noires uniformes, de Souris noires pana- chées. De mème, si on croise des Drosophiles à yeux rouges et à ailes longues avec des Mouches à yeux blancs et à ailes courtes, on obtient, outre des individus du type des deux parents, des Mou- ches à yeux rouges et ailes courtes et des mouches à yeux blancs RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 111 et ailes longues. Dans le croisement entre une variété de Zychnis à fleurs rouges et à feuilles poilues avec une variété à fleurs blanches et à feuilles lisses, on constate, à la deuxième génération, Papparition d'individus caractérisés par les combinaisons : rouge- poilu ; rouge-lisse; blanc-poilu ; blance-lisse; rose ({ype maïs)- poilu ; rose-lisse. Toutes ces différentes catégories d’hybrides se trouvent d’ail- leurs exister dans des proportions définies. Leur existence et leur nombre peuvent être expliquées de la façon suivante : Reprenons exemple du croisement entre Souris grises unifor- mes et noires panachées et représentons par des lettres les diffé- rentes particularités en présence en appelant oTIs) A, la couleur sauvage (g B, le pelage uniforme a, la couleur noire b, le pelage panaché. Le croisement des parents peut être représenté par le symbole AB > ab. Les hybrides Fr ont la constitution AaBb, mais À dominant 4 et B dominant b, ils sont, quant à l'apparence, du type uniforme. Supposons que, lors de la formation des gamètes, les propriétés héréditaires conditionnant Papparition des particularités À, B, a, b, se combinent entre elles de toutes les manières possibles, ces gamètes auront les constitutions AB, Ab, aB, et «ab. gris Lors de la fécondation, les gamètes mâles et femelles se ren- contreront au hasard, si bien qu'il en résultera 16 combinaisons d’hybrides de deuxième génération. Ces combinaisons peuvent être représentées par le tableau suivant : ® AB aB Ab db 1, (5!) AB ABAB -SAPBaBTABAE ABab aB abBAB (aBaB) aBADb (aBab) Ab AbAB AbaB AbAD Abab ab abAB (abaB abAb abab 112 E. GUYÉNOT Neuf combinaisons, renfermant au moins une fois les particu- larités dominantes À et B, correspondent à des animaux gris uniformes. Aux trois combinaisons, renfermant À et b, appartiennent des animaux gris panachés. Aux trois combinaisons, renfermant «& et B, appartiennent des animaux noirs uniformes. A l'unique combinaison ne renfermant que « et b correspondent des animaux noirs panachés. L'expérience montre que Fon obtient bien 4 Souris grises uni- formes, pour 3 grises panachées, 3 noires uniformes et 1 noire panachée. Tout se passe done comme si les propriétés héréditaires, condi- tionnant les quatre particularités différentes, jouissaient d’une indépendance réciproque telle que lon puisse les faire passer 1so- lément d’une race dans une autre, grâce à leur séparation dans les gamètes Cette constatation est capitale : elle nous montre que, lors de la formation des gamètes chez les hybrides, la dissociation men- délienne ne réside pas purement et simplement dans une sépara- lion en bloc des patrimoines héréditaires accolés des deux parents, mais dans une séparation de certains éléments de ces deux patrimoines héréditaires, éléments dont l'existence se trouve ainst incontestablement démontrée. | Le patrimoine héréditaire n'est donc pas une masse de sub- stance vivante, homogène, dont toutes les parties seraient en étroite corrélation les unes avec les autres. Ce patrimoine est, de toute évidence, formé de parties susceptibles d’être héritées 1S0- lément et, dans les croisements, d’entrer en combinaison, indé- pendamment les unes des autres. Quelle est la nature de ces unités du patrimoine héréditaire ? Les unités héréditaires Au moment où les résultats expérimentaux amenaient les bio- logistes à se poser cette question, il était une théorie qui parais- sait immédiatement susceptible d'en donner la solution, c'était la conception des déterminants de \VEISMANN. Il ne pouvait pas y RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 113 avoir en effet de confirmation plus éclatante, au moins en appa- rence, de ceite conception théorique. Montrer que l'œuf n’est pas, au point de vue héréditaire, une unité formée par la combinaison de substances physico-chimiques intimement liées, mais un agré- wat de constituants pouvant être séparés les uns des autres ; mon- trer que ces constituants correspondent à certains caractères ou groupes de caractères susceptibles d’être hérités indépendamment, c'était plus qu'il n’en fallait pour permettre d'identifier ces const- tuants avec les particules matérielles qui sont à la base de Fhypo- thèse de WErsmaxn. Aussi nombre d'auteurs, adoptant entière- ment l’hypothèse weismannienne, ramenèrent-ils les phénomènes de mendélisme à un chassé-croisé de déterminants, c’est-à-dire de ces particules vivantes, décomposables en biophores, qui, par leur groupement en ides, puis en chromosomes, représenteraient les supports de l’hérédité. Le mot de déterminant est parfois employé dans un sens diffé- rent. Cuénor (!), par exemple, définit ainsi le déterminant : «On peut concevoir que c’est une substance chimique particulière, renfermée dans les cellules sexuelles, qui détermine, à travers les innombrables divisions et réactions cellulaires, une certaine constitution intime des cellules de la peau, du système nerveux, du tube digestif, etc., se traduisant parfois par des caractères visibles ; ainsi les déterminants des quatre premières catégories (chez la Souris) correspondent peut-être à la présence, dans les cellules de l’épiderme et de l'œil, de chromogènes dont la coopération pro- duit des pigments variés, mais il est impossible de savoir en quoi ils affectent les cellules des reins ou du foie, car les modifi- cations non visibles en rapport avec un changement de détermi- nants échappent à nos moyens d'investigation. » D’autres auteurs remplacent le mot déterminant par d’autres expressions, unités héréditaires, gènes, facteurs, qui ont Pavan- tage de ne comporter aucune définition prématurée de la nature de ces constituants du patrimoine héréditaire. Si on est amené à constater expérimentalement qu'une particularité n’est réalisée que si l’œuf contient un certain constituant, un certain gène, on (w) dit que tous les individus, ayant ce « gène » dans leur patrimoine héréditaire, appartiennent au même génolype, sans chercher à (!) Cuëxor, La genèse des espèces animales. F, Alcan, édit., p, 110. 114 E. GUYÉNOT savoir exactement en quoi consiste réellement le gène en ques- tion. Le mot « facteur » n’est pas employé, ainsi que tendrait à le faire penser sa signification étymologique, dans le sens de cause déter- minante de la particularité correspondante. Le mot facteur est pris dans son acception algébrique. L'analyse mendélienne décom- pose un mécanisme héréditaire en une série de facteurs, dont le nombre dérive directement des constatations expérimentales. Ce terme facteur pourrait être remplacé aussi bien par celui de condi- tion. On met en évidence une série de conditions ou facteurs, que ceux-ci soient germinaux, démontrés par l’analyse mendé- lienne, ou au contraire des facteurs externes intervenant au cours de l’ontogenèse. Cette notion de facteurs, ainsi comprise, nous éloigne de la conception de particules représentatives. Un facteur pourra être une substance chimique du germen, une dias- tase autocatalytique (HAGEDooRN), un rapport entre deux autres facteurs germinaux, une condition du milieu. Il n’est pas, comme le déterminant de WeismanN, une simple création de l'esprit, mais a la signification d’une représentation symbolique d’une donnée expérimentale, Nous avons vu, en étudiant le croisement entre Souris noire panachée et Souris grise uniforme, comment les résultats de ce croisement conduisaient à la notion d’unités héréditaires. En multipliant les croisements, on arrive à déceler l’existence dans un organisme de toute une série de ces unités. Ainsi la Souris grise ne doit pas sa couleur à une seule unité héréditaire, mais à plusieurs unités qui peuvent être héritées indépendamment les unes des autres. Toutes les souris pigmentées, grises, noires, Jaunes, etc., possèdent une certaine unité, désignée dans la nomenclature de Cuéxor par la lettre C, et qui conditionne la réa- lisation des différents pigments. Si cette unité C vient à manquer, la souris est dépourvue de pigments, mais on voit immédiate- ment qu'il peut exister des albinos de race grise, noire ou jaune. L'analyse mendélienne à de même conduit Moraax (4o) à cette conclusion que Pœil rouge de Drosophila ampelophila sauvage n’est pasconditionné par une unité héréditaire, mais par plusieurs, chacune de celles-ci déterminant Papparition d'autant de pigments dont le mélange donne l'œil rouge. Le plus remar- quable, et ce qui prouve bien la réalité de cette interprétation, RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 4115 c’est que MorGan a pu obtenir autant de races, caractérisées pré- cisément par les couleurs correspondantes de Pœæil. Si l’on appelle, avec l’auteur, G Punité qui détermine Pappari- tion du pigment quel qu'il soit et dont l'absence détermine létat albinos, O l’unité déterminant la couleur orange de l'œil, P celle qui conditionne la’couleur rose et V celle déterminant la couleur vermillon, on est amené à la conclusion que Pœil rouge sauvage est dû à la présence dans le germen des unités VPOC. Les Mou- ches à œil rose possèdent les unités POC, les Mouches à œil ver- millon les unités VOC et les Mouches à yeux oranges les unités OC. Si C manque, on obtient, en partant de ces différentes races, des albinos de rouge, de vermillon ou de rose. L'existence de lignées pures à œil vermillon, rose, blanc et l'étude des croise- ments de toutes ces races entre elles et avec la forme rouge sau- vage confirment pleinement les conclusions relatives à l'existence de ces différentes unités héréditaires. Par contre, l'existence des facteurs héréditaires n’est pas tou- jours rendue aussi tangible. Dans un croisement entre Avoine à balle noire et Avoine à balle blanche, Nrzson EnLe constata qu’à la première génération tous les hybrides étaient noirs, tandis qu'en Fo, il trouva 630 individus noirs pour 4o blancs, soit 15 p. 1. Cette proportion n’est pas explicable si Pon admet l’exis- tence de deux facteurs seulement, Fun conditionnant le noir, l’autre conditionnant le blanc. On devrait, en effet, trouver dans ce cas une proportion de 3 noirs (couleur dominante) pour 1 blanc et non de 15 pour 1. Cette difficulté peut cependant être résolue, si, à l'exemple de Nizsox EuLe, on suppose que la couleur noire est conditionnée non plus par un, mais simultanément où indépendamment par deux facteurs héréditaires, À et B, et que le blanc est dû à l’ab- sence ou à un état différent de ces facteurs, a et b. Le croisement pourrait être alors représenté par le schéma suivant : P AB (noir) >< ab (blanc) Fi ABab (noirs) | F2 OAB + 3aB + 3Ab + rab on A a 1h noirs 1 blanc 116 E. GUYÉNOT Cette hypothèse se trouve confirmée par lexamen de la troi- sième génération. Les gamètes des individus de première généra- üon ont, en effet, les constitutions AB, Ab, Ba ou «b. Les croi- sements doses et Les résultats théoriques sont dès lors les suivants : Croisements 2e génération 3e génération AB Se AB AABB (noirs) noirs constants ABS<'abB AaBB (noirs) noirs constants AB >< Ab AAOB (noirs) noirs constants AB ab AaBb (noirs) 15 noirs : 1 blanc ADIAAB AAB (noirs) noirs constants Ab SCA b AADD (noirs) noirs constants Ab << aB AaBb (noirs) 19 noirs : 1 blanc Ab XX ab Aabb (noirs) 3 noirs : 1 blanc aB >< AB AaBB (noirs) noirs constants aB > Ab AaBb (noirs) 19 noirs : 1 blanc aB >< aB aaBB (noirs) noirs constants aB XX ab aaBb (noirs) 3 noirs : 1 blanc ab’ 5< AB AaBb (noirs) 15 noirs : 1 blanc ab S<° AG Aabh (noirs) 3 noirs : 1 blanc db ab aaBb 3 noirs : 1 blanc ab > ab aabb (blancs) blanes constants Or, l'examen de la troisième génération montre que l’on obtient en effet 7 noirs constants, pour 4 fois le rapport 15 noirs : 1 blanc, 4 fois le rapport 3 noirs : 1 blanc et enfin 1 blanc pur. Le résultat expérimental est entièrement conforme au résultat théorique prévu et confirme par conséquent hypothèse formulée. C’est de cette manière que l’on a été conduit, dans certains cas, à admettre l’existence de 3, { facteurs ou plus, concourant à la production d’une même particularité et appelés facteurs homo- loques. Les raisons,qui militent en faveur de lexistence de semblables facteurs, sont cependant moins péremptoires que celles que nous avons vu invoquer, en ce qui concerne les unités héréditaires de œil des Drosophiles où de la robe des souris. Dans ces cas, en effet, on a obtenu des races caractérisées précisément par les cou- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 117 leurs correspondant aux différentes unités héréditaires admises. L'existence des facteurs homologues n’a, par contre, d'autre raison d’être que la nécessité de faire rentrer dans le cadre men- délien des résultats numériques qu’un seul couple de facteurs ne suffirait pas à expliquer. Ce qui souligne bien le caractère un peu artificiel de cette façon de procéder, c’est que, raisonnant sur un même cas, des auteurs ont pu en fournir chacun une explication différente, en partant d’hypothèses dissemblables sur le nombre et la répartition des facteurs génétiques. Il y a là une porte ouverte à un abus facile à commettre, car il est évident qu’en inventant le nombre de facteurs nécessaires, on peut arriver à tout expliquer par la théorie mendélienne et même, comme la essayé A. LanG, à faire rentrer dans le domaine de lhérédité alternative des cas d'hérédité constamment intermédiaire, celui des mulâtres par exemple. Parfois, même en imaginant des combinaisons compliquées de facteurs, on se heurte néanmoins à des résultats dont la théorie ne peut rendre compte. Cependant les biologistes les plus con- vaincus de luniversalité des lois mendéliennes n'hésitent pas alors à compliquer lPéchafaudage des facteurs génétiques par des hypothèses accessoires (facteurs d’arrêt, facteurs d’excitation, facteurs exerçant les uns sur les autres une sorte de dominance ou épistase). [Test certain que ce sont là des essais d'explication intéressants, mais auxquels il serait imprudent d'attribuer une valeur définitive. Le support anatomique de l'hérédité Quelle que soit la nature exacte des facteurs ou unités héré- ditaires, on s’est préoccupé de savoir dans quelle partie du ger- men, de la cellule initiale, se trouvent ces constituants du patrimoine héréditaire. Pour tout un ensemble de raisons, on a été conduit à les localiser dans ces parties chromatiques du noyau, qui se présentent, au moment de la division caryocinéti- que, sous la forme de chromosomes. À vrai dire, il n'a été fourni aucune démonstration de l'existence d’une semblable localisation ; celle-ci paraît cependant vraisemblable lorsqu'on prend en consi- dération les constatations suivantes. 118 E. GUYÉNOT Le spermatozoïde qui apporte, lors de la fécondation, le patri- moine héréditaire paternel ne renferme qu'une infime quantité de cytoplasme, mais possède un noyau qui est sensiblement équivalent à celui de lovule. Ce sont les parties chromatiques de ces noyaux des gamètes que l’on voit se Joindre, puis se séparer, d’une façon symétrique, au cours des divisions successives. La régula- rité des figures caryocinétiques évoque la régularité de la répar- tition des constituants du patrimoine héréditaire parmi les diffé- rents gamètes. Les études modernes sur le déterminisme du sexe renforcent encore lhypothèse d’une localisation du patrimoine héréditaire dans les chromosomes. On peut, en effet, considérer comme éta- bli que le sexe est déjà déterminé au moment de la fécondation. Cette affirmation est basée sur tout un ensemble de faits ; on a notamment pu constater l’existence d’une relation certaine entre la constitution chromatique des gamètes et le sexe de l'individu issu de leur conjugaison. Chez certains organismes, en effet, les cellules somatiques des femelles ont un nombre de chromosomes pair (2N), tandis que les mâles ont un chromosome de moins (2N-r). Ces nombres se trou- vent dans les cellules mères des gamètes, ovogonies ou spermato- gonies. Mais, par suite des divisions cellulaires aboutissent à la formation des gamètes, les ovules ont chacun la moitié du nom- bre des chromosomes somatiques (N), tandis que la division des 2 N-1 chromosomes mâles aboutit à des spermatozoïdes dont les uns ont N et les autres N-1 chromosomes. Il y a donc une moitié des spermatozoïdes qui ont un chromosome de plus que lPautre moitié. La conjugaison d’un ovule N avec un spermatozoïde N aboutit à un œuf ayant 2N chromosomes, qui donnera un indi- vidu dont toutes les cellules auront 2N chromosomes, c’est-à- dire un individu femelle. La fécondation d’un ovule N par un spermatozoïde N-1 produit un œuf possédant, ainsi que toutes les cellules qui en dérivent, 2 N-1 chromosomes, c’est-à-dire aboutis- sant à un individu de sexe mâle. Dans d’autres cas, les gamètes ont tous le même nombre de chromosomes, mais la moitié des spermatozoïdes renferme un chromosome plus petit dont la présence est liée à la réalisation du sexe mâle. De très intéressantes recherches de MorGax ont de plus montré RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 119 l'existence, chez Drosophila ampelophila où de semblables diffé- rences chromatiques sexuelles ont été constatées, de particularités liées à un sexe, au point de vue héréditaire (heredity sex limited). Si l’on admet que les faits relatés plus haut démontrent que le sexe est déterminé par des différences dans la constitution du noyau, on peut en conclure que les facteurs génétiques, liés au sexe, se trouvent vraisemblablement localisés, eux aussi, dans les parties chromatiques du noyau. Il y a là un argument de plus en faveur de cette localisation. Rien ne permet cependant d'affirmer actuellement que le cyto- plasme de l’œuf et des cellules soit purement trophique et ne participe en rien à la transmission et au conditionnement des particularités héréditaires. Peut-être à côté d’une hérédité chro- mosomique existe-t-il une hérédité cytoplasmique dont le mode de transmission pourrait être différent du mode mendélien ? Il ne faut pas oublier, en effet, que les lois mendéliennes sont valables pour des cas d’hybridation c’est-à-dire de croisements entre races, entre lignées où l’on met en présence des particularités et par suite des patrimoines héréditaires, souvent très différents. Lorsqu’au contraire on envisage des croisements entre individus de même lignée, il y a bien, entre les parents, tout un ensemble de particularités communes, mais il existe aussi certaines différences individuelles que lon ne distingue qu’à un examen approfondi et qui sont souvent héréditaires. Tous les enfants de la race humaine européenne ont des carac- tères de race communs, mais on sait qu'il y a des particularités familiales héréditaires qui ne paraissent pas suivre les lois men- déliennes. Sans doute, en imaginant, souvent de façon très arbi- traire, des édifices compliqués de facteurs génétiques, on à pu ramener, au moins en apparence, à des cas de mendélisme, l'hé- rédité de la couleur des cheveux, ou des yeux, celle de certaines maladies. Mais il n’en est pas de même, lorsqu'on s'attache à ces différences souvent minimes dans les traits du visage, la forme de la bouche, du nez, des oreilles, l'arc des sourcils, la forme de la pau- pière, celle du menton, l'existence de fossettes, etc., différences individuelles que nous savons voir dans le cas particulier, grâce à la grande attention que nous apportons à les considérer, et dans lesquelles nous savons retrouver des mélanges ou des prédomi- nances parfois passagères des particularités caractéristiques du 120 FE. GUYÉNOT visage des parents où des grands-parents. I y a là tout un côté fort intéressant de létude de Phérédité qui ne paraît nullement être justifiable des lois mendéliennes et qui suffit à nous montrer que, si importantes soient-elles, celles-ci ne sauraient absorber actuellement la science toute entière de l'hérédité. \ A APPRÉCIATION PERSONNELLE SUR LES BASES ACTUELLES DE LA SCIENCE DE L'ÉVOLUTION L'étude critique des conceptions générales émises par tant d'éminents naturalistes montre trop la vanité de leurs tentatives d'explication universelle de Pévolution des êtres vivants pour qu'un essai de cet ordre, même basé sur l’ensemble des faits actuellement connus, n’apparaisse pas comme une œuvre préma- turée. IT est d’une utilité plus certaine de rapprocher, après l'analyse à laquelle je me suis livré jusqu’à présent, tout ce que lon peut considérer comme définitivement acquis aujourd’hui parmi les idées et les faits connus en matière d'évolution. Mon but est ainsi de mettre en lumière les bases solides sur lesquelles doivent être assises les recherches expérimentales correctes ou les hypothèses fécondes, au détriment des conceptions inexactes qui retardent nécessairement le progrès de la biologie générale. Î. La structure de l'œuf et le patrimoine héréditaire. — Pour tous les organismes se reproduisant par voie sexuée, varia- tion héréditaire équivaut à variation germinale, c’est-à-dire à une variation du patrimoine héréditaire. Ce patrimoine héréditaire présent dans l’œufet qui conditionne, pour une part considérable, les propriétés morphologiques ou physiologiques de l'organisme futur, on peut se le représenter de deux façons différentes. Une première conception part de ce point de vue que, au moins actuellement, la matière vivante germinale est inaccessible à notre analyse, toute tentative pour la morceler ne pouvant abou- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 191 ür qu'à des coupures arbitraires, du genre des particules repré- sentatives de Wegismaxx. Il serait donc convenable d'envisager cette matière vivante en bloc, de la considérer comme une et indivisible et de faire dépendre toutes les propriétés inscrites au patrimoine héréditaire, de la constitution physico-chimique de la substance vivante de la cellule initiale. Les variations hérédi- taires seraient la résultante de variations dans la constitution physico-chimique de l'œuf. Ce langage global à incontestablement l'avantage de ne pas formuler d’hypothèses relatives à la struc- ture de Pœuf. Il suppose, par contre, une unité fondamentale de cet œuf, telle qu'aucune de ses parties ne puisse subir une modi- fication, sans que cette modification retentisse sur tout lPen- semble. Les constituants physico-chimiques du zygote forme- raient, par leur réunion, par leurs relations réciproques, un ensemble, indissociable dans son activité morphogène, la sub- stance vivante initiale de lorganisme. Nous sommes actuellement certains que ce point de vue est inexact. Les expériences d’hybridation ont, en effet, montré que dans une cellule œuf, il existe, au point de vue héréditaire, des parties indépendantes ou du moins des parties dont les relations avec les autres constituants ne sont pas telles qu’elles ne puissent en être détachées. La preuve en est dans le résultat du croise- ment de deux races différant par au moins deux couples de par- ticularités héréditaires. Si l’on représente ces particularités par des lettres telles que A et B pour une race, « et b pour une autre, tout se comporte, après croisement, comme si la condition b passait de la race à dans la race À et comme si la condition B passait de la race À dans la race a. Les quatre constituants À et B, « et b se trouvent indiscutablement séparés dans les gamètes et sont susceptibles d’être hérités indépendamment les uns des autres. Ceci est une donnée expérimentale qu’il faut tenir pour certaine. Les expériences, lorsqu'on les pousse assez loin, mon- trent l'existence de très nombreux constituants de cet ordre dans la cellule initiale de chaque organisme, et encore n’en connais- sons-nous sans doute dans chaque cas qu'une infime partie. Selon la comparaison faite par Cuénor, la répartition des constituants héréditaires, lors des croisements, est comparable au travail que ferait, par exemple, un ouvrier chargé de former, en puisant au hasard dans 8 sacs de jetons de couleurs différentes, des groupes 129 E. GUYÉNOT de 4 jetons devant constituer autant de parts individuelles. Sans doute 1l y a des cas où certains constituants sont couplés de telle façon qu'ils passent toujours ensemble dans les gamètes, mais ceci prouve simplement qu'à côté des constituants héréditaires indépendants, il y a des groupes de constituants jouissant à leur tour de cette indépendance. Nous pouvons donc formuler cette première proposition. L’œuf est, au point de vue héréditaire, constitué pour une part au moins par des éléments susceptibles d'être répartis indépendam- ment les uns des autres dans les qamètes et d'entrer en com- binaison, les uns avec les autres, d'une façon quelconque, au hasard des croisements effectués entre gamètes. Le patrimoine héréditaire ne paraît pas être le résultat d’une constitution phy- sico-chimique de l'œuf ayant une unité réelle, mais est plutôt conditionné par le groupement des unités héréditaires qui entrent dans sa constitution. Il est essentiel de se souvenir que ces unités diffèrent profondément des déterminants de WEISsManN : ceux-ci étaient de simples vues de l'esprit, sans aucune base positive, celles-à ont leur existence démontrée par lexpérience; leur nombre dérive directement des résultats obtenus. Elles ne sont qu'une façon d'exprimer des faits incontestables. Une controverse reste cependant ouverte au sujet de la valeur relative de ces unités dont tous les auteurs ont été forcés de reconnaître l'existence, qu'ils les appellent déterminants comme Cuénor ou les comparent à des microbes ainsi que l’a fait F. Le Danrec. Pour ce dernier auteur, en effet, ces unités n’exis- teraient que pour certaines particularités secondaires, lorganisme dans son ensemble étant conditionné par la composition physico- chimique de l'œuf. « Je vois bien, écrivait F. Le Danrec (!), dans un article de polémique, qu'une Souris a un déterminant de pelage blanc, je veux bien qu'elle ait encore, si vous voulez, deux, trois, sept autres caractères superposés comme des vêtements, à l’en- semble de son organisation ; mais à côté des déterminants sur- ajoutés, à côté de ces déterminants de diathèse qui peuvent man quer sans que lanimal en souffre, il y a un gros déterminant beaucoup plus important, c’est l'œuf de Souris, qui produit la Souris. Au cirque, quand l’homme aux trente-six gilets avait retiré {!) Biologica, 1911, p. 167. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 193 son trente-sixième gilet aux yeux du public ébahi, il restait tout de même un homme. Les variations étudiées par les biologistes mendéliens seraient comparables aux transformations résultant des changements de gilets. Une fois tous ces gilets enlevés, il reste l’animal coordonné, déterminé par la constitution physico- chimique de lœuf qui, elle, ne serait pas réductible en déter- minants ». Si cette conception était exacte, il en résulterait que le mendé- Jlisme ne correspondrait qu’à une partie très accessoire des phé- nomènes héréditaires. Sans doute, lorsqu'il ne s’agit que de variations de pigmentation, de distribution de couleurs, de carac- tères ornementaux, on pourrait à la rigueur penser qu'il s’agit de phénomènes régis par des déterminants symbiotiques, quoi- qu'on ne comprenne guère comment l’œuf pourrait, tout en gar- dant son unité de constitution, héberger de si nombreux déter- minants. Mais il y a plus, ces déterminants ou urités dont Pexpérience démontre lexistence deviennent chaque jour plus nombreux à mesure que lon pousse plus loin les investigations expérimentales. Il en est qui conditionnent des caractères de forme, de taille, de fécondité ; certains déterminent, dans les graines, des teneurs différentes en sucre, en amidon, en eau, etc., c'est-à-dire modifient tout l'ensemble du métabolisme du végétal. Certaines mutations des Drosophiles, conditionnées par des unités héréditaires spéciales, portent non seulement sur les ailes qui sont réduites à de simples moignons, mais entraînent une modification profonde de la vitalité et de la fécondité de ces animaux qui peuvent à peine être conservés à force de soins. Quand on a établi pour une Mouche une liste de facteurs cor- respondant aux dimensions, à la forme des ailes, à leur existence, à celle des balanciers, à la pigmentation des yeux et à la distribu- tion de cette pigmentation, à la forme et à la couleur des bandes de labdomen, au sexe des individus, à la fécondité, etc...…., et que l’on constate que lPabsence de certaines de ces unités entraine une déchéance très profonde de lorganisme, peut-on vraiment continuer à penser que ces facteurs ne correspondent qu'à des parties surajoutées et accessoires ! Lorsqu'on parcourt la liste des particularités les plus diverses qui suivent, ainsi que cela à été constaté, les règles de lPhérédité mendélienne, on se demande ce qu'il pourrait bien résulter d'un organisme auquel on aurait 124 E. GUYÉNOT reuré tous les facteurs correspondant à ces particularités. Cela ne veut pas dire, par contre, que la substance initiale d’un organisme soit un simple agrégat, une simple mosaïque de fac- teurs. Une Souris noire et un Rat noir pourront avoir un nombre considérable de facteurs analogues, conditionnant des particula- rités semblables dans les deux espèces considérées. IT n’en demeure pas moins que l'œuf de lune donne une Souris et Pœuf de lPautre un Rat et cela tient très vraisemblablement à ce que la substance de chacun de ces œufs possède une architecture propre, un mode de groupement particulier des éléments constitutifs de leurs unités héréditaires. Il. La nature des unités héréditaires. — Nous quittons le domaine positif pour entrer dans celui de l'hypothèse dès que nous cherchons à pénétrer la nature de ces unités héréditaires. Il est cependant utile de se demander quelle est la constitution la plus vraisemblable que nous puissions leur attribuer. L'idée en apparence la plus simple est que ces unités hérédi- taires ne sont autre chose que certains composés chimiques. La comparaison entre animaux pigmentés et animaux albinos, par exemple, fait immédiatement penser à l'existence de chromogènes, susceptibles d’être où non transformés en pigments, suivant qu'existe ou non une diastase correspondante (oxydase). Cette interprétation se montre cependant madéquate. I faut en effet son- ger que,chezles animaux à robe panachée, il existe des cellules qui contiennent ce qu'il faut pour produire du pigment, tandis que d’autres manquent de la condition nécessaire. Or l’une et l’autre dérivent du même œuf qui aurait dû à la fois contenir et ne pas contenir la diastase, ce qui ne pourrait, en tout cas, s'expliquer qu'en admettant l’existence dans cet œuf de territoires différents et séparés. L’œil panaché des Drosophiles à yeux « barred » est formé d’ommatidies pigmentées et d’ommatidies non pigmentées. Sans doute la bande colorée peut varier de forme et de dimen- sions, mais son siège reste médian. Ceci ne peut être expliqué par une simple question de chimie. Il y a sans doute présence et absence de quelque substance, mais celle-ci reste localisée à cer- taines lignées cellulaires. Une substance chimique transformant le chromogène en pigment devrait circuler dans le milieu inté- rieur ; l'élaboration du pigment demeure cependant l'apanage de RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 125 certaines cellules. On à pu saigner un animal albinos et lui injec- ter le sang d’un animal de mème espèce, mais de race colorée, sans introduire dans le sujet aucune modification de son albi- nisme. Des ovaires d'animal albinos ou pigmenté, greffés sur une femelle à robe d’une autre couleur, ont donné une descendance que le porte-grelfe n'avait nullement modifiée au point de vue considéré, ainsi que le montrent les expériences de Casrze et de Pnizzirs sur des Cobayes. Tout ceci nous montre que les unités héréditaires ne sont pas de simples substances chimiques, capables de sortir des cellules et de se répandre dans le milieu intérieur, mais que leur activité s'exerce à une échelle différente. Elles peuvent non seulement conditionner la production, ou la non production de certaines substances chimiques, mais aussi assurer la distribution de ces processus entre les diverses lignées cellulaires au cours de lon- togenèse. Ce qui contribue encore à nous empêcher d'identifier les unités héréditaires à de simples substances chimiques, e’est qu'on ne comprendrait pas par quelle opération ces substances chimiques passeraient au cours des divisions germinales dans certains gamètes, et non dans d’autres. Si les unités héréditaires ne sont pas identifiables à de simples substances chimiques, rien ne nous permet non plus d'en faire ces particules vivantes, se multipliant, se divisant à la façon de plastides minuscules, sortant du noyau à leur gré, que sont les déterminants de Weismaxx. L'idée qui est à la base de cette con- ception est en partie juste, la conception elle-même est certaine- ment fausse. Pour se faire une représentation aussi exacte que possible de ce que peuvent être les unités héréditaires, 1l faut, à mon avis, tenir essentiellement compte de ce que nous savons de la cons- ülution psysico-chimique et de la structure de la substance vivante. Celle-ci n’est pas une substance chimique banale, mais possède une architecture colloïdale très complexe, constituée elle- même par la réunion d’un nombre immense d’édifices colloïdaux, variables par leur constitution chimique, lorientation stéréochi- mique de leurs éléments, pouvant avoir des affinités, des liaisons multiples les uns avec les autres. La seule considération des albumines et des innombrables modes de groupement moléculaire de leurs principaux HOYAUX 126 E. GUYÉNOT ou constituants permet déjà de comprendre qu'il existe autant d’albumines que d’espèces animales ou végétales et que chaque üssu possède lui aussi des albumines caractéristiques que cer- taines réactions permettent de mettre en évidence. Avec les cons- Utuants des albuminoïdes, on peut en effet imaginer des milliards de combinaisons, différant par la nature, la proportion, la place stéréochimique des constituants —, autant et plus qu'il n’en est nécessaire pour répondre à toutes les constitutions spécifiques dont témoigne la nature organisée. Qu'on suppose lexistence d’une substance albuminoïde exces- sivement simple formée par seulement 3 acides amidés À, B et C, entrant en proportions égales dans sa constitution, on aura, d’après le mode de groupement stéréochimique de ces 3 éléments, 6 formes différentes ABC, ACB, BCA, CAB, CBA. Avec 4 acides, on aura 2/4 combinaisons possibles, avec 5 acides, 120 ; 15 aci- des amidés donnent 1.307.67/4.368.000 combinaisons différentes et, avec 20 éléments constituants, on peut obtenir 2.432.902.008. 176.640.000 structures isomères qui se laissent distinguer par la place qu’occupe chaque élément dans l'édifice. Qu'à ces albuminoïdes proprement dits, on ajoute toutes les combinaisons des nucléoprotéides, ou autres constituants du pro- toplasme ; que l’on se souvienne que ces molécules complexes sont elles-mêmes réunies en édifices colloïdaux susceptibles de variétés indéfinies et lon comprendra que la seule considération de cette structure physico-chimique de la matière vivante suffit à nous rendre saisissable dans ses grandes lignes la nature des unités héréditaires. La caractéristique d’une cellule germinale ou somatique réside, en définitive, dans la composition de ses édifices colloïdaux : ce sont la nature, la constitution, larrangement de ces structures, leurs proportions réciproques, leurs relations qui, dans le germen, m'apparaissent comme réalisant ce que l’on désigne sous le nom d'unités héréditaires. L'absence ou la présence d’une particularité héréditaire pourraient être conditionnées aussi bien par Pabsence ou la présence dans le germen d'un édifice colloïdal, ayant une certaine composition, que par l'existence de deux édifices diffé- rents en quelque degré ou par un changement dans le rapport entre deux ou plusieurs groupes de constituants. Un rapport donné entre deux groupes d’architectures moléculaires ou colloï- 1 RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 19 dales pourra conditionner, à un moment donné de lontogenèse, une orientation particulière de la matière vivante, qui à son tour déterminera une séparation des constituants entre deux lignées cellulaires. C’est par le déroulement progressif des conditions physico-chimiques potentiellement renfermées dans le patrimoine héréditaire, par le jeu réciproque des différentes structures et de leurs constituants chimiques, qu’en partant d’une différence ger- minale en apparence infime le développement ontogénique peut aboutir à des êtres présentant des différences morphologiques considérables. Une variation héréditaire m’apparait, en définitive, comme liée à un changement d'état physique ou de nature chimique, ou d'arrangement colloïdal ou de répartition numérique des édifices constitutifs de la cellule ou simultanément de deux ou plusieurs de ces facteurs. Ce sont ces particularités, réalisées à l'échelle des édifices cellulaires, qui conditionnent, au cours de l’ontogenèse, toute la série des phénomènes d’où résultent les variations acces- sibles à notre investigation, celles que nous appelons morpholo- giques ou physiologiques. Comme corollaire, nous chercherons l'origine des variations, non dans un changement général de la constitution physico- chimique, mais, au moins pour un très grand nombre de cas, dans un changement survenu dans les unités héréditaires de la cellule initiale. En ce sens les hybrides sont des variations par rapport à l’une des races parentes prise comme terme de com- paraison. IT. Les facteurs externes et la variation. — Si l’on peut établir l'existence d'unités héréditaires, conditionnant la réali- sation chez lindividu de telles ou telles particularités morpho- logiques ou physiologiques, 1l ne s’en suit pas que cette réalisa- tion soit fatale. Au cours de l’ontogenèse, cette réalisation dépend nécessairement de la constitution héréditaire de Fœuf, mais non moins nécessairement de toutes les conditions du milieu. Par cette expression, conditions du milieu, il faut entendre non seu- lement tout l’ensemble des facteurs extérieurs à l'organisme, mais l'influence qu'exercent sur une partie de cet organisme en voie de développement les variations qui pourraient survenir dans les autres parties. Plus exactement, la réalisation des particularités 128 E: GUYÉNOT étant effectuée à l'échelle cellulaire, une lignée cellulaire devant aboutir, par hérédité, à la formation d'une partie ayant une cer- laine structure pourra, sous l'influence de conditions nouvelles du milieu, aboutir à une structure différente. L'existence de telles variations au cours de l’ontogénèse sous Pinfluence du milieu a été démontrée par d'innombrables observations ou expériences. Ces variations introduites dans la constitution des cellules du corps de lPindividu, sous Finfluence des conditions de culture ou d'élevage, sont assez profondes pour être maintenues presque in- définiment dans les lignées cellulaires qui en proviennent. C’est ce que démontre la constance des variétés, propagées par division simple, bouture ou greffe. La lignée des cellules cancéreuses con- serve indéfiniment ses particularités nouvelles, mème si elle est successivement greffée sur un grand nombre d'individus, comme cela a été le cas pour le cancer des Souris. Il y a donc en un sens pour ces cellules somatiques de véritables vartations hérédi- lLaires acquises à la suite de modifications des conditions d’exi- stence. L'origine des variations germinales. — Tandis que les diffé- rentes lignées cellulaires somatiques sont très modifiables sous l'influence des conditions extérieures et peuvent ainsi acquérir des particularités nouvelles, la lignée germinale, considérée à tra- vers les individus successifs, paraît être beaucoup plus stable et beaucoup moins influençable par les conditions externes. Lors- qu'en effet, on élimine, après vérifications expérimentales, les variations non héréditaires, c'est-à-dire purement individuelles, on constate que les variations héréditaires survenant dans une lignée d'organismes sont souvent d’une extrême rareté. Le patri- moine héréditaire se maintient en effet très uniforme pendant des séries nombreuses de générations. Cette stabilité peut être par- fois masquée où apparemment modifiée par des variations soma tiques surajoutées, mais l'étude expérimentale montre la réelle constance du patrimoine héréditaire. L'isolement des différents génotypes au sein d'une population donnant une impression de variabilité continue est une preuve bien nette de cette stabilité. Les différents génotypes peuvent, en effet, confluer ou empiéter les uns sur les autres par leurs somations, mais les caractéristi- ques héréditaires de ces différentes lignées demeurent constantes. I survient cependant de temps à autre des variations hérédi- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 129 taires, mais presque toutes celles dont on à pu constater la nais- sance où occasionner lapparition se présentent sous une forme spéciale. Ce ne sont pas de ces petites variations allant en s’ac- croissant de génération en génération qu'invoquait Darwin, mais des mutations apparaissant brusquement chez un petit nombre d'individus. Que lon se rappelle la plupart des expé- riences, citées par les partisans de lhérédité des caractères acquis, on n'y trouvera pas une lente accumulation de variations succes- sives, dans un sens donné, sous l'influence de Paction du milieu, mais On y verra apparaître, sous l’influence de cette action et Jamais chez la totalité des individus, des variations ayant d’em- blée ou à peu près leur amplitude maxima. C’est le cas des varia- tions observées chez les Papillons sous l'influence des change- ments de température, chez les Cobayes, sous linfluence des rayons X, dans la transformation du Z. cornt en L. robinta- rum, etc. Ces variations héréditaires rappellent le mode d’appa- riion de celles qui ont été décrites par pe VRIES pour les (Œno- thères et surtout de celles beaucoup plus nettes que MorGax a vu survenir dans ses élevages de Drosophila ampelophila. D'ailleurs, 11 n°y à pas de différence essentielle entre ce qu'on appelle variation brusque et variation lente. Une suite orthogé- nétique de variations, dite continue, n’est après tout qu'une série de variations brusques, chaque individu étant un mutant par rapport à l'individu précédent de la série. Il n'y a pas, d’autre part, d'intérêt à réserver le terme de mutation aux variations caractérisées par une grande amplitude, car lamplitude de la modification morphologique ou physiologique ne traduit nulle- ment une amplitude correspondante de la variation germinale. Les variations héréditaires sont réalisées à l’échelle cellulaire ; nous avons été conduits à supposer qu'elles consistaient en des modifications des unités héréditaires, c’est-à-dire des édifices physico-chimiques constitutifs du germen. Ces variations trou- vent-elles leur origine dans les conditions du milieu ou dans les cellules génitales elles-mêmes ? Les deux hypothèses sont admis- sibles. Il n’y à aucune invraisemblance à admettre qu'au cours des divisions aboutissant à la formation des gamètes, il v.ait, pour des causes fortuites, c'est-à-dire sans relations nécessaires avec l'effet produit, des accidents dans la répartition des édifices héréditaires. Il pourra en résulter l'absence, dans une partie des 9 130 E. GUYÉNOT gamètes ainsi produits, de certains édifices héréditaires, ou une modification de la proportion des différents édifices. Un sembla- ble accident pourra ne se traduire par rien d’apparent dans lin- dividu qui en résultera, si le gamète conjoint est normal. Si deux gamètes anormaux au même degré viennent, au hasard des fécondations, à se rencontrer, il en résultera certainement un individu différent, un mutant. Cette conception me paraît sus- ceptible d'expliquer lPapparition de ces mutants où la varia- üon germinale semble bien due à la perte de certaines unités héréditaires : l'analyse des variations observées par Moraax nous en fournirait de nombreux exemples. Elle permet de comprendre que de telles mutations soient des faits exceptionnels, se produi- sant sans qu'on puisse relever aucune particularité essentielle dans les conditions d'existence des lignées qui en sont le siège. Il paraît non moins certain que, de même que les cellules du reste du corps, les cellules gérminales sont sensibles aux condi- tions de leur milieu, c’est-à-dire du milieu humoral intérieur de l'organisme dans lequel elles sont plongées. J’ai cité de nom- breux exemples de mutations survenues sous l'influence d’un changement de ce milieu intérieur (alcoolisme, syphilis, tubercu- lose, mutilations de Browx-Srouarp). Les cellules germinales peuvent être aussi directement atteintes par certaines conditions du milieu extérieur (rayons X, radium, température). Dans tous ces cas, certains édifices héréditaires des cellules germinales peu- vent, en effet, être influencés et modifiés. Les modifications des édifices héréditaires germinaux peuvent donc être dues, soit à une répartition quantitativement ou qualita- tivement inégale de ces édifices pour des raisons purement acci- dentelles, soit à des changements dans leur constitution ou leur proportion sous l’influence des conditions extérieures, dans la mesure où celles-ci sont susceptibles d’atteindre le germen direc- tement, ou indirectement, par lintermédiaire du milieu inté- rieur. La non-hérédité des caractères acquis. — L'action du milieu sur le germen, telle que je viens de la définir, est bien différente de celle imaginée par la théorie lamarckienne. Si une action des conditions externes provoque une variation donnée dans une cer- taine partie d’un organisme, la modification que ce changement produira dans les cellules germinales — dans les cas bien entendu RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME £ 131 où cette influence est possible — sera d’un ordre tel qu'elle aura toutes chances de conditionner, chez les descendants, l'apparition de variations toutes différentes de celles des parents. L'unité apparente de l’organisme provient uniquement du fait de la filia- tion des différentes cellules qui le constituent à partir de l’œuf et des corrélations nerveuses ou humorales qui en relient les parties. Or, il n’y a aucune chance pour que les modifications du milieu intérieur, consécutives à la variation d’un organe donné, soient de nature à exercer sur le germen une action spécifique, à détermi- ner précisément la variation germinale susceptible de condition- ner, par réversibilité, une variation identique à celle qui est apparue chez les parents. La rareté des faits de soi-disant hérédité des caractères acquis, le caractère seulement vraisemblable, mais non impératif, de l’in- terprétation que l’on en donne, les très nombreux exemples de non hérédité des variations acquises, permettent en somme d’af- firmer que l'hérédité des caractères acquis n’est actuellement démontrée par aucun fait précis. Je suis persuadé que le milieu joue un rôle considérable dans la genèse des mutations, mais seulement dans le sens que j'ai indiqué plus haut. L’hérédité des caractères acquis reste indémon- trée et demeure d'ailleurs incompréhensible, à moins que l'on n'admette entre les cellules de organisme une sorte de corrélation mystérieuse qui ne repose sur aucune donnée positive. Il est d'autre part nécessaire de se convaincre de cette notion que le milieu ne crée rien par lui-même dans un organisme. La variation germinale est essentiellement conditionnée par la nature et la répartition des unités héréditaires : c’est en celles-ci que les actions du milieu peuvent provoquer des variations, mais seulement dans la limite des possibilités de variations de ces unités. Or il est bien évident que pour un édifice donné, ou pour un ensemble d’édifices, les possibilités de variations compatibles avec la vie de l’ensemble de la substance vivante sont nécessairement limitées ; elles ne peuvent pas s'exercer dans un sens quelconque, mais seulement dans certaines direc- üons que conditionnent la nature chimique, l’état physique, l'architecture, le mode de groupement de ces parties de la sub- stance germinale. Nous en trouvons la preuve dans le fait que l’action extérieure ne modifie souvent qu'un certain nombre 132 E. GUYÉNOT d'individus, n’est efficace que pendant une certaine période sen- sible (expériences de Tower), enfin dans cette donnée d’expé- rience que des actions de milieu différentes (froid ou chaud par exemple) peuvent déterminer des variations de même nature. Ces considérations permettent de comprendre les faits d’ortho- genèse, c'est-à-dire lexistence de séries de mutations, au cours des générations successives, s’effectuant vraisemblablement sous l’influence de certaines actions extérieures, mais dans une direc- tion donnée, sans qu'il soit nécessaire, pour les expliquer, de recourir à quelque force directrice mystérieuse, puisque la direc- tion observée ne dépend que de la nature même de la substance héréditaire de la lignée. IV. Le mécanisme de l'adaptation. — |)u moment que l’on renonce à la conception de lhérédité des caractères acquis, adaptation ne se comprend plus comme le résultat héréditaire des réactions adaptatives individuelles aux conditions du milieu. A la base de l’idée lamarckienne, il y a d’ailleurs un certain fina- lisme résidant dans ce postulat que la réaction individuelle est adaptative. Sans doute il en est généralement ainsi, à l’époque actuelle, non seulement si lon considère lorganisme globale- ment, mais aussi si l’on étudie les réactions de ses éléments histo- logiques (travées osseuses, adaptation secrétoire des glandes digestives, etc...). Or, on ne saurait admettre à priori que la cel- lule peut choisir entre les variations possibles et ne réaliser que celles qui sont adaptatives ni considérer ce mode de réaction comme une propriété fondamentale de la substance vivante. En réalité, cette adaptation n'est pas la règle, il existe des réac- tions fatales à l'élément cellulaire ; celles-ci sont, sans doute, plus rares, mais il faut bien songer qu'au cours des temps tous les organismes qui par leur constitution héréditaire ont varié sous l’action de telle ou telle action du milieu, dans un sens incom- patible avec la vie, ont été éliminés. S'il n’était pas survenu par hasard des cellules, ayant une constitution héréditaire telle qu'elles puissent élaborer la substance osseuse suivant des tra- vées orientées parallèlement aux lignes de force, le type Vertébré n'aurait jamais pu être réalisé ni subsister. Les formes actuelles sont évidemment celles dont la constitution était la plus forte, la plus susceptible de conditionner des variations compatibles | | | Re dé Ê Co RECHERCHES SUR: LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 13: avec la vie et peut-être dans une certaine mesure, la plus stable, c'est-à-dire la moins influençable par les conditions du milieu. Ces témoins actuels sont les rares subsistants de formes dont un nombre considérable à disparu en raison de la nature des réac- üons que déterminaient leurs constitutions héréditaires. L’his- toire paléontologique est pleine de ces exemples de disparitions brusques ou graduelles de formes organisées. Quand on réfléchit à ce passé des êtres vivants il n’y a rien d'étonnant, il me semble, à ce que les formes actuelles soient très généralement adaptées à leur milieu; je n’y vois nullement le résul- tat d’une longue suite d’ «efforts » au cours des générations, mais la conséquence nécessaire d’une impitoyable sélection se traduisant par le fait que toutes les formes non harmonisées à leurs condi- tions d’existence ont été nécessairement éliminées. C'est dans cette façon d'expliquer létat adaptatif des êtres actuels que se trouve le principal intérêt de la notion de sélec- tion. Celle-ci doit d’ailleurs être prise au sens large, comme une façon d'exprimer ce fait très général et qui équivaut à un véri- table truisme : persistent seules les formes susceptibles de per- sister dans des conditions données, que l’on pense plus spéciale- ment à la structure de l'être vivant, à son fonctionnement, à son mode de reproduction ou à la viabilité des variations héréditaires dont il peut être le siège. La sélection ne joue aucun rôle dans l’origine des variations. Ce sont au contraire celles-ci qui sont le matériel sur lequel s'exerce automatiquement le tri que nous appelons sélection. Ce tri est d’ailleurs souvent aveugle et n’est pas nécessairement basé sur la nature avantageuse ou désavantageuse d’une variation. Sans doute, d’une façon générale, il en est ainsi, mais 1l suffit d’avoir élevé en grand une espèce animale ou végétale donnée pour se rendre compte que les chances de survie et de repro- duction dépendent aussi d’une foule de circonstances fortuites. A côté des disparitions par défaut d'adaptation, il y a d’innom- brables cas de morts purement accidentelles qui peuvent aboutir à des résultats inverses de ceux que permettrait de prévoir la conception de la survivance du plus apte. C’est en somme à la sélection, à Pisolement géographique, à lorthogenèse et à un certain nombre d’autres conditions qu'il faut ramener les causes de l'adaptation actuelle des organismes à leur milieu ; mais cette 134 E. GUYÉNOT adaptation est un résultat &« posleriort : c’est une constatation que nous faisons. Ce mot adaptation est donc pris ici uniquement dans son sens statique d’état adapté des organismes actuels et non dans le sens dynamique d’adaptation active, qui contient souvent d'une façon plus ou moins explicite l’idée téléologique d’un but à atteindre. Je remarquerai enfin que si chacun s’extasie sur la perfection, telle du moins que nous la jugeons de notre point de vue humain, de certaines adaptations des êtres vivants, il existe d'innombrables cas où cette adaptation est des plus médiocres, au point que la lignée se maintient difficilement ou même dispa- rait sous nos yeux. Il existe aussi beaucoup d’êtres en état en quelque sorte indifférent, qui sont susceptibles de persister, mais pour lesquels on imaginerait facilement de nombreux per- fectionnements qu'il ne leur a pas été donné d’acquérir. Les cas de mimétisme renferment un nombre considérable de ces soi-disant adaptations qui doivent uniquement leur existence apparente à lerreur anthropormorphique qui leurre trop souvent le naturaliste. En matière d'adaptation, cette tendance à tout ramener à notre échelle risque à chaque instant de nous conduire à de fausses interprétations. Si l’on réfléchit bien, on se convain- cra que c’est ce point de vue qui est à la base de la conception de l’hérédité des caractères acquis. L’explication lamarckienne de ladaptation était évidemment la plus simple, mais aussi la plus humaine, la plus enfantine. Tout concourt à nous démon- trer que les choses sont infiniment plus compliquées, que chaque cas nécessiterait une étude approfondie, mais qui, ne pouvant être que rétrospective, échappe nécessairement au contrôle de l'expérience. Conclusion. — Un champ expérimental immense reste cepen- dant ouvert à nos investigations. Bien que les espèces paraissent jouiraujourd'hui, par le fait même de leur antiquité, d’une stabilité plus grande que dans les époques disparues, il n’en demeure pas moins que des formes nouvelles peuvent encore prendre nais- sance. C’est à mieux pénétrer les causes exactes et le mécanisme de l'apparition de ces formes nouvelles que nous pouvons le plus utilement appliquer nos efforts. Il n’est peut-être pas trop téméraire de penser qu'une semblable connaissance nous permet- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 135 tra, dans un temps sans doute éloigné, de ne plus être les sim- ples spectateurs du devenir héréditaire d’une lignée, mais nous donnera le moyen de modifier, dans le sens voulu, le patrimoine héréditaire des êtres vivants. Si comme cela paraît assez vraisemblable, les unités hérédi- taires sont des édifices complexes de nucléoprotéides,une science approfondie de la composition de ces substances et de leur construction dans l’organisme, aux dépens des éléments appor- tés par la nutrition, serait susceptible d'ouvrir des voies nou- velles aux tentatives faites pour produire artificiellement des mutations. En tout cas, ce dont nous pouvons être certains, c’est que l'étude expérimentale du déterminisme des variations hérédi- taires ne pourra être féconde que si elle est effectuée avec une méthode impeccable. Une des conditions essentielles est de tenir compte systématiquement des deux termes en présence, lorga- nisme et le milieu. La connaissance approfondie des conditions du milieu constitue la préface nécessaire à toute recherche évolu- tive. Sans elle, il sera toujours impossible de déceler avec certi- tude, parmi lPinvraisemblable complexité des phénomènes vitaux, ce qui relève des causes actuelles et ce qui tient à la constitution héréditaire, dans le développement ontogénétique, dans la varia- tion, d’une façon plus générale, dans l’évolution des êtres vivants. te ; ae = pa = + : SpA va HR OL 7m “4 MT LT ®" b NS | œ. d CES LR a! st Tue dre d'u dos LE x œil De QUE ÿe DA LS AL À ne MARU DR TTATE il A El ii 2 ue LARASTAET pe PLANCHE I Photographies de larves vivantes, immobilisées par le compresseur (Gross. — 20). 1. Larve, âgée de 10 jours, élevée sur milieu 8. 10 (peptone, sans hydrates de carbone). 2. Larve, âgée de 10 jours, élevée sur milieu B. 11 (peptone-autolysat). 3. Larve, âgée de 10 jours, élevée sur milieu Ë. 4 (peptone-glycogène). 4. Larve, âgée de 10 jours, élevée sur milieu 8. 5 (peptone-glycogène-auto- lysat). 9. Larve, âgée de 10 jours, élevée sur milieu 3. 6 (peptone-glucose). 6. Larve, âgée de 10 jours, élevée sur milieu 8. 7 (peptone-glucose-auto- lysat). 7. Larve, âgée de 15 jours, élevée sur milieu & 8 (peptone-lévulose). 8. Larve, âgée de 10 jours, élevée sur milieu $ 9 (peptone-lévulose-auto- lysat). 9. Larve, âgée de 10 jours, élevée sur milieu £ 23 (peptone-acide oléique- glycérine-autolysat). 10. Larve, âgée de 10 jours, élevée sur milieu 8. 25 (peplone-complexe oléi- que-autolysat). 11. Larve, âgée de 20 jours, élevée sur pomme de terre sèche (grossisse- ment — 22.5). Planche I Bulletin Biologique, Tome LI. MURS ce Paris Catala frères - Imp. Phot. Guyénot. Drosophila ampelophila. PLANCHE II Toutes les figures sont dessinées à un grossissement de 650 diamètres (réduction de 1/2 comprise). = . Tissu adipeux (4 a.) et glande génitale (g. g.) d’une larve élevée sur milieu artificiel 8. 10 (peptone-sels minéraux). 2. Cellule adipeuse d’une larve élevée sur milieu artificiel 8. 23 (peptone- acide oléique-glycérine-autolysat). 3. Cellules adipeuses d’une larve élevée sur milieu artificiel 8. 14 (peptone- trioléine-acide oléique-glycérine). Cellules adipeuses d'une larve élevée sur milieu artificiel 8. 9 (peptone- lévulose-autolysat). 5. Cellules adipeuses d'une larve élevée sur milieu artificiel 44 (peptone- autolysatr. 6. Epithelium intestinal d’une larve élevée sur milieu artificiel 8. 44 (pep- tone-trioléine-acide oléique-glycérine). 7. Lamelle de tissu adipeux d’une larve élevéesur milieu artificiel 8. 6 (pep- tone-glucose). 8. Lamelle de tissu adipeux d’une larve élevée sur milieu artificiel 8. 8 (peptone-lévulose). 9. Lamelle de tissu adipeux d’une larve élevée sur milieu artificiel 8 4 (pep- tone-glycogène). 10. Ebauche génitale d'une larve élevée sur milieu artificiel 8. 11 (peptone- autolysat) «11. Cellule adipeuse d’une larve élevée sur levure. 12. Cellule adipeuse d’une larve élevée sur milieu artificiel 3. 26 (peptone - lécithine-autolysat. 13. Cellule adipeuse d’une larve élevée sur milieu artificiel &. 19 (peptone- trioléine-tristéarine-tripalmitine-autolysat). 14. Cellule adipeuse d'une larve, élevée sur milieu artificiel 8. 21 (peptone- acide oléique-oléate de soude-glycérine-autolysat). 15. Partie grossie de la cellule précédente (fixation au Borrel. Rouge de Magenta, picro-indigo-carmin) : à) inclusion colorée en vert; b) inclusions colorées en vert, avec grains ou croissants rouges ; c) inclusion entière- ment rouge: d'inclusion verte avec croissant noir : e) inclusion entière- ment noire. ES F4 Planche I1 Bulletin Biologique, Tome LI. LEFT AAA PT Se LPO 10 ur El 4 se € a 62@.. + > 20 ‘€. __o D" (9 ° ro) o °® De _® ©" [s] e 3° . { “+ Le] + cee ©° e 9 [e} L1 *© CP ue, I à : € À 48 ° 8 4 CET 4) M'A Pad, AY QI 'RT de: 5 mn.» | 12 _. w: à.” L2 €) D] In p. Catala frères - Paris Drosophila ampelophila. Guvénot, del. PLANCHE HE PLANCHE HI 1. Abdomen de ® vierge, n'ayant pas encore pondu : rétention des œufs par suite de l’absence d’accouplement (G. — 60). 2. Abdomen de ®, prête à éclore, élevée sur levure (G. = 60). 3. Abdomen de ®, venant d’éclore, née sur pomme de terre (G. = 60). 4. Coupe longitudinale d’une ®, née sur levure, mais ayant vécu 20 jours sur milieu artificiel « 190 (peptone-glucose). Réduction considérable de l'ovaire et du tissu adipeux. Cavité abdominale remplie en grande partie par une grosse goutte de liquide (G. = 30). ». Follicule ovarien, avec assise épithéliale régulièrement disposée (G. —1090): 6. OEuf avorté et ayant bruni (G. — 60). Bulletin Biologique, Tome LL. Planche III Imp. Catala trères = Paris E. Guyénot, del. Drosophila ampelophila. 4 OA Tr PLANCHE IV {. Tube ovarien d’une jeune nymphe, montrant les follicules à divers stades de développement (G. = 650). 2. Follicule ovarien, chez une jeune nymphe : ovule, entouré des cellules folliculaires, disposées en revêtement épithélial continu et cellules vitel- logènes (G. — 650). 3. Formation des tubes ovariens, aux dépens de l'ébauche génitale, chez une © nymphe âgée de 3 jours (G. — 122.5). 4. Ebauche génitale d’une larve adulte, élevée sur levure (G. — 122.5). ) >. Ebauche génitale d'une larve adulte, élevée sur pomme de terre (G. — 375). 6. Cellule adipeuse d'une jeune nymphe, élevée sur milieu artificiel 3 11 (peptone-autolysat) (G. — 650). 7. Extrémité de la patte antérieure de Drosophila ampelophila & (G. =68). 8. Extrémité de la patte antérieure de Dr. ampelophila G: peigne sexuel (G. == 68). Planche IV Bulletin Biologique, Tome LI. Imp. Catala frères - Paris :. Guyénot, del. Drosophila ampelophila. DEUXIÈME PARTIE RECHERCHES EXPERIMENTALES SUR DAOSOPHILA AMPELOPHILA LÜW : L'ORGANISME ET LE MILIEU Les recherches personnelles dont Pexposé fait Pobjet de cette deuxième partie n’ont pas la prétention de résoudre les diffé- rents problèmes qui ont été posés jusqu’à présent, mais consti- tuent simplement une tentative pour mettre au point une méthode d’expérimentation correcte. L'examen critique des théories de l'Evolution et des résultats de la biologie expérimentale moderne m'ont convaincu, en effet, de la nécessité de reprendre l'étude de la question fondamentale du transformisme, Porigine des varia- tions, au moyen d'expériences assises sur une Connaissance aussi approfondie que possible des conditions externes, de ce que lon appelle, d’une façon globale, le rtlieu. Cette conception qui, au premier abord, peut paraitre inspi- rée par un pur lamarckisme, n’a pourtant nullement pour origine le désir préconçu de montrer une influence prépondérante des facteurs externes sur la genèse des variations héréditaires. Que celles-ci soient dues à l’action de semblables facteurs ou qu’elles dérivent principalement de modifications internes du patrimoine héréditaire, la connaissance du milieu demeure une des condi- tions expérimentales nécessaires dont doit s'inspirer toute recher- che ayant pour but de préciser le mécanisme de l’évolution des êtres vivants. Cette connaissance du milieu n’est d’ailleurs qu’une des don- nées du problème. Il faut encore que l'organisme dont on scru- era avec soin les échanges avec le milieu réponde à certains desiderata d'ordre pratique pour que les investigations entrepri- ses aient chance d'apporter des résultats fructueux. Qu'une variation paraisse liée à Paction de quelque facteur externe ou à 9. 138 E. GUYÉNOT une mutation spontanée dans la constitution de la substance héréditaire, il est indispensable, si Fon veut préciser de sembla- bles déterminismes, que l'étude porte sur des organismes assez nombreux à chaque génération, pour que lon puisse baser des conclusions sur des résultats d’une suffisante ampleur numéri- que. Il est de même désirable que les organismes en expérience présentent une rapidité de reproduction telle que plusieurs générations consécutives puissent passer entre les mains de Pex- périmentateur, sans qu’en même temps un (rop grand nombre d'années se soit écoulé. Ces différentes considérations m'ont conduit à fixer mon choix sur un Diptère, Drosophila ampelophila Lôw qui me parut répondre pleinement aux desiderata expérimentaux que je viens d'exprimer. Contrairement à un usage traditionnel, je ne referai pas 1c1 une description de la morphologie et de la structure histologi- que de cet organisme, parce que, venant après tant de travaux consacrés à des sujets extrêmement voisins, une telle étude ris- querait de n'être qu’une redite sans avantages immédiats. Je me contenterai de quelques indications biologiques de nature à faire comprendre pourquoi j'ai choisi cet organisme comme sujet d'expérience. La Mouche du vinaigre est une Mouche petite, que lon peut, par suite, élever en nombre immense, sans avoir besoin de place étendue et de récipients trop vastes. Sa fécondité moyenne est considérable. Les Mouches que j'ai eues entre les mains vivaient, suivant les conditions de température, de 20 jours à 3 mois et plus. À 24°, elles pondent environ 2} œufs par jour et lon peut ainsi, en 30 ou {0 jours, recueillir de 700 à 900 descendants d’une même femelle. A la même température, la durée du développe- ment de ces organismes, dans de bonnes conditions, ne dépasse pas 12 jours, si bien qu'il est très facile, en peu de temps, d’ob- tenir d’une même lignée des descendants par dizaines ou par centaines de mille. Ces animaux se trouvent d’autre part dans une dépendance particulièrement étroite vis-à-vis des conditions du milieu. En tant qu'organismes poikilothermes, ils subissent passivement, avec des modifications importantes dans leurs échanges et dans leur fonctionnement, les diverses variations de la température. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 139 La rapidité de leur croissance, Pintensité de leurs échanges mesurent le degré de leur assujettissement à la composition qua- litative et quantitative du milieu nutritif. Que de tels organismes soient susceptibles de présenter des variations, c'est ce qu'à priori je considérais comme {rès vrai- semblable. Depuis que ces recherches ont été instituées, nombre de variations ont été d’ailleurs citées à lPactif de Drosophila ampelophila. Ce sont soit des variations du peigne sexuel des mâles comme celles étudiées par Barrows, soit des variations dans la nervation des ailes qui ont été l’objet des travaux de Der.- courTet de Lurz, soit enfin cette série prodigieuse de mutations que MorGan a eu la bonne fortune de voir surgir sous ses yeux. Presque tous les organes de la Mouche se sont montrés suscep- tibles de subir des variations extrêmement remarquables, qui ont été le point de départ de recherches du plus puissant intérêt. À côté des Mouches normales à yeux colorés en rouge, ont surgi des Mouches à yeux blancs, à yeux vermillons, à yeux roses, à yeux oranges, à yeux éosine, à yeux tachetés, tandis que d’au- tres présentaient des ailes miniatures, des ailes vestigiales, des ailes tronquées, perlées, ballonnées ou des différences dans le dessin et la coloration des anneaux de labdomen, dans la cou- leur générale du corps ou encore présentaient des modifications héréditaires de leur capacité reproductrice. Ayant acquis la certitude qu’au cas où je tomberais sur des résultats intéressants, cet organisme se trouvait dans les condi- tions requises pour qu’il put en être tiré profit le plus largement possible, j'ai commencé, à titre de préface aux recherches que je pensais poursuivre ultérieurement, par une étude approfondie du milieu dans lequel vit cet organisme, par une tentative pour me rendre maître des éléments qui constituent ce milieu de façon à en assurer, à mon gré, la constance ou la diversité. Ce sont ces recherches préliminaires qui constituent la partie principale à laquelle je limiterai pour le moment ce travail. Au cours de Pexposé qui va suivre, bien des questions se présente- ront qui mériteraient une étude approfondie. Certaines ont été volontairement laissées de côté, soit parce qu’elles m'auraient entraîné trop loin du but que je poursuivais, soit parce qu’elles sont encore en cours d'étude ou sont destinées à faire l'objet de publications ultérieures. 140 E. GUYÉNOT VII L'ÉLEVAGE ASEPTIQUE DE ZAR A{AWPELOPHILA ; PRÉCISION BACTÉRIOLOGIQUE DU MILIEU A l’état sauvage, Dr. ampelophila Lüw se rencontre dans les caves et dans les jardins, partout où se trouvent des fruits ou des liquides en fermentation. Ces Mouches pondent leurs œufs sur les fruits pourris, où lon trouve fréquemment des larves de ce Diptère ; on les observe également autour des cuves de brasserie, sur le marc de raisin, au voisinage des tonneaux de vin, de cidre, de poiré, dans les vinaigreries. Les Drosophiles qui ont été le point de départ de mes élevages provenaient d’une vinai- grerie des environs de Paris. Ces Mouches se rencontraient en grand nombre dans la cave complètement obscure, de tempéra- ture douce, mais enfumée par un calorifère défectueux (Fair y était irrespirable) où se trouvaient les tonneaux renfermant les liquides en fermentation. À la face interne des tonneaux, autour de leurs orifices, autour des bondes, on remarquait un voile blan- châtre visqueux, humide, dans lequel grouillaient les larves de Drosophiles ; de nombreuses pupes se trouvaient sur les bords de ces voiles. Ceux-ci étaient constitués essentiellement par Île Mycoderma aceti, mélangé à Bacillus acelr et à diverses moisis- sures. Dans les élevages, on est amené tout naturellement à nourrir ces Mouches avec des fruits crus ou cuits. Les auteurs améri- cains élèvent généralement Dr. ampelophila sur de la banane très avancée, mais crue. Au début de ses recherches, DELGOURT s’est surtout servi de marmelade de pommes cuites, additionnée ou non de vinaigre et, plus tard, de purée de pommes de terre. Sur ces différents milieux, Dr. ampelophila prospère générale- ment assez bien, mais, à chaque instant, il arrive que de nom- breuses larves périssent, que des pupes se dessèchent sans éclore, ou que les adultes meurent sans avoir pondu ou après n'avoir émis qu'un très petit nombre d'œufs. Quelquefois c’est tout Péle- vase d'un bocal qui disparaît : ces cas ont, dans mes recherches, ss) | ) RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 141 toujours coïncidé avec le développement de certaines Moisissures (Penicillium glaucum, notamment) ou de Microbes produisant une culture visqueuse, telle que 8. mesentericus vulqatus. Modifications du milieu produites par les microorganismes On conçoit que les milieux nutritifs naturels ou artificiels, sur lesquels vivent les Drosophiles, présentent nécessairement, du fait des divers microorganismes qui se développent sur eux, des différences considérables dans leur composition chimique et dans leur état physique. Si Pon suit, par exemple, ce qui se passe sur un fruit très mür ou blet, habité par des larves de Dr. ampelophila, on constate qu'il se développe d’abord surtout des Levures proprement dites ou des Moisissures fonctionnant comme Levure. L’odeur du fruit, comme d’ailleurs son examen chimique, montre qu'il y a formation d'alcool, aux dépens du sucre, avec naissance des différents produits qui accompagnent la fermentation alcoolique. Ultérieurement, si le fruit est resté suffisamment humide, son odeur aigrelette révèle la présence de fermentation acétique. Parfois s'installent au contraire des fer- mentations putrides, aboutissant à une véritable pourriture. Lorsqu’enfin le substratum commence à se dessécher, on voit se multiplier en surface diverses Moisissures (Mucor, Penicillium, Asperqulus, etc.). Selon que le fruit est maintenu à une tempé- rature constante ou, au contraire, subit des écarts de tempéra- ture, selon qu'il se trouve dans un milieu sec ou humide, le cycle de ces fermentations pourra être modifié dans des sens très différents. D'une façon générale, des transformations de même nature se produisent dans les milieux artificiels, employés pour l'élevage des Drosophiles. Il faut noter que la présence des larves contri- bue puissamment à modifier la série de ces transformations. En pénétrant dans la profondeur du milieu nutritif, en en labourant la surface, les larves ensemencent certains microorganismes en profondeur, empêchent notamment le développement des formes mycéliennes aériennes des Moisissures, les amènent à fonctionner plus ou moins à la façon de Levures et déterminent la dissociation des filaments mycéliens. Ces modifications sont d'autant plus aceen- 152 E. GUYÉNOT tuées que les larves sont plus nombreuses et plus grosses. Si lon introduit, en effet, dans un bocal renfermant de la marmelade de pommes stérilisée des Mouches sauvages, celles-ci apportent avec elles différents Microbes ou Moisissures qu'elles ensemencent sur le milieu. Lorsque ces Mouches sont très peu nombreuses, il arrive que les Moisissures se développent abondamment — les quelques larves produites étant incapables de labourer toute la surface du milieu — au point d’entraver ou même d’étouffer complètement l'élevage de Drosophiles. Si, au contraire, les Mouches sont très nombreuses, les larves sont produites en abondance et les Moisis- sures n'apparaissent pas. Par contre, dès que la plupart des lar- ves se sont transformées en pupes, les Moisissures n'étant plus brassées par ces larves, commencent à développer leurs formes mycéliennes aériennes et à fructifier. Certaines de ces Moisissu- res, le Penicillium glaucum entre autres, exercent une action néfaste sur le développement de la Mouche : dans tout bocal en effet où cette Moisissure développe ses fructifications vertes, l'élevage peut être considéré comme perdu. On conçoit combien de semblables conditions aussi variables du milieu nutritif sont défavorables pour toute recherche expéri- mentale. Tantôt ce sont les adultes qui meurent rapidement sans avoir pondu, tantôt on assiste à une mortalité considérable des larves et des pupes, au point que certaines lignées sont irrémé- diablement perdues ; tantôt enfin, en raison des variations sur- venues, une partie de lélevage peut être amenée à bien, tandis que tout le reste meurt, ce qui fausse naturellement tous les pourcentages et toutes les statistiques. D'autre part on admettra facilement, même sans être très con- vaincu de limportance du milieu en matière d'évolution, qu'il n’est pas indifférent que certaines larves se nourrissent d’un milieu alcoolique, d’autres d’un milieu acide ou neutre ou par- fois alcalin, d’autres d’un milieu sucré ou enfin que les orga- nismes se trouvent successivement en présence de semblables modifications de leur milieu nutritif. En fait, Dercourt et moi (13) avons nettement constaté les variations que ces états différents du milieu nutritif introduisent dans la vitalité, la taille, la durée du développement, les tropismes, la coloration, la fécon- dité des descendants, d’une façon générale dans la structure et le comportement de ces organismes, RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 143 Importance des microorganismes pour le développement de Mouches autres que les Drosophiles. La nature des relations existant entre le développement des Drosophiles et celui des microorganismes du milieu nutritif m’ap- parut, dès le début de mes recherches, d'autant plus intéressante à préciser que des expériences antérieures (25), effectuées ‘sur d’autres Mouches dont les larves habitent la viande putréfiée, m’avaient permis d’en juger l'importance. Ce sont ces recherches que Je vais brièvement résumer ici. Des expériences rudimentaires de J.-H. FABre (19) lui avaient montré que des larves de Lucilia, placées sur de petits cubes de blanc d’œuf coagulé ou sur des fragments de viande, en détermi- nent très rapidement la liquéfaction, alors que les milieux témoins conservent leur consistance et leur aspect. Ce célèbre naturaliste en avait conclu que cetie liquéfaction était due au rejet à l’exté- rieur de « quelque subtile pepsine », élaborée par les larves de Lucilies. Le fait observé par J. H. Fasre est certainement exact. Il est incontestable, en effet, que la présence des larves de Mouches hâte la putréfaction des viandes. Dès que ces larves sont écloses, on les voit s’agiter par groupes, au fond des anfractuosités où la Mouche a déposé ses paquets d'œufs et c’est là que débute la liquéfaction des albuminoïdes. I ne semble pas, par contfe, que l’interprétation donnée par Fagre, du rejet à l’extérieur d’un suc digestif sécrété par la larve, soit conforme à la réalité. Une série d'expériences m'ont nettement montré, en effet, qu'il n’en était pas ainsi. 1° En stérilisant à 120° du blanc d'œuf, dans une fiole conique à fond plat, on obtient une tablette d’ovalbumine coagulée, sté- rilisée. Si on introduit dans la fiole de jeunes larves de Lucilia, celles-ci se promènent en tout sens à la surface du milieu nutri- tif, sans réussir à pénétrer dans sa profondeur. Si l’on retire ces larves au bout de quelques heures, on n’observe aucune diges- tion du blanc d'œuf, tant que les colonies microbiennes liqué- fiantes, ensemencées par ces larves, n’ont pas acquis un dévelop- pement notable. Mème dans ces conditions, la liquéfaction est d’ailleurs opérée très lentement. 2° Si on maintient un grand nombre de larves en contact avec 144 E. GUYÉNOT une substance inerte, on peut brover ensuite cette substance avec de leau, sans que la liqueur obtenue présente aucune propriété digestive. Dans ces conditions, les larves n’ont donc rejeté à l'extérieur aucun suc digestif. 3° Enfin j'ai préparé des extraits aqueux ou glycérinés, en milieux neutres, acides ou alcalins, soit de larves presque adultes, maintenues au préalable pendant 24 heures en état de jeune et broyées en leur totalité, soit de glandes isolées (glandes salivai- res ; Cœcums gastriques). Tous ces extraits se sont montrés dépourvus d'action digestive vis-à-vis des diverses albumines (fibrine, blanc d’œuf, viande) ainsi que vis-à-vis des matières amylacées. Au cours de ces essais, des précautions avaient natu- rellement été prises pour éliminer les actions microbiennes qui auraient pu fausser les résultats. Mèêmes résultats négatifs ont été obtenus en précipitant les extraits aqueux par lalcool absolu et en redissolvant le précipité, après dessiccation, dans Peau distillée. Enfin des extraits préparés, selon la méthode utilisée par L. FREDERICQ, pour la recherche des ferments digestifs des Invertébrés, n’ont également donné que des résultats négatifs. Non seulement ces expériences me conduisirent ainsi à rejeter l'interprétation donnée par J.-H. FAgre, mais elles me permi- rent de constater ce fait inattendu que, dans les conditions où J opérais, les larves des Mouches étudiées ne secrétaient pas de sucs digestifs en quantité décelable. Pour comprendre, dès lors, comment s'effectue la nutrition de ces organismes, il faut envi- sager deux ordres de faits. Les larves sont dépourvues de tout appareil buccal de broyage ou de mastication. Les crochets chitineux qui terminent leur appareil pseudo-mandibulaire se meuvent parallèlement et ne peuvent servir qu'à la locomotion de Panimal ou à lui permettre de creuser une galerie dans le milieu nutritif. Le diamètre fili- forme de læsophage s'oppose au passage de particules solides tant soit peu volumineuses et la nutrition s'effectue uniquement par succion d'aliments liquides. Sur un milieu solide, ne subis- sant aucune liquéfaction, les larves meurent sans pouvoir se nourrir. C'est ce que Boapaxow (4), puis moi-même avons constaté en plaçant des larves rendues aseptiques sur de la RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 145 viande stérilisée. Toutes moururent sans pouvoir se nourrir. Comment donc se fait-il que, dans les conditions ordinaires, ces larves, qui ne fabriquent pas de sucs digestifs qu'elles puis- sent rejeter à l'extérieur, se développent aussi rapidement, et présentent cette croissance prodigieuse qui caractérise la vie lar- vaire des Mouches, sur des milieux primitivement solides. Ceci est dû uniquement, ainsi que j'ai pu m'en rendre compte, au travail des Microbes protéolytiques. J’ai dans ce but ensemencé diverses albumines stérilisées (blanc d'œuf, viande) avec certaines espèces protéolytiques et j'ai cons- taté que les larves se nourrissaient parfaitement aux dépens des produits de la digestion opérée par ces microorganismes, pro- duits parmi lesquels j'ai toujours pu constater lexistence de peptones vraies. J'ai constaté d’autre part que les larves, en parcourant en tous sens le milieu nutritif, en le creusant, en pénétrant dans sa pro- fondeur, ensemencent de tous côtés les Microbes protéolytiques et par suite accentuent d'une façon considérable leur œuvre liqué- fiante et digestive. C’est là vraisemblablement la cause réelle du phénomène observé par Fagre. J’ai pu le reproduire artificielle- ment de la façon suivante. Deux tablettes d’albumine stérilisée en fiole sont ensemen- cées en surface, à la température ordinaire, avec une culture pure de Wicrococcus flavus liquefaciens Fiu&Ge. Au point ense- mencé, on voit apparaître de petites colonies jaunâtres, cireu- laires ou ovales, à bord net ou dentelé. Plusieurs colonies con- fluent en une tache lobée, au niveau de laquelle le substratum se ramollit et se liquéfie lentement. Si dans certaines fioles, dès que les colonies sont apparues, on en prélève avec une anse de platine et qu'avec cette anse on laboure en tous sens la tablette d’albumine, d'innombrables colonies se développent de toutes parts et la liquéfaction s'opère rapidement. Si nous envisageons le phénomène de la putréfaction de la viande dans son ensemble, nous voyons donc que la liquéfaction due aux Bactéries protéolytiques est d'autant plus rapide qu'il y à plus de larves, c’est-à-dire que ces Bactéries sont ensemencées et réparties d’une façon plus universelle. D'autre part cette pullu- lation microbienne et la digestion du substratum qui en résulte sont la condition essentielle de la nutrition et du dévelop- 10 146 E. GUYÉNOT pement des larves de Mouches. Ces conclusions ont depuis été complètement confirmées par les recherches de Boapaxow (4). Cet auteur ayant réussi à obtenir, par un procédé que j’indiquerai tout à lheure, des larves de Calliphora aseptiques, constata qu'elles étaient incapables de digérer la viande et de s’en nourrir, mais que cette nutrition était rendue possible dès que cette viande avait été digérée par la trypsine ou transformée par des Bactéries protéolytiques, avant d’être stérilisée. Ces recherches montrent combien sont étroits les rapports de dépendance mutuelle entre les microorganismes et les larves de Mouches, qui vivent sur la viande en putréfaction.Selon toute vrai- semblance, les larves de Drosophiles se développantsur des milieux végétaux en fermentation, leur nutrition doit dépendre non moins étroitement des microorganismes qui constituent une bonne partie du substratum alimentaire. Il y à donc un intérêt majeur à connaître cette flore microscopique et, si possible, à l’uniformiser ou même à la supprimer. C’est pourquoi, tant pour avoir des conditions d’élevages convenables permettant de recueil- lir un nombre suffisant de descendants et d'assurer la conserva- tion de toutes les lignées que pour avoir des conditions de milieu plus comparables et mieux connues, je me suis efforcé d'obtenir des élevages aseptiques de Dr. ampelophila. Dès le début de cette tentative, une difficulté surgissait dont mes recherches antérieures et celles de Bocpaxow me montraient la vraisemblance. Même en supposant qu'il fut possible d'obtenir des organismes aseptiques et surtout d'en continuer Pélevage pendant de nombreuses générations, il fallait penser à trouver pour ces organismes une nourriture capable d’être utilisée par eux, dans les conditions nouvelles. Les larves aseptiques de Calliphora, obtenues par Bocpanow, ne pouvaient se nourrir que de viande préalablement digérée. Peut-être une semblable préparation serait-elle nécessaire dans le cas des Drosophiles. Bien plus, une série de constatations m'avaient permis de suppo- ser que l’aliment de ces Mouches et de leurs larves consistait essentiellement en certains microorganismes (Levures) qu'elles absorbent abondamment et digèrent, ainsi que le montre Pobser- vation directe. Ces difficultés d'ordre spécial se compliquaient de difficultés RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 147 d’un ordre plus général. Etait-il vraiment possible d'élever asep- tiquement des êtres vivants ? La vie aseptique : Historique A cette question nombre de grands esprits ont répondu par la négative. Pasreur lui-même se montra persuadé que la vie asep- tique était impossible. Il déclara à l’Académie des sciences que « depuis des années, il désirait voir un expérimentateur tenter d'élever un animal mis dans un air pur dès sa naissance avec une nourriture privée de germes, car il était convaincu que la vie dans ces conditions deviendrait impossible ». Pourtant, depuis, toute une série de recherches expérimentales ont montré que cette opinion « priori n'était pas conforme à la réalité. Les premières expériences sont celles de THreRFELDER et NuraLL effectuées en 1899. Ces auteurs élevèrent aseptique- ment de jeunes Cobayes mis au monde par opération césarienne. Ces animaux purent croître dans des conditions assez comparables à celles des animaux ordinaires. Malheureusement les difficultés de technique obligèrent les auteurs à interrompre leurs expé- riences au bout d’un temps très court (treize Jours au maximum), ce qui en diminue la valeur démonstrative. En expérimentant sur des Poussins provenant d'œufs stérilisés extérieurement et élevés dans des conditions aseptiques, ScHoT- TELIUS COnStata, par contre, que ces jeunes animaux vivant sans Microbes restaient petits et maigres, devenaient cachectiques et dépérissaient rapidement. Ils se développaient avec vigueur lors- qu'à leurs aliments on ajoutait une culture pure de Colibacille, résultats qui paraissaient indiquer l'action bienfaisante de Micro- bes indispensables. Les recherches de Me O. Mercuxikorr sur les tétards de Gre- nouilles aboutirent à des conclusions analogues. Les tétards asep- tiques ne mouraient pas immédiatement, mais ils restaient arriérés et étaient deux fois plus petits que les témoins. Des expé- riences de Moro sur des tétards de Crapauds donnèrent des résul- tats comparables. Les tétards aseptiques purent s’accroître, mais aucun ne put être conduit jusqu'à la métamorphose. Cependant de très intéressantes observations de Porrier (50) 148 E. GUYÉNOT tendent au contraire à montrer que certaines larves d’Insectes vivent naturellement dans des conditions aseptiques. Ce physio- logiste s'adressa à des chenilles qui habitent Pintérieur des feuilles de diverses plantes. Ces Teignes, fort bien étudiées par RéAUMUR, creusent des galeries dans le parenchyme foliaire dont elles se nourrissent et s’y trouvent ainsi protégées contre les risques de contamination par les Bactéries ou les Moïsissures qui pourraient se trouver à la surface des feuilles. L'auteur, après avoir lavé les deux faces de la feuille avec de l’eau oxygénée au tiers, ouvrait la galerie avec une pointe rougie au feu et projetait la chenille, saisie avec une pince flambée, dans un tube de bouillon stérilisé. Dans ces conditions, certaines chenilles, telles que celles de Nep- licula (N. du rosier), se sont toujours montrées stériles. Les che- nilles de Zithocolletis (L. du Chêne, de l'Orme) furent trouvées aseptiques dans un tiers des cas. On peut toutefois émettre quel- ques doutes sur ces conclusions, à cause de l'existence possible de Microbes anaérobies ou de microorganismes incapables de se développer dans le bouillon simple. En 1908, Bogbaxow (4) a publié le compte rendu de ses tenta- tives d'élevage aseptique des Mouches de la viande. Le procédé utilisé consista à stériliser les œufs par des lavages au sublimé, puis à les déposer sur de la viande stérilisée. Les larves qui éclo- rent dans ces conditions ne se développèrent qu'avec une extrême lenteur et, sauf de rares exceptions, n’atteignirent jamais la taille normale. Dans aucun cas, le développement n’aboutit à la for- mation de pupes. Par contre, la croissance larvaire se fit bien sur de la viande stérilisée à laquelle on avait ajouté, au préala- ble, de la trypsine ou une Bactérie protéolytique. Tel était l'état de la question lorsqu’en 1908 j'entrepris, avec la collaboration de A. Dezcourr (13-14-15), de rendre aseptiques nos élevages de Drosophila ampelophila. En 1910, nos etlorts étaient couronnés de succès et ce premier résultat fut Pobjet d’une note que nous publiâmes en juillet 1910 (14). Depuis, d’autres travaux sur cette question ont paru qui n'ont fait aucune mention ni de mes recherches publiées en 1907 sur les larves de Mouches de la viande, ni de la note publiée avec A.Deccourr sur l'élevage aseptique des Drosophiles, en juillet 910: Ces travaux plus récents confirment d’ailleurs pleinement nos conclusions relatives à la possibilité de la vie aseptique. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 149 En janvier 1911,E. Wozcuan(59) publia, notamment, d’intéres- santes expériences relatives à l’obtention de Mouches stériles de l'espèce Calliphoravomitorra. Les œufs étaient stérilisés au moyen de sublimé à 1/1000 ou à {/r000 ou bien d’eau oxygénée à 10 volu- mes. Les œufs étaient transportés sur de la viande stérilisée à 119-120° pendant vingt minutes. Ces larves se développèrent, mais un grand nombre restèrent «arriérées » et moururent sans se transformer en pupes. Les différences individuelles furent d'ailleurs considérables. Même les larves dont la croissance fut la meilleure se montrèrent, pendant les premiers jours, peu actives, se promenant indifféremment sur la viande et les parois du tube. Cependant quelques-unes se mirent vraisemblablement à produire des ferments et finirent par atteindre la taille normale. WoLLman put ainsi obtenir quelques Mouches stériles, dont deux absolu- ment naines. Reprenant les recherches de Boapanow, il constata combien le développement était plus rapide sur de la viande addi- tionnée de trypsine ou de certains Microbes, tels que le Bacterium coli, le Proteus vulgaris. Ces recherches, ainsi que celles de Boapaxow, confirment plei- nement les conclusions de mon travail sur les Mouches de la viande. Celles de WozLmax montrent notamment que si la plu- part des larves sont incapables de digérer la viande par elles- mèmes, certaines peuvent cependant, au bout d'un certain temps, acquérir les sucs digestifs nécessaires. Ces différences individuelles sont très intéressantes et j’aurai souvent à fournir des exemples comparables au cours de lexposé de mes recher- ches. En 1912 enfin, Conexpy (11) reprenant les expériences de SCHOTTELIUS montra que, contrairement à l’opinion de cet auteur, on peut, à condition d'employer une technique convenable, élever de jeunes Poussins aseptiquement, pendant 15, 0, 30 et même _ AO jours, sans que cette vie aseptique entraîne aucune déchéance de ces organismes. 150 E. GUYÉNOT Stérilisation des élevages de Dr. ampelophila (1). Deux méthodes au moins s'offraient pour tenter d'obtenir des élevages aseptiques de la Mouche choisie comme objet d'expé- rience. La plus naturelle et aussi la plus rapide consistait à stéri- liser des œufs, au moyen d’un antiseptique. C’est celle qu'avait utilisée Boabaxow dans ses recherches, et que j'avais employée pour les œufs de Zucilia et de Calliphora. Je commençai par l'appliquer au cas des Drosophiles, en plongeant des œufs, pen- dant un temps varié, dans une solution de sublimé à 1 p. 1000 ou de permanganate de potasse à 1 p. 1000 ou dans Peau oxygénée à 10 volumes. Ces essais, d’ailleurs difficiles en raison de la petitesse des œufs, n’ont peut-être pas été continués avec beaucoup de persévérance, car ils donnèrent des résultats peu encourageants. Le sublimé tuait nettement les œufs, alors que certains microorganismes persistaient ; même résultat fut obtenu avec les solutions de permanganate. L’eau oxygénée se montra moins toxique, mais les larves qui éclorent, placées sur de la purée de pommes de terre stérilisée, errèrent lentement à la sur- face de ce milieu et moururent au bout de 2 ou 3 jours sans s’être aucunement développées. La suppression des Microbes était bien obtenue, mais mes connaissances relativement à la nourriture utilisée par les Drosophiles étaient alors trop peu avancées pour que je sache quel aliment leur offrir, qu'elles puissent assimiler. Le passage brusque de l’état septique à l’état aseptique soule- vait donc des problèmes que je ne pouvais résoudre ; il risquait ou d'amener une prompte disparition des individus aseptiques, ou, en supposant que je réussisse à les nourrir tant bien que mal, de déterminer dans la lignée une modification importante de la vitalité ou de la fécondité. C’est pourquoi je choisis une méthode beaucoup plus longue, mais plus sûre, qui me permit tout en acheminant mes élevages vers l’état aseptique, d'étudier de plus près la nutrition des Drosophiles et la façon dont les microorga- nismes interviennent dans ce processus. La méthode que j'ai employée n’est qu'une application à ce cas particulier des procédés d’enrichissement et d'isolement (t) Travail effectué avec la collaboration de A, Dercourr, UT. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 151 utilisés couramment en bactériologie. Lorsqu'on se trouve en présence d’un complexe microbien d’où lon veut séparer telle ou telle Bactérie, on ensemence le produit sur des milieux où la Bactérie cherchée pousse électivement et on fait plusieurs passages successifs sur ces mêmes milieux ; on dilue ensuite la dernière culture dans de Peau stérilisée et lon part de cette dilution pour obtenir des colonies pures du Microbe étudié. Si on dilue suffisamment une cul- F ture en ensemençant par exemple 1 goutte ) dans 10 centimètres cubes d’eau, puis 1 goutte de cette émulsion dans une nou- velle quantité d’eau et ainsi de suite, on arrive à une dilution telle que si on ense- mence en autant de tubes de culture un grand nombre de gouttes de cette dilution, on pourra arriver à ce que seulement 1 goutte sur SRE : goutte sur 10 contienne un germe et serve de point de départ à une nouvelle culture pure. Mon plan à donc été : 1° après avoir étudié la flore d’un élevage donné, choisi parmi les moins contaminés, d’en faire passer aseptiquement les représentan {ts sur une série de milieux stérilisés de façon à n'introduire dans le système aucun micro- : nt | | Fig. 1. — De gauche à organisme nouveau; 2° d'utiliser, dans la Lane tube mesure où cela ne nuirait pas à l’évolution levage ; D, obtura- teur ; €, baguette de la Mouche, des milieux spéciaux afin remplaçant l’obtura- de simplifier progressivement le complexe RU RM microbien et d'obtenir un élevage avec seu- presser sur la sur- face du milieu nutri- tif pour la rendre plus humide. lement un ou deux microorganismes, choi- sis parmi ceux paraissant les plus utiles ; 3° de laisser en route le ou les micro- organismes en question en recueillant sur des milieux suc- cessifs la ponte de femelles transportées toutes les heures sur des milieux nouveaux. Les Mouches absorbant incessamment une nourriture stérilisée nouvelle, et quittant chaque milieu bien avant que les microorganismes qu’elles y ont déposés aïent eu le temps de pousser, on pouvait espérer obtenir, à la longue, dans cer- 152 E. GUYÉNOT tains milieux, quelques œufs pondus dans des conditions asepti- ques. C’est ce qui s’est en effet produit. Technique. — Pour réaliser une semblable opération, il fallait avant tout mettre au point une technique permettant d'élever, de transporter, d'examiner aseptiquement les mouches en expé- rience. Cette technique après bien des tâtonnements à été obtenue, et c'est elle que je vais décrire tout d’abord. 1° Jiécipients d’élevages. — Les récipients utilisés sont de deux types ; pour obtenir des Mouches en grand nombre, j'ai utilisé des fioles coniques à fond plat de r litre à 3 litres de capacité. Sur le fond est disposé en une couche plus ou moins épaisse le milieu nutritif (marmelade de pommes, purée de pommes de terre) addi- tionnée où non de certaines substances. Dans ces fioles peuvent se développer plusieurs centaines où même quelques milliers d'individus. Lorsque je désirais recueillir la descendance d’un couple, ou transporter fréquemment d’un milieu sur un autre une même femelle, j’employais des tubes à culture (forme tubes à essai, fig. 1,4) contenant soit dela marmelade de pommes, soit de la purée de pommes de terre, soit un fragment de pomme de terre, ainsi que cela se fait couramment en bactériologie. Pour maintenir ce dernier milieu suffisamment humide, je plaçais au fond du tube un tampon de coton imbibé d’eau. Le tube à étranglement pour cultures sur pommes de terre n'aurait pas convenu, car les Mou- ches ou les larves auraient pu tomber dans l’eau du fond du tube et s’y noyer. Tous ces milieux ont été stérilisés à l’autoclave à 120° pendant une demi-heure à une heure. Fioles et tubes sont bouchés à louate, mais d’une façon un peu spéciale. Une baguette de verre plein (fig. 1. 4), présentant à sa partie supérieure un renflement, constitue l'axe autour duquel on enroule la bande de coton servant à confectionner le bouchon. Une fois ce bouchon en place, si lon retire la baguette de verre ou oblurateur, reste un canal central perméable, dans lequel on peut introduire à nouveau la baguette ou n'importe quel tube de verre de même calibre. Le renflement conique de la baguette donne à lorifice du bouchon une forme évasée qui facilite Pin- troduction des tubes ou baguettes utilisées. >° Transport aseptique des Mouches. J'ai employé pour transporter les Mouches, des tubes de verre (fig. >) présentant RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 153 trois parties : une boule renfermant du coton destiné à arrêter les microorganismes de Pair et terminée à son extrémité libre par un goulot permettant d’y adapter un tube de caout- chouc; à la boule fait suite un tube large de 8 millimètres, [_ autem. e Fig. ».— Tube de transport à orifice Fig. 3. — Schéma représentant l’en- latéral ou terminal. semble de linstallation utilisée pour le transport aseptique des Mouches. long de 3 à 4 centimètres environ, formant une chambre dans laquelle plusieurs dizaines de Mouches peuvent prendre place ; enfin ce tube est soudé à un tube plus fin ayant exactement le calibre de la baguette utilisée comme obturateur, long de 0 à 154 E. GUYÉNOT 2) centimètres, et se terminant par une ouverture à bords rodés terminale où par un œil latéral. Le transport des Mouches se fait de la façon suivante : après Fig. 4. — Gros tube ser- vant à stériliser et à conserver les tubes de tra nsport. avoir introduit le {ube de transport dans un récipient d'élevage contenant des Drosophiles, on aspire les Mouches qui s'accumulent alors dans la partie élar- gie du tube de transport ; on cesse à ce moment l’aspiration, le tube est retiré du flacon d'élevage, puis introduit dans un récipient neuf où l'on fait pénétrer les Mouches en renversant le courant d'air, c’est-à-dire en soufflant au lieu d’aspirer. L'aspiration et le refoulement des Mouches se font au moyen d’une souf- flerie à pied, reliée par un robinet à 4 voies, à un caoutchouc que l’on adapte lui-même au tube de transport (fig. 3). Suivant que l’on donne à la manette du robinet une situation verticale ou hori- zontale, les mouvements de la pédale ont pour effet de déterminer un cou- rant d'aspiration ou de refoulement. Les tubes de transport sont stérili- sés dans des tubes de grand calibre par groupes de 5 ou 6 (fig. 4). Les tubes de transport traversent le bouchon decoton de ces tubes et peuvent en être retirés au fur et à mesure des besoins. Chaque opération de retrait d’un ob- turateur ou d'introduction d’un tube de transport se fait le bouchon de coton du tube d'élevage étant maintenu dans la flamme d’un bec Bunsen. Pour mieux faire comprendre le dé- tail de cette technique je vais décrire par temps successifs la façon dont on transporte des Mouches d’un récipient d'élevage A, dans un récipient B. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 155 10 On prend un des gros tubes, contenant les tubes de transport stéri- lisés, et on flambe le bouchon de coton que traversent ces tubes de trans- port. 2° On flambe le bouchon de coton du tube d'élevage A;on en retire l’obturateur tout en maintenant le bouchon du tube A dans la flamme ou à son voisinage immédiat. 30 On prend un tube de transport stérilisé et on lintroduit — toujours au milieu de la flamme — dans le bouchon du tube A, à la place de lob- turateur, jusqu'au niveau voulu. On laisse le tube de transport se refroidir. 4° On place verticalement la manette du robinet et on donne quelques coups de pédale qui déterminent un mouvement d'aspiration. Il faut en quelque sorte viser les Mouches avec l’orifice terminal du tube de trans- port. L’œil latéral, que l’on peut diriger dans n’importe quel sens, en fai- sant tourner le tube de transport, permet de les recueillir sur les différents points de la paroi. Quelques secousses font descendre les Mouches situées trop haut jusqu’au niveau de l’ouverture du tube de transport. On pent d’ailleurs enfoncer plus ou moins profondément ce dernier dans le tube d'élevage, à condition de flamber le bouchon, lors de cette opération (pour ne pas introduire sans flambage les parties du tube laissées à lextérieur et pouvant avoir reçu des poussières). Par ce procédé les Mouches sont rapidement aspirées et se trouvent réunies dans la partie élargie du tube de transport. Cet espace est fermé en haut par la boule de coton contenue dans le renflement. 50 On cesse l'aspiration. Les Mouches restent dans la partie élargie du tube de transport à condition de maintenir cette partie en haut et dans la direction de la lumière (les Mouches sont retenues dans cette situation par leur géotropisme négatif et leur phototropisme positif). On flambe fortement l’obturateur qui avait été retiré au temps 2. On retire le tube de transport et — dans la flamme on le remplace par l’obturateur flambé. Le tube A se trouve ainsi fermé à nouveau. 60 On prend le tube neuf B. On retire son obturateur comme il a été dit au temps ?, et on introduit à sa place le tube de transport comme il a été dit au temps 3. Avant d’être introduite, la partie mince de ce tube, c'est-à- dire celle qui doit pénétrer en B, a été fortement flambée. 79 On laisse refroidir le tube de transport; on place horizontalement la manette du robinet à 4 voies et on donne quelques coups de pédale. Le cou- rant d'air inversé refoule les Mouches et les chasse dans le tube d'élevage B. l'air est stérilisé par son passage sur le filtre de coton stérile que renferme la boule du tube de transport. 80 On retire le tube de transport et le remplace par l’obturateur flambé comme il a été dit au temps 5. Le tube B se trouve ainsi à nouveau fermé. Ces manipulations paraissent au premier abord fort compli- quées ; avec un peu de pratique, elles deviennent cependant très simples. Je suis arrivé à effectuer facilement plusieurs transports en une minute et à manipuler aseptiquement des centaines et des milliers de Mouches par jour. Je ferai remarquer que ce procédé, rendu nécessaire pour éviter que des Mouches s’envolent, est supérieur à la technique d’ensemencement utilisée en bactério- 156 E: GUYÉNOT logie, puisqu’alors on ouvre complètement les tubes de culture pendant un certain temps et à plusieurs reprises. Ici le récipient est en somme toujours fermé et pendant les quelques secondes où le canal central du bouchon est ouvert (entre le retrait de lobturateur et l'introduction du tube de transport ou inverse- ment), cet orifice est constamment maintenu dans la flamme d’un bec Bunsen. L'air qui pénètre dans le tube d'élevage est filtré, lors de aspiration, sur le bouchon de coton et pendant le refoule- ment, sur le tampon de coton du tube de transport. La valeur de cette méthode ressort du fait que, pendant cinq ans, j'ai manipulé ainsi des centaines de mille de Mouches asep- tiques sans avoir pour ainsi dire Jamais eu de contaminations accidentelles. Il restait à concilier cette méthode de transport avec un procédé permettant d’exa- miner attentivement les mouches et à un grossissement suffisant. Il fallait pour cela en assurer limmobilisation sans toutefois les faire sortir de leur enceinte aseptique. Dans ce but, j'ai employé des tubes de transport dont la partie élargie est aplatie de façon à présenter deux faces à peu près planes (fig. 5). De plus cet aplatissement est fait de telle manière que l’espace entre les deux faces va en diminuant progressivement. La section perpendiculaire de cet espace a donc la forme d’un triangle allongé dont le som- Fig.5.—Tubed'exa- met aigu se trouve du côté du renflement men vu de face et s contenant le tampon de coton. En aspirant de profil. une Mouche dans ce tube d'examen, celle- ci entraînée par le courant d'air est légèrement coincée entre les deux faces de plus en plus rapprochées et se trouve par suite immobilisée. I suffit alors de placer cette partie du tube d'exa- men sous Pobjectif d’une loupe binoculaire pour pouvoir exa- miner, tout à son aise, sur toutes les faces et avec de forts gros- sissements, les Mouches en question. L'examen terminé, 1l n'y a qu'à renverser le courant pour chasser la Mouche et [a refouler RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 157 dans le récipient d'élevage où elle se trouvait primitivement. I va sans dire que lintroduction et le retrait de ces tubes d’exa- men se fait exactement comme pour les tubes de transport ordi- naires et qu'ils peuvent remplacer ces derniers pour le transport isolé des Mouches examinées individuellement. Passage d'élevages septiques à des élevages sur une Levure en culture pure. — Disposant de plusieurs lignées de Drosophiles transportées aseptiquement, suivant le procédé que Je viens de décrire, sur des milieux stérilisés, constitués par de la marmelade de pomme et de la purée de pomme de terre, je commençai par étudier la flore que chacune de ces lignées trans- portait avec elle de récipient en récipient. Je ne décrirai pas toutes les constatations que j'ai faites alors, ayant d’ailleurs négligé bien souvent de poursuivre lidentification des formes trouvées. Je me contenterai d'indiquer la présence de nombreuses Moisissures (Mucor, Oospora, Penicillium, Aspergillus), de Levures (Mycoderma acetr, Saccharomyces), de Bactéries diver- ses (B. mesentericus vulqatus, B. aceli, M. prodigiosus.… ete.). Parmi ces différentes lignées, je choisis celle qui me parut la moins riche en microorganismes. Les cultures faites sur bouillon, gélatine, gélose et pomme de terre montrèrent l'existence de Penicillium glaucum: Oospora sp.? Saccharomyces, B. aceti et d'un Bacille indéterminé. Je commençai par essayer de me débar- rasser du plus dangereux de ces microorganismes, du P. glau- cum. Pour cela je mis à profit Pobservation que j'avais faite que ce Champignon prospérait mal sur les milieux contenant du vinai- gre ou de l'acide acétique. Je relate ici, en mettant entre parenthèses les numéros des bocaux et des fiches correspondantes, Phistoire de cette lignée (1). ve étape. — Les Mouches capturées dans une vinaigrerie le 5 novembre 1909, élevées sur marmelade de pommes ({77) et ayant apporté avec elles les microorganismes que j'ai décrits, furent transportées le 11 novembre, au nombre de 300 environ, sur de la marmelade de pommes additionnée de vinaigre (/85) (50 grammes par litre). L'examen du milieu montra l’exis- tence des mêmes microorganismes que précédemment, mais les filaments mycéiiens de Pentcillium présentaient des traces de dégénérescence Cette Moisissure ne put fructifier et ses filaments se divisèrent en éléments rectangulaires, souvent vides de protoplasma ou présentant des altérations variées. Les Mouches furent ainsi transportées de milieu vinaigré en milieu vinaigré pendant quelques générations. Le 9 avril, 30 de leurs descendants 158 E. GUYÉNOT furent placés dans une fiole contenant, au lieu de marmelade, du coton stérilisé imbibé de vinaigre stérilisé, puis ensemencé avec une culture pure de B. aceti (677). Un couple témoin, placé sur pomme de terre (678) apporta avec lui des Moisissures et des Levures qui se développèrent abon- damment. Les Mouches de 677 furent laissées pendant dix jours sur le vinaigre, dont les ensemencements ne donnèrent que du B. aceti. Le 10 avril, les 27 survivantes furent isolées et réparties une par une dans 27 tubes (701 à 727) renfermant divers milieux nutritifs stérilisés. Dans certains tubes, les Mouches moururent sans laisser de descendants. Parmi ceux où se développèrent des larves, on trouva, suivant les'cas, de la Levure et du ferment acétique avec ou sans Moisissure blanche ou verte. Cette dernière se présentait d’ailleurs sous forme de filaments en voie de disso- ciation. Dans un des tubes (723) où le milieu nutritif était de la purée de pommes de terre additionnée, avant stérilisation, de vin et de vinaigre, on ne trouva que des Levures en sporulation et du ferment acétique. Le Bacille indéterminé et les Moisissures se trouvaient donc éliminés. Les observations faites entre temps avaient montré que les larves et les Mouches paraissaient se nourrir moins du milieu nutritif lui-même (marmelade, pommes de terre, vinaigre) que des microorganismes et principalement de la Levure qui se déve- loppaient sur ces milieux. La rapidité de croissance des larves sur les divers milieux était fonction de l’intensité de la culture de la Levure sur ces milieux. Les coupes de larves montraient l’in- testin bourré de Levures, à divers stades de digestion. Je fus donc conduit par ces observations à tenter d'obtenir des élevages sur Levure pure, en éliminant le 2. acetr. 2e étape. — Pour cela la femelle pondeuse de 723 fut transportée le 14 mai, surun milieu artificiel (Szo) où se développèrent des larves et où on trouva encore de la Levure et du ferment acétique Le 4 juin, un couple de ses des- cendants, nés en 870, fut mis sur pomme de terre en tube (874), puis fut transporté chaque jour du 13 au 18 juin sur une nouvelle pomme de terre. Les préparations indiquèrent la présence, dans tous ces tubes, de Levure etde quelques Bacilles de plus en plus rares Le 19 juin, la femelle fut transpor- tée sur une pomme de terre en tube que l’on avait préalablement ense- mencée avec une culture pure de la même Levure que celle dont la Mouche était infestée. Ce transport fut renouvelé le lendemain à ro heures du matin (922) puis à 6 heures du soir (925). Le 21, nouveau transport sur un milieu semblable de pomme de terre préalablement ensemencée de Levure pure, mais la Mouche mourut par accident (92 2()). Dans le tube 925, cette Mouche avait déposé des œufs qui donnèrent des larves, puis des imagos. Les Mouches écloses dans ce tube furent transpor- tées le 11 juillet sur divers milieux dans lesquels elles n’apportèrent que de la Levure en culture pure ; la 2€ étape était ainsi franchie. Ces Mouches à Levure pure furent mises en reproduction, en grand, sur de la purée de pomme de terre, de juillet 1910 à mai 1Q11. Tous les élevages, réalisés dans ces conditions, contrastaient RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 159 singulièrement, par l'intensité et l'uniformité de leur développe- ment avec tout ce que j'avais obtenu précédemment. Plus de ces récipients où des générations entières mouraient étouffées par les Moisissures et les Bactéries de la putréfaction, développant des odeurs exécrables ; plus de ces élevages souffreteux dans lesquels les femelles mouraient après avoir laissé quelques descendants dont bon nombre n’arrivaient pas au terme de leur développe- ment. Au contraire, J’obtenais des Mouches grosses et vigou- reuses, vivant et pondant régulièrement pendant deux à trois mois, à 24°. À cette température, les larves évoluaient en 12 jours et la quasi totalité des descendants aboutissaient à l'imago. Ce premier résultat fut des plus encourageants. 2° partie. — Passage d'élevages avec levure pure aux éle- vages aseptiques. — [1 fallait maintenant essayer de laisser en route la Levure en culture pure et d'obtenir des Mouches réelle- ment aseptiques. Pour cela 1l était nécessaire au préalable de fournir aux Mouches un milieu nutritif sur lequel elles puissent prospérer. Persuadé que la Levure vivante constituait la partie essentielle de leur alimentation, je préparai des milieux constitués par une dilution de Levure de bière légèrement autolysée et stéri- lisée et par du coton hydrophile. En juillet 1910, des Mouches à Levure pure furent isolées et transportées sur une série de milieux ainsi préparés. Ce milieu se montra très favorable au dévelop- pement des Mouches et très défavorable à celui de la Levure vivante. Après un grand nombre de passages sur Levure, les Mouches furent transportées — toujours individuellement — sur de la pomme de terre. Quelques-unes, bien qu’elles aient abondamment pondu, ne déterminèrent la culture d’aucune Levure sur ces pommes de terre. Des larves purent bien éclore, mais elles errèrent à la surface de la pomme de terre sans se nour- rir et moururent. Ces Mouches sans Levure furent alors transpor- tées sur de nouveaux milieux à base de Levure stérilisée et don- nèrent une descendance quise montra aseptique (fin juillet r910). Obligé d'abandonner momentanément ces recherches, je fus dans Pimpossibilité de suivre plus loin cette lignée aseptique. En mai 1911, je cherchai à nouveau, en partant de mes Drosophi- les sur levure en culture pure, à réaliser des élevages aseptiques. Pour cela, des Mouches qui se développaient avee Levure pure, sur 160 E. GUYÉNOT pomme de terre (71/6), furent réparties le 18 mai, isolément ou par grou- pes de 15 à 20, dans 13 tubes renfermant de la Levure de boulangerie sté- rilisée, sur coton. Ces Mouches furent transportées chaque jour dans de nouveaux tubes de levure stérilisée du 18 au 20 mai. Le 21 mai toutes les femelles furent isolées et réparties dans autant de tubes de levure stérilisée, et transportées tous les Jours dans de nouveaux tubes. À partir du 22 mai, on examina attentivement, au moyen de cultures sur carotte ou pomme de terre ou sur gélose sucrée, la flore des tubes pour savoir s'ils contenaient ou non la Levure vivante apportée par les mouches. De temps en temps, J'ntercalais entre deux tubes à Levure stérilisée, des tubes à pomme de terre servant d'indicateurs. Dans tous ces tubes, les femelles, pendant leur passage, déposèrent des œufs fécondés. Les descendants nés dans tous ces récipients, furent recueillis un à un, au fur et à mesure de leur éclosion et isolés dans autant de tubes où on examina leur état aseptique ou non, L'étude, tant des milieux de passage des diverses: femelles, que des descendants nés dans ces milieux, montra que certains contenalent encore la Levure vivante, tandis que ‘d’autres en étaient dépourvus. Le tableau suivant indique comment, pour Q femelles prises en exemple, la stérilisation des pontes fragmen- tées par les transports effectués toutes les 24 heures s’est trouvée réalisée ; les chiffres gras correspondent aux tubes où on observa la présence de levure vivante. DATES Numéros des passages successifs 23-Mail 4253 | 1248 | 1243 | 42514 | 1247 | 1242 | 1245 | 1254 | 2/4 2/ 1206 | 1257 | 1258 | 4259 | 4260 | 1261 | 1262 | 1265 | 1266 29 127400126070 tr27081042730) 427540270217) 2084/6207 26 1284 | morte | 1282 | morte | morte | 1285 | 1278 | 1280 | 1281 27 1291 1200 1280 | 1289 | 1288 | 1292 28 1209 1208 morte | 1297 | 1296 | 1300 2() 1300 190) 1304 | 1303 | 1307 30 1912 DST 1310 | 1309 |1313(1) 31 1927 1320 1325 | 1324 1Juin| 1339 1338 1937, 01330 2 13D9 1392 1301 | 1390 3 1359 1355 1356 | 1357 / 1306 130/ 1362 | 1369 D 1382 1380 1378 | 1381 (à 1410 1/17 1415 | 1418 7 1436 1432 4433 | 1455 8 » » morte » 9 1307 1495 1456 II 1530 1DI1 1910 19 » 1532 1931 1/ » » morte (1) À partir de 1313 la @ ne pond plus que des œufs non fécondés. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 161 Comme on le voit, tandis que dans certains cas, dès le troisième passage (23 mai), toutes les progénitures furent aseptiques, dans d'autres cas la femelle déposa tantôt des œufs aseptiques, tantôt des œufs accompagnés de quelques cellules de Levure, qui se multiplièrent ensuite. Un cas typique est celui d’une Mouche qui, après avoir pondu des œufs aseptiquement pendant 15 jours (1299 à 1419), mourut le seizième (en 7/35) et dont le cadavre devint le point de départ d'une culture de Levure. Les descendants aseptiques issus des pontes de ces femelles furent isolés, contrôlés, puis accouplés et mis en reproduction sur Levure de boulangerie stérilisée. Ce milieu qui convient admi- rablement bien au développement des Drosophiles aseptiques est préparé de la façon suivante : 300 grammes de Levure du com- merce, cComprimée en pains, sont délayés dans l'eau jusqu’à obten- tion de 1.000 centimètres cubes du mélange. Cette émulsion est versée sur du coton hydrophile (10 centimètres cubes de dilu- tion et 1 gramme de coton dans les tubes d’élevages ; 250 cen- timètres cubes et 15 grammes dans les fioles coniques à fond plat. Le récipient d'élevage ainsi garni est alors stérilisé à 20°. Contrôle de l'asepsie des élevages. — Le contrôle de l’asep- sie des élevages ainsi obtenus a été effectué avec le plus grand soin. Des larves, des pupes et des Mouches ont été ensemencées et écrasées dans les milieux suivants : bouillon peptoné, gélatine coulée en boîtes de Petri, gélose ordinaire, gélose glucosée et maltosée, pomme de terre, carotte, sérum coagulé. Les tubes ensemencés ont été, soit laissés à la température ordinaire (15 à 20°), soit mis en étuve à 2/° et à 37°. Tous sont restés aseptiques. Dans un mortier stérilisé, des larves et des Mouches ont été broyées aseptiquement puis introduites dans des tubes de bouil- lon ou de gélatine. Après mélange intime, ces liquides ont été aspirés et scellés en pipettes de Roux, maintenues à 20°, 24° et 37°. Aucune culture anaérobie ne s’est manifestée. La conclusion était donc formelle : les élevages essayés se trou- vaient bien en état aseptique. Conclusion. — Les lignées aseptiques ont été maintenues 11 162 E. GUYÉNOT régulièrement en cet état de mai 1911 à juillet 1914. Ceci représente plus de 80 générations dont chacune a été constituée par plusieurs centaines d'individus. Jamais une plus complète démonstration n’a été fournie de la possibilité pour des organis- mes animaux de mener une vie aseptique. Tandis que les expé- riences, faites sur ce sujet, avaient simplement montré qu'il était possible de faire vivre aseptiquement des animaux pendant quel- ques jours, ou même d'obtenir le développement complet de quelques individus (expériences de Worcmax), mes recherches indiquent péremptoirement que cette vie aseptique peut être maintenue pendant une très longue suite de générations et pour des milliers d'individus, sans qu'il en résulte aucune suite fâcheuse pour leur développement, leur nutrition, leur fécon- dité. Bien au contraire les élevages aseptiques ont montré une régularité d'évolution, une fécondité qu'aucune autre condition n'avait permis d'obtenir. On peut dire que dans ces conditions — les causes de mort accidentelle (Mouches noyées, larves coincées ou écrasées) étant écartées — tout œuf fécondé aboutit à une Mouche capable de se reproduire. Il est par contre bien évident que cette expérience ne peut être réalisée que si l’on dispose d’une technique impeccable et si l’on peut offrir aux organismes aseptiques la nourriture qui leur convient alors. Placées en effet sur les milieux qui leur suffisent en état septique, tels que marmelade de pommes, pommes de terre, les Drosophiles aseptiques sont incapables de s’en nourrir et d'atteindre le terme de leur développement. C’est en étudiant le comportement des Drosophiles aseptiques sur différents milieux nutritifs comparés à la Levure stérilisée qui est le milieu optimum, que j'ai pu faire de fructueuses expé- riences, dont je parlerai plus loin, sur la fécondité de ces Mou- ches. Le milieu levure stérilisée représente, en effet, pour les Mouches aseptiques un milieu nutritif très constant, dans lequel on n’a plus à craindre l'intervention de toutes les perturbations liées au développement successif des microorganismes et aux transformations chimiques ou physiques que leur présence pro- voque dans le substratum nutritif et dans la composition de l'atmosphère des récipients. Je ne saurais trop le répéter, après avoir élevé des Drosophiles dans tant de conditions différentes, je puis affirmer que Pélevage aseptique pratiqué de cette ma- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 163 nière est supérieur à tous les procédés que j'ai pu essayer et à tous ceux que d’autres auteurs ont utilisés pour leurs recherches sur le même organisme. Précision des autres conditions d'élevage. — Dès le début de ces recherches, je me suis attaché à préciser, dans la mesure du possible, les conditions d'élevage autres que celles tenant à la nature du milieu nutritif. Cette précision atteint nécessairement des degrés différents, suivant le facteur externe que lon con- sidère. Température. — Les élevages ont tous été maintenus dans des étuves réglées à 23° ou 24°, à 1° près. Un thermomètre enre- gistreur placé dans l’étuve a enregistré régulièrement la tempé- rature, pour le cas où des variations accidentelles seraient surve- nues. Pour certaines expériences, j'ai utilisé des étuves qui étaient réglées à 20° ou à 30°. En somme, l'obtention de températures constantes, grâce à des étuves bien conditionnées et munies de bons régulateurs, ne présente aucune difficulté spéciale. Humidité. — W est par contre très difficile d'obtenir des con- ditions d’humidité absolument constantes. Pour rendre aussi petits que possible les écarts de degré hygrométrique, j'ai pris les précautions suivantes. Le plancher des étuves est constitué par une cuve en cuivre dans laquelle une couche d’eau est main- tenue sous une épaisseur constante, grâce à un réservoir à niveau constant. Le couvercle de la cuve est percé de trous que lon peut ouvrir, ouvrir partiellement, ou fermer en déplaçant latéralement, au moyen d’une glissière, une deuxième plaque également per- cée de trous disposés de la même manière. Si les trous des deux plaques coïncident, les orifices sont complètement ouverts, si au contraire on déplace latéralement la plaque supérieure, les orifices sont de plus en plus réduits jusqu’à fermeture totale. Ce dispositif permet de régler la teneur en vapeur d’eau de létuve. J'ai d'autre part pris les plus grandes précautions pour que les tubes d’élevages renfermassent toujours la même quantité rela- tive d’eau et de matériaux solides. Chaque tube ou fiole recevait une quantité identique de coton, une même quantité de la dilu- tion de levure faite à un taux constant. La stérilisation a toujours été effectuée dans des conditions aussi constantes que possible. D'ailleurs des pesées effectuées sur un grand nombre 16% E. GUYÉNOT de tubes avant et après la stérilisation ont montré que la perte d’eau d’ailleurs très faible, consécutive à ce traitement, ne pré- sentait d’un tube à l’autre que des écarts insignifiants. Souvent la surface du milieu nutritif se trouve plus sèche que la partie plus profonde, surtout dans les cas où lébullition qui se produit pendant la période où on laisse fluer la vapeur de lPau- toclave à un peu dissocié le coton servant de support à la dilu- tion de Levure. Pour remédier à cet inconvénient, j'ai remplacé l'obturateur par des baguettes de verre de même calibre (fig. 1,c), mais plus longues, grâce auxquelles on peut presser sur la sur- face du coton, l’égaliser et lui donner le degré d'humidité conve- nable. L'atmosphère des récipients, maintenus en étuve, se trouve à peu près saturée de vapeur d’eau pour la température considérée, mais il suffit de changements très légers pour produire immédia- tement la condensation d’une partie de la vapeur d’eau sur les parois. Si par exemple on sort un bocal de létuve à 24°, et qu'on le transporte dans le laboratoire à 18° ou 20°, pour Pexaminer, il se fait très rapidement un dépôt interne de buée et toujours sur le côté faisant face à la fenêtre (rayonnement calorifique plus intense ?) Dans l’étuve mème, ilarrive que toutes les fioles pré- sentent un dépôt d'eau condensée sur les faces orientées dans le mème sens. [est impossible de supprimer ces inégales répartitions, car le rayonnement calorifique sur les côtés faisant face aux tuyaux chauffants des parois n’est pas le même que sur ceux tournés vers le centre de l’étuve ou vers la porte. Eclairement. — L'influence de ce facteur paraît tellement faible, eu égard à d’autres conditions, qu'au début de mes essais je n'ai pas cherché à le préciser. Les étuves se trouvaient placées dans des endroits sombres, peu éclairés. Il est d’ailleurs extrè- mement difficile de réaliser un éclairement uniforme des diverses parties d’un tube. IT faudrait utiliser pour cela une source arti- ficielle de lumière (je ne disposais pas d'électricité au laboratoire où ces recherches ont été effectuées !) consistant en plusieurs lampes réparties sur une circonférence dont le tube d'élevage représenterait le centre. [Il m'a paru beaucoup plus simple et sans inconvénient de faire mes élevages entièrement à Pabri de la lumière, en revêtant de papier noir les parois vitrées de l’étuve. . dll RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 165 3 De cette façon du moins, j'avais, au point de vue considéré, des conditions constantes. Composition de l'atmosphère. — ans les élevages non aseptiques, surtout s'ils sont faits dans des récipients de petite capacité, fermés par un disque de verre ('), les fermentations et putréfactions du substratum nutritif modifient profondément la composition de l’atmosphère des récipients. Il n’en est plus de même dans les élevages aseptiques. Le renouvellement de Pair peut se faire assez régulièrement à travers le bouchon de coton des fioles ou des tubes. Je ne me suis pas encore préoccupé de réali- ser des conditions rigoureusement identiques d'aération. J’ai cependant fait établir des fioles à deux tubulures latérales situées à des niveaux différents de façon à pouvoir faire circuler dans toutes les fioles, par aspiration, de Pair ou un mélange gazeux de composition connue. Cette recherche est indiscutablement liée à la question de l'entretien d’une humidité constante. Cest en utilisant ces conditions d'élevage et comme milieu nutritif la Levure stérilisée que j'ai obtenu avec les Drosophiles aseptiques un développement si rapide et si régulier que je Pai pris pour type, comme terme de comparaison pour toutes les expériences ultérieures. Dans de semblables conditions, en effet, maintenues en étuve à 24°, toutes les larves s’accroissent rapi- dement, accumulent d’abondantes réserves et se transforment en pupes à la fin du cinquième ou au cours du sixième jour. Les pupes donnent toutes des Mouches qui éclosent le onzième ou douzième jour. Les Mouches aseptiques, transportées à chaque génération sur des milieux neufs, continuent à se reproduire régu- lièrement, pondant en moyenne 20 à 25 œufs par jour et vivent deux mois environ. (! Procédé utilisé par la plupart des auteurs qui ont élevé des Drosophiles. 466 E. GUYÉNOT VII ÉLEVAGES DE DROSOPHILA AMPELOPHILA SUR MILIEUX NUTRITIFS ARTIFICIELS PRÉCISION CHIMIQUE DU MILIEU Il est incontestable que Pemploi de levure stérilisée pour la nutrition des Drosophiles aseptiques réalise des conditions d’éle- vage exceptionnellement bonnes : non seulement on peut dire que la totalité des individus — hormis les cas de mort purement accidentelle — se développent régulièrement, mais il est certain que le milieu nutritif possède une constance qu'aucun autre pro- cédé d'élevage ne saurait égaler. J’aurais donc pu m’en tenir à ce degré de précision dans la connaissance du milieu et étudier l'influence des différents facteurs externes sur les Drosophiles, en même temps que j'aurais recherché la nature héréditaire ou non héréditaire des variations ainsi produites. En fait j'ai pu réa- liser, dans ces conditions, d’intéressantes expériences relatives aux facteurs de la fécondité des Mouches, expériences que je relaterai dans un chapitre ultérieur. Cependant le milieu nutritif constitué par la Levure stérilisée présente, eu égard au but que je poursuivais, deux défauts. D'abord sa constance n’est que relative : la Levure en pains que j'utilisais peut renfermer diverses impuretés provenant du milieu sur lequel elle s’est développée; de plus elle peut présenter des différences assez grandes de composition suivant son âge, sui- vant notamment qu'elle est depuis plus ou moins longtemps en état de jeûne et consécutivement d’autophagie. Telle Levure, qui fraichement récoltée renfermera beaucoup de glycogène, pourra n'en plus contenir après quelques heures d’inanition. D'autre part, la Levure est un aliment complexe qu'il faut employer tel quel, sans en connaître très exactement la composition et surtout sans qu'il soit possible d’en faire varier à volonté les éléments cons- ütutifs. Cette connaissance-et cette maîtrise aussi complètes que pos- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 167 sible des conditions du milieu que je m'étais proposé d'atteindre, je ne pouvais espérer l'obtenir qu'en réalisant des milieux nutritifs artificiels, fabriqués de toutes pièces en partant d’élé- ments connus. Une fois établie la liste des constituants néces- saires et suffisants, ainsi que leur utilisation dans la nutrition de l'organisme étudié, ce ne serait plus qu'un jeu d'introduire à volonté, et d’une façon raisonnée, des variations en plus et en moins dans la constitution qualitative et quantitative de ces milieux. Cette entreprise qui, théoriquement, paraît assez facile à réali- ser, se heurte pratiquement à des difficultés énormes. Sans doute, par lusage combiné des cultures aseptiques et sur milieux chimiquement définis, M. MozrrarD a pu réaliser, sur des végétaux, des expériences du plus puissant intérêt, mais toutes les tentatives de ce genre ont complètement échoué, en ce qui concerne les animaux. Il s’agit cependant d'expériences où l’on a utilisé des principes alimentaires qui sont loin d’être des produits aussi simples et aussi définis que ceux dont j'avais lin- tention de me servir. C'est ainsi que Lunix, après avoir constaté que des Souris pouvaient être maintenues en vie très longtemps lorsqu'on les nourrissait exclusivement de lait, chercha vainement à remplacer cet aliment naturel par un mélange de ses éléments constitutifs ou de substances analogues. Il utilisa comme graisse et comme protéique, le beurre et la caséine, obtenues après précipitation du lait étendu d’eau par lPacide acétique. A ces substances îl ajouta du sucre de canne et un mélange des sels normalement contenus dans le lait. Le milieu nutritif artificiel ainsi constitué fut accepté aisément par les Souris, mais celles-ci ne tardèrent pas à manifester des signes de déchéance et toutes moururent au bout de 20 à 30 jours. Un autre expérimentateur, Sonix (!), n’obtint pas de meil- leurs résultats en essayant de nourrir des Souris avec un mélange de sérum de Cheval, de graisse, d’amidon, de sucre, de cellulose (destinée à éviter Pobstruction intestinale), de sels minéraux et d’un aliment ferrugineux. {t) Cité d’après E, LameuinG, Précis de biochümie, p. 475. 168 E. GUYÉNOT De même KxapP (35) ne put réussir à maintenir en vie des Rats nourris avec un mélange d’albuminoïdes, de graisses, d’'hy- drates de carbone et de sels. Les animaux s’affaiblirent, beaucoup devinrent malades et tous moururent assez rapidement. Au cours d'expériences faites sur les Pigeons, Jacos (31) fut également impuissant à faire vivre ces animaux en les soumettant à une alimentation artificielle, même en utilisant le gavage. Des Rats que le même auteur nourrissait avec un mélange de caséine, de graisse, de sucre, de sels et de cellulose, utilisés en propor- tions diverses et donnés à discrétion, ne vécurent que peu de temps, le maximum ayant été de 124 jours. Dans certains cas, ces Rongeurs présentèrent une diminution de poids régulière que rien ne put enrayer. Un résultat un peu plus satisfaisant a été obtenu par Rôn- MANN (51) en fournissant à des Souris une alimentation très com- plexe, formée de caséine, ovalbumine, vitelline, amidon de pomme de terre, amidon de blé, margarine et sels minéraux. Les jeunes Souris purent être maintenues assez longtemps en vie et même atteindre la maturité sexuelle, mais ces animaux demeurèrent d’une taille inférieure à celle des témoins et de plus ne donnèrent que des petits non viables. Pensant que les mauvais résultats constatés dans les expé- riences de cet ordre pouvaient être dus à labsence dans la ration alimentaire de certaines substances telles que les lipoïdes ou les nucléoprotéides, Fazra et NŒGGE£RATH (20) firent toute une série d'essais très intéressants, en nourrissant des Rats blancs avec diverses nourritures artificielles contenant ou non du nueléinate de soude, de la lécithine et de la cholestérine. Ces milieux arti- ficiels comprenaient : comme albuminoïdes, lovalbumine très pure, la caséine pure, la séralbumine, la séroglobuline, la fibrine et lhémoglobine ; comme graisses, celles du lard de Porc, puri- fiées par plusieurs dissolutions dans léther ; comme hydrates de carbone, lamidon et le sucre de raisin ; comme sels, des mélanges de carbonate et phosphate de chaux, chlorure de magnésium, etc., ou les sels du lait obtenus par calcination, ou les sels du sérum de cheval. Les animaux acceptèrent volontiers cette nourriture et ne présentèrent pas de troubles intestinaux ; leur courbe de poids ne fléchit même que pendant les derniers jours. Cependant tous moururent, quelle que soit la ration ali- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 169 mentaire, que celle-ci contienne où non du nucléinate de soude et des lipoïdes. Les Rats nourris à la séralbumine moururent au bout de 51 à 23 jours, après avoir perdu les 3/5 de leur poids initial. L'emploi des autres albuminoïdes permit une survie un peu plus longue, de 83 à 94 jours ; au moment de la mort Îles animaux n'avaient alors perdu que la moitié ou les trois quarts de leur poids. Pendant ce temps, des Rats témoins, nourris avec du lait de Vache, ou du lait en poudre, ou de la viande de Cheval maigre, continuaient à vivre normalement. I est bien difficile de dire à quoi sont dus les échecs de toutes ces tentatives de nutrition artificielle. L’insuffisance de Ia nourri- ture employée est-elle due à labsence de quelque substance indispensable à la vie, même en petite quantité, que contien- draient les aliments naturels? Ou bien faut-il admettre que Îles principes utilisés, du fait des manipulations subies pendant leur préparation, ont été modifiés au point d’avoir perdu de leur valeur alimentaire ou même d’avoir acquis un certain degré de toxicité ? La seule indication que l’on puisse tirer de la compa- raison des diverses expériences est que les résultats paraissent avoir été d'autant plus mauvais que la nourriture était formée d'aliments plus simples et plus purs. À cette question se trouvent ainsi rattachées diverses constatations faites sur la nocivité de certains aliments trop purifiés. Des animaux ont, en effet, pu être maintenus en vie au moyen d’une alimentation exclusive avec du pain riche en son, tandis qu'il n’en est pas de même si on emploie du pain blanc, fait avec une farine très purifiée- Il semble qu'il y ait dans les aliments naturels certaines impu- retés que l’on ne saurait exclure impunément de la ration ali- mentaire. Je reviendrai ultérieurement sur ce problème auquel certaines de mes expériences nous ramèneront. On voit par cet exposé que le projet que j'avais formé d'élever aseptiquement des Drosophiles sur des milieux nutritifs artificiels risquait de se heurter à de graves difficultés. Mais on compren- dra aisément l'intérêt qu'il y avait à tâcher de préciser les condi- tions nécessaires à la réalisation d’une semblable tentative. 170 E. GUYÉNOT Nécessité d'opérer avec des élevages aseptiques Avant d'exposer le résultat de mes expériences, il est un fait que je tiens à mettre dès maintenant en relief : c’est qu'il eut été absolument vain de chercher à constituer des milieux nutritifs artificiels en opérant avec des Drosophiles septiques. L’obtention d’élevages aseptiques de ces Mouches était la préface nécessaire aux recherches ayant pour but d'étudier de plus près la constitu- tion chimique du milieu nutritif. Il est, en effet, facile de comprendre que tous les milieux arti- ficiels que l’on peut imaginer conviennent nécessairement plus ou moins au développement des Microbes ou des Champignons qu'apportent avec elles les Mouches prises dans la nature ou pro- venant d’élevages septiques. Ces microorganismes ne sauraient être considérés comme indifférents puisque leur activité biochi- mique souvent considérable peut opérer dans le milieu nutritif des transformations de grande amplitude (fermentation des sucres, destruction des albuminoïdes avec production d’acides gras, d'acides amidés, d’éthers, de gaz, etc.). D'autre part, on ne sau- rait tenir pour négligeable la masse même formée par la culture de ces microorganismes : nous avons vu que les Levures consti- tuaient pour la Mouche un excellent milieu nutritif et que ce sont ces Champignons qui, dans les conditions naturelles, représentent son principal aliment. Il est dès lors évident que tout milieu artificiel, incapable par lui-même d'assurer la nutrition des Mouches, paraîtrait cependant leur convenir parfaitement sil permettait une culture abondante des Levures apportées par les Drosophiles. En voici d’ailleurs la démonstration expérimentale : Alors que je ne possédais pas encore de Mouches aseptiques mais seulement des élevages de Mouches avec une Levure vivante, en culture pure, j'essayai, pour orienter mes recherches ulté- rieures, divers milieux nutritifs artificiels. L'un d’eux, par exemple, composé de peptone, de glucose, de tributyrine émul- sionnée et de sels minéraux (phosphate de chaux, de soude, de potasse, sels de magnésie, de fer, etc.), donna des résultats très encourageants. Les Mouches pondirent abondamment, les larves se développèrent régulièrement, quoiqu’un peu moins vite que RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 171 sur les pommies de terre servant de milieux témoins. La plupart d’entre elles se transformèrent en pupes et donnèrent naissance à des Mouches de belle taille. Celles-ci, transportées sur des milieux de même composition, y fournirent une deuxième géné- ration assez abondante. A la vérité, ces résultats si satisfaisants ne laissèrent pas de m’étonner, d'autant que je m'attendais à rencontrer d’énor- mes difficultés dans ces tentatives d'élevages sur milieux artificiels. Bien plus, même en introduisant dans ces milieux des modifications assez importantes dans la nature des protéiques, des graisses ou des sels minéraux employés, les résultats res- taient assez comparables. Cependant, en abaissant considérablement le taux de peptone ou même en supprimant cet élément, le développement des Mou- ches devenait misérable ou cessait. Sur milieu sans peptone, par exemple, les larves s'accroissaient très lentement pendant les premiers jours, puis mouraient bien avant d’avoir atteint leur taille maxima ; exceptionnellement quelques-unes se transfor- maient en pupes très petites qui se desséchaient aussitôt. Au contraire, le développement se faisait de mieux en mieux, au fur et à mesure que l’on ajoutait des quantités croissantes de pep- tone (#;,2,5,:10 p; 100). De même, la teneur en glucose parut exercer une très grande influence. Très réduit sur des milieux sans glucose, le développe- ment des Mouches devenait de plus en plus luxuriant à mesure que l’on ajoutait des quantités plus élevées de ce sucre (1,5, 10, 15, 18 p. 100). De ces expériences j'aurais pu, semble-t-il, tirer les conclu- sions suivantes : 1° qu'un milieu artificiel, composé de peptone, glucose, graisse et sels minéraux suffisait à assurer la nutrition des Mouches ; 2° que celles-ci utilisaient la peptone et le sucre et se nourrissaient d'autant mieux que ces deux substances leur étaient fournies en plus grande quantité. Cependant, désireux de préciser toutes les conditions du phé- nomène, J'étudiai comparativement le développement de la Levure vivante, apportée par les Mouches, sur ces différents milieux et je me rendis nettement compte que ces milieux renfermaient une culture de Levure d'autant plus abondante qu'ils paraissaient être plus favorables au développement des Mouches. Ce fut même 172 FE. GUYÉNOT cette constatation qui me conduisit à m'assurer d'une façon plus directe, de la valeur alimentaire de ces champignons pour les Drosophiles. Dans ces conditions, l’action favorisante du glu- cose, même en concentration élevée (18p. 100), s’expliquait d’elle- même. Lorsque plus tard j’essayai à nouveau les mêmes milieux arti- ficiels, mais cette fois avec des Mouches aseptiques, les résultats furent totalement différents. Sur aucun de ces milieux, en effet, les larves aseptiques n’arrivèrent à se transformer en pupes. Toutes moururent d’une façon plus ou moins précoce, sans avoir pu accu- muler de réserves dans leur tissu adipeux et sans avoir atteint en aucun cas, le terme de leur croissance. Sur les milieux dépourvus de peptone, la croissance des larves, qui paraît alors due surtout à une absorption d’eau, est infime, cesse au bout de 48 heures et la mort survient aussitôt après. L'augmentation du taux de peptone ne favorise le développement des Mouches que Jusqu'à une certaine concentration optima (voisine de 4 p. 100), au delà de laquelle son action devient nuisible. Enfin, le glucose, loin de favoriser la croissance des larves, exerce une action inverse et d'autant plus marquée que sa concentration est plus élevée. La comparaison entre les résultats de ces deux séries d’expé- riences faites, l'une avec des Mouches et une Levure vivante, l’autre avec des Mouches aseptiques, montre la nécessité absolue d'effectuer les recherches de cet ordre en utilisant des élevages aseptiques. Je laisse à penser les résultats que fourniraient de semblables expériences faites avec des Mouches élevées dans les conditions ordinaires, c’est-à-dire avec toute une flore variée et changeante de Bactéries, de Levures et de Moisissures ! On comprendra que, dans ces conditions, je laisse systémati- quement de côté les très nombreux essais de milieux artificiels que j'avais entrepris avant d’avoir obtenu des Mouches asep- tiques. Toutes les recherches que je vais rapporter ont, au con- traire, été effectuées avec des Mouches aseptiques, transportées aseptiquement sur des milieux stérilisés. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 173 Choix de la méthode à employer En commençant ces expériences, J'avais à choisir entre deux procédés pour tenter de préparer un milieu nutriuf arüficiel, capable d'assurer la nutrition des Drosophiles aseptiques. L'un, le procédé synthétique, consistait à fabriquer de toutes pièces des milieux artificiels, en m'inspirant seulement des notions de physiologie générale de la nutrition et à les améliorer par une série d’approximations. L'autre, le procédé analytique, consistait à prendre pour point de départ le meilleur aliment naturel des Drosophiles, la Levure, et à essayer d'en séparer, par des opéra tions en série, les éléments chimiques reconnus indispensables. Cette dernière méthode, en apparence la plus logique, se trouve être en réalité la plus difficile à suivre. Cela tient à notre igno- rance, très grande encore, de la composition chimique de la Levure et à ce que les résultats d'analyse ne donnent que des indications très lointaines sur la façon dont les différents consti- tuants sont unis ou associés. C’est ainsi, par exemple, que Pon a bien pu analyser les cendres de Levure et y doser les différentes bases (potasse, soude, chaux, magnésie) et les différents acides (chlore, acide phosphorique, acide sulfurique, etc...) mais cette analyse ne nous indique nullement à quels sels correspondent ces divers éléments. La reconstitution de ces principes minéraux est essentiellement délicate et hasardeuse. Certains éléments peuvent d'ailleurs provenir de la destruction de substances organiques complexes (albumines, lipoïdes) dont ils faisaient partie inté- grante. On sait de même que les Levures contiennent du glycogène, des graisses et des lipoïdes (présence de choline, provenant de l’hydrolyse des lécithines), mais la nature exacte de ces graisses, leurs quantités relatives n'ont été Pobjet d'aucune étude systéma- tique. La connaissance des albuminoïdes de la Levure est encore des plus précaires. Iei aussi l'analyse nécessite l'emploi de procédés souvent brutaux de dissociation qui nous mettent en présence de termes que nous pouvons caractériser, mais dont le mode de groupement demeure inconnu. On a bien signalé la présence de divers acides amidés, de bases puriques, de bases hexoniques, ete., 174 E. GUYÉNOT mais ce ne sont là que des indications fragmentaires plutôt que les résultats d’une étude approfondie et méthodique des consti- tuants des matières protéiques des Levures. Récemment, il est vrai, en employant des procédés d'extraction moins violents, P. Taomwas (96), puis P. THomas et MS. KocopzreiskA (57), ont pu retirer de la Levure de bière deux substances albuminoïdes : lune qui se rapproche de la caséine et qui renferme, comme bases hexoniques, de lhistidine, de l’arginine et de la Iysine, l’autre, la cérévisine, véritable albumine végétale, assez sembla- ble à la léguméline étudiée par Ossorx et qui est caractérisée par sa teneur remarquablement élevée en Iysine. Si intéressantes qu'elles soient, ces recherches n’ont encore fourni que des résul- tats partiels. Vouloir partir d’une connaissance approfondie de la constitu- üon chimique de la Levure, pour réaliser d’après cela des milieux artificiels, aurait donc nécessité au préalable une étude chimique complète de la Levure, ce qui eut exigé un temps consi- dérable, une installation et un matériel dont je ne pouvais dis- poser. C’est pourquoi J'ai d’abord cherché à réaliser des milieux nutritifs artificiels par la voie synthétique. 1" série d'expériences : Lssais de constitution d’un milieu nutriltif artificiel par voie synthétique S'il paraît simple, « priori, de constituer un milieu nutritif artificiel en mélangeant des représentants des principales caté- gories de principes alimentaires, cette opération se heurte cepen- dant à de sérieuses difficultés. C’est que nous sommes encore très peu avancés en ce qui concerne la nature des éléments indispen- sables à la continuation de lexistence. Si lon se reporte aux notions de physiologie générale de la nutrition qui avaient cours, il y à quelques dix où vingt ans, il semble qu'il suffirait de four- nir à un organisme de l’eau, des sels minéraux, un élément albuminoïde quelconque, des graisses et des hydrates de carbone pour qu'il fut capable, avec ces éléments, de continuer à édifier sa propre substance et püût couvrir toutes ses dépenses énergéti- ques. En réalité, les choses sont loin d’être aussi simples. C’est ainsi que certains minéraux sont susceptibles d'exercer une action considérable, même à des doses infinitésimales que l’on ps RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 175 serait tenté au premier abord de tenir pour négligeables. On discute encore pour savoir sous quelle forme certaines sub- stances minérales doivent être présentées pour être facilement assimilables, si l'organisme les emprunte surtout à des sels minéraux ou à des sels organiques, ou encore à certains édifices moléculaires plus complexes (albuminoïdes, lipoïdes) dont elles font partie. Il n'y a que quelques années que lon a com- mencé à se rendre compte de l'importance des lipoïdes dans les phénomènes vitaux et dans ceux de la nutrition en particulier. La valeur nutritive de bien des constituants des albuminoïdes est encore inconnue : On ne sait que depuis peu que le tryptophane paraît être indispensable à l'entretien de la vie. Les résultats sont encore très fragmentaires. Le cycle des transformations des bases puriques, celui des substances dites extractives, sont encore presque entièrement à étudier. Aussi ne faut-il pas s'étonner que les diverses tentatives d'alimentation artificielle, que j'ai rapportées au début de ce chapitre, n’aient abouti qu’à des insuccès. ; À ces difficultés d'ordre général, s'ajoutait, dans le cas parti- culier d'animaux suceurs comme les larves de Drosophiles, celle tenant à la nécessité de n'utiliser que des produits solubles dans l'eau ou pouvant y être maintenus en fine suspension, et en tout cas n'étant pas modifiés dans leur état physique par un chauf- fage prolongé à 120°. Malgré ces constatations peu encourageantes, j'entrepris un nombre considérable d'expériences, dont aucune ne fut, il est vrai, couronnée de succès, mais qui eurent l'avantage de préciser bien des faits et de préparer le chemin à une deuxième série de recherches opérées par voie analytique et qui furent plus fruc- tueuses. Expérience préliminaire. — Un des premiers milieux employés fut constitué très simplement en mélangeant à une solution de sels minéraux un représentant de chacune des trois catégories classiques de substances alimentaires. Comme protéique, j'utili- sai la peptone Chapoteaut, très employée en bactériologie et qui est entièrement soluble dans l’eau, comme hydrate de carbone, le glucose, et comme graisse neutre, la tributyrine. Ce milieu (4 47) avait exactement la composition suivante : 176 E. GUYÉNOT RÉDIONES PRIT ELLE DCS I QT. Glucose. 1 gr. D Tributyrine er 4 2 gouttes Chlorure de potassium 0 gr. 2 Phosphate trisodique. . . . 0,2 Chlorure de magnésium. . 0,4 Phosphate monocalcique . . 0,1 Ghloryre Ternquemo mere 0,01 Acide acétique cristal. °° 00 1 goutte Faugdistiilée Nes re Q. S. pour 100 cm?. Les sels minéraux étaient dissous, à part, dans l'eau acidulée par l'acide acétique, de façon à maintenir les phosphates en solu- tion, puis la quantité voulue du mélange minéral était ajoutée à la solution de peptone et de glucose. La graisse était ajoutée au dernier moment et mise en état d’émulsion par un secouage pro- longé. 10 centimètres cubes de ce milieu étaient versés dans cha- que tube de culture et l’on y introduisait aussitôt 1 gramme de coton hydrophile, servant à donner à ce milieu liquide une con- sistance suffisante. En même temps les mailles du coton retenant les globules graisseux contribuaient à maintenir à peu près stable l'émulsion. Sur ces milieux stérilisés, des Mouches aseptiques furent trans- portées; en même temps des Mouches de même génération furent placées sur des tubes témoins, constitués par de la Levure de boulangerie stérilisée. Les élevages furent faits côte à côte dans la même étuve maintenue à 24°. De semblables témoins ont été ainsi constitués dans {outes les expériences que j'ai effectuées. Voici quels ont été les résultats de ces essais. Tandis que les larves nées sur Levure s’accroissent normalement, aboutissant à la pupe au bout de 6 jours et à la Mouche le onzième ou dou- zième jour, les larves écloses sur milieu artificiel grossissent aussi, mais beaucoup plus lentement. Au début, il est vrai, cette croissance est assez rapide et les larves manifestent une grande activité, aspirant avec force le milieu nutritif. Bientôt cependant la croissance diminue, puis cesse; vers le dixième jour, les larves mesurent seulement le tiers ou la moitié de leur taille adulte. Elles sont minces et transparentes, leur activité diminue. Elles se promènent mollement à la surface du milieu, n’effectuant que de temps à autre des mouvements de succion ou restent immobiles pendant des heures, parfois dans les positions les plus diverses. Ces larves inertes ne se laissent distinguer des cadavres que par RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 177 les mouvements d'ailleurs très ralentis du cœur et de lintestin. Souvent même, je n'ai pu m'assurer qu'il s'agissait de larves encore vivantes qu'en chauffant légèrement là paroi du tube contre lequel elles étaient collées. L’échauffement détermine alors des mouvements réflexes (mouvements des crochets buccaux, contractions du cœur, reptation) qui cessent aussitôt et la larve retombe dans son immobilité. Quelques larves vivent ainsi jusqu'au vingt-cinquième ou tren- tième jour, mais la plupart d’entre elles meurent beaucoup plus tôt, certaines dès le onzième jour. En résumé, sur un semblable milieu, bien qu'il soit active- ment absorbé, tout au moins au début, les larves sont incapa- bles d'aboutir au terme de leur croissance et à la pupaison. Sans doute, il y a croissance, puisqu'elles passent de la taille de Pœuf à celle de 2 mm. 5 à 3 millimètres environ, mais cette crois- sance est lente, s’arrète bientôt et surtout ne s'accompagne pas de cette élaboration des réserves qui est indispensable à la con- tinuation du développement. Ce qui frappe le plus, en effet, dans ces larves élevées sur milieu artificiel, c’estleur extrème transparence. Toutes les larves sont, il est vrai, semblablement transparentes au moment de leur éclosion, mais, élevées sur Levure par exemple, elles ne tardent pas à devenir de plus en plus opaques, ce qui est dû à Paccu- mulation progressive de réserves, principalements de graisses, dans leur tissu adipeux. Les cellules adipeuses augmentent de volume, deviennent turgescentes, bourrées d’inclusions et leurs nappes pénètrent entre tous les organes larvaires. Sur les larves élevées en milieu artificiel, au contraire, les cellules adipeuses restent petites, formant les files ou les mailles d’un réseau qui est comme le squelette protoplasmique du tissu adipeux. Dans ces cellules qui n’augmentent pas de volume, aucune réserve n'est déposée ; cette absence totale de réserves entraine la transparence extrème des larves élevées dans ces conditions. Cette question de l'élaboration des réserves du tissu adipeux est extrè- mement importante et c’est d’elle que dépend toute la suite du développement. 178 E. GUYÉNOT Importance de l'élaboration des réserves du tissu adipeux ; la question de l’origine des graisses Les phénomènes de nutrition sont d'autant plus intéressants à suivre sur les larves de Mouches qu'ils s’y accomplissent avec une rapidité et une intensité prodigieuses. Ce fait paraît dans toute sa netteté quand on songe qu'au cours de ses recherches sur les Mouches de la viande, E. WEINLAND à trouvé qu’au bout de 5 jours d'existence, à 25°-30°, les larves pesaient 700 fois leur poids initial. Dans cet accroissement, l'accumulation des réserves adipeuses entre pour une part très importante puisque dans certaines éva- luations la quantité de graisse contenue dans les larves représente presque la moitié du poids sec. C’est ainsi que dans ses études sur une Mouche des cadavres, Ophyra cadaverina, F. Tan@z (55) a obtenu les chiffres suivants : Poids soumis Teneur p. 100 en au dosage Eau Poids sec Azote Graisses Cendres EE N EE AA NE AITE 0,01933 69,1 30,9 2,29 14,1 172 BUDESA FRERES 0,009 59,7 10,3 3,19 16,4 2,81 Mouches venant dEClOr eee 0,0073 66,6 39,/ 2,01 14,1 1,90 Les estimations fournies par E. WeixLanD (66) et faites sur Calliphora vomitoria donnent une teneur en graisse voisine du quart du poids sec. Ainsi sur 0,079 de pupes l’auteur trouva 68,4 p. 100 d'eau, 31,6 p. 100 de substances sèches dont 3,19 d'azote, 0,63 p. 100 de glycogène, 2,21 de chitine et 6,96 (8 p. 100 au maximum) de graisses. J'ai effectué sur Drosophila ampelophila. aseptiques quelques dosages qui donnent une proportion assez semblable de substan- ces grasses. En recueillant un très grand nombre de larves de divers âges, j'ai obtenu 4 gr. 445 de ces organismes représentant un poids sec de 1 gr. 375. Le dosage des acides gras fut effectué après saponification totale par la soude, mise en liberté des acides gras par un excès d'acide chlorhydrique, extraction dans l’entonnoir à décantation par léther anhydre, évaporation, redis- solution dans l’éther de pétrole et dessiccation à 55° pendant RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 179 8 heures. Je trouvai dans ce cas o gr. 220 d’acides gras, pour la plupart solides à la température ordinaire. Ce chiffre, qui repré- sente les acides gras, plus linsaponifiable (cholestérine), corres- pond évidemment à un chiffre plus élevé de graisses neutres. Un semblable essai fait sur une quantité beaucoup plus petite, o gr. 62, de larves transparentes, élevées sur milieu artificiel contenant de la tributyrine, n’a donné, après évaporation de l’éther de pétrole, qu'un résidu insignifiant, o gr. 0027, formé d’acides gras liquides à la température ordinaire. Avant de pratiquer ces dosages, les larves avaient été plongées dans l’eau — ce qui détermine l'expulsion réflexe du contenu intestinal qui aurait pu fausser les résultats — puis lavées à l’eau chaude et broyées. Si l’évolution des larves de Mouches représente un cas d’ac- croissement d'une rapidité énorme, elle constitue donc en même temps un objet exceptionnel pour l'étude de Félaboration des réserves adipeuses ; cette étude effectuée chez des organismes aseptiques, élevés sur des milieux artificiels, paraît être particu- lièrement indiquée pour la solution du problème encore si con- troversé de l’origine des graisses animales. J’aurai à revenir sur ce sujet, lorsque j'établirai les différentes conclusions de mes recherches, mais je crois bon de résumer ici ce que l’on sait de cette question, pour faciliter l'intelligence de ce qui va suivre. C’est naturellement aux graisses alimentaires que lon a tout d’abord rapporté l'origine des graisses des organismes animaux. La réalité d’une semblable origine, indiquée déjà par Prousr et Dumas, a été démontrée nettement par l'expérience. Hormaxx par exemple a fait jeuner des Chiens d’une façon prolongée, dosé alors les graisses de l’un d’eux pris comme témoin, puis nourri les autres avec des rations connues de viande et de lard. Pendant toute la durée de lexpérience les ingesta et les excreta furent soigneusement dosés, puis les animaux furent pesés, sacrifiés et on dosa la quantité de graisse qu'ils renfermaient à la fin de lexpérience. On constata une augmentation très nette de la quantité de graisse, augmentation telle qu’elle ne pouvait pro- venir de la ration albuminoïde (viande), en supposant qu'une semblable transformation fut possible. La graisse en excédent dérivait nécessairement de la graisse ingérée sous forme de lard. 180 EH. GUYÉNOT On ne pouvait pas, en effet, admettre que cette graisse provint d'une dégénérescence des albuminoïdes mêmes du Chien, car cette transformation eut été accompagnée d’une excrétion énorme d'azote, excrétion dont l’analyse des urines ne montra nulle- ment l’existence. D’autres expériences, dont le principe est dû à Künxe, établi- rent, d’une facon encore plus nette et plus élégante, Putilisation par l’organisme animal des graisses alimentaires pour lédifica- tion de ses réserves adipeuses. On sait que les graisses de chaque animal sont normalement constituées par un mélange de graisses à acides gras plus ou moins élevés et ayant un point de fusion déterminé. La graisse de Mouton, très riche en stéarine, à un point de fusion plus élevé que la graisse de Chien. Celle-ci fond en effet vers 20°, celle-là seulement au-dessus de 50°. L’expé- rience consiste à faire Jeuner un Chien, de façon à déterminer la consommation de la plus grande partie de ses réserves adipeuses, puis à lui faire ingérer des graisses étrangères, ayant une consti- tution et par suite un point de fusion très différents de ceux de ses graisses propres. C’est ainsi que des Chiens, amaigris par le jeûne, furent nourris d’une part avec de Fhuile de lin qui est liquide à la température ordinaire, d'autre part avec de la graisse de mouton. Or à la fin de cette expérience due à LEBEDErr, tandis que les Chiens normaux avaient une graisse fondant vers 20°, celle du Chien nourri avec de lhuile de lin était encore liquide à o° et celle du Chien nourri au suif ne fondait qu'au dessus de 5o°. Il y avait donc bien eu absorption et fixation des vraisses alimentaires. Ces différentes recherches montrent donc indiscutablement que l'organisme animal peut, dans certaines conditions (jeûne prolongé), utiliser les graisses alimentaires et les fixer dans ses tissus, mais elles n'indiquent nullement que ce processus s’effec- tuàt — dans les conditions normales avec cette intensité el de la même manière. En effet, bien que nourri alors au moyen d'aliments et par suite de graisses très variées, l'animal main- tient constante la constitution de ses graisses et ne se contente pas de fixer passivement dans ses tissus tous les corps gras de sa ration alimentaire, Si les graisses animales peuvent provenir, pour une part au moins, des graisses alimentaires, il est non moins certain qu’elles RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 181 peuvent être formées aux dépens des hydrates de carbone ingé- rés. L'engraissement des animaux par une alimentation riche en féculents est un fait bien connu. En fournissant à des animaux des rations connues d’albumine, de graisses et d’hydrates de carbone, on a constaté que les quantités de graisses accumulées dans l’organisme étaient supérieures à celles qui auraient pu provenir des deux premières catégories d'aliments. L'origine de ce superflu ne pouvait être cherchée que dans une transformation des hydrates de carbone ingérés. La réalité de cette utilisation des hydrates de carbone a d’ailleurs été démontrée au moyen d'expériences plus compliquées, mais dans le détail desquelles je ne crois pas utile d'entrer, puisque le fait qui nous intéresse est acquis, à savoir l'élaboration, pour une part au moins, des grais- ses animales aux dépens des hydrates de carbone. Une troisième hypothèse, concernant l'origine des graisses de l'organisme, consiste à faire dériver ces substances des matières protéiques. Un des principaux arguments que lon à invoqué en faveur d’un semblable processus résulte du phénomène de dégé- nérescence graisseuse que l’on observe dans le cœur, le foie, les muscles, sous l'influence de certaines substances toxiques, phos- phore, arsenic, chloroforme, alcool, etc. Le terme de dégénéres- cence vient de ce que l’on considère cette apparition de graisse comme provenant d’une transformation sur place des protéiques cellulaires. Or cette interprétation ne paraît pas conforme aux résultats de certaines expériences. (est ainsi que ROsENFELD à établi que la graisse déposée dans le foie, sous Pinfluence d’une intoxication par le phosphore, est nulle chez les animaux très amaigris et qu'elle se trouve d'autant plus importante que l’ani- mal était primitivement plus gras. Cela veut dire que le foie ne deviendrait gras que dans la mesure où lorganisme dispose de graisses, Ce qui fait penser que le phénomène pourrait bien n’être que le résultat d’un simple transport des réserves adipeuses pré- existantes, correspondant à une localisation nouvelle et patholo- gique de ces substances. On peut se rendre compte, en effet, que la soi-disant dégénérescence graisseuse ne s'accompagne pas d’une augmentation de la quantité totale de la graisse contenue dans le corps. Si on maintient au jeûne deux animaux très semblables dont lun reste sain et avec un foie normal, tandis que Pautre est intoxiqué par le phosphore et acquiert un foie 182 E. GUYÉNOT gras, On trouve que la quantité totale de graisse est la même chez les deux animaux. Il n’y a donc pas eu production de graisse nouvelle dans le foie. Une démonstration encore plus directe de ce fait a été fournie par lexpérience suivante. On fait maigrir des Chiens puis on les engraisse au suif (nous avons vu que dans ces conditions les réserves adipeuses se reconstituent aux dépens du suif, mais avec les caractères nouveaux de cette graisse étran- wère). Si, à ce moment, on détermine l’engraissement hépatique, par la phloridzine, la graisse trouvée dans le foie présente elle aussi le point de fusion élevé correspondant à la graisse de mouton. I n’en serait nullement ainsi si la graisse hépatique provenait d’une dégénérescence des protéiques cellulaires ; cette graisse résulte donc bien du transport dans le foie des réserves adipeuses du reste de l’organisme. Une autre démonstration de Porigine des graisses aux dépens des substances protéiques, basée sur les célèbres expériences de Vorr et PETTENKOrER, a été longtemps regardée comme ayant une valeur indiscutable. Ces physiologistes nourrissaient des chiens exclusivement avec de la viande et dosaient soigneusement les rations ingérées et tous les excreta (fèces, urines, air expiré). Dans ces conditions, ils constatèrent que l’on retrouvait bien à la sortie tout l'azote qui était entré, mais qu'une partie du carbone contenu dans les albuminoïdes de la viande ñe se retrouvait pas, ce qui ne pouvait s'expliquer que par une fixation de cet élé- ment dans l'organisme sous forme de graisses. Ces conclusions ont cependant été vivement combattues par PrLüGER qui à nettement démontré que les résultats de Vorr et PETTENKOFER provenaient d’une fausse estimation de la quantité de carbone contenue dans la viande ingérée, et que cette teneur est inférieure à celle qu'ils avaient prise pour point de départ, Une fois ces chiffres rectifiés, la quantité de carbone soi-disant fixé devient infime et peut être restée dans l’organisme sous forme de glycogène. D'ailleurs, la viande, si choisie fut-elle, ren- ferme toujours des graisses et du glycogène que Porganisme peut utiliser pour la formation de ses réserves adipeuses. En outre, la formation de graisses par un Chien amaigri par le jeûne, puis nourri exclusivement de viande, n'a jamais été observée avec une intensité telle que lon dût la rapporter avec certitude aux pro- téiques ingérés. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 183 Dans une expérience, M. KumaGawa utilisa deux jeunes Chiens de même portée qu'il amena par un jeûne de 24 jours à un état aussi semblable que possible de leurs réserves graisseuses. L'un des animaux fut alors tué et analysé en tant que témoin. Il con- tenait 120 grammes de graisse. L'autre fut nourri de viande de cheval maigre qu'il absorba en très grande quantité (49 kil. en 49 jours). De 6 k. 08 l’animal passa à 10 kilos. Autopsié à ce moment 1l contenait 1.087 gr. 7 de graisse, ce qui par rapport à l'animal témoin représente un gain de 968 grammes de graisse. Or cette quantité très grande de graisse peut très bien avoir été empruntée directement à la graisse contenue dans la viande, car celle-ci en contenait 1.084 grammes. Il faut aussi songer que l'animal a pu mettre à profit les 356 grammes de glycogène con- tenus dans sa ration alimentaire. Cette expérience a le mérite de montrer que les recherches basées sur cette façon d’expérimenter ne peuvent conduire à aucun résultat certain. La question reste donc pendante et lon peut conclure avec E. LamBzin& « que la transformation des albumines en graisses chez les animaux supérieurs n’est pas démontrée ». Les expériences effectuées sur les Invertébrés et spécialement sur les Insectes présentent pour nous un intérêt particulier. Les anciennes recherches de FR. HuBer (1819), puis celles de Dumas et Mrixe-Enwarps (1843) ont montré que les Abeilles pouvaient fabriquer de la cire en étant nourries exclusivement de miel et de sucre. Dans un essaim, chaque Abeille, d’après l'estimation faite sur un lot de 217 individus pris au hasard, renfermait 0,0018 de graisses. Ces Abeilles furent nourries avec un poids de miel ayant pu apporter à chaque individu 0 gr. 00038 de matières grasses. Ces Abeilles séquestrées contenaient à la fin de l'expérience en moyenne 0 gr. 0042 de graisses, mais elles avaient construit un gâteau de cire contenant 11 gr. b19 de matière grasse, correspon- dant à une production individuelle de 0 gr. 0064. Normalement cependant, une bonne partie de la cire secrétée par les Abeilles paraît provenir des cires végétales qu'elles recueillent. La cire dite des Andaquies, produite par les Mélipones de la Nouvelle Grenade, contient de la cire de palmier, tandis que la cire de nos Abeilles ne renferme que des éléments semblables à ceux qui se trouvent dans la cire végétale de nos plantes indigènes. Dans leurs recherches sur les larves gallicoles, Lacaze- 184 E. GUYÉNOT es Duruiers et Ricue (1853) ont constaté que les larves se dévelop- pant dans les noix de galle engraissent nettement, alors qu'elles ne se nourrissent que de la fécule contenue dans les cellules cen- trales de la galle. I y aurait là un exemple très net de transfor- mation des hydrates de carbone en graisses. Des expériences déjà anciennes, dues à F. HormanN (29), tendent à montrer que les larves de Mouches peuvent fabriquer des graisses aux dépens des albuminoïdes alimentaires. Cet auteur plaça des œufs de Calliphora vomitoria sur du sang défibriné et coagulé, servant de milieu nutritif. L'analyse d’un lot d'œufs témoins montra que les œufs de Mouches renfermaient 4,9 p. 100 de graisse; la nourriture (sang coagulé) en contenait 6 gr. 032 p. 100. A la fin de Pexpérience, les larves renfermaient plus de graisses que la somme des graisses contenues dans Pœuf et dans le milieu nutritif. Voici les chiffres trouvés dans trois expériences. Graisse du sang des œufs des larves 0,0100 0,001 0,2012 0,0188 0,0029 0,1890 0,0181 0,0025 0,1460 A ces expériences, PFLüGER a objecté avec raison que la trans- formation des albumines du sang en graisses pouvait parfaite- ment avoir été opérée par les microorganismes de la putréfaction qui n’ont pas manqué de se développer. On sait très bien, en effet, qu’au cours de la putréfaction des albumines, la production d’acides gras est la règle. C'est ainsi que C. NeugerG et E. Rosex8erG (43) ont montré que, dans la putréfaction de la caséine, il y a production d'acide butyrique aux dépens de l'acide glutamique, en même temps qu'apparais- sent de lacide propionique, de Flacide méthyl-éthyl-acéti- que, ete. C. NeuBERG et W. Brasu (44) ont obtenu l'acide buty- rique, caractérisé à l’état de sel d'argent, en partant d'acide glutamique abandonné à la putréfaction. De même ACKERMANN (1) a recueilli des acides gras, engendrés par le carbonate d’arginine putréfié. W. Brasu (7), qui reprit ces expériences, en faisant pour- rir de l'acide glutamique sous l'influence de cultures bactériennes pures, constata que la production d'acide butyrique était la règle, mais qu’elle était plus intense avec les Microbes anaérobies, tels que le Bacillus putrificus Brexsrock, qu'avec les aérobies. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 185 EumeriNG a de même observé la production d'acides gras, lors de la putréfaction de l'albumine d'œuf par le Saphylococeus pyogenes aureus. WI serait facile de multiplier ces exemples. Cette production d'acides gras au cours de la putréfaction des albumines étant un fait tout à fait général, l'expérience d’'Hor- MANN, réalisée naturellement dans des conditions septiques, perd toute sa valeur, les graisses soi-disant fabriquées par les larves ayant pu prendre naissance sous linfluence du chimisme micro- bien. Cette expérience, comme d’ailleurs la plupart des anciennes recherches de cette catégorie, se trouve en outre viciée dans ses résultats par suite du procédé de dosage des graisses qui était alors employé. L’extraction des graisses par l’éther, dans lappa- reil de Soxhlet, donne des chiffres très inférieurs à ceux que per- met d'obtenir la méthode moderne, mise au point par KümaGawa et Suro. Ainsi, tandis qu'EGenLuarDT attribuait au sang une teneur en graisse de o gr. 18 p. 100, BônniNGER en utilisant le procédé bien supérieur de Pextraction par l'alcool, a constaté que cette teneur était de 1,4 p. 100. Une autre expérience plus récente, due à O. FRANGK (23), n’est guère plus démonstrative. Cet auteur dégraissa de la viande au maximum par une extraction de 14 jours dans léther. Sur cette viande il plaça > gr. 1379 de larves de Mouches, qui, d’après lestimation faite sur un lot témoin, devaient renfermer 12,64 p- 100 de graisses, la viande en renfermant 6 gr. 0933. Au bout de 7 jours, les larves atteignirent le poids de 6 gr. 6742 et avaient formé de toutes pièces o gr. r de graisse. Cependant FRaNGKk lui-même n'ose affirmer que cette graisse ait été réellement pro- duite par les larves; il pense plutôt que la différence observée doit être attribuée soit à une teneur, plus élevée que celle admise, de la viande en graisses, soit à une transformation des albumines en acides gras par les microbes de la putréfaction. Cette incer- titude dans Pinterprétation ne fait que souligner la nécessité d'utiliser des élevages aseptiques si l'on veut résoudre définiti- vement la question. Il me reste à parler maintenant d’une série de très intéressantes expériences effectuées par E. WeixLzanD (67) sur des larves de Calliphora vomitoria, mais qui, pas plus que les précédentes, ne sont à labri des critiques tenant aux conditions septiques de l'expérience. 186 E. GUYÉNOT Cet auteur à nettement établi que les larves septiques emmaga- sinaient de la graisse aux dépens des substances albuminoïdes. Les jeunes larves contiennent souvent 3 p. 100 de graisses (extraites par l’éther de pétrole), c’est-à-dire une teneur inférieure à celle des œufs qui est de {4,6 p. 100. Progressivement la graisse s’accumule dans leur corps adipeux, jusqu’à un taux maximum (8 p. 100) qui n’est pas dépassé. À ce moment les larves cessent de manger et ne tardent pas à se transformer en pupes. Cette production de graisse peut être observée non seulement sur les larves vivantes, mais aussi dans la bouillie provenant de larves broyées. La production de graisses s'accompagne d’un dégagement souvent intense d’ammoniaque, si bien que le pro- cessus de transformation paraît résider à la fois dans une désami- dation et dans une séparation du groupe carboxyle. Cette transformation se fait aussi bien et même mieux en l'absence d'oxygène qu’en présence de l'air libre. La présence de peptone la favorise. De plus, de même que cela a été observé par auteur pour d’autres processus réalisés dans la bouillie larvaire (production de sucre), la quantité de graisse engendrée dépen- drait de la teneur primitive de la bouillie en cette substance, sans jamais dépasser un taux maximum. Pour E. WeixLan», les Microbes n’interviendraient nullement dans ces transformations. On peut cependant, à ce point de vue, conserver une attitude sceptique. Le fait que la transformation est plus intense en milieu anaérobie, celui qu’elle se produit aussi bien dans la bouillie larvaire que dans la larve intacte incitent fortement à penser que les Bactéries sont intervenues au moins pour une part dans ce processus. Ici encore la question demeure donc en suspens. L'exposé de cet ensemble de recherches montre nettement com- bien lobtention d'élevages de Drosophiles aseptiques constitue une condition exceptionnellement favorable pour tenter de résou- dre le problème posé. Il s’agit, en effet, d'organismes accumulant normalement des quantités énormes de graisse, en très peu de temps, placés à l'abri de tous Microbes pouvant fausser les résul- tats et que, de plus, on se propose de nourrir avec des aliments artificiels susceptibles de variations connues. Avant d'exposer la partie de mes recherches relatives à cette question — lorigine possible des graisses du corps adipeux — il RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 187 est nécessaire de rapporter certaines expériences relatives à des déterminations préliminaires, concernant la nature des sels miné- raux indispensables, celle de la réaction du milieu rutritif et le taux le plus efficace de la peptone choisie comme aliment albu- minoïde fondamental. 19 Influence des sels minéraux. — Les substances que j'ai utilisées pour les essais de constitution de milieux artificiels ne présentaient qu'un degré de pureté relatif, pureté que je ne recherchais pas d’ailleurs, du moins au début de mes expérien- ces, puisqu'il s'agissait surtout de dégrossir la question, quitte à introduire plus de précision dans la suite au fur et à mesure que cela paraîtrait nécessaire. Les substances telles que la pep- tone, la lécithine renferment vraisemblablement certaines impure- tés minérales dont je n'ai pas tenu compte volontairement. Les éléments minéraux que j'ai introduits dans mes milieux nutritifs ont tous été choisis, en me basant sur lanalyse des cendres de Levure. Ces cendres renferment d’après B£&LOHOUBEK : Acide Bhosphoniques Fri et Len 51,1 p 100 —— LSULIURIQUE 16 2027 EE NET NME 0,970 Up US CL QUE LAN ER PMR pee su 1,60 » Chlore . : : . . - : . : . : 0,03 » POIAESEN ER SAONE SR, Ah RATE Le 36,68 » SE CASA MN AE OR A RARE Er PTE 15820000) MA TÉSLE eme CR As MERE 4,16 > CHAN OU ARE EUR EAUR QAR SRE Te 1:90! 19 Il est facile de voir que cette constitution présente comme caractéristique une teneur très élevée en acide phosphorique et en potasse. Une partie de lPacide phosphorique ne se trouve certai- nement pas à l’état minéral, mais entre dans la constitution de la lécithine et de la nucléine. 100 grammes de levure fraîche, en pain, renferment d’après mes essais 1 gr. 77 de cendres. La dilution de Levure que j’em- ployais comme milieu témoin étant formée d’une partie de Levure pour deux parties d’eau distillée, la quantité de cendres pour ce milieu était donc de o gr. 59 p. 100, soit 5 à 6 p. 1.000. La reconstitution de sels minéraux en partant des bases et aci- des dosées séparément est une opération délicate. Après quelques essais, je m'en suis tenu à un petit nombre de sels minéraux, 188 E. GUYÉNOT avec lesquels j'ai préparé des solutions mères qui ont servi pour un grand nombre d'expériences. Voici les trois solutions minéra- les qui furent le plus souvent utilisées. Elles ont d’ailleurs fourni, malgré leur différence, des résultats absolument comparables. Chaque sel est dissous à part, puis le mélange est fait dans un ordre donné pour éviter des précipitations. Tous ces milieux ren- ferment de l'acide acétique servant à maintenir en solution cer- {ains constituants. 1 litre de milieu artificiel « 1093 renferme Phosphate tripotassique 70 gr 3 QT. 00 — trisodique . D » o » 25 — monocalcique. . . 525 o » 25 Chlôommre desodiam 00e: M2) o » 25 Chlorure de magnésie. , . . 19 » O9 175 ACIUE TACEIQUE MINE LERIRAUPR Ga Hhuresullée es he SANT Ar S.p. 1.000 cc?. 5 gr: D centimètres cubes de cette solution étaient ajoutés à 100 centi- mètres cubes de milieu artificiel. Des quantités inférieures (1 ou > centimètres cubes p. 100) ont donné des résultats comparables. y litre de milieu artificiel @ 107 renferme Phosphate monopotassique .… . A1 gr. 60 4 gr. 16 —= monocalcique. . . 3 » 20 0 » 32 Chlorure de magnésium, . . 5 » Go 0 0 150 Sultateide Sonde NT PR 1 » 6o o » 16 Acide acéhique viser CALE 5 » sausredistillée ES RENE TO NS pr o0o CCS D gT. 20 10 centimètres cubes de cette solution étaient utilisés pour 100 centimètres cubes de milieu artüficiel. 1 litre de milieu artificiel 8 ï renferme Phosphate monopotassique . . 25 gr > ST. 50 — monocalcique . 5 » o » Do Chlorure de magnésium. . . 7 » 50 02270 Sulfate de soude 2 » 0 » 20 Acide acétique . SRE ONE D » Édu redietllée.: 4-0 MEN OS "pr 0D0/C Cr, 3 er, QD AN RÉCHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 189 10 centimètres cubes de cette solution étaient utilisés pour 100 centimètres cubes de milieu. Ces trois sulutions ont, ainsi que je lai indiqué, donné des résultats équivalents. Je me suis de plus assuré qu’elles ne renfer- maient pas d'éléments nuisibles en ajoutant ces solutions, soit à de la Levure ordinaire, soit à certains milieux artificiels sur lesquels, comme nous le verrons, le développement des Drosophiles s’ef- fectue dans d'excellentes conditions. Je n'ai pas fait d'expériences systématiques pour déterminer quels étaient, parmi ces sels, ceux dont la présence était indis- pensable. Par contre, j'ai dans de très nombreuses expériences ajouté d’autres éléments minéraux, à l'absence ou à l'insuffisance desquels on aurait pu attribuer Parrêt de croissance et de déve- loppement observé dans la plupart des milieux. C’est ainsi que dans toutes les séries d'expériences du début, un certain nombre de tubes recevaient, en plus de la solution minérale utilisée, du fer, soit sous forme de perchlorure, soit sous forme de peptonate de fer, d’hémoglobine, ou du manganèse, ou les deux sels à la fois. Ces additions n’ont jamais entrainé aucune modification dans le développement des Drosophiles. L’acide acétique, servant à maintenir en solution les éléments minéraux, exerce en outre, ainsi que nous allons le voir, une action très favorable sur le développement des Mouches. Parallèlement à ces solutions minérales, j'ai très fréquemment utilisé, à leur place, où mème ajoutées à elles des solutions de cendres de Levure. Dans aucun cas je n’ai vu cet emploi entrai- ner aucune amélioration des milieux artificiels. Les solutions minérales utilisées ne manquaient donc d'aucun élément indis- pensable. En résumé, ayant constaté que les solutions que j'ai indiquées n'étaient ni toxiques, ni notoirement insuffisantes, Je n'ai pas cherché à préciser davantage, pour le moment du moins, le rôle des sels minéraux dans l’alimentation des Drosophiles. 21 Influence de 13 réaction du milieu.— Les milieux naturels sur lesquels se développent les Drosophiles sont toujours plus ou moins acides. Certains même (cuves de vinaigreries) contien- nent une dose d'acide acétique considérable. Au cours de mes ., essais pour rendre aseptiques mes élevages, j'avais à plusieurs 190 E. GUYÉNOT reprises uülisé, sans aucun dommage, des milieux acidifiés par le vinaigre ou l'acide acétique, qui exerçaient alors une influence antiseptique très efficace. Je n'ai donc pas hésité, pour ces rai- sons, à acidifier mes milieux artificiels par l'acide acétique. Des expériences m'ont d’ailleurs montré que cet acide parais- sait réellement utile, du moins jusqu'à une certaine concen- tration. Expérience. — J'ai préparé, en effet, des dilutions de Levure de boulangerie auxquelles j'ajoutai 1, », 5 et 10 p. 100 d’acide acétique. D’autres portions furent neutralisées, puis alcalinisées très faiblement ou assez nettement par la soude, la dilution de levure témoin étant normalement légèrement acide. Sur Levure normale, comme sur Levure acidifiée à 1 ou 2 p. 100, le développement se fait d’une façon parfaite. Toutes les larves s’accroissent régulièrement, se transforment en pupes dès le sixième jour et léclosion des premières Mouches survient le onzième Jour. Les Mouches parentes vivent très longtemps sur ces milieux. La teneur de 5 p. 100 en acide acétique exerce déjà une action retardatrice. Les pupes n'apparaissent qu'au bout de huit à dix jours, les Mouches seulement à partir du treizième, quatorzième ou quinzième jour. Les Mouches parentes meurent au bout de quatre à huit jours, si on les maintient sur ce milieu. L'addition de 10 p. 100 d'acide acétique exerce une action encore plus défavorable et paraît constituer le taux maximum à partir duquelle développement n’est plus possible. Les Mouches parentes meurent rapidement du deuxième au quatrième jour. La croissance des larves est ralentie, beaucoup meurent dès le huitième Jour, sans pouvoir atteindre leur développement com- plet. Celles qui survivent se transforment en pupes de petite taille à partir du dixième au treizième jour, suivant les tubes. La majorité de ces pupes meurent sans éclore. Dans un cas cepen- dant, quelques-unes donnèrent naissance à des Mouches, du dix- huitième au vingtième jour. Ces Mouches transportées sur un milieu semblable, y moururent sans donner de descendants. Au contraire, les Mouches nées sur les milieux moins acidifiés, don- nèrent une deuxième génération abondante. Si l'addition d'une dose élevée d’acide est néfaste, la neutrali- sation du milieu, suivie d’une alcalinisation, même très légère, par Er. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 191 la soude, supprime tout développement. Sur de tels milieux, en effet, les Mouches parentes étaient toutes mortes le troisième jour. Les quelques œufs pondus donnèrent naissance à des larves qui moururent du sixième au huitième jour, après mavoir présenté qu’une croissance insignifiante. Sur milieu franchement alcalin, les larves moururent toutes dès le quatrième jour. Ces expériences montrent que l'addition de 0,5 p. 100 d'acide acétique dans mes milieux ne pouvait qu'exercer une heureuse influence. 3° Détermination du taux optimum de peptone. — Jl)ès le début de ces essais j'ai utilisé la peptone Chapoteaut à la dose de 1 Où 2 p. 100. IT s’est trouvé que cette quantité était légèrement inférieure au taux optimum. Celui-ci a été déterminé par deux catégories d'expériences. Expériences. — Dans une première série, je fabriquai des milieux artificiels uniquement composés de sels minéraux (4 797) et de peptone à des taux de r'et > p. 100. Le développement sur ces milieux, entièrement dépourvus d'hydrate de carbone et de graisse, est très intéressant à étudier. Sur ces milieux, les Mouches parentes meurent rapidement au bout de trois à quatre Jours, un peu moins vite que lorsqu'on les maintient simplement sur de leau distillée où elles meurent en 48 heures en moyenne. Le besoin d'aliments énergétiques est pour elles impérieux. De plus, la ponte se ressent immédiatement de la pauvreté du milieu. C’est ainsi que dans quatre tubes pris au hasard, 10 à 15 mouches placées dans chacun de ces tubes pondirent 3, 10, 7, 6 œufs, ce qui représente une ponte infime par rapport à la normale (20 à 24 œufs par jour et par femelle). Les larves nées sur ces milieux aspirent avec avidité le milieu nutritif et présentent pendant les premiers jours une croissance lente, mais incontestable. Sur peptone 1 p. 100 elles ne dépassent pas la taille de 1 millimètre qu'elles atteignent le sixième jour, puis leurs mouvements se ralentissent, elles deviennent de plus en plus inertes et meurent. Toutes sont mortes le neuvième jour. Sur peplone 2 p.100, la croissance est plus intense et la durée de vie très augmentée. Les larves atteignent en effet 1 mm. 5 le huitième jour, > millimètres du douzième au quatorzième puis ces- sent de croître et meurent. Toutes sont mortes le vingtième jour. 192 à E. GUYÉNOT Dans les deux cas, ces larves sont extrêmement transparentes el leur corps adipeux est absolument vide de réserves. est remar- quable que sur de semblables milieux, il y ait des phénomènes de croissance incontestables pendant les premiers Jours et que certaines larves puissent dans ces conditions subsister, pendant quinze jours et plus, malgré Pabsence totale d'aliments gras ou hydrocarbonés. Il est vrai que ces larves vivent sur les réserves grasses contenues dans Fœuf, ce qui explique leur assez grande activité pendant les premiers jours. Au point de vue qui nous Zernoïnrs (levare) Pyuone Z 14 le D 4 203 4 5 6 7 409 40 À 142 D W'13 1 40020 Fig. 6. — Courbes montrant l'influence de la concentration en peptone des milieux nutritifs sur le développement des Drosophiles. Horizon- talement, les temps exprimés en Jours. Verticalement, les divers degrés de croissance des larves; P, formation des pupes ; M, éclosion des mouches. occupe, la dose de peptone de 2 p. 100 à donné des résultats net- tement plus favorables que la dose inférieure de moitié. Dans une autre série d'expériences (fig. 6), jai utilisé des doses de peptone de 6,5, 2,4 et 10 p. 100 avec solution minérale et lécithine (0,5 p. 100). La lécithine est, comme nous le verrons, de tous les corps gras celui qui s’est montré le mieux utilisable par les larves de Drosophiles aseptiques. Le taux de 0,5 p. 100 de peptone est nettement le moins favo- rable. La croissance est presque nulle et les larves meurent dès le Ÿ RECHERCIHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 195 sixième ou septième jour. Pour des doses de 2 p. 100 et 4 p. 100, les résultats sont nettement supérieurs. La croissance des larves se fait bien et assez rapidement; elles atteignent une taille égale à la moitié ou aux trois quarts de la taille adulte, ce qui correspond à environ 3 millimètres à 4 mm. 5. Les larves n’évoluent cepen- dant pas au delà, n’accumulent pas de réserves, restent transpa- rentes et meurent. Toutes sont mortes le quinzième jour. Le taux de 10 p. 100 se trouve nettement au delà de Poptimum, les larves s’accroissent peu, ne dépassent pas le tiers de la taille adulte et meurent précocement. Toutes sont mortes le douzième jour. Beaucoup d’autres expériences ont été effectuées avec des milieux plus complexes et renfermant 1, 2 où 4 p. 100 de pep- tone. La comparaison des résultats de toutes ces expériences montre que c’est une teneur de 2 à 4 p. 100 en peptone qui représente la dose optima. Au dessous et au dessus les résultats sont manifestement inférieurs. Sur les milieux simplement albuminoïdes (peptone et sels miné- raux), les larves n’emmagasinent dans leur corps adipeux, ainsi que j'en donnerai ultérieurement la démonstration, aucune trace de graisse. J'ai donc été tout naturellement conduit à rechercher si elles seraient susceptibles d'élaborer ces réserves, indispensa- bles pour la suite de leur développement, aux dépens d'hydrates de carbone ou de corps gras introduits dans la composition des milieux artificiels. Ce sont en effet, comme nous lPavons vu, ces deux catégories de substances que les organismes animaux peu- vent sûrement utiliser pour lélaboration de leurs réserves adi- peuses. En est-il de même pour les Drosophiles ? 4° Influence des hydrates de carbone. — Au cours de mes premiers essais j'ajoutais systématiquement aux mileux du dex- trose. Comme je n'obtins de cette addition aucun bon résultat, J'essayai successivement toute une série d'hydrates de carbone : amidon, dextrine, glycogène, dextrose, lévulose, saccharose, lac- tose. Voici dans leur ensemble les résultats obtenus : 1e série : Amidon. Dextrine. Glycogène. — L'amidon utilisé est de l’amidon de pomme de terre mis en suspension dans Peau, puis ajouté à la quantité voulue de milieu artificiel. À ce milieu on ajoute immédiatement du coton, puis on stérilise à 120°. Le 13 194 E. GUYÉNOT coton retenant lamidon l'empêche de tomber au fond du tube et de s’agglomérer en pâte compacte. Le glycogène employé est soit le glycogène de commerce, soit du glycogène préparé au labora- toire. La dextrine est la dextrine pure du commerce. Je rapporterai succinctement les résultats de trois expériences : r'e expérience (milieux à 183, 183, 189). — Les milieux essayvés sont constitués de la façon suivante : Pepione Ne 2 p. 100 et 4 p. 100 Amidon ou dextrine ES 2 p. 100 et 4 p. 100 Sels MminEraUr ATOME. Rue Dose normale Les milieux témoins sont, outre la Levure habituelle, des milieux à > et 4 p. 100 de peptone sans hydrate de carbone ou avec 1 p. 100 de glucose. Sur milieu peptone 7 p. 100 et amidon Z p.100, les larves s’ac- croissent un peu Jusque vers le cinquième jour où elles atteignent la taille 1/3. Encore actives le septième Jour, ces larves devien- nent de plus en plus inertes et meurent. Toutes sont mortes le treizième Jour. Elles sont transparentes et dépourvues de réserves. Sur milieu peplone % p. 100 et dextrine % p. 100 les résultats sont superposables. Les larves s’accroissent jusqu’au cinquième ou sixième Jour, atteignent la taille 1/4 ou 1/3. Leurs mouve- ments se ralentissent, et après une période d’immobilité plus ou moins prolongée, elles meurent. Toutes sont mortes le treizième jour. Elles sont également transparentes et sans réserves. Sur les milieux ne contenant que 2 p.100 de peptone et » p. 100 d'hydrate de carbone, les résultats sont sensiblement les mêmes. Toutes les larves meurent du septième au treizième jour. Dans un cas il y eut formation de trois pupes qui n’aboutirent d’ail- leurs pas. Ce fait était dû à ce que deux cadavres de Mouches _ parentes ayant été laissés dans le tube, quelques larves avaient dévoré ces cadavres et s’en étaient nourries. Ces larves sont d’ail- leurs faciles à reconnaître et à suivre, car elles absorbent le pig- ment rouge des yeux des mouches et leur intestin reste pendant plusieurs jours coloré en rouge. Les milieux artificiels témoins, avec ou sans glucose, ont fourni des résultats superposables. 2° expérience (milieux 4 198, % 201). — Les milieux essayés ont la constitution suivante : … à "= RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 195 PeEDIORCM RE at rire cn 1 p. 100 1 P. 100 GED STE. UNE UT ur SES 1 p. 100 » CRU COS SRE SAT » I P. 100 DÉISATETAUREZ 107 Le MSN Dose normale Sur milieu renfermant 7 p. 100 de glycogéne, la croissance larvaire s'effectue un peu mieux que sur le milieu témoin glu- cosé. Certaines larves atteignent la taille 1/2 vers le huitième jour ; d’autres restent plus petites. Elles sont, au début, bien actives, turgescentes et on à limpression que le développement s'effectuera mieux que sur les milieux précédents. Il ne s'agit cependant que d’une action passagère ; à partir du treizième jour, les mouvements des larves deviennent de plus en plus lents et elles meurent du quinzième au vingt et unième jour. Toutes sont transparentes et dépourvues de réserves dans leur corps adipeux. Je expérience (milieu $ 2, 8 4). — Les milieux essayés sont constitués ainsi : EDGE TS ET ue 7 ri EAU 2 p. 100 Glycogène ou amidon ou dextrose . . . 1 p. 100 Sel MANTÉTAUXIE EMA SR EE NT SDosE normale Aussi bien sur milieu à amidon, que sur milieu à glycogène, la croissance est lente, les larves atteignent au plus le tiers ou la moitié de la taille adulte. Actives au début, elles deviennent de plus en plus lentes et meurent à partir du dixième au douzième jour. Toutes sont mortes le seizième jour. Sur milieu glucosé, les résultats sont sensiblement compa- rables. Dans tous les cas, les larves restent transparentes et dépour- vues de réserves. Conclusion : Qu'il s'agisse d'amidon, de dextrine ou de gly- cogène, ajoutés à des milieux contenant 1, > où % p. 100 de peptone, dans aucun cas ces éléments hydrocarbonés n'ont été, dans ces conditions, utilisés par les larves pour la fabrication de leurs réserves adipeuses. La croissance et la durée de la vie ne diffèrent pas sensiblement de ce qu’elles sont sur les milieux dépourvus d’hydrates de carbone. En ce qui concerne les Mouches parentes, leur durée de vie et leur ponte, sur les milieux à amidon, ne sont pas augmentées par rapport à ce qui se passe sur les milieux à peptone seule. Ceci tient d’ailleurs en partie à ce qu’elles se collent facilement par FETES 196 E. GUYÉNOT leurs ailes aux parois ou au coton imbibés d'empois d’amidon et, dans ces conditions, meurent rapidement. Par contre, sur les milieux contenant du glycogène, les Mouches sont encore toutes vivantes au bout de quatre à cinq jours de présence sur ces milieux et leur ponte est beaucoup plus abondante que sur les milieux sans hydrate de carbone ou avec amidon. Cette diffé- rence tient vraisemblablement à ce que l'amidon transformé en | empois par la stérilisation se trouve, malgré qu'il soit unifor- mément réparti dans le coton, dans un état physique qui le rend difficilement absorbable. J’ajouterai que je me suis, chaque fois, assuré à la fin de Pex- périence que l’amidon ou le glycogène n'avaient pas été transfor- més en sucre soit du fait de la stérilisation, soit par suite de la présence de larves vivantes sur les milieux. Dans aucun cas, en effet, le milieu n’a réduit la liqueur de Feu et les réactions colorantes avec la solution iodo-iodurée ont toujours été extrème- ment nettes. 2° série : Glucose, lévulose. Autres sucres.— J'ai surtout étu- dié l’action du glucose (dextrose) chimiquement pur ; accessoire- ment J'ai utilisé d'autres sucres, lévulose, saccharose, lactose qui n'ont pas donné d’ailleurs de résultats sensiblement différents. Expériences. — Les essais faits avec le glucose sont extrème- ment nombreux. J’ai, par exemple, utilisé les milieux suivants : Peptône 2") EST DAMON 2" p.100 2)pe OU ANA GIUCOSe NE RE L'D4100 4° D: 4002 2,100 Deer Sels minéraux . . Dose normale Sur les milieux renfermant peplone 1 p.100 et glucose 1 p. 100 (4 201, a 20g, 4 216, x 230) les larves très actives pendant les premiers jours s'accroissent et atteignent en six à huit Jours une taille de 1 millimètre, 1 mm. 5 et parfois > millimètres. Certaines ne s’accroissent pas davantage ou même ne dépassent pas un mil- limètre. D’autres, moins nombreuses, atteignent > mm. 5. Dès le dixième au douzième jour, on note la présence de cadavres de larves. Celles qui survivent, très transparentes et dépourvues de réserves, deviennent de plus en plus inertes et meurent toutes du douzième au vingtième jour. Sur milieux renfermant peplone 2 p. 100 et glucose 1 p. 100 (4 232,8 6) le rendement est un peu meilleur, ce qui est évidem- ment dû à l’augmentation du taux de peptone. Les larves attei- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 197 gnent — certaines d’entre elles du moins — une taille de > mm, 5 à 3 millimètres et même 3 mm. 5, vers le douzième ou quinzième jour. Mais l'accumulation de réserves dans le corps adipeux ne se fait toujours pas et toutes ces larves meurent du dix-septième au vingtième Jour. Sur milieu renfermant peplone 2 p. 100 et glucose 2 p. 100 (2 190), c’est-à-dire ne différant du précédent que par une teneur double en glucose, les résultats sont à peu près comparables en ce qui concerne la croissance larvaire. La taille maxima est en effet de 2 mm. 5 à 3 mm. mais la mort des larves est plus pré- coce. Beaucoup sont déjà mortes le neuvième jour et la plu- part le quizième jour. Enfin, sur milieux renfermant peplone 4 p. 100 el glucose 4 p. 100, les larves, malgré une teneur optima en peptone, pré- sentent un accroissement très diminué et une mortalité beaucoup plus précoce. La taille maxima est de 1 mm. 5 à 2 millimètres, Dès le sixième jour, on observe un ralentissement très net des mouvements des larves. Le huitième jour, on note déjà de nom- breux cadavres et toutes les larves sont mortes dès le douzième Jour. Si on compare ces résultats avec ceux fournis par les milieux témoins ne renfermant que peptone et sels minéraux, on constate qu'une dose de glucose de 1 p. 100 n’entraine aucune améliora- tion du développement larvaire. Par contre une dose plus élevée, 2 p. 100 et surtout 4 p. 100 détermine nettement une diminution de la croissance et une augmentation de la mortalité. Les larves élevées sur ces milieux glucosés, après avoir mené une vie assez active les deux ou trois premiers jours, présentent ensuite un aspect caractéristique. Elles s’accroissent encore en lon- gueur, mais sont comme flétries, ratatinées au lieu d’avoir l’aspect turgescent qu'ont les larves bien nourries ou élevées sur d’autres milieux. La chitine présente des plissements et la larve se fait remarquer par la petitesse de son diamètre transversal. Tout se passe comme s'il s'agissait de larves déshydratées. Les autres sucres déterminant un aspect analogue, il est possible qu'il s'agisse d'une déshydratation réelle de organisme par suite de l'absorp- tion d’un liquide nourricier de concentration moléculaire assez élevé. Ceci expliquerait que les résultats soient d'autant plus mauvais que la teneur en sucre est plus grande. 198 E. GUYÉNOT Sur des milieux semblables aux précédents, mais dans lesquels le glucose était remplacé par un poids équivalent de lévulose (4 200, 8 6) les résultats furent absolument superposables. Il en fut de même des essais faits avec le saccharose et le lactose. Conclusion : Pas plus que les hydrates de carbone colloi- daux, les sucres proprement dits ne se montrent susceptibles d'être — dans les conditions de l'expérience — utilisés par les larves pour l’édificat'on de leurs réserves. Ces larves restent en effet constamment transparentes et leur corps adipeux est réduit à l’état de squelette. Le développement complet est impossible. Par contre, les Mouches adultes, dont les mouvements, et par suite la dépense énergétique, sont beaucoup plus intenses que chez les larves, vivent sur les milieux sucrés bien plus longtemps que sur les milieux témoins, dépourvus de sucre. Ainsi, tandis que les Mouches meurent sur ces derniers milieux au bout de 3 à 4 jours, elles peuvent rester en vie pendant 10, 15, 20 Jours et quelquefois plus sur les milieux artificiels sucrés. Les mâles per- sistent plus longtemps que les femelles. La ponte est également plus abondante que sur les milieux dépourvus de sucre, mais seulement pendant les premiers jours. Bientôt en effet la ponte se ralentit, puis on voit apparaître un nombre croissant d'œufs fécondés, maïs qui avortent au cours du développement embryonnaire. Sur de tels œufs on distingue, à travers la coque ovulaire, les principaux organes larvaires à différents stades de développement, mais ce développement s’ar- rête et le contenu de Pœuf avorté brunit progressivement, En même temps que se produit cet avortement des œufs, les femelles présentent très généralement un abdomen énorme, transparent, distendu par un liquide clair, en même temps que les ovaires régressent (fig. 4; pl. HT). Finalement la ponte cesse entièrement. Je reviendrai sur ces phénomènes, dans le chapitre consacré à l’étude de la fécondité des Drosophiles. 4° Influence des graisses ou de leurs constituants.— À yant ainsi constaté que, dans les conditions où j'opérais, les larves étaient incapables d'utiliser les divers hydrates de carbone pour l'édification de leurs réserves — et cependant ce mécanisme me paraissait devoir être le plus vraisemblable en raison de la teneur, relativement élevée en hydrates de carbone, de la Levure ou des RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 199 milieux sur lesquels celle-ci se développe — je fus naturellement conduit à rechercher si les graisses seraient d’une plus grande efficacité. ; Les expériences ont été faites en utilisant soit des graisses neutres (tributyrine, trioléine, tripalmitine, tristéarine) seules ou associées, ou les acides gras correspondants, seuls ou associés à la glycérine, ou des savons, ou des mélanges de ces divers consti- tuants des graisses. L'emploi de ces substances est assez délicat en raison de la difficulté que l’on éprouve à les maintenir en état d'émulsion. L’addition de savons rend évidemment celle-ci plus stable, mais ces substances, généralement toxiques, ne peuvent être ajoutées qu'en très faible dose. J'ai évité d'employer la sapo- nine pour la même raison. Je me suis contenté, après secouage du milieu dans le tube de culture lui-même, de stabiliser lémulsion par laddition immédiate du coton hydrophile servant à donner au liquide la consistance nécessaire. En fait, je me suis assuré qu'après stérilisation la graisse ne formait pas une couche im- perméable à la surface du milieu et que les larves absorbaient réellement avec le liquide nourricier des globules de graisse, ainsi que le montra l’examen direct du contenu intestinal. Action d'un aliment gras complere : le beurre. — Avant d'employer les graisses pures, j'ai utilisé, à titre de premier essai, des milieux renfermant 2 à { p. 100 de peptone, 2 ou { p. 100 de glucose, dextrine ou amidon, avec ou sans addition de 0,9 p. 100 de beurre émulsionné. Dans les milieux renfermant du glucose (2 ou 4 p. 100), l'addi- tion de beurre n’entraina aucune amélioration sensible du déve- loppement larvaire. Par contre, dans les milieux renfermant { p. 100 d’amidon, l'addition de beurre parut déterminer une légère augmentation de la valeur nutritive. Vers le neuvième jour, en effet, les larves atteignirent la taille 3/4, étant encore bien actives. Du treizième au quinzième jour, quelques-unes se transformèrent en pupes, très petites, souvent malformées qui se desséchèrent d’ailleurs, -sans évoluer. Les autres larves devinrent inertes et moururent peu après. Quelques-unes restèrent cependant vivantes Jusqu'au vingt-cinquième jour. Sur les milieux renfermant 2 p. 100 de dextrine et du beurre, les phénomènes furent à peu près identiques, mais, bien que 200 E. GUYÉNOT l’essai ait porté sur plusieurs tubes d’élevages, une seule pupe fut formée, qui se dessécha aussitôt. En somme laddition de beurre, sauf dans le cas où les milieux contenaient en outre du glucose, a déterminé une très légère augmentation de la croissance larvaire et même a permis, dans quelques cas, la formation de pupes très petites qui, faute de réserves, furent incapables de se métamorphoser. Le corps adipeux des larves resta, comme dans tous les essais antérieurs, réduit à un état squelettique et absolument transparent. ’examen des cellules adipeuses ne montra que de très rares inclusions eraisseuses à leur intérieur. Cette action légèrement favorisante du beurre fut également constatée avec des milieux dépourvus d'hydrates de carbone, mais constitués seulement de peptone 1 p. 100, sels minéraux, avec où sans beurre. Tandis que sur les milieux témoins, les larves ne dépassèrent pas 1 millimètre et moururent du sixième au douzième jour, sur les mêmes milieux additionnés de beurre, la taille maxima fut de 1 mm. » à 2 millimètres, les premiers cadavres n’apparurent que le dixième jour et quelques larves vivantes furent notées le ving- ième jour. Dans aucun cas, il n'y eut formation de pupes. L’ac- ion du beurre a consisté seulement en une augmentation légère de la croissance et de la durée moyenne de vie, sans que la graisse alimentaire ait été utilisée pour Pélaboration des réserves. Action de graisses définies. — À des milieux témoins, formés de peptone 2 p. 100 et sels minéraux, j'ai ajouté soit des grais- ses neutres, soit des mélanges gras divers. L'addition de fributyrine (0,50 p. 100), de trioléine (0,50 p. 100) n'ont déterminé aucune amélioration du développement larvaire. Les larves ne dépassèrent pas la taille 1/3 et moururent à partir du douzième jour. L'emploi de {ristéarine (06,02) et de tripalmitine (0,02) dissou- tes dans la {rioléine (0,4) a entraîné une légère amélioration de la croissance des larves. Celles-ci atteignirent la taille r/2 ou même 3// vers le onzième jour. Elles ne moururent que du quinzième au vingtième Jour. L'emploi de milieux renfermant de lacide stéarique ayant donné des résultats aussi bons, il est vraisemblable que ‘c’est te RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 201 cet acide gras qui est le mieux utilisé par les larves. La croissance eut sans doute été meilleure encore si j'avais employé des propor- tions plus élevées d'acide stéarique ou de tristéarine, L’addition d'acide oléique seul ou des mélanges : acide oléique, trio- glycérine — acide oléique, oléate de soude, glycérine léine, acide oléique, oléate de soude, glycérine, w'entraina que de très légères améliorations de la croissance larvaire, moins marquées que celle due à l'emploi des composés stéariques. Le meilleur résultat fut fourni par un complexe gras, formé de trioléine, acide oléique, oléate de soude, acide stéarique, stéarate de soude et glycérine. Les larves atteignirent une taille de 3 millimètres, 3 mm. 5 et { millimètres vers le onzième jour ; elles ne commencèrent à mourir que vers le quinzième jour et quelques-unes vécurent Jusqu'au vingt-huitième jour. Sur ces milieux additionnés de substances grasses, les Mou- ches adultes vécurent plus longtemps que sur les milieux arti- ficiels témoins : leur ponte fut un peu plus abondante, surtout sur les milieux à stéarine ou acide stéarique. D'autres séries d'expériences faites avec ces mêmes mélanges gras, associés à des hydrates de carbone, ont donné des résultats comparables. Conclusion : Pas plus que les hydrates de carbone, les grais- ses ne permellent un développement normal des larves, bien qu'une certaine quantité de ces graisses alimentaires ait été absorbée par les organismes et même mise en réserve dans leur tissu adipeux. J'ai pu voir en effet se produire sous mes yeux le passage de globules graisseux à travers la paroi intestinale, prin- cipalement au niveau du ventricule chylifique. Ce phénomène très net sur les coupes (fig. 6, pl. Il) peut être facilement suivi au microscope sur les larves vivantes, aplaties par le compresseur, et toujours suffisamment transparentes. Il devient tout à fait net lorsqu'on emploie des graisses colorées par le Sudan TE. On voit les globules rouges de graisse pénétrer dans les cellules épithéliales où ils progressent très lentement. Cette graisse est sans doute consommée directement par la larve au fur et à mesure de son absorption, toujours faible d’ailleurs, servant à couvrir les dépenses énergétiques de l'organisme. Ceci explique que les lar- ves soient alors capables d’un développement plus complet et plus prolongé. 202 E. GUYÉNOT Certaines larves peuvent mème emmagasiner dans leur tissu adipeux des gouttelettes de graisse, parfois en assez grande quan- tité (fig. 3, pl. I). Lorsqu'elles sont constituées par des grais- ses à point de fusion peu élevé (trioléine, acide oléique), prove- nant des graisses alimentaires, ces gouttelettes se fusionnent fré- quemment, donnant ainsi à la cellule adipeuse un aspect très spécial. Le fait que des larves, non seulement absorbent les graisses du milieu nutritif, mais peuvent en mettre une partie en réserve, sans cependant réussir à atteindre le terme de leur développe- ment, est très important à considérer. Ce résultat négatif tient vraisemblablement à ce que les larves ont besoin de corps gras d'une certaine constitution déterminée et qui ne sauraient être utilement remplacés par une graisse quelconque. La comparaison de ces résultats avec ceux que je relaterai prochainement nous permettra, en outre, de penser que les réserves vraiment utilisa- bles ne sont pas constituées purement et simplement par des graisses, mais que leur nature est beaucoup plus complexe. Nous verrons qu'il manque aux milieux artificieis dont il vient d'être question, quelque chose qui, sans être un corps gras, n’en est pas moins indispensable à la larve pour lui permettre d’édi- fier des réserves adipeuses normales. 6° Action des lipoides. — J'ai utilisé à peu près exclusive- ment la lécithine du jaune de l'œuf. Quelques essais ont cepen- dant été effectués avec de la cholestérine seule ou associée à la lécithine. La lécithine utilisée était employée en solution alcoolique à 20 p. 100, dont Jj’ajoutais 2 cent. 5 à 100 centimètres cubes de milieu. La lécithine est immédiatement précipitée de sa solution alcoolique et reste en fine suspension dans le milieu : celui-ci est ensuite chauffé au bain-marie afin d'éliminer lPalcool par évapo- ration. Expérience. — On utilise les deux milieux artificiels suivants : Témoins (219,231) Milieux à lécithine (& 220, 238) Peptone. :. ‘…. I p. 100 2 p. 100 LP. 100 2 p.100 Lécithine . . » ) 0, p.100 0,9 p.100 Sels minéraux. Dose normale RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 203 Tandis que sur milieu témoin renfermant 1 p. 100 de peptone, les larves, après avoir atteint une taille maxima de 1 millimètre vers le sixième jour, meurent toutes en moins de douze jours, sur le même milieu additionné de lécithine, les larves s'accrois- sent bien davantage et vivent plus longtemps. Elles atteignent en effet 1 mm. 5 à 2 millimètres le douzième jour, 2 mm. 5 le quin- zième jour, 3 millimètres à 3 mm. 5 vers le vingtième au vingt- deuxième jour. À partir de ce moment leur activité diminue rapidement et des cadavres commencent à être notés. L'observa- Pentone- /ecflhine RCA Rnlone seule MÉNINGITE 001048 19/20021022075 2205070072 Fig. 7. — Courbes montrant l’action favorable de la lécithine, par rapport au milieu témoin, formé seulement de peptone et sels minéraux tion fut interrompue le vingt-sixième jour, alors qu'il y avait encore quelques larves vivantes, mais inertes. L'action favorisante de la lécithine (fig. 7)estencore plus nette dans les essais faits avec les milieux renfermant 2 p. 100 de pep- tone. Sur milieu témoin, en effet, les larves s’accroissent jusqu’au douzième jour, mais sans dépasser la taille de 2 millimètres à > mm. ». Beaucoup meurent dès ce moment et toutes sont mor- tes le vingt-deuxième jour. Au contraire, sur le même milieu addi- tionné de lécithine, les larves atteignent 3 mm., 3 mm. 5 et même 4 à 5 millimètres, c'est-à-dire presque la taille adulte, le 20% E. GUYÉNOT douzième jour. À partir du quinzième jour, leurs mouvements se ralentissent, les premiers cadavres ne sont notés qu'à partir du vingt-deuxième jour et le vingt-sixième jour, lorsque l'observa- ion est interrompue, la plupart des larves sont encore vivantes. L'observation n'ayant pas pu, à ce moment, être continuée au- delà du vingt-sixième jour, je refis de nouveaux essais qui furent suivis jusqu'au bout. Le milieu (4 27%) avait la constitution sui- vante : P'EDIORES EE RNA RE ETES RSR > P. 100 Léa e ER ANSE RAR MEET PE MEN 0,5 p. 100 Sélsiminérauxit rome dat er M M Dosemormale Sur ce milieu, j'ai obtenu très régulièrement des larves 1/2 en dix jours, 3/4 en treize Jours et 1/1 en dix-huit jours. Presque toutes les larves atteignirent ainsi la taille adulte, mais la plupart ne se métamorphosèrent pas, leurs mouvements devinrent de plus en plus lents et finalement elles moururent. Certaines purent d’ail- leurs rester en vie très longtemps: j'ai trouvé fréquemment des larves vivantes au bout de trente-cinq, quarante, cinquante-cinq et même soixante jours ! D'autre part quelques-unes, vers le vingtième jour, se transformèrent en pupes; celles-ci présen- tèrent même un début de métamorphose, mais finalement se des- séchèrent et moururent d’une façon plus ou moins précoce Enfin, dans des cas exceptionnels, quelques pupes donnèrent naissance à des Mouches vivantes qui moururent au moment de léclosion — survenue le quarantième jour — ou immédiate- ment après. Ces Mouches étaient absolument naines (ayant la moitié de la taille ordinaire), transparentes et souvent malfor- mées ; leur abdomen paraissait absolument vide. D’autres expériences, effectuées en ajoutant de la lécithine à des milieux renfermant peptone 1 et 2 p. 100, avec olucose 1 p. 100, ont donné des résultats très comparables Conclusion : De toutes les substances utilisées, hydrates de carbone ou corps gras, la lécithine s’est révélée la plus utile pour la nutrition larvaire. Cest sur les milieux à lécithine que l'on observe, en effet, la croissance la plus régulière des larves, celles- ciatteignant, pour la plupart, la taille adulte. Leur tissu adipeux, bien qu'encore assez transparent, renferme manifestement des réserves, mais peu abondantes. Grâce à ces réserves, particu- lièrement marquées chez certains individus, quelques pupes peu- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 205 vent être formées, mais après une durée de vie larvaire très aug- mentée (vingt à vingt-cinq jours au lieu de six). Une ou deux fois la métamorphose put être réalisée jusqu'au bout et aboutir à l’éclosion d’imagos. Cette transformation fut elle-même beau- coup plus lente que sur les milieux à Levure servant de témoins, la métamorphose durant quinze à vingt jours au lieu de cinq à six Jours. Le processus de là métamorphose est d’ailleurs géné- ralement interrompu beaucoup plus tôt, alors que la nymphe est encore toute blanche ou même avant que celle-ci puisse être dis- tinguée. Enfin si, parmi les larves qui n’aboutissent pas à la pupe, la plupart meurent au bout de vingt à vingt-cinq jours, certaines sont ‘susceptibles de rester en vie pendant un temps parfois très long, pouvant être égal à dix fois la durée de vie lar- vaire observée dans les conditions normales de nutrition, c’est-à- dire sur Levure et à la même température de 24°. Bien que le développement demeure en somme précaire et inconstant sur les milieux artificiels additionnés de lécithine, ceux-ci se classent néanmoins nettement en tête de tous ceux qui ont été expéri- mentés. Il serait intéressant de savoir si cette action si favorable de la lécithine tent à l’état physique particulier dans lequel se trouve cette substance où à sa constitution chimique. Je crois que les deux points de vue sont également à retenir. D'une part, en effet, la lécithine du jaune d'œuf contient une proportion élevée d’acide stéarique et nous avons vu comment cet acide paraissait, de tous les corps gras essayés, être celui que les larves assimilent et utilisent le mieux. D'autre part la lécithine se présente, dans les milieux artificiels, sous forme de fins granules en suspension, que les cellules intestinales happent et retiennent au passage. L'intes- ün des larves élevées sur ces milieux, qui par eux-mêmes sont à peine colorés, devient d’une belle teinte jaune, par suite de l'arrêt et de l’accumulation des grains de lécithine sur la face externe des cellules, Il semble donc bien que les milieux à lécithine se présentent sous un état physique meilleur que les milieux ne renfermant que des substances solubles. Une nourriture exclusivement liquide peut vraisemblablement entrainer à la longue des phénomènes d'irritation où même de paralysie intestinale. La question reste à étudier. Je peux seulement dire que l’addition à mes milieux 206 E. GUYÉNOT de poudres inertes n’a pas paru en améliorer le rendement d’une façon quelconque. C’est pourquoi je pense que la lécithine intervient aussi en grande partie par sa composition chi- mique. L'influence bienfaisante de la lécithine ne s'exerce pas que sur les larves en voie de développement. Les Mouches adultes vivent, en effet, beaucoup plus longtemps sur les milieux à lécithine que sur tous les autres milieux artificiels et leur ponte est aussi infi- niment plus abondante et plus prolongée. Sur tous les autres milieux artificiels, la ponte s'arrête plus ou moins rapidement, en général au bout de deux à six jours, avec production d'œufs avortés, arrêtés en cours du développement embryonnaire. On peut, au contraire, transporter des Mouches pendant plus d’un mois, sur les milieux lécithinés sans que la ponte cesse. Les œufs avortés y sont exceptionnels. 7° Action des nucléoprotéides.— Si maintenant nous Jetons un coup d'œil d'ensemble sur les résultats des expériences qui précèdent, nous constatons non seulement que de tous les aliments énergétiques fournis, seuls la lécithine et, dans une moindre mesure, l'acide stéarique ou la tristéarine, exercent sur le dévelop- pement larvaire une influence appréciable, mais que, même dans ces conditions, ce développement reste très lent, n’aboutit qu’à une accumulation très insuffisante de réserves, n’est suivi de métamorphose que dans des cas exceptionnels et ne permet jamais lobtention de Mouches capables de vivre et de se repro- duire. La variété même des hydrates de carbone ou graisses utilisés et la similitude des résultats imposent la conviction que ce n’est pas tant sur ces éléments que porte l’insuffisance alimentaire que sur la nature des protéiques fournis. Aussi est-ce dans cette direction que j'ai orienté ensuite mes investi- gations. A vrai dire, Je n'ai fait dans ce sens que quelques recherches préliminaires destinées à orienter les expériences ultérieures. La composition du protéique employé dans les milieux artificiels peut, en effet, différer à bien des points de vue de celle des albu- minoïdes de la Levure. Cette différence peut notamment porter sur la nature des acides amidés qui entrent dans leur constitu- tion. Or, pas plus que pour la Levure, il n'a été établi une analyse RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 207 exacte des acides amidés entrant dans la constitution de la pep- tone Chapoteaut (1). ; A moins d'employer au hasard tel ou tel acide amidé et de tomber fortuitement sur le corps indispensable, il eut été néces- saire d'étudier exactement les produits d'hydrolyse de la peptone et de la Levure pour établir la différence entre les deux produits à ce point de vue. Mais je ne disposais pas du matériel néces- saire pour effectuer une semblable recherche qui aurait d’ailleurs risqué de m'entrainer fort loin et peut-être sans grand résultat pour la question qui m’intéressait. Aussi ai-je commencé par étudier Pinfluence de substances dont la peptone est dépourvue et qui, par contre, se trouvent en grande quantité dans la Levure, je veux dire des nucléoprotéides. Pour cela j'ai eu recours à un produit qui se trouve dans le commerce et qui est précisément extrait de la Levure : la aucléine de levure. Malheureusement cette substance est insoluble dans l'eau. On peut bien en obtenir des solutions &ans les alcalis dilués, mais celles-ci sont précipitées dès qu’on les met au contact des milieux artificiels qui doivent, nous l’avons vu, être de réaction acide. Le moyen que j'ai utilisé a consisté à broyer longuement la nucléine en poudre dans une portion de milieu nutritif, puis à l'incorporer à l’ensemble de ce milieu. La nucléine se trouve alors en fine sus- pension que l’on stabilise au moyen de coton hydrophile. Je pense que, dans ces conditions, une partie au moins de cette substance a dû être ingérée par les larves, mais il subsiste quelques doutes sur la réalité de cette absorption. Malgré de très nombreux essais, je n'ai jamais constaté, en effet, que l'addition de nucléine augmentät en rien la valeur nutritive des milieux artificiels et ce résultat me paraît au moins suprenant. Cependant en examinant au microscope des larves élevées sur ce milieu et immobilisées par le compresseur, J'ai nettement vu, dans leur contenu intestinal, des particules solides qui ne pouvaient être que des grains de nucléine. Cette inefficacité de la nucléine est demeurée la même, que celte substance ait été ajoutée à des milieux ne renfermant que de la peptone ou de la peptone-glucose ou de la peptone-lécithine ou de la peptone-glucose-lécithine. (1) J'ai beaucoup regretté depuis de ne pas avoir utilisé la peptone de Witte dont les produits d’hydrolyse ont été bien étudiés par P. A. LEVENNE et D. D. Vax SLyke. 208 E. GUYÉNOT En raison des conditions d'emploi de la nucléime,je m'abstiens de formuler des conclusions fermes à son sujet. 8° Action des substances extractives. — Une autre cause d'insuffisance de la peptone, en tant qu’aliment protéique, pourrait tenir au manque de substances extractives ou de certaines de ces substances. On sait, en effet, que ces extractifs jouent un rôle incontestable dans la nutrition. Les essais de culture en milieu artificiel de certains Microbes, tels que le Bacille de la tubercu- lose, ont montré la nécessité d'introduire dans la constitution de ces milieux des éléments tels que la créatinine et la sarcosine. Dans leurs recherches sur la culture du Bacille de la tubercu- lose, À. Dezizze, A. Mayer, G. Scaœrrer et E. TERROINE (16) ont montré que le développement du Bacille, très pauvre sur peptone de Witte, moyen sur peptone Chapoteaut, assez riche sur peptone de viande de bœuf, devenait excellent si, à ces trois peptones, on ajoutait du bouillon. C’est du reste la diffé- rence très remarquable que l’on observe, au point de vue de lin- tensité de développement et de Pactivité biochimique de la plu- part des microbes, entre les cultures en eau peptonée et les cultures en bouillon. Pour rechercher l’action de ces substances extractives, j'ai pré- paré un bouillon de viande de bœuf suivant la technique classi- quement utilisée en bactériologie : 506 grammes de viande choisie et bien dégraissée sont hachés, puis mis à macérer dans un litre d’eau pendant 24 heures. Le mélange, constam- ment agité, est ensuite chauffé et porté à l’ébullition pendant 10 minutes Le RE est filtré à chaud, sur un linge, puis sur papier Chardin ME de façon à retenir les graisses. J'ai alors essayé les milieux suivants : PÉDIOMET" NX EMTEC AN FRRRE, 1 P. 100 1 p. 100 GUÉOSÉAE MARS LME 1 p. 100 1 P. 100 Boutin TRE 100 CC? » au disthilée Et » 100 CC? Sels minéraux & 197 ou cine de levure : dose normale Voici quels sont les résultats de cet essai : 19 Sur milieu sans bouillon, les larves s'accroissent pendant les 7 à 8 premiers Jours, mais elles restent maigres et transpa- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 209 rentes. Quelques-unes atteignent > millimètres, mais ne tardent pas à devenir immobiles et à mourir. Toutes sont mortes du quin- zième au vingtième Jour. 20 Sur le même milieu à base de bouillon, les résultats sont nettement améliorés. Les larves mesurent 2 millimètres dès le huitième jour, sont alors actives, mais transparentes. Elles attei- gnent 3 mm. 5 à 4 mm. 5 le quatorzième jour, du moins certai- nes d’entre elles. Sur 12 essais, on observe la formation de pupes dans trois tubes, à partir du douzième jour. On note, en effet, 19 pupes formées du dix-huitième au vingtième jour en D. A. 7103; D pupes les dix-neuvième et vingtième jours en D. À. 727 ; enfin 16 pupes du quinzième au vingtième jour en D. A. 726. Les larves qui ne se transforment pas en pupes meurent du quin- zième au vingt-cinquième Jour. Les pupes formées n'évoluent pas; elles sont petites, à peine colorées, se dessèchent rapidement et meurent. Cependant une pupe de D. À. 726, formée le quinzième jour, donna naissance D jours plus tard à une Mouche mâle, petite, malformée, transpa- rente, pouvant à peine remuer qui mourut peu après son éclosion. La comparaison des résultats montre que le bouillon, même en l’absence de graisses, exerce une action favorisante indénia- ble, qui est presque de même ordre que celle déterminée par lad- dition de lécithine. J'avais été naturellement amené à rechercher si lutilisation combinée de lécithine et de bouillon ne donnerait pas des résultats SUpÉéTIeUTS. Malheureusement ces essais furent interrompus accidentelle- ment et, ayant eu ensuite l'attention attirée dans une autre direc- tion, je n'ai pu les recommencer que beaucoup plus tard et l'on verra qu'ils m'ont donné des résultats absolument contradic- toires. D’autres expériences ont été effectuées avec une solution con- centrée d'extrait de Liebig dégraissé, dont j'ajoutais à différents tubes contenant 10 centimètres cubes de milieu artificiel, 1, 2 4, 6, 8, 10, 15, 20, 30 et 50 gouttes. n Cet extrait s'est montré nettement toxique pour les larves et l’action a été d'autant plus marquée que la dose était plus urande. L'addition de 1 à 2 gouttes d'extrait donne des résultats comparables à ceux des témoins, mais à partir de cinq gouttes 14 210 E. GUYÉNOT on observe une mortalité rapide des larves et un retard net de la croissance. À la dose de 50 gouttes, toutes les larves sont tuées en moins de dix Jours. CONCLUSION DE CETTE PREMIÈRE SÉRIE D'EssaIs.— Malgré le très grand nombre des essais effectués pour la constitution d’un milieu artificiel par voie synthétique, j'ai en somme échoué dans cette tentative. Sans doute j'ai pu reconnaître que, dans les conditions de nutrition utilisées, certaines substances étaient nuisibles, d’autres indifférentes, quelques-unes utiles, mais dans aucun cas Je n'ai pu obtenir un milieu capable d'assurer le déve- loppement régulier des larves, l'élaboration des réserves grais- seuses en quantité suffisante, ni surtout l'accomplissement nor- mal des processus de métamorphose aboutissant à des adultes bien constitués. À vrai dire, je suis loin d’avoir épuisé toutes les combinaisons et tous les essais de substances possibles, mais je me suis rendu compte que je pourrais continuer pendant longtemps ces tenta- tives, sans être assuré d'arriver à un résultat positif. Il faut, en effet, remarquer que, pour donner des résultats valables, Pessai de chaque milieu doit être fait non sur un tube d'élevage, mais sur un grand nombre, en raison des écarts parfois considérables que l’on relève et sur lesquels je reviendrai. Or, par suite de la len- teur du développement, chaque essai nécessite une observation continue pendant un mois environ. Aussi ai-je mis plus de deux ans à réaliser ces expériences qui, si elles apparaissent pauvres en résultats, ont cependant nécessité un travail considérable. Au cours de ces recherches, j'ai cependant pu faire sur le comportement des Drosophiles certaines observations dont quel- ques-unes ont une portée générale. Croissance larvaire et métamorphose. — Un fait uniformé- ment observé est la dissociation qui existe, dans ces conditions de nutrition artificielle, entre le développement larvaire et le phénomène de métamorphose. En effet, tandis que, sur Levure, les témoins arrivent à la pupe en six Jours et donnent la Mou- che en onze, sur beaucoup de milieux artificiels, les larves s’accroissent infiniment plus lentement, atteignent cependant la taille adulte et peuvent même vivre un temps très considéra- ble, pouvant égaler dix fois la période larvaire normale, mais 7" RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 241 sans se métamorphoser. La différence essentielle que Fon observe entre ces larves et les larves témoins réside uniquement dans la constitution de leur tissu adipeux. Les larves sur Levure ont un tissu bourré de réserves et se métamorphosent rapidement ; les larves élevées sur milieux artificiels ont un tissu adipeux squelettique, vide de réserves et ne se métamorphosent pas. Dans les cas exceptionnels où cette métamorphose commence, quitte à s'arrêter à un stade plus ou moins précoce, on constate nette- ment que cela se produit seulement pour les larves qui, pour une raison ou une autre, ont emmagasiné dans leur tissu adi- peux quelques réserves d’ailleurs peu abondantes. L’élabora- tion de réserves qualitativement et quantitativement suffisantes est donc l’une des conditions fondamentales de la métamorphose et l'aboutissant d’une nutrition larvaire normale. Pupaison el métamorphose proprement dite. — 1 faut aussi noter qu'il existe une différence très grande entre les con- ditions de formation de la pupe et celles de la métamorphose proprement dite. Celle-ci n’est réalisable que dans le cas de larves munies de réserves abondantes. Celle-là peut. au contraire, s’observer fréquemment sur des larves dépourvues de réserves, n'ayant même pas atteint la taille adulte. On voit notamment des larves se transformer en pupes alors qu'elles n’ont que les deux tiers ou les trois quarts de la taille définitive. Cette pupaison pré- coce, non suivie de métamorphose, s’est montrée conditionnée essentiellement par l’état hygrométrique du milieu. Telles larves qui resteraient 30 jours sans puper dans un milieu très humide, puperont beaucoup plus tôt si la surface du coton est sèche, ou si, par hasard, elles se sont élevées le long des parois du tube de culture et ont été ainsi entrainées dans une zone plus sèche. Fréquemment d’ailleurs, on observe, dans ces conditions, à côté de pupes très petites mais bien conformées, des pseudo-pupes dont la surface se dessèche et brunit comme celle des vraies pupes, mais qui conservent la forme allongée et parfois recourbée des larves dont elles proviennent. Parésie observée sur les larves élevées en milieu artificiel. — Un troisième fait intéressant à signaler est l’état pathologique 5 s14 par lequel passent toutes les larves avant de mourir, quelle que 29 E. GUYÉNOT soit la constitution des milieux artificiels dont elles se sont nour- ries. Après une période de grande activité, où on les voit aspirer par d’incessants mouvements du pharynx le fluide nourricier, tôt ou tard on observe que leurs mouvements se ralentissent et se raréfient ; les larves ne se déplacent plus que mollement à la surface du milieu, opèrent de temps en temps quelques mouve- ments de succion, puis tombent dans un état d’immobilité qui devient de plus en plus fréquent et prolongé. Finalement, elles restent immobiles pendant des heures, figées dans n'importe quelle position. Le vaisseau dorsal présente des contractions très lentes séparées par des pauses parfois excessivement longues ; les : mouvements de lintestin sont également de plus en plus espacés. Cet état aboutit parfois très vite à la mort; parfois aussi il peut se prolonger pendant 20 jours et plus. J'ai vainement essayé de transporter, sur un bon milieu nutritif (Levure), ces larves, mème au début de leur période d’immobilité. Toutes sont mortes, qu’elles aient ou non absorbé de la Levure. Au contraire, des larves placées sur un milieu nutritif insuffisant et transpor- tées à temps sur de la Levure alors qu’elles n’ont que 1 mm. 5 ou 2 millimètres et sont très actives, s'y nourrissent, ne tardent pas à élaborer les réserves nécessaires et à se métamorphoser. Ces phénomènes incurables de parésie sont à rapprocher dans une certaine mesure de ceux qui ont été observés chez les ani- maux supérieurs, nourris avec une alimentation artificielle ou dépourvue de certains principes encore mal connus. Je reviendrai sur cette question qui touche de près à la pathologie du béribéri dans un chapitre ultérieur. Différences individuelles et sélection. — Une autre obser- vation très importante qui résulte de ces expériences a trait à la diversité du comportement d'individus aussi semblables que possible comme origine et placés dans des conditions en appa- rence, au moins, identiques. Sur les bons milieux nutritifs ces différences s’observent aussi ; certaines larves s’accroissent un peu plus vite que d’autres, aboutissent à des pupes et à des Mouches un peu plus grosses ou un peu plus petites, mais ces différences sont peu marquées. Sur les milieux artificiels qui sont des milieux pauvres, défavorables, ces différences indi- viduelles apparaissent amplifiées et souvent considérables. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 213 Déjà des divergences de cet ordre m’étaient apparues lors de mes recherches sur les Mouches de la viande; on en observe de semblables dans les comptes rendus des expériences de Bogpaxow et plus récemment de WorLzman. Ainsi que je l’ai montré, les larves de la viande dans les conditions normales se nourrissent des produits de la digestion opérée par les Microbes et ne pro- duisent pas de ferments digestifs. Que certaines d’entre elles en secrètent quelque peu, c’est ce qui est assez vraisemblable, mais cette propriété n’est, dans les conditions normales de leur déve- loppement, d'aucune utilité et n’est décelée par rien. Bogpaxow et WoLLman ont confirmé ces vues, en montrant que, débarras- sées de tout Microbe et placées sur de la viande stérilisée, ces larves sont très généralement incapables de se nourrir. Cepen- dant on observe que quelques rares larves s’accroissent quand même, quoique très lentement, qu’elles liquéfient la gélatine, ce qui est la preuve de leur activité digestive secrétoire. Tandis que les autres meurent d’inanition, ces larves à ferment devien- nent de plus en plus fortes, se nourrissent de mieux en mieux et, après avoir traversé la crise du début, finissent tant bien que mal par réaliser leur métamorphose. De même, dans tous mes élevages sur milieux artificiels, j'ai observé des différences considérables. Toutes les larves cepen- dant proviennent toujours d'œufs pondus par des Mouches sœurs, de même âge; ces œufs ne présentent entre leurs dates de ponte que des différences de 48 heures au plus. Néanmoins on observe que, dans le même tube, certaines larves se développent à peine et meurent au bout de 6 jours par exemple, tandis que d'autres atteignent une taille double ou triple et vivent 10, 15, 20, 30 Jours et parfois beaucoup plus. Les unes ont leur tissu adipeux absolument vide, d’autres y emmagasinent quelques rares réserves. La majorité meurent à l'état de larves, quelques individus arrivent cependant à puper ou plus exceptionnellement encore aboutissent à l’imago. Ces différences sont d'autant plus intéressantes à étudier qu'elles sont comme l’image particulièrement nette de ce qui se passe lorsque les individus d’une espèce, à la suite d’un change- ment de milieu, se trouvent dans des conditions défavorables et risquent d'être anéantis. C’est alors qu'intervient cette sélection qui est la résultante du fait que tandis qu'un grand nombre d’indi- 214% | E. GUYÉNOT vidus meurent, quelques-uns subsistent et seront peut-être capa- bles de maintenir la continuité de la lignée, fut-ce au prix d’un changement morphologique ou physiologique des individus de cette lignée. Dans le cas présent, les causes pour lesquelles tel individu subsiste, là où les autres meurent, apparaissent comme extrème- ment complexes. Quelques-unes peuvent cependant être notées. J'ai déjà signalé que quand, par oubli, des cadavres de Mouches ont été laissés dans le milieu, les larves qui s’en nourrissent deviennent plus grosses que les autres et parfois se métamor- phosent entièrement. Il y a là une cause d'erreur facile à éviter. Une autre condition importante est le nombre des larves. Alors que dans les tubes où la ponte a été peu abondante, les quelques larves écloses se développent fort mal, dans les tubes de même milieu où la ponte a été, par hasard, ou en raison du plus grand nombre de femelles, plus abondante, les larves très nombreuses évoluent mieux et plus rapidement. Cette influënce du nombre des larves m'a paru, après maintes observations, se ramener à une question d'humidité et de facilité dans l'acquisition de la nourriture. Celle-ci se trouve, on le sait, supportée par du coton hydrophile, dont la surface est parfois assez sèche. Les larves, quand elles sont peu nombreuses, errent à la surface de ce coton mal imbibé et ne peuvent que difficilement absorber la nourri- ture. Si, dès le début du développement, avec une baguette de verre, on presse sur la surface du coton pour Fhumidifier, le développement se fait bien. Si on n'intervient qu'au bout de quelques jours, les larves, qui n'ont pu s’accroître qu'à peine, sont en quelque sorte handicapées par leurs premiers jours de nutrition insuffisante et restent arriérées. Or, quand elles sont nombreuses, les larves pénètrent plus facilement entre le coton et la paroi du tube jusqu’au niveau du milieu nutritif. Une pre- mière vient qui s'insinue, par hasard, ou par suite de son chimio- tropisme positif, entre le coton et la paroï, une deuxième, puis une troisième s'engagent de même dans le même chemin et lappro- fondissent, on voit alors les larves pénétrer de plus en plus pro- fondément, creuser de véritables galeries entre le coton et la paroi. Lorsqu'une larve est ainsi arrivée à un endroit où le milieu nutritif est facilement accessible, on ne tarde pas à voir en ce point 20, 30 larves rangées parallèlement, serrées les RECHERCHES SUR LA VIE ASEPYTIQUE D'UN ORGANISME 245 unes contre les autres, retenues là parce que la nourriture y est abondante. L'examen répété de milliers de tubes d’élevages m'a ainsi permis de constater que les larves qui pénètrent profondément entre le coton et la paroi du tube de verre, jusqu’à être parfois emprisonnées dans une logette renfermant la bulle d'air qu’elles ont entraînée avec elles, se développent plus vite que celles qui sont restées au voisinage de la surface. Leur devenir dépend alors de la facilité plus ou moins grande qu’elles auront au bout de quelques jours à regagner la surface, sans quoi elles meurent finalement asphyxiées. Cette observation est à rapprocher des constatations faites par WEINLaND sur des larves non aseptiques. Cet auteur a en effet constaté que la production des graisses se faisait mieux en milieu anaérobie qu’en présence de loxygène, mais l'interprétation de ce fait reste discutable en raison de la part que les bactéries peuvent prendre dans sa réalisation. Le sort d’un individu se trouve ainsi dépendre de multiples conditions fortuites : sécheresse, humidité, proximité de la nour- riture — surtout pendant ses premiers Jours d’existence nombre des larves, vie en surface ou en profondeur. Autant de conditions, réalisées par hasard, d’où dépendent la mort plus ou moins précoce ou la vie de la larve envisagée. A côté de ces différences liées à des conditions extérieures diverses, il arrive que l’on note des différences individuelles qui ne paraissent pouvoir être rapportées à aucune cause extérieure et qui s’observent même si les larves proviennent toutes de la même femelle. Il est certain qu'il y a des différences constitu- tionnelles souvent minimes, pouvant influer surtout l’avenir de l'organisme. Une des plus faciles à imaginer est la plus où moins grande quantité de réserves contenues dans Pœuf. Nous avons vu que, sur les milieux pauvres, les Mouches pondent des œufs moins riches en inelusions, ainsi que le montre l'examen direct, et qui finissent par avorter. On conçoit qu'entre cet état et l'état normal peuvent se rencontrer toutes sortes d’intermédiaires. Je tiens à noter spécialement l'influence très grande des condi- tions externes, pendant les premiers stades de vie larvaire, qui retentit d’une façon définitive sur la résistance, la vitalité de lin- dividu, même lorsque celui-ci se trouve ensuite placé dans des conditions plus favorables. 216 E. GUYÉNOT En résumé, il ressort de ces constatations que les chances de salut, même limité à quelques individus de la lignée placée dans des conditions nouvelles défavorables, résident tant dans leurs diffé- rences constitutionnelles congénitales que dans des variations souvent minimes, et réalisées par hasard, des conditions exté- rieures. Conditions extérieures et constitutions réagissent d’ail- leurs réciproquement les unes sur les autres. Ces expériences per- mettent ainsi de saisir un des aspects les plus intéressants de la sélection. À côté de la sélection darwinienne, basée sur les parti- cularités utiles, il est une autre sélection, peut-être plus impor- tante encore, mais désordonnée, qui résulte uniquement des con- ditions de vie réalisées au hasard, c'est-à-dire dépendant d’une série de causes dont chacune ne présente aucun rapport néces- saire avec l'effet produit. IX ESSAIS DE CONSTITUTION D'UN MILIEU NUTRITIF ARTIFICIEL PAR VOIE ANALYTIQUE Toutes les expériences précédentes, outre les résultats parti- culiers qu'elles comportent, ont montré combien les divers milieux artificiels utilisés diffèrent profondément, au point de vue de leur valeur alimentaire pour les Drosophiles, de la Levure de boulangerie employée comme aliment témoin. L’insuccès de mes premières tentatives me conduisit à recher- cher quelles pouvaient être la ou les substances contenues dans la Levure et qui se trouvaient être indispensables à la nutrition des Mouches. Après étude, j'écartai tout d’abord Fhypothèse qu'il put s'agir de quelque élément minéral propre à la Levure et y existant même en très petite quantité. J'avais en effet mis dans mes milieux tous les éléments minéraux, acides ou bases, décelés par les analyses des cendres de Levure, et existant en quantité nota- ble. D'autre part, j'avais préparé avec grand soin des cendres de levure que j'avais utilisées, après traitement nécessaire pour les dissoudre, pour la constitution de certains milieux artificiels au :4es RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 217 lieu des solutions minérales fabriquées de toutes pièces que j'em- ployais habituellement. Cette modification ne détermina aucun changement appréciable dans le comportement des Mouches ni des larves. Il ne me parut pas non plus vraisemblable que la substance indispensable fut un hydrate de carbone. On sait que la Levure contient du glycogène mais, outre que laddition de ce composé, de même que celle de glucose, n’avait pas modifié sensiblement la valeur des milieux artificiels, la Levure que j'utilisais avait sou- vent subi, intentionnellement, un début d’autolyse, avec destruc- tion intracellulaire très rapide du glycogène accumulé. Or cette Levure, très appauvrie en hydrates de carbone, se montra un milieu excellent, aussi bon que de la Levure absolument fraîche et n'ayant pas subi d’autophagie. Les recherches paraissaient donc devoir être limitées aux com- posés albuminoïdes, albumines, acides amidés, corps puriques, extractifs, etc., ou aux corps gras. Je commençai par étudier l’action des graisses de la Levure pour la raison suivante : les larves, placées sur Levure, produi- sent et accumulent des quantités de graisse considérables. La Levure en contient, cela est certain, mais il y a, semble-t-il, une disproportion entre la quantité totale de graisse ingérée par une larve, sous forme de graisse de Levure, et la quantité énorme de graisse, mise en réserve dans son tissu adipeux. J'avais d’autre part constaté que même si des larves sont placées sur des milieux artificiels contenant une graisse et absorbent cette graisse, ainsi que cela a pu être constaté directement dans certains cas, ces larves ne réussissent à en mettre en réserve qu’une quantité insignifiante et, en tout cas, n'atteignent pas le terme de leur développement. Ces remarques, ainsi que beaucoup d'autres, m’avaient conduit à penser que les larves devaient réaliser faci- lement la synthèse des graisses aux dépens de substances conte- nues dans la Levure, et qui n'étaient ni des graisses, ni des hydrates de carbone. Je fus ainsi amené, pour essayer d’éclaireir cette question, à élever des larves sur de la Levure ayant subi un dégraissage prolongé et à rechercher si ce milieu serait encore apte à la nutrition des Drosophiles. La Levure contient Levure dégraissée et graisses de levure. une quantité assez élevée de graisse. Quelques dosages effectués 218 E. GUYÉNOT après saponification totale par la soude, libération des acides gras par lacide chlorhydrique, traitement par léther absolu, puis par l’éther de pétrole m'ont fourni une teneur de 1 gr. 763 d'acides gras pour 100 grammes de Levure sèche, correspondant à environ {00 grammes de Levure fraîche (75 p. 100 d’eau). Ces acides gras ont un point de fusion assez élevé, sont solides à la température ordinaire, mais fusibles à 55°. L’extraction totale de la graisse de Levure est une opération à peu près impossible, si l’on ne détruit pas au préalable par la soude la substance protoplasmique elle-même. Un semblable procédé ne pouvait convenir pour l’expérience projetée. D’autre part, 1l est certain qu'une simple macération dans l’éther, même prolongée pendant des mois, serait incapable d'opérer une extrac- tion suffisante des graisses. Pour faciliter celle-ci, j'essayai de broyer, au préalable, les cellules de Levure, au moyen du broyeur à billes de verre de Borrez (‘). Au bout de 36 heures, la Levure en suspension dans l'alcool absolu était parfaitement broyéeet ne montrait plus, à l'examen microscopique, de cellules intactes. Avant de rechercher si la Levure ainsi broyée, puis dégraissée, avait encore la même valeur nutritive, j’essayai tout d’abord la Levure simplement broyée, non dégraissée. Pour cela l'alcool dans lequel elle se trouvait en suspension fut évaporé. La masse résiduelle fut additionnée de 2/3 d’eau, comme je faisais d’habi- tude, répartie sur coton, stérilisée à r20° et essayée. Or sur ce milieu, de consistance pâteuse, les larves, au sortir de l'œuf, errèrent à la surface sans en pouvoir absorber une parcelle et toutes moururent d’inanition au bout de deux ou trois jours. Seul l’état physique du milieu pouvait être incriminé. Il était évident que la Levure broyée, puis dégraissée, ne donnerait pas de ren- seignements plus intéressants. J’eus alors recours au dégraissage de la Levure non broyée au moyen d’un appareil à extraction par Palcool bouillant. De la Levure ayant déjà séjourné quatre semaines dans l'alcool fut épuisée dans l'appareil à extraction par lPalcool à 100° bouillant pendant 10 heures. La masse résiduelle fortement décolorée fut ensuite séchée, pilée, humectée d’eau, puis soumise après séchage à une nouvelle extraction pendant Q heures. La Levure extraite () M. Borrez a bien voulu mettre à ma disposition le broyeur de son Labora- toire de l’Institut Pasteur ; je lui adresse tous mes remerciements. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 219 fut séchée, puis mise en suspension dans léther anhydre pen- dant 0 heures. Elle fut enfin lavée à l'alcool absolu, à l'acétone et desséchée à 5o°. Le liquide alcoolique ayant servi à l'extraction était, à chaud, transparent, d’une belle couleur jaune d’or. Par refroidissement, il se précipitait un produit blanchâtre, soluble à nouveau par chauffage et qui se déposait au fond du ballon. La Levure dégraissée et séchée fut diluée dans de l'eau, dans la proportion usuelle de 2 parties pour 3 d’eau, puis additionnée de coton et stérilisée en tubes. Malgré le traitement subi, cette Levure restait en suspension dans Peau et formait une émulsion tout à fait comparable à celle que l’on obtient avec de la Levure ordinaire. Les résultats observés sur ce milieu sont les suivants : Les larves, très actives pendant les premiers jours, s’accroissent beaucoup plus lentement que sur les milieux témoins à Levure ordinaire. La taille des larves n'est en effet que de 1 mm. 5 le troisième jour, de 2 mm. 5 à 3 millimètres le cinquième jour. Vers le dixième jour, elles mesurent 2 mm. 5, 3 mm. 5 et même 4 mil- limètres. Elles sont encore actives, mais transparentes et leur tissu adipeux reste dépourvu de réserves. Quelques larves attei- gnent { mm. 5; dans 1 tube sur 8 apparurent même quelques pupes, petites, 5 le quatorzième jour, puis Q autres un peu plus tard. Ces pupes moururent sauf une qui donna naissance à une Mouche très petite, éclose le dix-neuvième jour. Une autre pupe laissait voir la Mouche bien formée à son intérieur, mais celle-ci mourut avant d’éclore. Cette formation de pupes resta exception- nelle. Dans les autres élevages, toutes les larves moururent du quinzième au dix-neuvième jour, après avoir présenté les phé- nomènes, que nous connaissons, de diminution progressive de l'activité et d'inertie prolongée précédant la mort. La valeur nutritive de cette Levure dégraissée peut être, d’après les résultats, comparée à celle des milieux artificiels à peptone et lécithine que J'avais déjà employés. Il est donc évident que là où les substances indispensables avaient passé dans l’extrait alcooli- que, la levure extraite s’en trouvant dépourvue ou à peu près. Quelles étaient ces substances ? Extrait alcoolique de levure. — 11 eut été très intéressant 290 E. GUYÉNOT d'étudier précisément le liquide d'extraction de cette Levure deve- nue insuffisante. Malheureusement il fut perdu par accident. Un nouvelextrait fut préparé de la manière suivante : 100 gram- mes de Levure furent épuisés par l'alcool absolu bouillant, dans l'appareil à extraction pendant 16 heures. L’extrait, de couleur jaune d'or, présentait par refroidissement un dépôt blanc jau- nâtre, constitué en majeure partie par un corps gras. On éva- pora l'extrait total et on reprit le résidu par Palcool à 70° froid. Celui-ci put dissoudre une bonne partie de l'extrait et se colora en jaune d'or. Il resta une partie blanc-jaunâtre insoluble, que lon sépara par filtration et qui se montra constituée en presque totalité par des corps gras. La liqueur alcoolique fut évaporée et le résidu fut repris par l’eau chaude, puis filtré sur papier Chardin mouillé. Ce résidu étant à peu près intégralement soluble dans l’eau, il ne resta que très peu de choses sur le filtre. Il est bien évident qu'un semblable extrait ne contenait plus que des traces de graisses. Un milieu fut alors préparé, contenant 2 p. 100 de peptone, les sels minéraux usuels et 25 centimètres cubes de cet extrait de levure. Sur ce milieu (milieu sans corps gras, mais avec extrait de levure) les résultats sont restés très médiocres : les larves attei- gnirent la taille 1/4, le quatrième jour, puis s’accrurent plus lentement atteignant 1/2 vers le huitième jour et 3/4 vers le quinzième ou seizième jour. Dès le dix-huitième jour, on nota des cadavres, presque toutes les larves étaient mortes le vingt- cinquième jour. Les larves restèrent maigres et transparentes, leur tissu adipeux étant dépourvu de réserves. Dans aucun cas, il n’y eut formation de pupes. Si l’on rapproche ce résultat de celui de Fexpérience avec levure dégraissée, il semble qu'il faille uniquement mettre en cause les graisses de Levure. En effet : 1° La levure dégraissée est insuffisante. 2° La substance utile passe dans l'extrait alcoolique total. 3° Cet extrait, privé de graisse, est insuffisant, d’où l’on pour- rait, semble-tAl, conclure que la substance indispensable n’est autre que la graisse de Levure. Cependant une telle conclusion serait certainement erronée : RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 291 j'avais en effet effectué, entre temps, des expériences avec un milieu artificiel constitué par de la peptone et des sels miné- raux, avec addition de ces graisses de Levure seules et je l'avais étudié comparativement avec le milieu peptone-lécithine. L'addi- tion de graisses de Levure ne se montra pas supérieure à lPaddi- ton de lécithine. Je fus ainsi conduit à cette nouvelle conclusion : il faut ajouter au milieu peptone-sels non seulement un corps gras (graisse de levure ou lécithine) mais aussi l'extrait alcoolique dégraissé qui, lui, contient la substance indispensable. Je constituai alors un nouveau milieu (5 66) ainsi constitué : REDON RANCE PAU A 2 p. 100 BÉCLORENE NPA RAT TA 0,90 p. 100 Extrait de levure . … : . 5o cm Del GE DUT, US: Baudistille er eee p- 100 parties Sur ce milieu (fig.8)la ponte fut abondante, comme sur tous les milieux à lécithine ; les larves s’accrurent rapidement atteignant la taille 1/3 à 1/2 vers le quatrième jour, 3/4 le sixième et 1/1 le sep- tième jour. Dans tous les tubes apparurent des pupes dès le sep- tième, neuvième, dixième ou onzième jour. Il s’en forma de 12 à 50 (exactement 12, 30, 25, 46,90). Un certain nombre de ces pupes moururent sans évoluer, mais dans tous les tubes quelques-unes donnèrent des Mouches dont léclosion survint du douzième au dix-septième jour. On obtint exactement pour 5 tubes : 7 Mou- ches, 30 Mouches, 6 Mouches, 19 Mouches, 4 Mouches au bout de 18 jours, date où lobservation fut interrompue et où de nombreuses pupes encore vivantes paraissaient prêtes à éclore. Cette expérience fut faite en prenant pour témoin un milieu artificiel composé de peptone, lécithine et sels minéraux, mais sans extrait alcoolique dégraissé de Levure. Ce milieu témoin donna les résultats connus (mort de la plupart des larves, for- mation de quelques pupes très rares et tardives, pas de Mou- ches). Bien que sur les deux milieux, les larves aient disposé de lécithine, celles vivant sur le témoin n’emmagasinèrent donc que des quantités infimes de graisse dans leur tissu adipeux et res- tèrent transparentes. Au contraire, celles élevées sur milieu à extrait de Levure dégraissé et lécithine présentèrent un corps 229 E. GUYÉNOT adipeux de plus en plus gros, devenant opaque et dont les cellules étaient bourrées d’inclusions graisseuses. En somme, pour la première fois, j’obtenais un milieu nutritif, permettant le développement complet de la majorité des indi- vidus avec cependant une mortalité et une durée de développe- ment évidemment plus grandes que sur Levure témoin (pupes en 7 à 12 Jours au lieu de 6 et Mouches en 12 à 16 jours au lieu de 11). Ces expériences montrent nettement qu'un milieu contenant de la peptone, de la lécithine, et des sels minéraux (ce qui est Témoins (, Levure) : Pentone. lécithine exhail s lense à! > He L'écithine Ro SAR CET 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 1 12 13 U 15 16 1€ 18 19 20 21 22 23 L 25 X X 8 29 Fig. 8. — Courbes montrant le développement comparé des Drosophiles sur Levure, milieu peptone-lécithine et milieu peptone-lécithine, addi- tionné d'extrait alcoolique dégraissé de Levure. insuffisant), devient un milieu déjà très convenable si on lui ajoute l'extrait alcoolique de Levure, privé de ses graisses. Sous l'influence des substances contenues dans ce produit, ou bien les larves réalisent une synthèse des graisses aux dépens de ces substances ou de la peptone, ou bien deviennent capables de tirer de la lécithine un parti qu'elles ne pouvaient en tirer en leur absence. Il y a vraisemblablement les deux choses, puisque Putilisation de la lécithine ressort du fait que l'addition de l'extrait de Levure à un milieu sans lécithine reste inefficace. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 293 Pour terminer, je conclurai que la ou les substances indispen- sables, telles qu’on peut les extraire du corps de la Levure fraîche sont caractérisés par leur solubilité : 1° dans l’alcool à 1002 bouillant, 2° dans l’alcoo! à 70° froid, 3° dans l’eau bouillante, 4° dans l’eau froide. Ce ne sont pas des graisses; ce ne sont ni des albumines, ni des peptones(la réaction du biuret est négative); ce ne sont pas des corps réduisant la liqueur de Fehling. Je m'en tiendrai pour le moment à ces premières constatations. Essai des autolysats de Levure. — Le procédé d'extraction que J'avais employé est long et ne peut être réalisé que sur de petites quantités de Levure à la fois. Comme j'avais besoin d’ex- trait de Levure en grande quantité, je m'adressai à un autre pro- cédé de solubilisation des constituants de la Levure qui m'a donné des résultats excellents. On sait que la Levure, sortie de la cuve à fermentation et lavée, ne tarde pas, se trouvant privée d'aliments, à présenter une véri- table autodigestion. C'est le phénomène d’autophagie de la Levure consistant en une fermentation suivie de liquéfaction, qui a été étudié par THénarD, PASTEUR, SCHUTZENBERGER et DESTREIN, etc., et que l’on rattache actuellement à la catégorie générale des phénomènes d’autolyse. L'assimilation des cellules de Levure se trouvant brusquement supprimée par la cessation de l’apport alimentaire, les phénomè- nes de désassimilation, c’est-à-dire de destruction cellulaire lem- portent. [y à d'abord fermentation intense, en même temps que disparaît le glycogène renfermé dans la cellule de Levure. La substance vivante est ensuite progressivement dissoute et détruite. Dans ces transformations interviennent les mêmes agents que dans la vie normale, c’est-à-dire les diastases intra-cellulaires. La Levure se digère elle-même. Nozrr a indiqué un procédé industriel qui permet d’extraire par autolyse, de la Levure pressée du commerce, un produit qui possède la saveur du bouillon et qui peut remplacer, dans les usages culinaires, les extraits de viande. Pour obtenir cette auto- lyse, 1l suffit de délayer dans l’eau la Levure et de la maintenir 22% E. GUYÉNOT à une température comprise entre 5o° et 6o°. Dans ces condi- tions la chaleur s'oppose à la pullulation des germes sans nuire aux fermentations qui produisent l’autolyse. Les matières albu- minoïdes de la Levure passent dans l’eau et, si l’on attend un temps suffisant, on constate que le liquide finit par ne plus don- ner les réactions des peptones. Les albuminoïdes se trouvent alors en majeure partie sous la forme d’acides amidés, d’amides et de bases puriques. Les travaux déjà anciens de SCHüTZENBERGER (1874), de Saz- KOWSKY (1899-90), de Kossez, de BücHxer, de GERET et HaziN ont montré que, pendant lautophagie de la Levure, on voyait prendre naissance de lalcool, de lacide carbonique, des éthers, puis des bases nucléiques (guanine), des bases hexoniques, des acides amidés : tyrosine, leucine. KurcHER à mis en évidence la présence d’adénine, de lysine, d’arginine, d’acide aspartique. A. Harpe et S. Paixe (1912) ont montré que la glycogénase transformait le glycogène en sucre et que secondairement la zymase dédoublait celui-ci en gaz carbonique et alcool. KurcHEer et LEHMANN (1903) ont signalé la présence, dans l’autolysat de levure, de choline provenant de la décomposition de la lécithine ; 10 litres de Levure ont fourni 2 gr. 35 de chloraurate de choline, ce qui indique une teneur assez élevée en lécithine. Une étude d'ensemble des constituants de l’autolysat de Levure reste à faire. Je vais maintenant relater les résultats de trois séries d’expé- riences faites avec ces autolysats de Levure, employés tels quels ou après certains traitements. re série d'expériences On dilue, dans un vase flambé, 150 grammes de Levure dans 200 centi- mètres cubes d’eau distillée bouillie et on maintient le tout pendant quatre jours à 550. Le liquide subit une fermentation intense pendant les premières vingt-quatre heures, puis se colore progressivement en brun en même temps que sa réaction devient nettement acide. Dans le fond du bocal se trouve la Levure incomplètement détruite, dont la membrane est intacte et qui renferme encore, ainsi qu’en témoignent des colorations électives, la majeure partie de ses substances nucléiniques. On filtre sur papier Chardin pour séparer la partie soluble de la Levure non autolysée. On obtient un liquide brun, trouble, contenant des particules en suspension colloïdale, dont on conserve une partie telle quelle (x »/0). Une autre partie de cet autolysat est filtrée sur bougie à l’aide du vide. On obtient ainsi un liquide brun, parfaitement clair, et transparent (4 241). RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 295 Enfin on mélange une troisième portion de l’autolysat opalescent avec une partie équivalente de la Levure non digérée restée sur le premier filtre. Ce mélange constitue le milieu & »/>. On étudie ensuite le développement des Drosophiles sur ces trois milieux, ainsi que sur Levure ordinaire servant de témoin (fig. 0). Voici les résultats de ces essais : 1° Sur Levure témoin, formation régulière de pupes en cinq à sept Jours et éclosion de Mouches au bout de onze à treize jours. 29 Sur autolysat brut(x 240) le développement se fait très bien, mais avec un léger retard sur les témoins ; 11 y a formation de pupes en neuf à quatorze jours et naissance de Mouches en seize à dix-huit jours. Un certain nombre de larves meurent sans puper, mais toutes ont des réserves dans leur tissu adipeux. Il y a des pupes dans tous les tubes, mais elles sont plus où moins nombreuses : on en compte suivant les élevages 15 à 20, 4o à Do ou une centaine. Le nombre des Mouches varie parallèlement (, 195, 30 à 40,50). Les Mouches nées dans ces conditions sont vigoureuses. Transportées sur Levure, elles y ont donné une deuxième génération abondante. Le retard constaté n’a rien d'étonnant si l’on songe que cet autolysat, obtenu au bout de qua- tre jours seulement, correspond à un poids sec très faible par rapport à celui de la Levure normale. 3° Sur autolysat brut + Levure partiellement digérée (4 242), le développement se poursuit très régulièrement. Toutesles larves se transforment en pupes. Celles-ci apparaissent au bout de neuf à onze Jours. Les Mouches commencent à naître au bout de quinze à dix-sept Jours. Les pupes sont nombreuses (40 à 100) et on obtient un nombre presque identique de Mouches. Toutes ces Mouches ont donné, sur place, une deuxième géné- ration. Il est intéressant de noter que sur ce milieu qui contient en somme tous les principes de la Levure, le. développement subit un retard de même ordre de grandeur que celui observé sur auto- lysat brut seul. Ceci parait être en rapport avec le changement d'état physique et avec les transformations chimiques consécuti- ves à l’autolyse. Cependant ce milieu est d'action plus régulière que l’autolysat seul, en ce sens que la quasi totalité des larves se transforment en pupes et que presque toutes celles-ci évoluent complètement jusqu’à limago. 15 996 E. GUYÉNOT 4° Sur autolysat filtré (x 247) les choses en vont tout autre- ment. Sur plusieurs dizaines de larves constatées dans chaque tube, quelques-unes seulement se transforment en pupes (4, 5, », 7; 1, à pupes). Ces quelques pupes n'apparaissent qu’au bout de quatorze à seize jours. Dans trois tubes seulement quelques pupes donnent naissance à des Mouches (3, 3, 1) qui naissent du vingt et unième au vingt-cinquième Jour. La majorité des larves ne dépassent pas la taille 3/4, mais restent en vie pendant plus de 25 Jours. L'autolysat brut + 2/0 présentait les quelques caractères sui- Jeruoïns Auto/ysat brut + 240 # ; 3 Autohysal flrx 241 # INIST UNS PEUR SIMON LINE 0 210725 Fig. 9.—Courbes montrant le développement comparé des Drosophiles sur Levure témoin, sur autolysat brut à 240 et sur autolysat filtré à 247. vants : par addition d’un volume d’alcool absolu, formation d’un précipité blanc,qui, séparé par filtration, s’est montré insoluble dans l’eau, mais pouvait y être mis en suspension, constituant alors un liquide opalescent, blanchâtre, ne donnant pas la réaction du biuret, ni celles du glycogène. La liqueur alcoolique donne, après évaporation, un produit ayant la consistance, Paspect et l'odeur de l'extrait de Liebig, à peu près entièrement soluble dans l’eau. La liqueur aqueuse obtenue est acide au tournesol, donne un biuret rougeâtre (pep- tones), n'est pas précipite par ébullition, ni par neutralisation (pas d’acidalbumines), ne réduit pas la liqueur de FenLinG. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME to to + 2° série d'expériences On met en autolyse, à 559,500 grammes de Levure de boulangerie dans 600 grammes d’eau bouillie, pendant cinq jours. On filtre comme précé- demment sur papier Chardin et on obtient un autolysat brut, opalescent (« 297). Cet autolysat est fortement acide ; cette acidité après dosage corres- pond à 4 gr. 5 de SO‘H® par litre. Il donne un biuret rouge sombre. Par neutralisation on obtient un très léger précipité d’acidalbumines. L'addition de sulfate d’ammoniaque à saturation donne un très léger pré- cipité d’albumoses, Ce liquide ne réduit pas la liqueur de FenrixG, Sur aulolysat brut 4 251, expérimenté à 230, la ponte est abondante, les larves atteignent les tailles 3/4 et 1/1 du huitième au neuvième Jour. Dès le douzième jour apparaissent des pupes, dont on observe parfois un nombre élevé (4, 20, 18, 157, 8, 10, 39, 28, 40, 10, 12, 10, 14, 15, 1). Pratiquement la presque tota- lité des larves se transforme en pupes. Les seize, dix-sept et dix- huitième jours éclosent les premières Mouches. Cette éclosion se poursuit Jusqu'au vingt-cinquième jour. Beaucoup de pupes ne donnent pas de Mouches, cependant celles-ci s’observent en nombre déjà important (4, 17, 10, do, 4, 7, 25, 23, 4o, 8, 8, 5, ro, 9, 1). Laissées sur place ces Mouches vivent encore une vingtaine de jours, parfois davantage et, dans trois tubes, donnent une deuxième génération. La température de l’étuve s'étant trouvée abaissée accidentellement, du seizième jour au vingt-deuxième, à environ 20°, il faut tenir compte de ce fait qui a naturellement déterminé un léger retard dans l’éclosion des Mouches. Cet autolysat représente en somme un aliment complet pour la Mouche, mais le développement s’y fait plus lentement et moins régulièrement que sur la Levure, ce qui est vraisemblablement dû en grande partie à sa moindre concentration en principes nutritifs. J'ai fait plusieurs expériences pour voir si, en ajoutant à cet autolysat diverses substances, il serait possible de combler ce défi- cit alimentaire; j'ai pour cela préparé des milieux constitués par l’autolysat brut 4 257, additionné de peptone 2 p. 100, ou glu- cose 1 p. 100, ou lécithine 1 p. 100 ou peptone-glucose, ou pep- tone-lécithine. a) l'addition de peptone seule à permis une croissance plus rapide des larves et une formation plus précoce des pupes, cel- E. GUYÉNOT LS] 19 C2] les-ci apparaissant les onzième, douzième, treizième jour. Sur 4o larves, il se forma environ 30 pupes, sur 15 larves 12 pupes, etc. Dès le seizième jour naquirent les premières Mouches. L'action de la peptone est sans doute peu marquée; mais sa présence n’est en tout cas pas nuisible et Pélévation de la teneur du milieu en protéique paraît plutôt favorable. b) Par contre l'addition de glucose non seulement ne déter- mina aucune amélioration de la valeur nutritive du milieu, mais provoqua plutôt un léger retard dans la croissance larvaire et une augmentation de la mortalité. Les premières pupes apparu- rent les onzième, quatorzième et dix-septième jour. Leur nombre resta peu élevé (17, 12, 10). L’éclosion des Mouches, d’ailleurs peu nombreuses (10, d, 1), ne se fit pas avant les dix-septième, vingtième et vingt-sixième Jours. c) L’addition simultanée de peplone 2 p. 100 et glucose 1 p. 100 exerça une légère amélioration comparable à celle provoquée par la peptone seule. Les pupes apparurent dès le onzième Jour, on en compta 12, 7, 4o. Les premières Mouches naquirent vers le dix-septième ou dix-huitième jour. On en nota 6, 6, 24. d) La lécithine exerça une action notable, non.sur la durée du développement, mais sur le nombre des individus qui arrivèrent à l’imago. Les pupes apparurent en onze jours et les Mouches en dix-sept. On compta 45 pupes et 4o Mouches dans un tube, 96 pupes et 35 Mouches dans un autre. e) En ajoutant simultanément de la peptone et de la lécithine, on obünt les meilleurs résultats. La durée du développement se trouva très légèrement diminuée. Dans un cas, par exemple, la première éclosion eut lieu dès le quinzième jour. Le nombre des larves qui réussirent à puper et celui des pupes qui donnèrent des Mouches fut très élevé (dans un cas 200 pupes et plus de »o mouches écloses le vingtième jour). Ces expériences montrent donc que Pautolysat brut, déjà com- plet en tant qu’aliment, peut être amélioré par addition de pep- tone et surtout de lécithine, mais la rapidité de croissance des larves demeure encore inférieure à ce qu’elle est sur levure témoin, Ce résultat peut être dû à la présence de substances tox1- ques ou retardantes ayant pris naissance par suite des transfor- mations autolytiques. Nous verrons plus loin ce qu'il faut penser de cette hypothèse. Éd _ LR RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 229 L'’autolysat brut 4 257 fut, comme le précédent, filtré sur bougie. On obtint un autolysat filtré de couleur brune, parfaite- ment transparent, 4 264. Les parties insolubles dans l’eau, restées à l'intérieur du filtre, furent recueillies et mises en suspension dans l'eau. On vérifia que ce résidu ne contenait pas de Levure intacte. Sur autolysat filtré x 20%,1e développement se montra comme dans la première série d'expériences, très différent de ce qu'il était sur le même autolysat non filtré. Les larves s’accrurent len- tement. Elles atteignirent la taille 1/3 à 1/2 vers le huitième jour. Elles restèrent transparentes et dépourvues de réserves. Vers le quinzième jour, la plupart atteignirent la taille 3/4. Vers le vingt- tième jour, on compta déjà de nombreux cadavres. On trouva encore quelques larves vivantes, mais inertes, les vingt-sixième et vingt-septième jours. Toutes étaient mortes le trentième jour sans qu'aucune ait réussi à puper. Ilest donc nettement établi que l’autolysat filtré est incapable d'assurer la nutrition des larves, par le fait que l’on a retiré de lautolysat brut les particules insolubles qui s'y trouvaient en suspension et qui ont été retenues dans le filtre. A cet autolysat filtré, J'ai ajouté de la peptone à 2 p. 100, de la peptone et du glucose, de la peptone et de la lécithine. Ni la peptone seule, ni la peptone-glucose n’ont amélioré sensiblement la valeur nutritive de ce milieu ; les larves moururent dès le quin- zième jour après avoir atteint la taille de 1/2 à 3/4, sans avoir pu accumuler de réserves, ni se transformer en pupes. Par contre, l'addition de lécithine détermina une amélioration considérable. Tout d’abord la ponte fut sur un semblable milieu très abondante. Les larves atteignirent la taille 3/4 dès le huitième jour et on nota l'apparition des premières pupes dès les dixième, onzième ou douzième jours. Ces pupes furent nombreuses (150, 200, 100, 200). L'éclosion des premières Mouches se produisit dès les dix-septième et dix-huitième jours. On en compta de 40 à D0 au moins. Cette expérience montre que l'addition de lécithine à l'auto- lysat filtré constitue un milieu comparable au point de vue de sa valeur nutritive à lautolysat trouble, primitif et, d'autre part, que la lécithine et une certaine quantité de peptone mises à part, lautolysat filtré contient tous les principes indispensables au développement des Mouches. 230 E. GUYÉNOT Je série d'expériences. Je préparai un troisième autolysat en laissant pendant 4 jours à 55° 3 kilogs 500 de Levure délayée dans 3 litres d’eau bouillie. Après filtration sur papier, je recueillis 3 litres 500 d’un autolysat trouble, de teinte jaune foncé (x 285). Une partie de cet autolysat fut filtré sur bougie et je recueil- lis séparément cet autolysat filtré et transparent (x 281) et le produit obtenu en ràclant l’intérieur de la bougie et mis en suspension dans l’eau (5 69). J'ai étudié comparativement : 1° La Levure témoin. 2° L’autolysat brut trouble % 283. 3 L’autolysat filtré à 247. 4° Un milieu artificiel. Pepe NE Ca AE TS EP AT DENT EE ONE 2 p. 100 ÉCRAN ES OUT RER EC ET RAl EE 1 P. 100 SeISADINÉLAURAL Fe Le PE RAS NN NN AE Q.S. Fr 5° L’autolysat filtré + le milieu artificiel. 6° L’autolysat filtré + peptone 2 p. 100. 7° L’autolysat filtré + lécithine 1 p. 100. 8° Le résidu resté dans le filtre, 8 69. Les résultats ont été les suivants (fig. 10). 1° Sur Levure témoin, développement très régulier ; pupes en 7 à 8 jours (à 23°) et Mouches en douze à treize jours. 2° Sur autolysat brut trouble, les premières pupes apparaissent en quatorze à seize jours et les Mouches naissent à partir du dix-huitième ou vingtième jour. 3° Sur autolysat filtré, les larves ne dépassent pas la taille 3/4 qu’elles atteignent vers le dix-huitième jour ; on note des cada- vres dès le treizième jour. Celles qui persistent restent transpa- rentes, 1l se forme exceptionnellement quelques pupes petites, au bout de vingt à vingt-cinq jours. Une seule donne naissance, le trente-cinquième jour, à une Mouche de petite taille. 4° Sur milieu artificiel, les résultats sont, malgré la présence de lécithine, toujours médiocres. Les larves atteignent la taille 3/4 vers le dix-huitième jour; certaines meurent dès le quinzième jour. Quelques larves arrivent exceptionnellement à se transfor- mer en pupes (Sur Do larves environ par tubes : 1 pupe le ving- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 231 tième jour; 2 pupes le vingt-troisième; 1 pupe le dix-huitième jour, suivie dans ce tube de treize autres; 2 pupes le vingt-troi- sième Jour ; o pupe au bout de 60 jours). Aucune pupe ne donne naissance à la Mouche. Quelques larves vivent très longtemps quoiqu’à peu près inertes. Dans un tube, on en trouve deux encore vivantes le cinquante-quatrième jour. 5° Sur le mélange : autolysat filtré + milieu artificiel, le résultat est comparable à celui qui est fourni par lPautolysat M Témoins Mile: syn étIqUIE plus exbrit alcoobaue d'autolysal Autoysal flré plus aile synhelique E É Milieu synlhétique 5 La ÿ Aut olysat lle seul 1 2 3 4 5 6 T 8 9 10 H 12 13 44 15 16 NT 18 19 20 21 2 23 % 25 26 A 18 29 Fig. 10. — Courbes montrant le développement comparé des Drosophiles sur Levure, milieu artificiel, autolysat filtré à 281, autolysat filtré + milieu synthétique et milieu synthétique + extrait alcoolique d’au- tolysat. non filtré. Les larves se transforment en pupes, dès le douzième, treizième ou quinzième jour. On en compte selon les tubes 60, 7%, 19, 25; les pupes donnent, du moins un certain nombre d’entre elles, naissance à des mouches à partir du dix-septième ou dix-neuvième jour. 6° Sur l’autolysat filtré + peptone, on ne note qu'une très légère amélioration par rapport à ce qui se passe sur autolysat filtré seul. On obtient quelques pupes peu nombreuses vers Île 939 E. GUYÉNOT dix-huitième jour (5 pupes, 1,8, 4, 0). Aucune pupe ne donne naissance à la mouche. 7° Sur autolysat filtré + lécithine, le résultat est tout à fait comparable à celui que donne l'addition du milieu artificiel tout entier. Les pupes sont obtenues en douze à quatorze jours. Les larves sont turgescentes, non transparentes, et ne meurent qu’ex- ceptionnellement. Les Mouches éclosent entre le dix-huitième et le dix-neuvième jour. 8° Enfin en mettant en suspension dans Peau, contenant 1 p.100 de peptone et les sels minéraux usuels, le produit obtenu en râclant l’intérieur de la bougie filtrante, on obtient un résultat semblable à celui que détermine Paddition de lécithine à l’autolysat filtré. Les pupes apparaissent nombreuses en 9, 10, 11 jours et les Mouches éclosent dès le treizième ou quatorzième jour. Ce résidu est done à la fois très riche en un composé identique ou semblable à la lécithine et contient également la ou les subs- tances indispensables de l'autolysat. Conclusion de ces trois séries d'expériences. — Résumons main- tenant les résultats de ces diverses expériences pour en tirer les conclusions. Nous savons que toutes les recherches effectuées pour consti- tuer des milieux artificiels ont échoué, que le meilleur d’entre ces milieux, composé de peptone, de lécithine et de sels miné- raux, est incapable d'assurer la nutrition de la Drosophile et de lui permettre d'effectuer régulièrement son développement complet. Par contre, on peut, par autolyse de la Levure, oblentr un produit brut, contenant des particules en suspension, qui, bien qu'avec une moindre rapidité, permet réqulièrement à la larve de croître, d'effectuer sa métamorphose et d'äboutir à l'imago. Cet autolysat devient par contre insuffisant si on enlève les particules en suspension qu’il contient, par filtration sur bougie. Me trouvant ainst en présence de deux milieux nutritifs insuffisants : milieu artificiel et autolysat filtré, je les ai mélan- gés el j'ai constaté que ces deux milieur, insuffisants isolément, devenaient un substratum nutritif excellent. quand on les réunissait. k Le RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 233 Or le milieu artificiel ajouté à lautolysat filtré contient trois caté- gories de substances, de la peptone, de la lécithine et des sels minéraux. Une expérience faite en ajoutant à Pautolysat filtré la peptone et la lécithine, sans les sels minéraux, a montré que ce n'était pas ceux-ci qui manquaient à Pautolysat filtré. L’addition de peptone seule a été à peine efficace, tandis que laddition de lécithine seule à l’autolysat filtré en à fait un milieu excellent. Nous pouvons donc conclure maintenant : 1° En fournissant aux larves de la lécithine, plus les substan- ces de l’autolysat filtré, nécessaires, mais non suffisantes, on obtient un milieu nutritif complet. 2 Un milieu composé de peptone, lécithine, sels minéraux, par lui-même insuffisant, devient un aliment complet st on lut ajoute les substances contenues dans l’autolysat filtré. Tous les efforts devaient donc tendre naturellement, après cette constatation, à essayer de connaître et d'isoler la ou les substan- ces nécessaires-contenues dans lautolvsat filtré. Production des graisses du tissu adipeux aux dépens des albuminoides dans certaines conditions. — Auparavant, Je tiens à attirer l’attention sur les résultats particuliers fournis par l'emploi de l’autolysat filtré, seul ou additionné de peptone. Ce milieu ne contient pas de graisses ; je n’en ai pas trouvé trace en effectuant la recherche des graisses après saponification totale d'une grosse quantité de cet autolvsat. Or, sur un semblable milieu, si d’une façon générale les lar- ves restent transparentes et meurent sans puper, avec un tissu adipeux assez pauvre en réserves, quelques-unes ont pu, par contre, se développer jusqu’à la pupe et même, dans un cas ou deux, donner exceptionnellement naissance à des mouches. L'exa- men microscopique du corps adipeux de semblables larves à montré l'existence de nombreuses vacuoles réfringentes, colora- bles en noir par l'acide osmique, en rouge par le Sudan IT, qui sont incontestablement constituées par des graisses (fig. 5, pl. ID. Cette constatation permet d'affirmer qu’en l'absence de grais- ses el de sucres, du moins de sucres réducteurs (il y a d’ailleurs peu de chance pour que des sucres aient pu persister dans Pau- tolysat), les larves sont susceptibles, à des degrés divers, de fabriquer des graisses aux dépens des substances albuminoïdes 234 E. GUYÉNOT ec de les mettre en réserves. Cette transformation est par contre irréalisable si le milieu albuminoïde est constitué par la peptone seule, ainsi que l’a montré l'étude microscopique du tissu adi- peux (fig. 1, pl. I). Cette synthèse des graisses reste, en tout cas, une opération précaire. La quantité de graisse emmagasinée et le retentisse- ment de cette réserve sur le reste du développement n’ont rien de comparable à ce qui s’observe quand, au même autolysat filtré, on à ajouté de la lécithine. Cette première indication, qui con- firme la réalité d’une transformation aseptique des albuminoïdes en graisses par les larves de Mouches, montre que ce processus reste très limité et que la majeure partie des réserves adipeuses paraît provenir d’une utilisation directe des graisses alimentaires. Essais d'isolement de la substance nécessaire contenue dans l’autolysat. — Les recherches ayant trait à cette tentative ont été Interrompues brusquement et sont restées incomplètes. Du moins quelques précisions peuvent être déjà apportées. [Il est extrèmement difficile d'analyser un produit aussi com- plexe qu’un autolysat de Levure et d'isoler, d’un semblable mélange, les différents éléments quile constituent pour rechercher quel est, parmi eux, celui ou ceux dont la présence est indispen- sable à la nutrition des mouches. Au sujet de la nature de cette substance indispensable plu- sieurs hypothèses peuvent être faites, dont un certain nombre sont dès maintenant à éliminer. 1° Il ne s’agit certainement pas de graisses neutres, ni d’aci- des gras, ni de lipoïdes pour la raison que ces substances, sont insolubles dans l’eau ou que celles qui pouvaient s'y trouver en suspension (lécithine) ont été retenues par la filtration sur bougie. J'ai d'autre parttraité une partie de l’autolysat filtréet desséché, par l’éther anhydre et par le chloroforme. Ces dissolvants même employés à chaud, n’ont entraîné que des traces infimes de sub- stances. Ces substances ne donnent pas les réactions des corps gras et les extraits éthérés ou chloroformiques ajoutés au milieu artificiel témoin n’ont aucunement amélioré la valeur nutritive de ce milieu. 29 Il paraît très invraisemblable qu'il s'agisse de sucres. Ceux qui proviennent de lhydrolyse du glycogène ou qui pouvaient se L 5: 030 es RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 235 trouver dans les cellules de Levures sont détruits rapidement lors de la fermentation qui s'établit au début de lPautolyse. Sans doute, la désintégration de certaines molécules albuminoïdes ou des nucléoprotéides peut mettre en liberté de petites quantités de sucre, Il y a cependant des chances pour que cette partie hydro- carbonée de la molécule soit elle-même détruite. D'ailleurs lPad- dition d’hexoses et même de pentoses ne m'a Jamais donné aucun résultat satisfaisant. 3° Une troisième hypothèse concerne les substances miné- rales de l’autolysat. Il semble peu probable que ce soit à ce groupe qu'appartienne l’élément indispensable, puisque l'emploi des sels minéraux de la Levure entière n’a procuré aucun bénéfice. Jai d’ailleurs calciné une portion de Pautolysat filtré et ajouté les cendres convenablement recueillies au milieu artificiel témoin, sans que le résultat se soit trouvé en rien amélioré du fait de cette addition. 4° {l'est donc très vraisemblable que le produit indispensable est un constituant des molécules protéiques, soit un acide amidé, soit une base purique, soit une base hexonique, soit une autre substance (choline, plomaïnes, leucomaïnes, etc... Extrait alcoolique d'autolysat filtré. — Une simplification importante de l’autolysat filtré a été obtenue en traitant celui-ci par deux volumes d'alcool à 95°. Il se forme dans ces conditions un abondant précipité que l’on sépare par filtration. Le préci- pité est lavé à plusieurs reprises à l’alcool bouillant qui entraîne des produits se précipitant par refroidissement. Cet extrait alcoolique a été ajouté, après évaporation de Pal- cool, au milieu synthétique témoin et a donné des résultats excel- lents, supérieurs à ceux fournis par laddition de Pautolysat lui- même (fig. 10). Le développement des larves s'effectue, en effet, avec rapidité. Toutes les larves ou presque se transforment en pupes (180, 150, 200, 120, 180, 200, 100, 100, 200 pupes environ) en neuf à dix Jour au plus. Les mouches naissent dès le quatorzième ou quin- zième jour et on en recueille dans tous les tubes au moins une centaine. On ne note pas de cadavres de larves. Ces mouches transportées sur de nouveaux tubes, renfermant le même milieu, y ont donné une deuxième génération abondante. Jai, depuis, 236 E. GUYÉNOT maintenu sur ce milieu des Mouches en reproduction très intense pendant plus de vingt-cinq générations. C'est le meilleur milieu nutritif que j'aie jusqu'alors obtenu. I est nettement supérieur tant au point de vue de la régularité que de la rapidité du développement à lPautolysat filtré, dont certaines parties nuisibles avaient été vraisemblablement précipitées par l'alcool et séparées. Cette expérience permet donc d'affirmer que la substance indispensable, soluble dans l'eau, est également soluble dans l'alcool à 70°. Extraits alcooliques divers. — J'ai alors cherché à obtenir, par des extractions de lPautolysat sec, au moyen d'alcools de concentrations diverses, un fractionnement de cet autolysat pour rechercher dans quelles portions exactement passait la partie utile. Ces expériences ont été faites en opérant sur un autolysat brut, non filtré — ce qui évidemment rendait le résultat un peu plus complexe — mais elles devaient seulement servir de première indication. 1° Æ£xtraction par lPalcool à 100° froid L’autolysat parfaitement desséché dans le vide sulfurique est broyé en présence d'alcool absolu froid, en répétant quatre fois l'opération. L'alcool est décanté, filtré, évaporé, et le résidu, très peu abondant, repris par l’eau ; ce résidu est ajouté au milieu artificiel témoin. Sur un semblable milieu (+ 7), les larves ne se développent pas plus facilement que sur le milieu artificiel seul. Un certain nom- bre meurent vers le onzième jour. Quelques unes atteignent la taille 3/4 à 1/1 ; exceptionnellement une ou deux se transfor- ment en pupes qui se dessèchent sans évoluer. Essai du résidu. — La partie de l’autolysat sec insotuble dans l’alcoo! à r00° froid, c'est-à-dire la presque totalité de cet auto- lysat, est ajoutée au milieu nutritif témoin (+ #). On obtient alors un résultat excellent: pupes en cinq à six Jours, nombreuses, aboutissant toutes à des Mouches qui éclosent du neuvième au onzième Jour. Conclusion. — La substance indispensable est insoluble dans l'alcool absolu froid. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 237 29 Æxrtraction par l'alcool à 100° bouillant Une portion de l’autolysat insoluble dans l'alcool absolu froid est trai- tée à trois reprises par l’alcool absolu bouillant., Le liquide est filtré à chaud. Il est de couleur très légèrement jaunâtre. Par refroidissement il se forme un précipité blanc. On évapore l'alcool et reprend par l’eau le résidu qui est entièrement soluble. Ce résidu est ajouté au milieu artifi- ciel témoin. Dans ces conditions, on constate une légère amélioration con- sécutive à cette addition. On obtient des pupes en petit nombre, mais pas dans tous les tubes et les pupes donnent naissance à quelques Mouches après plus de vingt jours. Pensant que ce résultat médiocre était dû à une extraction incomplète, J'ai refait une extraction poussée beaucoup plus loin, en traitant à quinze reprises, et chaque fois pendant un temps assez long, l’autolysat par l’al- cool bouillant. Le produitobtenu, entièrement soluble dans l’eau, fut ajouté au milieu artificiel témoin (y 76). Sur ce milieu, l'amélioration est beaucoup plus manifeste. Dans tous les tubes, des pupes sont formées au bout de neuf à dix jours et des Mouches éclosent du dix-septième au dix-hui- ième Jour. Essai du résidu. — Le reste de lautolysat, dissous dans l'eau et ajouté au milieu artificiel témoin, donne un aussi bon résultat que l’autolysat non traité par l'alcool à 100°. L'extraction avait donc été très incomplète, en ce qui concerne le principe utile et Pautolysat en renfermait encore de grandes quantités. Conclusion. — La substance utile, insoluble. dans lalcool absolu froid est difficilement soluble dans Palcool à roo° bouil- lant. 3° £xtraction par l'alcool à 4o° bouillant De l’autolysat sec, épuisé seulement par l'alcool absolu froid, est traité par l’alcoo! à go° bouillant. On obtient une liqueur beaucoup plus foncée que les extraits précédents, ne précipitant pas par refroidissement, Après évaporation de lalcool, cet extrait est ajouté au milieu artificiel témoin (y 29). Sur ce milieu, le développement se fait dans d'assez bonnes conditions. Dans tous les tubes on observe des pupes assez 238 E. GUYÉNOT nombreuses, à partir du neuvième ou dixième jour et des Mou- ches éclosent vers le quinzième ou dix-septième jour. Un assez grand nombre de pupes meurent sans évoluer. Essai du résidu. — La partie de Pautolysat, non dissoute par alcool à 90° bouillant, est ajoutée au milieu artificiel et donne un résultat aussi bon qu'avant l'extraction. Conclusion. —La substance utile, insoluble dans l'alcool à r00° froid, très peu soluble dans lalcoo! à 100° bouillant, est peu solu- ble dans lalcool à 90° bouillant. 4° Extraction par lalcool à 80° bouillant Le résidu restant après l’extraction précédente et trouvé très efficace est, à son tour, épuisé par l'alcool à 80° bouillant. L’extrait de couleur brun foncé est, après évaporation de l'alcool, ajouté au milieu artificiel témoin (y 10). Cette addition provoque une amélioration encore plus nette que Pextrait précédent, On obtient en effet des pupes assez nom- breuses en 8 à 10 jours et des Mouches en 15 à 17 Jours. Essai du résidu. — Enfin le résidu est dissous dans Peau et ajouté au milieu artificiel témoin (y 17). Dans ces conditions le développement se fait encore régulièrement et rapidement : des pupes nombreuses apparaissent du neuvième au dixième jour et les Mouches commencent à éclore dès le quinzième jour. Coxczusion. — La substance indispensable est de plus en plus soluble, à mesure que les extraits sont effectués avec des alcools moins concentrés, mais est évidemment plus soluble dans l'eau que dans l'alcool. Cependant les extraits faits avec de l'alcool à Go°-50° paraissent, ainsi que nous l'avons vu, en contentr la plus grande partie. Ces caractères de solubilité ne permettent pas, on le conçoit, d'isoler la substance puisqu'elle est plus où moins soluble aussi bien dans l’eau que dans les divers alcools et qu'elle passe néces- sairement avec d’autres produits dont il est très difficile de la séparer. Ces expériences fournissent cependant une indication sérieuse. L'une au moins des substances indispensables est insoluble dans Palcool à ro0° froid. Or, nous avons vu que quand on fait un extrait par l’alcool absolu bouillant qui renferme, quoiqu'en très I TARN © ÿ EEE } 1 = RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 239 petite quantité, les substances indispensables, la liqueur trans- parente à chaud se trouble par refroidissement, tandis qu'une substance blanchâtre se dépose sur les parois et le fond du réci- pient. Le rapprochement de ces deux faits conduit à supposer que cette substance doit être au moins lune de celles qui sont recherchées. Dans le but de m’en assurer, j'ai préparé, par extraction par l'alcool à r00° bouillant, dans l’extracteur, de grandes quantités d’un semblable extrait et j'ai pu recueillir près de 3 grammes de substance insoluble à froid. Séparée par filtration, elle pré- sente une consistance un peu gélatineuse. Lavée à: plusieurs reprises, sur le filtre, à l'alcool à 100° froid, puis desséchée, elle forme une poudre blanche qui se dissout très facilement dans l'eau en donnant une liqueur jaune pâle. Une petite quantité de ce produit fut alors ajoutée au milieu artificiel témoin (y 25). Voici quels furent les résultats de cet essai. Sur un semblable milieu, les larves se développèrent assez rapidement, elles atteignirent les tailles 1/2, 3/4 et 1/1 vers le septième jour. Le dixième jour on nota des pupes assez nom- breuses (30. 2, 4o, 10). La première Mouche naquit le qua- torzième Jour. Les autres entre le quatorzième et le dix-septièmé jour. À ce moment on en compta 9, 839, 12, 10. La comparaison avec les résultats obtenus, en utilisant le milieu artificiel seul, montre nettement que l'addition de cette substance entraine une amélioration au moins aussi grande que l’extrait alcoolique à 100° bouillant total. Elle est toutefois infé- rieure, comme rendement à l'addition de Pautolysat lui-même, ce qui peut être dû, soit à ce que la substance a été employée en quantité insuffisante, soit à ce que son efficacité est surtout complète quand elle se trouve associée à d’autres substances. D’autres recherches faites pour déterminer la nature chimique de cette substance et en étudier l’action à diverses concentrations ont été malheureusement interrompues, en Juillet 1914, au moment où je pouvais penser être sur le point de résoudre déti- nitivement le problème dont je poursuivais depuis plus de trois ans la solution. Je ne parlerai pas d'expériences faites en traitant Pautolysat de Levure par lacide phosphotungstique et en étudiant séparé- 240 E. GUYÉNOT ment les eaux-mères recueillies après précipitation et la liqueur obtenue par dissolution du précipité. Toutes ces recherches ont été interrompues. Essai d'autolysats de foie. — Parallèlement aux tentatives que je faisais pour fragmenter l’autolysat de Levure en ses consti- tuants, j'ai fait, à titre d'indication, des essais avec des autolysats de différentes substances. Ceux de foie m'ont donné les résultats les plus intéressants. Du foie de bœuf broyéet délayé dans Peau est maintenu à 55°, pendant 10 à 15 jours, sous couche de toluène. On chauffe ensuite à 100° ; il se forme un coagulum qui est séparé par filtration. Ce coagulum est digéré par le trypsine en milieu alcalin à 36°, Quand il ne se produit plus aucune coagulation du liquide en diges- tion par chauffage à r00°, on mélange les deux extraits, l'extrait primitif non coagulable à ro0° et le coagulum digéré. Cet auto- lysat fut après filtration ajouté au milieu artificiel témoin (y 72). L’essai eut lieu à une température de 22°. Dans ces conditions, des pupes nombreuses apparurent dans tous les tubes dès le neuvième jour et ces pupes donnèrent naissance à des Mouches dès le quinzième ou dix-septième jour. Le rendement fut au moins aussi bon que sur autolysat de levure. Essais de bouillons de Levure et de foie. — Etant donnée la complexité des autolysats, j'ai recherché si les substances indis- pensables ne pourraient pas être extraites de la Levure ou du foie, sous une forme plus simple et par un procédé plus rapide. C’est dans ce but que j'ai fabriqué des bouillons. Bouillon de Levure : Premier essai. — Déjà en Janvier 1912, j'avais essayé un bouillon obtenu en chauffant 300 grammes de Levure délavée dans un litre d’eau, à l’autoclave, à 120°, pen- dant 20 minutes. Après filtration sur papier, puis sur bougie, j'avais recueilli un suc (1 4), de réaction acide, ne réduisant pas la liqueur de Fehling, contenant de petites quantités d’acidalbu- mines et d’albumoses. La Levure utilisée avait dû subir une très légère autolyse avant de m'être livrée (levure en pain du com- merce). Utilisé seul, ce milieu ne donna que des résultats très médio- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 241 cres : les larves se développèrent lentement ; elles atteignirent la taille 1/3 à 1/2 au plus. De nombreuses larves étaient mortes le vingt-cinquième Jour. Toutes étaient mortes le trente-cinquième jour, sans avoir accumulé de réserves dans leur corps adi- peux. L'addition de glucose ne détermina aucune amélioration ; par contre celle de lécithine — bien qu'employée alors à doses beau- coup trop faibles, 0,15 p. 100 — donna des résultats encoura- geants. Les larves se développèrent lentement, mais au bout d’un mois quelques pupes commencèrent à se former (du trentième au trente-sixième jour). Ces pupes furent peu nombreuses, il s’en forma jusqu’au soixantième jour. Quelques Mouches prirent nais- sance : 3 dans un tube, les trente-septième, quarante-et-unième et quarante-huitième jour ; > dans un autre tube les quarante- troisième et quarante-cinquième jour. Il était évident que ces résultats auraient été très améliorés par l'emploi d’une dose suffisante de lécithine, c’est ce que montrèrent les résultats d’un deuxième essar. Deuxième essai. — Un bouillon de Levure fut fabriqué en fai- sant bouillir pendant une heure 100 grarames de Levure pressée, fraîche, dans 4o0o grammes d’eau distillée. Le bouillon obtenu fut, après filtration, ramené par concentration à 150 centimètres cubes. Il donna une réaction du biuret légère, ne réduisit pas la liqueur de Fehling. On l'additionna de lécithine 0,50 p. 100 et peptone 2 p. 100. Les résultats fournis par emploi de ce milieu furent aussi bons que ceux obtenus avec Pextrait alcoolique d’autolysat. Les larves atteignirent la taille 1/1 en 6 à 8 jours; les pupes apparurent dès les neuvième et dixième jours. On en compta 60, 30, 8. Les premières Mouches naquirent du quatorzième au dix-huitième Jour. Le bouillon de Levure, ajouté au milieu artificiel, est done très efficace et contient les principes indispensables au développe- ment des Drosophiles. Essai du bouillon de foie. — Le fait que l'autolysat de foie donne des résultats superposables à ceux fournis par l'auto- lysat de Levure me conduisit à rechercher si le bouillon de foie Jouissait de la même propriété que le bouillon de Levure. Or, sur un milieu artificiel additionné de bouillon de foie (milieu 8 75) 16 249 E. GUYÉNOT *. j'ai obtenu régulièrement des pupes en 13 jours et des Mouches en 18 jours. Le bouillon de foie est donc comparable — quoi- qu'un peu moins favorable au bouillon de Levure. Autres bouillons. — Par contre, d’autres bouillons utilisés à ütre d'indications, bouillons de viande, de chair de Poisson, de laitance n’ont pas donné des résultats favorables. J’ai de même ajouté sans succès de la bière concentrée. Essais d'autres substances. — En présence des difficultés que comportait la recherche dans les bouillons ou autolysats des substances indispensables au développement des Mouches, j'ai effectué de très nombreux essais, avec de multiples produits, espérant en retirer quelques indications utiles relativement à la nature de la ou des substances indispensables. Comme tous ces essais sont restés stériles, je ne m'attarderai pas à décrire cha- cune des expériences faites avec les divers produits, je les résu- merai seulement brièvement. 1° Acides amidés. — Pensant que le milieu artificiel peptone- lécithine pouvait pêcher par défaut de certains acides amidés indispensables, j'ai essayé Paddition au milieu artificiel témoin, soit d'acides amidés à l’état pur, soit de produits de la digestion de substances albuminoïdes remarquables par leur haute teneur en tel ou tel constituant. C'est ainsi que j'ai utilisé le glycocolle ou la peptone de gélatine, la leucine, la tyrosine, le tryptophane ou la peptone de caséine sans aucun résultat. Il resterait encore à essayer un grand nombre de constituants tels que l’arginine, la lysine, l'histidine, la cystine, la proline, etc. Un hydrolysat de viande de bœuf, ne donnant presque plus la réaction du biuret et contenant divers acides amidés, n’a pas été plus efficace. 2% Nucléoprotéides et leurs dérivés. — J'ai déjà relaté les résultats négatifs que m'avait donné l'emploi de nucléine de la Levure. J'ai utilisé ensuite soit l'acide nucléinique, soit Pacide thyminique, soit le nucléinate de soude, sans plus de succès. Des expériences faites en ajoutant à un milieu artificiel des bases puriques (xanthine, hypoxanthine, guanine) en quantités varia- bles ne m'ont donné de même aucun résultat appréciable. 3° Substances extraclives. — Le bouillon de viande ayant paru entraîner une amélioration très nette des milleux précé- Pe RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 243 demment employés, j'ai utilisé à nouveau du bouillon concentré ou un extrait alcoolique du résidu sec de ce bouillon sans en obtenir aucune amélioration notable. Même insuccès en utilisant, à doses variées, des substances extractives pures : sarcosine, créatine et créatinine. Il en a été de même de l'addition d’allantoïne, de choline, d’urée ou de divers acides organiques (acides lactique, tartrique, citri- que) ou de leurs sels. Utilisation des hydrates de carbone et des graisses avec ou sans autolysat. — Il est très remarquable qu'aucun des hydrates de carbone utilisés, pas plus que les divers mélanges gras, essayés dans mes premières séries d'expériences, ne se soient montrés capables d’être utilisés par les larves pour la cons- utution de leurs réserves, ni même comme aliment énergétique, puisque l'activité des larves et la durée de leur vie n'étaient alors accrues le plus souvent que dans des proportions infimes par rapport à ce qu'elles étaient sur des milieux artificiels dépour- vus de ces substances ternaires. L'exemple de la lécithine qui est parfaitement utilisée en pré- sence d’autolysat, tandis qu’elle ne produit, en Fabsence de cet extrait, qu'une amélioration incomparablement plus faible m'a conduit à recommencer les expériences relatives à l'utilisation des graisses et des hydrates de carbone, en présence d’an aliment protéique constitué non plus par la peptone seule, mais par la peptone additionnée d’autolysat filtré de levure. Première série: Essai des hydrates de carbone.— Les milieux suivants furent essayés : Avec autolysat sans autolysat 60 p. 100 Br0M-PeEpIONE. A: 2 p. 100 B'rrt, Péptone. 2 p. 100 a , ( Peptone. 2 p. 100 lt Pepronetnr 2 p. 100 PET } Amidon. . 1 P. 100 PA CAMATOn ER 1 p. 100 BAZ Peptone. 2 p. 100 als | Peptone. à 2 p. 100 (PES Glycogène . I P. 100 ï Glycogène . I P. 100 \\RPeptone..- 2 p. 100 2 RENIM ECHO, 2 p. 100 p 5 Glucose. . [ P. 100 EMA GITeoSes LU 1 p. 100 & Peptone.o 2 P. 100 Bi (ePeptone:: 2 P. 100 Ù Lévulose . I P. 100 P 0 | Lévulose . I P: 100 Tous ces milieux renfermaient la même quantité d’une même solution minérale mère. 244 E. GUYÉNOT 1° Milieux sans hydrates de carbone. — Sur milieu contenant seulement 2 0 0 de peptone, les larves atteignent péniblement la taille 1/3 à 1/2 vers le neuvième ou dixième jour, meurent à partir du neuvième jour et sont toutes mortes le quinzième jour environ. Ces larves restent petites, absolument transparentes (fig. 1, pl. D), avec un üUssu adipeux complètement dépourvu de réserves (fig. 1, pl. Il). Sur le même milieu additionné d’autolysat filtré, les résultats sont, ainsi que nous l'avons déjà maintes fois constaté, nettement supérieurs en ce qui concerne la croissance des larves (fig. », pl. D). On note en effet des larves 3/4 à 1/1 vers le neuvième au dixième jour. La plupart de ces larves meurent. Quelques-unes cependant se transforment en pupes à partir du onzième Jour jusqu'au dix-septième. Aucune de ces pupes ne réussit à achever sa métamorphose. Sur ce milieu, les larves présentent un tissu adipeux renfermant des globules réfringents (fig. 5, pl. IT), se colorant en rouge par le Sudan TT. IT y a donc incontestable- ment production de graisse aux dépens de l'aliment protéique et mise en réserve d’une petite quantité de cette graisse, mais ce processus demeure insuffisant et très variable comme intensité d’un individu à l'autre. > Uivdisation de l'amidon. — Tandis que sur le milieu ren- fermant de la peptone et de l’amidon la croissance larvaire reste très précaire, atteignant à peine 1/3 ou exceptionnellement 1/2, sur le même milieu additionné d’autolysat, les larves se dévelop- pent beaucoup mieux ; la plupart d’entre elles atteignent en effet la taille 3/4 à 1/1, mais aucune ne réussit à puper. Ces larves, dont certaines meurent dès le douzième ou quatorzième Jour, et dont aucune ne dépasse le vingt-deuxième jour, restent transpa- rentes. Leur tissu adipeux renferme cependant quelques granu- lations réfringentes, colorables par le Sudan HIT. 3° Utilisation du glycogène. — Sur milieux renfermant peptone et glycogène, les larves restent minces et transparentes (fig. 5, pl. D). Elles atteignent au plus > millimètres à 2 mm. 9, très exceptionnellement 3 millimètres vers le douzième ou quator- zième jour. Beaucoup meurent d’ailleurs dès le dixième Jour. Aucune ne reste vivante au delà du seizième jour et aucune ne se transforme en pupe. Le tissu adipeux paraît très réduit et abso- lument dépourvu de réserves (ho 0 pl IE): 1, at Rs ne : 4 &] ; RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 245 Sur le même milieu additionné d’autolysat, la croissance lar- vaire se fait beaucoup mieux, les larves atteignant la taille 1/1 (6,5 à 7 mm.) vers le huitième ou dixième jour. Ces larves con- tiennent quelques réserves dans leur tissu adipeux (fig. 4, pl. D; une seule réussit à se transformer en pupe, mais meurt en cet état. 4° Utilisation du glucose. — Les résultats sont comparables aux essais précédents. Sur milieu peptone-glucose, les larves atteignent une taille de 1/4-1/3, exceptionnellement 1/2, meurent à partir du huitième Jour et ne dépassent pas le quinzième jour (Hig.5, pl. 1). Leur tissu adipeux est vide de réserves (fig. 7, pl. ID. L'addition d’autolysat améliore nettement ce milieu. Les larves atteignent la taille 3/4 à 1/1 vers le douzième jour (fig. 6, pl. D; 42 pupes se forment le dix-septième jour dans un tube, une le vingt-et-unième jour dans un autre tube. Ces pupes meurent d’ail- leurs sans évoluer. Les larves, qui vivent au plus 24 jours, ren- ferment quelques réserves dans leur tissu adipeux. 09 Utilisation du lévulose. — Je pourrais répéter presque mot pour mot, en ce qui concerne le lévulose, ce que je viens de dire à propos du glucose. Tandis que sur milieu lévulosé simple, les larves ne dépassent pas la taille 1/3 à 1/2, sont absolument transparentes (fig. 7, pl. 1) et sans réserves (fig. 8, pl. Il), sur le même milieu additionné d’autolysat, elles atteignent, en huit à dix jours, la taille adulte (fig. 8, pl. 1) et quelques-unes se transforment en pupes, qui d’ailleurs meurent à ce stade. Les larves ont un tissu adipeux renfermant quelques inclusions réfrin- gentes (fig. 4, pl. ID). Conclusion. — Ces expériences confirment ce que nous avons déjà observé relativement à la non utilisation des hydrates de carbone par les larves pour lélaboration de leurs réserves. Quel que soit Phydrate de carbone employé, la croissance reste à peu de chose près aussi précaire que sur le milieu formé de peptone seule et, dans aucun cas, il n’y a élaboration de réserves adipeuses. Par contre, les milieux renfermant à la fois hydrates de car- bone et autolysat permettent une croissance plus rapide, la for- mation de quelques pupes et la mise en réserve de petites quan- tités de graisse, mais ces phénomènes ne sont pas plus marqués que dans les milieux renfermant seulement la peptone et lauto- 246 E. GUYÉNOT lysat. C’est donc à la présence de cet autolysat qu'ils doivent être attribués et non à une utilisation des hydrates de carbone. Deuxième série : Essai des mélanges gras. — J'ai de mème repris mes premiers essais de milieux renfermant divers mélan- ges gras, en utilisant comparativement la peptone seule 2 0/0 et la peptone additionnée d’autolysat (60 0/0). Les milieux suivants ont été utilisés (°) : 6 r2 (13). Trioléine. B 17 (15). Trioléine, acide oléique, glycérine. 8 14 (17). Trioléine, acide oléique, oléate de soude, glycérine. 5 »0 (21). Acide oléique, oléate de soude, glycérine. 5 »2 (23). Acide oléique, glycérine. 8 18 (19). Trioléine, tripalmitine, tristéarine. 5 »/4 (25). Trioléine, ac. oléique, oléate de soude, acide stéarique, stéa- ( rate de soude, glycérine. (27). Lécithine. Les résultats ont été les suivants : 1° Sur les cinq premiers milieux (composés oléiques) sans autolysats, les larves restent petites, atteignant les tailles 1/4, 1/3 ou ,au plus 1/2. Les milieux renfermant l'acide oléique paraissent un peu plus favorables que ceux contenant la trioléine seule. Partout les larves ne vivent guère au delà du quinzième jour et aucune ne se transforme en pupe. Ces larves sont trans- parentes, leur tissu adipeux reste peu développé bien que renfer- mant quelques inclusions graisseuses. 2° Sur les mêmes milieux additionnés d’autolvsat, le dévelop- pement se fait beaucoup mieux, mais sans qu'on puisse le considérer comme nettement supérieur aux résultats fournis par le milieu peptone-autolysat, sans corps gras. Les larves atteignent pour la plupart la taille 1/1, du huitième au douzième jour (ig. 9, pl. Tetfig. 10, pl. D. Quelques pupes se forment du hui- tième au quinzième jour, mais aucune d’elle n'aboutit à la Mouche. Le tissu adipeux est beaucoup plus développé (fig. 2, 3, 14, pl. I) et renferme d'assez nombreuses inclusions de graisses. 3° Les mêmes remarques s'appliquent au cas des milieux ren- fermant les trois graisses neutres, trioléine, tripalmitine, tristéa- cine (fers, pl: TD: 4° Sur le milieu renfermant le mélange gras le plus complexe (‘) Les numéros entre parenthèses correspondent aux milieux avec autolysat. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 247 8 25), l'addition d’autolysat aboutit à une amélioration plus grande de la valeur nutritive du milieu que dans le cas des graisses précédentes. Dans tous les tubes, en effet, des pupes se forment à partir du neuvième ou dixième jour et quelques pupes donnent naissance, du quinzième au dix-huitième jour, à des Mouches qui meurent rapidement. 5° Enfin les essais avec addition de lécithine donnent les résul- tats que l’on connaît. Le mélange autolysat lécithine aboutit notamment à la formation régulière, dans chaque tube, de très nombreuses pupes, en 7à 10 jours, et à l’éclosion de nombreuses Mouches du douzième au seizième jour (fig. 12, pl. I). Conclusion. — Tous ces résultats montrent nettement que si l’on excepte la lécithine et — quoique beaucoup moins efficace les autres substances grasses le complexe gras oléo-stéarique essayées ne sont guère mieux utilisées en présence d’autolysat de Levure qu’en Pabsence de ce produit, ainsi que le fait à déjà été constaté pour les hydrates de carbone. Il y a cependant entre l'utilisation de ces dernières substances et celles des différentes graisses une différence incontestable. En effet, tandis qu’en l’absence d’autolysat, les larves qui ont à leur disposition des hydrates de carbone ne présentent, dans leurs cellules adipeuses, aucune réserve grasse, dans les mêmes condi- tions, les larves élevées sur milieux renfermant des graisses absorbent une partie de ces substances et emmagasinent dans leurs cellules adipeuses quelques réserves graisseuses. En somme, lorsque les milieux artificiels renferment de Pautolysat de Levure, les graisses fabriquées aux dépens des protéiques sont les seules emmagasinées si le milieu est dépourvu de corps ternaire ou renferme seulement des hydrates de carbone ; lorsqu'il contient des graisses, la partie absorbée de ces graisses alimentaires s'ajoute aux graisses fabriquées par l'organisme et le développement s'effectue d’autant mieux. Il n'en demeure pas moins qu'en fournissant aux larves un aliment protéique suffisant (peptone-autolysat), celles-ci ne peu- vent élaborer des réserves adipeuses suffisantes que si on met à leur disposition des substances grasses d’une certaine constitu- tion chimique, ainsi que le montre l’action incomparablement supérieure des composés stéariques et surtout de la lécithine. Les conclusions que je formulais à la fin de ma première série 248 E. GUYÉNOT de recherches (p. 201) se trouvent donc fortifiées par ces nouveaux essais effectués sur des milieux additionnés d’auto- lysat. La structure du tissu adipeux et l'élaboration des réser- ves sur les divers milieux artificiels. Les changements très profonds que détermine dans la nutrition des larves la constitution des divers milieux artificiels ne sont pas sans retentir d’une façon plus ou moins marquée sur l'aspect de leurs éléments histolo- giques. Îl y aurait à ce point de vue de très intéressantes obser- vations à rapporter. Les processus de la métamorphose, dans les quelques cas où celle-ci est réalisée, présentent notamment de nombreuses particularités. Je me contenterai ici de rapporter quelques constatations relatives à la structure histologique du corps adipeux. Dans les conditions normales, représentées par l'élevage asep- tique sur Levure, le tissu adipeux est constitué, au moment de l’éclosion des larves, par des files de petites cellules losangiques, à protoplasma finement granuleux, qui ne tardent pas à aug- menter de volume d’une façon considérable. Pas plus que les auteurs qui ont étudié cette question, je n'ai constaté de multipli- cation des cellules adipeuses; le développement considérable que finit par présenter le tissu adipeux est dû uniquement à l'accroissement de chacune des cellules initiales qui le consti- tuent. En même temps qu’elles augmentent de volume, ces cel- lules adipeuses se chargent progressivement d'inclusions qui contribuent à donner aux larves, d’abord transparentes, une opacité de plus en plus marquée. Ces inclusions sont constituées par des gouttelettes réfringentes, se colorant en rouge par le Sudan TT et en noir par l'acide osmique. Au fur et à mesure que la larve avance en âge, ces gouttelettes deviennent plus grosses et plus nombreuses. Leur aspect réfringent, leur comportement vis-à-vis du Sudan IT et de l'acide osmique, leur solubilité dans l’éther ou le xylol indiquent nettement qu'elles sont constituées au moins en majeure partie par des substances grasses. L'action des fixateurs à base d'acide osmique étant très lente, il faut user de certains artifices pour obtenir des préparations bien nettes. La pratique que j'ai utilisée consiste à saisir les larves entre deux pinces par leurs extrémités antérieures et postérieures et à v” = RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 249 les déchirer au sein du liquide fixateur (1). Les files de cellules adipeuses se trouvent ainsi floiter dans le liquide et la fixation se fait très régulièrement. Dans ces conditions, ainsi que Ch. Pérez (48) l'a constaté pour les cellules de Calliphora erythroce- phala, les inclusions graisseuses se colorent uniformément en noir foncé. Lorsque la larve approche de sa taille adulte, on voit appa- raître dans les trabécules protoplasmiques séparant les goutte- lettes graisseuses des inclusions d'une autre nature, colorables fortement par l’éosine ou l'orange (fig. 11 et 12, pl. I). Pendant les premiers stades de la métamorphose on voit les réserves grais- seuses disparaître progressivement et être remplacées par ces inclusions acidophiles de plus en plus grosses et nombreuses (fig. 6, pl IV). Ch. Pérez pense que ces dernières inclusions, telles qu'il les a observées chez les larves de Calliphora, sont de nature albuminoïde. Les cellules ainsi chargées de substances de réserve présen- tent des dimensions énormes, qui peuvent être plus de 150 fois supérieures à leurs dimensions initiales. _ Lorsque les larves sont élevées sur des milieux artificiels très défavorables, tels que ceux constitués par la peptone seule ou la peptone additionnée de divers hydrates de carbone, les cellules adipeuses, bien que la larve s’accroisse quelque peu, restent au stade embryonnaire. Elles s’allongent légèrement, mais leur sur- face demeure sensiblement la même. Ces cellules, absolument dépourvues de réserves, forment de minces files, flottant dans la “avité générale des larves qui sont alors parfaitement transpa- rentes (fs. r,:7,18; 9; plell), Lorsqu'au contraire on ajoute à de semblables milieux de l’autolysat filtré de Levure qui, nous le savons, ne contient pas de graisse, on voit les cellules adipeuses s’accroître et se charger d'inclusions graisseuses. En l'absence de graisses alimentaires et surtout de lécithine, ce processus reste assez précaire, mais le dépôt de graisse est incontestable et /es figures que l'on observe (fig. 5, pl. 11) sont la preuve indiscutable de l'élaboration synthétique des graisses par les larves de Drosophiles. Les inclusions graisseuses présentent parfois, dans ce cas, des (1) J'ai utilisé le mélange fixateur de Borrel, 250 E. GUYÉNOT aspects un peu spéciaux : à côté de gouttelettes parfaitement colorées en noir on observe, dans la même cellule, des vacuoles de teinte plus claire avec, à leur Intérieur, une ou deux gouttelettes plus foncées. Comme une mauvaise fixation ne saurait être incri- minée, il faut admettre que ces aspects correspondent à des temps différents du dépôt des réserves grasses dans les vacuoles cellulaires. Des observations identiques peuvent être faites dans le cas de milieux renfermant, outre l’autolysat, des hydrates de carbone, tels que le lévulose (fig. 4, pl. ID. Sur les milieux renfermant à la fois autolysat de Levure et lécithine, le développement des cellules adipeuses ne diffère pas sensiblement de ce que l'on observe sur les larves nourries de Levure. Je signalerai cependant lapparition précoce de grosses inclusions se colorant fortement par l'hématoxyline ferrique (age peu): L'examen des cellules adipeuses des larves nourries avec des milieux artificiels renfermant, outre l’autolysat de levure, des graisses variées, permet de constater certains aspects dont l’étude approfondie pourrait jeter un Jour intéressant sur la composition chimique des inclusions adipeuses. Sur tous les milieux renfermant de la trioléine, de l'acide oléi- que, de l’oléate de soude, de la glycérine, mélangés différemment au point de vue qualifitatif et quantitatif, on constate que si quelques vacuoles sont entièrement noircies par lacide osmique, la plupart présentent un aspect différent. Ces vacuoles sont d’une teinte sépia claire avec, à leur intérieur, des granulations noires plus ou moins abondantes, disposées, soit d’une façon quelcon- que, soit en couronne à la périphérie de la vacuole (fig. 2, 15, 14 pl. I). I semble que l'inclusion adipeuse soit d’abord constituée par une substance brunissant par l’acide osmique dans laquelle se déposeraient secondairement des gouttelettes noircissant entiè- rement par l’action du même réactif. L'accumulation et la fusion de ces granulations aboutit à la formation d'inclusions noirecis- sant entièrement, ainsi que le montre l'examen des cellules de larves plus âgées et se développant particulièrement bien. Dans d’autres cas, on observe des cellules adipeuses bourrées de gros- ses inclusions noires qui se fusionnent en formant de véritables nappes adipeuses (ag #9 "pl) Cet "aspect est caractéristique de la mise en réserve de substances grasses à point de fusion : Aid RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 251 peu élevée, car il s’observe notamment avec tous les milieux ren- fermant de la trioléine, sans autolysat. Dans certains cas, la coloration des pièces, fixées au Borrel, par le rouge de magenta et le picro-indigo-carmin permet de préciser davantage le mécanisme d'élaboration de ces réserves. On trouve en effet dans les cellules (fig. 14 et 15, pl. IT) un mélange d'inclu- sions correspondant évidemment à des stades divers de la mise en dépôt des substances de réserve. À côté de gouttelettes entiè- rement noires, on voit des inclusions arrondies colorées en vert par le picro-indigo-carmin, d’autres sont vertes dans l’ensemble, mais présentent des granulations ou des croissants qui sont restés colorés en rouge par la fuchsine. Parallèlement à ces aspects, on observe des vacuoles de teinte brunâtre dans lesquelles on remarque des granulations ou croissants fortement colorés en noir par l’acide osmique. Si l’on essaye d’interpréter ces résultats, il semble bien que le dépôt des réserves commence par celui d’une substance, peut-être albuminoïde, colorable en vert par lin- digo au sein de laquelle se déposent des granulations d’une autre substance basophile. La masse fondamentale serait ensuite impré- gnée d’une substance graisseuse que l’acide osmique brunit seu- lement (lipoïdes?), et sur les granulations basophiles se dépose- raient ensuite des graisses noircissant entièrement sous l’influence du fixateur. Bien que la succession de ces différents temps reste hypothé- tique, les observations qui précèdent me paraissent établir indis- cutablement que les réserves du corps gras larvaire ne sont pas constituées seulement par des graisses, mais représentent des produits compleres, albumino-lipoidiques ou albumino-grais- seux par exemple. Ces phénomènes successifs ne sont observables que dans les conditions de nutrition très spéciales, réalisées par les milieux artificiels. Dans les conditions normales, la surcharge graisseuse est effectuée si rapidement et avec une telle intensité que c’est à peine si j'ai pu, étant averti, trouver parfois dans ce cas quelques figures analogues. Conclusion. — Bien que je ne sois pas arrivé à réaliser entiè- rement le projet que j'avais formé d’élever des larves aseptiques sur des milieux nutritifs parfaitement définis, les expériences que 252 E. GUYÉNOT J'ai réalisées m'ont cependant permis d'approcher de très près de la solution de ce problème. La peptone que j'ai utilisée pouvant être facilement remplacée par un mélange des acides amidés qui entrent dans sa constitu- üon, le seul élément qui reste à connaître et à préciser, pour obtenir des milieux parfaitement définis, est représenté par la substance indispensable (ou peut-être les substances) que renfer- ment l’autolysat ou extrait alcoolique ou le simple bouillon de Levure et de foie. Les fractionnements que j'ai opérés, basés sur les degrés diffé- rents de solubilité dans lalcool des divers éléments extraits de la levure, m'ont permis de préparer une assez grande quantité de cette substance dont l’analyse et la caractérisation sont à faire. Encore reste-t11 à savoir si le produit obtenu est pur, s’il repré- sente la substance indispensable elle-même ou un mélange de corps parmi lesquels se trouverait celle-ci. Le problème de léle- vage en milieu défini se trouve en définitive ramené à une ques- tion de chimie pure. En attendant que cette étude nécessaire ait été réalisée, il n'est peut-être pas sans intérêt de rapprocher les conclusions auxquelles je suis arrivé de toute une série de recherches effec- tuées sur Îles Vertébrés et qui ont fourni des résultats compa- rables. Les travaux auxquels je fais allusion sont ceux qu'a suggérés la recherche de Pétiologie du béribéri. Cette maladie, qui sévit dans les régions où lon consomme couramment du Riz comme aliment fondamental, est aujourd’hui considérée comme étant due à lPemploi exclusif du Riz décortiqué, c’est-à-dire séparé de la pellicule transparente qui enveloppe le grain. Cette pellicule contiendrait une substance indispensable à la vie, dont la pri- vation entraïnerait des troubles consistant surtout en paralysies, modifications trophiques, aboutissant plus ou moins rapide- ment à la mort. Les recherches d'Eykmanx ont fait entrer l’étude de cette question dans une voie féconde en montrant que l’on pouvait produire, chez des animaux tels que les Pigeons, un véritable béribéri expérimental en les nourrissant avec du Riz décortiqué. Si on fait ingérer aux animaux déjà malades de extrait de balle de paddi, c’est-à-dire de lenveloppe du grain de Riz, cet extrait présente un pouvoir curatif indiscutable et RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 253 les animaux guérissent. La substance curative contenue dans Ta balle de paddi se trouve aussi dans la Levure dont on peut l’extraire par lalcool et dans les tissus animaux. Elle est pro- bablement très généralement distribuée dans les produits végé- taux. W. SreerP par exemple a montré que les Souris meurent quand on les nourrit exclusivement de pain soigneusement extrait à chaud par l’alcool, mais qu'elles vivent indéfiniment si on réadditionne le pain de son propre extrait alcoolique. Ces constatations, qu'il est intéressant de rapprocher des résul- tats infructueux obtenus par tous les auteurs qui ont tenté de nourrir des organismes avec des substances très pures, paraissent établir que, d’une façon très générale, les animaux ne peuvent vivre, s'ils ne trouvent dans leur ration alimentaire quelque sub- stance indispensable que contiendraient la plupart des aliments naturels. Le problème de physiologie générale ainsi posé présente d’in- contestables analogies avec celui devant la solution duquel je me suis trouvé arrêté. En ce qui concerne la nature des substan- ces indispensables, d’intéressantes précisions ont été apportées par C. Funck. Cet auteur a pu préparer, par fractionnements successifs de l’extrait alcoolique de balle de paddi ou de Levure, une substance à laquelle il a donné le nom de vitamine. Cette substance présente un certain nombre de propriétés communes avec celles que j'ai été amené à extraire moi-même de la Levure, notamment en ce qui concerne ses caractères de solubilité dans Peau et dans Palcoo!. La nature chimique de la vitamine est encore mal précisée. C. Fuxcx à été amené à la considérer comme une base pyrimidique nouvelle. On peut aussi la rap- procher de Pallantoïne ou diuréide glyoxylique, si bien qu'elle se trouverait apparentée chimiquement aux constituants du noyau. Il est possible que ce soit l'absence de la vitamine de Levure qui détermine chez les larves cet état de paralysie progressive, aboutissant à la mort que j'ai si souvent indiqué et qui rappelle dans une certaine mesure les troubles présentés par les animaux supérieurs. Si cette hypothèse venait à être vérifiée, le problème de lali- mentation artificielle des organismes animaux élevés aseptique- ment se trouverait définitivement résolu. Il serait dès lors facile 25% E. GUYÉNOT d'introduire des variations connues dans un milieu nutritif dont toutes les conditions seraient précisées et de rechercher si les modifications ainsi produites seraient capables de retentir d’une facon suffisamment intense sur le patrimoine héréditaire des orga- nismes. TROISIÈME PARTIE ROLE DU MILIEU DANS L'ÉTUDE DE LA FÉCONDITÉ ET DE LA FERTILITÉ DES DROSOPHILES : LES FACTEURS HÉRÉDITAIRES ET LES FACTEURS ACTUELS. Depuis longtemps, la fécondité est considérée comme une particularité héréditaire des organismes : c’est du moins lopi- nion que suggèrent la comparaison des divers degrés de fertilité, caractéristiques des différentes races, ainsi que l'observation de lignées particulièrement fécondes dans lespèce humaine ou parmi les animaux domestiques, alors que d’autres lignées ou familles se font remarquer par leur très faible aptitude à la multi- plication. Par contre il a toujours été admis, en même temps, que la fertilité dépend aussi dans une large mesure des condi- tions du milieu, de Palimentation, des intoxications, des maladies, du climat, bref de tout ce qui peut retentir sur le développement et la maturation des organes génitaux, sur l'attrait sexuel, d’une façon générale, sur l’ensemble des processus de la génération. L'étude de la fertilité doit donc porter nécessairement à la fois sur ce quil y a d’héréditaire et sur ce qui relève des causes actuelles dans la genèse de ce phénomène et doit tendre, dans chaque cas, à faire la part de l’hérédité et celle des actions exté- rieures dans la production des divers degrés que présente la fertilité. C’est un des cas les plus nets où l’étude de lhérédité ne se comprend pas sans la connaissance et la maîtrise des condi- tions du milieu. Or, comme nous le verrons, les auteurs qui ont fait porter leurs recherches sur lhérédité de la fertilité des Dro- sophiles ont précisément négligé presque systématiquement les conditions dans lesquelles ils observaient le phénomène, si bien qu'ils sont souvent arrivés à des résultats incertains, contradic- toires, parfois totalement incohérents. Sans doute, ils ont pu saisir et mettre en évidence des différences de fertilité incontes- 256 E. GUYÉNOT tables entre les diverses races qu'ils étudiaient, mais, dans bien des cas, le déterminisme de ces variations est demeuré obscur, sans qu’il soit possible de les rapporter avec certitude à une pro- priété héréditaire ou à des actions actuelles, ni de s'assurer de la mesure dans laquelle Pune et l'autre de ces conditions ont pu participer à la réalisation des particularités envisagées. Cette incertitude, due à la méconnaissance complète de Pin- fluence des actions extérieures sur l'organisme, m'a précisément incité à étudier de près comment les différentes conditions du milieu retentissent sur la capacité de reproduction des Droso- philes. Cette recherche est encore très incomplète ; néanmoins on y trouvera, je pense, des faits assez probants pour que lon considère un semblable travail comme les prolégomènes néces- saires à l'étude de l'hérédité de la fertilité. X LES FACTEURS HÉRÉDITAIRES DE LA FÉCONDITÉ ET DE LA FERTILITÉ Au seuil de cet exposé, il est indispensable de commencer par préciser le sens de certains mots que les biologistes emploient souvent les uns pour les autres et qui correspondent cependant à des phénomènes bien distincts. C’est ainsi que l’on confond assez généralement les termes de fécondité et de fertilité et que les auteurs les emploient chacun dans des acceptions très diffé- rentes. Sans doute les deux termes sont-ils à peu près synony- mes et les différences que l’on peut établir entre eux sont-elles conventionnelles, encore est-il nécessaire de les préciser. Je crois que lon peut avec Pearz, Hype, réserver le terme de fécondité à la capacité que possèdent les organismes de séparer d'eux des éléments génitaux murs. La fécondité des femelles serait ainsi mesurée par le nombre des ovules pondus et celle des mâles par la production des spermatozoïdes. La fertilité cor- respondrait au contraire à la capacité reproductrice totale d’un k- 4 couple d'organismes mâle et femelle, exprimée par le nombre de RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 257 leurs descendants vivants, arrivés à lPétat adulie. La fertilité ainsi définie dépend non seulement de la fécondité, mais de lap- titude à la fécondation des éléments génitaux, du développement embryonnaire où embryonnaire et larvaire des descendants. En ce qui concerne les Drosophiles, certains auteurs, CASTLE, CARPENTER, CLARKE, etc., ont étudié la fertilité en se basant uni- quement sur le nombre des descendants adultes, sans chercher à connaître le nombre des œufs pondus, ni celui des œufs fécon- dés, ni celui des larves écloses, par suite sans se préoccuper aucune- ment de la mortalité accidentelle survenue aux différents âges, que l’imprécision de leurs conditions d’élevages a dû cependant rendre considérable et extrêmement variable. Se rendant compte de ces difficultés, R. Hype s’est au contraire préoccupé du rapport existant entre le nombre des œufs pondus et le nombre des des- cendants adultes. C’est précisément ce rapport qui est pour l’au- teur la mesure de la fertilité ; ainsi comprise, la fertilité dépend essentiellement de l'aptitude à la fécondation des gamètes ainsi que de toutes les circonstances qui accompagnent le développe- ment embryonnaire, la vie larvaire et les métamorphoses des descendants. Un autre terme, qui revient souvent dans les recherches sur la fécondité ou la fertilité, est celui de stérilité. En général, un couple est dit stérile, lorsqu'au bout d'un certain temps il n’a donné aucun descendant : encore faudrait-il préciser, dans chaque cas, si la stérilité est due à ce que la femelle ne produit aucun œuf, ou ne pond que des œufs non fécondés ou si les descendants meurent tous à un stade plus ou moins précoce de leur développement. Ces distinctions n'ont généralement pas été établies. La stérilité peut être de plus relative ou absolue. Par exemple, si une femelle accouplée successivement avec divers males, dont la fécondité a été prouvée par leur accouplement préalable avec d’autres femelles, ne pond pas ou ne pond que des œufs inféconds, c'est qu’elle est stérile au sens absolu du mot. Il peut arriver, par contre, que cette stérilité n'existe que si la femelle est accouplée avec certains mâles et cesse en présence d’autres conjoints. La stérilité est alors relative. La même distinction vaut pour les mâles. Un couple peut d’ailleurs être réellement stérile, au sens absolu du mot, si le mâle et la femelle restent inféconds, quels que soient les individus avec lesquels on 47 258 E. GUYÉNOT les accouple ultérieurement. La question de la stérilité serait donc très intéressante à disséquer, car on pourrait ainsi en éta- blir le déterminisme, d’ailleurs extrêmement complexe et dans lequel rentre nécessairement, pour une certaine part, l'action des conditions extérieures. A la question de la stérilité se rattache celle de l’origine cons- titutionnelle de la stérilité, phénomène que l’on désigne généra- lement sous le terme assez inattendu d’hérédité de la stérilité. M est bien évident qu’un couple stérile ne saurait transmettre aucune propriété, mais sa stérilité peut provenir de la constitu- tion héréditaire des individus de ce couple. Des parents plus ou moins féconds peuvent léguer à certains de leurs descendants un patrimoine héréditaire tel que ceux-ci soient inféconds. C’est en ce sens que l’on parle, un peu par abus de langage, de l’hérédité de la stérilité. L'hérédité de la fécondité Les auteurs quise sont occupés de la capacité de reproduction des Drosophiles ont systématiquement laissé de côté l'étude de la fécondité pour ne s'occuper que de celle de la fertilité. Je mon- trerai, dans la dernière partie de ce livre, que la fécondité dépend étroitement, chez la femelle comme chez le mâle, des conditions du milieu, principalement de la température et de la nutrition. Par contre il n'est pas mauvais d'établir, en l'absence d’expé- riences faites sur les Drosophiles, que d’une façon générale la fécondité dépend aussi de la constitution du patrimoine hérédi- taire. Les belles expériences de PEARL et de PEARL et SURFACE sur la fécondité des Poules nous en fourniront la preuve en même temps qu’elles nous montreront de quelle manière l’étude de lhé- rédité de cette propriété peut être abordée avec fruit. La fécondité des Poules, mesurée par le nombre des œufs pondus, dépend nécessairement de plusieurs facteurs que PearL (46) s’est attaché à préciser et parmi lesquels il fait ren- trer, à juste ütre, les conditions du milieu. Une des premières conditions de la fécondité paraît être une condition anatomique, c’est-à-dire le nombre des œufs présents dans l'ovaire et l’état normal des oviductes. Cependant ces conditions anatomiques ait) AAC RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 259 n’ont pas l'importance que Fon pourrait, semble-t-il, leur attri- buer. C’est ainsi que PEarz observa une femelle -parfaitement normale à tous points de vue, dont lovaire était normal anato- miquement, dont loviducte ne présentait aucune anomalie, et qui pourtant, au bout de deux ans, n'avait pas encore pondu un seul œuf. Ceci montre l'importance de divers facteurs physiologiques, conditionnés eux-mêmes, au moins en partie, par la constitution du patrimoine héréditaire et qui déterminent le degré de fécondité. A côté de ces conditions internes, Fauteur fait la part qu'il convient aux conditions externes. [Il fait remarquer que la domes- tication détermine une ponte plus abondante qu’à l'état sauvage, ce qui paraît lié à l'apport régulier d’une nourriture plus abon- dante. De même le simple fait de retirer du nid les œufs, au fur et à mesure qu'ils sont pondus, peut accroître la ponte d’une façon considérable. C’est ainsi qu'Ausrix à montré que tandis que les Canes sauvages pondent, à l’état de nature, de 12 à 18 œufs par an, cette production peut être élevée à 80 ou 100 œufs, si Pon prend soin de les retirer à mesure et d’enfermer les animaux la nuit dans des cages. Haxke et Wexzez ont fait des constatations analogues sur d’autres Oiseaux. Se rendant compte de linfluence des conditions de nourriture ou d'élevage, PEARL fait remarquer que tous les Oiseaux expérimentés à la Station expérimentale du Maine ont été nourris, soignés, logés de façons à tous points de vue semblables. Les expériences entreprises dans ces conditions ont abouti aux conclusions suivantes : Si on se contente de suivre la descen- dance de quelques couples, on constate que la fécondité de la mère ne permet de tirer aucune indication sur ce que sera la fécondité de ses filles. C’est ce que montre nettement l’inefficacité de la sélection à produire des races plus ou moins fécondes en partant chaque fois des Poules ayant eu la ponte la plus forte ou la plus faible. ILest cependant incontestable qu'il y à dans la fécondité des Poules quelque chose d'héréditaire : c’est ce qu'indique le fait, bien connu des aviculteurs, de l'existence de races présentant des fécondités diverses mais constantes dans chaque race, bien que les individus des différentes races soient élevés dans les mêmes conditions. La race Barred Plymouth Rocks est par exemple très féconde, tandis que la race Cornish Indian Games ne mani- 260 E. GUYÉNOT feste qu'une très faible productivité. La science des croise- ments, inaugurée par Naunix et Mexnez, fut le fil conducteur qui permit à Prarz d'obtenir des lignées pures, présentant cha- cune une fécondité propre, réapparaissant de génération en géné- ration. Les recherches de PEarL ont surtout porté sur la fécondité des Poules pendant l’hiver. En cette saison, beaucoup de Poules ces- sent complètement de pondre, d’autres présentent une fécondité plus ou moins intense. Les différences entre les lignées, lors- qu'on limite étude à la production des œufs d'hiver, apparaissent avec une remarquable netteté. L'examen du résultat des croisements et de la fécondité des lignées pures à conduit l’auteur à distinguer, en ce qui concerne la production des œufs d'hiver, trois types de fécondité : a) Les poules qui ne pondent aucun œuf; b) Celles qui ont une faible fécondité (définie arbitrairement par un nombre d'œufs inférieur à 30) ; ce) Celles qui ont une haute fécondité (plus de 30 œufs). Ces trois types de fécondité correspondent à des particularités héréditaires dont on peut, au moyen des croisements, étudier le mode de transmission. C’est ainsi que la haute fécondité est une propriété qui est transmise aux filles par le-père et non par la mère. Les filles d’un même père ont en effet la même fécondité, que leur mère soit peu ou très féconde. Par contre la faible fécondité est héritée par les filles, aussi bien du père que de la mère. PEARL n'a pas limité son étude à ces intéressantes constata- tions expérimentales, mais il à cherché à les expliquer à la lumière de la théorie mendélienne. Il émit pour cela l'hypothèse que la fécondité hivernale était conditionnée, au point de vue héréditaire, par trois facteurs génétiques : 10 Un premier facteur, P, facteur anatomique, déterminant dans la femelle Fa présence d’un ovaire ; 20 Un facteur physiologique Lr, qui, accompagné de F, déter- minerait la faible fécondité ; 3° Un second facteur physiologique L2 qui, étant accompa- gné de F seul, déterminerait aussi une faible fécondité, tandis qu'en présence de F et de Lr, il déterminerait la haute fécondité. Pour expliquer que la haute fécondité ne puisse être héritée RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 261 que du père, PEARL supposa que le facteur L2 était sex-limited, si bien que tandis que mâles et femelles pourraient être indiffé- remment homo ou hétérozygotes pour le facteur Lr, seuls les mäles pourraient être homozygotes vis-à-vis du facteur L2, les femelles étant, à ce point de vue, nécessairement hétérozygotes. Sans doute ces facteurs sont purement hypothétiques et basés sur une estimation arbitraire du degré de la fécondité. Il s’est trouvé cependant que la faible et la haute fécondité, définies par rapport au nombre moyen de 30 œufs d'hiver, correspondent d’une façon générale à deux patrimoines héréditaires dissembla- bles, partant à des conditions ou facteurs génétiques différents. Les résultats observés au cours des générations successives d’'hybrides, provenant du croisement entre deux races de haute et de faible fécondités, sont en effet conformes au schéma établi d’après l'interprétation symbolique mise en avant par Prarz. Ces recherches montrent comment la science des croisements permet non seulement d'établir la part de l'hérédité dans la genèse de la fécondité, mais encore d'aboutir à une représentation symbolique permettant de prévoir les résultats. Ces conclusions ont une portée d'autant plus grande qu’elles sont basées sur des expé- riences faites dans des conditions de milieu aussi semblables que possible pour les différentes races, offrant par suite les garanties indispensables pour la validité d’un travail sur lhérédité. L'hérédité de la fertilité chez Drosophila ampelophila Parmi les travaux faits sur lhérédité de la fertilité, ceux qui ont trait aux Drosophiles sont, à l'heure actuelle, les plus com- plets et les plus suggestifs. Je les exposerai avec quelque détail. Je tiens avant tout à affirmer, par anticipation, que la fertilité dépend énormément des conditions extérieures. J'en donnerai plus loin la démonstration. Mais cette dépendance doit être dès maintenant prise en considération, car il est facile de comprendre que l’on ne saurait comparer d’une façon vraiment efficace les fertilités de deux lignées, dans ce qu’elles ont d’héréditaire, que si l’on a soin de les placer dans des conditions rigoureusement comparables. Il est de plus indispensable de préciser quelle mesure de la fertilité on emploie et quel est le coefficient d'erreur 262 E. GUYÉNOT inhérent à chacun des procédés de mesure. Il est clair que dans le cas des Drosophiles, par exemple, si on base lappréciation du degré de fertilité sur le nombre des œufs qui éclosent ou sur le nombre des descendants arrivés à la forme adulte, les résultats ne seront pas les mêmes, puisque dans le deuxième cas une diminution de la fertilité apparente résultera de la disparition de toutes les larves ou pupes qui seront mortes au cours du déve- loppement, par suite de causes accidentelles. La combinaison de ces causes d’erreur : imprécision des con- ditions extérieures et mesure mal choisie de la fertilité, pourra vicier de façon complète les résultats d’une expérience ou du moins leur enlever toute valeur démonstrative. |. — Elevages en lignée pure (inbreeding) et fertilité. — Un des problèmes que de nombreux auteurs se sont attachés à résoudre est celui de savoir si le fait d’accoupler à chaque géné- ration, pendant un temps plus ou moins long, des organismes proches parents, le plus souvent frères et sœurs, n’amène pas nécessairement une diminution de la fertilité de la lignée. Cette recherche se rattache à une vieille croyance relative à l'action fâcheuse que la consanguinité exercerait dans lespèce humaine ou parmi les animaux domestiques sur la descendance. Celle-ci serait souvent affectée de certaines maladies ou malfor- mations, ou présenterait un état de déchéance, de faiblesse, accompagnée d’une diminution de la fertilité pouvant aboutir même à la stérilité. Il y à d’ailleurs tout un ensemble de faits qui semblent montrer que l’on ne met pas impunément en présence des gamètes ayant des patrimoines héréditaires trop semblables, et qu’en tout cas la descendance d'individus ayant des hérédités dissemblables est généralement plus abondante et plus vigoureuse. Déjà Darwin (12) avait constaté, au cours de recherches effec- tuées sur 57 espèces de plantes, que le croisement est plus avan- tageux pour la descendance que l’autofécondation. Dans le cas des Primevères, 1l remarqua que le pollen des fleurs longistyles donnait de meilleurs résultats lorsqu'il fécondait les ovules d’une plante brévistyle que s’il était amené à féconder les ovules de sa propre variété. Des expériences faites sur le Maïs par Easr (18) et par C. H, Sauzz RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 263 établissent nettement cette supériorité du croisement entre indi- vidus de lignées différentes. C’est ainsi qu'ayant croisé deux races pures de Maïs, maintenues en cet état depuis un certain temps, ces auteurs virent que les hybrides étaient nettement plus grands, plus vigoureux, produisaient une plus grande quan- té de grains que les deux parents. Parmi les expériences faites sur les animaux, on peut citer, outre celles relatives aux Drosophiles que j’analyserai plus lon- guement, des expériences de W£gismaxx sur les Souris blanches et de Rrrzema-Bos sur les Rats. Weismanx éleva des Souris en lignée pure pendant 29 générations, en croisant systématique- ment les frères et les sœurs à chaque génération, et constata que les descendants étaient de moins en moins nombreux, que les cas de stérilité se multipliaient et que la plupart des individus restaient petits et peu vigoureux. Les expériences de Rirzema- Bos sur des Rats aboutirent à des résultats analogues. Non seulement la similitude de patrimoine héréditaire des conjoints peut diminuer la vigueur ou éventuellement la fertilité des descendants, mais elle peut s'accompagner parfois d’une véritable incompatibilité des gamètes déterminant la stérilité. C'est en ce sens qu'il faut interpréter le fait que, chez de très nombreuses plantes monoïques, l’autofécondation est impossible, Une étude intéressante d’un cas de ce genre est due à CORRENS et permet, dans une certaine mesure, de préciser la cause de cette stérilité. Les expériences de CorRexs ont porté sur Cardamine pratensis, plante où l’autofécondation est inefficace, alors que le pollen d’un individu peut féconder les ovules de n'importe quel autre individu. Pour expliquer cette incompatibilité des gamètes, CORRENS supposa que chaque individu possédait un facteur parti- culier, produisant une sécrétion stigmatique, capable d’inhiber le pollen de la même plante. En fait, il constata que dans les essais d’autofécondation les grains de pollen restaient à la surface des stigmates, sans entrer en germination. De Pabsence d’autofécon- dation, il résulte que toute plante est, vis-à-vis de ce facteur sécré- toire, hétérozygote. Si nous appliquons à ce cas le raisonnement mendélien, nous voyons que du croisement entre une plante A ayant les facteurs À et a et une plante B, possédant les fac- teurs B et D, 1l résultera quatre catégories d’hybrides : AB, A0, Ba, ba. Si nous venons à croiser ces hybrides Fr avec les parents 264 E. GUYÉNOT A et B, la fécondation ne sera possible que pour ceux des hybrides ne possédant pas le facteur caractéristique du parent. Les ovules d’un hybride Ab ne pourront être fécondés par le pollen de À, en raison de Pinhibition de ce pollen sous Pin- fluence des sécrétions stigmatiques déterminées par le fae- teur À, mais pourront l'être par le pollen de B ; c’est ce que montre le tableau suivant : Croisement F1 >< P. AB == 2 Ab > et 3 mois. Il est donc certain que les descendances observées n’ont été qu'une image très infidèle de ce qu’elles RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 267 auraient pu être, si les femelles avaient réellement épuisé leur capacité de reproduction. Un autre moyen d'apprécier la fertilité eut été de dénombrer les descendances correspondant, pour chaque femelle, à un mème nombre de jours de ponte, mais cette comparaison n'eut été valable que si toutes les conditions, principalement la tempéra- ture, avaient été rigoureusement identiques à travers les généra- tions et nous savons que ces conditions furent absolument 1m- précises et variables. À ces critiques fondamentales j'ajouterai que, même si les descendances dénombrées avaient constitué une mesure réelle de la fertilité des couples envisagés, celle-ci, eu égard au petit nombre de couples essayés, n’eut pas permis de rien conclure relativement à la fertilité de la lignée elle-même. Cette fertilité n'eut pu être appréciée que d’après une moyenne portant sur un nombre beaucoup plus considérable d'essais à chaque génération. Je vais maintenant exposer brièvement les faits relatés par les auteurs et passer en revue les conclusions qu'ils ont cru pouvoir en tirer. Pendant la première année, on ne fit aucune attention à la fertilité de la lignée A. Cela est d'autant plus regrettable qu'il eut été très intéressant de connaître le degré de fertilité du stock utilisé, avant qu'il soit maintenu en état d'inbreeding. Cepen- dant, à la sixième génération, 3 couples essayés donnèrent une moyenne de 125 descendants, avec comme maximum 191. De la treizième à la vingt-quatrième génération, on trouva une proportion de 17 à 18 p. 100 de couples stériles. Le nombre moyen des descendants des couples fertiles fut de 39, le maxi- mum de 1/45. De la vingt-quatrième à la trentième génération, on observa en moyenne 28 p.100 de paires stériles. La descendance moyenne fut de 124, le maximum de 196. À la vingt-neuvième génération le nombre moyen des descendants atteignit 153, ce que les auteurs attribuent à la haute température du moment (septembre 1903). A la trente-et-unième génération, au contraire {octobre 1903), la fertilité tomba à un degré extrêmement faible. La descendance moyenne de 3 couples fertiles fut de 4, le maximum de 7; les deux autres couples produisirent donc en tout 5 descendants. Les six générations suivantes (32° à 37°) donnèrent un meilleur 268 E. GUYÉNOT rendement : 13,2 p. 100 des couples furent stériles (8 sur 59) et la descendance moyenne fut de {1 descendants. Pendant les cinq générations suivantes (38° à 42°) la fertilité augmenta brusquement et fut plus que doublée. Il n’y eut que 6 paires stériles sur 51 (11,7 p. 100) et la moyenne des descen- dants atteignit 137. Une nouvelle baisse survint à la quarante-troisième génération avec une descendance moyenne de 63 et un maximum de 81. À partir de la quarante-troisième génération, on ne fit plus de uumération des descendants et finalement, pendant deux mois, les Mouches furent laissées en vrac avant d’être à nouveau main- tenues en inbreeding. Cette cessation de lPinbreeding ne parut pas produire de grands effets, car les nombres moyens des descendants, aux géné- rations suivantes, furent d’abord très semblables à ce qu'ils étaient auparavant (100, 187, 63), puis brusquement montèrent à un niveau qu'ils n'avaient Jamais atteint (229 à 308) pour ensuite redescendre à nouveau; par contre la stérilité avait à peu près entièrement disparu. Si, comme l'ont fait les auteurs, on représente graphiquement la fertilité des générations successives, telle du moins qu’elle a été mesurée, on se trouve en présence d’une courbe essentiellement capricieuse ; la fertilité augmente, diminue, remonte, subit d’in- cessantes fluctuations. Pour expliquer ces variations, les auteurs parlent d’une variation cyclique de la fertilité, ce qui ne veut évidemment rien dire. Or, si on examine la courbe, on voit que les principales ascensions correspondent grosso modo aux mois les plus chauds de lannée et les parties les plus basses aux périodes froides. L’ascension finale, qui s’observe cependant en janvier 1905, s'explique facilement par ce fait que lexpérimen- tateur (alors W. M. Barrows), ayant constaté l’action du froid sur la génération précédente, transporta les élevages dans une chambre chaude. Cette action de la température, les auteurs l’ont en effet recon- nue eux-mêmes. Ainsi, en mai 1903, la moyenne étant tombée de 88 à 33, ils émettent l’idée que la température basse du labo- ratoire, par suite de la cessation du chauffage par le calorifère, « produisit cette baisse de fécondité par suite d’une fermentation incomplète de la banane ou en affectant directement la produc- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 269 tion des œufs par la femelle ». Lorsqu'à partir de juin 1903, la température extérieure remonta, celle-ci, nous disent-ils « réalisa pour les Mouches les conditions optima de reproduction, et natu- rellement le nombre moyen des descendants s’éleva aussitôt ». Ce qui est le plus étonnant, c’est qu'après avoir fait de sem- : blables constatations, les auteurs n’aient pas compris la nécessité impérieuse de rendre uniformes, au moins les conditions de température, ou de renoncer à tirer des expériences, telles qu’elles avaient été réalisées, aucune conclusion. Les écarts résultant des variations de la température, les erreurs liées à la façon dont on jugeait de la fertilité sont d’un tel ordre de grandeur, qu'il serait absolument vain de chercher à reconnaître, parmi ces résultats d’ailleurs incohérents, une variation quelconque de la fertilité, ni surtout d’en scruter l’origine. Aussi n'est-il pas étonnant que les conclusions des auteurs soient un peu le reflet de Pincohérence des résultats. Après nous avoir dit, en effet, qu'il «est très improbable que la moindre fer- tüilité de la lignée À soit due à l’inbreeding », la conclusion n° 1 n’en est pas moins que « Pinbreeding réduit probablement d’une manière très faible la productivité des Drosophiles, mais que la productivité peut être complètement maintenue, malgré un inbreeding constant, entre frères et sœurs, si lon sélectionne les familles les plus productives ». En somme ces recherches n’apprennent absolument rien rela- tivement à la question des effets de lPinbreeding sur la fertilité et J'aurais même négligé complètement de les citer, si elles ne constituaient pas la plus belle illustration que lon puisse trouver de la thèse que j'ai soutenue, au cours de tout ce travail, de l'ab- solue nécessité de préciser à fond les conditions du milieu avant d'entreprendre aucune recherche expérimentale sur lPhérédité. Expériences de W. J. MœxkHaus.— De même que les auteurs précédents, W, J. Mœxknaus (39) s’est proposé de rechercher influence de lPinbreeding sur la fertilité des Drosophiles. Ses observations concernent une lignée maintenue en état d’inbree- ding pendant 75 générations. A un certain point de vue, ces recherches sont nettement supérieures aux précédentes. En ce qui concerne notamment la mesure de la fertilité, Mœxknaus à compris la nécessité de com- parer le nombre des œufs pondus à celui des descendants arrivés 270 E. GUYÉNOT à l’état adulte. Aussi fit-il, dans chaque cas, le dénombrement des œufs pondus, le pourcentage des œufs ayant donné des lar- ves, enfin celui des imagos sortis des pupes. En procédant ainsi, il a pu se rendre compte que, dans la presque totalité des cas, les femelles des couples stériles pondent des œufs, mais que ceux-ci ne se développent pas. Pour des raisons pratiques, l’auteur dut malheureusement limiter ses investigations pour chaque couple aux deux premières centaines d'œufs. Or, ainsi qu'il Pa constaté lui-même, le nombre total des œufs pondus peut être très supérieur à ce chiffre. Il nota par exemple qu'une femelle avant vécu 34 jours avait pondu 907 œufs et que ce chiffre ne représentait pas le nombre maxi- mum, puisqu'il avait observé une femelle ayant vécu 153 jours. L'observation portant sur les deux premières centaines d'œufs ne peut donc donner qu'une idée très grossière du degré de fertilité. Une critique beaucoup plus grave de la méthode de travail de cet auteur à trait aux conditions d'élevage, qui ne furent guère meilleures que celles utilisées par CasrLze et ses collaborateurs. Les Mouches étaient en effet élevées comme précédemment dans de petits bocaux, sur de la banane, et à des températures pré- sentant de grands écarts (1595 à 265). L'auteur s’est d’ailleurs rendu compte, dans une certaine mesure, de l'inconvénient que présente cette inconstance des conditions ; il note en effet que sous linfluence de certaines modifications du milieu nutritif (dessèchement, développement de moisissures) des lignées peuvent être détruites; ailleurs il attribue à des changements dans l’état de la nourriture les diffé- rences qu'il constate dans le nombre des œufs pondus. Il est vrai que, dans d’autres cas, il considère ces variations comme liées à des différences individuelles des femelles. Cette mise en avant des conditions externes ou des facteurs internes est faite d’ailleurs tout à fait arbitrairement, lPaction des conditions de milieu n'étant invoquée que lorsque le résultat paraît difficile à expliquer autrement. Malgré Pinconstance des conditions de ses élevages, Maœxkuaus a cru pouvoir négliger cette cause d’erreur,en admet- tant que toute Mouche qui pond a réussi à échapper aux mau- vaises conditions et que par suite sa descendance peut-être con- sidérée, comme une mesure exacte de la fertilité de la lignée. Cette interprétation est en réalité profondément inexacte. Entre les LD RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 974 conditions tout à fait défavorables qui engendrent la stérilité ou tuent les organismes et les conditions optima, il y a, en effet, tous les degrés et par suite la fertilité peut être affectée de manière très variée et avec des intensités très différentes. Réalisées dans des conditions aussi imprécises, les expériences de MæœxnkHaus ne pouvaient guère donner de meilleurs résultats que celles de Casrze. Le seul progrès par rapport à la méthode de ce dernier auteur résulte du fait que Mæœxknaus tenait compte non seulement des descendants adultes, mais aussi du nombre des œufs pondus et de la mortalité survenue au cours du déve- loppement, pour apprécier la fertilité des lignées. Les conclusions qu'il a cru pouvoir formuler sont les suivantes : Sans nier que linbreeding puisse exercer une action sur la fertilité, 1l n’a rien observé dans ses élevages qui permit d'établir l'existence d’une semblable action. En ce qui concerne la stérilité, telle qu'il la observée, il consi- dère qu’elle affecte exclusivement les mâles et dépend unique- ment de facteurs internes. Il ne fait intervenir les facteurs exter- nes, comme cause possible de la stérilité, que pour expliquer les quelques cas de stérilité observés chez des femelles. Le milieu, dont il n’a pas cru utile de préciser la constitution et dont il néglige Pexistence chaque fois que les résultats parais- sent pouvoir s'expliquer sans lui, est en somme le facteur auquel l'auteur est obligé de recourir, dès que les résultats ne sont plus conformes à ce qu'il considère comme vraisemblable. Ceci juge la méthode de travail utilisée. Expériences de R. R. Hype. — Cet auteur ne donnant aucune indication sur ses conditions d'élevage, il est difficile de porter un Jugement sur les résultats qu’il a obtenus ; je me contenterai de les exposer brièvement : En suivant une lignée de Dr. ampelôphila, maintenue en inbreeding, Hype (30) eut son attention surtout attirée par Paugmentation rapide du nombre des couples stériles. C’est cette stérilité qu'il a étudiée plutôt que la fertilité des couples don- nant des descendants. Contrairement à CasrLe qui considérait que la diminution de fertilité et la stérilité marchaient de pair, celle-ci n'étant que l’aboutissant de celle-là, Hype constata que la stérilité et la faible productivité étaient des processus indépendants lun de l’autre et relevant de mécanismes héréditaires différents. 272 E. GUYÉNOT Tandis que la stérilité observée par CasTLE portait à la fois sur les mâles et les femelles, et celle signalée par MæœxkHaus à peu près exclusivement sur les mâles, la stérilité étudiée par Hype n'affectait guère que les femelles. Ces femelles stériles ne pon- daient aucun œuf, Ceci n'était pas dû à ce que l'ovaire ne pro- duisait pas d’ovules murs, mais provenait de quelque vice de conformation empêchant la fécondation et la ponte. L’abdomen de ces Drosophiles stériles devenait, en effet, énorme et renfer- mait un très grand nombre d’œufs. L’accouplement pouvait avoir lieu, mais la fécondation n’était pas réalisée. Une preuve directe que la stérilité était liée à quelque obstacle à la ponte est qu'en pressant sur labdomen de ces femelles, on ne pouvait déterminer l'issue d’un seul œuf, tandis que la même manœuvre, appliquée à une femelle normale, en fait toujours sortir quelques-uns. Pendant les cinq premières générations de la lignée étudiée, cette stérilité fut relativement rare (8 cas sur 6r couples exami- nés), mais, à la sixième génération, le nombre des couples sté- riles atteignit brusquement une proportion voisine de 50 0/0 (Dr cas sur 105). Sur ces 51 cas, 47 furent attribuables aux femelles, trois seulement aux mâles, un cas restant douteux. Cependant cette stérilité, bien que Finbreeding ait été continué, se trouva presque éliminée, sans doute par suite d’une sélection inconsciente. Voici, en effet, le pourcentage des couples stériles observés dans les générations suivantes, avec lPindication des cas qui purent être, à coup sûr, attribués à une défectuosité des femelles. F7 — 15 couples stériles sur 34 dont 4 © ES — 59 » TO) O7 Fo — Ô ) 4o » 5 Éro=E 0 » ES) 00 PEN ES » 182 » 6 En Fri, sur 28 cas de stérilité, six seulement proviennent d’une stérilité des femelles. L'auteur considère que la stérilité, en ce qui concerne la forme affectant spécialement les femelles, s’est ainsi trouvée pratiquement éliminée, ce qui prouverait, en tout cas, que l'inbreeding n’est pas la cause de cet état particulier. Que cette stérilité soit liée à un état spécial du patrimoine héré- ditaire, c’est ce qui parait résulter des croisements que l’auteur effectua entre cette lignée et d’autres lignées témoins non main- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 273 enues en imbreeding et ne présentant qu'un très faible pourcen- tage de cas de stérilité. R. Hype constata en effet que la stérilité disparaît presque à la première génération d'hybrides, pour reparaître chez une partie des hybridées de deuxième généra- tion. C’est ainsi qu'en Fr, sur 831 couples examinés, il n’y en eut que 19 de stériles (2,3 0/0), dont cinq cas attribuables aux femelles, alors qu'en F2, sur 2.644 couples, 407 se montrèrent stériles (16 0/0), parmi lesquels 237 cas purent être attribués aux femelles, et 60 aux mâles. En somme, cette forme de stérilité se comporterait, dans l’en- semble, à peu près comme un caractère récessif et serait trans- mise par les frères et sœurs fertiles aux petites-filles, non aux petuts-fils. L'inbreeding ne jouerait dans sa genèse qu’un rôle indirect, en favorisant le rapprochement d'individus d’une même lignée portant dans leur patrimoine, à l’état latent, la condition de cette défectuosité. Conclusion. — De cet ensemble de recherches il est difficile de tirer aucune conclusion précise. Les faits ne sont pas nets ; alors même qu'ils paraïtraient l'être, ils ne sauraient être consi- dérés comme une base solide d'interprétation, en raison précisé- ment de linconstance des conditions du milieu, susceptibles par leurs variations incessantes de déterminer des effets de nature semblable et d'intensité au moins égale à ceux que Félevage en inbreeding serait capable de réaliser. Il semble cependant, surtout d’après les recherches de Hype, que l'apparition d’un pourcentage élevé de couples stériles ait été en rapport avec l'absence de croisements, mais que linbree- ding n'ait joué dans la réalisation de cette particularité qu'un rôle très secondaire. Ce que lon sait aujourd'hui du mécanisme de l'apparition des anomalies, attribuées dans Pespèce humaine à la consanguinité, montre, en effet, que ces anomalies ne sont pas produites par quelque action mystérieuse de la parenté, mais se trouvent réa- lisées grâce à certaines combinaisons que les unions consan- guines facilitent. Les états pathologiques dont il s’agit se com- portent, en effet, dans les croisements, à la façon de caractères récessifs par rapport à l’état normal. Ilen résulte qu'ils ont plus de chances d’être réalisés lors d'un croisement consanguin qu'à la 18 b LR A at x ia * - 974 E. GUYÉNOT suite d’un accouplement entre individus de lignées ne présentant entre elles aucun degré de parenté. Lorsqu'un individu, hétérozygote par rapport à la malforma- tion récessive, par suite d'apparence normale, vient à être croisé avec un individu normal homozygote, la maladie récessive continue à rester inscrite dans le patrimoine héréditaire de la moitié des descendants mais sans cesser d'être latente, et il en est ainsi tant que les hétérozygotes ne sont pas croisés entre eux. Si nous désignons par N Pétat normal dominant et m l’état pathologique récessif, les résultats peuvent être représentés par le schéma suivant : Nm >< NN | NN + Nm>41 descendants, en moyenne 228. Les résultats furent les suivants : RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 21i Croisement OA X GD OD:X G'A rer couple stérile. 1er couple stérile. 2e — 146 descendants. 2e — 327 descendants. pe — 100 — 3e 0905 -— 4e — 190 — 4e —. 200 — pe - 11/ — pe — 1063 = Moyenne : 129 Moyenne : 255 De l'étude de la fertilité des hybrides de première etde deuxième génération, CAsTLe et ses collaborateurs ont cru pouvoir tirer les conclusions suivantes : En croisant une race de faible productivité et tendant à la stérilité, avec une race de haute productivité, les hybrides de première génération sont tous de haute productivité quand c’est la mère qui était la plus fertile. Quand c’est le père, les descen- dants de première génération sont généralement, mais non tou- Jours, de haute productivité. D'autre part, à la deuxième génération, on observerait des descendants de haute productivité et d’autres de faible fertilité, si bien que cette dernière particularité, étant généralement non représentée en Fr, est envisagée comme un caractère mendélien récessif. Il faut toutefois noter qu'il y a des cas où elle n’a pas réapparu à la deuxième génération. I'est difficile de se faire une opinion sur la portée réelle de ces recherches. Les résultats sont quelque peu inconstants, ce qui peut être évidemment dû à la variabilité des conditions externes. Les modifications de fertilité apparente pouvant résul- ter de cette variabilité des conditions sont d’un ordre tel que lon manque évidemment de la base nécessaire pour apprécier les résultats apportés et en tirer une interprétation vraiment scienti- fique. Il est probable que Casrze à eu entre les mains des lignées de fertilités différentes, il est possible que ces fertilités soient susceptibles de se comporter dans les croisements d’une manière assez semblable à celle des caractères mendéliens, ce sont là, je crois, les seules conclusions que lon puisse formuler. Recherches de Hyne. — Les croisements effectués par cet auteur ont lintérêt d’avoir été réalisés entre deux lignées bien différentes, non seulement au point de vue de leur fertilité, mais quant à leur morphologie. L'une des lignées était constituée par des Drosophila ampe- 278 | E. GUYÉNOT lophila normales (forme sauvage) ayant une fertilité d'environ 200 descendants en moyenne, ce’ que l’auteur indique comme haute fertilité. Cette fertilité, eu égard aux résultats obtenus par MaœxkHaus et moi-même, est cependant assez faible pour des Mouches de la forme sauvage, mais elle est relativement élevée par rapport aux Mouches de Pautre lignée. Celle-ci, désignée sous le nom de truncated, provenait de Mouches obtenues par MorGan, par mutations spontanées, dans les élevages suivis par cet auteur. Ces Mouches sont caractérisées par la forme de leurs ailes qui sont comme coupées plus où moins carrément à une cer- taine distance de leurs extrémités. Les Drosophiles à ailes tron- quées n'ont Jamais pu être amenées à l’état de lignées pures ; toujours on voit, à chaque génération, reparaître dans leur des- cendance un certain nombre de Mouches à ailes normales. En totalisant quelques chiffres donnés par Hype, on voit que sur 6.328 Mouches de la lignée tronquée, appartenant à plusieurs générations, il y eut 887 Mouches à ailes normales, soit une pro- portion de 1/4 p. 100. Une autre particularité de ces Mouches à ailes tronquées, signalée par Hype, est la brièveté de leur existence. Voici quel- ques chiffres fournis par l’auteur. Durées de vie observées pour : TDR CATER A EAN AR EDG Tr 20 20-2712 jours Q —— PERRET 10, 25 NT Con To ET — c normal (inbreed) . . A5, 42, 41, 36, 45, 34, 45 —(!) (@) = RAM OUT 255 780,3 DO 2 OURS Cet ensemble de faits montre qu’il s’agit de deux races diffé- rentes à bien des points de vue et dont il est intéressant de com- parer les fertilités respectives. Un premier résultat concerne la fertilité des mâles et des femelles selon qu'on accouple entre eux les individus de même race ou de race différente. Voici les moyennes des résultats observés. (1) Ofinbreed rex, ctainbreed 07. 190 descendants (1) © truncated X Œtruncated . . . 48 == (UT), Ofinbreed}, XX G'iruncatedh en 428 — (IV). © truncated X° cfainbreed. » +. . 198 — (!) Cette durée de vie pour des Mouches sauvages est faible, mais elle dépend essentiellement de la température au sujet de laquelle l’auteur ne donne aucune indication. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 279 Les résultats du croisement IT montrent que les G'truncated sont susceptibles de produire en abondance du sperme fécond puisqu'ils donnent, croisés avec une femelle sauvage, beaucoup plus de descendants que lorsque celle-ci est croisée avec son propre mâle. Inversement le croisement IV nous apprend que les © trunca- ted produisent également un assez grand nombre d'œufs fécon- dables, puisque, malgré la brièveté de leur existence, elles don- nent, lorsqu'elles sont fécondées par un ‘sauvage, un nombre assez considérable de descendants, très supérieur en tout cas au résultat que l’on obtient lorsque ces femelles sont croisées avec un male de leur propre race, En somme cet ® truncated sont séparément d’une fertilité assez élevée, mais accouplés ensemble ne donnent qu’un petit nombre de descendants, ce qui paraît dû à quelque incompatibi- lité entre le sperme et les ovules de la race truncated. C’est cette incompatibilité qui serait la cause de la faible fertilité de cette race. Dans une deuxième série de recherches, Hype adopta une mesure plus précise de la fertilité des Drosophiles. Il se rendit compte que mesurer la fertilité à la manière de CasrLe, c’est-à- dire en se basant simplement sur le nombre des descendants adultes, était très insuffisant et il prit comme base de son appré- ciation le rapport existant entre le nombre des œufs pondus (fécondité proprement dite) et le nombre de ces œufs arrivant à donner des descendants adultes. Cette manière de faire le con- duisit à des résultats intéressants. C’est ainsi qu'il trouva que les œufs arrivaient à complet déve- loppement dans les proportions suivantes : 24 p. 100 pour la race truncated. 7 p. 100 pour la race sauvage inbreed. 55 p. 100 dans le croisement © truncated X jf inbreed. 80 p. 100 dans le croisement Q inbreed X cj truncated. Pour expliquer la faible fertilité ainsi mesurée de la race trun- cated, l’auteur émit l'hypothèse que les œufs homozygotes, par rapport au caractère Qailes tronquées », ne sont pas fécondés ou meurent en cours de développement et que seuls les hétérozy- gotes sont capables d'exister à l’état adulte. Cette intéressante supposition ferait comprendre la réapparition constante de mou- 280 E. GUYÉNOT ches à ailes longues et Pimpossibilité d'obtenir une race pure à ailes tronquées. L'incompatibilité entre les gamètes d’une même lignée peut parfois devenir absolue. MorGax à montré que, dans une lignée de Drosophiles à ailes rudimentaires, les mâles sont incapables de féconder les femelles ; par contre les deux sexes sont féconds lorsqu'on les croise avec des individus d’une autre catégorie. J'arrêterai ici mon exposé des recherches de Hype. Les résul- tats obtenus, malgré des conditions de milieu vraisemblable- ment peu constantes, montrent suffisamment l'intérêt qu'offrent des expériences de ce genre et combien il serait désirable de les reprendre dans des conditions parfaitement connues et uniformes, cle façon à pouvoir serrer la question de plus près et tenter de saisir le déterminisme des variations observées. Recherches de N. Wexrwort.— Les expériences de cet auteur ont trait à la fertilité de Drosophila ampelophila à veux oranges, provenant des mutations ainsi désignées, obtenues par MorGax. L'auteur ne donne, lui non plus, aucune indication sur les condi- tions d'élevage, ce qui laisse supposer qu'elles n'avaient été l'objet d'aucun soin particulier. Ces recherches sont un exemple de la facilité avec laquelle certains néo-mendéliens croient pou- voir expliquer par des facteurs génétiques, sans aucune précau- tion spéciale, n'importe quels résultats. WexrworTx (68) étudia, en effet, la descendance d’un couple quelconque de Drosophiles à yeux oranges, dont il ne connais- sait pas l’ascendance, ni la fertilité. Ce couple donna 126 des- cendants que lPauteur répartit en quatre lots, en se basant sur la taille et sur la vigueur apparente des Mouches. Cette clas- sification arbitraire et faite quelque peu au hasard n’était basée sur aucune mesure précise, mais simplement sur des impres- sions. Un lot fut fait avec les Mouches paraissant les plus grosses et les plus vigoureuses, un autre avec les plus petites et les plus faibles d'apparence, les deux derniers avec des individus de type moyen quant à la taille et quant à la vigueur. Cette classification se serait trouvée justifiée après coup, car les Mouches du premier lot donnèrent une descendance moyenne de 135, celles du deu- xième une descendance moyenne de 29 et les deux autres lots produisirent ensemble une moyenne de 72 descendants. Parmi les descendants des deux lots moyens, les uns se montrèrent RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 281 du type fertilité élevée, les autres du type fertilité faible. Il semble donc justifié d’admettre que lauteur est tombé sur deux lignées de fertilité différente et que les individus du type moyen se comportent, à ce point de vue, comme des hétérozygo- tes, se dissociant en leurs caractères constitutifs. Cette ségréga- tion des facteurs de la fertilité apparaît assez nettement dans les résultats des premières générations, comme indique le tableau suivant, ayant trait à la descendance de / couples du type moyen, pendant { générations. Couple A Couple B Couple C Couple D F2 81 72 | 79 5/ LT > TE ER CR. 0 RS F3 30 137 79 65 112 79 81 87 F4 3160 7814» 72-80 34-77 GOGb-io1 68-82 87-144 156-133 Cependant la valeur de ces fertilités paraît assez relative si on examine les générations consécutives de certains couples de F3. La descendance des couples successifs provenant d’un couple ayant donné 31 Mouches en F3, fut la suivante : 24, 19, 31, 26, 22, 25, ce qui paraît indiquer une faible fertilité persistante. Par contre un couple ayant donné, en F3, 86 descendants, la fertilité des générations successives se trouva exprimée par les chiffres de 190, 138, 101, 124, 102, 148. Un autre couple ayant donné 77 descendants, la fertilité des générations ultérieures fut expri- mée par les chiffres 84, 68, 79, 56, 18, 24. On observe de même les séries suivantes : K3 F4 F5 F6 F7 F8 F9 87 28 28 21 >/ 20 23 190 1/40 86 74 69 77 81 68 38 67 26 34 32 lo 82 /o 62 68 D1 3/ 29 Ur 75 72 141 19/ 118 137 Il y a donc dans la fertilité des générations successives, mesu- rée, il est vrai, par un seul couple à chaque génération, des écarts considérables. Ceci serait dû, d’après l’auteur, à ce qu'il y avait en présence plusieurs facteurs de fertilité. Pour le démontrer, 11 fit Pexpé- rience suivante. Il recueillit la descendance d’un couple du lot intermédiaire et forma ainsi 39 couples qu'il mit en reproduction. Il constata que ces paires pouvaient, d’après le nombre de leurs 282 E. GUYÉNOT descendants, être réparties en sept groupes dont le tableau sui- vant indique la fertilité et la fréquence. Demon 20 tdescentanis en 1 couple De 20 à 4o — LS LANTA MER / = De 4o à 6o — SOS ME SALE TRUE De 60 à 8o — SUR EURE 14 — De So à 100 — LTD RUES OUR De 100 à 120 = SEA TE EEE X D — De 120 à 140 — RÉSPAEE KE DATA À TRUE On voit immédiatement que la répartition des couples n’est pas faite au hasard, mais que ceux présentant les fertilités les plus hautes et les plus basses sont distribués de part et d'autre d’une fertilité moyenne, correspondant au plus grand nombre de paires. La courbe de fluctuation que lon obtient ainsi pourrait résulter de l’action, d'intensité inégale suivant les individus, qu’exerce- rait un facteur externe quelconque sur la fertilité de la popu- lation. Négligeant une supposition de cette nature, WENTWORTH voit dans ces faits la preuve de l’existence de 6 facteurs génétiques dont chacun correspondrait à une fertilité de 0 descendants. L'absence de ces facteurs équivaudrait à une production de 0 à 20 descendants ; la présence de 1 facteur à une fertilité de 20 à ho, celle de 2 facteurs à une fertilité de 4o à 60, etc. Sans doute une pareille hypothèse permet de représenter sym- boliquement les faits observés, mais existence des facteurs Ineri- minés parait bien invraisemblable. D'ailleurs, il faudrait que l’auteur donnät la preuve que les variations observées dans la fertilité des différents couples sont bien liées à des dissemblances héréditaires et non à des inégalités dans les conditions de milieu. Or, comme il ne donne aucun détail en ce qui concerne ses con- ditions d'élevage, il est à présumer qu’elles n’ont pas été l’objet de soins particuliers. Il aurait été, d'autre part, nécessaire, en employant les croisements appropriés, d'isoler des lignées pures, présentant régulièrement les fertilités caractéristiques des diver- ses catégories de facteurs imaginés, pour que cette interpréta- tion commençat à reposer sur autre chose que sur de pures apparences. Conclusion. — J'ai adressé aux diverses recherches expéri- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 283 mentales que je viens de passer en revue deux critiques fonda- mentales relatives, lune à l’insuffisance numérique des résultats, l'autre à l’imprécision et à l’inconstance des çonditions extérieures. En ce qui concerne lobligation de ne baser des conclusions que sur des chiffres élevés, je tiens à faire remarquer que cette nécessité est plus impérieuse lorsqu'il s’agit d’études ayant trait à la fertilité ou à la fécondité d’un organisme que lorsqu'il s’agit de recherches portant sur aucun autre problème d’hérédité. Quand on étudie, par exemple, le résultat d’un croisement, au point de vue de la répartition dans la descendance de tel ou tel caractère mendélien, il n’est pas absolument indispensable d'examiner la totalité de la descendance des couples, car la pro- portion des descendants de chaque catégorie reste très compara- ble dans les différents lots, même si ceux-ci ne comprennent qu'un nombre relativement petit d'organismes. C’est ce que mon- trera l’exemple suivant que j'emprunterai à des recherches encore inédites que j'ai effectuées sur des Mouches que T. H. MorGax à eu l’obligeance de m'adresser. Il s’agit des résultats du croisement entre des Drosophila ampelophila ® à yeux rouges normales et des G appartenant à la lignée désignée par Mor&ax sous le nom de barred, dont l'œil est incolore avec une barre médiane pigmentée de rouge. L’exa- men d’un grand nombre de cas et de générations entières montre qu'en F1 la descendance est constituée par environ 50 p. 100 de femelles à yeux barred () et 50 p. 100 de à yeux rouges. Les mâles sont un peu plus nombreux que les femelles. Je rapporterai ici les chiffres correspondant aux pontes par- elles de 5 © ainsi croisées, transportées dans de nouveaux tubes tous les 5 jours, pendant »0 jours. Les chiffres représentent les descendances nées dans chacun des tubes où la Q a séjourné. No du tube Ci rouges (@) réniformes Total 1er couple : £ 126 109 87 199 FE 163 45 32 qi E. 24/4 35 39 74 E 252 37 4x 78 220 109 420 (1) Ces (®) qui sont hétérozygotes ont une barre pigmentée plus large que les (®) barred homozygotes et la tache pigmentaire possède une forme particulière (réniforme). 284 E. GUYÉNOT 2e couple : £ 153 52 58 110 12} ie) 77 59 130 E 247 29 /o 69 E 285 >/ 20 44 182 177 309 3e couple : Æ 126 1/42 11/4 290 ; 182 89 89 17 299 54 lo 98 280 213 Da 4e couple : Æ£ 1350 80 D/ 194 E 18% J1 A1 72 E. 243 A )I 92 F283 39 20 D 101 106 397 5e couple: Æ 1151 42 13 85 E 183 36 3 70 E 2406 39 34 69 E 287 34 28 62 1/7 199 286 Il est facile de voir que, mème pour des lots de moins de 50 individus, la proportion entre les deux catégories de descen- dants est sensiblement la même que dans l'ensemble de la des- cendance. L'examen de ces lots permettra donc de se faire déjà une idée assez exacte de ce que sera la génération tout entière et il n’est pas absolument indispensable de s'attacher à recueillir celle-ci intégralement. Lorsqu'au contraire il s'agit d’études relatives à la fécondité ou à la fertilité des Drosophiles, il devient nécessaire d'obtenir de chaque couple un nombre de descendants aussi voisin que pos- sible de celui exprimant la capacité reproductrice totale du cou- ple. Les lots correspondants même à des périodes égales peuvent être en effet très différents. C’est ce que montrera la comparaison des descendances laissées par des Dr. ampelophila aseptiques, appartenant à des lignées différentes, dans les différents tubes (*) oùelles ont été transportées tous les 5 à 8 jours. () Le milieu nutritif était constitué par de la Levure et les autres circonstan- ces extérieures étaient aussi constantes que possible. Dans ces conditions, la mortalité des larves et des pupes fut pratiquement nulle si bien que les chiffres de descendants expriment très sensiblement les pontes correspondantes, RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 285 No des tubes jours d' (®) Total 1er couple : 7258 6 79 90 103 1340 6 31 39 66 1409 0) 66 72 198 1919 8 JI 38 69 28 201 230 436 2e couple : 228% ii] 58 64 122 1947 6 46 38 8/ 1410 S 26 30 Er, 1910 8 23 42 96 27 183 170 309 3e couple : 1292 (9 D2 50 102 1999 (ù 45 31 70 1410 8 22 26 18 1910 8 39 20 54 28 192 12 280 4e couple : 1295 6 58 65 123 1939/ ô 32 37 69 1417 05 52 119 1911 1 7 11 18 21 160 169 325 oe couple : 7240 sn 31 39 66 1901 (ù 19 17 30 1422 8 1Ô 18 9 1917 8 40 26 96 27 106 120 232 6e couple : 2297 5 65 58 129 130 6 5/4 54 119 1429 8 6o 60 12/ 1918 ts) 49 36 85 27 237 208 149 Il est facile de voir, par ces exemples, que si dans chaque lot de cinq à huit jours de ponte d’une même femelle, la proportion de get de @ se trouve sensiblement comparable, il n’en est plus de même du nombre moyen de descendants, par jour, observé dans les différents lots successifs. Le résultat est qu'une ponte partielle de cinq jours au plus ne peut donner qu'une idée très inexacte de ce qu'aurait été la fertilité du couple si celui-ci avait été suivi pendant un mois au moins où mieux Jusqu'à lépui- sement de sa capacité reproductrice. Je ferai remarquer que les différences d'amplitude assez gran- 286 E. GUYÉNOT des que l’on relève dans les pontes d’une même femelle, pendant les périodes successives de cinq jours, ont été observées, bien que les conditions de température (24°) et de constitution du milieu nutritif soient restées en apparence rigoureusement com- parables. Une étude plus approfondie montra que ces différences étaient cependant dues, en grande partie, à des variations minimes dans le degré de sécheresse ou d'humidité dela surface du milieu. Cette observation, qui prouve qu'il suffit de changements infimes dans les circonstances extérieures pour faire varier beau- coup la fertilité apparente des Mouches, me ramène à la deuxième critique que j'ai été amené à formuler. Le moment est venu de préciser davantage cette dépendance de la capacité de reproduc- tion dés Drosophiles vis-à-vis des facteurs du milieu, et d’'éta- blir la nécessité d’uniformiser les conditions d'élevage pour rendre valables les recherches relatives à lhérédité de la fécon- dité et de la fertilité. XI RECHERCHES PERSONNELLES SUR LES FACTEURS EXTERNES DE LA FÉCONDITÉ ET DE LA FERTILITÉ La plupart des expériences que je vais rapporter ont consisté à étudier comparativement la fécondité et la fertilité de Mouches élevées, soit dans de bonnes conditions de nutrition, soit dans des conditions de nutrition défectueuses, les autres constituants du milieu restant constants (26). Avant d'exposer les résultats de ces recherches, je dois, pour en faciliter l'interprétation, indiquer comment se comportent les Drosophiles sur les milieux riches ou pauvres et montrer com- ment l’intensité de la nutrition retentit, non seulement sur la durée de la croissance, mais aussi sur Paccumulation des réserves du tissu adipeux, c’est-à-dire sur lélaboration des matériaux dont la nymphe aura besoin pour la multiplication de ses cellules ima- ginales et le développement de ses éléments génitaux. ee A dl RECHERCHES/SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME * 987 1° Comportement des Drosophiles sur milieu riche, an Ce milieu est constitué par de la Levure de boulangerie, pressée, diluée dans l’eau, dans la proportion de 1 pour 3, puis incor- porée à du coton hydrophile et enfin stérilisée à Pautoclave à 120°. À 23°, sur ce milieu, le développement, depuis le moment où les œufs sont pondus jusqu’à celui de Péclosion des premières mouches se fait en onze à douze jours, dont six à sept jours correspondent à la durée du développement larvaire et einq à la période de métamorphose. Pratiquement, dans les élevages aseptiques, tous les œufs fécondés aboutissent à des Mouches, les cas de mort accidentelle des larves ou des pupes demeurant excessivement rares. 2° Comportement des Drosophiles sur milieu pauvre. — Ce milieu est constitué par un fragment de Pomme de terre, taillé en forme de parallélipipède et introduit dans un tube ren- fermant déjà du coton hydrophile imbibé d’eau : le tout est sté- rihisé à l’autoclave à 1202. Sur ce milieu le rendement dépend essentiellement de l’état de la surface et, par suite, de la qualité et du mode de préparation de la Pomme de terre. Certaines Pommes de terre, même après stéri- lisation, restent dures et sèches; les larves errent alors à la sur- face du milieu et meurent au bout de quelques jours sans avoir | pu se nourrir. Lorsqu'au contraire la surface de la pomme de terre est molle et humide, un certain nombre de larves peuvent pénétrer à l’intérieur de laliment, y creuser des galeries et, sur- tout lorsque les larves sont nombreuses, réduire la Pomme de terre en une sorte de bouillie dont elles se nourrissent. Cette transformation résulte incontestablement du broyage opéré par les larves et de laction de leurs sucs digestifs. Elle ne provient pas d’une contamination accidentelle par des levures ou des bactéries, car dans chaque cas le milieu fut trouvé stérile après examen. | er cas. Pomme de terre dure. — Expérience : A6 © furent réparties dans dix tubes de pomme de terre où elles furent lais- sées pendant quatre jours. Le tableau suivant indique pour chaque tube le nombre des larves observées, celui des pupes et des Mouches écloses, ainsi que les temps (exprimés en jours) au bout desquels pupes ou Mouches apparurent. 288 E. GUYÉNOT Numéro N e Nombre Nombre Pupes Nombre Mouches des Nombre de de au de au tubes de Q larves pupes bout de mouches bout de DA x 19 58 /, 19-22 Jours 3 24-31 jours 2 5 52 Ô 20-27 () » A I 8 3 19-2/ 2 29 5 I 6 0 » o » 6 5 20 0 » te) » 7 8 18 0 » 0 » 8 D 97 10 1(-22 3 26-30 (® 3 A9 ) » 0 » 11 3 26 O » (o » 19 3 28 0 » ) » 361 23 8 Sur un total de 361 larves, 23 seulement réussirent donc à se transformer en pupes, et cela au bout d’une durée de 19 à 27 jours, alors que sur les milieux témoins (Levure) les pupes sont formées au bout de six à sept jours. Parmi ces pupes un certain nombre étaient d’ailleurs mal formées, arquées ou dépri- mées. Toutes étaient petites, quelques-unes n'étaient autre chose que des larves, dont la peau s'était desséchée et avait jauni, sans qu'elles aient revêtu la forme caractéristique du puparium. Parmi ces 23 pupes, huit seulement réussirent à évoluer jus- qu'à la Mouche adulte. La métamorphose, dans les quelques cas où elle put s'effectuer, dura de cinq à huit jours, c’est-à-dire fut généralement moins rapide que celle des témoins. Les Mouches naquirent au bout de 24 à 31 jours au lieu de 11 à 12. 29 Pomme de terre molle. — Expérience : 35 Q furent trans- portées dans autant de tubes de Pommes de terre où elles res- tèrent quatre jours: Les larves réussirent à pénétrer dans la Pomme de terre qu'elles creusèrent de galeries et dont elles se nourrirent. Sur environ 700 larves, 549 se transformèrent en pupes au bout de 15 à 25 jours et 121 pupes donnèrent naissance à des Mouches en 20 à 30 jours. Il y eut donc une mortalité encore considérable des larves et des pupes, mais le pourcentage des individus atteignant l’état adulte fut beaucoup plus élevé que dans le cas précédent. La durée du développement resta cepen- dant très augmentée par rapport à celle des témoins. Dans ces conditions de mauvaise nutrition, il existe, ainsi que je Fai déjà RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 289 noté à propos des divers milieux nutritifs artificiels, des diffé- rences considérables entre les divers individus. Tandis qu'un nombre plus ou moins élevé de larves, se trou- vant par hasard dans des parties sèches et dures, ne se nourris- sent qu'à peine et n'accumulent aucune réserve dans leur tissu adipeux, d’autres se trouvant dans une région plus molle de la Pomme de terre (par exemple au voisinage du coton imbibé d’eau) peuvent facilement pénétrer à lPintérieur, s'y nourrir, crossir et accumuler des substances de réserve. Des larves res- tées maigres pendant plusieurs jours, mais amenées, au hasard de leurs pérégrinations, dans les parties de la Pomme de terre déjà creusées ou digérées, réussissent, bien qu'avec un retard marqué sur leurs devancières, à se nourrir à leur tour. On observe dans le même tube des larves de toutes les tailles, des individus maigres et sans réserves, d’autres gras et pourvus de réserves assez abondantes. Les premiers meurent plus ou moins précocement, les autres sont susceptibles, selon les circons- tances, de se transformer en pupes d’une façon plus ou moins rapide. Certaines larves persistent sous cet état pendant une durée parfois considérable ; j'ai ainsi constaté la présence de larves vivantes, au bout de 4r, 52, 56, 67 et même 72 jours. Les pupes provenant des larves très pauvres en inclusions adipeuses ne tardent pas à se dessécher puis à mourir ; les cellules imaginales commencent bien à se multiplier, mais cette multiplication s'arrête bientôt, faute d’être alimentée par Îles réserves nécessaires. Lorsque les réserves sont plus abon- dantes, la métamorphose aboutit à la formation d'une nymphe, mais celle-ci meurt souvent à un stade plus ou moins précoce (nymphe à yeux non encore colorés, à yeux jaune orange, à yeux rouges) suivant l’intensité des réserves. Enfin une plus grande richesse en réserves permet à la métamorphose de continuer jus- qu'à l’éclosion de la Mouche. Les Mouches nées dans ces conditions sont toujours petites par rapport aux témoins et ne mesurent souvent que la moitié de la taille ordinaire (Mouches naines). Beaucoup présentent diverses malformations d’ailleurs non héréditaires (œil incom- plet d’un côté, ailes atrophiées ou ballonnées, pattes déviées et parfois repliées sur le dos, abdomen dévié d'un côté par raccour- cissement d’une des parois latérales, etc.). L’abdomen de ces 19 290 E. GUYÉNOT Mouches, même lorsqu'il est de forme normale, parait générale- ment rempli seulement par une grosse goutte d’un liquide trans- parent. Dans d’autres cas, il est ratatiné et paraît presque vide (Ge23 pl). Quelques-unes de ces Mouches sont assez vigoureuses ; d’autres au contraire sont faibles, se traïnent difficilement sur leurs pattes. Beaucoup meurent dès les premières heures, sans avoir pu étaler leurs ailes ou même restent emprisonnées dans le puparium. Il est bien évident que les mauvaises conditions de nutrition larvaire qui retentissent si fortement sur la rapidité du dévelop- pement, sur la vigueur des organismes arrivés à l’état adulte ne sont pas sans modifier beaucoup aussi le degré de maturité génitale que présentent les Mouches au moment de léclosion. Influence des conditions de nutrition des larves sur le développement des glandes génitales Lorsque des larves, élevées dans de bonnes conditions, arri- vent au terme de leur croissance, les ébauches génitales qu’elles renferment constituent deux masses arrondies, situées dans le tiers postérieur du corps et rattachées aux deux principales bandes longitudinales de tissu adipeux (fig. 4, pl. IV). Ces ébauches génitales sont formées de grosses cellules poly- sonales, généralement disposées en files, dont le noyau très volumineux renferme un gros nucléole et un réseau assez lâche de chromatine. A l’un des pôles se trouvent les cellules mères, petites, souvent mal individualisées, dont dérivent les précé- dentes. Les cellules les plus grosses se trouvent au pôle opposé. C’est à ce stade que sont encore les ébauches génitales, au début de la métamorphose, tant que la pupe est blanche. Elles ne tardent pas à être le siège d’une intense prolifération qui aboutit à la formation des gaines ovariques ou testiculaires. Les Mouches étant mûres génitalement à l’éclosion, il est facile de suivre, sur des coupes de pupes de divers âges, toute la série des processus de différenciation des glandes génitales (fig. 3, pl. IV). C’est ainsi que lon voit se former, dans les gaînes ovariques, de petits amas cellulaires comprenant des cellules à noyaux RECHERCHES SUR LA VIE ASEBPTIQUE D'UN ORGANISME 291 volumineux et à protoplasma granuleux qu'entourent, en une assise plus ou moins régulièrement ordonnée, des cellules épi- théliales beaucoup plus petites. Ces follicules ovariens sont dis- posés le long de la gaine ovarique, à la façon des grains d’un chapelet, les plus gros se trouvant les plus éloignés de lextré- mité aveugle, centre de prolifération (fig. r, pl. IV). Dans la suite, les grosses cellules de chaque follicule augmen- tent considérablement de volume; elles se chargent de substances de réserve et leur noyau devient énorme. En même temps, les cellules épithéliales s’étalent autour de l’amas des grosses cellules, en une couche régulière et continue (fig. 5, pl. ID. À un stade plus avancé, on constate que l’une des cellules centrales, plus grosse que les précédentes, reste seule entourée par les cellules folliculaires : c’est celle qui deviendra lovule (fig. 2, pl. IV). Les autres cellules, cellules vitellogènes, conti- nuent à grossir et à accumuler des réserves. Mais elles sont fina- lement absorbées par Povule et leurs réserves servent à lélabo- ration du vitellus nutritif. Sur une coupe d’une nymphe prête à éclore, on peut trouver ainsi; dans les gaines ovariques, tous les stades de lovogénèse, avec, en plus, un certain nombre d’ovules entièrement déve- loppés (jusqu’à /o) et prêts à être pondus (fig. 2, pl. HD. Telles sont, brièvement résumées, les principales phases de l’'ovogenèse que lon observe normalement au cours de la méta- morphose et qui continuent à se dérouler pendant toute la vie des imagos. Lorsque les larves se trouvent dans des conditions défectueuses de nutrition, la croissance des ébauches génitales est, par contre, beaucoup plus lente, au point que les imagos naissent avec des ovaires ne renfermant aucun ovule entièrement différencié, mais seulement quelques follicules à des stades plus ou moins avancés. C’est ainsi que les larves, élevées sur des milieux nutritifs artificiels ne leur permettant pas d’élaborer les réserves adi- peuses nécessaires, présentent des ébauches génitales qui restent extrêmement petites pendant toute la vie larvaire. C’est ce que l’on constate sur des larves nourries avec la peptone seule (fig. 7, pl. IT) ou la peptone additionnée d’hydrates de carbone. Lorsqu’au contraire, le milieurenferme de Pautolysat de Levure (fig. 10, pl. ID), ou, ce qui est mieux, de Pautolysat et de la lécithine, les ébau- 292 E. GUYÉNOT ches génitales se développent normalement en même temps que le tissu adipeux devient le lieu de dépôt d’abondantes substances de réserve. Sur les milieux naturels, peu nutritifs, tels que la Pomme de terre, les glandes génitales présentent, de même que le tissu adipeux, un développement très inférieur à celui des témoins élevés sur Levure. Même chez les larves les plus favorisées, les ébauches génitales restent petites, ne mesurant guère, au moment de la pupaison, que le tiers ou le quart des dimensions normales (fig. 5, pl. IV). Pendant la métamorphose, la différenciation des tubes ovariens se fait, mais les processus d’ovogenèse s'arrêtent à des stades parfois très précoces. Aussi les femelles naissent- elles en général sans renfermer un seul œuf prêt à être pondu ; bien souvent, l'ovaire ne contient que quelques rares follicules ovariens, à des stades plus ou moins avancés (fig. 3, pl. I). L'abdomen de ces femelles est souvent ratatiné. I ne contient que de rares cellules adipeuses. On observe, en ce qui concerne la spermatogenèse, des phénomènes de même ordre, bien que généralement moins marqués. Il existe un parallélisme complet entre le degré de développe- ment des glandes génitales et amplitude des réserves accumu- lées dans le tissu adipeux. Il en résulte que toute nutrition insuf- fisante exerce une influence considérable sur le développement des glandes sexuelles et par suite sur Papparition de la maturité géni- tale des adultes. Les conditions de nutrition doivent donc retentir nécessairement aussi sur la fécondité apparente des imagos. Expériences montrant l'influence de la nutrition des larves ou des adultes sur la fécondité Expérience A. 1" parlie. — A6 femelles, sœurs, nées en élevages aseptiques sur Levure, dans le même bocal, âgées de 4 jours, fécondées et ayant déjà pondu pendant au moins 48 heures sur Levure, sont réparties dans 10 tubes de Pomme de terre où elles sont laissées pendant 4 jours. Ces femelles sont ensuite transportées individuellement dans autant de tubes de Levure où on les laisse 48 heures. Après un nouveau passage de 4 jours sur Pomme de terre et un passage ultérieur de 5 jours sur Levure, les femelles sont enfin RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 293 transportées pour la troisième fois sur Pomme de terre où elles sont laissées pendant 6 jours, puis elles sont fixées en vue de létude histologique de leurs ovaires et de leurs réceptacles séminaux. Le tableau suivant (p. 294) représente les pontes de ces diverses femelles, dans les différents milieux où elles ont successivement vécu. La ponte moyenne par Jour qui était de 20 à 25 œufs avant l'expérience, dans les conditions normales (sur levure), s’abaisse à 3,23 pendant les { jours du premier passage sur Pomme de terre, ce qui est dû non seulement à un retentissement direct de la mauvaise nutrition, mais aussi, ainsi que cela a été observé directement, à une suppression de la ponte par inhibition, pen- dant les premières heures, sous l'influence du changement de milieu. Le défaut de nutrition lors de ce premier passage sur Pomme de terre continue à se faire sentir pendant les 2 jours suivants, bien que les Mouches aient été remises sur Levure, puisque la ponte ne dépasse pas la moyenne quotidienne de 14,23. Au cours du deuxième passage sur Pomme de terre, la ponte est d’abord arrêtée (inhibition), puis assez abondante sous lin- fluence des bonnes conditions antécédentes, enfin très réduite si bien que pour les { jours que dure ce passage la moyenne quo- tidienne n’est que de 4,18. Le fait d’avoir passé 8 jours sur 10 dans des conditions de mauvaise nutrition à ainsi déterminé un ralentissement dans les processus d’ovogenèse et un épuisement des réserves dont dispo- saient les organismes. Aussi, lorsque les femelles sont à nouveau laissées 5 jours sur Levure, la ponte reste presque nulle pendant les premiers jours et la production quotidienne moyenne n’est pas supérieure à 4,82. Enfin le dernier passage sur Pomme de terre entraîne une diminution énorme de la ponte et pour certaines femelles une cessation complète de cette fonction. La moyenne est inférieure à 1 œuf par jour et par femelle. Cette première partie de l'expérience montre nettement l’in- fluence de la nourriture de l'adulte sur la ponte, c’est-à-dire sur la fécondité et secondairement sur la fertilité. La deuxième partie rend manifeste l'influence des conditions de nutrition des larves sur la capacité de reproduction des imagos, 19 U=] rs E. GUYÉNOT 1er passage 2e passage 3e passage 1e passage 2° passage Numéros sur sur sur sur sur des pomme pomme pomme levure levure (®) de terre de terre de terre (2 jours) (5 jours) (4 jours) (4 jours) (6 jours) © 10 20 21 5 29 31 23 6 Q morte COIN © D = OO D ON ND SE &R à 12 2 morte morte 10 morte 0 Q morte 10 34 Q morte 43 12 47 31 35 32 D OO EI © 25 e en RO DO OO mn ON EE © m = D = ND = D & CO © _ O morte D © DE = 666 Ponte moyenne par jour . #5 5 4,18 Expérience A. 2 partie, — Les Mouches filles des © pon- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 295 deuses précédemment étudiées naquirent soit sur Levure, soit sur Pomme de terre. Les premières ont été bien nourries pendant leur vie larvaire, les secondes ont eu une nourriture très res- treinte. Il est intéressant de comparer le comportement de ces deux catégories de Mouches, au point de vue de leur fécondité. 1° Mouches nées sur Levure.— Dans tous les tubes à Levure les Mouches furent retirées tous les deux jours à partir des pre- mières éclosions, c’est-à-dire qu'aucune d'elles ne resta plus de 48 heures dans le tube où elle était née. Malgré cela, dans tous ces tubes, on constata l’existence d’une seconde génération abon- dante, ce qui prouve que les Mouches s'étaient très rapidement accouplées et avaient de très bonne heure pondu des œufs fécondés. Ces organismes, aussi bien les mâles que les femelles, étaient donc mûrs génitalement dès léclosion. 2° Mouches nées sur Pomme de terre. — Les Mouches nées sur Pomme de terre furent divisées en quatre catégories : les unes furent réparties par couples, sur Pomme de terre, les autres par couples sur Levure ; d’autres femelles furent placées isolé- ment alors qu’elles étaient encore vierges (1) sur les mêmes milieux, Pomme de terre ou Levure. a. Couples sur levure. — Laissées pendant 48 heures sur Pomme de terre dans le tube où elles sont nées, les © de 5 cou- ples n’y pondirent aucun œuf. Transportées ensuite sur Levure, elles restèrent encore 1 à 2 jours sans pondre (en tout 3 à 4 jours). Au bout de ce temps, sous linfluence de la bonne nourriture mise à leur disposition, ces Mouches devinrent plus vigoureuses, leurs abdomens augmentèrent de volume et la maturité génitale fut achevée. La ponte commença avec une intensité de moins de 10 œufs par jour pendant le premier ou les deux premiers jours, puis s’accéléra graduellement et atteignit en peu de temps le taux normal c’est-à-dire celui présenté par les mouches nées sur levure et placées dans les mêmes conditions. Le retard résultant de la mauvaise nutrition larvaire est donc manifeste, mais il se trouve assez rapidement annihilé lorsque adulte vient à être placé sur un bon milieu nutritif. (:) L’accouplement n'ayant pas lieu avant les 12 premières heures qui suivent l’éclosion, il suffit de retirer les femelles du tube où elles sont nées, toutes les 6 heures, et de les isoler aussitôt pour être certain qu’elles sont vierges. 296 E. GUYÉNOT b. Coupies sur Pomme de terre. 20 couples nés sur Pomme de terre furent à leur tour placés dans autant de tubes neufs, de même constitution. Dans ces conditions la maturité génitale déjà très en retard ne put progresser que fort lentement. Le tableau suivant indique le temps pendant lequel les diver- ses Q sont restées sans pondre, ainsi que le nombre d'œufs pon- dus pendant les jours écoulés depuis le début de la ponte jusqu'à la fin de l'observation. En même temps 1l a été tenu compte du nombre des œufs non fécondés, de celui des œufs fécondés ayant donné naissance à des larves, enfin de celui des œufs fécondés qui avortent au cours du développement embryonnaire. ( Bien que dans presque tous les cas lPaccouplement ait été constaté, sur un total de 215 œufs pondus, 4r seulement don- nèrent naissance à des larves. Encore faut-il remarquer que 30 de ces dernières provinrent d’une même femelle née sans doute dans des conditions de nutrition exceptionnellement favorables. 79 œufs fécondés ne purent arriver au terme du développement embryonnaire et brunirent. Enfin 95 œufs restèrent blancs, sans Numéro Nombre Nombre d'œufs de jours avant —— re ; des , Durée de Ia ponte le début Durée de la ponte de , ee Pondus | Avortés | Féconds couples la ponte = 209 A 0 @ fixée le 4e jour. 270 5 0 » DER 288 6 o » 6e » 201 re] Oo » ÿe » 300 19 0 » 19€ » 201 9 0 » 9° » 207 (0 94 2 0 en &8 jours de ponte. 290 D 45 19 30 » 12 » J12 Ô ë 2 2 » 14 » 202 D 20 o 0 » 24 » J01 (0 1/ 4 0 » 25 » 909 II 5 2 0 » 92 » 280 6 lo 20 2 » 26 » 19 { 22 12 I » 19 » 07 7 8 0 0 » 23 » RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 297 montrer aucun développement apparent. Ils n'étaient vraisem- blablement pas fécondés. On voit que la ponte ne commença que très tardivement, en moyenne le sixième ou septième jour, parfois beaucoup plus tard et qu'en tout cas l’intensité de cette ponte resta toujours faible. Les conditions de mauvaise nutrition retentissent non seule- ment sur le nombre des œufs pondus et la précocité de la matu- rité génitale, mais aussi sur la constitution des gamètes eux- mêmes. C’est ce que montrent les nombreux cas dans lesquels la fécondation n’a pas été effectuée ou n’a été réalisée que pour un nombre d'œufs très limité, ou enfin n’a déterminé qu'un début de développement, les embryons étant morts d’une façon pré- coce. I y à là des indications utiles en ce qui concerne lPinfluence des conditions extérieures sur la fertilité. ce. Q vierges sur Levure. — 6 @, nées sur Pomme de terre, sont retirées du tube où elles sont écloses au bout de 2 à 6 heu- res, de facon à être certain qu'elles n’ont pu être fécondées. Elles sont réparties en autant de tubes de levure. Le début de la ponte de ces femelles vierges et son intensité sont consignés dans le tableau suivant : Nombre de jours écoulés avant le début de la ponte Numéro des Nombre Durée de la ponte tubes d'œufs pondus 20 Jours. 11 Jours (!). 20 Jours. 11 Jours. 8 jours. 1/4 Jours. 98 299 299 324 260 J94 dE RS O0 Co (1) La Q de 293 a un abdomen extrêmement petit, ratatiné et difforme. D'une façon générale la ponte commença d'assez bonne heure, sous l'influence de la bonne nourriture, d’abord très réduite, puis de plus en plus intense, avec des périodes d’arrêts sur la signification desquelles je reviendrai. d, Q vierges sur Pomme de terre. — 14 ®, nées sur Pomme 298 E. GUYÉNOT de terre furent retirées précocemment comme les précédentes des tubes où elles étaient écloses et réparties dans autant de tubes de pomme de terre. Les résultats de cet essai se trouvent consignés dans le tableau suivant : Nombre de jours écoulés avant le début Numéro des Nombre Jours de po nte tubes de la ponte d'œufs pondus 292 A 0 © fixée le 4e jour. 285 (3 Q) 12 0 Q fixées le 12e jour. 25/ 11 0 Q fixée le 11e jour. 290 7 0 © fixée le 7e jour. JI1 19 25 en 26 jours de ponte. 317 (3 ®) 6 30 » 20 » 30/4 5 9 » 97 » Pres) 13 7 » 27 300 19 D » 2/1 DJ 0! 9 Go » 29 L'examen de ce tableau montre que la ponte survint très tar- divement au bout de 7, 10, 14, 16 jours. Cette ponte fut peu abondante et cessa souvent de très bonne heure. Ainsi les 4 œufs pondus par la © de 304 l’étaient déjà le neuvième jour de la ponte. Celle-ci fut entièrement suspendue jusqu’au quarante-sixième jour, date à laquelle cessa observation. De même la ® de 513 pondit ses 7 œufs le quatorzième jour, puis la ponte s'arrêta. Parfois la ponte dura plus longtemps mais chaque œuf fut séparé du suivant par un intervalle considérable : on nota, en 306, 3 œufs au bout de 2 jours de ponte, un quatrième œuf fut pondu le dix-neuvième jour et un cinquième œuf entre le dix-neuvième et le vingt-quatrième jour. Dans aucun cas la ponte ne fut effectuée sur un rythme supé- rieur à 1 œuf par Jour. Expérience B. — Cette expérience qui est en quelque sorte la contrepartie de la précédente a consisté à prendre des Q, nées non plus sur Pomme de terre, mais sur Levure, c'est-à-dire s'étant trouvées dans de bonnes conditions de nutrition pendant leur vie larvaire et à les répartir par couples sur des milieux riches RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 299 ou pauvres, constitués par la Levure ou la Pomme de terre. Cette expérience comprend donc deux parties. 1° Couples sur Levure. — 10 couples, âgés seulement de #4 à 7 heures, sont transportés dans autant de tubes contenant de la levure. Au moment de leur transport, les Mouches sont encore molles, à tégument peu coloré et à ailes incomplètement déployées. L’accouplement a lieu généralement, ainsi que le montre lobser- - vation directe, entre la quinzième et la vingtième heure. Le tableau suivant indique le moment auquel la ponte com- mence et le nombre d'œufs pondus pendant les trois premiers Jours. Numéro Heure à laquelle Nombre SE MER des tubes la ponte commence | d'œufs pondus UPPER CR SR ONS 403 entre 35e et 48e ue: en 48 heures de ponte. 6/ » 26€ et 37e 68 » 48 » 470 » 22€ et 33e 87 » 54 » 471 » 22€ et 398 62 » 54 » 473 » 226 et 33e 65 » 54 » 474 » 33e et {7e 60 » 48 » 475 » 33e et {47e 67 » 48 » 470 » 33e et 47e A6 » 48 » 478 » 22€ et 33e 2 » 54 » 479 » 220 et 33€ 09 » D » Dans tous ces cas, la ponte commence au bout d’un temps inférieur à 48 heures après l’éclosion. Elle est dès le début très intense, constituée par l'émission de plus de 24 œufs par jour, puis se maintient au taux de 1 œuf par heure. Quelques œufs, les premiers pondus, ne sont souvent pas fécondés, mais tous les autres évoluent régulièrement en donnant naissance à des larves. Il n’y a pas d'œufs avortés. 20 Couples sur Pomme de terre. — 10 couples âgés de 4 à 6 heures sont de même répartis dans autant de tubes renfer- mant de la Pomme de terre. Le tableau suivant indique le début et intensité de la ponte”(p. 300). Comme on le voit, la ponte commence à peu près dans les mêmes délais que lorsque les couples sont placées sur Levure. Elle est assez intense pendant le premier jour, puis diminue assez rapidement si bien que le taux moyen reste très inférieur à 300 E. GUYÉNOT Numéro Nombre d'œufs Heure à laquelle RS Durée de la ponte des a : À ge la ponte débute = ES = Ts observée s SA = = 5 TE couples = £ 2 © = œ e > 8 1 entre 24e et 27e heure] 25 | 2 | 21 | 2 |en 3 jours 1/2 de ponte 482 D. 1278 EL VAR ICR) 22 | 1 | 19 | > | » 3 Jours de ponte. 483 (1) 4e jour 29 \ÈDI 2000 MIE » 49 » 2e et 48e » D A PEN) EN CO A PS » 494 Q® morte collée le 3e jour 499 entre 31e et 37€ heure] 24 | o | 17 | 7 |en 3 jours 1/2 de ponte. 490 »'19106et37e 17) 44 | o | 37 | 7 | » 3 jours 1/2 » 497 »UNO7e et 50e D» 37 00735 tS jours 1/2 » 498 D NalErelL 37e 00» 2111/0250 6m eNourS-172 » 499 » 310 et 37€ | » 38 | o | 34 | 4 | » 3jours 1/2 » (t) Le © avait les ailes collées et rabattues sur l’abdomen, Cette condition qui rend la copulation impossible explique le retard observé dans le début de la ponte, celui que l’on note pendant une période correspondante pour Îles Mouches placées sur Levure. En effet, les 271 œufs pondus par les o femelles au cours d’une période de 72 heures environ cor- respondent à une production moyenne de 10 œufs par femelle et par jour, alors que, sur Levure, la production moyenne est supérieure à 29 œufs. Quelques œufs avortés apparaissent, seulement parmi les der- niers pondus. Ces deux catégories d'expériences me paraissent montrer d’une façon particulièrement nette l’action des conditions de nutrition, soit des larves, soit des adultes, sur la précocité de la maturité génitale et le nombre des éléments sexuels mûrs, partant sur la fécondité des Mouches. Les modifications observées ne tiennent nullement à une action empêchante spécifique de la nourriture employée. Si, en effet, on a préalablement ensemencé la Pomme de terre devant servir de nourriture avec une culture pure de Levure, ce Champignon se développe abondamment en surface, puis après avoir été entrainé par les larves dans la profondeur de la Pomme de terre, en détermine l'éclatement et la liquéfaction. Dans ces conditions la nutrition des larves s'effectue à peu près aussi bien et aussi vite que dans le cas d'un élevage aseptique sur Levure stérilisée et les imagos naissent avec une maturité 4 RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 301 génitale très avancée et sont d'emblée d’une haute fécondité. La cause des modifications observées réside uniquement dans la pauvreté alimentaire du milieu nutritif utilisé. D'ailleurs on peut dire d’une façon générale que tout ce qui ralentit la nutrition des larves ou des imagos retentit nécessaire- ment sur la maturité génitale et par suite sur la fécondité. Si, par exemple, on élève des Drosophiles aseptiques sur une dilution très étendue de Levure, le milieu nutritif étant très peu riche en particules alimentaires, le développement se trouve retardé, les larves restent petites, pauvres en tissu adipeux ; les pupes sont elles-mêmes de petite taille, ainsi que les Mouches qui en proviennent. IT est alors facile de constater directement que ces Mouches ne pondent pas ou ne pondent que quelques œufs, tant qu'elles restent sur le même milieu, mais qu’elles ne tardent pas à devenir de plus en plus fécondes, si on les trans- porte dans des tubes contenant de la Levure au taux de dilution usuel. Pareilles observations ont été faites lorsque j'essayais d'élever des Mouches non aseptiques, avec Levure en culture pure, sur divers milieux artificiels. Selon que le milieu convenait plus ou moins au développement de la Levure, celle-ci se multipliait plus ou moins, c'est-à-dire offrait aux larves une nourriture abondante ou au contraire très pauvre. Dans ce dernier cas, les quelques pupes, qui réussissaient à achever leur métamorphose, donnaient des imagos dont les ovaires ou les testicules étaient très peu développés. Sur les rares milieux artificiels sans autolysat, où le développe- ment des Drosophiles put aboutir à la production de quelques pupes et exceptionnellement donner une ou deux Mouches, celles- cl toujours très petites, peu vigoureuses, ne possédaient que des rudiments de glandes génitales que l’on ne pouvait parfois que très difficilement retrouver sur les coupes. Les milieux sucrés entre autres ont paru, à ce point de vue, exercer une action par- ticulièrement défavorable. Toutes ces Mouches avaient naturel- lement une fécondiié nulle à l’éclosion et ne devenaient fécondes que longtemps après avoir été transportées sur Levure. Encore faut-1l noter que, mème dans ce cas, la plupart mouraient sans avoir pondu. Dans les cas les plus favorables, la ponte n’atteignit Jamais le taux normal et les Mouches moururent précocement 302 E. GUYÉNOT après n'avoir pondu souvent que quelques dizaines d'œufs. Les Drosophiles nées sur des milieux constitués par de la Levure renfermant un taux élevé d'acide acétique (10 p. 100) présentè- rent, elles aussi, un retard manifeste dans le développement de leurs glandes génitales, bien que beaucoup moins accentué que dans les cas précédents. Influence d'autres conditions du milieu sur la fécondité. — Toutes les modifications de la fécondité que je viens de relater sont liées à des variations dans la constitution chimique du milieu nutritif. Divers autres facteurs externes peuvent agir de la même manière. C’est ainsi que le desséchement d’un bon milieu nutritif comme la Levure peut exercer sur le développement des larves une influence telle-que parfois toutes celles-ci meurent, bien avant d’avoir atteint la taille à laquelle se produit habituellement la métamorphose. Dans les cas de dessication moyenne, un grand nombre de larves périssent, mais certaines réussissent à puper et parmi ces dernières quelques-unes évoluent jusqu’à l’imago. Les Mouches ainsi écloses sont toujours très petites, souvent malfor- mées, peu vigoureuses et non mûres génitalement. Une action analogue s'observe sous Pinfluence des différents degrés de température auxquels sont faits les élevages. Les Mou- ches nées vers 12 à 15° ne sont pas aptes à pondre immédiate ment, tandis que celles nées à 24° pondent dès le début du deuxième jour et celles nées à 30° encore plus tôt. Certaines radiations exercent également sur Povaire et par suite sur la fécondité des Drosophiles une action incontestable, C’est ce que J'ai observé en étudiant l’action des rayons ultra- violets sur ces organismes (1). Des Mouches soumises à Faction desrayons ultra-violets, pendant une durée de 45 minutes environ, pondirent d’abord des œufs qui se développèrent normalement et à partir du troisième jour des œufs dont la plupart, puis la tota- lité, avortèrent. Les œufs non avortés donnèrent des Mouches d'aspect normal, mais qui se montrèrent peu fécondes ; les des- cendants de ces dernières Mouches furent peu vigoureux, mélani- ques, de plus très peu féconds et absolument infertiles. {!) Bullet. Scient. France et Belgique, 1914. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 303 Influence du milieu sur les facteurs physiologiques de 1a fécondité Toutes les variations de fécondité que je viens d'étudier se trouvent en somme liées au degré de développement des glandes génitales, c’est-à-dire sont relatives à ce que l’on pourrait appe- ler, avec PEarz, le facteur anatomique de la fécondité. Celle-ci dépend, en outre, de toute une série de mécanismes physiologiques qui interviennent en précipitant, réglant ou sus- pendant la ponte, même si les ovaires se trouvent à un degré normal de maturité génitale. Inhibition de la ponte. — D'une façon générale on peut dire que le simple fait de transporter une femelle en train de pondre, du tube où elle se: trouvait dans un tube neuf, détermine pen- dant quelques heures une suspension de la ponte. Cette suspension est infiniment plus marquée lorsque le trans- port s'accompagne d’un changement dans la nature chimique ou l’état physique du milieu. C’est ainsi que si on transporte une femelle en train de pondre sur Levure, dans un tube neuf ren- fermant de la Pomme de terre ou de la Caroite, où un milieu artificiel ne contenant ni extrait de Levure, ni lécithine, la ponte s'arrête pendant quelques heures, parfois pendant quelques jours. Dans certains cas, j'ai même observé des femelles qui, à la suite d’un semblable changement de milieu, ont cessé définitivement de pondre et sont mortes au bout d’un temps variable (dix, quinze, vingt-cinq jours) avec des abdomens énormes, gonflés d'œufs. Dans certains cas la femelle se trouve ainsi amenée à retenir l'œuf déjà fécondé qu'elle était sur le point de déposer. Cet œuf continue à se développer sur place si bien qu’au bout de 36 à 48 heures c’est une larve qui sort de l'abdomen maternel. Lorsque des femelles en train de pondre sur Levure sont tran- sportées sur Pomme de terre et y sont laissées 36 heures par exem- ple, larrèt de la ponte par inhibition peut être suffisamment pro- longé pour qu'aucun œuf ne soit déposé sur le nouveau milieu. Quand on ramène ces femelles sur Levure, on constate, parfois moins d’une heure après leur introduction dans le tube, la pré- 30% E. GUYEÉNOT sence de jeunes larves qui ne peuvent provenir que des abdomens maternels. Un semblable passage à une viviparité accidentelle, sous Pin- fluence de conditions analogues, a été observé pour d’autres Mou- ches telles que Calliphora vomitaria (Tu. vox SresoLb) (). Une autre cause de rétention immédiate des œufs par des femelles en train de pondre est constituée par le passage d’un milieu humide sur un milieu sec où par un changement brusque de température. C’est ainsi que si l’on transporte des Mouches de la température de 20° ou 25° à la température de 30° ou 35°, la ponte cesse immédiatement. D'ailleurs la température de 35° étant à la limite de la température compatible avec la vie des mouches, les Drosophiles laissées à cette température meurent en deux à quatre jours sans pondre. Le passage inverse d’une température de 20 à 24° à une tem- pérature plus basse (12°, 10° ou au-dessous) détermine également une cessation immédiate et parfois très prolongée de la ponte. Actions stimulatrices. — On peut dire d’une manière générale que les actions inverses de celles dont je viens de parler stimulent au contraire la ponte. Le passage d’un milieu sec sur un milieu humide, d’un milieu pauvre sur un milieu riche (Levure) ou con- tenant certaines substances (lécithine, extrait de Levure), le tran- sport graduel d'une température douce à une température plus élevée sont autant de conditions qui précipitent la ponte et font cesser les actions inhibitrices qui pouvaient exister auparavant. L'accouplement et le déterminisme de la ponte. — Une des plus intéressantes, parmi ces actions stimulatrices, est celle qui résulte de la présence du mâle et du fait de l’accouplement. Déjà nous avons vu, au cours de l’expérience À, que le com- portement des Q nées sur Pomme de terre était bien différent, pour un même milieu nutritif, selon qu'elles étaient accouplées ou vierges. Alors que sur Levure, les © accouplées pondaient au bout de trois à quatre jours, avec une intensité qui augmentait graduellement, la ponte des © vierges, laissées également sur levure commençait généralement un peu plus tard et ne continuait que sous forme de décharges successives séparées par des pério- des d'arrêt. (1) Ueber die viviparen Musciden ; Troriep's neue Notsigen, 1. 3, 1838. gen, > RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 205 Voici une expérience qui fera mieux saisir encore l’importance qu'il convient d'attribuer à laccouplement dans le déterminisme de la ponte. Expérience. — Ko Q aseptiques sœurs, nées sur Levure, sont réparties dans 40 tubes de la façon suivante : 10 @® accouplées sur Levure. 10 D accouplées sur Pomme de terre. 10 Q vierges sur Levure. 10 (®) vierges sur Pomme de terre. Les résultats des 0 couples ont été précédemment rapportés (expérience B, page 298); ils constituent les essais témoins. Voyons comment se sont comportées comparativement les femel- les vierges isolées. A. Vierges sur Levure. — Tandis que les femelles accouplées, transportées sur Levure, pondent toutes au bout de moins de 48 heures et à raison de 20 à 25 œufs par jour, les femelles vier- ges ne commencent à pondre dans les mêmes conditions qu’au bout de plusieurs jours. On constate d’ailleurs à ce point de vue de grandes différences individuelles. Ces femelles vierges, qui ne pondent que tardivement, sont cependant parfaitement mûres géni- talement, leurs abdomens sont volumineux et la bonne nourriture dont elles disposent tend à accélérer l’ovogénèse. Aussi le retard constaté dans létablissement de la ponte ne peut-il provenir que d’une action inhibitrice causée par Pabsence d’accouplement. La preuve en est que lintroduction d’un mâle au bout de quelques jours détermine une ponte immédiate. Le tableau suivant (p. 306) indique au bout de combien de temps la ponte commença et quelle fut dans la suite son intensité. La ponte présente donc, par rapport à celle des Q accouplées, un retard souvent considérable variant de > à 11 Jours. Par contre, dans deux cas, Pintroduction d’un 4 fut suivie d’une ponte immédiate (moins d’une heure après) de la part de Q qui étaient restées 5 à 6 jours sans pondre. Dans d’autres expériences, certaines femelles restèrent jusqu’à 15 et 20 Jours sans déposer un seul œuf; ces femelles présen- taient d’ailleurs un abdomen énorme, absolument distendu par les œufs (fig. 1, pl. IT). Or, même si à ce moment on introduit un ou plusieurs mâles, il arrive que ces femelles meurent sans pondre un seul œuf. On pourrait penser qu'il s’agit là de femel- 20 306 E. GUYÉNOT Nurnero Nombre de AN jours écoulés Q avant le début de la ponte Nombre Durée de la ponte d'œufs pondus AN 13 ho7 en 43 jours de ponte. 162 LA 220 » 19 » 105 4 53 » 6 » AA 8 200 » 10 » 477 Il NO20 PA ALEr 16 à » | 401 + 6 1 G'introduit le 6e jour : ponte le jour même. 407 + 5 1 G'introduit le 5e Jour : ponte le jour même. 108 + 9 la Q meurt le 9€ Jour sans avoir pondu. 409 + À la © meurt le 4e Jour accidentellement. 472 + 12 la © est fixée le 12€ jour : abdomen énorme. les présentant quelque anomalie des voies génitales rendant la ponte impossible. Cela peut exister, mais J'ai observé le même phénomène sur des femelles qui avaient précédemment pondu, puis qui avaient cessé d’émettre des œufs à la suite d’un change- ment de milieu. Aussi serais-je plutôt porté à penser que labon- dance des œufs, causée par la rétention réflexe, peut dans cer- tains cas amener, par compression, une obstruction complète des voies que l'œuf doit parcourir et rendre ainsi la ponte absolu- ment impossible (Cf. Expériences de Hype, p. 272). L’intensité de la ponte des femelles vierges est modifiée elle aussi et se trouve nettement inférieure à celle des femelles accouplées. C’est ainsi que les 5 femelles produisirent en tout 815 œufs pour un total de 100 jours de ponte, ce qui repré- sente une ponte moyenne de 1,5 par ® et par jour au lieu de DONNE Cette ponte n’est d’ailleurs pas continue, mais se produit sous forme de décharges séparées par des périodes d’arrêt. Ainsi la © 465, après avoir pondu ses 7 premiers œufs au cours de la quatrième journée, cessa de pondre pendant 3 jours, elle pondit 30 œufs du huitième au neuvième jour; 15 du neuvième au dixième, puis la ponte cessa à nouveau. De même laQ 477 pondit ses premiers œufs (4) le onzième jour, puis, bien qu'ayant un abdomen énorme, ne pondit plus rien jusqu’au vingtième jour. À ce moment elle pondit 9 œufs du vingtième au vingt-et-unième jour, 5 œufs du vingt-et-unième au vingt-deuxième ; la - ponte 5 RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 307 cessa du vingt-deuxième au vingt-cinquième jour, enfin le vingt- sixième jour on nota une nouvelle décharge de 11 œufs. Au bout de 12 à 15 jours, la ponte finit généralement par s’ins- taller d’une façon régulière et les actions inhibitrices du début cessent. Dans tous les cas, tels que 461, 467 où l’on introduisit 1 au bout de quelques jours, la ponte survint presqu'immédiatement et continua dès lors régulièrement et sans arrêts. B. Vierges sur Pomme de terre. — La pauvreté du milieu nutritif offert aux Mouches adultes permet de mieux saisir encore les différences tenant à la présence ou à absence du mâle. Le tableau suivant résume les principaux résultats de cette série. Nombre de 7 k . Nombre Jours écoulés Numéro des RS NT RATE) Durée de la ponte tubes de la ponte d'œufs 480 20 50 en 38 jours de ponte. 493 8 18 » 18 » 484 13 II » 13 » 480 13 28 DIE TONER » 487 D 1 / » 20 » 488 + 21 la ® meurt le 216 jour sans avoir pondu. 459 11 25 en 1/4 Jours de ponte. 490 12 22 DAT /1 » 491 11 1/ » 19 » 492 9 / » 17 » Tandis que les Q accouplées, transportées sur Pomme de terre, commencent toutes à pondre en moins de 48 heures, les Q de même origine transportées sur le même milieu, mais vierges, ne pondent qu’au bout d’un temps variant de 6 à 21 jours. La ponte est elle-même très réduite. Les 9 ©, en 187 Jours, ont pondu un total de 186 œufs, soit une ponte moyenne de 1 œuf par @ tous les 9 Jours. Cette ponte, d’ailleurs, se présente comme la précédente sous forme de décharges alternant avec des périodes d'arrêt. Par exemple la Q 483 pond son premier œuf le neuvième jour, puis cesse de pondre jusqu’au treizième. À ce moment elle pond encore un œuf et s'arrête jusqu’au dix-neuvième jour. Le dix-neuvième 308 E. GUYÉNOT Jour, ponte de 3 œufs, nouvel arrêt, puis du vingt-cinquième au vingt-sixième Jour, ponte de 13 œufs. De même la © 491 pond un œuf le douzième jour, cesse de pondre jusqu’au dix-septième. A ce moment elle dépose 8 œufs du dix-septième au dix-hui- tüème jour, et » œufs du vingtième au vingt-et-unième jour. La ponte cesse encore une fois jusqu'au vingt-sixième jour, où elle reprend faiblement, 3 œufs étant pondus du vingt-sixième au vingt-neuvième Jour. Voici les résultats, au point de vue du début d'apparition de la ponte, d’une autre expérience où des Q vierges nées sur levure furent également transportées sur Pomme de terre. Numéro des (®) Jour où la ponte commence 1373 (5 Q®) 14e jour. 1381 (1 Q) 4e » 1383 (1 ©) 8 » 1386 (1 Q®) 8e » 1390 (1 ®) 3e » 1372 (6 ©) 12€ » 1422 (1 Q) 18e » 1438 » ponte nulle après 10 jours. 1480 » » T'ON) 1400 » » O1 20) 1463 (3 Q) ponte commence le 6€ jour. 14063 (D (®) ) » 16€ » 1573 (5 ©) » 10 » 1603 (1 OQ) » 1e » 1633 >» pas de ponte après 20 Jours. VOIE ponte commence le 8e jour. CP ON) pas de ponte après 11 Jours. 1070 » » NO D) Contre épreuve. — Dans 12 tubes renfermant, depuis quel- ques jours, 12 femelles vierges n'ayant pas encore pondu, on introduit un mâle. Le tableau suivant indique les résultats cor- respondants (p. 309). La comparaison des résultats, consignés dans les deux tableaux précédents, permet de saisir nettement la relation de causa- lité existant entre la présence du mâle et linstallation de la ponte. La rapidité avec laquelle la ponte se produit après l’introduc- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 309 Numéros Fons AO : Ponte ; de jours ei introduit le . e des (®) sans ponte constatée le 1390 6 jours 6e jour 6e jour I 298 6 » 6e » 7e » 1404 10 » 108 » 108 " 1/09 10 » 11e » 12€ » 1307 ONE) 10€ (")» pas de ponte 1308 6 )» 6e » 6e » 148 I 6 » 6e » 6e » 1399 (RE 6e » Gen» 192702 082 ge _» ge » 1927 P 9 » 9€ » 108 ‘3 1001 5 » 5e >» 5e » 1002 6 » Ge » 10€ » î {(‘) Le mâle a les ailes collées sur le dos, ce qui rend l’accouplement impossible, tion du mâle incite à penser que les premières tentatives de coït suffisent à lever la rétention inhibitrice. La présence seule du mâle est inefficace, car lorsque celui-ci ne cherche pas à s’accou- pler, ou se trouve dans Pimpossibilité de le faire (ailes collées sur le dos par exemple), la ponte ne se produit pas. D'autre part une simple tentative de coït amène le résultat envisagé, puisque les premiers œufs pondus par les femelles ne sont généralement pas fécondés. La présence de spermatozoïdes dans les réceptacles séminaux exerce également sur le mécanisme de la ponte une certaine influence ainsi qu’en témoigne l'observation suivante : Un seul accouplement ne permet pas lemmagasinement dans les réceptacles séminaux de la femelle d’une provision de sper- matozoïdes suffisante pour féconder tous les œufs que celle-ci pourra pondre. Au bout de 15, 20 ou 30 jours, suivant les cas, un nouvel accouplement devient nécessaire.Or, quand on recueille, Jour par jour, la ponte de femelles ayant été accouplées une pre- mière fois, puis séparées du mâle,on constate que cette ponte se poursuit régulièrement pendant 20, 30 jours, parfois plus, cons- tituée par des œufs féconds, puis s'arrête brusquement. Lorsque cet arrêt ne provient pas de quelque changement dans les con- ditions extérieures, il est le signal de l'épuisement de la provision de spermatozoïdes, En effet, au bout d’un temps parfois très 310 E. GUYÉNOT long, la ponte reprend, mais elle est alors constituée uniquement par des œufs vierges. Si au contraire on introduit un mâle le jour même où la ponte cesse ou le lendemain, un nouvel accou- plement a lieu et la femelle recommence aussitôt à pondre des œufs fécondés. Les expériences et observations que je viens de rapporter n’ont certes pas épuisé la liste des facteurs externes qui entrent en jeu dans le déterminisme de la fécondité apparente des Drosophiles, Elles suffisent cependant à établir que celle-ci dépend de deux ordres, au moins, de conditions du milieu. Les unes exercent des actions à longue échéance en faisant varier, par les modifications qu’elles introduisent dans la nutri- tion générale, le degré de développement que présentent à un moment donné les glandes génitales. Les autres agissent d'une façon très rapide, soit en provoquant la ponte, par le jeu de méca- nismes réflexes, soit en inhibant, par un processus analogue, l'expulsion des œufs. On peut en se basant sur ces faits, affirmer que la fécondité de plusieurs femelles, considérée en tant que propriété hérédi- taire, ne pourra être utilement comparée que si celles-ci ont été placées, non seulement pendant leur vie adulte mais aussi pen- dant leur vie larvaire et nymphale, dans des conditions rigou- reusement identiques et aussi voisines que possible des condi- lions oplima. Une des conditions indispensables est la présence constante du mâle de chaque couple, de façon à rendre pos- sible un nouvel accouplement chaque fois que cela sera néces- saire. influence des conditions du milieu sur la fertilité Les conditions extérieures, du fait qu’elles peuvent modifier profondément la fécondité apparente des Drosophiles, agissent sur un des éléments primordiaux de la fertilité. Beaucoup d’autres facteurs de la fertilité peuvent également varier en fonction des conditions du milieu. C’est ainsi que les possibilités d’accouple- ment, l'aptitude des gamètes à la fécondation, l'efficacité plus ou moins durable des spermatozoïdes introduits dans la femelle dépendent dans une large mesure des facteurs externes. De RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 311 même le développement embryonnaire peut, Suivant les condi- tions, aboutir à Péclosion de larves normales, ou s'arrêter, par avortement, à un stade plus ou moins précoce. Enfin, la fertilité étant définie par le nombre des descendants d’un couple arrivés à l’état adulte, il est indiscutable que les circonstances extérieu- res peuvent faire varier d’une façon considérable cette fertilité apparente, en augmentant ou en diminuant les chances de mort au cours de la vie larvaire et nymphale. Je me contenterai de rapporter ici un certain nombre d’obser- vations relatives à l’action des facteurs externes sur les différents éléments de la fertilité autres que la fécondité. Accouplement. — Wexiste, chez quelques individus, des malfor- mations congénitales qui rendent l’accouplement impossible, Mais certaines circonstances peuvent aboutir au même résultat. Lors- que le milieu est, par exemple, très humide, il arrive fréquemment que les Mouches collent leurs ailes aux parois des récipients. Si elles restent ainsi immobilisées, elles ne tardent pas à mourir ; si elles peuvent recouvrer leur liberté, leurs ailes étant mouil- lées se rabattent généralement sur la face dorsale de Pabdomen où elles restent fortement collées. Dans ces conditions, les Mou- ches peuvent encore marcher, mais toute tentative de vol est impossible. Chaque fois que j'ai introduit un c'en cet état dans un tube, j'ai constaté qu'il était incapable de s’accoupler. Il y à là une cause d’erreur à surveiller ; il peut arriver en effet qu'un couple, très fertile pendant un mois, devienne infécond dans la suite, parce que le ayant ses ailes paralysées n’a pu réaliser le nouvel accouplement nécessaire. Certaines malformations des pattes observées sur des Mouches, nées dans des milieux très secs, peuvent rendre de même l’accouplement impraticable. Aptitude des qgamètes à la fécondation et avortement des œufs. — L'efficacité de laccouplement dépend de la nature des éléments génitaux, c’est-à-dire des conditions de nutrition anté- cédentes. C’est ainsi que si des femelles nées sur Pomme de terre, par suite ayant des ovaires peu développées, sont accouplées avec des mâles de même origine, il arrive que, malgré laccou- plement constaté, tous les œufs pondus restent inféconds, ou que quelques-uns seulement donnent des larves, Pimmense majo- rité des œufs restant sans développement (Voir tableau, p. 296). Dans d’autres cas, une partie des œufs présente bien un début de 312 E. GUYÉNOT développement, mais les embryons meurent avant Péclosion, à un stade plus ou moins précoce et brunissent (fig. 6, pl. HD. Ce brunissement est dû vraisemblablement à la mise en liberté par les cellules, après leur mort, de diastases oxydantes (tyrosinase, par exemple), car il ne se produit pas si les œufs sont plongés dans de Peau à 70°. Dans bien des cas, les femelles pondent d'abord un mélange d'œufs fécondés arrivant au terme du déve- loppement et d'œufs avortés, puis uniquement des œufs avortés, et enfin des œufs vierges. La cause de avortement des œufs réside incontestablement dans quelque modification de la constitution des gamètes, portant aussi bien sur les ovules que sur les spermatozoïdes. C’est ce que montrent les faits suivants. 1° Des femelles nées sur milieu pauvre, accouplées avec des males de même origine, pondent un grand nombre d'œufs avortés. > Des femelles nées sur milieu pauvre, accouplées avec des mâles nés sur milieu riche (normaux), pondent des œufs dont la plupart avortent. 3° Des femelles nées sur milieu riche (normales), accouplées avec des mâles nés sur milieu pauvre, pondent des œufs dont un certain nombre avortent. Enfin l'avortement des œufs s’observe encore quand on fait passer une femelle née sur Levure, accouplée avec un mâle de même origine, du milieu riche (Levure) où elle pondait des œufs féconds sur un milieu plus pauvre (Pomme de terre). Pendant les premiers jours de son passage sur Pomme de terre, la femelle pond des œufs avortés et, après une période d'arrêt (inhibition), ne dépose plus que des œufs vierges. Les femelles témoins, accouplées le même jour, mais laissées sur Levure, continuent à pondre longtemps encore des œufs fécondés. Cette cessation de la fertilité sous l'influence des conditions défectueuses de nutrition paraît être due, non seulement à une altération des ovules (manque de réserves par exemple), mais encore à quelque modification des spermatozoïdes contenus dans le réceptacle. Si, en effet, on transporte la femelle dès qu’elle ne pond plus que des œufs avortés, sur un milieu riche (Levure), on constate qu'il n'y à aucun retour, malgré les bonnes conditions de nutrition, à une meilleure fertilité et que la ponte ne comprend plus que des œufs vierges. Il faut donc en conclure que sous 1 RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 313 l'influence des mauvaises conditions de nutrition des femelles, les spermatozoïdes contenus dans les réceptacles séminaux sont altérés puis détruits. Ces faits montrent combien la nature du milieu retentit non seulement sur la fécondité, mais aussi sur la qualité des gamètes, sur leur aptitude à la fécondation, sur le devenir des œufs fécondés, c’est-à-dire sur des éléments particu- lièrement importants de la fertilité. Des modifications de même ordre peuvent d’ailleurs être pro- duites sous linfluence d’autres conditions du milieu. C’est ainsi que les hautes températures, voisines du maximum, déterminent l'avortement d’un grand nombre d'œufs. J’ai constaté que les rayons ultra-violets agissent de la même manière. Tous les œufs fécondés et pondus, soumis au cours du développement embryon- naire à l’action de ces rayons, sont tués. Les femelles exposées aux rayons ultra-violets pendant un certains temps (30 minutes par exemple) pondent d’abord des œufs normaux donnant des larves. À partir du troisième jour, après Pirradiation, on voit un nombre croissant d'œufs avortés, puis vers le cinquième ou sixième jour cet avortement devient la règle. Bien que les parents de chaque couple irradié aient été laissés ensemble de façon à rendre possible un nouvel accouplement je n’ai observé aucun retour à une meilleure fertilité. L’altération paraît avoir porté non seulement sur les spermatozoïdes, mais aussi et d’une facon définitive sur les ovules en voie de formation dans Povaire, car l’accouplement des femelles irradiées et devenues infertiles avec des mâles normaux n’a été suivi d’aucun effet. J’ajouterai pour terminer que, si Pavortement des œufs peut ainsi provenir d’une foule de conditions extérieures, j'ai observé des cas où il se produisait alors que les conditions étaient très favorables à une bonne fertilité, mais seulement dans certaines lignées dont il constituait une des caractéristiques héréditaires. Le même phénomène peut donc relever de conditions actuelles ou de facteurs héréditaires, mais linfluence de ces dernières ne peut apparaître avec certitude que si l’on a rendu les premières aussi constantes et aussi favorables que possible. Mortalité des larves et des pupes. — Les larves peuvent mou- rir de façon précoce, même sur les milieux les plus favorables, par suite d'une sorte de débilité congénitale dont lorigine peut résider dans la constitution héréditaire des parents ou dans les 514 E. GUYÉNOT modifications de leurs gamètes sous l'influence de certaines con- ditions extérieures. J'ai ainsi constaté que les larves issues d'œufs pondus par des femelles mal nourries et dont une partie de la ponte avorte, sont le plus souvent faibles, peu actives et meurent de très bonne heure, même si on les transporte sur de bons milieux nutritifs. Il en est de même des larves issues des derniers œufs fécondés pondus par des femelles soumises à Paction des rayons ultra-violets. il y a là un exemple de retentissement des mauvaises conditions, dans lesquelles a été placé un orga- nisme, sur la vitalité de sa descendance. | Les conditions du milieu peuvent agir beaucoup plus directe- ment sur la vitalité des larves et des pupes, ainsi que cela résulte de toutes les observations que j'ai rapportées, relatives à la mor- talité des larves ou des pupes sur les divers milieux artificiels que j'ai utilisés, ainsi que sur les milieux constitués par de la pomme de terre. Je n’y reviendrai pas. Je me contenterai de faire remar- quer que l’action des conditions favorables ou défavorables ne se traduit généralement pas par un tout ou rien, c’est-à-dire par l’heu- reux développement ou la mort de tout Pélevage. Les circonstan- ces défavorables peuvent, suivant lintensité de telle ou telle condition, déterminer une mortalité partielle plus ou moins con- sidérable des larves et des pupes. On ne saurait admettre, comme le fait Mœxkuaus, que toute Mouche qui pond a réussi à échap- per aux mauvaises circonstances et que par suite sa descendance peut être considérée comme une mesure exacte de la fertilité de sa lignée. à Un effet particulièrement intéressant des mauvaises conditions du milieu est la modification qu'elles entraînent parfois dans la proportion des sexes des descendants. Sans que lon puisse éta- bli aucune règle à cet égard, j'ai constaté que, dans bien des cas, les Mouches nées sur des milieux très pauvres ou très secs étaient constituées exclusivement où à peu près par des indivi- dus du sexe mäle. Ce phénomène coïncide toujours avec une mortalité élevée des pupes, si bien qu'on peut penser que la plupart des nymphes femelles sont mortes par suite d’une plus grande sensibilité ou parce qu'elles ont besoin de plus de réser- ves pour évoluer que les mâles et que seuls ces derniers ont réussi à évoluer. Ce qui indique bien que ces descendances uni- sexuées où à peu près ne tiennent qu'aux conditions du dévelop- dat RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 315 pement larvaire et nymphal, c'est que les femelles parentes, ayant été transportées, avant et après leur passage en milieu pauvre, sur des milieux riches, ont laissé dans les deux cas des descendances témoins, constituées par des femelles et des mâles en nombres sensiblement égaux. Ces constatations me paraissent de nature à faciliter linterpré- tation de certains résultats obtenus par L. $S. QuakenBuscu (Science, 1910). Cet auteur a en effet observé quelques couples de Drosophiles qui ne donnaient comme descendance que des mäles ou des femelles. C’est ainsi que sur 51 couples d’une lignée, tandis que 42 donnèrent des mâles et des femelles en pro- portion sensiblement égale, 4 donnèrent des descendances uni- sexuées. Dans une autre lignée le phénomène fut constaté pour 3 couples sur 21. Le tableau suivant indique la façon dont les descendances étaient constituées. ire lignée »e lignée Ce | Couples oi Couples ei 139 1 4 2 d  J L'auteur admit que l’unisexualité de ces descendances était due à l’action de quelque facteur externe qui aurait influencé le déter- minisme du sexe. Une semblable conclusion me paraît tout à fait inadmissible. Elle est tout d’abord en contradiction avec tout ce que l’on sait du déterminisme du sexe, particulièrement chez les Drosophiles, car on peut considérer comme établi que le sexe est déterminé, dès l'union des gamètes, en raison de la constitution de ceux-ci et ne saurait être modifié ultérieurement par des actions extérieures. 316 E. GUYÉNOT L'examen du tableau précédent montre d'autre part que les géné- rations soi-disant unisexuées sont très peu nombreuses et ne représentent certainement que des descendances tout à fait incomplètes ; ceci laisse supposer que les conditions d'élevage étaient défectueuses et qu'une mortalité très élevée s'est produite. Celle-ci a pu porter à peu près exclusivement sur les individus d’un mème sexe, soit en raison de leur sensibilité plus grande vis-à-vis de certains agents extérieurs (parasites, microorganismes du milieu nutritif par exemple), soit par hasard. Ce qui tend à fortüifier l’idée que lunisexualité apparente était la conséquence de très mauvaises conditions de nutrition, c’est que les individus de ces générations ne renfermaient que des glandes génitales très peu développées et restèrent stériles. | Parmi les conditions externes, autres que celles liées à la cons- ütution chimique de l'aliment, qui sont susceptibles de provo- quer une mortalité plus ou moins élevée des larves et des pupes, il faut citer en première ligne le degré d'humidité du milieu. Sur un milieu sec, les larves ne se nourrissent que très difficile- ment et un grand nombre peuvent mourir d’une façon précoce. Les pupes sont généralement petites, provenant de larves très pauvres en substances de réserves et un grand nombre d’entre elles se dessèchent sans évoluer. Sur un milieu trop humide, beaucoup de larves ou de pupes restent noyées dans la masse alimentaire et meurent asphyxiées. Grâce à lhumidité qui imprègne la surface de leurs corps, d’au- tres larves peuvent grimper le long des parois du récipient qui les renferme. Ce mouvement ascensionnel, dû à un géotropisme négatif, () se produit notamment lorsque le récipient est trans- porté d’une étuve chaude dans une salle plus froide où dun lieu obscur dans une pièce éclairée. | Au cours du mouvement ascensionnel des larves sur les parois sèches, leur tégument se débarrasse progressivement de l’eau qui l’humectait et les larves se trouvent collées à la paroi sans pou- voir redescendre. Elles sont condamnées à périr d’inanition. Celles qui sont déjà suffisamment grosses peuvent se transfor- mer en pupes, sur place, mais ces pupes se dessèchent générale- ment et meurent. Quelquefois, lorsque par exemple les larves (!) Habituellement le géotropisme est positif et les larves restent à la surface du milieu nutritif placé au fond des récipients. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 51 sont très nombreuses dans un même récipient, elles peuvent en grimpant le long des parois arriver à lubréfier suffisamment ces dernières pour s'élever jusqu'à atteindre le bouchon de coton. Celui-ci, en raison de son état plus sec, fonctionne comme un piège dans lequel les larves se trouvent emprisonnées et où elles subissent le même sort que précédemment. Une mortalité élevée des larves et des pupes peut encore pro- venir des conditions de {empérature des élevages. Tandis qu’à une température moyenne (2/°) et constante, les élevages asepti- ques sur levure ne présentent qu’une mortalité infime, celle-ci peut devenir considérable si on soumet une même génération à des écarts de température de grande amplitude. Il en est de même si on utilise une température constante, mais trop basse ou trop élevée. À 359, les larves sont tuées au bout de 3 à 4 jours. Une exposition de 5 minutes à 35° ne les tue pas immédiatement, mais on constate, le lendemain, que la moitié environ des larves sont mortes, les autres étant vivantes, mais inertes. Celles-ci d’ail- leurs ne tardent pas à mourir et on n’observe plus aucune larve vivante au bout de 48 heures. La composition de l'atmosphère peut également déterminer une mortalité larvaire élevée. Si par exemple on obture, en les fermant avec des capuchons de caoutchouc, des tubes où se trouvent, sur Levure, un mélange de Mouches, de larves et de pupes, on constate que, par suite de la raréfaction de Foxygène et de l'accumulation du gaz carbonique, les Mouches meurentasphy- xiées en 24 à 48 heures. Les larves, dès le lendemain de lobtura- tion, cessent de se mouvoir et, bien qu'encore vivantes, demeurent inertes, collées aux parois du tube ou étendues à la surface du milieu nutritif. Si on enlève le capuchon de caoutchouc au bout de {4 jours et qu’on insuffle de Pair pur dans les tubes, on constate que la moitié environ des larves sont mortes; quelques-unes dont le cœur bat encore reviennent progressivement à la vie. Un cer- tain nombre seulement de ces dernières réussissent à évoluer jusqu’à Pimago. Lorsque le capuchon de caoutchouc est laissé en place pendant 4 à 6 jours, toutes les larves sont tuées par asphyxie. Les pupes paraissent être beaucoup plus résistantes. On observe en effet que Pévolution de la nymphe est en quelque sorte suspendue pendant l’obturation du tube. Les nymphes restent, pendant les 318 E. GUYÉNOT 4 à 6 jours que dure l'expérience au même stade (veux incolores, veux oranges, etc.). Lorsqu'on réintroduit dans le tube de Pair pur, on constate que beaucoup de nymphes sont mortes ; mais pour un certain nombre d’entre elles, le développement reprend et l’éclosion des Mouches survient, avec un retard de 6 à 7 jours sur les témoins. Dans une autre série d'expériences, où la raréfaction de l’oxy- gène fut produite au moyen du pyrogallate de potasse appliqué pendant 2/4 heures, toutes les larves étaient déjà inertes au bout de 6 heures. Lorsque lexpérience prit fin, un certain nombre d’entre elles étaient mortes et leurs cadavres brunirent ou noir- cirent (!) dans les quelques heures qui suivirent la rentrée de Pair pur. D’autres, bien qu’inertes, présentaient encore quelques con- tractions de leur vaisseau dorsal. Peu à peu elles manifestèrent leur retour à la vie par des mouvements d’ondulations à la sur- face du corps ou de propulsion des crochets pharyngés. Certai- nes (un tiers environ) réussirent à reprendre leur développe- ment et se transformèrent en pupes. Les autres moururent au bout d’un jour ou deux. Conclusion. — Il importe de préciser la portée des expérien- ces où observations que je viens d'exposer. Elles n’établissent nullement que les circonstances extérieures soient capables de modifier d’une façon durable la fécondité ou la fertilité des orga- nismes, considérées en tant que propriétés héréditaires. Qu'une telle action, rentrant dans le cadre des phénomènes d’hérédité des caractères acquis puisse se produire, cela est possible, mais mes recherches ne sont pas relatives à cette question. Ce qu’elles établissent d’une façon indiscutable c’est que les fécondité ou fertilité apparentes, mesurées par le nombre des œufs pondus ou des descendants adultes, qui sont les seuls indica- teurs dont nous puissions disposer pour apprécier les facteurs héréditaires de la capacité de reproduction des organismes, dépendent dans une large mesure des conditions extérieures. {(f} Dans les conditions normales, le brunissement ou le noircissement des lar- ves mortes est la règle, si du moins-elles ne sont pas trop petites et renferment des réserves assez abondantes. Ce phénomène est certainement de nature dias- tasique (suppression par le chauffage à 60° 7o0) et dû probablement à une dias- tase oxydante (tyrosinase ?) puisqu'il ne s’est produit, dans l’expérience relatée, qu'après la rentrée de l'oxygène dans le tube. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 319 Cela veut dire qu’une Mouche, qui par exemple dans des condi- tions optima idéales pondrait 1.000 œufs donnant 1.000 descen- dants, présentera une fécondité et une fertilité apparentes infé- rieures et à des degrés très divers suivant les circonstances. Les conditions expérimentales que j'ai mises en jeu représen- tent parfois des conditions limites extrêmement défavorables. C’est là un artifice dont use tout expérimentateur pour mettre en évidence un phénomène d’une façon plus manifeste. Mais il est facile de concevoir que de très faibles variations dans la com- position du milieu retentiront sur la fécondité ou la fertilité d’une façon faible sans doute, mais certaine. La conclusion des constatations que J'ai faites c’est qu'aucune étude de la fécondité ou de la fertilité héréditaires ne saurait être assise sur des résultats précis, st l'on ne s'est pas entouré de toutes les garanties nécessaires pour éviter les causes d'erreur, tenant aux circonstances extérieures, qui peuvent amotndrir les résultats, les inverser ou les rendre incohérents. Dans le cas particulier des Drosophiles, organismes vivant sur des milieux en fermentation, les possibilités de variations du milieu, capables de retentir sur le pouvoir de multiplication sont innombrables. C’est à chaque instant que varient la composition chimique, l’état physique, la réaction du milieu nutritif, le nom- bre et la nature des microorganismes saprophytes ou parasites, la composition de l'atmosphère, etc... Si à ces causes fondamentales de variation, on ajoute celles qui procèdent, comme dans cer- taines expériences, des sauts perpétuels de la température et du degré d'humidité, on conçoit avec quelle défiance il importe d'accueillir des résultats relatifs à Phérédité de la fertilité ou de la fécondité, obtenus dans de semblables circonstances. L’établis- sement de conditions de milieu aussi constantes et aussi favora- bles que possible me paraît constituer la préface nécessaire à des travaux de cet ordre. L’obtention d’élevages aseptiques permet de la réaliser dans une large mesure. CONCLUSION Des diverses théories que j'ai examinées dans la première partie de ce travail, aucune ne s’est trouvée capable de donner une explication vraiment complète de lévolution des êtres vivants. Les unes, ayant été conçues à priort, manquent de la base posi- tive nécessaire ; les autres reposent sur des faits qui n’ont pas la valeur démonstrative que lon est en droit d'exiger. L’hérédité des caractères acquis, qui fut pendant longtemps Fun des dogmes fondamentaux du transformisme, n’est basée notamment que sur des faits discutables, dont une analyse un peu serrée diminue considérablement la portée. Aussi la science de l’évolution paraït-elle, à lheure actuelle, abandonner définitivement le domaine de la théorie pour entrer dans la voie féconde de Pexpérience. Encore faut-il que les expé- rimentateurs possèdent la méthode appropriée sans laquelle tous leurs efforts seraient vains. Sans doute, l'étude systématique des croisements, rendue possible grâce aux découvertes de Naupix et de Menper, s'est révélée un excellent procédé d’analyse de la constitution héréditaire des organismes. Il ne faut pourtant pas perdre de vue que les recherches de ce genre ne portent que sur un point limité du problème de Pévolution. De même que DarwiN mettait en œuvre la sélection sans s’occuper de lorigine des variations héréditaires, de même les mendéliens étudient le comportement, au cours des croisements, de particularités héré- ditaires données, sans se soucier de la façon dont celles-ci ont acquis droit de cité dans le patrimoine héréditaire des organis- mes. Si le mendélisme ne fait ainsi que côtoyer le problème fon- damental du transformisme, celui de Porigine des variations héréditaires, 1} n’a pas été cependant sans jeter quelque lumière sur la genèse de ces variations. À ceux d’entre les biologistes qui se laissaient trop facilement aller à lPidée que les êtres vivants PA | La de 329 E. GUYÉNOT jouissaient d’une plasticité indéfinie leur permettant de se trans- former au gré des circonstances extérieures, 1l a rappelé un peu brutalement que les organismes tenaient de leurs ancêtres une constitution suffisamment stable et constante pour donner l’im- pression d’une apparente fixité. Toute la question se ramène à savoir si cette indépendance du patrimoine héréditaire vis-à-vis des facteurs externes est abso- lue ou si elle n’est que relative. Déjà certaines observations, ayant trait aux effets sur la descendance de maladies telles que la syphilis ou la tuberculose, ou d’intoxications telles que l'alcoolisme, montrent nettement que la substance héréditaire n’est pas inac- cessible à Paction de certains agents extérieurs. Des expériences nouvelles, faites dans cet ordre d'idées, ne pourront sans doute qu'élargir le champ de cette influence des conditions externes sur les transformations héréditaires des organismes. Encore faut-il qu'elles offrent les garanties nécessaires si lon ne veut pas qu’elles aboutissent à des résultats aussi décevants que les recherches relatives à lPhérédité des caractères acquis, recher- ches dont l’imprécision a puissamment contribué à faire mécon-. naître l'importance du milieu comme facteur d'évolution. Les variations héréditaires ne pouvant provenir que de lorga- nisme ou du milieu, la connaissance et la précision de ce dernier terme devient une nécessité expérimentale logique. Tous les résultats que j'ai apportés au cours de ce travail ne font que confirmer et illustrer cette proposition qui est la thèse essentielle que j'ai voulu soutenir. Au début de mes recherches Je pouvais me demander si une constance et une maîtrise suffisamment grandes des conditions extérieures pouvaient être obtenues. Il m'est maintenant possible, en me basant sur les résultats que Jai enregistrés, d'affirmer qu'une semblable tentative est réalisable, même lorsque les relations entre l’organisme et le milieu sont aussi complexes que dans le cas des Drosophiles. L’obtention d’élevages aseptiques, la possibilité de remplacer les aliments naturels par une alimentation artificielle dont les termes sont connus et modifiables à souhait, la précision des autres facteurs du milieu réalisent cette maîtrise des conditions extérieures qui permet seule d’expérimenter d’une façon correcte en matière d'évolution. Je présenterai, en effet, sous forme de conclusions les prinei- RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 323 paux faits qui peuvent être dégagés des recherches expérimen- tales que j'ai entreprises et qui établissent la possibilité et la valeur de la méthode de travail que l'examen de Pétat actuel du problème de l’évolution m’a conduit à tenter de réaliser. I. — Il est possible d’élever aseptiquement des organismes animaux, même lorsqu'ils sont adaptés, ainsi que c’est le cas pour les Drosophiles, à vivre dans des milieux en fermentation et à se nourrir des microorganismes qui pullulent dans leurs ali- ments habituels. Non seulement la vie aseptique n'’entraine aucune déchéance de ces organismes, même si elle est continuée pendant des centaines de générations, mais elle réalise des con- ditions d'élevage infiniment supérieures aux conditions naturelles. Il. — La vie aseptique, en supprimant toutes les causes de modification du milieu, tenant à la présence des microorga- nismes, permet déjà d'obtenir une constance des conditions externes, exceptionnellement favorable pour lPétude expérimen- tale de la variation et de l’hérédité. HT. — Il est possible de remplacer, pour des Drosophiles élevées aseptiquement, le milieu nutritif naturel, constitué par de la Levure stérilisée, par des milieux nutritifs artificiels compre- nant des sels minéraux, de la peptone, de la lécithine et une substance indéterminée présente dans les extraits alcooliques, bouillons et autolysats de Levure et de foie. IV. — Cette substance, indispensable à la vie de ces orga- nismes, est soluble dans l’eau, insoluble dans l'alcool à 1000 froid, soluble dans l'alcool absolu bouillant, mais étant alors précipitée par refroidissement, soluble dans les alcools à go°, 80° et 70°. Elle paraît présenter certaines analogies avec la vita- mine, étudiée par C. Fuxcx. V. — L'élevage de Drosophiles aseptiques sur milieux artificiels chimiquement définis, en présence de conditions constantes de température, d'humidité, d'éclairage, etc..…, permet d'obtenir une constance et une maitrise presque absolues des conditions externes. Cette précision constitue la partie essentielle d’une méthode qui peut seule rendre possible une étude expérimentale vraiment scientifique de l’origine des variations et de l’évolution des êtres organisés. VI. — Cette méthode permet, en outre, de reprendre sur une base nouvelle l’étude du métabolisme des principaux constituants 324 E. GUYÉNOT des êtres vivants. Grâce à elle, j'ai pu notamment établir que les organismes étudiés étaient capables, par eux-mêmes, de réaliser une synthèse précaire, mais certaine, des graisses aux dépens de certaines substances protéiques. VIL. — Ces corps gras, emmagasinés dans le tissu adipeux, vraisemblablement sous forme de complexes albumino-graisseux, constituent les réserves nécessaires, sans lesquelles les orga- nismes considérés ne peuvent atteindre le terme de leur déve- loppement. Leur présence en quantité suffisante est une des conditions indispensables de la métamorphose. Elles tirent leur origine non des hydrates de carbone, ni de graisses alimen- taires quelconques, mais de certains corps gras tels que la léci- thine et — pour une certaine part — des substances albuminoïdes de la levure. VIII. — La valeur de la méthode que j'ai inaugurée, en tant que procédé pour l'étude des phénomènes d’hérédité, ressort d'une facon particulièrement nette de lexamen des travaux relatifs à l'hérédité de la fécondité et de la fertilité des Drosophiles. Ces travaux, effectués sans aucun souci des conditions externes, n'ont, pour cette raison, abouti le plus souvent qu’à des résultats incertains et contradictoires. IX. — Les recherches expérimentales que jai entreprises sur cette question montrent indiscutablement que la fécondité et la fertilité apparentes des organismes dépendent, en effet, très étroitement des conditions extérieures. Les conditions de nutri- tion des larves et des adultes, les changements de milieu nutritif, l’accouplement, d’une manière générale, les divers facteurs externes modifient d’une façon considérable la maturité géni- tale, l’aptitude des gamètes à la fécondation, la vitalité des embryons, des larves et des nymphes, bref font varier dans des limites très étendues la capacité de reproduction des organismes. X. — Qu'il s'agisse de cette étude particulière ou de recherches ayant trait à n'importe quel autre problème d’hérédité, Pobten- tion de conditions constantes et modifiables à volonté constitue la préface nécessaire à toute expérience fructueuse en matière d'évolution. Qu'un semblable effort puisse paraître vain à ceux qui sont persuadés que le milieu n'entre pour rien dans la transformation des êtres vivants, cela est certain, Les résultats que j'ai obtenus, E. RECHERCHES SUR LA VIE ASEPTIQUE D'UN ORGANISME 329 en étudiant la fertilité et la fécondité des Drosophiles en fonction des conditions externes me sont pourtant un sûr garant que la méthode de recherches que j'ai inaugurée ne restera pas stérile. Que les expériences ultérieures dussent me conduire à attribuer une part considérable aux facteurs internes ou aux facteurs externes dans la genèse des variations héréditaires, je suis du moins assuré que les résultats obtenus seront suffisamment nets pour imposer la certitude qui est le commencement de la science véritable. INDEX BIBLIOGRAPHIQUE 1. ACKERMANN (D.). — Ein Faulnissversuch mit Arginin. Zetsch. f. phystol. Chemie, 1908, t. 56. 2. BeLLaiR (G.).— Recroisées entre elles deux espèces qui se sont dégagées d’un hybride n’obéissent-elles plus à la loi de la dominance ? C. A. IVe Conf. intern. génétique. Paris 1911. p. 201. 3. BLARINGHEM. — Action des traumatismes sur la variation et l’hérédité. Mutation et traumatismes. 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Importance de la diversité des conditions; la capture dans les condi- tions normales ; répétition constante des mêmes faits; apparente précision des mouvements ; la capture dans des conditions anormales ; multiplication des coups d’aiguillons. Il. DÉTERMINISME DES COUPS DE DARD ET DE LEUR LOCALISATION. Mellinus ne « choisit » pas le point à piquer ; diffusion rapide du venin; limitation des surfaces vulnérables. Relation constante entre les soubresauts de la victime, l'excitation du sternum et le reflexe du dard. Multiplicité des coups d’aiguillons et position initiale relative des antagonistes. Piqüres inutiles. III. L' «INSTINCT PARALYSEUR » DES SPHÉGIENS. Le rôle des influences actuelles et | « instinct paralyseur ». Cas des Ammophiles, excitabilité de la chenille et multiplicité superflue des coups d'aiguillon. Les Scolies et la résistance du tégument des Cétoi- nes. Le « choix » de la victime ; expérience avec Mellinus arvensis L. et Athalia colibri Curisr. Capture des proies et profit personnel du prédateur ; régime imposé à la larve. Déterminisme des processus ; vie individuelle et vie spécifique ; les processus non-nuisibles. INTRODUCTION Les mœurs des Mellines n'ont donné lieu qu'à un nombre très restreint de travaux. Malgré des recherches bibliographiques soi- gneuses, je n'ai trouvé que de brèves notes indiquant la nature des proies, et un court mémoire de Lucas (‘). Les premières ( H. Lucas, Quelques remarques sur la manière de virve de Mellinus sabulo- sus. An. Soc. ent. Fr., 1861, p.219. 91 4 “1, 332 E. RABAUD nous apprennent que les Mellines approvisionnent leurs larves avec des Muscides variés ; le second entre dans quelques détails sur la capture de ces Muscides, leur transport au nid et la diver- sité de leurs espèces. Il rapporte, en particulier, qu'en arrivant à l'entrée du nid, Mel/linus sabulosus dépose la Mouche capturée, s'engage à reculons dans l’orifice, reprend ensuite sa proie et l'introduit à l'intérieur. En examinant les Mouches de près, Lucas constate qu'elles sont paralysées et non mortes: il a pu en conserver vivantes pendant six semaines. [l ne mentionne pas de mutilations spéciales. La capture ne présente, en apparence, aucune particularité : la Melline saute sur le dos de la Mouche, la saisit avec ses man- dibules et ses pattes antérieures, recourbe son abdomen et « fait pénétrer son aiguillon soit sur les côtés du thorax, soit entre les segnients abdominaux ». J'ai pu, de mon côté, étudier Mellinus arvensis, qui est peut- ètre l'espèce même observée par Lucas, si l’on en juge par sa description sommaire. Les mœurs des deux Mellines diffèrent, en tout cas, fort peu et les faits nouveaux que j'apporte s’appli- quent vraisemblablement aux deux. Surtout préoccupé d’ana- lyser les relations du prédateur et de sa victime, j'ai obtenu, dans ce sens, des résultats fort importants. En les comparant à ceux que fournissent, chez d’autres Sphégiens, l'expérience où l'observa- tion, il m'a paru que leur portée dépassait le cadre spécial des Mellines et quils permettaient de comprendre d’une manière rationnelle l'instinct des paralyseurs en général. CONDITIONS DE LA CAPTURE ET POINT D'APPLICATION DU DARD Je n'ai pas essayé de suivre lé comportement de Mel/inus arvensis en liberté; j'ai simplement constaté, à trois reprises, qu'il ne portait pas toujours à son nid les Mouches capturées, mais les mangeait parfois sur place. Ce Sphégien s'ajoute donc à la liste, déjà longue, de ceux qui tirent tout ou partie de leur NOTES SUR L'INSTINCT DE MELLINUS ARVENSIS L. 333 alimentation de la proie même qu'ils donnent à leurs larves. Lorsqu'il mange sa capture, M. arvensis l'entame par la base de l'abdomen et fouille dans le thorax ; souvent il décapite ensuite sa victime, vide le contenu de la tête et de la partie antérieure du thorax. D'une façon constante, il laisse intacts les téguments thoraciques, probablement trop durs pour ses mandibules. Il mange donc bien réellement le corps du Muscide et ne se con: tente pas, comme d’autres Sphégiens, d'aspirer ou de lécher les sucs que renferme le tube digestif. Ces faits ont leur intérêt. L'intérêt prineipal, toutefois, réside dans la capture et la para- lysie des victimes. Les observateurs qui étudient les Sphégiens à ce point de vue se contentent généralement de regarder des Insectes placés dans leurs conditions normales. En procédant ainsi, ils voient les mêmes phénomènes se répéter toujours com- parables à eux-mêmes ; et cette répétition constante, abstraction faite de la similitude des conditions, les entraîne à considérer le comportement des animaux comme la résultante presque exclusive d'un processus interne, indépendant, pour une très large part, des incidences actuelles. Il importait donc de varier les conditions et de voir comment se comporteraient alors les individus. Mais tout en variant les conditions, il faut évidemment éviter d'opposer un obstacle matériel, tant aux mouvements du prédateur qu'à ceux de la victime, afin de ne provoquer aucune déviation d’ori- gine mécanique, au sens strict du mot. Pour lever la difficulté, je me suis contenté d’enfermer une Melline avec une Mouche dans un tube de faible diamètre. Les dimensions du tube (7 à 8 mill.), sans enlever aux animaux leur liberté d’allures, change cependant assez les conditions de rencon- tre pour provoquer des modifications dans le mode de cap- ture. Si la facon dont le Sphégien paralyse sa victime dépend des incidences actuelles, elle doit précisément dépendre de tout changement de cet ordre. Le dispositif adopté ne provoque natu- rellement pas à coup sûr un tel changement; il faut encore choi- sir un moment favorable pour introduire une Mouche dans le tube ; il faut surtout recommencer aussi souvent que possible, afin de multiplier les chances de voir la rencontre s'effectuer d'une manière anormale. Ayant donné successivement à une douzaine de Mellines plusieurs dizaines de Mouches, j'ai observé souvent 334 E. RABAUD la capture suivant le mode habituel, mais souvent aussi suivant les modes qui en diffèrent à des degrés divers. Lorsque une Mouche pénètre dans le tube au moment où la Melline a la tête tournée vers l'entrée, l’irruption de sa victime la fait généralement reculer; puis elle s'agite sur place, tandis que la Mouche va et vient. Tout se passe alors, d'ordinaire, d'une façon normale : le Sphégien ne tarde pas à sauter sur sa proie, il la saisit par le thorax avec ses mandibules, la maitrise rapide- ment avec ses pattes antérieures et moyennes et, dirigeant son abdomen sous la face ventrale du thorax du Diptère, introduitson dard sur la ligne médiane dans la région du cou. Dans un certain nombre de cas, cette première piqûre est suivie d'une seconde portant un peu en arrière, dans la région antérieure du thorax. Puis, fréquemment, mais non constamment m'a-t-il semblé, la Melline tenant toujours sa victime par le thorax, la transporte en courant à l'une des extrémités du tube; là, arrêtée par la paroi de verre, elle se met à manger. Suivant toutes probabilités, l'animal en liberté transporterait quelques Mouches à son nid; tou- tefois, mes observations prouvent qu'il en dévore aussi pour son compte : il ne se comporte donc pas dans le tube autrement qu'en liberté. Au cours de la capture etde l'application des coups d’aiguillon, les mouvements de la Melline ne traduisent aucune agitation fébrile ; ils donnent plutôt l'impression de mouvements précis et délibérés. Chaque fois que la rencontre s'effectue dans des conditions normales, les mouvements se répètent de la même manière, l'Insecte paraît frapper à coup sûr sur un point bien repéré. Le spectacle impressionne assurément, et les quelques variantes qui se produisent dans le point d'application du dard, frappant un peu plus en avant ou un peu plus en arrière, n’en- lèvent rien à l'impression produite. Quand la rencontre d’une Melline et d'une Mouche a lieu dans des conditions inaccoutumées, le spectacle change com- plètement. Le prédateur saisit alors sa victime d’une façon quel- conque ; les mouvements ne sont pas plus rapides ni plus désor- donnés, ils conservent leur apparence de précision, mais ils ne sont plus suivis d'effet. Dans un cas, par exemple, la capture est effectuée de telle sorte que les deux antagonistes se trouvent placés ventre à ventre ; la Melline n’en enroule pas moins son NOTES SUR L'INSTINCT DE MELLINUS ARVENSIS L. 339 abdomen autour du corps de la Mouche, seulement le dard vient glisser sur la face dorsale du thorax ; la Mouche s’agite, l'ab- domen de la Melline se déplace d’un mouvement lent, tàtonne et parvient au niveau de l'articulation d’une patte mésothora- cique : le dard pénètre à travers la membrane ; un léger soubre- saut se produit aussitôt et l'abdomen, reprenant son mouvement, arrive sur la membrane thoraco-abdominale : là, le dard pénètre encore et la paralysie est alors complète. Dans un second cas, la position réciproque est à peu près la mème, mais les deux animaux roulent au fond du tube et la Melline se trouve couchée sur le dos. L’aiguillon frappe tout d’abord, sans le transpercer, sur le tégument dorsal de la vic- time ; celle-ci agite vivement ses pattes et fait vibrer ses ailes ; à son tour le prédateur met ses pattes en mouvement et fait tour- ner la Mouche, tandis que l'extrémité de l'abdomen, continuant à tâtonner sans méthode, finit par: tomber dans la région des appendices où l’aiguillon pénètre et détermine la paralysie. À diverses reprises, j'ai observé des faits analogues. Chaque fois que le Sphégien saisit « mal » sa victime, il procède avec la même imprécision, tapant au hasard sur la face dorsale, sur les côtés, jusqu au moment où il rencontre une membrane articu- laire, qu'il transperce sans choisir aucunement le point de péné- tration. Ces tâtonnements durent parfois plusieurs minutes, la Melline roulant en tous sens la Mouche qui s’agite violemment. Une fois mème. une proie un peu forte, Sarcophaga agnata Ron finit par se dégager sans dommage appréciable. Ainsi, lorsque la rencontre de l’agresseur et de la victime se produit dans des conditions inaccoutumées, le premier capture la seconde d'une facon anormale. mais il ne change rien à la direction du mouvement de son abdomen, réglée par la consti- tution anatomique, et son dard porte à faux un nombre variable de fois. 336 E. RABAUD IL DÉTERMINISME DES COUPS DE DARD ET DE LEUR LOCALISATION Alors se pose la question de savoir si le paralyseur « cherche » lé point qu'il « faut » piquer « pour » paralyser, ou si la multi- plicité des coups et les tâtonnements ne relèvent pas d'une cause plus immédiate. Dans le cas qui nous occupe, il ne fait aucun doute que la Mouche est revêtue d'un tégument chitineux par- faitement impénétrable au dard de la Melline, sauf en quelques points spéciaux qui correspondentaux membranes articulaires des appendices et des divers segments du corps. Il est inutile de supposer, comme Fagre l’a fait à propos d’autres animaux, que la Melline s’abstient de piquer tant qu'elle n'a pas trouvé la place par où elle atteindra les centres nerveux. En réalité, quel que soit son point de pénétration, le venin diffuse rapidement dans le corps tout entier (!), Si, par exemple, l’aiguillon s'engage entre deux segments abdominaux, la Mouche devient aussitôt inerte. Le fait se produit rarement, car les segments abdominaux imbri- qués sont fortement appliqués l’un sur l’autre et le dard glisse, le plus souvent, sur leur surface convexe. Je n’ai pu, quant à moi, parvenir à placer la Melline par rapport à la Mouche dans une position qui favorisät cette pénétration, mais les observations de Lucas prouvent que cette position existe. Les autres points vulnérables ne sont pas tous également voi- sins des centres nerveux. Ceux-ci sont situés assez en avant, de sorte qu'une piqüre portant sur l’une des deux pattes posté- rieures ne saurait les atteindre — et d'autant moins que le dard de Mellinus arvensis est extrêmement court. Souvent, du reste, on peutsuivre la diffusion qui s'effectue à partir du point atteint, car la paralysie n’est pas toujours immédiatement complète ; après piqüre au niveau de l'articulation d'un appendice antérieur, les appendices postérieurs s’agitent encore pendant un court espace de temps, et vice versa. Aucun des points vulnérables n’est donc () J'ai, tout récemment, montré que le venin des Sphégiens produit un effet rapide, quel que soit le point de pénétration du dard. (L'instinct paralyseur des Hyménoptères vulnérants. C. À. Acad. Sc., 12 novembre 1917). ST NOTES SUR L'INSTINCT DE MELLINUS ARVENSIS L. 337 plus spécialement privilégié qu'un autre, et il suffit que le venin pénètre par l’un quelconque d’entre eux pour produire une para- lysie rapide. Toutefois, à regarder une Melline promener son abdomen sur le corps de sa capture, on est tenté de croire qu'elle cherche vraiment et ne pique qu'à bon escient; elle frappe sans hâte, ses mouvements, précis et sûrs en apparence, cessent dès que la Mouche est paralysée. L'apparence ne correspond nullement à la réalité ; l'Hyménoptère ne cherche pas, il frappe n'importe où et s'obstine sur une paroi impénétrable qui arrête net l’aiguillon. Celui-ci ne sort et ne pénètre que lorsque l'abdomen frappe sur une membrane peu résistante. Mais, la piqüre effectuée, les mouvements de l'abdomen ne s'arrêtent point, #/s continuent aussi longtemps que la Mouche se débat. Le va et vient de l'abdomen est, en effet, très nettement pro- voqué par les soubresauts de la Mouche capturée. L'agitation de ses pattes, le frémissement de ses ailes excitent le thorax du prédateur et déclenchent le reflexe abdominal. Cette affirmation repose sur un certain nombre de faits, tout particulièrement sur les trois suivants. Un Mellinus arvensis saute sur une Mouche qui se retourne et fait face au même moment; les deux Insectes se trouvent alors tête-bêche et Me/linus plante ses mandibules dans l'abdomen de sa proie. Celle-ci réagit violemment ; à chacun de ses mouve- ments, l'abdomen de Mellinus s’enroule autour d'elle, mais le dard tombe sur le dos, sur les parties latérales du thorax et ne pénè- tre pas. Puis, quoique toujours très vivante, la Mouche cesse de bouger; le prédateur se calme aussitôtet se met à dévorer sa vic- time, qu'il maintient au niveau de ses mandibules en la tirant avec ses pattes. Par intervalles, morsures et tractions provoquent une série de soubresauts aussi violents qu'au début, tous suivis d'un coup de dard portant à faux. À un moment donné, cepen- dant, une nouvelle traction détermine un nouveau soubresaut et celui-ci un nouveau coup de dard qui, cette fois, tombe droit sur une membrane articulaire et la transperce : la Mouche est alors paralysée. Une autre Melline se trouve ventre à ventre avec une Mou- che. L'aiguillon la frappe à plusieurs reprises sur le dos, où il ne peut pénétrer. Puis, la Mouche, qui s’agite, tourne entre les 338 E. RABAUD pattes du Sphégien et se place de flanc: l’aiguillon frappe encore sur le dos, sur les côtés, sans pénétrer jamais. Ne cessant de se débattre avec force, la Mouche glisse entre les pattes qui l’étrei- gnent, se dégage partiellement, et bientôt la Melline ne la retient plus qu'au moyen de ses mandibules, qui mordent l'abdomen, et de deux pattes, qui maintiennentune aile. Par suite, tout contact disparait entre le thorax de l’agresseur et le corps de sa victime, et dès lors, le premier dévore lentement le second, sans esquis- ser le moindre mouvement de piqüre, en dépit des soubresauts qui persistent longtemps encore et ne s'arrêtent qu'une fois le thorax entamé et vidé. Dans un troisième cas, enfin, après une mêlée confuse, les deux antagonistes se trouvent placés perpendiculairement l’un sur l’autre ; la Melline tient le thorax et la tête d’une Scatophaga ster- coraria L. avec ses pattes antérieures droites et l'abdomen avec les pattes antérieures gauches, les mandibules s'enfoncent à la base droite du thorax. Aucun contact ne s’établissant alors entre la proie et le sternum de l’agresseur, celui-ci mange sans piquer, sans avoir tenté de le faire. Ces constatations sont décisives ; les mouvements de piqüre du Sphégien correspondent nettementaux mouvements de la Mouche capturée et ceux-ci déterminent ceux-là ; mais ils ne le font que dans la mesure où ils excitent la région sternale. Si fort que s'agite la Mouche tenue à bout de mandibules, elle n'amène aucune réaction de l'abdomen de Me/linus. Ces réactions dépen- dent donc d’une excitation localisée. On remarquera, du reste, qu'en saisissant par le thorax, avec une pince, un Insecte à abdomen mobile, muni ou non d'un aiquillon, l'abdomen se recourbe en dessous, son extrémité se rapprochant de la bouche. Et dès lors, nous comprenons fort bien la multiplicité des piqûres, effectives ou non, que Mellinus arvensis fait à sa vic- time. Le Sphégien pique tant qu un frémissement, même léger, provoque le reflexe spécial ; il pique même si ce frémissement n'est qu’un spasme de bête paralysée et les piqûres ne répondent plus alors à aucune « nécessité ». En conséquence, le nombre des coups d'aiguillon varie dans de grandes proportions ; sans le moindre rapport avec le nombre et la situation des ganglions touchés où à toucher, il dépend, essentiellement, de la position relative initiale des deux antagonistes et du nombre des points NOTES SUR L'INSTINCT DE MELLINUS ARVENSIS L,. 339 vulnérables de la victime. Quand la Melline saute sur le dos d'une Mouche et que les axes longitudinaux des deux Insectes sont paral- lèles, le dard passe sous le ventre de la Mouche et rencontre vite l’une des membranes articulaires qui constituent les points vulné- rables. Un déplacement parallèle des axes n’aura d'autre effet que de modifier le lieu d'application du dard; tant que les deux thorax demeurent en contact, l’aiguillon va directement sous le ventre de la victime, un peu plus en avant ou un peu plus en arrière, et tombe sur les téguments articulaires du cou, des appendices ou de l’abdo- men. Mais dès que les axes deviennent obliques l’un par rapport à l’autre, ou que le dos de la Mouche cesse de correspondre au sternum de la Melline, les points vulnérables ne se trouvent plus aussi directement dans le champ de déplacement du dard, et les coups se multiplient indéfiniment. III L' «INSTINCT PARALYSEUR » DES SPHÉGIENS Ainsi, en modifiant les conditions de rencontre d’un agresseur et de sa victime, nous parvenons à analyser le déterminisme d’un comportement que l'observation répétée dans les mêmes conditions montrait rebelle à toute analyse. Ce déterminisme paraissait lié à une sorte d'automatisme interne, indifférent aux contingences et conduisant la bête, par des voies sûres, vers un but bien arrêté. Il apparaît maintenant tout autre. Le rôle des influences actuelles, représentées ici par les mouvements dela vic- time et la constitution de son tégument, se montre avec toute son importance. Et il ne s'agit certainement pas d'un cas isolé. En lisant les relations concernant l'instinct de divers Hyménoptères vulnérants, onse rend nettement compte que les phénomènes sont, chez eux, tout à fait de même ordre. Le comportement de l'Ammophile semble, à cet égard, particulièrement net. A son sujet, les inter- prétations les plus fantaisistes se sont donné carrière. Laissant de coté diverses observations génantes, les naturalistes, à la suite de Fasre, ont mis en valeur le « merveilleux » instinct qui, avec 340 E. RABAUD une immuable précision, dirige l'aiguillon de lAmmophile tout le long du corps d'une chenille, l’arrêtant au point même où se trouve un ganglion. Or, en examinant tous les faits et les comparant, on rétablit ainsi les processus. L'Ammophile aborde la chenille de façon toujours compara- ble ; elle monte sur son dos et gagne la partie antérieure, Une fois là, elle ramène l'abdomen sous la face ventrale du thorax de la chenille et pique de une à trois fois, suivant les cas, dans un ordre et en des points variables. L'ordre et la localisation dépen- dent vraisemblablement du point où l'Ammophile s'est arrêtée sur le dos de la chenille, et le nombre des piqüres dépend à son tour du point d'application de la première, Les PEcknau, chez Ammophila urnaria Cressox, notent à deux reprises qu'une seule piqüre portant entre le 3° et le 4° segment immobilise la chenille ; Fagre lui-même constate que À. hirsuta Scop. ne donne parfois qu'un seul coup dans la région du thorax. Aïnsi localisée, cette première piqüre diffuse rapidement dans le corps entier, et la chenille, perdant tout mouvement spontané, ne fait aucun soubresaut capable d’exciter lAmmophile. Lorsque la première piqüre porte dans la partie antérieure du thorax, le venin, parcourant une plus grande distance, détermine moins vite une paralysie complète. Dans ce cas, comme l'ont observé Mancuaz (?) pour les victimes d'Armophila affinis Kim»y et Fer- TON (*) pour celles d’A. Leydenri Dax, les chenilles s'agitent sur place d'une façon plus ou moins violente : aussi cette première piqûre est-elle suivie d’une seconde et parfois d'une troisième, avant que l’immobilisation soit obtenue. Mais elle n’est pas tou- Jours complète et souvent encore, remarque Marcua, la chenille s’agite dès qu'on la touche. Cette excitabilité conditionne la suite des événements. Sielle est abolie après la ou les piqûres intra-tho- raciques, l'Ammophile cesse de piquer, abandonne sa victime un instant, puis la reprendetl’enlève, fait noté par Fasne, par Ferro, par les Prcknam. Si, au contraire, l’excitabilité persiste, l'Ammo- phile continue de piquer sans désemparer. Si, enfin, l'excitabilité (t) G, W. axp E. G. PeckHam. — On the Instincts and habits of the Solitary Wasps, Wisconsin geological and natural history survey, 1898, p. 11. (2) P. Marcuaz. — Observations sur l'Ammophila affinis Kinsx. Arch. de Zool. exp. el gén., 1892, (*) Cu. Ferron. — Observations sur l'instinet des Bembex. Act. Soc. linn. Bor- deaux 1899. Le NOTES SUR L'INSTINCT DE MELLINUS ARVENSIS L. 341 n'est que momentanément abolie, lorsque l'Ammophile, après une pause, reprend la chenille, le contact provoque quelques soubresauts et il n'en faut pas davantage pour déterminer de nouvelles piqüres. La localisation et la régularité de celles-ci n'ont pas la constance sur laquelle Fapre insiste tant. Par- fois elles portent successivement sur les 3 ou 4 premiers seg- ments abdominaux, parfois sur les 3 ou À derniers (Pecknam), parfois encore l’aiguillon va d'avant en arrière, puis revient en avant, piquant deux fois à la même place (Marcuaz). Toutes ces variations, incontestablement liées à la durée de l'excitabilité de la chenille, traduisent des différences initiales dans la position relative des deux antagonistes. Elles se super- posent, toutes choses égales, aux variations observées dans le mode de capture et la paralysie des Mouches par les Mellines. Avec les chenilles, les piqüres sont fréquemment très nombreu- ses, parce que la diffusion du venin, si rapide soit-elle, subit forcément des retards dans un organisme de forme allongée ; cette diffusion, demande souvent quelques minutes, comme j'ai pu m'en assurer en faisant piquer des chenilles par Vespa vul- garis L., V. germanica F.ou V. crabro L,, maiselle se produit à coup sûr (‘), si bien que cette multiplicité des coups d’aiguillon est parfaitement superflue. Néanmoins le nombre des coups d’aiguillon donnés par une Ammophile à une chenille paraît être toujours assez restreint. Cela provient, sans doute, de ce que la chenille est vulnérable à cha- cun de ces intersegments et que l'abdomen de l'Ammophile, glis- sant sur les segments chitinisés et convexes, s'arrête forcément dans les intervalles. Les dimensions transversales relativement grandes de ces intervalles augmentent, d’ailleurs, les chances de rencontre, même si la position relative des deux antagonistes subit des modifications importantes. Mais on s'explique que, le nombre et l'étendue des surfaces vulnérables diminuant, le nombre des positions favorables diminue, tandis que celui des coups de dard s’accroit. Et il s'accroît parfois dans des proportions considé- rables. L'attaque des larves de Cétoine par la Scolie est, à cet (:) Le venin de ces Guëpes diffuse avec une rapidité aussi grande que celui des Sphégiens ; il tue ou paralyse les Araignées, toutes choses égales, aussi vite que le venin des Pompiles ; il peut donc donner des renseignements valables sur la diffusion des venins dans le corps des chenilles. 342 E. RABAUD égard, caractéristique. Quelle que soit la position initiale relative de la victime et de l'agresseur, celui-ci met un très long temps, près d’une demi-heure parfois, à rencontrer l'unique espace vul- nérable de celle-là ; l'extrémité de l'abdomen de la Scolie glisse - sur le tégument résistant et convexe, la larve s’agite et, par là même, détourne les coups. Le cas de la Cétoine est évidemment le cas limite où l’exis: tence d’un seul point vulnérable donne toute son importance à l'ensemble des autres conditions. Il y a certainement une position réciproque des deux antagonistes pour laquelle, en tenant compte des mouvements de la larve, la Scolie rencontrerait rapi- dement le point vulnérable. Mais il s’agit naturellement d’une position si étroitement déterminée, que le plus petit écart intro- duit de très grands changements dans la suite des événements. Des écarts du même ordre n’ont point de telles conséquences pour une Melline capturant une Mouche. Bien que largement cui- rassée, cette dernière possède plusieurs points vulnérables ; il existe, par suite, plusieurs positions qui correspondent à des « conditions normales » et permettent la rencontre rapide de l'une ou l’autre d'entre eux. On apercoit, dès lors, la signification véritable des « conditions normales » et ilimporte de l’apercevoir toute entière. Pour lavoir méconnue, la plupart des naturalistes ont été conduits à chercher des « explications » en dehors des faits observés, s'égarant volontiers dans le domaine du merveilleux, du merveilleux pué- ril, où les points d'exclamation tiennent lieu de recherche et de raisonnement. Ceux-ci nous mettent en présence d’un enchaine- ment complexe de conditions qui s'engendrent. De la facon dont l'agresseur aborde sa victime dépend la localisation du pre- mier coup d'aiguillon et de celle-ci dépend à son tour la rapidité de la paralysie, c'est-à-dire la durée et la violence des soubre- sauts qui déterminent la localisation et le nombre des coups d'aiguillon successifs. Quant à ia prise de contact initiale, d'où dérive l’ensemble des processus, elle est étroitement liée à tou- tes les incidences externes qui gènent ou facilitent les mouve- ments des antagonistes. Par là, cependant, la question n'est pas entièrement résolue, tant s'en faut. L'analyse ne porte que sur une partie des phéno- NOTES SUR L'INSTINCT DE MELLINUS ARVENSIS L. 343 mènes, et bien que ce soit celle qui intrigue le plus, par l'appa- rente précision des mouvements, elle ne doit pas faire perdre de vue l'ensemble. Pourrons-nous savoir sous quelle influence le prédateur va vers une victime qu'il paraît choisir entre toutes ? sous quelle influence ce prédateur, qui souvent se nourrit du pol- len des fleurs, impose à ses larves un régime carné ? sous quelle influence il construit un nid ou creuse un terrier? Les questions se pressent et nos connaissances, encore restreintes, ne fournis- sent pas les éléments nécessaires à une analyse complète. En procédant par étapes, néanmoins, en utilisant les faits acquis, on peut marquer les traits essentiels qui seront autant de jalons pour les recherches ultérieures. Tout d’abord, dans le « choix » que le prédateur parait faire de sa victime, on ne saurait voir autre chose qu'une affinité, une attraction spéciale qui entraine le premier vers le second, sans qu'intervienne aucun processus mental particulier. Cette attrac- tion, d'ailleurs, n'est pas un phénomène simple ; une expérience faite avec Mellinus arvensis fournit à son sujet d’instructives indications. Dans le tube où se trouve une Melline j'intro- duis une Afhalia colibri Gamisr:, Tenthrédine jaune et noire, de la taille moyenne d’une Mouche commune. Aussitôt la Melline se précipite vers cette proie éventuelle, mais, à 2 ou 3 millimètres de distance, elle s'arrête net et se détourne. Si j'accule les deux bêtes au fond du tube, c’est le Sphégien qui s'agite et se dégage, tandis que la Tenthrédine, immobilisée par les chocs, demeure passive. Avec deux autres Mellines, je n'obtiens pas de meilleur résultat. Dans un quatrième essai, l'Athalie à peine introduite dans le tube tombe entre les pattes d’une Melline ; aussitôt celle- ei s'en saisit et commence un mouvement de piqüre, mais avant même qu'il ne soit terminé, elle ouvre ses pattes, les agite vio- lemment et rejette sa capture. Une cinquième fois, je glisse l'Athalie dans les pattes d’une nouvelle Melline qui, elle aussi, se dégage rapidement. Après chacun de ces essais infructueux, j'introduis dans le tube une Mouche, sur laquelle le Sphégien se précipite : c’est donc bien à la Tenthrédine que tiennent les résultats obtenus. Ainsi, la vue d'un Insecte quelconque détermine parfois de la part du Sphégien un mouvement de capture ; mais ce mouve- ment n'aboutit que si l’Insecte possède certaines propriétés. S'il 344 E. RABAUD ne les possède pas, le mouvement s'arrête. Est-ce la vue qui, d'abord confuse, puis plus nette, renseigne seule le prédateur ? Elle intervient sans aucun doute, mais elle n'intervient pas seule ; lorsque Afhalia tombe entre les pattes de Mellinus, celui-ci ne voit certainement pas l'animal qu'il saisit ; il le rejette pourtant, avec violence même, et ce mouvement de répulsion dérive, à coup sûr, d'un tout autre sens que de la vue (t). L'affinité qui entraine les organismes les uns vers les autres est évidemment un processus complexe ; elle correspond à des excitations péri- phériques nombreuses, portant sur des terminaisons nerveuses variées. Cette affinité, du reste, ne s'exerce pas à tout instant ; l'Insecte peutsubir des variations d'états physiologiques suffisantes pour supprimer l'attraction. Une Melline, par exemple, ayant capturé et dévoré 7 Mouches en l'espace de 6 heures ne réagit plus, ou ne réagit que faiblement quand j'en introduis une &e dans le tube ; fatiguée ou repue, elle passe et repasse sur la Mou- che sans marquer le moindre arrêt ; tout au plus ouvre-t-elle ses mandibules, et je ne parviens par aucun moyen à accentuer cette réaction ; le lendemain matin, une Mouche est immédiatement capturée, paralysée et dévorée. L'affinité dépend donc aussi bien de la nature des substances qui attirent que de l’état des organismes attirés ; cet état change en fonction de variables multiples etdiverses appartenant toutes à la catégorie des influen- ces actuelles. Lorsque l’affinité s'exerce, et qu’elle a pour résultat la capture d'une proie, l'agresseur fait. le plus souvent, de cette proie, son profit personnel. Chez la plupart des prédateurs l’« intérêt indivi- duel» entre franchement en jeu. Pompiles, Sphex, Bembex, Phi- lanthes, Mellines, Odynères mangent tout ou partie de leurs captu- res, soit qu'ils lèchent simplement le liquide dégorgé par la bou- che, soit qu'ils mordent en pleine chair. Marcuaz (*), le premier, a reconnu l'importance de ce fait, voyant en lui un élément de l’ori- gine de l'instinct des paralyseurs : il convient d'y insister. C'est bien en vertu de leurs affinités personnelles que les Vulné- rants adultes capturent et paralysent une proie ; ils en tirent direc- (!) On aperçoit tout l'intérêt de cette expérience pour la critique de la théorie du mimétisme. () P. Marcua. Sur l'instinct de Cerceris ornata. Arch. de Zool. exp. et gén. 1887. NOTES SUR L'INSTINCT DE MELLINUS ARVENSIS L. 34ù tement bénéfice. Si certains d'entre eux vont, en outre, butiner sur les fleurs, ce ne peut être là que l'effet d’une simple extension de régime et non d'un changement radical, créant une opposition telle que l’adulte, instruit des besoins de ses larves, leur donne- rait une nourriture dont il ne fait pas lui-même usage. On admet cependant volontiers cette opposition, et l’on admire la pres- cience étonnante qui conduit l'Insecte à donner à sa progéniture le seul régime capable d'assurer son développement dans les meil- leures conditions. Mais, en interprétant ainsi les faits, on renverse l'ordre des événements. Le prédateur ne recherche nullement pour ses larves la nourriture qui leur convient, car 1l ne pos- sède, pour le faire, aucune connaissance innée : il pond simple- ment sur un animal, tout comme le phytophage pond sur une plante. Le phénomène est exactement comparable dans les deux cas: dans les deux cas, la femelle obéit à une attraction tout à fait indépendante des événements futurs, exclusivement déter- minée par la nature et les affinités des organismes en présence. La ponte une fois effectuée, les larves subissent un régime quine leur est pas indispensable ou n'est même pas pour elles le meil- leur. C’est ce que prouvent les expériences de F. Picarp () sur la Teigne des Pommes de terre, les miennes sur Myeloïs cribrella(?), celles de Fagre (*) lui-même sur divers Vulnérants. Ainsi liés entre eux, les faits se soutiennent et s’éclairent; ils permettent de pénétrer en quelque mesure dans le détail des phénomènes. Loin de montrer l'organisme doué de facultés mys- térieuses, ils le montrent dans une dépendance étroite des influences actuelles en fonction de sa constitution propre. Sans aucune exception, les processus qui se produisent à un moment donné dérivent des précédents et conditionnent les suivants. L’« utilité » de ces processus n'entre pas en ligne de compte ; même, du point de vue de la vie individuelle ou spécifique, on en constate souvent l'inutilité, l'organisme ne persistant que dans la mesure où ils ne sont pas nuisibles (*). (:) F. Prcarp, La Teigne des Pommes de terre, Annales du service des Epiphy- tres tel 1942: & Er. Rapaup. Ethologie et comportement de diverses larves endophytes. Il. Myeloïs cribrella, Bull. Scient. Fr. et Belge, 1914. () H. Fasre. Souvenirs entomologiques. ” (*) J'ai indiqué à deux reprises que les piqûres multiples étaient généralement superflues. 346 E. RABAUD Jamais, en tout cas, un processus n’est déterminé par celui qui le suivra. C'est cette marche rétrograde que bien des esprits attri- buent, cependant, aux phénomènes de l'instinct des Hyménoptères prédateurs, en supposant, en laissant supposer, que tous les mou- vements de l'adulte n’ont d'autre raison d’être que l'avenir de la progéniture. Raisonner ainsi revient à prendre un effet pour une cause ; j'espère l'avoir montré par l'étude de Mellinus arvensis et les conséquences qui en découlent. PE CPR MR QE, LOS UT RG A RON © à 4 RQ dr Vire LAVAL. — IMPRIMERIE L. BARNÉOUD ET Cie. sé dit schnheds: » dé ct Aug. LAMEERE Professeur à l'Université de Bruxelles. CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES DEUXIÈME PARTIE“ IV. — Rapports entre la vie des Dicyémides et celle des Céphalo- DOTE REP PRERNEN PEAR A AUR QU N'AURA ES CS EVER LR ARS 47 V. — Le rhombogène du Dicyema CPPUS NE NRA EN ER RAS VI. — Le rhombogène du Dicyema truncatum . . . HA MOT VIL. — Le rhombogène du Hicrocyema DESDITS De NET PE A er VII. — L'hermaphrodisme des Dicyémides . . . . . . , Mao IV. — RAPPORTS ENTRE LA VIE DES DICYÉMIDES ET CELLE DES CÉPHALOPODES. A. Considérations préliminaires. — Depuis la mi-juil- let 1914, j'ai pu me rendre à sept reprises à Roscoff à l'effet d'y étudier les Dicyémides ; durant les quinze mois que j'ai passés à la Station biologique, j'ai essayé d'élucider les rapports que présente le cycle évolutif de ces parasites avec la vie de leurs hôtes. L'on sait que Ed. van Bexeoex a donné le nom de rhombosène à l'individu vermiforme des Dicyémides dans lequel se dévelop- pent des individus infusoriformes. Bien qu'il ait signalé quel- ques différences anatomiques entre les rhombogènes el les nématogènes, il pensait que le nématogène peut se transformer directement en rhombogène ; Wacecer et Harrmanx ont démontré qu'il en est bien ainsi, et je puis confirmer pleinement le fait ; la distinction entre les deux sortes d'individus au point de vue de la structure ne tient qu'à la nature de leur contenu. et il ne s'agit que de deux stades successifs dans le mode de reproduction. D'autre part Waurruan a cherché à prouver qu'à un certain moment le rhombogène ne produit plus d'infusoriformes, et qu'il (*) Première partie : Bulletin scientifique de la France et de la Belgique, Vol!-L, p:1, 1916. 99 348 A. LAMEERE devient un nématogène secondaire en recommencçant à donner des individus vermiformes agames ; Harrmanx à admis le fait en se basant sur certaines observations de Warruax. Ce phénomène existe-t-il, c’est ce que nous aurons à examiner. Tout ce que l'on connaît actuellement des rapports entre ces transformations et l'existence des Céphalopodes se borne à ceci : WageLer et Harruanx ont constaté que les Octopus, les Eledone et les Sepia jeunes ne contiennent que des Dicyémides à l’état de nématogènes primaires ; les rnombogènes apparaissent seule- ment quand le Céphalopode à acquis une certaine taille. Hartmann suppose que le changement des nématogènes pri- maires en rhombogènes est dû à la disette, et il attribue cette disette à la pullulation du parasite dans son hôte ; nous verrons ce qu'il faut en penser. B. Dicyema truncatum. — À Roscoff, j'ai constaté une concordance marquée entre l'évolution du Dicyema truncatum et celle de la Seiche. Les Seiches de Roscoff, par leur éthologie et par leurs carac- tères, me paraissent appartenir, comme l’a supposé Cuénor (1), à la forme de Sepia officinalis L. désignée sous le nom de Frscheri Laronr. Elles peuvent arriver cependant à une taille plus grande que les représentants de cette sous-espèce observés par Cuéxor dans le Bassin d'Arcachon, où la coquille des mâles à une lon- gueur maximum de 15 cm. et celle des femelles de 13,5 em. ; j'ai vu à Roscoff de grands màles ayant un sépion mesurant de 17 à 18 cm. et de grandes femelles avec un sépion de 17 à 21,7 cm. Mes conclusions relatives à l'éthologie de ces Seiches ne sont pas définitives, car elles sont basées sur un nombre d'individus encore trop restreint, le personnel de la Station biologique ayant été forcément réduit pendant la guerre. À Roscoff toutes les Seiches se prennent dans la Baie de Penpoull, à la senne, imstru- ment d’une manipulation très fatigante, et seulement lors des marées très basses. Les mäles se pèchent en majorité. Ces Mollusques sortent de l'œuf dans la Baie de Penpoull en août et en septembre, les œufs étant pondus en juillet et en août. (:) L. Cuénor. Sepia officinalis L. est une espèce en voie de dissociation. Arch. Zoolexper.; LNI, p-1215 4817 ns CONTRIBUTIONS À LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 349 Les jeunes, dès leur naissance, gagnent les fonds sableux qui avoisinent les prairies de Zostères auxquelles les pontes étaient fixées ; j'ai pu les observer au commencement de septembre : leur coquille avait une longueur variant de 0,8 à 3 em. Comme les pêcheurs assurent qu'il n'y a plus de Seiches à prendre dans la Baie en hiver, nous pouvons admettre que ces Céphalopodes s'éloignent des côtes et se retirent pendant la mauvaise saison dans les profondeurs du large. Les pêcheurs disent encore que des Seiches commencent à se montrer en mai sur la côte, mais je n'ai pas pu en obtenir avant le 19 juin. Ce jour-là, la senne a ramené de la Baie de Penpoull des Seiches de trois sortes, des Seiches de petite taille, de moyenne taille et de grande taille. Les Seiches de petite taille avaient un sépion de 5,5 à 7 em. ; elles n'étaient pas encore entrées dans la période d'activité sexuelle, et je suppose que ces individus devaient être nés au précédent été. Les Seiches de taille moyenne, à sépion long de 8 à 13 cm., avaient les glandes sexuelles en voie de maturation: il est pro- bable qu'elles étaient sorties de l'œuf également l’année précé- dente, mais plus tôt que les petites, ou qu'elles s'étaient trouvées dans des conditions de nutrition plus avantageuses. Les grandes Seiches avaient un sépion long de 15 à 20,8 em. Elles étaient en pleine activité sexuelle, les femelles prêtes à pondre. Il est vraisemblable que ces Seiches en étaient à leur deuxième printemps, ou qu'elles étaient plus àgées encore. À partir du commencement de juillet et jusqu’en octobre, je na plus trouvé que des Seiches de deux catégories, des moyennes et des grandes. Les petites ont peut-être grandi et sont probablement passées dans la catégorie des moyennes. Les Seiches moyennes ont leurs glandes génitales müres en juillet ou en août; dès la fin d'août on ne les trouve plus que vidées, et l'on en pêche encore dont le sépion n'a pas plus de 8 cm. Elles ne grandissent sans doute pas pendant l'époque de la reproduction, mais il semble qu'elles se rattrapent ensuite, car en septembre et en octobre, je n'en ai pas trouvé dont le sépion avait moins de 11 em. L’on constate que les grandes Seiches sont en activité sexuelle en juillet et au commencement d'août ; le 1% août, jen ai encore 350 A. LAMEERE pêché d'accouplées (mâle à sépion de 17,7 cm., femelle à sépion de 21,7 em.); mais déjà dans la deuxième quinzaine d'août et « fortiori en septembre et en octobre, leurs glandes génitales sont épuisées. Il semble donc résulter de mes observations, réserves faites de leur état encore fragmentaire et de la possibilité d'immigrations répétées, qu'à Roscoff, Sepia officinalis Fischeri LAFoNT pré- sente l'évolution biologique suivante : les petits individus nés au milieu de l'été, passent l'hiver dans les profondeurs ; ils revien- nent dans la Baie de Penpoull en mai et en juin, y acquièrent leur maturité sexuelle, et se reproduisent à l'âge d'à peu près un an, en juillet et en août, ayant atteint la taille moyenne qui se traduit par un sépion long de 8 à 13 cm. ; ces Seiches ne sem- blent pas grandir pendant cette période de reproduction, mais leurs dimensions paraissent augmenter en septembre et en octo- bre, cacilest probable qu'elles ne retournent dans les profondeurs que tardivement. L'année suivante, elles reviennent, sous forme de grandes Seiches, fait qui ne semble pas se présenter dans la Baie d'Arcachon, et elles se reproduisent encore ; meurent-elles ensuite, avant l'hiver, nous n’en savons rien. Dans les toutes jeunes Seiches pêchées au commencement de septembre, le Dicyema truncatum ne se trouve qu'à l'état de nématogène fondateur, ainsi qu'on à pu le voir au chapitre I de ce travail, mais pour peu que la taille du sépion dépasse { em., les nématogènes primaires apparaissent déjà, et bientôt l’on n'observe plus que ces derniers. Ce n'est que tout à fait excep- tionnellement que l'on trouve de très rares nématogènes fonda- teurs dans des Seiches moyennes ou grandes, probablement par le fait d’une infection nouvelle. Les petites Seiches pèchées en juin ne renferment que des nématogènes primaires, et je n'ai pas non plus trouvé d'autres stades en juillet dans les Seiches moyennes les moins grandes encore attardées dans leur maturité sexuelle. L'on ne trouve en effet de rhombogènes que dans les Seiches moyennes et grandes qui sont dans leur période d'activité géni- tale, c'est-à-dire en juin et en juillet, avant la ponte ou l'accou- plement. Il se produit à ce moment chez Dicyema truncatum une véritable épidémie : presque tous les nématogènes primaires, gra- duellement, au moins dans les srandes Seiches, deviennent des CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 351 rhombogènes ; dansles Seiches moyennes, il semble que le phéno- mène soit moins absolu, et qu'il v ait plus de nématogènes pri- maires qui subsistent tels quels. Quand un nématogène primaire se transforme en rhombogène, les embryons qu'il renferme encore continuent leur évolution et après leur naissance fonction- nent comme rhombogènes, mais les germes unicellulaires que le nématogène contient, au lieu de devenir des embryons vermi- formes, se transforment, de la manière que nous indiquerons ci-après, en les éléments propres d'un rhombogène. La production des rhombogènes semble être aussi plus hâtive dans les grandes Seiches que dans les Seiches moyennes, celles- ci étant en retard en général.sur celles-là dans la maturation de leurs produits génitaux. Au commencement d'août, les reins des Seiches moyennes et grandes peuvent offrir encore des rhombogènes, mais l’on voit que ceux-ci sont à leur déclin, les préparations renfermant surtout des nematogénes. Dans la dernière quinzaine d'août, en septembre et en octobre, l’on chercherait en vain dans les Seiches, quelles qu’elles soient, des rhombogènes du Dicyema lruncatum. W n'v a plus que des nématogènes, aussi nombreux que dans les petites Seiches. Il semble donc bien qu'il y ait coïncidence entre la maturation sexuelle du Céphalopode, et le fonctionnement des Dicyémides comme rhombogènes ayant pour résultat la production d’infuso- riformes issus d'œufs fécondés. Il est probable que la transfor- mation du Dicyémide est due au changement qui doit se faire dans le métabolisme de l'hôte par suite da l'évolution de ses produits génitaux qui arrête en même temps sa croissance. Le phénomène à peut-être pour conséquence d'amener la disette pour le Dicyémide, mais s'il y a disette, ce n’est pas à cause de la pullulation du parasite. En dernière analyse, l’arrivée des Seiches sur le littoral, leur activité reproductrice, la transformation des nématogènes du Dicyema truncatum en rhombogènes, ont pour résultat de semer sur les côtes, au commencement de l'été, d'innombrables infusoriformes. C. Microcyema vespa. — Ce que nous venons de dire du Dicyerna truncatum S'applique presque entièrement à l'Hétéro- 392 A. LAMEERE cyémide de la Seiche. Microcyema vespa évolue de la même manière, mais la transformation des nématogènes primaires en rhombogènes semble se produire plus tard que pour le Dicyema truncatum. Je n'ai trouvé en effet de rhombogènes du Micro- cyema que dans la dernière quinzaine de juillet et dans la pre- mière quinzaine d'août, dans des Seiches movennes ou grandes, dont les reins renfermaient de nombreux rhombogènes déjà très avancés du Dicyema truncatum. En juillét, les raombhogènes du Microcyema ne contenaient pas encore d'infusoriformes ; je n'ai observé ceux-ci qu'en août. Il me parait donc que l’évolution du Microcyema vespa suit celle du Dicyema truncatum, et que l'Hétérocyémide est atteint moins rapidement par le métabolisme de l'hôte. Le 21 septembre 1916, une Seiche mâle, dont le sépion mesurait 13 em., renfermait Microcyema vespa en culture pure, sans Dicyema truncalum, ce que je n'ai jamais observé que cette seule fois. Les préparations contiennent des rhombogènes du Microcyema avec infusoriformes complètement développés. L'on ne peut guère attribuer l'apparition de ces rhombogènes à une disette causée par pullulation de parasites, mais l'absence du Dicyema truncatum explique peut-être le retard considéra- ble et tout à fait exceptionnel dans leur production. D. Dicyema typus. — Mes observations relatives au cycle évolutif du Dicyémide du Poulpe sont moins complètes que pour les Dicyémides de la Seiche, mais elles me paraissent néan- moins confirmatives. À Roscoff, Octopus vulgaris L. arrive sur la côte un peu plus tard que la Seiche, et en hiver on ne le voit plus. Les plus petits Poulpes dont j'ai pu disposer pesaient 175 gr., les plus grands 675 gr. Aucun d'eux ne renfermait exclusive- ment des nématogènes primaires du Dicyema typus : JY & toujours trouvé des rhombogènes,avec des nématogènes primaires se transformant en rhombogènes, ou des nématogènes primaires ordinaires plus ou moins nombreux. Les Poulpes étaient en voie de reproduction ; il n y en avait pas de tout à fait jeunes. Les plus petits avaient très générale- ment des rhombogènes moins avancés que les plus grands, et CONTRIBUTIONS À LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 353 c'est seulement en septembre et en octobre que j'ai observé des nématogènes en grande quantité. Ces faits semblent pouvoir être mis en parallèle avec ce que nous ont montré les parasites de la Seiche : à Roscoif, les Dicyémides ne deviennent rhombogènes qu'au moment où les Céphalopodes vont se reproduire, et où, pour ce faire, ils s'ap- prochent des côtes. Il en résulte que c'est sur le littoral que sont semés les infusoriformes. Ÿ. — LE RHOMBOGÈNE DU DICYEMA TYPUS. A. Procédés dinvestigation. — Pour observer dans le Poulpe à Roscoff la transformation des nématogènes primaires du Dicyema typus en rhombogènes, il est nécessaire, comme nous venons de le voir, de s'adresser, dès le début de l'appari- tion du Céphalopode sur la côte, aux plus petits individus. Plus tard dans l’année, et dans les grands Poulpes, l’on trouve déjà les rhombogènes dans un état plus ou moins avancé, avec infu- sorigènes gros et compliqués, presque impossibles à déchiffrer. L'étude des rhombogènes est extrêmement difficile ; la colo- ration à l'hématoxyline ferrique ne donne pas de préparations bien satisfaisantes, à cause de l'épaisseur des infusorigènes et de la tendance qu'offre le sarcode de leurs éléments à se colorer en masse. Des coupes minces faites dans des fragments de reins du Poulpe peuvent déjà mettre sur la voie, mais j'aurais dû, comme Harruanx, peut-être renoncer à débrouiller ce qui se passe dans les infusorigènes, sans l'usage, pour la coloration des frottis, après fixation par le liquide de Bouin, de l'hématoxyline d'Ehrlich employée pure pendant plusieurs heures. Ce procédé donne des résultats beaucoup meilleurs que tout ce que j'ai essayé d'ap- pliquer, car il colore fortement les éléments chromatiques, à peine au contraire, mais suflisamment, le sarcode, et il permet de distinguer très bien les limites des cellules. B. Phénomènes rhombogéniques. — [Jans les frottis du rein du Poulpe où l’on trouve les premières phases de la forma- - tion des rhombogènes du Dicyema typus, lon constate qu'il y a encore des nématogènes primaires, mais ceux-ci ont pour la plupart un aspect particulier. Ils sont remplis d'un grand 354 A. LAMEERE nombre de cellules germes, ou bien ils offrent, outre cette quantité exceptionnelle de germes agames, un ou deux em- bryons avancés d'individus vermiformes tout au plus. Il arrive done un moment où dans les nématogènes primaires, il ne se forme plus de nouveaux embryons, mais où la multipli- cation des germes s exagère. C'est là le début de la transforma- tion du nématogène en rhombogène. Si les nématogènes renferment encore des embryons, ceux-ci, après leur naissance, deviennent directement des rhombogènes, à en juger par les individus très jeunes que renferment les pré- paralions. L'on peut en conséquence distinguer deux sortes de rhombo- gènes : 1° Ceux qui résultent de la transformation de vieux némato-- gènes primaires; ce sont des rhombogènes secondaires : 2° Ceux qui procèdent directement des jeunes individus qui viennent de sortir des nématogènes, et qui n’ont pas eu le temps de fonctionner eux-mêmes comme nématogènes: ce sont des rhombogènes primaires. Dans les rhombogènes primaires, il y a également multipli- ‘ation des germes agames, et de très bonne heure, sans forma- tion d'embryons vermiformes, mais cétte multiplication est plus restreinte, car elle est bientôt interrompue par une nouvelle particularité qui vient alfecter tous les rhombogènes : la diffé- renciation des cellules germes en deux catégories. Un nombre restreint de ces germes agames, trois, deux, ou même un seul, grandissent et commencent leur évolution en infusorigènes ; les autres peuvent encore, mais dans les grands rhombogènes seulement, se diviser, et ils conservent leur taitle initiale. Le déterminisme de la transformation d'une cellule germe en cellule mère d'infusorigène nous échappe ; tout ce que nous pouvons dire c'est que ces cellules sont plus ou moins rappro- chées du noyau de la cellule axiale qui les contient. Les cellules germes qui ne deviennent pas des infusorigènes, dégénèrent sur place dans la cellule axiale, et disparaissent plus ou moins tardivement. Elles ne meurent en général qu’au fur et à mesure du développement des infusorigènes et de l'envahisse- ment du rhombogène par les infusoriformes. L'on dirait que la CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 355 proximité des uns ou des autres exerce sur eux une action nocive, soit par écrasement mécanique, soit plutôt par une concurrence alimentaire qui amène leur inanition. Ces cellules germes en dégénérescence montrent dans les pré- parations à l’hématoxyline ferrique des phénomènes bizarres qui me les ont fait prendre à tort pour les mâles des Dicyémides ; le sarcode offre des vacuoles dans lesquelles se trouvent des chromidies qui proviennent du noyau et qui sont parfois expul- sées de la cellule; ces chromidies se groupent souvent d’une manière variée, pendant que le noyau subit une chromatolyse. Les préparations à l’hématoxyline d'Ehrlich démontrent que ces chromidies sont purement végétatives, car elles ne se colorent pas par ce procédé ; la chromatine du noyau se résoud en sphé- rules qui peu à peu s'effacent, en même temps que la cellule, se rapetissant de plus en plus, finit par disparaitre. La multiplication des germes et l'évolution des infusorigènes ont pour résultat de rendre la cellule axiale plus large et son extrémité antérieure plus obtuse dans le rhombogène que dans le nématogène primaire : le phénomène est amené graduelle- ment, à cause du volume croissant du contenu du rhombogène. Celui-ci est le siège d'une activité physiologique plus intense peut-être que ne l’est celle du nématogène primaire, et cette exubérance vitale est probablement la cause de quelques autres particularités du rhombogène. L'on observe que les cellules périphériques, mème dans les rhombogènes primaires très jeunes, se chargent de ces corpus- cules non colorables par les réactifs qui rendent les cellules de plus en plus convexes. Les dits corpuscules ont été considérés comme étant de nature résiduelle, mais il est plus probable qu'il s’agit au contraire de réserves alimentaires. Presque constamment l’on trouve deux noyaux dans les cel- lules périphériques, exception faite bien entendu des cellules polaires et parapolaires. Parfois mème certaines des cellules du tronc des grands rhombogènes offrent une série de noyaux disposés en file dans le sens de la longueur de l'organisme. Wugezer et Harruanx ont observé ces noyaux supplémen- taires ; ils ont pensé qu'ils proviennent de cellules germes qui auraient passé de la cellule axiale dans les cellules périphériques. Je ne puis partager cette manière de voir. 356 A. LAMEERE Jamais je n'ai constaté le passage supposé ; les noyaux sup- plémentaires ont d'ailleurs toujours une structure identique à celle du noyau principal, mais ils sont plus petits. Quand il nya quun noyau dans une cellule périphérique du tronc d’un rhombogène, ce noyau est relativement énorme ; lorsqu'il y en a deux, un grand et un petit, ils sont toujours tout près l'un de l'autre, dans des positions respectivement tout à fait semblables dans les diverses cellules périphériques du rhombogène. Ces noyaux sont parfois contigus dans les jeunes rhombogènes pri- maires : le petit a l'air d'un bourgeon du grand. Je crois donc que nous nous trouvons en présence d'une multiplication nucléaire par voie directe et inégale, résultant d’une activité nutritive plus grande des cellules périphériques du rhombogène. La cellule axiale du rhombogène se conduit exactement de la même manière que les cellules périphériques : là aussi nous trouvons, non pas un noyau végétatif, comme dans le némato- gène primaire, mais en outre un certain nombre de noyaux végétatifs supplémentaires, plus petits que le noyau principal. WaiTman qui a appelé le premier l'attention sur cette particula- rité, admettait que les noyaux supplémentaires sont produits par les cellules mères des infusorigènes qui expulseraient un globule polaire, le paranucleus, lequel deviendrait un noyau végétalif nouveau. Il y aurait donc dans le rhombogène autant de noyaux végétatifs supplémentaires que d'infusorigènes. HarTMANx a fait remarquer, avec raison, qu'il est loin d'en être toujours ainsi; d'après lui, les noyaux végétatifs supplémentaires proviendraient de la transformation directe de germes agames ordinaires, et non pas des cellules mères des infusorigènes. J'ai très longuement cherché à élucider ce point essentiel. Jamais je n’ai constaté que les cellules mères des infusorigènes une fois constituées subissaient une division quelconque préala- ble à leur évolution : le paranucleus, admis d'ailleurs assez hypothétiquement par Wuairmaw, n'existe pas. Jamais non plus je n'ai vu une cellule germe quelconque devenir un noyau végé- tatif dans la cellule axiale. Toujours au contraire, j'ai observé, que dans les rhombogènes primaires, très jeunes, lorsqu'il y avait un noyau végétatif supplémentaire dans la cellule axiale, ce noyau, de même structure, mais plus petit que le noyau végétatif principal, était situé tout près de celui-ci ou en conti- CONTRIBUTIONS À LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 3517 guité avec lui, de manière à faire l'effet d'un bourgeon. J’estime donc qu'il s’agit d’un phénomène identique à celui qui se passe dans les cellules périphériques : une division directe imégale du noyau, et même une multiplication ultérieure, en rapport avec le métabolisme intense de la cellule axiale. La présence fréquente d'un noyau végétatif supplémentaire près de chaque infusorigène peut s'expliquer par lactivité proliférante considérable de ceux-ci. C. Infusorigène. — La cellule mère de l’infusorigène grossit et arrive à offrir en général un diamètre double de celui d’une cellule germe agame ordinaire. Le noyau émet quelques chromidies Fig. 25. — Dicyema typus, infusorigène, stades normaux à deux et à trois cellules. — G. : 2000. végétatives dans le sarcode où l'on voit se former une ou deux grandes vacuoles qui finissent par disparaître, le sarcode pre- nant un aspect homogène qui contraste avec celui des œufs. Le caryosome du noyau est volumineux : on y distingue des cor- puscules chromatiques dans un nucléole plastinien. La cellule, qui offre souvent un aspect ovoïde ou même fusiforme, finit par s’arrondir, et elle entre en division. Le noyau devient excentrique, et la division est inégale : lon trouve des stades formés de. deux cellules, une petite et une grande. La petite cellule se divise à son tour, avant la grande, dans un sens perpendiculaire à la première division (fig. 25). Le début de l’évolution de l'infusorigène est done exactement comparable, sauf en ce qui concerne le volume des éléments, à la division d'une cellule germe agame qui donnera un embryon vermiforme : là aussi il y à division en deux cellules inégales, et la petite cellule se divise avant la grande. Dans le cas de l'embryon vermiforme, la petite cellule fournira 38 A. LAMEERE toutes les cellules périphériques de l'adulte, et la grande formera la cellule axiale avec les cellules germes agames. Pour l’'infusorigène, la petite cellule est la cellule mère de toutes les cellules périphériques, mais les cellules périphériques devien- dront toutes des ovules: la grande cellule donnera la cellule axiale avec des cellules germes, mais ces cellules germes évo- lueront toutes en spermatozoïdes. L'on va voir en effet que l'infusorigène est hermaphrodite, que les cellules périphériques seules constitueront des ovules, et que dans la cellule axiale ne se développeront que des éléments males. Fig. 26. — Dicyema typus, infusorigène, stades à deux et à trois cellules. — G. : 2000. La division de la cellule mère de l'infusorigène en une petite cellule femelle et en une grande cellule mâle est ce que l’on observe le plus fréquemment dans les préparations; nous tenons ce processus pour normal, mais l’on se trouve parfois en présence de stades qui paraissent contradictoires et qu'il s’agit d’expli- quer. C'est ainsi que j'ai observé des embryons d'infusorigènes à deux cellules égales et des embryons à trois cellules qui paraissent procéder d’embryons à deux cellules égales (fig. 26). Pour comprendre cette apparente anomalie, il faut considérer que l’évolution de l'infusorigène n'est, pas plus que celle d'un embryon vermiforme, comparable à une segmentation: c'est une division dans laquelle les diverses cellules constituées grandis- sent au fur et à mesure de leur formation, au lieu d’être, comme dans la segmentation véritable de l'œuf en embryon d'infusori- forme, progressivement de plus en plus petites. Quand il s'agit d'un infusorisgène, nous constatons que les deux premières cellules femelles avant de se diviser elles-mêmes, doivent toujours avoir acquis une grosseur déterminée, et qu'il CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 399 en est de même pour la cellule mâle. Cette augmentation de taille n'est nullement synchronique pour les éléments femelles et pour l’élément mâle; il arrive même que l'accroissement de volume des deux premières cellules femelles soit tellement accé- léré qu'il se répercute sur la cellule mère de tous les ovules avant sa division : cette cellule mère grossit en conséquence avant la naissance de ses deux cellules filles, et l’on a alors l'apparence d'une division égale de la cellule initiale de l'infuso- D rigene. Fig. 27. — Dicyema typus, infusorigène, stades à deux et à trois cellules, dans un même rhombogène, — G. : 2000. L'absence de synchronisme entre le développement de la cel- _lule femelle et de la cellule mâle peut même amener des stades où l'on dirait que c'est la grande cellule de l'embryon qui devient la cellule femelle (fig. 27). [ei la cellule femelle a énormément grossi avant de se diviser, el cela au détriment en quelque sorte de la cellule mâle qui est restée en retard. L'on trouve d'ailleurs dans les préparations des transitions entre ces divers aspects ; l’on reconnait en outre la cellule mâle à la nature plus colorable de son sarcode. Le stade à trois cellules est suivi d'un stade à quatre cellules qui résulte de la division de la cellule mâle (fig. 28). Dans ces embryons, l’on aperçoit deux cellules, ordinairement égales et plus petites, séparées par une ligne droite dans une coupe opti- que, qui sont les deux premières oogonies ; dans un autre plan, et disposées en croix sur celles-ci se trouvent deux cellules iné- sales, les deux cellules filles de la cellule mâle primitive. De ces deux cellules, la plus petite, plus ou moins enfoncée dans l'autre, mais toujours bien séparée cependant, est la cellule 360 A. LAMEERE mère de tous les spermatozoïdes, la grande est la future cellule axiale de l'infusorigène. fo) Fig. 28. — Dicyema typus, infusorigène, stades à quatre cellules avant l’écartement des deux premières oogonies. — G. : 2000. LE GO) _ a. Fig. 29. — Dicyema typus, infusorigène, stades à quatre cellules montrant l'écartement des deux premières oogonies et la pénétration de la première spermatogonie dans la cellule axiale. — G. : 2000. Des stades un peu plus évolués montrent : 1° que les deux premières oogonies s'écartent l’une de l’autre: 2° que la première as. CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 361 spermatogonie s'enfonce dans la cellule axiale future, en déprime le noyau, et finit par y pénétrer tout à fait (fig. 29). La suite du développement prouve indubitablement le bien fondé de la signification que nous donnons à ces divers éléments. Il résulte donc de ces faits que la cellule germe primitive de la cellule axiale ne naît pas dans celle-ci comme l'ont affirmé tous les auteurs, mais qu'elle y entre après s'en être détachée par une division inégale. La cellule axiale est donc une cellule folliculeuse. Si nous comparons le développe- ment de l'infusorigène à celui de l'embryon d'un individu vermiforme, nous pouvons, en ce qui concerne la cellule axiale, reconnaître une nou- velle identité. La méthode de colora- tion à l’hématoxyline d'Ehrlich m'a permis en effet de constater, contrai- rement à ce qu'ont admis les biolo- gistes qui ont étudié les Dicyémides, ou contrairement à ce que j ai avancé moi-même dans la première partie de ce travail, que la cellule interne de Fig- 30. — Dicyema typus, infusorigène, stades à trois et à quatre cellules mon- l'embryon d'un nématogène se divise complètementen deux cellules : l'une trant les deux premières des cellules, plus petite, est la cellule 2ogonies déjacomplètement VUE, e écartées. — G. : 2006. germe primitive, l'autre, plus grande, est la future cellule axiale. La petite cellule pénètre ensuite dans la grande, qui n'est qu'une cellule folliculeuse où se fait une multiplication des germes. de ee: Y . A . . . L'infusorigène semble donc bien être un individu comparable morphologiquement à un nématogène. C Laissant de côté pour le moment les phénomènes qui se pas- sent dans la cellule axiale, voyons ce que deviennent les deux premières oogonies, filles de la petite cellule résultant de la divi- sion inégale de la cellule mère de l'infusorigène. Nous venons de voir que ces deux cellules s'écartent l'une de l’autre ; elles le font jusqu'à venir se placer aux deux extrémités d'un axe transversal perpendiculaire à l'axe primitif longitudinal de l’infusorigène. Cette séparation se fait plus ou moins tôt, plus 362 A. LAMEERE ou moins tard, ordinairement après la division de la cellule mâle, mais parfois avant (fig. 30). L'une des deux premières oogonies prend, et parfois de bonne heure, l'avance : elle se divise toujours avant l’autre (fig. 31). Fig. 31. — Dicyema typus, infusorigène, slades à quatre cellules montrant la division de l'une des deux premières oogonies. — G. : 2000. L'on arrive ainsi à un stade à cinq cellules très fréquent dans les préparations (fig. 32) : la première spermatogonie est entrée dans la cellule axiale : les deux premières oogonies se sont com- plètement écartées, et l'une d'elles est déjà divisée en deux, tandis que l’autre est en prophase cinétique. L'axe longitudinal OR Æ Fig. 32. — Dicyema typus, infusorigène, stade à cinq cellules, la première spermatogonie entrée dans la cellule axiale, l’une des deux premières oogonies divisée en deux. — G. : 2000. morphologique de l'infusorigène, passant par la spermatogonie et par le noyau de la cellule axiale, est toujours disposé perpen- diculairement à la longueur de la cellule axiale du rhombogène, et cette position se maintiendra dans tous les stades subséquents. Nous passons ensuite à un embryon qui offre quatre oogonies, deux de part et d'autre du plan de symétrie, et déjà alors des oogonies grossissent et évoluent en ovules, en même temps que CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 363 des oogonies se multiplient (fig. 33). La production des ovules est en effet très précoce ; il peut mème arriver qu'un ovule soit AR CS Fig. 33. — Dicyema typus, infusorigène, stade jeune montrant des ovules déjà grands et des oogonies. — G. : 2000. mür et se détache de l’infusorigène avant que la cellule axiale ’ nait fourni de spermatozoïdes, et alors cet ovule dégénère tou- (eæ jours : jamais je n'ai constaté de parthénogénèse. Les ovules se moulent sur la cellule axiale avec laquelle ils sont en contact par une large surface jusqu'à ce qu'ils soient arrivés à tout leur développement. Il en résulte que le nombre de ceux qui croissent en même temps est limité par l’éten- due de la surface de la cellule axiale. Ils ne se forment en effet qu’au fur et à mesure :-il y a toujours des oogonies qui attendent, et dans les stades les plus avancés de l'infuso- his 34. — Dicyema typus, risène, l’on constate encore des divi-: infusorigène, coupe faite ; FE EU 6 dans stade avancé mon- sions cinétiques de celles-ci (fig. 34). dans un stat É CS me 3 trant des cinèses d'o0go- La multiplication des oogonies à ae 2e MODO! pour conséquence un enveloppement plus ou moins completsde la cellule axiale par les cellules périphériques : les deux massifs de cellules femelles situées en principe de part et d'autre de l'axe longitudinal se rejoi- 23 364 A. LAMEERE gnent, et toute trace de la symétrie bilatérale de l'infusorigène peut disparaitre. A la suite des recherches de Warrmaw, tous les auteurs ont admis qu'il y avait deux sortes d'ovules : les uns provenant d'oogonies périphériques, les autres d'oogonies procédant de la cellule axiale. C'est une erreur, qui s'explique d’ailleurs facile- ment par les difficultés que présente l'étude de l'infusorigène et par le fait que les spermatogonies sont de la même grandeur que les oogonies. Ainsi qu’on va le voir, la cellule axiale ne fournit que des spermatozoïdes. Fig. 35. — Dicyema typus, infusorigène, stade jeune avec ovule renfer- mant un spermatozoiïde et montrant la métaphase de la formation du premier globule polaire.— G. : 2000. WuegLer a été le premier à soupconner que les cellules situées à la périphérie de la cellule axiale de l’infusorigène et qui don- nent naissance aux infusoriformes sont des ovules, car il avait vu les spermatozoïdes. -Harrmanx à démontré qu'il en est bien ainsi, en découvrant l'expulsion des globules polaires. J'ai cons- taté des manifestations de cette expulsion chez tous les Dicyémi- des que jai étudiés. La figure 35 montre un infusorigène jeune du Dicyema typus avec deux ovules à droite, à gauche une oogonie en prophase cinétique et un oocyte de premier ordre : cet oocyte est encore fixé à la cellule axiale ; il renferme un corpusecule tout à fait semblable à d’autres éléments qui se trouvent dans cette cellule axiale : c'est un spermatozoïde. L'oocyte est à la métaphase de la formation du premier globule polaire, la plaque équatoriale offrant des masses chromatiques en nombre moindre de moitié , CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 365 que le nombre des chromosomes que l'on observe lors de la division des oogonies. Chez Dicyema typus, il m'a semblé que les noyaux renferment douze chromosomes, mais il est possible quil y en ait davantage. Nous voyons d'après cette figure que le spermatozoïde passe directement de la cellule axiale dans l'ovule quand celui-ci est encore en contact avec elle; l'expulsion des globules polaires n'a lieu qu après cette pénétration. Il n'est point douteux que le corpuscule qu'on trouve dans l'oocyte et auquel nous venons d'attribuer la qualité de sper- matozoïde ne soit bien cet élément. Wagecer et Harruanx l'ont admis, tout en s'imaginant que les spermatozoïdes venaient du dehors, croyant même qu'ils sont produits par les infusoriformes ; j'ai vu d’ailleurs, comme Harr- MANN, très fréquemment dans les rhombogènes, des œufs renfer- mant les deux pronuclei, l’un de ceux-ci pouvant montrer tous les passages entre le corpuscule en question et un pronucleus semblable au pronucleus femelle. C'est bien d'œufs fécondés que proviennent les infusoriformes, c'est bien le spermatozoïde que l’on voit dans les ovules avant l'expulsion des globules polaires; ce sont les cellules périphéri- ques de l'infusorigène qui produisent les ovules, et c’est dans la cellule axiale de l’infusorigène que se passe la spermatogénèse. Reprenons en effet maintenant l'étude de l'évolution de l'infu- sorigène en ce qui concerne la cellule axiale. Nous avons vu que cette cellule axiale a avalé en quelque sorte la petite cellule qui est sa sœur et que nous avons qualifiée plus haut de pre- mière spermatogonie. Une fois entrée dans la cellule axiale, et mème quelquefois avant d’y avoir pénétré tout à fait, la cellule mère de tous les spermatozoïdes se divise par une caryocinèse normale, et l’on trouve alors dans la cellule axiale, outre le noyau végétatif, deux cellules que la suite du développement prouve être des spermatogonies C'est ce que montre la figure 36, dans laquelle nous avons sérié les cellules axiales de quatre très jeunes infusorisènes. Dans la figure 37, nous avons sérié quatre autres cellules axiales en représentant encore tout leur contenu. L'on voit que des deux cellules qui dérivent de la cellule mère, l'une reste au repos pendant que la seconde se divise pour donner deux cellu- 366 A. LAMEERE les qui deviennent des spermatocytes de premier ordre. Ces deux dernières cellules restent en effet plus petites que la sper- Fig. 36. — Dicyema typus, infusorigène, cellules axiales montrant les stades successifs de la division de la première spermatogonie. — (G. : 2000. matogonie qui est leur tante, et l'une d'elles se divise avant l’autre ; l’on remarque immédiatement une profonde différence Fig. 37. — Dicyema typus, infusorigène, cellules axiales montrant la formation et la division des spermatocytes de 4er ordre. — G. : 2000. entre l'aspect de la métaphase cinétique de cette cellule et de celle d'une spermatogonie, ce qui se voit très bien dans la qua- CONTRIBUTIONS À LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 367 trième cellule axiale figurée dans la figure 37 où les deux cinèses se trouvent précisément en regard l’une de l’autre. Dans la sper- matogonie, on observe douze, peut-être quatorze chromosomes, dans le spermatocyte de premier ordre on voit six, peut-être sept, masses chromatiques. Cette quatrième cellule axiale de la figure 37 renferme, outre le noyau végétatif : 1° la métaphase de la spermatogonie qui était restée au repos pendant que sa sœur donnait deux sperma- tocytes de premier ordre ; 2° la métaphase du spermatocyte de premier ordre qui s’est divisé le dernier ; 3° deux des quatre spermatozoïdes issus du spermatocyte de premier ordre qui s’est divisé avant l’autre. Fig. 38. — Dicyema typus, infusorigène, cellules axiales montrant la formation et la division des spermatocytes de 2° ordre. — G. : 2000. Dans la figure 38, qui représente une partie seulement du con- tenu de deux cellules axiales d’infusorigènes plus âgés que les précédents, l’on verra presque tous les stades de la formation des spermatocytes de deuxième ordre et leur division en sper- matides. J'ai observé les faits que je rapporte ici un très grand nombre de fois ; ils ne laissent aucun doute sur Ha nature hermaphrodite de l'infusorigène, ni sur cette conclusion que dans la cellule axiale se passe exclusivement de la spermatogénèse ; jamais en effet je n'ai vu sortir de la cellule axiale un élément quelconque qui aurait pu donner naissance à un ovule; il ne sort de ce folli- cule que des spermatozoïdes. La ressemblance des spermatogo- nies et mème des spermatocytes de premier ordre avec des oogonies ainsi que la difficulté de voir ce qui se passe au centre de l’infusorigène, ont été cause de la méprise de tous les biolo- 368 A. LAMEERE gistes qui ont admis la production d'oogonies par la cellule axiale. Nous avons vu que dans les infusorigènes jeunes les oogonies s'empressent d'évoluer en ovules, mais qu'il en subsiste toujours au moins une qui attend avant de se diviser qu'il y ait de la place pour de nouveaux ovules à la surface de la cellule axiale. Le phénomène se continue pendant toute la vie de l’infusorigène, l'oogénèse étant graduelle. Il en est de même pour la spermato- génèse : des deux cellules filles de la première spermatogonie, l'une se hâte de fournir des spermatozoïdes, l’autre se divisant plus tard ; dans la suite, la cellule axiale grandissant avec l’infu- sorigène, l'on voit évoluer en même temps plusieurs spermato- sonies, et le follicule se remplit de spermatozoïdes nombreux, mais quelque vieux que soit l'infusorigène, l'on trouve toujours dans la cellule axiale une spermatogonie de réserve destinée à alimenter graduellement la spermatogénèse. Dans les grands infusorigènes, l’on voit souvent les divers éléments mâles disposés assez régulièrement du centre à la péri- phérie de la cellule axiale. Près du noyau végétatif se trouvent les spermatogonies et les spermatocytes de premier ordre, plus loin les spermatocytes de deuxième ordre, et contre la surface, immédiatement en dessous de la couche des ovules, les sper- matozoïdes. Il ne m'a guère été possible, vu la petitesse des éléments, de suivre la transformation des spermatides en spermatozoïdes. Ceux-ci, lorsqu'ils passent de la cellule axiale dans les ovules, se présentent comme des corpuscules arrondis dans lesquels on distingue deux masses chromatiques volumineuses disposées à l'un des pôles suivant deux méridiens opposés ; à l’autre pôle, il y à un petit corps coloräble qui est peut-être le centrosome. Ces spermatozoïdes me paraissent ressembler à des spermatozoïdes de Méduses qui seraient dépourvus de queue ; je n'ai pas vu en effet de queue, et il est fort probable qu'il n'y en ait pas. Les éléments mâles ne doivent d'ailleurs pas nager pour arriver aux ovules, ils ne pourraient même pas le faire, s'ils en avaient l'occasion, car en s'engageant dans les vacuoles de la cellule axiale du rhombogène, leur marche serait arrêtée par les travées sarcodiques de celle-ci. Ils passent, comme nous l'avons déjà répété, directement de leur follicule dans les ovules mürs au CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 369 moment où ceux-ci vont se détacher de l'infusorigène ; cepen- dant, là où la cellule axiale de celui-ci est à nu, c'est-à-dire là où elle n'est pas recouverte par des ovules, ce qui peut arriver aux extrémités de l'axe longitudinal morphologique, des sperma- tozoïdes tombent dans la cellule axiale du rhombogène, mais ils sont toujours en petit nombre, et ils ne tardent pas à entrer en dégénérescence et à disparaitre. Arrivé à son déclin, l’infusorigène présente un aspect caracté- ristique (fig. 39). La symétrie bilatérale primitive apparait nette- Fig. 39. — Dicyema typus. infusorigène à la dernière période de son existence. — G. : 1000. ment ; les dernières oogonies se détachent sans évoluer en ovu- les ; la cellule axiale est pleine de spermatozoïdes, et elle renferme encore une dernière spermatogonie. Tous ces éléments sont alors comme frappés de mort, ils dégénèrent et ils sont résorbés. Contrairement à la supposition de Wairman, admise par Harr- MANN, les infusorigènes ne donnent point naissance nr ertremis à des germes agames producteurs de nématogènes. VI. — LE RHOMBROGEÈENE DU DICYEMA TRUNCATUM. L'étude du rhombogène du Dicyema truncatum de la Seiche m'a montré des phénomènes identiques à ceux que j'ai observés chez le Dicyema typus du Poulpe ; je me contenterai d'un bref exposé qui pourra servir en même temps de résumé au chapitre précédent. Dans les nématogènes primaires qui passent au stade de rhombogène secondaire, l’on voit, outre de nombreux germes agames qui dégénèreront tous tôt où tard, des germes qui gros- sissent et qui évolueront en infusorigènes ; l'on remarque par- fois encore la présence d’un embryon vermiforme attardé destiné à devenir un rhombogène primaire (fig. 40). 370 A. LAMEERE Dans le rhombogène, les cellules périphériques se chargent de corpuscules que nous considérons comme étant de nature tro- phique ; les deux cellules granuleuses terminales du tronc, si caractéristiques du Dicyema truncatum, se remplissent de mas- ses très colorables par les réactifs, faisant l'effet de plaquettes vitellines, et prenant souvent des dispositions bizares qui font croire à des éléments chromatiques. C’est seulement dans les très grands rhombogènes, chez le Dicyema truncatum, que les cellules périphériques du tronc contiennent plusieurs noyaux, conséquence probable d'une division directe du noyau principal. Fig. 40. — Dicyema truncatum, partie d'une cellule axiale de rhombogène avec une cellule mère d'infusorigène el un embryon vermiforme. — G. : 600. La cellule axiale peut renfermer plus d'un noyau végétatif, à la suite d’une multiplication de même nature. Chaque rhombogène renferme, suivant sa taille, de un à trois infusorigènes, dont la cellule mère se divise en deux cellules inégales, une petite cellule mère de tous les ovules, une grande cellule mâle. Après que la cellule femelle s’est divisée en deux, la cellule mâle donne une petite et une grande cellules. La petite cellule, qui est la première spermatogonie, pénètre dans la grande, laquelle devient la cellule axiale folliculeuse de l'infusorigène. Les deux premières oogonies s’écartent l’une de l’autre pour venir occuper les deux extrémités d'an axe transversal situé dans la direction de l'axe longitudinal du rhombogène ; l'une d'elles se divise avant l’autre. Ainsi se trouvent constitués deux centres de prolifération des éléments femelles : de bonne heure des 00g0- nies évoluent en ovules, mais il en subsiste toujours un petit nombre jusqu'à la fin de l'existence du rhombogène pour ali- menter au fur et à mesure l’oogénèse. Les ovules, dans leur période de croissance, s'appliquent contre la cellule axiale de l’infusorigène : leur développement étant CONTRIBUTIONS À LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 371 terminé, un spermatozoïde passe directement du follicule dans l'ovule qui se détache et expulse les deux globules polaires ; l'œuf fécondé se segmente pour donner un infusoriforme. Dans la cellule folliculeuse axiale, se voient tous les stades de la spermatogénèse. La première spermatogonie donne immé- diatement deux cellules dont l’une se divisera pour former des spermatocytes de premier crdre qui sans retard fourniront des spermatozoïdes. La spermatogénèse continue ainsi au fur et à mesure, le follicule conservant toujours au moins une sperma- togonie de réserve. Fig. 41. — Dicyema truncatum, partie d’une cellule axiale de rhombogène avec un embryon d'infusorigène normal et un embryon d'infusorigène en dégénérescence. — G. : 600. L'infusorigène grandit ; quand il est arrivé à son maximum de développement, l’on aperçoit dans la cellule axiale, échelonnées du centre à la périphérie, les diverses étapes de la spermatogé- nèse, de nombreux spermatozoïdes étant à la surface sous la couche des ovules périphériques. Les spermatozoïdes, qui sem- blent dépourvus de queue, ont la même structure que ceux du Dicyema typus. L'infusorigène ne produit jamais de germes agames. Dans une Seiche, j'ai observé une dégénérescence de l'infuso- rigène qui présente un certain intérêt. Dans la figure 41, l’on voit dans la cellule axiale d'un rhombogène du icyema truncatum un embryon d’infuscrigène normal, et en face de lui se trouve un autre embryon qui présente un aspect inusité. La cellule femelle s'est divisée en un bon nombre de petites cellules dont le noyau est en chromatolyse. Cet infusorigène est frappé de mort, proba- blement à cause de sa trop grande proximité avec l'autre. Par- fois le foisonnement des petites cellules est tel que la cellule axiale est-entourée complètement par ces éléments, de sorte que l'embryon prend un faux air d'embryon vermiforme. Ce fait est peut être une preuve de plus que l'infusorigène est bien, comme 372 A. LAMEERE l'a avancé le premier Warrman, un individu OR Ph OIMENTHErEE comparable à un nématogène. NII. — LE RHOMBOGÈNE DU MICROCYEMA VESPA. A. Nématogène primaire. — [Jans la première partie de ce travail nous avons montré que le nématogène fondateur de l'Hétérocyémide de la Seiche peut donner naissance à deux sor- tes d'embryons ciliés ; le plus souvent il produit des embryons arrondis à cellule axiale sphérique qui deviennent des némato- gènes primaires ; parfois il donne directement des embryons de Wacexer, en forme de bilboquet et à cellule axiale allongée. Nous avions constaté que le nématogène primaire engendre dans les très petites Seiches des embryons arrondis et dans les Seiches plus grandes des embryons en bilboquet. J'avais pensé que l'embryon de Wacexer était le rhombogène du Microcyema vespa, mais les matériaux beaucoup plus nom- breux que j'ai pu recueillir à Roscoff en 1916 m'ont permis de voir que cet embryon en bilboquet se transforme aussi en néma- togène primaire et produit de nouveaux embryons de WaGener ; c'est ce qu'avait supposé avec raison Ed. van BENEDEN. Le nématogène primaire peut donc procéder de deux types d'embryons, et il peut aussi, comme le nématogène fondateur, donner naissance aux embryons des deux catégories, Entre ces deux formes d’embryons, il n’y a que des différences relatives : l'embryon arrondi représente simplement un stade moins évolué de l'embryon en bilboquet ; c'est une forme nais- sant hàâtivement et adaptée à la mulüplication du parasite dans les Seiches très jeunes dont les reins, non encore encombrés de Dicyémides, ont une surface peu anfractueuse ; plus tard, quand les sacs rénaux de la Seiche seront devenus plus vastes, que les Dicyémides, surtout le Dicyema lruncatum, Y pulluleront, que la paroi des reins offrira des anfractuosités plus profondes, l'embryon prend une structure plus en rapport avec les difficul- tés qu'il rencontre pour trouver une place à la surface de lépi- thélium. L'embryon de Wacener, que j'ai pu observer sur le vivant, est fortement haptotropique; la toufle de cils raides qui termine CONTRIBUTIONS À LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 373 son extrémité antérieure butte contre tous les objets que l'or- ganisme rencontre et tend à s'y enfoncer par le mouvement de progression dû aux cils vibratiles des quatre grandes cellu- les périphériques. L'épithélium rénal vient-il à être touché, la pénétration de la touffe céphalique a lieu et l'Hétérocyémide est désormais fixé. J'ai constaté parfois l'entrée de l'embryon dans l'une des cellules granuleuses terminales du nématogène pri- maire du Dicyema truncatum, et naturellement alors il ne se développe pas. (@) 26 ©/ 8 \co C®) Gi | OT Fig. 42. — Microcyema vespa, lransformation de l'embryon de WAGENER en némalogène primaire. — G. : 1000. L'embryon en bilboquet se transforme en nématogène pri- maire en subissant des modifications absolument comparablés à celles que nous avons décrites pour l'embryon arrondi; sa tête se moule à la surface du rein en se gonflant ; la cellule axiale est poussée dans la tête, et elle s’arrondit avant de se déformer (fig. 42). L'organisme, perdant ses cils vibratiles, prend l'aspect d’un tube enveloppé d'un plasmode à.dix noyaux ; le tube peut se bifurquer avec la cellule axiale, en s'insinuant dans les anfrac- tuosités du rein, et il prend parfois un aspect aussi fantastique que celui du nématogène fondateur. La taille de ce nématogène primaire varie beaucoup; elle est en général plus grande que celle des nématogènes primaires issus de l'embryon arrondi, ou des nématogènes fondateurs. Les germes de la cellule axiale ne produisent jamais d'embryons arrondis, mais bien de nouveaux embryons en bilboquet, et ceux-ci varient de taille avec celle du progéniteur. 374 A. LAMEERE B. Rhombogène. — |e nématogène primaire transformé en rhombogène n'offre jamais une multiplication ni des noyaux périphériques ni du noyau végétalif de la cellule axiale. La couche plasmodique périphérique ne semble pas se remplir de corpuseules alimentaires de réserve, vraisemblablement parce que l'organisme se trouve dans des conditions différentes de cel- les des Dicyema. Ceux-ci ont en effet le corps baignant dans l'urine du Céphalopode, et ils ne peuvent se nourrir que par la tête ; l'Hétérocyémide au contraire, logé dans une anfractuosité Fig. 43. — Microcyema vespa, cellule axiale d'un rhombogène secondaire. — G. : 1000. du rein, esten contact avec l’épithélium rénal par presque toute sa surface, ce qui a pour conséquence que dans les frottis on trouve presque toujours les cellules axiales du Microcyema dénudées. Les noyaux périphériques et le noyau végétatif de la cellule axiale sont cependant dans le rhombogène du Microcyema vespa exceptionnellement grands, par rapport à ce qu'ils sont dans le nématogène primaire; si le noyau de la cellule axiale ne se fragmente pas, c’est probablement parce que le corps ne prend pas la forme d’un tube très allongé comme chez les Dicyema, et qu'un noyau unique volumineux suffit pour exercer son action sur toutle contenu de la cellule axiale. Dans cette cellule axiale (fig. 43), l’on observe, comme dans les rhombogènes secondaires des Dicyema,des germes de deux sortes. CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 379 Il y à, suivant la taille de l’organisme, un nombre plus ou moins grand de cellules germes qui conservent les dimensions ordinaires de celles que contiennent les nématogènes primaires. Ces cellules dégénèrent et montrent les mêmes phénomènes bizarres dont nous avons parlé à propos des Dicyema, et qui nous ont fait croire à tort quil s'agissait de mâles : émission par le noyau de chromidies végélatives qui sont parfois expulsées dans la cel- lule axiale et qui s'entourent dans le sarcode de vacuoles faisant | Fig. 4%. — Microcyema vespa, rhombogène primaire, fixé à l’épithélium rénal, montrant quatre cellules mères d'infusorigènes et quatre noyaux périphériques. — G. : 1000. l'effet de minuscules noyaux accessoires :; ensuite chromatolyse du noyau est effacement progressif de toute la cellule. Les autres germes ont pris une taille relativement énorme ; ce sont des cellules mères d’infusorigènes ; quand celles-ci ont ter- miné leur croissance, leur volume est presque double de celui des ovules. On en rencontre de une à huit, suivant la grandeur du rhombogène, mais il est douteux que toutes se développent en infusorigènes. Ces grosses cellules, en grandissant, passent par des modifi- cations qui rappellent les phénomènes qu'offrent les petites cel- lules qui dégénèrent; leur sarcode montre aussi des chromidies végétatives et une ou deux grandes vacuoles, mais la croissance terminée, le sarcode devient homogène, elil est alors plus colo- 376 A. LAMEERE rable que dans une cellule germe ordinaire. Le noyau a pris un aspect caractéristique qui ne permet pas de le confondre avec celui des ovules : très volumineux, il présente, à la périphérie, un gros grain chromatique, et près du centre un nucléole plasti- nien plus gros encore. Cette disjonction des deux éléments nucléaires ne s'observe pas dans les cellules mères d'infusori- gènes chez les Dicyema. Outre les rhombogènes secondaires que nous venons de décrire, l'on rencontre dans les préparations, et plus fréquem- ment encore, des rhombogènes (fig. 44) dont la cellule axiale Fig. 45. — Microcyema vespa, lransformation de l'embryon de WAGExER en rhombogène. — G. : 1000. ne renferme qu'une, deux, trois ou quatre cellules mères d’infu- sorivènes, sans germes ordinaires en dégénérescence. Ce sont des rhombogènes primaires, dérivant de l'embryon en bilboquet, et n'ayant jamais fonctionné comme nématogènes. L'on con- state en effet que l'embryon de Wacexer peut se transformer directement en un rhombogène, en montrant de bonne heure un développement inusité des noyaux du plasmode périphérique et de la cellule axiale (fig. 45). J'ai encore trouvé des individus qui sont des rhombogènes, car leur cellule axiale renferme déjà des cellules mères d'in- fusorigènes, mais où celle-ci présente encore uu, deux ou CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 311 même trois embryons en bilboquet attardés, souvenir du temps où l'organisme fonctionnait comme nématogène primaire (fig. 46). Chez le Microcyema vespa, comme chez les Dicyema, le néma- togène primaire se transforme donc en rhombogène secondaire, etil peut y avoir aussi des rhombogènes primaires dérivant directement de l'embryon ; nous avons vu plus haut que ces phénomènes ne se présentent à Roscoff qu'en juillet et en août. Fig. 46. — Microcyema vespa, cellules axiales de rhombogènes avec cellules mères d'infusorigènes et embryons de WAGEeNER. — G. : 1000. C. Infusorigène. — Il est probable que l'accroissement des cellules mères d'infusorigènes chez le Microcyema vespa doit se faire lentement, et que cette évolution une fois terminée, ces cellules persistent dans cet état pendant longtemps, car J'ai vu dans mes préparations un nombre relativement considérable de rhombogènes renfermant de ces éléments, alors que je nai observé que rarement les stades ultérieurs. Ces énormes cellules donnent bien cependant naissance aux infusorigènes ; bien que je n'aie pas rencontré jusqu'ici la divi- sion de la cellule mère, le rnombogène de la figure 47 ne laisse aucun doute à cet égard, car il renferme un embryon d'infusori- gène à trois cellules qui dérive manifestement d'un élément semblable au germe qui en est voisin. Le développement de l'infusorigène est en tout semblable, 378 A. LAMEERE dans les premiers stades, à ce que nous avons vu chez les Dicyema. La cellule mère doit se diviser en deux cel- lules inégales, comme en témoigne le stade _à trois cellules où nous voyons la grande cellule mäle et les deux premières oogo- nies. Nous trouvons ensuite (fig. 48) un stade à quatre cellules, disposées en croix, comme chez les Dicyema,la cellule mère ayant donné une petite cellule, la première spermatogo- nie, et une grande cellule, la cellule axiale. La première spermatogonie pénètre ensuite dans la cellule axiale, pendant que l'une des Fig. 47. —— Microcye- oogonies se divise avant l’autre, ainsi qu'on ma vespa, *hombo- Je voit dans le stade à cinq cellules (fig. 49). gène avec une cel- + PS ms (pe lule mère et un Mais ici nous constatons déjà une diffé- embryon à trois rence d'avec les embryons de l’infusorigène cellules d'infusori- des Dicyema : les deux premières oogonies gènes. — G. : 4000. , , ; , ne se sont pas écartées l’une de lautre, et dans la suite nous constatons que la disposition des oogonies en deux massifs situés aux extrémités d’un axe transversal perpendiculaire à l'axe morphologique de l'infusorigène ne s'établit pas. L'infusorigène n’acquiert pas une symé- trie bilatérale : les oogonies avec les ovules constituent un simple manteau plus ou moins circulaire situé au-dessus de la cellule axiale. La raison de cette différence s'explique si ie > mieror : SAP: ; : rig. 48. — Microcye- l'on réfléchit que chez les Dicyema les infu- ya vespa. infuso- sorigènes sont serrés dans un tube étroit et rigène, stade à qua: qu'ils ne peuvent se développer que dans le a TE sens de la longueur du rhombogène ; dans le Microcyema vespa au contraire, les infusorigènes sont dans un sac plus ou moins spacieux où leur accroissement n’est point géné par les parois (fig. 50). A part cette divergence, les infusorigènes du Microcyema vespa se conduisent exactement comme ceux des Dicyema : de bonne heure des oogonies évoluent en ovules et l'oogénèse se fait au fur et à mesure, des oogonies de réserve se maintenant, sans CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 379 entrer dans leur période de croissance, pendant toute la vie de l'infusorigène ; elles se divisent quand la chute des ovules mûrs Fa MARS < fl TES à TN KES 2 me. AETTRESE x TT GS 6 _ L 4 KT ) æ Ki à Se À 4 ie SE UR w ra 2 Er Sa Sr Ÿ RE SE 27 Fig. 49. — Microcyema vespa, infusorigène, stade à cinq cellules : à gauche, le plan supérieur avec les trois premières oogonies, à droite le plan infé- rieur avec la première spermatogonie pénétrant dans la cellule axiale. — G: : 2000. a fait de la place à la surface de la cellule axiale. C'est en contact avec celle-ci en effet, et principalement à sa périphérie, que les ovules accomplissent leur croissance (fig. 51). Fig. 50. -- Wicrocyema vespa, infusorigène dont la cellule axiale a été acci- ee séparée du massif formé par les oogonies et les ovules. — G. : 2000. La cellule axiale est le siège de la spermatogénèse ; si le Microcyema vespa avait été connu avant les autres Dicyémides, les auteurs ne seraient probablement pas tombés dans l'erreur de croire que des oogonies provenaient du follicule : les sper- matogonies du Microcyema sont en effet plus petites que les 24 380 A: LAMEERE oogonies, de sorte qu'il est difficile de les confondre. En con- Fig. 51. - Microcyema vespa, infusorigène dont la cellule axiale, située en dessous du massif des oogonies et des ovules. a été dessinée à part: à gauche les deux premiers blastomères d'un embryon d’infusoriforme. — G. : 2000. sultant les figures 50, 51 et 52, le lecteur pourra sérier lui- Fig. 52. — Microcyema vespa, cellule axiale d’in- fusorigène montrant, ou- tre le noyau végétatif, une spermaltogonie en division, un spermalo- cyte de 4er ordre, un spermatocyte de 4er or- dre en division, un sper- malocyte de 2° ordre en division, deux sperma- tides encore accolées et quatre spermatozoïdes. — G. : 2000. même toutes les étapes de la sperma- togénèse et se convaincre que celle-ci se fait exactement comme chez les Dicyema. Les spermatozoïdes, qui passent di- rectement de la périphérie de la cellule axiale dans les ovules, sont conformés comme ceux des Dicyema ; l'expulsion des globules polaires commence aussi, après la pénétration du spermatozoïde, déjà avant que l'oocyte de premier ordre ne se soit détaché de l'infusori- gène. J'ai observé les pronuclei, la seg- mentation de l'œuf et le développe- ment embryonnaire qui aboutit à la production d'un infusoriforme (fig. 53). Celui-ci est conformé CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 381 absolument comme celui des Dicyema, mais il est notablement plus petit. L'étude du Microcyema vespa nous amène donc à cette conclu- sion que le groupe des Dicyémides présente tne grande uni- formité. Fig. 53. — Microcyema vespa, rhombogène avec deux infusorigènes (dont l'un est en dessous du noyau végétalif de la cellule axiale), et des infusori- formes à divers stades d'évolution. — G. : 600. VIII. — L'HERMAPHRODISME DES DICYÉMIDES. 1. — Cauicery et Mesnis ayant découvert des Orthonectides hermaphrodites, ont émis l'idée que les infusorigènes des Dicyé- mides produisent peut-être à la fois des ovules et des éléments males ; ils appuyaient évidemment cette hypothèse sur la cons- tatation de la présence dés corpuscules que nous avons reconnu être des spermatozoïdes et que Wuagezer avait déjà considérés comme tels. Ed. van BexepeN avait vu aussi ces spermatozoïdes, mais il les avait pris pour de très jeunes germes d'infusoriformes; il déclare en effet dans son travail fondamental publié en 1876, à une époque où l’on ignorait les faits essentiels de l’oogenèse chez les Animaux, que dans la cellule axiale de l'infusorigèné, 352 A. LAMÉÈERE qu'il appelait le germigène, les germes se multiplient en dimi- nuant graduellement de taille du centre à la surface ; les plus petits éléments devenaient alors les gros germes périphériques producteurs d'infusoriformes. | Wuiruax découvrit que le germigène d'Ed. van BeN&epeN à la valeur d'un individu qu'il nomma infusorigène, qu'il est formé, comme un nématogène, de cellules périphériques et d'une cel- lule axiale : il constata que les cellules périphériques évoluent, en germes d'infusoriformes, mais il ne s’aperçut pas de l'erreur du savant belge, et il admit l'existence d'une seconde catégorie de germes d'infusoriformes, les germes provenant de la cellule axiale. Wagecer ne modifia point ces conceptions, mais il avança l'hypothèse que les germes d'infusoriformes sont des œufs fécon- dés par les corpuscules qui se voient à la surface de la cellule axiale de l'infusorigène ; il admettait cependant que les sperma- tozoïdes, attirés par un chimiotaxisme de linfusorigène, pro- viennent de l'infusoriforme. Ed. vas BENEDEN avait en effet auparavant, dans sa seconde étude sur les Dicyémides, à la suite de la publication du mémoire de Juux sur les Orthonectides, essayé de démontrer que l’infusoriforme est le mâle des Dicyémides. Mon illustre maitre rejetait ainsi une première conception qu'il avait émise dans son travail fondamental, à savoir que l'infuso- riforme propageait l'infection d’un Céphalopode à l'autre : lPinfu- soriforme résiste en effet pendant plusieurs jours à l'eau de mer, j'ai pu le constater moi-même, tandis que les individus vermi- formes s’altèrent au contraire plus ou moins rapidement lors- qu'ils sont soustraits au liquide rénal. Jadis d’ailleurs, Erpz et KôLuker avaient trouvé des infusoriformes de Dicyémides vivant librement dans la mer, et les avaient rencontrés à la surface de divers Animaux marins, notamment d'Oursins. Keppex et Harruanx ont cru prouver que l’infusoriforme est bien le mâle des Dicyémides en figurant des individus dans lesquels on aperçoit des éléments qui ressemblent à des spermatozoïdes. Hartmanx déclare cependant qu'il a cru un moment, comme CauzcenY et Mesniz, à l'hermaphrodisme de l'infusorigène, mais qu'il a abandonné les recherches à faire dans cette voie, 1° parce que l'étude de l’infusorigène est trop difficile ; 2 parce quil n'a CONTRIBUTIONS À LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 383 pas observé dans l'infusorigène du Dicyema macrocephalum Ed. van Bexeoex de la Sepiola Rondeleti Leacn, les corvuseules (en réalité les vrais spermatozoïdes) qu'il a vus dans la cellule axiale des autres Dicyémides et qu'il considère en conséquence comme étant des éléments en voie de dégénérescence ; 3° parce qu'il a découvert ce qu'il croit être des spermatozoïdes dans un unique infusoriforme et que Keerex à observé la même chose. Fig. 54. — Dicyema macrocephalum, infusorigèn-; à droite, œuf fécondé expülsant le {er globule polaire. — G. : 2000. Je m'occuperai de l'infusoriforme plus loin; je me contente pour le moment de dire que j'ai constaté l'hermaphrodisme de l'infusorigène non seulement chez les trois Dicyémides que j'ai étudiés à cet égard en détail dans les chapitres précédents, mais encore, en utilisant des préparations mises très obligeamment à ma disposition par M. CaurzerY, chez le Dicyemennea Eledones de l'Eledone moschata, et précisément aussi chez le Dicyema macrocephalum de la Seprola Rondeleti, où j'ai parfaitement vu les spermatozoïdes dans la cellule axiale de linfusorigène (fig. 54. 2. — Si nous ignorions encore que l'infusorigène des Dicyé- mides n'est pas une femelle, mais un individu hermaphrodite, nous ne pourrions quand même pas croire que l'fusoriforme est un mâle, et parce que nous nous heurterions à des paradoxes 384% A. LAMEERE biologiques, et parce que nous n’en avons aucune preuve réelle. Si l'infusoriforme était le mâle des Dicyémides, il faudrait admettre, comme est obligé de le faire HarTuanx, que ce mâle émigre du Céphalopode où il est né dans les reins d’un autre individu pour aller y féconder des femelles étrangères. L'on cons- tate en effet que l’urne de l'infusoriforme ne contient jamais rien qui ressemble à des spermatozoïdes avant d'avoir quitté son hôte, et l'on fait alors l'hypothèse que les spermatozoïdes se déve- loppent ultérieurement. Mais sil en était ainsi nous devrions trouver nageant dans les reins des Céphalopodes des infusori- formes avec spermatozoïdes dès l'instant où les infusorigènes abandonnent dans le rhombogène leurs premiers œufs ; or, à ce moment, on ne trouve pas du tout d'infusoriformes dans les Céphalopodes, et lorsqu'ils apparaissent, ce sont des infusori- formes qui viennent de naître sur place; jamais d'ailleurs je n'ai constaté dans un infusoriforme des éléments comparables à des spermatozoïdes. Malgré les mœurs grégaires des Céphalopodes, le passage des infusoriformes d’un individu à un autre serait un voyage bien chanceux, et que ne justifierait pas le bénéfice de l’amphimixie, puisqu'il y à tant d'organismes hermaphrodites qui ont renoncé à celle-ci, et dont l'espèce ne semble pas s’en porter plus mal. Si l’infusoriforme était le mâle des Dicyémides, comment expliquer qu'il naît d’un œuf fécondé provenant de la femelle qui elle-même procède d'un germe agame? Schématiquement le mâle féconderait sa mère ! Et comment aurait commencé ce cycle plutôt vicieux ? Harrmanx essaie de parer à cette difficulté de deux manières. Il suppose d'abord que, historiquement, les premiers mâles ont dû naître d'un germe agame. Il cherche ensuite à prouver qu actuellement il enest parfois encore ainsi : il représente en effet quelques rares cas où des embryons d'infu- soriformes ne semblent pas devoir leur origine au procédé ordi- naire, car l’on ne voit pas d'infusorigène dans les Dicyémides considérés, et ces embryons seraient issus, d’après le savant allemand, de germes agames. Mais ce que figure HarTmanx, ce sont des rhombogènes où l’infusorigène a disparu et où se trou- vent encore des infusoriformes attardés, Jamais, pour ma part, je n'ai vu un infusoriforme naître autrement que d’un œuf fécondé issu d'un infusorigène. CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 38b 3. — Après toutes ces hypothèses facilement réfutables, vient la prétendue preuve positive, la présence de corpuscules caudés ressemblant à des spermatozoïdes dans l'infusoriforme, preuve qui à entrainé la conviction de tous les auteurs. Keppex et Harruanx ont figuré des infusoriformes renfermant de soi-disant spermatozoïdes ; HaArTMANN n'en à vu qu'un seul, dans une Seiche, et il le considère comme étant venu de l'exté- rieur. Fig. 55. — Dicyema typus, contenu de l’urne de l’infusoriforme. — G. : 3000. En admettant que ces auteurs ne se soient pas trompés, rien ne prouve que les éléments qu'ils prétendent avoir aperçus dans l'urne soient des spermatozoïdes ; il y a moyen de leur trouver une tout autre signification. - Quand les infusoriformes ont terminé leur évolution dans les rhombogène, ils en sortent et on les voit nager en foule dans le liquide rénal ; leur urne renferme toujours alors quatre masses dans chacune desquelles on distingue, non pas trois noyaux, comme on l'a cru jusqu'iei, mais un noyau végétatif et deux germes (fig. 55). La coloration à l'hématoxyline d'Ehrlich per- met de bien se rendre compte qu'il s’agit de deux petites cellu- les enrobées dans une grande cellule folliculeuse. Le développe- ment de l'infusoriforme montre que chacun de ces follicules pro- vient d'une cellule qui s'est divisée en deux, l’une des cellules filles étant rentrée dans l’autre et ayant subi une bipartition. L'infusoriforme emporte donc dans la mer quatre follicules dont le sort nous est inconnu, Qu'il ne transmette pas l'infection d'un Céphalopode à l'autre, comme l'avait supposé d'abord Ed. van Bexeoex, c'est un fait certain, puisque nous avons vu 386 A. LAMEERE dans la première partie de ce travail que c'est un individu ortho- nectiforme qui amène le parasite dans les reins des Céphalopodes ; comme ce fondateur ne naît jamais dans ceux-ci, il doit provenir d'un premier hôte encore à découvrir. D'autre part, la structure des follicules de linfusoriforme ne nous permet pas de les consi- dérer comme pouvant se développer directement en cette forme initiale. Mais il nous est permis de comparer l’infusoriforme, né d'un œuf fécondé, à la larve qui provient de l'œuf fécondé chez les Orthonectides. Celle-ci transporte dans un hôte de nombreux germes unicellulaires évoluant, comme l'ont montré CauLLery et LaAvaLLéE, en « plasmodes », d’où sortent des Orthonectides adul- tes qui se reproduisent dans la mer. Nous pouvons supposer que l'infusoriforme transporte dans le premier hôte inconnu des Dicyémides des germes d'où procèdent, par l'intermédiaire de « plasmodes », les individus orthonectiformes qui entrent dans les reins des Céphalopodes. Or, en examinant les dessins de CauLrerY, l'on s'aperçoit que ce n'est pas seulement un amas de germes qui se trouve con- tenu dans la larve de l'Orthonectide ; il y a un noyau plus volu- mineux que ceux des germes, noyau signalé d'ailleurs par CauLLERY et LAVALLÉE; ce noyau est très probablement celui d'une cellule végétative qui doit être un follicule renfermant les nombreux germes microscopiques transportés par la larve de TOrthonectide. Ajoutons ceci : ce que tous les auteurs appellent plasmode chez les Orthonectides, est vraisemblablement aussi un follicule, avec noyaux végétatifs et cellules germes. Il semble n'y avoir qu'un follicule dans la larve des Orthonec- tides : il y en a quatre dans l'infusoriforme des Dicyémides, cha- cun d'eux ne renfermant que deux germes à la sortie du Cépha- lopode. Ne serait-il pas étrange que le parasite n'apportât à son hôte qu'un aussi petit nombre de germes, et n'est-il pas légitime de supposer que dans les quatre follicules, pendant le voyage de linfusorigène en mer, les deux germes se multiplient, d'au- tant plus que les cellules qui enveloppent l’urne renferment de nombreux granules qui semblent bien être de nature trophique ? La présence de quatre follicules est déjà un indice que linfusori- forme doit apporter un grand nombre de germes au premier hôte des Dicyémides. CONTRIBUTIONS À LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 287 Dès lors, les soi-disant spermatozoïdes vus par Keprex et par Harrmanx dans un nombre infime d’infusoriformes qui s'étaient probablement égarés dans des Céphalopodes sont peut-être ces germes agames. Qu'ils aient une queue comme des sperma- tozoides, cela ne fait rien, cela laisse supposer simplement qu'ils doivent nager à la sortie de l'infusoriforme. Pour ma part, je n'ai jamais voulu considérer l'infusoriforme comme étant le mâle des Dicyémides, mais je me suis trompé en prenant un moment pour des mâles les germes agames qui dégénèrent dans les rhombogènes. Il n’y a pas de mâles chez les Dicyémides : seuls Cauzzerv et Mesniz étaient dans le vrai en supposant que les infusorigènes sont hermaphrodites. 4. — Nous avons vu qu'au moment où les Céphalopodes entrent dans leur période d'activité sexuelle, les Dicyémides font de même : les cellules germes cessent de se développer en nou- veaux nématogènes agames et uncertain nombre d’entre elles s’ac- croissent et évoluent en infusorigènes hermaphrodites qui ne sor- tent pas du nématogène transformé en rhombogène. Par son développement, l'infusorigène se montre l'équivalent morphologique d'un individu nématogène, car une première bipartition donne une pétite cellule mère de toutes les cellules périphériques, et une grande cellule ; celle-ci se divise aussi en deux éléments inégaux: la petite cellule rentre dans la grande et s'y multiplie, la grande cellule constituant la cellule axiale qui est un follicule. Mais dans l'infusorigène, les cellules périphériques, restent indifférentes, et au lieu d'évoluer en cellules ciliées, elles devien- nent des oogonies; les cellules germes du follicule, au lieu de se développer en embryons vermiformes, deviennent des sper- matogonies. Une autre différence entre l'infusorigène et le nématogène consiste en ce que les cellules périphériques de l'infusorigène ne sont pas, comme dans le nématogène, en nombre limité ; elles continuent à se multiplier et à fournir de nouveaux ovules pen- dant toute la vie rhombogénique. Elles ne forment pas non plus une couche continue autour de la cellule axiale : nous avons vu que dans les tubes allongés des Dicyema, les infusorigènes se placent en travers et les oogonies forment deux massifs, deux pôles de prolifération, qui peuvent se rejoindre; chez le Micro- 388 A. LAMEERE cyema vespa, n'y a qu'un seul massif d'oogonies superposé à la cellule axiale, dont l'une des faces reste découverte ; chez le Dicyemennea Eledones, il y a plusieurs pôles de prolifération des oogonies autour de l'infusorigène (fig. 56). Les ovules subissent leur croissance au contact de la cellule axiale de l'infusorigène en se moulant sur celle-ci, les oogonies étanten général dans la zone externe des éléments périphériques. I semble bien par conséquent que c'est du follicule que les ovu- les reçoivent leur alimentation et que la cellule axiale de l'infu- Fig. 56. — Dicyemennea Eledones, infusorigène. — G.: 1000. sorigène, comme celle d'un nématogène, est nourricière non seu- lement des cellules qu'elle contient, mais encore de celles qui la recouvrent. Nous observons dans la cellule axiale toutes les phases d'une spermatogénèse typique de Métazoaire, procédant du centre à la phériphérie, les spermatogonies étant contre le noyau, les spermatozoïdes se formant à la surface, d'où ils peuvent passer directement dans les ovules mürs, immédiatement avant l’ex- pulsion des globules polaires. Les spermatozoïdes sont de petits corpuscules arrondis, ressem- blant à la tête des spermatozoïdes de Méduses : ils sont dépour- vus de queue, n'ayant pas à nager pour parvenir aux éléments femelles. Nous avons affaire ici au plus strict hermaphrodisme : les spermatozoïdes d'un infusorigène ne fécondent que les ovules provenant du même infusorigène. La fécondation nous apparait done chez les Dicyémides comme CONTRIBUTIONS A LA CONNAISSANCE DES DICYÉMIDES 389 un phénomène qui n’a pas pour résultat de mêler des tendances héréditaires différentes, mais qui permet la segmentation d'une cellule volumineuse chargée de réserves alimentaires pour l'em- bryon. Les germes agames sont ou bien beaucoup plus petits que les ovules, où bien, lorsqu'il s'agit de cellules mères d'infu- sorigènes, presque aussi gros et même encore plus gros, mais dans tous les cas ces cellules ne renferment pas de vitellus, et elles ne se segmentent pas : elles se divisent simplement en deux cellules inégales. L'œuf fécondé évolue en un infusoriforme qui, comme l’infu- sorigène, subit tout son développement, sauf peut-être en ce qui concerne les germes qu'il contient, dans le rhombogène ; mais à l'encontre de l'infusorigène, qui est alimenté par le rhombo- gène. l’infusoriforme n'est point tributaire de ce dernier, puis- qu'il trouve toute sa subsistance dans le vitellus de l'œuf de la segmentation duquel il provient. Malgré les apparences, tout ceci est conforme à ce que pré- sentent les Orthonectides. Rappelons-nous que la partie du cycle évolutif des Dicyémides qui se passe dans les reins des Cépha- lopodes débute par un individu venant de l'extérieur et ayant la structure générale d'un Orthonectide : ce nématogène fonda- teur au lieu de se reproduire sexuellement, par adaptation au parasitisme dans un nouvel hôte, donne de nombreuses géné- rations agames spécialisées jusqu'au moment où, avec l'infuso- rigène, reparait la fécondation. L'infusorigène peut ètre comparé à la génération sexuée ou hermaphrodite des Orthonectides ; or, de même que l'infusorigène, cette génération finale de l'Ortho- nectide nest pas directement parasite de son hôte : elle nait dans un follicule (le « plasmode »), comme l'infusorigène se développe dans le follicule (la cellule axiale) d’un rhombogène. De même encore, la larve de l'Orthonectide n'est point parasite : elle provient d'un œuf fécondé, comme l'infusoriforme, et ces deux organismes vivent de leurs réserves. La seule différence éthologique, mais elle est importante, est que l’infusorigène ne quitte pas son follicule, dans lequel se fait aussi le développement de linfusoriforme, tandis que l'Orthonec- tide va se reproduire dans la mer, et que ses œufs évoluent en larves dans son corps. C'est-à-dire que chez l'Orthonectide le cycle évolutif comprend deux voyages successifs en mer, celui 390 A. LAMEERE de l'adulte et celui de la larve, alors que chez les Dicyémides, le premier voyage a été supprimé, l'infusoriforme seul quittant l'hôte, le liquide rénal n'étant peut-être pas un milieu convenant à l'infusorigène. Celui-ci ne sortant pas du rhombogène, a donc pu subir une simplification de structure, rester embryonnaire, et abandonner ses œufs dans le follicule rnombogénique, substitué à son propre organisme. 5. — Sans vouloir entrer pour le moment dans une discus- sion approfondie sur les affinités des Dicyémides, insistons cependant sur l’erreur que l'on commettrait en voyant dans leur hermaphrodisme un argument pour les rapprocher des Tréma- todes. Outre le fait que l’hermaphrodisme se présente dans les deux groupes morphologiquement avec des caractères très diffé- rents, il est nécessaire de bien se rendre compte que ce n'est point sur les Dicyémides qu'il faut s'appuyer pour découvrir l'origine de la catégorie naturelle qu'ils forment avec les Ortho- nectides, mais bien sur ces derniers. Les Dicyémides nous appa- raissent en effet comme étant très probablement des types très spécialisés d'Orthonectides : or il y a chez ceux-ci des formes sexuées, et comme l'hermaphrodisme, suivant la loi de PELSENEER, est toujours secondaire chez les êtres vivants, c'est à un orga- nisme sexué et vivant librement dans la mer à l’état adulte, que nous devons rattacher tout le groupe. Des faits nouveaux qui ont été consignés jusqu'ici dans ce travail, il en est un qui pourrait jeter vraisemblablement quel- que lumière sur l’ascendance de l’ensemble Orthonectides + Dicyémides. C'est la pénétration dans une cellule folliculeuse d’une cellule germe sœur et le développement d'embryons dans ce follicule. Merscaxixorr a en effet observé dans les Narcomé- duses temporairement parasites des genres Cunina et Cunoctan- (ha que les gonocytes non encore différenciés se divisent en deux cellules : l'une de celles-ci pénètre dans l'autre qui constitue une cellule folliculeuse devenant amiboïde et nourrissant l'em- bryon qui résulte de sa compagne. Il y a peut-être là un argu- ment qui vient s'ajouter à la ressemblance des Orthonectides avec la planula des Coelentérés pour nous faire considérer les prétendus Mésozoaires comme descendant d'Hydrocnidares. E. ROUBA UD LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE chez les HYMÉNOPTÈRES PRÉDATEURS SOMMAIRE INTRODUCTION. 1. LA NON-PRÉCISION ANATOMIQUE DES COUPS D'AIGUILLON.—La Théo- IT. III. IV. rie de Fagre combatlue par les faits. — Expériences de RagauD sur Hel- linus arvensis. Observations anciennes de Marcnaz, FERTON, ADLERZ sur les Ammophiles. Mes observations personnelles sur la multiplicité des coups d’aiguillon chez les Euménides. ACTION. PAR DIFFUSION DU VENIN SUR LES PROIES. SA DEMONS- TRATION EXPÉRIMENTALE. — Expériences de G. et E. Pecxnau sur le Venin de Poliste, de Vespa, de Pélopée. Mes expériences personnelles sur le Venin de Poliste et de Vespa. Expériences d'Et. RaBauD. Exposé d'expériences nouvelles sur le Venin de Bombus lapidarius et d'Apis Mellifica. ACTIONS SIMILAIRES DU VENIN CIIEZ LES PARALYSEURS ET LES NON PARALYSEURS. — Double aspect de l’action du Venin sur les proies : action paralysante et action conservatrice post morlem. Identité d'action du Venin chez les Vespides solitaires paralyseurs et les Vespides sociaux non paralyseurs. L'évolution et la transforma- lion des habitudes paralysantes chez les Vespides sociaux : remplace- ment de l’aiguillon par les mandibules. Ses raisons individualistes. 7 Similitude d'action du Venin des Apides et du Venin des Sphégides. Identité d'origine possible entre les deux groupes. Absence de faits concernant la filiation des habitudes. L’Al APTATION DU VENIN A LA PROIE ET L'EVOLUTION PARALY- SANTE. — Variation dans les propriétés du venin suivant les lypes de Paralyseurs. Variations dans lactivité du venin suivant Îles proies. L'adaplation progressive du venin à la proie et la sélection des affinités des Prédateurs. 392 E. ROUBAUD Introduction Le merveilleux dont les captivants récits de Fagre ont entouré l’histoire des habitudes éducatrices des Guêpes paralysantes a longtemps exercé sur les esprits une séduction telle qu’elle a entravé tout essai de compréhension normale du mécanisme physiologique de ces habitudes et de leur signification réelle. Dominés par la notion artificielle d'une précision anatomique fondamentale relative à l'emploi dé l’aiguillon, d'un art paraly- seur inné au service d'un admirable instinct maternel, dont la sollicitude procure aux larves les proies vivantes immobilisées par les lésions nerveuses nécessaires, les observateurs ont, pen- dant longtemps, négligé d'asseoir leur documentation sur des données biologiques plus rationnelles en contrôlant les faits dans le détail. À l'heure actuelle il n’en est plus ainsi. Les documents ras- semblés depuis une vingtaine d'années par différents auteurs ont fait justice des conceptions merveilleuses de l'illustre obser- vateur des insectes, en ramenant la question sur un terrain plus positif, mais plus solide. J'ai déjà eu l'occasion, dans un Mémoire récent consacré à l'Instinct des Hyménoptères Préda- teurs (°), en partant d'observations faites sur les guêpes afri- caines, d'insister sur l'évolution des idées en cette matière et d'exposer les principaux faits qui permettent d'orienter de manière plus logique la conception de l'instinct chez ces Insectes. Et. Rasaup vient de fournir une intéressante contribution à la question par ses études sur l'Instinet Paralyseur des Hyménop- tères vulnérants et ses notes sur Mellinus arvensis (?). Je vou- drais ici montrer comment ces observations se rattachent au faisceau de faits déjà réunis sur le même sujet par différents auteurs et insister à nouveau sur les données biologiques qui doivent permettre de comprendre, sous son véritable jour, l'évo- lution des Habitudes Paralysantes chez les Hyménoptères Pré- dateurs. “) Recherches biologiques sur les Guépes solilaires et sociales d'Afrique. La genèse de la Vie Sociale et l'Evolution de l'Instinct Maternel chez les Vespides. Ann. Se. Nat. Zool. 10 série, n° 1, 1916. () C. À. Acad. Sciences, t. 165, p. 680, 10 nov. 1917 et Bull. Biol, France et Belgique, Te série, t. LI, 25 nov. 1947. LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 393 Les manifestations essentielles de ces Habitudes sont liées à l'utilisation de la sécrétion venimeuse pour l'attaque et la conser- vation des proies de faible taille. Selon toute apparence cette utilisation, surtout en ce qui concerne les larves, n'a pas été voulue, mais fortuite. Comment s’enchainent les faits, comment l’aiguillon, organe de défense, devient-1il l'instrument merveil- leux qui approvisionnera les larves de proie vivante, comment ensuite son rôle éducateur sera-t-il désappris par les Guêpes sociales, c’est ce que je m'efforcerai de retracer dans les différents chapitres de cette Etude, en restant constamment dans le domaine des observations actuellement acquises. On verra que les faits se relient les uns aux autres de manière suffisamment claire et rationnelle pour que le merveilleux soit désormais exclu de cet enchainement d'habitudes. La science y gagnera, au surplus, grâce à l’oricntation nouvelle imprimée aux recherches. I. — LA NONK-PRÉCISION ANATOMIQUE DES COUPS D'AIGUILLON Il est facile-tout d'abord de réfuter l'ancienne conception de Fasre relative à l'emploi précis de l’aiguillon, contre les centres nerveux des victimes, par les Paralyseurs. Dans son Etude sur l'instinct du Mellinus, Et. RaBaup s’est particulièrement attaché à faire ressortir l'incertitude maitresse des actes de cet Hyÿmé- noptère, et leur conditionnement absolu par les circonstances d'attaque et le mode de présentation de là proie. Analysant de façon minutieuse les agissements de Me/linus arvenses, lorsque cette Guèpe s'efforce de paralyser une Mouche, il constate que les coups d'aiguillon de l'Insecte sont donnés au hasard : le dard pénètre là où il peut, d'une manière plus où moins heu- reuse, et ce sont les mouvements même de la victime qui déci- dent de la répétition ou de la suspension des piqüres. Les mouvements de l'abdomen du paralyseur pour frapper la victime ne s'arrètent point, en effet, après une seule piqüre, mais vs continuent aussi longtemps que la mouche se début. Ainsi, à l’ancienne conception de Fagre qui suppose, dans le déterminisme du coup d’aiguillon, une « précision merveil- leuse », un art infaillible et inné de l'emploi du dard contre les ganglions nerveux, s'alliant à une connaissance anatomique 394 E. ROUBAUD exacte de la localisation de ces derniers, Et. Raraup oppose, avec raison, l'imprécision essentielle du coup d'aiguillon : Le rôle paralyseur souverain est dévolu au venin qui est ins- üllé dans le corps aux points de pénétration du dard et diffuse ensuite rapidement dans toute l’étendue des organes. Cette notion s'ajoute aux observations similaires qui ont été faites sur d’autres Hyménoptères prédateurs. Différents auteurs, Manrcnaz, G. et E. Pecknam, FERTON, Aozerz, etc., ont déjà fait justice de la fameuse « Méthode des Anmmophiles » de Fark, en montrant que chez ces Guêpes il n'existe aucune précision rigoureuse dans le nombre et la loca- lisation des piqüres ; la répétition des coups d'aiguillon de ces paralyseurs est subordonnée aux mouvements de la proie. Si ceux-ci sont abolis après quelques piqüres, l'Ammophile cesse de faire agir son aiguillon et emporte sa provende au nid; mais si l'excitabilité de la proie se montre encore fortement conser- vée, l’insecte recommence les piqüres jusqu'à ce que la paralysie soit complète. Dans le Mémoire que j ai consacré aux Guêpes africaines de la tribu des Euménides, je me suis également attaché à démon- trer que la précision anatomique des coups d’aiguillon n'existait nullement dans ce groupe de Vespides, bien que l'art paralyseur atteigne ici à une perfection au moins aussi grande que chez les Ammophiles, et peut-être même représente le terme le plus élevé qu'aient atteint les Paralyseurs dans cette catégorie de manifestations biologiques. Mes recherches qui ont porté, non pas sur ‘une espèce unique, mais sur une dizaine d'espèces appartenant à des genres divers, fournissent à la question un document solide. Or, le relevé des traces laissées par les coups d'aiguillon sur le corps des chenilles paralysées recueillies dans les nids de ces guëpes, témoigne manifestement, comme on peut s’en rendre compte par l'examen des figures données, que les piqûres paralysantes sont portées par les guèpes en nombre extrèmement variable et sans localisation anatomique définie. La dissection montre, d'après l'emplacement des piqüres, que les ganglions ne sont pour ainsi dire jamais atteints directement par le dard, qui ne les vise pas spécialement d'ailleurs. En me basant sur les vestiges extérieurs des piqüres, et reconstituant d'après ces seules données, par la pensée, le mode d'attaque LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 395 ., des guêpes auquel je n'ai point directement assisté, j'ai pu écrire que « suivant le mode de résistance de la chenille, sa tendance plus ou moins grande à l'enroulement, les coups d'aiquillon sont portés au hasard, jusqu'à ce que la proie ne se défende plus. » C'est exactement la conclusion à laquelle, d'autre part, arrive Et. Ragaun, par l'étude à l’état vivant du comportement du Mellinus lorsqu'il cherche à paralyser une mouche : « /es coups d'aiguillon continuent aussi longtemps que la mouche se débat ». On remarquera la coïncidence des résultats. D'après cet ensemble de faits, il est clair que l’ancienne con- ception merveilleuse de Fagre ne résiste pas à la discussion. La précision des coups d'aiguillon, par rapport aux centres nerveux, n'est guère manileste que chez des types à système ganglion- naire condensé (araignées, mouches, etc.). Aussi bien n'est-ce là qu'un phénomène secondaire dans l’action paralysante. Le fait capital c'est l'instillation du venin dans le corps. C'est le venin qui doit avoir le premier rôle, dès l'instant où la lésion directe des centres n'est plus réalisable. Examinons maintenant comment l'expérience démontre en effet l’action paralysante du venin par diffusion et son rôle mani- feste dans l’immobilisation des proies recueillies par les Préda- teurs. II. — ACTION, PAR DIFFUSION. DU VENIN SUR LES PROIES. Sa démonstration expérimentale Dans l'idée de Fagre, l'immobilisation des victimes par Îles Hyménoptères paralyseurs suppose, comme on le sait, la piqûre directe des ganglions et par suite, avant tout, la lésion trauma- tique de la substance nerveuse : En tous points où le dard pénè- tre V'anatomie révèle l'existence d'un ganglion ». La part laissée, dans ces conditions, à l'action neurotoxique du venin agissant après instillation en un point quelconque du corps, par diffusion générale, n'est même pas soupconnée. A l'heure actuelle, cette manière de voir ne saurait plus survivre et différents auteurs en ont fait également justice. Il résulte en effet très clairement déjà, des observations rappe- ‘ 25 396 E. ROUBAUD lées plus haut de Marcuar, v'Aozerz, de FERToN sur les Ammo- philes, que l'immobilisation des proies par ces Paralyseurs est obtenue essentiellement par l'instillation du venin dans le corps et sa diffusion jusqu'aux cèntres nerveux, et nullement par la piqûre directe de ces centres. Mais ce sont surtout les Peckuam qui, à la suite de leurs longues et patientes observations portant sur 45 nids de guèpes fouisseuses, ont développé cette idée si rationnelle et l'ont les premiers soumise au contrôle expéri- mental. Ces auteurs américains se sont proposé de déterminer quelle est l’action du venin des guëpes lorsqu'il est injecté dans diffé- rentes parties du corps de victimes diverses. Ils ont tout d'abord expérimenté quelle pouvait être cette action, lorsque le venin est instillé très loin du système nerveux central. Une écrevisse piquée à la base de la première paire de pattes ambulatoires par un Poliste (P. fusca) s’est montrée presque immédiatement atteinte dans ses mouvements et en partie paralysée. Elle est morte au bout de trois heures. Mêmes résultats avec le venin d’un Pélopée (P. cementarius). L'expérience a été répétée plu- sieurs fois dans les mêmes conditions. Une grosse araignée (Epeira strix) atteinte au fémur de la seconde paire de pattes par l'aiguillon d'une guêpe, reste inca- pable de se mouvoir de 9 heures du matin à 5 heures de l'après: midi, puis elle recommence à se déplacer avec quelques difii- cultés. Le lendemain la paralysie est plus accusée ; la mort sur- vient le troisième jour, mais, le huitième jour, malgré une tem- pérature extérieure élevée, l'araïgnée reste encore fraiche et en parfait état de conservation. Une autre araignée, Æ. labyrinthica, piquée par Polistes fusca daas la partie dorsale moyenne de l'abdomen, reste complète- ment paralysée jusqu’au jour suivant où elle meurt. Huit jours plus tard le corps de l’araignée montre encore une bonne con- servation ; les pattes ont conservé leur flexibilité. Une troisième araignée Marptusa familiaris est piquée aux filières par Polistes cementarius. L'araignée est immédiatement paralysée mais au bout de 5 minutes elle recouvre légérement sa motilité. Une nouvelle piqüre lui redonne une paralysie défi- nitive qui aboutit après trente minutes à la mort. Une expérience très nette a été également effectuée avec une LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 397 chenille par les Peckaam. La chenille ayant été piquée au dernier segment du corps par une Vespa maculata, action paralysante s’est manifestée immédiatement dans cette région, mais n'a pas tardé à envahir également la partie antérieure. La paralysie, totale le lendemain, s'est conservée jusqu'au quatrième jour. Comme le font remarquer les auteurs, il résulte indiscutable- ment de ces expériences que la paralysie et la mort des proies sont dues à la diffusion générale du venin agissant sur l’ensem- ble du système nerveux, et non pas à une lésion directe des ganglions. Une autre constatation non moins importante est également mise en évidence : c'est la bonne conservation pro- longée des proies tuées par le venin. La chenille mise en expé- rience s'est conservée fraiche au moins pendant trois jours. Les nombreuses araignées utilisées se sont conservées en parfait état, en moyenne pendant dix à douze jours, comme on l’observe dans les nids naturels. C’est là une donnée d’un incontestable intérêt et sur laquelle je reviendrai plus loin. A l'exemple de G.et E. Pecknam, j'ai réalisé des expériences analogues avec des Polistes et des Vespa. Le résultat de ces expé- riences confirme entièrement celui des auteurs américains: il a été déjà sommairement exposé dans mon Mémoire sur les guêpes africaines (V. p. 70 et 106, en note), Mémoire dans lequel j'ai longuement développé d'autre part le rôle joué par le Venin dans l’Evolution paralysante, tant dans le groupe primitif des Sphégides, que dans le groupe plus évolué des Vespides, en me basant sur ces faits. Les observations d’'Et. Rapaun sur le Me/linus et ses expé- riences récentes sur le rôle paralyseur du venin, chez différents types d’Hyménoptères vulnérants, sont venues s'ajouter à cet ensemble de données expérimentales. Elles se superposent entièrement à leurs résultats. Cet auteur démontre, comme les Peckham et comme moi-même, que le venin des Pompiles ou des Vespa exerce une action paralysante manifeste alors qu'il est instillé en un point quelconque du corps, même très loin des centres nerveux. Il n'y à d'autre part aucune spécificité entre le paralyseur et la victime : le venin de Pompile para- lyse bien les Gryllidés, celui des Vespa les chenilles et les araignées, etc. Pendant le courant de l'été 1916, à la suite de mes premières 398 E. ROUBAUD expériences sur le venin de Vespa et celui des Polistes, j'ai effectué également quelques recherches sur l’action du venin des Mellifères. Bien que ces expériences n'aient pu être encore poursuivies d’une façon aussi détaillée et systématique que je me l’étais proposé, je crois utile de les rapporter ici parce qu’il est possible d'en dégager dès à présent des données instructives, au point de vue qui nous occupe. Je relaterai également avec quelque détail le résultat de mes expériences sur le venin de Poliste et de Vespa. | RE Expériences portant sur « Vespa germanica » J'ai fait piquer, à différentes reprises, des chenilles de Géomé- trides (arpenteuses) et de Tortricidines, ainsi que des larves de Tenthrédines, par deux Vespa germanica. L'aiguillon à porté sur des points quelconques du corps, en dehors où au niveau de la chaine ganglionnaire. Les larves de Tenthrèdes se sont montrées cons/amment réfractaires à Taction même temporaire du venin, malgré la répétition des piqüres et la pénétration extrèmement facile de l'aiguillon dans le corps de ces larves. Quelques larves ont, tout au plus, manifesté une flaccidité légère, par suite des pertes de liquide cavitaire qu'elles ont subies du fait des piqüres. Sur les chenilles, l'action du venin s'est montrée incertaine. Paralysie nette mais temporaire chez une chenille de Tortricidine. Après 3 ou À heures la paralysie a complètement disparu. Deux autres chenilles du même groupe, mais d'espèces différentes, ont égale- ment marqué une paralysie sensible, quoique très imparfaite, accusée surtout par des difficultés dans le déplacement ; ces che- nilles sont mortes deux jours après. Les autres chenilles n'ont pas réagi de façon appréciable. Quoi- que atteintes à différentes reprises par l’aiguillon elles ont con- servé toute leur vitalité. IL. — Expériences portant sur « Polistes qallicus » a. — Une chenille de Cal/ymnia trapezina L. (Noctuelle du chêne), reçoit d'un Polistes gallicus deux piqüres, l’une à la LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 399 région céphalique (côté droit de la tête à-la face inférieure), l'autre à la région caudale, ventralement, entre les deux fausses pattes de la dernière paire. Aussitôt après les piqûres la chenille montre une mobilité encore parfaite et ne parait pas sensiblement influencée par le venin ; mais un quart d'heure plus tard on note une gène réelle dans la progression. Une heure et demie après les piqüres la paralysie est devenue totale : la chenille se montre incapable de mouvements spon- tanés ; elle est inerte, quoique réagissant faiblement aux excita- tions ; elle offre ainsi tout à fait l'apparence des proies bien para- lysées qu'on recueille dans les nids des Euménides où des Ammophiles. Cinq heures après, la région cépalique prend, dans le voisinage de la piqüre, c'est-à-dire vers la partie droite de la tête, une coloration noirâtre. La région caudale seule réagit nettement aux excitations. Quarante-huit heures plus tard Îles mouvements du cœur sont encore très nettement perceptibles dans toute la partie moyenne du corps; l'avant est entièrement paralysé et ne réagit plus aux excitations, l'arrière y répond encore faiblement. A la fin du troisième jour les mouvements du cœur ne se manifestent plus et la chenille peut être considérée comme morte. b. — Le mème Poliste qui a déterminé la paralysie complète de la chenille précédente, pique le même jour et le lendemain, à une dizaine de reprises différentes, une autre chenille de Noc- tuelle vivant également sur le chêne, Hoporina croceago K. (1). La chenille est atteinte dans toutes les régions du corps, ventra- lement et dorsalement. Elle ne réagit point aux piqûres. Bien que criblée de coups d'aiguillon dont la trace reste visible sous l'as- pect de macules noirâtres, elle conserve toute sa motilité et ne paraît nullement gènée dans ses déplacements. Elle perd seule- ment un peu de sa vivacité première et devient plus molle, par suite de la disparition d'une partie de son liquide cavitaire. Mais à tout moment elle reste apte à la défense et s'agite violemment en tous sens à la moindre excitation. Elle doit être considérée comme réfractaire à l'action du venin de Pohstes qallicus. (t) Je dois l'identification des deux chenilles de Noctuelles ayant servi à l'expé- rience, à l’obligeante érudition de M. P. Chrétien. 400 E. ROUBAUD IT. — Expériences portant sur le venin des Mellifères (Bombus et Ans) EL — 4. — Une chenille de Liparis recoit d’un Bombus lapi- darius, une piqûre ventrale unique, vers la partie moyenne du corps. Mort instantanée. La chenille s'immobilise immédia- tement, se raidit et meurt en extension. Très rapidement le corps se gonfle au niveau de la piqüre, et bientôt la chenille tout entière apparaît comme soufflée. Dès le lendemain elle se montre entièrement décomposée. B. — Une deuxième chenille (chenille de PAycitina) recoit du même Bombus une seule piqüre dorsale, dans la région moyenne du corps. La chenille se paralyse très rapidement mais reste vivante. Une heure et demie plus tard la région piquée a pris une coloration noiràtre. La chenille réagit encore aux excitations, quoique très fortement paralysée. Cinq heures plus tard la teinte noire à totalement envahi le corps de la chenille qui ne réagit plus aux excitations et paraît décomposée. C. — Quatre larves de Tenthrèdes piquées par l’aiguillon du même bourdon récemment tué ne réagissent pas. II. --- À. — Une larve de Syrphide (Dipt.) reçoit dorsalement et dans le milieu du corps une piqüre d'abeille domestique. Mort sub-immédiate. B. — 4 mouches à viande (Calliphora vomiloria) recoivent chacune une seule piqüre d'abeille à la face postéro-ventrale du thorax. Paralysie totale sub-immédiate ou dans un temps variant de quelques minutes à une demi-heure, suivant la pro- . fondeur atteinte par l'aiguillon. Deux heures 1/2 plus tard, trois des mouches ne réagissent plus aux excitations, la quatrième manifeste encore mais exclu- sivement delégers mouvements antennaires. Vingt-quatre heures plus tard aucun mouvement n’est plus perceptible, mais les mouches ont conservé encore la parfaite apparence de la vie : couleur fraiche des globes oculaires, élasticité des membres. Ce n’est guère qu'à partir de quarante-huit heures qu'on peut suspecter la mort, d'après la coloration plus foncée prise par les globes oculaires. Les mouches mortes se conservent pendant au moins huit jours sans modifications appréciables. LE .VENIN ET L’ÉVOLUTION PARALYSANTE 401 C. — Une Blatte (Periplaneta orientalis) est atteinte ventrale- ment à l'articulation de la hanche moyenne droite, par l’aiguillon d'une abeille domestique. Presque immédiatement on note de la paralysie des pattes moyennes; puis l’action du venin se géné- ralise rapidement. Deux heures et demie après la piqüre, l’insecte git sur le dos, incapable de se mouvoir. Il ne réagit plus aux exci- tations que par de légers mouvements de l'extrémité des palpes, des antennes et des tarses postérieurs. 24 heures plus tard les mouvements de l'extrémité des palpes sont seuls conservés. Ils disparaissent le deuxième jour mais il est difficile d'affirmer la mort avant plusieurs jours, étant donné l'aspect de fraicheur de la victime, qui peut être conservée pendant plus d’une semaine sans altérations manifestes. D. — Un Tenthrède G adulte est piqué à l'abdomen par une abeille. Deux heures plus tard on note seulement un début de paralysie des pattes postérieures. Après 24 heures les trois paires de pattes sont assez fortement paralysées et l'insecte git sur le dos, mais 1} réagit encore très fortement aux excitations. La mort à lieu le deuxième jour sans qu'on ait observé de paralysie complète. E. — Une chenille du Papillon de la farine (Ephestia Kueh- niella) reçoit une piqûre d'abeille à la région moyenne dorsale. Paralysie immédiate et mort en dix minutes. Coloration noi- rätre à l'endroit de la piqüre qui s'étend rapidement à tout le corps. La chenille ne se conserve pas. ITI. — ACTIONS SIMILAIRES DU VENIN CHEZ LES PARALYSEURS ET LES NON-PARALYSEURS Laissant de côté, pour le suivant chapitre, les cas d'inactivité du venin, nous envisagerons ici les caractères positifs du venin sur les proies. Ces expériences concordent toutes pour établir d'abord, d'une manière indiscutable, le rôle paralyseur du venin par diffusion. L'hypothèse d'une précision anatomique merveilleuse de l'ai- guillon chez les Paralyseurs, n'est donc pas nécessaire pour expli- quer les faits. L'utilisation de la sécrétion venimeuse pour l'im- mobilisation des proies, chez ces Hyménoptères, ne doit plus 402 E. ROUBAUD apparaître que comme un cas particulier d'un phénomène biolo- gique très fréquent dans la série zoologique. Pour s’en tenir simplement au groupe des Arthropodes, c'est par un mécanisme tout à fait analogue que les Scorpions paraly- sent instantanément les mouches et les araignées dont ils se nourrissent. Les recherches de Joveux-Larruie ont depuis longtemps établi la sensibilité de ces proies à l’action paralysante du venin de ces Arachnides. Le venin des Scolopendres, comme l'a montré Brior en 190%, agit de mème sur les araignées, les scutigères, les carabes, ete... Une araignée venimeuse, le Latrodectus mactans, étudiée récemment au Pérou par Escouez ('), fait usage de son venin pour capturer les Ténébrionides, les Acridiens et autres insectes qu'elle enfouit ensuite dans son nid, se constituant ainsi des réserves de nourriture très comparables aux approvisionnements des Hyménoptères Paralyseurs. L'action utile du venin de ces Hyÿménoptères, telle qu'elle ressort des expériences des Pécruau et des miennes, se présente sous un double aspect : d’une part l’action conservatrice #7 vivo, par para- lysie totale dépendant de propriétés neurotoxiques ; d'autre part, l'action conservatrice pos! morlem qui prévient une décompo- sition rapide des proies après leur mort et leur conserve pen- dant un temps prolongé l’aspect de vie. * Cette dernière action conservatrice, qui représente certaine- ment la forme la plus simple et la plus générale de l’action du venin sur les proiés emmagasinées par les Prédateurs, permet de comprendre les origines de l'utilisation de ces proies pour l'éducation des larves. Aussi, bien que ce rôle ait jusqu'ici passé pour ainsi dire inaperçu, en regard du rôle paralyseur lui- même, me parait-il important d y insister ici. Cette action conservatrice, ou mieux préservatrice, peut se comprendre très simplement comme relevant d'une action bac- téricide due à la présence de l'acide formique sécrété par les glandes acides. Peut-être est-elle de nature plus complexe : une étude plus approfondie s imposerait ici. Quoi qu'il en soit, le fait important à retenir au point de vue immédiat, c'est que cer- taines des proies tuées par le venin de Poliste, de Vespa, de (t) New Orléans, Méd. Surg. Journ., t. T0, n° 6 déc. 1MT, p. 533, LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 403 Pélopée, dans les expériences des Pecknam, par le venin d'abeille dans les miennes, ont manifesté pendant plusieurs jours un remarquable aspect de fraicheur, et que le même aspect peut être noté pour la plupart des proies non paralysées mais tuées qu'on recueille dans les nids des prédateurs. | Dans d’autres cas, au contraire, l’action du venin est trop brutale. Les tissus subissent une aclion cytolytique intense, se réduisent en une bouillie liquide et la proie ne se conserve pas. Ainsi en a-t-il été, dans mes expériences, pour les chenilles et les larves molles piquées par les abeilles ou les bourdons. Dans ce cas le venin n'exerce aucune action favorable pour la conser- vation : les proies ne sont pas utilisables. Enfin, un fait non moins important me parait encore pouvoir être dégagé dès maintenant de cet ensemble d'expériences, c’est que, le venin des Hyménoptères non paralyseurs agit sur les proies de façon tout à fait analogue à celui des Hyménoptères qui paralysent. Aussi bien au point de vue de l’action conserva- trice ou paralysante, qu'au point de vue de sa rapidité de diffu- sion, le venin des Hyménoptères qui n'utilisent jamais leur aiguillon pour capturer des proies se comporte de la même manière que celui des Prédateurs qui l'utilisent à cet effet. Cette constatation montre que les propriétés paralysantes du venin des Paralyseurs sont des propriétés tout à fait générales dans le groupe des Porte-aiguillons, quel que soit le genre de vie. Les habitudes éducatrices particulières des Paralyseurs, ne dérivent donc pas de propriétés spéciales de leur venin. Mais on peut aller plus loin encore et déduire de ces faits quelques conclusions plus générales, en ce qui concerne la filiation des instincts éducateurs, et affirmer ainsi la nature primitive des pro- cédés paralyseurs chez les Hyménoptères aculéés. Les expériences réalisées par les Pecknam avec Polistes fusca, P. cementarius, Vespa maculata, les miennes avec P. gallicus, Vespa germanica, celles de Et. Raraub avec Vespa vulgaris, V. germanica, V. crab:o expriment toutes, avec certitude, que le venin des Vespides sociaux, non paralyseurs de proies, agit exactement de la même manière que celui des Vespides soli- taires paralysants, ou des Sphégides et Pompilides tous paraly- seurs. Cependant les guêpes sociales (Polistes, Vespa, etc.) ne se servent jamais de leur venin pour une fin autre que pour la 404 E. ROUBAUD défense ; elles alimentent leursflarves de provende animale mala- xée et réduite en bouillie avec les mandibules. Quelle est donc la raison-de ces différences fondamentales d'habitudes ? Faut-il y voir, avec la majorité des auteurs, la trace de deux évolutions divergentes, les guêpes sociales ayant conservé directement les habitudes primitives qui consistaient à tuer sim- plement les proies, tandis que les solitaires se seraient élevées à une évolution supérieure en substituant au procédé tueur pri- mitif, grâce à l'emploi savant de l’aiguillon, la conservation des proies à l’état vivant ? Les faits d'évolution dont j'ai fait ressortir l'enchainement grâce à l'Etude des guëpes tropicales d'Afrique montrent que cette conception ne peut plus être admise. Le mode éducateur particulier des guêpes sociales, loin de s'être séparé, dès le début, des procédés habituels des guêpes paralysantes et d'avoir conservé le véritable caractère primitif originel, n'appa- rait au contraire que comme l'aboutissement ultérieur de l'évolu- tion des habitudes de ces dernières. Contrairement à l'opinion courante, en effet, l’art paralyseur chez les guèpes doit être con- sidéré, ainsi que nous allons le montrer, comme un art primitif. Les procédés d'attaque directe et de réduction des proies par les mandibules, caractéristiques des guêpes sociales, non paraly- santes, ne représentent pas les procédés primitifs du groupe, mais bien des procédés d'acquisition récente, secondaire, qui se sont substitués aux procédés paralyseurs. Tout d'abord, nous avons vu que la similitude d'action des venins chez les deux types de guêpes, Sociales ou Solitaires, ne permet pas de les différencier l’un de l'autre par des particu- larités physiologiques spéciales. Cette notion ne fait que ren- forcer par suite, les affinités étroites qui, à tous points de vue, rattachent les Sociales aux Solitaires. Le venin des guêpes Sociales, non paralysantes, est aussi apte que celui des Solitaires paralysantes à immobiliser et conserver les proies. Ce n’est donc pas une inaptitude essentielle, originelle ou acquise, de l'appa- reil venimeux qui a différencié les habitudes éducatrices des pre- mières de celles des secondes. C'est autre chose. Pour Fagre la question est résolue de facon très simple. Les guêpes sociales qui a on! point appris l'art paralyseur, ne savent point utiliser leur aiguillon pour atteindre les ganglions nerveux et immobiliser leurs victimes. [| constate en effet que LE VENIN ÊT L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 405 lorsqu'une Vespa vulgaris capture une Éristale, elle fait mine de la piquer dans tous les sens sans rechercher avec sûreté le point anatomique précis qui doit susciter la paralysie immédiate de la proie. Ce raisonnement, d'après ce que nous avons vu, ne saurait plus se soutenir aujourd hui. L'art paralyseur des Euménides, guêpes Solitaires les plus direc- tement apparentées aux Sociales, ne témoigne nullement, nous l'avons vu, en faveur de la merveilleuse précision anatomique du coup d’aiguillon. Ce que nous connaissons du mode d'inter- vention de ces guèpes pour la réduction de leurs proies, ne per- met pas de penser qu'il existe des différences fondamentales au point de vue de l'habileté à tirer parti de l’aiguillon paralyseur, entre les Solitaires qui « savent » paralyser et les Sociales qui « ne savent pas » paralyser. La seule différence existant à ce point de vue entre les deux types de guêpes, c’est que les Soli- taires se servent effectivement de leur aiguillon pour anéantir la résistance de leurs proies, tandis que les Sociales ne font plus que le simulacre des piqüres. Substitution pr ogressive des mandibules au venin. — Les faits d'évolution dont j'ai exposé l’enchainement à propos des guêpes africaines, et dont les jalons se retrouvent, plus ou moins masqués par des adaptations et des perfectionnements secondaires, dans toute l'étendue du groupe des Solitaires Para- lyseurs, permettent d'établir en effet que les Guèpes Sociales, pour des raisons individualistes, ont abandonné les habitudes paraly- santes, habitudes d'attaque primitives de leur groupe, en leur subs- tituant l'attaque directe par les mandibules. Voici comment on peut comprendre la filiation de ces deux catégories d'habitudes. A l’origine, il est permis de penser que l’aiguillon chez les Pré- dateurs, tout comme la tarière chez les Térébrants parasites à laquelle cet organe se relie morphologiquement, a été utilisé sur les proies de petite taille, avant tout pour l'alimentation person- nelle de la guëépe femelle. Les mandibules étant insuffisantes pour ‘entamer les téguments des proies, c’est l'aiguillon qui, comme chez les Chalcidiens la tarière ('), a permis d'en faire sourdre les liquides nourriciers, tandis que les glandes venimeuses annulaient (*) Voir à ce sujet E. Rousaun. Observations biologiques sur Nasonia brevicor- nis, Bull. Scient. France et Belgique. T° série, {, L, 16 juillet 4947. 406 E. ROUBAUD la résistance de la proie. En fait, des observations précises de Marcuaz, de FErrox, plaident manifestement en ce sens : Bem- bex oculata, Priocnemis pusillus, Sphex subfuscatus, aiguillon- nent fréquemment des proies uniquement pour se nourrir des liquides internes qui viennent sourdre à l'emplacement des coups de dard. En mème temps, les propriétés particulières du venin diffusé dans le corps des victimes ont permis, mais d'une manière indirecte et secondaire, l'utilisation de ces dernières pour l'ali- mentation des larves : l’insecte déposant sa ponte sur son aliment habituel, la bonne conservation prolongée des proies tuées à l'aiguillon à rendu possible le développement des larves à leurs dépens. Ultérieurement, dans les types où les mandibules ont acquis une robustesse plus grande, ces organes ont servi à prélever une part de plus en plus importante de la proie pour le profit person- nel de la guêpe mère. Tuées ou paralysées à l’aiguillon, les proies ont été d'abord simplement malaxées pour en faire sourdre les liquides internes, en particulier les sucs que renferme le tube digestif. Ainsi font encore notamment les Ammophiles et les Ody- nères, qui, sans léser directement les téguments des chenilles dont elles approvisionnent leurs cellules, expriment simplement, par la pression de leurs mandibules, une partie du contenu intes- tinal pour s’en repaitre. En même temps, par malaxation directe des régions ganglionnaires, les mandibules commencent à inter- venir dans l’immobilisation de la proie, sans déterminer encore de lésions tégumentaires. Un pas de plus dans l’utilisation des mandibules contre la proie nous est révélé par de nombreux types de Crabronines, les Bem- bezx, les Cerceris, ete., qui satisfont leur appétit personnel sur les victimes paralysées ou tuées à l’aiguillon, en prélevant avec leurs mandibules les morceaux les plus tendres. Tantôt la tête, tantôt le thorax ou l'abdomen des proies, portent la trace des coups de mandibules intéressés du prédateur. Mellinus arvensis, étudié par Et. Rapaup, se comporte de la même manière, dévorant fréquem- ment sa victime par la base de l'abdomen, mais respectant les téguments thoraciques trop durs pour ses mandibules. Chez une Guêpe solitaire de l'Afrique Equatoriale, Synagris cornuta L. de la tribu des Euménides, nous trouvons encore un degré plus élevé dans la part prise par les mandibules, secondai- LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 407 rement à l'action de l'aiguillon, pour l'alimentation maternelle. Après leur capture, où l’aiguillon joue sans doute comme pour les autres espèces du genre le rôle fondamental, les chenilles choisies par cette guèpe (Hespérides) sont réduites par les man- dibules en une boulette grossière, qui est ensuite abandonnée à la larve, ainsi que je l'ai montré. L'acquisition de cette habitude est d'autant plus remarquable que dans le groupe où elle s'observe (Euménides) les guépes professent habituellement le respect le plus absolu de l'intégrité des proies distribuées aux larves. Les autres espèces de Synagris dont la biologie est actuellement con- nue paralysent leurs proies sans leur faire subir aucune atteinte mandibulaire. Aussi est-il particulièrement intéressant et instruc- tif de noter, dans ce groupe de Paralyseurs, les plus parfaits que nous connaissions, l'avènement d'une habitude qui réduit à néant le rôle conservateur du venin. Si l’on considère les pratiques paralysantes de ces guèpes comme le résultat du développement progressif d'un art tout particulier, exigeant des aptitudes acquises d'ordre très élevé, onne conçoit pas bien comment brusquement sont apparues des pratiques beaucoup plus grossières, détruisant en un instant toutes les connaissances merveilleuses obtenues avec peine au cours des temps. Siau con- traire, comme la logique le prouve, d'accord avec les faits, l’'em- ploi du venin se manifeste comme un mode primitif, permettant d'immobiliser assez aisément des proies qui échappent à l'action des mandibules, on comprend beaucoup mieux que le perfec- tionnement des habitudes ait fait passer au second plan le rôle de l'aiguillon, en lui substituant, pour le profit beaucoup plus direct de la guêpe mère l’action masticatrice. Chez Synagris cornuta les mandibules qui peuvent fonctionner comme cisailles coupantes ont rendu facile l’alimentation inté- grale de la guêpe aux dépens de la proie. Il n’en faut pas plus pour ramener au second plan le rôle indirect de l’aiguillon, et donner la première place à l’action mandibulaire. Chez les Guëpes Sociales cette transformation des habitudes est devenue la règle : les mandibules coupantes sont plus développées que l'appareil lécheur, contrairement à ce qui s’observe pour les Guêpes Solitaires. Aussi les mandibules peuvent-elles agir direc- tement sur les proies, qui sont choisies de petite taille, sans que l'aiguillon ait désormais à intervenir. Le venin, qui jouit toujours 408 E. ROUBAUD de propriétés paralysantes comparables à celles des formés soli- taires, ne sert plus que pour la défense contre des ennemis mani- festes. L'aiguillon reste dans sa gaine, lorsqu'il s’agit de faibles proies : seuls sont conservés les mouvements réflexes de l’abdo- men qui font encore le simulacre des piqüres au moment de la capture de la proie. Celle-ci, attaquée par les mandibules est réduite par elles en une boulette grossière, dont se nourrit la guèpe avant d'en nourrir ses larves. On voit donc que l'Evolution des habitudes, des Guëpes Soli- taires aux Sociales,n'est que l'expression d’une simplification des procédés tueurs, basée sur la puissance de plus en plus grande de l’action mandibulaire, elle-même fonction d'appétits carnas- siers de plus en plus manifestes. Il y a remplacement de l’aiguil- lon, organe de perforation primitif, apte uniquement à faire sourdre quelques gouttes de liquide nourricier, par les organes de broyage,les mandibules, qui permettent d'exprimer beaucoup plus complètement les matières alimentaires contenues dans la proie. Dans cette évolution des habitudes, le point de vue des larves doit apparaître comme secondaire. Le mode d'éducation larvaire est une conséquence indirecte du procédé d'attaque de la proie. Il ne le régit pas. Les guêpes prédatrices n’ont pas recherché la provende animale d'abord pour leurs larves. Elles l'ont recherchée pour elles- mêmes; c'est de cette notion individualiste qu'il faut nécessaire- ment se convaincre pour comprendre l'histoire des instincts maternels de ces hyménoptères et leur évolution. On peut alors, en se tenant dans la limite précise des faits d'observation, et en raisonnant sur des phénomènes physiologiques simples, saisir la filiation exacte de leurs habitudes. De même que les propriétés générales de leur venin confirment d'étroites affinités biologiques entre les Guêpes Solitaires paraly- santes et les Guêpes Sociales non paralysantes, de même pour- rait-on être tenté de reconnaitre, pour semblable raison, entre les Mellifères et les Sphégides des affinités analogues. Le venin de bourdon ou d'abeille agissant sur des proies denses (mouches, blattes) se comporte de la mème manière que celui des Bem- bex où des Sphezx agissant sur des Diptères ou des Orthoptères. Certains auteurs (Hanpzirscu) reconnaissent d’ailleurs une origine commune aux Apides et aux Sphégides. Mais les relations des LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PAPALYSANTE 409 habitudes éducatrices entre ces deux groupes n'apparaissent pas nettement. Sans doute,les Apides, qui sont exclusivement adaptés au régime Mellifère, n'ont-ils jamais utilisé leur aiguillon pour la capture des proies. Il est très probable qu'ils représentent des formes demeurées exclusivement végétariennes, et comme telles ayant conservé les coutumes alimentaires les plus réellement rapprochées du type ancestral ; l'adaptation au régime carnivore a dù survenir après coup chez certaines formes d’abord végé- tariennes, comme conséquence de l'emploi de l’aiguillon contre des insectes de petite taille. Mais les faits manquent encore pour étayer nettement la filiation réelle de ces habitudes. IV. — L'ADAPTATION DU VENIN A LA PROIE ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE Rien n'est plus instructif, si l’on veut raisonner logiquement sur l'évolution des habitudes paralysantes chezles Hyménoptères, que d'examiner quelle est la portée réelle de ces propriétés para- lysantes, chez les différents types qui les manifestent. On voit ainsi combien ces propriétés varient dans leur perfection relative, suivant les espèces des Paralyseurs d’une part, et suivant celles des proies de l’autre. a. Variation dans les propriétés paralysantes du venin suivant les types de paralyseurs. — L'action du venin sur les proies recueillies dans les nids des prédateurs est loin de se manifester sous un aspect uniforme. Tout d’abord, chez certains types, les proies sont tuées soit en totalité (Monedula punctata) soit en partie et non paralysées. Sur les 45 espèces de Guèpes Solitaires observées par les auteurs amé- ricains G. et E. Peckuau, un tiers environ ne paralysent pas leurs victimes, mais les tuent. La proportion des proies tuées excède habituellement de beaucoup celle des paralysées, dans les nids des Bembéciens. Les Peckaam n'ont observé chez les Cerceris qu'à peine wne proie paralysée sur 25 ou 30 proies tuées. Dans d'autres types la proportion des proies paralysées l’em- porte sur celle des proies mortes. C'est chez les Ammophiles, parmi les Sphégides, que s'observe la perfection la plus grande dans l’action paralysante. Les proies sont toutes paralysées et non tuées. Mais ici encore, des variations importantes se mani- 410 E. ROUBAUD festent quant à la durée de conservation à l’état de vie des proies paralysées. Aïnsi, chez A. wrnaria, les observateurs américains notent que certaines des chenilles ne survivent pas plus de trois jours, tandis que d’autres donnent encore signe de vie après deux semaines. Chez les Euménides, parmi les Vespides, non seulement les proies sont toujours parfaitement paralysées et susceptibles de survie prolongée, à l'exception de quelques très rares formes qui ont abandonné les habitudes paralysantes (Synayris cornuta), mais encore on observe chez ces guèpes un souci tout à fait par- ticulier de la bonne conservation des proies vivantes qu'elles distribuent à leurs larves. Aussi est-il permis de penser que ce sont ces Guêpes Solitaires qui ont atteint le terme le plus parfait de l’évolution des habitudes paralysantes. Comme nous venons de le voir, si, chez les Hyvménoptères pré- dateurs, l’action du venin dépasse très fréquemment, on peut même dire habituellement, l'action paralysante et va jusqu'à la mort plus ou moins immédiate des victimes, dans d’autres cas au contraire cette action pèche par excès inverse : le venin n’agit que d'une manière passagère et ne détermine qu'un engourdisse- ment fugace de la proie vivante. Ferro, chez les Pompiles, AoLerz et Brauxs chez certaines espèces de Sphégides du g. Do/i- churus, ont observé des exemples très nets d’une telle action pas- sagère du venin paralyseur. Les proies piquées par ces insectes, peuvent, après avoir manifesté une torpeur de peu de durée, se ranimer plus ou moins complètement; certaines d'entre elles parviennent même à s'échapper de la cellule du prédateur. G. et E. Pecknam dans leurs expériences de paralysies artifi- cielles ont noté plusieurs fois des phénomènes passagers dans l'action du venin. Il en à été de même dans mes expériences per- sonnelles (v. plus haut). On voit donc, que, même dans les conditions naturelles, l'action paralysante est loin de présenter un type parfait dans la généralité des cas. Tantôt, et c'est le cas-le plus général, le venin agit d'une manière trop violente, dépassant la résistance de la proie et provoquant sa mort plus ou moins immédiate ; tantôt cette action est insuffisante pour déterminer une paralysie dura- ble et ne s'exerce que d’une manière éphémère. Entre ces deux modalités extrêmes se manifestent tous les intermédiaires ten- LATIN 2) TS LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 411 dant vers la paralysie parfaite avec conservation prolongée de l’état de vie. Il est par conséquent permis de relever, d'après les différents types de guêpes solitaires ou fouisseuses actuelles, une évolution indiscutable des facultés paralysantes, allant des imper- fections initiales, insuffisance ou excès, jusqu à la perfection dans l'immobilisation des proies vivantes. Sur quoi à pu porter cette évolution ? Est-ce sur une précision de plus en plus grande dans l'emploi de l’aiguillon, sur une habi- leté plus réelle à faire agir le dard aux endroits favorables, sui- vant la conception de Fagre? Evidemment non. comme nous l'avons dit. Les Hyménoptères qui paralysent le mieux, Ammo- philes parmi les Sphégides, Euménides parmi les Vespides, ne se montrent pas plus habiles que d'autres dans l'emploi de leur aiguillon. Les coups de dard sont toujours portés jusqu'à ce que la proie ne se défende plus, sans que nul déterminant supérieur ne limite leur répétition. Il ne peut être question d'une science ou d'un art paralyseur plus consommé. Les phénomènes sont pour nous d'un ordre tout à fait différent. L'évolution des facul- tés paralysantes nous parait liée avant tout à une adaptation progressirement meilleure du venin de l'hymsnoptère chasseur, à la résistance vitale de la proie. Mes expériences montrent en effet d’une manière indiscutable que le venin d'un même insecte est loin de se comporter de la même manière suivant les proies choisies ; que pour certains types de proies il donne des résultats paralyseurs insuffisants ou franchement mauvais, tandis que pour d’autres l’action paraly- sante est nettement meilleure, et cela quel que soit le mode de localisation anatomique des piqûres. b. Varialions dans l'action du Venin suivant les proies. — Les quelques expériences què j'ai effectuées sur le venin des Vespides et des Apides font ressortir le rôle fondamental joué par la nature de la proie dans l'expression des facultés para- lysantes du venin des Prédateurs. Certains types de proies, comme les larves de Tenthrèdes qui offrent pourtant une ressemblance extérieure si frappante avec les chenilles, se sont montrées totalement insensibles à l'action du venin de Vespa ou de Bombus auquel les larves de Lépidop- tères sont très sensibles. Ou peut véritablement parler ici d'une immunité naturelle. Parmi les larves de Lépidoptères _elles- 26 412 E. ROUBAUD mémes, des différences frappantes ont été notées à ce même point de vue. Des différents types de chenilles offertes à l'action du venin de Vespa yermanica, les unes ont été complètement réfractaires, les autres (Tortricidines) ont manifesté une sensibilité variable, les effets du venin étant souvent fugaces et peu accusés sur ces insectes. L'expérience faite avec Polistes qallicus est surtout démon- strative à cet égard : tandis que la chenille de Calymnia trape- zsina, L. à été paralysée rapidement de facon parfaite en con- servant sa vitalité pendant plusieurs jours, la chenille de Hoporina croceago F., malgré des piqüres multiples, n'a jamais réagi de façon appréciable et n’a pu être amenée à l’état d'im- mobilisation mème partielle. Une telle différence est d'autant plus remarquable qu'il s'agit de chenilles appartenant au même groupe (noctuelles). Avec le venin des Mellifères nous avons noté tantôt une action brutale, foudroyante, rendant impossible toute conservation des proies (chenilles, larve de Syphides), tantôt une paralysie lente et progressive, avec conservation parfaite de la proie tuée (mou- ches, blattes, etc.). Ces exemples suffisent à montrer que la nature de la proie joue un rôle primordial dans les manifestations plus ou moins parfaites des facultés paralysantes des Hyménoptères. Non seu- lement certains types de proies offrant même aspect extérieur présentent une sensibilité très différente à l'action des venins, mais encore des proies appartenant à un mème type d'êtres, el spéciliquement voisines, peuvent se comporter de façon très dis- semblable. C'est là une donnée biologique facile à prévoir et qui cependant ne semble point avoir été prise nettement en considé- ration par les auteurs qui ont cherché à préciser le déterminisme des habitudes paralysantes et de leur évolution. Cette notion à vrai dire était de peu de prix lorsque la conception de Fasre relative à la précision anatomique des coups d'aiguillon, domi- nait l'interprétation biologique des faits; elle doit acquérir aujourd hui toute sa valeur, puisqu'un examen plus attentif permet de donner au venin lui-mème, instillé en un point quel-. conque du corps, le rôle prépondérant dans l’action paralysante. Comme je l'ai écrit dans mon travail sur les Guèpes Solitaires et Sociales d'Afrique, l’évolution et le perfectionnement des ” LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 413 habitudes paralysantes, gravite autour de laiguillon, et de l’adaptation du venin à la résistance biologique de la proie. Cette notion ne doit d’ailleurs pas être prise en se plaçant au point de vue direct des larves. Il faut la comprendre en tenant compte du point de vue purement individualiste qui domine l'histoire des « instincts » chez les insectes. Il faut raisonner d'après l'intérêt propre des guêpes, non d'après l'intérêt des larves. Ceci étant posé, comment peut-on comprendre l'avènement d'habitudes éducatrices si parfaites que celles que nous con- naissons chez la plupart des guèpes solitaires paralysantes, et en particulier la spécialisation si habituelle des espèces de Prédateurs vis-à-vis d'un type de proies particulier ? Les Ammophiles et les Euménides chassent les chenilles, les Scolies les larves de Lamellicornes, les Sphex les Orthoptères, les Bembex les Diptères, les Cerceris les Coléoptères, les Pompiles les araignées, etc. Parfois la spécialisation d’un Prédateur s'exerce d'une manière très étroite à l'égard d’un hôte exclusif. Il en est ainsi notamment pour le Philanthe apivore qui ne recherche guère que les abeilles, le Cerceris bupresticide les Buprestes, le Cerceris tuberculé le charançon Cleonus ophthal- micus, le Sphex languedocien les Ephippiger, etc. Même en tenant compte de l'immunité complète que manifes- tent certains types d'insectes à l’action du venin, il est difficile d'expliquer par elle la spécialisation des Prédateurs vis-à-vis de leurs types de proies préférés, nombre d’autres formes étant susceptibles de réagir également à l'action paralysante, et de rem- placer, par suite, dans les nids les types choisis. La question est certainement plus complexe. Le choix de la proie nous parait dépendre d'un facteur pré- pondérant qui est l'affinité propre du Prédateur à l'égard de ce type de proie, et cette affinité elle-mème n’est que la résultante lointaine de l'influence sélectionnante exercée par le venin lui- méme. L'affinité élective des Prédateurs vis-à-vis de leurs types de proies habituels existe certainement. Et. Rapaun le démontre nettement en offrant à des We//inus, en captivité dans un tube de verre, une Tenthrédine A/halia colibri. À la vue de l’insecte, le Prédateur s’essaie immédiatement à s’en saisir, et fait un simu- 414 E. ROUBAUD lacre de piqüre ; mais avant d'avoir effectué son attaque, il ouvre ses pattes et rejette aussitôt sa capture. Si, au contraire, c'est une Mouche qui est offerte, il se précipite sur elle, comme dans le cas précédent, mais poursuit son attaque paralysante et la consomme complètement. Dans le premier cas l'attaque n'a été qu'ébauchée à la vue de la victime qui ne correspond pas au type habituellement choisi; dans le second, au contraire, qui corres- pond au type pour lequel s'exerce l'affinité habituelle, l'attaque a été poussée à fond. A quoi tient cette affinité particulière? A des jeux de sensa- tions complexes mais qui semblent bien tous se rapporter avant tout au goût personnel de la Guëpe pour les tissus de sa victime. C’est une attraction gustative mise en jeu par l'odeur sui generis de la proie. Chez une Guêpe en condition d'appétence la vue d’un gibier possibie suscite les premiers actes de l'attaque; c'est l'odorat qui déclanche les derniers actes, en rappelant soudain chez le Prédateur le goût de la proie dont il à été alimente à l'état de larve. Semblable à l'Hyménoptère parasite qui emploie sa tarière contre toute proie qui lui révèle des possibilités ali- -mentaires analogues à celles qu'il a connues au stade larvaire, comme je l'ai montré pour Nasonia brevicornis, le Prédateur fait usage de son aiguillon contre les proies dont l'odeur réveille son appétit. Dans ses observations sur Mellinus arvensis RaBauD fournit aussi une démonstration manifeste du rôle joué par l'attraction œustative dans le déclanchement de l'acte paralyseur. Un Mel- linus ayant capturé et dévoré 7 mouches en l’espace de 6 heures ne réagit plus lorsqu'on lui en présente une huitième. Il est donc bien clair ici que l'appétit personnel du Prédateur tient sous sa dépendance directe les manifestations diverses des facultés para- lysantes. Comment, d'autre part, a pu s'acquérir et se fixer la spécialisation des appétits chez la plupart des Prédateurs qui recherchent et paralysent certains types de proies de préférence à d’autres ? A l'origine, on peut concevoir que les affinités des Prédateurs s'exercaient d’une facon très large et que des proies de natures diverses servaient à la nourriture des guëÿpes et à l'approvi- sionnement des nids. La Monedula punctata, Bembécien primitif qui garnit encore ses cellules de proies très variées, ne fait pas LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 415 autre chose. Mais, dans de telles conditions, l’action spécifique du venin sur les différentes catégories de proies à dû intervenir pour éliminer progressivement, dans la plupart des cas, certains types de proies de conservation défectueuse et régulariser les affinités des chasseurs en les rendant plus électives à l'égard de types définis. Non seulement, en effet, des circonstances directes, liées aux facilités plus ou moins grandes de récolte des proies, de péné- tration de l’aiguillon, ete., ont déjà limité obligatoirement le choix des prédateurs, mais encore est-il légitime de concevoir que l’ac- tion du venin elle-même ait pu contribuer: à exercer, parmi le nombre des proies accessibles, un triage de plus en plus étroit. Tout d'abord ont été directement éliminées de l’approvisionne- ment des nids toutes les proies naturellement réfractaires à l’ac- tion du venin. Aussi bien que celles dont les téguments résistent à la pénétration de l'aiguillon, les proies douées d'immunité à l'égard du venin ont été forcément rejetées par les Prédateurs, qui ne parvenaient pas à en tirer parti pour eux-mêmes puisqu'ils ne réussissaient pas à anéantir leurs mouvements de défense. Ne serait-ce point pour cette raison que les larves de Tenthrè- des, ou fausses chenilles, ne figurent jamais dans les nids des Ammophiles et des Euménides, francs chasseurs de chenilles ? La ressemblance est frappante entre les deux types de larves et cependant la confusion n’est jamais faite. Or nous avons constaté plus haut l'immunité des larves de Tenthrèdes à l'égard du venin de guêpe et de bourdon. Un type de proies qui ne figure jamais dans les approvision- nements des nids et n'intervient nullement dans la nutrition des larves ne peut, d'autre part, contribuer à développer chez les adultes d’affinités gustatives particulières à son égard. Aussi est-il permis de penser que l'affinité des guêpes actuelles est nulle ou très faible pour les proies réfractaires à l'action de leur venin et qu'elles n'ont jamais connues à l’état de larves. D'autre part, nous avons vu que les proies trop sensibles à l’action du venin d’un hyménoptère, échappent à l’action con- servatrice habituelle de ce dernier et se décomposent rapide- ment. De telles proies seront par conséquent absolument impro- pres à l'éducation des larves. Toutes les générations de larves qui auront reçu semblable provision alimentaire, ne pourront achever leur évolution et s’élimineront d’elles-mêmes. L'attrac- 416 E. ROUBAUD tion gustative à l'égard de ces proies ne pourra donc pas non plus se développer et se fixer chez les adultes. La proie vivante n’est cependant nullement nécessaire à l’évo- lution parfaite des larves chez les Hyménoptères Prédateurs en général. Des observations diverses, en particulier celles qui relèvent de l'examen même d'une grande majorité d'approvision- nements naturels, montrent que ces larves s'alimentent parfaite- ment de proies mortes depuis plusieurs jours. Mais, il est facile de concevoir que si le venin accélère la décomposition de la proie au lieu de la ralentir, cette décomposition en espace clos sera incompatible avec la vie de l'élevage, soit en développant des fermentations nocives, soit pour les proies liquéfiées par une action cytolytique trop brutale, en provoquant des pertes de sub- stance ou un flux de liquide préjudiciable à la propreté de la cellule. Pour que l'éducation des larves s'effectue normalement, il faut que ces dernières trouvent à leur disposition sinon des proies vivantes, au moins des proies mortes, mais saines, préservées d'une décomposition trop rapide. C'est à ce dernier rôle que, dans la plupart des cas, se réduit l'effet favorable du venin. Seules des proies sur lesquelles le venin agit dans le sens conservateur, soit à l’état vivant, soit à l’état de mort, pourront donc concourir à l'éducation des larves. Grâce à ce principe de sélection qui puise sa source essen- tielle dans l'adaptation plus ou moins satisfaisante du venin à la nature de la proie, se fixera de facon de plus en plus étroite l'attraction des guëpes adultes à l'égard des proies qui les auront le plus souvent nourries à l’état de larves. On comprendra de même l'évolution progressive des habi- tudes éducatrices jusqu’à l'acquisition du type paralyseur parfait, comme dépendant d'une sélection de plus en plus franche des proies qui se conservent vivantes, ces proies réalisant d'une part l'éducation la plus parfaite des larves, et suscitant ainsi les affi- nités les plus actives des Prédateurs à leur égard. L'adaptation progressive du venin à la nature de la proie permet enfin de comprendre que le choix des Prédateurs s'exerce de préférence à l'égard des espèces pour lesquelles il offrira aussi la rapidité d'action la plus grande. Ce qui distingue, en sénéral, l’action paralysante expérimentale développée par des LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 417 Hyménoptères sur des proies quelconques, de celle que dévelop- pent les Paralyseurs naturels sur leurs types de proies habituels, c’est une moindre instantanéité d'action. Quand un Bembex capture une mouche, on peut dire qu'il la foudroie instantané- ment de son aiguillon : quoique excessivement rapide dans ses manifestations, le venin de l'abeille agissant sur le même insecte dans des conditions analogues, paraît cependant moins immé- diat. Sans doute est-il permis de dire que les Diptères choisis par les Bembex d'une manière exclusive, représentent les types de proies favorables sur lesquels leur venin agit de la façon la plus sûre et la plus rapide. Ainsi, parmi les proies diverses, directement accessibles à l’ai- guillon des Prédateurs, l’action du venin a pu réaliser, soit direc- tement au moment de la capture, soit lentement, dans le cours des temps, un triage lent et progressif des proies préférées. Eli- mination des types réfractaires au venin ou de conservation défectueuse, développement, dans des limites de plus en plus étroites, des affinités gustatives des adultes à l'égard des formes qui se prêtent le mieux à l’action immobilisante et conservatrice du liquide venimeux, telles ont été les phases principales qui ont dû marquer cette particulière évolution. + * x En résumé, on voit qu'un raisonnement basé sur les données de l'observation et de l'expérience les plus simples, permet de s'expliquer, sans faire appel aw merveilleux, l'avènement des actes éducateurs qui caractérisent l’« Instinct» des Guêpes Para- lysantes et de leurs associées les Guêpes Sociales. Je n'ai point la prétention d'avoir éclairé tous les faits, si complexes, que révèle la psychologie de ces Hyménoptères, au sujet desquels tant d'encre à été versée. J'ai seulement voulu tenter une explication rationnelle du développement général de leurs habitudes si curieuses d'éducation des larves. Pour bien comprendre l'enchai- nement de ces habitudes, il est indispensable de déplacer la question du point de vue maternel ou progéniteur sur lequel on raisonne habituellement et de la rapporter à une base individua- liste. En premier lieu, les liens individualistes qui rattachent l’em- ploi de l'aiguillon chez les Paralyseurs, à celui de la tarière chez 418 E. ROUBAUD les Térébrants parasites sont évidents. C’est comme instruments propres à puiser les liquides nutritifs que le dard, comme la tarière ont été, à l’origine, utilisés sur des proies vivantes. Chez les Térébrants non pourvus de glandes capables d'immobiliser les proies, la ponte s’est effectuée directement dans le corps des victimes non influencées par la pénétration de l’oviscapte. Chez les Porte-aiguillons la présence de la sécrétion veni- meuse douée de propriétés neurotoxiques et sans doute aussi de propriétés bactéricides capables d'entraver la putréfaction des matières animales, à permis d'une part une immobilisation rapide des proies atteintes par l’aiguillon, d'autre part leur conservation à l’état frais pendant un temps prolongé. Il en est résulté d'abord, pour les guêpes mères, une facilité plus grande pour s’alimenter aux dépens des liquides internes émanant de la proie ; et ensuite, pour les larves, la possibilité de se développer à l’état libre, aux dépens des proies amassées pour elles-mêmes par les femelles. Les réactions propres des victimes à l’action venimeuse, leur sensibilité plus ou moins parfaite à l’action conservatrice du veuin, ont exercé indirectement d'autre part, par une sélection portant principalement sur les larves, une influence sur les affi- nité des adultes à l'égard de certains types de proies : il faut y voir l’origine de la spécialisation dans les captures. En même temps qu'ont progressé les affinités des guèpes pour la provende animale, les formes primitives étant probablement végétariennes, on assiste à unesrégression dans l'emploi de l'ai- guillon et à son remplacement par les mandibules. Cette transfor- mation des habitudes est fonction d’appétits carnassiers de plus en plus accusés. Au début l’appareil mandibulaire ne joue qu'un rôle effacé de préhension simple des proies. Inapte à léser les téguments, c’est l'aiguillon qui joue ce rôle et qui fait sourdre les liquides nutritifs en ponctionnant les victimes. L'appareil lécheur sert seul à lali- mentation des femelles. Ultérieurement, l'appareil mandibulaire intervient plus étroi- tement dans la nutrition directe de celles-ci ; il tend ainsi à se substituer de plus en plus à l’aiguillon. Ce ne sont plus seule- ment les gouttelettes liquides perlant au niveau des piqüres qui sont demandées aux proies : les guêpes exigent davantage, soit LE VENIN ET L'ÉVOLUTION PARALYSANTE 419 en exprimant du corps de leurs victimes les liquides digestifs, soit en attaquant directement les parties tendres. Enfin, les mandibules ayant définitivement pris connaissance de leur puissance, l’aiguillon est abandonné pour réduire les faibles proies de consommation courante ; il n'est plus utilisé que pour la défense. L'histoire de l’évolution des Guêpes Para- lysantes cède alers le pas à celle des Guëpes Sociales. Ce groupe polymorphe réunit des types variés dont le caractère commun est d’avoir franchi les étapes de l'action paralysante, telles que nous venons de les définir. et pris ainsi contact direct avec les larves jusqu'à l'événement d'une véritable symbiose avec celles-e1. Dans toute cette évolution le rôle du venin, quelque merveil- leux qu'il ait pu paraître tout d'abord, reste un rôle primitif et transitoire. Il supplée à l'insuffisance d'armes meilleures chez des formes qui s'essaient à la vie carnassière et ne possèdent pas de moyens plus directs pour agir sur les proies. EE. ROUBAUD PRÉCISIONS SUR | ” PHORMIA AZUREA ’” FALL. Muscide à larves hémophages parasites des Oiseaux d'Europe (Planche V) SOMMAIRE L'HÉMOPHAGIE LARVAIRE DE LA PHORMIE. SES CONDITIONS. — Absence de position d’éreclion. Incapacité de résistance au jeûne. IL IDENTITÉ SPECIFIQUE DE LA PHORMIE A LARVE HNEMOPHAGE PAR\SITE DES OISEAUX EN EUROPE. — Phormia azurea Fall. et Ph. sordida Zeit. ne constituent qu'une seule et même espèce, apparem- ment le seul représentant en Europe des Muscides à larves hémophages. La larve hémophage des Oiseaux de l'Amérique du Nord est différente de cette espèce. | III. HOTES ET PARASITES DE LA PHORMIE DES OISEAUX D'EUROPE. — Nasonia brevicornis. 1V. PHORMIA AZUREA ET LES MUSCIDES A LARVES ORNITHOPHAGES CUTICOLES. Impossibilité pour les larves hémophages de vivre en parasites permanents cuticoles. \ I. —- L'HÉMOPHAGIE LARVAIRE. SES CONDITIONS On sait que la découverte du premier cas d’hémophagie chez une larve de Diptère doit être rapportée sans conteste à Léon Durour ('). En 1845 cet auteur découvrit en effet, dans un nid d’hirondelles occupé par des jeunes, une larve de mouche qui présentait dans son tube digestif une matière rouge analo- gue à du sang. Ayant suspecté à cette larve des habitudes san- guinaires, Durour confirma son hypothèse par la dissection Celle-ci lui permit de mettre en évidence l'existence de sang tantôt vermeil tantôt noirâtre, suivant l’état de digestion, dans le ventricule chylifique. C'est là la première observation authen- (t) Ann. Soc. Entom. de France, p. 211, 1845, € PRÉCISION SUR PHORMIA AZUREA 421 tique tendant à démontrer LEE OS à la succion du sang chez une larve de Muscide. L. Durovr n'avait point constaté directement le parasitisme de sa larve sur les oiseaux ; mais il avait noté la présence, à la partie antérieure, d’une sorte de ventouse buccale formée par l'excavation en entonnoir du segment antérieur du corps. La mouche adulte, qu'il obtint par f'éclosion de la pupe fut décrite par lui sous le nom de Lucilia dispar. L'observation si curieuse de L. Durour relative à l'hémo- phagie de cette larve, est restée isolée et pour ainsi dire oubliée jusqu’en 1912. À cette époque, H. pu Buyssox ('), sur les indi- cations de Vizceneuve, rechercha et découvrit dans un nid d’hi- rondelles de l'Allier des larves identiques à celles de L. Dvrour. Ces larves étaient effectivement gorgées de sang et se tenaient cachées entre la paroi terreuse du nid et la partie feutrée inté- rieure. Grâce à l'obligeance de M. EH. pu Buyssox qui en 1914 me fit parvenir quelques larves vivantes recueillies dans un nid de Mésange petite charbonnière (Parus ater L.), j'ai pu, dans un premier travail (?), préciser les conditions du parasitisme de ces larves et démontrer expérimentalement leurs habitudes hémo- phages. De nouveaux envois que me fit pendant le courant de l'été de 1916 le même observateur, avec un empressement d’au- tant plus méritoire que la collecte des nids infestés est loin d'être aisée, me permettent de compléter ces indications pre- mières. Je ne crois pas inutile de revenir ici, sur les particula- rités essentielles de la biologie de ces curieuses larves, et cette étude me permettra, d'autre part, de reprendre la question encore ambiguë de leur identification spécifique. Comme je l'ai exposé précédemment, la larve de la Phormie des Oiseaux peut se gorger expérimentalement sur l’homme. La figure de 3 la PI. V montre un groupe de larves en cours de succion active expérimentale sur mon bras. La piqüre est relativement douloureuse et s'accompagne d'une hypérémie marquée, qui se manifeste sur la photographie par un piqueté sombre corres- pondant à une auréole d'inflammation. ” (:) Voir à ce sujet : Surcour et G. Rincones, Æssais sur les Diptères vulné- rants du Venezuela, \. IT, Paris, Maloine, 1912. ) Bull. Soc. Path. Exot. NII, m2, p. 77 et C. R. Soc. Biol. LXXVUI, p. 94. 492 E. ROUBAUD L'éruption locale produite, et qui est comparable à une forte piqûre de moustique,’ est encore sensible une huitaine de jours plus tard. J'ai déjà indiqué antérieurement que, pour que la larve exerce sa succion, il faut qu'elle soit soutenue par un appui quelconque, qui la maintienne étroitément appliquée contre la surface de la peau. La pression simple du doigt suffit le plus souvent pour inciter la larve déposée sur la peau, à se gorger. Contrairement aux larves d'Auchméromyies elle ne pique pas au sein d'une couche de sable. Le parasitisme des larves de Phormia n'est certainement pas, dans bien des cas, un parasitisme bénin. J'ai pu constater que les jeunes oiseaux réagissent assez vigoureusement à la piqûre des larves. Les petits moineaux piqués expérimentalement se débat- tent et cherchent à se débarrasser des larves avec leurs pattes. La trace de celles-ci se décèle, à la surface de la peau, par des macules rougeàtres et des excoriations plus ou moins étendues. La présence, dans un nid, de larves nombreuses doit fréquem- ment provoquer la mort d'une partie au moins de la couvée. Dans un des nids parasité d'hirondelles qu'a eu l’occasion d'examiner M. pu Buyssox, un des petits, sur trois, a été trouvé mort. Il est permis de penser que ce n’est pas là un fait isolé. Les figures 1 et2 de la PI. V montrent des larves de Phormia en train de se gorger expérimentalement sur un jeune moineau qui a été anesthésié à l’éther. On pourra constater, par l'examen de ces photographies, que la larve de Phormia, pendant sa succion, ne prend pas la position d'érection sur la région céphalique, position qui est si caractéristique des larves d'Auchméromyies dont l'adaptation parasitaire hémophage est très voisine. Tandis que la larve de l’Auchmeromyia luteola, le ver des cases africain, ou celle des Chæromyies parasites des Phacochères et des Orye- téropes, dont j'ai publié dans ce Bulletin l'étude monographi- que ('), se tiennent dressées verticalement pendant la piqûre en s'appuyant sur leur point de fixation, la larve des oiseaux d'Europe reste allongée passivement sur le corps de ses hôtes. Ropaax et Bequaerr (?) (1916) qui ont étudié dans le détail une (1) Recherches sur les Auchméromyies, Calliphorines à larves suceuses de sang. Bull. Scient. France et Belgique, 3° série, t. XLVII, 2, 24 juin 1915. () Bull. Scient. France et Belgique, T° série, t. XLIX, 3, 29 avril 1916. ei L9 © PRÉCISION SUR PHORMIA AZUREA 42 deuxième larve hémophage parasite des oiseaux, au Congo, la larve de Passeromyia heterochæta Viis., mentionnent aussi que cette larve ne prend pas la position d'érection. Toutelois cette observation serait contredite par celles de M. Vax Sacecnen, qui a retrouvé au Congo belge la larve de Ropaaix et Bequarrr et a pu l’éduquer sur des poules. D'après les renseignements inédits que cet observateur a bien voulu nous communiquer, la larve de Passeromuyia se place en érection sur la région céphalique pendant sa piqüre, de la même manière que les larves hémophages des Auchméro- myies. Or, il faut remarquer que ni les larves d'Auchméro- myies et de Chéromyies, ni celles de la Passéromyie du Congo ne présentent une adaptation à la fixation par la région céphalique aussi développée que celle de la larve hémophage des oiseaux d'Europe. Cette dernière est en effet pourvue d’une sorte de ventouse constituée par le bord libre du premier seement post-céphalique déprimé en entonnoir et garni sur son pourtour d'une collerette d’aspérités radiées spiniformes, très apparentes. L'existence de cette ven/ouse n'avait pas échappé à l'observation sagace de L. Durour qui en a donné une descrip- tion forte exacte. Elle est très caractéristique de la larve de la Phormie des oiseaux et ne se retrouve ni chez les larves d'Auch- méromyies, ni chez la larve hémophage des oiseaux du Congo Il y à des raisons de penser que la position d'érection prise par ces larves pendant la piqüre est une conséquence de l'imper- fection même de leur appareil adhésif. L'absence de ventouse différenciée nécessite en effet de puissants efforts de contraction du corps, pour conserver l’adhérence à la peau, efforts certai- nement beaucoup plus intenses que dans le cas des larves pour- vues d'une ventouse. et qui doivent avoir pour résultat de maintenir le corps des parasites en état de rigidité par contrac- tion totale. Courant ('), aux Etats-Unis, a décrit et figuré récemment une larve hémophage parasite de Corvus americana, et qui se diffé- rencie nettement, par ses caractères, de l'espèce européenne, d'après la description. L'auteur américain ne fait en effet nulle mention de la ventouse à spinulation radiée si apparente chez (!) Journ. of Parasit. Urbana IlL., ne 3, mars 1915. rs to ps E. ROUBAUD notre larve. Il signale d'autre part, au segment anal du corps, l'existence de protubérances ou tubercules au nombre de quatre paires qui font complètement défaut chez la larve européenne. On ne saurait done conclure par suite à l'identité des deux espèces. Les larves hémophages des Oiseaux ne résistent pas à un jeûne prolongé : elles se distinguent en cela des larves des Auchméromyies parasites des mammifères, et tout particulière- ment de la larve de l'A. /uteola, le ver des cases africain, dont j'ai signalé ailleurs les curieuses aptitudes à linanition. Des larves de Phormies des Oiseaux, qui sont conservées sans alimentation pendant quatre ou cinq jours, au laboratoire, ne sont plus aptes ensuite lorsqu'on les reporte sur un jeune oiseau, à se worger d'une façon suffisante et ne tardent pas à mourir. Après deux ou trois jours de jeûne, des larves qui ont déjà atteint un état de développement avancé, se nymphosent sans supporter un jeûne plus accentué et beaucoup n'achèvent pas leur évolution. Ropnaix et BeQuarrr chez la larve des oiseaux du Congo ont fait des observations analogues. Il suit de là que les larves hémophages de Muscides parasites des Oiseaux, ont une croissance rapide, et qu'elles réclament pour se développer normalement la présence constante de leurs hôtes. Bien que leur parasitisme, soit, par sa forme même, un parasitisme intermittent, il n'est pas lié d'une façon aussi étroite que pour les larves d'Auchméromyies aux intervalles de pré- sence et d'absence des hôtes, qui restent dans les nids d'une facon permanente. II. — IDENTITÉ SPÉCIFIQUE DE LA PHORMIE À LARVES HÉMOPHAGES |. PARASITE DES OISEAUX EN EUROPE Un certain nombre d'auteurs ont signalé l'existence de larves parasites dans les nids des oiseaux en Europe. Mais l'identifica- tion précise de ces larves nidicoles est actuellement soumise à une importante question de synonymie. En laissant de côté les espèces dont l'adulte n'a pas été obtenu avec certitude, ou dont la biologie s’écarte notablement du type hémophage tel que nous l'avons défini, on se trouve en présence, dans les con- PRÉCISION SUR PHORMIA AZUREA 425 ditions actuelles de la nomenclature, de deux espèces ou variétés très voisines, susceptibles de vivre en parasites intermittents sur les oiseaux. Pour la plupart des auteurs qui ont mentionné de semblables parasites, il s'agit de la Phormia azurea décrite par FaLrex en 1816 (‘) sous le nom de Musca azurea. C'est à cette espèce en effet, que Semner (°), dont l'autorité classique fait loi en la matière, a rapporté en 1862 la Lucilia dispar de L. Durour après examen de deux individus obtenus par l'élevage des larves d’un nid d'hiron- delle par cet observateur. Scuiner fait observer de plus que la Musca azurea de Zerrersrenr (*) est différente de l'azurea de FALLEN. ScHErFER, d'après Rossi (*) (1848) obtint Musca azurea Fais. d’une nichée d’alouettes, Braurr (°) (1883) rapporte également à cette espèce la mouche issue de larves recueillies sous la peau d'un jeune moineau. Surcour et G. Rincoxes (1912) ont fait de méme pour les larves hémophages recueillies par pu Buysson dans les nids d'hirondelles, et Courant (°) (1915) pour des larves analogues obtenues d'un nid de corbeau aux Etats-Unis. Pour Vizzexeuve("), au contraire (1913), les larves hémophages observées par L. Durour, et celles de bu Buyssox doivent être rap- portées à une espèce de Calliphorine voisine de la Phormia azurea de Fazuex, et décrite par Zerrersreur en 1838 sous le nom de Musca sordida. Cette opinion est basée sur l'examen du /ype. C'est sur l'appui de cet auteur que j'ai adopté le qualificatif de Phormia sordida dans mon précédent travail sur leslarves hémo- phages recueillies par pu Buyssox. Ropaaix et Bequarrr (1916) ont fait de même et tout en considérant que Phormia azurea Faiz. et Ph. sordida Zxrr. doivent constituer des espèces très voisines, peut-être même des variétés plus ou moins constantes d'un même type spécifique, ils croient pouvoir affirmer que tou- tes les larves hémophages intermittentes d'Oiseaux de l'Europe et de l'Amérique du Nord appartiennent au seul Phormia sordida (1) À. Vetensk. AK. Fôrk. Stockholm, 1916. () Fauna Austriaca, Fliegen, t. 1, p. 555. (*) /ns. Lapp. descrip. Dipt. 1838, p. 657. (*) Syst. Vers. d, Ziweiflügl. Ins. Œstérreichs. Vienne, 1848, 6) Denkschr. K. AK. Wiss. Wien. t. XLVIT, 1883. (5) Journ. of Parasil. Urbana, 1, n° 3, mars 1915. (7) Feuille des J. naturalistes, n°' 512, août 1913. E. ROUBAUD Zerr. Il y aurait ainsi deux types de Phormia susceptibles de parasiter les oiseaux en Europe, Phormia azurea Fair. dont les premiers stades et la biologie larvaire ne sont pas pré- cisés avec exactitude, et Ph. sordida Zerr. dont la vie larvaire hémophage est actuellement bien connue d'après les observa- tions de L. Düorour, pu Buyssox et les miennes. Or, si l'on considère les caractères différentiels de ces deux espèces, ou variétés de Phormia, on voit qu'ils reposent unique- mentsur un détail de coloration des cuillerons, à vrai dire très imparfaitement précisé. Tandis que Fazrex décrit à sa Musca azurea des cuillerons obscurcis (squama nigricans) dans les deux sexes, ZETTERSTEDT donne à sa M. sordida, décrite en 1838, des cuillerons blanchä- tres à peine enfumés (squamis albidis vix infuscatis). C'est ce caractère qui, pour VizLeNeuvE, puis Rovnaix et Bequarrr, légiti- merait la différenciation des deux formes : Ph. azurea caractéri- sée par des cuillerons rembrunis, PA. sordida par des cuillerons blancs. Mais les divergences mêmes des auteurs dans l'interpré- tation de la coloration des cuillerons, pour les deux espèces envisagées, montrent l'incertitude du caractère et n'en légitiment pas la valeur spéatique. C'est ainsi que Zerrersrepr (‘) en 1845 donne le qualificatif de ##fuscanis, aux cuillerons de la M. azurea de Fazrex, alors qu'en 1838 il employait l'expression de : squama nigricante pour les définir, et pour sa M. sordida celle de : squamis albidis vix infuscatis. Par contre, Scrner donne cette coloration comme jaunâtre (gelblichi pour la Lucilia dispar de L. Durour qu'il rapporte à l'azwrea de FALLEN, tandis que L. Durour de son côté la définit comme blanche {cal/yptris albis). On voitainsi quelle confusion règne dans toutes ces descriptions. Or, en reprenant l'étude de la question, d’après les exemplaires adultes que j'ai obtenus par l'éducation des larves hémophages, il m'apparaît de toute évidence que les différences de coloration dont il s’agit, invoquées par les auteurs comme caractères de valeur spécifique, doivent être simplement envisagées comme des différences d'ordre sexuel dans une seule et unique espèce. (:) Dipt. Scandin. IV, 1845, p. 1334. PRÉCISIONS SUR PHORMIA AZUREA 427 Tandis que les femelles de la Phormia des oiseaux ont des cuillerons blanchâtres à peine obscurcis, correspondant bien par suite à la description de M. sordida Lerr. (albidis vir infuscatis), les mäles ont au contraire constamment des cuillerons plus pro- fondément obscureis, le supérieur à peine plus nigrescent que chez la femelle, l'inférieur très distinctement foncé (nigricans). Aucun auteur ne paraît avoir suffisamment fait ressortir ces différences de nature sexuelle dans les descriptions ; aussi s'ensuit- il la confusion qui règne actuellement dans cette nomenclature. L'espèce sordida de ZeTTERSTEDT qui serait caractérisée par ses cuillerons blancs, à précisément été décrite en 1838 d'après la femelle seule. Rien d'étonnant dès lors à ce que cet auteur ne Pait pas identifiée à l'azurea de Fazcex (squama nigricans). Bien que Zerrersreptr dise, d'autre part, avoir eu les exemplaires de FALLEN sous les yeux, ilressort d’une note de Scuixer(!) que la M. azsurea de Zerrersrenr ne correspond d'ailleurs pas à celle de Fazcex et que par suite ZETTERSTEDT n'a pas reconnu la véritable M. azurea FALL. D'après Vizeweuve (?) (1910) qui à examiné les types de la collection Maicen, au Museum de Paris, les Musca azurea 9 et & de Muicex (*) (1826) constitueraient un mélange des deux espè- ces en litige. Le màle qui a les cuillerons obscurs correspondrait à M. azurea Kazr. ; la femelle qui a les cuillerons blancs neserait autre que M. sordida Zxrr.. Robnaix et Brequaërr professent la même manière de voir. Mais, d'après ce que j'ai dit plus haut, il est vraisemblable que cette interprétation n'est pas exacte et qu'il convient en réalité de voir dans ces deux exemplaires les deux sexes d'une espèce unique, Fazwrea Fazz. comme l'avait défini MEIGEN. Dès lors toute ambiguité disparait. L'espèce de ZETTERSTEDT n'est pas à retenir. Le véritable nom spécifique de la Phormie d'Europe dont les larves vivent en parasites intermittents hémo- phages dans les nids des oiseaux doit être celui de Phormia azu- rea Fair, si l'on s’en remet à l'autorité de Scaixer qui a fixé le plus anciennement la synonymie de la Lucilia dispar de L. Durour. Nous ajouterons, de plus, que cette espèce hémophage est appa- ({) Fauna Austriaca, 1, p. 585. (2) Deutsche entom. Zeitschr., 1910, p. 313. (*) System. Besch. Europ. Zweifl. Ins., V, 1826, p. 63. Li) 1 428 E, ROUBAUD remment unique en Europeet constitue le seul représentant dans nos régions des Muscides à larves hémophages. Il existe, en Afrique équatoriale, une deuxième espèce de larve de Muscide vivant en parasite hémophage aux dépens des jeunes oiseaux, c'est la larve de Passeromuyia heterochxta décou- verte par Ropaaix et dont les auteurs belges ont précisé l'his- toire qui est, à certains détails secondaires près, tout à fait ana- logue à celle de la précédente. Enfin, il nous paraît exister dans l'Amérique du Nord, d’après les observations de Courant relatées plus haut, une troisième espèce de larve hémophage nidicole. Bien que rapportée par cet auteur à Protocalliphora (Phormia) azurea FazL. les caractères décrits aux larves (absence de collerette spiniforme délimitant un disque adhésif à la partie antérieure du corps, présence de pro- tubérances anales) nous permettent d'affirmer qu’il ne s’agit pas de cette espèce. Il y aurait lieu de vérifier étroitement l’iden- tification de la mouche adulte à laquelle l’auteur attribue une coloration bleu verdàtre, métallique, un peu dorée sur le der- nier segment, qui nest pas non plus absolument celle de la véritable Phormia azurea. III. — HOTES ET PARASITES DE LA PHORMIE DES OISEAUX DEUROPE Les hôtes actuellement connus de la larve hémophage vivant dans le nid des oiseaux, en Europe, ne sont pas très nombreux. La mouche adulte a été obtenue de pupes provenant de nids d’hiron- delles par L. Duroun, d’alouettes par Scaerrer, de moineaux par Brauer. M. H. pu Buyssox, d'autre part, a recueilli les larves qu'il a bien voulu m'envoyer, dans les nidsd’Hirundo rustica, de Parus ater (Mésange Petite charbonnière), de Passer domesticus (Moi- neau vulgaire). On a également signalé des larves nidicoles chez Anthus pratensis, Cotyle riparia, Corvus sp., mais leur identifi- cation reste douteuse (‘). Ilapparait cependant que le parasitisme de cette Calliphorine-peut s'exercer chez des oiseaux très variés. Comme je l’ai indiqué dans un travail précédent (?) les pupes (:) Consulter pour la bibliographie de cette question RopaiN et BEQUAERT, LICPApAE AE (2) Bull. Scientif. France et Belgique, T° série, t. L, n° 4,15 juillet 1917 p. 434. PRÉCISIONS SUR PHORMIA AZUREA 429 de la Phormie des oiseaux peuvent être parasitées et détruites par le Chalcidien ptéromalide Nasonia brevicornis Asa. C'est là le seul parasite actuellement connu de ce Muscide. Nasona brevicornis parait d’ailleurs s'attaquer largement en France aux pupes de Muscides nidicoles. J'ai reçu de M. Bauwrr tout un lot de pupes de Muscides sarcophages recueillies dans un nid d'hirondelles à Chantilly, qui étaient parasitées dans une proportion très élevée par le Chalcidien. Nul doute que ce para- site ne détruise un nombre considérable de pupes de Phormia azurea, dans la nature. IV. — PHORMIA AZUREA ET LES MUSCIDES À LARVES ORNITHOPHAGES CUTICOLES S'il n'existe dans nos régions qu’une seule espèce de Phormia dont les larves vivent en parasites hémophages intermittents sur les jeunes oiseaux, d’autres espèces de Muscides paraissent susceptibles en revanche de vivre à l’état larvaire en parasites permanents, dans la peau de ces mêmes hôtes. Là encore une confusion certaine s’est établie fréquemment avec la Phormia azurea Farc. soit que l'adulte n'ait pas été obtenu, soit qu'il ait été identifié d'une manière imprécise, ou erronée, à cette espèce. En ce qui concerne notre Ph. azurea FaLL., nous pouvons nous prononcer nettement contre l'attribution à cette espèce d’habi- tudes cuticoles franches. Sans doute les larves peuvent-elles che- miner sur la peau, entre les plumes, jusqu'à ce qu'elles aient rencontré un emplacement favorable pour la piqüre. Mais ces larves ne sont pas plus aptes à vivre en parasites permanents sur le corps de leurs hôtes, que ne le sont celles des Auchméro- myies parasites de l'homme et des mammifères. Même placées au contact de lésions cutanées, de blessures à vif, les larves de Phormia azurea, ne cherchent jamais à pénétrer dans les tissus ni à s’y fixer d'une facon permanente. Quand leur succion est achevée elles quittent la peau de l'hôte et regagnent les parois du nid. Si l'observation de Parvay-Vasxa (1909) citée par Kerzin (1) (1) Bull. Scientif. France et Belgique, 3e série, & XLIX, ne 1-2, 1915. 430 E. ROUBAUD dans son Mémoire remarquable sur les Diptères Cyclorhaphes, est exacte quant à la nature spécifique du Diptère envisagé, la larve de lOnesia cognata serait susceptible de vivre sur les oiseaux, dans des tumeurs. Elle aurait été rencontrée dans de telles conditions sur Motacilla alba. S'il en est bien ainsi, c’est vraisemblablement à ce Sarcophagide, si répandu en Europe, que devront être rapportés la plupart des cas de myiase observés en Europe chez les jeunes oiseaux. Il resterait à démontrer si un tel mode de parasitisme est occasionnel ou constant pour ce Muscide. Des observations plus nombreuses et précises seront nécessaires pour élucider définitivement ce dernier point. En résumé, pour nous il ne saurait exister qu'un seul et uni- que type de Muscide dont les larves suceuses de sang vivent aux dépens des oiseaux en Europe ; ce Muscide doit être rapporté à la Phornna azurea Fair. Cette espèce est purement hémo- phage, non cuticole. Elle est différente de l'espèce signalée comme ayant une biologie analogue, dans l'Amérique du Nord. L'espèce dénommée sordida par Zerrersrept doit être mise en synonymie avec la précédente, les caractères invoqués pour la distinction des deux espèces ne correspondant en réalité qu'à des differences d'ordre sexuel. Quant aux larves de Muscides pro- ductrices de Myiaseset vivant dans la peau ou sur des plaies d’oi- seaux elles n’ont rien de commun avec la Phormie hémophage, Phormia azurea Far. dont les larves sont incapables de produire des tumeurs et de s’y développer d'une manière permanente. Lucienne DEHORNE, FORMATION DU SAC OVIGÈRE ET FÉCONDATION DES ŒUFS CHEZ LA MYRIANIDA PINNIGERA Monraçu Les auteurs qui ont eu l'occasion d'observer des Myrianides épigames ou d’autres Syllidiens à sac ovigère (VIGuIER, DE SAINT- Josern, MaLaquiv) n'ont pas suivi le phénomène de la ponte; aussi n'ont-ils pu expliquer la formation de la poche incuba- trice. Chez les Exogones, chaque œuf accomplit son développement à l’intérieur d'une vésicule ovigère, qui est située dorsalement ou ventraleméent et qui est l'homologue du sac ovigère ventral des Myrianides. Dans le travail de GC. Vieuier sur l’Exogone gemmifera ({887), on ne trouve aucun renseignement sur le mode de formation de ces vésicules ovigères. Pour Maraquin (1893) la paroi du sac des Myrianides « est évidemment un produit de sécrétion des glandes muqueuses épi- dermiques, probablement des glandes qui sont si abondantes sur le bourrelet de la rame ventrale. L’apparence de cette mem- brane rappelle en tout point celle des tubes que sécrètent les Syllidiens ». Le même auteur et Goopricu sont les seuls qui aient donné à l'organe vecteur des Syllidiens épigames sa réelle physionomie. « Chez les Stolons, dit Maraqui, les néphridies acquièrent d'em- blée le volume définitif qu'elles doivent avoir. La modification de la néphridie se manifeste tout d'abord par une dilatation du canal néphridien (!). Même lorsque la néphridie prend la forme d'un sac volumineux, pendant la période de maturité sexuelle, () AzserT Fr. (1887) avait déjà signalé chez les bourgeons mûrs de l'Æaplosyllis spongicola Gr. une augmentation considérable du volume des néphridies, ainsi que la persistance de l’aspect glandulaire. 432 ; L. DEHORNE toujours les parois sont constituées par une seule couche de cel- lules de forme cubique, pourvues de cils vibratiles. Dans leur croissance secondaire, l'augmentation de volume des néphridies paraît plutôt produite par l'accroissement propre des cellules qui acquièrent une plus grande taille que par une prolifération nouvelle ». Goopricn (1900) a montré la différence qui existe entre Île néphrostome et le large pavillon d'origine péritonéale qui se forme au moment de la reproduction. Mais personne n’a compris la fonction sécrétrice de cet organe ; et le rèle qu'il joue dans la formation du sac ovigère chez les femelles est absolument méconnu. Pour Pruvor (1902) la néphridie modifiée n’est pas glandulaire. On connaît du reste le rôle mécanique qu'il lui attribue dans la locomotion (). Face, observant chez la femelle mûre de l'Odontosyllis ctenos- toma Clp. (1906) la modification du tube néphridien que Maa- quiN a signalée, indique que « la paroi, devenue épaisse, est remplie de sphérules que le vert-lumière colore uniformément en vert » et que « chez la femelle müre de la Myrianida fasciata M. Enw. des phénomènes analogues sont visibles ». Cet auteur démontre ensuite que l'abondance des sphérules acidophiles dans la paroi des tubes vecteurs témoigne de la recrudescence de l'activité excrétrice, en faisant remarquer que cette recrudescence accompagne la dégénérescence de l'intestin et de l'appareil mus- culaire. Quant à la fécondation des œufs, Vicuiër — qui semble négli- er l'obstacle que lui apportera la membrane du sac ovigère ou qui ignore l'existence de cette membrane solide chez les Exogo- nes — dit « qu’elle s'opère sans doute après la ponte ». Mara- quix croit « qu'elle s'effectue en même temps que la ponte ». Parmi les Autolytés qu'on rencontre à Roscoff, j'ai recueilli un grand nombre d'exemplaires appartenant à une espèce consi- dérée comme rare sur les côtes de France, la Myrianida pinni- gera MonraGu. (‘) Pruvor n’a pas constaté chez les femelles des espèces qu’il a examinées de transformation ni d'augmentation de taille notable dans les organes segmentaires des segments ovigères. FORMATION DU SAC OVIGÈRE ET FÉCONDATION DES ŒUFS 433 Toutes les Sacconereis (‘) de cet Autolyté que je trouvais libres dans l’eau de mer portaient déjà leurs œufs dans un sac ovigère, tandis que les Sacconereis les plus évoluées, au sens Fig. 1. — Sacconereis de la Myrianida pinnigera Mowr. Vue par la face ventrale. Esquisse d’après le vivant. Gr. 10 d. épigamique du mot, mais encore solidaires des chaînes femelles, recueillies dans leur voisinage avaient encore leurs œufs dans (‘) À une époque où l’on ne connaissait pas encore leur signification biologique, les formes sexuées des Autolytes ont été décrites sous des noms différents comme deux genres nouveaux : Sacconereis MürLer 4853, correspondant à la forme femelle, Polybostrichus OErsren 1843, à la forme mâle. La Sacconereis helgolan- dica À. Mücrer et le Polybostrichus Mülleri KEFERSTEIN, par exemple, sont les deux formes sexuées de l’Autolytus prolifer, O. F. MüLLERr.: 434 L. DEHORNE les chambres cœlomiques droite et gauche des segments géni- taux. Cette opposition suggérait l’idée que le passage des ovules mûrs dans le sac incubateur doit se faire au moment où a lieu la scissiparité. Dans le but de m'en assurer, j'ai suivi l'évolution des zoïdes constituant les chaines femelles de la Myrianida pinnigera jus- qu'au moment où, devenus libres, ces zoïdes représentent les Sacconereis à sac ovigère ventral que Maraquix (1893) a exacte- ment décrites. | J'ai pu, de cette manière, assister à la formation du sac ovigère et au passage des œufs dans le sac, et j'ai été ainsi amenée à me demander comment peut s'effectuer la fécondation des œufs. Chaque zoïde femelle possède dans chacun de ses segments moyens deux ovocytes; nous en donnerons ailleurs l'histoire. Pour l'instant, nous nous contenterons de savoir que, de bonne heure, les ovocytes se chargent de lécithe et qu'un zoïde dont la céphalisation n’est pas achevée renferme une série d’ovules déjà volumineux, blanchâtres, symétriques deux à deux par rap- port à l'intestin qu'ils flanquent latéralement. Pendant l’accrois- sement du zoïde femelle et durant sa période de céphalisation chacun d'eux acquiert un volume considérable et comble la chambre cœlomique. Parallèlement, dans les segments ovigères se développent des organes oviducteurs représentés par les figures 2 et 3. Ils occu- pent la situation des néphridies, dont ils ont l'allure générale. Toutefois, le néphrostome cilié des Myrianides ne ressemble en rien à ces vastes entonnoirs nus et plissés, qui sont comme de larges infundibulations des dissépiments. À l’entonnoir de l'or- gane oviducteur fait suite un col membraneux qui se dilate brusquement de façon à former une chambre aux parois épaisses, constituées par une seule assise épithéliale dont tous les élé- ments sont glandulaires. Cette partie de l'organe vecteur, souvent écrasée sur elle-même et d’ailleurs comprimée par l’ovule qui se développe dans la même chambre cœælomique, semble ne possé- der qu'une lumière étroite infiniment ramifiée. En réalité sa cavité est grande et répond à la taille de l'ovule qu'elle recevra. Entre cette dilatation et l'orifice de l'organe oviducteur s'étend le canal terminal. Ce canal, étranglé dans sa partie moyenne, nié FORMATION DU SAC OVIGÈRE ET FÉCONDATION DES ŒUFS 435 riche en fibres musculaires circulaires, traverse une partie de la cavité parapodiale et débouche à la base du parapode (face Fig. 2. — Les trois avant-derniers anneaux ovigères d’un zoïde femelle de la Myrianida pinnigera, vus par la face ventrale ; le côté gauche des anneaux seul est représenté. Dessiné d’après l’animal vivant. R, rame ventrale du parapode. En », les soies nataloires, propres aux formes sexuées des Autolytés. N, Lhaïne nerveuse ventrale. S, Dissépiment. M, Bandelette musculaire interparapodiale. 0, Ovule [le lécithe est coloré en rose orange]. S, Entonnoir de l’organe oviducleur. c, Col de cet organe. a, Chambre de l’oviducte à parois glandulaires épaisses (1 seule assise épithéliale). t, Canal terminal. g, Glandes acineuses disposées en rosette autour de l’orifice, o du canal oviducteur. ventrale). Un groupe de glandes acineuses forme une rosette 436 L. DEHORNE autour du renflement qui le termine. Lorsque l’ovule est par- venu à maturité, ces glandes se sont considérablement accrues et la disposition en rosette n'existe plus. Au moment de la ponte, l’ovule qui distendait la paroi du seg- ment et le dissépiment antérieur s'engage dans l'entonnoir. Sous sa pression, le col de l’entonnoir se déplisse lentement et l’ovule passe dans la chambre de l'organe oviducteur. On voit alors la paroi de cette dernière s amincir et une couche mucoïde la sépa- rer de l'ovule : les cellules épithéliales se sont vidées de leur sécrétion. Puis, le canal terminal se dilate et l'ovule pénètre dans Fig. 3. — Organe oviducteur parvenu à son complet développement. la lumière élargie ; il comprime ainsi, entre lui et la paroi du parapode, les volumineuses glandes acineuses qui rayonnent autour de l'orifice du canal oviducteur; ces glandes se vident à leur tour de leur sécrétion qui, très fluide, mais très adhésive, vient s'étaler à la surface ventrale du segment; elle rencontre vers la ligne médiane ventrale le liquide sécrété par les glandes symétriques. La rencontre de cette nappe avec celles du segment précédent et du suivant n’a lieu qu’à l'instant où les œufs, eux-mêmes enveloppés par la sécrétion des organes vec- teurs, franchissent les orifices femelles. Au contact de l’eau de mer, cette substance acquiert une con- sistance solide et forme une membrane résistante. Il est probable que le mécanisme de sa solidification est le même que celui de la chitine de la Sacculine du crabe. Y. DeLace (18814) à fait con- FORMATION DU SAC OVIGÈRE ET FÉCONDATION DES ŒUFS 437 naître une maladie de la Sacculine « qui consiste en une hyper- sécrétion de chitine liquide dans l'épaisseur du manteau. Le liquide s'accumule dans cette membrane et forme un kyste volu- mineux. Tant que la paroi est intacte, la chitine reste liquide. Dès qu'on pique le kyste, la liqueur s'écoule, et si on la reçoit sur une lame de verre, on constate qu'elle se solidifie en quel- ques instants ». La paroi du sac ovigère de la Mvrianide prend vite l'aspect d'une membrane chitinoïde, tendue au-dessus de la Fig. 4. — Coupe schématique, transversale d’une Sacconereis au moment de la formation du sac ovigère. O0, Ovule. t, Canal terminal. S. a. Substance sécrétée par les glandes en rosette a'et non encore soli- difiée. S. 0. Substance sécrétée par le canal oviducteur €. R, Parapode. I, Intestin, non fonclionnel. N, Chaine nerveuse. masse que forment les œufs ; la solidification de la substance sécrétée par les glandes en rosette est donc aussi rapide que celle de la chitine liquide de la Sacculine. Le fluide dans lequel nagent les œufs à l'intérieur du sac incu- bateur représente tout le liquide sécrété par les organes oviduc- teurs. Le sac embrasse tout le champ ventral des segments ovigères et la base de leurs parapodes ; les orifices femelles y sont com- 438 L. DEHORNE pris. Après la ponte, les organes vecteurs diminuent de volume, mais ne disparaissent pas. Examinons la question de la fécondation. Puisque, au contact de l’eau de mer, la sécrétion des glandes en rosette devient résistante et seulement pénétrable aux échan- ges osmotiques, la fécondation ne peut s'effectuer qu’au moment où, cette sécrétion venant d'être déversée à la surface ventrale des segments génitaux, les œufs franchissent les orifices femelles. Les spermatozoïdes ont donc à franchir cette substance d'abord, puis celle qui enveloppe les œufs à leur sortie. Mais le temps durant lequel cette pénétration peut avoir lieu est bref; il faut donc admettre que des spermatozoïdes de Myrianida pinnigera se trouvent en grand nombre dans l’eau de mer qui baigne les Sacconereis mûres (1). En fait, jamais je n'ai trouvé de Polybostrichus mûrs et libres, au voisinage immédiat soit de Sacconereis müres et libres, soit de chaînes femelles à zoïdes voisins de la maturité sexuelle. Mais de l'absence de ces formes mâles, on ne peut inférer qu'il n'y ait pas de spermatozoïdes dans l'eau de mer qui baigne les Sacconereis et les chaînes femelles, puisque j'ai trouvé des chaines mâles dans les mêmes eaux. Les individus mâles, libres, échappent-ils à nos recherches à cause de leur petite taille ou de leur agilité plus grande ? L'ob- servation au laboratoire des individus mâles et femelles, devenus libres, ne m'a révélé de différence, ni dans la vivacité d’allure, ni dans l'intensité desréactions vis-à-vis des excitations extérieu- res. Îl est infiniment probable que l'émission des spermatozoïdes a lieu chez le Polybostrichus, comme la ponte des œufs chez la Sacconereis, au moment où se réalise la scissiparité. La vie du Polybostrichus libre serait de courte durée et cette raison pour- rait suffire à expliquer l'absence de ces formes libres dans les eaux où je récolte à la fois les chaînes des deux sexes et les Sacconereis libres de la Myrianida pinnigera. (‘} On peut ainsi expliquer les cas, assez fréquents, où les œufs contenus dans le sac incubateur ne se développent pas : ces œufs n'auraient pas été fécondés. Malaquin, aussi. a observé que les œufs de certaines Sacconereis de l’Autolytus Ediwardsi ne se segmentaient pas. FORMATION DU SAC OVIGÈRE ET FÉCONDATION DES ŒUFS 439 INDEX BIBLIOGRAPHIQUE ‘ KererstTEIN, 4862. — Untersuchen über niedere Seethierc. Zeit. f. wiss. Zoo1 Bd XI. Euxzers, 1864. — Die Borstenwürmer. CLAPARÈDE, 1868. — Annélides chétopodes du Golfe de Naples. Hem. Soc. Phys. Hist. Nat. Genève. Y. Decace, 1884. — Evolution de la Saceuline. Arch. Zool. exp. 2° série. T. 2. C. Vicurer, 1884.— Sur l’£xogone yemmifera et quelques autres Syllidiens à gestation. Arch. Zool. exp., ?e série. T. 2. De Sanr-Josern, 1886.— Annélides Polychèles des côtes de Dinard. Ann. Sc. Nat. Zool., série. T. [. Fr. Azgerr, 4887. — Ueber Fortpfl. /aplosyllis spongicola. Mitth. Zoo. St. Neapel. Bd. VIT. Horsr, 4889. — On a remarquable Syllis. Note Leyden Museum. Vol. XI. MaLaQuiN, 1893. — Recherches sur les Syllidiens. Mém. Soc. Sc. Arts. Lille. GoopricH, 1895. — On the Cœlom, genital Ducts and Nephridia. Quart. J. micr. Sc. Vol. XXXVIL. ’ Goopric, 4902. — On the Nephridia of the Polychaeta. Quart. J. micr. Sc. Vol. XLIHI. Pruvor, 1902. — Modifications et rôle des organes segmentaires des Sylli- diens à l’époque de la Reproduction. C. À. Acad. Se. Paris. Face, 1906. Recherches sur les organes segmentaires des Annélides Poly- chètes. Ann. Se. Nat. T. TI. Jean L. LICHTENSTEIN et François PICARD ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU « SYCOSOTER LAVAGNE! » PICARD ET J. L. LICHT., Hecabolide Parasite de | « Hypoborus ficus » Er. SOMMAIRE INTRODUCTION. — Hypoborus ficus, hôte de Sycosoter Lavagnei; ses mŒUrS Ses aULreS parasites, AD EL PAPE RU DR AMEN I. MORPHOLOGIE DU SYCOSOTER LAVAGNEI. — Existence d'ailés et d’aptères; description de la femelle, description du mâle. Position systématique du genre Sycosoter. Le dimorphisme saisonnier . . 442 II. BIOLOGIE. — Epoques et mode de sortie ; accouplement ; ponte. L'œuf, description et mode de vie de la larve; nymphose dans un COCO SEM PA SLT AE AE der M AE T SR A Me ue EE EP SRE SE INTRODUCTION Les Figuiers du Midi de la France sont constamment attaqués par un petit Scolytide : Hypoborus ficus Er. Celui-ci est lui-même parasité par un Hyménoptère de la famille des Braconides, que nous avons récemment fait connaître sous le nom de Sycosoter Lavagner Picaro et J. L. Licur. (*), créant pour lui un genre nou- veau dans la tribu des Hécabolides. Nous nous proposons dans ce mémoire d'étudier ce parasite en insistant particulièrement sur sa biologie ; mais nous jugeons utile auparavant de dire quelques mots des mœurs de l'hôte, ce qui permettra de mieux comprendre l’éthologie du Sycosoter. L'Hypoborus ficus Er. est un Scolytide d'un gris plombé, pubescent, de 1 mm. 1/4 à 1 mm. 1/2. Il ne se nourrit que de Figuier, minant en particulier les jeunes branches, qu'il préfère, (!) Prcarp, E. et J. L. LicarensreIN, 1917. — Un Braconide nouveau Sycosoter Lava- gnei, n. g., n. sp. [(Hym.], parasite de l’Æypoborus ficus Er. [Col.]. — Bull. Soc. Entom: France. 1917, p. 284. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEIT 441 comme la plupart des Xylophages, mortes ou malades. Ses méta- morphoses se passent sous l’écorce dont la face interne est éga- lement entamée par les galeries creusées à la surface du bois. Au moment de la ponte, la femelle pénètre dans l’écorce sous laquelle elle établit une chambre de ponte assez profonde, de forme irrégulière, allongée et disposée transversalement par rap- port à l'axe de la branche. On y trouve toujours deux individus, un mâle et une femelle. Les œufs sont déposés au nombre de 24 environ, moitié d'un côté, moitié de l’autre de la galerie de ponte, dans de petites encoches sculptées sur les parois, et abrités dans un amas de sciure de bois. Ils sont pondus successivement; ce sont ceux de la partie centrale de la chambre de ponte qui éclosent en premier lieu. La larve creuse dans une direction perpendiculaire ou oblique à la cavité centrale; les gale- ries des diverses larves issues d'une même femelle sont ainsi disposées à peu près parallèlement entre elles. Elles s'élargis- sent très légèrement à mesure que les larves s’accroissent en taille ; au fur et à mesure aussi, elles sont comblées en ar- rière de celles-ci par leurs excréments qui sont tassés en un boudin occupant toute pig, 1 — Fragment la largeur de la galerie. La nymphose d'une branche de Fi- , Se re LÉ : guier dont l’écorce à s'effectue à l'extrémité de cette galerie qui, 6 soulevée pour étant donnée la lenteur avec laquelle la montrer les galeries larve avance, ne dépasse jamais huit à Rule REUS dix millimètres de longueur ; cette por- tion terminale est un peu plus approfondie que le reste du canal larvaire, mais imperceptiblement ou pas plus large (Fig. D). La larve ressemble à toutes les larves de Scolytides ; légèrement recourbée en arc, apode, pubescente, avec la région thoracique beaucoup plus large que l’arrière-corps, elle est d’une couleur blanc jaunätre. Quant à la nymphe, entièrement blanche, elle est couchée dans sa loge, la face ventrale tournée vers l'écorce. L'imago n'a plus qu'à percer celle-ci pour venir au jour. On recon- nait facilement les branches malades à la grande quantité de ces orifices de sortie, ronds ou ovalaires, qui criblent leur surface. 449 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD L'insecte se montre en tout temps; le nombre de ses généra- tions annuelles semble être de trois et peut-être davantage. Ses dégâts, sans être des plus néfastes, ne sont pas à négliger, étant donnée la rapide multiplication de ce Scolyte. Cette multi- plication est d’ailleurs entravée par de nombreux ennemis. Outre le Sycosoter Laragnei Picar» et J. L. Licur., nous pouvons citer deux espèces de Chalcidiens que nous n’avons pas encore déter- minées ; leurs larves, également parasites externes. peuvent se distinguer de celles du Braconide, entre autres caractères, par leur pilosité, et en ce qu'elles ne tissent pas de cocon. Ces para- sites sont toutefois moins communs que le Sycosoler. Le principal rôle dans la destruction de l'Hypoborus ficus revient à un Acarien Tarsonémide, Pediculoïdes ventricosus Newport, bien connu comme ennemi de, beaucoup d'insectes xylophages, gallicoles et autres: l'Hypobore n'avait pas encore été signalé parmi ses victimes, à en juger d’après la liste qu’en donne BLaxc ('). Des larves de Coléoptères font aussi la chasse à celles de l'Hy- pobore. La plus répandue est celle de Læmophleus hkypobori Penris, qui se rencontre d'une façon à peu près constante. Un autre Cucujide appartenant au même genre : Lœæmophleus ater Ouiv., s'en nourrit également, mais est moins fréquent. Enfin les larves d’un Trogositide : Nermosoma elongatum L., font des carnages analogues dans les galeries du Scolytide. Nous avons aperçu rarement une larve rosée de Cécidomyide, dans les galeries de l’Aypoborus ; nous supposons qu'elle trouve sa nourriture dans les déjections de celui-ci. I. — MORPHOLOGIE DU « SYCOSOTER LAVAGNEI » Les deux sexes du Sycosoter Lavagneti présentent des indi- vidus ailés et des individus aptères. Les mâles sont le plus souvent aptères; chez les femelles, l’aptérisme parait être sai- sonnier; les ailés, se montrant surtout à la belle saison, sont l'exception au contraire en automne. (1) Bzanc, Dr G. R., 1913. — Revue générale de la famille des Tarsonémides. — Bull. Soc. Etude et vulgarisation Zool. Agricole. Bordeaux. Juin 1913. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 443 Il n'existe d’ailleurs aucune autre différence entre ailés et aptères que l'absence d'ailes chez ces derniers. Notre description portera sur des individus munis d'ailes et s’appliquera donc éga- lement à ceux qui en sont dépourvus. Nous commencerons par l'étude détaillée de la femelle, nous contentant ensuite pour le mâle d'insister sur les seuls caractères qui lui sont particuliers. Fig Il. — Sycosoter Lavagnei. — Femelle ailée vue dorsalement. X 292. Description de la femelle. — La coloration de la femelle est d'un roux testacé clair; les ailes sont hyalines. Ses dimensions varient entre { mm. 1/4 et { mm. 3/4, mesures prises de la tête à l'extrémité de l’abdomen, sans la tarière. L'envergure atteint 3 mm. 1/2 à 4 mm. (Fig. Il. La tête est bombée, transversale vue de haut, et un peu plus large que la base du thorax ; brillante et testacée, des poils blan- châtres très épars garnissent sa surface. En arrière surmontant le cou, l’occiput est excavé et fortement rebordé : le vertex qui lui fait suite est entièrement lisse et porte les trois ocelles brun rouge, disposés en triangle, le médian en avant. Les tempes sont un peu plus courtes que la largeur des yeux qui se montrent arrondis et placés latéralement, un peu en dessous et en arrière de l'insertion des antennes. Celles-ci s'articulent sur le bord 28 444 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD supérieur du front, dans une légère encoche cuticulaire ; assez rapprochées l'une de l’autre à la base, elles sont à peine moins longues que le corps. On y compte 14 articles, quelquefois 13. Les deux premiers, plus courts et plus globuleux, se distinguent bien des suivants qui, à peu près égaux entre eux en longueur, augmentent quelque peu d'épaisseur jusqu'au sommet. Jusqu'au sixième article, les antennes sont jaune-clair et faiblement velues ; les autres d’un gris brunâtre se couvrent d’une pilosité assez longue disposée régulièrement en série de poils dirigés vers l'avant; le dernier article est en pointe obtuse et rappelle celui Fig. II. — Sycosoter Lavagnei. — Femelle aptère vue dorsalement. X 22. de Doryctes gallicus Renan, figuré par Seurar (). Faisant suite au front, la face légèrement plus foncée que le dessus de la tête, est ridée transversalement mais irrégulièrement et peu dis- tinctement; des poils blanchâtres s’y fixent plus nombreux et plus serrés qu'ailleurs, moins cependant que sur l'épistome qui en porte plusieurs rangées. Ce dernier est largement échancré et excavé, laissant ainsi à découvert les pièces buccales (Fig. I, IT et IV): Celles-ci se décomposent en : un labre, une paire de mandi- (:) Seurar, M., 1899. — Contribution à l'étude des Hyménoptères entomophages. — Ann. Sc. Naturelles, 8 série, t. X (Toutes les cilations de cet auteur dans le cours de notre travail, se rapportent à ce mémoire). ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 445 bules, une paire de mâchoires et un labium. Le labre est une lame chitineuse ambrée, en trapèze allongé à petits côtés arrondis. Sa base, étroitement appliquée contre le rebord interne de l’épistome, en épouse la courbe. Il est orienté de haut en bas, Fig. IV. —Sycosotc: Lavagnei. — Tête de la femelle, vue de profil. — a : base de l'antenne; e : épistome; »m : mandibules; o : ocelle; p : palpes maxillaires et labiaux; 7 : œil. L limitant le fond de l’échancrure épistomienne; par suite il demeure invisible sans préparation. Tout le long de ses bords Fig. V. — Sycosoter Lavagnei. — Kig. VI. — Sycosoter Lavagnei. — Bord de l’épistome et labre (Pièces Mandibule droite. préparées en vue de rendre appa- rent le labre qui est déplacé de sa position normale). sauf à la base, sont insérés de nombreux poils remarquablement longs ; il en existe de semblables en très petit nombre en son milieu (Fig. V). Les mandibules (Fig. IV, #2 et Fig. VI) sont très fortement chitinisées ; leur base d'insertion très large et à contour 446 JT LICHTENSTEIN ET F., PICARD semi-circulaire, s'étend depuis l'échancrure de l’épistome jus- qu’au bas de la tête. Leur forme peut être comparée à celle d’un cône évidé sur l’un de ses côtés. Elles sont bidentées, à dents courtes placées l'une au-dessus de l’autre en position normale. Fig. VIL — Sycosoter Lavagnei. — Mächoire droite. — D : ébauche d’un cinquième article du palpe ; g : galea ; 7 : sous-galea : p : palpe maxil- laire ; s : stipe. On distingue sur les parois supérieure et inférieure de la man- dibule, une zone velue à poils raides et serrés. En dessous des Fig. VII — Sycosoter Lavagnei.— Labium. mandibules s’attachent les mâchoires et le läbium, qu'il est difficile de séparer. Cha- cune des mächoires (Fis. VIF) nous montre un stipe portant le palpe maxillaire à quatre articles plus longs que larges, l'avant-dernier étant le plus court. Il s'in- sère sur le stipe à son sommet externe, sur un court prolongement que l’on pourrait peut-être considérer comme le rudiment d'un cinquième article, mais qui ne pré- sente pas, dans la plupart des cas, de séparation nette d’une part avec le stipe, d'autre part avec le premier article du palpe. Le bord interne du stipe est surmonté de deux lames; l'externe ou galea est arrondie et couverte de poils sensoriels nombreux et de deux sortes ; l'interne ou sous-galea est en forme- de sabre. Le labium (Fig. VIII) est placé entre les ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI #47 mäâchoires. Il se compose d'un mentum allongé de chaque côté duquel partent les palpes labiaux à trois articles. Les lames externes sont de courts prolongements pileux:; quant aux internes elles sont soudées, donnant ainsi une sorte de lobe garni de nombreux poils très courts. Au repos, les palpes maxillaires et labiaux pendent sous la tète dans une direction antéro-posté- rieure (Fig. IV). Nous ne décrirons pas en détail le thorax, relié à la tète par un cou étroit, car il est conforme à celui des autres Braconides. Il se présente avec une coloration testacée comme le reste du corps, d'un roux plus foncé, cependant, sur les côtés et sur le segment médiaire (métathorax des auteurs), et couvert de poils clair- semés. Le pronotum porte postérieurement un rebord saillant d’une teinte plus foncée, appliqué contre le bord antérieur du mésonotum qui est un peu aplati, lisse, luisant ainsi que l’écusson, lequel est davantage bombé. La surface du métathorax (postécusson des auteurs) présente des irrégularités; quant au segment médiaire, il est chagriné et muni en son milieu d'une fine carène longitudinale (Fig. IEet IT). Les ailes antérieures (Fig. I) entièrement couvertes de micros- copiques poils, s'élargissent jusque vers le dernier quart, pour ensuite s’arrondir largement; il existe une bordure de poils écartés, sur son bord antérieur, et une frange de poils plus serrés et plus longs sur le pourtour de sa courbure. La cellule radiale atteint presque le bout de l'aile ; la deuxième nervure transverso- cubitale étant nulle, on ne compte que deux cellules cubitales séparées par la première nervure transverso-cubitale à direction très oblique ; la première cubitale est pentagonale, la deuxième est allongée et va en s'élargissant jusqu'à l’extrémité de l'aile. La nervure récurrente aboutit à la première cubitale un peu avant le point de jonction des nervures transverso-cubitale et cubitale. Première cellule discoïdale fermée; la deuxième est ouverte à la base par suite de l'absence de la nervure médio- discoïdale. La nervure postérieure est interstitiale. Toutes les nervures sont d'un testacé pâle, cependant la costale est plus foncée ; le point de jonction des nervures récurrente, transverso- cubitale et cubitale se montre éclairei. Le stigma est jaune ambré ainsi qu'une tache triangulaire au sommet de la cellule costale et une autre au-dessous des discoïdales, à la marge inférieure de 448 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD l'aile, épaissie en ce point pour former un petit rebord où vient s'accrocher l'aile de Ta deuxième paire. Les écaillettes sont brunes. L'aile postérieure (Fig. Il) parsemée de petits poils serrés, en porte une rangée de plus écartés sur la première moitié de son bord antérieur; vers le milieu de ce bord se trouve un petit fais- ceau de crochets : c'est par eux que cette aile s'attache au rebord de l’antérieure. Une frange de poils plus grands et serrés court tout le long du bord postérieur, de la base à l'extrémité. Il n'existe qu'une cellule fermée, la brachiale. Les pattes (Fig. IX) sont toutes d'un jaune plus pâle que le reste du corps. Comme chez tous les Hyménoptères, le trochanter - Fig. IX, — Sycosoter Lavagnei. — Patte antérieure, — f : fémur; 2 : hanche ; n : tarse; { : libia; tr : lrochanter. est biarticulé; il s'insère sur une hanche conique: ces parties sont munies de poils rares, courts et clairs, ainsi que la cuisse prolongée à l'extrémité interne par une apophyse venant s’ap- puyer sur une courte proéminence angulaire de la base du tibia ; cette disposition interdit à la jambe de se replier sur le fémur et doit faciliter le travail du forage de l'écorce, Le tibia, de même ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 449 longueur que la cuisse, possède sur la face latéro-externe une série de cirres courts, outre des poils, et à son sommet interne, une forte épine courbée et dentée; cela pour les pattes anté- rieures ; les deux paires postérieures ont une épine plus droite, moins longue et non dentée, et la longueur de leurs tibias dépasse un peu celle des fémurs. Les tarses antérieurs sont plus allongés, les intermédiaires et postérieurs de même longueur, que les tibias. Ils ont cinq articles à poils denses; les quatre premiers s'épaississant légèrement de la base au sommet, sont excavés au bout où pénètre la portion proximale conique de l’article suivant; le premier, qui possède une rangée de poils plus raides, est long comme les deux suivants réunis, lesquels vont en diminuant de longueur jusqu’au quatrième long comme la moitié du précédent ; le cinquième, égal au second, se termine par deux crochets flanquant de part et d'autre le pulvillus. Les pattes sont assez allongées ; les postérieures dépassent l'abdomen. Celui-ci (Fig. X), chez la femelle, un peu plus long que la tête et le thorax réunis, d'un roux clair luisant plus foncé sur les Fig. X, — Sycosoter Lavagnei. — Abdomen de la femelle, vu de profil. 4 à 9 : tergites des 9 segments; I à IX : sternites; c : cerques; g : gor- geret ; d : sternite du segment médiaire (thorax); fsi: stylets; # : stig- mate ; v : valves. anneaux médians, paraît de sept segments vu en dessus. En réalité il en compte neuf, dont les sept premiers portent latéra- lement une paire de stigmates placés sur les bords inférieurs des tergites. Le premier segment se distingue tout de suite des suivants par une teinte ambrée moins brillante, le tégument de 450 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD son tergite étant plus épaissi et imperceptiblement chagriné. Il est sessile et un peu plus large au sommet qu’à la base; celle-ci est ornée de deux fines carénules arquées n'atteignant pas ie milieu, situées chacune de part et d'autre de la ligne médiane ; les stigmates de la première paire se voient sur les bords externes des côtés du tergite relevés en carène. En dessous de ce premier segment, le ventre montre un sternite fortement chi- tinisé ; il appartient au segment médiaire du thorax. Le sternite du premier anneau abdominal est semblable à ceux des autres segments abdominaux. Les deuxième et troisième segments sont étroitement soudés entre eux; on interprète comme double ce qui paraît être le deuxième segment par suite de la présence de deux paires de stigmates, la deuxième et la troisième, sur ses flancs ; comme les tergites, les sternites correspondant à ces deux segments sont coalescents. Les trois segments suivants, portant chacun une paire de stigmates, sont semblables entre eux ; mais le tergite du septième s'enfonce un peu sous celui du sixième, et d'autre part ses bords latéraux se prolongent bien plus bas que les précédents et enserrent le huitième segment; il porte aussi une paire de stigmates, la septième et dernière. Le huitième segment, fortement modilié, est invisible d'en haut; ses tergite et sternite constituent, avec le sternite du septième segment, l'ar- mature génitale. Quant au neuvième où segment anal, peu chi- tinisé et difficilement visible, il se trouve placé sous le huitième tergite. Tous les tergites sont lisses et parsemés de rares poils. Nous ne parlerons que brièvement de l'armature génitale qui est identique à celle du Doryctes qallicus, bien décrite par SEURAT. Elle est couchée ventralement sous les sternites des cin- quième et sixième segments et, vue de.dos, on n'y distingue que les cercopodes et la partie distale de la tarière ; c'est uniquement cette partie visible que les systématistes mesurent lorsqu'ils mentionnent la longueur de la tarière. Chez notre espèce elle atteint 1/4 mm. à 1/2 mm., étant beaucoup plus courte que l'abdomen et très faiblement incurvée vers le haut; mais en réalité elle a 3/4 mm. à 1 mm. de la base du gorgeret à son extrémité. Le gorgeret est placé dans une gouttière limitée par les bandes chitineuses des deux parties symétriques du huitième sternite dont les bords latéraux postérieurs portent les valves. Celles-ci, de 1/2 mm. de long, concaves sur leur face interne, ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 451 s’élargissent un peu en spatule au bout, et servent de gaine au gorgeret; leur base est claire et consolidée par une baguette chi- tineuse dentelée, leur dernière portion est brune et poilue. Ce huitième sternite se présente avec la même structure que celui du Doryctes gallicus; de mème le gorgeret avec son épais- sissement basal et ses arcs chitineux de fixation. Les stylets, logés dans la rainure du gorgeret, viennent s'insérer en s’écar- tant l’un de l'autre, passant ainsi de chaque côté de lorifice vaginal, sur une lamelle chitineuse, antérieure par rapport au gorgeret, et considérée comme le sternite très réduit du septième segment. Ils sont incolores, sauf à l'extrémité où ils deviennent d’un brun foncé, élargis et dentés en scie. Le tergite du huitième segment est également disposé comme chez Drryctes; ses bords inférieurs sont étroitement appliqués sur leur sternite et ils sont solidifiés dorsalement par une tige chitineuse ; il existe aussi une pièce triangulaire. Postérieurement, il est muni de deux petits cerques velus, de part et d'autre-du segment anal. Des muscles, disposés comme les décrit Seurar, meuvent ces diverses pièces au moment du forage et de la ponte. Le vagin débouche en arrière du septième sternite entre les deux stylets écartés. Nous n'avons pas porté une attention spé- ciale aux deux ovaires; ils paraissent composés respectivement de deux gaines ovigères donnant chacune naissance à six œufs, de sorte que la femelle doit être capable de pondre-vingt-quatre fois. Ces œufs sont tous mürs en même temps. Description du mâle. — Le mâle est généralement plus petit et plus grêle; sa taille, pouvant dépasser celle de la femelle, mesure de { mm. jusqu'à 2 mm. Il est en outre d'une couleur plus foncée, surtout chez les gros exemplaires. Ses antennes également de 13 ou 14 articles, rarement 12, sont-un peu plus longues et plus épaissies au bout; les palpes ont des articles plus allongés. Mais c'est surtout par la forme de labdomen qu'il diffère de la femelle (Fig. XI et XIT). Celui-ci (Fig. XIII et XIV) compte, de même, neuf segments dont les sept premiers sont munis chacun d'une paire de stig- mates. À part le premier, la forme de ces segments est tout à fait spéciale et mérite une description approfondie. Rien à dire sur le premier, de forme et de couleur identiques à celui de la femelle ; 452 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD le reste de l'abdomen se présente différemment selon que le mâle est au repos ou en accouplement. Au repos (Fig. XI) l'abdomen est longuement conique, plus étroit et plus long que chez la femelle, avec sa plus grande largeur vers le quart antérieur. Les deuxième et troisième segments, lisses et luisants, sont coalescents mais seulement sur la partie dorsale Fig. XI. — Sycosoter Lavagnei. — Mâle ailé vu dorsalement. X 22. du tergite, laquelle est limitée latéralement par deux lignes chi- tineuses épaissies ; une suture subsiste sur les flancs des tergites qui portent les deux paires de stigmates (Fig. XIIT et XIV). Les sternites sont aussi soudés entre eux. Les segments suivants sont plus allongés et diminuent de largeur jusqu'au dernier ; ils s'emboîtent les uns dans les autres, et incurvés sur la partie dorsale qui est concave, leur ensemble constitue ainsi une large gouttière limitée par deux bourrelets convergents à l'extrémité qui est terminée par l'appareil copulateur. La couleur des ter- gites, d'un brun foncé presque noir sur les deuxième et troisième, va en s'éclaircissant sur les bourrélets latéraux, le fond de la gouttière restant testacé; ils portent tous des poils à leur sommet. Cet abdomen est capable de se distendre fortement. A l'état d'extension, on saisit bien les détails de sa structure (Fig. XII, XIIT et XIV). Les deuxième et troisième segments restant sans mlcate son à. dl late Sie: est ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNET 453 modifications, les suivants se dévaginent les uns des autres ; l'abdomen s’allonge ainsi considérablement ; il peut en outre se rabattre vers le bas, le quatrième segment s'articulant sous Île tergite du troisième (!) (Fig. XIII). Chacun de ces segments est constitué dorsalement par un tergite membraneux ; les seules Fig. XII. — Sycosoter Lavagnei. — Mâle aptère vu dorsalement ; son abdomen est en extension. X 22. pièces fortement chitinisées sont représentées par deux tigelles, probablement apodèmes d'insertions musculaires, disposées sous le tergite, de part et d’autre, latéralement. L'ensemble de ces tigelles imbriquées dans les segments télescopés, forme les bour- relets de l'abdomen au repos. Dans le quatrième segment ces tigelles sont simples ; dans les autres, jusqu'au septième inclus, elles ont l'allure d'une fourche à branches paires antérieures, limpaire se logeant dans la fourche du segment suivant (Fig. XIIT et XIV). Ces quatre segments portent chacun une paire de stigmates à péritrème peu chitinisé, par suite difficile- lement visible. Leurs sternites n'offrent aucune particularité. Le huitième segment ne porte pas de stigmates et ses tigelles chiti- (‘) Dans notre note préliminaire nous parlons de l'articulation du cinquième anneau sous le tergite du quatrième ; c'est quatrième et troisième qu'il faut lire, 45% J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD neuses sont simples et peu marquées ; nous n'avons pu réussir à y voir les cerques que Seurar figure chez le mâle du Doryctes gallicus. Le segment anal est caché par le huitième. L'appareil copulateur (Fig. XII et XIV, p et Fig. XV), dépendance du huitième sternite, s'attache au bout de l'abdomen, sous le neuvième segment. Il comprend les mêmes parties que chez Doryctes. Cependant ici la plaque basilaire est beaucoup plus étendue et munie d’une pointe basale (Fig. XV, b). Les deux branches du forceps (Fig. XV, /) allongées également, LII-Ÿ--IT Fig. XII. — Sycosoter Lavagnei. — Abdomen du mâle vu de profil extension incomplète : les premiers segments sont vus de lrois-quart). Aa 8: tergites ; I à VIT : sternites des 8 premiers segments; M : ster- nite du segment médiaire (thorax): P : appareil copulateur; S stig- mate ; T: tigelles tergales. s’articulent sur elle et englobent le pénis terminé par les crochets (Fig. XV, p) et serré par les deux pièces de la volsella (Er EX 0) Cet ensemble est très protractile (Fig. XIIL et XIV). A cet état d'extension, l'abdomen est d'une coloration très claire et les membranes tergales distendues ne montrent plus si nettement la gouttière caractéristique de la position de repos. Dans sa dernière partie, il est très mince par rapport à l’épais- seur de sa région antérieure (Fig. XII). La plupart des màles meurent avec l'abdomen en cet état; nous verrons plus loin ces dispositions entrer en jeu au moment de l’accouplement. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 455 Un point intéressant de cette description est relatif au labre, dont la position ne nous parait pas avoir été bien définie par les auteurs chez les Cyclostomes. On définit en général la division des Cyclostomes dans les Braconides, par l'existence d'un hiatus Fig. XV. — Sycosoter La- vagnei. — Appareil co- pulateur du mâle: à : Fig. XIV. — Sycosoter Lava- plaque basilaire ; f : for- gnei. — Abdomen du mâle ceps; qg : pénis et ses vu dorsalement. — Etat crochets ; w : volsella. d'extension (mêmes lettres que pour fig. XIII). semi-circulaire entre l’épistome et les mandibules. Chez les autres Braconides, cette ouverture se trouve obturée par le labre qui prolonge l’épistome ; mais les auteurs restent muets sur ce. que devient le labre lorsque l’épistome est dit excavé. Nous avons démontré en décrivant lé Sycosoter Lavagnei, quil est simplement repoussé pour former le fond de cette excavation, et , 456 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD il y a tout lieu de supposer qu'il en est de même chez tous les Cyclostomes. Le genre Sycosoter Picarn et J. L. Licar., qui se place tout natu- rellement parmi les Hécabolides, est certainement très voisin du genre Ecphylus Fünsrer. La nervulation alaire estidentique etnous avons jugé utile, le genre Ecphylus restant encore mal connu, d'examiner, en vue de comparaison, une espèce de ce genre, voi- sine de Ecphylus silesiacus Rarz. et probablement nouvelle. Cela nous à permis de nous assurer que les deuxième et troisième seg- ments sont coalescents également chez ce genre, caractère dont les deseripteurs ne font aucune mention. Nous avions donné aussi comme particularité du genre Sycosoter la dimension de la tarière parrapport à l'abdomen ; nous l'avions comparé en effet aux espè- ces d'Ecphylus que cite MarsnaLz (*) dans sa Monographie et qui l'ont beaucoup plus longue que l'abdomen. Cependant Asameap (°) et Ronwer (?) ont décrit des Ecphylus américains à tarière plus courte que l'abdomen. Nulle part nous n'avons trouvé de renseignements sur le nom- bre d'articles des palpes d'Ecphylus. L'examen de ces appendices chez notre Ecphylus n. sp., nous a montré que si les labiaux ont également trois articles, les maxillaires en ont nettement cinq ; chez Sycosoter il nous parait difficile d'interpréter comme un article le rudiment basilaire du premier. Mais cette question du nombre d'articles des palpes chez les Braconides n'est pas considérée comme ayant une grande valeur dans la systématique. Ilne saurait en être de mème de la structure aberrante et unique parmi les Braconides, de l'abdomen du mäle de Sycoso- Ler (*). Ce caractère ajouté à celui de la présence d'aptères et d’ai- lés dans les deux sexes, nous paraît plus que suffisant pour main- tenir notre espèce dans un genre à part. Le dimorphisme sexuel que l’on observe chez certains Braco- nides, comme les Pambolides et les Spathius, où les mâles seuls () MansnaLr, T. A. 1888. — Les Braconides, t. IV du Species des Hyménoptéres d'Europe et d'Algérie, d'Axbré, Beaune. (*: ASHMEAD, 1896, — 7'rans. Amer. Ent. Soc., vol. 23. () Ronwer, S. A, 1913. — Descriptions of Thirteen new species of parasitic Hymenoptera and à table to certain species of the genus Esphylus, — Proceed. U, S. Nation. Museum, vol, 45, no 1991. (‘) On ne rencontre une structure analogue que chez les mâles des Blasto- Pphaga Grav., et genres voisins, Chalcidiens très aberrants. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI #57 sont ailés, ne saurait être comparé au cas du Sycosoter dont les deux sexes sont dimorphes. Pour trouver quelque chose d’analo- gue, il faut chercher des exemples dans d’autres familles d'in- sectes, où il se rencontre des formes ailées et aptères, mais sur- tout des brachyptères et des macroptères; ainsi chez beaucoup d'Hétéroptères, chez les mâles de quelques Cochenilles (Parlatoria Blanchardi Tarcion. Leucaspis pusilla, etc.), chez les femelles de certains Proctotrypides, tels que Cephalonomia formiciformis “Wstw.et Scleroderma domesticum Latr., et les mâles de Blasto- phaga psenes L. (Chalcidien) d’après Frirz Müzrer ; chez quel- ques Coléoptères, en particulier les Psélaphides (Faronus Lafer- lei A.) et chez divers Gryllides et Acridiens. Mais c’est chez les Chalcidiens que l’on rencontre l'exemple de dimorphisme présentant le plus d'analogie avec celui du Sycosoter. Ce sont les espèces du genre /sosoma Wix., où on le constate (/sosoma trilici Ficar., /. grande Riey). Là, les adultes issus des nymphes d’hiver sont aptères pour la grande majorité ; ceux d'été sont au contraire ailés dans les deux sexes et de plus grande taille que les autres. L'influence saisonnière parait donc ici bien établie ; on peut se demander toutefois si la température est le seul facteur agissant dans l'avortement des disques imagi- naux alaires, et Wessrer et Regves (‘) attribuent la différence entre les deux générations à la nourriture succulente au printemps dans les tiges tendres des céréales, moins riche en été dans les chau- mes déjà desséchés. Chez le Sycosoter le dimorphisme saisonnier n’est pas aussi absolu que chez les /sosoma, et là nymphe est d'ailleurs abritée dans un cocon qui doit la protéger contre les variations exté- rieures. [l paraît donc difficile d'expliquer l'aptérisme par une sim- ple influence de la température. D'un autre côté le régime est toujours le même ; cependant la quantité de nourriture varie, le parasite s’attaquant à des larves de grosseurs inégales, et nous avons pu remarquer que les ailés sont d'une taille supérieure à celle des aptères. On pourrait donc admettre qu'une nutrition insuffisante en réduisant la taille de l'adulte, agit aussi en entra- vant le développement des disques alaires. Mais nous ne pou- () Wesster, F, M. and Geo I, Regves, 1909. — The wheat strawworm (/sosoma grande Rirey). — U. S. Dep. of Agric. Bur. of entomology. Circul. n° 106, 145 may 1909. 408 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD vons conclure d'une facon formelle sur les causes de l’aptérisme ; tout au plus pourrait on supposer que la nutrition joue un rôle prépondérant parmi d'autres facteurs complexes. Si, comme le croit Dewrrz, l’aptérisme est sous la dépendance de phénomènes asphyxiques, ce ne peut être que d’une façon secondaire, l’as- phyxie résultant de l’action de facteurs extérieurs tels que le froid, etc. II. — BIOLOGIE Les adultes commencent à apparaître dès le mois d'avril, et leur sortie s'échelonne pendant toute la belle saison jusqu'au début de novembre. Il est donc difficile d'évaluer exactement le nombre de leurs générations ; il en existe au moins deux, mais plus probablement trois. Les femelles de printemps sont presque toujours ailées; au contraire en automne il éclot surtout des aptères. Les mäles ailés sont toujours exceptionnels même au printemps. Il est assez facile d'observer leur sortie par un examen attentif des branches de Figuier. L’imago déchire son cocon vers l’extré- mité correspondant à la tête de la nymphe ; il en résulte un orifice arrondi à bords irréguliers, immédiatement au-dessus duquel l'insecte se trouve arrêté par l'écorce qu'il perfore aussi- tôt à l’aide de ses mandibules. D'ailleurs, l'épaisseur de l'écorce avait été légèrement diminuée par le travail de la larve de l'Hypobore. Lorsqu'on assiste à un début d’éclosion, on voit d'abord apparaître. à la surface de la branche, un trou central que l'insecte agrandit peu à peu par des mouvements de rotation de la tête qui seule est mobile à ce moment, le reste du corps étant encore emprisonné dans le cocon. Une fois terminé, cet orifice est arrondi et du diamètre de la tête (Fig. XVE, s,); il est toujours aisé de le distinguer des trous de sortie de l'Hypobore qui sont beaucoup plus larges (Fig. XVH, L). L’adulte, qui sem- ble faire de violents efforts, se dégage peu à peu ; les antennes se libèrent, puis les pattes antérieures qui s'accrochent au bord de l'ouverture et servent de point d'appui à l'Hyménoptère. Ces manœuvres durent un quart d'heure jusqu'à son entière déli- vrance. Aussitôt après sa sortie, l'insecte est très actif et parcourt rapi- ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 459 dement les branches. Nous ne l'avons jamais vu prendre de nour- riture. On sait que cela est assez fréquent chez les Hyménoptères parasites ; chez quelques-uns même la disposition du tube diges- tif rend son fonctionnement impossible. Les ailés se conduisent comme les aptères, et s'ils sont capables de voler, ne vont jamais bien loin ; les uns comme les autres ne doivent abandonner que rarement les branches où ils ont pris naissance. Elles contiennent Fig. XVI. — Fragment d'écorce de Figuier avec orifice de sortie d'Aypo- borus ficus (h), orifices de sortie (s) et de ponte (p) de Sycosoter Lavagnei. d’ailleurs presque toujours des Hypobores à tous les stades, ce qui leur permet d'assurer leur ponte sans avoir à émigrer. Les mâles et les femelles éclosant en même temps, l'accouplement se fait très peu de temps après la sortie: les femelles trouvées dans les sacs d'élevage et isolées en vue d'observations parais- saient avoir toutes été fécondées ; mises en présence de mâles, nous ne les avons jamais surprises en train de s’accoupler, quoi- qne nous les ayons vu pondre ultérieurement. Le rapprochement des sexes a été observé chez des individus éclos sous nos yeux. C'était toujours entre aptères. Nous avons pu vérifier la possibilité d'accouplement entre aptères et ailés une seule fois ; il s'agissait d'une tentative de coït entre un mâle 29 460 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD LL aptère et une femelle ailée, qui n’a pu avoir de résultat par suite d’un accident survenu à cette dernière. Un mâle rencontrant une femelle vierge débute par des attou- chements d'antennes, puis va se placer rapidement en arrière de celle-ci et grimpe sur son dos. Après de nouvelles caresses anten- naires, il se recule subitement ne se maintenant sur elle qu'au moyen des pattes antérieures qui s’accrochent aux segments dor- saux de l'abdomen ; il est archouté d'autre part sur ses deux autres paires de pattes, prenant appui très en arrière sur l'écorce du figuier. L’avant-corps du mâle est ainsi orienté obliquement Fig. XVII. — Sycosoter Lavagnei. — Accouplement. par rapport à la femelle; son abdomen se recourbe à angle aigu, au niveau de l'articulation du quatrième segment avec Île troi- sième, sous le ventre de l’autre conjoint; les segments suivants, qui à l’état de repos sont télescopés, se dévaginent, de sorte que l'ab- domen est considérablement allongé (Fig. XVIT). Son extrémité, portant l'appareil copulateur, se trouve ainsi juste au niveau de l'orifice génital femelle et le pénis doit y pénétrer. Nous n'avons pas pu vérifier si les branches du forceps saisissent la base renflée du gorgeretcomme lesuppose Seurar à propos du Doryctes gallicus Rauwaarp. Durant toutes ces manœuvres la femelle reste immo- bile ; ses antennes seules s'agitent de temps en temps. Il est important de noter la position de la tarière qui se maintient dans sa direction habituelle ou se relève très légèrement. Cela est peut- être en rapport avec la conformation et la facon de se comporter du mâle. Les faits observés par Seurar chez les Braconides qu'il a étudiés, dont les femelles replient leur tarière le long de la face ventrale durant l’accouplement et dont les màles ne présentent pas la structure aberrante du Sycosoter Lavagnei, semblent venir à l'appui de notre manière de voir. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 461 L'acte de la fécondation est très rapide ; les deux insectes demeurent à peine unis quelques minutes, souvent même une minute suffit. Ils se séparent ensuite. ILest probable que, comme chez d'autres Braconides, les mâles de Sycosoter sont susceptibles de féconder successivement plu- sieurs femelles; quant à celles-ci, elles ne doivent s'accoupler qu’une seule fois, puisque toutes celles écloses dans nos sacs d'élevages, et qui y avaient été fécondées certainement, n'ont jamais attiré les mâles en compagnie desquels nous les avons placées. Fig. XVIII. — Sycosoter Lavagnei. — Femelle en train de forer son trou de ponte à travers l'écorce du Figuier. Les femelles fécondées circulent lentement sur l'écorce du Figuier. Les antennes sont maintenues horizontales ; de temps en temps elles s’abaissent alternativement et viennent toucher le substratum de leur extrémité. A certains moments on voit l'animal s'arrêter et, demeurant quelques instants immobiles, se dresser sur ses pattes en abaissant l'abdomen comme s’il allait pondre, puis reprendre sa marche : il est à la recherche des larves de l'Hypobore. | Lorsqu'il à trouvé un endroit favorable, ce dont il se rend compte sans avoir toujours besoin de palper l'écorce des anten- nes, on peut assister à tous les préliminaires de la ponte qui sont laborieux et demandent souvent plus de deux heures. La femelle tend ses pattes et recourbe l'abdomen vers le bas. La tarière se replie vers le ventre; le gorgeret prend une position verticale tandis que les valves, qui l'enserrent encore sur la plus grande parte de sa longueur, sont obligées de se couder à la base, leur insertion étant postérieure (Fig. XVIII et Fig. XIX, A). S'appuyant sur l'écorce, les stylets commencent à l’entamer 462 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD grâce à la rotation dans un sens et dans l’autre du gorgeret, et à des mouvements de haut en bas et de gauche à droite de l’'abdo- men. Le forage se poursuit lentement dans les mêmes conditions et semble coûter beaucoup d'efforts à l'insecte qui prend parfois de courts instants de repos (Fig. XVII). De temps en temps la tarière remonte jusqu'à sortir presqu'entièrement, ramenant les déchets du bois travaillé qui se déposent à la surface autour du trou (Fig. XVI, p et Fig. XIX, B). L'écorce, dont l'épaisseur est moindre que la longueur de la tarière, se trouve enfin percée, et celle-ci est en contact avec la larve de l'hôte. C'est à ce moment certainement qu'elle pique la victime. Il nous a semblé en effet que les larves d'Hypobore parasitées, examinées aussitôt après le dépôt de l’œuf, ne réagissent que faiblement aux excitations, tout en restant bien vivantes et capables de rejeter leurs excré- ments, comme c'est souvent ie cas chez les insectes capturés par les Hyménoptères prédateurs. On sait en effet que chez les Bra- conides il existe une glande à venin dont le canal excréteur débouche à la base du sillon du gorgeret. L’insecte est prêt à pondre. Les auteurs ne donnent aucun détail précis sur la facon dont l'œuf est transporté de la vulve à la victime, chez les Braconides parasitant les Xylophages et l’on pourrait croire en lisant certains d'entre eux que l'œuf glisse dans la tarière. Pour les Cynipides cependant, Apzer (') a décrit un mode de ponte analogue à celui que nous avons observé chez Sycosoter, la tarière ne jouant qu un rôle de refou- loir; mais BeyeriNcx (?) a nié ces faits, en s'appuyant sur des expériences qui semblent concluantes pour démontrer que l'œuf passe par la tarière en s’étirant. Chez le Sycosoter Lavagnet tout au moins les choses nous ont paru se passer bien différemment. Lorsque le forage tire à sa fin, on voit déjà l'œuf, arrivé dans le vagin, distendre les téguments en arrière de la base du gorgeret (Fig. XIX, B). Au moment de le libérer la femelle abaisse l’abdo- men jusqu'au contact de l'écorce et le relève rapidement; dans ce court espace de temps, l'œufsortant du vagin entre la base des deux spicules est déposé au niveau de l’orifice de ponte dans lequel la (‘) Ancer, H. 4881. — Ueber den generationswechsel der Eichengallwespen. — Zeilschr. f. wiss. Zoologie. (?) Beverivcx, M. W. 1882. — Beobachtungen über die ersten Entwickelungs- phasen einiger Cynipidengallen. — Ver. Akädem. d. Wassensch. Amsterdam. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 463 tarière est engagée à fond, entre les deux valves à leur extrémité (Fig. XIX, C). Par l'exhaussement rapide de l'abdomen la tarière se trouve dégagée; elle agit aussitôt comme un refouloir pour entrainer l'œuf dans le trou et le pousser jusqu'au fond. L'œuf ne passe donc pas par la gouttière du gorgeret, qui ne doit servir que de fourreau aux spicules et de canal d'écoulement au venin ; cette rainure est d’ailleurs d'un diamètre bien inférieur à celui de l'œuf. Fig. XIX. —- Différentes positions de l'abdomen du Sycosoter Lavagnei, durant le forage et la ponte. — A : début du forage: B : forage du trou de ponte ; l'animal relire sa {arière pour vider les déchets de bois : l’œuf gonfle les téguments qui entourent le vagin: C : dépôt de l'œuf ; D : fin de la ponte, l'aniual retire sa tarière. Les manœuvres de la ponte s'effectuent avec une célérité qui contraste avec la lenteur du percement de l'écorce et qui en rend l'observation peu aisée. Dès que le refoulement de l'œuf au fond du trou s’est produit, la tarière est retirée en glissant entre l'extrémité des valves tenues horizontales ou très obliques (Fig. XIX, D) et l’insecte s'éloigne pour pondre à nouveau. L'intervalle entre la ponte de deux œufs n’a pas été observé. Après les actes de l'accouplement et de la ponte la durée de la vie ne dépasse guère une quinzaine de jours. Cette durée n’a 464 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD été notée que pour la génération d'automne et dans nos cristal- lisoirs d'étude. Les données manquent pour les insectes de printemps. Si nous soulevons délicatement un fragment d’écorce juste à l'endroit où le Sycosoter Lavagnei vient de forer, nous trouvons immédiatement sous le trou de ponte la larve de l'Hypobore dans sa galerie. L’œuf du parasite est placé extérieurement sur n'importe quelle partie du tégument de cette larve. Si done ül sait reconnaître la présence de la larve à travers l'écorce, l’ani- mal n’a pas de point de prédilection pour la piquer et déposer son œuf. Les larves sont attaquées à tout âge, cependant nous n'avons jamais vu, de nymphes parasitées. Du fait que les larves jeunes peuvent servir de NE a proie aussi bien que les larves âgées, Fig. XX. — Sycosoter Lava- DRE ny : areie NOR at ed de pr CUS explique les différences consi- X 100. dérables de taille constatées chez les imagos de l'Hyménoptère. Cette pos- sibilité du dépôt de l'œuf à côté d’une larve occupant sa galerie non agrandie enlève toute valeur, semble-til, à l'interprétation de SEuRAT faisant intervenir le manque de place pour expliquer le parasitisme interne du Dendrosoter protuberans NEss. L'œuf est d’un blanc laiteux, brillant, paraissant très faiblement granuleux aux forts grossissements. Allongé, légèrement courbé en arc, plus large à une des extrémités qu’à l'autre, il mesure Fig. XXI. — Larve d'Aypoborus ficus couchée dans sa galerie et portant un œuf de Sycosoter Lavagnei. 300 y de longueur sur 70 y dans sa plus grande largeur et 45 dans sa plus petite. Le petit bout est faiblement arrondi, presque ee ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 465 tronqué ; l’autre extrémité est munie d'un mamelon peu mar- qué (Fig. XX). Il est couché sur la larve Séloi son grand axe, et repose le plus souvent sur sa partie convexe (Fig. XXH). Il est simplement déposé sur l'hôte sans aucune substance fixatrice; on peut donc très facilement l'en détacher en vue de l’étudier. Nous n'avoas pas assisté à l’éclosion, les œufs se desséchant si l'écorce a été soulévée. Par contre nous avons pu observer de nombreuses larves. Nous décrirons une larve âgée sur le point de filer son cocon. Nous insisterons surtout sur l'appareil trachéen qui diffère sensible- ment de celui étudié par S£urat chez les Doryctides. Cette larve mesure environ { mm. 1/2 de long sur 2/3 mm. de large. Elle est d'un blanc pur et luisante, entièrement glabre, apode et aveugle. Sa forme est celle d’un fuseau renflé dans son tiers antérieur, S'amincissant davantage vers la partie postérieure. Elle se montre légèrement courbée selon la face ven- trale (Fig. XXVII). Fig. XXIT. — Sycosoter “he à ve Lavagnei. — Tête de On y distingue une tête suivie de “ k © À la larve vue de pro- treize segments. Ces derniers sont à peu fil: a : antenne: e : près tous de même largeur, les trois palpes SE g : : , canal des glandes se- d * € L ul premiers étant cependant plus grands Héséties à 427 tube et le dernier ou segment anal, beaucoup digestif ; / : labium ; plus petit. L : labre ; m: mû- choire etpalpe maxil- La tête, plus brillante que le reste du aies M : mandibulez “corps, est globuleuse. Elle porte la bouche dans sa par lie inférieure et une paire de minuscules antennes sur la région frontale. Les antetines très écartées l’une de l’autre sont réduites à de petits épaississements chitineux dis- coïdes, à la surface desquels s'élèvent deux microscopiques boutons (Fig. XXII, a). La bouche est une fente peu large, limitée nu par le labre et en bas par une pièce 466 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD résultant de la coalescence des mâchoires et du labium. Entre les deux se trouvent les mandibules peu proéminentes (Fig. XXII et XXIII, M). Le labre, de forme demi-circulaire présente laté- ralement deux lames chitineuses sur lesquelles s'appuie la partie supérieure des mandibules. Il porte deux impressions circulaires probablement terminaisons sensorielles (Fig. XXIV, Fis. XXII et XXII, L). Les mandibules sont les seules pièces fortement chitinisées de l’armature buccale. Leur partie distale acérée, Fig. XXII — Sycoscter Lavagnei. — Bouche de la larve vue de face (mêmes lettres que dans fig. XXII). légèrement recourbée, évidée inférieurement, surmonte une base élargie. Elles s'articulent au moyen d’un petit condyle latéral sur les pièces dont nous allons parler. Au repos les mandibules sont croisées (Fig. XXII et XXII, M). Les pièces sur lesquelles s’articu- lent les mandibules sont situées de part et d’autre de la partie infé- rieure de la bouche et sont coales- centes avec elle. Ce sont deux lames chitineuses irrégulièrement découpées mais présentant toujours une concavité où se meut le condyle mandibulaire (Fig. XXVI, b). Elles se prolongent dans la tête, de même que les pièces homologues du labre avec Fig. XXIV.— Sycosoter Lavagnei. — Labre de la larve. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 467 lesquelles elles s'unissent limitant ainsi latéralement la cavité buccale (Fig. XXII et XXII), par des apodèmes sur lesquels viennent s'insérer de nombreux muscles. La portion inférieure de la bouche est une plaque pas plus fortement chitinisée que le reste du tégument céphalique. On peut y distinguer trois parties dont les deux latérales représentent ce que les auteurs ont convenu de considérer comme des mâchoires. Ces deux parties latérales portent deux paires de petits boutons limités par un bourrelet chitineux ovalaire que l'on peut, interpréter comme des Fig. XXV. — Syco- ébauches de palpes. Les deux supérieurs Sofer Lavagnei.— placés sur deux légers mamelons latéraux De En correspondraient aux palpes maxillaires (Fig. XXVE, d, Fig. XXII et XXIIT, 2). Les deux autres plus infé- rieurs et plus internes seraient les palpes labiaux (Fig. XX VI, /, Fig. XXII et XXII, e), la partie médiane de cette région de la bouche représentant le labium (Fig. XXVE, c). Il n'y a pas de Fig. XXVI. — Sycosoter Lavagnei. — Région inférieure de la bouche de la larve ; b : pièces d'insertion des mandibules ; e : labium; 4 : mâchoire et P L ; palpe maxillaire ; f : palpe labial ; 7 : canal des glandes sericigènes. séparation entre ce qui semble être la base du labium et les mâchoires. Malgré la délimitation peu nette de ces diverses par- ties, leur existence est réelle. On connait des larves de Braco- nides où elles sont bien marquées ; par exemple la larve de Dja- chasma crawfordi, Keuax et Picano, figurée par Ken et Picano, 468 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD fig. IL (*). Seule la portion supérieure du labium semble limi- tée par une suture pentagonale peu marquée (Fig. XXVEL 6, Fig. XXII et XXIIT, /). A l'intérieur de cette zone, on distingue deux marques circulaires analogues à celles du labre. Il en existe d'ailleurs d'autres plus petites sur tout le pourtour de la bouche (Fig. XXIE, XXII et XX VI). A la base du plancher de la bouche vient s'ouvrir le canal des glandes séricigènes (Fig. XXII et XXII, 9 et Fig. XXVI, 7). Ce canal renflé en ampoule dans sa position terminale est aminei dans le réste de son parcours qui, très vite, se subdivise en deux conduits plus étroits qui amènent la sécrétion des glandes à soie, tubes ondulés disposés de chaque côté de l'intestin. Ces conduits glandulaires sont renforcés par un épaississement interne spiralé comparable à celui des trachées et qui ne cesse qu'au niveau de l'ampoule (Fig. XXII et XXIIT, g); c'est là une structure fréquente pour les canaux glandulaires des Arthropodes. De la bouche part le tube digestif (Fig. XXI, à) par un court pharynx muni d'un œsophage qui s’élargit considé- rablement pour donner un énorme estomac sacciforme et aveugle durant la plus grande partie de la vie larvaire. L'intestin postérieur est représenté par un rectum appliqué dans sa partie antérieure à la face postéro-ventrale de l'estomac, et dans lequel débouchent les deux tubes de Malpighi. Il se ter- mine par l'anus, large fente du dernier segment. Nous n'insistons pas sur le reste de l'anatomie de la larve qui est d’ailleurs con- forme à ce que l’on connaît chez les larves de Braconides et nous passons tout de suite à l'étude de l'appareil respiratoire. L'appareil trachéen (Fig. XX VIT) se compose de deux troncs longitudinaux et latéraux symétriques s’anastomosant au niveau de la tête par une commissure passant au-dessus du pharynx et d'autre part par une commissure passant au-dessous du rectum entre le onzième et le douzième segment. De chaque tronc latéral se détachent les troncs stigmatiques allant aboutir aux stigmates qui sont placés plus dorsalement. Ces derniers sont au nombre de neuf paires. Les deux premiers sont thoraciques. L'un s'ouvre sur le bord antérieur du segment mésothoracique, le second est (} Kerun, D. et C. Prcano, 1913. — Evolution et formes larvaires de Dia- chäsma crawfordi n. sp, Braconide parasite d’une mouche des fruits (Anastrepha striata Schin.). — Bull. Scient., France-Belgique. T. XLVII. “ip le dE ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 469 métathoracique. Les sept suivants sont abdominaux et se suivent sans interruption sur les sept premiers segments, les trois derniers en étant dépourvus. Les six derniers stigmates sont semblables aux deux thoraciques. Le troisième ou premier stigmate abdominal est différent. Légèrement plus petit que les Fig. XXVIL — Sycosoter Lavagnei. — Larve vue de profil après montage à la glycérine pour rendre apparent l'appareil trachéen. autres il n'est pas dans le même alignement, mais plus dorsal. En outre il n’est pas fonctionnel. En effet la trachée qui lui cor- respond est très courte; elle semble pourtant être reliée à lui par une trachéole excessivement fine et vide d'air qu'il est très difficile de suivre sur tout son parcours, mais qui réapparaît plus nette en s’'approchant dustigmate et jusqu'à lui(Fig. XX VIT). Les stigmates normaux sont constitués par un péritrème circu- laire, orifice d'une sorte de court entonnoir au fond duquel s'ouvre la trachée. La trachée stigmatique est d’un diamètre à peu près égal à celui du tronc latéral trachéen à son point de départ. Elle s’amincit vers son milieu pour se boursoufler en trois ou quatre vésicules successives à la base de l'entonnoir stig- matique (Fig. XXIX). — Outre les troncs sligmatiques, il part du tronc principal généralement deux branches par segment, un tronc latéro-dorsal et un tronc latéro-ventral. Ils prennent leur origine 470 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD au même point que le tronc stigmatique ou dans son voisinage. Parfois même le tronc latéro-dorsal est une bifurcation de la base du tronc stigmatique (Fig. XXIX). Il peut également y avoir deux troncs latéro-ventraux très voisins l’un de l'autre, dans un même segment. Les troncs latéro-dorsaux et laléro-ventraux se dirigent respectivement vers le dos et vers le ventre M nNXVIIEe en se ramifiant peu abondamment. Il n'existe Sycosoter pas d'anastomoses entre’ les troncs latéro- Lavagnei. — Larve : slig- ventraux d'un côté et leurs symétriques. La male de la tête est irriguée par des trachées partant de la 3° paire. partie antérieure du tronc principal au niveau de la commissure. Il en est de même des derniers segments. Le onzième segment présente cependant un tronc latéro-dorsal et un latéro-ventral bien nets (Fig. XXVID) (!). Cette structure, notamment en ce qui concerne les stigmates, diffère notable- ment de celle décrite par Seurar chez le Doryctes gallicus. Chez cette espèce, il n'existe qu'un stigmate thoracique, sur le ff ÿ À Fa | prothorax ; les huit autres stigmates sont En ‘ a \Ë | abdominaux, le onzième segment en pos- ii \à 4 sédant un. Lesne (?) chez Perilitus omo- phli Lesxe, dont la larve, il est vrai, vit à l'intérieur de l'hôte, décrit bien un stig- mate mésothoracique, mais il est unique sur le thorax, les huit autres étant abdomi- naux. En outre, SEURAT, toujours pour Doryctes qgallicus, fait s'anastomoser les troncs ventraux avec ceux du côté opposé alors que nous n'avons rien observé de semblable pour notre espèce. D'autre part, RE Mo 2 + re Ses COS re / \ Fig. XXIX. — Sycosoter Lavagnei. — Larve ; sti- gmate de la 8 paire. les trachées de la larve du Sycosoter Lavagnei sont beau- (!) La figure XX VIT, faite à la chambre claire sur une préparalion un peu com- pressée, ne représente pas toutes les branches latérales dans leur position exacte. Normalement, elles courent parallèlement aux sutures segmentaires. (2) Lesxe, 1892. — Sur un Braconide du genre Perilitus N£es. — Ann. Soc. Entom. France, t. EXI. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 471 coup moins richement ramifiées que chez l'insecte étudié par cet auteur. | SEURAT attache une grande importance à la disposition des stigmates pour la classification des larves d'Hyménoptères ento- mophages. Il conviendrait peut-être, ayant d'être fixé sur l'intérêt de ces caractères, de faire l'examen d’un plus grand nombre de types larvaires. On ne peut s'empècher d'être frappé en consta- tant des différences plus grandes, à ce point de vue, entre les larves de Doryctes et de Sycosoler, appartenant cependant à des groupes très voisins, qu'entre les larves de Sycosoter et celles des Chalcidiens, pourtant beaucoup plus éloignés. La larve de Sycosoter Lavaqnei est un parasite solitaire et externe. C'est un exemple de plus de ce mode de parasitisme qui, méconnu autrefois, apparaît comme de plus en plus fréquent à mesure que l'on étudie davantage les Braconides, et nous en sommes persuadés, sera démontré comme devant êlre la règle chez certains genres. Il doit être détérminé surtout par le mode de vie de l'hôte et se rencontre chez les parasites de larves bien protégées. Ainsi par exemple le Bracon celer Szérz., qui vit aux dépens du Dacus oleæ dans l'intérieur même de Olive, comme l’a montré Sizvesrei (!) ; Microbracon mellitor SAx, de l'Antho- nomus grandis Bou., dans le fruit du Cotonnier (Pierce, 1908) (?) ; Bracon Variator N&ess, parasite de divers insectes dans les capi- tules de Composées et Bracon Rabaudi Picar, du Lixus scabri- collis Bou. (Picanp et RaBauD, 1914) (*) ; Bracon mavoritus Uress., dont les larves vivent sur les pupes de Lirus scrobicollis (*), et enfin Oncophanes lanceolator Nes, d’après RarzeBurG (*) rappor- tant une observation de Briscake. Ce sont surtout les parasites des Xylophages qui se développent à l'extérieur de l'hôte. Citons entre autres : Doryctes gallicus Reixu., parasite social des larves de Callidium, Cœloïdes Neesi Marsn., parasite solitaire d'Acan- (5) Srzvestri (F.). 41914. — Viaggio in Eritrea per cercare parassiti della mosca delle olive. — Boll. Labor. Zool, gener. e agraria. Portici. ) Prerce (W.-D.). 190$. — Studies of Parasites of the Cotton Boll Weewill. — U. S. Dep. of Agr. Bureau of Entom. Bull. LXXHI. (*) Prcarn (F.) et Rasaup (E.) 1914. — Sur le parasitisme externe des Braconides — Bull. Soc. Entom. France, 1914, p. 266. (*) Hopxins (A.-D.). 1892. — Some bred west Virginia Braconidae. — /nsect Life. Mol AIN (5) RarzeBurG (J.-T.-C.). 1852. — Die Ichneumonen der Forstinsecten in forstli- cher und entomologischer Beziehung. Bd, 3-1852, p. 43. Lo) 472 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD thocinus ædilis L. et de Criocephalus rusticus L. (SeuraT) ; Cæloi- des initiator F., de Rhagium Indagator. K. (Xameeu, 1898) (9 ; Cenocælius rubriceps Prov., de Liopus cinereus Lec. (CHITTEN- DEN, 1893) (?). La jeune larve du Sycosoter Lavagnei perce la peau de sa victime en un point quelconque, à l'aide de ses mandibules (Fig. XXX et XXXI). Par cette fente elle aspire les humeurs de la larve du Coléoptère, les autres pièces buccales fonctionnant comme suçoir. On peut voir par transparence à travers le tégument céphalique, le fluide autritif s’écouler dans le pha- rynx. La larve grossit ainsi à mesure que l’autre se flétrit. Elle se tient immobile sur la larve del'Hypobore sans jamais changer de place (Fig. XXXI). Toutefois son arrière - corps s'agite activement à toute exci- tation mais la tête ne lache pas son point de fixation ; trop dé- XXX. — Fig. Larve d'Æypoborus ficus dans sa galerie, portant une jeunelarvede Sycosoter Lavagnet. rangé cependant, le parasite abandonne sa proie et remis en place il ne s’y fixe plus ; ilse laisse tomber et pouvant de- meurer plusieurs mois dans cet état, finit par périr d'ina- nition. Se vidant peu à peu, la larve du Scolytide cède ainsi sa place à celle du Sycosoter dans sa galerie. Finalement, la larve du parasite ayant atteint sa taille définitive, celle de l'Hypobore est réduite à une simple dépouille rejetée à un des bouts de la loge qui est hmitée en arrière par les déjections du Xylophage. Elle est prète à filer son cocon. Ce stade, durant lequel la larve est toujours sensible aux excitations, parait durer assez long- temps. Vient ensuite le filage du cocon confectionné par les mandi- () Xamseu. 1898. — Mœurs et métamorphoses du Cœloides initiator F., — Le Naturaliste, juillet 1898. () CairrENvEN (F.-H.1, 1893. — Observations of some Hymenopterous parasites of Coleoptera. — /nsect. Life, Vol. V. ÉTUDE MORPHOLOGIQUE ET BIOLOGIQUE DU SYCOSOTER LAVAGNEI 473 bules au moyen de la sécrétion des glandes séricigènes s'ouvrant dans la bouche comme nous l'avons décrit. La dépouille de la proie reste en dehors du cocon ; on la trouve toujours appli- quée à l’une de ses extrémités. Fig. XXXI. -— Larve d’Æypoborus ficus, portant une larve âgée de Sycosoter Lavagnei. Fig. XXXIIL. — Cocon de Sy- Fig. XXXIT. — Cocon cosoter Lavagnei, en place de Sycosoter Lava- dans la galerie de l’hôte, gnei. après la sorlie de l'imago. Le cocon est blanc, cylindrique, arrondi aux deux bouts. Il a 1 mm. 1/2 à 2 mm. de long et 2/3 mm. à 3/4 mm. de large (Fig. XXXIT). Il est formé de filaments soyeux très fins dont la texture est fortement serrée. Son bout postérieur est engagé dans le boudin d'excréments de l'hôte (Fig. XX XIII). Une fois le cocon filé, la iétamorphose suit assez rapidement ('). Dans quelques cas rares, le parasite ne file pas de cocon; c'est un (1) Nous parlons ici des larves de la génération d'automne. Celles issues des œufs pondus à l'automne et donnant des adultes au printemps ne se transfor- ment en nymphe qu’à la fin de l'hiver. 474 J.-L. LICHTENSTEIN ET F. PICARD accident déjà signalé chez la plupart des Braconides en tissant un. L'existence d'un cocon chez les Braconides paraît donc générale ; le seul exemple connu de nymphose normalement à nu est celui signalé par l’un de nous (Picarp 1916) (*) chez Bracon Rabaudi Picarr de Lirus scabricollis Bou. La nymphe est blanchâtre et nexige pas de description détaillée. Les organes de l’adulte s'y trouvent repliés et la tarière est recourbée vers la partie dorsale. IEy à des nymphes ailées et des nymphes aptères, ce qui montre bien que l’apté- risme des adultes n'est pas secondaire. Dans le cocon la nymphe est orientée indifféremment la tête tournée vers l'extrémité de la galerie ou vers le boudin d’excré- ments, mais elle est toujours couchée sur le dos. Cette position facilite le travail de sortie de l’imago (Fig. XXXIIT). (} Picarp. K. 1916. — Le Cleonus mendicus et le Lixus scabricollis curculio- nides nuisibles à la betterave. — Annales des Epiphyties. T. II. Jean MASSART Professeur à l'Université de Bruxelles SUR LA POLARITÉ DES ORGANES VÉGÉTAUX SOMMAIRE . I. LA PRÉSENCE ET L’ABSENCE DE LA POLARITÉ. La notion de la polarité en biologie. Observations montrant l'absence de polarité. La méthode employée. 1. Tiges avec polarité gemmaire et polarité radiculaire. 2. Tiges sans polarité gemmaire mais avec polarité radiculaire. 3. Tiges avec polarité gemmaire mais sans polarité radiculaire. Le cas des Opuntia. 4. Tiges sans polarité gemmaire et sans polarité radiculaire. Les résultats de ces expériences. II. LE CONFLIT DES DIVERS EXCITANTS. Conflit de la polarité avec les excitants externes. La polarité l'emporte. Un excitant externe l'emporte. Conflits entre les excilants externes. La méthode employée. Les résultats de ces expériences. I. — LA PRÉSENCE ET L' ABSENCE DELA POLARITÉ (Quand on bouture un rameau de Saule, les racines naissent toujours à l’extrémité proximale, tandis que les bourgeons qui se développent sont ceux de l'extrémité distale. Cette localisation reste immuable, même si par mégarde la bouture est enfoncée en terre la tête en bas. La différenciation du bout produisant les racines et du bout produisant les tiges a été comparée à la polarité du barreau aimanté. De même qu'en cassant un barreau aimanté, on obtient deux barreaux semblables, chacun avec sa double polarité, de même il suffit de couper par le milieu un rameau de Saule pour faire naître un nouveau pôle gemmaire en haut de la moitié proximale qui avait déjà un pôle radiculaire, — et un pôle radi- culaire au bas de la moitié distale, qui avait déjà un pôle gem- maire. 476 J. MASSART La notion de polarité a été introduite en biologie par G. J. Azcuan, en 1864 (Report of the British Association for the Advancement of Science, 1864). Depuis lors divers zoologistes et botanistes s'en sont occupés. Contentons-nous de citer parmi les premiers MM. Jacques Lors et H. Dairscu; parmi les seconds, MM. H. Vôcanne et J. JANseE. La polarité est tellement répandue parmi les végétaux qu'on en arrivait à admettre implicitement son universalité. Pourtant certains faits d'observation courante montrent que la formation des racines n'est pas toujours limitée au bout proximal. Tout le monde a pu remarquer que les longs rameaux flexibles des Ronces (p. ex. Rubus fruticosus) finissent par retomber par terre, et qu'ils s'enracinent alors à leur extrémité distale, c’est- à-dire à celle qui est opposée au pôle radiculaire habituel. Depuis que je profite dé l'hospitalité du laboratoire et des collections de la Villa Thuret, à Antibes, j'ai eu très souvent l’occasion de voir l’enracinement de fragments de plantes gras- ses, tombés par terre. Les plus fréquentes de ces boutures acei- dentelles sont les raquettes d'Opuntia. On y voit nettement que la production des racines n'est en aucune façon conditionnée par une polarité interne, mais qu'elles percent toujours au point où la raquette touche le sol: il en est autrement pour les nou- veaux rameaux : les bourgeons qui se développent sont exclusi- vement ceux de l’extrémité distale. oh Mes expériences portent sur une trentaine d'espèces. Mais près des deux tiers se laissent bouturer trop difficilement et n'ont pas donné de résultats probants. — Le dispositif expérimental est très simple. En janvier 1917, des boutures de tiges furent mises en terre de trois facons (fig. 1 à 4) : a) piquées en terre par leur bout proximal ; b) piquées en terre par leur bout distal ; c) cou- chées horizontalement sur le sol par toute leur longueur. Les figures 1 à 4 représentent schématiquement les résultats. {. Tiges avec polarité gemmaire et polarité radiculaire ; par exemple Æosa indica, Salix viminalis, Mühlenbeckia platy- clados, Sempervivum dendroides. — a) Les boutures verticales, mises en terre par le bout proximal, produisent des racines en bas et des rameaux en haut. — b) Les boutures verticales, mises en terre par le bout distal, donnent des ébauches de racines, bientôt desséchées, au pôle proximal (en haut) ; quelques bour- 1 SUR LA POLARITÉ DES ORGANES VÉGÉTAUX 47 seons commencent à se développer près du bout distal, mais n'étant pas nourris, ils se sont également desséchés, On voit donc que la circulation de la sève se fait mal du bout distal vers le bout proximal. — c) Les boutures horizontales donnent des racines sur la face inférieure du bout proximal, et des rameaux sur la face supérieure du bout distal. 8 b (ES Fig. 4 à 4. — Boutures faites de trois façons différentes. 4, Rosa indica, 2. Kleinia Anteuphorbium. 3. Rosa arvensis. 4. Aloë frutescens. 2, Tiges sans polarité gemmaire, mais avec polarité radi- culaire; par exemple A/errmia Anteuphorbium. — a) Les boutu- res verticales, mises en terre par le bout proximal, donnent des racines au bout proximal; les rameaux se produisent en des points quelconques. — b) Les boutures verticales, mises en terre par le bout distal, donnent des ébauches de racines au bout J. MASSART Æ 1 (e °) proximal: des rameaux, bientôt arrêtés dans leur croissance, naissent tout le long de la tige. — c) Les boutures horizontales donnent des rameaux à la face inférieure du bout proximal et des rameaux tout le long de la tige, à la face supérieure. 3. Tigesavec polarité gemmaire, mais sans polarité radi- culaire, par exemple Rosa arvensis, Rubus caesius, Jasminum nudiflorum, Cereus hamatus, Opuntia div. sp. — a) Les bou- Fig. 5. — Raquettes d'Opuntia tomentosa, bouturées de diverses façons. tures verticales, mises en terre par le bout proximal, donnent des racines au bout proximal et des tiges au bout distal. — 6) Les boutures verticales, mises en terre par le bout distal, donnent à la fois des racines et des rameaux au bout distal. — c) Les boutures horizontales donnent des rameaux surtout près du bout distal, et des racines sur la face inférieure de toute la bouture, mais surtout aux deux extrémités. Des boutures plus longues, courbées en demi cercle et piquées en terre à la fois par le bout proximal et par le bout distal, toute la partie moyenne étant dans l'air, donnent des racines aux deux bouts, mais les rameaux ne naissent que près du bout distal. Un cas très particulier est celui des Opuntia à raquettes, p. ex. O. lomentosa (fig. 5). SUR LA POLARITÉ DES ORGANES VÉGÉTAUX 479 a) Des raquettes entières, piquées en terre par le bout proxi- mal, donnent des racines au bout proximal ; de nouvelles raquet- tes naissent aux dépens des bourgeons situés le plus près du sommet. b) Des raquettes entières, piquées en terre par le bout distal, donnent des racines à cette extrémité, et c'est là aussi, sous terre, que des rameaux naissent aux dépens des bourgeons les plus proches du sommet. c) Quand on pique en terre, par son bout proximal, la moitié proximale d’une raquette, des racines naissent au bout proximal et des rameaux au bout distal. d) Même résultat quand c'est la moitié distale qui est enfoncée en terre par le bout proximal. e) La moitié distale, mise en terre par son bout distal, produit sous terre à la fois des racines et des rameaux. f) Même résultat pour la moitié proximale enfoncée en terre par son bout distal. g) Une raquette entière, enfoncée dans la terre par un de ses bords, de telle façon que son plan soit vertical, et son axe hori- zontal, produit des racines le long de l’arète mise en terre et des rameaux près du sommet. h) Même résultat, quand on met en terre, de la même façon, la moitié d’une raquette coupée longitudinalement. :) Mème résultat, quand la demi-raquette est mise en terre par la surface de section : les racines naissent sous terre. j) Une raquette entière, posée à plat sur le sol, commence par se courber de telle façon que sa face inférieure, obscurcie, devienne fortement convexe, et la face supérieure, éclairée, con- cave. La courbure est surtout prononcée dans le sens longitudi- nal (parallèle à l'axe de la raquette), mais elle se produit aussi dans le sens transversal ; il en résulte que non seulement les deux bouts, mais aussi les bords, se courbent vers le haut, et que la raquette ne touche plus le sol que par la portion médiane de sa face inférieure : c’est en ce point que naissent les racines. Quant aux nouvelles raquettes, elles proviennent, comme tou- jours, des bourgeons voisins du sommet. À. Tiges sans polarité gemmaire et sans polarité radi- culaire, par exemple À /oë frulescens (voir figure 4). — a) Les bou- 480 J. MASSART tures verticales, mises en terre par le bout proximal, donnent des racines au bout proximal, et des rameaux sur toute la lon- sueur de la tige. — b) Les boutures verticales, mises en terre par le bout distal, forment des racines au bout distal, et les rameaux naissent partout. — c) Les boutures horizontales don- nent des racines sur toute la face inférieure, et des rameaux sur toute la face supérieure. Tirons quelques conclusions de cette première série d'expé- riences. 1° La polarité des tiges est loin d'être uniforme : une des pola- rités, gemmaire ou radiculaire, peut manquer, sans que l’autre soit aucunement atténuée ; elles peuvent aussi manquer toutes les deux. 20 PJ'une manière générale, la localisation des rameaux est moins strictement limitée que celle des racines. 3° La polarité radiculaire ne se manifeste pas seulement par la localisation des nouvelles racines, mais aussi par la facilité avec laquelle se font l'absorption et la circulation de la sève : dans les tiges pourvues de polarité radiculaire, le liquide exté- rieur est absorbé aisément par la surface âe section du bout proximal, pour passer de là vers le bout distal, tandis que dans le sens inverse, l'absorption et la transmission sont très impar- faites. Il en résulte que chez Rosa indica et Kleinia Anteuphor- bium, des boutures plantées la tête en bas se dessèchent bientôt. Au contraire, les tiges sans polarité radiculaire peuvent être facilement bouturées à l'envers. 4° La perte de la polarité radiculaire est en relation avec le mode de vie de la plante. Les espèces à longs rameaux décom- bants s'étendent rapidement par marcottage naturel; mais celui- ci n’est possible que si les tiges s’enracinent par leur bout distal. Instructive est à ce point de vue la comparaison de Rosa indica à tiges dressées, avec polarité radiculaire, et Rosa arvensis, à tiges souples et retombantes, sans polarité radiculaire. Chez les Opuntia, la courbure convexe que subit la face inférieure des raquettes tombées par terre, rendrait presque impossible leur enracinement, si les racines ne naissaient qu'au bout proximal (fig. 5 7). SUR LA POLARITÉ DES ORGANES VÉGÉTAUX 481 II. —- LE CONFLIT DES DIVERS EXCITANTS Quand une bouture habituelle, par exemple de Rosa indica, est piquée en terre par son bout proximal, tout concourt à faire naître les racines à cette extrémité : la polarité, la position basse, l'obscurité et l'humidité; tandis qu'à l’autre bout sont réunis tous les facteurs qui déterminent la production de rameaux : la polarité, la position haute, la lumière etla sécheresse. Demandons-nous maintenant ce qui se passera si nous met- tons l’excitant interne (polarité) et les excitants externes (pesan- teur, éclairement, degré d'humidité) en opposition les uns avec les autres. Les expériences précédentes nous ont déjà renseigné sur le’ conflit de la polarité avec les excitants externes : la polarité l'emporte sur ses concurrents, même lorsqu'ils sont groupés tous en un même point. Ainsi, quand une bouture de Aosa indica est mise en terre la tête en bas (fig. 1 à), l'influence simultanée de la position basse, de l'obscurité et de Fhumidité ne réussit pas à faire naître des racines au bout distal. Toutefois il serait inexact de dire que c’est toujours la polarité qui à le dessus. Voici une expérience que j'ai faite d’abord à Buitenzorg (Java) et répétée depuis lors au Jardin Botanique de Bruxelles. Prenons un Caféier, par exemple Co/ffea arabica, qui à poussé dans sa position naturelle, et enlevons-lui le som- met de la tige verticale. On sait que chez cette plante, les tiges verticales se forment aux dépens de certains bourgeons axillaires spéciaux. Or les bourgeons qui se développent sont toujours ceux du bout supérieur, c’est-à-dire distal. Mais si on couche la plante horizontalement aussitôt après la décapitation, on voit pousser les bourgeons situés le plus bas possible, tout près de terre. Mieux encore, si on fait tourner le Caféier sur le clinostat, sans lui faire subir aucune amputation, la croissance du som- met de la tige s'arrète et de nouvelles tiges se forment tout contre terre. Deux faits intéressants se dégagent des expériences sur le Caféier : 1° Dans les conditions normales, — c’est-à-dire quand la tige est verticale, — la polarité, qui tendrait à faire naître les nouvelles tiges près du bout proximal, est vaincue par un 482 J. MASSART excitant externe, la pesanteur. 2° Chez le Caféier, la polarité gemmaire et la polarité radiculaire sont localisées toutes deux au bout proximal de la tige : celle-ci est unipolaire, non bipolaire. Revenons à nos expériences de bouturage et examinons l'in- fluence de chacun des facteurs externes, mis en conflit avec les deux autres. DIR ACL LVL 16 Fig. 6,7, 8. —_ 6. Rosa indica. — T. Kleinia Anteuphorbium. — 8. Rosa arvensis. — Chaque espèce est bouturée de six façons différentes. Les expériences étaient faites dans des tubes de verre; elles étaient de six sortes (fig. 5, 6, 7, a à f). a) Le bout proximal en bas; l'humidité et l'obscurité en bas. b) Le bout proximal en haut ; l'humidité et l’obscurité en bas. Ces deux premières séries correspondent à ce qui avait été fait antérieurement (fig. 1 à 4, a, b), et ne servaient guère qu'au contrôle. c) Le bout proximal en bas; l'humidité et l'obscurité en haut. d) Le bout proximal en haut; l'humidité et l'obscurité en haut. * SUR LA POLARITÉ DES ORGANES VÉGÉTAUX 483 Dans les expériences à, b, €, d, l'humidité et l'obscurité étaient obtenues par une pelote de mousse humide liée autour d'une des extrémités de la bouture. e) Le bout proximal en bas ; l'obscurité seule en haut; l'humi- dité seule en bas. f) Le bout proximal en haut ; l'obscurité seule en haut; l’hu- midité seule en bas. Dans les expériences e et /, l'obscurité était obtenue en liant un papier autour de l’extrémité supérieure de la bouture ; l’hu- midité, en plongeant le bout inférieur dans l’eau. Pour compléter la série d'expériences il aurait aussi fallu une série avec l'humidité seule en haut, et l'obscurité seule en bas. Mais sa réalisation était trop compliquée, et j y ai renoncé. Les trois espèces essayées sont Rosa indica, Kleinia Anteu- phorbium et Rosa arvensis. J'aurais voulu essayer aussi A/oë fru- tescens, mais les tiges de cette espèce sont trop grosses et ne se prêtent pas à des expériences de ce genre. | Les figures 6, 7, 8, résument les résultats, et il y a peu de chose à y ajouter. Nulle part lhumidité n'empêche la production de rameaux (Han ow 08 bref). L'obscurité empêche la production de rameaux chez Rosa indica (fig. 6 c, e), mais non chezlesautres espèces (fig.7,8 b,c,e). Chez Rosa arvensis les racines ont une tendance marquée à naître en même temps aux deux extrémités de la bouture, même lorsque, à l’un des bouts, n'existe aucun facteur adjuvant (fig. 8 4). Il semblerait donc que cette espèce, tout en n'ayant pas la polarité radiculaire (fig. 3), possède néanmoins un certain fac- teur interne à action centrifuge. : LAVAL. — IMPRIMERIE L. BARNÉOUD ET Cie. Var se PLANCHE®WV Larves de Phormia asurea Fair, en cours de succion expérimentale Les figures 1 et 2 représentent les larves piquant un jeune moineau anesthésié à l’éther. La figure 3 montre un groupe de larves en succion sur le bras. Sub-grandeur naturelle. Bulletin Biologique, Tome LI. PLancHE V Phormia azurea el ni ] + d 2 ? 2 ? CRCRER EEE o LRORORCRES Se LS LE 2 où à on 0e Te me 0 ERA + z #4 £ RMC ï *! +2 ? PR] “4 ù À À “à 0 Le je 4 te À pe #7 20 RARE] #47 ve CET 40: F4 Te? ptet LJ T. 1 Ter ste + LA D 0 8 0 + D © $ 2% Ze + “y 0 ee 0 + S# ?, ? 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